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Version préliminaire

43e législature, 1re session
(début : 29 novembre 2022)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Le mercredi 30 octobre 2024 - Vol. 47 N° 92

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence


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Journal des débats

11 h (version non révisée)

(Onze heures quinze minutes)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.

La Commission est réunie afin d'entreprendre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Bourassa (Charlevoix—Côte-de-Beaupré) est remplacée par Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) et Mme Maccarone (Westmount—Saint-Louis) est remplacée par Mme Caron (La Pinière).

Le Président (M. Bachand) :Merci. Ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir les représentantes de Juripop, donc Maître Gagnon et Maître Fortin. Merci beaucoup d'être avec nous. Alors, vous connaissez les règles, 10 minutes de présentation, après ça, période d'échange avec les membres. La parole est à vous. Merci beaucoup.

Mme Gagnon (Sophie) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mesdames et Messieurs les députés. Sophie Gagnon, je suis avocate et directrice générale de Juripop et je suis accompagnée de ma collègue Justine Fortin, qui, elle aussi, avocate et directrice des services juridiques de Juripop.

Juripop est un organisme à but non lucratif qui a été fondé en 2009, et on se spécialise, entre autres, dans l'accompagnement juridique des personnes victimes de violences à caractère sexuel, de violence conjugale, de violence post-séparation et de violence au travail.

Et depuis 2021, on opère ce qu'on appelle un laboratoire de pratiques innovantes, mandaté et financé...

Mme Gagnon (Sophie) : ...financé par le ministère de la Justice dont l'objectif est de documenter les obstacles d'accès à la justice des personnes victimes puis de formuler des recommandations et développer des meilleures pratiques pour surmonter ces obstacles. Il y a plusieurs des constats tirés par Juripop qui sont d'ailleurs à l'origine de certaines propositions du projet de loi n° 73, et donc vous comprendrez qu'on est excessivement enthousiastes d'être ici aujourd'hui, et d'entrée de jeu Juripop salue le projet de loi n° 73.

On est venus ici à plusieurs reprises dans le cadre d'autres réformes, notamment celle qui a donné lieu aux tribunaux spécialisés, à la réforme du droit de la famille, pour dire que c'était essentiel de s'attaquer aux obstacles d'accès à la justice des personnes victimes en matière civile, et c'est exactement ce que propose le projet de loi. C'est un premier pas qui va faire une différence considérable, à notre avis, en plus de reconnaître les vécus des personnes qui sont représentées par Juripop et qui naviguent à travers le système de justice aujourd'hui.

On a néanmoins des recommandations pour bonifier le projet de loi qu'on va vous présenter par thèmes, en commençant par le partage non consensuel d'images intimes.

Juripop salue l'édiction de la nouvelle loi puis l'introduction d'un recours qui sera simple, qui sera efficace et qui va pouvoir donner des outils concrets aux personnes qui vivent cette forme de violence à caractère sexuel. On voulait sensibiliser les membres de la commission que dans notre travail Juripop constate d'autres formes de violence à caractère sexuel qui ont aussi lieu en ligne, mais qui échappent en grande partie au droit, que ce soit le droit criminel ou le droit civil. On pense au harcèlement, aux menaces et à la diffamation, qui peuvent circuler longtemps avant d'être ciblés par une ordonnance judiciaire. Donc, on vous invite à réfléchir à l'opportunité d'élargir la portée de la loi pour y inclure d'autres formes de violence à caractère sexuel en ligne.

Passons maintenant à l'ordonnance de protection civile, qui est un thème qui suscite énormément de réflexions chez Juripop. En 2020, notre équipe a obtenu la première ordonnance de protection civile recensée dans un contexte de violence conjugale et postséparation, et on a... y a... on y a consacré beaucoup de réflexions depuis. À notre avis, l'ordonnance de protection civile, c'est un outil qui a le potentiel d'être complémentaire au 810 et de renforcer le filet de protection des personnes victimes, en particulier celles qui ne veulent pas ou ne peuvent pas porter plainte à la police. Depuis 2021, c'est environ le quart des demandes d'ordonnance de protection civile présentées par Juripop qui ont été accueillies par les tribunaux, et plusieurs des ordonnances qui ont été obtenues se sont avérées vaines, parce que faire sanctionner leurs manquements s'avère un chemin de croix.

Il y a plusieurs des mesures proposées dans le projet de loi qui répondent aux écueils observés par Juripop, notamment le fait que l'ordonnance de protection civile se trouvera désormais dans un chapitre distinct du Code de procédure civile, distinct de l'injonction, ce qui va permettre d'écarter des critères qui, à notre avis, sont difficilement conciliables avec la réalité des violences. On salue aussi la simplification du fardeau de preuve en exigeant que désormais la personne victime doive simplement démontrer sa crainte subjective plutôt que de faire la preuve d'une menace objective.

Si on passe à nos recommandations, Juripop recommande que le projet de loi prévoie de manière expresse qu'une ordonnance de protection civile puisse être demandée quand une personne craint pour sa sécurité physique et psychologique. Donc, on recommande que ces termes-là, «physique et psychologique», soient ajoutés au projet de loi, parce que ce qu'on constate sur le terrain, c'est que malheureusement les atteintes à la sécurité psychologique sont encore trop minimisées.

Et on recommande aussi fortement que la loi prévoie de manière expresse qu'il ne soit pas nécessaire de faire la preuve de faits nouveaux ou contemporains, de manière à clarifier qu'on puisse obtenir une ordonnance de protection civile sur la base de faits qui perdurent depuis longtemps. Puis ça peut sembler un détail, mais c'est essentiel à notre avis, parce que c'est de la nature même des violences conjugales et postséparation que la dynamique de violence et de contrôle s'installe et qu'elle empêche par le fait même la personne d'agir, puis, en date de ce jour, en l'absence de faits nouveaux ou quand les faits ont l'air insignifiants pris isolément, c'est une... ça justifie énormément des refus qu'on essuie quand on demande des ordonnances de protection.

• (11 h 20) •

On invite également le ministère de la Justice à collaborer étroitement avec les organismes qui oeuvrent auprès des personnes victimes pour que le formulaire soit efficace et représentatif de leurs réalités, et on recommande aussi que la demande d'ordonnance de protection soit couverte par l'aide juridique. Finalement, on considère qu'une personne ou un organisme qui demanderait une ordonnance de protection en lieu et en place de la personne victime doive démontrer des motifs sérieux pour obtenir l'autorisation du tribunal de présenter une telle demande en l'absence du consentement de la personne qui est visée.

Passons ensuite aux mesures d'aide au témoignage, qui sont au cœur de la pratique spécialisée de Juripop. Sachez que lorsqu'elles ne sont pas prévues par la loi, notre équipe les demande systématiquement, et leur octroi peut faire vraiment...

Mme Gagnon (Sophie) : ...un monde de différence dans le parcours des personnes victimes, voire contribuer à réduire le risque homicidaire. Par contre, sachez qu'à l'heure actuelle ces demandes-là, qui semblent simples, doivent faire l'objet d'une demande au tribunal. C'est une demande qui est souvent contestée, qui n'est pas toujours accueillie, ce qui vient engendrer des coûts, de l'incertitude, des délais et de la revictimisation. On appuie donc l'inclusion, dans le Code de procédure civile, de plusieurs de ces mesures d'aide au témoignage, dont la confidentialité des adresses et le témoignage à distance.

On formule aussi des recommandations pour bonifier ces mesures et en ajouter d'autres qui nous semblent incontournables. Donc, au niveau de l'ajout, en plus de la confidentialité des adresses et du témoignage à distance, on vous recommande fortement de prévoir l'anonymat, le huis clos, la non-divulgation, la non-publication ainsi que la mise sous scellés.

Et, pour ce qui est du témoignage à distance, qui fait aussi partie des meilleures pratiques de Juripop, ce qu'on constate, c'est que cette formulation-là, qui peut sembler claire, bien, on la voit comme étant interprétée par les juges comme pouvant inclure le témoignage d'une personne victime dans la salle d'audience avec l'auteur de violence connecté par Teams. Donc, afin d'assurer que l'interprétation de la loi nouvelle soit conforme à l'intention du législateur, on recommande que la formulation soit revue de manière à prévoir expressément que la personne victime puisse témoigner d'un lieu confidentiel qui se trouve à l'extérieur du palais de justice.

Concernant ensuite les moyens de preuve, le projet de loi introduit une présomption de non-pertinence des faits basés sur des stéréotypes, ce qui constitue à notre avis une des grandes avancées du projet de loi qu'on appuie vivement. Et on considère que, pour donner de plein effet à la réforme proposée, on recommande que la personne victime qui est interrogée au préalable, donc avant le procès, hors la présence d'un juge, elle soit dispensée de répondre aux questions basées sur des mythes et stéréotypes jusqu'à ce que les objections aient été tranchées par un juge. À l'heure actuelle, la personne victime doit répondre aux questions, et les objections sont tranchées par après, donc ne permettent pas d'éviter la revictimisation, les atteintes à la dignité puis à la vie privée.

On considère aussi que c'est essentiel que la liste des mythes et stéréotypes prévus par la loi ne soit pas limitative, non seulement parce qu'elle ne répertorie pas l'ensemble des mythes et stéréotypes que, nous, on entend encore dans les salles du palais de justice, mais aussi parce que les mythes, les stéréotypes sont susceptibles d'évoluer au fil du temps. On appuie aussi la recommandation qui a été faite par le Barreau du Québec d'ajouter ces notions-là au Code des professions.

Et finalement on se questionne sur l'appellation «prétendue victime» qui est prévue au projet de loi parce qu'ailleurs dans le Code civil du Québec, quand on désigne les victimes de fautes civiles, on les désigne tout simplement comme victimes. Évidemment, en tant que juriste, on reconnaît, on réitère qu'en droit une appellation de victime demeure une allégation jusqu'à ce qu'il y ait un jugement final et que la partie adverse bénéficie de la présomption d'innocence, si elle est accusée au criminel, mais on demeure surprises de l'introduction de ce qualificatif pour les seules victimes de violences à caractère sexuel. Et, si les élus souhaitent conserver cette notion, on suggère la formulation de «victime alléguée» plutôt que «prétendue victime».

Et finalement, pour ce qui est de la formation, vous ne serez pas surpris d'entendre Juripop appuyer sans réserve la formation des intervenants. On considère que c'est vraiment seulement avec de la formation qu'on va réellement pouvoir mettre fin au mythe et stéréotypes puis assurer un accès à la justice sécuritaire aux personnes victimes. En tant que partenaire du ministère de la Justice, Juripop a élaboré plus de 40 heures de formation, qui est reconnue par le Barreau du Québec, qui est suivi par des avocats, des notaires, des juges, des intervenants des tribunaux spécialisés, puis on est pleinement à la disposition du MJQ pour faire partie de la solution puis contribuer à rebâtir la confiance des personnes victimes et des survivantes envers le système de justice civile. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Maître. Alors, on passe à la période d'échange du côté gouvernemental pour une période de 17 minutes. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Me Gagnon, Me Fortin, bonjour. C'est un plaisir de vous retrouver. Merci pour le dépôt de votre mémoire, votre participation aux travaux de la commission puis je vous dirais également merci pour le travail que vous avez fait avec votre équipe dans le cadre du laboratoire. Je ne m'en cache pas, il y a beaucoup d'initiatives que vous nous avez proposées qui se retrouvent dans le projet de loi. Alors, vous avez fait œuvre utile au bénéfice des personnes victimes, puis je vous en remercie.

Sur un premier point que je voulais l'éclaircir sur la question, là, de prétendue victime au niveau de victime alléguée. C'est à escient qu'on a utilisé ce terme-là, considérant que le... dans le cadre du... c'est possible que ça ne soit pas une victime partie au litige qui vienne témoigner, mais plutôt un témoin. Donc, si on veut offrir les mêmes protections aussi aux témoins, c'est pour ça qu'on a «prétendue victime» parce que l'alléguée fait référence à des allégués, notamment en matière civile, au sens des allégations de la procédure. C'est pour ça ce choix de termes là, mais vous faites bien de le soulever. J'ai posé la même question également. Alors, l'objectif, c'est de couvrir également les témoins...

M. Jolin-Barrette : ...qui viennent témoigner dans le cadre de l'instance, qu'ils puissent bénéficier des outils.

Je voudrais peut-être vous entendre sur... On met en place, dans le cadre du projet de loi, le fait que, lorsqu'il y a un jugement en matière criminelle, supposons en matière d'agression sexuelle, là, désormais, on va pouvoir prendre le jugement en matière criminelle et le verser en preuve en matière civile, puis ça va avoir... on va éviter d'imposer à la victime de démontrer la faute par le dépôt du jugement. Ça, qu'est-ce que ça va changer pour les personnes victimes, supposons, qui entreprennent un... qui entreprennent un recours en responsabilité civile?

Mme Gagnon (Sophie) : C'est certain que ça va faciliter l'accès à la justice des personnes victimes. Notamment, ça va éviter un témoignage, ça va raccourcir le travail qui va devoir être fait par l'avocat ou l'avocate, réduisant donc la facture éventuellement par la personne victime. Donc, c'est évidemment une avancée, mais c'est important, par contre, de prendre en compte qu'il y a quand même plusieurs personnes victimes qui se tournent vers la justice civile parce qu'elles ont été soit déçues ou encore n'ont pas eu accès à la justice criminelle parce que la violence qu'elles ont subie ne constitue pas un crime.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et un des objectifs, c'est d'éviter de retémoigner sur les éléments de la faute, justement, puisque la personne a déjà raconté son histoire dans le cadre d'une instance criminelle devant les tribunaux.

Même question également sur la prescription relativement au jugement. Dans le fond, on vient lever la prescription pour un jugement. Normalement, c'est valide durant 10 ans. Donc, en matière violence sexuelle, violence conjugale, pour dommages-intérêts, on indique désormais : Bien, il va pouvoir être exécutable au-delà de 10 ans. C'est une mesure qui va favoriser les recours, selon vous?

Mme Gagnon (Sophie) : C'est certain que c'est une mesure qui est... N'importe quelle mesure qui est de nature à faciliter l'accès à la compensation, selon nous, est favorable. Dans notre expérience, les personnes victimes veulent mettre fin le plus rapidement possible aux procédures judiciaires, mais il y a des cas où un défendeur ne sera pas solvable dans la première décennie suivant le jugement, et, dans ce scénario-là, ça peut favoriser la compensation des torts qui ont été subis, là.

M. Jolin-Barrette : O.K.

Mme Fortin (Justine) : ...c'est aussi une stratégie utilisée par les auteurs de violence de se rendre insolvables et d'empêcher les personnes de saisir leurs biens, qu'ils soient mobiliers et immobiliers, sachant... À la suite de jugements, c'est un obstacle qu'on rencontre fréquemment, de pouvoir... d'avoir accès à l'exécution des jugements. Donc, ça répond à un besoin que les personnes victimes ont. Toutefois, du moment que le tribunal a reconnu qu'elles ont droit à certaines sommes par exemple, c'est une chose de... que ce soit reconnu, c'est vraiment une autre chose de les obtenir. Donc, on peut voir vraiment... dans certains dossiers que j'ai en tête, là, ça pourrait faire une différence immense d'avoir accès à au-delà d'une dizaine d'années.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de l'ordonnance civile de protection, la couverture à l'aide juridique, c'est un service qui est déjà couvert pour les personnes qui sont admissibles financièrement. Je comprends que, par votre demande, vous souhaiteriez que l'aide juridique couvre également ce service-là à ceux qui ne sont pas couverts par l'aide juridique.

Mme Gagnon (Sophie) : Exactement, au même titre que la modification qui a été faite récemment, qui permet à l'aide juridique de poser des actes conservatoires urgents pour les personnes victimes de violence sexuelle, violence conjugale. À notre avis, ça répond aux mêmes critères que cette modification-là.

M. Jolin-Barrette : Ou comme l'avocat-écran qu'on a mis dans le cadre du projet de loi n° 2 pour éviter que l'auteur de la violence contre-interroge sa présumée victime.

Mme Gagnon (Sophie) : Exact.

M. Jolin-Barrette : O.K. Pouvez-vous nous raconter, selon votre expérience avec les clientes que vous avez, toute la question des mythes et stéréotypes, ce à quoi, encore aujourd'hui, les personnes victimes sont confrontées, là, notamment en matière civile, là, nous faire un tour de roue, là, sur ce que vous entendez, qu'est-ce que ça signifie, ça?

Mme Gagnon (Sophie) : On s'est préparées pour cette question-là. Je vais laisser ma collègue répondre.

• (11 h 30) •

Mme Fortin (Justine) : Bien, en fait, c'est omniprésent dans notre pratique. Bien sûr, on a l'image que c'est omniprésent devant les tribunaux, mais c'est omniprésent dans le cadre des discussions entre avocats, lorsqu'on reçoit des déclarations sous serment. Bien sûr, ça fait partie de la société, là, le système de justice n'y échappe pas.

Ce qui est inclus présentement dans le projet de loi, c'est une avancée importante. Ce qu'on porte à l'attention dans le cadre de notre mémoire, à la page 17 plus particulièrement, ce sont l'ensemble des mythes et préjugés qu'on rencontre, qu'ils soient en lien avec les violences à caractère sexuel ou les violences conjugales et postséparation, toute la notion qu'un conjoint, qu'un partenaire violent demeure un bon parent, qu'une personne qui se fait... qui vit des violences à caractère sexuel va vivre ça de par un inconnu, que ça va arriver dans un contexte où elle... une sombre ruelle par exemple, tout ce qui a trait à la crédibilité des personnes lorsqu'elles...


 
 

11 h 30 (version non révisée)

Mme Fortin (Justine) : ...l'accès à ce que nous, comme personnes n'ayant pas nécessairement vécu de traumatisme, croyons ou percevons comme étant de réelles émotions. Je vous donne un exemple très criant. Bien, en salle de cours, il nous est... il est arrivé que le tribunal s'interroge sur la sincérité, la véracité d'un témoignage, parce que, lorsqu'elle a raconté des violences conjugales et post-séparation, la personne victime était vraiment dans les émotions, pleurait beaucoup, alors que, lorsqu'elle a raconté des violences à caractère sexuel, donc l'agression sexuelle qu'elle a subie, elle était plutôt froide, détachée, semblait à l'extérieur de son corps. Et on a questionné donc la véracité, la probabilité que soit réellement arrivé l'agression sexuelle puisque les émotions qu'on s'attend, là, d'une personne qui aurait vécu ce genre de traumatisme soit plus dans la tristesse, dans la peine, alors que les connaissances en lien avec les traumatismes liés aux violences, bien, nous indiquent plutôt que ce sont des réactions tout à fait normales. Et bien sûr, du moment que ces interrogations-là existent, bien, elles planent sur le processus judiciaire et vont influencer les questions qui vont être posées en contre-interrogatoire, par exemple, vont influencer les plaidoiries aussi par la suite, mais à plus forte raison vont influencer comment la personne s'est sentie dans le cadre de son processus judiciaire. Et puis spécifiquement cette personne à qui je pense a été grandement affectée, à tel point que sur un procès de plusieurs jours, le lendemain, elle ne voulait plus retourner en salle de cour parce qu'elle avait perdu totalement confiance en la personne qui devait prendre une décision très importante sur sa vie et celle de ses enfants.

M. Jolin-Barrette : Vous avez proposé tout à l'heure de dire... quand c'est des interrogatoires au préalable, donc pour renseigner les gens, lorsqu'on est en matière civile, c'est possible de faire des interrogatoires hors cour, donc, au moment où on présente une demande, donc on peut interroger le demandeur, et par la suite, le défendeur peut se faire interroger hors la présence du juge.

Donc, essentiellement, ce que vous nous dites, c'est si l'interrogatoire... avec ce qu'on met dans le projet de loi, si l'interrogatoire était tenu devant le juge, la question ne serait pas admissible, puis l'avocat se lèverait, puis il y aurait une objection, puis le juge devrait trancher la question tout de suite. Puis c'est possible que la question... bien, en fait, que la demanderesse n'ait pas à répondre à cette question-là. Donc, ce que vous nous dites, c'est, dans le cadre d'un interrogatoire au préalable, donc, hors la présence du juge, mais avec sténographe, on devrait prévoir la même règle. Et donc s'il y a une objection de l'avocat relativement, supposons, au passé sexuel de la victime : Combien de conjoints vous avez eus ou pourquoi vous ne l'avez pas laissé alors que vous vous faisiez agresser sexuellement? Vous dites : Bien, écoutez, vous devriez déférer ça devant le tribunal, puis que la victime n'ait pas à répondre à cette question-là à partir du moment où l'objection de l'avocat... C'est-tu ça?

Mme Gagnon (Sophie) : Bien, en fait, on... notre proposition très simple, là, c'est de se fonder sur le mécanisme qui est déjà prévu par l'article 228 du Code de procédure civile, qui a été introduit dans la dernière réforme de la procédure civile, qui permet à une personne qui se fait interroger au préalable de ne pas avoir à répondre aux questions qui concernent des atteintes à des droits fondamentaux ou des intérêts légitimes importants. Je pense que c'est ça, le texte de la disposition. Donc, on propose tout simplement d'ajouter à cette énumération-là les faits qui bénéficient de la présomption de non-pertinence introduite par le projet de loi. Puis ce que la disposition prévoit, c'est que les objections sont soulevées pendant l'interrogatoire et sont tranchées par un juge dans les cinq jours qui suivent l'interrogatoire.

M. Jolin-Barrette : O.K., bien, on a bien... on note votre suggestion, on va l'analyser. Sur la question de la formation, c'est un peu l'objectif, justement, que l'ensemble des acteurs puissent être formés. Je voudrais vous entendre, là, parce qu'avec le Tribunal spécialisé on a mis de la formation. Vous participez également là-dedans. Pour les différents acteurs du système de justice, est-ce qu'il y en a qui ont besoin d'être mis à niveau davantage?

Mme Fortin (Justine) : En fait, tous les acteurs ont besoin d'être mis à niveau. D'abord, de... sur une base générale, qu'est-ce que sont les violences conjugales, les post-séparations, à quoi ressemblent des violences à caractère sexuel et qu'est-ce qu'on s'attend d'un professionnel qui aurait une approche sensible envers les personnes victimes. Et ensuite, il y a une formation continue qui est nécessaire. Parce que c'est une chose d'avoir appris en 2010 quelle était une violence conjugale et post-séparation, c'est autre chose en 2024 d'être... bien, d'une part, de s'en souvenir, d'autre part de comprendre qu'est-ce que ça signifie dans le contexte social actuel et ensuite d'avoir... de renouveler ses acquis, ses façons de faire.

En ce moment, ce qu'on voit, c'est que... sur le terrain, il y a une inégalité dans la pratique auprès des personnes victimes survivantes. On le voit auprès des professionnels. Je le vois, puis je le dis en toute bienveillance auprès de mes consoeurs...

Mme Fortin (Justine) : ...mes confrères, mais on le voit aussi auprès d'autres professionnels qui oeuvrent auprès des personnes victimes. Pensez aux experts psychosociaux, par exemple, qui effectuent des expertises psychosociales pour la Cour supérieure. Certains ont suivi leur formation sur les dynamiques de violence conjugale, par exemple, il y a plus de 10 ans. Alors qu'aujourd'hui, si on est à la fine pointe de nos connaissances, on sait que les violences conjugales, ça s'inscrit dans un schéma de comportement violent. On connaît, on comprend la notion de contrôle coercitif et on observe, on voit une situation de manière complètement différente. Et les impacts sur les enfants, les recommandations qui vont y émaner ne seront pas les mêmes chez une personne dont la formation a eu lieu en 2023-2024 et il y a 10 ans. C'est névralgique, l'aspect de la formation et on voit l'immense différence chez les personnes qui la suivent.

La semaine dernière, Juripop tenait son jury rendez-vous sur la question des violences à caractère sexuel et violence conjugale. J'ai rencontré des avocates du contentieux de la DPJ de Québec qui m'ont dit : Si je n'avais pas eu cette formation aujourd'hui, il me manquerait de connaissances pour mieux travailler la semaine prochaine. C'est ce qu'elles m'ont nommé en toute humilité, puis je me permets de rapporter leur propos parce que c'était frappant pour moi, c'était parlant. Elles avaient fait des liens sur les conséquences sur les enfants dans un de leurs dossiers spécifiques qu'elles n'avaient pas faits avant de faire 1 h 30 de formation sur les conséquences des violences conjugales et post-séparations sur les enfants qui en sont... qui en sont victimes. Et puis ça débute pour moi à l'école du Barreau, à l'université même, puis ça continue jusqu'à la fin d'une pratique. Et, bien sûr, si ces avocats sont nommés juges, bien, on espère que ça continue à ce moment-là également.

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie pour votre présence en commission parlementaire, puis votre travail. Donc, je vais céder la parole à mes collègues pour échanger avec vous.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Alors, il reste trois minutes 55. M. le député de Saint-Jean.

M. Lemieux : Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames, merci d'être des nôtres. D'ailleurs, on a beaucoup de monde et c'est très varié. Et je suis content que vous soyez là, Juripop, parce qu'évidemment le contrôle coercitif et tout ce qui va avec le traitement et l'aide qu'on essaie d'apporter aux femmes violentées sexuellement, conjugalement, c'est au cœur de ce projet de loi là, mais ce n'est pas que ça.

