L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission des institutions

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission des institutions

Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le mercredi 20 janvier 2021 - Vol. 45 N° 111

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal (CVASM)

M. Daniel Gardner

M. Michaël Lessard

M. Marc Bellemare

Direction générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels (DGIVAC)

Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD)

Mme Madeleine Lemieux

Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV)

Autres intervenants

M. André Bachand, président

M. Simon Jolin-Barrette

Mme Lucie Lecours

M. Mathieu Lévesque

M. Marc Tanguay

Mme Christine Labrie

Mme Véronique Hivon

M. Louis Lemieux

Mme Stéphanie Lachance

*          Mme Deborah Trent, CVASM

*          M. Jean Rodrigue, DGIVAC

*          Mme Myriam Choquette, idem

*          Mme Annie St-Onge, AFPAD

*          Mme Nancy Roy, idem

*          Mme Arlène Gaudreault, AQPV

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Bachand) : Bon matin, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.

La commission est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations particulières des auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Provençal (Beauce-Nord) et M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par Mme Labrie (Sherbrooke).

Auditions (suite)

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons, par visioconférence, les personnes et groupes suivants : Me Daniel Gardner, professeur titulaire à l'Université Laval; Me Michaël Lessard, doctorant en droit de l'Université de Toronto, mais, d'abord, nous allons débuter avec Mme Deborah Trent, directrice du Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal. Alors, Mme Trent, bienvenue à la commission.

Mme Trent (Deborah) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Alors, je vous invite à prendre... à commencer votre exposé. Vous avez 10 minutes, et, par après, on aura un échange avec les membres de la commission. Alors, encore une fois, bienvenue, et la parole est à vous.

Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal (CVASM)

(Visioconférence)

Mme Trent (Deborah) : Merci beaucoup. Alors, bonjour à tout le monde, M. le ministre Jolin-Barrette, et tous les élus, et les parlementaires. Il me fait vraiment plaisir d'être avec vous ce matin. Comme le président a dit, le mémoire que j'ai préparé vous sera envoyé pas la suite. J'ai eu envie de faire une petite relecture, dernière relecture, étant donné que ça a été fini assez tard.

Alors, je suis la directrice du Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal, qui est un organisme communautaire qui existe depuis fort longtemps. On a été créé en 1980. Ce fut une initiative des professionnels de la santé qui travaillaient dans... au CLSC Métro, et elles ont vu, à Montréal, les personnes qui étaient impliquées, à ce moment-là, ont vu à Montréal qu'il existait peu de services pour les victimes d'agression sexuelle. Alors, elles ont décidé de mettre en place un service. Alors, ça a été vraiment... On a été vraiment au début, dans les... parmi les premiers services pour les victimes d'agression sexuelle ici, au Québec.

Je vais passer un petit moment aujourd'hui à vous parler très, très brièvement du centre. Dans le document que je vous ai préparé, je vous en parle beaucoup plus longuement. Et ensuite je vais m'attarder sur quelques points en lien avec le sujet de l'heure, soit le projet de loi n° 84. Je pense qu'il est important, au point de vue historique, je pense qu'il est important de dire tout simplement que le centre a acquis, à travers les années, beaucoup d'expérience, au niveau de l'offre de services, pour les victimes d'agression sexuelle. On a évolué beaucoup avec le temps. On a commencé avec, juste pour vous donner une idée, on a commencé avec une employée payée et aujourd'hui on a une équipe de près de... pas loin de 45 personnes.

Le centre, lui, offre différents services dont... On est un des centres désignés, un des quatre centres désignés à Montréal pour les victimes d'agression sexuelle. On offre également une équipe. On offre des suivis cliniques aux personnes qui ont vécu des agressions dans la dernière année. On gère également la Ligne-ressource provinciale pour les victimes d'agression sexuelle, qui est la ligne d'écoute, un petit peu comme SOS Violence conjugale, sauf qu'on est là pour les victimes d'agression sexuelle.

Et, depuis 2018, on est mandataires d'un nouveau projet qui cherche à offrir soutien, appui et encadrement pour tout le réseau, le grand réseau des centres désignés à travers la province du Québec. Alors, on a des services qui sont montréalais, mais on a aussi deux mandats provinciaux. Donc, on a une loupe et un regard vers... pour essayer quand même, assez clairement, d'être à l'écoute des besoins à travers toute la province du Québec.

• (9 h 40) •

Le centre, lui, a offert depuis... juste pour vous donner une idée d'ordre de grandeur, a reçu, depuis 1997, alors depuis quand même plusieurs années, l'équivalent de 3 591... on a effectué 3 591 interventions d'urgence médicosociale. Donc, ça veut dire que c'est des personnes qui viennent en centre désigné. Au courant de la dernière année, on en a reçu 249, et la Ligne-ressource provinciale reçoit annuellement à peu près l'équivalent de 8 000 appels, donc à peu près 700... plus de 700 appels par mois. Donc, c'est un ordre de grandeur quand même important.

Dans le mémoire que je vais vous déposer, on a fait un recensement des appels reçus à la ligne-ressource pour vous donner une idée de ce que les appelants peuvent nous poser comme question ou en lien... avec les problématiques en lien avec l'IVAC. Alors, je ne ferai pas un retour là-dessus, parce que le temps ne le permet pas aujourd'hui, mais je voulais quand même prendre un petit moment pour vous faire part de certains de mes commentaires par rapport à ce nouveau projet de loi.

Alors, inutile de vous dire que moi, je travaille dans le domaine des victimes d'actes criminels depuis, comme vous pouvez le constater, depuis vraiment fort longtemps, et je ne peux pas me rappeler d'un moment où on n'a pas parlé d'une réforme de la loi de l'IVAC. Alors, c'est quelque chose qu'on attend, tous les organismes attendent depuis vraiment, vraiment très longtemps. Je pense qu'on vous a quand même signifié... Plusieurs organismes, entre nous, vous ont signifié qu'on était tellement contents d'avoir ce projet de loi, mais on aurait vraiment apprécié pouvoir avoir un peu plus de temps pour en faire un retour et un regard et beaucoup plus en profondeur. Mais, somme toute, on a quand même été capables de vous ramener certains points.

Il y a clairement, clairement de très bons coups dans le projet de loi. Je pense que la première chose qui vient en tête, c'est toute la question de l'abolition de l'annexe. Cette loi-là, elle est maintenant... elle arrive à jour, elle arrive, en 2021, avec les crimes qui sont beaucoup plus connexes à la réalité des personnes qui sont victimes d'actes criminels. Vous avez aussi proposé que les victimes de 14 ans et plus puissent signer leur demande. Alors, ça aussi, c'est une importante avancée. On pense... On va aussi proposer que les délais soient prolongés, jusqu'à trois ans, pour faire une demande de prestations.

Vous avez aussi proposé que les citoyens canadiens qui ont été victimes d'agression sexuelle ou victimes d'actes criminels à l'extérieur du Québec puissent aussi en faire une demande, ce qui était vraiment une nouveauté. Et le projet prévoit également, et ça, c'est une importante avancée, quelque chose qui avait été demandé depuis vraiment fort longtemps et qui va vraiment... témoigne vraiment de votre préoccupation d'être à l'écoute des besoins des victimes et des personnes qui travaillent auprès de ces personnes-là, de la création d'un programme d'aide en situation d'urgence. Alors, ça, c'est vraiment quelque chose qui est vraiment très, très bien reçu.

Quand moi, je pense à la loi de l'IVAC et quand... et nous, sur le terrain, on parle de ça. Vous avez apporté, proposé un nouveau nom, une nouvelle appellation. Mais c'est clair que nous, sur le terrain, on est vraiment dans la réalité quotidienne, et la réalité quotidienne en lien avec l'IVAC, c'est clairement l'application de cette loi. Et j'ai cherché dans les commentaires ou, en tout cas, dans les remarques que j'ai formulées dans mon mémoire, de vous faire état de ce qui est vécu sur le terrain, parce que je pense que ce qui est vécu sur le terrain et les expériences que les victimes nous disent, ce que les intervenants et intervenantes nous disent aussi va... nous donne de l'information sur ce qui sera important, là, à trouver dans le nouveau projet de l'IVAC. Je comprends très bien qu'un projet de loi, c'est des lois, c'est des choses très formelles, mais je crois que c'est important de pouvoir faire bénéficier les différents articles de la loi, qu'elle soit inspirée des expériences sur le terrain.

Dans le mémoire, je fais état de plusieurs, plusieurs expériences terrain en lien avec l'application de la loi. D'ailleurs, le Protecteur du citoyen avait fait... avait soulevé plusieurs, plusieurs problématiques en lien avec ça. Et, encore aujourd'hui, c'est ce que les victimes vivent, hein, les victimes vivent énormément de difficultés en lien avec l'accès aux services, avec une compréhension des documents de l'IVAC, une réception qui est courtoise et qui est vraiment à l'écoute des besoins des victimes. Alors, il y a comme un écart entre ce qu'on leur propose et comment elles le vivent. Il y a toute une préoccupation importante par rapport aux formulaires, aux documents, aux formulaires que les victimes doivent compléter. Et je fais état, dans mon mémoire, des expériences de beaucoup de nos intervenantes en suivi clinique qui doivent passer énormément de temps à aider une victime à compléter son formulaire.

Et surtout le point qui est très, très problématique pour les victimes, c'est lorsqu'elles doivent écrire, elles doivent décrire le récit, et ça propose... ça crée souvent des situations d'angoisse profonde, de reviviscence avec les flash-back, et tout ça. Alors, c'est une situation qui est très, très anxiogène, et ce qui fait en sorte, bien des fois, que la victime, elle est découragée.

On est très, très conscientes, je pense, sur le terrain, que compléter un formulaire de l'IVAC ne peut pas se faire seul. Alors, ça doit absolument se faire en étant accompagné par une personne. Donc, ça veut dire que ça exige un accompagnement. Alors, c'est vraiment important, et je pense que cette réalité-là terrain, en lien avec l'application, peut avoir un impact sur les lois et sur les mentions qui en sont faites dans le nouveau projet de loi.

Dans le nouveau projet de loi, vous parlez de vouloir... Vous reprenez, hein, finalement, les droits, et ce que les victimes d'actes criminels ont le droit d'avoir l'accès à l'information, et tout ça. Et si on cherche à être... à correspondre à ce droit-là, bien, il faut s'assurer que dans l'application... et je pense qu'il faut le nommer, il faut le souligner dans le projet de loi également. Je voudrais...

Le Président (M. Bachand) : Il reste très peu de temps, Mme Trent. Le 10 minutes est passé, ça fait que je vais vous laisser une petite minute de plus.

Mme Trent (Deborah) : Alors, oui, je vais juste faire... Alors, c'est ça, le dernier point que je ferais, c'est vraiment en lien avec le travail, auquel j'ai participé sur le comité d'experts, sur l'accompagnement des victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale à travers tout le système de la justice. Et un des plus gros constats, un des constats les plus importants qui est ressorti de nos nombreux mois de travail et de réflexion est en lien, vraiment, avec le fait que les organismes d'aide travaillent en silo, que tout le monde est séparé, que tout le monde se retrouve dans un ministère ou dans l'autre, dirigé. Et, dans le nouveau projet de loi, on parle... C'est sûr que c'est le projet de loi du ministère de la Justice. C'est clair que c'est... donc, des organismes qui émanent du ministère de la Justice, ce sont les CAVAC, mais on doit...

Et, dans le projet de loi, on ne l'entend pas, on n'entend pas de message en lien avec l'importance de la collaboration, de l'échange, du partage, du travail de concertation entre les différents organismes d'aide. Et, en bout de ligne, si cette collaboration, elle est nommée dans le projet de loi, ce qu'on ne voit pas, il me semble que ça permettrait, entre autres, d'apporter un meilleur service aux victimes. Oui, voilà.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. On va passer à la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la parole. Merci.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Trent. Merci d'être présente avec nous aujourd'hui, nous partager vos réflexions.

Je vais rebondir sur ce que vous avez dit, à la fin, d'avoir une coordination des différents acteurs pour aider les victimes. Je suis d'accord avec vous, et c'est sûr que ce n'est pas nommé dans le projet de loi concrètement, mais, sur le plan de la législation, ce n'est pas possible d'indiquer à des partenaires externes qu'ils doivent collaborer, mais, bien entendu, c'est l'esprit même de la réforme de l'IVAC. Nous, on contrôle au niveau du régime d'indemnisation, de l'accompagnement aux victimes, et c'est ce qu'on souhaite faire. On souhaite s'assurer que l'IVAC soit plus humain, et c'est pour ça qu'on a construit le projet de réforme de façon à faire en sorte que, dès le départ, la personne victime qui a des besoins... pourra avoir des besoins.

Puis ça, je pense qu'avec les consultations que j'ai faites auprès des groupes de victimes, c'était une demande, le fait de dire : Bien, il faut avoir du soutien psychologique dès le départ, dès le moment et ne pas attendre plusieurs mois avant que le dossier soit autorisé pour avoir de l'accompagnement puis du soutien. Je ne pense pas me tromper à ce niveau-là.

Mme Trent (Deborah) : Moi, j'ai moins vu ça. Je ne veux pas vos contredire, là, mais j'ai moins vu ça. En tout cas, si c'est l'intention, pour moi, c'est moins clair dans le projet de loi, je le vois moins bien. Mais il me semble qu'il faut nommer... Puis je comprends, là, qu'un projet de loi, là, c'est compliqué, puis vous avez quand même plusieurs pages, au départ, qui font l'état de la situation un peu. Mais il me semble que, c'est ça, là, il y a comme une espèce de discordance entre ce qu'on souhaite et ce qui se passe sur le terrain.

Alors, si l'intention, c'est ça, et je ne vous remets pas en question, là, mais si l'intention, c'est ça, je pense qu'il faut trouver... surtout en lien avec les victimes d'actes criminels. Et la principale clientèle de l'IVAC, c'est clairement les victimes de violence conjugale et les victimes d'agression sexuelle ou les victimes de violence sexuelle. Je pense qu'il faut trouver une façon beaucoup plus claire, beaucoup plus humaine d'annoncer cette couleur-là, parce que c'est moins évident dans le projet de loi, de ce que j'ai vu. Mais on... Voilà, oui.

• (9 h 50) •

M. Jolin-Barrette : C'est ça, mais, en fait, je vous le dis dès le départ, on a mis une mesure législative qui fait en sorte que le soutien psychologique peut être offert, dès le départ, sans autant que le dossier ait été accepté, justement, pour faire en sorte que la victime ait des ressources tout de suite. Puis ça, c'est une critique qui nous a été formulée.

Aussi, sur... Je suis d'accord avec vous, là, sur la question des formulaires. Maintenant, à l'IVAC, ils vont pouvoir aider au niveau de remplir les formulaires. Ça, je pense que c'est une demande, puis aussi, surtout, simplifier les formulaires aussi pour que ça soit le plus accessible possible pour les personnes victimes.

J'aimerais vous entendre, là, sur le délai qu'on augmente, là, de deux à trois ans, pour présenter une demande et sur l'abolition du délai de prescription, là, pour ce qui est violence conjugale, violence sexuelle puis violence subie pendant l'enfance.

Mme Trent (Deborah) : Je pense que c'est une très bonne idée. Je pense que... parce que vous nommez aussi, là... Je pense que le fait de l'étendre, je pense que ça va être davantage au service des victimes, ça correspond davantage à leurs besoins aussi. Je pense qu'une victime d'agression sexuelle, après la commission du crime, cette victime-là, des fois, elle cherche de l'aide, des fois, elle ne la cherche pas, des fois, elle n'en parle pas du tout. Alors, de pouvoir vraiment avoir accès à des services qui sont à l'écoute de cette réalité, qui est de ne pas pouvoir toujours aller rapidement aller chercher de l'aide, je pense que c'est quelque chose qui va être beaucoup plus aidant pour une victime d'agression sexuelle, pour une victime de violence conjugale également.

Je pense que c'est une bonne chose d'étendre et je pense que c'est une bonne chose aussi... Dans la loi, on entend qu'il y a des particularités pour les personnes qui sont victimes des violences sexuelles et des agressions sexuelles. Alors, je pense que c'est une bonne chose.

M. Jolin-Barrette : Peut-être... On met en place un programme d'urgence pour faire en sorte que, lorsqu'une personne est en situation de danger, de vulnérabilité, elle puisse quitter son milieu. Donc, on parle d'aide au logement, la nourriture, le transport vraiment rapidement. Vous, selon votre expérience, là, je comprends que c'est quelque chose qui manquait actuellement. Pouvez-vous nous décrire l'état des victimes, là, lorsqu'elles décident, là, de quitter le milieu toxique, ou tout ça, qu'est-ce que ça prend, en termes complets, là?

Mme Trent (Deborah) : Bien, c'est parce que ça dépend... Oui, excusez-moi.

M. Jolin-Barrette : Allez-y, allez-y. Je suis désolé.

Mme Trent (Deborah) : Non, non, non. Je pense que ça dépend vraiment de la situation qui est vécue par la victime. Alors, c'est sûr que les besoins d'urgence... Je sens que les besoins d'urgence, au niveau d'une victime de violence conjugale et une femme avec... ou une victime avec des enfants, et tout ça, je pense que ces besoins-là sont plus pratiques, plus fonctionnels, et tout ça, peut-être qu'ils seront encore plus grands. On a quand même, au niveau des victimes de violence sexuelle, au niveau des victimes d'exploitation sexuelle qui sont mal prises, qui sont dans la rue, qui n'ont pas de recours, qui n'ont pas de service, et tout ça... de pouvoir avoir accès rapidement à un service qui va les aider, par exemple, à les transporter d'un point A vers un point B, dans un milieu sécuritaire.

On a reçu, nous, un appel à la Ligne-ressource provinciale pour les victimes d'agression sexuelle d'une jeune fille qui se retrouvait... qui était dans un Tim Hortons à trois heures du matin. C'était le seul endroit où elle pouvait aller, elle n'avait plus d'argent. Ce n'était pas sécuritaire pour elle de quitter. Et de pouvoir avoir accès à un service, qui lui aurait été payé plus facilement, aurait été vraiment très, très aidant. Alors, c'est ce genre de chose là.

Une autre chose aussi qui n'est pas nommée, au niveau des besoins d'urgence, qui n'est pas nommée dans la loi, et je le mentionne à plusieurs reprises dans mon mémoire, c'est l'accès aux services en centre désigné. Alors, il y a... on voit plusieurs victimes d'agression sexuelle qui ont besoin d'avoir accès aux services en centre désigné. Alors, c'est pour effectuer une intervention médicosociale, donc s'occuper de leur état de santé, mais aussi compléter, si besoin et si elles le souhaitent, une trousse médicolégale.

Et, pour les victimes qui n'ont pas de carte RAMQ, qui n'ont pas accès, d'avoir accès à ces services-là peut présenter des coûts quand même importants. Et de devoir discuter, de devoir essayer de négocier tard la nuit, lorsqu'on vient de vivre une agression sexuelle, qui va payer ce service-là? C'est complètement dérangeant, épouvantable, et tout ça, et c'est quelque chose qui peut faire en sorte que les victimes n'iront pas dans les services. Alors, un programme d'urgence pourrait, dans des circonstances comme ça, offrir un soutien et permettre aux victimes d'avoir accès, sans préoccupation, aux services qui sont... qu'elles ont le droit de recevoir, et facilement.

Alors, ça, c'est... Je dirais aussi, une victime d'agression sexuelle qui n'a pas d'argent, qui a un besoin de transport, qui n'a pas de place... Vous savez, il y a beaucoup moins d'hébergement pour les victimes d'agression sexuelle. Alors, elle doit se rendre... par exemple, elle doit aller dans un lieu sécuritaire, elle doit aller dans un hôtel, elle n'a pas les moyens, l'agression sexuelle s'est passée chez elle, etc. Alors, il y aurait plusieurs moyens... ou plusieurs besoins qui pourraient être compensés par un régime... un programme d'urgence.

Ce qui est important avec le programme d'urgence, c'est que ça soit rapide et simple. Il ne faut pas qu'on doive compléter un formulaire. Tu sais, il faut que ça soit vraiment, vraiment un système qui est le plus simple et le plus rapide, le plus urgent. C'est un programme d'urgence.

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie, Mme Trent. J'ai des collègues qui souhaitent poser des questions. Donc, un grand merci pour votre partage en commission parlementaire.

Mme Trent (Deborah) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. J'ai Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. le ministre. Bonjour, Mme Trent.

Mme Trent (Deborah) : Bonjour.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. On a hâte de lire votre mémoire. On avait déjà des grandes lignes sur votre organisme, les bienfaits de votre organisme, le type de clientèle, si on peut appeler ça la clientèle, là, je pense que je mets des gros guillemets...

Mme Trent (Deborah) : On se comprend.

Mme Lecours (Les Plaines) : ...des gens dans le besoin ainsi que les bienfaits sur le terrain. Donc, je vous en... Je profite de l'occasion pour vous féliciter du travail que vous faites. Je pense que c'est un travail qui est important, essentiel.

J'aimerais vous entendre aussi sur un pan du projet de loi, à l'effet qu'il n'y aurait plus de rente viagère, mais des montants forfaitaires, et ceci étant rendu nécessaire de par l'élargissement aussi du nombre de victimes que nous voulons pouvoir mieux servir, mieux desservir, donc... Et aussi tout le côté important qui est, justement, de pouvoir faire en sorte que ces gens reviennent dans... sur le marché du travail, donc les accompagner, un meilleur accompagnement pour pouvoir justement reprendre une place dans la société sans ce bagage de leur passé, qui pèse lourd, donc tout un accompagnement nécessaire. J'aimerais vous entendre sur ces pans du projet de loi.

• (10 heures) •

Mme Trent (Deborah) : O.K. Merci. Alors, moi, je vous dirais que, quand on se questionne... les personnes, en tout cas, là, nos petits efforts de consultation, de réflexion qu'on a pu faire au courant de la dernière semaine, quand on se questionne sur quels sont les besoins les plus importants des personnes qui sont victimes d'un acte criminel, et, dans notre cas à nous, c'est les victimes de violence sexuelle, ce qui est nommé le plus, c'est vraiment d'avoir accès aux services thérapeutiques, dans un premier temps, deuxièmement, d'avoir un remplacement de revenu. Alors, pour les victimes qui n'ont pas d'assurance salaire, qui n'ont pas d'autres moyens d'avoir, facilement, accès à un remplacement de revenu, ça aussi, c'est vraiment une des choses qui est les plus importantes et aussi les choses en lien avec un déménagement.

Je peux moins vous parler de la question en lien avec le montant forfaitaire, parce qu'on n'a pas eu le temps de bien, bien approfondir notre réflexion, mais je vous dirais que ce qui plus important... C'est sûr que ça peut être important, surtout pour les personnes qui ont des séquelles à long terme, que, vraiment, leur jouissance au niveau de la vie, on voit moins que les personnes vont s'en sortir. Mais ce qui me semble encore plus important et ce qui semble être nommé encore... de façon plus importante par les victimes, c'est de l'aide concrète, immédiate, pour pouvoir travailler sur ce qu'elles ont vécu.

Alors, il faut trouver des façons, et un des problèmes qu'on vit présentement dans... pour répondre aux premiers besoins des personnes qui ont vécu les agressions sexuelles, c'est de pouvoir rechercher et de trouver une thérapeute. Alors, c'est sûr que les organismes comme nous, c'est le CALACS, etc., les CAVAC. On offre, on fait du suivi, mais nos listes d'attente sont tellement énormes qu'on doit recourir à l'IVAC. Alors, si présentement, essayer de chercher une thérapeute... présentement, c'est très, très difficile, il n'y en a pas assez, les tarifs qui sont payés par l'IVAC ne sont pas concurrentiels et compétitifs pour les thérapeutes, les gens acceptent de moins en moins les mandats de l'IVAC.

Alors, il me semble qu'il faut trouver un équilibre entre, oui, des montants forfaitaires, mais il faut trouver des façons monétaires, oui, de répondre à des besoins concrets et des besoins... et rapidement. Alors, moi, je vous dirais que oui, montants forfaitaires, quand c'est pertinent, et tout ça, mais je ne suis pas sûre que c'est le plus grand besoin. Et je ne dis pas, là, qu'il faut l'enlever, là, ce n'est pas ça que je dis du tout, là, mais je pense qu'il faut trouver un équilibre pour essayer de trouver des moyens plus concrets pour répondre aux besoins plus criants.

Mme Lecours (Les Plaines) : Donc, si je comprends bien, le continuum de services est d'autant plus important avec ce que vous venez de me dire, là.

Mme Trent (Deborah) : Je dirais ça comme ça, oui. Ça mériterait qu'on creuse encore plus, mais je dirais que ce que... Oui, j'aurais davantage l'impression que oui.

Mme Lecours (Les Plaines) : Et une dernière question avant de laisser la parole à mes collègues, vous trouvez que c'est une bonne chose, le programme d'aide urgente.

Mme Trent (Deborah) : Oui.

Mme Lecours (Les Plaines) : Donc, ce qu'on comprend, c'est qu'il faut que ça soit simple et rapide pour pouvoir prendre en charge rapidement la victime et ensuite faire... selon le continuum de service, faire en sorte qu'on l'amène justement à des services précis, rapides aussi, pour que la personne puisse éventuellement se prendre en charge. Est-ce que je comprends bien?

Mme Trent (Deborah) : Oui, c'est ça, c'est un service d'urgence, il faut que ça réponde à des besoins et des besoins en lien avec la sécurité. C'est ça qui est important, hein, surtout en violence conjugale, quand une femme se retrouve avec ses jeunes enfants, elle a besoin de quitter, il n'y a plus de place en maison d'hébergement, elle n'a pas les moyens de se rendre, il faut avoir quelque chose qui va l'aider tout de suite. En exploitation sexuelle, c'est la même chose, les victimes qui sont amenées d'un endroit à l'autre, d'une région à l'autre, et il faut être capables de les ramener, il faut avoir des mesures concrètes qui vont pouvoir répondre à ces besoins-là.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup...

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, Mme Trent.

Le Président (M. Bachand) : J'ai le député de Chapleau. Il reste deux minutes pour la question et pour la réponse. Merci.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord, merci beaucoup. Bonjour, Mme Trent.

Mme Trent (Deborah) : Bonjour.

M. Lévesque (Chapleau) : Une petite question. Merci beaucoup de votre témoignage. Bonjour, chers collègues, également. Vous avez parlé de la difficulté, là, de compléter toute la question des formulaires, également écrire et décrire la situation que les victimes ont vécue, les grands moments d'angoisse qu'elles vivent. J'aimerais peut-être que vous nous en parliez davantage, peut-être que vous avez des pistes de solutions pour améliorer ces situations-là.

Mme Trent (Deborah) : Bien, je pense que, dans un premier temps, il faut que ça soit des formulaires que les gens puissent télécharger et compléter en ligne, hein? L'autre grande réalité, c'est que le plus grand nombre de victimes d'agressions sexuelles, hein, c'est souvent dans la population de 18-25 ans, compléter formulaire, mettre quelque chose à la poste, ce n'est pas du tout dans leur vécu. Les formulaires, on ne peut même pas les télécharger, l'IVAC ne... on peut les télécharger, il faut les compléter à la main. Alors, il faut tout revoir tout ce processus-là.

On peut regarder certains formulaires d'autres provinces où... qui sont beaucoup plus courts, où on demande davantage de cocher des réponses. C'est le fait de devoir écrire longuement, faire un récit, c'est quelque chose qui est très, très perturbant pour les victimes. Il y a aussi une question qui est très dérangeante pour les victimes, c'est la question qui demande de nommer si on est capable d'identifier l'agresseur, de mettre son nom. Les victimes sont très paniquées par ça, elles ont l'impression qu'on va les poursuivre, et tout. Voilà. J'en parle un petit peu dans mon rapport, mais il faut trouver des façons efficaces, simples. C'est décourageant, les victimes abandonnent quand elles voient le formulaire.

L'autre petit point, c'est aussi par rapport au remplacement de revenu. Il y a toute une section que les victimes doivent demander à l'employeur de compléter. Alors, de devoir aller parler à son employeur et lui dire : J'ai été victime d'agression sexuelle, ça, c'est...

M. Lévesque (Chapleau) : C'est comme un frein.

Mme Trent (Deborah) : C'est un frein énorme.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député de Chapleau. M. le député de LaFontaine, vous avez la parole. Merci.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bon matin, Mme Trent.

Mme Trent (Deborah) : Bonjour.

M. Tanguay : Merci beaucoup d'être avec nous. Bonjour, bonjour.

Mme Trent (Deborah) : Ça fait plaisir.

M. Tanguay : Écoutez, ce qui est particulièrement intéressant avec les consultations, c'est qu'on peut mieux connaître des organismes tels que le vôtre, Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal. J'aimerais vous entendre d'abord, de façon un peu plus générale, puis on a abordé la question hier, depuis le mouvement #moiaussi, est-ce que vous avez vu, sur le terrain, une augmentation significative, là, des appels auprès de vous?

Mme Trent (Deborah) : Je vous dirais que, quand il y a des événements comme ce qu'on a vécu cet été, le dévoilement sur les réseaux sociaux de personnalités, et tout ça, là, tu sais, il y a eu un moment, au mois de juillet... Alors, à chaque fois qu'il y a un événement comme ça, quand il y a des choses médiatisées, etc., il y a une augmentation qui est ponctuelle. Moi, je vous dirais que notre... Depuis le mouvement, depuis #metoo, #moiaussi, il y a eu une augmentation. Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce que ça veut dire qu'il y a plus d'agressions sexuelles? Je ne pense pas qu'on peut dire ça.

Je pense qu'on peut dire peut-être davantage que les gens écoutent ce qui se passe. Les gens, ça les fait vivre des choses. Quand elles entendent ça, elles vont tendre la main ou tendre... composer pour pouvoir parler avec quelqu'un. Ça rappelle quelque chose. C'est sûr qu'avec le dévoilement, où les gens dévoilaient davantage sur les réseaux sociaux, les victimes avaient beaucoup, beaucoup de préoccupations par rapport à ça, ont posé beaucoup de questions. Alors, oui, il y a une augmentation, je vous dirais, tranquille, avec le nombre de personnes, ou les appels qu'on reçoit. Et, quand il y a des événements comme ce qu'on a vécu cet été où, par exemple, avec les décisions qui ont été rendues dans les procès de MM. Rozon et... le nom m'échappe, je pense que ça aussi, ça fait bouger.

Si votre question, c'est : Est-ce qu'il y a plus d'agressions sexuelles?, je ne peux pas vous dire ça. Je pense qu'il y a plus de personnes qui parlent des situations d'agression sexuelle.

M. Tanguay : Ce matin, ce qui nous réunit, c'est la Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement, donc, évidemment, on inclut là-dedans les victimes d'agression sexuelle, puis je crois... puis je vous demanderais peut-être d'étayer, s'il vous plaît, pour beaucoup, votre action est dans l'urgence. Vous parliez tantôt de la jeune femme qui était au Tim Hortons, qui appelle, qui ne savait pas où aller, qui finalement décide de reprendre sa vie en main, décide de lever la main, puis d'alerter, puis de dire : J'ai été victime d'agression sexuelle. L'aide qui doit être... Puis vous nous invitez, j'imagine, comme législateurs, à tout mettre ce qu'on peut, autrement dit, je vais le dire de même, dans le projet de loi pour faire en sorte que, dans l'urgence, dans l'immédiat, on puisse s'assurer que, dans la loi, ça soit déjà prévu, des moyens très tangibles, des services thérapeutiques. Même, vous parliez, j'aimerais vous entendre là-dessus, pour ce qui est d'une trousse médicolégale, vous disiez qu'il y avait un coût. Il y avait un coût associé à ça? Ça, vous me l'apprenez, là.

Mme Trent (Deborah) : O.K.Alors, lorsqu'une personne vit une agression sexuelle et puis qu'elle consulte, il y a une intervention qui est proposée dans les ressources qui s'appellent les centres désignés. Alors, à travers... dans toutes les régions du Québec, il y a des endroits qui reçoivent les victimes d'agression sexuelle 24 heures par jour, sept jours par semaine et qui répondent à leurs besoins médicaux, mais qui répondent aussi, donc... est-ce qu'elles ont été blessées? Est-ce qu'elles ont des préoccupations par rapport à la grossesse, par rapport aux infections, et tout ça, transmissibles sexuellement? Mais si la victime souhaite porter une plainte légale, il y a moyen de ramasser des preuves médicolégales.

Alors, cette intervention-là, c'est une intervention qui est offerte à l'intérieur des centres désignés. Et si une victime qui se présente, qui n'a pas de carte RAMQ, qui vient d'ailleurs, par exemple, qui est une victime qui est en visite à Montréal pour le congé d'école, qui vient de l'État de New York par exemple, elle va avoir... et puis elle voyage avec les assurances de ses parents, par exemple, elle ne veut pas utiliser ses assurances parce que ses parents vont être alertés. Alors, il y a différentes situations : des personnes sans statut, des personnes qui ne sont pas dans l'attente de statut, donc qui auraient accès à différentes assurances médicales. Alors, on se retrouve... les personnes qui n'ont juste rien, et puis elles ont besoin d'être vues en intervention médicale, et elles ont besoin d'avoir accès à ces services-là, alors là, il faut payer le médecin. Alors, ça, c'est quelque chose qui réclame qu'on discute à plusieurs, hein, que Santé et Services sociaux, que Justice, que tout le monde se parle.

Alors, c'est ça, quand j'ai dit, à la fin de ma présentation, l'importance et ce qui a été soulevé, et de façon tellement claire, dans les consultations qu'on a faites avec le rapport du comité d'experts, c'est : On n'arrivera à rien si on ne met pas en place des moyens pour tous se parler ensemble. Vous savez, les victimes d'agression sexuelle, les victimes de violence conjugale et les autres victimes d'actes criminels ont différents besoins et les réponses à ces besoins-là sont... proviennent de plusieurs sources. Alors, il faut mettre tout le monde ensemble pour qu'on réponde à leurs besoins. Si on n'arrive pas à faire ça, les victimes sont envoyées d'un endroit à l'autre, et ce n'est pas compréhensible, et on les mêle.

Alors, il y a un effort à faire. Je pense que le rapport du comité d'experts a fait vraiment ressortir ça, et c'est pour ça que j'ai voulu vous en parler ce matin, parce que c'est quelque chose qui... cette vision-là pourrait aussi apporter, je crois, un meilleur rendement de ce projet de loi qui est absolument important et essentiel.

• (10 h 10) •

M. Tanguay : Et puis, en ce sens-là, vous nous invitiez d'ailleurs de peut-être mettre, dans le projet de loi, le principe de collaboration, concertation. Quand c'est dit clairement, quand c'est nommé, et puis que de la loi doivent découler les actions de la machine, entre guillemets, la concertation des intervenants également... De façon très tangible, iriez-vous à recommander qu'il y ait une table permanente? Comment, de façon plus tangible, vous pourriez nous inviter à réfléchir ce forum de concertation là?

Mme Trent (Deborah) : Bien, dans le... parce que c'est frais à la mémoire, là, je suis certaine que Mme Hivon pourra en faire état également, là, mais le rapport du comité d'experts a 190 recommandations ou... en tout cas, pas loin de 190 puis propose, à la fin, la création d'un secrétariat qui pourra réunir, hein, tous les représentants des différents ministères qui sont préoccupés par l'offre de services et les différentes législations en lien avec les victimes d'actes criminels, pour que ça soit un tout et que ça soit un peu moins pêle-mêle, parce qu'il y a des répétitions, hein? Vous savez, dans le processus de consultation, on s'est promené à travers le Québec, il y a eu une consultation en ligne où les victimes, on leur a posé des questions, elles ont répondu, et ce que les gens nous ont dit, c'est : Je ne sais pas où aller parce qu'on me répond : C'est comme ça ici. Ce n'est pas la même chose, ce n'est pas cohérent. Alors, oui, il faut absolument qu'on revienne aux les tables de concertation et qu'entre nous on se parle. On se parle, oui, mais il faut que la main gauche sache ce que la main de droite fait.

M. Tanguay : Et je reprends la balle au bond. Quelqu'un est venu nous mentionner hier, dans le début de nos consultations : Il y a la loi et il y aura plusieurs règlements qui vont venir préciser les modalités d'application de la loi. Alors, une telle table de la concertation, secrétariat pourrait être mise à profit également, par des gens comme vous, qui sont sur leur terrain, pour dire : Bon, bien, dans votre règlement, consultez-nous, puis on aura des choses à dire sur certains aspects. Parce que la manière dont ça se vivra sur le terrain, pour beaucoup, ça va être influencé en amont par le règlement qui va dire : Bien, on devrait...

Mme Trent (Deborah) : Exactement, exactement, exactement.

M. Tanguay : Alors, ça, ça pourrait même être fait rapidement, mis en place pour qu'il y ait un forum de discussion, puis ça, ça fera peut-être partie de nos échanges, et vous nous avez permis d'aborder le sujet, là, présentement, en consultation, lorsqu'on sera en article par article sur le projet de loi.

J'aimerais que vous nous parliez... parce que je vois là aussi peut-être une opportunité, pour vous, de nous faire part de votre réalité puis, nous, de se casser la tête comment on pourrait s'assurer de vous aider dans la rédaction du projet de loi, votre liste... Les listes d'attente, pouvez-vous m'en parler davantage, nous en parler davantage? Attente pour quels types de service, quels sont les délais et comment on pourrait mieux faire pour diminuer cette liste d'attente?

Mme Trent (Deborah) : Bien, les listes d'attente, en tout cas, dans notre cas précisément, c'est pour les services de suivi clinique. Alors, pour les services en urgence, il n'y a pas d'attente pour ça, là. Tu sais, c'est un service 24/7, et les centres désignés, c'est ça aussi, là, à travers la province, là, toute... chaque région se doit d'avoir des centres désignés pour recevoir les victimes, mais généralement, les services, les listes d'attente... puis pour nous... et je me sens assez confortable pour dire que, dans la majorité des organismes qui offrent des services, c'est toujours en lien avec le suivi, alors... Et c'est pour ça que c'est souvent problématique avec l'IVAC, parce que nous, on a des listes d'attente qui peuvent être... présentement, je crois que notre liste d'attente, il y a encore, à peu près, une année pour avoir accès à des services. Il faut toujours réduire la durée de nos services pour qu'on soit capable de répondre de façon plus rapide aux personnes qui ont besoin d'avoir recours à nos services.

Alors, c'est pour faire un processus clinique, thérapeutique, et c'est pour ça que le complément avec l'IVAC est tellement important, parce que, si nous, on peut faire un certain déblayage, on peut commencer le travail, si on veut chercher à répondre à un plus grand nombre de victimes, bien, il faut passer un peu la balle à l'IVAC, mais si, au niveau de l'IVAC, ça devient très difficile pour les victimes, qu'on octroie des services... à l'accès à des services psychothérapeutiques et qu'il n'y a pas de thérapeute sur le terrain, bien là, ça ne marche pas. Alors là, aussi, c'est une autre question... Oui?

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup, Mme Trent. Je dois céder la parole à la députée de Sherbrooke. Merci beaucoup.

M. Tanguay : Merci, Mme Trent.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s, hein, le temps file rapidement.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Trent, pour votre présentation. Vous avez parlé avec raison de l'enjeu de donner des services très, très rapidement pour les victimes, mais vous qui oeuvrez de près auprès des victimes depuis longtemps, j'imagine que vous savez aussi également à quel point ça peut prendre du temps se rétablir d'une agression sexuelle ou de violence conjugale.

L'objectif du projet de loi, c'est justement de favoriser le rétablissement, mais il y a des éléments dans le projet de loi, je pense, par exemple à... le maximum de trois ans pour une indemnité de remplacement de revenu, j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est raisonnable trois ans maximum pour une indemnité de remplacement de revenu, de penser que le rétablissement de la personne va avoir fait effet dans ce délai-là?

Mme Trent (Deborah) : Bien, je pense que ça dépend tellement de la situation, je pense que ça va main dans la main avec... si on offre un service thérapeutique à quelqu'un, bien, il faut que les services thérapeutiques soient pour la même durée que le remplacement de revenu. Si on est avec quelqu'un qui n'a pas d'assurance salaire, qui a perdu son emploi, et on voit ce type de situation là, il faut qu'elle puisse avoir un moyen de subsistance en même temps qu'elle est capable de travailler, alors... Et ça dépend aussi, là, tu sais, si on a une victime qui fait une demande par rapport à une situation qu'elle a vécue dans la dernière année, qui fait une demande à l'IVAC pour avoir soutien, et tout ça, et puis ça remémore, hein, d'autres expériences qu'elle aurait vécues dans son enfance, alors c'est sûr que le temps de rétablissement va être beaucoup plus long, il va être beaucoup plus prenant.

Chaque personne est différente. Je comprends que c'est dur... c'est difficile d'apporter, de dire : Est-ce que c'est assez? Est-ce que ce n'est pas assez? Il me semble que trois ans, tu sais, me semblent pertinents, me semblent convenables, mais il faut que l'accès à ça soit facile, que ça soit simple, que ça ne soit pas... qu'on se décourage.

Mme Labrie : Parce qu'en ce moment, les indemnités peuvent être à vie, en fait. Donc là, on vient plafonner à trois ans. C'est quand même un changement majeur.

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, Mme Trent, parce qu'il reste 14 secondes.

Mme Trent (Deborah) : Oui, mais, c'est ça, là, je pense que si l'accès aux services et le remplacement de revenu est fait le plus rapidement possible, je pense que c'est quelque chose qui peut être, je ne dirais pas «adéquat», mais qui pourrait répondre. Si tout est fait mieux, plus vite, plus rapidement, je pense que ça pourrait répondre. Est-ce que c'est... mais là aussi, ça prend... J'aurais besoin de réfléchir encore plus profondément à cette question-là, ça fait que je...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

Mme Trent (Deborah) : Sous toutes réserves.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je cède maintenant la parole à la députée de Joliette. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Mme Trent. Merci beaucoup de votre présence, puis j'en profite pour vous remercier de tout le travail que vous avez fait pour le comité d'experts. Les gens n'ont pas idée à quel point vous avez travaillé fort. Et donc vous avez accouché de quelque chose de formidable qui, je pense, va pouvoir faire une réelle différence. Ça fait que je voulais vous remercier publiquement.

Justement, vous parlez de l'importance que l'aide psychologique, notamment, puisse être accessible tout de suite. C'est vraiment quelque chose de fondamental, là, qui ressort du rapport et des travaux que, dès qu'il y a un dévoilement, qu'il y a une main tendue, qu'on puisse avoir de l'aide.

Moi, je suis un peu comme vous, je ne le vois pas, malgré ce que le ministre nous dit, là. Je ne remets pas en question sa parole, mais je pense que ça va devoir ressortir clairement dans la loi parce que je ne le vois pas en passant tous les articles. Je comprends que vous non plus vous ne voyez pas quelque chose de clair qui dit que, même en attente de l'approbation de la demande, l'aide psychologique va pouvoir être donnée.

Mme Trent (Deborah) : Oui. Il faudrait que je relise, là. C'est quand même de nombreuses pages et une lecture assez dense, là. Et ça, c'est, tu sais, même pour nous, les experts, là, tu sais, qui travaillons là-dedans depuis longtemps, là, si, nous, on trouve... puis c'est sûr que les victimes n'auront pas à lire les projets de loi, mais ça... tu sais, c'est parlant quand même, là. Tu sais, c'est parlant, tu sais, il faut trouver des choses... il faut vulgariser les choses, il faut trouver des choses qui sont simples, et tout.

Alors, si on dit que la victime aura accès rapidement, bien, il faut que ça soit rapide, mais, pour moi, c'est moins clair dans le projet de loi. Il faudrait peut-être le revoir, mais je suis très prête à revoir puis à... qu'on me dise que j'ai fait une erreur, là, mais...

• (10 h 20) •

Mme Hivon : Moi aussi, j'aimerais ça qu'on me dise ça, parce que, moi aussi, je le cherche. Donc, si le ministre veut nous dire c'est quel article, je vais lui donner cinq secondes pour nous le dire.

Le Président (M. Bachand) : Comme vous le savez...

Mme Hivon : On ne l'entend pas, par exemple.

Le Président (M. Bachand) : Non, il n'y a pas d'interaction durant les consultations.

Mme Hivon : O.K. bon, c'est beau. Il pourra nous le dire. Ça, c'est quelque chose qui est drôle dans nos travaux, mais voilà.

Donc, l'autre chose que vous nous dites beaucoup, c'est la difficulté concrète de remplir la demande, toutes les difficultés terrain. Hier, il y a un groupe aussi qui nous a dit comment c'était difficile, même pour des professionnels, des fois, d'avoir des retours des gens de l'IVAC. Donc, en ce moment, est-ce que les gens de l'IVAC peuvent aider les personnes qui doivent remplir leur demande? Est-ce qu'il y a une aide interne qui est offerte? Est-ce que ça devrait être le cas? Et qu'est-ce que vous voyez, dans le projet de loi, qui va changer concrètement, je dirais, toute la bureaucratie et la lourdeur de ce qu'on vit avec l'IVAC?

Le Président (M. Bachand) : Mme Trent, je vous laisse 10 secondes parce que le temps est déjà écoulé.

Mme Trent (Deborah) : O.K. On ne le voit pas dans l'IVAC, c'est pour ça que j'ai tenu à vous parler de l'application, parce que, dans le projet de loi, on ne voit pas ça. On ne le voit pas, une intention vers la simplification, et il me semble que c'est essentiel. On a reçu une formation d'une personne de l'IVAC, on a fait une demande, elle est venue donner une formation. On avait prévu trois heures avec cette personne-là, elle est restée quatre heures de temps parce que les gens ont tellement de questions, les intervenants ont tellement de questions. Alors, oui...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Trent, de votre participation. C'est très apprécié. Cela dit, la commission suspend ses travaux quelques instants. Mme Trent, encore merci.

