(Onze heures cinquante-cinq
minutes)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci
beaucoup. Ayant constaté le quorum,
je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Comme vous le savez bien, je demande à
toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs appareils électroniques.
La commission est réunie afin de procéder à
l'étude du projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.
Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il
des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Mme Lecours (Les Plaines) est remplacée par M. Jacques
(Mégantic); M. Lévesque (Chapleau) est remplacé par M. Skeete
(Sainte-Rose); M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Poulin
(Beauce-Sud); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme David
(Marguerite-Bourgeoys); M. Tanguay
(LaFontaine) est remplacé par M. Leitão (Robert-Baldwin); Mme Weil
(Notre-Dame-de-Grâce) est remplacée par Mme Montpetit
(Maurice-Richard); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti
(Jean-Lesage); et M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Bérubé
(Matane-Matapédia).
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
Étude détaillée (suite)
Au moment
d'ajourner nos travaux hier soir, nous en étions à un amendement
de la députée de Maurice-Richard à l'article 4 du projet
de loi. Interventions? Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Une voix : ...
Le Président (M.
Bachand) : Oh! excusez. M. le député de Jean-Lesage. Pardon.
Désolé. M. le député, s'il vous plaît.
M.
Zanetti : Oui. Bien, je me
rappelle aussi qu'on en était hier à discuter la légitimité de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique puis, si ça
convient, moi, j'aimerais ça qu'on continue cette discussion-là,
qui est tout à fait à propos, parce que réfléchir à la laïcité
de nos institutions, évidemment, ça nous amène à réfléchir aux fondements et à
la légitimité mêmes du système politique dans lequel on est.
Alors, j'ai préparé un bref récapitulatif pour
répondre à la question du ministre qui était : Pourquoi l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est-il illégitime?
Alors, il y a plusieurs raisons qui motivent cette analyse, et
j'en ferai une brève liste.
D'abord, l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, il a été décidé, rédigé par, essentiellement, dans une interprétation
généreuse de la chose, là, 36 Pères de la Confédération. Tous les 36
n'étaient pas présents à toutes les réunions,
à toutes les conférences, mais c'est comme ça que ça s'est passé, et, parmi ces 36 là, bon, six venaient du
Québec d'aujourd'hui. Et c'est quelque chose
qui est essentiellement un document législatif qui n'a jamais été soumis à
l'approbation du peuple québécois et dans lequel il n'a jamais eu l'occasion de
participer directement. C'est une loi londonienne,
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, donc, qui a été votée, qui a reçu la
sanction royale le 29 mars 1867 à
Londres, dont on fête, disons, l'application le 1er juillet — c'est la fête nationale du Canada. Et il y a
eu, suite à ça, des élections aux
mois d'août, septembre 1867 qui ont agi un peu comme une forme d'élection
référendaire pour entériner le processus, pour voir si les gens étaient
d'accord avec ça, et c'est ce processus-là que je nous propose d'analyser.
Mais d'abord,
juste sur les 36 Pères de la Confédération, dont faisait partie George-Étienne
Cartier, qui a été sujet de discussion hier aussi, il faut voir qu'il y
a un problème, là, de représentativité de la société canadienne-française de l'époque. D'une part, pourquoi? Bien, c'est sûr
qu'à la base ce sont tous des hommes, donc il manquait une
représentation de 50 % de la population — je comprends que c'est une
autre époque, et tout ça, mais tout de même ça mérite d'être mentionné — tous des hommes qui par ailleurs, pour être
élus à leurs fonctions, devaient avoir un certain niveau de richesse. Si je me souviens bien, c'est 500 £. À l'époque,
ils devaient posséder une propriété de 500 £. Difficile de dire à quoi
ça correspond aujourd'hui, là, mais je pense
que, selon les calculs que j'ai entendus, c'est quelque chose comme le
salaire d'un soldat pour un ou deux ans.
Donc, mettons, aujourd'hui, c'est quand même beaucoup, là, tu sais. Je ne sais
pas combien gagne un soldat en deux
ans, mais on peut penser que ça dépasse les 100 000 $. Alors, ce
n'était pas nécessairement une fonction
qui était accessible à tous. Et par ailleurs ça s'est fait 27 ans, cette
Confédération-là, après que la classe politique canadienne-française ait été, si on veut, là, disons, épurée de ses
éléments attachés à la démocratie, parce que qu'est-ce qui se passe après la rébellion de 1837? Bien, c'est
que, les principaux politiciens canadiens-français de l'époque qui
étaient attachés à ça, bien, on les exile ou
on les pend. Alors, c'est sûr que, quand, à partir de ceux qui restent, on fait
un texte législatif, il y a un
déficit de représentativité évident. Et, George-Étienne Cartier, par
ailleurs — je n'ai
pas eu le temps d'aller chercher la
citation, mais ce n'était pas quelqu'un qui était particulièrement démocrate en
fin de carrière, même s'il a été patriote au début — on lui attribue des citations extrêmement
fortes en faveur non pas de la démocratie, mais bien de la monarchie, de son enracinement en Amérique du Nord
par le biais du projet confédératif. Alors là, qu'est-ce qui se passe? Bien, des gens pas représentatifs font une loi
constitutionnelle. Parmi ceux-là, 17 % des Pères de la Confédération
viennent du Québec. On peut sentir déjà
qu'on était dans un système issu de l'Acte d'Union dans lequel on était sous-représentés.
Ces gens-là ne nous représentent pas, ce n'est pas soumis au peuple
• (12 heures) •
Et qu'est-ce
qui se passe avec l'élection d'août et septembre
1867, qui est extrêmement révélatrice, qui devait servir pour entériner
après coup, disons, par élection référendaire, ce résultat-là? Eh bien, on
assiste à l'élection la plus frauduleuse de
notre histoire, et je donnerai quelques exemples, quelques arguments qui
appuient ça, d'ailleurs, que je tire d'un
article fort bien écrit et rédigé par un ancien collègue de l'Assemblée nationale qui a été chef du Parti québécois et qui publie toujours le même article le
1er juillet à ce sujet.
Donc, parmi les élections, dans le fond, de
septembre 1867, une fois que tout ça est avalisé, là, bien, d'une part, il faut savoir qu'à l'époque il n'y avait pas de vote secret, hein, alors on votait dans un grand livre; notre
nom, notre vote, O.K.? Et
ce qui est particulier aussi — ce
n'était pas très laïque, vous allez voir — bon, d'abord, c'est sûr, seuls les hommes
de plus de 21 ans qui détenaient une richesse minimale avaient le droit de
vote, donc on est vraiment loin du suffrage
universel et d'une représentativité véritable de la société. Et voilà. Donc, ça
réduit énormément l'électorat. Et ensuite, le clergé de l'époque, très
puissant, savez-vous ce qu'il fait? Il dit que, si les gens votent rouge, c'est-à-dire
libéral... Le Parti libéral de l'époque
était opposé à la Confédération. Il dit : Si les gens votent rouge, ça va
être un péché mortel qui conduirait, pour l'éternité, aux flammes de
l'enfer, O.K.? Et le clergé dit aussi et avertit les prêtres... ils avertissent la population que les prêtres vont refuser de donner l'absolution aux
fautifs, leur assurant ainsi leur damnation perpétuelle. Alors, dans une
société extrêmement croyante de l'époque, vous pouvez comprendre que ça, c'est
une intervention qui est vraiment à l'encontre de l'esprit de la laïcité et qui
fausse les résultats véritables de cette élection importante. Et, par mesure
préventive, même, les curés refusaient aussi l'absolution, en confession, des
ouailles qui avouaient lire les journaux de
l'opposition. Alors, ça, ce n'était pas une société laïque. Et, si ça,
aujourd'hui, c'était un danger et
qu'on faisait une loi contre ça, vraiment on l'appuierait, là, à 100 %. Quatrième
caractéristique de cette élection frauduleuse :
40 % des électeurs ne se sont pas présentés à cause de ça, parce qu'ils se
disaient : Je ne peux pas voter pour ça, puis, si je vote contre, je vais en enfer et je n'aurai pas
d'absolution, c'est terrible. Alors, on peut expliquer, là, qu'il y a
vraiment une baisse de représentativité et de légitimité de ce processus.
