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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le mercredi 25 juin 1975 - Vol. 16 N° 153

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 50 — Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Projet de loi no 50

Charte des droits et libertés

de la personne

Séance du mercredi 25 juin 1975

(Quinze heures treize minutes)

M. Lafrance (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

La commission permanente de la justice se réunit pour étudier le projet de loi no 50. Avant de commencer les travaux, je voudrais apporter les modifications suivantes: comme membres de la commission, M. Morin (Sauvé) remplace M. Bé-dard (Chicoutimi); M. Brisson (Jeanne-Mance) remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Dionne (Compton) remplace M. Ciaccia (Mont-Royal). Je suggérerais aux membres de la commission de nommer, comme rapporteur, le député de Louis-Hébert, Me Gaston Desjardins.

M. Morin: Je voudrais proposer M. Beauregard.

M. Beauregard: M. Sylvain écoute toujours très attentivement.

Le Président (M. Lafrance): Entendez-vous, messieurs, comme membres de la commission. Qui nommez-vous comme rapporteur? Comme il n'y a pas entente, le président a décidé que M. Beauregard serait le rapporteur.

Le ministre de la Justice.

Remarques préliminaires

M. Choquette: M. le Président, je serai très bref, connaissant le fait que les députés sont appelés, dans les prochains jours, à adopter plusieurs projets de loi de grande importance, mais dans un court espace de temps, puisqu'on semble s'entendre, de part et d'autre, pour terminer les travaux parlementaires dans les meilleurs délais. Il n'est donc pas dans mon intention de faire un long exposé sur les modifications qui ont été apportées au projet de loi 50, ainsi qu'il avait été rédigé dans sa version initiale.

Tout ce que je puis dire, c'est que nous avons apporté un certain nombre d'amendements de grande importance à ce projet de loi, au moins à la version originale. Je pense que, dans sa rédaction actuelle, le projet devrait correspondre aux aspirations généralement exprimées et qu'il devrait être trouvé satisfaisant.

Je n'ai pas l'intention de faire un long exposé sur la nature des amendements qui ont été apportés par le gouvernement à la rédaction initiale.

Je me réserverai, cependant, à l'occasion de l'étude de chaque article, le droit d'indiquer en quoi nous avons apporté des changements et pour quels motifs ces modifications ont été apportées.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Sauvé.

M. Morin: M. le Président, comme j'ai déjà livré mon opinion, au nom de l'Opposition officielle, sur l'ensemble du projet de loi en deuxième lecture, je n'ai pas l'intention de commencer la séance de cet après-midi par un long discours, pas plus que le ministre d'ailleurs. J'aimerais, cependant, faire observer que certaines modifications apportées au projet de loi depuis les premières séances de la commission parlementaire sont intéressantes et vont dans la bonne direction. Je pense, par exemple, à ce début de satisfaction que le ministre nous donne à l'article 50, lequel, sans aller jusqu'à établir entièrement la primauté de l'ensemble du texte de loi et sans accorder aux articles 8 à 37 une véritable primauté, constitue néanmoins un pas dans la bonne direction.

D'autres modifications paraissent plus curieuses, comme l'abandon de l'article 6 du premier projet, selon lequel toute personne avait droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens; ou encore l'article 10 du premier projet, selon lequel toutes les personnes étaient égales devant la loi. J'ai l'intention de demander au ministre de nous expliquer pourquoi ces deux articles, pourtant tout à fait fondamentaux, ne figurent pas dans le nouveau projet.

Enfin, en troisième lieu, je me contenterai d'observer que le ministre n'a pas tenu compte d'un certain nombre de recommandations qui lui ont été faites par des organismes qui ont comparu devant la commission, recommandations sur lesquelles j'ai l'intention de revenir au cours de l'étude du projet article par article cet après-midi et sans doute aussi ce soir et demain.

M. le Président, je commencerai donc les débats en demandant au ministre, avant même d'aborder l'article premier, pourquoi on a laissé tomber, dans la nouvelle version, des articles aussi fondamentaux que le sixième et le dixième du projet de loi original.

M. Choquette: M. le Président, je me réjouis de la satisfaction exprimée par le chef de l'Opposition à l'égard de la version actuelle du projet de loi 50. Je suis très heureux de constater que, généralement, le projet de loi trouve grâce à ses yeux...

M. Morin: Quant à certains aspects.

M. Choquette:... et je félicite le gouvernement de la façon très objective dont il a abordé, en somme, la rédaction...

M. Morin: Cela s'appelle se donner des tapes dans le dos.

M. Choquette: Oui... de ce projet de loi. Le gouvernement, je le pense bien — et ceci, je le dis plus sérieusement — a cherché à trouver les solutions qui nous paraissaient compatibles avec plusieurs impératifs que nous avions à l'esprit, sans

doute, le premier étant le caractère transcendant d'un tel projet de loi, objectif que je recherchais à atteindre, dans la rédaction d'un tel projet de loi, mais qui présente — je pense que le chef de l'Opposition en conviendra facilement — des difficultés dans un système parlementaire comme le nôtre, avec notre type d'adoption des mesures législatives.

Donc, sur ce plan, le projet de loi devrait mériter non seulement l'approbation du chef de l'Opposition et de ses collègues, mais il devrait également satisfaire aux aspirations exprimées par de nombreux groupes qui ont comparu devant nous.

Le chef de l'Opposition m'interroge sur la disparition de deux articles qu'il dit être fondamentaux, tout d'abord, celui qui traitait du droit de propriété.

En n'incluant pas un article sur le droit de propriété, ce n'est pas que le gouvernement veuille écarter toute considération ou, enfin, veuille ne pas considérer qu'il soit important de respecter le droit de propriété.

C'est que la législation gouvernementale met très fréquemment en cause le droit de propriété traditionnel et que le droit de propriété auquel on reconnaissait un caractère sacré au 19e siècle, droit de propriété qui, d'ailleurs, a acquis une très grande importance au cours de la période où a prévalu le libéralisme économique, aujourd'hui, est de plus en plus l'objet de réglementations et de limites imposées par des lois. Je vois assez fréquemment des lois qui, sans que ceci soit immédiatement apparent ou saute aux yeux, limitent d'une certaine façon le droit de propriété, de telle sorte que, si nous devions adopter le principe de la transcendance de la charte sur des lois à venir, ainsi que cela est proposé par l'article 50...

M. Morin: Cela ne s'applique pas à chapitre.

M. Choquette: Un instant. ... il aurait fallu envisager, d'une certaine façon, assez fréquemment, la nécessité de faire des exceptions en rapport avec le droit de propriété.

Je suis conscient du fait que l'article 50 ne propose la transcendance de la charte que des articles 8 à 37. Donc, il laisse de côté les articles 1 à 7. Ceci, nous l'avons fait délibérément à cause de la difficulté de traduire, dans toutes nos lois, les articles 1 à 7 d'une façon intégrale.

Nous l'avons fait parce qu'il est extrêmement difficile, du moins dans l'état actuel des choses, d'envisager que des articles, ayant une portée très générale, qui sont rédigés à un niveau d'abstraction très élevé, vont avoir un caractère transcen-dantal par rapport à toute autre loi.

Mais nous n'écartons pas la possibilité de le faire lors d'amendements à venir à la charte, c'est-à-dire que nous laissons à la charte la possibilité d'acquérir plus d'expansion que le cadre ou que la portée que nous lui donnons actuellement.

Dans quelques années, une fois que l'on aura fait l'apprentissage de la charte et qu'on l'aura fait fonctionner de par l'existence de la commission des droits de la personne, on pourra envisager que les articles 1 à 17 acquièrent un caractère transcendant sur les lois à venir. C'est la raison pour laquelle, devant cette éventualité qui ne me paraît pas si éloignée que cela, devant la constatation que beaucoup de lois gouvernementales, aujourd'hui, ont un caractère social et que le droit de propriété a cessé d'avoir un caractère sacré, comme il pouvait en avoir un au 19e siècle — devant ces impératifs, nous nous sommes dits qu'il ne fallait pas inclure dans la charte le droit de propriété comme un droit fondamental.

Donc, M. le Président, ce sont là les raisons qui ont joué en faveur de l'exclusion de ce principe. Je ne pense pas qu'au total la charte y perde gravement, du fait qu'on ait laissé de côté ce principe qui avait déjà été énoncé dans la première version. Quant à l'ancien article 10 de la version originale, qui énonçait l'égalité de tous devant la loi, ce sont des raisons du même ordre qui ont joué pour nous autoriser à écarter l'application de ce principe, d'autant plus qu'il me semble assez évident qu'une large partie des lois d'un Etat moderne constituent ou créent, justement, des inégalités de tous devant la loi. Aujourd'hui, les Etats ne peuvent plus légiférer en fonction de normes théoriques d'égalité, comme c'était le cas des lois qui s'inspiraient de l'époque du libéralisme économique, où on partait du point de vue que, si on donnait à tous les mêmes droits juridiques, de cet octroi de droits égaux résulterait une égalité dans les faits.

Or, toute l'expérience moderne est justement au contraire de tout cela. L'égalité de droits n'apporte pas nécessairement l'égalité dans les faits. C'est la raison pour laquelle les gouvernements modernes sont constamment obligés de légiférer pour favoriser certains groupes qui subissent l'effet de la libre concurrence ou de la libre action des agents économiques avec comme résultante une inégalité de fait qu'il s'agit de rétablir législativement en donnant à ces groupes des instruments ou des moyens de résister à l'action sans contrôle du marché économique.

Donc, je crois qu'adopter le principe de l'égalité de tous devant la loi, c'est adopter un principe qui, au fond, n'est qu'assez rarement vérifié de nos jours par l'action gouvernementale. Cela ne veut pas dire que tous ne sont pas égaux devant les tribunaux. Là, il s'agit d'une autre notion qui est bien différente de celle de l'égalité devant la loi. Quant à l'égalité devant les tribunaux, eh bien, on trouvera que cette égalité est consacrée officiellement par l'article 22 et les articles suivants, c'est-à-dire les énoncés qui traitent des droits judiciaires.

M. le Président, pour ces raisons, il nous a paru opportun d'écarter ces principes qui sont vraiment trop généraux et tellement contredits de par l'action gouvernementale fréquente que ceci aurait constitué, à long terme, un empêchement à faire en sorte que les articles I à 7 acquièrent un caractère fondamental. Ceci aurait été un obstacle, je pense, à ce que la charte devienne de plus en plus prépondérante dans la législation future. Sur le plan théorique, comme sur le plan pratique,

il n'y avait pas d'intérêt absolu à retenir ces principes qui, à mon sens, ne consacrent pas, parce qu'ils sont tellement généraux, des droits très spécifiques et très particuliers qui font qu'on puisse dire qu'ils doivent être inclus dans une charte qui, après tout, doit avoir une application concrète et, surtout, doit autoriser un développement futur.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable député de Sauvé.

M. Morin: M. le Président, les arguments qui ont été évoqués par le ministre me paraissent, pour le moins, spécieux, surtout lorsqu'on sait que les deux articles qui ont été écartés de la nouvelle version du projet de loi font partie de la législation d'un certain nombre d'Etats modernes, non pas des Etats rétrogrades, mais des Etats qui ont cru bon de consacrer les droits de l'homme dans leur législation et quelques fois même dans leur constitution.

Il est étonnant de constater que ces deux articles, qu'on avait cru suffisamment importants, après mûre réflexion, pour les inclure dans le premier projet de loi, ont été écartés du second.

Ce n'est certainement pas à la suite des représentations qui ont été faites par les organismes qui ont comparu devant la commission que le ministre a retiré ces deux articles 6 et 10 en particulier.

M. le Président, je voudrais attirer l'attention du ministre sur le fait que cet article 10, selon lequel toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, ne parle pas, de façon spécifique, du droit de propriété, comme il l'a dit. Cet article n'empêche en aucune façon l'Etat d'exproprier pour des fins d'intérêt public; l'article n'empêche en aucune façon un Etat qui se veut "moderne" — pour employer le vocabulaire du ministre — de prendre, dans l'intérêt public, à l'encontre de la propriété privée, les mesures qui s'imposent.

Quand on dit que toute personne doit avoir droit à la jouissance paisible de ses biens, on veut dire, bien entendu, dans la mesure prévue par la loi. Pour que ce soit plus clair, est-ce que je peux attirer l'attention du ministre sur le fait que cet article 6 venait du projet de l'Office de révision du code civil, préparé par un comité dont je faisais partie d'ailleurs et qui, dans son article 6, disait justement: "Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans les cas expressément prévus par la loi."

Ce dernier membre de phrase, bien clairement, marquait les limites de cette libre jouissance des biens, telle que nous avions voulu la garantir dans la charte des droits de l'homme ou dans ce qui devait être le premier chapitre du nouveau code civil.

M. le Président, cet article vient de la Déclaration universelle des droits de l'homme légèrement modifiée. Cet article a été admis, même par les pays socialistes, puisque la Déclaration universelle des droits de l'homme a été adoptée, à l'unani- mité, par les pays membres de l'ONU, en I948. Je ne m'explique pas, très franchement, le retrait de cette disposition.

Qu'on vienne nous dire que c'est parce qu'éventuellement cet article et d'autres pourraient être couverts par la primauté prévue à l'article 50, cela ne m'impressionne guère, car j'estime qu'un article rédigé comme celui qui avait été proposé par l'Office de révision du code civil pourrait très bien obtenir la primauté sans que, pour cela, le gouvernement d'un Etat moderne soit le moindrement gêné, par exemple, dans l'expropriation pour fins publiques.

Les arguments du ministre me paraissent tout à fait spécieux. Aucun Etat même socialiste, ne peut refuser à ses citoyens, dans les limites prévues par la loi, la jouissance paisible des biens qui leur sont laissés en propriété.

Il y a un autre aspect, dans ce que nous a dit le ministre, qui n'est pas sans intérêt. On aurait laissé tomber, pour des motifs analogues, l'égalité de tous devant la loi, parce que, nous dit le ministre, de plus en plus, il y a des lois adoptées par l'Assemblée nationale qui prévoient des inégalités. Mais, M. le Président, là encore l'égalité de tous devant la loi ne signifie pas que l'Assemblée nationale ne peut établir des distinctions entre diverses catégories de citoyens pour accorder aux uns des droits et imposer aux autres des obligations.

Par exemple, ce n'est pas nier l'égalité de tous devant la loi que de dire que les personnes qui ont atteint tel âge auront droit à tels droits et à tels privilèges, ou a telles exemptions. Ce n'est pas, non plus, nier l'égalité de tous devant la loi que de prévoir qu'on doit avoir atteint l'âge de 18 ans, par exemple, pour devenir électeur. Ce que ce principe signifie, c'est que bien que le législateur puisse établir des catégories, celles-ci seront déterminées objectivement, à partir de faits, et non pour viser telle ou telle personne en particulier, au détriment des autres.

C'est un principe très fondamental que celui de l'égalité devant la loi. Je ne m'explique absolument pas que le ministre ait choisi de le retirer de son projet de loi. Qu'il vienne nous dire que c'est parce qu'éventuellement on voudra accorder la primauté non seulement aux articles 8 à 37, mais également aux premiers articles de la loi, cela ne m'impressionne guère, parce qu'on trouve ce principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, également, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. On le trouve dans un très grand nombre de constitutions modernes; on le trouve dans la législation de nombreux Etats. Le Québec ferait vraiment exception et ce serait pour des motifs qui, d'après ce que le ministre nous a expliqué, ne sont pas vraiment fondamentaux. Ce ne sont pas des motifs sérieux.

Je proposerai donc, dans le courant de la discussion, que nous remettions ces articles dans le projet de loi. Ils me paraissent, en effet, essentiels, même dans un "Etat moderne", même dans un Etat qui se veut le plus moderne, qui se veut à l'avant-garde. Il n'y a aucune raison de ne pas garantir ces deux principes, et cela justement pour

des motifs de l'ordre de ceux qu'a invoqués le ministre. Il nous a dit, tout à l'heure: C'est parce que, de plus en plus, la loi prévoit des inégalités entre citoyens. C'est justement parce que la loi prévoit des inégalités entre citoyens qu'il faut nous assurer que c'est sur la base de principes que cela se fait, que c'est sur la base de faits qui peuvent être établis objectivement et non pas en discriminant à l'encontre de telle ou telle personne ou de telle ou telle catégorie de personnes pour des motifs qui ne sont pas objectifs.

M. le Président, j'estime que le ministre ne nous a pas donné de raison valable pour le retrait de ces deux articles. J'aimerais vraiment comprendre pourquoi il a procédé de la sorte.

M. Choquette: M. le Président, pour donner des explications additionnelles au chef de l'Opposition, j'ajouterais qu'il nous a cité tout à l'heure à l'appui de sa thèse selon laquelle il fallait réintroduire le principe de la libre jouissance de ses biens ou de la libre disposition de ses biens dans la nouvelle version de la charte, un rapport auquel il a collaboré. Je lui dirais que ce rapport avait été préparé, comme il l'a d'ailleurs mentionné lui-même tout à l'heure dans son intervention, pour constituer les premiers articles ou la première partie d'un futur code civil. Il s'agit là de droit civil et non pas nécessairement de principes fondamentaux qu'il faille retenir dans la rédaction d'une charte des droits et libertés de la personne.

M. Morin: Vous avez accepté tous les autres articles.

M. Choquette: Je sais, mais le chef de l'Opposition admettra quand même que, lorsque l'on parle du droit de disposer de ses biens et du droit de propriété, on est en plein droit civil et que nous attendrons les travaux de l'Office de révision du code civil sur cet aspect comme sur d'autres avant de nous prononcer. Maintenant, il nous dit que des Etats socialistes se sont empressés de reconnaître ces principes. Il semble qu'ils se soient empressés de reconnaître ces principes pour les violer peut-être systématiquement, comme on le sait. Justement, la charte que nous présentons, n'a pas pour objet d'être un simple drapeau ou de simples énoncés de principes qu'on agite, n'est-ce pas, comme les valeurs absolues d'une société, mais qui n'ont aucune répercussion immédiate dans la réalité et dans les lois du Québec.

Je suis sérieux quand je présente une charte des droits et libertés de la personne. Ce n'est pas simplement un énoncé de principes plutôt vagues et généraux qu'on se chargera de violer à chaque occasion. C'est donc un peu dans cet esprit que je fais preuve d'une certaine réserve dans les énoncés qui sont contenus au projet qui est soumis aux députés à l'heure actuelle.

C'est parce que je voudrais que ces principes reçoivent une large application, qu'ils soient susceptibles de sanctions, que ces principes signifient quelque chose et que ces principes ne soient pas constamment violés et ceci, de par la nature du fonctionnement d'un Etat moderne.

M. Morin: La "jouissance paisible des biens", ce n'est pas susceptible d'application?

M. Choquette: C'est très susceptible d'application, mais énoncé d'une façon aussi générale que cela, c'est plutôt de la nature d'un principe philosophique que de celle d'un principe de portée juridique. C'est cela qui m'a fait hésiter à reproduire ce principe dans la version actuelle de la charte.

J'attirerais, finalement, l'attention du chef de l'Opposition, tant en ce qui concerne le principe du droit de propriété qui a de moins en moins un caractère absolu dans le droit moderne, comme il le sait lui-même, que le principe de l'égalité de tous devant la loi, que ce sont là des principes peut-être honorables sur le plan politique, peut-être honorables sur le plan philosophique, mais qu'au point de vue de la portée juridique, leur niveau d'abstraction est tel que, de par ce fait, ils s'empêchent, d'une certaine façon, d'avoir une portée aussi immédiate que celle qui est recherchée par moi-même et par mes collègues du gouvernement.

Le chef de l'Opposition sait comme moi, puisqu'il est familier avec les problèmes que pose la question de la rédaction d'une charte des droits de l'homme, qu'on ne peut pas rechercher, à ce moment-ci, un appui absolu dans les textes de certains traités multinationaux ou internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme. On sait que, lorsque les Etats s'entendent entre eux pour adopter de tels traités ou de tels énoncés de principes, la rigueur de la rédaction est beaucoup moins exigeante sur le plan international que sur le plan législatif. C'est la raison pour laquelle, au plan international, les Etats peuvent se permettre de souscrire à toutes sortes de belles déclarations de principes, quitte à ce qu'ils les appliquent, évidemment, à leur façon, sur le plan national ou interne. On sait ce que cela donne; le chef de l'Opposition le sait aussi bien que moi. Je pense que, dans tout l'univers, à l'heure actuelle, il reste à peu près seize Etats démocratiques, ce qui en dit assez long sur les régimes qui peuvent prévaloir un peu partout dans le monde...

M. Morin: Est-ce que vous incluez le Québec?

M. Choquette:... alors qu'on sait que tous les membres des Nations Unies ont signé la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Ne nous laissons pas trop impressionner par des textes internationaux qui sont souvent assez ronflants, mais que les Etats n'appliquent pas d'une façon très sérieuse à leurs propres citoyens.

M. Morin: Ce n'est que l'inspiration profonde de tout ce projet de loi! Alors, c'est bien négligeable.

M. Choquette: Quoi?

M. Morin: La Déclaration universelle, c'est somme toute, peu de chose?

M. Choquette: Je ne dis pas que c'est négligeable, mais je dis que nous sommes sérieux au moment où nous proposons une charte et, contrairement à ce que...

M. Morin: Vous n'étiez pas sérieux dans la première version?

M. Choquette: Nous étions très sérieux, mais je dis qu'à la réflexion nous avons changé d'idée sur le fait d'incorporer des principes aussi larges dans un texte comme celui-ci.

M. Morin: M. le Président, je reviendrai sur ces points, au moment opportun. Nous pourrions peut-être commencer l'étude du projet, article par article.

Le Président (M. Lafrance): Partie I: Les droits et libertés de la personne; chapitre I: Dispositions générales; article I.

Droits et libertés de la personne

Dispositions générales

M. Morin: M. le Président, au moment d'aborder l'article premier, je voudrais souligner une autre carence, peut-être moins importante que les deux auxquelles j'ai fait allusion jusqu'ici.

Prenons l'article premier du texte proposé par l'Office de révision du code civil. Le ministre nous disait tout à l'heure: Attendons les travaux de l'Office de révision du code civil avant de nous prononcer. Or, nous l'avons depuis déjà plusieurs années. Nous avons le rapport de l'Office de révision du code civil depuis 1968; cela fait donc sept ans que le ministre a eu le loisir de prendre connaissance de ces textes et de réfléchir sur leur portée.

On nous dit, au tout premier article, que tout être humain possède la personnalité juridique. C'est là un principe fondamental qui est reconnu par la plupart des codes civils et des lois fondamentales sur les droits de l'homme. Du seul fait de son existence, une personne est douée de la personnalité juridique et cela entraîne, évidemment, ipso facto, un certain nombre de droits ou d'attributs fondamentaux qui sont destinés à assurer la protection, l'intégrité de l'individualité physique et morale de la personne.

Je me demande pour quelle raison le ministre a choisi d'omettre de son projet cet article fondamental, alors qu'il a retenu huit sur dix des textes qui étaient proposés par l'Office de révision du code civil.

M. Choquette: Sur la personnalité juridique, j'attirerais l'attention du chef de l'Opposition sur le fait que nous l'avons déjà inscrite au code civil lors de certains amendements qui ont été apportés au code, il y a deux ans environ.

M. Morin: Le ministre n'estime-t-il pas que ce serait important, étant donné que ce projet de loi sur les droits de la personne sera plus fondamental un jour, si j'en crois l'article 50 et les projets du ministre, que le code civil lui-même? N'y aurait-il pas lieu, étant donné qu'il a déjà inscrit, dans le projet de loi, par ailleurs, d'autres articles qui se trouvent dans le code civil, de retenir que tout être humain possède la personnalité juridique?

Ce que je veux dire au ministre est ceci: Si la seule raison est que cela est déjà dans le code civil, je lui signale que d'autres articles du projet apparaissent également dans le code civil.

M. Choquette: Je sais très bien qu'il y a certains articles, certains principes qui se trouvent ici et qui peuvent se trouver dans le code civil, et cela n'est pas nécessairement un empêchement s'ils se trouvent dans la charte.

Si le chef de l'Opposition me le permet, nous avons envoyé chercher les amendements apportés au code civil, il y a quelques années, qui portent justement sur ce sujet, de façon à voir la phraséologie qui s'y trouve. Une fois que je serai en possession du texte, je verrai s'il y a moyen d'amender l'article 1 tel que proposé pour incorporer la notion de droit à la personnalité juridique pour tout être humain.

Si le chef de l'Opposition le permet, nous pouvons laisser ce sujet en suspens pour le moment.

M. Morin: Très volontiers, M. le Président. Ce n'est certainement pas pour embêter le ministre que je soulignais cette lacune. C'est tout simplement pour essayer d'améliorer le projet de loi.

Le Président (M. Lafrance): Alors, on peut suspendre l'article 1 pour quelques instants?

M. Morin: C'est-à-dire qu'on peut suspendre la discussion sur ce qui serait éventuellement un nouvel article premier, mais je n'ai pas d'objection à ce que nous passions à l'étude et à l'adoption de l'article premier du projet actuel, à moins que le ministre ne veuille consulter, tout de suite, le code civil.

M. Choquette: L'article 18 du code civil actuel, amendé en 1971 se lit comme suit: "Tout être humain possède la personnalité juridique". "Citoyen ou étranger, il a pleine jouissance des droits civils sous réserve des dispositions expresses de la loi".

M. Morin: C'était exactement la proposition de l'Office de révision du code civil, en 1968.

M. Choquette: Pour donner suite au voeu du chef de l'Opposition, je vais proposer avec lui un amendement qui pourrait se lire tout simplement comme ceci: Que l'article 1 comporte un second alinéa qui se lirait: "II possède aussi la personnalité juridique"; ce qui reproduit, en substance, le premier alinéa de l'article 18.

M. Morin: Oui. "Il possède également" plutôt

que "aussi". "Il possède également la personnalité juridique".

M. Choquette: Je pense qu'on n'a pas besoin, à ce moment-là, de reproduire le deuxième alinéa de l'article 18 parce que c'est une conséquence...

M. Morin: Cela relève davantage du code civil.

M. Choquette:... je pense bien, de l'énoncé de principe.

M. Morin: Oui. Si le ministre veut en convenir...

M. Choquette: Si le chef de l'Opposition veut faire la proposition, je suis prêt à l'accepter.

M. Morin: Bien. Je la fais formellement, M. le Président. Qu'on ajoute à l'article premier, tel qu'il est rédigé, un second alinéa se lisant comme suit: "II possède également la personnalité juridique".

Le Président (M. Lafrance): Article 1, adopté?

M. Morin: Adopté.

Le Président (M. Lafrance): Article 2?

M. Morin: L'article 2, M. le Président, reproduit substantiellement, même presque mot à mot, l'article 3 proposé par l'Office de révision du code civil lequel nous disait que toute personne en péril a droit au secours. On l'a légèrement modifié puisqu'on nous dit que "tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours". Cela veut dire essentiellement la même chose et je n'ai pas d'objection à la rédaction du premier alinéa.

Le second alinéa, d'ailleurs, reproduit, mais de façon différente, le second alinéa de l'article 3 de l'Office de révision du code civil, lequel article, d'ailleurs, est également au code civil, si je ne m'abuse.

M. Choquette: Pas à l'heure actuelle.

M. Morin: II n'a pas été inscrit au code civil. Ce second alinéa, dis-je, a été rédigé de la façon suivante dans le nouveau projet. "Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en provoquant le secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable".

J'aurais une ou deux suggestions à faire. Je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire d'en faire des amendements. Je n'aime guère l'expression "provoquer" le secours. Je pense que ce qu'on veut dire c'est obtenir du secours. "Provoquer" le secours, c'est bizarre; ce n'est guère français, en tout cas, à première vue. Obtenir du secours me paraît être la façon normale de s'exprimer en français. C'est, évidemment, un point de détail, mais ce n'est pas une chinoiserie pour autant. De même, quand on parle de "l'aide physique", je préfère l'expression utilisée par l'Office de révision du code civil qui nous parle de "l'assistance". Je pense que c'est ce qu'a voulu dire le ministre. Je n'en fais pas, à moins que le ministre n'insite, un amendement formel, mais je dirais, en ce qui me concerne: "Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'assistance... "Je ne vois pas pourquoi on se limiterait, en disant: "l'aide physique" ou "l'assistance physique nécessaire et immédiate".

L'assistance requise peut être d'ordre moral, si la personne est dans une difficulté d'ordre moral. Cela peut se produire, des circonstances comme celles-là. Je ne vois pas pourquoi on restreint la portée du mot assistance, qui se trouvait dans le projet de l'Office de révision. Je dirais simplement: "... lui apportant l'assistance nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou de tout autre motif raisonnable". Plutôt que "ou d'un autre", je dirais "ou de tout autre motif raisonnable", pour que ce soit un peu plus français.

M. Choquette: M. le Président, quant au mot "provoquant", à l'égard duquel le chef de l'Opposition suggère...

M. Morin: Je n'ai pas voulu vous provoquer.

M. Choquette: II n'a pas réussi à me provoquer.

M. Morin: Ce serait le sens exact du mot.

M. Choquette: Vous n'avez pas réussi du tout à me provoquer et je n'ai pas pris votre intervention comme une provocation. Mais j'attire l'attention du chef de l'Opposition sur le fait que nous avons employé la terminologie qui se trouve au code pénal français, qui parle de provoquer le secours dans ces circonstances.

Maintenant, provoquer le secours et obtenir le secours, ce n'est pas nécessairement la même chose. Obtenir le secours imposerait une obligation de résultat, alors que l'intention, dans le cas actuel, n'est pas d'imposer une obligation de résultat, mais une obligation de moyen. C'est la raison pour laquelle nous avons utilisé le mot "provoquant".

Au lieu de "l'aide physique nécessaire," le chef de l'Opposition suggère, "l'assistance physique."

M. Morin: Non, "l'assistance" tout court.

M. Choquette: L'assistance. Il a fait déborder cette assistance jusqu'à comprendre l'assistance morale. Je voudrais attirer l'attention du chef de l'Opposition sur le fait qu'une assistance morale donnée dans des circonstances comme celles qui sont prévues dans ce paragraphe 2 ne pourrait pas faire l'objet d'une sanction, ne pourrait pas être rendue efficace. Qu'est-ce que c'est que l'assistance morale? C'est une notion assez floue, assez

vague. Nous nous sommes contentés ici de l'aide physique parce qu'il y a une obligation qui peut être sanctionnée d'où découleront, d'ailleurs, des obligations...

M. Morin: Et des responsabilités.

M. Choquette: ... des responsabilités de nature civile. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas allés au-delà de l'aide physique, parce que ça nous paraît impossible.

M. Morin: Je vais tenter de m'expliquer auprès du ministre, M. le Président, pour bien marquer la différence qu'il peut y avoir entre l'assistance tout court, y compris l'aide morale, et l'aide physique.

Voici une personne qui a franchi la fenêtre et se trouve sur la margelle hors de portée physique de qui que ce soit. On voit cela à l'occasion, une personne qui, pour des motifs d'ordre psychique, s'apprête à sauter dans le vide. J'estime que l'obligation de se porter au secours de cette personne est tout aussi contraignante, même si elle est hors de portée de l'aide physique et que quelqu'un doit se porter au secours de cette personne, en lui parlant, comme cela se fait à l'occasion, et en lui apportant l'aide morale et psychique dont elle peut avoir besoin et qui peut la sauver à un moment aussi décisif de sa vie.

C'est la raison pour laquelle — j'ai pris un exemple concret, mais j'imagine que je pourrais en trouver d'autres — que j'estime que la terminologie utilisée par l'Office de révision et par le Comité sur les droits civils de l'Office de révision était plus humaine, puisque nous parlons des droits de l'homme, et comprenait davantage ce type d'aide morale qui peut être absolument crucial à certains moments de la vie d'une personne. Je me souviens que nous avions réfléchi à cette question lors de la rédaction de l'article 3 du projet de l'Office de révision. Dans notre esprit, quand nous disions l'assistance immédiate requise pour lui sauver la vie, cela comprenait tous les moyens d'ordre moral ou physique. Nous étions d'avis qu'une personne qui ne donne pas suite à son obligation d'ordre moral soit sujette à une sanction d'ordre civil. Je veux dire par là que sa responsabilité civile serait engagée par ce défaut d'avoir prêté assistance au moment critique.

M. Choquette: Je pense qu'on devra se rendre compte qu'en proposant l'article 2 dans sa rédaction actuelle, le gouvernement va très loin.

Je pense que, si on examine les législations étrangères, on ne trouvera pas beaucoup de cas où on impose à des tiers, des obligations d'apporter une aide physique.

M. Morin: C'est vrai, j'en conviens.

M. Choquette: C'est la raison pour laquelle je pense qu'ici la loi ou le principe du Bon Samaritain est poussé très loin dans la législation québécoise, si l'article 2 est adopté dans sa rédaction actuelle. Aller plus loin et proposer une aide morale ouvre la porte à toutes sortes d'interprétations subjectives qui paraissent très difficiles à sanctionner devant les tribunaux.