(Suspension de la séance à 10 h 23)

(Reprise à 10 h 25)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir M. Daniel Gardner, professeur titulaire à l'Université Laval. M. Gardner, merci d'être avec nous aujourd'hui. Je vous rappelle, vous avez 10 minutes de présentation. Après, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Alors, je vous cède la parole. Merci beaucoup.

M. Daniel Gardner

M. Gardner (Daniel) : Merci à vous. Bonjour, tout le monde, bon matin. Alors, cours en Zoom, conférences en Zoom, on est rendu... ou en Teams, c'est la même chose, hein? Oui, on est rendu aux commissions parlementaires en Teams. Alors, comment va le monde, n'est-ce pas? Alors, on va essayer de rendre ça le plus intéressant pour vous et surtout le plus utile, alors je vais m'en tenir, je vous le promets, aux 10 minutes pour ensuite pouvoir discuter avec vous.

Vous le savez, sinon il faut le savoir, même le régime actuel, là, qu'on veut rénover, est déjà le meilleur régime en Amérique du Nord. Alors, si on se compare juste avec nos provinces limitrophes, Terre-Neuve n'en a pas, le Nouveau-Brunswick et l'Ontario ont des indemnités minimales qui sont prévues, quand elles sont prévues, pour les victimes d'actes criminels. Moi, je suis très fier d'être Québécois là-dessus, pour dire qu'on a le meilleur régime, parce que nous, depuis longtemps, on tient compte de l'aspect solidarité qu'on doit donner aux victimes de coup du sort, les victimes d'actes criminels.

Ce régime-là, donc, qui a presque 50 ans, il a été adopté dans l'urgence, avec la crise d'Octobre, au début des années 70. Puis il faut comprendre qu'à ce moment-là, le seul régime qu'on avait de référence, pour pouvoir indemniser les gens correctement, c'était l'ancienne Loi sur les accidents du travail, une loi qui remontait à 1931 et qui est toujours appliquée, là, au niveau des normes d'indemnisation, aux victimes actuelles d'actes criminels. Et c'est, en partie, ça qui explique pourquoi le régime a si mal vieilli, c'est ce qui explique notamment pourquoi il y a des rentes viagères. En 1931, les hommes, les travailleurs, l'âge moyen de décès, l'espérance de vie, c'était de 65 ans, et il n'y avait pas de supplément de revenu garanti, il n'y avait pas de régime de pension organisé. Donc, c'était normal de fixer une rente viagère pour un travailleur gravement blessé. À 65 ans, il allait être décédé puis il n'y avait rien de l'État pour venir l'aider.

On en est rendu, évidemment, aujourd'hui... le monde a pas mal changé, hein? L'espérance de vie, tant des hommes que des femmes, est au-dessus de 80 ans, il y a des régimes de solidarité, tant au fédéral qu'au Québec, qui existent pour les personnes de plus de 65 ans. Alors, c'est ça qui fait que la rente viagère est si anachronique dans le cadre du régime actuel.

Donc, juste avant que je vous présente, en rafale, quelques bons points et quelques moins bons points, à mon humble avis, du projet de loi n° 84, vous rappeler simplement une chose assez fondamentale, puis je vais y revenir en conclusion, l'État n'est pas responsable des actes criminels qui se produisent sur son territoire. L'État a la responsabilité morale, puis je suis très fier, je le répète, qu'on ait cette responsabilité morale d'aider les victimes d'actes criminels, mais l'État, ce n'est pas lui qui doit indemniser, comme s'il le ferait s'il était responsable de l'acte criminel. C'est aux criminels à le faire.

Alors, quand on comprend ça, on comprend pourquoi on ne peut pas vouloir atteindre les indemnités qui sont données devant les tribunaux ordinaires, on ne peut pas vouloir atteindre les indemnités qui sont données par les compagnies d'assurance publique, les compagnies qui ne sont pas l'État, hein, la Société de l'assurance automobile du Québec puis la CNESST. Il y a zéro financement de la part de l'État, ce n'est pas l'État qui finance ces régimes-là. D'ailleurs, ces régimes-là, ces compagnies d'assurance publique là sont très payantes pour l'État parce qu'elles remboursent les coûts de santé de tous les travailleurs puis de toutes les victimes de la route. On parle de centaines de millions de dollars par année, là, qui sont remboursés à la RAMQ par la SAAQ et la CNESST. Donc, il y a une différence fondamentale entre une compagnie d'assurance publique qui est financée par le créateur du risque, l'automobiliste, l'employeur et un régime de solidarité qui, lui, est financé par les impôts et les taxes de tout le monde. Quand on comprend ça, ça aide à comprendre pourquoi il faut que les régimes soient différents.

Alors, dans le projet de loi n° 84, moi, j'ai remarqué... j'en ai noté une douzaine de bons points. Je n'aurai pas le temps de tous les faire, j'en signale en rafale quelques-uns. L'élargissement de la notion de victime, c'est une très bonne chose. Je sais que les tribunaux avaient commencé à élargir, mais ils tordaient la loi en le faisant. Ce n'est pas ça qui était écrit dans la loi, ce n'est pas ça que le législateur avait en tête en 1972, notamment de viser les victimes par ricochet de manière aussi large, donc c'est très bien qu'on l'élargisse, cette notion-là. Qu'on aligne avec les règles du Code civil sur les délais de prescription, sur les délais pour présenter une demande, c'était quand même extraordinaire qu'on dispose de trois ans minimum dans le Code civil puis seulement un an ou deux dans l'IVAC. Et c'est très bien aussi qu'on ait aligné le régime pour les victimes de violence conjugale et d'agression sexuelle, qu'on rende les règles imprescriptibles. Si c'est imprescriptible contre un responsable potentiel, ça devrait être imprescriptible vis-à-vis l'État également.

L'officialisation de toutes sortes... des mesures de réadaptation, ça existait, ces programmes-là, mais c'était des directives internes. Là, maintenant, c'est dans la loi. Moi, j'aime beaucoup notamment les règles sur la réinsertion professionnelle. Vous savez, depuis 20 ans, la majorité des victimes d'actes criminels ne sont pas au travail au moment où elles sont victimes de l'acte criminel. Alors, que le régime puisse les aider à se réinsérer professionnellement parlant puis qu'il y ait des sommes prévues puis de l'aide prévue pour ça, c'est une excellente chose. Puis d'ailleurs, de manière générale, là, tout ce qui est ce qu'on appelle, nous, les universitaires, de la réparation en nature plutôt que de la réparation en argent, tout ça, c'est du bonbon, à mon avis.

• (10 h 30) •

Je vais... Vous savez que la loi, hein, ça fait 30 ans qu'on essaie de la rénover. Je suis retourné dans les rapports, vous avez peut-être lu le rapport Lemieux, tout ça, j'ai trouvé un truc intéressant dans un rapport qui avait été commandé par le ministre de la Justice en 2001 puis qui a été adopté, donc qui a été rendu public en 2002. Et c'était un comité... je vous lis la conclusion, c'était : «Comité consultatif sur la révision du régime d'indemnisation des personnes victimes d'actes criminels...», donc, les membres du comité disaient qu'ils sont uniques en leur genre. Pourquoi? Parce que son caractère spécifique provient du fait qu'il est principalement composé de personnes victimes ou de proches de personnes victimes d'actes criminels, donc pas des juristes, mais davantage des victimes.

Et qu'est-ce qu'ils disaient au deuxième paragraphe de leur rapport, ces gens-là? Je vous lis la toute petite phrase : «Les besoins d'aide, d'information et de considération surpassent largement, particulièrement dans les jours qui suivent l'agression, le besoin d'indemnisation.» Ne focalisez pas juste l'attention sur l'argent, les mesures d'aide, d'accompagnement pour les victimes d'actes criminels, c'est extrêmement important. Ça, moi, je salue que le projet de loi, il donne davantage de détails sur ce que doivent être ces mesures d'aide là.

Alors, il ne me reste déjà plus beaucoup de temps, donc je voudrais ne pas que lancer des fleurs au projet de loi. Je voudrais quand même vous indiquer, il y a deux choses, moi, qui me chicote, un peu, dans le projet de loi n° 84. La première, ça part d'une bonne intention, il y a une création de ce qu'on appelle une somme forfaitaire, hein, article 30 de la loi, somme forfaitaire pour compenser les souffrances, douleurs, pertes de jouissance de la vie des victimes survivantes puis pour compenser... remplacer les indemnités de décès, là, lorsque la victime de l'acte criminel, elle décède, pour compenser des proches.

Ma critique, bien, elle est simple, c'est que je ne peux pas commenter. Il n'y a absolument rien dans le projet de loi, ça nous renvoie à des règlements, alors, qui ne sont évidemment pas adoptés, alors je ne peux pas savoir est-ce que les normes d'indemnisation vont être correctes. Est-ce que le barème d'indemnisation de ces souffrances-là va être un barème moderne qui va tenir compte des atteintes psychiques ou est-ce qu'au contraire ça va être un barème très anatomique qui ne va pas tenir compte de la réalité des victimes d'actes criminels où le préjudice est souvent plus psychique que physique? Alors, je n'en sais rien. Quels vont être les maximums d'indemnités? Si c'est pour offrir, comme on l'a fait jusqu'en 2013, 2 000 $ pour les parents d'un enfant décédé d'un acte criminel, aussi bien ne rien prévoir, là. Ça puis une claque à la figure, c'est la même chose. Alors donc, on aurait aimé avoir des détails. Désolé, je ne peux pas commenter. L'idée n'est peut-être pas mauvaise, mais le diable est dans les détails, puis on va attendre d'avoir les détails là-dessus.

Mon deuxième commentaire, plus fondamental : l'attachement à l'indemnisation basé sur le revenu, à mon humble avis, est une erreur. C'est pour ça que les gens et les organismes ont tellement de mal à distinguer le régime de l'IVAC avec le régime de l'assurance automobile, le régime des accidents du travail pour les travailleurs. L'État, je le répète, n'est pas responsable de l'acte criminel. Alors, à partir de là, moi, je ne trouve pas que ça soit juste et équitable que quelqu'un qui gagnait plus qu'un autre, au moment où il est victime d'acte criminel, qu'il reçoive plus d'argent de l'État. Parce que, là, on s'entend, ici, l'argent provient de l'État. Moi, là, si je suis victime d'un acte criminel, là, on prend mon salaire, il est topé à peu près à 80 000 $, on me donne 90 % de mon revenu net. Le pire, c'est que j'ai des assurances collectives qui me couvriraient, de toute façon, les conséquences de mon invalidité. Mais là c'est l'État qui prend le relais alors que, je l'ai dit, la majorité des jeunes sont sans emploi, donc c'est 90 % du salaire minimum, puis on veut continuer à compenser sur cette base-là de perte du revenu.

Je le répète, ce n'est pas le rôle de l'État de faire ça. L'État, il doit aider les victimes d'actes criminels à se reprendre en main, à se remettre sur pied. Il n'est pas là pour compenser la perte. C'est le criminel. Tant mieux s'il peut être solvable, mais on le sait comment il ne l'est pas souvent. C'est au criminel à répondre de la perte de revenus. Et ça, tant qu'on va continuer à fonctionner comme ça, bien, les gens vont faire le lien avec : Oui, mais les accidentés de la route, ils ont beaucoup plus. Bien, c'est sûr, vous voulez compenser à partir de la même norme, 90 % du revenu net.

Puis pourtant les exemples, ils existent au Québec. Deux exemples. Le supplément pour enfant handicapé, quel bel exemple, ça. Vous êtes parent d'un enfant handicapé, vous avez le droit à un montant par mois, mensuel, qui ne tient pas compte du type de handicap de l'enfant, qui ne tient pas compte du salaire des parents. Solidarité, on veut aider, on veut reconnaître qu'élever un enfant handicapé, ça coûte plus cher. L'État donne un montant indépendamment du revenu. Deuxième exemple, au fédéral, la CPU. La CPU, là, c'était quoi? Qu'on gagnait 1 500 $ par mois ou 3 500 $ par mois, c'est le même montant de 2 000 $ qui a été versé. Pourquoi? Parce que l'idée, ce n'était pas de compenser le revenu réel, c'était, l'idée, reconnaître solidairement que l'État doit aider les personnes.

Alors, je m'arrête là. Il y aurait du chemin à faire là-dessus, sur cette idée de compenser davantage en reconnaissant une aide qui soit plus égalitaire, équitable que la compensation sur la perte du revenu. Mais, je le répète, je veux être utile, donc je ferme mon micro pour l'instant puis je suis tout ouïe pour vos questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Pr Gardner. Nous passons à la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Pr Gardner. Merci de participer aux travaux de la commission.

D'entrée de jeu, relativement au fait que vous dites : Ce n'est pas la faute de l'État, un acte criminel... Et là vous nous invitez à dire : Bien, c'est le criminel qui a commis l'infraction, donc c'est lui qui est responsable. Là, dans le projet de loi, ce que j'ai mis, j'ai mis une disposition qui fait en sorte que ça va nous inciter à poursuivre... dans le fond, un coup que l'indemnisation va être donnée, je vais pouvoir aller récupérer les sommes directement à l'endroit de la personne fautive, puis j'ai l'intention de l'utiliser. C'était possible de le faire dans le passé par voie subrogatoire, sauf que ce n'était pas utilisé. Donc, je vais l'utiliser par le biais de l'article 91. Qu'est-ce que vous en pensez de ça?

M. Gardner (Daniel) : Vous savez, c'est depuis 1987 qu'il n'était plus utilisé, le recours subrogatoire, tout simplement parce qu'au ministère de la Justice on avait fait des études... bien, pas des études, une analyse assez courte, puis on perdait plus d'argent à poursuivre qu'à ramasser l'argent des criminels. Ce qui a changé depuis 1987, c'est que le criminel type, ce n'est plus le braqueur de banque comme dans les années 70, c'est quelqu'un qui, souvent, a un travail, c'est un proche de la victime, c'est le conjoint, c'est le père.

Donc, moi, ça fait longtemps que je dis qu'on devrait non pas penser, dans tous les cas, vouloir récupérer l'argent, mais certainement ne pas se fermer la porte comme on le fait depuis 1987. Puis, vous savez, dans tous les régimes intéressants qui existent à travers le monde, là, en Europe, il y a ces recours subrogatoires qui sont exercés. Ça ne donne pas... ce n'est pas avec ça que vous allez financer le régime, on s'entend bien, là, mais que vous récupériez 10 %, 20 % des sommes investies, ça serait déjà beaucoup. Donc, moi, je suis favorable à ça, puisque c'est au criminel, effectivement, de payer pour les conséquences de son acte, évidemment, lorsqu'il en a les moyens.

M. Jolin-Barrette : O.K. Tout à l'heure, vous avez abordé le fait relativement au montant forfaitaire, que ça va être par voie réglementaire. Effectivement, ça va être par voie réglementaire. Pour vous renseigner, j'ai l'intention d'y aller vers les sommes qui sont similaires au régime de la SAAQ, avec des adaptations bonifiées aussi. C'est sûr que moi, mon souhait, c'est de déposer le projet de loi puis de travailler en même temps sur les règlements, parce que je veux faire en sorte d'élargir le nombre de victimes et surtout le soutien. Donc, c'est sûr qu'on y va par étapes, mais l'idée est de faire en sorte d'avoir l'assise législative, justement, pour faire en sorte qu'on puisse changer le régime le plus rapidement possible, au bénéfice des victimes. Donc, c'est pour ça que ça ne se retrouve pas dans le projet de loi actuellement.

M. Gardner (Daniel) : Juste un commentaire là-dessus, c'est très bien que vous choisissez... que vous choisissiez, pardon, le barème d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile plutôt que celui des accidents du travail. Celui des accidents du travail, il est beaucoup plus vieillot, il est très anatomique, il tient moins compte des conséquences psychiques. Celui de la Loi sur l'assurance automobile est beaucoup plus moderne, tient plus compte des conséquences psychiques. Ça va certainement mieux répondre aux besoins des victimes.

C'est quand même... vous ne vendez pas beaucoup votre projet avec ça, parce que c'est quand même une avancée majeure, là. Ça n'existait pas dans le régime actuel, là, d'indemniser les souffrances, douleurs, pertes de jouissance de la vie, là. Alors, c'est quand même une avancée majeure puis, si vous allez chercher ce qui se fait dans la Loi sur l'assurance automobile, c'est beaucoup d'argent, là, qui est en jeu ici.

M. Jolin-Barrette : Effectivement, puis on a rajouté 200 millions aussi pour les cinq prochaines années, pour mettre à niveau le régime. Puis vous le disiez aussi, c'est le régime déjà le plus généreux au Canada, par rapport aux autres provinces canadiennes. Et on a eu quelques critiques, là, sur la question des rentes viagères, l'abolition des rentes viagères. Vous, vous dites : Écoutez, là, ça n'a plus sa place, les rentes viagères, dans un régime d'indemnisation comme celui-ci, là.

• (10 h 40) •

M. Gardner (Daniel) : Quand on comprend d'où c'est venu puis on comprend pourquoi c'est le seul régime... bien, celui des victimes d'actes de civisme également, là, c'est le même régime qui s'applique, mais c'est pourquoi... C'est le seul régime que je connaisse, moi, même, non pas seulement au Québec, mais au Canada, où on indemnise, on compense une perte de revenus sur une base viagère puisqu'évidemment les victimes ne travaillent pas, pour l'immense majorité, heureusement d'ailleurs, jusqu'à la veille de leur décès.

Donc, l'idée, c'est de trouver une façon de compenser jusqu'à une date prévisible de la retraite pour... C'est ce que font les régimes d'accidents d'automobile, d'accidents du travail. C'est ce que font les tribunaux ordinaires, hein? Vous êtes victime d'un accident de ski, on ne va pas vous donner votre perte de salaire jusqu'à la fin de vos jours. On va essayer de déterminer une date de retraite, quelque part entre 60, 65 ans puis, pour la suite, d'avoir un équivalent de ce qui existe déjà pour ces victimes-là avec le supplément du revenu garanti. Je vous signale, en partie, que vous travaillez pour le fédéral, là, présentement, parce que c'est le fédéral qui devrait payer le supplément du revenu garanti, alors que, là, c'est le Québec qui paie ces rentes viagères là aux victimes d'actes criminels.

Alors, en logique, en logique mathématique, moi, je ne vois pas comment on peut soutenir qu'il faille compenser la perte de revenus jusqu'au moment du décès. On peut être en désaccord sur le fait qu'on ne compense pas assez, ça, je veux bien, mais jusqu'au moment du décès, là, c'est là, à mon avis, qu'il y a un problème. Donc, c'est bien que vous vous attaquiez à la règle. Vous savez que ça fait longtemps, hein? Tous les projets depuis 30 ans, c'est la question qui est toujours posée, parce que c'est ce qui coûte le plus cher à l'État et c'est ce qui va coûter, de plus en plus, le plus cher à l'État, parce que, là, toutes les rentes continuent à s'accumuler depuis 50 ans. Alors, évidemment, le nombre de victimes indemnisées augmente chaque année.

M. Jolin-Barrette : On a eu une certaine critique, depuis le début des consultations, relativement au fait qu'on vient restreindre la rente temporaire, donc, en cas d'incapacité. Donc, maintenant, pour une victime qui subit l'infraction, il y a une possibilité de trois ans plus deux ans. Donc, maintenant on vient la limiter à l'intérieur de cinq ans. Qu'est-ce que vous pensez de ça? Oh! je ne vous entends pas.

Le Président (M. Bachand) : Woups! M. Gardner, votre micro.

M. Gardner (Daniel) : J'ai oublié mon micro, c'est la première fois. Quand même pas pire, hein, après quatre fois, là? Tu sais, on le fait tous, hein, vous le savez.

Alors... et là j'en ai perdu mon idée. Oui, ce que je voulais vous dire, c'est que, dans un monde idéal, l'État, il compenserait adéquatement toutes les victimes d'un coup du sort. Or, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Moi, quand j'entends dire que ce serait la justice sociale que les victimes d'actes criminels soient compensées comme les victimes de la route, bien, j'ai envie de dire : Oui, mais, tant qu'à ça, si on veut aller jusqu'au bout dans la justice sociale, toutes les victimes d'un coup du sort devraient être indemnisées comme les victimes de la route.

Alors, j'ai un handicap de naissance, moi, je suis une personne handicapée qui ne peut pas travailler, ce n'est pas ma faute à moi, ce n'est pas la faute de l'État non plus, mais pourquoi l'État ne me compenserait pas, moi? Handicap dû à un acte criminel ou handicap dû à la naissance, moi, je ne vois pas la logique, en termes de justice sociale, qui fasse que je ne doive pas... compensé. Je suis un enfant, moi, qui n'a pas eu accès au système scolaire parce que mes enfants étaient trop... mes parents étaient trop fous pour m'envoyer à l'école ou parce qu'ils faisaient partie d'une secte. Donc, je n'ai pas accès à un bon revenu. Bien, la justice sociale demanderait que l'État me compense.

Comprenez-vous où je veux en venir? C'est qu'à un moment donné il y a une capacité de payer de l'État. Ce n'est pas moi qui vais la déterminer. C'est à vous, les politiciens, de la déterminer. Il y a une capacité de payer de l'État puis il faut s'assurer que le programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels soit équitable non seulement entre les diverses victimes d'actes criminels, puis là c'est là que je vous ai dit que l'indemnisation basée sur la perte de revenus, à mon avis, n'est pas équitable entre victimes d'actes criminels, mais il faut aussi qu'elle soit équitable à l'égard des autres victimes de coup du sort au Québec.

Bien, je ne sais pas si l'Office des personnes handicapées intervient dans le cadre de ce projet de loi là, mais eux, ils vont certainement vous dire que c'est très bien d'indemniser les victimes d'actes criminels, mais il y en a d'autres, des victimes laissées pour compte, qui n'ont pas le droit à aucune indemnité pour remplacement du revenu. Alors, il faut faire attention puis jauger de tout ça pour éviter qu'à un moment donné vous donniez tellement à un que les autres puissent dire : Oui, mais là, en comparaison, ça n'a plus de sens.

M. Jolin-Barrette : Donc, vous nous invitez à avoir un certain équilibre.

M. Gardner, je vous remercie et je vais céder la parole à des collègues qui ont des questions, mais un grand merci pour votre présence en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Chapleau, vous avez la parole.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Pr Gardner. Merci de votre témoignage.

Peut-être une petite question, là, que j'aimerais aborder avec vous, notamment en lien avec toute la question, là, de la reconnaissance des crimes hors Québec. Donc, c'est un volet, là, dans le projet de loi, vous ne l'avez pas nécessairement abordé, peut-être que vous avez une opinion sur cette question-là. Qu'est-ce que vous en pensez de cet ajout-là?

M. Gardner (Daniel) : On a, je l'ai dit, le meilleur régime en Amérique du Nord à l'heure actuelle. On a un des meilleurs régimes au monde puis on est en train de rejoindre, avec ça, les meilleurs régimes au monde sur cet aspect-là. Le régime français, qui est un régime extrêmement généreux... parce que lui, il est financé pour les victimes de terrorisme, là. C'est pour ça qu'on accepte tant de le financer. Bien, le régime français, il couvre le Français partout dans le monde, peu importe où le crime a été commis. Alors, il arrive...

M. Lévesque (Chapleau) : ...

M. Gardner (Daniel) : Donc, c'est un ajout, et je pense que les paramètres qui ont été mis dans le projet de loi, là, de s'assurer que la personne soit une résidente permanente et non pas un touriste ou quelqu'un qui était peu à passer longtemps chez nous, bien, je pense que ça garantit... Ça va augmenter les coûts du régime, mais mettez-vous à la place, là... Il y avait, chaque année, quelques dizaines de demandes qui étaient rejetées, parce que les gens, ils ne font pas la différence, eux. J'ai été victime d'un crime, alors, que j'aie été victime d'un crime en Floride, parce que je suis snowbird, ou au Québec, j'ai été victime d'un crime. Alors, à partir du moment où c'est un citoyen québécois, je trouve normal de le couvrir.

M. Lévesque (Chapleau) : Ah! O.K. Puis là vous m'avez ouvert une porte, là, vous avez fait du droit comparé. J'ai vu que vous avez étudié certains autres régimes. Est-ce qu'il y a certains éléments qui seraient intéressants à regarder dans d'autres régimes dont vous aimeriez nous faire part, notamment sur les Français ou d'autres à travers le monde?

M. Gardner (Daniel) : C'est ça, bien, le régime néo-zélandais, qui est un modèle du genre, beaucoup d'aide à la... de réparation en nature, beaucoup de mesures de réadaptation, d'écoute, d'assistance. Puis ça, là, les victimes le disent, là : Quand on s'occupe de moi dès le début, puis qu'on ne me lâche pas, puis qu'on m'assiste, puis qu'il y a des choses qui me sont payées, tu sais, que je m'en vais à la pharmacie puis que je n'ai pas à payer pour mes médicaments, puis que je m'en vais chez le physio puis que c'est déjà prépayé, c'est tellement vu, ça, comme étant quelque chose de positif. Alors, le régime néo-zélandais, c'est un leader, là-dessus, mondial. Ils sont très forts.            Maintenant, il faut faire attention avec les comparaisons parce que ça dépend toujours. Le régime français est réputé très, très généreux, oui, mais attention, le régime français, il ne compense pas les petits actes criminels. Si vous n'avez pas une incapacité d'au moins un mois, vous n'êtes pas indemnisé. Si vous avez commis la moindre faute, la moindre conduite déraisonnable, vous êtes Français, on coupe votre indemnité. Chez nous, là, c'est seulement des cas très, très rares, la faute lourde, là.

Donc, tu sais, il faut toujours faire attention à ne pas comparer juste l'argent avec l'argent. Il faut tenir compte aussi, je l'ai mentionné d'entrée de jeu, le régime français, c'est un régime qui... Pourquoi il continue à être financé de cette manière-là? C'est parce que la population n'accepterait pas que les victimes d'actes de terrorisme ne soient pas indemnisées. Ce n'est pas tant les victimes d'infractions ordinaires, c'est les victimes d'actes terroristes qui font que le régime... Vous savez que chaque Français, pour chaque contrat d'assurance qu'il a sur son auto, sa maison, sa maison de campagne, son bateau, paie une taxe de 5,70 € par année.

M. Lévesque (Chapleau) : Pour le terrorisme?

M. Gardner (Daniel) : Pour financer le terrorisme.

M. Lévesque (Chapleau) : Pas financer le terrorisme, mais du moins assurer un acte...

M. Gardner (Daniel) : Oui. Bien, c'est ça, oui, pas favoriser les terroristes, voilà, mais pour indemniser les victimes de terrorisme, parce qu'évidemment ça coûte très cher. Alors, essayer de mettre ça en place ici, au Québec, je ne suis pas certain que ça fonctionnerait.

M. Lévesque (Chapleau) : Je comprends. Puis l'équilibre dont vous avez fait mention en lien avec la Nouvelle-Zélande, est-ce que c'est... ils s'éloignent un peu de sommes forfaitaires pour payer davantage de services professionnels, donc c'est 50-50 ou est-ce qu'il y a des rentes là-bas? Comment ça se passe?

M. Gardner (Daniel) : Oui, il y a des rentes, mais ce n'est pas 90 % du revenu, c'est 80 % du revenu. Vous voyez, déjà, il y a une différence. Eux, ils indemnisent tous les accidents, peu importe le type d'accident, accident de ski à la maison, acte criminel d'automobile, du travail. C'est un régime complet de «no fault». Donc là, bien, ils ont été obligés de réduire en partie les indemnités...

M. Lévesque (Chapleau) : Les montants.

M. Gardner (Daniel) : C'est ça, les montants, notamment pour les souffrances, douleurs, pertes de jouissance de la vie. C'est à peu près deux fois et demie moins élevé que ce qu'on donne au Québec à nos victimes de la route. Donc, tu sais, il y a plus de... eux, ils considèrent qu'il y a plus de justice sociale, c'est plus réparti, les montants. Nous, on est à côté des États-Unis, on est à côté des provinces anglo-saxonnes, on est habitués aux montants plus élevés. Donc, il faut faire attention pour ne pas avoir un régime qui est trop bas et qui, là... où les victimes diraient : Bien, nous, on ne veut pas de ce régime-là, on préfère aller devant les tribunaux.

M. Lévesque (Chapleau) : Ah! O.K., je comprends. Vous avez parlé également, là, d'entrée de jeu, en lien avec les infractions, l'ajout... c'est un des points positifs que vous nous avez mentionnés, l'ajout de nombreuses infractions, parce que, bon, il y avait une liste qui était assez restrictive auparavant d'infractions admissibles. Et là vous me dites, bon, dans certains pays, il y en a plusieurs qui sont... presque tout peut être admissible.

Est-ce qu'il y aurait certaines infractions, certains actes ou gestes... parce qu'hier il y avait certains groupes qui nous disaient, là, le harcèlement en milieu de travail, le harcèlement sexuel, qui ne sont pas nécessairement des infractions criminelles, mais qui pourraient être ajoutés dans la liste d'actes. Est-ce que c'est des éléments qui vous semblent intéressants à analyser? Et est-ce qu'il y aurait d'autres points que vous ajouteriez?

M. Gardner (Daniel) : Déjà, le régime, même à l'heure actuelle, il visait la plupart des... la grande majorité des actes criminels qui entraînent un préjudice corporel, une atteinte à l'intégrité physique et psychique. L'exception de base, puis je suis d'accord là-dessus, le harcèlement sexuel, qui n'est pas pas un acte criminel en soi. Donc, que le harcèlement sexuel puisse être dorénavant visé, ce serait une bonne chose.

Le harcèlement psychologique au travail, il faut faire attention, il y a un régime d'indemnisation déjà pour ça. Si vous êtes victime de harcèlement psychologique au travail puis que vous êtes en arrêt de travail, c'est la CNESST qui va vous compenser. Alors, moi, je verrais... Ce serait normal. C'est l'employeur qui a toléré le milieu de travail toxique, ça fait que c'est à l'employeur à payer avec ses cotisations pour les victimes du harcèlement. Moi, je ne verrais pas que l'État doive prendre le relais là-dessus.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait. Merci. Moi, ça compléterait. Je crois que la collègue de Les Plaines, M. le Président, aurait des questions. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, il reste deux minutes pour questions et réponses.

Mme Lecours (Les Plaines) : Deux minutes. Merci beaucoup, M. le Président. Pr Gardner, bien enchantée de pouvoir vous parler. Merci de vos clarifications, vos prises de position et vos commentaires sur le projet de loi.

Rapidement, parce que j'ai peu de temps, évidemment, l'abolition de la liste des infractions visées ouvre la porte, et c'est bien, c'était une des voies que nous voulions, aux victimes d'exploitation sexuelle des mineurs, en l'occurrence. Est-ce que, justement, cet apport-là... j'imagine que vous la trouvez importante et intéressante, mais est-ce que, dans le reste du projet de loi, on répond suffisamment à ce type de victime là?

• (10 h 50) •

M. Gardner (Daniel) : Moi, j'en suis à me demander s'il ne devrait pas y avoir un sous-régime pour les victimes de violence sexuelle et conjugale, parce que c'est tellement des victimes à part par rapport aux victimes de voies de fait puis d'autres crimes. Ils ont tellement des besoins particuliers. Moi, en tout cas, j'aurais... je réfléchirais en termes d'une section particulière dans la loi pour reconnaître leurs particularismes puis le besoin qu'ils ont, notamment, là, pour l'aide, l'écoute, tout ça. Il y a déjà des choses intéressantes, là, l'article 6 sur l'accompagnement dans le processus criminel, tout ça. Il y a des choses intéressantes là-dedans, mais je...

C'est tellement ça qui amène... D'ailleurs, vous allez voir, les groupes d'intervention, ce n'est pas les victimes de voies de fait qui interviennent, là, c'est des victimes de préjudices d'ordre sexuel, de violence conjugale à la maison. C'est sur eux autres qu'il faut focaliser notre attention. C'est elles qui ont parfois l'impression qu'elles ne sont pas correctement entendues, bien indemnisées, même si les choses, là, s'améliorent. La division de la CNESST, là, tu sais, ils font mieux qu'ils le faisaient avant.

Mais donc, c'est ça, oui, les reconnaître, ça, tout à fait d'accord, l'exploitation sexuelle notamment. Mais c'est ça, là, il faudrait réfléchir à un régime dans le régime, finalement, parce que c'est des victimes à part.

Mme Lecours (Les Plaines) : Donc, une sous-section qu'on traiterait notamment de ça, là, leurs besoins particuliers, même si on parle de programme d'urgence dans le projet de loi, mais leurs besoins particuliers à ce type de violence là. Et est-ce qu'au niveau...

J'imagine que mon temps est terminé. Écoutez, merci beaucoup, M. Gardner de vos éclaircissements.

M. Gardner (Daniel) : Désolé d'avoir été trop long.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Il n'y a pas de souci, on est parfait sur le temps. Alors, M. le député de LaFontaine, vous avez la parole, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bien, bienvenue. Merci, M. Gardner, d'être avec nous.

Et j'aimerais vous donner le temps, justement, d'expliciter l'idée que vous étiez en train d'avancer sur le régime particulier pour violence conjugale, violence sexuelle, régime particulier parce qu'il y a des besoins particuliers en termes de consultation, d'aide psychologique, et aussi, j'imagine, régime particulier en termes d'urgence de la situation, d'aide d'urgence. Je ne sais pas si vous pouvez étayer, puis est-ce qu'il y a des pans que je n'ai pas mentionnés aussi, là?

M. Gardner (Daniel) : Bien, déjà là, d'enlever le délai de prescription applicable pour ces victimes-là, là, bien, ça va faire que, dès qu'ils se présentent, tout de suite, on les prend en charge. Là, il n'y a plus de question de commencer à faire l'analyse du dossier pour voir : Est-ce que ça fait moins de deux ans que la victime a été victime de ces violences-là? Donc, déjà là, l'écoute immédiate, déjà, ça va faire un bien énorme que ces victimes-là soient reçues puis qu'elles n'aient pas à rien démontrer pour prouver qu'elles ont bien été victimes, qu'on dise, au départ : On vous écoute. Puis qu'il y ait de l'argent qui puisse être déposé... dépensé non pas en indemnité immédiate, mais, au moins, en soins immédiats, en écoute immédiate... tu sais, on ne sait pas encore c'est quoi, ton niveau de préjudice psychique, mais soins, suivi psychologique immédiatement, oui. Puis les victimes, c'est ça qu'elles attendent. C'est ça qui fait le succès de notre régime d'assurance automobile. C'est pour ça que les gens ne veulent pas retourner à l'époque des procès, c'est parce qu'ils sont pris en charge immédiatement.

Ça fait que tout ce qui fait que, tout de suite, ils seraient mis sur un «fast track» puis que, tout de suite, on les prend en charge... Moi, je verrais fort bien une sous-division au niveau de la CNESST. Ils le font d'ailleurs peut-être déjà, ils ont peut-être des agents d'indem qui sont spécialisés pour les victimes d'infractions d'ordre sexuel puis qui sont plus aptes à entendre puis à leur apporter de l'aide immédiatement. De l'officialiser, je pense que ce serait de montrer que ce n'est pas des victimes comme les autres.

Vous savez, là, c'est ça, être victime de violence conjugale ou sexuelle. Tu sais, tu es doublement perdant, parce que, premièrement, tu le sais que la personne, l'auteur l'a fait intentionnellement, puis, deuxièmement, c'est quelqu'un que tu connais en plus. Alors, c'est la pire des situations. Il faut leur reconnaître des droits particuliers ici.

M. Tanguay : Et, dans bien des cas aussi, par définition, ça vous impose le fait de déménager, de quitter, de sortir de cette relation toxique là versus un acte criminel dont vous êtes victime commis par un tiers que vous ne reverrez plus jamais. Et là il y a toute une... à récupérer, à reprendre. Ça, ça veut dire l'aide, on en parlait avec des intervenantes, au niveau du logement, réinsertion, et ainsi de suite. Alors, ce n'est pas la petite affaire, là, c'est reprendre en main sa vie puis, à quelque part, de repartir à zéro, jusqu'à un certain point.

Et d'ailleurs, socialement, bien, vous nous invitez à réfléchir pour faire un pas encore plus loin. Entre autres, au DPCP, on salue le fait qu'il y a des procureurs qui sont spécialisés dans des dossiers, justement, de violence à caractère sexuel. Bien, il y a peut-être là une approche différenciée aussi qui mériterait d'être complétée.

Vous avez abordé, puis je voulais en parler avec le peu de temps qu'on a, l'article 16, la prescription. Hier, on a entendu les juristes progressistes qui disaient, à l'article 16 du projet de loi... pardon, l'article 20, projet de loi, la prescription. Il y a différents aspects... puis c'est bon parce que vous participez de la réflexion sur la philosophie derrière les lois, là. Prescription, c'est pour essentiellement trois choses : stabilité des patrimoines, relations juridiques le dépérissement de la preuve puis sanctionner la négligence des créanciers. Est-ce que, dans une telle loi, la prescription pourrait être, selon vous, selon votre réflexion, complètement mise de côté, que ce soit imprescriptible?

M. Gardner (Daniel) : Pour tous les actes criminels, ce serait une nouveauté mondiale. Je ne connais aucun régime ni de droit civil ni de common law qui a rendu imprescriptibles toutes les infractions criminelles. Ça créerait, à mon avis, des attentes démesurées chez les victimes, parce qu'il reste qu'il faut quand même que la victime fasse une preuve minimale qu'elle a été victime d'un acte criminel il y a 20, 30, 40 ans.

Ça va, je vais employer un mot qui semble terrible, ça va relativement bien pour les victimes de violence sexuelle, parce que ça paraît, on est capables d'avoir objectivement un rapport psychiatrique qui démontre comment elles ont été atteintes. Les victimes de voies de fait à la sortie d'un bar, il y a 20 ans, pas certain que... et ça va créer des attentes peut-être démesurées parce que... en tout cas, à moins que vous vouliez ouvrir une porte qui vous coûterait extrêmement cher, il ne faudrait pas, à ce moment-là, que l'aide soit rétroactive. On ne pourrait pas dire : L'indemnité de remplacement du revenu ou toute indemnité que vous allez déterminer, que, ah, bien, l'acte s'est produit il y a 20 ans, bien, voilà, on retourne 20 ans en arrière puis on vous verse l'indemnité.

Alors, si on n'agit qu'à partir du moment où la personne dépose sa demande, ce qui serait... en toute logique, là, ce qui devrait être fait, bien là, pour certaines victimes, ils vont considérer que... malgré tout, même si vous avez voulu tellement les aider, ils vont se considérer : Oui, mais vous n'avez pas reconnu que, depuis 20 ans, je vis ça, moi. Alors...

M. Tanguay : O.K. Je trouve ça intéressant. Donc, la... si d'aventure on allait vers l'imprescriptibilité, comme solution de repli... parce qu'évidemment ils ont de la suite dans les idées, l'Association des juristes progressistes allait chercher le début de 2926.1, le fameux article sur la prescription : «L'acte en réparation d'un préjudice corporel résultant d'un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par 10 ans.» Donc, s'il n'y a pas la majeure imprescriptibilité, seriez-vous plus ouvert avec la prescription «préjudice corporel», «infraction criminelle» de 10 ans?

M. Gardner (Daniel) : Il y a une logique de base, à mon avis, qui fasse que l'État, et c'est ça qui ne marchait pas dans le régime actuel, l'État ne pouvait pas se cacher derrière un délai plus court pour demander une indemnité que ne le fait un responsable devant les tribunaux ordinaires. Alors, déjà, d'égaliser, c'est le minimum qu'on devait faire.

Si on va plus loin, et je... donc, dans ma logique, il serait plus acceptable que ce soit l'État qui assume, comment dire, le coût de ça, hein, le fait que ça soit imprévisible, le nombre de demandes, que les particuliers, que les héritiers des particuliers ayant commis un acte criminel, parce qu'un jour ça va bien arriver, ça. Avec l'imprescriptibilité en droit commun, bien, ce n'est pas tant le criminel qui va en répondre que ses héritiers, qui vont l'apprendre après son décès, d'ailleurs. Donc, l'État, lui, il est capable, parce que ce n'est pas vous qui répondez personnellement, c'est l'État. Donc, je ne jetterai pas de hauts cris si on portait la règle à 10 ans.

Dans mon ouvrage sur le préjudice corporel, je propose d'ailleurs que... Le droit français, c'est 10 ans pour tous les cas de préjudices corporels devant les tribunaux ordinaires, puis c'est ce que je propose, moi, dans mon livre, pour tous les types d'accidents. Je ne peux pas aller à l'encontre de ce que j'écris, n'est-ce pas?

M. Tanguay : Ah! c'est bon. Et, en plus, la nature du projet de loi no° 84 et l'analogie ou l'extension que l'on pourrait faire est quasi parfaite, parce qu'on parle de préjudice corporel pour un acte pouvant constituer une infraction criminelle. Alors là, philosophiquement, là, on est en lien pas mal là-dessus.

Autre élément, le temps nous bouscule, 20 dit «l'impossibilité d'agir». Les juristes progressistes nous proposeraient «pour motif valable». Donc, l'incapacité d'avoir soulevé ça, quel est votre positionnement sur cela?

• (11 heures) •

M. Gardner (Daniel) : Oui. Je suis contre, et ils ne m'aimeront pas quand je vais dire ça. Toute règle de droit aussi imprécise que la notion de l'impossibilité d'agir, elle le devient encore plus quand on multiplie les termes employés. Alors, retournez dans la Loi sur l'assurance automobile, ça fait trois fois qu'on change d'idée. Ça a commencé par être des «circonstances exceptionnelles», des «circonstances particulières», de «l'impossibilité en fait d'agir». Puis, à chaque fois, bien, ça crée des termes que les tribunaux doivent interpréter puis en se disant : Le législateur n'écrivant pas pour ne rien dire, qu'est-ce qui voulait dire, en ne parlant pas d'«impossibilité en fait d'agir»? Puis là, bien, on se lance dans l'incertitude juridique, et ça, ça prend du temps avant que ça soit réglé, puis je ne suis pas sûr qu'on rende tant service.

Moi, je trouve que la règle qui dit, là, «impossibilité en fait d'agir», oui, mais le délai court à partir de la connaissance du lien que vous faites avec l'infraction criminelle. Bon, dans la majorité des cas, on n'a même plus besoin de cette règle d'«impossibilité, en fait, d'agir». C'est : Je n'ai pas pu faire le lien immédiatement entre les agressions sexuelles que j'ai subies et le fait que, maintenant, je ne sois pas fonctionnel dans la société. Bien, c'est venu quand j'ai consulté un psy, cinq ans après l'infraction. Bien, c'est là que le délai commence à courir. Donc, je n'ai pas besoin d'«impossibilité, en fait, d'agir», là, à ce moment-là. Tout est sur le point de départ.

M. Tanguay : Merci. Merci beaucoup. Deux questions rapides. L'article 16, qui commence par : «Aucune personne victime n'a droit à une aide financière en vertu du présent titre si...» et là on défile, sur une page et demie, les exceptions, donc c'est-à-dire les éléments où on ne pourra pas avoir d'aide financière, on nous a dit : Cet article-là est difficile de compréhension, touffu. Comment va-t-il être interprété? Vous, quelle est votre lecture de l'article 16 sur sa rédaction globale, là, son économie? Trouvez-vous que ça tient la route tel que rédigé?

M. Gardner (Daniel) : O.K. Alors là, je vais faire semblant que je m'en souviens bien du texte de l'article 16. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'il faut... et ce n'est pas le cas. Alors, ce qu'il faut faire, c'est absolument qu'il y ait des alinéas particuliers pour bien définir quand est-ce que le régime passe avant et quand est-ce que qui passe après. Puis il y a des choses fondamentales. Il faut qu'on envoie les victimes d'accident... d'actes criminels au travail. Il faut qu'on les envoie à la CNESST, division accidents du travail. Il faut qu'on envoie les victimes, victimes de ce qu'on appelle les criminels de la route, à la Société de l'assurance automobile. Il doit y avoir une règle de premier payeur, là, qui s'applique, là. Le régime le plus particulier, il doit répondre.

Le régime dont on est en train de discuter, le projet de loi n° 84, c'est un régime de solidarité qui doit être là en repli. Ça pourrait même aller, à mon avis, jusqu'à empêcher les assureurs privés de mettre la clause usuelle qu'ils ont dans leur contrat d'assurance, qu'ils disent : Tu as une assurance invalidité, tu nous paies une prime de tant par année, oui, mais, si tu touches une indemnisation de l'IVAC, nous autres, on arrête de te payer.

M. Tanguay : Bien, on le voit, dans le domaine des assurances, ça se fait déjà, là...

M. Gardner (Daniel) : Ça s'explique pour les accidents d'automobile, parce que c'est un régime d'assurance, l'assurance automobile, mais ça ne s'explique pas pour la LIVAC, parce que l'assureur au Québec, là, il fait plus d'argent que l'assureur ontarien là-dessus, là.

M. Tanguay : Dernière question, M. Gardner, puis je vous remercie, parce que je n'aurai pas le temps de le faire. Somme forfaitaire, des normes d'indemnisation, des barèmes, avez-vous un exemple, à l'étranger ou ailleurs dans une autre province, où il y avait de telles normes d'indemnisation entre des barèmes, objectifs?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, Pr Gardner, parce que le temps est écoulé.