Et là il y a des tactiques en plus qui étaient
utilisées à cette époque-là pour fausser les élections. Une de ces tactiques
était appelée l'escamotage. L'escamotage, c'était l'enlèvement. À l'époque, tu
te présentais, puis, pour être vraiment élu,
il fallait que, le jour même de l'élection, là, tu sois physiquement présent.
Ça fait qu'il y a du monde qui enlevait les députés libéraux à la
dernière seconde, puis là, bien, ça faisait élire par défaut le député conservateur
qui représentait le parti de George-Étienne
Cartier. Alors, c'est des tactiques vraiment hallucinantes. Donc, ensuite de
ça, la sixième caractéristique — et puis ça, je pense qu'il y
a trois comtés qui ont été perdus par escamotage — autre tactique : l'achat. Bon, l'achat, c'était
assez simple : essentiellement, tu allais voir le candidat libéral et puis
là tu lui disais : Écoute,
retire-toi le jour du vote, juste, juste avant, là, que tu puisses être nommé,
là, vraiment, pour ne pas que tu sois présent
là, puis on va te donner une superbonne job, une terre ou, carrément, de
l'argent. Et ça, il y a deux comtés qui ont été perdus comme ça. Une autre affaire, c'est le défranchissage, O.K.?
Alors, les officiers chargés de l'appel nominal, souvent conservateurs, avaient le pouvoir de défranchiser
une paroisse, c'est-à-dire d'y annuler l'élection sous divers prétextes.
Les quartiers libéraux du comté de L'Islet,
la moitié des électeurs furent ainsi défranchisés, comme trois paroisses
libérales de Kamouraska, donnant, dans les
deux cas, une courte victoire aux conservateurs. Alors, ça, c'est d'autres
petites astuces qui font de cette élection-là la plus frauduleuse de
l'histoire. Et voilà.
Donc, le
résultat : même avec ces efforts tenaces pour ne pas faire voter les gens
qui étaient contre la Confédération, bien,
les conservateurs, dans cette première élection canadienne, ont eu 34 %
des voix. Alors, imaginez, si les gens contre la Confédération avaient
vraiment voté, imaginez, si on avait consulté le peuple du Québec, si on ne
l'avait pas menacé de damnation, etc., c'eût été quand même, on peut en être
certains, un résultat différent.
Alors, tout
ça pour conclure que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui sert de
fondement à la répartition des
pouvoirs, qui fait qu'on n'applique pas la laïcité, par exemple, à des enjeux importants, bien, aussi, là, comme la liberté de conscience des députés, le serment à la reine,
les institutions monarchiques, etc., bien, ce texte-là, il a été fait dans
un contexte colonial, c'est une loi
londonienne qui n'a jamais reçu l'assentiment des peuples du Québec, parce qu'on oublie trop souvent les autochtones, qui, eux, n'étaient même pas considérés comme
des citoyens et puis qui n'ont même pas participé, même de façon
minoritaire, aux réflexions et à la rédaction de ce texte-là.
Alors, pour l'ensemble
de ces raisons, l'Acte d'Amérique du Nord britannique n'a aucune forme de
légitimité.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci, M. le député de Jean-Lesage. Interventions? M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, M.
le Président. Fort intéressante, la perspective que le député de Jean-Lesage nous a présentée.
Cependant, on est encore sur l'amendement, puis je
souhaiterais faire progresser le projet
de loi n° 21 pour qu'on
puisse l'adopter d'ici la fin de la session.
Et donc on
était sur l'amendement de rajouter «du Québec». Moi, ce que je dirais
hier, c'est que ce n'était pas nécessaire d'ajouter «du Québec», d'un point de vue légistique, parce qu'il se retrouve déjà à l'article 1
de la loi. Et, cela étant dit, je vais me garder aussi de critiquer
l'aïeul de la députée de Marguerite-Bourgeoys.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Interventions? Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
Mme David : Tant que ce n'est pas moi, l'aïeule, ça va. Mais
je cherche le lien familial, parce
que George-Étienne Cartier, il
me semble, n'est pas dans ma famille.
M. Jolin-Barrette : Bien, moi, je croyais que c'était le cas, mais
mes excuses si ce n'est pas le cas, parce
que, lors du 200e anniversaire, je croyais qu'on avait eu cette
conversation-là.
Mme David :
Quel 200e? Pas le vôtre, sûrement, mais...
M. Jolin-Barrette :
Non, celui de George-Étienne Cartier, mais je croyais...
Mme David :
Bien, écoutez, peut-être que j'ai des racines que j'ignore, mais... passons,
passons, mais...
M. Jolin-Barrette :
Bien, mes excuses, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.
Mme David :
Ah! bien, ce n'est pas une excuse, nécessairement, quoiqu'avec ce que je viens
d'entendre peut-être que...
M. Jolin-Barrette :
Mais je croyais...
Mme David :
Et, vous savez, c'est des érudits autour de la table, alors là...
Le
Président (M. Bachand) : Donc, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys.
Mme David : Alors, continuons, parce que
j'insiste pour dire que ce n'est pas un amendement qu'on
propose qui est si banal que ça, parce que... je répète un peu ce que j'ai dit hier, mais le mot «québécoise»
n'est pas économisé dans le projet de
loi, là, il n'y a
pas de... quand on met six fois sur huit dans les considérants le mot «québécoise»
ou «Québec» et quand on met à l'article 1 : «L'État du Québec
est laïque.»
La
question que je pose au ministre : Alors, si on
ne veut pas rajouter «l'État du Québec» à l'endroit où il va le plus, pour des bonnes ou des moins bonnes raisons,
passer à l'histoire, parce que je pense qu'on peut dire ça, que l'article 4
est celui où le gouvernement et le parti au pouvoir commencent à définir... et
sortent du consensus un peu plus général sa
vision de la laïcité, c'est bien à l'article 4, alors pourquoi
on ne mettrait pas à l'article 1 «L'État est laïque»? Pourquoi «du
Québec» à l'article 1, mais on ne veut pas le rajouter à l'article 4?
Alors, si on ne le met pas à l'article 4, pourquoi le mettre à l'article 1? Ce n'est pas un amendement
que je propose. Pourquoi est-il si important à 1 et qu'on n'a plus
besoin de le mettre à 4?
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : En fait, l'article 1 introduit la loi, donc on fait en sorte de
bien marquer... Et, respectueusement, je
dirais que c'est l'article 1 qui va marquer, en fait, le corpus législatif,
qui va marquer l'importance de la laïcité en disant : L'État du Québec, il est laïque, c'est vraiment le coeur du projet de loi, parce que ça, c'est un véritable changement, parce
que la laïcité n'existait pas, et l'État du Québec, dans les concepts
juridiques, n'était pas laïque. Donc, c'est vraiment pour ça, et on le met en premier. Mais, par la suite, toute la loi
s'interprète les dispositions les unes par rapport aux autres.
Donc, à chaque fois
qu'on réfère à l'État, c'est «l'État du Québec». Donc, c'est pour ça qu'on ne
l'insère pas.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée, s'il vous plaît.
Mme David :
C'est très, très intéressant. Deux choses. D'abord, juste au-dessus du
chapitre 1, il y a tous les considérants,
où, là, le mot «Québec», et «québécois», «nation québécoise», est dit de façon importante. Donc, déjà,
dans les considérants, on le dit beaucoup. Puis après ça on met le titre
général : «Le Parlement du Québec décrète ce qui suit :
Chapitre 1. Affirmation de la laïcité de l'État.»
