Journal des débats de la Commission des institutions
Version préliminaire
43e législature, 1re session
(début : 29 novembre 2022)
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Le
jeudi 1 juin 2023
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Vol. 47 N° 36
Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 26, Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires afin notamment de donner suite à l’Entente entre la juge en chef de la Cour du Québec et le ministre de la Justice
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15 h (version non révisée)
(Quinze heures vingt et une minutes)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bon
après-midi à tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare à la séance de
la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite encore une fois la
bienvenue.
La commission est réunie afin de procéder
aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n°
26, Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires, afin notamment de
donner suite à l'entente entre le juge en chef...
Le Président (M.
Bachand) :...de la Cour du Québec et le
ministre de la Justice. Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Monsieur Zanetti (Jean Lesage) est remplacé par M. Cliche-Rivard
(Saint-Henri-Sainte-Anne).
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Alors, cet
après-midi, nous allons débuter par les remarques préliminaires. On va d'abord
débuter avec le Pr Patrick Taillon et après nous aurons le représentant de
Droits collectifs Québec.
Cela dit, nous allons cependant commencer
par les remarques préliminaires. Alors, M. le ministre de la Justice, je vous
invite à faire vos remarques préliminaires pour une période de six minutes. M.
le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Merci, M. le Président. Très heureux de vous retrouver pour les consultations
du projet de loi no 26, Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires afin
notamment de donner suite à l'entente entre la juge en chef de la Cour du
Québec et le ministre de la Justice. Un peu d'histoire, M. le Président. Vous
vous souviendrez que la juge en chef m'a informé au mois de décembre 2021
qu'elle changeait unilatéralement les assignations des juges. Donc, en chambre
criminelle et pénale, M. le Président, les juges de la Cour du Québec, donc,
siégeaient 139 jours par année depuis la création de la Cour du Québec. Puis il
faut remonter, antérieurement à ça, c'était le ratio de jours siégés versus le
jour... le nombre de jours en délibéré, qui remonte à la Cour des sessions de
la paix. Donc, il y a eu fusion de la Cour du Québec au début des années 90,
mais création de la Cour du Québec, donc la Cour des sessions de la paix, le
Tribunal de la jeunesse ainsi que la Chambre civile, à l'époque, qui
s'appelait. M. le Président... vous me le rappellerez tout à l'heure, mais,
bref, les trois chambres qui ont fusionné avec la Cour du Québec pour créer la
Cour du Québec. Et donc les juges de la Cour du Québec siégeaient 139 jours, et
d'une façon unilatérale, on a enlevé 35 jours de banc, donc pour se retrouver à
104 jours, donc dans un ratio d'une journée siégée et une journée de délibéré,
du jour au lendemain, comme ça, et que ça rentrait exécutoire à la rentrée
judiciaire de septembre 2022, faisant fi de toutes les conséquences sur les
justiciables, sur les victimes, sur les accusés, et disant au gouvernement du
Québec, à l'État québécois : Bien, écoutez, j'ai pris une décision sans
prendre en considération les impacts de cette décision-là sur les justiciables
québécois, sur le fonctionnement du système de justice, et donc je vous demande
41 juges supplémentaires uniquement pour combler le fait que les juges de la
Cour du Québec en chambre criminelle pénale vont y siéger.
À partir de ce moment-là, le gouvernement
du Québec a dit : Bien, écoutez, on vous demande de surseoir à votre
décision le temps qu'on puisse analyser la demande et le temps également qu'on
puisse s'organiser. On comprend qu'il y a des besoins de ressources dans le
système de justice, et j'en suis, et j'en rajoute depuis que je suis ministre
de la Justice, mais on doit faire les choses dans l'ordre. Manifestement, il
n'y a pas eu d'écho du côté de la Cour du Québec, de la direction de la Cour du
Québec, on a maintenu la ligne dure. On a même fait un renvoi à la Cour d'appel
pour demander à la cour : Quelle est votre opinion? Est-ce qu'on peut
changer unilatéralement un ratio sans avoir de considération de l'impact sur
les justiciables québécois et sans mesures d'efficacité? Finalement, M. le
Président, on a eu recours à un facilitateur, donc le juge Jacques Chamberland
de la Cour d'appel, qui a été sous-ministre de la Justice, et il nous a
grandement aidés dans cette conversation, si je puis dire.
On est arrivé à une entente avec la juge
en chef de la Cour du Québec, et donc dans laquelle le gouvernement du Québec
va rajouter 14 juges à la chambre criminelle et pénale qui fait l'objet du
projet de loi pour modifier la Loi sur les tribunaux. Mais par contre, les
juges vont augmenter le ratio de nombre de jours siégés à 121 jours. Donc, on
arrive à peu près à la moitié. Mais, par contre, élément intéressant que nous
avons négocié, c'est le fait qu'il y ait des cibles de performance et
d'efficacité du système de justice, et c'est la première fois, ça, M. le
Président, qu'il y a des cibles de performance. Donc, le nombre de dossiers
fermés dans un ratio de 1,1, ça veut dire que les juges s'engagent à fermer
plus de dossiers qu'il y a de dossiers ouverts par année, ce qui va amener une
diminution de l'inventaire du nombre de dossiers, ce qui va faire en sorte
également de raccourcir les délais. Parce que, si vous fermez à chaque année
plus de dossiers que vous en ouvrez, bien, ça va faire en sorte de réduire,
donc on va travailler sur les délais. Une cible de près de 88 % de
dossiers entendus entre 18 et 30 mois, ce qui sont les paramètres de l'arrêt
Jordan. Et ça, ça vise à faire en sorte... parce qu'il y a des dossiers qui
sont reportés par la défense, donc c'est pour ça que ce n'est pas 100 %
des dossiers, et un délai médian également qui va être raccourci. Donc, on
passe de 303 ou 306 jours à 212 jours pour les délais médians.
Alors, c'est une bonne entente, ça a fait
l'objet d'un compromis. Puis moi, ma responsabilité, comme ministre de la
Justice... quand je prends des décisions, je pense à l'intérêt collectif, je
pense à l'intégrité et à la confiance du public dans le système de justice.
Donc, c'est toujours important, lorsqu'on est ministre, de réfléchir aux
impacts des décisions sur les victimes, sur les justiciables, sur les accusés.
Alors, c'est la position que l'État québécois a prise, et on arrive avec un
projet de loi auquel, j'espère, mes collègues vont souscrire, parce qu'on vise
à faire en sorte de pouvoir ouvrir la Loi sur les tribunaux judiciaires pour
rajouter 14 juges.
Autre élément dans le projet de loi qui
fait le bonheur de mes collègues également...
M. Jolin-Barrette : ...le fait
qu'en matière d'intégrité de la gestion des fonds du Conseil de la magistrature
on est dans une situation où les fonds du Conseil de la magistrature sont des
crédits permanents, au lieu d'être des crédits votés, comme tous les organismes
de l'État québécois. Alors, on propose que les sommes deviennent des crédits
votés.
Vous vous souviendrez, la journée des
crédits budgétaires, la députée de Vaudreuil a soulevé, à juste titre, un
dépassement de coûts inexpliqué et inhabituel de près de 30 % du budget du
Conseil de la magistrature. Donc, la députée de Vaudreuil nous a alertés sur ce
point-là, et je pense, à juste titre, que les parlementaires, qui sont les gens
élus par la population, ont un devoir de contrôle des sommes qui sont conférées
au Conseil de la magistrature. Écoutez, dans l'État québécois, tout est
assujetti à des règles, et je pense que ça doit l'être ainsi pour assurer la
confiance du public par rapport à la gestion des fonds publics. Alors, je vous
remercie, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, M. le ministre.
Alors, M. le député d'Acadie, pour 3 min 36 s, s'il vous plaît.
M. le député.
M.
Morin :Merci, M. le Président. M. le ministre, chers collègues,
donc, je serai très bref avec mes paroles introductives, parce qu'on n'a pas
beaucoup de temps. Donc, projet de loi n° 26, écoutez, un projet de loi
qui met en vigueur, en partie, l'Entente entre la juge en chef de la Cour du
Québec et le ministre de la Justice, document sans précédent, moi, dans ma
carrière de plaideur et d'avocat... et puis, en passant, moi, d'abord, j'ai
plaidé devant la Cour des sessions de la paix, ça ne me rajeunit pas, mais,
bon, on va miser sur l'expérience... donc, sans précédent, entente entre le
ministre et la juge en chef. Il y avait un litige, il a fallu un médiateur.
Finalement, on arrive à quelque chose puis on se dit, 14 nouveaux postes. Et,
oui, il y a des ratios, c'est une excellente chose. Et on se dit, bien,
écoutez, ce ne sera pas compliqué, un article... un projet de loi, deux
articles, ça va bien aller. Alors, on commence avec l'article 1, qui est
vraiment identique à l'entente, c'est parfait. Mais, après ça, j'imagine que le
ministre a mis «notamment» dans son projet de loi, puis que ça veut dire
quelque chose, parce qu'il y a deux autres articles, qui, eux, sont peut-être
un peu plus problématiques.
On n'est pas contre la reddition de
comptes, M. le Président. Évidemment, c'est des fonds publics. Sauf que, dans
l'état, il y a aussi un concept fondamental dans toutes nos sociétés
démocratiques, qui s'appelle l'indépendance de la magistrature, et ça, il faut
le préserver. Donc, nouveau mode de financement, le conseil obtient ses fonds à
même le fonds consolidé. Maintenant, on veut que tous les crédits soient votés
annuellement, annuellement. Puis on se rend compte que, s'il y a eu un
dépassement de coûts, parce que le conseil a quand même répondu à certaines
demandes de M. le ministre, bien, c'est parce que le conseil s'est adressé aux
tribunaux. C'est dans le droit, de s'adresser à la cour pour contester des lois
adoptées par le gouvernement, puis ils estimaient qu'elles devaient être
contestées. Alors, ce n'est pas comme si on était dans une situation de
dépassement de coûts parce que tout le monde ne savaient pas ce qu'ils
faisaient, là. Il faut quand même... Puis on a eu une lettre du conseil qui
était très, très claire à cet effet-là. Donc, je pense qu'il faut remettre ça
dans le contexte, il faut remettre ça dans cette perspective, et il faut
absolument entendre des experts, pour nous assurer qu'avec ce projet de loi on
ne va pas franchir la ligne, et qu'on ne touchera pas, et qu'on n'ira pas
empiéter sur l'indépendance institutionnelle du Conseil de la magistrature.
• (15 h 30) •
Projet de loi d'autant plus étonnant,
parce que, quand on parle de reddition de comptes, et on en est, et on est pour
ça, c'est clair, on vient d'adopter le projet de loi n° 8, où on a permis
à la Vérificatrice générale de venir regarder évaluer les comptes du Conseil de
la magistrature. Donc, est-ce que le projet de loi n° 8, qui est à peine
sec, qui vient d'entrer en vigueur, n'est pas bon? Est-ce que les
parlementaires ont fait un travail qui n'est pas valable? On peut se poser la
question. Là, le ministre veut aller plus loin, et il faut être capables
d'identifier, à l'aide d'experts, clairement, pourquoi on veut aller plus loin.
Ça m'apparaît tout à fait important, puisque, dans une société, dans un État de
droit, dans un État où on fait, évidemment, la promotion de la primauté du
droit, la magistrature et son conseil doivent être indépendants, et,
évidemment, c'est fondamental, donc, d'où l'importance d'entendre des experts
sur cette question. Je vous remercie.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri—Sainte-Anne, pour 1 min 12 s. M. le député, s'il
vous plaît.
M. Cliche-Rivard : ...Président.
D'abord, bien heureux de l'entente, qui va appuyer un rehaussement du nombre de
juges et un meilleur accès à la justice. Alors, je souligne aussi l'importance
des cibles de performance. Donc, sur l'entente et sur le premier article, j'en
félicite le ministre. Par contre, enjeu important, inquiétudes énormes
relatives à l'indépendance de la magistrature. Quand même, plusieurs drapeaux
rouges qui ont été soulignés dans les médias, par différents experts, dans les
dernières semaines. Je vais avoir très hâte... En fait, j'ai très hâte
d'entendre les groupes, pour voir ce que les experts en pensent. Mais,
d'emblée, comme mon collègue, je...
15 h 30 (version non révisée)
M. Cliche-Rivard : ...Il est
très inquiet relativement au principe d'indépendance judiciaire. Alors, j'ai d'énormes
questions, on va en avoir beaucoup et on s'attend à ce qu'on puisse être
éclairés sur le fond de ces questions. Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, M. le député. Madame la
députée de Vaudreuil, pour encore une fois une minute 12 secondes. Mme la
députée.
Mme Nichols : C'est mieux que
12 secondes, M. le Président. Bonjour. Je partage... Étant donné le court
laps de temps, là, je vais être très directe, là. Je partage la préoccupation
de mes collègues. Oui, ça a été soulevé à l'étude des crédits, le dépassement
de coûts. Évidemment ça a été justifié, on l'a reçu par... On a reçu, là, les
comptes... La ventilation, en fait, par lettre.
Moi, je vous... je le soumets, je soumets
ma position d'emblée. Je me demande si ce n'est pas tout simplement prématuré
de légiférer de la sorte puisqu'on a récemment adopté le projet de loi huit,
qui va justement venir... Qui prévoit des... qui donnent au ministre, en fait,
qui donnent au ministre le... et le ministre doit soumettre ses prévisions
budgétaires, en fait, la... Je recommence. Le Conseil de la magistrature doit
soumettre ses prévisions budgétaires au ministre de la Justice, puis les livres
vont être vérifiés par la vérificatrice générale. Alors, je me disais c'est
peut-être juste prématuré de l'inclure comme ça dans un projet de loi, à moins
qu'il y ait autre chose qui viendra le justifier.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Alors donc, nous allons débuter nos
auditions et on débute avec le professeur Patrick Taillon, qui est professeur à
la Faculté de droit de l'Université Laval, mais qui n'est pas à l'Université
Laval. Je ne dis pas où est-ce qu'il est, mais il n'est pas à l'Université
Laval. Alors, professeur Taillon, merci beaucoup d'être avec nous, c'est un
grand privilège. Merci beaucoup. Alors, comme vous savez, vous avez 10 minutes
de remarques et puis après ça, nous aurons un échange avec les membres de la
commission. Alors, professeur Taillon, la parole à vous.
M. Taillon (Patrick) : Bonjour.
D'abord, merci, M. le Président, pour cette invitation. Je suis désolé auprès
des membres du comité, là, je n'ai pas pu produire un mémoire, l'invitation est
arrivée un peu rapidement, mais j'ai l'espoir que ce ne soit pas très grave,
parce que, de toute manière, je suis ici davantage dans l'optique de répondre
aux questions des membres de la commission, pas nécessairement pour convaincre
ou recommander l'adoption ou le rejet, là, du projet de loi. Surtout de... surtout
sur la question, là, sur laquelle je vais cibler mon intervention, sur la
question, là, du vote des crédits budgétaires.
Je vais quand même, en guise d'introduction,
jouer franc jeu et vous dire ce que je pense de cette question du vote des
crédits. Mais, avant de le faire, je veux d'abord insister sur deux remarques
préliminaires qui, pour moi, sont fondamentales et qui me semblent être, bon,
peut-être un peu théoriques. Puis, au risque d'être un peu professoral, je
trouve ça important de poser ces deux remarques préliminaires parce que je
pense que ça permet de clarifier les termes du débat.
Donc, Premier... première observation. Je
pense qu'il faut partir du principe suivant, c'est que la... L'administration
de la justice relève de la compétence du législateur québécois. Donc, à cet
égard, le législateur québécois, ça, c'est le principe, dispose d'une capacité
de légiférer et il doit légiférer pour créer des tribunaux, il pourrait les réformer,
les organiser à sa guise, mais, à l'inverse de ce qu'il peut faire avec les
municipalités, par exemple, lorsqu'il est question de l'administration de la
justice, le principe et sa compétence... Connaît néanmoins deux types de limite
importante, deux exceptions au principe de... qui veut que le législateur peut
tout faire en cette matière.
Donc, le premier type d'exception, qui n'est
pas en cause ici pour la discussion d'aujourd'hui, c'est que le législateur
québécois ne pourrait pas, dans l'administration de la justice, empiéter outre
mesure sur ce qui relève un peu du carré de sable des juges de nomination
fédérale. Ce n'est pas notre problème aujourd'hui, mais ça fait partie des
limites qui s'appliquent à l'action législative du législateur québécois.
La deuxième limite, et, elle, elle est
plus importante pour la discussion d'aujourd'hui, c'est que le législateur
québécois peut tout faire, créer, réformer des tribunaux, mais, lorsqu'il le
fait, il ne doit pas porter atteinte aux aspects... Aux garanties minimales,
essentielles, impératives, garanties par la Constitution, donc au-dessus de la
volonté du législateur, de l'indépendance judiciaire.
Certains intervenants craignent qu'il y
ait une telle mise en cause de l'indépendance judiciaire dans le projet de loi
qui est devant nous aujourd'hui. Ce n'est pas mon cas. Mais, avant d'expliquer
pourquoi ce n'est pas mon cas, je dois faire cette deuxième observation
préliminaire, qui est très importante à mes yeux.
Il faut absolument, lorsqu'il est question
d'indépendance judiciaire, mais c'est le cas aussi pour d'autres fondements de
l'État, j'entends, par fondements de l'État, des droits, des principes, des
idéaux, des valeurs qui sont inscrits dans notre Constitution, ça peut être la
démocratie, le fédéralisme...
M. Taillon (Patrick) : ...judiciaire
les droits fondamentaux. Lorsqu'il est question de ces fondements de l'État, il
faut savoir distinguer ce qui d'un côté est obligatoire, s'impose au Parlement,
ce que la Constitution oblige... sans quoi la Constitution oblige le
législateur ou ce que la Constitution interdit en quelque sorte au législateur.
Ça, c'est ce que j'appellerai, aux fins de la discussion d'aujourd'hui,
l'indépendance judiciaire en droit positif.
Donc, c'est à un niveau de lecture qu'il
ne faut pas confondre avec une autre conception des choses où, là, on peut
discuter de ce qui est souhaitable, ce qui est opportun pour concrétiser un
idéal qui peut être l'indépendance judiciaire, la démocratie, le fédéralisme et
ce que j'appellerai ici l'indépendance judiciaire comme un idéal qui inspire le
comportement des acteurs, des institutions.
Et donc il ne faut pas mélanger ce que
veut dire l'indépendance judiciaire en droit positif canadien, ce que ça
contient comme obligations, comme interdictions qui sont non négociables et qui
s'imposent au législateur québécois et la discussion qu'on peut avoir sur les
différentes manières de concrétiser l'idéal d'indépendance judiciaire. C'est
deux types de discussion qu'il ne faut pas confondre.
Pour prendre une analogie toute simple,
quelqu'un pourrait dire qu'avoir un lieutenant-gouverneur non élu ou avoir un
Sénat non élu, c'est antidémocratique. Bien, sur le terrain de l'idéal démocratique,
l'affirmation est juste. Mais sur l'idée... sur le terrain de ce qui était
obligatoire démocratiquement au Canada, bien, c'est faux. La Constitution
canadienne, elle a des exigences en ce qui concerne la démocratie, mais ça ne
lui pose pas de problème que le lieutenant-gouverneur ou les sénateurs soient
non élus.
C'est un peu la même chose en matière
d'indépendance judiciaire. Il y a une espèce de minimum non négociable qui
s'impose au législateur. Puis après, il est quand même important que les... le
législateur, le gouvernement, ait une réflexion sur : Au delà de ce
minimum, quelle est la meilleure façon de concrétiser l'idéal puis de le
concilier avec d'autres idéaux aussi, qui doit animer les institutions.
Donc, ça, c'était mes deux remarques préliminaires
qui m'amènent à prendre position sur le projet de loi qui est devant nous. Le
projet de loi qui est devant nous ne porte pas atteinte à l'indépendance
judiciaire telle qu'on l'entend en droit positif, parce qu'en droit positif,
cette indépendance-là, elle a été définie par la jurisprudence comme une
protection un peu à géométrie variable qui va s'impliquer... qui va s'appliquer
avec beaucoup d'intensité lorsqu'il est question, par exemple, de
l'inamovibilité des juges. Tu sais, on ne veut pas que le politique puisse
destituer un juge. Donc, tout ce qui est déontologie chez les juges, la manière
dont ils vont devoir se créer un système déontologique l'interne, bien là, les
garanties s'imposent avec beaucoup de vigueur.
• (15 h 40) •
À l'inverse, par exemple, un autre exemple
parmi d'autres, sur la nomination des juges, bien, encore récemment, en
janvier, la Cour fédérale a rendu une décision dans l'affaire Democracy Watch,
où elle a dit : Non, vous ne pouvez pas mobiliser l'indépendance judiciaire
pour contester le processus de nomination des juges à Ottawa. Et on a rejeté la
plainte qui avait été formulée par ce groupe de la société civile.
Donc, selon le domaine où on est, la
nomination versus la destitution d'un juge, bien, l'indépendance judiciaire en
droit positif ne produit pas la même intensité sur le plan des effets. Sur le
plan de la sécurité financière, le salaire des juges, leur rémunération, bien,
la jurisprudence a fait l'objet d'une très, très longue saga puis elle a un peu
coupé, elle a placé le curseur à un certain endroit. La rémunération des juges
relève des institutions gouvernementales. Les gouvernements ont le pouvoir de
fixer cette rémunération, mais ne peuvent pas le faire n'importe comment. Ils
peuvent le faire seulement après avoir entendu le point de vue des juges qui
s'expriment à travers une commission. Et le gouvernement, s'il ne suit pas les
recommandations formulées par ses commissions, bien, il doit justifier son
refus de manière rationnelle et de bonne foi.
Donc, on voit ici que le principe
d'indépendance judiciaire produit des effets, mais il s'accommode quand même du
fait qu'à la fin, c'est les institutions politiques qui fixent la rémunération.
Même sur la question de la destitution des juges, s'il y a un domaine où
l'indépendance judiciaire produit énormément d'effets, c'est bien la
destitution, mais le système s'accommode du fait que...
M. Taillon (Patrick) : ...pour
destituer un juge de nomination fédérale, ça prend un vote des deux chambres du
Parlement fédéral, donc une intervention politique directe, mais l'indépendance
judiciaire est protégée parce qu'en amont de ce vote des assemblées, il y a un
processus déontologique interne par le Conseil de la magistrature qui fait en
sorte que l'action du politique qui arrive à la fin n'est pas une ingérence
puis une atteinte. Donc, c'est ça un peu ce que je veux essayer d'illustrer
ici, c'est que le principe produit des effets à géométrie variable. Il n'est
jamais absolu, puis c'est plus dans la manière dont on organise les choses que
ça va prendre forme.
Personnellement, non pas sur le terrain du
droit positif, mais sur le terrain de l'idéal de l'indépendance judiciaire,
c'est un principe qui nous tient tous à cœur, mais ce que je constate, c'est
qu'on n'a pas toujours les mêmes conceptions de la manière de l'atteindre. Par
exemple, moi, ça me chatouille personnellement sur le plan de l'idéal de la
séparation des pouvoirs de voir qu'à chaque discours du Trône à Ottawa, les
juges de la Cour suprême sont là et fréquentent les élus dans la même salle. Je
ne suis pas très confortable avec le fait qu'à chaque rentrée judiciaire, le
ministre de la Justice du Québec est en présence d'un paquet de juges, mais ça
fait partie de nos mœurs et sur le plan de l'idéal de l'indépendance, ça peut
chatouiller Patrick Taillon, mais ça ne change rien au fait qu'en droit positif
ce contact direct entre les juges et le politique n'est pas sanctionné en droit
positif. Donc, sur le terrain du droit positif, on a comme des garanties minimales.
Puis après on peut avoir une discussion sur les meilleures... la meilleure
façon d'en donner plus, d'indépendance judiciaire.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, Pr Taillon, merci
infiniment. Alors, M. le ministre, pour 16 minutes 30 secondes en
période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui,
bonjour, Pr Taillon, merci d'être parmi nous aujourd'hui. Écoutez, j'écoutais
votre propos avec intérêt, donc je comprends que l'indépendance judiciaire a
des limites. Et, au cours des derniers mois, on a beaucoup entendu cet
argument-là. On dirait que tout est à l'indépendance judiciaire. Donc vous me
confirmez qu'il y a une limite à l'indépendance judiciaire?
M. Taillon (Patrick) : En
droit positif, oui. Comme idéal, on peut toujours bonifier tout cela, mais il y
a même des limites à être intrinsèques parce que, par définition, il y a des
points de contact entre les institutions politiques et le judiciaire.
D'ailleurs, une des choses qui, moi personnellement, me plaît dans le projet de
loi qui est devant nous, c'est le fait qu'en ce moment, s'il y a des échanges,
des discussions qui doivent avoir lieu sur les finances du Conseil de la
magistrature, bien, ça va se passer entre la sous-ministre à la Justice ou le
ministre de la Justice et les autorités judiciaires compétentes. Donc, on va
avoir un point de contact qui va être avec égards plus opaque parce qu'à
l'exécutif, c'est efficace, mais l'exécutif, c'est efficace, mais c'est un peu
plus secret, son activité, alors qu'à l'inverse, avec le projet de loi, on
déplace ce débat devant les parlementaires dans une dynamique plus
transparente, plus transpartisane. Mais après, ça se discute. D'autres peuvent
trouver que non, on préfère que les choses se règlent dans le secret et la
confidentialité des rapports exécutifs et judiciaires, d'autres vont
dire : Non, on souhaite que ce soit élargi à quelque chose qui est plus
large, plus transparent devant le Parlement.
M. Jolin-Barrette : Et, dans
le fond, le Parlement, c'est lui qui tire sa source de la population. Puis, en
fait, rappelez-moi, là, en matière... je pense que c'est un des fondements de
notre démocratie que le Parlement est souverain, notamment pour voter les
sommes qui doivent être allouées à l'exécutif, aux différentes branches de
l'État, notamment au pouvoir judiciaire, au pouvoir exécutif également. Donc,
la source même d'un élément démocratique, c'est le fait que les impôts et les
sommes qui sont prélevées sur les citoyens doivent l'être par les élus du peuple.
M. Taillon (Patrick) : Oui,
ça, c'est le propre du droit constitutionnel, c'est de mettre plusieurs idéaux,
d'essayer de les transposer dans un même... un même truc. Donc évidemment,
l'indépendance judiciaire, c'est une réalité qui doit être conciliée avec
d'autres. Et celle qui veut que les parlementaires, les élus du peuple aient le
contrôle des crédits budgétaires, c'est au fondement, là, du système
parlementaire britannique, de ses origines quand même assez lointaines. Et
c'est une constante. Après, les parlementaires ont le droit de créer des
exceptions à cette règle. Ils en créent pour certaines entités, à commencer par
l'Assemblée nationale elle-même, mais c'est ça qui est intéressant, c'est de
voir que, sur la question des crédits pour les organismes, disons, judiciaires,
bien là, on a toutes sortes de points de repère sur le plan des comparaisons.
Et il y a la situation du Conseil de la magistrature qui est des crédits qui ne
sont pas votés, automatiques, mais il y a d'autres organismes au Québec et
ailleurs au Canada qui sont sur le régime qui est proposé...
M. Taillon (Patrick) : ...proposé
par le projet de loi n° 26. Comme ça n'a jamais été contesté devant les
tribunaux, on ne peut pas dire avec certitude que, parce que ça existe, c'est
conditionnel, mais il faut, à tout le moins, le présumer. Il faut présumer que,
si, dans d'autres provinces, au fédéral et pour d'autres organismes au Québec,
le régime proposé par le projet de loi n° 26 rencontre les exigences
minimales de l'indépendance judiciaire, bien, fort probablement que ça le
rencontrerait aussi pour le Conseil de la magistrature puisque son équivalent
fédéral ou son équivalent dans d'autres provinces, c'est à peu près soumis au
régime proposé par le projet de loi n° 26.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
ce qu'on propose dans le projet de loi n° 26, ce n'est pas inusité, si
j'en tiens vos propos, si, au fédéral, ce sont des crédits votés et si, dans
d'autres États fédérés du Canada, également dans certaines circonstances, c'est
des crédits votés. Écoutez, je suis présentement dans la salle Papineau... dans
la salle Lafontaine, pardon, et... Papineau, Papineau, excusez-moi, dans la
salle Papineau, puis j'ai un tableau devant moi qui dit les origines du
parlementarisme, 1376 : «Le principe de contrôle budgétaire par les
Communes est consacré sous le régime d'Édouard III, épisode connu sous le
nom de bon Parlement.» C'est quand même parlant qu'on discute aujourd'hui de
contrôle, également que ce soit... qu'on veule confier aux élus de l'Assemblée
nationale qui sont élus par le peuple québécois un mécanisme pour faire en
sorte que... justement, que les fonds publics soient votés par les élus du
peuple québécois. Écoutez, je voulais vous demander... Le Conseil de la
magistrature a distribué un mémoire à tous les parlementaires puis il a été
rendu public également, et un des arguments pour dire : Écoutez, il ne
faudrait pas que les parlementaires votent les crédits du Conseil de la
magistrature, c'est le fait que ça a toujours été puisé sur le fonds consolidé
et il faut que ça demeure ainsi. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
il faut prendre le temps de se mettre dans la peau du Conseil de la
magistrature. Pour eux, c'est sûr que c'est plus commode de ne pas avoir à
présenter des prévisions ou ne pas avoir à présenter des demandes de crédits
supplémentaires s'il y a des imprévus. Alors, je les comprends de considérer
que, pour eux, la situation actuelle présente des avantages sur le plan de la
commodité administrative qui sont avantageuse. Mais, après, quand ils
prétendent dans leurs mémoires que c'est une atteinte à l'état actuel du droit
positif, bien, moi, je demande à savoir quelle décision dit cela, parce qu'en
l'état actuel de l'indépendance judiciaire non pas comme un idéal absolu que
l'on peut vouloir mobiliser pour faire mieux, mais tout simplement comme
exigences requises par le droit positif je ne vois pas du tout l'embryon d'une
telle limite. Puis après, c'est une question de choix, le législateur québécois
est libre de décider s'il préfère garder le régime actuel avec ses avantages et
ses inconvénients ou s'il préfère aller vers un autre régime qui a d'autres
avantages et d'autres inconvénients.
