Journal des débats de la Commission des institutions
Version préliminaire
42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)
Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.
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Le
mercredi 15 mai 2019
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Vol. 45 N° 39
Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l’État
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Intervenants par tranches d'heure
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Lachance, Stéphanie
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Bachand, André
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Skeete, Christopher
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Lecours, Lucie
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David, Hélène
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Robitaille, Paule
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Zanetti, Sol
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Bérubé, Pascal
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Lévesque, Mathieu
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Robitaille, Paule
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Robitaille, Paule
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Bachand, André
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David, Hélène
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Zanetti, Sol
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Bérubé, Pascal
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Skeete, Christopher
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David, Hélène
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David, Hélène
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Bachand, André
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Zanetti, Sol
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Bérubé, Pascal
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Jolin-Barrette, Simon
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Lévesque, Mathieu
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David, Hélène
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Zanetti, Sol
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Zanetti, Sol
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Bachand, André
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Bérubé, Pascal
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Jolin-Barrette, Simon
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Jolin-Barrette, Simon
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Bachand, André
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David, Hélène
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Robitaille, Paule
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Zanetti, Sol
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Bérubé, Pascal
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Skeete, Christopher
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Zanetti, Sol
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David, Hélène
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David, Hélène
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Bachand, André
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Zanetti, Sol
11 h 30 (version révisée)
(Onze heures trente-quatre minutes)
Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue. Ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous
souhaite, bien sûr, la bienvenue encore une fois et je vous demande, comme vous
le savez bien, de bien éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques.
La commission est réunie afin de
poursuivre les consultations particulières et audiences publiques sur le projet
de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.
Avant de débuter, Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La Secrétaire
: Oui, M.
le Président. M. Lafrenière (Vachon) est remplacé par M. Skette
(Sainte-Rose); M. Lamothe (Ungava) est remplacé par Mme Dansereau
(Verchères); M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Tardif
(Rivière-du-Loup—Témiscouata); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est
remplacée par Mme <David (Marguerite-Bourgeoys)...
Le Président (M. Bachand) :
...avant de débuter,
Mme la secrétaire,
y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire
: Oui,
M. le Président. M. Lafrenière (Vachon) est remplacé par M. Skeete
(
Sainte-Rose);
M. Lamothe (Ungava) est remplacé par
Mme Dansereau
(Verchères);
M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par
M. Tardif
(Rivière-du-Loup—Témiscouata);
Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne)
est remplacée par
Mme >David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla
(Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel
(Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Auditions
(suite)
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Ce matin, nous allons entendre le Mouvement
laïque québécois, de même que Les avocats et notaires de l'État québécois.
Cela dit, je souhaite la bienvenue aux représentants
du Mouvement laïque québécois et je vous invite à débuter votre présentation
d'une durée de 10 minutes. À vous la parole. Merci.
Mouvement laïque québécois (MLQ)
Mme Jobin (Lucie) :
Bonjour. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, M. le Président, merci de
nous accueillir, nous, les représentants du Mouvement laïque québécois. Vous
avez à mon côté M. Daniel Baril, vice-président du Mouvement laïque, et,
de l'autre côté, Mme Danielle Payette, ex-membre du C.A. du MLQ, mais
aussi la plaignante dans la cause de la prière à Laval, qui a été gagnée au
Tribunal des droits de la personne en 2006, ce qui a permis d'aller plaider la
cause de la prière à Saguenay et de la gagner en Cour suprême en 2015. Alors,
c'est une longue histoire, et Mme Payette en est l'instigatrice. Alors,
cette cause a permis justement qu'on puisse aller jusqu'à la Cour suprême.
Le Mouvement laïque québécois est le seul
organisme de la société civile spécifiquement fondé sur la revendication de
l'État, un objectif démocratique pour lequel il milite depuis près 38 ans. Il
est issu de l'Association québécoise de l'application du droit à l'exemption de
l'enseignement religieux, l'AQADER. Le MLQ a réclamé depuis 1980 la
déconfessionnalisation du système scolaire, et nous avons déposé des mémoires
en ce sens lors de tous les dépôts de projets de loi qui touchaient à la fois
l'éducation et toutes les institutions publiques. Au cours des années, nous
avons obtenu aussi de nombreux avis de la Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse favorables à nos positions et dans le dossier de
la déconfessionnalisation scolaire et de l'abolition des prières municipales,
comme je vous le citais tout à l'heure.
Le Mouvement laïque représente l'opinion
de tous les citoyens favorables à une vision républicaine de la laïcité, qu'ils
soient croyants ou incroyants. Il représente à travers le Québec plus de 400
membres.
Le Mouvement laïque accueille
favorablement le projet de loi n° 21. Et nous
considérons que, grâce à lui, les libertés fondamentales devront maintenant
s'exercer dans le respect de la laïcité, et en plus ce sera inscrit dans la
charte des droits de la personne. Alors, ça nous fera avancer d'un grand pas,
là laïcité.
Alors, j'invite maintenant M. Daniel
Baril à vous préciser nos attentes et notre appréciation du projet de loi.
M. Baril
(Daniel) : Merci. Alors, M. le Président, M. le ministre, le
mémoire que nous vous présentons est fondé essentiellement, pour la majeure
partie du contenu, sur le jugement de la Cour suprême sur les prières à
Saguenay obtenu par le Mouvement laïque québécois, comme on vient de le dire,
et c'est un jugement historique et unanime. C'est le jugement qui a été le plus
loin dans la définition de ce que doit être la neutralité religieuse de l'État
et qui doit... en fait, qui marque une évolution, même, dans la pensée de la
Cour suprême.
Dans ce jugement, on dit clairement et à
répétition que la neutralité doit être en fait et en apparence. Ce sont deux
mots essentiels, et on est très heureux de les retrouver dans le projet de loi,
à l'article 3, où on dit qu'effectivement la neutralité doit être réelle et
apparente. La neutralité apparente dans ce jugement de la Cour suprême, il est
évident que ça inclut les lieux et les personnes qui y travaillent, ce n'est
pas seulement les institutions comme entités abstraites. On parle d'espace
public neutre à l'intérieur duquel tous doivent avoir les mêmes droits,
bénéficier des mêmes droits, un espace public libre de contraintes, de
pressions et de jugement. Donc, ce sont les lieux et les personnes qui y
travaillent.
Le jugement de la Cour suprême rejette
d'ailleurs la laïcité dite ouverte en disant que la neutralité réelle et
apparente cadre mal avec la notion de neutralité réelle. Alors, la neutralité
bienveillante, c'est de la complaisance, donc un parti-pris à l'égard de la
religion plutôt que de la véritable neutralité.
On est heureux de voir que, dans le projet
de loi, ça s'applique pour l'essentiel au domaine scolaire, ce qui était absent
du projet de loi n° 60, que nous avions également appuyé, le projet de loi
n° 60 qui incluait les fonctionnaires. Ici, on n'a pas les fonctionnaires.
Maintenant, on a les enseignants. Alors, finalement, en bout de ligne, ce qu'on
va vous demander, c'est le projet de loi n° 60 plus 21.
• (11 h 40) •
On pense également que la neutralité
réelle et apparente doit prioritairement, essentiellement, surtout s'appliquer
dans les milieux les plus multiculturellement... ou multireligieux,
multiethniques. Sinon, si ce n'était qu'à Saguenay, là, ça n'aurait pas grande
portée. Donc, <contrairement à ce que...
M. Baril
(Daniel)T : ...On pense
également que la neutralité
réelle et apparente doit prioritairement,
essentiellement, surtout
s'appliquer dans les milieux les plus multiculturellement ou multireligieux,
multiethniques. Sinon, si ce n'était qu'à Saguenay, là, ça n'aurait pas grande
portée. Donc, >contrairement à ce que nous disait... Nous sommes trois Montréalais,
Montréalaises. Contrairement à ce que nous disait notre mairesse, hier, on
pense que la diversité n'est pas que religieuse, et ça n'implique pas la rue,
là, dans le projet de loi, et que c'est dans les milieux les plus diversifiés
religieusement que la neutralité apparente doit être une réalité, sinon on va
avoir un affichage multireligieux et non pas de la réelle neutralité.
Maintenant, des précisions qu'on
demanderait à apporter dans le projet de loi, dans les définitions d'abord. Quand
on parle de séparation de l'État et des religions, on aimerait qu'il soit
précisé, tel que formulé dans le jugement de la Cour suprême, qu'il s'agit dans
ce cas-là de la stricte autonomie de l'État par rapport aux religions, parce
que ça peut être interprété, ça peut être compris comme étant l'indépendance de
la religion par rapport aux lois civiles, ce qui n'est pas le cas. Et c'est un
courant qui est très fort au Canada, aux États-Unis, où on dit que la liberté
de... la séparation de l'Église et de l'État, en fait, ça veut dire que l'État
n'a pas à intervenir dans les affaires des religions. Ce n'est pas le cas. La Cour
suprême parle de stricte autonomie de l'État face aux religions. C'est une
précision qui serait importante à apporter.
Même chose pour le principe de neutralité.
On nous réfère à ce moment-là à la Loi sur la neutralité religieuse où il est
dit que le personnel des organismes publics doit voir à ne pas favoriser ni
défavoriser aucune conviction religieuse. Mais, dans cette loi, ce devoir de
neutralité n'incombe qu'au personnel, alors que la Cour suprême nous dit que la
neutralité réelle exige que l'État ne favorise ni ne défavorise aucune
religion. Donc, c'est plus <que les simples... >que les seuls
employés, c'est l'ensemble de l'État.
Pour être encore plus précis, on fait
nôtre la recommandation de Mme Fatima Houda-Pepin, qui demandait, en fait,
c'est une formulation qu'on trouve très heureuse, très pertinente, d'ajouter à
la loi que «toute personne a droit à la neutralité religieuse de l'État». En
fait, ce droit, c'est un corollaire du droit à la liberté de conscience du
citoyen face à son État et à ses services publics.
Séparation de l'Église et de l'État, ça
implique qu'au niveau du citoyen, en fait, de l'individu, séparation du croyant
et du citoyen, O.K.? Et même cette distinction est faite dans le jugement de la
Cour suprême. Au paragraphe 74 quand la Cour suprême dit que «la
neutralité est celle des institutions de l'État, [et] non celle des individus»,
eh bien, dans la phrase qui précède, on dit que... bon, le juge précise qu'«un
espace public neutre ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs privés qui
s'y trouvent». Ensute, on dit que ça concerne l'État.
Alors, il nous paraît... en fait, c'est
clair qu'il y a une distinction ici entre l'acteur privé, qui est soit le
citoyen qui vient bénéficier de l'État soit la personne qui donne le service,
et le représentant de l'État. Il nous paraît étonnant que même la Commission
des droits de la personne cite de façon tronquée ce paragraphe pour en fausser
le sens. Il y a une distinction à faire entre l'acteur privé et le représentant
de l'État.
Et, même si, enfin, le représentant ou
tout agent de l'État est tenu, évidemment, d'être neutre dans ses gestes, dans
ses décisions, dans son action, l'ensemble du jugement a pour effet de dire que
ceci ne le dispense pas du devoir de respecter la neutralité apparente. De
toute façon, c'est deux choses, mais qui ne sont pas contradictoires et qui se
complètent.
C'est d'ailleurs de neutralité apparente
qu'il est question dans le rapport Bouchard-Taylor, là, qu'on ne sait plus
comment nommer. Quand on parle de proscrire les signes religieux pour les
personnels en autorité coercitive, c'est de neutralité apparente dont il est
question. Mais pourquoi cette neutralité devrait être le lot seulement des
agents en autorité coercitive? Ce principe-là n'est pas du tout présent dans le
jugement de la Cour suprême. C'est qu'on fait à ce moment-là de la laïcité un
principe d'autorité policière. Ça n'a aucun rapport. Ce n'est pas un fondement
de la laïcité, ça, l'autorité coercitive.
Et est-ce qu'on a des preuves probantes
pour les policiers, un policier qui porterait des signes religieux, qu'il
appliquerait la loi différemment? Non. Pourquoi on n'applique pas le même
raisonnement aux autres personnels de l'État, les fonctionnaires qui ont pour
responsabilité d'appliquer la loi, qui représentent, en fait, l'autorité de
l'État? Ce sont les fonctionnaires qui mettent en application l'autorité de
l'État. Et, bon, M. Bouchard change d'argument concernant les enseignants.
Alors, on ne sait pas <sur quoi... >d'où sort cette idée
d'autorité coercitive.
Si on demande que ce soit proscrit pour
les fonctionnaires, ça va encore plus de soi pour les enseignants. Nous, on
voudrait que ça soit l'ensemble du personnel des écoles qui soit assujetti à la
proscription de signe religieux, écoles primaire, secondaire et collégial.
Hier, M. Guy Rocher est venu vous dire que les cégeps sont par définition des
institutions laïques. Donc, appliquez la Loi sur la laïcité au cégep.
Même chose pour les écoles <privées.
Au nom de la...
M. Baril
(Daniel) : ...pour les enseignants. Nous, on voudrait que ça
soit l'ensemble du personnel des écoles qui soit assujetti à la proscription de
signes religieux, écoles primaires, secondaires et collégiales. Hier, M. Guy
Rocher est venu vous dire que les cégeps sont, par définition, des
institutions
laïques. Donc, appliquez la
Loi sur la laïcité aux cégeps.
Même chose pour les écoles >privées.
Au nom de la mission éducative et au nom du financement public, la loi devrait
également s'appliquer à ce secteur, et le même raisonnement vaut pour les
garderies et centres de la petite enfance.
Sur la clause de droits acquis, on pense
que le principe de laïcité devrait être universellement respecté pour
l'ensemble des employés, peu importe la date d'entrée en fonction du personnel
ou de la personne en question.
Sur le recours aux clauses dérogatoires,
bon, nous ne sommes pas des juristes, là, mais on peut vous dire que le
Mouvement laïque s'est battu pendant 25 ans contre l'application des clauses
dérogatoires dans les lois de l'éducation pour protéger la confessionnalité.
Et, dans ce cas, c'était pour brimer les libertés de conscience et l'égalité
des religions des usagers de l'école publique. Donc, on brimait clairement des
droits pour protéger des privilèges accordés à deux religions.
Ici, la clause dérogatoire, en fait, elle
vise à assurer les mêmes services à tout le monde. Elle vise à assurer une
apparence de neutralité à la fois dans les faits et dans l'apparence, à
l'institution publique de... bien, dans ce cas-ci, malheureusement réduite à
l'école, mais c'est une condition nécessaire à l'exercice de l'égalité des
droits, la reconnaissance de l'égalité des religions. Et, bon...
Le Président (M. Bachand) :
Malheureusement, M. Baril, je vais devoir vous interrompre pour la période
d'échange.
M. Baril
(Daniel) :
...le temps est épuisé,
j'y reviendrai aux questions. Je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Bachand) :
Vous allez pouvoir vous reprendre. Il y a une belle période d'échange qui s'en
vient. Alors, M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Mme Jobin, Mme Payette et M. Baril, bonjour et bienvenue à
l'Assemblée nationale. Merci pour votre présence dans le cadre de nos travaux
sur l'étude du projet de loi n° 21.
D'entrée de jeu, je voudrais qu'on
revienne sur la question des prières des conseils municipaux. La Cour suprême,
dans Mouvement laïque québécois, disait, bon, c'est interdit de faire une
prière. Je voudrais savoir : Si on fait le comparatif avec les
enseignements de la Cour suprême dans ce dossier-là, sur le fait que,
supposons, un enseignant porte un signe religieux ou une personne en situation
d'autorité, là, un juge, un policier, un agent correctionnel, est-ce que vous
faites une comparaison entre le fait de... pour respecter la liberté de
conscience des individus, de ne pas faire de prière dans un conseil municipal
et le fait pour un agent de l'État de ne pas porter de signes religieux? Est-ce
que, pour vous, l'apparence, c'est aussi important que le fait de faire un
geste positif par l'expression?
M. Baril
(Daniel) : En fait, on peut établir des distinctions. Il y a
des nuances à faire, effectivement. La prière est un geste plus prosélyte, là,
que le simple fait d'afficher sa croyance religieuse. Par contre, on peut
penser... le vêtement, là, je ne suis pas le premier à venir vous le dire,
c'est un langage, tu sais. Alors, on affiche sur des vêtements nos convictions,
nos appartenances religieuses. Ce n'est pas plus acceptable que... C'est sûr
que faire prier les gens, c'est vraiment une activité d'engagement, là, qu'on
impose au public. Ce n'est pas le cas pour un fonctionnaire ou un enseignant
qui ne ferait que porter un signe religieux, mais ça n'a pas plus sa place, là.
Il y a des distinctions à faire, mais l'apparence est brimée, est remise dans
ce cas-là, là, dans les deux cas, de la même façon.
M. Jolin-Barrette :
Donc, pour vous, le fait de porter un signe religieux, ça porte atteinte à
l'apparence de neutralité de l'État.
M. Baril
(Daniel) : Tout à fait.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Et donc à la liberté de conscience des gens qui bénéficient du service public
par le fonctionnaire qui porte le signe religieux.
M. Baril
(Daniel) : D'une certaine façon, oui. En fait, quand on va
chercher un service public, on n'a pas à se faire dire par la personne qui est
là quelles sont ses convictions religieuses. On ne va pas là pour ça. Ça n'a
aucun sens. C'est-à-dire, ça n'a aucun rapport avec l'emploi qu'il occupe. Et
en plus, <si on veut... >si les institutions publiques sont, par définition,
laïques, et là la loi va le dire clairement, il y a une contradiction. Je viens
chercher un service dans une institution qui est dite laïque et je me fais
servir par un employé religieux. Je ne lui ai pas demandé, moi, ses
convictions.
Et puis, si on le permet à certains
groupes religieux, il faut s'attendre à ce que d'autres vont revendiquer, là.
Et puis les t-shirts «athée» peuvent apparaître ou les t-shirts avec «Jésus est
mon sauveur». C'est exactement la même chose. Et ce n'est pas parce que
présentement <il y a... >certaines religions font preuve d'une
retenue... Les athées ne demandent pas ça, en passant. Personne ne demande
d'afficher, dans les écoles, ses convictions chez les athées, là. On respecte
tous une certaine gêne, O.K.? On demande la même petite gêne de la part de
l'ensemble des croyants.
• (11 h 50) •
M. Jolin-Barrette : O.K.
Vous savez, on a recours aux dispositions de dérogation dans le cadre du projet
de loi, notamment parce que le gouvernement considère que c'est aux élus de <l'Assemblée
nationale de déterminer de quelle façon vont s'organiser...
M. Baril
(Daniel) : ...une certaine gêne,
O.K. On demande la même
petite gêne de la part de l'ensemble des croyants.
M. Jolin-Barrette :
O.K. Vous savez, on a recours aux
dispositions de dérogation dans
le cadre du
projet de loi,
notamment
parce que le
gouvernement
considère que c'est aux élus de >l'Assemblée nationale de déterminer de
quelle façon vont s'organiser les rapports dans notre société entre l'État et
les religions. Je sais que vous l'avez abordé durant votre allocution, mais je
voudrais préciser. Donc, vous êtes en faveur que le législateur ait recours aux
dispositions de dérogation dans le cadre du projet de loi n° 21?
M. Baril
(Daniel) :C'est-à-dire qu'on ne s'y
oppose pas. Il y a des arguments pour, et puis on laisse aux juristes le soin
de déterminer. Il y a plusieurs niveaux ou plusieurs justificatifs, mais on
pense que l'argument de ceux qui s'opposent au nom de brimer les libertés fondamentales,
on pense que ça ne tient pas la route, là. Il n'y a pas de droit fondamental à
exprimer ses croyances religieuses en tout temps et en tout lieu. Le droit à la
liberté de religion, c'est le droit d'adhérer à une religion, d'en pratiquer le
culte et de transmettre sa religion. Ce n'est pas le droit de la démontrer, de
l'afficher de façon démonstrative en tout temps et en tout lieu. Ça n'existe
pas, là, ce droit.
Même dans la convention universelle des
droits de l'homme, là, ça ne va pas jusqu'à dire que... même si on parle du
droit d'en faire la démonstration publique, ça ne veut pas dire dans les institutions
publiques, hein, on s'entend. Ça veut dire : Vous avez le droit de faire
des processions sur la rue, peut-être même des prêches dans les parcs, mais ce
n'est pas le droit d'afficher n'importe où, et surtout dans les institutions
publiques, sa religion. Et, si on accepte ce qui n'est même pas obligatoire par
la religion, imaginez comment on va refuser ensuite ce qui est plus prescrit
par la religion, c'est-à-dire la pratique du rituel? Alors, on va revenir aux
prières dans les écoles.
M. Jolin-Barrette : O.K.
La disposition de dérogation a déjà été utilisée par des gouvernements
précédents, notamment par M. Ryan, dans le cadre de certaines religions,
pour protéger. Qu'est-ce que vous pensez de la... bien, en fait, si on compare,
là, l'utilisation qu'on fait de la disposition de dérogation par rapport à ce
qui a été fait dans le passé, notamment avec l'exemple de M. Ryan?
M. Baril
(Daniel) :Bien, comme je le mentionnais,
dans ce cas de la confessionnalité scolaire, c'était clairement pour protéger
des privilèges discriminatoires de deux religions. C'était pour brimer...
c'était pour empêcher l'application de l'égalité des religions. Alors, toutes
les religions n'avaient pas droit aux mêmes services, à la même qualité
d'enseignement. Nous, on a connu... Moi, j'ai été enseignant, même, <pour...
>dans la période, là, de l'exemption de l'enseignement religieux. Donc,
il y avait des élèves retirés de la classe parce qu'ils n'étaient pas
catholiques ou pas pour... bien, j'étais dans le secteur catholique. Parce
qu'ils n'étaient pas catholiques, donc, on les retirait. Et on était au tout
début du service, là, d'enseignement moral. Et c'était vraiment discriminatoire
pour les élèves. C'est à ça que servait la clause dérogatoire. C'était pour
empêcher l'exercice en pleine égalité des droits à l'école de la part des
élèves au nom de privilèges confessionnels. Là, il y avait vraiment une attaque
à la liberté de religion et à la liberté de conscience.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Pouvez-vous me donner votre opinion sur le fait que, dans le projet de loi
n° 21, le gouvernement vient inscrire clairement que c'est la laïcité de
l'État qui va s'appliquer, et non pas uniquement la neutralité religieuse de
l'État?
M. Baril
(Daniel) : Excusez-moi, là, j'ai été distrait.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Dans le fond, ce que je vous disais, c'est : Pouvez-vous nous expliquer
comment vous envisagez ça, le fait que le gouvernement, dans le cadre du projet
de loi n° 21, vient inscrire la laïcité de l'État avec quatre principes
plutôt qu'uniquement la neutralité religieuse de l'État et l'impact du fait
qu'on vienne inscrire la laïcité de l'État dans la Charte des droits et
libertés de la personne?
M. Baril
(Daniel) : C'est toujours ce que nous avions demandé. On
demandait depuis 38 ans, là, une déclaration du principe de la laïcité dans une
loi. Après ça, plus tard, je pense que c'était pendant le débat sur le projet
de loi n° 60, on a dit :Bon, c'est dans la Charte des droits et
libertés que ça devrait aller. C'est ce qui est fait maintenant. On en est très
satisfaits.
Maintenant, le principe de neutralité,
c'est insuffisant. On l'a dit au projet de loi n° 62 sur... la Loi sur la
neutralité religieuse de l'État, qui était en fait une coquille vide, sinon que
de proscrire le visage voilé pour les services publics. On était d'accord avec
cet élément-là, mais la neutralité n'était pas définie. Et la simple neutralité
peut être comprise, comme on le fait en Ontario, par exemple, comme étant une
disposition qui permet à tout le monde, là, d'exposer sa religion. Par exemple,
au Parlement de l'Ontario, on va réciter <de façon... >par
alternance, là, pas tous les jours, mais une après l'autre, 10 ou 12 prières.
Ils pensent respecter la neutralité de cette façon-là, alors que la neutralité
dans le concept de laïcité, ça commande d'exclure la religion de <l'espace
civique. Sinon, ce qu'on a en Ontario...
M. Baril
(Daniel) : …on va réciter de façon… par alternance, là, pas à
tous les jours, mais une après l'autre, dix ou 12 prières. Ils pensent
respecter la neutralité de cette façon-là, alors que la neutralité, dans le
concept de
laïcité, ça commande d'exclure la religion de >l'espace
civique. Sinon, ce qu'on a en Ontario, c'est de la multiconfessionnalité. C'est
un préjugé favorable, comme nous dit la Cour suprême, qui ne cadre pas avec la
neutralité réelle et apparente.
La laïcité, c'est la stricte séparation
des religions et de l'État comprise dans le sens de la stricte autonomie de
l'État de sur les religions. Là, ici, on a quelque chose d'assez complet, mais,
comme je vous mentionnais, on aimerait certaines précisions qui le rendraient
encore plus clair, c'est-à-dire <que… >la stricte autonomie, comme
je viens de le dire, comme le stipule la Cour suprême, et éventuellement, même,
comme le disait Mme Fatima Pepin, inscrire le droit à la neutralité
religieuse.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Donc, inscrire un droit positif dans le cadre de la loi.
Il y a plusieurs personnes qui sont venues
nous dire que l'État québécois et l'État canadien étaient déjà laïques. Moi, je
n'ai recensé nulle part, dans les textes de loi canadiens ou québécois, une
référence à la laïcité. C'est la première fois qu'on l'inscrit dans nos lois,
le recours à la laïcité. La ville de Montréal prétend que l'État québécois, il
est déjà laïque et que la ville de Montréal est déjà laïque.
Je voudrais vous entendre là-dessus, sur
les propos de la ville de Montréal, et sur la nécessité de l'inscrire dans le projet
de loi n° 21.
M. Baril (Daniel) :
Moi, je sursaute chaque fois que j'entends ça, là. En fait, oui, il y a une
certaine laïcité de fait parce qu'il n'y a pas de religion d'État au Canada ni
au Québec, parce qu'il y a eu de la jurisprudence qui dit, que, bon… parce
qu'il y a une charte qui dit qu'on a droit à la liberté de conscience, que les
religions sont égales. Mais <ça donne, l'application… >ça
donne des applications dans toutes les directions, là. On l'a vu avec les
jugements qui se sont rendus en Cour suprême, mis à part celui sur Saguenay. Le
kirpan à l'école, par exemple, le port de signes religieux dans la GRC, même si
ça ne s'est pas rendu en Cour suprême, contrairement à ce que plusieurs
soutiennent, là, mais c'est quand même accepté dans un État supposément laïque.
Non, ce n'est dit nulle part. La
Constitution canadienne est fondée sur la reconnaissance de la suprématie de
Dieu. Bon, notre jugement qu'on a obtenu dit : Bon, bien, c'est un
préambule qui ne peut pas venir nier les droits qui sont dans la charte. D'accord,
mais il y a une claire contradiction.
Ce que Mme Valérie Plante dit, il y a
déjà une… la laïcité est déjà là, mais elle s'oppose à ce qu'on la rende
formelle. Je ne comprends pas la logique. On ne comprend pas la logique de ça,
là. Si elle est déjà là, bon, bien, rendons-la plus formelle. Ce qui est clair
va être encore plus clair et ça va éviter des dérives du type
multiconfessionnalité, parce que c'est vers ça que son opinion va, là. C'est
l'affichage multiconfessionnel dans les institutions publiques plutôt que
l'affichage de neutralité religieuse. Alors, non, il n'y a pas de loi sur la
neutralité, sinon, on…
M. Jolin-Barrette : O.K.
Je vous remercie. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des
questions.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.
Mme Lachance : Merci, M.
le Président. Merci, mesdames, merci, monsieur, merci d'être là aujourd'hui
pour participer à ce débat. J'ai pris connaissance de votre mémoire et je vous
écoutais tout à l'heure, et, si j'ai bien compris, vous trouvez que nous
n'allons pas assez loin en ce qui a trait au cadre de l'éducation. D'ailleurs,
ou plutôt aussi, lorsque je lis, en page 5 de votre mémoire, et je vous
cite : «Il nous a toujours paru nécessaire que le principe de la laïcité
s'applique prioritairement au domaine scolaire et nous accueillons plus que favorablement
les dispositions du projet de loi qui concernent les écoles primaires et
secondaires.»
Donc, j'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi,
selon vous, la laïcité doit commencer dans l'école.
• (12 heures) •
Mme Payette (Danielle) :
Je suis enseignante. Pourquoi la laïcité doit être appliquée d'abord et avant
tout dans les écoles? Parce que l'enfance se passe à l'école, parce que la
structure du cerveau se passe à l'école, parce qu'on veut que nos élèves soient
élevés et éduqués dans un milieu laïque libre de toute influence religieuse puis
parce qu'aussi, ce que je trouve, ce que le Mouvement laïque aussi… on en a
discuté, bien entendu, c'est qu'en ce moment, étant donné qu'il n'y a pas de
balises, il n'y a pas de loi, c'est comme si le gouvernement et les écoles
cautionnent la <discrimination faite envers les femmes…
>
12 h (version révisée)
< Mme Payette (Danielle) :
...le
Mouvement laïque aussi, on en a discuté, bien entendu, c'est qu'en
ce moment, étant donné qu'il n'y a pas de balise, il n'y a pas de loi, c'est
comme si le gouvernement et les écoles cautionnent la >discrimination
faite envers les femmes, parce que, oui, ce sont les femmes qui sont visées,
Mme David en a souvent parlé, mais les religions discriminent les femmes.
C'est pour ça que le projet de loi vise principalement les femmes. Et des
enseignantes, oui, il y a des enseignantes voilées qui vont être touchées par
ce projet de loi.
Donc, je ne comprends pas qu'un
gouvernement puisse cautionner une discrimination envers les femmes. C'est
comme si on disait : Ah! oui, on sait que ça existe, mais on ferme les
yeux. Ce n'est pas grave, ça ne nous regarde pas. Oui, ça nous regarde, ça
regarde l'éducation de nos enfants. Je pense que c'est primordial que la
laïcité soit vécue dans nos écoles, dans les institutions scolaires primaires,
secondaires, collégiales, la petite enfance aussi. Je ne sais pas si...
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de Sainte-Rose, s'il vous
plaît.
M. Skeete : Merci, M. le
Président. Je trouve ça intéressant, le point que vous venez juste de faire. Ce
matin, j'ai eu la chance de lire la sortie de Mme Houda-Pépin dans son article,
et je voudrais... je ne sais pas si vous avez eu la chance de le voir, mais
elle fait le lien direct entre le mouvement féministe et les religions. Et elle
termine pour dire : Bref, je ne connais pas une religion féministe.
Mme Payette (Danielle) :
Bien non, il n'y a pas de religion féministe, c'est impossible, c'est une
antithèse<, c'est..>. Même si les femmes — bon, je vais
parler encore des musulmanes parce que j'en ai discuté
beaucoup — souvent se disent féministes, c'est impossible. C'est
impossible parce que tu ne peux pas être féministe <puis être... >avoir
une idéologie qui ne te met pas au même niveau qu'un homme. Ça ne se peut pas.
Dans mon livre à moi, c'est incohérent. Puis, de toute façon, toutes les
religions sont sexistes ou discriminatoires envers les femmes.
M. Skeete : Donc, on ne
vise pas seulement une religion, selon vous.
Mme Payette (Danielle) :
Bien non, toutes les religions.
M. Skeete : C'est toutes
les religions.
Mme Payette (Danielle) :
Toutes les religions. Là, comme je vous dis, moi, j'ai parlé du voile parce que
c'est ce qui est vu souvent à l'école, quoiqu'il y a un enseignant aussi qui
porte une kippa. Par contre, ce qu'il faut voir aussi avec le projet de loi...
puis on n'a pas à sauter aux barricades, parce que les gens qui sont déjà en
fonction vont garder leurs postes.
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines, s'il vous
plaît.
Mme Lecours (Les Plaines) :
Merci. Combien me reste-t-il de temps?
Le Président
(M. Bachand) : 1 min 30 s.
Mme Lecours (Les Plaines) :
1 min 30 s. Rapidement. Merci beaucoup, dans un premier temps,
d'être ici aujourd'hui, de vous exprimer. Je veux juste... Il y a une phrase
que vous avez dite à quelques reprises dans votre présentation : La
laïcité doit être en faits et en apparence, j'ai bien compris ça, parce
qu'effectivement c'est, je pense, une partie du nerf de ce projet de loi là.
Je vais vous amener juste un petit peu
ailleurs parce que vous en parlez peu. Au début, vous avez dit que l'essentiel
est dans le milieu scolaire, mais j'aimerais vous entendre également sur la
nécessité pour les représentants de la loi, donc les policiers, les policières,
de ne porter aucun signe religieux.
M. Baril
(Daniel) : Bon, pour nous, ça va de soi, là, ça va de soi pour
tout employé de l'État. Et eux, en plus, ils ont un costume. Et en plus dans...
Allez voir le Code de déontologie des policiers du Québec, c'est dans la Loi
sur la police au Québec, ils ont un devoir, déjà, de réserve sur tout ce qui
concerne la religion. Déjà là, on pourrait se servir du code de déontologie
pour empêcher le port de signes religieux chez les policiers.
D'une part, oui... Mais c'est que,
l'autorité coercitive, pour nous, ce n'est pas un argument de laïcité, ça,
O.K.? C'est un représentant de l'État, c'est un... il applique la loi, mais
l'autre fonctionnaire, il applique la loi, également, même si le fonctionnaire
n'a pas le pouvoir de nous emprisonner, vous voyez? Il applique l'autorité de
l'État, point final. Et, si l'État se dit neutre et laïque... bon.
Le Président
(M. Bachand) : En terminant, parce que je dois passer la
parole à d'autres députés.
M. Baril
(Daniel) : Bon, donc, oui, je pense que...
Le Président (M. Bachand) :
O.K., merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît,
merci.
Mme David : Oui, bonjour
à vous trois, qui me font me rappeler toutes sortes de périodes de ma vie,
M. Baril, Mme Jobin et Mme Payette.
Écoutez, votre mémoire, même si vous savez
que je ne loge pas exactement au même endroit que vous sur plusieurs aspects du
mémoire, je dois au moins reconnaître votre immense engagement dans cette
question de la laïcité. Je n'ose pas vous demander si vous êtes là depuis les
débuts, 38 ans, mais vous êtes... La réponse, ça a l'air d'être oui.
Mme Jobin, M. Baril, en tout cas, je pense, ça fait un <joyeux
bout de temps...
Mme David : ...pour
plusieurs
aspects du mémoire, je dois, au moins, reconnaître votre immense
engagement
dans cette
question de la
laïcité. Je n'ose pas vous demander si
vous êtes là depuis les débuts, 38 ans, mais vous êtes... la réponse, ça a
l'air d'être oui, Mme Jobin, M. Baril? E
n tout cas,
je
pense, ça fait un >joyeux bout de temps qu'on se connaît< et que..>.
Ce sont donc de profondes convictions qui vous animent, et vous n'avez
jamais... peut-être, madame, ça ne fait pas 38 ans que vous êtes dans ça, mais...
Ce n'est pas si loin que ça? Mais coudon!
Alors, c'est peut-être ma première question,
parce que ça vous anime depuis vraiment très, très, très longtemps, cette
question de laïcité, de laïcité qui a commencé par les écoles confessionnelles
et non confessionnelles, et puis qui se poursuit, et qui se modernise,
j'imagine, dans votre réflexion. Alors, qu'est-ce qui, quand vous vous levez le
matin puis vous demeurez convaincus au point de vous réunir, d'écrire des
mémoires, qu'est-ce qui vous anime le plus ou qui vous dérange le plus dans
cette question de la laïcité ou non-laïcité?
Mme Payette (Danielle) :
Liberté de conscience.
Mme Jobin (Lucie) : Moi
aussi, c'est le droit à la liberté de conscience. Puis, comme Daniel Baril,
j'ai été aussi enseignante pendant de nombreuses années. Et, au début, c'était
un petit peu compliqué, le droit à l'exemption, c'est arrivé par après, par la
suite, pour les enseignants. Pour les enfants, bien, ça a été la bataille de
l'AQADER, l'association québécoise, qui a permis que les enfants soient
exemptés de l'enseignement religieux, sinon, avant, ils étaient dans le
corridor. Moi, j'ai vécu, les enfants dans le corridor. Alors, déjà, je
trouvais ça difficile. Pour les enseignants, avoir quelqu'un qui fait ton enseignement
religieux à ta place, ça aussi, on subit de la discrimination, et tout ça.
Alors, tu sais, ça a été ce que j'ai vécu dès le début de ma carrière
d'enseignante.
Par la suite, bien, on a pu s'organiser,
c'est sûr, mais il faut toujours faire des... Il aurait fallu faire des
compromis, ce qu'on a fait des fois, mais à notre grand dam. Par la suite, avec
le MLQ, quand on a pris le taureau par les cornes avec l'amendement à la Loi
constitutionnelle pour l'article...
M. Baril
(Daniel) : 93.
Mme Jobin (Lucie) :
...93, alors, on a fait partie de la coalition de la déconfessionnalisation, ça
a été une longue bataille aussi. Là, on l'a obtenue avec Mme Marois en
1998, ils ont amendé, finalement, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
c'est devenu linguistique. Mais là la bataille n'était pas finie. Ensuite, le
cours ECR. Alors, c'est ça, il y a toujours quelque chose qui nous tient en
haleine.
Mme David : Alors, j'ai
l'impression que ça va durer aussi longtemps que vous allez pouvoir durer.
À la page 8, vraiment, vous avez des
perles sémantiques que je trouve tellement intéressantes que je ne peux pas
m'empêcher de les souligner. Ce n'est pas pour vous critiquer, c'est pour vous
entendre. Peut-être que j'ai trop travaillé, dans ma vie, avec les mots qui
doivent avoir du sens. Et peut-être ce n'est pas voulu, mais peut-être que
c'est voulu. Je ne peux vraiment pas m'empêcher de vous poser la question.
À trois reprises, paragraphe... le 2.3.,
là,«laïcité en fait et en apparence», premier paragraphe, deuxième paragraphe,
vous dites trois fois l'expression «religieusement neutre», «religieusement
impartial», «religieusement neutre» encore dans le troisième paragraphe. C'est
quand même extraordinaire, pour un mouvement laïque, de référer aussi souvent
au mot «religieusement». Donc, expliquez-moi <quel est... >pourquoi
cet adjectif devient emblématique de la neutralité pour vous?
M. Baril
(Daniel) : Bien, parce qu'on parle de neutralité religieuse, on
ne parle pas neutralité politique ou de neutralité sexuelle, là, si on pouvait
employer un terme du genre.
Mme David : Oui, mais on
parle justement de neutralité religieuse, mais vous ne le dites pas «neutralité
religieuse», vous dites «religieusement neutre».
M. Baril
(Daniel) :Écoutez, je suis prêt à
réviser, là, la rédaction, mais on parle de neutralité religieuse.
Mme David : Non, non,
mais, écoutez, les mots ont un sens. Alors, je trouve que ça met en condensé
hyperconcentré l'ensemble de nos débats ici : On est Dieu et mon Droit,
religieusement neutre, religieusement impartial. Alors, ça nous dit... et
le prochain sujet, ça nous dit un peu les déchirements du Québec aussi par
rapport à toute cette question-là. On a des pour, on a des contre. Et même
dans... puis je ne dis pas ça pour vous piéger, c'est... peut-être vous y avez
pensé, à cette expression-là, puis vous dites : Ça s'applique exactement.
Moi, je m'en fais mon interprétation, elle n'est peut-être absolument pas celle
que vous avez, mais je tenais à le souligner.
