(Onze heures quarante-cinq minutes)
Le
Président (M. Bachand) :
À l'ordre, s'il vous plaît! Merci
beaucoup. Ayant constaté le quorum,
je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite, bien sûr,
la bienvenue, et je demande, comme vous le savez bien, à toutes les
personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs
appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 21,
Loi sur la laïcité de l'État.
Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il
des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lamothe (Ungava) est
remplacé par Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac); M. Lévesque
(Chapleau) est remplacé par M. Caron (Portneuf); M. Martel
(Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Jacques
(Mégantic); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme David
(Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé
par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel (Rimouski) est remplacé par
M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Auditions
(suite)
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons entendre, entre autres,
Me Julie Latour, pour Les
Juristes pour la laïcité et la neutralité de l'État, ainsi que le Syndicat de
la fonction publique et parapublique du Québec.
Cela dit,
nous allons démarrer par les exposés. Alors, Me Latour, bonjour. Je vous
cède la parole pour une période de
10 minutes, et après ça nous aurons une période d'échange avec les membres
de la commission. Alors, bienvenue. Je vous laisse la
parole, Me Latour.
Les
Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État
Mme Latour
(Julie) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les parlementaires, alors, je vous
remercie de nous accueillir à l'occasion du projet de loi n° 21,
qui marque un jalon historique pour le Québec.
Alors, au nom des juristes pour la laïcité de
l'État, j'ai le plaisir d'être accompagnée de l'honorable Céline Hervieux-Payette, ex-leader du Sénat, de
Me François Côté, chargé de cours et doctorant en droit. Alors, nous représentons trois générations engagées pour la laïcité et qui démontrent sa
pertinence à travers l'histoire. Et notre regroupement, alors, regroupe
des juristes de tous âges et de tous horizons, mais en grande partie
spécialisés en droit public et en droit constitutionnel.
Nous avons également le plaisir d'avoir la présence parmi nous du professeur
Henri Brun, constitutionnaliste réputé
et qui est l'auteur des ouvrages de référence sur la Charte des droits et
libertés, Me Denis L'Anglais également, avocat spécialisé en droit de l'immigration. Huguette St-Louis, qui a
été juge en chef de la Cour du Québec de 1996 à 2003, est également une
de nos signataires.
Alors, c'est
avec une grande fierté que je m'adresse à vous pour ce rendez-vous historique
auquel nous sommes conviés et que le
Québec attend de longue date. Alors, pour ma part, donc, je vais faire état
d'en quoi le projet de loi n° 21 amène le Québec de plain-pied dans
le XXIe siècle, le rôle de l'État dans l'équilibre des droits
fondamentaux, est-ce qu'on veut aller vers l'avant ou retourner en arrière, et
la validité constitutionnelle du projet de loi. L'honorable Céline Hervieux-Payette traitera, pour sa part, de
la genèse de la Charte canadienne des droits et libertés, à laquelle elle a
participé, ainsi que de la clause dérogatoire et de la déconfessionnalisation
des écoles.
Alors, depuis
60 ans, le Québec a réalisé des démarches concrètes afin de façonner, dans
les faits, un régime de laïcité qui
lui est propre, considérant son parcours historique et sociologique unique au
Canada, et en particulier sa tradition civiliste.
Alors, au terme de ce long parcours, le gouvernement, par le projet de loi
n° 21, pose un geste historique sans précédent. Il affirme que l'État du Québec est laïque. Il définit les
principes constitutifs de cette laïcité. Il l'incarne dans les représentants de l'État qui exercent
l'autorité de l'État au sens large. Les essentiels de la laïcité sont ainsi
posés dans une loi fondamentale à
l'égal de la Charte des droits et libertés de la personne. Ce faisant, le
Québec entre dans son histoire et
pose les jalons du Québec du XXIe siècle, puisque la laïcité pose les
assises d'une société libre et démocratique, pluraliste.
• (11 h 50) •
Le projet de loi n° 21 constitue la
quatrième tentative du législateur d'édifier une laïcité digne de ce nom afin d'outiller le Québec pour l'avenir. On peut y
ajouter également trois projets de loi privés présentés sur le sujet. Alors,
vu l'importance de dénouer cet enjeu
sociétal, c'est une question qui appelle à transcender les allégeances
politiques et partisanes pour amener le Québec à avancer ensemble.
L'affirmation
concrète du principe de laïcité viendra aussi atténuer le trouble qui était
ressenti par les tribunaux et les
décideurs administratifs, qui devaient édifier au cas par cas la question de la neutralité de l'État et de
la laïcité et qui
devaient donc extrapoler, sans balise interprétative applicable claire. Mais
surtout, en instaurant la laïcité, ce que fait l'État québécois, c'est d'asseoir l'État de droit et de déclarer
qu'aucune loi extérieure ne peut avoir préséance sur les lois qui sont
votées par la société civile.
Quant
au rôle de l'État dans l'équilibre des droits fondamentaux, je vous citerai la
philosophe Hannah Arendt, qui dit que la liberté religieuse signifie
davantage que la liberté de croire, elle implique l'émancipation de la
politique vis-à-vis de la religion, et cela reflète aussi les préceptes du
droit en cette matière.
Les
citoyens qui se présentent devant vous pour revendiquer le droit de porter des
signes religieux en tout temps et en
tout lieu prennent, du même souffle, pour acquis qu'ils auront le loisir de les
enlever quand bon leur semble et même de changer de religion. Mais cette liberté qu'ils invoquent, qui la leur
accorde-t-elle? Si la foi vient du ciel, la liberté vient de nos compatriotes, elle vient de la terre, et
l'égalité vient de l'État-nation. Ce n'est pas Dieu qui vote les chartes des
droits, c'est le Parlement, qui incarne le peuple souverain. C'est donc la
liberté de tous les citoyens et non de certains seulement que l'État doit
protéger, sans compter le respect du droit fondamental des femmes à l'égalité,
de la liberté d'expression, le droit à
l'orientation sexuelle, qui sont des exemples des autres sphères qui sont
souvent menacées par les revendications religieuses.
Dans l'arrêt récent
de 2015, Mouvement laïque québécois, lorsque la Cour suprême a invalidé la
récitation de la prière à ville de Saguenay,
elle a rejeté, de ce fait, le concept de neutralité bienveillante, qui est
l'équivalent de la laïcité ouverte, en disant : Il faut une
neutralité réelle et apparente. Et, du même souffle, elle a mentionné que la
laïcité et la neutralité de l'État sont des
impératifs démocratiques, invitant le Québec à agir, et c'est précisément ce
que fait le gouvernement avec le projet de loi n° 21.
La laïcité marque l'ouverture de l'État au pluralisme et, réciproquement, l'ouverture du religieux à l'altérité. Le
religieux doit s'humaniser et il ne peut plus prétendre à la seule vérité de
son dogme dans une société
pluraliste, et cela est garant d'un espace de médiation entre les citoyens qui
invite à aller vers l'autre. Alors,
au contraire d'entretenir des préjugés ou de l'exclusion, la laïcité crée une
frontière fraternelle et de l'oxygène dans une société et un espace de
liberté. Est-ce qu'on veut avancer ensemble ou retourner en arrière?