Puis,
à 1, on pourrait dire : L'État est laïque. Mais, la réponse du ministre,
je l'aime, quelque part, parce que, si c'est l'article 1 qui est
vraiment fondateur et va passer à l'histoire, on a peut-être pas mal moins
besoin de l'article 4 à ce moment-là, parce que, si c'est l'État du Québec
qui est laïque, on n'a peut-être pas besoin d'ajouter qu'on veut interdire des
signes religieux. C'est peut-être ça qui est superfétatoire.
Le
Président (M. Bachand) : M. le ministre.
• (12 h 10) •
M. Jolin-Barrette : Là-dessus, M. le Président, je suis en désaccord
avec la députée de Marguerite-Bourgeoys parce que ça ne dit pas la même chose.
Dans le fond, à l'article 1, ça dit : L'État du Québec,
il est laïque. À l'article 4,
on indique quelles sont les exigences de la laïcité, donc on vient détailler la
laïcité.
Sur
l'argument relativement au préambule du projet de loi, M. le Président, vous noterez que, dans certains projets de loi, il y a
des préambules; dans d'autres projets
de loi, il n'y a
pas de préambule. Le préambule fait partie de la loi et sert à interpréter la loi, mais ce n'est pas la
même chose que quand c'est écrit dans les articles de la loi. Donc, il
pourrait ne pas y avoir de préambule aussi.
Donc, sans hiérarchiser le préambule et les articles, il y a
une importance plus grande pour les articles de la loi, et le préambule sert
à interpréter les articles de la loi, donc c'est une indication du
législateur.
Donc,
si on se retourne vers l'article 1, où on indique clairement :
«L'État du Québec est laïque», le reste de la loi s'interprète par
rapport à l'article 1.
Le Président (M.
Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme
David : C'est intéressant. En tout respect, on peut faire une autre
lecture, parce que, si vous avez décidé de mettre des considérants, j'espère que c'est parce que vous y trouvez une
importance certaine, à ces considérants. En tout cas, moi, je pense que c'est très important. Il y a
peut-être des lois qui sont tellement plus techniques qu'on n'a pas mille
et un considérants, mais, dans une loi aussi
importante et structurante que celle-là, ça méritait au moins d'avoir une mise
en situation. Et là, je pense, c'est
clairement dit à de multiples reprises, six fois sur huit, qu'on parle de la
nation québécoise. Et non seulement
ça, on dit : «Le Parlement du Québec décrète ce qui suit...» C'est quand
même redit après les considérants.
Donc, vous
dites que l'article 1 est le plus important — ça va, on a voté pour — et on met «l'État du Québec». Mais, quand vous dites après que la laïcité va
exiger telle ou telle chose, c'est évidemment là où, je le répète, vous
mettez votre vision à vous de cette laïcité. Alors, votre vision à vous, c'est
la vision que l'État du Québec exige qu'il y ait l'interdiction de port de signes religieux, ce avec quoi, évidemment,
vous le savez très bien, nous nous dissocions de vous. À ce point-là,
nos chemins se séparent. Donc, j'aurais pensé qu'il eût pu être très
intéressant de mettre le mot «Québec» à cet endroit-là.
Le Président (M.
Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Oui, M. le
Président. En fait... pas pour reprendre la collègue de Marguerite-Bourgeoys,
mais juste apporter une clarification :
c'est la vision de la laïcité du gouvernement du Québec, qui a été élu par la
population du Québec. Donc, l'Assemblée se
saisira de ce projet de loi, votera. Et, si jamais le projet de loi est adopté,
ce sera la laïcité de la nation
québécoise par le biais de ses représentants élus qui auront adopté cette loi
et cette interprétation. Et c'est très clair que, pour les Québécois, la
conception de la laïcité comprend les exigences prévues à l'article 3 mais
également l'interdiction du port de signes
religieux pour les personnes en situation d'autorité ainsi que l'obligation de
neutralité.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
Mme
David : Je vous comprends très bien, mais disons que, dans ce cas-ci,
on va être entêtés tous les deux. Je pense
qu'on a des arguments de part et d'autre qui peuvent être soutenus, mais je
continue à penser que cet article 4... et plus je le lis, plus moi, j'en
conclus... a une grande importance.
Alors, étant
donné que, jusque-là, le consensus est beaucoup plus grand, et ça, je pense que
vous en conviendrez, puisque tous les
partis ici présents, représentés par des membres de la députation de tous les
partis, ont voté pour l'article 1 et
pour l'article 2 — et je ne
me trompe pas en disant ça, je pense, c'était unanime, je ne veux non plus aller
contre des collègues qui... mais
c'était unanime — nos
chemins se séparent vraiment rendus à l'article 4, où, là, on arrive à «la
laïcité de l'État exige le respect». En tout
respect, il aurait pu être intéressant de mettre «l'État du Québec» pour signifier que, là, vous plantiez vraiment un drapeau qui, oui,
sera voté, ne sera pas voté unanimement.
Vous aimeriez ça, mais ça n'arrivera pas. Alors, comme ça n'arrivera
pas, évidemment qu'il y aura un vote qui sera sur division.
Alors, une
fois qu'on a dit ça, M. le Président, si d'autres veulent intervenir, il y a...
Je pense qu'on a bien établi nos positions de part et d'autre.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Robert-Baldwin, s'il
vous plaît.
M.
Leitão : Très bien. Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de me joindre à cette
commission — merci
beaucoup — à
un débat, bien sûr, très important.
On est rendus
à l'article 4, et, à l'article 4, comme ma collègue vient de dire, c'est
vraiment un article fondateur de ce projet de loi, et on dit tout de
suite que «la laïcité de l'État exige le respect de l'interdiction de porter un
signe religieux», et c'est là où j'ai un désaccord profond. Je comprends très
bien la laïcité de l'État, l'État doit être laïque, mais pourquoi est-ce que
les individus, eux, ne peuvent pas porter un signe religieux?
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. M. le ministre, s'il
vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Oui. Je
suis heureux de retrouver, M. le Président, le député de Robert-Baldwin.
D'ailleurs, c'est comme le député de Nelligan, il me suit de commission en
commission, donc c'est agréable, donc j'espère...
Le Président (M.
Bachand) : Vous êtes populaire.
M.
Jolin-Barrette : Bien,
écoutez, ma cote de popularité est à la hausse, M. le Président, auprès du
député de Robert-Baldwin, et j'en suis heureux, parce que c'est un
agréable collègue.
M. le Président, à la
question du député de Robert-Baldwin : l'article 4 s'intègre dans le
cadre du projet de loi, parce qu'on a vu à
l'article 1 que l'État québécois était laïque. L'article 2, ce sont les
principes, la définition qui soutient qu'est-ce
que la laïcité. L'article 3, c'est les exigences relativement aux institutions,
donc les trois pouvoirs de l'État, les institutions parlementaires, les
institutions gouvernementales, les institutions judiciaires, donc législatif,
exécutif et judiciaire. Et l'article 4 nous indique
quelles sont les exigences rattachées à la laïcité québécoise, parce qu'on a eu
ce débat-là un peu, au cours des derniers
jours, avec les collègues, à savoir : Ah! c'est quoi, la laïcité? Est-ce
que c'est la laïcité canadienne? La députée de Bourassa-Sauvé nous
disait : Ah! bien, dans le fond, c'est la codification de la laïcité canadienne. Et je lui répondais, M. le
Président : Non, ça n'existe pas, la laïcité canadienne, et ça n'existe
pas, la laïcité québécoise, ce n'est
pas un concept juridique qui existe. À l'exception du projet de loi n° 21, il n'y a aucun texte... Bien, en fait, même, je vous dirais, M. le Président, tant que le projet de loi n° 21 n'est pas adopté, il n'y a aucun texte de loi qui fait
référence à la laïcité de l'État. Ce qu'on a au Québec présentement, c'est la
neutralité religieuse de l'État, qui est une composante
de la laïcité de l'État dans le cadre de la définition que nous avons adoptée
tous ensemble, toutes les formations politiques ici, autour de la table.