Je vais vous donner un exemple. Vous avez un citoyen qui est près d'une fenêtre et qui menace de se suicider. En vertu de l'article 2, il n'y a pas de doute qu'une personne, voyant une telle situation, se verrait dans l'obligation de téléphoner à la police ou aux pompiers et de dire: Venez avec un filet pour tenter de sauver cette personne si elle se jette par la fenêtre.

Si on doit suivre le raisonnement du chef de l'Opposition, cela pourrait aller plus loin. La personne qui serait devant une telle situation devrait s'efforcer de trouver les mots pour calmer celui qui menace de se suicider pour éviter, en somme, cet acte destructeur de sa propre vie.

Je pense que le chef de l'Opposition va pas mal loin et je ne pense pas que, sur le plan juridique, on puisse exiger, d'une façon efficace, que cette aide morale puisse se traduire par un recours en dommage des héritiers de la personne qui se serait suicidée, parce que la personne, qui aurait rencontré une telle situation, n'aurait pas trouvé les mots ou n'aurait pas eu la présence d'esprit d'employer une technique de réconfort moral pour éviter l'éventualité d'un suicide.

C'est la raison pour laquelle je pense que, compte tenu de ce qui existe ailleurs et de ce ce qui peut être sanctionné raisonnablement devant les tribunaux, on doit se contenter de l'aide physique qui me paraît d'ailleurs un pas en avant très considérable.

M. Morin: Je ne nie pas, M. le Président, que les dispositions de ce genre ne se retrouvent pas à la pelletée dans les lois étrangères. C'est un fait qu'à une ou deux exceptions près le Québec, avec cet article, ira sans doute plus loin qu'on ne l'a fait ailleurs.

Mais ce qui me chicote, c'est qu'on a souvent vu, aux Etats-Unis, des foules barbares crier à des personnes qui étaient en péril, comme celle que nous venons de décrire: "Jump". La foule, en bas, criait à l'adresse de la personne. Ils voulaient voir le saut; c'est cela qui les intéressait. Les foules peuvent être facilement cruelles et barbares.

J'ai l'impression que cette précision — non pas dire "l'assistance physique et morale," mais l'assistance tout court — serait utile, pourvu qu'on se serve de cette charte pour faire l'éducation des citoyens aussi. C'est un des objectifs qui seront poursuivis éventuellement par la commission dont nous allons discuter plus loin, la nouvelle commission des droits de la personne. Celle-ci aura pour objet, justement, de faire connaître la charte. Comme dans le cas de la Déclaration universelle, cela va être un moyen de faire progresser la civilisation chez les Québécois.

J'ai l'impression que ce serait utile de mettre "l'assistance" plutôt que l'aide physique. Je trouve le texte actuel indûment restrictif.

Je signale au ministre que l'Office de révision du code civil, après mûre délibération, avait estimé que "l'assistance" était conforme au droit civil, à la jurisprudence et qu'on n'exagérait pas en parlant d'assistance tout court, c'est-à-dire en in-

cluant l'aide psychique ou morale, en plus de l'aide physique.

Je ne veux pas insister — je n'irais même pas jusqu'à en faire un amendement —c ar j'estime qu'il y a d'autres articles qui méritent davantage notre attention dans la suite de ce projet de loi, mais il me semble que c'est le bon sens qui devrait nous faire préférer l'expression "l'assistance" tout court à "l'aide physique". Je trouve cela restrictif. Je pense que cela va porter les gens à se poser des questions comme: Pourquoi seulement l'aide physique? Est-ce qu'on ne doit pas aussi intervenir pour apporter un secours moral à une personne qui pourrait en avoir besoin?

M. Choquette: II y a un autre argument qui nous a empêchés d'adopter la position suggérée par le chef de l'Opposition. C'est que "l'assistance", si on devait se contenter de ce mot, pourrait comprendre l'assistance financière. Je ne pense pas qu'il faille aller jusqu'au principe de faire une obligation à chacun de donner l'assistance financière à des personnes dont la vie est en péril. On pourrait hypothétiquement imaginer une situation où une personne serait malade et aurait besoin d'assistance financière pour pouvoir survivre. Malgré que cela peut être un devoir sur le plan moral d'apporter une telle assistance financière, dans ces circonstances, je ne pense pas qu'on puisse en faire une obligation légale. C'est la raison pour laquelle il a fallu arrêter l'obligation de chacun à apporter l'aide physique nécessaire pour éviter le péril que peut courir une personne. C'est un autre facteur que nous avons dû considérer.

M. Morin: C'est un argument qui a plus de poids que les précédents. Il est évident que "l'assistance" tout court pourrait théoriquement couvrir l'assistance financière. D'un autre côté, comme le ministre n'est pas prêt à assurer la jouissance paisible des biens, peut-être pourrait-il prévoir ici l'assistance financière. Je suis prêt à accepter cet argument, mais je persiste à croire que "provoquer le secours" est une expression baroque, qu'il y aurait peut-être moyen de trouver mieux que cela, sans en faire pour autant une obligation de résultat. Je m'interroge sur le mot qui conviendrait... "En sollicitant le secours".

M. Choquette: "En demandant le secours".

M. Morin: "En appelant" — j'aimais le mot "solliciter" — ou "en sollicitant du secours".

M. Choquette: On me fait remarquer que "solliciter" ou "demander" le secours, au lieu de le "provoquer", est moins fort, moins contraignant. Ici, dans la rédaction de l'article, il y a d'abord une première obligation qui se trouve imposée à la personne de donner elle-même le secours ou, il y a une obligation subsidiaire qui est de le provoquer. Si elle ne peut pas donner elle-même le secours, elle a quand même l'obligation de le provoquer. Je me demande si le chef de l'Opposition gagnerait à changer le mot "provoquer", par le mot "solliciter".

M. Morin: Je ne suis pas d'accord avec le ministre, lorsqu'il nous dit qu'obtenir du secours, c'est une obligation de résultat, alors que provoquer le secours serait une obligation de comportement ou, comme il l'a dit, une obligation de moyen. C'est pour cela qu'en fin de compte j'en reviendrais à ma suggestion de tout à l'heure. Je pense que si on disait "ou en obtenant du secours"...

Naturellement, s'il ne peut pas l'obtenir parce qu'on le lui refuse, cela entre dans les motifs raisonnables et aucun juge ne va condamner une personne qui a tenté d'obtenir du secours sous prétexte qu'elle n'a pas pu l'obtenir. Je ne vois pas ce qu'il y a de plus contraignant d'obtenir le secours ou de provoquer le secours. C'est moins baroque comme expression, mais cela revient exactement au même dans les faits.

M. Choquette: Si le chef de l'Opposition veut suggérer qu'on remplace le mot "provoquant" par les mots "obtenant le secours", je serais d'accord sur cet amendement.

M. Morin: Je remercie le ministre. Je pense que cela va être moins baroque et que cela ne change pas le sens profond. L'article 2 peut être adopté.

Le Président (M. Lafrance): Adopté avec modification. Article 3?

Religion

M. Morin: A l'article 3, j'aurais un amendement formel à proposer. On nous dit: "Toute personne est titulaire des libertés fondamentales, telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression." J'estime que la liberté de religion est peut-être un peu restrictive. Je pense que ce à quoi on se réfère, ce sont les croyances et non pas seulement la religion qui est une forme de croyance. Je me demande s'il n'y aurait pas avantage, comme la Chambre des notaires nous l'a d'ailleurs suggéré au cours d'une séance de la commission parlementaire antérieure, à utiliser la liberté de croyances. Je me ferai donc le porte-parole de la Chambre des notaires — c'est bien la première fois dans ma vie — pour proposer qu'on modifie le mot "religion" par le mot "croyances." Le sens est plus large et, d'ailleurs, cela se trouve au chapitre du louage du code civil, à l'article 1664-S.

M. Choquette: Je ne vois pas ce que le chef de l'Opposition accomplit en suggérant cet amendement à l'effet de remplacer la liberté de religion par la liberté de croyances, alors que tout à côté de cette liberté de religion, on trouve la liberté de conscience, la liberté d'opinion, ce qui, enfin, à mon sens, couvre l'ensemble des options individuelles que les gens peuvent avoir au point de vue de la foi ou au point de vue des opinions politiques ou au point de vue de leurs croyances les plus importantes. Je ne vois pas ce que le chef de l'Opposition accomplit en supprimant, en somme,

toute référence à la religion. Il me semble que la religion est une dimension extrêmement importante pour chaque individu dans le domaine des croyances.

M. Morin: Sûrement.

M. Choquette: A mon sens, je dois dire qu'il me plaît qu'on se réfère spécifiquement à cette dimension particulière qu'est la religion.

M. Morin: M. le Président, je ne veux pas nier la liberté de religion; j'espère que le ministre ne m'a pas interprété comme cela. Ce que j'ai voulu dire, c'est que ce terme me paraît un peu restrictif. La liberté de religion suppose des églises, des regroupements d'hommes en fonction de certains dogmes, mais il peut exister également des croyances qui ne sont pas d'ordre religieux, mais qui sont d'ordre philosophique, par exemple. Il me semble qu'on pourrait élargir la simple liberté de religion pour inclure toutes ces autres croyances qui sont fort répandues, le ministre le sait, dans notre société, dans toute société libre. Si nous adoptions l'expression "la liberté de croyances", cela inclurait la liberté de religion, puisque les religions sont une forme de croyance.

Les religions participent de la croyance, par exemple, en un Etre suprême, ou en un ensemble de dieux dans le polythéisme.

M. Choquette: Mais on a déjà la liberté de conscience qui nous semblerait couvrir toutes les options philosophiques possibles. Comme le dit le chef de l'Opposition, la liberté de religion comprend, en fait, la notion de religion organisée, de société à caractère religieux, de telle sorte que je ne pense pas que l'amendement proposé par le chef de l'Opposition réussise à faire accomplir à cet article un réel progrès, compte tenu de la diversité des options permises à l'intérieur de la liberté de conscience, de la liberté de religion, de la liberté d'opinion.

Peut-être, si on n'avait pas mis la liberté de conscience et la liberté d'opinion comme des libertés spécifiques, le chef de l'Opposition pourrait-il dire: Ecoutez! On va trouver un terme encore plus général que la liberté de religion qui va pouvoir recouvrir une foule d'options philosophiques ou théologiques particulières. Peut-être qu'à ce moment on serait mieux d'employer la liberté de conscience, mais, avec les autres libertés qui sont inscrites dans l'article 3, je ne pense pas que ceci améliore la rédaction de l'article.

M. Morin: M. le Président, je ne veux pas insister, mais j'attirerai l'attention du ministre sur le fait que, si tant est que la liberté de conscience recouvre la liberté de croyance, elle recouvre également la liberté de religion. Donc, il y aurait une sorte de tautologie. On ajouterait à la liberté de conscience quelque chose qui s'y trouve déjà et qui est la liberté de religion.

M. Choquette: II n'y a pas deux...

M. Morin: Tant qu'à y être, j'aurais élargi le concept de religion pour parler de toutes les croyances.

M. Choquette: Oui, mais il n'y a pas de doute que ces notions se recouvrent jusqu'à un certain point. La liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté d'opinion sont des libertés qui sont, au moins en partie, coextensives, je dis en partie.

M. Morin: Elles se recoupent, oui.

M. Choquette: Ce n'est pas une raison, cependant, de les écarter, car la liberté de conscience peut comprendre la liberté d'être complètement incroyant aussi; ce qu'on ne retrouverait pas nécessairement à l'intérieur du terme "la liberté de religion", parce que la liberté de religion comprend la croyance à certaines religions organisées et structurées, au moins, chez la majorité des gens.

M. Morin: Vous êtes en train de plaider pour le changement que je propose.

M. Choquette: Bien non! Est-ce que vous proposez la suppression des articles "la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté d'opinion" en les remplaçant par "la liberté de croyances"? Est-ce que c'est ce que vous proposez?

M. Morin: Non, j'aurais dit: La liberté de conscience, la liberté de croyances, la liberté d'opinion. Je n'en ferais pas un amendement formel. J'espérais simplement qu'on...

M. Choquette: Je pense que la liberté religieuse mérite d'être mentionnée spécifiquement comme une liberté qui doit être consacrée par la charte.

M. Morin: Je vais accepter les arguments du ministre, M. le Président, parce qu'effectivement la liberté de conscience me paraît inclure la liberté de croyance. Cela aurait été une amélioration, à mon sens, mais, enfin, je ne veux pas passer l'après-midi à tenter de vaincre la résistance du ministre là-dessus.

Je voudrais, cependant, vous faire observer que le sujet des droits de l'homme n'a pas l'air d'intéresser beaucoup nos collègues libéraux, puisque nous n'avons plus quorum. Est-ce qu'il serait possible, quand même, que nous ayons quorum?

Le Président (M. Lafrance): La commission suspend ses travaux pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 19)

Reprise de la séance à 16 h 29

M. Lafrance (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

M. Morin: Nous avons les huit membres à la condition que le député de Taschereau ne s'éloigne pas à nouveau.

Le Président (M. Lafrance): La commission reprend ses travaux. Si j'ai bien compris, l'article 3 est adopté.

M. Morin: Nous sommes disposés à l'adopter, de même que les articles 4 et 5.

Le Président (M. Lafrance): Article 4, adopté. Article 5, adopté.

Disposition des biens

M. Morin: Mais, après l'article 5, je me permets de revenir sur l'article 6 du ci-devant projet de loi qui se lisait comme suit: 'Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens".

J'ai dit au ministre, tout à l'heure, que je trouvais ses arguments en faveur de la suppression de cet article spécieux. Il ne m'a pas convaincu. Comme l'Office de révision du code civil avait estimé que cet article était suffisamment important pour l'inclure dans ce que nous appelions, modestement, le décalogue puisqu'il comportait dix articles, je me permets d'insister et d'en faire un amendement formel. Je propose que l'article 6 de l'ancien projet de loi qui était suffisamment important pour que le ministre juge opportun de l'y inclure, soit ajouté dans le nouveau projet après l'article 5. Il porterait donc le même numéro que dans le projet de loi initial, soit le numéro 6. Je le propose.

Pour les arguments, je ne vais pas recommencer tout ce que j'ai dit tout à l'heure. J'estime que même un pays progressiste sur le plan social, même un pays qui soumet la jouissance des biens privés à l'intérêt général peut se permettre d'adopter un tel article qui protège le droit à la jouissance paisible, à la libre disposition des biens. Si le ministre a quelque hésitation, il pourrait s'en remettre à la rédaction qui avait été adoptée par l'Office de révision du code civil en ajoutant à la fin "sauf dans les cas expressément prévus par la loi."

Je suis sûr que j'aurai l'appui du député de Taschereau là-dessus.

M. Bonnier: II semble y avoir beaucoup d'abus.

M. Choquette: M. le Président, comme je l'ai dit plus tôt, il est certain que personne ne met en cause l'intérêt philosophique ou même l'intérêt juridique de ce principe au point de vue du droit civil. D'ailleurs, tout le droit civil est généralement pertinent à la disposition des biens et à leur jouissance paisible.

Je pense, M. le Président, qu'il serait prématuré soit d'adopter le principe d'une façon absolue, soit encore de l'adopter avec la condition additionnelle que le chef de l'Opposition a suggérée, c'est-à-dire que ce soit sous réserve des autres lois. Je pense que, dans l'une ou l'autre possibilité, nous serions bien avisés d'attendre l'adoption d'un nouveau code civil pour voir comment ce principe pourrait être incorporé à la charte. Pour le moment, donc, à moins que le chef de l'Opposition n'ait d'autres arguments plus percutants, je ne serais pas prêt à abonder dans son sens.

M. Morin: J'ai déjà étalé un certain nombre d'arguments. Je ne vais pas les reprendre, M. le Président. Si ces arguments n'ont pas réussi à persuader le ministre, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter qui pourrait le persuader. Mais je me dis que, si c'était suffisamment bon et persuasif pour être inclus dans la première version, cela devrait l'être tout autant, étant donné l'importance du principe, dans la dernière version.

M. Choquette: C'est parce qu'il va y avoir des changements assez importants faits au droit civil, cela est assez prévisible. Par exemple, le principe actuel de la liberté absolue de tester va probablement être battue en brèche par le nouveau code civil qui va limiter la liberté des testateurs, comme cela s'est fait sous la plupart des régimes de droit civil contemporain. Il va y avoir aussi probablement des modifications apportées aux régimes matrimoniaux, en plus des régimes successoraux qui vont limiter la libre disposition des biens qu'on voudrait faire reconnaître par le principe énoncé par le chef de l'Opposition. C'est la raison pour laquelle, devant tant d'atteintes au principe "sacro-saint " de disposer de ses biens, j'ai un peu de réserves à le reconnaître comme un principe qui a un caractère le moindrement absolu dans la charte. C'est plutôt un souci de réalisme qui m'empêche d'abonder dans le sens du chef de l'Opposition.

Ce n'est pas que je suis contre l'idée que chacun puisse jouir paisiblement de ses biens, alors qu'il est en possession de ses biens, et qu'il ne doit pas être dérangé dans cette possession paisible de sa propriété; c'est plutôt que, sur le plan juridique, je ne vois pas beaucoup de portée à l'adoption de ce principe dans la charte. C'est ce qui m'arrête.

M. Morin: M. le Président, je reviens brièvement sur la portée exacte de jouissance paisible et libre disposition de ses biens. Cet article ne consacre pas le droit absolu à la propriété; ce n'est pas ça qu'il fait. Il ne dit pas que les biens d'un particulier ne pourront jamais être expropriés pour des fins publiques. Il ne dit pas cela, surtout si on y ajoute la clause prévue par l'Office de révision du code civil qui disait: "Sauf dans les cas expressément prévus par la loi."

Il ne dit pas, non plus, que le code civil ne peut pas éventuellement mettre des limites à la libre disposition des biens et, par exemple, imposer

des restrictions sérieuses au droit de tester. Ce n'est pas cela qu'il dit; il dit que, dans les limites prévues par la loi, si un droit de propriété est reconnu à un individu, il a le droit d'en avoir la jouissance paisible. On n'a pas le droit d'aller le déranger dans la jouissance de son bien si la loi lui reconnaît la propriété de ce bien. Vous voyez, c'est tout à fait différent du droit de propriété qui comporte, le ministre le sait, l'usus, l'abusus, l'usus fructus. Là, il s'agit seulement de la jouissance paisible d'un bien dont la propriété est par ailleurs reconnue par la loi. Est-ce que je me fais clair?

M. Choquette: Oui, le député se fait clair, mais, comme je le dis, il ne s'agit pas simplement des cas d'expropriation, parce qu'il est bien admis — c'est inscrit au code civil — que personne ne doit subir d'expropriation, même au nom de l'intérêt public, sans recevoir une compensation équivalente à la valeur du bien exproprié. On ne met pas ça en question, mais je prends, par exemple, la législation actuelle en matière de louage. Le propriétaire d'une maison d'appartements ou d'une maison de logements qui sont loués n'a pas, à l'heure actuelle, la libre disposition des biens. La preuve en est qu'il ne peut pas évincer un locataire à la fin du bail, si le locataire lui envoie un avis de renouvellement trois mois avant l'expiration du bail.

Le locataire a le droit d'aller à la Régie des loyers et de faire arbitrer la hausse de loyer réclamée. Il a le droit de faire décider la régie sur la décision du propriétaire de ne pas renouveler le bail. Constamment, où que nous nous tournions, nous sommes devant des législations qui affectent ce principe de la libre disposition des biens.

Tout à l'heure, je référais au domaine du testament qui va certainement subir des modifications importantes. Je pense qu'à ce moment-là on est encore plus à l'intérieur du principe de la libre disposition des biens, puisque les testataires, à l'avenir, ne pourront pas, au moins pour une partie des biens qu'ils vont laisser à leurs héritiers, tester d'une façon absolument libre, comme c'est le cas dans le droit actuel.

On sait que la plupart des pays ont évolué vers certaines dispositions qui empêchent les testataires de léguer leurs biens à qui ils l'entendent d'une façon absolue et qu'il va falloir sauvegarder dans la législation à venir la situation des héritiers légaux ou de l'épouse, suivant le cas, de façon à limiter, d'une certaine façon, la libre disposition des biens.

Pour tous ces motifs et aussi pour le motif qu'il s'agit du droit de propriété qui, après tout, se trouve au code civil — le code civil entoure le droit de propriété d'une foule de dispositions spécifiques qui en limitent la portée, qui réglementent la portée du droit de propriété — je me demande si le principe énoncé par le chef de l'Opposition ne nous apportera pas plus d'inconvénients dans la réforme du droit civil que d'avantages, au moment où nous serons incessamment appelés à apporter un nouveau code civil.

Je ne rejette pas, d'une façon irrémédiable, la proposition du chef de l'Opposition. Il est très possible qu'à la suite de l'adoption du nouveau code civil, une fois qu'on aura un peu défini dans quelles conditions s'exerce le droit de propriété, avec toutes les limites qui doivent lui être inhérentes dans les conditions modernes, le principe qu'il préconise mérite d'être inséré à la charte, avec toutes les limites que va comporter le nouveau code civil du Québec.

M. Morin: M. le Président, un dernier argument. C'est précisément parce que l'Etat a de plus en plus d'occasions de restreindre le libre usage de la propriété, de restreindre le droit de propriété lui-même, pour des fins sociales, que j'estime essentiel de rappeler ce principe dans les limites autorisées par la loi.

Pour que la pensée de l'Opposition soit plus claire et pour rencontrer un certain nombre d'objections du ministre, je ne ferai pas que proposer que l'article 6 de l'ancien projet soit rétabli, mais j'ajouterai l'exception qu'avait prévue l'Office de révision du code civil, de sorte que je maintiens la proposition que je faisais tout à l'heure et je la modifie quelque peu.

Je propose que l'article 6 se lise comme ceci: Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans les cas expressément prévus par la loi.

Je le maintiens parce que j'estime que c'est un principe fondamental, M. Le Président, et qu'aujourd'hui l'Etat a mille et une occasions de déranger les gens, de plus en plus, dans la jouissance paisible de leurs biens. Que l'Etat le fasse pour des motifs d'ordre social, nous n'en disconviendrons jamais, mais il est bon de rappeler que, si l'Etat n'a pas des motifs d'ordre social d'intervenir — et ces motifs peuvent être nombreux — le principe qui prévaut, c'est que cette personne a droit à la jouissance paisible de ses biens.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable député de Maisonneuve.

M. Burns: M. le Président, je tiens à appuyer la motion du chef de l'Opposition d'insérer à nouveau cette ancienne disposition de l'article 6 du projet de loi original. Je pense que l'amendement que le chef de l'Opposition vient d'apporter à sa propre suggestion, c'est-à-dire que toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans les cas expressément prévus par la loi, vient tout simplement de mettre de côté tous les arguments que le ministre de la Justice nous a servis depuis quelques instants, du moins depuis que je suis ici et que j'ai entendu les arguments à L'encontre de la réinsertion d'une telle disposition dans un projet de loi qui se veut, à toutes fins pratiques, une espèce de déclaration des droits fondamentaux et des libertés civiles au Québec.

Je pense, M. le Président, entre autres, que nous devons rejeter l'argument à l'effet que la Commission de révision du code civil nous arri-

vera peut-être avec certaines recommandations qui pourraient nous forcer à modifier notre attitude à l'endroit de l'énoncé général que toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, et nous faire changer d'idée. Déjà, l'amendement qui exclut les cas expressément prévus nous aide à accepter un tel amendement. C'est là que je vois surtout la valeur de l'amendement du chef de l'Opposition. Bien sûr, entre nous, on peut peut-être se dire: Tout le monde, voyons donc, croit que tous les autres ont droit à la jouissance paisible et à libre disposition de leurs biens; ce ne serait même pas nécessaire de le dire. On pourrait peut-être dire cela.

C'est un rappel constant — c'est là que je vois la valeur de la motion du chef de l'Opposition — au législateur de l'existence d'une telle disposition. Quand le législateur osera empiéter à nouveau sur une telle mesure, sur une telle disposition, lorsque le législateur dira que, dans tel cas, l'individu, dans notre collectivité québécoise, n'aura pas la libre jouissance, n'aura pas la jouissance paisible de ses biens, ne pourra pas en disposer comme il veut, il aura au moins l'occasion et le rappel constant sous les yeux, dans la déclaration fondamentale que se doit d'être la présente loi. Je pense que c'est là la valeur d'un tel amendement.

En tout cas, si le ministre en question, le ministre actuel ou un autre... Je ne sais s'il sera affecté par le remaniement ou pas, mais quel que soit...

M. Choquette: On verra.

M. Burns: On verra, oui. ... le ministre qui sera en poste... D'ailleurs, quand ce sera notre tour d'être au pouvoir... Notre tour va venir bien plus vite que vous ne le pensez. Lisez les sondages dans les journaux.

M. Sylvain: Lisez les journaux.

M. Burns: Quand on sera au pouvoir, cela vaut même pour notre ministre de la Justice à nous autres.

M. Sylvain: Qui est-ce que cela va être pour vous autres?

M. Burns: Je ne le sais pas, ce n'est pas moi le chef. Mais je pense que cela vaut pour qui que ce soit qui détient ce poste. Si cela ne vaut pas pour le ministre, cela vaudra au moins pour les légistes qui, chaque fois, rappelleront au ministre de la Justice: Ecoutez, il y a une brèche importante qui est faite au principe; il y a une déchirure qui se fait à l'endroit du principe qui est énonbé à l'article 6 et qui dit que toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens. A ce moment, peut-être qu'on y pensera deux fois avant de mettre en application un certain nombre de dispositions. C'est la grande valeur que je vois à l'amendement qui est fait par le chef de l'Opposition. On vous permettra, d'ailleurs, de l'appliquer.

M. Choquette: M. le Président, pendant que nos honorables interlocuteurs parlaient, j'ai eu l'occasion de réfléchir et je vais accepter l'amendement, avec la condition qui a été mentionnée par le chef de l'Opposition: sauf dans la mesure...

Le Président (M. Lafrance): ... "dans les cas expressément prévus par la loi".

M. Choquette: Non, je pense qu'on devrait dire "sauf dans la mesure prévue par la loi".

M. Burns: Non, "sauf dans les cas expressément prévus par la loi". C'est la suggestion qui est faite.

M. Morin: J'avais choisi de m'en tenir à la suggestion de l'Office de révision du code civil, M. le Président, mais, si le ministre a une expression plus juste à proposer... Celle-là me paraît vraiment...

M. Burns: C'est bien plus exact.

M. Morin: ... exacte: "sauf dans les cas expressément prévus par la loi". Cela répond bien plus aux arguments avancés par le ministre, tout à l'heure. Est-ce que le ministre aimerait avoir sous les yeux le rapport du code civil?

M. Choquette: M. le Président, je pense que nous pourrions peut-être adopter un texte qui serait le suivant: "Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi." Je pense que ceci devrait satisfaire les deux thèses, parce que cela permet quand même des exceptions prévues...

M. Morin: Oui.

M. Choquette: ... par d'autres lois. Cet article n'assure pas un caractère absolu au droit de propriété. Par contre, il consacre quand même le droit, pour chacun, à la libre jouissance de ses biens.

M. Morin: Parfait. Nous acceptons la suggestion du ministre.

Le Président (M. Lafrance): Alors, il y a un nouvel article 6 qui suit l'article 5, c'est-à-dire qu'il faut ajouter, à la suite de l'article 5, l'article 6 qui se lira comme suit: "Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi." Ce nouvel article 6 est adopté?

M. Morin: Adopté.

Le Président (M. Lafrance): L'ancien article 6 devient l'article 7.

M. Morin: Nous penchant maintenant sur cet article 7 qui est le... Si vous voulez, pour les fins de la discussion, on pourrait continuer à utiliser

les anciens numéros et on laissera le secrétariat renuméroter tous les articles.

Le Président (M. Lafrance): On peut faire une motion en disant que tous les articles seront renumérotés de 1...

M. Morin: C'est cela, mais pour les fins de la discussion, nous allons continuer à utiliser la numérotation du projet actuel.

Le Président (M. Lafrance): D'accord, ce sera plus facile.

M. Morin: Ce sera beaucoup plus facile. A cet article, nous n'avons rien de particulier. Je me demande simplement pourquoi le ministre n'aurait pas réuni les articles 6 et 7 en un seul article comme dans le projet de l'Office de révision du code civil, puisque ce sont, en fait, deux phrases parfaitement complémentaires. Cela aurait l'avantage, si on les regroupait, de ne pas nous obliger à renuméroter tous les articles qui suivent. Alors, on dirait: La demeure est inviolable. Et puis: Nul ne peut pénétrer chez autrui, ni prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite. Là, j'aurais peut-être une suggestion à faire, c'est-à-dire, ajouter les mots: " Ou sans y être autorisé par la loi" tel que l'avait prévu l'Office de révision du code civil, parce qu'il se peut que la loi autorise à pénétrer chez autrui, par exemple, pour des fins de perquisition, si les tribunaux ont donné l'autorisation requise. J'insiste moins là-dessus, mais il me paraît que cela irait dans le sens des préoccupations du ministre si, d'une part, on regroupait les articles 6 et 7 en un nouvel article 7, et si on ajoutait à la fin: ou sans y être autorisé par la loi.

M. Choquette: M. le Président, sur la suggestion de joindre les deux articles, j'attire l'attention du chef de l'Opposition sur le fait que l'article 6, maintenant devenu l'article 7, vise la demeure ou la résidence ou le domicile d'une personne, tandis que l'article 7 devenu l'article 8 vise aussi des places d'affaires.des établissements commerciaux ou industriels.

M. Morin: Oui.

M. Choquette: C'est la raison pour laquelle il nous a semblé qu'il fallait diviser, en somme, les deux articles pour donner, évidemment, une protection très forte à la demeure. On sait qu'en droit traditionnel la demeure est entourée de plus de protection que ne l'est la place d'affaires d'un individu.

Je connais des cas où il n'est pas possible de pénétrer chez quelqu'un ou dans sa demeure sans un mandat de perquisition ou une autre autorisation juridique, tandis que les mêmes obstacles qui s'appliquent à la demeure ne sont pas imposés en ce qui concerne la place d'affaires. C'est pour cette raison, exclusivement juridique, de statuts légèrement différents entre la demeure et les places d'affaires, que nous avons cru devoir scinder l'article original en deux parties.

Je ne pense pas que, par conséquent, en fait, la rédaction qui était initialement proposée souffre, en somme, de cette scission en deux parties, qui cherche justement à accomplir cette distinction.

M. Morin: Si je pouvais m'expliquer davantage, je dirais au ministre que le fait de regrouper deux paragraphes, deux articles dans la rédaction actuelle qui, à vrai dire, portent — je l'admets volontiers — sur des cas différents, le premier sur la demeure et uniquement sur la demeure, le second sur la place d'affaires, aussi bien que sur la demeure, et d'ajouter à la fin "ou sans y être autorisé par la loi" donne une meilleure mesure du droit tel qu'il existe.

Je veux dire que, si on laisse "la demeure est inviolable", point, dans un article distinct, on peut créer l'illusion que la demeure est effectivement inviolable, à rencontre même d'un droit de perquisition autorisé par les tribunaux. Je sais que le ministre va me dire que cette charte n'est pas fondamentale dans ses sept ou huit premiers articles et que, donc, "la demeure est inviolable" doit être interprété à la lumière de toute la législation qui autorise souvent des représentants de la loi à pénétrer dans une demeure. De même, si je ne m'abuse, si le feu est pris dans une demeure et qu'un voisin défonce la porte pour aller l'éteindre, je pense que, dans ces cas, il y a une exception qui est prévue ailleurs dans la loi, et qui vient nuancer le principe de l'article 6.

Je trouve que tel quel, "la demeure est inviolable", isolé dans un article distinct, cela risque de faire illusion. Le citoyen qui va lire cela va s'illusionner sur la portée réelle de l'article. C'est pourquoi, en le regroupant avec l'autre et en y ajoutant la nuance "ou sans y être autorisé par la loi", on donne une mesure beaucoup plus juste de ce qu'est le droit existant.

M. Choquette: On pourrait, évidemment, appliquer le même raisonnement à une foule d'autres articles. On aurait pu prendre l'article 3 et ajouter à cet article 3 que c'était dans la mesure prévue par la loi. On aurait pu appliquer le même raisonnement à d'autres articles auxquels on semble donner un caractère absolu, mais qui n'ont pas ce caractère absolu, étant donné que les premiers articles de la charte, ou leur rédaction extrêmement large et un niveau d'abstraction considérable ou très élevé, ne peuvent et ne sont pas susceptibles d'avoir une application spécifique, à tel point que le législateur doive se sentir incité, au moins dans l'état actuel des choses, à leur donner un effet absolu.

Pour le moment, je dirais au chef de l'Opposition qu'il me semble que nous avons suivi un certain modèle pour la rédaction des sept premiers articles de la charte et je ne pense pas qu'il faille défaire, à ce stade-ci, le modèle qui a été suivi. C'est la raison pour laquelle je ne pourrais pas me rendre à son raisonnement, malgré que je conçoive très bien qu'il puisse être soutenu.

M. Morin: Je n'insisterai pas, parce que c'était beaucoup plus une modification de forme qu'une modification de fond.

Par contre, je me permets d'insister pour ajouter, à la fin de l'article 7 du projet l'expression " ou sans y être autorisé par la loi", de sorte que le texte se lirait de la façon suivante: "Nul ne peut pénétrer chez autrui, ni y prendre quoique ce soit sans son consentement exprès ou tacite, ou sans y être autorisé par la loi."

