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Version finale

29e législature, 4e session
(15 mars 1973 au 25 septembre 1973)

Le jeudi 14 juin 1973 - Vol. 13 N° 86

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude détaillée du projet de loi no 78 — Loi concernant le louage de choses et du projet de loi no 79 - Loi du tribunal des loyers


Journal des débats

 

Commission permanente de la Justice

Projet de loi no 78 Loi concernant le louage de choses

Projet de loi no 79 Loi du tribunal des loyers

Séance du jeudi 14 juin 1973

(Neuf heures cinquante minutes)

M. BLANK (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs!

M. Claude Chapdelaine

M. CHAPDELAINE: M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, ce mémoire s'attache aux aspects économiques des articles en vertu desquels le Tribunal des loyers statue sur les révisions de loyers. Afin d'éclairer le débat qui porte sur le rôle de l'Etat en cette matière et sur l'efficacité des projets de loi 78 et 79, la trame du mémoire est la suivante: évidemment, je n'en présente qu'un résumé, parce que le mémoire, en tant que tel, est long et il y a certains passages qui sont assez complexes.

Donc, la première partie expose qu'il est indispensable de permettre et de favoriser le bon fonctionnement du marché économique du logement, mais le marché n'est pas apte à satisfaire par lui-même et d'une manière adéquate un besoin social d'une telle importance, d'où une intervention de l'Etat qui est finalement un arbitrage, ou un compromis, entre deux objectifs qui s'opposent par certains de leurs impératifs, soit un objectif économique et un objectif social. Néanmoins, il faut considérer que le projet de loi 78 poursuit un objectif social, tout en respectant des contraintes économiques.

La deuxième partie illustre plusieurs types possibles d'interventions étatiques, au sein desquelles les projets de loi actuellement discutés ont un rôle à jouer, rôle qui n'est peut-être pas le plus direct du point de vue d'une politique d'habitation, mais qui est sûrement essentiel et le demeurera. Ce qui veut dire que, si la loi est partielle, comme cela a déjà été souligné, il n'en demeure pas moins qu'elle est essentielle d'une part, et que, d'autre part, elle est durable, peu importe d'autres lois ou d'autres programmes d'habitation qui viendraient par la suite. La nécessité et l'utilité du code civil vont, évidemment, demeurer, et la révision qui est faite demeure essentielle.

La troisième partie du mémoire donne un aperçu général de l'approche adoptée pour l'élaboration et l'application des articles 1664 a) et suivants, ainsi que des exemples précis. Il s'agit essentiellement de respecter la fixation libre des prix de base sur le marché et de ne statuer par la suite que sur les hausses, de façon que l'Etat ne modifie par arbitrairement la rentabilité du capital originellement investi, c'est-à-dire investi lors de la construction de l'édifice ou lors de son achat. Cette procédure n'est cependant pas recommandée en ce qui a trait aux investissements effectués sur le stock existant de logements, soit des investissements d'entretien ou d'amélioration, alors qu'une intervention beaucoup plus directe est suggérée dans le but d'influencer l'orientation de ce genre d'investissement.

L'intervention est suggérée parce que la façon dont la loi est rédigée permet des interventions de l'Etat qui soient neutres en termes d'allocation des ressources, mais on pourrait aussi l'interpréter de façon à intervenir plus directement.

Finalement, rappelons qu'il est tentant d'exclure de l'application des articles 1664 a) et suivants certains types de logements, par exemple les bachelors, ou certaines villes, par exemple celles qui ont moins de 5,000 habitants. La dernière partie du mémoire se veut une mise en garde contre ces tentations.

La première partie traite de l'arbitrage socio-économique. Il y a trois sous-chapitres, soit la contrainte économique, la nécessité sociale, donc les deux pôles, et le besoin d'un arbitrage.

La contrainte économique est à respecter afin de ne pas entraver la construction de logements neufs et de ne pas décourager le maintien ou l'amélioration de la qualité du stock actuel de logements. Elle consiste, premièrement, à permettre l'accumulation de capital; évidemment il faut avoir un bloc de capitaux. Deuxièmement, à respecter les mécanismes de formation des prix qui déterminent l'allocation du capital par le biais de la rentabilité, ce qui veut dire qu'une fois qu'on a les capitaux il faut qu'ils aient des indications dans quel sens ils doivent aller. Troisièmement, à favoriser la mobilité du capital entre diverses utilisations. Toutes les procédures de rentabilité n'ont pas de sens si les capitaux ne sont pas assez mobiles pour suivre les indications du marché. Quatrièmement, il ne faut pas effrayer ou décourager les investisseurs, c'est-à-dire ceux qui, en quelque sorte, administrent les capitaux. Donc c'est la contrainte économique.

Du côté social, la nécessité sociale, à cause de l'importance du logement dans le budget familial et de son impact sur la qualité de vie en général, le mémoire suggère les objectifs suivants. Evidemment il suggère, parce qu'on n'a pas fait une étude exhaustive de ce que serait une politique sociale de l'habitation.

Premier objectif: Acceptation pour tous d'un logement décent par rapport au niveau de vie de la collectivité, ce qui pose le problème de la redistribution des revenus et la participation aux fruits de la croissance économique.

M. PAUL: Cela ressemble à du crédit social.

M. CHAPDELAINE: Peut-être. Non, la redistribution des revenus, évidemment, c'est une

fonction qui appartient à l'Etat et qui est faite par tous les gouvernements, qu'ils soient libéraux, unionistes ou créditistes.

M. PAUL: Je ne parle pas de la forme de gouvernement, je parle de la politique qu'un gouvernement pourrait appliquer, qui est celle-là. Cela rejoint un peu, en partie, la théorie du major Douglas.

M. CHOQUETTE: Tous les gouvernements pratiquent la redistribution des revenus.

M.PAUL: Oui. A la suite de la perception des taxes versées en mesures sociales.

M. CHOQUETTE: C'est une mesure de sécurité sociale.

M. CHAPDELAINE: Toute l'histoire du major Douglas porte plus...

M. CHOQUETTE: Sur une réforme monétaire.

M. CHAPDELAINE: C'est ça, sur une réforme monétaire, comme moyen de distribution. La redistribution en elle-même, je pense...

M. CHOQUETTE: Je doute d'ailleurs que nos collègues du Ralliement créditiste puissent comprendre le raisonnement de M. Chapdelai-ne.

M. PAUL: Surtout qu'ils ne sont pas ici ce matin, raison de plus. Tout ce qu'ils auraient pu faire, c'est de l'entendre.

M. CHAPDELAINE: De toute façon, M. Paul, je me préparais à donner une explication.

M. PAUL: C'est bien, vous allez calmer mon inquiétude.

M. CHAPDELAINE: Je ne crois pas que ce soit créditiste. La philosophie économique qui sous-tend cette affirmation, quand on dit que le logement, ça concerne la redistribution des revenus, c'est que je pense que dans le domaine du logement, comme dans le domaine des salaires, par exemple, c'est de moins en moins l'offre et la demande qui fixent le prix. On ne peut pas dire maintenant que, dans le domaine des salaires, l'offre et la demande, selon un schéma, fixent les prix. C'est plutôt une question de pouvoir de négociation — je parle du domaine des salaires. La force de négociation de différentes parties ou de différentes catégories ou groupes socio-économiques opère jusqu'à un certain point une redistribution des revenus. Evidemment, l'Etat intervient pour essayer de la corriger ou aux fins de l'aménager.

Le domaine du logement. Etant donné que c'est un bien qui a une telle importance, et sur le plan social et sur le plan économique, je pense qu'on assiste de plus en plus un peu au même phénomène dans le cas des loyers, c'est-à-dire que cela dépend plus d'un certain pouvoir de négociation locataire-propriétaire que d'une offre et d'une demande qui fonctionnent selon un schéma théorique. C'est dans ce sens que ça va causer de plus en plus des problèmes de redistribution des revenus.

M. CARON: M. le Président, le Ralliement créditiste va être représenté, ce ne sera pas long.

M. CHAPDELAINE: Est-ce que je peux poursuivre, M. le Président?

M. CHOQUETTE: Oui.

M. CHAPDELAINE: Deuxième objectif: Production adaptée de logements neufs et entretien et amélioration de stock existant, qui est aussi un objectif économique.

Troisième objectif, jouissance d'un environnement physique et social adéquat.

Quatrièmement, sécurité de protection du consommateur.

Cinquièmement, intéressement de la population concernée à l'élaboration et à l'application des politiques et programmes d'habitation. Donc, devant une contrainte économique et des besoins sociaux, il y a un besoin d'arbitrage, parce que le marché du logement souffre de nombreuses imperfections, tant du côté de l'offre que du côté de la demande. Il est de plus en plus perturbé par le phénomène de la pauvreté, qui empêche une partie des besoins réels de s'exprimer sous forme de demandes d'argent.

Toutefois, abstraction faite des imperfections du marché, l'analyse indique que son fonctionnement économique engendre des déséquilibres nuisibles sur le plan social.

Par exemple, advenant une rareté dans une catégorie de logements, un logement neuf pourra se louer à un prix qui assure une rentabilité très élevée au capital investi. Ce qui incite à investir davantage dans cette catégorie de logements et permet une accumulation rapide du capital. Tandis qu'un logement ancien aura tendance à s'ajuster sur les prix du logement neuf, compte tenu, naturellement, de la différence qualitative et de l'état d'habitabilité.

Ce qui nous amène au coeur même du problème auquel s'attachent les articles 1664 a) et suivants et du compromis qui est nécessaire entre deux points de vue également défendables. Sur le plan social, il y a ici une justice, en quelque sorte, parce que les locataires paient des loyers tels que les propriétaires accumulent des profits élevés. Les loyers peuvent être conformes au prix du marché, prix qui reflète la rareté relative de l'offre et de la demande. Donc les loyers peuvent être conformes au prix du marché mais, de ce fait, permettre une rentabilité du capital qui est bien supérieure à ce qui est techniquement nécessaire pour attirer des capitaux dans un secteur où il y a rareté.

Sur le plan économique, par contre, il n'y a pas d'anormalité, parce qu'un taux élevé de rentabilité assure les investissements nécessaires à la réception des raretés et à la disparition éventuelle de l'injustice sociale qui est permise par les prix du marché et qui est temporairement nécessaire au bon fonctionnement de ces derniers. Ce qui veut dire que, pendant la période où il y a une rareté qui font monter les loyers, c'est évidemment la hausse des loyers qui va permettre d'avoir des capitaux et qui va permettre de régler le problème de la rareté. Il reste que, temporairement, il y a donc un fonctionnement économique normal qui crée des déséquilibres sociaux. Il est important de se rappeler qu'une telle situation ne résulte pas des imperfections du marché mais de ses principes de base, en opposition avec un besoin essentiel. Ce processus, fort courant sur tous les marchés de biens économiques, est plus difficilement acceptable en ce qui concerne le logement, à cause de l'importance sociale de ce bien et à cause de la durée possiblement nécessaire de l'ajustement de l'offre à la demande.

D'abord le consommateur a moins de mobilité et d'alternative ou de biens substituts dans le cas du logement que dans le cas d'achat de vêtements ou d'une voiture. Par exemple, dans le domaine du logement, un consommateur peut difficilement retarder sa consommation en attendant que le marché s'ajuste et que les prix s'équilibrent.

Ensuite, le déséquilibre temporaire que nous avons identifié risque de durer sur le marché de l'habitation, parce que les constructions domiciliaires nouvelles représentent environ 2 p.c., en moyenne, du stock total de logements. Quoique cette observation globale ne réflète certainement pas la réalité d'une catégorie donnée de logements dans tel ou tel secteur géographique. Néanmoins, on peut s'attendre que les adaptations de l'offre à la demande puissent être relativement longues à se concrétiser, ce qui risque évidemment d'être très nuisible aux locataires. Il faut dire aussi qu'on a des situations inverses. Parfois, il va arriver que plusieurs constructeurs, semble-t-il, sans se consulter, vont ensemble investir dans les logements neufs, dans tel secteur, et là ils vont saturer le marché. Et parce qu'ils saturent le marché, ils ne seront pas capables d'exiger des loyers assez élevés pour rentrer dans leur rentabilité normale. Il y a une situation inverse qui se produit.

Par conséquent, il est évident qu'il existe une foule de facteurs expliquant que du point de vue d'un locataire, le fonctionnement du marché est loin d'être idéal. Il semble indispensable que l'Etat mette une partie de sa puissance au service des locataires. En fait, nous pouvons prévoir que le marché sera de moins en moins apte à satisfaire un besoin de cette importance. Le mémoire du professeur Joseph Chung, qui a passé ici la semaine dernière, se penchent plus longuement sur cette question et il faut envisager la possibilité que le logement devienne, dans l'avenir, un bien social et non plus un bien économique, au même titre que la santé ou l'éducation.

Deuxième partie, c'est le contexte et quelques principes de base des projets de loi 78 et 79. Dans ce contexte d'interventions nécessaires de la part de l'Etat, l'Etat utilise généralement une combinaison de plusieurs types possibles d'interventions. Il y a l'aspect régulation ou établissement de certaines règles du jeu; il y a la compensation des imperfections du marché; il y a la correction des imperfections du marché. La différence entre les deux, c'est que la correction est une intervention qui permet de corriger, par exemple, une faiblesse ou une imperfection, tandis que la compensation ne corrige pas la cause mais la répare. Il y a aussi la mise â l'écart, dans certaines circonstances et pour certains secteurs du marché ou certains facteurs de production, du mécanisme des prix et son remplacement par une autre formule. On en a un exemple avec le zonage des terrains, ou quand une municipalité établit un zonage, ce n'est plus le mécanisme des prix qui décide que sur tel type de terrain il y a des immeubles commerciaux ou industriels, c'est le zonage.