M. Gardner (Daniel) : Bon, pas rien qui va pouvoir vous intéresser. C'est assez rapide, hein?

M. Tanguay : O.K. C'est clair. Merci, M. Gardner, professeur.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je cède maintenant la parole à la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, M. Gardner. Vous nous amenez sur plein de pistes intéressantes, notamment, en comparant avec d'autres régimes ailleurs dans le monde. Puis j'ai beaucoup apprécié vos propos aussi sur la question de l'accompagnement spécifique, là, qui est nécessaire pour les crimes d'agression sexuelle et conjugale. C'est sûr que le projet de loi, il a été rédigé avant le dépôt du rapport, mais maintenant qu'il est déposé, j'espère bien qu'on va pouvoir s'en inspirer pour améliorer le projet de loi, puis vous nous avez déjà donné des pistes.

Je pense que vous avez parlé de la question de donner plutôt un montant qui serait égal pour tout le monde, qui ne serait pas basé sur le revenu, parce que c'est une prestation de solidarité. Est-ce que, sur cette question-là spécifiquement, vous avez des exemples desquels on devrait s'inspirer?

M. Gardner (Daniel) : Bien, je vous l'ai dit, supplément pour enfant handicapé.

Mme Labrie : Bien, de régimes similaires ailleurs dans le monde.

M. Gardner (Daniel) : Non, pour deux raisons. Premièrement, parce qu'au Québec, on ne s'en rend pas compte, mais on a beaucoup de régimes d'indemnisation particuliers, beaucoup plus que dans la moyenne des pays ailleurs dans le monde, puis ça, c'est la première raison. Donc, il n'y a pas beaucoup d'exemples au départ. Puis la deuxième raison, c'est que, quand on en crée un, on a tendance à toujours vouloir aller chercher un modèle qui existe déjà, puis c'est ça qu'on a fait, nous, par l'IVAC en 1972. Alors donc, on n'a pas tendance à penser en dehors de la boîte, parce qu'on dit : Ah! bien, il existe déjà un régime, on va prendre déjà ce régime-là.

Là où je veux essayer de vous amener, c'est de dire : Oui, mais, s'il n'y a pas de financement au bout du compte, à un moment donné, la capacité de payer de l'État n'est pas infinie, là, tu sais. Il y a 20 ans, le régime, il coûtait 47 millions; voilà 10 ans, il en coûtait 92, puis là il est rendu au-dessus de 150 millions par année. Bien, à un moment donné, il va falloir faire des choix, puis moi, je voudrais que ces choix-là, ils soient équitables. Je ne voudrais pas à en arriver, un jour où on dise : Le régime coûte trop cher, il faut l'abolir. Il y a quelque chose de significatif comme économie qu'on peut faire là. Non, j'aimerais mieux avoir un régime qui soit vendable aux Québécois en disant : Trouvez-vous que c'est logique, équitable qu'on aide, mais qu'on n'aide pas nécessairement les plus riches par rapport aux plus pauvres?

Puis la PCU, là-dessus, là, vous ne trouvez pas qu'elle nous a aidés? Moi, je n'ai pas entendu parler des gens qui disaient : C'est écoeurant, il gagnait juste 1 500 $, puis là on lui donne 2 000 $. Bien oui, il y a une forme de solidarité là-dedans. L'important, c'est que ça ne soit pas à vie, c'est temporaire, qu'il y ait une forme d'égalisation dans le malheur. Je le répète, si je suis victime d'un acte criminel, moi, je ne trouve pas logique d'être plus indemnisé que l'étudiant qui, lui, n'a pas mon revenu, pour le même acte criminel.

Mme Labrie : Surtout que là c'est prévu, dans le projet de loi, que, si la personne n'avait pas de revenu, elle n'a pas accès à cette indemnité-là.

M. Gardner (Daniel) : Bien, elle a accès, si j'ai bien compris, là, sur la base de ce qui existe à l'heure actuelle, 90 % du salaire minimum.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Merci beaucoup. Vraiment très intéressant, beaucoup de suggestions. Vous nous amenez à réfléchir autrement.

Dites-moi, hier, une victime nous expliquait... une victime qui a été, donc, l'objet de violence sexuelle en milieu familial pendant de nombreuses années, ensuite de violence conjugale, puis, en fait, le rétablissement puis les difficultés d'intégration, par exemple, à l'emploi sont vraiment réels. Et donc, dans cette logique-là, l'idée d'une rente, parce qu'il y a des gens qui vont être vraiment longtemps incapables de travailler, apparaissait encore pertinente. Mais je veux bien voir, avez-vous, même dans ces cas-là... vous, vous nous dites : Il faut y aller vers le forfaitaire, mais avec un montant qui tiendrait compte de ces plus grands risques d'avoir plus de possibilités de s'intégrer à l'emploi.

M. Gardner (Daniel) : Oui. Bien, c'est pour ça que j'avais parlé, hein, comment les règles sur la réinsertion professionnelle sont importantes. Et puis, pour moi, ça ne fait pas partie des choses qui sont limitées à trois ans, ça, là. Tout ce qui est aide, réadaptation, aide à la réinsertion, ça, ça ne devrait pas être limité qu'après trois ans, l'État dit : On ne veut plus rien savoir de ça. Les services devraient être permanents. L'aide financière devrait être temporaire, donner le temps à la victime de se replacer puis de l'aider à se remettre sur pied.

Maintenant, je relance mon idée. Si on crée une sous-catégorie pour ces victimes particulièrement affectées, victimes, là, de violence sexuelle et conjugale, faites vos calculs, demandez au Conseil du trésor de voir combien ça coûterait d'avoir un régime qui, lui, serait plus généreux en termes de durée, notamment, pour les indemnisations financières. Mais ne faites pas l'erreur qui a été faite en 1993, quand on a adopté — elle a été adoptée en troisième lecture — la Loi sur l'aide et l'indemnisation des victimes d'actes criminels puis que ça a bloqué au Conseil du trésor. Pourquoi? Parce qu'entre députés, tout le monde s'entendait, des beaux principes, c'est bien beau, mais il faut voir ensuite qu'est-ce que ça coûte. Puis ça ne fonctionnait pas, tout simplement, parce que les indemnités étaient beaucoup trop élevées.    Alors, faites des choix stratégiques puis allez chercher ceux et celles qu'on doit aider davantage. Mais c'est sûr, il faut le dire, dans la loi, clairement, à ce moment-là...

Mme Hivon : Oui, c'est très intéressant. Puis plusieurs nous disaient hier que, de toute façon, c'est la grande majorité des demandes, ça provient des victimes de violence sexuelle et conjugale. C'est pour ça qu'on... beaucoup de groupes qui les représentent aussi.

Une dernière petite question. Hier, il y a un groupe qui nous a dit, puis vu que vous avez l'air d'un spécialiste de tous les régimes, qu'en fait on devrait laisser le choix aux victimes d'aller vers l'IVAC ou vers la LATMP, donc en matière de travail, quand il y a vraiment une question d'agression sexuelle sur les lieux du travail, par exemple, de harcèlement sexuel. Parce que, dans la loi pour le travail, il faut se tourner vers l'employeur pour faire un dévoilement et le dire avant de pouvoir procéder, ce qui peut mener à des situations difficiles. Qu'est-ce que vous pensez de ça?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, Pr Garner, s'il vous plaît.

M. Gardner (Daniel) : Oui. Financièrement parlant, le régime de la LATMP est plus intéressant. Alors, tout tient à qu'est-ce qu'on veut faire. Est-ce que l'idée, c'est de garder les choses secrètes, qu'il y ait une vengeance, puis tout ça? En tout cas, ça a toujours été que les régimes assurantiels financés par le créateur du risque, c'est au créateur du risque à payer pour. Moi, je ne serais pas très chaud avec l'idée que : Ah! bien, dorénavant, ça va être l'État.

Le Président (M. Bachand) : Bien, sur ce, Pr Gardner, merci infiniment de votre participation à la commission, ça a été très intéressant. Sur ce, la commission suspend ses travaux quelques instants. Merci beaucoup.

M. Gardner (Daniel) : Merci tout le monde. Au revoir.

(Suspension de la séance à 11 h 09)

(Reprise à 11 h 10)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît. La commission reprend ses travaux. Ça nous fait plaisir d'accueillir Me Michaël Lessard, docteur en droit à l'Université de Toronto. Alors, Me Lessard, merci d'être avec nous aujourd'hui. Comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation, et, par après, nous allons échanger avec les membres de la commission. Sur ce, la parole est à vous. Merci.

M. Michaël Lessard

M. Lessard (Michaël) : Bonjour. Merci beaucoup de me recevoir. Donc, Michaël Lessard, je suis avocat, doctorant en droit de l'Université de Toronto, comme ça a été dit. Merci beaucoup de l'invitation.

On m'a invité aujourd'hui beaucoup parce que j'ai mené des recherches sur l'admissibilité des victimes à la LIVAC, une recherche que j'ai mise en annexe 3 de mon mémoire. Donc, mes commentaires sur le projet de loi n° 84 vont surtout porter sur une analyse approfondie des décisions publiques de l'IVAC, puis comment est-ce que ça nous donne des enseignements puis des outils pour améliorer le régime d'aide, surtout sur le point de l'admissibilité des victimes, et surtout en ce qui a trait aux victimes de violence sexuelle et de violence conjugale. Donc, il y a plusieurs points, plusieurs suggestions et recommandations pour améliorer le projet de loi dans mon mémoire. Dans mon exposé, je vais me concentrer principalement sur les trois premières, mais évidemment je prends les questions puis demandes d'information sur toutes les autres.

Donc, les trois points, brièvement, c'est celui d'inclure des victimes pour lesquelles l'auteur de l'acte criminel serait déclaré non criminellement responsable. Le deuxième point, c'est celui d'éliminer, au sein de la faute lourde, les préjugés sexistes, et le troisième point, qui est celui de considérer la violence sexuelle au-delà de l'agression sexuelle, donc les trois points que je développe. Le premier point, c'est celui, puis certains autres intervenants, intervenantes l'ont déjà un peu abordé, c'est celui de tenter de dissocier l'aide à la victime de l'état d'esprit de l'agresseur.

Le problème qu'on voit, c'est qu'on a un système d'aide civiliste qui se bâtit sur des concepts criminalistes. Et, en droit criminel, pour avoir une infraction criminelle, il nous faut ce qu'on appelle l'actus reus, donc le geste criminel, et la mens rea, soit l'intention coupable. Mais le problème, c'est qu'on a vu, dans le passé, beaucoup de dossiers où l'IVAC refusait l'aide d'indemnisation à une victime qui a subi une atteinte importante à son intégrité physique, mais tout simplement en disant : Oui, mais l'agresseur n'avait peut-être pas d'intention coupable.

Donc, un exemple un peu plus parlant pour les agressions sexuelles, l'actus reus, c'est trois éléments, c'est l'attouchement, la nature sexuelle du contact puis l'absence de consentement. Donc, une fois qu'on remplit l'actus reus, on a une invasion corporelle importante de la victime. Mais la mens rea, c'est celle d'avoir... c'est-à-dire que l'agresseur ait une intention de contact sexuel sachant que la victime n'a pas consenti, ce qui fait en sorte qu'on voit des dossiers où la victime fige durant l'agression et donc subit l'agression sexuelle, mais l'IVAC va refuser d'indemniser en disant : Mais peut-être que l'agresseur, hypothétiquement, dans un procès criminel, aurait pu dire qu'il ne savait pas que la victime, elle ne consentait pas, et donc on refuse parce que ça ne correspond pas à la définition très stricte d'une infraction criminelle.

Un autre exemple possible, bien, ça serait celui de personnes prostituées par leur proxénète et donc, de peur d'être battues par le proxénète, vont consentir à des actes sexuels avec des clients et donc vont faire semblant de consentir face aux clients, même si, au sens du droit criminel, ce n'est pas un consentement. Eh bien, s'il faut suivre la même logique, l'IVAC dirait : Bon, ces personnes-là, certes, elles subissent l'actus reus d'une agression sexuelle de manière si répétée chaque jour sur plusieurs mois, sur plusieurs années, mais comme le client ne savait pas qu'il n'y avait pas de consentement, à ce moment-là, on refuserait l'indemnisation.

Donc, il y a vraiment un problème à faire... à lier l'aide à des victimes qui, clairement, à mon sens, ont besoin de l'aide de l'État, de l'état d'esprit de l'agresseur. Donc, en ce sens-là, une des recommandations, ce serait de tout simplement faire dépendre l'indemnisation, non pas de l'infraction criminelle au sens large, mais simplement de l'actus reus, donc du geste criminel. Donc, ça, c'est pour le premier point.

Pour le deuxième point, c'est celui par rapport à la faute lourde qui est, en fait, un peu deux sous-points. Premièrement, il semble y avoir peut-être un manquement à l'article 16. L'article 16 prévoit plusieurs exceptions. Donc, l'article 16 dit que, si une personne a contribué à son préjudice en raison de sa faute lourde, elle ne sera pas indemnisée. Puis, pour plusieurs acteurs et actrices, il y a une exception, si elle agit de la sorte en raison de violence ou de menaces, mais cette exception-là n'existe pas pour les victimes, les personnes victimes elles-mêmes, ce qui fait en sorte que le libellé est très curieux.

Puis je comprends que ce n'est sûrement pas l'intention législative, mais le libellé suggère que, si on a, encore une fois, une victime d'agression sexuelle qui se fait empoigner par l'agresseur, qui se fait menacer d'un couteau et qui cesse, par exemple, de se débattre pour conserver sa vie, bien là, on arriverait à un scénario... Le libellé semble suggérer que l'IVAC doit refuser, parce que l'IVAC dit : Ah! bien, l'exception pour les menaces ou l'exception pour la violence ne s'applique pas. Donc, il faudrait étendre l'exception pour les violences et les menaces à tout le monde et surtout aux personnes victimes.

Un deuxième point, c'est que le même type de logique peut s'appliquer de manière un peu plus subtile et pernicieuse dans le contexte de victimes de violence conjugale. Donc, on a vu déjà des dossiers où l'IVAC refusait l'indemnisation en disant que la victime, choisissant de rester avec un conjoint violent, a contribué à ses propres blessures. Et donc on blâme la victime pour, au fond, la violence de son conjoint. Et ça, ça vient nier toute une connaissance qu'on a développée puis une littérature de plus en plus importante sur les mécanismes du cycle de la violence, donc la manipulation que les victimes... dont les victimes peuvent subir. Donc, souvent, on voit que le conjoint commet une violence, s'excuse, dit : Ah! bien, c'est simplement... Je suis simplement esclave de mes impulsions, je ne recommencerai pas. Il recommence, il s'excuse encore une fois. Et donc il y a tout un cycle, un mécanisme de manipulation qui est ignoré lorsque l'IVAC blâme la victime pour être demeurée avec leur conjoint.

Et il y a d'autres moments où ce n'est peut-être pas une manipulation, mais une crainte réelle que quitter le conjoint déclencherait un acte de violence encore plus grand. Puis tristement, l'actualité des derniers mois nous a rappelé que ça peut aller jusqu'à des meurtres. Et donc une victime qui craint pour sa sécurité ou pour celle de ses enfants pourrait, de manière tout à fait raisonnable, rester avec son conjoint, mais il n'y a pas lieu de la blâmer pour ça. En fin de compte, elle essaie de protéger sa sécurité le plus qu'elle peut. Donc, la suggestion, ça serait d'abolir la notion de faute lourde dans le contexte de violence conjugale et de violence sexuelle, une suggestion qu'on a aussi vue dans le rapport Corte-Desrosiers. Puis, selon le rapport, c'est aussi une suggestion que le Barreau proposait quant à l'IVAC.

Et le troisième point, qui est un peu plus court, c'est celui qu'on a vu que les délais de demande étaient supprimés en ce qui a trait aux victimes d'agression à caractère sexuel. Or, quand on se limite à l'agression, on oublie toutes sortes d'autres violences sexuelles qui ne sont pas des agressions au sens du droit criminel, mais qui pourraient... pour lesquelles les victimes pourraient bénéficier d'un délai de demande plus grand. Donc, je pense à une séquestration à des fins sexuelles, mais qui ne se solde pas par une agression, un harcèlement criminel sexuel, publication non consentie d'images intimes, etc. Toutes ces victimes-là pourraient vivre de la honte, un manque de soutien, une peur de représailles, et qui feraient en sorte qu'il me semble que, moralement, on devrait leur permettre aussi de bénéficier d'un délai de demande qui soit plus long ou, dans le cas qui nous occupe, soit supprimé.

Donc, on pourrait remplacer la notion d'agression par simplement celle de violence à caractère sexuel. Et je crois que, pour bien aider les victimes, on pourrait aussi rapporter ce changement-là à l'article 2926.1 du Code civil qui porte sur l'imprescriptibilité des actions civiles dans le contexte... d'actions civiles dues à des gestes criminels. Donc, c'est ce qui complète brièvement pour mon exposé, puis j'ai bien hâte d'entendre vos questions et interventions.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Me Lessard. Je cède maintenant la parole au ministre. M. le ministre, à vous.

M. Jolin-Barrette : Oui, merci, M. le Président. Bonjour, Me Lessard. Merci de participer aux travaux de la commission. Donc, on a entendu des groupes, hier, qui nous ont dit sensiblement la même chose que vous relativement à la faute lourde en matière de geste à caractère sexuel, à l'effet que, bon, on devrait venir nommément l'indiquer, faire une exception à la loi. Donc, j'ai bien pris note de ça, hier, comme suggestion.

Cela étant déjà, là, à l'IVAC actuellement, il y a une directive qui fait en sorte que ce n'est pas invoqué, dans le fond. Alors, vous, même s'il y a une directive actuellement qui est en vigueur, puis l'IVAC ne l'invoque pas, vous souhaiteriez qu'on l'inscrive noir sur blanc dans la loi?

M. Lessard (Michaël) : Exact, mais déjà il n'est pas clair de savoir si la directive va survivre au changement de régime. De ce que je comprends, la direction de l'IVAC va changer de ministère, puis je ne sais pas si elle va être reformée en bureau. Donc, la première crainte, ça serait que les directives soient effacées puis prennent un certain temps avant d'être adoptées. Puis ensuite il me semble vraiment plus bénéfique de, tout simplement, rassurer tout le monde et mettre directement dans la loi l'exception aux fins des violences sexuelles. Et puis le problème aussi, c'est que la directive ne s'étend pas aux violences conjugales qui sont aussi des situations pour lesquelles il n'y aurait pas lieu de blâmer les victimes.

• (11 h 20) •

M. Jolin-Barrette : O.K. En réponse à votre question aussi, là, sur votre intervention, dans le fond, désormais, la direction d'Indemnisation des victimes d'actes criminels... Bien, en fait, le ministère de la Justice va rapatrier la gestion, service à la clientèle, que je peux dire. Auparavant, c'était à la CNESST, donc à la direction d'indemnisation. Et, bon, il y a certaines lacunes organisationnelles qui ont été décrites par plusieurs bénéficiaires du régime.

Donc, moi, mon souci, c'est d'assurer un service à la clientèle qui est beaucoup plus humain, qui est beaucoup plus adéquat. Et c'est notamment pour cette raison-là qu'on veut s'assurer que le ministère de la Justice soit le ministère responsable qui est chargé... donc on pourra avoir des discussions avec la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Mais, pour nous, c'est sûr qu'on a pris acte des critiques qu'il y avait, par de nombreuses victimes, relativement au traitement. Et il y a certaines récriminations qui sont tout à fait justifiées, relativement à la flexibilité et au service, surtout lorsqu'on est une personne victime. On ne veut pas avoir, comme dans Astérix et Obélix, à faire la maison des fous à chacun des étages avec tel ou tel formulaire. Donc, c'est pour ça aussi qu'on veut simplifier les formulaires puis qu'on donne de l'aide aussi pour remplir les formulaires. Alors, ça, c'est notre souhait.

Je veux revenir, là, sur votre proposition, à 2926.1, là, relativement aux agressions à caractère sexuel. Nous, on l'entend par les violences sexuelles, mais vous nous dites : Vous devriez aller plus loin que ça et être plus spécifique dans les termes.

M. Lessard (Michaël) : Oui, exact. Bien, ce qu'on voit, c'est que la notion d'agression dans les contextes qui nous occupent est facilement assimilée par les juristes à celle d'agression sexuelle au sens du droit criminel. Donc, ça oublie toutes sortes d'autres violences sexuelles, puis là on parlait, par exemple, de harcèlement sexuel, de séquestration. Un des avantages de la disposition que vous venez de nommer, c'est qu'on inclut aussi les violences durant l'enfance. Mais sinon on pourrait ... c'est-à-dire que, si on mettait ça de côté, on voit que, dans le terme «agression sexuelle», on oublie aussi tout ce qui est production de pornographie juvénile, tout ce qui est leurre, incitation à contact, etc.

Donc, la notion de violence sexuelle est vraiment plus large puis... Bon, présentement, ce qui nous sauve, c'est qu'on a aussi un peu la même considération pour les enfants, mais, par rapport aux adultes, encore une fois, séquestration, harcèlement sexuel ou publication non consentie d'images intimes, c'est toutes des violences pour lesquelles il me semble que le délai de trois ans qu'on voit, dans le projet de loi n° 84, est trop court.

M. Jolin-Barrette : Mais ce n'est pas «agression sexuelle», c'est «agression à caractère sexuel», d'où la distinction aussi. Donc, pour moi, ça le couvre, là, mais je retiens votre suggestion, puis on va réfléchir à tout ça. Sur la question des délais, là, auparavant, on était à un an, on est passé à deux ans en 2013. Là, on amène, avec la prescription générale, à trois ans, on abolit également la prescription. Qu'est-ce que vous pensez de tout ça?

M. Lessard (Michaël) : Oui. Juste pour un dernier point sur «agression», là, pour que ce soit plus clair, bien, la notion d'agression sous-entend un contact physique. Donc, à ce moment-là, il y a d'autres... Les éléments que je nommais, comme publication non consentie d'images intimes puis harcèlement sexuel, je suis d'accord avec vous que c'est des termes de violence puis que c'est agressif, mais il n'y a pas le contact. Après, je comprends que le temps est limité, donc on peut toujours poursuivre les discussions puis avoir les compléments d'information là-dessus.

Pour ce qui est de l'extension du délai, moi, je trouve ça tout à fait louable. Je crois que ce qui serait le plus intéressant, ça serait de se coller au délai qu'on voit dans le Code civil, donc la prescriptibilité pour les recours qu'on vient de parler puis sinon un 10 ans pour le reste des recours. Il semble difficile de comprendre pourquoi on ferait une distinction entre l'IVAC puis entre les actions civiles. Il me semble que, si le raisonnement, à la base, de l'extension du délai, c'est de se dire : Ah! mais une victime, ça a besoin de beaucoup de temps avant de passer à l'action puis, surtout, à passer à une action qui soit bureaucratique, donc soit au travers des tribunaux ou l'IVAC...

À ce moment-là, si on détermine que 10 ans, c'est un temps raisonnable, il faudrait que ça soit 10 ans partout, peu importe que ça soit une action civile, peu importe que ça soit avec l'IVAC.

M. Jolin-Barrette : O.K., parfait. Sur la question, ici, de la reconnaissance des personnes victimes, l'élargissement de cette notion, dans le fond, que ça ne soit pas uniquement la victime directe, mais plutôt tout le noyau familial, l'élargissement, les aides qu'on souhaite offrir également à l'ensemble du noyau familial, qu'est-ce que vous en pensez?

M. Lessard (Michaël) : Bien, je trouve que c'est souhaitable, le mettre comme vous l'avez mis dans la loi. Il y a peut-être quelques ajustements qui pourraient être faits. Déjà, on voit que beaucoup de victimes passent, bon, beaucoup d'argent puis de temps devant les tribunaux pour essayer de faire élargir la définition. Donc, ce qu'on voit présentement, c'est très souhaitable.

J'ai vu beaucoup de critiques, par exemple, par rapport à la notion de «scène intacte» qui est, peut-être, trop limitée, là, au sens où une victime, c'est-à-dire une personne qui serait témoin d'un acte en arrivant sur les lieux, serait indemnisée si elle arrive avant les premiers répondants, mais pas si elle arrive après les premiers répondants. Donc, il y aurait lieu de savoir si... Est-ce que, vraiment, au niveau de l'atteinte psychologique que ces personnes-là vivent, s'il y a vraiment une distinction? Donc, peut-être quelques petits ajustements, mais pour l'ensemble, en effet, il y a un pas dans la bonne direction.

M. Jolin-Barrette : Mais prenons ce cas-là précisément, parce que certains ont critiqué le projet de loi malgré le fait qu'on leur a expliqué, mais je vous donne cet élément de réponse là. Parce que, exemple, la personne qui arrive sur les lieux va être considérée comme une personne victime également, non pas comme la personne elle-même qui a subi l'infraction, parce que ce n'est pas elle, la victime sur laquelle on a commis l'infraction criminelle. Mais, avec l'élargissement que nous faisons dans le cadre du projet de loi, la personne va être considérée comme une personne victime également, mais en fonction d'une certaine catégorie, comme un proche, comme une personne significative, comme un parent.

Aussi, je donne l'exemple : Auparavant, vous n'étiez pas considéré comme une victime, si le meurtre de votre enfant mineur survenait, parce que ce n'était pas l'autre parent qui l'avait fait à votre encontre. Donc, on a fait des ajustements, justement, pour élargir le plus possible. Alors, certains prétendent certaines choses, mais je pense que ce n'est pas exact, ce qu'ils disent aussi. Je voulais juste rectifier tout ça. Je ne fais pas référence à vos propos, Me Lessard, mais à d'autres personnes qu'on entendra cet après-midi.

Écoutez, Me Lessard, merci beaucoup pour votre témoignage en commission parlementaire. Je sais que j'ai des collègues qui souhaitent poser des questions, alors je leur cède la parole. Merci encore.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Chapleau, vous avez la parole.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci, M. le Président. Bonjour, Me Lessard. Michaël, j'en profite pour te souhaiter un joyeux anniversaire, une belle journée pour faire de la commission.

Donc, autre chose plus sérieuse maintenant. J'aimerais peut-être vous entendre sur la principale avancée qui est permise dans ce projet de loi là. Qu'est-ce qui, dans ce projet de loi, vous trouvez qui est le plus positif? On ira à l'inverse ensuite.

M. Lessard (Michaël) : Oui, bien, le plus positif, c'est clairement l'avancée sur l'admissibilité des victimes. On en a listé quelques-unes, là, qui sont encore exclues du régime, puis c'est très déplorable, là, on pense, encore une fois, à la pornographie juvénile, etc. Donc, au niveau de l'admissibilité, c'est là où il y a la plus grande avancée, mais je pense que... Bien, je vais profiter de la question pour, justement, souligner que ce qu'on voit dans le projet de loi, c'est vraiment quatre volets.

Un volet qui est le premier titre sur l'aide non financière, donc l'aide que les victimes peuvent avoir, l'accompagnement, les compléments d'information face aux corps policiers, au système de justice, par exemple. Un volet sur l'admissibilité, celui qui est le plus avancé selon moi. Un volet sur le calcul, ensuite, de l'aide financière, puis un quatrième volet que les autres intervenants, intervenantes ont beaucoup souligné, c'est l'aspect humain, donc diminuer la lourdeur bureaucratique. Donc, ça, je trouve que c'est intéressant aussi. Puis peut-être, sur cet aspect-là, il pourrait aussi être intéressant d'imaginer de donner des formations aux préposés sur les mythes relatifs à la violence conjugale, à la violence sexuelle.

Donc, il y a ces quatre volets-là. L'admissibilité, clairement, est le plus fort pour moi, mais il ne faut pas négliger les trois autres volets aussi.

M. Lévesque (Chapleau) : O.K. Puis sur l'admissibilité, justement, je sais que vous en avez parlé, là, beaucoup, y aurait-tu d'autres éléments que vous aimeriez ajouter, que vous n'avez pas pu nécessairement aborder, juste pour nous éclairer dans nos travaux?

• (11 h 30) •

M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc, il y a quelques éléments qui relèvent plus de l'ajustement, là, dans mon mémoire. Deux éléments que je trouve intéressants, c'est celui par rapport à l'obligation de coordination, c'est-à-dire que les victimes doivent coopérer avec... En fait, la loi, à cet égard-là, est plus ou moins claire, là, mais elle doit coopérer avec les personnes qui sont chargées de l'application de la loi. Donc, est-ce que c'est seulement la direction de l'IVAC ou est-ce que ça doit être aussi les corps policiers et donc peut-être dénoncer à la police? Est-ce que ça doit être avec les procureurs de la couronne? Donc, à cet égard-là, il pourrait être intéressant de mettre, au moins, une condition qui dise que l'obligation de coopération ne sera pas imposée, si ça va à l'encontre du processus de guérison de la victime.

M. Lévesque (Chapleau) : Ou de la volonté.

M. Lessard (Michaël) : Exact, ou ça peut être de la volonté. Donc, on peut comprendre, puis surtout dans un projet de loi qui vise à favoriser le rétablissement des victimes, que ça puisse être délétère pour une victime de rapidement devoir aller témoigner à la police de ce qu'elle a vécu, surtout si on parle de proches autour d'elle. Donc, ça, ça pourrait jouer sur l'admissibilité, une victime qui se dit : Mais moi, je subis un grand préjudice, mais... Par exemple, on peut penser à une victime d'inceste, mais qui dit : Mais je ne voudrais pas aller témoigner contre mon père ou je ne veux pas aller passer devant plusieurs policiers pour raconter cette histoire-là. Peut-être qu'elle ne va pas appliquer à l'indemnisation ou à l'aide financière que l'IVAC pourrait lui accorder. Ça fait que ça, c'est un problème, mais qui est facilement ajustable.

Puis un autre élément que je trouve intéressant, c'est celle de la proposition de l'Association des juristes progressistes d'aussi tenir en compte d'autres types de violence sexuelle et de violence conjugale. Là, le problème qu'on a devant nous, c'est qu'on a un projet de loi...

M. Lévesque (Chapleau) : Iriez-vous dans ce sens-là, justement? Ils nous proposaient d'ajouter, de tenir en compte certains actes puis certains gestes à caractère sexuel pour les ajouter dans les... pas nécessairement les infractions, là, mais la possibilité pour l'indemnisation, vous iriez dans le même sens que ces derniers?

M. Lessard (Michaël) : Oui, oui, tout à fait, parce que là, ce qu'on est en train de voir, c'est que l'Assemblée nationale adopte un projet de loi dont une partie est, en quelque sorte, si on veut, déléguée au Parlement du Canada, parce qu'on est tributaire de ce qui est adopté ou non comme infraction criminelle, alors qu'il y a des violences... Dans le contexte de la violence sexuelle, je pense beaucoup au harcèlement sexuel, mais qui n'atteint pas le niveau du harcèlement criminel, ou, dans le contexte de la violence conjugale, on a tout ce qui est violence psychologique, contrôle coercitif, contrôle financier.

Donc, ce sont tous des exemples qui... puis en fait, si... l'avenir nous le dira, là, mais peut-être que d'ici quelques dizaines d'années, ça va être adopté comme infraction criminelle. Il y a déjà des projets de loi, à cet égard, au Parlement du Canada, mais on pourrait, en fait, aller prendre les devants, puis aller un peu plus loin, puis dire : Bien, regardez, les victimes de ce type de violence sexuelle là et violence conjugale ont besoin de l'aide de l'État puis on ne va pas attendre que le Parlement du Canada prendre une décision là-dessus.

M. Lévesque (Chapleau) : Agisse, prenne acte. O.K. rapidement, là, une petite dernière question, là. Vous avez parlé de lourdeur puis... administrative et bureaucratique, notamment, en lien avec les victimes qui se présentent à l'IVAC puis les agents qui ont quelques problématiques à ce niveau-là. Il y a plusieurs intervenants qui sont venus nous en parler, ils ont parlé, notamment, de la question de la formation. Y a-tu d'autres points que vous ajouteriez ou proposeriez pour améliorer, justement, ce fameux service à la clientèle ou cette lourdeur bureaucratique?

M. Lessard (Michaël) : Donc, je n'en vois pas d'autres que ces deux points-là, mais je pense que celui de la formation est assez important, parce que souvent, quand on veut faire une formation, disons, à un groupe de préposés, ce qu'on va faire, c'est une formation de trois heures à chaque deux ans ou quelque chose de beaucoup trop minime pour que ça ait un impact réel sur le traitement des dossiers. Donc, il faudrait penser à une formation qui permette aussi un certain suivi, puis qui s'assure qu'on ne reproduise pas les erreurs du passé, puis qui, en fin de compte, n'oblige pas les victimes à aller en révision ou à aller devant le Tribunal administratif du Québec pour faire d'autres demandes, etc., ce qui, dans le fond, impose aussi un autre coût à l'État, si les premières décisions sont problématiques puis doivent être ensuite révisées et corrigées.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait, merci beaucoup. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. Écoutez, il reste 1 min 30 s, M. le député de Saint-Jean.

M. Lemieux : Oui, j'arrive. Merci beaucoup, M. le Président. 1 min 30 s, on n'ira pas bien loin, mais je voulais faire un peu de perspective contextuelle avec vous, Me Lessard, parce que je vous écoutais, et c'était très précis dans un projet de loi très touffu, qui arrive des dizaines d'années après qu'on ait installé ça. Diriez-vous que la direction qu'on prend ou, en tout cas, que le projet de loi est en train de nous donner, de nous en aller vers des services plutôt que vers des indemnisations, qui était essentiellement le but de l'exercice il y a 50 années, pas juste dans l'air du temps, mais est-ce que c'est la voie, au-delà de ce que chacun va réclamer, là, la voie que tout le monde devrait réclamer, au bout du compte, avec des détails puis des aménagements, bien sûr, là?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, Me Lessard, s'il vous plaît.

M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc, oui, je pense qu'on est sur la bonne voie. Je pense que c'est la même critique qu'on porte aussi au système de justice criminelle, c'est-à-dire qu'il n'y a pas réellement d'accompagnement des victimes, puis qu'on ne puisse pas, justement, les aider à se rétablir. Ensuite, comme le disait le Pr Gardner avant, le diable est dans les détails, donc il va falloir savoir complètement... Ça serait déplorable si, en fait, la victime avait de bons outils psychologiques, mais n'était pas capable de se rétablir en raison de besoins financiers. Là, je comprends que ce n'est pas le souhait, mais il faut aussi avancer sur les deux plans de manière égale. Mais, oui, c'est un pas dans la bonne direction.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Me Lessard. M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bon matin, Me Lessard. Merci beaucoup d'être disponible et de répondre à nos questions. Puis bravo et merci pour votre mémoire et également le texte que vous aviez écrit, là, en 2019. Ça va évidemment nourrir notre réflexion.

J'ai beaucoup de petits points techniques et je vais essayer d'y aller en rafale avec vous. Premier point, la mens rea, vous en avez parlé, ce que l'on constate, et corrigez-moi si j'ai tort, l'importance, puis c'est comme ça que je reçois votre commentaire, pour nous, d'exclure le facteur de mens rea de façon spécifique viendrait nous assurer que l'IVAC et le TAQ, en le disant clairement, empêcheraient... ne pourraient plus, selon leur interprétation, empêcher le cheminement de dossiers sur cette notion-là. Donc, on peut se dire, comme législateurs : Ah bien! il va sans dire. Mais, quand on le dit clairement et qu'on l'exclut, bien là, les interprétations contradictoires seront... la porte sera fermée. C'est ce à quoi vous nous invitez.

M. Lessard (Michaël) : Exact. Tout à fait, puis j'imagine que, si on demandait aux parlementaires des années 70, si, bien, ils voulaient vraiment exclure, là, les victimes de tous les exemples que j'ai donnés, ils auraient dit : Bien, évidemment que non, on ne voulait pas les exclure. Mais après, une fois qu'on adopte un projet de loi, vous n'êtes pas sans savoir qu'ensuite, c'est les juristes et les tribunaux qui vont le fouiller de manière très ciblée, parfois de manière trop textuelle, sans nécessairement regarder l'intention législative derrière.

Donc, le mieux, évidemment, c'est de s'assurer d'avoir un projet de loi qui soit le plus béton possible, puis je pense qu'on a proposé des solutions assez intéressantes à cet égard-là, surtout la proposition de retirer... en fait, de faire une exception pour tout ce qui est un événement fortuit, donc tout ce qui est de la teneur d'un accident. Donc, à ce moment-là, on cible complètement les gestes criminels.

M. Tanguay : Tout à fait. Deuxième point, faute lourde, je vous avoue que votre argument, étayé dans la note de votre page 17, est assez clair. La raison pour laquelle, et puis c'est un argument de texte, nous devrions retirer «faute lourde» de l'article 16, vous faites l'analogie avec 1474 du Code civil où on définit une faute lourde comme étant... comme participant de l'insouciance, de l'imprudence et de la négligence grossière. Or, «faute lourde» dans un contexte de violence sexuelle où il y a un contexte de violence et de menaces, et que vous participez à l'acte criminel, qu'on considère que vous avez participé à l'acte criminel en l'assimilant à de l'insouciance, imprudence et négligence grossière, bien, quand vous êtes sous la menace puis de la violence, ça ne participe pas de la faute lourde. Donc, déjà là, l'argument de texte est assez dévastateur, puis je vous en remercie, puis je vous salue là-dessus. À moins que vous n'ayez un commentaire plus spécifique là-dessus, j'aurais d'autres points.

M. Lessard (Michaël) : Bien, peut-être, rapidement, il y a deux éléments. Moi, je suis tout à fait d'accord avec votre analyse de la faute lourde. La seule crainte, c'est que, si on met des exceptions pour les violences et les menaces pour toutes les autres personnes, est-ce que les tribunaux ne vont pas de dire : Ah bien! l'Assemblée nationale a décidé de changer la définition de la faute lourde et donc de considérer certains éléments comme de l'insouciance. Donc, il y a ce danger-là, au niveau du texte. Peut-être que le plus simple, ça serait d'enlever la mention de menace ou de violence partout. Ça, c'est une chose.

Puis l'autre chose, encore une fois, rapidement, c'est que, bon, une fois qu'on a fait ça et qu'on a enlevé les mentions de menace puis de violence, le problème c'est que, si on se réfère juste à la notion d'insouciance, on a plusieurs exemples où les tribunaux, malheureusement, ont considéré que des victimes de violence conjugale ou de violence sexuelle ont commis de l'insouciance. Et donc, ici, c'est vraiment une question de blâme moral. Selon moi, on ne peut pas les blâmer pour... enfin, pour les raisons que j'ai expliquées, pour ces situations-là, mais on voit que les tribunaux le font. Donc, à ce moment-là, peut-être clairement le mettre dans la loi, dire : Bien, regardez, la faute lourde, ça ne s'applique pas comme la directive de la direction de l'IVAC l'a fait pour la violence sexuelle et pour la violence conjugale. Puis, à ce moment-là, on a un projet de loi, encore une fois, qui est béton.

• (11 h 40) •

M. Tanguay : Tout à fait, tout à fait. J'aimerais revenir avec vous sur... et vous nous invitez à faire cette modification législative là qui serait très substantielle, puis je salue cette suggestion-là, on fera le débat en article par article, mais passer de la notion d'agression à violence, tant dans le contexte du projet de loi n° 84 que dans le contexte de l'article d'imprescriptibilité, 2926.1.

«Violence», selon l'état du droit québécois, à l'heure où on se parle, pouvez-vous nous référer des définitions, de la jurisprudence? À quoi pourriez-vous nous inviter... À quel document pourriez-vous nous... porter notre attention?

M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc, dans le contexte de violence... Bien, en fait, puis je me permets une petite parenthèse pour commencer, là, par rapport à la violence conjugale, il y a une définition intéressante dans la Loi sur le divorce, la nouvelle Loi sur le divorce qui n'est pas encore en vigueur, dans la définition de violence familiale. Donc, ça, il y a quelque chose de bien travaillé puis intéressant pour s'inspirer.

Pour ce qui est des violences sexuelles, la loi la plus intéressante pour moi, c'est la loi-cadre qui vise à lutter contre les violences sexuelles dans le contexte de l'enseignement supérieur. Et donc, dans cette loi-là, on va vraiment parler de violence et non d'agression. Et puis évidemment on vise à couvrir aussi des situations où on aurait, par exemple, un professeur qui fait du harcèlement sexuel sur une étudiante, qui peut en faire sur plusieurs années, mais qui ne passe jamais à faire un acte physique, donc à l'attouchement. Donc, l'idée, justement... puis, dans cette loi-là, on le définit bien que violence s'étend plus loin que la notion d'agression à caractère sexuel.

M. Tanguay : Vous faites référence à la loi... projet de loi n° 151, si ma mémoire est bonne.

M. Lessard (Michaël) : C'est possible. Je ne l'ai pas près de moi, mais oui...

M. Tanguay : 151. Notre collègue Hélène David...

M. Lessard (Michaël) : Vous avez une meilleure mémoire que moi.

M. Tanguay : Peut-être, parce que je l'ai lu, il y a un mois. Rapidement, obligation de coopération. O.K. Obligation de coopération, j'y vais puis j'aimerais vous entendre là-dessus, selon la même logique. Quand vous retirez ou que vous dites clairement, dans une loi, ou que vous retirez une expression dans une loi, c'est clair, il n'y a pas place à l'interprétation.

Vous avez des préoccupations quant à l'article 7, l'obligation de coopération, dans un contexte où ça pourrait aller à l'encontre du processus de guérison d'une personne, comme celui de témoigner, entre autres, des violences subies dans le cadre... Et ça, ça s'applique même à l'exercice de la subrogation. Alors, moi, je vois les concepts qui se marient bien.

Je vais essayer de vous poser ma question le plus clairement possible, vous nous invitez à baliser l'obligation de coopération dans la mesure où ça ne va pas à l'encontre du processus de guérison. Si on fait ça, je me fais un peu l'avocat du diable, ça va être sujet à interprétation. Il y aura tantôt des décisions heureuses, tantôt des décisions malheureuses : Je considère que vous avez l'obligation, madame, de coopérer, parce que, moi, je considère que ça ne va pas à l'encontre de votre processus de guérison. Ne devrions-nous pas, donc, pour éviter ça, retirer carrément cette obligation de coopération? Je vous pose la question.

M. Lessard (Michaël) : Oui, bien, vous avez raison, là. C'est sûr qu'après, la question, c'est aussi de savoir qui est-ce qui va prendre la décision, qui qui va pouvoir interpréter. Puis dans le cas... Souvent, en fait, il y a certaines obligations de coopération qui sont nécessaires pour recevoir l'aide financière, là, donc ça peut être à la discrétion de la direction, puis on pourrait, en effet, se retrouver face à des situations fâcheuses.

Donc, je vous ai donné un peu l'idéal comme proposition, c'est-à-dire de baliser autour du processus de guérison, mais évidemment, le monde n'étant pas parfait, peut-être que le plus simple, ça serait soit de dire que l'obligation est conditionnelle à la volonté de la victime ou soit simplement d'enlever l'obligation de coopération, parce qu'en effet on pourrait s'entraîner dans plusieurs débats, on pourrait forcer des victimes à faire ce qu'elles ne veulent pas faire. On pourrait, plus dangereusement, repousser des victimes qui auraient peur d'être obligées, mais qui ont vraiment besoin de l'aide de l'État. Donc, il y a toutes sortes de situations déplorables. Puis après, ça ajoute aussi un coût à l'État, s'il y a une contestation qui s'en va devant le tribunal administratif, révision judiciaire, etc. Donc là, pour les victimes qui auraient peut-être plus de soutien juridique, il y aurait aussi un coût pour l'État, là.

M. Tanguay : Et je vais toucher l'autre point, mais on va... L'exercice de subrogation, effectivement, poursuivons la réflexion, on dit : l'exercice de subrogation devrait être subsidiaire, ne contrevient pas au processus de guérison, comme celui de témoigner des violences subies. Alors, voyez-vous qu'on pourrait être, dans le cas du devoir de coopération, dans la situation assez particulière où, comme victime, je devrais aller témoigner du fait que je ne veux pas aller témoigner, je devrais témoigner du fait que, oui, ça participe de mon processus de guérison, c'est majeur, puis que ça me stresse, puis que ça m'empêche de guérir totalement, et que là, donc, ça ajoute des délais, ça ajoute du stress, mais je devrais témoigner pour ne pas pouvoir aller témoigner plus tard dans un autre contexte? Il y aurait peut-être ça aussi qui serait une incongruité.

J'aimerais... Il me reste une minute. Je regarde M. le président, il sourit encore, alors c'est bon signe. Les crimes perpétrés à l'extérieur du Québec, ça, c'est un point important. Vous soulevez, recommandation 14 : faites en sorte de ne pas exclure les employés de l'État, les étudiants, les travailleurs humanitaires parce qu'ils ne respectent pas la fameuse règle du 183 jours. Ça, je voulais vous entendre là-dessus. C'est parce que je trouve ça intéressant.

M. Lessard (Michaël) : Exact, puis c'est intéressant aussi que l'exercice a déjà été fait dans, disons, le dessein du régime d'assurance maladie. C'est qu'il y a un peu la même exception, bien, c'est-à-dire un peu les mêmes dispositions au sens où, après 183 jours, l'assurance maladie va être retirée, mais il y a des exceptions pour tout ce qui est étudiant qui va à l'étranger, bon, fonctionnaire, employé de l'État, personne en mission humanitaire, et donc je crois qu'il y aurait lieu de s'inspirer de ces exceptions-là pour le régime.

Puis on peut penser à des cas qui nous frapperaient de voir des refus. Par exemple, si j'allais étudier... Bien, en fait, je vais me prendre comme exemple, là.