Donc,
la laïcité, c'est un nouveau concept que nous incorporons. Un coup qu'on l'a
définie, on indique quelles sont les
exigences rattachées à cette laïcité-là. Comment va-t-elle se matérialiser au
Québec? On développe un modèle qui régit les rapports de la société, de l'État avec les religions. Quel est ce
cadre-là? Quel cadre régit les rapports? Et donc ce cadre-là, c'est celui de la laïcité. Et comment elle se
matérialise, comment elle s'opérationnalise?, c'est notamment par la
laïcité des institutions, à l'article 3, ensuite le fait que certaines personnes
qui occupent des fonctions particulières dans l'État québécois, durant la prestation de travail, ne peuvent pas porter de
signes religieux et qu'il y a la neutralité religieuse de l'État à
respecter pour les employés de l'État.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Robert-Baldwin,
s'il vous plaît.
• (12 h 20) •
M. Leitão :
Je m'excuse, mais ça ne répond pas à ma question. Ma question est
justement : Pourquoi est-ce qu'une
personne — soyons
clairs — un
enseignant, pourquoi... On va faire ça au contraire : En quoi ça afflige
la laïcité de l'État, le fait qu'un
enseignant ou un policier puisse porter un signe religieux? C'est quoi,
l'enjeu? Ce qui compte, à mon avis,
ce qui compte, c'est ce que cet employé, il véhicule soit dans la salle de
classe ou, s'il est policier, quand il interpelle des citoyens. Donc, c'est son comportement qui
doit faire preuve de neutralité, mais le fait qu'il porte un signe
religieux, ou une casquette de baseball, ou,
je ne sais pas, moi, une alliance... Comme par exemple, moi, je porte une
alliance. C'est un symbole religieux, ça? Je me suis marié à l'église,
donc probablement que c'est un symbole religieux. Mais je ne me promène pas
dans toutes les sphères de la société avec mon doigt en l'air. Non, ce n'est
pas ça. Ça serait dangereux de faire ça.
Mais,
sérieusement, en quoi le port d'un signe religieux met un
péril ou est contradictoire à la laïcité de l'État? Que l'État soit
laïque, je ne pense pas qu'il y aura un grand débat là-dessus. Mais pourquoi porter
un signe religieux porte atteinte à la laïcité de l'État? Parce qu'un signe
religieux est porté par un individu. Et pourquoi le port de ce signe religieux
là par l'individu porte atteinte à la laïcité de l'État?
Le
Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Leitão :
Pour moi, c'est l'enjeu principal.
M. Jolin-Barrette : Oui. M. le Président, le député
de Robert-Baldwin et moi
n'envisageons pas la laïcité de
la même façon. Pour le député de Robert-Baldwin et le Parti
libéral, on ne devrait pas interdire
le port de signes religieux pour aucune fonction dans la société
québécoise.
En
2008, il y a eu le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, qui
recommandait, suite à des dizaines de consultations, à des milliers de kilomètres parcourus sur les
routes de Québec pour aller à la rencontre des gens de toutes les
régions, suite à la lecture de
dizaines, peut-être même de centaines de mémoires... un rapport qui
recommandait au législateur
d'interdire le port de signes religieux pour
certaines personnes en situation d'autorité : les juges, les policiers, les
agents correctionnels, les procureurs. Et d'ailleurs M. Bouchard a dit, lorsqu'il
est venu en commission parlementaire : Bien, écoutez, si le gouvernement libéral de l'époque avait adopté le projet
de loi, peut-être
que je ne serais même pas ici en train d'en discuter. Ça a été
une erreur que le gouvernement
libéral de M. Charest ne donne pas
suite aux recommandations du rapport. Ça a été les mots de M.
Bouchard.
Par la suite, dans l'historique des choses, vous vous souvenez, le Parti québécois est arrivé au pouvoir, a déposé le projet de loi n° 60. La position de la CAQ, du gouvernement, a été connue dès 2013, d'avoir une position qui
interdisait le port de signes religieux pour les personnes en situation
d'autorité, comme dans Bouchard-Taylor, mais également les enseignants, et le gouvernement
est allé en campagne électorale avec cet engagement-là et a reçu l'adhésion de
la population par rapport à cet engagement. Il faut comprendre que les
personnes en situation d'autorité, incluant les enseignants, ont un pouvoir particulier, un pouvoir de l'État.
Parfois, c'est un pouvoir de contrainte, un pouvoir d'autorité. L'apparence de neutralité est tout aussi
importante, qu'on soit policier, qu'on soit juge, qu'on soit agent
correctionnel, qu'on soit procureur, qu'on
soit directeur d'école, qu'on soit enseignant. Par rapport aux enseignants,
les enseignants ont une influence importante sur les élèves.
Le député de Robert-Baldwin
nous dit : Écoutez, c'est uniquement ce qu'est le comportement d'un
individu qui a une influence, uniquement
ce que l'on dit. Or, je suis en désaccord avec cela, il y a
aussi le fait que les signes religieux parlent
aussi. Le port de signes religieux a pour effet aussi d'entamer une discussion
aussi, M. le Président. Et, dans des fonctions limitées de l'État, durant les heures de travail, il est légitime
pour la société québécoise d'indiquer qu'il y a une interdiction de signes religieux. D'ailleurs,
certains pays l'ont fait pour l'ensemble de leurs fonctionnaires; d'autres, uniquement pour certaines catégories d'emploi,
comme le Québec. Et le projet de loi que j'ai déposé est un projet de
loi qui est modéré et surtout qui est
applicable et qui assure un équilibre entre les droits individuels et les
droits collectifs de la nation québécoise.
Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le
député de Robert-Baldwin, s'il vous plaît.
M. Leitão :
Très bien. Merci beaucoup, M. le Président. Alors, plusieurs choses. J'ai pris
une note avant que j'oublie, parce que... O.K.
Commençons donc, M. le ministre, à parler du consensus Bouchard-Taylor, il y a un certain nombre d'années.
Or,
deux choses à cet égard-là. À ce moment-là, les deux auteurs eux-mêmes
jugeaient que c'était un compromis. Donc, ils jugeaient que ce n'était
pas nécessairement une situation idéale, mais, dans le contexte de l'époque, un
tel compromis leur semblait approprié. Moi,
je n'étais pas là à l'époque, je ne peux pas en juger, de ce qui s'est passé,
au juste. Ce que je peux dire, c'est que par
la suite les choses ont évolué, et là maintenant, aujourd'hui, il y a deux choses. D'abord, la société a évolué. Ce qui semblait être peut-être
un compromis à l'époque, aujourd'hui, je pense qu'on est rendus ailleurs, à mon
avis, ça ne constitue plus le même enjeu qu'il constituait à l'époque. Un des
auteurs, d'ailleurs, se dissocie de ce rapport.