Il y a aussi la création des secteurs parallèles concurrentiels ou complémentaires au secteur privé. Il y a comme autre possibilité, évidemment, la socialisation d'un marché, d'un bien ou d'un facteur de production.

Donc, dans un tel contexte, le projet de loi 78 est une législation sociale, avec des contraintes économiques. Il ne doit pas mettre à l'écart les mécanismes de marché, puisque le code civil, de toute évidence, ne constitue pas un outil idéal de remplacement. Il est donc certain que d'autres interventions de l'Etat sont nécessaires pour régler les problèmes de logement, et plusieurs existent déjà. Par contre, il serait faux d'en conclure que le présent projet de loi est inutile. Il suffit d'être conscient de ses limites et de savoir que, tant qu'il y aura un marché libre, son utilité sera incontestable, même si les autres interventions de l'Etat deviennent très sophistiquées.

En ce qui concerne le sous-chapitre qui présente quelques principes de base, le point saillant de ce sous-chapitre est que, par les divers paragraphes de l'article 1664, l'Etat ne se substitue pas aux mécanismes du marché, mais tend, au contraire, à en rajuster les résultats selon une situation d'équilibre des forces. C'est pour cette raison qu'à l'article 1664 n), notamment, du projet de loi 78, où on énumère les critères qui doivent servir à déterminer la valeur locative, le législateur doit tenter, dans la mesure du possible, d'éviter de statuer sur les taux de rendement du capital investi, afin de respecter les modes de détermination des prix et les mécanismes de financement. Toutefois, nous suggérons une procédure différente dans le cas des investissements d'entretien ou d'amélioration. On reviendra là-dessus tout à l'heure.

La troisième partie porte sur les modalités et

les effets positifs des articles 1664 a) et suivants. Aperçu général: le projet de loi 78 se propose d'enrayer les abus dans les augmentations de loyer demandées, sans intervenir dans la fixation des prix de base. La restriction qui est d'importance implique que le Tribunal des loyers utilise, comme point de départ, les prix établis par les lois du marché libre.

Il ne calcule donc pas la rentabilité du capital originalement investi et n'a pas à juger qu'elle est trop forte ou trop faible. Il ne juge que la hausse par elle-même, en cas de contestation, en tenant compte, évidemment, d'un assortiment de critères aussi objectifs et quanti-fiables que possible. Ce sont les critères du paragraphe 1664 n). Ces critères sont ceux qui régissent un marché libre lorsque locateur et locataire ont un égal pouvoir de négociation. On voit donc que l'article 1664 n) n'introduit aucun critère nouveau ou exogène aux lois économiques, mais simule simplement des conditions d'un marché libre, l'Etat compensant la faiblesse relative des locataires, sans en corriger les causes fondamentales.

Evidemment, cette approche répond aux possibilités réelles d'une révision du code civil. Il est vrai que le Tribunal des loyers n'échappera pas à l'obligation de juger de la rentabilité du capital investi pour l'entretien ou des améliorations, ce qu'il fera vraisemblablement en statuant sur la période d'amortissement de ces investissements. Il pourra, alors, adopter une attitude neutre sur le plan économique ou bien tenter d'orienter ce type d'investissement, ce qui est suggéré au sous-chapitre 3.3.

En ce qui concerne les modalités, un sous-chapitre illustre, à l'aide d'une série d'exemples, comment les modalités d'application doivent tenir compte des principes de base déjà exposés. C'est à peu près impossible de le résumer. Disons que, dans cette sous-section, on examine la carrière d'un logement, c'est-à-dire, au moment où l'investisseur prend la décision de construire, ce qui arrive et comment le projet de loi l'influence à ce moment-là. Ensuite, j'ai essayé — je dis bien que j'ai essayé, parce que ce sont des choses qui se discutent et qui sont en gestation continuelle — de voir de quelle façon on va traiter une hausse de taxe, une hausse du coût du chauffage, une hausse du coût des matériaux ou des salaires, quel est l'impact, par exemple, de la construction d'une station de métro devant un logement, si cela accroît sa valeur locative, de quelle façon on va compter ça, etc. Donc, il y a une série d'exemples dans le mémoire là-dessus.

Le point 3.3: les effets positifs de l'article 1664 n). Le mémoire suggère ici que l'Etat intervienne directement dans la location des capitaux investis pour fins d'entretien et d'amélioration. Une telle procédure pose des problèmes complexes d'évaluation et de fixation des préférences des consommateurs, par rapport à l'utilité sociale et économique de divers biens, mais elle permettrait aussi une interdépendance plus étroite entre les diverses législations et accroîtrait leur efficacité. Il serait, toutefois, indispensable que les investisseurs et propriétaires soient parfaitement au courant des intentions de l'Etat, afin d'éviter une incertitude catastrophique dans ce domaine-là sur le stock existant de logements.

La quatrième partie porte sur les applications partielles de la loi. Les formes d'application partielles sont nombreuses. On peut exempter certains locaux d'habitation des articles 1664 a) à 1664 u) ou w) — je ne sais plus où on en est — en vertu soit de la localisation géographique, de la date de construction, de la taille, du loyer mensuel, de la durée du bail, etc., ou en vertu d'une combinaison de ces facteurs.

Alors ceci risque d'avoir des effets néfastes parce qu'il paraît certain que toute application partielle de la loi risque de fournir aux propriétaires une échappatoire dont ils vont essayer de profiter.

Nous ne devons pas en conclure que les projets de loi par eux-mêmes auront des répercussions dommageables sur le marché du logement, mais plutôt qu'il est normal qu'un locateur essaie d'éviter des contraintes sociales puisque son activité est avant tout économique. Ce que ça veut dire, c'est que, quand on veut empêcher des hausses abusives de loyer, ça n'a pas de répercussion dommageable sur le marché, il n'en demeure pas moins que, s'il y a des types de logement qui ne sont pas soumis à la réglementation, dans ce type de logement les possibilités de hausses abusives existent. Et c'est évident que ça peut inciter un propriétaire à investir plutôt dans ce type de logement.

Il est donc plausible que les applications partielles de la loi auront pour effet de bouleverser l'équilibre économique de l'allocation des ressources créant des distortions, accroissant les sources de conflit et de contestation en provoquant des pénuries de logements, etc. Il faudrait avoir des exemples précis, on pourrait s'étendre là-dessus. Des circonstances particulières justifient certaines formes d'exemption, comme celles qui s'appliquent aux logements récents, l'article 1650 du projet de loi 78.

Il faut toutefois s'assurer que les avantages des exceptions sont supérieurs aux inconvénients prévisibles de telles exceptions. Alors le tout vous est respectueusement soumis, messieurs.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Chapdelaine. Est-ce qu'il y a des questions?

M. DROLET: M. le Président, je tiens à rétablir certains faits, parce que les paroles qui ont été dites tout à l'heure sont certainement enregistrées au journal des Débats. Si le représentant créditiste arrive en retard, c'est une chose possible parce que nous ne sommes que onze députés. Le ministre de la Justice doit savoir qu'ils sont 72 dans le Parti libéral. Et, si je regarde en face de moi, il n'y a que le député

de Saint-Hyacinthe et le ministre responsable des autoroutes. Alors, avec onze députés, comme le Parti québécois avec sept, ce n'est pas toujours facile pour nous d'être présents tout le temps, surtout quand on nous envoie d'un bord à l'autre.

On nous annonce que c'est dix heures, après ça c'est neuf heures et demie, après ça c'est la salle 91, puis c'est la salle 81. Alors on a à se courir assez souvent.

M. CHOQUETTE: C'est parce qu'on s'ennuyait de vous.

M. DROLET: Bien je suis arrivé. Je suis arrivé.

M. CHOQUETTE: On s'ennuyait de vous. On est content de vous voir arriver.

M. DROLET: Et je tiens à rassurer le ministre de la Justice. Le mémoire, je n'ai pas eu le temps d'en prendre bonne connaissance, je vais le faire avec les responsables du centre de recherche de notre parti. Même si je ne suis pas libéral, je ne suis pas imbécile, je vais certainement essayer de le comprendre. Cela va peut-être me prendre plus de temps que le ministre de la Justice pour le comprendre, mais j'aime autant que ça me prenne plus de temps à le comprendre que de voir certains membres du parti ministériel qui n'ont jamais rien compris.

M. TREMBLAY (Bourassa): Ah! ça ce n'est pas gentil. Ce n'est pas gentil ça.

M. CHOQUETTE: Vous êtes très méchant ce matin. Cela ce n'est pas gentil. Vous êtes agressif au possible.

M. DROLET: De plus en plus agressif, surtout que j'arrive de la région de Montréal très accueillante pour nous.

M. PAUL: Heureusement, M. le Président, je constate qu'il y a au moins deux chaises qui nous séparent de mon bon ami le député de Portneuf.

LE PRESIDENT (M. Blank): A l'ordre, messieurs!

Merci, M. Chapdelaine.

M. CHOQUETTE: M. Chapdelaine, moi je vous félicite de votre mémoire, je trouve qu'il est très intéressant. Je l'avais d'ailleurs lu avant que vous l'exposiez sommairement ce matin à la commission. Je suis content que vous ayez situé le problème dans son contexte général. Le projet de loi 78, comme vous l'avez dit, n'a jamais eu la prétention de construire une politique totale, globale ou absolue dans le domaine du logement et de l'habitation. Cependant, je croyais à son utilité dans une certaine mesure à l'intérieur du code civil et plus particulièrement pour autant qu'il s'applique aux relations entre locateur et locataire. Cela permet de corriger, n'est-ce pas, certaines imperfections du marché de l'habitation, parce qu'on sait que ce n'est pas un marché qui est parfaitement fluide. Le simple fait, par exemple, de l'obligation de déménager, si on n'est pas d'accord avec son propriétaire, entraîne une série de dépenses et d'inconvénients qui font que le locataire est dans une certaine mesure, dans certaines circonstances, je ne dis pas toujours, mais dans certaines circonstances, dans une situation inférieure au point de vue des négociations.

D'autre part, le projet de loi, je crois, nous permet de donner un droit additionnel au locataire du Québec et c'est celui d'être maintenu dans les lieux. Ce droit-là est très important, c'est-à-dire que le droit de propriété du propriétaire d'évincer un locataire à la fin du contrat n'est plus un droit absolu. Nous tenons compte de cette dimension qui fait que le locataire acquiert certains droits au logement qu'il occupe. A ce point de vue-là, c'est une évolution dans le droit civil, dans le droit social, mais, évidemment, nous avons tenu aussi à respecter les impératifs économiques auxquels vous avez fait allusion, c'est-à-dire la formation du capital, ne pas décourager l'investissement dans l'habitation parce que, en fait, ceci jouerait à long terme contre les locataires eux-mêmes parce qu'il y aurait une insuffisance des capitaux engagés dans la construction et dans l'habitation et ceci entrafnerait, à plus ou moins long terme, des problèmes pour la classe des locataires eux-mêmes.

Je voulais simplement faire ces observations après votre exposé et vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre analyse de la situation.

M. PAUL: M. le Président, j'aurais peut-être quelques mots à ajouter aux félicitations qu'a adressées le ministre à M. Chapdelaine. Vous qui avez fait une analyse objective de la loi, est-ce qu'il me serait permis d'obtenir de vous un point de vue, sans aucunement vous engager, c'est cette disposition que l'on retrouve à l'article 1664 a) où il est dit qu'un nouveau locataire peut, dans les deux mois qui suivent le début de l'occupation, demander la révision du loyer.

Est-ce que je pourrais connaître votre point de vue, votre appréciation de la portée, de la nécessité et des effets de l'application d'un tel article dans cette politique du logement?

M. CHAPDELAINE: Je pense que l'article 1664 a) doit être similaire dans sa conception et dans sa philosophie, disons, aux autres articles. Les autres articles disent que le locataire peut contester une augmentation de loyer. Il peut aussi contester son loyer s'il y a eu, je pense, une diminution des services ou des modifications aux conditions du bail. En ce qui concerne, disons, la chose traditionnelle qui est le

montant du loyer, il peut contester s'il y a une augmentation. Par conséquent, un nouveau locataire...

M. PAUL: Dans ce cas-là, il n'a pas donné son acquiescement comme dans 1664 a).

M. CHAPDELAINE: C'est exact.

M. PAUL: L'article 1664 a) présume d'abord un acquiescement et dans les deux mois suivants une révision de cet acquiescement. Je pense qu'il y a une distinction.

M. CHAPDELAINE: II faudrait, évidemment, que l'article 1664 a) ne s'applique que lorsque le loyer demandé au nouveau locataire et accepté par lui est supérieur à l'ancien loyer ou au loyer que payait le locataire précédent. Ceci est nécessaire pour éviter que la mobilité devienne une arme pour les propriétaires, aussi bien que pour les locataires, d'ailleurs. C'est-à-dire que la mobilité en soi est une bonne chose, on dit souvent qu'au Québec il y a énormément de déménagements, il ne faut pas oublier que c'est une excellente chose au point de vue des locataires, parce que plus ils sont mobiles, je veux dire sur le plan économique, plus cela indique qu'ils sont prêts à suivre le marché, à essayer de profiter de conditions différentes. Peut-être bien que la mobilité qu'on constate au Québec est un facteur qui explique que le coût des logements a peut-être crû moins rapidement au Québec que dans d'autres provinces, quoi qu'on puisse peut-être se rattraper.