M. Tanguay : Vous l'avez fait.

M. Lessard (Michaël) : J'ai étudié à l'Université de Toronto. Bon, là, présentement, je suis revenu au Québec, mais, s'il n'y avait pas eu la pandémie, j'aurais sûrement fait plus que 183 jours à l'Université de Toronto. Si, à la dernière année de mon doctorat, je subis quelque chose à Toronto, je subis des voies de fait puis que je reviens ici, bien, je veux dire, à toutes fins pratiques, je suis quand même un Québécois. Je reviens quand même vivre au Québec, je suis parti temporairement aux fins des études, mais je n'ai pas l'intention d'appartenir à une autre juridiction. Donc, je ne vois pas pourquoi, surtout dans une optique de solidarité sociale, pourquoi il faudrait m'exclure du régime...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

M. Tanguay : Merci, Me Lessard.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, M. Lessard, pour votre présentation. J'ai apprécié la distinction que vous avez faite, là, entre la question d'agression, de violence sexuelle. Je pense que c'est éclairant pour certains de mes collègues autour de la table. J'aime aussi l'invitation que vous nous faites à faire preuve d'autonomie pour identifier les actes qui ne sont pas nécessairement criminels, mais qui devraient être indemnisés. On n'a effectivement pas nécessairement besoin d'être à la remorque du fédéral pour ça. C'est intéressant que vous nous y invitiez.

Pour la question de l'obligation de coopération, j'essaie de résumer, disons, vos propos. Est-ce que le plan A serait de retirer complètement cette notion-là du projet de loi, de l'obligation de coopérer, puis le plan B serait de préciser au moins que, si ça nuit au rétablissement de la victime, elle n'y est pas tenue? Si on faisait ça, est-ce qu'il faudrait quand même essayer de définir davantage de quel genre de coopération on parle, avec qui, dans quel contexte?

M. Lessard (Michaël) : Oui, bien, c'est une bonne question. Je pense que le... par rapport à l'article 7, justement, ce serait plus intéressant de définir de qui on parle exactement. Puis moi, j'en ai débattu avec beaucoup de collègues, à savoir est-ce que les personnes qui sont chargées de l'application de la loi, on parle du projet de loi qu'on étudie présentement ou est-ce qu'on parle de la loi en général, donc les services de police, etc.? Donc, des précisions pourraient être intéressantes. C'est sûr que le plus simple, ça serait simplement de retirer l'obligation de coopération puis l'obligation de dénoncer dans un État étranger aussi.

Par contre, je comprends qu'il y a aussi des obligations de coopération quand on demande à la victime d'aller passer certains tests pour évaluer son état de santé. Donc, à ce moment-là, il serait difficile de comprendre qu'on puisse retirer complètement ces dispositions-là, parce que, dans ce contexte-là, on a besoin d'évaluer l'état de santé pour évaluer l'aide financière, du moins, de ce que je comprends pour l'instant, évidemment, sous réserve de lire les règlements.

Mais ce qui pourrait être fait dans ces articles-là, que peut-être qui serait plus difficile à enlever, ce serait de bien baliser, justement, une période de guérison, qui pourrait être protégée pour ne pas pousser trop rapidement les victimes puis, en fin de compte, aller à l'encontre de l'objectif du projet de loi, qui est de favoriser leur rétablissement puis de les aider.

Mme Labrie : Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il vous plaît.

• (11 h 50) •

Mme Hivon : Oui, bonjour. Merci beaucoup. Moi, je suis exactement à la même place que vous, je pense qu'il faudrait parler de violence sexuelle et vraiment s'éloigner de la notion d'agression sexuelle, dans le vocabulaire et dans la réalité de ce que c'est aussi. C'est quelque chose de fondamental.

L'autre chose que je veux bien comprendre concrètement, quand vous nous dites de ne pas se coller juste à ce qui est prévu au Code criminel, encore une fois, je vous suis très bien. Donc, ce que vous proposez, c'est que la base serait les infractions, pour ne pas aller revisiter tout ce qu'il y a dans le Code criminel, serait ce qui est prévu au Code criminel, mais on ajouterait certaines rubriques. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Lessard (Michaël) : Oui, voilà. Moi, j'adopte la proposition de l'Association des juristes progressistes, qui est peut-être un peu plus détaillée dans leur mémoire que dans le mien, mais essentiellement, c'est ça, c'est que le régime de base serait sur, en fait, l'actus reus des infractions criminelles, puis ensuite, si on ne rentre pas dans une infraction criminelle, on tomberait dans une évaluation supplétive, qui serait ensuite sur une définition plus large de la violence conjugale, de la violence sexuelle.

Donc, au fond, ce n'est pas... tu sais, il ne faudrait pas l'expliquer comme étant deux régimes, là, peut-être que c'est un terme trop gros, mais c'est vraiment une évaluation qui se fait en deux étapes. Maintenant, elle se fait juste en une étape. Est-ce qu'on rentre dans une infraction au criminel? Puis là la deuxième étape, ça serait, bon, sinon subsidiairement, est-ce qu'à ce moment-là on rentre dans une autre définition de violence qui porte atteinte à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne sans être criminalisée.

Mme Hivon : Parce qu'il y a quelque chose qui est ressorti beaucoup de nos travaux avec le comité d'experts, c'est toute la notion de violence psychologique dans le contexte de violence conjugale qui, malheureusement, n'est pas reconnue. Donc, avec l'approche que vous proposez, ça pourrait être formellement reconnu.

M. Lessard (Michaël) : Exact, tout à fait. Puis, si j'ai bien compris l'intention derrière le projet de loi n° 84, c'est justement d'aider rapidement des victimes qui ont des besoins psychologiques importants. Donc, justement, si on pouvait aller les aider, bon, ça, ça serait bénéfique, surtout... parce que la violence psychologique est difficile à retracer, mais il y a aussi d'autres mécanismes qui s'enclenchent. Donc, on pourrait, par exemple, leur donner une aide pour déménager, quitter leur conjoint. Donc, il y a de l'aide au déménagement qui est prévue dans le projet de loi n° 84, mais présentement, l'aide au déménagement, elle est juste donnée si on a subi, disons, une infraction criminelle violente aussi, donc, au sens strict, mais elle n'est pas donnée à une victime de violence psychologique alors qu'elle devrait bénéficier de la même aide. On devrait vouloir lui permettre de quitter son conjoint puis favoriser son rétablissement.

Mme Hivon : Merci, c'est très clair. Est-ce qu'il me reste encore quelques secondes, M. le Président?

Le Président (M. Bachand) : Deux secondes.

Mme Hivon : ...

Le Président (M. Bachand) : Allez-y.

Mme Hivon : O.K. Bien, j'aurais aimé juste vous entendre, parce que tantôt vous sembliez dire qu'il faut vraiment se concentrer sur l'actus reus. Là, je comprends, mais vous sembliez dire que, dans l'état actuel des choses, des fois, on va essayer de chercher est-ce qu'il y a eu consentement dans une agression sexuelle avant d'offrir l'aide. Et je suis vraiment surprise d'entendre ça, parce que je pensais qu'en matière d'agressions sexuelles l'IVAC avait une interprétation large et non restrictive, mais vous donnez un son de cloche divergent là-dessus.

Le Président (M. Bachand) : Me Lessard, rapidement, s'il vous plaît.

M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc, exact, on a vu plusieurs décisions sur la question puis... En fait, moi, j'ai étudié les décisions publiques, toutes les décisions qui sont prises par la direction de l'IVAC et qui ne sont pas... qui ne vont pas devant les tribunaux, elles sont confidentielles. Donc, à ce moment-là, tout ce que j'ai vu, c'est la pointe de l'iceberg. Puis, à ce moment-là, il y a quand même eu beaucoup trop de décisions qui entretiennent cette logique-là et qui font dépendre l'aide de l'état d'esprit de l'agresseur.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Lessard, merci infiniment d'avoir participé, en cette journée de votre anniversaire de naissance, aux travaux de la commission.

Cela dit, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures. Merci infiniment, tout le monde.

(Suspension de la séance à 11 h 54)

(Reprise à 14 h 01)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon début d'après-midi. La commission reprend ses travaux.

Donc, nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement.

Cet après-midi, nous allons entendre les personnes et groupes suivants : la Direction générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, l'association des familles assassinées ou disparues, Me Madeleine Lemieux, l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes. Et nous débutons d'abord avec Me Marc Bellemare. Me Bellemare, bienvenue dans la commission.

Alors, comme vous connaissez les règles, donc on a 10 minutes de présentation de votre part, et après ça nous aurons un échange avec les membres de la commission. Cela dit, merci d'être avec nous aujourd'hui, et je vous cède la parole pour 10 minutes. Merci, Me Bellemare.

M. Marc Bellemare

(Visioconférence)

M. Bellemare (Marc) : Merci. Alors, j'ai déjà transmis mes observations écrites au secrétariat de la commission. Je vais vous lire un court texte, après, on procédera aux questions.

Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, depuis plus de 50 ans... près de 50 ans plutôt, 1972, la Loi sur l'IVAC garantit à toutes les personnes victimes d'actes criminels au Québec, qu'elles aient ou non un emploi au moment du crime, trois choses : premièrement, des traitements psychologiques sans limites de temps; deuxièmement, une indemnité de remplacement de revenu jamais inférieure au salaire minimum, sans limite de temps également tant que durera l'incapacité à travailler sa vie durant, s'il le faut; et troisièmement, une rente à vie correspondant aux séquelles permanentes résultant de l'agression.

Avec son projet de loi n° 84, le ministre de la Justice poussera à la faillite et à l'aide sociale des milliers de victimes d'actes criminels et leurs familles. En effet, le projet de loi abolit le remplacement de revenu pour les victimes sans emploi lors de l'agression. On parle ici des chômeurs, des femmes au foyer, des étudiants et des retraités. Le projet de loi n° 84 limite le soutien à ces victimes, donc les sans-emploi au moment de l'agression — ils ne l'ont pas choisi, bien évidemment — au simple remboursement de frais de traitement pour une somme et une durée inconnues. Il promet une somme forfaitaire globale, dont l'importance est également inconnue, des années plus tard, à la fin des traitements, une fois que la faillite sera consommée.

Les autres victimes, celles qui ont eu la chance d'avoir un emploi au moment de l'agression, certainement une minorité, verront 90 % de leur revenu remplacé pour une période maximale de trois ans. C'est, à mon sens, une hérésie, un recul sans précédent dans l'histoire du droit social québécois. En plus de jeter à la rue d'autres milliers de victimes toujours inaptes au travail après trois ans, ce projet de loi ignoble et régressif causera maintes disparités et injustices.

Ainsi, je prends l'exemple de cette serveuse de restaurant, âgée de 30 ans, qui gagne 30 000 $ annuellement et qui est victime d'un acte criminel. Si notre serveuse est agressée au travail — elle a 30 ans — elle verra son revenu remplacé par la CNESST pendant 38 ans, si l'incapacité perdure, bien sûr, jusqu'à l'âge de 68 ans. Si, par contre, elle est blessée par un chauffard en retournant chez elle après le travail, c'est la Société de l'assurance automobile qui va remplacer son revenu également, parce qu'à ce moment-là elle sera une victime de la route, également jusqu'à l'âge de 68 ans, potentiellement, donc, pendant 38 ans.

Si, malheureusement, elle n'est pas agressée au travail ou sur la route, mais qu'elle est agressée chez elle, à domicile le soir, elle n'aura droit ni à la CNESST ni à la SAAQ. Elle vivra dans l'indigence du projet de loi n° 84, et M. le ministre de la Justice cessera de remplacer son revenu après trois ans, même si elle est toujours invalide à tout emploi. Quant à la notion même de victime, le projet de loi n° 84 l'élargit, au sens sémantique, certes, aux proches, aux conjoints et aux enfants. Toutefois, pour eux, le statut de victime est une coquille vide, puisque ces derniers n'auront pas droit au remplacement de revenu, parce qu'ils ne figurent pas parmi les victimes admissibles à l'article 36 du projet de loi.

J'estime qu'il vaut mieux conserver la définition actuelle de victime, plus simple, contenue à l'article 3a de la Loi sur l'IVAC, une définition largement et généreusement interprétée par le Tribunal administratif du Québec et par les tribunaux civils à ce jour. Même chose pour la notion de faute lourde qui, à mon avis, mérite d'être maintenue. Elle fait l'objet d'une jurisprudence stable, constante, jurisprudence qui sera écartée au profit de toutes les nouvelles définitions de faute lourde amenées par le projet de loi n° 84, à l'article 16, lesquelles prendront cinq, 10 ans, peut-être davantage, avant d'être interprétées durablement par les tribunaux. La loi actuelle de l'IVAC, qui est simple, une trentaine d'articles seulement, connue, et elle est d'interprétation stable, ça a pris 50 ans pour écrire ça.

La première chose dont les victimes d'actes criminels ont besoin, c'est de stabilité quant à leurs droits et aux indemnités qu'elles recevront. Ce mauvais projet de loi les projette dans l'incertitude et dans l'inconnu par une multitude de nouvelles définitions, de nouveaux concepts inconnus qui mériteront d'être interprétés, mais pendant combien de temps avant qu'on sache exactement où on s'en va avec cette loi. Les seules certitudes, dans ce projet de loi, sont dans les reculs immenses qu'il contient, surtout quant au remplacement de leur revenu à long terme. Le ministre de la Justice en rajoute en promettant 40 millions par année pendant cinq ans, ce qui est, à mon sens, absolument et mathématiquement impossible, compte tenu des reculs financiers précités. Cet argent, s'il existe, n'ira certainement pas dans les poches des victimes. Il s'agit d'un autre leurre, d'une autre utopie.

M. le ministre, retirez ce projet de loi ignoble et, plutôt, améliorez les droits des victimes plutôt que de les détruire. Pour y arriver, je vous demande de procéder à une vraie consultation sur le projet de loi, parce que rencontrer des victimes, ce n'est pas une consultation. Une vraie consultation, c'est une consultation sur le projet de loi qui donne le temps aux partenaires de se préparer sur la base d'un document précis. Je vous demande d'amender simplement la loi actuelle, encore bien meilleure que le projet de loi n° 84. Ajoutez, bien sûr, les victimes hors Québec, ce qui est une bonne chose, et les autres victimes qui ne sont pas visées actuellement par la loi. Un amendement de deux lignes suffirait, immensément plus simple que le cauchemar que vous annoncez. Merci.

Le Président (M. Bachand) : ...Me Bellemare. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Bellemare. Merci d'être avec nous pour participer aux travaux de la commission.

D'entrée de jeu, Me Bellemare, outre les points que vous avez soulignés à la fin, qui étaient une bonne chose pour les crimes hors Québec, est-ce qu'il y a autre chose que vous trouvez de positif dans le projet de loi? Parce que vous semblez avoir une analyse réductrice du projet de loi qui a été travaillé par des juristes, par des gens au gouvernement du Québec et par beaucoup de gens qui semblent dire que ça représente des avancées significatives, le projet de loi n° 84. Alors, j'aimerais vous entendre, est-ce qu'il y a d'autres éléments positifs dans le projet de loi n° 84?

• (14 h 10) •

M. Bellemare (Marc) : Bien, je ne sais pas de qui vous parlez par rapport aux juristes, parce qu'il y a beaucoup de juristes, effectivement, au ministère de la Justice. Il y en a aussi qui sont à votre service, au Procureur général, qu'on affronte quotidiennement dans nos débats devant les tribunaux et qui contestent systématiquement les réclamations des victimes. Alors, si c'est eux qui ont rédigé le projet de loi, puis je le soupçonne, bien, c'est bien sûr que ça fait leur affaire, je n'en doute pas une seconde. Sauf que, parmi tous les avocats que je connais de longue date, parce que ça fait 42 ans que je fais ce travail-là, sauf une courte année sur le siège que vous occupez, il n'y a personne qui est d'accord avec le projet de loi. Alors, ceux qui vivent avec les victimes et qui savent quelle est la portée de la loi actuelle, qui connaissent la jurisprudence, ne sont pas satisfaits du projet de loi et ils voient des reculs.

Maintenant, ce que je dis, c'est que la définition de victime qui est présente à l'heure actuelle et qui fait l'objet, surtout depuis 2013, d'une jurisprudence positive de la part du Tribunal administratif du Québec et des tribunaux civils, la Cour supérieure notamment, cette définition-là mérite d'être conservée, c'est-à-dire une victime est une personne qui a été blessée directement ou à l'occasion d'un acte criminel. Ça suffit, on a tout là-dedans. C'est une notion très précise, très large. On n'est pas obligé d'avoir une définition de victime d'une page et demie pour comprendre et on a de la jurisprudence aussi qui interprète favorablement cette définition-là.

Alors, on peut amender la définition actuelle en précisant que la victime qui aurait été victime d'un homicide, parce que je pense que ça serait suffisant, à l'extérieur du Québec, serait considérée comme une victime en vertu de cette définition-là, comme on peut prévoir l'abolition de l'annexe, ce qui est déjà le cas dans votre projet de loi, en prévoyant que tous les crimes sont admissibles. Et il y a déjà beaucoup de crimes qui sont admissibles, hein? Il y en a quelques-uns qui vont être ajoutés, parce que le Code criminel prévoit d'autres crimes, mais il y a déjà beaucoup de crimes... Vous savez, les agressions sexuelles sont acceptées, les homicides, les tentatives de meurtre, les voies de fait. Bon, il y en a quelques autres qu'il faut ajouter, mais on n'a pas besoin d'un projet de loi de 190 articles pour le faire.

M. Jolin-Barrette : C'est tout de même ironique, M. le Président, parce que, savez-vous, on en a rencontré des victimes, on a rencontré des groupes de victimes, tout le monde demandait l'abolition de la liste des infractions pour que ce soit l'ensemble des infractions contre la personne qui soient couvertes. C'est ce qu'on a fait. Avec la proposition que Me Bellemare nous fait quand il dit : Ah! mais les homicides commis à l'étranger, c'est correct ça, ça, c'est correct, par contre, pour les victimes d'agression sexuelle à l'étranger, ça, il ne faudrait pas faire de modification avec ça. Est-ce que c'est ça que j'entends de la part de Me Bellemare?

M. Bellemare (Marc) : Pas nécessairement.

M. Jolin-Barrette : Non, mais, M. le Président, soyons honnêtes, M. le Président, on se retrouve dans une situation où c'est une réforme qui est globale. Je comprends que ça ne fait pas le plaisir de Me Bellemare...

Le Président (M. Bachand) : Juste un instant, M. le ministre, Me Bellemare. Je vous rappelle qu'on est en visioconférence, il y a toujours un petit délai. Alors, pour les gens qui participent à la commission puis les gens qui nous écoutent, je vous demanderais quand même de faire attention à vos propos, de un, et de laisser la personne poser la question et l'autre personne y répondre. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Alors, M. le Président, écoutez, de connaissance générale, je crois que Me Bellemare a demandé à de multiples reprises de réformer la loi, même à l'époque où lui-même était ministre de la Justice. Et on se retrouve dans des situations où il est vrai que le projet de loi n'est peut-être pas complètement parfait. On travaille à l'intérieur de certains paramètres. Et, lorsque Me Bellemare nous dit : Écoutez, on doute du 200 millions, bien, je peux vous dire que, quand je suis passé au Conseil du trésor, lorsque le Conseil des ministres a entériné 200 millions supplémentaires... Je n'ai pas besoin d'expliquer à Me Bellemare comment les processus de l'État québécois fonctionnent.

Alors, je trouve extrêmement malheureux, extrêmement malheureux qu'un ancien ministre de la Justice mette en doute autant le rôle des juristes de l'État qui travaillent, autant le rôle aussi de la fonction, parce que je pense que tous les parlementaires sont animés par le désir de faire en sorte d'offrir davantage de soutien aux victimes, et c'est précisément ce qu'il a fait. Et, quand je lis des lettres ouvertes ou des lettres qui me sont communiquées pour dire : Écoutez, j'aurai seulement 10 minutes, en commission parlementaire, pour témoigner, alors que c'est faux, c'est 45 minutes, je crois qu'il faut apporter certaines nuances. Et, Me Bellemare, j'aurais cru que vous auriez apporté les nuances appropriées.

Et je comprends qu'il y a certaines mesures, dans le projet de loi, que vous êtes en désaccord, mais vous devez tout de même reconnaître qu'il y a des avancées significatives, notamment sur la notion de victime pour la cellule familiale, qui fait en sorte qu'il va y avoir du soutien psychologique, davantage de ressources qui vont être données, qu'on met en place un programme d'urgence pour les victimes, qu'on va faire en sorte d'amener du soutien où il n'y en avait pas actuellement. Êtes-vous en mesure de reconnaître ce que fait le projet de loi pour les victimes d'infractions criminelles?

M. Bellemare (Marc) : Le problème dans le projet de loi que vous apportez... puis je ne crois pas un mot de ce que vous dites quand vous dites que vous allez mettre 200 millions parce que...

Le Président (M. Bachand) : Me Bellemare, vous connaissez quand même les règles, on ne peut pas mettre en doute ce qu'un parlementaire a dit. Alors, je vous demanderais d'être extrêmement...

M. Bellemare (Marc) : ...

Le Président (M. Bachand) : Me Bellemare, je vous dis: Faites juste attention dans vos propos. On est en commission parlementaire au Parlement de Québec, s'il vous plaît. Allez-y.

M. Bellemare (Marc) : ...alors je vous répète que ce que le ministre dit, quand il dit qu'il va mettre 200 millions, c'est mathématiquement impossible. Alors, il peut bien dire ce qu'il voudra aujourd'hui, il peut bien faire les communiqués de presse qu'il voudra aujourd'hui, c'est impossible. S'il y a 40 millions qui vont être affectés dans les budgets de l'État, ça va bien être à la baisse et non pas à la hausse, parce que, quand tu coupes toutes les indemnités pour incapacité totale temporaire des sans-emploi, ça représente des millions de dollars.

Dans le rapport annuel de 2019, M. le ministre, que je vous invite à lire et à relire, il y a 65 millions pour l'incapacité totale temporaire. Il y a des sans-emploi qui retirent ça. Il y a des gens qui retirent des indemnités, qui étaient au travail au moment où ils ont été agressés, qui sont payés bien au-delà de la troisième année. Alors, vous les abandonnez, vous les jetez à la rue après trois ans. C'est inacceptable, ça représente quand même des milliers de Québécois.

Et que vous avez beau payer les traitements que vous voudrez au niveau psychologique, les traitements psychologiques, c'est des remboursements de dépenses. Ce n'est pas ça qui paie le beurre et le pain, ce n'est pas ça qui paie le loyer des victimes. Ce qui paie le loyer des victimes, ce sont des indemnités aux deux semaines qui sont payées et qui leur permettent de remplacer un revenu qu'ils ne peuvent pas avoir, pour ceux qui travaillent. Alors, d'arrêter après trois ans, ça, ça vient du rapport Lemieux qui est un rapport qui n'a jamais été suivi par vos prédécesseurs, qui date de 2009. Il y a eu six ministres de la Justice depuis 2009, il n'y en a aucun qui a mis de l'avant ce rapport-là. Vous sortez ça des boules à mites pour justifier votre trois ans, alors que c'est tout à fait non fondé, c'est contraire à la réalité. Toutes les lois du Québec prévoient des indemnités tant que l'incapacité perdure.

Qu'est-ce que vous allez dire à la serveuse, à 34 ans, qui est traumatisée crânien, stress post-traumatique, qui ne peut pas gagner sa vie, et vous la lâchez après trois ans? Elle va faire quoi, la serveuse, le mécanicien, le menuisier, le chômeur qui ne pourra plus se trouver un emploi qu'il cherchait au moment de l'agression criminelle? C'est inacceptable, vous ne pouvez pas ignorer ça. Et vous avez beau dire que vous changez la définition de victime, que vous donnez des traitements psychologiques, je vous le répète, ce sont des remboursements de dépenses. Tu n'es pas obligé d'être sur IVAC pour avoir des psychologues non plus, là. Le gouvernement a annoncé des gros budgets pour les psychologues, tu n'es pas obligé d'être sur IVAC.

Alors, il y a des reculs financiers immenses dans votre projet de loi, vous ne pouvez pas ignorer ça. Puis je n'attaque pas les légistes du ministère de la Justice. Les légistes du ministère de la Justice, là, que je connais bien d'ailleurs, ils font ce que vous leur demandez de faire. C'est vous le ministre de la Justice, ce n'est pas eux autres.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, savez-vous ce qui est dommage, c'est les nuances à apporter, que Me Bellemare refuse d'apporter dans ses propos. Ce n'est pas uniquement trois ans, ça peut aller jusqu'à cinq au niveau de l'indemnité de remplacement de revenu. C'est dans le projet de loi. On oublie de mentionner qu'il y aura une somme forfaitaire aussi, au lieu d'avoir une rente viagère. Ça, malheureusement, Me Bellemare ne le dit pas non plus.

Alors, pour ce qui est du rapport Lemieux, savez-vous quoi? Effectivement, je suis le premier ministre de la Justice à apporter une réforme globale de l'IVAC, qui va faire en sorte qu'environ 4 000 personnes supplémentaires annuellement vont pouvoir bénéficier d'aide et de soutien de l'État. Alors, ça, ça n'a pas été fait par mes prédécesseurs, incluant par Me Bellemare, M. le Président. Et c'est drôle, parce qu'au cours des années, quand on recense les déclarations de Me Bellemare, il nous dit toujours : Le régime de l'IVAC doit être modernisé. Le régime de l'IVAC doit être plus généreux. Le régime de l'IVAC doit penser davantage aux victimes, et c'est ce qu'on fait dans le cadre du projet de loi.

Ce que je peux vous dire, M. le Président, aujourd'hui, c'est que je ne pense pas qu'on va réussir à avoir une discussion qui va faire en sorte... qui va nous permettre de dire : Bien, voici, dans le projet de loi, vous devriez améliorer ceci, hein, de la façon dont il est qualifié par Me Bellemare. J'en suis attristé, parce que je crois que Me Bellemare peut nous apporter une expertise qui ferait en sorte de dire : Bien, écoutez, vous devriez ajouter ceci, ajouter cela. Mais il choisit de prendre une approche qui dit : Tout est mauvais, retirez le projet de loi, puis il n'y a rien de bon là-dedans.

Alors, M. le Président, je n'aurai pas d'autre question pour le témoin, mais j'en suis déçu d'avoir une telle approche, malheureusement, puis je vais céder la parole à mes collègues.

M. Bellemare (Marc) : M. le Président, est-ce que je peux répondre?

Le Président (M. Bachand) : Oui, bien sûr, Me Bellemare.

• (14 h 20) •

M. Bellemare (Marc) : Alors, M. le ministre me surprend beaucoup, parce que j'ai beaucoup travaillé avec M. le ministre lorsqu'il était dans l'opposition. Il me connaît, il connaît mon expertise. Il connaît mon engagement auprès des victimes depuis 42 ans et il me dit qu'il aurait voulu profiter de mon expertise. Il est un peu tard, M. le ministre. Ça aurait peut-être été bon que vous m'en parliez avant, de mon expertise, parce que vous n'avez consulté aucun avocat spécialisé en matière d'indemnisation. Je les connais tous. Vous avez rencontré certaines associations pour leur demander leurs besoins, vous ne les avez pas consultées sur le projet de loi comme tel.

Vous nous arrivez, en conférence de presse le 10 décembre, à une semaine de Noël, avec un projet de loi d'une grande densité, tout à fait nouveau. Il y a beaucoup de gens, même au sein de votre ministère, qui ne savent même pas où ils s'en vont avec le projet de loi, tellement il y a des notions nouvelles. Il y a beaucoup d'imprévus, et on nous convoque en commission parlementaire le 19 janvier, en pleine pandémie, il y a le congé des fêtes. Puis vous me dites que vous voulez avoir mon expertise? J'en doute. Mon expertise est là depuis 1979, M. le ministre, et j'ai travaillé avec l'IVAC depuis 1979, j'ai représenté des milliers de victimes.

Et je vous le dis, c'est un recul colossal au niveau de l'aide financière. C'est un sophisme de parler d'aide financière quand on parle simplement de remboursement de traitement psychologique. Ce n'est pas de l'aide financière, c'est un remboursement de frais. L'aide financière, c'est l'indemnité pour incapacité totale temporaire, même au-delà de quatre ans. Vous ne pouvez pas nous dire, quand bien même que c'est cinq ans, que ça correspond à la loi actuelle. La loi actuelle prévoit des indemnités à vie. La vie, ça ne s'arrête pas à 30 ans. Et tous les autres régimes d'indemnisation au Québec prévoient des indemnités de remplacement de revenu jusqu'à l'âge de 68 ans, même, par exemple, pour les victimes de la route qui étaient sans emploi au moment de l'accident.

Vous pourriez vous inspirer de la Loi de la SAAQ, qui prévoit des indemnités pour les gens qui étaient étudiants, chômeurs, travailleurs temporaires, retraités au moment de l'accident d'automobile. Vous ne vous inspirez pas des autres lois, on s'en va tout croche, on s'en va partout avec un tout nouveau régime. Ça va mêler les gens. Les Québécois ont besoin d'être rassurés. On a des régimes d'indemnisation au Québec qui existent, à la CSST depuis 1909, à la SAAQ depuis 1978. Il y a des concepts qui marchent très bien au sein de ces organismes-là. Vous devriez les emprunter et les intégrer, dans la loi de l'IVAC, pour que ce soit plus simple, qu'on tende vers un régime qui soit plus commun au Québec puis que les Québécois s'y retrouvent, parce que, dans des régimes multiples comme ça, plus on s'étire, plus on s'en va dans toutes les directions, plus on crée des régimes différents des uns des autres, plus c'est mêlant pour les victimes, moins on sait où on s'en va, et, pour le simple citoyen, ça devient plus compliqué que la Loi de l'impôt, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci, Me Bellemare. S'il n'y a pas d'autre question du côté ministériel, je vais céder la parole au député de LaFontaine. M. le député, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Merci beaucoup...

M. Jolin-Barrette : M. le Président, je crois qu'il y avait des questions de la part du député de Saint-Jean.

Le Président (M. Bachand) : O.K. J'attendais juste que la main se lève, comme on dit. Alors, M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît. Il reste trois minutes.

M. Bellemare (Marc) : Il n'a pas de micro, M. Lemieux. Je n'entends rien.

Le Président (M. Bachand) : Louis? M. le député de Saint-Jean. O.K. Excuse.

M. Lemieux : Désolé, M. le Président, ma camarade des Plaines aussi, à qui je vais essayer de laisser un peu de temps.

Beau débat d'experts, mais j'aimerais quand même vous entendre, Me Bellemare. Le ministre a essayé de vous demander s'il y avait autre chose qui allait un peu, au moins. Moi, je comprends qu'on va aider beaucoup plus de victimes et de parents de victimes, mais surtout on va les aider dès le départ. On a entendu toute sorte de monde venir depuis hier, puis ça va continuer demain, des gens qui disent que c'est une place de fous, ça prend une éternité, on a de la misère. Et, si j'ai bien compris, là, et puis vous avez probablement lu le même projet de loi que moi, au lendemain du début des procédures, les gens vont avoir de l'aide, de l'aide qui n'est pas l'argent sonnant, dont vous parlez depuis tout à l'heure, mais qui est de l'aide à laquelle ils ont droit et qu'ils n'ont pas en ce moment. Parce que, là, on n'est pas, au moins... On peut-tu s'entendre au moins là-dessus, là? On commence avec ça, là, puis on continue?

M. Bellemare (Marc) : Non, mais c'est parce que, M. Lemieux, c'est un problème de machine, c'est un problème administratif qui fait que tu reçois ton premier chèque une semaine après l'agression, ou six mois, ou un an après l'agression. Ça n'a rien à voir avec la loi. La loi, c'est un cadre juridique qui crée des droits ou qui en enlève, selon ce qu'on avait avant. Dans ce cas-ci, on en enlève beaucoup plus qu'on en donne, à mon avis, surtout au niveau de l'aide financière, ce qu'on appelle véritablement l'aide financière.

Le délai que ça prend, pour l'IVAC, à s'activer, ce n'est pas dans la loi, à moins qu'on mette une disposition puis qu'on oblige le ministre à répondre, par exemple, à une réclamation dans les 90 jours ou qu'on oblige des paiements temporaires pour les gens qui ont été victimes d'actes criminels, spontanément, un traumatisme psychologique. Mais autrement, ce n'est pas la loi qui va régler ça, à moins qu'on impose un délai à l'administration.

M. Lemieux : Je ne parlais pas des indemnisations, je parlais des services et de l'aide qu'on va donner, de l'aide directe en psychologie et autres. Mais il y a ma camarade des Plaines aussi, ma collègue des Plaines à qui je vais laisser le peu de temps qu'il nous reste. Merci, Me Bellemare.

M. Bellemare (Marc) : Au plaisir.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Bellemare. Très rapidement. Il y a quand même une grande avancée dans ce projet de loi qui est de reconnaître les victimes d'exploitation sexuelle. J'aimerais au moins que vous puissiez reconnaître cette grande avancée là. J'en ai rencontré beaucoup dans les derniers mois, et ces victimes-là, et les organismes qui s'occupent de ces victimes-là le demandaient à tout vent. Alors, j'imagine que vous reconnaissez que c'est une très grande avancée dans ce projet de loi là.

M. Bellemare (Marc) : C'est une avancée, puis on a besoin d'un amendement d'une dizaine de mots à la loi actuelle pour prévoir ça. On a besoin simplement d'abolir l'annexe qui est à la fin de la loi sur l'IVAC et de prévoir que tous les crimes prévus au Code criminel seront inclus. On n'a pas besoin d'avoir un projet de loi révolutionnaire, positif comme négatif, de tout changer ce qui existe depuis 50 ans au Québec, en matière d'IVAC, pour apporter ce changement-là. Ça aurait pu se faire par un simple amendement législatif. Et c'est ça que je dis au ministre : Vous n'avez pas besoin de réinventer la roue et de mêler tout le monde pour la prochaine génération pour ajouter des victimes et abolir l'annexe. C'est ça que je dis.

Mme Lecours (Les Plaines) : Par contre, toute l'aide accordée, toute la portion aussi d'aide directe rapide, ça, c'est également une avancée qui était demandée non seulement par les victimes pour être maintenant reconnues dans ce projet de loi là, mais aussi par beaucoup, beaucoup d'organismes qui sont... qu'on a rencontrés sur le terrain, qu'on a sondés.

M. Bellemare (Marc) : Mais l'aide directe rapide, là, il y a déjà de l'aide directe rapide à IVAC, là. Ce n'est pas inventé. Ça existe depuis 1972, l'aide directe rapide. Le problème, c'est que les victimes doivent se trouver un psychologue, ce qui n'est pas évident. Il y a beaucoup de psychologues sur le marché privé qui ne veulent pas faire de traitement pour les victimes d'actes criminels parce que ce n'est pas payant. C'est des tarifs qui sont relativement bas, c'est de la paperasse, il faut faire des rapports, les fonctionnaires t'appellent, na, na, na. Alors, il y a beaucoup de psychologues dans le privé qui ne veulent pas agir. J'ai régulièrement des appels de victimes qui me disent : Ça fait 12 que j'appelle, il n'y a personne qui veut me prendre, parce que c'est un dossier d'IVAC, ce n'est pas juste de la thérapie, c'est de la paperasse, c'est des téléphones, c'est des papiers, c'est des formulaires à remplir.

Alors, ça, ça ne changera pas. Ça, ça va continuer, mais il n'y a aucun changement par rapport à la loi actuelle. Les traitements psychologiques aux victimes d'actes criminels, on en a, ça fait 49 ans, là. Où est l'avancée là-dedans? On appelle ça de l'aide financière, ce n'est pas de l'aide financière. Rembourser un traitement de psychologue au privé à 86 $ la shot, je ne vois pas où est l'avancée, là. Ce n'est pas ça qui fait que tu paies ton loyer à la fin du mois, là. Le problème, c'est que les victimes n'auront plus de remplacement de revenu, n'auront plus d'indemnité... C'est ça, le problème. C'est le pain puis le beurre qui comptent, parce que suivre une thérapie puis guérir ou se remettre d'un stress post-traumatique, quand tu as l'huissier en arrière ou le syndic qui vient saisir tes biens parce que tu n'es pas capable de payer tes dettes, ça va assez mal au niveau de la thérapie.

Tous les psychologues vont vous dire que, pour réussir une approche thérapeutique, ça prend de la sérénité, ça prend de la quiétude, donc ça prend un remplacement de revenu. Ça prend une indemnité aux deux semaines qui va permettre à la victime de payer ses dépenses. Autrement, la thérapie ne marchera pas.

Le Président (M. Bachand) : Merci, Me Bellemare. Je cède maintenant la parole au député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Oui. Merci, M. le Président. Merci, M. Bellemare. Bonjour.

M. Bellemare (Marc) : Bonjour, M. Tanguay.

M. Tanguay : Il était très important, pour nous, de vous entendre... en désaccord avec le ministre. Alors, une fois que ceci est dit, nous partageons votre approche à l'effet que la précipitation est mauvaise conseillère, de un. Et, de deux, le fait qu'un pavé de 190 articles, que vous qualifiez restrictifs, laborieux et inutilement complexes, c'est sûr que ça vient, et vous l'avez dit, c'est un... Quand même, la loi est perfectible, puis tout le monde appelait à des modifications à l'IVAC et à l'indemnisation des victimes.

On vient mettre de côté, puis j'aimerais vous entendre... Puis j'ai peut-être huit, 10 points, en mon 11 minutes, alors je vais essayer de vous permettre de pouvoir peut-être préciser votre pensée, parce que votre analyse, là, de votre lettre, là, il y a beaucoup de stock au pouce carré, puis c'est excessivement important de vous entendre. Donc, vous dites : Harmoniser... On a déjà un corpus de jurisprudence et d'application au Québec. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, autrement dit.

• (14 h 30) •

M. Bellemare (Marc) : Oui, c'est ça. C'est parce que moi, je pense que l'État québécois... Vous savez, on a beaucoup de régimes d'indemnisation au Québec. On a la Régie des rentes pour les invalides sans raison particulière. On a la CNESST. On a la Loi sur les accidents du travail en 1985. On a la Loi sur l'assurance automobile de 1978, qui a été refaite en 1990. On a beaucoup de régimes d'indemnisation au Québec. À mon avis, on en a trop.

Et, quand on fait des changements, plutôt que d'essayer de revenir avec des modèles complètement nouveaux... Je comprends que ça peut être sexy, au plan législatif, d'arriver avec quelque chose qui est complètement nouveau, innovant. Bon, on a inventé quelque chose, de la modernité, sauf que, pour les gens, pour les victimes sur le terrain, pour les avocats, pour les travailleurs sociaux, pour les psychologues, ça devient extrêmement complexe.

Et moi, je suis contre l'approche du ministre qui consiste à réinventer la roue avec toutes sortes de nouvelles notions au niveau de la faute lourde, la participation à une infraction ainsi que la faute lourde. Pourquoi ce n'est pas simplement de la faute lourde? Il y a de la jurisprudence, pour remplir mon bureau, sur la faute lourde, déjà, au Tribunal administratif. Conserver la même notion dans la Loi sur les accidents du travail, dans la loi sur l'IVAC... Si vous faites des changements, comme, par exemple, pour les sans-emploi, j'insiste là-dessus... dans la Loi sur l'assurance automobile, il y a de multiples dispositions sur les sans-emploi. Qu'est-ce qu'on fait? On ne paie pas les six premiers mois. Et, à partir du septième mois, on détermine un emploi fictif qui correspond au bagage académique, à l'expérience de la victime, puis on détermine un emploi fictif, puis on dit : S'il ne peut pas faire cet emploi-là, on commence à le payer en remplacement de revenus. C'est ça qu'on fait depuis le 1er janvier 1990 en assurance automobile. Les étudiants, les chômeurs, les retraités, les femmes à la maison aussi... parce que ce n'est pas parce que tu n'as pas de job au moment où l'acte criminel survient que tu n'en auras jamais eu de ta vie, tu peux être sans emploi temporairement. Un chômeur qui honnêtement cherche de l'emploi, il n'a pas d'emploi au moment de l'événement, on ne lui versera pas d'aide financière de remplacement de revenu. C'est scandaleux. Il n'y a pas une loi au Québec qui est comme ça, pas une.

M. Tanguay : Et, si vous me permettez, vous nous avez donné, dans votre présentation initiale, un exemple qui parle de lui-même, là, la femme serveuse au restaurant, de 30 ans, et ça, là, je veux dire, cet exemple-là, je vais le reprendre au cours de nos débats puis je vous en donnerai le droit d'auteur, mais ça parle tellement sur le fait que de 38 ans d'indemnisation, on tombera à un maximum de trois ans, même si les séquelles n'arrêteront pas par magie trois ans après.

J'aimerais vous entendre sur un exemple aussi très tangible d'une notion qui s'appelle de scène intacte et j'aimerais que vous nous expliquiez, le plus rapidement possible, en quoi ça aurait eu un impact négatif pour les victimes de la Mosquée de Québec, le 29 janvier 2017, que cette notion-là de scène intacte qu'introduit l'article 13 du projet de loi n° 84.

M. Bellemare (Marc) : Bon, je vous donne l'exemple de Mme Thabti, qui est ma cliente et qui a réussi à se faire reconnaître comme victime, qui est la femme d'Aboubaker Thabti qui a été assassiné à la Mosquée de Québec parmi cinq, six autres personnes le 29 janvier 2017. Elle apprend que son conjoint est à la mosquée et elle apprend qu'il y a une fusillade, la police, les ambulances, etc. Elle se précipite avec ses enfants à la mosquée sachant que son conjoint est à l'intérieur, ça ne va pas bien, et là c'est l'horreur. Qu'est-ce qu'elle voit? Des badauds, des gens paniqués, des policiers, des ambulanciers, des civières, des journalistes. Stress post-traumatique automatique, ses deux enfants aussi, elle réclame à l'IVAC en disant : J'ai été victime d'un choc mental à l'occasion d'un acte criminel. Même si je n'étais pas dans la mosquée, si je n'ai pas reçu une balle de fusil, je suis quand même une victime. Alors, elle a été refusée par IVAC en disant : Bien, vous n'étiez pas là, dans la mosquée, quand les balles ont sorti du fusil de Bissonnette, donc vous n'êtes pas une victime. On a contesté ça, on a gagné la cause devant le Tribunal administratif du Québec.

Des exemples comme ça, j'en ai plaidé, j'en ai fait reconnaître une bonne vingtaine de gens comme ça qui se sont précipités sur la scène de crime. Alors, Mme Thabti est une conjointe, ça va, son mari a été assassiné. Dans la définition du projet de loi, on dit que le conjoint d'une personne... le projet de loi n° 84, le conjoint d'une personne qui aurait été blessée à l'occasion d'un acte criminel ne sera pas... sera considéré comme victime, dans le projet de loi, sauf qu'à l'article 36, la conjointe, une victime n'a pas droit au remplacement de revenu, n'est-ce pas?

Alors, c'est la conjointe, Mme Thabti, elle, elle a été payée par IVAC une fois qu'elle a été reconnue comme victime. Elle a eu un an de salaire parce qu'elle ne pouvait pas s'occuper de sa garderie. En vertu du projet de loi, comme elle n'est pas prévue à l'article 36 du projet de loi, elle n'aura pas d'aide financière. Donc, cette femme-là, qui a eu de l'indemnité de remplacement de revenu pendant un an, suite à l'agression de Bissonnette, ne serait pas indemnisée au niveau du remplacement de revenu, même si elle avait un emploi, parce qu'elle n'est pas visée à l'article 36 du projet de loi qui restreint au témoin de la scène intacte. Ça va? Mais la scène intacte, M. le ministre qui, de façon très claire, veut faire échec à cette jurisprudence-là, parce que c'est manifeste, quand j'ai lu ça, la scène intacte, je me suis dit : C'est carrément à l'encontre de ce courant jurisprudentiel là.

On définit la scène intacte comme étant la scène avant l'arrivée des ambulanciers puis des policiers. C'est n'importe quoi. C'est comme si, quand on arrive sur une scène de crime et qu'on voit les policiers puis les ambulanciers, bien là, on n'est plus traumatisé. C'est complètement ridicule, c'est encore pire, M. Tanguay. Si tu arrives sur une scène, tu arrives chez vous, le soir, il y a des cordons de sécurité, il y a des polices, il y a des ambulances, tu sais, tu ne travailleras pas le lendemain, là, alors tu es traumatisé. Et on réduit la scène intacte à la scène avant l'arrivée des policiers. Ça veut dire que c'est une peau de chagrin, ça veut dire qu'on va éliminer quantité de victimes qui sont admissibles actuellement.

M. Tanguay : J'aimerais aussi, puis là, vu que le temps presse, il me reste à peu près... moins de quatre minutes, je vais jumeler deux points qu'on aurait pu développer distinctement, mais je vais les mettre ensemble, sur la multiplication du pouvoir réglementaire et ce qui s'enligne pour être la gestion par le ministère de la Justice. N'y voyez-vous pas là, puis c'est un peu ce qu'on déduit de votre lettre, une capacité pour l'État, par le pouvoir réglementaire, de fermer des portes et, dans l'application par le ministère de la Justice, de dire : Oui, il a droit, non, elle n'a pas droit, une capacité gouvernementale aussi de faire une gestion budgétaire qui ferait en sorte que là, bien, on va fermer les écoutilles, là?