• (12 h 10) •
Mais on voit le même déchirement pour...
et là je n'irai pas dans des choses juridiques, je ne suis pas juriste, moi
aussi, vous le savez. Mais, quand même, vous prenez le Mouvement laïque
québécois contre Saguenay. C'est cité dans de nombreux mémoires qu'on a reçus,
puis vous avez raison, la Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse l'utilise aussi abondamment. Et vous avez une interprétation pour
parler <de la neutralité... >de la laïcité en apparence, la
neutralité apparente, mais la Commission des droits de la personne l'utilise
dans un tout autre sens en disant <justement que...
Mme David :
...vous avez raison, la
Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse l'utilise aussi, abondamment. Et vous avez une
interprétation pour parler de la
neutralité... de la
laïcité en
apparence, la
neutralité apparente, mais la
Commission des droits
de la personne l'utilise dans un tout autre sens, en disant >justement
que «l'espace public neutre ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs
privés qui s'y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l'État,
non celle des individus.» Et vous dites : Attention, il n'y a pas que ça
là-dedans. Donc, encore dans ce jugement, on retrouve le déchirement des
valeurs qui nous animent les uns et les autres.
M. Baril (Daniel) : Le Commission des
droits de la personne, dans son mémoire, cite 11 fois le jugement MLQ
contre Saguenay, mais jamais sur la question de neutralité apparente<,
non, mais..>. Et ce que j'ai dit tout à l'heure, ici, on a le paragraphe
complet d'où la commission tire sa phrase «la neutralité et celle des institutions
[...] de l'État, [et] non celle des individus». Pris tout seul comme ça, là,
c'est un sophisme, ça, là, dire que la laïcité, c'est les institutions, ce
n'est pas l'individu. Oui, les institutions n'existent pas sans les individus
qui sont là, qui représentent l'État, qui y travaillent, plusieurs sont venus
vous le dire, là, bon. Alors, l'individu qui est là doit faire preuve de
neutralité dans ses gestes, dans ses décisions, dans ses actes, c'est la
neutralité réelle, mais ça ne le dispense pas de la neutralité apparente.
Mme David :
Mais c'est le grand débat sur...
M. Baril (Daniel) : Mais, regardez, le
paragraphe complet, Mme David...
Mme David :
Oui, oui, oui, je le sais, je l'ai, le paragraphe complet, je suis d'accord.
M. Baril (Daniel) : Donc, l'individu
dont il est question, c'est l'individu privé. La Cour suprême fait la
distinction, comme on dit, là, dans les paragraphes qui précèdent, entre le
citoyen et le croyant.
Mme
David : Mais vous êtes d'accord qu'il y a quand même beaucoup de gens
qui ont la prétention — je commence à parler comme un avocat — <qui
ont la prétention >de dire que la laïcité de l'État n'est pas la même
chose que la laïcité de l'individu et que, donc...
M. Baril (Daniel) : On ne parle pas de
la laïcité de l'individu, là, on parle de la laïcité de l'État.
Mme David :
Oui, c'est ça, exactement.
M. Baril (Daniel) : L'individu, dans son
geste, doit faire preuve... doit traiter sans distinction, sans discrimination,
tous les usagers.
Mme David :
Et que la neutralité de l'individu serait différente de la neutralité de
l'État. Mais vous opposez une approche différente en disant que l'individu,
étant un employé de l'État, donc, ça s'applique automatiquement à lui. Et,
là-dessus, ma prochaine question. Vous allez quand même assez loin parce qu'à
un moment donné j'ai dit... Bon, vraiment, vous le dites très clairement. D'ailleurs,
j'apprécie le côté assez, même, transparent et candide de votre mémoire parce
que vous dites les choses assez clairement. Finalement, tout le monde devrait
s'abstenir de porter un signe religieux dès que tu es employé de l'État. Et
vous allez même jusqu'au collège et à l'université.
Alors
là, ça, c'est la première fois qu'un mémoire parle de collèges et universités
précisément. Puis vous savez quand même, alors vous avez une petite réserve, que
les universités, vous ne pouvez pas l'imposer vraiment, mais vous dites :
Mon Dieu que ça serait bien! Pourquoi ça serait bien, à la limite, que tout ça,
tous ces gens-là soient soumis?
M. Baril (Daniel) : Au nom du principe
de neutralité de l'État, madame, neutralité réelle et apparente. Et les cégeps
sont des institutions laïques. Pourquoi ils ne sont pas dans la loi? Les
universités, bon, on a dit qu'il serait souhaitable que les universités
laïques... elles sont toutes laïques, là, présentement, même Laval et
l'Université de Montréal, là, les facultés de théologie n'ont plus de chartes
confessionnelles. Alors, on est dans des institutions laïques par définition.
À
l'Université de Montréal, un recteur a retiré le crucifix dans le hall
d'honneur. Ça n'a pas fait de vagues. Personne, même... Il n'y a pas eu de
consultations, même pas à l'assemblée universitaire, parce qu'on considérait
que c'était une institution laïque. Alors, si on le retire des murs, est-ce
qu'on permet après ça au personnel de revêtir des tenues religieuses? Il y a
quelque chose qui ne va pas, là, il y a une contradiction. Bon, on sait que la loi
ne pourrait probablement pas s'appliquer aux universités, mais on pense que les
universités devraient volontairement appliquer... s'inscrire dans cette
approche parce que ce sont des institutions laïques.
Le Président (M. Bachand) : Mme la députée
de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme Robitaille :
Oui. On a une jeune femme qui excelle en droit, elle est très bonne, elle a
fait son Barreau, elle a terminé, elle a eu les meilleurs scores et veut
devenir procureur de la couronne, mais elle porte un voile. Pourquoi cette
jeune femme-là, qui est brillante et qui connaît le droit criminel d'une façon
magnifique, pourquoi cette femme-là ne pourrait pas devenir procureur de la
couronne? Chicanez-vous pas, là.
M. Baril (Daniel) : Bien là, vous
avancez un cas hypothétique, là, mais pourquoi...
Mme Robitaille :
Non, mais ce n'est pas hypothétique, c'est...
M. Baril (Daniel) : Elle aura le choix,
madame, elle aura le choix. Tous les porteurs ou les porteuses de signes
ostentatoires nous disent qu'elles le portent par choix. Bon, bien, si c'est un
choix, vous avez le choix de l'enlever, vous avez le choix entre votre
profession ou d'afficher votre religion.
Mme Robitaille :
Mais, pour elle, c'est...
M. Baril (Daniel) : Pourquoi elle
n'aurait pas le droit? Elle a le droit d'être procureur de la couronne, mais on
lui demande de ne pas afficher ses <convictions religieuses...
M. Baril
(Daniel)T : ...tous les porteurs ou les porteuses de signes
ostentatoires nous disent qu'elles le portent par choix. Bon, bien, si c'est un
choix, vous avez le choix de l'enlever ou vous avez le choix entre votre
profession
ou d'afficher votre religion.
Mme Robitaille : Mais,
pour elle, c'est...
M. Baril
(Daniel)T : Pourquoi elle n'aurait pas le droit? Elle a le
droit d'être procureure de la couronne, mais on lui demande de ne pas afficher
ses >convictions religieuses. D'ailleurs, ça serait contraire au code,
aussi, de la magistrature, là. La loi ne s'applique pas aux juges directement parce
que... Écoutez, il y a des éléments, là, qui viennent de m'échapper, mais les
procureurs, en fait, la magistrature ont leur propre code, là, et ce serait
contraire.
Mme Robitaille : Mais
c'est partie de son identité. Elle vous dira, elle, que c'est partie de son
identité.
M. Baril
(Daniel) : Mais oui, l'identité. Mon identité n'est pas moins
profonde que l'identité de tous les croyants de la terre, madame, mais je
n'affiche pas mon identité religieuse de façon ostentatoire n'importe où,
n'importe quand. Ce n'est pourtant pas compliqué, ce principe-là, hein?
L'identité des croyants, mais oui, l'identité profonde. Est-ce que leur
identité est plus profonde que celle des autres?
Une voix
: ...
M. Baril
(Daniel) : Non, non.
Une voix
: ...
Le Président (M. Bachand) :
S'il vous plaît! Mais, désolé, le temps est dévolu maintenant à M. le député de
Jean-Lesage.
M. Zanetti : Merci, M. le
Président. Merci beaucoup pour votre présence ici. Quel danger court le Québec
si on n'interdit pas les signes religieux?
M. Baril
(Daniel) : Ah! on court un immense danger, pauvre monsieur.
Quel danger? Allez voir dans les États où la laïcité n'existe pas, vous allez
avoir une idée du danger, là.
M. Zanetti : Alors, le
Québec serait comme quel État?
M. Baril
(Daniel) : Et puis il n'est pas nécessaire que...
Le Président (M. Bachand) :
...une personne à la fois parce qu'on veut tous vous entendre correctement. M.
le député.
M. Zanetti : Donc, vous
parlez d'autres pays. Alors, le Québec serait comme quel autre pays, s'il
n'interdisait pas les signes religieux?
M. Baril
(Daniel) : Il n'est pas nécessaire d'avoir sous les yeux des
cas de conversions, là, pour dire : Il y a un effet tangible des signes
religieux, O.K.? Il n'y a personne qui... Il n'y a pas un musulman qui va se
convertir au sikhisme parce que le policier porte un turban. Il n'y pas un
élève juif qui va se convertir à l'islam parce que l'enseignante porte un
hidjab. Bon, par contre, il y a, oui, des élèves, des enfants musulmans qui
disent à leur mère : Pourquoi, maman, tu ne portes pas le hidjab,
puisqu'on est musulmans? Ça, vous en avez eu, des exemples comme ça, là, tu
sais. Ce n'est pas une conversion, là, mais c'est l'effet de l'affichage
ostentatoire d'une conviction religieuse sur l'enfant qui est normalisé, une
certaine pratique qui, comme on l'a dit, va être discriminatoire envers les
femmes et qui la normalise.
On a des principes de base dans notre
société, l'égalité des sexes, la neutralité de l'État, ça va en être un, et on
demande qu'il soit respecté.
Le Président (M. Bachand) :
...de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Donc,
essentiellement, le danger qu'on court, c'est une normalisation de pratiques
sexistes. Est-ce que je <relate... >résume bien vos propos?
M. Baril
(Daniel) :C'en est une.
Mme Jobin (Lucie) : Ça
serait une...
M. Baril
(Daniel) :C'en est une.
Mme Jobin (Lucie) : Mais
ce n'est pas la seule non plus.
M. Baril
(Daniel) : Mais vous dites que vous êtes d'accord avec la
laïcité de l'État, mais vous êtes contre le fait que la neutralité soit
visible. C'est ça. Ceux qui refusent l'interdiction des signes religieux dans
les institutions publiques refusent la neutralité apparente.
M. Zanetti : J'ai...
Excusez.
M. Baril
(Daniel) : C'est aussi clair que ça.
Le Président (M. Bachand) :
M. le député, oui, en terminant.
M. Zanetti : Oui. Bon,
alors, je ne suis pas très satisfait de votre réponse quant aux dangers.
Peut-être que, si on avait plus de temps, vous auriez pu m'en dire plus.
M. Baril
(Daniel) : Bien, vous parlez...
M. Zanetti : Est-ce que
vous considérez... Je m'excuse. Est-ce que vous considérez qu'on libère une
femme en lui interdisant de porter ce qu'elle veut porter?
Mme Jobin (Lucie) : Ce
n'est pas une question de libérer cette personne-là, c'est que, si elle veut
travailler dans la fonction publique comme enseignante ou autre, son signe
religieux, elle doit le laisser à la maison. Nous, ce n'est pas un droit de
porter un signe religieux, c'est un droit de liberté de religion, mais la
liberté de religion n'inclut pas nécessairement le droit de porter des signes
religieux, ce que M. Baril a expliqué. Puis, dans le cadre de l'ONU, c'est
ça aussi.
Mme Payette (Danielle) :
Puis c'est un privilège. Je m'excuse.
Mme Jobin (Lucie) : C'est
un... Oui.
Mme Payette (Danielle) :
C'est un privilège aussi, de travailler pour l'État. On devrait remercier
l'État parce que... Moi-même, je suis très heureuse de travailler comme
enseignante. Puis vous disiez : Si la femme... est-ce qu'elle va se sentir
plus libérée? S'il y en avait 10 %, des femmes, qui sont obligées
d'enlever leur voile, et qui l'enlèvent, et qui se sentent plus libres,
justement, en disant : Oh! c'est vrai, je suis capable de travailler sans
mon voile, eh bien, tant mieux, on en aura eu 10 %.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup.
Mme Payette (Danielle) :
Peut-être qu'on va aller vers ça aussi.
Le Président (M. Bachand) :
M. le député de Matane-Matapédia, vous avez la parole, s'il vous plaît.
• (12 h 20) •
M.
Bérubé
:
M. le Président, bienvenue au Mouvement laïque québécois, qui, je reconnais, a
une expertise exceptionnelle dans la durée sur ces enjeux-là. Et vous avez
persévéré et vous avez été parfois entendu, hein? En tout cas, comme
représentant du Parti québécois, moi, je suis assez fier qu'on ait été les
premiers à vouloir légiférer sur ces questions. On a eu des débats. D'ailleurs,
ce qu'on avait proposé va aller <davantage dans le sens de ce que vous...
M.
Bérubé
:
...qui je reconnais une expertise exceptionnelle dans la durée sur ces
enjeux-là. Et vous avez persévéré, et vous avez été parfois entendu. E
n
tout cas, comme
représentant du
Parti québécois, moi, je suis
assez fier qu'on ait été les premiers à vouloir légiférer sur ces
questions.
On a eu des débats, d'ailleurs, ce qu'on avait proposé va aller >davantage
dans le sens de ce que vous proposez aujourd'hui.
Ceci étant dit, on se rejoint sur plusieurs
points, surtout lors de la dernière discussion que vous avez eue avec mon collègue
de Québec solidaire, trois enjeux où le gouvernement ne va pas et où on
souhaite aller, et je vais vous demander les raisons pour lesquelles vous, vous
êtes en accord.
Les écoles privées. Ça, c'est un avantage
qu'on accorde aux écoles privées, de ne pas être assujetties à la loi. Ça,
c'est un cadeau exceptionnel. Plusieurs intervenants sont venus nous le dire,
Gérard Bouchard et d'autres, là, on est en train de faire la compilation, c'est
assez unanime. Les éducateurs et éducatrices de garderie et de CPE, nous, on
considère que c'est des personnes en autorité aussi. Et la CAQ a fait un
sondage, puis ils étaient heureux du résultat, puis ils se sont dépêchés à le
rendre public, disant : Les gens sont en accord avec nos positions, mais ils
avaient oublié d'enlever CPE. Et là on a vu qu'il y avait un appui de plus de 60 %
pour les CPE, mais ils ne le mettent pas dans leur loi. Alors, ça, c'est un
petit oubli. Et il y a le cours d'éthique et culture religieuse qui doit être
aboli ou complètement réformé. Je suis intervenu en Chambre, on a demandé ça au
ministre. Il nous a dit qu'il allait le réformer. S'il pouvait préciser sa
réelle volonté puis son échéancier d'ici la fin du projet de loi, c'est le
genre de chose qui me ferait plaisir. J'envoie ça comme une bouteille à la mer,
mais ça fait plusieurs fois, ça fait plusieurs bouteilles, là.
Donc, éducateurs en garderie, CPE,
pourquoi vous pensez que c'est essentiel?
M. Baril
(Daniel) : Pour les mêmes raisons qu'à l'école. Les intervenants
en CPE, en fait, les éducatrices, les éducateurs ont une autorité sur l'enfant,
ils sont un modèle, puis on pense que ce n'est pas la place pour faire...
L'enfant des âges garderie est encore plus susceptible d'être influencé dans sa
formation par les adultes qui sont autour de lui.
M.
Bérubé
:
Dois-je comprendre que, contrairement aux enseignants qui sont venus nous voir
hier, que la liberté de conscience des enfants doit primer sur celle des
enseignants?
M. Baril
(Daniel) :Bien sûr. Bien sûr. Comme Guy
Rocher le disait, c'est l'essentiel< de..>.
M.
Bérubé
:
Pourquoi vous pensez que les écoles privées ne devraient pas être assujetties?
M. Baril
(Daniel) : Non.
M.
Bérubé
:
Je le sais, mais je le dis.
Des voix
: Ha, ha, ha!
M. Bérubé : Pourquoi vous
pensez qu'ils ne les ont pas assujetties? C'est-u une position historique
défendue par des groupes, ça, les écoles privées elles-mêmes?
M. Baril
(Daniel) :À ma connaissance, non, mais la
Loi sur la neutralité religieuse< s'applique...>, pour ce qui est
du visage découvert, s'applique aux écoles privées. Donc, l'État se garde le
droit de réglementer, légiférer sur ce secteur, sur des questions... en
principe, en tout cas, c'est dans une loi sur la neutralité religieuse, on peut
interdire le visage voilé. Bien, je pense que la légitimation...
M.
Bérubé
:
Ils se sont gardé le droit de ne pas le faire dans ce cas-ci.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Alors, merci encore une fois pour votre contribution.
C'est très apprécié.
Je vais suspendre les travaux pour quelques
instants afin de permettre au prochain groupe de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 12 h 23)
<
>
(Reprise à 12 h 26)
Le Président (M. Bachand) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup. La commission reprend ses
travaux.
Je souhaite la bienvenue aux représentants
des avocats et notaires de l'État québécois. Je vous rappelle que vous disposez
de 10 minutes de présentation, et puis, par après, nous aurons une période
d'échange avec les membres de la commission. Alors, Me Dion, bienvenue. Je vous
laisse la parole, s'il vous plaît.
Les avocats et notaires de l'État québécois (LANEQ)
M. Dion
(Marc) : Alors, merci pour cette invitation. Bonjour, M. le
ministre. Bonjour, M. le Président. Bonjour, chers parlementaires. Alors, je me
présente, Marc Dion, je suis le président de l'association des avocats et
notaire de l'État québécois depuis 2017 et je suis accompagné de notre vice-président,
André Gauvin, également élu depuis 2017.
Alors, très brièvement, en ce qui me
concerne, un peu pour me situer, je connais très bien notre organisation. Je
suis avocat depuis 1987, au ministère de la Justice depuis 1989, dont les 20
quelques dernières années au contentieux de la Procureur générale du Québec à Montréal.
Alors, au fil des années, j'ai travaillé en synergie avec l'ensemble des
collègues dans le réseau justice et j'ai également été à l'Agence du revenu au
début de ma carrière. Au ministère de l'Environnement, j'ai fait du conseil, du
litige, mais pas de législation.
Alors, à la lecture de notre mémoire, vous
aurez compris que notre contribution au débat est modeste, mais nous la jugeons
nécessaire. L'exercice de la démocratie est susceptible de provoquer une
certaine friction entre les droits individuels et collectifs, certes.
Fondamentalement, légiférer constitue un travail d'équilibrage de ces droits
ainsi que des obligations des individus et, assurément, l'exercice d'une
discrétion, notamment dans les règles et les valeurs sous-jacentes qui nous
gouvernent tous. Le projet de loi n° 21 n'y échappe évidemment pas.
Celui-ci démontre les considérations
éminemment politiques des choix et des décisions que s'apprêtent à prendre les
parlementaires. Notre organisation, constituée d'avocates, d'avocats et de
notaires oeuvrant au sein de l'État, a une tradition de neutralité dans les
débats politiques. Par conséquent, nous ne prendrons pas position sur
l'opportunité comme telle du projet de loi. Cependant, dans un souci de
cohérence, nous jugeons nécessaire de commenter le projet de loi en regard des
avocats, avocates et notaires qui y sont soit exclus, soit visés.
En fait, je pourrais tout de suite sauter
à la conclusion et je la ferai, mais j'apporterai certaines précisions. En ce
qui nous concerne, pour une question de cohérence et pour une question
d'uniformité, soit que le projet de loi vise l'ensemble des avocats et notaires
ou soit qu'il les exclut tous.
Au moment où on se parle, suivant le projet
de loi tel qu'il est rédigé, il y a environ... c'est parce qu'on a des avocats
qui font du droit civil, il y a certains avocats qui font et civil et pénal.
Alors, il y a un certain flottement, là, mais, au niveau des chiffres, disons
qu'on aux environs d'entre 600 et 700 avocats qui seraient visés, avocats et
notaires, et, dépendamment des fonctions, entre 400 et 500 qui ne le sont pas.
Alors, je prends quelques instants pour
décrire un peu là où on est situés comme avocats. Nous avons 1 189 avocats
dans notre association et 78 notaires répartis dans six unités de négociation :
fonction publique, Agence du revenu, Autorité des marchés financiers, Autorité
des marchés publics, Régie de l'énergie et Investissement Québec, la plus
grosse unité étant celle de la fonction publique. Nous avons décrit, dans notre
mémoire, les différents endroits où nous sommes dans l'appareil gouvernemental.
En fait, nous sommes partout, dans tous les ministères, et, à l'Agence du
revenu, dans tout ce qui s'appelle litiges, législation, conseil. Et la
structure est semblable dans les autres organisations.
• (12 h 30) •
Je ne décrirai donc pas dans le détail le
travail que les avocats et notaires font, mais je crois important, pour bien <situer
notre...
>
12 h 30 (version révisée)
< M. Dion (Marc) :
...dans tout ce qui s'appelle litige,
législation, conseil. La structure
est semblable dans les autres
organisations.
Je ne décrirai donc pas dans le détail
le travail que les avocats et notaires font, mais je crois
important,
pour bien >situer notre intervention, de parler du rôle et des
particularités de fonction uniques des avocats et notaires. L'État de droit est
à la base d'une saine démocratie. Elle implique que la règle de droit
s'applique à tous de la même façon. La justice constitue donc l'un des piliers
de notre société démocratique, et, forcément, notre système de justice doit
inspirer confiance à la société. Plusieurs facteurs influenceront la confiance
du public en la justice, dont évidemment celui de son administration.
Et c'est particulièrement à ce stade <que
la... >de l'administration de la justice que les avocats et notaires
sont des acteurs incontournables du milieu de la justice. Ils doivent
contribuer à la préservation de la confiance de la population à l'égard <de
l'administration publique... >de l'administration de la justice<,
je m'excuse>. Les avocats sont des officiers de justice et ils oeuvrent
au service public. Et ce sur quoi je veux attirer votre attention, c'est que,
fondamentalement, dans l'exercice de leurs fonctions à titre de représentants
de l'État, ils doivent agir avec objectivité, impartialité, neutralité, sans
motifs illégitimes ou motivations partisanes, et évidemment tout cela dans le
cadre de l'intérêt public de la population en général. Ce sont les principes
tirés de l'enseignement de nos tribunaux au fil des années.
Très sommairement, j'ai dit : Je ne
décrirai pas les fonctions, mais nous sommes les plaideurs de l'État, les
légistes de l'État et les conseillers de l'État dans toute la sphère
d'activité, dans toutes les affaires publiques de l'État, au niveau civil, et
au niveau administratif, et parfois pénal dans certains cas.
Pour nous, les avocats et notaires jouent
donc un rôle primordial dans les affaires publiques. Ils contribuent à ce que
celles-ci soient administrées conformément à la loi, ils participent au
fonctionnement du système de justice de manière à ce que le public reconnaisse
que le système est juste et équitable dans son fonctionnement. Les multiples
devoirs et responsabilités font des avocats l'une des clés de voûte de notre
système de justice. Leur rôle dans ce système et au sein de l'État contribue à
maintenir les garanties essentielles dans un État de droit. Alors, les acteurs
du système de justice que sont les avocats et notaires en font les gardiens de
la cohérence et de la sécurité juridique nécessaires au bon fonctionnement de
l'État. De par leurs particularités de fonction, ils ont donc un rôle unique
dans notre système de justice et ils participent au contrôle de la légalité de
l'action gouvernementale.
Alors, sur la base de ces considérations,
et comme on l'a souligné en introduction, nous ne prenons pas position sur
l'opportunité politique du projet de loi, mais on considère nécessaire de faire
des commentaires concernant les avocats visés et non visés. On ne revient pas
sur le détail. Si vous avez des questions, on est ici pour ça. Donc, je le
disais, on a entre 600 et 700 avocats, dépendamment des fonctions qui sont
exercées, qui seraient visés par le projet de loi et environ 500 qui ne le sont
pas. J'en fais la liste, et, ce sur quoi je veux attirer votre attention pour
dire que, d'un point de vue d'uniformité, c'est soit qu'on vise tout le monde
ou personne en fonction de l'objectif visé par le projet de loi, c'est que... J'ai
donné des exemples. Nous avons des avocats à l'Agence du revenu. Bon,
66 avocats sont aux volets fiscal et civil. Ces gens-là, ils sont dans une
structure, un peu comme moi qui est au bureau du Procureur général, dans une
structure, dans une machine où il y a des légistes, des plaideurs, des
conseillers. Alors, les plaideurs à l'Agence du revenu, je donne ça comme
exemple, peuvent être dans la même salle de cour qu'un avocat du Procureur
général. L'un pourrait porter un signe religieux, l'autre non. Alors, pour
nous, pour une question d'uniformité, c'est tous ou personne. Dans la même
salle de cour, les deux avocats< de...>, soit celui de l'Agence du
revenu et du Procureur général, pourraient être dans un même dossier sur une
disposition législative qui est contestée, par exemple. Donc, le Procureur
général intervient dans le dossier où est le procureur de l'Agence du revenu.
Encore une fois, un pourrait avoir un signe religieux, l'autre pas.
Et, si on pousse un peu plus loin le
raisonnement, si le litige devant le tribunal est, par exemple, un contribuable
qui s'est vu refuser un crédit d'impôt pour un don, que ça soit un organisme
religieux, de bienfaisance, communautaire, eh bien, il pourrait encore une fois
avoir quelqu'un de l'Agence du revenu qui, lui, pourrait porter un signe
religieux, qui pourrait être de nature différente de celui que pourrait porter
le contribuable qui conteste la décision, alors que l'avocat du Procureur
général ne pourrait porter aucun signe religieux. Alors, pour nous, pour une
question de cohérence, c'est tout le monde ou c'est personne.
Le Président (M. Bachand) :Maître, avant de céder la parole au ministre, j'aurais besoin
d'un consentement pour ajouter 10 minutes<, pardon,> à la
séance de travail. Consentement. Merci. M. le <ministre, s'il vous
plaît...
M. Dion (Marc)T :
…conteste la décision alors que l'avocat du procureur
généralement ne
pourrait porter aucun
signe religieux. Alors, pour nous, pour une
question
de cohérence, c'est
tout le monde ou ce n'est personne.
Le Président
(M. Bachand) :
Merci beaucoup,
maître. Avant de céder la parole au
ministre, j'aurais besoin d'un
consentement
pour ajouter 10 minus… 10 minutes, pardon, à la séance de travail. Consentement.
Merci.
M. le >ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci,
M. le Président. Me Dion, Me Gauvin, bonjour. Merci d'être présents pour
participer aux consultations particulières sur le projet de loi n° 21. D'entrée
de jeu, je comprends la position des avocats et des notaires de l'État québécois.
En lien avec l'opportunité politique du projet de loi, vous ne pouvez pas
commenter favorablement ou défavorablement. Puis vos commentaires se limitent uniquement
au fait dire est-ce que nos membres sont visés ou non. Alors, je ne vous
poserai pas de question sur l'opportunité d'adopter le projet de loi. Je ne
vous poserai pas de question non plus sur des questions juridiques, notamment
le recours aux dispositions de dérogation. Je ne vous placerai pas dans cette situation-là.
Cela étant dit, dans le cadre du rapport Bouchard-Taylor,
les deux cosignataires du rapport recommandaient que les procureurs de la
couronne soient visés par l'interdiction du port de signes religieux. Ce que je
voudrais savoir de vous, c'est dans quelle mesure les avocats et les notaires
de l'État québécois ont un rôle similaire, qui s'apparente à celui des
procureurs de la couronne.
M. Dion (Marc) :
Sommmairement, pour avoir lu Bouchard-Taylor, évidemment, avant de venir ici,
nous sommes tous des avocats de l'État. Que ce soient des procureurs de la
couronne qui travaillent au volet criminel ou pénal ou que ce soient des
avocats qui travaillent au niveau du volet civil, c'est-à-dire nous, les
avocats et notaires le l'État québécois, nous sommes tous des avocats. Il n'y a
que le champ d'activité qui diffère.
Ce que je pourrais rajouter, c'est qu'au
niveau des fonctions exercées, je devance peut-être les questions, je suis un
petit peu au courant des questions qui se sont posées ici ces derniers jours, au
niveau du travail effectué, en fait, si je prends le volet litige, on pourra
regarder aussi, si vous voulez, le volet de conseil et/ou le volet de législation,
mais, au niveau du litige, on représente l'État dans toute la sphère civile, de
ce dans quoi l'État est impliqué dans le système de justice. Donc, ça veut dire...
on prend des injonctions, entre autres, pour fermer les écoles qui ne
respecteraient pas la Loi sur l'instruction publique, une entreprise qui ne
respecte pas la Loi sur la qualité de l'environnement, une entreprise qui ne
respecte pas la réglementation sur l'alimentation, donc les épiceries, on fait
fermer des bars qui ne respectent pas la réglementation.
On est aussi dans tous les dossiers de
droit social où, par exemple, une victime prétendue d'acte criminel réclame des
sommes en vertu du régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels, dans
des dossiers d'aide sociale, des dossiers de pension alimentaire, des cas
d'indemnisation à la Société de l'assurance automobile, des refus ou des
diminutions de versement. Dans des dossiers d'immigration. Je pense que, comme
ministre de l'Immigration, vous devez être au courant. On est dans les dossiers
où on va refuser, par exemple, ou révoquer des certificats de sélection pour
des immigrants économiques, des cas de parrainage. Bref, on est partout. On est
au niveau des poursuites au niveau fiscal. Parfois, <c'est des… >ça
peut être des dizaines de millions de dollars qui sont réclamés à une personne.
On est aussi en accompagnement des ministres en commission parlementaire en ce
qui concerne les légistes.
Et je reviens un peu sur ce que je disais tantôt,
pour une question d'uniformité, on peut avoir sur un même projet de loi un
avocat qui va représenter le ministre du Revenu et un avocat qui va représenter
le ministre des Finances. Le projet de loi, tel que rédigé, fait en sorte que l'un
est assujetti aux signes religieux, et l'autre, pas. Celui qui ne l'est pas, c'est
celui de l'Agence du revenu. C'est la même chose dans un cas où un conseiller
va rencontrer un individu pour lui dire : On ne fait pas droit à ta
demande, à ta demande de permis, par exemple. L'avocat du ministère de la
Justice ne pourra pas porter de signe religieux, mais celui de l'Agence du
revenu, qui annoncerait à un contribuable qu'il ne fait pas droit à une demande
ou dans le cadre d'une opinion qui est rendue, lui, il pourrait porter un signe
religieux. Alors, pour nous, c'est tous ou personne.
• (12 h 40) •
Alors, on me dira au niveau du volet
coercition, je… C'est clair que, sauf exception pour certains avocats, on n'est
pas dans des dossiers de droit criminel. Ce que je peux dire au <niveau
de notre…
M. Dion (Marc) :
...on me dira,
au niveau du volet Coercition, je... c'est clair que,
sauf exception, pour certains avocats, on n'est pas dans les dossiers de droit
criminel. Ce que je peux dire,
au >niveau de notre définition de
fonction, c'est qu'on représente les autorités devant les tribunaux, et ça, c'est
une réflexion que, si on me donne le...
Le Président (M. Bachand) :
Merci, maître. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Donc, c'est donc dire que vous nous invitez à de la cohérence au niveau des
avocats et notaires de l'État québécois qui seront visés. Vous nous dites :
Tout le monde ou pas pantoute.
Sur la question des procureurs de la
couronne, ils exercent, et vous me direz si je me trompe, la prérogative du
Procureur général en matière criminelle et pénale. Et vous, vous exercez les
prérogatives du Procureur général en matière civile, en matière administrative,
en matière pénale, notamment, aussi. C'est bien ça?
Donc, c'est comme si le chapeau du
Procureur général ou le chapeau de l'État québécois se divise en deux. Donc,
d'un côté, vous avez le criminel, et, de l'autre côté, il y a tous les autres
juristes de l'État. Est-ce que je comprends bien? C'est ça, la réalité?
M. Dion (Marc) :
C'est exact, M. le ministre, vous avez tout à fait raison. En fait, le
Procureur général, ultimement, porte deux chapeaux : le criminel et le
civil<, alors..>. Et c'est sûr qu'au niveau de la cohérence
pourquoi on... Si vous visez un groupe, vous en visez un autre, mais seulement
en partie, si la volonté politique est de faire en sorte que la justice, quand
l'État est impliqué, soit traitée de façon cohérente au niveau de
l'interdiction <chez... >pour certaines fonctions de porter des
signes religieux, pour nous, il y a effectivement une question de cohérence. Ce
que je pourrais... oui?
M. Jolin-Barrette :
Bien...
M. Dion (Marc) :
Ce que je pourrais juste rajouter, c'est que c'est évident que, dans le système
de l'administration de la justice, on dit souvent, c'est un dicton connu plus
particulièrement des avocats : La justice ne doit pas seulement être
faite, mais paraître l'être. Donc, elle peut être faite, mais, si elle ne
paraît pas l'être <pour... >pour le justiciable, elle n'est pas
nécessairement faite, même si elle l'est, faite. Donc, quand je faisais
référence à l'aspect de l'impartialité, ça, la Cour suprême l'a dit, les
avocats de l'État doivent être impartiaux, bon.
On me posera la question : Est-ce que
le fait de porter un signe religieux rend la personne plus partiale, moins
impartiale? Je ne répondrai pas à la question directement. Je dirai que,
subjectivement, certaines personnes diront nécessairement que ça envoie un
message, pour d'autres, nécessairement, ça n'en envoie pas. Ça campe peut-être
un peu la position des deux camps. Nous ne répondrons pas à cette question-là
parce que ça relève du choix politique. Mais c'est une réflexion qu'on considère
important de devoir faire à la commission.
Le Président (M. Bachand) :
Merci, maître. M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Deux
questions que j'ai, mais ce que vous venez de dire, c'est quand même important.
Vous dites : Dans le système de justice, ce qui est important, c'est le fait
notamment de rendre justice, mais qu'il y ait apparence de justice aussi. Tout
notre système de droit, tout notre système de justice est basé là-dessus :
l'apparence de justice, notamment, pour avoir la confiance du public dans les
institutions, notamment, et dans la justice au sens large, à travers tous les
acteurs de la justice, notamment dans la magistrature, mais notamment à ceux
qui font appliquer la loi, notamment les avocats qui sont chargés de
l'application de la mission de l'État.
Et donc ce que vous dites notamment, c'est
le fait que, sur un critère subjectif, donc, le citoyen, qu'il soit prévenu ou
qu'il soit un justiciable devant la cour qui fait valoir ses droits, lorsqu'il
se retrouve — et pas nécessairement uniquement devant la
cour — <lorsqu'il se retrouve >en interaction avec un
avocat de l'État, qu'il soit en matière criminelle et pénale ou de matière
civile, cet avocat-là représente l'État. Et, d'un point de vue subjectif, de la
part du justiciable, il pourrait y avoir une apparence aussi de neutralité qui
ne serait pas rencontrée, si jamais il y avait port de signe religieux.
M. Dion (Marc) :
<C'est... >Oui, bien, en fait, vous résumez ce que
j'ai dit. Effectivement, subjectivement, on peut certes penser... puis j'ai eu
ces discussions-là aussi, évidemment, avec une partie des gens qu'on représente.
C'est clair que, pour certaines personnes, les signes religieux n'auront
probablement pas d'impact sur la perception que la personne peut avoir face au
représentant de l'autorité qui est l'avocat quand il est face au justiciable.
Pour d'autres, poser la question, c'est y répondre, c'est : Oui, ça va
avoir un impact. Bon, maintenant...
M. Jolin-Barrette : J'ai
une dernière question avant de céder la parole. Je sais que j'ai des collègues
qui <veulent poser des questions...
M. Dion (Marc) :
...personne peut avoir face au représentant de l'autorité qu'est l'avocat quand
il est face au justiciable. Pour d'autres, le...poser la question, c'est y
répondre, c'est : Oui, ça va avoir un impact. Bon,
maintenant...
M. Jolin-Barrette :
J'ai une dernière question avant de céder la parole, je sais que j'ai des
collègues qui >veulent poser des questions, juste qu'on revienne sur
l'exemple du droit criminel tout à l'heure. Dans le cadre d'un litige, là, dans
un procès criminel <qui... >où c'est un procureur de la couronne,
un procureur aux poursuites criminelles et pénales qui porte les accusations
qu'il chapeaute, dans l'éventualité où la défense dépose une requête pour
contester la constitutionnalité de l'infraction criminelle, qui vient défendre
la position du Procureur général ou du Directeur des poursuites criminelles et
pénales? Est-ce que c'est un constitutionnaliste du bureau des plaideurs du
Procureur général en matière civile?
M. Dion (Marc) :
Oui, ça va être un avocat du bureau du Procureur général du Québec. Il peut
venir de Montréal ou de Québec, <on a... >le Procureur général du
Québec a un bureau à Montréal et à Québec. Il peut être aussi accompagné d'un
avocat qui a une spécialisation en droit constitutionnel, qui est ici, au 1200,
route de l'Église, au siège social du ministère de la Justice.
Donc, c'est pour ça aussi, dans nos
statistiques, il y a des gens qui sont flottants, il y a des gens qui ont un
rôle hybride. Il y en a qui font du conseil, il y en a qui font du conseil et
du litige, et c'est pour ça... en tout cas, dans certains cas, pour une
question de cohérence, certains sont visés, certains ne le sont pas, pour nous,
c'est tout ou c'est rien, de notre point de vue.
M. Jolin-Barrette :
Mais, juste pour bien comprendre, là...
M. Dion (Marc) :
...vous avez raison, dans la même salle de cour, <ça... >vous avez
un avocat civiliste et un avocat criminaliste qui représentent l'État dans un
dossier de droit criminel, oui.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Ça, ça veut... <En... >Donc, en résumé, ça signifie qu'un accusé
qui subit son procès en matière criminelle pourrait se retrouver à la fois avec
un procureur de la couronne, mais également un procureur du Procureur général
en matière civile, spécialisé, notamment, en droit constitutionnel, <qui
venait... >qui viendrait débattre d'une question dans le cadre du procès
criminel, donc des gens qui relèvent à la fois du secteur civil et à la fois du
secteur criminel de l'État québécois. C'est ça?
M. Dion (Marc) :
C'est exact. Et, pour <compliquer... >compléter votre pensée,
parce que j'imagine que c'est ce qui pouvait venir, si un procureur de la
couronne est poursuivi pour poursuite abusive ou un exercice illégitime de ses
fonctions, s'il est poursuivi au niveau civil, c'est l'avocat du Procureur
général qui va représenter le procureur de la couronne.
M. Jolin-Barrette :
Parfait, je vous remercie.
Le Président (M. Bachand) :Merci. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.
M. Lévesque (Chapleau) :
Merci beaucoup, M. le Président. Donc, bonjour, Me Dion, Me Gauvin , chers
collègues. J'aimerais que vous me parliez un peu de l'importance du devoir
d'indépendance, d'impartialité et de neutralité pour les avocats et les
notaires de l'État, donc de cette importance-là dans votre fonction.
M. Dion (Marc) :
Comme je l'ai dit plus tôt, les tribunaux ont mentionné à plusieurs reprises,
et il est sorti un ouvrage très intéressant d'ailleurs l'automne passé
là-dessus, d'une ancienne sous-ministre au niveau du gouvernement fédéral,
Justice, <c'est... >ça fait partie, je dirais, de façon
intrinsèque, et c'est fondamental, je l'ai mentionné plus tôt, que nos
fonctions soient exercées en suivant les règles de droit qui sont établies,
évidemment. <Quand... >Comme je le disais, on participe aux
contours de la légalité de l'action gouvernementale. On fait partie de ce qu'on
appelle le tout cohérent au niveau de la loi et de son application. On ne peut
pas le faire avec partisanerie. On ne peut pas le faire avec des motifs
illégitimes, c'est source de contestations, évidemment, devant les tribunaux.