Donc, c'est à cause de l'impact sur la mobilité qu'il faut que l'article 1664 a)...

M. PAUL: Est-ce que vous verriez d'un bon oeil que le législateur, par exemple, spécifie ou dise clairement qu'une telle demande ne pourra pas être présentée par le locataire s'il n'a pas eu l'obligation d'assumer une hausse du logement antérieurement occupé pour l'occuper lui-même, c'est-à-dire s'il n'y a pas eu d'augmentation de loyer, un tel privilège ne devrait pas lui être accordé de réviser le loyer dont le coût remontait peut-être, dans certains cas, à deux ans?

M. CHAPDELAINE: C'est ce que je pense. Il y a une raison assez particulière à cela, c'est la période de cinq ans, qui s'applique aux logements neufs, de non-réglementation; à ce moment-là, pour des raisons économiques qui sont très importantes; on permet au propriétaire de fixer son loyer en fonction, en vertu des conditions du marché et de ses coûts de construction, et évidemment, de s'entendre avec le locataire.

Disons que dans cette période de cinq ans, il n'y a pas de réglementation sur la hausse des loyers précisément parce qu'on veut que ces loyers s'ajustent selon le marché et constituent une base libre de prix. Si on permet, après la période de cinq ans, par exemple, au nouveau locataire de contester un loyer existant, on se trouve rétroactivement à démolir cette liberté, ce mécanisme d'ajustement qu'on permettait.

M. PAUL: C'est cela. Je vous remercie, M. Chapdelaine.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci. Le prochain expert.

M. Richard Thouin

M. THOUIN: M. le Président, je suis Richard Thouin, économiste-conseil.

LE PRESIDENT (M. Blank): Votre occupation et votre expérience dans ce domaine?

M. THOUIN: J'agis à titre d'économiste-conseil depuis six ou sept ans en matière de développement urbain et régional. Je conseille, dans ce domaine-là, un certain nombre d'organismes publics, parapublics de même que des entreprises privées de développement.

Mon propos, ce matin, est double; il a d'abord pour but de démontrer la nécessité de limiter cette action nécessaire des commissaires et du Tribunal des loyers à l'intérieur de certaines limites fixées par les processus économiques. Corollairement, je veux aussi démontrer la nécessité de mieux comprendre les notions de rentabilité des immeubles locatifs neufs ou vieux, quel que soit le mode de financement ou l'importance de leur propriétaire. Je vous démontrerai tout à l'heure que ces deux facteurs ont une importance très considérable sur la rentabilité d'un immeuble.

Il y a présentement quelque 850,000 logements locatifs au Québec, c'est vous dire qu'une part très considérable de notre population est visée par ce projet de loi avec, d'ailleurs, juste raison. Nous savons que les législations qui influent directement sur les phénomènes économiques ont souvent des conséquences différentes des objectifs recherchés, souvent contraires à ces objectifs et le plus souvent complètement imprévisibles. Nous sommes heureux qu'à l'occasion d'une loi aussi importante sur le plan économique, le ministre ait cru nécessaire de demander à plusieurs économistes d'exprimer leur opinion et d'apporter un éclairage sur les effets économiques d'une loi qui se veut, d'abord et avant tout, sociale.

Ce doit être un des principes directeurs de cette législation pendant que l'Etat intensifie son action de production de logements, ces projets de loi n'entraînent pas la désaffectation du domaine immobilier par ceux que ce domaine intéresse présentement. Il faut continuer à construire du logement locatif privé; 850,000 logements présentement, c'est le principal moyen qu'ont les Québécois à l'heure actuelle de se loger et il ne faut pas qu'aucune action législative vienne perturber, d'une manière significative, ce logement-là, car il y aurait beaucoup de monde dans la rue.

II faut, d'autre part, également éviter que, socieux de promouvoir l'offre de logements locatifs, les commissaires et le tribunal sanctionnent toutes les décisions des investisseurs et contribuent ainsi à l'augmentation des coûts des loyers. Il ne faut pas endosser automatiquement toutes ces décisions de construire du logement, de rentabiliser à certains taux qui, parfois, peuvent être excessifs mais qui sont demandés par les investisseurs. Il faut à la fois promouvoir l'offre mais non pas de manière qu'elle influe sur les prix finalement et qu'elle contribue à les augmenter.

J'aimerais vous décrire ici trois phénomènes du marché immobilier qui expliqueront le choix des techniques de contrôle que les projets de loi 78 et 79 prévoient.

Ces phénomènes sont la fixation des loyers, la détermination des valeurs capitales des immeubles locatifs et l'influence du propriétaire et de ses caractéristiques sur la rentabilité de l'immeuble. Le processus de fixation des loyers pour plusieurs propriétaires est, ou du moins apparaît, très simple. Les propriétaires subissent un certain nombre de dépenses relatives à l'immeuble, y compris les versements sur hypothèque, les taxes, les intérêts, les dépenses d'entretien; ils calculent généralement certaines dépenses administratives et un certain profit et pour eux, le loyer doit être automatiquement fixé de manière à honorer ces dépenses. On sait cependant que ce n'est pas aussi simple que ça, parce qu'il y a plusieurs phénomènes qui influent d'abord sur le niveau des dépenses d'un propriétaire. Pour une même propriété, les dépenses qu'on peut encourir peuvent varier suivant le type de financement, suivant les caractéristiques du propriétaire et suivant même l'attitude du propriétaire vis-à-vis de l'investissement. Deux exemples peuvent vous le démontrer: une vieille propriété dont l'hypothèque est complètement remboursée, qui est d'abord vendue et refinancée ou à l'inverse, d'abord refinancée par l'ancien propriétaire et revendue à un nouvel investisseur. Si le nouvel investisseur a à faire face à des paiements sur deux hypothèques ou trois hypothèques, comme c'est courant dans certains marchés, les dépenses pour l'immeuble sont beaucoup plus fortes pour le nouvel acquéreur que pour l'ancien. C'est également un cas très fréquent qu'une propriété est exploitée pendant un an, deux ans — sur certains marchés, comme à Montréal, c'est plus souvent quatre ou cinq ans — avant d'être vendue à un investisseur en immeubles. L'acquéreur assume l'hypothèque de construction qui, même si elle ne représente que 85 p.c. ou 90 p.c. de la valeur de l'immeuble, a été suffisante pour couvrir les coûts du constructeur; mais il paie aussi 10 p.c. ou 15 p.c. du prix d'achat, généralement comptant, au constructeur.

Encore ici, le nouvel acquéreur a pour un même immeuble et sans changer les caractéristiques d'exploitation, simplement parce que le financement est différent... On peut introduire d'autres manières de faire varier des choses; le moment où l'hypothèque a été contractée influe énormément sur le coût des intérêts. Aujourd'hui, c'est 9 3/4 p.c. mais avant-hier c'était 9 1/4 p.c. puis, il y a deux mois, on pouvait peut-être avoir quelque chose à 8 3/4 p.c. ou à 9 p.c. Le crédit du propriétaire influe énormément, peut faire varier de 1/2 de 1 p.c. et même dans certains cas de 3/4 de 1 p.c. le taux d'intérêt qu'il paie sur un même immeuble. La source de financement... Qu'on s'adresse à des capitaux personnels qui ne sont pas sur le marché, qu'on s'adresse à des banques, à des compagnies d'assurances ou à des trusts pour assurer les prêts hypothécaires, les conditions peuvent varier énormément; et 1/2 de 1 p.c. ou 3/4 de 1 p.c, ça fait une différence sur la rentabilité d'un immeuble bien souvent. Et on voit que les dépenses relatives à un immeuble ne sont pas des dépenses intrinsèques, ce sont des dépenses très circonstanciées et à un point vraiment très considérable.

Par contre, on constate aussi chaque jour que des logements identiques, même dans un même immeuble, sont loués à des prix très différents. Encore là, tout comme le prix de l'argent au propriétaire est un prix bien circonstancié, le prix du logement au locataire est très circonstancié. Les dates de location sont différentes et reflètent des conditions de marché différentes, des pouvoirs de négociation différents du locataire et du propriétaire. Même des loyers similaires pour des logements semblables dans un même immeuble peuvent recouvrir des coûts bien différents pour les deux locataires.

Il y a des locataires qui ont joui, lors de la location, de deux ou trois mois de loyer gratuit pour les attirer, d'une couche de peinture à leur choix de couleur, d'un stationnement intérieur au lieu d'un stationnement extérieur. Il peut obtenir plus qu'un autre, même en payant le même prix pour un logement identique. Il ne faut pas attacher d'importance plus considérable qu'il n'en a et il faut aller au prix ou au loyer et il faut aller derrière vérifier vraiment les réalités que ces prix-là recouvrent.

Une très importante condition du marché qui se produit au moment de chaque location, c'est le taux de vacance de semblables logements dans la municipalité ou dans le quartier dont on a établi maintenant de manière scientifique — on le savait intuitivement — qui se reflète très fortement sur la hausse des loyers. Le loyer, c'est un prix étalé dans le temps d'une transaction ayant eu lieu à une date donnée et reflétant les conditions de marché et des parties au moment de la transaction. Bien souvent, quand on fait des analyses, quand on regarde de manière immédiate un immeuble, on tranche dans le temps et on dit: Aujourd'hui, il y a quelqu'un qui paie $150 pour un logement, le logement identique voisin est loué à $175 ou $180 et on dit: II y a deux prix pour la même chose aujourd'hui. Mais ce n'est pas cela. C'est

qu'à deux dates différentes il y avait deux prix pour ces logements-là. On ne s'étonne pas que le prix des poulets ou des pommes de terre change tous les jours et même toutes les heures. Mais on est porté parfois à s'étonner parce que les prix qui sont établis à un moment donné se reflètent dans le logement pendant la durée d'un contrat. On s'étonne de ces variations dans le domaine de l'immobilier.

Ce qu'on voit par cela, c'est que le loyer n'est pas une valeur intrinsèque et immuable, c'est un prix de marché. Une pénurie chronique de logements en général sur certains segments du marché d'immeubles locatifs en particulier, fait cependant que le propriétaire ne sera que bien peu souvent favorisé par les conditions du marché, qu'au contraire elles joueront contre lui lors de la plupart des transactions.

La fixation ou la détermination des valeurs capitales des immeubles locatifs est un point très litigieux et il a souvent été suggéré, entre autres, devant cette commission, que les propriétaires soient limités à un certain rendement sur leurs investissements lors de la fixation des loyers. Il faut comprendre qu'un immeuble locatif est une valeur de placement pour la plupart des gens et que la valeur marchande d'un placement est déterminée par le taux de revenu qu'il produit. Un édifice vaut $100,000, si quelqu'un croit de manière justifiée qu'il rapporte un revenu suffisant sur un investissement de $100,000, c'est le seul critère qui établit la valeur. La valeur de capital est déterminée par le revenu et non pas l'inverse. D'assurer ou de chercher à assurer un taux fixe de revenu sur un édifice nous amène à faire varier sa valeur marchande et incite les propriétaires à effectuer des transactions fictives pour augmenter la valeur apparente des immeubles dans le seul but de s'assurer de plus forts revenus. Par exemple, si le taux d'intérêt recherché atteint 20 p.c, un bâtiment qui rapporte net $10,000 par année vaut $50,000. Si le rendement recherché est de 5 p.c, on va payer jusqu'à $200,000 pour le même immeuble. C'est le revenu qui détermine la valeur capitale d'un placement; si on comprend que c'est cela, on voit qu'on ne peut pas lier à ce moment-là les loyers à leurs propres effets, on ne peut pas lier les loyers, les revenus des propriétaires à la valeur des immeubles, ce serait lier les loyers à leurs effets et inviter à la fraude et à l'escalade des prix.

Le propriétaire d'un immeuble, ses expectatives de rendement, ses caractéristiques, son attitude vis-à-vis de l'investissement influencent le rendement d'un immeuble.

Les sections précédentes justifient, en partie du moins, de ne pas lier les loyers au capital investi ni aux conditions particulières du financement de l'immeuble. La rentabilité d'un immeuble est une notion très aléatoire qui dépend tout autant des objectifs de l'investisseur que du revenu même engendré par l'im- meuble. Dans toutes les évaluations de rentabilité d'immeubles, la notion principale d'analyse n'est pas le profit, c'est le cash flow. Le cash flow se différencie du profit en ce sens que, lorsqu'on parle de profit, on inclut dans cette notion-là l'accroissement de l'équité au propriétaire, soit par accroisement de la valeur capitale de l'immeuble, soit en comptabilisant plutôt les remboursements d'hypothèque, du capital de l'hypothèque. L'exigence première des investisseurs n'est pas le profit, c'est plutôt un cash flow positif. Pour l'investisseur, il est nécessaire que le cash flow d'un immeuble soit positif, donc que l'immeuble se paie de lui-même, parce qu'en situation contraire, même si l'immeuble produit un profit, l'investisseur serait amené chaque année à débourser pour garder son bien, si l'immeuble produit un cash flow négatif, même en faisant un profit. C'est-à-dire que, chaque année, pour conserver son immeuble, le propriétaire sera obligé de débourser pour racheter la partie d'hypothèque par exemple. Il n'y a personne qui est capable de faire cela à long terme. A court terme, cela peut être une situation tenable pour de gros investisseurs, pas pour de petits, mais à long terme, c'est absolument impossible.

