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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le jeudi 6 février 2020 - Vol. 45 N° 68

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin


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Table des matières

Auditions (suite)

M. Paul Cliche

Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable (SENSE)

M. Christian Dufour

M. Brian Tanguay

M. Louis Sormany

M. Jean-Pierre Derriennic

Mémoires déposés

Document déposé

Autres intervenants

M. André Bachand, président

Mme Sonia LeBel

Mme Paule Robitaille

M. Gabriel Nadeau-Dubois

M. Harold LeBel

Mme Catherine Fournier

M. Marc Tanguay

*          M. Charles-Émile Fecteau, SENSE

*          Témoin interrogé par les membres de la commission

Journal des débats

(Douze heures une minute)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite la bienvenue, et, comme vous savez, éteignez votre sonnerie d'appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques du projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.

Avant de débuter, M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lachance (Bellechasse) est remplacée par M. Jacques (Mégantic); M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Poulin (Beauce-Sud); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Nadeau-Dubois (Gouin).

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. J'aurais besoin du consentement des membres de la commission pour que la députée de Marie-Victorin puisse assister à la séance. Consentement? Merci.

Je vous rappelle qu'on a du retard, donc le temps va être coupé, mais le côté gouvernemental a accepté de réduire davantage son temps pour le répartir au niveau des trois partis d'opposition. Donc, on fait les calculs, mais il faut absolument finir à 1'heure, parce que plusieurs d'entre vous ont des engagements très, très précis et importants.

Auditions (suite)

Alors, sur ce, aujourd'hui, nous allons entendre Solution étudiante nationale, mais on débute, ce matin, avec M. Cliche.

Alors, M. Cliche, la parole est à vous pour 10 minutes, après ça on aura une période d'échange avec les membres de la commission. Bienvenue.

M. Paul Cliche

M. Cliche (Paul) : Bonjour, Mme la ministre, M. le Président, les autres membres de la commission. Je vous remercie de m'avoir invité, car la réforme du mode de scrutin est une des principales questions qui m'a intéressé et tenu occupé toute ma vie active, et aussi bien comme journaliste, notamment à l'Assemblée nationale, que comme militant. En effet, lorsque, étudiant en sciences politiques à l'Université Laval en 1958, j'ai choisi comme sujet de mon mémoire de maîtrise l'analyse des résultats des neuf dernières élections québécoises, j'étais loin de me douter que j'aborderais une question qui me passionnerait encore 60 ans plus tard.

J'ai vite réalisé que le scrutin majoritaire et uninominal à un tour, issu des corporations du Moyen Âge, dont l'Angleterre a doté sa colonie canadienne en 1791, agit comme un miroir déformant de la volonté populaire, favorisant outrageusement les partis dominants aux dépens des tiers partis et empêchant surtout une majorité de votes de compter dans le choix des députés. J'ai aussi constaté que le Québec se classait en queue de liste des démocraties occidentales sous cet aspect. J'en ai conclu que seul un scrutin à finalité proportionnelle, comme 85 % des États industrialisés s'en sont dotés, pourrait combler ce déficit démocratique en assurant la juste représentation de la volonté populaire.

Depuis le début des années 70, le Québec a vécu trois processus infructueux visant à modifier en profondeur le mode de scrutin, une véritable saga : le premier sous le gouvernement de Robert Bourassa, le second sous celui de René Lévesque et le troisième sous celui de Jean Charest. Les processus devant mener à une réforme du mode de scrutin se sont déroulés chaque fois à grand renfort de comités d'études par des experts, en 1972, de commissions consultatives qui ont fait le tour du Québec pour consulter la population, comme en 1983, d'états généraux sur la réforme des institutions démocratiques en 2002‑2003, de commissions parlementaires qui ont reçu des centaines et même des milliers de mémoires comme en 2006, d'un livre vert en 1978, d'un avant-projet de loi en 2004 et même, en 1984, d'un projet de loi, sur le point d'être déposé à l'Assemblée nationale mais bloqué in extremis par le caucus péquiste, au grand dam du premier ministre Lévesque. Il s'agit sans contredit du dossier le plus documenté de l'administration québécoise.

Nous vivons présentement la quatrième étape de cette saga qui s'éternise depuis le début 1970. En septembre 2019, un gouvernement a, pour la première fois, c'est à souligner, présenté un projet de loi suite à une entente historique survenue en mai 2018 entre les partis d'opposition. Le dépôt de cette pièce législative n'était cependant pas le seul engagement contenu dans l'entente. Un des attendus du document précisait en effet que le nouveau mode de scrutin devait entrer en vigueur pour les élections de la 43e législature, c'est-à-dire celles prévues pour octobre 2022. Le chef de la CAQ a déclaré, pendant la campagne électorale, que l'élection de 2018 serait la dernière tenue selon le mode de scrutin actuel, et il l'a répété à plusieurs reprises une fois devenu premier ministre. Ainsi, en mai 2019, il a affirmé que le DGEQ pourrait organiser un scrutin proportionnel pour 2022 si son gouvernement présentait un projet de loi avant le 1er octobre, ce qui a été fait le 25 septembre. Cela laisserait 33 mois jusqu'en juin 2022.

Mais, soudainement, le printemps dernier, des «spin doctors» surgis des officines gouvernementales ont susurré à l'oreille des journalistes que le seul engagement pris par la CAQ était de déposer un projet de loi. Comme ça se produit fréquemment en politique — je l'ai vécu comme correspondant parlementaire — ces conseillers en communications, passés maîtres dans l'art de manipuler l'opinion publique, avaient vraisemblablement comme mandat de faire accepter par la population le changement de cap que le premier ministre s'apprêtait à effectuer, le nouveau mode de scrutin ne serait pas en vigueur pour les élections de 2022. Je me demande bien pourquoi un gouvernement qui se targue de respecter tous ses engagements fait exception sur un sujet aussi vital pour notre démocratie que la réforme du mode de scrutin.

Une volte-face semblable s'est produite dans le cas du référendum. Encore là, l'entente de 2018 était claire, durant la campagne électorale, M. Legault avait écarté l'idée d'un référendum. Le 26 février dernier, Mme la ministre, vous avez aussi affirmé qu'il n'y aurait pas de référendum et vous avez dit : «...nous ne croyons pas, à ce stade-ci, que le référendum est la façon de consulter la population.» Mais le 4 juin, lors d'un caucus de votre parti où plusieurs députés ont manifesté leur opposition, tout a basculé. Pourtant, encore à la mi-mai, le premier ministre avait réitéré son intention de ne pas tenir de référendum, mais, suite à la tenue du caucus, il a commencé à tergiverser jusqu'à ce qu'il fasse l'annonce finale lors du dépôt du projet de loi à la fin de septembre.

Dans l'histoire du Québec, on n'a pourtant pas senti la nécessité de tenir de référendum lors de la nationalisation de l'hydroélectricité ni lors de l'adoption de la charte française ainsi que la Charte des droits et libertés, non plus que pour déconfessionnaliser les écoles, non plus que pour implanter l'assistance médicale à mourir et, dernièrement, non plus pour l'adoption de la Loi sur la laïcité de l'État. Dans le cas du dossier de la réforme du mode de scrutin, sept consultations parlementaires ou paragouvernementales ont transmis le même message de changement depuis 1970. De tous ces processus, il est résulté six rapports officiels, incluant celui de 2007 du Directeur général des élections, tous concluent à la nécessité de remplacer le mode de scrutin actuel. Que veut-on de plus?

Dans ce contexte, tenir un référendum ne répondrait pas à une volonté démocratique. Il s'agirait, au contraire, d'une tactique dilatoire pour mettre des bâtons dans les roues d'une réforme visant à refléter fidèlement la volonté populaire à l'Assemblée nationale. À noter que rares sont les pays qui ont tenu des référendums pour changer leur mode de scrutin. D'ailleurs, on ne peut demander aux électeurs de se prononcer dans l'abstrait sur un mode de scrutin qu'ils n'ont jamais essayé. Pour avoir un vote éclairé, il faudrait, comme en Nouvelle-Zélande, tenir un référendum de confirmation après quelques élections avec le nouveau mode de scrutin. Les électeurs pourraient alors choisir en toute connaissance de cause.

• (12 h 10) •

De surcroît, le gouvernement veut tenir le référendum en même temps que les prochaines élections générales. Un tel geste équivaudrait à noyer la réforme dans le débat électoral. Cette manoeuvre risquerait aussi de détourner les élections de leur objectif fondamental, qui est de porter un jugement sur le bilan du gouvernement. Une campagne où plusieurs enjeux se chevauchent ne serait certes pas une consultation du genre, d'autant plus que les règles référendaires proposées par le gouvernement, le 5 décembre dernier, favorisent le statu quo et risquent de créer un embrouillamini. Mais, si le gouvernement tient mordicus à tenir un référendum, qu'il le fasse avant les élections, dans l'année qui suivra l'adoption du projet de loi.

Le projet de loi n° 39 réduit les distorsions produites par le mode de scrutin actuel, mais de façon insuffisante. C'est ce qu'établit une évaluation faite en fonction du critère développé pour mesurer le degré de disproportionnalité de tous les modes de scrutin existants, soit l'indice mis au point par le politicologue Michael Gallagher.

Avec le mode de scrutin actuel, le majoritaire uninominal à un tour, le Québec a, depuis toujours, un niveau moyen de distorsion très élevé, près de 18. Cela en fait une des démocraties représentatives des moins performantes sur le plan de l'équité démocratique. Or, le projet de loi n° 39 ne corrigerait que partiellement cette anomalie démocratique en permettant de baisser l'indice à 9,9, selon la simulation gouvernementale, d'autres disent à 11. Le Québec aurait ainsi le taux de distorsion le plus élevé parmi les États dotés d'un scrutin de type proportionnel. Par comparaison, ce taux est de 2,8 % en Nouvelle-Zélande.

Quelles sont les modalités du projet de loi n° 39 qui causeraient cette piètre performance? D'abord, une méthode de compensation régionale plutôt que nationale, qui rendrait impossible la chance d'une grande proportionnalité. Deuxièmement, la création de 17 régions électorales plutôt que 14 ou neuf, comme recommandé dans le rapport du DGE de 2007. Une région électorale ne compterait même pas de député de compensation, quatre n'en compteraient que deux et six, seulement trois. Les électeurs des régions peu populeuses ne seraient pas traités équitablement, puisque leurs votes auraient moins de poids que ceux des habitants des grands centres, créant ainsi une proportionnelle à deux vitesses et deux classes d'électeurs. Le poids politique des régions périphériques — ça, c'est important — serait aussi affecté, puisqu'elles auraient moins de leviers... le système de représentation parlementaire. Au minimum, on devrait garantir deux sièges de compensation par région. Cet objectif pourrait être atteint de deux façons : soit réduire le nombre de régions à 14 si le nombre de députés est maintenu à 125, soit augmenter le nombre de députés à 129 si l'on conserve 17 régions.

C'est à l'article 156 du projet de loi que se trouve un des éléments qui fait augmenter le plus l'indice de distorsion. Il s'agit, en quelque sorte, d'une prime au vainqueur qui n'existe dans aucun autre système compensatoire. La particularité de cette méthode est de ne pas tenir compte, pour la distribution des sièges complémentaires, de la totalité mais seulement de la moitié des sièges remportés par les partis vainqueurs au niveau des circonscriptions locales. Cette formule...

Le Président (M. Bachand) : M. Cliche, je vais vous demander de conclure, parce qu'on a déjà dépassé le temps, s'il vous plaît. Merci.

M. Cliche (Paul) : Oui, je fais seulement une phrase. Cette formule, qui semble sortie d'un chapeau de magicien, permettrait à un gouvernement de former gouvernement majoritaire avec seulement 40 % des votes.

Maintenant, j'ai d'autres sujets que je n'ai pas le temps de traiter, comme la parité hommes-femmes, la double candidature, la stabilité gouvernementale, la qualité du service des députés. Si jamais vous voulez me poser des questions là-dessus, ça me fera plaisir de vous répondre.

Le Président (M. Bachand) : Exactement. Merci, M. Cliche. Mme la ministre, pour cinq minutes.

Mme LeBel : Merci, M. le Président. Donc, je vais faire un usage judicieux de mon temps. Merci, M. Cliche, d'être présent. Désolée d'avoir à compresser cette conversation, mais je dois vous dire que, pour ce qui est de vos recommandations concernant les modalités particulières du projet de loi, elles sont bien étoffées dans votre mémoire, elles sont bien comprises.

Vous faites 12 recommandations, une dizaine qui sont particulièrement sur... à titre d'exemple, le seuil, la double candidature, la méthode de calcul, le nombre de sièges, le nombre de régions. Donc, je veux juste vous rassurer, on en a pris connaissance. Et je comprends également que, dans vos recommandations, ce qui motive les choix et les recommandations que vous faites, c'est de mettre de l'avant l'objectif principal, c'est-à-dire d'obtenir une plus grande proportionnalité.

Parfait. Donc, j'aurai l'occasion de le réitérer, mais j'ai des choix à faire, naturellement, envers certains principes, mais je ne me trompe pas en traduisant que votre... que le principe que vous mettez de l'avant, derrière toutes vos recommandations, c'est celui de la proportionnalité, c'est exact?

M. Cliche (Paul) : Oui, c'est ça.

Mme LeBel : Parfait. Merci. Mais je vais vous amener sur un sujet qui est extrêmement intéressant, que vous abordez dans votre mémoire, puis qu'on n'a pas eu la chance de discuter avec beaucoup de groupes, et qui sera discuté un peu plus avant cet après-midi. À la page 13 de votre mémoire, vous prétendez... et c'est la question de la stabilité des gouvernements et du poids du Québec face au gouvernement fédéral dans ses négociations ou son autonomie, et vous dites, à la page 13 : «On prétend souvent que des coalitions gouvernementales créent de l'instabilité politique. Les faits prouvent le contraire. Dans des pays où on utilise des scrutins proportionnels, comme l'Allemagne, la Norvège, l'Irlande, [la législature dure] entre 3,5 et quatre ans en moyenne. Au Québec — selon le mode actuel, naturellement — les trois législatures minoritaires ont duré en moyenne [deux] ans, alors que les 39 gouvernements majoritaires ont duré en moyenne 3,5 ans.» Très intéressée, parce que je sais que M. Dufour va venir témoigner cet après-midi, et M. Dufour, dans son objection au mode de scrutin, met de l'avant cet argument principal. On aura l'occasion d'en discuter avec lui, mais j'aimerais que vous nous étoffiez cette position-là, parce que moi, je ne pense pas qu'on crée de l'instabilité supplémentaire par un mode de scrutin différent, mais j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. Cliche (Paul) : Bien entendu, ça demande un changement de culture politique, parce que, là, on va faire affaire quasiment chaque fois à des gouvernements de coalition, mais l'expérience... les gouvernements de coalition, là, ça permet aux partis d'interagir, de mieux se comprendre, de collaborer. Ce n'est pas nécessairement que... Ça ne fait pas nécessairement des gouvernements faibles, hein, on l'a vu en Allemagne, on le voit dans les pays scandinaves, on le voit à bien d'autres endroits. Et moi, je suis certain que, si on avait ça au Québec, on pourrait... Et là ce qui arrive avec les gouvernements minoritaires, qui sont de plus en plus nombreux, bien, c'est que c'est automatique, on va le voir à Ottawa, dans 18 mois, on va retourner en élection. C'est ce que je veux dire, là. Je ne sais pas si vous voulez en savoir davantage.

Mme LeBel : Bien, je vais vous amener sur une deuxième affirmation. M. Dufour va avoir l'occasion de débattre avec nous cet après-midi, puis il aura cette occasion. Donc, l'objectif d'un mode de scrutin proportionnel est de mieux rendre compte de la volonté populaire, d'où la proportionnalité, c'est ce qui se cache derrière ça. Donc, outre l'argument de la tendance à produire des gouvernements minoritaires ou de coalition et de l'affaiblissement... une certaine instabilité gouvernementale, M. Dufour dit également, et là je pense que c'est un peu plus au niveau démocratique, il dit : Un mode de scrutin proportionnel ferait en sorte que les partis politiques obtiendraient plus de pouvoirs, puisque ce sont eux qui négocient pour former les gouvernements minoritaires. Honnêtement, là, je vais m'inscrire... parce que je vois mal comment on peut affirmer ça, alors que, maintenant, les gouvernements majoritaires n'ont pas la majorité de l'appui populaire, donc je trouve ça un peu contradictoire, mais je voudrais vous permettre de vous exprimer là-dessus.

M. Cliche (Paul) : Bien, je suis absolument d'accord avec ce que vous venez de me dire. D'ailleurs, M. Dufour, là, il fait beaucoup d'avancées qui ne sont pas prouvées. On dirait, des fois, qu'il est devant une boule de cristal, qu'il prédit l'avenir. Bien là, moi, je suis d'accord avec ce que vous avez dit, je ne peux pas faire d'autre chose que vous corroborer.

Mme LeBel : Bien, c'est déjà satisfaisant.

M. Cliche (Paul) : On est d'accord.

Mme LeBel : Bien, merci, M. Dufour.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, pour 7 min 45 s.

Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Merci, M. Cliche, pour votre mémoire bien étoffé, bien organisé. Merci beaucoup, j'ai vraiment apprécié la lecture. Mme la ministre parlait de stabilité, vous en parlez dans votre mémoire, mais vous ajoutez une chose, vous dites que ce qu'il n'y a pas dans le projet de loi, c'est des mesures encadrant les motions de censure pour s'assurer de la stabilité. Selon vous, c'est nécessaire d'amender le projet de loi et puis mettre ces mesures encadrant les motions de censure?

M. Cliche (Paul) : Oui, c'est nécessaire. D'ailleurs, c'était dans l'entente de mai 2018, et, je pense, sauf erreur, il n'y a rien dans le projet de loi là-dessus. Dans l'entente, on disait : Il faut favoriser la stabilité du gouvernement par des mesures encadrant les motions de censure, alors il ne faut pas qu'il y ait d'élections générales à répétition. Bon, moi, je ne suis pas un spécialiste de ces questions-là, mais notamment... comme dans d'autres pays, notamment l'Allemagne, l'Assemblée nationale devrait, quant à moi, se doter de règles encadrant l'exercice de votes de non-confiance constructifs. Bon, ça, c'est l'expression qui est adoptée par les spécialistes, des «règles encadrant l'exercice de votes de non-confiance constructifs», bon. Mais ce que je constate, là, je ne suis pas en mesure, peut-être, de vous suggérer une règle précise, mais il en faut, puis d'ailleurs ça avait été prévu dans l'entente.

Mme Robitaille : Donc, c'est nécessaire pour la stabilité.

• (12 h 20) •

M. Cliche (Paul) : Oui, autrement, à chaque motion de confiance, le gouvernement... Ça, c'est une mesure préventive pour éviter, justement... Alors, ça peut vouloir dire, par exemple... mais là je n'ose pas trop m'embarquer, parce que je ne suis pas un spécialiste de la question, ça pourrait vouloir dire que, si un parti présente une motion de confiance pour défaire un gouvernement, il doit prévoir quel autre gouvernement... qui serait le chef de l'autre gouvernement. Mais là je ne peux pas et je ne veux pas m'embarquer là-dessus.

Mme Robitaille : Je comprends très bien. Je vais vous amener sur autre chose. Vous dites que, justement, dans la fameuse entente, on s'était engagés... le premier ministre s'était engagé à ne pas faire de référendum et d'adopter la loi pour qu'en 2022 on ait un nouveau mode de scrutin. Bon, maintenant, le gouvernement de la CAQ change un peu de cap, change de cap, et puis, bon, à votre grande déception, on adopte... il va y avoir un référendum, et puis en plus le référendum, il ne va pas se faire avant ou après, il va se faire pendant la période électorale.

M. Cliche (Paul) : Ça va être désastreux.

Mme Robitaille : Pourquoi ça va être désastreux?

M. Cliche (Paul) : Bien, voyons, on va pour élire un gouvernement, on est en train... bon, on veut faire le bilan du gouvernement qu'on a, puis là on arrive avec une question puis un mode de scrutin qui n'est pas la plus passionnante, hein, pour le commun des mortels. Aïe! Le référendum, y va-tu passer en arrière, lui, hein?

Mme Robitaille : Oui, c'est ça. Alors, vous dites : Ça va noyer le débat.

M. Cliche (Paul) : Ça va noyer, ça va noyer tout... ça va faire un genre d'embrouillamini, d'autant plus que les règles référendaires, elles ne sont pas claires tellement, hein, puis elles risquent de... elles favorisent plutôt le statu quo.

Mme Robitaille : Oui, justement, vous dites : Ça favorise le statu quo. Il y a eu des amendements, là, au mois de décembre, qui font en sorte que... ce qu'on comprend, là, du projet de loi, c'est que le chef du gouvernement, les chefs de parti ne pourront pas diriger le camp du Oui ou le camp du Non. Ça, parlez-moi donc de ça, vous.

M. Cliche (Paul) : Bien, oui, mais M. Legault, il y croit-u à sa loi ou il n'y croit pas, là? Il va s'abstenir, là, il va devenir au-dessus de la mêlée, là, il va avoir fait adopter une loi, le gouvernement, puis... bon.

Et, d'autre part, je veux bien croire, moi, qu'un référendum en dehors des élections, ça coûte très cher, ça coûterait je ne sais pas combien de millions, quelques millions, mais ça vaut la peine, hein? On en met, des millions et des millions, mais, quand vient le temps de notre vie démocratique, de revitaliser notre vie démocratique, ça coûte toujours trop cher, ça coûte toujours trop cher. Les derniers changements importants qui ont été faits, là, ils datent de René Lévesque. On va-tu se réveiller, à un moment donné, le Québec?

Mme Robitaille : Donc, vous souhaitez que le chef du gouvernement sortant s'embarque, puis s'embarque pour de vrai.

M. Cliche (Paul) : Bien, il s'est embarqué à moitié. J'aimerais qu'il s'embarque à 100 %, mais peut-être à 60 %, 75 %, ce serait une amélioration.

Mme Robitaille : Alors donc, dans ce référendum-là, on souhaite qu'il ne soit pas pendant une campagne électorale puis on souhaite, évidemment, que les élus y participent, prennent position. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Cliche (Paul) : Oui, oui, oui, que les élus y participent.

Mme Robitaille : Et vous mettriez plus d'argent là-dedans?

M. Cliche (Paul) : Bien, c'est-à-dire que, si on fait ça en dehors d'une campagne électorale, bien entendu, ça va coûter de l'argent. Un référendum tenu seul, ça va coûter un certain montant, bon, mais là on semble hésiter à payer ce montant-là. Mais, moi, idéalement, c'est qu'il y en aurait un, mais quelques années après l'adoption, une fois que les gens sauraient à quel genre de mode de scrutin ils ont affaire parce qu'ils l'ont expérimenté, pas voter à l'aveuglette, là, surtout sur un sujet comme ça, qui est aussi technique.

Mme Robitaille : Bien oui. Le temps passe, le temps file. Vous parlez de la correction des distorsions qui est insuffisante. 10 %, vous dites, c'est un problème.

M. Cliche (Paul) : Le gouvernement dit 9 %, d'autres disent 11 %.

Mme Robitaille : Donc, tant qu'à faire les choses, faisons-le bien, c'est ce que je comprends. Vous parlez d'une vision tronquée d'un véritable système mixte compensatoire. C'est sévère, ça.

M. Cliche (Paul) : Bon, mais là, oui, ça revient à ça. Là, je ne veux pas mettre plus d'accent qu'il faut là-dessus, là, peut-être que l'expression, c'est une expression que j'ai... Oui, c'est un système tronqué, mais parce que, finalement, le résultat... on regarde le résultat, et, si ça donne le résultat d'un système majoritaire, bien, le système est tronqué, et ça ne donnera pas... ce serait le système proportionnel le moins...

Mme Robitaille : Le moins proportionnel.

M. Cliche (Paul) : ...le moins proportionnel de partout. Donc là, ça se rapproche d'un système majoritaire, là.

Mme Robitaille : Et vous, idéalement, vous pensez à... un peu comme la Nouvelle-Zélande, 2,8 %, c'est ça?

M. Cliche (Paul) : Bien, dans un système majoritaire... dans un système proportionnel, c'est entre 2 % et 3 %, normalement. Nouvelle-Zélande, c'est 2,8 %. En Scandinavie, tu as des 2,5 % ou... bon.

Mme Robitaille : Alors, si on reste à 10 %, est-ce que l'exercice en vaut la peine?

M. Cliche (Paul) : Bien oui, toute amélioration est la bienvenue, hein? On n'est pas pour voter contre ce projet de loi là puis recommencer tout à zéro, hein? Depuis 1970, c'est la quatrième fois qu'on le fait, ça dure 10 ans chaque fois. Non, il n'est pas question de voter contre ce projet de loi, il n'en est pas question, quant à moi, sauf que ceux... les partis qui vont voter pour mais qui ne seront pas satisfaits peuvent dire : Élisez-nous, puis, dès notre élection, on va le rendre acceptable. Mais, moi, quant à moi...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Cliche. Je dois céder la parole au député de Gouin, désolé. M. le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Bonjour, M. Cliche. Je n'ai même pas deux minutes pour m'entretenir avec vous. Je vais quand même commencer par dire à quel point je suis content de vous avoir ici aujourd'hui. Vous avez publié une thèse de doctorat sur la question de la démocratie...

M. Cliche (Paul) : ...

M. Nadeau-Dubois : ...un mémoire de maîtrise, il y a 62 ans. Si je compte bien, vous êtes ici, 60 ans plus tard, avec la même verve et la même énergie qu'à l'époque.

M. Cliche (Paul) : Oui, j'ai eu la piqûre.

M. Nadeau-Dubois : Alors, je trouve ça admirable, et ça me fait dire que Michel Chartrand avait bien raison lorsqu'il a dit de vous, à l'époque, que vous ne lâcheriez jamais. C'est une évidence, vous n'avez pas lâché. J'en suis très content.

Je vais vous poser une question toute simple, je vais reprendre le modus operandi de la ministre. Un argument qu'on entend souvent, on va nous le faire cet après-midi, et c'est un argument qu'on entend chez les souverainistes comme chez les fédéralistes, l'argument selon lequel une démocratie qui représente davantage le pluralisme politique serait un affaiblissement de la nation québécoise, un pas en arrière dans l'affirmation du Québec.

M. Cliche (Paul) : Bien, voyons donc. René Lévesque se serait-tu lancé là-dedans, hein?

M. Nadeau-Dubois : Pardon?

M. Cliche (Paul) : Est-ce que René Lévesque se serait lancé là-dedans? Il aurait proposé un système qui affaiblit le Québec? Il y a quelque chose là.

Deuxièmement, pourquoi un organisme, cette année, là, présentement, un organisme comme le OUI Québec, la Société Saint-Jean-Baptiste, l'UPA appuient ce genre de... appuient le projet de loi? Ce n'est pas... Tu sais, on ne peut pas accuser le OUI Québec puis la Société Saint-Jean-Baptiste de lancer le Québec dans des aventures dangereuses de ce point de vue là.

Alors, moi, je dis que c'est une légende urbaine, ce genre de prétention là, que c'est quelqu'un qui lit dans... Bon, en tout cas... Bon, je ne le méprise pas, M. Dufour, c'est un intellectuel qui est respectable, mais je ne suis pas du tout d'accord avec lui.

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci, M. le député de Gouin. M. le député de Rimouski.

M. LeBel : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Cliche.

M. Cliche (Paul) : Bonjour.

M. LeBel : Très jeune, je me souviens d'avoir vu M. Lévesque défendre un projet de proportionnelle. Et je suis comme vous, je pense, il n'aurait jamais fait ça si c'était pour affaiblir le Québec. Le problème, où on s'est affrontés toutes ces années-là, par exemple, c'est le poids des régions, le poids politique des régions. C'est là, des fois, que ça arrêtait. Le gouvernement propose 17 régions, le MDN dit : On pourrait rajouter des députés de la liste dans certaines régions où il y en avait juste un, ce qui ferait, peut-être, si on arrivait à ça que, sur la Côte-Nord, il y aurait trois... actuellement, il y a deux députés, là il y en aurait trois, mais pour l'ensemble du territoire.

• (12 h 30) •

Et là il y a un changement de culture. Là, les élus municipaux, là, nous disent que ça ne fonctionne pas, les députés seraient trop loin de... Là, c'est ce changement de culture là qu'il faut que je trouve une réponse à leur donner, c'est... Qu'est-ce que vous me suggérez comme réponse?

M. Cliche (Paul) : Là, quand la Fédération québécoise des municipalités vient amener ce genre d'argument, ils parlent des relations entre les dirigeants municipaux, puis là... mais il faut penser à l'électeur, au peuple, qui... dans le système, quand il n'y a pas de proportionnalité, c'est eux autres dont le poids ne pèse pas, et c'est pour ça qu'idéalement... Je comprends que ça...

Puis, à part de ça, sur le plan, là, de... quand tu as un député régional... ça serait une bonne chose d'avoir un député régional pour, disons, la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, même pour Bas-Saint-Laurent, ça crée un sentiment d'appartenance régional, ça facilite la collaboration entre les élus de différents partis et ça assure à la population un meilleur poids à leur vote. Bien, moi, là, je veux bien croire que ça peut... pour certaines élites, là, locales, ça peut être fatigant, et ça peut être fatigant pour les partis qui ont le monopole dans une région d'avoir des députés qui ne sont pas de leur parti, mais la population serait gagnante.

17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il vous plaît.

16 775 Mme Fournier : Merci beaucoup d'être là aujourd'hui avec nous, M. Cliche, pour nous partager votre grande expérience et sagesse. Vous avez parlé de la fameuse prime au vainqueur. Vous savez que le gouvernement a introduit cette mesure-là notamment en prétextant que c'était pour une question de stabilité du gouvernement, mais la collègue de Bourassa-Sauvé a elle-même évoqué la question de l'encadrement des motions de censure. Alors, je vous pose cette question : Croyez-vous que l'encadrement des motions de censure serait une bonne solution de rechange à l'utilisation de la prime au vainqueur?

M. Cliche (Paul) : Ça ne serait pas une... ça serait une bonne chose, mais ça ne pourrait pas... il n'y a pas de correspondance entre les deux, là. La prime...