On
le remarque, l'affirmation du principe de laïcité et la définition de ses
principes constitutifs sont généralement très bien accueillies. C'est plutôt le corollaire, la nécessité
d'édicter un devoir de neutralité des institutions et des représentants,
qui soulève les passions. Bon, il va de soi
que le vacuum législatif depuis 15 ans a entraîné, sous le vocable de la
laïcité ouverte, l'érosion d'un espace civique authentiquement neutre et
a donné lieu à une permissivité qui fait en sorte que certains croyants et les religions s'opposent à ce que
l'État agisse. Mais, encore une fois, il faut noter que les religions sont
souvent en concurrence les unes envers les autres et qu'à terme des
déséquilibres s'installent lorsque l'État n'agit pas.
Pour
les raisons que nous exposons au sein de notre mémoire, nous estimons que, vu
l'évolution de la jurisprudence de la
Cour suprême du Canada, la législation est valide au plan constitutionnel,
puisqu'elle reflète l'évolution de la pensée de la cour. Et, tant les commissaires Bouchard, Taylor, dans leurs
travaux, que les tenants de la laïcité ouverte, qui s'opposent à la législation, sont restés à la jurisprudence
de la cour des années 2004‑2006, mais la pensée de la cour a évolué dans
l'octroi et la reconnaissance du devoir de
l'État de légiférer pour le bien commun, ce qui est le cas du projet de loi n° 21.
Le
Président (M. Bachand) : Me Latour?
Mme Latour
(Julie) : Oui?
Le Président (M. Bachand) : Le temps passe rapidement. Si Mme Céline
Hervieux-Payette veut parler, ce serait le temps. Merci.
Mme Latour (Julie) : Et, certainement, je vais passer la parole, dans
quelques instants, à l'honorable Céline Hervieux-Payette.
Et
je vous soumets aussi que le fonctionnaire de l'État, parce qu'il exerce des fonctions de pouvoir coercitif ou moral, à qui l'on demande de retirer ses signes
religieux, c'est une condition valide et restreinte dans le cadre de cet
emploi, et il revêt de ce fait une
mission beaucoup plus noble qui est celle d'incarner l'aspiration
d'égalité et de justice de tous les concitoyens.
Alors,
avec le projet de loi n° 21, le
Québec trouve enfin les mots pour dire qui il est pour forger l'avenir. La
laïcité est un serment d'égalité et
un ferment de liberté. La laïcité ne discrimine pas, elle émancipe et elle
personnifie le bien commun dans une
société libre et démocratique. Alors, en adoptant et en déclarant que l'État du
Québec est laïque, «un nouvel espoir collectif naîtra», pour citer Refus
global.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la sénatrice, pour
deux petites minutes, malheureusement. Merci.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Je vais être très courte. D'abord, pour expliquer
ma présence, c'est que, lors de l'adoption de la nouvelle Loi constitutionnelle
de 1982, où on avait l'article 15 sur l'égalité, sachez que les provinces
n'étaient pas très enthousiastes et que ce
sont les femmes du Canada qui se sont levées, qui ont tenu cette clause, et
pour laquelle je travaille depuis ce
moment-là, et j'étais là, évidemment, pour voter. Également, la clause
dérogatoire est celle qui est,
finalement, l'enfant des provinces, parce que je ne pense pas même que la Loi
constitutionnelle de 1982 aurait été
adoptée si cette clause-là n'était pas là. Elle redonnait aux provinces les
pouvoirs de se conformer à leurs exigences ou à leurs... et c'était une
condition sine qua non.
Également,
je veux vous dire que j'ai aussi voté au Sénat sur la neutralité du système d'éducation
en abolissant les commissions
scolaires catholiques et protestantes pour le Québec et, à ce moment-là, aussi
Terre-Neuve. Donc, je pense que le
projet de loi n° 21 vient juste s'accoler à cet amendement
constitutionnel maintenant, on vient de faire le tour du chapeau. Et, comme
ancienne présidente d'une commission scolaire de 15 000 élèves, je
peux vous dire que j'ai quand même,
pendant cinq ans, participé à la vie à l'intérieur et comment on gère une
commission scolaire, donc je n'ai pas aucune inquiétude de ce côté-là. On a beaucoup attaché d'importance à une
question, qui sont les signes religieux, et en ce qui me concerne, c'est tous les signes religieux. On a
parlé beaucoup plus de certains signes que d'autres. Et j'allais faire un jeu
de mots en vous disant : Bien, levons donc le voile sur la question du
voile. Je pense que les gens auraient intérêt... Lundi, à Montréal, on aura une auteure célèbre qui
parcourt les États-Unis, qui s'appelle Ayaan Hirsi Ali, qui a échappé à la mort
plusieurs fois, qui est protégée
24 heures sur 24 parce qu'elle a osé dénoncer ce système, et elle
dit : Le voile, c'est un détail;
ce qui va avec, c'est l'excision, le mariage forcé à 14, 15 ans. Et, comme
elle est une survivante de Somalie... parce que son mari était de
Toronto, et elle a été mariée en son absence parce qu'elle ne voulait pas le
marier.
Alors,
tout ça, après l'incident de la famille Shafia, je pense qu'on doit comprendre
qu'on s'attache à un détail alors que ce qu'il y a derrière tout ça est
beaucoup plus important. Alors, bravo au gouvernement avec la loi n° 21!
Le Président (M. Bachand) : Merci. Nous allons passer à la période d'échange.
M. le ministre, vous avez la parole, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Me Latour, bonjour.
Mme Hervieux-Payette, bonjour. Me Côté, bonjour. Merci de témoigner en commission parlementaire
aujourd'hui, de venir apporter votre éclairage, votre opinion sur le projet
de loi n° 21.
M. le Président, vous me permettrez également de saluer M. Henri Brun, qui
est parmi nous ici, qui est fort probablement
l'un des plus grands constitutionnalistes québécois qui a oeuvré au Québec.
Alors, je vous remercie de votre présence
aussi. Et c'est un honneur, je pense, pour la commission aussi que vous ayez
contribué à la rédaction du mémoire. Donc, nos plus sincères
salutations.
D'entrée de jeu, vous savez, il y a plusieurs
personnes qui ont critiqué le projet de loi et qui ont dit : Ah! le projet
de loi sera inapplicable et il n'y a pas de sanctions dans le projet de loi.
Qu'est-ce que vous répondez, à la lumière de votre analyse, à ceux qui
disent que le projet de loi sera inapplicable?
Mme Latour (Julie) : Il est conforme au droit administratif en donnant
la responsabilité aux directeurs respectifs d'appliquer la loi. Et donc, par voie d'incorporation, ce qui figure, ce
qui est énoncé dans la loi fera partie des conditions de travail des employés concernés, alors il
m'apparaît pleinement applicable selon les us et coutumes du droit
administratif.
• (12 heures) •
M. Jolin-Barrette :
O.K. Bien, Me Côté, je pense, voulait rajouter...
M. Côté
(François) : Si je... Est-ce qu'on m'entend?
Une voix :
...