Le rendement attendu varie suivant les propriétaires. Plus grande est l'entreprise exploitante d'un immeuble en général, plus grande est l'expectative de rendement et plus grand est le rendement effectivement utilisé. C'est l'expérience très générale de petits investisseurs, pour toutes sortes de raisons, dont la principale est bien souvent qu'on leur vend des propriétés à des prix très au-delà de la valeur réelle des immeubles, en leur faisant miroiter des expectatives de profits tout à fait irréalistes. Les petits investiseurs ont, en général, des rendements inférieurs à ceux des grandes entreprises de construction ou de gérance d'immeubles. Dans le rendement attendu par les propriétaires, on n'est pas porté de manière générale à compter la possibilité ou l'expectative du gain de capital. C'est une possibilité qui n'existe pas pour tous les investisseurs, en particulier ceux qui font le commerce d'acheter, de vendre des propriétés, ils ne peuvent pas compter sur un gain de capital. Ce sont des gains de revenus généralement imposables au même taux que le revenu ordinaire, mais les investisseurs en immeubles détiennent des valeurs de placement et les valeurs de placement n'ont de valeur que s'il existe un marché et on s'attend généralement à pouvoir disposer de ces valeurs-là à un moment donné.

Le grand domaine d'intervention des commissaires et du tribunal en matière de fixation des loyers reste et doit rester celui des abus commis par les propriétaires aux dépens des locataires peu mobiles, mal informés ou à l'occasion de rareté temporaire ou artificielle sur certains segments de marché locatif. Les commissaires et le tribunal devront être équita-

blés dans leur décision sans essayer, à eux seuls, de régler tous les problèmes de logement. Messieurs.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Thouin. Est-ce qu'il y a des questions, des observations?

M. CHOQUETTE: M. le Président, je n'ai pas beaucoup d'observations ou de questions à formuler à M. Thouin. Je voudrais cependant saisir cette occasion pour le remercier de son exposé. Je pense qu'il a mis en lumière certaines caractéristiques du marché immobilier et les problèmes économiques qui affectent ce domaine de l'activité, c'est-à-dire la construction et la propriété immobilières.

Je remercie M. Thouin de son exposé et je tiens à lui indiquer aujourd'hui mon appréciation pour la collaboration qu'il nous a donnée au cours de la préparation de ce projet de loi.

M. THOUIN: Merci, M. le ministre.

M. PAUL: M. le Président, c'est un mémoire pratique. Je ne sais pas si M. Thouin était seul à le préparer mais de toute façon, lui seul ou les membres de son équipe doivent être félicités. Vous nous avez présenté, du moins sous un jour nouveau quant à moi, la véritable situation qui doit exister dans l'appréciation de tout ce problème du logement au Québec. Vous attirez notre attention sur des faits particuliers que l'on connaissait peut-être déjà, mais auxquels nous ne nous arrêtions pas. Je vous félicite et veuillez croire que votre mémoire nous sera d'une grande utilité, surtout à nous de l'Opposition, chargés de surveiller les faits et gestes du gouvernement. Mais ce qui me rassure, c'est que le ministre a présenté l'ouverture d'esprit qui vous honore parce qu'il vous a remercié pour la participation, votre participation, à la préparation des projets de loi qui retiennent notre attention actuellement.

M. THOUIN: Merci.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le Bureau de révision du code civil.

M. CHOQUETTE: Pour l'Office de révision du code civil, qui va...

M.PAUL: Es sont quasiment aussi nombreux que les députés.

Office de révision du code civil

M. CREPEAU: M. le Président, M. le ministre, messieurs, si vous le permettez, la contribution de l'Office de révision du code civil pourrait se faire en deux temps. D'abord, je pourrais brièvement situer le projet 78 dans l'ensemble des travaux de réforme du code civil et mon collègue, Me Daniel Jacoby qui est incontestablement le spécialiste du louage de choses au sein de l'office, sera en mesure de faire ressortir les dispositions essentielles du projet et répondre, j'en suis persuadé, aux questions que vous aimeriez poser.

Avant d'aborder ce projet, M. le Président, je voudrais dire que le projet de loi 78 est le fruit d'une fructueuse collaboration entre Me Alarie, sous-ministre associé à la Justice et son équipe, Me Cardinal; également, de M. le juge Ross de la Commission des loyers et de l'Office de révision du code civil. M. le juge Ross, la semaine dernière, vous vous le rappelez, s'est plu à souligner la contribution de l'Office de révision du code civil. Je m'en voudrais de ne pas dire également le plaisir et le profit que nous avons tirés de cette collaboration entre ces trois organismes.

En ce qui concerne la participation de l'Office de révision du code civil à l'élaboration du projet de loi 78, je pense qu'il convient également, M. le Président, de souligner le fait que cette contribution s'est faite en deux étapes. D'abord, il y a eu les travaux du comité du droit de louage de choses qui, au cours des années 1969 et 1970, a préparé un projet de législation sur le contrat de louage de choses; ce comité était présidé par M. le juge Trudel qui est un collaborateur à l'office; ce comité était également composé de Me Ariste Brossard, de Me Gerald McCarthy, de M. le professeur Maurice Tancelin et de Me Daniel Jacoby comme rapporteur. Il est certain — et je pense pouvoir l'affirmer — que si ce comité du droit du louage de choses n'avait pas pu terminer ses travaux, nous n'aurions, je pense, certainement pas pu faire face aux échéances que le ministre de la Justice nous fixait à la fin de l'année dernière, pour l'élaboration du projet de loi 78.

Une deuxième étape s'est faite par l'apport du comité de la protection du consommateur, section louage de choses, et ce comité est animé par M. Trudel et d'autres collaborateurs. Ici, il faut le dire, si ce n'avait été de la contribution exceptionnelle de Me Jacoby et de Me Louise Robert, je pense pouvoir dire que nous ne pourrions pas aujourd'hui vous présenter ce projet de loi. C'est une contribution qui a été le fruit de travaux soutenus et je me plais à le souligner.

Ce projet de loi 78 s'insère parfaitement dans le cadre de la réforme générale du code civil et notamment, du titre des obligations et des contrats nommés. Les principes fondamentaux qu'il consacre correspondent assez exactement aux politiques législatives nouvelles que l'Office de révision du code civil entend soumettre, dans les meilleurs délais, aux autorités gouvernementales, dans le domaine des relations contractuelles.

Ces politiques législatives nouvelles sont certainement destinées à transformer, si telle est la volonté du législateur, assez profondément les règles du jeu contractuel telles qu'elles ont été

établies par le législateur de 1866. On sait en effet — et je veux simplement le rappeler très brièvement— que ce droit contractuel de 1866, issu du libérablisme économique, du laisser-faire, était essentiellement fondé sur les postulats de l'égalité, de la liberté des parties. Les parties contractantes, pourvu qu'elles soient majeures, qu'elles soient capables, étaient présumées, étaient même réputées être sur un pied d'égalité. Elles devaient être en mesure d'assurer la défense de leurs intérêts patrimoniaux, tant en ce qui concerne la négociation de l'accord contractuel qu'en ce qui concerne la connaissance de leurs droits et aussi, il faut le dire, la défense judiciaire de leurs intérêts.

Ainsi, dans ce contexte du milieu du XIXe siècle, le contrat est-il conçu comme le fruit de concessions réciproques qui sont faites en pleine connaissance de cause et que chacun pourra faire valoir au besoin en justice. Mais non seulement les parties sont-elles égales, elles sont également libres. Elles sont libres et il convient de se le rappeler, étant donné certaines dispositions extrêmement importantes que l'on a cru devoir insérer dans ce projet de loi 78; elles sont d'abord libres de refuser de contracter dans le droit de 1866. On peut refuser de disposer de ses biens, de disposer de sa propriété. Si on décidait de contracter, on était libre de choisir son cocontractant et de le choisir au gré de ses intérêts, au gré même, peut-être, de ses préjugés. Et des décisions telles que, par exemple, la décision célèbre de la cour Suprême du Canada dans l'affaire Christie v. The York Corporation montrent à quel point le principe de la liberté contractuelle a été consacré dans notre droit, surtout lorsque la cour d'Appel réaffirmait le brocard que "charbonnier est maitre chez soi".

Si bien qu'elles sont libres de refuser de contracter, elles sont libres de choisir entre elles les parties contractantes mais au-delà de ce choix, elles sont libres de façonner leurs rapports contractuels au gré de leurs intérêts. Cette manière de procéder pouvait se faire soit expressément par le libre jeu de la négociation, soit encore implicitement par référence à ces contrats types que l'on trouve dans le code civil au titre de la vente, du louage de la société, du mandat, qui sont autant de schèmes, si on peut dire, de réglementations supplétives que le législateur proposait aux parties contractantes pour le cas où elles auraient oublié de négocier expressément leur accord ou encore pour le cas où elles auraient décidé que, au fond, ce schème, ce contrat type était celui qui convenait d'avantage à leurs intérêts.

Ce qu'il convient de noter — et ce sera une différence essentielle entre ce qui se trouve dans le code de 1866 et ce qui se trouve dans le projet 78 en ce qui concerne le bail résidentiel — c'est que le bail type, en quelque sorte, du code civil, était un bail type à caractère purement supplétif. Les parties pouvaient, à leur guise, suivant le gré de leurs intérêts, en modifier le contenu et réglementer expressément leur rapport contractuel.

Donc, les parties sont égales, les parties sont libres. Bien sûr, cette liberté n'est pas exclusive. Cette liberté n'est pas totale. Au principe de la liberté contractuelle, le législateur avait déjà, en 1866, apporté le correctif important de l'article 13 du code civil selon lequel on ne peut, par des conventions privées, déroger au principe de l'ordre public et des bonnes moeurs.

Egalement, dans le code, dans le titre des contrats nommés, il y avait certaines dispositions qui venaient porter atteinte à la liberté contractuelle. Ainsi ce célèbre article 1667 qui disait; "fruit d'une réaction à la révolution française que l'on ne pouvait pas allouer ses services à vie." Mais c'était là une exception que l'on considérait limitée. Le législateur, lui, de son côté, ne voulait pas porter atteinte ou ne voulait porter qu'une atteinte limitée au principe de la liberté. Les tribunaux, également, ont cru devoir respecter ce principe de la liberté contractuelle parce que l'on ne voyait pas très bien comment l'ordre public, comment les bonnes moeurs pouvaient s'immiscer, sauf dans des cas très rares, dans les relations privées. On connaît des décisions intéressantes, par exemple, celle de Chaput v. Bonhomme, une décision de 1925 où la cour d'Appel de la province de Québec vient déclarer que les clauses d'un contrat peuvent être injustes, peuvent être exorbitantes, peuvent être abusives mais elles ne sont pas contre l'ordre public et les bonnes moeurs. C'était là l'expression d'un état d'esprit, d'une philosophie des relations contractuelles.

C'est donc là, M. le Président, le droit contractuel de 1866: liberté, égalité, et on serait tenté de dire bien peu de fraternité. Il faut dire que le code civil, encore aujourd'hui, conserve une image assez fidèle, à sa face même, de ces principes qui ont présidé à l'élaboration du droit contractuel.

Or, ce qu'il convient de noter, c'est que les bouleversements sociaux qui sont issus de l'industrialisation, de l'urbanisation, on le sait, des guerres mondiales, qui ont donné naissance à la société de consommation, qui ont donné naissance à ce qu'on a appelé l'âge de l'éphémère, ont eu des répercussions importantes dans le droit contractuel.

Elles ont complètement modifié, d'abord, les schèmes de pensée traditionnels. Ces bouleversements ont complètement transformé également les conditions sociales, les conditions psychologiques dans lesquelles les contrats étaient négociés, puis conclus. Et surtout, sur le plan juridique, ces bouleversements ont complètement faussé l'application des règles classiques.

On s'est rendu compte, en effet, que dans de nombreux secteurs des relations économiques, par exemple, la vente, le louage, le prêt, les entreprises de diverses sortes, les postulats d'égalité et de liberté ne correspondent plus à la réalité. Les parties contractantes, souvent, ne

sont pas égales. Les parties contractantes ne sont pas libres ou tout au moins, si elles sont égales, si elles sont libres, il y en a une d'entre elles qui est plus égale, qui est plus libre que l'autre.

Et alors, ces transformations sociales ont fait apparaître dans le cadre du droit classique ce que l'on a appelé, au début du siècle, le contrat d'adhésion dont mon collègue vous entretiendra plus particulièrement. Ce contrat d'adhésion où une partie profitant et il faut le dire, consciemment ou inconsciemment, et souvent par le biais d'un contrat type, d'une formule type, d'un état de supériorité, est en mesure d'imposer sa volonté à l'autre.

Il convient de dire que cela n'est pas là un phénomène local. C'est un phénomène universel et notamment, dans les pays de l'Occident. Ce caractère universel a été particulièrement mis en relief en 1970, lors du huitième congrès de l'Académie internationale de droit comparé. On s'est rendu compte, au cours des travaux qui ont porté sur ce sujet, des contrats d'adhésion et des contrats type, que partout dans les pays de l'Occident, on se trouve en face des mêmes problèmes. Partout, on se retrouve à la recherche de mêmes solutions. On se demande toujours comment combattre les abus de la liberté contractuelle, tout en en retenant les avantages, tout en en conservant ce qui peut profiter aux parties contractantes.