M. Bellemare (Marc) : Bien, c'est possible. L'avenir nous le dira, parce que l'avenir, on ne le connaît pas puis on le connaît encore moins avec ce projet de loi là. Mais je vous dirai simplement que la somme forfaitaire, d'abord, le projet de loi ne nous dit pas quelle est l'étendue de la somme forfaitaire. Il y a des barèmes au Québec qui existent. Le barème de la CNESST, qui est plutôt modeste au niveau de séquelles, ne donne à peu près rien pour les séquelles permanentes. C'est un barème qui en vigueur depuis le 1er octobre 1987. Le barème de la SAAQ a été modifié à de multiples reprises depuis 1978, sa dernière version date de 2000, plus généreux, mais on ne sait pas c'est quoi, le barème du ministre. J'espère qu'il ne nous arrivera pas avec un troisième barème ou un quatrième. On en a déjà pas mal, des barèmes, là. On peut-tu arrêter, là, qu'il prenne un des deux, là, idéalement, celui de la SAAQ?

Mais le problème de l'indemnité forfaitaire, M. Tanguay, c'est qu'elle est versée à la fin du processus. Mais si tu n'as pas eu de salaire pendant deux ans ou trois ans, puis qu'on te verse une indemnité... parce que le forfaitaire, c'est pour les séquelles permanentes, ça vient après tous les traitements, puis en psychologie c'est long les traitements. Ce n'est pas une blessure au poignet, là, on parle de gens qui sont en stress post-traumatique. Ça peut prendre cinq, six, sept ans, des fois 10 ans avant d'aboutir... l'indemnité forfaitaire. Mais quant à la façon de gérer ça, je ne sais pas... c'est sûr que l'État, par le fait que souvent, par le biais des ministères ou par le biais des organismes publics, l'État a à coeur de dépenser le moins possible... on ne lui reproche pas ça, sauf qu'il faut dire la vérité aux gens.

Moi, ce que je trouve... ici, on laisse croire que ça va être... alors que ça va l'être moins. Qu'on dise donc la vérité aux gens, qu'on leur dise donc : On n'a pas d'argent, on est obligé de couper dans les salaires, on est obligé de couper à trois ans parce qu'on n'a pas d'argent. Alors, qu'on dise ça, qu'on dise aux victimes qu'ils en auront moins, qu'on ne leur dise pas qu'ils vont en avoir plus quand ça va être le contraire.

M. Tanguay : Autre exemple tangible, vous parlez de la prescription extinctive, avec l'article 21, à une victime de 17 ans estime apte à réclamer dès l'âge de 14 ans. Son recours serait-il prescrit avant qu'il n'atteigne l'âge de la majorité? Donc, victime à 14 ans, 17 ans, j'aimerais ça que vous nous expliquiez également cet autre écueil très, très potentiel, avec le projet de loi n° 84, quant à la prescription extinctive.

Le Président (M. Bachand) : Et en moins de... Excusez-moi, Me Bellemare, il reste une petite minute, alors s'il vous plaît de faire en une minute, s'il vous plaît. Merci.

M. Bellemare (Marc) : On donne à la victime de 14 ans le droit de réclamer. On lui donne même le droit de gérer l'argent qui va sortir de cette loi-là. L'indemnité forfaitaire, par exemple, on va avoir des enfants de 15, 16 ans qui vont recevoir des indemnités forfaitaires de, je ne sais pas, moi, 25 000 $, 30 000 $, 40 000 $. D'abord, c'est douteux, mais, pour ce qui est de la prescription, on donne à la victime de 14 ans le droit de réclamer. Est-ce que ça veut dire que, après trois ans, donc à 17 ans, s'il n'a pas réclamé, il va être prescrit? Est-ce que le délai de trois ans ne devrait pas courir au moins à partir de sa majorité puis être prescrit à 21 ans? Lui laisser le temps d'agir, à 14 ans, tu n'as pas toute la maturité, tu n'as pas toutes les connaissances. On lui donne le droit de réclamer plus jeune. Est-ce que le délai de trois ans court aussi contre lui à partir du moment où il a l'opportunité de réclamer puis qu'il est conscient de ses blessures, ce qui voudrait dire qu'il serait prescrit à 17 ans? Je trouve ça risqué, il n'y a rien dans le projet de loi là-dessus.

Le Président (M. Bachand) : Merci.

M. Tanguay : Merci, Me Bellemare.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Sherbrooke, vous avez la parole, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, M. Bellemare, vous nous faites part de plusieurs lacunes dans le projet de loi, vous n'êtes pas le seul d'ailleurs, là. Merci. Vous avez nommé la question des délais, tantôt, puis vous avez dit : Ça, c'est quelque chose que le projet de loi ne va pas régler, à moins d'introduire une disposition pour imposer un délai à l'administration. Pensez-vous que ce serait souhaitable de le faire?

M. Bellemare (Marc) : Peut-être, parce que j'ai... écoutez, il y a beaucoup de délais, hein? Il y a beaucoup de gens qui me disent : Ça me prend quasiment un avocat dans le coffre à gants, quand j'ai un accident d'auto, ou dans la boîte à lunch, quand j'ai un accident de travail.

C'est vrai qu'il y a beaucoup de délais. Les délais de contestation, pour les victimes, l'IVAC, actuellement, c'est 30 jours pour l'ITT ou l'admissibilité, 90 jours pour les séquelles permanentes, 60 jours devant le tribunal administratif; CSST, c'est 30 jours, 45 jours devant le Tribunal administratif du travail; la Régie des rentes, c'est d'autres délais; la SAAQ, c'est 60 jours. Les délais de réclamation varient d'une loi à l'autre. C'est pour ça que je vous dis : Essayez donc de tendre vers l'harmonisation pour que les gens se disent : Ah! bien, c'est tel délai pour la contestation.

Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de délai pour l'action gouvernementale, puis c'est toujours déplorable, on n'a pas de poignée pour ça. On a des dossiers... je comprends qu'ils ont des enquêtes, des fois, au niveau de l'IVAC, on enquête pour savoir si monsieur était dans le crime organisé ou s'il ne l'était pas. Il y a des cas, des fois, ça prend deux, trois ans avant que la décision sorte. C'est inacceptable. Je comprends qu'ils ont des enquêtes à faire, mais ça ne serait peut-être pas mauvais d'imposer des délais aussi à l'administration publique. À moins d'une grande complexité dans le dossier, il me semble que, si tu es victime d'un acte criminel, à partir du moment où tu as déposé ta réclamation, ils devraient rendre une décision dans un délai, je ne sais pas, moi, de 60 ou 90 jours. On peut l'imposer, quitte à ce qu'il y ait des limites, mais là il n'y en a pas et il n'y en a pas dans aucune des lois.

Alors, les délais, c'est toujours du côté du citoyen, puis c'est fort complexe. Puis en matière d'IVAC, là, on parle de gens, là, qui sont traumatisés au plan psychologique, là, c'est l'enfer. Il y a beaucoup de victimes qui n'ont pas de blessure physique qui sont blessées au plan psychologique.

Il y a un problème aussi au niveau de la réclamation. On dit qu'on a trois ans pour réclamer, puis, au-delà de ça, tu es réputé, je pense... je ne sais pas quelle disposition du projet de loi n° 84, là, tu es réputé à avoir renoncé à moins de prouver l'impossibilité d'agir. Ça, il faut se débarrasser de ça, l'impossibilité d'agir, c'est dans le Code civil, mais ce n'est dans aucune loi sociale. Aujourd'hui, c'est le motif raisonnable, un concept beaucoup plus équitable, beaucoup plus simple. Si l'accidenté est hors délai, à quelque niveau que ce soit, pour réclamer, la victime d'acte criminel, un motif raisonnable devrait suffire à excuser son retard et non pas l'impossibilité d'agir. Je trouve que c'est beaucoup plus difficile, puis les tribunaux, l'impossibilité d'agir, c'est virtuellement impossible d'atteindre ce niveau-là, c'est quasiment une preuve hors de tout doute ...On devrait imposer des délais, à mon avis, à l'administration aussi.

• (14 h 40) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme la députée de Sherbrooke. Mme la députée de Joliette, vous avez la parole, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui, bonjour. Merci beaucoup, Me Bellemare. J'aurais vraiment beaucoup de questions, mais, voyez-vous, j'ai un gros 2 min 45 s.

Donc, je voudrais vous amener à l'article 71, parce que c'est là où on parle que, si le ministre est d'avis que la personne qui en fait la demande a besoin immédiatement de l'aide financière, il va pouvoir le faire, mais dans le deuxième alinéa, on dit que ça va être déterminé par règlement, les constats et modalités du versement préalable. Donc, moi, ce qui m'inquiète, puis je voulais avoir votre opinion là-dessus, c'est qu'on parle beaucoup de l'importance de pouvoir agir rapidement avec, notamment, du soutien psychologique, et est-ce qu'on peut penser que de faire ça par règlement va vraiment pouvoir venir déterminer toutes les circonstances où on devrait pouvoir agir rapidement? Est-ce que ça ne devrait pas être la règle de base, que l'aide doit être immédiate?

M. Bellemare (Marc) : Oui, mais je peux vous rassurer, Mme Hivon, ça ne sera jamais appliqué, parce que c'est déjà dans la Loi de l'IVAC, puis ils ne l'ont jamais appliqué. Les paiements temporaires, quand ils sont d'avis qu'ils accorderont probablement l'indemnité, moi, en 42 ans, je n'ai jamais vu ça, je n'ai jamais vu de victime. Il y a une personne, il n'y a pas longtemps, là, qui m'a contacté, qui a été victime d'une invasion de domicile, ça fait huit mois que le monsieur... sa femme a été victime d'invasion à domicile, ses deux filles ont été blessées. Il dit : Je n'en reviens pas, je n'ai pas une cent qui rentre, personne n'est payé, ça fait huit mois. Alors, ce serait un beau cas, là, mais ils ne l'appliquent pas. Alors, les paiements temporaires, ils n'en font pas.

Maintenant, c'est sûr que, plus il y a de garanties dans la loi, mieux c'est, et tout ce qui s'appelle pouvoir réglementaire, bien, c'est évidemment à proscrire, parce que ça donne un pouvoir discrétionnaire illimité à l'exécutif pour réglementer puis ajouter des conditions, puis ce n'est généralement pas nécessairement en faveur du citoyen.

Mme Hivon : C'est sûr que ça inquiète beaucoup, parce que tout le coeur de l'indemnisation puis des sommes forfaitaires, ça va tout être déterminé par règlement. Donc, en ce moment, on n'est même pas capable de savoir la hauteur. Ça fait que c'est sûr qu'il va y avoir un gros travail à faire là.

Mon autre élément, c'est qu'on sait à quel point les rapports, la bureaucratie sont difficiles avec l'IVAC. Est-ce que vous voyez des choses, dans le projet de loi, qui sont de nature à améliorer les rapports, je dirais, administratifs entre le citoyen, la victime et l'IVAC, des améliorations très tangibles dans la manière dont on va prendre en compte la demande, qu'on va être efficace, diligent, que ça va être plus simple pour lui?

M. Bellemare (Marc) : Il faudrait peut-être mettre des dispositions. Je sais que, dans la Loi sur les accidents du travail, les maladies professionnelles, il y a des dispositions qui disent qu'on doit s'adresser aux citoyens dans un langage simple. La Loi sur la justice administrative aussi dit que les fonctionnaires doivent être en soutien aux citoyens. Oui, il y a des beaux principes, mais, en pratique, tout ça relève de l'administration. Puis c'est un peu ce que je dis dans ma lettre, comment ça va être géré cette affaire-là, la structure, c'est quoi, les fonctionnaires, comment ils vont être formés, parce que c'est certain, comme je le disais tantôt, qu'on fait affaire avec des dépressifs puis des traumatisés, des gens qui sont sévèrement atteints au niveau psychique. Ça touche l'humeur, ça touche la concentration, ça touche l'anxiété, et on a besoin de... on le sait, nous autres, les avocats, on a besoin de traiter nos victimes, nos clients, quand c'est des victimes d'actes criminels.

Ce n'est pas n'importe quelle personne et c'est sûr que ça fait grandement défaut, au niveau de l'IVAC, le rapport, la façon de parler aux gens. Vous ne passerez pas votre vie là-dessus, ça fait trois fois que vous m'appelez depuis un mois, vous n'avez pas compris, ça fait une demi-heure que je vous l'explique. Des attitudes solides. Moi, j'ai... puis on m'apporte des «tapes», des fois, là, des enregistrements de contestation, c'est ahurissant. J'ai confiance que le ministre trouve une solution à ce problème-là, même si c'est beaucoup au niveau des rapports humains, au niveau de la culture de l'organisme que ça doit être travaillé. Mais là c'est... s'il y a un changement législatif qui est opéré, il faudrait aussi travailler très fort sur la structure et l'approche et convaincre les fonctionnaires, les choisir en conséquence pour une certaine convivialité puis un certain humanisme, là. Il faut vraiment travailler ça, mais est-ce que ça peut s'intégrer dans un cadre législatif? Je pense que ça a toujours été compliqué.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Bellemare, ça conclut...

M. Bellemare (Marc) : Ça pourrait être... si vous me permettez, M. Bachand, s'il y a une structure... je le disais, s'il y a une structure qui est développée, qui est mise en place, on ne la connaît pas, mais s'il y en a une, qu'on permette aux victimes mais aux vraies victimes, là, pas des représentants, là, pas des technocrates, là, mais des vraies victimes articulées d'être présentes sur la structure administrative éventuelle.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Bellemare, encore une fois, merci beaucoup de votre participation.

Sur ce, on suspend les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 14 h 46)

(Reprise à 14 h 48)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir maintenant les représentants et représentantes de la Direction générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

Alors, M. Rodrigue et Mme Choquette, merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi. C'est très apprécié. Alors, comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation, et, après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. Sur ce, je vous laisse la parole et, encore une fois, merci de participer aux travaux. À vous.

Direction générale de l'indemnisation des victimes
d'actes criminels (DGIVAC)

M. Rodrigue (Jean) : Parfait. Merci beaucoup. Alors, je me présente, Jean Rodrigue, directeur général de l'Indemnisation des victimes d'actes criminels. Je suis accompagné aujourd'hui de Mme Myriam Choquette, qui est directrice du développement, du soutien et du bureau de la révision administrative. Mme Choquette est également la gestionnaire responsable de la mise en oeuvre du projet de réforme.

Le but de la présentation aujourd'hui, c'est de partager avec vous certains constats opérationnels actuels et les impacts prévus du projet de loi n° 84 sur ces derniers. Nous ne nous présentons pas aujourd'hui en tant qu'experts du projet de loi, je tiens à vous le dire. Comme vous le savez sûrement, la loi adoptée en 1972 a confié un mandat de gestion administrative du régime d'indemnisation à la direction générale de l'IVAC, et, bien que nous ne soyons pas responsables de l'analyse, du développement et de l'évolution de ce régime, nous sommes à même de partager avec vous certains constats.

Ces constats, nous les avons partagés d'ailleurs avec le ministère de la Justice du Québec dans le cadre de ses travaux, et j'aimerais souligner d'ailleurs la grande collaboration, dans ce projet, entre le ministère et la direction générale de l'IVAC. Nous avons été à même de discuter avec eux des problématiques auxquelles nous devons faire face dans l'application de la loi actuelle. Nous avons mis, dès le départ, à contribution une équipe de professionnels bien au fait de la prestation de services, qui a pu porter la voix de nos intervenants et, par le fait même, des personnes victimes elles-mêmes. Nous croyons que cette réforme importante permettra de répondre à plusieurs critiques faites à l'endroit du régime actuel.

Quelques chiffres avant de commencer, les derniers chiffres officiels, qui datent de 2019, chiffres présentés dans le rapport annuel d'activité qui a été déposé à l'Assemblée nationale, donc 8 856 nouvelles demandes de prestations reçues au 31 décembre 2019. 7 223 demandes de prestations acceptées, c'est 81,5 % des demandes qui ont été acceptées, 17 532 dossiers pour lesquels des indemnités ont été versées, pour une somme de 136 022 991 $.

• (14 h 50) •

Les enjeux actuels concernent deux points essentiels que le Protecteur du citoyen a soulevés dans son rapport systémique publié en septembre 2016 et qui font d'ailleurs souvent l'objet de plusieurs publications dans les médias. Je vous parle de l'accès au régime ainsi que des délais de traitement. Plusieurs critiques, donc, sur le régime actuel sont en lien avec l'admissibilité des réclamations. Ces critiques portent essentiellement sur les critères d'admissibilité, restrictifs, il faut le dire, qui limitent l'accès au régime à certaines victimes d'actes criminels. Le projet de loi prévoit des modifications sur certains aspects. Les modifications porteront essentiellement sur la territorialité, le délai pour déposer une demande de qualification, l'imprescriptibilité pour des infractions dans certains contextes, les crimes éligibles et la notion de victime.

Tout d'abord, le critère de territorialité. Actuellement, pour être admissible, le crime doit avoir été commis au Québec. Une personne étrangère en visite peut être admissible, mais un résident québécois victime d'un crime à l'étranger ne l'est pas. En 2019, 13 personnes ayant été victimes d'un acte criminel commis à l'extérieur du Québec et ayant déposé une demande de prestations ont reçu une décision de refus.

Le projet de loi prévoit qu'un résident québécois victime d'un crime ailleurs qu'au Québec, au Canada ou à l'étranger, serait admissible à une aide. Ce changement permettrait à tous les Québécois et Québécoises d'obtenir de l'aide du gouvernement, s'ils sont victimes d'un acte criminel au Québec ou ailleurs, dans la mesure, bien entendu, où ils répondent à tous les critères d'admissibilité.

Le délai pour déposer une demande. Actuellement, pour les crimes commis après le 23 mai 2013, le délai pour déposer une demande de prestations est de deux ans. Pour les crimes commis avant le 23 mai, le délai est même d'un an. Passé ces délais, la personne victime doit démontrer qu'elle avait des motifs raisonnables pour expliquer la présentation tardive de sa demande de prestations, sans quoi elle est réputée avoir renoncé à se prévaloir de ses droits pour bénéficier des avantages prévus à la loi.

En 2019, c'est 108 personnes qui ont reçu une décision de refus à l'accès au régime, car elles n'ont pas présenté leur demande de prestations à temps, sans motif raisonnable pour justifier leur retard. Plus de la moitié d'entre elles ont été victimes d'agression sexuelle.

Le projet de loi n° 84 permet de faire passer le délai de deux à trois ans pour le dépôt d'une demande de qualification, ce qui laisse plus de temps aux victimes pour déposer leur demande. De plus, il n'y aura aucun délai pour les crimes commis dans trois contextes, à savoir la violence dans l'enfance, les agressions sexuelles et la violence conjugale. La grande majorité des personnes victimes d'actes criminels acceptées à l'IVAC sont concernées par ces contextes.

Ainsi, par exemple, sur l'ensemble des demandes acceptées en 2019, 42,7 % étaient victimes d'agression sexuelle, soit 3 096 personnes. Plusieurs d'entre elles ont probablement dû expliquer à un agent, en tout respect de la loi actuelle et des façons de faire, pourquoi elles ont fait leur réclamation hors du délai prescrit. Elles devaient expliquer leur impossibilité d'agir. Nous sommes tous à même de comprendre comment cela peut être difficile. Le projet de loi prévoit qu'elles n'auront plus à le faire. L'imprescriptibilité permettra donc aux personnes victimes de demander de l'aide à tout moment lorsqu'elles se sentiront prêtes à le faire, et l'agent d'indemnisation n'aura plus à questionner à cet effet.

Les crimes éligibles. Aujourd'hui, seuls les crimes prévus à l'annexe de l'IVAC sont couverts par le régime actuel. Souvent critiquée, cette liste ne couvre pas certains crimes tels que les formes d'exploitation sexuelle, proxénétisme, traite de personnes, pornographie juvénile, le leurre informatique. En 2019, 200 personnes ont reçu une décision de refus à l'accès au régime car le crime dont elles ont été victimes ne figurait pas à l'annexe de la loi. Cela représente 13 % des décisions de refus émises à l'accès au régime. Le projet de loi prévoit l'abolition de l'annexe et de couvrir l'ensemble des crimes contre la personne, permettant par là même de donner l'accès au régime à toutes les personnes victimes des crimes sur la personne et toutes les formes d'exploitation sexuelle qui n'existaient pas en 1972. Nous croyons qu'il s'agit d'une amélioration fort importante pour les personnes victimes.

La notion de victime. Lors de son rapport d'intervention de 2016, le Protecteur du citoyen émettait 33 recommandations. À ce jour, 31 sont considérées comme étant implantées à sa satisfaction. Deux demeurent, dont une fort importante, la recommandation n° 6, inclure, dans la notion de victime, toute personne qui subit un préjudice en arrivant sur les lieux d'un crime venant juste d'être perpétré et qui l'affecte ou la vise directement de manière significative.

Actuellement, il y a une définition restrictive de cette notion de victime, ce qui amène non seulement des refus, mais également des insatisfactions, des sentiments d'injustice et des incompréhensions. En 2019, 193 personnes ont reçu une décision de refus parce qu'elles ne répondaient pas à la notion de victime en vertu de la Loi sur l'IVAC. Le projet de loi vient élargir cette notion de victime en incluant, par exemple, le témoin qui n'est pas physiquement présent sur les lieux de l'infraction, mais qui aurait été en communication avec la victime au moment du crime. Il s'agit sans contredit d'une mesure phare du projet qui permettra à plus de personnes victimes d'avoir accès à l'aide nécessaire favorisant leur rétablissement.

Je vous parle maintenant brièvement des délais de traitement. Actuellement, les délais de traitement à l'admissibilité sont principalement causés par le temps additionnel nécessaire à l'analyse des demandes de prestations plus complexes. L'analyse est plus complexe et plus longue lorsque les demandes de prestations sont déposées hors délai ou lorsque le crime allégué ne figure pas de prime abord à l'annexe de la loi. Plus la demande est complexe et plus nous devons aller chercher de l'information. Beaucoup de nos délais sont en lien avec l'attente de ces informations, qu'elles soient policières ou qu'elles soient médicales. En 2019, les délais de traitement pour l'ensemble des dossiers traités à l'admissibilité étaient, en moyenne, de 117 jours. Toutefois, il me fait plaisir de vous dire que, pour les dossiers plus simples, près de 36 % des dossiers qui ont été traités en 2019, le délai n'était que de 2,6 jours.

L'imprescriptibilité de certains crimes dans certains contextes va simplifier l'étude des dossiers, puisque les personnes victimes n'auront pas à expliquer les délais ni à justifier leur retard. L'agent de l'IVAC n'aura pas à faire une cueillette supplémentaire, au risque de donner l'impression d'être intrusif. L'offre de services sera mieux encadrée, permettant de rendre des décisions plus rapidement en laissant également moins de place à toute interprétation. De plus, le projet de loi prévoit un programme de mesures d'urgence.

En terminant, nous croyons que le projet de loi n° 84 favorisera le rétablissement des personnes victimes en offrant des services adaptés à leurs besoins afin de les aider à surmonter les conséquences psychiques, physiques, sociales et professionnelles des blessures causées par l'infraction criminelle. Il permettra d'offrir de l'aide de façon équitable, en élargissant la notion de routine afin de tenir compte de l'impact d'une infraction criminelle sur la personne victime, sa famille et ses proches, en rendant admissibles tous les crimes contre la personne et en mettant davantage de balises sur l'application de la loi.

Il rendra finalement ses services plus accessibles et efficaces, en prolongeant le délai pour le dépôt d'une demande de qualification, en rendant imprescriptibles certains crimes dans certains contextes qui représentent la majeure partie des demandes à l'IVAC, en mettant en place un programme de mesures d'urgence et en permettant, notamment, l'accès aux victimes à davantage de professionnels pouvant porter un soutien psychique. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Rodrigue. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Rodrigue et Mme Choquette, bonjour. Merci de participer aux travaux de la commission.

D'entrée de jeu, on a eu quelques intervenants qui sont venus nous dire : Écoutez, il y a toujours l'impossibilité, en fait, d'agir par rapport aux délais, parce qu'on augmente les délais de deux à trois ans, relativement à la possibilité de faire par réclamation, donc, un délai de prescription de trois ans. On enlève tout délai pour les infractions à caractère sexuel de violence subie pendant l'enfance ou pour la violence conjugale, mais on a eu des commentaires par rapport au fait qu'on reprend la notion d'impossibilité, en fait, d'agir, qui est déjà présente dans la loi actuelle de l'IVAC, pour dire : Bien, on vous donne également la possibilité d'invoquer cela pour dépasser le délai de trois ans.

Comment c'est interprété, ça, à l'IVAC, cette impossibilité, en fait, d'agir, là, concrètement, là? Parce que certains soulevaient, disaient : On devrait peut-être mettre «motif»? Est-ce que vous l'interprétez largement? Comment ça se déroule concrètement?

M. Rodrigue (Jean) : C'est interprété de façon très large, là, je tiens à vous le signaler. Bien entendu, chaque cas est particulier, hein, on le comprendra. L'intervenant à l'accès au régime discute avec la personne victime, essaie de comprendre, là, les raisons, là, derrière le fait qu'il n'a plus... bien, on va dire trois ans, là, bientôt, là, si le projet de loi va de l'avant, pourquoi qu'à l'intérieur de ces trois années-là il n'a pas été en mesure, là, de déposer sa réclamation?

Ce que je peux vous dire, c'est que c'est étudié avec sérieux, bien entendu. C'est pour ça aussi, parfois, qu'on trouve que les agents posent énormément de questions. Je pense que les intervenants, ce qu'ils cherchent à faire, c'est d'aider la personne afin qu'elle devienne admissible au régime, là. Donc, oui, chaque demande est étudiée, là, de façon très particulière.

• (15 heures) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis vous dites, le fait de ne plus avoir de délai de prescription sur les trois types d'infraction que je vous ai mentionné, ça va permettre de simplifier le processus au niveau de l'admissibilité.

M. Rodrigue (Jean) : Oui, parce qu'il n'y aura plus de questionnement pour ces contextes-là. Ce sont les contextes, je vous dirais, les plus sensibles, lorsque les gens font une réclamation, par exemple, pour de la violence conjugale, pour une agression sexuelle, pour un crime commis dans l'enfance. Lorsque l'intervenant doit lui demander des précisions, faire préciser certaines choses, essayer de comprendre pourquoi il n'a pas été en mesure de faire cette réclamation-là, il est souvent perçu comme étant très intrusif, et c'est très difficile pour les gens, pour les personnes victimes. Le fait que ces crimes-là deviennent imprescriptibles, eh bien, il n'y aura plus cette enquête-là, il n'y aura plus ce questionnement-là. Ça va vraiment simplifier le travail.

M. Jolin-Barrette : Puis, en matière d'infraction à caractère sexuel, c'est environ 80 % de vos réclamations. C'est ce que j'ai compris.

M. Rodrigue (Jean) : Écoutez, vous m'embêtez un peu. Je sais que la grande majorité des réclamations, c'est violence conjugale, crimes à caractère sexuel, crimes dans l'enfance. C'est la très, très grande majorité. Je ne pourrais pas vous confirmer avec exactitude, là, si ça correspond à 80 %, mais c'est sûrement la très grande majorité.

M. Jolin-Barrette : O.K. Une des demandes... bien, en fait, je dirais, un des commentaires que nous avons eus de la part de certains groupes est à l'effet qu'on souhaiterait de la part des personnes qui sont bénéficiaires du régime de ne pas avoir... bien, en fait, de toujours avoir le même agent d'indemnisation. Pouvez-vous nous renseigner un peu pour savoir, actuellement, là, de quelle façon ça se déroule à la Direction de l'indemnisation?

M. Rodrigue (Jean) : Oui, avec plaisir. C'est très difficile de n'avoir qu'un seul intervenant. Je vous explique pourquoi. Lorsqu'on reçoit une réclamation, lorsque le dossier... la personne victime, lorsqu'on traite son dossier, là, à l'accès au régime, ce sont des intervenants avec des compétences particulières, une maîtrise particulière de la loi. Donc, ce n'est pas le même intervenant qui va faire l'accès au régime, qui va faire le suivi, par la suite, du dossier.

En prévision du projet de loi, on a modifié notre structure opérationnelle afin de l'humaniser. Et ce qu'on va faire, là, c'est... depuis janvier, maintenant, c'est comme ça, tous les dossiers qui ont besoin d'un accompagnement particulier, toutes les personnes victimes, devrais-je dire, là, qui ont besoin d'un accompagnement particulier, c'est un intervenant, la personne victime aura affaire avec un intervenant une fois le dossier accepté. Donc, il est possible que la personne victime va appeler à la Direction générale de l'IVAC, va parler avec un préposé aux renseignements. Souvent, les gens peuvent confondre, ils parlent à plusieurs personnes. Ce n'est pas nécessairement l'intervenant qui est au dossier, là, mais ils vont parler avec le préposé. Mais normalement, il y aura un intervenant, soit agent d'indemne ou conseiller en réadaptation, qui sera responsable d'un dossier, du dossier de la personne victime.

M. Jolin-Barrette : Bien, le fait qu'on mette en place un programme d'urgence et le fait de pouvoir avoir des services dès le départ, là, sans que le dossier, là, soit admis complètement, là, est-ce que... Comment la Direction de l'indemnisation voit ça au niveau opérationnel?

M. Rodrigue (Jean) : Vous savez, actuellement, on a en place ce qu'on appelle des mesures temporaires. Alors, lorsque nous recevons une réclamation et qu'il est comme mentionné que la personne est en attente de revenus, elle a des besoins particuliers, on peut déjà mettre en place des mesures particulières. Nous avons reçu cette réclamation-là, elle sera traitée, on peut autoriser certaines choses à la demande également, là, de la personne victime. Ça fait que ça, c'est déjà quelque chose en place.

Dans le programme d'urgence dont vous me parlez, là, qui est inclus dans le projet de réforme, je crois que la collaboration souhaitée, là, de la Direction générale de l'IVAC va être dans le remboursement des frais et ces choses-là. C'est quelque chose que l'on maîtrise très, très bien, là, toute la structure est en place pour recevoir, là, un tel programme, là. Je ne vois pas de difficulté à mettre ça en place, pas du tout.

M. Jolin-Barrette : Au début de votre intervention, je crois que vous disiez : Il y a beaucoup de critiques de l'IVAC, de la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, qui est causé par la loi que nous avons actuellement, par la rigidité de la loi puis par, dans le fond, les modalités qui sont assez fermes, assez complexes et qui sont assez inflexibles. Donc, est-ce qu'avec la nouvelle loi vous pensez qu'il va y avoir davantage de marge de manoeuvre et que ça amène une plus grande souplesse et davantage de services?

M. Rodrigue (Jean) : Je crois que oui. Moi, de ce que je comprends du projet de loi, je reviens à ça, là, l'imprescriptibilité, juste ce volet-là, je pense que ça va être très, très bien reçu des personnes victimes. J'en comprends aussi que la notion de victime est modifiée. Il y a plus de gens qui vont avoir accès aux services. J'en comprends qu'il y aura plus de victimes qui vont être reconnues comme étant une victime, et ce n'est pas toujours le cas. Et ce qu'on constate, c'est que, chez les gens qui font appel à nos services, le fait de ne pas être reconnu comme une victime, c'est extrêmement difficile. Et ce que j'entends du projet de loi, de ce que j'en comprends, il va y en avoir plus, de gens reconnus. Je pense que c'est une excellente chose.

M. Jolin-Barrette : Peut-être une dernière question pour moi, M. Rodrigue, avant de céder la parole à mes collègues. Je ne sais pas si vous avez entendu l'intervenant précédent, qui était Me Marc Bellemare, mais il nous a dit : Écoutez, avec le projet de loi n° 84, ça va être difficile à appliquer et à interpréter, la nouvelle loi, pour la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Est-ce que vous pensez que vous allez avoir de la difficulté à appliquer le nouveau projet de loi, s'il devenait une loi?

M. Rodrigue (Jean) : Non, je ne crois pas, même, du tout. Je tiens à préciser, là, je ne suis pas le spécialiste, là, de cette réforme-là, je ne suis pas légiste non plus, là, mais il me semble plutôt que c'est beaucoup plus clair, il y a moins matière à interprétation. Les services offerts selon le bénéficiaire, pour moi, c'est beaucoup plus clair que ce que c'est présentement. Alors, je ne vois pas où serait la difficulté, là, à mettre en oeuvre cette réforme.

D'ailleurs, là, je l'ai dit en introduction, si vous permettez, là, je tiens à le répéter, la Direction générale de l'IVAC a collaboré depuis le début avec le ministère de la Justice dans cette réforme-là. On a été à même de faire nos commentaires, puis il n'y a pas beaucoup de roches qui n'ont pas été soulevées. Puis je pense que les intervenants de chez nous qui ont participé à cette réforme-là, à cette discussion-là, étaient très au fait des critiques des personnes victimes. Moi, je ne crois pas que ça va être difficile à mettre en oeuvre. Déjà, on débute nos travaux, là, on est en train de mettre en place certaines choses pour s'assurer que ça soit mis en oeuvre au jour J. Non, je ne crois pas ça.

M. Jolin-Barrette : Merci. Je vais céder la parole, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

M. Rodrigue (Jean) : Je ne vous entends pas, désolé.

Le Président (M. Bachand) : C'est la députée de Bellechasse qui va prendre la parole. Mme la députée, votre micro est ouvert?

Mme Lachance : Merci, M. le Président. Merci, M. Rodrigue, d'être présent parmi nous.

M. Rodrigue (Jean) : Ça fait plaisir.

Mme Lachance : Peut-être, comme première question, j'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez énoncé, et n'hésitez pas à me reprendre si je n'ai pas bien compris. Vous avez mentionné qu'en 2019 108 demandes avaient été refusées pour délai... motif de renonciation, donc délai dépassé. Est-ce que c'est exact?

M. Rodrigue (Jean) : Pour hors délai.

Mme Lachance : Pour hors délai?

M. Rodrigue (Jean) : Oui.

Mme Lachance : Et, sur les 108, vous avez mentionné que près de la moitié étaient liées à des crimes à caractère sexuel ou conjugal.

M. Rodrigue (Jean) : Un instant, je veux juste m'assurer, là, que je...

Mme Lachance : C'était dans votre présentation, au tout début.

M. Rodrigue (Jean) : Oui, 108 personnes, c'est vrai. 108 personnes ont reçu une décision de refus à l'accès au régime car elles n'ont pas présenté leur demande de prestations à temps, sans motif raisonnable pour justifier leur retard.

Mme Lachance : Et donc près de la moitié était à caractère sexuel...

M. Rodrigue (Jean) : A été victime d'agression sexuelle, oui.

Mme Lachance : O.K. Donc, on peut convenir qu'avec le projet de loi n° 84 près de la moitié de ces victimes-là auraient obtenu des gains. Pour l'autre moitié, est-ce que vous êtes en mesure d'identifier un peu le délai? Est-ce que ça dépassait beaucoup trois ans? Est-ce que c'était près de trois ans? Est-ce qu'on le sait?

M. Rodrigue (Jean) : Non, malheureusement, je ne peux pas vous donner cette information-là. Lorsqu'on codifie une réclamation, là, on va aller indiquer le refus hors délai, mais on ne peut pas indiquer de combien de temps, là. Je suis désolé.

Mme Lachance : O.K. Donc, on n'a pas cette information-là. Donc, selon votre expérience, est-ce que le délai de trois ans est suffisant maintenant?

• (15 h 10) •

M. Rodrigue (Jean) : Vous savez, pour certaines personnes, ce ne sera jamais suffisant. Mais oui, c'est sûr et certain que ça va quand même donner plus de temps aux gens, surtout que ça va être pour une catégorie, parce que, finalement, la majorité des dossiers, là, il y aura l'imprescriptibilité. Alors, ils n'auront plus ces délais-là.

Mme Lachance : D'accord. J'aurais aussi une petite question concernant ce que mon collègue le ministre vous a exprimé il y a quelques minutes à ce qui a trait au nombre d'agents. Si les victimes avaient la possibilité d'avoir un seul agent, ce serait un fait qui serait apprécié parce qu'ils trouvent ça difficile. Est-ce qu'on peut savoir comment ça fonctionne? Combien d'agents peuvent être en contact avec une victime dans le cadre d'un dossier?

M. Rodrigue (Jean) : Comme je vous l'expliquais, il est possible... Là, au tout début, il y a un intervenant qui va faire ce qu'on appelle l'accès au régime, donc qui va communiquer avec la personne victime pour prendre l'information et puis déterminer son admissibilité au régime. Par la suite, ce dossier-là sera transféré, dépendamment, là, du type de dossier, dans des services d'accompagnement, et là il devrait y avoir un autre intervenant.

C'est vrai que, je le répète, là, parfois, il peut y avoir une apparence, là, où il y a plusieurs intervenants qui traitent un dossier. Il suffit que l'intervenant responsable du dossier soit en vacances, soit absent, que ce soit une autre personne qui va prendre le dossier et que la personne victime va penser qu'on a transféré son dossier. C'est vraiment un souhait qui est fait et c'est quelque chose, là, sur lequel on travaille parce qu'on est très soucieux de ça, que la personne victime n'ait pas à répéter constamment son histoire. On comprend à quel point ça peut être difficile de le faire.

Mais force est de constater qu'on a encore du travail à faire, ça, c'est sûr, et qu'opérationnellement il y a des difficultés à mettre ça en oeuvre. Mais ce que nous sommes en train de mettre en place, notre nouvelle structure, je répète, on y travaille depuis juillet en prévision de cette réforme-là qui s'en vient, mais qui est en vigueur, là, depuis le mois de janvier. C'est tout nouveau... On veut vraiment que la personne victime qui a ces besoins-là d'accompagnement soit accompagnée par un intervenant en indemnisation et également un intervenant en réadaptation. Parce que parfois il peut y avoir, hein, aussi... je dirais, la personne peut penser que c'est deux intervenants. Oui, mais ils traitent le même dossier, ils n'ont pas les mêmes tâches.

Mme Lachance : Donc, il y aurait un intervenant en indemnisation et un en réadaptation. Et puis ces intervenants-là, comment ils sont formés pour répondre à une clientèle victime... à des victimes, en fait?

M. Rodrigue (Jean) : Oui. Écoutez, il y a la formation lorsque les gens arrivent au régime, lorsqu'ils sont embauchés, là, il y a une formation de près de... entre six et huit semaines, avec des stages, là, dans les filières, là, pour travailler avec les personnes victimes. Ça, c'est ce qu'on a fait en indemnisation. Tous les conseillers en réadaptation, ce sont des corps d'emploi de niveau professionnel, où les gens sont bacheliers soit en psychologie, en criminologie. Il y a... ce sont des pratiques que l'on recherche, là, les C.V. que l'on recherche, donc. Et il y a, par la suite, la formation interne, formation continue, comment exprimer un refus, comment communiquer des choses difficiles avec les personnes victimes, par exemple. Donc, il y a de la formation continue tout au long de l'année.

Mme Lachance : Et ça, c'est déjà en place, là, ça fait déjà partie de vos méthodes de travail, de votre façon de fonctionner. Puis comment on évalue la qualité du service, dans le fond, la qualité...

Le Président (M. Bachand) : ...

Mme Lachance : J'ai terminé, M. le Président?

Le Président (M. Bachand) : Oui. Rapidement, M. Rodrigue, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président.

M. Rodrigue (Jean) : Oui. Je ne sais pas si je vais être capable d'être rapide là-dessus, parce que c'est une question très sensible, là. Ça fait que vous m'interromprez si je vais trop loin, là.

Comment est-ce qu'on évalue la qualité du service, là, c'est une excellente question, parce que ça me permet de vous parler de ce qu'on a fait. Vous savez, là, le Protecteur du citoyen... je pense que vous êtes tous au courant, lorsque le protecteur est arrivé à la Direction générale de l'IVAC, là, en 2016, lorsqu'il a fait ses travaux, lorsqu'il a fait son rapport, lorsqu'il a fait toutes ses recommandations, près de 33, c'est un rapport quand même costaud, il a amené un vent de changement incroyable au sein de la direction. Il y a beaucoup de choses qui ont été changées. Des 33 recommandations, il y en a 31 qui sont considérées comme étant implantées. Ça fait que ça a amené beaucoup de choses, mais...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Rodrigue. Je dois malheureusement vous interrompre puis je m'en excuse.

Mme Lachance : Merci, M. Rodrigue. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je cède la parole au député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour, M. Rodrigue, de vous saluer et également de saluer Mme Choquette.

Et j'aimerais ça, d'entrée de jeu, permettre à Mme Choquette, là, sur tout ce qui s'est dit jusqu'à maintenant... parce que souvent, dans ces consultations-là, on se rend compte qu'il nous reste plus de temps puis on a dit : Ah! il y avait une autre personne qui était là puis qui n'a pas pu s'inscrire, ou si peu, dans le débat, alors j'aimerais vous donner l'occasion, Mme Choquette... Est-ce qu'il y a d'autres éléments? Peut-être que non, sinon j'ai des questions, mais est-ce qu'il y a des éléments autres également sur lesquels vous aimeriez porter notre attention?

Mme Choquette (Myriam) : Bien, peut-être juste pour terminer ce que M. Rodrigue disait tantôt, là, à la question de Mme Lachance, là, comment on s'assure de la formation puis de la qualité, là, c'est sûr qu'il y a des coachs intégrateurs, là, des gens sur le terrain aussi qui s'assurent... là, qui suivent ces nouveaux-là et qui peuvent aussi faire des interventions ponctuelles, là, quand on se fait signifier, par exemple, là, qu'il y a des besoins de développement chez certaines personnes, des difficultés, là, par rapport à certaines compétences. Donc, on a ça aussi. Donc, je pourrais rajouter là-dessus. Sinon, tout ce qui a été dit par M. Rodrigue, je partage les mêmes idées.

M. Tanguay : Bon, bien, c'est bon. On n'en doutait pas. M. Rodrigue et Mme Choquette, je vais vous lancer des questions... puis je le sais que, des fois, ça participe de l'intention du législateur, puis vous avez un rôle à jouer, puis, sur le fondement, l'opportunité, je dirais, politique de faire une modification législative ou pas, ce n'est pas réellement à vous de vous prononcer puis vous n'avez pas à vous prononcer dans l'arène politique, mais sur des concepts, quand même, c'est à ce niveau-là, bref, que je ferais appel à votre expertise.

On a entendu ce matin notamment, ce matin, Me Lessard sur le concept de mens rea, et lui recommandait : «À l'article 13, définir "l'infraction criminelle" comme "tout événement dont la description correspond à un geste criminel, soit l'actus reus d'une infraction prévue au Code criminel, survenu après le 1er mars 1972 et qui porte atteinte à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne".»

Autrement dit, faire en sorte d'éviter que, dans certains dossiers... Et ça aussi, ça nous a été dit, des groupes nous ont dit que l'IVAC invoquait l'absence d'intention criminelle dans des cas, par exemple, d'agression sexuelle, bien que la loi ne le prévoie pas.

Alors, Me Lessard, puis on a eu des discussions en ce sens-là, nous invitait à nommément, d'une manière ou d'une autre, dans la loi, retirer cette notion-là d'intention criminelle... dans certains cas, semble-t-il, avait été une justification pour refuser une demande. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, si vous le désirez, là.

M. Rodrigue (Jean) : Oui. Écoutez, M. Tanguay, vous allez m'excuser dès le départ, je ne suis pas un légiste, donc là, il y a des notions, là, qui, pour moi, m'échappent, là.

M. Tanguay : C'est bien correct.

M. Rodrigue (Jean) : Ce que je peux vous dire, par contre, là, que, lorsqu'on étudie une demande, on ne demande pas de preuve, là, spécifique, là, concernant l'intention de l'acte. Il y a des directives qui existent et qui sont suivies, là, par nos intervenants. Bien entendu, il y a des cas très particuliers qui sont présentés, là, à la Direction générale de l'IVAC, et ces cas-là particuliers qui amènent des questionnements particuliers sont traités avec la gestionnaire, avec une spécialiste de l'accès au régime. Souvent, on va faire appel aussi aux services juridiques pour aider dans le traitement de ces dossiers.

Mais je ne pourrais pas me prononcer plus, là, sur cette question-là. Désolé.

M. Tanguay : Non, pas de trouble. Autrement dit, vous, vous êtes le directeur général de l'IVAC, mais vous n'êtes pas juriste au sein de votre organisation et vous laissez ça, donc, à l'interprétation des services juridiques.

M. Rodrigue (Jean) : Tout à fait, tout à fait.

M. Tanguay : O.K. J'imagine que ce serait également la même réponse en ce qui concerne... et ça, c'est Me Bellemare, juste avant vous, qui en faisait état, et je le cite, autre cas où l'harmonisation... parce que le point de Me Bellemare était : Bien, plutôt que de chambouler par 190 nouveaux articles qui devront vivre juridiquement...

On parle des juristes, j'en suis un, le ministre en est un, Me Bellemare en est un également. Je veux dire, l'interprétation législative d'un nouveau projet de loi, même si, à première lecture, ça semble bien simple, 190 nouveaux articles, tout le monde, on a la prétention que c'est de droit, ce n'est pas copié-collé, ce n'est pas quatre trente-sous pour une piastre. Il y a des choses qui sont changées, il y a des notions là-dedans qui devront être analysées et jugées. Donc, un corpus jurisprudentiel, ça va prendre des années puis ça va prendre des victimes pour passer devant le TAQ, pour passer devant l'IVAC pour dire : Bien, non, tu as le droit, ou, oui, tu as le droit en vertu de la nouvelle loi.

Alors, lui, il disait : Harmonisez donc les concepts juridiques, notamment «l'impossibilité d'agir», et dans l'article 20 de la loi versus le «motif raisonnable» que l'on retrouve dans des lois telles que la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, la Loi sur l'assurance automobile, la Loi sur la Régie des rentes du Québec, et ainsi de suite. Est-ce que c'est la même réponse, là? Avez-vous une analyse là-dessus, sur le fait que l'impossibilité d'agir, tel qu'appliqué par l'article 20, va être encore plus lourd que «motif raisonnable», qui a été développé dans les autres lois?