16 775 Mme Fournier : Non, mais, je veux dire, le gouvernement prétend que c'est pour garantir plus de stabilité.

M. Cliche (Paul) : Bon, bien, s'ils prétendent ça, moi, je ne suis pas d'accord. Alors, la prime au vainqueur, là — bien, je ne le sais pas, peut-être, Mme la ministre va me corriger — c'est une invention. Ça arrive de... Ça n'existe dans aucun système, hein, et on aurait des gouvernements, là, majoritaires à 40 % des votes. Là, on en a un à 37 % quelque chose, l'amélioration n'est pas grosse.

16 775 Mme Fournier : Bien, merci beaucoup.

17 859 Le Président (M. Bachand) : M. Cliche, merci infiniment de votre participation.

On suspend les travaux pour quelques instants. Merci infiniment.

(Suspension de la séance à 12 h 32)

(Reprise à 12 h 33)

17 859 Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission reprend ses travaux. Alors, je souhaite maintenant...

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît! S'il vous plaît! Merci.

Donc, je souhaite maintenant la bienvenue au représentant de Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable. Alors, vous avez la parole pour 10 minutes. Et, encore une fois, bienvenue à la commission.

Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable (SENSE)

M. Fecteau (Charles-Émile) : Merci beaucoup. Donc, merci, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, tout le monde qui nous écoute, c'est un véritable honneur d'être ici aujourd'hui, là, pour vous présenter les travaux de la Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable, le SENSE, dont je suis coordonnateur et cofondateur.

On oeuvre depuis deux ans à travers le Québec, dans les associations étudiantes et auprès de la population étudiante afin, d'une part, de promouvoir la réforme du mode de scrutin et, d'autre part, de collecter les points de vue, les priorités, les inquiétudes de la population étudiante sur cet enjeu afin de pouvoir avoir une vision claire de ce que devrait être un mode scrutin équitable aux yeux des étudiants et des étudiantes du Québec. C'est avec cette information-là, l'expérience d'avoir parcouru le Québec dans des dizaines d'associations étudiantes, d'avoir parlé aux étudiants et aux étudiantes de partout, d'avoir récolté l'appui, maintenant, de 40 associations étudiantes qui représentent plus de 230 000 membres au Québec qu'on vous présente donc aujourd'hui nos recommandations, qui sont basées sur cette vision étudiante de la réforme.

La première priorité, le premier principe qu'on a observé dans nos discussions avec les étudiants, les étudiantes et qui est la raison principale pour laquelle les gens embarquent dans le projet quand on leur présente, c'est la volonté, vraiment, que chaque vote compte, donc d'avoir un scrutin réellement proportionnel. En tant qu'étudiants et étudiantes, on réalise vraiment que le mode de scrutin actuel échoue à tenir compte de la volonté populaire qu'on exprime à l'urne. Et on a observé, donc, vraiment une grande volonté de réduire autant que possible les distorsions qu'on observe dans nos élections.

C'est cette priorité-là qui nous guide, entre autres, dans nos trois premières recommandations dans notre mémoire, donc : de un, l'abolition de la prime au vainqueur, qui, au final, fait artificiellement perdurer des distorsions qu'on serait capables de corriger; de deux, utiliser une compensation nationale à redistribution régionale plutôt qu'une compensation régionale, puis ça améliore la proportionnalité en calculant la compensation sur un plus grand nombre de sièges; et, de trois, utiliser un seuil plus bas, entre 2 % et 5 %, ce qui permet de favoriser le pluralisme politique et de mieux respecter la volonté qui est exprimée pour les plus petits partis.

Ensemble, ces trois recommandations-là, selon nos simulations, nous permettent de réduire l'indice de distorsion de Gallagher de 11,5 à 1,7, ce qui représente vraiment une amélioration très significative du mode de scrutin, d'un point de vue de la proportionnalité. C'est donc vraiment la première priorité qu'on a observée partout dans les associations étudiantes, avec les étudiants et les étudiantes avec lesquels on en a parlé.

Cela dit, il y a vraiment d'autres principes qui sont importants aux yeux des étudiants et des étudiantes, puis qui ont guidé aussi nos réflexions. Et, entre autres, avec beaucoup d'importance, c'était aussi la représentation des régions, de garder le poids politique des régions, d'une part, et de s'assurer que les votes comptent pour autant, peu importe où ils sont exprimés au Québec, que ce soit en région ou dans les grands centres.

C'est ce principe-là qui nous confirme, au final, notre volonté d'instaurer une compensation nationale à redistribution régionale. En effet, la compensation régionale qui est présentement inscrite au projet de loi enclave le vote région par région, ce qui est, au final, ce phénomène d'enclavement là, le même problème qu'on observe, en ce moment, avec le mode de scrutin, mais à une plus petite échelle, circonscription par circonscription, et qui fait en sorte qu'il y a plusieurs votes qui sont perdus et qui sont gaspillés, puisque, si le vote ne réussit pas à être efficace au sein de sa circonscription, il n'a pas d'efficacité du tout. Au final, on aurait le même problème, mais à une échelle un peu plus grande, celle des régions. Mais, encore pire, avec les 17 régions qui sont présentées, on a une grande inégalité dans le nombre de sièges d'une région à l'autre. Et donc les votes de Montréal auraient beaucoup plus d'efficacité dans leur élection que les votes, par exemple, sur la Côte-Nord, dans le Bas-Saint-Laurent, Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, Abitibi-Témiscamingue ou, encore pire, dans le Nord-du-Québec, où aucun siège de compensation n'est prévu, et donc les électeurs, les électrices de cette région-là ne verraient aucune amélioration à la situation actuelle.

Si on y va dans les chiffres, à Montréal, avec les 26 sièges, si je ne me trompe pas, qui sont prévus, c'est un arrondissement à 4 % près qui serait utilisé, alors que, sur la Côte-Nord, avec deux sièges, ça serait une représentation à 50 % près de la volonté populaire, et donc il y aurait une grande inégalité entre l'efficacité d'un vote montréalais et l'efficacité d'un vote de la Côte-Nord. L'alternative qu'on propose, en faisant le calcul du nombre de sièges à l'échelle nationale, c'est qu'on met tous les votes dans un même bassin commun pour faire ce calcul-là, et donc tous les votes partent sur un même pied d'égalité, tous les votes comptent pour autant, que ce soit un vote de Havre-Saint-Pierre ou un vote de Montréal. Ensuite, en plus, en redistribuant les sièges région par région, on peut quand même s'assurer de garder le même nombre de sièges par région, de garder le même poids politique de chaque région, de garder des listes régionales avec des élus qui représentent la région, et donc de garder vraiment le poids politique propre aux régions, qui est, évidemment, très important.

L'autre avantage, aussi, de la compensation nationale à redistribution régionale, c'est que ça vient permettre de débattre du nombre de régions puis du nombre de sièges par région d'un point de vue vraiment purement philosophique et, au final, de comment on veut représenter les régions. Au final, une fois la compensation nationale à redistribution régionale mise en place, la question reste juste de savoir combien de régions il faut pour qu'elle soit, d'une part, assez petite pour que les députés régionaux puissent bien faire leur travail de représentation mais aussi assez grande pour qu'il y ait assez de sièges par région pour bien représenter la pluralité politique de chaque région. On laisse ces débats-là à d'autres, on n'a pas pris de position spécifique sur un nombre de régions, mais avec la compensation nationale à redistribution régionale, ce débat-là n'a plus d'impact sur la proportionnalité du système et ce débat-là n'a plus, non plus, d'impact sur l'efficacité du vote d'une région à l'autre.

Un autre principe qui a vraiment émergé de nos discussions, c'est l'importance d'éviter de créer deux classes de députés distinctes et surtout de s'assurer que les candidats et les candidates de liste fassent vraiment une campagne sur le terrain et ne soient pas juste élus avec la popularité de leur parti. Une façon que ça se résolve, c'est de permettre, pour ceux qui le veulent, la double candidature, mais en allant encore plus loin, puis avec une idée qui nous a été suggérée à plusieurs reprises dans les discussions, c'est d'obliger la double candidature pour vraiment, au final, créer les listes régionales à partir des candidats et candidates de circonscription. On s'assure donc que tous les candidats et toutes les candidates font campagne exactement de la même façon, tout le monde... Il n'y a pas deux types de candidats, il n'y a pas deux types de candidates, et donc il n'y a pas deux types de campagnes différentes. Et donc ça évite, justement, de créer ce phénomène de deux classes de candidats et candidates, et donc potentiellement deux classes de députés.

• (12 h 40) •

Ça permet aussi ensuite... l'autre aspect de ça, c'est d'ordonner les listes selon la performance des candidats et des candidates dans leur circonscription. Au lieu d'avoir un ordre de liste qui est établi par les partis avec des processus internes qui peuvent être plus ou moins démocratiques, on donne vraiment ce choix-là à l'électeur et on s'assure vraiment que ce soit la volonté des électeurs, des électrices, qui choisissent sur toute la ligne qui sont leurs représentants et leurs représentantes à l'Assemblée nationale.

Dernier principe qui a vraiment émergé de façon importante, là, dans nos discussions et qui va un peu de pair avec la représentation des régions, au final, c'est juste de s'assurer que la démographie du Québec dans son ensemble soit bien représentée à l'Assemblée nationale. Donc, c'est déjà quelque chose qu'on fait, au final, pour s'assurer que le poids démographique d'une région soit équivalent à son poids politique, mais on pense que la réforme, c'est la meilleure occasion possible pour appliquer ce principe-là aussi à d'autres groupes démographiques, notamment pour atteindre la parité hommes-femmes, pour améliorer la représentation des jeunes, des immigrants et immigrantes, des minorités visibles et aussi pour consulter les peuples autochtones, leur donner une place digne de leur importance culturelle et historique au Québec dans notre démocratie et aussi pour valoriser, là, la participation des personnes LGBTQIA2+ au processus démocratique.

Le SENSE n'a pas pris de position stricte sur la meilleure façon de faire. On en a discuté, et c'est clair qu'il y a une volonté d'améliorer la représentation de la démographie du Québec à l'Assemblée nationale, mais il n'y a pas de consensus clair qui émerge des discussions avec les étudiants et les étudiantes sur quelle est la meilleure modalité, la meilleure façon de faire spécifique. Et il y a des groupes qui sont bien plus experts et expertes que nous sur ces questions-là qui vont avoir... qui ont ou vont témoigner devant cette commission-ci, mais on donne clairement notre appui à ces mesures-là qui pourraient améliorer la représentation de la diversité du Québec à l'Assemblée nationale.

Et finalement on quitte un peu les modalités du mode de scrutin pour parler de référendum. Donc, tout d'abord, ce qu'on a constaté très fortement, c'est qu'il y a un appui massif de la population étudiante à changer le mode de scrutin et à le changer rapidement. Donc, à nos yeux, attendre le résultat d'un référendum et ne pas le changer avant 2022, ce n'est pas la bonne voie à prendre. Cela dit, l'idée de consulter la population n'est évidemment pas du tout quelque chose qu'on rejette, et c'est pourquoi on appuie l'idée d'un référendum de validation, donc, après au moins deux élections avec le nouveau mode de scrutin, permettre aux gens de s'exprimer en toute connaissance de cause, ayant expérimenté avec les deux modes de scrutin, lequel ils préfèrent, qu'est-ce qu'ils veulent utiliser pour les élections pour la suite.

L'autre chose à mentionner aussi pour le référendum, c'est qu'on considère... En fait, on a fait un énorme travail de vulgarisation dans les dernières années, puis ce que ce travail de vulgarisation là nous a appris, c'est que, clairement, c'est un enjeu complexe, c'est un enjeu qui demande beaucoup de temps, beaucoup d'éducation populaire. Et faire un référendum en même temps que les élections générales, ce n'est clairement pas un contexte propice à faire, justement, cette éducation populaire là pour que le référendum soit vraiment une expression informée de la volonté des gens à l'urne. On pense donc vraiment que de faire le référendum à un moment distinct des élections, que ce soit un référendum avant l'adoption ou, comme on le préférerait, un référendum de validation, est vraiment la meilleure façon de faire pour vraiment s'assurer que toute l'information puisse circuler, qu'il n'y ait pas de confusion entre les enjeux référendaires et les enjeux électoraux, que l'enjeu référendaire ne soit pas noyé dans l'attention médiatique des élections générales.

Ça fait donc le tour de nos huit recommandations. Je vous remercie énormément de votre écoute, et ça va me faire plaisir de répondre à vos questions.

17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Mme la ministre, s'il vous plaît.

17 847 Mme LeBel : Merci. Merci, M. le Président. Merci de votre présence. On avait déjà eu l'occasion d'en discuter, d'ailleurs, mais c'est bien que vous soyez ici en plus pour en témoigner. Votre mémoire est bien étoffé, puis je vous remercie.

J'ai peu de temps, compte tenu des délais, là, ça fait que je vais vous amener sur quelque chose de peut-être... Vous avez amené un angle nouveau sur un aspect, la double candidature, la double candidature obligatoire. Naturellement, présentement, dans ce qui est en jeu dans le projet de loi, c'est qu'on interdit la double candidature pour des raisons qui sont invoquées... des arguments que vous invoquez dans votre mémoire puis que vous... auxquels vous répondez, mais beaucoup ont discuté, ici, du fait de la permettre, la double candidature, ce qui est différent de l'obliger. Et j'avoue que je comprends un petit peu mal votre notion d'être obligé d'aller... d'être obligé d'obliger, parce que les listes... ça veut dire que chaque candidat qui se retrouve sur une liste devrait aussi se retrouver dans une circonscription. Qu'est-ce qu'on fait quand on a... s'ils sont tous élus dans des circonscriptions, nos candidats — bien, vous allez me dire que c'est utopique, mais la majorité, disons — la majorité, et qu'après ça on n'a plus de candidats sur la liste, parce que ce sont des listes fermées? Comment cette mécanique-là... Et pourquoi obliger? Permettre, ça a été débattu, mais pourquoi aller jusqu'à obliger?

M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien, en fait, pourquoi on met cette recommandation-là dans notre mémoire, c'est vraiment parce que c'est quelque chose qui a vraiment émergé très organiquement, en fait, des discussions qu'on a eues avec des étudiants et des étudiantes. En fait, la première fois que cette idée-là m'a été... que j'en ai entendu parler, c'est quelqu'un qui m'a posé une question dans une assemblée générale ou un conseil d'administration, là, je ne me rappelle plus quel type d'instance, et qui me... et je ne comprenais pas qu'est-ce qu'il essayait de comprendre sur les listes, puis en fait c'est que la personne assumait que c'était comme ça que les listes allaient fonctionner. Puis on a vu cette idée-là émerger à gauche et à droite dans les associations étudiantes vraiment naturellement, puis c'est pour ça qu'on la met dans notre mémoire. C'est sûr qu'une double candidature permise nous semble tout à fait intéressante aussi. Cela dit, en l'obligeant... puis on ne le voit pas comme étant le fait que les personnes sur les listes doivent être dans les circonscriptions, mais plutôt qu'on fait la liste à partir des candidatures de circonscription. Ça revient pas mal au même, mais il y a quand même une vision un peu différente.

Pour répondre à la question de «qu'est-ce qu'on fait si tout le monde a été élu?», bien, d'abord, les chances que ça arrive sont probablement très minces, mais ensuite... puis ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est de mettre en priorité les candidatures de circonscription sur la liste, avec la possibilité, donc, de mettre d'autres noms après si jamais on arrivait dans un scénario où un parti obtient 70 % du vote dans une région puis il a besoin vraiment d'aller faire élire toutes les personnes de circonscription et en plus d'autres personnes. Il y aurait moyen d'arrimer les modalités, mais l'idée, vraiment, de l'obliger, c'est de s'assurer qu'il y ait vraiment un seul type de candidat, un seul type de candidate, au final, que tout le monde fasse campagne exactement selon les mêmes modalités, selon les mêmes principes, en partant sur la même base.

Ensuite, on est très conscients que c'est une idée un peu nouvelle puis un peu différente du courant de pensée majoritaire, disons, puis c'est pour ça qu'on tient à mentionner, là, que la double candidature permise nous semblait très intéressante aussi, mais ça reste que c'est une idée qui a vraiment émergé des discussions qu'on a eues avec les étudiants et les étudiantes puis qu'on se devait donc d'en faire... d'être le porte-voix de cette idée-là.

17 847 Mme LeBel : Je vais vous amener un petit peu ailleurs. Vous faites des recommandations sur la parité hommes-femmes qui sont beaucoup plus précises que vos recommandations... À part d'énoncer le principe que vous voulez avoir des mesures structurantes, dans le cas de la parité hommes-femmes, vous êtes plus précis au niveau des seuils, au niveau des... peut-être de mettre des incitatifs financiers, alors que, pour l'autre type d'inclusion, vous êtes plus vagues. Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas eu de consensus? Et qu'est-ce qui ressortait qui faisait que les gens disaient : Oui, non, pas trop loin, pas assez loin? Parce qu'on a... Il va falloir qu'on tranche, nous, qu'on choisisse. Donc, à un moment donné, vous êtes dans la même position que moi. Alimentez-moi, là.

M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien là, je ne sais pas, il y a peut-être eu des choses qui étaient peut-être moins claires dans le mémoire, mais on a mis, dans la section, aussi, sur la représentation des minorités, des idées aussi, là, ici et là, de suggestions de façons de faire.

Veux veux pas, quand on venait présenter en assemblée générale, quand on avait 10 minutes, 15 minutes, c'est sûr qu'on parlait des grandes modalités du mode de scrutin, de comment la compensation allait marcher, puis tout ça. On abordait le sujet de la parité, on abordait le sujet de la représentation des minorités, mais on n'avait pas le temps d'aller en profondeur sur quelle façon, exactement, les meilleures modalités étaient les bonnes. On a recensé, dans notre mémoire, là... on a essayé, du moins, de faire une liste qui ne se veut pas exhaustive, mais de celles qu'on a entendues puis qui revenaient le plus souvent. Ça se veut des suggestions puis des pistes d'idées.

Ensuite, je sais qu'il y a des groupes de femmes qui ont témoigné devant la commission. Je ne sais pas s'il y a des groupes de personnes des minorités visibles ou immigrantes qui ont témoigné, mais je pense qu'il y a d'autres groupes que le SENSE qui sont mieux placés pour émettre des recommandations sur ce sujet-là. À notre avis, écoutez ces personnes-là. Au final, c'est ce qu'on veut dire. Au final, ce qu'on a vu dans la population étudiante, c'est une volonté de mettre en place des mesures, mais il n'y avait pas l'expertise nécessaire pour dire quelle était la meilleure façon de l'atteindre.

17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

17 841 Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci de votre présence, de votre participation. C'est important.

Donc, vous dites : Pour ce qui est de la représentation, la diversité de la population, on devrait, dans cet exercice-là, être capables de mettre des mesures beaucoup plus structurantes pour, finalement, que tout le monde soit représenté, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que, finalement, les gens... bien, est-ce que c'est essentiel d'avoir ces mesures-là? Pour ce qui est des femmes, c'est 50 % de la population, bon, et vous êtes d'accord, il doit y avoir une parité, il doit y avoir... mais, pour ce qui est des autres catégories, est-ce que ce n'est pas, finalement, à la population de juger d'un parti s'il n'est pas représentatif de la population? Pourquoi on a absolument besoin d'avoir des règles strictes là-dessus?

• (12 h 50) •

M. Fecteau (Charles-Émile) : Le parallèle qu'on aime faire là-dessus puis qui... Au final, bien, de un, pourquoi c'est dans notre mémoire, c'est parce que les étudiants et les étudiantes voulaient ça, là, je veux dire... être clair, de base, c'est quelque chose qui a la volonté... en particulier les jeunes. Je pense que ça peut se comprendre très bien que les étudiants et les étudiantes constatent la sous-représentation des jeunes, là. Le graphique qu'il y a dans notre mémoire tient compte des moins de 18 ans dans le poids démographique total de la population, donc on est sous-représentés, même en tenant compte qu'il y a un groupe... Il y a un groupe de 20, 30 personnes qui n'est même pas du tout représenté à l'Assemblée nationale, donc c'est quand même très... il y a un grand déficit là.

Et donc, de un, c'est important pour les jeunes... les étudiants et les étudiantes, pardon, mais, de deux, pourquoi mettre en place des mesures structurantes? C'est parce que, de toute évidence, ces sous-représentations-là perdurent année après année, la représentation des jeunes, la représentation des minorités visibles, des immigrants et immigrantes. Ce n'est pas quelque chose d'anecdotique, ce n'est pas quelque chose d'éphémère.

Et, au final, si on se dote d'un mode de scrutin qui veut être représentatif de la population, bien, je pense que c'est le moment, justement, de parler de mettre en place des mesures pour représenter pas juste les opinions de la population, mais aussi les expériences de vie, le vécu de la population, avec, donc, une Assemblée nationale à l'image du Québec, au final.

17 841 Mme Robitaille : Oui, puis des pistes de solution, quelques pistes de solution qui vous ont été amenées, est-ce que vous pourriez nous en parler, pour ce qui est des jeunes, pour la représentativité? Déjà, parce que ce n'est pas évident, parce qu'on vieillit tous, là, alors, à un moment donné, ça change.

M. Fecteau (Charles-Émile) : Oui, oui, non, c'est sûr. Ensuite, les jeunes puis les immigrants, immigrantes et les minorités visibles, on les met en lumière, là, dans notre mémoire, comme étant des groupes où on a des statistiques précises sur la proportion de la population qu'ils représentent. Ça fait qu'avec une... on peut évidemment mettre une marge, comme la zone paritaire, là. On parle souvent de 45 %-55 % des personnes ou 40 %-60 % des personnes, mais on peut faire le même genre de zone... ce n'est plus paritaire, mais une zone de représentation pour ces groupes-là où on a des statistiques démographiques, puis ensuite moduler le financement des partis, soit à la hausse, soit à la baisse, selon s'ils atteignent ces objectifs-là, mettre des objectifs sur les listes d'avoir des proportions qui sont équitables.

Il y a plein de façons de faire possibles. Je pense que ce qui revenait le plus souvent, je pense, c'est celles qui modulent le financement. Je pense que c'est celles qui sont comme le plus souvent abordées puis les plus faciles, aussi, à mettre en place, probablement, mais ensuite, comme je disais, on ne nie pas l'expertise pour dire quelle est la meilleure façon puis la façon la plus efficace d'atteindre ces objectifs-là. Ce qu'on sait, c'est qu'il y a des façons de faire qui sont possibles, qui sont documentées, et il y a une volonté étudiante d'atteindre cet objectif-là, donc combinons les deux puis allons de l'avant.

17 841 Mme Robitaille : Je vous entends. Vous dites, bon : Un référendum, ce serait bien d'en faire un, peut-être, mais avant les prochaines élections...

M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien, idéalement, après deux élections avec le nouveau mode de scrutin.

17 841 Mme Robitaille : ...ou après deux élections, c'est ça, pardon, oui, c'est vrai. Là, maintenant, on va avoir... Bien, ce qu'on propose dans le projet de loi, c'est d'avoir un référendum en même temps qu'une campagne électorale. Donc, votre monde, ils sont... Donc, vous dites : On n'est pas d'accord avec ça. C'est quoi, vos craintes?

M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien, la crainte principale, c'est la désinformation. On l'a vécu à travers les associations étudiantes où on est allés, la grande majorité des personnes qui ont des réticences ou qui s'opposent à la réforme le font par mauvaise compréhension des principes, par l'impression que ça va affaiblir les régions, par l'impression que ça va déstabiliser le gouvernement, qui sont des choses qu'on est capables de démentir dans notre argumentaire puis qui sont des enjeux complexes, nuancés, qui demandent beaucoup de discussions, alors que c'est très facile de semer la peur dans la population juste en disant : Oui, bien, vous allez perdre votre poids régional, oui, mais les gouvernements vont être minoritaires, on va être en élection à toutes les années.

Ça prend une phrase pour semer le doute, ça prend 10, 15 minutes d'explications pour expliquer les faits puis rétablir la situation. Puis, en faisant ça en même temps que les élections, avec... on sait toute l'attention médiatique qui va être sur les sondages électoraux, sur les plateformes électorales des partis, leurs grandes promesses, qui est-ce qui va gagner, tout ça, on ne pense pas du tout que c'est même possible d'en parler assez pour que la population soit vraiment éduquée puis renseignée sur le sujet puis fasse un choix éclairé.

17 841 Mme Robitaille : Le taux de participation des jeunes aux élections, c'est un problème. On aimerait que les jeunes participent beaucoup plus, et tout ça. Pour un référendum... Sur un référendum comme ça, justement, si le référendum a lieu en même temps qu'une période électorale, ça noie toute l'affaire pour la population de... pour les jeunes, par exemple. Ce n'est pas la meilleure solution, ce que vous dites?

M. Fecteau (Charles-Émile) : Oui, bien, cette recommandation-là vient vraiment surtout de notre expérience à essayer de vulgariser l'enjeu puis à réaliser à quel point ça demande du temps, ça demande de l'attention. Puis cette attention est juste impossible en même temps qu'une élection générale.

17 841 Mme Robitaille : Merci.

17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Gouin, s'il vous plaît.

16 827 M. Nadeau-Dubois : Bonjour. Merci d'être ici. C'est toujours agréable de recevoir des représentants des étudiants, des étudiantes du Québec. Je n'ai même pas deux minutes, je vais vous poser une question simple, parce que vous faites beaucoup de revendications, certaines vont dans la mécanique du projet de loi, mais j'ai une question plus élémentaire. Pour vous, quand vous êtes allés sur le terrain rencontrer les étudiants, les étudiantes du Québec, c'était quoi, leur motivation principale à appuyer une réforme du mode de scrutin? Qu'est-ce qui les indignait le plus dans la réforme... dans le mode de scrutin actuel? Puis qu'est-ce qu'ils souhaitaient le plus dans un éventuel nouveau mode de scrutin?

M. Fecteau (Charles-Émile) : Ça revient toujours au principe de «chaque vote compte». C'est le sentiment qu'aller voter ne sert à rien, en ce moment, qui est extrêmement lourd, qui est extrêmement présent. On mentionne dans notre mémoire, là, le phénomène d'étudiants et étudiantes qui choisissent leur circonscription selon où est-ce que leur vote sera le plus efficace. Ça démontre en soi que le mode de scrutin, en ce moment, n'est pas efficace. Ça ne devrait pas être une stratégie électorale, de choisir sa circonscription selon l'adresse, chez ses parents ou proche de son lieu d'études, qui est la meilleure pour bien voter. À nos yeux, ça ne fait absolument aucun sens. Donc, vraiment, l'idée de s'assurer que chaque vote compte.

Puis ça soulève vraiment les passions, là. Il y a quand même... Dans mon expérience, les associations où moi, personnellement, j'ai été témoigner... Il y a deux instances où j'ai été invité en tant que... dans une assemblée générale pour présenter, dans un point non décisionnel, qui était supposé être juste une présentation et où, après avoir quitté, j'ai appris que l'association a décidé de voter un mandat d'appui au SENSE. Donc, il y a vraiment un mouvement très positif, là, envers la réforme pour, justement, aller chercher, au final... s'assurer que chaque vote compte. Vraiment, ça revient tout le temps à «chaque vote doit compter».

16 827 M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup.

17 859 Le Président (M. Bachand) : M. le député de Rimouski, s'il vous plaît.

15 479 M. LeBel : Merci. Bonjour. Vous savez, le référendum qui est proposé, actuellement, dans la loi, il y aurait une partie que ce serait juste référendaire : mai, juin, juillet, août. Je veux dire, les étudiants ne sont pas très sur leurs campus pendant ces mois-là. Ça fait que ça plaide encore pour le fait qu'on devrait faire le référendum pas dans ce moment-là, un référendum que pour la réforme, à un autre moment. Ça n'a pas de sens, ces quatre mois, les étudiants ne sont pas là. Ça fait que ça... Là, c'est plus un commentaire.

Mais, l'autre élément, vous ne parlez pas du nombre de régions dans votre mémoire. Vous visez quel nombre de régions qui devrait être retenu?

M. Fecteau (Charles-Émile) : On n'a spécifiquement pas visé le nombre de régions parce que... Bien, dans nos présentations, on présentait souvent, comme possibilité, ce qui était discuté, surtout dans le rapport de la tournée Chaque voix compte, du MDN, donc, huit à neuf régions. C'est sûr que ça, ça passait très bien, puis il n'y avait pas d'opposition à ça. Mais en même temps l'idée d'avoir plus de régions, au final, à nos yeux, si on a une compensation nationale à redistribution régionale, ça a plus ou moins d'importance. Ça a une importance pour représenter les régions puis ça a une importance pour avoir une proximité entre les élus puis leurs électeurs, électrices, mais ça n'a pas d'impact significatif sur la valeur du mode de scrutin en tant que telle, en termes de représentation des votes, en termes de «chaque voix compte», encore une fois, là, comme on dit.

Donc, autant, quand on faisait nos discussions, quand on faisait nos présentations, on parlait plus souvent d'un plus petit nombre de régions parce que c'était ce qui était discuté à l'époque, autant, si on a une compensation nationale à redistribution régionale, si tous les votes de chaque région peuvent compter pour autant, peu importe si c'est une région à deux sièges ou une région à 26 sièges, à nos yeux, on peut avoir 17 régions puis ça peut fonctionner, tout comme on pourrait en avoir moins, si c'est ce qui est décidé comme étant plus représentatif.

15 479 M. LeBel : Vous ne pensez pas qu'il y aurait une distorsion si la proportionnalité nationale est redistribuée en région? Est-ce que ça va respecter la proportionnelle régionale?

M. Fecteau (Charles-Émile) : Je vous invite à aller à la page 16 de notre mémoire, là, si vous l'avez. Ce qu'on observe, c'est que la distorsion régionale que ça cause est vraiment minime comparativement à la distorsion nationale que ça enlève.

15 479 M. LeBel : 17 régions, c'est...

M. Fecteau (Charles-Émile) : Et en plus, ce qu'on observe, c'est que les... Puis, dans nos simulations, si on va en détail dans les résultats, la distorsion supplémentaire, elle ne se rajoutera pas sur la Côte-Nord ou la Gaspésie, c'est Montréal qui va avoir, peut-être, un député caquiste de plus puis un député péquiste de moins, au final, ou...