On ne peut pas faire ça. Oui, il faut être impartial, il faut être neutre, il
faut agir avec objectivité. <C'est... >Ça fait partie de nos
obligations fondamentales comme avocats de l'État.
On n'est pas là pour défendre une partie
en particulier. On n'est pas là pour défendre un parti politique. On est là
pour faire en sorte que les règles de droit qui s'appliquent à l'État
s'appliquent indépendamment de la personne avec qui l'avocat de l'État va
traiter, que ça soit dans une poursuite, que ça soit dans un conseil, que ça
soit dans un refus d'autorisation, que ça soit même au niveau de la
législation. L'avocat doit dire... et par la suite les choix se font, mais ça
n'est pas l'avocat qui va faire le choix législatif, évidemment et ultimement.
Mais ce sont des devoirs importants, impartialité et réserve aussi. Évidemment,
je ne peux pas aller représenter le ministre de l'Environnement dans une
poursuite pour faire fermer l'entreprise avec un insigne de Greenpeace. Même si
j'aime beaucoup Greenpeace, je ne pourrais pas, comme avocat qui représente
l'État, me présenter avec <un... >cet insigne-là. C'est une <manifestation,
disons, expresse, dans...
M. Dion (Marc) :
...je ne peux aller représenter le
ministre de l'Environnement dans une
poursuite pour faire fermer
l'entreprise avec un insigne de Greenpeace.
Même si j'aime
beaucoup Greenpeace, je ne pourrais pas, comme avocat qui
représente
l'État, me présenter avec cet insigne-là. C'est une >manifestation,
disons, expresse dans ce cas-ci de notre devoir de réserve.
• (12 h 20) •
M. Lévesque (Chapleau) : Merci.
J'aimerais peut-être vous amener un petit peu loin. Est-ce que, justement, ces
devoirs là d'indépendance, d'impartialité, de neutralité que vous avez, ça doit
se traduire par une apparence d'indépendance, d'impartialité ou de neutralité
ou vous êtes un peu indifférent que le juriste ou les juristes de l'État
apparaissent neutres ou non?
M. Dion (Marc) :
Mais là vous tombez sur un terrain qui est peut-être glissant un peu pour nous,
mais, comme je le disais, je n'irais pas prendre une injonction pour faire
fermer une entreprise qui ne respecte pas la réglementation environnementale avec
un insigne de Greenpeace, et ceci dit sans aucune opinion négative de
Greenpeace. Avoir l'insigne représenterait une certaine forme de partialité,
peut-être. Alors, oui, c'est important que cette impartialité-là, pour nous,
elle se manifeste.
M. Lévesque (Chapleau) :
...entreprise autre qu'environnementale? Est-ce que vous iriez avec un signe de
Greenpeace dans une autre entreprise?
M. Dion (Marc) :
Je m'excuse, je n'ai pas bien...
M. Lévesque (Chapleau) :
Vous donnez l'exemple d'une entreprise environnementale. Mais, si vous alliez
dans une autre entreprise complètement autre, auriez-vous Greenpeace?
M. Dion (Marc) :
Bien, je veux dire, le devoir d'impartialité, il s'applique toujours, peu
importe le justiciable ou le citoyen avec lequel l'avocat de l'État a à traiter,
peu importe. Ce n'était qu'un exemple. On pourrait les multiplier.
M. Lévesque (Chapleau) :
Les apparences ont une importance, une signification pour vous. C'est bien ça?
M. Dion (Marc) :
Tout à fait.
M. Lévesque (Chapleau) :
Merci. Pas d'autre question. Merci beaucoup.
Le Président (M. Bachand) :Rapidement. Ça va? Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys,
s'il vous plaît.
Une voix
: ...
Le Président (M. Bachand) :
Ah! bien, désolé. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît. Désolé.
Mme Robitaille : Bonjour.
Merci. Merci d'être ici. <Bien, on s'entend... >Bien, d'entrée de
jeu, je voulais juste clarifier, on s'entend qu'un tee-shirt de Greenpeace puis
un turban sikh, ça ne symbolise pas tout à fait la même chose.
M. Dion (Marc) :
Ça projette probablement deux idées différentes, oui, vous avez raison.
Mme Robitaille : L'identité
religieuse et puis autre chose, peut-être.
M. Dion (Marc) :
Oui, ça représente deux identités différentes. J'ai entendu régulièrement
devant la commission : Un signe, ça parle. C'est évident qu'un signe, ça
parle. Quand on arrive, par exemple, je prends le domaine où moi, j'ai été plus
présent, dans une salle de cour, une toge avec un rabat, ça parle. Oui, les
signes parlent. Maintenant, comme je le disais plus tôt, subjectivement, qu'est-ce
que ça peut signifier pour l'un ne veut pas nécessairement dire la même chose
pour l'autre.
Mme Robitaille : Dites-moi,
Me Dion, en ce moment, là, dans la fonction publique, combien d'avocats que
vous représentez portent des signes religieux?
M. Dion (Marc) :
Je ne pourrais pas répondre à votre question parce que nous n'avons pas fait de
sondage sur la chose. Je ne pourrais pas vous dire.
Mme Robitaille : Vous ne
savez pas?
M. Dion (Marc) :
Je ne pourrais pas vous dire, je n'ai pas fait de sondage là-dessus. S'il y en
a, écoutez, moi, je suis dans cette association-là depuis... dans... Je suis
dans l'exécutif syndical depuis 2011. J'ai continué à travailler comme avocat
au bureau du Procureur général quand même, mais, pendant toutes ces années-là,
d'après moi, si j'ai... cinq doigts d'une main, j'en ai assez pour penser que
ça ne dépasse probablement pas cela. Mais ce n'est qu'une appréciation
personnelle avec les discussions que j'ai pu avoir avec les gens, mais c'est
limité.
Mme Robitaille :
Dites-moi maintenant comment ça fonctionne. Vous êtes à l'emploi du
gouvernement depuis plusieurs années.
M. Dion (Marc) :
1989.
Mme Robitaille : Depuis
combien de temps?
M. Dion (Marc) :
30 ans.
Mme Robitaille : 30 ans.
Comment ça fonctionne? Si quelqu'un pose sa candidature pour être avocat, là,
au sein de la Régie de l'énergie, par exemple, ou une autre régie ou une autre
commission, le fait qu'il ait un signe religieux, est-ce que ça change quelque
chose?
M. Dion (Marc) :
Si la personne pose sa candidature, je suis peut-être assez mal placé pour vous
parler de ça parce que je ne suis pas un représentant d'employeur. Je n'ai
jamais procédé à d'embauche comme avocat dans la fonction publique.
Mme Robitaille : En ce
moment, là, quelqu'un qui pose sa candidature, j'imagine que ça va être d'abord
ses compétences qui vont être prises en considération?
M. Dion (Marc) :
Ça va toujours être ses compétences, nécessairement. <Ça prend... >Pour
être un avocat au ministère de la Justice, ça prend un bac en droit, ça prend
un permis d'exercice du <Barreau du Québec. Ça prend une certaine...
Mme Robitaille :
...d'abord ces compétences qui vont être prises en considération.
M. Dion (Marc)T :
Ah! Ça va
toujours être ses compétences,
nécessairement, ça
prend... Pour être un avocat au
ministère de la Justice, ça prend un bac
en droit, ça prend un permis d'exercice du >Barreau du Québec, ça prend
une certaine expertise. Si on demande, par exemple, des civilistes ou des
criminalistes... pas des criminalistes, mais des fiscalistes< ou...>
oui.
Mme Robitaille : Donc,
s'il porte une kippa, il ne sera pas exclu des candidatures. Ça, vous pouvez
dire maintenant...
M. Dion (Marc) :
Bien, à ma connaissance, non. Non.
Mme Robitaille :
Pourquoi? Pourquoi il ne sera pas exclu maintenant?
M. Dion (Marc) :
Bien, parce que, je veux dire, écoutez, en droit, il n'y a absolument rien qui
empêche... il n'y a rien qui prévoit cette exclusion-là.
Mme Robitaille : O.K. Pourquoi,
vous pensez? Pourquoi?
M. Dion (Marc) :
Bien là, si vous me demandez une opinion d'avocat, je...
Mme Robitaille : Oui, une
opinion d'avocat.
M. Dion (Marc) :...même si je suis avocat, je ne suis pas ici pour émettre des
opinions d'avocat comme tel, mais je ne vois pas sur quelle base la personne
qui a suivi son cours, qui a la spécialité... Ce sera à l'employeur à décider
ce qu'il fait, mais moi, je ne vois pas sur quelle base on pourrait lui dire...
Mme Robitaille : Donc, si
je comprends bien, maintenant, on n'a pas de problème, si la personne est
compétente, à l'engager, puis on pense qu'il va bien faire son travail, même
s'il porte une kippa ou un turban sikh.
M. Dion (Marc) :
Bien, je ne vois pas, légalement, actuellement, la façon dont on pourrait faire
cette chose-là. Par ailleurs, tout ce que je peux vous dire, c'est que c'est
clair que, pour nous, on revient au principe de base. Le principe de base,
bien, c'est qu'on doit être impartial dans les actes qu'on pose, on doit être objectif.
Mme Robitaille : Ce qui
est important, c'est ça.
M. Dion (Marc) :
Alors, est-ce qu'à un moment donné... Je reviens un peu à ce que je disais, tu
sais. Si la personne se présente dans la cour, comme je donnais l'exemple plus
tôt, et puis elle s'est vu refuser son certificat de sélection, et que cette
personne-là a un signe religieux et elle voit le représentant de l'autorité qui
est là, qui, lui, porterait un autre signe religieux, qui est différent, est-ce
qu'elle pourrait penser, soit objectivement ou subjectivement, mais je préfère
le côté subjectif de la chose, qu'il n'y a pas impartialité de la part de la
personne qui est là pour venir lui dire : Tu n'as pas le droit< de>,
par exemple, d'obtenir ton certificat de sélection comme immigrant économique?
Regardez, ça, on rentre dans toute la
sphère politique du dossier dans laquelle nous, on ne s'aventure pas, mais la réflexion
m'apparaît importante, relativement à savoir, dans l'administration de la
justice, comme acteurs que sont les avocats, est-ce qu'il doit y avoir un
devoir de réserve. C'est ce qui est débattu chez vous, les parlementaires, en
regard de la façon dont nous devrions nous comporter.
Mme Robitaille : Ce que
je comprends, c'est qu'en ce moment, qu'on porte ou non un signe religieux, ça
n'empêchera pas, si on est compétent, notre impartialité. Donc, en ce moment, c'est
comme ça, et il n'y a pas de problème.
M. Dion (Marc) :
Je dis juste... pour nous, on dit : Justice ne doit pas seulement être
faite, mais doit sembler l'être. C'est aussi important que d'être fait parce
que la justice, elle peut être faite, mais, si la personne a la perception qu'elle
ne l'a pas été, rendue, pour différentes raisons, on échappe peut-être le rôle
qu'on doit avoir, c'est-à-dire de mettre en place un système de justice en
lequel les gens ont confiance. C'est ça que je dis.
Mme Robitaille : Dans le
projet de loi, j'essaie... Puis vous avez fait... vous avez essayé d'expliquer,
dans votre mémoire, là, qui est visé par la loi et qui ne l'est pas. Est-ce que
vous voyez une logique, dans le projet de loi, à savoir quel avocat <devrait
porter... >pourrait porter un signe religieux puis ceux qui ne peuvent
pas porter de signe religieux? Est-ce qu'il y a une logique là-dedans?
• (13 heures) •
M. Dion (Marc) :
Moi, je le vois plutôt< comme...>, et je le dis en tout respect
pour les légistes qui ont travaillé sur le projet de loi, je pense que ça
m'apparaît être, pour <ceux qui ne le sont pas... >ceux qui ne
sont pas visés, plus un oubli qu'autre chose parce que, comme je l'expliquais
dans l'exemple plus tôt... et ça s'applique aussi à nos avocats de l'Autorité
des marchés financiers. Tout le volet civil n'est pas visé. Mais ce sont des
gens qui vont devant les tribunaux de la même façon que moi, j'y vais, et ils
s'en vont dans le cadre de la réglementation des marchés financiers. Parfois, c'est
pour retirer des permis d'exercice, par exemple, à des courtiers d'assurance, c'est
pour des pamphlets... pour des actions mises en bourse qui ne sont pas
conformes. Toutes ces choses-là, à l'origine, c'était le ministère de la
Justice, parce que l'Autorité des marchés financiers, à l'origine, c'était <l'Inspecteur
général des institutions financières, et tout ça était...
>
13 h (version révisée)
< M. Dion
(Marc) :
...par exemple, à des courtiers d'assurance,
c'est pour des pamphlets pour des actions mises en bourse qui ne sont pas
conformes. Toutes ces choses-là, à l'origine, c'était le
ministère de la
Justice parce que
l'Autorité des marchés financiers, à l'origine,
c'était >l'Inspecteur général des institutions financières, et tout ça
était centralisé au ministère de la Justice. L'État s'est tentacularisé en
mettant place des sociétés d'État, mais ça demeure des mandataires de l'État.
Donc, pour nous, à la base, c'est l'État. Je suis un avocat de l'État, que je
sois à l'Autorité des marchés financiers, ou à l'Agence du revenu, ou au ministère
de la Justice. Donc, c'est pour ça que nous, on dit : Il faut, dans un
souci d'uniformité, que tout le monde ou personne ne soit visé.
Mme Robitaille : Mais
donc vous ne voyez pas de logique là-dedans, c'est plus un oubli<,
c'est..>.
M. Dion
(Marc) :Écoutez, la logique que je vois,
c'est qu'on veut viser les avocats, manifestement, parce qu'au premier chef on
inclut dans le projet de loi le procureur général, le directeur des poursuites
pénales, les procureurs de la Couronne, tous les avocats du ministère de la
Justice, mais les avocats du ministère de la Justice, ils sont partout dans
l'appareil gouvernemental. Ils sont au ministère de l'Éducation, ils sont au ministère
de la Santé, ce sont des avocats, à l'origine, du ministère de la Justice, mais
qui sont délégués dans différents ministères. Alors, ce qu'on vise, c'est la
justice. Alors, si on vise la justice, la justice ce n'est pas que le ministère
de la Justice, c'est aussi les procureurs qui sont à l'Agence du revenu, qui
sont dans les unités d'accréditation qu'on représente.
Le Président (M. Bachand) :Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Oui, parlons
d'un aspect, justement, des signes religieux. Vous savez, dans le projet de loi,
qu'il est nommément et expressément fait question de... vous faites état des
signes autant invisibles que visibles. Là, je parle au juriste en même temps<,
je parle à..>. Quelqu'un quelque part, chez vous, il y aura une autorité
compétente quelque part qui devra appliquer la loi, comme toutes les lois, et
donc, la loi concernant le port de signes religieux, il y a quand même... Vous
dites : Ça devrait être tout le monde ou personne, mais il y aura des
gens, en tout cas, dans la loi, là, c'est ce qui est proposé, certaines
catégories de juristes.
Comment vous voyez ça la question du port
de signes invisibles autant que visibles? Vous avez beaucoup parlé de
l'apparence. L'invisible, jusqu'à preuve du contraire, ne se fait pas très
apparente par définition, même.
M. Dion
(Marc) : Je pense que je vais vous répondre comme un avocat.
Une voix
: ...
M. Dion
(Marc) : C'est parce qu'ils se confondent souvent. Écoutez, le
droit, c'est souvent, et j'étais pour dire «avant tout», une question de gros
bon sens. Il y a un principe en droit qui dit que la loi n'a que faire des
petites choses. Quand j'ai fait de la poursuite pénale au ministère de
l'Environnement, on nous l'appliquait souvent, on nous arrivait avec certains
dossiers puis on disait : Bon, voici notre rapport d'enquête, et
pourriez-vous prendre une poursuite? Non, parce que c'était insignifiant, tu
sais. C'était un cas plutôt d'avis, de réprimande, d'avis d'infraction, mais
pas de poursuite pénale. On dit : La loi n'a que faire des petites choses.
Le gros bon sens, pour moi, c'est que je
vais vous dire bien franchement que, si j'ai un porte-bonheur qui est une croix
que ma grand-mère m'aurait léguée à sa mort puis que je garde dans ma poche,
bien, le gros bon sens, c'est que je ne pense pas que mon ministre ou mon sous-ministre,
qui est l'autorité en chef au ministère de la Justice, vienne fouiller dans mes
poches le matin pour voir si j'ai une croix. De mon point de vue, de toute
façon, si je l'avais dans mes poches, en dessous de ma toge, dans une salle de
cour, je ne pense pas qu'il y a grand monde qui va la voir.
Le Président (M. Bachand) :M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Oui, je vous
remercie. Je comprends que vous ne voulez pas vous positionner sur le fond de
l'affaire, néanmoins, bon, c'est ce qui m'intéresse le plus, et je pense que
c'est ce qui est le plus important. Face à un projet de loi injuste, est-il
préférable qu'il s'applique à tout le monde ou à personne?
M. Dion
(Marc) : C'est parce que, dans votre question, il y a la
prémisse de l'injustice. Si je réponds par un oui ou par un non, je prends
position politiquement et je n'ai pas le mandat de me prononcer politiquement
sur la justice ou le caractère approprié du projet de loi qui est devant...
M. Zanetti : ...purement
théorique, mais je comprends, là, parce qu'elle se pose dans un contexte. C'est
quoi, la justice?
M. Dion
(Marc) : La justice? En <peu de mots, la...
Une voix
: ...et du
projet
de loi qui est devant nous.
M. Zanetti :
...purement théorique, mais
je comprends, là,
parce qu'elle se
pose dans un contexte. C'est quoi, la justice?
M. Dion
(Marc) :
La justice? En >peu de mots, la justice,
c'est un corpus de règles que l'on met en place pour tous et qui s'applique à
tous, de façon égale pour tous, sans compromis. Une manifestation
expresse : si un policier se fait arrêter sur la route en état d'ébriété,
son collègue doit l'arrêter. Si le policier sur la route rencontre un individu,
c'est moi, il doit m'arrêter, si c'est un politicien, il doit m'arrêter, si
c'est une femme ou un homme d'affaires, il doit l'arrêter aussi. La justice
s'applique de la même façon pour tous.
M. Zanetti : Donc, dans
la perspective dans laquelle vous vous placez, il n'y a pas de loi injuste.
M. Dion
(Marc) : Les lois sont votées par nos parlementaires. Les juges
sont là pour appliquer les lois. Les avocats sont là pour représenter les
parties qui considèrent qu'elles ont raison dans le cadre du litige qui est
devant la cour. Est-ce que des choses ont pu être injustes dans le passé?
Écoutez, bien, sans risquer de me tromper, mais, encore là, là, j'émets une
opinion politique, mais qui ne concerne pas le projet de loi, la fin de
l'interdiction de l'avortement, est-ce qu'à l'époque où c'était interdit,
c'était injuste? De mon strict point de vue personnel, c'est quelque chose qui
méritait d'être modifié.
M. Zanetti : ...pour
votre générosité. Je trouve qu'on ne philosophe pas assez souvent à l'Assemblée
nationale. C'est un beau moment. Merci.
Le Président (M. Bachand) :
Merci, M. le député de Jean-Lesage. M. le député de Matane-Matapédia, s'il
vous plaît.
M.
Bérubé
:
Merci, M. le Président. Alors, au Parti québécois, on utiliserait davantage le
vocable de «légitime» pour ce projet de loi. Ça nous apparaît légitime de
débattre de ces questions, d'en mesurer la justesse, l'application. J'avoue
que, pour nous, ça a été une surprise, de voir que les dispositions de la loi
allaient au-delà des procureurs. C'est ce qui était prévu initialement. Donc,
ma compréhension, c'est que l'ensemble des avocats et notaires de l'État, les
juristes de l'État sont visés. C'est bien ça?
M. Dion
(Marc) :Oui.
M.
Bérubé
:
C'est votre compréhension, également, bon. C'est une surprise. Donc, on n'a pas
eu beaucoup de réflexions là-dessus. On attendait votre visite pour être
éclairés. Ce que vous nous dites, c'est que soit on applique à tout le monde de
façon claire, si on applique seulement à une partie, pourquoi? Et, en ce sens,
bon, je ne tirerai pas grand-chose de votre appréciation du projet de loi.
Pouvez-nous nous réitérer en quoi il serait important d'inclure tout le monde
ou de n'inclure personne dans les juristes de l'État?
M. Dion
(Marc) : Bien, comme je l'ai dit d'entrée de jeu, c'est une
question de cohérence et d'uniformité. Je reviens toujours au même exemple.
Dans une même salle de cours, vous allez avoir un avocat de l'Agence du revenu,
qui est un avocat-membre de notre association, vous allez avoir un avocat du
bureau du Procureur général, du contentieux. L'un porterait un signe religieux,
l'autre pas. Pour nous, <c'est... >il y a un problème d'uniformité.
C'est tous ou personne.
M.
Bérubé
:
Je vous concède qu'il y a là un enjeu de cohérence qui ne s'applique pas qu'au
domaine de la justice. C'est la même chose pour le domaine de l'éducation. Je
note que le secteur public sera assujetti, pas le secteur privé dans le domaine
scolaire. Je note que, dans une école, les enseignants vont être assujettis,
mais pas les responsables du service de garde dans la même école.
M. Dion
(Marc) : Je vous ai entendu le dire à quelques reprises.
M.
Bérubé
:
C'était juste, hein? Les directeurs sont là, mais pas les psychologues
scolaires. Il y a même quelqu'un qui nous a dit hier que toute personne qu'elle
rencontrera dans l'école est une personne significative. Ça, c'est un autre
qualificatif qui s'ajoute. Alors, ce que je retiens, moi, des échanges jusqu'à
maintenant, c'est qu'il y a un enjeu de cohérence, pour le gouvernement, de
nous expliquer pourquoi on applique parfois la loi à certains corps de métier,
parfois pas. Et j'imagine que, dans l'étude détaillée, on va en apprendre
davantage. Là, on pourra questionner le ministre là-dessus, l'intention du
législateur. Mais je retiens de votre intervention un souci de cohérence.
Pourquoi, dans une même cour, certaines personnes seraient assujetties et
d'autres non? Bon, on ne connaît pas la raison pour l'instant. Mais j'en prends
note. Et, quand j'aurai la réponse, je vais vous la faire parvenir. Pas d'autre
question, Votre Honneur.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup.
M.
Bérubé
:
Pas d'autre question, Votre Honneur.
Le Président (M. Bachand) :
Merci, M. le député. Merci beaucoup, messieurs, de votre contribution.
La commission suspend ses travaux jusqu'à
15 heures. À plus tard.
(Suspension de la séance à 13 h 10)
<
Le Président (M. Bachand) :
...ses travaux jusqu'à 15 heures. À plus tard.
(Suspension de la séance à
13 h 10)
>
15 h (version révisée)
(Reprise à 15 heures)
Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup. Alors, s'il vous
plaît! Merci.
La Commission des institutions reprend ses
travaux. Je demande bien sûr à toutes les personnes présentes dans la salle de
bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
Nous poursuivons donc les consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur
la laïcité de l'État.
Cet après-midi, nous allons entendre,
entre autres, la centrale des syndicats nationaux, M. Patrick Taillon, M. Pierre
Bosset et l'association des policières et policiers du Québec.
Nous allons donc débuter avec les
représentants de la centrale des syndicats nationaux. Je vous rappelle que vous
avez 10 minutes pour votre présentation. M. le président, s'il vous plaît, et
bienvenue.
Confédération des syndicats nationaux (CSN)
M. Létourneau
(Jacques) : Oui, bonjour. Alors, bonjour, tout le monde. M. le
ministre, gens de l'opposition, les députés, ça nous fait extrêmement plaisir
d'être avec vous cet après-midi pour commenter le projet de loi n° 21
sur la laïcité de l'État. La CSN, c'est une organisation syndicale qui
représente 300 000 travailleuses, travailleurs à travers le Québec, tant
dans le secteur privé que le secteur public. <On est représentants... >On
représente à peu près toutes les catégories d'emploi et on est présents partout
sur le territoire, à travers le Québec, notamment dans des conseils centraux.
Alors, ce n'est pas la première fois que
la CSN se prononce sur le débat concernant la laïcité de l'État. Je ferais même
un petit clin d'oeil à l'histoire. La CSN, ça a été la Confédération des
travailleurs catholiques canadiens de 1921 à 1960, et la CSN s'est
déconfessionnalisée à la fin des années 50 pour devenir la Confédération des
syndicats nationaux. Et j'avais déjà expliqué, dans d'autres commissions
parlementaires sur cette question-là, notamment aux gens du Parti québécois
quand ils étaient au pouvoir, que la CSN avait procédé à une
déconfessionnalisation tranquille, qui s'était inscrite dans le processus de la
Révolution tranquille, et que, contrairement à d'autres sociétés où on a abordé
cette question-là de façon plus républicaine, nous, on croyait que la société
québécoise était capable de faire les transitions toujours en respectant les
droits fondamentaux, notamment des travailleuses et des travailleurs.
Alors, évidemment, plus récemment, la CSN
s'est prononcée, notamment en 2013, peut-être rapidement rappeler, avec la
charte des valeurs du Parti québécois, dans la foulée de la commission
Bouchard-Taylor. À l'époque, on se rappelle, on voulait étendre l'interdiction
notamment des signes religieux à l'ensemble des travailleuses et travailleurs
du secteur public. À l'époque, moi, je venais d'arriver à la présidence. On
avait fait un débat quand même assez serré, parce que vous pouvez imaginer
qu'il y a autant d'opinions autour d'une table syndicale qu'il peut y en avoir
dans la société québécoise sur cette question-là, et on avait travaillé à une
ligne de compromis qui rejoignait essentiellement le consensus de
Bouchard-Taylor en y ajoutant les enseignantes et les enseignants et les gens
qui travaillaient dans les CPE et les services de garde en milieu scolaire.
Et la CSN avait été la seule organisation
syndicale, à l'époque, à mettre de l'avant le principe d'une clause grand-père,
parce que, devant l'imminence de l'application de la charte des valeurs, on
s'était dit : Notre première responsabilité comme organisation syndicale,
c'est de défendre le droit au travail, c'est de défendre les travailleuses, les
travailleurs. Donc, si jamais on applique la charte, bien, protégeons au moins
ceux et celles qui sont déjà en emploi, même si on trouvait que le principe de
la clause grand-père n'était pas un principe qui était parfait parce qu'on
pouvait éventuellement se retrouver avec deux classes de travailleuses et de
travailleurs dans le secteur public.
Alors, la CSN a refait ce débat-là
l'automne dernier, évidemment avec l'arrivée de la CAQ au pouvoir et l'annonce
du projet de loi n° 21, où là on a compris un peu comment le gouvernement
en place avait l'intention d'amener ce débat. C'est notre instance confédérale,
c'est la même instance, en 2013 et en 2018, qui a débattu de la question. Donc,
notre conseil confédéral, c'est notre instance décisionnelle entre les congrès.
Alors, on a des représentants de régions, on a des représentants de nos
fédérations professionnelles. Et notre conseil confédéral a longuement débattu,
encore une fois, de ce qui était sur la table. Et on a pris la position qui est
présentée dans le mémoire, c'est-à-dire contre l'interdiction des signes
religieux pour l'ensemble des personnels et des travailleuses et travailleurs
qui sont à l'emploi de l'État.
Et je vous dirais que ce débat-là a été
aussi un gros débat, mais il y a peut-être trois grands principes qui ont
traversé la réflexion à la CSN, qui nous ont amenés à conclure de cette
façon-là. D'abord, évidemment, le Québec, c'est une société ouverte, c'est une
société qui partage des valeurs de démocratie et d'intégration. Et, tout au
long de ce débat-là, nous, on a <toujours dit : Il faut
absolument...
M. Létourneau
(Jacques) : ...peut-être trois grands principes qui ont
traversé la réflexion à la CSN, qui nous ont amenés à conclure de cette
façon-là. D'abord,
évidemment, le
Québec, c'est une
société
ouverte, c'est une
société qui partage des valeurs de démocratie et d'
intégration.
Et tout au long de ce débat-là, nous, on a >toujours dit : Il faut absolument
s'assurer que la question de la laïcité de l'État ne contrevienne pas à cet
esprit d'ouverture sur le monde, surtout dans un contexte de mondialisation où
il y a beaucoup de mouvement entre les pays, pas juste sur le plan économique,
mais sur le plan de l'immigration. Donc, on a abordé la question en respectant
ce principe.
Celui du droit au travail. Le droit au
travail, vous savez, la fonction d'une organisation syndicale, c'est de
défendre le droit au travail des travailleuses et des travailleurs. Alors, à
partir du moment où on introduit des interdictions par rapport aux signes
religieux, c'est sûr que ça nous interpelle directement sur notre
responsabilité à l'endroit des travailleurs et des travailleuses que nous
représentons, peu importent les catégories d'emploi qui sont touchées par le
projet de loi, dans la mesure où, à partir du moment où pendant 50 ans dans le
secteur public, on a accepté effectivement qu'une travailleuse ou un
travailleur porte un signe religieux, qu'on contrevienne à un principe comme
celui du droit au travail en introduisant une loi qui viendrait interdire le
port des signes religieux et de discriminer les travailleuses et les
travailleurs, c'est clair pour nous que c'est quelque chose qui est
fondamental.
Et c'est clair aussi que, je l'ai dit
tantôt, on avait défendu le principe de la clause grand-père à l'époque pour
protéger les travailleurs et les travailleuses qui sont en emploi. Et là, à la
lecture du projet de loi, on va peut-être vouloir des précisions parce qu'à
partir du moment où le gouvernement irait de l'avant avec ce projet nous, on
veut s'assurer que le principe de la clause grand-père soit rattaché à la
personne et non au poste que la personne détient parce qu'il peut y avoir
effectivement du mouvement, comme vous le savez, dans le secteur public.
L'autre élément qui nous apparaît
fondamental, puis on l'explique bien dans notre mémoire, c'est toute la
question des femmes. Et là-dessus nous, on avait réclamé en 2013, puis on va le
réclamer encore, une analyse différenciée selon les sexes parce que,
malheureusement, on pense, et puis je pense ça a été dit dans le cadre de la
commission par plusieurs groupes, il y a malheureusement une catégorie de
femmes qui sont ciblées par le projet de loi n° 21, qui risquent d'être
ciblées, ce sont les femmes musulmanes arabes qui portent des signes religieux.
Et, si l'effet du projet de loi, c'est de provoquer justement un phénomène de
discrimination à leur endroit, alors qu'on pourrait se retrouver dans une
situation où des hommes portent la barbe, qui est considérée comme un signe
religieux, mais là on ne fera pas le débat c'est-u un signe religieux, c'est-u
la mode hipster ou autres, donc, nous, on considère qu'il faut absolument
s'assurer que, quand on introduit une loi comme celle-là, un projet de loi
comme celui-là, il faut s'assurer que les femmes ne sont pas discriminées.
Surtout qu'on fait ce débat dans un contexte politique où on sait très bien
qu'il y a une stigmatisation de la communauté musulmane. On ne fera pas de
macro et géopolitique ici aujourd'hui, mais on sait très bien, depuis plusieurs
années, que la question de l'intégration, que la question de la cohabitation
avec les communautés musulmanes est en jeu. Et, à partir du moment où, dans
l'adoption d'un projet de loi comme celui-là, elles pourraient être affectées,
et nous, on pense qu'elles pourraient l'être, on doit absolument s'assurer
qu'il n'y aura pas de discrimination à leur endroit.
Peut-être un autre élément qu'on considère
qui est en lien avec la clause dérogatoire, nous, on reconnaît effectivement
que le peuple du Québec, que l'Assemblée nationale est tout à fait légitimée
d'adopter ses propres lois en fonction des intérêts collectifs du peuple
québécois, mais, en même temps, on pense qu'il faut faire la démonstration
qu'il y a une nécessité quand on utilise la clause dérogatoire et que, par
exemple, dans le cas qui nous concerne, <que >la laïcité de l'État
serait menacée par des travailleuses, des travailleurs qui porteraient des
signes religieux, alors qu'à notre avis dans le réseau de l'éducation, au
Québec, la Loi de l'instruction publique, elle est très claire sur le fait
qu'un enseignant ou une enseignante ne peut pas utiliser son poste pour
influencer un élève ou un jeune. Donc, on pense que, dans sa formule actuelle,
on ne fait pas la démonstration, effectivement, que la laïcité de l'État, elle
est menacée par le port de signes religieux.
Donc oui, bien sûr, le peuple, l'Assemblée
nationale peut déterminer ses grandes lois, ses grands principes, tout ça, mais,
en même temps, il faut aussi avoir à l'esprit le droit des minorités en
fonction de ce que les chartes prévoient. Et, dans ce sens-là, on pense que la
clause dérogatoire ne serait pas du tout pertinente dans le contexte actuel.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le président. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la
parole.
• (15 h 10) •
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Mme Ménard, Mme Bonin, M. Létourneau,
bonjour. Merci d'être présents en <commission parlementaire...
M. Létourneau
(Jacques) : ...minorités en fonction de ce que les chartes
prévoient, et, dans ce sens-là, on pense que la clause dérogatoire ne serait
pas du tout pertinente dans le contexte actuel.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup,
M. le président.
M. le
ministre,
s'il vous plaît, vous avez la parole.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Mme Ménard, Mme Bonin,
M. Létourneau, bonjour, merci d'être présents en >commission
parlementaire pour présenter le point de vue de la CSN relativement au projet
de loi n° 21.
Bien, j'ai envie de débuter par la fin de
votre intervention relativement à la disposition de dérogation. Vous
dites : Écoutez, lorsqu'on fait appel à la disposition de dérogation, il
faut avoir un objectif réel et urgent. Moi, je vous dirais, dans un premier
temps, c'est prévu par la Loi constitutionnelle. L'objectif réel et urgent,
c'est le test de l'article 1 de la charte canadienne, tandis que
l'article 33, ça permet aux assemblées législatives, au Parlement fédéral
aussi, de déterminer que ce sont eux qui vont déterminer, supposons, dans le
cas qui nous occupe, les rapports entre l'État et les religions.
Dans le fond, ce qu'on fait avec le projet
de loi, c'est qu'on dit : Ça revient aux parlementaires de déterminer de
quelle façon les rapports vont s'organiser. Et on ne veut pas que ça devienne
un débat devant les tribunaux parce qu'on considère que c'est très important
pour la société québécoise et que ces rapports-là doivent être définis par le
biais des représentants, des électeurs, des citoyens du Québec. Donc, c'est
vraiment un choix politique, de faire ça, pour vraiment bien circonscrire ça va
être quoi, les rapports. Je comprends que vous souhaitez qu'on n'aille pas dans
ce sens-là.
M. Létourneau
(Jacques) :Absolument. C'est-à-dire que
nous, on considère que ce que le projet de loi n° 21
introduit sur l'interdiction des signes religieux, ce n'est pas une nécessité
absolue actuellement quand on pose la question de la neutralité de l'État, même
dans la perspective de l'enseignement et de l'éducation primaire, secondaire. Au
contraire, même, on pense qu'on n'est pas capable de faire la démonstration, je
dirais, hors de tout doute que la neutralité de l'État est actuellement remise
en question par la présence actuelle ou éventuelle de travailleuses ou de
travailleurs qui porteraient un signe religieux.
Donc, nous, on pense que la preuve, elle
n'est pas probante et que, dans ce sens-là, on ne devrait pas utiliser la
clause dérogatoire. En fait, on ne devrait pas, dans sa version actuelle,
adopter le projet de loi n° 21<, et ne pas
interdire...> et d'interdire le port des signes religieux pour certaines
catégories de travailleurs et travailleuses.
M. Jolin-Barrette :
Je comprends ce que vous me dites. Par contre, dans le cadre du projet de loi
sur la laïcité, on va plus loin que la neutralité religieuse de l'État. La Cour
suprême du Canada, les différents jugements, lorsqu'ils parlent, supposons, de
neutralité ou ils abordent à la question de laïcité, ils réfèrent toujours ça à
la neutralité religieuse de l'État. Mais ce qu'on fait dans le cadre du projet
de loi n° 21, c'est notamment d'insérer le concept de
laïcité parce que, malgré ce qu'on a entendu au cours des derniers jours, même
la semaine dernière, bien, la laïcité, ce n'est inscrit dans aucune de nos lois
au Québec, dans aucune loi canadienne non plus. On se réfère toujours à la
neutralité.
Exemple,
la précédente ministre de la Justice a présenté le projet de loi n° 62,
la loi sur neutralité religieuse de l'État. Pour nous puis, en fait, pour
plusieurs auteurs aussi, la neutralité religieuse de l'État, ça constitue une
composante de la laïcité. Donc, on va un pas plus loin, vraiment, puis on en
fait un des principes de la laïcité. Donc, on inclut quatre grands principes au
niveau de la laïcité de l'État, puis c'est ce qu'on inscrit dans la Loi sur la
laïcité, et c'est ce qu'on met aussi dans la Charte des droits et libertés de
la personne comme outil interprétatif des libertés fondamentales. On fait en
sorte que ça devient un outil d'interprétation. Ça comprend notamment, comme
vous le dites, la neutralité religieuse de l'État, mais ça inclut aussi la
séparation de l'État et des religions, ça inclut également l'égalité de tous
les citoyens et citoyennes, ce qui fait qu'on traite toutes les religions sur
le même pied d'égalité, et également la liberté de conscience et la liberté de
religion. C'est les quatre principes sur lesquels on base... Donc, ça contient
aussi la neutralité religieuse de l'État.
M. Létourneau
(Jacques) : Bien, là-dessus, dans notre mémoire, on est très
clair. On est d'accord avec les quatre principes qui définissent effectivement
la laïcité et la neutralité de l'État, mais, en même temps, nous, ce qu'on dit,
c'est qu'on n'a pas besoin d'introduire dans le projet de loi une
discrimination envers une catégorie d'employés ou de travailleuses,
travailleurs, en leur disant que vous ne pourrez pas porter de signes religieux
parce que ça vient trahir la neutralité de l'État.
Donc, je ne veux pas en faire un débat
d'ordre constitutionnel, là. De toute façon, on n'est pas des
constitutionnalistes ni des juristes, mais on est des syndicalistes qui
défendons des droits fondamentaux. Et, dans ce sens-là, à partir du moment où
on défend le droit au travail, on défend aussi, évidemment, le droit, pour les
travailleuses, les travailleurs, de porter leurs propres convictions sans, bien
sûr, venir altérer sur... comme je l'ai expliqué tantôt dans notre
présentation, là, quand tu es un enseignant puis une enseignante, on ne veut
évidemment pas que tu utilises ton poste d'enseignant pour convaincre un élève
que ta religion est meilleure qu'une autre. Mais ça, ça n'a rien à voir avec le
port des <signes religieux, ça. Ça a à voir avec...
M. Létourneau
(Jacques)T : ...
travailleurs de porter leurs propres
convictions, sans
bien sûr venir altérer sur... Comme je l'ai expliqué
tantôt dans notre présentation, là, quand tu es un enseignant, une enseignante,
on ne veut
évidemment pas que tu utilises ton poste d'enseignant pour
convaincre un élève que ta religion est meilleure qu'une autre. Mais ça, ça n'a
rien à voir avec le port des >signes religieux, ça, ça a à voir avec la
Loi de l'instruction publique puis les lois qui régissent notre système d'éducation.