Mais ce qui est plus important que cela, c'est que, dans votre proposition, la
proposition du gouvernement, vous allez
beaucoup plus loin que Bouchard-Taylor. Donc, quand
vous dites que votre proposition est modérée, je m'excuse, moi, je la trouve très radicale parce que vous ne
vous contentez pas du consensus Bouchard-Taylor d'il y a 10 ans, vous allez beaucoup plus loin que ça en ajoutant les enseignants. Et,
encore une fois, c'est là que la grande confusion se trouve, parce que vous ne faites que parler de... pour les
employés ou les personnes qui ont un pouvoir d'autorité. Ce que Bouchard-Taylor
disait à l'époque, ce n'était pas «un pouvoir d'autorité», c'était «un pouvoir
de coercition», «une personne qui porte une arme», là, c'était très
spécifique, très clair. Ils n'étaient pas tout à fait à l'aise avec ça, mais,
bon, c'était ça, leur consensus, c'était ça, leur compromis. Mais on parlait de
vraiment une personne qui a un pouvoir de coercition. Les enseignants n'ont pas
ce pouvoir-là. C'est très différent.
Et,
puisque vous vous préoccupez de l'effet que les enseignants pourraient avoir sur
les enfants, c'est très bien, bien sûr,
d'avoir ces préoccupations-là, bien
sûr, mais ce n'est pas le port d'un
signe religieux qui, à mon avis, est problématique, c'est le
comportement de l'enseignant. Alors, une femme, parce que c'est de ça qu'on
parle aussi, là, une femme qui porterait un
hidjab constituerait une menace pour nos enfants. Un homme qui ne porte aucun
signe religieux mais qui aurait des
opinions beaucoup plus, disons, radicales sur la place de la
religion et qui véhiculerait ces opinions-là dans sa salle de classe, mais, parce qu'il ne porte pas un signe
religieux, alors là c'est correct. Donc, ça, c'est une énorme
incohérence.
Comme
j'ai dit tantôt, ce qui est important, à mon avis, quand on parle de laïcité de l'État
et du bien-être de nos enfants et de notre société, c'est
le comportement des personnes. Donc, la laïcité de l'État, à mon avis, ne doit
pas comprendre des provisions qui vont
restreindre la liberté de religion des individus, parce que, pour certains
individus, de porter un symbole religieux,
c'est une forme de manifester le... ou d'exercer, plutôt, leur liberté de
religion. Et donc, là, il y a une
énorme contradiction où l'État vient mettre des barrières à la liberté de
religion de certaines personnes. Donc, moi, je pense que ça, c'est
inapproprié dans une société moderne au XXIe siècle.
Vous
avez donné des exemples de certains pays, surtout certains pays d'Europe. Si ça
marchait tellement bien là-bas à cet
égard-là, peut-être qu'on pourrait s'en inspirer, mais ça ne va pas
si bien que ça non plus dans les pays qui semblent vous inspirer à cet
égard-là. Et, en plus, nous ne sommes pas en Europe, nous sommes en Amérique du
Nord. Et, oui, le Québec, c'est une société
distincte en Amérique du Nord, mais en Amérique du Nord. Une bonne partie de
nos valeurs, une bonne partie de notre mentalité, c'est nord-américain. La
culture québécoise est une culture nord-américaine. Elle
n'est pas une culture d'origine européenne peut-être,
mais aujourd'hui, en 2019, c'est une culture très nord-américaine.
Et donc il me semble que de
s'inspirer de ce qui se fait présentement en Europe, ce n'est peut-être,
à mon avis, pas nécessairement ce qui est le plus souhaitable.
Mais,
si on revient à ce qui est le plus essentiel dans cette quête, donc, de
déployer la laïcité de l'État du Québec ou la laïcité de l'État au Québec,
dans les faits, quand on regarde la situation aujourd'hui, que ce soit ici, à
Québec, ou à Saint-Georges de Beauce, ou à Sainte-Rose, à Laval, ou à
Dollard-des-Ormeaux, chez moi, dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal, et, quand on regarde
l'interaction entre les individus dans les écoles ou ailleurs, où est le
problème? Où est le problème? Donc, on essaie de régler ici quel
problème, au juste? Pourquoi y a-t-il urgence d'empêcher des individus
d'exprimer leur liberté de religion en portant un symbole, un signe? Pourquoi
cela constitue une menace aux valeurs québécoises? C'est ça que je ne comprends
pas.
• (12 h 30) •
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, M. le Président. Je réfère le collègue de Robert-Baldwin aux
consultations que nous avons eues
durant une vingtaine d'heures, même une trentaine d'heures ici, au salon rouge,
et il y a plusieurs personnes qui sont venues témoigner et dont le
député de Robert-Baldwin pourrait prendre acte, qui sont venues témoigner.
Écoutez,
sur l'aspect de la laïcité et de la société québécoise, le député de
Robert-Baldwin dit : Ah! bien, le Québec fait partie de l'Amérique du Nord, donc c'est une société
nord-américaine, tout ça. Je ne pense pas me tromper en disant que la
société québécoise, c'est une société qui est distincte, qui a des valeurs
sociales distinctes, où est-ce qu'il y a des spécificités.
Les rapports entre la nation québécoise et les religions ne sont pas les mêmes
que dans le reste de l'Amérique du Nord. J'espère que le député de
Robert-Baldwin est d'accord avec cette proposition.
M. Leitão :
Oui, bien sûr.
M.
Jolin-Barrette : O.K.
M. Leitão :
Mais je vous dirais aussi que ce rapport avec la religion au Québec, si vous
voulez, ce divorce, si je peux utiliser un tel terme, des Québécois de la
religion — on
parle ici de la religion catholique, c'était la religion dominante — cela s'est fait dans les années 50, 60
surtout, et je pense qu'on a collectivement choisi de caractériser ce
mouvement-là par une révolution tranquille. Donc, ça s'est fait de façon
tranquille.
Les
pays qui semblent vous inspirer, le divorce qu'il y a eu entre le religieux et
la société, ce n'était pas tranquille du
tout, il y a littéralement des têtes qui ont roulé. Donc, ce n'est pas du tout
le même contexte. Donc, c'est pour ça que je pense qu'il n'y a pas vraiment d'urgence. Je comprends très bien le
processus de déreligionisme ou déchristianisation de la société québécoise, je comprends ce processus-là.
Je ne remets pas ça en question. On peut en parler longuement, de ça, si
on veut, mais je pense qu'on n'est pas ici
pour ça. Mais on pourrait aussi en discuter. Mais cela s'est fait d'une façon
très différente de ces endroits-là, qui
semblent beaucoup vous inspirer. Moi, j'aurais préféré que vous vous inspiriez
plutôt de la réalité québécoise, justement. Et une des valeurs vraiment
centrales de la société québécoise, c'est la tolérance, M. le ministre, c'est l'entraide, c'est ça qui
caractérise vraiment la société québécoise et qui la distingue, et son sens
collectif. Et moi, je n'ai pas remarqué, du
moins depuis le temps que je suis ici, depuis les années 70... je n'ai pas
vraiment remarqué d'animosité ou de
conflit que les personnes qui ont des
croyances religieuses amènent dans la société en
général. Il y a, des
fois, des questions d'accommodement, et on est capables de s'accommoder. D'ailleurs,
dans le projet de loi n° 62
du précédent gouvernement, une très bonne partie du projet de loi n° 62,
c'était justement de baliser et d'encadrer les accommodements. Donc, ça peut se
faire et ça doit se faire.
Mais
ici on ne parle pas de ça, là. Ici, on statue que porter un signe religieux
constitue une atteinte à la laïcité de l'État, et ça, je ne le comprends
pas.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : Donc, M. le Président, le député de Robert-Baldwin a raison, le projet
de loi sur la laïcité de l'État, ce
n'est pas un projet de loi sur les accommodements. C'est dans le cadre du
projet de loi n° 62. Ici, on ne traite pas d'accommodements, à l'exception du fait qu'il n'y a pas
d'accommodement — on
insère ça dans le projet de loi n° 21 — il n'y a pas
d'accommodement pour les fonctionnaires de l'État dans leur devoir de
neutralité religieuse de l'État. Donc, ça ne
sera pas possible pour un fonctionnaire de l'État qui ne voudrait pas offrir un
service public à un individu qui est
d'une autre confession religieuse que lui... Alors, nous, on renforcit cette
obligation de neutralité religieuse là. Même chose aussi... il n'y a pas d'accommodement sur le fait de donner un
service public à visage découvert et de le recevoir à visage découvert pour des motifs de sécurité ou
d'identification. Il n'y a pas d'accommodement. Puis, je pense, c'est la
base, et ça, ce n'était pas dans le projet de loi n° 62.
