Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
Commission permanente de la Justice
Projet de loi no 78 Loi concernant le louage de
choses
Projet de loi no 79 Loi du tribunal des loyers
Séance du jeudi 14 juin 1973
(Neuf heures cinquante minutes)
M. BLANK (président de la commission permanente de la justice): A
l'ordre, messieurs!
M. Claude Chapdelaine
M. CHAPDELAINE: M. le Président, M. le ministre, MM. les
députés, ce mémoire s'attache aux aspects
économiques des articles en vertu desquels le Tribunal des loyers statue
sur les révisions de loyers. Afin d'éclairer le débat qui
porte sur le rôle de l'Etat en cette matière et sur
l'efficacité des projets de loi 78 et 79, la trame du mémoire est
la suivante: évidemment, je n'en présente qu'un
résumé, parce que le mémoire, en tant que tel, est long et
il y a certains passages qui sont assez complexes.
Donc, la première partie expose qu'il est indispensable de
permettre et de favoriser le bon fonctionnement du marché
économique du logement, mais le marché n'est pas apte à
satisfaire par lui-même et d'une manière adéquate un besoin
social d'une telle importance, d'où une intervention de l'Etat qui est
finalement un arbitrage, ou un compromis, entre deux objectifs qui s'opposent
par certains de leurs impératifs, soit un objectif économique et
un objectif social. Néanmoins, il faut considérer que le projet
de loi 78 poursuit un objectif social, tout en respectant des contraintes
économiques.
La deuxième partie illustre plusieurs types possibles
d'interventions étatiques, au sein desquelles les projets de loi
actuellement discutés ont un rôle à jouer, rôle qui
n'est peut-être pas le plus direct du point de vue d'une politique
d'habitation, mais qui est sûrement essentiel et le demeurera. Ce qui
veut dire que, si la loi est partielle, comme cela a déjà
été souligné, il n'en demeure pas moins qu'elle est
essentielle d'une part, et que, d'autre part, elle est durable, peu importe
d'autres lois ou d'autres programmes d'habitation qui viendraient par la suite.
La nécessité et l'utilité du code civil vont,
évidemment, demeurer, et la révision qui est faite demeure
essentielle.
La troisième partie du mémoire donne un aperçu
général de l'approche adoptée pour l'élaboration et
l'application des articles 1664 a) et suivants, ainsi que des exemples
précis. Il s'agit essentiellement de respecter la fixation libre des
prix de base sur le marché et de ne statuer par la suite que sur les
hausses, de façon que l'Etat ne modifie par arbitrairement la
rentabilité du capital originellement investi, c'est-à-dire
investi lors de la construction de l'édifice ou lors de son achat. Cette
procédure n'est cependant pas recommandée en ce qui a trait aux
investissements effectués sur le stock existant de logements, soit des
investissements d'entretien ou d'amélioration, alors qu'une intervention
beaucoup plus directe est suggérée dans le but d'influencer
l'orientation de ce genre d'investissement.
L'intervention est suggérée parce que la façon dont
la loi est rédigée permet des interventions de l'Etat qui soient
neutres en termes d'allocation des ressources, mais on pourrait aussi
l'interpréter de façon à intervenir plus directement.
Finalement, rappelons qu'il est tentant d'exclure de l'application des
articles 1664 a) et suivants certains types de logements, par exemple les
bachelors, ou certaines villes, par exemple celles qui ont moins de 5,000
habitants. La dernière partie du mémoire se veut une mise en
garde contre ces tentations.
La première partie traite de l'arbitrage socio-économique.
Il y a trois sous-chapitres, soit la contrainte économique, la
nécessité sociale, donc les deux pôles, et le besoin d'un
arbitrage.
La contrainte économique est à respecter afin de ne pas
entraver la construction de logements neufs et de ne pas décourager le
maintien ou l'amélioration de la qualité du stock actuel de
logements. Elle consiste, premièrement, à permettre
l'accumulation de capital; évidemment il faut avoir un bloc de capitaux.
Deuxièmement, à respecter les mécanismes de formation des
prix qui déterminent l'allocation du capital par le biais de la
rentabilité, ce qui veut dire qu'une fois qu'on a les capitaux il faut
qu'ils aient des indications dans quel sens ils doivent aller.
Troisièmement, à favoriser la mobilité du capital entre
diverses utilisations. Toutes les procédures de rentabilité n'ont
pas de sens si les capitaux ne sont pas assez mobiles pour suivre les
indications du marché. Quatrièmement, il ne faut pas effrayer ou
décourager les investisseurs, c'est-à-dire ceux qui, en quelque
sorte, administrent les capitaux. Donc c'est la contrainte
économique.
Du côté social, la nécessité sociale,
à cause de l'importance du logement dans le budget familial et de son
impact sur la qualité de vie en général, le mémoire
suggère les objectifs suivants. Evidemment il suggère, parce
qu'on n'a pas fait une étude exhaustive de ce que serait une politique
sociale de l'habitation.
Premier objectif: Acceptation pour tous d'un logement décent par
rapport au niveau de vie de la collectivité, ce qui pose le
problème de la redistribution des revenus et la participation aux fruits
de la croissance économique.
M. PAUL: Cela ressemble à du crédit social.
M. CHAPDELAINE: Peut-être. Non, la redistribution des revenus,
évidemment, c'est une
fonction qui appartient à l'Etat et qui est faite par tous les
gouvernements, qu'ils soient libéraux, unionistes ou
créditistes.
M. PAUL: Je ne parle pas de la forme de gouvernement, je parle de la
politique qu'un gouvernement pourrait appliquer, qui est celle-là. Cela
rejoint un peu, en partie, la théorie du major Douglas.
M. CHOQUETTE: Tous les gouvernements pratiquent la redistribution des
revenus.
M.PAUL: Oui. A la suite de la perception des taxes versées en
mesures sociales.
M. CHOQUETTE: C'est une mesure de sécurité sociale.
M. CHAPDELAINE: Toute l'histoire du major Douglas porte plus...
M. CHOQUETTE: Sur une réforme monétaire.
M. CHAPDELAINE: C'est ça, sur une réforme
monétaire, comme moyen de distribution. La redistribution en
elle-même, je pense...
M. CHOQUETTE: Je doute d'ailleurs que nos collègues du Ralliement
créditiste puissent comprendre le raisonnement de M. Chapdelai-ne.
M. PAUL: Surtout qu'ils ne sont pas ici ce matin, raison de plus. Tout
ce qu'ils auraient pu faire, c'est de l'entendre.
M. CHAPDELAINE: De toute façon, M. Paul, je me préparais
à donner une explication.
M. PAUL: C'est bien, vous allez calmer mon inquiétude.
M. CHAPDELAINE: Je ne crois pas que ce soit créditiste. La
philosophie économique qui sous-tend cette affirmation, quand on dit que
le logement, ça concerne la redistribution des revenus, c'est que je
pense que dans le domaine du logement, comme dans le domaine des salaires, par
exemple, c'est de moins en moins l'offre et la demande qui fixent le prix. On
ne peut pas dire maintenant que, dans le domaine des salaires, l'offre et la
demande, selon un schéma, fixent les prix. C'est plutôt une
question de pouvoir de négociation je parle du domaine des
salaires. La force de négociation de différentes parties ou de
différentes catégories ou groupes socio-économiques
opère jusqu'à un certain point une redistribution des revenus.
Evidemment, l'Etat intervient pour essayer de la corriger ou aux fins de
l'aménager.
Le domaine du logement. Etant donné que c'est un bien qui a une
telle importance, et sur le plan social et sur le plan économique, je
pense qu'on assiste de plus en plus un peu au même
phénomène dans le cas des loyers, c'est-à-dire que cela
dépend plus d'un certain pouvoir de négociation
locataire-propriétaire que d'une offre et d'une demande qui fonctionnent
selon un schéma théorique. C'est dans ce sens que ça va
causer de plus en plus des problèmes de redistribution des revenus.
M. CARON: M. le Président, le Ralliement créditiste va
être représenté, ce ne sera pas long.
M. CHAPDELAINE: Est-ce que je peux poursuivre, M. le
Président?
M. CHOQUETTE: Oui.
M. CHAPDELAINE: Deuxième objectif: Production adaptée de
logements neufs et entretien et amélioration de stock existant, qui est
aussi un objectif économique.
Troisième objectif, jouissance d'un environnement physique et
social adéquat.
Quatrièmement, sécurité de protection du
consommateur.
Cinquièmement, intéressement de la population
concernée à l'élaboration et à l'application des
politiques et programmes d'habitation. Donc, devant une contrainte
économique et des besoins sociaux, il y a un besoin d'arbitrage, parce
que le marché du logement souffre de nombreuses imperfections, tant du
côté de l'offre que du côté de la demande. Il est de
plus en plus perturbé par le phénomène de la
pauvreté, qui empêche une partie des besoins réels de
s'exprimer sous forme de demandes d'argent.
Toutefois, abstraction faite des imperfections du marché,
l'analyse indique que son fonctionnement économique engendre des
déséquilibres nuisibles sur le plan social.
Par exemple, advenant une rareté dans une catégorie de
logements, un logement neuf pourra se louer à un prix qui assure une
rentabilité très élevée au capital investi. Ce qui
incite à investir davantage dans cette catégorie de logements et
permet une accumulation rapide du capital. Tandis qu'un logement ancien aura
tendance à s'ajuster sur les prix du logement neuf, compte tenu,
naturellement, de la différence qualitative et de l'état
d'habitabilité.
Ce qui nous amène au coeur même du problème auquel
s'attachent les articles 1664 a) et suivants et du compromis qui est
nécessaire entre deux points de vue également défendables.
Sur le plan social, il y a ici une justice, en quelque sorte, parce que les
locataires paient des loyers tels que les propriétaires accumulent des
profits élevés. Les loyers peuvent être conformes au prix
du marché, prix qui reflète la rareté relative de l'offre
et de la demande. Donc les loyers peuvent être conformes au prix du
marché mais, de ce fait, permettre une rentabilité du capital qui
est bien supérieure à ce qui est techniquement nécessaire
pour attirer des capitaux dans un secteur où il y a rareté.
Sur le plan économique, par contre, il n'y a pas
d'anormalité, parce qu'un taux élevé de rentabilité
assure les investissements nécessaires à la réception des
raretés et à la disparition éventuelle de l'injustice
sociale qui est permise par les prix du marché et qui est temporairement
nécessaire au bon fonctionnement de ces derniers. Ce qui veut dire que,
pendant la période où il y a une rareté qui font monter
les loyers, c'est évidemment la hausse des loyers qui va permettre
d'avoir des capitaux et qui va permettre de régler le problème de
la rareté. Il reste que, temporairement, il y a donc un fonctionnement
économique normal qui crée des déséquilibres
sociaux. Il est important de se rappeler qu'une telle situation ne
résulte pas des imperfections du marché mais de ses principes de
base, en opposition avec un besoin essentiel. Ce processus, fort courant sur
tous les marchés de biens économiques, est plus difficilement
acceptable en ce qui concerne le logement, à cause de l'importance
sociale de ce bien et à cause de la durée possiblement
nécessaire de l'ajustement de l'offre à la demande.
D'abord le consommateur a moins de mobilité et d'alternative ou
de biens substituts dans le cas du logement que dans le cas d'achat de
vêtements ou d'une voiture. Par exemple, dans le domaine du logement, un
consommateur peut difficilement retarder sa consommation en attendant que le
marché s'ajuste et que les prix s'équilibrent.
Ensuite, le déséquilibre temporaire que nous avons
identifié risque de durer sur le marché de l'habitation, parce
que les constructions domiciliaires nouvelles représentent environ 2
p.c., en moyenne, du stock total de logements. Quoique cette observation
globale ne réflète certainement pas la réalité
d'une catégorie donnée de logements dans tel ou tel secteur
géographique. Néanmoins, on peut s'attendre que les adaptations
de l'offre à la demande puissent être relativement longues
à se concrétiser, ce qui risque évidemment d'être
très nuisible aux locataires. Il faut dire aussi qu'on a des situations
inverses. Parfois, il va arriver que plusieurs constructeurs, semble-t-il, sans
se consulter, vont ensemble investir dans les logements neufs, dans tel
secteur, et là ils vont saturer le marché. Et parce qu'ils
saturent le marché, ils ne seront pas capables d'exiger des loyers assez
élevés pour rentrer dans leur rentabilité normale. Il y a
une situation inverse qui se produit.
Par conséquent, il est évident qu'il existe une foule de
facteurs expliquant que du point de vue d'un locataire, le fonctionnement du
marché est loin d'être idéal. Il semble indispensable que
l'Etat mette une partie de sa puissance au service des locataires. En fait,
nous pouvons prévoir que le marché sera de moins en moins apte
à satisfaire un besoin de cette importance. Le mémoire du
professeur Joseph Chung, qui a passé ici la semaine dernière, se
penchent plus longuement sur cette question et il faut envisager la
possibilité que le logement devienne, dans l'avenir, un bien social et
non plus un bien économique, au même titre que la santé ou
l'éducation.
Deuxième partie, c'est le contexte et quelques principes de base
des projets de loi 78 et 79. Dans ce contexte d'interventions
nécessaires de la part de l'Etat, l'Etat utilise
généralement une combinaison de plusieurs types possibles
d'interventions. Il y a l'aspect régulation ou établissement de
certaines règles du jeu; il y a la compensation des imperfections du
marché; il y a la correction des imperfections du marché. La
différence entre les deux, c'est que la correction est une intervention
qui permet de corriger, par exemple, une faiblesse ou une imperfection, tandis
que la compensation ne corrige pas la cause mais la répare. Il y a aussi
la mise â l'écart, dans certaines circonstances et pour certains
secteurs du marché ou certains facteurs de production, du
mécanisme des prix et son remplacement par une autre formule. On en a un
exemple avec le zonage des terrains, ou quand une municipalité
établit un zonage, ce n'est plus le mécanisme des prix qui
décide que sur tel type de terrain il y a des immeubles commerciaux ou
industriels, c'est le zonage.