• (15 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Parce que
l'on comprend que le régime actuel, le fait d'être branché directement sur le
fonds consolidé, c'est qu'il n'y a aucune mesure de contrôle. Dans le fond, je
vous donne un comparatif, professeur Taillon. Les parlementaires ou les
ministres, ils ont un budget qui est déterminé et ça doit être soumis aux
parlementaires pour être autorisé à dépenser le budget, à l'exception... Je
vous donne un exemple. Au ministre de la Justice, on a des crédits permanents
mais qui est le programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels. Et
ça, c'est un droit, dès que vous vous qualifiez, le citoyen a droit à
l'indemnisation. Donc, ce sont des crédits permanents. Là, dans la situation du
Conseil de la magistrature, contrairement à d'autres organismes
disciplinaires... Je vous donne un exemple, le Conseil de la justice
administrative, ce sont des crédits votés. Il n'y a pas d'enjeu à ce niveau-là.
La Cour du Québec, la Cour supérieure, la Cour d'appel, les crédits des
tribunaux judiciaires, au Québec, dans le portefeuille Justice, ce sont des
crédits votés, mais les tribunaux ne sont pas moins indépendants parce que ce
sont des crédits votés. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
c'est ce que je disais tantôt, quand je disais que le régime qui est dans le
projet de loi n° 26, il existe déjà pour d'autres organismes ou organes du
pouvoir judiciaire. Et après, il faut aussi... C'est sûr que, si on se met à
paranoïer ou à inventer que le Parlement va se comporter de façon... de
mauvaise foi puis va refuser les crédits, bien là, oui, effectivement, il y a
un problème pour l'indépendance, mais il faut, au contraire, je pense, présumer
que, si le projet de loi n° 26 est adopté, c'est plus un mécanisme de vote
des crédits qui va se produire, et donc de transparence, de discussions
éventuellement, mais non pas un mécanisme qui va nous plonger dans une
dynamique où les parlementaires vont rejeter systématiquement les demandes de
crédits. La preuve, depuis des...
M. Taillon (Patrick) : ...années,
voire des décennies, ça fonctionne très bien, les parlementaires votent les
crédits pour les autres organismes avec la bonne foi, la déférence que commande
l'idéal d'indépendance judiciaire. Donc, je trouve que l'exemple des autres organismes
qui font partie du pouvoir judiciaire québécois, et ailleurs dans le Canada,
vont nous permettre d'illustrer que ça peut fonctionner si c'est ce que le
législateur québécois veut faire et élargir comme régime.
M. Jolin-Barrette : O.K. Une
des critiques du Conseil de la magistrature, dans leur mémoire, c'est que le
fait de soumettre aux crédits votés le Conseil aurait pour effet que le Conseil
devra se demander s'il aura assez d'argent ou non pour enquêter ou non sur les
juges et que les membres devront potentiellement se demander s'ils devraient ou
non accorder plus ou moins de temps sur des examens de plaintes. Qu'est-ce que
vous pensez de cet argument-là?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
je suis plus sensible à l'argument de tout à l'heure sur le petit fardeau
administratif que ça leur impose de plus. L'argument qui consiste à prétendre,
non, c'est trop imprévisible, on n'est pas capable, nous, de faire des
prévisions, ça ne me semble pas très réaliste comme argument dans la mesure où
les autres organismes, qu'ils soient judiciaires ou non, se soumettent à un
exercice de prévision. Puis un exercice de prévision, bien, ça s'ajuste quand
il y a matière à ajustement, surtout sur des enjeux de contestation ou de
nombre de dossiers à traiter ou de frais judiciaires à engager. Il y a des
dossiers qui ne se règlent pas toujours en 12 mois, et donc on les voit
naître, on les voit se poursuivre. Il y a moyen, à moins que...
En tout cas, je veux dire, dans la mesure
où on engage des frais qui sont réguliers, prévisibles, raisonnables,
généralement, entre la prévision et la réalité, l'écart est gérable parce que
les autres y arrivent. Après, c'est le choix du législateur québécois de
décider si cet effort de prévision là, puis le plus que ça apporte en
transparence, aussi en démocratie, parce que c'est plus démocratique que ça se
passe au Parlement qu'au bureau du sous-ministre, ça, c'est est-ce que c'est le
choix qu'on veut faire ou on aime mieux garder ça comme avant.
M. Jolin-Barrette : ...intéressant,
c'est plus démocratique et plus transparent que ce soit l'ensemble des
parlementaires qui soit saisi de cette demande-là plutôt que le Conseil de la
magistrature, lui, prélève ses sommes directement sans soumettre cela au
contrôle des parlementaires ou à l'approbation des parlementaires. Parce
qu'ultimement c'est ça qu'on veut. Il n'est pas question de bloquer les sommes
pour le Conseil de la magistrature, mais je pense que c'est un exercice de
transparence.
Je voulais vous demander également,
Professeur Taillon, un des éléments qui était invoqué dans le mémoire du
Conseil de la magistrature est une décision qui a été invoquée, une décision du
7 mars 2000, la Cour d'appel du Québec, Conseil de la magistrature contre
Commission d'accès à l'information. Alors, le Conseil de la magistrature nous
dit que «selon la décision de la Cour d'appel, le Conseil doit puiser ces
sommes à même le fonds consolidé pour lui permettre d'assumer sa mission.»
Bien, écoutez, moi, j'ai lu la décision de la Cour d'appel, ce n'est pas tout à
fait ce que ça dit, mais je voudrais vous entendre sur la décision de la Cour
d'appel.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
je trouve que c'est une décision qui permet vraiment de bien poser la
distinction que je voulais faire en remarques préliminaires, entre ce que le
droit positif impose puis un idéal qu'on peut vouloir enrichir. Et ce qu'elle
dit, la décision, bien, d'abord, on ne se pose pas la question de savoir s'il
faut voter ou non des crédits, ce qu'elle dit, c'est : Je dois qualifier
cet organisme, jusqu'à quel point il est rattaché à l'État québécois, quelle
distance il a? Et donc, pour le qualifier, je lis sa loi constitutive et je
puise, dans la loi constitutive, des indices. Et la Cour d'appel voit dans le
fait qu'à l'époque, et encore aujourd'hui les crédits sont automatiques, une
preuve de l'intention du législateur de vouloir... de faire... de faire de cet
organisme un organisme qui bénéficie, évidemment, des plus hautes...
Mais ce n'est pas le seul indice qui
existe, et jamais la Cour d'appel n'a dit cet indice doit exister aujourd'hui
et pour toujours. Elle fait juste constater que c'est une réalité de la loi et
elle se fonde sur cette réalité pour dire ça témoigne d'une intention. Ça veut
dire que, si la Cour d'appel avait à rendre la même décision sur le même
problème au lendemain de l'adoption du projet de loi n° 26, bien, dans
l'arsenal des arguments qu'elle aurait à puiser pour soutenir son point de vue
qui est : il s'agit d'un organisme indépendant, bien, elle devrait puiser
dans d'autres indices qui figurent dans la loi pour faire la démonstration qui
est de toute façon une évidence, qui est : effectivement, c'est un
organisme indépendant.
M. Jolin-Barrette : Une
question pour vous, professeur Taillon, est-ce que les Parlements successifs,
les nouvelles législatures sont liés, pieds et poings liés, en tout temps, pour
1 000 ans par rapport...
M. Jolin-Barrette : ...à
l'intention du législateur antérieur. Est-ce que ça empêche le législateur actuel
d'amener des modifications dans les lois qui sont conformes à son pouvoir
d'administration de la justice, à son pouvoir de légiférer? Est-ce que c'est
possible de modifier des lois antérieures pour changer l'état du droit?
M. Taillon (Patrick) : C'est
même ça, le concept de souveraineté du Parlement. C'est que le Parlement de
demain est libre de défaire ce que le Parlement d'hier a décidé. Cela dit,
comme je l'ai dit en introduction, dans le cas du Québec, sa compétence sur
l'administration de la justice, elle est entière, sous réserve de deux types de
limites importantes, une qui concerne les juges de nomination fédérale, et ce
n'est pas vraiment notre sujet aujourd'hui, et l'autre limite qui s'impose,
c'est l'indépendance judiciaire au sens du droit positif. Mais, par rapport...
après ce minimum de droit positif, la manière de concrétiser les rapports
interinstitutionnels, ça, on peut les... on peut les améliorer, les modifier
dans un sens qui n'est pas à sens unique, parce qu'il y a des préoccupations
d'indépendance judiciaire, des préoccupations de transparence financière. Il y
a toutes sortes de pondérations à faire, puis ça, ça relève du choix du
législateur.
M. Jolin-Barrette : Et je
comprends que, dans notre système démocratique, les institutions ont parfois
des discussions entre elles. Lorsqu'un tribunal rend une décision, il peut
arriver que le législateur réponde à cette décision-là en modifiant une loi.
C'est de la façon que ça fonctionne ici, dans notre démocratie?
M. Taillon (Patrick) : C'est
de la façon que ça fonctionne dans notre démocratie, et je dirais c'est même
encore plus fréquent dans les juridictions de common law, où on va laisser
beaucoup de place... C'est paradoxal, mais la tradition... la tradition
juridique de common law est une tradition où on fait énormément confiance aux
juges pour élaborer des solutions créatives et jurisprudentielles tout en
préservant énormément la souveraineté des parlements d'y répliquer. Bien,
après, le Canada est héritier de tout ça et l'a aménagé, ça, il l'a fait
évoluer d'une certaine manière. Mais le principe de notre tradition juridique,
c'est beaucoup ce dialogue et cette discussion entre la jurisprudence et la
loi.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Donc, en résumé, ce que nous faisons dans le cadre du projet de loi n° 26,
selon vous, est acceptable, car il permet également de préserver l'indépendance
judiciaire, parce que l'indépendance judiciaire n'est pas un concept qui est
figé, qui est rigide et qui est blanc ou noir, c'est ce que je comprends bien?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
en...
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, Pr Taillon, s'il
vous plaît.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
En deux phrases, pour résumer, ma position, c'est que le projet de loi ne porte
pas atteinte à l'indépendance judiciaire au sens minimal qu'exige le droit
positif. Quant à l'idéal, là il y a une discussion qui est possible. Moi, je
pense que ce qu'on gagne en transparence puis en démocratisation avec le Parlement...
Si j'étais le Conseil de la magistrature, j'aimerais mieux que ces affaires-là,
là, les comptes à rendre, des explications, des prévisions à fournir...
j'aimerais mieux les fournir devant le Parlement, devant un contexte
transpartisan, que devant juste l'exécutif de façon opaque. D'autres pourraient
avoir un autre point de vue, pourraient avoir peur que le Parlement, c'est le
lieu de la partisanerie, puis ça va virer en cirque. Ce n'est pas mon point de
vue...
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup.
M. Taillon (Patrick) : ...mais,
personnellement, je pense qu'il y a un gain, que ça soit devant les
parlementaires, mais ça, c'est un point de vue plus d'opportunités.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député...
M. Jolin-Barrette : Merci, Pr
Taillon.
Le Président (M.
Bachand) :...M. le député d'Acadie pour
neuf minutes 54 secondes, s'il vous plaît.
• (16 heures) •
M.
Morin :Merci, M. le Président. Bonjour, Pr Taillon. Merci.
Merci d'être là. J'ai une question pour vous, parce qu'évidemment, dans le
projet de loi, on parle maintenant de crédits qui seraient votés, n'est-ce pas,
par l'Assemblée nationale, évidemment présentés par le ministre de la Justice.
On s'est rendu compte, parce qu'on a eu la réponse en avril 2023, que le
dépassement des coûts du Conseil de la magistrature vient, entre autres, de
contestations judiciaires parce que le conseil s'est adressé aux tribunaux.
Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que c'est quand même un droit de pouvoir
s'adresser à la cour dans notre société démocratique?
M. Taillon (Patrick) : Absolument.
Et c'est intéressant là-dessus parce que, par exemple, la Cour du Québec aussi,
elle s'est adressée aux tribunaux et elle est pourtant soumise à l'autre
régime. Puis c'est intéressant de voir que la Conférence des juges, qui est une
association entre eux dont le budget n'est pas nécessairement, là, associé aux
fonds publics de l'État, eux aussi ont esté en justice. Donc, on voit qu'il n'y
a pas nécessairement un lien d'automatisme, là, entre le régime budgétaire
auquel on est soumis puis la capacité d'ester en justice. Puis c'est fascinant
de voir comment, dans les dernières années, il y a eu une multiplication des
contestations, et c'est très, très légitime de la part des juges de défendre
leurs intérêts et leurs intérêts constitutionnels devant les tribunaux.
M.
Morin :Absolument. On en convient.
M. Taillon (Patrick) : Jadis,
il y avait une autre école de pensée. Jadis, on...
16 h (version non révisée)
M. Taillon (Patrick) : ...on
disait : Bien, il faut faire preuve de peut-être plus de retenue puis
laisser les justiciables amener ces questions-là avec le temps. Là, il y a
peut-être une approche plus proactive, un peu plus d'activisme. C'est les temps
qui changent, et les litiges se multiplient, et ça fait partie de la nouvelle
réalité des rapports entre les institutions politiques et les institutions
judiciaires.
M.
Morin :Et, si vous me permettez, donc là, on a un dépassement
de coûts. Et on explique le dépassement de coûts, c'est une lettre qui a été
envoyée au sous-ministre de la Justice. Donc, ça, c'est en avril 2023, et, peu
de temps après, on a un projet de loi qui veut désormais que les crédits soient
votés annuellement par l'Assemblée nationale. Qu'arriverait-il pour l'indépendance
de la magistrature si l'Assemblée nationale disait : Non, non, écoutez, à
l'avenir, on va réduire votre budget. Parce qu'au fond vous prenez cet
argent-là, là, puis dans notre État de droit, vous contestez les lois du
Parlement, puis ça, bien, nous, là, le gouvernement, on n'aime pas ça. Il n'y a
pas là pour vous un danger pour la société en général, parce qu'écoutez la
trame temporelle pourrait suggérer ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
c'est important. C'est un peu comme la rémunération. Il y a le qui décide.
Est-ce que l'organe qui décide a le droit de décider? Sur la rémunération, le
salaire des juges, la Cour suprême, il y a eu une saga immense, ça a duré des
années, et elle nous a dit clairement qui décide. C'est le politique, c'est le
gouvernement, mais il ne peut pas décider n'importe comment. Il faut d'abord qu'il
ait entendu, écouté, puis il faut qu'il soit capable de se défendre, il faut qu'il
soit de bonne foi. Moi, ma thèse, c'est qu'effectivement, s'il y avait un
exercice malveillant du vote des crédits, je pense que là, l'indépendance
judiciaire pourrait, comme elle l'a fait sur les salaires, connaître évidemment
un développement qui serait parfaitement logique. C'est pour ça que moi l'hypothèse
selon laquelle le Parlement ne voterait pas les crédits qui sont demandés, c'est
une hypothèse qui me semble farfelue au regard de tous les autres organismes
qui sont soumis à ce régime-là. Pour moi, l'enjeu, c'est : Est-ce qu'on
veut que ça soit automatique, puis, quand il y a un problème, ça se règle au
niveau ministériel et sous-ministériel, ou on veut que les parlementaires aient
l'info puis que ça se passe au Parlement? L'hypothèse que le Parlement est de
mauvaise foi puis il ne vote pas les crédits, c'est une hypothèse qui, à mon
avis, est peu réaliste et qui serait immédiatement sanctionnée. Ça ne durerait
pas... ça ne pourrait pas tenir la route très longtemps.
M.
Morin :Ça générerait à nouveau en fait des audiences devant les
tribunaux. Récemment, le Parlement, justement pour accroître la reddition de
comptes, a adopté le projet de loi huit, où maintenant la Vérificatrice
générale peut... en fait, va faire un audit des comptes du conseil, et le
conseil est soumis à la Loi sur l'accès à l'information. On vient d'adopter le
projet de loi. C'est à peine si l'encre est sèche. N'est-ce pas là des mesures
qui ont été mises en place, qui pourraient satisfaire et s'assurer de conserver
l'indépendance de la magistrature et attendre pour voir l'effet de ces
dispositions-là? Parce que le Parlement ne parle pas pour rien dire, là, avant
d'adopter immédiatement les articles deux et trois du projet de loi n° 26.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
moi, je n'ai pas de problème avec le scénario qui consiste à voter le projet de
loi n° 26, à attendre ou à ne pas le voter. Mon point, c'est que le
Parlement est libre de le voter au regard des exigences du droit positif.
Après, c'est des choix d'opportunités politiques qui peuvent être faits.
Quant à l'accélération des réformes, à
Ottawa, on remarque aussi la même chose. Il y a eu la saga du juge Girouard qui
amenait un projet de loi sur la modification des juges. Autrement dit, on est à
une époque où ce domaine du droit est un peu en pleine effervescence. De la
saga sur la rémunération qui date d'à peine, là, 15, 20 ans à aujourd'hui,
ces nouvelles questions, à Ottawa comme à Québec, il y a une espèce... il y a
comme une accélération de l'histoire puis il y a des raisons contextuelles qui
l'expliquent. Puis moi je ne suis pas juge du contexte, mais on me demande si c'est
conforme à l'indépendance judiciaire. Je réponds oui. Et, sur le contexte qui
amène le gouvernement à proposer un projet de loi, bien, c'est sûr que ce n'est
pas indifférent au fait qu'il y a eu récemment des coûts importants en lien
avec une contestation judiciaire. Mais ce bout-là, il ne me regarde pas, si je
peux dire, là.
M.
Morin :Mais vous y voyez peut-être un lien vous aussi.
Ceci étant, à titre d'expert, parce que
vous avez parlé beaucoup d'idéal, est-ce que vous connaissez dans la fédération
canadienne des modèles ou ce que j'appellerais un peu, disons, un modèle
hybride, c'est-à-dire que... C'est sûr que l'argent, le ministre y faisait
référence, va venir, bon, de la collecte d'impôts et de taxes, le Parlement le
redistribue. Bien, justement, pour assurer l'indépendance du Conseil, il y a
par exemple un modèle avec une autonomie limitée qui assurerait d'une part l'indépendance
du conseil et le rôle du Parlement. Est-ce que vous pouvez nous parler...
Est-ce que ça existe? Est-ce que vous pouvez nous parler de modèles comme ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
moi ce que j'ai vu dans les autres lois, là, rapidement j'ai survolé ça...
M. Taillon (Patrick) : ...même
récemment en vue de la comparution d'aujourd'hui.
Grosso modo, il y a beaucoup de lois qui
font juste être... elles vont juste être silencieuses sur la question et donc,
comme elles ne disent rien, c'est le régime par défaut qui s'applique, le
régime par un vote des crédits, donc ça, c'est le cas de plusieurs provinces
pour plusieurs tribunaux.
Après ça, ce que vous appelez peut être un
régime hybride, bien, c'est un régime où il va y avoir une spécification. On va
dire... Par exemple, on ne dit rien sur... en général, donc, en général, ce
sont des crédits votés. Mais on va venir préciser, par exemple, que si un juge
est poursuivi, comme l'a été le juge Michel Girouard au fédéral, pour des
problèmes de déontologie, mais là, l'entité fédérée Ontario, ou je ne sais
quelle autre, est obligée de payer les frais de représentation par avocat pour
le juge en question. Ça fait que, là, on crée comme une exception au régime
général qui veut que ce soit les crédits.
Moi, c'est ça que j'ai vu dans les autres
lois. Et si le projet de loi à Ottawa était adopté, mais là, on viendrait
dire : Oui, mais quand un juge a un problème de déontologie, pour son
régime de retraite, pour certaines choses, on va venir apporter des balises.
Donc, on peut s'attendre à ce que si le projet de loi à Ottawa est adopté, on
ait un genre de troisième cas de figure qui... qui se dessine à l'horizon.
M.
Morin :Et êtes-vous familier, pouvez-vous nous parler un peu du
régime fédéral avec le Commissaire à la magistrature? Parce que, bon, si ma
compréhension est bonne, au Parlement fédéral, il y a des crédits qui sont
votés, mais il y a aussi des sommes qui sont réservées, donc il y a une espèce
d'hybride. Et le commissaire, finalement, sert un peu en fait d'organisme entre
la magistrature comme telle et le ministre, la justice.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
M.
Morin :Pouvez-vous nous parler de ce modèle-là qui semble
garantir d'une façon en fait optimale l'indépendance de la magistrature?
M. Taillon (Patrick) : M. le
Président, je n'ai aucun doute que le député, vu sa vaste expérience, maîtrise
encore mieux ce régime fédéral que moi. Moi, ma compréhension, là ,il ne va pas
jusque dans les moindres détails. Mais effectivement, à Ottawa, c'est une
partie des crédits qui serait votée, puis une partie qui serait comme imputée
directement. Et là, vous faites référence au rôle un peu d'interface que fait
le Commissariat à la magistrature, ça me semble logique et cohérent. Mais là,
sur cet aspect-là, je vous crois sur parole puis je... il faudrait que j'aille
le revérifier, mais ça me semble... Ce que vous ajoutez comme complément dans
votre question, à ma compréhension, me semble s'inscrire dans la même... Et ça
confirme un peu votre...
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Il vous reste
moins d'une minute, M. le député de l'Acadie.
M. Taillon (Patrick) : ...sur
la possibilité de régime intermédiaire.
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, M. le député de
l'Acadie.
M.
Morin :Oui. Donc finalement, ça pourrait être un modèle optimal
parce qu'il y a le rôle du Parlement.
M. Taillon (Patrick) : Ça
fait partie des choix possibles.
M.
Morin :Tout à fait, absolument. Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Trois secondes, M. le député.
M.
Morin :Très bien. Voilà, c'est bien M, le Président.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
l'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, pour
3 min 18 s.
M.
Morin :Merci, monsieur.... professeur...
• (16 h 10) •
M. Cliche-Rivard : Merci.
Pr Taillon, on a parlé d'un scénario que vous ne souhaitez pas,
évidemment, mais qui est possible, un scénario où l'Assemblée nationale ne
voterait pas tous les crédits demandés par le conseil. À mon humble avis, si le
conseil n'a pas les budgets pour assurer son fonctionnement, il y aurait là
possible menace à l'indépendance judiciaire. Alors, si on acceptait plutôt la
proposition du ministre mais dans le projet de loi, mais qu'on y joignait aussi
un engagement du même ministre d'accepter le budget demandé par le conseil pour
assurer ses fonctions et de les soumettre aux crédits... pardon, de les
soumettre au Trésor en son nom, sans modification, est-ce qu'on n'aurait pas là
le meilleur des deux mondes où il y aurait finalement transparence, mais il y
aurait aussi assurance que le conseil préserverait les sommes nécessaires à son
indépendance?
M. Taillon (Patrick) : Je
vais essayer des réponses concises parce que le temps est précieux. Mais,
grosso modo, la suggestion est intéressante, mais à la fin ce n'est pas le
ministre qui approuve les crédits, même si dans la réalité, il y a une majorité
ministérielle, donc l'engagement vaut un peu. Mais c'est pour ça que, sur le
plan du libellé, c'est peut être... je me demande en tout cas dans quelle
mesure c'est optimal de pointer vers le ministre pour cet aspect-là là, dans le
sens qu'ultimement, lui, ce n'est pas lui qui les approuve les crédits, puis
c'est peut-être même une concession que les parlementaires sont... ne veulent
pas, ne veulent pas faire. Mais je comprends l'esprit de la proposition.
Moi, ma lecture, là, c'est... Un exercice
cavalier par le Parlement serait l'équivalent d'un gouvernement qui voudrait
imposer une baisse de salaire sans avoir entendu le point de vue de la
Commission de la rémunération des juges. L'état actuel des choses montre très
bien que ça serait sanctionné très rapidement, donc c'est pour ça. Et c'est sûr
que si on regarde le projet de loi à travers des... à travers un exercice
malveillant du pouvoir qui est confié au Parlement et qui ne serait pas permis
par la Constitution canadienne, mais c'est sûr qu'on va être inquiet. Et il n'y
a rien de mal à vouloir...
M. Taillon (Patrick) : ...dans
le projet de loi venir préciser que de tels scénarios ne sont ni possibles, ni
envisagés, ni envisageables. Je n'ai pas de problème avec ça, même si j'ai
confiance que, là-dessus, le parallèle qu'on peut faire avec la rémunération
fait en sorte que le pouvoir qu'on confie au Parlement ici ne peut pas être
exercé d'une manière malveillante.
M. Cliche-Rivard : Mais donc
un engagement du ministre à présenter en son nom ces crédits-là au nom du
Conseil auprès du Trésor, donc de ne pas les modifier, de ne pas les
diminuer...
M. Taillon (Patrick) : Ah! je
comprends mieux la proposition.
M. Cliche-Rivard : ...là, il
y aurait possibilité, justement, de ne pas venir limiter la capacité du conseil
a posteriori, de venir finalement prendre des recours judiciaires si elle en a
besoin ou, etc. Parce que, là, ce qu'on arrive et ce qu'on voit, c'est que,
finalement, le dépassement de coûts a été justifié ou initié par la prise de
recours qui, finalement, visait à assurer l'indépendance dudit Conseil de la
magistrature. Alors, si le conseil n'avait pas eu ces sommes-là, ce million-là
supplémentaire, il n'y aurait pas nombre de décisions telles qu'on les connaît,
ils n'auraient pas pu mettre en place ou contester des dispositions qui, eux et
finalement la cour d'appel, dans quelques scénarios, ont jugé qui était ultra
vires et on aurait, là... on aurait eu un problème où le conseil n'aurait pas
pu défendre sa légitimité et son indépendance.
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, Pr Taillon, il
reste quelques secondes.
M. Cliche-Rivard : Oui. Je ne
vois pas dans quel dossier ça a été jugé ultra vires. Là, je pense que le
dossier, ça a été suspendu provisoirement, mais je peux me tromper. Chose
certaine, je trouve que la proposition qui vise à forcer le ministre à relayer
tel quel la demande budgétaire m'apparaît plus intéressante que l'amendement
qui viserait à engager le ministre à soutenir l'adoption des crédits. Mais
peut-être, c'est ma mauvaise compréhension au départ, mais l'idée de relayer
est intéressante.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Désolé Pr Taillon, le
temps va très, très rapidement. Mme la députée de Vaudreuil, pour 3 min 33 s.
Mme Nichols : Oui. Merci, M.
le Président. Merci, Pr Taillon, d'être parmi nous. Votre opinion est claire.
Cependant, je ne vous cacherai pas, là, la difficulté à l'appliquer dans le
monde politique. Tu sais, on fait de la politique, on est un Parlement, on est
avec un gouvernement majoritaire. Bien sûr, les législatures changent, puis le
ministre l'a dit, là, il pense toujours à l'intérêt collectif avant tout. Bon.
Reste que c'est un gouvernement majoritaire. Puis moi, mon inquiétude par
rapport aux crédits votés, aux crédits que nous soumettrait le Conseil, bien,
c'est peut être la possibilité d'orienter, tu sais, de donner une certaine
orientation. Moi, ce que j'ai compris dans votre opinion, c'est que c'est
quelque chose qui ne pourrait pas arriver, parce que vous nous parlez, entre
autres, du droit, le droit idéal. Ça fait que ce n'est pas un scénario que...
Mais je ne veux pas... Je l'ai dit, là, je ne présume pas...
M. Taillon (Patrick) : Mais
dans les dernières années, quand ce Parlement a voté les crédits de
l'équivalent pour la justice administrative du Québec du Conseil de la
magistrature, ça s'est passé d'une certaine manière qui n'a pas posé de
problème. Alors, effectivement, moi, je présume que ça va se passer de la même
manière et que, si ça ne se passait pas de cette manière-là, les juges ont ce
qu'il faut pour se défendre. Après, comme je vous l'ai dit en introduction, moi
j'ai une légère préférence avec une approche qui crée le point de contact entre
les parlementaires et le judiciaire, mais d'autres vont aimer... vont préférer
que, s'il y a des questions à se poser, que ça se passe au niveau du bureau du
sous-ministre, puis dans une certaine opacité, mais qui vient avec de
l'efficacité, peut être un peu plus de pudeur, ça a moins de chances de devenir
un spectacle médiatique.