15 479 M. LeBel : Gros problème.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Fecteau (Charles-Émile) : ...ou la Montérégie qui va avoir un député libéral de plus ou un député solidaire de moins. C'est les régions qui ont beaucoup de sièges, au final, où il va y avoir une petite distorsion de plus, mais où ça fait varier de 4 %, 5 % la proportionnalité finale, ça ne sera pas les régions où ça varie de 33 % ou de 50 % près. Donc, l'idée que la compensation nationale à redistribution régionale donnerait, je ne sais pas, moi, avec les résultats des dernières élections, un député du Parti vert sur la Côte-Nord, ce n'est pas un scénario du tout réaliste, selon la façon que la méthode fonctionne.

15 479 M. LeBel : Merci.

17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je voudrais vous remercier pour votre présentation, puis bravo pour votre implication!

Cela dit, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise à 15 heures)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon après-midi. La Commission des institutions reprend ses travaux. Bien sûr, je demande, comme d'habitude, à toutes les personnes dans la salle de bien éteindre la petite sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.

Cet après-midi, nous allons entendre M. Jean-Pierre Derriennic, M. Louis Sormany, M. Brian Tanguay, mais d'abord nous allons commencer avec M. Christian Dufour. Bienvenue à la commission. Comme vous le savez, vous avez 10 minutes de présentation, après ça on aura un échange avec les membres. Alors, M. Dufour, votre présentation.

M. Christian Dufour

M. Dufour (Christian) : Merci. C'est un privilège de comparaître devant votre commission. Même si c'est la deuxième fois, on ne s'habitue jamais.

Donc, j'ai juste 10 minutes, je voudrais juste commencer par mettre la table. Je vais lire un paragraphe, mais je ne lirai pas le reste du temps, je ne veux pas vous ennuyer, mais juste pour que vous me situiez bien, la fin de mon mémoire, le dernier paragraphe, c'est : «...le projet de loi sur la réforme du mode de scrutin [...] ne doit pas être adopté. Il n'est pas dans l'intérêt supérieur du Québec de se lancer dans une campagne référendaire dont on ne saurait prévoir l'issue, un exercice divisif présentant le risque d'un nouveau recul historique pour le pouvoir québécois, un recul que notre nation ne peut se permettre.» C'est là où je me situe. Je trouve que le projet de loi, il n'est pas bon, fondamentalement, et il ne doit pas être adopté, et qu'on ne devrait pas se lancer dans une campagne référendaire.

Je vais essayer de vous expliquer un peu pourquoi. Bon, j'ai écrit un livre qui s'appelle Le pouvoir québécois menacé  Non à la proportionnelle!, c'est mon thème fondamental, quant à moi. Le mémoire s'appelle Pour ne pas reperdre le veto, alors je fais une analogie très nette entre le mode de scrutin actuel, qui favorise de facto la majorité francophone et le veto, l'ancien veto québécois au sein du Canada, qui donnait au Québec une position privilégiée qu'on a perdue.

Mon point de référence, au départ, c'est le pouvoir québécois contrôlé par une majorité francophone. Moi, je ne me définis pas comme fédéraliste ou souverainiste. Bon, je respecte les gens qui s'engagent, là, ce n'est pas ça, mon problème. Ma boussole, moi, ça a toujours été ça, c'est le concept de pouvoir qui me semble quelque chose de très fondamental. Si on compare le Québec à une maison, le pouvoir québécois, c'est le soubassement, c'est le sous-sol de la maison, à partir duquel on peut construire ou non un Québec indépendant, une société distincte québécoise, un fédéralisme qui marche, mais c'est vraiment la base. Et une chose qui m'a quand même beaucoup frappé, c'est que les militants de la proportionnelle ont commencé à parler du pouvoir québécois tout récemment, hein? Jusqu'à tout récemment, ils ne parlaient pas de ça, ils ne se préoccupaient pas beaucoup de ça, et c'est quand même troublant, parce que c'est quelque chose de fondamental dans notre société. Et c'est beau, de parler de l'Écosse, de la Nouvelle-Zélande, de l'Allemagne, il y a le contexte québécois, il y a le contexte canadien qui est très important quand on s'intéresse au pouvoir québécois.

Moi, je crois que ce projet de loi là, il est fondamentalement mauvais. Je crois d'ailleurs que, si on le bonifie, on va l'empirer, parce qu'en fait il diminue le pouvoir québécois à deux niveaux, deux concepts différents, mais liés, le pouvoir québécois au sein du Canada. Ça, ça vaudrait aussi pour l'Ontario. Si l'Ontario adoptait un système véritablement proportionnel, ça affaiblirait aussi l'Ontario, mais un contexte spécifiquement québécois, je pense que ça va diminuer le poids politique de la majorité francophone. Quand on regarde, donc, ces différends, et ce sont des choses qui sont majeures, hein, en admettant même que je dramatise... je ne crois pas que je dramatise, mais je pense qu'à tout le moins il faut s'en préoccuper, il y a un principe de précaution là-dedans. Et autant le projet de loi qu'on a devant nous peut devenir très complexe, très technique, et ça, c'est un problème... Je pense que c'est M. Tanguay qui a dit, à un moment donné : Ah mon Dieu! C'est très compliqué. M. Legault, dans une déclaration assez candide, parce qu'il a une façon d'être, avait dit : Ah! c'est compliqué, tout ça. Ce n'est pas de la démagogie que de dire que c'est compliqué, c'est vrai que c'est compliqué, hein? Quelqu'un comme Henri Brun, le constitutionnaliste émérite Henri Brun, m'a appelé il y a une semaine, m'a dit : Christian, c'est quoi qui découle de ce projet de loi? Je ne suis pas capable de le comprendre. Moi-même, j'ai écrit un livre là-dessus, je ne prétends pas être un technicien... Louis Sormany, un ancien haut fonctionnaire du Conseil exécutif, qui va comparaître dans une heure, qui a plus pioché sur les détails du projet de loi, a trouvé aussi que c'était assez complexe.

Mais heureusement la dynamique générale n'est pas compliquée. La dynamique générale est très simple, en fait, c'est que le mode de scrutin actuel, de facto, favorise les gouvernements forts, favorise la majorité francophone et les régions. On sait que, dans notre système, il y a une prime au vainqueur qui fait qu'en général les gouvernements sont majoritaires. Un gouvernement majoritaire comme celui de François Legault, actuellement, dans un régime parlementaire, il n'y a rien de plus fort que ça. Un gouvernement de coalition, ça peut avoir des bons côtés, on met l'accent sur l'aspect représentation des opinions plus diversifiées, mais il faut transiger, il faut marchander, il faut troquer, il y a des délais, c'est d'autre chose.

Par ailleurs, le mode de scrutin actuel favorise de facto la majorité francophone parce que, on le sait, les non-francophones sont concentrés dans un nombre limité de circonscriptions dans la région de Montréal, ce qui fait que leur poids est moins important. C'est sûr que, si on adopte un système proportionnel, plus c'est proportionnel — puis ça, on pourra en débattre — plus on va avoir des gouvernements de coalition, des gouvernements minoritaires, c'est statistique, plus c'est proportionnel, plus on va avoir tendance à revaloriser le poids des non-francophones. Moi, pourquoi je défends le mode de scrutin actuel, ce n'est pas parce que je veux discriminer à l'égard des non-francophones d'aucune façon, ce n'est pas moi qui veux changer le système. Et j'ai des problèmes, d'ailleurs, avec le projet qui est sur la table, même à l'égard des non-francophones. C'est que je trouve que, les Québécois, il faut quand même être réalistes, là, on a perdu deux référendums, un en 1980 puis un en 1995, deux échecs structurants. Celui de 1980 a donné lieu à l'adoption d'une constitution de 1982 qui nous considère, la majorité francophone, comme un groupe ethnique à beaucoup d'égards. On le voit dans les débats sur... Il y a une charte de droits, hein, on le voit dans le débat sur la Loi sur la laïcité. Le référendum de 1995 a fait en sorte que le nationalisme québécois est systématiquement démonisé au sein du Canada. On a échoué à devenir indépendants, on n'est pas reconnus comme société distincte, mais au moins on a une institution héritée des Britanniques — c'est un paradoxe — qui favorise de facto les francophones et, de nous-mêmes, on va renoncer à ça, on va être les seuls au Canada à renoncer à ça? C'est masochiste, c'est se tirer dans le pied, c'est très dangereux.

Moi, je suis profondément inquiet. Je vois une dynamique autodestructrice de la nation québécoise là-dedans, qu'on renonce à ça pour des considérations complaisantes de représentation de tout un chacun. Il n'y a pas de miracle, là, je veux dire, si on met plus l'accent sur la représentation de façon exagérée, on affecte la gouvernance. Donc, ces principes-là sont très simples. Je suis étonné, d'ailleurs, qu'on fasse juste commencer à en parler. Si le Québec était indépendant, si on était reconnus comme une société distincte, s'il n'y avait pas eu les deux référendums, je serais peut-être moins contre. Je défendrais encore le système actuel, parce que moi, j'y crois, au système actuel, mais je serais moins contre. Mais, dans le contexte québécois, je trouve que c'est une folie, c'est vraiment une folie. Ça m'inquiète qu'on soit entrés dans l'Assemblée nationale, qu'il y ait eu des ententes tâtées par-ci. Je suis content d'y être, je comprends que vous faites votre travail, mais c'est pour ça que moi, je me dis : J'espère que ça ne sera pas adopté, là, parce qu'on n'a pas les moyens de se permettre ça.

L'autre question : Jusqu'à quel point le projet de loi est-il proportionnel? Parce qu'on peut se poser cette question-là. Moi, au départ, il y a des gens qui sont venus me voir, qui m'ont dit : M. Dufour, vous exagérez, ça va être un projet très légèrement proportionnel; on est conscients de vos arguments sur le pouvoir québécois, puis, bon, on va insuffler juste une petite dose de proportionnel. Vous savez, les Québécois, hein, on aime les compromis puis on aime la modération, bon. Par contre, j'ai entendu la ministre Sonia LeBel, pour qui j'ai beaucoup de respect, d'ailleurs... Je lui disais, tout à l'heure, que je trouve ça dommage qu'elle soit responsable de ce dossier-là, parce que, par ailleurs, je trouve que c'est une des meilleures ministres du gouvernement puis je ne lui dis pas ça par flagornerie, mais je l'ai quand même entendue, il y a deux semaines, nous dire : Bien, dans l'avenir, il va falloir, pour qu'un parti soit majoritaire, qu'il ait 44 %, 45 % des voix. Moi, ça m'a beaucoup étonné parce que je me suis dit : Bien, avec 44 % ou 45 % des voix, en pratique, il n'en aura plus, de gouvernement majoritaire, ça va être très, très, très rare, en définitive, parce que même la CAQ, actuellement, qui triomphe dans les sondages n'aurait pas ce...

Donc, c'est quoi que ça va donner au juste? Je ne le sais pas, mais, moi, ce que je prétends, c'est que le vrai débat, le vrai enjeu, là, ce n'est pas de savoir si on va être plus ou moins proportionnel, c'est de savoir : Est-ce qu'on passe du système actuel, qui n'est pas parfait, mais qui est très défendable, à mon avis, à une culture proportionnelle? Michel David, le chroniqueur du Devoir, il y a deux semaines, a écrit un article très brillant où il recommandait aux gens, en fait, qui sont frustrés — des gens qui sont pour la proportionnelle, vous en avez reçu beaucoup, hein, ils sont tous pour la proportionnelle, mais ils en veulent plus, ils en veulent plus, ils en veulent plus — il leur recommandait de contenir leur frustration, l'important, c'est de passer au système proportionnel. Puis il avait raison, parce que, quand on est dans une culture proportionnelle, les changements sont beaucoup plus faciles, ça fait partie de la culture, les réajustements, parce que, déjà, il y a des pressions pour que ça soit plus proportionnel, hein? On veut la parité hommes-femmes, on veut des mesures, bon, c'est le début d'une réingénierie, en fait, supposément progressiste de notre société.

Aussi, si le projet de loi qui est là n'est pas assez juste pour les non-francophones... On me dit que l'île de Montréal perdrait trois comtés. Moi, je ne comprends pas trop pourquoi l'île de Montréal va perdre trois comtés. Il me semble que l'île de Montréal est déjà sous-représentée dans le système actuel, ce qui ne me choque pas totalement, mais là, en plus... Bien, moi, je pense qu'il faut s'attendre, à un moment donné, dans la mesure où on est dans la réingénierie démocratique, qu'on crée quelque chose d'autre, là. Il y a la Charte canadienne des droits, là, et la Cour suprême, là. Le mode de scrutin qui est le nôtre, on dit toujours : Il est hérité du concurrent britannique, c'est bien épouvantable. Ce n'est pas bien, bien épouvantable, il a servi, historiquement, à la majorité francophone. Il est solide comme le roc, ça fait 200 ans qu'il est là. Il est en place partout dans le Canada. On ne peut pas se faire accuser de discriminer à l'égard des non-francophones.

Mais, si on se lance dans la réingénierie démocratique puis qu'on crée autre chose, moi, j'ai soumis ça à un ancien premier ministre du Québec, dont je ne donnerai pas le nom, qui a une formation juridique, je lui avais dit : Oui, mais est-ce que c'est possible qu'il y ait des représentants des non-francophones qui disent : Bon, vous prétendez faire un système proportionnel, mais ce ne l'est pas vraiment, parce que nous, on est privés des avantages de la proportionnelle? Il m'a dit : Ce serait très plaidable, ce truc-là. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est dangereux, je trouve que c'est complaisant, c'est inquiétant qu'on en soit rendus là. L'analogie avec le veto, moi, j'y crois beaucoup, à l'analogie avec le veto. Bien, ça trahit mon âge, parce que moi, je me souviens, j'étais au ministère des Affaires intergouvernementales à l'époque de Claude Morin, où Claude Morin... bon, je ne veux pas trop le...

Le Président (M. Bachand) : En conclusion.

• (15 h 10) •

M. Dufour (Christian) : Oui, bien, ma conclusion, c'est que le projet de loi sur la réforme du mode de scrutin ne doit pas être adopté et qu'il n'est pas dans l'intérêt supérieur du Québec de se lancer dans une campagne référendaire dont on ne saurait prévoir l'issue, un exercice divisif présentant le risque d'un nouveau recul historique pour le pouvoir québécois que notre nation ne peut se permettre. C'est ça, ma conclusion.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. En passant, une petite... juste de s'appeler par notre titre, hein, on ne dit pas le nom de famille du premier ministre, on l'appelle M. le premier ministre, même chose pour la ministre, à qui... maintenant, elle va avoir la parole. Mme la ministre.

Mme LeBel : Oui, absolument. Merci, M. le Président. Merci, M. Dufour. Je suis convaincue qu'on pourrait discuter, vous et moi, passionnément pendant des heures, mais, comme on a peu de temps, je vais peut-être y aller sur certains éléments de ce que vous avez mis dans votre mémoire que vous n'avez peut-être pas eu le temps d'expliciter, là, dans votre présentation de 10 minutes. Ça fait qu'on va prendre le 15 minutes qui m'est imparti, peut-être, pour vous permettre de développer sur certains aspects.

Mais, première chose, bon, je pense que je peux conclure de votre propos et de ce que j'en sais que tout mode de scrutin qui insuffle une forme de proportionnalité, de façon générale, vous êtes contre ça et vous êtes pour celui qu'on a présentement, est-ce que je me trompe?

M. Dufour (Christian) : Oui, ça, c'est deux cultures différentes, deux dynamiques qui sont différentes, et il y a beaucoup le concept de la main dans le tordeur. Je pense que, quand tu passes à un système proportionnel, même très, très, très modéré, ça ne reste pas comme ça, ça évolue, et ça, regardons dans les autres pays, c'est toujours ça qui arrive. Autant c'est difficile de modifier notre mode de scrutin parce qu'il est enraciné dans l'histoire, les citoyens y sont habitués, mais, une fois que tu es passé dans la culture proportionnelle, par définition, il va y avoir des changements. Mon collègue Louis Sormany, avec lequel j'ai travaillé, qui a beaucoup fouillé l'aspect plus des effets sur les régions, parce que moi, je ne maîtrise pas ça autant que lui, va vous parler des régions, et lui aussi va vous parler... va souligner à quel point c'est facile, par des amendements qui semblent techniques, ensuite, d'augmenter les niveaux de proportionnalité.

Donc, pour répondre à votre question, ce sont deux... on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est ça que je prétends, moi. Et, dans le contexte québécois, franchement, je trouve que ce n'est pas sage... mettons que je veux être modéré, c'est vraiment un manque de sagesse beaucoup de se lancer là-dedans. Et le système actuel n'est pas parfait. Il n'y en a pas, de système parfait. La proportionnelle a beaucoup d'effets pervers.

Juste pour résumer ma vision, le système actuel produit des gouvernements forts, mais congédiables, hein, quand on... Le gouvernement du premier ministre Legault, je ne sais pas si je peux dire ça, bon, c'est un gouvernement fort, mais on peut le mettre dehors, à un moment donné, et ça, c'est l'essence de la démocratie. Je trouve que la proportionnelle produit des gouvernements faibles, mais a tendance à faire en sorte que la même classe politique se prolonge très, très longtemps. Je sais que mon opposition, elle est très profonde, je dois dire, Mme LeBel, à ça, mais donc je réponds à votre question. Je trouve que, même une petite dose proportionnelle, c'est un piège, c'est dangereux, je trouve, dans le contexte québécois.

Mme LeBel : Je comprends parfaitement toute la profondeur de votre opposition, soyez sans crainte, mais donc, je veux dire, ce n'est pas le fait d'avoir un projet de loi modéré ou non, c'est le fait d'introduire cette notion de proportionnalité, et ce que vous craignez, c'est que ce soit... bien que ce soit potentiellement un premier pas, vous craignez, justement, que ça nous amène à de plus en plus de proportionnalité, toujours de plus en plus. C'est ce que vous craignez, là.

M. Dufour (Christian) : Vous avez raison, et ça, je le crains, c'est qu'on troque quelque chose de solide, le mode de scrutin actuel, qui n'est pas contestable... je crains, moi, les contestations devant les tribunaux, des gens qui ne se sentent pas représentés. Parce qu'on craint quelque chose de nouveau, vous comprenez? C'est que c'est quelque chose de nouveau. Donc, moi, je crains la Charte des droits, je crois à la Cour suprême, parce qu'à ce moment-là... Moi, être un anglophone, puis on va voir ce que ça donne, l'effet du projet de loi, mais, si je concluais que les anglophones sont les seuls à ne pas bénéficier des effets du projet de loi parce qu'on n'a pas voulu diminuer le poids de la majorité francophone... Au fond, c'est ça, c'est ce qu'on m'avait dit, à un moment donné : Ne t'en fais pas, Christian — je m'excuse si je suis familier — on est conscients de ce danger-là, donc le projet de loi va être modéré, mais je trouve que ce projet de loi est très fragile parce qu'il va être contesté.

Déjà, les gens qui ont comparu devant vous... je veux dire, je ne veux pas être cynique, mais le projet de loi, les gens veulent toujours... veulent plus, ils ne sont pas satisfaits. C'est dans la dynamique de la proportionnelle d'en vouloir plus, et le projet, quand même, est frustrant pour bien des gens. Je sais que les gens du ministère ont bien travaillé, ils ont essayé de trouver une balance des inconvénients, mais mon opposition au projet de loi, si elle est profonde, c'est qu'honnêtement je ne vois pas comment on peut sortir de cette dynamique-là. C'est «no-win situation», si vous voulez.

Mme LeBel : J'avoue qu'il y a une autre... Bon, peut-être que vous n'avez pas eu le temps de l'expliciter de façon très, très adéquate dans votre commentaire, mais vous avez dit quelque chose que je ne comprends pas ou, à tout le moins, que je trouve difficile à comprendre, c'est la chose suivante, c'est... vous craignez que, par l'apparition d'un mode proportionnel, on revalorise le poids des non-francophones et qu'on diminue le poids des francophones. Mais ces non-francophones là, comme vous les nommez, font partie de notre société. On a parlé des femmes, on a parlé de d'autres types de diversité, si ces gens-là font partie de notre société québécoise, pourquoi n'auraient-ils pas un poids dans cette société québécoise là?

M. Dufour (Christian) : ...j'entendais M. Milner, Henry Milner, parler de ce thème-là hier, où M. Milner, en fait, semblait admettre que ça allait augmenter le poids des non-francophones, que ça favorisera le Parti libéral. Et d'ailleurs il avait dit à Philip Authier, dans le quotidien la Gazette, en juin dernier, qu'avec son système proportionnel, en tout cas, c'est qu'on n'aurait pas pu adopter la Loi de la laïcité comme elle a été adoptée.

Moi, comprenez-moi bien, je ne veux pas discriminer contre les non-francophones, ce n'est pas moi qui veux changer le système, moi, je veux juste qu'on garde le système actuel. Puis le système actuel, de facto, c'est de facto, c'est toute la différence — Mme la ministre, vous êtes juriste — c'est toute la différence, c'est quelque chose qui existe. Dans les faits, c'est un système qui existe en Ontario, en Saskatchewan, partout. Dans les faits, c'est vrai qu'il y a un avantage aux régions et à la majorité francophone, mais moi, je suis Québécois puis je pense à nos échecs référendaires, je pense qu'on n'est pas indépendants, je pense qu'on n'est pas société distincte. Moi, je m'intéresse au rapport de force, à la géopolitique. Je trouve que c'est beau, l'angélisme, là, mais de renoncer nous-mêmes à ça, je trouve ça masochiste. Et là-dessus, moi, une chose qui m'a quand même un peu frappé, comment ça se fait que l'île de Montréal va avoir trois députés de moins, d'après ce qu'on nous dit, si on est...

Donc, moi, je trouve qu'on se drape beaucoup, vous savez, dans la proportionnelle. C'est moins noble que ça, ce dossier-là, là. Actuellement, je trouve qu'il y a beaucoup de gens qui avalent des couleuvres, qui refoulent, comme le dit Michel David, parce qu'ils veulent qu'on passe à un système proportionnel et qu'ils sont prêts à adopter un projet de loi que je n'ai pas étudié en détail puis que j'ai de la difficulté à comprendre dans le détail. Et ça, c'est important, parce que le problème, entre autres, du mode proportionnel, c'est qu'on transfère du pouvoir à des experts. C'est compliqué à comprendre, ces choses-là. Henri Brun, ce n'est pas un deux de pique, là. Pourtant, Henri Brun m'appelle en disant : Christian, est-ce que tu peux m'aider? Moi, je lui dis : Bien, écoute, là, j'en comprends un peu. Puis ça, ce n'est pas juste de la démagogie, ce n'est pas vrai. Ça, c'est vrai qu'il y a une dépossession des citoyens parce que le système est plus complexe. Aussi, Louis Sormany va vous parler, il y a un transfert du pouvoir aux partis, donc...

Mais, pour revenir à votre point de base, je comprends que les... je suis totalement d'accord, moi, j'ai écrit des livres là-dessus, que les Anglo-Québécois, c'est des citoyens à part entière, j'en conviens. Mais ce que je dis, c'est que la réalité actuelle leur donne des avantages, ils ont des comtés protégés où ils sont majoritaires. Mais c'est vrai que, globalement, parce qu'ils sont concentrés dans des comtés... puis ça, c'est une loi de la politique québécoise, à pourcentage égal, les libéraux ont toujours moins de comtés... — je m'exprime mal — à pourcentage égal, il faut toujours plus de votes aux libéraux pour l'emporter parce qu'une partie de leur appui est concentrée dans certains comtés. C'est un avantage, c'est le droit de veto. Le droit de veto, c'est un privilège que le Québec avait au sein du Canada, on y a sottement renoncé. Là, ce qu'il nous reste, c'est qu'au sein du Québec on a un mode un scrutin qui est là, qui nous...

Moi, si on n'avait pas eu le mode de scrutin, moi, je trouve qu'on serait passés beaucoup plus au cash — je m'excuse de la vulgarité, là — à la suite de nos deux échecs référendaires. Ça nous a protégés jusqu'à un certain point, parce que ça a protégé notre Assemblée nationale, puis ça fait en sorte que la majorité francophone est restée la majorité francophone. Et l'histoire est là, je le dis à chaque fois, je sais que plus personne ne veut en parler, là, mais ça a eu des effets, ça a encore des effets. On n'est pas indépendants, on n'est pas société distincte, on est vulnérables, puis on a une institution qui nous protège, puis on va y renoncer de nous-mêmes. Moi, je trouve ça masochiste.

Mme LeBel : Avec beaucoup de respect, M. Dufour, pour votre opinion, j'ai l'opinion contraire, je ne pense pas qu'on renonce à nos institutions. D'ailleurs, vous faites des affirmations dans votre mémoire, dans votre livre aussi, mais dans votre mémoire particulièrement, quand vous les ramenez, vous faites des affirmations, et je ne comprends pas sur quoi vous vous basez. Puis je vais vous donner l'occasion de vous expliquer, parce qu'il me reste peu de temps. Un mode de scrutin proportionnel, effectivement, a tendance à produire plus de gouvernements minoritaires... de gouvernements de coalition, c'est factuel, là-dessus, on va s'entendre. Maintenant, je ne comprends pas en quoi cela crée une instabilité gouvernementale et un gouvernement plus faible. D'ailleurs, dans le passé, on a eu des gouvernements minoritaires avec le mode de scrutin actuel.

Et moi, je suis intimement convaincue que, dans le futur, compte tenu du contexte politique actuel, c'est-à-dire de l'émergence d'au moins, pour l'instant, quatre partis politiques qui ont trouvé leur place à l'Assemblée nationale — on a trois oppositions, maintenant — on va avoir de plus en plus de gouvernements minoritaires, même dans le mode de scrutin actuel. Mais ni vous ni moi n'avons de boule de cristal, c'est ma conviction. Mais je pense un peu que, un, vous l'avez dit, je crains la nouveauté, c'est de la nouveauté, mais je ne comprends pas en quoi un gouvernement minoritaire affaiblit nécessairement s'il est légitimement élu, s'il est légitimement constitué. Même maintenant, dans le mode actuel, on remet souvent — moi, je pense, à tort — en cause des décisions. Je vais prendre la CAQ, parce que c'est elle qui est au pouvoir, parce qu'on a été élus avec 37 % des voix, on nous dit : Vous avez la majorité des sièges, mais vous n'avez pas la majorité de l'appui. Je l'ai encore entendu ce matin. Donc, je n'achète pas ça, mais ça fait partie, aussi, de l'argumentaire dans le mode actuel, avec respect pour mes collègues qui l'ont prononcé, mais ça fait aussi partie de l'argumentaire dans le mode de scrutin actuel. Alors, je ne comprends pas, à part une crainte et une peur de la nouveauté. Honnêtement, M. Dufour, je ne comprends pas.

M. Dufour (Christian) : Bien, moi, je suis... en termes d'institutions politiques, je peux être un conservateur, je l'admets et je l'assume, puis je trouve que, pour les Québécois, il faut l'être un peu, il faut être réaliste.

Pour répondre à votre question, bon, moi, je prétends avoir quand même une pensée politique un peu nuancée, là. Je ne suis pas en train de vous dire que les gouvernements minoritaires, c'est toujours l'horreur puis que, même, les gouvernements de coalition, ça ne pourrait jamais marcher. Je ne parle pas du tout de la légitimité. Je voyais que M. Milner, hier, me faisait dire que je contestais la légitimité des gouvernements minoritaires. Pas du tout, je trouve qu'un gouvernement minoritaire québécois est totalement légitime. Je parle de force, tout simplement, je parle de... Un gouvernement de coalition, par définition, hein, ça implique des marchandages, des négociations, des compromis, des plus petits communs dénominateurs.

• (15 h 20) •

Regardez ce qui s'est passé en Allemagne, des exemples à l'étranger — je ne parle pas d'Israël, où c'est la proportionnelle intégrale, qui est une aberration, je parle de d'autres pays — et, depuis un an, depuis que je me suis lancé dans le livre, les exemples se sont multipliés : en Espagne, en Italie, en Allemagne. On nous parle toujours de l'Allemagne. Angela Merkel, la chancelière allemande, qui n'était quand même pas un deux de pique, elle a manoeuvré pendant des mois, pendant des mois, pour essayer de se constituer un gouvernement un tant soit peu stable, et puis elle a baissé pavillon, puis elle a annoncé son retrait à cause de ça. Je veux rester nuancé, on n'est pas entre l'horreur absolue et... S'il n'y avait pas l'affaiblissement de la majorité francophone québécoise — puis ça, je vous le rappelle, parce que je trouve qu'on l'oublie un peu trop au Québec, puis les jeunes ne sont peut-être pas conscients de ça — ma position serait peut-être moins tranchée. Mais, moi, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'en termes de force — je ne parle pas de légitimité, là, en termes de force — il n'y a rien de plus fort qu'un gouvernement majoritaire d'un régime britannique.

Et, pour terminer, notre système, si critiqué, a quand même permis l'émergence de deux nouveaux partis : la CAQ, dont vous faites partie, Mme la ministre, et Québec solidaire. Les deux gagnants de la dernière élection, ce sont deux nouveaux partis, ce qui montre que notre mode de scrutin n'est pas réfractaire à l'apparition de nouvelles forces. Et, pour terminer, justement parce qu'on entre dans une époque... on vit une rupture, bon, il y a une tendance à l'effritement du pouvoir, je suis d'accord avec vous, mais je trouve qu'au Québec, le pouvoir québécois... je pense, il ne faut pas encourager cet effritement du pouvoir là, ce n'est pas... puis on va être les seuls au Canada à faire ça, madame, il n'y a personne d'autre qui va faire ça. On va être les seuls à faire ça, il y a juste nous qui faisons ça, je trouve ça imprudent, mettons que je veux être très, très, très modéré, je trouve que, le moins qu'on puisse dire, ce n'est pas très prudent.

Mme LeBel : Alors, merci pour votre modération de fin de course, M. Dufour. Je n'ai pas d'autre question.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay (LaFontaine) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Dufour, heureux de vous accueillir.