Les travaux de ce congrès ont montré qu'au fond, les moyens ne sont pas illimités. On a montré qu'au fond, ils se situent à trois niveaux. Ou bien, il y a une intervention législative, ou bien, on procède par un contrôle administratif, ou bien, on s'en tient à une surveillance judiciaire.

Les travaux de ce congrès ont aussi montré qu'il n'y a pas de solution miracle, qu'aucun de ces trois moyens, d'ailleurs, ne peut à lui seul, assurer la surveillance de la partie forte et la protection de la partie faible.

On s'est rendu compte, par les travaux des divers rapporteurs nationaux, que dans tous les pays, au fond, c'est un dosage, selon les circonstances particulières de chaque pays, de ces moyens qui convient pour assurer la juste protection des intérêts.

Ces préoccupations se retrouvent dans le projet 78. Et je voudrais, brièvement, en signaler trois. Premièrement, la réglementation législative à caractère impératif — Me Jacoby vous en entretiendra plus particulièrement — c'est une réglementation où le législateur vient en quelque sorte, impérativement, décider du contenu contractuel, notamment du bail résidentiel. Et on peut dire, à cet égard, qu'avec les dispositions du projet, je pense à l'article 1652 et suivants, on est en présence, au fond, d'un contrat type idéal, puisque le législateur vient dire expressément et impérativement : Voici vos obligations auxquelles vous ne pourrez pas déroger ou au moins, si vous pouvez y déroger, cela ne sera qu'avec l'accord ou sous la surveillance judiciaire.

Deuxièmement, il y a le moyen de la surveillance judiciaire, de ce que l'on pourrait appeler l'équité contractuelle et notamment, dans le projet 78, avec le secours, l'appui et le support de services techniques qui peuvent être d'un grand secours à l'autorité judiciaire.

Cette surveillance judiciaire, on la retrouve dans les articles visant les réparations, dans les règles concernant le maintien des lieux, la reprise de possession, et aussi — je voudrais m'y attarder un instant, si vous me le permettez — dans la fixation d'un juste loyer.

C'est ici qu'est expressément consacrée la lésion. Or, quand on mentionne le mot lésion, il arrive très souvent que dans certains milieux juridiques, tout de suite, le mot lésion fait dresser les cheveux. Il arrive très souvent, dans certains milieux, que lorsqu'on pense à la lésion, on pense à quelque monstre qui va sortir des eaux pour mettre en péril la sécurité, la stabilité contractuelles.

Or, il me semble — et je le dis en toute déférence pour ceux qui partagent l'opinion contraire — que rien n'est plus faux, car le principe de la lésion n'est pas un monstre nouveau. Le principe de la lésion n'a pas pour effet de troubler la sécurité contractuelle. En effet, quand on pense au principe de la lésion, il faut bien se rappeler qu'il fait tout de même partie d'une tradition séculaire de notre droit civil et, si le principe de la lésion a été sacrifié en 1866 dans le code pour répondre aux impératifs du libéralisme économique, il faut, tout de même, dire qu'il est vite réapparu dans le code. Il est apparu en 1906, à l'article 1149 du code civil concernant les intérêts usuraires.

Il a été réintroduit, en 1939, dans l'article 1056 b) concernant les transactions consécutives aux accidents causant des blessures corporelles. Il a été introduit, en 1951, dans la Loi de la conciliation entre locateurs et locataires, ce fameux article 29 b) qui permet ce contrôle de l'équité. Il a été introduit, on le sait, en 1964, d'une façon assez énergique dans l'article 1040 c) du code civil inspiré du Uniform Commercial Code américain et inspiré également des Unconsctionable Transactions Acts des autres provinces canadiennes. On le retrouve, aussi surprenant que cela puisse paraître, dans un milieu très sensible à la liberté contractuelle, dans la Loi des valeurs mobilières où deux dispositions viennent consacrer le principe de la lésion de même dans l'article 118 de la loi de protection du consommateur. Si bien, qu'on ne peut pas dire que nous sommes en présence de quelque chose qui fait partie de notre tradition et que l'on a réintroduit, graduellement, expressément ou implicitement pour assurer le respect de la justice contractuelle.

Il convient également de dire que le principe de la lésion n'a pas pour effet de troubler la sécurité contractuelle mais simplement de réprimer les abus de la liberté contractuelle et c'est ce que l'on fait, encore ce matin, M. le ministre de la Justice, visant à faire comprendre

que la lésion vient corriger les abus d'une liberté et non pas réprimer la liberté elle-même. Et un fait symptomatique, M. le Président, l'article 1040 c) du code civil qui introduit la lésion en matière de prêt usuraire a été indroduit en 1964. Or, les recherches qu'a effectuées mon collègue, Me Daniel Jacoby, ont montré que depuis 1964 il y aurait eu à peine douze décisions, publiées ou non, où les tribunaux seraient intervenus pour réduire le coût excessif d'une opération de prêt. Si bien que si vous avez une disposition qui introduit la lésion dans un domaine très sensible comme celui du prêt, et que l'on ne retrouve que quelques décisions judiciaires qui viennent en faire l'application, c'est possible que l'on puisse dire que cette disposition aura pu avoir un effet préventif, un effet éducatif et que les tribunaux venant dire à peu près ce que pourrait constituer un intérêt normal ou un coût normal du prêt, soit en quelque sorte un guide pour les opérations futures. Si bien que, et je termine là-dessus...

M. CHOQUETTE: Sauf dans le domaine du crime organisé où ils ont des méthodes particulières de faire exécuter des obligations.

M. CREPEAU: Evidemment, le code civil, avec les moyens limités qu'il possède, ne peut pas aller au-delà de son régime particulier. Mais, au fond, la conclusion qui s'impose, c'est que ce principe de la lésion parait tout à fait justifiable et l'Office de révision du code civil se propose de présenter aux autorités gouvernementales des dispositions qui, au chapitre général des obligations permettraient d'introduire ce correctif souple, flexible, mais aussi énergique et préventif qui permettrait de prévenir les abus.

M. PAUL: Est-ce que ce serait dans le chapitre de l'annulation des obligations par exemple?

M. CREPEAU: Dans le chapitre de...

M. PAUL: Des annulations d'obligations, des causes d'annulation d'obligations.

M. CREPEAU: C'est-à-dire que, lorsque nous avons réfléchi à ce problème, je pense qu'on peut dire que ça viendrait dans les conditions de formation, dans les vices du consentement du contrat. Parce qu'à l'heure actuelle, la lésion se trouve à l'article 1012, on l'a éliminée entre majeurs, il s'agit de la réintroduire comme l'un des vices du consentement.

Un troisième aspect que je veux signaler brièvement, c'est la reconnaissance, dans le projet 78, du droit à l'information. C'est un aspect particulier qui convient d'être souligné. On a toujours reconnu au citoyen le droit à l'information en ce qui concerne ses droits. Mais, chose curieuse, on a toujours considéré le droit à l'information comme étant en quelque sorte le droit pour le citoyen de s'informer lui-même de ses droits. Et qui en était le débiteur?

Le législateur, le gouvernement, par la promulgation des lois, par la promulgation des règlements. Ici, je pense qu'il convient de souligner l'heureuse initiative du ministère de la Justice qui, enfin, a comblé une grave lacune par la publication de cette collection de réglementations administratives du Québec. Si bien qu'alors qu'on concevait jusqu'ici le droit à l'information, comme le droit de s'informer de ce qu'étaient ses droits, le projet 78, faisant suite d'ailleurs dans une certaine mesure au projet de loi 45 sur la protection du consommateur, a changé en quelque sorte la perspective. On dit: Non seulement le citoyen a-t-il le droit à l'information, non seulement peut-il, bien sûr, toujours s'informer lui-même de ses droits, mais, dans un contexte de contrat d'adhésion où se trouvent un fort et un faible, on vient ajouter un autre débiteur de l'information et on demande à la partie forte de venir présenter à la partie faible le cadre contractuel dans lequel le contrat sera exécuté. Il me semble que c'est une heureuse initiative, dans ce contexte particulier où se négocient, où s'exécutent les contrats; on peut fort bien comprendre qu'une partie puisse avoir non seulement le droit à l'information, mais puisse être informée, non seulement par le législateur, le gouvernement, mais également par l'autre partie contractante.

Ces divers moyens de réprimer les abus de la liberté contractuelle, appliqués dans ce domaine particulier du louage de choses, M. le Président, mais aussi et bientôt, je l'espère, appliqués à des degrés divers selon le type de contrat, à l'ensemble de la législation contractuelle, sont — il nous semble à l'Office de révision du code civil — de nature à promouvoir l'élaboration d'une nouvelle charte des contrats, une charte qui est destinée à assurer le respect, bien sûr, de la liberté des parties contractantes, destinée à assurer, bien sûr, le respect de l'égalité des parties contractantes, mais surtout destinée à assurer la justice dans les relations contractuelles.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Cré-peau. Me Jacoby.

M. PAUL: J'aurais peut-être une question à poser au ministre. Après avoir entendu Me Crépeau, je me demande ce qu'il ajoutera de nouveau dans son discours de deuxième lecture sur la loi 78.

M. CHOQUETTE: C'est bon signe.

M. PAUL: D'ailleurs, j'ai vécu l'expérience avec Me Crépeau lorsque nous avions adopté la loi 29, la copropriété. Alors, je pense qu'à ce moment-là le discours de deuxième lecture était le fruit de la cogitation de M. Crépeau que je remercie pour cette présentation qui nous

permet de mieux saisir la portée et les principes qui sous-tendent le projet de loi 78.

M. JACOBY: M. le Président, messieurs les membres de la commission, je n'ai pas préparé de mémoire sur les aspects techniques de la loi 78, étant donné que, si je l'avais fait, j'aurais dû répéter tout ce qui se trouve dans les notes explicatives, les justifications aux différents projets qui sont soumis dans ce bill. Et, de mon côté, c'aurait été très fastidieux et je pense que pour vous ç'aurait été très ennuyeux.

Alors, en somme, ce que je vais faire, c'est de donner certaines raisons pour lesquelles il est important, je pense, de modifier substantiellement le droit du louage, des raisons qui ne sont pas strictement juridiques, d'une part, et dans un deuxième temps, j'exposerai les grandes lignes du projet de loi 78.

Les raisons qui militent en faveur d'un bouleversement assez profond du droit du louage, on peut les regrouper en quatre. D'abord, l'existence de deux secteurs parallèles en matière de bail résidentiel. Deuxièmement, l'application d'un code qui est largement dépassé pour différentes raisons par les impératifs du logement en 1973. Troisièmement, l'existence malheureusement d'une jurisprudence de droit commun qui, sous plusieurs aspects, s'avère très conservatrice.

Quatrièmement, l'application de ce fameux postulat de la liberté contractuelle, qui a donné lieu à ce que l'on connaît en matière de baux résidentiels comme étant les contrats d'adhésion.

D'abord, il y a l'existence de deux secteurs parallèles en matière de loyers, qui cause de sérieuses difficultés. Evidemment, je ne tiens pas compte de la loi d'exception qui est en application cette année. C'est une loi d'exception. Vous avez deux secteurs: le secteur contrôlé, c'est-à-dire le secteur qui est régi et gouverné par la Loi de conciliation et, ensuite, le secteur libre qui est l'application pure et simple du droit civil. Il faut se rappeler que, sur environ 850,000 logements locatifs au Québec, il y en a environ 250,000 qui sont soumis au secteur contrôlé. En passant, je n'aime pas tellement l'expression secteur contrôlé. Je dirais qu'il y a un secteur plus libre et un secteur moins libre. Ce qui est paradoxal, c'est qu'on se trouve devant deux types de locataires dans la province de Québec. Il y a des locataires qui jouissent de droits beaucoup plus étendus que d'autres. Ce sont les locataires qui bénéficient de la Loi de conciliation. Ces locataires ne peuvent pas indûment recevoir un avis de congé à l'expiration du bail. Ces locataires ne peuvent pas subir d'augmentation abusive de loyer. Dans le fameux secteur libre, c'est la situation inverse qui se produit.

En somme, on peut dire qu'il y a des locataires défavorisés à cause de l'existence de ces deux secteurs parallèles.

Je pense qu'en 1973 c'est pratiquement une forme de discrimination que de perpétuer un tel régime, tant sur le plan social que sur le plan économique et sur le plan juridique. Je pense que c'est une raison assez importante qui milite en faveur d'un bouleversement profond du droit de louage.

Deuxième raison, c'est que nous avons l'application d'un code qui est complètement dépassé par les impératifs modernes. Comme le soulignait tout à l'heure Me Crépeau, le code est issu du libéralisme économique appliqué à la lettre, avec toutes ses conséquences. Evidemment, il y a des conséquences bénéfiques, mais cela a conduit aussi à des effets néfastes. Par ailleurs, il faut se rappeler que le droit de propriété, à l'époque, était une des valeurs les plus respectées et les plus soutenues. Quand le code a été rédigé en matière de louage, il ne faudrait pas oublier qu'on avait affaire à un propriétaire dans le contexte de 1866 et à un locataire qui n'avait qu'un simple droit de jouissance. C'est pour cela qu'on retrouve dans le code actuel des dispositions ou des articles qui sont symptomatiques de cette mentalité qui a vraiment évolué depuis lors. Prenons, par exemple, l'article 1629 qui crée une présomption de faute envers le locataire lorsqu'un incendie se produit dans les lieux loués. Voilà un exemple symptomatique.