Moi, je ne crains pas cet aspect-là, là,
que les parlementaires soient investis. La preuve? On dit souvent que les
personnes désignées vérificateur général, président de la Commission des droits
sont plus indépendants parce que c'est avec l'Assemblée directement qu'ils font
affaire. Donc, moi, si j'étais le Conseil de la magistrature, je verrais d'un
bon oeil d'avoir plus de relations directes avec le législatif et moins avec
l'exécutif, je verrais un gain, là. Mais je comprends que sur le plan de la
commodité administrative, je verrais aussi que c'était plus agréable de ne pas
avoir à faire de prévisions et de pouvoir embaucher, par exemple, les avocats
de notre choix, peu importe leur tarif horaire, en n'ayant pas à expliquer à
l'avance ou à retardement. Mais la preuve...
Mme Nichols : Quitte à
froisser un peu le politique sur cet aspect.
M. Taillon (Patrick) : Pardon?
Mme Nichols : J'ai dit :
Quitte à froisser un peu la politique sur cet aspect.
M. Taillon (Patrick) : Ah!
mais ça, c'est le rôle de chacun, le législatif. Le Parlement est là pour
froisser le gouvernement puis le judiciaire est là aussi pour brasser le
gouvernement fréquemment en rendant des décisions qui contrôlent l'action du
gouvernement. Ça fait partie du système et c'est pour ça qu'il est important de
réfléchir les rapports entre chacun parce que chacun a son rôle, mais...
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup...
Le Président (M.
Bachand) :...il reste 35 secondes, Mme la
députée.
Mme Nichols : 35 secondes.
Dans les différentes, vite, vite, vite, là, dans les différentes missions du
Conseil de la législature, on le sait, il y en a plusieurs, là, mais est-ce
qu'il y en a une, en particulier, où vous dites : Bien, ça, il faudrait
l'isoler, il ne faudrait vraiment pas que ça soit un crédit voté...
M. Taillon (Patrick) : Ah!
O.K. Bien, si vous souhaitez en exclure une, probablement que l'aspect
déontologique, c'est la plus... Autrement dit, si l'idée serait d'adopter un
26, couper la poire en deux et créer une exclusion, moi, c'est celle-là que je
créerais. Mais bon, c'est vraiment un choix qui appartient au législateur de
rester sur le régime actuel, d'aller vers 26, ou d'aller à un scénario entre
les deux.
Mme Nichols : Merci.
Le Président (M. Bachand) :Merci. Sur ce, professeur Taillon, merci infiniment d'être
avec nous cet après-midi, pour vous, à une heure différente. Alors, on se dit à
bientôt. Merci beaucoup.
M. Taillon (Patrick) : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Sur ce, je suspends les travaux
quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 17)
(Reprise à 16 h 22)
Le Président
(M. Bachand) :...À l'ordre, s'il
vous plaît. La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir
d'accueillir les représentants de Droits collectifs Québec. Donc, messieurs,
merci beaucoup d'être ici. Donc, comme vous savez, vous avez 10 minutes de
présentation. Après ça, on aura un échange avec les membres. D'abord, je vous
invite à vous présenter et à débuter votre présentation, s'il vous plaît.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Je
me présente, Etienne-Alexis Boucher, président de Droits collectifs Québec. Et
j'ai le bonheur d'être accompagné par M. Daniel Turp, administrateur à
l'organisme et évidemment éminent juriste et constitutionnaliste québécois qui
a notamment connu une grande carrière académique à titre de professeur émérite
de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Alors, M. le Président, et
député de la très belle circonscription de Richmond, M. le ministre de la
Justice et...
Des voix : ...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien
non, mais je viens de l'Estrie aussi. Alors, hein, on défend notre patrie. M.
le ministre de la Justice et député de Borduas, Mmes et MM. les parlementaires,
je tiens d'abord à vous remercier, chers membres de la Commission des
Institutions, pour l'occasion que vous offrez à l'organisme de participer aux
consultations particulières et aux auditions publiques tenues dans le cadre de
l'étude du projet de loi no 26, intitulé Loi modifiant sur les
tribunaux... la Loi, pardon, sur les tribunaux judiciaires afin notamment de
donner suite à l'Entente entre la juge en chef de la Cour du Québec et le
ministre de la Justice.
Vous permettez ainsi à Droits collectifs
Québec d'assumer pleinement sa mission, soit de contribuer à la défense des
droits collectifs des Québécoises et des Québécois, eut égard à leurs droits
linguistiques et constitutionnels, par l'atteinte de nombreux objectifs liés à
l'éducation populaire, la mobilisation sociale et la représentation politique.
En effet, cette mission nous a amenés à nous intéresser de manière particulière
à la dynamique sociopolitique et institutionnelle intervenant entre des
pouvoirs publics qui sont le socle de notre régime démocratique, soit les
pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif.
Et mine de rien, ce court au projet de
loi, composé de seulement quatre articles, touche au cœur de notre régime
politique puisqu'il permettrait aux membres de l'Assemblée nationale du Québec,
de même qu'aux membres du gouvernement du Québec d'être en mesure de mieux
assumer les responsabilités qui leur sont dévolues par le cadre législatif et
constitutionnel régissant nos institutions. Ainsi, en permettant aux
parlementaires québécoises et québécois d'étudier et de voter les crédits
octroyés au Conseil de la magistrature, le projet de loi no 26 articule de
manière concrète l'un des fondements de notre démocratie à l'effet que les
dépenses des organismes publics tels que le Conseil de la magistrature doivent
faire l'objet d'un examen par les membres de l'Assemblée nationale qui
incarnent évidemment la volonté démocratique exprimée par les Québécoises et
les Québécois.
De même, il permet au ministre de la
Justice, qui chapeaute le ministère duquel relève le Conseil de la
magistrature, de bénéficier des outils nécessaires afin d'assumer pleinement le
principe de responsabilité ministérielle à l'égard de l'utilisation des fonds
publics et d'en assumer une gestion rigoureuse qui respecte les diverses règles
administratives encadrant celles-ci. En exigeant du Conseil de la magistrature
une plus grande transparence quant à l'utilisation qu'il fait des deniers
publics, l'Assemblée nationale contribuerait à consolider la confiance du
public tant à son égard qu'à l'égard du gouvernement et des tribunaux. C'est
pourquoi Droits collectifs Québec est actuellement favorable à l'adoption du
projet de loi no 26 tel que présenté.
Ainsi, contrairement aux prétentions du
Conseil de la magistrature exprimées dans le mémoire qu'il a produit en vue de
l'étude du projet de loi no 26 par l'Assemblée nationale, l'article 3 du
présent projet de loi ne vient pas démontrer l'inefficacité ou l'impertinence
des modifications législatives adoptées grâce à la Loi visant à améliorer
l'efficacité et l'accessibilité de la justice, notamment en favorisant la
médiation et l'arbitrage et en simplifiant la procédure civile de la Cour du
Québec, désolé si c'est le titre de la loi, alors qu'il assujettit désormais le
Conseil de la magistrature à un examen annuel de ses finances par...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ..le
Vérificateur ou la Vérificatrice générale du Québec. Au contraire, cet article
vient plutôt compléter une logique qui prévaut pour l'ensemble des organismes
publics québécois, dont les crédits sont, bien entendu, étudiés par les
parlementaires, des crédits qui peuvent aussi faire l'objet d'un examen par le
Vérificateur ou la Vérificatrice générale du Québec. L'un n'est pas contraire à
l'autre.
Enfin, l'adoption du projet de loi... de
l'article 3, tel que présenté, permettrait à l'Assemblée nationale
d'harmoniser ses pratiques avec celles en cours au sein de l'État fédéral, dont
les parlementaires étudient et votent toujours les crédits octroyés au Conseil
canadien de la magistrature, tout comme celles de nombreux autres régimes
démocratiques, je pense au régime politique français et britannique notamment.
Je cède maintenant la parole de
M. Turp qui complétera la présentation de Droits Collectifs Québec.
M. Turp (Daniel) : Grand
merci, cher collègue. D'abord, je veux saluer le président de la commission, on
a siégé ensemble dans un autre parlement à la Chambre des communes pendant
quelques années, saluer les membres de la Commission des institutions qui est
une commission où j'ai beaucoup aimé siéger, vous êtes chanceux, la commission
la plus intéressante de cette assemblée selon moi. Et je voulais saluer le
ministre aussi et vous remercier de cette invitation.
Et moi, mes remarques vont porter sur,
effectivement, l'enjeu fondamental qui est dans un article d'un projet de loi
qui vise à modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires. Et cet enjeu
fondamental, c'est la... l'équilibre entre trois grands principes que sont
l'indépendance judiciaire, la... l'imputabilité démocratique et la souveraineté
parlementaire. Vraiment, on est, en étudiant un article d'un projet de loi,
dans un débat tellement fondamental qu'il mérite d'être fait et il mérite
d'être résolu, à mon avis, rapidement. Et, à la fin, moi, je suis, comme mon
collègue Patrick Taillon, tout à fait en accord avec la solution qui est
proposée ici, qui est très simple, qui vise à permettre aux parlementaires
d'examiner les crédits du Conseil de la magistrature, de les approuver et donc
de permettre à ce conseil d'exercer les fonctions qui sont les siennes en
application de la loi sur les tribunaux judiciaires.
• (16 h 30) •
Moi, aussi, j'ai été amené à devoir
rapidement examiner le projet de loi, examiner les mémoires, je remarque que le
Conseil de la magistrature, dans sa... son mémoire et sa lettre, dit assez
clairement qu'il est... qu'il considère que c'est une... ce serait une atteinte
à l'indépendance judiciaire et donc il ne souhaite pas que cet article soit
adopté. Je suis quand même assez surpris que le Barreau n'est pas aussi
catégorique. Si vous lisez comme il faut le mémoire du Barreau, il dit qu'il y
aurait un risque, il y aurait un risque peut-être, il y aurait un risque. Mais
s'il y avait un engagement du ministre, il en a été question tout à l'heure de
l'engagement d'un ministre, alors peut-être là il y a... il n'y aurait pas
d'atteinte au principe de l'indépendance judiciaire. Alors donc, il faut donc
reconnaître qu'il y a peut-être certaines mesures qui pourraient être prises
qui feraient qu'il n'y a pas d'atteinte à l'indépendance judiciaire, selon le
Barreau lui-même. Mais à mon avis, il n'y en a pas de risque. Il n'y a pas de
risque et il n'y a pas d'atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire pour
trois raisons principales.
La première raison, c'est que
l'approbation parlementaire des crédits ne supposera pas qu'on va dicter... que
les parlementaires vont dicter l'utilisation des sommes à dépenser par le
Conseil de la magistrature et ne signifie pas non plus que, s'il y a besoin de
crédits supplémentaires, on ne pourra pas, tu sais, revenir à la charge parce
qu'il y a eu des dépenses supplémentaires imprévues.
Donc, en quelque sorte, dire que les... le
Conseil de la magistrature va être limité dans sa capacité de dépenser de
l'argent parce qu'il y aura eu un examen parlementaire des crédits et son
approbation, à mon avis, ne tient pas la route. Alors, ça, c'est quand même un
argument qui devrait être déterminant.
Le deuxième argument, il a été présenté
par mon collègue Patrick Taillon, c'est qu'il y a d'autres organes,
d'organismes, y compris les organismes qui rendent la justice administrative
dans ce cas-là, qui sont régis par ce nouveau régime qu'on veut utiliser pour
le Conseil de la magistrature. Je vous rappelle le Conseil de justice administrative
en vertu de la Loi sur la justice administrative dans son article...
16 h 30 (version non révisée)
M. Turp (Daniel) : ...198,
lisez-le comme moi, là, prévoit que les sommes requises pour l'application du
présent titre, là, celui qui concerne à peu près les mêmes attributions que le
conseil de justice... a ou similaires à ceux du Conseil de la magistrature, qu'elles
sont prises sur les sommes accordées annuellement par l'Assemblée nationale. Je
remarque qu'il y a quand même une petite différence terminologique, là, qui est
entre les deux lois. Et il y en a d'autres, organes de même nature judiciaire,
comme l'a rappelé le ministre tout à l'heure, alors... Donc, ce qu'on... ce que
le projet de loi fait, c'est qu'il aligne, en quelque sorte, des pratiques pour
un conseil comme celui de la justice... et d'autres sur le Conseil de la
magistrature. Alors, moi, je trouve que c'est presque souhaitable qu'on ait un
corps législatif où il y a une certaine cohérence puis qu'on n'assujettit pas
le Conseil de la magistrature à des règles différentes des autres lorsqu'il s'agit
de l'approbation budgétaire.
Et l'autre, je pense, qui pourrait, à mon
avis, jouer... avoir une influence, c'est que, quand on examine la pratique d'autres
juridictions, on a parlé du Canada, on a parlé de la... de ce qui se passe à
Ottawa, bien, écoutez, l'avantage de ce que... ce qui est proposé aujourd'hui,
c'est que c'est beaucoup plus clair, c'est beaucoup plus transparent. Quand
vous allez voir la loi sur les juges fédérale, il n'y a pas d'indication de qui
finance le Conseil canadien de la magistrature. Et là on le sait que c'est des
crédits parlementaires, parce que, dans les lois sur les crédits, on prévoit
très clairement que les crédits pour le Conseil canadien de la magistrature
émanent d'une décision qui a été prise par le Parlement lors de l'étude des
crédits budgétaires.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, M. Turp. Juste, on est
rendus déjà à la période d'échange, alors je sais que le ministre a sûrement
des questions à vous poser. Merci beaucoup, Monsieur Boucher et M. Turp. Oui.
M. Jolin-Barrette : M. Boucher,
Pr Turp, merci beaucoup de votre présence en commission parlementaire. C'est
fort instructif. Alors, pour vous, le projet de loi comme tel n'affecte pas l'indépendance
judiciaire, ce que j'ai compris?
M. Turp (Daniel) : ...comme
mon collègue, Patrick Taillon, je pense que c'est un choix qui appartient au
législateur. Puis, si on me permet de revenir sur les trois principes, là,
écoutez, c'est vous, le Parlement, le Parlement est souverain sur cette
question-là. Et il est vrai qu'il y a une limite au Parlement en raison du
principe de l'indépendance judiciaire, mais, à la fin, c'est vous qui devez
choisir, qui pouvez choisir puis aligner votre pratique sur d'autres pratiques
qui ont été décidées par cette assemblée. Et il n'y a aucune raison, à mon
avis, si ce n'est de créer un rapport de force, hein, pour dire les choses un
peu, je voudrais dire, délicatement, là, entre un Conseil de la magistrature
qui voudrait peut-être diminuer la portée ou augmenter, devrais-je dire, la
portée et l'impact de l'indépendance judiciaire dans son rapport avec la
souveraineté parlementaire.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Si
je peux me permettre pour compléter. Souvent, le Conseil de la magistrature va
invoquer de la jurisprudence canadienne et québécoise pour légitimer ses
positions. Or, tant le Conseil canadien de la magistrature que d'autres... d'autres
conseils, là, qui gèrent la justice dans des législatures canadiennes ou
ailleurs, sont assujettis à la... à voir leurs crédits être votés par les
parlementaires. Et je n'ai jamais entendu le juge en chef, Richard Wagner, par
exemple, dénoncer l'intervention du politique dans la gestion des tribunaux
parce que les crédits étaient votés par le Parlement, même chose au niveau de
la Grande-Bretagne ou de la France, donc... et, malgré cela, on revient à
Ottawa, où c'était... c'est la même jurisprudence qui gère ce type de relations
là. Donc, nous, on y voit plus une posture, je vous dirais idéologique, là, c'est
ce qu'ils pensent, mais, au fond, la jurisprudence pourrait tout à fait
légitimer une position contraire à celle que défend actuellement le Conseil de
la magistrature.
M. Jolin-Barrette : Y
voyez-vous un objectif de transparence avec le projet de loi? Et parce que vous
venez de souligner : Bien, écoutez, dans les autres parlements, bien, c'est
la règle, que ce soient des crédits votés. L'objectif ici qu'on amène ça au
vote des parlementaires, y voyez-vous un objectif de transparence?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
tout à fait. Non seulement un objectif de transparence, mais aussi un objectif
d'uniformisation. La jurisprudence, elle est très claire, le Conseil de la
magistrature est un organisme public qui relève davantage du ministère de la
Justice que d'un tribunal. Et, à ce titre, il doit, à l'instar de tous les
autres organismes publics, faire l'objet d'un examen de ses... des crédits qui
lui sont octroyés...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...par
l'Assemblée nationale, alors que celle-ci a cette responsabilité
constitutionnelle.
M. Turp (Daniel) : Je dirais
que c'est davantage que la transparence, c'est l'imputabilité démocratique,
hein? Dans un système où on met beaucoup l'accent sur la séparation des
pouvoirs, on devrait peut-être aussi davantage parler de la collaboration des
pouvoirs. Et là on laisse, parfois, entendre : Non, non, les juges, il ne
faut pas qu'ils soient dans la collaboration, mais ils devraient être dans la
collaboration, ils devraient connaître que le Parlement et souverain. C'est lui
qui adopte les crédits et qui adopte des crédits pour les institutions
judiciaires, qui font partie des trois pouvoirs, et qui devraient collaborer en
présentant leurs crédits, puis en amenant les parlementaires à demander des
questions légitimes.
M. Jolin-Barrette : Pensez-vous
que le projet de loi porte atteinte au concept de séparation des pouvoirs?
M. Turp (Daniel) : Non, bien
sûr que non, il ne porte pas atteinte... pas plus qu'il ne porte atteinte au
principe de l'indépendance judiciaire.
M. Jolin-Barrette : O.K. Au
cours des dernières années, on a constaté, je crois, une implication soudaine
du Conseil de la magistrature dans le cadre de recours judiciaires, au même
titre que la Cour du Québec. Avez-vous fait cet exercice-là? Avez-vous constaté
cet exercice-là, une implication plus soutenue du Conseil de la magistrature
dans des recours judiciaires?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : C'était
quelque chose qui était déjà arrivé dans le passé, hein? Si on remonte aux
années 2000, effectivement, le Conseil de la magistrature est déjà intervenu
directement lui-même en justice, mais c'était plutôt l'exception que la règle.
Alors que, normalement, lorsque la magistrature, les juges jugeaient nécessaire
d'intervenir en cour, ils le faisaient à travers des associations de juges,
devaient payer eux-mêmes l'ensemble des frais liés à de telles procédures,
c'est-à-dire leur association, tu sais. Et effectivement, au cours des
dernières années, on a senti que cette exception que de voir le Conseil de la
magistrature intervenir directement tendait à ne plus être l'exception, mais
plutôt la règle.
On peut, on peut se questionner sur cette
nouvelle pratique qui est permise, mais qui a toujours été permise, mais qui
vient quand même changer les mœurs politiques ou juridicopolitiques qu'on
connaissait avant. Effectivement, il y a des questions qui peuvent se poser à
cet égard.
M. Turp (Daniel) : Et la
réponse, je pense... donner de réponse en donnant la liste, la liste des
affaires qui ont été initiées par le Conseil de la magistrature, et il y en a
beaucoup et beaucoup. Et pourquoi? Pourquoi il y en a autant? Et pourquoi,
aujourd'hui, on veut échapper à un contrôle parlementaire? Il faut se poser des
questions sur, disons, les intentions véritables du Conseil de la magistrature
sur cette question.
• (16 h 40) •
M. Jolin-Barrette : Pensez-vous
que c'est sain, dans une démocratie, de dire au Parlement : Ne regardez
pas les dépenses rattachées à des fonds publics. Ne vous occupez pas, le
Parlement, des dépenses qui touchent certains organismes de l'État. Ne les
examinez pas, ce n'est pas de vos affaires, vous, membres élus de l'Assemblée
nationale par le peuple québécois. Nous, le Conseil de la magistrature, on
invoque le principe de l'indépendance judiciaire, et on n'est pas redevable. La
confiance du public ne compte pas dans les institutions, et vous ne devriez pas
vous mêler de ça. Comment est-ce que vous percevez ça? Parce que c'est un peu
ça qu'on nous dit par le biais du Conseil de la magistrature, du mémoire du
Conseil de la magistrature?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
manifestement, chacun et chacune n'a pas la même interprétation de la portée du
principe d'indépendance judiciaire. Or, vous la connaissez, cette réponse,
clairement que ce n'est pas sain, alors que notre démocratie, elle est
notamment fondée sur l'importance pour les parlementaires, c'est-à-dire les
élus, des citoyennes et des citoyens qui composent la nation québécoise, de
cette capacité à questionner le gouvernement et les organismes publics quant à
l'utilisation qu'ils font des deniers publics, c'est-à-dire des taxes et des
impôts assumés par les citoyens et les citoyennes du Québec.
Donc, est-ce que c'est sain que des
organismes publics puissent se soustraire à un fondement, à un des fondements
de notre démocratie? Je pense que la réponse, elle est évidente.
M. Turp (Daniel) : Moi, je
vais être un peu plus direct, là. C'est malsain, c'est malsain de vouloir
échapper à un contrôle parlementaire et l'exercice de la souveraineté
parlementaire. Et c'est pour ça que cet article est très important, c'est un
enjeu fondamental parce que...
M. Turp (Daniel) : ...en
affirmant la souveraineté parlementaire sur cette question-là, vous allez
lancer un message assez clair aux juges et au Conseil de la magistrature qu'il
ne faut pas étendre la portée du principe d'indépendance judiciaire jusqu'à
priver le Parlement de sa capacité d'examiner les dépenses d'un conseil qu'il a
créé en plus lui-même par une loi et à qui il accorde... à qui des crédits sont
accordés. Alors, à mon avis... et même s'il devait y avoir des recours
judiciaires, la question va peut-être être posée, bon, bien, parfait, on va
voir, les tribunaux, comment ils trancheront et comment on va tenter de régler
cette question délicate d'équilibre entre la souveraineté parlementaire et
l'indépendance judiciaire.
M. Jolin-Barrette : Monsieur
Boucher, dans votre réponse précédente, pas celle-ci, l'autre d'avant, vous
nous expliquiez qu'à une certaine époque, lorsqu'il y avait des recours
judiciaires de la part des membres de la magistrature, ce n'était pas fait par
le biais du Conseil de la magistrature avec des fonds publics, mais plutôt les
juges eux-mêmes qui se cotisaient pour payer les frais juridiques associés aux
contestations. C'est ce que j'ai compris tout à l'heure.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Tout
à fait.
M. Jolin-Barrette : Puis de
quelle façon ça fonctionnait? C'est quoi la différence entre actuellement puis
dans le temps?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
quand même, hein, le Conseil de la magistrature est responsable d'une partie de
l'administration de la justice. Il est donc un acteur fondamental de notre
système juridique et politique et il utilise des tribunaux qu'il gère lui-même
pour, finalement, contester la volonté démocratique exprimée par les
législateurs et les législatrices qui composent l'Assemblée nationale du
Québec, tu sais, donc.
M. Jolin-Barrette : Et je
comprends que la différence de ce que vous m'expliquiez, c'est qu'auparavant
les juges, s'ils voulaient contester une loi, finançaient le recours à même
leurs propres deniers personnels, tandis que, là, les ressources de l'État, les
fonds publics sont utilisés notamment pour contester des lois validement
adoptées à l'Assemblée nationale. C'est ça?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
tout à fait. Évidemment, les comparaisons sont toujours boiteuses, mais on
pourrait voir le Conseil de la magistrature comme une espèce de patron,
finalement, d'une entreprise, et une association de juges comme une forme de
syndicat. Et, lorsque des membres d'un syndicat veulent faire valoir, comment
dire, des positions, veulent contester d'éventuelles lois, bien, c'est normal
que ce soit le syndicat qui assume les honoraires liés à ça, tu sais. Donc, il
y a vraiment une différence fondamentale entre l'institution qu'est le Conseil
de la magistrature et une association de juges.
M. Turp (Daniel) : Et les
juges ont quand même... Ils avaient les moyens, à l'époque, je pense qu'ils les
ont encore, hein, ils ont encore des bonnes rémunérations, les juges.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
je comprends ce que vous me dites, c'est comme si le Conseil de la
magistrature, qui est un organisme responsable de la déontologie judiciaire,
qui a des responsabilités importantes en vertu de la Loi sur les tribunaux
judiciaires, remplace l'équivalent de la Conférence des juges dans le cadre des
recours qui pourraient être entrepris, il y a comme une mauvaise interprétation
du rôle et de qui devrait assumer les recours et qui devrait payer les recours.
Est-ce que c'est ça que vous me dites?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien
oui. Personnellement, je pense que le Conseil de la magistrature a une
interprétation extrêmement large des mandats qui lui sont déférés par la Loi
sur les tribunaux judiciaires, c'est une évidence. Et, dans une optique de,
comment je vous dirais, d'équilibre entre les pouvoirs judiciaires, exécutifs
et législatifs, il devrait, il pourrait avoir le souci de ne pas multiplier
lui-même les recours, mais plutôt de le confier à une association de juges, comme
ce fut tant le cas par le passé.
M. Turp (Daniel) : Vous
savez, M. le ministre, moi, ce qui me dérange et pourrait vous déranger aussi,
là, comme députés, comme parlementaires, c'est le fait que le Conseil de la
magistrature paraît vouloir échapper à nouveau à une loi. Ils l'on fait avec la
Loi sur l'accès à l'information.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Ils
l'ont fait avec la Loi sur la laïcité.
M. Turp (Daniel) : Et la loi
sur la laïcité, on pourrait en parler, mais il n'y a pas eu encore de décision
judiciaire sur cette question-là, mais, écoutez, à un moment donné, on leur a
dit : Oui, oui, vous devez être assujetti à la Loi sur l'accès à
l'information. Là, maintenant, vous leur dites : Vous allez devoir être
assujetti à une loi qui dit que vous allez devoir... vos crédits vont devoir
être adoptés par le Parlement. On veut y échapper, et je crois que c'est votre
responsabilité de ne pas permettre qu'on échappe à cela.
M. Jolin-Barrette : O.K. Vous
l'avez abordé un petit peu, cette question-là, là, est-ce que votre organisme a
vécu des expériences avec le Conseil de la magistrature en matière de
transparence, notamment en...
M. Jolin-Barrette : ...d'accès
aux documents. Parce que, dans le cadre du projet de loi huit, on est venus
clarifier la décision de la Cour d'appel du début des années 2000 pour
dire clairement : Le conseil est assujetti à la Loi sur l'accès à
l'information. Est-ce que vous, avez vécu une expérience quelconque avec le
Conseil à ce niveau-là?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Ah!
bien clairement. Le droit collectif Québec s'est intéressé notamment à
l'application de l'article cinq de la Loi sur la laïcité de l'État, qui stipule
que c'est au Conseil de la magistrature de définir les nouvelles règles en
matière déontologique lui permettant à... permettant à ses membres de respecter
les nouveaux principes édictés par la... cette loi fondamentale. Et ça a pris
un an. Ça a pris un an. On a commencé en février 2022, et c'est le 20 décembre,
la veille de mon anniversaire, où j'ai finalement reçu les documents qui
avaient été demandés. Et ça a pris énormément de démarches, non seulement
auprès du Conseil de la magistrature, aussi auprès de la Commission d'accès à
l'information qui, à ce moment-là, donnait raison au Conseil de la
magistrature, toujours sur la base du même jugement sur lequel il se base
aujourd'hui, là, le jugement intervenu en 2000 sur un appel rendu par le juge
Beaudoin. On a contesté la décision de la Commission d'accès à l'information
pour se rendre en cour. Et, dès le moment où on était rendus en cour, là, tout
le monde a rétropédalé. La Commission d'accès à l'information a dit :
Bien, écoutez, abandonnez vos poursuites, on va vous donner une audition.
Puis, devant la tenue d'une audition, le
Conseil de la magistrature s'est simplement plié à nos demandes, c'est-à-dire
nous donner les documents qu'on avait demandés et qu'on jugeait normal de
pouvoir avoir accès, puisqu'à nouveau, le Conseil de la magistrature est un
organisme public qui doit... auquel on peut, les citoyens, les citoyennes du
Québec ou des organisations, demander une reddition de comptes. Alors,
autrement dit, il a fallu user de la menace des tribunaux pour voir finalement
le Conseil de la magistrature accéder à nos demandes. Et les parlementaires
québécois ont finalement réglé ce flou juridique. Nous, on prétend que le
Conseil était assujetti à cette même loi, même avant l'adoption du projet de
loi huit. Ce projet de loi est venu clarifier la situation, mais c'était notre
interprétation dès le départ, alors que le juge Beaudoin disait que ce n'était
que lorsque le Conseil de la magistrature assumait des fonctions de tribunal
déontologique qu'il n'était pas assujetti à la loi.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Une minute, M. le
ministre, une minute.
M. Jolin-Barrette : Je
voudrais vous entendre. Comment expliquez-vous cela, cette difficulté pour le
Conseil de la magistrature à vouloir être assujetti à la Loi sur l'accès à
l'information, à contester, le fait que le Conseil de la magistrature conteste
souvent des lois adoptées par le législateur québécois sous le couvert de
l'indépendance judiciaire. Comment vous expliquez cette réalité soudaine?