Il y a aussi la création des secteurs parallèles
concurrentiels ou complémentaires au secteur privé. Il y a comme
autre possibilité, évidemment, la socialisation d'un
marché, d'un bien ou d'un facteur de production.
Donc, dans un tel contexte, le projet de loi 78 est une
législation sociale, avec des contraintes économiques. Il ne doit
pas mettre à l'écart les mécanismes de marché,
puisque le code civil, de toute évidence, ne constitue pas un outil
idéal de remplacement. Il est donc certain que d'autres interventions de
l'Etat sont nécessaires pour régler les problèmes de
logement, et plusieurs existent déjà. Par contre, il serait faux
d'en conclure que le présent projet de loi est inutile. Il suffit
d'être conscient de ses limites et de savoir que, tant qu'il y aura un
marché libre, son utilité sera incontestable, même si les
autres interventions de l'Etat deviennent très sophistiquées.
En ce qui concerne le sous-chapitre qui présente quelques
principes de base, le point saillant de ce sous-chapitre est que, par les
divers paragraphes de l'article 1664, l'Etat ne se substitue pas aux
mécanismes du marché, mais tend, au contraire, à en
rajuster les résultats selon une situation d'équilibre des
forces. C'est pour cette raison qu'à l'article 1664 n), notamment, du
projet de loi 78, où on énumère les critères qui
doivent servir à déterminer la valeur locative, le
législateur doit tenter, dans la mesure du possible, d'éviter de
statuer sur les taux de rendement du capital investi, afin de respecter les
modes de détermination des prix et les mécanismes de financement.
Toutefois, nous suggérons une procédure différente dans le
cas des investissements d'entretien ou d'amélioration. On reviendra
là-dessus tout à l'heure.
La troisième partie porte sur les modalités et
les effets positifs des articles 1664 a) et suivants. Aperçu
général: le projet de loi 78 se propose d'enrayer les abus dans
les augmentations de loyer demandées, sans intervenir dans la fixation
des prix de base. La restriction qui est d'importance implique que le Tribunal
des loyers utilise, comme point de départ, les prix établis par
les lois du marché libre.
Il ne calcule donc pas la rentabilité du capital originalement
investi et n'a pas à juger qu'elle est trop forte ou trop faible. Il ne
juge que la hausse par elle-même, en cas de contestation, en tenant
compte, évidemment, d'un assortiment de critères aussi objectifs
et quanti-fiables que possible. Ce sont les critères du paragraphe 1664
n). Ces critères sont ceux qui régissent un marché libre
lorsque locateur et locataire ont un égal pouvoir de négociation.
On voit donc que l'article 1664 n) n'introduit aucun critère nouveau ou
exogène aux lois économiques, mais simule simplement des
conditions d'un marché libre, l'Etat compensant la faiblesse relative
des locataires, sans en corriger les causes fondamentales.
Evidemment, cette approche répond aux possibilités
réelles d'une révision du code civil. Il est vrai que le Tribunal
des loyers n'échappera pas à l'obligation de juger de la
rentabilité du capital investi pour l'entretien ou des
améliorations, ce qu'il fera vraisemblablement en statuant sur la
période d'amortissement de ces investissements. Il pourra, alors,
adopter une attitude neutre sur le plan économique ou bien tenter
d'orienter ce type d'investissement, ce qui est suggéré au
sous-chapitre 3.3.
En ce qui concerne les modalités, un sous-chapitre illustre,
à l'aide d'une série d'exemples, comment les modalités
d'application doivent tenir compte des principes de base déjà
exposés. C'est à peu près impossible de le résumer.
Disons que, dans cette sous-section, on examine la carrière d'un
logement, c'est-à-dire, au moment où l'investisseur prend la
décision de construire, ce qui arrive et comment le projet de loi
l'influence à ce moment-là. Ensuite, j'ai essayé je
dis bien que j'ai essayé, parce que ce sont des choses qui se discutent
et qui sont en gestation continuelle de voir de quelle façon on
va traiter une hausse de taxe, une hausse du coût du chauffage, une
hausse du coût des matériaux ou des salaires, quel est l'impact,
par exemple, de la construction d'une station de métro devant un
logement, si cela accroît sa valeur locative, de quelle façon on
va compter ça, etc. Donc, il y a une série d'exemples dans le
mémoire là-dessus.
Le point 3.3: les effets positifs de l'article 1664 n). Le
mémoire suggère ici que l'Etat intervienne directement dans la
location des capitaux investis pour fins d'entretien et d'amélioration.
Une telle procédure pose des problèmes complexes
d'évaluation et de fixation des préférences des
consommateurs, par rapport à l'utilité sociale et
économique de divers biens, mais elle permettrait aussi une
interdépendance plus étroite entre les diverses
législations et accroîtrait leur efficacité. Il serait,
toutefois, indispensable que les investisseurs et propriétaires soient
parfaitement au courant des intentions de l'Etat, afin d'éviter une
incertitude catastrophique dans ce domaine-là sur le stock existant de
logements.
La quatrième partie porte sur les applications partielles de la
loi. Les formes d'application partielles sont nombreuses. On peut exempter
certains locaux d'habitation des articles 1664 a) à 1664 u) ou w)
je ne sais plus où on en est en vertu soit de la localisation
géographique, de la date de construction, de la taille, du loyer
mensuel, de la durée du bail, etc., ou en vertu d'une combinaison de ces
facteurs.
Alors ceci risque d'avoir des effets néfastes parce qu'il
paraît certain que toute application partielle de la loi risque de
fournir aux propriétaires une échappatoire dont ils vont essayer
de profiter.
Nous ne devons pas en conclure que les projets de loi par
eux-mêmes auront des répercussions dommageables sur le
marché du logement, mais plutôt qu'il est normal qu'un locateur
essaie d'éviter des contraintes sociales puisque son activité est
avant tout économique. Ce que ça veut dire, c'est que, quand on
veut empêcher des hausses abusives de loyer, ça n'a pas de
répercussion dommageable sur le marché, il n'en demeure pas moins
que, s'il y a des types de logement qui ne sont pas soumis à la
réglementation, dans ce type de logement les possibilités de
hausses abusives existent. Et c'est évident que ça peut inciter
un propriétaire à investir plutôt dans ce type de
logement.
Il est donc plausible que les applications partielles de la loi auront
pour effet de bouleverser l'équilibre économique de l'allocation
des ressources créant des distortions, accroissant les sources de
conflit et de contestation en provoquant des pénuries de logements, etc.
Il faudrait avoir des exemples précis, on pourrait s'étendre
là-dessus. Des circonstances particulières justifient certaines
formes d'exemption, comme celles qui s'appliquent aux logements récents,
l'article 1650 du projet de loi 78.
Il faut toutefois s'assurer que les avantages des exceptions sont
supérieurs aux inconvénients prévisibles de telles
exceptions. Alors le tout vous est respectueusement soumis, messieurs.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Chapdelaine. Est-ce qu'il y a des
questions?
M. DROLET: M. le Président, je tiens à rétablir
certains faits, parce que les paroles qui ont été dites tout
à l'heure sont certainement enregistrées au journal des
Débats. Si le représentant créditiste arrive en retard,
c'est une chose possible parce que nous ne sommes que onze
députés. Le ministre de la Justice doit savoir qu'ils sont 72
dans le Parti libéral. Et, si je regarde en face de moi, il n'y a que le
député
de Saint-Hyacinthe et le ministre responsable des autoroutes. Alors,
avec onze députés, comme le Parti québécois avec
sept, ce n'est pas toujours facile pour nous d'être présents tout
le temps, surtout quand on nous envoie d'un bord à l'autre.
On nous annonce que c'est dix heures, après ça c'est neuf
heures et demie, après ça c'est la salle 91, puis c'est la salle
81. Alors on a à se courir assez souvent.
M. CHOQUETTE: C'est parce qu'on s'ennuyait de vous.
M. DROLET: Bien je suis arrivé. Je suis arrivé.
M. CHOQUETTE: On s'ennuyait de vous. On est content de vous voir
arriver.
M. DROLET: Et je tiens à rassurer le ministre de la Justice. Le
mémoire, je n'ai pas eu le temps d'en prendre bonne connaissance, je
vais le faire avec les responsables du centre de recherche de notre parti.
Même si je ne suis pas libéral, je ne suis pas imbécile, je
vais certainement essayer de le comprendre. Cela va peut-être me prendre
plus de temps que le ministre de la Justice pour le comprendre, mais j'aime
autant que ça me prenne plus de temps à le comprendre que de voir
certains membres du parti ministériel qui n'ont jamais rien compris.
M. TREMBLAY (Bourassa): Ah! ça ce n'est pas gentil. Ce n'est pas
gentil ça.
M. CHOQUETTE: Vous êtes très méchant ce matin. Cela
ce n'est pas gentil. Vous êtes agressif au possible.
M. DROLET: De plus en plus agressif, surtout que j'arrive de la
région de Montréal très accueillante pour nous.
M. PAUL: Heureusement, M. le Président, je constate qu'il y a au
moins deux chaises qui nous séparent de mon bon ami le
député de Portneuf.
LE PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre, messieurs!
Merci, M. Chapdelaine.
M. CHOQUETTE: M. Chapdelaine, moi je vous félicite de votre
mémoire, je trouve qu'il est très intéressant. Je l'avais
d'ailleurs lu avant que vous l'exposiez sommairement ce matin à la
commission. Je suis content que vous ayez situé le problème dans
son contexte général. Le projet de loi 78, comme vous l'avez dit,
n'a jamais eu la prétention de construire une politique totale, globale
ou absolue dans le domaine du logement et de l'habitation. Cependant, je
croyais à son utilité dans une certaine mesure à
l'intérieur du code civil et plus particulièrement pour autant
qu'il s'applique aux relations entre locateur et locataire. Cela permet de
corriger, n'est-ce pas, certaines imperfections du marché de
l'habitation, parce qu'on sait que ce n'est pas un marché qui est
parfaitement fluide. Le simple fait, par exemple, de l'obligation de
déménager, si on n'est pas d'accord avec son propriétaire,
entraîne une série de dépenses et d'inconvénients
qui font que le locataire est dans une certaine mesure, dans certaines
circonstances, je ne dis pas toujours, mais dans certaines circonstances, dans
une situation inférieure au point de vue des négociations.
D'autre part, le projet de loi, je crois, nous permet de donner un droit
additionnel au locataire du Québec et c'est celui d'être maintenu
dans les lieux. Ce droit-là est très important,
c'est-à-dire que le droit de propriété du
propriétaire d'évincer un locataire à la fin du contrat
n'est plus un droit absolu. Nous tenons compte de cette dimension qui fait que
le locataire acquiert certains droits au logement qu'il occupe. A ce point de
vue-là, c'est une évolution dans le droit civil, dans le droit
social, mais, évidemment, nous avons tenu aussi à respecter les
impératifs économiques auxquels vous avez fait allusion,
c'est-à-dire la formation du capital, ne pas décourager
l'investissement dans l'habitation parce que, en fait, ceci jouerait à
long terme contre les locataires eux-mêmes parce qu'il y aurait une
insuffisance des capitaux engagés dans la construction et dans
l'habitation et ceci entrafnerait, à plus ou moins long terme, des
problèmes pour la classe des locataires eux-mêmes.
Je voulais simplement faire ces observations après votre
exposé et vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre
analyse de la situation.
M. PAUL: M. le Président, j'aurais peut-être quelques mots
à ajouter aux félicitations qu'a adressées le ministre
à M. Chapdelaine. Vous qui avez fait une analyse objective de la loi,
est-ce qu'il me serait permis d'obtenir de vous un point de vue, sans
aucunement vous engager, c'est cette disposition que l'on retrouve à
l'article 1664 a) où il est dit qu'un nouveau locataire peut, dans les
deux mois qui suivent le début de l'occupation, demander la
révision du loyer.
Est-ce que je pourrais connaître votre point de vue, votre
appréciation de la portée, de la nécessité et des
effets de l'application d'un tel article dans cette politique du logement?
M. CHAPDELAINE: Je pense que l'article 1664 a) doit être similaire
dans sa conception et dans sa philosophie, disons, aux autres articles. Les
autres articles disent que le locataire peut contester une augmentation de
loyer. Il peut aussi contester son loyer s'il y a eu, je pense, une diminution
des services ou des modifications aux conditions du bail. En ce qui concerne,
disons, la chose traditionnelle qui est le
montant du loyer, il peut contester s'il y a une augmentation. Par
conséquent, un nouveau locataire...
M. PAUL: Dans ce cas-là, il n'a pas donné son
acquiescement comme dans 1664 a).
M. CHAPDELAINE: C'est exact.
M. PAUL: L'article 1664 a) présume d'abord un acquiescement et
dans les deux mois suivants une révision de cet acquiescement. Je pense
qu'il y a une distinction.
M. CHAPDELAINE: II faudrait, évidemment, que l'article 1664 a) ne
s'applique que lorsque le loyer demandé au nouveau locataire et
accepté par lui est supérieur à l'ancien loyer ou au loyer
que payait le locataire précédent. Ceci est nécessaire
pour éviter que la mobilité devienne une arme pour les
propriétaires, aussi bien que pour les locataires, d'ailleurs.
C'est-à-dire que la mobilité en soi est une bonne chose, on dit
souvent qu'au Québec il y a énormément de
déménagements, il ne faut pas oublier que c'est une excellente
chose au point de vue des locataires, parce que plus ils sont mobiles, je veux
dire sur le plan économique, plus cela indique qu'ils sont prêts
à suivre le marché, à essayer de profiter de conditions
différentes. Peut-être bien que la mobilité qu'on constate
au Québec est un facteur qui explique que le coût des logements a
peut-être crû moins rapidement au Québec que dans d'autres
provinces, quoi qu'on puisse peut-être se rattraper.