J'ai une réponse, moi, pour Mme la ministre, qui vient de dire — je la paraphrase, mais en substance, c'est ce qu'elle a dit : En quoi les gouvernements minoritaires sont plus faibles? En quoi les gouvernements minoritaires sont plus faibles? Bien, les gouvernements minoritaires sont plus faibles, ils ne pourraient pas passer quatre bâillons en moins de huit mois, puis ça, c'est un fait. Et le premier ministre... et la CAQ qui nous dit : Vous serez sous une gouverne de coalition, d'écoute, de consensus, de considération. Le premier ministre n'arrête pas, matin, midi, soir — puis on va en faire les frais demain, à partir de 8 heures jusqu'à tard aux petites heures, demain, d'un quatrième bâillon en moins de huit mois — le premier ministre dit : Moi, 37 % de la population m'a élu pour faire ce que je veux faire, je le fais, j'ai un mandat suffisamment fort. Donc, déjà là, il y a une contradiction énorme. Le premier ministre ne pourrait pas faire quatre bâillons en moins de huit mois sous un tel système proportionnel, et il dit qu'il a besoin de ça, puis c'est son mandat et qu'il doit le remplir. Alors, déjà là, à la ministre, très clairement, question toute simple de la ministre : En toute bonne foi, en quoi un gouvernement minoritaire est plus faible? Bien, en ça.

J'ai beaucoup de petits points, M. Dufour, à discuter avec vous, alors je vais essayer de garder mes questions courtes pour qu'on puisse aborder différents éléments. Vous avez — et j'ai lu votre livre attentivement — une perspective historique et sociologique quant au Québec, Québec société distincte, Québec qui vit dans un univers où, tout autour, il y a des gouvernements qui ont des mandats forts, des gouvernements qui sont sur des systèmes qui permettent d'élire des mandats forts. On nous a beaucoup cité, ici, la citation de René Lévesque, au début des années 70, à l'effet que le système actuel était «démocratiquement infect». Mais «démocratiquement infect», lorsque ça a été prononcé dans le contexte des années 70 et 73, où à peu près 23 % et 30 % des votes lui donnaient six, sept députés, bien, en 1976, 41 % des voix, gouvernement majoritaire, et en 1981, 49 % des voix, gouvernement majoritaire. Ça, ce n'était plus le système «démocratiquement infect» et qui a permis au premier mandat de René Lévesque de passer de grandes lois québécoises : la loi 101, la loi sur les consultations populaires, le financement des partis politiques, et ainsi de suite.

Alors, ça, c'est réellement important aussi, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, de ne pas faire la dichotomie, là, être binaire, de dire : Bien, il y a le grand pas qu'on pourrait faire faire, au Québec, avec le mode de scrutin et le statu quo. Je suis avec vous à 100 % quand vous dites que nous devrions analyser ce que l'on considère le statu quo comme étant, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, un outil formidable qui a fait du Québec, aujourd'hui, une société forte, une société ouverte, confiante en elle-même puis qui a tous les moyens de son développement. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur la réhabilitation ou la prise de conscience que, finalement, le système actuel a bien servi les Québécois.

M. Dufour (Christian) : Merci. Je suis d'accord avec ça. J'ai écrit un livre pour essayer de démontrer ça. Le système actuel, d'abord, les Québécois se le sont approprié, on n'en a pas connu d'autres. Et je trouve que... toute la démagogie sur le fait que c'est un héritage du colonialisme britannique, je trouve ça d'une superficialité incroyable. C'est vraiment ne pas connaître l'histoire que de ne pas voir que la France de l'ancien régime n'était pas démocratique. Toutes les institutions démocratiques, désolé, là, c'est d'origine britannique, puis le Québec serait-il indépendant qu'il n'y a rien qui serait changé à ça, et ça a joué... J'ai une analyse de la conquête qui est nuancée. Il y a eu un aspect destructeur dans la conquête, mais il y a eu un aspect en partie... et moi, je défends les institutions britanniques.

Le mode de scrutin actuel, il n'est pas parfait, mais il tient très bien la route, et les résultats de la dernière élection l'ont démontré de façon éclatante, parce qu'il permet la formation de gouvernements forts. On n'est pas indépendants, il y a bien des gens qui ont du chagrin pour ça, mais au moins on a un système qui nous donne des vrais premiers ministres puis des vrais gouvernements, puis je ne vois pas pourquoi on renoncerait à ça. Est-ce qu'on veut finir comme une tribu, les Québécois? Bon, donc, ça, je trouve que c'est très, très important. Et l'autre point... excusez, là, votre autre point, mais...

M. Tanguay (LaFontaine) : ...pu permettre aussi, j'allais là-dessus, l'émergence, vous l'avez mentionné, de nouveaux partis, la CAQ et Québec solidaire ont pu émerger lors des dernières élections, et que le système en place, il ne faut pas le voir comme étant nécessairement une machine à bipartisme.

M. Dufour (Christian) : ...René Lévesque, ça, c'est important, René Lévesque, parce que moi, je suis né en 1950, j'avais 20 ans en 1970, je m'en souviens, moi, puis j'ai voté pour le Parti québécois en 1970 puis en 1973, puis je me souviens du contexte. Je trouve, c'est honteux, ce qu'on fait dire à René Lévesque, c'est honteux, hein, parce qu'en 1970, là, rappelons l'histoire, là, le Parti québécois, c'était la force émergente, comme Québec solidaire aujourd'hui, jusqu'à un certain point, avec plus d'enthousiasme, si vous me permettez, et en 1970, donc, le PQ réussit à avoir 23 % des voix, puis on a sept députés. Ça nous a rendus malades, on se disait : Beurk! Le système, ça ne marche pas, ça ne marche pas. Trois ans après, le PQ monte à 30 % des voix, puis on a six députés, on baisse d'un député, et c'est là que, là, René Lévesque a dit ce qu'on pensait tous, ce que moi, je pensais, tous aussi, on disait : Ça n'a pas d'allure, ce système de fou là, hein? Puis, comme vous l'avez dit, trois ans après, bien, le PQ prend le pouvoir avec 41 % des voix puis fait la Révolution tranquille... bien, il complète la Révolution tranquille que les libéraux avaient commencée avec la Charte de la langue française, tout ça. Et M. Lévesque n'a pas beaucoup fait d'efforts, après, pour le réformer, le mode de scrutin. Je ne sais pas si vous avez noté, là, il a eu deux gouvernements majoritaires, puis ça n'a pas été sa priorité.

Moi, je suis convaincu qu'avec un mode de scrutin proportionnel, on n'aurait pas eu de Charte de la langue française, hein, on n'aurait pas eu la Loi sur la laïcité, ça me semble assez évident, on n'aurait pas eu de mesures controversées. On aurait des mesures mollassonnes, consensuelles, parce qu'on discuterait, on placoterait, on serait dans les compromis. Mais des mesures fermes... Vous savez, la Loi sur la laïcité, qu'on soit pour ou contre, il fallait l'imposer, hein, et je trouve que ce n'est pas dans une dynamique proportionnelle qu'on veut ça, parce qu'une dynamique proportionnelle, c'est une dynamique qui se veut gentillette, intellectuelle, c'est la vertu. Les sondages le montrent, hein, quand il y a des sondages, les gens sont pour la proportionnelle. Alors, comment être contre la vertu, hein, c'est...

Donc, René Lévesque, je trouve... que Dieu ait son âme, là, mais je trouve que c'était dans un contexte très spécifique qu'il a dit ça. Et moi, j'aimerais peut-être que ceux... les militants pour la proportionnelle ont des arguments qui peuvent se défendre, mais, franchement, l'argument de René Lévesque est du colonialisme. C'est tellement superficiel, cet argument-là.

M. Tanguay (LaFontaine) : ...en quatre minutes qu'il me reste, on pourrait en parler très longuement avec, effectivement, des exemples à l'appui. Vous avez parlé de Jean Lesage, Révolution tranquille, les premiers mandats de René Lévesque, et ainsi de suite, et aujourd'hui le premier ministre de se dire : Bien, je peux faire quatre bâillons en huit mois, puis ça, je fais avancer le Québec, chose qu'il ne ferait pas et qu'à l'époque les autres n'auraient pas pu faire.

Trois points, de façon efficace, en moins de quatre minutes. Vous effleurez, dans votre livre... pas vous l'effleurez, vous l'abordez, sur les deux classes de députés, éloignement, surtout en région, des députés et des citoyens. J'aimerais vous entendre là-dessus, parce qu'on semble nier, puis je ne vise pas personne, là, dans le débat, ou on ne semble pas mettre — je vais dire ça positivement — suffisamment l'emphase sur le fait que, de facto, un député de liste, de la manière dont il est élu, la manière dont il sera désigné par son parti politique, à portes closes, versus les députés de circonscription, qui, aussi, devront aller sur le terrain pour se faire élire, dans les faits, on a deux classes, deux types de députés, et ça, ce n'est pas anodin.

En Abitibi, on va dire : Bien, vous avez le même nombre de députés, vous en avez trois, mais on va faire deux grands comtés que les deux élus de circonscription devront parcourir et courir, puis il y en aura un régional qui devra courir l'entièreté de la région. Donc, on passe de trois députés qui ont chacun leur tiers à trois députés qui ont une part énorme territoire, population, et ça, ce n'est pas anodin.

• (15 h 30) •

M. Dufour (Christian) : Je suis d'accord avec vous. Mon collègue Louis Sormany, avec lequel j'ai travaillé de concert beaucoup dans ce dossier-là, a focalisé sur cet aspect-là régional, les deux types de députés. Il comparaît dans une heure, donc il va pouvoir vous parler de ça encore plus que moi, mais je voudrais quand même répondre un peu. C'est vrai que le système actuel, il a un côté groundé, si vous me permettez l'expression, enraciné dans le territoire, hein? Un député, là, c'est un personnage local important. Les régimes proportionnels, c'est plus intellectuel, c'est plus des constructions de l'esprit. Donc, c'est pour ça que ça peut satisfaire les gens qui trouvent qu'il faut que ça soit juste, il faut que ça soit esthétique ou que ça soit beau, mais, en pratique, il y a un éloignement assez clair, en fait, des représentants par rapport à leurs commettants, les comtés vont être plus grands. Suite à la publication de mon livre, j'ai eu quand même plusieurs députés qui sont entrés en contact avec moi, de région, puis qu'ils... c'était «off the record», puis que, souvent, c'étaient des députés péquistes ou caquistes, là — puis il y a la discipline de parti — qui étaient très préoccupés par ça, en disant : Ce n'est pas réaliste, ce n'est pas concret.

Moi, je crois que... Louis Sormany va vous en reparler plus, parce que je ne veux pas parler de ce que je ne maîtrise pas assez, mais je crois que le problème d'un système proportionnel, c'est que ce n'est pas plus démocratique que le mode actuel, ce l'est moins, parce que ça transfère du pouvoir qui est détenu, actuellement, par les citoyens, ça le donne, d'une part, à des experts et, d'autre part, à des appareils de parti.

M. Tanguay (LaFontaine) : Deux points rapides. L'avant-dernier point, vous dites, dans votre livre, à la page 110 : «Ce qu'il faut retenir, c'est que [ça] rendrait l'ensemble des députés encore plus dépendants des partis qu'ils ne le sont actuellement.» Et vous ciblez, bien évidemment, les 45 députés qui seront désignés par les bonzes du parti, à portes closes, sur la liste, ça va les rendre encore plus dépendants des partis, et ça, vous le notez, ce n'est pas anodin.

M. Dufour (Christian) : Puis ils le sont déjà beaucoup, les députés, actuellement. Dans mon livre, j'ai écrit une section sur les députés parce que moi, je valorise beaucoup les députés, ça m'émeut même d'être ici, parce que vous avez un statut particulier, vous êtes les gardiens du pouvoir québécois, je trouve, les députés. Et, dans ce sens-là, c'est vrai que, si on veut les rendre plus dépendants, forcément... surtout les députés de région, là, c'est évident qu'ils vont être plus dépendants des... C'est la dynamique, et c'est une dynamique qui est très profonde, il faut résister à ça. Dans ce sens-là, c'est vrai que je peux être conservateur, Mme la ministre le soulignait, mais c'est un conservatisme de bon aloi, hein? Je trouve que c'est bien beau, le progressisme, puis le progressisme, puis la parité, puis la réingénierie de la société, là, mais il y a des choses, vous savez, qui sont issues du passé qui sont bonnes, qui ont fait leurs preuves, et nos bons vieux députés — vous en êtes, des bons vieux députés, dans le bon sens — bien, je trouve que ça tient la route, quelque part, il y a une humanité, il y a un côté concret. La proportionnelle, c'est une construction de l'esprit, en partie, hein?

M. Tanguay (LaFontaine) : Dernier point, dans les quelques secondes qui me restent, que vous n'aurez pas le temps de commenter, mais j'ai souligné, pages 134-135 de votre livre, que vous faites une distinction... parce qu'on nous dit beaucoup : Ah! ça, c'est attendu par le peuple, c'est demandé par le peuple, pressez-vous à l'adopter, ce projet de loi là, c'est voulu, c'est attendu, puis ne vous cassez pas la tête. Vous dites : Attention, il faut faire une distinction entre trois choses : l'élection du gouvernement, le 1er octobre, sous cette entente-là, et les partis, les sondages, et les résultats d'un référendum. C'est trois choses que l'on ne peut pas amalgamer.

M. Dufour (Christian) : Oui, parce que les gens ont autre chose à vivre que la proportionnelle, hein, le monde ordinaire, puis pas dans un sens péjoratif, là. Jusqu'à présent, moi, je trouve que... vous allez trouver ça peut-être dur, mais je trouve qu'il y a une tentative de coup de force, dans ce dossier-là, par des élites, par des sondages, et ça, ça m'inquiète un peu.

Mais je trouve que, quand on dit que les gens veulent la proportionnelle... Je sais qu'il y a une coalition, là, pour la proportionnelle, maintenant, qui prétendait représenter 2 millions de personnes. Aïe! Soyons sérieux, là, est-ce que vous pensez que les Québécois veulent la proportionnelle comme ça? Ce n'est pas sérieux, tu sais.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Gouin, s'il vous plaît.

M. Nadeau-Dubois : Bonjour, M. Dufour. Vous l'avez reconnu vous-même, votre discours n'est pas modéré, mais il a le mérite d'être clair, et ça, c'est le moins qu'on puisse dire.

Vous parlez beaucoup de force, du pouvoir québécois, mais en fait — puis, par moments, vous le reconnaissez vous-même — vous parlez moins, si je vous comprends bien, de la force du pouvoir québécois que de la force du gouvernement québécois, c'est-à-dire du pouvoir exécutif québécois. Et, je vais vous dire, en toute sincérité, ça me surprend pour un nationaliste, parce que je pense que vous vous définissez comme nationaliste, puisque la Société Saint-Jean-Baptiste, quand elle est venue nous voir, nous a fait précisément l'argument inverse. La Société Saint-Jean-Baptiste nous a dit — j'étais d'accord avec elle — qu'en fait une représentation plus proportionnelle, ça ne rend pas le gouvernement plus faible, ça le rend plus redevable. À l'égard de qui? À l'égard de l'Assemblée nationale et des députés, dont vous venez tout juste de faire l'éloge. Un gouvernement où il y a plus de redevabilité envers l'Assemblée nationale, c'est un gouvernement qui est plus redevable envers l'institution qui est au coeur de notre culture politique, l'Assemblée nationale du Québec, et ça aussi, ça nous distingue du reste du Canada.

Alors, je me surprends, comme nationaliste, de vous entendre vouloir valoriser tant le pouvoir exécutif, qui est un pouvoir — puis là-dessus mon collègue de l'opposition officielle a raison de le dire — qui a autant une capacité d'écraser le pouvoir législatif, qui est le pouvoir des députés, qui est le pouvoir de l'Assemblée nationale du Québec.

Donc, j'aimerais ça que vous m'expliquiez pourquoi vous êtes en désaccord avec cet argument qui, si vous le voulez, pour les bienfaits de notre exercice, n'est pas le mien, mais celui de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui nous disait : Un des grands bienfaits d'une réforme du mode de scrutin, c'est de revaloriser, de redonner du pouvoir à l'Assemblée nationale du Québec, qui est le coeur battant, en fait, de la majorité francophone québécoise.

M. Dufour (Christian) : Oui, je suis censé rencontrer M. Laporte mardi, parce que ce n'est pas les... les gens de la Société Saint-Jean-Baptiste ne sont pas à l'unisson dans ce dossier-là. La position de M. Laporte n'est pas partagée par tout le monde.

Mais je ne suis pas sûr de comprendre les subtilités de votre argument. Moi, c'est assez simple, mon affaire, là, c'est qu'il y a un équilibre entre l'aspect représentation, hein, le pouvoir législatif, puis l'aspect gouvernance, le pouvoir exécutif. Et, si tu vas trop loin dans un sens, tu affaiblis l'autre, c'est aussi simple que ça. Et, moi, ce que je défends, ce n'est pas le pouvoir exécutif, c'est le pouvoir québécois au sens le plus large, hein, c'est le pouvoir du seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone en Amérique. C'est ça que je défends.

Il y a un équilibre dans nos institutions, c'est vrai. Moi, je trouve que cet équilibre-là me va. On pourrait le sophistiquer, le raffiner, mais là, les gens qui sont pour la proportionnelle, ce qu'ils proposent, quelque part, c'est une... là, vous allez trouver que je ne suis pas modéré, mais je le pense, c'est comme une révolution, un peu, hein, c'est un changement de culture très, très profond, là. On ne demande pas une amélioration du système par la bande, puis c'est vrai qu'il faut l'améliorer. Il y a un tas de mauvais côtés à la proportionnelle, on aurait plus de mauvais côtés, mais là on nous propose vraiment un saut dans l'inconnu puis on veut vraiment un changement de culture complet. Donc, moi, ça ne m'intéresse pas, un changement de culture complet, parce que je trouve que notre gouvernement tient bien la route. Le gouvernement Legault tient bien... Vous savez, les libéraux, les gens étaient tannés, bon, bien, on les a mis dehors. Puis là on a un gouvernement Legault, qui n'est peut-être pas parfait, mais qui nous satisfait pendant un certain temps. Puis, dans quatre ans, s'il y a une trop grosse usure, une alternance, peut-être que Québec solidaire, qui sait, un jour, hein...

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. Dufour. M. le député de Rimouski, s'il vous plaît.

M. LeBel : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Dufour. Les années 70, là, je ne me souviens pas vraiment, là, mais je me rappelle 1984, j'étais avec M. Lévesque à l'exécutif national, puis il y croyait toujours... il y avait toujours un projet qui était déposé, il y croyait toujours, à la proportionnelle, en 1984.

Vous parlez de folies, je vais dire : Depuis une semaine, on a rencontré beaucoup de monde fou, parce qu'il y en a plusieurs qui y croient encore, qui y croient, à la proportionnelle, qui veulent arriver à un projet qui va faire en sorte que chaque vote compte.

Je partage, par exemple, votre sentiment que, le Québec, là, on est un peu... on a des choses à défendre, on est un peu... mais c'est un peu sur la défensive, je trouve. C'est comme si c'était un prix de consolation, de garder notre Parlement comme il est là, parce que... pour se protéger. Est-ce qu'on peut se projeter plus loin?

Des gouvernements forts, ça ne nous a pas empêchés... Là, il y a un gouvernement fort, puis le fédéral va nous contester sur la loi n° 21, on a des motions unanimes à tout bout de champ, avec un gouvernement fort, mais ce n'est pas plus écouté par le fédéral, ça fait que ça ne change rien, à mon avis.

Puis le pouvoir franco, moi, ce que j'ai vu, les francophones, surtout, des régions... Il n'y a pas si longtemps, j'avais cinq comtés dans le Bas-du-Fleuve, là il y en a trois. On a perdu beaucoup de pouvoir, les francophones des régions, depuis années, avec le système actuel. Ce qu'on est en train de proposer là va protéger notre pouvoir en région. On est en train de... C'est un projet qui est fait un peu pour ça.

Moi, je pense qu'on est rendus à faire ce changement de culture. Vous parlez de la culture, mais, dans le Parlement, je le vois, il y a un changement culturel, l'arrivée des plus jeunes, ça a amené des changements de culture, de façons de faire de la politique, et je pense qu'on est mûrs pour cette réflexion-là.

M. Dufour (Christian) : Moi, en tout respect, je suis désolé que le PQ se soit embarqué là-dedans, là, pour être franc...

M. LeBel : Je savais que vous alliez me dire ça.

M. Dufour (Christian) : ...parce que ça s'appelle le Parti québécois, en principe, hein, puis moi, je crois que ça va diluer le pouvoir québécois puis le pouvoir de la majorité francophone.

Quand vous parlez de «chaque vote compte», c'est une aberration, ça, de dire «chaque vote compte». Il n'y a aucun système qui va permettre que chaque vote compte. On est dans l'idéalisme, on est dans la morale. On n'est pas dans la politique, là, comme tel.

Pour les effets sur les régions qui sont fondamentaux — vous êtes un député de région — beaucoup de... je vous réfère encore à mon collègue Louis Sormany, qui va vous en parler, des effets là-dessus, que ce n'est pas vrai que ça va améliorer la situation des régions. Ça va la rendre... Et, quand vous dites — en tout respect, M. LeBel, je vous trouve résigné : Au fond, on est rendus là, on n'a pas le choix... Bon, c'est sûr que ce n'est pas un miracle.

M. LeBel : ...que j'ai dit.

M. Dufour (Christian) : Pardon?

M. LeBel : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Dufour (Christian) : En tout cas, je m'excuse, à ce moment-là, je ne veux pas...

M. LeBel : J'ai dit qu'il y a un changement culturel, et il y a quelque chose qui est en train de se passer, puis je trouve ça positif.

M. Dufour (Christian) : Mais je trouve que, des fois, il faut résister un peu au changement, hein, parce que ce n'est pas tous les changements qui sont bons, aussi. Et je ne prétends pas que le mode de scrutin actuel, c'est merveilleux puis que ça règle tous les problèmes, mais ce que je dis, c'est que, si on le perd, on va le regretter parce qu'on va voir qu'il y a des problèmes qu'on n'avait pas qu'on va se mettre à avoir. Il faut être très... On est une minorité. La majorité francophone québécoise, elle est majoritaire au Québec, mais faut-il rappeler qu'elle est très minoritaire partout dans le reste... — je m'excuse de radoter — qu'elle a perdu deux référendums, qu'il y a une loi constitutionnelle de 1982, qu'il y a une cour suprême, qu'il y a une charte des droits, qu'on n'est pas société distincte, qu'on n'est pas indépendants. Je sais que ça peut faire lourd, mais ça, c'est...

Le Président (M. Bachand) : Merci.

M. Dufour (Christian) : Donc, il y a de quoi être un peu conservateur, vous ne trouvez pas?

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

M. Dufour (Christian) : Vous ne trouvez pas qu'il y a de quoi être un peu conservateur...

Le Président (M. Bachand) : O.K. S'il vous plaît...

M. Dufour (Christian) : ...de garder ce qu'on a au moins?

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît, M. Dufour, Mme la députée de Marie-Victorin a la parole, s'il vous plaît. Merci.

Mme Fournier : Merci, M. Dufour. J'ai lu votre livre, je vous lis, aussi, assidûment dans tous les articles d'opinion que vous rédigez et que vous publiez, je considère que vous soulevez des éléments légitimes. Cependant, je suis en profond désaccord avec votre argumentaire, puis je vous explique pourquoi.

• (15 h 40) •

En fait, je nous ramène dans le temps : 2013, le Parti québécois est au pouvoir, minoritaire, mais il n'y a pas cette culture des gouvernements minoritaires, de la culture de collaboration, et le gouvernement décide de proposer la charte des valeurs québécoises. Il y a des mains qui sont tendues, par exemple de la Coalition avenir Québec, pour modifier certains éléments du projet de loi et le rendre plus consensuel, si on veut, mais le gouvernement décide de s'en tenir à sa position, déclenche des élections, notamment sur cette question-là, et finalement perd les élections, et le projet se retrouve aux calendes grecques. Finalement, il faut attendre 2019, avec l'élection de la Coalition avenir Québec, pour qu'un nouveau projet de loi sur la laïcité soit soumis à l'Assemblée nationale, un projet de loi qui correspond, à toutes fins pratiques, au projet de loi qui aurait été consensuel en 2013. Alors, bien respectueusement, je vous soumets que, s'il y avait eu un gouvernement minoritaire avec une culture de collaboration en 2013, bien, le Québec aurait pu avoir une loi sur la laïcité beaucoup plus tôt, six ans plus tôt, en fait, avec un système de la sorte, donc je considère que ça permet, en fait, d'avoir des grandes lois et de façon peut-être encore beaucoup plus efficace, avec une plus grande collaboration des membres de l'Assemblée nationale.

M. Dufour (Christian) : Bien, vous avez raison que ça a été une grosse erreur, je trouve, pour le Parti québécois, à l'époque, de ne pas accepter la main tendue de la CAQ, j'en conviens là-dessus, mais il a fallu quand même un gouvernement majoritaire caquiste pour aboutir.

Ce que je vous répondrais, c'est que, bon, que vous préfériez plus de collaboration, bon, c'est difficile de s'opposer à ça, mais moi, je trouve que la politique, c'est quand même un combat, là. Depuis la Grèce antique, là, depuis l'homme des cavernes, je pense, la politique, c'est un combat, c'est une confrontation, et il y a des limites à l'angélisme puis, vous savez, les discussions. On peut peut-être... Je ne suis pas en train de vous dire que les gouvernements minoritaires, ça ne marche jamais, puis j'aurais préféré, moi, que le PQ ait la sagesse d'accepter la main tendue, et tout ça, mais il reste que ça ne s'est pas fait, puis ce n'est pas parce que Mme Marois était méchante, la première... je ne sais pas... la première ministre, c'est que ce n'est pas dans notre culture, c'est très enraciné, et ça ne changera pas comme ça, et c'est...

Mme Fournier : Mais, justement, avec un changement du mode de scrutin, je vous soumets que la culture politique va changer. On le voit un peu partout où est-ce que c'est implanté, il y a des ententes ponctuelles qui sont faites sur les projets de loi. Mais reconnaissez-vous que, s'il y avait eu ce genre d'entente en 2013, on aurait eu une loi sur la laïcité?

M. Dufour (Christian) : Ça, je le reconnais aisément et je pense que la culture politique changerait, mais pas nécessairement dans le bon sens. Et aussi, ne soyons pas angéliques, ça fait... Les Québécois... Là, nous, on est des intellectuels, vous êtes des députés, vous êtes... mais le Québécois — puis pas dans un sens péjoratif, populiste, là — enraciné, là, ça fait 200 ans qu'il est dans ce système-là, là, hein, qu'il est dans une dynamique politique ancienne de type britannique. Même si ça déplaît à quelqu'un, ça ne se change pas de même, ça ne se change pas de même.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, M. Dufour, merci beaucoup de votre participation.

M. Dufour (Christian) : Ça m'a fait plaisir. Merci de m'avoir écouté.

Le Président (M. Bachand) : La commission suspend ses travaux quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 15 h 42)

(Reprise à 15 h 45)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission continue ses travaux.

Alors, je souhaite la bienvenue à M. Brian Tanguay, professeur au Département de science politique de l'Université Wilfrid-Laurier. Alors, M. Tanguay, vous avez 10 minutes de présentation, et après ça on aura une période d'échange.

M. Brian Tanguay

M. Tanguay (Brian) : C'est à moi?

Le Président (M. Bachand) : Alors, à vous la parole.

M. Tanguay (Brian) : C'est bon?

Le Président (M. Bachand) : Oui, c'est bon.

M. Tanguay (Brian) : Vous m'écoutez? Bon, merci bien pour m'avoir invité de paraître ici. Je dois dire qu'en 2003 j'ai été embauché par la Commission du droit du Canada pour écrire la première ébauche du rapport Un vote qui compte : la réforme électorale pour le Canada, qui représentait la culmination d'un long processus de consultations publiques et de recherche scientifique. Le rapport, qui a été soumis au gouvernement canadien en avril 2004, a recommandé un système électoral mixte compensatoire un peu semblable à celui utilisé en Écosse, Allemagne et la Nouvelle-Zélande, actuellement. Je ne vais pas reproduire ici les raisons pour lesquelles la Commission du droit est arrivée à ces recommandations pour crainte de gaspiller le temps de tout le monde, et je n'ai que 10 minutes pour faire mes remarques.

Donc, en lisant le projet de loi n° 39, je me suis dit que, si moi, Brian Tanguay, avais eu la chance d'esquisser un modèle de réforme électorale, un système alternatif au statu quo, ça ressemblerait beaucoup à celui décrit dans le projet de loi. Il ressemble, dans ses grands traits les plus importants, à celui recommandé par la Commission du droit il y a 16 ans, et donc je dis : Bon travail, excellent.

Même si je soutiens le système électoral mixte compensatoire décrit dans le projet de loi, j'ai deux «reservations» assez importantes. Premièrement, les 17 régions utilisées pour les listes et sièges compensatoires sont vraiment très, très diverses, surtout du point de vue de la population. Avoir deux régions qui sont trois ou quatre fois plus grandes que les autres pourrait, en fin de compte, et certainement après deux ou trois cycles électoraux, soulever des questions parmi les électeurs eux-mêmes en ce qui concerne l'équité de leur vote. Il vaut mieux, à mon avis, chercher de créer des régions plus proches l'une de l'autre en termes de la population.

Il y a deux façons ou options pour procéder : soit on réduit le nombre de régions pour créer à peu près 10 régions plus grandes — dans ce cas, les résultats électoraux seront plus proportionnels, puisque, toutes choses égales, ceteris paribus, plus grande la région compensatoire, plus proportionnels, les résultats; soit, en contraste, on pourrait diviser les grandes régions telles Montréal pour créer plus de régions plus petites — dans ce cas-ci, les résultats seront moins proportionnels, mais les régions seront plus proches aux électeurs du point de vue psychique, ce qui, dans mon expérience personnelle, lors de la campagne référendaire en Ontario en 2007, compte pour beaucoup.