Le député de
Robert-Baldwin nous dit : Il n'y a pas d'urgence, il n'y a pas de menace.
Ce n'est pas vrai que, pour légiférer, on
doit attendre qu'il y ait urgence, qu'il y ait menace. La meilleure
démonstration de cela, M. le Président, c'est que j'ai deux collègues
qui ont été ministres, devant moi, dans le précédent gouvernement, une
troisième...
Une voix :
...
M.
Jolin-Barrette : ... — non, attendez, je vais terminer, je vais
terminer — qui
ont fait adopter des lois. La députée de Maurice-Richard
aussi a été ministre. Je ne sais pas, est-ce qu'il y a une loi qui a été
adoptée...
Mme
Montpetit : ...
M.
Jolin-Barrette : Non, j'ai dit une...
Mme
Montpetit : ...de l'importance.
M.
Jolin-Barrette : Non, mais une loi?
Une voix :
...
M. Jolin-Barrette : Non. Donc, ce que je disais, M. le Président, c'est que, parmi les
quatre collègues que j'ai devant moi,
il y en a trois qui ont été ministres; deux des trois ont fait adopter des lois
sous leur gouverne. Or, dans tous les
cas... Et le député de Robert-Baldwin a fait adopter davantage de lois que les
collègues ici. Est-ce qu'à chaque fois que le député de Robert-Baldwin a
fait adopter des lois ici, à l'Assemblée nationale, dont il était l'initiateur
il y avait une menace ou une situation d'urgence?
M. Leitão :
M. le ministre, je m'excuse, je n'arrive pas à suivre votre logique.
M. Jolin-Barrette : Non, mais je veux juste savoir si, lorsque vous avez proposé des lois à
l'Assemblée nationale et qu'elles ont
été adoptées... est-ce que toutes les fois qu'en tant que ministre vous avez
présenté un projet de loi il y avait une notion d'urgence et une notion
de menace?
M.
Leitão : Il y avait une notion peut-être pas nécessairement d'urgence,
mais il y avait toujours une notion de nécessité. Les projets de loi que
j'ai menés dans cette Assemblée étaient généralement des projets de loi de
nature économique, fiscale, budgétaire.
M. Jolin-Barrette : Bien, là-dessus,
monsieur...
M. Leitão :
Donc, il y a toujours...
Le Président (M.
Bachand) : ...M. le député.
M.
Jolin-Barrette : Mais,
là-dessus, M. le Président, comment se fait-il... parce qu'on est passé d'urgence,
menace à nécessité, donc le critère
diminue... le critère d'appréciation du collègue de Robert-Baldwin... comment
se fait-il, à titre d'exemple, s'il y avait une nécessité, que, dans le
projet de loi n° 141, il ait laissé tomber des pans
de son projet de loi, s'il y avait nécessité de réformer certains aspects?
M. Leitão : ...141?
M. Jolin-Barrette : Oui. Comment ça
se fait que, dans le cadre du projet n° 141, le
ministre, à l'époque, des Finances ait laissé tomber certaines parties du
projet de loi, s'il y avait une nécessité?
M.
Leitão : ...question, M. le Président. Et là combien de temps j'ai
encore? Parce que ça, je pense qu'on pourrait...
Le Président (M.
Bachand) : Oui, mais toujours en lien, bien sûr, M. le député,
avec le projet de loi n° 21, s'il vous plaît. Merci.
M.
Leitão : Le projet de loi n° 141, c'était très intéressant. Et
d'ailleurs c'est un excellent exemple que le collègue amène, mais je vais y revenir. Ici — on revient au n° 21 — puisque, dans le projet de loi n° 21,
le gouvernement s'apprête à brimer des droits fondamentaux, à invoquer
la clause dérogatoire dès le...
Le
Président (M. Bachand) :
Oui, juste faire attention; «brimer», on prête des intentions. Juste faire
attention dans le choix des mots. Mais allez-y, vous avez la parole, M. le
député.
• (12 h 40) •
M.
Leitão : Je m'excuse. Je n'ai pas encore le langage... Après quand même quatre ans, je n'ai
pas encore le... Alors, le gouvernement s'apprête à suspendre les droits
fondamentaux, et d'ailleurs...
M. Jolin-Barrette : Question de règlement.
C'est la même chose, on prête des intentions.
M. Leitão : Non, non.
Le Président (M.
Bachand) : Je vais laisser le député terminer son intervention.
Allez-y, M. le député, s'il vous plaît.
M. Leitão : Tout ce que je dis, M.
le Président, c'est que, dans le projet de loi, le gouvernement s'apprête à invoquer la clause dérogatoire. Bon, c'est vrai.
C'est correct, ça? La clause dérogatoire, très bien. Donc, on invoque la
clause dérogatoire pour empêcher ou pour prévenir des...
M. Jolin-Barrette : Contestations.
M.
Leitão : ...contestations judiciaires. Merci. Donc, dans ce cas-là, il
me semble que le gouvernement a besoin de démontrer qu'il y a bel et bien une urgence, qu'il y a bel et bien une
grande nécessité d'agir ainsi. Si c'était relativement banal de faire ça... mais, non, c'est majeur, ça
ne se fait pas à chaque mardi matin. Donc, puisque vous vous apprêtez à
faire cela, quelle est l'urgence?
Maintenant, vous avez mentionné le projet de loi
n° 141, d'ailleurs un excellent projet de loi, qui
nous a pris d'ailleurs beaucoup d'heures de
travail parlementaire, beaucoup de mois de travail parlementaire. Nous avons
fait preuve d'une énorme patience. À
ce moment-là, on avait les collègues du Parti québécois, avec qui on discutait
très bien, mais ça prenait du temps, et c'étaient des enjeux importants.
Et donc on a fait un travail, on a passé des mois en commission parlementaire.
D'ailleurs, le projet de loi lui-même a pris deux ans de travail de
consultation, d'engagement avec les groupes.
Ça n'a pas été fait sur un coin de table, parce que c'était un projet de loi
majeur, on voulait réformer tout le système financier au Québec. Et donc nous avons fait preuve de patience, nous
avons fait preuve d'écoute pour en discuter avec les oppositions, encore une fois, particulièrement le
Parti québécois. La CAQ était généralement d'accord, mais on avait aussi
des bonnes discussions, mais surtout avec le Parti québécois. On a pris le
temps qu'il fallait. Et, à la fin de la journée, comme disent les Chinois, M. le Président, à la fin de la journée, on a
trouvé un compromis, et, à la fin de la journée, il y a certains éléments de cette loi auxquels le
gouvernement tenait beaucoup, mais, à un moment donné, on s'est dit :
Bon, écoutez, on arrive à un moment
déterminant en termes de calendrier, donc, si on veut vraiment faire adopter un
projet de loi qui est très important... et c'était ce qu'on jugeait à l'époque,
il fallait faire des compromis, il fallait laisser tomber certains éléments que... Disons que c'était le
prix à payer pour pouvoir avoir un consensus général et pouvoir avoir
les partis des oppositions, donc, pour qu'on puisse compléter le projet de loi.