M. Côté
(François) : O.K. Donc,
si je peux rajouter quelque chose, il y a aussi qu'outre le cadre du droit administratif il ne faut pas perdre de vue qu'il y a
une autre loi qui va être d'une application singulièrement importante, c'est le Code de procédure
civile, qui prévoit une série de
recours qui vont permettre à la loi d'être applicable dans toute sa portée. Le pourvoi en contrôle judiciaire et le
mandamus sont l'exemple parfait. Si vous êtes face à une autorité qui, pour une quelconque raison, refuse d'appliquer la loi, la sanction, elle est
là, elle fait partie de notre droit procédural. Ce n'est pas parce
qu'elle n'est pas textuellement écrite dans un article à la fin du projet de
loi qu'il n'y en a pas.
Donc,
nous sommes d'avis que le projet de loi est tout à fait applicable
juridiquement. Les règles de droit administratif et les règles
procédurales sont là pour en permettre une application pleine et entière.
M. Jolin-Barrette : Pour les gens qui ne sont pas initiés à ce
domaine-là, là, puis dans un souci de vulgarisation, est-ce que ce que vous dites ça signifie qu'on n'a
pas besoin d'avoir de sanctions pénales, des amendes, si on ne respecte pas la
loi, pour que la loi soit respectée? Quand vous faites référence au droit
administratif, là, qu'est-ce que ça signifie? Qu'est-ce que ça veut
dire?
Mme Latour (Julie) : Pas comme tel, parce qu'en général les mesures
disciplinaires peuvent être prises. Cependant, d'autres législations européennes... la France, notamment, a, elle, dans
certains cas, édicté des amendes. Alors, c'est un choix de société qui
revient pleinement à chaque société.
M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, ça signifie que le projet de loi, dans
sa forme actuelle, est applicable, parce que vous dites : En vertu du Code de procédure civile, il y a des
outils pour faire appliquer la loi. C'est bien ça que je comprends?
M. Côté
(François) : C'est ce que nous disons.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et puis, dans ce cadre-là, est-ce que toutes
les lois québécoises ont des sanctions pénales prévues dans leurs lois ou ça existe, des lois, au Québec, qui ont
recours à ce à quoi vous faites référence dans le Code de procédure
civile pour faire assurer le respect de la loi?
Mme Latour (Julie) : Bien, tout à fait, là, il y a un corpus juridique
qui existe, alors il n'est pas nécessaire d'édicter dans chaque loi... le tout se comprend dans son
ensemble, alors, ce qui est le cas de l'ajout de la loi n° 21,
qui, donc, s'ajoute au corpus juridique existant.
M. Jolin-Barrette :
Donc, pour vous, la loi, elle est applicable.
Mme Latour (Julie) :
Tout à fait.
M. Jolin-Barrette : O.K. Bon, dans votre mémoire, vous dites que le
projet de loi est valide d'un point de vue constitutionnel, qu'il est légitime que le Parlement ait recours à la
disposition de dérogation afin, et là je vous cite, «d'asseoir la souveraineté parlementaire sur un enjeu
sociétal de cette importance». Même si on considère que le projet de loi est
valide, M. Bouchard, hier, est venu à
l'Assemblée puis il disait que d'utiliser la clause dérogatoire, c'est avouer
qu'on porte atteinte aux droits
fondamentaux sans raison valable. Qu'est-ce que vous pensez de l'argument de
M. Bouchard?
Mme Latour
(Julie) : J'ai une réponse
en deux temps. Tout d'abord, lorsqu'il mentionne qu'il ne voit pas l'intérêt
supérieur, là, on peut se demander sur
quelle planète il vit. Et je constate que tant MM. Bouchard que Taylor
semblent nier le problème même qu'ils
ont été jadis chargés de résoudre. Mais la noblesse intrinsèque de la laïcité,
elle porte en elle-même son intérêt
supérieur, et l'intérêt supérieur de la laïcité, c'est de protéger les acquis
démocratiques et l'égalité de tous les citoyens, d'une part.
Et, d'autre
part, c'est le quatrième projet de loi sur cette question, et on pourrait
presque dire le cinquième, si on ajoute
le projet de loi n° 63, qui était ancillaire, là, qui amendait la Charte
des droits, suite à la commission Bouchard-Taylor, pour ajouter l'égalité hommes-femmes. Donc, moi,
c'est la cinquième fois que je viens sur de tels enjeux en commission parlementaire en 10 ans, sans compter les
trois projets de loi présentés à titre individuel par les députées Fatima
Houda-Pepin, Nathalie Roy et
Françoise David. Alors, c'est un enjeu qu'il est urgent et important pour le
gouvernement de dénouer, c'est ce qui
est fait dans le cadre de cette loi. Et, dans une démocratie, cet enjeu et
ce... Dans un arrêt récent, la Cour suprême a dit que, dans une démocratie parlementaire, le choix des politiques
revient au gouvernement, à l'État. C'est ce que l'État fait avec le
projet de loi n° 21.
Et je vous
soumets que l'utilisation de la clause dérogatoire... Alors, nous, nous
estimons que le projet de loi est valide comme tel. Par contre, dans une
démocratie, le rôle, cette fois-ci, de la clause dérogatoire, qui, je le
répète, fait pleinement partie de la Charte
des droits et, comme l'a dit le sénateur Hervieux-Payette, a été adoptée pour
ajouter un équilibre et pour
reconnaître la souveraineté, l'autonomie des provinces d'agir dans leurs
sphères de compétence, mais il s'agit
aussi d'avoir une paix sociale pendant cinq ans. Parce qu'il y a eu énormément
d'échanges, la société civile, les parlementaires
ont été mobilisés, mais, dans une démocratie, il faut se rallier aussi. Et que
ce soit sur les enjeux comme l'interruption de grossesse, l'aide
médicale à mourir, la peine de mort, jadis, même si des citoyens sont en
désaccord, il faut aller de l'avant avec une
loi qui protège le bien commun. Alors, c'est ce que le gouvernement fait, et
cet usage de la clause de dérogation, des clauses de dérogation, en
l'instance, est légitime aux plans politique et juridique.
M. Jolin-Barrette : Certains disent dans leur argumentaire qu'un
usage préventif de la clause dérogatoire serait inconstitutionnel en raison des
décisions postérieures à l'arrêt Ford. Qu'est-ce que vous pensez de cet
argument-là? Parce que l'arrêt Ford,
c'est 1988, je crois, dans ces années-là. Ils disent : Bien, vous ne
pouvez pas utiliser de façon préventive la clause dérogatoire, comme ça a été fait dans des centaines de cas
dans les lois québécoises. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus.
Mme Latour
(Julie) : Je vais céder la
parole à Me Côté, qui a rédigé une étude importante au sujet de la clause
de dérogation et de son usage.
M. Côté
(François) : Nous avons répertorié, à l'intérieur de l'histoire du
droit québécois, plus de 106 cas... en fait, exactement 106 cas d'utilisation de la
disposition dérogatoire qui ont été, dans une proportion massive, utilisés de
manière préventive, parce que cette
utilisation préventive de la disposition dérogatoire s'ancre à l'intérieur
d'une approche théorique et d'une pratique législative qui s'est
justifiée au travers de plusieurs décennies constantes au Québec.