Le Président (M.
Bachand) :...il reste quelques secondes,
M. Turp, en quelques secondes. Merci.
• (16 h 50) •
M. Turp (Daniel) : Bien, sur
la première, c'est la résistance à la transparence. Ce n'est pas la première
fois, ce n'est pas la première institution... des institutions ne veulent pas
être transparentes. Là, c'est réglé en partie. Puis, pour l'autre chose, c'est
une question de rapport de force. C'est une question éminemment politique, même
si c'est le judiciaire qui est en cause ici. Puis on veut étendre la portée du
principe de l'indépendance judiciaire et, à mon avis, aux dépens de la
souveraineté parlementaire.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
l'Acadie, s'il vous plaît.
M. Morin : Merci. Merci, M.
le Président. Alors, bonjour, Monsieur Boucher, Pr Turp. Merci, merci d'être
là. Je sais que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour vous préparer puis
vous venez en personne nous rencontrer, alors c'est d'autant plus intéressant
et louable de votre part. Je vous remercie sincèrement. Je suis heureux, M. le
Président, de revoir le professeur Turp puisque j'ai eu le privilège
d'enseigner dans la même faculté que lui pendant des bonnes années, lui comme
professeur et moi comme chargé d'enseignement. Évidemment, j'utilise les mots
justes, n'est-ce pas, je n'étais pas professeur, mais quand même ça me fait
énormément plaisir.
M. Turp (Daniel) : ...d'avoir
été votre professeur?
M. Morin : Non. Non...
M. Turp (Daniel) : Je n'ai
pas eu cette chance-là. J'en ai eu d'autres.
M. Morin : Je n'ai pas eu le
privilège de vous avoir comme prof, ça aurait pu, mais ce n'est pas arrivé.
Écoutez, je vous écoutais très, très attentivement. Puis, vous avez raison,
Professeur Turp, la collaboration des pouvoirs, c'est fondamental. D'ailleurs,
on le voit dans différentes provinces avec leurs mécanismes, n'est-ce pas, il y
a un dialogue constant entre le judiciaire et le ministre de la Justice. Le
seul ennui ici, c'est que, nous, ça nous a pris une entente écrite pour qu'il y
ait un dialogue. Alors, ici, c'est un peu plus compliqué. Et puis avec un
conciliateur médiateur de grande renommée. Alors, je vous entends quand vous
parlez de collaboration, mais des fois, c'est un peu plus difficile. Puis je
pense que c'est le rôle aussi du Parlement de s'assurer qu'il y aura une
fluidité, n'est-ce pas, d'échange d'informations...
M. Morin : ...Vous avez très
bien, très bien identifié l'enjeu, professeur Turp, M. Boucher, également,
il faut trouver un équilibre entre l'indépendance judiciaire, l'imputabilité
puis la souveraineté parlementaire. Donc évidemment, les juges, quand ils sont
à rendre leurs décisions, doivent le faire en toute quiétude. Le Parlement,
quand il agit, doit le faire aussi en toute quiétude. C'est fondamental.
Maintenant, le ministre nous propose de
passer d'un régime où les sommes du Conseil viennent du fonds consolidé, donc
c'est un transfert automatique de fonds, à des crédits votés annuellement, mais
pour l'ensemble. Donc, il n'y a pas... il n'y a aucune qualification. La
modification qui serait apportée dirait : maintenant tout va être voté par
des crédits votés annuellement par l'Assemblée nationale.
Puis j'aimerais que vous puissiez nous
éclairer davantage. Le Pr Taillon parlait d'un idéal, mais j'aimerais qu'on
regarde les exigences minimales, si on veut, de l'indépendance, de
l'indépendance judiciaire. Est-ce que vous convenez avec moi que la sécurité
financière des juges fait partie de l'indépendance judiciaire?
M. Turp (Daniel) : ...j'aime
ça, que tu sois le premier.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Mais
je dirais simplement que je ne vois absolument pas en quoi ce projet de loi là
revient... viendrait remettre en question la sécurité financière du Conseil de
la magistrature ou sa capacité à assumer ses mandats. On parle d'une capacité
de prévision que possède l'ensemble des organismes publics, et on parle aussi
d'une possibilité de demander des crédits supplémentaires advenant qu'on n'a
pas été en mesure de prévoir des choses absolument exceptionnelles. Non,
vraiment, je ne vois pas en quoi ce projet de loi là concerne la sécurité
financière du Conseil de la magistrature ou des juges.
M. Turp (Daniel) : Et il ne
faut pas oublier, hein?, regardez 282...
M. Morin : En fait, je
parlais...
M. Turp (Daniel) : M. le
Député, 282, c'est... ça s'applique à la partie cinq, hein?, donc au
fonctionnement du conseil puis à... au perfectionnement des juges et à la
déontologie judiciaire. C'est ça, là, qui est en cause ici. Et donc, à mon
avis, ce n'est pas vraiment un enjeu de sécurité financière ici, là. Et, la
sécurité financière, c'est rendu... C'est respecté par toutes sortes d'autres
façons de financer les juges, y compris sur le fonds consolidé du revenu, pour
plein d'autres choses. Alors, à mon avis, tu sais, comme disait Patrick
Taillon, je pense, c'était très important de dire : écoutez, c'est la
bonne foi qui doit régner. Le Parlement, les parlementaires ne... vont être
responsables. Et l'exécutif, responsable devant le Parlement, va continuer de
l'être. Et ça fonctionne avec le Conseil de justice administrative puis avec
d'autres instances de nature judiciaire, pourquoi est-ce que ça ne
fonctionnerait pas avec le Conseil de la magistrature?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Pourquoi
ça fonctionne à Ottawa, puis, tu sais...
M. Morin : Donc, M. le
Président, ma question, en fait, c'était sur la sécurité financière. Donc, vous
reconnaissez que ça fait partie intégrante de l'indépendance judiciaire?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
c'est une drôle de façon de poser la question, M. le député. Ce qu'on vous dit,
c'est que nous, on ne voit pas en quoi l'examen, par les parlementaires
québécoises et québécois, des crédits octroyés au Conseil de la magistrature
viendrait remettre en question ce que vous... le concept que vous invoquez, soit
la sécurité financière.
M. Morin : Parfait. Et ça ne
touchera pas non plus à l'amovibilité des juges non plus, qui fait partie
évidemment d'un autre principe. Qu'en est-il de l'indépendance administrative?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Que
voulez-vous dire? Précisez.
M. Morin : Bien, c'est-à-dire
que, parmi les garanties qui sont reconnues par la jurisprudence, que ce soit
la Cour suprême ou la Cour fédérale d'appel, notamment dans l'affaire Girouard,
la Cour nous rappelle que, parmi les garanties objectives, alors, là, on ne
parle pas d'idéal, objectives de l'indépendance judiciaire, il y a
l'indépendance administrative. Donc, moi, je veux simplement entendre de vous,
vous êtes des experts, qu'en est-il de l'indépendance administrative, compte
tenu des modifications que le législateur veut apporter à la loi?
M. Turp (Daniel) : Bien,
c'est une... Je crois que c'est une bonne question, il faudrait peut-être y
réfléchir, demander, comme Patrick, tu sais, un temps de libération. Mais
est-ce que vraiment l'indépendance administrative est affectée par la
modification qui est faite au... à... au mode de financement du chapitre... Du
titre cinq, là, c'est quoi, c'est le fonctionnement, parce qu'ils doivent
s'assurer du fonctionnement, là, de la Cour, que leur indépendance
administrative serait en jeu, parce qu'on financerait différemment? Je ne vois
pas très bien, là, en quoi... Il y a d'autres mécanismes pour assurer leur
indépendance administrative. Ce n'est pas seulement un enjeu d'argent puis
un...
M. Turp (Daniel) : ...du mode
de financement.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Je
me permettrais de compléter. À nouveau, ce projet de loi là permet d'harmoniser
les pratiques qui ont déjà cours dans de nombreux parlements, tant à Ottawa que
dans d'autres législatures, d'autres législatures canadiennes ou encore
internationales. Et jamais je n'ai entendu quelques juges ou le Conseil
canadien de la magistrature que cela portait atteinte non seulement à son
indépendance juridique, mais à son indépendance administrative, là, à laquelle
vous faites référence.
Donc, tu sais, à un moment donné, il ne
faut pas non plus, comment dire, faire peur au monde, là. C'est une pratique
qui est courante et elle n'a absolument jamais posé de problèmes d'ordre
administratif, des problèmes que vous invoquez à l'heure actuelle ailleurs.
M.
Morin :Mais je pense que vous avez fait référence au Conseil
canadien de la magistrature...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Tout
à fait.
M.
Morin :...si je vous ai bien compris. Donc, n'est-il pas exact
qu'au Conseil canadien de la magistrature, il y a quand même un commissaire à
la magistrature fédérale? Donc, il y a une partie des crédits qui sont votés.
C'est un modèle hybride. J'y faisais référence tout à l'heure. Il y a
évidemment un montant qui n'est pas voté par des crédits, mais il y a quand
même cet intermédiaire.
Donc, vous avez le commissaire qui est en
charge de son bureau, qui s'occupe de la déontologie judiciaire fédérale, et
vous avez le ministre, donc il y a une question d'imputabilité. Mais vous avez
aussi un intermédiaire qui s'assure que dans tous les cas il y aura évidemment
une étanchéité entre la magistrature, le ministre, et que, comme ça, de toute
façon, l'indépendance sera garantie.
Alors, est-ce que vous pensez que c'est un
mécanisme qui mérite d'être étudié?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : L'Assemblée
nationale est libre de ce qu'elle désire apporter comme modification,
évidemment. Je tiendrais simplement à dire qu'il a été démontré que la présence
du commissaire ne garantit pas une indépendance ou une étanchéité entre les
pouvoirs. On l'a très bien vu lors du rapatriement de la Constitution
canadienne en 1982, alors que le pouvoir judiciaire, grâce à des câbles
diplomatiques britanniques, finalement, travaillait de concert avec le pouvoir
politique qui lui-même entendait une clause sur le rapatriement de la
Constitution.
Alors, malheureusement, malgré la présence d'un
commissaire, on a vu dans le passé que non, il n'y avait pas d'étanchéité
absolue au fédéral, là. Ottawa... Donc, Ottawa... pas toujours mieux. On va le
dire en français.
M. Turp (Daniel) : On n'est
pas obligés de suivre le modèle fédéral en la question. On vous propose un
nouveau modèle. On vous propose probablement, quand la loi va être adoptée, de
le mettre à l'épreuve, de voir comment les parlementaires vont gérer cette
nouvelle situation. Et, à mon avis, tu sais, l'avantage de cette disposition,
c'est que le Québec va être une des seules juridictions où c'est clair. C'est
clair maintenant avec le Fonds consolidé du revenu, alors que ce n'est pas du
tout le cas dans la loi fédérale, il n'y a aucune mention. Bien là, on le sait
parce qu'ils adoptent des lois de crédit.
Alors là, c'est clair puis c'est clair
qu'on choisit un régime où les parlementaires ont un mot à dire. Et, comme
parlementaire... Moi, si j'étais à votre place, là, je voudrais avoir un mot à
dire. Je voudrais avoir des échanges sur cette question pour exercer ma
souveraineté parlementaire.
• (17 heures) •
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri-Sainte-Anne.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup à vous deux, professeur Turp, M. Boucher. Alors, la reddition de
comptes, aucun problème. En fait, au contraire, hein, c'est ça qu'on veut. Que
ce soit présenté au crédit, moi je n'ai aucun problème. Au contraire, je pense
que c'est une très bonne idée. Vous avez dit tout à l'heure de les examiner,
hein, vous l'avez dit deux fois, examiner ces budgets, de les approuver, vous
avez dit aussi. Mais le problème se déclinerait peut-être s'ils sont refusés.
Et c'est là où je, moi, vois une problématique potentielle, où finalement les
crédits budgétaires demandés par le Conseil de la magistrature pour exercer ses
fonctions, notamment ses fonctions d'indépendance ou pour assurer son
indépendance d'un quelconque recours, là on viendrait à les refuser. Un
gouvernement majoritaire, c'est son pouvoir à l'Assemblée nationale, viendrait
dire : Non, je ne vote pas les crédits qui sont demandés.
Et là dans ce scénario-là, potentiel, moi
je commence à voir... ou je peux voir une potentielle problématique. Et je
comprends que vous dites : On va présumer de la bonne foi. Mais
malheureusement on ne peut pas baser des principes de base de nos principes de
séparation de pouvoir sur la seule bonne foi. Il faut qu'on ait quand même
certaines garanties judiciaires. Et ce que je vous soumets, c'est, si on
proposait ou si on assurait un mécanisme transparent de reddition de comptes,
mais dans lequel le ministre s'engagerait à soumettre sans modification les
demandes budgétaires du conseil auprès du Conseil du trésor, sans les modifier,
on ferait des réductions de compte, on poserait des questions, mais on ne les
refuserait pas. Est-ce qu'on n'aurait pas là un peu le meilleur des deux
mondes? C'est ça, ma question.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : C'est
une...
17 h (version non révisée)
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...en
fait, vous faites référence à l'entente, notamment, là, qui est soulevée par le
Barreau, qui serait intervenu entre le Conseil canadien de la magistrature et
le ministre. C'est une entente qui ne change rien quant à l'étude des crédits
par les parlementaires, hein, c'est très stipulé, c'est stipulé très
clairement... L'article 5 dit que ça ne change rien au régime de loi
actuel. L'article, je pense, c'est le 18 ou le 17, rappelle que ça ne change
rien quant à la responsabilité ministérielle pour l'utilisation des deniers et,
au final, n'engage que le ministre, ça n'engage pas le gouvernement. Donc, même
une telle entente pourrait, dans un cas extrême, comment dire, ne pas répondre
à la situation à laquelle vous faites référence. Personnellement, bon, bien,
écoutez, j'en ai que 44 ans, je ne suis la politique activement que depuis
environ 25 ans, mais je n'ai jamais vu de crédits non votés, jamais. Donc,
à un moment donné, on peut bien sûr imaginer toutes sortes de scénarios, je ne
vois pas la moindre chance qu'un tel scénario puisse réellement se concrétiser
sans un retour du balancier assez, assez, assez solide.
M. Turp (Daniel) : ...vous
êtes nouveau dans cette Assemblée, à l'étude des crédits, on parle de tout sauf
des crédits, hein, ça, ça arrive souvent. Mais écoutez, sans modification,
licence pour dépenser, dépenser, beaucoup dépenser. Et là il faut dire les
vraies choses, là, on n'ose pas trop, là, le Conseil de la magistrature a
beaucoup dépensé dans ses recours judiciaires, les multiples recours
judiciaires, puis il y a des avocats qui ont été très bien payés, il y en a qui
diraient trop bien payés. Alors, c'est ça qu'on veut? Ce qu'on veut, c'est que
ça continue, ça? Puis, s'il y a un ministre dit : Sans modification ou
pas, oh boy, il va y en avoir, des beaux budgets par le Conseil de la...
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci beaucoup. Le temps
est écoulé malheureusement. Mme la députée de Vaudreuil.
Mme Nichols : Oui. Merci, M.
le Président. Merci d'être parmi nous. Je n'ai pas grand temps, je vais y aller
avec des questions très directes, précises. Sur votre dernière intervention,
là, ça semble venir vous chercher quand vous parlez des recours du Conseil de
la magistrature. Puis vous en avez parlé aussi dans... quand vous avez fait
votre votre exposé de 10 minutes, là, vous avez parlé que c'est de plus en
plus fréquent, peut-être un peu plus depuis 2018, ce que je comprends, que ça
arrivait... ça arrivait très rarement, sauf à l'an 2000, que vous avez
noté. Mais, si c'est ça, l'enjeu, là, si c'est juste cette partie-là, pourquoi
on ne vient pas plutôt limiter les recours du Conseil de la magistrature, juste
sur cet aspect-là, plutôt que d'y aller... Parce que... puis je vous donne...
je fais une sous-question en même temps, le projet de loi n° 8, vous l'avez
vu, là, vous l'avez lu, là, c'est prévu que le Conseil de la magistrature va
soumettre ses prévisions budgétaires au ministre de la Justice puis que ses
livres vont être désormais vérifiés par le VG.
M. Turp (Daniel) : Parfait.
On ajoute quelque chose, on ajoute un examen parlementaire. Ça s'ajoute, c'est
encore plus démocratique, c'est plus d'imputabilité de la part du Conseil de la
magistrature. Alors, moi, j'aime ça, et ça ne dérange pas juste le ministre, qu'il
y ait des recours, et beaucoup de recours, ça dérange les citoyens aussi à mon
avis.
Mme Nichols : On n'a pas fait
cet exercice-là encore. Le projet de loi n° 8, il vient d'être adopté, là.
Peut-être qu'on pourrait regarder ce que ça va donner, c'est peut-être
suffisant, on n'a pas besoin d'aller aussi loin. Puis je reviens à ma question :
Si la problématique... Si vous trouvez que le Conseil de la magistrature
utilise trop de pouvoirs pour des recours ou utilise trop des sommes pour des
recours, qu'est-ce que vous suggérez, qu'on vient peut-être encadrer juste
cette partie-là?
M. Turp (Daniel) : Que le
procureur général conteste ce qu'il a fait, peut-être modestement, trop
modestement, son intérêt à agir dans des affaires où le Conseil de la
magistrature va vouloir invoquer le principe d'indépendance judiciaire, comme
il le veut en toute matière. Ça, ce serait une solution. Est-ce que le Conseil
de la magistrature a toujours intérêt à agir devant les tribunaux lorsqu'il s'agit
de question d'application des lois votées par cette Assemblée au Conseil de la
magistrature?
Mme Nichols : Mais, à la
limite, là, moi, ce que j'entends, là, c'est que vous êtes d'accord que le
politique démontre son rapport de force face au conseil de la législature. Moi,
c'est ça qui... C'est ça, c'est ça que j'entends.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Honnêtement,
on ne voit pas en quoi il y a là une démonstration de force à nouveau. On pense
que c'est une question d'harmonisation des pratiques non seulement avec ce qui
se fait ailleurs dans les autres législatures, mais qui se fait aussi à l'Assemblée
nationale concernant les organismes publics. Or, on considère que le Conseil de
la magistrature, outre le volet de lorsqu'il agit comme tribunal déontologique,
est un organisme public. Ça a été reconnu par les diverses jurisprudences, dont
le jugement auquel il fait référence, là, le fameux jugement de l'an 2000.
Et il y a là que la volonté de rendre comme un...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...comment
dire, plus normal ce qui entoure l'utilisation des deniers publics par le
Conseil de la magistrature.
M. Turp (Daniel) : Bien,
je me permets, M. le Président, et à la députée... Je vais donner à la
greffière, là, du comité un article que j'ai trouvé assez fascinant, Judicial
Independence and the Budget : A Taxonomy of Judicial Budgeting Mechanisms,
et on se rend compte, là, que dans le monde, dans la très grande majorité des
juridictions, il y a une approbation parlementaire des budgets des conseils de
la magistrature équivalents. Alors, je vais vous donner ça, Mme la greffière.
Je pense que ça pourrait être la peine que tout le monde lise ça, parce que ce
que l'on veut faire par ce projet de loi, ce n'est pas inusité, ce n'est pas
inhabituel, c'est plutôt une pratique assez répandue dans le monde entier.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Sur ce... On
compte sur vous pour la transférer de façon électronique, bien sûr, à la
commission. M. Boucher, M. Turp, ça a été un grand plaisir.
Sur ce, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 19 h 30. Merci beaucoup. À tantôt.
(Suspension de la séance à 17 h 07)
19 h (version non révisée)
(Reprise à 19 h 31)
Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît. Alors, bonsoir à tout le monde.
La commission des Institutions reprend ses travaux. On poursuit donc les
consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 26,
Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires afin notamment de donner
suite à l'Entente entre la juge en chef de la Cour du Québec et le ministre de
la Justice. Ce soir, nous allons entendre les personnes et organismes suivants :
La Pre Martine Valois, le Barreau du Québec. Mais d'abord, il nous fait plaisir
de recevoir les représentants et représentantes de l'Association québécoise des
avocats et avocates de la défense. Alors, merci beaucoup d'être avec nous. C'est
très, très apprécié. Alors je vous inviterais à vous présenter puis à
débuter...
19 h 30 (version non révisée)
Le Président (M.
Bachand) :...et à débuter, pardon, votre
présentation. Merci beaucoup.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Merci,
M. le Président. Bonsoir. Marie-Pierre Boulet, d'abord, présidente de l'Association
québécoise des avocats et avocates de la défense, et je suis accompagnée de Me
Jean-François Benoît, qui, lui, est responsable au sein de l'association du
comité projet de loi.
Alors, un petit mot, brièvement sur l'association.
Alors, l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense, on
simplifie par l'acronyme AQAAD, est une association qui a été fondée en 1995,
qui représente plus de 600 avocats et avocates qui oeuvrent en droit criminel
et pénal partout au Québec. Sa mission s'intéresse en différents points à l'intérêt
des membres, mais aussi à la défense spécifique des libertés individuelles
ainsi que les droits fondamentaux des justiciables. La mission, donc, de
défendre les droits et libertés des justiciables a amené l'AQAAD à agir à
plusieurs reprises comme intervenante dans les dossiers devant la Cour d'appel
du Québec et la Cour suprême du Canada. D'ailleurs, pour être spécifique à
notre présence ce soir, l'AQAAD est intervenante dans le cadre du recours
devant la Cour d'appel, lequel devrait faire l'objet, normalement, d'un
désistement par le dépôt du projet de loi no 26. L'association a néanmoins déjà
produit son mémoire dans le cadre du recours.
Maintenant, donc, le projet de loi no 26,
c'est l'intérêt de l'AQAAD quant à faire des représentations sur ledit projet,
eh bien, simplement spécifier que le premier article du projet de loi n'est pas
visé par nos commentaires. Celui-ci, qui concrétise strictement l'entente
intervenue relativement à l'augmentation du nombre de juges à la Cour du
Québec, donc, cet article, ne fait pas l'objet de nos commentaires.
Malheureusement, je le dirais ainsi l'ajout d'un sous-objectif au projet de loi
qui est totalement étranger au premier risque d'avoir pour effet de ralentir la
nomination des juges, alors qu'il s'agit d'un besoin identifié comme urgent. Ce
que nous pourrions qualifier d'une forme de marchandage est regrettable puisque
la conclusion d'augmenter le nombre de juges peut difficilement se relier à l'objectif
de revoir le mode de financement du Conseil de la magistrature.
Les membres de l'AQAAD, donc, sont des
acteurs du système de justice, et leur collaboration est toujours essentielle à
son bon fonctionnement. C'est dans ce cadre-là que nous reconnaissons que le
fonctionnement du système de justice passe par un respect irréprochable de l'indépendance
judiciaire qui, elle, est directement mise en cause dans les changements
apportés au mode de fonctionnement du Conseil de la magistrature et l'encadrement
des prévisions budgétaires par ce projet de loi n° 26.
Donc, pour parler directement d'indépendance
judiciaire, alors évidemment, il se passe d'explications, le fait que le
pouvoir judiciaire est une composante essentielle de notre démocratie. Dans sa
définition, donc. La plus connue, l'indépendance judiciaire fait en sorte que
les juges ne sont pas influencés par les partis, y compris le gouvernement, et
que les litiges sont donc tranchés conformément à la loi, sans influence
extérieure. Par contre, et c'est là où nous insistons, il ne faut pas croire
que l'indépendance judiciaire se limite strictement à ce pouvoir décisionnel
des juges en ce qu'ils sont libres de décider. Cette vision constituerait même,
selon nous, une vision beaucoup trop étroite du principe de l'indépendance
judiciaire. L'indépendance judiciaire est aussi institutionnelle. Il faut le
rappeler l'indépendance judiciaire n'existe pas au profit des juges dans le
cadre de leurs fonctions, mais bien au bénéfice des justiciables.
Ainsi, le Conseil de la magistrature,
selon nous, de par sa mission, fait partie de ce volet institutionnel. Il n'est
pas l'équivalent de la Cour du Québec, en partant, le Conseil de la
magistrature assume une mission de protection du public par au moins deux de
ses objectifs et/ou missions, notamment le traitement des plaintes contre les
magistrats et la défense de toute mesure qui viendrait affecter l'efficacité du
système. L'indépendance judiciaire présuppose évidemment cette absence d'ingérence
de la part du gouvernement, quel que soit le véhicule procédural employé.
Donc, parlant un véhicule procédural, une
procédure de contrôle budgétaire, pour prendre cet exemple, relève...
représente, en fait, un outil puissant qui devrait au contraire être mis au
service des différents pouvoirs, donc législatifs, exécutifs et même judiciaires,
et non à l'un d'eux pour assurer un contrôle sur l'autre. C'est pourquoi, selon
nous, il y a une grande distinction entre exiger une reddition de comptes, ce
qui vise... ce qui vient, en fait, a posteriori par rapport à soumettre des
dépenses à une approbation préalable. L'approbation s'intéresse à l'acquiescement,
donc l'approbation est davantage synonyme d'acquiescement que de transparence,
par exemple.
Il s'ensuit logiquement de mes propos que
le processus de contrôle de...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...financier
du Conseil de la magistrature peut, en lui-même, porter atteinte à cette
indépendance, sinon, au moins, est perçu comme tel. En effet, en privant le
Conseil de la magistrature des moyens et, par le fait même, de la latitude qu'il
détient pour défendre l'indépendance judiciaire, les pouvoirs exécutif et,
même, législatif peuvent, littéralement, le museler. Le contrôle budgétaire
vient affaiblir et, potentiellement, priver totalement le Conseil de la
magistrature des moyens qu'il peut utiliser pour assurer sa mission.
Ce dont il est question, c'est-à-dire un
dépassement des coûts ponctuel par le Conseil de la magistrature, a été rendu
nécessaire par des démarches judiciaires qui visaient directement à assurer le
maintien de l'indépendance judiciaire. Les tribunaux supérieurs ont reconnu le
bien-fondé des arguments défendus par le Conseil de la magistrature et se lien
avec la défense de l'indépendance judiciaire. La situation factuelle,
prospective, donc les autres cas d'espèce qui pourraient subvenir, est
facilement imaginable. Le Conseil de la magistrature devrait demander à
l'exécutif de lui donner les moyens de contester une de ses décisions qui
l'affecte dans sa mission ou, encore, une décision du pouvoir législatif qui
serait inconstitutionnelle, par exemple.
Nous sommes bien au-delà d'une situation
de conflit d'intérêts. Cette situation, selon nous, traduit une méconnaissance
des grands principes de gouvernance étatique au sein d'une société
démocratique. Aucun des pouvoirs n'est absolu, et les trois coexistent. Je vous
remercie.
Le Président (M.
Bachand) :Merci infiniment. Donc, nous
allons débuter la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Boulet, Me Benoit, de l'Association québécoise des avocats et
des avocates de la défense, merci de participer aux travaux de la commission.
Écoutez, d'entrée de jeu, Me Boulet, je note... en fait, j'aimerais ça avoir
autant de certitude que vous venez de l'affirmer dans vos propos. Ça semble
tellement clair, tellement limpide, sans aucune nuance. C'est tellement clair.
Écoutez, le droit, ça doit être clair comme ça. Moi, j'aimerais ça, comme
ministre de la Justice, avec l'ensemble des juristes qui m'entourent, même, avec
l'ensemble des parlementaires autour de la table, avoir autant de certitude.
Écoutez, c'est quoi, les fonctions du
Conseil de la magistrature? Article 256, «Le Conseil a pour fonction :
«a) d'organiser, conformément au
chapitre 2 de la présente partie, des programmes de perfectionnement des juges;
«b) d'adopter, conformément au
chapitre 3 de la présente partie, un code de déontologie de la magistrature;
«c) de recevoir et d'examiner toute
plainte formulée contre un juge auquel s'applique le chapitre 3 de la présente
partie;
«d) de favoriser l'efficacité et
l'uniformisation de la procédure devant les tribunaux;
«e) de recevoir les suggestions,
recommandations et demandes qui lui sont faites relativement à l'administration
de la justice, et de les étudier, et de faire au ministre de la Justice les
recommandations appropriées;
«f) de coopérer, suivant la loi, avec
tout organisme qui, à l'extérieur du Québec, poursuit des fins similaires; et
«g) connaître des appels visés à
l'article 112.»
• (19 h 40) •
Essentiellement, vous donnez une approche,
disons, extensive des fonctions du conseil à 256. Mais j'ai noté, dans votre
propos, qu'il y avait du marchandage, que l'efficacité du système de justice
allait être compromise, qu'on a une méconnaissance du système démocratique
aussi. Écoutez, c'est quand même des propos qui sont empreints de certitude, je
vous dirais. Nous, ici, les députés de l'Assemblée nationale, qui sont élus par
la nation québécoise dans chacune de leurs circonscriptions, qui ont un mandat
légitime d'adopter des lois, qui font partie d'un Parlement, vous pensez qu'ils
ont une méconnaissance du système démocratique ici? J'aimerais ça vous entendre
là-dessus...
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, il y a plusieurs...