Alors, dans mythes et stéréotypes, je voudrais que vous nous aidiez avec d'autres... d'autres clientèles potentielles pour ce projet de loi là. Puis là, je pense à des jeunes, garçons ou filles, peu importe, des jeunes qui sont aux prises avec des situations classiques, qu'on voit de plus en plus maintenant, avec ce qu'on essaie de faire dans le p.l. 73, c'est-à-dire intercepter des problèmes avant qu'ils ne deviennent trop grands. Et, là-dedans, il y a la dimension de pouvoir intervenir, retirer éventuellement, le retrait éventuel. Donc, j'aimerais vous entendre pour le recours simplifié pour le retrait d'images intimes, en particulier. Est-ce que c'est un enjeu que vous constatez sur le terrain pour certains qui ne vont pas ou qui ne veulent pas ou qui n'osent pas aller au criminel? Est-ce que ça, ça leur offre ce qui manquait?

• (11 h 40) •

Mme Fortin (Justine) : En fait, donc, chez Juripop, on ne travaille pas directement auprès des jeunes. Donc, la réponse spécifiquement pour cette population, pour nous, serait difficile à répondre. Toutefois, l'expérience qu'on a liée au partage intime de... partage de photos sans consentement, pardon, ce sont l'étendue des conséquences qui ont lieu si le retrait des images ne se fait pas en temps opportun. Et il va y avoir, du simple fait de la menace, du contrôle ou du pouvoir qui est lié au fait d'éventuellement... que ce soit ou non, là, la simple menace amène son lot de conséquences va être importante, mais la durée et l'étendue des personnes qui pourront avoir eu accès à ces photos sont également majeures pour les... Dans le cadre des adolescents, ça va nuire à leur parcours scolaire, ça peut nuire à leur... au-delà des conséquences qu'on connaît qui sont plus... auxquelles on peut penser plus facilement, là, choc post-traumatique, syndrome de dissociation, faible estime de soi, lorsqu'on est un jeune, un adolescent où on commence l'âge adulte et que déjà notre parcours scolaire... on vit de... est affecté, on vit de l'intimidation. Et donc on ne... on ne peut pas grandir au plein potentiel où on le voudrait. C'est majeur. Donc, le fait de pouvoir cesser plus rapidement, pour nous, dans ce qu'on voit sur le terrain, des expériences qu'on a, même si ce sont davantage dans des situations de violence conjugale, les post-séparations ou la menace du partage de la photo intime est liée au contrôle coercitif... on peut voir, on peut vraiment faire un parallèle avec comment ça... sans aider, comment ça amoindrirait les conséquences.

M. Lemieux : Il reste à peine...

M. Lemieux : ...quelques secondes, mais vous avez raison, les jeunes, ce n'est pas tut non plus, là. On s'est fait dire par des témoins, hier, qu'il y avait plus de personnes aînées qui sont prises dans des affaires de sextorsion et d'autres. Il faut qu'on voie le 360, dans cette histoire-là, même si ce que vous nous dites par rapport aux procédures civiles, criminelles, et tout ça, et ce qu'on a dans le projet de loi, c'est plus que pertinent, parce qu'on imagine ce que ça fait comme tort à ces femmes-là, surtout dans le contrôle coercitif.

Il y a des bénéfices, dans ce projet de loi là, qu'il faut absolument donner aux gens qui en ont besoin, que ce soient des gens qui sont victimes de sextorsion ou des gens qui sont tout simplement mal pris, dans des situations anodines mais qui prennent des proportions... Le retrait préventif va faire en sorte que l'on puisse faire quelque chose. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci, M. le député de Saint-Jean. M. le député de l'Acadie, pour 12 min 25 s, s'il vous plaît.

M. Morin : Merci, M. le Président. Me Gagnon, Me Fortin, bonjour. Merci d'être là avec nous, en commission parlementaire, et évidemment partager avec nous l'expérience que vous avez dans le domaine et dans l'accompagnement des victimes, notamment. Donc, c'est très... c'est très apprécié.

J'aimerais revenir sur un élément que vous avez mentionné, et c'est en lien avec la modification dans le projet de loi qui va être apportée au Code civil du Québec. C'est l'article 13 du projet de loi. Donc, c'est un ajout, 2858.1, qui ferait en sorte que certaines allégations seraient jugées non pertinentes dans des affaires qui comportent des allégations de violence sexuelle ou de violence conjugale. Le fait que le gouvernement veuille couvrir des allégations de violences sexuelles et... ou de violence conjugale, est-ce que c'est... pour vous, c'est suffisant? Est-ce qu'on devrait l'étendre davantage? Est-ce qu'il y a des éléments qui manquent?

Mme Gagnon (Sophie) : Bien, le premier alinéa nous semble complet, là, quoiqu'ailleurs dans notre mémoire vous verrez qu'on milite pour une utilisation harmonieuse puis uniforme de la terminologie à travers toutes les lois, puis on pourrait mettre «violences conjugales», au pluriel, puis ajouter «contrôle coercitif», mais, si on se concentre sur l'énumération, à notre avis, ce qui est essentiel, c'est que l'énumération soit non limitative, parce que notre interprétation de la formulation actuelle, c'est que la liste est exhaustive. Donc, ça fait en sorte qu'une personne qui se fait poser une question basée sur un mythe et stéréotype mais qui n'est pas captée par la liste, ici, je pense à quelqu'un, par exemple, qui fait de la... de la consommation de drogue, bien, ça, c'est un stéréotype qui fait l'objet de plusieurs questions en contre-interrogatoire, dans nos dossiers, bien, la personne ne pourrait pas se prévaloir de la présomption. Donc, d'une part, on... bien, en fait, pas «d'une part», mais notre recommandation, c'est que ce soit non limitatif, comme liste.

M. Morin : D'accord. Excellent. Merci beaucoup. L'autre élément sur lequel je voudrais revenir et vous entendre davantage, vous y avez fait référence, et c'est toute la question des interrogatoires au préalable. Parce qu'évidemment l'article va viser... alors, c'est un ajout dans le Code civil, donc ma compréhension, c'est que ça va viser l'ensemble des litiges qui pourraient arriver en droit civil. Et donc, comme on le sait, en droit civil, bien, les interrogatoires au préalable sont possibles.

Si, évidemment, on a ces éléments-là, puis quand on est devant le juge, le juge peut trancher séance tenante, bien, évidemment, ça ne pose pas de problème, mais si on se ramasse, comme vous l'avez souligné, en interrogatoire au préalable puis que, là, la victime est prise puis il faut qu'elle réponde, bien, c'est comme... au fond, on ne peut pas l'affirmer, mais on peut peut-être penser qu'il y en a qui voudront favoriser des interrogatoires au préalable.

Et donc quelle serait la meilleure protection qu'on pourrait... vous l'avez évoqué, mais je veux être sûr de bien comprendre, parce que, vous savez, dans l'opposition officielle, on peut suggérer des amendements au législateur pour bonifier ses projets de loi, n'est-ce pas, d'où l'importance du travail en commission. Quel serait, pour vous, le meilleur libellé pour s'assurer qu'il y aura... si jamais une question est posée, il y aura effectivement un arbitre impartial, indépendant qui va trancher, mais que la victime, elle, ne serait pas obligée de répondre immédiatement?

Mme Gagnon (Sophie) : Oui. Donc, il y a une recommandation, le travail est tout fait, dans notre mémoire, ce qu'on recommande, c'est vraiment une modification à l'article du Code de procédure civile qui permet déjà, dans certaines circonstances, à une personne de ne pas répondre aux questions et de les faire trancher par un juge. Puis la raison pour laquelle on y a pensé, c'est parce que, dans un de nos dossiers, on anticipait que des questions soient posées au préalable et qu'elles véhiculent des stéréotypes. On a fait une demande pour faire trancher les objections en amont de...

Mme Gagnon (Sophie) : ...au préalable, mais la demande a été rejetée par le juge, puis ce que le juge a conclu, c'est que la personne victime allait devoir répondre aux questions puis que, s'il y avait des questions qui étaient non pertinentes, mais ce serait au juge du fond de trancher les objections au procès, parce que les questions non pertinentes doivent quand même être répondues au préalable.

Donc, pour nous, la modification qui est à faire, c'est, de mémoire, là, l'article 228 du Code de procédure civile.

M. Morin : Oui, c'est ça, je l'ai devant moi, là. Donc, il faudrait finalement inclure quelque chose qui ferait référence à une affaire qui comporte finalement des allégations de violence sexuelle ou violence conjugale...

Mme Gagnon (Sophie) : Exactement.

M. Morin : ...qui ferait en sorte que ça devrait être...  En fait, la personne n'est pas obligée de répondre, puis éventuellement ça pourrait être tranché par le juge et. Et l'article dit, 228 : «Le jugement qui tranche une objection peut être rendu sur le vu du dossier.» Donc, éventuellement, ça pourrait être envoyé... envoyé aux juges pour que cette question-là soit tranchée. Je vous remercie, c'est très, très utile.

J'ai également une question pour vous... en fait, j'en ai plus qu'une. Dans l'ordonnance urgente de cessation de prévention du partage d'une image intime, le législateur veut que ce soit un juge de la Cour du Québec, un juge de paix magistrat qui puisse l'ordonner. Pensez-vous que ce qui est prévu au projet de loi, c'est suffisant, ce serait assez simple pour des victimes de faire la demande, si ça serait préférable d'avoir un accompagnement? Si oui, lequel? Et ça, j'aimerais ça vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.

Mme Fortin (Justine) : Mais, déjà, c'est un recours qui est nouveau, je pense que c'est la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes du Québec qui disait qu'il faudra évaluer la faisabilité puis l'impact des différents recours, incluant l'ordonnance civile de protection. On appuie évidemment cette recommandation-là. Il faudra le vivre pour voir comment ça se déroule pour les personnes victimes, mais un accompagnement est assurément... est essentiel d'être proposé. Toutes les propositions de filet de protection supplémentaire qu'on peut, qu'on peut amener, auprès des personnes victimes, va leur permettre de se réseauter, là, donc de savoir à quels services elles ont droit, mais aussi de leur assurer que le processus judiciaire en soi est peut-être plus doux, accessible, moins revictimisant, parce   que, malgré tout ce qu'on met en place, il sera revictimisant à certains égards. Et puis, bien, on pense aux ISL, donc, aux intervenants sociojuridiques de liaison mise en place par les tribunaux spécialisés qui font déjà à ce qu'on entend, puis évidemment à ce qu'on voit aussi, un travail exceptionnel. Peut-être qu'on a là une clé... une première, en fait, une première réponse, nécessairement, il faudra réfléchir à quelles autres ressources d'accompagnement pourraient être disponibles dans les différents palais de justice pour l'étendue des nouveaux recours en lien avec les personnes victimes survivantes.

M. Morin : Puis je comprends que, probablement, que votre position s'appliquerait aussi aux ordonnances civiles de protection. Vous, dans votre travail au quotidien, est-ce que vous aidez des victimes, que ce soit à déposer des plaintes, ou, autrement, vous les accompagnez?

Mme Fortin (Justine) : Je ne dis pas qu'on travaille uniquement en matière civile, donc, on les accompagne en matière familiale, jeunesse, dans leur recours en responsabilité civile également. Toutefois, on travaille... on a l'opportunité, le privilège, je dirais, de travailler avec des intervenantes sociojudiciaires qui accompagnent les avocats et les personnes, nos clients, finalement, dans le processus judiciaire. Puis, pour nous, ça fait toute la différence, que ce soit pour accueillir le vécu, le senti, pour vraiment être à l'affût des conséquences, mais surtout pour assurer qu'il y ait un filet de protection. Quand on parle de filet de protection, c'est : Est-ce qu'on a pensé à toutes les mesures, à tout ce qu'il va y avoir sur le chemin du processus judiciaire qui n'est pas le travail de l'avocat, bien franchement, à réfléchir, mais dont certains sont devenus spécialisés comme nous, chez Juripop, et qui font une différence.

Parce que les personnes ne savent pas nécessairement à quelles ressources elles ont accès, et elles ne sont pas nécessairement non plus rendues dans leur processus, leur processus de conscientisation puis de guérison à une étape qui les permet d'en avoir conscience ou qui les permet de remplir une attestation, comme il est prévu dans le projet de loi, ou un formulaire de la meilleure manière possible, qui leur permet de faire valoir leurs droits de la meilleure manière possible.

• (11 h 50) •

M. Morin : Exact. Hier, l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes nous a dit qu'ils avaient trouvé ça très important qu'il y ait des avocates qui puissent représenter des victimes. Mais ils ont dit que la phase deux de rebâtir ne serait pas financée.     Vous, votre budget, ça a l'air de quoi? Parce que législateur a beau apporter toutes les plus belles lois qu'il veut adopter si, sur le terrain, il n'y a pas d'argent, il n'y a pas de budget...

M. Morin : ...ça n'ira pas nulle part. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît.

Mme Gagnon (Sophie) : C'est évident que les ressources de première ligne, incluant Juripop, mais aussi, comme vous le mentionnez, Rebâtir, tous les intervenants que vous avez rencontrés hier jouent un travail essentiel pour assurer la sécurité, la santé des personnes victimes, des survivantes, mais aussi pour faciliter leur accès à la justice.

Nous, chez Juripop, on reçoit du financement pour financer nos activités en violence sexuelle, violence conjugale depuis 2020. C'est un financement qui est prévu jusqu'au 31 mars 2025, et, à l'heure actuelle, on n'a pas de confirmation de renouvellement de ce financement-là.

M. Morin : Donc, vous, vous n'avez pas eu... à date, on ne vous a pas confirmé que ces budgets-là seraient reconduits. Puis je comprends que c'est des... c'est un financement qui est fait par projet ou si c'est dans votre base financière puis que vous pouvez fonctionner sans problème?

Mme Gagnon (Sophie) : C'est du financement par projet. Le seul financement à la mission que Juripop reçoit provient du Barreau du Québec, de la Chambre des notaires. On a tenté de faire financer nos services en violence sexuelle, violence conjugale par ces sources-là, ça nous a été refusé. Donc, la seule source de financement pour nos services en violence sexuelle, violence conjugale, qui est à la base des représentations qu'on fait ici, vient... provient effectivement, là, du financement par projet du MJQ.

M. Morin : Puis ça vous a été refusé par qui?

Mme Gagnon (Sophie) : Bien, ça n'a pas été refusé, mais le renouvellement n'a pas été confirmé.

M. Morin : O.K. Excellent. Puis, à ce moment-là, vous faites une demande au ministère de la Justice ou au Conseil...

Mme Gagnon (Sophie) : Exactement.

M. Morin : Ministère de la Justice, d'accord. Donc, 31 mars 2025, vous n'avez pas de nouvelles?

Mme Gagnon (Sophie) : Pas à ce jour, non.

M. Morin : Parfait. Compte tenu de ce qui est dans le projet de loi, est-ce qu'il est possible d'affirmer que votre travail auprès des victimes ne va pas diminuer?

Mme Gagnon (Sophie) : Ah! c'est certain que le travail ne va pas diminuer. Puis il faut savoir qu'il y a beaucoup de choses dans le projet de loi, mais, dans notre vision, chez Juripop, des projets de loi comme ça, on pourrait en avoir presque un par année tellement, des réformes, il y en a à faire.

Puis, notre travail, il faut savoir que ce n'est pas seulement de représenter les personnes victimes, c'est aussi de réfléchir à comment est-ce que le droit, les pratiques des avocats, des avocates peuvent être améliorées pour renforcer l'accès à la justice. Ma collègue parlait tout à l'heure d'une formation qu'on a donnée à Montréal vendredi dernier à 150 avocats, avocates. C'est la troisième formation qui était donnée comme ça par Juripop.

Alors, non seulement est-ce qu'on aide les personnes qu'on représente, mais on fait des recommandations qui ont l'ambition de bénéficier à l'ensemble des personnes victimes par des modifications législatives, mais aussi par la formation des intervenants du système de justice.

M. Morin : Et donc, compte tenu de ce que vous savez puis du projet de loi qu'on est en train d'étudier présentement, j'imagine que vos demandes de subvention vont augmenter nécessairement si vous voulez être capables de faire votre travail.

Mme Gagnon (Sophie) : Mais on...

M. Morin : Parce que ce serait... ce serait quand même dommage, hein, que des femmes, entre autres, vous demandent de l'aide puis que vous ne puissiez pas leur donner parce que vous n'avez pas d'argent.

Mme Gagnon (Sophie) : Mais c'est certain, puis on en refuse déjà quasi quotidiennement. Puis il faut savoir que c'est des personnes qui se trouvent dans une grande situation de précarité financière. Il faut savoir que le... les violences financières, c'est une forme de violence conjugale, de violence postséparation, de contrôle coercitif. Donc, c'est des personnes qui ont parfois non seulement pas de revenus, mais pas accès à leurs épargnes. Donc, c'est essentiel qu'il y ait des ressources de première ligne qui soient offertes de manière gratuite ou à faible coût, là.

Le Président (M. Bachand) :Merci.

M. Morin : Parfait. Me Gagnon, Me Fortin, merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Mme la députée de Vaudreuil, pour 4 minutes 8 secondes, s'il vous plaît.

Mme Nichols : Oui. Merci, M. le Président. Merci, Me Gagnon, Me Fortin, d'être parmi nous. Félicitations pour le bon travail! Juripop, je pense que c'est reconnu dans le milieu. Donc, merci d'être ici. Continuez votre bon travail.

Question relativement entre autres... bon, on le sait que Juripop, c'est en matière civile seulement, mais avec justement cette ordonnance civile de protection, là, j'imagine que vous vous attendez à avoir une augmentation... une augmentation de votre charge de travail, entre autres avec le projet de loi n° 73. Vous l'avez envisagé?

Mme Fortin (Justine) : Bien, en fait, il faut savoir que ces recommandations, ce sont des choses que Juripop fait depuis plus de quatre ans. On le fait... Donc, pour les ordonnances de protection en matière civile, on les fait au cœur même de nos procédures en matière familiale. Parfois, ça a été nécessaire de le faire en matière civile, même en droit du travail.

Donc, est-ce que la charge de travail va augmenter? J'ai envie de vous dire non. Si ça fonctionne tel que c'est écrit sur papier, à certains égards ce sera peut-être même facilité. Bien sûr, il va falloir le tester. Ça, on n'est sûr de rien. Pour le moment, le processus est excessivement lourd. On parle de plusieurs demandes différentes à la cour et, si on veut... bien sûr, si on voulait obtenir un outrage au tribunal, bien là, on alourdissait le processus encore davantage. Donc, je pense en fait que ça vient à faciliter notre travail et puis reconnaître qu'il y avait des failles.

Mme Nichols : Oui, ça facilite le travail, mais ça... tu sais, pour les victimes ou pour... ils savent qu'aussi c'est un moyen plus facile, plus rapide. Donc, j'imagine que le nombre de demandes va peut-être augmenter. Puis je pense entre autres... je ne sais pas si vous en avez eu des dossiers, mais peut-être que c'est des parents aussi qui pourraient solliciter pour des enfants qui vont être... qui sont...

Mme Nichols : ...victime, ça, est-ce c'est des dossiers que vous avez déjà à traiter quand c'est les parents qui se manifestent pour des enfants mineurs?

Mme Fortin (Justine) : Mais en fait, donc dans le cadre de nos dossiers, puisqu'on est en matière familiale, on fait des demandes d'OPC, là, d'ordonnance de protection civile qui vont viser donc la personne, le parent victime qu'on représente, mais également les enfants. Ce n'était pas nommément écrit comme ça dans la loi, maintenant c'est beaucoup plus clair que c'est possible de le faire. Donc, je pense que pour nous ça va demeurer de meilleures pratiques, puis en fait c'est là où la formation va entrer en ligne de compte. On va pouvoir dire à beaucoup plus de gens que... plus de consoeurs, confrères que c'est possible, et puis il pourrait y avoir... Et puis Juripop, ce n'est pas notre champ d'expertise, mais de la sensibilisation aussi pour les personnes victimes, pour leur... pour leur... pour les aviser que ce recours-là est accessible et beaucoup plus accessible pour elles, et quelles en sont les mesures et les limites.

Mme Nichols : Oui, bien sûr. On a parlé de... puis les autres groupes avant vous aussi parlaient beaucoup de plus de formation, plus d'accompagnement, puis on a parlé des différents groupes aussi qui peuvent aider dans l'accompagnement, la formation que vous faites aussi à des juristes.

Le formulaire, on en a parlé. Il y avait une remarque aussi en lien avec le formulaire. Bien sûr, le formulaire qui sera inclus dans le formulaire, c'est évidemment le ministère de la Justice qui va le... qui va le déterminer. Mais est-ce qu'il y avait des recommandations? Vous en avez fait une, entre autres dans votre mémoire. Mais est-ce qu'il y avait d'autres recommandations que vous pourriez apporter ou souligner ici à l'ensemble des parlementaires?

Mme Fortin (Justine) : Bien en fait, notre mémoire est assez détaillé en ce sens qu'on est... on considère que c'est un formulaire, ce sont des attestations qui doivent être co-construites, d'une part, pour refléter la réalité des organismes sur le terrain qui auront à travailler avec ces formulaires-là et, d'autre part, pour vraiment aider au mieux les personnes victimes à faire valoir leur exposé sommaire des faits. Puis on avait une recommandation dont on n'a pas parlé spécifiquement, mais en lien avec les formulaires, qu'il puisse... qu'on réfléchisse aux mesures d'accessibilité liées à l'obtention de ces formulaires-à, peut-être par moyen technologique, parce que le simple fait de se rendre physiquement dans une ressource aide peut être un obstacle extrêmement important pour une personne victime. Et puis, là, si on pense aux organismes qui sont en région éloignée, bien, on augmente les barrières d'accessibilité considérablement.

Mme Nichols : Oui, très bien.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Me Fortin, Me Gagnon, merci infiniment d'avoir été avec nous. Ça a été très, très apprécié. Sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. Merci, à tantôt.

(Suspension de la séance à 11 h 59 )


 
 

15 h (version non révisée)

(Reprise à 15 h 02)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bon après-midi à tout le monde. La Commission des institutions reprend ses travaux. On poursuit donc les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence.

Cet après-midi, nous entendrons les personnes et organismes suivants : Mme Mélanie Lemay, l'Association du Barreau canadien, division Québec, l'Union étudiante du Québec. Mais d'abord, nous allons procéder avec l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Donc, Maître Boulet, Maître Cardin, merci infiniment d'être avec nous. Alors, vous avez la parole pour votre présentation pendant 10 minutes. Après ça, on aura une période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bonjour à tous. Merci. Alors, je me présente, Marie-Pier Boulet, présidente de l'AQAAD, le diminutif, pour éviter de reprendre l'exposé au complet de l'association. Je suis accompagnée de Me Geneviève Cardin qui est représentante du district de Bedford à l'AQAAD et elle siège également au comité projet de loi.

L'AQAAD remercie la Commission des institutions pour invitation. Je serai celle qui va s'adresser à la commission, et Me Cardin pourra intervenir lors de la période de questions. Nos représentations se concentrent aujourd'hui sur le titre deux du projet de loi, intitulé Autres mesures de protection, le chapitre un, précisément, ordonnances civiles de protection. Considérant la mission de l'AQAAD, nous ne nous sommes pas penchés sur les autres portions du projet de loi qui ont une incidence, selon nous, en matière strictement civile. À l'inverse, la partie deux entraîne l'application du Code criminel en cas de non-respect de l'ordonnance de protection.

En fait, il s'agit du premier point que nous souhaitons éclaircir. Puisque la référence à l'outrage au tribunal est réitérée... est retirée, pardon, de l'article 509 du Code de procédure civile, il s'agit de l'article trois du titre deux du projet de loi, selon nous, c'est donc le paragraphe 127.1 du Code criminel qui trouve application. C'est le paragraphe qui prévoit la désobéissance à une ordonnance du tribunal, lequel est passible d'une période d'emprisonnement maximale de deux ans ou de l'infraction... d'une infraction punissable par voie sommaire. Alors, il s'agit du premier questionnement, à savoir si c'est bel et bien le sens du projet de loi, considérant le retrait de la référence à l'outrage au tribunal.

Nous avons par ailleurs aussi des questionnements sur certaines portions de la mécanique de ce que nous appelons dans notre jargon un 810 civil, ce qui s'appelle dans le projet de loi une ordonnance civile de protection. En fait, notre expérience pratique en matière d'application de l'article 810 du Code criminel nous apparaît pertinente pour le bon fonctionnement du projet de loi. Ceci étant dit, la mécanique de l'article 509 du Code de procédure civile était en soi peu connue des criminalistes, et nous nous sommes penchés sur le critère qui était prévu. Ce qui était prévu, pour ne citer qu'un passage de l'alinéa deux, était la vie, la santé ou la sécurité qui est menacée.

Nous sommes les criminalistes, encore une fois, habitués avec la mécanique de l'article 810 qui prévoit, lui, le critère suivant : «La personne qui craint pour des motifs raisonnables qu'une autre personne ne lui cause un préjudice ou ne commette l'infraction visée à 162.1.» L'infraction prévue à 162.1 est celle de la publication d'images intimes. Donc, pour reprendre, succinctement, 509 prévoyait une menace, 810 prévoit... du Code criminel prévoit une crainte pour des motifs raisonnables. La jurisprudence qui s'est développée autour de 810 est venue clarifier le critère pour qu'il soit question de crainte raisonnable, réelle et actuelle.