Donc, c'est à cause de l'impact sur la mobilité qu'il faut
que l'article 1664 a)...
M. PAUL: Est-ce que vous verriez d'un bon oeil que le
législateur, par exemple, spécifie ou dise clairement qu'une
telle demande ne pourra pas être présentée par le locataire
s'il n'a pas eu l'obligation d'assumer une hausse du logement
antérieurement occupé pour l'occuper lui-même,
c'est-à-dire s'il n'y a pas eu d'augmentation de loyer, un tel
privilège ne devrait pas lui être accordé de réviser
le loyer dont le coût remontait peut-être, dans certains cas,
à deux ans?
M. CHAPDELAINE: C'est ce que je pense. Il y a une raison assez
particulière à cela, c'est la période de cinq ans, qui
s'applique aux logements neufs, de non-réglementation; à ce
moment-là, pour des raisons économiques qui sont très
importantes; on permet au propriétaire de fixer son loyer en fonction,
en vertu des conditions du marché et de ses coûts de construction,
et évidemment, de s'entendre avec le locataire.
Disons que dans cette période de cinq ans, il n'y a pas de
réglementation sur la hausse des loyers précisément parce
qu'on veut que ces loyers s'ajustent selon le marché et constituent une
base libre de prix. Si on permet, après la période de cinq ans,
par exemple, au nouveau locataire de contester un loyer existant, on se trouve
rétroactivement à démolir cette liberté, ce
mécanisme d'ajustement qu'on permettait.
M. PAUL: C'est cela. Je vous remercie, M. Chapdelaine.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci. Le prochain expert.
M. Richard Thouin
M. THOUIN: M. le Président, je suis Richard Thouin,
économiste-conseil.
LE PRESIDENT (M. Blank): Votre occupation et votre expérience
dans ce domaine?
M. THOUIN: J'agis à titre d'économiste-conseil depuis six
ou sept ans en matière de développement urbain et
régional. Je conseille, dans ce domaine-là, un certain nombre
d'organismes publics, parapublics de même que des entreprises
privées de développement.
Mon propos, ce matin, est double; il a d'abord pour but de
démontrer la nécessité de limiter cette action
nécessaire des commissaires et du Tribunal des loyers à
l'intérieur de certaines limites fixées par les processus
économiques. Corollairement, je veux aussi démontrer la
nécessité de mieux comprendre les notions de rentabilité
des immeubles locatifs neufs ou vieux, quel que soit le mode de financement ou
l'importance de leur propriétaire. Je vous démontrerai tout
à l'heure que ces deux facteurs ont une importance très
considérable sur la rentabilité d'un immeuble.
Il y a présentement quelque 850,000 logements locatifs au
Québec, c'est vous dire qu'une part très considérable de
notre population est visée par ce projet de loi avec, d'ailleurs, juste
raison. Nous savons que les législations qui influent directement sur
les phénomènes économiques ont souvent des
conséquences différentes des objectifs recherchés, souvent
contraires à ces objectifs et le plus souvent complètement
imprévisibles. Nous sommes heureux qu'à l'occasion d'une loi
aussi importante sur le plan économique, le ministre ait cru
nécessaire de demander à plusieurs économistes d'exprimer
leur opinion et d'apporter un éclairage sur les effets
économiques d'une loi qui se veut, d'abord et avant tout, sociale.
Ce doit être un des principes directeurs de cette
législation pendant que l'Etat intensifie son action de production de
logements, ces projets de loi n'entraînent pas la désaffectation
du domaine immobilier par ceux que ce domaine intéresse
présentement. Il faut continuer à construire du logement locatif
privé; 850,000 logements présentement, c'est le principal moyen
qu'ont les Québécois à l'heure actuelle de se loger et il
ne faut pas qu'aucune action législative vienne perturber, d'une
manière significative, ce logement-là, car il y aurait beaucoup
de monde dans la rue.
II faut, d'autre part, également éviter que, socieux de
promouvoir l'offre de logements locatifs, les commissaires et le tribunal
sanctionnent toutes les décisions des investisseurs et contribuent ainsi
à l'augmentation des coûts des loyers. Il ne faut pas endosser
automatiquement toutes ces décisions de construire du logement, de
rentabiliser à certains taux qui, parfois, peuvent être excessifs
mais qui sont demandés par les investisseurs. Il faut à la fois
promouvoir l'offre mais non pas de manière qu'elle influe sur les prix
finalement et qu'elle contribue à les augmenter.
J'aimerais vous décrire ici trois phénomènes du
marché immobilier qui expliqueront le choix des techniques de
contrôle que les projets de loi 78 et 79 prévoient.
Ces phénomènes sont la fixation des loyers, la
détermination des valeurs capitales des immeubles locatifs et
l'influence du propriétaire et de ses caractéristiques sur la
rentabilité de l'immeuble. Le processus de fixation des loyers pour
plusieurs propriétaires est, ou du moins apparaît, très
simple. Les propriétaires subissent un certain nombre de dépenses
relatives à l'immeuble, y compris les versements sur hypothèque,
les taxes, les intérêts, les dépenses d'entretien; ils
calculent généralement certaines dépenses administratives
et un certain profit et pour eux, le loyer doit être automatiquement
fixé de manière à honorer ces dépenses. On sait
cependant que ce n'est pas aussi simple que ça, parce qu'il y a
plusieurs phénomènes qui influent d'abord sur le niveau des
dépenses d'un propriétaire. Pour une même
propriété, les dépenses qu'on peut encourir peuvent varier
suivant le type de financement, suivant les caractéristiques du
propriétaire et suivant même l'attitude du propriétaire
vis-à-vis de l'investissement. Deux exemples peuvent vous le
démontrer: une vieille propriété dont l'hypothèque
est complètement remboursée, qui est d'abord vendue et
refinancée ou à l'inverse, d'abord refinancée par l'ancien
propriétaire et revendue à un nouvel investisseur. Si le nouvel
investisseur a à faire face à des paiements sur deux
hypothèques ou trois hypothèques, comme c'est courant dans
certains marchés, les dépenses pour l'immeuble sont beaucoup plus
fortes pour le nouvel acquéreur que pour l'ancien. C'est
également un cas très fréquent qu'une
propriété est exploitée pendant un an, deux ans sur
certains marchés, comme à Montréal, c'est plus souvent
quatre ou cinq ans avant d'être vendue à un investisseur en
immeubles. L'acquéreur assume l'hypothèque de construction qui,
même si elle ne représente que 85 p.c. ou 90 p.c. de la valeur de
l'immeuble, a été suffisante pour couvrir les coûts du
constructeur; mais il paie aussi 10 p.c. ou 15 p.c. du prix d'achat,
généralement comptant, au constructeur.
Encore ici, le nouvel acquéreur a pour un même immeuble et
sans changer les caractéristiques d'exploitation, simplement parce que
le financement est différent... On peut introduire d'autres
manières de faire varier des choses; le moment où
l'hypothèque a été contractée influe
énormément sur le coût des intérêts.
Aujourd'hui, c'est 9 3/4 p.c. mais avant-hier c'était 9 1/4 p.c. puis,
il y a deux mois, on pouvait peut-être avoir quelque chose à 8 3/4
p.c. ou à 9 p.c. Le crédit du propriétaire influe
énormément, peut faire varier de 1/2 de 1 p.c. et même dans
certains cas de 3/4 de 1 p.c. le taux d'intérêt qu'il paie sur un
même immeuble. La source de financement... Qu'on s'adresse à des
capitaux personnels qui ne sont pas sur le marché, qu'on s'adresse
à des banques, à des compagnies d'assurances ou à des
trusts pour assurer les prêts hypothécaires, les conditions
peuvent varier énormément; et 1/2 de 1 p.c. ou 3/4 de 1 p.c,
ça fait une différence sur la rentabilité d'un immeuble
bien souvent. Et on voit que les dépenses relatives à un immeuble
ne sont pas des dépenses intrinsèques, ce sont des
dépenses très circonstanciées et à un point
vraiment très considérable.
Par contre, on constate aussi chaque jour que des logements identiques,
même dans un même immeuble, sont loués à des prix
très différents. Encore là, tout comme le prix de l'argent
au propriétaire est un prix bien circonstancié, le prix du
logement au locataire est très circonstancié. Les dates de
location sont différentes et reflètent des conditions de
marché différentes, des pouvoirs de négociation
différents du locataire et du propriétaire. Même des loyers
similaires pour des logements semblables dans un même immeuble peuvent
recouvrir des coûts bien différents pour les deux locataires.
Il y a des locataires qui ont joui, lors de la location, de deux ou
trois mois de loyer gratuit pour les attirer, d'une couche de peinture à
leur choix de couleur, d'un stationnement intérieur au lieu d'un
stationnement extérieur. Il peut obtenir plus qu'un autre, même en
payant le même prix pour un logement identique. Il ne faut pas attacher
d'importance plus considérable qu'il n'en a et il faut aller au prix ou
au loyer et il faut aller derrière vérifier vraiment les
réalités que ces prix-là recouvrent.
Une très importante condition du marché qui se produit au
moment de chaque location, c'est le taux de vacance de semblables logements
dans la municipalité ou dans le quartier dont on a établi
maintenant de manière scientifique on le savait intuitivement
qui se reflète très fortement sur la hausse des loyers. Le
loyer, c'est un prix étalé dans le temps d'une transaction ayant
eu lieu à une date donnée et reflétant les conditions de
marché et des parties au moment de la transaction. Bien souvent, quand
on fait des analyses, quand on regarde de manière immédiate un
immeuble, on tranche dans le temps et on dit: Aujourd'hui, il y a quelqu'un qui
paie $150 pour un logement, le logement identique voisin est loué
à $175 ou $180 et on dit: II y a deux prix pour la même chose
aujourd'hui. Mais ce n'est pas cela. C'est
qu'à deux dates différentes il y avait deux prix pour ces
logements-là. On ne s'étonne pas que le prix des poulets ou des
pommes de terre change tous les jours et même toutes les heures. Mais on
est porté parfois à s'étonner parce que les prix qui sont
établis à un moment donné se reflètent dans le
logement pendant la durée d'un contrat. On s'étonne de ces
variations dans le domaine de l'immobilier.
Ce qu'on voit par cela, c'est que le loyer n'est pas une valeur
intrinsèque et immuable, c'est un prix de marché. Une
pénurie chronique de logements en général sur certains
segments du marché d'immeubles locatifs en particulier, fait cependant
que le propriétaire ne sera que bien peu souvent favorisé par les
conditions du marché, qu'au contraire elles joueront contre lui lors de
la plupart des transactions.
La fixation ou la détermination des valeurs capitales des
immeubles locatifs est un point très litigieux et il a souvent
été suggéré, entre autres, devant cette commission,
que les propriétaires soient limités à un certain
rendement sur leurs investissements lors de la fixation des loyers. Il faut
comprendre qu'un immeuble locatif est une valeur de placement pour la plupart
des gens et que la valeur marchande d'un placement est déterminée
par le taux de revenu qu'il produit. Un édifice vaut $100,000, si
quelqu'un croit de manière justifiée qu'il rapporte un revenu
suffisant sur un investissement de $100,000, c'est le seul critère qui
établit la valeur. La valeur de capital est déterminée par
le revenu et non pas l'inverse. D'assurer ou de chercher à assurer un
taux fixe de revenu sur un édifice nous amène à faire
varier sa valeur marchande et incite les propriétaires à
effectuer des transactions fictives pour augmenter la valeur apparente des
immeubles dans le seul but de s'assurer de plus forts revenus. Par exemple, si
le taux d'intérêt recherché atteint 20 p.c, un
bâtiment qui rapporte net $10,000 par année vaut $50,000. Si le
rendement recherché est de 5 p.c, on va payer jusqu'à $200,000
pour le même immeuble. C'est le revenu qui détermine la valeur
capitale d'un placement; si on comprend que c'est cela, on voit qu'on ne peut
pas lier à ce moment-là les loyers à leurs propres effets,
on ne peut pas lier les loyers, les revenus des propriétaires à
la valeur des immeubles, ce serait lier les loyers à leurs effets et
inviter à la fraude et à l'escalade des prix.
Le propriétaire d'un immeuble, ses expectatives de rendement, ses
caractéristiques, son attitude vis-à-vis de l'investissement
influencent le rendement d'un immeuble.
Les sections précédentes justifient, en partie du moins,
de ne pas lier les loyers au capital investi ni aux conditions
particulières du financement de l'immeuble. La rentabilité d'un
immeuble est une notion très aléatoire qui dépend tout
autant des objectifs de l'investisseur que du revenu même engendré
par l'im- meuble. Dans toutes les évaluations de rentabilité
d'immeubles, la notion principale d'analyse n'est pas le profit, c'est le cash
flow. Le cash flow se différencie du profit en ce sens que, lorsqu'on
parle de profit, on inclut dans cette notion-là l'accroissement de
l'équité au propriétaire, soit par accroisement de la
valeur capitale de l'immeuble, soit en comptabilisant plutôt les
remboursements d'hypothèque, du capital de l'hypothèque.
L'exigence première des investisseurs n'est pas le profit, c'est
plutôt un cash flow positif. Pour l'investisseur, il est
nécessaire que le cash flow d'un immeuble soit positif, donc que
l'immeuble se paie de lui-même, parce qu'en situation contraire,
même si l'immeuble produit un profit, l'investisseur serait amené
chaque année à débourser pour garder son bien, si
l'immeuble produit un cash flow négatif, même en faisant un
profit. C'est-à-dire que, chaque année, pour conserver son
immeuble, le propriétaire sera obligé de débourser pour
racheter la partie d'hypothèque par exemple. Il n'y a personne qui est
capable de faire cela à long terme. A court terme, cela peut être
une situation tenable pour de gros investisseurs, pas pour de petits, mais
à long terme, c'est absolument impossible.