C'est une façon plus réaliste de présenter ce droit fondamental, parce que dans la réalité, nous savons bien que cet article ne prévaudra pas sur toutes les dispositions en sens contraire qui se trouvent dans la loi.

M. Choquette: Le même raisonnement s'applique en ce qui concerne cet article et je ne pense pas vraiment qu'on doive introduire, dans cet article, un tempérament aussi important que celui suggéré par le chef de l'Opposition.

Je comprends que, de part et d'autre, nous sommes devant des objectifs légèrement contradictoires, dans ce sens qu'on voudrait donner une application générale aux énoncés de principe, mais on se rend compte qu'on ne peut pas, compte tenu des conditions actuelles du droit, leur donner cette extension aussi considérable qu'on le voudrait et, donc, de temps à autre, on incline à introduire ce tempérament de "la mesure prévue par la loi". Je ne pense pas, à y réfléchir, qu'on accomplisse beaucoup à introduire de nouveau, dans cet article, ce tempérament de "la mesure prévue par la loi". Je pense que la règle devrait être, ici, du caractère protégé de l'introduction chez autrui ou à sa place d'affaires. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire, vraiment, d'attirer l'attention sur les limites à l'effraction, par les autorités publiques ou leurs représentants ou par d'autres personnes.

M. Morin: Le ministre a-t-il égard, dans ses propos, à la valeur pédagogique de ces articles?

M. Choquette: Oui.

M. Morin: Justement, je me demande si ce n'est pas faire illusion que de ne pas spécifier, dans des buts pédagogiques, qu'il se peut qu'à l'occasion, la loi autorise à pénétrer chez autrui. Je donnais l'exemple d'un incendie. Je donnais l'exemple de la perquisition. Il y en a certainement quelques autres qu'on pourrait donner. Il me semble que l'exception est tellement importante dans le cas de l'article 7, alors qu'elle peut l'être moins dans d'autres articles, qu'elle mériterait d'être mentionnée.

M. Bonnier: M. le Président...

Le Président (M. Lafrance): Le député de Taschereau.

M. Bonnier: Dans les cas de saisie, comment cela pourrait-il être interprété? Evidemment, il y a toujours une autre loi qui l'autorise à ce moment, mais un individu pourrait-il se garantir à même ce principe et dire: Vous n'avez pas le droit? Il ne pourrait pas, effectivement.

M. Choquette: Non, parce que si on se reporte à l'article...

M. Morin: C'est-à-dire que cela ne brime pas les autres lois.

M. Choquette:... à l'article 50... M. Morin: J'aimerais qu'on le dise.

M. Choquette: J'attire l'attention du député de Taschereau sur l'article 50 qui se lit comme suit: "Les articles 8 à 37 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la charte."

Donc, d'une part, les lois antérieures demeurent et dans ces lois , il y a des dispositions qui permettent, dans certaines circonstances, de s'introduire chez autrui et d'y saisir des biens, que cela soit, par exemple, des saisies en vertu du code de procédure civile à la suite d'un jugement, alors l'huissier a le droit d'entrer avec un bref de saisie de bonis ou bien il y a d'autres lois, comme la Loi des valeurs mobilières qui permet à la Commission des valeurs mobilières d'envoyer ses représentants à la place d'affaires d'une société ou d'une compagnie et d'y saisir les livres, même sans un mandat émis par la cour.

Par conséquent, il y a des exceptions qui sont prévues dans les lois antérieures qui permettent, dans certaines circonstances, de pénétrer chez autrui et de saisir des biens. Mais, la règle est qu'on ne doit pas le faire et qu'il faut que cela soit autorisé pour que cela soit permissible.

Il y a donc cette règle et il y a aussi le fait que les sept premiers articles de la charte ne prévalent pas même à l'égard de lois antérieures et même à l'égard de lois postérieures. En effet, pour les lois postérieures, on ne sera pas obligé de dire: Nonobstant l'article , il sera permis à un inspecteur de l'agriculture, par exemple, d'aller saisir des viandes avariées chez un commerçant, pour prendre un exemple assez contemporain. Il pourrait se faire qu'on autorise par une loi, justement, des inspecteurs du ministère de l'Agriculture à faire de telles perquisitions sans mandat. L'article 7 ne serait pas un empêchement à l'adoption d'un tel principe législatif et il ne serait pas nécessaire, dans une telle loi, de dire que ceci est permis nonobstant la charte.

Cependant, pour les articles 8 à 37, si on veut y faire exception dans des lois postérieures, il faudra dire spécifiquement: Nonobstant tel article de la charte, le législateur énonce qu'on y fait exception d'une certaine façon. Je pourrais donner un exemple. Admettons qu'on dise que, devant tel tribunal, les avocats ne sont pas admis, comme cela a été le cas pour les petites créances. Si on avait de nouveau à adopter cette loi, eh bien, il faudrait, compte tenu du type de rédaction que nous avons dans la charte, faire une exception spécifique pour

dire que, nonobstant la charte, les avocats ne seront pas admis devant le tribunal pour représenter leurs clients. En somme, c'est tout ce principe, c'est autour de cette question que le débat se passe à l'occasion de cet article. Mais, vu qu'en fait la règle est plutôt, en général, qu'on n'a pas le droit d'entrer chez autrui pour s'emparer de ses biens ou saisir des documents ou autrement, Je ne pense pas qu'il soit techniquement nécessaire d'introduire les mots mentionnés par le chef de l'Opposition qui sont à l'effet de dire que c'est limité par "dans la mesure prévue par la loi".

D'autre part, ceci pourra peut-être nécessiter des amendements ultérieurement si la charte devait, à un moment donné, être étendue au point de vue de son application. Si on envisage, par exemple, que, dans quelques années, on doive faire en sorte que les articles I à 7 acquièrent un caractère transcendant, le fait d'avoir introduit des réserves à ce moment-ci pourrait nécessiter des amendements au moment où on ferait de tels changements législatifs.

Or, je ne crois pas qu'on accomplisse beaucoup en introduisant beaucoup de réserves à la portée des articles I à 7, parce que les réserves y sont déjà par l'application de l'article 50.

M. Morin: M. le Président, est-ce que le ministre, après mûre délibération, accepte ou n'accepte pas l'idée d'ajouter à la fin de cet article "ou sans y être autorisé par la loi".

M. Choquette: Non.

M. Morin: II n'accepte pas. Du moins, aurai-je tenté d'ajouter à l'article cette nuance qui me paraît non seulement juridique, mais qui me paraît d'ordre pédagogique.

M. Choquette: Ce qu'on peut gagner sur le côté pédagogique, on peut le perdre sur le plan juridique. C'est la difficulté dans la rédaction d'une telle charte. Autant on veut être pédagogue, autant il faut être légiste.

M. Morin: Mais, tout à l'heure, dans l'article précédent, dans l'article 6 que nous avons adopté: "Toute personne a le droit à la jouissance paisible, à la libre disposition de ses biens", le ministre admettait que c'était utile d'ajouter "sauf dans les cas expressément prévus par la loi". C'est en somme la même disposition que je lui suggère d'ajouter là et elle me paraît plus importante ici que dans l'autre article. Mais je ne demanderai pas un vote là-dessus.

M. Choquette: Je pense qu'elle était plus importante dans l'article 6. On aurait pu, d'ailleurs, s'en dispenser dans l'article 6.

M. Bonnier: A cause de l'article 50, encore une fois.

M. Choquette: A cause de l'article 50. on aurait pu délaisser cette introduction du "sauf dans la mesure prévue par la loi".

M. Morin: J'étais d'accord. Seulement, c'était pour rencontrer les arguments du ministre. Il me paraît qu'à plus forte raison on aurait intérêt à l'ajouter à cet article 7, comme on l'a ajouté à l'article 6.

Mais je ne demande pas le vote sur cet amendement, M. le Président, de façon que nous puissions expédier le plus possible les articles.

Le Président (M. Lafrance): Afin d'éviter toute confusion, nous avions changé l'article 6. Par une nouvelle numérotation, il devenait l'article 7; alors, cet article est adopté.

M. Morin: Adopté.

Le Président (M. Lafrance): Comme on avait le consentement unanime tout à l'heure, nous allons donner la même numérotation pour les futurs articles. L'article 7 est adopté sans amendement lui aussi.

Identité

M. Morin: Bien. J'aurais maintenant, avec votre permission...

Le Président (M. Lafrance): A l'article 8?

M. Morin: ... à proposer d'ajouter un nouvel article avant l'article 8, parce qu'on tombe dans des dispositions qui sont d'un autre caractère, qui portent sur le secret professionnel et qui ne portent plus sur ce qu'on pourrait appeler les droits inhérents, fondamentaux de la personne. Je proposerais qu'on ajoute, selon la proposition qui nous a été faite par le Réseau d'action et d'information pour les femmes, le RAIF, un nouvel article 9 qui se lirait comme ceci: 'Toute personne a droit, sa vie durant, à son identité". M. le Président, il ne me semble pas qu'il soit nécessaire de faire une bien longue démonstration pour persuader le ministre de l'importance de l'identité, particulièrement dans le monde moderne. On pouvait accepter autrefois qu'une femme perde son identité comme elle perdait son pays; selon le vieil adage, qui prenait mari prenait pays. Il y avait plus que cela, qui prenait mari perdait, en quelque sorte, une partie de son identité. Or, c'est une chose qui tient de très près à l'essence d'une personne, son nom, son identité.

En ce qui me concerne, je n'ai pas de difficulté à adhérer aux arguments du réseau d'action lorsqu'il nous dit que, maintenant que les femmes ont compris l'importance de leur identité et veulent reprendre leur nom légal quand elles sont mariées, plusieurs organismes ou institutions leur créent des difficultés à cause de règlements internes établis au sujet du nom de la femme mariée. On va même jusqu'à le leur refuser carrément, à l'occasion.

Pour ces raisons et pour d'autres aussi, je proposerais donc qu'on ajoute cet article. Dans d'autres pays, ailleurs, la civilisation étant sans doute plus évoluée que chez nous, on a toujours eu soin de ne pas priver la femme de son identité,

même lors de son mariage. Je rappelle, par exemple, les traditions espagnoles où une femme garde son nom. Lorsqu'on se réfère à elle en tant qu'épouse d'Untel, on dira la senora Isabella Gonzales de Choquette, par exemple; si elle est épouse du ministre de la Justice, on dira de Choquette. Je ne sais pas comment on prononcerait Choquette en espagnol...

Une Voix: De "Coquette".

M. Morin: ... mais ça sonnerait sûrement très bien. M. le Président, pour ces raisons et à l'aide de cet exemple percutant, je proposerais que nous ajoutions cet article.

M. Burns: M. le Président, simplement de très brèves remarques pour appuyer l'amendement du chef de l'Opposition. On a vu des femmes qui, justement, voulaient garder cette identité qui leur était propre; si elle s'appelait Pauline Gélinas et qu'elle avait marié un M. Lemieux, il fallait absolument qu'elle s'appelle Mme Lemieux. On a vu de ces femmes qui, voulant aller voter et même s'inscrire auprès du recenseur — c'est quand même une chose qui existe; il va falloir se rendre compte que ça fait au-delà de 30 ans que les femmes ont le droit de vote au Québec — se faisaient refuser le droit d'être recensées sous leur nom personnel, leur nom de fille, qu'elles voulaient garder. On leur refusait d'aller voter sous leur nom qui était, à toutes fins pratiques, leur identité.

C'est peut-être l'exemple le plus flagrant de viol à l'endroit de l'identité d'une personne. Il me semble qu'on ne peut pas dire: II faut de plus en plus — et faire tous les discours qui assaisonnent cela — que les femmes prennent leur place dans la société, il faut que les femmes jouent un rôle actif dans tous les domaines, si, au départ, on ne leur reconnaît pas le minimum d'identité qui est la leur.

Il me semble que cela va de soi que l'amendement proposé par le chef de l'Opposition devrait être accepté comme dans les autres cas, M. le Président.

C'est tout ce que j'avais à dire. Il me semble que cela devrait convaincre le ministre de la Justice.

M. Choquette: Vous n'êtes pas comme d'habitude.

M. Burns: J'ai donné un exemple concret.

M. Choquette: Vous n'argumentez pas avec conviction.

M. Burns: Au contraire, je suis très convaincu. Ce n'est pas parce que je ne parle pas pendant une demi-heure que je ne suis pas convaincu, loin de là.

Je pense que le chef de l'Opposition a dit tout ce qu'il avait à dire là-dessus.

M. Morin: A part cela, c'est tellement évident que le ministre de la Justice...

M. Burns: II me semble que c'est tellement évident.

M. Morin:... devrait admettre cela d'emblée.

M. Choquette: Ce n'est pas si évident que cela.

Cela pose des problèmes au point de vue de l'organisation de l'état civil. Cela a des répercussions au point de vue des dispositions du code civil, relatives à l'état civil. On sait que l'office de révision est en train de faire des travaux très considérables dans ce domaine.

Je pense bien qu'on peut soutenir la thèse qui nous est présentée par les représentants du Parti québécois. Maintenant, quelle serait la règle, au point de vue de l'uniformité, qui s'appliquerait? Est-ce que toute femme pourrait, à volonté, soit adopter le nom de son mari ou garder son nom de jeune fille? Quelles sont les répercussions d'une telle mesure sur l'organisation de l'état civil?

Cela me pose des problèmes qui font qu'à l'heure actuelle, je ne suis pas enclin à accepter cet amendement sans des études plus poussées sur la question.

J'attire l'attention du chef de l'Opposition et de ses collègues sur le fait qu'à l'article 9, l'état civil a été introduit comme motif de discrimination, alors qu'il ne se trouvait pas dans la version originaire. Nous l'avons fait expressément pour viser tous les cas de femmes, même d'hommes à l'occasion, et de femmes en particulier qui pouvaient être mariés ou avoir été mariés dans le passé.

Donc, nous avons tenté de réduire la discrimination en autant qu'elle pouvait toucher des femmes ayant été mariées ou des femmes ayant divorcé à la suite d'un mariage.

D'autre part, j'ai accepté l'amendement proposé par le chef de l'Opposition au point de vue de la personnalité juridique. Il va de soi que l'adoption de ce principe, qui se trouvait d'ailleurs au code civil, comme on l'a vu par la discussion qui a précédé, fait que la femme a toute la plénitude de la personnalité juridique.

Je ne rejette pas, d'une façon irrémédiable, l'amendement qui est proposé par le chef de l'Opposition, mais il me semblerait que nous ne pouvons pas apprécier les implications d'un tel amendement sur les dispositions qui nous seront proposées, par l'Office de révision du code civil, dans la rédaction d'un nouveau code civil et qu'il faudra reporter la discussion de cet énoncé ou de ce principe à ce moment-là.

M. Morin: M. le Président, est-ce que je pourrais demander au ministre de m'expliquer, sur le plan technique, quelles sont les difficultés que cette proposition peut entraîner sur le plan de L'établissement des registres de l'état civil?

Sur le plan technique, parce que, dans l'état civil, tel qu'on le dressait autrefois, notamment encore au XIXe siècle, on prenait toujours soin de ne pas faire perdre l'identité à la femme en cas de mariage, par exemple.

Je ne vois pas ce qui, dans la proposition que nous faisons, empêche le législateur, dans le code civil ou ailleurs, de dire que Elisabeth Boischatel garde son nom, tout en devenant l'épouse Cho-quette ou l'épouse Brisson. Elle devient tout simplement Elizabeth Boischatel, épouse Brisson.

Les anciens registres de l'Etat civil sont souvent dressés de cette façon. A ce moment, la femme garde son nom à elle, son nom propre, mais elle est identifiée comme étant l'épouse de M. Untel, c'est évident, tout comme l'homme, lui, sur un pied d'égalité garde son nom, mais il est l'époux d'une telle. Vous voyez.

M. Choquette: Oui, mais, ordinairement, quand on signe des contrats, on les signe d'un certain nom. Je n'ai jamais vu d'homme signer le contrat en disant: Monsieur X, époux de madame Y, excepté si...

M. Morin: Dans certains cas, oui.

M. Choquette:... ce sont des contrats...

M. Morin: Oui.

M. Choquette: ... qui ont rapport à des biens qui appartiennent à la communauté ou à des biens...

M. Tetley: Nous insistons.

M. Choquette: ... qui ont rapport avec les époux. Par contre, on pourrait...

M. Morin: Je vois que le ministre n'est pas notaire...

M. Choquette: Non, mais on voit très fréquemment...

M. Morin: ... parce que les notaires le précisent toujours.

M. Choquette: Non, ils ne le précisent jamais dans le cas des hommes. Par contre, on voit fréquemment, dans les contrats notariés, des contrats signés par des femmes, où la femme est désignée par son nom de jeune fille auquel on ajoute, épouse de Untel, qui est ici pour l'autoriser, ne pas l'autoriser ou, enfin, suivant les dispositions applicables du code civil.

Il faut ajouter aussi à ces arguments, au point de vue de l'état civil, celui en fait, de l'ordre dans la société. Qu'est-ce que va nous proposer l'Office de révision du code civil? Peut-être l'Office de révision du code civil arrivera-t-il avec une proposition disant que, dorénavant, les femmes seront désignées par leur nom de jeune fille, quitte à ce qu'on ajoute le nom du mari? Peut-être que ce sera une disposition qui se trouvera dans le code civil et, ceci, de façon à reconnaître l'identité propre et l'origine propre de la femme mariée. Mais, pour le moment, je ne peux pas préjuger des conclusions auxquelles l'office pourrait en arriver. Cela me semblerait, en fait, assez audacieux que d'adopter ce principe, alors que nous n'en voyons pas toutes les implications.

J'ajouterais un argument final. C'est que, aujourd'hui, dans de nombreux registres du gouvernement, qu'il s'agisse d'un registre d'aide sociale, de registres médicaux, d'émission de cartes d'identité ou d'autres qui reconnaissent des droits à des femmes ou à des hommes, suivant le cas, parce que les deux, par exemple, sont couverts par les numéros d'assistance sociale ou d'aide sociale, il faut quand même être capable de faire un certain rapprochement entre la femme qui est mariée et qui habite à telle adresse avec M. Untel, et la femme qui n'est pas mariée ou qui n'habite pas avec un citoyen en particulier, parce que les droits qui découlent de cette situation sont variables, suivant les circonstances.

Pour le moment, je ne peux pas donner suite à cette suggestion faite par le chef de l'Opposition.

M. Morin: Moi, j'y tiens, M. le Président. Je demande un vote en bonne et due forme.

Le Président (M. Lafrance): Sur l'amendement proposé par le député de Sauvé, amendement qui propose d'ajouter à l'article 9 ce qui devrait se lire comme suit: "Toute personne a droit, sa vie durant, à son identité." Le vote est demandé. M. Beauregard (Gouin)?

M. Beauregard: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Morin (Sauvé)?

M. Morin: En faveur.

Le Président (M. Lafrance): M. Brisson?

M. Brisson: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Choquette?

M. Choquette: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Pagé?

M. Pagé: Je ne peux pas voter, M. le Président, je viens d'arriver. Je n'ai pas participé au débat.

Le Président (M. Lafrance): M. Springate? M. Springate: Contre. Le Président (M. Lafrance): M. Sylvain? M. Sylvain: Contre.

Le Président (M. Lafrance): Le vote se lit comme suit: Pour, 1 ; contre, 5.

M. Morin: Je suis sûr qu'un jour, M. le Président, dans d'autres circonstances politiques, peut-être, qu'on y viendra tout de même. On peut passer à l'article suivant.

Le Président (M. Lafrance): L'article 8? Secret professionnel

M. Morin: L'article 8 actuel dans la numérotation actuelle a trait au secret professionnel. Je pense qu'on peut constater que, dans ce cas, il s'agit d'une très nette amélioration — je suis heureux de le reconnaître — par rapport à la première version, puisqu'on inclut les ministres du culte, les prêtres, dans la catégorie des personnes liées par le secret professionnel inviolable. Je suis donc prêt à accepter cet article tel quel, d'autant que le mot "tribunal", qu'on trouve dans le troisième alinéa, est précisé par l'article 54, paragraphe 1, et comprend désormais le coroner, le commissaire aux incendies, les commissions d'enquête et les organismes quasi judiciaires. Nous sommes donc disposés à adopter l'article 8 qui deviendra l'article 9 tel quel.

Le Président (M. Lafrance): Article 8, adopté. Article 9?

Sexe

M. Morin: A l'article 9, nous avons un certain nombre d'amendements. Je commence par le tout premier. Je l'ai par écrit, mais il n'est pas bien compliqué. Il s'agit d'ajouter après les mots "préférence fondée" dans la quatrième ligne le mot "notamment", de sorte que l'article se lirait comme ceci désormais: Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, etc. La raison de cet amendement saute aux yeux, je le pense. Il s'agit de rendre bien clair que la liste qui suit n'est pas limitative. Par exemple, je ferai observer plus tard que l'âge n'y est pas mentionné. L'orientation sexuelle, comme on nous l'a fait observer lorsque nous avons entendu divers groupes en commission, n'est pas non plus mentionnée, de sorte que j'estime qu'on devrait bien spécifier que cette liste n'est pas limitative et qu'elle n'est là qu'à titre d'exemple. C'est pourquoi je propose l'addition de ce mot "notamment".

M. Choquette: Le mot "notamment" ne peut pas avoir de place, je pense, dans cet article, parce que la liste des motifs de discrimination qui sont déclarés illégaux est spécifique et elle est limitative. On ne peut pas introduire un principe de non-discrimination pour d'autres motifs que ceux qui se trouvent à l'article et, par conséquent, dire qu'on ne pourra discriminer pour aucun motif quel qu'il soit. Je donne un exemple...

M. Morin: Alors, on va pouvoir discriminer pour l'âge?

Age

M. Choquette: Un instant, je donne un exemple au chef de l'Opposition. Quelqu'un signe un contrat avec un autre en s'assurant de la solvabilité du contractrant, comme je pense que c'est habituel quand on passe un contrat qui a des conséquences financières. Si on devait introduire le mot "notamment", cela introduirait le principe qu'on ne peut pas discriminer pour le motif que l'autre partie est insolvable. Il est évident que le législateur ne peut pas aller jusqu'au point de dire qu'il ne peut y avoir de discrimination dans aucune forme de contrat. Il y a des discriminations qui sont "permissibles", il y a des discriminations qui existent, il y a des discriminations qui sont là, mais c'est la raison pour laquelle je ne pense pas que l'on puisse introduire ce mot qui ouvrirait la porte à toutes sortes de contestations et de litiges sans limite quels qu'ils soient.

M. Morin: M. le Président, je prends acte du fait que cette liste est limitative. Je pense que, dans l'histoire postérieure de cette loi, cela pourra avoir quelque importance. Si tant est que c'est limitatif, alors, je me vois obligé de proposer une addition à la liste qui est donnée dans cet article, parce que l'âge n'y figure pas.

J'ajouterais après les mots "le sexe", les mots suivants: "L'âge", de sorte que, désormais, la fin de l'article se lirait comme ceci: "Fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'âge, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique nationale ou sociale".

En effet, M. le Président, on trouve l'âge dans presque toutes les législations consacrées à la discrimination, à la lutte contre la discrimination. On trouve l'âge dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. On la trouve, si je ne m'abuse — mais là, ce serait à vérifier — dans la législation existante du Québec, sauf, évidemment, lorsqu'il s'agit de l'hôtellerie, et qu'on veut exclure les gens de moins d'un certain âge de la consommation de boissons.

Je propose, M. le Président, étant donné que, de toute façon, il y a des limites aux droits que nous reconnaissons dans cet article 9, qui deviendra l'article 10 dans d'autres lois, je propose qu'on ajoute ici: "L'âge".

M. Choquette: M. le Président, l'âge introduit tout le problème de la minorité. On sait que les mineurs n'ont pas les mêmes droits que les personnes majeures. C'est un obstacle assez important à l'introduction de ce principe de non-discrimination pour motifs d'âge.

M. Bonnier: M. le Président...

Le Président (M. Lafrance): Le député de Taschereau.

M. Bonnier: ... quant à l'âge aussi, si on se réfère au niveau de l'embauchage, je crois que cela peut causer des drôles de problèmes, parce qu'on peut dire qu'il peut y avoir une certaine discrimination quant à l'âge. Rendu à 50, 55 ans, c'est plus difficile. Elle n'est peut-être pas admissible, cette discrimination, dans certains cas, mais, si on ne met pas une limite à l'âge, il peut y avoir, à ce

moment, un certain nombre de discriminations qui sont explicables. Vous seriez alors obligé de dire: Quant à l'âge, cela dépendrait peut-être des conventions collectives ou des choses semblables. Ce n'est pas aussi universel que la race ou le sexe ou de telles choses, l'âge.

M. Morin: Je suis obligé de dire au député que, dans toutes les législations que je connais sur les droits de l'homme, l'âge apparaît dans la nomenclature...

M. Bonnier: D'une façon universelle, sans restriction?

M. Morin: Attention! Dans d'autres lois, il est prévu, par exemple, que quelqu'un qui n'a pas 18 ans ne peut pas voter, que quelqu'un qui n'a pas tel âge n'est pas admis au cinéma pour telle catégorie de films. Tout cela, c'est prévu dans d'autres lois, et, comme la législation, ici, n'a pas préséance sur ces autres lois, comme elle coexiste avec les autres lois, qu'elle doit être interprétée par rapport aux autres lois, de toute façon, il y a de la discrimination fondée sur l'âge, qui est admissible, comme il y en a, si la loi le prévoit, de façon égale pour tous les citoyens. De même, il y a de la législation qui prévoit qu'on va différencier les sexes, par exemple, lorsqu'on établit, je ne sais pas, moi, que les hommes doivent aller dans tel type de toilettes et les femmes dans tel autre. On en fait des discriminations dans la loi et dans les faits. Mais il y a des types de discrimination qui ne sont pas admissibles, hors des cas spécifiquement prévus par la loi. C'est pour cela que je dis que, si on a inclus la race, la couleur, le sexe et l'état civil, je ne vois pas pourquoi, ici, sous réserve des autres lois, on n'ajouterait pas l'âge.

J'en fais une proposition formelle, M. le Président.

M. Bonnier: Mais, M. le Président, si vous permettez, dans la question de l'emploi, comment résolvez-vous ce problème? Parce qu'une convention collective comme telle, ce n'est pas une loi qui est adoptée dans un Parlement. C'est un contrat entre deux parties seulement, très localisées. Comment résoudriez-vous ce problème, lorsque l'âge... Est-ce que ce sera en conformité avec les différentes conventions collectives ou avec les fonds de pension ou avec ceci?

M. BuRNs: Qu'est-ce que l'âge a à faire avec les conventions collectives?

M. Bonnier: Pardon?

M. Burns: Qu'est-ce que l'âge a à faire avec les conventions collectives?

M. Bonnier: C'est que, dans certaines conventions, on peut dire, par exemple: Tel employé, de tel âge, on ne l'emploie plus. On peut s'entendre, à un moment donné.

M. Burns: Bien oui...

M. Bonnier: S'ils ne s'entendent pas spécifiquement...

M. Burns:... c'est un plan de mise à la retraite.

M. Bonnier: ... les politiques de personnel tiennent compte de l'âge.

M. Burns: Sur le plan de mise à la retraite, pas sur la politique d'embauchage. Vous ne trouverez pas cela dans les conventions collectives.

M. Bonnier: Oui, on le trouve dans les... Non, ordinairement dans les politiques d'embauchage.

M. Burns: Oui, pas dans les conventions collectives. C'est pour cela que je vous demandais ce que cela avait à faire...

M. Bonnier: Peut-être pas, en tout cas. Moi, j'ai déjà vu...

M. Morin: Pour répondre au député de Taschereau, je pense qu'il a un argument qu'on doit considérer avec sérieux.

Je pense que c'est le type, par excellence, de problème qui doit être réglé par une règle législative d'application générale, surtout s'il y a des abus dans les conventions collectives, de façon à ce qu'on sache, à ce qu'un homme sache, que passé tel âge, par exemple, il pourrait y avoir des discriminations autorisées dans les conventions collectives, mais...

M. Bonnier: Ou dans les politiques d'embauchage.

M. Morin: ... ou dans les politiques d'embauchage, mais que s'il n'a pas atteint tel âge, on ne peut pas lui dire: Monsieur, nous regrettons, vous avez atteint 38 ans. Vous êtes déjà déphasé. Nous prenons seulement des gens qui n'ont pas atteint 35 ans. Il peut y avoir des cas où cela serait drôlement important de prévoir que l'âge...

M. Bonnier: Oui. Je suis d'accord, mais où tirer la ligne?

M. Morin:... ne doit pas faire l'objet de discrimination.

M. Bonnier: C'est là que cela serait...

M. Choquette: II y a une affirmation que le chef de l'Opposition a faite et que je dois relever parce qu'elle me semble inexacte, c'est que les lois étrangères interdiraient la discrimination pour le motif de l'âge. J'ai beau faire une revue de toutes les lois étrangères en matière de non discrimination, je ne trouve aucune loi qui interdise la discrimination pour motif d'âge, d'autant plus que cela pose tout le problème...

M. Morin: Vous pouvez continuer à feuilleter parce que...

M. Choquette: Non. ... de la minorité. On sait que les mineurs n'ont pas les mêmes droits que les personnes majeures. On sait aussi qu'à partir d'un certain âge, il y a des dispositions qui sont prises, par exemple, en rapport avec la mise à la retraite obligatoire que le gouvernement du Québec applique d'une façon intransigeante. On sait, par exemple, qu'une personne qui a atteint l'âge de 65 ans est obligée de prendre sa retraite de son emploi du gouvernement. Par conséquent, l'introduction du facteur âge dans la liste des causes de discrimination bouleverserait tout ce système et, à mon sens, introduirait beaucoup plus de complications que n'aiderait à résoudre les problèmes qui peuvent résulter de certaines circonstances où, effectivement, on fait des distinctions entre les personnes, compte tenu de leur âge pour l'obtention d'un emploi, par exemple.

C'est pour ces raisons que je ne peux me rallier à la proposition du chef de l'Opposition.

M. Morin: Je ne reprendrai pas, à nouveau, toutes les raisons qui militent en faveur d'inclure l'âge. Cette proposition me paraît d'autant plus importante que le ministre nous a bien dit que, dans son esprit, cetteéÉnumération est limitative et exclut donc l'âge, nommément.

C'est la raison pour laquelle je maintiens ma proposition et je demande le vote.

M. Choquette: Elle ne l'exclut pas nommément. Elle n'en parle pas.

M. Morin: Je veux dire qu'elle l'exclut clairement, si tant est que vous avez raison de dire que cette liste est limitative. Elle ne l'exclut pas nommément, mais elle l'exclut clairement.

Alors, je demande le vote, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Alors, sur cette motion du député de Sauvé, demandant d'ajouter, après les mots "le sexe", "l'âge... Le député de Sauvé a demandé le vote.

M. Beauregard?

M. Beauregard: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Morin?

M. Morin: Pour.

Le Président (M. Lafrance): M. Brisson?

M. Brisson: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Burns?

M. Burns: Pour.

Le Président (M. Lafrance): M. Choquette?

M. Choquette: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Desjardins?

M. Oesjardins: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Pagé?

M. Pagé: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Springate?

M. Springate: Contre.

Le Président (M. Lafrance): M. Sylvain?

M. Sylvain: Contre.

Le Président (M. Lafrance): Le résultat est le suivant: Pour: 2. Contre: 7. Cet amendement est rejeté.

M. Burns: M. le Président...

Le Président (M. Lafrance): Le député de Maisonneuve.

Orientation sexuelle

M. Burns: M. le Président, un peu comme le chef de l'Opposition, je prends acte de deux déclarations du ministre, l'une à l'endroit du premier de nos amendements à l'article 9, soit celui où le chef de l'Opposition voulait ajouter le mot "notamment" et en réponse à cela, j'ai entendu le ministre de la Justice nous dire que les droits qui étaient énoncés, énumérés à l'article 9 étaient forcément limitatifs. Je prends acte et je pense que c'est très important, particulièrement, eu égard à la proposition que je m'apprête à vous faire.

Deuxièmement, quant au deuxième amendement concernant l'âge, le chef de l'Opposition s'est fait répondre par le ministre de la Justice que cela compliquerait la situation législative au Québec. J'ai l'intention de vous proposer un ajouté, un droit qui n'est pas, à mon avis, protégé par l'article 9 et en vertu duquel j'aimerais entendre le ministre nous donner les mêmes arguments.

Je proposerai, M. le Président, d'ajouter, après les mots "conviction politique", le mot "orientation sexuelle". On se rappellera, M. le Président, qu'au cours des auditions que nous avons tenues à la suite du dépôt du projet de loi et de son adoption en deuxième lecture — en tout cas c'est mon opinion — nous avons eu droit à un très bon mémoire proposé par les associations homophiles qui nous ont fait valoir un certain nombre de problèmes qui confrontaient actuellement les homosexuels au Québec. Quand bien même on se cacherait la tête dans le sable, quand bien même qu'on dirait que n'existe pas l'homosexualité au Québec, je pense qu'on aurait l'air des gens qui ne légifèrent pas pour des vraies personnes au Québec, aujourd'hui. Il y a des homosexuels au Québec et il y a, ce qui est pire, de la discrimination à leur endroit. Il me semble que le projet de loi que nous étudions actuellement est l'occasion idéale d'arrêter cette discrimination.