• (15 h 20) •

M. Rodrigue (Jean) : Je me dois de vous faire la même réponse, M. Tanguay. Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Il faut comprendre aussi, hein, que notre rôle à nous, la Direction générale de l'IVAC, c'est d'opérationnaliser, ce n'est pas de travailler sur les orientations ou... ça appartient au ministère de la Justice.

Nous, ce que je peux vous signaler, par contre, que, peu importe ce qui sera décidé, nous serons là pour les mettre en oeuvre.

M. Tanguay : Excusez mon ignorance, mais vous avez une direction des affaires juridiques?

M. Rodrigue (Jean) : Qui est à la CNESST. Donc, en collaboration avec la CNESST.

M. Tanguay : O.K. Et avez-vous eu confirmation que la direction des affaires juridiques de la CNESST, chargée de l'application de la loi, a été consultée pour le projet de loi n° 84?

M. Rodrigue (Jean) : Oui, elle a travaillé en collaboration avec le ministère de la Justice.

M. Tanguay : Vous parliez un peu plus tôt... Hier, on a entendu des groupes nous dire qu'ils étaient fort inquiets, notamment, pour ce qui est de l'ancienne loi, qui a beaucoup moins que 190 articles, semblent avoir beaucoup de difficulté à la maîtriser et à rejoindre adéquatement... et à répondre adéquatement aux questions des victimes. Là, on va passer d'une trentaine — on me corrigera si j'ai tort — articles à 190 articles. Comment abordez-vous le défi de complexité et la formation nécessaire à l'interne, qui sera nécessaire, puis, j'imagine, la rédaction du bulletin d'interprétation, et ainsi de suite?

M. Rodrigue (Jean) : Si vous le permettez, je donnerais la parole à Mme Choquette, qui est la gestionnaire responsable de la mise en oeuvre. Elle va pouvoir vous expliquer qu'est-ce qu'on prévoit faire.

M. Tanguay : Merci.

Mme Choquette (Myriam) : Oui. Est-ce que vous... Donc...

Le Président (M. Bachand) : Allez-y.

Mme Choquette (Myriam) : Oui, merci. Alors, en fait, là, dans le cadre de la mise en oeuvre, là, ça fait plusieurs mois déjà qu'on travaille en collaboration avec le ministère de la Justice. Juste pour vous assurer, là, à chaque étape du projet, on a été impliqués, donc on a eu le temps de voir venir... ça pourrait... d'évaluer, en fait, qu'est-ce que ça peut être, les impacts de chaque nouvelle notion, chaque nouveauté qui est apportée, donc... excusez-moi, donc, ça pourrait être quoi, les impacts potentiels sur... que ce soient la structure organisationnelle, sur les processus de travail, sur la volumétrie des demandes, sur les activités à réaliser par les intervenants, là, tu sais, que ce soient des actions à modifier, et à ajouter, à retirer.

Donc, à partir des informations qu'on avait à ce moment-là, bien, on a fait des estimations, des hypothèses quant aux... tu sais, par rapport aux ressources financières, technologiques, les ressources humaines que ça va nous prendre. On a transmis ces informations-là au ministère de la Justice. Donc, nous, on n'est pas responsables de la budgétisation, donc on ne sait pas exactement où ça en est, mais, à notre connaissance, avec...

M. Tanguay : Mme Choquette, combien de temps et à quel prix... à quel coût évaluez-vous la mise en application du projet de loi n° 84, si d'aventure il était adopté?

Mme Choquette (Myriam) : Bien, comme je viens de vous mentionner, là, la budgétisation, ça relève du ministère. Par contre, le temps de l'implantation, c'est un peu ça qu'on est en train d'évaluer. On travaille vraiment, là... On a mis sur pied une structure de projet. Donc, on a tout évalué c'est quoi qu'il faut changer, que ce soit... Tu sais, vous parliez de formation, c'est central dans tout ça, la documentation, les instructions de travail, les politiques, comment on va s'assurer de bien saisir, tu sais, qu'est-ce que ça veut dire, l'application de tel article de loi ou pas, concrètement. On va travailler avec le ministère, on le fait toujours depuis plusieurs années.

Donc, tout ça, là, ça va être en train de se mettre sur pied, puis c'est sûr que, pour l'entrée en vigueur, on va être prêts. Il faut être prêts pour l'entrée en vigueur. Pour être capable d'appliquer, par contre, la... tu sais, vous savez, la mise en oeuvre implique aussi, justement, là, tu sais, du raffinement. Vous avez mentionné tantôt, là... tu sais, par exemple, il y a des décisions qui vont se rendre au Tribunal administratif, il y a des choses... Donc, on va s'ajuster graduellement, on va s'assurer aussi de suivre comme il faut l'intégration des compétences auprès des intervenants pour être capable de revenir, là, puis développer un programme, là, donc.

Ça fait que, sur le temps, là, je vous dirais qu'on s'est donné un trois ans aussi pour intégrer des nouvelles ressources, de voir aller aussi ce que ça veut dire. On ne sait pas combien de nouvelles réclamations on va avoir exactement. On a fait des hypothèses, des estimations, mais concrètement, qu'est-ce que ça va vouloir dire? Donc, on va s'ajuster au fur et à mesure, là. Puis donc c'est ça...

M. Tanguay : Et est-ce que vous pouvez communiquer au secrétariat de la commission vos évaluations quant aux hypothèses du nombre de demandes supplémentaires que ça va engendrer en termes de nombre, et, si d'aventure, de la nature des demandes et des coûts également?

Mme Choquette (Myriam) : Il faudrait que je voie. En fait, je crois que les... je n'étais pas encore arrivée à l'IVAC, là.

M. Rodrigue (Jean) : Si tu permets, Myriam, tous ces documents ont été transmis au ministère de la Justice. Donc, de...

M. Tanguay : D'accord, mais est-ce que vous pouvez vous engager, M. Rodrigue, à les communiquer au secrétariat de la commission?

M. Rodrigue (Jean) : Bien oui, je pourrais le faire. Je pourrais communiquer avec le ministère de la Justice, qu'il nous retourne... Oui.

M. Tanguay : Bien, vous les avez déjà. Sans demander la permission du ministère de la Justice, si vous vous engagez à nous les communiquer, comme élu et législateur, je pense que ça serait des éléments intéressants. Et également vos évaluations quant au délai de mise en application, ce serait pertinent, parce que le projet de loi prévoit cinq mois, et là vous parliez de trois ans. Alors, si vous pouvez nous envoyer toutes vos analyses là-dessus au secrétariat de la commission, ce sera grandement apprécié et éclairant.

M. Rodrigue (Jean) : D'accord.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci. D'abord, je voudrais vous remercier de venir... de prendre l'engagement de transmettre ces documents-là à la commission. Je pense que ça va être très utile. On se serait adressé à vous directement pour en faire la demande, mais, si vous pouvez le faire, bien, la commission, je pense, l'ensemble de mes collègues va être ravi de pouvoir lire ça.

J'entends bien que vous, vous êtes plus dans l'opérationnalisation de tout ça. Donc, je ne vous questionnerai pas tant sur le fond du contenu du projet de loi, mais plus sur la question des délais. Je pense que ça relève bien de vous. Vous nous avez dit qu'il y a des changements dans le projet de loi qui vont simplifier votre travail. Donc, j'entends que, dans une certaine mesure, ça pourrait, j'imagine, réduire les délais. Je pense à l'imprescriptibilité, vous en avez parlé. Ça serait... C'est quoi, votre cible de délai de traitement d'un dossier une fois que la demande, elle est complétée puis qu'elle vous est envoyée? C'est quoi, votre cible? Puis, si on inscrivait dans la loi un délai maximum de traitement une fois que le dossier est complété, qu'est-ce qui serait raisonnable?

M. Rodrigue (Jean) : Très bonne question que vous me posez, puis je dois vous dire que c'est... On ne s'est pas donné de délai cible, nous, dans les opérations, parce qu'on essaie de traiter la réclamation lorsqu'elle est prête à être traitée, lorsqu'on a toute l'information. Il y a des choses, je vous dirais, qui n'appartient pas à la Direction générale de l'IVAC. Par exemple, lorsqu'on a besoin d'une preuve de blessure, ce délai-là, lorsqu'on demande à la personne victime d'aller chercher une preuve de blessure, là, pour nous permettre, là, d'accepter la réclamation, bien, parfois, ça peut être difficile pour elle, puis parfois on va faire des demandes. Nous, on va demander des dossiers médicaux, etc., mais la personne souvent doit aller chercher de l'information.

Mme Labrie : Ça, ça vient après que le dossier est complet ou avant?

M. Rodrigue (Jean) : Avant. C'est...

Mme Labrie : Donc, une fois qu'il est complet, que vous avez tous ces documents-là?

M. Rodrigue (Jean) : On rend la décision. Vous savez, c'est pratiquement automatique, c'est quand même assez simple, là, une fois qu'on a toute l'information. Ce qui est le plus complexe, c'est d'obtenir l'information pour...

Mme Labrie : Ça fait que, si on disait, par exemple, une fois que le dossier, il est complet, la réponse doit être rendue dans les 15 jours, les 30 jours, ce serait raisonnable?

M. Rodrigue (Jean) : Tout à fait, tout à fait.

Mme Labrie : Je vous remercie. C'est un élément d'information très précieux. On va certainement tenter d'inscrire ça dans le projet de loi. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il vous plaît.

• (15 h 30) •

Mme Hivon : Oui, bonjour. Merci d'être là. Je dois vous dire que ça n'a aucun rapport avec vous personnellement, mais c'est assez rare, inusité qu'on ait les hauts fonctionnaires responsables d'un régime puis qui vont devoir l'appliquer venir en commission comme témoins, parce qu'on comprend, bien sûr, que vous avez participé à l'élaboration du projet de loi. Donc, ce n'est pas vraiment votre rôle d'avoir de la marge de manoeuvre pour critiquer les orientations politiques ou législatives, donc...

Mais je vais plus vous amener sur des enjeux très concrets, là, d'application, ce qui va être votre rôle, et je pense qu'éventuellement peut-être que... j'imagine que vous allez être présents si on se rend à l'étude détaillée dans les prochains mois, donc il y aura peut-être d'autres questions. Mais je voulais vous entendre sur toute la question des formulaires. On nous a dit à quel point ce qui était lourd, c'est que, notamment, la personne qui fait la demande doit écrire ce qu'elle a vécu, et comment ça s'est passé, et tout. Est-ce qu'il y aurait moyen et est-ce que vous pensez qu'on devrait simplifier de beaucoup le formulaire, notamment pour peut-être éviter d'avoir autant à en demander aux victimes?

Puis l'autre question, c'est sur les soins psychologiques. On nous a dit aussi que c'était difficile de pouvoir trouver des psychologues, des fois, il fallait faire cinq, six, sept appels, qui prennent des dossiers de l'IVAC. Est-ce qu'on devrait augmenter les honoraires pour que ce soit plus simple?

M. Rodrigue (Jean) : Concernant les formulaires, les formulaires pour aider les personnes, là, à déposer leurs réclamations ont été revus, ont été revus à la demande du Protecteur du citoyen dans son rapport d'intervention, là. Ils avaient fait des représentations à cet effet-là. Donc, ils ont été revus complètement. C'est vrai qu'ils sont très complets, il y a énormément de questions. Puis pourquoi on fait ça comme ça? Pour faciliter le travail, encore là, pour pouvoir être en mesure de rendre la décision rapidement lorsque nous avons en main le formulaire.

Ça me permet de vous dire qu'une fois que ça a été fait, à la satisfaction du Protecteur du citoyen d'ailleurs, là, nous avons fait un sondage auprès de notre clientèle et on a sondé 900 personnes victimes, 900 personnes victimes qui, si vous permettez, je tiens juste à le dire parce que, pour moi, c'est important, là, qui ont salué les services à la clientèle offerts par la Direction générale de l'IVAC. Je veux le dire, parce qu'on n'entend pas toujours des bonnes choses, mais les personnes victimes nous l'ont dit. C'est pour ça que je voulais souligner. Mais ils nous ont également dit, à près de 90 %, que les communications écrites et orales, avec la Direction générale de l'IVAC, étaient claires.

Ça fait qu'on aura toujours du travail à faire. On aura toujours du travail à faire parce que, souvent, c'est un langage de fonctionnaire, on va appeler ça comme ça, puis il faut le préciser, il faut le vulgariser, etc. Mais plus on a de l'information lorsqu'on reçoit la réclamation, plus vite on peut traiter cette demande-là, et aussi on n'a pas besoin d'aller requestionner la personne victime. Ce qu'on souhaite, c'est qu'elle complète sa demande chez elle, à tête reposée, tranquillement, qu'on n'ait pas besoin de reposer ces questions-là. C'est pour ça qu'il est très, très, très complet.

On a également fait un guide pour les accompagner, pour les aider. On a refait notre site Internet aussi pour que ce soit plus clair pour eux, tu sais, pour faciliter le travail. Je comprends...

Le Président (M. Bachand) : Merci. C'est tout le temps qu'on a. M. Rodrigue, Mme Choquette, merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi, c'est très apprécié.

Cela dit, la commission suspend ses travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 32)

(Reprise à 15 h 34)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me Nancy Roy et Mme Annie St-Onge de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues. Merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi.

Alors, cela dit, vous le savez, vous avez 10 minutes de présentation, et, après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. Sur ce, je vous laisse la parole. Merci encore d'être avec nous aujourd'hui.

Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD)

Mme St-Onge (Annie) : Parfait. Donc, merci de nous accorder ce temps si précieux. Mon nom est Annie St-Onge. Je suis la soeur de Christine St-Onge, qui a été assassinée au Mexique en décembre 2018.

Si on se rappelle les événements, ma soeur Christine a été portée disparue suite au retour précipité de son ami de coeur un jour avant la date prévue, et qui s'est enlevé la vie plus tard. Ma soeur, c'est... On a appris par les médias mexicains que ma soeur avait été retrouvée sans vie au Mexique une semaine plus tard.

Donc, suite à ça, je vous dirais que ça a été un peu infernal. Ça a été vraiment la tour de Babel, la maison des fous pour mettre les efforts nécessaires pour rapatrier son corps ici, au Québec. Les difficultés au niveau du rapatriement, c'était vraiment au niveau du nombre d'intervenants, des messages contradictoires que nous avions. Nous, la famille endeuillée, on devait faire le lien entre les différents intervenants. Donc, c'était un processus qui était totalement inhumain.

C'est à ce moment-là que moi, j'ai fait une sortie médiatique pour lancer un énorme cri du coeur, parce que j'avais vraiment besoin d'aide, puis j'avais besoin de comprendre, puis j'avais besoin de la rapatrier pour pouvoir faire notre deuil. Et c'est là que j'ai connu l'AFPAD, donc l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues et c'est à ce moment-là que j'ai pu assister à des rencontres, des déjeuners pour rencontrer d'autres familles et puis sortir de l'isolement.

Et c'est à ce moment-là aussi, en rencontrant les familles, que j'ai vraiment décidé de m'impliquer au sein de l'AFPAD, donc, à titre d'administratrice au niveau du C.A. J'ai décidé de m'impliquer parce que je voulais faire changer les choses puis j'avais comme deux missions au sein de l'AFPAD. C'était de faire reconnaître les victimes hors Québec, les victimes d'assassinat hors Québec, et aussi d'apporter un processus plus humain dans les cas de rapatriement des dépouilles au Québec.

Donc, durant la dernière année, il y a eu d'autres familles qui ont vécu la même chose que nous. Donc, si on se rappelle bien, là, dans les médias, vous avez pu peut-être constater qu'il y a eu la famille Traboulsi( dernièrement, la famille Fraser qui ont vécu exactement les mêmes enjeux que nous. Ça a été les mêmes difficultés. C'est carrément inhumain. Et nous, l'AFPAD, on a été là auprès d'eux, on a apporté notre support et notre soutien dans la mesure du possible.

Je voulais vous... je voulais saluer, en fait, la nouvelle mouture de la Loi sur l'IVAC, de la loi n° 84, mais je vous avoue que je suis très déçue. Je suis déçue parce qu'il n'y a rien qui est prévu pour les victimes antérieures, dont mes neveux. Il n'y a aucune mesure transitoire, il n'y a aucune mesure rétroactive. En fait, mes neveux, ils n'auront droit à rien. Dans certains cas, certaines victimes n'auront droit à rien non plus, puis, des fois, ils ont besoin d'aide, ces gens-là qui tombent un petit peu entre les deux... ont besoin d'avoir le support, ont besoin d'avoir de l'aide aussi pour reprendre un cours normal de leur vie.

Dans les cas hors Québec, je pourrais vous dire que... je suis assez généreuse si je vous dis qu'il y a environ, au plus, cinq cas d'homicides hors Québec par année. Ça serait quoi comme différence pour vous de les reconnaître, ces gens-là? Je peux vous dire, par contre, que, pour des familles, ça pourrait faire toute la différence. Donc, ma soeur et ces victimes-là ont été des payeuses de taxes, ont été des payeuses d'impôt. Je pense sincèrement qu'elles devraient être reconnues comme victimes d'actes criminels. Je vous remercie.

Mme Roy (Nancy) : C'est mon tour.

Le Président (M. Bachand) : Oui.

• (15 h 40) •

Mme Roy (Nancy) : Merci, Annie. Si j'avais pu être accompagnée de plusieurs autres familles, je l'aurais fait, parce que je pense que c'est important de démontrer c'est quoi, leur réalité, c'est quoi, les impacts qu'un drame peut avoir sur leur vie. Vous savez, la refonte de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels était un moment attendu avec fébrilité chez les familles et espoir de réparation de leurs dommages qui étaient non reconnus et peu indemnisés.

Rappelez-vous, en 2017, on est allés à une délégation de familles rencontrer la ministre Vallée. Mme Hivon était là ainsi que vous, M. le ministre. On était venus demander à la ministre des changements législatifs pour mieux reconnaître ces familles-là. Quand on a eu le dépôt du projet de loi, le 10 décembre, nos attentes étaient grandes, et malheureusement il y a plusieurs vides juridiques, il y a plusieurs vides qu'on ne comprend pas.

Nous avons eu un mois depuis le dépôt du projet de loi pour réagir et participer à cette commission-là. Vous comprendrez que notre organisme est petit et de consulter toutes les familles, de consulter nos organismes partenaires, ce n'était pas assez de temps. Comment pouvons-nous donner notre assentiment sans réelle consultation avec toutes nos familles? Nous sommes donc venus à la conclusion que certains concepts nous font craindre malheureusement une mauvaise interprétation et une exclusion de plusieurs victimes.

M. le ministre, moi, je reçois ces personnes-là toutes les semaines, qui ont perdu, malheureusement, ce qui était le plus important dans leur vie, et par violence, par un drame innommable. Puis la réalité, je peux vous en parler longtemps.

Je ne suis pas ici pour vous présenter, de façon pointue, au niveau législatif, là, tout ce qui est dans le projet de loi. Vous avez reçu des experts judiciaires, vous avez reçu Me Mongeon, Me Bellemarre, vous avez reçu l'IVAC également, mais moi, ce que j'aimerais vous présenter, c'est malheureusement nos inquiétudes face au projet de loi.

Je dois conseiller ces familles jour après jour, je dois les écouter, consulter l'IVAC souvent et même, je dirais plus, supplier l'IVAC d'aider ces familles-là, parce que souvent leurs besoins psychologiques, leurs besoins financiers pour survivre à ce drame-là... n'est pas au rendez-vous. Les tribunaux nous ont donné raison, après plusieurs luttes sur plusieurs années, qu'est-ce que la définition d'une blessure psychologique attribuable au drame qu'ils vivent, mais malheureusement... Et même les décisions, que ce soit la décision du juge Huot en 2016, la décision de la Cour supérieure, je pense que ce serait important que vous en preniez connaissance. Les décisions du Tribunal administratif, dernièrement, pour plusieurs de nos familles, sont venues interpréter de façon favorable la notion de blessure et sont venues confirmer que c'est une loi sociale, que c'est une loi réparatrice et qu'elle doit être interprétée de façon large afin d'inclure ces victimes-là. Le problème, je vous dirais, ce n'est pas la définition. Le problème, c'est dans l'application que l'IVAC va en faire jour après jour avec nos familles.

Vous nous présentez un projet de loi complètement nouveau qui va multiplier, malheureusement, d'après nous, les recours devant le Tribunal administratif. Vous savez, ces personnes-là n'ont malheureusement souvent pas les moyens financiers de se défendre ou d'aller demander au tribunal d'interpréter en leur faveur les définitions contenues dans la loi. Ça veut dire que nos familles devront encore patienter plusieurs années avant de pouvoir bénéficier des bénéfices de la loi, de pouvoir être réparés dans leurs dommages.

Au Québec, vous savez, il y a trois... il y a plusieurs régimes d'indemnisation, mais souvent nous, on est confrontés à celui de la SAAQ ou bien de la CNESST. Mais qu'est-ce que je réponds aux proches, M. le ministre, du signaleur routier qui a été fauché par quelqu'un en état d'ébriété, quand ses proches ne peuvent pas bénéficier de l'aide psychologique de l'IVAC parce qu'ils ont été indemnisés sous un autre régime? Alors, si on crée un nouveau régime, notre peur, c'est que ça soit encore plus complexe, que ces gens-là ne puissent jamais recevoir le soutien psychologique parce qu'ils ont été sous un autre régime d'indemnisation. Je pense que l'harmonisation des régimes devrait être au rendez-vous. Je pense aussi que, si un régime n'aide pas suffisamment une victime, qu'elle pourrait avoir droit aux bénéfices qu'une autre loi pourrait lui donner.

Moi, j'ai quelques questions également. Pourquoi ne pas avoir assis, avec ce projet de loi là, les experts, les groupes qui travaillent jour après jour avec les victimes? Pourquoi ne pas avoir simplifié la définition de victime? Parce que, je vous le dis, on a lu le projet de loi, et plus on le lit, plus on est un peu mêlés. Donc, une famille qu'on reçoit, je ne sais pas comment elles vont interpréter cette notion-là. Pourquoi avoir ajouté la notion de scène intacte? J'ai eu plusieurs appels de familles qui, malheureusement, nous ont dit : Bien, nous, on n'aurait pas eu droit à ce moment-là, parce qu'on est arrivés après les services policiers ou les services ambulanciers. C'est une question... C'est une réponse que je ne peux pas leur donner, malheureusement.

Le Président (M. Bachand) : Me Roy, je m'excuse, je vais vous demander de conclure, cependant, parce que le temps est écoulé.

Mme Roy (Nancy) : Oui? Parfait. Bien, donc, je pourrai ajouter, là, lors des périodes de questions. Mais, pour nous, c'est sûr qu'on salue le hors Québec. Mais, pour toutes nos familles, malheureusement, qui n'auront pas bénéficié de la loi, qui ont fait leur lutte, comment on peut les aider? C'est encore un vide qui va être comblé par la réglementation, mais on ne l'a pas. Ça fait que c'est comme signer un chèque en blanc qui nous rend extrêmement insécures... chez ces personnes-là.

Le Président (M. Bachand) : Merci. On va débuter la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui, merci, M. le Président. Me Roy, Mme St-Onge, merci de participer aux travaux de la commission. Je comprends que vous avez certaines inquiétudes par rapport au projet de loi.

Un des objectifs du projet de loi, c'est justement de faire en sorte d'élargir la notion de victime pour, justement, faire en sorte qu'il y ait moins de contestations et qu'on puisse avoir des gens qui soient indemnisés. Je vous donne exemple sur l'indemnisation en tant que montant forfaitaire. On vient élargir le nombre de personnes qui vont pouvoir être indemnisées. Donc, auparavant, on parlait de la victime qui était directe. Et on l'a vu, la loi, à l'époque, bien, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, actuellement, c'est une loi qui... le législateur faisait en sorte de dire : Bien, c'est la victime directe qu'on vise.

Il y a eu une évolution jurisprudentielle parce que les gens ont contesté les décisions de l'IVAC. Et le groupe avant vous, c'était justement la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, il disait : Bien, nous, les fonctionnaires, qui interprétions la loi, bien souvent, on n'avait pas vraiment le choix parce que c'était ça, le carcan. Il y a eu des décisions, en équité, qui ont été rendues, mais, à la fois les différents groupes, à la fois, même, Me Bellemare, qui a réclamé, durant des années, une réforme de la loi, on vise à élargir la notion de victime pour que, justement, des proches, justement, la famille, parce que c'est le noyau familial qui est affecté, qu'il y ait davantage de soutien psychologique, que les personnes significatives aient de l'accompagnement, qu'il y ait des indemnités aussi rattachées à ces personnes-là. Donc, c'est un peu la démarche qu'on fait avec le projet de loi pour faire en sorte qu'il y ait davantage de personnes qui soient couvertes.

C'est sûr que je ne peux pas refaire le passé non plus. Vous savez, la loi, on a demandé sa réforme depuis environ 30 ans. Je suis extrêmement sensible à votre cas, Mme St-Onge, lorsque vous me parlez de vos neveux, relativement à votre soeur. La situation, pour l'étranger, bien entendu, elle est réglée pour le futur. Donc, pas uniquement les homicides, pas uniquement pour... mais, en fait, ça va pour les homicides, mais tous les autres types d'infractions, également. En termes de prescription, pour toutes les victimes d'agression sexuelle, de violence subie pendant l'enfance, de violence conjugale aussi, maintenant, c'est couvert.

Puis l'objectif aussi, c'est de rendre l'IVAC... que ça ne soit plus un parcours du combattant non plus pour les personnes que vous représentez avec l'association. Donc, ça, c'est un élément qui est important aussi.

Donc, je l'ai dit d'entrée de jeu, le projet de loi n'est pas parfait, mais je considère que c'est une avancée significative sur plusieurs éléments. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

Mme Roy (Nancy) : Moi, je peux peut-être répondre, Annie, si tu veux compléter après. Bien, écoutez, moi, quand vous nous parlez, là, qu'on ne peut pas régler le passé, la ministre Vallée, en 2017, je pense, ou 2016, avait instauré une directive administrative qui faisait en sorte de reconnaître et d'indemniser les parents d'enfants assassinés dans un contexte de drame intrafamilial. Donc, ce qu'on vous demande, c'est de... ceux qui se sont battus depuis des années, ceux qui n'ont rien reçu, de pouvoir peut-être instaurer une directive administrative pour reconnaître une partie de leurs besoins. Parce que, sinon, ces personnes-là, on va les retrouver où? On va les retrouver dans d'autres... malheureusement, d'autres régimes, on va les retrouver au niveau de la santé. Ça fait que je pense qu'il faut les soutenir, il faut les aider, puis on peut le faire par directive administrative.

Et, quand on parle qu'il y a plus de victimes qui vont être indemnisées, permettez-moi, parce que, jour après jour, je les reçois, ces personnes-là, permettez-moi d'en douter, permettez-moi de penser qu'il y a beaucoup de pensée magique, parce que ce n'est pas tant votre volonté ministérielle de vouloir changer les choses, mais c'est comment ça atterrit dans la machine administrative. Il y a un roulement de personnel, ce n'est jamais les mêmes personnes. Certaines personnes, même, ont de la difficulté à s'exprimer en français ou dans la langue que la personne a besoin d'être comprise. Souvent, ce n'est jamais le même intervenant, les délais sont extrêmement longs, il n'y a aucune réglementation là-dessus.

Donc, pour nous, entre ce qui est promis puis entre la façon que ça atterrit, ça nous insécurise beaucoup, parce que ces gens-là, sachez qu'ils vivent le pire drame de toute leur vie. Souvent, appeler à l'IVAC, c'est quelque chose... je vous mets au défi de faire des mises en situation et d'appeler, c'est extrêmement pénible. Et ces gens-là sont appauvris, autant financièrement, psychologiquement, ils sont appauvris socialement. Donc, je pense qu'il y a beaucoup à faire, autant sur la formation que des directives administratives qui seront faites.

• (15 h 50) •

M. Jolin-Barrette : Là-dessus, Me Roy, je ne suis pas en désaccord avec vous pour le fait de rendre plus humaine la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. C'est pour ça, justement, que, dans le projet de loi, je la rapatrie sous le ministère de la Justice, justement, pour qu'on ait le contrôle sur l'offre de services pour les victimes. Cela étant, je suis d'accord avec vous sur ce que vous me dites, en termes de délai, en termes d'efficacité, en termes de services à la clientèle, ça doit changer, puis je vous dirais que ça va changer aussi. Mais ça, on est sur la mécanique. On se donne le pouvoir de la rapatrier.

Lorsque vous me dites : Écoutez, il faut toujours se battre, contester, tout ça, un des objectifs d'élargir la notion de victime puis d'offrir du soutien, d'offrir de l'aide financière aux personnes victimes collatérales, si je peux dire, de la personne qui subit l'infraction criminelle elle-même, ça, c'est noir sur blanc dans la loi maintenant, c'est ce qui change. Donc, ça va éviter le fait de faire en sorte que la personne doive contester la décision de l'IVAC. Parce que, dès le départ, maintenant, le régime est changé. Puis, s'il y a autant de gens qui contestent la loi actuelle, c'est justement parce qu'il y avait un enjeu avec la définition de personne victime puis au niveau des services qui lui étaient offerts puis du soutien. Donc, c'est un peu ça, le sens du projet de loi.

C'est sûr que c'est un projet de loi qui est volumineux, qui est complet. On parle de 190 articles, on parle de 30 à 190 articles, mais justement, pour avoir un régime beaucoup plus complet, il faut s'assurer de retourner les pierres. Puis j'entends bien aussi les critiques que vous faites par rapport au projet de loi, puis on vous entend en commission, justement, pour prendre en compte vos recommandations. Mais un des objectifs est vraiment d'être à l'écoute des victimes et surtout de faire en sorte qu'un plus grand nombre pourront être indemnisées et pourront avoir, supposons, du soutien psychologique rapidement, qu'elles n'attendent pas que leur dossier soit autorisé avant d'en avoir, qu'on met en place un programme d'urgence, qu'on abolit la prescription. Tout à l'heure, on nous disait que le simple fait d'abolir la prescription pour les crimes à connotation sexuelle faisait en sorte que ça va beaucoup simplifier aussi la réalité des victimes.

Donc, c'est un peu dans cet esprit-là qu'on est, pour faire en sorte, vraiment, d'avancer et que ça constitue un pas vers l'avant pour l'accompagnement des victimes.

Mme Roy (Nancy) : Mais je vous dirais, si je peux ajouter, si je peux me permettre, que la loi était quand même assez claire. Pour nous, ces parents-là qui avaient perdu un enfant par violence, par homicide étaient clairement des personnes victimes au sens de la loi. Donc, pour nous, c'était clair, c'était l'application, comme vous parlez, de mécanique, c'était l'application qu'en faisait l'IVAC au jour le jour avec ces personnes-là. Mais sinon, pour nous, c'était clair et limpide qu'elles étaient des victimes, qu'elles n'avaient pas à convaincre l'État qu'elles sont victimes. Quel est le pire drame qu'on peut avoir dans une vie? C'est bien de perdre son enfant par violence ou par homicide. C'est d'être victime, automatiquement.

M. Jolin-Barrette : Mais là, là-dessus précisément, Me Roy, on vient de reconnaître le fait que tous les parents dont leur enfant est assassiné, un enfant mineur de moins de 18 ans qui est assassiné, non pas par un ancien conjoint, mais par toute personne, vont bénéficier des aides pour faire en sorte de s'assurer qu'elles soient considérées comme des personnes victimes. Donc, ça, c'est une avancée dans la loi. On vient répondre directement à une des problématiques qu'il y avait, parce que, quand vous perdez votre enfant mineur, notamment, c'est assez dramatique. On va venir créer les indemnités forfaitaires, aussi, les indemnités de décès, donc...

Écoutez, je ne veux pas prendre plus de temps. Je vais céder la parole à mes collègues, mais je vous remercie pour votre présence en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être là parmi nous aujourd'hui. Je salue votre travail, parce que vous êtes le point de chute de nombreuses familles dans des situations, ma foi, les plus critiques de leur vie, et vous êtes reconnues pour votre écoute et pour savoir donner l'heure juste. Alors, je tiens à le souligner.

Maintenant, vous avez parlé des besoins des victimes d'assassinat hors Québec, Mme St-Onge, entre autres, mais je sais que Mme Roy, vous êtes bien au fait. Au-delà, vous avez insisté beaucoup sur le rapatriement du corps, qui est un processus extrêmement complexe, mais, au-delà du rapatriement du corps, quels sont les besoins spécifiques que le projet de loi va venir, si on veut, contribuer à amoindrir les besoins d'une famille qui vit un drame hors Québec?

Mme St-Onge (Annie) : Bien, un drame hors Québec, qu'il soit hors Québec ou qu'il soit au Québec, c'est exactement la même chose. C'est sûr et certain que le hors Québec amène une certaine difficulté, donc amène une certaine... Le processus de deuil est probablement encore plus long parce qu'il faut se mettre les deux mains dedans : il faut rapatrier le corps, il faut faire face à une bureaucratie qui est sans fin. Je pourrais vous dire que c'est plus là... ça prend plus de temps à se rétablir, pour l'avoir vécu, personnellement, pour avoir accompagné des familles qui l'ont vécu, également, avec tous les déboires que ça peut entraîner comme peine. Mais les besoins d'aide psychologique, effectivement, sont là, sont là pour les proches, pour les gens qui sont alentour de ces personnes-là, c'est... Tant qu'on ne le vit pas, on ne le sait pas, puis, quand on vit ce genre de chose là, c'est... on a une vision qui est complètement différente du besoin.

Donc, oui, effectivement, je parle de mes neveux souvent, mes neveux se retrouvent sans leur maman. Puis, quand que le drame est arrivé, ils étaient encore assez jeunes. C'est sûr que de l'argent, ça ne vient pas combler la présence d'une maman, mais il y a quand même une partie du revenu de ma soeur qui n'est pas comblée pour certains besoins, ça, c'est sûr et certain. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est un peu injuste.

Mme Lachance : Donc, vous parlez... injuste, vous parlez en termes de rétroaction, là, qui ne soit pas...

Mme St-Onge (Annie) : Bien oui, effectivement, parce qu'il y a l'ancien régime auquel ils n'avaient pas accès. C'était très, très clair, hors Québec, ce n'était pas touché. Puis là on arrive dans le futur où il y a vraiment une reconnaissance, puis le ministre de la Justice, M. le ministre de la Justice, je veux dire... Tu sais, je veux dire, oui, on élargit énormément la notion de victime, puis c'est vraiment bien, sauf qu'il y a comme un flou là, entre les deux. Eux autres, là, ils ne sont pas reconnus avant puis ils ne sont pas reconnus pour le futur. Ils sont vraiment entre deux chaises, puis ça, je trouve ça très, très, très décevant.

Mme Roy (Nancy) : Et si je peux juste ajouter aussi qu'il y a quand même... On ne se mettrait pas pauvre, là, comme société, là, que d'aider ces personnes-là, là. Il n'y en a pas beaucoup, d'homicides hors Québec, mais les besoins sont immenses, parce qu'il y a des besoins psychologiques, il y a des besoins aussi de rapatriement du corps, il y a des besoins, juste, de déplacement pour assister aux procédures judiciaires. Si ça arrive hors Québec, encore pire, hors Canada, bien, vous êtes très malchanceux, parce que vous allez faire affaire avec le fonds d'aide au fédéral et Affaires mondiales.

Ça fait que je pense que ça serait préférable de rapatrier ces sommes-là, de s'occuper de notre monde et de s'occuper convenablement des proches qui ont perdu quelqu'un à l'étranger. Et je demanderais même qu'il faut absolument aider ces gens-là aussi qui se sont battus durant plusieurs années non pas juste pour une somme forfaitaire, mais de l'aide psychologique, de l'aide de réadaptation professionnelle aussi.

Les neveux d'Annie, bien, oui, ils vont avoir besoin d'aide pour pallier à l'absence de leur mère, mais ça peut être aussi un enfant qu'on a perdu dans un homicide hors province ou hors Québec. Bien, ces gens-là se sont appauvris par quelque chose qu'ils n'ont pas demandé et qu'ils n'étaient pas préparés à faire face. Donc, on ne se met pas de l'argent de côté, on ne se met pas un REER de côté au cas où qu'on aurait à vivre un drame de la sorte.

Donc, je pense qu'il faut rapatrier ces sommes-là. Il faut s'occuper de notre monde puis il faut évaluer les besoins au même titre que les victimes, parce qu'elles en sont.

Mme Lachance : Merci. M. le Président, est-ce qu'il me reste une petite minute? Parce que mon collègue voulait aussi prendre la parole.

Le Président (M. Bachand) : Oui. Rapidement, le député de Chapleau, 1 min 55 s, s'il vous plaît.

• (16 heures) •

Mme Lachance : Je vais laisser M. le député de Chapleau. Merci. Merci, mesdames.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Chapleau.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, chère collègue de Bellechasse. Bonjour, tout le monde. Bonjour, Mme St-Onge, Me Roy.

Peut-être un peu sur la même ligne de questionnement que ma collègue, donc, au-delà de la rétroactivité, est-ce que l'article, tel qu'il est rédigé pour toute la question hors Québec, vous convient? Est-ce qu'il manquerait des éléments, là, si on exclut, évidemment, la portion rétroactivité dont vous nous avez fait mention?

Mme Roy (Nancy) : Bien, moi, j'ai toujours suggéré qu'on conserve l'article qui était préexistant, là, l'article 3 de la loi actuelle, et qu'on y ajoute simplement une exception pour les primes, les homicides hors Québec. Et, pour moi, ça aurait été simple, ça aurait été efficace, ça aurait été aussi d'inclure ces personnes-là dans une exception législative et pour... Et ça couvrirait aussi... ou on pourrait le couvrir par disposition, directive administrative, bien, la rétroaction.

M. Lévesque (Chapleau) : Donc, ce serait ces éléments-là. O.K. Maintenant, vous avez parlé d'exclusion. Donc, plusieurs victimes sont exclues de la définition ou, du moins, de ce qui vous apparaît au projet de loi. J'imagine que c'est en lien avec la définition. Est-ce que vous pouvez peut-être nous éclairer sur ça ou qu'est-ce que vous verriez, en termes de définition ou, du moins, d'inclusion par rapport à certaines victimes?

Mme Roy (Nancy) : Bien, écoutez, pour nous, on aurait conservé la définition qui a été interprétée par les tribunaux favorablement. Et surtout, dans le dernier deux ans, là, il y a eu beaucoup de jurisprudences qui ont été interprétées sur la notion de blessure, sur la notion victime. On aurait conservé ça. On aurait ajouté une exception, au niveau du Québec, pour inclure le «hors Québec», les victimes... les proches de victimes d'homicide hors Québec, et ça aurait couvert, je pense, à peu près la majorité des besoins. Parce qu'un parent ou un proche qui démontre qu'il a une blessure psychologique, bien, correspond à la définition de l'article 3 en ce moment. Ça fait que, pour nous, ça aurait été... ça aurait répondu aux besoins...

M. Lévesque (Chapleau) : La définition.

Mme Roy (Nancy) : ...en tout cas, des familles qu'on rencontre.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Merci. M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bien, d'abord, merci, Me Roy, d'être avec nous et également Mme St-Onge. Merci beaucoup de partager votre expérience avec nous, expérience dramatique, mais qui doit nous guider, comme législateurs, à faire justement les bons choix. Vous êtes maintenant administratrice, Mme St-Onge, et, Mme Roy, vous êtes directrice générale de l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues.

Moi, j'aimerais ça prendre votre point, là, puis le revirer de bord, parce qu'on en a parlé avec Me Bellemare. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste, le parcours du combattant pour des personnes qui veulent se faire indemniser et qui se voient refuser une indemnisation, peu importe la raison, mais vous dites : Non, on va contester, il y a des recours, ce que ça représente en termes de temps, d'argent, d'énergie et en quoi ça vient aussi alourdir le fardeau qu'ils ont déjà à subir, qui leur est imposé?

Mme Roy (Nancy) : Bien, écoutez, c'est facile, hein? Vous auriez pu faire une mise en situation et appeler à l'IVAC pour dire : vous êtes victime. Souvent, ces gens-là viennent au bureau, nous rencontrent et nous demandent ou nous disent carrément... Il y en a qui se sont fait dire : Bien, voilà, vous n'êtes pas une victime. Bien, pourtant, j'ai perdu mon enfant par assassinat. Non, vous n'êtes pas une victime, la victime est décédée. Ça fait que c'est des absurdités qu'elles se font dire jour après jour.

Ensuite, elles rentrent dans un dédale administratif épouvantable avec des délais. Donc, elles doivent fournir beaucoup de papiers, souvent des retards, des délais, des changements d'intervenant à l'IVAC, souvent se font refuser malheureusement, malgré les interprétations favorables qu'il y a eu dans les tribunaux, doivent... arrivent à l'AFPAD et nous demandent : Bien, comment on fait? Qu'est-ce qu'on fait? On n'a pas les moyens d'avoir un avocat.

Donc, c'est aussi de trouver des avocats qui vont accepter ces causes-là qui sont difficiles. Il n'y a pas... Avoir un mandat d'aide juridique, ça devrait être automatique pour une victime. Il devrait y avoir des liens avec l'aide juridique, l'accessibilité aux tribunaux, parce que souvent, c'est difficile pour ces personnes-là, et elles doivent se battre durant des années. On a des familles que ça fait trois ans, quatre ans qu'elles se battent pour être reconnues, pas pour recevoir des millions, là, pour recevoir de l'aide psychologique, on le rappelle, et souvent de l'aide pour retourner en emploi. Elles doivent reprendre une vie normale. Donc, après des années... Puis, entre ça, on se rappelle que, souvent, il y a le processus judiciaire. Donc, ces personnes-là sont complètement démolies.

Souvent, moi, j'ai appelé à l'IVAC pour les supplier et leur demander d'ajouter aux 30 séances de psychothérapie des séances supplémentaires, parce que ces gens-là, avec les délais du système judiciaire, devaient affronter tout le procès, souvent en s'appauvrissant, souvent en payant elles-mêmes les dépenses, donc... Et l'IVAC me répondait : Non, malheureusement, c'est 30 séances. Alors...

M. Tanguay : Alors, quand on prend tout ça, puis c'est l'angle, c'est par la porte par laquelle je veux entrer dans la discussion, quand on prend tout ça, dans un contexte où c'est une loi qui aura bientôt 50 ans, qui a évolué... Puis vous avez fait référence, un peu plus tôt, là, à la décision — je pense avoir la bonne, là — du juge François Huot, septembre 2016, qui faisait une avancée jurisprudentielle. Autrement dit, la loi dit une chose, la façon dont c'est appliqué et interprété, le décideur, à l'IVAC, dit oui, dit non. S'il dit non, bien, on peut aller devant les tribunaux, c'est du temps de délai puis tout ça.

La loi, son application, son interprétation a un peu été comme un arbre qui a grandi et qui, aujourd'hui, est plus clair, a des bases. Malgré cela, vous dites : Bien, des fois, il faut aller se battre pour replaider de la jurisprudence bien établie. Dans ce contexte-là, je comprends, puis vous pourrez le formuler différemment que moi, que de jeter ce qui pourrait être vu comme un pavé dans la mare, 190 nouveaux articles qui ont la prétention d'apporter quelque chose de nouveau et de différent... On ne fait pas 190 nouveaux articles pour faire juste quatre trente-sous pour une piastre, il faut amener d'autres éléments d'interprétation. Bien, cette interprétation-là, je vais le dire un peu carré, ça va sortir comme ça, elle devra se faire, au cours des prochaines années, sur le dos des personnes qui voudront prétendre : Moi, je me bats parce que moi, je pense que la loi doit m'inclure là-dedans.

Alors, ça, c'est comme un fardeau qu'on risque d'exiger aux justiciables. Bien, allez faire avancer le droit pour interpréter la loi avec les 190 nouveaux articles.

Mme Roy (Nancy) : Bien, évidemment, pour nous, on aimerait ça simplifier pour ces personnes-là, parce qu'il faut pouvoir investir facilement dans leur réadaptation, dans leur sortie du drame, hein, pour faciliter leur prise en charge, là, personnelle, émotive, sociale. Et je pense que de rajouter de nouvelles définitions ne les aideront pas. Je pense qu'on devrait plutôt s'inspirer de ce que les tribunaux ont dit, de garder ce nouvel article là, mais y aller avec des directives administratives à l'IVAC, qui est d'ordonner comment elles doivent être appliquées. Il ne faut pas les appauvrir, ces gens-là.

Et, quand on entend qu'ils auront des remplacements de revenu pour trois ans, mais seulement ceux en emploi, bien, je m'excuse, mais la totalité ou presque... en tout cas, la majorité de mes victimes qui sont membres à l'AFPAD, et on en a plus de 600 personnes, bien, ce sont toutes des personnes extrêmement appauvries par le drame et qui n'auront peut-être pas les bénéfices de la loi au-delà du trois ans ou du cinq ans. Ça fait que c'est alarmant.

M. Tanguay : Ce que vous dites là est excessivement important, Me Roy. Vous parlez des 600 quelques personnes qui font appel à vos services et, après trois ans, là, vous dites : C'est terminé, là. Alors, il y en a qui auront un impact là-dessus. Je pense que la logique du ministre, c'est de dire : On va en donner un peu à plus de monde, mais ça veut dire qu'il y a des gens qui auraient mérité plus, mais qui vont se faire couper, dans les faits. Et on pourrait me dire : Non, ça ne se passera pas de même, ça ne se passera pas de même. Une chose est sûre, le trois ans va exister. Alors, trois fois 365 jours va arriver un jour, puis il n'y en aura plus d'argent. Alors, des gens qui, par ailleurs, auraient reçu, d'où un recul, une somme au-delà du trois ans, ça, c'est important.