Le rendement attendu varie suivant les propriétaires. Plus grande
est l'entreprise exploitante d'un immeuble en général, plus
grande est l'expectative de rendement et plus grand est le rendement
effectivement utilisé. C'est l'expérience très
générale de petits investisseurs, pour toutes sortes de raisons,
dont la principale est bien souvent qu'on leur vend des
propriétés à des prix très au-delà de la
valeur réelle des immeubles, en leur faisant miroiter des expectatives
de profits tout à fait irréalistes. Les petits investiseurs ont,
en général, des rendements inférieurs à ceux des
grandes entreprises de construction ou de gérance d'immeubles. Dans le
rendement attendu par les propriétaires, on n'est pas porté de
manière générale à compter la possibilité ou
l'expectative du gain de capital. C'est une possibilité qui n'existe pas
pour tous les investisseurs, en particulier ceux qui font le commerce
d'acheter, de vendre des propriétés, ils ne peuvent pas compter
sur un gain de capital. Ce sont des gains de revenus généralement
imposables au même taux que le revenu ordinaire, mais les investisseurs
en immeubles détiennent des valeurs de placement et les valeurs de
placement n'ont de valeur que s'il existe un marché et on s'attend
généralement à pouvoir disposer de ces valeurs-là
à un moment donné.
Le grand domaine d'intervention des commissaires et du tribunal en
matière de fixation des loyers reste et doit rester celui des abus
commis par les propriétaires aux dépens des locataires peu
mobiles, mal informés ou à l'occasion de rareté temporaire
ou artificielle sur certains segments de marché locatif. Les
commissaires et le tribunal devront être équita-
blés dans leur décision sans essayer, à eux seuls,
de régler tous les problèmes de logement. Messieurs.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Thouin. Est-ce qu'il y a des
questions, des observations?
M. CHOQUETTE: M. le Président, je n'ai pas beaucoup
d'observations ou de questions à formuler à M. Thouin. Je
voudrais cependant saisir cette occasion pour le remercier de son
exposé. Je pense qu'il a mis en lumière certaines
caractéristiques du marché immobilier et les problèmes
économiques qui affectent ce domaine de l'activité,
c'est-à-dire la construction et la propriété
immobilières.
Je remercie M. Thouin de son exposé et je tiens à lui
indiquer aujourd'hui mon appréciation pour la collaboration qu'il nous a
donnée au cours de la préparation de ce projet de loi.
M. THOUIN: Merci, M. le ministre.
M. PAUL: M. le Président, c'est un mémoire pratique. Je ne
sais pas si M. Thouin était seul à le préparer mais de
toute façon, lui seul ou les membres de son équipe doivent
être félicités. Vous nous avez présenté, du
moins sous un jour nouveau quant à moi, la véritable situation
qui doit exister dans l'appréciation de tout ce problème du
logement au Québec. Vous attirez notre attention sur des faits
particuliers que l'on connaissait peut-être déjà, mais
auxquels nous ne nous arrêtions pas. Je vous félicite et veuillez
croire que votre mémoire nous sera d'une grande utilité, surtout
à nous de l'Opposition, chargés de surveiller les faits et gestes
du gouvernement. Mais ce qui me rassure, c'est que le ministre a
présenté l'ouverture d'esprit qui vous honore parce qu'il vous a
remercié pour la participation, votre participation, à la
préparation des projets de loi qui retiennent notre attention
actuellement.
M. THOUIN: Merci.
LE PRESIDENT (M. Blank): Le Bureau de révision du code civil.
M. CHOQUETTE: Pour l'Office de révision du code civil, qui
va...
M.PAUL: Es sont quasiment aussi nombreux que les
députés.
Office de révision du code civil
M. CREPEAU: M. le Président, M. le ministre, messieurs, si vous
le permettez, la contribution de l'Office de révision du code civil
pourrait se faire en deux temps. D'abord, je pourrais brièvement situer
le projet 78 dans l'ensemble des travaux de réforme du code civil et mon
collègue, Me Daniel Jacoby qui est incontestablement le
spécialiste du louage de choses au sein de l'office, sera en mesure de
faire ressortir les dispositions essentielles du projet et répondre,
j'en suis persuadé, aux questions que vous aimeriez poser.
Avant d'aborder ce projet, M. le Président, je voudrais dire que
le projet de loi 78 est le fruit d'une fructueuse collaboration entre Me
Alarie, sous-ministre associé à la Justice et son équipe,
Me Cardinal; également, de M. le juge Ross de la Commission des loyers
et de l'Office de révision du code civil. M. le juge Ross, la semaine
dernière, vous vous le rappelez, s'est plu à souligner la
contribution de l'Office de révision du code civil. Je m'en voudrais de
ne pas dire également le plaisir et le profit que nous avons
tirés de cette collaboration entre ces trois organismes.
En ce qui concerne la participation de l'Office de révision du
code civil à l'élaboration du projet de loi 78, je pense qu'il
convient également, M. le Président, de souligner le fait que
cette contribution s'est faite en deux étapes. D'abord, il y a eu les
travaux du comité du droit de louage de choses qui, au cours des
années 1969 et 1970, a préparé un projet de
législation sur le contrat de louage de choses; ce comité
était présidé par M. le juge Trudel qui est un
collaborateur à l'office; ce comité était également
composé de Me Ariste Brossard, de Me Gerald McCarthy, de M. le
professeur Maurice Tancelin et de Me Daniel Jacoby comme rapporteur. Il est
certain et je pense pouvoir l'affirmer que si ce comité du
droit du louage de choses n'avait pas pu terminer ses travaux, nous n'aurions,
je pense, certainement pas pu faire face aux échéances que le
ministre de la Justice nous fixait à la fin de l'année
dernière, pour l'élaboration du projet de loi 78.
Une deuxième étape s'est faite par l'apport du
comité de la protection du consommateur, section louage de choses, et ce
comité est animé par M. Trudel et d'autres collaborateurs. Ici,
il faut le dire, si ce n'avait été de la contribution
exceptionnelle de Me Jacoby et de Me Louise Robert, je pense pouvoir dire que
nous ne pourrions pas aujourd'hui vous présenter ce projet de loi. C'est
une contribution qui a été le fruit de travaux soutenus et je me
plais à le souligner.
Ce projet de loi 78 s'insère parfaitement dans le cadre de la
réforme générale du code civil et notamment, du titre des
obligations et des contrats nommés. Les principes fondamentaux qu'il
consacre correspondent assez exactement aux politiques législatives
nouvelles que l'Office de révision du code civil entend soumettre, dans
les meilleurs délais, aux autorités gouvernementales, dans le
domaine des relations contractuelles.
Ces politiques législatives nouvelles sont certainement
destinées à transformer, si telle est la volonté du
législateur, assez profondément les règles du jeu
contractuel telles qu'elles ont été
établies par le législateur de 1866. On sait en effet
et je veux simplement le rappeler très brièvement
que ce droit contractuel de 1866, issu du libérablisme
économique, du laisser-faire, était essentiellement fondé
sur les postulats de l'égalité, de la liberté des parties.
Les parties contractantes, pourvu qu'elles soient majeures, qu'elles soient
capables, étaient présumées, étaient même
réputées être sur un pied d'égalité. Elles
devaient être en mesure d'assurer la défense de leurs
intérêts patrimoniaux, tant en ce qui concerne la
négociation de l'accord contractuel qu'en ce qui concerne la
connaissance de leurs droits et aussi, il faut le dire, la défense
judiciaire de leurs intérêts.
Ainsi, dans ce contexte du milieu du XIXe siècle, le contrat
est-il conçu comme le fruit de concessions réciproques qui sont
faites en pleine connaissance de cause et que chacun pourra faire valoir au
besoin en justice. Mais non seulement les parties sont-elles égales,
elles sont également libres. Elles sont libres et il convient de se le
rappeler, étant donné certaines dispositions extrêmement
importantes que l'on a cru devoir insérer dans ce projet de loi 78;
elles sont d'abord libres de refuser de contracter dans le droit de 1866. On
peut refuser de disposer de ses biens, de disposer de sa
propriété. Si on décidait de contracter, on était
libre de choisir son cocontractant et de le choisir au gré de ses
intérêts, au gré même, peut-être, de ses
préjugés. Et des décisions telles que, par exemple, la
décision célèbre de la cour Suprême du Canada dans
l'affaire Christie v. The York Corporation montrent à quel point le
principe de la liberté contractuelle a été consacré
dans notre droit, surtout lorsque la cour d'Appel réaffirmait le brocard
que "charbonnier est maitre chez soi".
Si bien qu'elles sont libres de refuser de contracter, elles sont libres
de choisir entre elles les parties contractantes mais au-delà de ce
choix, elles sont libres de façonner leurs rapports contractuels au
gré de leurs intérêts. Cette manière de
procéder pouvait se faire soit expressément par le libre jeu de
la négociation, soit encore implicitement par référence
à ces contrats types que l'on trouve dans le code civil au titre de la
vente, du louage de la société, du mandat, qui sont autant de
schèmes, si on peut dire, de réglementations supplétives
que le législateur proposait aux parties contractantes pour le cas
où elles auraient oublié de négocier expressément
leur accord ou encore pour le cas où elles auraient décidé
que, au fond, ce schème, ce contrat type était celui qui
convenait d'avantage à leurs intérêts.
Ce qu'il convient de noter et ce sera une différence
essentielle entre ce qui se trouve dans le code de 1866 et ce qui se trouve
dans le projet 78 en ce qui concerne le bail résidentiel c'est
que le bail type, en quelque sorte, du code civil, était un bail type
à caractère purement supplétif. Les parties pouvaient,
à leur guise, suivant le gré de leurs intérêts, en
modifier le contenu et réglementer expressément leur rapport
contractuel.
Donc, les parties sont égales, les parties sont libres. Bien
sûr, cette liberté n'est pas exclusive. Cette liberté n'est
pas totale. Au principe de la liberté contractuelle, le
législateur avait déjà, en 1866, apporté le
correctif important de l'article 13 du code civil selon lequel on ne peut, par
des conventions privées, déroger au principe de l'ordre public et
des bonnes moeurs.
Egalement, dans le code, dans le titre des contrats nommés, il y
avait certaines dispositions qui venaient porter atteinte à la
liberté contractuelle. Ainsi ce célèbre article 1667 qui
disait; "fruit d'une réaction à la révolution
française que l'on ne pouvait pas allouer ses services à vie."
Mais c'était là une exception que l'on considérait
limitée. Le législateur, lui, de son côté, ne
voulait pas porter atteinte ou ne voulait porter qu'une atteinte limitée
au principe de la liberté. Les tribunaux, également, ont cru
devoir respecter ce principe de la liberté contractuelle parce que l'on
ne voyait pas très bien comment l'ordre public, comment les bonnes
moeurs pouvaient s'immiscer, sauf dans des cas très rares, dans les
relations privées. On connaît des décisions
intéressantes, par exemple, celle de Chaput v. Bonhomme, une
décision de 1925 où la cour d'Appel de la province de
Québec vient déclarer que les clauses d'un contrat peuvent
être injustes, peuvent être exorbitantes, peuvent être
abusives mais elles ne sont pas contre l'ordre public et les bonnes moeurs.
C'était là l'expression d'un état d'esprit, d'une
philosophie des relations contractuelles.
C'est donc là, M. le Président, le droit contractuel de
1866: liberté, égalité, et on serait tenté de dire
bien peu de fraternité. Il faut dire que le code civil, encore
aujourd'hui, conserve une image assez fidèle, à sa face
même, de ces principes qui ont présidé à
l'élaboration du droit contractuel.
Or, ce qu'il convient de noter, c'est que les bouleversements sociaux
qui sont issus de l'industrialisation, de l'urbanisation, on le sait, des
guerres mondiales, qui ont donné naissance à la
société de consommation, qui ont donné naissance à
ce qu'on a appelé l'âge de l'éphémère, ont eu
des répercussions importantes dans le droit contractuel.
Elles ont complètement modifié, d'abord, les
schèmes de pensée traditionnels. Ces bouleversements ont
complètement transformé également les conditions sociales,
les conditions psychologiques dans lesquelles les contrats étaient
négociés, puis conclus. Et surtout, sur le plan juridique, ces
bouleversements ont complètement faussé l'application des
règles classiques.
On s'est rendu compte, en effet, que dans de nombreux secteurs des
relations économiques, par exemple, la vente, le louage, le prêt,
les entreprises de diverses sortes, les postulats d'égalité et de
liberté ne correspondent plus à la réalité. Les
parties contractantes, souvent, ne
sont pas égales. Les parties contractantes ne sont pas libres ou
tout au moins, si elles sont égales, si elles sont libres, il y en a une
d'entre elles qui est plus égale, qui est plus libre que l'autre.
Et alors, ces transformations sociales ont fait apparaître dans le
cadre du droit classique ce que l'on a appelé, au début du
siècle, le contrat d'adhésion dont mon collègue vous
entretiendra plus particulièrement. Ce contrat d'adhésion
où une partie profitant et il faut le dire, consciemment ou
inconsciemment, et souvent par le biais d'un contrat type, d'une formule type,
d'un état de supériorité, est en mesure d'imposer sa
volonté à l'autre.
Il convient de dire que cela n'est pas là un
phénomène local. C'est un phénomène universel et
notamment, dans les pays de l'Occident. Ce caractère universel a
été particulièrement mis en relief en 1970, lors du
huitième congrès de l'Académie internationale de droit
comparé. On s'est rendu compte, au cours des travaux qui ont
porté sur ce sujet, des contrats d'adhésion et des contrats type,
que partout dans les pays de l'Occident, on se trouve en face des mêmes
problèmes. Partout, on se retrouve à la recherche de mêmes
solutions. On se demande toujours comment combattre les abus de la
liberté contractuelle, tout en en retenant les avantages, tout en en
conservant ce qui peut profiter aux parties contractantes.