Pourquoi
l'utilisation préventive de la disposition dérogatoire ? Essentiellement
pour deux raisons. La première, parce que, comme Me Latour le disait si bien tout à l'heure, nous
sommes face à un enjeu social important, et l'utilisation préventive de la disposition dérogatoire sert à
garantir à la population québécoise que cet enjeu social crucial qu'est la
laïcité ne sera pas paralysé par une
contestation judiciaire qui pourra s'éterniser, n'importe
quel plaideur pourra vous le dire, longtemps avant d'en
arriver jusqu'à la Cour suprême.
Et le
deuxième élément qui vient justifier le recours préventif à la disposition
dérogatoire, c'est que — et il est important
de le souligner ici, et je fais ici un lien avec votre question précédente — l'usage de la disposition dérogatoire ne constitue en rien un aveu à l'effet que le
projet de loi n° 21 serait contraire aux droits et libertés. On n'a qu'à
regarder à l'échelle internationale,
à l'échelle européenne, en France, en Allemagne, en Turquie, dans la communauté
européenne, de nombreuses
juridictions ont légiféré pour encadrer le port de symboles religieux... de
signes religieux, pardon, au sein de
l'appareil d'État de manière, certaines fois, beaucoup plus restrictive que le
projet de loi n° 21, et de telles restrictions ont passé le test des tribunaux nationaux, des
tribunaux communautaires en raison de leur cadre de référence, en raison
de la tradition juridique dans laquelle de telles mesures s'impliquent.
Et
ici l'utilisation préventive de la disposition dérogatoire par le gouvernement
du Québec est une affirmation du cadre juridique de la tradition civiliste, de la conception particulière
et distincte, de la manière de concevoir qu'est-ce que c'est que le droit ainsi que la portée et
l'application des droits fondamentaux, qui n'est pas pareille, qui n'est pas la
même que celle du Canada anglais, en fonction de la Charte canadienne des
droits et libertés, lequel, pour reprendre les propos d'une étude
récemment publiée par Luc Tremblay, opère surtout dans un éthos
multiculturaliste, alors qu'au Québec nous avons une vision différente de la laïcité qui
est tout à fait respectueuse des droits et libertés si on accepte de respecter
le cadre civiliste, ce à l'égard de quoi
nous avons certaines méfiances légitimes quant au fait que les tribunaux le
respecteraient, effectivement, lorsqu'on regarde les tendances
dominantes de la jurisprudence.
•
(12 h 10) •
M. Jolin-Barrette : Donc, c'est légitime pour les députés de
l'Assemblée nationale, qui sont les représentants de la
nation québécoise, de faire ce choix-là et de légiférer en utilisant la
disposition de dérogation pour que le choix de société se fasse au
Parlement et non pas que l'organisation des rapports entre l'État et les
religions soit définie par les tribunaux.
Mme Latour (Julie) : Exactement. Et, dans la tradition, les provinces
de common law vivent avec le «judge-made law». Pour eux, d'édifier au cas par
cas, c'est moins antinomique que pour le droit civil, qui est un système de
droit déductif où le juge doit
précéder... où la loi, pardon, doit précéder le juge, et donc d'édifier de
façon déductive. Et, dans une loi fondamentale, la laïcité, c'est aussi
concrétiser des démarches historiques collectives qui datent de plus de
60 ans.
Et
en Europe, il existe la notion de marge d'appréciation nationale, qui est ce à
quoi Me Côté faisait référence et qui
serait un peu, donc, transposée, de tenir compte de ce particularisme que la
Cour suprême, d'ailleurs, a souligné et a accueilli favorablement dans l'arrêt Nadon, l'arrêt concernant la
nomination du juge Nadon et l'importance de protéger la tradition
civiliste québécoise en ayant trois juges, à la Cour suprême du Canada, issus
de la tradition civiliste.
Le
Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, et avec les valeurs sociales distinctes du
Québec, je pourrais rajouter, que la Cour suprême indique dans l'arrêt
Nadon.
Écoutez,
dans votre mémoire, vous dites : «Les juristes favorables à la
"laïcité ouverte", qui s'opposent de ce fait à l'action législative de l'État, ont cristallisé
leur interprétation du droit aux premiers arrêts de la Cour suprême du Canada
rendus dans Amselem en 2004 et Multani en
2006 et font fi de l'évolution subséquente dans la pensée de la cour. Comme
elles reposent sur une vision parcellaire de la jurisprudence, leurs
prétentions à la clarté et à la vérité juridique nous apparaissent présomptueuses,
sans compter la hauteur morale autoproclamée dont ils se drapent.»
Donc,
concrètement, là, vous nous dites qu'il y a certains juristes qui ne sont pas
tout à fait à jour dans l'état de la jurisprudence.
La commission des droits de la personne et de la jeunesse est venue nous
présenter un mémoire mardi soir, je
crois, et l'arrêt Trinity Western University n'était pas cité dans leur
mémoire, et je crois même que l'arrêt Colonie huttérite, décision de la Cour suprême aussi, n'était pas
cité non plus. Qu'est-ce que vous pensez de ce fait-là, que certaines décisions
récentes de la Cour suprême n'aient pas été citées par les juristes qui sont
favorables à la laïcité ouverte?
Mme Latour (Julie) : Bien,
il faut dire une première chose, c'est qu'il y a un militantisme qui ne dit pas
son nom derrière la défense tous
azimuts des droits individuels. Or, ce que nous disons, nous, c'est que l'État
doit défendre également tous les droits individuels et incarner le bien
commun, ce qu'il fait avec la laïcité.
D'autre
part, les tenants de la laïcité ouverte... et la bien-pensance avec laquelle
ils se justifient, elle n'a pas d'assise juridique. Eux, ils invoquent que la croyance subjective sincère sert à
justifier quelque demande que ce soit au plan religieux. Ce n'est plus du tout l'état du droit depuis les
arrêts Bruker, bon, Mouvement laïque. J'ai remarqué que, dans les documents
de la Commission des droits de la personne,
on cite un seul extrait : quand la cour parle des acteurs privés. C'est
sûr que les gens sur la rue, ils n'ont pas à refléter la neutralité de
l'État. Mais la cour a dit clairement, dans une seconde partie du jugement,
que, quand les employés de l'État professent, adoptent ou favorisent une
religion ou option spirituelle au détriment d'une autre, il y a une atteinte à
l'égalité. Ça, je m'étonne de ne pas retrouver ça dans les documents de la Commission des droits parce que la commission des
droits, elle a la mission d'incarner l'aspiration à l'égalité de tous les
citoyens du Québec.