C'est là que je reprends les deux arguments

du ministre sur l'amendement quant au mot "notamment" et sur l'amendement quant au mot "âge". Dès qu'on refusera un amendement qui veut protéger contre toute discrimination les homosexuels au Québec, on devra tenir pour acquis que le gouvernement du Québec veut qu'il y ait discrimination à l'endroit des homosexuels. C'est cela la conséquence et vous devrez l'apprendre, parce que vous n'avez pas le même argument comme dans le cas de celui qui concernait l'âge. Il n'y a pas de problème législatif relativement à l'homosexualité au Québec. Cela ne compliquera pas la vie de personne que vous disiez qu'on ne doive pas agir de façon discriminatoire à l'endroit des homosexuels. En tout cas, j'utilise la formule qui nous a été proposée en commission par les associations homophiles et qui était, d'ailleurs, non pas dans l'expression même, mais quant à l'idée, appuyée par la Ligue des droits de l'homme. Je vous cite, entre autres, à la page 34, le rapport de la Ligue des droits de l'homme qui dit ceci, au paragraphe e): "En ce qui concerne les demandes pouvant être faites à propos de la discrimination qui vise l'homosexualité et qui propose d'inscrire dans les motifs de discrimination le terme "orientation sexuelle", la ligue demande que la question soit considérée par le législateur en vue de choisir le terme le plus approprié pour signifier, sans équivoque possible, dans l'interprétation et dans l'implication de la charte, que les homosexuels seront protégés par la charte. Il y a déjà des endroits, M. le Président — et le ministre les connaît — entre autres la ville de Toronto, qui a déjà dans sa charte une disposition semblable qui parle d'orientation sexuelle. Ce sont les seuls exemples qu'on peut trouver. Il y en a aux Etats-Unis, également, dans certaines municipalités, je pense à Seattle et je me demande s'il n'y a pas un Etat ou l'autre qui a dans sa charte des droits de l'homme une telle protection.

Mais, M. le Président, il y a deux domaines particulièrement où les homosexuels sont victimes de discrimination et cela, de façon ouverte, c'est dans le domaine du travail et dans le domaine de l'accès aux édifices publics. Je vous cite, là-dessus, à la page B-I85, justement, l'administrateur en chef ou le directeur général de la Ligue des droits de l'homme, M. Champagne, qui témoignait le 21 janvier et qui répondait à une de mes questions là-dessus: "S'il y a des gens qui sont, dans toutes sortes de circonstances, mais en particulier dans le monde du travail, dans l'accès des lieux publics, victimes d'une discrimination tellement grande, ce sont les homosexuels".

C'est d'autant plus important qu'ils soient nettement protégés par la charte que je pense qu'ils constituent dans le domaine, je dirais sans utiliser cette situation, une réalité type pour amener les êtres humains à être justes et à respecter les droits de l'homme entre eux.

Je pourrais palabrer pendant des heures; j'espère que le ministre de la Justice ne fera pas la même blague que tout à l'heure, en disant que je défends mal cet argument, parce que je n'y crois pas. Au contraire, j'y crois très sincèrement et je n'ai aucune réticence à l'endroit de mon amendement. On a eu un cas tout récent, j'ai eu connaissance de ce cas — si vous voulez que je vous nomme la compagnie, je vous la nommerai — de quelqu'un qui travaillait pour une compagnie bien connue à Montréal, depuis vingt ans, qui semble-t-il n'avait rien à se reprocher aux yeux de cette compagnie et qui, du jour au lendemain, se fait congédier, vous savez pourquoi? Parce qu'on a découvert que cette personne était homosexuelle. Je dis, à ce moment-là, que si cette personne a réussi à travailler pendant vingt ans chez cette compagnie, après avoir donné un rendement satisfaisant et, tout d'un coup, parce qu'on découvre que cette personne est homosexuelle, on la congédie, il est temps, sérieusement temps, qu'on ait, dans une déclaration des droits de l'homme, une protection à l'endroit de l'orientation sexuelle. J'en fais la proposition et j'espère sérieusement que le Québec, dans ce domaine, comme dans un certain autre groupe de domaines, en matière de relations de travail particulièrement, où on est un peu en avance sur les autres, sera aussi un peu en avance sur les autres là-dessus, qu'on ne se gênera pas pour le dire, reconnaître une certaine réalité et reconnaître aussi que c'est un fait, même si on voulait se le cacher, même si on disait que ça n'existe pas, qu'on dise: Je suis contre ça, ça va continuer à exister, l'homosexualité, et c'est un droit des plus stricts, je pense, des gens qui ont décidé d'être homosexuels. Je pense qu'on n'a pas d'affaire à indiquer à tous les employeurs au Québec et à tout le monde au Québec qu'en refusant un amendement comme celui-là maintenant, c'est clair, le gouvernement du Québec décidera, autorisera la discrimination à l'endroit des homosexuels. C'est ça que vous allez faire, si jamais vous refusez la proposition que je vous fais.

M. Choquette: M. le Président, je ne peux pas suivre le député de Maisonneuve au point de vue de sa logique. Je ne pense pas que parce que les termes "orientation sexuelle" n'étaient pas mentionnés dans l'article 9...

M. Burns: Vous avez dit vous-même que c'était limitatif.

M. Choquette: Je n'ai pas dit que nous étions exhaustifs dans l'article 9, je n'ai pas dit ça. Ce n'est pas...

M. Morin: Que signifie....

M. Choquette: M. le Président, je n'ai pas interrompu mes collègues quand ils prenaient la parole, je leur demande la même politesse. Cela n'est pas parce qu'on ne mentionnerait pas ce motif ou cette cause de discrimination que ceci serait un feu vert à ce que cette discrimination s'exerce.

Tout d'abord, je pense que ça n'est pas le cas et qu'il y a d'autres situations où des gens pourraient prétendre légitimement être l'objet de discrimination à l'occasion du travail ou à l'occasion de location d'appartement ou d'accès à des lieux publics. Les gens pourraient prétendre légitime-

ment être sujets de discrimination et pourtant n'être pas couverts par les dispositions de l'article 9.

On pourrait trouver toutes sortes de situation où des gens pourraient dire: On ne m'a pas traité également avec d'autres parties du public qui, pourtant, ont des droits semblables.

C'est parce qu'il y a certaines difficultés à légiférer au point de vue de la discrimination. Dans le cas actuel, nous avons couvert pas mal d'éléments de discrimination: la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale.

Je pense que nous avons été très larges dans les dispositions non discriminatoires ou antidiscriminatoires qui sont inscrites à l'article 9. Cela ne veut pas dire que c'est exhaustif. Cela ne veut pas dire que des gens ne pourront pas prétendre que, dans certaines circonstances, ils sont effectivement l'objet d'un traitement qu'ils considèrent différent de celui d'autres personnes, qu'ils ne pourront pas réclamer des amendements au texte de l'article 9 ou, si des amendements sont impossibles à adopter, qu'ils pourront prétendre, vis-à-vis du législateur ou à l'endroit du législateur, à des améliorations de leur statut.

Le Président (M. Lafrance): Je m'excuse, mais c'est un vote qui est appelé. La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 h 15. L'honorable chef de l'Opposition aura la parole de même que le député de Beauce-Nord.

M. Choquette: Je n'ai pas terminé, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): D'accord. Le ministre de la Justice aura la parole.

(Suspension de la séance à 17 h 50)

Reprise de la séance à 20 h 28

M. Lafrance (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs! Je constate qu'il y a quorum.

M. Choquette: Y a-t-il des remplacements? M. Bonnier...

Le Président (M. Lafrance): Avant de commencer ou de continuer l'étude du projet de loi no 50, je voudrais mentionner les remplacements chez les membres de la commission.

M. Burns: Non, M. le Président, vous n'avez pas le droit de changer cela en pleine séance.

Le Président (M. Lafrance): On a le droit pour chacune des séances.

M. Burns: Une séance, c'est la journée.

Le Président (M. Lafrance): Je n'ai pas d'objection à ce qu'on prenne la journée.

M. Burns: Moi, non plus.

Le Président (M. Lafrance): On peut en aucun temps faire des changements s'il y a consentement unanime. S'il n'y en a pas, on ne les fait pas.

M. Burns: Non, M. le Président. Je le veux bien, M. le Président, mais je neveux pas qu'il y ait deux poids, deux mesures. C'est cela que je ne veux pas, parce qu'on a essayé cela déjà, imaginez-vous donc! Imaginez-vous donc qu'on a essayé de changer un député de l'Opposition en plein milieu d'une séance. Une séance, c'est la journée. Je n'ai pas d'objection à ce que vous fassiez cela, mais vous allez me dire tout de suite, en acceptant le changement, qu'il ne s'agit pas d'un cas d'espèce, c'est-à-dire que c'est une décision de votre part qu'on peut changer, en plein milieu d'une séance, un député qui est membre d'une commission.

M. Desjardins: S'il y a consentement.

M. Burns: II n'y a pas de "s'il y a consentement." Je vous dis que je veux savoir cela, parce que le consentement, le plus souvent, c'est vous autres qui le retirez, du côté ministériel. Non, on ne fera pas de farce. Est-ce, M. le Président, ce que je suis en train de comprendre ou non?

Le Président (M. Lafrance): Que considérez-vous comme une séance?

M. Burns: Une séance, c'est une journée, M. le Président. C'est l'économie de notre règlement qui nous dit cela.

M. Choquette: J'ai toujours compris qu'une séance, c'était une période où on commençait à siéger.

M. Burns: Oui.

M. Choquette: Nous avons siégé, cet après-midi. Nous sommes revenus à la Chambre. La Chambre nous a donné un nouveau mandat de siéger ce soir.

M. Burns: Avez-vous remarqué, M. le ministre de la Justice, que, ce soir, on n'a pas ajourné nos travaux, mais qu'on les a suspendus? Avez-vous remarqué cela?

M. Choquette: Quoi qu'on ait fait, cela n'a pas d'importance.

M. Burns: Ah! cela a de l'importance! M. Choquette: Ah non!

M. Burns: Vous qui êtes si fort sur l'ordre, le "law and order"...

M. Choquette: Oui.

M. Burns: ... le "law and order" dit qu'une séance, c'est une journée.

M. Choquette: Etes-vous l'interprète du "law and order"?

M. Burns: Non, non, c'est vous. M. Choquette: Alors...

M. Burns: Mais cela me surprend que vous deveniez tout à fait mous, à un moment donné...

M. Choquette: Non, pas tant que cela.

M. Burns:... gélatineux, guimauves, au pluriel.

M. Choquette: Le député de Maisonneuve serait mieux de surveiller ses épithètes.

M. Burns: Vous êtres guimauves et gélatineux, relativement à cela. Je suis obligé de constater cela.

M. Choquette: Je trouve que vous êtes visqueux et dégueulasse.

M. Burns: Vous avez le droit de penser cela. J'ai le droit de penser que vous êtes guimauves.

M. Choquette: Je vous dis que vous êtes visqueux et dégueulasse.

M. Burns: C'est bien plus gentil ce que je vous dis.

M. Choquette: Je ne retire pas ce que je dis de vous.

M. Burns: Moi, non plus. Cela ne me dérange pas. Que vous pensiez ce que vous voudrez de moi, cela ne me dérange aucunement. Si j'avais pensé cela, cela fait longtemps que j'aurais quitté la politique. Je dis tout simplement une chose.

Si vous voulez simplement nous dire qu'à l'avenir, ce sera cela qui va se passer, qu'on peut, en plein milieu d'une séance, changer un député dans une commission, je n'ai pas d'objection, sinon, je ne comprends pas.

M. Desjardins: Pour éviter les discussions, s'il n'y a pas de consentement, revenons-en au...

M. Choquette: Je trouve qu'il n'y a pas de discussion à y avoir dans le sens qu'on a le droit de changer les membres au début d'une séance et que nous commençons une nouvelle séance, on a le droit de faire des changements.

M. Burns: Ce n'est pas une nouvelle séance, c'est la différence.

M. Choquette: Sur ce point...

Le Président (M. Lafrance): De toute façon, pour clore la discussion le plus rapidement possible, on a quorum avec les membres de la commission qui étaient ici cet après-midi.

M. Burns: Bon.

Le Président (M. Lafrance): Cela vient de régler le problème. Maintenant, on a un autre problème à régler, c'est l'article 9 sur lequel nous nous sommes prononcés cet après-midi, l'article 9 du député de Sauvé. Je voudrais vous rappeler l'article I45 de notre règlement qui dit: "La majorité des membres qui composent une commission en forme le quorum, et ce quorum est présumé exister tant qu'un membre n'a pas souligné son absence. Cependant, il est nécessaire à la validité d'un vote." Or, cet après-midi, le vote a été de un pour et de cinq contre. Il manquait deux votes pour la validité. Alors, sans discussion nous devons reprendre le vote sur cet amendement du député de Sauvé cet après-midi.

M. Morin: Ce vote avait donné quel résultat?

Le Président (M. Lafrance): Cinq contre, un pour. C'est sur un amendement où le député de Sauvé avait demandé, d'ajouter un nouvel article, l'article 9.

M. Morin: Je suis prêt, en ce qui me concerne, si cela peut vous simplifier les choses, à ne pas insister pour qu'on reprenne le vote, parce qu'avec l'ouverture d'esprit qui existe en face, je pense que le résultat va être encore plus désastreux. Donc, je n'insiste pas.

Le Président (M. Lafrance): Je pense qu'il ne faudrait pas encore non plus créer un autre précédent. On va appliquer un autre article du règlement à l'article I49 qui demande que les votes en commission aient lieu à main levée. Cela va se faire assez rapidement. Ceux qui sont pour, levez la main.

M. Morin: Ce n'est pas comme cela. C'est un autre débat.

M. Burns: Non, c'est un autre débat. Si vous voulez recommencer ce débat, on va s'amuser.

M. Morin: Non, on est prêt.

M. Burns: Non, M. le Président, si vous voulez reprendre le vote, reprenez-le, parce qu'on veut savoir qui est là et qui vote. Je veux savoir si les gens qui votent sont aussi membres de la commission. Je vous demanderais d'appeler les gens les uns après les autres.

Le Président (M. Lafrance): Sur quel article du règlement?

Il n'y a pas d'article du règlement.

M. Burns: Je vous demande l'article qui dit qu'un député membre est le seul habilité à voter. Comment allez-vous savoir que les gens qui lèvent les mains autour de la table sont habilités à voter?

Le Président (M. Lafrance): D'accord. Il y a un autre moyen de le savoir, c'est de demander de faire l'appel des membres de la commission.

M. Burns: C'est cela.

Le Président (M. Lafrance): Alors, on peut faire l'appel des membres à la commission pour savoir ceux qui sont présents.

M. Burns: C'est cela.

Le Président (M. Lafrance): Pour le vote, on peut demander le vote à main levée.

M. Burns: C'est cela. Si vous voulez compliquer cela, on va le demander chaque fois. Rappelez tout le monde et je vais les prendre en note.

Le Président (M. Lafrance): On applique le règlement.

M. Burns: Oui, appliquez le règlement, vous allez voir qu'on sait jouer à cela, nous autres aussi. Vous allez me nommer les gens, par exemple.

Le Président (M. Lafrance): D'accord. M. Beauregard?

M. Burns: M. Beauregard, quel comté, cela? Le Président (M. Lafrance): Gouin. M. Burns: M. Beauregard (Gouin). Le Président (M. Lafrance): C'est ça.

M. Lacroix: II est à la commission des affaires municipales.

M. Burns: II n'est pas ici?

M. Morin: II n'est pas là?

M. Burns: Alors, il n'est pas ici.

M. Lacroix: II est aux Affaires municipales.

Le Président (M. Lafrance): M. Bédard (Chicoutimi), remplacé par M. Morin cet après-midi.

M. Morin: Présent.

M. Burns: Alors, M. Morin...

Le Président (M. Lafrance): Sauvé.

M. Burns: M. Morin (Sauvé), d'accord!

Le Président (M. Lafrance): M. Bellemare (Johnson).

M. Burns: M. Bellemare (Johnson). M. Morin: II n'est pas là, semble-t-il.

Le Président (M. Lafrance): M. Brisson (Jeanne-Mance).

M. Burns: M. Brisson (Jeanne-Mance). Il n'est pas là.

Le Président (M. Lafrance): M. Burns (Maisonneuve).

Une Voix: II n'est pas là.

M. Bums: II est là.

M. Lacroix: Même présent, il est absent.

Le Président (M. Lafrance): M. Choquette (Outremont).

M. Choquette: Présent.

Le Président (M. Lafrance): M. Ciaccia (Mont-Royal) est remplacé par M. Dionne.

M. Burns: Depuis quand?

Le Président (M. Lafrance): Cet après-midi.

M. Burns: Correct.

Le Président (M. Lafrance): Durant la même séance.

M. Burns: M. Dionne n'est pas là non plus?

M. Morin: On n'aura pas quorum, si cela continue.

M. Burns: On n'a pas quorum.

Le Président (M. Lafrance): M. Ciaccia... Pardon, M. Desjardins (Louis-Hébert).

M. Burns: M. Desjardins, c'est un membre régulier. C'est correct.

M. Morin: II ne vient pas toujours, mais là, il est là.

Le Président (M. Lafrance): M. Pagé (Portneuf).

M. Burns: M. Pagé (Portneuf).

M. Desjardins: Ne m'attaquez pas!

Le Président (M. Lafrance): M. Perreault (L'Assomption).

M. Burns: M. Perreault (L'Assomption), il n'est pas là.

Le Président (M. Lafrance): M. Samson (Rouyn-Noranda).

M. Burns: II n'est pas là.

Le Président (M. Lafrance): M. Springate (Sainte-Anne).

M.Morin: II est là.

Le Président (M. Lafrance): M. Sylvain (Beauce-Nord). M. Tardif (Anjou).

M. Burns: M. Tardif (Anjou). Bon! Alors, M. Tardif n'est pas là. M. Springate est là. M. Samson n'est pas là. M. Perreault n'est pas là. M. Dionne n'est pas là. M. Brisson n'est pas là.

M. Lacroix: Démagogie.

M. Burns: M. Bellemare n'est pas là. M. Beau-regard n'est pas là?

M. Morin: II est le rapporteur, pourtant, de la commission, ou il ne l'est plus?

Le Président (M. Lafrance): Oui, il a été nommé cet après-midi.

M. Morin: M. Beauregard a été nommé rapporteur de la commission.

M. Sylvain: Vous avez suggéré M. Beauregard.

M. Morin: C'est moi qui l'avais suggéré. Si j'avais su qu'il ne serait pas là ce soir...

M. Sylvain: Vous avez fait une erreur, une autre erreur.

M. Morin: II semble bien.

M. Lacroix: Vous vous trompez toujours.

Le Président (M. Lafrance): Vous avez les membres de la commission, M. le député.

M. Burns: Oui.

Le Président (M. Lafrance): Alors, on peut appeler le vote à main levée? Ceux qui sont en faveur de l'amendement?

M. Burns: C'est nous autres, ça. Le Président (M. Lafrance): Un? M. Burns: Non, deux. M. Morin: Deux.

Le Président (M. Lafrance): Je voyais seulement une main.

M. Lacroix: II a la main courte.

Le Président (M. Lafrance): Ceux qui sont contre?

L'amendement est rejeté.

M. Burns: A combien, M. le Président? M. Morin: Combien, M. le Président?

Le Président (M. Lafrance): Ce n'est pas nécessaire...

M. Bums: Bien non, c'est important.

Le Président (M. Lafrance): On va le constater de toute façon.

M. Burns: Comptez donc!

Le Président (M. Lafrance): Un, deux, trois, quatre, cinq. Cinq à deux.

M. Burns: D'accord, M. le Président!

M. Morin: C'est le même vote que cet après-midi.

Le Président (M. Lafrance): Pardon, c'était cinq à un. Cela fait sept, et le président...

M. Morin: Ah! Nous avons gagné du terrain.

Le Président (M. Lafrance): II n'a pas le droit de vote, à moins d'égalité, mais il fait quand même partie du quorum.

Cet amendement est rejeté légalement.

M. Sylvain: Y a-t-il autre chose qu'on devrait légaliser?

M. Burns: Vous avez besoin de rester collés à vos sièges, par exemple.

Le Président (M. Lafrance): Nous revenons à l'article 9 et la parole était, à la suspension des travaux, au ministre de la Justice.

M. Choquette: Je disais donc, au moment où

nous avons suspendu nos travaux cet après-midi, qu'il n'est pas possible, dans un tel article, qui vise à exclure la discrimination pour certains motifs ou certaines raisons, de voir dans cet article une exclusion de tout autre motif de discrimination. Il n'est pas possible de couvrir tous les facteurs antidiscriminatoires que l'on pourrait avoir à l'esprit.

Donc, quels sont les éléments qui peuvent être retenus dans une telle charte? Je soumets que ce sont des éléments qui ont un caractère universel. C'est ainsi que, nommément, on exclut les distinctions, exclusions ou préférences fondées sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale, parce que ces éléments ont une portée universelle et qu'il ne s'agit pas, dans une telle charte, d'examiner ou de viser la situation particulière de certains groupes qui ne se situent pas dans un contexte universel qui doit être celui d'une charte des droits de l'homme.

On pourrait ajouter à cette liste un nombre sans limite de situations de fait ou de droit qui pourraient, aux yeux de certains groupes particuliers, justifier la non discrimination à leur égard. Mais une charte des droits de l'.homme ne peut aller jusqu'à ce point d'embrasser tous les cas où il peut y avoir des distinctions, des exclusions ou des préférences. A ce moment, on verserait dans la négation absolue des choix qui peuvent être faits par des personnes qui peuvent quand même exercer leur liberté. On définirait ou on chercherait à définir d'une façon absolue les libertés des individus en disant: En toute circonstance, vous devez agir conformément à certaines prohibitions du législateur à l'égard de la discrimination.

Je mentionnerai d'ailleurs, tout de suite, M. le Président, que la liste des facteurs antidiscriminatoires qui est mentionnée à l'article 9 est extrêmement étendue lorsqu'on la compare aux autres chartes qui existent dans le monde entier. J'ai fait la revue de la plupart des législations étrangères ainsi que des déclarations au même effet qui sont contenues dans des traités internationaux et, à ma connaissance, il n'existe dans aucun de ces documents une extension aussi considérable des définitions de facteurs discriminatoires qui sont interdits ou défendus par le législateur. C'est donc dire que le texte de l'article 9 a une extension et une portée certainement des plus larges lorsqu'on le compare à d'autres textes similaires adoptés soit par des Etats nationaux ou consacrés dans des textes de traités internationaux. Puisque le député de Maisonneuve a fait un amendement à l'effet d'inclure dans l'article 9 la mention de l'orientation sexuelle, je dirai qu'une telle mention ne se retrouve dans aucune autre loi ou aucun traité international qui porte sur la question. Etant donné cette caractéristique, je pense que nous sommes dans un domaine tout à fait nouveau, un domaine tout à fait particulier qui déborde, d'une certaine façon, les interdictions qui peuvent normalement être contenues dans une telle charte qui vise à interdire des facteurs de discrimination qui, comme je le disais tout à l'heure, ont une portée universelle, comme par exemple, la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, etc.

Je pense qu'en introduisant le facteur de l'orientation sexuelle, on tombe dans un cas très particulier et un cas très limité, de telle sorte que cette mention n'a pas vraiment sa place dans une charte comme celle-ci qui veut avoir en somme, une portée sociale générale et non pas interdire tous les motifs de discrimination qu'on peut rencontrer à l'occasion, dans certaines circonstances.

Il y a aussi le fait qu'en introduisant cette mention dans l'article 9, on conférerait un statut de légitimité d'une certaine façon à un comportement qui peut être l'objet de critiques pour une bonne partie de la population. On introduirait un statut de légitimité à une forme d'activité qui déborde le cadre général et universel que l'on doit rechercher dans une telle charte. Au moment où, pour la première fois, nous adoptons un tel document avec une extension certaine, comme je l'ai dit tout à l'heure, au Québec, il ne me semble pas opportun, au moins à l'heure actuelle, d'introduire des facteurs très particuliers qui visent des cas spécifiques et ainsi, venir d'une certaine façon affecter le résultat général de l'action de la charte sur les comportements sociaux. D'autant plus que le facteur suggéré par le député de Maisonneuve, soit l'orientation sexuelle, désigne un comportement qui n'est pas nécessairement accepté par la majorité de la population. Ce qui ne veut pas dire que le facteur discriminatoire doive être reconnu à cette occasion, mais il me semble qu'on risquerait de mettre en péril le résultat global ou général de la charte. Dans l'adoption d'un tel texte de loi, il faut incontestablement compter sur une approbation générale, même si elle s'exprime à l'occasion par des phénomènes de discrimination qui méritent d'être corrigés par l'action de la commission il faut rechercher une approbation qui soit généralement acceptée et conforme au comportement de la population dans son ensemble, qui soit acceptable à cette population dans son ensemble. Je crains que le facteur suggéré par le député de Maisonneuve trouverait une pierre d'achoppement de ce côté, qui serait susceptible, d'une certaine façon, d'affecter le résultat général que recherche l'adoption d'une telle charte.

Si je n'avais pas raison sur tout cela, si, en somme, l'opinion soutenue par le député de Maisonneuve et l'opinion contraire pouvaient être soutenues valablement, la réflexion des législateurs, des parlementaires fera son chemin dans ce domaine, et il n'est pas exclu que, dans l'avenir, avec une certaine réflexion, une certaine évolution, l'on puisse se réconcilier avec la thèse que nous propose l'autre côté.

Ceci ne veut pas dire que je donne une approbation quelconque à la discrimination pour ces motifs d'orientation sexuelle, ceci ne veut pas dire qu'il s'agit là d'une position qui exclut et qui veut que la discrimination s'exerce dans ces conditions. C'est bien plutôt le fait qu'une charte ne peut pas couvrir tous les facteurs de discrimination qui peuvent exister dans une société et qu'il faut qu'elle s'attache primordialement aux fac-

teurs de portée générale et aux facteurs de portée sociale énumérés et mentionnés dans le texte de l'article 9 tel qu'il est présenté.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable député de Sauvé.

M. Burns: Vous n'êtes pas très convaincant.

M. Morin: M. le Président, il va falloir revoir certaines notions fondamentales de droit que nous enseignons dans les facultés, puisque le ministre nous a appris cet après-midi qu'un article pouvait être limitatif et, en même temps, n'être point exhaustif.

C'est une nouveauté, je dois dire, et je félicite le ministre de son esprit d'invention. Avant d'en persuader les étudiants ou qui que ce soit, je pense que le ministre va devoir faire plus d'une autre pirouette.

Si son texte est limitatif, comme il l'a lui-même affirmé catégoriquement cet après-midi, lorsque j'ai proposé l'amendement selon lequel nous aurions ajouté le mot "notamment"... lorsqu'il nous a affirmé que c'était limitatif, il est évident que, du point de vue des tribunaux et du point de vue de la commission des droits de la personne, toute personne qui se plaindrait d'avoir été victime de discrimination en fonction de son orientation sexuelle se verrait nier la protection de la commission des droits de l'homme et la protection des tribunaux, éventuellement.

Je m'explique. C'est l'article 67 qui nous dit que toute personne qui a raison de croire qu'elle est ou a été victime d'une atteinte à un droit reconnu aux articles 9 à 18 ou au premier alinéa de l'article 46 peut adresser par écrit une demande d'enquête à la commission.

Or, si une personne se plaint à la Commission des droits de la personne parce qu'elle prétend, parce qu'elle soutient avoir été victime d'un cas de discrimination prévu à l'article 9, le futur article 10, puisque nous les renuméroterons, on lui répondra, de la part de la commission, que celle-ci n'est pas compétente. On invoquera l'article 74 qui dit: "La commission doit refuser de faire ou de poursuivre une enquête lorsqu'elle constate qu'elle n'a pas compétence en vertu de la présente loi." Elle invoquera donc l'article 9 et l'article 74 du projet pour dire, dans une lettre très polie, mais très ferme: Nous regrettons, mais nous ne pouvons même pas prendre connaissance de votre plainte parce que, le ministre l'a bien dit, cet article est limitatif.

Deuxièmement, pour le cas où la commission voudrait s'adresser aux tribunaux, en vertu de l'article 80, deuxième paragraphe, aux termes duquel la commission peut recommander la cessation de l'acte reproché, l'accomplissement d'un acte ou le paiement d'une indemnité dans un délai qu'elle fixe, pour le cas où on ferait appel à cette disposition ou encore à la suivante, à l'article 81, qui nous dit que la commission peut, avec le consentement écrit de la victime, s'adresser au tribunal en vue d'obtenir une injonction contre la personne en défaut; dans ces deux cas, la commission ne pourra pas agir et même les tribunaux pourront dire à la commission: Vous n'aviez pas compétence pour vous présenter devant nous et demander le recours d'injonction ou demander l'indemnité prévue au paragraphe second de l'article 81, parce que l'orientation sexuelle n'est pas prévue à l'article 9. C'est cela que les plaignants vont se faire répondre, parce que l'article est limitatif.

Le ministre pourra plaider que ce n'est pas exhaustif, on lui répondra: C'est limitatif.

M. le Président, ce n'est pas par hasard que l'Opposition a proposé cet amendement; c'est parce qu'aujourd'hui, dans le dernier quart du vingtième siècle, cela correspond à une évolution des moeurs, cela correspond à une plus grande ouverture d'esprit de la part des gens. Je voudrais signaler les appuis nombreux et importants qui ont été reçus à l'appui de la proposition que nous avons faite ce soir. Je me contenterai d'en mentionner quelques-uns au ministre. Peut-être n'en a-t-il pas pris connaissance? La Commission de police du Québec — voilà un organisme qui, je pense, est assez bien connu du ministre — service d'enquête sur le crime organisé, a fait parvenir une lettre, le 28 janvier 1975, à M. Roger Bellemare, du comité des libertés civiles, sous la signature de M. Réjean Paul, chef du contentieux, commission d'enquête sur le crime organisé.

Dans cette lettre, on peut lire ceci: "Suite à notre réunion du 15 janvier 1975, je désire vous informer que notre comité a entériné votre demande quant à l'inclusion des termes "orientation sexuelle" dans la charte des droits de l'homme".

Le 19 février dernier, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec, sous la signature de M. Michel Sawyer, qui est le secrétaire général du SFPQ, faisait savoir au comité des libertés civiles ce qui suit: "II est notamment fait mention dans notre mémoire qu'il y aura lieu d'ajouter les termes "orientation sexuelle", au premier paragraphe de l'article 11". Il s'agit donc de l'article 9, en l'occurrence, et ce, afin d'éliminer toute discrimination possible.

Je pourrais également porter à votre connaissance la position qui a été prise par le Conseil du statut de la femme au sujet du projet de loi des droits de l'homme, sur la charte des droits de l'homme. On peut lire ceci dans le chapitre consacré aux libertés et droits fondamentaux. "Quant à ajouter aux motifs de discrimination déjà énumérés, l'orientation sexuelle, le Conseil du statut de la femme appuie la recommandation de la Ligue des droits de l'homme à cet égard."

Je pourrais vous citer également le procès-verbal de la réunion du conseil général de la Centrale de l'enseignement du Québec tenue les 30 et 31 janvier 1975. Je vous fais grâce de tous les considérants et de tous les attendus, mais on y peut lire le dispositif que voici: "II est proposé que le conseil général recommande au gouvernement québécois d'adopter toutes les dispositions civiles nécessaires — on veut sans doute dire législatives nécessaires — pour prohiber toute discrimination basée sur l'orientation sexuelle de la personne."

Je porte maintenant à votre connaissance la prise de position d'un organisme qui s'appelle The

Joint Anglican United Church in Society Committee, de Montréal, sous la signature du révérend Fred Elson, de la Mount Bruno United Church. On peut lire ce qui suit: "We know that discrimination of various kinds is practised against groups of people, often clearly infringing personal freedom. We support you in your fight to have it clearly established in law, that "personal sexual orientation", be it homosexuality or other, shall not be in any sense, ground for discrimination in employment, housing or other aspects of social life." "We gladly offer our support to the committee on civil liberties of the Montreal Gay Association in efforts to ensure that all sections of the proposed human rights code include the words "sexual orientation" among the characteristics listed in relation to people whose rights are specifically secured by law."

On me fait savoir aussi que l'Office de pastorale sociale de l'archidiocèse de Québec a pris une position semblable. Je continue. La résolution suivante a été adoptée par le Conseil central des syndicats nationaux de Montréal. Elle a été portée à la connaissance du comité des libertés civiles le 15 janvier par M. Raymond Gagnon, qui en est le secrétaire. "Le comité exécutif du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal a adopté unanimement la résolution suivante: De recommander au gouvernement québécois d'inclure les termes "orientation sexuelle" à l'article 11 de la Loi sur les droits et libertés de la personne."