Maintenant, fort de ces éléments, en regardant l'article 515.1 qui serait ajouté au Code de procédure civile par le nouveau projet de loi, il est question d'une crainte pour la vie, santé, sécurité, que ceux-ci soient menacés, notamment en raison d'un contexte de violence conjugale basé sur honneur, violence familiale, etc. Ce qui manque au projet de loi, selon nous, est le caractère raisonnable de la crainte. Parce qu'encore une fois on parle d'une crainte pour la vie, santé, sécurité menacée, une crainte pure. Il nous apparaît que le libellé actuel donne à penser qu'une personne qui dit craindre, ce serait suffisant. Un caractère raisonnable de la crainte ou encore un critère objectif serait de nature à rendre le tout davantage prévisible pour les justiciables. Et il s'agit d'un élément évidemment important dans le cadre des travaux de la...

Mme Boulet (Marie-Pier) : ...nous ne sommes pas contre la vertu, j'ai envie de le souligner, mais il faudrait évidemment que ce soit clair et, autrement, la personne n'aurait qu'à mettre, dans son formulaire ou dans sa demande, le terme «craindre»... le terme «crainte», pardon, et ce serait suffisant.

Deuxième point, quel est le fardeau de preuve? Le niveau de preuve n'est pas précisé à l'article 515.3. Est-ce qu'il s'agit d'un fardeau de présentation ou de persuasion? Y a-t-il un renversement? Les règles en matière civile prévoient, de manière générale, la prépondérance. Alors, nous avons pris pour acquis que c'est ce qui s'applique. Mais d'autres questions sont quand même importantes, c'est-à-dire le fardeau en est-il un de persuasion, de présentation ou le renversement de fardeau?

Troisième point, les règles de preuve applicables ne sont pas précisées à 515.3. Je m'explique. Est-ce que le ouï-dire est admissible? Est-ce qu'il y a un droit contre- interrogatoire? Est-ce qu'il y aura communication des pièces au soutien de la demande d'ordonnance? Ce sont trois sous-éléments manifestement pertinents, d'autant plus, la procédure peut se passer en cabinet, donc, strictement sur papier, considérant l'article 4 du projet de loi, donc, qui réfère à l'article 69 du Code de procédure civile et qui elle-même réfère, là, dans le projet de loi, à un formulaire.

Quatrième élément. 515.3, encore une fois, à l'alinéa deux, il est question d'une durée maximale de trois ans et aux conditions déterminées par le tribunal, ladite ordonnance pouvant être renouvelée, prolongée ou prononcée à nouveau... de nouveau. Relativement à la durée de l'ordonnance, je vous dirais que même le Code criminel devrait être modifié, peut-être, pour pouvoir prévoir une période plus longue, puisqu'actuellement on prévoit une année seulement. Ici, la durée maximale de trois ans nous apparaît pertinente, d'autant plus qu'une ordonnance de probation en matière criminelle ne pourrait pas dépasser trois ans. L'ordonnance de protection civile est quand même un équivalent d'une ordonnance de probation et elle constitue une privation de liberté, d'autant plus que, je le disais d'entrée de jeu, qu'elle entraîne des conséquences criminelles en cas de non-respect.

Maintenant, donc, pour ce qui est de la période, il nous apparaît que la durée maximale de trois ans est tout à fait appropriée. Ce qui nous amène à pointer davantage la question du renouvellement de la prolongation et d'un nouveau prononcé. Quel est le processus qui doit être suivi? Quel est le fardeau de preuve? Est-ce que la procédure est simplifiée? Est-ce que ce doit être basé sur des faits nouveaux, auquel cas on considère que, s'il y avait des faits nouveaux, il faudrait prendre pour acquis qu'il y avait eu un bris de l'ordonnance? Ce sont d'autant de questions qui, selon nous, nous amènent à penser que le libellé ne couvre pas l'ensemble des situations, d'autant plus qu'une prolongation, si elle devait avoir un caractère automatique comme son renouvellement, entraînerait, selon nous, une possibilité excessive de privation de liberté sans accès à une audition. Alors, il manque peut-être simplement certaines références ou certains détails, évidemment, bien humblement...

Encore une fois, nos représentations sont basées sur notre expérience pratique, parce que toute la mécanique qui entoure ce qui est en place dans le projet de loi ressemble presque copier-coller à ce qui est déjà en place au niveau criminel et avec lequel nous sommes habitués de conjuguer sur une base quasi quotidienne.

Alors, dans l'espoir que nos commentaires servent à évacuer le risque d'ambiguïté et... Nous vous remercions encore une fois pour votre attention.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, maître. Donc, je me tourne vers le gouvernement pour une période d'échange de 17 minutes. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Me Boulet, Me Cardin, bonjour. Merci de participer aux travaux de la commission pour l'Association québécoise des avocats et des avocates de la défense. Dans un premier temps, je comprends que vous étiez sur sur les critères, notamment, sur l'ordonnance de protection, mais, dans l'ensemble du projet de loi, comment... comment l'association reçoit le projet de loi relativement au fait d'incorporer des règles qui... en matière criminelle, notamment, pour le tribunal spécialisé, aussi, qu'on l'amène vers la justice civile, donc, au niveau de la procédure civile, que ce soit dans le Code civil ou dans le Code de procédure civile, ainsi... incluant en matière familiale.

• (15 h 10) •

Mme Boulet (Marie-Pier) : Je vous dirais que c'est déjà de bon augure le fait que je vous ai dit que je n'avais pas de commentaire sur les autres sections. Alors, un peu, pour reprendre ce que j'ai dit plus tôt, c'est-à-dire qu'on ne peut pas être contre la vertu, s'il y avait eu des commentaires sur l'application de ces mesures de protection, j'ai envie de vous dire, on ne se serait pas gêné de les faire. Alors, je vous dirais que c'est davantage dans la mécanique d'application que dans l'objectif qui est visé, que nous avons des commentaires à faire.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais peut-être faire référence à votre expérience, là, sur...

M. Jolin-Barrette : ...vous êtes une spécialiste, là, en droit criminel, là, l'évolution, là, des mythes et des stéréotypes, là, ça serait quoi votre... votre état de la situation, puis ce à quoi certaines personnes, certaines victimes ont été confrontées, là, qui a amené dans le fond des décisions des tribunaux? C'est quoi le portrait de la situation que vous vivez dans les palais de justice, là, en matière criminelle relativement à cela?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien, relativement aux mythes et stéréotypes, je veux dire, il y a des règles de droit qui depuis longtemps l'interdisait. Je vous dirais que la question tout à l'heure, quand je parlais d'ambiguïté du projet de loi, bien, c'est la même chose pour les mythes et stéréotypes. Je pense que la jurisprudence a été amenée à les préciser, à bien les encadrer, à bien les définir, à les dénoncer, ce qui nous permet d'avoir donc un... d'avoir un guide pratique, là, comme praticiens, à savoir quelle est justement la limite à ne pas franchir. Je vous dirais que ça reste un principe qui n'est ni noir ni blanc a toujours des zones grises, là. Il y a quand même des sujets sur lesquels on peut y aller. Tout dépend de l'utilisation que le tribunal devra en faire ultimement. Un fait reste un fait. Maintenant, qu'est-ce qu'on tire comme inférence de ce fait-là? C'est là que ça devient important. Et je pense que je vous dirais que l'état d'esprit sur les lieux, c'est qu'on fait... on redouble de prudence, on se pose les bonnes questions et on s'assure évidemment que parfois il y a peut être la preuve qui sera... ou finalement... final... au final, pardon, un mythe et stéréotype, mais qu'elle n'aura pas d'impact dans la décision, parce qu'on peut faire des erreurs, on reste des humains. Il reste qu'il y a des questions à poser, et on s'assure également que les plaignants, que les témoins comprennent que certaines questions peuvent être posées, mais qui, au final, si elles constituent un mythe et stéréotype, on va s'assurer de ne pas en tenir compte pour la décision finale à être rendue. Peut-être que Me Cardin a plus à ajouter, mais je suis certaine qu'à Bedford c'est la même chose.

Mme Cardin (Geneviève) : Effectivement, on a été un des premiers districts à avoir, là, la division spécialisée, là, de la nouvelle mouture, là, du tribunal spécialisé, et effectivement je pense que tout le monde apprend de ça. On apprend avec ces nouvelles limites là, et Me Boulet l'a mentionné, là, dans son mot d'ouverture : On ne peut pas être contre la vertu, on ne cherche que la clarté pour pour la justiciable qui sera confrontée à que ce soit l'ordonnance du projet de loi ou des poursuites en matière criminelle qui est un peu plus notre expertise.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais juste sur le fait qu'on vient incorporer, là, notamment une présomption de non-pertinence sur les mythes et stéréotypes qu'on a listés, est-ce que vous êtes en accord avec ça? Parce que tout à l'heure, on a eu Juripop pas qui nous disait : Bien, écoutez, vous ne devriez pas les mettre uniquement de façon exhaustive, mais laisser la porte ouverte à d'autres types de mythes et stéréotypes. Alors, c'est quoi votre opinion par rapport à ça? Est-ce que vous trouvez qu'on doit les nommer comme nous avons fait ou laisser ça plus large comme le propose Juripop?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien, vous voulez dire que vous avez nommé exhaustivement les mythes et stéréotypes, là? Je n'ai pas... ce n'est pas ce qui m'est apparu parce que même la Cour suprême ne l'a pas encore fait, là. On y va pas mal au compte gouttes parce qu'il va y en avoir des nouveaux. Ça évolue avec la société. Ce qui a été fait dans le projet de loi, j'ai vu, c'est qu'on dit qu'un mythe et stéréotype, c'est inadmissible, mais c'est déjà une règle de droit, là. Je vous dirais que c'est bien de l'avoir incorporé. Le texte de loi rend la chose plus claire. Mais pour nous, je vous dirais que les praticiens, c'est déjà évident que c'est une règle qui est bien incorporée dans les us et coutumes, les pratiques, puis quand on est en matière criminelle, ça fait partie de la common law, alors on n'a pas besoin de l'avoir écrit. Là, on est en matière évidemment civile, on... On va mettre l'écrit de l'avant.

M. Jolin-Barrette : Oui, bien, c'est ça. Mais il y avait nécessité de l'inclure clairement dans le Code civil, parce que, bien entendu, il y a des décisions des tribunaux en matière criminelle relativement aux types de questions qui peuvent être posées ou pas posées. On vient modifier... on vient insérer un nouvel article 2858.1 dans le Code civil. Donc, on fait référence à la réputation de la personne prétendue victime de la violence, tout fait relié au comportement sexuel de cette personne autre qu'un fait de l'instance qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité. Le fait qu'une personne n'ait pas demandé que le comportement cesse, le fait qu'une personne n'ait pas porté plainte ni exercé aucun recours relativement à cette violence ou tout fait en lien avec le délit a dénoncé la violence alléguée, et le fait que cette personne soit demeurant en relation avec l'auteur allégué de cette violence. Donc, bien entendu, en matière criminelle, c'est un... c'est un peu différent relativement au fardeau de preuve. Mais vous, vous ne voyez pas d'enjeu à ce qu'on vienne nommer ces éléments-là en matière civile dans le cadre d'un recours supposons en dommages et intérêts ou dans...

Mme Boulet (Marie-Pier) : En fait... En fait non. C'est pour ça qu'on vous a dit, tout à l'heure, que dans notre expertise en matière civile, elle est bien limitée. Mais ce qu'on dit en fait peut être un peu avec... puisque vous avez référé aux commentaires de Juripop sur le sujet, c'est qu'effectivement la notion de mythe et stéréotype, ce n'est pas... c'est pour ça que je vous disais, vous l'avez listée, mais je ne l'ai même pas vue comme étant exhaustive, là. En fait, peut-être que c'est mon interprétation qui est erronée, mais la notion de mythe et stéréotype va être amenée à évoluer grandement, là. Vous savez, l'orientation sexuelle...

Mme Boulet (Marie-Pier) : ...toutes sortes de choses qui peuvent évoluer dans le temps et qui vont faire en sorte que la liste pourrait devenir très, très longue. Alors, peut-être qu'effectivement de strictement référer à la notion de mythes et stéréotypes au sens large et de laisser le tout ouvert, c'est plus prudent et ça permet la pérennité, là, de... du projet de loi, des changements législatifs.

M. Jolin-Barrette : Peut-être nous parler également de votre expérience, là. Parce que, là, on vient inclure une formation en matière civile, notamment pour sensibiliser les acteurs du milieu de la justice en matière civile à la fois aux violences sexuelles, violences conjugales. On a fait la même chose au niveau du tribunal spécialisé. Les avocats de la défense participent. Est-ce que... Est-ce que ça s'est passé d'une façon positive, le fait d'offrir cette formation-là à la fois à l'ensemble des acteurs du milieu de la justice en matière criminelle et pénale?

Mme Boulet (Marie-Pier) : La formation sur les mythes et stéréotypes?

M. Jolin-Barrette : Non, la formation en général sur les violences sexuelles, violences conjugales dans le système de justice, à la fois au personnel de justice, aux avocats de la couronne, aux avocats de la défense également. Le fait d'offrir des formations supplémentaires dans le système de justice, comment ça a été reçu par vos membres, par les criminalistes, le fait qu'il y ait de la formation offerte en matière de comment agir, supposons, avec des personnes victimes de violence sexuelle, de violence conjugale? Ça s'est bien passé?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui. Bien, écoutez, la formation, effectivement... Là, vous dites : comment agir avec des... Je ne suis pas certaine que c'était exactement ça, le sens de la formation qui nous a été dispensée. On s'est davantage intéressé... effectivement, on nous a présenté la réalité des personnes, là, victimes, des plaignants, donc cette réalité-là. C'était davantage un volet informationnel, très instructif, sur cette réalité-là, sur les enjeux qu'ils peuvent vivre.

Et, de notre côté, forts de ces enseignements-là, effectivement, il y a des pratiques qui ont été adaptées, notamment avec le Barreau du Québec. Il y a un guide des meilleures pratiques de... du contre-interrogatoire qui avait été élaboré. Au niveau de l'AQAAD directement, on avait dispensé la formation, justement en matière sexuelle, dans le cadre de notre colloque annuel. Donc, on s'est assurés que l'information soit répandue. Et je vous dirais qu'outre l'information de base, dans le travail quotidien à la cour, effectivement, je pense qu'il y a maintenant ce que je vais qualifier d'une hypersensibilité à ce niveau-là, là. On est plus prudent que prudent maintenant.

Je vais vous donner un exemple, là. Moi, de manière systématique, avant de procéder au contre-interrogatoire d'une personne plaignante, je me présente et je lui explique que ce que je m'apprête à faire, ce ne sera pas particulièrement plaisant, dans le sens où je vais parler de faits qui sont douloureux, je vais même parfois être répétitive parce que je vais poser des questions sur des sujets qu'elle a déjà parlé en interrogatoire. Et on me rapporte, du côté de la poursuite, que la plaignante apprécie ce préambule-là parce qu'ils se disent : O.K. Bon, bien, on dirait que j'ai compris puis on m'a expliqué c'était quoi le travail. Alors, on s'est tous mis, je vous dirais, en mode... en mode : on ne prendra pas pour acquis que les gens comprennent ce qu'on a à faire.

Et c'est la même chose, comme... vous référiez aux formations, eh bien, on n'a pas pris pour acquis qu'on savait c'était quoi être une victime ou qu'on savait c'était quoi devoir témoigner à procès. On s'est tous mis dans le bain de ça. On va appeler ça un électrochoc. Et puis, oui, c'est accueilli favorablement. On veut tous bien faire les choses. Au final, ce qu'on veut, évidemment, c'est que les gens soient entendus et qu'il y ait une décision qui soit prise.

M. Jolin-Barrette : Peut-être une dernière question avant de vous laisser avec mes collègues. Sur l'ordonnance civile de protection, là, on a prévu une durée — bien, dans le fond, on ne change pas la durée — de trois ans, donc validité d'une ordonnance civile de protection. Il y a plusieurs groupes qui sont venus nous voir depuis hier pour nous dire : Bien, écoutez, vous devriez soit l'allonger jusqu'à cinq ans ou même ne pas mettre de délai du tout. Exemple, le Barreau du Québec nous a dit : pas de délai du tout. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition-là?

• (15 h 20) •

Mme Boulet (Marie-Pier) : Alors, moi, si vous avez bien entendu mon commentaire, c'était que la durée trois ans, pour moi, m'apparaissait suffisante, m'apparaissait une durée maximale qui était cohérente, considérant que les conséquences sont... en cas de non-respect, là, ce sont des conséquences de nature criminelle. Quelqu'un qui a une probation criminelle n'aura pas une probation pour plus que trois ans. Alors là, on veut créer une privation de liberté supérieure à trois ans parce qu'elle ressort du Code de procédure civile. Pour moi, ça, ça sonne incohérent. Et je vous dirais qu'en plus ça vient résonner avec la question de la privation de liberté.

C'est pour ça que je vous disais aussi dans le texte que la question du renouvellement ou... évidemment, on ne peut pas empêcher qu'il y aurait des faits nouveaux ou qu'il y aurait une crainte qui serait actualisée par une situation qui serait persistante. Donc, le renouvellement m'apparaît plus approprié que de laisser une latitude plus grande qu'à trois ans.

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis une vraie dernière question. Sur la question qu'on n'aura plus besoin, en matière civile, supposons en recours en dommages et intérêts...

M. Jolin-Barrette : ...s'il y a eu une condamnation en criminel, de prouver la faute pour la victime, le dépôt du jugement va faire en sorte que la faute va être établie. Comment vous recevez ça?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien, comme je vous disais, je n'ai pas fait de poursuites civiles en cette matière, alors je serais mal avisée de vous donner mon opinion là-dessus. Évidemment, à la base, là, je vais simplement vous dire que le fardeau de preuve en matière criminelle, c'est hors de tout doute, et l'autre, c'est en prépondérance. Alors, il n'y a pas d'incohérence dans cet aspect-là. Et je n'avais pas plus de commentaires.

M. Jolin-Barrette : Excellent. Mais je vous remercie à vous deux d'être venues en commission parlementaire, puis je vous laisse avec mes collègues. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Merci beaucoup, M. le ministre. Interventions du côté gouvernemental? Mme la députée de Laval-des-Rapides, s'il vous plaît.

Mme Haytayan : Mais... merci, M. le Président. Bonjour. Merci pour votre temps. Une question par rapport à un cas de défendeur qui fait l'objet d'un 810, un code 810. Est-ce que, selon votre expérience sur le terrain en matière criminelle... est-ce qu'il arrive souvent que ce type de demande est refusé? Donc, c'est-à-dire une demande de témoigner à distance pour la personne victime.

Mme Boulet (Marie-Pier) : Dans le cadre d'une audition 810? En fait, j'ai envie de vous dire, c'est rare qu'il y a des auditions 810. Alors, bien souvent, là, l'expérience pratique, c'est que lorsque la somation est prise, puis que c'est l'article 810 directement qui fait... qui fait l'objet de la somation, je vous dirais que c'est rare qu'il y a des auditions qui se tiennent. Et pour ce qui est de la visio, je vous dirais que ça, c'est plutôt difficile à répondre, parce que tout dépend des motifs qui sont allégués. Donc, évidemment, là, du moment que les motifs sont minimalement sérieux, mais la distance n'est souvent pas un enjeu, là, si on demande un 810, parce qu'il y a une proximité d'habitude. Alors, j'essaie d'imaginer. Ce n'est pas quelque chose qui est commun. Et évidemment, les mécanismes, là, de protection pour le témoignage ou de soutien aux témoignages, ça, je vous dirais qu'autant en matière de 810 que dans les autres matières, à moins que la demande paraisse totalement infondée, là, c'est plutôt également rare que c'est contesté.

Mme Haytayan : O.K., parfait. Vous avez répondu à ma prochaine question également par le fait même. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Mme la députée de Laval-des-Rapides. M. le député de l'Acadie, s'il vous plaît.

M. Morin : Oui, merci, M. le Président. Alors, bonjour, Maître Boulet, Maître Cardin. Merci d'être là avec nous. J'aurais... j'aurais quelques questions pour vous, notamment en ce qui a trait à l'aide au témoignage. Bon, là, évidemment, ici on parle en matière civile. Je comprends que ça existe en matière criminelle. Il y a différentes... il y a différents moyens qui sont... qui sont suggérés, témoignage à... l'instance peut témoigner à distance, être accompagnée d'une personne. On parle aussi d'un chien.

Pour vous, est-ce que... quand vous avez lu le projet de loi, est-ce que, pour vous, c'étaient... en fait, des aides qui pouvaient être cumulatives ou une n'exclut pas l'autre? Puis, en matière criminelle, est-ce que vous avez vécu ces situations-là où une victime a été accompagnée? Puis comment... comment ça se passe?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Me Cardin, je vous laisse...

Mme Cardin (Geneviève) : En fait, c'est quelque chose qu'on est constamment confronté lorsqu'on est dans le cadre de poursuites en matière de violence conjugale ou de crimes à caractère sexuel. Donc, les témoignages dans des salles de télétémoignage, on peut voir également des témoignages des plaignants victimes directement dans la salle de cour et voir des accusés qui sont dans la salle de télétémoignage pour entendre le témoignage, de la présence de chiens de soutien. Donc, c'est quelque chose qu'on est confronté... pas confronté, mais qu'on voit d'une commune mesure. Donc, lorsqu'on voit ça dans le projet de loi, c'est quelque chose qu'on voit régulièrement dans nos salles. Oui.

M. Morin : D'accord. Donc, au fond, c'est une forme ou une sorte de transposition de ce qui se fait déjà en matière criminelle vers la procédure civile, compte tenu évidemment qu'on parle de témoignages de personnes... de personnes victimes. Bien. M. le ministre a posé des questions tout à l'heure en ce qui a trait aux dispositions qui vont faire en sorte que certains mythes ou stéréotypes ne pourront plus faire l'objet... ou, en fait, seront présumés non pertinents. C'est l'article 13 du projet de loi.

Présentement, en matière criminelle, corrigez-moi si je fais erreur, mais il y a déjà des dispositions qui empêchent, par exemple, le contre-interrogatoire de la victime en ce qui a trait aux comportements sexuels du plaignant, sauf si, dans certaines circonstances, un accusé peut démontrer à l'aide d'une requête et convaincre un juge que ça pourrait être pertinent. Même chose au niveau...

M. Morin : ...de l'accès à des dossiers de la victime. Comment vous voyez ça, l'article 13? Est-ce que ça va assez loin? Est-ce que vous pensez que ça va protéger les victimes, que ça va aider finalement le tribunal? Trouvez-vous que les critères du Code criminel sont plus explicites? Bref, j'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce que vous êtes à même de nous aider, évidemment, avec une comparaison.

Mme Boulet (Marie-Pier) : En fait, la mécanique est quand même différente, parce qu'évidemment le terme qui est utilisé dans le projet de loi, on dit «sont présumés non pertinents». Donc, rien n'empêche de plaider leur pertinence et de la cadrer dans le cadre du litige avec des faits particuliers. Dans le cadre du Code criminel, je vous dirais que je n'aurais pas tendance à m'en inspirer, parce que c'est encore plus compliqué à comprendre, la mécanique de ces articles-là. Et je vais vous dire que de source sûre, c'est amené à être amendé, parce qu'il y a une réforme, évidemment, qui est envisagée de ces articles-là. La procédure, en ce moment, elle est complexe et elle engendre des délais. M. le ministre n'aimera pas entendre ça, mais ça fait partie des choses qui engendrent des délais en matière criminelle, parce que ces requêtes-là, elles sont complexes. Il y a toute une mécanique à mettre en place, des délais à respecter. Bref, je n'aurais pas tendance à m'inspirer de ce qu'il y a dans le Code criminel. Je trouve, au contraire, que là on est allé dans le plus simple, c'est-à-dire c'est présumé non pertinent, sauf si on fait la preuve. Et le critère de la pertinence, c'est un critère qui est bien connu en droit puis c'est un critère qui donne toute la latitude aux juges de faire des exceptions dans les cas appropriés. Évidemment, les mythes et stéréotypes que vous avez nommés, c'est difficile de voir quand est-ce qu'ils deviendraient pertinents. Je vais vous dire, là, par exemple, «tout fait relatif à la réputation», je veux dire, je vois mal comment un fait deviendrait minimalement pertinent dans un dossier, là. La réputation, c'est quelque chose qui est superflu, là, ce n'est pas... c'est superfétatoire et ça ne sert à rien dans un litige. C'est déjà non pertinent sur la base de la pertinence. Alors, même si ce n'est pas un mythe et stéréotype, ça ne sert à rien.

Le comportement sexuel antérieur, là, ou ce qu'on est habitués de voir en matière sexuelle... en matière criminelle, pardon. C'est qu'il arrive qu'il y a des comportements sexuels où ce sera important de parler de comportements antérieurs parce qu'ils sont interreliés. Je vais vous donner l'exemple de pratiques sexuelles particulières. Ça pourrait être étonnant, là, je veux dire, ça va vous paraître grossier, là, mais des gens qui utilisent des objets, là, puis on se dit : Mon Dieu, le juge, est-ce qu'il est prêt à entendre un procès où on va parler d'objets sexuels puis d'aliments ou... Écoutez, je vous passe les exemples que j'aurais à vous donner dans les dossiers qu'on voit. Bien, on se dit : On ne peut pas arriver aux juges... à lui expliquer qu'ils ont eu telle pratique sexuelle non consensuelle ce soir-là, si on n'explique pas que c'est arrivé avant et que c'était une pratique commune des parties. C'est comme ça qu'ils ont leurs rapports sexuels, eux. Je veux dire, jugez-les ou ne les jugez pas, ce n'est pas ça qui est pertinent. La question c'est de savoir s'il y a eu un consentement ou pas. Alors, là je fais référence... je vous donne un exemple pratique, là.