Donc, nous, on pense qu'effectivement il
faut défendre le principe de la laïcité et de la neutralité de l'État, c'est
une valeur qui est chère, mais on ne pense pas que l'introduction de
l'interdiction des signes religieux, ça vient trahir ces principes-là. Mais
qu'on enchâsse les quatre principes dans une loi, ça, <on n'est pas... >on
n'a pas de problème avec ça, bien au contraire.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Manifestement, sur ce point-là, on est en désaccord parce que le projet de loi,
nécessairement, vise les personnes en situation d'autorité ainsi que les
enseignants et les directeurs d'école. Je comprends, la CSN représente le syndicat
des agents... je pense qu'il l'avait dans votre mémoire. Parmi les personnes
qui sont interdites de porter des signes religieux dans le cadre de leurs
fonctions, vous, vous représentez les syndicats des agents de la paix des
services correctionnels. Représentez-vous d'autres corps d'emploi qui sont
visés par le projet de loi?
M. Létourneau
(Jacques) : Oui.
Mme Bénard
(Mireille) : On représente les agents de la paix en services
correctionnels, effectivement, qui sont visés. Quand on a rencontré notre
syndicat pour voir c'était quoi, leur opinion du projet de loi, ce qu'ils nous
ont dit, c'est que, nous, ça ne change rien. Nous, on doit porter un costume,
on doit porter un uniforme, et, en termes de questions de santé et sécurité au
travail, ce serait dangereux pour nous d'avoir soit une croix au cou ou soit
d'avoir un voile pour une femme. Donc, la question ne se pose pas, il n'y a jamais,
jamais, jamais aucun cas documenté où la question s'est posée. Donc, quant à
eux, par rapport à leur travail, ils trouvent que c'est inutile, d'adopter un
tel projet de loi.
Sur le reste, par contre, quand on a fait
la discussion en conseil confédéral, ils étaient présents. Ce qu'ils nous ont
dit, c'est qu'ils sont préoccupés de la question du droit au travail, ils sont
préoccupés comme citoyens et comme citoyennes aussi d'avoir des restrictions à
ce niveau-là. Donc, ils sont tout à fait d'accord avec le point de vue qui est
présenté par la CSN, et donc considèrent qu'on légifère absolument pour quelque
chose d'absolument inutile.
Donc, ils ont à peu près... Ils n'arrivent
pas à la même conclusion que les syndicats des agents de la faune, là, qui ont
présenté leur mémoire, mais ils disent essentiellement la même chose à la
base : pour leur type d'emploi, ce n'est pas une question, ce n'est pas un
enjeu parce que, de toute façon, c'est couvert par l'uniforme ou par d'autres
directives qui sont données par le gouvernement.
Le Président (M. Bachand) :M. le ministre.
M. Jolin-Barrette :
Respectueusement, je suis en désaccord avec ça. Notamment, vous pouvez le
constater dans la GRC, on a des exemples probants. Alors, ce n'est pas parce
que, pour les agents correctionnels, il n'y a pas de situation au Québec ou,
pour les agents de la faune, il n'y a pas de situation au Québec présentement...
ce n'est pas impossible que ça survienne non plus dans le futur aussi. Ça,
c'est une réalité aussi, parce que l'argument que vous soulevez, je l'entends beaucoup.
Il y a beaucoup de cas qu'ils disent : Ah! bien, il n'y a pas de cas. Il
n'y a pas de cas, ça fait qu'on ne légifère pas. Dans plein de situations, le législateur,
à la fois canadien et québécois, se doit de prévoir plusieurs situations. Et là
ce qu'on fait, c'est qu'en corrélation avec le rapport Bouchard-Taylor, notamment
pour les agents correctionnels... Dans Bouchard-Taylor, ils disaient notamment :
Vous devez viser les agents correctionnels parce qu'ils ont le pouvoir
notamment de coercition. Donc, c'est ce qu'on fait dans le projet de loi.
Pour ce qui est des enseignants, là, je
comprends qu'entre 2013 puis aujourd'hui la CSN a changé de point de vue suite
à des consultations. Mais, quand on regarde votre mémoire de 2013, c'était
quand même intéressant aussi parce que ça disait : «L'école laïque de
niveau primaire et secondaire est un lieu d'apprentissage de valeurs communes.
Elle accueille les enfants de tous horizons et de toutes adhésions. C'est une
clientèle captive et impressionnable que l'école doit mettre à l'abri de tout
prosélytisme.
«Le port d'un symbole religieux, quel
qu'il soit, n'est pas anodin. Il témoigne de l'appartenance religieuse d'une
personne et peut suggérer son adhésion à certaines valeurs.
«[...]Les adultes qui travaillent dans ce
réseau servent souvent de modèles aux enfants et aux adolescents. Ils les
côtoient au quotidien, passent beaucoup de temps avec eux. Ce sont aussi des
personnes en position d'autorité. Cela justifie, croyons-nous, qu'ils
n'affichent pas leurs croyances religieuses.»
Alors, je comprends que la position de
2013 est pas mal en conformité avec le projet de loi n° 21.
Mais là la CSN a cheminé, et maintenant ce n'est plus la position de la
confédération. Cela étant dit, probablement qu'il y a beaucoup de vos membres
qui partagent encore la position de 2013.
• (15 h 20) •
M. Létourneau
(Jacques) : Non, mais une organisation syndicale, ce n'est pas
différent puis désincarné de la société dans laquelle nous vivons. Je vous l'ai
dit dans notre présentation, ça a été tout un débat, ça. Moi, j'arrivais à la
présidence de la CSN à l'époque, puis il y avait autant de positions autour de
la table du comité exécutif de la CSN qu'il y avait d'individus, là, tu sais,
puis il y avait des variations. Et effectivement le secteur de l'éducation est
un secteur sensible. Quand on a fait ce <débat-là à l'époque, on avait
la...
M. Létourneau
(Jacques)T : …dans notre
présentation, ça a été tout un
débat, ça. Moi, j'arrivais à la présidence de la CSN à l'époque, puis
il
y avait autant de positions autour de la table du comité exécutif de la CSN
qu'il
y avait d'individus, là, tu sais, puis
il y avait des variations.
Et
effectivement le secteur de
l'éducation
est un secteur sensible. Quand on a fait ce >débat-là, à l'époque, on
avait la charte des valeurs qui proposait de l'appliquer mur à mur à l'ensemble
des salariés de l'État, avec lequel on était en total désaccord. Évidemment,
dans le cours du débat puis de la réflexion, il y a eu effectivement une position
de compromis qui s'est développée autour de l'éducation. D'ailleurs, à
l'époque, comme je l'ai dit, on incluait même là-dedans les éducatrices puis
les éducateurs des CPE puis des services de garde dans les milieux scolaires.
Bon, il y avait des gens qui étaient pour, il y avait des gens qui étaient
contre, mais, démocratiquement, notre instance confédérale avait développé
cette position en introduisant la clause grand-père parce que, je reviens à ce
que je disais tantôt, la raison d'être d'un syndicat, c'est le droit au travail
puis la défense des intérêts de ses membres et de ceux et celles qui sont en
emploi. Donc, on avait proposé la clause grand-père en disant : Bon, bien,
écoutez, si le Parti québécois va de l'avant avec une application
d'interdiction intégrale ou partielle, protégeons au moins les gens qui sont en
emploi.
Manifestement, cinq, six ans, sept ans
après, la vie vit, et, à partir du moment où vous déposez un projet de loi,
notre instance confédérale a jugé que non seulement c'est une bonne idée que ça
ne s'applique pas aux travailleuses de CPE, parce que, je le mentionne,
travailleuses en CPE très majoritairement, comme les responsables des services
de garde dans les milieux familiaux ou encore les services de garde en milieu
scolaire et souvent travailleuses qui viennent des communautés culturelles.
Donc, à partir du moment où on les exclut, bien, on s'est dit : Bonne
idée, on ne viendra pas plaider pour les inclure en commission parlementaire.
Le débat nous a même amenés à prendre la position inverse en disant : On
ne devrait pas l'appliquer aux enseignants et aux enseignantes parce que c'est
vrai qu'il y a un rapport, entre guillemets, d'autorité, mais ça n'a rien à
voir avec les gens qui sont en autorité comme vous le définissez pour des
juges, des policiers ou autres. Donc, le rapport avec les élèves, le fait, pour
nous, de porter un signe religieux, ça ne vient pas altérer l'obligation de
l'enseignant, ou de l'enseignante, ou du travailleur, ou de la travailleuse de
donner aux élèves un enseignement qui est laïque et qui est dédouané
complètement de toute idéologie ou de toute orientation.
Bref, la cohabitation entre le signe
religieux qu'une personne porte… On va parler de la petite croix dans le cou,
tiens. <Lâchons… >Mettons de côté, là, le voile. La petite croix
dans le cou, on ne pense pas que ça vienne influencer bien bien les élèves du
primaire puis du secondaire dans leurs croyances, ou pas, religieuses. Mais
c'est important que les enseignants puis les enseignantes, par contre,
respectent le principe qu'on ne doit pas utiliser la fonction d'enseignant pour
influencer les gens.
M. Jolin-Barrette : Mais
ça, on pourrait avoir plusieurs débats. D'ailleurs, le groupe avant vous, Mouvement
laïque québécois, disait que l'apparence de neutralité était tout aussi
importante aussi.
Mais je reviens, vous étiez en faveur
d'une clause dérogatoire en… pardon, d'une clause de droits acquis en 2013.
Nous, on l'introduit dans le cadre du projet de loi. Donc, toute personne
présentement en emploi va avoir droit au maintien à son emploi. Donc, j'imagine
que, malgré le fait que vous soyez en désaccord avec le fait qu'on vise les
personnes en situation d'autorité, les enseignants, directeurs d'école, vous
êtes en faveur de la clause de droits acquis qu'on met dans le projet de loi.
M. Létourneau
(Jacques) : À partir du moment où la loi est adoptée, nous, on
pense qu'il faut protéger les gens qui sont en emploi. La seule question que
nous adressons à la commission, c'est son application. Nous, on pense que c'est
l'individu ou la personne, puis on avait l'impression que, dans le projet de
loi, c'était plus ou moins clair, là. Est-ce que <c'est la… est-ce que >c'est
sur le poste titularisé ou si c'est la personne qui a ce droit acquis? Nous, on
pense que c'est la personne qui a le droit acquis de porter un signe religieux
qui devrait pouvoir le porter, indépendamment du poste qu'elle occupe, là.
M. Jolin-Barrette :
C'est dans le cadre de la fonction pour la même organisation.
M. Létourneau
(Jacques) : Commission scolaire, par exemple?
M. Jolin-Barrette : La
commission scolaire, c'est l'organisation. La fonction, supposons, c'est
enseignant. Donc, tant que la personne enseigne pour la même commission
scolaire, le droit acquis suit la personne.
Je voudrais vous demander : Sur la
question du visage à découvert, est-ce que vous êtes en faveur du fait que tous
les employés de l'État doivent réaliser leur prestation de travail à visage découvert?
M. Létourneau
(Jacques) : Oui, on est favorable à ça.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Puis, pour les citoyens, lorsqu'on reçoit un service public, pour des questions
d'identification et de sécurité, qu'ils doivent se découvrir le visage?
Mme Bénard
(Mireille) : On est d'accord si c'est à des fins
d'identification, comme c'est prévu dans le projet de loi. Donc, de permettre à
quelqu'un de s'identifier au début, on est en accord avec ça.
M. Jolin-Barrette : O.K.
J'essaie de réconcilier ça avec le fait que, présentement, les dispositions de
la loi n° 62 qui touchaient le visage à découvert
sont suspendues par la cour. Et la façon, notamment, de s'assurer qu'au Québec
les fonctionnaires de <l'État donnent des services à visage…
M. Jolin-Barrette :
...
O.K. J'essaie de réconcilier ça avec le fait que
présentement
les
dispositions de la loi
n° 62, qui
touchaient le visage à découvert, sont suspendues par la cour. Et la façon
notamment
de s'assurer qu'au
Québec les fonctionnaires de >l'État donnent
des services à visage découvert et que les citoyens les reçoivent à visage
découvert pour des motifs d'identification et de sécurité, la solution, c'est l'utilisation
de la disposition de dérogation. Là, vous nous dites : On est contre l'utilisation
de la disposition, mais c'est la voie à suivre pour s'assurer que ça soit le
minimum, au Québec, au niveau de la prestation et la réception des services à
visage découvert.
M. Létourneau
(Jacques) : Je vous dirais que ce n'est pas ça qui a traversé
le gros de notre débat, là, tu sais, en termes d'enjeu principal, là. J'imagine
que ça doit se compter sur les 10 doigts de la main, ce genre de situation
là. Il me semble qu'il doit avoir moyen de trouver une solution sans passer par
la clause dérogatoire pour être capable de l'appliquer, là, tu sais.
M. Jolin-Barrette : La
réalité, c'est que c'est non. La réalité des faits, là, c'est que les tribunaux
ont suspendu l'article. Donc, au Québec, là, actuellement, c'est ça, l'état du
droit. Donc, il n'y a pas 50 solutions. Puis, vous conviendrez avec moi
que je pense que c'est la base, au Québec, de notre société, que les services
publics soient donnés à visage découvert et reçus aussi. C'est le minimum. Vous
êtes d'accord avec ça?
M. Létourneau (Jacques) :
Moi, je ferais le pari qu'on doit être capable de trouver un accommodement avec
une personne qui veut travailler avec le visage couvert pour trouver un
atterrissage autre sans en faire débat constitutionnel. J'ai cette
impression-là, je vous dirais.
M. Jolin-Barrette : Je
ne partage pas votre avis, mais M. le Président...
M. Létourneau
(Jacques) : Bien, moi, je ne suis pas un juriste non plus, là, <je
n'ai pas... >je vous l'ai dit tantôt, je suis un syndicaliste.
M. Jolin-Barrette : O.K.
J'ai mon collègue qui veut poser une question. Le député de Sainte-Rose, je
pense.
Le Président (M. Bachand) :
M. le député de Sainte-Rose, en une minute, s'il vous plaît. Merci.
M. Skeete : Ça va être
bref. J'aimerais ça vous entendre. Si j'ai bien compris, vous et vos membres,
vous êtes pour, dans le fond, le rapport initial de Bouchard-Taylor. Les
personnes en autorité, vous avez un certain malaise avec... Je voudrais juste
clarifier un petit peu votre position par rapport à les professeurs. Qu'est-ce
qui distingue un professeur qu'un agent de la force de l'ordre?
M. Létourneau
(Jacques) : Non, la CSN n'a pas cette position-là. La CSN est
contre l'interdiction des signes religieux pour l'ensemble des catégories,
incluant les policiers, les juges et les agents de la paix. C'est la position
qui a été adoptée par notre conseil confédéral.
Le Président (M. Bachand) :
Ça va? Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Une voix
: ...
Le Président (M. Bachand) :
Oui, rapidement.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) : ...comme ma collègue le disait, pour des
raisons d'identification, de communication, de santé, sécurité au travail, on
comprend qu'il peut y avoir des exceptions individuelles dans certaines circonstances,
mais pas pour tout le monde d'une catégorie.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
Mme David : Oui. Merci
beaucoup. Bonjour, tout le monde. Écoutez, on va avoir une séance extraordinairement
importante, riche intellectuellement et très exigeante aussi parce que vos
mémoires, non seulement les vôtres, mais ceux qui vont suivre, sont extrêmement
stimulants et exigeants. Et le vôtre met la table aussi. Alors, je vous
félicite et je vous remercie. On va essayer d'être à la hauteur de la qualité
des mémoires.
Donc, à la page 8, j'y vais tout de suite parce
que j'ai beaucoup de commentaires et de questions, un mot que moi, j'utilise
très souvent, et je suis contente de le voir dans votre mémoire, en plein milieu
de la page, vous dites : «Or, si la laïcité ouverte est plus exigeante que
la laïcité stricte, elle est davantage adaptée à la réalité des sociétés
modernes.» Moi, j'emploie souvent le mot «exigeant». Je voudrais entendre votre
point de vue et pourquoi vous avez référé à ce même mot.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) : Bien, quand on parle d'exigence, ça veut dire effectivement
que, même si on pourrait être tenté de régler un problème qui, soi-disant,
traîne depuis longtemps d'une façon définitive, radicale et avec une solution
«fit for all», excusez mon chinois, le problème, c'est que, dans la réalité,
c'est beaucoup plus complexe que ça. Et effectivement il faut se donner la
peine de prendre le temps d'examiner les choses. Et nous, on pense qu'avec les
accommodements on est en mesure justement de répondre aux rares, très rares situations
conflictuelles qui se sont posées. D'ailleurs, de l'avis de presque tout le
monde qui a témoigné ici, en commission, depuis la semaine dernière, on a
entendu systématiquement les témoins dire que, bon, dans leur milieu, il n'y avait
jamais eu de problème. Il n'y en a pas, de problème.
• (15 h 30) •
Mme David : ...vous
opposez, avec le mot «exigeant», peut-être le fait qu'il y a une grande
complexité et que l'approche par... des accommodements et de la discussion au
cas par cas, puisqu'il n'y a pas beaucoup de cas, est probablement plus
exigeante pour une société, mais en opposition à peut-être ce que le <projet
de loi nous propose, c'est-à-dire...
>
15 h 30 (version révisée)
<15379
Mme David :
...avec le mot «exigeant»,
peut-être le fait
qu'il y a une grande
complexité et que l'approche par des
accommodements et de la
discussion
cas par cas,
puisqu'il n'y a pas
beaucoup de cas, est
probablement
plus exigeante pour une
société, mais en
opposition à
peut-être
ce que le >projet de loi nous propose, c'est-à-dire une espèce
d'homogénéisation qui tomberait peut-être dans une sorte de facilité : on
interdit à tout le monde, ça règle la question. Mais vous allez dire plus loin
dans le mémoire que ça ne règle pas grand-chose.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) : Non.
Mme David : O.K. Donc, on
s'entend sur le mot «exigeant». Et, vous avez raison, c'est plus exigeant, je
suis d'accord avec vous, mais, des fois, vivre en société, c'est exigeant.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) : ...c'est plus équitable.
Mme David : C'est
exigeant, vivre en société, mais ça vaut peine.
À partir de la page 9, vous parlez du
féminisme, et j'aime beaucoup votre approche. C'est une approche importante où
vous dites clairement, clairement, que ça va défavoriser les femmes. Et vous
dites à la page 9, en bas : «...il nous [apparaît] tout aussi crucial que
les droits des femmes ne soient pas instrumentalisés afin d'orienter le débat,
ce qui pourrait s'avérer préjudiciable pour elles.» C'est donc dans une
perspective féministe, là, que vous abordez la question.
Et vous dites, page 10 :
«...interdire le port de signes religieux est très étroitement associée à
l'Islam...» Et là vous allez vers justement les femmes du Maghreb, qui font
face à un taux de chômage plus élevé. Et ça, quand on veut des données, on les
a par rapport à ça. «Elles sont surreprésentées dans le travail précaire ou
atypique...» Ça, ça veut dire qu'elles <ne sont pas... elles >n'ont
pas d'emploi à la hauteur de leurs qualifications. Et vous dites : «...le
droit à l'expression de sa conviction religieuse de façon plus ou moins
visible, notamment à travers le port du voile, constitue non seulement un droit
individuel reconnu, mais aussi un moyen de garantir le droit à l'inclusion
sociale...»
Alors, quand vous dites à la page 11 :
«De plus, la polarisation et le durcissement des positions ne peuvent que nuire
à l'adoption d'une identité québécoise féministe, inclusive et riche de
nouveaux apports par les filles de ces femmes immigrantes. Présenté comme un
instrument pour favoriser l'atteinte de l'égalité entre les femmes et les
hommes, le projet de loi no° 21 sur la laïcité de l'État pourrait bien
produire l'effet inverse», alors, j'aimerais que vous élaboriez un petit peu parce
que ça me semble au coeur même de toute la discussion ici.
Mme Bénard
(Mireille) : Bien, on constate, hein? Je pense qu'on le
constate en ce moment, juste de reprendre cette discussion-là crée un certain
nombre d'incompréhensions chez la population, donc de la nature même du projet
de loi, et stigmatise beaucoup les femmes, particulièrement les femmes qui
portent le voile, qui nous rapportent, puis on en représente un bon nombre à la
CSN, clairement. Jacques parlait dans les milieux de services de garde où il y
a un grand nombre de femmes qui portent le voile qui nous disent que, quand les
débats sur la laïcité recommencent, elles sont stigmatisées. Elles reçoivent
des injures. Et c'est très difficile pour ces gens-là de vivre cette situation.
On a une militante syndicale qui porte le
voile et, à l'annonce du projet de loi sur la laïcité, on l'a rencontrée, et
elle était en pleurs parce qu'elle a dit : Je ne veux plus jamais revivre
ce que j'ai vécu de l'époque de la charte des valeurs. Et c'est vraiment ce
qu'on constate en ce moment.
Donc, juste d'en débattre crée une
stigmatisation de ces femmes. <J'imagine... >J'ai de la misère à
imaginer ce que ça va être quand le projet de loi va être adopté et que des
femmes vont se faire refuser certains emplois ou quand il y aura confusion
aussi de la part de la population, à savoir le projet de loi couvre quels types
d'emploi, parce que je pense qu'il y a un peu une incompréhension. Donc, c'est
clair que ça a un effet sur les femmes.
Mme David : Et ça, je
rajouterais effectivement, dans la suite de ce que vous dites, que les gens
pensent à tort, et le ministre aura beaucoup de travail pour rétablir les
choses, que c'est... on n'en verra plus jamais, de hidjabs dans la rue, on n'en
verra plus jamais, de signes religieux. Et puis on va enfin... le débat qui
traîne, c'est un mot que certains aiment beaucoup utiliser, bien, il ne
traînera plus, là. Tout va être propre, propre, propre, puis tout va être très,
très, très homogène. Alors là, ils vont déchanter beaucoup, beaucoup, et je
pense que le gouvernement aura à expliquer sa position.
Maintenant, justement, quand vous parlez
de droits acquis, vous avez dit tout à l'heure ou le ministre a dit : Les
droits acquis, inquiétez-vous pas, ils vont garder leur job. Oui, mais à quel
prix? C'est la même job dans la même commission scolaire. Si le mari et la
famille déménagent dans une autre commission scolaire, exit. Et, si tu veux une
promotion, exit, oublie ça. Alors, je ne suis pas sûre que nous, autour de la
table, on aimerait ça, ne pas avoir aucune ambition pour le futur, qu'un député
ne veuille pas devenir ministre, qu'un ministre ne veuille pas devenir premier
ministre, etc., parce qu'il porte telle ou telle chose.
Alors, ça, je voudrais vous entendre un
peu plus là-dessus parce que ce n'est pas banal, comme on dit, ce qui est
proposé comme définition des droits acquis.
Le Président (M. Bachand) :
M. Létourneau.
M. Létourneau
(Jacques) : Oui, et c'est pour ça qu'à défaut de lever
l'interdiction du port des signes religieux, nous, on dit : Il faut
minimalement protéger la personne en emploi et que ce droit-là soit lié à la
personne et non au poste qu'elle occupe. Donc, ça transcende... dans notre
esprit, là, lorsqu'on parle d'enseigner, d'enseignantes, ça devrait transcender
les commissions scolaires ou même différents postes d'emploi.
Je voudrais peut-être juste ajouter, quand
on parle de la question des femmes et du travail, on le sait, que les obstacles
au travail sont plus importants pour les femmes, en général, que pour les
hommes et encore plus <criants du côté des femmes...
M. Létourneau
(Jacques)T : ...ou
même différente... différents postes
d'emploi. Je voudrais
peut-être juste ajouter, quand on parle de la
question
des femmes et du travail, on le sait que les obstacles au travail sont plus
importants
pour les femmes en général que pour les hommes et encore plus >criants
du côté des femmes immigrantes, où là on n'a pas juste à composer avec des questions
de conciliation famille-travail, d'inéquité salariale ou d'accès à des postes
décisionnels dans les milieux de travail, mais qu'il y a une discrimination qui
est liée à l'origine ethnoculturelle, la couleur de la peau, la religion. Donc,
quand on parle de féminisme, quand on parle de droit au travail, c'est vraiment
dans cette perspective-là que nous développons cette position-là.
Mme David : Et vous le
dites très bien, et, dans ce sens-là, la mairesse Plante demandait une ADS
plus, là, c'est-à-dire une analyse discriminée sur...
M. Létourneau
(Jacques) : Absolument.
Mme David : Et vous
dites : On le sait d'avance, 80 % au moins du corps enseignant, ce
sont des femmes. Difficile de dire que ça n'atteint pas plus les femmes que les
hommes.
Vous apportez aussi une proposition
advenant qu'évidemment on en arrive là, que les étudiants et
étudiantes — encore une fois, on va pas mal féminiser — qui
sont déjà aux études puissent avoir un droit acquis aussi parce qu'elles se
sont engagées dans un programme dans lequel... Et on fait ça toujours à
l'université. Quand il y a des changements en cours de route, les gens qui sont
déjà aux études sont protégés. C'est ce que je comprends de votre suggestion.
M. Létourneau
(Jacques) : Oui.
Mme David : O.K. L'école
inclusive maintenant, à la page 14, vous allez assez loin et vous dites :
«À l'inverse, l'introduction de mesures discriminatoires additionnelles à
l'entrée en emploi en éducation aurait pour effet de créer une fracture sociale
et du ressentiment dans les communautés ainsi marginalisées pour les décennies
à venir.» Alors, ce qui, selon certains, traîne, si on vous prend au mot, va
traîner pendant des décennies.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) : Effectivement, si vous me permettez, Mme la
députée, c'est déjà, en fait, commencé depuis le dépôt du projet de loi. On a
vu, dans les journaux et dans les médias hier, un organisme,
Justice Femme, qui rapportait le fait qu'il y a une augmentation
significative d'incidents qui leur ont été rapportés, de femmes qui ont été
victimes de violence verbale et même d'agression physique dans les dernières
semaines. Il y a eu des problèmes dans des milieux de travail qui ne sont pas
visés par la loi. Alors, il y a eu des problèmes sur la rue, dans le transport
en commun.
Donc, même si la loi vise seulement
certains secteurs d'emploi, ce projet de loi là semble ouvrir la porte à
beaucoup plus d'hostilité à l'égard des femmes qui portent le voile et qui ont
déjà beaucoup de difficultés à trouver un emploi à la hauteur de leurs
compétences.
Mme David : Je vous
arrête parce qu'effectivement vous dites ça, et plusieurs le constatent et le
disent à partir de différents points de vue, mais que vous dites : Non
seulement le projet de loi là, tel qu'on veut bien penser, va calmer tout ça,
va nettoyer la place, on n'en parlera plus, on passe à un autre appel, vous
dites : Pour des décennies à venir, et ça va vraiment rester comme une
stigmatisation légiférée.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) :Bien, c'est clair <que
ça... il>qu'il y a des gens dans ces communautés-là qui sont heurtés,
puis qui vont le demeurer longtemps, et qui vont transmettre leur sentiment à
leurs enfants également.
Mme David : O.K. À la
page 16, vous allez vraiment assez clairement, là. Vous dites : «Une
interdiction du port de signes religieux n'est nullement nécessaire pour
garantir ni pour affirmer la laïcité de l'État.» Nullement nécessaire. Et en
conclusion : «Par conséquent, nous optons résolument pour une laïcité où
la diversité constitue un enrichissement et un apport essentiel au progrès de
la nation québécoise.»
Donc, on peut être nationaliste et
anti-loi n° 21. C'est très important à dire. «Ce
modèle repose sur la mixité sociale, le caractère pluraliste de la société et
un esprit de grande ouverture devant les différences culturelles et
religieuses.» J'ai mis «wow!» à côté en voulant dire : Je pense que ça ne
peut pas être plus clair que ça comme conclusion.
Le Président (M. Bachand) :
Rapidement.
M. Létourneau
(Jacques) : Absolument. C'est une bonne lecture de la
conclusion de notre mémoire. Il n'y a pas... C'est tout à fait conciliable
d'avoir une position... La CSN, historiquement, même en faveur de la souveraineté
du Québec, c'est une position qu'on a prise au début des années 90 en
référendum dans nos syndicats. On n'a jamais refait cette consultation.
Il faudrait voir aujourd'hui, mais, à
l'époque, on avait pris une position très claire. Et, sur le principe du droit
à l'autodétermination, à notre avis, il n'y a pas de trahison de ces
orientations-là dans la position de notre organisation avec le débat qu'on est
en train de faire sur les signes religieux.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Merci.
Est-ce qu'il y a un sujet que vous n'avez pas pu aborder encore, sur lequel
vous voulez développer, qui est important pour vous que le monde entende?
M. Létourneau
(Jacques) : C'est une bonne question. On a fait...
M. Zanetti : Sinon, je
peux être plus directif.
M. Létourneau
(Jacques) : Oui, oui. Non, mais allez-y, allez-y.
• (15 h 40) •
M. Zanetti : Oui? O.K.
Est-ce que ça vous étonne quand vous voyez, dans le préambule de la loi, là, «considérant
l'importance que la nation québécoise accorde à l'égalité entre les femmes et
les hommes» et que <s'ensuive après ça...
M. Létourneau
(Jacques)T : ...c'est une bonne question.
M. Zanetti : Sinon, je
peux être plus directif.
M. Létourneau
(Jacques)T : Non, mais allez-y, allez-y.
M. Zanetti : Oui.
O.K.
Est-ce que ça vous étonne, quand vous voyez dans le préambule de la loi, là, «considérant
l'importance que la nation
québécoise accorde à l'égalité entre les
femmes et les hommes» et que >s'ensuive après ça un projet de loi qui va
venir limiter le droit de certaines femmes à exprimer leur religion?
M. Létourneau
(Jacques) :Oui, tout à fait. Nous, on ne
partage pas, effectivement, cette idée que les grands principes qui définissent
la laïcité doivent être accompagnés d'une interdiction du port des signes
religieux pour une catégorie de citoyens ou de citoyennes, on parle de citoyennes,
un peu comme on l'a démontré dans notre mémoire. Et, dans ce sens-là, nous, on
pense que c'est le projet de loi qui est en contradiction, pas nous.
M. Zanetti : Vous avez tellement
dit beaucoup de choses que je trouve pertinentes. L'impact que vous pensez que ça
va avoir sur le climat social et le sentiment d'appartenance à la nation québécoise,
ça va être quoi si on applique le p.l. n° 21 tel
qu'il est là?
Mme Bénard
(Mireille) : Bien, en fait, un des dangers qu'on voit, c'est la
ghettoïsation aussi de certaines communautés ou de certaines femmes ou un
retour à la maison de femmes que nous, on voit s'intégrer ou s'émanciper et qui
pourraient redevoir rester à la maison, donc se confiner, donc une forme de
ghettoïsation de certaines communautés. Ça, c'est assez inquiétant.
M. Zanetti : Alors, ce
que certains veulent enrayer comme problème, mettons, avec ce projet de loi là,
au fond, vous, vous dites : Bien, vous allez le créer, l'accentuer, s'il
est déjà là, et puis ça ne va pas du tout créer cette espèce d'harmonie sociale
souhaitée.
Mme Bonin
(Marie-Hélène) :Oui, puis je dirais même
qu'en s'inquiétant des signes religieux comme le fait ce projet de loi là,
d'une certaine façon, on cautionne les préjugés à l'égard des gens qui portent
des signes religieux et on sème même le doute sur leurs capacités à agir de
façon professionnelle, neutre, intègre, éthique, non prosélytique. Donc, il y a
des effets pervers qui sont dangereux pas seulement pour les corps visés par la
loi.
M. Zanetti : J'exprime
mon souhait, là, que le ministre soit très attentif à ça parce qu'on a ici des
gens qui représentent les travailleurs du terrain, les gens qui sont là pour
voir quelles seront les conséquences de ça. Et ce qu'ils vous disent, au fond,
là, c'est qu'on va nuire à l'unité nationale, on va nuire au sentiment
d'appartenance à la nation québécoise. Et je ne peux pas croire que c'est ce
que le ministre recherche.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M.
Bérubé
:
Merci, M. le Président. Je salue à mon tour les représentants de la CSN. Je
comprends et ne suis pas surpris de votre position. Vous êtes un syndicat, vous
défendez les syndiqués, vous ne voulez pas qu'ils perdent leur emploi, je
comprends ça. La priorité pour vous, c'est ça, vous l'avez identifiée à plusieurs
reprises. Je vous soumets bien humblement qu'en ce qui nous concerne c'est la
liberté de conscience des enfants et de leurs parents qui devrait primer, mais
c'est le lien en emploi que vous défendez. Donc, je ne peux pas vous blâmer
pour ça, de faire votre travail de syndicat. Et nous, on trouve que c'est important
et on trouve que ce qui est sexiste, ce n'est pas la loi éventuelle, c'est les
grandes religions qui sont sexistes. Posez-vous la question sur le rapport aux
femmes des trois principales religions. Il est là, le problème, à la base.
Alors, si quelqu'un dit : Bien, je ne
pourrais pas être enseignante, par exemple, parce que je ne veux pas renoncer
aux signes religieux, moi, je me poserais des questions sur quelqu'un qui
décide de faire passer sa religion avant son emploi. Et ça, c'est un questionnement,
là, que j'ai depuis longtemps puis depuis le début de cet exercice.
Ceci étant dit, vous avez vos positions,
vous avez le droit des prendre. Vous en avez toujours pris au plan
sociopolitique. Vous êtes des acteurs importants dans notre société. Donc,
là-dessus, je ne peux pas vous blâmer, mais je comprends votre position.
Ceci étant dit, vous avez deux
recommandations avec lesquelles je suis plutôt en accord, qui mériteraient
qu'elles soient mises en lumière. La première, quant au lien d'emploi qui
devrait suivre, quel que soit le métier, je trouve ça intéressant. Je pense que
ça mériterait d'être considéré par le ministre. On pourra en débattre en
commission parlementaire. La même personne qui est déjà en emploi, qu'elle
devienne... mais là «direction d'école», c'est inclus dans le projet de loi,
mais à différents postes de direction, de cadre, où il y a une ascension, là,
professionnelle, je trouve ça intéressant.
L'autre, on n'y avait pas pensé
spécifiquement, mais quelqu'un, par exemple, qui est engagé dans le bac de
quatre ans en enseignement au secondaire, en enseignement au primaire, donc
elle a déjà engagé des coûts, cette personne-là, elle est déjà dans un cursus
scolaire. C'est une évidence, là, que ça devrait être inclus, puis je pense que
c'est très jouable. Alors, je vous laisserais le temps pour parler de ces deux
propositions-là davantage parce que j'ai l'impression qu'elles vont faire leur
chemin dans le débat.
M. Létourneau
(Jacques) :Oui. Bien, un peu comme on l'a
effectivement mentionné dans la présentation, la question de la clause
grand-père, c'est nous qui l'avions mise au jeu lors... bien, il n'y avait pas
eu de <consultation en...
M.
Bérubé
:
...vous laisserais le temps pour parler de ces deux propositions-là
davantage,
parce que j'ai l'impression qu'elles vont faire leur chemin dans le
débat.
M. Létourneau
(Jacques)T : Oui. Bien, un peu comme on l'a
effectivement
mentionné dans la présentation, la
question de la clause grand-père,
c'est nous qui l'avions mis au jeu lors... bien,
il n'y avait pas eu de >consultation
en 2013 parce qu'il y a eu des élections. Ça fait qu'on se rappelle de la suite
de l'histoire, là, mais dans le mémoire...
Une voix
: ...
M. Létourneau
(Jacques) : En 2014, oui, c'est ça, c'est ça. Mais, en 2013, on
avait élaboré notre position, 2014.
M.
Bérubé
:
Vous ne nous avez pas appuyés en 2014
M. Létourneau
(Jacques) : Oui, c'est ça, exactement. Mais on avait
effectivement mis de l'avant l'idée de la clause grand-père dans un contexte où
on allait de l'avant avec l'interdiction des signes religieux.
Alors, nous, ce qu'on vous dit, c'est que
le principe devrait suivre l'individu et non le poste que la personne détient.
Mais, dans un monde idéal, on aimerait bien qu'on ne soit pas obligés
d'appliquer une clause grand-père parce qu'on reconnaissait, à l'époque, la
difficulté en application, parce que tu peux avoir deux classes de
travailleuses, travailleurs. Oui, c'est vrai qu'on l'élargit aux étudiants, aux
étudiantes qui sont actuellement à l'université, par exemple, pour,
éventuellement dans leur processus éventuel d'intégration sur le marché du
travail, d'avoir ce droit acquis parce que, quand elles ont commencé leurs
études, elles... la personne avait l'objectif de travailler dans le secteur
public. Mais ça va quand même poser la difficulté éventuelle de deux classes de
travailleuses et travailleurs.
Le Président (M. Bachand) :
Merci.
M. Létourneau
(Jacques) : Et rapidement, peut-être, sur votre petit laïus,
sur la question des religions...
Le Président (M. Bachand) :
Très, très, très rapidement.
M. Létourneau
(Jacques) :...on partage le même point de
vue. On n'a jamais considéré, et ce n'est pas ça que l'on dit, que les
religions ne sont pas conservatrices et équitables pour les femmes. Bien au
contraire, bien au contraire, mais, en même temps, on ne pense pas que c'est en
interdisant aux gens de porter un signe religieux qu'on va régler la
problématique de fond.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Cela dit, c'est... Merci infiniment pour votre
contribution aux travaux.
Je vais suspendre quelques instants les
travaux pour permettre à M. Patrick Taillon de prendre place. Merci
beaucoup.
(Suspension de la séance à 15 h 47)
(Reprise à 15 h 48)
Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.
Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Patrick Taillon. M. Taillon,
vous avez 10 minutes pour votre exposé, et, encore une fois, bienvenue à la commission.
M. Taillon.
M. Patrick Taillon
M. Taillon (Patrick) :
Merci. Merci, M. le Président, merci aux membres de la commission.
D'abord, vous me permettrez une petite
diversion, qui n'est pas sans lien avec le sujet d'aujourd'hui, pour féliciter
le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral pour cette entente sur le
processus de nomination des juges. Je pèse mes mots, mais, pour moi, comme
constitutionnaliste, c'est l'entente bilatérale administrative Québec-Canada la
plus importante depuis celle sur l'immigration signée par le premier
gouvernement Lévesque.
Il faut rappeler que c'était l'un des
vices congénitaux les plus importants du fédéralisme canadien. Le fait qu'il y
ait des litiges sur toutes sortes de sujets entre les membres de la fédération
et qu'à chaque fois qu'on les soumet à un arbitre l'arbitre était
unilatéralement choisi par l'une des deux parties, en l'occurrence le fédéral.
Enfin, une dose de fédéralisme judiciaire,
et je salue la nomination de ma collègue Eugénie Brouillet et de mon collègue
Joseph Yvon Thériault sur ce nouveau comité de nomination pour inclure
différentes sensibilités idéologiques et surtout, dans la phase décisionnelle,
le rôle du gouvernement du Québec qui vient en quelque sorte consacrer ce qu'on
aurait voulu mettre en place à l'époque de l'accord du lac Meech. C'est une
entente importante, mais c'est une entente imparfaite...
Le Président (M. Bachand) :
M. Taillon, je vous...
M. Taillon (Patrick) : Je
termine en trois secondes, si vous permettez.
C'est une entente imparfaite parce qu'elle
est précaire, elle n'est qu'administrative. Elle est partielle parce qu'elle ne
règle pas le problème de la Cour supérieure et de la Cour d'appel, mais c'est
déjà un grand pas.
• (15 h 50) •
Ce n'est pas sans lien avec le sujet qui
nous occupe aujourd'hui, et je veux être bien clair, tout mon <mémoire
repose sur une prémisse...
M. Taillon (Patrick) :
...je termine en trois secondes, si vous permettez. C'est une affaire
imparfaite
parce qu'elle est précaire. Elle n'est qu'
administrative.
Elle est partielle parce qu'elle ne règle pas le problème de la Cour supérieure
et de la Cour d'appel. Mais c'est déjà un grand pas.