J'en passe, M. le Président, parce qu'il y en a encore, mais, tout de même, je pense que le ministre a laissé entendre tout à l'heure que la société québécoise n'était pas prête pour ce genre de changement dans notre législation. J'en ai déjà énuméré quelques-uns, mais je ne suis pas à la moitié. Si le ministre me dit qu'il en a déjà assez entendu, je n'irai pas plus loin, mais si je ne l'ai pas encore persuadé, peut-être serait-il heureux d'entendre l'appui accordé par d'autres organismes.

M. Choquette: Dites ce que vous avez à dire.

M. Morin: Bien, mais je n'aurais pas voulu prendre le temps de la commission si le ministre avait déjà été persuadé par les appuis; pas encore, alors, continuons. L'Association professionnelle des enseignants des Vieilles Forges, en date du 10 janvier 1975, fait savoir au comité des libertés civiles, sous la signature de Line Paré, conseiller syndical, ce qui suit: "Considérant que toute personne a droit à la reconnaissance ou à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, etc., nous recommandons au gouvernement québécois d'inclure les termes "orientation sexuelle" à l'article 11 de la Loi sur les droits et libertés de la personne."

Le Syndicat de l'enseignement de la région de la Mitis fait savoir, sous la signature de M. Ghislain Jean, son président, qu'il a adopté, le 5 février I975, la résolution suivante, dont je ne lis qu'un extrait, pour faire plus vite: "Nous recommandons au gouvernement québécois d'inclure les tenues "orientation sexuelle" à l'article 11 de la Loi sur les droits et libertés de la personne."

La Montreal Teachers' Association, sous la signature de M. D. R. Peacock, son président, qui eut l'insigne honneur de comparaître devant une commission de cette assemblée, lors de la discussion sur le bill 22, fait savoir ce qui suit: "That the MTA representatives' assembly recommends to the Quebec government that it adopts all civil measures necessary in order to prohibit any discrimination based upon race, color, sex, sexual orientation, religion, language or national or social origin. The motion was presented as a result of representations made to the MTA by the Montreal Homophile Association."

Continuons. Sous la signature du révérend Roger A. Balk, on peut lire ce qui suit dans une lettre adressée au comité des droits civils, le 1er octobre 1974: "Discrimination against homosexuals represents an intrusion of private morality into the public sphere. It is analogous..." Voilà qui va intéresser le ministre, qui, tout à l'heure, nous faisait de subtiles distinctions entre les discriminations à propos de choses fondamentales et des choses qui n'en sont pas. Ecoutez bien ceci, M. le Président. "It is analogous to discrimination based upon differences in religion, national origin or political belief. In the absence of any evidence contending that homosexuality results in material or psychological harm to members of society, it is imperative that discrimination against homosexuals based upon the private morality of individuals within that society be prohibited."

La Fédération des professionnels salariés et des cadres du Québec, affiliée à la CSN, nous dit ce qui suit, le 4 mars I975, sous la signature de Simon Paré, son secrétaire: "II est résolu que la Fédération des professionnels salariés et des cadres du Québec donne son appui à l'Association des homophiles de Montréal, dans sa lutte pour la justice. La FPSCQ croit que l'orientation sexuelle d'un individu ne doit pas être un facteur de discrimination."

Et je vous donne maintenant lecture d'un extrait du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du Syndicat des travailleurs de l'enseignement du Nord-Ouest québécois, tenue le 16 janvier I975, à Rouyn, qui sous le no I358, a adopté la résolution suivante: "II est proposé de recommander au gouvernement québécois d'inclure les termes "orientation sexuelle" à l'article 11 de la Loi sur les droits et libertés de la personne."

Le ministre commence-t-il à être persuadé ou dois-je continuer?

M. Choquette: Les arguments vont me persuader.

M. Morin: Ce sont d'excellents arguments pour prouver...

M. Choquette: Vous lisez des lettres...

M. Morin: ... que la société québécoise a beaucoup évolué.

M. Choquette: Bien oui, mais c'est une lecture de lettres.

M. Morin: Ah! C'est fort important pour montrer d'où viennent les appuis. Ce ne sont pas, que je sache, des organismes dépourvus de sens commun. Ce sont des gens qui ont réfléchi avant d'adopter ces résolutions, et c'est pour cela que je crois que c'est important de les porter à la connaissance du ministre qui, tout à l'heure, avait l'air de dire que cela ne fait pas du tout partie des moeurs aujourd'hui...

M. Choquette: Mais le Barreau...

M. Morin: ... d'accepter que la discrimination, dans ces cas, ne doit pas être tolérée.

M. Choquette: Est-ce que le chef de l'Opposition connaît un cas de charte des droits de l'homme qui consacre cela?

M. Morin: Mais, est-ce que c'est la question?

M. Choquette: Non, mais est-ce qu'il en connait un?

M. Morin: Non. Je ne pense pas qu'il en existe.

M. Choquette: Ah Don!

M. Morin: Je dis que le Québec a une belle occasion, en l'occurrence, de défricher le chemin, surtout lorsqu'on voit l'appui considérable qui est accordé à cette société, à ce comité des droits civils, je crois que le Québec a une belle occasion d'ouvrir le chemin et je sais bien, d'ailleurs, que le ministre de la Justice lui-même, si ce n'était de son caucus, doit partager cette opinion.

M. Choquette: Laissez faire le caucus.

M. Burns: Non. C'est cela. C'est le caucus qui vous empêche d'agir. On le sait.

M. Choquette: Faites attention, parce qu'on pourrait vous parler de vos caucus aussi.

M. Burns: Laissez faire notre caucus. Il ne nous empêche pas de passer des lois, imaginez-vous donc.

M. Choquette: Nous non plus.

M. Burns: II ne nous empêche pas de faire des lois à la mesure du Québec.

M. Choquette: Oui, vous en faites des lois, vous!

M. Morin: Je continue l'énumération des appuis qui ont été apportés au comité des droits civils. Voici un extrait du procès-verbal du conseil d'administration du Syndicat des enseignants de Champlain. "Nous recommandons au gouvernement québécois d'adopter toutes les dispositions nécessaires pour prohiber toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, la religion, la langue, etc."

L'Institut de pastorale, sous la signature du Père Marc Rompré, o.p., qui en est le directeur, écrit ceci qui va peut-être toucher le ministre: "Comme chrétiens et comme citoyens, nous considérons l'égalité devant la loi comme une valeur essentielle à promouvoir et à défendre. Puisque les homosexuels souffrent de discrimination de la part de nombreuses personnes dans notre société, ils devraient pouvoir compter sur la protection de la loi contre les injustices dont ils peuvent être l'objet de la part des individus." Et on propose l'addition du paragraphe suivant à l'article 11: "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion, préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale ou l'orientation sexuelle."

Le Syndicat des professeurs de la ville de Laval fait savoir, en date du 8 avril, sous la signature de son premier vice-président, M. Pierre Bourgeois, que le conseil d'administration appuie la proposition faite par votre association en rapport avec l'article 11 de la Loi sur les droits et libertés de la personne, à savoir l'ajout des termes "orientation sexuelle" au texte dudit article.

L'Association des enseignants de la Tardivel en fait autant. Je vous dispense de la lecture de la résolution, qui est semblable à celle qui précède.

Et voici encore un appui significatif. Voici ce que dit le Church In Society Committee du diocèse de Montréal. Ecoutez bien. Je crois que cela peut peut-être influencer le ministre. "In view of the impending provincial legislation on human rights, bill 50, the Church In Society Committee recommends that a public statement be made by the Diocese of Montreal and communicated to the Standing Parliamentary Commission. Such a statement would include the four recommendations above..." dont je vous dispense parce qu'elles sont fort longues sur la question de l'homosexualité "... and would request the Provincial Government to include in the final draft of the legislation a statement affirming the human and civil rights of persons regardless of their sexual orientation and preference."

Continuons. Le Syndicat des enseignants de l'ouest de Montréal, fait savoir, sous la signature de M. Gilbert Plante, son directeur administratif, qu'il recommande au gouvernement québécois d'adopter toutes les dispositions nécessaires pour prohiber toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle de la personne.

C'est une résolution adoptée à l'unanimité de ce syndicat le 27 novembre I974. L'Union des employés de service, local 298 de la FTQ, fait savoir qu'il est résolu que cette union accorde son appui à l'Association homophile de Montréal qui vise à obtenir l'amendement de l'article 11 du projet de la charte des droits de l'homme en y incluant la

non-discrimination à l'égard de l'orientation sexuelle des citoyens.

Le Syndicat des travailleurs de l'enseignement de Chauveau-Charlesbourg en fait autant. Enfin, l'université McGill, par la voie de son service de santé, et sous la signature de Mlle Irene Simons, qui, je crois, est médecin, oui, sa signature est suivie des lettres m.d., fait savoir ce qui suit au Civil Rights Committee: "It is my feeling that we must distinguish between individual morality reflecting a person's chosen values which the individual finds helpful in living his or her life and public morality designed for the mutual protection of citizens. Discrimination against homosexuals represents an intrusion of private morality into the public sphere. It is analogous..." — Tenez, M. le ministre, encore la même opinion — "to discrimination based upon differences in religion, national origin, political belief or sex. "In the absence of any evidence contending that homosexuality results in material or psychological harm to members of society, it is imperative that discrimination against homosexuals, based upon the private morality of individuals within that society, be prohibited."

Et ainsi de suite, M. le Président. Je ne sais si j'ai aligné suffisamment d'appuis pour convaincre le ministre qu'aujourd'hui, en 1975, il est grand temps que le Québec ajoute aux motifs de discrimination qui sont déjà mentionnés à l'article 9, l'orientation sexuelle, de sorte que les personnes qui ont l'orientation de leur choix, quelle qu'elle soit, ne puissent être victimes de discrimination, en raison de ces choix.

Encore une fois, nous ne demandons pas au ministre de se prononcer sur la moralité de la chose. Nous ne demandons pas au ministre d'approuver ou de changer son comportement personnel. Nous lui demandons tout simplement de légiférer de façon qu'il ne puisse y avoir de discrimination dans ce domaine. Si, par hasard, le ministre, ou quiconque, à la suite de je sais trop quel démon de midi, en venait à changer son comportement, je suis sûr qu'il apprécierait à ce moment des dispositions qui seraient incluses dans la loi et qui le protégeraient contre la discrimination.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Beauce-Nord.

M. Sylvain: J'avais fait part de mon intention de parler avant la suspension des travaux cet après-midi. Je vais le faire. J'ai été appelé, comme membre permanent de cette commission, à écouter, en deuxième lecture, ceux qui se sont présentés à la barre pour témoigner devant la commission. J'ai aussi été appelé, à titre personnel et à titre de député, à rencontrer ceux qui, évidemment, veulent inclure au projet, surtout à l'article 9, les termes d'orientation sexuelle.

Je ne cacherai pas qu'il y a une hésitation profonde à inclure ou non ces termes. D'une part, j'ai pu constater, à la lecture du projet de loi 50, que devant la perspective d'ajouter les termes "orien- tation sexuelle" à ces motifs de discrimination, dans le contexte où on voulait bien les comprendre et les interpréter, et aussi dans le contexte où on voudrait s'efforcer de savoir où cela commençait et quand cela s'arrêtait, l'hésitation devenait beaucoup plus grande, surtout en constatant la teneur même de l'article 9.

Cet article, à mon sens, dans le contexte même de cette charte des droits de l'homme, vient amoindrir l'inclusion des termes "orientation sexuelle", de telle sorte que, si on prend un exemple concret, un employeur qui serait un bureau de direction d'une colonie de vacances pourrait, à sa guise, choisir des motifs ou des critères d'engagement de bonne foi qui pourraient demander, dans les conditions de l'emploi, l'hétérosexualité nécessaire.

J'ai écouté avec attention le ministre ainsi que les représentants de l'Opposition. Je me demande aussi jusqu'à quel point on peut inclure ces termes vis-à-vis de la mentalité actuelle. Quand je parle de mentalité, ce n'est pas pour situer la mentalité des milieux semi-urbains ou ruraux dans un contexte différent, mais c'est pour la situer là où elle est réellement vis-à-vis de ce problème. Je dis cela sans offenser ceux qui sont touchés par ce domaine de l'homosexualité.

En passant, il est un fait que les termes "orientation sexuelle" vont ou iraient beaucoup mieux que le terme "homosexualité" parce que, dans les discussions et dans les faits, il est facile de constater que la discrimination pourrait aussi jouer, dans certains cas particuliers, contre ceux qui sont des hétérosexuels et venant de la part d'homosexuels qui auraient certains pouvoirs décisionnels, etc.

J'ai constaté quand même une chose dans ces discussions, c'est que ceux qui travaillent même à la recherche de la liberté de ces droits individuels et à cette recherche de faire inclure dans le projet ce motif de non-discrimination en incluant "orientation sexuelle" vont peut-être, à un certain moment, dans certaines circonstances, créer de bonne foi ou de mauvaise foi un certain climat de discrimination. On peut expliquer — d'ailleurs, ces gens le reconnaîtront — que, dans certains organismes, il est à mon sens difficile, quand les postes clés sont détenus par ceux qui sont ouverts à l'homosexualité, il est souvent difficile, même pour des hétérosexuels, de mettre les pieds à l'intérieur de ces cadres.

Il faut peut-être aller plus loin et se demander comment ces termes inclus dans l'article 9 sont compris par la population. Peut-être que s'attacher au fond à regarder le projet vis-à-vis des considérations ou constatations que certaines personnes font ou nous feront parvenir ou des commentaires... La population a dans l'idée que c'est donner libre cours, donner la clé des champs aux homosexuels et ce, dans n'importe quel domaine. On peut penser homosexuel vis-à-vis des étudiants, vis-à-vis des enfants des colonies de vacances, on peut penser à tout, mais il faut dire que, déjà là, des lois viennent limiter non pas des comportements mais des actes considérés comme illicites dans des comportements mêmes. On peut

penser à certaines lois provinciales, on peut penser au code criminel dans le bill omnibus où certains actes posés par des personnes majeures envers des personnes mineures sont nettement condamnés à titre d'actes criminels mêmes et non pas d'infractions au code criminel; actes criminels si on regarde du côté des actes de pédérastie.

J'accepte volontiers les arguments que le ministre donne en ce sens où le texte ou le principe posé par l'article 9 doit se situer dans un cadre général. Je me demande jusqu'à quel point on peut, dans le cadre de l'acceptation de cette première charte québécoise des droits de l'homme, accepter d'emblée, pour la protection de cette minorité, d'inclure les termes "orientation sexuelle".

M. le Président, j'ai une certaine difficulté, quoique j'en aie été conscient dans un cas ou deux, à constater le nombre de cas de discrimination qui seraient fondés sur l'orientation sexuelle ou sur une homosexualité ou des homosexuels en tant que tels.

J'aurais aimé peut-être davantage, à la fois pour convaincre cette population qu'on représente... J'ai toujours eu conscience que, dans mon mandat, puisqu'on a été élu par district électoral, on avait à respecter une mentalité, on avait à se faire le porte-parole, à l'intérieur de certaines lois, de la mentalité de notre milieu.

J'aurais aimé, avant qu'on se prononce finalement sur ces termes "orientation sexuelle" à être inclus dans l'article 9, que cette commission des droits de la personne puisse, dans certaines enquêtes, sans pouvoirs coercitifs, nous montrer des résultats, faire le tour de certains cas de discrimination, avant qu'on ait à se prononcer sur l'inclusion, dans l'article 9 même, des termes "orientation sexuelle".

J'aimerais savoir si cela se produit souvent. J'aimerais savoir les régions où cela se produit davantage. Au fait, on ne sait pratiquement rien. C'est un excellent tremplin, pour les homosexuels, que la présentation de cette charte des droits de l'homme pour réveiller la population.

J'ai trouvé aussi, au fond, qu'à l'intérieur des discussions, on avait fait très peu, du côté de ceux qui ont une orientation sexuelle vers le mot de sexualité, pour se faire comprendre ou rechercher une justice que nous ne trouverons pas à l'intérieur des textes de loi et une justice par rapport au peuple, ou une reconnaissance de notre milieu. Je pense que c'est plus facile.

Quant à la motion du député de Maisonneuve qui vise à faire introduire ces termes "orientation sexuelle", j'aurais aimé mieux, pour ma part, que la commission nous fasse savoir ou qu'à l'intérieur des recommandations que cette commission des droits de la personne sera appelée à faire, à la suite de l'application de cette charte des droits de l'homme, à la suite de différentes enquêtes effectuées dans différents cas de discrimination, on nous fasse savoir positivement et concrètement, dans un dossier ou dans un rapport, tel qu'il est mentionné dans la charte, l'amplitude ou l'exactitude du problème.

En ce qui a trait au caucus, le député de Maisonneuve y a fait allusion plus tôt, il est vrai qu'à l'intérieur d'un caucus où vous avez 100 députés, la pensée sur les différents problèmes ne peut pas être la même.

Il est aussi vrai, dans notre parti — j'en profite pour le dire — qu'à l'intérieur du caucus, même à 100 députés, tout le monde est d'accord sur l'idée majoritaire.

En ce sens, je voterai contre la proposition du député de Maisonneuve, mais en faisant les considérations suivantes: La future commission des droits de la personne aura en particulier à s'attacher à ce problème des cas de discrimination qui seraient fondés sur l'orientation sexuelle; elle aura aussi, sans doute, avec des personnes compétentes, à faire des recommandations au gouvernement, à l'intérieur de certains amendements à ce projet de loi, une fois que les députés pourront parler en toute connaissance de cause, en se fondant sur des statistiques et sur la réalité.

J'ai l'impression qu'une chose est reconnue, je pense, quant aux députés, c'est le fait de ces problèmes causés par l'orientation sexuelle. Certains appellent cela des déviations sexuelles, mais le terme valable est "orientation sexuelle". Est-ce que, à un moment donné, cette minorité devrait être protégée, au fond, par l'inclusion de ce motif particulier de l'orientation sexuelle? C'est là une question sur laquelle seules des enquêtes directes et des statistiques, quant à moi, pourront me faire prononcer réellement quant à l'éventualité d'inclure de tels motifs de discrimination dans ce cas particulier.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Taschereau.

M. Bonnier: M. le Président, est-ce que je vais pouvoir faire une observation? Je ne suis pas membre de la commission.

M. Giasson: Vous êtes tellement brillant!

M. Burns: Avec la permission de la commission, il le pourrait.

M. Bonnier: Si la commission est d'accord.

Le Président (M. Lafrance): Avec la permission de la commission, la parole est au député de Taschereau.

M. Morin: Consentement.

M. Bonnier: M. le Président, c'est vrai qu'il y eu beaucoup de groupements — et je pense que le député de Sauvé en fait état — qui ont montré un intérêt certain pour cette question et non seulement un intérêt, mais même une sympathie pour la question. Je pense que c'est normal, d'ailleurs. Je pense que tous ceux qui sont à cette table montrent de l'intérêt et de la sympathie pour la question.

Il s'agit d'examiner à l'occasion de l'article 9 si, en fait, il serait avantageux ou non d'y inclure la suggestion de l'amendement du député de Maisonneuve. Il m'apparaît que ce projet de loi est

une charte des droits fondamentaux, tel qu'on l'a dit à plusieurs reprises. C'est pour cela, je crois, qu'on ne retrouve pas, dans d'autres chartes, l'amendement suggéré par le député de Maisonneuve. C'est que nous retrouvons à l'article 9 l'ensemble des traits fondamentaux ou des caractéristiques qui sont essentielles, qui doivent être préservées chez les individus d'une façon essentielle, de façon à édifier une société. Ce sont ces traits qui sont soulignés dans les différentes chartes et ce sont ces traits aussi qui ont été soulignés dans le projet de loi qui nous est proposé.

Personnellement, je trouve que le projet d'amendement, la suggestion d'amendement du député de Maisonneuve, vient expliciter un mot qui s'appelle peut-être "sexe" et auquel sans doute, lorsqu'il sera question de discrimination, dans d'autres articles, puisqu'il en est question, on pourrait peut-être se référer. Sans doute, existe-t-il des cas de discrimination quant à l'orientation sexuelle, peut-être davantage dans le milieu de l'emploi et certainement dans le milieu du logement. En tout cas, j'ai eu quelques cas dans le milieu du logement. Cela ne veut pas dire que ces gens n'ont pas trouvé un logement ailleurs, mais il s'agit à ce moment non pas d'un trait fondamental à l'échelle des différents individus constituant une société, mais d'une caractéristique particulière. C'est pour cela qu'à mon avis, elle ne se situe pas certainement dans l'article 9, tel qu'il est conçu ici et tel qu'il est conçu dans d'autres chartes des droits de l'homme. Merci.

M, Burns: Puis-je poser une question au député? Est-ce que le député verrait un amendement comme celui-là ailleurs dans la loi?

M. Bonnier: Peut-être, je ne sais pas s'il y a possibilité de le mettre ailleurs.

M. Burns: C'est parce que votre dernière phrase dit: Vous ne voyez pas cette disposition dans l'article 9.

M. Bonnier: Je ne le vois pas dans l'article 9.

M. Burns: Est-ce que vous voyez ce texte ailleurs?

M. Bonnier: Pour vous dire bien franchement, je le comprends ailleurs. Est-ce que je le verrais textuellement ailleurs? Je le comprends très bien, quand je parle de discrimination, ce sont les différentes formes de discrimination. Dans d'autres articles, sans préciser... Je vais vous donner un exemple, supposons que j'aie un enfant qui a un trait caractéristique qui l'empêche d'avoir certains emplois, à cause de ses attitudes nerveuses ou à cause peut-être de son retardement mental ou quoi que ce soit. Je pense que ce n'est pas nécessaire dans l'article 9 de souligner tout ce qu'il peut y avoir de caractéristique qui exclut peut-être de certains emplois ou qui amène une certaine discrimination, mais, dans les articles où il est question de discrimination comme telle à la personne, je pense que la commission et probablement des tribunaux, lorsque ce sera le cas, pourraient, à mon avis, étant donné l'esprit que nous avons dans cette loi, interpréter dans les choses cet esprit.

M. Burns: Absolument, mais je demanderais à l'avocat en chef du Québec de nous dire s'il pense qu'avec le texte actuel, un homosexuel, qui est victime de discrimination, puisse s'adresser aux tribunaux. Est-ce que, décemment, vous seriez capable de me dire oui à cette commission, avec le texte actuel?

M. Morin: Sûrement pas.

M. Burns: Je ne pense pas. Si le ministre me dit non, je ne protesterai pas.

M. Bonnier: Je veux dire non pas simplement à l'article 9.

M. Choquette: C'est difficile de répondre à une telle question.

M. Burns: Je pense que non. Remarquez, je vous le dis bien honnêtement, je pense que non.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Taschereau a terminé?

M. Bonnier: Oui, je pense que je le comprends en substance dans d'autres articles, en particulier, quand on parle de l'emploi, à l'article 15.

M. Burns: L'emploi s'adresse à quel article, pensez-vous?

M. Bonnier: C'est à l'article 15, pour les questions d'emploi.

M. Burns: Oui, il s'adresse, au point de vue de la discrimination, à quel article?

M. Bonnier: On n'est pas pour le lire ici, mais...

M. Burns: Non, mais il ne s'adresserait pas par hasard à l'article 9?

M. Bonnier: Non. M. Burns: Non?

M. Bonnier: II n'y a pas de référence ici à l'article 9.

M. Burns: Non, mais où sont les cas...

M. Bonnier: L'article 9 est de portée très générale.

M. Burns: Où sont les cas de discrimination qui sont prohibés dans la loi?

M. Morin: Lisez le deuxième paragraphe de

l'article 9 et vous allez comprendre le joint entre les articles 9 et 15.

M. Burns: C'est cela.

M. Bonnier: Et à l'article 15.

M. Morin: L'article 15 porte sur une discrimination telle que définie à l'article 9, paragraphe I, en passant par le paragraphe 2. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction...

M. Burns: Exclusion ou préférence.

M. Morin: Exclusion ou préférence, c'est-à-dire prévue dans le paragraphe précédent.

M. Bonnier: Si vous lisez l'article 15, il n'y a pas de référence. Il dit: Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauchage, l'apprentissage, la formation.

M. Morin: Oui.

M. Bonnier: Je comprends que... M. Morin: Mais où est-ce défini cela? M. Bonnier: Aucune discrimination.

M. Burns: Saviez-vous qu'il y a une loi qui s'appelle la Loi de la discrimination dans l'emploi? Saviez-vous que cette loi existe et que cette loi ne parle pas de tous les cas prévus à l'article 9 et qu'entre autres, le cas de l'homosexualité n'est pas visé dans la Loi de discrimination dans l'emploi? Savez-vous que, toutes les fois où il y a eu des causes portées devant les tribunaux — il n'y en a pas eu souvent, mais il y en a eu quelques-unes et surtout sur la question de couleur — le tribunal s'est prononcé de façon très stricte, appuyant en cela d'ailleurs le ministre de la Justice, affirmant que les cas qui étaient manifestés et énoncés dans un texte comme celui-là étaient limitatifs. Les cas qui ont été portés devant les tribunaux — il y a eu de très rares cas — relativement à la condition sociale des gens ont été carrément rejetés, parce que la condition sociale n'était pas prévue dans cette loi. C'est aussi simple que cela. Vous allez avoir les mêmes problèmes relativement à la loi qu'on a adoptée, je pense, au mois de décembre dernier, relativement à la Loi concernant les relations entre locataires et locateurs et qui va également se poser, parce qu'on va tenter d'y donner une extension. Chaque fois qu'on va tenter d'y donner une extension, on va se faire dire du côté du tribunal et à raison fort probablement, avec beaucoup de raison du côté du tribunal: Ecoutez, on ne peut pas légiférer à la place du législateur, on est là pour appliquer une loi.

Or, dans la loi, le droit que vous réclamez ou, si vous voulez, la protection que vous réclamez n'est pas prévue. C'est ce qui va arriver aux gens qui vont se faire refuser de l'emploi, ou se faire congédier parce qu'ils sont homosexuels. C'est ce qui va arriver aux gens qui vont se faire refuser un logement parce qu'ils sont homosexuels. C'est ce qui va arriver, lorsqu'on va refuser l'accès à des places publiques à des homosexuels, parce que ce n'est pas prévu dans la loi, même s'ils ne font strictement rien d'illégal, simplement parce qu'ils sont homosexuels. C'est cela qui est grave, vous savez.

M. Bonnier: Oui, mais...

M. Burns: C'est là que la gravité commence. Moi, vous savez, si un homosexuel fait quelque chose d'illégal, je ne suis pas porté à aller le défendre, pas plus qu'un hétérosexuel qui fait quelque chose d'illégal. Je ne suis pas porté à aller le défendre, parce que c'est un hétérosexuel ou parce que c'est un homosexuel. Cela n'a rien à faire avec cela. Il pose un geste illégal. Cela, c'est une autre affaire. Mais qu'on refuse un droit fondamental, une liberté fondamentale à quelqu'un parce qu'il est hétérosexuel, ou parce qu'il est homosexuel, ou parce qu'il est blanc, ou parce qu'il est noir, c'est exactement la même chose. Exactement; c'est pareil, pareil.

Le Président (M. Lafrance): Alors, les membres de la commission sont prêts à se prononcer sur...

M. Burns: Non, M. le Président. J'attendais que le député de Taschereau finisse, parce que moi, comme je suis l'auteur de la motion, j'ai quelques...

Le Président (M. Lafrance): D'accord!

M. Burns:... petites remarques à faire; je vais les faire le plus brièvement possible.

Ce que je voudrais bien que la commission comprenne, que les membres de la commission comprennent — et, bon Dieu! je voudrais donc que vous compreniez cela — c'est que, au-delà et au-dessus de tous les sophismes qu'on peut faire autour de ce problème... De la même façon que le député de Beauce-Sud le dit, je ne dis pas problème dans le sens...

M. Sylvain: Dites donc Beauce-Nord, s'il vous plaît. Le député de Beauce-Nord est plus intéressé par les...

M. Burns: Excusez! Beauce-Nord.

M. Sylvain: ... questions sexuelles que le député de Beauce-Sud.

M. Burns: Oui, je m'excuse auprès du député de Beauce-Nord.

M. Sylvain: On ne mêle personne.

M. Burns: Je l'ai appelé le député de Beauce-Sud. Remarquez qu'il aurait dû en être flatté, mais cela, c'est une autre affaire.

Mais, de la façon que le député de Beauce-Nord le disait tout à l'heure, quand je parle de

problème, ce n'est pas un problème comme tel d'être homosexuel. C'est une chose qui existe. Bon! Cela, il va falloir qu'on le reconnaisse. Quand je parle du problème, c'est le problème qui nous confronte actuellement: Est-ce qu'on inclut ou non l'expression "orientation sexuelle" dans l'article 9?

Ce que je voudrais qu'on comprenne à la commission, parmi tous les membres, bien calmement, sans vouloir faire de pathos avec cela, c'est que ce qui est réclamé par mon amendement, ce n'est pas un droit à l'homosexualité. Ce n'est pas d'avoir droit à l'homosexualité que réclame mon amendement, c'est tout simplement le droit d'exercer les libertés fondamentales prévues pour toutes les personnes concernées dans la société. Ce n'est pas plus que cela.

On ne vous demande pas, dans le fond, de légaliser l'homosexualité, M. le ministre, c'est déjà fait.

M. Morin: Ou même d'approuver.

M. Burns: Vous n'avez même pas besoin d'approuver cela. C'est déjà fait. C'est le code criminel qui a réglé cette affaire. Ce n'est pas cela qu'on vous demande. S'il y a des pressions, je vous le demande en grâce, MM. les députés ministériels, s'il y a des pressions du côté de votre caucus, c'est une chose qu'il faudrait peut-être lui dire, ce n'est pas une légalisation de l'homosexualité que demande mon amendement. Il faut, tout simplement et à tête reposée, relire l'article 9.

L'article 9, qu'est-ce qu'il dit? Premier paragraphe: "Toute personne" — c'est tout le monde — "a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne." D'accord? C'est cela, l'énoncé de base de l'article 9, "sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, etc., etc." L'une des préférences, exclusions ou distinctions qu'on veut écarter, c'est l'orientation sexuelle.

Replaçons cela dans le contexte et relisons la première phrase. "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne". C'est seulement cela qu'on demande. Ce n'est pas une espèce de légalisation cachée de l'homosexualité.

Ce n'est plus un problème. C'est fait. Ce n'est plus un crime que d'être homosexuel au Canada. Ce n'est pas nous qui avons décidé cela. Même le ministre de la Justice, avec toute la bonne volonté qu'il pourrait avoir, ne peut même pas se vanter de cela. Ce n'est pas lui qui l'a fait. C'est le gouvernement fédéral qui l'a fait. C'est réglé.

Ce qu'on demande, c'est de prendre ce concept qui s'appelle la légalisation de l'homosexualité, évidemment, dans le cadre établi par la loi, et là, on pourra parler de la pédérastie, qui énerve bien du monde et tout cela, mais ça aussi, c'est prévu ailleurs, dans d'autres dispositions légales. C'est prévu dans la Loi de la protection de la jeunesse. C'est prévu dans la Loi de l'instruction publique. C'est également prévu dans le code criminel. Ce n'est pas ce qu'on demande d'amender. On demande simplement de reconnaître que, lors- qu'on dit "toute personne", cela veut dire aussi des homosexuels. Cela veut dire — et peut-être que le ministre de la Justice se protégeait contre le fait qu'éventuellement, il pourrait peut-être être visé par un tel article — qu'il pourrait l'être, le jour où on vivra dans un monde d'homosexuels. Vous savez que si l'orientation sexuelle n'est pas protégée, eh bien, vous, vous êtes hétérosexuel, cela se pourrait que les homosexuels — je raisonne par l'absurde, peut-être, vous allez me dire — se mettent à agir de façon discriminatoire à votre endroit.

Cela va aussi loin que cela. Vous allez peut-être dire: C'est une possibilité. Vous savez que, dans l'ancienne Rome, les hétérosexuels n'étaient pas majoritaires. Vous vous souvenez de cela? Ils n'étaient pas très majoritaires. Il se peut bien que cela arrive un bon jour. On ne sait pas. Je ne le sais pas et je ne suis pas prophète, mais je vous dis que l'orientation sexuelle vise autant les homosexuels que les hétérosexuels.

Je vais vous donner un cas qui pourrait arriver en 1975. Je suis, disons, hétérosexuel et je me présente dans une bâtisse où ce ne sont que des homosexuels, sauf que le propriétaire ne loue son appartement qu'à des homosexuels. Je pourrais facilement être victime de discrimination si on me refuse de louer cet appartement parce que, pour ma part, j'aime le site, l'endroit, le quartier, etc. C'est peut-être bizarre comme image. Je la pousse peut-être bien loin, mais cela veut dire ça quand même. Inversez le problème. Non. Je vous demande, une fois que vous avez constaté la bizarrerie, de l'inverser et de vous placer dans la position contraire.

M. Giasson: Vous aimez tout, sauf les occupants des lieux?

M. Burns: Les occupants ne sont pas mon problème. Quand vous vivez dans une grande ville, vous ne connaissez pas votre voisin de gauche et votre voisin de droite, à moins que le député ne me conteste cela. Je vis, depuis ma naissance, dans une grande ville. Non. Ne faites pas de farce avec cela, parce que je ne fais pas de farce. Le problème vous paraît peut-être bizarre de la façon que je l'expose.