M. Jolin-Barrette : ...parce
que vous le déclamez avec tant de certitude. L'association déclame ça, c'est la
position de l'association. Ça me surprend un peu, parce que moi, je connais
beaucoup de criminalistes qui ont une bonne crédibilité, puis qui font preuve
de nuance, puis qui vont plaider, à tous les jours, devant les tribunaux.
J'aimerais vous entendre là-dessus.
Le Président (M.
Bachand) :Me Boulet, oui.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Alors,
je vous remercie pour votre question, M. le Président. Si je peux me permettre,
maintenant, d'y répondre. Donc, il y a plusieurs choses. Évidemment, il y a
plusieurs questions dans cette série de questions. La première chose :
Est-ce que le droit est clair? Le droit, effectivement, évolue, et le droit
n'est pas toujours clair. Par contre, ici, on parle d'indépendance judiciaire,
et ça, c'est certainement un principe qui est clair, et c'est certainement une
base qui est acquise et qui doit être maintenue. Alors, cette certitude-là,
vous avez raison, elle est facile d'être retrouvée quand on parle...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...judiciaire.
Elle est facile également d'être nuancée quand on parle d'indépendance
judiciaire.
Maintenant, l'autre sous-question, c'était
non seulement la question d'être clair...
M. Jolin-Barrette : C'est
drôle parce qu'écoutez...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...mais
c'était le pouvoir...
Le Président (M.
Bachand) :...
M. Jolin-Barrette : ...attendez,
je vais juste terminer, j'ai une sous-question là-dessus, M. le Président. On a
eu deux constitutionnalistes qui sont venus, professeur émérite de l'Université
de Montréal, Daniel Turp, professeur Taillon, qui enseigne depuis plusieurs
années, qui sont titulaires de doctorat en droit constitutionnel, puis, c'est
drôle, l'indépendance judiciaire, pour eux, ce n'était pas si clair que ça.
Alors, je comprends que vous avez une meilleure expertise en droit
constitutionnel que ces deux professeurs-là?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, la définition de l'indépendance judiciaire, je pense qu'elle est connue.
Je le disais d'entrée de jeu, que le volet où les juges sont libres de rendre
des décisions, c'est un volet qui est certainement connu puis qui est, en fait,
je vous dirais, partagé...
M. Jolin-Barrette : Et quel
est... M. le Président, je veux juste compléter...
Le Président (M.
Bachand) :Juste, monsieur....
M. Jolin-Barrette : Oui.
Le Président (M.
Bachand) :Juste faire attention, on est
en visioconférence, aussi de donner le temps aux témoins de répondre aussi. M.
le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, je
comprends. Alors, vous me parlez... On ne conteste pas ça, que les juges ont la
liberté de rendre leurs décisions, que l'assignation des dossiers au rôle, ça
fait partie de l'indépendance judiciaire. Même, écoutez, les stationnements, ça
fait partie de l'indépendance judiciaire. Cela étant, est-ce que le financement
du Conseil de la magistrature relève de l'indépendance judiciaire? Bien
entendu, le Conseil de la magistrature nous dit ça, mais le législateur a une
opinion autre. Mais je ne pense pas que la jurisprudence a déterminé ce que
vous avancez.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
en fait...
M. Jolin-Barrette : Voulez-vous
nous l'indiquer, dans quelle décision ça a été avancé?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui,
bien, évidemment, dans la décision de... M. le Président, si vous me permettez
de répondre, donc dans Conseil de la magistrature contre ministre de la Justice
du Québec, 2022 QCCS 266. Décision du juge Immer du 2 février 2022 qui
reconnaît explicitement que... Parce que la deuxième question était celle de
l'interprétation extensive des pouvoirs du Conseil de la magistrature. Eh bien,
je peux lire au paragraphe 41, effectivement, qu'on reprend l'ensemble de ses
pouvoirs et qu'on souligne spécifiquement celui que vous avez cité en d,
c'est-à-dire favoriser l'efficacité de la procédure devant les tribunaux. Et ce
pouvoir-là a donc été effectivement interprété par les tribunaux supérieurs
ici, pour nommer la Cour supérieure, comme étant effectivement une partie
intégrante de l'objectif du Conseil de la magistrature et qui vise
spécifiquement la question de l'indépendance judiciaire.
Donc, oui, sur cette interprétation...
M. Jolin-Barrette : Sur le
financement. Ma question, Me Boulet, est sur le financement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, une fois que...
M. Jolin-Barrette : Est-ce
que le jugement dit ça? Puis je comprends de vos propos que, lorsque vous
faites référence à tribunaux supérieurs, pour vous, la Cour supérieure, c'est
un tribunal supérieur versus la Cour du Québec. Est-ce que c'est ce que je
retiens de votre propos, parce que la référence à tribunaux supérieurs, c'est
Cour supérieure pour vous?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
c'est ce qu'il faut... Effectivement. Vous savez que la Cour supérieure est un
tribunal de révision des décisions de la Cour du Québec, entre autres, si on
parle en matière criminelle, pour les affaires sommaires et qu'il y a même le
stare decisis qui s'applique entre les deux, tout à fait. Pour d'autres
matières, eh bien, la Cour supérieure, justement, peut entendre de ce qu'on
appelle des renvois. Donc, évidemment, je ne vais pas me lancer dans un cours
de droit, nécessairement, mais, oui, la Cour supérieure, ce n'est pas juste son
nom qui l'indique, mais elle a effectivement des pouvoirs qui, dans certains
cas, peuvent, disons, s'équivaloir ou juste faire un partage de compétence avec
la Cour du Québec. Quand on parle, par exemple, du montant des litiges en
matière civile, il y a une séparation, disons, entre les deux, ils ne sont pas
nécessairement supérieurs l'un à l'autre. Mais, quand on parle de révision de la
décision judiciaire ou de renvoi qui vise à établir effectivement des
principes, là on peut effectivement parler de supériorité.
M. Jolin-Barrette : Alors,
revenons sur le fond.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui.
M. Jolin-Barrette : En quoi
les crédits du Conseil de la magistrature affectent l'indépendance judiciaire,
en fonction des décisions? Parce que vous m'avez cité une décision de 2022
relativement à la question du bilinguisme des juges et par rapport à la Charte
de la langue française. On ne parle pas de financement des crédits budgétaires.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Tout
à fait. Alors, moi, je vous répondais à la deuxième sous-question avant de
répondre à la troisième, évidemment. Alors, cette deuxième sous-question, vous
parliez de mon interprétation extensive des pouvoirs du Conseil de la
magistrature et sur quoi je me basais. Alors, je me basais sur cette décision
judiciaire là.
Si on revient aux crédits budgétaires ou à
l'aspect davantage budgétaire, en quoi est-ce que ça affecte l'indépendance
judiciaire, eh bien, c'est explicitement ce que j'ai mentionné dans le texte
introductif, c'est-à-dire qu'on vient contrôler.... avant que le Conseil de la
magistrature puisse même entreprendre des recours qui visent à assurer sa mission,
on vient donner un contrôle sur cette... ce pouvoir-là du Conseil de la
magistrature d'assurer sa mission. Donc, on dit : Vous avez une mission
qui est bien définie, mais, avant de pouvoir exercer les pouvoirs qui viennent
évidemment... et même, je dirais, les devoirs qui viennent avec le respect de
la mission, eh bien, si vous avez besoin de budget, on va passer effectivement
par...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...Exécutif,
et s'il s'avérait... C'est une image qui est très simple et très forte, s'il
s'avérait que vous vouliez contester une décision de l'exécutif, eh bien, c'est
ce même exécutif qui devrait approuver l'octroi des moyens pour réaliser votre
mission. C'est ce que je qualifiais à la toute fin, et c'est là que je faisais
un lien avec la méconnaissance des principes du système démocratique, c'est de
dire : Là, on dépasse le conflit d'intérêts. On n'est pas dans le conflit
d'intérêts du tout, on est littéralement dans un a le contrôle sur l'autre, et
les bases de la séparation des pouvoirs.
M. Jolin-Barrette : C'est un
peu particulier parce que vous citez la décision du juge... la première
décision du juge... Or, le passage que vous nous avez cité, là, c'est pour
déterminer la qualité pour agir du conseil et non pas l'indépendance judiciaire.
Alors, c'est fort différent.
Mais, écoutez, je voudrais vous demander
parce que vous dites : «Bien, écoutez, ça fait partie des fonctions du
conseil». Est-ce que, selon vous, l'Assemblée nationale est libre de modifier
les fonctions du conseil ou ça porterait atteinte à l'indépendance judiciaire?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien
évidemment, là on parle de libre. Je pense que tout pouvoir n'est pas absolu.
D'ailleurs, je l'ai nommé. Il y a évidemment une procédure. Et quand il y a une
procédure qui entoure, par exemple, comme vous dites, modifier les fonctions du
conseil, ça viendrait avec modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires, et ce
n'est certainement pas moi qui va vous expliquer comment on modifie justement
une loi. Ça, c'est davantage dans votre... dans votre gouverne que dans la
mienne.
M. Jolin-Barrette : Non, non.
Ma question est : Est-ce que c'est possible, est- ce que c'est possible
pour l'Assemblée nationale de le faire? Est-ce que c'est possible de modifier
la loi sur les tribunaux judiciaires?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
en fait, c'est exactement ce qui... Le projet de loi n° 100, ça en est un
exemple. Donc, on modifie la loi sur les tribunaux judiciaires et, par ce
processus, il y a un débat qui peut être même une fois que le changement
législatif, par exemple, est entériné, eh bien, ce n'est pas terminé. Ça peut
être contesté constitutionnellement. Donc, c'est là où les pouvoirs,
effectivement, peuvent entrer dans des débats sains puis permettre à la société
non seulement de demeurer démocratique, mais d'évoluer dans ce principe
démocratique là. Alors, est-ce que l'Assemblée peut modifier...
M. Jolin-Barrette : Je suis
très au courant, M. le Président, comment ça fonctionne. Mais moi, ma question
pour Me Boulet, c'est : Je comprends que l'Assemblée nationale a la
légitimité de modifier des lois, que ça soit dans le cadre du projet de loi
n° 26, avec les modifications qu'on fait. Ou si on souhaitait modifier
l'article 256, l'Assemblée nationale pourrait le faire.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Alors,
c'est exactement le même genre de représentation d'ailleurs qui serait faite
dans ce cadre-là, M. le Président. À ce moment-là, donc vous passez par le processus
de projet de loi. Vous souhaitez modifier effectivement la Loi sur les
tribunaux judiciaires. Alors, nous allons faire des représentations, que ce
soit par le biais de mémoire ou oralement, comme c'est le cas maintenant, pour
expliquer en quoi ce changement législatif-là ne devrait pas être fait, par
exemple, ou est totalement justifié. Parce que si j'en avais un à vous
proposer, en fait, ce serait de dire : Ajoutez même un élément à la
mission du Conseil de la magistrature, c'est-à-dire si ce n'est pas clair
qu'ils doivent défendre l'indépendance judiciaire. Eh bien ajoutons cet alinéa.
Mais ceci étant, puisque ce n'est peut être pas l'idée première ici, je vous
dirais que oui, il a la légitimité de le faire. Mais il y a, de l'autre côté,
la légitimité pour l'Assemblée nationale d'agir n'enlève pas la légitimité pour
les intervenants de réagir et n'enlève même pas la légitimité au pouvoir
judiciaire, une fois que c'est en vigueur, de contester, par exemple, la
constitutionnalité. Donc, il n'y a pas de pouvoir absolu, sinon c'est de
dire : On a la légitimité au niveau du pouvoir exécutif, au niveau de
l'Assemblée nationale et les autres ne peuvent plus rien faire, on va même les
empêcher de faire quoi que ce soit ou de tenir un débat parce que tenir un
débat, ça ne veut pas dire que c'est un ou l'autre qui va avoir raison,
l'Exécutif, au terme, pourrait avoir raison.
• (19 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Et là...
et là, Me Boulet...
Mme Boulet (Marie-Pier) : Mais
tenir un débat, ça signifie écouter l'autre partie.
M. Jolin-Barrette : Est-ce
que, Me Boulet, on est dans le processus... Est-ce que c'est une décision de
l'exécutif présentement, là, ce qu'on est en train de faire?
Mme Boulet (Marie-Pier) : On
est dans le processus vers une décision de l'exécutif.
M. Jolin-Barrette : Ah! là on
est dans le processus exécutif présentement?
Mme Boulet (Marie-Pier) : On
est dans le processus législatif, pardon.
M. Jolin-Barrette : Ah! O.K.
Parce que, vous savez, autour de la table, c'est des parlementaires que vous
avez, des membres de l'Assemblée nationale. Puis leur première fonction, c'est
des législateurs. Écoutez, vous avez dit tout à l'heure : Ça va ralentir
la nomination des juges. Écoutez, moi, j'ai un projet de loi avec
14 nouveaux juges. Vous devriez accueillir ça favorablement. Qu'est-ce qui
vous fait dire que ça va ralentir le processus de nomination des juges? Les
parlementaires sont saisis d'un projet de loi avec différents articles. Il
n'aurait pas fallu, dans un projet de loi, faire en sorte de venir mettre des
articles modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires pour les crédits du
Conseil de la magistrature, selon vous...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...bien,
en fait, je pense que c'est mélanger, effectivement, deux choses qui ne vont
pas ensemble. Ça, c'était exactement le sens de mes propos en ouverture,
c'est-à-dire que l'entente qui est intervenue était accueillie favorablement et
j'ai même pris la peine de le dire d'entrée de jeu et ça a même été mentionné
au-delà de la présente instance, c'est-à-dire que c'était accueilli
favorablement cette entente-là. Alors, si le seul article avait été l'article
premier, on ne serait même pas ici présentement pour parler du projet de loi
n° 26. Alors, là où on parle de ralentissement, c'est qu'effectivement il
faut tenir un débat sur les articles 2 et 3 qui, eux, s'avèrent à être
controversés alors que le premier, lui, ne l'était pas du tout, était, j'allais
dire de manière assez manifeste, accueilli unanimement. Les articles 2 et
3, eux, par contre, ont d'ailleurs aucun lien avec le premier, mais amènent
effectivement, selon nous, un débat nécessaire à savoir si on doit aller de
l'avant, parce que si effectivement, et tout à l'heure, vous avez bien fait de
me corriger, là, si le législatif amenait le tout à terme, bien, ça ne veut pas
dire que, par la suite, il n'y a pas encore d'autres débats, par exemple,
juridiques, qui pourraient se tenir autour de la question, là, on s'entend,
mais, présentement, je vous dis et je pense que ce serait assez unanime autour
de votre table sur le fait que s'il n'était question que de l'article 1,
on n'en serait même pas ici.
M. Jolin-Barrette : Alors, je
comprends que, selon votre conception, le législateur devrait se restreindre
dans les choix qu'il fait parce que les lois sont susceptibles d'être
contestées.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Non,
parce que la loi pourrait être contestée... D'ailleurs, le projet de loi
n° 26 pourrait être contesté sans que l'on conteste l'article premier. Ce
que je dis, c'est que présentement, on a mêlé deux choses ensemble, j'ai fait
le commentaire d'entrée de jeu, comme quoi on a mêlé deux choses qui n'allaient
pas ensemble. Et donc que le projet de loi serait déjà, selon moi, en vigueur
et même, hein, ou presque, s'il n'était pas sur des articles 2 et 3.
M. Jolin-Barrette : M. le
Président, je voudrais savoir est-ce que Me Boulet a beaucoup d'expérience
parlementaire pour affirmer ça aussi, de dire que le projet de loi serait déjà
adopté puis que, dans le fond, elle connaît l'agenda législatif, elle connaît
la procédure parlementaire aussi, parce que ça semble tellement clair de la
part de l'Association des avocats en droit de la défense, les propos qui sont
tenus aujourd'hui. Alors, vous, vous dites le législateur doit faire des
projets de loi sur qu'un seul sujet tout le temps, c'est ça?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, là il y a deux questions, est-ce que vous devez le faire sur un seul
sujet tout le temps? Je ne tomberai pas dans le même piège de vous dire comment
faire les choses, au contraire, je vais vous... j'ai fait le commentaire sur le
fait qu'on avait mélangé deux choses ensemble, et je ne vais pas vous dire quoi
faire et comment le faire, c'était un commentaire qui était, selon moi, encore
une fois, tout à fait légitime si on peut reprendre le terme «légitimité».
Par ailleurs, est-ce que le projet de loi
serait déjà en vigueur? Vous avez raison que ce n'est pas de par mon expérience
que je parle, mais plutôt par mon intuition.
M. Jolin-Barrette : Bon. On
est content que votre mémoire repose sur votre intuition puis vos propos aussi.
Alors, écoutez, je vous remercie pour votre présence ici en commission
parlementaire. Manifestement, on connaît l'opinion de l'Association des avocats
en droit de la défense avec toute la nuance que ça prenait pour entendre vos
propos. Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. M. le député de
l'Acadie, s'il vous plaît.
M. Morin : Merci. Merci, M.
le Président. Bonsoir, Me Boulet et Me Benoît, merci d'être avec nous ce soir.
Évidemment, vous l'avez souligné, vous avez pris une position. Moi, j'aimerais
avoir... que vous puissiez partager avec nous votre expertise. Parce que vous
savez, dans l'opposition, on est face à un gouvernement qui a 90 députés,
donc il y a de très, très fortes chances que le projet de loi soit adopté,
n'est-ce pas? Le projet de loi change le régime de financement pour le Conseil
de la magistrature. Présentement, les sommes sont versées directement à même
les fonds consolidés du Revenu et, si le projet de loi est adopté, ce seront
des crédits qui vont être votés. Compte tenu de ce que vous avez vu dans le
projet de loi, vous nous avez parlé, selon vous, clairement, que ça allait
porter une entaille, ça allait enfreindre le principe de l'indépendance de la
magistrature, quel serait le meilleur moyen ou les modifications qu'on pourrait
apporter aux articles 3 et 4 pour les réconcilier finalement avec votre
position?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, je vous remercie pour votre question, la réponse, M. le Président, ce qui
avait été mis en vigueur il y a justement deux mois, si je ne m'abuse, là,
c'est-à-dire la question de la reddition de comptes, pour reprendre des termes
que j'ai déjà tenus dans un article, là, qui avait été publié dans Le Devoir,
c'est qu'on n'a même pas eu le temps de même tester...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...l'efficacité
de ce système-là de reddition de comptes. Et, dans mes propos que j'ai tenus au
tout début, là, de la séance, je parlais spécifiquement de ça aussi, en disant
qu'il y a une grande différence entre la reddition de comptes, qui amène
d'ailleurs même un principe de transparence sur le travail qu'on a effectué et
qui... et qui arrive a posteriori, tandis que l'octroi de crédits votés, elle,
vient déjà restreindre d'avance, sinon soumettre à un contrôle, je veux dire,
il n'y a pas d'autre définition que ça, les extras qui pourraient être générés.
Et ces extras-là, je veux dire, on parle de l'expérience passée. J'ai voulu
surtout être prospective dans mes propos, mais, si on parle de l'expérience
passée, je veux dire, on regarde, là, les dépassements. Et les dépassements
sont dus à des contestations judiciaires. Donc, les dépassements sont
directement reliés à des contestations judiciaires pour lesquelles le Conseil
de la magistrature a toujours eu gain de cause, je veux dire, ou presque, j'ai
envie de me garder une réserve, mais alors... Et là ces contestations
judiciaires là venaient vraiment opposer, je vais le dire ainsi, puis ce n'est
pas dans le sens péjoratif, là, c'est dans le sens où on avait des positions
différentes à débattre devant les tribunaux du côté du ministère de la
Justice... du côté du ministre de la Justice ou du côté du Conseil de la
magistrature.
Alors là, évidemment, quand on parle...
c'est ce que je disais, quand on parlait d'une façon prospective, présentement,
on n'avait pas besoin de demander la permission pour engendrer ces fonds-là,
mais surtout engendrer ces procédures-là. Là, l'équivalent d'aller demander des
crédits votés, c'est de dire : Est-ce que vous nous permettez de contester
votre décision législative ou encore exécutive? Parce que, dans un cas, c'était
une décision de nature exécutive.
M.
Morin :Alors, je comprends de vos propos, au fond... puis
j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que l'Assemblée nationale, on vient
d'adopter le projet de loi n° 8, qui... et vous y avez fait référence, qui, en
fait, donne un pouvoir à la Vérificatrice générale de faire un audit des
comptes du Conseil de la magistrature, et puis le conseil est maintenant soumis
à la Loi sur l'accès à l'information. Donc, ça, selon vous, c'était déjà des
éléments suffisants et... Donc là, est-ce que vous vous interrogez finalement
sur la sagesse du législateur de, quelques semaines, après vouloir aller un peu
plus loin?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, non seulement d'aller un peu plus loin, mais d'aller totalement ailleurs,
avec beaucoup de respect, c'est-à-dire que le projet de loi n° 8, quant à moi,
justement, s'intéressait à des principes avec un équilibre nécessaire,
c'est-à-dire, justement, la transparence, puis... et cette question de
rapporter finalement un travail exécuté sans avoir à l'empêcher de l'exécuter.
Là, on est vraiment dans le posteriori versus le prospectif. C'est là où il y a
vraiment une différence entre le contrôle et dire : Qu'est-ce qui a été
fait, qu'est-ce qui... donc de rapporter. Puis, en fait, c'est même... je vous
dirais que la reddition de comptes a un élément très positif, c'est-à-dire de
rendre compte du bon travail qui est fait. Je suis convaincue, pour le Conseil
de la magistrature, que c'est non seulement pas difficile ni lourd, mais que
c'est même une fierté de pouvoir rapporter le travail qu'ils exécutent.
• (20 heures) •
M.
Morin :Et qu'est-ce que vous pensez, par exemple, de l'idée
d'avoir une personne indépendante entre le Conseil de la magistrature et
l'exécutif, le ministre de la Justice, qui pourrait éventuellement présenter
les crédits du Conseil de la magistrature au Parlement? Est-ce que vous pouvez
élaborer là-dessus? Est-ce que ça vous semble être une situation qui
respecterait le principe de l'indépendance du Conseil de la magistrature?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, certainement que la personne indépendante, elle, oui, ce serait justement
en considération de cette indépendance-là. Mais, du moment que c'est le
ministre de la Justice, je veux dire... c'est là que je parlais tout à l'heure
de non seulement conflit d'intérêts, mais de principes de gouvernance qui ne
fonctionnent pas. C'est là où on devient déchiré avec nos propres... notre
propre mission par rapport à celle de l'autre, je vais dire, institution ou par
rapport à celle de l'autre pouvoir. Donc, une personne indépendante, ça rime
nécessairement avec l'indépendance de la magistrature et même la séparation des
pouvoirs.
M.
Morin :Mais je comprends qu'à ce moment-là, s'il y avait...
s'il y avait quelqu'un de... bon, d'indépendant qui faisait le pont, vous n'avez
pas d'objection à ce moment-là à ce que l'Assemblée nationale vote des crédits,
mais, si je vous comprends bien, ce que vous voulez éviter, c'est que le
conseil soumette directement au ministre son budget puis que le ministre vote
les crédits. Est-ce que je vous comprends bien?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, non, c'est ça, le point de s'adresser directement au ministre, ça,
c'est... pour moi, ça, c'est clairement une évidence, là, je veux dire, on
n'est même pas dans la nuance, mais la personne...
20 h (version non révisée)
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...maintenant
que la décision finale revient quand même à l'Assemblée, on est toujours au
sein du même pouvoir. On ne parle pas d'une personne totalement indépendante
dans l'exemple, là, on parle d'une personne qui a cette indépendance-là,
disons, pour transiger l'information. Mais au final, la décision revient à l'Assemblée
quand même, alors on exerce toujours un contrôle.
M.
Morin :Mais c'est ça, donc vous n'avez pas d'objection à ce qu'à
un moment donné l'Assemblée vote des crédits, mais vous voulez vous assurer...
ou si vous avez... vous êtes contre ça complètement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Contre
ça complètement.
M.
Morin :Complètement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Donc,
oui, c'est ça. Comme je vous dis, quand on parlait d'une personne indépendante,
c'est-à-dire que de me dire qu'il y a une personne indépendante entre les deux
qui discute, qui est, par exemple, pour la reddition de comptes, ça, ça va.
Mais quand on parle de voter des crédits, c'est de limiter et de contrôler la
mission du Conseil de la magistrature. C'est là où on dit : Vous allez
devoir agir dans tel cadre. Puis on parle beaucoup... je vous ai beaucoup parlé
de la limite, hein, par exemple, à entreprendre des recours judiciaires, hein,
parce que, notamment, pour, par exemple, contester une décision de l'exécutif
ou contester une loi, par exemple, pour sa constitutionnalité, mais il y a d'autres..
On parle de cette mission là, du Conseil de la magistrature, mais il y en a d'autres,
notamment celle, par exemple, d'évaluer les plaintes. Imaginez, là, je peux
sembler être dans l'hypothétique, amis imaginez une recrudescence de plaintes.
Et là le Conseil de la magistrature doit augmenter effectivement son budget
parce que, là, il y a beaucoup de plaintes à traiter contre la magistrature.
Là, il devrait demander l'augmentation des crédits votés. Puis si c'est
refuser, il va faire quoi? Il va juste traiter les cas les plus manifestes,
mais pas les autres. Bon, vous me direz, c'est hypothétique, sauf qu'on s'entend
que le Conseil de la magistrature, sa mission est déjà bien cadrée, bien campée
et ça fait en sorte que en quoi est-ce qu'on craint un dépassement injustifié?
On n'a même pas la balle, c'est-à-dire l'étincelle, la raison première de dire :
Écoutez, on pense qu'il y a des dépassements injustifiés, et donc on s'intéresse
à recadrer le tout. Ça prendrait au moins le début de preuve.
Le Président (M.
Bachand) :Il vous reste une minute, M. le
député d'Acadie.
M.
Morin :Parfait. Très bien. Donc, je comprends que, donc pour
vous, cet intermédiaire ou cette personne du type genre commissaire à la
magistrature fédérale, parce qu'au fédéral il y a quand même une partie des
crédits qui sont votés, ça serait suffisant ou pas suffisant?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Je
vais peut-être lancer la balle à Me Benoît. Je parle beaucoup depuis le début,
mais je sais qu'il l'avait certainement... une... de réponse là-dessus.
M. Benoit (Jean-François) : Mais
on n'a pas fait de l'analyse comparée par rapport à ce qui se fait au fédéral
dans un premier temps, mais ce qui est important, c'est que l'Assemblée
législative n'ait pas la capacité de limiter le Conseil de la magistrature, de
faire valoir son indépendance judiciaire, de faire valoir ses fonctions. C'est
ça, l'idée. Puis la façon de ce que vous nous avez décrit tout à l'heure, ça me
semblait être comme un messager entre le Conseil de la magistrature et le
législatif exécutif. Je pense que le concept de messager entre les deux, qui
fait seulement transmettre des messages, ne change absolument rien. C'est
seulement un écran de fumée, simplement. Ultimement, la question qui est
importante, là, c'est : Est-ce que le législatif ou l'exécutif va avoir la
capacité de limiter la fonction du Conseil de la magistrature et de défendre
son indépendance, l'indépendance judiciaire? C'est ça ultimement.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, Me Benoît. Le temps file
rapidement. M. le député de Saint-Henri-St-Anne, s'il vous plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci, M.
le Président. Merci. Je voudrais vous remercier Me Boulet, Me Benoît, on est
très reconnaissants de votre présence ce soir, vous aidez grandement... vous
nous aidez grandement dans nos travaux et vous avez pris beaucoup de temps, de
votre temps, bénévolement et rapidement pour nous présenter vos positions et je
vous en remercie. Je sais que vous êtes tous très occupés. Vous travaillez
fort, vous prenez quand même le temps de venir nous parler ce soir, alors
merci.
M. le Président, je pense qu'il faudra
toujours qu'on soit respectueux et accueillant envers ceux et celles qui se
présentent ici, en commission, surtout dans de si courts délais. Ma question
est la suivante : Est-ce qu'il serait possible, selon vous, et je voudrais
vous entendre, d'améliorer la reddition de comptes du conseil, tout en assurant
son indépendance? Est-ce que vous voyez une façon de nous permettre de rallier
les deux concepts?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, ce que je mentionnais un petit peu plus tôt, c'est que la reddition de
comptes était quand même relativement nouvelle et a été très peu testée. Alors,
je pense que, un, d'avoir l'ouverture, de commencer par l'exercer et de voir,
un peu comme tout à l'heure on disait le messager qui serait entre les deux, c'est-à-dire,
bon, veut une reddition de comptes un peu plus poussée ou un petit peu plus de
détails, ce serait une chose d'avoir ce dialogue, mais il faut d'abord voir qu'est-ce
qui manque dans la reddition des comptes. Est-ce qu'il manque réellement des
choses? C'est ce que je disais tout à l'heure par début de preuve. Est-ce qu'on
est capable d'identifier en testant la reddition de comptes? Il y a une
problématique qu'on n'a pas suffisamment de détails, on a l'impression que le
Conseil de la magistrature, par exemple, utilise des deniers à mauvais escient.