Ce n'est pas sans lien avec le sujet
qui nous occupe aujourd'hui. Et je veux être bien clair. Tout mon >mémoire
repose sur une prémisse essentielle : la jurisprudence de la Cour suprême
a échoué. Cette jurisprudence a adopté une interprétation excessive, une
interprétation instable, difficile à suivre au cas par cas. Dans l'équilibre
des droits fondamentaux, dans l'équilibre des fondements de l'État, bien, la
Cour suprême, elle s'est placée au bout du spectre, <au bout du coin... >au
bout du continuum<, pardon>. Et depuis elle est coincée là. Elle a
de la difficulté à s'en sortir. Elle essaie de s'en sortir par l'amorce d'un
virage jurisprudentiel qui, à mon avis, pour le moment, est insatisfaisant.
D'autres juridictions, j'en parle aux pages
8 et 9 de mon mémoire, ont développé des solutions plus modérées. Je pense,
entre autres, à la Cour européenne des droits de l'homme. Je cite des exemples
en provenance de la France, de la Turquie, évidemment, mais aussi de l'Espagne,
du Royaume-Uni, de la Suisse. Dans toutes ces juridictions, il y a eu des
limitations à la liberté de conscience et de religion qui ont été validées par
les juridictions internes et qui ont été ensuite confirmées par la Cour
européenne des droits de l'homme dans des domaines très variés :
l'enseignement, du primaire à l'université, le système de justice, le secteur
hospitalier, le municipal, les photos d'identité civique.
Je veux être très clair. Je ne suis pas en
train de dire que la Cour européenne des droits de l'homme, c'est mieux ou
c'est pire que la Cour suprême du Canada. Comparaison n'est pas raison. Mais il
y a là-dedans la preuve qu'il n'y a pas juste un modèle unique. Il y a
plusieurs manières d'établir un équilibre entre les droits. Il y a plusieurs
manières de voir les relations entre l'État et les religions.
La jurisprudence de la Cour suprême, elle
a échoué parce qu'elle n'est pas seulement excessive, elle est aussi
inflexible, inflexible parce que, contrairement à la Cour européenne des droits
de l'homme, elle ne consacre aucune marge d'appréciation pour les États membres
de la fédération. C'est la même solution mur à mur, du mur-à-mur pour toutes
les provinces lorsqu'il est question d'interpréter les droits et libertés. Pas
de flexibilité et surtout une interprétation uniformisante des chartes. La Cour
suprême a vidé la charte québécoise de son originalité. Elle a adopté une
conception uniforme, centralisée des droits et libertés. Les mots sont
différents, ça ne compte pas. On leur donne le même sens. Et ce manque de
flexibilité explique en grande partie la crise dans laquelle on est depuis des
années.
C'est une jurisprudence qui, à mon sens,
est aussi trop idéologique. Dans la définition de la neutralité de l'État, il y
a plusieurs biais qui conviennent pour le reste du Canada, qui correspondent à
la société canadienne, mais pas pour le Québec. J'ai parlé dans mon mémoire, je
n'y reviens pas, sur l'influence de la critique identitaire, sur le rapport
manichéen entre dominant-dominé et les relations entre majorité-minorité, mais
surtout j'ai insisté sur cette neutralité que j'appelle neutralité passive,
c'est-à-dire une neutralité où, au fond, l'État n'a qu'une seule obligation
pour être neutre, c'est de ne pas discriminer, c'est de ne pas favoriser. Mais,
conjugué au multiculturalisme canadien, conjugué à cette vision canadienne de
la neutralité, on a un État qui, pour être neutre, pour inclure toute la
diversité des croyances, mais c'est un État qui va valoriser l'expression du
religieux, qui va offrir une place, une tribune pour l'expression à l'intérieur
de l'État de toutes les croyances. Donc, c'est un État qui est perméable au
religieux. Il le fait pour des bonnes raisons, pour inclure, pour représenter,
pour valoriser. Ça donne toutes sortes d'exemples, un premier ministre qui, de
ses propres gestes, épouse des costumes, des symboles religieux pour valoriser
cette diversité. J'insiste aussi sur la photo sur la page couverture du dernier
rapport de la Commission canadienne des droits de la personne. C'est des
exemples où les droits de personnes sont en cause, mais cette conception
canadienne de la neutralité fait en sorte qu'il n'y a pas de retenue, on veut
valoriser l'expression du religieux.
Donc, la jurisprudence a échoué. Elle est,
à mon sens, en partie responsable de cette interminable crise des
accommodements religieux qui nous divise depuis trop d'années. Et, dans ce
contexte, bien, il y a deux choix. Il y a le laisser-faire, mais moi, je crois
que c'est le devoir des élites politiques et judiciaires de répondre, de
corriger les lacunes, les problèmes, les excès par des solutions modérées qui
risquent de mettre fin à cette polarisation puis à cette radicalisation du
débat.
Cette réponse, elle est nécessaire, mais
les sujets délicats doivent être traités délicatement. Le projet de loi
n° 21 propose, à mon sens, un équilibre raisonnable et pondéré. Pourquoi?
Je l'explique essentiellement à la page 16 et à la page 17.
D'abord, il ne faut pas l'oublier, on
confirme le droit, pour la très vaste majorité des fonctionnaires, de porter
des signes religieux. On crée des exceptions qui sont limitées, qui sont
circonscrites. On vise toutes les religions parce qu'on n'est pas dans une
logique de <signes ostentatoires. On vise toutes les religions...
M. Taillon (Patrick) :
...
D'abord, il ne faut pas l'oublier, on confirme le droit pour la très
vaste
majorité des
fonctionnaires de porter des signes religieux.
On crée des exceptions qui sont limitées, qui sont circonscrites. On vise
toutes les religions... parce qu'on n'est pas dans une logique de >signes
ostentatoires, on vise toutes les religions. On ne s'ingère pas dans le
religieux parce qu'on ne définit pas c'est quoi, un signe religieux. On
reconnaît des droits acquis, on vise les hommes autant que les femmes, parce
que, oui, il y a des symboles religieux qui sont portés par des hommes. Et
surtout, dans la relation disproportionnée entre l'État et le citoyen qui a à
interagir avec l'État, il y en a une, des deux parties, qui est plus vulnérable
que l'autre. Alors, lorsque cet État agit en situation d'autorité ou de
coercition, bien, de façon très raisonnable et modérée, le projet de loi
n° 21 vient nous dire : Dans cette situation-là, là, c'est la liberté
de conscience et de religion de la partie la plus vulnérable qui doit être
priorisée. La partie la plus vulnérable, c'est l'écolier, c'est le prisonnier,
c'est l'accusé, c'est la personne qui est interpellée par la police, ce n'est
pas celui qui est privilégié d'exercer ses pouvoirs de coercition ou d'exercer cette
autorité-là.
Le projet est néanmoins perfectible, et
c'est pour ça que je propose 10 recommandations. Je ne les passerai pas
toutes en revue. Plusieurs, au fond, relèvent de la même logique. Plusieurs
recommandations, c'est le cas... et elles sont à la fin, et plusieurs
recommandations, je pense à la recommandation n° 1 et
2, visent à mieux définir ce qu'est la laïcité. Si le Québec avait un système
autonome de protection des droits, ce ne serait pas nécessaire d'être aussi
précis que je le propose dans la définition de la laïcité, mais, à partir du
moment où notre système n'est pas autonome, il est important d'être très précis
dans la définition de la laïcité pour que, justement, on comprenne que le sens
des mots ici est différent du sens que l'on retrouve actuellement dans la
jurisprudence canadienne.
Dans la même optique, et c'est les
recommandations n° 8, 9 et 10, je propose de décrire
les droits qui découlent de la laïcité, le droit d'être jugé par un tribunal
neutre et indépendant sur le plan des convictions politiques et religieuses et
les droits équivalents pour les détenus, les personnes arrêtées, les écoliers. Donc,
vous avez ça aux recommandations n° 8, 9 et 10.
Recommandation n° 7,
je la trouve très importante, c'est dans le choix du langage, dans le choix du
ton. On n'est pas en train d'écrire une loi fiscale ou une loi pénale, on est
en train d'écrire une loi fondamentale, une loi constitutionnelle ou, du moins,
quasi constitutionnelle. Donc, pour moi, c'est important d'inverser les choses,
il ne faut pas confondre l'exception puis le principe, et c'est pour ça que je
vous propose un amendement pour dire : Reconnaître le droit de tous les
fonctionnaires de porter des signes religieux, à l'exception de. Il faut sortir
de cette logique des interdictions. Les interdictions sont un mal nécessaire,
elles sont la conséquence logique d'un raisonnement, il ne faut pas confondre
le principe et l'exception.
Le Président (M. Bachand) :
En terminant, M. Taillon, s'il vous plaît.
M. Taillon (Patrick) :
Recommandations 6 et 7 : un meilleur rang à la laïcité en l'insérant
dans la Charte canadienne.
Et je termine sur un désaccord qui
m'oppose au prochain intervenant sur le rôle de l'Assemblée nationale par
rapport à cette Charte canadienne. Il n'existe, contrairement à ce que va
prétendre mon collègue, aucun usage, aucune coutume, aucune convention
constitutionnelle qui limite la capacité du Parlement du Québec de modifier sa
charte. Il n'y a pas de pratique constante. À quatre reprises, on l'a modifiée
sur division, et il n'y a pas de pratique qui veut qu'on ne fasse que des
ajouts à la charte. La preuve, en 2005, on a supprimé un droit, un droit
précis, le droit à l'enseignement religieux. Il ne faut pas confondre ce qui
est politiquement souhaitable avec ce que le droit exige.
J'aurais voulu vous dire un mot sur la
dérogation, mais je pense que nous aurons le temps dans nos échanges. Merci.
Le Président (M. Bachand) :Nous allons débuter la période d'échange. M. le ministre, s'il
vous plaît.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. M. le Pr Taillon, bonjour. Merci de
participer aux travaux de la commission. On va débuter en lien avec votre
avant-dernière intervention en lien avec le fait qu'il n'est pas possible de
modifier la Charte des droits et libertés de la personne, la charte québécoise.
Je vous référerais à la page 32, 33 de votre mémoire, 33 : «Plusieurs
intervenants [de] cette commission, notamment Pierre Bosset, la commission des
droits de la personne et de la jeunesse et Louis-Philippe Lampron, ont partagé
la thèse voulant que l'Assemblée nationale n'ait pas le droit de modifier la
charte québécoise comme elle s'apprête à le faire avec le projet de loi
n° 21. Ce point de vue rejoint bien évidemment la conception "élitiste"
des droits évoqués précédemment qui consiste à attribuer aux tribunaux le
monopole de leur définition [...] de [la] pondération.»
J'aimerais que vous m'expliquiez qu'est-ce
que vous voulez dire par le caractère élitiste d'une interprétation des droits.
Puis pourquoi est-ce qu'il y a un courant de pensée doctrinale qui dit que ça
doit être juste les tribunaux qui viennent définir ça par rapport au
législateur?
• (16 heures) •
M. Taillon (Patrick) :
Bien, parce qu'évidemment, au coeur du débat, pour plusieurs observateurs,
plusieurs de mes collègues, les droits et libertés, c'est le monopole réservé
des tribunaux, le monopole des juristes, tous ceux qui connaissent ça. Ça se
défend parce qu'à bien des égards ce sont les tribunaux les mieux placés pour
manipuler ces instruments-là, les définir. Bien, en fait, ils ne les
définissent pas, ils <établissent des...
18 - - CT-
Imprimé le 18 juin 2019 à 3:20
16 h (version révisée)
< M. Taillon (Patrick) :
...c'est
évidemment
au cœur du débat pour plusieurs observateurs,
plusieurs de mes collègues, les droits et libertés, c'est le monopole réservé
des tribunaux, le monopole des juristes, ceux qui connaissent ça. Ça se défend,
parce qu'à bien des égards ce sont les tribunaux les mieux placés pour
manipuler ces instruments-là, les définir. Bien, en fait, ils ne les
définissent pas, ils >établissent des équilibres entre les droits et les
autres principes constitutifs.
Mais moi, je ne suis pas de cette école
parce que je pense que, dans une société comme la nôtre, qui se polarise, qui a
un clivage, le populisme, l'élitisme, il faut, au contraire, si on veut
protéger les droits et libertés, il faut accepter la délibération démocratique
sur les droits. Et il faut, comme la Cour suprême prétend d'ailleurs le faire,
accepter que les droits fondamentaux sont le fruit d'un dialogue entre le
politique et le judiciaire. Alors, c'est pour ça que moi, je m'oppose à ce
courant qui veut que les élus n'aient pas le droit de toucher à ça ou, comme le
prétendent certains, que les élus aient le droit seulement si <c'est
pour... >c'est à l'unanimité ou seulement si c'est pour ajouter aux
droits. Je ne sais pas trop, d'ailleurs, ce que c'est, un ajout aux droits.
Moi, je ne connais pas de définition des droits, ce que je connais, c'est des
interprétations qui établissent des équilibres complexes entre différentes
prétentions, différents intérêts et principes fondamentaux de l'État.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. M. le ministre.
M. Jolin-Barrette :
Donc, concrètement, dans le fond, ce que vous nous dites, c'est que ce n'est
pas figé, ce n'est pas cristallisé, on peut y toucher, puis c'est légitime,
pour le législateur québécois, de modifier la Charte des droits et libertés de
la personne, on peut le faire, il n'y a rien qui nous empêche de le faire.
M. Taillon (Patrick) :
Pour qu'il y ait une règle, une coutume écrite, non écrite, qui viendrait
limiter la capacité du Parlement québécois de modifier sa charte, il faudrait
trois choses. Il faudrait un usage constant. On ne l'a pas, on a un nombre
d'exceptions. On peut trouver que ces exceptions-là ne sont pas importantes,
mais elles existent, on ne peut pas nier leur existence. Deuxièmement, il
faudrait une raison d'être. Ça, là-dessus, je pense que la raison d'être existe.
Ce serait l'attachement aux droits et libertés. C'est tout à fait évident à mes
yeux. Et il faudrait ensuite prouver que les hommes et les femmes politiques
que vous êtes et vos prédécesseurs dans le passé se sentent liés politiquement
par cet usage. C'est ça, les conditions pour qu'on soit en présence d'une
coutume ou une convention. Ces conditions-là ne sont pas réunies. Ça fait
qu'après on peut dire : Il serait souhaitable que, mais il ne faut pas
confondre le souhaitable puis le juridiquement requis.
Le Président (M. Bachand) :
M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Avant de parler des dispositions de dérogation, je veux juste que vous nous
expliquiez... Bon, il y a la Charte des droits et libertés de la personne au
Québec, on appelle ça la charte québécoise, il y a la charte des droits et
libertés au fédéral, on appelle ça la charte canadienne. On a adopté la charte
québécoise avant la charte canadienne. Il y en a qui disent : Bon, la charte
canadienne s'est inspirée de la charte québécoise.
En soi, là, dans notre régime juridique,
là, est-ce que c'est la même jurisprudence pour les deux? Pourquoi c'est la
même jurisprudence, pourquoi ce ne l'est pas? Et j'aimerais ça que vous nous
parliez de comment est-ce qu'on fait pour autonomiser la charte québécoise.
M. Taillon (Patrick) :
Beaucoup <d'éléments de... >d'éléments dans votre question, M. le
ministre, mais disons que, là-dessus, moi, je loge... j'ai un point de vue très
tranché, peut-être isolé, mais, contrairement à ce qu'on retrouve souvent dans
les milieux nationalistes québécois, où on va dire : Bien, le Québec a sa
propre charte, puis notre charte est meilleure que la charte canadienne, moi,
j'oublie les textes. Les textes, ça n'existe pas vraiment. Ce qui compte, c'est
ce qu'on en fait après. Et, au Canada, en l'état actuel des choses, il n'y a
qu'un seul système de protection des droits et libertés puisqu'il n'y a qu'un
seul juge qui interprète, avec une approche extrêmement uniformisatrice et une
approche qui ne reconnaît aucune marge d'appréciation aux provinces... il n'y a
pas l'équivalent de ce qu'il y a dans la CEDH, là, une marge d'appréciation
nationale. Donc, à partir de là, on peut bien dire qu'il y a deux chartes...
M. Jolin-Barrette :
O.K., juste... M. Taillon, juste sur la marge d'appréciation, qu'est-ce
que ça veut dire? Puis comment ça pourrait se matérialiser au Québec, là?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, c'est la question du fédéralisme judiciaire, c'est-à-dire que, si on
conjugue le principe du fédéralisme avec celui <de la... >de la
protection des droits et libertés, on devrait donc les concilier, ces
principes, et admettre que les droits et libertés n'ont pas besoin d'être
uniformes partout et que la manière de définir un équilibre, je ne sais pas,
moi, entre liberté de religion... liberté individuelle de religion et
neutralité religieuse de l'État, n'a pas besoin d'être le même en Ontario et au
Québec parce que ce sont des sociétés différentes, parce que le fédéralisme
doit permettre cette marge de manoeuvre.
Moi, en l'état actuel de la jurisprudence,
je ne la vois pas, cette marge d'appréciation. Il y a des signes. La cour, dans
l'affaire de Nadon, puis, de façon de très habile, le projet de loi le cite
dans un considérant, a reconnu que le Québec avait des valeurs sociales
distinctes. Mais c'est un dossier qui ne concernait pas les droits
fondamentaux. Et, en l'état actuel des choses, moi, je n'ai pas un exemple qui
concerne l'interprétation de la charte où la cour nous dit : Le Québec, ce
n'est pas pareil.
Le Président (M. Bachand) :
M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Bon, bien, basé là-dessus, ça veut dire que l'état du droit fédéral, bien,
canadien, nous dit, dans le fond : Il n'y a pas de marge d'appréciation,
malgré le fait que tout le monde reconnaît que le Québec est une société qui
est distincte, qui a des valeurs sociales propres, des spécificités, c'est le
même droit qui s'applique «coast to coast», notamment en matière de droits et
libertés. Alors, pour s'assurer que la nation québécoise, dans la définition de
ses rapports entre l'État et les religions, au niveau de la laïcité, elle
puisse <prendre en considération...
M. Jolin-Barrette :
…des spécificités, c'est le même droit qui s'applique «coast to coast»,
notamment
en matière de droits et libertés. Alors, pour s'assurer que la nation
québécoise,
dans la
définition de ses rapports entre l'État et les religions au
niveau de la laïcité, elle puisse >prendre en considération les
spécificités de sa société, de la société québécoise, est-ce que ça vous
apparaît opportun d'utiliser les dispositions de dérogation pour faire ça?
M. Taillon (Patrick) : Oui,
mais, pour moi, la raison déterminante de déroger, c'est le sort que les
tribunaux ont réservé au projet de loi n° 62. Ils sont allés vraiment trop
loin. Contrairement à ce que veut la présomption de constitutionnalité, sans
preuve, avant même qu'il y ait eu un débat, on a dit : Ah! non, non. Cette
affaire-là, c'est suspendu. Pour moi, ça, c'est la raison numéro un.
Mais, vous avez raison…
M. Jolin-Barrette :
Là-dessus, qu'est-ce que la présomption de validité?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, c'est un principe constitutionnel essentiel qui veut que les tribunaux
ont le droit de juger la loi, mais ils doivent présumer que la loi est valide
jusqu'à tant qu'on ait la preuve contraire. Et, dans le dossier du projet de
loi n° 62, on a vraiment bafoué ce principe-là. À l'étape préliminaire,
sans débat, sans qu'il y ait de discussion contradictoire sur le fond, on a
suspendu cette loi. Et là je pense que, dans le dialogue institutionnel, les
tribunaux sont allés trop loin.
M. Jolin-Barrette :
Donc, ça, ça signifie que la Cour supérieure, lorsqu'elle a été saisie d'une
requête sur le bien-fondé du projet de loi n° 62, qui a été adopté par la
précédente ministre de la Justice, qui a été voté et qui a été approuvé par
l'Assemblée nationale, la Cour supérieure a suspendu dès le départ le projet de
loi n° 62 sans laisser le projet de loi s'appliquer. Et là vous
dites : Écoutez, là, il y a une dérive à ce niveau-là. Et ça, ça justifie
le fait qu'on doit utiliser la disposition de dérogation pour le projet de loi
n° 21.
M. Taillon (Patrick) :
Pour moi, là, il y a plusieurs arguments intéressants pour défendre le recours
à la dérogation, mais l'argument le plus contextuel, le plus déterminant, c'est
celui que vous venez de résumer parce que, dans ce dialogue entre le juge et le
législateur, il y a quelque chose qui a basculé autour du projet de loi
n° 62. Et il y a une espèce de retenue, de respect à l'endroit du politique
qui a été perdu et qui, à mon avis, ce n'est pas un esprit de revanche, là,
c'est juste que c'est l'heure… c'est le centre, c'est le coeur de mon mémoire,
de dire que c'est l'heure d'avoir une réponse législative puis que cette
réponse-là, il faut qu'elle puisse produire des effets.
Maintenant, il y a un aspect de votre
question, tout à l'heure, que je n'ai pas mentionné. Oui, d'introduire dans la
charte québécoise des amendements, puis je pense que c'est au coeur de mon
mémoire puis j'espère que la commission va aller plus loin dans les amendements
qu'on peut faire à la charte québécoise, ça pourrait essayer de freiner cette
approche uniformisatrice qu'a la Cour suprême. Et c'est pour ça que, pour moi,
c'est indispensable de ne pas se priver de l'outil le plus fort qu'on a parce
que c'est l'outil, c'est la norme à laquelle les tribunaux accordent le plus
d'importance. Il ne faut pas se priver de cet outil-là pour l'inscrire, c'est
quoi, notre vision, notre modèle québécois de l'équilibre entre les droits.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Puis
pouvez-vous me parler de la modification que vous souhaitez à l'article 23
de la charte québécoise relativement au tribunal?
M. Taillon (Patrick) :
Oui. Alors, c'est ce que j'appelle les droits qui découlent de la laïcité.
C'est comme je vous dis, <il ne faut pas… >il ne faut pas prendre
le problème à l'envers et parler d'abord d'interdiction. Les interdictions sont
la conséquence de quelque chose.
Donc, à l'article 23, je
propose — l'article 23 existe déjà, il garantit déjà le droit de
chacun d'être jugé par un tribunal neutre, indépendant et
impartial — <et je propose >d'ajouter «notamment sur le
plan <des convictions... >de [l'affichage] des convictions [politiques
et religieuses]» pour bien consacrer ce qui me semble essentiel dans le projet
de loi. Et c'est ça qui le rend raisonnable, c'est ce parti-pris, cette façon
d'établir un équilibre entre le citoyen en position de vulnérabilité face à cet
État tout-puissant et le représentant de l'État en situation d'autorité ou en
situation avec un pouvoir de coercition, en l'occurrence, ici, le juge.
Bon, je passe vite sur le fait que, dans
le cas des juges, il y a l'indépendance judiciaire qui a une incidence importante,
mais on ne peut pas empêcher le législateur québécois de donner des droits aux
citoyens qui interagissent avec le juge. Et je propose un peu la même chose
dans le système scolaire, et dans le système carcéral, puis dans les relations
avec les policiers.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette :
Revenons sur le dialogue qu'il doit y avoir entre le Parlement et les
tribunaux. Vous dites : Bon, le projet de loi n° 62 et l'octroi d'un
sursis par la Cour supérieure, c'est une illustration du fait que la balance
entre les différentes institutions, elle s'est brisée. Et donc c'est tout à
fait légitime pour le Parlement du Québec, par le biais de ses représentants
élus, d'utiliser les dispositions de dérogation pour le projet de loi
n° 21 parce que <c'est au tribunal… c'est… pardon, >c'est au
Parlement du Québec à définir c'est quoi, les rapports entre l'État et les
religions sur la laïcité.
Pouvez-vous nous parler de l'architecture
constitutionnelle, dans le fond, la Loi constitutionnelle de 1982 et la
disposition de dérogation? Pourquoi c'est là? Pourquoi c'est prévu que les
Assemblées législatives des provinces puissent les utiliser? Comment ça
fonctionne, ça, puis est-ce que c'est un précédent, le fait que l'Assemblée
nationale l'utilise?
• (16 h 10) •
M. Taillon (Patrick) :
Bien, les droits fondamentaux qui sont garantis par la <charte
canadienne, ce n'est pas des droits…
M. Jolin-Barrette :
...de
dérogation, pourquoi c'est là, pourquoi c'est prévu que les
assemblées
législatives
des provinces puissent les utiliser, comment ça fonctionne, ça, puis est-ce que
c'est un précédent, le fait que l'
Assemblée nationale l'utilise?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, les droits fondamentaux qui sont garantis par la >charte
canadienne, ce n'est pas des droits tirés de la nature, là, qui préexistent, ce
n'est pas non plus le monopole des juges, c'est le produit d'une interaction
subtile, complexe, qu'on espère la plus modérée possible, la plus respectueuse,
entre le juge et les élus. Les tribunaux, pour justifier la légitimité du
contrôle de constitutionnalité, disent : Bien, nous, on se donne le droit
de sanctionner les lois du législateur parce que le législateur nous a donné le
mandat en 1982 et parce que, si jamais on fait des erreurs, bien, ils ont cet
article 33 pour répliquer, pour répondre. Et, dans l'histoire constitutionnelle
canadienne, bien, vous vous souviendrez qu'il y avait huit provinces, une
majorité de provinces qui avait son projet de rapatriement. De l'autre côté, il
y avait Trudeau... il y avait le gouvernement fédéral, pardon, l'Ontario et le
Nouveau-Brunswick. Ça a été une espèce de dialogue de sourds pendant des mois.
Et dans la nuit du 4 au 5 novembre, on se rappelle tous qu'on a oublié
d'appeler le Québec dans ces négociations de dernière minute, mais on se
rappellera aussi que le compromis qui a fait que sept provinces se sont
ralliées au projet du gouvernement Trudeau, ça a été de dire : Bien,
d'accord pour cette charte des droits, seulement et seulement si on préserve
cette souveraineté parlementaire qui est inhérente au système britannique et
qui permet, si nécessaire, lorsque, justement, la jurisprudence va trop loin,
lorsque le juge n'arrive pas à faire face à un problème social important, de
répliquer par l'utilisation de cette dérogation.
Après, vous ne me ferez pas dire... L'utilisation
de la dérogation, ce n'est pas quelque chose qu'il faut, selon moi, valoriser,
ce n'est pas quelque chose qu'il faut condamner. Ça existe, c'est là, et il y a
des circonstances qui font en sorte que c'est approprié de l'utiliser. Je crois
qu'après plusieurs décennies de crise des accommodements religieux, après une
radicalisation puis une polarisation du débat, d'utiliser la clause dérogatoire
pour dire : Pause. On va mettre une solution raisonnable, un compromis,
puis on va le laisser produire ses effets, comme dans le dossier linguistique,
je pense que c'est une sage décision.
Le Président (M. Bachand) :
M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Dernière question, et ensuite j'ai des collègues qui veulent poser des
questions. Là-dessus, l'ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien s'est
déjà prononcé en faveur de cette disposition de dérogation.
M. Taillon (Patrick) :
Oui, bien, je cite, dans mon mémoire. Bien, c'est un peu normal. Dans le
compromis de dernière minute, Jean Chrétien était le principal ouvrier de ce
compromis. Bon, il aurait pu, dans les années qui suivent, dire : Bien,
c'est quelque chose que je ne voulais pas vraiment, mais je l'ai fait pour
avoir un consensus. Ce n'est pas la position qu'il a adoptée. Au contraire,
même s'il a une position très favorable aux droits et libertés, il a toujours
défendu la dérogation comme quelque chose de nécessaire. Et, dans le passage
que je cite, on est dans une situation où, alors qu'il est chef du Parti
libéral du Canada et qu'une partie de ses propres militants en congrès
souhaitent l'abrogation de la dérogation, bien, il va aller au micro et il va
défendre la dérogation pour les raisons qui sont expliquées dans le mémoire.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.
M. Lévesque (Chapleau) :
Oui, merci beaucoup, M. le Président. Pr Taillon, merci d'être ici.
Bonjour, chers collègues. Je vous ramène à une entrevue que vous avez accordée
au Soleil le 6 mai dernier. Vous avez affirmé que les chances de succès
pour ceux qui désiraient contester la loi... le projet de loi, du moins, n° 21 seraient assez réduites. Vous avez entendu,
j'imagine, comme nous, les arguments qui ont été avancés par les différents
groupes qui voudraient contester de façon constitutionnelle ce projet de loi là
ou cette loi-là si elle est adoptée. Pouvez-vous nous dire, dans le fond,
pourquoi les chances de succès seraient réduites, selon vous?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, d'abord parce que la dérogation envoie un message clair. Et, dans ce
dialogue entre les juges et les élus, les juges, ils ont deux choix. S'ils
disent : La dérogation, c'est quelque chose qu'on peut mettre de côté, on
a le pouvoir de tasser ça, ils vont scier la branche sur laquelle ils sont
assis dans la mesure où leur légitimité, ils ont décidé de la tirer de cette
dérogation qui fait en sorte que c'est parce que la dérogation existe que le
reste du temps leurs décisions sont légitimes. Premier élément.
Deuxième élément, puis je m'arrêterai
là-dessus ensuite, il va y avoir des contestations, mais leurs chances de
succès sont très réduites parce qu'au fond le jeu des contestataires ce sera,
au fond, de dire : La dérogation ne règle pas tout, elle a un périmètre
d'application. Ce sont des articles précis de la charte canadienne. Pour le
reste, le reste de la Constitution continue à exister. Et, dans cette
Constitution très mal organisée sur le plan des sources, bien, il y a des
règles non écrites, il y a le partage des compétences, il y a toutes sortes de
choses. Il y a des vieilles règles désuètes aussi. Et donc on va chercher à
mobiliser des contenus qui sont en dehors du périmètre de la dérogation pour
essayer de leur faire dire quelque chose qui pourrait être utile dans cette
contestation. Par exemple, j'ai compris qu'hier une commission scolaire a
dit : Bien, l'article 23 va être utile pour nous. Oui, mais je m'excuse,
mais, à ce jeu-là, il falloir qu'ils réussissent à faire dire des choses à
l'article 23 qui sont sans précédent pour le moment.
En même temps, moi, je ne suis pas capable
de prédire. Il y a un aspect <performatif au droit, et le pouvoir des
juges est...
M. Taillon (Patrick)T :
...par exemple, j'ai compris qu'hier une
commission scolaire a
dit : Bien,
l'article 23 va être utile pour nous. Oui, mais je
m'excuse, mais, à ce jeu-là, il falloir qu'ils réussissent à faire dire des
choses à
l'article 23, qui sont sans précédent pour le moment. En même
temps, moi, je ne suis pas capable de prédire.
Il y a un aspect >performatif
au droit, et le pouvoir des juges< est un...>, il peut être
utilisé dans des sens imprévisibles. Mais on le sent, que leurs contestations
partent... ont très peu de chances de succès parce que le coeur de la question
juridique, c'est la conformité à l'article 2. Et la loi que vous vous apprêtez
à adopter aura effet, nonobstant l'article 2. Donc, le principal point de
tension... Puis vous avez compris en lisant mon débat que, moi, ce n'est pas vraiment
mon débat à moi de trancher sur la question de savoir <si c'est... >si
le projet de loi serait ou non conforme à l'état de la jurisprudence actuelle.
Je pense qu'il y a des arguments pour, il y a des arguments contre. Mais, une
chose est certaine, une fois qu'on dit : L'article 2 ne peut pas être
plaidé, après, les autres arguments, c'est plus audacieux, tu sais, on est dans
du droit un peu nouveau, on est dans du droit, disons, un peu évolutif. Ça ne
veut pas dire qu'il n'y a aucune chance, mais c'est plus complexe.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Merci
beaucoup. Merci, Pr Taillon. J'ai l'impression... Je l'ai dit tout à l'heure,
cette après-midi est une après-midi fort exigeante avec< des...>,
ma foi, des mémoires costauds. Et j'ai l'impression... Vous avez parlé d'aspect
performatif. Alors, qui suis-je, non-juriste, pour aller poser des questions à
deux, deux juristes aux positions, on peut le dire, et vous en conviendrez,
typiques du droit, c'est-à-dire assez diamétralement opposées? C'est fascinant.
C'est extrêmement stimulant intellectuellement. Je vous ai lus attentivement,
et toutes les premières pages, on dit : O.K., O.K., il y a le fédéral, il
y a le provincial, puis je pense qu'il y a... Le Pr Taillon a beaucoup de
choses à dire contre la Cour suprême, la façon d'interpréter, et que, finalement,
les provinces n'ont pas du tout l'espace nécessaire pour respirer, n'ont pas
assez d'oxygène dans cette façon d'interpréter qu'ont les juges de la Cour
suprême. Alors, on assiste à une sorte de mise en scène, ceci dit, très
positivement, là, du rapport fédéral-provincial entre les deux niveaux de
jurisprudence et de façon de voir les choses.
On assiste aussi à une dichotomie très
forte, et là je vais vous amener à la page 13, entre le rapport
majorité-minorité et élite et peuple. Il y a toutes sortes de dichotomies que
vous apportez, mais je vais aller à la première qui m'a frappée. Quand vous
dites, page 13, en haut : «[L'a] priori moral précis : [c'est] les
rapports d'exclusion et de culpabilité — c'est rare <pour un...
>pour un juriste, ça serait plus de mon domaine de la psychologie de
parler de culpabilité, alors évidemment que j'ai bien lu ça — <les
rapports d'exclusion et de culpabilité >qui caractériseraient toutes les
relations entre "majorité" et "minorité". Cette logique
manichéenne consiste à interpréter les droits de manière différenciée, suivant
l'appartenance à la catégorie des "usurpateurs" — soit la
majorité — ou [...] celle des "opprimés" — les
minorités.»
Donc là, il y a une interprétation des
droits, une hiérarchisation systématique au profit de revendications
minoritaires cherchant à contrebalancer des injustices historiques dont vous
convenez par après et dont vous convenez tellement qu'on a l'impression
qu'heureusement qu'on a protégé les minorités. Mais le début de votre phrase est
plutôt de dire : Non, les usurpateurs majoritaires qui se sentent
coupables n'auraient pas dû en mettre autant que ça par rapport aux minorités.
Est-ce que je vous interprète relativement bien?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, vous me permettrez de peut-être préciser un peu ma pensée. C'est clair
que moi, j'ai un malaise avec la façon dont le débat public s'organise dans les
rapports entre juges et les élus, cette façon de sacraliser le judiciaire. Et
il n'y a pas beaucoup de contre-pouvoirs, tu sais, qui vont... il n'y a pas
beaucoup de voix qui s'élèvent <dans la place publique... >sur la
place publique pour dire : Ah! telle décision, c'est un peu mal fait. Et
moi, j'en ai un peu contre tous ceux qui disent : Ah! là, le législateur
va intervenir pour rétablir un équilibre entre les droits, c'est très, très
mal. Et les mêmes personnes, lorsque le judiciaire limite les mêmes droits,
parce que je cite plusieurs décisions dans les dernières années : Trinity
Western, les décisions sur le cours ECR, l'arrêt sur les huttérites... Les
exemples sont nombreux. La Cour suprême, elle essaie, là, de corriger le tir.
Elle essaie de sortir de sa position. Elle est coincée, mais elle essaie de se
rapprocher du centre.
Mais, quand, là, la Cour suprême rend des
décisions qui limitent la liberté de religion, <ils>elles sont où,
ces voix, pour dire que c'est inacceptable de limiter la liberté de religion?
Il y a un côté deux poids, deux mesures. Quand c'est le législateur, c'est inacceptable,
c'est un sacrilège, puis, lorsque c'est le judiciaire, c'est correct.
Probablement qu'on dira : Parce que le juge a la bonne méthode. Mais là je
ne veux pas embarquer, mais je pense que cette méthode, elle a ses avantages et
ses inconvénients. Et, moi, c'est un peu ce point de vue que je veux livrer
devant la commission. Le juge a son rôle, les élus ont leur rôle, et les deux
doivent traiter les sujets délicats délicatement.
Maintenant, sur l'aspect...
• (16 h 20) •
Le Président (M. Bachand) :
...<rapidement, oui...
M. Taillon (Patrick) :
...judiciaire, c'est correct.
Probablement qu'on dira que c'est
parce
que le juge a la bonne méthode. Et là, je ne veux pas embarquer, mais je pense
que cette méthode, elle a ses avantages et ses inconvénients. Et moi, c'est un
peu ce
point de vue que je veux livrer devant la
commission. Le
juge a son rôle, les élus ont leur rôle, et les deux doivent traiter les sujets
délicats délicatement.
Maintenant, sur l'aspect...
Le Président (M. Bachand) :
...>rapidement, oui...
M. Taillon (Patrick) :
...sur l'aspect dominant-dominé, je dis que cette grille très idéologique, elle
est utile pour révéler des choses. Quand on voit la vie en présumant que la majorité
a tort puis que la minorité a besoin de protection, ça peut nous permettre de
voir plusieurs injustices. Mais on va jusqu'où avec ça?
Le Président (M. Bachand) :
Merci...
M. Taillon (Patrick) :
Slāv, Kanata, on limite la liberté d'expression des artistes.
Mme David : Oui, oui,
j'ai bien noté que vous alliez jusqu'à ces débats-là. On n'ira pas là aujourd'hui
parce que, là, on déborderait largement, mais je vois bien que vous faites une
dichotomie, un clivage assez important, hein : l'élite et le peuple. Et
l'élite et le peuple... nous, je pense qu'on est le peuple, dans votre idée, on
est des élus du peuple ou... en tout cas. Et l'élite, ce sont les juges. Et
j'ai mis dans la marge, c'est comme si c'était : Attention au gouvernement
des juges. On aime mieux le gouvernement des élus, peut-être...
M. Taillon (Patrick) :
C'est un terme que je n'ai pas utilisé.
Mme David : Je le sais,
mais c'est ce qui m'a donné comme... ça m'a donné comme impression. Puis là je
me disais : Si le Québec était un pays, parce qu'il y a des choses en
filigrane, fédéral, provincial... Admettons, là, je ne veux pas présumer de vos
opinions à vous là-dessus, mais, si le Québec était un pays, est-ce que vous
changeriez d'avis vis-à-vis le rôle des élites dites des juges? Parce que c'est
comme si les juges — venant d'un juriste, c'est intéressant de voir
ça — c'est comme... des fois, là, c'est un empêcheur de tourner en
rond.< Vous...>
M. Taillon (Patrick) :
Moi, je vis dans le réel, le Québec n'est pas un pays. S'il l'était, je pense
que je ne changerais pas ma position, mais ma position n'est pas exactement
celle que vous décrivez. C'est-à-dire que moi, je considère que le nouveau
clivage qui ronge les démocraties libérales et qui les met en péril, c'est le
clivage entre les élites et les élus, cette déconnexion, cette polarisation. Et
les élites, elles peuvent être politiques, elles peuvent être judiciaires,
elles peuvent être universitaires.
Mais je dis que c'est le devoir des élites
de ne pas embarquer dans ce rôle de polarisation puis de radicalisation. Et je
m'inquiète de voir la société québécoise perdre sa cohésion avec des positions
extrémistes comme : Il est interdit d'interdire et la position extrémiste
qui consiste à dire : Il ne faut pas qu'il y ait aucune trace du religieux
dans la sphère publique, sans parler de tous les préjugés qui accompagnent
chacune de ces deux positions. Et j'en appelle à un compromis raisonnable,
politique et modéré.
Le Président (M. Bachand) :
Mme la députée.
Mme David : J'ai bien
compris ça, mais, comme vous avez dit le mot «à tort», je vous prends à la page
19, deuxième ligne du deuxième paragraphe.
M. Taillon (Patrick) :
Page 19, pardon?
Mme David : Deuxième
ligne, deuxième paragraphe. «Aux intégristes de la laïcité qui souhaiteraient,
à tort — et là c'est un jugement de valeur, forcément, c'est un
jugement — éradiquer toute présence du religieux< — bon —>[...], le
projet de loi reconnaît», ta, ta. «À ceux pour qui l'expression des convictions
religieuses ne devrait connaître aucune limite...» Là, il n'y a pas de jugement
de «à tort ou à raison». Il y a «à tort» du côté des intégristes de la laïcité,
mais il n'y a pas de «à tort» du côté de ceux qui ne veulent aucune limite.