Vous invitez également aussi, ça, on va le dire, on va le nommer, puis vous l'avez dit également, une harmonisation des régimes, accidents de travail, des accidents de la route. Également, il y a là un corpus, il y a là, sur place, des systèmes qui visent à l'indemnisation. Il y aurait aussi avantage à se coordonner et à s'harmoniser plutôt que de refaire un 190 nouveaux articles également. Puis on peut voir... Je ne sais pas si vous en avez vu... J'aimerais vous entendre, Me Roy, puis peut-être Mme St-Onge également, vous avez commencé un peu plus tôt à parler d'éléments nouveaux, comme scène intacte, le concept de scène intacte. Est-ce qu'il y a d'autres concepts comme ça qui ont fait froncer, là, des sourcils?

• (16 h 10) •

Mme Roy (Nancy) : Bien, écoutez, il y a toutes des notions, là, qu'on a entendues, là, l'impossibilité d'agir. Quand on sait ça, on le sait que c'est un fardeau qu'on demande aux victimes, qui est vraiment alourdi. Donc, moi, je plaide plus en faveur d'une application facile, d'une application élargie, mais il faut bien investir dans ces personnes-là. Il ne faut pas saupoudrer l'aide. Je pense qu'il faut la concentrer, parce que, de toute façon, sinon, ces personnes-là vont se retrouver à l'aide sociale, vont se retrouver bénéficiaires de d'autres régimes de dernier recours, malheureusement, parce qu'on n'aura pas investi, de façon massive au début, sur ces personnes-là. On les aura exclues et on ne fait qu'alourdir le fardeau, finalement, de pouvoir les aider convenablement.

Écoutez, j'ai eu une jeune fille qui... sa mère a été assassinée devant ses yeux, et on lui payait ses cours à l'université que si elle les coulait. Donc, pour nous, c'était d'aider quelqu'un à l'inverse. Parce qu'on leur demandait : Pouvez-vous payer ses frais universitaires? Ils ont dit : Non, on paie juste si, à cause du drame, elle échoue certains cours. Donc, je pense qu'il faut repenser les notions, aussi, qui sont de réadaptation. Je pense qu'il faut asseoir les intervenants du milieu. Il faut leur demander : Qu'en pensez-vous, parce que vous travaillez avec ces gens-là de façon quotidienne? On les connaît, les besoins de nos personnes, mais on n'a pas été suffisamment consultés à ces propos-là.

M. Tanguay : Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Bachand) : 1 min 15 s.

M. Tanguay : 1 min 15 s. Donc, plus de consultations, ne pas agir dans la précipitation. Et également comment accueillez-vous le fait qu'il y aura un pouvoir élargi réglementaire? Donc, le diable est dans les détails, et les règlements vont suivre. Là aussi, j'imagine que, si d'aventure, la consultation n'a pas eu lieu sur le projet de loi n° 84, vous aimeriez minimalement qu'il y ait une consultation, j'imagine, sur d'éventuels règlements qui vont étayer tous ces beaux nouveaux articles là, donc.

Mme Roy (Nancy) : C'est sûr, parce qu'on les connaît, nos familles, on les connaît, leurs besoins. Je pense que, si une famille... Je réponds quoi, moi, à quelqu'un que son enfant a été assassiné sur son lieu de travail? Est-ce qu'il va être indemnisé par la CNESST ou par l'IVAC, le nouveau programme? C'est extrêmement compliqué de s'y retrouver. Pour une victime, ça va être compliqué, pour les organismes de terrain, ça va être compliqué. Je pense qu'il faut simplifier les choses.

Ça fait qu'il faudrait se rasseoir, tout le monde, avec des experts terrain et dire : Comment on peut faciliter, comment on peut investir dans ces personnes-là pour qu'enfin elles puissent retrouver un semblant de vie qui soit plus normal?

M. Tanguay : Merci beaucoup, Me Roy. Merci, Mme St-Onge.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Sherbrooke, pour 2 min 45 s, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Roy, Mme St-Onge, pour votre présentation. Je pense, vous étiez très éloquentes sur les changements que vous attendez du projet de loi.

Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, Mme St-Onge, mais, si vous vous sentez à l'aise, j'aimerais ça que vous nous parliez de vos neveux puis de la différence que ça ferait pour eux d'avoir accès à l'IVAC. Mais je ne veux pas vous mettre mal à l'aise. Si jamais vous ne vous sentez pas à l'aise...

Mme St-Onge (Annie) : Bien, en fait, je pense que, tu sais, autant un parent qui perd un enfant, autant un enfant qui perd un parent dans une situation comme ça... et la situation a été tellement, mais tellement médiatisée. C'est très handicapant, dans un si jeune âge, de pouvoir continuer leur parcours.

Donc, oui, ces enfants-là ont des besoins un petit peu plus particuliers, ont besoin d'être soutenus pour réussir un peu à vivre la vie qu'ils auraient eue — ils ne l'auront jamais — mais s'ils avaient conservé leur maman, s'ils avaient eu leur maman auprès d'eux. Donc, les besoins, c'est beaucoup au niveau de l'aide, de l'aide psychologique. Puis, quand je parle d'aide psychologique, c'est sûr qu'on peut se dire : Ah! bien oui, mais ils vont aller consulter un psychologue, puis ça va être correct. Non. C'est précis. Ce n'est pas n'importe quel psychologue généraliste qui peut adresser des situations comme ça. Ça prend des psychologues qui sont spécialisés dans le trauma. C'est des spécialistes qui ont étudié, qui ont fait des études. Un psychologue, c'est quelqu'un qui a quand même un doctorat, mais il y a des spécialisations pour être en mesure de comprendre.

Puis j'en suis aussi... Je parle en connaissance de cause, parce que j'ai aussi... oui, malgré ce que j'ai de l'air, bien forte, là, moi aussi, j'ai besoin d'aide puis je n'en trouve pas. Puis là on ne parle pas d'argent, là, on parle de soins. J'ai besoin de me remettre, j'ai besoin de retrouver une vie quasi normale, moi aussi, depuis deux ans. Ça fait que là je parle de mes neveux, mais je parle de moi aussi, mais les aides ne sont pas toujours là.

Donc, même pour mes neveux, puis c'est encore pire pour eux que pour moi, eux autres aussi ont besoin d'être accompagnés. Ils ont besoin d'avoir de l'aide très spécifique, très spécialisée pour être en mesure d'avoir une vie presque normale, rendus plus loin. Ma soeur, c'était quelqu'un qui avait quand même un revenu important dans sa famille. C'était quelqu'un qui avait une belle carrière, qui avait un bon emploi rémunérateur. Donc, tout ça, ils ne l'ont plus. Ils n'ont plus cette partie-là, mes neveux. Ils n'ont plus cette jouissance de vie là non plus. Donc...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme St-Onge. Merci infiniment. Merci. Mme la députée de Joliette, pour 2 min 45 s, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui, bonjour. Bonjour, Mme St-Onge. Merci d'avoir cette force-là d'être parmi nous aujourd'hui. C'est très, très éloquent pour nous, ce que vous nous dites. Puis merci, Mme Roy, toujours un plaisir de vous entendre.

Je voulais revenir, Mme Roy, sur toute la question de la nouvelle définition de victime. Donc, vous nous dites que, dans le fond, à l'heure actuelle, il y a des progrès substantiels qui se sont faits par les tribunaux et qui font en sorte que, maintenant, il y a eu un élargissement, et vous craignez, si je vous suis bien, qu'avec ce qui est prévu dans la loi on régresse. Est-ce que vous pouvez nous spécifier si vous craignez, dans la définition même, qu'on régresse ou dans le type d'aide ou de soutien et d'indemnisation dont vont pouvoir bénéficier les victimes qu'on pourrait appeler secondaires ou par ricochet, qui sont, selon moi, des vraies victimes, là, mais on se comprend? Pouvez-vous juste me clarifier ça?

Mme Roy (Nancy) : Bien, je pense que la définition même, là, elle a été largement, là, définie par les tribunaux. Donc, on se demande pourquoi ces familles-là, qui perdent un enfant par homicide, doivent aller nécessairement, trois ans après, au tribunal, pour se faire reconnaître comme victimes.

Donc, pour nous, la définition, elle est claire, c'est une personne qui a subi une blessure, donc une blessure psychologique, qui arrive, que ce soit avant ou après les premiers répondants, mais qui... ou qui n'arrive pas non plus, là. Les tribunaux ont dit que, même si on n'était pas sur place, on subissait une perte. Je pense qu'il faudrait s'inspirer aussi de ce qui se fait ailleurs. En France, on indemnise les proches, les parents, beaucoup plus facilement qu'au Québec. Donc, il faut s'inspirer, il faut travailler avec ces personnes-là.

Je pense que la loi, elle est complexe, parce que plus je la lisais, plus je me disais : Mon Dieu! Ça va être compliqué pour les organismes terrain de même s'y retrouver. Ça fait que pourquoi ne pas prendre une définition claire, d'y mettre certaines exceptions, de peut-être enlever aussi les notions de prescription parce que ces personnes-là sont dans un état de vulnérabilité? Souvent, ce n'est pas... ils ne savent pas... Ils ont le processus judiciaire puis ils ne déposent pas nécessairement, dans le trois ans, une demande à l'IVAC, puis ils n'ont pas nécessairement identifié leurs besoins. Et après ça on leur dit que c'est prescrit, mais, si on se colle sur les dernières décisions des tribunaux, bien, je pense qu'à ce moment-là on serait gagnants.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps qu'on a, Me Roy, Mme St-Onge. Merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi, c'est fort apprécié. Merci beaucoup.

On suspend les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 20)

(Reprise à 16 h 37)

Le Président (M. Bachand) : Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me Madeleine Lemieux, ex-bâtonnière et auteure du rapport sur la modernisation de l'IVAC.

Alors, Mme Lemieux, on a hâte de vous entendre. Donc, vous avez 10 minutes de présentation. Après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous. Merci d'être ici avec nous.

Mme Madeleine Lemieux

Mme Lemieux (Madeleine) : Alors, bonjour. Vous avez dit «auteure du rapport», je ne suis pas auteure du rapport. J'ai présidé le groupe de travail qui a présenté un rapport. Nous avons eu mandat en 2006 et notre rapport était de juin 2008. Je présume qu'il y a des membres de la commission qui en ont pris connaissance parce que, je dois dire, j'ai reconnu plusieurs de nos recommandations dans le projet de loi.

Je vais rapidement revenir sur le mandat que nous avions, dont les objectifs étaient de dégager les fondements, la nature, les caractéristiques, les objectifs d'un régime d'indemnisation, examiner la fameuse liste des actes criminels qu'on trouvait à l'époque en annexe, préciser les liens à établir avec d'autres régimes sociaux et des services d'aide existants et recommander des scénarios de modification au régime avec des estimés de coûts et, si jugé approprié, des hypothèses de financement, le tout dans un contexte d'une gestion rigoureuse des finances publiques, puis, finalement, examiner les coûts du mode d'administration actuel.

Le comité était composé de sept personnes, dont Mme Bérubé, Mme Cadrin, M. Gagné, Me Ionescu et Me Turmel, et nos travaux ont duré à peu près deux ans, pendant lesquels nous avons fait plusieurs consultations. Nous avons rencontré plusieurs groupes de personnes-ressources spécialisées en réadaptation ou qui représentent des associations soit de victimes, soit de soutien aux victimes, et on a sorti un rapport qui faisait plusieurs recommandations.

Je ne sais pas s'il y a des sujets en particulier, mais, si je m'en vais aux grandes lignes de ce rapport-là, ça a été de vraiment dégager les fondements de ce régime-là, qui est un régime qui est fondé d'abord et avant tout sur la solidarité sociale, et le distinguer des régimes d'assurance, qui sont des régimes autofinancés, comme l'indemnisation des accidents de travail ou de l'assurance automobile.

• (16 h 40) •

Alors, ça a été notre premier travail, de vraiment installer ces fondements-là et de donner un sens aux mots «solidarité sociale». On s'est inspirés d'un rapport précédent qui disait : «...sur la manière par laquelle les sociétés modernes trouveront des façons de réduire les conséquences les plus graves des inégalités rattachées aux mauvais coups du sort.» Parce que les victimes d'actes criminels, c'est ce qu'on appelle vraiment les mauvais coups du sort.

Ce qui nous a aussi beaucoup frappés, ça a été de constater la très grande vulnérabilité des gens qui s'adressent à ce régime-là, vulnérabilité qui est différente, je pense, des personnes qui vont s'adresser à d'autres régimes d'indemnisation publics, à cause des situations particulières dans lesquelles ils se sont retrouvés.

Je voudrais vous parler aussi des principes directeurs qui nous ont guidés, qu'on va retrouver à la page 14 du rapport. C'est qu' «une victime d'un crime peut bénéficier des services et indemnités prévues à la loi si elle a subi un préjudice corporel ou psychique en lien avec l'acte criminel. Elle a droit au respect, à l'empathie, à l'aide et à l'assistance de toute personne chargée d'administrer la loi. Toute intervention auprès d'une personne victime doit être basée sur le respect de son autonomie et reposer sur la capacité à reprendre le contrôle de sa vie.»

«Toute intervention auprès d'une personne victime doit être faite avec célérité», et j'insiste beaucoup là-dessus. Nous, c'est quelque chose qui nous a frappés, comment la rapidité avec laquelle on intervient auprès des victimes est contributive de leur rétablissement. «De suivi, et dans l'allocation des services et indemnités prévus à la loi, la personne victime doit notamment être informée...» et c'est un autre de nos constats, de voir jusqu'à quel point les gens se sont plaints du manque d'information, ont manifesté des besoins d'information, que nous avons trouvés, rencontrés presque avec chaque groupe que nous avons consulté, «avec diligence et dans un langage accessible, des services et indemnités prévus.»

«L'administrateur du régime doit fournir des services adaptés aux besoins des personnes victimes, coordonnés en complémentarité avec les services dispensés par les organismes publics», ça, c'est un autre des principes qui s'est dégagé de nos consultations. C'est que le régime d'indemnisation est un régime supplétif. Il y a des services que seul le régime d'indemnisation des actes criminels peut fournir, mais il ne doit pas remplacer les autres régimes, publics ou privés, d'indemnisation et il doit travailler en complémentarité avec les services dispensés par les organismes publics, parapublics et communautaires. Et la victime peut, selon la gravité des préjudices subis, recevoir des services médicaux et psychosociaux nécessaires à sa réadaptation et être indemnisée selon les dispositions de la loi. Les services visent à atténuer les préjudices subis en lien avec l'acte criminel et favoriser son rétablissement.

Et finalement les proches de la personne victime peuvent, dans certaines circonstances, être admissibles aux services et indemnités prévues à la loi. Il y avait, à cette époque-là, des difficultés particulières pour tout ce qui concernait les proches des victimes, à ce qu'elles obtiennent des indemnisations. Nous avions recommandé, entre autres, un changement de titre de la loi. Nous avons recommandé, entre autres, la disparition de la liste, pour ne plus limiter l'indemnisation à des crimes qui sont énumérés dans une liste, mais bien élargir à un plus grand nombre de personnes, et c'est très relié, je pense, à l'évolution de la société, à l'évolution de la criminalité aussi. Nous avons... C'était formulé, plusieurs recommandations qui ont trait à l'information, au soutien, au devoir d'assistance de l'organisme chargé d'indemniser les victimes. Nous avions recommandé aussi la fin des rentes viagères et un terme aux indemnités de remplacement de revenu.

Ça fait à peu près le tour d'un rapport qui fait quand même 140 pages. Je pense que je préfère répondre à vos questions sur des sujets bien précis que d'aller plus loin dans toutes les recommandations, parce qu'il y en avait... je les ai sorties, là, il y en avait 68, recommandations. Alors, je pense que je pourrais... je vais essayer de répondre à vos questions du mieux que je peux.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Me Lemieux. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Merci, Me Lemieux, d'être avec nous et de prendre le temps de venir en commission parlementaire. C'est apprécié.

Écoutez, je veux aborder un élément dans votre rapport. Bien, tout d'abord, je comprends, là, que votre rapport avait été rendu en 2008 mais qu'il avait été uniquement rendu public en 2012, suite aux pressions de la députée de Joliette à l'époque. Donc, il avait été rendu public dans la sphère publique à ce moment-là. Dans votre rapport, et c'est important de le dire que vous aviez un comité pour faire ce rapport-là, vous recommandiez la fin des rentes viagères. Pourquoi est-ce que vous recommandiez la fin des rentes viagères?

Mme Lemieux (Madeleine) : C'est basé sur deux principales raisons. Le régime, dans notre vision à nous, était un régime... est d'abord et avant tout un régime supplétif. Alors, le régime doit avoir comme premier objectif la réparation des conséquences immédiates du traumatisme subi suite au crime et de diriger la personne vers d'autres ressources à partir d'à un moment donné. Alors, la réparation vise d'abord le remplacement du revenu.

Quand nous avons suggéré trois ans de remplacement de revenu, nous l'avons suggéré à partir des statistiques qui existaient, à l'époque, à l'IVAC, qui couvraient à peu près 95 % ou 97 %, si ma mémoire est bonne, des réclamations de remplacement de revenu. C'est à peu près ça. Nous avons aussi collé le remplacement de revenu à quelqu'un qui possède déjà du revenu ou une expectative normale de revenu. Mais c'est un régime qui devait d'abord et avant tout être élargi à un plus grand nombre de victimes, et, compte tenu des ressources dont on dispose, de faire en sorte que, si une personne doit... peut recevoir une indemnité qui la compense, elle n'a pas... elle ne devrait pas recevoir une rente viagère. Ce n'est pas l'objectif de ce régime-là. Un régime, rappelez-vous, comme principe de base... basé sur la solidarité et basé sur l'indemnisation rapide, immédiate et la correction des défauts.

Les rentes viagères sont un coût énorme pour le régime, et je pense que ça a été contributif du fait qu'on ait autant tardé à élargir le nombre de personnes qui étaient admissibles en faisant disparaître la fameuse liste de crimes qui rendaient admissible à l'indemnisation du régime. En gros, là, c'est à peu près ça qui... et que le régime ne doit pas être calqué sur les régimes d'assurance santé-sécurité au travail ou accidents d'automobile. Ce sont des régimes dont les fondements sont complètement différents.

M. Jolin-Barrette : Sur ce point-là, Me Lemieux, pourquoi ils sont différents? Juste, là, pour bien nous renseigner, là, pourquoi que ce n'est pas la même chose, le régime de la SAAQ, le régime de la CNESST puis le régime de l'IVAC?

Mme Lemieux (Madeleine) : Le régime de la CSST et de la SAAQ sont des régimes d'assurance autofinancés. Alors, ce sont les utilisateurs... Dans un cas, ce sont les employeurs et, dans un autre cas, ce sont les utilisateurs du réseau routier et des automobiles qui paient ces régimes-là. Ce ne sont pas des régimes basés sur la solidarité sociale, comme d'autres régimes existant dans le gouvernement, c'est tout à fait autre chose. Alors, on n'est pas dans un domaine d'assurance, on...

Souvent, on s'est posé la question : Est-ce que, si quelqu'un vous offrait... un assureur privé vous offrait une police d'assurance contre les crimes... Bien, vous diriez : Non, moi, ça ne m'arrivera pas à moi, ça arrive aux autres. On va assurer... Quand on en a les moyens, le salaire, on va assurer contre la maladie. Ce n'est pas un régime d'assurance, c'est un régime d'indemnisation étatique basé sur la solidarité. On l'a copié sur celui de la santé et sécurité au travail, parce que le régime, d'après ce qu'on m'en a raconté, a été adopté très rapidement, à la sauvette, puis on l'a rapidement confié à la CSST. Et, dans la tête de tout le monde, on l'a assimilé à un régime d'indemnisation pour des accidents de travail, et ce n'est pas ce que c'est, de notre avis. Ce n'est pas ce que c'est, c'est tout à fait autre chose.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de l'indemnité de remplacement de revenu, vous le limitiez à... l'incapacité temporaire, à trois ans. Nous, ce qu'on fait, c'est qu'on met trois ans plus une tranche de deux ans supplémentaire en termes de réinsertion, donc, pour un total de cinq ans. Mais vous, à l'époque, le trois ans, ça vous apparaissait une approche normale pour faire en sorte que la personne puisse être rétablie et qu'elle ait un montant forfaitaire par la suite.

• (16 h 50) •

Mme Lemieux (Madeleine) : Oui, et on s'était basés sur les statistiques de l'IVAC, on s'était basés sur quel est le pourcentage de personnes et quelle est la durée pendant laquelle elles ont besoin de remplacement de revenu, et on en arrivait à des statistiques... Il faudrait que je fouille un petit peu dans mon rapport, parce que, vous savez, je n'avais pas lu ça depuis 2008, hein? Alors, je vais être obligée de relire. On s'était basés sur des statistiques qui nous avaient dit : Bien, avec une limite de trois ans, c'étaient 97 % qui allaient recevoir exactement la même indemnisation. Alors, la zone tampon peut correspondre à des statistiques qui seraient différentes aujourd'hui. Je l'ignore.

M. Jolin-Barrette : O.K. Qu'est-ce que vous pensez de l'élargissement de la notion de victime que nous faisons dans le projet de loi n° 84?

Mme Lemieux (Madeleine) : Est-ce... Vous voulez dire...

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, auparavant, on avait la victime directe qui avait droit à des indemnisations. Là, ce qu'on vient faire, c'est qualifier les personnes victimes plus largement. Donc, il y a la victime qui subit l'infraction, mais il y a toute la cellule familiale, le noyau familial, les proches, les personnes significatives qui vont pouvoir être indemnisées désormais et recevoir des services.

Donc, est-ce que vous voyez ça positivement, le fait que davantage de personnes, et on l'évalue à près de 4 000 personnes supplémentaires par année, pourront recevoir du soutien de l'État? On élargit le régime.

Mme Lemieux (Madeleine) : Oui. Vous savez, nous, dans nos consultations, il n'y a absolument personne, personne, personne qui a plaidé en faveur d'une restriction. Au contraire, tout le monde a plaidé en faveur d'un élargissement, et ça va de soi que la victime n'est pas seulement celle qui a reçu les coups, mais que ses proches, que la cellule familiale... et c'est ça, l'idée de la solidarité sociale, de réduire le plus possible les effets d'un crime sur tous ceux qui en sont victimes, et ça méritait un élargissement.

M. Jolin-Barrette : Pourquoi, Me Lemieux, pensez-vous que, depuis la publication de votre rapport en 2008, il n'y aucun gouvernement qui a mis en oeuvre une réforme de l'IVAC?

Mme Lemieux (Madeleine) : Je l'ignore. Je devrais faire une pure spéculation, parce qu'on mentionne dans le rapport que notre rapport a été précédé de deux autres rapports, hein? Ce n'est pas le... il y en a eu deux autres qui avaient formulé des recommandations avant le nôtre. Je pense que c'est directement relié aux coûts et que la majorité de nos recommandations étaient des recommandations qui favorisaient des élargissements qui auraient entraîné d'autres coûts, des coûts supplémentaires et que ce n'était probablement pas dans l'air du temps que d'ajouter à ce que ça coûte déjà. Parce que j'ai comparé les chiffres de 2008 et ceux d'aujourd'hui, et, malgré le fait que le régime est resté sensiblement le même, les coûts sont beaucoup plus importants qu'ils ne l'étaient à l'époque.

Je ne vois pas autre chose, parce que tout le monde réclamait une modernisation de cette loi-là. Tout le monde réclamait un élargissement de la notion de victime, tout le monde réclamait des modifications à l'administration du régime. Il n'y a pas personne qui est venu dire : Gardez ça comme c'est là. Et le rapport, bien, ça voulait le reflet, hein?

M. Jolin-Barrette : Puis une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Me Lemieux, tout à l'heure, Me Bellemare est venu témoigner et il a mis en doute le fait que les mesures supplémentaires que je mettais dans la loi pour les victimes, qui sont notamment inspirées, en autres, de votre rapport, n'allaient pas engendrer des coûts supplémentaires pour l'État. Donc, je comprends, de ce que vous nous avez dit, que, dans les recommandations que vous faisiez, ça allait engendrer des coûts supplémentaires. Donc, nécessairement, le gouvernement du Québec met plus d'argent, si on suit vos recommandations.

Mme Lemieux (Madeleine) : C'était notre constat, et nous avions de grands doutes que le rapport ne serait probablement pas suivi rapidement, justement, parce qu'il allait entraîner des coûts supplémentaires à l'administration du régime.

M. Jolin-Barrette : Bien, je vous remercie, Me Lemieux, pour votre passage à la commission parlementaire. Je vais céder la parole à mes collègues. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Me Lemieux. Merci de votre témoignage. Bon, vous nous mentionniez que vous avez un peu dépoussiéré votre rapport, là. Je vais maintenant faire appel à votre mémoire.

Donc, dans le rapport que vous aviez présenté et soumis, j'aimerais peut-être que vous fassiez un exercice de comparaison entre ce qui s'y trouvait et le projet de loi actuel à l'étude. Est-ce qu'il y a des éléments qui vous apparaissent manquer ou qui sortent un peu de l'ordinaire, qui n'étaient pas vraiment compris dans le rapport? Puis vos interrogations ou, disons, au moins vos commentaires par rapport à ces éléments.

Mme Lemieux (Madeleine) : Bien, écoutez, j'ai fait l'exercice de prendre chacune des recommandations et de chercher dans le projet de loi, là, où elles étaient reprises ou non.

Évidemment, la recommandation... Une de nos toutes premières recommandations, qui était d'élargir le régime de façon à y inclure tous les crimes, se retrouve dans le projet de loi, et c'était une de nos toutes premières recommandations. Essayer de cesser d'assimiler trop le régime aux autres régimes dont j'ai parlé tantôt, on le voit bien à l'article 59 que, si on est couvert par d'autres régimes, ce sont les autres régimes qui doivent d'abord couvrir...

M. Lévesque (Chapleau) : La distinction.

Mme Lemieux (Madeleine) : Oui. Le mot «blessure», nous suggérions qu'il soit remplacé par «préjudice corporel ou psychique» pour éviter, vous savez, le fameux : si ça ne saigne pas, ce n'est pas une blessure. Et «l'atteinte à l'intégrité», bien, on la retrouve aussi.

C'est sûr que, dans le projet de loi, il y a... Dans nos recommandations, nous avons formulé plusieurs recommandations qui visaient à laisser de la discrétion à l'administrateur du régime. Dans le projet de loi, il y a plusieurs sujets qui vont être traités par règlement. À défaut de lire les règlements, bien, c'est impossible de savoir jusqu'à quel point ils seront couverts.

Je vous dirais que, de façon générale, les recommandations sont suivies.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Très bien.

Mme Lemieux (Madeleine) : Je ne vous cache pas que l'article 16...

M. Lévesque (Chapleau) : On a eu des interrogations sur cet article-là aussi par d'autres groupes.

Mme Lemieux (Madeleine) : Les articles 16 et... Nous avons recommandé de conserver la notion de faute lourde et nous nous basions sur la jurisprudence élaborée par le TAQ au fil des ans. La jurisprudence d'il y a 20 ans sur la faute lourde et la jurisprudence au moment où nous avons fait notre rapport, ce n'était pas du tout la même chose. Et elle était peut-être tributaire de certains préjugés que les décideurs pouvaient avoir à l'égard de certaines...

M. Lévesque (Chapleau) : Victimes.

Mme Lemieux (Madeleine) : ...situations particulières.

L'article 16. Vous savez, moi, je suis une fervente défenseure du langage clair. J'ai promené mes valises à travers le Québec pour le langage clair et j'en suis autant plus adepte quand il s'agit de l'instrument législatif qui s'adresse à des personnes qui sont dans le besoin, qui sont démunies, et 16, je ne vous cache pas, me cause des problèmes d'interprétation, 17 aussi. Et je ne suis pas capable de m'assurer qu'il y a adéquation entre ce texte législatif et la jurisprudence plus récente du TAQ sur la notion de faute lourde et de contribution à ces blessures. Ça m'a un peu intriguée, ça. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, oui. Non, ça répond, tout à fait, excellent. Donc, l'arrimage avec la jurisprudence actuelle, avec le TAQ, il y a peut-être quelque chose à analyser à ce niveau-là, si je comprends bien votre commentaire.

Mme Lemieux (Madeleine) : Oui.

M. Lévesque (Chapleau) : Dernière petite question avant de passer la parole à mon collègue. Depuis les 12, 13 dernières années, est-ce que vous avez eu l'occasion, avec vous et vos collègues de ce rapport-là, de voir différents changements et certains points que vous auriez ajoutés dans les 13 années qui ont passé depuis? Y a-tu quelque chose qui serait modifié à ce rapport-là?

Mme Lemieux (Madeleine) : Bien, non, parce que...

M. Lévesque (Chapleau) : Non? Parfait. Il reste d'actualité?

Mme Lemieux (Madeleine) : Vous savez, la criminalité a changé, et le regard de la société sur la criminalité change aussi. Et, par l'élargissement qu'on fait, on va cesser de laisser pour compte des gens qui sont bel et bien des victimes, là.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci, Me Lemieux. Je pense que le député de Saint-Jean aurait...

Le Président (M. Bachand) : Merci. J'ai la collègue de Les Plaines devant moi, pour deux minutes.

Mme Lecours (Les Plaines) : Écoutez... Merci beaucoup, M. le Président. Je vais laisser le micro à mon collègue, qui porte le même nom de famille, alors, peut-être, il va avoir des questions encore plus directes. Merci.

Le Président (M. Bachand) : O.K. Très rapidement, M. le député de Saint-Jean. Il reste 1 min 40 s.

• (17 heures) •

M. Lemieux : Oui. Désolé pour la confusion, M. le Président. Merci beaucoup. Bonjour, Me Lemieux. Pas de lien de parenté, on s'entend.

Je voulais... Et on a juste une minute, alors on va faire de la philosophie rapide, là. Mais est-ce que vous avez des raisons de penser que l'esprit, les concepts, la vision que vous aviez dans le rapport a mal vieilli? Parce qu'entre vous et moi, on va s'entendre, là, vous pourriez réclamer des droits d'auteur, en partie, en tout cas, au ministre de la Justice. Et donc, à quelque part, je me demandais... on peut, comme vous l'avez fait, parler de jurisprudence qui a évolué, mais les concepts, en gros, la philosophie, la vision, elle est encore, comme vous le disiez à mon collègue tout à l'heure, elle est encore d'actualité, et vous y croyez encore?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, Me Lemieux, s'il vous plaît. Désolé.

Mme Lemieux (Madeleine) : Je vous dirais que oui, sous réserve réserve d'actualiser certaines questions. Et j'aurais besoin de mes experts pour le faire, parce que moi, je fais juste présider, hein? Ce n'était pas moi l'experte là-dedans.

M. Lemieux : Merci, maître.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, vous avez la parole.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue, Me Lemieux. Merci de prendre le temps de répondre à nos questions. C'est vraiment intéressant de vous avoir avec nous.

J'ai devant moi la liste, là, des 68 propositions, recommandations du rapport de 2008. Peut-être, avant d'aller là, j'aimerais ça vous entendre de façon un peu plus spécifique, vous donner l'occasion de peut-être préciser votre réponse quant aux articles 16 et 17 qui pourraient être problématiques, quant à leur compréhension. Donc, langage clair, l'article 16, là, fait quasiment deux pages, là, une page et deux tiers. Vous avez parlé, donc, 16 et 17, entre autres, sous le vocable de «faute lourde». Est-ce qu'il y a d'autres éléments de 16 et 17 qui vous ont fait sourciller? Je ne sais pas si vous avez d'autres points.

Mme Lemieux (Madeleine) : Non, je vous avoue que je n'ai pas vraiment compris pourquoi on faisait autant de distinctions et on tentait de viser, en détail, autant de situations. Alors que je pense, de ce que j'en sais, que chaque cas va rester un cas d'espèce, chaque cas risque d'être un cas différent et que l'idée fondamentale, c'est que si vous, comme le TAQ l'a régulièrement dit, si vous êtes entré armé dans une banque et qu'on vous a tiré dessus, vous avez des grosses chances que vous avez commis la faute grave et que vous avez contribué à vos blessures. Et le risque que je vois, c'est le flottement jurisprudentiel que ces dispositions-là peuvent entraîner dans des cas, par exemple, de violence conjugale, de violence sexuelle. Je ne suis pas capable m'imaginer, parce que je ne suis pas saisie d'un dossier particulier, là, quelle interprétation en feront les juges du TAQV. C'est ça, c'est un peu ça ma pensée.

M. Tanguay : Oui, tout à fait. Puis on a justement eu des groupes qui sont venus nous dire qu'effectivement, en matière de proxénétisme, entre autres, où la victime peut, sous la manipulation, peut participer à un acte criminel, bien, pourrait être refusée. Donc, c'est un des cas d'espèce qui a fait partie de notre réflexion.

Dans vos recommandations, je vais vous la nommer, des fois, ça peut... La recommandation 9 : «Que l'administrateur du régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels soit tenu à un devoir d'assistance à l'égard des réclamants.» Est-ce qu'on doit le lire... Puis je n'ai pas le bénéfice, là, de l'entièreté de l'explication, mais, en vos propres mots, moi... Est-ce qu'on doit le lire comme étant une sorte de principe, établir le principe que, là, on est là pour servir une population vulnérable, les membres de la population, et là on a un devoir quasiment proactif d'assistance. C'est un peu ça, la philosophie?

Mme Lemieux (Madeleine) : Oui. Pendant notre consultation, vous savez, on a entendu plusieurs critiques sur le traitement qui était donné aux demandes par le personnel de l'IVAC et on a rencontré aussi le personnel de l'IVAC, des gens qui étaient en poste à l'IVAC. Mon opinion bien personnelle, c'est que les employés de l'IVAC ne sont pas moins empathiques, plus froids et moins compétents que la moyenne des ours. Par contre, ils font affaire avec une clientèle qui présente des vulnérabilités extrêmes dans certains cas, des attentes qui sont liées à leur condition que... Vous savez, une jambe cassée, ça fait mal. Quand on s'est cassé une jambe en auto ou... ça fait mal, ça dérange la vie, mais je ne pense pas que ça cause le même type de traumatisme que d'être victime d'un crime. Et les besoins de cette clientèle-là sont différents, d'où une de nos recommandations que de la formation soit donnée.

Et j'ai lu rapidement les propos de la Protectrice du citoyen de 2016, et on voit que c'est encore d'actualité. Nous, on l'avait constaté en 2008 et on le reconstate à nouveau en 2016, il y a des ajustements à faire en raison d'une vulnérabilité exceptionnelle de la clientèle qui a recours à ces services-là. Vous savez, dans la Loi sur la justice administrative, le TAQ a un devoir d'assistance à l'égard des parties qui se présentent devant lui. C'est le législateur qui l'inscrit dans la loi. Nous étions d'avis que de l'inscrire dans la loi serait probablement un message fort que ce n'est pas un service comme n'importe quel autre service.

M. Tanguay : C'est bien la façon dont vous le... Je pense que c'est la première fois que ça a été... que c'est verbalisé de cette façon-là à cette commission. Vous faites bien de le dire, effectivement, que c'est la clientèle spécifique et sa vulnérabilité qui fait naître l'approche différenciée d'intervenants de l'État qui, au départ, sont tous de bonne foi puis ils sont prêts à offrir un bon service, mais effectivement ils ont une clientèle qui est très, très particulière. Et merci de le dire comme ça, ça nous éclaire.

La recommandation 14, je vous ferais un lien avec l'article 7 du projet de loi. L'article 7, là, c'est l'article où il y a un devoir de coopération. Alors, l'article 7 de la loi, bon, là, vous, vous... Puis ça, je prends l'article 14, mais il y a d'autres propositions aussi qui allaient un peu dans le sens de dire : Bien, il ne faut pas que ça soit du donnant-donnant, là. «Que l'admissibilité au régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels ne soit pas assujettie aux obligations de signaler le crime aux autorités policières.» J'imagine que vous devez recevoir l'article 7, là, avec certains bémols, j'imagine... «devoir de coopération».

Mme Lemieux (Madeleine) : Bien, vous savez, ça, c'est un sujet sur lequel nous avons reçu des commentaires très contradictoires. Il y avait des tenants de dire : Non, non, non, il faut qu'on dénonce le crime, puis il faut qu'on accepte d'aller témoigner, puis il faut que... et d'autres tenants qui, surtout dans des cas de violence conjugale, dans des cas d'agression sexuelle, ne voulaient pas imposer ce fardeau-là aux victimes ou de rendre conditionnels leur admissibilité et leur droit à des indemnisations et à de la réadaptation.

Et moi, 7 ne m'a pas fait trop sourciller à cause des mots «dans la mesure du possible». Mais là, vous savez, on appelle ça du droit mou. Du droit mou, moi, j'aime ça, parce que ça permet d'exercer son jugement, mais ça peut amener aussi des décisions regrettables. Alors, comment seront interprétés les mots «dans la mesure du possible» avec le mot «doit»? Là, c'est l'avocat qui parle, là. Je ne le sais pas non plus.

M. Tanguay : On a eu une discussion, ce matin, avec Me Lessard qui, lui, disait : Bien, on pourrait garder ça de même, mais ajouter quelque chose, là, puis je paraphrase, «dans la mesure où ceci ne contrevient pas au processus de guérison de la personne victime».

Alors, y verriez-vous... ça peut-être une porte d'analyse supplémentaire au «doit», dans la mesure où, effectivement, ça ne va pas venir mettre en péril le processus de guérison? Puis là on couvrirait peut-être l'exemple que vous mentionniez.

Mme Lemieux (Madeleine) : Les commentaires que nous avions eus, à ce sujet-là, étaient très variés. Il y avait... Ce n'était pas uniquement relié au processus de guérison. Évidemment, le premier objectif de la loi, c'est la guérison, c'est la réadaptation. Ce serait un ajout qui va dans l'objectif premier de la loi. Mais il y a d'autres facteurs qui peuvent ne pas être liés à la guérison, qui peuvent faire en sorte que ce devoir de coopération là devient une embûche et un empêchement d'avoir accès aux services. Quand c'est le père de nos enfants, par exemple, que le père, on n'a rien à lui reprocher dans son rôle avec les enfants, mais que la violence conjugale fait en sorte que... On a entendu tellement de cas d'espèce, là, que...

M. Tanguay : Je comprends, je comprends. Dans le peu de temps qu'il me reste, il y a deux derniers aspects qu'on n'a pas encore ensemble, là, vous et la commission, discuté : les moins de 18 ans et les régions éloignées. Alors, je prends la recommandation 25 : «Que des mesures de soutien et des incitatifs à la réinsertion scolaire soient prévus pour les personnes victimes d'actes criminels âgées de moins de 18 ans.»

Je prends cet exemple-là pour tester un peu jusqu'à quel point vous aviez mis de l'avant une approche différenciée ou, je dirais, un peu plus complète dans un cas d'une personne mineure dans un contexte de réinsertion puis de réintégration.

• (17 h 10) •

Mme Lemieux (Madeleine) : Dans le régime actuel, il y a une espèce d'automatisme du fameux 35 $ de l'heure et du revenu possible, mais pour favoriser, d'abord et avant tout, la réadaptation, pour favoriser le retour à la vie normale, pour favoriser l'accès à... Et on sait que, par exemple, les enfants qui sont victimes de crime sexuel, ça peut entraîner de très grands retards dans leur capacité de prendre leur vie en charge, de prendre leur vie en main. Alors, la barrière du 18 ans, dans notre esprit, ne devrait pas être vue surtout pour des raisons financières ou des questions financières, mais vue comme des moyens d'accéder à l'instruction, d'accéder à un métier, d'accéder à un retour à une vie normale. C'était ça qui était l'objectif de cette recommandation-là.

M. Tanguay : Je comprends. Est-ce que vous nous inviteriez à la plus grande prudence, en agitant peut-être un drapeau jaune ou rouge, quant au très, très large pouvoir réglementaire? On dit que le diable est dans les détails. Le ministre aurait... et le ministre actuel ou n'importe quel autre ministre, on s'entend, là, je veux dire, des ministres, là, ça change... alors que le pouvoir discrétionnaire réglementaire trop large serait-il un drapeau rouge ou jaune?

Le Président (M. Bachand) : En quelques secondes, Me Lemieux.

Mme Lemieux (Madeleine) : Peut-être pas un drapeau dans le sens que les règlements doivent être prépubliés, les règlements ne feront pas l'objet d'un débat de la même manière, mais les règlements doivent être prépubliés. Les règlements peuvent faire l'objet d'un débat, ça, c'est prévu dans la loi sur les règlements. Nous n'avons pas envisagé un pouvoir réglementaire de cette nature-là, mais c'est comme ça que la Société de l'assurance automobile fonctionne. C'est dans des règlements et c'est dans des chartes qu'on détermine les indemnités et les mesures.

Alors, je dirais, peut-être, un drapeau jaune. Ça veut dire qu'il va falloir les lire attentivement, qu'ils soient lisibles et qu'ils ne soient pas trop complexes à appliquer.

M. Tanguay : Merci, Me Lemieux.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je cède la parole à la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Lemieux. J'aimerais ça vous entendre sur une suggestion qui a été faite par un précédent intervenant, M. Gardner, qui nous disait que, de son point de vue, c'était une erreur d'indemniser sur la base du revenu et que, comme c'était plutôt une mesure de solidarité, ce n'était pas équitable de le faire comme ça et qu'il fallait plutôt, peut-être, envisager d'avoir un montant fixe peu importe le revenu de la personne concernée. Donc, j'aimerais ça vous entendre sur cette proposition-là.

Mme Lemieux (Madeleine) : Alors, M. Gardner fait partie des gens que nous avons consultés à l'époque, et je ne me souviens pas de nos discussions à ce sujet-là. Nous avons été, je vous dirais, assez conformistes et assez traditionalistes en travaillant avec la base de revenu. Le montant fixe, pour nous, présentait certains risques de surindemniser ou de sous-indemniser, par opposition à une indemnisation qui est plus liée sur le revenu réel quand on parle de remplacement de revenu.

Je sais que le mauvais côté de cette approche-là, c'est de perpétuer des situations de pauvreté. Et c'est une matière à réflexion importante, parce que si on a peu de revenus, qu'on est victime, alors on va être indemnisé avec peu de revenus. C'est ça, l'adéquation qu'on doit faire, et ça revient... ça nous ramène à la base de ce régime-là qui est un régime de solidarité sociale. Et je pose la même question que j'ai souvent posée : Jusqu'où va aller cette solidarité-là? Et à partir de quand on se demande si ça devient une injustice réglementée ou sinon, au contraire, on a ouvert plus?

C'est des questions assez profondes, puis je ne me sens pas vraiment capable de dire... trancher ça, là, noir ou blanc, là.

Mme Labrie : Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, vous avez la parole.

Mme Hivon : Oui, bonjour, Me Lemieux. Merci beaucoup.

Mme Lemieux (Madeleine) : Bonjour.

Mme Hivon : Oui, c'est ça, en fait, je pense que le défi, c'est de trouver l'équilibre, parce qu'en fait, du fait que c'est un régime de solidarité sociale, votre comité a proposé, donc, de s'éloigner de la réalité des rentes, donc, des paiements en continu comme on voit dans les autres régimes d'assurance. Mais par ailleurs la base est la même que celle des autres régimes, c'est-à-dire le salaire, le revenu. Et donc ça crée, effectivement, une disproportion, notamment pour les personnes qui n'en ont aucun, revenu, pour toutes sortes de raisons, au moment où le crime se commet. Donc, je pense qu'effectivement il y a une bonne réflexion à faire par rapport à ça.

Mais, je voulais vous entendre, parce que, tantôt, vous avez dit, quand vous avez fait vos travaux, que 97 % des dossiers, si on annulait les rentes viagères puis qu'on donnait un montant forfaitaire, on viendrait à avoir le même niveau financier d'indemnisation. Je ne sais pas si je vous ai bien comprise.

Mme Lemieux (Madeleine) : Non, ce n'est pas tout à fait ça.

Mme Hivon : O.K. C'est beau.

Mme Lemieux (Madeleine) : C'est l'indemnité de remplacement de revenu. Vous savez, dans le jargon, là, on va parler de l'incapacité totale temporaire, de l'incapacité totale permanente et puis de la somme qui vient compenser à long terme. Quand on s'est penché sur la question de l'indemnité de remplacement de revenu... et, si je retrouve le numéro de ma recommandation, je vais pouvoir vous donner la statistique précise à laquelle je faisais référence. Alors, c'est à la page 62.

Mme Hivon : O.K. J'ai votre rapport ici.

Mme Lemieux (Madeleine) : O.K. L'indemnité de remplacement de revenu, alors, c'est celle-là que nous avons recommandée qu'elle cesse après trois ans, et c'est relié à deux choses. C'est relié au fait que... Ah! voilà, j'ai la statistique, elle est à la page 67. «En ce qui concerne la durée du versement de l'indemnité de remplacement de revenu, les membres du groupe de travail recommandent de fixer une limite de trois ans. Le régime proposé aurait comme objectif de soutenir temporairement la personne victime à surmonter les difficultés financières immédiates auxquelles elle est confrontée.      «L'introduction d'une telle limite permettrait, tout de même, de répondre aux besoins financiers temporaires de la presque totalité des victimes puisque 96 % d'entre elles ont une durée d'incapacité inférieure à trois ans.» Et ça, c'étaient les statistiques de l'époque.

Mme Hivon : Parfait. C'est bon. C'est plus clair. Est-ce qu'il me reste du temps, M. le Président?