Je veux dire, ça prend...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...ça
prend un minimum de soupçon ou de faits qui permette à ce moment-là de dire,
bien, la reddition de comptes n'est pas suffisante. Mais la reddition de
comptes, à la base, représente, je pense, maintient cet équilibre-là entre le
pouvoir de l'un et l'autre et fait juste ouvrir un dialogue de transparence
entre les trois pouvoirs, oui.
M. Cliche-Rivard : Merci.
Selon vous, est-ce qu'il aurait été judicieux qu'on entende ici, en commission,
le Conseil de la magistrature?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
pour avoir, en fait, lu leur mémoire, j'avoue que je suis certaine qu'ils
auraient eu beaucoup de choses pertinentes à vous mentionner, tant à l'oral que
l'écrit, parce qu'effectivement ils étaient en mesure, selon moi, de très bien
expliquer et de défendre l'objectif, finalement, qui était derrière chacune des
actions qui ont été prises par eux et qui ont entraîné des dépenses. Je pense
que si ce n'est pas... A posteriori, c'est très différent, encore une fois,
d'expliquer, d'élaborer. Ils peuvent même le faire en citant des jugements,
comme je l'ai fait plus tôt. Alors c'était un exercice qui, selon moi, pouvait
se faire très aisément par eux, et qui étaient les premiers intervenants
pertinents, là. Je pense que, dans l'esprit d'un dialogue, même au niveau...
autant au niveau législatif qu'exécutif, c'est d'entendre les premiers
intéressés, donner la parole aux premiers intéressés, ça me semble évident.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de
Saint-Henri-Saint-Jacques. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît.
Mme Nichols : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup à vous deux d'être parmi nous dans
un... on l'a dit, là, dans un si court laps de temps. Il y a certains groupes
qui ont dû se désister justement parce qu'ils n'avaient pas le temps de se
préparer adéquatement. Moi, je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, là,
une de mes préoccupations, c'était l'ingérence politique. Puis, ce qu'on vient
de voir, là, dans les dernières minutes, je pense que... puis, inconsciemment,
là, je pense que ce n'était pas voulu, mais clairement, moi... c'est clairement
ce qu'on ne veut pas voir. On ne veut pas voir de l'ingérence, on ne veut pas
voir de l'ingérence politique. Puis on l'a vu parce que votre position, elle
n'est clairement pas celle du ministre, elle est vraiment totalement différente.
Puis j'étais bien contente, là, d'entendre les groupes aussi qui sont venus
avant, qui sont passés avant vous en commission parlementaire, mais moi, c'est
cette partie-là qui m'embête, c'est cette partie-là, d'ingérence, là, qui
m'inquiète. Puis je pense que, bien, comme je vous dis, là, de façon... C'est
apparu ça nous a sauté aux yeux. Donc, vous avez fait une partie du travail,
là, sans le savoir.
Question sur les crédits votés, je l'ai
déjà posée à un autre groupe, mais, si on s'en va avec les crédits votés parce
que ça pourrait, parce que ça se fait un peu ailleurs, puis on a regardé, là,
on est en train de regarder aussi comment ça se fait ailleurs, si on pouvait
exclure quelque chose, là, des crédits votés, parce qu'on le sait, qu'ils ont différentes...
que le Conseil de la magistrature a différentes missions, s'il y avait une
mission qu'on pourrait exclure de ces crédits-là, qu'est-ce que vous suggérez?
• (20 h 10) •
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
je vais prendre... Merci pour votre question, M. le Président, je peux... C'est
là où... le Conseil de la magistrature aurait certainement été mieux à même de
répondre à cette question-là, parce que moi, pour ma part, comme juriste, comme
praticienne, évidemment, je commente le fait que l'indépendance judiciaire,
pour moi, quand je disais tantôt que le droit n'est pas toujours gris, c'est un
principe qui est effectivement... qui doit être immuable au sein de notre
système. Alors, c'est plus dans ce sens plus large là que je m'intéressais à la
question de contrôler les actions du... pardon, du Conseil de la magistrature.
Mais, si on devait... Au final, ce que
vous dites, c'est un peu : Qu'est-ce qui pourrait être couvert dans les
crédits et, pour le reste, un budget discrétionnaire, ou, au contraire qui
serait... Parce qu'évidemment la question de prendre les mesures pour assurer
l'efficacité, là, le 258 F, ça, pour moi, c'est celui qui est beaucoup plus
large et qui peut viser de multiples actions, dont les recours judiciaires,
c'est-à-dire pas juste entreprendre un recours judiciaire, mais ça peut être
aussi de se défendre dans le cadre d'un recours judiciaire.
Il faut se rappeler, là, le recours, en ce
moment, qui est visé par l'article 1 et qui fait l'objet d'une entente, ce
n'est pas un recours qui a été entrepris par le Conseil de la magistrature.
Mme Nichols : Entre autres,
Il y avait les dépenses liées à la déontologie judiciaire qui ne sont pas
nécessairement incluses ou, en fait, dans... incluses, là. Parce que, là, je
reprends le mémoire du Conseil de la magistrature parce qu'il aurait été
pertinent de les entendre, là, puis il parlait de l'enveloppe du 3,2 millions
par rapport à la déontologie. C'est quelque chose qu'on pourrait exclure?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui.
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, oui. En quelques
secondes, s'il vous plaît. Merci.
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...qui
pourraient exclure des crédits votés, la question de la déontologie. Bien, en
fait, c'est évidemment tout ce qui est le rôle du Conseil d'évaluer les
plaintes contre la magistrature, là. Donc, c'est... ça dépend évidemment de...
j'allais dire de la demande. Et la prévision budgétaire, là-dessus, j'imagine
que c'est tout simplement infaisable. Ça va de soi, hein, c'est comme pour...
Le Président (M.
Bachand) :O.K. Sur ce, le temps file
rapidement, Me Boulet, Me Benoit. Merci beaucoup d'avoir été avec nous. C'est
très apprécié. Cela dit, la commission suspend ses travaux quelques instants.
Merci beaucoup. Bonne soirée.
(Suspension de la séance à 20 h 12)
(Reprise à 20 h 15)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît!
Alors, la commission des... continue ses travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir
les représentantes du Barreau du Québec. Mesdames, merci beaucoup d'être avec
nous. Alors, d'emblée, j'aimerais vous inviter à vous présenter et à débuter
votre présentation, s'il vous plaît. Merci.
Mme Claveau (Catherine) : M.
le Président, M. le ministre, Mesdames et Messieurs les députés, je suis
Catherine Claveau, Bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Maître Sylvie
Champagne, qui est la directrice des affaires juridiques du Barreau du Québec.
Je vous remercie de nous avoir invitées à participer aux consultations
entourant le projet de loi n° 26. Il nous fait plaisir de partager avec
vous nos observations et commentaires.
Avant de commencer, il me paraît judicieux
de rappeler que notre objectif, dans le cadre des consultations sur un projet
de loi, est de fournir un éclairage juridique et d'alimenter vos réflexions sur
la législation et les mesures proposées. Tout d'abord, nous saluons la mise en
œuvre de l'entente avec la Cour du Québec concernant l'ajout des
14 nouveaux postes de juges, favorisant ainsi une plus grande efficacité
de la justice. En misant sur le dialogue et la conciliation pour convenir d'une
série de compromis, le gouvernement et la Cour du Québec font la preuve qu'ils
placent l'accès à la justice et l'intérêt des justiciables au sommet de leurs
priorités. Nous leur en sommes reconnaissants. L'article 3 du projet de
loi propose de modifier les sources de financement du Conseil...
Mme Claveau (Catherine) : ...de
la magistrature en assujettissant son budget aux crédits votés annuellement à
cette fin par l'Assemblée nationale. Actuellement, ces dépenses sont prises à
même le Fonds consolidé du revenu. Nous comprenons que l'intention du projet de
loi vise à ce que les sommes octroyées annuellement au Conseil de la
magistrature s'inscrivent dans un processus budgétaire gouvernemental
transparent à l'égard de l'utilisation des fonds publics. Le Barreau du Québec
est favorable à un exercice de reddition de comptes et à une plus grande
transparence, contribuant ainsi à préserver la confiance des citoyens dans les
institutions.
Nous croyons toutefois que la modification
proposée, sans autre engagement du ministre de la Justice, comporte des risques
d'atteinte à l'indépendance du Conseil de la magistrature. Cela pourrait mener
à des contestations judiciaires qui fragiliseraient cette confiance nécessaire
envers notre système démocratique.
À ce sujet, il est important de rappeler
que le Conseil de la magistrature est un organisme qui contribue à maintenir
l'indépendance du pouvoir judiciaire. Sa mission est fondamentale dans notre
système judiciaire. Le Conseil est chargé d'organiser des programmes de
perfectionnement des juges, d'adopter le code de déontologie de la
magistrature, de recevoir et examiner toute plainte formulée contre un juge,
ainsi que favoriser l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les
tribunaux.
D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec a
reconnu que le financement indépendant du Conseil de la magistrature est un
élément important pour déterminer qu'il n'est pas un organisme gouvernemental
au sens de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels. Il n'est donc pas surprenant que le
Conseil de la magistrature bénéficie d'un statut particulier lui permettant de
garantir son indépendance, notamment en raison de ses fonctions en déontologie
judiciaire pour lesquelles le principe de l'indépendance de la magistrature
peut être en jeu.
• (20 h 20) •
Nous sommes donc préoccupés par la modification
proposée dans le projet de loi quant au financement du Conseil. Tel que le
Conseil de la magistrature l'a soulevé dans son propre mémoire, on peut se
poser la question suivante : Si les sommes requises pour l'exercice des
activités du conseil devaient être plafonnées, devra-t-il considérer le budget
pour décider d'entreprendre ou non une enquête sur un manquement déontologique
allégué d'un juge? Les membres d'un comité d'enquête devront-ils prendre en
compte ce même budget avant de décider de retenir les services d'un avocat pour
les appuyer dans leurs travaux? Et le conseil devra-t-il demander aux membres
non-juges de limiter le temps consacré à l'examen de la plainte d'un citoyen et
à la rédaction d'un projet de décision à la lumière de contraintes budgétaires?
Ces possibilités paraissent de façon évidente contraires à l'une des missions
fondamentales confiées au Conseil de la magistrature, qui consiste à veiller au
respect par les juges de tous leurs devoirs déontologiques au bénéfice des
citoyens et ainsi maintenir la confiance du public à l'égard des tribunaux
québécois.
Par ailleurs, en 2022, une entente est
intervenue entre le ministre de la Justice fédéral et le Conseil canadien de la
magistrature concernant le financement de ce dernier. Cette entente prévoit, et
je cite, que «le Conseil canadien de la magistrature détermine ses propres
besoins de financement supplémentaires et travaille en consultation avec le
Commissariat pour préparer les présentations requises. Le ministre convient de
soumettre ces présentations au ministre des Finances au nom du Conseil canadien
de la magistrature et sans modification.», fin de la citation.
Donc, à l'instar de ce qui se fait au
fédéral, nous recommandons que toute modification à la source du financement du
Conseil de la magistrature fasse l'objet de discussions préalables entre le
Conseil et le ministre de la Justice, et ce, afin de préserver cette
indépendance. Aussi, il ne faut pas oublier que, depuis l'adoption récente du
projet de loi huit, le Conseil de la magistrature doit transmettre une copie de
ses prévisions budgétaires ainsi que les dépenses et excès de ces prévisions au
ministre de la Justice. De plus, les livres et les comptes du Conseil sont
désormais soumis à la... au Vérificateur général.
Ces nouveaux processus permettent
d'assujettir le processus budgétaire du Conseil de la magistrature à un
exercice de redditions de comptes et, par le fait même, à une plus grande
transparence. Elles sont importantes et permettront d'augmenter la rigueur du
processus. Ne devrions-nous pas attendre les résultats de ces nouvelles mesures
avant de modifier le nouveau... le processus budgétaire du Conseil?
Ainsi, à la lumière de...
Mme Claveau (Catherine) : ...Ce
qui précède. Plutôt que d'adopter ces dispositions dans un projet de loi, le
Barreau du Québec propose la conclusion d'une entente prévoyant des règles
claires quant à l'octroi des crédits budgétaires, garantissant ainsi
l'indépendance du Conseil de la magistrature et, ultimement, l'indépendance
judiciaire.
En terminant, nous croyons que la
réflexion sur ces enjeux fondamentaux mérite d'être analysée de façon plus
approfondie, compte tenu de l'importance de l'indépendance du pouvoir
judiciaire au sein de notre système démocratique québécois. Nous vous
remercions encore une fois pour cette invitation et nous sommes disponibles
pour répondre à vos questions.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Mme la
bâtonnière. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Claveau, Me Champagne, Bonjour. Très heureux de vous
accueillir en commission parlementaire.
Bien, écoutez, commençons par le début.
Donc, je comprends que le Barreau est satisfait qu'il y ait une entente avec la
Cour du Québec relativement au nombre de jours siégé?
Mme Claveau (Catherine) : Effectivement.
C'est toujours... Vous vous rappellerez, M. le ministre, que nous, c'est ce que
nous souhaitions, que vous vous entendiez avec Mme la juge. Et c'est sûr que
l'ajout de 14 nouveaux juges à la Cour du Québec, pour nous, ça va...
c'est une mesure qui va nous permettre de réduire, notamment, les délais de...
pour les causes et qui va bénéficier, là, au système de justice et aux
justiciables.
M. Jolin-Barrette : Puis, comment,
Me Claveau, entrevoyez-vous le fait qu'on s'est dotés d'objectifs, notamment,
la magistrature, le fait d'avoir des objectifs, notamment, de performance et
d'objectifs d'efficacité? Parce qu'un des enjeux, dans le système de justice,
c'est, notamment, les délais puis l'inventaire des dossiers.
Donc, parmi les trois objectifs que nous
avons, il y a celui du taux de fermeture de dossiers de 1,1, donc de fermer
davantage de dossiers qu'il y en a d'ouverts. Le deuxième indicateur,
notamment, c'est sur la question du nombre de dossiers qui vont se conclure à
l'intérieur des délais Jordan, donc on est autour de 87,7 %, je crois,
comme objectif, comme cible. Donc, bien entendu, on n'est pas à 100 %,
parce que la défense peut renoncer aux délais, donc ce n'est pas tous les
dossiers qui vont se retrouver à l'intérieur de ce dossier-là. Et le délai
médian aussi des dossiers, je pense qu'on est à 306, 307 jours, puis, là,
on ramène ça comme cible à 212 jours. Qu'est-ce que vous pensez de ça, du
fait que la magistrature se dote d'objectifs, notamment, des cibles de
performance, des cibles d'efficacité?
Mme Claveau (Catherine) : Écoutez,
je dois vous dire que, la question que vous me posez, je ne l'ai pas étudiée
avant de préparer cette... la présente commission. On s'est plutôt concentrés
sur les quatre nouveaux articles, sur ces aspects-là de... Du calcul pour les
ratios, et cetera. Mais, si ça permet de... d'améliorer les choses, on ne peut
pas être contre, c'est certain.
M. Jolin-Barrette : O.K. Parce
qu'un des objectifs de l'entente... Puis je vous explique Pour ne pas refaire
la genèse au complet du dossier. Mais, à partir du moment où on a une décision
unilatérale de la part de la Cour du Québec qui dise : bien, nous,
écoutez, on diminue notre temps siégé, on siégeait 139 jours à la Chambre
criminelle et pénale, et, là, désormais, on va siéger 104 jours, puis, peu
importe ce qui va arriver, on va siéger 104 jours, au ministère de la
Justice, on avait un enjeu avec ça. Parce que, nécessairement, ce que ça fait,
c'est que ça soustrait du nombre... Des nombres de jours-juge siégés pour
entendre les dossiers. Et, si vous enlevez, puis c'est un principe
mathématique, là, si vous siégez moins puis vous ne changez pas les façons de
travailler, bien, à ce moment-là, nécessairement, les délais vont s'allonger.
Puis la Cour du Québec le reconnaissait aussi, parce que leur demande était de
dire : Bien, puisque je retire 35 jours siégés par juge à la Chambre
criminelle et pénale, nécessairement, en faisant le calcul, ce n'est pas le
calcul du ministère de la Justice, c'est le calcul de la Cour du Québec, nous
souhaitons avoir 41 juges de plus nommés uniquement pour combler cette
perte de jours d'audience là. Alors, bon, nous, on a demandé de suspendre la décision
de la part de la direction de la Cour, le temps qu'on trouve une solution. La
Cour... La direction de la Cour du Québec a refusé de suspendre sa décision. On
a même fait une demande de renvoi à la Cour d'appel. Et, suite à la demande, on
a resoumis notre demande de suspension de la décision à la direction de la
Cour. Ça a été un refus. Finalement, vous avez vu, on a mandaté l'honorable
juge Chamberland comme facilitateur et puis, finalement, on est arrivés à cette
entente-là.
Alors, moi, je pense qu'il s'agit d'une
bonne entente puisque, bien entendu, et je ne m'en suis jamais caché, le fait
de donner des ressources supplémentaires au système de justice, j'en suis,
notamment, l'engagement du gouvernement du Québec. C'est pour ça ici qu'on se
retrouve ce soir avec un projet de loi qui vise à ajouter 14 juges
supplémentaires...
M. Jolin-Barrette : ...l'idée,
c'est de faire en sorte qu'on puisse bien utiliser le système de justice, mais
en contrepartie, ce n'est pas uniquement l'ajout de ressources qui va faire une
solution, c'est aussi la façon dont on travaille puis la façon aussi dont on se
fixe des objectifs. Parce que, si on fait toujours la même recette de juste
rajouter des ressources puis on ne se pose jamais la question comment
pouvons-nous être plus efficaces, on va arriver au même résultat. Donc, c'est
pour ça que l'entente prévoit, oui, le gouvernement du Québec consacre
14 juges supplémentaires, la Cour du Québec... la direction de la Cour du
Québec fait en sorte que les juges siégeront 121 jours, donc, au lieu de
139, passer à 104, on se ramène à 121.
Mais l'élément le plus important de
l'entente, ce sont les cibles de performance et d'efficacité pour faire en
sorte d'arriver avec un taux de fermeture de dossiers puis avec des délais qu'ils
vont respecter aussi. Parce que la pire chose qu'il peut y avoir, puis
peut-être serez-vous d'accord avec moi, c'est, lorsque le public apprend que
les procès sont annulés, il y a des arrêts de procédures, il y a des arrêts
dits Jordan parce que les délais ne sont pas respectés institutionnellement.
Moi, je pense que tout le monde y perd, quand ça arrive, à la fois les
victimes, à la fois l'ensemble des intervenants du système de justice mais à la
fois le public qui se dit : Mais comment ça que le système de justice ne
fonctionne pas? Alors, peut-être serez-vous d'accord avec moi sur ce point-là.
Je vous soumets ça dans le cadre de l'entente qu'on a conclue.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
je réitère que nous nous réjouissons de cette entente-là et qu'effectivement,
lorsqu'on recherche des solutions pour améliorer les délais par... Et,
effectivement, l'ajout de 14 juges, c'est une partie de la solution, ce n'est
pas la seule. La gestion de plus en plus importante par les juges des dossiers,
la conciliation en cours d'instance, et tout ça, permet aussi d'alléger les
délais. Donc, nous, au Barreau du Québec, on se réjouit de cette entente-là,
puis on est toujours en faveur de toute mesure qui permet de réduire les
délais.
M. Jolin-Barrette : J'étais
curieux de savoir. Vous, au Barreau du Québec, dans le fond, vous avez des
bâtonniers de section dans les différentes régions et en fonction des districts
judiciaires. À certains endroits, ça va mieux que dans d'autres districts. Il y
a des districts judiciaires, là, des barreaux de section qui sont très
performants, où est-ce que les délais sont beaucoup plus courts, puis ça
fonctionne très bien. Et, à d'autres endroits, ça ne fonctionne pas très bien.
Est-ce que vous avez une idée des raisons pour lesquelles, dans certains
districts judiciaires, ça fonctionne bien, puis, dans d'autres, en matière
criminelle et pénale, là, je parle uniquement, là, pour les fins de la
discussion aujourd'hui, c'est plus difficile, c'est plus... c'est plus aride
pour les délais, on fonctionne moins bien?
• (20 h 30) •
Mme Claveau (Catherine) : Je
suis désolée, mais, compte tenu du délai qu'on avait pour se préparer pour la
présente commission, on n'a pas eu... on n'a pas eu le temps de se pencher sur
cette question-là. Il y a différents facteurs qui font que les délais sont plus
longs dans un endroit qu'un autre. Il y a parfois le nombre de dossiers qui est
plus important, le nombre de salles de cours qui sont... qui sont vouées à...
pour entendre les dossiers. Donc, il y a divers facteurs qui font en sorte que,
malheureusement, les délais sont plus élevés dans un district qu'un autre, mais
je ne suis pas en mesure de vous donner les raisons exactes ce soir.
M. Jolin-Barrette : O.K. Tout
à l'heure, Me Claveau, sur les articles 2 et 3 du projet de loi, puis le
Barreau l'aborde dans la correspondance que vous nous avez fait parvenir, vous
disiez : Écoutez, supposons, au fédéral, il y a une sorte d'entente entre
le ministre de la Justice et le Conseil canadien de la magistrature. Vous,
c'est un élément que vous amenez, que vous soulevez pour dire : Bon,
écoutez... Bien, premièrement, en matière déontologique, c'est... je pense que
c'est ce qui vous... ce qui... sur lequel vous avez le plus grand intérêt.
Alors, vous voudriez qu'on fasse l'équivalent d'une entente comme c'est le cas
au fédéral?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
effectivement, parce que vous voyez la... Je réitère que c'est important, quand
même, là, de... La reddition de comptes, pour nous, c'est un principe
important, on le reconnaît. Maintenant, il faut faire attention quand même de
conserver, là, la séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir aussi du
Conseil. Et, au fédéral, une partie de la solution est venue par la signature
d'une entente entre le ministre de la Justice, Lametti, et le juge en chef du
Canada, Richard Wagner. Donc, ils ont dit : Oui, on va... on va se parler,
on va faire des représentations. Mais je pense, ce qui est important, c'est
sans modification, c'est-à-dire qu'il y a quand même une confiance du
gouvernement envers... envers la magistrature, dire : Vous avez certains
besoins pour... pour, entre autres, là, la déontologie, la formation de vos
juges...
20 h 30 (version non révisée)
Mme Claveau (Catherine) : ...on
va en discuter, on vous fait confiance. Puis moi, quand je vais arriver devant
mon gouvernement pour demander des sommets, mais je vais les demander sans
modification. Alors, pour nous, c'est important. Et ce qu'on souhaiterait, ce
serait que vous, vous fassiez la même chose avec la juge en chef ou la juge qui
va être la présidente... qui va présider le Conseil de la magistrature pour
voir : Bien, voici comment.... Comment pouvez-vous nous rassurer? Comment
pouvez-vous être transparent dans vos dépenses, mais en même temps, tout en
conservant votre indépendance?
M. Jolin-Barrette : O.K.
Puis, dans le cadre de votre proposition, Mme la bâtonnière, je comprends qu'au
fédéral les crédits sont tout de même votés par le Parlement.
Mme Claveau (Catherine) : Je...
Me Champagne, je ne sais pas si vous pouvez m'aider à répondre à cette
question-là pour le fédéral.
Mme Champagne (Sylvie) : Oui,
tout à fait.
Mme Claveau (Catherine) : Allez-y.
Mme Champagne (Sylvie) : Oui.
Bien, il y a le commissariat et le commissaire qui jouent un rôle, là. Il y a
quand même une personne indépendante entre le Parlement et le Conseil canadien
de la magistrature pour faire, je vous dirais, cette présentation-là des
besoins du Conseil canadien de la magistrature. Mais, à la fin de la journée,
oui, il y a... c'est adopté, là, les crédits sont votés par le Parlement.
M. Jolin-Barrette : C'est ça,
donc ce sont des crédits votés au fédéral. Cependant, il y a une entente entre
le juge en chef, l'honorable Wagner, et le ministre de la Justice canadien.
Cependant, je lisais justement le protocole d'entente entre les deux
institutions et, notamment, on indique que... bon, le protocole, c'est le
paragraphe 5 de l'entente, là : "Ce protocole d'entente reflète
les intentions du ministre et du Conseil canadien de la magistrature, mais n'est
pas destiné à servir de contrat juridiquement exécutoire ni à créer des droits
ou obligations juridiquement exécutoires."
Donc, je comprends que c'est un engagement
de bonne foi, mais le contrat... bien, la convention entre le juge en chef et
le ministre de la Justice fédéral, c'est un engagement de bonne foi. C'est la
parole, là... bien, en fait, c'est de la parole qui n'est pas exécutoire. Je ne
sais pas comment le formuler, là, mais, dans le fond, c'est un énoncé de bonnes
intentions réciproque.
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
c'est quand même un engagement, il y a un engagement des parties à procéder de
cette façon pour... Et puis il faut lire le protocole dans son ensemble parce
qu'également, M. le ministre, il y a des reconnaissances de part et d'autre. Et
puis, si vous regardez, je vois que vous savez le protocole, au paragraphe 1,
on parle, évidemment, de la "relation de collaboration fructueuse entre le
pouvoir exécutif puis judiciaire de l'État", mais au paragraphe 2...
qui est très long, là, mais, à la fin, on reconnaît le "principe de l'indépendance
judiciaire est une caractéristique fondamentale de la Constitution canadienne.
Cela comprend l'indépendance du CCM -- donc du Conseil canadien de la
magistrature ---dans l'exercice de son mandat." Et, si vous regardez au
paragraphe 6 du protocole, on reconnaît... on dit que... je suis au milieu
du paragraphe, on dit : "Les deux parties reconnaissent l'indépendance
du CCM relativement à l'atteinte de ses objectifs et à la réalisation de son
mandat."
Donc, il y a vraiment des reconnaissances,
dans ce... dans ce protocole-là, qui reconnaît cette indépendance-là et qui
fait en sorte que la négociation, si vous voulez, ou la présentation des
besoins du Conseil canadien de la magistrature, il y a une espèce d'éloignement
au niveau du pouvoir, là, législatif pour éviter cette ingérence et la
séparation des pouvoirs qui est... qui est, dans le fond, consacrée, là, par la
Constitution puis pour le respect de l'indépendance de la magistrature.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Bien, je vous suis, mais ultimement, Me Champagne, vous me corrigez, là, mais,
malgré tout ça, les crédits sont votés, sont votés par le parlement fédéral,
parlement du... par le parlement du Canada, puis ce sont les membres du
Parlement, de la Chambre des communes qui votent les crédits du Conseil
canadien de la magistrature. Ils sont... Ils ne sont pas dans une situation,
comme au Québec présentement, où ils sont branchés directement sur le fonds
consolidé, puis il n'y a aucune reddition de comptes.
Puis là vous avez abordé la question du projet
de loi n° 8. Je suis heureux que vous le souligniez parce que c'est le
projet de loi que nous avons adopté ensemble avec nos collègues, mais c'est une
initiative gouvernementale quand même. Mais cela fait en sorte qu'on est quand
même dans une situation...
M. Jolin-Barrette : ...fédéral,
c'est des crédits votés, puis ici, ce n'est pas des crédits votés, puis le
Conseil de la magistrature, ici, est branché, comme on dit en bon Québécois,
sur le 220. Donc, si... il y a quand même une différence, là, puis ça n'affecte
pas l'indépendance du Conseil canadien de la magistrature parce que les crédits
sont votés par le Parlement fédéral.
Mme Champagne (Sylvie) : Là,
pour l'instant, il n'y a pas de décision, à moins que vous ayez une décision,
M. le ministre, à nous soumettre, là, il n'y a pas de décision par rapport à
cette question-là, et... Mais, par contre, on a pris des précautions pour
justement éviter de judiciariser, probablement, ce débat-là et de faire en
sorte qu'il y ait des garanties. C'est par un protocole, mais qui crée un tiers
indépendant qui va venir discuter des questions budgétaires pour qu'à la fin de
la journée, comme vous dites, ça soit adopté par le Parlement.
Le Président (M.
Bachand) :Une minute, M. le ministre...
M. Jolin-Barrette : Mais je
pousse la réflexion juste un peu plus loin... Puis j'apprécie la proposition
que le Barreau du Québec fait. Mais, ultimement, les parlementaires à Ottawa
ont toujours le loisir d'adopter ou non les crédits, c'est le concept même des
crédits votés, parce que ce sont eux qui sont élus par la population, puis dans
le fond c'est de l'argent public, il y a des obligations de transparence, il y
a des obligations de reddition de comptes malgré l'indépendance judiciaire. Il
n'y a personne ici qui conteste la notion d'indépendance judiciaire puis
l'importance dans notre démocratie, mais il y a également d'autres principes à
la base de notre démocratie auxquels tous doivent être assujettis, et,
notamment à Ottawa, malgré le fait que ça n'a pas été contesté devant les
tribunaux, je comprends qu'il n'y a pas de décision, mais ultimement le
Parlement est légitimé aussi de faire en sorte que ce soient des crédits votés.
Le Président (M.
Bachand) :Est-ce qu'il y a une réaction,
rapidement? Est-ce qu'il y a une réaction, rapidement, de Me Claveau ou Me
Champagne? Ça va? Oui. Allez-y, Me Champagne.