Et,
quant à l'arrêt Trinity Western University, qui a été rendu tout récemment, en
2018, c'est aussi... alors, c'est un arrêt
qui est très important qui démontre que l'intérêt public peut justifier de
refuser des revendications religieuses. Alors, Trinity Western University, qui est une université évangélique
chrétienne qui veut former des leaders pieux et des leaders agissant dans la société, alors, voulait donc
faire accréditer une faculté de droit où il était nécessaire pour les
étudiants, comme condition pour
pouvoir être admis à cette faculté, de souscrire à un engagement qui interdit
tout rapport sexuel sur et hors le
campus, je le précise, donc interdire tout rapport sexuel qui porterait
atteinte aux liens sacrés du mariage entre
un homme et une femme. Alors, nécessairement, l'impact de cela, c'était de
faire en sorte que les étudiants LGBT n'étaient pas tellement les
bienvenus et ne pouvaient pas vivre selon leurs convictions. Et le Barreau de
la Colombie-Britannique a refusé d'accréditer cette faculté de droit, ce
qui a été confirmé par la Cour
suprême du Canada, qui a dit que... l'image positive que devait refléter le
Barreau et que l'égalité, c'était en amont, il fallait que tous les aspirants
juristes puissent se sentir bienvenus
d'étudier à la Faculté de droit de Trinity Western University. Ce faisant, la Cour suprême a noté qu'il n'y avait eu aucune volonté de compromis de l'université de
retirer le «covenant». Alors, déjà, pour la Cour
suprême, la volonté de compromis existe, et je vous soumets que c'est ce qui
est demandé aux agents de l'État en l'instance. Et elle a mentionné que,
pour des étudiants, d'avoir une faculté où de tels préceptes existent, ce
serait dégradant et irrespectueux pour leurs convictions.
Par
voie d'analogie, quand on parle d'égalité, à l'instar de ce que disait le
sénateur Céline Hervieux-Payette...
Le
Président (M. Bachand) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Latour
(Julie) : ...on peut
transposer la même chose au plan scolaire. Si on veut que tous les élèves se
sentent égaux et puissent s'émanciper, ils doivent avoir des professeurs
qui sont neutres.
Le Président
(M. Bachand) : Merci,
Me Latour. Il faut accélérer un
petit peu. Alors, je cède la parole maintenant à la députée de Marguerite-Bourgeoys,
s'il vous plaît.
Mme David : Merci beaucoup. Merci, mesdames monsieur, pour
être ici ce matin. Ma première question s'adresse à Mme Hervieux-Payette. On a toujours
dit et accepté, dans ce débat, qu'il fallait faire preuve de mesure.
Trouvez-vous mesuré d'affirmer que le
voile, c'est un détail, et après c'est l'excision? Le voile, c'est un détail,
et après c'est l'excision. Pensez-vous vraiment ce que vous dites?
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Écoutez, si je n'avais pas lu et je ne m'étais
pas renseignée depuis des années, des
dizaines d'années... Cette dame qui a vécu ce drame avec toutes ses collègues
de classe, etc., est une preuve vivante. Elle va venir témoigner de cette chose-là. Et le voile n'est pas un
simple voile comme ma grand-mère mettait son chapeau pour aller à la messe. Le fait de ne pas porter le
voile, dans la plupart des pays où c'est rigoureusement appliqué, ça implique
des sanctions qui vont jusqu'à la mort. Alors, il ne faut pas penser que c'est quelque
chose de trivial et qui n'a pas de conséquences.
Puis au Canada, évidemment, on n'est pas dans cette culture, mais on a au
moins le devoir, et les parlementaires ont
le devoir de se renseigner sur les origines et sur l'application de cette mesure-là dans les pays qui, fondamentalement, sont
des fondamentalistes religieux.
Mme David :
Alors, au Québec, qu'est-ce que ça serait, la signification de porter le voile?
Mme Hervieux-Payette (Céline) : ...leur demanderez. Je vous dis tout simplement
qu'il y a une interprétation qui a
été faite par les gens qui le vivent et que des pays entiers sont sous cette
domination-là. Alors, le mariage forcé, ce n'est pas une blague, l'excision ou la mutilation, ce n'est pas une
blague, et la violence qui est exercée, et le contrôle absolu. Alors, si
vous appelez ça l'égalité, moi, je n'appelle pas ça l'égalité.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Et il faut quand même répondre aux questions avec
l'expérience d'autres qui ont vécu cette situation.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, s'il vous
plaît.
Mme David :
Alors...
Mme Latour
(Julie) : Si je peux ajouter, simplement, ce que vous dit le
sénateur Céline Hervieux-Payette...
Mme David :
M. le Président...
Le Président (M. Bachand) : Oui. La parole est à la députée. Merci, on va
revenir. Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme Latour
(Julie) : ...juste en complément...
Le
Président (M. Bachand) : Me Latour, s'il vous plaît! S'il
vous plaît!
Mme David :
Mon échange est avec Mme Hervieux-Payette. Si tant est que les mots ont
une importance, et elles ont ici, en
ce moment, une immense importance, vous faites le lien vraiment entre le voile,
l'excision, vous faites le lien avec le mariage forcé et vous
dites : C'est dans les autres pays, mais c'est ce qui vous motive,
justement, à venir ici défendre la laïcité. Donc,
il est évident que vous faites un lien entre le voile, l'excision, les
mutilations génitales, le mariage forcé ici, au Québec.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Bien, écoutez, il ne faut pas être très naïf pour
ne pas savoir que même des gens qui
habitent ici envoient leurs enfants dans certains pays où l'excision se fait
pour le faire à l'extérieur d'ici parce que c'est illégal, les médecins n'ont pas le droit de le faire, mais ça se
fait aussi par des voisines et des gens. Alors, c'est évident...
Le Président (M. Bachand) : Je vous demanderais de faire très attention, là,
très attention de ne pas déraper ici, là, s'il vous plaît. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David :
Donc, les femmes ici, qui sont des enseignantes, qui sont des infirmières, qui
sont des médecins spécialistes, seraient toutes porteuses, dans le fait
même de porter le voile, de toutes ces pratiques dont vous parlez.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Non, je n'ai pas dit ça. Je vous ai dit tout
simplement que je levais le voile sur la signification d'où vient cette
directive de porter le voile comme symbole religieux.
• (12 h 20) •
Le
Président (M. Bachand) : Merci, Mme
la sénatrice. Me Latour, rapidement.
Mme Latour (Julie) : Bien, peut-être pour situer le débat, là, ce que vous dit le
sénateur Céline Hervieux-Payette, c'est
que, sous le vocable des droits individuels, on ne peut pas faire abstraction
de la portée géopolitique du fait religieux. Et le grand débat auquel nous sommes conviés avec le projet de loi n° 21, il est le suivant, c'est que, oui, il y a
des aspirations religieuses, mais il y a
des conflits entre les dogmes religieux et les droits et libertés qui sont
prévus dans les chartes des droits.
Et l'État, pour protéger l'égalité de tous les citoyens, ne peut pas prêter
flanc... Parce que d'avoir un enseignant qui arbore des signes religieux, puisque nous... La plupart des dogmes
religieux interdisent l'avortement, l'aide médicale à mourir, nombre de
sujets mais qui, au plan sociétal, sont des droits et libertés que nous
permettons. Alors, c'est cette clarté-là qui est requise.
Le
Président (M. Bachand) : Merci, Me Latour. Mme la
députée, s'il vous plaît.