Les travaux de ce congrès ont montré qu'au fond, les
moyens ne sont pas illimités. On a montré qu'au fond, ils se
situent à trois niveaux. Ou bien, il y a une intervention
législative, ou bien, on procède par un contrôle
administratif, ou bien, on s'en tient à une surveillance judiciaire.
Les travaux de ce congrès ont aussi montré qu'il n'y a pas
de solution miracle, qu'aucun de ces trois moyens, d'ailleurs, ne peut à
lui seul, assurer la surveillance de la partie forte et la protection de la
partie faible.
On s'est rendu compte, par les travaux des divers rapporteurs nationaux,
que dans tous les pays, au fond, c'est un dosage, selon les circonstances
particulières de chaque pays, de ces moyens qui convient pour assurer la
juste protection des intérêts.
Ces préoccupations se retrouvent dans le projet 78. Et je
voudrais, brièvement, en signaler trois. Premièrement, la
réglementation législative à caractère
impératif Me Jacoby vous en entretiendra plus
particulièrement c'est une réglementation où le
législateur vient en quelque sorte, impérativement,
décider du contenu contractuel, notamment du bail résidentiel. Et
on peut dire, à cet égard, qu'avec les dispositions du projet, je
pense à l'article 1652 et suivants, on est en présence, au fond,
d'un contrat type idéal, puisque le législateur vient dire
expressément et impérativement : Voici vos obligations auxquelles
vous ne pourrez pas déroger ou au moins, si vous pouvez y
déroger, cela ne sera qu'avec l'accord ou sous la surveillance
judiciaire.
Deuxièmement, il y a le moyen de la surveillance judiciaire, de
ce que l'on pourrait appeler l'équité contractuelle et notamment,
dans le projet 78, avec le secours, l'appui et le support de services
techniques qui peuvent être d'un grand secours à l'autorité
judiciaire.
Cette surveillance judiciaire, on la retrouve dans les articles visant
les réparations, dans les règles concernant le maintien des
lieux, la reprise de possession, et aussi je voudrais m'y attarder un
instant, si vous me le permettez dans la fixation d'un juste loyer.
C'est ici qu'est expressément consacrée la lésion.
Or, quand on mentionne le mot lésion, il arrive très souvent que
dans certains milieux juridiques, tout de suite, le mot lésion fait
dresser les cheveux. Il arrive très souvent, dans certains milieux, que
lorsqu'on pense à la lésion, on pense à quelque monstre
qui va sortir des eaux pour mettre en péril la sécurité,
la stabilité contractuelles.
Or, il me semble et je le dis en toute déférence
pour ceux qui partagent l'opinion contraire que rien n'est plus faux,
car le principe de la lésion n'est pas un monstre nouveau. Le principe
de la lésion n'a pas pour effet de troubler la sécurité
contractuelle. En effet, quand on pense au principe de la lésion, il
faut bien se rappeler qu'il fait tout de même partie d'une tradition
séculaire de notre droit civil et, si le principe de la lésion a
été sacrifié en 1866 dans le code pour répondre aux
impératifs du libéralisme économique, il faut, tout de
même, dire qu'il est vite réapparu dans le code. Il est apparu en
1906, à l'article 1149 du code civil concernant les
intérêts usuraires.
Il a été réintroduit, en 1939, dans l'article 1056
b) concernant les transactions consécutives aux accidents causant des
blessures corporelles. Il a été introduit, en 1951, dans la Loi
de la conciliation entre locateurs et locataires, ce fameux article 29 b) qui
permet ce contrôle de l'équité. Il a été
introduit, on le sait, en 1964, d'une façon assez énergique dans
l'article 1040 c) du code civil inspiré du Uniform Commercial Code
américain et inspiré également des Unconsctionable
Transactions Acts des autres provinces canadiennes. On le retrouve, aussi
surprenant que cela puisse paraître, dans un milieu très sensible
à la liberté contractuelle, dans la Loi des valeurs
mobilières où deux dispositions viennent consacrer le principe de
la lésion de même dans l'article 118 de la loi de protection du
consommateur. Si bien, qu'on ne peut pas dire que nous sommes en
présence de quelque chose qui fait partie de notre tradition et que l'on
a réintroduit, graduellement, expressément ou implicitement pour
assurer le respect de la justice contractuelle.
Il convient également de dire que le principe de la lésion
n'a pas pour effet de troubler la sécurité contractuelle mais
simplement de réprimer les abus de la liberté contractuelle et
c'est ce que l'on fait, encore ce matin, M. le ministre de la Justice, visant
à faire comprendre
que la lésion vient corriger les abus d'une liberté et non
pas réprimer la liberté elle-même. Et un fait
symptomatique, M. le Président, l'article 1040 c) du code civil qui
introduit la lésion en matière de prêt usuraire a
été indroduit en 1964. Or, les recherches qu'a effectuées
mon collègue, Me Daniel Jacoby, ont montré que depuis 1964 il y
aurait eu à peine douze décisions, publiées ou non,
où les tribunaux seraient intervenus pour réduire le coût
excessif d'une opération de prêt. Si bien que si vous avez une
disposition qui introduit la lésion dans un domaine très sensible
comme celui du prêt, et que l'on ne retrouve que quelques
décisions judiciaires qui viennent en faire l'application, c'est
possible que l'on puisse dire que cette disposition aura pu avoir un effet
préventif, un effet éducatif et que les tribunaux venant dire
à peu près ce que pourrait constituer un intérêt
normal ou un coût normal du prêt, soit en quelque sorte un guide
pour les opérations futures. Si bien que, et je termine
là-dessus...
M. CHOQUETTE: Sauf dans le domaine du crime organisé où
ils ont des méthodes particulières de faire exécuter des
obligations.
M. CREPEAU: Evidemment, le code civil, avec les moyens limités
qu'il possède, ne peut pas aller au-delà de son régime
particulier. Mais, au fond, la conclusion qui s'impose, c'est que ce principe
de la lésion parait tout à fait justifiable et l'Office de
révision du code civil se propose de présenter aux
autorités gouvernementales des dispositions qui, au chapitre
général des obligations permettraient d'introduire ce correctif
souple, flexible, mais aussi énergique et préventif qui
permettrait de prévenir les abus.
M. PAUL: Est-ce que ce serait dans le chapitre de l'annulation des
obligations par exemple?
M. CREPEAU: Dans le chapitre de...
M. PAUL: Des annulations d'obligations, des causes d'annulation
d'obligations.
M. CREPEAU: C'est-à-dire que, lorsque nous avons
réfléchi à ce problème, je pense qu'on peut dire
que ça viendrait dans les conditions de formation, dans les vices du
consentement du contrat. Parce qu'à l'heure actuelle, la lésion
se trouve à l'article 1012, on l'a éliminée entre majeurs,
il s'agit de la réintroduire comme l'un des vices du consentement.
Un troisième aspect que je veux signaler brièvement, c'est
la reconnaissance, dans le projet 78, du droit à l'information. C'est un
aspect particulier qui convient d'être souligné. On a toujours
reconnu au citoyen le droit à l'information en ce qui concerne ses
droits. Mais, chose curieuse, on a toujours considéré le droit
à l'information comme étant en quelque sorte le droit pour le
citoyen de s'informer lui-même de ses droits. Et qui en était le
débiteur?
Le législateur, le gouvernement, par la promulgation des lois,
par la promulgation des règlements. Ici, je pense qu'il convient de
souligner l'heureuse initiative du ministère de la Justice qui, enfin, a
comblé une grave lacune par la publication de cette collection de
réglementations administratives du Québec. Si bien qu'alors qu'on
concevait jusqu'ici le droit à l'information, comme le droit de
s'informer de ce qu'étaient ses droits, le projet 78, faisant suite
d'ailleurs dans une certaine mesure au projet de loi 45 sur la protection du
consommateur, a changé en quelque sorte la perspective. On dit: Non
seulement le citoyen a-t-il le droit à l'information, non seulement
peut-il, bien sûr, toujours s'informer lui-même de ses droits,
mais, dans un contexte de contrat d'adhésion où se trouvent un
fort et un faible, on vient ajouter un autre débiteur de l'information
et on demande à la partie forte de venir présenter à la
partie faible le cadre contractuel dans lequel le contrat sera
exécuté. Il me semble que c'est une heureuse initiative, dans ce
contexte particulier où se négocient, où
s'exécutent les contrats; on peut fort bien comprendre qu'une partie
puisse avoir non seulement le droit à l'information, mais puisse
être informée, non seulement par le législateur, le
gouvernement, mais également par l'autre partie contractante.
Ces divers moyens de réprimer les abus de la liberté
contractuelle, appliqués dans ce domaine particulier du louage de
choses, M. le Président, mais aussi et bientôt, je
l'espère, appliqués à des degrés divers selon le
type de contrat, à l'ensemble de la législation contractuelle,
sont il nous semble à l'Office de révision du code civil
de nature à promouvoir l'élaboration d'une nouvelle charte
des contrats, une charte qui est destinée à assurer le respect,
bien sûr, de la liberté des parties contractantes, destinée
à assurer, bien sûr, le respect de l'égalité des
parties contractantes, mais surtout destinée à assurer la justice
dans les relations contractuelles.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Cré-peau. Me Jacoby.
M. PAUL: J'aurais peut-être une question à poser au
ministre. Après avoir entendu Me Crépeau, je me demande ce qu'il
ajoutera de nouveau dans son discours de deuxième lecture sur la loi
78.
M. CHOQUETTE: C'est bon signe.
M. PAUL: D'ailleurs, j'ai vécu l'expérience avec Me
Crépeau lorsque nous avions adopté la loi 29, la
copropriété. Alors, je pense qu'à ce moment-là le
discours de deuxième lecture était le fruit de la cogitation de
M. Crépeau que je remercie pour cette présentation qui nous
permet de mieux saisir la portée et les principes qui
sous-tendent le projet de loi 78.
M. JACOBY: M. le Président, messieurs les membres de la
commission, je n'ai pas préparé de mémoire sur les aspects
techniques de la loi 78, étant donné que, si je l'avais fait,
j'aurais dû répéter tout ce qui se trouve dans les notes
explicatives, les justifications aux différents projets qui sont soumis
dans ce bill. Et, de mon côté, c'aurait été
très fastidieux et je pense que pour vous ç'aurait
été très ennuyeux.
Alors, en somme, ce que je vais faire, c'est de donner certaines raisons
pour lesquelles il est important, je pense, de modifier substantiellement le
droit du louage, des raisons qui ne sont pas strictement juridiques, d'une
part, et dans un deuxième temps, j'exposerai les grandes lignes du
projet de loi 78.
Les raisons qui militent en faveur d'un bouleversement assez profond du
droit du louage, on peut les regrouper en quatre. D'abord, l'existence de deux
secteurs parallèles en matière de bail résidentiel.
Deuxièmement, l'application d'un code qui est largement
dépassé pour différentes raisons par les impératifs
du logement en 1973. Troisièmement, l'existence malheureusement d'une
jurisprudence de droit commun qui, sous plusieurs aspects, s'avère
très conservatrice.
Quatrièmement, l'application de ce fameux postulat de la
liberté contractuelle, qui a donné lieu à ce que l'on
connaît en matière de baux résidentiels comme étant
les contrats d'adhésion.
D'abord, il y a l'existence de deux secteurs parallèles en
matière de loyers, qui cause de sérieuses difficultés.
Evidemment, je ne tiens pas compte de la loi d'exception qui est en application
cette année. C'est une loi d'exception. Vous avez deux secteurs: le
secteur contrôlé, c'est-à-dire le secteur qui est
régi et gouverné par la Loi de conciliation et, ensuite, le
secteur libre qui est l'application pure et simple du droit civil. Il faut se
rappeler que, sur environ 850,000 logements locatifs au Québec, il y en
a environ 250,000 qui sont soumis au secteur contrôlé. En passant,
je n'aime pas tellement l'expression secteur contrôlé. Je dirais
qu'il y a un secteur plus libre et un secteur moins libre. Ce qui est
paradoxal, c'est qu'on se trouve devant deux types de locataires dans la
province de Québec. Il y a des locataires qui jouissent de droits
beaucoup plus étendus que d'autres. Ce sont les locataires qui
bénéficient de la Loi de conciliation. Ces locataires ne peuvent
pas indûment recevoir un avis de congé à l'expiration du
bail. Ces locataires ne peuvent pas subir d'augmentation abusive de loyer. Dans
le fameux secteur libre, c'est la situation inverse qui se produit.
En somme, on peut dire qu'il y a des locataires
défavorisés à cause de l'existence de ces deux secteurs
parallèles.
Je pense qu'en 1973 c'est pratiquement une forme de discrimination que
de perpétuer un tel régime, tant sur le plan social que sur le
plan économique et sur le plan juridique. Je pense que c'est une raison
assez importante qui milite en faveur d'un bouleversement profond du droit de
louage.
Deuxième raison, c'est que nous avons l'application d'un code qui
est complètement dépassé par les impératifs
modernes. Comme le soulignait tout à l'heure Me Crépeau, le code
est issu du libéralisme économique appliqué à la
lettre, avec toutes ses conséquences. Evidemment, il y a des
conséquences bénéfiques, mais cela a conduit aussi
à des effets néfastes. Par ailleurs, il faut se rappeler que le
droit de propriété, à l'époque, était une
des valeurs les plus respectées et les plus soutenues. Quand le code a
été rédigé en matière de louage, il ne
faudrait pas oublier qu'on avait affaire à un propriétaire dans
le contexte de 1866 et à un locataire qui n'avait qu'un simple droit de
jouissance. C'est pour cela qu'on retrouve dans le code actuel des dispositions
ou des articles qui sont symptomatiques de cette mentalité qui a
vraiment évolué depuis lors. Prenons, par exemple, l'article 1629
qui crée une présomption de faute envers le locataire lorsqu'un
incendie se produit dans les lieux loués. Voilà un exemple
symptomatique.