M. Giasson: Cela ne me paraît pas bizarre.

M. Burns: Je vous demande seulement de l'inverser. Placez-vous dans la situation inverse. Pensez à être placé dans la situation inverse. Seulement cela.

M. Giasson: Je suis d'accord avec vous, si c'est entre adultes consentants, mais s'il fallait que les homosexuels décident que la formule de l'avenir, savoir ce système...

M. Burns: Ecoutez, mon cher député. Vous ne m'avez pas écouté.

M. Giasson: ... soit imposée à de tout jeunes citoyens, je ne suis pas d'accord avec vous.

M. Burns: Dois-je recommencer? Je pense que vous ne m'écoutiez pas à ce moment. Je pense que vous pensiez à autre chose quand j'ai dit, au début, que ce n'est pas un droit à l'homosexualité que nous demandons par notre amendement, que c'est tout simplement la reconnaissance qu'il y a des gens qui doivent être protégés, qui sont des homosexuels au Québec au même titre que les Noirs, au même titre que des gens qui sont péquistes, parce que les convictions politiques sont protégées, au même titre...

M. Giasson: Jusque là, d'accord.

M. Burns: Bon, jusque là, d'accord. Qu'est-ce que vous voulez? C'est cela que dit mon amendement.

M. Giasson: Jusque là, d'accord, mais comment...

M. Burns: Bon.

M. Giasson:... voulez-vous arrêter la situation, si un jour des homosexuels décidaient que l'avenir, c'est là que ça doit être?

M. Burns: C'est l'ensemble de la population qui va décider cela.

M. Morin: C'est cet article qui va protéger les gens qui veulent demeurer hétérosexuels.

M. Burns: Ce sont les hétérosexuels, à ce moment, qui vont être protégés...

M. Morin:... qui auront besoin d'être protégés. M. Burns:... imaginez-vous donc!

M. Morin: Je pense que le député commence à comprendre.

M. Burns: Vous commencez à comprendre, je pense.

M. Giasson: Je ne sais pas.

M. Brisson: M. le Président, est-ce que, dans la loi fédérale...

M. Burns: Je m'excuse, M. le Président...

M. Brisson: Vous n'aviez pas fini?

M. Burns:... c'est moi qui terminais le débat.

Le Président (M. Lafrance): La parole est au député de Maisonneuve et, par la suite...

M. Burns: Je suis bien prêt à entreprendre un débat avec tout le monde. Cela ne me fait rien. Je veux tout simplement que vous votiez pour ou que vous votiez contre l'amendement, que vous sachiez exactement ce pour quoi ou ce contre quoi vous votez. Le député de Montmagny-L'Islet vient de me prouver qu'il n'était pas sûr, même s'il n'a pas droit de vote, contre quoi il s'apprêtait à voter.

M. Giasson: Non. Je ne vote pas. De toute façon...

M. Burns: Je sais que vous ne votez pas. C'est pour cela que je vous dis que si vous aviez voté...

M. Giasson: Je suis prêt à comprendre l'amendement que vous proposez.

M. Burns: Seulement par la question que vous m'avez posée, vous ne saviez pas contre quoi vous vous apprêtiez à voter. Je répète, nous allons prendre le temps que cela va prendre, s'il le faut. Je répète... Pardon?

M. Choquette: Oui, professeur.

M. Burns: Ce ne sont pas des blagues. Je considère que c'est un droit fondamental. C'est dans votre loi et je vais vous le montrer tout à l'heure dans votre loi. Je vais vous le montrer tout de suite, si vous voulez. J'ai entendu le ministre de la Justice nous dire que de reconnaître ce fait, d'accepter mon amendement, serait de mettre — j'ai écrit verbatim les paroles du ministre — en péril le résultat global de la charte. J'ai entendu le ministre de la Justice nous dire que, si l'amendement du député de Maisonneuve était adopté, ce serait mettre en péril le résultat de la charte. Quel est le but de cette charte, M. le ministre? Avez-vous relu les notes explicatives de votre projet de loi? Cela vaudrait la peine que vous les relisiez. Entre autres, au deuxième paragraphe, on nous dit qu'au chapitre I de la partie I, sont énumérés dans des dispositions générales les libertés et droits fondamentaux de l'individu. Ce n'est pas pour faire plaisir à mon oncle ou à ma tante ou à qui que ce soit que nous sommes en train d'établir une charte. C'est pour rendre efficace la disposition qui apparaît à l'article 9 qui dit: "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne."

Il y a une de ces libertés — cela va choquer bien des gens — qui est d'être homosexuel ou hétérosexuel. Cela en est une. Ce n'est plus criminel que de penser contrairement à ce qu'on appelle la majorité. Bondance! Qu'on le reconnaisse au niveau civil comme on l'a reconnu au niveau criminel! C'est ce que nous faisons. Nous sommes en train d'établir une charte qui se dit pompeusement une charte des droits et libertés de la personne, qu'on aille au moins jusque là! Le statut de légitimité que le ministre allègue, je viens d'en parler, ce n'est pas nous qui le donnons, c'est déjà fait, dans certaines conditions. Vous vous souvenez de la fameuse expression qui est passée à l'histoire: Entre adultes consentants... etc. Le premier ministre du Canada s'est bien fait critiquer pour avoir fait cela. Je pense, au contraire, qu'il a eu du courage. Il a eu le courage de le faire et j'aimerais que le ministre de la Justice ait le même courage, à un autre niveau, de se faire critiquer pendant quelque

temps, peut-être, par des gens qui ne comprennent pas. Heureusement qu'aujourd'hui, cela se passe quelque dix ans plus tard, les oeillères sont un peu moins proches du front et il y a peut-être des gens qui regardent un peu plus large. Le chef de l'Opposition vous a cité des opinions. Ce n'était pas inutile qu'il le fasse. Il vous a cité des opinions et, j'en suis convaincu, personne ne s'imaginait qu'elles existaient. Imaginez-vous la série d'évê-ques et d'Eglises...

Oui, sauf que j'ai nettement l'impression que, lorsque le ministre nous dit qu'on parle de cas spécifiques ou de cas très restreints, il n'a pas tenu compte de ces opinions, il ne s'est pas rendu compte, entre autres, et les députés ministériels ne se sont pas rendu compte qu'actuellement, qu'on le veuille ou non, que cela nous fasse plaisir ou non, on est obligé de reconnaître que cela existe. C'est seulement cela que nous demandons, dans le fond.

Venons-en véritablement aux cas spéficiques du ministre. Vous connaissez le rapport Kinsey. C'est un rapport qui, au début des années soixante, à la fin des années cinquante, étudiait les habitudes sexuelles des Américains. Le rapport Kinsey, aussi critiqué qu'il ait pu l'être, en arrivait à la conclusion que 10% de la population était homosexuelle. Au Québec, si vous transposez ce chiffre, vous savez ce que cela donne? Cela fait 600,000 personnes. Il y a six millions de personnes au Québec, je pense, transposez ce chiffre, 10% font 600,000 personnes. Ce sont des cas isolés? Je vais même réduire mon chiffre. Il est possible que ce soit seulement la population adulte à laquelle s'applique cette statistique.

Vous en vouliez des statistiques, M. le député de Beauce-Nord, en voilà. Je réduis mes statistiques, les statistiques du rapport Kinsey, je dis que c'est seulement la population adulte, soit trois millions de personnes, à peu près celles qui ont le droit de vote, 18 ans et plus. Vous savez que ça donne encore 300,000 personnes, ça commence à être du monde. Ce ne sont pas des cas spécifiques, on ne légifère pas pour des cas isolés. Même si c'était moins que ça, à partir du moment où on pense que ça se situe entre 150,000 et 300,000 personnes, vous ne pensez pas que ça vaut la peine de légiférer pour des gens qui régulièrement, constamment, sont l'objet de discrimination?

J'aimerais vous citer d'autres statistiques.

M. Giasson: Pas tant que ça, vous dites que 300,000 personnes sont l'objet de discrimination?

M. Burns: Vous ferez vos calculs vous-même, prenez le chiffre de 150,000 à 300,000 et même à 600,000 si vous voulez, parce, que, si vous prenez le rapport Kinsey à la lettre, c'est 600,000 homosexuels qu'on a au Québec. D'accord?

M. Giasson: Entendons-nous sur 300,000 personnes. Ils ne sont pas tous des objets de discrimination.

M. Burns: Voulez-vous que je vous dise ceci, vous n'avez pas assisté à la commission parlementaire de la justice; il y a eu un témoignage véritablement sérieux là-dessus, en fait, deux qui se sont complétés, mais il y a eu un témoignage particulier, celui de M. Doré, qui représentait les associations homophiles au Québec. Lisez les Débats à la page B-453. Moi, je n'ai entendu personne dire à M. Doré et il n'y a personne qui m'a prouvé que M. Doré avait tort de dire ça jusqu'à maintenant.

M. Doré dit ceci: "On sait ce que la majorité en a pensé déjà — en parlant des gens qui sont homosexuels — mais toujours est-il que, malgré que cela ne paraisse pas à l'oeil nu, il y a 68% de l'ensemble des homosexuels qui ont déjà souffert de discrimination." C'est une enquête qui a été faite par M. Doré, il nous l'a dit en commission. Je continue la citation de M. Doré: "68% des homosexuels — cela n'a pas été contesté, personne ne m'a dit que ce n'était pas vrai, ce que M. Doré nous a dit — parmi les homosexuels visibles, la pointe de l'iceberg, c'est-à-dire ceux qui sont connus, c'est ce qu'il voulait dire, c'est comme ça que je l'ai compris, moi, étant en commission, c'est 86%. Résumons ces statistiques, vous en voulez des statistiques, M. le député de Beauce-Nord?

M. Sylvain: Oui.

M. Burns: Prenez le rapport Kinsey ou ne le prenez pas, je vous dis que ça se situe entre 150,000 et 300,000 homosexuels au Québec. Il y a 68% de ces gens qui se considèrent des objets de discrimination. Vous allez me dire: On va réduire le chiffre. Disons que vous me dites 600,000, 300,000 ou même 150,000, c'est trop, les recherches qui ont été faites, c'est qu'il y a 86% des homosexuels chez qui c'est visible, c'est-à-dire qu'ils se font reconnaître comme homosexuels. Ce n'est pas assez pour légiférer à leur sujet? Faites les calculs que vous voulez, vous arrivez autour de 100,000 tout le temps.

M. le Président, je pense qu'on devrait y penser très sérieusement avant de mettre de côté une disposition comme celle que je propose. Je voudrais simplement en terminant, je ne relèverai même pas — je fais une parenthèse là-dessus — le sophisme, parce que ce n'est rien d'autre que ça, du ministre de la Justice qui nous dit, d'une part, que c'est limitatif l'article 9, et que, d'autre part, ce n'est pas exhaustif, les dispositions de l'article 9. Je ne relèverai même pas ça, il me semble que c'est tellement évident que ça saute aux yeux.

Il me semble que si on est capable de dire à une motion faite par le chef de l'Opposition inscrivant le mot "notamment", soit dit en passant, je me suis aperçu de ça en lisant les notes explicatives, qu'il était dans les notes explicatives...

M. Choquette: Et alors, ce n'est pas la loi, les notes explicatives.

M. Burns: Non, je vous dis: Lisons tout sim-

plement encore une fois le même paragraphe que je vous ai lu tout à l'heure. Au chapitre premier de la partie I, sont énumérés, dans les dispositions générales, les libertés et droits fondamentaux de l'individu, notamment le droit à la vie, à la sûreté, l'intégrité physique, etc. Je suis bien d'accord.

M. Choquette: Là, l'emploi du mot "notamment" est très indiqué, parce qu'il indique un ordre d'idées...

M. Burns: D'accord, on admet ça... M. Choquette:... transposé.

M. Burns: ... mais, dans votre argumentation, vous nous avez dit que vous ne vouliez pas le mot "notamment".

M. Choquette: Non.

M. Burns: Vous ne le vouliez pas, parce que c'était limitatif, il fallait nécessairement que ce soit limitatif et nous avons dit: On prend acte de cette chose. Après ça, vous nous avez dit que ça n'était quand même pas exhaustif. J'aimerais, M. le ministre, que vous...

M. Choquette: Non, j'ai dit le contraire. J'ai dit: C'est exhaustif.

M. Burns: Ah! oui? Ce n'est pas ce que j'ai compris. Est-ce que le chef de l'Opposition a compris cela comme cela?

M. Morin: Oui. Il a dit: C'est limitatif, mais ce n'est pas exhaustif.

M. Choquette: Oui, j'ai dit: C'est exhaustif. M. Burns: Ah! bon.

M. Sylvain: Vous dites tout le temps la même chose. Vous ne pouvez pas comprendre des choses différentes.

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre!

M. Burns: C'est correct. On lira le journal des Débats et je vous assure que vous avez, à au moins trois reprises, dit: Ce n'est pas exhaustif. Ce n'est pas exhaustif.

M. Morin: Vous avez même dit: C'est limitatif, mais ce n'est pas exhaustif.

M. Choquette: Enfin, en admettant que je me serais mal exprimé, il me semble que c'est évident que c'est exhaustif.

M. Burns: D'accord. Parfait, M. le ministre. Nous sommes sur le bon terrain. Là, c'est exhaustif et c'est limitatif. Donc, quelque forme de discrimination que ce soit, qui n'est pas mentionnée à l'article 9, devient une forme de discrimination qui n'est pas prohibée par la loi.

M. Choquette: C'est évident. J'ai expliqué aussi qu'on ne pouvait pas énumérer tous les facteurs de discrimination qui pouvaient exister.

M. Burns: Donc, le phénomène d'homosexualité n'est pas protégé par la loi.

M. Choquette: C'est bien ce que j'ai dit.

M. Burns: M. le Président, il me semble qu'à ce moment-là, il va falloir prendre un autre argument du ministre de la Justice — et celui-là, je ne le traite même pas de sophistique ou de sophiste — mais j'ai l'impression que, maintenant que les faits sont rétablis, que c'est limitatif et exhaustif, cette énumération, il faut prendre le deuxxième argument du ministre, celui qui dit: Avez-vous remarqué qu'on a légiféré pour des cas généraux? Lisons-les les cas généraux, fondés sur la race.

Qu'on le veuille ou non, tout le monde n'est pas de la même race au Québec. Ce ne sont pas des cas généraux. La couleur; ce n'est pas pour les blancs qu'on légifère, vous savez. Ce ne sont pas les blancs qui sont l'objet de discrimination au Québec; c'est pour les noirs. Savez-vous quel est le pourcentage de noirs au Québec? Cela ne dépasse pas... je me lancerais sur le chiffre de 4%.

M. Morin: Même pas.

M. Burns: C'est moins que cela. Mais pour être sûr de ne pas charrier dans le mauvais sens, je vous dirais que cela ne dépasse pas 4%, les noirs.

Vous avez le père Dejean qui a dit que, dans certains quartiers à Montréal, et les quartiers sont bien identifiés, lorsque le chiffre de 4% est atteint, c'est là que commence à exister une forme de discrimination.

Donc, je ne me trompe pas si je dis que ce n'est pas 4% au Québec, les noirs. C'est quand même pour eux qu'on légifère présentement. C'est quand même aussi pour les Asiatiques. C'est quand même aussi pour les Indiens qui, eux, sont en proportion encore moindre.

M. Choquette: Additionnez.

M. Burns: Non, je n'additionne pas tout ce monde-là. Ce sont des cas individuels.

M. Choquette: Oui, mais...

M. Burns: Oui. Le sexe, que voulez-vous, tout le monde n'a pas le même sexe au Québec; heureusement d'ailleurs. L'état civil: tout le monde n'a pas le même état civil. Vous avez des célibataires, vous avez des mariés, vous avez des divorcés, vous avez des séparés...

M. Sylvain: Séparatiste!

M. Burns:... Vous avez des veufs et vous avez des prêtres, qui ont un état civil particulier.

On légifère pour toutes ces catégories de

gens. La religion: II y a quinze ans, ou même j'irais un peu plus loin que cela, il y a vingt ans, la religion ici, cela aurait été les gens qui n'en avaient pas qu'on aurait protégés.

Vous savez que, par votre texte, ce sont les gens qui en ont qu'on protège actuellement. C'est drôle comme les années changent et qu'il y a des variantes.

Mais, actuellement, vous ne me vendrez pas l'idée que tout le monde pratique une religion au Québec. Donc, c'est encore pour une certaine minorité.

Les convictions politiques: Regardez les chiffres des dernières élections: l'Union Nationale, 5%; les créditistes, près de 10%; les péquistes, près de 31%; les libéraux, près de 55%.

C'est tout ce monde-là, fractionné, chacun dans son groupe, qu'on protège. Ce n'est pas une généralité de libéraux et une généralité de gens du Parti québécois qu'on protège, ni encore une généralité de l'Union Nationale ou de créditistes. C'est individuellement chacun de ces groupes qu'on protège.

Continuons, M. le Président. La langue, Dieu sait qu'il y a des gens qui ne parlent pas non seulement la langue de la majorité, mais qui ne parlent même pas la langue de la minorité. Il y a des gens à Montréal qui ne parlent que le grec, qui ne parlent que le portugais. Vous légiférez quand même pour ces gens. Leur origine ethnique, leur origine nationale et sociale, vous protégez cela, mais vous ne protégez pas un minimum de 150,000, un maximum de 300,000, j'irais même plus loin si on prenait les chiffres du rapport Kin-sey, jusqu'à 600,000, vous ne protégez pas les 600,000 homosexuels du Québec.

Ils ont le droit, eux, d'être un objet de discrimination. Je vous demande, M. le Président, très sincèrement, de reconsidérer votre opinion. Je vous dis, M. le ministre, que vous ne vous rabaisserez pas, je vous le dis bien honnêtement, vous ne vous rabaisserez pas en acceptant mon amendement. Au contraire, vous allez vous grandir en l'acceptant.

Si l'expression ne vous va pas, si le ternie "orientation sexuelle" ne vous va pas, je vous en suggère un autre. Vous en ferez ce que vous voudrez. Je pense qu'il serait peut-être plus juste et plus français de parler d'affinité sexuelle. Si c'est cela qu'on doit dire, qu'on le dise. Je n'y ai pas d'objection. Je vais retirer ma motion si le ministre de la Justice est prêt à ajouter les mots "affinité sexuelle". A mon avis, cela va viser les mêmes buts, cela va atteindre les mêmes résultats, mais je pense qu'on n'a pas le droit, quand on parle d'une charte des droits et des libertés de la personne, d'ignorer cette partie importante de notre population. J'insiste sur les mots "notre population". Ce ne sont pas des gens qu'on met en marge de la société, ce sont des gens qui sont avec nous autres dans cette société actuelle du Québec. Pourquoi ne le reconnaît-on pas? Pourquoi se gêne-ton de dire que ce sont des gens de notre société? Ce ne sont pas des gens qu'on doit déjeter de notre société. Contrairement à ce que bien des gens pensent, ce ne sont pas des malades et ce ne sont pas des vicieux. Ce sont des gens qui ont tout simplement une orientation sexuelle différente de la majorité au Québec. Je pense qu'il faut le reconnaître dans un projet de loi aussi important que cela.

Le Président (M. Lamontagne): Le député de Beauce-Nord.

M. Sylvain: Le député de Maisonneuve utilisait un droit de réplique après son exposé, mais vous me permettrez une constatation, une considération qui pourrait être sous la forme interrogative aussi. Vous m'avez donné des chiffres, évidemment, qui vous avaient été fournis en commission parlementaire dans le cadre de ce rapport Kinsey.

M. Burns: Cela n'a pas été contesté.

M. Sylvain: II y a quand même quelque chose qui me frappe. Je vais me faire le Jos. Bleau de la rue. Je vais essayer de me situer comme les gens du comté de Beauce-Nord. Vous dites que, dans le bill omnibus, de toute façon, Trudeau a donné une reconnaissance criminelle...

M. Burns: Non, une reconnaissance que ce n'était plus criminel...

M. Sylvain: Une reconnaissance... M. Burns:... à certaines conditions.

M. Morin: Est-ce que Jos. Bleau est hétérosexuel ou homosexuel?

M. Sylvain: Jos. Bleau est hétérosexuel. Mais, encore, il comprend l'homosexuel.

M. Burns: II y a 10% des Jos. Bleau qui sont homosexuels, n'oubliez pas cela.

M. Sylvain: D'accord.

M. Burns: N'oubliez pas cela, même dans le comté de Beauce-Nord. Cela ne se résume pas à seulement un comté, l'homosexualité, n'oubliez pas cela. N'oubliez jamais cela.

M. Sylvain: II y a quand même cette reconnaissance de l'homosexualité, entre adultes consentants, qui a été donnée... Vous nous dites: On veut que ce soit une reconnaissance civile—ce sont vos mots de tantôt — par cette charte. D'autre part, il y aurait lieu peut-être, et c'est peut-être absurde de poser la question comme cela — de savoir, d'un autre côté si on inclut l'orientation sexuelle, la statistique de ceux qui, tant au niveau de l'emploi qu'au niveau du logement, ne veulent rien savoir de l'homosexualité. On a posé cet après-midi le principe à l'amendement de l'article que...

M. Burns: Je vous arrête tout de suite. Je vous ai cité les statistiques données par M. Doré à la

commission; il a dit que 66% des homosexuels qui ont été recensés, quant aux cas de discrimination dont ils étaient l'objet, ou plutôt que 68% se disaient victimes de discrimination, dans les cas les plus évidents, soit dans les cas d'emploi et dans les cas de logement.

M. Sylvain: Je sais, mais en incluant les mots "orientation sexuelle", de toute façon, nous donnerions effectivement la possibilité, à même cet article, à l'homosexuel de trouver un motif de discrimination dans le logement et dans l'emploi.

M. Burns: Pas le motif, il a déjà le motif. M. Sylvain: Non, un motif inscrit à l'article 9.

M. Burns: Oui, il a déjà des motifs de se plaindre de cela.

M. Sylvain: II a déjà les motifs, mais ce serait un motif légal.

M. Burns: Oui, c'est cela.

M. Morin: C'est-à-dire qu'on ferait en sorte qu'on ne puisse plus...

M. Sylvain: N'essayez pas de m'expliquer quelque chose que je comprends.

M. Morin: J'espère.

M. Burns: Vous n'en avez pas l'air.

M. Sylvain: Non, c'est vous qui demandez d'inclure le terme "orientation sexuelle"...

M. Burns: Oui.

M. Sylvain:... parce qu'il n'est pas inclus dans les motifs de discrimination dont on veut se plaindre. Cela lui donnerait un motif à l'intérieur du texte de loi. D'un autre côté, je reviens toujours à mon Jos Bleau, hétérosexuel lui, qui est propriétaire de logements ou employeur. S'il ne veut rien savoir d'un homosexuel dans le cadre de son entreprise ou de son logement...

M. Morin: Des noirs ou des francophones?

M. Sylvain: Oui, une minute. Vous venez d'inclure à l'intérieur...

M. Burns: S'il ne veut rien savoir des gens qui ont quatre enfants?

M. Sylvain: A mon sens, vous venez de faire plus de discrimination à l'endroit...

M. Bums: Vous l'avez déjà dans la loi pour les autres cas. Vous l'avez déjà dans la loi. Vous ne pouvez pas refuser votre logement à quelqu'un parce que c'est un noir. C'est déjà dans la loi, cela.

M. Sylvain: Peut-être que c'est...

M. Burns: Vous ne pouvez pas refuser votre logement à quelqu'un parce qu'il a quatre enfants et que vous ne voulez pas d'enfant.

M. Sylvain: Peut-être qu'un homosexuel, c'est un cas plus patent encore. Dans la mentalité des gens, peut-être que c'est un cas plus patent de discrimination, d'un motif de discrimination à son égard, du moins à ce qu'on peut constater. Si vous incluez orientation sexuelle à l'intérieur de cet article 9, qui nous dit que vous ne procurerez pas un motif de discrimination à l'égard de l'employeur et à l'égard du locateur d'appartement? On vient d'inscrire à l'article 6 — et le chef de l'Opposition cet après-midi l'a présentée — la jouissance paisible et la libre disposition de ses biens.

M. Burns: Dans la mesure où le permet la loi. M. Sylvain: C'est cela. M. Bums: C'est cela.

M. Sylvain: On critiquait justement... De ce côté, il y a des lois antérieures qui, à un moment donné, viennent contrecarrer le droit de propriété ou le droit d'user de ses biens comme on en dispose.

M. Burns:... incompatible.

M. Sylvain: Non, ce n'est pas incompatible. Je me demande si on avait réellement au niveau de révolution des mentalités sur ce problème en particulier, si à un moment donné... Inclure le terme "orientation sexuelle", la majorité de ceux qui seraient discriminés serait où?

M. Burns: Ce que vous n'avez pas l'air de comprendre, c'est que même si on inscrit cela, et même si on dit la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, etc., cela n'exempte pas toutes ces personnes de respecter les autres lois. Il faudrait qu'on comprenne cela. Je veux dire qu'un homosexuel qui entrerait dans un édifice n'a pas le droit de défoncer les murs, pas plus qu'un noir, pas plus qu'un musulman, et pas plus qu'un péquiste. Personne n'a le droit de faire cela. Il y a les autres lois qui continuent à exister. Seulement, ce qu'on ne veut pas, c'est l'inverse, c'est qu'on dise: Non, je ne te loue pas parce que tu es un musulman, parce que tu es un noir, parce que tu es un homosexuel. C'est cela, voyez-vous!

M. Sylvain: Non, mais dans la mentalité des gens...

M. Burns: Faites donc la distinction un peu. Cela dérange quoi au propriétaire qu'on lui dise: Tu es obligé de louer à cette personne, parce que tu ne peux pas refuser à cette personne parce qu'elle est homosexuelle?

M. Sylvain: De toute façon, vis-à-vis de la mentalité...

M. Burns: Cela dérange quoi, si cette personne remplit toutes les autres obligations? Cela dérange qui?

M. Sylvain: Je vais vous laisser parler un petit bout.

M. Burns: Bon.

M. Sylvain: C'est parce que vis-à-vis des autres problèmes qui seront créés par la race, la couleur, l'état civil, la religion, etc., je veux dire que la mentalité des gens est pas mal plus ouverte là-dessus. Quand on me dit que c'était la reconnaissance par le bill omnibus entre deux adultes consentants, c'étaient deux adultes consentants quant à moi. Dans la reconnaissance du principe de l'orientation sexuelle à l'intérieur de l'article 9, vous avez affaire à un adulte qui est un adulte consentant et l'autre qui est un adulte qui n'est pas un adulte consentant dans le terme de l'arrangement ou du contrat qui pourrait se conclure entre les deux. Je vous dis cela à l'intérieur de la mentalité qui existe au Québec vis-à-vis de l'homosexualité et qui n'existe pas vis-à-vis d'autres ordres de problèmes.

M. Burns: L'homosexuel qui s'en va louer chez un locateur, ne lui demande pas de coucher avec lui, il demande de louer un appartement.

M. Sylvain: C'est juste, mais si le locateur ne veut rien savoir, dans le cadre d'un contrat de louage ou de location, vous allez restreindre le locateur. Il va se trouver discriminé.

M. Burns: Oui.

M. Sylvain: II va se trouver discriminé. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait plus de locateurs ou d'employeurs qui seraient discriminés en incluant cela, qu'il y aurait d'homosexuels? J'ai bien l'impression que si on faisait une statistique au Québec sur des pourcentages...

M. Burns: C'est bien dommage, mais si vous avez un homosexuel qui travaille pour moi et qui fait son travail comme il le faut, ou elle fait son travail... Parce qu'il y a aussi des femmes, on pense toujours aux hommes, il y a des femmes aussi qui sont homosexuelles; le mot, au cas où vous ne le sauriez pas, s'applique aux deux. Qu'une femme ou un homme soit homosexuel et qu'il travaille pour moi et qu'il fasse son travail, en quoi ai-je le droit de me plaindre qu'il soit homosexuel?

M. Sylvain: Ah! vous êtes correct...

M. Burns: En quoi ai-je le droit de me plaindre? C'est cela le problème.

M. Sylvain: II est non seulement probable... M. Burns: C'est cela, le problème.

M. Sylvain: Je dis la même chose...

M. Burns: C'est cela qu'on vous demande de reconnaître. Ce n'est pas plus que cela.

M. Sylvain: ... mais je parle du cadre de l'évolution des mentalités. C'est ce dont je parle au sujet du problème de l'homosexualité.

M. Morin: On vous demande d'aider l'évolution des mentalités en adoptant cet amendement. Cela va aider. Cela va servir à éduquer, aussi, les gens, peu à peu. Je ne crois pas que cela...

M. Sylvain: Non, c'est une question que je me pose. Quel groupe ou à quel pourcentage on discrimine d'un côté ou de l'autre?

M. Burns: S'il y a un cas... Vraiment, je vous demande d'y penser, le député de Beauce-Nord. S'il y a un cas, où l'Assemblée nationale peut, de façon très constructive, faire avancer un certain nombre d'idées au Québec, c'est bien celui-ci. Je ne vous dis pas qu'il faut dire et que le ministre de la Justice doit, demain, faire passer des annonces partout vite, il faut que tout le monde devienne homosexuel. Ce n'est pas cela que je vous demande, et ce n'est pas cela que les associations homophiles sont venues nous dire, non plus. Elles veulent tout simplement avoir la paix et agir comme une personne humaine, sans distinction, eu égard à un certain nombre de choses, et entre autres, en ce qui les concerne, leurs affinités sexuelles. C'est tout. C'est cela qu'on demande.

M. Sylvain: C'est parce qu'il faut comprendre que c'est dans le cadre d'une discussion. Quand le ministre de la Justice disait, tout à l'heure, qu'il ne voulait pas, à l'intérieur de deux mots, risquer peut-être la Charte des droits de l'homme, on peut le comprendre de cette façon. Eu égard à la mentalité existante, dans des cas particuliers, tels le logement, l'emploi, avec l'inclusion des termes "orientation sexuelle", en donnant des pouvoirs coercitifs à une commission qui enquêterait, etc., je me demande, à la fin, dans le cadre où on se situe, dans les mentalités au Québec, à l'heure actuelle — je ne veux pas me prendre comme exemple particulier, je vous ai dit que je parlais pour Jos Bleau — si ces dispositions, à l'intérieur de l'article 9, ne viendraient pas créer, au point de vue des pourcentages et des nombres de personnes, des cas discriminatoires d'un autre côté, où le gouvernement, pour une fois, serait encore plus blâmé que de ne pas avoir légiféré dans le cas de l'homosexualité.

M. Burns: Est-ce que vous avez déjà vu, le député de Beauce-Nord, une minorité faire de la discrimination à l'endroit d'une majorité? Avez-vous déjà vu cela, vous? Parce que dans le fond, c'est la minorité qu'on essaie de protéger.

M. Sylvain: Je n'ai jamais vu de minorité... mais j'ai vu des gouvernements faire des lois discriminatoires...

M. Burns: ... une minorité?

M. Sylvain: ... à l'endroit des minorités et, quelquefois, à l'endroit des majorités. C'est aussi surprenant que cela.

M. Choquette: M. le Président, puis-je prendre la parole?

Le Président (M. Lafrance): Oui.

M. Choquette: M. le Président, je souscris à ce que dit le député de Beauce-Nord. Je pense que l'état de réceptivité de la population en général est un facteur très important que le gouvernement doit considérer à l'occasion de l'étude d'une proposition comme celle qui est faite par le député de Maisonneuve. Si on est pour créer plus de résistance à l'adoption de la charte, à son rôle pédagogique, aux principes qui sont proposés dans la charte, à ce moment, on risque d'avoir des résultats qui sont contraires à ceux qu'on espère. Donc, je pense que cela prend une certaine dose de réalisme, que le député de Beauce-Nord manifeste.

Maintenant, le député de Maisonneuve a beau tenter de trouver des sophismes dans mon point de vue. Moi, j'en trouve dans le sien.

Le député de Maisonneuve nous a dit que les amendements apportés en 1969 au code criminel, qui avaient "décriminalisé" des activités homosexuelles entre adultes consentants, ont autorisé ces activités. Je ne pense pas, M. le Président, qu'on puisse aller jusqu'au point où va le député de Maisonneuve.

M. Burns: Bien oui, mais...

M. Choquette: Elles ne sont pas interdites par le code criminel, et je pense qu'elle était très justifiée, cette mesure mais cela ne veut pas dire qu'à l'occasion d'une loi qui portera le nom de charte des droits et libertés de la personne, on doive entériner ou donner un consentement législatif implicite à ces choses. C'est la raison pour laquelle il faut, quand même, ne pas exclusivement examiner la charte sous son aspect antidiscriminatoire. Je veux bien comprendre que la charte a une fonction antidiscriminatoire, une fonction, d'ailleurs, importante à ce point de vue, mais elle tente également, d'une certaine façon, de faire un peu la synthèse de la société actuelle

Je ne pense pas qu'il incombe au législateur, à ce moment-ci, d'aller implicitement conférer un statut de légitimité à l'orientation sexuelle comprise dans le sens de l'homosexualité, etc.