Donc, le libellé actuel du projet de loi le permettrait ça parce qu'on dit : C'est présumé non pertinent. Bien, la présomption de non-pertinence n'est pas irréfutable. Donc, on pourrait dire dans certains cas : Je comprends que le comportement sexuel de cette personne-là est un mythe et stéréotype, mais je veux simplement ramener une pratique sexuelle, appelons-la comme ça... bien, ça rentre dans la catégorie «comportement sexuel antérieur», parce que ça va nous aider à comprendre, disons, la trame factuelle et le contexte de la situation.

Donc, en termes très résumés, je pense que de présumer de la non-pertinence, c'est conforme à l'état du droit et que le libellé actuel que vous proposez permet toute la latitude nécessaire sans toutes les requêtes et la mécanique du Code criminel qui rallongent les procédures.

M. Morin : Parfait. Je vous remercie. Merci beaucoup, maître. Le projet de loi, avec des allégations qui seraient présumées non pertinentes, vise également d'autres lois, Code du travail, Loi sur la fonction publique, Loi sur la justice administrative, mais le législateur n'a pas inclus le Code des professions qui, dans le cadre de recours, par exemple, disciplinaires, des dispositions semblables pourraient s'appliquer s'il y a des accusations ou, en fait, des allégations puis des reproches au niveau disciplinaire de conduites déontologiques non conformes au code. Le Barreau le suggérait. Est-ce que vous avez réfléchi là-dessus? Est-ce que vous faites des fois, en défense, du droit disciplinaire?

• (15 h 30) •

Mme Boulet (Marie-Pier) : Je fais parfois en défense du droit disciplinaire. Je pense que Me Cardin... considérant qu'elle travaille à la commission... pas à la commission, mais au service d'aide juridique, donc... mais ça ne nous permet pas quand même... mon expérience ne me permettrait pas de répondre à votre question puisque je ne me suis pas penchée...


 
 

15 h 30 (version non révisée)

Mme Boulet (Marie-Pier) : ...suffisamment sur le sujet.

M. Morin : Parfait. Je vous remercie. Ça complète mes questions. Merci, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de l'Acadie. Merci infiniment. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît.

Mme Nichols : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci d'être en commission. J'ai deux petites questions, rien de, je présume, très complexe, là.

Vous avez fait référence à l'article 515.3. Évidemment, là, on parle de la durée maximale de trois ans. Il semblait y avoir une problématique quand on parlait du renouvellement. Pouvez-vous juste m'expliquer c'est quoi, l'enjeu ou, en fait, me préciser qu'est-ce qui n'était pas clair au niveau du renouvellement? Je n'ai pas pris de notes.

Mme Boulet (Marie-Pier) : En fait, renouveler, c'est... Premièrement, c'est la procédure. Est-ce que c'est la même mécanique que la demande initiale qui s'applique? Hein, comment on fait ça, renouveler? Est-ce qu'on fait simplement dire : Bien, je veux que ce soit renouvelé pour trois ans, un an, j'ai encore une crainte?

Ça fait beaucoup appel à ce que je vous disais d'entrée de jeu, c'est-à-dire le critère est tellement subjectif dans la loi, hein : Je crains. Je crains, pas : Je crains pour des raisons... pour des motifs raisonnables, pas : J'ai des motifs raisonnables de craindre, pas : Je crains... Ma crainte est objective. Il n'y a rien, c'est juste : Je crains. Puis qu'est-ce que le juge aurait à dire, dans le fond? Madame craint, alors... ou monsieur craint, qu'est-ce que je peux... qu'est-ce que je peux, moi, y faire?

Bref, pour revenir au renouvellement, donc, est-ce que la personne pourrait juste dire : J'ai envie que ce soit renouvelé? C'est quoi, les critères? Est-ce que ça doit être basé sur des faits nouveaux? Est-ce que le juge va avoir déjà prévu que ça peut être renouvelé si la personne craint encore? Mais vous comprenez que, si la personne craint encore, c'est purement subjectif, là. On ne peut pas... Selon moi, on ne peut pas répondre à des craintes purement subjectives si elles ne se fondent sur aucun fait.

Et 810, la mécanique, là, je l'ai souligné tantôt, mais la question qui se pose, c'est : Est-ce que cette crainte-là, elle est réelle et est-ce qu'elle est actualisée? Parce que moi, là, je veux dire, je peux bien craindre les araignées, mais... je vais les craindre toute ma vie, évidemment, parce que je les crains, mais est-ce que c'est actualisé? Vous comprenez? Est-ce que... Est-ce qu'il y a quelque chose qui nous fait craindre ou on a juste peur d'avoir peur? C'est un peu une expression qu'on utilise.

Alors, le renouvellement, je pense que c'est dans la mécanique, mais c'est aussi dans les faits au soutien d'un renouvellement, de quoi il doit en retourner.

Mme Nichols : Et donc pas un renouvellement automatique en disant : On va juste le renouveler, mais... bien, à moins qu'il y ait des faits nouveaux, de soulever les faits nouveaux, mais de, sinon, documenter le... documenter le renouvellement?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui.

Mme Nichols : Parfait. Parfait. Puis petite question, juste au niveau de... Je me demandais : Est-ce que vous voyez un enjeu ou est-ce que vous prévoyez une différence au niveau des incidences sur le volume... le volume de dossiers que vous pourriez avoir au niveau criminel étant donné, là, qu'il va y avoir, on va dire, là, l'accès à une procédure civile plus facile, plus rapide? Vous, de votre côté, est-ce que vous pensez que ceux qui vont s'en aller... qui vont utiliser la procédure civile auront moins d'intérêt, peut-être, à aller au criminel ou... En fait, comment vous voyez ça?

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien, en fait, la perception que vous partagez, je ne me l'étais pas posée, mais je trouve que ça fait beaucoup de sens. Spontanément comme ça, on n'y a pas pensé, mais, oui, je pense qu'il y a des gens qui ne cherchent pas nécessairement la voie criminelle et que parfois la ligne est mince entre les deux et qu'ils vont, j'espère, privilégier cette procédure-là qui, comme vous le dites, est accélérée et simplifiée par rapport au 810 criminel. Parce que, le 810, en matière criminelle, il est plutôt rare que la procédure est initiée avec un 810. C'est plutôt une manière de terminer les procédures, le 810 en criminel. Alors, pour moi, est-ce que ça va les évacuer ou ça va plutôt... On va... Ça va être difficile à quantifier parce que ça va être vraiment dans la tête des gens et dans l'information qui va leur être transmise, à savoir quelle décision ils vont prendre. Mais certainement que c'est un outil de plus qui va en tout cas ne pas encombrer davantage le système judiciaire criminel. Pour moi, je ne vois pas pourquoi ça devrait augmenter le nombre de dossiers. Le seul effet potentiel, c'est de les réduire.

Mme Nichols : Oui, en effet, moi aussi... Bien, en fait, je vous donne presque mon opinion, là, mais je me disais... je ne pense pas que ça va avoir... il va y avoir une incidence sur les volumes, peut-être, au civil, mais moins au criminel ou, en fait, ils pourront quand même utiliser les deux, mais... Ou des fois je me dis : Peut-être que la victime, tu sais, ce qu'elle ne veut pas, c'est que son image circule ou elle ne veut pas que... Ça fait que peut-être qu'ils vont utiliser juste le civil puis ils vont se dire : Bien, on n'ira pas du côté criminel, on va rester juste au niveau civil. Ça fait que c'est pour ça que je me demandais si vous aviez envisagé une incidence, si vous aviez envisagé quelque chose au niveau criminel.

Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien, je vous dirais que, dans notre pratique... dans notre pratique, par contre, là, même si je représente des gens qui sont accusés à la base comme criminaliste, il n'est pas rare que ces gens-là peuvent être même à la fois victime, là. Vous savez, les plaintes croisées, c'est quelque chose qui se passe. Plainte croisée, un porte plainte contre l'autre et...

Mme Boulet (Marie-Pier) : ...et vice et versa, puis la violence conjugale des fois c'est... on qualifie ça de relation toxique, là. On n'est pas bons l'un et l'autre pour l'autre. C'est vraiment tout un phénomène. Et donc des fois les gens, effectivement, le 810 criminel, là, on peut le faire de manière privée. Je pourrais initier une procédure 810, moi, comme avocate pour un client, mais sincèrement, là, je n'ai aucune idée comment le faire.

Mme Nichols : O.K.

Mme Boulet (Marie-Pier) : Dans le sens de dire, c'est quand même complexe. La mécanique que vous proposez m'apparaît beaucoup plus claire et accélérée.

Mme Nichols : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :  Merci beaucoup. Me Boulet et Me Cardin, merci beaucoup d'avoir été avec nous. Alors, on suspend quelques instants pour accueillir le représentant... représentante de l'Union étudiante du Québec. Donc, on se revoit dans quelques instants. Merci beaucoup.

Des voix : Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 37 )

(Reprise à 15 h 39 )

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, c'est un grand plaisir que nous accueillons les représentants et représentantes de l'Union étudiante du Québec, donc Mme Andrée... Audrey Fortin et M. Étienne Paré, président. Merci beaucoup d'être avec nous. Vous connaissez les règles, 10 minutes de présentation, une période d'échange avec les membres. Donc, la parole est à vous. Merci beaucoup, encore une fois, d'être avec nous.

M. Paré (Etienne) : Bien, merci beaucoup. M. le Président. Merci, chers membres de la commission, de nous accueillir aujourd'hui. On est vraiment contents que vous avez pris le temps, là, de considérer notre mémoire, notre soumission. On va pouvoir faire une petite présentation, mais avant, je voulais m'introduire, là, je m'appelle Étienne Paré, je suis président de l'Union étudiante du Québec. Je suis accompagné aujourd'hui de ma collègue Audrey. Je te laisserais peut-être...

Mme Fortin (Audrey) : Oui. Bonjour, tout le monde! Mon nom est Audrey Fortin. Je suis coordonnatrice à la mobilisation et aux relations associatives de l'Union étudiante du Québec. Je suis également infirmière et étudiante au baccalauréat en sciences infirmières à l'UQAR, campus de Lévis.

M. Paré (Etienne) : Donc, avant d'entrer dans le vif de notre mémoire, là, je voulais simplement faire peut-être une petite mise en contexte, là, pour les membres de la commission, notamment qui nous sommes, l'Union étudiante du Québec. On est une association étudiante nationale qui représente plus de 103 000 personnes étudiantes à travers 13 associations membres. Nos membres sont répartis un peu partout à travers le Québec, là, de l'Abitibi-Témiscamingue à Sherbrooke, en passant par Chicoutimi, Drummondville, Lennoxville, Lévis et Montréal.

La mission de l'Union étudiante du Québec, c'est de travailler à l'amélioration des conditions de vie et d'études de la population étudiante universitaire tout en défendant les droits et les intérêts de celle-ci. Nos champs d'action sont très variés. Là, on travaille sur des dossiers tels que l'aide financière aux études, financement des universités, les différentes populations spécifiques, là, telle que la population étudiante internationale, ou les parents aux études, ou encore la lutte et la prévention des violences à caractère sexuel sur les campus universitaires.

C'est d'ailleurs en travaillant sur cet enjeu spécifique de la vie universitaire que l'UEQ est venue à développer un intérêt particulier pour tous les projets touchant de près ou de loin aux violences à caractère sexuel. On a été partie prenante, là, de plusieurs avancées en la matière, notamment l'adoption de la Loi visant à prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d'enseignement supérieur.

• (15 h 40) •

On a également milité depuis plusieurs années pour l'exclusion des violences à caractère sexuel des clauses d'amnistie des conventions collectives dans les établissements d'enseignement supérieur, un enjeu qui s'est réglé par l'adoption de la Loi visant à prévenir et combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail l'an dernier. Ça fait que je pourrais me permettre de remercier tous les parlementaires ici qui ont contribué à l'adoption de cette loi-là l'an dernier...

M. Paré (Etienne) : ...c'est quelque chose que... apprécié à ce moment-là. L'objectif de cette mise en contexte, là, c'était de vous informer un peu par rapport à l'intérêt qu'on porte pour ce projet de loi là, là, qui vise à contrer le partage sans consentement d'images intimes. Étant des représentants élus d'un groupe d'âge qui est probablement le plus affecté par les conséquences de ces actes-là, on trouvait que c'était important de venir travailler à bonifier le projet de loi. On salue énormément l'initiative du ministre de la Justice, puis on est bien heureux de voir le gouvernement puis l'Assemblée nationale du Québec se pencher sur cet enjeu. Ça fait que c'est donc dans cet état d'esprit d'ouverture et de collaboration, là, qu'on est présents aujourd'hui pour souligner les bons coups puis proposer des pistes d'amélioration.

On tenait d'ailleurs d'entrée de jeu à souligner certains aspects du projet de loi. On salue que le projet de loi explicite la notion de consentement entourant le partage d'images intimes et qu'un partage fait sans consentement représente bel et bien une violence à caractère sexuel. On pense que c'est un ajout, là, qui est très... très judicieux. On souligne également la volonté de faciliter le processus de témoignage pour les personnes victimes dans le cadre de ce projet de loi ci. L'UEQ considère que c'est important de soutenir autant que possible les personnes victimes qui souhaitent porter plainte, là, surtout lorsqu'on considère tous les éléments de méfiance historique, là, à l'égard du système judiciaire. On salue vraiment, là, la mise en place de ces mesures-là.

Mais toutefois, il y a un aspect qu'on aurait aimé voir le projet de loi aborder plus spécifiquement, et plus frontalement, plus directement, je vous dirais, et c'est ce qui nous semble être le problème des prochaines années, de la prochaine génération, c'est au niveau de l'intelligence artificielle générative. Puis je vais donc laisser Audrey, là, nous présenter nos demandes pour ce volet-là.

Mme Fortin (Audrey) : Oui. Donc, en fait, là, pour l'Union étudiante du Québec, c'est essentiel d'inclure et de nommer clairement la notion d'hypertrucage, ainsi que l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le projet de loi présentement à l'étude. Pour faire un petit rappel, l'hypertrucage consiste à utiliser le visage d'une personne pour générer des images intimes sans son consentement. Pourtant, ce projet de loi ne mentionne pas explicitement l'interdiction de cette notion. C'est pourquoi, dans le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui, l'UEQ recommande d'intégrer explicitement l'intelligence artificielle dans la définition d'images intimes, notamment à l'article deux du projet de loi. En effet, cela permettrait de préciser que toute création, modification ou génération d'images intimes via des technologies en d'intelligence artificielle est considérée comme problématique et doit être sévie par la loi.

L'UEQ craint de voir l'utilisation croissante de l'intelligence artificielle pour produire du contenu pornographique, et ce, sans consentement. Pour nous, l'hypertrucage pose une double problématique, non seulement les images peuvent circuler sans le consentement des personnes concernées, mais elles sont également créées sans volonté de la part des personnes concernées. Ce n'est pas seulement une image qui circule dans un cercle plus grand que celui désiré, c'est la création sans la participation et/ou le consentement du sujet de l'image pornographique, ce qui nuit à la dignité des personnes victimes.

En effet, imaginer voir circuler sur les réseaux sociaux ou sur les sites de pornographie votre visage ou celui de vos enfants sur le corps d'une autre personne. Cela nous permet également de nous poser une question, à savoir jusqu'où cela peut aller. C'est facile d'accès, ça ne requiert qu'une maîtrise minimale des outils de génération d'images. C'est une situation qui est terrifiante auquel nulle personne ne devrait être confrontée.

Un article de Radio-Canada en 2023 mentionnait avoir fait le test de prendre l'image d'une jeune femme créée par l'intelligence artificielle à la plage, portant une robe d'été, une photo que plusieurs personnes publieraient sur les réseaux sociaux. Ils ont ensuite téléversé la photo sur un site, puis en quelques minutes, l'algorithme avait déjà analysé et retiré les vêtements pour exposer un corps nu. Un autre exemple tragique est celui de... un père dont la fille a été assassinée il y a 18 ans. Récemment, son image est réapparue sur les réseaux sociaux, permettant aux gens d'interagir avec une représentation de celle-ci sous forme de chatbot comme si elle était encore en vie. Cette commercialisation nuit non seulement à la mémoire de la victime, mais provoque aussi d'intenses répercussions psychologiques pour la famille en remuant les souvenirs du passé. C'est un exemple important, car nous pouvons facilement nous imaginer une situation pornographique d'un chatbot bottes qui effectue par exemple des faveurs sexuelles avec le visage d'une autre personne qui n'a pas donné son consentement.

Sujet dont l'UEQ voudrait couvrir par le projet de loi visant à contrer le partage sans consentement d'images intimes. Nous croyons qu'il est important d'expliciter l'utilisation de l'intelligence artificielle et de l'hypertrucage dans le projet de loi pour prévenir ces utilisations et s'assurer de la facilité des recours des victimes de ces utilisations malveillantes de cette technologie. L'été dernier, la voix de plusieurs journalistes, notamment celle d'Anne-Marie Dusseau, a été utilisée pour inciter les gens à télécharger une application de jeu de hasard, prétendant qu'elle pouvait leur faire gagner des millions de dollars. Certes, il était possible de discerner le vrai du faux, mais cette technologie évolue rapidement et deviendra de plus en plus difficile à déceler.

En poussant la réflexion un petit peu plus loin, c'est un exemple de désinformation qui pourrait par exemple être utilisée pour inciter les gens à effectuer des actes sexuels...

Mme Fortin (Audrey) : ...avec l'intelligence artificielle, il n'y a pas de limite. Il s'agit d'une base de données sans fin. Et ça, c'est inquiétant.

Les techniques... Les technologies évoluent extrêmement rapidement. Et nous croyons qu'on a le rôle commun d'anticiper les conséquences de l'hypertrucage. Il faut donc prévenir ces abus avant que davantage de vies ne soient détruites. L'UEQ est convaincue que le droit doit être bonifié pour interdire la création et la diffusion de contenus d'hypertrucage d'images ou de vidéos produites par l'intelligence artificielle à caractère sexuel sans consentement.

M. Paré (Etienne) : C'est ce qui mettrait fin à ce qu'on amène dans le cadre de ce mémoire, là, mais nos demandes sont assez simples. On pense que c'est important de bien l'expliciter dans la loi, là, pour s'assurer que le travail est fait de ce volet-là. Encore une fois, on salue l'initiative, on salue le projet de loi no 73. On y est très favorables. Mais nous, ce qu'on souhaite vraiment, là, c'est de s'attaquer aux enjeux du futur puis de, je pourrais vous dire, là, de... Il vaut mieux prévenir que guérir, là, dans ce domaine-ci. Ça fait qu'on serait maintenant prêts, là, à prendre vos questions puis à échanger avec vous.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, encore une fois, d'être avec nous. C'est un grand privilège. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président, M. Paré, Mme Fortin. Bonjour.  Merci de participer aux travaux de la commission pour l'Union étudiante du Québec. Écoutez, vos propos sont pertinents relativement à ce que l'intelligence artificielle, ça va être soit bénéfique ou même un mal des années à venir. Donc, c'est important de l'encadrer puis de le couvrir. Mais déjà le projet de loi vient le couvrir. Donc, ce n'est pas indiqué, l'hypertrucage, mais la définition qu'on a mise à l'article 2 du projet de loi, justement, vient le couvrir pour faire en sorte que la définition ne soit pas rigide et qu'elle puisse s'adapter parce qu'on ne sait pas... Aujourd'hui, on sait ce qu'est l'hypertrucage, mais il faut la définir en termes qui sont assez larges pour venir couvrir des situations avec l'intelligence artificielle, supposons, qui vont pouvoir avoir une résultante du produit fini qu'on veut empêcher.

Donc, quand on voit l'article 2, là : «Constitue une image intime, toute image modifiée ou non, représentant ou semblant représenter une personne soit nue ou partiellement nue, exposant ses seins, ses organes génitaux, sa région anale ou ses fesses, soit se livrant à une activité sexuelle explicite lorsqu'elle pouvait s'attendre de façon raisonnable à ce que sa vie soit protégée, que ce soit dans les circonstances de la création, de la captation ou de l'enregistrement de cette image ou, le cas échéant, celles où elle est partagée». Donc la définition d'image intime est... en termes larges, indiquant ainsi qu'elle comprend déjà les images modifiées ou créées par l'intelligence artificielle, où l'utilisation des termes «modifiée ou non» et «semblant représenter» permet d'inclure les images modifiées, les fausses images incluant les hypertrucages. Et le verbe «sembler» signifie représenter l'apparence de, ou de donner l'impression de quelque chose ou de quelqu'un.

Donc, on utilise des termes neutres technologiquement. C'est pour ça que c'est rédigé de cette façon-là. Ça fait que je partage avec vous votre objectif que l'intelligence artificielle, les hypertrucages soient visés. Et d'ailleurs, le professeur Trudel, hier, de l'Université de Montréal, soulignait le fait qu'on venait couvrir les hypertrucages de l'intelligence artificielle aussi avec le projet de loi. Donc, je partage l'objectif que vous avez. Puis c'est pour ça qu'on vient le couvrir dans la loi. Mais je comprends que votre demande, c'est d'écrire «intelligence artificielle» et «hypertrucage».

M. Paré (Etienne) : Oui. Bien, en fait, on entend ce que vous nous mentionnez. Puis nous, la raison justement pour laquelle on amène cette demande-là, c'est qu'on veut s'assurer que ce soit bien clair, notamment dans une optique où les gens qui subissent ce genre de violence là doivent être en mesure de savoir qu'elles ont des recours. Je pense que c'est important de l'expliciter parce que, quand on parle, par exemple, d'une image intime modifiée, on n'a pas nécessairement la... Tu sais, la personne peut l'interpréter comme une image déjà existante, et non pas quelque chose qui a été créé de toute pièce. Nous, le volet qui vient nous inquiéter avec l'intelligence artificielle, c'est qu'à ce moment-ci on peut prendre des images sur les réseaux sociaux de quelqu'un, un simple visage, le mettre sur le corps de n'importe qui, n'importe quoi, n'importe comment puis créer des vidéos également. On aimerait que le projet de loi soit un peu plus explicite pour aller un peu plus loin, juste pour s'assurer d'avoir une bonne compréhension.

• (15 h 50) •

Puis je reprendrais un peu, là, ce qui a été mentionné dans le mémoire du Barreau du Québec à ce niveau-là, c'est aussi l'enjeu de si les gens qui ne sont pas juristes le lisent puis ne le comprennent pas, bien, il faut qu'on soit en mesure de faire connaître leurs droits à ce moment-là, puis je pense que c'est un aspect qui est intéressant, en venant l'expliciter davantage dans la loi, ça permettrait de répondre à cet enjeu-là parce que ni moi ni Audrey ne sommes juristes, puis nous, notre interprétation, ce n'était pas que c'était inclus dans le projet de loi sous la mouture actuelle.

M. Jolin-Barrette : Je comprends votre commentaire. Sur la question du délai, là, pour faire retirer, là, vous, vous souhaiteriez un délai de temps, un délai maximal. Nous, on dit que la demande d'ordonnance est instruite est jugée d'urgence. Donc, ça veut dire le plus...

M. Jolin-Barrette : ...rapidement possible. Je comprends que vous, vous voudriez un délai fixe dans la loi, c'est ça?

M. Paré (Etienne) : Bien, en fait, on s'inspirait de ce qu'on connaît, donc la Loi sur... pour la protection sur les campus, qui met un délai de traitement maximal de la plainte de 80 jours. Là, je ne vous mentirai pas que, nous, le plus rapidement possible, c'est ce qui nous semble bon. On a juste une certaine inquiétude que si on garde ce flou, s'il y a une avalanche de plaintes qui surviendrait, là, suite à l'adoption de la loi, puis qu'on ne soit pas en mesure de les traiter dans des délais raisonnables, là, par les procédures administratives, on aurait peut-être aimé avoir un délai maximal d'inscrit dans la loi, mais après ça, à ce niveau-là, c'est vraiment... c'est une supposition de notre part, là, basée sur ce qu'on connaît bien.

M. Jolin-Barrette : Bien, parce qu'il y a 90 jours est loin, là, nous, là, c'est d'une façon urgente. Ça fait qu'une façon urgente, c'est comme... vous savez, il y a des juges de garde à tous les jours, là, donc, c'est vraiment très, très rapidement. On ne peut pas dire aux juges quand siéger, quand entendre l'affaire, parce que ça relève l'indépendance judiciaire. Les législateurs indiquent quand même que c'est urgent puis que c'est entendu très rapidement.

Globalement, là, je comprends que vous recevez bien le projet de loi. Pouvez-vous nous parler de ce fléau-là? Parce que, bon, l'union étudiante, vous représentez des gens qui sont à l'université, donc théoriquement entre 19 et 100 ans, là.

M. Paré (Etienne) : Ça peut être très vieux, hein?

M. Jolin-Barrette : Et plus de 100 ans, là, s'ils font un postdoctorat, là. Mais c'est quoi la réalité sur le partage d'images intimes qui, supposons, qui vous est rapportée par vos membres, ou la réalité, là, à l'université, là?