Vous avez l'article 1635 qui définit les réparations locatives ou qui énumère certaines réparations locatives. Dans cet article 1635, on fait assumer au locataire l'obligation de réparer la cheminée, le foyer, les plafonds, les planchers partiellement brisés, à moins que le locataire ne prouve un cas fortuit ou la vétusté. Il n'est certainement pas facile d'établir que ceci s'est produit par cas fortuit ou par vétusté.

Autre exemple qui est symptomatique de cette mentalité de l'époque, c'est l'article 1637 qui, à mon avis, n'a aucune raison d'être aujourd'hui.

Lorsqu'il y avait une réparation urgente et nécessaire, le locataire devait la subir sans aucune diminution de loyer, sans aucune compensation, sauf si les réparations duraient plus de 40 jours et si ces réparations étaient devenues nécessaires avant la conclusion du bail. Encore là, vous avez un exemple de cette philosophie qui régnait au siècle dernier. On pourrait certainement passer d'autres articles en revue, mais je pense que ceci illustre suffisamment les changements de mentalité qui s'imposent.

L'autre élément, c'est que, à cause de la coexistence, encore, de ces deux secteurs parallèles, vous avez eu d'une part la jurisprudence dans le domaine du secteur contrôlé qui a toujours évolué d'une manière très libérale, alors que devant les tribunaux de droit commun, on s'est trouvé devant des décisions qui, à mon avis, ne sont plus justifiables aujourd'hui. Il y a une décision, par exemple, où les plafonds de l'appartement se sont écroulés et le tribunal a décidé que c'était une réparation locative.

Jusqu'à récemment, devant les tribunaux de droit commun, il fallait, pour qu'un locataire puisse exercer des recours, qu'il y ait une vermine abondante, qu'il y ait des rats en très grande quantité pour pouvoir quitter le logement ou exercer un autre recours. Ce n'est que récemment qu'une décision, à mon avis, a compris véritablement que le logement était un service, un besoin essentiel. Les faits sont à peu près les suivants. Vous aviez une femme enceinte qui était évidemment très nerveuse; il y avait deux rats dans la maison. Cette femme faisait une dépression nerveuse à cause de ces deux rats. On a quitté les lieux. Le tribunal a bouleversé complètement les principes traditionnels pour différents motifs mais, entre autres choses, il a dit que ce n'était pas nécessaire qu'on retrouve des rats partout dans la maison pour que le locataire puisse quitter les lieux.

Autre exemple.

M. PAUL: Me Jacoby, est-ce que c'est un jugement de la cour Supérieure?

M. JACOBY: De la cour Supérieure.

M. PAUL: Est-ce que le jugement a été porté en appel?

M. JACOBY: Non. Autre exemple où la jurisprudence des tribunaux de droit commun s'est montrée très conservatrice, c'est dans l'application de l'exception de ce qu'on appelle techniquement en droit, l'exception d'inexécution. Vous savez tout le monde que lorsqu'une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie peut refuser d'exécuter les siennes. Ceci s'appliquait dans tous les contrats, sauf en matière de louage pour différentes raisons. En matière de louage, pour que le locataire puisse retenir son loyer, il fallait que le logement soit devenu inhabitable. C'est encore un exemple où vraiment le louage a été traité d'une manière exceptionnelle par la jurisprudence de droit commun. Je ne veux pas généraliser, mais il y a beaucoup de décisions qui sont extrêmement conservatrices ou réactionnaires.

Autre élément qui milite en faveur d'un bouleversement complet du droit du louage — et je parle évidemment surtout en relation avec les baux résidentiels — c'est ce fameux postulat de la liberté contractuelle qui a donné lieu, aussi paradoxal que cela puisse paraître, à ce qu'on appelle le contrat d'adhésion.

La liberté contractuelle qui imprègne le code de 1866, c'est la transposition en termes juridiques du mécanisme de l'offre et de la demande que l'on considérait à l'époque très fonctionnel, la théorie économique.

Un juriste éminent a dit: "Qui dit contractuel dit juste", en relation avec ces théories économiques. Or, cette affirmation s'est avérée véritablement fausse par la suite. Cette liberté contractuelle a été critiquée tant par les juristes que par les sociologues du droit et qu'est-ce que cette liberté contractuelle a donné?

Cela a donné ce fameux contrat d'adhésion. C'est-à-dire que le seul choix que vous avez est d'accepter ou de refuser l'ensemble de la convention. C'est ce fameux contrat dont on retrouve les formules un peu partout et qui contient une foule de clauses qui, dans certains cas, s'avèrent abusives.

Par exemple, dans un contrat, j'ai trouvé une stipulation à l'effet qu'en cas de conflit entre le locateur et le locataire, c'était le locateur qui choisissait l'avocat du locataire. Dans une maison d'appartements, il y avait une stipulation au bail qui disait — un édifice immense — que le locataire était tenu d'assumer proportionnellement les coûts de réparation de la toiture.

Il y a ensuite une foule de clauses d'exonération de responsabilités et, à titre d'exemple, je vais vous lire ici une clause d'exonération de responsabilités. C'est écrit en caractères lilliputiens et j'ai oublié mes lunettes à Montréal, mais je vais quand même essayer...

M. PAUL: On peut aller chercher Mlle Tes-sier.

M. JACOBY: ... de vous la lire. "Le bailleur ne sera responsable d'aucune blessure ni d'aucun préjudice dont le locataire pourrait être victime et d'aucun dommage aux biens du locataire et le locataire n'aura pas le droit de demander que son loyer soit réduit au cas où il deviendrait nécessaire, pour quelque raison que ce soit, d'interrompre le fonctionnement des ascenseurs, du système de chauffage, de l'appareillage électrique ou de la plomberie dans le but d'y effectuer des réparations ou de réparer les moteurs, chaudières, machines ou dispositifs qui s'y rattachent, mais le bailleur s'engage à faire exécuter en pareil cas ces réparations avec diligence. Et le bailleur ne sera responsable d'aucune blessure, ni d'aucun préjudice dont soit le locataire, soit les membres de sa famille, soit ses invités, soit toute autre personne ayant affaire avec le locataire, soit tout intrus qui pourrait se trouver dans le bâtiment ou dans le local, ses appartenances ou ses entrées, pourraient être les victimes, que ce préjudice soit causé par lesdits ascenseurs ou toute autre appartenance ou par l'usage qu'en font lesdites personnes, quelle qu'en soit la cause ou les circonstances et que lesdits dommages, blessures ou préjudices aient été provoqués par un acte, une omission ou une négligence du bailleur ou de l'un quelconque de ses employés domestiques ou agents ou de toute autre personne ou par qui ou par quoi que ce soit." Et cela continue comme ça sur une dizaine de lignes. Autre exemple de clause abusive.

M. PAUL: Le bailleur s'était trouvé un excellent notaire.

M. JACOBY: En effet. Vous aviez ces fa-

meuses clauses pénales. Voici un autre exemple. "Pour le cas où le bailleur serait contraint à son jugement de recourir au service d'un avocat pour recouvrer du loyer dû ou pour toute autre raison concernant l'exécution du présent bail, le locataire consent à payer, en plus de tout loyer dû et de toute réclamation, une indemnité de 25 p.c. de toutes les sommes réclamées et ce, pour compenser les frais de recouvrement en sus des frais judiciaires, etc."

Enfin, voilà une perle. "Le bailleur se réserve le droit, pour assurer la tranquillité et la propreté de la bâtisse, d'indiquer de temps à autre au locataire les noms d'un laitier et d'un boulanger reconnus de qui le locataire devra acheter ses produits laitiers et ses produits de boulangerie et il est convenu qu'aucun autre laitier et boulanger ne sera admis à entrer dans ladite bâtisse."

M. PAUL: C'est dans le contexte du patronage moderne.

M. JACOBY: II y a évidemment... Je ne veux pas m'attarder là-dessus, parce qu'il y en a de nombreuses perles comme ça dans ces fameux contrats qui sont imposés. Non seulement ces contrats d'adhésions contiennent des stipulations qui, à mon avis, apparaissent abusives, mais ces contrats sont très souvent rédigés en caractères microscopiques. On m'a reproché à une dernière commission parlementaire, d'avoir fait une insulte à la population en disant que les gens ne lisaient pas leurs contrats. Je pense qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Si les individus ne lisent pas leurs contrats, c'est qu'ils ont de bonnes raisons de le faire. La première, c'est que souvent le contrat est illisible et même, si le contrat était lisible, la technicité, la haute technicité de la terminologie juridique employée fait que les gens ne comprendraient rien de toute façon. Alors, les gens ont compris qu'ils ne pouvaient rien comprendre. Et je pense que ce n'est certainement pas une insulte que j'ai faite à la population en affirmant cette chose. En somme, il y a mille et une raisons pour lesquelles on doit réformer substantiellement le droit du louage de choses et ce ne sont là que quelques exemples que j'ai donnés.

Pour précipiter les choses, je vais passer maintenant, mais d'une manière très générale, au grand principe qui gouverne cette loi. Il faut noter au départ que, pour ce qui est de tous les baux commerciaux, industriels ou professionnels, dans le projet de loi actuel et avec les amendements qui seront éventuellement apportés, comme l'a souligné M. le ministre, tout le régime du bail commercial sera à peu près laissé gouverné encore par le principe de la liberté contractuelle, parce qu'on ne connaît pas encore, dans ce domaine, les abus que l'on a pu connaître en matière de baux résidentiels. Ce qui fait que tout ce qui touche les baux résidentiels, le bail d'un local d'habitation, devient un droit d'ordre public. Un droit d'ordre public, c'est-à-dire un droit auquel on ne peut déroger. Mais par ailleurs, comme c'est un droit d'ordre public qui affecte des intérêts de nature privée, on a tenté de mettre au point un mécanisme qui puisse permettre d'assouplir les effets des dispositions d'ordre public et je pense que c'est la première fois que l'on retrouve ce genre de mécanisme dans une loi. C'est que cet ordre public est quelque peu mitigé. Lorsque les parties s'entendront pour déroger ou contrevenir aux dispositions obligatoires, elles pourront le faire, mais pour être certaines que l'un ou l'autre des parties ne sera pas, en définitive, dans un état d'infériorité par rapport à l'autre, on va exiger une forme de ratification du tribunal. Il faudra donc l'autorisation du tribunal et le consentement unanime des parties, pour que l'on puisse déroger à ces dispositions d'ordre public. Dans le fond, c'est un système impératif, mais c'est un système souple aussi. Le grand principe en définitive, qui sous-tend toute cette législation, c'est de rétablir l'équilibre qui n'existait plus en matière de baux résidentiels, notamment, dans le secteur libre. C'est le principe qui sous-tend toute cette réglementation en matière de local d'habitation. Un deuxième grand principe est celui de l'universalité de la loi. Il n'y a plus aucune raison, comme je le mentionnais tout à l'heure, que l'on ait des régimes d'exception.

Si j'entre un peu plus dans les détails, notamment, en ce qui touche les conditions du logement, une des obligations du locateur, c'est de fournir et d'entretenir le logement en bon état d'habitabilité. Je ne donnerai pas d'exemple, mais je sais que, dans plusieurs municipalités et même à Montréal, il y a des logements qui sont véritablement inhabitables, des logements où on pourrait tout au plus faire vivre des animaux.

Cela devient une obligation imperative. De plus, le locateur devra se conformer non seulement aux obligations que l'on retrouve dans le projet de loi, mais encore devra-t-il se conformer aux règlements municipaux qui concernent la salubrité et la sécurité du logement. Ceci est très important parce que cette jurisprudence conservatrice dont je vous parlais tout à l'heure avait refusé d'utiliser les règlements municipaux pour déterminer les obligations des parties sur le plan civil. Pourtant, quand il s'agit de règlements qui touchent la salubrité et la sécurité du logement, il me semble que c'est un élément qui doit faire partie intégrante de la notion de logement dans un contexte où on considère que le logement est un besoin essentiel aujourd'hui.

Un autre principe, c'est qu'en vertu de cette loi le locataire, lorsque le locateur n'effectuerait pas les réparations auxquelles il est tenu, aura le droit de retenir le loyer, sous contrôle, évidemment, du tribunal.

Le locataire ne sera tenu, à l'avenir, dans le bill 78, qu'aux réparations locatives, c'est-à-dire

aux réparations de menu entretien. De son côté, le locataire aura évidemment des obligations parce que le projet de loi n'a pas pour but de créer un régime au détriment des locateurs. H a pour but tout simplement de rétablir l'équilibre où les intérêts des parties devraient s'harmoniser dans la mesure du possible. Alors le locataire, de son côté, a aussi des obligations d'ordre public.

Quant au loyer, M. Crépeau faisait mention précédemment du loyer juste et raisonnable et de l'introduction, dans ce domaine, du principe antilésionnaire. Evidemment, quand on insère dans une loi des dispositions de ce genre — dans le fond, la lésion peut s'analyser sur le plan juridique comme un vice de consentement parce que c'est une partie qui, à cause de son état d'infériorité, n'a pas pu librement négocier les conditions de son contrat — il faut mettre tous les locataires sur le même pied.