• (15 h 50) •

Deuxième «reservation», et plus importante que la précédente, le projet de loi stipule qu'un parti, pour obtenir des sièges compensatoires, doit obtenir au moins 10 % des voix de liste à travers la province. Je comprends très bien que ce seuil est le produit d'un désir de faire des obstacles aux partis extrémistes, mais ce seuil est beaucoup trop élevé, pourrait produire des effets pervers tels que je signalais dans la version écrite en anglais de mes remarques. Et le plus important, c'est que ce n'est pas nécessaire. Ça représente une solution à un problème qui n'existe presque pas, car ce n'est pas le système électoral qui, lui-même, produit l'extrémisme ex nihilo, c'est beaucoup plus la société elle-même et les divisions au sein de cette société qui comptent. Si on regarde les expériences de la Nouvelle-Zélande, ou l'Écosse, ou même l'Allemagne, avec un système semblable à celui recommandé par ce projet de loi mais avec un seuil formel beaucoup moins élevé, on ne voit pas l'ingérence ou la prolifération des partis extrémistes ni la paralysie qui est produite par ces petits partis et leurs demandes irréalistes, qui fait peur à beaucoup de ceux qui opposent la réforme électorale. Un seuil formel de 5 %, donc, du vote de liste à travers la province serait suffisant d'obtenir les résultats désirés.

En guise de conclusion — j'ai été très bref — je voudrais souligner mon approbation pour la réforme esquissée dans le projet de loi n° 39, à part les deux «reservations» que je viens de noter. Et j'aimerais souligner aussi qu'il ne faut pas être obsédés par la recherche de la proportionnalité parfaite, comme, je pense, est devenu le cas avec certains tenants de la réforme électorale ailleurs au Canada, et c'est surtout le cas, à mon avis, avec Fair Vote Canada, avec laquelle j'ai travaillé depuis longtemps.

Les objectifs primordiaux sont d'abord de renouveler le discours politique public en facilitant la représentation de nouveaux courants d'opinions, de nouveaux partis dans la législature ici, au Québec, et, deuxièmement, de donner plus d'opportunités aux candidats venant des secteurs non traditionnels de la société, c'est-à-dire les femmes, les minorités, les peuples autochtones. Et c'est cette sorte de réforme qui pourrait faciliter cela, le statu quo ne suffit pas.

La réforme contenue dans le présent projet de loi, avec les deux modifications que j'ai indiquées, peut accomplir ces tâches avec facilité, et je dis «bonne chance», surtout, de mon point de vue, au Canada anglais, où les tentatives d'introduire la réforme électorale ont toutes échoué de façon assez désastreuse.

Le Président (M. Bachand) : Mme la ministre, s'il vous plaît.

Mme LeBel : Merci. Merci, M. le Président. Merci, M. Tanguay, de votre présentation. Je vais peut-être en profiter pour en parler un peu, de votre expérience personnelle, parce que vous avez fait quelques recommandations. Donc, je comprends que vous êtes pour une réforme d'un mode de scrutin, tel qu'on le propose, avec améliorations, naturellement, mais, à la base, vous pensez qu'on s'en va vers un bon système, là, pour les voteurs.

M. Tanguay (Brian) : Exactement, oui.

Mme LeBel : Parfait. Je compare... Vous avez fait référence à l'Ontario, qui a essayé, également, d'introduire un tel système. On voit que ça a échoué pour d'autres raisons, mais ma question est la suivante... puis peut-être vous allez... Et vous avez travaillé, également, au niveau canadien pour la réflexion sur un tel... d'introduire un mode de scrutin proportionnel mixte, c'est exact?

M. Tanguay (Brian) : Oui.

Mme LeBel : Parfait. On a eu une discussion, précédemment, avec la personne qui vous précédait, sur le fait que le Québec est une province, n'est pas un pays, et qu'on fait partie d'une fédération. Est-ce que l'Ontario avait cette préoccupation-là, également, d'affaiblir sa position au sein de la fédération? Parce qu'un mode de scrutin proportionnel mixte donne nécessairement, de facto, des gouvernements plus minoritaires ou des gouvernements de coalition, c'est un fait. Est-ce que cette préoccupation-là existait? Puis qu'est-ce que vous en pensez, vous? Est-ce que vous pensez que le Québec, s'il passait à un tel mode de scrutin, affaiblirait sa position au sein de la fédération?

M. Tanguay (Brian) : Je suis complètement en désaccord avec M. Dufour. Je ne pense pas que ça soit le système électoral ni même le fait qu'il y a des gouvernements de coalition qui affaiblirait le Québec. Si on regarde Angela Merkel, par exemple, est-ce qu'elle est moins puissante, moins efficace puisqu'elle est en tête d'un gouvernement de coalition? Non, c'est une question de leadership. Et je trouve cela, la recommandation de Christian Dufour dans son livre, peu convaincante. Je ne pense pas que le Québec se trouve dans une situation affaiblie s'il y a, dans l'avenir, des gouvernements de coalition. C'est une question de leadership, en fin de compte.

Mme LeBel : Dans les discussions qui ont lieu... qui ont eu cours en Ontario, à l'époque, je pense que c'est autour de 2007, si je ne me trompe pas, est-ce que cette notion-là... Je comprends qu'il y a eu plusieurs débats, des pour et des contre la réforme, mais, dans le camp des contre, est-ce que cette idée d'affaiblissement de l'Ontario face au fédéral était quelque chose qui circulait?

M. Tanguay (Brian) : Non, pas du tout. Les problèmes, en Ontario, étaient grands. D'abord, il n'y avait pas assez de temps pour réfléchir, c'était une sorte de cédule assez compressée. Deuxièmement, il y avait une campagne assez efficace, campagne populiste, donc les critiques soulevées contre la réforme étaient plutôt... D'abord, il y avait une recommandation d'élargir la législature en Ontario, et ça, c'est venu après le gouvernement de Mike Harris, le gouvernement progressiste-conservateur, qui a passé une loi qui était «Fewer Politicians Act», O.K.?

Mme LeBel : Moins de politiciens?

M. Tanguay (Brian) : Donc, ça a réduit le nombre de représentants en Ontario pour faire l'équité entre le niveau fédéral et le niveau provincial. Et on peut deviner, à cause du titre de la loi, «Fewer Politicians,» c'était... il y avait toutes sortes d'images associées avec la classe politique, images assez malsaines. Et donc, lors de la campagne, j'ai reconnu que beaucoup de monde n'aimait pas le fait que la législature ontarienne serait grandie par une trentaine de sièges, il y avait une opposition à cela.

Il y avait aussi beaucoup de confusion à propos de la réforme proposée. Ça, à mon avis, était un produit du fait que le gouvernement lui-même était à contrecoeur. Dalton McGuinty, le premier ministre en Ontario à l'époque, n'aimait pas l'idée d'un nouveau système électoral. Il y avait peu de membres du cabinet qui soutenaient la réforme. Il y avait une sorte de confusion parmi beaucoup de partis politiques. Même le parti néo-démocrate, qui devrait être en faveur de la proportionnalité, n'était pas très public avec ses pensées. Donc, pour ces raisons, la réforme a échoué de façon assez spectaculaire, d'ailleurs.

Mme LeBel : O.K. Et il n'y avait pas de projet de loi concret qui était sur la table. C'était l'idée de savoir si on voulait faire une réforme, mais il n'y avait pas de projet de loi concret tel qu'on le présente, nous, ici, au Québec, là.

M. Tanguay (Brian) : Exactement. Il y avait le rapport de l'assemblée des citoyens, mais je sais de ma propre expérience que c'était difficile de trouver ce rapport. Il n'y avait pas suffisamment de rapports. Lors de l'été, il y avait beaucoup de monde qui me demandait : Où est-ce que c'est, ce rapport? Comment est-ce que je pourrais le lire? Donc, du point de vue de l'éducation du citoyen, de l'électeur, c'était une faillite en Ontario.

Mme LeBel : O.K. Vous faites deux recommandations principales pour bonifier la proposition gouvernementale présentement sur la table. Une de ces recommandations-là est de soit regrouper certaines régions pour en diminuer le nombre, soit les fractionner pour en augmenter le nombre.

M. Tanguay (Brian) : Oui.

Mme LeBel : J'imagine que l'objectif principal de cette recommandation-là et le motif principal est d'obtenir une plus grande proportionnalité.

• (16 heures) •

M. Tanguay (Brian) : À mon avis, oui, mais je comprendrais très bien si on voudrait aller en sens inverse pour agrandir le nombre des régions, et c'est la raison pour laquelle que j'ai indiqué que, pour moi, maintenant, à l'époque, ce n'est pas la proportionnalité en elle-même qui compte le plus, c'est le fait même de réformer le système électoral. Je pense qu'au Canada ce débat est devenu la victime d'un processus de fétichisation, si je pourrais le dire. Le système est tellement important pour les tenants du statu quo que même essayer de réformer ce système est vu, est perçu comme étant assez extrême.

Donc, le débat, au Canada anglais, est devenu pour moi assez frustrant, et j'aimerais simplement qu'ici, au Québec, on réforme le système, on indique, on démontre aux gens que ce sont les citoyens qui comptent le plus, qu'ils peuvent changer leurs institutions sans que le résultat soit un cauchemar. Au Canada anglais, c'est présenté en des termes assez malsains comme ça, que réformer le système, ajouter un élément de proportionnalité produirait un cauchemar politique, avec des partis extrémistes, ce serait un peu semblable à la république de Weimar aux années 30, ou à l'Israël, ou à l'Italie de l'après-guerre. Ce sont tous des exemples utilisés communément par les opposants à la réforme.

Mme LeBel : Ce qui n'est pas le cas, finalement.

M. Tanguay (Brian) : Non, exactement. Il faut regarder l'expérience, surtout, de la Nouvelle-Zélande et l'Écosse, aussi l'Allemagne, mais c'est un système assez différent, je pense que c'est l'Écosse, la Nouvelle-Zélande, et, si on regarde ces deux cas, ça n'a pas produit un cauchemar, pas du tout. Mais d'ailleurs, de l'autre côté, ce n'est pas une panacée, ça ne représente pas le paradis électoral politique, mais ça pourrait réduire certaines pathologies dans notre système actuel. Et donc, pour ça, je regarde le fait même d'essayer de réformer le système électoral un pas en avant ici, au Québec, et pour les autres juridictions au Canada.

Mme LeBel : Mais ça va très certainement demander un changement de culture politique, un changement de mentalité, un changement de nos façons de faire, là.

M. Tanguay (Brian) : Oui, oui, tout changement des règles de jeu produirait un changement de mentalité, de culture, de comportement. Les partis politiques devraient, dans l'avenir, apprendre à collaborer au lieu d'avoir notre système «adversarial». Ce serait un changement assez majeur, mais pas la fin du monde, c'est simplement ce que j'aimerais dire.

Mme LeBel : Merci beaucoup. Merci. Je n'ai pas d'autre question.

M. Tanguay (Brian) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Bonjour, monsieur, bonjour, M. Tanguay. Oui, je vous écoutais, vous parliez de l'Allemagne. Bon, Mme Merkel a pris huit mois avant de former son gouvernement de coalition la dernière fois, mais l'Allemagne a quelque chose que ce projet de loi là ne semble pas avoir... bien, n'a pas, c'est justement, pour garantir une certaine stabilité, un encadrement des motions de censure. Est-ce que vous pensez que, dans ce projet de loi là, pour le bonifier, ça serait quelque chose d'important, un encadrement des motions de censure?

M. Tanguay (Brian) : Je n'ai pas vraiment réfléchi à cela. Et, si je pourrais esquiver un peu, je ne pense pas qu'il y ait des raisons pour ne pas avoir ce que vous voudriez, même si on réforme le système électoral. Donc, c'est, encore une fois, un simple amendement à la loi actuelle ou au projet de loi actuel.

Mme Robitaille : Qui pourrait bonifier, qui pourrait... Vous n'avez pas de position là-dessus?

M. Tanguay (Brian) : Non.

Mme Robitaille : Vous parliez, tout à l'heure, de la population, en Ontario, rébarbative au changement, et tout ça, le fait que c'était quand même, comme disait mon collègue, votre cousin lointain, M. Tanguay, député de LaFontaine, un bouleversement de... c'est un gros changement de culture pour nous, et tout ça, donc c'est des changements fondamentaux importants. L'idée d'un référendum, vous êtes d'accord avec un... Vous pensez que c'est important, un référendum?

M. Tanguay (Brian) : Moi, si, encore une fois, c'était moi pour faire la réforme, j'introduirais un nouveau système, et donnerais deux cycles d'élection, et après avoir un référendum confirmatoire. La raison pour laquelle je dis cela, c'est qu'une campagne référendaire, jusqu'ici... Donc, il y avait trois campagnes en Colombie-Britannique, trois dans l'Île-du-Prince-Édouard et une en Ontario, et toutes ces campagnes ne produisaient pas l'éducation nécessaire, pour le citoyen, pour l'électeur, de faire une décision informée, à mon avis. Et il y avait toutes sortes de... il y a beaucoup de raisons pour rejeter n'importe quel changement. Et les opposants de la réforme électorale avaient toutes sortes de critiques qui n'étaient pas liées, qui étaient fantastiques, parfois. Et moi, j'ai trouvé les campagnes électorales... pardon, référendaires peu satisfaisantes du point de vue de la démocratie, du point de vue du rôle qu'un référendum devrait faire dans un système politique. Ce n'était pas le cas, ce n'était pas un moment où la majorité des citoyens pouvait faire des décisions informées sur la réforme proposée.

Et il y a un livre rédigé par Ken Carty et d'autres qui regarde les expériences des assemblées citoyennes en Colombie-Britannique et en Ontario. Ça, c'étaient des moments de réflexion démocratique assez avancés dans un système semblable au nôtre, mais après la campagne référendaire, en quelque sorte, a échoué, ce moment démocratique où il y avait une éducation réelle.

Mme Robitaille : Donc, des moments démocratiques importants, où il faut quand même une pédagogie qui soit bien faite. Alors, je vous entends.

M. Tanguay (Brian) : Exactement. Mais ici, dans ce cas-ci, on a deux ans avant l'élection, avant le référendum. Ça, c'est beaucoup plus que c'était le cas en Ontario. Il n'y avait qu'un an, à peu près.

Mme Robitaille : O.K. Non, mais je vous entends : bien renseigner les gens, les informer parce que, de toute évidence c'est compliqué, c'est quelque chose de nouveau et ça va changer profondément la façon dont ils vivent leur démocratie.

M. Tanguay (Brian) : Oui.

Mme Robitaille : Donc, a fortiori, le faire... ou faire un référendum en même temps qu'une campagne électorale, ce n'est pas idéal, c'est ce que je comprends.

M. Tanguay (Brian) : Oui, ce n'est pas idéal, c'est ça. Exactement, exactement. Mais ici, au Québec, on a une chance de faire des choses meilleures, de façon meilleure, plus efficace qu'il ne l'était le cas ailleurs au Canada. Avec deux ans, avec une expérience dans la culture politique avec des référendums dans le passé, avec un comité de Oui et de «No» qui seraient bien structurés, je pense qu'il y a l'opportunité d'avoir un débat assez approfondi où l'éducation, la pédagogie pourrait se faire.

Mme Robitaille : Donc, un camp du Oui et du Non où, j'imagine, les élus ont une participation active.

M. Tanguay (Brian) : Oui.

Mme Robitaille : Le chef du gouvernement, le chef du parti au pouvoir qui propose le projet de loi devrait, selon vous, se mouiller, prendre...

M. Tanguay (Brian) : Oui, oui.

Mme Robitaille : C'est important pourquoi?

M. Tanguay (Brian) : Oui, puisque les électeurs regardent leurs chefs politiques, leurs partis politiques, les partis qu'ils soutiennent pour avoir des signes, des signaux. Et ça, c'était le cas en Ontario, il y avait tellement de confusion parmi les partis politiques eux-mêmes que c'était difficile pour le citoyen dit ordinaire de savoir ce que la position de leur parti était. Et il y avait cette tendance de dire : Bon, on va laisser cette question à la volonté des citoyens, et ça, c'était, comme on dit en anglais, «cop-out».

Mme Robitaille : Donc, le message que vous envoyez au gouvernement actuel, c'est : Prenez un camp ou assumez-vous, vous présentez le projet de loi, sautez dans l'arène, plongez, puis...

M. Tanguay (Brian) : Exactement, exactement. Cette idée qu'on va laisser la décision simplement aux citoyens, aux électeurs, c'est une fausse route. Ce n'est pas bon pour la démocratie, pour l'éducation, pour le référendum, pour la réforme.

• (16 h 10) •

Mme Robitaille : Oui, je vous entends, c'est presque un exercice vain, en fait. C'est comme promouvoir le statu quo ou dire : Ah! peut-être qu'on aime mieux le statu quo, oui.

M. Tanguay (Brian) : Exact.

Mme Robitaille : Vous dites, dans votre mémoire, puis vous en avez parlé brièvement... vous dites, dans votre mémoire, puis je vais lire en anglais, mais vous en avez parlé brièvement : «Designers of the proposed MMP system might want to think about either collapsing some of the regions to make fewer in total, or, alternatively, to split a couple of the larger regions, which might be too large for many voters to think of as "[neutral]".» Alors, soit, justement, pour un souci de proportionnalité, tant qu'à faire l'exercice, moins de régions, pour que ce soit plus proportionnel, pour que le compte se fasse mieux, ou aller carrément plus petit. C'est ce que vous dites.

M. Tanguay (Brian) : Oui, oui. Et, si la proportionnalité compte beaucoup comme objectif politique, il faut avoir des régions plus grandes.

Mme Robitaille : Mais là pour... et on en a parlé beaucoup, là, ici, pour le député, pour les députés, qu'ils soient de liste ou de circonscription, et le député de Rimouski le rappelle aussi, c'est immense, c'est des territoires immenses, c'est extrêmement difficile, pour les citoyens et puis pour le député, de représenter son monde. Est-ce qu'il n'y a pas une diminution... Comment on fait, justement, pour aller à l'encontre... pour guérir ce problème-là, si je puis dire?

M. Tanguay (Brian) : Oui, oui. Sans doute, il faudra avoir une division de travail entre les députés de région et les députés élus dans les circonscriptions. Et les députés de région pourraient agir au sein de ces circonscriptions plus grandes. Il n'y a aucune raison, à mon avis, pour laquelle le citoyen... pardon, le député élu avec 37 % des voix aura 100 %, un monopole de la représentation de quiconque circonscription, et donc il pourrait partager le travail avec les députés de liste. Mais il faut avoir, dans ce cas-là, une division de travail écrite, négociée entre les deux types de députés.

Mme Robitaille : Oui, mais ça, ça se ferait à l'ad hoc. Ça serait ad hoc, ou vous verriez une division claire?

M. Tanguay (Brian) : On pourrait... Il y a des choses semblables en Écosse, il y a des formes de partage, et donc il faut regarder ailleurs, en Écosse, en Nouvelle-Zélande, qui sont beaucoup plus petites que le Québec, oui.

Mme Robitaille : ...ce n'est pas du tout le mêm genre de...

M. Tanguay (Brian) : Mais ça pourrait donner une idée de comment procéder. Il faut avoir...

Le Président (M. Bachand) : Je vais céder la parole au député de Rimouski. M. le député de Rimouski, s'il vous plaît.

M. LeBel : Bonjour. Je vais continuer là-dessus, parce que, quand je parle de changement de culture, là, c'est un peu ça, puis on a de la difficulté à se le mettre dans la tête. Une circonscription comme la Côte-Nord, toute la région de la Côte-Nord, avec ce qui nous est proposé, il y aurait deux députés : un député de circonscription pour la Côte-Nord puis un député de liste pour la Côte-Nord. Ça fait que ça fait deux députés pour une grande région. C'est sûr que, là, actuellement, on travaille avec deux circonscriptions. Ça fait qu'il y en a une qui est à Sept-Îles, l'autre est à Baie-Comeau, et elles se partagent chacune leur région. Là, il faudrait arriver à faire en sorte que les deux... de temps en temps, un est à Sept-Îles ou les deux ensemble sont à Sept-Îles, des fois les deux ensemble sont à Baie-Comeau, ils se partagent, ils pourraient même se partager les bureaux de circonscription et... C'est une culture qu'on ne connaît pas, là, qui a changé, mais est-ce que c'est faisable?

M. Tanguay (Brian) : Je pense que c'est faisable, oui, mais ce n'est pas facile, mais c'est faisable avec la volonté politique. Il n'y a aucune raison pour laquelle ça ne pourrait pas se produire. C'est simplement une question... Ce n'est pas simple, là, mais c'est une question de volonté politique.

M. LeBel : C'est aussi une question de ressources. Est-ce que l'État devra... l'Assemblée nationale devra donner des ressources à ces députés-là?

M. Tanguay (Brian) : Oui.

M. LeBel : Moi, ma circonscription de Rimouski, si on la calque au fédéral... Là, actuellement, j'ai Rimouski, le Haut-Pays de la Neigette, là, j'aurais la partie de... tu as Les Basques, Trois-Pistoles, j'aurais tout le Témiscouata. C'est sûr qu'avec les ressources que j'ai là, impossible que je livre la marchandise. Ça fait que, si on va vers une réforme du genre, il faut que ça soit accompagné par des ressources nouvelles pour les députés pour qu'ils puissent arriver à faire ça.

M. Tanguay (Brian) : Tout à fait, oui.

M. LeBel : Oui, pour permettre qu'il y ait encore de la proximité avec les citoyens.

M. Tanguay (Brian) : Exactement, ce qui compte beaucoup dans notre système électoral. Ce n'est pas la seule base de représentation, ce n'est plus la seule base, mais le territoire, c'est, de toute évidence, là, très important, primordial dans notre système Westminster.

M. LeBel : Parce que le député provincial, c'est un député de proximité. Contrairement au député fédéral, le provincial, c'est la santé, les affaires municipales, ça fait qu'il a besoin d'outils pour rester proche de son monde. Mais vous dites que c'est faisable, ça s'est fait ailleurs.

M. Tanguay (Brian) : Oui, c'est faisable, mais pas facile.

M. LeBel : Merci beaucoup.

M. Tanguay (Brian) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il vous plaît.

Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre présence ainsi que pour votre présentation. Je trouve ça très intéressant, en fait, que vous ameniez des exemples concrets de ce que vous avez vécu durant la campagne référendaire en Ontario, je pense que ça peut nous servir d'enseignement ici, au Québec. Vous avez notamment mentionné qu'il y avait eu une campagne que vous avez qualifiée de populiste, je crois, pour l'option du statu quo.

M. Tanguay (Brian) : Oui.

Mme Fournier : Oui, voilà. C'est évidemment une crainte qu'on peut avoir, hein, la désinformation de manière générale, puis de la part d'un camp ou d'un autre. Et hier on a entendu le directeur des élections du Québec, qui nous a, en fait, avoué qu'il ne comptait pas intervenir durant la campagne référendaire pour rectifier des faits, et il y a d'autres intervenants qui nous ont dit que ce serait bien qu'on puisse avoir une commission indépendante, qu'elle soit menée par le DGEQ ou par peut-être une autre instance de spécialistes, qui pourrait, justement, agir un peu en tant que vérificatrice pendant la campagne électorale. Croyez-vous que ce serait une bonne idée qu'au Québec on se dote de ce genre de mécanisme pour contrer la désinformation pendant la campagne référendaire?

M. Tanguay (Brian) : Ce serait génial, à mon avis, ce serait un pas excellent, intelligent et, je dirais même, nécessaire, puisque, pour moi, encore une fois, avec mon expérience personnelle, c'était très difficile de contrer les peurs des citoyens, et ces peurs étaient... «to fan» en anglais, étaient renchéries par les médias, par les entrepreneurs politiques populistes, et il faut avoir un tel mécanisme que vous décrivez, ce serait un pas en avant.

Mme Fournier : Très bien. Merci beaucoup.

M. Tanguay (Brian) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, merci beaucoup de votre participation à la commission.

La commission suspend ses travaux quelques instants. Merci beaucoup, M. Tanguay.

M. Tanguay (Brian) : Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 18)

(Reprise à 16 h 19)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Il me fait plaisir d'accueillir M. Louis Sormany. Comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation, et après ça nous allons avoir un échange avec les membres de la commission. Donc, bienvenue, et la parole est à vous.

M. Louis Sormany

M. Sormany (Louis) : Oui, bonjour. Alors, je me présente, Louis Sormany. Alors, j'ai fait une carrière dans la fonction publique de 1975 à 2013, principalement en éthique et en législation, et j'ai été secrétaire adjoint à l'éthique et à la législation de 2001 à 2013 au ministère du Conseil exécutif. Compte tenu du temps imparti, évidemment, je ne reprendrai pas tout ce qui est dans mon mémoire, mais je pourrais en discuter avec vous, si vous le voulez.

Au départ, je pense que M. Dufour l'a expliqué tantôt, on a travaillé, on a collaboré ensemble et on a donc la même position. On est, je dirais, entre guillemets, résolument contre la réforme, bon.

Pour les fins de mon exposé, je vais m'arrêter sur le fait qu'avec ce projet de loi les régions, à mon avis, sont mal desservies, et je vais faire ressortir aussi que la culture qui va se dégager de la réforme du scrutin va en être une essentiellement axée sur les partis, un thème que j'ai abordé à quelques endroits dans mon mémoire, mais que, là, j'ai décidé de regrouper pour les fins de ma présentation.

Alors, sur les régions mal desservies par le nouveau mode de scrutin. Alors, le fait que la compensation prévue par le projet de loi soit régionale puis que le poids relatif de chacune des régions soit conservé en ce qui a trait au nombre global de députés ne signifie en aucune façon que les régions vont en sortir gagnantes pour autant, à mon avis.

Le projet oublie en effet certaines réalités propres au Québec, qui le distinguent, entre autres, des fameux exemples qu'on nous cite toujours, l'Écosse, la Nouvelle-Zélande et l'Allemagne, alors, les réalités propres au Québec qui sont l'immensité de son territoire et la faible densité de sa population dès qu'on s'éloigne des grands centres urbains.

Si l'on considère qu'en région éloignée les moyens de communication sont beaucoup plus limités et beaucoup moins organisés qu'en milieu urbain, qu'il s'agisse des voies physiques, comme les routes, le réseau ferroviaire, les ponts et les fameuses traverses navales, dont on parle tant dans l'actualité de ce temps-ci, ou virtuelles, vidéoconférences, Internet, les députés de ces régions, qu'ils soient de circonscription ou de région, se trouveront devant une tâche pratiquement impossible à réaliser s'ils veulent continuer à rendre à leurs commettants des services de proximité de qualité, qui exigent un contact direct avec eux.

Pensons, par exemple, au député de région qui va être appelé à desservir des territoires aussi vastes que l'ensemble de l'Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord ou de la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine. Outre les difficultés de communication déjà évoquées, ce député-là va être confronté, à l'intérieur même de sa région, à des intérêts contradictoires, voire même à des oppositions d'une sous-région à l'autre et, en plus, à la concurrence d'un ou de deux députés, selon les régions, provenant d'une autre formation.

Il y a une autre réalité qui va se... risque de se produire, particulièrement, dans les régions éloignées, c'est ce que j'ai appelé les sous-régions orphelines. Alors, dans les grands centres à faible densité, où le nombre de députés apparaissait déjà minimal, la diminution drastique du nombre de circonscriptions locales au profit de sièges région va rendre orphelines certaines sous-régions. Par exemple, il pourrait arriver que le port d'attache du député local de la Côte-Nord soit le même que pour le député régional, par exemple Baie-Comeau, au détriment de Sept-Îles et de tout le secteur couvert par le comté de Duplessis.

En Gaspésie, il n'y a rien qui va empêcher que le député local et le député régional proviennent du même secteur, par exemple, le nord de la Gaspésie, donc le comté actuel de Gaspé, par opposition... au détriment du sud de la péninsule, qui est le comté actuel de Bonaventure.

Même dans les régions plus populeuses, cette problématique-là des sous-régions orphelines va peut-être se poser. Pensons au Saguenay—Lac-Saint-Jean, où les électeurs du Lac vont peut-être se sentir sous-représentés si les deux députés de région vont provenir du Saguenay.

Des problématiques analogues ont été aussi soulignées dans d'autres régions, notamment celle des Laurentides, où on a dit qu'on craignait que les députés de région proviennent surtout des Basses-Laurentides par rapport au reste de la région, qui est peut-être moins densément peuplé.

Par ailleurs, dans le Bas-Saint-Laurent, les trois comtés actuels devront être fusionnés pour en former deux, les trois comtés locaux. La Commission de la représentation, pour y parvenir, ne pourra pas se contenter d'adjoindre au comté de Rimouski, composé des MRC Rimouski-Neigette et La Mitis, une des municipalités régionales limitrophes de comté, comme Les Basques, par exemple, parce que cela aurait pour effet de couper en deux la région et puis de couper en deux l'autre comté qui resterait. Alors, la commission n'aura pas le choix, finalement, de fusionner deux comtés, deux des trois comtés actuels, c'est-à-dire probablement Rimouski avec Matane-Matapédia, parce que... et, compte tenu de la population, le comté de Rivière-du-Loup—Témiscouata étant un peu plus populeux... surtout qu'il y a la partie Kamouraska, qui était dans Rivière-du-Sud, qui va revenir dans le comté, donc qui va être plus populeux. Alors, on va probablement prendre, à ce moment-là, les deux comtés, parce que... si on ne veut pas jouer non plus dans les limites des MRC, et on va être obligés de fusionner Rimouski avec Matane-Matapédia.

Pour ce qui est de la Côte-Nord, celle-ci va avoir droit, en vertu du projet de loi, à deux députés comme actuellement, mais dont l'un va être un député de circonscription puis l'autre, de région. Ça, ça signifie que ces deux députés-là vont être appelés à desservir exactement le même territoire, soit l'ensemble de l'immense territoire de la région de la Côte-Nord. Dans ce contexte, penser que la Côte-Nord va être mieux desservie par ce nouveau mode de scrutin constitue, à mon avis, une aberration. Pas surprenant que les députés actuels de René-Lévesque et de Duplessis aient émis de sérieuses réserves et aient parlé d'une situation inimaginable et inacceptable, rejoignant en cela des inquiétudes déjà formulées par bien du monde dans ces régions-là.