M. Taillon (Patrick) :
O.K., bien, vous me pardonnerez une maladresse de langage. C'est des choses
qu'on... On a un horaire occupé, on écrit ses mémoires un peu rapidement...
Mme David : Et surtout
venant de juristes, les mots ont tout leur sens, et c'est peut-être ma
déformation professionnelle...
M. Taillon (Patrick) :
Oui, oui, mais... Peut-être qu'une relecture m'aurait permis de mieux balancer
mon propos, mais...
Mme David : O.K., O.K.
M. Taillon (Patrick) : ...oui,
je viens ici défendre une conviction qui est que les deux positions extrêmes
qui consistent à dire : Il est interdit d'interdire au nom d'une
maximisation des libertés individuelles qui n'existe pas, il suffit de lire la
jurisprudence pour voir que ce n'est pas comme ça que ça que ça fonctionne...
Mme David : L'autre
extrême aussi...
M. Taillon (Patrick) :
...et la conception d'une laïcité extrêmement rigide qui voudrait que le
religieux, c'est mal, il ne faut jamais... Non. Moi, j'aime une situation où on
dit : Les fonctionnaires ont le droit de porter des signes religieux, à
l'exception de situations qui sont limitées, raisonnables, circonscrites, et
qui sont un compromis, qui représentent un compromis politique.
Mme David : Ça <vous
a permis... ça >vous aura permis de préciser ça. Maintenant, je reviens
à la page 17, où, là, vous avez redit, tout à l'heure dans votre présentation,
que le projet de loi était modéré, etc., puis qu'il n'attentait pas du tout à
l'égalité hommes-femmes. Alors, humblement, ou comment on dit ça, les juristes,
respectueusement, je me permettrais de vous dire que, quand vous dites :
«Il cible autant les hommes que les femmes», mais après, la phrase après, «il
ne s'applique qu'à l'encadrement de signes religieux non permanents — à
l'inverse des tatouages, des cheveux, des barbes», mais il me semble que la
barbe est pas mal un signe religieux masculin dans certaines religions.
M. Taillon (Patrick) :
Alors, je vais être clair avec vous, toute mesure législative produit des
effets. Et, si vous voulez me faire dire qu'à ce moment-ci dans la société
québécoise les gens qui vont potentiellement vivre des effets défavorables de
cette loi ont plus souvent le genre ou le sexe féminin, je peux concéder ça, mais,
soyons clairs, des signes religieux, il y en a qui sont portés par des hommes.
Le turban sikh, le kirpan, bon, on pourrait en mentionner pendant des heures.
Donc, en ce sens, le projet de loi a une
définition qui fait en sorte qu'il va produire des effets <préjudiciables
sur des...
M. Taillon (Patrick)T :
...mais soyons clairs, des signes religieux, il y en a qui sont portés par des
hommes : le turban sikh, le kirpan. Bon, on pourrait en mentionner pendant
des heures.
Donc, en ce sens, le
projet de
loi a une définition qui fait en sorte qu'il va produire des effets >préjudiciables
sur des hommes et des femmes. Et c'est pour ça que j'affirme qu'il ne distingue
pas entre les hommes et les femmes.< Maintenant...>
Mme David : Alors, <que
fait... >allons chez les enseignants. Est-ce que vous convenez qu'il y a
80 % et plus du corps professoral qui sont des femmes?
M. Taillon (Patrick) : Je
ne sais pas. Je ne sais pas du tout. Ce n'est pas mon milieu.
Mme David : O.K. Donc, il
y aurait peut-être autant d'hommes que de femmes, au primaire et au secondaire,
comme enseignants, enseignantes.
M. Taillon (Patrick) : Je
vous crois sur parole.
Mme David : Non, non. Ce
n'est pas ça que je dis. Je suppose que vous pouvez imaginer ça, alors que les
chiffres sont très clairs que c'est une immense majorité de femmes,
particulièrement au primaire.
M. Taillon (Patrick) :
Mais les signes religieux ne sont pas le monopole du sexe féminin.
Mme David : Ça, on est
d'accord, mais ça, quand il y a plus de monde, il y a plus de possibilités
qu'il y ait des femmes, par exemple, qui portent le hidjab.
M. Taillon (Patrick) :
J'imagine que, dans le milieu carcéral, il y a plus de chances que ce soient
des hommes.
Mme David : Le même
enseignant qui porterait une barbe, que ça pourrait être un signe religieux
musulman masculin, lui, il pourrait avoir des promotions, pourrait conserver
son emploi. Personne ne dirait rien de son signe religieux.
M. Taillon (Patrick) :
Oui, j'ai compris qu'au sens de cette loi une barbe n'est pas un signe
religieux que l'on porte. Ce n'est pas un signe religieux que l'on peut...
C'est un signe qui est attaché au corps, ce n'est pas un signe que l'on peut
retirer. C'est ma compréhension du projet de loi puis des discours que j'ai
entendus, les intentions ministérielles autour, et je pense que ça montre la
raisonnabilité du projet de loi que de ne cibler que des signes religieux qui
peuvent être retirés par rapport à des signes religieux qui seraient permanents
comme un tatouage.
Le Président (M. Bachand) :Mme la députée.
Mme David : O.K. À la
page 16, vous dites justement : «...tôt ou tard, les tribunaux se
prononceront sur la validité constitutionnelle du projet de loi n° 21.» Je
suis peut-être bien innocente, mais moi, je pensais que tous les efforts du ministre
avec la clause dérogatoire, c'était justement pour éviter ça au moins pour les
cinq prochaines années.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
on dit la même chose, c'est-à-dire que la clause dérogatoire... la disposition
de dérogation, pardon, elle vaut pour cinq ans et est ensuite renouvelable. Et,
pour qu'elle soit renouvelée, il faudra que les élus du peuple, par loi... Donc,
je précise, hein? Ce n'est pas dans un décret gouvernemental à la va-vite. Ça
va prendre une loi du Parlement du Québec, ça va prendre une nouvelle
commission parlementaire pour dire : Est-ce <qu'on va... est-ce >qu'on
poursuit dans cette direction-là? Et je pense qu'il est raisonnable de penser
que l'éternité, c'est long et qu'un jour il y aura un Parlement du Québec avec
une majorité différente qui dira peut-être : Bien, nous, on pense que la
jurisprudence de la Cour suprême a suffisamment évolué... Parce que je pense
que vous avez vu qu'il y a une attention dans mon mémoire pour montrer que les
plaques tectoniques bougent, là, que la Cour suprême s'est isolée, dans les
années 2000, avec une position extrêmement campée et que, depuis, elle essaie
de sortir de cette position-là. Mais il faut lui laisser le temps de compléter
le virage. Puis, un jour, peut-être que les élus que vous êtes, vous pourrez
dire : Bien, ce qui était nécessaire avant ne l'est plus maintenant.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Merci, M. le
Président. Merci, M. Taillon. Vous avez souligné, comme plusieurs
personnes avant vous, que les signes religieux n'étaient pas définis. Vous
l'avez présenté, si j'ai bien compris, comme une bonne chose. Vous avez
dit : On ne s'ingère pas dans le religieux parce qu'on ne définit pas les
signes religieux.
Si je comprends bien, si le ministre
voulait préciser et définir les signes religieux, il serait en train de s'ingérer
dans un débat religieux et il n'agirait pas comme un gouvernement laïque. Est-ce
que je suis bien votre pensée?
M. Taillon (Patrick) :
Sur la définition de signes religieux, moi, ce qui me dérange, c'est le deux
poids, deux mesures. Je n'entends personne critiquer le fait que la Cour
suprême, elle, elle ne veut pas définir ce que c'est, un signe religieux puis
qu'elle laisse chaque individu le définir à sa manière. Ça, ça m'agace parce
qu'il y a comme un double standard. Quand les élus font la même chose, c'est
condamnable, quand les juges le font, c'est merveilleux. À un moment donné, il
faut regarder les choses en face puis dire : Bien non, là, il faut sortir
de cette dichotomie intenable.
Je pense qu'il est sage de ne pas le
définir dans le projet de loi parce que, je veux dire, chaque individu
s'autodéclaire. Donc, si moi, j'ai un signe religieux, je prétends que c'est un
signe religieux, le projet de loi n° 21 s'applique à moi. Si je déclare
que <le signe... >le signe, qui est évidemment un signe religieux
au sens objectif, ne l'est pas au sens subjectif, bien, c'est correct. On
applique alors le régime de droit commun. Il y a, dans le droit commun des
relations de travail, tout ce qu'il faut pour régir le respect de l'uniforme.
Donc, dans un cas ou dans un autre, c'est l'individu qui choisit. Il a l'option
de s'appliquer le projet de loi n° 21 ou de s'appliquer le droit commun.
Le Président (M. Bachand) :
Merci, M. Taillon. M. le député de Jean-Talon, s'il vous plaît...
M. Zanetti : Jean-Lesage.
Le Président (M. Bachand) :Jean-Lesage, pardon. Désolé.
M. Zanetti : Merci. Donc,
si le ministre définit le signe religieux, il agit en contradiction avec la laïcité,
il s'ingère, <il prend un... >il fait un jugement religieux sur quelque
chose, et, s'il ne le fait pas, par contre, bien là vous expliquez... vous
parlez de droit commun, mais l'essentiel des intervenants qui ont critiqué ça,
sauf Mme Houda-Pepin, ils ont dit : Ce ne sera pas applicable à cause
de ça. Et Mme Houda-Pepin, elle, elle a dit : Le hidjab, ce n'est pas
un signe religieux.
M. Taillon (Patrick) :
Bien oui, il y a beaucoup de ces signes qui sont vécus par les gens comme des
signes d'appartenance communautaire.
• (16 h 30) •
M. Zanetti : Donc, ce <projet
de loi...
>
16 h 30 (version révisée)
<17955
M.
Zanetti : ...mais l'essentiel des intervenants qui ont critiqué ça,
sauf Mme Houda-Pepin, ils ont dit : Ce ne sera pas applicable à cause de
ça. Et Mme Houda-Pepin, elle, elle a dit : Le hidjab, ce n'est pas un
signe religieux.
M. Taillon (Patrick) : Bien
oui,
il y a
beaucoup de ces signes qui sont vécus par les gens
comme des signes d'appartenance communautaire.
M. Zanetti : Donc, ce >projet
de loi sera ou non laïque ou inapplicable. Est-ce que vous êtes d'accord avec
cette interprétation?
M. Taillon (Patrick) : Je
ne le sais pas parce que je ne comprends pas ce que vous venez de dire. Mais ce
que je sais, c'est qu'il y a des règles de droit commun sur le port de
l'uniforme ou sur la tenue vestimentaire qui sont liées au droit du travail,
qui n'ont rien à voir avec la Constitution. Quand la liberté de religion
embarque, bien là on a une norme suprême qui vient en quelque sorte tasser le
droit commun des relations de travail. Mais, si la personne dit : Moi,
subjectivement, ce n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'appartenance
communautaire, bien, parfait. Ce n'est pas un signe religieux? Le projet de loi
n° 21 ne s'applique pas. Donc, ce qui s'applique, c'est le droit commun,
et ce qui rend l'intention du législateur, à mon avis, tout à fait gérable.
J'ai de la difficulté à comprendre comment l'absence de définition rend ça
difficile à appliquer. Pour moi, c'est le contraire.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous
plaît.
M. Bérubé : Merci, M. le
Président. Me Taillon, bienvenue à l'Assemblée nationale. Tout à l'heure, ma
consoeur de Marguerite-Bourgeoys a assimilé votre mémoire à une mise en scène,
c'est le terme qu'elle a utilisé, indiquant qu'il y avait peut-être une
orientation politique ou un agenda quelconque, là, qui était sous-jacent à
votre pratique en droit, comme professeur, comme chercheur, à vos convictions
qui proviennent essentiellement de la pratique du droit. Moi, je pense qu'il y
a beaucoup plus que ça. Ça serait réducteur d'affirmer cela, et je tenais à le
corriger.
Ceci étant dit, à travers votre mémoire,
vous identifiez à certains endroits, notamment à la page 23, une
déclaration qui m'apparaît pertinente et qui tend à démontrer que le cadre
juridique actuel ne permet pas au Québec de faire pleinement ses choix. La
clause dérogatoire est à peu près la seule arme qu'on a pour établir un certain
nombre de décisions vers le vivre-ensemble. Vous identifiez, par exemple, que
«dans ces circonstances, seul le recours à la dérogation peut permettre de
rebâtir un équilibre et un modèle de laïcité propre au Québec, sur des bases
conceptuelles raisonnables, mais différentes de celles du modèle canadien».
Dois-je comprendre que, pour une question
aussi fondamentale que la laïcité, tout ce qui nous protège, c'est la clause
dérogatoire? Donc, quels que soient les choix que les élus de l'Assemblée
nationale, dûment élus, vont prendre, ils seront contestés, certains le feront
avec une certaine vigueur, mais tout ce qu'on a pour nous protéger, c'est une
clause dérogatoire qu'il faudra renouveler et au gré des gouvernements qui
seront en place? C'est tout ce qu'on a pour protéger la volonté des élus du
peuple québécois?
M. Taillon (Patrick) :
Bien, c'est tout ce qu'on a...
M. Bérubé : Qu'est-ce
qu'on a d'autre? Je vous le pose différemment.
M. Taillon (Patrick) :
Bien, d'abord, sur l'aspect conviction, moi, j'ai une conviction profonde que
le Québec forme une société distincte et que, dans l'ensemble de la fédération
canadienne, on a une expérience historique unique, une différence à défendre,
puis, oui, ça, ça teinte mon mémoire. Voilà.
Ensuite, sur est-ce que la clause de...
est-ce que la disposition de dérogation est notre seul outil, disons que c'est
notre... à l'heure actuelle dans un débat qui s'est vraiment polarisé, il y a
eu comme une perte du compromis dilatoire dans le dialogue entre les juges et
les élus, notamment autour du projet de loi n° 62 et de sa suspension
immédiate, je dirais que c'est l'outil le plus approprié.
Avec le passage du temps, c'est une
conviction profonde chez moi, mais qui n'est pas scientifique, c'est un pari
que je prends, j'ai confiance que ce projet de loi pourrait faire, avec le
temps, un peu ce qu'on a eu dans le dossier linguistique, c'est-à-dire qu'à un
moment donné il y a un équilibre. Par les faits, par la pratique on démontre
que la neutralité au Québec, c'est vécu différemment, mais que c'est quand même
raisonnable, et que ça fonctionne bien, et que, dans ces circonstances-là, dans
quelques années, probablement qu'il ne sera plus nécessaire d'avoir cette
dérogation-là.
Donc, ultimement, sans dérogation, il y a
moyen de dialoguer avec la Cour suprême. C'est juste que le dialogue a
tellement échoué dans les dernières années, que, là, pour repartir sur des
bases conceptuelles différentes, je pense que c'est important de faire pause
pour un temps puis dire : Bon, bien là le législateur reprend la parole.
Est-ce que ça sera comme ça pour l'éternité? Je ne pourrais pas vous le dire.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. Taillon. Je tiens à vous remercier beaucoup pour votre
contribution.
Je vais suspendre les travaux quelques
instants pour accueillir M. Pierre Bosset. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 16 h 34)
<
>
(Reprise à 16 h 36)
Le Président (M. Bachand) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup. La commission reprend ses travaux.
Et, au nom de la commission, je souhaite la bienvenue à M. Pierre Bosset
et je l'invite à débuter son exposé pour 10 minutes. Et après ça nous
allons débuter notre période d'échange. M. Bosset, bienvenue, et la parole
est à vous.
M. Pierre Bosset
M. Bosset (Pierre) :
Merci, M. le Président de la commission. M. le ministre, mesdames et messieurs
les membres de la commission, je tiens à vous remercier d'abord de m'avoir
invité à vous présenter mes remarques sur le projet de loi, elles sont sévères.
Selon moi, le principal mérite du projet
de loi est de formaliser la laïcité de l'État, donc une valeur pédagogique,
aussi de nous rappeler que la laïcité repose sur des grands principes. Ce sont
les deux premiers articles du projet de loi. Voilà pour les fleurs.
Maintenant vient bien sûr le pot ou, je
devrais dire, les pots. Je n'ai à ma disposition que 10 minutes, alors je
m'en tiendrai aux remarques que vous trouverez à partir de la page 12 de
mon mémoire.
Ma première critique. Non seulement les
quatre principes de la laïcité sont-ils déjà reconnus dans notre droit et
depuis fort longtemps, mais ils ne s'opposent pas, aucunement, à l'expression
individuelle des croyances ou des appartenances religieuses par des agents de
l'État tant et aussi longtemps que la neutralité de l'État demeure respectée
sur le fond. À l'heure actuelle, la séparation de l'État et des religions, par
exemple, est un fait accompli à la fois sur le plan juridique et sur le plan
institutionnel. Il ne subsiste plus, aujourd'hui au Québec, que certaines
pratiques symboliques en voie de disparition, comme la présence de crucifix ou
de croix dans certains édifices publics ou encore la récitation de prières dans
certains conseils municipaux. Mais ces pratiques ne sont pas abordées dans le projet
de loi n° 21, qui nous présente, somme toute, une
vision assez sélective de la laïcité.
Et quant à la neutralité religieuse de
l'État, un autre principe de la laïcité, eh bien, il faut distinguer, dans
notre droit, entre l'État et la personne de ses agents. C'est une neutralité de
reconnaissance, je ne dirais pas neutralité passive, mais neutralité de
reconnaissance qui n'exclut pas l'expression individuelle des croyances
religieuses, et ce, tant et aussi longtemps que la conduite de l'agent, dans
ses fonctions, ne favorise ni ne défavorise personne à cause de l'appartenance
ou non à une religion.
Bref, en proposant des interdictions qui
sont fondées uniquement sur le port individuel de signes religieux, le projet
de loi dénature, selon moi, les principes juridiques de la laïcité qui sont
énoncés dans l'article 2 et tels qu'ils sont reconnus au Québec. On peut
même dire que l'intitulé du projet de loi, Loi sur la laïcité de l'État,
représente un détournement de langage.
En ce qui concerne l'interdiction des
signes religieux proprement dits, mon mémoire aborde trois cas : les
juges, les policiers et les enseignants. Si on veut justifier une interdiction
des signes religieux qui s'adresse spécifiquement aux enseignants, c'est la
liberté de conscience et de religion des élèves qu'il faut essayer de
mobiliser, ce qui a été rappelé hier, entre autres, par M. Guy Rocher, que
je salue. Mais gardons à l'esprit que la loi sur la neutralité religieuse de
l'État, adoptée ici même en 2017, oblige déjà les enseignants et beaucoup
d'autres à faire preuve de neutralité religieuse dans l'exercice de leurs
fonctions.
Comme l'essentiel est déjà présent, on
peut se demander, et je vous demande, en quoi il serait devenu nécessaire,
depuis 2017, d'adopter des règles visant spécifiquement l'apparence
vestimentaire du corps enseignant. Comme l'ont signalé devant vous depuis une
semaine plusieurs intervenants scolaires, aucun cas documenté n'a été rapporté
où le port d'un signe religieux par une enseignante, je parle ici au féminin à dessein,
serait entré en conflit avec la liberté de conscience ou de religion d'un
élève, même M. Rocher en convenait hier.
• (16 h 40) •
Mais il y a encore plus fondamental que
ça. En effet, la Cour suprême a très clairement statué, dans son arrêt sur le cours
d'éthique et de culture religieuse, que le fait d'exposer des enfants à des
faits de diversité religieuse ne porte pas par lui-même atteinte à la liberté de
conscience ou de religion des enfants. L'exposition précoce des enfants, y
compris d'enfants en très bas âge, à des réalités autres que celles qu'ils
vivent dans leur environnement <familial immédiat constitue...
M. Bosset (Pierre)T :
...que le fait d'exposer des enfants à des faits de diversité religieuse ne
porte pas par
lui-même atteinte à la liberté de conscience ou de
religion des enfants. L'exposition précoce des enfants, y compris d'enfants en
très bas âge, à des réalités autres que celle qu'ils vivent dans leur
environnement
>familial immédiat constitue tout simplement, écrit la cour, je cite :
«...un fait de la vie en société.»
Ma conclusion sur ce point, les enseignants,
est la suivante : une tentative du législateur d'interdire de manière
aussi générale aux enseignantes et aux enseignants de porter des signes
religieux rencontrera des obstacles juridiques et ne réussira probablement pas
à passer le fameux test des tribunaux. En définitive, la neutralité de l'État
doit s'apprécier d'abord et avant tout par la façon dont un agent s'acquitte de
ses fonctions. Malheureusement, le projet de loi va bien au-delà de ce qui est nécessaire
pour atteindre cet objectif.
J'aborde maintenant le comment du projet
de loi, c'est-à-dire la technique utilisée. Le fait que le projet de loi
propose de déroger aux chartes québécoise et canadienne a déjà été amplement
commenté et discuté ici même, entre autres. Mais a-t-on vraiment pris
conscience de toute la portée et de la gravité de ce geste? Pour être clair, le
projet de loi n° 21 prévoit qu'il s'appliquerait
malgré 38 articles de la charte québécoise et malgré 10 articles de
la charte canadienne. Vous en trouverez d'ailleurs une très longue énumération
aux pages 26, 27 et 28. Il m'a fallu deux pages et demi pour les énumérer.
Cette liste donne le vertige et, j'oserais dire, la nausée. Elle montre jusqu'à
l'absurde toute l'ampleur du geste. Cette ampleur est hors de proportion par
rapport à l'objectif du projet de loi, qui est, selon les notes explicatives,
d'affirmer la laïcité de l'État et de préciser les exigences qui en découlent.
Les dérogations affectent des droits ou
libertés dont l'exercice ne menace aucunement de compromettre la laïcité.
Dois-je rappeler ici que dans le passé, lorsque des dérogations ont été faites
par l'Assemblée nationale au nom d'intérêts jugés supérieurs, par exemple la
protection du visage français du Québec dans l'affichage, le législateur a eu
la sagesse, à l'époque, de limiter ses dérogations aux droits les plus
pertinents sans affecter d'autres droits plus périphériques dans ce contexte. Le
moins qu'on puisse dire, c'est que le projet de loi n° 21
n'a pas ce sens de la mesure.
Les dérogations aux chartes permettront,
dit-on, de couper court aux contestations judiciaires et de régler ainsi de
manière péremptoire, un peu à la manière d'un monologue et non pas d'un
dialogue, un débat qui traînerait en longueur, bref de tourner la page. Or, il
est loin d'être certain qu'elles auront cet effet. Dans mon mémoire, j'énumère,
aux pages 28 et 29, cinq motifs juridiques de divers ordres qui permettraient à
tout le moins de contester soit la portée des dérogations, soit la manière dont
il en fait usage dans le projet de loi. Je vous y réfère. Cela, je le précise,
n'enlève rien au caractère intrinsèquement odieux des dérogations qui sont
contenues dans le projet de loi.
Par ailleurs, le projet de loi propose
deux modifications au texte même de la charte québécoise. L'une d'elles, qui
vise l'article 9.1, concerne les grands équilibres que la charte établit très
soigneusement entre la garantie des droits, d'une part, et la possibilité d'en
fixer la portée ou même d'en aménager l'exercice. Est-ce que le législateur est
conscient du précédent qu'il créerait en modifiant, sans consensus et de façon
accélérée, ce texte fondamental? Je ne suis pas de ceux qui prétendent qu'il
existe une convention constitutionnelle qui s'y oppose. Il a cependant une
pratique.
À la page 32 de mon mémoire, je présente
un tableau qui met deux choses en lumière. Premièrement, chacune des
modifications de fond qui ont été apportées à la charte, j'entends ici les
modifications qui touchent les droits et libertés eux-mêmes, en l'occurrence les
articles 1 à 48, eh bien, <aucune... >chacune de ces modifications
a étendu la portée des droits et des citoyens, le dernier exemple étant
l'insertion d'un nouveau motif de discrimination en 2016, l'identité de genre.
Et aucune de ces modifications de fond n'a été adoptée, je le précise, sous la
menace du bâillon.
Deuxièmement, c'est le consensus qui
préside aux modifications de fond que le législateur apporte à la charte. Deux,
seulement, des 18 lois qui ont modifié sur le fond la charte ont donné
lieu à un vote sur division. Chaque fois, il n'y a jamais eu plus d'un ou deux
députés qui ont voté contre. Les formations politiques, elles, avaient donné
leur plein appui aux modifications. En fait, aucune modification de fond n'a
été apportée à la charte depuis 44 ans, depuis qu'elle existe, qui n'a
donné suite à des demandes claires et consensuelles émanant de la société et à
une problématique sociale solidement documentée.
À l'avenir, ce n'est pas l'objet du projet
de loi, bien sûr, mais je porte à votre attention qu'à l'avenir l'Assemblée
nationale devra mieux protéger la charte québécoise contre des modifications
mal avisées ou qui marqueraient des <reculs pour les droits...
M. Bosset (Pierre) :
…et consensuel émanant de la
société et à une
problématique
sociale solidement documentée.
À l'avenir… ce n'est pas l'objet du
projet
de loi,
bien sûr, mais je porte à votre attention qu'à l'avenir
l'Assemblée
nationale devra mieux protéger la charte
québécoise contre des
modifications malavisées ou qui marqueraient des >reculs pour les droits
des citoyens. En attendant, vous devez prendre conscience du précédent que vous
créeriez en modifiant sans consensus et de façon peut-être accélérée ce document
unique dans notre histoire qu'est la charte.
En conclusion, vous ne serez pas étonnés
d'entendre que je ne suis pas favorable à l'adoption du projet de loi
n° 21. Je viens de vous en exposer les principales raisons juridiques.
Mais je me préoccupe aussi, et cette fois comme citoyen, du sort de certains de
mes concitoyens, qui sont les vôtres aussi, comme moi, d'honnêtes gens qui,
avec leurs aptitudes, leurs compétences, leurs rêves, souhaitent <contribuer...
>continuer de contribuer à la société québécoise et que ce projet de
loi, malheureusement, risque d'affecter injustement. Bref, ceux-là mêmes
auxquels les pressantes audiences n'accordent qu'une place, disons-le,
marginale.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup.
M. Bosset (Pierre) :
Rappelons pourtant que la défense d'un intérêt collectif supérieur n'a pas
nécessairement à passer par des atteintes aux droits fondamentaux des citoyens.
Évoquons ici pour conclure un autre texte fondamental, la Charte de la langue
française. Plusieurs ont peut-être oublié que, dans sa toute première version
déposée à l'Assemblée nationale, le projet de loi n° 1 de l'époque, cette
charte prévoyait qu'elle s'appliquerait malgré la Charte des droits du Québec.
Ce projet initial fut retiré, toutefois. On déposa plutôt un deuxième projet de
loi qui, lui, allait devenir la loi 101 et qui, lui, reconnaissait la
suprématie de la Charte des droits. Cet épisode nous rappelle qu'il est
possible de poursuivre un intérêt collectif supérieur tout en faisant preuve
d'élévation morale et politique. Je vous remercie.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. Nous allons passer à la
période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Bosset. Merci d'être présent en
commission parlementaire pour nous donner vos commentaires sur le projet de loi
n° 21.
Sur votre conclusion, vous dites : «...il
est possible de [faire] preuve d'élévation morale et politique.» Qu'est-ce que
vous voulez dire par là?
M. Bosset (Pierre) :
Élévation morale, j'entends une préoccupation pour le respect des droits
fondamentaux des citoyens et, élévation politique, j'entends un sens du
compromis.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Alors, bien, écoutez, je ne le prendrai pas personnel, là, mais je représente
la position du gouvernement. Mais vous pensez que le gouvernement du Québec,
par mon entremise, on ne prévoit pas de faire preuve d'élévation morale et
politique.
M. Bosset (Pierre) : Je
ne fais de procès d'intention, jamais, à personne. Je constate des textes, je
constate ce que d'aucuns considèrent comme étant les effets possibles de ce
projet de loi et j'en tire des conclusions.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Vous comprendrez que je ne partage pas vos conclusions que vous tirez de
l'analyse du projet de loi. Et certainement que... Bien, rétablissons quelques
éléments. Vous dites : Écoutez, un projet de loi qui vise à modifier la
Charte des droits et libertés de la personne, qui a une menace de bâillon… Moi,
je n'ai jamais dit ça. Jamais.
M. Bosset (Pierre) :
Tant mieux.
M. Jolin-Barrette :
Alors, pourquoi vous l'affirmez?
M. Bosset (Pierre) :
Parce que, de certaines déclarations gouvernementales, je ne parle pas de vous
en particulier, mais de certaines déclarations gouvernementales, plusieurs ont
inféré que, si nécessaire, le gouvernement entendait procéder de la sorte.
M. Jolin-Barrette :
Respectueusement, la majorité des déclarations qui sont venues en ce qui a
trait à utiliser la procédure d'exception sont venues du côté de mes amis du
Parti libéral pour instrumentaliser ce débat-là, pour dire : Écoutez, ah!
c'est ça, ça va être adopté sous bâillon.
Moi, j'ai toujours souhaité, dans le cadre
du projet de loi n° 21, après notamment 10 ans de débat, qu'on puisse
tous ensemble adopter un projet de loi qui va faire avancer la société
québécoise. Je comprends que vous ne partagez pas mon avis là-dessus. Mais, à
partir du moment où ça fait plus de 10 ans qu'on débat de cette
question-là puis qu'on arrive avec un projet de loi qui est modéré, qui est
pondéré et qui est soutenu par une large partie de la population, je pense que,
comme parlementaires, on doit travailler sérieusement puis se dire : Bien,
pourquoi n'essayons-nous pas d'adopter le projet de loi le plus rapidement
possible? Mais ça, ça appartient à l'univers politique, et puis on va essayer
de s'élever politiquement et moralement ensemble entre parlementaires pour
essayer d'arriver à un succès, je vous dirais, pour l'adoption du projet de
loi.
• (16 h 50) •
Bon, sur la <question de
l'utilisation de la…
M. Jolin-Barrette :
...mais ça, ça appartient à l'univers
politique, et puis on va essayer
de s'élever
politiquement et moralement ensemble, entre
parlementaires,
pour essayer d'arriver à un succès,
je vous dirais, pour l'adoption du
projet de loi.
Bon, sur la >question de
l'utilisation de la disposition de dérogation, vous êtes en désaccord avec
l'utilisation de la disposition de dérogation, mais vous avez dit tout à
l'heure : Écoutez, il n'y a pas de convention constitutionnelle qui nous
empêche de le faire. Donc, c'est possible de le faire. C'est possible que les
parlementaires québécois, par le biais de l'Assemblée nationale, utilisent le
recours aux dispositions de dérogation dans le cadre d'un texte de loi.
M. Bosset (Pierre) :
Lorsque je parlais de l'inexistence d'une convention constitutionnelle, je ne
parlais pas de la dérogation aux deux chartes. Je parlais des modifications à
la charte québécoise.
M. Jolin-Barrette :
O.K., à la modification... Donc, vous, vous dites : On l'a modifiée deux
fois sur division, alors que le Pr Taillon, avant vous, disait quatre fois.
M. Bosset (Pierre) :
Moi, je m'attarde aux modifications au fond de la charte, à la partie I, les 48
premiers articles. Dans ces modifications-là, il y a eu deux fois, en l'espace
de 44 ans, un vote sur division, un député ou deux députés au maximum.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Mais donc il n'y a pas de règle, le législateur n'a pas prévu de règle qui
prévoit que ça doit requérir x nombre de députés pour modifier la charte.
M. Bosset (Pierre) :
Non, absolument pas, et c'est pourquoi, dans mon mémoire, je propose... enfin,
je suggère, parce que ce n'est pas l'objet du projet de loi, mais je suggère
qu'à l'avenir la charte québécoise soit modifiée justement pour mieux la
protéger.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Quand on dit protéger, je dirais, il faut pouvoir bonifier aussi la Charte des
droits et libertés de la personne. Le fait d'inscrire la laïcité dans la Charte
des droits et libertés de la personne, pour vous, ça ne serait pas une
bonification?
M. Bosset (Pierre) :
J'ai commencé en disant que vous méritiez des fleurs pour les deux premiers
articles du projet de loi. C'est ce que j'avais en tête. Oui, énoncer la
laïcité, bravo! Dans la charte, pourquoi pas? Est-ce que l'article 9.1 est le
meilleur endroit pour le faire? Je n'en suis pas convaincu, mais on pourrait en
débattre. Ce n'est pas le coeur de ma critique. Là où j'ai des problèmes, ce
n'est pas avec les deux premiers articles, c'est avec tout le reste. Et là vous
m'amenez sur le fond. Les principes de la laïcité n'appliquent pas tout ce qui
suit les deux premiers articles du projet de loi. Dans mon mémoire, j'explique
pourquoi.
M. Jolin-Barrette : Mais
supposons à... Vous, vous faites référence à l'interdiction du port de signes
religieux par certaines personnes.
Mais revenons sur le fait de l'inscrire dans
la Charte des droits et libertés de la personne. Vous dites : 9.1, ce
n'est pas la bonne place, peut-être. Pourquoi ça ne serait pas le bon endroit?
M. Bosset (Pierre) :
C'est un beau débat intellectuel. Mon idée n'est pas faite là-dessus. Pas de problème
avec le préambule. Entre vous et moi, là, la modification au préambule, oui. Il
ne faut pas que le préambule devienne une liste d'épicerie, mais il est encore
équilibré. Ça va.
9.1, c'est un article qui joue un rôle
important dans la charte. C'est lui, le contrepoids, hein? C'est lui qui
dit : Voici comment et pourquoi le législateur peut limiter la portée d'un
droit fondamental, comme ici la liberté de religion. Le projet de loi fait de
la laïcité un contrepoids à l'exercice des libertés fondamentales. Moi, j'ai
toujours vu la laïcité comme un moyen d'assurer l'exercice des libertés
fondamentales. Historiquement, ça a été ça. C'était ça en France, à tout le
moins jusqu'en 2004, à peu près, jusqu'à ce qu'on réinterprète la laïcité
là-bas. Mais historiquement, philosophiquement, la raison d'être de la laïcité,
c'est de permettre à chacun d'exercer sa liberté fondamentale de conscience ou
de religion. Ce n'est donc pas un contrepoids à l'exerce de ces libertés-là.
C'est un moyen d'y arriver.
Alors, moi, si j'avais été à votre place,
j'aurais peut-être vu l'article... la mention de la laïcité dans l'article 3,
qui énonce les libertés fondamentales, et j'aurais dit, par exemple : Les
libertés de religion et de conscience sont servies, sont assurées par la
laïcité de l'État. Mais, bon, on peut en débattre.
M. Jolin-Barrette :
Mais, dans le concept de laïcité de l'État, un des principes, c'est la liberté
de conscience et la liberté de religion, mais ce n'est pas uniquement le seul
principe. Il y a aussi le principe de la séparation entre l'État et les
religions.
M. Bosset (Pierre) :
Tout à fait.
M. Jolin-Barrette :
Alors, ça, c'est important aussi, que les droits et libertés fondamentaux
soient interprétés à la lumière de ça, comme ils sont interprétés à la lumière
de l'intérêt général et du bien-être. Non?
M. Bosset (Pierre) :
Oui, pas de problème avec ça non plus. La séparation de l'Église et de l'État
est déjà assurée de toute façon. Elle existe déjà. Les derniers vestiges du
lien entre l'État et les religions sont disparus au Québec au milieu des années
2000, lorsqu'on a déconfessionnalisé le système scolaire.
M. Jolin-Barrette : Mais
elle existe dans les faits ou elle existe dans les lois québécoises?
M. Bosset (Pierre) :
Elle existe dans les faits, et ça a été consacré dans des lois adoptées par
l'Assemblée nationale au fil des années, pas avec les mots spécifiques
«séparation de l'Église et de l'État», mais, dans les faits, la séparation
existe déjà.
M. Jolin-Barrette : Mais
vous êtes un juriste. Vous savez la portée et l'importance du fait d'inscrire
dans nos lois la laïcité parce que les tribunaux, là, dans <Mouvement
laïque québécois, là, parlent de...
M. Bosset (Pierre) :
...spécifique,
séparation de l'Église et de l'État, mais, dans les
faits, la
séparation existe
déjà.
M. Jolin-Barrette :
Mais vous êtes un juriste, vous savez la portée et
l'importance du fait
d'inscrire dans nos lois la
laïcité.
Parce que les tribunaux, là,
dans >Mouvement laïque québécois, là, parlent de laïcité, à un moment
donné, parlent de neutralité religieuse. Ils mélangent les concepts. Le premier
ministre fédéral nous dit : Ah! le Canada est un État laïque. Moi, je n'ai
jamais vu aucune loi qui faisait état de la laïcité. On parle de neutralité.
Mais vous conviendrez avec moi que la neutralité puis la laïcité, ce n'est pas la
même chose.
M. Bosset (Pierre) : La laïcité
est plus large que la neutralité, de ce point de vue là, effectivement, mais où
est le besoin de consacrer de cette façon la laïcité? Je n'ai pas de problème
avec l'énoncé du principe, là. Je vous ai lancé des fleurs au début, ce n'est
pas pour rien. Mais, malheureusement, le lien logique n'existe pas avec tout ce
qui est proposé concrètement dans le projet de loi.
M. Jolin-Barrette :
Bien, moi, je vous dirais : Écoutez, si on dit : Un État est laïque,
il faut que ça se répercute dans les lois. Elle est là, la logique. Ça, là,
c'est la base de... Lorsqu'on affirme quelque chose, bien, il faut que notre
corpus législatif en fasse état. Je pense que c'est le minimum. Je comprends
que vous n'êtes pas d'accord avec le reste sur l'interdiction du port des
signes religieux, mais, sur le concept même de dire : Dans nos lois, on
inscrit la laïcité, il faut que ce soit présent.
Bon, parlons justement des signes
religieux, là. Est-ce que vous pensez que le port d'un signe religieux par un
enseignant, ça peut avoir un impact sur la liberté de conscience et de religion
d'un élève?
M. Bosset (Pierre) : Les
scientifiques, ceux qui sont dans le domaine de l'enseignement, ceux qui, donc,
travaillent dans le domaine des sciences de l'éducation vous diront qu'aucune
étude ne permet d'affirmer ni pour ni contre. Il n'existe pas d'étude qui
démontre l'une ou l'autre approche.
Hier, on a fait état du principe de
précaution. Le principe de précaution n'est pas un motif qui justifie à lui
seul qu'on porte atteinte à des droits fondamentaux. En fait, ce que la
jurisprudence exige au Canada, c'est, au contraire, la démonstration d'un
intérêt supérieur.
Dans l'affaire du cours d'éthique et de
culture religieuse, on avait affaire à quelque chose de bien pire, entre
guillemets, que le port d'un signe religieux, c'était l'imposition, par l'État,
d'un cours obligatoire à l'ensemble des élèves du Québec à partir d'un très
jeune âge, même dans les écoles privées. Et, même ça, la Cour suprême a refusé
de voir là-dedans une atteinte à la liberté de conscience et de religion des
enfants. Alors, comment pourrait-elle voir aujourd'hui, dans le fait qu'une
enseignante, à titre individuel, porte dans sa salle de classe un foulard, par
exemple, porte atteinte à la liberté de religion ou de conscience d'un élève?
Je ne vois pas comment la Cour suprême pourrait arriver à cette conclusion-là.
M. Jolin-Barrette : Mais
par contre, le fait d'être soumis à un symbole religieux fixe au mur, ça, ça
l'est parce que, dans le fond, dans un document de la Commission des droits de
la personne, qui a été signé par vous, Pratiques et symboles
religieux : quelles sont les responsabilités des institutions, on
affirme de manière générale : «Lorsqu'une clientèle vulnérable et captive
est exposée à un symbole religieux, l'institution, par prudence, devrait
néanmoins veiller à respecter les libertés fondamentales de ces personnes en
évitant de donner au symbole un caractère trop ostentatoire.»