Mme David : Je vais revenir aux propos de
Mme Hervieux-Payette parce que ça me semble capital dans le débat maintenant
et dans ce qu'on véhicule comme image des femmes qui portent le voile. Je
répète, vous dites : Le voile, c'est un détail, autrement dit, ce n'est que le début, et derrière se cachent
l'excision, la mutilation, le mariage forcé, et donc, au Québec, on serait porteurs de ça. Et vous envoyez le
message que les femmes qui portent le voile, donc, ce n'est que l'apparence,
et derrière ça il y a tout le reste qui peut suivre.
Le Président (M. Bachand) : Mme la sénatrice, je vous demande une grande
prudence, les débats vont très, très,
très bien, une prudence dans vos propos, s'il vous plaît. Merci.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Ma seule réponse, c'est tout simplement d'aller voir le cas Shafia, c'est celui qu'on a au Canada.
On a des gens qui sont en prison à vie, le père, la mère et le fils. Alors, je pense
qu'on a un exemple très, très concret.
Le
Président (M. Bachand) : Me Côté, oui, rapidement.
M. Côté (François) : Pour apporter un complément de réponse à cette question,
c'est qu'il ne faut pas oublier que, derrière les signes religieux... En fait,
quant à la question des signes religieux, il y a deux grands aspects à
tenir compte, l'aspect subjectif et l'aspect objectif, et il ne faut pas
commettre l'erreur de confondre les deux.
L'aspect
subjectif d'un signe religieux, c'est ce que la personne qui le porte
intériorise et croit, et ça, personne ne
le remet en question. Et il n'est pas ici question... il ne saurait ici
être question de prétendre que l'écrasante majorité ou même une majorité
significative des porteurs de symboles religieux au Québec puissent mettre de
l'avant des comportements culturels qui sont incompatibles avec la société.
Mais
il y a la question du symbolisme objectif. Un symbole religieux est, par définition et de manière
inhérente, indépendamment de la volonté de son porteur, justement
porteur de messages, diffuseur d'un message, et ce message peut prendre plusieurs colorations dépendamment de
l'histoire, des cultures, dépendamment des religions, et ces messages
religieux n'ont tout simplement pas leur place au sein de la sphère civique.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, s'il vous
plaît.
Mme David :
Oui, écoutez, je suis encore un peu sous la réflexion, pour ne pas dire la grande
réflexion ou le choc, l'inquiétude de
cette proposition. Mme Hervieux-Payette, vous êtes quelqu'un d'important à
la société, on connaît votre nom,
votre parcours depuis de très nombreuses années, et donc chaque mot employé est
un mot extrêmement important pour les femmes qui vous écoutent, pour les gens
qui se disent : Est-ce que j'ai bien compris tous ces enjeux-là? Et vous
apportez ce matin une façon d'expliquer les
choses qui est assez ostracisante pour les femmes qui portent le voile et qui
le portent pour de multiples raisons.
Alors,
la façon assez univoque dont vous présentez la question du port du voile,
venant d'une femme aussi influente qui
a consacré sa vie à la société québécoise, on pourrait dire, m'inquiète
beaucoup parce que, quand on dit : Le voile, c'est un détail, et après c'est l'excision, la
mutilation, le mariage forcé, etc., on parle du cas Shafia, imaginez tout ce
que les femmes peuvent penser en ce
moment. Et ça m'inquiète vraiment beaucoup parce que ce n'est pas n'importe qui
qui dit ça, justement.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : ...article 15, c'est devenu presque ma
religion, une religion pas à caractère spirituel,
c'est-à-dire la clause d'égalité. Et, quand on touche à ces questions
religieuses... Je suis une pratiquante catholique et je peux vous dire que je ne suis pas très fière
de mon Église depuis un certain temps. Alors, je vous dis ça parce que le
comportement des gens, ce qui s'est passé dans mon Église à moi, ça non plus,
ça ne m'a pas fait plaisir, mais il faut quand
même regarder la réalité, et c'est
ça, la réalité dont je vous parle. Ce n'est pas moi qui ai inventé la réalité.
Cette dame parcourt les États-Unis
depuis des années, protégée par des policiers, pour parler du sort des femmes
qui ont adhéré à ces symboles religieux.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée, s'il vous plaît.
Mme Hervieux-Payette
(Céline) : Alors, je ne vous
dis pas que c'est un détail, c'est un symbole. Et ce n'est pas un détail, en ce sens que... Quand j'ai
parlé de voile, il y a un parallèle avec le voile corporatif. On sait ce
que la compagnie fait quand on a levé le voile coopératif. Mais c'est ça...
Le Président
(M. Bachand) : Parfait.
Merci beaucoup, Mme la sénatrice. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Justement, Mme Hervieux-Payette, vous venez de dire
que vous êtes une pratiquante catholique puis vous le dites avec conviction, et
c'est tout à fait correct. Et justement on pourrait dire
que, dans toutes les religions, y compris la religion catholique... Vous
dites : Je ne suis pas toujours fière de la religion à laquelle
j'appartiens, il peut y avoir un certain nombre d'extrêmes — le
pape est contre l'avortement, le divorce, on ne peut pas se remarier,
etc. — alors,
il y a eu quand même quelques troubles, et
il y en a des contemporains dans l'Église catholique, en ce moment, les prêtres
pédophiles, on ne va pas s'étendre trop
longuement sur tout ça, mais ça ne veut pas dire que ça fait de vous une
pratiquante catholique qui accepte tout ça, vous venez de le dire.
Or,
quand vous dites : Le voile, c'est un détail, et après c'est l'excision,
la mutilation, le mariage gai... excusez, le mariage forcé — sûrement pas le mariage gai — et l'affaire Shafia, vous êtes en train de
dire exactement le contraire de ce
que vous dites pour la religion catholique : Ah non! La religion
catholique, ce n'est pas ça. Alors, j'espère que vous avez l'occasion de
bien expliquer vos propos.
Mme Hervieux-Payette (Céline) : Je n'ai pas étendu ça à d'autres religions. Je
peux vous dire une chose : Allez regarder
le sort des femmes en Inde et vous allez comprendre aussi. Alors, moi, j'ai
pris celui-là, mais ça existe. Je ne connais
pas de religion qui accorde l'égalité absolue aux femmes, je n'en connais pas.
Peut-être que vous en connaissez, moi, je n'en connais pas. Et, pour moi, c'est
un principe fondamental qui est reconnu dans nos lois, l'égalité d'abord et
avant tout dans toutes les fonctions
de la société. Il n'y a pas d'exceptions qui peuvent être faites à l'égalité,
en ce qui me concerne.
Le
Président (M. Bachand) : Oui, Mme la députée, allez-y.
Mme David :
Respectueusement, je souligne la contradiction, que vous dites qu'en même temps
toutes les religions ne respectent peut-être pas l'égalité
hommes-femmes, mais vous dites que vous êtes une pratiquante vous-même, une croyante. Donc, vous adhérez à cette religion-là
comme une femme voilée pourrait adhérer à sa religion sans que ça veuille
dire que ça mène à l'excision, la mutilation
et le mariage forcé. Je ne pense pas que vous adhérez à tous les principes de
votre religion.