Alors, si le
ministre peut s'inspirer de ce qui a été fait en 2018 avec le n° 141 et si le ministre peut nous dire qu'il est prêt à considérer des changements majeurs dans son
projet de loi, dans un esprit de... Je ne suis pas le porte-parole de ce
dossier ici, mais probablement que ma
collègue serait prête à en discuter avec le caucus, je ne sais pas. Mais ce que
je dénote du
peu de temps que j'ai passé ici, à cette commission, à cette question
fondamentale : Pourquoi est-ce que la laïcité de l'État doit nécessairement comprendre une
restriction de port de signes religieux?, pour nous, c'est fondamental,
et, jusqu'à maintenant, je n'ai pas vraiment
entendu d'explication qui me convainc du bon-fondé de la position du
gouvernement.
Le Président (M.
Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Bien, M. le
Président, je vais tenter de convaincre le collègue de Robert-Baldwin.
Bon, dans un premier temps, c'est une discussion
intéressante que nous avons, supposons. Elle ne porte pas nécessairement sur
l'article 4, mais, pour le bénéfice du collègue, ça va me faire plaisir de
répondre, notamment, sur l'utilisation de la
disposition de dérogation prévue à la Constitution canadienne. Le député de
Robert-Baldwin nous dit : Elle doit être évoquée lorsqu'il y a
notion d'urgence. Or, c'est faux. La Cour suprême s'est déjà prononcée, dans
l'arrêt Ford, sur les critères rattachés à
l'utilisation de la disposition de dérogation pour les assemblées législatives
des provinces, en l'occurrence par l'Assemblée nationale du Québec. Le
critère d'urgence ne s'y retrouve pas, M. le Président.
Pourquoi nous
utilisons la disposition de dérogation? Parce que nous considérons, au
gouvernement du Québec, qu'il revient aux parlementaires québécois de
décider de quelle façon les rapports entre l'État et les religions doivent s'organiser. Le choix de la société québécoise d'avoir un État laïque,
ça appartient à l'Assemblée nationale, ça appartient au peuple québécois
par le biais de leurs représentants élus. Ça, c'est fondamental et c'est un
principe de souveraineté parlementaire.
Les tribunaux sont là pour interpréter la loi.
Le législateur est là pour édicter la loi et pour édicter le droit. Le législateur est là pour faire en sorte que le
droit réponde aux aspirations de la nation québécoise et surtout pour
s'assurer de choisir le modèle de société
dans lequel nous souhaitons vivre, c'est-à-dire la laïcité de l'État. Et les
débats se font ici, à l'Assemblée.
C'est ce que nous faisons, d'ailleurs, depuis plusieurs semaines, en lien avec
le projet de loi. J'ai le bonheur de pouvoir
échanger parfois au salon bleu avec ma collègue de Marguerite-Bourgeoys.
D'ailleurs, je suis un peu déçu. Cette semaine,
je n'ai pas eu de question là-dessus. Je vais en parler au leader de
l'opposition officielle, là, Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys. Je
trouve qu'il vous met un peu sur la touche.
M. le
Président, donc, Les Juristes pour la laïcité, dont font partie les
Prs Henri Brun, Guy Tremblay et Maurice Arbour et aussi l'ex-juge en chef de la Cour du Québec Mme Huguette
St-Louis, s'expriment ainsi sur le projet de loi n° 21 : «À notre
avis, le projet de loi n° 21 soulève une question de principe, de principe
fondamental et doit être vu comme un instrument de prévision et de
prévention, et non simplement comme un remède. L'absence de balises
législatives en matière de laïcité et de neutralité
religieuse de l'État entrave l'ingénierie constitutionnelle et politique
essentielle à une société démocratique. Le Parlement a le devoir, à
titre de législateur, de donner aux tribunaux les outils nécessaires afin de leur permettre d'interpréter les lois et
les chartes des droits en tenant compte des valeurs publiques
fondamentales de notre société.» Alors, voyez-vous, les trois fonctions de
l'État, les trois pouvoirs ont une conversation entre eux.
Lorsque la nation, par le biais de ses représentants
élus, souhaite que l'État québécois fasse un choix dans ses rapports d'organisation avec la laïcité, avec les
religions, souhaite une séparation formelle entre l'État et les
religions, le législateur agit, il appartient au législateur de le faire. Et je
pense que ça, c'est le principe que nous devons toujours garder en tête, c'est un choix de la société
québécoise. Ce n'est pas aux tribunaux à déterminer comment doivent
s'organiser les rapports entre l'État et les religions. Ça, c'est, je pense,
fondamental dans notre société.
Tout à
l'heure, le député de Robert-Baldwin nous disait : Écoutez, lorsqu'on
légifère, c'est pour l'urgence, c'est pour
la menace. Écoutez, je donne un exemple : On est... Ou pour la nécessité.
On est dans un système... Et je reviens au fait que le Québec est une
société distincte, aux spécificités et aux valeurs sociales distinctes du
Québec. Le Québec est un État de tradition
civiliste, contrairement au reste de l'Amérique du Nord. Nulle part ailleurs en
Amérique du Nord il n'y a un système
civiliste, à une exception près, M. le Président, la Louisiane, qui dispose
d'un code civil. Mais, lorsqu'on fait notre
histoire, la Louisiane, ça a déjà été rattaché à la France, tout ça. On ne
repartira pas dans l'histoire, tout ça. On en a fait un bout, l'autre fois, avec Charles Quint. Vous
avez manqué ça, M. le député de Robert-Baldwin. Ce matin, on a eu le...
Hier soir, on a eu le député de Jean-Lesage. C'est quand même intéressant,
toutes ces références-là, tout ça. Je pense que ça permet de comprendre aussi
comment ça se situe.
Alors, le
député de Robert-Baldwin me disait tantôt : Vous vous inspirez de certains
pays où, la laïcité, il y a eu de la
violence, où des têtes ont roulé. Bien, prenons le cas de la France en 1905. En 1905, lorsqu'il y a eu la
loi instituant la laïcité de l'État là-bas, il n'y a pas de tête qui a
roulé. Et, depuis 1905...
• (12 h 50) •
Une voix : ...
M.
Jolin-Barrette : Oui. Bien, M. le Président, je comprends que le député de
Robert-Baldwin fait référence à la Révolution
française en 1789, à la période de Robespierre aussi. Mais là, si on parle de
l'Ancien Régime, avec le nouveau régime, avec la gang à Napoléon après,
disons, on est dans une autre perspective, là, hein, dans une perspective monarchique, dans une perspective républicaine,
c'est un peu différent. Mais, lorsque la France, en 1905, a fait sa loi,
bien, il n'y a pas eu ce à quoi fait référence le député de Robert-Baldwin.
Ensuite, M.
le Président, le député de Robert-Baldwin nous dit : MM. Bouchard et
Taylor disaient : On va viser les policiers, les agents
correctionnels parce qu'ils ont un pouvoir de coercition, à cause qu'ils ont
une arme. À ma connaissance, les procureurs n'ont pas d'arme sur eux, donc ce
n'est pas une question uniquement d'armes.
Autre élément
aussi. Dans le rapport Bouchard-Taylor, on indiquait aussi qu'on devrait
interdire de porter des signes religieux à ceux et celles «qui occupent
des postes qui incarnent au plus haut point la nécessaire neutralité de l'État, comme les juges ou le président de
l'Assemblée nationale par exemple, s'imposent une forme de devoir de
réserve quant à
l'expression de leurs convictions religieuses. La séparation entre l'Église et
l'État doit s'incarner, selon plusieurs, dans certains symboles, en l'occurrence dans l'apparence des agents qui
occupent des postes qui représentent de façon tangible les différents
pouvoirs de l'État. Cette attente nous apparaît raisonnable.» Donc, «il s'agit
des postes qui représentent de façon marquée
la neutralité de l'État ou dont les mandataires exercent un pouvoir de
coercition». Alors, voyez-vous, ce n'est pas uniquement le pouvoir de
coercition. Et, à ce titre-là, pour les enseignants, écoutez, il y a plusieurs auteurs qui ont écrit. Je vais vous en
citer quelques-uns : «Il faut admettre que le geste peut être compris
comme une influence indue sur de jeunes enfants du cycle primaire, comme le
laisse clairement entendre la Commission européenne des droits de l'homme dans
l'arrêt Dahlab contre la Suisse.» Il y a déjà des cours européennes qui se sont
prononcées là-dessus. Ce n'est pas unique,
ce que le Québec fait, ce n'est pas unique. «Ils incarnent l'autorité auprès
d'une clientèle jeune et captive.»