J'en arrive au deuxième point de mon mémoire, qui est une culture axée sur les partis politiques mais qui est en lien, aussi, avec la problématique des régions, en bonne partie. Alors, penser que les problèmes que va poser la réforme en région vont se trouver réglés par l'apparition d'une nouvelle culture dans les régions est, à mon avis, une illusion. On a évoqué, à cet égard, un partage des tâches et des responsabilités entre les députés sur une approche transpartisane. Au contraire, le fait que des députés de formations différentes se retrouvent directement en concurrence sur un même territoire risque plutôt d'accentuer les antagonismes, chacun tirant la couverte de son côté en vue de mieux se positionner pour enlever les prochaines élections. Eric Montigny, d'ailleurs, dans son mémoire, hier, a parlé du phénomène de «shadowing», quelque chose du genre, en tout cas, où le député de région avait tendance à avoir son bureau tout près du député de circonscription de façon à pouvoir... je ne dirais pas le contrôler, mais de voir ce qui se passe, etc.

Il ne faut pas oublier non plus que les partisans de la proportionnelle mettent l'accent sur la force respective des partis. Pour eux, les élections générales ne sont pas, avant tout, l'élection d'un représentant local dans chaque circonscription, mais davantage un référendum sur la portée d'un parti par rapport à un autre. Cet accent mis sur la force des partis ne risque donc pas de favoriser la collaboration entre députés. Il ne va pas non plus améliorer le contrôle des électeurs sur leurs institutions démocratiques. Au contraire, avec ces règles complexes, avec ces marchandages entre partis en vase clos et postélectoraux, avec la hiérarchisation entre eux des députés d'un même parti, décidée par le parti lors de la confection des listes, tout ça va plutôt entraîner une mainmise des partis sur tout le système électoral. On va se retrouver avec des coalitions où un parti plus institutionnel va se maintenir au pouvoir, alors que, dans le système actuel, un parti, si fort soit-il, peut être balayé l'élection suivante. On va se retrouver aussi avec des coalitions où un plus petit parti, souvent plus radical, va pouvoir imposer ses vues alors que celles-ci ne rencontrent pas les voeux de la majorité. C'est ça, les changements de culture, à mon avis, qui vont s'opérer avec la réforme du mode de scrutin.

Donc, raisonner ainsi avant tout, en termes de parti, vient donc dévaloriser le statut du député comme représentant local de l'ensemble de sa collectivité lui substituant celui de représentant d'un parti. Raisonner ainsi vient aussi enlever aux gens le pouvoir de contrôle qu'ils ont sur leur système politique et ne peut que générer, à terme, des sentiments d'aliénation et désabusement chez une bonne partie de la population à l'égard de la politique. Avec un système proportionnel, on met donc en place une culture axée sur les partis au détriment des députés et des électeurs.

Alors, c'est ce que je voulais vous mentionner aujourd'hui, et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Merci, c'est très apprécié. Mme la ministre, s'il vous plaît.

Mme LeBel : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, M. Sormany, pour votre témoignage.

Alors, on va peut-être commencer par la fin, c'est-à-dire par ce que vous venez de dire, là. Vous dites que l'important... bon, j'en suis, je suis de votre avis, de l'importance du député, mais... et corrigez-moi si je me trompe, mais je semble comprendre que vous me dites que, dans le système actuel, le député est beaucoup plus mis de l'avant, et les gens élisent un député qui les représente, donc, à l'Assemblée nationale et non pas des partis. C'est ce que vous mettez de l'avant.

M. Sormany (Louis) : En fait, ce que je dis, je ne nie pas que des gens votent aussi parce qu'ils voient les chefs, ils voient les partis, ils voient les programmes, il y a de tout là-dedans, mais le député, une fois qu'il est élu, il devient le député de l'ensemble de ses commettants, de l'ensemble de la population de son comté. Et je dirais que le député, dans son comté, dans son travail de comté, c'est là qu'il y a peut-être le plus de pouvoirs, jusqu'à un certain point, parce que, souvent, à l'Assemblée nationale, il va être pris dans une ligne de parti, etc., tandis que, dans son comté, c'est là qu'il peut faire des actions pour ses commettants, et je trouve que c'est un rôle extrêmement important, alors que, là, avec la réforme, on va voir ce député-là qui va essayer de faire ça, mais là il va se faire dire, mettons, par quelqu'un d'un autre parti : Bien, moi, non, je l'ai, mon député, c'est le député régional de liste qui a été élu, c'est lui que je vais voir, là. Alors là, ça va créer tout un mélange de cultures et deux types de députés. Et comment tout ça va s'arrimer? Ça, personne ne le sait puis personne n'est capable de le dire. Et, à mon avis, le député comme représentant de l'ensemble de sa collectivité, on va avoir une perte là-dessus.

• (16 h 30) •

Mme LeBel : Mais le rôle du député... quand on prend le rôle du député... parce qu'on parlera, tantôt, un peu de votre position ou le positionnement que vous partagez avec M. Dufour sur l'affaiblissement, là, mais, sur le rôle du député lui-même, là, je pense que, là, on peut faire des comparaisons avec les autres endroits dans le monde où ça se fait. Et ce rôle-là, oui, on nous l'a dit... d'ailleurs, on a quelqu'un qui est venu nous témoigner de l'expérience de la Nouvelle-Zélande, et là je parle du rôle du député, et non pas de la force du gouvernement ou de l'affaiblissement, là, mais, sur le rôle du député, oui, il y aura besoin d'adaptation, c'est sûr, entre un député régional et un député de circonscription, pour les nommer de cette façon-ci, mais le rôle de député peut être amené à se transformer, mais il ne devient pas moins important. Puis une fois qu'il est élu, qu'il soit élu par la circonscription, par la voie de la liste, il devient un député à l'Assemblée nationale à part entière. Donc, oui, changement de culture, j'en suis, mais, dans le fond, ce que je comprends de vos propos, c'est un peu l'inconnu que vous craignez, mais ça se fait ailleurs, là, cette cohabitation-là.

M. Sormany (Louis) : Ça se fait ailleurs, je ne sais pas si ça se fait heureusement et je ne sais pas qu'est-ce qui se faisait avant. Parce qu'il faudrait voir aussi, là, je n'ai pas fait des études, je n'ai pas été sur le terrain ailleurs, bon, mais ici on sait ce qui se passe au Québec, présentement, et, moi, ce que je pense, c'est qu'avec les députés régionaux qui vont arriver et qui vont faire une concurrence, alors, on va se retrouver avec des députés qui vont être en concurrence. Il va y avoir un événement, et là ça va être : chacun des députés tient à aller à l'événement parce que, sans ça, si lui est absent puis l'autre est présent, j'ai un problème, et ça va être des députés, en plus, qui vont être en concurrence. Présentement, les députés d'un comté à l'autre, qu'ils soient de partis différents, peuvent collaborer ensemble parce qu'il peut y avoir des projets régionaux puis globaux communs. Là, ils vont arriver et là ils vont dire : Oui, mais là est-ce que je collabore avec mon ennemi, qui, à la prochaine élection, va être devant moi, là, directement? Alors, moi, je pense qu'il y a un problème là-dessus puis je pense que c'est une... le rôle du député est affecté et, je dirais, d'une façon négative, à mon avis.

Mme LeBel : ...probablement raison, si on pense en termes du mode de scrutin actuel, du fonctionnement politique actuel. Je vais parler en termes d'adversaire, et c'est vrai que, présentement, quand on est dans un système d'opposition, la personne d'un parti opposé au nôtre est un adversaire, mais, dans un système de réforme tel qu'on l'entend, où on parle de gouvernement de coalition, ce n'est plus un ennemi, c'est un partenaire qui représente une autre position, avec lequel il va falloir travailler et s'entendre, d'où le changement de culture.

Puis j'aurais trouvé intéressant, M. Sormany, avant que vous avanciez que ça va être difficile de se faire, de voir, effectivement, ce qui se fait ailleurs sur le rôle du député. Parce qu'on a des échantillons, on a l'Écosse, on a la Nouvelle-Zélande, où, oui, c'est vrai, on nous l'a dit, ça prend un cycle ou deux avant que les gens s'adaptent, c'est normal, surtout pour les députés qui auront à vivre les deux systèmes ou passer d'un système à l'autre. Je ne suis pas irréaliste et je ne vis pas dans un monde de licornes, comme on peut sembler le prétendre, mais je sais qu'il va y avoir des difficultés d'adaptation... puis ce n'est pas vous qui le prétendez, là, mais il va y avoir des difficultés d'adaptation, j'en suis, mais, pour le citoyen... Et beaucoup d'acteurs de la société civile sont venus nous dire que, justement... je vais reprendre vos termes, cette compétition, moi, je pense qu'elle est saine, et pas malsaine, mais cette compétition, justement, est un des avantages du mode de scrutin, permettant justement au citoyen, parce qu'on va se positionner du point de vue du citoyen... peut lui donner accès à plus. C'est une richesse pour le citoyen. Et je ne pense pas que ces acteurs de la société civile soient non plus complètement déconnectés de la réalité. Et là on n'est pas dans l'histoire de l'affaiblissement des gouvernements, là, on est dans le rôle du député, là.

M. Sormany (Louis) : Mais, quand vous dites qu'on a accès à plus de services pour les régions éloignées, je suis loin de le croire, d'une part, pour les motifs que j'ai exprimés. Et, d'autre part, il reste que la politique, c'est un combat, et, quand on a deux députés qui sont en concurrence, et puis là ils se sont retrouvés, par le jeu de liste, par le jeu, un contre l'autre, et, la prochaine élection, ils vont peut-être se retrouver un face à l'autre, je ne suis pas sûr que ça va marcher si bien que ça.

Moi, j'ai entendu beaucoup les gens partisans de la proportionnelle dire : C'est fantastique parce que le député, mettons, de l'ouest de Montréal, qui est péquiste, va pouvoir aller voir son député péquiste. Alors, on voit ici un peu le glissement qui se fait. Le député n'est plus le représentant des citoyens, il devient un peu le représentant... on va le voir parce qu'il est député péquiste, par hypothèse, et non parce qu'il est le député de la place. Et c'est ce glissement-là, moi, que je pense qui risque d'être fort négatif. En tout cas, ceux qui parlent d'une nouvelle culture, puis etc., là, je ne dirai pas que c'est des licornes, là, quand même, mais je pense que c'est un gros pari sur l'inconnu qu'ils font.

Mme LeBel : O.K. Donc, vous dites, dans votre mémoire... bon, vous croyez que le projet de loi va à la fois trop loin pour les opposants du projet de loi. Naturellement, ça va trop loin parce que, quand on est contre toute forme de proportionnalité, à partir du moment où on en injecte un tant soit peu, on va trop loin. Ça, je le comprends très bien. Mais vous dites qu'il ne va également pas assez loin pour les partisans de la réforme, ce serait un piège d'accepter une réforme qui affaiblirait le pouvoir québécois sans les avantages d'un mode de scrutin proportionnel. Donc, pensez-vous qu'on devrait peut-être aller plus loin et aller «all the way», à ce moment-là, en bon français?

M. Sormany (Louis) : On s'entend là-dessus, mais il reste quand même que ce que je voulais signaler, c'est que les représentants de la proportionnelle, quand je dis que c'est une réforme qui ne satisfait personne...à moins de, comme M. David leur a dit, accepter la réforme, puis après ça on va s'en occuper... je veux dire, si on aurait... on accepte la réforme telle quelle, pour les partisans de la réforme, je suis loin d'être sûr que c'est ce qu'ils veulent avoir. D'ailleurs, les réactions lors du dépôt du projet de loi, ça a été : Bien, s'il n'y a pas de changements au projet de loi, ce n'est pas sûr qu'on va accepter ça comme ça. Moi, j'ai même vu, au début des... j'ai même vu... bien là, il n'est pas ici, mais le député de Québec solidaire qui était ici tantôt le dire au début des consultations : Il va falloir qu'il y ait des changements. Alors, je pense que, pour les députés... pour les gens qui sont en faveur d'une réforme, le projet de loi, pour eux autres, ils vont... s'il y avait un référendum, ils vont voter pour, parce qu'ils vont se dire : Au fil des années, on va l'améliorer, entre guillemets — dans mon esprit, le rempirer — mais il n'est sûrement pas satisfaisant pour eux autres.

Mme LeBel : Mais vous avez raison, M. Sormany, on pourrait toujours l'améliorer, on pourrait toujours, même, le réduire, on pourrait toujours le modifier. Et vous accordez un très grand respect au rôle de député, et je le comprends, et je suis d'accord avec vous, mais vous semblez penser que, dans le futur, les députés du futur, si on applique cette réforme-là, perdraient toute notion... toute logique et ne feraient qu'augmenter et qu'augmenter. Et, si, effectivement, on considère, et on avance, et on voit... Parce que le fait d'arriver, aujourd'hui, à cette discussion-là... Et, à un moment donné, moi aussi, je suis un peu... je suis un peu une personne qui est un peu allergique à se faire dire : Ça s'est toujours fait comme ça, continuons, là, et, à ce moment-là, je trouve qu'on ne s'ouvre jamais l'esprit à voir d'autres alternatives. Peut-être qu'elles sont bonnes, peut-être qu'elles sont mauvaises, mais il faut en discuter. Minimalement, il faut en discuter, et, toujours bien, c'est ce qu'on fait. Déjà, pour moi, c'est un bon pas. Intellectuellement, je trouve ça extrêmement intéressant qu'on se donne la peine d'en discuter.

Ceci étant dit, quand vous parlez de la théorie de l'engrenage — d'ailleurs, ça me rappelle un titre d'une chronique de ce matin, Le bras dans l'engrenage — c'est comme si vous... ça me donne à penser ou ça me fait l'impression que vous nous dites : Bien là, si vous acceptez ça... vous êtes les derniers gardiens de notre système et de la démocratie parce que, si vous acceptez ça, les futurs députés n'auront plus de logique, plus de sauvegarde et ne feront qu'améliorer, selon les points de vue du tenant de la réforme, ou d'empirer, selon votre point de vue, la situation, alors que, peut-être, au fur et à mesure, on se rendra compte que c'est une bonne chose, justement, et qu'on l'améliorera ou on se rendra compte qu'on en a suffisamment puis on restera de même. Mais je ne pense pas que les futurs députés seront dénudés de toute sensibilité, là, mais je ne veux pas vous prêter des mots, alors détrompez-moi.

M. Sormany (Louis) : C'est qu'il faut bien voir qu'au départ je suis contre la réforme parce que je pense que c'est un affaiblissement du pouvoir québécois. Je n'ai pas voulu, quand même, reprendre tout l'argumentaire que M. Dufour vous a fait tantôt puis qu'il a fait dans son livre, et c'est pour ça que j'ai été assez succinct dans mon mémoire, il y a à peu près deux pages là-dessus. J'aurais pu tout, tout, tout reprendre, mais on aurait fait un deuxième livre, ça aurait été une copie. Alors, moi, au départ, il y a cet aspect-là qui est fondamental pour moi.

Alors, après ça, c'est sûr que moi, je me dis : Si on ouvre la porte, bien, on met, évidemment, la main dans l'engrenage ou la main dans le tordeur, appelons ça comme on veut, puis on s'en va vers quelque chose qui, à mon avis, n'est pas bon. Parce qu'il ne faut pas s'imaginer que, le projet de loi serait adopté tel quel, les partisans de la proportionnelle vont se tenir bien cois puis ils vont dire : Alléluia, on a eu ce qu'on voulait puis c'est fini! Ils vont rebondir, puis ils vont revenir, puis ils vont revenir, puis ils vont toujours revenir.

Vous allez me dire : C'est normal qu'on revienne, parce que tout système est perfectible. Je suis d'accord, mais eux autres, ils vont revenir parce qu'ils vont se dire au départ : On est bien contents d'avoir ça parce que ça nous permet, justement, d'ouvrir la porte, mais ce n'est pas ça qu'on veut, on veut plus. Alors, nettement, à mon avis, ils veulent plus.

Mme LeBel : Donc, à la base, votre opposition, à la base, est vraiment sur l'argumentaire de votre collègue M. Dufour, c'est-à-dire par rapport à l'affaiblissement de la position du Québec dans la fédération ou l'affaiblissement de notre gouvernement, potentiellement, c'est ça?

M. Sormany (Louis) : Oui, c'est ça, oui, oui, sur la base.

Mme LeBel : O.K. Donc, vous partagez sa thèse selon laquelle un mode de scrutin proportionnel va diminuer le pouvoir des francophones du Québec?

M. Sormany (Louis) : Oui.

Mme LeBel : O.K. Vous dites qu'une élection sert avant tout à élire un gouvernement et non à former un Parlement représentatif du pluralisme de la société, donc représentatif de la société. Moi, je pense que le gouvernement doit être représentatif de la société. Le gouvernement est formé à travers les parlementaires qui sont élus, à travers les députés qui sont élus. Donc, pour avoir un gouvernement représentatif de la société, encore faut-il que les députés qui sont élus représentent cette société-là, est-ce que je me trompe? Parce que ce n'est pas juste élire un gouvernement, là, le gouvernement doit aussi représenter la société, et, pour qu'il représente la société, ses élus doivent représenter la société.

• (16 h 40) •

M. Sormany (Louis) : Oui, mais je trouve que les députés actuels et le gouvernement actuel représentent la société, représentent, en général, très bien la société québécoise, mais ce que les partisans de la réforme, à mon avis, veulent, c'est un système où c'est la représentation des partis. Moi, c'est le glissement que je n'aime pas dans la proportionnelle, entre autres, là... je veux dire, il y a l'argument, vraiment à la base, du pouvoir québécois, mais le glissement qui se fait, où ça devient... tout est axé sur le parti, c'est le parti qui prend le contrôle. Les partis forment des coalitions, ils décident en vase clos, avant... après les élections, comment on va organiser ça. Et on peut avoir des partis institutionnels qui vont piger à gauche, à droite, puis qui se maintiennent au pouvoir, comme on a vu la démocratie italienne en Italie, ou, comme en Allemagne, un petit parti qui, finalement, décide lequel des deux gros partis va prendre le pouvoir. Ça, ce sont des réalités.

Moi, je trouve qu'on a un glissement avec le système de la proportionnelle. Au-delà de l'argument du pouvoir québécois, là, qui est l'argument fondamental, je trouve qu'on a un glissement vers les partis et je trouve qu'actuellement notre gouvernement et nos députés représentent très bien la société. Je pense que le Québec est quand même une société démocratique. Ça, je pense, personne ne va le nier.

Mme LeBel : O.K. Donc, vous craignez que la réforme du mode de scrutin ou le mode de scrutin soit détourné par les partis, mais que pensez-vous de l'argument ou de la notion qui dit qu'il y aura une meilleure représentation des femmes, une meilleure représentation de la diversité, parce qu'il y aura une meilleure représentation, justement, des voix et du pluralisme qu'est notre société? Est-ce que vous êtes contre cette meilleure représentation-là de la diversité, des femmes au Parlement, qui ne sont pas nécessairement, non plus, des francophones? Ça peut être autre... Ça peut être des non-francophones.

M. Sormany (Louis) : Je ne suis aucunement contre ces mesures-là. Et j'ai vu les rapports qui ont été faits par le Conseil du statut de la femme et d'autres organismes féminins, qui ont d'ailleurs dit : Ces questions-là devraient être exclues d'un éventuel référendum. En d'autres mots, c'est des questions qui pourraient être réglées ou améliorées, là... je veux dire, la situation améliorée dans le cadre de notre système actuel, et on n'a pas besoin de faire une réforme proportionnelle pour faire ces améliorations-là, parce que je ne suis pas certain... Bon, peut-être qu'on peut faire un système de listes, là, avec homme-femme, homme-femme, puis etc., là, comme certains l'ont proposé, puis là, oui, ça assurerait peut-être une plus grande chance, en tout cas, qu'on atteigne la parité — on ne parlera pas d'égalité, mais de parité — mais par contre je ne suis pas sûr que, si on commence à faire des listes, là, il faut avoir un représentant... un Chinois, un Japonais, etc., je ne suis pas sûr que, là, on va arriver à... Il vient un moment où il faut être capable, aussi, de... D'ailleurs, je remarque que le projet de loi a été très prudent là-dessus. Je veux dire, les mesures visent essentiellement la parité hommes-femmes, et ce ne sont pas des mesures contraignantes... en tout cas, trop contraignantes, à première vue.

Mme LeBel : O.K. Bien, merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay (LaFontaine) : Oui. Bonjour, M. Sormany.

M. Sormany (Louis) : Bonjour.

M. Tanguay (LaFontaine) : Merci d'être ici, de répondre à nos questions et de... Par où commencer? Première des choses, j'ai peut-être six points que j'aimerais rapidement passer avec vous dans mon petit 10 minutes. Vous dites, à la page 10 de votre mémoire — parce qu'il faut désamorcer plusieurs idées reçues, ou plusieurs rumeurs, ou plusieurs présomptions qui, lorsque l'on fait des analyses empiriques, ne tiennent pas tout à fait la route : «Il est d'ailleurs révélateur — je vous cite — que, d'après les études faites sur le sujet, l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel n'a généralement pas pour effet d'augmenter la participation électorale.» J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Sormany (Louis) : Oui, bien, là-dessus, il y a le Pr André Blais, de l'Université de Montréal, que vous avez entendu, d'ailleurs, qui est favorable à la réforme du mode de scrutin, mais qui ne vous a jamais dit que ça entraînerait une meilleure participation électorale, et il a produit des études qu'on peut retrouver sur Internet. Oui, il dit que l'effet est minime, il y a un certain effet qui est minime, et c'est un effet surtout au début. Alors, c'est sûr qu'au début, la première élection qui va se faire sous un nouveau régime proportionnel, tout nouveau, tout beau, ça se peut que les gens embarquent là-dedans puis qu'il y ait une certaine hausse de la proportion électorale, mais par la suite, quand les gens vont voir comment ça marche, ils vont sentir toute cette espèce de contrôle de la part des partis — c'est ce dont je parle, là, quand je parle de partitocratie, là — alors, le contrôle des partis sur... que les partis vont prendre sur le système, bien moi, je pense qu'à moyen terme les gens vont se sentir moins concernés puis ils vont se dire : Finalement, c'est toute la classe politique, c'est toute la petite gang en haut qui décide ça.

M. Tanguay (LaFontaine) : Vous parlez... Ce qui est déductible de votre approche, également, c'est dans l'introduction de votre présentation : Il faut avoir la politique de sa géographie.

M. Sormany (Louis) : Oui.

M. Tanguay (LaFontaine) : On parle beaucoup de l'Écosse. L'Écosse... 4 millions moins de citoyens en Écosse qu'au Québec, puis l'Écosse rentre 20 fois dans le Québec. L'Écosse a 129 députés, on en a 125. Une fois que j'ai dit ça, là, faire de la proportionnelle avec 45 députés puis faire 80 comtés des 125, une fois que j'ai dit ça, là, j'aimerais ça vous entendre, puis de là découlent bien des éléments. Autrement dit, la proportionnalité ne serait qu'en apparence. En Abitibi, on va être proportionnel avec un député, et les trois, jadis, seraient deux. Puis on éloigne le citoyen de son élu parce que l'élu va avoir la moitié, désormais, du territoire plutôt qu'un tiers, plus de monde, plus de territoire. Moi, je veux le voir, mon élu, là, c'est mon élu. J'aimerais vous entendre sur le fait que, ce faisant, pour les 80 circonscriptions, en les augmentant très substantiellement...

Moi, Rivière-des-Prairies, là, j'ai 56 000 de population, 42 000 électeurs, 56 000 de population, puis j'ai beaucoup de résidents qui ne sont pas inscrits sur la liste électorale puis qui ne sont pas dans les statistiques. Ça veut dire que moi... Et je veux rencontrer, et je rencontre... je me fais un point d'honneur, depuis 2012, à rencontrer tous les citoyens qui veulent voir leur député. Moi, ça voudrait dire, l'île de Montréal, on passerait de 18... de 27 comtés à 16. Puis, juste en passant, il y a 18 comtés fédéraux à Montréal, mais là on serait 16, avec les dossiers québécois : santé, éducation, transport, affaires municipales, sécurité publique, famille, aînés, et j'en passe. Donc, pour moi, ça serait Rivière-des-Prairies, Pointe-aux-Trembles, Montréal-Nord, puis peut-être... bien, Montréal-Nord, c'est toi, là. Alors, on irait voir notre parti pour savoir qui serait le premier sur la liste ou le deuxième.

C'est un peu tout ça, là. Je vous donne ça en vrac, parce qu'on pourrait en discuter. Ce n'est pas anodin, c'est majeur, et j'aimerais peut-être vous laisser le temps de commenter sur ça.

M. Sormany (Louis) : Bien, vous m'enlevez les mots de la bouche. Je veux dire, je suis tout à fait d'accord avec tout ce que vous avez dit. Je veux dire, j'ai parlé beaucoup des régions, mais Montréal, je veux dire, se retrouve globalement avec trois comtés en moins mais se retrouve aussi avec un problème où, présentement, il y a 27 comtés qui vont devenir 16 comtés locaux. Ça va faire un moyen... au point de vue de la carte électorale, ça va être un moyen jeu à faire et ça va faire des comtés très populeux, c'est le moins qu'on puisse dire, pour les services de proximité. Même là, ils risquent d'en souffrir. J'ai insisté, moi, plus sur les régions, mais je suis conscient de la situation à Montréal aussi.

On a juste à se rappeler, d'ailleurs, lorsqu'il avait été question, à un moment, de fusionner les deux comtés de Québec solidaire, tout le brouhaha que ça avait causé. Bien là, le brouhaha, on est en train de le multiplier, je ne sais pas, par 16, là, je n'ai pas fait le chiffre, ou par huit, disons.

M. Tanguay (LaFontaine) : Et ça, je trouve ça fascinant. On en a discuté, nous, puis c'est correct, je le dis en tout respect pour mes collègues de Québec solidaire, mais la co-porte-parole de Québec solidaire avait déchiré sa chemise, c'était impensable, ça ne se pouvait pas qu'on lui enlève une partie de son quartier. Puis je faisais écho de ses représentations, puis elle avait de bons arguments pour dire : Ce n'est pas vrai que vous allez enlever et ajouter une partie, modifier une partie de mon quartier, c'est fondamental. Là, on passerait de 27 à 16.

M. Sormany (Louis) : 27 à comtés locaux.

M. Tanguay (LaFontaine) : Là, ce n'est pas que des parties de quartiers, c'est des comtés.

M. Sormany (Louis) : Non. C'est des comtés fusionnés, là, un peu comme les autres comtés.

M. Tanguay (LaFontaine) : C'est une fusion. C'est la fusion... comtés fusionnés.

Autre élément important, vous parlez d'égalité du vote. Il y a un principe fondamental, dans notre grande démocratie québécoise... Parce qu'on a une grande démocratie, il faudrait peut-être se le dire aussi, hein?

M. Sormany (Louis) : Oui.

M. Tanguay (LaFontaine) : On se flagelle beaucoup en disant : Aïe! On fait dur. Non, non, on a une grande démocratie, au Québec. On fait des référendums, on est capables de trancher des questions nationales, on débat, et ça, c'est une stabilité qui nous permet d'avancer, ce n'est pas une stabilité qui se résume au statu quo. Vous parlez donc de l'égalité du vote. Il y a un... Dans la charte québécoise des droits et libertés, charte canadienne également, il y a le droit de vote qui se traduit par la représentativité effective. Ça veut dire quoi? Et j'ai la définition ici : «Le système qui dilue indûment le vote d'un citoyen comparativement à celui d'un autre court le risque d'offrir une représentation inadéquate au citoyen dont le vote a été affaibli. Le pouvoir législatif de ce dernier sera réduit, comme pourra l'être l'accès qu'il [aura] auprès de son député et l'aide qu'il peut en obtenir. La conséquence sera une représentation inégale et non équitable.» Ça, c'est le jugement de la cour en matière de représentativité et respect du vote.

Le 25 %, autrement dit, on prend la moyenne pour les 125 comtés, on divise le nombre total d'électeurs, on le divise par 125 comtés, ça nous donne à peu près 42 000, j'arrondis. Et là on ne peut pas avoir un comté qui a un écart supérieur ou inférieur de 25 %. Ça, on le régionalise dans les 17 régions. Je pense que les gens à la maison, là, nous suivent quand je dis ça. Autrement dit, les écarts ne seront pas évalués pour dire : Bien, il n'y aura pas deux comtés avec un écart de plus ou moins 25 % dans tout le Québec. Là, on va juste regarder la région, mais la moyenne de l'Abitibi puis la moyenne de la Montérégie va nous donner le résultat final que vous pourriez, techniquement et théoriquement, avoir un comté en Abitibi avec 43 000 électeurs et en Montérégie, 105 000 électeurs. Ça, le droit de vote et le poids, la représentativité effective, c'est la base, le b.a.-ba de notre système démocratique. J'aimerais vous entendre là-dessus.

• (16 h 50) •

M. Sormany (Louis) : Oui, bien, on remarque, avec le projet de loi, que, de fait, la représentativité... l'effectivité du droit de vote, au lieu d'être globale pour l'ensemble du Québec, devient, évidemment, avec le système qui est là... on y va par région administrative, et ce qui suscite, justement, ces écarts-là que vous mentionnez, où, au-delà du nombre de députés, bien, dans chaque comté d'une région... on parle de Montréal, là, qui va perdre trois comtés, globalement, en comptant les comtés régionaux, mais il reste quand même que les comtés vont être extrêmement populeux, alors que, dans d'autres régions, comme vous le dites, ça va être minime, le nombre de comtés. Et, même à l'intérieur d'une région... Tantôt, j'ai parlé de la région du Bas-Saint-Laurent, j'ai dit : lls vont être obligés de fusionner deux comtés, et j'espère qu'ils vont être capables de respecter le critère du 25 % en fusionnant les deux comtés, sans ça ils vont peut-être être obligés de rogner dans une MRC, et là ça va soulever un tollé général.

M. Tanguay (LaFontaine) : Vous parlez de la... Vous en avez parlé avec votre échange... entre autres, vous avez effleuré le sujet avec votre échange avec la ministre, vous dites, dans votre mémoire, de la «partitocratie», autrement dit plus de pouvoirs aux partis.