Les conditions entourant le port d'un
signe religieux par un enseignant sont similaires, quand même, à celles du fait
d'être exposé à un signe religieux dans une classe, non?
M. Bosset (Pierre) : La
différence avec cette question-là, du crucifix dans les écoles, qui n'existe
plus d'ailleurs, en passant, à ma connaissance, au Québec, ça existe ailleurs,
la différence, là, c'est que le crucifix, quand il était sur le mur d'une
école, il était associé à l'école elle-même, il avait une dimension
institutionnelle. Et c'est pareil pour le crucifix qui est ici, à l'Assemblée
nationale, soit dit en passant, qui, je le précise, je ne veux pas qu'on
embarque là-dessus, mais je tiens quand même à le préciser, à mon avis, le
crucifix qu'on retrouve ici, à l'Assemblée nationale, ne porte pas atteinte aux
droits fondamentaux de personne, il est là d'une manière qui est inexcusable
d'un point de vue d'éthique politique, il n'a pas sa place, mais pas parce
qu'il porte atteinte à des droits. C'est des adultes qui sont ici et qui voient
le crucifix. Dans le cas des crucifix dans les écoles publiques, lorsqu'il en
existait, c'était l'association entre le crucifix et l'institution même qui
posait problème, ce qui n'est pas le cas avec le cas d'une enseignante voilée.
M. Jolin-Barrette : Non,
non, mais prenons le cas, là... moi, je suis un enseignant, là. Donc, vous,
vous voyez une différence entre le fait, là, qu'il y ait un crucifix qui est
accroché en haut de ma tête, là, donc, le crucifix qui est en haut de ma tête,
ça, il y a une problématique pour les enfants dans la classe, mais, moi, si je
porte un crucifix sur moi de façon ostentatoire, ça, il n'y a pas de problème
parce que moi, je suis l'enseignant, mais, à cause que c'est attaché au mur,
ça, il y a un problème.
M. Bosset (Pierre) :
Bien, la question est hypothétique, évidemment, parce qu'il n'y a pas de
crucifix, à ma connaissance, sur les murs des écoles...
M. Jolin-Barrette : Mais
pratico-pratique, là...
M. Bosset (Pierre) :
...mais la différence, c'est celle que je viens de vous expliquer entre l'État et
les individus. C'est la différence que fait la Cour suprême depuis plusieurs
années.
• (17 heures) •
M. Jolin-Barrette : Mais
prenons le cas, à ce moment-là, du tribunal, prenons le cas du fait qu'il y a
un crucifix qui est installé dans le fond de la salle de cour et que le juge
porte un crucifix. Est-ce que, là-dessus, il y a une <différence? Est-ce
qu'il y a une...
>
17 h (version révisée)
< M. Bosset (Pierre) :
...et les individus. C'est la différence que fait la Cour suprême depuis
plusieurs
années.
M. Jolin-Barrette :
Mais prenons le cas,
à ce moment-là, du tribunal, prenons le cas du fait
qu'
il y a un crucifix qui est installé dans le fond de la salle de cour
et que le juge porte un crucifix. Est-ce que, là-dessus,
il y a une >différence?
Est-ce qu'il y a une apparence de partialité ou d'indépendance qui est en
compte par rapport au juge s'il porte un crucifix?
M. Bosset (Pierre) : Je
vous donnerai la même réponse. La présence d'un crucifix dans une salle de
tribunal pose un problème institutionnel. Le port d'une croix — je ne
connais pas de personne qui porte des crucifix, hein, ce serait trop
lourd — donc, le port d'une croix par un juge, lui, ne pose pas
nécessairement le même problème, puisque — dans mon mémoire,
j'explique d'ailleurs en long et en large pourquoi — les juges sont
présumés impartiaux et que l'on ne doit pas se fier uniquement sur leur
apparence pour en tirer la conclusion qu'ils sont devenus soudainement
partiaux.
M. Jolin-Barrette :
Donc, un justiciable qui se présente devant la cour, pour vous, le fait qu'un
juge porte un signe religieux... Supposons, là, en matière criminelle, un juge
n'est pas de la même confession, vous pensez que ça n'aura pas d'impact sur la
perception, qu'elle soit objective ou subjective, de la part du prévenu sur la
façon dont il sera jugé.
M. Bosset (Pierre) : Ce
que je dis, c'est qu'on ne pourra pas présumer que le juge est devenu partial
du fait qu'il porte un signe religieux. Par contre, si ce juge porte un signe
religieux d'une confession x et que l'accusé, d'une confession y, l'accusé
pourra demander la récusation du juge. C'est déjà prévu dans les mécanismes
généraux de la procédure pénale ou de la procédure civile.
M. Jolin-Barrette : Non,
non, mais, attention, là. Là, vous pensez, là, que le juge, là, il va dire,
suite à une requête en récusation, il va dire : Bien non, je suis partial
parce que je suis catholique ou je suis partial parce que je suis juif.
M. Bosset (Pierre) : Il
peut le faire, il a tout à fait la latitude pour le faire, et son juge en chef
peut le lui imposer si, d'avance, il connaît le problème que ça risque de
poser.
M. Jolin-Barrette :
Donc, ce que vous me dites, c'est que le crucifix sur le mur, dans la salle de
cour, ça dérange, mais le juge, lui, qui porte une croix dans son cou, ça, au
niveau de l'apparence de justice, ça n'a pas d'impact.
M. Bosset (Pierre) :
C'est toujours cette distinction entre l'État et l'individu.
M. Jolin-Barrette : O.K. Respectueusement,
je ne peux qu'être en désaccord avec la position que vous défendez parce que,
si c'est bon pour les murs, je pense que c'est encore plus fort pour les
individus qui représentent l'État dans leurs fonctions, même régaliennes, du
fait de dire : les gens vont rendre justice, notamment... Les policiers,
supposons, qui interceptent quelqu'un... Les agents de la faune, ils sont venus
hier, ils nous ont dit l'importance de l'uniforme. Le fait que, lorsqu'un
policier intervient et qu'il porterait un signe religieux dans le cadre d'une
intervention, la perception de l'individu qui se fait arrêter, sur le plan de
la neutralité, même l'apparence de neutralité, vous ne pensez pas, là, que la
personne qui incarne l'État, avec une arme à feu, en plus, qui arrête
l'individu, qui intercepte l'individu, que, lui, là, ça n'a pas d'importance au
niveau de l'apparence? La fédération... la fraternité des policiers et des
policières de la ville de Montréal disait : «...dans leur travail
quotidien, les policiers et les policières de Montréal entrent en contact avec
des personnes de toutes les confessions religieuses. Nous estimons donc que
l'apparence de neutralité représente un atout dans l'exercice de la fonction,
évitant que des symboles religieux n'influencent la perception des justiciables
quant à l'impartialité des agents de l'État.»
Les gens, là, qui sont sur le terrain, là,
il y a 5 000 policiers à la ville de Montréal, là, c'est ça qu'ils
pensent. Vous ne pensez pas qu'ils ont raison à ce niveau-là, qu'ils n'incarnent
pas l'État en soi, l'institution de l'État?
M. Bosset (Pierre) : Mon
mémoire est très nuancé là-dessus. Je reconnais l'importance de cette question.
Mon mémoire est d'ailleurs beaucoup moins affirmatif sur cette question que sur
d'autres corps d'emploi. Ce que je mets en évidence dans mon mémoire, c'est
l'équilibre qu'on doit rechercher entre la préservation de cette perception de
neutralité de la part du public et aussi l'importance pour les corps policiers
d'être représentatifs des populations qu'ils sont appelés à servir. On peut
même imaginer des cas où un policier va être mieux reçu dans certains milieux
parce qu'il est associé à une confession religieuse en particulier. Et, à
l'heure actuelle, la Loi sur la police, telle que vous l'avez modifiée, là, pas
vous, mais vos prédécesseurs il y a deux ans, donne une marge de manoeuvre aux
corps policiers pour justement tenir compte de ce genre d'impératif là. Il y a
une grande sagesse pratique dans cet article de la Loi sur la police.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Merci
beaucoup, Me Bosset, d'être ici. Comme j'ai dit tout à l'heure, c'est une
après-midi intense. Peut-être que la façon dont on interagit, et je m'inclus
là-dedans, je fais mon autocritique, est peut-être un peu trop incisive, des
fois. Alors, je me parle, et puis je pense que le ministre est d'accord avec
moi, on veut des discussions sereines, on veut des discussions où on ne va pas <se...
>régler des comptes entre nous à travers nos invités. Donc, je n'irai
pas sur un certain nombre de sujets parce que vous êtes venu, vous avez fait un
gros travail, et puis c'est déjà suffisamment compliqué, toutes les notions,
surtout avec le professeur qui vous a précédé. Alors là, pour des profanes
comme nous, là, c'est quelque chose, d'essayer de concilier tout ça. Mais une
chose est <sûre, tous tant que nous...
Mme David : ...pas sur
un certain nombre de sujets, parce que vous êtes venu, vous avez fait un gros
travail, et puis c'est
déjà
suffisamment compliqué, toutes les
notions, surtout avec le professeur qui vous a précédés. Alors là, pour des
profanes comme nous, là, c'est
quelque chose d'essayer de concilier tout
ça. Mais une chose est >sûre, tous tant que nous sommes dans cette salle
et ailleurs, on veut tous le bien du Québec puis on veut tous aller vers un Québec
qui rassemble et qui ressemble à qui nous sommes. On peut avoir des façons
différentes d'y arriver, mais on veut tous le bien du Québec autant que nous
sommes dans les élus, en tout cas, j'en suis convaincue.
Alors, on va continuer notre discussion
avec votre ton très calmant, et je trouve que c'est très, très bien, puis vous
avez réponse à nos questions. Et, comme dit le ministre, on peut ne pas être d'accord,
et puis ce n'est pas plus grave que ça. C'est un débat qui, effectivement, est très,
très, très complexe.
Mais je veux essayer de comprendre à la page
13, parce que, dans votre synthèse, vous dites qu'il faudrait même changer
l'intitulé du projet de loi. L'intitulé, c'est un grave détournement de
langage. Alors, expliquez-nous un peu plus ou comment vous suggéreriez de
l'appeler en fonction de ce que vous avez lu ou de ce qu'il contient.
M. Bosset (Pierre) : Une
réponse courte à votre question?
Mme David : Si possible.
M. Bosset (Pierre) :
Oui. Loi sur l'interdiction du port de signes religieux par les agents de
l'État exerçant certaines fonctions.
Mme David : O.K. Alors,
je conclus de ça, d'une réponse que vous avez donnée au ministre probablement,
je suis d'accord avec l'article 1, avec l'article 2, puis c'est après ça que
les pots arrivent et... les fleurs étaient au début, mais après ça les pots
arrivent, c'est-à-dire que vous n'êtes pas d'accord avec la définition ou
l'approche de la laïcité prônée dans le projet de loi, ce n'est pas de la laïcité
selon vous. Est-ce que j'interprète bien?
M. Bosset (Pierre) :
Vous interprétez bien.
Mme David : O.K. Allons à
vos pages, justement, 25 et plus. Et là, vraiment, c'est une question, quand
j'ai vu ça, j'ai dit : Oh là là! C'est vrai. Il me semble que c'est
beaucoup de choses, pages 25, 26, 27, 28. Mais, pour les nombreux profanes que
nous sommes, pouvez-vous expliquer ce que vous trouvez assez grave et sérieux
pour dire : J'en ai eu pour trois pages à dire ce que ça touchait comme
droits.
M. Bosset (Pierre) :
Alors, le projet de loi, il utilise au maximum les deux clauses dérogatoires.
Dans la charte québécoise, on peut déroger aux articles 1 à 38, dans la Charte
canadienne, aux articles 2 et 7 à 15. C'est à tout ça que ça déroge.
Alors, dans le cas de la charte
québécoise, je vais m'en tenir à la charte québécoise ici, la charte est
divisée en chapitres et en sections. Alors, il y a une section qui concerne les
libertés fondamentales. Là-dedans, il y a le droit à la vie, par exemple, il y
a le droit au secours, il y a le droit à la vie privée, il y a le droit au
secret professionnel, et ainsi de suite. Il y a le droit à l'égalité avec 14
motifs de discrimination. Il y a les droits politiques, droit de vote, droit
d'être candidat aux élections. Et il y a une longue série de droits
judiciaires, le droit d'un détenu, par exemple, d'être traité avec humanité et
respect.
Alors, c'est à tout ça qui est dérogé dans
le projet de loi. Tout ça n'a pas de lien avec la laïcité. Je comprendrais si
c'était la liberté de religion ou le droit à l'égalité sans discrimination
fondée sur la religion, il y aurait une logique.
Mme David : Bien,
pourquoi, alors, on enlève tous ces droits-là, quel est le lien entre le droit
à la jouissance et à la libre disposition de ses biens et puis le droit à
interdire les signes religieux?
M. Bosset (Pierre) :
Bien, ce n'est pas à moi qu'il faudrait poser la question, je ne comprends pas
pourquoi.
Mme David : Moi, je
pensais que c'était un truc technique, tout simplement. Bien, on fait la clause
dérogatoire, donc on passe par-dessus tout ça, non?
M. Bosset (Pierre) :
C'est permis, c'est permis par les deux chartes.
Mme David : Alors, je
vais poser la question différemment : Est-ce qu'il y aurait moyen, avec
les outils juridiques que vous connaissez, de faire autrement sans toucher à
tous ces droits-là?
M. Bosset (Pierre) :
Bien sûr, c'est ce qu'on a fait quand on a voulu protéger les dispositions sur
l'affichage commercial. On a dérogé, on a dérogé à l'alinéa 2b de la Charte
canadienne, liberté d'expression, et à l'article 3 de la charte québécoise,
liberté d'expression.
Mme David : On aurait pu
ou pourrait circonscrire beaucoup plus les objets de dérogation, c'est ça que
vous voulez dire.
M. Bosset (Pierre) : Ce
serait un moindre mal.
Mme David : Ce serait un
moindre mal. Bien, écoutez, je n'ai pas fait de cours de droit, mais j'ai deux
gentils juristes qui m'accompagnent, qui sont mes collègues et qui, peut-être,
vont regarder ça. Peut-être que le ministre aussi a écouté attentivement.
Alors, moi, je n'irai pas plus loin que ça parce que... mais ça m'a vraiment
sensibilisée à cette question-là. Puis je me suis dit : Pourquoi on s'est
donné, peut-être, tout ce mal-là?
À la page 32, justement, c'est la première
fois que je voyais le tableau, le fameux tableau où on dit : À chaque fois
qu'on a modifié la charte en ce qui a trait, et vous l'avez bien dit, aux
droits et libertés, là, parce qu'il y a d'autres composantes, on a un tableau
qui dit : Unanime, unanime, unanime, etc., sauf deux fois, une fois pour
la reformulation d'un droit existant à l'éducation religieuse et, justement,
vous disiez un contre où... le premier, semble-t-il qu'il y aurait eu un contre
autre aussi. Donc, ça veut dire qu'à chaque fois il y a eu... l'Assemblée
nationale, les élus étaient unanimement ou presque ou <marginalement
d'accord...
Mme David : ...une fois
pour la reformulation d'un droit existant,
l'éducation religieuse, et
justement
vous disiez : Un contre ou le premier, là, semble-t-il que ça serait...
il
y aurait eu un contre aussi. Donc, ça veut dire qu'à chaque fois
il y a
eu...
l'Assemblée nationale, les élus étaient unanimement ou presque, ou
>marginalement d'accord avec les modifications.
• (17 h 10) •
M. Bosset (Pierre) :
Oui, c'est pour ça... dans le cas où il y a eu quelques votes dissidents, c'est
pour ça que j'ai préféré parler de consensus. Mais, à tout le moins, les partis
politiques, eux, étaient pour, tout à fait.
Mme David : Et donc, si
ça s'est passé comme ça, vous dites ça parce que vous dites : J'ai l'impression
que, cette fois-ci, on n'en sera pas là.
M. Bosset (Pierre) :
Bien, je lis les journaux comme tout le monde, oui.
Mme David : Oui. Et
qu'est-ce que ça vous dit comme juriste, comme expert en la matière, comme
précédent< ou... >?
M. Bosset (Pierre) : Je
ne suis pas en train de dire que ce serait illégal, hein? Je ne dis pas, contrairement
à ce que laissait entendre M. Taillon tout à l'heure, je ne dis pas que ce
serait contraire à une convention constitutionnelle. Je dis que ça créerait un
précédent et qu'il faut s'interroger sur la sagesse de ce précédent. Et c'est
pour ça que ça me conduit à proposer ou, enfin, à suggérer des modifications
futures à la charte pour éviter que ça se fasse de cette façon-là, si ça doit
se passer de cette façon-là.
Mme David :
<Le...
Votre... >Justement, votre prédécesseur, Me Taillon, disait :
Bien, il faut aller en clause dérogatoire pour se donner cinq ans pour regarder
les choses. Mais, si je regarde à la page 36, vous dites en même temps que,
comme citoyens, puis plusieurs nous l'ont dit, ce projet de loi risque
d'affecter injustement et sans raison. Ces gens-là n'ont peut-être pas cinq ans
à attendre. Est-ce que c'est ça qu'on peut comprendre dans votre...
M. Bosset (Pierre) :
Oui, tout à fait. Quelqu'un a posé la question tout à l'heure : Qu'est-ce
qui nous protège? On répondait : Ce sont les clauses dérogatoires. Oui,
mais c'est qui ce «nous», là? Dans le «nous» qu'on veut protéger, il y a aussi
ces personnes-là, là, qui vont être affectées par le projet de loi. Et on ne
peut pas ignorer leurs droits, a priori. On ne peut pas, à tout le moins,
recourir, à titre préventif, à la dérogation. C'est une forme, comme je l'ai
dit tout à l'heure, de monologue. On ne parle même plus d'un dialogue entre le
pouvoir politique et le pouvoir judiciaire, comme on en parlait tout à l'heure.
C'est carrément... Ça devient un monologue.
Mme David : Et,
justement, quand on parlait... le ministre disait : Les gens qui sont sur
le terrain, on parlait< de...>, effectivement, les...
l'association des... là, c'est les policiers, je pense, qui viennent tout à
l'heure. Hier, on avait les agents de la faune et de... etc. Mais on a eu tout
à l'heure la CSN, qui est venue nous dire : Oui, nous, on est avec les
gens qui travaillent sur le terrain, et déjà on voit des effets assez négatifs.
Donc, il y a des gens sur le terrain qui disent : Nous, ça ne changera
rien à notre vie, puis c'est particulièrement les gens en position d'autorité
coercitive, parce que je pense qu'il y a moins de gens, de toute façon, qui
portent des signes religieux, mais il y a tous ceux qui représentent, entre
autres, le milieu éducatif qui nous disent : Il y a déjà des effets
démoralisants, <des effets... >et j'en passe. Est-ce que ces
gens-là sont sur le terrain, selon vous, autant que les autres?
M. Bosset (Pierre) : Ils
<sont les... ils >sont aux premières loges. Et ce sont qui? Qui
sont ces gens dans le milieu éducatif? Vous y faisiez allusion, vous-même, tout
à l'heure, la majorité, probablement, de ces personnes-là sont des femmes.
Oui, le projet de loi ne vise pas
spécifiquement les femmes, mais il risque d'affecter davantage de femmes. On ne
peut pas dire que le projet de loi est acceptable parce qu'il s'applique à tous
les signes religieux. Quand j'entends ça, j'ai l'impression de revenir
40 ans en arrière, à l'époque où on avait une vision formaliste de
l'égalité. Mais ce n'est plus le cas depuis 40 ans. La jurisprudence a
évolué, y compris la jurisprudence de notre Tribunal des droits de la personne.
C'est comme ça qu'on vit au Québec aujourd'hui.
Mme David : Oui. On
l'entend beaucoup de ce temps-ci : C'est comme ça qu'on vit au Québec.
J'avais une dernière question avant de
passer la parole, c'était : Vous faites carrément une demande dans vos
recommandations sur un renvoi à la cour d'appel. Ça, <c'est... >on
l'a peut-être vu une autre fois jusqu'à maintenant. En deux mots, c'est votre
suggestion, on arrête tout, on s'en va en cour d'appel puis on revient après?
M. Bosset (Pierre) :
C'est ce qui est possible, légalement, c'est prévu dans la loi. Et la loi sur
les renvois prévoit que, dès que la demande est faite, sur ce, la cour rend son
avis. Alors, on peut espérer que ça se ferait rapidement. C'est ce que je
propose, en effet, pour que, dans vos délibérations futures, vous ayez sur la
table une contribution autorisée sur le plan juridique.
Mme David : O.K. Et
est-ce qu'il y a une fraction d'une minuscule chance que le ministre trouve que
c'est une bonne idée, vous pensez?
M. Bosset (Pierre) : Il
faudrait lui demander.
Mme David : Parce que je
pense que vous êtes le deuxième ou le troisième à proposer ça. On verra la
suite.
Le Président (M. Bachand) :
Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme Robitaille : Donc, si
je comprends bien, il n'y a pas de crise, il n'y a pas la démonstration d'un
intérêt supérieur qui ferait en sorte qu'il faudrait suspendre certains droits
fondamentaux?
M. Bosset (Pierre) : Il
n'y a pas de crise. Ce n'est pas moi qui suis le premier à le dire. Le rapport
Bouchard-Taylor le disait en toutes lettres. Il parlait d'une crise de
perception.
Mme Robitaille : Et
qu'est-ce que vous pensez qu'une loi comme ça… quel effet vous pensez qu'une
loi comme ça — on l'a posée à plusieurs personnes, mais je vous la
pose — aurait sur notre société?
M. Bosset (Pierre) :
Bien <honnêtement, je...
M. Bosset (Pierre) :
…pas de crise. Ce n'est pas moi qui suis le premier à le dire. Le
rapport
Bouchard-TaylorT le disait en toutes lettres. Il parlait d'une crise de
perceptions.
Mme Robitaille : Et
qu'est-ce
que vous pensez qu'une loi comme ça… Quel effet vous pensez qu'une loi comme ça
— on
l'a posée à plusieurs personnes, mais je vous la pose — aurait sur
notre société?
M. Bosset (Pierre) :
Bien >honnêtement, je ne suis pas professionnellement qualifié pour
répondre à votre question. Alors, comme citoyen, je ne peux qu'entendre ce que
de mes concitoyens en disent, je ne peux que constater l'angoisse que ça crée
chez plusieurs. Et je me préoccupe, comme citoyen, non pas comme expert, je me
préoccupe de l'effet possible de ce projet de loi.
Mme Robitaille : Parce
qu'en tant que juriste… Et puis on a finalement le corpus juridique, le corpus
légal pour justement gérer, pour avoir cette cohésion sociale là en ce moment.
M. Bosset (Pierre) :
Tout à fait. C'est ce que la commission Bouchard-Taylor disait. C'est ce que
j'ai toujours défendu depuis que j'ai écrit sur ces questions, et ça remonte à
20, 25 ans. C'est toujours ce que je pense.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Je vous
remercie, M. le Président. Merci beaucoup. Les signes religieux ne sont pas
définis dans le projet de loi. Qu'est-ce que vous pensez de ça? Quelle est la
conséquence de ça? Bonne chose? Mauvaise chose?
M. Bosset (Pierre) : En
anglais, c'est ce qu'on appelle un «catch-22». C'est-à-dire que, quoi qu'on
fasse, il y aura des problèmes. Le projet de loi, à l'heure actuelle, ne
définit pas ce qu'est un signe religieux. <Il y a du… >Il y a du
pour dans ça. Je comprends que de s'embarquer là-dedans, ça serait compliqué.
Alors, il y a une certaine sagesse dans le choix de s'en tenir à cette
formulation-là. Mais certains experts qui ont témoigné ici, je pense à
Louis-Philippe Lampron, la semaine dernière, <a>ont bien fait
remarquer que c'est difficile parfois de dire pourquoi on porte un signe.
Est-ce que c'est pour des raisons religieuses, ou pour des raisons esthétiques,
ou pour se distinguer tout simplement? Donc, déjà, cette formulation-là promet
des heures de plaisir à ceux qui auraient à l'appliquer.
Une autre approche, bien, ce serait de
dire «uniquement les signes ostentatoires». C'était une approche qu'on a déjà
vu passer il y a quelques années, qui n'a pas été retenue parce qu'elle aurait
posé ses propres problèmes, entre autres, elle n'aurait visé que certaines
religions dans les faits. Et donc ça aurait été contraire à un des principes de
la laïcité, à savoir la neutralité religieuse de l'État.
Alors, quelle que soit l'approche qu'on
retient, il y aura des débats, il y aura des difficultés d'application quant à
cette notion.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Et
estimez-vous, comme M. Taillon nous l'a dit, que, si le gouvernement, le
législateur, définissait le signe religieux, il ferait en quelque sorte une
ingérence dans le religieux, et donc il aurait un comportement qui n'est pas
laïc?
M. Bosset (Pierre) : Je
dirais qu'il n'est pas neutre.
M. Zanetti : Qu'il n'est
pas neutre.
M. Bosset (Pierre) :
Effectivement, la neutralité de l'État empêche l'État de se prononcer sur la
validité d'une croyance ou d'une pratique religieuse eu égard à une religion.
Ce n'est pas le rôle de l'État de faire ça. Alors, si l'État se met à examiner
les motivations profondes d'une personne qui porte tel ou tel signe, bien, je
regrette, l'État n'est plus neutre.
M. Zanetti : Et, au début
de votre exposé, je pense, vous disiez que ce projet de loi là n'est pas un
projet modéré. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous estimez que ce projet-là
n'est pas modéré?
M. Bosset (Pierre) : Je
ne suis pas certain d'avoir utilisé cette formulation-là. J'ai dit que les
critiques seraient sévères. J'ai expliqué pourquoi. Si vous me posez la
question : Est-ce que vous trouvez que le projet de loi est modéré?, je
vous dirai que, un peu comme Gérard Bouchard la semaine dernière, je crois, la
preuve du fait qu'il est plutôt radical, c'est qu'on <a besoin… on >a
senti le besoin de recourir à une dérogation.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député.
M. Zanetti : Je vous
remercie. Ça fait le tour de mes questions. Merci beaucoup.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M.
Bérubé
:
Merci, M. le Président. Me Bosset, bienvenue à l'Assemblée nationale. Tout à
l'heure, j'ai cru comprendre que vous avez évoqué le cours d'éthique et culture
religieuse. Est-ce juste?
M. Bosset (Pierre) :
Oui.
M.
Bérubé
:
Et que vous avez indiqué qu'il était plutôt engageant, parce qu'il est offert
comme formation à l'ensemble des élèves du primaire et du secondaire.
Pouvez-vous préciser ce que vous en pensez dans ce printemps de la laïcité où
chacun des gestes que le gouvernement pose ou ne pose pas est questionnable
quant à l'objectif poursuivi d'avoir la laïcité de l'État.
M. Bosset (Pierre) : Je
ne savais pas que c'était visé par le projet de loi.
M.
Bérubé
:
Ça ne l'est pas.
M. Bosset (Pierre) :
Mais, si vous me posez la question, je suis en faveur de ce cours pour des
raisons qui tiennent à l'importance de connaître et de comprendre le phénomène
religieux dans notre société, aussi parce que, jusqu'à preuve du contraire, ce
cours n'a pas donné lieu à des atteintes aux droits ou aux libertés des élèves.
C'est ce qui était prétendu, en passant, pas les parents dans l'affaire qui a
été jugée par la Cour suprême. C'était à peine quelques semaines après l'entrée
en vigueur du cours que les parents avaient exercé leur recours. Donc,
évidemment, il n'y avait pas de preuve à cet effet-là. Et la cour a bien jugé
selon moi. Alors, peut-être que cinq ans, 10 ans, 15 ans plus tard,
on jugera qu'en pratique il y a des dérapages. Et là il faudra réajuster le tir.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député.
M.
Bérubé
:
Je vous avise, Me Bosset, que de nombreux parents intervenants sont d'avis que
la partie culture religieuse offre une vision stéréotypée des religions qui
porte atteinte à la liberté de conscience, un enjeu qui n'a pas été évoqué par
plusieurs intervenants, malheureusement.
• (17 h 20) •
Ceci étant dit, je vous ramène à votre
mémoire, en page <36…
M.
Bérubé
:
...vous avise, Me Bosset, que de nombreux parents et intervenants sont
d'avis que la partie culture religieuse offre une vision stéréotypée des
religions qui porte atteinte à la liberté de conscience, un enjeu qui n'a pas
été évoqué par
plusieurs intervenants, malheureusement.
Ceci étant dit, je vous ramène à votre
mémoire, page >36. Vous faites un lien entre... une comparaison
entre la Charte de la langue française, comment elle a été adoptée, avec
quelles précautions elle a été adoptée, et vous faites un comparatif avec la
loi actuelle du gouvernement de la Coalition avenir Québec. Pouvez-vous nous
indiquer en quoi c'était différent et en quoi le législateur a pris davantage
de précautions, selon vous, dans cet exercice législatif si on le compare avec
l'exercice actuel?
M. Bosset (Pierre) :
Alors, on est au milieu des années 70, hein, on est au printemps 1977
à l'époque. La charte des droits est en vigueur depuis à peu près un an et elle
prévoit, à l'époque, qu'elle a préséance sur les autres lois <adoptées...
>qui seront adoptées dans l'avenir. Arrive le premier projet de loi sur
la langue française, qui prévoit qu'elle va s'appliquer malgré la charte québécoise
adoptée quelques...
M.
Bérubé
:
Première version.
M. Bosset (Pierre) :
...en vigueur depuis quelques mois. Beaucoup de réactions négatives dans le
public, ici même, à l'Assemblée. Et le premier ministre de l'époque, un certain
René Lévesque, demande à son leader parlementaire de retirer le projet de
loi, ce qu'il fait. Il a dit, à l'époque, M. Lévesque, que ce n'était pas
la trouvaille du siècle — je le cite. Alors, le projet de loi 1 a été
retiré, et, quelques semaines plus tard, je crois, le projet de loi 101 a été
déposé, qui respecte la primauté de la charte des droits. Et alors ça a permis,
je pense, ça a favorisé le passage, l'adoption de la loi 101 à l'époque, et
cette disposition-là reste toujours en vigueur aujourd'hui.
M.
Bérubé
:
Alors, merci, Me Bosset.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. Bosset. Merci beaucoup d'avoir été présent aujourd'hui.
Je suspends les travaux quelques instants
pour accueillir notre prochain groupe. Merci infiniment.
(Suspension de la séance à 17 h 22)
(Reprise à 17 h 24)
Le Président (M. Bachand) :
Alors, je souhaite la bienvenue à l'association des policières et policiers du
Québec. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre présentation. Merci
beaucoup d'être ici cet après-midi. Et je vous laisse la parole pour
10 minutes. Monsieur, à vous la parole.
Association des policières et policiers provinciaux
du Québec (APPQ)
M. Veilleux
(Pierre) :Merci, M. le Président. Mon nom
est Pierre Veilleux. Je suis président de l'Association des policières et
policiers provinciaux du Québec. Je suis accompagné de
Me Alain Rousseau, procureur de l'association, et d'un vice-président
de l'association, M Dominic Ricard.
L'Association des policières et policiers
provinciaux du Québec, agissant à titre de représentante de plus de
5 400 membres actifs de la Sûreté du Québec, tient à remercier la
commission de l'opportunité qui lui est offerte de faire valoir son point de
vue.
Tout d'abord, soulignons d'emblée que,
sous réserve des commentaires ou d'observations contenues dans le présent
document, l'association est en accord avec le <principe développé...
M. Veilleux
(Pierre) :
...actifs de la
Sûreté du Québec tient
à remercier la commission de l'opportunité qui lui est offerte de faire valoir
son point de vue.
Tout d'abord, soulignons d'emblée que,
sous réserve des commentaires ou d'observations contenus dans le présent
document, l'association est en accord avec le principe >développé dans
le cadre de ce projet de loi à l'effet d'affirmer la neutralité religieuse de
l'État en introduisant le service public à visage découvert de même qu'en
interdisant le port des signes religieux pour les personnes en autorité dans
l'exercice de leurs fonctions.
Avec respect pour l'opinion contraire,
soulignons que l'association et ses membres ont, comme il se doit, un profond
respect pour toutes les religions et considèrent que leur pratique relève avant
tout de la sphère de vie privée. De plus, nous désirons souligner également
d'entrée de jeu qu'à notre connaissance il n'y a pas de policière ou policier à
la Sûreté du Québec portant un ou des signes religieux apparents dans le cadre
de l'exercice de leurs fonctions, ce qui ne signifie pas pour autant que cette
question nous laisse indifférents, surtout lorsqu'il s'agit, en l'occurrence,
de préoccupations eu égard aux chartes des droits et libertés.
Interdiction de porter un signe religieux.
Nous comprenons de la lecture de l'article 6 et des fonctions énumérées à
l'annexe II du projet de loi que les personnes visées sont, pour l'essentiel,
des gens qui sont considérés comme étant en autorité et ne pourraient, par voie
de conséquence, porter de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions.
L'association est en accord sur les principes énoncés par l'article 6 du projet
de loi n° 21.
Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer
de façon exhaustive sur la liste de chacune des fonctions énumérées à cet
annexe du projet de loi relativement aux personnes visées par cette mesure,
soulignons toutefois que l'association est en accord avec les principales
conclusions du rapport de la commission Bouchard-Taylor en ce que les personnes
en autorité, entre autres les magistrats, les procureurs de la couronne, les
policiers, les gardiens de prison, les présidents et vice-présidents de l'Assemblée
nationale, ne puissent porter de signes religieux dans l'exercice de leurs
fonctions.
Au surplus, comme nous l'avons déjà
mentionné dans notre correspondance du 29 mars dernier, adressée à la ministre
de la Sécurité publique de même qu'au ministre de l'Immigration, et de la
Diversité, et de l'Inclusion, il importe de rappeler que l'association
considère que, pour les fins du respect nécessaire à la fonction de policier, <qu'>une
apparence d'impartialité est au moins aussi importante que l'impartialité
réelle. C'est donc dire que le port de l'uniforme et de l'insigne de policier
confère une autorité suffisante dans notre société pour que le policier soit à
l'abri de critiques quant à une perception négative de son impartialité par le
port de signes religieux. À ce titre, l'association se prononce en accord avec
les principes développés dans le cadre du projet de loi relativement à la
laïcité dans les services publics pour les personnes en autorité.
Clause de droits acquis. Il nous est
difficile, comme association syndicale, d'être contre une mesure portant sur
les droits acquis de personnes visées lors de l'entrée en vigueur d'une loi
d'ordre public, laquelle interdit le port des signes religieux dans l'exercice
de leurs fonctions pour l'État, même si, comme mentionné précédemment, cette
clause ne semble n'avoir aucune incidence en ce qui concerne les membres de
l'association. Cet état de situation ne nous empêche aucunement d'être en
accord avec le principe de cette clause de droits acquis en ce qu'elle permet à
certaines personnes visées, à l'entrée en vigueur du projet de loi, de ne pas
perdre leur emploi et ainsi subir les règles qui n'étaient même pas en vigueur
lors de leur choix initial de carrière et de leur embauche par l'État.
À cet égard, nous ne pouvons qu'accueillir
favorablement l'attitude du législateur à l'effet d'accepter sa part de
responsabilité de l'État dans cette situation en accordant une clause de droits
acquis dans le cadre de ce projet de loi.
Chartes des droits et libertés. D'aucuns
seront possiblement tentés de croire que nous mettons de côté certains droits
de nos futurs membres pourtant prévus aux chartes des droits et libertés. À
ceux-ci, nous serons tentés de répondre que d'agir en amont afin de protéger
nos membres à l'égard de critiques ou de jugements négatifs que pourrait
susciter le port de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions, c'est
aussi cela, faire du syndicalisme responsable.
• (17 h 30) •
Cependant, cette position n'a pas empêché
l'association d'avoir procédé à une mise en garde dans notre correspondance
adressée aux ministres responsables sur le sujet. En effet, nous avions alors
souligné qu'à ce chapitre, dans l'éventualité où l'un de nos membres devait
exprimer le désir de contester l'application de cette loi à son endroit, basé
principalement sur les droits protégés par les chartes des droits et libertés,
l'association n'aurait dès lors d'autre choix que d'assumer les responsabilités
qui sont les siennes <et pour... >et prendre la défense<,
pardon,> du membre concerné en entreprenant les <recours
judiciaires...
>
17 h 30 (version révisée)
< M. Veilleux
(Pierre) :
...cette loi à son endroit, basée
principalement
sur les droits protégés par les chartes des droits et libertés, l'
association
n'aurait dès lors d'autre choix que d'assumer les responsabilités qui sont les
siennes et pour... et prendre la défense, pardon, du membre concerné en
entreprenant les >recours judiciaires appropriés. Or, à la lecture du
projet de loi sur la laïcité de l'État, plus précisément aux articles 29
et 30 portant sur l'application des clauses dites dérogatoires eu égard aux
chartes des droits et libertés, il nous apparaît clairement que le gouvernement
a entendu notre mise en garde sur cette question et sûrement d'autres de même
nature. Ainsi, l'introduction de clauses dérogatoires<, pardon,>
dans le cadre du projet de loi nous semble souhaitable afin d'éviter de
nombreuses contestations judiciaires de ce projet de loi qui auraient
certainement été introduites par de nombreuses associations syndicales au
bénéfice de leurs membres concernés.
Service à visage découvert. Il s'agit là,
quant à nous, d'une disposition incontournable dans le cadre du désir exprimé
par l'État d'affirmer sa neutralité religieuse. En effet, dans ce contexte, il
nous apparaît difficilement défendable que l'État puisse permettre que soient
donnés ou offerts des services publics à visage couvert. De plus, il nous
semble également évident que cela répond adéquatement aux valeurs et aux désirs
d'une grande majorité de la population du Québec.
Services reçus par un organisme à visage
découvert. À ce sujet, nous croyons à propos de citer intégralement les
articles 8, 9 et 13 dudit projet de loi, mais, pour fins de notre présentation
d'aujourd'hui, je me contenterai d'attirer votre attention sur les parties en
caractères gras de l'article 8 :
«...une personne qui se présente pour
recevoir un service par un membre du personnel d'un organisme doit avoir le
visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de
son identité ou pour des motifs de sécurité. La personne qui ne respecte pas
cette obligation ne peut recevoir le service qu'elle demande, le cas échéant.
«[...]une personne est réputée se
présenter pour recevoir un service lorsqu'elle interagit ou communique avec un
membre du personnel d'un organisme dans l'exercice de ses fonctions.»
Vous comprendrez certainement qu'une
association syndicale de plus de 5 400 policiers ne peut être qu'en accord
sur une mesure pouvant faciliter l'identification ou la sécurité de tous
lorsque ses membres interagissent avec le public. Quant à nous, il s'agit là
d'une disposition reposant avant tout sur le bon sens.
En conclusion, l'association est en accord
avec le projet de loi n° 21 en ce qui concerne les policiers et les
personnes en autorité dans notre société, et ce, pour des motifs d'impartialité
et surtout d'apparence d'impartialité. Les policiers font suffisamment l'objet
de critiques négatives lors de leurs interventions sans qu'il faille en
rajouter par le port de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions. À
cet égard, le projet de loi n° 21 nous semble une mesure législative
souhaitable dans le cadre d'une société libre et démocratique désirant affirmer
sa neutralité religieuse.
En terminant, l'APPQ tient à vous
remercier de l'attention que vous avez portée au présent mémoire, et nous
espérons avoir apporté une contribution utile à vos travaux ainsi qu'à votre
réflexion sur le projet de loi n° 21 de l'année 2019. Merci.