Vous avez l'article 1635 qui définit les réparations
locatives ou qui énumère certaines réparations locatives.
Dans cet article 1635, on fait assumer au locataire l'obligation de
réparer la cheminée, le foyer, les plafonds, les planchers
partiellement brisés, à moins que le locataire ne prouve un cas
fortuit ou la vétusté. Il n'est certainement pas facile
d'établir que ceci s'est produit par cas fortuit ou par
vétusté.
Autre exemple qui est symptomatique de cette mentalité de
l'époque, c'est l'article 1637 qui, à mon avis, n'a aucune raison
d'être aujourd'hui.
Lorsqu'il y avait une réparation urgente et nécessaire, le
locataire devait la subir sans aucune diminution de loyer, sans aucune
compensation, sauf si les réparations duraient plus de 40 jours et si
ces réparations étaient devenues nécessaires avant la
conclusion du bail. Encore là, vous avez un exemple de cette philosophie
qui régnait au siècle dernier. On pourrait certainement passer
d'autres articles en revue, mais je pense que ceci illustre suffisamment les
changements de mentalité qui s'imposent.
L'autre élément, c'est que, à cause de la
coexistence, encore, de ces deux secteurs parallèles, vous avez eu d'une
part la jurisprudence dans le domaine du secteur contrôlé qui a
toujours évolué d'une manière très libérale,
alors que devant les tribunaux de droit commun, on s'est trouvé devant
des décisions qui, à mon avis, ne sont plus justifiables
aujourd'hui. Il y a une décision, par exemple, où les plafonds de
l'appartement se sont écroulés et le tribunal a
décidé que c'était une réparation locative.
Jusqu'à récemment, devant les tribunaux de droit commun,
il fallait, pour qu'un locataire puisse exercer des recours, qu'il y ait une
vermine abondante, qu'il y ait des rats en très grande quantité
pour pouvoir quitter le logement ou exercer un autre recours. Ce n'est que
récemment qu'une décision, à mon avis, a compris
véritablement que le logement était un service, un besoin
essentiel. Les faits sont à peu près les suivants. Vous aviez une
femme enceinte qui était évidemment très nerveuse; il y
avait deux rats dans la maison. Cette femme faisait une dépression
nerveuse à cause de ces deux rats. On a quitté les lieux. Le
tribunal a bouleversé complètement les principes traditionnels
pour différents motifs mais, entre autres choses, il a dit que ce
n'était pas nécessaire qu'on retrouve des rats partout dans la
maison pour que le locataire puisse quitter les lieux.
Autre exemple.
M. PAUL: Me Jacoby, est-ce que c'est un jugement de la cour
Supérieure?
M. JACOBY: De la cour Supérieure.
M. PAUL: Est-ce que le jugement a été porté en
appel?
M. JACOBY: Non. Autre exemple où la jurisprudence des tribunaux
de droit commun s'est montrée très conservatrice, c'est dans
l'application de l'exception de ce qu'on appelle techniquement en droit,
l'exception d'inexécution. Vous savez tout le monde que lorsqu'une des
parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie peut refuser
d'exécuter les siennes. Ceci s'appliquait dans tous les contrats, sauf
en matière de louage pour différentes raisons. En matière
de louage, pour que le locataire puisse retenir son loyer, il fallait que le
logement soit devenu inhabitable. C'est encore un exemple où vraiment le
louage a été traité d'une manière exceptionnelle
par la jurisprudence de droit commun. Je ne veux pas généraliser,
mais il y a beaucoup de décisions qui sont extrêmement
conservatrices ou réactionnaires.
Autre élément qui milite en faveur d'un bouleversement
complet du droit du louage et je parle évidemment surtout en
relation avec les baux résidentiels c'est ce fameux postulat de
la liberté contractuelle qui a donné lieu, aussi paradoxal que
cela puisse paraître, à ce qu'on appelle le contrat
d'adhésion.
La liberté contractuelle qui imprègne le code de 1866,
c'est la transposition en termes juridiques du mécanisme de l'offre et
de la demande que l'on considérait à l'époque très
fonctionnel, la théorie économique.
Un juriste éminent a dit: "Qui dit contractuel dit juste", en
relation avec ces théories économiques. Or, cette affirmation
s'est avérée véritablement fausse par la suite. Cette
liberté contractuelle a été critiquée tant par les
juristes que par les sociologues du droit et qu'est-ce que cette liberté
contractuelle a donné?
Cela a donné ce fameux contrat d'adhésion.
C'est-à-dire que le seul choix que vous avez est d'accepter ou de
refuser l'ensemble de la convention. C'est ce fameux contrat dont on retrouve
les formules un peu partout et qui contient une foule de clauses qui, dans
certains cas, s'avèrent abusives.
Par exemple, dans un contrat, j'ai trouvé une stipulation
à l'effet qu'en cas de conflit entre le locateur et le locataire,
c'était le locateur qui choisissait l'avocat du locataire. Dans une
maison d'appartements, il y avait une stipulation au bail qui disait un
édifice immense que le locataire était tenu d'assumer
proportionnellement les coûts de réparation de la toiture.
Il y a ensuite une foule de clauses d'exonération de
responsabilités et, à titre d'exemple, je vais vous lire ici une
clause d'exonération de responsabilités. C'est écrit en
caractères lilliputiens et j'ai oublié mes lunettes à
Montréal, mais je vais quand même essayer...
M. PAUL: On peut aller chercher Mlle Tes-sier.
M. JACOBY: ... de vous la lire. "Le bailleur ne sera responsable
d'aucune blessure ni d'aucun préjudice dont le locataire pourrait
être victime et d'aucun dommage aux biens du locataire et le locataire
n'aura pas le droit de demander que son loyer soit réduit au cas
où il deviendrait nécessaire, pour quelque raison que ce soit,
d'interrompre le fonctionnement des ascenseurs, du système de chauffage,
de l'appareillage électrique ou de la plomberie dans le but d'y
effectuer des réparations ou de réparer les moteurs,
chaudières, machines ou dispositifs qui s'y rattachent, mais le bailleur
s'engage à faire exécuter en pareil cas ces réparations
avec diligence. Et le bailleur ne sera responsable d'aucune blessure, ni
d'aucun préjudice dont soit le locataire, soit les membres de sa
famille, soit ses invités, soit toute autre personne ayant affaire avec
le locataire, soit tout intrus qui pourrait se trouver dans le bâtiment
ou dans le local, ses appartenances ou ses entrées, pourraient
être les victimes, que ce préjudice soit causé par lesdits
ascenseurs ou toute autre appartenance ou par l'usage qu'en font lesdites
personnes, quelle qu'en soit la cause ou les circonstances et que lesdits
dommages, blessures ou préjudices aient été
provoqués par un acte, une omission ou une négligence du bailleur
ou de l'un quelconque de ses employés domestiques ou agents ou de toute
autre personne ou par qui ou par quoi que ce soit." Et cela continue comme
ça sur une dizaine de lignes. Autre exemple de clause abusive.
M. PAUL: Le bailleur s'était trouvé un excellent
notaire.
M. JACOBY: En effet. Vous aviez ces fa-
meuses clauses pénales. Voici un autre exemple. "Pour le cas
où le bailleur serait contraint à son jugement de recourir au
service d'un avocat pour recouvrer du loyer dû ou pour toute autre raison
concernant l'exécution du présent bail, le locataire consent
à payer, en plus de tout loyer dû et de toute réclamation,
une indemnité de 25 p.c. de toutes les sommes réclamées et
ce, pour compenser les frais de recouvrement en sus des frais judiciaires,
etc."
Enfin, voilà une perle. "Le bailleur se réserve le droit,
pour assurer la tranquillité et la propreté de la bâtisse,
d'indiquer de temps à autre au locataire les noms d'un laitier et d'un
boulanger reconnus de qui le locataire devra acheter ses produits laitiers et
ses produits de boulangerie et il est convenu qu'aucun autre laitier et
boulanger ne sera admis à entrer dans ladite bâtisse."
M. PAUL: C'est dans le contexte du patronage moderne.
M. JACOBY: II y a évidemment... Je ne veux pas m'attarder
là-dessus, parce qu'il y en a de nombreuses perles comme ça dans
ces fameux contrats qui sont imposés. Non seulement ces contrats
d'adhésions contiennent des stipulations qui, à mon avis,
apparaissent abusives, mais ces contrats sont très souvent
rédigés en caractères microscopiques. On m'a
reproché à une dernière commission parlementaire, d'avoir
fait une insulte à la population en disant que les gens ne lisaient pas
leurs contrats. Je pense qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Si
les individus ne lisent pas leurs contrats, c'est qu'ils ont de bonnes raisons
de le faire. La première, c'est que souvent le contrat est illisible et
même, si le contrat était lisible, la technicité, la haute
technicité de la terminologie juridique employée fait que les
gens ne comprendraient rien de toute façon. Alors, les gens ont compris
qu'ils ne pouvaient rien comprendre. Et je pense que ce n'est certainement pas
une insulte que j'ai faite à la population en affirmant cette chose. En
somme, il y a mille et une raisons pour lesquelles on doit réformer
substantiellement le droit du louage de choses et ce ne sont là que
quelques exemples que j'ai donnés.
Pour précipiter les choses, je vais passer maintenant, mais d'une
manière très générale, au grand principe qui
gouverne cette loi. Il faut noter au départ que, pour ce qui est de tous
les baux commerciaux, industriels ou professionnels, dans le projet de loi
actuel et avec les amendements qui seront éventuellement
apportés, comme l'a souligné M. le ministre, tout le
régime du bail commercial sera à peu près laissé
gouverné encore par le principe de la liberté contractuelle,
parce qu'on ne connaît pas encore, dans ce domaine, les abus que l'on a
pu connaître en matière de baux résidentiels. Ce qui fait
que tout ce qui touche les baux résidentiels, le bail d'un local
d'habitation, devient un droit d'ordre public. Un droit d'ordre public,
c'est-à-dire un droit auquel on ne peut déroger. Mais par
ailleurs, comme c'est un droit d'ordre public qui affecte des
intérêts de nature privée, on a tenté de mettre au
point un mécanisme qui puisse permettre d'assouplir les effets des
dispositions d'ordre public et je pense que c'est la première fois que
l'on retrouve ce genre de mécanisme dans une loi. C'est que cet ordre
public est quelque peu mitigé. Lorsque les parties s'entendront pour
déroger ou contrevenir aux dispositions obligatoires, elles pourront le
faire, mais pour être certaines que l'un ou l'autre des parties ne sera
pas, en définitive, dans un état d'infériorité par
rapport à l'autre, on va exiger une forme de ratification du tribunal.
Il faudra donc l'autorisation du tribunal et le consentement unanime des
parties, pour que l'on puisse déroger à ces dispositions d'ordre
public. Dans le fond, c'est un système impératif, mais c'est un
système souple aussi. Le grand principe en définitive, qui
sous-tend toute cette législation, c'est de rétablir
l'équilibre qui n'existait plus en matière de baux
résidentiels, notamment, dans le secteur libre. C'est le principe qui
sous-tend toute cette réglementation en matière de local
d'habitation. Un deuxième grand principe est celui de
l'universalité de la loi. Il n'y a plus aucune raison, comme je le
mentionnais tout à l'heure, que l'on ait des régimes
d'exception.
Si j'entre un peu plus dans les détails, notamment, en ce qui
touche les conditions du logement, une des obligations du locateur, c'est de
fournir et d'entretenir le logement en bon état d'habitabilité.
Je ne donnerai pas d'exemple, mais je sais que, dans plusieurs
municipalités et même à Montréal, il y a des
logements qui sont véritablement inhabitables, des logements où
on pourrait tout au plus faire vivre des animaux.
Cela devient une obligation imperative. De plus, le locateur devra se
conformer non seulement aux obligations que l'on retrouve dans le projet de
loi, mais encore devra-t-il se conformer aux règlements municipaux qui
concernent la salubrité et la sécurité du logement. Ceci
est très important parce que cette jurisprudence conservatrice dont je
vous parlais tout à l'heure avait refusé d'utiliser les
règlements municipaux pour déterminer les obligations des parties
sur le plan civil. Pourtant, quand il s'agit de règlements qui touchent
la salubrité et la sécurité du logement, il me semble que
c'est un élément qui doit faire partie intégrante de la
notion de logement dans un contexte où on considère que le
logement est un besoin essentiel aujourd'hui.
Un autre principe, c'est qu'en vertu de cette loi le locataire, lorsque
le locateur n'effectuerait pas les réparations auxquelles il est tenu,
aura le droit de retenir le loyer, sous contrôle, évidemment, du
tribunal.
Le locataire ne sera tenu, à l'avenir, dans le bill 78, qu'aux
réparations locatives, c'est-à-dire
aux réparations de menu entretien. De son côté, le
locataire aura évidemment des obligations parce que le projet de loi n'a
pas pour but de créer un régime au détriment des
locateurs. H a pour but tout simplement de rétablir l'équilibre
où les intérêts des parties devraient s'harmoniser dans la
mesure du possible. Alors le locataire, de son côté, a aussi des
obligations d'ordre public.
Quant au loyer, M. Crépeau faisait mention
précédemment du loyer juste et raisonnable et de l'introduction,
dans ce domaine, du principe antilésionnaire. Evidemment, quand on
insère dans une loi des dispositions de ce genre dans le fond, la
lésion peut s'analyser sur le plan juridique comme un vice de
consentement parce que c'est une partie qui, à cause de son état
d'infériorité, n'a pas pu librement négocier les
conditions de son contrat il faut mettre tous les locataires sur le
même pied.