M. Sormany (Louis) : C'est ça.

M. Tanguay (LaFontaine) : Vous en avez fait... vous avez étayé un peu quant à... en aval, au résultat, on fait des coalitions, les partis vont négocier pour savoir qui va être au pouvoir. Si c'est une coalition, on va se partager les postes de ministres : Vous, vous allez prendre ça, moi, je vais prendre ça, et c'est les partis, à portes closes, qui vont le faire. Mais, en amont, la partitocratie... Moi, ma collègue, là, si on tombe, là... on est voisins de comté, là, Bourassa-Sauvé, LaFontaine, on est voisins de comté, qui va être sur la liste? Qui va décider ça? Elle, est-ce qu'elle passe avant moi, hein? Et l'allégeance, si d'aventure c'est elle qui passe avant moi, c'est elle qui est élue, l'allégeance versus son comté, là, elle, là, quand ses citoyens l'appellent... puis moi, quand mes citoyens m'appellent, là, je me dois à mes citoyens. Moi, si je suis député déterminé par mon parti, le premier de la liste, et je suis élu, là, mes commettants risquent d'être, probablement, celles et ceux qui m'ont mis en... le top de la liste, si vous me permettez l'expression.

M. Sormany (Louis) : C'est ça, mais moi, j'ai bien hâte de voir comment les partis vont déterminer l'ordre de la liste de leurs députés. Ça va être très intéressant à suivre comme exercice au point de vue politique, mais je ne suis pas sûr que la démocratie va y gagner, parce que ça fait partie de la partitocratie, là, comme vous le mentionnez.

M. Tanguay (LaFontaine) : On est... Et, si d'aventure ma collègue a son comté, donc, et on passe de 27 à 16 comtés, nous serions huit députés de région. Si, par chance, je suis ami avec les bonnes personnes dans mon parti, puis je suis premier de liste, puis je suis élu à Montréal, je devrais représenter la région de Montréal, qui est 1,3 million d'électeurs et 1,7 million de citoyens. Je ne sais pas si vous restez, M. Sormany, à Montréal, mais le jour où vous allez pouvoir me voir la face dans mon bureau de comté, là, ça va être excessivement difficile. Ça, c'est un fait de la vie, là.

M. Sormany (Louis) : Oui, c'est un fait de la vie, puis je suis tout à fait d'accord avec vous, puis c'est ça que ça entraîne. Je veux dire, on est au Québec, hein, on a un territoire immense, on a des populations très inégales. On a des régions qui sont sous-peuplées, si on veut, alors qu'il y a un gros peuplement à l'intérieur même de Montréal, et c'est tous les problèmes qui se posent avec ça.

M. Tanguay (LaFontaine) : Et là, je terminerai là-dessus, un dernier point, on va nous objecter : Non, non, non, il n'y a pas deux catégories de députés, il y a un seul député. C'est plus facile à dire ici, quand on est à l'Assemblée nationale, on est législateurs. Mais de dire qu'il n'y aurait pas deux catégories de députés, en disant : Bien, s'il ne te voit pas, toi, il pourra essayer de voir les autres, mais, s'il essaie de voir les autres et, de facto, on prend pour acquis que ce sera beaucoup plus difficile pour le citoyen de me voir, moi, nécessairement, moi, au jour le jour, ma fonction de député ne sera pas la même que celle de l'autre.

Des cas d'Hydro-Québec, on en a tous ici, autour de la table, sur nos comtés, des cas de Revenu Québec, de la Régie des rentes, et ainsi de suite, on se fait donner des procurations pour essayer d'aller négocier avec Hydro-Québec des ententes de paiement. Si je suis député de région, là, ça sera fini. Mon rôle sera, de facto, différent, puis peut-être que ce serait bon de le définir, de le reconnaître, puis de le définir dans la loi.

M. Sormany (Louis) : S'ils sont capables de le définir. C'est un gros exercice, quant à moi, là. Je ne sais pas comment ils vont s'y prendre. En tout cas, je sais que les légistes ont bien de l'imagination.

M. Tanguay (LaFontaine) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Rivière-du-Loup... Rimouski, Rimouski, pardon.

M. LeBel : Oui, on est en train de diviser mon comté déjà.

M. Sormany (Louis) : Bien oui, ils vous ont fusionnés.

M. LeBel : Je suis déjà fusionné avec Rivière-du-Loup. Bonjour.

M. Sormany (Louis) : Bonjour.

M. LeBel : Vous savez, on est ici, comme parlementaires, c'est pour, aussi, participer à faire des changements au projet de loi, tu sais, à essayer de l'améliorer, ça fait qu'on... puis, moi, comme député de région, c'est sûr que je veux protéger le pouvoir des régions. C'est pour ça que je suis là puis je pose des questions en ce sens-là. Et le projet de loi parle de 17 régions. Moi, ça fait mon affaire, qu'on... les 17 régions. Certains sont venus nous parler de huit ou neuf régions, là, je faisais des boutons, mais maintenant, bon, 17 régions, c'est bien. L'arrivée d'un député de liste, ça fait en sorte qu'on ne perd pas le nombre de députés par région. Les comtés, bien, vous avez une idée du comté de Rimouski, c'est intéressant, mais il y a d'autres propositions. On pourra voir ce qu'on fera comme carte électorale.

L'arrivée d'un député de région, ça fait en sorte qu'il y a un député qui couvre la région. Actuellement, ça existe déjà. Le ministre régional, là... Je vais vous dire, là, moi, je suis dans l'opposition depuis deux mandats, souvent, là, mon maire, là, il dit : Moi... Il est dans l'opposition, ça fait qu'il appelle la ministre régionale, qui est dans Côte-du-Sud, pour essayer de régler ses affaires en passant par-dessus moi. Des fois, la ministre régionale, elle vient dans mon comté, puis elle ne le dit pas, puis elle fait des annonces dans mon comté. Cette formule-là existe déjà un petit peu, et peut-être que ça viendrait corriger cette situation-là. Sur la Côte-Nord, le ministre régional, il ne vient même pas de la Côte-Nord, il vient de Charlesbourg. Ça fait que, des fois, il y va puis il ne parle pas au monde. Ça fait que peut-être que ça viendrait corriger ce côté-là.

M. Parizeau avait essayé de le régler avec les délégués régionaux en 1994, mais les ministres sont revenus par-dessus puis ils ont tout pris la place. Mais, bon, moi, je pense que ça pourrait corriger ça, et, je me dis, il y a des conditions là-dedans, c'est... il faut que les députés et leurs circonscriptions de région aient des moyens pour être proche de leur monde, rester proche. Puis l'idée de rajouter quatre députés dans ces régions-là, comme Bas-Saint-Laurent, Gaspésie, la Côte-Nord, l'Abitibi, ça pourrait renforcer notre pouvoir des régions, le poids politique des régions, et ça fait plus de monde sur le terrain, mais c'est sûr qu'il y a un changement culturel à apporter. Puis on n'est pas... ce n'est pas facile, mais pourquoi ne pas l'essayer? Moi, je me dis : C'est une proposition progressiste, et on devrait l'essayer.

M. Sormany (Louis) : Bon, moi, évidemment, il y a mon opposition de base sur le pouvoir québécois qui fait que je n'ai pas le goût de l'essayer.

Deuxièmement, je pense qu'au point de vue régional on y perd. Vous parlez des ministres régionaux, mais ce sont des ministres régionaux, ce ne sont pas... C'est sûr qu'ils sont aussi députés, mais ils ne sont pas députés régionaux, ils sont ministres régionaux, alors c'est déjà un autre aspect, là.

M. LeBel : Mais vous savez comment ça marche, le maire, il décide : Ah! moi, il est dans l'opposition, il n'a pas de pouvoir, je vais appeler le ministre régional. Tu sais, c'est comme ça que ça marche.

M. Sormany (Louis) : Oui, oui, c'est sûr que ça peut marcher comme ça. Ils peuvent appeler le premier ministre, aussi, s'ils ont un bon contact. Bon, la proposition qui a été faite...

M. LeBel : Ça fait que la bataille se fait.

M. Sormany (Louis) : Il y a une proposition qui a été faite, j'ai vu ça, d'ajouter quatre députés régionaux pour les quatre régions, et, moi, les bras me sont tombés parce que de la façon dont ça a été fait par le MDN et par d'autres organismes, je dirais, satellites, ça a été fait... d'assurer une meilleure proportionnalité du système dans ces régions, pas pour régler les problèmes d'accès, qu'ils ont fait la proposition, c'est pour assurer que la proportionnalité puisse marcher de façon à ce que, dans le Bas-Saint-Laurent, si on a un libéral et deux péquistes, mettons, ou un adéquiste, deux péquistes, comme actuellement, bien là, on aurait peut-être une chance d'avoir un libéral, etc. Ça a été fait dans un but... toujours dans l'idée de la proportionnelle des partis. Il faut que les partis soient justement représentés, etc. Ça n'a pas été fait dans un but d'accessibilité du tout.

M. LeBel : Mais ça vient aider à l'accessibilité.

M. Sormany (Louis) : S'ils avaient voulu le faire dans un but d'accessibilité, ils auraient proposé d'ajouter... les quatre députés, de les ajouter au niveau local et non au point de vue régional. Et là, évidemment, ils vont dire : Non, non, non, ça en prend un régional. Alors là, on va en mettre quatre locaux, quatre régionaux pour assurer une meilleure proportionnelle. Là, Montréal, évidemment, va crier, va dire : Bien, nous autres, ça nous en prend 10 autres, puis là on est partis pour la gloire.

M. LeBel : Mais, dans cette proposition-là, le résultat ferait qu'il y aurait un député de plus. C'est sûr que ça améliore l'accessibilité des citoyens.

M. Sormany (Louis) : Oui, mais ça améliore l'accessibilité en termes de quantité, mais en termes de qualité, de proximité de services, je vais vous dire, c'est zéro. Vous allez peut-être me dire 10, 10 %, je vais vous dire : C'est zéro.

M. LeBel : Il faut élire des bons députés, c'est ça que ça veut dire.

M. Sormany (Louis) : Ça, c'est sûr. On s'entend là-dessus.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député de Rimouski. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il vous plaît.

Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre présence, votre présentation. Je pense que vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que je suis plutôt en désaccord, en fait, avec les prémisses de votre argumentaire.

Cela dit, vos arguments sur la mainmise des partis politiques, quand même, je suis sensible à ça. En même temps, j'entendais le collègue de LaFontaine dire : Bon, les partis vont avoir beaucoup de pouvoir, ils vont pouvoir choisir qui est premier sur la liste, etc. Mais, bon, je vous soumets quand même qu'il y a des partis politiques représentés ici, à l'Assemblée nationale, dont, par exemple, le Parti libéral, en partie, mais aussi le gouvernement, la Coalition avenir Québec, qui, en fait, ont des processus de nomination des candidats dans les circonscriptions où c'est aussi le parti qui décide d'ores et déjà. Donc, ce serait... Donc, cet argument-là est plus ou moins valable dans ce contexte.

M. Sormany (Louis) : ...

• (17 heures) •

Mme Fournier : Mais vous pourrez répondre, je n'ai pas beaucoup de temps, je veux juste terminer mon deuxième point. En fait, vous avez parlé de la cohabitation sur le territoire, comme quoi ça allait créer, dans les grandes régions, de la concurrence. Bien, je soumets que ça existe déjà, la concurrence puis la cohabitation, si on veut, dans les régions urbaines. Je regarde mon collègue de Vachon, en face, en fait, on partage, lui et moi, ainsi que d'autres collègues, la même municipalité, qui est la ville de Longueuil, donc on collabore avec les mêmes acteurs, tout ça. On a des bureaux de circonscription qui sont situés assez proche, quand même, je pense qu'il y a juste à peu près une douzaine de kilomètres qui nous séparent, mais pourtant on collabore très bien ensemble.

Puis je pense que c'est à l'avantage des citoyens de Longueuil de pouvoir, justement, se référer à plusieurs députés qui peuvent mettre de côté, justement, leurs allégeances pour faire avancer des dossiers. Puis avoir des députés qui font partie autant du gouvernement que des oppositions, c'est quelque chose qui est bénéfique. Puis il y a même les groupes communautaires qui sont venus nous voir pour nous dire que, pour eux, c'était un avantage. Donc, je pense qu'on peut le voir de l'autre côté aussi.

M. Sormany (Louis) : Bon, alors, pour le premier point, les partis choisissent déjà leurs candidats, là, leurs futurs députés, s'ils sont élus, ça, c'est sûr. Mais là, les partis, ce qu'ils vont faire, ils vont établir que, lui, c'est le numéro un, lui, c'est le numéro deux ou, elle, c'est le numéro trois, elle, c'est le numéro quatre, etc.

Mme Fournier : Ils choisissent les meilleurs côtés, aussi, pour les candidats en liste, en ce moment.

M. Sormany (Louis) : Oui, mais actuellement, je veux dire, on ne met pas en... on met en concurrence des éventuels candidats qui se présentent à une investiture, mais il y a un candidat qui sort de là, et, par rapport à ses autres collègues députés, ils sont tous sur le même pied, alors que, là, on va avoir des députés élus : Ah! bien, lui, c'est le numéro un du parti, puis, lui, c'est le numéro 10 du parti. Alors, il y a quand même cette nuance-là à faire.

Pour ce qui est de la concurrence ou de la cohabitation, je l'ai dit tantôt, la cohabitation, à mon avis, est peut-être plus facile dans le système actuel dans des députés de partis opposés, voisins parce que, justement, ils ne se font pas concurrence lors de l'élection suivante directement, ils ne seront pas opposés un à l'autre, tandis que le député régional et le député local qui vont desservir le même territoire, eux autres vont se retrouver, à la prochaine élection, en concurrence l'un contre l'autre, et ça, je pense que c'est...

Mme Fournier : Ils ne seront pas en concurrence directe du moment où il y en a qui se présente sur la liste et d'autres se présentent dans la circonscription, ce n'est pas le même vote. Puis, au contraire, c'est un outil supplémentaire pour les citoyens de dire : Aïe! je vais voter pour le candidat qui me représente le plus dans ma circonscription puis en plus j'ai l'occasion de voter pour le parti qui représente le mieux mes allégeances politiques, mes idéaux. Donc, c'est un outil qui va être intéressant pour les gens.

M. Sormany (Louis) : Il va falloir voir si, la double candidature, il va y avoir des modifications là-dessus ou tout ça. Pour l'instant...

Mme Fournier : Pour l'instant, il n'est pas prévu, donc les gens ne s'affrontent pas directement.

M. Sormany (Louis) : Ils ne s'affrontent pas directement mais ils s'affrontent indirectement. Et, à un moment, on peut avoir un député qui est député régional, qui a peut-être le goût de tomber au local après, puis etc. Alors, il y a plus de concurrence à l'intérieur... sur le même territoire, à mon avis. La concurrence va être là, puis une concurrence qui ne favorisera pas la collaboration.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup, cela dit, merci de votre participation à la commission.

Je suspends les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 02)

(Reprise à 17 h 05)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Je vous demanderais de prendre siège. La commission reprend ses travaux.

Alors, nous souhaitons la bienvenue à M. Jean-Pierre Derriennic, professeur associé au Département de science politique de l'Université Laval. Alors, d'emblée, je vous demande de débuter votre exposé de 10 minutes et, après ça, d'avoir un échange avec les membres de la commission. Et merci beaucoup d'être ici aujourd'hui, la parole est à vous.

M. Jean-Pierre Derriennic

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Merci de votre invitation. Certains des points qui sont dans le mémoire que je vous ai envoyé ont été dits la semaine dernière par André Blais. Il n'est pas inutile que je répète certains d'entre eux dans cet exposé. Je pense, comme lui, que le projet de loi pourrait représenter un progrès par rapport au statu quo si certaines corrections lui sont apportées, mais il est possible de faire mieux et beaucoup plus simple en faisant une représentation proportionnelle modérée plutôt qu'un système mixte, qui est un mode de scrutin inutilement compliqué. Je vais d'abord rappeler les corrections que je pense qu'il faut faire à votre projet, et ensuite je développerai un tout petit peu le deuxième point.

Il faut faire cinq corrections à votre projet pour qu'il soit rendu acceptable. La première correction, c'est qu'il faut diviser les régions administratives les plus peuplées en plusieurs régions électorales pour que toutes les régions électorales aient des nombres de députés moins inégaux. Il faut le faire pour des raisons d'équité entre les partis — c'est ce qu'André Blais vous a expliqué en vous parlant de l'Espagne, peut-être vous vous en souvenez — et il faut le faire surtout pour des raisons d'égalité entre les citoyens, hein? Dans les régions à trois sièges, on va proposer aux citoyens un choix de parti beaucoup plus limité que dans les régions qui ont plus que 20 sièges. Cette inégalité-là entre les citoyens face à l'élection n'a aucune justification. C'est un des problèmes graves de votre projet.

J'ajoute en passant que, si les régions électorales ne font pas plus que six sièges, toute la discussion sur le seuil d'éligibilité devient inutile. Vous avez passé beaucoup de temps à discuter, 10 %, 5 %, 3 %, etc. Oubliez ça, vous n'en avez plus besoin si vous fonctionnez dans des régions électorales peu inégales et n'ayant pas plus que six sièges.

Deuxième correction qu'il faut faire, il ne faut pas diviser par deux le nombre de sièges de circonscription gagnés par un parti pour calculer son droit à obtenir un ou des sièges de région. Ça vous a été dit par beaucoup d'intervenants à cette commission. Il ne faut surtout pas, et ça, je crois, ça ne vous a pas été dit, arrondir le diviseur à l'unité supérieure. Dans mon mémoire, j'explique avec un exemple numérique très, très simple pourquoi ça donne un résultat complètement absurde, hein? Ça équivaut à favoriser les partis qui ont deux élus par rapport à ceux qui n'en ont qu'un et ceux qui ont quatre élus par rapport à ceux qui en ont trois. Ce favoritisme des nombres pairs par rapport aux nombres impairs n'a aucune justification, hein? Et donc, si on supprime cette règle de diviser par deux le nombre de sièges de circonscription, on fait disparaître cette difficulté.

Troisièmement, il ne faut pas autoriser les candidats indépendants. Le projet de loi comporte une incohérence étrange : pour pouvoir être élu comme député de région, il faudra être le candidat d'un parti qui obtient au moins 10 % dans l'ensemble du Québec, mais on pourrait être élu comme candidat indépendant, et là la règle ne peut plus s'appliquer, évidemment, hein? Il y a quelque chose d'incompréhensible là-dedans, hein? Et évidemment les candidats indépendants seront utilisés par les petits partis politiques pour présenter des candidats en échappant à la règle des 10 %, et ça pourra être utilisé aussi par les grands partis politiques pour faire toute une série de manoeuvres frauduleuses qui sont possibles dans un système compensatoire, hein? Dans un système compensatoire, la compensation vise les partis. Elle se fait entre les partis selon les résultats qu'ont obtenus les partis. Les candidats indépendants n'ont rien à faire là-dedans. Ils sont la porte grande ouverte à toute une série de manoeuvres frauduleuses. Si, pour des raisons de principes, vous croyez... raison de principes que je ne comprends pas, si vous pensez qu'il faut autoriser les candidats indépendants, il ne faut pas faire un système compensatoire, les deux institutions sont incompatibles. Vous ne pouvez pas faire les deux en même temps.

Quatrième correction qu'il faut faire, il faut donner aux électeurs deux votes sur le même bulletin et non pas deux bulletins de vote. Le projet de loi parle tout le temps de deux bulletins de vote. Il faut évidemment avoir deux votes sur un seul bulletin. J'ai une copie de bulletin de vote allemand ici pour vous montrer à quoi ça rassemble, deux votes sur un seul bulletin. Je vous le laisserai, si vous voulez. Évidemment, ça diminue beaucoup les possibilités de fraude parce que, si les deux votes sont sur le même bulletin, les manoeuvres frauduleuses peuvent être dénoncées après coup, alors que, si les votes sont sur des bulletins différents, il y a toute une série de manoeuvres frauduleuses qui sont beaucoup plus difficiles à détecter. Et je ne vois pas l'utilité de faire deux bulletins de vote. Il faut faire deux votes sur le même bulletin.

Enfin, il faut modifier la méthode d'attribution des sièges de région vacants. L'idée qu'il va y avoir des députés nommés par des partis politiques sans passer par aucune élection est quelque chose qui sera, de toute façon, inacceptable. C'est facile de savoir comment faire les choses autrement.

• (17 h 10) •

Donc, si ces corrections sont faites, ce projet deviendra une bonne réforme, un progrès important par rapport au statu quo, mais ça sera seulement mon deuxième choix, comme André Blais vous a dit que c'était son deuxième choix et que son premier choix, c'est quelque chose... comme pour moi, de quelque chose de beaucoup plus simple, c'est une représentation proportionnelle modérée, c'est-à-dire appliquée dans des circonscriptions élisant de trois à cinq députés.

Et, comme il me reste quelques minutes, je pense que... je développe très rapidement cette solution, qui, je pense, serait bien plus commode, bien plus facile à mettre en place et bien meilleure que ce que vous voulez faire. Ça aurait trois avantages immédiats.

La première, c'est que regrouper les circonscriptions qui existent aujourd'hui sans modifier leurs limites pour faire des circonscriptions plurinominales à trois élus, ou à cinq élus, ou éventuellement à quatre élus, ça peut être nécessaire si on doit respecter les limites des régions administratives. C'est un travail beaucoup plus facile que de faire 78 nouvelles circonscriptions. Les délais d'entrée en vigueur de la réforme, c'est essentiellement ça, pas d'avoir à refaire 78 circonscriptions. Ça, c'est un travail énorme qui va soulever des contestations, des discussions, etc., hein?

Deuxième avantage, le fonctionnement du système électoral sera plus facile à comprendre par les citoyens et évitera toute une série de questions comme la différence de statut entre les deux types de députés, etc. Vous faites l'économie de toute une partie des discussions et des objections qui vous sont faites aujourd'hui.

Et enfin, si vous faites une représentation proportionnelle dans des circonscriptions qui élisent très peu de députés, tout le discours sur les dangers de la représentation proportionnelle qui déstabilise tout ne tient plus parce qu'avec des circonscriptions à trois sièges le seuil d'éligibilité, c'est 25 %, à trois sièges. Avec des circonscriptions à cinq sièges, le seuil d'éligibilité, c'est 17 %, à peu près, ça dépend du nombre de candidats, etc., mais enfin c'est un ordre de grandeur. Donc, là non plus, vous n'avez plus besoin de seuil d'éligibilité, et le risque que l'Assemblée soit envahie par toute une série de petits partis politiques sera... tout ça n'existe plus. Vous pouvez faire un système proportionnel simple, facile à comprendre, facile à mettre en place, facile à appliquer et qui ne présente pas les dangers qui sont attribués d'habitude à la représentation proportionnelle.

L'intérêt de beaucoup d'entre vous pour un système mixte repose sur quelque chose qui est, je crois, une illusion, c'est l'idée que, pour qu'il y ait une relation significative entre les élus et les électeurs, il faut absolument des circonscriptions uninominales. Alors, vous voulez garder des circonscriptions uninominales, que vous agrandissez, donc le lien va être affaibli, puis vous créez 45 députés qui, eux, n'ont pas de circonscription uninominale. Si vraiment les circonscriptions uninominales, c'est indispensable, qu'est-ce qu'ils deviennent, ces gens-là, dans toutes vos discussions? Est-ce que le lien serait rompu si on faisait des circonscriptions à trois sièges?

Alors, j'ai réfléchi une seconde sur Abitibi-Témiscamingue. Aujourd'hui, il y a trois députés. Avec votre système, il y en aurait aussi trois, deux dans des circonscriptions et un député de région. Avec une représentation proportionnelle simple, il y aurait trois députés qui se présenteraient sur des listes de trois candidats et il y aurait trois députés élus. Ils ne seraient pas moins nombreux. Il ne serait pas plus difficile de les atteindre pour les citoyens. Chacun des trois aurait un domaine... un territoire trois fois plus grand, mais ils y seraient trois dans ce territoire trois fois plus grand. Je ne vois pas qu'est-ce que... en quoi ça nuirait, et ça aurait un avantage important, que vous évoquez à propos des candidats de région, c'est que, s'il y a trois élus dans une région, il n'y aura jamais trois élus du même parti. Donc, les citoyens auront toujours le choix de s'adresser à au moins un député du gouvernement, au moins un député de l'opposition. Et je crois que, si les citoyens avaient ce choix-là partout, ils aimeraient ça beaucoup et que ça ne dégraderait pas la qualité des relations entre les députés et les élus... entre les députés et les électeurs, ça l'améliorerait, et ça aurait un avantage énorme pour la composition de l'Assemblée.

En 2018, les trois députés d'Abitibi-Témiscamingue — je reste dans le même exemple — ont été élus avec, au total, à eux trois, un peu moins de 36 % des votes de tous les électeurs de la région. Si on reprend les chiffres de 2018 et qu'on les applique de manière proportionnelle dans la même région, on obtient trois députés qui ne sont pas les mêmes, évidemment, mais qui sont élus, à eux trois, avec 80 % des votes exprimés dans la région. C'est dire... les votes perdus, qui sont aujourd'hui 60 %, dans cette région sont divisés par trois, tombent à 20 %.

Vous savez que l'Assemblée nationale actuelle a été élue par 46,4 % des gens qui ont voté. Plus de la moitié des gens qui ont voté ont perdu leur vote. C'est un des problèmes les plus graves de notre système électoral, et on peut améliorer beaucoup cette situation avec un système proportionnel, même aussi modéré qu'appliqué dans des circonscriptions à trois sièges.

Le Président (M. Bachand) : Merci.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Je suis obligé d'arrêter?

Le Président (M. Bachand) : Oui, parce que, bien, c'est la période d'échange. Les gens ont hâte de poser des questions.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Bon, O.K., O.K. J'ai une autre... une chose ou deux de plus à dire, mais je le dirai en répondant aux questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la ministre, s'il vous plaît.

Mme LeBel : Bien, je vais vous donner l'occasion, justement, de compléter, puis je pourrai peut-être vous poser des questions par la suite. Donc, complétez avec ce que vous vouliez ajouter.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Donc, la dernière chose, l'autre avantage, n'est-ce pas, les gens qui veulent une représentation proportionnelle veulent une représentation proportionnelle dans des grandes régions. Vous avez ce débat. Est-ce qu'il faut faire des plus grandes régions ou est-ce qu'il faut faire des plus petites régions en divisant les grandes régions? Je crois qu'il faut faire des régions égales et qu'il vaut mieux faire des régions plus petites en divisant les grandes que de faire des régions plus grandes en regroupant les petites, parce qu'il vaut mieux faire une représentation proportionnelle modérée. Le but ne doit pas être de permettre à un grand nombre de partis politiques d'avoir un ou deux élus. Ce n'est pas du tout ça, la preuve qu'on a un bon système électoral.

Et le problème du rôle des petits partis politiques dans la société... Il y a des petits partis politiques qui défendent des choses très importantes. C'est le cas des verts, par exemple, dans notre société, il y a peut-être d'autres exemples, ils défendent quelque chose qui est important, et le fait qu'ils ne puissent pas avoir de votes aux élections parce que les gens savent que c'est un vote gaspillé, bien, ils ont moins de 2 %, c'est une catastrophe complète. Il y a une solution à ça, qui n'est pas de faire un système très propositionnel, qui est de faire un vote préférentiel, ou transférable, ou à préférence ordonnée. André Blais vous a parlé de cela aussi, mais André Blais semblait croire qu'il faut choisir entre le vote préférentiel ou le vote proportionnel. On peut faire les deux ensemble. Si on fait un vote proportionnel dans des circonscriptions, et là... en élisant un petit nombre de députés, on peut très bien donner aux électeurs le choix d'indiquer un ordre de préférence, non pas entre les candidats individuels, mais entre les listes de partis. Si vous votez pour un parti qui a trop peu de votes, votre deuxième choix va être utilisé ou votre troisième choix va être utilisé. D'un seul coup, les verts auront plus de premières préférences qu'ils ont de votes aujourd'hui, parce que ça ne sera plus un vote gaspillé, premier avantage.

Deuxième avantage, beaucoup de députés élus des autres partis sauront qu'ils ont été élus grâce au deuxième choix des verts... des électeurs des verts, et ils en tiendront compte, évidemment, n'est-ce pas? Et donc, pour la place de l'environnement dans notre société, donner un vote préférentiel à tous les électeurs pour permettre au Parti vert de connaître sa force réelle et que les électeurs des verts exercent une influence sur les élections des autres... des députés des autres partis, c'est la méthode la plus efficace plutôt que d'essayer de faire un système proportionnel qui va permettre au Parti vert d'avoir deux élus, n'est-ce pas? Ça, bien, c'est un petit peu ce que les porte-parole du Parti vert vous ont expliqué. Ils veulent absolument avoir un élu ou deux, et ce n'est pas du tout la bonne stratégie, ni pour le développement de leur parti, ni pour l'importance de l'environnement dans nos préoccupations politiques, ni pour respecter l'opinion des électeurs pour qui c'est le premier choix, et c'est un premier choix sérieux qui doit être pris en compte.

Le Président (M. Bachand) : Mme la ministre.