Le Président (M. Bachand) : Allez-y rapidement, 30 secondes.

Mme Hivon : O.K. Il y a des intervenants qui nous ont dit qu'il y avait un monde de différence entre, évidemment, être victime, par exemple, d'un vol, de voie de fait, versus d'agression sexuelle, de violence sexuelle ou conjugale et qu'on devrait prévoir comme un sous-régime spécifique pour les cas de violence sexuelle et conjugale. Je voulais savoir si c'est quelque chose que vous aviez analysé.

Mme Lemieux (Madeleine) : Non, on ne l'a pas analysé, mais on a constaté, par les commentaires des gens que nous avons consultés, qu'il y avait effectivement un univers de différence.

Mme Hivon : O.K. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Lemieux, merci infiniment d'avoir été avec nous cet après-midi. C'est très, très, très apprécié.

Je vous souhaite une bonne fin de journée et je suspends les travaux pour quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 17 h 18)

(Reprise à 17 h 24)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, nous sommes fiers d'accueillir Mme Arlène Gaudreault, présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes.

Alors, Mme Gaudreault, merci d'être avec nous. Comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation. Après, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Et je vous cède immédiatement la parole.

Mme Gaudreault (Arlène) : J'entends une musique. Est-ce que c'est normal?

Le Président (M. Bachand) : Je ne suis pas musicien, donc ça ne vient pas de moi, là. Alors, allez-y, on va tenter de voir, s'il n'y a pas...

Mme Gaudreault (Arlène) : Attendez un peu. Je pense qu'il y a un petit problème que je vais régler, peut-être. Attendez. Ne bougez pas. O.K. Je pense que c'est bon. C'est bon? Alors, très bien.

(Interruption)

Le Président (M. Bachand) : O.K. On va suspendre juste quelques instants.

(Suspension de la séance à 17 h 25)

(Reprise à 17 h 26)

Le Président (M. Bachand) : Alors, on y va. Deuxième prise. Mme Gaudreault, la parole est à vous.

Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV)

(Visioconférence)

Mme Gaudreault (Arlène) : Oui. Alors, bonsoir, M. le Président. M. le ministre, membres de la commission parlementaire, je vous remercie d'abord pour cette invitation, nous permettre de participer à cette consultation. Je suis présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes et je suis un membre fondateur depuis... et je participe aux activités de l'association depuis 1984.

Plaidoyer-Victimes est un organisme qui milite pour la défense des droits des victimes. Nous sommes un organisme pionnier au Québec et nous avons amené de nombreuses initiatives pour favoriser l'accès à la justice, l'accès au droit, la reconnaissance de leurs besoins dans toutes sortes d'initiatives. On a participé à toutes les consultations, y compris celles sur la loi... l'adoption de la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels en 1987 et à toutes les consultations qui ont eu lieu depuis sur l'aide et l'indemnisation.

Alors, le 10 décembre dernier, quand nous avons... le dépôt de loi a été annoncé, nous avons salué la détermination du ministre de la Justice. Et on peut dire que c'est une réforme qui était très attendue, et ce n'était pas la première fois... En fait, le ministre de la Justice est passé à l'action. Ça faisait plusieurs fois qu'il y avait des promesses en ce sens.

J'ai suivi les débats hier et aujourd'hui et je pense qu'il y a un consensus assez clair, au niveau des avancées et des réponses à des demandes qu'on a formulées depuis plusieurs années, d'enlever l'annexe, d'allonger la période pour faire une demande, d'élargir la notion de victime, de considérer la situation des proches. Il y a des mesures qui sont intéressantes aussi, j'en reparlerai. Je vais commenter, par exemple, toute la question de l'aide aux victimes hors Québec, la mise en place d'un fonds d'urgence.

Alors, c'est un... Je ne suis pas la seule à le dire, on l'a dit, ça fait deux jours qu'on le dit, en fait, c'est un projet de loi qui est complexe, qui est très dense, qui est difficile à interpréter, qui va devoir être clarifié, vulgarisé pour les victimes, pour les intervenants de première ligne qui travaillent auprès des victimes. Et j'étais contente de voir que même les juristes eux-mêmes trouvent que c'est un projet qui est quand même complexe, à cause de la structure, à cause du nombre d'articles, à cause du libellé, à cause de la portée.

Alors, quand on a reçu ce projet de loi, c'est sûr qu'on était contents, mais, en même temps, on était un peu, je dirais, paniqués par les difficultés d'analyser ce projet de loi en une période aussi brève. On a demandé au ministre, le 4 janvier, de reporter peut-être les consultations. Alors, ce n'est pas le cas, on est dans l'étude. On prend le train aussi. On a décidé de ne pas se défiler à nos obligations puis d'être présents pour faire part de nos interrogations.

Je vais vous amener, je dirais, particulièrement dans une section de la loi dont on a peu parlé... en fait, on n'a pas parlé beaucoup depuis le début des consultations, c'est toute la question de l'aide aux victimes et des droits des victimes, qui sont reconnus dans la section I et II. Alors, on s'attendait du régime... à une réforme du régime d'indemnisation. Ce qu'on reçoit, c'est une fusion de l'actuelle loi sur l'aide aux victimes et de la loi sur l'indemnisation. On démantèle, dans ce projet de loi, la loi sur l'aide qui, auparavant, quand même, avait trois composantes principales, des énoncés de principe pour les droits des victimes, l'existence d'un bureau d'aide aux victimes et un fonds d'aide.

Alors, on retrouve le fonds d'aide et le bureau d'aide aux victimes dans les articles 100 à 105 et on a gardé la portion, je peux dire, ou la section qui concernait les droits des victimes au tout début.

• (17 h 30) •

Alors, il y avait une logique dans la loi sur l'aide qu'on ne retrouve plus dans cette loi-là, il y avait un fil conducteur. Et c'est un peu un amalgame où il n'y a pas toujours... les distinctions ne sont pas claires. La notion même d'indemnisation n'apparaît plus à nulle part ni dans le titre, ni dans le libellé des articles, ni dans les droits, et pourtant, toute la journée, on a parlé de l'indemnisation, et ce dont on parle, en fait, des articles, en fait, 10 à 97, en substance, c'est l'indemnisation. C'est un régime dont on doit être fiers. M. Gardner l'a dit aujourd'hui, c'est un régime qui est unique et qui est beaucoup plus généreux que toutes les provinces au Canada. Et je pense qu'on ne doit pas avoir peur de parler de l'indemnisation.

Alors, la section I et II nous donne une définition de victime qui est différente de celle de l'article 10, parce que c'est une définition de victime en général, et elle introduit les droits des victimes. Alors, on se serait attendu... parce que la première phrase de ce projet de loi là, en fait, c'est «vise à reconnaître les droits des victimes». C'est la première phrase, donc, ça donne le ton à la loi, et on se serait attendu à une loi qui est assez rigoureuse, qui a été révisée, qui a été actualisée, qui correspond à l'évolution des législations, et on se retrouve avec un projet de loi... avec une section qui est très mince, dans le fond, qui tient en quatre articles. On a ajouté quelques dispositions qui touchent principalement les droits des victimes dans le système de justice. C'est des droits qui sont généraux, qui ne sont pas précis. Il y a des droits qui sont absents, il y a des droits qui sont incomplets. On ne fait pas de distinction entre l'aide, l'indemnisation, la participation des victimes dans le système de justice. Et, quand on parle des obligations, on parle des obligations des victimes. On ne parle pas du tout des obligations des instances, des différentes instances qui ont des responsabilités à leur endroit.

Alors, pour l'essentiel, la section II, c'est une section qui fait un réaménagement qui est assez superficiel, qui ne va pas au fond des choses et qui ne répond pas à des demandes qu'on a formulées depuis plusieurs années, à l'effet de réviser la loi sur l'aide de façon substantielle et à faire en sorte, aussi, qu'on ajoute des recours. Et si vous lisiez, par exemple, ce qu'on a écrit en 1993, quand il y a eu la Loi sur l'aide et l'indemnisation, qui ressemble aussi un peu comme principe... et ce qu'on demandait, c'est d'ajouter des recours. On n'est pas le seul groupe, mais beaucoup d'organismes demandaient à ce qu'on ajoute des recours pour permettre aux victimes de mieux exercer leurs droits.

Et je vous donnerais deux exemples de la faiblesse des recours actuels. On a une charte canadienne... parce que l'article 6 touche les victimes qui participent dans le système de justice, alors donc, c'est très vaste, hein? C'est très... ça entraîne une certaine confusion. On a adopté une charte canadienne des droits des victimes en 1995. Cette charte-là prévoit, pour les provinces, qu'il devra y avoir des mécanismes précis pour que les victimes, quand leurs droits sont lésés, puissent porter plainte, qu'on traite ces plaintes-là, et puis qu'il y ait des correctifs qui soient apportés. Ça fait cinq ans que la loi a été adoptée et ça n'a eu aucune résonnance sur le terrain. Il n'y a eu aucune discussion réelle là-dessus, et on n'a pas avancé du tout sur cette question-là, malgré toutes les demandes qu'on a fournies. Alors, c'est assez gênant qu'on ne soit pas acquitté de nos obligations en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes.

Si on regarde l'indemnisation, je pense qu'il y a des... aussi, il y a des recours, mais il y a des améliorations à apporter aux recours actuels. Les victimes qu'on rencontre à Plaidoyer-Victimes, ce sont des personnes qui sont en bout de ligne. Alors, ce sont des personnes qui vont au Tribunal administratif du Québec, ce sont des personnes qui ont des problèmes avec la révision. Et qu'est-ce qu'ils nous disent? Bien, ils ne se sentent pas préparés, ils ne sont pas accompagnés, ils ne sont pas représentés ou encore ils sont mal représentés par des droits... par des avocats qui ne connaissent pas bien le droit de l'IVAC, qui n'aiment pas particulièrement travailler avec ces dossiers-là et ils ne se sentent pas bien représentés. Et ça, on l'a entendu souvent à Plaidoyer-Victimes.

Donc, tout le problème d'accompagnement des victimes puis d'avoir un soutien juridique, d'avoir de l'aide dans la représentation lorsqu'on exerce des recours est très important, au niveau de l'IVAC aussi. Et ça fait plusieurs années que notre association demande, par exemple, on l'a demandé en 2006 à la Commission des services juridiques du Québec, que les victimes puissent avoir accès à un plus grand nombre d'experts, d'avocats de l'aide juridique qui sont dédiés aux victimes, qui connaissent ce type de droit là, qui veulent travailler avec les victimes et qui nous aident à faire avancer le droit. On a demandé aussi que la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels soit révisée en profondeur. Elle a été adoptée en 1988, il n'y a rien qui a été fait depuis, les pratiques sur le terrain ont changé, les lois ont changé. Et d'avoir des recours aussi dans la Charte canadienne des droits des victimes... C'est gênant. Moi, je suis gênée.

Bientôt, au mois de février, je vais représenter le Québec avec une autre intervenante, une directrice de CAVAC. On va aller parler dans tout... C'est dans l'ensemble du Canada sur le... des recours, et j'aurais aimé pouvoir dire qu'au Québec on a une loi qui vient d'être déposée, puis on va travailler sur ces questions-là, et qu'on va avancer, et ce n'est pas ça qu'on nous propose dans ce projet-là.

Le Président (M. Bachand) : Mme Gaudreault, excusez-moi de vous interrompre. Le 10 minutes est déjà passé. On est rendus à la période...

Mme Gaudreault (Arlène) : Eh Seigneur!

Le Président (M. Bachand) : Ça va vite, la vie, hein? Alors, M. le ministre.

Mme Gaudreault (Arlène) : ...je vais juste terminer sur la question de...

Le Président (M. Bachand) : Très, très rapidement, parce qu'on a du retard.

Mme Gaudreault (Arlène) : Oui, sur cette question-là, en fait, nous, ce qu'on... Il y a eu beaucoup de représentations qui ont été faites dans le comité d'experts, on pourra revenir là-dessus. Ce qu'on demanderait par rapport à cette section-là, c'est qu'on la retire...

Le Président (M. Bachand) : Parfait. O.K. Je vais... Je dois céder la parole au ministre. Désolé. Le ministre pourra vous laisser du temps sur son temps.

Mme Gaudreault (Arlène) : D'accord. Oui, je pourrai répondre.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Gaudreault. Merci de venir en commission parlementaire. Merci également pour votre travail puis votre implication auprès des victimes.

D'entrée de jeu, là, lorsqu'on parle de la loi sur l'aide, là, dans le fond, on vient la fusionner avec la loi sur l'indemnisation. Donc, on prend ce qu'il y avait et on vient l'intégrer ici. Donc, on ne diminue en rien ce qu'il y avait déjà, qui était offert, là, pour les victimes au niveau de l'aide, puis on voulait avoir un tout qui est cohérent.

Je serais curieux de vous entendre, parce que je crois que vous avez participé au rapport Lemieux à l'époque, sur les recommandations du rapport...

Mme Gaudreault (Arlène) : ...

M. Jolin-Barrette : ...sur votre organisme. Donc, il y avait une série de recommandations, qui sont dans le rapport Lemieux, qui se retrouvent également dans le projet de loi, là, qu'on a présenté.

Mme Gaudreault (Arlène) : Ah! c'est sûr qu'on a évoqué la question de la loi sur l'aide à ce moment-là puis la question des droits. Là, on est rendus quand même quelques années plus tard. Il est étonnant de voir qu'on ne soit pas capables d'aller vers une réforme avec des droits beaucoup plus précis, avec des recours qui sont existants, avec des obligations qui sont précisées de la part des... pour, je dirais, préciser le travail puis les responsabilités des différents acteurs. Alors, on est au même point. En fait, quand on regarde le rapport, le mémoire qu'on a déposé en 1993, on peut redire exactement la même chose que ce qu'on dit maintenant. On n'a pas avancé sur ces questions-là.

Et j'ai fait partie du Comité d'experts sur l'accompagnement pour les victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale, et c'est une question qui a été abordée longuement, la question de la reconnaissance des droits des victimes et la question des recours. Et il y a plusieurs recommandations qui émanent de ce rapport-là à l'effet que, par exemple, le ministère de la Justice exerce un leadership, qu'on mette en place ces recours-là, même, qu'on nomme un ombudsman provincial pour les victimes d'actes criminels.

Je pense que ça serait important... Tantôt, je n'ai pas eu le temps de terminer, mais notre position, c'est : il faut retirer cette section-là. Il faut vraiment travailler sur les droits, il faut tenir compte des recommandations qu'il y a dans le rapport du comité d'experts. Et tous les partis politiques qui sont présents autour de cette commission-là... Je vois Mme Labrie, Mme Hivon, qui ont travaillé aussi avec nous. Je pense que tous les partis politiques ont... ils se sont engagés à faire en sorte que le travail qu'on a fait pendant 18 mois n'a pas été un travail vain et qu'on mettrait en place des mesures. Alors, c'est le cas pour les mesures... c'est le cas pour la question des droits des victimes, c'est le cas pour la question... tout ce qui touche la Charte canadienne des droits des victimes et la Loi sur l'aide aux victimes.

Alors, c'est un travail qui doit être approfondi. C'est un autre chantier qu'il faut mener, et ça vaut la peine de bien le faire. Il faut avancer sur ces questions-là, il faut les préciser. Quand on parle, par exemple, d'indemnisation, le droit à l'assistance, qu'est-ce que ça veut dire? Qu'est-ce que ça veut dire, le droit d'être entendu? Qu'est-ce que ça veut dire, que notre dossier soit traité dans des délais raisonnables? C'est tout ça qu'il faut... Il faut que les droits soient précis, il faut que les victimes sachent à quoi s'attendre et il faut aussi que les organismes prennent des engagements. Le meilleur exemple qu'on a, je pense que c'est la charte des droits des victimes au Royaume-Uni. On pourrait s'inspirer de cette charte-là. Regardez la charte du Manitoba aussi ou celle de l'Ontario, qui sont beaucoup plus précises que ce qu'on a, nous, au Québec, actuellement.

• (17 h 40) •

M. Jolin-Barrette : Je vous entends bien. Sur la question, là, des... parce que ça fait plusieurs années que vous êtes dans le milieu puis vous avez cette expertise-là. Sur les demandes historiques, là, pour la réforme de l'IVAC, là, parce que ça fait... ça a été tenté en 1993, il y avait un projet de loi qui avait été déposé mais, même avant, il y a plusieurs années... Est-ce qu'on répond à certaines demandes historiques par rapport au régime d'indemnisation avec le projet de loi qu'on dépose?

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien sûr. Bien sûr qu'on répond à des demandes. La question, par exemple, d'allonger la période à trois ans, d'assouplir le délai de prescription, de prendre en considération, pour les victimes de violence sexuelle et conjugale... on reconnaît mieux aussi les proches. Alors, c'est beaucoup plus englobant. Bien sûr qu'on répond.

Mais, je veux dire, il reste quand même, quand vous regardez la proposition qui est sur la table, qu'il y a des problèmes importants qui ont été soulignés. Par exemple, hier et aujourd'hui, c'est venu à maintes reprises, et c'est sûr que vous allez travailler là-dessus, la question du salaire qui est retiré, de la base de salaire qui est retirée pour les victimes sans emploi. Je pense que ça a été... Tous les organismes qui travaillent auprès des victimes, qui sont venus devant la commission vous ont dit, Mme Rochon vous l'a dit aussi à partir de son expérience : On ne peut pas travailler à son rétablissement si on n'a pas une sécurité de base, si on s'appauvrit, si on n'a pas ce qu'il faut pour vivre dans le quotidien. Ça fait partie du rétablissement.

La question du trois ans aussi, bon, je sais qu'il y a des... bon, il y a d'autres modalités, mais la question du trois ans est une question qui est très importante aussi. Mme Hivon, hier, a amené une avenue qui pourrait être intéressante là-dessus, parce que tout le monde s'entend qu'il y a des personnes... il y a beaucoup de personnes, et on n'a pas de portrait juste, je dirais, à l'IVAC, sur la composition des personnes ou le profil des personnes sans emploi. On devrait avoir un portrait beaucoup plus détaillé. Et aussi je pense que ça serait important... je pense que tout le monde reconnaît que les personnes qui ont subi de multiples victimisations, de la victimisation dans l'enfance, il y a une partie importante de ces personnes-là qui vont avoir des conséquences à long terme. Ça, c'est ce qu'on voit sur le terrain puis c'est très bien documenté dans la littérature aussi.

Alors, une des voies... je reviens à ce que Mme Hivon proposait hier. Une des voies qui pourraient être examinées, c'est : est-ce qu'il n'y a pas, par exemple, un profil de personnes qui pourrait... par exemple, correspond plus au profil des personnes qui pourraient avoir un service pendant trois ans, parce qu'à cause de la gravité du crime, à cause des conséquences du crime... parce qu'ils ont plus de soutien social et qu'on pense que ces personnes-là vont se rétablir plus rapidement, mais qu'en même temps qu'on accepte, et qu'on considère, et qu'on soit bienfaisants par rapport à des personnes qui auront des séquelles à long terme parce qu'elles ont été... elles ont subi de multiples victimisations puis elles ont été très éprouvées. Alors, ça peut être une avenue à envisager.

Ce n'est pas simple parce que viennent devant vous des personnes, des organismes qui travaillent avec certains groupes, qui font des revendications pour les proches. D'autres, c'est par rapport à d'autres... à des problématiques en violence sexuelle et conjugale. Alors, c'est difficile aussi de trouver un équilibre, l'équité, avoir une solidarité pour tout le monde, tenir compte de la situation et des besoins de toutes les victimes aussi.

M. Jolin-Barrette : Là-dessus, Mme Gaudreault, je vous donne tout à fait raison, c'est un difficile équilibre à faire. Et aussi ça prend beaucoup d'argent, et c'est pour ça qu'on a été chercher 200 millions supplémentaires dans le régime, pour faire en sorte notamment d'abolir la prescription, où est-ce que ça touche près de 80 % des demandes, pour faire en sorte que les gens qui se sont fait dire non juste à cause de l'écoulement de temps puissent être indemnisés aussi.

Donc, c'est sûr que c'est un difficile équilibre à faire, et ce qu'on tente de faire, c'est de couvrir, entre autres, le plus de victimes possible. On estime à près de 4 000 le nombre de personnes victimes qui vont pouvoir obtenir du soutien, de l'aide, des services supplémentaires, et d'accompagner aussi des personnes victimes qui ont subi l'infraction, au niveau psychologique, leur vie durant, tant que les besoins sont là. Donc, là-dessus, je suis d'accord avec vous.

Vous connaissez bien les autres régimes dans les autres provinces. On est les plus généreux, on rajoute de l'argent. Et l'objectif du gouvernement du Québec est vraiment de mieux accompagner, mieux répondre aux besoins, puis surtout d'élargir la notion de victime pour éviter qu'il y ait toujours des contestations, et que, de base, à l'IVAC, ce soit plus humain et qu'on accompagne davantage. C'est pour ça qu'on met le programme d'urgence également et qu'on veut offrir des services dès le départ, dès le moment que la personne appelle. Mais je suis d'accord avec vous, ce n'est pas simple, tout ça.

Écoutez, je vais vous remercier, je vais céder la parole à mes collègues pour qu'ils puissent échanger avec vous, mais un grand merci pour votre présence en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. Bien, merci, Mme Gaudreault, d'être présente parmi nous. J'aimerais revenir sur deux points que vous avez abordés. D'abord, vous avez parlé de la reconnaissance du droit des victimes, et principalement de la Charte canadienne du droit des victimes, en disant qu'elle n'avait pas été appliquée, utilisée. Pourquoi, selon vous?

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, non, ce que... D'abord, elle est peu connue, hein? Elle est très peu connue, elle n'a pas attiré beaucoup l'attention aussi. Écoutez, pour un projet de loi qui était aussi important, il y a eu, dans tout le Canada, neuf mémoires, et, pour le Québec, nous étions le seul organisme qui avons fait des représentations lors des consultations devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

À Plaidoyer-Victimes, notre organisme, on donne des sessions de formation aux intervenants pour leur faire connaître la charte, pour aussi alimenter une réflexion sur la question des droits des victimes. Et on se rend compte aussi que beaucoup, la plupart des intervenants, en fait, n'avaient pas entendu parler de la charte, n'avaient pas été formés, d'autres n'avaient jamais lu le projet. En fait, il y a un énorme travail et... bien, c'est sûr que, si les intervenants eux-mêmes ne connaissent pas beaucoup cet outil-là... mais bien comprendre que les victimes elles-mêmes ne la connaissent pas.

Écoutez, on parle beaucoup des services aux victimes. C'est quelque chose qui est très important, mais je pense qu'on a un peu relégué dans l'ombre la question des droits des victimes. On prend pour acquis que les victimes ont des droits qui sont reconnus, mais on se rend compte qu'il y a énormément encore de travail à faire pour renforcer les droits, pour que, quand les victimes estiment que leurs droits sont lésés, elles puissent s'adresser à quelque part. Et ça veut dire avoir des mécanismes, des choses aussi simples qu'avoir un mécanisme, des formulaires pour traiter les plaintes, quelqu'un qui les traite, quelqu'un qui donne suite aux plaintes.

Mais plus que ça aussi, il faut analyser les enjeux, les problèmes que rencontrent les victimes d'une façon, je dirais, systémique, les problèmes les plus importants et il faut être responsable, il faut en répondre.

Mme Lachance : Merci. Mais peut-être aussi... parce que, là, je sais qu'il y a des collègues qui veulent aussi prendre la parole. M. le Président, il me reste suffisamment...

Le Président (M. Bachand) : 4 min 30 s.

Mme Lachance : Excellent. Merci, M. le Président. Au-delà de la question, vous avez aussi mentionné le délai de trois ans, l'importance d'un délai de trois ans. Pourquoi trois ans, pourquoi pas deux, ou quatre, ou cinq?

Mme Gaudreault (Arlène) : Écoutez, je n'ai pas de réponse à vous donner là-dessus. Je pense que dans... Idéalement, je pense qu'il faudrait offrir... Il faudrait être très souple, il faut être très souple par rapport à... je pense à... parce que les problématiques sont complexes, parce qu'aussi on est avec des personnes qui peuvent avoir des aggravations aussi par rapport à leur situation, qui vont être bien pendant une certaine période donnée. Il va arriver, par exemple, des procédures judiciaires, il va arriver des événements dans leur vie. C'est...

Il y a une question de coût aussi dans le régime, parce qu'on est préoccupés par les questions de coût. Il y a une question de coût dans le régime, dans le sens qu'il faut l'ouvrir le plus possible, mais il faut l'ouvrir aussi aux personnes qui sont plus vulnérables, peut-être, et qui en ont le plus besoin. On élargit. Par exemple, la question des... Je voudrais parler de la question des victimes hors Québec. C'est intéressant, mais vous allez avoir des chiffres. Je ne sais pas comment on a évalué le nombre de victimes qui vont venir dans le système, parce qu'il y a beaucoup de monde qui voyage, beaucoup de personnes qui voyagent actuellement. Alors, qu'est-ce que ça représente?

Qu'est-ce que ça représente aussi, 4 000 personnes de plus dans le régime d'indemnisation? On a entendu M. Rodrigue aujourd'hui, il nous dit : Bon, tout va être en place, on a travaillé avec le gouvernement. Mais, vous savez, quand on voit que l'Ontario, qui est une province... on ne peut pas dire que c'est une province pauvre, mais l'Ontario a coupé complètement son régime d'indemnisation au cours des derniers mois. Et tout ce qu'il y a en Ontario actuellement, c'est un fonds d'urgence. Regardez, on regarde les chiffres ailleurs, aussi, dans d'autres provinces. Alors, on se dit : C'est des régimes qui peuvent être coupés aussi, s'il n'y a pas de contrôle sur les dépenses, s'ils ne sont pas bien réglés.

Alors, on peut admettre plus de victimes, mais, si on fait du saupoudrage, ils sont réduits, les services. Ça, ça nous inquiète beaucoup parce que les chiffres, on ne les a pas vus. Tout comme on ne sait pas comment elle va être exercée, cette loi-là, parce qu'il y a tellement de pouvoirs discrétionnaires puis le pouvoir réglementaire est tellement important... bon, c'est sûr qu'on pourra regarder la réglementation, mais...

• (17 h 50) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

Mme Gaudreault (Arlène) : ...j'ai le droit d'avoir tort aussi.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Gaudreault. Il reste tellement peu de temps. M. le député de Saint-Jean, 1 min 49 s, question, réponse.

M. Lemieux : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Mme Gaudreault, je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi votre réponse plus tôt, quand il a été question du rapport Lemieux. Étiez-vous d'emblée favorable à la philosophie et à la vision du rapport Lemieux à l'époque, même si on n'en a jamais rien fait depuis, là?

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, nous, on est favorables à une philosophie où la réadaptation ou on va appeler ça la... bon, des fois, on va dire le processus de rétablissement. C'est au coeur de la réforme Et c'est ça, le message qu'on devrait donner.

Et la loi, actuellement, la façon dont elle est rédigée, par exemple, on parle toujours des aides financières. Alors, ça donne le sentiment que c'est une loi pour aider financièrement. Et les personnes qui travaillent dans le régime vont vous dire : Nous, là, il faut même déconstruire cette image-là avec la clientèle qui pense qu'ils vont venir chercher de l'argent. Non, on donne des services pour se rétablir. Et regardez les notes introductives, il y a deux pages et, sur les deux pages, il y a une page d'énumération d'aides financières. Alors, c'est un drôle de message qu'on donne.

M. Lemieux : Oui, mais dans le titre, ça le dit bien. Ça, moi, ça me réjouit aussi et les explications du ministre tout à l'heure. Merci, Mme Gaudreault. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Avant d'aller plus loin, on avait pris un petit peu de retard, j'aurais besoin d'un consentement virtuel pour ajouter cinq minutes à la consultation, à la séance. Consentement. Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, vous avez la parole.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci, Mme Gaudreault, de prendre le temps de venir discuter avec nous, basée sur votre expertise, votre expérience.

Savez-vous quoi, Mme Gaudreault? Vous m'avez fait réaliser une chose que je n'avais pas encore réalisée jusqu'à maintenant. Il y a, dans le choix des mots du projet de loi n° 84, des mots «aide»... Le projet de loi a pour titre... a comme deux volets : aider les personnes victimes et favoriser leur rétablissement.

Au niveau de l'aide, puis j'ai fait une recherche dans le projet de loi sur l'expression «indemnisation», «indemnité», ce que vous me faites réaliser, Mme Gaudreault, ce qu'«aide», tel que... Désormais, si d'aventure, le projet de loi était adopté tel que conçu, versus «indemnisation», «aide», selon moi, et la manière dont je vois ça... On parlait du trois ans, on parlait du... vous n'avez pas de salaire, vous n'avez pas d'indemnité. C'est comme si l'aide était beaucoup plus ségrégée, beaucoup plus limitée, beaucoup plus ponctuelle puis c'était comme : Bien, on va vous donner de façon ponctuelle. Oui, il y a tout l'aspect — là, j'en suis sur l'aide financière — il y a tout l'aspect de soutien et tout ça, là... J'en suis sur l'aide financière versus l'indemnisation.

Quand on est dans une philosophie d'aide ponctuelle financière versus indemnisation qui, nécessairement, entraîne une analyse beaucoup plus à long terme et une analyse beaucoup plus in concreto de votre situation qui... après trois ans, 10 ans, 20 ans, pour le reste de vos jours, vous avez besoin d'une indemnisation, je pense qu'il y a là... ce n'est pas anodin, et on a là la véritable philosophie du projet de loi n° 84.

Mme Gaudreault (Arlène) : Oui, et je pense qu'il faut vraiment mettre l'accent là-dessus. C'est le message qu'on va donner, c'est qu'on va mettre autour de vous, autour de la personne, tout ce dont vous avez besoin le plus possible pour vous rétablir. Et on n'est plus en 1970, on est 50 ans plus tard.

Alors, quand cette loi-là a été adoptée, il n'y avait presque rien : quatre, cinq maisons d'hébergement, deux, trois CALACS. On est rendu beaucoup plus loin, il y a une expertise au Québec, on l'a vue aussi. Alors, il faut qu'il y ait une complémentarité entre les organismes de première ligne qui travaillent sur le terrain, dans les CALACS, les CAVAC, etc., et le régime d'indemnisation, qui est très spécifique et qui donne des services qu'on n'a pas dans les services courants.

Et, quand on parle de l'aide, on parle beaucoup des psychologues, mais, écoutez, il y a autre chose que ça qu'on peut faire aussi pour aider les personnes : travailler avec les programmes... Emploi-Québec, travailler avec les organismes existants, par exemple, les CALACS, qui ont développé des programmes, faire des ententes de services, les accréditer, les reconnaître. Il faut sortir aussi de la vision où, par exemple, le BAVAC ne... Son rôle, c'est de subventionner et de soutenir les centres d'aide. Il doit soutenir aussi tous les organismes, soutenir les organismes ou les programmes qui peuvent offrir des services aux victimes.

Alors, c'est ça aussi qu'il faut repenser. C'est pour ça... la section I et II, elle doit être retirée. Et on doit faire un travail autour de l'aide, profiter aussi, je dirais, de tout ce qui ressort des rapports — il va y avoir le rapport Laurent, la commission aussi sur l'exploitation sexuelle — et reprendre ce travail-là, réexaminer la question des droits, la question des recours, et ça, vous pouvez le faire. Et ce que vous pouvez faire aussi, c'est... Tout le monde vous a dit : On n'a pas le temps. On n'a pas le temps pour examiner, pour faire une étude approfondie. On se sent tellement pressés, je le vois même, moi, quand je parle, on veut tout vous dire puis, bon, finalement, on ne sait pas comment ça sort.

Et, en même temps, vous allez avoir ce problème-là, vous aussi, quand vous allez examiner le projet de loi parce qu'il est complexe. C'est vous qui l'avez maintenant, le problème. Mais ce que vous pouvez faire, par exemple, c'est que, par rapport à des questions qui sont difficiles, comme les questions concernant le sans-emploi, les questions concernant le trois ans, la définition des victimes, ce que vous pouvez faire, c'est que, quand les questions... vous pouvez prendre votre temps aussi. Puis ça se fait aussi, dire : On va sur des choses qui font un consensus, on travaille là-dessus, et il y a des choses que c'est trop compliqué, on n'a pas toute l'analyse, on a besoin... et on le reporte. Ça se modifie, des lois. Donc, on n'est pas obligés de tout faire en une fois ce qu'on n'a pas fait pendant 40 ans.

M. Tanguay : Tout à fait, tout à fait.

Mme Gaudreault (Arlène) : Et, à ce moment-là, vous pourriez déposer d'autres modifications à l'automne, nous donner le temps d'être consultés comme il faut, nous donner le temps d'approfondir, vous donner le temps aussi de regarder d'autres régimes. Et ça, ça serait sage. Et, si on modifie la Loi sur le système correctionnel canadien, là, presque à chaque année, je ne vois pas pourquoi on ne modifierait pas la Loi sur l'aide aux victimes et pourquoi on ne modifierait pas non plus la loi sur l'indemnisation, s'il le faut, à deux puis trois reprises pour la bonifier puis en faire un bon régime. Et c'est ça que le ministre nous a dit hier, quand il nous a parlé hier matin.

M. Tanguay : Et ça, Mme Gaudreault, c'est une préoccupation quasi unanime de celles et ceux qu'on a entendus jusqu'à maintenant, autrement dit, que ça va vite, vite, vite, et la précipitation est mauvaise conseillère, que la loi que l'on ouvrirait, semble-t-il, bien, bien vite durant cette session parlementaire, on la refermerait dans un délai très court... et qui est majeur, majeur, majeur. Alors, là-dessus, ça, soyez-en assurée, c'est notre quotidien depuis le 1er octobre 2018, de travailler vite, vite, vite. Mais est-ce qu'on fait de la bonne législation? Ça, c'est préoccupant. Je referme la parenthèse.

Puis, pour ma gouverne, quand vous dites section I, section II, vous faites référence à quels articles de la loi?

Mme Gaudreault (Arlène) : Ça réfère, attendez un peu... devant moi. En fait, c'est l'article 1 jusqu'à... Ah! écoutez, ce n'est pas beaucoup, là. L'article 1 à l'article 9, en fait. Alors, on essaie, je dirais, de compresser la notion. On a compressé, en fait, la notion d'aide et de droits en quelques articles. Alors, ce n'est pas... et c'est une section qui ne fait pas de lien et de sens avec le reste. Elle n'a pas attiré l'attention non plus. C'est comme si on lit ça puis on dit : O.K., c'est bon, mais... alors que c'est quelque chose d'important parce que c'est toute la vision qu'on a de l'aide aux victimes, comment on doit la donner.

Et il y a eu des questions très pertinentes aujourd'hui et hier là-dessus : Qui va donner les services? Est-ce qu'on va être capables de les donner rapidement? Ce n'est pas une réponse qui est aussi simple que ça, parce que, par exemple, en région, les services sont très différents. Puis c'est vrai que trouver un psychologue, ce n'est pas facile, pas juste à cause des tarifs, mais aussi la formation. On peut se réjouir qu'il y a un élargissement au niveau des professionnels et qu'il y ait d'autres professionnels que les psychologues qui vont intervenir, mais il faut avoir une vision plus large de ce qu'est aide et l'indemnisation, une discussion.

• (18 heures) •

M. Tanguay : Et ce à quoi vous faisiez référence aussi, quand on arrive avec un pavé de 190 articles, vous faisiez référence à la complexité, la densité... est difficile à vulgariser. Alors, ça va être un nouveau corpus législatif, une nouvelle loi costaude, complexe qui devra vivre sur le terrain, puis, veux veux pas, il y aura des interprétations différentes, puis ça, bien, ce sont les victimes qui demandent à être indemnisées qui devront faire avancer le droit. Et ça, ça risque de prendre, pour ravoir un rééquilibrage, là, une interprétation juste et raisonnable ou large et libérale, comme il se doit, bien... ça va prendre des années et probablement sur le dos de plusieurs victimes en termes de temps, de délai, d'anxiété et de coût, là. Alors...

Mme Gaudreault (Arlène) : ...

M. Tanguay : Tout à fait. Vous avez parlé... Vous avez fait un pas par rapport à l'aide juridique. Donc, seriez-vous d'avis que nous devrions nous assurer, via l'aide juridique, que de telles demandes, de tels cheminements, en vertu de la loi, soient couverts par l'aide juridique plus largement?

Mme Gaudreault (Arlène) : Oui, absolument. Et il y a des propositions intéressantes aussi dans le rapport du comité d'experts, à l'effet qu'il y ait des avocats d'aide juridique, par exemple, là, qu'ils soient dans les organismes... travailler avec les intervenants psychosociaux, qu'il y ait des cliniques itinérantes. Alors, ce sont vraiment des aspects qu'il faut examiner aussi, et c'est une façon de renforcer les droits, c'est une façon de mieux les accompagner. En 2021, on ne devrait pas se retrouver avec des victimes qui se rendent toutes seules au tribunal, qui ne sont pas représentées, qui ne savent pas comment ça va se passer. Il y a des initiatives, comme le Jeune Barreau de Montréal, qui sont intéressantes. Ça devrait se faire à l'échelle du Québec.

On travaille actuellement, à Plaidoyer-Victimes, à un guide d'accompagnement pour les victimes qui vont au TAQ. Il faut aider les victimes aussi au moment de la révision, parce que, trop souvent, les victimes ont de l'aide pour remplir le formulaire, mais après ça, dans le cheminement, il faudrait avoir des partenariats aussi entre les agents de l'IVAC, ceux qui sont responsables du dossier et ceux qui travaillent dans la communauté, dans les organismes de première ligne, pour qu'il y ait un accompagnement, une collaboration.

Et on a avantage, je pense, à faire connaître plus le travail de l'IVAC, de faire comprendre quels sont leurs programmes, les limites de leurs programmes. Et je pense qu'on devrait avoir d'autres choses que le rapport annuel, parce que le rapport annuel nous présente toujours les mêmes données. Il y a toute une expertise au niveau de l'IVAC. Il y a une réflexion qu'ils devraient nous livrer aussi, dont on devrait profiter. Il faudrait mieux comprendre qu'est-ce qu'ils font exactement et... pour être capables de le traduire avec les victimes avec lesquelles on travaille. Et la formation est importante. Il y a du roulement à l'IVAC. Il y a du roulement à la direction aussi à l'IVAC au cours des dernières années.

M. Tanguay : Bon, il y a beaucoup de choses à faire, hein, beaucoup de choses à faire qui vont au-delà...

Mme Gaudreault (Arlène) : C'est pour ça qu'on est là.

M. Tanguay : ...oui, oui, qui vont au-delà d'une loi.

Dernière question, dernière question. Vous avez, et j'aimerais vous entendre pour les quelque 30 secondes qui restent... ombudsman, victimes d'actes criminels, donc ce serait quelque chose à mettre sur pied?

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, il y a un ombudsman fédéral...

Le Président (M. Bachand) : Très rapidement, Mme Gaudreault, s'il vous plaît.

Mme Gaudreault (Arlène) : Oui. Il y a un ombudsman...

M. Tanguay : Fédéral?

Mme Gaudreault (Arlène) : ...fédéral, mais il n'y en a pas au plan provincial. Et je pense que le Québec, vraiment, là, serait un chef de file, s'il y avait un ombudsman provincial pour les victimes. Je pense que ça serait un grand pas en avant et je vous invite à lire le chapitre 13 de notre rapport.

M. Tanguay : Merci beaucoup, Mme Gaudreault.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de Sherbrooke pour 2 min 45 s et je rappelle, on est fin de rencontre, question et réponse. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Gaudreault. Donc, ce que j'entends de votre part, c'est qu'il y a des éléments du projet de loi qui sont suffisamment problématiques ou des choses qui sont absentes, au point où on ne parviendrait pas à corriger le problème simplement en faisant des amendements. Vous nous recommandez vraiment peut-être de scinder des bouts de... en fait, sur certains éléments puis d'attendre même l'automne, après le dépôt du rapport Laurent. Vous me corrigerez si je me trompe.

Sur quoi on devrait se concentrer? Qu'est-ce qui doit être fait à très court terme? Qu'est-ce qu'on doit faire maintenant?

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, peut-être sur les choses qui font consensus. Il y a quand même beaucoup de choses qui font consensus dans la loi et ont été énumérées. Je pense que, là-dessus, ce serait déjà quelque chose d'important. Et sur les éléments qui sont problématiques, et sur lesquels il y a eu beaucoup d'interventions, puis qui touchent, par exemple, des questions financières, qui touchent l'accès aux services, ça vaut la peine de prendre le temps de bien faire les choses.

C'est ce qu'on a demandé dès le départ. Il faut prendre le temps de bien faire les choses. Il faut prendre le temps de réfléchir, de regarder qu'est-ce qu'on a vu, par exemple, dans le rapport, sur la continuité des services, la question du référencement, des questions de... aussi, comment éviter le travail en silo, de telle sorte... On a beaucoup travaillé sur l'accompagnement dans notre rapport. Il faut que cette notion d'accompagnement, elle soit présente partout, dans le régime d'indemnisation, dans l'aide, dans le système de justice.

Alors, je pense qu'il n'y a personne qui va être... Je ne pense pas qu'on va vous faire des reproches, si vous disiez, par exemple, certaines modifications, on va prendre le temps de le faire, puis on va les reporter, puis cet automne ou, je ne sais pas, un peu plus tard, on va revenir avec des propositions, on va prendre le temps de vous consulter. Et nous, ça va être rassurant, puis on va se sentir beaucoup plus confortables aussi d'avoir le temps de regarder la loi. Puis peut-être que vous allez nous soumettre aussi des dispositions qui sont plus faciles à comprendre aussi pour des non-juristes, et qu'on va pouvoir aussi examiner plus attentivement.

Alors, je pense que ça, c'est peut-être une avenue de compromis puis c'est peut-être la meilleure avenue. Mais je ne dirais pas, à ce moment-ci, de retirer le projet, je ne serais pas de cet avis-là. Je pense qu'il y a des choses qui font vraiment un consensus, qui sont intéressantes, qui sont des avancées, mais il faut regarder les problèmes qu'elles posent aussi.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, pour 2 min 45 s, question, réponse.

Mme Hivon : Oui, merci beaucoup. Toujours très intéressant de vous entendre. Et vraiment merci, parce que vous amenez... vous mettez le doigt sur un enjeu qui, moi, me dérangeait un peu, puis évidemment personne n'en a parlé jusqu'à vous, c'est le fait que l'aide et toute la question de l'aide et de l'ancienne loi sur l'aide, et ce qu'on dit... Et là, en fait, ce que vous nous dites, si je décortique bien, c'est que, sur l'indemnisation, ce dont on parle presque exclusivement depuis hier... il y a des changements, il y a des choses qui font consensus, mais, dans le fond, on a fait une réforme de l'indemnisation, mais très peu de l'aide. Mais on est allé greffer l'aide avec l'indemnisation puis là on parle généralement d'aide, sauf que, dans les faits, on parle de soutien financier puis d'indemnisation.

Donc, si je vous lis correctement, vous nous dites : Attention. Moi, je dirais même : Attention, parce qu'en plus, depuis le dépôt du projet, on a déposé le rapport du comité d'experts qui a des avancées extraordinaires. Là, si on vient réformer l'aide alors que, d'abord et avant tout, c'est un projet qui est là pour réformer l'indemnisation, on passe la chance d'aller beaucoup plus en profondeur sur les questions d'aide. Les recours, vous avez complètement raison, ils ne sont pas du tout explicités, itou.

Mais je veux vous amener... Moi, plus j'entends depuis hier, plus je me dis : Est-ce qu'on ne devrait pas — il y a un ou deux groupes qui ont amené ça — avoir comme un régime en soi pour les victimes de violence sexuelle et conjugale? Parce qu'autant pour la durée des problèmes sur l'aide, est-ce qu'on devrait réfléchir à ça, d'avoir comme un régime dans le régime? Là, je vous lance ça. Moi, avant-hier, je n'avais pas réfléchi à ça, mais plus j'entends des choses et plus je me dis : Est-ce que doit réfléchir à cette option-là?

Le Président (M. Bachand) : En une minute, Mme Gaudreault, s'il vous plaît.

Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, je pense que ça m'apparaît difficile aussi... à premier abord, je pense que ça m'apparaît difficile. Je ne connais pas de systèmes, non plus, de régime ailleurs qui ont cette façon de faire là. Ça mériterait une réflexion, mais je n'aurais pas tendance à aller dans ce sens-là. Il faut qu'il y ait des programmes adaptés. Ça, c'est différent, et il faut avoir un régime peut-être plus large, qui est équitable pour tous, qui tente le plus possible de prendre en considération les besoins de tout le monde. Puis il y a quand même...

Mme Hivon : Oui, oui. Parfait. Puis dites-moi, pour tout ce qui est, justement, l'aide psychologique, la réintégration, le soutien pour des recours, vous, je comprends que le modèle... Parce que nous, si on prend du temps puis on dit justement : On va exclure ça, si on suivait votre recommandation, on devrait s'inspirer de la Grande-Bretagne...

Le Président (M. Bachand) : Mme Hivon... Mme la députée, vous devez malheureusement terminer, je suis désolé, parce qu'on arrive à la fin de la rencontre. Mais je veux prendre le temps qu'il reste pour remercier Mme Gaudreault d'avoir participé à la commission. C'est très, très, très apprécié.

Sur ce, la commission ajourne ses travaux au mercredi 20 janvier, 10 h 20, où elle va poursuivre son mandat. Merci à tout le monde. Au revoir.

(Fin de la séance à 18 h 09)

Document(s) associé(s) à la séance