Vous avez, d'une part, le locataire qui est sur les lieux et qui peut
contester une demande de loyer abusive, mais il y avait le fameux
problème du nouveau locataire. Le nouveau locataire n'a aucune raison de
se trouver sur un pied d'infériorité par rapport au locataire qui
est sur les lieux. Il y a différentes raisons qui militent en faveur
d'une disposition qui permette la révision du loyer dans les deux mois
d'occupation. C'est que si on n'avait pas cette disposition, il y a de fortes
chances, dans la mesure où un locateur voudrait demander ou obtenir
éventuellement un loyer exagéré sur les lieux, que le
locateur prenne tous les moyens pour faire évincer son locataire.
Ensuite, il y a le fait que le locataire qui est sur les lieux, quand il
s'oppose à une demande abusive de loyer, est au courant de la situation
tandis qu'un nouveau locataire, pressé par les événements,
signe un contrat qu'il ne lit pas et, en définitive, ce n'est
qu'après quelque temps qu'il peut se rendre compte si, oui ou non, le
loyer était abusif.
Deux mois, vous savez, MM. les membres de la commission parlementaire,
c'est vraiment un délai très court si l'on compare ce qui se fait
dans les autres domaines où la lésion est acceptée. En
matière de prêt usuraire, le délai de prescription de
l'action c'est d'ordre public, il n'y a pas de confirmation c'est
30 ans. Dans la Loi de la protection du consommateur, l'article 118, qui
introduit aussi la lésion, dit un an. Ici, on a prévu un
délai très court.
Il y a aussi d'autres raisons mais je vais abréger en
énonçant aussi le fait qu'il y a toute une section du projet qui,
en définitive, interdit, prohibe ou rend inefficaces toutes les
dispositions abusives que l'on retrouvait dans les baux, dans les formules
types.
On a fait un inventaire de toutes les formules de contrat qui
étaient utilisées dans la province de Québec et à
partir de cela on a édicté des prohibitions, notamment les
clauses pénales, les clauses de déchéance de terme, les
clauses d'exonération complète de responsabilité en faveur
du locateur. Enfin, il y a un grand principe qui régit cette loi et que
tout le monde sait, c'est le droit au maitien dans les lieux, sauf les cas de
reprise de possession ou les causes de résiliation.
Mais cela n'est pas tout. Il ne suffit pas d'établir un droit qui
équilibre des rapports de forces. Un droit n'est valable que dans la
mesure où ceux qui peuvent en bénéficier puissent
être informés, d'une part, et puissent avoir un accès
facile aux tribunaux, d'autre part.
C'est pourquoi M. le ministre l'a déclaré à
plusieurs reprises il y aura éventuellement un bail type. Son
principal rôle sera de permettre aux parties de connaître
l'étendue de leurs droits et de leurs obligations. Ce bail type sera
uniforme à travers les locaux d'habitation. De cette manière, on
peut au moins croire que les justiciables, que les individus que cela
soit le locataire ou le locateur pourront avoir une connaissance de
leurs droits, parce qu'une bonne loi ne suffit pas, il faut qu'on la
connaisse.
Ensuite, avec le projet de loi 79, il est évident que le
deuxième objectif que l'on doit viser, c'est-à-dire des
procédures rapides dans le domaine des loyers, des procédures
fonctionnelles, sera bien rempli.
J'en ai terminé.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Jaco-by.
M. CHOQUETTE: Je voudrais remercier M. le professeur Crépeau
ainsi que Me Jacoby pour leurs exposés que je qualifierais de lumineux
ce matin. Je pense qu'ils ont fort bien dégagé les principes qui
se trouvent à la base de ce projet de loi 78, principes qui
correspondent aux conditions modernes dans le domaine du louage. Ils ont, je
crois, montré avec une remarquable clarté, comment les principes
anciens incorporés au chapitre du louage du code civil, adopté
ici, au Québec, en 1866, ne correspondent plus à la
réalité actuelle et comment ces principes devaient être
réformés, modifiés pour les adapter aux conditions
actuelles qui prévalent dans le domaine de l'immeuble et du louage
d'habitation.
Je tiens à leur exprimer mes remerciements et à signaler,
pour ma part, jusqu'à quel point ce projet de loi 78 représente
un changement d'une très grande importance dans le domaine du droit. Je
ne suis pas insensible aux transformations que subit notre code civil. Je crois
que le fait de changer ce chapitre du code civil sur le louage de choses de la
façon que nous nous préparons à le faire représente
une véritable révolution dans le droit.
J'ai été élevé, comme d'autres juristes ici,
dans les traditions anciennes. Le code civil avait ce caractère de
simplicité, de permanence dans ses règles qui faisait que la
législation pouvait s'exprimer, d'une certaine façon, avec une
très grande pureté juridique.
Aujourd'hui, lorsque je regarde le projet de loi 78, que je vois ce
mélange d'administratif et de droit civil, d'une part, ce mélange
de pénal et de droit civil, d'autre part, ce n'est pas sans une certaine
nostalgie que je reviens au type de droit qui existait dans le code civil.
Je crois que les faits sont plus forts que nos propres idées.
Même si ces idées ont été acceptées depuis
des centaines d'années, il faut avant tout que la législation
moderne corresponde à des problèmes pratiques, qu'elle
corresponde à des situations concrètes et qu'elle cherche
à résoudre des problèmes qui sont vécus au jour le
jour. Alors, ce n'est pas, à mon sens, par des visions idéales
que l'on peut résoudre les problèmes sociaux et personnels qui
existent dans le cours ordinaire de l'activité de tous les jours qui
affectent tous les citoyens et toute une population que l'on peut retrancher,
dis-je, dans cette espèce d'univers idéal que certains juristes
pourraient affectionner.
Je crois qu'il faut plutôt prendre une attitude pratique.
Même si en prenant cette attitude-là ceci bouleverse quelque peu
les principes qui nous ont été enseignés, il faut rejeter
ces anciens principes et adopter des formules nouvelles. C'est ce que le projet
de loi 78 fait et c'est ce qu'il veut réussir. Je crois qu'avec toutes
les études qui ont été faites, tant au niveau de l'Office
de révision du code civil qu'à la Commission des loyers, que par
les experts économistes qui sont venus témoigner la semaine
dernière et cette semaine, nous avons tenté de faire la
synthèse des problèmes actuels au niveau social,
économique et juridique.
Nous arrivons avec un projet qui, à mon sens, représente
ce qu'il y a de plus avancé en matière de législation dans
le domaine du logement qui existe, à ma connaissance, dans le monde
entier. Je parle d'une économie libre évidemment, d'une
économie capitaliste ou d'une économie de marché. Dans les
pays où l'économie est le résultat de l'action
gouvernementale tel que dans les pays socialistes, je ne fais pas de
comparaison parce que là, ils sont dans des conditions tout à
fait différentes et, par conséquent, toute comparaison ne serait
pas significative. Mais je parle des économies libres et des
économies qui reconnaissent la valeur du marché. Parce qu'il n'y
a pas de doute qu'une économie libre, à mon sens, peut satisfaire
mieux les besoins des populations tout en ne se cachant pas que ces
économies libres ont des défauts, comportent des distorsions,
emportent parfois des injustices et qu'il nous faut, par la législation,
y apporter des correctifs voulus pour faire en sorte qu'elle puisse, cette
économie de marché, donner des résultats favorables
à l'immense majorité et également satisfaire aux besoins
de justice dans les cas particuliers.
Alors, je remercie messieurs de l'Office de révision du code
civil et tous ceux qui sont venus témoigner la semaine dernière
et cette semaine; également, tous ceux qui ont joué un rôle
actif dans l'élaboration de ce projet de loi pour qu'il comprenne d'une
façon complètement adéquate les différentes
dimensions économiques, sociales et juridiques qui doivent exister dans
un tel projet de loi. Cela n'est pas sans difficulté, et c'est ce qui
explique que l'élaboration de cette loi a pris un certain temps, qu'elle
a requis énormément de réflexions par différents
spécialistes des secteurs intéressés et qu'elle a pris,
évidemment, passablement de temps dans les auditions qui ont eu lieu en
commission parlementaire pour entendre les différents secteurs
d'intérêt qui sont venus nous exposer leurs points de vue que nous
avons considérés, je pense, à leur mérite pour
arriver, en vertu d'une certaine philosophie, d'une certaine attitude, à
un projet de loi qui tiendra compte des dimensions que j'ai
énumérées tout à l'heure.
LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. le ministre. Le député
de Maskinongé.
M. PAUL: La performance du professeur Crépeau ce matin ne nous a
pas surpris surtout lorsque ceux qui, comme moi, ont eu l'avantage de
travailler avec lui dans cette réforme du code civil. En écoutant
Me Jacoby, je me suis dit: L'élève approche le maître. Tous
deux, ce matin, nous ont présenté un travail très bien
préparé. Ce qui est admirable chez eux c'est qu'ils ont voulu,
dans leur travail, répondre à un besoin d'une situation qui
existe, comme nos législateurs de 1886 voulaient présenter une
loi qui répondait au libéralisme économique de
l'époque.
Alors, par ce texte de loi qui nous est proposé, par le projet de
loi 78, je crois que nous sommes appelés à adopter une loi qui
réponde à une situation qui existe aujourd'hui et permette de
résoudre des problèmes devant lesquels nous ne pouvons rester
indifférents. Il sera assez difficile d'être contre le principe de
ce projet de loi 78, sauf qu'il y a peut-être des lacunes dans cette
politique globale du logement. Me Jacoby et Me Crépeau et tous ceux qui
se sont fait entendre ont analysé ce matin la portée juridique de
cette pièce de législation. Est-ce que cette pièce de
législation donnera réponse aux problèmes du logement qui
existent au Québec aujourd'hui? Il faudra que le ministre de la Justice
fasse davantage dans ce domaine et surtout qu'il s'assure de la collaboration
de ses collègues du cabinet pour que nous ayons une politique
gouvernementale globale en matière de logement.
C'est regrettable, M. le Président, que, ce matin, ceux qui
crient le plus fort pour la défense des droits des locataires, des
exploités, des gagne-petit, des miséreux, des assistés
sociaux, des exploités n'aient pas été ici. Effectivement,
aucun représentant du Parti Québécois n'est présent
ce matin et nous le regrettons. Nous le regrettons, M. le Président, et
j'espère que lors de l'étude de cette loi, il y aura une
assistance plus remarquable, continue, et sur-
tout que l'on prêche par l'exemple les grands principes que l'on
défend ou dont on se fait l'écho devant la population du
Québec.
Alors, M. le Président, je joins mes paroles aux paroles du
ministre et, comme lui j'ai une certaine nostalgie parce qu'il y aura 25 ans
dans quelques jours que je suis dans la pratique de la profession, et en
écoutant Me Crépeau tout à l'heure, j'ai soufflé
à l'oreille du président: M. le Président, il va falloir
nous recycler dans l'étude de cette législation maîtresse
que sera la refonte du code civil. Je tiens à vous remercier, tous les
spécialistes ce matin, les experts qui nous ont présenté
leur mémoire et vous comprendrez facilement que je retienne d'une
façon plus vivante encore toute la saveur juridique qui nous a
été servie ce matin dans un plat de consistance remarquable par
M. le professeur Crépeau et par son quasi égal, Me Jacoby. A
tous, merci.
M. BROCHU: M. le Président, si vous permettez, je n'ai pas de
commentaires à ce stade-ci, étant donné que je n'ai pu
suivre les travaux de la commission parlementaire. J'ai remplacé un
collègue à pied levé ce matin, à la dernière
minute, je n'ai même pas pu entendre tout l'exposé de Me Jacoby,
ayant dû remplacer notre avocat populaire, le député de
Portneuf, qui était retenu par une délégation ce matin,
mais je tiendrais à me joindre à mes collègues au nom du
Ralliement créditiste pour remercier les représentants de
l'Office de révision du code civil ainsi que tous ceux qui ont
participé à cette commission dans le cadre du projet de loi, de
leur travail et je suis sûr que le député de Portneuf y
donnera suite.
LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Dorion.
M. BOSSE: M. le Président, même si je n'ai pu entendre
toute la représentation qu'a faite Me Jacoby, j'ai cependant pu prendre
connaissance du document. Je constate qu'après un certain recul lors de
la première présentation du bill 59, le ministère revient
bien préparé avec des experts et est en mesure de faire la
démonstration qu'il y a lieu de modifier certaines lois vieillottes qui
étaient de nature à léser des droits ou à maintenir
une équivoque qui ne faisait que favoriser le propriétaire.
Pour ma part, je parle ici, et je tiens à le faire parce que,
dans le comté où j'habite, il y a quelque 85 p.c. des personnes
qui sont des locataires et nous savons dans quelle situation difficile ils se
trouvent. Alors, je ne peux que me réjouir de l'initiative du
ministère et de ses experts et je veux, avec le représentant de
Maskinongé, noter aussi l'absence de ceux qui fomentent, au niveau de la
société, toutes sortes de rancoeurs vis-à-vis du
gouvernement ou vis-à-vis des représentants de l'Assemblée
nationale, mais qui ne sont pas présents ici, ce matin je veux
parler des membres du PQ et qui ne sont pas représentés
ici, ce matin, pour entendre et discuter raisonnablement avec des experts ou
avec les membres de la commission.
J'espère que les journalistes prendront note aussi de cette
absence de ceux qui crient et qui gueulent dans les journaux. C'étaient
les remarques, M. le Président. Parce que, pour ma part, les locataires
de mon comté sont conscients, sont ceux qui subissent ces
difficultés peut-être, les petits salariés, les
défavorisés. Je me réjouis que l'Opposition,
c'est-à-dire le Ralliement créditiste et l'Union Nationale
j'allais dire l'unité se rallie et...
M.PAUL: Vous, vous allez avoir besoin de l'unité des travailleurs
libéraux pour vous faire élire.