• (20 h 40) •
Mme Champagne (Sylvie) : Bien,
je vous dirais, M. le ministre, que pour l'instant, nous, on réagissait à votre
proposition de modifier que ce soit au fonds consolidé versus une adoption par
l'Assemblée nationale, un vote de l'Assemblée nationale sans qu'il y ait
d'autre mécanisme qui soit prévu pour garantir, là, l'indépendance. Puis on
comprend les autres principes, mais l'Assemblée nationale n'est pas, tu sais,
au-dessus du principe constitutionnel du respect de l'indépendance judiciaire.
Alors, nous, notre crainte, sans... que ce soit juste cette disposition-là qui
soit adoptée sans autre modalité, bien, on croit qu'il y aurait un risque de
contestation par rapport à cette question-là.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Me Champagne.
M. Jolin-Barrette : Merci à
vous.
Le Président (M.
Bachand) :Je cède maintenant la parole au
député d'Acadie.
M.
Morin :Merci. Merci, M. le Président. Alors, bonsoir, Mme la
bâtonnière, bonsoir, Me Champagne, heureux de pouvoir dialoguer avec vous à
nouveau dans le cadre des travaux d'une commission parlementaire. Merci pour
vous rendre disponibles, parce qu'évidemment ça a procédé rondement, n'est-ce
pas, et d'avoir produit un mémoire. Je dois vous dire que j'ai été agréablement
surpris, parce que votre mémoire, en fait, il est... Les éléments que vous
faites ressortir sont importants, c'est des éléments fondamentaux, mais vous
faites preuve également de prudence et de nuance, ce qui, je pense, est
important.
Si je me réfère à la page 2 de votre
mémoire, vous dites que «la modification proposée, sans autre engagement,
risque de porter atteinte à l'indépendance du conseil». On va en reparler un
peu plus tard, parce qu'on a écouté des experts un peu plus tôt aujourd'hui
qui... Pour eux, ce n'était pas nuancé, ce n'était pas du gris, c'était
carrément : Pas de problème! Le professeur Taillon, qui nous a dit :
Le p.l., le projet de loi ne porte pas atteinte à l'indépendance judiciaire.
Donc, ça, c'est... En tout cas, lui, c'était bien clair, son affaire. Le
professeur Turp, qui nous a dit : Pas de risque, pas d'atteinte. Bon.
Alors, écoutez, avant la pause du repas, un peu plus puis on finissait ça
rapidement, n'est-ce pas? Mais, finalement, quand on lit la documentation du
conseil, ce que vous avez produit, on voit que c'est beaucoup plus nuancé, et
je l'apprécie grandement.
Maintenant, quand vous dites que ça
comporte des risques sans autre engagement du ministre, est-ce que... Puis vous
avez élaboré par la suite. Pour vous, est-ce qu'un engagement que le ministre
devrait prendre, c'est une entente, comme vous l'avez évoqué, ou si ça doit
être plus que ça? ...
Mme Claveau (Catherine) : ...Nous,
on s'est référés au modèle fédéral, donc la question s'est un peu posée au
fédéral. Donc, il y a une entente entre le juge en chef et le ministre, où
est-ce que, quand même, il y a un certain... Le ministre s'engage à présenter
sans commenter, sans modifier la demande. Alors, c'est la première comparaison
qu'on a faite.
Maintenant, je vais laisser Me Champagne
peut-être compléter, si elle peut appuyer sur d'autres comparables.
Mme Champagne (Sylvie) : Non,
effectivement, c'est ce qu'on a regardé parce qu'on a eu un court délai pour le
faire. On n'a pas pu faire de droit comparé, là, avec le reste du Canada ou
d'autres juridictions. Mais on a trouvé très intéressant le protocole qui pose
des balises claires et qui reconnaît des principes fort importants dans notre
société démocratique, avec la reconnaissance de la séparation des pouvoirs et
de l'importance, là, de... Des fonds publics, mais également qui reconnaît
l'importance de préserver l'indépendance institutionnelle de la magistrature,
dont font partie, là, les conseils, qui ont une mission, là, importante,
surtout au niveau de la déontologie judiciaire, pour, justement, éviter, je
vous dirais, que ces façons de faire soient contestées. Et je sais qu'on a
donné des exemples, là, parce que j'ai écouté en partie la commission cet après-midi.
On faisait beaucoup référence au processus de rémunération des juges, où,
justement, il y a eu un... On a mis, suite aux décisions des... De la Cour
suprême, un comité indépendant qui fait des recommandations. Donc, il y a une
certaine distance entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif
exécutif, que nous ne trouvons pas dans la proposition du... De l'article trois
du projet de loi n° 26. Et donc, c'est des questions qui sont importantes
et qui méritent, là, de... réflexion.
Donc, c'est sûr que, nous, rapidement, on
a trouvé intéressant le protocole. Ça ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas
d'autres façons de faire. Et évidemment, ça prend une collaboration avec le
Conseil de la magistrature, avec le ministère de la Justice, pour trouver
peut-être notre façon à nous, au Québec, de s'assurer de respecter, dans le
fond, l'indépendance judiciaire, mais, comme l'a dit la bâtonnière tout à
l'heure, qu'il y ait aussi une reddition de compte puis une transparence. Et
donc, ces éléments-là, il faut qu'il y ait cet équilibre-là, tout en respectant
ce droit constitutionnel de l'indépendance judiciaire.
M. Morin : Oui. Et
j'apprécie, quand vous parlez de... D'entente. En fait, il y en a une au
fédéral, ça semble être beaucoup plus compliqué au Québec. Il a fallu un
facilitateur pour qu'on arrive à une entente entre le ministre de la Justice et
la Cour du Québec après du temps de négociation, donc peut-être moins facile de
mettre en pratique ici.
Quand vous parlez d'un comité, donc ce serait,
finalement, un organisme qui ferait le pont entre le Conseil de la magistrature
et le ministre, finalement. Donc, le ministre n'aurait pas à présenter, au nom
du Conseil de la magistrature, des crédits du Conseil, donc ça permettrait une
plus grande indépendance. Est-ce que je vous comprends bien?
Mme Champagne (Sylvie) : Non.
Je... On ne suggère pas de mettre nécessairement un comité. Je faisais le
parallèle avec ce qu'on a mis en place pour la rémunération des juges, où, là,
il y a des comités indépendants. Je ne vous dis pas qu'ici, pour la question
budgétaire du Conseil de la magistrature, que ça prendrait un comité. Au
fédéral, il y a un commissariat avec un commissaire. Alors... Mais il y a
certainement des mécanismes qui pourraient permettre de préserver
l'indépendance du Conseil de la magistrature tout en faisant en sorte qu'il y
ait une plus grande transparence et une reddition de comptes au niveau de
l'utilisation des fonds publics pour le mandat important de... du Conseil de la
magistrature.
M. Morin : Dans l'arrêt
Colombie-Britannique contre le procureur général, en 2020, la Cour suprême
écrivait : «Il est important que les rapports entre le judiciaire et les
deux autres pouvoirs de l'État soient dépolitisés.» Est-ce que vous pensez que
le simple fait d'avoir une entente, et que ce soit le ministre qui présente,
par exemple, les crédits, ça va suffisamment dépolitiser le processus et donc,
ça va être conforme à ce qu'écrivait la Cour suprême ou s'il ne faut pas plus?
Mme Champagne (Sylvie) : Bien,
pour nous, il faudrait réfléchir davantage. Vous voyez, vous soulevez une
question...
Mme Champagne (Sylvie) : ...importante
avec cet arrêt récent de la Cour suprême. Et, au niveau de l'indépendance
institutionnelle, il y a beaucoup moins de jurisprudence de la Cour suprême, et
je pense qu'il faut aller avec le principe de précaution, et donc il faut
s'assurer de mettre en place... Parce qu'il y a une question aussi... La Cour
suprême disait qu'il faut que ce soit... Quand on pose la question à savoir
s'il y a une ingérence, et ça, c'est dans l'arrêt de la Cour suprême en 2005,
l'arrêt de la Colombie-Britannique contre Imperial Tobacco, ce que la cour nous
disait, c'est : «La question critique, c'est de savoir si la cour est
libre et raisonnablement perçue comme étant libre d'exercer sa fonction
juridictionnelle, sans ingérence de la part de qui que ce soit, y compris des
pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement.» Donc on peut transposer ça au
niveau de l'indépendance du Conseil de la magistrature.
Et donc il faut vraiment s'assurer de
voir... de faire le tour de la question, puis de voir si, dans le fond... On a
des conditions essentielles, mais est-ce que le public serait... percevrait
aussi qu'on respecte cette indépendance, parce que l'indépendance
institutionnelle, elle est là... ce qu'a dit la Cour suprême dans Valente, elle
est là pour établir la confiance du citoyen dans notre système de justice.
Donc, c'est important de faire cette réflexion-là, je vous dirais, plus
poussée, pour s'assurer, là, qu'on adopte les bonnes modalités.
M.
Morin :Et vous avez fait référence également, dans votre
témoignage... Récemment, le Parlement adoptait... modifiait la Loi sur les
tribunaux judiciaires afin de permettre à la Vérificatrice générale de faire un
audit, finalement, des comptes du conseil. Le conseil est soumis à la Loi sur
l'accès à l'information. Est-ce que vous ne trouvez pas que ça, c'était déjà
suffisant, dans une première étape, et puis que, finalement, on n'a pas le
temps, véritablement, de voir si ces mesures-là vont être bénéfiques ou pas, et
que là, le gouvernement arrive immédiatement avec un autre projet de loi?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
effectivement, c'est ce que j'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture,
c'est qu'il y a cette mesure-là qui est proposée dans le projet de loi huit,
qui assure quand même la transparence d'une reddition de comptes certaine.
Peut-être que ça mériterait qu'on la mette en pratique, qu'on l'expérimente,
puis qu'on voit si, effectivement, c'est suffisant au niveau de la confiance,
que les sommes sont judicieusement dépensées, puis après ça on pourra
réfléchir. Si, finalement, ça n'atteint pas les objectifs, bien, on pourra
réfléchir peut-être à d'autres options. Je pense que ça mériterait d'être
expérimenté avant de trouver déjà une autre solution.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri-Sainte-Anne, s'il vous plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci, Mme
la bâtonnière. Merci, Me Champagne. Écoutez, je vous entends, et on est ici
dans une solution ou dans une tentative de trouver des solutions mitoyennes,
là. Alors, si on soumettait un amendement du style où les sommes requises, pour
l'application de la présente partie, sont déterminées par le Conseil de la
magistrature et sont soumises directement à la présidente du Conseil du trésor,
qui, elle, les inscrit à son budget de dépenses sans modification, donc on
voterait quand même les crédits, mais ils seraient soumis directement du
Conseil de la magistrature au Conseil du trésor, donc on omettrait le passage
exécutif au ministère de la Justice et on aurait en même temps une reddition de
comptes. Qu'est-ce que vous pensez d'une solution comme ça?
• (20 h 50) •
Mme Claveau (Catherine) : Me
Champagne, je vais vous laisser répondre. Moi, c'est sûr que, s'il n'y a pas de
discrétion puis quand... je pense que j'ai bien entendu "sans
modification".
M. Cliche-Rivard : Sans
modification.
Mme Claveau (Catherine) : À
ce moment-là, ça pourrait assurer effectivement l'indépendance du pouvoir du
conseil, l'indépendance qu'on souhaite continuer d'avoir. Je ne sais pas, Me
Champagne, si vous voulez ajouter quelque chose par rapport à ça.
Mme Champagne (Sylvie) : Je
n'ai pas d'opinion, pas parce que je ne veux pas faire avancer le débat
utilement, mais il faudrait que je puisse y réfléchir plus longuement.
M. Cliche-Rivard : Parfait.
Vous avez dit, le ministre en a parlé, l'entente n'est pas contraignante, hein?
Il a dit : C'est un procès de bonne intention... c'est une entente de
bonne intention. Alors, la nécessité qu'il y ait une entente, on devrait
finalement le mettre dans le projet de loi ou dans la loi pour qu'on s'assure
que ce n'est pas seulement qu'une belle entente d'intention, mais qu'elle est
finalement contraignante, le fait, pour le ministère, pour le ministre, de
s'entendre avec le Conseil de la magistrature pour le budget ou pour préserver
son indépendance. Parce que, comme il le disait lui-même, finalement, le
protocole d'entente, il peut être résilié, il peut ne pas être suivi. Donc, le
seul protocole d'entente à lui-même, sans modification, sans inclure...
M. Cliche-Rivard : ...besoin
d'avoir, dans la loi, une entente, ça n'aura pas... ça n'aurait pas sa même
force de toute façon, ça n'aurait pas la même force.
Mme Claveau (Catherine) : Je
ne suis pas certaine de saisir la...
M. Cliche-Rivard : En gros,
d'ajouter, dans la loi, l'obligation qu'il y ait entente, donc qu'il y ait un
protocole d'entente, et donc qu'il ne soit pas cedit protocole facultatif ou
qu'il ne puisse pas être résilié, finalement. Est-ce que ce serait important de
le mettre dans la loi, ça?
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
c'est sûr que ça peut être... c'est des modalités qui peuvent être mises dans
la loi sur les tribunaux judiciaires, qu'une telle entente doit exister, ou
autre modalité qui viserait à garantir justement l'indépendance du Conseil de
la magistrature. Comme je disais tout à l'heure, dans le délai qui nous a été
imparti, on a suggéré cette entente-là, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a
pas d'autres modalités qui pourraient être mises dans la loi, comme vous l'avez
fait dans le projet de loi n° 8, avec les pouvoirs octroyés à la vérificatrice
générale et le rapport annuel qui est beaucoup plus détaillé du Conseil de la
magistrature. Donc, il y a peut-être d'autres façons de viser la transparence
et la reddition de comptes tout en respectant le principe de l'indépendance
judiciaire.
M. Cliche-Rivard : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de
Saint-Henri-Sainte-Anne. Merci beaucoup. Mme la députée de Vaudreuil.
Mme Nichols : Oui. Merci, M.
le Président. Merci beaucoup, maîtres, au pluriel, d'être avec nous ce soir.
C'est toujours pertinent de lire et d'entendre aussi les commentaires du
barreau. Dans le... dans votre... dans votre mémoire, vous rappelez... vous
dites, entre autres, qu'il est important de rappeler que le Conseil de la
magistrature, c'est un organisme qui contribue à maintenir l'indépendance du
pouvoir judiciaire. Puis vous faites, évidemment, référence à la Loi sur les
tribunaux, puis vous parlez des missions fondamentales dans le système
judiciaire puisque... puis vous rappelez, là, entre autres, là, quatre...
quatre missions du Conseil de la magistrature : organiser des programmes
de perfectionnement des juges, adopter le code de déontologie de la
magistrature, recevoir, examiner toutes plaintes formulées par un juge,
favoriser l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les
tribunaux.
Puis on est... Le ministre dépose un
projet de loi, le gouvernement est majoritaire, on veut... le ministre a
l'intention de s'en aller vers des crédits votés. Donc, si on s'en va dans ce
sens-là, en fonction des missions énumérées, si on enlevait la partie
déontologique des crédits votés, est-ce que vous pensez que ça pourrait être un
avantage ou ça serait quelque chose de... de faisable pour que... tu sais, pour
que le Conseil de la magistrature garde tout de même ses missions, disons, de
base, là?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
c'est difficile pour nous de répondre à la question. Comme je vous dis, on n'a
pas eu... Comme on vous a dit tout à l'heure, là, le délai a quand même été
assez court, là, pour préparer notre présentation aujourd'hui. On a trouvé un
comparable avec la Cour fédérale. Maintenant, est-ce que... tu sais, les autres
options... Donner notre opinion comme ça, là, sans y avoir réfléchi puis sans
l'avoir considéré de façon plus approfondie, c'est difficile pour nous, là, de
me donner votre opinion, en tout cas, pour ma part, pour moi, c'est très
difficile. Mais, comme on le fait dans les autres commissions, si jamais vous
avez des options, vous souhaiteriez qu'on étudie de manière plus approfondie,
ça va nous faire plaisir de le faire. Mais comme ça, sur le champ, c'est
difficile pour nous, là, de vous donner votre... notre opinion.
Mme Nichols : Parfait. Puis,
quand vous parlez... Juste le paragraphe précédent, vous parlez de la confiance
nécessaire envers notre système démocratique, là, puis ça pourrait fragiliser
la confiance. Est-ce que vous avez peut-être des exemples ou élaboré un peu sur
ce niveau de...
Mme Claveau (Catherine) : Je
pense qu'on peut se baser sur des précédents de la jurisprudence où est-ce que
ça a été... L'indépendance économique, c'était... ça suscite une façon aussi
d'assurer l'indépendance. Me Champagne, je vais vous laisser, peut-être, là,
faire référence à un jugement de la Cour d'appel, entre autres.
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
je vous dirais que la question de la déontologie, c'est de la déontologie
judiciaire. Si jamais le conseil n'avait pas les sommes pour exercer son mandat
au niveau de la déontologie judiciaire et que des plaintes de citoyens à
l'égard de certains juges n'étaient pas traitées, je crois que ça pourrait atteindre,
là, directement à la confiance qu'auront... qu'auraient...
Mme Champagne (Sylvie) : ...Les
citoyens envers le système de justice au Québec.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Mme la députée
de Vaudreuil. Me... Mme la bâtonnière, Maître Champagne, merci beaucoup d'avoir
été avec nous ce soir, c'est extrêmement apprécié. Puis je vous souhaite une
belle soirée, puis on se dit, bien sûr, à bientôt. Merci beaucoup.
Mme Claveau (Catherine) : Oui.
Merci. À vous aussi...
Mme Champagne (Sylvie) : Merci...
Le Président (M.
Bachand) :Alors, je suspends les travaux
quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 20 h 57)
21 h (version non révisée)
(Reprise à 21 h 03)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me
Martine Valois, avocate émérite et professeure agrégée à la faculté de droit de
l'Université de Montréal. Alors, Me Valois, merci beaucoup d'être avec nous ce
soir. Comme je le disais, d'entrée, hors d'ondes, merci beaucoup, à cette heure
tardive, de partager vos commentaires. Donc, comme vous savez, vous avez 10 minutes
de présentation. Après ça, nous aurons un échange avec les membres de la
commission. Donc, la parole est à vous, maître.
Mme Valois (Martine) : Alors,
merci, M. le Président. Donc, M. le ministre de la Justice, Mesdames et
Messieurs les députés membres de cette commission, je suis ici en mon nom
personnel, comme professeure, en fait, depuis aujourd'hui, titulaire de la
faculté de droit de l'Université de Montréal. Je suis en mon nom... je parle en
mon nom personnel parce que j'ai fait ma thèse de doctorat sur l'indépendance
judiciaire que j'ai soutenue en 2009.
Alors, je vais limiter mes commentaires
aux principes constitutionnels qui doivent guider le législateur lorsqu'il s'apprête
à changer le mode de financement du Conseil de la magistrature, comme c'est
proposé dans le projet de loi n° 26. Je ne discuterai ni de la légitimité
ni de l'opportunité du projet de loi n° 26. Je laisse ces questions à la
conscience des membres de l'Assemblée nationale.
Donc, comme je vous disais, j'ai fait ma
thèse de doctorat sur l'indépendance judiciaire. Le titre était... du livre qui
a été publié, suite à... une version abrégée de ma thèse de doctorat, s'appelle
L'Indépendance judiciaire : la justice entre droit et gouvernement. J'ai
choisi ce titre-là parce qu'à mon avis, la justice est souvent coincée, comme
on le dit ici, entre l'arbre et l'écorce. Elle est soumise au droit, mais elle
doit appliquer le droit et parfois limiter les pouvoirs du gouvernement, et ce
sont ses interprétations qui font autorité. Donc, depuis plus de 20 ans,
je me penche sur les questions d'indépendance judiciaire, de séparation des
pouvoirs et de gouvernance juridique.
Qu'est-ce qui relève du droit et donc de
la justice, de la iurisdictio, comme on le disait au Moyen-Âge, et qu'est-ce
qui relève de la politique, du gubernaculum, depuis que ces composantes
unifiées dans l'imperium monarchique ont été différenciées progressivement à
partir du XVIe siècle? J'ai écrit plusieurs textes sur ces questions qui
portent au cœur de ce qu'on appelle l'État de droit. Et j'entendais le ministre
plus tôt qui nous parlait de ce tableau où figure le roi Édouard I, du bon
Parlement, alors je veux juste souligner qu'à cette époque-là, au XIVe... début
du XIVe siècle, le Parlement anglais était une assemblée féodale, je le
mentionne à la page 242 de ma thèse de doctorat, et qu'il n'y avait pas de
séparation des pouvoirs. Il y avait une fusion des pouvoirs qui relevaient tous
du monarque, comme je l'explique à la page 241 de mon livre.
Donc, je vais vous... traiter selon mon...
Mme Valois (Martine) : ...l'interprétation
du droit positif sur l'indépendance judiciaire, du moins ce que je comprends de
la jurisprudence et de la doctrine. Donc, ma position concernant le projet de
loi n° 26, c'est que l'article 4 de ce projet de loi est incompatible
avec les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance judiciaire. Le
vote des crédits budgétaires du conseil par l'Assemblée nationale pourrait
porter atteinte à l'indépendance du conseil.
Donc, alors, avant d'exposer les contours
de ces principes constitutionnels, je vais d'abord examiner le statut juridique
du Conseil de la magistrature du Québec dans la Loi sur les tribunaux
judiciaires et la jurisprudence qui a interprété ces dispositions. Donc, le
ministre a fait référence et plusieurs autres, aussi, intervenants à
l'article 256 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Je ne vais pas lire
l'article, mais on mentionne la fonction du conseil d'établir un code de
déontologie, de recevoir les plaintes formées contre un juge, de favoriser
l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les tribunaux et aussi
d'étudier les questions relatives à l'administration de la justice et de faire
des recommandations au ministre de la Justice.
Donc, ce rôle du Conseil de la magistrature
a été commenté dans un jugement de la Cour d'appel du Québec, on y a fait
référence plus tôt, jugement rendu en février 2000 par les juges Beaudoin,
Lebel et Philippon, où on parle du conseil comme une instance qui a été créée
en 1978 à la suite de la publication du Livre blanc sur l'administration de la
Justice pour remplir deux grandes fonctions, soit, d'une part, promouvoir et
contrôler la déontologie judiciaire et, d'autre part, assurer le respect des
conditions essentielles à l'indépendance de la magistrature.
Dans le jugement qui a été rendu par le
juge... de la Cour supérieure, on traitait justement de cet... de l'intérêt
pour agir du Conseil de la magistrature. On a reconnu cet intérêt pour agir,
qui était contesté par le procureur général du Québec en raison des fonctions
qui sont énumérées à la Loi sur les tribunaux judiciaires, dont l'alinéa d sur
la question de favoriser l'efficacité de la procédure et de la justice, et
j'ajouterais aussi, à mon avis, en fonction de l'alinéa e qui prévoit que le
conseil doit faire des recommandations sur l'administration de la justice.
• (21 h 10) •
La Cour supérieure a aussi, et je pense
que c'est important de le mentionner, a aussi conclu que le conseil avait
l'intérêt pour agir, l'intérêt public pour agir, et c'est en fonction des trois
critères qui ont été élaborés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire,
notamment Downtown Eastside, c'est-à-dire : Est-ce que l'affaire soulève
une question justiciable sérieuse? Est-ce que est-ce qu'il y a un autre
organisme qui peut exercer ce pouvoir? Et donc est-ce qu'il y a aussi un
autre... un autre justiciable qui pourrait soulever la question?
Et je voudrais mentionner aussi que, dans
l'arrêt... dans cet arrêt de 2000, on mentionne, et ça a été évoqué plus tôt,
le fait que Me Louis Borja, qui était un expert qui avait comparu devant la
cour, avait souligné que la disposition de la loi, l'article 282, qui a
été modifiée et qui serait modifiée encore suite à l'adoption du projet de loi
n° 26, que cette disposition est importante puisque les sommes d'argent
nécessaires au fonctionnement du conseil n'ont pas à être votées chaque année
par l'Assemblée nationale, mais sont autorisées par elle une fois pour toutes,
mettant ces derniers à l'abri de l'obligation annuelle de prouver ses besoins
financiers. Donc, je mets ça en lien avec la fonction du conseil, telle que
définie suivant le Livre blanc de la justice en 1978, d'assurer l'indépendance
de la magistrature.
Donc, commençons par le principe de la
séparation des pouvoirs. Je sais que M. le ministre aime bien... est un fervent
admirateur du système français et de la Constitution française. Alors, vous
savez, l'article 16 de la déclaration...
Mme Valois (Martine) : ...des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que toute société dans laquelle
la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de constitution. Donc, si on revient au Canada, selon la
Cour suprême, et ça a été réitéré dans plusieurs jugements, la séparation des
pouvoirs fait partie de la structure constitutionnelle du Canada, et notamment
dans l'arrêt de la Colombie-Britannique en 2020, qui a été mentionné par
d'autres intervenants et, entre autres, le Barreau, on reconnaît que le pouvoir
souverain dans le pays se divise non seulement entre le Parlement et les
législatures, mais aussi entre les branches exécutives, législatives et
judiciaires de l'État. La Cour suprême a aussi énoncé qu'il doit y avoir une
séparation étanche entre, d'une part, le pouvoir judiciaire, et le pouvoir
législatif d'autre part, et que les tribunaux doivent être complètement séparés
de tous les autres participants du système judiciaire et en particulier des
pouvoirs exécutifs et législatifs du gouvernement. Selon toujours la Cour
suprême du Canada, il faut dépolitiser les rapports entre la branche judiciaire
et les branches législatives et exécutives. C'est un impératif constitutionnel.
Et cet impératif vise à protéger la magistrature contre l'ingérence des autres
pouvoirs et de la manipulation financière relative à l'utilisation des fonds
publics et aux intrigues politiques et partisanes.
C'est pourquoi, à mon avis, il doit y
avoir, comme sur la question de la rémunération des juges, un intermédiaire
entre le judiciaire et les deux autres branches lorsqu'il est question
d'indépendance financière, institutionnelle... en fait, individuelle et
institutionnelle. À mon avis, l'article 4 du projet de loi no 26 est contraire
à cet impératif constitutionnel, car il forcera les membres du Conseil de la
magistrature à négocier le budget du conseil directement avec les branches
législatives et exécutives.
Concernant l'indépendance judiciaire,
maintenant, c'est un principe fondamental de notre système juridique. Cet
objectif est de maintenir la confiance du public dans l'intégrité et
l'impartialité de notre système de justice. Ce principe d'indépendance
judiciaire signifie que les juges et les autres acteurs du système judiciaire
doivent être à l'abri des ingérences de l'exécutif et du législatif, ainsi que
des pressions et imbroglios politiques qui sont susceptibles de leur nuire dans
l'exercice de leurs fonctions...
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci, Me Valois. Le 10
minutes, ça va tellement rapidement qu'on doit débuter la période d'échange
avec le ministre de la Justice. M. le ministre de la Justice, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui,
bonjour, Me Valois. Merci d'être avec nous à cette heure tardive. Ce n'est pas
notre habitude, sauf qu'on est en session intensive. Alors, on apprécie votre
présence pour venir témoigner à la Commission des institutions ce soir.
Vous avez abordé... bien, en fait, vous
avez débuté votre allocution en disant notamment : Bien, écoutez,
l'indépendance judiciaire, bon, c'est défini, je vais vous l'expliquer, et
notamment vous avez fait référence à la jurisprudence et à la doctrine. D'une
façon plus fondamentale, là, en termes d'édiction de la norme, donc des lois,
qui doit édicter la norme, selon vous? Qui fait... qui doit être le générateur
de droit à la loi, à la genèse de l'édiction du droit?
Mme Valois (Martine) : En
fait, selon mes recherches, il y a un processus circulaire qui est en jeu.
Donc, évidemment, selon une certaine conception de la production du droit, qui
est, je pense, la vôtre, seul le législateur peut édicter la norme. Mais on a
reconnu depuis fort longtemps que les tribunaux étaient créateurs de normes et
que, de toute façon, une fois que la norme est édictée par le législateur, elle
est interprétée par les tribunaux, et c'est réintroduit parfois dans la
législation, et, comme ça, il y a un mouvement circulaire qui se produit, qu'on
appelle l'autoréférentialité de la production de la norme.
M. Jolin-Barrette : O.K. Dans
le cadre de ce mouvement circulaire là, là, parce que, juste pour valider mon
hypothèse, généralement, dans notre système démocratique, la base, c'est le
législateur qui vient édicter la norme. Bien entendu, comme vous l'avez dit,
les tribunaux par la suite viennent interpréter. Il est vrai, également, comme
vous l'avez dit, que parfois le législateur vient incorporer une décision d'un
tribunal pour changer l'état du droit, pour venir rendre conforme la
législation, supposons, à une décision d'un tribunal. Mais le Parlement...
M. Jolin-Barrette : ...peut
quand même, suite à une décision, puis, tout à l'heure, on a des intervenants
qui venaient nous le dire, venir dire : Écoutez, on vient corriger une
décision qui a été rendue par le tribunal. Notamment, on vient modifier. Donc,
il existe un dialogue interinstitutions. Vous êtes d'accord avec moi, mais à la
base, généralement, ça part du Parlement.