M. Paré (Etienne) : Bien, nous, ce qu'on entend sur les campus, là, puis on peut peut-être le prendre en deux points, là, le volet images intimes puis le volet intelligence artificielle, ce n'est pas très différent de ce que vous avez entendu des autres groupes d'intervenants, là, depuis le début de la consultation. C'est souvent dans une histoire de violence, souvent dans une question relationnelle, c'est des enjeux qui ne sont rapportés de temps en temps à l'égard, justement, là, de vengeance qui pourrait être faite à l'égard de quelqu'un, par exemple, suite à une séparation, là, dans un contexte un peu plus de violence conjugale, là, c'est vraiment quelque chose qu'on peut observer sur les campus. On n'est pas à l'abri de ça, surtout considérant qu'on est... on fait partie de la génération qui a appris au fur et à mesure à utiliser ces appareils-là, si je peux me permettre, là. Moi, j'ai 26 ans puis j'ai vu l'apparition du cellulaire à l'école, l'apparition de Snapchat, Instagram, ces applications qui nous permettent de partager assez rapidement les images, qui est un enjeu qui n'était probablement pas présent avant l'apparition de ces technologies-là. Puis c'est... vraiment, c'est ce qu'on entend sur les campus, là, c'est que ça arrive assez fréquemment, puis il n'y a pas nécessairement de recours.

C'est sûr que, bon, je peux aussi parler de mon double chapeau, mais je suis enseignant au secondaire de formation, c'est sûr, c'est un enjeu qu'on voit peut-être plus souvent chez les plus jeunes, parce qu'il y a moins de sensibilisation, moins d'éducation à cet âge-là que nous, à cette heure, à l'université, avec les formations, puis tout ça, je pense qu'il y a quand même du chemin qui a été fait à ce volet-là.

Puis c'est pour ça que j'ai fait le pont vers l'intelligence artificielle, puis c'est ça qui nous inquiète significativement, parce qu'au niveau de l'intelligence artificielle, ce n'est même plus... tu sais, avant, bon, l'image intime qui est partagée sans consentement, elle a possiblement été produite avec consentement. Donc, il y a au moins cet aspect-là qui rentre en ligne de compte. Quand on parle de l'intelligence artificielle, c'est le visage de n'importe qui qu'on peut mettre n'importe où. Puis c'est vraiment ça qui vient créer cette nouvelle inquiétude-là par rapport à cette technologie-là, notamment parce que les plus jeunes générations semblent avoir une certaine aptitude à utiliser assez facilement ces plateformes-là. Là, on vous parle seulement de ce qui est accessible à tous, mais, tu sais, si on va fouiller un peu sur Internet, j'imagine qu'il y a des applications beaucoup plus poussées qui peuvent faire des trucs beaucoup plus inquiétants que ce que nous, on peut voir en ce moment.

On n'a pas eu tant de situations propres au Québec pour le moment concernant l'intelligence artificielle générative, par contre, on en entend beaucoup parler en provenance des États-Unis puis de l'Europe. Puis c'est beaucoup nos membres qui nous ramènent ces situations-là, qui nous partagent des articles de : Aïe, on a vu qui se passe telle affaire aux États-Unis, est-ce que le Québec a l'intention de légiférer bientôt sur ça. On a peur que ça arrive sur nos campus à nous ici à ce moment-là. Ça fait que je vous dirais que, pour ce volet-là, c'est vraiment plus là qu'on en est. Puis c'est pour ça, quand on a vu le dépôt de ce projet de loi là, on s'est dit : Ah, bien, voici une occasion d'avoir une conversation, d'avoir un débat sur l'utilisation de cette intelligence artificielle là, qui est encore, évidemment, là, très peu encadrée, que ce soit en enseignement supérieur ou dans tous les domaines, là.

M. Jolin-Barrette : Mais peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues, là. Vous avez abordé la question de c'est beaucoup dans le cadre de relations intimes, supposons, de violence, tout ça, qu'en est-il des cas de sextorsion? Donc, est-ce que vos membres vous rapportent ça également?

Mme Fortin (Audrey) : Bien, c'est sûr que la sextorsion, c'est quand même un enjeu aussi. Puis, dans notre mémoire, on parle, puis qu'est-ce que vous avez mentionné aussi que, dans les dernières années, c'est 300 % qui a augmenté, là, de cas de sextorsion. Puis, tu sais, selon moi...

Mme Fortin (Audrey) : ...c'est sûr que le fait d'utiliser l'intelligence artificielle puis le fait d'hypertrucages, bien, c'est aussi en cohésion, en fait, avec la sextorsion, parce qu'une image peut être fausse puis être quand même utilisée comme cas de sextorsion, ça fait que d'où l'importance justement de mettre un encadrement plus clair dans la loi concernant l'hypertrucage puis l'intelligence artificielle.

M. Jolin-Barrette : Excellent. Je vous remercie grandement d'être venue en commission parlementaire aujourd'hui pour l'Union étudiante du Québec.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Vanier-Les-Rivières, s'il vous plaît.

M. Asselin : Merci, M. le Président. Combien de temps je dispose?

Le Président (M. Bachand) :Ah! le temps que vous voulez. Non, mais sept minutes. Sept minutes.

M. Asselin : Tabarouette! Écoutez, je suis très heureux de pouvoir parler puis de vous accueillir à l'Assemblée nationale, M. Paré et Mme Fortin. Les témoignages d'étudiants en particulier aux commissions parlementaires, on est toujours ravi de pouvoir vous recevoir.

Je voudrais vous poser une question. Dans votre mémoire, vous saluez le fait que des personnes victimes pourraient dorénavant témoigner à distance ou être accompagnées entre autres. Est-ce que vous avez déjà entendu parler de, dans votre population étudiante, de gens qui auraient, disons, refusé de témoigner parce qu'ils... ou d'intenter des procédures parce qu'ils seraient confrontés à leur agresseur entre guillemets, là? Est-ce que c'est des cas dont vous avez déjà entendu parler?

Mme Fortin (Audrey) : Bien, je ne pense pas qu'il y ait nécessairement de cas spécifiques qu'on a entendu parler, mais c'est sûr que quand on parle de violences à caractère sexuel, on s'entend que c'est toujours difficile d'en parler ouvertement dans un grand public. Puis ça, bien, ce n'est pas nécessairement tout le monde qui est ouvert non plus à être face à face vis-à-vis son agresseur. Mais je pense que c'est important. Puis on salue également dans le projet de loi qu'il y ait des ressources et qu'il y a un soutien qui soit offert aux personnes victimes dans des cas comme ça.

M. Asselin : Merci.

Le Président (M. Bachand) :Mme la députée de Laval-des-Rapides.

Mme Haytayan : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci pour votre temps. Est-ce que... Est-ce que vous pensez que les sanctions pénales qui seront imposées vont permettre de prévenir ce genre de partage d'images intimes? Est-ce que sur le terrain, vous en entendez parler? Est-ce que vous sentez que ça va faire une différence, que ça va envoyer un message comme quoi que, tu sais, c'est grave, c'est sérieux, c'est inacceptable?

M. Paré (Etienne) : Bien, c'est certain que... Tu sais, on n'est pas juriste non plus, là, puis je vais être transparent sur ce volet-là. Ceci étant dit, on pense que déjà d'avoir des sanctions, c'est un premier pas. Après ça, je pense qu'il faudra les faire connaître aussi. Je pense qu'un des enjeux qui va y avoir, une fois que cette loi-là va avoir être adoptée, c'est peut-être de faire une campagne d'information, puis peut-être utiliser des mécanismes... Il y a des organisations comme Juripop ou Éducaloi pour faire circuler cette information-là, mais je pense qu'il y a vraiment un enjeu de faire connaître ces sanctions-là.

Parce que j'ai l'impression, puis je parle de mon vécu, tu sais, ça ne fait pas si longtemps que ça que j'ai été adolescent puis que j'ai découvert ces affaires-là, j'ai été dans des classes comme adulte, comme enseignant. Je pense qu'il y a un aspect de manque de connaissance. Je pense qu'il y a beaucoup de ces jeunes hommes là, parce que c'est principalement les jeunes hommes qui commettent ce genre d'action là, qui ne sont probablement même pas conscients de ce qu'ils font.

Après ça, bon, au niveau universitaire, rendu à notre âge, je pense que ce n'est plus une excuse qu'on peut utiliser, ceci étant dit, là, mais je pense que c'est vraiment, là, ça va être un premier aspect à considérer. Après ça, je pense que d'avoir des sanctions sévères, là, on va toujours être favorable à ça parce qu'on pense que c'est des gestes qui sont... qui ne sont pas pardonnables, notamment parce que dans le cas de l'intelligence artificielle, ils pourraient y avoir, là, tu sais, facilement, une fausse croyance que parce que ce n'est pas une vraie image, donc, ça fait moins de tort, donc, que ce que j'ai fait, ce n'est pas grave. Ça fait que d'avoir des sanctions claires qui permettent de faire de ces gens-là des exemples, je pense que c'est une bonne chose.

Mme Haytayan : Parfait. Merci.

• (16 heures) •

Le Président (M. Bachand) :Autres interventions du côté gouvernemental? Mme la députée...

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) :Il reste quatre minutes. Mme la députée de Lotbinière-Frontenac.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Merci. Merci d'être là. Moi, je voudrais savoir, et vous l'avez dit dans votre mémoire, l'étape du témoignage peut être revictimisante pour une personne victime. C'est pourquoi on prévoit seulement, tu sais, le dépôt de jugement de culpabilité en matière criminelle qui va suffire à prouver la faute. Est-ce que vous croyez que cette mesure-là va favoriser les actions en dommages-intérêts?

M. Paré (Etienne) : C'est une bonne question. Je serais porté à croire que oui puis à espérer, à tout le moins. Tu sais, nous, la plupart des mesures qu'on a vu être proposées dans le projet de loi, ça semble être une manière de venir supporter les gens dans le processus...


 
 

16 h (version non révisée)

M. Paré (Etienne) : ...de plaintes puis de rendre tout ça plus facile. Après ça, tu sais, je pense que chaque situation est particulière, puis, tu sais, je me verrais bien mal m'avancer. Tu sais, je ne suis pas... je ne suis pas autant un expert que les autres groupes que vous avez pu entendre sur la question, donc je me garderais d'être trop précis dans ma réponse, là.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Parfait. Puis j'avais une autre question concernant l'hypertrucage. Je vous en avais parlé tout à l'heure. Selon vous, est-ce que vous considérez que l'impact puis les conséquences sur les personnes victimes est le même qu'une vraie image?

Mme Fortin (Audrey) : Bien, c'est sûr que c'est difficile à dire, parce que je pense que, quand qu'on parle de violence à caractère sexuel, ça n'a pas nécessairement le... c'est un gros impact, peu importe, là. Mais, tu sais, le fait qu'il y ait une image, un visage... en fait, que ton visage est associé à un corps qui n'est pas le tien, veux veux pas, il y a quand même... c'est encore plus qu'un manque de confiance, en fait, qui est fait, là, d'où l'importance, encore une fois, d'expliciter clairement dans la loi. Parce que, tu sais, je veux dire, si tu n'as même pas de contrôle non plus sur la diffusion que ça va avoir puis l'impact, là... Tu sais, on le sait, les réseaux sociaux, ça va vite, ça va extrêmement rapidement, puis de voir ton visage sur le corps d'une autre personne qui n'est pas le tien... Puis, tu sais, la technologie, ça avance vite aussi, ça fait que ça va devenir de plus en plus difficile à déceler, le vrai du faux, ça fait que... 

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Mme la députée de La Pinière, s'il vous plaît.

Mme Caron : Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup à vous d'être venus en commission parlementaire et d'avoir déposé votre mémoire. Je dirais que je vous félicite parce que vous êtes d'avant-garde. Vous voyez... Vous êtes à même de voir ce qui se passe et ce qui... peut-être qui est plus prévalant, comme vous l'avez dit, dans d'autres pays, mais qui va nous rattraper parce qu'on ne vit pas en vase clos au Québec. Alors, merci pour ça, de nous jeter cet éclairage-là.

Ce que je comprends, ce que je crois comprendre de votre demande d'inclure explicitement l'hypertrucage ou l'intelligence artificielle dans... peut-être dans l'article 2 ou, en tout cas, dans le projet de loi, pour reprendre les mots que monsieur utilisait tout à l'heure, c'est que non seulement vous voulez qu'on parle d'une image intime, modifiée ou non, mais qui est créée de toute pièce par hypertrucages ou par des logiciels, des outils d'intelligence artificielle, c'est ce que j'ai compris. C'est bien ça? Et donc... Parce que, quand vous parlez d'images, le visage d'une personne peut être mis sur le corps d'une autre qui... d'une autre personne, ça peut être difficile... parfois, ça peut être assez évident de voir que c'est du trucage, mais quand l'idée est de vouloir faire passer ça pour la réalité, c'est sûr que va être moins évident de le voir. Et, à ce moment-là, est-ce que la personne qui fait l'objet... dont le visage fait l'objet de l'hypertrucage, est-ce que cette personne-là aura aussi une voie rapide pour faire cesser la diffusion de ces images-là? Je pense que c'est une des inquiétudes, une des préoccupations que vous avez, c'est ce que je comprends dans votre demande de faire inclure ces mots-là spécifiquement.

Vous nous avez donné deux exemples qui m'ont assez interpellé quand vous avez dit que la victime, par exemple, d'un acte criminel décédé il y a 18 ans, son visage a été repris sur le corps de quelqu'un d'autre, si on ne parle pas spécifiquement d'hypertrucage, est-ce que les proches, par exemple, de cette victime-là auraient le réflexe de dire : Je vais invoquer cette loi-là pour que ça cesse? Est-ce que cette personne-là aura la voie rapide aussi pour que ça cesse? Question...

Mme Fortin (Audrey) : Oui, bien, justement, c'est... je trouve ça hyperpertinent, ce que vous mentionnez, parce que, justement, ça peut servir aussi pour la famille puis les proches, puis je pense que c'est une certaine méthode aussi de... je n'aime pas utiliser ces mots-là, mais passer à travers ces certaines épreuves-là. Puis, tu sais, on s'entend que l'exemple que vous avez cité, tu sais, la jeune femme, elle a été assassinée il y a 18 ans, puis ça... il y a des répercussions encore aujourd'hui. Ça fait que je trouve ça hyperpertinent de le mentionner, puis d'où l'importance de, justement, le mettre explicitement dans la loi et offrir aux familles également ce soutien-là.

Mme Caron : Puis un autre exemple que vous nous avez apporté, une photo d'une personne sur la plage qui est habillée, mais, en deux temps trois mouvements, avec un logiciel, on peut aussi la déshabiller. À ce moment-là, c'est aussi un cas... Est-ce que cette personne sera couverte par l'article de loi telle quel...

Mme Caron : ...ou est-ce qu'il vaut mieux aller plus loin dans la précision? Même si peut-être que l'intention du législateur est, oui, de couvrir ça, bien, que ce soit... que ce soit plus clair. C'est ce que... C'est ce que vous demandez?

Mme Fortin (Audrey) : Oui, exactement. On demande à ce que ça soit plus explicitement dit dans la... le projet de loi.

Mme Caron : Est-ce que... Dans l'éventualité où l'article ne serait pas modifié... l'article 2 ne serait pas modifié en fonction de ce que vous demandez, hypertrucage ou intelligence artificielle, ou tout ça, est-ce que vous craignez que le fait qu'on... Si je lis l'article : «Constitue une image intime toute image, modifiée ou non, représentant ou semblant représenter une personne soit nue ou partiellement nue, exposant ses seins, ses organes génitaux, sa région anale ou ses fesses, soit se livrant à une activité sexuelle explicite lorsqu'elle pouvait s'attendre de façon raisonnable à ce que sa vie privée soit protégée», etc. On fait... On fait référence aux parties du corps de cette personne... de cette personne-là, sauf que, si on voit son visage mais que les parties du corps ne sont pas son corps parce que c'est de l'hypertrucage, est-ce que vous craignez que cette personne-là n'aura pas de recours en justice parce que quelqu'un pourrait dire : Bien, ce n'est pas son corps, elle ne l'a pas... ça ne répond pas à ça.

M. Paré (Etienne) : Bien, effectivement, que c'est une des craintes qu'on avait. Puis là après ça, tu sais, on n'est pas juristes puis on n'est pas des experts d'interprétation des articles de loi, mais c'est une des craintes qu'on avait à la lecture du document. Notamment, tu sais, on le voit aussi un peu plus loin, là, quand qu'on parlait de l'ordonnance, je pense, c'est à l'article neuf, tu sais, «qu'elle est la personne représentée sur une image intime...» Tu sais, pour obtenir l'ordonnance, il faut qu'elle démontre que la personne... Si c'est seulement son visage puis pas son corps, est-ce qu'il pourrait y avoir quelqu'un qui l'interprète, un juge qui décide de l'interpréter d'une autre manière, parce que ce n'est pas la personne, c'est seulement le visage? Tu sais, on ne veut... on ne veut pas être plates aujourd'hui, là, mais on n'a pas toujours nécessairement confiance en le jugement de ces personnes-là, surtout en matière de violences à caractère sexuel... va prendre la bonne décision. C'est pour ça qu'on aurait aimé que le projet de loi soit un peu plus explicite à ce volet-là, notamment parce que, en ce moment, on parle, tu sais, d'intelligence générative. On parle d'images intimes, mais on n'a même pas encore vraiment touché le gros de ce que ça peut être, là, tu sais, ça peut aller très loin, ça peut être des vidéos. On a parlé de gens qui étaient décédés. On pourrait parler de jeunes enfants aussi. On pourrait parler de pédopornographie, là. Tu sais, c'est le genre de choses qui peuvent être assez immondes qu'on pourrait voir dans le cas de ces genres de violences à caractère sexuel là, puis on veut simplement s'assurer qu'on prévient au lieu de guérir, là, dans ces cas-là, aujourd'hui, là. C'est vraiment juste ça l'objectif.

Mme Caron : Puis vous amenez un point intéressant en disant : Ça pourrait être sur des enfants. À ce moment-là, est-ce que les parents pourront emprunter la voie rapide pour dénoncer l'utilisation d'images de leur enfant, par exemple, ou de... une image hypertruquée, mais avec le visage d'un enfant. On voit tellement de visages qui sont sur Facebook. On voit des vies complètes qui sont étalées sur Facebook par... Puis souvent c'est parce que les parents sont très fiers, puis ils adorent leurs enfants, puis ils veulent partager, là, mais il y a quand même un risque d'utiliser... que ces images soient utilisées.

• (16 h 10) •

M. Paré (Etienne) : Oui, c'est une crainte majeure. Je ne mentirai pas qu'en travaillant sur ce projet de loi là, je suis devenu un peu parano moi-même à cet égard-là sur les images, mais, effectivement... Puis, tu sais, ça revient un peu à ce que je mentionnais plus tôt par rapport à, tu sais, faire de l'information, faire des campagnes d'information, faire connaître ces ressources-là pour que les gens sachent que dorénavant ces recours-là vont exister. Ça va être vraiment essentiel parce que je pense qu'il va y avoir beaucoup de gens qui vont être un peu pris au dépourvu par rapport à tout ça, qui ne sauront pas comment réagir. Puis quand qu'on prend l'exemple de la jeune femme qui était décédée voilà 18 ans, tu sais, son père est tombé sur ce cas-là. Un beau hasard parce qu'il y avait une recherche Google associée au nom de famille. Il a reçu un courriel, lui disant : Ah! le nom a été utilisé pour telle chose, puis il est tombé là-dessus... à tout hasard. Tu sais, ce n'est pas nécessairement quelqu'un proche de la famille. Ce n'était pas quelqu'un qui connaissait qui a fait ça. ...en tout cas, tu sais, ça démontre à quel point ça peut aller loin puis ça peut être grave. Puis c'est pour ça que de faire connaître autant que possible les recours puis d'être autant... le plus clair possible qu'en matière d'intelligence artificielle générative, la loi est claire puis elle intervient. On pense que ça serait la meilleure solution à entreprendre.

Mme Caron : Oui. Donc, je comprends, de faire connaître les recours. Vous avez parlé tout à l'heure que la communauté étudiante universitaire était... commençait à être sensibilisée quand même à ce genre de pratiques indésirables par les formations qui sont données sur les... ce qu'est le harcèlement, et tout ça. Bien, vous avez aussi dit que les plus jeunes peut-être au secondaire... cégep utilisent ces... les outils de plus en plus, parce qu'ils apprennent à les utiliser comme vous de votre génération vous avait appris à utiliser d'autres...

Mme Caron : ...d'outils avant. Alors, est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'il y aurait besoin de sensibilisation plus tôt chez les jeunes par rapport à ces éléments-là?

M. Paré (Etienne) : Bien, je pense qu'il y a une question d'éducation qu'il faut qu'on se pose, évidemment, en matière de technologie en général, notamment l'intelligence artificielle. Je pense que ce qu'on a comme opportunité ici, c'est d'envoyer un message clair par rapport à l'intelligence artificielle générative, parce que, tu sais, je mentionnais que les étudiants universitaires commencent à être un peu plus sensibilisés sur la notion de violence à caractère sexuel, mais avant ce projet de loi là, la création de ces images-là n'était pas considérée comme une violence à caractère sexuel, ces gens là ne faisaient, techniquement, rien d'illégal. Donc, c'est vraiment pour ça que c'est important de légiférer très clairement. Je pense qu'on est un peu à l'avant de la courbe en ce moment. Je pense qu'on a la chance de gérer ce problème-là avant d'avoir un vrai cas scandaleux au Québec. Ça fait que je pense que c'est le bon moment d'intervenir, parce qu'on en a vu en Europe, on en a vu aux États-Unis, c'est une question de temps avant que ça arrive, là.

Mme Caron : Effectivement. Donc, vous invitez le législateur à être d'avant-garde et puis à s'assurer que ces actes-là soient criminels, en fait, soient répréhensibles, ils le sont répréhensibles, mais qu'on les sanctionne finalement. Et puis alors merci beaucoup pour... encore une fois pour votre participation.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Mme la députée de La Pinière. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît.

Mme Nichols : Merci, M. le Président. Merci de votre présence, merci de votre mémoire et merci de votre intérêt pour le sujet. C'est important. Je trouve ça intéressant d'avoir, tu sais, la vision de l'union, de votre union. Puis j'ai aimé aussi votre chapeau en tant qu'enseignant, ça nous a apporté... ça nous apporte un peu d'information aussi, mais, en même temps, de préoccupation, parce qu'on a vu que vous aviez une préoccupation aussi à cet effet là pour les jeunes, pour les jeunes du secondaire.

Deux petites questions. La première, vous parlez, là, du... le traitement de la demande, puis vous faites une comparaison, entre autres, avec... parce que, dans une de vos recommandations, là, vous dites qu'on devrait, là, donner un délai, là, pour le traitement de la demande, puis vous, vous faites une comparaison quand une plainte est traitée, entre autres, dans les établissements d'enseignement supérieur, puis c'est 90 jours, là. 90 jours, vous trouvez ça long ou pas assez long pour traiter?

M. Paré (Etienne) : On trouve ça long, mais comme on n'est pas des experts du système judiciaire, on s'était dit : Si on a établi en 2017 que 90 jours c'est un délai qui était raisonnable pour les établissements universitaires, on s'est dit : Pour comme maximum, ça pourrait le faire. Ceci étant dit, si on est capables de nous informer que c'est encore plus rapide que ça, on veut que ce soit traité le plus rapidement possible, là. Soyez... soyons clairs sur ce point-là, là.

Mme Nichols : Puis là je n'ai aucune idée, mais est ce que vous avez accès aux conclusions, souvent, quand elles sont traitées, quand il y a des plaintes, justement, en lien avec... tu sais, en lien, quand il y a une plainte dans un enseignement... un établissement d'enseignement supérieur en lien, là, avec les violences à caractère sexuel, est ce que vous, vous avez... Tu sais, parce que je me dis : Le 90 jours est ce que ça arrive que l'établissement dise : Bien, on n'a pas eu le temps de traiter la plainte dans le 90 jours, on va en prendre un peu plus? Est-ce que vous, vous êtes au courant de tout ça? Est-ce que c'est porté à votre attention?

M. Paré (Etienne) : Bien, normalement, ma compréhension, c'est qu'à la fin du processus, il serait possible pour la personne victime de faire une demande pour obtenir l'information, mais comme c'est des dossiers disciplinaires puis ce n'est pas... tu sais, c'est géré à l'interne par l'université, là, il y a des enjeux de confidentialité, notamment au niveau syndical, et tout ça, là. Mais dans ce cas-ci, j'imagine, ce n'est pas la même conversation qu'on a exactement, là.

Mme Nichols : C'est sûr, mais je comprends. Tu sais, c'est parce que j'essayais de trouver, tu sais, un temps, là, pour le... tu sais, s'il y avait eu une demande de prolongation après le 90 jours pour rendre une, tu sais, rendre une conclusion à ça. Est-ce que... Puis, tu sais, je comprends tout le caractère confidentiel, là, justement, quand il y a des... quand il y a des plaintes, là, en lien avec des violences à caractère sexuel dans les établissements d'enseignement supérieur, mais est ce que... tu sais, est ce que... puis j'essaie de faire un projet aussi... un parallèle avec le projet de loi, est-ce que vous pensez que le projet de loi couvre, tu sais, à peu près les aspects des différentes plaintes ou les aspects... ou est-ce qu'il y a un vide, ou est-ce qu'à part, là, l'hypertrucage ou l'intelligence artificielle, est-ce que vous pensez que ça couvre pas mal tout ce que vous voyez, entre autres, dans les universités ou même peut-être même au secondaire ou... Tu sais, ou les cas, vous les savez, vous les voyez, vous les... ça fait que quand vous avez vu ce projet de loi là...

Mme Nichols : ...dire : Ah! C'est une bonne affaire, tu sais, c'est un bon avancement, c'est un bon... Mais est-ce que, selon vous, ça couvre tout ou il y a des choses qu'en parlant l'intelligence artificielle qui vont...