M. Burns: Le ministre me permet-il une question?

M. Choquette: N'oublions pas, M. le Président, que la charte a un rôle pédagogique. Cet après-midi, à quelques reprises, le chef de l'Opposition a mentionné cet aspect. Si la charte doit avoir un rôle pédagogique, je ne crois pas, du moins dans l'état actuel des choses et pour les dif- férents arguments que j'ai mentionnés, que nous devions nous sentir l'obligation de proscrire, d'une façon absolue, la discrimination pour le motif en question.

Je comprends que la question est assez ténue à résoudre parce que s'il est vrai qu'on peut ressentir de la sympathie pour des cas de discrimination particuliers qui peuvent se produire, autant dans le travail que dans le logement... Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas pour moi ou pour les membres du gouvernement d'une question d'animosité et qu'il ne s'agit pas d'un refus de comprendre, mais il faut quand même prendre en considération les aspects plus généraux qui débordent le cadre des cas particuliers...

M. Burns: Puis-je vous poser une question, M. le Ministre?

M. Choquette: ... de discrimination.

M. Burns: Elle est essentielle. Je m'excuse.

M. Choquette: Vous poserez la question après...

M. Burns: Non. Je ne veux pas vous interrompre longtemps, mais c'est parce que vous avez touché à ce point.

M. Choquette: Vous m'interrompez souvent.

M. Burns: Non. C'est la première fois depuis que vous parlez...

M. Choquette: Oui.

M. Burns: ... c'est-à-dire aujourd'hui, ce soir.

M. Choquette: D'accord. Très bien.

M. Burns: Peut-on admettre, entre nous, que la loi qui s'intitule la charte des droits et libertés de la personne n'est pas nécessairement la charte des droits et libertés de la majorité, mais que ce sont des personnes qui sont, habituellement, des minorités qu'on veut protéger par une telle charte?

M. Choquette: Oui, mais il faut... M. Burns: Peut-on admettre cela?

M. Choquette: On peut très bien admettre cela et même partir de ce point de vue; mais encore faut-il que la charte soit acceptable à la majorité, que la charte ne représente pas, en somme, un changement...

M. Burns: Ce n'est pas grave.

M. Choquette:... trop radical dans les croyances de la majorité, que la charte puisse s'adapter à la situation qui prévaut à l'heure actuelle et s'adapter à son rôle pédagogique que nous avons voulu y inscrire.

M. Burns: Mais le... rôle...

M. Choquette: Je ne ferme pas d'une façon irrémédiable la porte à une évolution de ce côté. On ne sait pas ce qui peut se passer au cours des années qui vont venir. Je pense que, possiblement, la commission, si elle le juge opportun, pourra faire des recommandations à l'occasion d'un rapport annuel ou autrement sur le problème en question. Elle pourra l'analyser, le peser, donner le pour et le contre et prendre en considération autant les arguments qui ont été mis de l'avant par le député de Maisonneuve et son collègue du point de vue des cas particuliers d'individus qui subissent la discrimination pour ce motif et à ce point de vue, on peut, sur un plan humain, abonder dans ce sens; je ne le nie pas du tout; mais au moment où on légifère, on pose un acte à caractère public qui est de nature à influer sur le progrès de la société et l'évolution de la société' Personnellement, je ne crois pas que l'évolution commande de plus en plus, comme l'a laissé soupçonner ou l'a indiqué le député de Maisonneuve... que de plus en plus, il se crée une majorité homosexuelle.

Donc, cette charte sera appelée, principalement, à servir à l'éducation dans les écoles. Je pense que c'est un des premiers endroits où la charte devra accomplir sa fonction pédagogique. Pour le moment, compte tenu de la mentalité qui prévaut, en général, au Québec, je crois que cela serait un geste qui serait contraire aux meilleurs intérêts "de la société et qui serait contraire au résultat désiré par la charte. Mais je ne m'arroge pas le droit de porter un jugement définitif et absolu sur une question comme celle-là. Je suis sensible aux arguments qui ont été soulevés par nos collègues de l'Opposition ainsi que par les prises de position qui ont été celles des organismes dont nous a fait l'énumération le chef de l'Opposition.

C'est la raison pour laquelle, dans l'avenir, on pourra juger si un tel amendement pourra être compatible avec le reste de la charte. Pour le moment, je ne peux, pour ma part, voter en faveur de cet amendement.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Maisonneuve.

M. Burns: Merci, M. le Président. N'est-il pas exact, M. le ministre, que le Conseil consultatif de la justice vous a donné un avis favorable à un tel amendement?

M. Choquette: Je n'ai pas entendu parler de cet avis. J'ai été des plus surpris de voir le nom du conseil consultatif mentionné parmi les organismes qui avaient donné un acquiescement. Je n'ai jamais entendu dire que le conseil consultatif ait adopté une résolution formelle appuyant cette proposition. C'est la raison pour laquelle j'ai quelques doutes, non pas sur l'honnêteté et l'intégrité de ceux qui ont présenté ces lettres, mais je me demande si on n'a pas obtenu des acquiescements d'une façon assez sommaire pour pouvoir affirmer que le conseil consultatif s'est prononcé favorablement.

M. Burns: Ce que le chef de l'Opposition...

Le Président (M. Lafrance): Je regrette...

M. Choquette: M. Jean Moisan vous aurait donné un appui?

Une Voix: ...

M. Choquette: Ecoutez, peut-être que M. Moisan a droit à son avis personnel, s'il vous a exprimé son avis personnel. Mais, M. Moisan ne lie pas le conseil consultatif et je n'ai jamais entendu parler d'une résolution qui ait été adoptée par le conseil pour approuver cette proposition.

M. Burns: Mais les lettres que le chef de l'Opposition vous a lues, tout à l'heure, sont devant nous. Si vous voulez les vérifier.

M. Choquette: Les lettres, vous savez, c'est comme les témoins dans une cause, on peut additionner les témoins, s'ils ont tous tort, ils ont tous tort. S'il y en a un qui a raison c'est lui qui a raison contre les autres. C'est la raison pour laquelle, sans mettre en doute la valeur des organismes en question, pour moi ils ne me...

M. Morin: Ils ont tous tort.

M. Choquette: ... convainquent pas, à l'heure actuelle, qu'il soit opportun de donner suite à votre proposition.

M. Burns: Vous ne trouvez pas qu'ils représentent une couche importante de la population?

M. Choquette: Oui.

M. Burns: Justement, ce qui semble vous préoccuper le plus...

M. Choquette: Ce n'est pas cet...

M. Burns: Dans le fond, ce que vous voudriez, M. le ministre, c'est un référendum parmi tous les hétérosexuels où une majorité d'hétérosexuels...

M. Choquette: Non.

M. Burns: ... qui diraient: On est d'accord que vous incluiez cela.

M. Choquette: Pas nécessairement. Je pense que c'est une question...

M. Burns: Votre raisonnement, c'est cela.

M. Choquette: Non, ce n'est pas cela. Je pense que le député de Maisonneuve caricature un peu. Cela n'est pas cela. Il s'agit de peser le pour et le contre, de prendre, enfin, les arguments qui nous sont proposés dans toutes leurs dimensions. Cornme je l'ai dit, je ne dis pas que les arguments mis de l'avant sont sans valeur parce qu'il existe certainement des circonstances particulières où des homosexuels sont victimes de faits discriminatoires. Mais l'implication d'adopter le principe, au niveau de

la charte, emporte une collaboration particulière, une vision particulière de la société. Pour ma part, je ne suis pas prêt, du moins dans l'état actuel des choses, à poser le geste qui nous est demandé.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Jeanne-Mance avait demandé la parole il y a quelque temps.

M. Brisson: J'avais une question à poser au député de Maisonneuve, et, dans ses répliques, le ministre y a répondu.

Le Président (M. Lafrance): D'accord. Les membres de la commission sont prêts à se prononcer sur l'amendement proposé par le député de Maisonneuve.

M. Burns: C'est cela.

Le Président (M. Lafrance): Que ceux qui sont pour l'amendement du député de Maisonneuve lèvent la main.

M. Burns: Voulez-vous nommer les députés, s'il vous plaît, pour être bien sûr qu'ils sont membres?

Le Président (M. Lafrance): Ceux qui sont membres. Vous voulez dire des deux...

M. Burns: Nommez les députés qui ont la main levée.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Sauvé et le député de Maisonneuve sont en faveur. Ceux qui sont contre?

M. Burns: Voulez-vous nommer les députés, M. le Président, pour être sûr qu'ils sont membres?

Le Président (M. Lafrance): Le ministre de la Justice, M. Desjardins, M. Sylvain, M. Pagé, M. Springate, M. Brisson. Six contre. Deux en faveur. La motion est rejetée.

Article 9, adopté.

M. Morin: Sur division, M. le Président. Le Président (M. Lafrance): Sur division. M. Burns: Vous n'aviez pas autre chose? Handicapés

M. Morin: Attendez une seconde, on aurait peut-être... Oui, je m'excuse, j'ai un autre amendement à vous soumettre, M. le Président. J'en ai même deux. Le premier consiste à ajouter après les mots "la religion" les mots suivants "les aptitudes physiques". En effet, M. le Président, dans le mémoire qui nous a été soumis par les personnes handicapées sur le plan physique, on a fait état des discriminations dont sont souvent l'objet ces personnes. On nous a dit que très souvent ils avaient des difficultés dans le domaine du logement, dans le domaine de l'emploi.

Bien sûr, dans le domaine de l'emploi, si une personne est handicapée physiquement au point de ne pouvoir exécuter la tâche qu'on attend d'elle, ce n'est pas un motif de discrimination et un employeur n'est pas forcé d'engager une personne qui, physiquement, n'est pas apte à remplir la tâche qui lui est assignée. Mais, il arrive qu'un employeur refuse un emploi à une personne qui est handicapée physiquement, bien que celle-ci soit parfaitement apte à exécuter le travail.

Mais parce que cette personne est handicapée, peut-être parce qu'elle se déplace en chaise roulante, on va lui refuser un emploi ou on va lui refuser un logement à cause de cela.

M. le Président, je me permets de vous citer en particulier un extrait d'une déclaration M. Ga-dreau devant cette même commission permanente de la justice, le 23 janvier dernier il parlait au nom de l'Association de paralysie cérébrale du Québec. "Pour lui accorder des chances égales, disait-il, il faut qu'on lui accorde les moyens particuliers dont il a besoin, lui, pour réaliser ses aspirations d'être humain. Comme tout être humain, il aspire à vivre dans une société à laquelle il apporte sa contribution en donnant le meilleur de lui-même. Pour qu'il puisse développer ses capacités au maximum, la société doit, comme elle le fait pour tout le monde, lui ouvrir la voie vers le marché du travail en lui donnant accès, d'abord, à l'éducation, plutôt que de le confiner à un rôle dégradant de parasite de la société. Pour qu'il puisse s'instruire, on doit permettre à l'enfant handicapé d'apprendre selon son rythme et aussi lui donner les instruments nécessaires à son apprentissage, que ce soit pour avoir accès à la connaissance, pour ceux qui ont des difficultés de perception, ou encore pour s'exprimer librement, pour ceux qui ne peuvent écrire ou qui ont des difficultés d'élocution, exactement comme on fournit aux enfants qu'on dit "normaux," des crayons et des livres."

M. le Président, pour ces raisons et pour d'autres que je pourrais invoquer, mais je ne veux pas, étant donné le nombre d'articles qu'il nous reste à parcourir, m'éterniser sur ce débat, je propose que nous ajoutions, après les mots "la religion", les mots "les aptitudes physiques" dans l'article 9, de sorte que toute personne aurait droit à la reconnaissance en pleine égalité de ses droits et libertés de la personne, sans distinction fondée sur les aptitudes physiques.

Le Président (M. Lafrance): Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. le Président, il va falloir refuser la proposition du chef de l'Opposition, car les termes "les aptitudes physiques" sont des termes tellement généraux qu'ils peuvent désigner l'aptitude à remplir un emploi ou une fonction et il me semble qu'il est élémentaire que l'employeur ait le droit d'exiger que la personne qui postule un emploi ait les aptitudes physiques voulues pour le remplir, à tel point que l'article 19 fait une exception aux dispositions antidiscriminatoires de la

charte sous le chef et pour la raison que l'aptitude à remplir un emploi demeure une condition fondamentale...

M. Morin: C'est ce que je viens de dire.

M. Choquette: Oui, mais vous dites... Si on l'inscrit comme un absolu dans l'article 9, on arrive en contradiction avec l'article 19, ce qui serait un résultat assez étrange d'avoir deux articles qui seraient contradictoires.

M. Morin: Ce n'est pas une contradiction, l'un nuance l'autre.

M. Choquette: D'ailleurs, M. le Président, j'attire l'attention du chef de l'Opposition sur l'article 46 qui propose certaines dispositions pour les personnes atteintes d'une infirmité ou souffrant d'une déficience ou d'une maladie mentale. Cet article a été introduit justement à la suite des représentations qui nous ont été faites par les représentants des handicapés, soit mentaux ou physiques, auxquels nous avons pensé qu'il fallait donner une protection dans la mesure où cela était possible sur le plan législatif.

Maintenant, il va de soi que nous n'affirmons pas que l'article 46 donne une protection absolue aux handicapés physiques ou mentaux. Il faudra que les travaux se poursuivent dans ce domaine, de façon à donner des protections plus spécifiques et plus adéquates aux différents groupes de handicapés.

J'espère, M. le Président, qu'il sera possible au gouvernement de déposer d'ici la fin des travaux parlementaires une loi qui, justement, tentera d'éviter la discrimination à l'égard des aveugles, mais ceci dans une loi spécifique et qui leur est particulière, en permettant aux aveugles d'avoir accès aux lieux publics,lorsque accompagnés de chiens guides et, par conséquent, de ne pas se voir refuser l'entrée dans des endroits publics, parce que, étant donné leur cécité, ils sont accompagnés de chiens qui servent à les guider.

Donc, M. le Président, je considère que l'amendement proposé par le chef de l'Opposition dépasse vraiment le cadre de la charte et qu'il serait de nature à introduire énormément d'ambiguïté et de confusion quant aux qualités qui peuvent être exigées de personnes pour remplir des emplois, et ceci nonobstant les autres dispositions de la charte visant à la protection des handicapés ou d'autres lois particulières à venir qui viseront à leur donner protection, au moins dans une certaine mesure dans leurs activités.

M. Morin: M. le Président, j'avais prévu expressément, dans le court exposé que j'ai fait, les arguments que m'a servis le ministre pour contrer la proposition que j'ai faite.

J'ai pris soin de dire clairement qu'un employeur, pour des motifs valables, notamment parce que la personne handicapée physiquement ne peut exécuter convenablement la tâche qu'il attend d'elle, peut refuser de l'employer. Ce n'est pas de cela qu'il est question.

Ce dont il est question, c'est une situation comme celle-ci. Une personne apte à faire un travail de bureau se présente et postule un emploi. Ce travail de bureau, elle a toutes les aptitudes pour le faire, pour l'exécuter proprement. Beaucoup de handicapés physiques sont des personnes fort intelligentes.

Elle répond en tous points à la description de tâche qui est fournie par l'employeur. Mais elle se présente assise dans une chaise roulante. On lui refuse l'emploi pour cette seule raison, étant donné que cela peut créer des inconvénients, étant donné qu'il n'y en a pas dans le bureau, étant donné que ceci ou cela.

C'est cela que vise l'amendement que j'ai proposé tout à l'heure, en ajoutant les mots "aptitude physique" dans l'article 9. Si le ministre veut bien me dire comment on peut éviter des cas de discrimination comme celui-là, s'il veut bien me dire comment il va empêcher un employeur d'embaucher une personne qui se présente en chaise roulante, par exemple, ou encore à une personne de louer un appartement à une personne handicapée sur le plan physique, parce qu'elle est handicapée sur le plan physique, s'il veut bien me dire comment on va prendre la défense de ces personnes et leur assurer des droits égaux, je retirerai mon amendement.

M. Choquette: C'est parce que les termes "aptitude physique" sont tenements généraux que cela ouvrirait la porte à une foule de contestations pour déterminer si, en l'occurrence, dans des cas particuliers, il y avait ou il n'y avait pas d'aptitude physique pour remplir l'emploi.

On peut très bien admettre une personne qui est en parfait état de santé. Mais une certaine fonction requiert plus de force que cela n'est requis habituellement et l'employeur pourrait dire: A mon sens, vous n'avez pas l'aptitude physique pour remplir l'emploi.

Cela ouvrirait la porte à toutes sortes de contestations qui seraient sans limite. C'est la raison pour laquelle je pense que le terme est tellement vague, tellement général qu'on ne peut pas vraiment le circonscrire d'une façon suffisamment précise pour en faire un motif de discrimination qui serait prohibé.

Il faut ajouter à cela qu'il faudra probablement viser à des lois sectorielles à l'égard des différents types de handicapés physiques qui intéressent le chef de l'Opposition,

Qu'on prenne des aveugles, qu'on prenne des sourds, qu'on prenne des gens qui n'ont pas l'usage d'un membre, il faudra, par conséquent, faire des études sur des lois qui seraient sectorielles et qui permettraient à ces gens d'accéder, dans la plus large mesure possible, à l'égalité, malgré que leur handicap physique puisse comporter l'incapacité de remplir au moins un certain type d'emploi.

Je pense que, pour le moment, les études n'ont pas été poursuivies avec suffisamment d'approfondissement pour qu'on puisse dire, d'une façon catégorique et absolue, que les aptitudes physiques ne sont pas un motif de discrimination, sur-

tout dans un texte d'une portée aussi générale que celle de l'article 9. Ceci ne veut pas dire que l'idée qui était au fond de la proposition du chef de l'Opposition n'est pas intéressante. Je crois que, justement, le ministère des Affaires sociales a fait préparer un rapport important sur la question, qui s'appelle le rapport Girard et qui traite des différentes catégories de handicapés physiques, avec un certain nombre de recommandations qui pourraient être adoptées à leur égard. Mais le mettre au rang d'un principe absolu qu'on ne doive pas tenir compte des aptitudes physiques, à mon sens, on risque d'embourber la charte d'une notion qui est vraiment trop générale.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Sauvé.

M. Morin: M. le Président, le ministre nous dit que cette expression peut donner lieu à de nombreuses contestations, mais s'il s'en remet à l'expérience de la Commission des droits de l'homme de l'Ontario, il est certain que toutes les expressions utilisées ici vont donner lieu à des interprétations difficiles et à des cas limites. Qu'il s'agisse de la race, de la couleur, du sexe, de l'état civil, de la religion, il se rendra compte, s'il étudie les nombreux cas qui ont fait l'objet d'enquêtes par la Commission des droits de l'homme de l'Ontario, que tous ces mots, toutes ces expressions donnent lieu à des difficultés d'interprétation et que les cas limites sont nombreux.

Je ne me rends pas à son argument. Si les aptitudes physiques lui paraissent une expression qui n'est pas suffisamment précise, parlons des conditions physiques ou alors, parlons de handicaps physiques — c'est peut-être encore plus précis — de façon à protéger ces personnes, lorsqu'elles postulent un emploi ou lorsqu'elles veulent obtenir un logement.

A l'heure actuelle, il n'y a aucune protection pour ces personnes. Le résultat, c'est qu'elles sont littéralement rejetées de la société, tant dans l'emploi que dans le logement.

M. Choquette: Evidemment, il n'y a pas de doute qu'un certain nombre de ces termes qui sont mentionnés déjà à l'article 9, lorsqu'ils seront appliqués à des cas particuliers, vont ouvrir des portes à des débats d'interprétation. Nous nous y attendons bien. C'est généralement le sort des textes juridiques qui ont une portée aussi générale qu'une charte des droits de l'homme, que d'ouvrir la porte à de nombreuses contestations sur leur interprétation. C'est la raison pour laquelle il faut vraiment rechercher comme objectif d'être relativement spécifique, de s'exprimer avec beaucoup de clarté et de savoir ce que l'on entend couvrir par les termes que l'on emploie. Ceci, toujours en admettant, évidemment, qu'il y aura toujours des plaideurs qui vont arriver et qui vont trouver des cas qui sont à la marge et qui vont tenter de justifier qu'ils sont couverts par des dispositions antidiscriminatoires.

J'ai l'impression qu'aller introduire l'idée de handicap ou l'idée d'aptitude physique comme conférant un droit à l'égalité absolue, quelles que soient justement ces aptitudes physiques, cela peut vraiment ouvrir les vannes d'une façon inconsidérée, avec un nombre formidable de litiges qui s'ensuivraient, sans qu'on puisse calculer, au moment où on se place, c'est-à-dire à l'heure actuelle, les conséquences sur telle et telle classe de handicapés physiques, mentaux ou autrement.

Je pense que, pour le moment, il n'est pas possible d'aller jusqu'au point où le chef de l'Opposition cherche à nous amener.

Mais cela ne veut pas dire qu'après des études suffisantes sur le problème, on ne pourra pas proposer des amendements qui, justement, chercheraient à rétablir, au moins dans la mesure du possible, compte tenu des inaptitudes physiques ou des problèmes des handicapés, la possibilité de gagner leur existence d'une façon normale.

M. Sylvain: C'est trop large.

M. Morin: Le ministre est plein de bonnes intentions pour l'avenir, mais c'est maintenant qu'il faut procéder à la protection de ces gens. De toute façon, je me rends compte que je me heurte à un mur sur ce plan et je ne vais pas reprendre une fois de plus les arguments. Je veux bien qu'on passe au vote sur la question.

Le Président (M. Lafrance): Le député de Beauce-Nord.

M. Sylvain: Avant de voter et sans retarder la prise du vote sur cet amendement, le chef de l'Opposition, par ses dernières paroles, fait sans doute beaucoup de peine à ceux qui travaillent dans les milieux des centres d'ateliers indépendants pour handicapés physiques. Je pense à celui de La Chaudière qui, notamment, passe une centaine de handicapés physiques par année et réussit à en placer 60 ou 65, selon les statistiques de 1974. Pour expliquer le vote contre cette motion d'amendement du député de Beauce-Nord, je veux dire simplement que, comme le ministre, les termes en sont trop généralisés. De toute façon, avec des lois sectorielles et des règlements venant des différents ministères, nous n'avons qu'à penser en particulier à toutes les démarches des associations de handicapés physiques du Québec pour demander au gouvernement l'accès aux services et aux édifices publics. Le ministère des Affaires sociales, en outre, est en train de préparer des règlements pour exiger des normes de construction avec rampes d'accès, etc. C'était là une des formes de discrimination que, par rapport aux édifices publics, il y avait...

M. Morin: C'est juste.

M. Sylvain: ... et, semble-t-il, dans ce secteur qui a été très critiqué par les handicapés physiques, ce problème serait bientôt résolu. Il est faux de prétendre que, pour les handicapés physiques, il n'y ait absolument rien qui les fasse tendre vers une non-discrimination. Au contraire, je pense que des mesures sont prises par des ateliers indépen-

dants et au niveau du ministère des Affaires sociales, et qui, en outre, d'autres vont être prises au cours de l'été quant aux édifices publics. Quant à inclure les aptitudes physiques, surtout par rapport au secteur de l'emploi, c'est nettement trop large, c'est un champ si large qu'à un moment donné, cela donne ouverture à toute espèce d'injonction à mesure qu'on a un cas.

M. Choquette: Dans le domaine de l'accès aux lieux publics et même aux commerces ou restaurants, par exemple, qui sont ouverts au public en général, on sait que l'adoption de certaines normes qui permettraient à des handicapés d'y avoir accès représente des côuts économiques qu'il va falloir prendre en considération avant d'adopter ces normes. Je connais des Etats américains qui se sont lancés dans ce genre de lois. Je pense qu'il faut les approuver en principe, mais encore faut-il mesurer les incidences économiques sur les propriétaires actuels de ces entreprises qui devront réaménager un certain nombre des aspects physiques des lieux qui sont ouverts au public.

M. Morin: M. le Président, c'est précisément pour des raisons analogues à celles qui viennent d'être mentionnées par le député de Beauce-Nord que je faisais cet amendement. Bien sûr, il s'est déjà fait du progrès pour mettre fin à la discrimination exercée à l'endroit des handicapés physiques pour ce qui est de l'accès aux bâtiments publics, aux lieux publics. Je ne nie pas qu'il y ait eu du progrès par rapport aux années passées. Je constate avec lui que c'est une bonne chose. L'objet de mon amendement est précisément d'aller un peu plus loin et de nous assurer que cet effort que nous faisons pour les handicapés, nous le faisons également dans l'emploi et dans le logement. Le député disait que l'amendement ferait de la peine aux personnes handicapées ou à ceux qui...

M. Sylvain: Dans vos derniers commentaires, vous avez dit qu'il n'y avait absolument rien de fait, vous avez fini par cela. Au contraire...

M. Morin: Non, je parle du logement et de l'emploi. Je ne parlais pas de l'accès aux lieux publics, je parle du logement et de l'emploi. Si le député a pris connaissance des mémoires qui ont été soumis par les personnes handicapées, il a pu se rendre compte qu'elles sont venues ici se plaindre de discrimination réelle. C'est à ce besoin, c'est à cette angoisse qui s'est manifestée chez elles que nous tentons de répondre avec notre amendement.

Le Président (M. Lafrance): Que ceux qui sont pour l'amendement du député de Sauvé veuillent bien lever la main.

L'honorable député de Sauvé.

Ceux qui sont contre?

L'honorable ministre de la Justice, M. Desjardins, M. Sylvain, M. Pagé, M. Tardif et M. Brisson.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six... Six contre, un pour. L'amendement est rejeté.

M. Morin: Bien!

Le Président (M. Lafrance): D'autres amendements?

Condition sociale

M. Morin: Oui, j'en ai un dernier, à l'article 9. Je vais le présenter très brièvement, M. le Président. Il s'agirait d'ajouter, à la fin de l'article 9, avant le mot "sociale", les mots "la condition", de sorte que la fin de l'article 9 se lirait comme suit: "La langue ou l'origine ethnique ou nationale, ou la condition sociale".

En effet, M. le Président, nous voulons protéger les personnes contre la discrimination, dans cet article 9, non pas à cause de leur origine sociale, mais beaucoup plus à cause de leur condition sociale. C'est à ça que s'adresse, dans la plupart des cas, sinon dans tous les cas, la discrimination.

En effet, on a rarement égard à l'origine sociale des personnes, mais on a souvent égard à leur condition sociale présente, et c'est en fonction de cette condition sociale qu'on exerce de la discrimination et qu'on tente d'empêcher ces personnes d'avoir accès à tel logement ou d'obtenir tel emploi. C'est dans cet esprit, M. le Président, que je propose au ministre de la Justice, d'accepter cet amendement, qui me paraît aller dans le sens de ses préoccupations.

M. Choquette: M. le Président, je suis d'accord pour accepter l'amendement proposé par le chef de l'Opposition. Alors, "la langue ou l'origine ethnique ou nationale, ou la condition sociale". Je pense que...

M. Morin: C'est cela.

M. Choquette:... ce serait la manière de...

M. Morin: C'est cela.

Je remercie le ministre et les collègues qui, sûrement, seront d'accord, s'ils ont le feu vert.

M. Choquette: J'ai consulté mes collègues.

M. Morin: Très bien!

Le Président (M. Lafrance): L'amendement du député de Sauvé est accepté.

M. Desjardins: On l'attendait, cet amendement.

M. Morin: Vous l'attendiez.

Le Président (M. Lafrance): L'article 9 est adopté avec modification.

M. Morin: Bien!

L'article 9 est adopté avec cette modification, mais dans son ensemble, M. le Président, étant donné qu'on ne s'est pas rendu à plusieurs de nos

amendements qui étaient peut-être plus importants que celui que je viens de faire...

Le Président (M. Lafrance): Adopté sur division.

M. Morin: ... nous préférons qu'il soit adopté sur division.

Le Président (M. Lafrance): D'accord! Article 10.

M. Morin: L'article 10 ne paraît pas soulever de difficultés particulières.

M. Choquette: M. le Président, on me signale, si on me permet de revenir à l'article 9, avant de passer à l'article 10...

Le Président (M. Lafrance): D'accord!

M. Choquette:... que, compte tenu de l'amendement qui a été apporté, il y a un petit changement, au point de vue linguistique. Il faudrait lire, je pense, après "les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale,...

M. Morin: Ou la condition sociale.

M. Choquette:... ou la condition sociale".

M. Morin: Oui, bien! D'accord!

M. Choquette: II paraît que cela ne prend pas de virgule après "nationale".

M. Morin: Non, c'est juste.

M. Choquette: C'est un expert qui m'a dit cela. Alors, ce serait...

M. Morin: "...la langue, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale".

M. Choquette: Sociale. M. Morin: Oui, c'est bien! M. Choquette: C'est ça.

Le Président (M. Lafrance): Alors tout est parfait? On ne revient plus sur l'article 9?

M. Choquette: Tout est parfait.

M. Morin: Maintenant, il serait peut-être plus français encore, je ne sais pas, je me permets de le suggérer au ministre, qu'après "la langue", nous disions: "...la langue, la condition sociale, l'origine ethniqe ou nationale", de sorte qu'on éviterait la répétition "ou", "ou", deux fois "ou".

M. Giasson: Dans un bon français, vous avez raison.

M. Morin: Non. Cela ne prendrait pas deux "ou". "... la langue, la condition sociale..."

M. Giasson: "... l'origine ethnique, nationale ou sociale..."

M. Morin: "... l'origine ethnique ou nationale...". A moins qu'on ajoute "... ainsi que l'origine ethnique ou nationale..." et le tour est joué.

M. Choquette: "Ainsi que", ce n'est pas très...

M. Morin: C'est très français.

M. Choquette: C'est français, mais c'est...

M. Morin: Enfin. Laissons-le comme cela si vous voulez, mais pour éviter la répétition du "ou"...

M. Giasson: On n'aurait pas besoin de répéter "... sociale. Si on met "... la condition sociale...", on peut éliminer le dernier... "... l'origine ethnique, nationale ou sociale...". On élimine le dernier mot "... sociale."

M. Choquette: Je pense qu'on était bien avec la rédaction sur laquelle on s'était entendu.

M. Morin: Je n'ai pas d'objection.

M. Choquette: Quand on s'entend, restons donc avec cela.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Pour la dernière fois? Article 10.

Avis écrits

M. Morin: L'article 10 est l'ancien article 12. Il n'y a pas de changement. La Ligue des droits de l'homme a proposé un élargissement de cet article qui paraissait souhaitable. La ligue aurait réécrit l'article de la manière suivante: "Nul ne peut tenir, publier, diffuser ou exposer en public ou permettre de tenir, publier, diffuser ou exposer en public un avis, un discours, écrit, symbole ou tout autre moyen comportant discrimination."

M. Choquette: Nous avons adopté, en partie, les suggestions qui nous ont été faites en ajoutant "... ni donner une autorisation à cet effet." Et nous avons également ajouté le mot "diffuser" en plus de "publier" et "exposer".

M. Morin: Est-ce que "diffuser" a été ajouté depuis la dernière version?

M. Choquette: Oui.

M. Morin: C'était quel article dans la dernière version? C'est l'article 12. Le ministre a raison.

M. Choquette: J'ai toujours raison.

M. Morin: Non. Pas toujours puisqu'il accepte certains de nos amendements.

M. Choquette: Le ministre...

M. Morin: Sur ce point, il a raison et je suis heureux de le reconnaître. Je n'ai pas d'amendement, d'ailleurs, à proposer...

Le Président (M. Lafrance): Adopté?

M. Morin: ... à l'article 10. Nous sommes prêts à l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 10. Adopté. Article II.

M. Morin: C'est l'ancien article 14. On l'a élargi de façon à englober tous les actes juridiques ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public. C'est une amélioration. Nous sommes prêts à adopter cet article.

Le Président (M. Lafrance): Article II. Adopté. Article 12.

M. Morin: II n'y a pas de changement par rapport à l'ancienne version. On peut l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 12. Adopté. Article 13.

M. Morin: Voilà un article qui est complètement nouveau, si je ne m'abuse. Oui, c'est complètement nouveau. Même si cet article apporte une exception au cas de discrimination non autorisé, il me paraît acceptable dans la mesure où il concerne la protection de la vie privée du locateur d'une chambre lorsque celle-ci fait partie de son domicile personnel.

Evidemment, on ne peut forcer les gens à louer une chambre et une seule chambre, en particulier, à n'importe qui qui en ferait la demande. Nous acceptons cette proposition parce qu'elle nous paraît raisonnable. On présume qu'il s'agit d'une personne qui n'est pas, en somme, dans le commerce de la location des chambres puisqu'elle n'en loue qu'une...

M. Choquette: Exactement.

M. Morin: ... et c'est pourquoi nous serions prêts à l'accepter.

Le Président (M. Lafrance): Article 13. Adopté. Article 14.

M. Morin: De même, adopté.

Le Président (M. Lafrance): Article 14. Adopté. Article 15.

M. Morin: Si je ne m'abuse, on y reprend la première partie de l'ancien article 16, mais en ajoutant aux cas de discrimination dans l'emploi, qui sont interdits, d'autres cas.

M. Choquette: En effet.

M. Morin: La mutation, le déplacement, la suspension, l'établissement de catégories ou de classification d'emplois. Puis-je rappeler au ministre que la ligue avait proposé de rajouter également d'autres articles, comme la durée de la période de probation, le non-renouvellement de contrat? Le ministre a-t-il pris en considération ces propositions de la ligue?