Vous avez, d'une part, le locataire qui est sur les lieux et qui peut contester une demande de loyer abusive, mais il y avait le fameux problème du nouveau locataire. Le nouveau locataire n'a aucune raison de se trouver sur un pied d'infériorité par rapport au locataire qui est sur les lieux. Il y a différentes raisons qui militent en faveur d'une disposition qui permette la révision du loyer dans les deux mois d'occupation. C'est que si on n'avait pas cette disposition, il y a de fortes chances, dans la mesure où un locateur voudrait demander ou obtenir éventuellement un loyer exagéré sur les lieux, que le locateur prenne tous les moyens pour faire évincer son locataire. Ensuite, il y a le fait que le locataire qui est sur les lieux, quand il s'oppose à une demande abusive de loyer, est au courant de la situation tandis qu'un nouveau locataire, pressé par les événements, signe un contrat qu'il ne lit pas et, en définitive, ce n'est qu'après quelque temps qu'il peut se rendre compte si, oui ou non, le loyer était abusif.

Deux mois, vous savez, MM. les membres de la commission parlementaire, c'est vraiment un délai très court si l'on compare ce qui se fait dans les autres domaines où la lésion est acceptée. En matière de prêt usuraire, le délai de prescription de l'action — c'est d'ordre public, il n'y a pas de confirmation — c'est 30 ans. Dans la Loi de la protection du consommateur, l'article 118, qui introduit aussi la lésion, dit un an. Ici, on a prévu un délai très court.

Il y a aussi d'autres raisons mais je vais abréger en énonçant aussi le fait qu'il y a toute une section du projet qui, en définitive, interdit, prohibe ou rend inefficaces toutes les dispositions abusives que l'on retrouvait dans les baux, dans les formules types.

On a fait un inventaire de toutes les formules de contrat qui étaient utilisées dans la province de Québec et à partir de cela on a édicté des prohibitions, notamment les clauses pénales, les clauses de déchéance de terme, les clauses d'exonération complète de responsabilité en faveur du locateur. Enfin, il y a un grand principe qui régit cette loi et que tout le monde sait, c'est le droit au maitien dans les lieux, sauf les cas de reprise de possession ou les causes de résiliation.

Mais cela n'est pas tout. Il ne suffit pas d'établir un droit qui équilibre des rapports de forces. Un droit n'est valable que dans la mesure où ceux qui peuvent en bénéficier puissent être informés, d'une part, et puissent avoir un accès facile aux tribunaux, d'autre part.

C'est pourquoi — M. le ministre l'a déclaré à plusieurs reprises — il y aura éventuellement un bail type. Son principal rôle sera de permettre aux parties de connaître l'étendue de leurs droits et de leurs obligations. Ce bail type sera uniforme à travers les locaux d'habitation. De cette manière, on peut au moins croire que les justiciables, que les individus — que cela soit le locataire ou le locateur — pourront avoir une connaissance de leurs droits, parce qu'une bonne loi ne suffit pas, il faut qu'on la connaisse.

Ensuite, avec le projet de loi 79, il est évident que le deuxième objectif que l'on doit viser, c'est-à-dire des procédures rapides dans le domaine des loyers, des procédures fonctionnelles, sera bien rempli.

J'en ai terminé.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. Jaco-by.

M. CHOQUETTE: Je voudrais remercier M. le professeur Crépeau ainsi que Me Jacoby pour leurs exposés que je qualifierais de lumineux ce matin. Je pense qu'ils ont fort bien dégagé les principes qui se trouvent à la base de ce projet de loi 78, principes qui correspondent aux conditions modernes dans le domaine du louage. Ils ont, je crois, montré avec une remarquable clarté, comment les principes anciens incorporés au chapitre du louage du code civil, adopté ici, au Québec, en 1866, ne correspondent plus à la réalité actuelle et comment ces principes devaient être réformés, modifiés pour les adapter aux conditions actuelles qui prévalent dans le domaine de l'immeuble et du louage d'habitation.

Je tiens à leur exprimer mes remerciements et à signaler, pour ma part, jusqu'à quel point ce projet de loi 78 représente un changement d'une très grande importance dans le domaine du droit. Je ne suis pas insensible aux transformations que subit notre code civil. Je crois que le fait de changer ce chapitre du code civil sur le louage de choses de la façon que nous nous préparons à le faire représente une véritable révolution dans le droit.

J'ai été élevé, comme d'autres juristes ici, dans les traditions anciennes. Le code civil avait ce caractère de simplicité, de permanence dans ses règles qui faisait que la législation pouvait s'exprimer, d'une certaine façon, avec une très grande pureté juridique.

Aujourd'hui, lorsque je regarde le projet de loi 78, que je vois ce mélange d'administratif et de droit civil, d'une part, ce mélange de pénal et de droit civil, d'autre part, ce n'est pas sans une certaine nostalgie que je reviens au type de droit qui existait dans le code civil.

Je crois que les faits sont plus forts que nos propres idées. Même si ces idées ont été acceptées depuis des centaines d'années, il faut avant tout que la législation moderne corresponde à des problèmes pratiques, qu'elle corresponde à des situations concrètes et qu'elle cherche à résoudre des problèmes qui sont vécus au jour le jour. Alors, ce n'est pas, à mon sens, par des visions idéales que l'on peut résoudre les problèmes sociaux et personnels qui existent dans le cours ordinaire de l'activité de tous les jours qui affectent tous les citoyens et toute une population que l'on peut retrancher, dis-je, dans cette espèce d'univers idéal que certains juristes pourraient affectionner.

Je crois qu'il faut plutôt prendre une attitude pratique. Même si en prenant cette attitude-là ceci bouleverse quelque peu les principes qui nous ont été enseignés, il faut rejeter ces anciens principes et adopter des formules nouvelles. C'est ce que le projet de loi 78 fait et c'est ce qu'il veut réussir. Je crois qu'avec toutes les études qui ont été faites, tant au niveau de l'Office de révision du code civil qu'à la Commission des loyers, que par les experts économistes qui sont venus témoigner la semaine dernière et cette semaine, nous avons tenté de faire la synthèse des problèmes actuels au niveau social, économique et juridique.

Nous arrivons avec un projet qui, à mon sens, représente ce qu'il y a de plus avancé en matière de législation dans le domaine du logement qui existe, à ma connaissance, dans le monde entier. Je parle d'une économie libre évidemment, d'une économie capitaliste ou d'une économie de marché. Dans les pays où l'économie est le résultat de l'action gouvernementale tel que dans les pays socialistes, je ne fais pas de comparaison parce que là, ils sont dans des conditions tout à fait différentes et, par conséquent, toute comparaison ne serait pas significative. Mais je parle des économies libres et des économies qui reconnaissent la valeur du marché. Parce qu'il n'y a pas de doute qu'une économie libre, à mon sens, peut satisfaire mieux les besoins des populations tout en ne se cachant pas que ces économies libres ont des défauts, comportent des distorsions, emportent parfois des injustices et qu'il nous faut, par la législation, y apporter des correctifs voulus pour faire en sorte qu'elle puisse, cette économie de marché, donner des résultats favorables à l'immense majorité et également satisfaire aux besoins de justice dans les cas particuliers.

Alors, je remercie messieurs de l'Office de révision du code civil et tous ceux qui sont venus témoigner la semaine dernière et cette semaine; également, tous ceux qui ont joué un rôle actif dans l'élaboration de ce projet de loi pour qu'il comprenne d'une façon complètement adéquate les différentes dimensions économiques, sociales et juridiques qui doivent exister dans un tel projet de loi. Cela n'est pas sans difficulté, et c'est ce qui explique que l'élaboration de cette loi a pris un certain temps, qu'elle a requis énormément de réflexions par différents spécialistes des secteurs intéressés et qu'elle a pris, évidemment, passablement de temps dans les auditions qui ont eu lieu en commission parlementaire pour entendre les différents secteurs d'intérêt qui sont venus nous exposer leurs points de vue que nous avons considérés, je pense, à leur mérite pour arriver, en vertu d'une certaine philosophie, d'une certaine attitude, à un projet de loi qui tiendra compte des dimensions que j'ai énumérées tout à l'heure.

LE PRESIDENT (M. Blank): Merci, M. le ministre. Le député de Maskinongé.

M. PAUL: La performance du professeur Crépeau ce matin ne nous a pas surpris surtout lorsque ceux qui, comme moi, ont eu l'avantage de travailler avec lui dans cette réforme du code civil. En écoutant Me Jacoby, je me suis dit: L'élève approche le maître. Tous deux, ce matin, nous ont présenté un travail très bien préparé. Ce qui est admirable chez eux c'est qu'ils ont voulu, dans leur travail, répondre à un besoin d'une situation qui existe, comme nos législateurs de 1886 voulaient présenter une loi qui répondait au libéralisme économique de l'époque.

Alors, par ce texte de loi qui nous est proposé, par le projet de loi 78, je crois que nous sommes appelés à adopter une loi qui réponde à une situation qui existe aujourd'hui et permette de résoudre des problèmes devant lesquels nous ne pouvons rester indifférents. Il sera assez difficile d'être contre le principe de ce projet de loi 78, sauf qu'il y a peut-être des lacunes dans cette politique globale du logement. Me Jacoby et Me Crépeau et tous ceux qui se sont fait entendre ont analysé ce matin la portée juridique de cette pièce de législation. Est-ce que cette pièce de législation donnera réponse aux problèmes du logement qui existent au Québec aujourd'hui? Il faudra que le ministre de la Justice fasse davantage dans ce domaine et surtout qu'il s'assure de la collaboration de ses collègues du cabinet pour que nous ayons une politique gouvernementale globale en matière de logement.

C'est regrettable, M. le Président, que, ce matin, ceux qui crient le plus fort pour la défense des droits des locataires, des exploités, des gagne-petit, des miséreux, des assistés sociaux, des exploités n'aient pas été ici. Effectivement, aucun représentant du Parti Québécois n'est présent ce matin et nous le regrettons. Nous le regrettons, M. le Président, et j'espère que lors de l'étude de cette loi, il y aura une assistance plus remarquable, continue, et sur-

tout que l'on prêche par l'exemple les grands principes que l'on défend ou dont on se fait l'écho devant la population du Québec.

Alors, M. le Président, je joins mes paroles aux paroles du ministre et, comme lui j'ai une certaine nostalgie parce qu'il y aura 25 ans dans quelques jours que je suis dans la pratique de la profession, et en écoutant Me Crépeau tout à l'heure, j'ai soufflé à l'oreille du président: M. le Président, il va falloir nous recycler dans l'étude de cette législation maîtresse que sera la refonte du code civil. Je tiens à vous remercier, tous les spécialistes ce matin, les experts qui nous ont présenté leur mémoire et vous comprendrez facilement que je retienne d'une façon plus vivante encore toute la saveur juridique qui nous a été servie ce matin dans un plat de consistance remarquable par M. le professeur Crépeau et par son quasi égal, Me Jacoby. A tous, merci.

M. BROCHU: M. le Président, si vous permettez, je n'ai pas de commentaires à ce stade-ci, étant donné que je n'ai pu suivre les travaux de la commission parlementaire. J'ai remplacé un collègue à pied levé ce matin, à la dernière minute, je n'ai même pas pu entendre tout l'exposé de Me Jacoby, ayant dû remplacer notre avocat populaire, le député de Portneuf, qui était retenu par une délégation ce matin, mais je tiendrais à me joindre à mes collègues au nom du Ralliement créditiste pour remercier les représentants de l'Office de révision du code civil ainsi que tous ceux qui ont participé à cette commission dans le cadre du projet de loi, de leur travail et je suis sûr que le député de Portneuf y donnera suite.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Dorion.

M. BOSSE: M. le Président, même si je n'ai pu entendre toute la représentation qu'a faite Me Jacoby, j'ai cependant pu prendre connaissance du document. Je constate qu'après un certain recul lors de la première présentation du bill 59, le ministère revient bien préparé avec des experts et est en mesure de faire la démonstration qu'il y a lieu de modifier certaines lois vieillottes qui étaient de nature à léser des droits ou à maintenir une équivoque qui ne faisait que favoriser le propriétaire.

Pour ma part, je parle ici, et je tiens à le faire parce que, dans le comté où j'habite, il y a quelque 85 p.c. des personnes qui sont des locataires et nous savons dans quelle situation difficile ils se trouvent. Alors, je ne peux que me réjouir de l'initiative du ministère et de ses experts et je veux, avec le représentant de Maskinongé, noter aussi l'absence de ceux qui fomentent, au niveau de la société, toutes sortes de rancoeurs vis-à-vis du gouvernement ou vis-à-vis des représentants de l'Assemblée nationale, mais qui ne sont pas présents ici, ce matin — je veux parler des membres du PQ — et qui ne sont pas représentés ici, ce matin, pour entendre et discuter raisonnablement avec des experts ou avec les membres de la commission.

J'espère que les journalistes prendront note aussi de cette absence de ceux qui crient et qui gueulent dans les journaux. C'étaient les remarques, M. le Président. Parce que, pour ma part, les locataires de mon comté sont conscients, sont ceux qui subissent ces difficultés peut-être, les petits salariés, les défavorisés. Je me réjouis que l'Opposition, c'est-à-dire le Ralliement créditiste et l'Union Nationale — j'allais dire l'unité — se rallie et...

M.PAUL: Vous, vous allez avoir besoin de l'unité des travailleurs libéraux pour vous faire élire.