M. Paré (Etienne) : Bien, je serais porté à dire que ça couvre quand même beaucoup de choses. Après ça, tu sais, on est une association étudiante, on n'est pas non plus des experts de toutes les formes de violence puis tout ça, là. Je pense que les autres intervenants que vous avez vus étaient probablement mieux qualifiés que nous, là, pour vous spécifier ce genre de subtilité là. Ceci étant dit, en consultants, tu sais, les étudiants, en consultant les assos de membres chez nous puis tout ça, on n'a pas été en mesure d'identifier des trucs supplémentaires que ce qui était déjà proposé. Et c'est d'ailleurs pour ça qu'on est venus saluer plusieurs aspects, là, notamment pour faciliter soit le témoignage puis tout ça, là, qu'on jugeait très important. Donc, rapidement comme ça, je vous dirais que je n'en ai pas à vous proposer, là.

Mme Nichols : Parfait. Bien, je me disais peut-être justement avec votre chapeau d'enseignant au secondaire, il y a peut-être des choses qu'on n'a pas vues, nous les législateurs, puis qu'on pourrait peut-être rajouter ou, tu sais, notre attention pourrait être apportée sur... Merci. Ça répond à mes questions. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Mme la députée de Vaudreuil. Mme Fortin, M. Paré, merci beaucoup d'avoir été avec nous aujourd'hui puis merci beaucoup de vous intéresser, dans le bon sens du terme, à la chose parlementaire. Vous serez toujours les bienvenus. Puis on vous dit : À la prochaine.

Cela dit, je suspends les travaux quelques instants pour accueillir le prochain groupe. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 18)

(Reprise à 16 h 21)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît. Il me fait grand plaisir d'accueillir les représentants de l'Association du Barreau canadien, division du Québec. Me Jonathan Pierre-Etienne, président, et Me Jérémy Boulanger-Bonnelly. Merci beaucoup d'être avec nous. Alors, M. le président, vous connaissez les règles, bien sûr, 10 minutes de présentation. Après ça, on aura une période d'échange avec les membres de la commission. Merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Je vous remercie, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, tout d'abord, nous tenons à vous remercier sincèrement de nous avoir invités devant la commission pour présenter nos commentaires et le mémoire de l'ABC division Québec. On est honorés de pouvoir partager et contribuer au processus législatif en partageant le point de vue de nos membres sur cette question cruciale. Donc, je me présente à nouveau, Jonathan Pierre-Étienne, président de l'ABC. Et je suis privilégié d'être accompagné par le Pr Boulanger-Bonnelly de l'Université McGill et président de la section Législation et réforme du droit de l'ABC. L'ABC est une association nationale regroupant plus de 40 000 juristes incluant des avocats, notaires, professeurs, étudiants et juges...

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : ...à travers le Canada. Nos principaux objectifs figurent parmi l'amélioration du droit, la mission de la justice qui constitue les fondements de notre engagement envers la société. L'ABC collabore activement à la vie juridique de notre province et participe aux travaux des comités nationaux de l'ABC à travers cette implication. L'ABC est reconnue comme la voix impartiale et éclairée des questions juridiques d'importance.

M. le ministre, l'ABC-Québec est généralement d'accord avec les objectifs du projet de loi n° 73, ainsi que les moyens proposés pour l'atteindre. Nous réitérons plus particulièrement que notre engagement envers l'accès à la justice... l'accès à la justice et... désolé, l'engagement envers la justice est le concept qui signifie non seulement de rendre le système de justice plus rapide, accessible financièrement, mais aussi le rendre plus accueillant pour les justiciables, notamment par les personnes vulnérables qui doivent y cheminer.

On parle souvent d'accès à la justice avec raison. Cette expression est attachée à des questions qui peuvent être un peu plus techniques concernant les coûts, les délais du système de justice, mais elle ne s'y limite pas. Une action à la justice... une vision d'accès à la justice centrée sur la personne exige aussi qu'on s'assure que le parcours du justiciable ne soit pas revictimisant ou encore traumatisant, mais plutôt une occasion de guérison.

Ceci étant dit, nous mettons de l'avant quelques propositions dans notre mémoire visant à clarifier et à renforcer certains aspects dans la deuxième partie du projet de loi, qui apporte certaines modifications aux règles de preuve et procédures. L'ABC n'a aucun commentaire précis à formuler concernant le titre I du projet de loi, sinon de saluer l'initiative du législateur et d'apporter son soutien à la loi proposée. Cependant, nous notons... nous soulevons quelques questions... proposons aux amendements mineurs de la partie II du projet de loi, principalement à viser la cohérence envers d'autres régimes juridiques avec lesquels il interagira... Pr Boulanger et moi-même, nous vous entretiendrons.

Cela dit, nous mettons de l'avant quelques propositions dans le mémoire, et le Pr Boulanger-Bonnelly, à qui je passe la parole, vous présentera les trois premiers.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Bonjour. Donc, premièrement, on tient vraiment à saluer la volonté d'élargir et de rendre plus accessible l'ordonnance de protection qui, comme vous l'avez entendu de la part de plusieurs intervenants dans les deux derniers jours, n'est pas suffisamment utilisée, trop difficile à obtenir. Cependant, en déplaçant l'ordonnance de protection en dehors de l'article relatif aux injonctions, le projet de loi retire aussi la mention qui s'y trouvait à l'effet que l'ordonnance de protection est une ordonnance de la Cour supérieure. Donc, les injonctions, habituellement, c'est une ordonnance de la Cour supérieure, et là on retire cette mention-là. On comprend de ce changement-là que le législateur souhaite permettre, non seulement à la Cour supérieure, mais aussi à la Cour du Québec, d'émettre des ordonnances de protection. Par contre, l'article 33 du Code de procédure civile prévoit que la Cour supérieure a compétence exclusive en matière d'injonction, et cet article-là pourrait être interprété de façon à inclure les ordonnances de protection qui sont un recours de nature injonctive.

Donc, pour éviter toute confusion et s'assurer que l'ordonnance puisse être obtenue ailleurs que devant la Cour supérieure, si c'est le souhait du législateur, il y aurait lieu, selon nous, de clarifier l'article 515.1 proposé ou encore les articles relatifs à la compétence de la Cour du Québec.

Deuxièmement, il faut aussi saluer vivement la volonté d'assouplir le critère applicable aux ordonnances de protection dans le but de faciliter leur obtention. Il ne sera plus requis que la victime prouve que sa vie, sa santé ou sa sécurité sont menacées, mais simplement qu'elle craint que sa vie, sa santé ou sa sécurité ne soit menacée. Et c'est là une avancée majeure selon nous. Cependant, l'article ne précise pas expressément s'il s'agit là d'une crainte subjective ou si un certain degré d'objectivité est requis.

On comprend du reste de l'article, notamment la partie qui demande un exposé sommaire des faits allégués au soutien de la demande, que la crainte doit être objective dans une certaine mesure, en ce sens que la victime doit présenter les circonstances qui entourent sa situation. Et donc pour éviter toute confusion, on croit qu'il serait utile de préciser directement dans l'article qu'il s'agit d'une crainte objective, sans pour autant revenir aux critères beaucoup trop restrictifs qui existent actuellement.

Troisièmement, le projet de loi prévoit que le dépôt du jugement de culpabilité au criminel dans l'instance civile va faire preuve de la faute. Cette présomption est aussi une avancée majeure qu'on salue parce qu'elle va éviter à la victime d'avoir à témoigner de nouveau, à être justement traumatisée de nouveau devant le processus judiciaire. Par contre, l'article ne précise pas si la présomption qui est ainsi créée est réfragable ou irréfragable, et donc, selon nous, ce serait un point à clarifier dans l'article. À notre avis, ce devrait être une présomption réfragable, parce qu'un jugement de culpabilité, ça peut être obtenu à la suite d'un procès complet, mais ça peut aussi être obtenu à la suite d'un plaidoyer de culpabilité qui est obtenu dans diverses circonstances, notamment, par exemple, parce que l'accusé manque de ressources...

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : ...et donc, selon nous, le jugement, oui, devrait faire preuve de la faute, mais le tribunal devrait pouvoir considérer les circonstances qui entourent le prononcé du jugement lorsqu'il détermine sa force probante.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Le point 4, c'est plusieurs articles du projet de loi qui visent à limiter les débats en prévoyant un huis clos automatique dans plusieurs circonstances. Il faut juste se rappeler que le huis clos... que la publicité des débats est un principe fondamental de notre système de justice, et qui doit assurer que la justice est transparable... transparente et redevable à la situation. Il y a des bonnes raisons de limiter cette publicité dans certains dossiers visés par le projet de loi, mais on invite les parlementaires à avoir une réflexion concernant ces limites. À notre avis, il faut envisager d'autres solutions, comme des ordonnances de non-publication, qui pourraient... protéger, à tout le moins sans porter atteinte à ces limites-là.

Enfin, le projet de loi prévoit que les droits résultant d'un jugement seront imprescriptibles. Nous, on suggère de retirer cet article-là. Il convient de distinguer les enjeux différents. D'une part, le législateur a aboli, avec raison, les délais de prescription pour faire une réclamation en matière de violence sexuelle, parce que la science et l'expérience nous démontrent que les victimes ont besoin de temps pour dénoncer, ce qui est louable. Et... Mais, sur une mesure... la situation, quand la victime a dénoncé, et qu'elle a passé à travers le processus judiciaire et obtenu jugement, l'état de la chose, c'est qu'elle a 10 ans pour... pour exécuter son jugement.

Cela dit, le débiteur qui serait insolvable ou qui aurait des tentatives d'exécuter son jugement, le cadran repart, de toute façon, de 10 ans sur l'exécution du jugement, donc. Et, en plus de ça, selon la... l'insolvabilité... la loi sur l'insolvabilité, il n'y aurait pas de... cette personne-là ne pourrait pas être libérée de cette dette-là, selon la LFI. Donc, ça nous semble suffisant pour protéger le droit des victimes. Puis, à l'inverse, l'imprescriptibilité viendrait... qu'une personne pourrait faire exécuter après des décennies ferait en sorte que certains créanciers tiers auraient une très grande incertitude par rapport à ces... à cette... à ces créances-là, quelqu'un qui n'aurait pas exécuté pendant plusieurs années et décide de réexécuter, et donc sur la collocation de ses... de ses droits. Donc, on invite le législateur à réviser cet article là pour... pour garder une stabilité dans notre ordre juridique.

Donc, en somme, cinq recommandations qui visent des aspects ciblés du projet, mais on tient, encore une fois, à saluer l'initiative, M. le ministre, qui est très importante, et espérons vivement que les victimes seront aidées et seront appuyées, dans le parcours judiciaire, par cette réforme. Et, M. le Président, évidemment, monsieur... le Pr Bonnelly et moi-même restons disponibles pour les questions.

Le Président (M. Bachand) :Merci infiniment. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui, merci, M. le Président. Me Pierre-Étienne, président de l'Association du Barreau canadien, division Québec, Me Boulanger-Bonnelly, président du Comité Législation et réforme du droit du... de l'Association du Barreau canadien, division Québec, merci de participer aux travaux de la commission, et d'avoir déposé un mémoire également, et de nous entretenir aujourd'hui. Le premier volet sur lequel je souhaiterais qu'on échange c'est le forum de l'ordonnance civile de protection. Est-ce que vous croyez qu'on devrait consacrer ce pouvoir-là à la Cour du Québec?

• (16 h 30) •

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : En fait, c'est vraiment au choix du législateur. Il y a, potentiellement, des enjeux constitutionnels qui pourraient se soulever si vous le... si vous le faisiez. Mais je note qu'en Colombie-Britannique les tribunaux, donc la cour provinciale et la cour supérieure de cette province-là ont le pouvoir d'ordonner des ordonnances de protection, donc ce ne serait pas sans précédent de le permettre.

Évidemment, ça donnerait ouverture à davantage de juges. On a entendu des préoccupations, dans les deux derniers jours, au niveau de la rapidité pour octroyer ces ordonnances-là, en raison des délais qu'on connaît dans le système de justice. Donc, peut-être qu'effectivement, ce serait une solution pour donner accès à un plus grand éventail de juges pour rendre ces ordonnances. Puis, évidemment, je pense que vous aurez des... des points, peut-être, à étudier sur cette question-là. Puis on n'était pas tout à fait certains, en fait, si l'intention, c'était d'étendre l'ordonnance ou seulement de la laisser en Cour supérieure, mais, peu importe ce que vous choisissez, je crois que l'important, c'est de clarifier le forum qui est accessible aux justiciables.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais, pour vous, vous ne voyez pas négativement cela si le législateur décidait que ce soit la Cour du Québec qui rende les ordonnances civiles de protection?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Pas du tout, non. Puis, comme je le disais, c'est le cas en Colombie-Britannique, ça donne accès à un plus grand éventail de forums. Donc, dans une perspective d'accès à la justice, pour... à laquelle on tient beaucoup, c'est une solution qui pourrait être envisagée.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de la prescription des jugements, dans le fond, que le jugement, bon, est valide pour 10 ans, là, vous nous dites : Bien, écoutez, en raison de la stabilité du droit...


 
 

16 h 30 (version non révisée)

M. Jolin-Barrette : ...puis notamment pour des créanciers futurs, on devrait maintenir la règle à 10 ans puis de ne pas suspendre la prescription associée au jugement, donc la fin de la validité du jugement. C'est bien ça?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Exactement. Dans un sens, si je me permets, c'est que, si une victime a surmonté son traumatisme, et c'est louable, là, et a passé à travers et un jugement, il y a quand même 10 ans pour exécuter son jugement. Si la... Une personne, comme dans tout... Toute personne qui est tributaire d'un jugement doit entretenir son jugement. Et d'entretenir son jugement, ce n'est pas nécessairement de mandater un huissier qui va coûter de l'argent pour pouvoir exécuter, mais c'est de seulement faire des tentatives, si c'est le cas échéant. La tentative n'est... pas besoin d'être faite personnellement par la personne, elle peut être faite aussi par le... par un tiers impliqué dans cette... dans cette vision-là. Donc, de ce côté-là, le cadran repart de 10 ans en 10 ans. Mais...

M. Jolin-Barrette : Mais nécessairement, avec ce que vous dites, il risque d'y avoir des coûts pour la personne dans le fond de tenter, supposons, d'exécuter le jugement, et... et sachant, supposons, que la personne, elle l'est, insolvable, donc on va mettre le fardeau sur la personne qui a obtenu le jugement, donc la victime, de dire : Bien, tentez de réexécuter votre jugement si vous voulez être certain de ne pas perdre votre droit à la... bien, aux dommages-intérêts que vous avez obtenus par le tribunal. Vous ne trouvez pas que ça amène une... encore une fois, une lourdeur, tandis qu'on sait que, un, la personne a été reconnue responsable des gestes qu'elle a causés en matière soit de violence conjugale, de violence sexuelle? On a modifié la loi en 2019 sur le délai de prescription pour introduire des... une action en réparation en matière de violence sexuelle, violence conjugale, violence subie pendant l'enfance. Dans le fond, on a levé la prescription. Nous, on trouvait logique de dire : Bien, le jugement obtenu notamment de cette action-là devient imprescriptible. Mais je comprends que vous me dites : Il y a déjà des mécanismes qui existent qui pourraient faire en sorte de réactiver le jugement.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Exactement. Comme je vous dis, M. le ministre, c'est qu'il n'y a pas nécessairement de coûts. Oui, si la personne ne veut pas le faire elle-même, mais de... l'exécution du jugement ne passe pas nécessairement par les mains du huissier, donc ça peut être une tentative par la personne même. Si on ne retrouve plus la personne, peut-être, là je peux comprendre votre... votre commentaire, M. le ministre, si on ne retrouve plus la personne puis on n'est même plus capable d'exécuter, mais un dépôt au greffe d'une tentative d'exécution vient repartir le délai après 10 ans.

M. Jolin-Barrette : Sauf que pour la victime, sachant supposons que la personne est insolvable, il faut quand même qu'elle fasse des démarches aussi... Dans le fond, les démarches sont sur elle, là.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Si la personne est insolvable et demande la protection de la... la Loi sur l'insolvabilité, elle n'est pas libérée non plus de ce... de ce jugement-là.

M. Jolin-Barrette : Oui, mais... Ou sachant qu'elle ne peut pas l'exécuter parce que la personne n'a pas de biens. Parce que... Je donne un exemple. Le Barreau, hier, est venu, il nous a dit : Bien, écoutez, nous, on est à l'aise avec ça.

Peut-être sur un autre sujet, là, sur la question du partage des images intimes, donc on vient couvrir à la fois les images en hypertrucage, les images qui sont partagées. Donc, ce phénomène-là, là, est-ce que vous croyez que pour les victimes ça va simplifier leur vie d'avoir un recours civil de cette nature-là, avec une ordonnance rapide? Et, sous-question, pensez-vous que les amendes sont suffisamment élevées pour avoir un comportement dissuasif, avec ce recours-là?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Ce n'est pas une question que l'ABC s'est prononcée dans le mémoire, mais on était tout à fait d'accord, M. le ministre, avec... avec la prémisse qui a été annoncée dans le premier... dans le projet de loi, là.

M. Jolin-Barrette : O.K.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Si je peux peut-être ajouter...

M. Jolin-Barrette : Allez-y.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : ...là-dessus, en matière d'accès à la justice, je pense que ce que le législateur veut faire ici, c'est très intéressant. D'avoir une voie rapide électronique, potentiellement, étant donné que le partage d'images intimes se fait souvent par voie électronique, permettre cette même voie-là pour avoir un recours, je pense que c'est très novateur, c'est très positif et ça risque d'améliorer l'accès à la justice. Comme dans bien des choses, c'est les détails qui vont compter, donc comment tout ça va être mis en œuvre, le détail de la procédure, comment les juges vont être saisis. On a entendu les intervenants, par exemple, dire : Si ça doit passer par le greffe, on peut s'attendre à ce qu'il y ait des délais, à moins qu'il y ait une voie rapide qui soit créée. Donc, je vous encourage non seulement dans le cadre du projet de loi, mais lorsque ce sera mis en œuvre, de penser aux façons de rendre ça très rapide, très accessible.

M. Jolin-Barrette : O.K. On a mis également dans le projet de loi le fait que, lorsque quelqu'un est condamné en matière criminelle, donc, que le simple dépôt du jugement va faire en sorte que la faute va être présumée...

M. Jolin-Barrette : ...établi pour éviter le plus possible à la personne victime souvent d'agression sexuelle qu'elle ait à retémoigner avec les mêmes faits dans un forum à nouveau judiciaire. Qu'est-ce que vous en pensez de ça?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : On pense que c'est une très bonne mesure. Par contre, l'article ne précise pas si la présomption est réfragable ou irréfragable. Et c'est là qu'on croit qu'il faudrait préciser, à tout le moins, ce que le législateur souhaite introduire comme présomption. Selon nous, ça devrait être une présomption réfragable. On aime bien le principe que le jugement vaut et on enlève l'obligation de témoigner, là, pour la victime. Mais par contre, il y a des circonstances qui pourraient se présenter où le tribunal pourrait vouloir accorder une force probante différente selon les circonstances dans lesquelles le jugement criminel a été obtenu.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Ça va quand même permettre de recadrer aussi le spectre du... de l'audition, de l'enquête et audition devant le juge parce que ce point de vue là va être très précis par rapport au témoignage de la victime. Déjà que le projet de loi prévoit d'autres aspects qu'on ne pourra pas retenir sur la victime. Le témoignage va être circonscrit, encadré. Donc, moins de temps de juge, mais plus d'accès à la justice. Merci.

M. Jolin-Barrette : Peut-être juste pour les gens qui nous écoutent, là, réfragable, irréfragable?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Alors, une présomption, et là je mets mon chapeau de professeur, une présomption réfragable, c'est une présomption qui peut être renversée. Donc, finalement, ça opère une sorte de changement de fardeau de preuve, c'est-à-dire que l'autre partie va devoir prouver le contraire. Tandis qu'une présomption irréfragable, c'est dans ce cas-ci, par exemple, si on déposait le jugement et il n'y aurait aucun moyen de faire aucune preuve pour contredire ce jugement-là. Donc, voilà la différence.

M. Jolin-Barrette : Parfait. Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Quelle est l'importance pour tous les acteurs du système de justice d'avoir de la formation? On l'a mis pour le tribunal spécialisé. Tous les acteurs qui vont au Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale doivent l'avoir. Là, on vient élargir également en matière civile, en matière pénale, le ministère de la Justice va offrir de la formation. Quelle est l'importance pour les acteurs, tous les acteurs du système de justice, de suivre la formation?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Évidemment, quelqu'un qui est plus informé va être capable de rendre soit de meilleurs jugements ou accompagner les victimes de meilleur... de la meilleure façon possible. Un meilleur accompagnement amène une pression diminuée. Et dans ce sens-là, si les fonds sont disponibles pour le faire, M. le ministre, alors, ça peut faire en sorte qu'il y a une certaine pression qui peut diminuer aussi sur la durée qui peut être mise en place sur quelqu'un qui n'est pas accompagné ou qui a une moins bonne compréhension dans un environnement judiciaire comme une personne qui peut être là une ou deux fois dans sa vie au gros maximum. Surtout dans les conditions que cette personne est amenée, je parle de la victime, ça va... ça va assouplir, ça va faire en sorte que les gens auront plus d'empathie. Et donc plus d'empathie, meilleure compréhension et meilleure connexion avec cette personne.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Et je crois que ce que le législateur tente d'accomplir ici, c'est non seulement une réforme procédurale, mais c'est aussi un changement de culture dans une certaine mesure. Puis on peut faire toutes les réformes procédurales qu'on souhaite faire, mais pour faire un changement de culture, il faut avoir ces discussions-là, ces formations-là, cet accompagnement en dehors des règles et du code précis du Code de procédure civile. On l'a vu avec la réforme du Code de procédure civile en 2016, il y avait de très bonnes mesures qui ont pris beaucoup de temps à être appliquées véritablement parce qu'il n'y avait pas un changement de culture qui accompagnait cette réforme-là. Donc, dans ce sens-là, la formation, je crois, peut favoriser ce changement de culture.

• (16 h 40) •

M. Jolin-Barrette : Excellent. Merci beaucoup pour votre présence en commission parlementaire.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Juste pour dire que l'ABC peut être un partenaire dans cette aventure-là aussi pour la formation.

M. Jolin-Barrette : C'est bien noté. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Donc, interventions du coté... Mme la députée de Laval-des-Rapides, s'il vous plaît.

Mme Haytayan : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci pour votre temps cet après-midi. Un peu dans le même ordre d'idées, est-ce que vous croyez qu'il est nécessaire de ne pas rendre accessible, de garder confidentielle l'adresse de la victime ou au défendeur en termes de confidentialité dans un contexte de violence conjugale, sexuelle?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Je crois que c'est une mesure qui est très intéressante aussi, Mme la députée, mais où est-ce que, nous, on amenait notre différence, c'est sur les huis clos. Donc, le huis clos automatique qu'on pourrait amener pourrait empêcher certains problèmes. Par exemple, je donne exemple, des chercheurs qui veulent se présenter pour faire une recherche par rapport à... par rapport à un dossier précis ou un type de dossier précis. Le huis clos les empêcherait... Déjà que c'est difficile pour les journalistes dans certains cas d'avoir... d'avoir accès, même s'ils l'ont, donc ça peut compliquer le travail de plusieurs personnes qui entourent le système juridique. Donc les mesures, comme vous dites, d'anonymisation, ou encore d'élire domicile chez son avocat ou au greffe, évidemment, pourrait être contrebalancé avec un juge qui... le juge qui... ou un ordre, une demande de faire revérifier cette procédure-là dans le cas qui pourrait être, bien, être utile ou non. Mais dans tous les cas, oui. Pour répondre à votre question, oui, c'est... c'est, je crois...

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : ...que c'est une mesure... l'ABC croit que c'est une mesure qui est très intéressante pour la protection des victimes. Bien, au niveau du huis clos, il faudrait regarder pour donner peut-être la balance du huis clos au juge pour vérifier si, dans certains cas, ça pourrait s'appliquer ou non, puis s'il y a d'autres mesures qui seraient moins contraignables, soit avec l'accord de la victime ou de fait, là, de facto, par le juge ou le tribunal qui est saisi de l'affaire.

Mme Haytayan : O.K. Une autre question. On le sait, actuellement, les personnes visées par ce type d'ordonnance ne font pas l'objet d'un suivi policier, donc par les policiers. Est-ce que c'est problématique cela, selon vous?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Ce n'est pas un point sur lequel on s'est... on s'est prononcé, là, parce que je pense qu'il y a d'autres intervenants, qui sont passés devant vous, ont beaucoup plus l'expérience terrain pour... pardon, pour en témoigner. Par contre, c'est sûr que ça enlève un fardeau sur les victimes de faire les démarches judiciaires qui sont longues, qui sont coûteuses, qui peuvent être très difficiles psychologiquement.

Donc, en donnant ça entre les mains des policiers, c'est sûr que ça vient apporter le soutien de l'État à ces victimes-là pour faire valoir leurs droits plus facilement. Donc, dans cette mesure-là, c'est vraiment... c'est une bonne mesure, à notre avis.

Mme Haytayan : O.K. Merci. C'étaient les questions que j'avais.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Mme la députée de Vimont.