Le Président (M. Bachand) :
Merci infiniment, M. Veilleux. Avant d'aller plus loin, j'aurais besoin
d'un consentement pour deux éléments, soit d'ajouter 10 minutes pour le temps
de séance et, si vous êtes d'accord, aussi d'octroyer le temps du député de
Matane-Matapédia au député de Jean-Lesage.
Des voix
: ...
Le Président (M. Bachand) :
Consentement. Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Merci, M. le Président. M. Veilleux, M. Ricard, Me Rousseau,
merci d'être présents en commission parlementaire. C'est apprécié. Je pense que
le fait que vous veniez témoigner et que vous déposiez un mémoire en commission
parlementaire, ça fait en sorte d'avoir vraiment un point de vue qui touche...
bien, dans un premier temps, que vos membres sont touchés par le projet de loi
n° 21, mais aussi que vous avez l'expérience de terrain aussi de la
réalité du fait que, bon, la majorité des policiers de la Sûreté du Québec qui
sont membres de votre organisation portent l'uniforme aussi. Alors, on pourra y
revenir, mais je pense que c'est pertinent que vous soyez présents. Alors, je
vous remercie grandement pour votre présence.
Vous avez abordé la question du visage à
découvert, l'obligation pour tous les fonctionnaires de l'État, incluant les
policiers, d'avoir le visage à découvert dans l'exercice de leurs fonctions, mais
même chose également pour les citoyens. On a mis le critère de l'identification
ou pour un motif de sécurité. Alors, je crois comprendre que vous êtes en
accord avec ça, du fait qu'on oblige les gens à devoir s'identifier à visage
découvert.
M. Veilleux
(Pierre) : De fait, c'est très important de pouvoir identifier...
Dans le cadre de nos fonctions, il nous faut identifier les gens. Il y a une <obligation
lorsque c'est des gens qu'on intercepte...
M. Jolin-Barrette :
...on oblige les gens à devoir s'identifier à visage découvert.
M. Veilleux
(Pierre) :
De fait, c'est très
important de
pouvoir identifier... dans le cadre de nos fonctions, il nous faut identifier
les gens. Il y a une >obligation lorsque c'est des gens qu'on intercepte
relativement à des actes criminels ou à des procédures pénales, mais ça va plus
loin que ça : des gens qui vont porter plainte, des gens qui ont
simplement un accident de la route. Lorsqu'on remplit un rapport légal, que ce
soit <un accident... >un rapport d'accident ou tout simplement une
formule d'événement, un vol, violence conjugale, il faut être en mesure de
pouvoir justement identifier autant les témoins, les plaignants, les victimes
et, naturellement, bien, les suspects lorsqu'il y a arrestation.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Et dans le cadre de votre travail, là, quand vous dites : Il faut être en
mesure d'identifier, supposons, les témoins, pourquoi c'est pertinent de devoir
les identifier? <Parce que... >Est-ce que c'est parce que, lorsque
vous prenez la déposition des gens, bien, cette déposition-là risque de se retrouver
à la cour, puis les gens vont venir témoigner? Est-ce que c'est pour ça que
c'est pertinent de pouvoir identifier les gens?
M. Veilleux
(Pierre) : Bien, premièrement, c'est pertinent pour nous, comme
policiers, de s'assurer que la personne qui nous parle ou qui donne une
déclaration soit la bonne personne. Et, naturellement, lorsque cette
personne-là est assujettie à une procédure judiciaire, qu'elle soit pénale ou
criminelle, bien, ça devient encore plus important parce que le problème va se
rapporter un peu plus tard, dans le processus judiciaire, devant la cour,
notamment.
M. Jolin-Barrette : O.K.
On utilise la disposition de dérogation. Notamment, vous dites dans votre
mémoire... vous nous avez écrit, on a reçu vos correspondances, notamment en
lien avec le fait que, si jamais il y avait une contestation relativement au
port d'un signe religieux, vous dites : Bien, écoutez, avec la disposition
de dérogation, ça met ça à l'abri, puis nous, on souhaite que le législateur
utilise la disposition de dérogation. Vous êtes en accord avec l'utilisation.
M. Veilleux
(Pierre) : Dans ce type de projet de loi, c'est un
incontournable, quant à moi, parce qu'on parle de droits et libertés. Si vous
n'utilisez pas vos clauses dérogatoires, c'est sûr qu'il va y avoir des
contestations ad nauseam. On ne sera peut-être pas les premiers qui vont
contester s'il n'y avait pas de clauses parce qu'on n'a pas présentement de
gens, à l'intérieur de nos membres, qui portent des signes religieux.
Éventuellement, peut-être. Peut-être qu'il y a d'autres associations qui
enclencheraient avant nous, mais il est fort à parier qu'il y aurait
contestation.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Souvent, le projet de loi que j'ai déposé a subi des critiques relativement au
niveau de l'application de la loi. C'est sûr que vous, vous êtes du côté
syndical, vous représentez vos membres, mais est-ce que vous pensez que ça
entraîne des difficultés d'application dans un corps de police? Supposons,
quand on dit : La plus haute autorité administrative de l'organisme, en
l'occurrence dans le corps de police, supposons, est chargée de l'application
de la loi, notamment par rapport à l'interdiction du port de signes religieux,
est-ce que, pour vous, ça constitue une problématique ou ça fonctionne déjà
comme ça dans les corps de police? Supposons que moi, j'arrive avec une casquette
J'aime la CAQ puis je suis policier, est-ce qu'il y a quelqu'un qui va
m'avertir? Comment ça fonctionne dans un service de police, supposons, à la SQ,
là? Est-ce que ça entraîne des difficultés que ce soit la plus haute autorité
administrative qui soit chargée de l'application de la loi?
M. Veilleux
(Pierre) : Je ne prendrai pas votre exemple.
M. Jolin-Barrette :
J'aime
le Parti libéral aussi.
M. Veilleux
(Pierre) : Oui, oui. Non, non, non, regardez... J'aime la
politique.
M. Jolin-Barrette : Ou J'aime
la politique ou, supposons, J'aime le Canadien de Montréal.
M. Veilleux
(Pierre) : Mais, honnêtement, généralement, c'est
les autorités, c'est nos patrons. À la Sûreté, à titre d'exemple, chez nous, on
a une directive, on a une politique de gestion sur le port de l'uniforme, de
quelle façon il doit être porté, est-ce que, s'il y a des insignes qui sont
relatifs à la police, ils sont portés à gauche, à droite, etc. Donc, il y a des
instructions assez claires. Et naturellement, si la personne arrive avec ce
genre de casquette là, il est fort à parier que ça ne prendra pas beaucoup de
temps avant que l'employeur réagisse et qu'il nous avise que ça n'a pas
d'affaire à être porté avec l'uniforme, naturellement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, ça n'entraîne pas de difficulté d'application pour vous que
ce soit la plus haute autorité administrative ?
M. Veilleux
(Pierre) : Non, pas du tout.
• (17 h 40) •
M. Jolin-Barrette : O.K. La Fraternité des policiers et policières de Montréal ne sont pas
venus en commission parlementaire. Par contre, ils ont fait parvenir une lettre,
datée du 20 mars 2019, à ma collègue la ministre de la Sécurité publique.
Ils disaient : «...en effet, dans leur travail quotidien, les policiers et
policières de Montréal entrent en contact avec des personnes de toutes les
confessions religieuses. Nous estimons donc que <l'apparence de
neutralité religieuse...
M. Jolin-Barrette :
...de
Montréal ne sont pas venus en
commission parlementaire. Par
contre, ils ont fait parvenir une lettre datée du 20 mars 2019 à ma
collègue la
ministre de la Sécurité publique et ils disaient : «En
effet, dans leur travail quotidien, les policiers et policières de
Montréal
entrent en contact avec des personnes de toutes les confessions religieuses.
Nous estimons donc que >l'apparence de neutralité religieuse représente
un atout dans l'exercice de la fonction, évitant que des symboles religieux
n'influencent la perception des justiciables quant à l'impartialité des agents
de l'État.»
Est-ce que vous êtes d'accord avec les
policiers de la ville de Montréal là-dessus aussi?
M. Veilleux
(Pierre) :Tout à fait, tout à fait d'accord.
Écoutez, c'est sûr qu'il est plus probable <que des... >qu'il y
ait des policiers, peut-être, à Montréal — là, je ne parle pas en
connaissance de cause — qui... Et je ne pense pas, pour en avoir
parlé avec M. Francoeur, qu'il y avait des problématiques au niveau des
membres quant au port de signes religieux. C'est bien certain qu'avec la population
c'est beaucoup plus multiculturalisme que chez nous, en Gaspésie ou dans la
Beauce, mais, effectivement, moi, je pense qu'il faut être le plus neutre
possible pour justement éviter des débats inutiles lors d'interventions parce
qu'il faut se rappeler que, mis à part une plainte dite simple de vol,
introduction par effraction, lorsqu'on fait affaire avec des gens qui sont
intoxiqués ou qui sont en crise, je pense <que le signe... >qu'un
signe religieux peut plaire ou ne pas plaire. Donc, ça peut engendrer des
critiques inutiles, quant à moi, pour l'exercice de nos fonctions.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Vous représentez environ 5 400 policiers, policières à la Sûreté du Québec.
Vous dites, à votre connaissance, <dans... >chez vos membres, il
n'y a pas d'individu qui porte de signe religieux. Si d'aventure il y en a qui
en portaient et qui sont actuellement en emploi, ils seraient couverts par la
clause de maintien en emploi. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette
clause-là?
M. Veilleux
(Pierre) : Ah! tout à fait. Tout à fait, ça fait partie de nos
méthodes de négociation comme syndicat. Quand on arrive avec des nouvelles
règles avec l'employeur, souvent, on a ce réflexe-là de vouloir quand même
protéger les personnes qui sont déjà dans cette situation-là. Donc, non, <on
salue... >on salue le gouvernement là-dessus, d'avoir eu cette sagesse
de prévoir ça.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Je vous remercie. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des
questions<, donc..>.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. M. le député de Sainte-Rose, s'il vous plaît.
M. Skeete : Bonjour. Je
vous souhaite la bienvenue. Dans une ancienne vie, j'ai eu le privilège d'être
douanier juste après le 11 septembre. À l'époque, on portait le bleu pâle.
Alors, j'aimerais ça vous parler un petit peu d'uniformes. On portait le bleu
pâle avec les chapeaux un peu style chauffeur d'autobus, mais, depuis, ça a
changé, hein, les uniformes ont changé. Même la ville de Montréal a changé son
uniforme. On est passés du bleu pâle style... bien, bleu CAQ, je ne veux pas
faire d'allusion mais... puis on est allés vers le bleu foncé. Est-ce que vous
avez connaissance pourquoi ces changements-là se sont vus à beaucoup d'égards
dans beaucoup de corps policiers?
M. Veilleux
(Pierre) : Bonne question. Écoutez, je serais un peu embêté de
vous dire si ça a rapport avec le 11 septembre, comme vous dites. Même
nous, à la Sûreté du Québec, on a les nouveaux uniformes depuis quand même deux
ans. On est passés de la chemise beige à la chemise noire. On a toujours le pantalon
vert. Je pense que c'est une question de mode, tout simplement. Je ne pense pas
que... je ne pense que ça ait un rapport avec les signes religieux.
M. Skeete : Si vous me
permettez, j'aimerais ça vous lire trois énoncés. Ils sont en anglais. Si vous
voulez que je vous le traduise, je vais vous le traduire, ça me fait plaisir. The psychological influence of police uniform. «Research suggests that clothing has a powerful impact on how
people are perceived, and this goes for police officers as well.» Est-ce
que vous voulez que je...
M. Veilleux
(Pierre) : Non, j'ai compris.
M. Skeete : Est-ce que
vous êtes d'accord avec l'énoncé pour dire que l'habillement d'un policier peut
affecter la perception population?
M. Veilleux
(Pierre) :Tout à fait, tout à fait.
M. Skeete : Je vais vous lire un autre énoncé : «Studies have revealed
that physical appearance — including clothing — is the factor most often used in developing a first impression of
someone. Clothing has [to be] found to have [a] greater effect on [...] first
impressions than personality.» Est-ce que vous êtes d'accord avec cet
énoncé-là?
M. Veilleux
(Pierre) :Ah! tout à fait d'accord.
M. Skeete :
Et le troisième énoncé : «Research has revealed that alterations to
traditional, [...]police uniform can result in changes in perceptions by the
public.»
M. Veilleux (Pierre) : Je n'ai pas compris la
dernière.
M. Skeete : Dans le fond,
si on change ou si on altère un habillement, uniforme, ça peut avoir une
incidence sur la perception populaire.
M. Veilleux
(Pierre) : Tout à fait.
M. Skeete : Donc, si on a
un uniforme qui est donné, si on change, ou on altère, ou on ajoute de la
variété à un uniforme, vous êtes d'accord que ça peut changer la perception
populaire par rapport à l'uniforme qu'on porte.
M. Veilleux
(Pierre) : Ah oui! Tout à fait d'accord.
M. Skeete : J'aimerais ça
d'abord vous <ramener...
M. Skeete : Donc, si on
a un uniforme qui est donné, si on change, ou on altère, ou on ajoute de la
variété à un uniforme, vous êtes d'accord que ça peut changer la perception
populaire par rapport à l'uniforme qu'on porte.
M. Veilleux
(Pierre) :
Ah oui! tout à fait,
d'accord.
M. Skeete : J'aimerais
ça d'abord vous >ramener dans votre mémoire, à la page 5. Vous parlez
pour dire : «...pour les fins du respect nécessaire à la fonction de
policier, une apparence d'impartialité est au moins aussi importante que
l'impartialité réelle.» J'aimerais ça vous entendre un petit peu plus à ce
sujet.
M. Veilleux
(Pierre) :Bien, écoutez, une apparence
d'impartialité, c'est au niveau de l'uniforme. Ça le dit, hein, «uniforme». Par
définition, c'est uniforme pour tout le monde. Ça n'empêche pas qu'il peut y
avoir des personnes qui peuvent avoir des idées préconçues<. Ils peuvent
avoir...>, qui peuvent être partiales à certains moments, mais je pense
que ce qui est important, c'est l'apparence du policier. Écoutez, c'est
tellement important que, même au niveau de l'âge du policier, il peut y avoir
des fois des anecdotes assez... plus le policier est jeune, le policier plus
vieux, plus d'expérience, puis on a le même uniforme. Ça fait que des gens nous
perçoivent de différentes façons, dépendamment de notre âge ou dépendamment que
ça peut être une femme, un homme.
Donc, il y a toutes de sortes de
situations qui arrivent, à travers les événements qu'on couvre, qui font en
sorte que déjà on doit s'adapter avec ces différences-là au niveau de l'âge, au
niveau du sexe. Et naturellement, en partant au moins le même uniforme pour
tout le monde, ça évite beaucoup de questions, ça évite beaucoup de situations
qui peuvent être délicates.
M. Skeete : Mais, en fait, mon
expérience me dit que vous avez raison parce que, quand je faisais des
interventions, je me faisais souvent dire : Tu m'arrêtes à cause que...
Puis là mettez tout ce que vous voulez après...
M. Veilleux
(Pierre) :...aller jusque-là, mais
effectivement...
M. Skeete : ...parce que
c'est lundi, parce que c'est mardi, parce que je suis brun, parce que je suis
blanc, parce que je suis asiatique, et on remplit... toutes les raisons sont
bonnes pour dire pourquoi qu'on intervient dans ce cas-là. J'en ai vécu, des
situations comme ça.
J'aimerais ça aussi... parce qu'on a
beaucoup parlé de manque de recherche, hein? On disait beaucoup, en commission,
on parlait pour dire que, bien, il n'y a aucune preuve qu'un changement
d'allure, ou un port d'un signe religieux, ou un port d'un signe affecte, mais
pourtant il y a eu des études, côté policier, comme j'ai évoqué.
J'aimerais ça vous entendre un petit peu,
à savoir, sur l'interdiction du port de signes religieux, comment vous voyez ça
si ça s'étendait jusqu'à l'école nationale... bien, Nicolet, en fait? Est-ce
que ça devrait même aller jusque-là?
M. Veilleux
(Pierre) :Pour l'interdire, vous parlez?
M. Skeete : Oui.
M. Veilleux
(Pierre) :Écoutez, pour avoir eu une
discussion avec le directeur de l'École nationale de police, que je connais
très bien, eux, ils y ont été par rapport au projet de loi qui est sur la
table. Est-ce que les étudiants font partie des agents de la paix? La conclusion
a été non par rapport au projet de loi sur la table. Donc, eux ont pris la
position de tolérer ou d'accepter le signe de port religieux.
Bon, est-ce qu'on devrait l'interdire à
l'École nationale de police? Je ne pense pas. Je ne pense pas parce qu'il y a
d'autres avenues. J'ai connu beaucoup d'étudiants, des aspirants policiers qui
ont passé par l'École nationale de police, qui n'ont pas nécessairement trouvé
de l'emploi comme policier au Québec. Il y a la GRC, l'Ontario. Ils peuvent
aller appliquer dans d'autres provinces également, naturellement la langue peut
être une barrière, mais, s'ils sont bilingues, peuvent aller... il y a des
reconnaissances au niveau des formations qui sont prévues dans certaines
provinces.
Donc, si la personne veut aller à l'École
nationale de police et porter... et c'est accepté, de porter un signe religieux,
et, dans sa perspective de carrière, dit : Bien, écoutez, si le projet de
loi passe, c'est bien certain que je ne pourrai peut-être pas aller à la Sûreté
du Québec si je veux continuer de le porter, mais il y a d'autres avenues qui
peuvent se dessiner pour ces personnes-là.
M. Skeete : Donc, vous
faites une différence entre la formation puis le travail de policier. Je me
demande, dans l'optique où est-ce que je suis à l'école nationale puis je suis
prêté à un corps policier comme cadet, avez-vous une opinion là-dessus?
M. Veilleux
(Pierre) :Si vous êtes considéré comme
agent de la paix...
M. Skeete : Donc,
légalement, le terme...
• (17 h 50) •
M. Veilleux
(Pierre) :Légalement, dépendamment de
votre provenance, si vous êtes engagé par la Sûreté du Québec, j'aurais
tendance à dire que vous n'avez pas droit aux signes religieux, mais, si vous
êtes engagé... bien, je pense que l'exemple ne serait pas bon. Tu ne peux pas
être engagé par la GRC puis aller à l'École nationale de police, ils ont leurs
propres écoles. C'est surtout que quelqu'un qui sort de l'École nationale de
police comme étudiant, qui veut se diriger vers la GRC, ça, il peut. Mais je
pense que cette <personne-là serait...
M. Veilleux
(Pierre) :
...engagé, bien, je pense que l'exemple ne
serait pas bon. Je ne peux pas être engagé par la GRC puis aller à l'École
nationale de police, ils ont leurs propres écoles. C'est surtout que
quelqu'un
qui sort de l'École nationale de police comme étudiant, qui veut se diriger
vers la GRC, ça, il peut, mais je pense que cette >personne-là serait
coincée à ce moment-là.
M. Skeete : Bien, merci
beaucoup. Je n'ai pas d'autre question.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. Il reste très peu de temps du côté ministériel. Oui?
M. Zanetti : Je m'excuse,
M. le Président, j'ai une question de procédure. Bien, le député de Sainte-Rose
s'est exprimé en anglais uniquement en offrant de traduire à nos invités, ce
qui est parfait. Ils ne l'ont pas accepté, mais... pas demandé, pardon. Mais
moi, je n'ai pas tout compris ce qu'il a dit, puis il y a peut-être du monde
aussi qui nous écoutent ou qui vont lire les transcriptions qui aimeraient ça
tout comprendre. Alors, j'aimerais juste peut-être demander au député de Sainte-Rose
de pouvoir traduire ça puis que peut-être qu'on se donne la règle qu'on traduit
tout le temps, là, tout ce qu'on lit parce qu'il y a du monde qui nous écoutent
qui ne sont pas là pour nous dire qu'ils...
Le Président (M. Bachand) :
Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, la règle, M. le député, ce n'est pas
comme ça que ça fonctionne, mais... absolument pas. La langue, bien sûr, est le
français, mais on peut faire des interventions en anglais, et ça se retrouve en
procès-verbal. Donc, tout est selon les règles, il y a un paquet de décisions
qui confirment le tout. Alors, c'est tout le temps qu'on avait du côté
ministériel. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Merci
beaucoup. Merci d'être ici avec nous pour donner un autre éclairage et puis
parler d'une autre, aussi, clientèle bien importante. Avant ça, j'aimerais ça,
savoir si vous pouvez nous déposer votre lettre. Vous avez parlé d'une lettre
qui était au ministre, de déposer... C'est une lettre qui...
Une voix
: ...
Mme David : ...qui a été
envoyée au ministre.
Le Président (M. Bachand) :
S'il vous plaît.
M. Veilleux
(Pierre) : Je n'ai pas de problème avec... Je ne l'ai pas avec
moi, là.
Mme David : Non, non,
mais c'est parce que ça peut être intéressant pour la suite de nos travaux. Et
puis, la même chose, le ministre, ça fait trois fois qu'il réfère à une lettre
qui a l'air super intéressante, de la Fraternité des policiers, mais je pense
qu'on ne l'a pas, nous.
M. Jolin-Barrette :
Bien, M. le Président, ça va me faire plaisir de la déposer à la commission.
Mme David : O.K. Enfin!
Je la connais presque par coeur, tellement vous y avez fait référence, mais là
je vais l'avoir. Puis elle est même surlignée en jaune... en vert, vert de
l'espoir. Alors, voilà.
Écoutez, merci beaucoup d'être ici. Je
sais que vous n'avez pas beaucoup de cas, donc on parle de situations... Mais
je voudrais comprendre une chose. Vous avez déjà un uniforme. Vous le dites, «uniforme»,
c'est la même forme unie pour tout le monde, ça le dit un peu, femmes, hommes,
comme vous dites, les jeunes, les moins jeunes. Peut-être la taille change en
vieillissant, mais, en tout cas, c'est le même uniforme. Et quelle est la
différence entre l'uniforme et les balises — j'imagine qu'il y a
toutes sortes de balises autour de ça, on a parlé de casquettes tout à l'heure,
et tout — et ce qu'apporterait de plus la loi n° 21?
Autrement dit, si quelqu'un se présentait demain matin avec un signe religieux,
est-ce que vous ne pouvez pas référer déjà à vos balises de l'uniforme pour
l'empêcher de porter une kippa, par exemple, ou un turban?
M. Veilleux (Pierre) :
Bien, les directives sont claires à la Sûreté, <l'uniforme... >le
port de l'uniforme est énuméré. Il peut y avoir des petites différences, là, au
niveau des apparats lorsque c'est des cérémonies, parce qu'il y a deux types
d'uniformes à la Sûreté, il y a l'uniforme terrain puis il y a l'uniforme
parade. Et il y a des distinctions entre... et là je m'avance peut-être sur un
terrain que je connais mal, là, mais je pense qu'il y a des distinctions entre
les hommes et les femmes, naturellement, pas au terrain, mais au niveau de
l'apparat. Je pense qu'il y a une jupe de prévue ou, en tout cas, peut-être que
le chapeau est différent aussi, le képi, et tout, là. Mais, règle générale,
quand on parle de terrain, patrouille, c'est le même uniforme pour tout le
monde, et il est décrit. Il y a même des dates précises pour porter les
chemises à manches courtes versus les chemises à manches longues, pour que tout
le monde soit justement uniforme, tout le monde est en manches courtes ou tout
le monde est en manches longues. Même chose pour les couvre-chefs. Donc, c'est
assez bien encadré.
C'est bien certain que ce qui n'est pas
inclus est exclu. C'est-à-dire que, si la directive ne parle pas de signe
religieux, puis une personne arrive avec un voile demain matin, c'est bien
certain que l'employeur va réagir parce que ça ne fait pas partie intégrale de
l'uniforme.
Mme David : Donc, vous
avez déjà un peu les balises. La loi n° 21 ne vous
apportera pas grand-chose de plus. Vous pourriez déjà... Est-ce que je comprends
bien?
M. Veilleux
(Pierre) : Excusez-moi, je n'ai pas...
Mme David : Est-ce que vous
pourriez déjà, avec <un... >quelqu'un qui arrive avec un signe
religieux, avoir les outils en main, la boîte à outils, comme on dit, pour dire :
Non, non, ça ne fait pas partie de l'uniforme?
M. Rousseau (Alain) :
Si vous me permettez, c'est qu'une directive est une chose, le projet de loi
n° 21 vient clarifier la position vis-à-vis de la Charte des droits et
libertés. Donc, la directive donne des balises claires quant au port de
l'uniforme. Dans l'éventualité où un policier désirait demain matin porter des
signes religieux, probable que son employeur lui dirait : Tu ne portes pas
de signe religieux, ce n'est pas conforme à la directive. Lui <invoquerait...
M. Rousseau
(Alain) : ...libertés. Donc, la directive donne des balises
claires quant au port de l'uniforme. Dans l'éventualité où un policier
désirerait demain matin porter des
signes religieux, probable que son
employeur lui dirait : Tu ne portes pas de
signe religieux, ce
n'est pas conforme à la directive. Lui >invoquerait la charte à ce
moment-là, liberté de religion, liberté de conscience, etc. Donc, <ce
que... >la plus-value du projet de loi n° 21 présentement,
c'est d'établir des balises claires avec... la clause dérogatoire empêche des
contestations, pour répondre à votre question.
Mme David : Donc, c'est
ça, si quelqu'un arrivait. Alors, évidemment, on sait, ça a été très médiatisé,
il y a une étudiante en ce moment au cégep Ahuntsic, qui doit être en deuxième
année en ce moment en techniques policières, qui porte le hidjab, justement,
et...
M. Rousseau (Alain) :
Je crois que oui.
Mme David : ...donc les
journalistes ont déniché la seule personne qui, pour l'instant, a ça. Et donc
ça vous poserait problème probablement dès maintenant, vous dites, ou alors si
elle invoquait : Moi, je n'ai pas à l'enlever parce qu'il n'y a pas de
loi.
M. Rousseau (Alain) :
...dans la mesure où on serait obligé de la défendre contre l'application de
cette directive-là, qui, selon elle, et qui, selon nous, serait éventuellement
à l'encontre de la Charte des droits et libertés.
Mme David : Et vous
n'avez jamais eu à faire ce genre de défense là, mais, comme association...
M. Rousseau (Alain) :
Pas à la Sûreté du Québec.
Mme David : ...vous
auriez à la défendre. Et il y a des syndicats qui sont venus nous dire :
La clause dérogatoire nous embête un peu, un peu beaucoup, parce qu'on ne
pourra plus défendre nos membres, justement. Vous, vous réagissez comment à ça?
M. Rousseau (Alain) :
Le choix qu'on a fait, c'est indiqué dans notre mémoire, c'est d'avoir une
position qui est en amont de tout ça à l'effet que l'interdiction du port des
signes religieux, on est pour pour des questions d'apparence d'impartialité.
Donc, ça présuppose qu'on préfère prévenir et faire en sorte que les policiers
soient moins l'objet de critiques négatives dans leurs interventions. On est
conscients que les policiers qui éventuellement porteraient des signes
religieux auraient des droits en vertu de la charte, ce qui nous obligerait à
les défendre parce que c'est les responsabilités qui sont les nôtres. Mais, devant
des clauses dérogatoires, ça nous soustrait, en tout cas, ça nous soustrait à
ces obligations-là. Donc, c'est la position qu'on a.
Mme David : O.K. Mais, je
pense vous avez parlé tout à l'heure de la clause grand-père, que vous saluez.
Je n'aime pas tellement l'expression «grand-père», ça fait un peu vieux, mais
on va appeler ça droit acquis, hein, c'est ça, droit acquis, c'est beaucoup
mieux.
M. Veilleux
(Pierre) : ...vieux terme, madame.
Mme David : C'est un
vieux terme. Maintenant, <est-ce que... >vous dites que vous êtes
d'accord avec ça, mais vous êtes conscients aussi que c'est toujours dans la
même fonction, ça ne peut pas changer de fonction, il ne peut pas y avoir de
promotion, la personne reste vraiment dans le même emploi, probablement pour,
dans ce cas-ci, là, même la Sûreté du Québec, j'imagine, ne peut pas aller au
SPVM. Enfin, ça va être de multiples questions à poser dans
l'opérationnalisation de tout ça. Mais, qu'est-ce que vous diriez de... parce
que ça a été quand même proposé ailleurs, que cette étudiante, dont elle a
l'air d'être la seule pour l'instant, les étudiants qui sont entrés dans un
programme en fonction, justement, des balises qui existaient quand tu t'inscris
dans un programme d'études puissent aussi avoir la protection de la clause de
droits acquis?
M. Veilleux
(Pierre) : Je ne pense pas que le projet de loi le prévoit.
Mme David : Mais, on ne
sait jamais.
M. Veilleux
(Pierre) : Est-ce que je serais d'accord avec... Bien, il
faudrait changer l'essentiel du projet de loi, à ce moment-là, ça vous
appartient, parce que, présentement, c'est impossible. Il faut qu'elle soit
agent de la paix puis, ce que je comprends également, il faut qu'elle reste
avec le même employeur. Donc, c'est une étudiante, elle n'est pas employée
comme agent de la paix présentement. Il faudrait reformuler le projet de loi au
complet.
Mme David : ...des considérations
très importantes. Effectivement, je pense qu'on va avoir à se pencher sur tout
ça. Mais, il y en a quelques-uns qui ont dit : Bien, peut-être ceux qui
étudient en enseignement, ou en techniques policières, ou autre, devraient
aussi être protégés parce qu'ils ne savaient pas que cette loi-là viendrait
quand ils se sont inscrits, disons, à l'université ou dans le programme.
• (18 heures) •
Je vais vous amener sur quelque chose d'un
peu plus philosophique ou historique. Vous savez, aux États-Unis, ça a été une
grande fierté, de grands progrès sociaux quand dans les corps policiers, par
exemple, les premiers Noirs sont arrivés, les premières femmes sont arrivées,
les premières minorités visibles sont arrivées. Et pourquoi c'était une fierté,
bon, et c'est un progrès de société? C'est parce que, justement, les corps
policiers eux-mêmes le disaient et le disent encore, ça nous permet de nous
rapprocher de nos citoyens et citoyennes. Ça nous permet d'avoir un policier,
policière à qui le jeune, par exemple, peut s'identifier. Ça évite de plaider
le profilage racial ou des choses comme ça, de dire... Parce que, là, <tu...
>c'est un Noir qui va dans, disons, quelqu'un de racisé, quelqu'un... ou
une femme... Et donc ça a été vu comme un progrès de société, cette <inclusion-là
de minorités ou de...
>
18 h (version révisée)
<15379
Mme David :
...de plaider le profilage racial ou des choses comme ça, de dire : Parce
que là, c'est un noir qui va dans, disons, quelqu'un de racisé, quelqu'un... ou
une femme, et donc, ça a été vu comme un progrès de société cette >inclusion-là
de minorités ou< de nouvel...>, je dirais, de nouvel accès, entre
autres, pour les femmes. Pourquoi le port d'un signe religieux, qui fait partie
d'une nouvelle réalité de nos sociétés plus urbaines, j'en conviens, que peut-être
en dehors des grands centres, pourquoi ça, ce ne serait pas vu comme un progrès
social pour les policiers, de dire : Bien, ça va peut-être être plus
facile avec nos communautés visibles aussi ou certaines de nos communautés?
M. Veilleux
(Pierre) : Je comprends très bien. J'aurais tendance à dire
que... j'aurais tendance à faire une distinction entre la race et la religion
parce que, même à travers certaines races, il y a plusieurs religions. On en
parle aujourd'hui, on est au Québec, les Québécois peuvent être de religions
différentes que la religion qui est le point central, le catholicisme. Donc,
dans les autres races, il y a plusieurs religions, pour en avoir constaté
personnellement au fil de mes voyages. Donc, je pense que ce qui est important
si on introduit des gens de certaines races comme policiers et qu'ils se
sentent... ou que les gens se sentent bien lorsque cette personne-là les
intercepte ou fait affaire avec parce qu'ils sont de la même race, ça ne veut
pas dire qu'ils sont de la même religion. Donc, ça peut porter à confusion. On
peut... Et d'ailleurs les...
Mme David : Vous avez
raison. Excusez, je vous interromps parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de
temps. Vous avez raison, mais on pourrait dire que, quand on dit un asiatique,
c'est très, très large, et ça ne veut pas dire qu'un asiatique qui vient de la
Chine, qui s'en va voir un citoyen vietnamien, ça va être l'amour fou en
partant entre eux deux, bon, et on pourrait multiplier ça entre les pays
africains et entre... bon, etc., et mêmes caucasiens, c'est partout.
Alors, oui, il y a plusieurs religions,
vous avez tout à fait raison, mais il y a plusieurs subtilités, nuances dans
les origines ethniques aussi qui ont vécu, dans leur histoire, des fois, des
guerres effectivement très, très, très fratricides. Votre job n'est pas
toujours facile, on le sait, là, mais j'essaie de voir en quoi le fait de ne
pas avoir ce signe religieux permet une plus grande impartialité parce, que des
fois, ça peut permettre un meilleur contact aussi. Ça peut être comme deux
façons de voir la même situation.
Le Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage a maintenant la parole, s'il vous
plaît.
M. Zanetti : Oui, je vous
remercie. Merci beaucoup pour votre contribution. Je voudrais avoir des
spécifications sur... des détails, pardon, plus approfondis sur votre position
par rapport au projet de loi n° 21. Je comprends
qu'il y a des grands pans de ce projet de loi là avec lesquels vous êtes en
accord. Je voudrais voir si vous êtes en accord avec tout. Est-ce que vous avez
une position sur l'interdiction des signes religieux aux enseignants et
enseignantes?
M. Veilleux
(Pierre) : Écoutez, dans notre mémoire, on l'a précisé. Je ne
l'ai pas lu tout à l'heure, là, mais on l'a précisé à la page 4. Je peux
le lire, c'est un paragraphe : «Sous réserve, toutefois, en ce qui a trait
à la conclusion de cette commission portant sur les enseignants. En effet
l'Association des policières et policiers [...] désire demeurer, dans le cadre
de ses commentaires, à l'intérieur de sa sphère d'expertise, qui n'est
manifestement pas l'enseignement. Cette réserve s'avère donc nécessaire
puisqu'elle considère qu'il ne serait aucunement approprié pour elle de se
prononcer sur l'influence que peut avoir le port de signes religieux par des
enseignants, sur la perception des élèves et sur l'influence indue ou non que
peut avoir cette situation dans leurs libres choix éventuels à l'égard des
religions et de leurs pratiques.»
M. Zanetti : Parfait.
Donc, vous appuyez partiellement le projet de loi n° 21?
M. Veilleux
(Pierre) : Je ne me prononce pas sur les enseignants.
M. Zanetti : Donc, une
partie, vous vous prononcez puis, l'autre partie, vous ne vous prononcez pas.
M. Veilleux
(Pierre) : La difficulté, pour nous, c'est simple, c'est que...
O.K.
M. Zanetti : ...correct.
C'est juste, comme ça, ils ne pourront pas dire, mettons, bien, que vous les
appuyez, tout le projet de loi n° 21.
M. Veilleux
(Pierre) : Je reste dans ma sphère d'expertise.
M. Zanetti : Excellent! C'est
bon. Vous parlez des jugements négatifs qui pourraient nuire à l'exercice de
votre fonction dans le cadre où un policier ou une policière porterait un signe
religieux. D'où vient cette appréhension? Est-ce que c'est ce qui a été
constaté ailleurs dans les législations où des policiers ou des policières
portent des signes religieux? Il y a-tu eu des études qui vous ont montré,
quand des policiers et des policières portent des signes religieux, ils sont
victimes de jugements négatifs qui nuisent à leurs interventions ou c'est une
appréhension davantage?
M. Veilleux
(Pierre) : Je n'ai pas d'expérience extérieure, je n'ai pas eu
le temps de poser des <questions à des gens...
M. Zanetti : …eu des
études qui vous ont montré… quand des policiers et des policières portent des
signes religieux, ils sont victimes de jugements négatifs qui nuisent à
l'intervention, ou c'est une appréhension davantage?
M. Veilleux
(Pierre) :
Je n'ai pas d'expérience extérieure. Je n'ai
pas eu le temps de poser des >questions à des gens qui ont… des corps de
police, là, des policiers qui ont des signes religieux. Je n'ai pas entendu
rien, quoi que ce soit là-dessus, je vous rassure.
Par contre, j'y vais par expérience. J'ai
30 ans comme policier, j'ai fait 17 ans de terrain, 17 ans de
patrouille. Et ce n'est pas nécessairement durant le jour qu'on voir les
problèmes, c'est plus la nuit, c'est plus la fin de semaine, lorsque les gens
font le party, et, bon, ça dégénère, et on nous appelle. Déjà, puis je le
précisais tout à l'heure, déjà, le fait d'être jeune, d'être plus vieux, d'être
un homme, d'être une femme et même de couleur, ça apporte certaines… ça apporte
des préjugés, ça fait sortir les préjugés des gens, surtout lorsqu'ils sont
intoxiqués ou ils sont en boisson. Puis ils n'attendent que ça, d'avoir un
petit crochet pour pouvoir augmenter… critiquer. Et là l'escalade se fait
automatiquement. Des fois, tu es obligé <de… >quasiment de tasser
la personne qui est ciblée puis d'appeler d'autres personnes pour pouvoir
reprendre le contrôle.
C'est des appréhensions, c'est de
l'expérience, c'est un mélange des expériences. Écoutez, je ne veux pas faire
rire la commission, mais, moi, la première «facultés affaiblies» que j'ai faite
puis qu'on a été chercher le monsieur qui était assis chez lui en train de
prendre une bière, quand il m'a vu arriver, j'avais 22 ans, il m'a demandé
si ma mère savait que j'étais dans la police. Ça fait que ça a bien mal parti.
Vous voyez le genre, là?
M. Zanetti : Oui. Non,
mais je suis très sensible à ça, puis c'est très important, là, ce que vous
dites. Puis effectivement je pense que ce que ça dit aussi, c'est que, bien, il
faut faire reculer les préjugés dans la société, puis ça, ça va favoriser le
travail des policiers, là. Ça, je pense que vous serez sûrement d'accord avec
moi là-dessus.
Je me questionne si le p.l. n° 21
est une bonne façon de faire reculer les préjugés dans la société, par contre.
C'est une question, je pense, qu'on pourrait légitimement poser, mais ce n'est
pas nécessairement dans votre sphère d'expertise, je ne vous la pose pas. Mais
on pourrait se demander : Est-ce que le fait, justement, qu'il y ait des
personnes qui aillent dans la police et qui aient un signe religieux, est-ce
que ça ne pourrait pas, d'une certaine façon, banaliser ça puis faire en sorte
que ça ferait reculer les préjugés? Les gens se diraient : Il y a du monde
qui sont dans la police… puis ça leur donnerait une espèce de… je ne sais pas,
d'acceptabilité sociale plus grande à cause du respect qui est voué à la police
et à l'autorité policière. Est-ce que vous pensez que c'est possible< ou…>?
C'est une spéculation<, mais..>.
M. Veilleux
(Pierre) : Écoutez, c'est très philosophique comme réponse,
mais j'aurais tendance à dire que, pour certaines personnes, peut-être, pour
certains types de gens, pour d'autres, non, c'est clair. Et je vous ramène
toujours que le métier de policier, <c'est dans les… >c'est les
mauvaises histoires qu'on entend parler, là. Quand ça va bien, ça va bien. Et
je vous réfère à des personnes qui sont soit en santé mentale, soit fortement
intoxiquées ou soit en crise, carrément. Je ne pense pas que, dans ce type
d'événement là, ça serait… je ne pense pas qu'on pourrait faire reculer les
préjugés à long terme. Ça serait plutôt difficile.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. Et j'en profite encore une
fois pour vous remercier de votre participation.
Cela dit, la commission ajourne ses
travaux sine die. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 18 h 9)<
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