• (17 h 20) •

Mme LeBel : Sur les modalités, peut-être, du projet de loi comme tel, qui nous occupe présentement, le projet de loi qui est sur la table, celui qu'on discute, vous le soulignez, à juste titre, dans votre mémoire et vous êtes, je pense, sans me tromper, un des seuls partisans de cette modalité-là, vous dites : «Un des points les plus critiqués du projet [de loi] sera la règle qui réserve les sièges de région aux partis ayant obtenu au moins 10 % des votes dans tout le Québec.» Vous dites : «C'est pourtant une bonne règle. Elle corrige un peu un des défauts du projet, celui de créer une inégalité entre les citoyens selon le lieu où ils habitent.» Pouvez-vous l'expliquer un peu plus? Parce qu'on a parlé du fait que cette règle était trop élevée, qu'elle permettait... qu'elle mettait un frein trop élevé à l'accessibilité, mais, au niveau de corriger l'inégalité, j'avoue que j'aimerais mieux comprendre.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : La règle de 10 %, de toute façon, ne s'appliquera qu'à Montréal et en Montérégie, partout ailleurs elle ne sert à rien. Partout ailleurs... Bon, c'est vrai que c'est un calcul à l'échelle de tout le Québec et non pas dans la circonscription, mais, dans presque toutes les circonscriptions, pour avoir des... Bon, à Québec, il va falloir 9 %, 10 % des votes dans la région, et partout ailleurs, bon, dans les circonscriptions à... dans les régions à six sièges, il va falloir avoir 15 % ou 16 % des votes dans la région. Donc, si on a 15 % ou 16 % des votes dans la région, ce n'est pas difficile d'être un parti qui a 10 % des votes dans l'ensemble de la province. La règle de 10 % n'aura d'effet réel qu'à Montréal et en Montérégie. S'il n'y avait pas de règle de 10 % ou seulement une règle de 3 %, qu'est-ce que ça donnerait? Bien, ça donnerait qu'un électeur en Abitibi-Témiscamingue, n'est-ce pas, il sait que tous les partis politiques qui ont moins de 20 % des votes n'ont pas de chances, ce n'est pas la peine de voter pour eux, c'est du vote gaspillé, alors qu'à Montréal, s'il n'y a pas de règle de 10 %, un parti qui a la possibilité d'avoir 4 % des votes pourra avoir un élu. Alors, la règle de 10 % diminue cette inégalité parce qu'elle établit un seuil de 10 % à Montréal et en Montérégie, qui continuent à avoir un choix plus ouvert qu'en Abitibi, mais ça diminue l'inégalité de choix entre l'Abitibi et Montréal ou la Gaspésie et la Montérégie.

Mme LeBel : O.K. Bon, au niveau du principe même d'avoir un système, peu importe... parce que vous nous proposez un autre type de système, mais, peu importe celui auquel on pourrait adhérer, le principe même, là, d'avoir de la proportionnalité, une proportionnalité plus élevée dans un système électoral, vous trouvez que c'est une bonne chose?

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Ça dépend. C'est bien d'avoir un système proportionnel, parce que, comme le montre mon exemple numérique pour l'Abitibi, n'est-ce pas, les gens d'Abitibi, 36 % d'entre eux ont élu les trois députés. S'ils avaient voté à la proportionnelle de la même façon, 80 % d'entre eux auraient voté pour quelqu'un qui est élu. Il me semble que ça fait une différence énorme pour la satisfaction des gens qui ont voté et pour l'obligation pour les élus de tenir compte de tout le monde, hein, et ça va être vrai à l'échelle de l'ensemble... Je n'ai pas fait le calcul pour toute la province, n'est-ce pas, c'est un travail trop long, mais évidemment ça, ça fait un progrès très important, et ce progrès important, il peut être obtenu même avec une proportionnalité faible, parce que des circonscriptions à trois sièges, c'est une proportionnalité faible.

Il faut faire un système proportionnel, mais ça ne veut pas dire que le système le plus proportionnel est le meilleur. Pas beaucoup des gens qui sont venus vous parler pensent que plus c'est proportionnel, plus c'est bien. Non, il faut que ce soit proportionnel, mais il ne faut pas que ça le soit beaucoup, et il suffit que ça le soit un peu pour que ça améliore beaucoup la représentativité de l'Assemblée. J'ai fait le même calcul pour la région de Mégantic, Est du Québec, là, où il y a cinq élus, hein? En les faisant élire à la proportionnelle au lieu d'être élus dans des circonscriptions uninominales, les députés, en 2018, auraient été élus par 95 % des gens qui ont voté, il y aurait eu 5 % de votes perdus au lieu de 50 % de votes perdus. C'est ça, le progrès que permet le système proportionnel, ce n'est pas de permettre la multiplication des petits partis.

Les petits partis revendiquent la proportionnelle parce qu'ils croient que c'est indispensable pour leur existence. Il faut expliquer aux petits partis que ce qui est bon pour eux, c'est le vote préférentiel, c'est le vote avec un ordre de préférence. Comme ça, on va connaître vraiment leur soutien dans la population. Comme ça, les petits partis sérieux auront une représentation des votes sérieux, même s'ils n'ont pas beaucoup de députés, et puis les petits partis rigolos non significatifs, eh bien, ils resteront quelque chose de négligeable, n'est-ce pas?

Il faut faire un système proportionnel, il faut faire un système proportionnel modéré. C'est ce que nous a enseigné Vincent Lemieux. C'est ce qu'il m'a enseigné à moi, c'est ce qu'il a enseigné à Louis Massicotte, c'est ce qu'il a enseigné à André Blais, c'est ce qu'il a enseigné aux meilleurs spécialistes des modes de scrutin de la province de Québec. Je ne me compte pas parmi eux, mais je parle des deux autres, André Blais et Louis Massicotte. Moi, je ne suis pas un expert de ce genre de chose, mes sujets de recherche sont assez différents.

Mme LeBel : Vous mentionnez peut-être un autre point, entre autres celui d'interdire les candidats indépendants, vous l'avez expliqué. J'ai beaucoup de mal à voir comment je pourrais, dans notre système constitutionnel et démocratique, interdire à quelqu'un de se présenter en politique parce qu'aucun parti politique ne l'accueille ou parce qu'il ne veut pas se joindre à aucun parti politique. Les deux sont les mêmes, mais, je veux dire, on pourrait penser que quelqu'un pourrait soit être exclu ou ne pas désirer le faire. Mais, de toute façon, étant indépendant, comment je peux justifier ça dans notre système démocratique et constitutionnel?

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Dans les circonscriptions uninominales, bien, vous dites à un candidat qui veut se présenter de dire qu'il a un parti politique, il peut être un parti politique à lui tout seul. Et, pour les sièges de région, que les sièges de région soient attribués plus facilement à des candidats indépendants qu'à des candidats de parti, il me semble que ça, c'est l'ouverture à toute une série de manoeuvres. Bien, au bout de deux élections, les partis vont comprendre ça et vous allez avoir toute une quantité de candidats indépendants qui vont être élus aux sièges de région à Montréal et en Montérégie, qui seront en fait des candidats camouflés de certains partis pour qu'ils obtiennent ces sièges sans qu'on déduise les sièges obtenus par le parti dans les circonscriptions uninominales. C'est un moyen facile de fausser complètement le jeu.

Je ne vois pas pourquoi les candidats indépendants, ça serait une liberté fondamentale dans notre société. Il n'y a quasiment jamais de candidats indépendants élus, hein, ça ne change rien au fonctionnement du système. Et, dans ce cas-là, ça le perturbe gravement. Vous pouvez faire un système uninominal en utilisant... en autorisant les candidats indépendants, ils ne seront pas élus, mais ils ne faussent pas le jeu. Vous pouvez faire un système proportionnel simple. Si vous faites le système proportionnel que je vous propose, avec les circonscriptions à trois, quatre ou cinq sièges, là, vous pouvez autoriser les indépendants. Ils ne seront pas élus, mais ils ne fausseront pas le système, ils ne pourront pas être utilisés pour fausser le système. Vous pouvez même faire un système parallèle... un système mixte parallèle, vous savez sans doute ce que c'est. Bien, c'est moins bien qu'un système compensatoire, il ne faut pas faire un système mixte parallèle. Mais, si vous faisiez un système mixte parallèle, je ne vous critiquerais pas, les candidats indépendants, ça n'a aucun effet. S'il y a compensation, les candidats indépendants viennent fausser complètement le jeu de la compensation. Ils peuvent servir à ça, les partis politiques vont le comprendre, hein?

Vous savez quelle est l'histoire des lois sur le financement des partis au Québec. On fait des belles lois sur le financement des partis, et immédiatement il y a, dans les partis politiques, des gens qui étudient comment jouer sur la loi, comment exploiter la loi, comment trouver les failles de la loi. Si vous faites un mode de scrutin où il y a des failles, évidemment il y aura des gens dans les organisateurs de partis politiques qui viseront comment exploiter la faille pour gagner un siège ou deux ici ou là, hein? Ne faites pas des candidats indépendants dans un système compensatoire. Il faut choisir, faire l'un ou l'autre. Si vous voulez faire un système compensatoire, ça peut être un bon système, et ne faites pas de candidats indépendants. Si vous exigez de faire des candidats indépendants, vous allez être obligés de prendre ma solution du système proportionnel sans système mixte, et là je serais tout à fait content parce que je pense que ce serait un peu mieux que ce que vous voulez faire. Vous voulez faire quelque chose qui peut être pas mal si vous évitez certaines erreurs, mais ne mettez pas des candidats indépendants dans votre projet, ça va tourner mal.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme la ministre. Je me tourne maintenant vers le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

• (17 h 30) •

M. Tanguay (LaFontaine) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Derriennic. Heureux, je dirais, de vous retrouver. Je dois faire l'aveu, j'ai déjà été un de vos élèves en science politique. Alors, vous pourrez avertir vos élèves : Faites attention, parce que mes cours peuvent vous mener à l'Assemblée nationale. Vous les préviendrez, s'ils abusent de la science politique. Très heureux de vous retrouver.

Vous dites, dans votre mémoire... Évidemment, j'ai lu votre livre, parce que vous aviez participé à une réflexion plus globale, 2013, 2014, 2015, avec l'élection du gouvernement fédéral, à l'époque, de M. Trudeau, Un meilleur système électoral pour le Canada, je trouvais ça inspirant également. Vous faites une excellente, je pense, démonstration, entre autres, de ce qu'implique le système préférentiel, par vote préférentiel. Et, comme vous le dites bien, c'est toujours une option à analyser, oui, dans le contexte du projet de loi n° 39, mais dans un système uninominal, également, à un tour, c'est toujours une option sur laquelle les partis politiques peuvent avoir une réflexion.

Vous dites, dans votre mémoire... Donc, il y a le livre, il y a le mémoire, que j'ai lu, bien évidemment. En premier paragraphe, vous parlez du projet de loi comme étant inutilement complexe et vous soulevez des erreurs de conception. Et je pense que, si, sur l'approche, vous êtes pour, je crois, puis je ne veux pas être réducteur dans la façon dont je résume votre position, vous êtes ouvert, évidemment, à un nouveau mode de scrutin, mais vous soulevez des écueils qui, pour vous, sont fondamentaux, et ce que vous proposez n'est pas cosmétique ou anodin, est fondamental pour que le système fonctionne.

Ce faisant, vous soulevez l'importance d'avoir des régions et, dans votre livre également, ça y participe. La proportionnalité des résultats est meilleure si le nombre de députés par circonscription est plus grand. Donc, vous, ce que vous dites, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, puis les gens qui nous écoutent à la maison peuvent également comprendre les explications que vous apportez, vous dites : Bien, plutôt que de faire... de diviser le Québec par ce qui est déjà ses régions administratives, soit 17, certaines régions sont immenses comparées à d'autres en termes de territoire, mais peu peuplées, donc l'Abitibi aurait trois députés, vous dites : Bien, regroupez, gardez les 125 comtés, ne refaites pas complètement la carte électorale, qui est un processus excessivement douloureux dans notre démocratie, là. Faire une carte électorale aux huit ans, à toutes les fois, c'est excessivement douloureux, et on touche, bon an, mal an, une quinzaine de comtés, parfois on a monté à 35. Mais de refaire complètement la carte des 125 comtés, de dire : Vous refaites 80 comtés, vous dites : Non, non, non, gardez les mêmes. Donc, en termes de complexité, de délais et de division sociale, vous diminuez les écueils. Et vous dites, donc, j'aimerais vous entendre là-dessus : Prenez les 125 comtés et regroupez-les en région de trois à cinq, regroupements de trois à cinq députés, et là vous pourriez faire une véritable redistribution proportionnelle basée sur le vote constaté dans la région. Et également un élément sur lequel j'aimerais vous entendre, vous dites : Le système, tel que proposé, est complexe, difficile à comprendre, et l'un des défis serait d'expliquer aux gens pourquoi il y aurait deux statuts de député. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur cette réalité que le projet de loi ferait naître deux statuts de député.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Oui, ça va faire naître deux statuts de député. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème grave, mais ça va être un débat grave parce que ça va être utilisé perpétuellement contre la réforme. Et, d'une certaine façon, ce n'est pas utile d'en discuter ici parce qu'on ne peut pas fixer dans la loi comment va se diviser le travail entre un député de région et un député de circonscription. Et puis, dans les petites régions, le député de région ne sera jamais du même parti que les députés de circonscription. C'est la logique même de la compensation, hein, on ne pourra jamais avoir trois élus du même parti. Dans les grandes régions, il pourra y avoir des députés de région qui sont du même parti que des députés de circonscription, comment fait-on des règles pour déterminer comment ils doivent travailler ensemble? Dans certains cas, ils sont du même parti, dans certains cas ils ne le sont pas, etc. Je crois qu'on ne peut pas mettre ça dans une loi. Ce n'est pas nécessaire de discuter ça ici. Les partis et les députés le régleront eux-mêmes. Je crois qu'ils sauront le régler. Et je ne crois pas que ce sera un problème très grave. Ce ne sera pas un problème très grave pour vivre avec la réforme, si vous la faites. Ce sera un problème grave pour faire adopter la réforme parce que la discussion va porter là-dessus tout le temps. Les gens vont vouloir qu'on leur dise à l'avance comment ce travail va se répartir.

Je pense que les candidats indépendants ou la méthode de calcul en divisant par deux, ça, c'est des problèmes plus graves pour la réforme elle-même. Et je crois que l'inégalité de peuplement des régions, le fait d'avoir des régions à trois sièges, même deux dans un cas, et des régions à 25 ou 23, etc., sièges, ça, c'est un problème grave dans la conception d'un système, d'un système électoral.

M. Tanguay (LaFontaine) : Oui, et j'aimerais, donc, sur cette lancée-là, vous demander de commenter ou de détailler, plutôt... en page 5 de votre mémoire, vous dites... vous parlez du lien électeurs-élus, et vous dites, je vous cite : «L'argument que les circonscriptions uninominales sont nécessaires pour maintenir un lien significatif entre les électeurs et les élus a, dans le cas d'un système mixte, des effets paradoxaux. Il conduit à la création de 80 circonscriptions uninominales qui seront 50 % plus peuplées qu'aujourd'hui, et où ce lien serait donc affaibli, et de 45 sièges de députés pour lesquels il serait rompu.»

J'aimerais une explication, s'il vous plaît, sur ce lien rompu ou affaibli électeur, élu.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Il serait beaucoup plus faible si... Bien, il y a un postulat, que je ne partage pas, que les circonscriptions uninominales sont indispensables pour... et c'est à cause de ce postulat que vous voulez faire un système mixte et non pas un système proportionnel beaucoup plus simple, c'est uniquement pour garder des circonscriptions uninominales, sans ça, vous n'avez pas besoin de faire un système mixte. Donc, au nom du postulat de l'importance des circonscriptions uninominales, vous aboutissez à agrandir les circonscriptions uninominales, donc affaiblir leur efficacité pour le lien entre les électeurs et les élus, et à créer des députés qui n'ont pas de circonscription uninominale.

Moi, je crois que, si vous faites un système mixte, les députés de région seront des députés élus tout à fait légitimes qui feront leur boulot de député comme les autres et je crois que ça peut marcher très bien. Dans un pays comme l'Allemagne, ça marche très bien depuis longtemps, et c'est contradictoire avec le postulat de départ. Moi, je pense que les députés de région, ça va se passer bien parce que je ne crois pas au postulat que les circonscriptions uninominales sont indispensables au lien entre les électeurs et les élus. Et je pense que mon exemple de l'Abitibi-Témiscamingue et des trois élus à la proportionnelle dans une... bien, eux, ils n'auront pas de lien avec leurs électeurs, alors que les trois circonscriptions voisines, là, les députés ont un lien avec leurs électeurs, c'est une affirmation qui est indémontrable. Je ne vois pas pourquoi, trois députés élus ensemble à la proportionnelle dans un territoire trois fois plus grand, ça serait plus difficile pour eux de faire leur travail. Il y aurait peut-être un problème pratique.

On vous a dit une chose très utile, je crois, André Blais et beaucoup d'autres : Il faut donner plus de moyens aux députés des régions éloignées. C'est vrai même maintenant, sans doute, hein, que la solution aux régions éloignées, ça n'est pas de donner trois fois plus de pouvoirs politiques aux habitants de ces régions par rapport aux habitants de Montréal ou de la Montérégie ou de Québec, c'est très injuste envers la majorité de la population qui est désavantagée par ça. Ce qui est légitime, tout à fait, c'est d'augmenter les moyens matériels des députés pour faire leur boulot. Faites un sondage dans la population, demandez aux habitants de Montréal et de Québec : Est-ce que vous êtes d'accord pour donner trois fois plus de pouvoirs aux habitants de la Gaspésie qu'à vous?, ils ne vont pas être d'accord. Si vous leur demandez : Êtes-vous prêts à payer un peu plus d'impôt pour financer les députés qui travaillent en Gaspésie, parce que leur travail est plus difficile que pour les gens qui sont à Québec?, je pense que la grande majorité de mes concitoyens accepteront ça comme la bien meilleure solution au problème des régions éloignées.

M. Tanguay (LaFontaine) : Nous, on discute beaucoup de systèmes électoraux, qu'est-ce qui serait le mieux, quel système serait le meilleur pour le Québec, et tout ça, on est toujours sur une base théorique. Mais vous êtes tout à fait conscient que — vous avez effleuré la situation, entre autres, lorsque vous parliez des difficultés des écueils pour faire adopter une telle réforme — on vit avec l'être humain, et chacun va dire... que ce soit le camp du Oui ou le camp du Non, va tirer la couverture de son côté et va faire... va soulever les arguments qu'ils voudront bien soulever.

Un élément central, et là je le vois comme un écueil, et j'aimerais vous entendre là-dessus, parce qu'on fait de la politique dans le réel, il faut évaluer aussi ses chances à ce que ça passe ou ça ne passe pas, un élément presque sacro-saint, et c'est excessivement important, c'est les régions au Québec, et on dit... et mon collègue de Rimouski, que j'apprécie beaucoup, a dit : Écoutez, moi, les 17 régions... puis c'est un élément fort et important pour lui, mais il tient à la proportionnelle. Mais comment pourrions-nous rendre possible cela dans la situation que vous soulevez — là, je me mets dans vos chaussures — en disant : Bien, ça ne sera pas les 17 régions, on va éclater ça? Et comment le débat ne pourrait pas facilement bifurquer sur : Bien, qu'est-ce qu'une région cohérente, si on les regroupe en trois, cinq ou 10 comtés?

M. Derriennic (Jean-Pierre) : On ne regroupe pas les régions, on regroupe les circonscriptions dans les régions.

M. Tanguay (LaFontaine) : Pas les régions, pardon.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Et les régions qui ont aujourd'hui trois députés deviennent une circonscription à trois sièges. Celles qui en ont quatre deviennent une circonscription à quatre sièges. Celles qui en ont cinq deviennent une circonscription à cinq sièges. Celles qui en ont six, ça se discute, on peut les diviser en deux qui en ont trois ou les garder à six. À Québec, on fait trois circonscriptions plurinominales, quatre, quatre et trois ou trois, trois et cinq, ça se discute. À Montréal, je pense, si on fait des circonscriptions à trois sièges partout, il faut en faire neuf. Voilà. Et donc...

• (17 h 40) •

M. Tanguay (LaFontaine) : Cohésion régionale, la cohésion régionale qu'on peut avoir dans les 17 régions administratives versus une cohésion... c'est-à-dire une division régionale, oui, regrouper, il fallait le lire comme ça, regrouper des comtés en régions artificielles, entre guillemets, versus l'appartenance du territoire que les partis, les députés élus vont représenter.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Je ne vois pas ce que ça changerait pour la région de Québec, qui, aujourd'hui, a 11 circonscriptions électorales, de garder 11 députés qui seraient élus dans trois régions électorales. Si vous voulez qu'il n'y ait pas de concurrence à cause du mot «région», on peut appeler ça autre chose qu'une région, on peut appeler ça, je ne sais pas quoi, «circonscription plurinominale». En quoi ça nuirait à l'administration de la région administrative de Québec et aux relations de la région administrative de Québec avec les élus dans Québec?

Si on me dit que regrouper les régions périphériques pour les mettre ensemble, ça, ça poserait un problème, peut-être. J'habite à Québec, je n'ai pas l'expérience des régions périphériques. Mais, dans le cas des grandes régions administratives qu'il faudrait diviser en plusieurs régions électorales — j'utilise l'expression «régions électorales» parce qu'elle est utilisée dans le projet de loi au début, pas sur les régions électorales qui vont correspondre aux régions administratives — je ne vois pas en quoi ça nuirait au fonctionnement de la région administrative de Québec, ni aux relations des électeurs avec leurs régions administratives, ni aux relations des députés avec la région administrative des électeurs qui les ont élus. Je crois qu'il y a là un complètement faux problème et que l'égalité des citoyens, qui est beaucoup mieux respectée si on fait des régions électorales plus petites dans les trois grandes régions, l'égalité des citoyens, c'est beaucoup plus important que la question de savoir si les régions correspondent exactement aux régions administratives.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Rimouski, s'il vous plaît.

M. LeBel : Merci, M. le Président. Bonjour. Vous savez, moi, par rapport aux régions, ça m'intéresse beaucoup, mais tantôt, M. Sormany, là, avant vous, dans son mémoire, avait amené une problématique, je pense qu'il faut essayer de trouver une solution pour répondre à ça, c'est, entre autres, la Côte-Nord — puis je reviens avec ce que vous venez de dire — la Côte-Nord, là, il y aurait deux députés sur la Côte-Nord, et là ce qu'il disait, ce qui pourrait arriver, c'est que les deux députés proviennent tous de Baie-Comeau, les deux, et là le comté de Duplessis perdrait... et là comment... C'est la même chose pour la Gaspésie, il dit : Ça pourrait arriver que les députés qui soient élus viennent tous du côté nord de la Gaspésie, et là la Baie-des-Chaleurs serait comme désavantagée. C'était un peu ce qu'il nous... il nous mettait en garde contre ça. Qu'est-ce qu'on... Comment vous pensez qu'on pourrait s'assurer que ça n'arrive pas comme ça ou que ça ne crée pas de problème?

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Les députés habiteront... qui sont candidats, on ne peut pas déterminer à l'avance où ils ont le droit d'habiter, où ils ont le droit de travailler. Le projet que vous avez va créer, dans la région...

M. LeBel : Parce que vous avez parlé de l'Abitibi tantôt, trois députés, ils auraient la grande région, mais, si les trois viennent de la même sous-région de l'Abitibi, il y a des gens... une partie de l'Abitibi va se dire moins représentée, vous ne pensez pas?

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Si c'est une erreur de faire ça et si les partis politiques font cette erreur, ils le paieront. Un parti politique qui présenterait trois candidats qui viennent exactement du même endroit ou trois candidats qui ont exactement les mêmes caractères... c'est pour ça... Bon, je n'ai pas abordé, dans mon mémoire, la question des quotas de femmes, des choses comme ça, n'est-ce pas, mais, même si on ne fait pas de quota pour les femmes, de quota pour des groupes particuliers, le seul fait que les candidatures soient présentées sur des listes augmente la probabilité qu'il y ait des femmes candidates. Si un parti politique présente trois candidats dans une circonscription sur une liste, il ne va pas présenter trois avocats mâles de 45 ans, il va présenter des gens différents, et ça va jouer en faveur des femmes, ça va jouer en faveur des minorités, etc. C'est pour ça qu'il y a plus de femmes, statistiquement, dans les Parlements dans les pays où il y a une représentation proportionnelle. Ce n'est pas à cause du calcul proportionnel, c'est parce que c'est des listes. C'est la formation des listes qui favorise la représentation des femmes. Donc, évidemment, un parti politique peut faire l'erreur que vous dites, tant pis pour lui, les gens ne vont pas aimer ça et le lui feront payer.

La Côte-Nord pose un problème particulier parce qu'il n'y en a que deux. Bon, alors, il va y avoir un truc un peu bizarre si vous appliquez votre projet, c'est qu'il va y avoir deux députés, un député de circonscription et un député de région, qui sont élus par les mêmes personnes dans le même territoire dans ce cas-là, et ça sera plus difficile d'être député de région que député de circonscription parce que, député de région, si on appartient à un parti, il faut appartenir à un parti qui a au moins 10 % dans l'ensemble de la province, alors que, pour le député de circonscription, cette règle-là ne s'appliquera pas. Ça va être un petit peu curieux. Comment ils vont travailler ensemble? Je ne sais pas, mais ils s'arrangeront. Si on fait une représentation proportionnelle et qu'on veut garder la même région commune, on peut faire une représentation proportionnelle avec seulement deux députés. Ce n'est pas recommandé, mais ça a été fait dans de nombreux endroits. Si toutes les circonscriptions font deux députés, c'est une catastrophe, la représentation proportionnelle. Mais avoir une circonscription où il y a deux députés seulement, hein... normalement, c'est trois, le minimum pour faire une représentation proportionnelle qui commence à être raisonnable, mais on pourra avoir, tout simplement, une élection à la représentation proportionnelle avec, effectivement, une probabilité très grande que les deux députés ne soient pas du même parti. Est-ce qu'ils viendront tous les deux du même patelin? Ça, c'est leur affaire, on ne peut pas codifier ça à l'avance.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il vous plaît.

Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre présentation. Vous êtes notre dernier intervenant pour les auditions publiques, donc c'était très, très intéressant de vous entendre. Je pense que vous nous amenez une autre perspective. Puis, par exemple, sur la question de la prime au vainqueur, je trouvais ça vraiment intéressant que vous souleviez le fait que, dans le cas d'un nombre impair, par exemple, ça devient un peu inapplicable, en fait. Ça fait que c'est un autre argument pour qu'on enlève ça du projet de loi.

Je crois que mes collègues ont bien résumé les différentes questions, mais je dois vous avouer, là, par ma situation, c'est sûr que la question des députés ou des candidats indépendants, ça m'a un peu titillée, ce que vous avez dit, parce que j'y vois une certaine contradiction. Vous dites que les partis pourraient faire des stratagèmes, puis là présenter des indépendants sur les listes, tout ça, mais en même temps vous avez dit aussi qu'il y avait un seuil implicite, à l'heure actuelle, avec le projet de loi proposé, que, même si on débat, là, sur les questions de 2 %, 3 %, 10 %... Moi, je vous rejoins, je trouve que cette question-là est un peu secondaire, parce qu'effectivement, c'est déjà à peu près 25 %, le seuil implicite, avec le projet de loi qu'on a dans les mains, sauf à Montréal et dans la Montérégie. Mais donc ça revient au même pour les indépendants, à part à Montréal puis en Montérégie, il n'y aurait pratiquement aucune chance qu'un candidat indépendant puisse se faire élire sur une liste. Puis même, encore là, à Montréal puis en Montérégie, on parlerait de peut-être un, au maximum.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Le candidat indépendant n'est pas sur une liste, par définition, il est un candidat indépendant.

Mme Fournier : Je veux dire pour le bulletin de vote, pour le vote.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Un candidat indépendant sur le siège de région, c'est ça qui pose le problème, mais il ne sera pas sur une liste, justement. Les autres candidats, ceux des partis, seront sur des listes.

Mme Fournier : C'est ce que je voulais dire.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Le candidat indépendant, il ne peut pas être sur une liste, puisqu'il est indépendant. Excusez-moi de vous...

Mme Fournier : Non, non, mais c'est ce que je voulais dire, je faisais référence au vote sur la région.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : O.K. Je voulais être sûr de comprendre.

Mme Fournier : Oui. Donc, je faisais référence au vote sur la région, au fait qu'au final vous dites qu'il pourrait y avoir des gros stratagèmes, mais ce que je vois, avec le projet de loi qui est proposé, il pourrait y avoir au maximum deux députés indépendants élus, un à Montréal, un en Montérégie, puis ça prendrait minimalement un bon 10 %, là, pour être élu avec ce système-là, quand on regarde les calculs puis vraiment qu'on...

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Si vous... Mais la règle de 10 % ne peut pas s'appliquer aux indépendants. Un indépendant ne peut pas avoir 10 % des votes dans l'ensemble de la province.

Mme Fournier : Je suis d'accord avec vous, je fais juste réfuter le fait qu'il ne peut pas y avoir de stratagème des partis politiques de placer des indépendants partout au Québec. C'est un peu ce que vous nous avez dit.

M. Derriennic (Jean-Pierre) : Non, ils peuvent très bien, les partis, savoir qu'à Montréal ou en Montérégie... D'abord, les petits partis idéologiques présenteront des candidats indépendants à Montréal ou en Montérégie, c'est les deux seuls endroits où ils ont une chance, parce qu'avec 4 %, peut-être qu'un parti extrémiste peut avoir des élus, un élu à Montréal. Et les partis politiques pourront savoir qu'il y a un candidat indépendant qui se présente à tel endroit, et donc on s'arrange pour ne pas présenter un candidat contre lui ou pour avoir un candidat qui se retire à la dernière minute pour le laisser être élu, et, comme ça, cet élu-là ne se déduira pas du calcul de la compensation pour le parti. Et, même dans les circonscriptions à trois sièges, on peut faire ça. On connaît bien les gens, on sait qu'il y a tel indépendant qui se présente à tel endroit, on va le laisser être élu. Évidemment, il y aura une liste, il y aura un candidat de parti, une liste de... un nom, n'est-ce pas, pour le siège de région et, comme ça, le parti obtiendra le siège de région sans que se déduise le siège obtenu par l'indépendant dans la circonscription en question. Évidemment, cette manoeuvre-là est possible. Ça a été fait en Italie dans les années 90 par le parti de Berlusconi, mais il ne faut pas faire des règles qui permettent de faire ce genre de manoeuvre.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, ça conclut la présentation. Avant de conclure les auditions...

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît! Ce n'est pas terminé, ce n'est pas terminé. Je sais que vous voulez rester avec moi encore quelques instants.

Mémoires déposés

Je procède au dépôt des mémoires des personnes et organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques.

Document déposé

De plus, je dépose un texte signé par 166 personnes et organisations concernant le projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.

Cela dit, la commission ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup, donc.

(Fin de la séance à 17 h 50)

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