Mme Schmaltz : Merci. Merci, messieurs. Merci de votre présence. C'est toujours agréable de pouvoir accueillir des gens en présentiel. J'aimerais vous entendre concernant la formation des intervenants pour accompagner... pour accompagner les personnes victimes. Est-ce que c'est important? Est-ce que c'est une formation qui doit être plus pointue? Comment vous la... Comment vous percevez?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Sur ce volet-là, je pourrais vous dire qu'il faut... il n'y a jamais trop de formation. Donc, ce qu'il faut, c'est plus de cibler pour voir les besoins, soit au niveau des magistrats, des avocats même, des avocats en défense, de la façon qu'on contre interroge, ça peut être au barreau aussi pour donner certaines formations obligatoires à ce niveau-là. Bien, ce n'est pas... on ne peut pas... on ne peut pas être contre la vertu puis on ne peut pas être contre le nombre de formations, soit même de les rendre obligatoires à certains niveaux, ou même... au niveau des avocats, un certain nombre d'heures. Si les avocats... Évidemment, un avocat en corporatif n'aurait... peut-être moins d'intérêt, là, évidemment. Bien, ça reste quand même que... comme qu'on... professeur Bonnelly parlait de changement de culture, bien, ça passe par des actions comme ça.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Et puis, si je peux rajouter, la formation, je crois qu'elle est d'autant plus puissante quand on établit la formation en partenariat à la fois avec des organismes terrain, qui sont venus témoigner devant vous, qui ont l'expertise du terrain que, je crois, les avocats, les juges auraient un grand bénéfice à entendre directement dans les formations, puis aussi un partenariat avec les juges, avec les organisations qui représentent les juristes. Parce que ces groupes-là savent comment bien intégrer cette formation-là pour qu'elle ait un réel impact dans la façon dont ils travaillent au quotidien.

Mme Schmaltz : Donc, il n'y a pas une seule formation. Il peut y avoir plusieurs types de formations, selon la victime. C'est ça?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Et selon le rôle de chaque personne dans le système de justice aussi pour que ce soit une formation qui ait véritablement un impact sur leur pratique et non seulement une formation qui parle de principes généraux ou qui fait simplement sensibiliser sur des grandes questions. Je crois qu'on est à un stade où il faut avoir de la formation qui est vraiment adaptée, là, à la situation de chaque personne.

Mme Schmaltz : Est-ce qu'on a... Est-ce qu'on a du temps encore? Il y a du temps?

Une voix : Une minute.

Mme Schmaltz : Ah! une minute. O.K. Parfait. Je m'excuse. Je ne sais pas si on a posé la question. Je m'excuse à l'avance, là, mais il y a des groupes précédents qui ont mentionné que souvent les juges avaient une certaine difficulté peut-être à reconnaître les formes de violence. Et puis est-ce que vous avez encore là des solutions à proposer? Est-ce que la formation rentre justement dans ces... dans ces mesures, ou, je ne sais pas, là, ces... Est-ce que c'est quelque chose qu'on pourrait... qu'on pourrait voir? Je ne sais pas si vous...

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Effectivement, ça serait dans la formation, puis sur comment les juges... peuvent voir ou avoir un aspect selon les victimes. Bien, évidemment, la sensibilité passe par la formation, puis évidemment, comment qu'un juge aurait pu traiter une victime. Il y a les tribunaux de la... des cours supérieures aussi qui peuvent relater ça aussi, mais ça passe par...

Le Président (M. Bachand) :Merci. Merci beaucoup. Mme la députée de La Pinière, s'il vous plaît.

Mme Caron : Merci, M. le Président. Alors, bonjour à vous deux. Merci pour votre présence et votre mémoire. La première question que j'aimerais vous poser, c'est l'une de vos recommandations à propos de l'article 6 du projet de loi entre la notion de subjective ou objective. Et vous faites... vous indiquez qu'il serait préférable de le préciser et qu'il y a un critère objectif... un tel critère objectif serait similaire à celui qui existe en Colombie-Britannique. Est-ce que vous pourriez nous... peut-être nous préciser davantage...

Mme Caron : ...et puis nous donner les avantages, le cas échéant, de ce qui existe en Colombie-Britannique, qui pourrait être utile ici.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Oui. Bien, en fait, l'idée, c'est vraiment de préciser le critère, là. Si le législateur souhaite que ce soit un critère subjectif, fort bien, mais il faudrait que ce soit précisé. Selon nous, par contre, c'est plus efficace d'avoir un critère objectif. L'important, c'est de ne pas imposer un fardeau trop grand sur les victimes. Donc, ça, c'est le premier principe qui devrait guider votre action à notre avis. Mais, par contre, on voit dans le projet de loi qu'il y a certains articles qui demandent quand même à la victime de parler des circonstances de sa situation, de ce qu'elle a vécu, ce genre de choses là, et donc ça montre qu'il y a un aspect un peu objectif aussi, on demande quand même de corroborer la crainte que la victime subit en fonction des circonstances qui entourent sa situation. Donc, c'est dans cette mesure là que, sans nécessairement adopter le critère précis de Colombie-Britannique, on citait cet exemple-là simplement pour dire qu'à notre avis un critère objectif serait utile, mais un critère objectif qui n'impose pas un fardeau aussi grand aux victimes que le fardeau qui existe actuellement.

Mme Caron : D'accord. Merci. Puis, hier, il y a un groupe qui est venu nous parler de la pratique en Australie, où c'est un organe à part et ça ne passe pas par un juge pour... la voie rapide, disons, ne passe pas par un juge, mais est-ce que vous connaissez cette pratique-là? Ou qu'est-ce que vous en pensez, est-ce que ça pourrait être intéressant de l'explorer?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Je ne la connais pas personnellement, mais j'en ai entendu parler hier également. Je pense que ce qui est intéressant aussi, c'est par exemple dans d'autres domaines. En Colombie-Britannique, le BCCRT, le civil resolution tribunal, qui est un tribunal administratif, mais qui fonctionne complètement en ligne, qui s'occupe de résoudre certains types de différends beaucoup plus rapidement que les tribunaux judiciaires. Puis je pense que cette solution là, dans un autre domaine, s'inscrit dans la même lignée que l'initiative que vous mentionnez des solutions plus administratives qui font en sorte que c'est beaucoup plus rapide que la voie judiciaire. Donc, ce serait quelque chose à considérer, mais il faut aussi considérer les conséquences que ça a sur l'application de ces ordonnances-là ensuite, il faut quand même les déposer en Cour supérieure pour qu'elles puissent être exécutées, ce genre de choses là. Donc, ça introduit aussi une complexité. Donc, je n'ai pas de réponse précise pour vous, mais ça pourrait être quelque chose qui est considéré. Cela dit, je pense que la solution que le projet de loi propose est excellente, comme un premier pas vers l'avant.

Mme Caron : Merci. Vous étiez présent dans la salle tout à l'heure, lorsque l'Union étudiante est venue présenter son mémoire et, justement, nous suggérait à l'article... de modifier l'article 2 pour parler explicitement d'hypertrucages ou d'intelligence artificielle, de création de toute pièce d'une image, quel est votre point de vue de juriste là-dessus?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : On ne s'est pas penché directement là-dessus, mais pour avoir entendu, je pourrais vous dire que les termes généraux, pour l'instant, devraient être suffisants jusqu'à tant que demeure... on voit ce qu'un avocat pourrait en débattre, là, le cas échéant. Mais pour l'instant, l'avancée est faite, et on verra comment on peut le stabiliser si nécessaire.

Mme Caron : Donc, pour vous... Oui, allez-y.

• (16 h 50) •

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : J'allais juste dire que si vous l'ajouter dans l'article, je pense que c'est quand même important de garder effectivement des termes généraux à côté de ce terme là plus spécifique pour s'assurer qu'on couvre des situations qu'on n'anticipe en ce moment, mais qui pourraient survenir dans cinq, 10 ans sans nécessairement avoir besoin de modifier la loi. Donc, garder les termes généraux, je suis d'accord avec mon collègue, c'est quand même important.

Mme Caron : D'accord. Alors, si quelqu'un s'adressait... utilisait la voie rapide dans un cas d'hypertrucage, selon vous, le libellé actuel de l'article 2 permettrait de traiter la demande? Est-ce que c'est ce que je comprends?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : On ne vous donnera pas un avis juridique, mais on pourrait vous dire cependant que, pour l'instant, les termes généraux devraient couvrir cet aspect-là.

Mme Caron : D'accord. Puis, est-ce que vous pensez que la portée du projet de loi permettrait de traiter un cas et de donner satisfaction à la victime si, par exemple, l'image était hypertruquée aux États-Unis ou bien dans un autre pays?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Dans une autre juridiction? Évidemment, c'est toujours le lieu du dommage où que ça a causé, donc, techniquement, oui, ça... il ne devrait pas y avoir de problème. Là, il va rester la question, là, comment le collecter ou de faire cesser l'atteinte dans un autre état, et là ça devient des règles de droit international.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Mais il y a de la jurisprudence quand même intéressante de la Cour suprême en Colombie-Britannique, encore une fois, je mentionne souvent cette province-là, mais ça se trouve que c'est dans cette province là, où des parties souhaitaient faire désindexer certains liens et ils poursuivaient Google pour obtenir une injonction pour faire ça. Et ils ont réussi à le faire. Et les tribunaux canadiens ont dit : On peut obtenir cette injonction-là ici, mais faire désindexer mondialement le lien. Donc, ce précédent-là pourrait être utile dans des circonstances comme ça, pour faire désindexer l'image par les grands conglomérats de ce monde qui gouverne l'Internet. Ça pourrait être un recours...

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : ...qui est envisageable.

Mme Caron : Merci. Puis vous apportiez tantôt quelque chose que je trouvais intéressant, la possibilité de soumettre le dossier en ligne, parce que les images sont en ligne, sinon ça peut être difficile. Alors, est-ce que vous avez des recommandations à cet égard là dans le général ou dans le plus spécifique sur comment mettre tout ça en place?

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : On ne s'est pas penché sur la question spécifiquement, donc on n'a pas de commentaire particulier. Mais selon la rédaction actuelle du projet de loi, je pense qu'il y a de la place pour qu'administrativement la solution soit électronique, que tout ça se fasse en ligne. Mais je crois que ce sera davantage dans la mise en œuvre du projet de loi que dans la rédaction du projet de loi lui-même, là.

Mme Caron : Merci. Maintenant, j'irais peut-être à l'article 18 du projet de loi qui vient ajouter, après l'article 35 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, une... le 35.1, avec plusieurs alinéas où on dit, bon :       «Malgré toute règle de preuve, lorsqu'une affaire comporte des allégations de violence à caractère sexuel ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents :

1° tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence;

2° tout fait relié au comportement sexuel de cette personne autre qu'un fait de l'instance et qui a été invoquée pour attaquer sa crédibilité;

3° tout fait en lien avec l'absence de demande de faire cesser les gestes pratiques, paroles, comportements ou attitudes à connotation sexuelle allégués;

4° tout fait en lien avec le dépôt ou l'absence de dépôt d'une plainte en vertu du Code criminel relativement à la violence alléguée;

5° tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée, sauf pour démontrer l'existence ou l'absence de motifs raisonnables pour prolonger un délai ou pour relever ou non une personne des conséquences de son défaut de le respecter;

6° le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l'auteur allégué de cette violence.»

À votre avis, est-ce que c'est nécessaire de nommer tous ces cas de figure, je dirais? Est-ce que c'est assez exhaustif, trop exhaustif?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Quand on parlait de changement de culture, bien, c'en est un, exemple. Si la culture n'était pas à ce niveau-là, on n'aurait pas besoin de les nommer, ça en ferait déjà partie. On salue cette proposition-là dans le projet de loi et on pourrait même déplorer le fait qu'on est obligé d'en avoir.

Mme Caron : Donc, c'est nécessaire?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : C'est nécessaire à ce stade.

Mme Caron : Mais dans un monde idéal, ça ne serait pas nécessaire, mais dans un... Mais je n'ai pas...

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Exactement, dans un monde idéal, il y a beaucoup de choses qui ne seraient pas nécessaires dans les projets de loi, mais, dans ce cas-ci, d'un rappel pour venir dire comment qu'on doit se conformer dans des reproches qu'on doit faire à la personne, ces reproches-là ne peuvent pas en être, surtout pas dans un contexte de violence.

Mme Caron : Et puis vous voyez donc la présence de ces précisions-là comme contribuant à un changement de culture? Est-ce que vous parlez du changement de culture dans les tribunaux.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Dans les tribunaux ou dans les relations humaines aussi, là, ou dans ce qu'on pourrait voir dans le tribunal public, qu'on pourrait dire, là, qui est dans les les messages Internet ou autres qui pourraient se propager. Mais ici, on l'a ici, dans le projet de loi, mais ça va faire un changement de culture dans la façon que les justiciables se comportent ou les citoyens se comportent aussi par rapport à certaines mœurs qu'on croyait ou qu'on croit encore pertinentes.

Mme Caron : O.K. Et j'irais dans... Ça m'amène à aller dans le... excusez-moi, dans la question de huis clos contre lequel... j'ai bien compris, vous n'étiez pas à l'aise avec la question de huis clos. Et est-ce qu'il y a là aussi un changement de culture ou pas?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Bien, c'est que le huis clos empêche, comme je l'ai mentionné dans l'exemple, qu'un chercheur qui voudrait faire un projet de recherche peut se faire refuser en raison du huis clos et qu'il n'est pas un avocat d'être présent dans cette salle, tout comme on peut voir des journalistes qui peuvent avoir de certains problèmes. Et aussi, le huis clos n'empêche pas nécessairement... du débat aussi, et puis il y a peut-être d'autres mesures qui peuvent être prises, peut-être soit en collaboration entre... dans une demande que la victime peut faire et pourrait être au choix de la victime dans certaines circonstances. Mais de l'ordonner de facto, je crois qu'on va peut-être un peu trop loin dans la publicité des débats, qui est une...

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : ...qui est un aspect primordial de notre société.

Mme Caron : Donc, dans... Alors, vous voulez dire que, si je comprends bien, le... le huis clos vient restreindre la transparence des débats finalement?

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Exactement, parce que si on peut voir... Par exemple, on a mentionné que la victime peut établir domicile chez son procureur. On pourrait anonymiser par des lettres A, B, son nom. Mais, en faisant le huis clos, on vient aussi donner... si on veut protéger la victime et aussi donner, on s'entend, moins... pas moins de place possible, mais que la... que l'auteur, si on prend le parallèle avec le... le volet criminel où l'auteur du crime ou la personne accusée n'a pas ce bénéfice-là, c'est comme si on vient lui donner, soit immédiatement ou 10 ans après, une anonymisation ou une anonymisation de ses gestes si... le cas... le cas échéant, qu'il n'aurait pas eu ou qu'il... dans un dossier criminel.

Le Président (M. Bachand) :40 secondes, Mme la députée.

Mme Caron : Ça va.

Le Président (M. Bachand) :Ça va?

Mme Caron : Bien, je vous remercie. Je vais terminer ici. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Vous êtes gentille. Merci beaucoup, Mme la députée de La Pinière. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît!

Mme Nichols : Merci, M. le Président. Bien, je n'ai pas grand temps, mais je voulais juste continuer sur le huis clos. Je voulais juste faire du pouce un peu. Si je ne me trompe pas, en Cour supérieure, dans les dossiers en familiale, c'est déjà du huis clos qui s'applique. Donc, si on fait un parallèle, ça serait à peu près les mêmes règles, là, je présume, bien... puis le ministre pourra nous nous le préciser, mais ça serait à peu près les mêmes règles qui s'appliqueraient.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Oui, c'est l'article 15.2, là. Je vais laisser...

Mme Nichols : Oui, l'article 15

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Oui. Effectivement, puis dans bien des dossiers, là, qui font l'objet du projet de loi, effectivement, le huis clos est probablement approprié. Mais, par exemple, si on prend l'article 18, là, que votre collègue mentionnait, à la fin, on prévoit le huis clos, mais il n'y a pas de soupape où le juge pourrait déclarer que c'est public, par exemple, en raison des circonstances du dossier. Puis comme le Barreau le mentionnait, peut-être que les victimes voudraient que ce soit public dans certains cas. Donc, c'est juste d'être conscient de la complexité de cette question-là, de l'importance de la publicité des débats puis de s'assurer qu'on puisse faire les aménagements requis au cas par cas.

Mme Nichols : O.K. Ou sinon, à la discrétion du juge de pouvoir... ou sur une demande, parce que les avocats, par exemple, peuvent assister dans un huis clos, dans un dossier familial.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Oui.

Mme Nichols : Ou sinon sur discrétion du juge.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : Et de toujours regarder la victime aussi dans ce cas- là aussi, selon son...

Mme Nichols :  Oui, bien sûr.

M. Pierre-Étienne (Jonathan) : ...la discrétion du juge en regard de la limite de la victime, mais sans nécessairement prioriser le huis clos.

Mme Nichols : Oui, parfait. Très bien, merci. J'ai entendu votre position, même si vous n'êtes pas nécessairement... Ce n'est pas par écrit dans votre mémoire, là, en lien avec la formation. Évidemment, là, personne n'est contre plus de formations, hein, plus de mises à jour, l'accompagnement aussi. Là, j'ai compris que vous avez écouté les groupes de toute façon qui sont venus précédemment, puis l'accompagnement, c'est un gros plus. Vous avez parlé aussi du partenariat, partenariat avec différents organismes qui est aussi un gros plus.

Au niveau de la l'applicabilité, là, vous l'avez écouté hier, là, ce n'est pas un enjeu, mais on essaie de prévoir puis on a tous des doutes au niveau de l'application. Comment ça... tu sais, comment ça va... Dans le milieu, là, comment ça va? Je ne veux pas... pas se matérialiser, là, mais, tu sais, l'impact, là, dans le... dans le monde juridique, comment... comment ça va arriver? Parce que ça semble difficile, la réaction des tribunaux. Tu sais, même si on dit que ça va être facile, il va y avoir des juges stand-by où, tu sais, il va... On le sait qu'il va quand même avoir une période d'ajustement, puis tout, puis vous avez parlé, entre autres, là, des détails importants pour la mise en œuvre. Est-ce que... Quand vous avez parlé des détails importants, est-ce que vous en auriez à soumettre à notre attention des détails importants qu'il ne faut surtout pas négliger, entre autres, pour la mise en œuvre?

• (17 heures) •

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Bien, c'est tout le processus administratif. Mais au-delà de ça, vous mentionnez le fait que, bon, peut-être que ça ne fonctionnera pas. Je pense que toute réforme doit être mise en œuvre en premier, puis c'est important de l'étudier, d'évaluer ses succès et ses problèmes, puis ensuite de prendre un processus itératif où on peut l'améliorer au fil du temps. Donc, je pense qu'on ne devrait pas avoir la perspective de régler ce problème-là une fois pour toutes, à 100 %, avec ce projet de loi-là, mais d'être à l'écoute du terrain, de s'assurer de faire les évaluations requises pour pouvoir l'améliorer au fil du temps également. C'est ce que je dirais.

Mme Nichols : Ça fait qu'au niveau... au niveau des détails, c'est...

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Bien, les formulaires, par exemple, qui vont être mis en place, il faut que ce soit...

Mme Nichols : Administratif.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Exactement. Là, tout ce qui est administratif, comment techniquement, soumettre la demande, comment on informe les gens sur l'existence de ce recours-là aussi? Donc, tout le processus des victimes de A à Z, il faut y penser au pas à pas finalement, pour s'assurer que les victimes et un parcours le plus facile possible.

Mme Nichols : C'est là, entre autres, où les partenariats aussi avec les organismes au niveau du formulaire vont être... vont être...

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : C'est crucial.

Mme Nichols : Oui, ils vont être crucial, ils vont être importants. Puis j'ai entendu aussi... je trouvais ça intéressant quand vous avez parlé de la voie rapide électronique, de l'ajouter... tu sais, de l'ajouter, de prévoir... de prévoir cette mesure-là. Donc, c'est noté. Merci beaucoup. Merci de votre présence.

M. Boulanger-Bonnelly (Jérémy) : Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci...


 
 

17 h (version non révisée)

Le Président (M. Bachand) :...députée de Vaudreuil, Me Boulanger-Bonnelly, Me Pierre-Étienne, merci infiniment d'avoir été avec nous. C'est un grand privilège.

La commission suspend ses travaux quelques instants afin d'accueillir la prochaine invitée. Merci beaucoup. À bientôt.

(Suspension de la séance à 17 h 02)

(Reprise à 17 h 06)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir Mme Mélanie Lemay...

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) :S'il vous plaît! S'il vous plaît! Je vais faire comme la présidente de l'Assemblée nationale : Hum! Hum! Alors, s'il vous plaît... Mme Lemay, cofondatrice Mouvement Québec contre les violences sexuelles, merci infiniment d'être avec nous aujourd'hui, c'est très apprécié. Donc, les règles, vous les connaissez, 10 minutes de présentation, après ça, une période d'échange avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous. Merci beaucoup d'être avec nous, encore une fois.

Mme Lemay (Mélanie) : Merci pour l'invitation. Alors, bien, aujourd'hui, c'est un grand honneur et un grand privilège de pouvoir m'adresse à la commission, notamment en raison d'un sujet aussi important que la protection de nos jeunes.

Tout d'abord, en fait, je tiens à mentionner deux choses. La première, c'est que je m'adresse à vous à titre de sociologue en herbe, étant donné que je suis candidate au doctorat à l'UQAM, mais aussi à titre de cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, co-coordonnatrice de La voix des jeunes compte, mais surtout et avant tout en tant que victime et survivante du sujet que l'on traite aujourd'hui. Donc, je vais essayer de faire...

Mme Lemay (Mélanie) : ...bref, considérant qu'avec mes obligations professionnelles, ma vie et... sachant aussi que je n'ai pas été mise dans la... quand le beau projet de loi a été annoncé sur les réseaux sociaux du ministre de la Justice, bien, en fait, je n'ai pas eu la capacité, en fait, d'étudier en profondeur l'ensemble du projet de loi. Mais sachez que je vais vous faire parvenir, sans faute, un mémoire avec des recommandations très éclairées. Donc, je vais y aller tout simplement avec mon parcours.

Donc, ce qu'il faut savoir, c'est que, de mon côté, bien, écoutez, je suis fille du Nord et du Sud, parce que ma mère est colombienne, mon père est québécois, canadien, donc, nécessairement, ça fait de moi une entre-deux, entre deux cultures. Je suis aussi un enfant de la réforme. Donc, j'étais aux premières loges de toutes les ratées et répercussions un peu de la réforme de l'éducation, du chantier que ça avait représenté dans les années 1990-2000. Alors, voilà sous quels titre et chapeau je m'adresse à vous aujourd'hui.

Donc, tout d'abord, ce que je tiens à mentionner, c'est que votre projet de loi est un projet de loi qui est ambitieux, qui est rempli de bonnes intentions, qui est très honorable, je pense que c'est un chemin qui va dans la bonne direction. Mais, en même temps, je pense que c'est un projet de loi qui aurait dû être voté il y a 25, 30 ans, peut-être, pour la simple et bonne raison que je suis aussi une jeune qui a grandi avec l'Internet.

Donc, ce que je veux dire en disant cela, c'est que, très tôt dans ma vie, j'ai été identifiée... je vous parle... l'école primaire, par un coach de l'équipe de hockey. Tu sais, c'était des Pee-Wee ou des tout-petits, là, qui commençaient tout juste à patiner. Moi, de mon côté, je faisais du patinage artistique et le coach de l'équipe en question avait dit aux gars dans la chambre de hockey :  Écoutez, ce jeune-là, elle, je n'y ferais pas mal si j'étais à votre place. Tu sais, si j'avais votre âge, j'irais vers elle. Il a eu des propos aussi très particuliers, à mon égard, quand il a vu que mes seins commençaient à pointer, que la puberté a débuté. En parallèle de cela, j'ai aussi eu une orthopédagogue qui est venue à ma rescousse, parce qu'étant aussi hispanophone...

C'est ma première langue, parce qu'à la maison, ma mère, elle me parlait uniquement en espagnol, mon père me parlait en français. La maison était un peu comme une zone, pour moi, où il n'y avait pas de distinction entre les nations, entre les peuples. Parce que, de toute façon, si on est une famille reconstituée, donc, on est aussi une famille métissée. On a de toutes les générations, j'ai grandi avec ma grand-mère. Donc, bref, je vous explique pourquoi, pour moi, c'était chaotique d'aller à l'école et de savoir que mon frère n'était pas mon vrai frère, parce qu'on ne partageait pas la même couleur de peau. «Naranja», ce n'était  pas une vraie couleur, parce que, nécessairement, quand je... de l'orange, et avec le nom que j'avais Mélanie Lemay, je ne pouvais pas nécessairement avoir un bagage culturel. Donc, ça a nécessité que je sois supervisée très tôt parce que je mélangeais les V et les B, les S et les V, ou, en tout cas, toutes sortes de choses comme celles-là au niveau linguistique.

• (17 h 10) •

Et même si, au départ, c'était quelque chose qui a été bénéfique pour mon développement, mon orthopédagogue, elle m'a ciblée très tôt, elle avait des plans pour moi. Aussitôt que je suis devenue adolescente, elle a orchestré un plan machiavélique avec sa fille. Je me suis retrouvée dans la même classe qu'elle, et elles m'ont contrainte à produire de la pornographie juvénile qui a été distribuée, entre autres, entre les mains des joueurs junior majeur du Québec de la ville hockey dans laquelle j'habitais à l'époque. Et ce contenu-là — ils savaient que j'étais mineure — dans le fond, ça s'est retourné contre moi. J'ai été extorquée. Sachant que j'étais d'un bagage culturel religieux différent de la majorité de mes camarades de classe, ça a été instrumentalisé contre moi pour me silencier et créer un écart aussi entre les valeurs familiales. Et, finalement, ça m'a emmurée dans une espèce de silence. Aussitôt que ma mère soupçonnait que quelque chose n'allait pas bien avec sa fille, j'étais à cran, j'étais à vif. Je ne répondais pas. J'étais très dans la colère, tu sais... une crise d'adolescence, laquelle je commence tout juste à sortir, parce que j'ai vécu l'horreur en fait.