M. BOSSE: J'aurai besoin de l'unité, comme d'habitude, et de la
solidarité des électeurs et je sais, d'ailleurs, qu'ils me seront
fidèles comme d'habitude.
LE PRESIDENT (M. Blank): Pas de discours électoral ici.
M. BOSSE: M. le Président, je veux féliciter le ministre
et ses experts du travail qui a été accompli et, encore une fois,
je regrette l'absence de cet embryon de parti politique qu'est le PQ.
LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Bourassa.
M. TREMBLAY: (Bourassa): Moi, j'écoutais M. Jacoby, il y a
quelques instants, qui lisait des paragraphes dans les anciens baux, qui
étaient écrits en petits caractères. Je sais bien que ce
n'est pas une flèche qu'il voulait lancer aux moins instruits ou aux
locataires dans le Québec mais, par contre, encore aujourd'hui, on
amène une nouvelle loi... Mais M. Jacoby pouvait lire les baux quand il
louait une maison pour lui. Mais je me pose encore la question, aujourd'hui,
avec toutes vos lois. Quand je prends 1664 u) et je prends 1664 v), on arrive
encore dans une loi. Je ne sais pas dans quelle sorte de caractères vous
allez écrire cela dans la nouvelle loi, si le locataire n'a pas de cours
classique, s'il va pouvoir le lire pour le savoir au juste. Parce qu'à
l'heure actuelle, vous le savez comme moi, un locataire a toujours loué
en disant : Moi, je loue pour un an et au mois de février prochain, si
je veux m'en aller... Vous savez, il ne s'occupait pas tellement de savoir si
la chantepleure coulait ou si la poignée de porte ne fonctionnait pas.
Moi, j'en reviens aux petits caractères que vous avez mentionnés
tantôt. Je suis bien d'accord avec vous, les experts, que cela va
être mieux entendu, mieux compris. Mais encore là, je me pose la
question, les r, les u, les x, les 1664-5, ça ne pourrait pas être
un peu plus facile? On a combien d'articles? C'est une question que je pose ce
matin et que je pose assez souvent, sans
envoyer de flèche à personne. On va prendre les articles.
En tout cas, il y en a des articles, c'est un catalogue.
M. CHOQUETTE: W, w.
LE PRESIDENT (M. Blank): Il y en a 18.
M. TREMBLAY (Bourassa): La question que je me pose, c'est si on ne
pourrait pas couvrir les propriétaires et les locataires, les locataires
et les locateurs, changez le nom si vous le voulez, mais en public, on dit: Le
propriétaire et le locataire... Vous changez cela ici un peu parce que
vous êtes un peu plus de l'autre côté, mais nous autres,
nous allons parler en termes des gens du peuple. Dans mon comté aussi,
j'ai des locataires et des locateurs. Moi, je me pose la question. Cela fait
sept ans que je suis ici, en Chambre, et je regarde tous ces X. Avant cela, on
marchait par articles, l'article 1... On est rendu qu'on est dans les 1600
maintenant. J'ai suivi le projet de loi, je l'ai tout suivi, je trouve que
c'est très bon, comment va-t-on avec les nouveaux baux? De quelle
façon vont-ils être préparés?
Est-ce que les gens seront attirés à le lire et à
le comprendre? Si je vous dis cela, c'est parce que vous dites qu'ils ne
liraient pas l'autre. Est-ce que l'on pourra lire celui-là?
M. JACOBY: Si je peux me permettre de dévoiler certains projets
qui sont à l'étude à l'heure actuelle sur le bail type,
disons que ce bail type va contenir d'abord un avertissement en gros
caractères parce que l'on va vraisembleblement prévoir aussi la
grosseur et la forme des caractères d'imprimerie. Ce ne seront plus des
caractères microscopiques au départ.
Il y aura un avertissement au tout début du bail indiquant ce que
représente cette loi, que dans cette loi il y a des dispositions
auxquelles on peut déroger, il y a des dispositions auxquelles on ne
peut pas déroger à moins d'obtenir l'autorisation du tribunal.
Cet avertissement va aussi dire que les articles ou les clauses que l'on
retrouve dans le bail ne représentent pas tous les articles qui sont
dans la loi, mais les plus importants, pour régler les choses
journalières, les problèmes qui se posent quotidiennement. Donc
on a évité dans la mesure du possible, dans cette formule type de
bail, de reproduire les dispositions hautement techniques parce que cela,
évidemment, on ne peut pas l'éviter. On a tenté, dans la
mesure du possible, de transformer un peu le langage des lois, d'essayer de le
rendre un peu plus accessible. Mais il y a des questions hautement techniques
où il est impossible de vulgariser, si vous voulez.
Alors, dans ce fameux bail type, on ne retiendra que des dispositions
essentielles qui seront regroupées, non pas dans l'ordre du projet de
loi, mais par questions. Par exemple, la question des réparations, la
question du loyer, enfin tout sera regroupé de façon que cela
puisse se lire d'un seul bloc, sans être obligé
d'interpréter tous les articles.
En somme, dans la mesure du possible... Vous savez, vulgariser le droit
est une chose extrêmement compliquée. On a fait
l'expérience au Manitoba. On a la loi et on a un bail type. Ce bail type
contient un langage très vulgarisé de la loi et ne reproduit pas
la loi. Or, ce qui se produit à l'heure actuelle, c'est qu'il y a des
contradictions entre le bail type et la loi elle-même. Alors, on n'est
pas plus avancé. C'est pour cela que l'on a pensé qu'il
était préférable de reproduire les dispositions qui se
comprennent le mieux d'une part et les dispositions qui s'occupent des
problèmes que les locateurs et les locataires connaissent tous les
jours. Ce n'est certainement pas la solution idéale, mais je pense que
pour ce qui est de la législation en matière de bail
résidentiel au Canada, ce bail type sera certainement le plus
avancé et celui qui posera le moins de problèmes.
M. TREMBLAY (Bourassa): La question est d'amener cela pour que les gens
le comprennent. Maintenant il. y a autre chose dont je voulais parler, c'est de
l'information. L'information peut pénétrer dans les maisons des
locataires, non pas des locateurs, pour qu'ils puissent comprendre. Il faut
s'entendre dans le public. On est ici, à l'Assemblée nationale,
il y a messieurs les journalistes qui comprennent cela et s'ils ne comprennent
pas, ils vont chercher le texte de la loi et ils le comprennent; il y a les
avocats, il y en a peut-être d'autres. Mais il faut que le public le
comprenne et surtout cette loi qui est la location. Quand on dit que c'est le
toit des enfants, de la mère et du père de famille, je crois
qu'à ce moment-là il faut que les personnes puissent comprendre
â fond cette loi. C'est pour cela que je vous pose la question. Moi, je
l'ai suivie et je vous dis que l'on a une amélioration, peut-être
à 500 p.c. ; je ne nie pas cela. Je comprends qu'il faut bien garder les
statuts refondus et les lois, etc.; je comprends cela, c'est très clair.
Maintenant, il nous reste de l'autre côté les U, les R, les W, les
X et tout cela, le locataire ne comprend rien là-dedans. Alors, par
votre centre d'information, c'est-à-dire par votre information, je crois
que l'on pourrait former...
M. CHOQUETTE: Je pense que je pourrais dire au ministre responsable des
autoroutes que le service d'information du ministère de la Justice va
faire une campagne d'information sur le projet de loi lorsqu'il sera
adopté.
De la même manière, par exemple, qu'on l'a fait dans la loi
pour prévenir les hausses abusives de loyer en 1973.
M. TREMBLAY (Bourassa): D'accord! M. le ministre...
M. CHOQUETTE: Alors, on va sûrement faire un effort de ce
côté-là.
M. TREMBLAY (Bourassa): ... je veux que vous compreniez bien mon
intervention.
Si l'on est ici avec le député de Maskinongé, le
député de Richmond et tous les autres députés... Ce
n'est pas pour rien que l'on est assis ici depuis des semaines; c'est que le
logement, c'est le toit, c'est la personne et on vit dedans. Alors, il y en a
qui, peut-être, n'y pensent pas, mais pour moi, je crois que c'est la
première chose, le logement. C'est pour cela que j'y prête une
attention et que j'interviens. Comme vous le dites, il y aura sûrement
des amendements. Vous avez des amendements à certains articles et, en
plus de cela, vous dites qu'il y aura une campagne d'information. Mais pour que
les gens comprennent ce qu'ils signent, si c'est écrit en petits
caractères ou avec des u, l'article 164 a) et l'article 164 w), il est
certain que le pauvre locataire, même s'il a une douzième
année, n'a pas le temps de lire cela; il travaille douze heures par
jour. Il faut être honnête avec le public.
M. PAUL: Je suis convaincu que dans l'information que va transmettre le
ministère de la Justice, il n'y aura pas nécessairement ces
lettres. Il ne faut pas oublier que c'est tout un chapitre du code civil.
LE PRESIDENT (M. Blank): Me Jacoby.
M. JACOBY: Pour essayer de répondre au problème que vous
soulevez... La raison pour laquelle, d'abord, il y a des lettres, c'est que
dans le code civil actuel, le chapitre du louage est à peu près
de 60 articles. C'est 60 articles et là, on se trouve avec plus de 100
articles. Alors on a été obligé de mettre des lettres.
Maintenant, dans le bail type, les dispositions seront reproduites avec une
numérotation ordinaire, un, deux, trois..., et ce ne sera qu'à la
fin de l'article que l'on indiquera entre parenthèses le numéro
de l'article que l'on retrouve dans la loi. Cela va être regroupé
par matière. Alors, on est allé jusque là.
LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Laviolette.
M. CARPENTIER: M. le Président, dans certains cas, qui va
décider du coût de loyer pour certaines personnes, lorsqu'on en
fait la demande, et que le propriétaire n'est pas satisfait du prix de
location, n'est pas satisfait du locataire et que l'on n'est pas capable
d'avoir de résultats concrets, résultats définitifs? Qui
décidera, en fin de compte?
M. PAUL: II y a une autre loi qui va avec cela. C'est la loi 79.
LE PRESIDENT (M. Blank): II y a une autre loi,...
M.CHOQUETTE: La Loi du tribunal des loyers.
Si le propriétaire et le locataire ne peuvent pas se mettre
d'accord sur une augmentation de loyer réclamée par le
propriétaire, le locataire peut... D a deux choix, soit qu'il dise: Je
m'en vais ailleurs, ou soit qu'il dise: Je vais m'adresser au tribunal des
loyers pour que le commissaire aux loyers fixe le montant du bail pour
l'année prochaine. Alors...
M. CARPENTIER: Dans certains cas, il ne veut pas s'en aller, il ne veut
pas quitter les lieux.
M. CHOQUETTE: Le locataire? M. CARPENTIER: Oui.
M.CHOQUETTE: Alors là, il s'adresse au tribunal des loyers et ce
dernier fixe le montant du loyer, l'augmentation qui paraît normale ou
acceptable, à ce moment-là.
M. CARPENTIER: Précisément, à ce moment-là,
les représentants de la Régie des loyers disent que ce n'est pas
leur problème.
M.CHOQUETTE: Non. Le tribunal des loyers va succéder à
l'actuelle Régie des loyers pour remplir cette fonction.
Maintenant, il y a peut-être des cas, je ne sais pas, quoique
cette... Parlez-vous de la loi de cette année?
M. CARPENTIER: Oui.
M. CHOQUETTE: La loi pour empêcher les hausses abusives des
loyers?
M. CARPENTIER: C'est cela.
M.CHOQUETTE: On accepte toutes les causes qui...
M. PAUL: Sauf pour un bail commercial.
M. CHOQUETTE: Sauf dans les baux commerciaux.
M. CARPENTIER: II y en a qui ne les respectent pas.
M. CHOQUETTE: Qui?
M. CARPENTIER: Je vous donnerai le cas en particulier.
M. CHOQUETTE: Très bien. Vous me donnerez les cas en particulier,
M. le député.
LE PRESIDENT (M. Blank): D'accord.
M.PAUL: M. le Président, avant que nous ajournions les travaux de
la commission pour-rais-je savoir... Je ne voudrais pas commettre
d'indiscrétion; je ne voudrais pas embarrasser le ministre. Est-ce que
le ministre peut nous dire
s'il a l'intention de faire réimprimer le projet de loi 78?
M. CHOQUETTE: Oui, le projet de loi 78 va sûrement être
réimprimé. Alors, je voulais avoir un acquiescement de la part de
la commission, à cet effet et, pour ce qui est du projet de loi 79, il
est possible qu'il soit réimprimé. Alors, si on voulait me donner
la latitude...
M.PAUL: Accepté.
LE PRESIDENT (M. Blank): La commission recommande la réimpression
du bill 78 et donne au ministre le choix de réimprimer le bill 79.
M. PAUL: Oui.
M. CHOQUETTE: Très bien.
LE PRESIDENT (M. Blank): Avant qu'on ajourne les travaux de la
commission, je veux corriger les changements: M. Cournoyer, pour M. Cornellier,
M. Caron pour M. Hardy, M. Bossé pour M. Pilote, M. Carpentier pour M.
Vézina.
M. PAUL: Voici, M. le Président, quand vous dites que M.
Cournoyer remplace Cornellier...
LE PRESIDENT (M. Blank): Non, M. Cournoyer remplace M. Cornellier.
M. CHOQUETTE: Pour ce qui est du rapport, le rapporteur c'est...
LE PRESIDENT (M. Blank): Le rapporteur est M. Springate.
M. CHOQUETTE: On pourra lui demander...
M. PAUL: Cela va être un rapport sur ouï-dire, mais cela ne
fait rien.
M. CHOQUETTE: On connaît la compétence du
député de Sainte-Anne. Il est facilement capable de faire un
rapport, même s'il est absent.
LE PRESIDENT (M. Blank): La commission ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 12 h 5)