M. Choquette: Oui. Il nous a semblé que les suggestions de la ligue étaient comprises à un titre ou un autre, dans l'énumération qui était faite des différentes décisions qui pouvaient être prises par l'employeur et qui pouvaient donner lieu à de la discrimination. Enfin, cela nous a paru suffisamment explicite comme c'était, qu'on couvrait toutes les circonstances où un employeur pourrait user de discrimination à l'égard d'un employé.

M. Morin: Le ministre pourrait-il m'expliquer dans laquelle des expressions: l'embauche, l'apprentissage, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, etc., se trouve incluse l'idée du non-renouvellement de contrat?

M. Choquette: En fait, c'est le renvoi.

M. Morin: Ce n'est pas la même chose un renvoi et un non-renouvellement de contrat, M. le ministre.

M. Choquette: Si le contrat est renouvelé, on retombe dans l'embauche.

M. Morin: L'embauche est peut-être plus précis que le renvoi. C'est votre interprétation de l'article.

M. Choquette: Que cela couvrirait ce cas.

M. Morin: Que l'embauche couvrirait le non-renouvellement de contrat.

M. Choquette: Oui.

M. Morin: Et la durée de la période de probation?

M. Choquette: L'apprentissage, la formation professionnelle. Je pense que la probation...

M. Morin: Je veux laisser raisonner le ministre encore un instant.

M. Choquette: Vous avez les mots aussi: "ou les conditions de travail d'une personne". Nul ne peut exercer de discrimination dans les conditions de travail d'une personne. Ce sont quand même des termes très généraux.

M. Morin: Oui. Ce n'est pas très convaincant, tout de même. Les conditions de travail, on sait bien que cela s'applique aux heures de travail, aux congés et non pas du tout à la durée de la période de probation. Je pense, probablement, que le ministre serait plus près de la vérité s'il nous parlait de l'apprentissage ou de la formation professionnelle, mais même à cela, la ligue estimait que ce

n'était pas suffisamment clair et qu'il y avait lieu d'ajouter la durée de la période de probation.

Le ministre a-t-il des objections fondamentales à ajouter la durée de la période de probation après la formation professionnelle?

M. Choquette: On peut l'accepter, mais on pourrait la situer après l'apprentissage.

M. Morin: Oui.

M. Choquette: Avant la formation professionnelle.

M. Morin: Oui, je suis tout à fait d'accord. La durée de la période de probation. C'est important dans certaines industries, c'est même crucial.

Le Président (M. Lafrance): L'article 15 est adopté, avec l'amendement suggéré par le député de Sauvé. Adopté?

M. Morin: Adopté, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): L'article 16?

M. Morin: L'article 16 peut être adopté. Il est même plus clair que l'ancienne seconde partie de l'article 16.

Le Président (M. Lafrance): Article 16, adopté.

M. Morin: De même l'article 17.

Le Président (M. Lafrance): Article 17. Adopté.

M. Morin: Je voudrais laisser à mes collègues ministériels le loisir de lire ces articles avant que nous les adoptions.

M. Sylvain: Cela a été fait.

M. Desjardins: N'ayez aucune inquiétude.

M. Morin: Je ne vais pas trop vite pour vous.

M. Desjardins: Au contraire, au contraire, vous pouvez accélérer.

M. Morin: A l'article 18, M. le Président, on nous dit que tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit. On ajoute qu'il n'y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l'expérience, l'ancienneté, la durée du service, l'évaluation au mérite, la quantité de production ou de temps supplémentaire, si ces critères sont communs a tous les membres du personnel.

Cela reprend essentiellement l'idée de l'ancien article 43, mais dans une rédaction qui nous paraît peut-être plus accessible, meilleure.

M. Choquette: Mieux située, je dirais.

M. Morin: Oui, c'est situé dans un chapitre qui est davantage pertinent. Je noterais que les mots "traitements" ou "salaire" employés dans cet article vont s'interpréter selon l'article 54, paragraphe 2), de la réimpression. On nous dit que, dans l'article 18, les mots "traitement" et "salaire" incluent les compensations ou avantages à valeur pécuniaire se rapportant à l'emploi. Cela aussi est nettement une amélioration. C'est la ligue qui a obtenu, je pense, qu'on parle de travail équivalent plutôt que de travail égal. C'est bien ça, je pense que c'est à la suite d'une recommandation de la ligue. Sur ce point, nous sommes d'accord.

Je pense qu'on peut adopter l'article 18, sans plus, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Article 18. Adopté. Article 19.

M. Morin: A l'article 19, il y avait une proposition de la ligue qui avait pour but de remplacer "aptitudes" par "exigences professionnelles réelles" dans cet article. Est-ce que le ministre peut nous expliquer pourquoi il n'a pas agréé cette proposition de la ligue?

M. Choquette: Au fond, au lieu d'aptitudes ou qualités réelles, ce qui demeurerait un concept assez difficile à définir que la réalité des aptitudes ou qualités exigées ou requises, nous avons préféré parler d'aptitudes ou qualités exigées de bonne foi pour qu'elles soient conformes au bon sens et non à des critères qui seraient inutilement subjectifs. Il nous a semblé que les mots "de bonne foi" réu-sissaient mieux à accomplir le résultat recherché que l'emploi du mot "réelles". Je dois dire que le mot "de bonne foi" est venu du Conseil du statut de la femme et a été repris par le président de l'Office de révision du code civil, M. Paul Crépeau.

M. Morin: La bonne foi est un critère utilisé fréquemment dans le droit civil et...

M. Choquette: Je pense que ce ne serait pas la bonne foi personnelle à ce moment-là de l'employeur en question; je pense que ce serait une bonne foi objectivée, en relation avec les exigences et les aptitudes exigées, il faudrait donc que ce soit réaliste. Je pense que la bonne foi comprend facilement le facteur de réalisme qui se trouvait dans la première version.

M. Morin: Est-ce qu'il ne serait pas plus objectif, est-ce qu'on ne donnerait pas moins prise à des interprétations subjectives ou à des gestes subjectifs de la part d'un employeur, par exemple, si on parlait d'exigences professionnelles plutôt que d'aptitudes ou qualités exigées de bonne foi? Si on disait, par exemple, une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les exigences professionnelles justifiées pour un emploi, etc.

Est-ce que cela ne serait pas beaucoup plus objectif comme façon de traiter ce problème? Je pose la question au ministre.

M. Choquette: Je ne pense pas qu'il faille perdre de vue le facteur que des aptitudes ou des

qualités peuvent être exigées de bonne foi, alors qu'il peut y avoir des cas où cela n'est pas exigé par la profession elle-même. Le terme "professionnel" est un terme après tout assez limité, assez restreint. On connaît les lois sur les professions, le code sur les professions. On sait que les professions sont énumérées dans nos lois et sont reconnues par le législateur.

Je me demande si on ne s'aventurerait pas dans une définition beaucoup plus limitée que celle qui est recherchée ici.

M. Morin: Je n'en fais pas un amendement. Je demandais simplement si ce n'était pas là des termes plus objectifs que des aptitudes ou qualités exigées de bonne foi, ce qui laisse beaucoup de marge à l'interprétation.

M. Choquette: Supposons qu'une firme aurait un avocat à engager et qu'il se présenterait cinq postulants, tous munis de leur diplôme de la faculté de droit de l'Université de Montréal, tous anciens élèves du député de Sauvé, tous ayant passé les examens du Barreau; ils seraient tous professionnellement égaux.

Mais il pourrait se faire que l'employeur choisisse celui qui a obtenu son diplôme magna cum laude, comme on dit, plutôt que de prendre celui qui a réussi seulement avec la mention passable.

Donc, je crois qu'à ce moment-là, le terme professionnel ne permettrait pas de faire cette distinction, tandis que les aptitudes ou qualités exigées de bonne foi justifieraient certainement le cas de l'employeur de choisir la personne qui a les plus grandes qualifications.

M. Morin: On pourrait avoir un débat considérable pour savoir si la personne qui est la plus apte à remplir un poste comme celui-là est celle qui a obtenu le diplôme magna cum laude ou la mention passable. On a des cas où les aptitudes à la pratique ne sont pas les mêmes que celles qui font faire de bonnes études. Mais c'est une autre affaire.

M. Choquette: Je suis content de voir que le député de Sauvé reconnaît cela.

Le Président (M. Lafrance): L'article 19...

M. Morin: J'ai souvent eu l'occasion de le constater.

Le Président (M. Lafrance): Article 19, adopté?

M. Morin: Mais je dois dire par ailleurs qu'autour de lui se trouvent plusieurs de mes anciens étudiants qui, s'ils n'avaient pas magna cum laude, ne se trouvaient pas loin de ces qualifications.

Je me demande si, cependant, en appliquant cet article, le ministre aurait retenu leurs services.

M. Choquette: C'est pour cela que je connais tous les processus intellectuels du député de

Sauvé et que j'arrive à le persuader si facilement lorsqu'il présente des arguments. J'ai, pour me conseiller, quelqu'un qui l'a étudié, alors qu'il avait la...

M. Morin: L'article 19 est adopté.

Le Président (M. Lafrance): L'article 19 est adopté. Article 20.

Droits politiques

M. Morin: L'article 20 adopté, M. le Président. Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 21. M. Morin: Un instant, voulez-vous.

Le Président (M. Lafrance): Vous ne l'avez pas lu?

M. Morin: Je veux le relire une dernière fois, pour me persuader. Je n'ai pas besoin de le modifier.

Il y avait dans l'ancienne version une énumération qui parlait d'élection provinciale, municipale et scolaire. Cela tendait à donner au terme "élection" un caractère limitatif qui a maintenant disparu. Donc, il y a eu amélioration.

M. Choquette: C'est exact.

M. Morin: A notre sens, il a eu amélioration de cet article et nous sommes prêts à l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 21, adopté. Article 22?

Droits judiciaires

M. Morin: Nous tombons dans les droits judiciaires, M. le Président. J'aurais un amendement à proposer à cet article. Je lis d'abord le premier alinéa pour que la portée de cet amendement soit bien perçue: "Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant, qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle." Deuxième alinéa: "Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public."

Nous proposons de remplacer les mots "la morale" et "l'ordre public", par des mots qui nous paraissent plus objectifs et qui d'ailleurs ont fait l'objet d'interprétation par les tribunaux, à la suite de leur emploi dans le droit civil. Nous proposons de remplacer "la morale" et "l'ordre public", par "l'ordre public" et "les bonnes moeurs". Nous pensons que ce sont des expressions qui ont un sens connu, reconnu, précis en droit civil et même en droit pénal, et que ce serait plus exact que d'utiliser l'expression "la morale" et "l'ordre public".

Je ne ferai pas de longue démonstration, M. le Président, parce que l'utilisation du mot "morale"

ne nous paraît pas exacte. Il revêt une sorte de connotation de sens religieux qui ne convient pas dans ce type de projet de loi. C'est pourquoi je proposerais qu'on utilise une expression qui est consacrée juridiquement et qui, je pense, veut dire exactement la même chose que ce que le ministre a dans l'esprit. Je signale au ministre que la Chambre de notaires s'est d'ailleurs prononcée dans le même sens, ce qui est une référence très exaltée.

M. Choquette: Pardon?

M. Morin: La Chambre des notaires.

Une Voix: Exaltante.

M. Choquette: En effet.

M. Morin: Exaltante, je n'en suis pas sûr, mais exaltée, sûrement.

Une Voix:... préférence exaltée, précisez votre pensée. Vous n'osez pas?

M. Morin: ... notariat. M. le ministre...

M. Choquette: M. le Président, je ne pense pas que l'amendement du chef de l'Opposition soit aussi heureux dans ce cas qu'il l'a été dans d'autres circonstances. Je crois qu'on a donné autant l'interprétation jurisprudentielle de l'ordre public et des bonnes moeurs que de l'ordre public et de la morale. Je pense que l'amendement du chef de l'Opposition n'ajoute rien, en fait, qui ne soit pas déjà contenu dans l'article. Je pense qu'on n'a pas ici à restreindre la discrétion judiciaire des tribunaux d'ordonner le huis clos lorsque des circonstances objectives du procès le rendent utile ou nécessaire. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas abonder dans l'idée du chef de l'Opposition.

M. Morin: Mais, est-ce que le ministre soit que les bonnes moeurs, cela a fait l'objet de plusieurs interprétations de la part des tribunaux, tandis que la morale, à moins que le député de Louis-Hébert ne m'éclaire, je ne me souviens pas de l'avoir trouvée interprétée très souvent dans la jurisprudence? C'est pourquoi je persiste à croire que les bonnes moeurs, c'est une expression plus juste et qui a un sens plus précis que la morale. Les bonnes moeurs sont un concept qui ne charrie pas une idée religieuse, mais c'est un concept d'application générale, qui s'applique à l'ensemble de la société, les bonnes moeurs telles qu'elles sont perçues par l'ensemble de la société, tandis que, pour la morale, il peut y en avoir sans doute plusieurs.

M. Sylvain: Vous référez-vous à saint-Thomas? La morale, elle, n'a pas...

M. Morin: Le député de Beauce-Nord veut me citer saint-Thomas, je n'ai pas d'objection.

M. Choquette: Je vais citer au chef de l'Opposition l'article 13 du code de procédure civile qui se lit comme suit: "Les audiences des tribunaux sont publiques, où qu'elles soient tenues. Toutefois, le tribunal peut ordonner le huis clos, s'il l'estime nécessaire, dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public..."

M. Morin: Cela, c'est le nouvel article.

M. Choquette: "2) dans l'intérêt des enfants au cas d'actions de séparation de corps, en déclaration ou en désavoeu de paternité ou en annulation de mariage". Donc, la terminologie employée...

M. Morin: Elle n'est pas heureuse.

M. Choquette: ... dans le texte du code de procédure...

M. Desjardins: C'est comme la Loi de la Législature.

M. Choquette: ... c'est identique à la proposition qui se trouve dans la charte. Je ne pense pas qu'on ait tellement d'intérêt, pour le moment, à quitter la rédaction du code de procédure civile qui date de, quand même, dix ans, alors qu'au fond je pense bien que tous les juristes comprennent ce que l'on veut dire par les expressions en question qui permettent au tribunal de leur donner le huis-clos.

M. Morin: Je n'en ferai pas un amendement formel, parce que je ne pense pas que ce soit un point majeur, mais cela m'aurait paru plus précis comme vocabulaire. Je ne crois pas que le nouvel article du code civil soit très heureux de ce point de vue.

M. le Président, comme je sais le sort qui serait réservé à cet amendement si je le proposais, je serais d'avis qu'on peut adopter l'article 22.

M. Desjardins: Convainquez-vous.

Le Président (M. Lafrance): Article 22, adopté. Article 23?

M. Morin: L'article 23, c'est l'ancien article 21. On y a apporté un changement assez substantiel, puisqu'on a ajouté que nul ne peut être privé de sa liberté. Non, on a ajouté plutôt "ou de ses droits" après le mot "liberté". Cela nous paraît être une amélioration. Cela va dans le sens des recommandations de la ligue. Pour ces raisons, nous sommes prêts à l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 23, adopté. Article 24?

M. Morin: Nous sommes prêts à l'adopter, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 25?

M. Morin: C'est l'ancien article 23, deuxième alinéa. La nouvelle rédaction a pour effet, si j'ai bien compris, d'étendre le droit des détenus à un régime spécial en raison de leur état de santé, à toutes les personnes détenues avant ou après une condamnation, alors que la première rédaction ne concernait que les prévenus. C'est une amélioration sensible. Nous sommes prêts à adopter l'article 25.

Le Président (M. Lafrance): Article 25, adopté. Article 26?

M. Morin: Adopté.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 27?

M. Morin: Adopté.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 28?

M. Morin: Egalement.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 29?

M. Morin: A l'article 29, j'aurais seulement une ou deux questions à poser au ministre avant l'adoption. Je n'ai pas d'amendement à proposer, mais je me demandais si le ministre pouvait m'éclairer sur le sens exact du mot "promptement".

M. Choquette: Promptement veut dire avec toute la diligence raisonnable dans les circonstances, cela veut dire à bref délai. Cela veut dire...

M. Morin: Oui, je sais. La diligence raisonnable dans les circonstances, cela se réfère à des notions de droit que je puis saisir, que je connais et qui sont susceptibles d'une interprétation suffisamment précise; mais "promptement", dans un délai très court, c'est quoi? C'est deux heures, douze heures, vingt-quatre heures?

M. Choquette: On me dit que les ternies "un délai raisonnable" ont été interprétés de façon assez élastique dans la jurisprudence. Par conséquent, promptement serait plus rapidement que le délai raisonnable. Promptement veut dire aussi vite que faire se peut. Je prends un exemple: Supposons une personne arrêtée à LG-2, il faut la conduire promptement devant le juge et on n'a peut-être pas un juge ou une cour à proximité. Il faudrait la transporter à Rouyn-Noranda ou à Amos ou à Sept-lles. Cela peut prendre plus de temps.

Si, par contre, une personne est arrêtée dans la ville de Québec, il va de soi qu'on peut la conduire plus promptement devant le tribunal, parce qu'elle est à proximité du tribunal au moment de son arrestation. Malgré que le mot "promptement" ne soit pas un délai fixe, en termes d'heures ou de jours, je crois que, suivant les circonstances, il doit s'interpréter comme étant avec célérité, avec rapidité, sans qu'il y ait perte de temps dans la traduction de la personne devant le tribunal.

Une Voix:... convaincu.

M. Morin: C'est nouveau dans le vocabulaire. C'est pour cela...

M. Choquette: Je crois que "promptly" a certainement été interprété...

M. Morin: Ah! J'espère que cela ne vient pas de l'anglais.

M. Choquette: Non, mais "promptement" et "promptly", naturellement font l'objet d'interprétation...

M. Morin: "Aussi rapidement que possible" n'aurait pas été préférable? "Doit être conduite aussi rapidement que possible devant le tribunal compétent". Cela ne rendrait pas de façon plus précise l'idée que le ministre...

M. Desjardins: Est-ce qu'on pourrait l'adopter promptement?

M. Morin: Aussi rapidement que possible.

M. Choquette: Le député de Louis-Hébert a le sens de l'humour. "Promptement" indique certainement une insistance assez forte sur la célérité, je pense.

Une Voix: Voilà!

M. Harvey (Charlesbourg): Un nouveau député, M. le ministre?

M. Morin: C'est bien, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Article 29, adopté. Article 30.

M. Morin: Je n'ai pas présenté à la commission l'un de mes adjoints, M. Germain Marier. J'en profite pour le présenter.

M. Harvey (Charlesbourg): Avec plaisir! Vous avez adopté l'article assez rapidement aussi.

Le Président (M. Lafrance): Article 30, adopté?

M. Morin: Un instant, M. le Président! Oui, nous sommes prêts à l'adopter.

Le Président (M. Lafrance): Article 30, adopté. Article 31.

M. Morin: Oui, qui a été modifié dans le sens préconisé par la ligue, les mots "arrêtée ou détenue" ont été remplacés par "privée de sa liberté". Cela a un sens plus large, et en ce qui nous

concerne, c'est une amélioration sensible. Nous sommes prêts à adopter cet article.

Le Président (M. Lafrance): Article 31, adopté. Article 32.

M. Morin: De même.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 33.

M. Morin: A l'article 33, c'est l'ancien article 30. On a cependant étendu le sens du mot "tribunal" à l'article 54, paragraphe I, si ma mémoire est bonne, de sorte que toute personne a droit d'être assistée devant tout tribunal, y compris le coroner, le commissaire-enquêteur sur les incendies, les commissions d'enquête, etc. Nous y viendrons tout à l'heure, dans un instant, d'ailleurs, à cet article 54.

Il y a un problème que je voudrais signaler au ministre, ici, en raison de la Loi des petites créances, qui ne permet pas au citoyen de se faire représenter. Est-ce que le ministre va tout simplement me répondre que la Loi sur les petites créances constitue une exception tout simplement, par rapport à cet article 33, ou est-ce qu'il n'y aura pas une difficulté de concilier ces deux dispositions législatives?

M. Choquette: C'est une exception à l'article 33, et c'est une exception qui garde toute sa force, parce que cela a été adopté par une loi antérieure. Maintenant, en admettant qu'on adopterait...

M. Morin: C'est ce que je pensais.

M. Choquette: ... des changements qui hausseraient les limites...

M. Desjardins: De $300.

M. Choquette: ... des petites créances, est-ce qu'on serait obligé de dire que l'article qui interdit aux avocats leur présence devant le tribunal s'appliquerait, nonobstant l'article 33? C'est une question assez intéressante.

M. Morin: Oui, je pense qu'effectivement, il faudrait que ce soit dit en toutes lettres, si on s'en remet au type de primautés bien mitigées que vous avez accordées à cette soi-disant charte par la suite.

M. Choquette: Oh! Le chef de l'Opposition manie la charte du bout des doigts. Je pense que le document mérite plus que le sort que lui réserve le chef de l'Opposition.

M. Morin: C'est une loi ordinaire.

Le Président (M. Lafrance): Article 33.

M. Choquette: ... il ne veut pas se rendre compte.

M. Morin: Ah non!...

Le Président (M. Lafrance): A l'ordre, s'il vous plaît! Article 33. Adopté?

M. Morin: L'article 33 est adopté.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 34.

M. Morin: Egalement.

Le Président (M. Lafrance): Adopté. Article 35.

M. Morin: Je voudrais simplement peut-être poser une question. En pratique, on donne gratuitement cette assistance à un accusé. Pourquoi pas... Je vois qu'on a prévu également au témoin. Est-ce que cette disposition est nouvelle?

M. Choquette: Elle a été reformulée parce qu'on ne peut pas traiter les témoins et les accusés sur un pied d'égalité et s'engager à fournir des interprètes gratuits à tous les témoins qui sont appelés à témoigner lors de procès, d'autant plus que le droit du témoin est quand même subordonné au droit pour la cour d'exclure les témoins de l'audience, auquel cas ils ne pourraient pas avoir d'interprète pour leur interpréter ce qui s'est dit dans le cadre du procès.

M. Morin: Pourquoi accordez-vous cette assistance gratuitement à l'accusé et pas au témoin?

M. Choquette: Parce que le témoin n'a pas un intérêt aussi immédiat que l'accusé dans la conduite d'un procès. Généralement, un témoin va témoigner dans une cause et il rend son témoignage et l'issue du procès ne le concerne pas directement tandis que pour l'accusé, l'issue du procès est primordiale et c'est la raison pour laquelle... Et d'ailleurs, il a le droit d'assister à tout son procès tandis que le témoin n'a pas, nécessairement, le droit d'assister au procès dans lequel il va témoigner. Il peut entrer dans la salle d'audience pour témoigner. Il rend son témoignage et il en ressort après avoir rendu témoignage ou on lui permet de rester dans la cour pour qu'il n'aille pas parler aux autres témoins et leur raconter ce que lui-même a raconté et ce qu'il a entendu dans la salle d'audience, pour éviter, en somme, qu'on ne fasse des messages qui ont pour but de détourner le cours de la justice. C'est la raison pour laquelle on l'a traité sur un pied différent.

M. Morin: Dans le cas de l'accusé, donc, l'assistance est gratuite, mais dans le cas du témoin, qui paiera la personne?

M. Choquette: Lui-même pourrait se faire assister d'un témoin quoique...

M. Morin: ... d'un interprète.

M. Choquette: ... d'un interprète... quoique je

pense qu'on va... Je me demande si on ne va pas un peu loin avec le premier alinéa qui donne un droit absolu à un témoin d'être assisté d'un interprète, même si c'est à ses frais.

M. Morin: M. le ministre, être témoin dans une affaire, surtout dans une affaire pénale, cela peut être considéré comme un devoir de la personne et, si cette personne doit se présenter pour témoigner et qu'elle a besoin d'un interprète, il me semble que la moindre des choses est que la justice mette à sa disposition un interprète. Autrement, vous faites porter au témoin un fardeau qui est pour le moins injustifié.

M. Choquette: Oui, mais ici, l'interprète dont il s'agit dans le premier alinéa n'est pas un interprète pour que la cour entende son témoignage. C'est plutôt l'interprète qui traduirait ce que d'autres ont pu raconter à l'audience et c'est ce qui m'apporte quelques interrogations sur le bien fondé de ce premier alinéa. S'il faut que les témoins commencent à arriver avec leurs interprètes à la cour et à se faire traduire les témoignages des autres, alors qu'on sait très bien que la cour a un privilège discrétionnaire d'exclure les témoins de la salle d'audience pendant que les autres témoignent, je me demande si le premier alinéa n'introduit pas un peu de confusion dans tout cela et s'il ne faudrait pas réserver l'application de l'article 35 au cas de l'accusé qui peut avoir droit à l'assistance d'un interprète pour se faire traduire les témoignages de personnes dont il ne comprend pas la langue.

M. Morin: M. le ministre, je ne suis pas du tout d'accord sur cette proposition. Vous restreindriez une disposition qui avait beaucoup de bon.

M. Choquette: Si quelqu'un arrive et ne parle que le tchèque il est évident que, pour comprendre son témoignage, on va avoir mobilisé un interprète pour que le juge et les avocats comprennent le sens du témoignage. Il ne s'agissait sûrement pas de cela qu'on avait à l'esprit au moment de la rédaction du premier alinéa. Il s'agissait plutôt du cas où le témoin voulait comprendre le témoignage d'un autre témoin dans la cause. Mais je me demande si on n'est pas allé un peu loin dans ce genre de droit et si, en fait, on n'a pas outrepassé la limite de ce qui est raisonnable.

M. Morin: Ce n'est pas mon avis, M. le Président. J'estime que c'est tout à fait justifié d'accorder à un témoin un interprète, le droit à l'assistance d'un interprète. D'ailleurs, dans les faits, un témoin qui va se présenter et qui ne comprend pas la langue, s'il ne parle pas la langue employée à l'audience, va absolument avoir besoin qu'on lui explique ce qui se passe...

M. Choquette: Pas du tout.

M. Morin: ... et qu'on lui traduise même éventuellement les questions qui lui seront posées par le juge.

M. Sylvain: Ce n'est pas de cela qu' il parle.

M. Morin: Oui, je sais. Mais j'ai compris qu'il ne s'agit pas du témoin mis à la disposition du juge par l'administration de la justice, mais on parle des témoins qui viendront aider soit l'accusé, soit un témoin qui est convoqué. Même dans ces cas, je pense que c'est un droit strict que d'être assisté. Cela devrait être un droit strict que d'être assisté d'un interprète, si on ne comprend pas ce qui se passe.

M. Choquette: La preuve que ce que dit le chef de l'Opposition n'est pas tout à fait exacte, c'est que les cours peuvent exclure les témoins à la demande de l'une ou l'autre partie, avant qu'un procès ne débute. J'ai plaidé fréquemment des causes à l'époque, où, au début de la cause on demandait, ou je demandais à la cour d'exclure les témoins.

M. Morin: Cela m'est aussi arrivé, mais ce n'est pas la règle générale.

M. Choquette: Oui. C'est la règle.

M. Morin: Non. J'ai vu des procès où on ne demandait pas automatiquement l'exclusion des témoins.

M. Choquette: Parfois, on le regrette, quand on n'a pas pensé, au début du procès de demander l'exclusion des témoins, parce que les témoins restent dans la salle et ils entendent ce que les autres disent et ils peuvent modeler leur témoignage suivant les témoignages antérieurs.

M. Sylvain: C'est parce que, justement, ils ne comprenaient pas, on les gardaient là.

M. Choquette: C'est pour cela que je me demande si on on n'a pas fait preuve d'un enthousiasme excessif, en conférant un droit au témoin d'avoir un interprète. Je ne vois rien dans la charte qui l'interdirait, alors pourquoi le mentionner spécifiquement? Je ne vois rien dans nos lois qui interdirait à quelqu'un d'aller à la cour et s'il n'y a pas exclusion des témoins, de se faire traduire par un interprète ce qui se dit. Je me demande pourquoi l'énoncer comme un droit absolu, à ce moment-ci, alors que, au fond, c'est l'accusé qui a un intérêt réel d'entendre et de comprendre tout ce qui se dit, et s'il ne comprend pas la langue des autres témoins, d'avoir l'assistance de l'interprète dont il est question dans le deuxième alinéa.

C'est la raison pour laquelle je me demande si nous ne devrions pas rédiger cet article différemment, pour éviter de créer un droit qui me semble, en somme, douteux.

M. Desjardins: II est douteux, parce que, au code de procédure civile, l'article 294, il est bien mentionné que chaque partie peut demander que les témoins déposent hors la présence les uns des autres. Par conséquent, même si vous avez l'article...

M. Morin: Cela a toujours été comme cela.

M. Desjardins: Oui. C'est ce qu'on disait tout à l'heure. A ce moment, ce premier alinéa est en trop, à mon avis. Il jette de la confusion, parce que, s'il s'agit d'un témoin qui témoigne, les frais de l'interprète ne sont pas à la charge du témoin, alors qu'il témoigne, en vertu de l'article 305 du code de procédure civile.

M. Morin: Mais, nous sommes dans le code pénal.

M. Desjardins: Les règles sont les mêmes. M. Morin: A quelques nuances près.

M. Desjardins: A ce point de vue, concernant les témoins, les règles sont les mêmes.

M. Choquette: Je crois qu'on devrait lire l'article 35 comme ceci: "Tout accusé qui ne comprend pas la langue employée à l'audience a droit à l'assistance d'un interprète. Cette assistance est gratuite."

Voici la rédaction proposée: "Tout accusé a droit d'être assisté gratuitement d'un interprète s'il ne comprend pas la langue employée à l'audience."

M. Morin: Je me rends aux arguments du ministre sur ce point. Nous acceptons l'article 35 tel que modifié.

Le Président (M. Lafrance): L'article 35, adopté avec modification. Article 36.

M. Morin: L'article 36 nous dit, c'est la rétroactivité: Nul accusé ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une violation de la loi."

Bien sûr, puisque cet article ne modifie pas la législation antérieure, il pourra se faire que d'autres dispositions législatives aillent à l'encontre de cet article. Est-ce que le ministre, pour m'éclairer, me donnerait quelques exemples dans la législation actuelle de dispositions rétroactives?

M. Choquette: Je n'en connais pas dans les circonstances contemporaines, mais j'ai entendu parler de la loi Guindon qui avait été adoptée sous le régime Duplessis et il me semble que cette loi était rétroactive. Maintenant, ça s'est passé il y a quand même vingt ans et mon souvenir peut être faussé.

M. Morin: Elle ne fait plus partie des statuts, cette loi, si ma mémoire est bonne.

M. Choquette: C'est possible qu'elle ne fasse plus partie des statuts.

M. Morin: Je ne pense pas. Dans l'état actuel des choses, le ministre ne connaît pas de dispositions rétroactives qui iraient à l'encontre de cet article 36.

M. Choquette: Vraiment non.

M. Morin: Est-ce qu'il a fait faire des recherches à cet effet?

M. Choquette: C'est un principe pour l'avenir d'éviter la rétroactivité des lois, je pense.

M. Morin: Je comprends, mais ce serait intéressant aussi de savoir, de s'assurer qu'il n'y a pas dans la législation antérieure existante, des cas de rétroactivité. C'est pour ça que je posais la question, à savoir si la recherche avait été faite.

M. Choquette: A part ça, n'oubliez pas que la commission aura comme pouvoir et comme responsabilité de procéder à l'analyse des lois antérieures pour vérifier...

M. Morin: Je n'oublie pas ça.

M. Choquette: Je ne peux pas donner d'exemples précis au chef de l'Opposition, en fait, d'infraction à ce principe de la non-rétroactivité des lois.

M. Morin: Nous allons adopter cet article.

Le Président (M. Lafrance): Article 36. Adopté. Article 37.

M. Morin: L'article 37 est l'ancien article 34 modifié. L'ancien article disait: "s'il a été rendu sous la protection du tribunal". La nouvelle rédaction dit: "Aucun témoignage ne peut servir à incriminer son auteur si le témoin a requis du tribunal la protection de la loi, sauf le cas de parjure". Cela signifie, si je ne m'abuse, que chaque fois que cette protection est requise, le témoin est protégé ipso facto sans que le juge ait à intervenir. C'est bien ça, le sens?

M. Choquette: Oui.

M. Morin: Si tel est le sens, nous sommes d'accord pour adopter rapidement cet article avant que le ministre ne change d'idée.

M. Choquette: Promptement.

Le Président (M. Lafrance): Article 37 adopté. La commission suspend ses travaux pour deux minutes.

La commission reprend ses travaux à l'article...

M. Choquette: Le chef de l'Opposition a fait une proposition. Enfin, je suis à la disposition des membres de la commission, si c'était l'opinion majoritaire qu'on ajourne à demain, je n'aurais pas d'objection.

M. Morin: C'est parce que ce serait un endroit heureux pour interrompre et reprendre les travaux, puisque nous abordons un nouveau cha-pitre, qui est celui des droits économiques et sociaux, et je pense que nous serions dans de meilleures dispositions pour avancer rapidement demain.

Le Président (M. Lafrance): La commission permanente de la justice ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 23 h 40)

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