Parce qu'après avoir vécu une ville hockey, j'ai vécu une ville football, parce que ça m'avait été fortement... En fait, j'ai vécu de l'extorsion pour que j'aille étudier dans une ville où tout tournait autour d'un ballon. Malheureusement, j'ai aussi été filmée à mon insu pendant mes premiers émois sexuels...

Mme Lemay (Mélanie) : ...ça a été distribué au sein de l'équipe. Ils tenaient des statistiques pour savoir quel genre de filles faisait quoi. Donc, je vous dirais que ma vie a été un certain calvaire pendant très longtemps, surtout que... Comment qu'on raconte ça à sa maman et à son papa? Comment qu'on réussit à dire à Noël pourquoi on ne s'est pas vus de toute la session? Pourquoi, genre, je n'ai pas été en capacité de venir à des événements familiaux d'importance? Pourquoi j'ai... manqué autant d'événements importants, dont des passages importants de la vie de mes nièces? Tout ça pour quoi? Parce qu'on me retenait malgré moi dans toutes sortes d'événements, de fêtes. J'ai été identifiée pour être une cheerleader. J'ai été identifiée pour faire la boss girl, pour faire la barmaid, pour faire toutes sortes de soirées loufoques, dans lesquelles je me suis retrouvée et qui a ensuite étaient retenues contre moi. Parce qu'on le sait bien, Mélanie, elle, c'est une fille de party. C'est une fille qui dit de la marde. C'est une fille qui dit n'importe quoi. C'est une tête en l'air. C'est une fille qui est un peu fofolle, qui devrait être humoriste. Elle est vulgaire. Elle n'a pas de filtre, alors qu'en réalité j'ai été désinhibée et sexualisée trop jeune.

Alors, voilà, c'est... Je ne sais pas si j'ai fait mon 10 minutes ou non, mais je tenais quand même à expliquer pourquoi, en fait, selon moi, il y a des éléments qui manquent au projet de loi, dont notamment la conception même du fait que ce contenu-là, il est produit et créé non pas pour les jeunes, mais pour le dark web. Et tant et aussi longtemps que nos équipes, que ce soit au niveau militaire, au niveau policier, au niveau scolaire, soient capables de comprendre les rouages réels de comment fonctionne le dark web et la pédocriminalité, je suis désolé, mais on va mal continuer d'adopter des projets de loi qui vont avoir été efficaces il y a 30 ans, mais qui, aujourd'hui, restent en décalage avec la réalité réelle des jeunes. Je pense notamment à... aux IA, qui permettent, en fait, de, même, prendre une photo d'un jeune et créer des faux contenus pornographiques. Je pense à toutes sortes de problèmes au niveau entre autres des langues, au niveau des barrières culturelles, au niveau de l'incapacité des écoles à adapter aussi leur structure et leur modèle d'éducation à la réalité des Québécois d'aujourd'hui. On compose plus de la moitié de la population québécoise. Donc, j'apprécierais sincèrement qu'on puisse se pencher sur toute la globalité de ce que c'est aujourd'hui être un jeune qui est connecté sur le monde avec un téléphone? Et ce que je veux dire en disant ça, c'est ce que je tiens aussi à mentionner que ce n'est pas un hasard si ma vie a été aussi difficile. C'est que j'ai été dans les premières à avoir été invité à rejoindre le fameux club social qui était Facebook. J'ai été une des premières amies à Mark Zuckerberg. Donc, sincèrement, là, ça commence très jeune, puis ce n'est pas le téléphone en tant que tel, puis ce n'est pas parce qu'on enlève le téléphone ou l'écran que ça vient protéger les jeunes. Au contraire, ça les isole davantage. Parce qu'ultimement l'intimidation, l'extorsion, la sextorsion, peu importe, là, ce qu'on veut faire avec ça, bien, ça reste que c'est 24 heures sur 24 et ça devient une prison qui est mentale, ce n'est même plus physique. Et c'est la combinaison de certaines applications qui, ajoutées les unes aux autres, qui vient créer, en fait, un total accès aux galeries photos, aux pensées, aux notes, aux réflexions des jeunes, à leur recherche Google. C'est un système qui est une méta-analyse, qui vend des données très privées et intimes et qui permet de mieux cibler comment on va coincer un jeune puis l'enfermer finalement et le radicaliser ou le polariser d'une façon telle qu'il ne sera même plus capable d'avoir le même langage ou la même langue avec ses parents. Parce que c'est comme s'il devient initié à l'école des sorciers, là, pour prendre la métaphore de Poudlard, là. Il se met à parler une langue que les Moldus ne comprennent pas, que les civils ne comprennent pas.

Donc, c'est un peu l'essence même de mon témoignage. C'est de réfléchir un peu à comment on doit regarder plus loin puis s'adapter, en fait, à comment on doit regarder dans un point de vue global et intégrer un corridor de services, comme on demande avec La voix des jeunes compte depuis déjà presque six ou sept ans, là — c'est rendu très gênant, là, comme délais d'attente — et aussi faire en sorte que... bien, que la... les prochaines générations de jeunes n'aient pas à subir l'enfer que moi j'ai vécu et duquel je commence tout juste à sortir.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Mme Lemay. Merci infiniment. On va procéder à la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Lemay. Merci de participer aux travaux de la commission. Écoutez, je suis compatissant du...

M. Jolin-Barrette : ...de votre témoignage, puis de votre vécu, de ce que vous avez vécu, vous relatez que ça a été très difficile. Puis je pense que l'ensemble des membres de la commission vous appuie là-dedans et est solidaire des difficultés que vous avez eues au cours de votre vie. Puis je pense que le fait que vous veniez témoigner ici en commission parlementaire, bien, ça, ça nous permet d'être conscientisés à une certaine réalité, dont la vôtre, dont... que vous avez vécue, notamment sur le partage d'images intimes, vous y avez fait référence un peu.

Et c'est pour ça qu'on vise à faire adopter ce projet de loi là, notamment pour faire en sorte que les images intimes qui sont envoyées sans le consentement, on rappelle que c'est une infraction de nature criminelle, mais on dresse une voie civile avec le projet de loi pour faire en sorte que, très rapidement, les images puissent être... cesser d'être partagées, être détruites et être désindexées. Et on vient couvrir également, dans le cadre du projet de loi, les images générées par l'intelligence artificielle, mais également les hypertrucages.

Donc, l'objectif est d'avoir une voie rapide, plus rapidement que le droit criminel, où le fardeau de preuve n'est pas le même, où le fardeau de preuve est hors de tout doute raisonnable, tandis qu'en matière civile, l'ordonnance qu'on met en place, c'est une ordonnance qui pourra être disponible d'une façon... obtenue d'une façon urgente devant un juge de la Cour du Québec ou devant un juge de paix magistrat qui officie à l'intérieur de la Cour du Québec avec des pouvoirs. On le verra un peu plus tard, on va élargir son champ d'application pour sa juridiction, pour la juge de paix magistrats, pour faire en sorte justement que les personnes victimes puissent remplir un formulaire soit en ligne ou au greffe directement, et que le juge soit saisi urgemment de la demande d'ordonnance, et qu'elle puisse être notifiée directement à l'auteur ou bien, en fait, au détenteur de l'image et qu'il doive la retirer. Même chose à toutes les personnes qui la diffusent. Donc... Et ça, ça sera sur le fardeau de la notification de la part du greffier de la cour.

Donc, on cherche à simplifier le plus possible les démarches pour les personnes victimes qui se retrouvent dans cette situation-là, mais également de faire en sorte que si elles ne peuvent pas présenter elles-mêmes la demande, qu'un proche puisse présenter la demande. Et on prévoit également que les enfants de plus de 14 ans pourront faire leurs démarches eux-mêmes s'ils le souhaitent. Donc, c'est véritablement quand vous...

Une voix : ...

M. Jolin-Barrette : Vous voulez commenter?

Mme Lemay (Mélanie) : ...une question de qualification. Pour quelle raison ce n'est pas la CDPDJ, avec la chambre spécialisée dans la jeunesse qui s'occuperait en fait de ce volet-là?

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, la commission des droits... des droits de la jeunesse... des droits de la personne et des droits de la jeunesse ne dispose pas de pouvoir d'ordonnance. Donc, ce qu'on va créer, c'est vraiment une ordonnance judiciaire, donc, qui est exécutoire. Et donc la notification se fait par le greffier. Donc, la CDPDJ ne peut pas ordonner à quelqu'un de faire une... de faire une chose ou de ne pas faire quelque chose. Dans ce cas-ci, c'est de retirer l'image ou de la détruire. Donc, c'est pour ça qu'on ça s'en va à la Cour du Québec et qui auront le pouvoir en matière d'ordonnance et également les amendes associées à ça. Si jamais la personne, à partir du moment où elle s'est fait notifier l'ordonnance du juge de la Cour du Québec ou du juge de paix magistrat, bien, si c'est une personne physique, pardon, et elle ne respecte pas, ça sera une amende de 5 000... de 500 $ à 5 000 $ par jour en cas de contravention. Et pour une personne morale, comme une entreprise, ça sera de 5 000 $ à 50 000 $ par jour. Et même pour une personne physique, il y a des possibilités d'emprisonnement. Donc, on a mis des peines assez sévères justement pour envoyer un message dissuasif et, deux, si jamais il y a une ordonnance, bien ça soit sérieux et que la personne qui contrevient à l'ordonnance ait des sanctions fortes rattachées à ça parce qu'on veut véritablement limiter à...

• (17 h 20) •

Mme Lemay (Mélanie) : J'entends qu'il va avoir des amendes puis des sanctions fortes. Mais ma question c'est de savoir qu'est-ce que vous faites des gens qui sont issus d'un milieu précaire ou populaire et qui, eux, en fait, ne sont que des... En fait, c'est juste des pions du maillon que représente vraiment le trafic de jeunes, tu sais, parce qu'on s'entend, là, c'est du trafic humain, là, dont on discute aujourd'hui. Ça fait que j'aimerais savoir, en fait, pour quelle raison on va pénaliser des enfants qui, eux, se retrouvent souvent dans des contextes de criminalité, faute d'autre choix et pour des raisons souvent alimentaires?

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, on ne pénalisera pas des enfants, au contraire justement les personnes qui en sont victimes. Si l'enfant, supposons, l'adolescent âgé de plus de 14 ans se retrouve dans cette situation-là, un proche pourra faire une demande à la cour pour faire retirer l'image. Donc, on a prévu que...

M. Jolin-Barrette : ...ça n'a pas besoin d'être précisément la personne, et donc ça peut être un tiers qui peut s'adresser à la cour pour faire retirer l'image, parce que, dans ces contextes-là, on sait à quel point la rapidité de l'information, de la circulation de la photographie ou du vidéo va rapidement. Donc, on a mis des mécanismes en place justement pour que ce comportement-là cesse rapidement. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

Mme Lemay (Mélanie) : Bien, maintenant, ça en éveille une troisième de clarification, là. Est-ce que vous considérez qu'à l'heure actuelle les effectifs policiers et militaires de notre État de droit sont en capacité de traiter la rapidité avec laquelle le «dark Web» transige et vend ce contenu pédopornographique là?

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien là, ce que vous soulevez, on est dans un autre régime, on est en matière criminelle. Alors, c'est déjà proscrit par le Code criminel. C'est déjà une infraction criminelle. Dans le fond, tout partage d'images intimes d'un mineur, ça constitue de la pornographie juvénile. Donc, il y a une infraction criminelle rattachée à ça.

Également, il y a une infraction criminelle qui est prévue dans le code pour le partage d'images intimes notamment de majeurs qui n'ont pas consenti. Alors, ça ne constitue pas de la pornographie juvénile parce que la personne est âgée de plus de 18 ans. Cependant, sans le consentement, il s'agit d'une infraction de nature criminelle.

Donc, il y a déjà des peines associées à ça. Il y a déjà des ressources. Et là, dans ce cadre-là, lorsqu'il y a dépôt d'une accusation en matière criminelle, c'est là que la police est interpelée parce qu'il y a dénonciation à la police, et là il y a l'enquête de la police, des enquêteurs, et, par la suite, il y a le dépôt du dossier au procureur aux poursuites criminelles et pénales, qui, lui, décide si, oui ou non... entame une poursuite à cet égard-là. Et puis il peut y avoir des ordonnances, notamment de retrait d'images.

Mais, comme je vous dis, le processus en matière criminelle est plus lourd, il est plus long également. Alors, nous, on intervient dans le cadre... Puis le droit criminel est de juridiction fédérale. Donc, c'est le Parlement fédéral qui peut légiférer là-dessus, également sur la procédure criminelle. Alors, nous, comme Assemblée nationale, on intervient sur le volet civil, à l'intérieur de nos compétences, pour justement faire en sorte de développer un outil rapide et simple pour les personnes victimes, qui ne leur impose pas un fardeau sur leurs épaules pour avoir un retrait.

Et donc les deux recours peuvent coexister simultanément. Donc, une personne victime peut directement faire la demande d'ordonnance et, par la suite, à ce moment-là, peut également faire une plainte à la police pour qu'il y ait une démarche en matière criminelle qui procède.

Mme Lemay (Mélanie) : J'ai peut-être une autre question de clarification. Est-ce que vous croyez sincèrement qu'avec le projet de loi que vous déposez aujourd'hui ça aurait fait une différence dans mon parcours de vie, s'il fallait que vous vous retrouviez avec une jeune qui vit exactement la même situation que moi encore en date d'aujourd'hui, chose qui, «by the way», là... je reçois par centaines comme témoignages depuis des années?

M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez, je le souhaite. Je ne connais pas dans le détail votre situation personnelle, mais très certainement je peux vous dire, Mme Lemay, que, lorsque nous développons des projets de loi, notamment que ce soit le tribunal spécialisé ou la réforme de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, tous les parlementaires ont en tête de faire en sorte de mieux accompagner, mieux soutenir les personnes victimes. Et je vous dirais qu'il y a une unanimité de la part de tous les collègues, de toutes les formations politiques ici, à l'Assemblée nationale, afin de faire une place plus grande aux personnes victimes, d'être centrés sur leurs besoins et d'adapter, de moderniser, d'amener un changement de culture dans le système de justice. Et c'est... cette démarche-là qu'on étudie le projet de loi n° 73 également.

Alors, écoutez, je vous remercie grandement pour votre présence en commission parlementaire. Si mes collègues souhaitent échanger avec vous, ça va me faire plaisir, mais merci beaucoup pour votre présence en commission.

Le Président (M. Bachand) :Merci, M. le ministre. Monsieur...

Mme Lemay (Mélanie) : ...

Le Président (M. Bachand) :M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît.

M. Lemieux : ...mais je pense que Mme Lemay venait de dire quelque chose que j'ai manqué.

Mme Lemay (Mélanie) : Oui, j'apprécierais, si c'est possible, là. En fait, j'apprécie vraiment la grande vertu dans laquelle tout le monde s'est drapé ici aujourd'hui, là, dans le sens qu'on ne peut pas être contre la tarte aux pommes. Sincèrement, je fais juste mentionner qu'à quelque part je ne dis pas qu'il n'y a pas beaucoup d'efforts ou d'énergie qui a été mis là-dedans. Moi, je pense qu'il y a beaucoup de cœur, il y a beaucoup de volonté, il y a beaucoup de... tu sais, de vouloir rassurer, en fait, la population générale sur tout ce qui se passe vraiment dans les écoles encore en date aujourd'hui. Mais la raison pour laquelle je tenais à prendre le micro, là, à l'instant, c'est vraiment juste pour mentionner qu'il existait des lois contre les pimps. Elles venaient d'être votées quand j'étais jeune. Et, malgré tout, voyez-vous, ils se sont adaptés au code de l'époque parce que le temps que ça a pris avant que cette loi-là soit adoptée, bien, finalement, on était déjà rendus ailleurs. Et c'est pour ça que je mentionnais que votre loi, elle est géniale, mais si on était 20 ans, 30 ans en arrière.

M. Lemieux : Pas de question, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Mme la députée de La Pinière, s'il vous plaît. Merci.

Mme Caron : Merci, M. le Président. Merci, Mme Lemay, pour votre témoignage. Je ne doute pas que c'est... c'est très difficile de s'ouvrir...

Mme Caron : ...comme ça, publiquement, ça prend beaucoup de courage. Alors, merci. Personnellement, vous me... vous m'ouvrez, je dirais, un peu, peut-être, les yeux sur des situations que j'ai eu, je dirais, le bonheur de ne pas connaître, que vous avez eu le malheur de connaître. Alors, merci beaucoup pour ce témoignage-là, c'est apprécié.

Vous avez dit au début que vous n'aviez pas déposé de mémoire, mais que vous comptiez le faire, avec des recommandations. Alors, je vais vous poser une question, puis, bon, si vous n'avez pas des recommandations maintenant, elles viendront plus tard. Alors, je comprends que, bon, il y a des pratiques qui ne sont peut-être pas connues, des pratiques répréhensibles qui ne sont peut-être pas connues publiquement parce que ça se fait derrière des portes closes, avec de la peur, là, qui qui fait en sorte que les victimes ne peuvent pas s'ouvrir de ça, même pas à leurs parents, parce qu'on met la honte sur eux, alors que ce n'est pas eux qui ont un comportement honteuse. Donc, peut-être que je comprends votre... votre affirmation quand vous dites que vous auriez aimé que cette loi-là soit en place avant, peut-être qu'elle vous aurait été utile et... mais les choses étant ce qu'elles sont, le projet de loi est devant nous aujourd'hui.

Alors, est-ce que vous, avec votre expérience, il y a des éléments peut-être plus précis du projet de loi qui vous chicotent, je dirais, que vous dites : Bien, ça, c'est bien, mais, dans ce que moi, j'ai vécu, je ne pense pas que ça aurait fonctionné, par contre, si vous ajoutiez telle chose, ou si vous enleviez telle chose, ou si vous modifiiez telle chose, peut-être que ça pourrait aider un plus grand nombre de personnes? Je sais que, comme moi, vous n'êtes pas juriste, vous êtes sociologue en devenir, mais est-ce qu'à la lecture du projet de loi... est-ce qu'il y a certaines idées comme ça que vous avez eues, peut-être, que vous pouvez nous partager maintenant ou bien que vous comptez mettre dans votre futur mémoire?

Mme Lemay (Mélanie) : Bien, c'est certain que je vais faire une étude par articles, là, vous pouvez être assurée de ça, là, dans mon mémoire, là. Ce que je mentionne, en fait, c'est vraiment l'idée plus globale, qui est l'essence même. Moi, je pense qu'en ce moment c'est une belle opération de relations publiques pour calmer le fait qu'en ce moment, il y a comme une panique morale autour du fait que les jeunes s'échangent des photos, qu'il y a du sexting. Moi je tiens à dire que, sincèrement, tu sais, c'est un peu comme... tu sais, comme quand on était petit, là, avant internet, là, avant le téléphone, là, puis qu'il y avait une curiosité normale de regarder un peu qu'est-ce qu'il y avait en dessous des culottes de l'autre, tu sais, ça fait partie du développement normal de l'enfant, là, de se questionner sur : Moi, je fais pipi de telle façon, l'autre, il fait pipi de quelle autre façon? Je sais que c'est très graphique, ce que je dis en ce moment puis ce n'est pas nécessairement quelque chose qui est agréable à visualiser, mais la raison pour laquelle je dis ça, c'est qu'on ne pourra pas enlever aux enfants le fait que leur développement psychosexuel normal va aller... dans une direction.

• (17 h 30) •

Aujourd'hui, l'élément qui vient complexifier cette exploration saine et normale du corps, c'est le fait qu'il y a des outils technologiques. Malheureusement, ce n'est pas les outils en tant que tel, l'enjeu, c'est des applications, c'est la façon dont les données sont collectées, c'est dans les petits caractères qu'on ne lit jamais puis qu'on accepte dans les mises à jour qui sont mises sur mon téléphone qui sont inquiétantes.

Ça fait que moi, en fait, j'invite les parlementaires à se questionner plutôt sur l'impact de Meta, de... l'impact de certains... Puis je ne suis pas la première à le dire, là, je ne suis pas du tout l'experte. Il y a des documentaires qu'on peut trouver facilement sur Netflix. Je ne dis pas ça parce que j'adhère aux théories du complot ni quoi que ce soit. Factuellement, je peux vous attester que le fait d'avoir eu le même numéro de téléphone, la même adresse courriel depuis maintenant 20 ans, 30 ans... non, excusez, parce que, là, j'ai 31 ans, là, mais peut-être depuis que j'ai 11, 12 ans, ça fait que ça me fait à peu près, c'est ça, 15, 20 ans, c'est ce qui m'a mise en danger, en fait, pendant aussi longtemps. Donc, c'est sûr que le fait de changer, peut-être, fréquemment de téléphone, de numéro, ça peut être des choses qui peuvent aider, mais, ultimement, ce n'est pas non plus une solution sine qua non.

Puis ce que je questionne, c'est surtout : Est-ce que vous avez les effectifs policiers et militaires pour enquêter sur le dark Web et essayer d'analyser comment ce contenu-là, pédocriminel, est organisé? Parce que ce n'est pas une simple question d'échange de news, c'est vraiment une question de comment on terrorise toute une génération de jeunes à ne pas parler, en fait, de ce qui se passe vraiment sur les réseaux sociaux.

Mme Caron : Alors, vous...


 
 

17 h 30 (version non révisée)

Mme Caron : ...qu'on ait une... qu'on se penche sur ces... sur ces questions-là, qui sortent peut-être du projet de loi, mais c'est un souhait que vous émettez, qu'on se penche sur des questions comme ça. Est-ce que je comprends...

Mme Lemay (Mélanie) : Bien... au niveau de la sécurité publique, il me semble que ça fait partie, en fait, des budgets, là, que vous contrôlez à Québec. Ça fait que moi, je pense que... d'investir davantage en... personnes qui sont des... au niveau du hawking, au niveau de retracer rapidement comment s'allument, s'éteignent certains sites Internet, les mises en enchères qui se font en ligne...

Tu sais, je sais que ça a l'air vraiment tiré par les cheveux, ce que je vous dis en ce moment, mais c'est... le nerf de la guerre, parce que c'est la raison même de pourquoi il y a ce genre de réseaux là. Il n'y a pas un jeune qui va vouloir partager, de façon sincère, les photos de son crush. Ça va souvent être la situation contraire, où c'est des jeunes qui, par survie alimentaire ou par contrainte, vont se mettre à diffuser du contenu parce qu'ils ont été menacés, ou parce qu'ils sont contraints de le faire par survie ou parce qu'ils ont peur que, s'ils ne le font pas ça va être un autre membre de leur patrie ou de leur fratrie qui va se retrouver avec la même position délicate.

Mme Caron : D'accord. Je vous remercie beaucoup, Mme Lemay.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît.

Mme Nichols : Oui, merci, M. le Président. Merci, Mme Lemay, pour... pour le courage de... de nous parler de votre passé, là, j'imagine que ce n'est pas... ce n'est pas... ce n'est pas facile, puis ce n'est pas évident, parce que ça ne l'est pas pour nous de vous écouter. C'est... c'est difficile, c'est des mots difficiles, puis c'est des histoires difficiles, donc je vous félicite pour... pour votre courage, évidemment.

Moi, je n'aurais pas de question, M. le Président. Je veux simplement... simplement assurer Mme Lemay que l'ensemble des parlementaires, autour de la table, sont de bonne foi, bien que le projet de... Oui, je vous assure, là, moi, je ne serais pas ici, je ne serais pas ici, sinon. Ça fait que je pense qu'il y a une bonne volonté, puis il y a de la bonne foi de l'ensemble des collègues, et ça, peu importe les... les allégeances politiques. Je veux... je veux absolument... je veux... je tiens à vous rassurer, à vous rassurer.

Si on peut bonifier le projet de loi... Tu sais, le ministre avait une bonne intention en déposant son projet de loi. Les oppositions, si on peut le bonifier, entre autres, en entendant des expériences comme la vôtre, en entendant des parties plus juridiques, des organismes, on est là pour ça puis on va le faire. Puis, bien sûr, on pourra le faire, entre autres, avec les différents mémoires, parce qu'il y a des mémoires qui seront déposés de personnes qui ne sont pas nécessairement venues témoigner. Donc, on attendra votre mémoire, puis, avec votre mémoire, bien, on pourra bonifier le projet de loi, sans aucun doute. Merci, Mme Lemay, de votre présence.

Mme Lemay (Mélanie) : Je tiens simplement à mentionner que je ne doute pas du tout, là, que les parlementaires veulent faire la bonne chose. Je fais juste vous aviser que cette réalité-là que je vous partage aujourd'hui, elle est vécue par une majorité de jeunes. Elle n'est pas minoritaire, elle est majoritaire.

Mme Nichols : C'est pris en note. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Sur ce, Mme Lemay, comme disait la députée de Vaudreuil, on est très contents de vous avoir entendue et on a hâte de vous lire. Alors, merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi, c'est très, très, très apprécié.

Et, avant de conclure les auditions, je procède au dépôt des mémoires des personnes et organismes, comme disait la députée de Vaudreuil, qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques.

Sur ce, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup, à bientôt. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 35)


 
 

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