M. BOSSE: J'aurai besoin de l'unité, comme d'habitude, et de la solidarité des électeurs et je sais, d'ailleurs, qu'ils me seront fidèles comme d'habitude.

LE PRESIDENT (M. Blank): Pas de discours électoral ici.

M. BOSSE: M. le Président, je veux féliciter le ministre et ses experts du travail qui a été accompli et, encore une fois, je regrette l'absence de cet embryon de parti politique qu'est le PQ.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Bourassa.

M. TREMBLAY: (Bourassa): Moi, j'écoutais M. Jacoby, il y a quelques instants, qui lisait des paragraphes dans les anciens baux, qui étaient écrits en petits caractères. Je sais bien que ce n'est pas une flèche qu'il voulait lancer aux moins instruits ou aux locataires dans le Québec mais, par contre, encore aujourd'hui, on amène une nouvelle loi... Mais M. Jacoby pouvait lire les baux quand il louait une maison pour lui. Mais je me pose encore la question, aujourd'hui, avec toutes vos lois. Quand je prends 1664 u) et je prends 1664 v), on arrive encore dans une loi. Je ne sais pas dans quelle sorte de caractères vous allez écrire cela dans la nouvelle loi, si le locataire n'a pas de cours classique, s'il va pouvoir le lire pour le savoir au juste. Parce qu'à l'heure actuelle, vous le savez comme moi, un locataire a toujours loué en disant : Moi, je loue pour un an et au mois de février prochain, si je veux m'en aller... Vous savez, il ne s'occupait pas tellement de savoir si la chantepleure coulait ou si la poignée de porte ne fonctionnait pas. Moi, j'en reviens aux petits caractères que vous avez mentionnés tantôt. Je suis bien d'accord avec vous, les experts, que cela va être mieux entendu, mieux compris. Mais encore là, je me pose la question, les r, les u, les x, les 1664-5, ça ne pourrait pas être un peu plus facile? On a combien d'articles? C'est une question que je pose ce matin et que je pose assez souvent, sans

envoyer de flèche à personne. On va prendre les articles. En tout cas, il y en a des articles, c'est un catalogue.

M. CHOQUETTE: W, w.

LE PRESIDENT (M. Blank): Il y en a 18.

M. TREMBLAY (Bourassa): La question que je me pose, c'est si on ne pourrait pas couvrir les propriétaires et les locataires, les locataires et les locateurs, changez le nom si vous le voulez, mais en public, on dit: Le propriétaire et le locataire... Vous changez cela ici un peu parce que vous êtes un peu plus de l'autre côté, mais nous autres, nous allons parler en termes des gens du peuple. Dans mon comté aussi, j'ai des locataires et des locateurs. Moi, je me pose la question. Cela fait sept ans que je suis ici, en Chambre, et je regarde tous ces X. Avant cela, on marchait par articles, l'article 1... On est rendu qu'on est dans les 1600 maintenant. J'ai suivi le projet de loi, je l'ai tout suivi, je trouve que c'est très bon, comment va-t-on avec les nouveaux baux? De quelle façon vont-ils être préparés?

Est-ce que les gens seront attirés à le lire et à le comprendre? Si je vous dis cela, c'est parce que vous dites qu'ils ne liraient pas l'autre. Est-ce que l'on pourra lire celui-là?

M. JACOBY: Si je peux me permettre de dévoiler certains projets qui sont à l'étude à l'heure actuelle sur le bail type, disons que ce bail type va contenir d'abord un avertissement en gros caractères parce que l'on va vraisembleblement prévoir aussi la grosseur et la forme des caractères d'imprimerie. Ce ne seront plus des caractères microscopiques au départ.

Il y aura un avertissement au tout début du bail indiquant ce que représente cette loi, que dans cette loi il y a des dispositions auxquelles on peut déroger, il y a des dispositions auxquelles on ne peut pas déroger à moins d'obtenir l'autorisation du tribunal. Cet avertissement va aussi dire que les articles ou les clauses que l'on retrouve dans le bail ne représentent pas tous les articles qui sont dans la loi, mais les plus importants, pour régler les choses journalières, les problèmes qui se posent quotidiennement. Donc on a évité dans la mesure du possible, dans cette formule type de bail, de reproduire les dispositions hautement techniques parce que cela, évidemment, on ne peut pas l'éviter. On a tenté, dans la mesure du possible, de transformer un peu le langage des lois, d'essayer de le rendre un peu plus accessible. Mais il y a des questions hautement techniques où il est impossible de vulgariser, si vous voulez.

Alors, dans ce fameux bail type, on ne retiendra que des dispositions essentielles qui seront regroupées, non pas dans l'ordre du projet de loi, mais par questions. Par exemple, la question des réparations, la question du loyer, enfin tout sera regroupé de façon que cela puisse se lire d'un seul bloc, sans être obligé d'interpréter tous les articles.

En somme, dans la mesure du possible... Vous savez, vulgariser le droit est une chose extrêmement compliquée. On a fait l'expérience au Manitoba. On a la loi et on a un bail type. Ce bail type contient un langage très vulgarisé de la loi et ne reproduit pas la loi. Or, ce qui se produit à l'heure actuelle, c'est qu'il y a des contradictions entre le bail type et la loi elle-même. Alors, on n'est pas plus avancé. C'est pour cela que l'on a pensé qu'il était préférable de reproduire les dispositions qui se comprennent le mieux d'une part et les dispositions qui s'occupent des problèmes que les locateurs et les locataires connaissent tous les jours. Ce n'est certainement pas la solution idéale, mais je pense que pour ce qui est de la législation en matière de bail résidentiel au Canada, ce bail type sera certainement le plus avancé et celui qui posera le moins de problèmes.

M. TREMBLAY (Bourassa): La question est d'amener cela pour que les gens le comprennent. Maintenant il. y a autre chose dont je voulais parler, c'est de l'information. L'information peut pénétrer dans les maisons des locataires, non pas des locateurs, pour qu'ils puissent comprendre. Il faut s'entendre dans le public. On est ici, à l'Assemblée nationale, il y a messieurs les journalistes qui comprennent cela et s'ils ne comprennent pas, ils vont chercher le texte de la loi et ils le comprennent; il y a les avocats, il y en a peut-être d'autres. Mais il faut que le public le comprenne et surtout cette loi qui est la location. Quand on dit que c'est le toit des enfants, de la mère et du père de famille, je crois qu'à ce moment-là il faut que les personnes puissent comprendre â fond cette loi. C'est pour cela que je vous pose la question. Moi, je l'ai suivie et je vous dis que l'on a une amélioration, peut-être à 500 p.c. ; je ne nie pas cela. Je comprends qu'il faut bien garder les statuts refondus et les lois, etc.; je comprends cela, c'est très clair. Maintenant, il nous reste de l'autre côté les U, les R, les W, les X et tout cela, le locataire ne comprend rien là-dedans. Alors, par votre centre d'information, c'est-à-dire par votre information, je crois que l'on pourrait former...

M. CHOQUETTE: Je pense que je pourrais dire au ministre responsable des autoroutes que le service d'information du ministère de la Justice va faire une campagne d'information sur le projet de loi lorsqu'il sera adopté.

De la même manière, par exemple, qu'on l'a fait dans la loi pour prévenir les hausses abusives de loyer en 1973.

M. TREMBLAY (Bourassa): D'accord! M. le ministre...

M. CHOQUETTE: Alors, on va sûrement faire un effort de ce côté-là.

M. TREMBLAY (Bourassa): ... je veux que vous compreniez bien mon intervention.

Si l'on est ici avec le député de Maskinongé, le député de Richmond et tous les autres députés... Ce n'est pas pour rien que l'on est assis ici depuis des semaines; c'est que le logement, c'est le toit, c'est la personne et on vit dedans. Alors, il y en a qui, peut-être, n'y pensent pas, mais pour moi, je crois que c'est la première chose, le logement. C'est pour cela que j'y prête une attention et que j'interviens. Comme vous le dites, il y aura sûrement des amendements. Vous avez des amendements à certains articles et, en plus de cela, vous dites qu'il y aura une campagne d'information. Mais pour que les gens comprennent ce qu'ils signent, si c'est écrit en petits caractères ou avec des u, l'article 164 a) et l'article 164 w), il est certain que le pauvre locataire, même s'il a une douzième année, n'a pas le temps de lire cela; il travaille douze heures par jour. Il faut être honnête avec le public.

M. PAUL: Je suis convaincu que dans l'information que va transmettre le ministère de la Justice, il n'y aura pas nécessairement ces lettres. Il ne faut pas oublier que c'est tout un chapitre du code civil.

LE PRESIDENT (M. Blank): Me Jacoby.

M. JACOBY: Pour essayer de répondre au problème que vous soulevez... La raison pour laquelle, d'abord, il y a des lettres, c'est que dans le code civil actuel, le chapitre du louage est à peu près de 60 articles. C'est 60 articles et là, on se trouve avec plus de 100 articles. Alors on a été obligé de mettre des lettres. Maintenant, dans le bail type, les dispositions seront reproduites avec une numérotation ordinaire, un, deux, trois..., et ce ne sera qu'à la fin de l'article que l'on indiquera entre parenthèses le numéro de l'article que l'on retrouve dans la loi. Cela va être regroupé par matière. Alors, on est allé jusque là.

LE PRESIDENT (M. Blank): Le député de Laviolette.

M. CARPENTIER: M. le Président, dans certains cas, qui va décider du coût de loyer pour certaines personnes, lorsqu'on en fait la demande, et que le propriétaire n'est pas satisfait du prix de location, n'est pas satisfait du locataire et que l'on n'est pas capable d'avoir de résultats concrets, résultats définitifs? Qui décidera, en fin de compte?

M. PAUL: II y a une autre loi qui va avec cela. C'est la loi 79.

LE PRESIDENT (M. Blank): II y a une autre loi,...

M.CHOQUETTE: La Loi du tribunal des loyers.

Si le propriétaire et le locataire ne peuvent pas se mettre d'accord sur une augmentation de loyer réclamée par le propriétaire, le locataire peut... D a deux choix, soit qu'il dise: Je m'en vais ailleurs, ou soit qu'il dise: Je vais m'adresser au tribunal des loyers pour que le commissaire aux loyers fixe le montant du bail pour l'année prochaine. Alors...

M. CARPENTIER: Dans certains cas, il ne veut pas s'en aller, il ne veut pas quitter les lieux.

M. CHOQUETTE: Le locataire? M. CARPENTIER: Oui.

M.CHOQUETTE: Alors là, il s'adresse au tribunal des loyers et ce dernier fixe le montant du loyer, l'augmentation qui paraît normale ou acceptable, à ce moment-là.

M. CARPENTIER: Précisément, à ce moment-là, les représentants de la Régie des loyers disent que ce n'est pas leur problème.

M.CHOQUETTE: Non. Le tribunal des loyers va succéder à l'actuelle Régie des loyers pour remplir cette fonction.

Maintenant, il y a peut-être des cas, je ne sais pas, quoique cette... Parlez-vous de la loi de cette année?

M. CARPENTIER: Oui.

M. CHOQUETTE: La loi pour empêcher les hausses abusives des loyers?

M. CARPENTIER: C'est cela.

M.CHOQUETTE: On accepte toutes les causes qui...

M. PAUL: Sauf pour un bail commercial.

M. CHOQUETTE: Sauf dans les baux commerciaux.

M. CARPENTIER: II y en a qui ne les respectent pas.

M. CHOQUETTE: Qui?

M. CARPENTIER: Je vous donnerai le cas en particulier.

M. CHOQUETTE: Très bien. Vous me donnerez les cas en particulier, M. le député.

LE PRESIDENT (M. Blank): D'accord.

M.PAUL: M. le Président, avant que nous ajournions les travaux de la commission pour-rais-je savoir... Je ne voudrais pas commettre d'indiscrétion; je ne voudrais pas embarrasser le ministre. Est-ce que le ministre peut nous dire

s'il a l'intention de faire réimprimer le projet de loi 78?

M. CHOQUETTE: Oui, le projet de loi 78 va sûrement être réimprimé. Alors, je voulais avoir un acquiescement de la part de la commission, à cet effet et, pour ce qui est du projet de loi 79, il est possible qu'il soit réimprimé. Alors, si on voulait me donner la latitude...

M.PAUL: Accepté.

LE PRESIDENT (M. Blank): La commission recommande la réimpression du bill 78 et donne au ministre le choix de réimprimer le bill 79.

M. PAUL: Oui.

M. CHOQUETTE: Très bien.

LE PRESIDENT (M. Blank): Avant qu'on ajourne les travaux de la commission, je veux corriger les changements: M. Cournoyer, pour M. Cornellier, M. Caron pour M. Hardy, M. Bossé pour M. Pilote, M. Carpentier pour M. Vézina.

M. PAUL: Voici, M. le Président, quand vous dites que M. Cournoyer remplace Cornellier...

LE PRESIDENT (M. Blank): Non, M. Cournoyer remplace M. Cornellier.

M. CHOQUETTE: Pour ce qui est du rapport, le rapporteur c'est...

LE PRESIDENT (M. Blank): Le rapporteur est M. Springate.

M. CHOQUETTE: On pourra lui demander...

M. PAUL: Cela va être un rapport sur ouï-dire, mais cela ne fait rien.

M. CHOQUETTE: On connaît la compétence du député de Sainte-Anne. Il est facilement capable de faire un rapport, même s'il est absent.

LE PRESIDENT (M. Blank): La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 5)

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