Mme Valois (Martine) : Oui,
vous avez raison. Mais, par exemple, si demain matin, le législateur québécois
amendait la Loi sur les tribunaux judiciaires pour enlever la Commission de
rémunération des juges, oui, il peut le faire, mais selon mon interprétation de
la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, cette loi serait
inconstitutionnelle parce que la Cour suprême du Canada a dit, en 1997, et elle
l'a répété dans plusieurs jugements, il faut qu'il y ait un organisme
indépendant qui fasse... examine la rémunération des juges et fasse des
recommandations que le gouvernement doit suivre et, s'il ne veut pas le suivre,
il doit se justifier. Ça, c'est un impératif constitutionnel. Donc oui, le
législateur peut faire ça. Mais vous savez, même dans la théorie d'ICN, de la
souveraineté parlementaire, vous savez, vous connaissez cet exemple-là du
«child blues eyes», hein? Est-ce que le Parlement pourrait, demain matin,
ordonner l'exécution de tous les enfants ayant les yeux bleus? Alors, vous
googlez, hein, ces mots-là, puis vous allez trouver plein de textes qui vont
discuter de ça. Et ... disait : Mais évidemment, le législateur ne
pourrait pas faire ça. Donc, oui, le législateur peut faire certaines choses,
mais ça ne veut pas dire que ça va être conforme au principe d'indépendance
judiciaire.
• (21 h 20) •
M. Jolin-Barrette : O.K. Et
avec égard, je trouve que votre exemple est un peu plus loin de la discussion,
là. Mais... mais revenons, supposons... parce que ça fait quelques fois que
j'entends cet exemple-là qui était soulevé. Le Comité de rémunération des
juges, c'est intéressant parce que c'est la décision de l'Île-du-Prince-Édouard
en 1997, comme vous l'avez dit. Mais dans tout ce processus-là, ultimement, ce
sont les élus de l'Assemblée nationale qui entérinent le rapport ou non. Donc,
au final, malgré le fait qu'il y a un comité indépendant qui fait des
recommandations, hein, puis dans le fond, le gouvernement nomme une personne
sur le comité, la Conférence des juges, une personne... C'est un comité de
trois personnes, puis bon, et il y a des comités de rémunération à la fois pour
Cour du Québec, juges de paix magistrats, juges municipaux. Mais ultimement, la
décision finale revient à l'Assemblée, malgré le fait qu'il y ait eu un rapport
avec des critères dans la loi qui sont prévus. Ultimement, ça revient aux élus
d'entériner ou non le rapport, avec motivations si jamais il n'est pas
entériné. Mais ultimement, la décision finale... et c'est de l'argent, oon
parle de la rémunération des juges, puis là, sur la rémunération, les crédits
sont permanents. Mais ultimement, pour l'augmentation salariale, je vous donne
un exemple, dans... moi, mon expérience à titre de ministre, j'ai suivi les
recommandations du comité indépendant. Les juges de la Cour du Québec, sous ma
gouverne, sont passés de 254 000 $ à 310 000 $. On est répondus
presque intégralement au rapport, notamment sur la plus grosse partie, avec
quelques petites modalités auxquelles on a dérogé et qui n'ont pas été
contestées. Mais cependant c'est le Parlement du Québec qui entérine le tout
ultimement ou qui déciderait de le rejeter.
Je voulais peut être poser une question,
Me Valois, sur... parce que les intervenants sont venus tout à l'heure, et
ce qui semblait problématique pour certains, ceux qui semble être contre le
projet de loi, c'était notamment le fait qu'il y ait des recours judiciaires de
la part du Conseil de la magistrature, puis ça a été soulevé. Et là, on nous
dit : Bien, il ne faut pas vous enlever la capacité du Conseil de la
magistrature d'agir en justice. Or, ce n'est pas du tout notre cas. Là, on nous
dit : Bien, si c'est des crédits votés, la logique qui nous est présentée,
c'est des crédits votés. Vous allez les empêcher d'ester en justice. Or, ce
n'est pas notre intention puis ce n'est pas le cas non plus... Je vous donne le
comparatif, la Cour du Québec poursuit également le gouvernement du Québec dans
certains litiges, mais la Cour du Québec a des crédits votés, puis on ne s'est
pas opposé, puis ça ne les a pas empêchés de poursuivre l'État québécois.
Alors, comment vous voyez ça? Parce que, là, on me dit si vous mettez des
crédits votés, ça va faire en sorte que le Conseil de la magistrature ne pourra
plus poursuivre l'État québécois. Or, la Cour du Québec poursuit l'État
québécois, puis ce sont des crédits votés. J'aimerais ça qu'on réconcilie tout
ça.
Mme Valois (Martine) : Bien,
écoutez, M. le ministre, je lis les journaux...
Mme Valois (Martine) : ...comme
tout le monde. Et vous avez le premier décrié le fait que le Conseil de la
magistrature utilisait les fonds publics pour poursuivre le gouvernement et
soulevait l'incontionnalité des nouveaux articles de la Loi sur la langue
française. Donc, je pense qu'on peut raisonnablement conclure que l'article
quatre du projet de loi n° 26 vient à circonscrire ce pouvoir-là en peut-être
limitant les ressources budgétaires du Conseil de la magistrature.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends que c'est une... Ce n'est pas quelque chose d'adhérer, c'est une
supposition.
Mme Valois (Martine) : Bien,
c'est parce que c'est vous qui avez fait ces déclarations-là dans les médias.
M. Jolin-Barrette : Mais je
n'ai pas fait de lien, par contre.
Mme Valois (Martine) : Bien,
vous avez...
M. Jolin-Barrette : Mais
écoutez, c'est... mais Me Valois, je vais vous dire une chose. Il y a une
question de gestion des fonds publics aussi, hein? Puis ça, peut-être,
j'aimerais ça vous entendre aussi là-dessus. Saviez-vous que, lorsque l'État
québécois, supposons, le procureur général, lorsqu'il donne un mandat à
l'externe, de services juridiques, il y a un règlement de l'État québécois qui
prévoit que les honoraires extrajudiciaires, les frais d'avocats que l'État
québécois peut payer sont d'un maximum de 300 $ pour un avocat de
15 ans de Barreau. Est-ce que vous trouvez raisonnable que le Conseil de
la magistrature puisse embaucher n'importe quel avocat à un taux horaire qui
excède 300 $ de l'heure? Parce que c'est des fonds publics, là.
Mme Valois (Martine) : Oui,
bien, comme je vous ai dit, M. le ministre, je ne vais pas discuter de
l'opportunité ou de la légitimité du projet de loi n° 26.
M. Jolin-Barrette : Ah! non,
mais je ne parle pas de la légitimité, ce n'est pas sur le projet de loi, c'est
sur...
Mme Valois (Martine) : Je
parle de l'indépendance judiciaire. Et quand les provinces, dans les années 90,
ont dit : On doit baisser le salaire des juges, ils doivent contribuer
comme tout le monde, la Cour suprême leur a dit : Les juges sont dans une
catégorie à part et vous ne pouvez pas faire ça. Vous ne pouvez pas directement
négocier avec les juges leur salaire et vous devez... Il doit y avoir un
organisme intermédiaire indépendant entre les deux. Et, suite à ce jugement là,
toutes les législations provinciales au Canada, y compris la législation
fédérale, à incorporer des commissions d'examen de la rémunération des juges
pour se conformer au principe d'indépendance judiciaire tel qu'interprété.
Alors, si vous aviez posé la question aux contribuables à cette époque-là, est-ce
que les juges doivent aussi subir une baisse de salaire? Probablement que la
question aurait été oui, mais la Cour suprême a dit : Ça ne peut pas être
décidé unilatéralement par le législateur.
M. Jolin-Barrette : Écoutez,
vous me parlez de la rémunération des juges. Moi, je vous parle du fonds
consolidé. On ne remet pas en question la rémunération des juges, là, ce sont
des crédits permanents puis on ne touche pas à ça. Ma question, elle est quand
même très claire. Est-ce que... et tous les membres de la commission, les
députés fonctionnent avec les crédits qui leur sont accordés et ils sont
redevables des dépenses publiques, les ministères sont redevables face à
l'argent public. Ma question est à l'effet de... il n'y a aucune limite à dépenser
sur le fonds consolidé. C'est ça, la structure actuelle, là, du Conseil de la
magistrature avec le fonds consolidé. Et je vous donne un exemple concret,
notamment en matière de litiges. L'État québécois, le procureur général,
lorsqu'il donne un mandat de services juridiques, limité à 300 $ de
l'heure, il y a des raisons pour ça. Avocat de 15 ans de pratique maximum.
Le Conseil de la magistrature peut engager des avocats à 800, 1 000 $ de l'heure sans
aucune limite d'honoraires extrajudiciaires. Est-ce que vous trouvez que c'est
raisonnable? Est-ce que vous pensez que l'objectif du législateur, à l'époque,
lorsqu'il a voulu faire en sorte que le Conseil de la magistrature ait accès au
fonds consolidé, c'était pour des questions déontologiques ou c'était pour des
questions, notamment d'honoraires extrajudiciaires?
Mme Valois (Martine) : En
fait, vous faites ma cause, finalement, M. le ministre, parce qu'on est en
plein dans ce que la Cour suprême disait, c'est le juge... qui est un juge
québécois qui siégeait comme juge en chef de la Cour suprême du Canada et qui a
dit : « Les rapports
entre le judiciaire d'une part, et le législatif et l'exécutif, d'autre part,
doit être dépolitisé »,
et il explique qu'est-ce que ça veut dire. « Comme
je l'explique ci-après, dans le contexte de la sécurité financière,
institutionnelle ou collective, cet impératif commande que la magistrature
soit...
Mme Valois (Martine) : ...protéger
contre l'ingérence politique des autres pouvoirs par le biais de la
manipulation financière, qu'elles soient perçues comme telles et qu'elles ne
deviennent pas empêtrées dans les débats politiques sur la rémunération des
personnes payées sur les fonds publics.
Alors, la question qui est importante,
c'est est-ce qu'on doit... le Conseil de la magistrature doit négocier
directement avec le ministre, avec l'exécutif ou avec le législatif, ou s'il ne
faut pas, si on... comme sur la question de la rémunération des juges, qu'il y
ait un intermédiaire entre les deux pour respecter le principe de l'indépendance
judiciaire? Et dans la Loi sur les juges, le commissaire à la magistrature
fédéral établit le budget du Conseil canadien de la magistrature. Alors, est-ce
qu'il ne faut pas avoir un mécanisme semblable protégé par la loi et pour
éviter que le Conseil doive justifier les dépenses qu'il fait pour soutenir
l'indépendance judiciaire et aussi le rôle que la Loi sur les tribunaux
judiciaires donne au juge en chef d'assigner les causes aux juges? Vous savez,
quand on parle d'autonomie administrative des tribunaux, l'arrêt Valente a
dit : C'est difficile, hein, de dire qu'est-ce que ça couvre exactement.
Et mon collègue et ami, Patrick Taillon, a dit : Il ne faut pas parler
d'un idéal, il faut parler du droit positif. Et effectivement, dans l'arrêt Valente,
la Cour suprême a dit : Peut-être que l'idéal serait que les juges aient
le contrôle sur le budget, aient un contrôle sur le personnel qu'ils
embauchent. Mais on n'est pas rendu là, mais il dit : Minimalement, ça
doit couvrir le rôle des... le rôle de la cour, les séances, l'assignation des
juges aux causes. C'est exactement ce que le Conseil de la magistrature essaie
de défendre devant les tribunaux.
M. Jolin-Barrette : Bien,
avec égards, ce n'est pas la position de l'État québécois. Et il y a des
litiges devant les tribunaux, puis on ne conteste pas les litiges, ils sont là
et ils vont continuer de se dérouler. La question que je vous ai posée, c'est
n'y a-t-il pas... En fait, de ce que je comprends de votre propos, c'est que,
sur la question des fonds publics, il n'y a aucune limite pour le Conseil de la
magistrature à dépenser, c'est ce que vous me dites, essentiellement, c'est ça
parce que vous ramenez l'exemple de la rémunération. Même sur la rémunération,
même s'il y a un comité indépendant, ce sont les élus, ultimement, qui
entérinent le rapport, O.K.? Et dans le modèle que nous proposons, dans le
cadre du projet de loi n° 26, ultimement, ce seront les membres de
l'Assemblée qui vont entériner le budget du Conseil de la magistrature également,
il n'y a pas de différence là-dessus puis il n'est pas question d'intervenir
dans le processus. Cependant, je note, dans l'exemple que vous me donnez, que
ce n'est pas très loin de ce qui est proposé et, également, de ce qui se fait
au niveau du fédéral, parce que ce sont les parlementaires fédéraux, les
membres du Parlement qui entérinent le budget du Conseil canadien de la
magistrature, puis là on ne parle même pas du salaire des juges qui sont sur
des crédits permanents. Alors, je reviens à ma question, puis ce n'est pas une
question de justification, il y a un mécanisme où, dans le projet de loi
n° 8, on a mis la... les prévisions budgétaires qui devaient être
transmises, on a mis également le fait qu'il devait avoir un rapport annuel. Je
ne sais pas si vous saviez, Me Valois que, durant plusieurs années, le Conseil
de la magistrature n'a même pas publié de rapport d'activité ou de rapports
annuels. En termes de confiance du public, là, dans nos institutions, incluant
nos actions judiciaires comme le Conseil de la magistrature, moi, comme
ministre de la Justice, je me questionne.
Le Président (M.
Bachand) :En terminant, M. le ministre.
• (21 h 30) •
M. Jolin-Barrette : Comment
ça se fait qu'il n'y avait pas cette transparence-là?
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Je cède
maintenant la parole au député d'Acadie.
M. Morin : Si vous me
permettez, M. le Président, un point d'ordre, quand M. le ministre a commencé
son intervention qui je pensais, allait se terminer en question et qu'il a émis
des postulats, le Pr Valois a signifié véritablement que ce n'est pas ce
qu'elle avait dit ou qu'elle voulait dire, mais là elle ne peut pas répondre,
est-ce qu'on peut au moins lui permettre de répondre, M. le Président?
Le Président (M.
Bachand) :Sur votre temps, si vous
voulez.
M. Morin : Alors, si vous
pouvez répondre brièvement sur mon temps.
Le Président (M.
Bachand) :Me Valois, allez-y, sur le
temps du député d'Acadie, oui.
M. Morin : S'il vous plaît,
parce que je vous ai vu vraiment hocher de la tête, vous avez dit non. Alors,
s'il vous plaît.
Le Président (M.
Bachand) :Allez-y, Mme Valois.
Mme Valois (Martine) : Non,
je n'ai jamais prétendu que le Conseil de la magistrature avait...
21 h 30 (version non révisée)
Mme Valois (Martine) : ...elle
n'avait aucune reddition de comptes à faire et qu'elle pouvait dépenser ce qu'elle
voulait, et... Je n'ai jamais... je n'ai jamais même parlé de ça. La seule
chose que j'ai mentionnée, et je ne suis pas d'accord avec le ministre quand il
dit que c'est ce qu'il propose, dans la loi sur les juges, on dit que le
commissaire à la magistrature fédérale établit le budget du Conseil. En ce
moment, c'est le Conseil qui établit son budget. Alors, le projet de loi n° 26
veut changer ça et veut que ça soit l'Assemblée nationale qui établisse le
Conseil, maintenant... le budget du Conseil. Ce que je dis qui est
continuellement requis, c'est qu'il y ait un intermédiaire entre l'Assemblée
nationale et le Conseil de la magistrature si on veut enlever ce pouvoir au
Conseil de la magistrature d'établir son budget.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. M. le député d'Acadie, s'il
vous plaît.
M.
Morin :Oui. Merci, M. le Président. Alors, écoutez, un des
éléments, une trame factuelle qui nous amène ici, on l'a vu pendant l'étude des
crédits, Pre Valois, ça a été le dépassement des coûts du conseil. On a vu...
Parce que le conseil a répondu que ce dépassement des coûts de son budget était
parce qu'ils ont intenté des actions contre le gouvernement. Je comprends qu'en
vertu de la loi le Conseil peut ester en justice et que c'est, évidemment,
reconnu par la jurisprudence si, bien sûr, la question soulève des questions d'intérêt
public sérieuses. Est-ce que c'est exact?
Mme Valois (Martine) : C'est
exact.
M.
Morin :Bien. On dit, évidemment, dans l'arrêt Valente, et c'est
là que c'est difficile de cerner tous les paramètres de... les paramètres de ce
qu'est l'indépendance judiciaire mais que c'est souvent une question de perception.
Si le Parlement est appelé à voter tous les crédits, compte tenu de la
situation dans laquelle on est, est-ce qu'il n'y aurait pas une perception que
le Parlement ou l'Exécutif essaie de s'ingérer dans l'indépendance du Conseil
de la magistrature?
Mme Valois (Martine) : À mon
avis, c'est le danger, c'est le risque qui est réel, mais ce qui est surtout
réel comme risques, c'est de ternir l'autorité des tribunaux et le respect dû à
cette autorité en faisant passer le Conseil de la magistrature comme un
organisme qui dépense sans limites et qu'il doit venir justifier, devant le
législatif, de toutes les dépenses qu'il... qu'il fait, alors que, du moins en
partie en ce qui concerne la déontologie judiciaire, c'est clair, depuis l'arrêt
Therrien de la Cour suprême du Canada, que la discipline des juges doit relever
d'un organisme indépendant comme le Conseil de la magistrature du Québec et que
c'est la garantie d'indépendance judiciaire qui le requiert.
Donc, sur cet élément-là en particulier,
et je pense que le législateur le reconnaît, lorsqu'il a modifié la loi sur les
tribunaux judiciaires en assujettissant le Conseil de la magistrature à la
commission... à la compétence de la Commission de l'accès à l'information, on a
exclu la fonction de déontologie judiciaire. Donc, évidemment, le droit n'est
pas toujours clair. J'ai exposé ce qui était, à mon avis, constitutionnellement
requis, du moins en ce qui concerne l'impératif constitutionnel d'avoir un
intermédiaire entre un organisme à caractère judiciaire comme le Conseil de la
magistrature et la branche législative et exécutive.
M.
Morin :Maintenant, avec un gouvernement majoritaire comme nous
en avons un présentement, il est très, très probable que le projet de loi n° 26
soit adopté, n'est-ce pas? La Cour suprême nous enseigne, dans l'arrêt de la
Colombie-Britannique, qu'il faut dépolitiser les rapports entre le conseil et l'exécutif,
vous y avez fait référence. Donc, avez-vous des suggestions pour que le
législateur, et ça, c'est l'ensemble des députés au Parlement, puisse améliorer
le projet de loi pour tenter de le dépolitiser au maximum?
Mme Valois (Martine) : En
fait, en ce moment, c'est... l'article 4, justement, politise ce
rapport-là. Mes suggestions, je laisse ça aux députés, mais il faut qu'il y ait
un organisme intermédiaire, indépendant.
M.
Morin :O.K. Donc, pour vous, la meilleure option, en fait, ce
serait un organisme indépendant. Est-ce que vous songez, par exemple, au
Conseil canadien de la magistrature? Est-ce que ça pourrait être un modèle à
suivre?
Mme Valois (Martine) : Bien...
Mme Valois (Martine) : ...fait,
c'est le commissaire à la magistrature...
M.
Morin :Ou le commissaire, pardon, vous avez raison.
Mme Valois (Martine) : ...qui
fait le lien entre le Conseil de la magistrature canadien et le Parlement.
M.
Morin :Parce que, bon, évidemment, vous entendez, mais vous
allez le confirmer, au niveau fédéral, il y a quand même des crédits qui sont
votés par le Parlement. Donc, ça ne vient pas directement tout du Fonds
consolidé du revenu. Et ça, la jurisprudence semble s'accommoder de ce
mécanisme-là.
Mme Valois (Martine) : Bien,
moi, je regarde le projet de loi n° 28... 26, pardon, ce que je vois...
26, oui, ce que je vois, c'est qu'on veut changer le le mode de financement du
Conseil de la magistrature pour, dans le fond, exiger que le Conseil de la
magistrature justifie ses dépenses. Et j'écoute le ministre avec ses
interventions et les questions qu'il m'a posées, et c'est ce que je comprends.
Donc, moi, je mets en garde l'Assemblée nationale à l'égard de l'adoption d'un
projet de loi et d'un article 3 qui pourrait porter atteinte au principe
de la séparation des pouvoirs et au principe de l'indépendance institutionnelle
des tribunaux, que le conseil, qui n'est pas un tribunal mais est formé de
juges et doit... est un organisme à caractère judiciaire et, à tout le moins,
en ce qui concerne la déontologie judiciaire, est l'organisme qui doit défendre
l'indépendance de la magistrature.
M.
Morin :J'ai une dernière question. Parce qu'évidemment, bon, le
projet de loi, pas beaucoup... pas beaucoup d'articles. Évidemment, il y a des
budgets au Parlement. Donc, créer un organisme indépendant, ça peut être
parfois compliqué, bien que souvent nécessaire. Mais, si, par hypothèse,
l'article 3 était modifié en disant, par exemple : Les sommes
requises pour l'application de la présente partie sont prises sur les crédits
votés annuellement à cette fin par l'Assemblée nationale, à l'exception de, et
là on liste des items qui protègent l'indépendance de la magistrature, par
exemple, la déontologie judiciaire, l'indépendance administrative, la sécurité
financière, l'inamovibilité des juges, est-ce que ça pourrait à tout le moins
venir aider, corriger le projet de loi plutôt que de le laisser tel qu'il est?
Mme Valois (Martine) : C'est
possible. Vous savez, il est actuellement 21 h 39. L'article 3
va entrer en vigueur le 1er avril, je pense, 2024. Alors, comme le
suggérait même mon collègue, le professeur Taillon, il faut examiner la
question plus en profondeur pour éviter, justement, que le projet de loi
n° 26, que cette disposition-là porte atteinte à la séparation des
pouvoirs et à l'indépendance institutionnelle des tribunaux.
• (21 h 40) •
M.
Morin :Professeure Valois, maintenant professeur titulaire, un
gros merci. Je pense que je sais que vous avez travaillé très fort. Vous avez
eu peu de temps. Il est tard. J'apprécie énormément. Merci beaucoup, M. le
Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. M. le député de Saint-Henri-Sainte-Anne, s'il
vous plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup, M. le Président. D'abord, félicitations, Pre Valois, pour votre
titularisation. Je suis un peu rassuré quand même parce que, si j'ai bien
compris, j'ai entendu le ministre de la Justice dire qu'il n'avait aucune
intention de limiter les moyens financiers du Conseil de la magistrature quant
à sa capacité d'ester en justice. Il l'a dit, c'est public, c'est sur enregistrement.
C'est quand même intéressant. Donc, j'en suis quand même partiellement rassuré.
L'exercice aura mené à ça. Pensez-vous, cela dit, qu'il serait important que le
ministre s'engage formellement dans un protocole d'entente, dans une entente
envers la promesse, là, qu'il vient juste de tenir devant la commission pour
assurer au moins au conseil qu'il pourra toujours avoir les moyens financiers
d'ester en justice si tel est son désir.
Mme Valois (Martine) : Vous
savez, comme je l'ai dit d'entrée de jeu, moi, je ne veux pas me prononcer sur
l'opportunité de la législation. Les protocoles dans le protocole d'entente
auquel a fait référence Me Champagne et la bâtonnière, on en voit de plus en
plus. Et c'est ce qui, dans un texte que j'ai publié en 2021, fait en sorte
qu'on remet en question le modèle exécutif d'administration des tribunaux. On
l'a fait entre autres devant... dans les cours fédérales, où on a... avant,
c'était le...
Mme Valois (Martine) : ...Commissaire
à la magistrature fédéral qui établissait non seulement le budget du conseil,
mais également le budget des cours fédérales et de la Cour canadienne de
l'impôt. Maintenant, on a établi le service canadien des tribunaux judiciaires,
qui est une réforme positive, je pense qu'on ne va pas assez loin, où on charge
un administrateur général de faire le lien, l'intermédiaire entre les cours
fédérales, la Cour canadienne de l'impôt et la branche exécutive et législative
en ce qui concerne le financement du fonctionnement des tribunaux. Donc, ces
protocoles-là, il y en a un qui a été signé aussi entre le juge en chef de la
Cour suprême du Canada et le ministre Lametti. Donc, il y a eu des ententes qui
ont été signées aussi, d'anciens ministres de la Justice au Québec ont signé
des ententes avec la Cour d'appel du Québec aussi. J'en ai traité dans une
conférence en... en Israël sur ces questions-là. Donc, c'est une remise en
question du modèle exécutif d'administration des tribunaux où là on favorise la
participation des juges à l'élaboration du budget de fonctionnement des
tribunaux.
M. Cliche-Rivard : Merci.
J'aurais une dernière question. À votre avis, l'adoption telle quelle du projet
de loi, est-ce qu'il ouvre la porte à des contestations judiciaires? Est-ce que
vous pensez qu'on va entrer dans une nouvelle saga judiciaire?
Mme Valois (Martine) : En
fait, la seule chose que je peux dire, c'est que, selon mon interprétation de
la jurisprudence sur la séparation des pouvoirs et l'indépendance judiciaire,
ce projet de loi, l'article 3 porte flanc à des contestations sur la...
M. Cliche-Rivard : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Mme la députée de
Vaudreuil, s'il vous plaît.
Mme Nichols : Oui. Merci. M.
le Président. Bonsoir. Merci d'être parmi nous en cette session intensive, puis
aussi avec un court laps de temps, là, pour venir faire votre présentation,
mais on sent que c'est un sujet que vous maîtrisez bien et depuis longtemps.
Vous avez parlé... Bien, en fait, moi, puis je le dis depuis le début, là, ce
qui me... Là où je me pose beaucoup de questions, c'est en lien avec la façon
dont on... on vient... on fait de la politique avec tout ça, là, veux veux pas,
il y a des décisions. On lit les journaux, vous lisez les journaux. On sent que
ça tiraille d'un peu partout. C'est arrivé, comme ça, dans un projet de loi, on
ne s'y attendait pas, alors que... le mot «notamment» aussi qui est arrivé dans
le titre du projet de loi n° 26. Moi, ce que je retiens, puis corrigez-moi
si je me trompe, là, mais moi, ce que je retiens, c'est que ça doit être
dépolitisé. C'est qu'il y a vraiment un gros danger, là, moi, je sens le
clignotant que vous portez à notre attention ce soir, qu'il y a vraiment un
gros danger de politiser le tout. Puis je me demandais le lien aussi à faire
avec la confiance envers le public, envers nos citoyens.
Mme Valois (Martine) : Bien,
en fait, je vous dirais, Mme la députée, que c'est déjà fait, hein? La
politisation de la relation entre le Conseil de la magistrature et la Cour du
Québec, d'une part, et la branche exécutive et législative, en tout cas, du
moins exécutive, elle est déjà faite. Et le mal est déjà fait, et ce projet de
loi va seulement ajouter à cette politisation.
Mme Nichols : Puis évidemment
la confiance, la confiance parce que c'est important. Le Barreau nous a parlé
aussi de la confiance.
Mme Valois (Martine) : Oui.
Bien, en fait, toute la garantie de l'indépendance judiciaire, ça vise à
garantir la confiance du public dans...
Mme Nichols : Lien direct.
Mme Valois (Martine) : ...de
la justice. Il y a un lien direct. Vous savez, le ministre de la Justice a dit
souvent dans des entrevues que la... par exemple sur l'horaire des juges, que
la juge en chef avait pris unilatéralement une décision. Bien, moi, ma réponse
à ça... Et c'est de son rôle à elle, la... a dit que ça relevait exclusivement
de l'indépendance institutionnelle des tribunaux. Et l'article 96 de la
Loi sur les tribunaux judiciaires qui décrit les fonctions de la juge en chef
ne dit pas «après consultation du ministre», c'est elle qui doit prendre ces
décisions-là. Et, quand on parle du lien, du dialogue entre les tribunaux et le
législateur, c'est que l'article 96, dans le fond, reflète ce que les
tribunaux ont dit sur qu'est-ce qui relève de la juge en chef, qu'est-ce qui
relève de...
Mme Valois (Martine) : ...institutionnelle
des tribunaux. Donc, alors, si on abolissait l'article 96 ou qu'on
assujettissait le pouvoir de la juge en chef à l'autorisation du ministre, ça
serait probablement jugé inconstitutionnel parce qu'on dirait que c'est une
ingérence indue dans l'exercice de fonctions qui portent... qui ont direct...
qui relèvent directement des fonctions judiciaires. Quel juge doit entendre une
cause? Quel va être l'horaire des juges? Donc, la politisation, elle est déjà
arrivée et elle va juste, si on peut dire... Ça fait que c'est important.
Une voix : Merci, c'est très
clair. Merci.
Le Président
(M. Bachand) :À mon tour, Me Valois,
de vous remercier et de vous féliciter. Puis encore une fois, merci d'avoir été
avec nous ce soir.
Alors, sur ce, la commission, ayant
accompli sur mandat, ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup. À bientôt.
(Fin de la séance à 21 h 48)