Mme Latour
(Julie) : Si je peux me permettre...
Le
Président (M. Bachand) : 10 secondes, Me Latour.
Mme Latour (Julie) : ...le but de la laïcité, c'est justement de
protéger la richesse du religieux mais d'éviter ses errements. Je répète, la base, la laïcité, c'est
le socle de la liberté de religion et de la liberté de conscience, et avec la
laïcité, c'est l'affirmation aussi
que tous les citoyens sont égaux, c'est le propos du sénateur Céline
Hervieux-Payette. Et moi, je vous dirais, Mme la députée, ce qui m'inquiète,
c'est que, pendant 15 ans, le gouvernement libéral n'a pas agi...
Le
Président (M. Bachand) : Me Latour, en terminant.
Mme Latour
(Julie) : ...pour asseoir cette égalité.
Le
Président (M. Bachand) : Me Latour. Me Latour,
s'il vous plaît! Maintenant, la parole est au député de Jean-Lesage, s'il vous
plaît.
Une voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : S'il vous plaît! S'il vous plaît!
S'il vous plaît!
M. Zanetti :
Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre contribution au débat.
D'abord, tout le monde ici est pour la laïcité. Je pense que ce n'est
pas l'objet du débat. Vous avez évoqué l'excision, le mariage forcé, les crimes d'honneur, bien, tout le monde est d'accord
avec vous là-dessus, personne n'est pour ces choses-là, et le système de droit québécois ne permet pas ces choses-là. Ce
ne sont pas une menace actuelle qui n'est pas protégée par le système
québécois. Si c'était le cas et que le p.l. n° 21
traitait de ça, on n'aurait pas les débats qu'on a aujourd'hui.
L'enjeu
maintenant, c'est les signes religieux et leur interdiction. Et le p.l. n° 21 ne fait rien contre la radicalisation, le p.l. n° 21 ne fait rien contre l'intégrisme religieux.
Quelle est aujourd'hui la menace urgence et réelle à la laïcité de l'État québécois, s'il vous plaît? En étant
concret, pas en... Et ma question s'adresse à la sénatrice Céline Hervieux-Payette.
Mme Latour
(Julie) : ...moi qui vous répondrai.
Le
Président (M. Bachand) : Me Latour, oui.
Me Latour.
• (12 h 30) •
Mme Latour (Julie) : Alors, nous avons besoin d'édifier la laïcité de
l'État parce qu'on ne peut plus continuer au cas pas cas. Par exemple, le seul exemple de la prière à ville de
Saguenay a pris sept ans avant d'être dénoué, de 2008, devant le
Tribunal des droits de la personne et des décisions contradictoires, jusqu'à la
Cour suprême du Canada. À un tel rythme, il va nous falloir 600 ans pour édifier la laïcité
de l'État. Et la laïcité de l'État, je le répète, c'est la base d'une société libre et démocratique et c'est la
base de la liberté de religion et de la liberté de conscience, alors on
concrétise un très long cheminement et on affirme ce cheminement.
Le
Président (M. Bachand) : ...Me Latour,
parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps pour M. le député. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Vous n'avez absolument pas répondu. Quelle est la menace concrète, urgente qui
porte atteinte à la laïcité de l'État québécois aujourd'hui, et pas dans
un autre pays?
Mme Latour (Julie) : Aujourd'hui, c'est que, tant que la laïcité n'est
pas affirmée, il y a toujours une possibilité d'érosion de cette neutralité de l'État, oui, qui arrive. Je peux vous
donner nombre d'exemples. Alors, pour revenir sur les sujets dont vous avez parlé, en matière de crimes
d'honneur, le Conseil du statut de la femme a fait un avis pour renforcer
le droit. Le Conseil du statut de la femme a
demandé de façon réitérée à l'État d'agir pour protéger les droits des femmes.
Il existe des décisions ou des articles d'ordre public où l'on a permis
l'accommodement à ces articles.
Le
Président (M. Bachand) : En terminant, s'il vous plaît.
Mme Latour (Julie) : Alors, la nécessité de clarifier le droit et
d'agir pour donner les assises de la liberté de religion et de
conscience est présente. Et, si nous sommes au quatrième projet de loi depuis
15 ans...
Le Président (M. Bachand) : Me Latour, en terminant. Je dois céder la
parole au député de Matane-Matapédia. M. le député, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Donc, les crimes d'honneur s'en viennent. C'est ça, la menace, les crimes
d'honneur.
Le Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît, M.
le député de Matane-Matapédia a la parole. M. le député, s'il vous
plaît.
M. Bérubé :
Merci, M. le Président. Bienvenue à l'Assemblée nationale.
Me Latour,
je vous cite : «La législation proposée est également cruciale afin de
maintenir l'intégrité du droit face aux normes religieuses, qui constitue la
marque distinctive d'une société démocratique.» Ces commentaires, vous les avez
faits à l'occasion du projet de loi n° 60, projet de loi proposé par le Parti québécois, première formation
politique à proposer de légiférer en matière de laïcité.
Aujourd'hui, vous
appuyez toujours, fidèle à vos principes, avec vos collaborateurs, un geste
d'émancipation nationale de l'État québécois
qui n'est pas facile, mais sachez que, dans l'histoire du Québec, il n'y a
jamais eu rien de facile. Et aujourd'hui je veux saluer votre contribution
remarquable à ce débat, ainsi que l'ensemble de vos collaborateurs.
Dans
votre mémoire actuel sur le projet de loi n° 21,
vous soumettez que c'est ce que le gouvernement du Québec fait, un exercice de souveraineté populaire, avec
le projet de loi n° 21, ce qui devrait lui valoir une certaine
déférence plutôt que désobligeance de ses partenaires canadiens. Je vous
soumets humblement que les trois principales formations politiques qui peuvent former le prochain gouvernement canadien, le
Parti libéral du Canada, le Parti conservateur du Canada et le Nouveau Parti démocratique,
s'opposent tous à la législation québécoise. Alors, lorsqu'on adoptera ce
projet de loi — parce
qu'il sera adopté, le gouvernement est majoritaire, on ne sait pas dans quelles
dispositions, avec quelle version finale — est-ce qu'on est à
l'abri d'une contestation fédérale? Et comment s'en prévaloir, d'une
protection?
Mme Latour (Julie) : Au plan des principes, je vous dirais tout
d'abord que le Canada, qui prêche tant pour la diversité, devrait accepter celle du Québec dans le traitement de cette
question, première chose, et que le traitement du pluralisme aussi et de
la diversité, c'est plus grand que des paroles creuses, c'est d'agir
concrètement pour le bien commun, comme le
gouvernement le fait avec le projet de loi n° 21
dans un... Et le projet de loi n° 21... Et ce geste du Canada... C'est pour ça que je mentionnais :
Le Québec parle pour dire qui il est. Et, depuis plusieurs années... Dans mon
enfance, il y avait beaucoup de conférences
constitutionnelles et il y avait un vrai débat de ce qui nous constitue, hein?
C'est un peu la Constitution. Bon,
malheureusement, depuis des années, cet échange-là, ce dialogue n'existe plus.