Guy Rocher,
que le député de Robert-Baldwin connaît, indique aussi : «C'est dans la
même perspective sociologique et sociétale que l'on doit situer le fait
que les signes ostentatoires de l'adhésion d'une personne à une conviction en matière de religion portent un
message, tout comme les signes d'adhésion à une idéologie politique ou
sociale. Même si le fait de les porter n'affiche pas, peut-on croire,
d'intervention prosélyte, ces signes sont un langage, [sont] un discours.»
Et là je
rejoins le député de Robert-Baldwin, M. le Président, parce que le député de
Robert-Baldwin nous disait : C'est
le comportement, c'est ce que les gens disent. Or, ce que dit Guy Rocher, c'est
que le fait de porter un signe religieux, aussi c'est un discours, c'est
un langage, c'est un geste positif. C'est ce que dit Guy Rocher.
«Ne voir dans
le port d'un signe d'adhésion à une religion ou à l'athéisme qu'un simple geste
personnel, c'est le tronquer de sa
réalité sociale, du discours qu'il adresse à tout l'environnement, du
témoignage qu'il porte sur les rapports de pouvoir entre [...]
conviction particulière et l'institution publique. [...]Des jeunes passent des
années en contact avec [...] des enseignants, de même que leurs parents. Il est
difficile de comprendre et de justifier que les enseignants d'institutions publiques
ne sont pas tenus au même devoir de réserve que des juges. Les tenants de la
laïcité ouverte recourent souvent à l'argument qu'un enseignant portant un
signe religieux n'a pas nécessairement une influence prosélytique sur les
élèves. Il s'agit là d'abord d'une affirmation sans fondement scientifique.»
Alors, ce
n'est pas moi qui le dis, c'est Guy Rocher. Mais, sur ce point-là, M. le
Président, je comprends que le député de Robert-Baldwin et moi, on ne se
rejoindra pas, et le gouvernement non plus.
Le
Président (M. Bachand) : Il
reste du temps pour le député de Robert-Baldwin, mais j'avais quand même
le député de Sainte-Rose qui avait demandé la parole. S'il vous plaît.
M. Skeete : Merci, M. le Président.
En fait, il existe de la science pour démontrer que ce qu'on porte a une influence psychologique. Et, M. le ministre, vous
allez vous souvenir, on a rencontré... je crois que c'était la
Fraternité des policiers, où est-ce qu'on a
révélé une étude qui démontre que ce
que porte le policier dans son uniforme va avoir un effet psychologique
sur la façon dont le policier est accueilli. On parlait du mouvement des corps
policiers du bleu pâle au bleu foncé, au
noir, qu'est-ce que ces couleurs-là indiquent à la personne lorsqu'il y a une intervention
policière. Et, comme de fait, on voit
que la majorité des corps policiers ont migré vers le foncé,
parce que ça a un ton plus autoritaire, ça suscite plus de coopération de la population. Mais ce n'est pas juste du positif. De l'autre côté, ça
rend la police plus effrayante, ça enlève un petit peu la confiance, ça
fait plus autoritaire. Donc, le corps policier fait le choix de vouloir faire
la promotion d'un pouvoir versus un service
parce qu'il juge que la couleur, le port, le style a une incidence
psychologique avant même d'interagir avec le citoyen.
Je nous le rappelle aussi, pour revenir aussi
sur les professeurs puis pour faire un petit peu du pouce sur ce que le ministre disait, il y a aussi la
jurisprudence québécoise, canadienne qui nous dit qu'en cas d'abus... Il y a eu
des abus avec des professeurs, c'est
malheureux, mais, dans la jurisprudence, il y a la sanction normale, hein, pour
un acte criminel, sexuel qu'un citoyen pourrait avoir envers un jeune ou
un mineur, mais il y a aussi le cran de plus, qui est quand le professeur est en lien d'autorité avec l'étudiant.
Alors, même ici, localement, on a des cas de jurisprudence où est-ce que
le droit canadien, québécois a établi qu'il
y a un lien de pouvoir entre le professeur et le jeune qui se fait enseigner.
Donc, je pense qu'on peut regarder in extremis du pays, mais il y a aussi des
cas d'exemple ici et il y a aussi des études qui démontrent que ce qu'on porte
parle. Merci beaucoup, M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) : M.
le ministre, voulez-vous ajouter quelque chose? Non. C'est beau. Mme la
députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme Robitaille : Oui. Bien, je ne
sais pas où veut en venir le député de Sainte-Rose, mais je voulais quand même
rappeler que, durant les consultations, la CSN, les commissions scolaires, la fédération québécoise des commissions
scolaires, les gens qui travaillent sur le terrain, qui sont venus nous parler,
là, en très, très, très grande majorité... et qui nous
ont parlé des enseignantes, entre
autres le mémoire de ma commission scolaire dans mon comté, où il y a des femmes qui portent le voile, nous ont
tous dit qu'il n'y avait pas de problème avec ces enseignantes voilées là, les
jeunes les écoutaient, les jeunes écoutaient
leur enseignement, les jeunes retenaient l'amour qu'elles leur
donnaient, mais le voile, ce n'était pas du tout, du tout, du tout un problème,
et ça, je pense qu'il faut garder ça en tête.
On peut faire des sparages, on peut parle de Charles
Quint, on peut parler de toutes sortes de choses puis on peut débattre sur la jurisprudence, mais on
connaît très, très bien c'est quoi, les grands courants de la
jurisprudence actuelle là-dessus, et il ne faut pas perdre de vue l'humain aussi
dans tout ça et les gens qui vont être affectés par ce projet de loi là. Je vous remercie.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Interventions?
M. Jolin-Barrette : ...M. le
Président.
Le
Président (M. Bachand) :
Est-ce qu'il y a d'autres interventions sur l'amendement de... Mme la députée de Maurice-Richard, s'il
vous plaît.
Mme Montpetit : Il ne reste vraiment
pas beaucoup de temps, hein, mais je voulais continuer l'échange fort intéressant qu'on avait le ministre hier. Mais peut-être, pour répondre à sa question
de tout à l'heure sur les projets
de loi, peut-être qu'il lui a échappé que
j'avais fait — mais
ce n'est pas un reproche — et
on en fait beaucoup dans une législature, le projet de loi sur
la presse, donc important projet, pour venir aider nos médias, et j'en profite,
dans...
Une voix : ...Mme la députée
de Maurice-Richard.
Mme
Montpetit : Non, non, pas du
tout, c'est que j'en profite pour le mentionner dans le contexte où nos
médias ont beaucoup de difficultés. Donc, c'est toujours important, comme
gouvernement, de venir les soutenir et les aider comme on peut. Donc, je ne sais pas à quel point il nous reste du temps,
mais je voulais — il n'en
reste plus, hein? — ...
Le Président (M. Bachand) :
Il n'en reste plus.
Mme
Montpetit : ...donc, bien, souhaiter au ministre une bonne fin de
semaine, de bien se reposer, et ça va nous faire extrêmement plaisir de
continuer ces importantes discussions, la semaine prochaine, avec lui.
Le
Président (M. Bachand) : Sur
ces bons mots, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses
travaux. Merci beaucoup. Un très bon week-end à tous et à toutes. Merci.
(Fin de la séance à 13 heures)