J'espère qu'il peut renaître et que nous avons un Canada évolutif où
chaque peuple fondateur peut prendre sa place. C'est ce qu'André Laurendeau a tenté de faire. Et, à mon avis, c'est le noeud
gordien du Canada d'avancer ensemble en reconnaissant la richesse de
toutes ses parties.
Le
Président (M. Bachand) : Commentaire, M. le député,
rapidement, très rapidement? Ça va?
M. Bérubé :
Me Latour, c'est pour ça que j'en ai tiré des conclusions politiques.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps que nous
avons pour cette période de la séance. Alors, je vous remercie
infiniment pour votre contribution aux travaux.
Alors,
je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 12 h 35)
(Reprise à 12 h 39)
Le Président
(M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission reprend ses travaux.
Je souhaite
maintenant la bienvenue au Syndicat de la fonction publique et parapublique du
Québec. Alors, je vous invite à
débuter votre exposé d'une durée de 10 minutes, et par après nous aurons
une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, encore
une fois, bienvenue, et veuillez commencer votre exposé. Merci.
Syndicat
de la fonction publique et parapublique
du Québec inc. (SFPQ)
M. Daigle
(Christian) : Merci, M. le
Président. Mmes les députées, MM. les députés, je vous salue et je tiens
à vous remercier de nous avoir invités
aujourd'hui à partager notre point de vue sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.
Le Syndicat de la fonction publique et
parapublique du Québec est une organisation syndicale indépendante représentant plus de 42 000 personnes
oeuvrant dans les secteurs public et parapublic. Nous occupons, entre autres,
des emplois de bureau, de techniciens, d'ouvriers et assimilés.
Depuis plus
de 10 ans, la question de l'expression religieuse dans les services
publics, que ce soit par les employés ou
les citoyennes et les citoyens bénéficiant de ces services, est discutée dans
nos instances démocratiques. Notre réflexion à ce sujet a débuté dès 2007, lorsque plusieurs cas d'accommodements
religieux ont été rapportés par les médias. À cette époque, plusieurs
membres du SFPQ ont interpelé leurs représentantes et représentants syndicaux
pour dénoncer des situations, qu'ils considéraient comme discriminatoires,
liées à des accommodements au sein de la fonction publique.
• (12 h 40) •
Afin de mieux
comprendre ce phénomène, notre service de la recherche a réalisé des enquêtes
auprès de la structure syndicale locale déployée dans les organismes et
les ministères. C'est l'analyse des résultats de ces enquêtes qui a mené à
l'élaboration de propositions réclamant des mesures pour baliser les accommodements
religieux au sein de la fonction publique et parapublique ainsi que pour
assurer une véritable neutralité de l'État.
Le SFPQ a
fait part de ses propositions à de nombreuses
reprises : commission Bouchard-Taylor, consultations sur les projets de loi n° 16, n° 94, n° 60, n° 62 et aujourd'hui sur le projet
de loi n° 21.
À travers toutes ces consultations, nous
avons défendu activement l'idée que le Québec devait se doter d'une charte de la laïcité
pour affirmer clairement la neutralité
de l'État et la notion d'égalité hommes-femmes. Nous pensons qu'une telle
charte devrait clarifier que l'ensemble du personnel de la fonction publique respecte un devoir de réserve en ce
qui a trait à l'expression de ses convictions religieuses dans le cadre de ses fonctions. Selon nous, cela
implique entre autres qu'il n'y ait aucun signe religieux ostentatoire
porté par les employés de la fonction
publique. Il va sans dire que nous appuyons également l'obligation
de donner et de recevoir un service public à visage découvert.
Tous les
jours, nos membres sont en contact avec les citoyens et citoyennes
du Québec. Nous devons leur rendre les services publics auxquels ils ont droit et
appliquer des lois et règlements pouvant affecter profondément leur vie. On peut,
par exemple, penser à nos milliers de membres qui oeuvrent dans le secteur de
l'aide sociale. Dans le cadre de nos fonctions, nous sommes contraints de respecter le
Règlement sur l'éthique et la discipline dans la fonction publique. Ce dernier impose plusieurs exigences, notamment la
discrétion, l'honnêteté, l'impartialité, la neutralité politique et le devoir
de réserve dans l'expression publique de ses opinions politiques.
La confiance
des Québécoises et des Québécois dans la totale impartialité de leur fonction
publique est, pour nous, primordiale.
Nous comprenons ainsi qu'un emploi dans la fonction publique implique des
contraintes qu'on ne retrouve pas fréquemment
dans le secteur privé. En ce sens, même si nous concevons très bien que des
employés ayant des convictions religieuses
et les affichant par le port de signes religieux peuvent tout à fait être
neutres dans le cadre de leur travail et que l'inverse est également possible, l'apparence de neutralité nous
semble également nécessaire dans un accès libre aux services rendus par
l'État. Nous estimons que le bris de cette apparence de neutralité peut
restreindre, dans certaines circonstances,
la volonté d'une personne de faire appel à un service public ou encore l'amener
à douter de la neutralité du processus de décision soutenant une telle
décision qui la concerne, et ce, même si une neutralité de fait s'applique.
Ainsi, le
SFPQ adhère pour l'essentiel aux orientations proposées par le gouvernement
dans le projet de loi n° 21, qu'il
considère comme un premier pas dans la bonne direction. Toutefois,
afin de préserver le parcours professionnel des personnes ayant choisi d'oeuvrer dans la fonction publique avant la mise
en oeuvre du projet de loi, nous considérons qu'une clause de droits acquis, communément appelée clause grand-père,
pour le personnel déjà en poste devrait perdurer pendant toute la
carrière, quel que soit le poste occupé.
De même, l'article 28 précise que c'est le
ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion qui sera responsable de l'application de la loi jusqu'à ce
que le gouvernement prenne un décret désignant le ministre responsable de l'application de la présente loi. Le SFPQ croit
qu'il serait préférable d'éviter d'associer immigration et laïcité en confiant
plutôt la mise en oeuvre à la personne ministre de la Justice.
Finalement, afin de dépasser la seule
interdiction des signes religieux ostentatoires, le SFPQ croit qu'il serait important de promouvoir les pratiques éthiques par
de la formation au sein du personnel de l'État pour que tous puissent
être sensibilisés régulièrement à l'importance d'adopter des façons de faire
laïques, neutres, éthiques, impartiales et dénuées de jugement dans ses
contacts avec la population.
Je vous remercie pour votre attention. Et c'est
avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci infiniment. Alors, la parole est au ministre. M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Daigle,
M. Audy, M. Gaudreau, bonjour. Merci d'être présents à
l'Assemblée nationale pour venir présenter vos observations sur le projet de
loi n° 21, c'est apprécié.
Lorsque j'ai
consulté votre mémoire, à la page 6, vous faites référence à des enquêtes
que vous avez menées, que le Syndicat
de la fonction publique et parapublique du Québec a effectuées et qui vous ont
amené à conclure à l'importance d'interdire les signes religieux dans la
fonction publique. Vous dites : Depuis 2007, c'est venu des travailleurs
et des travailleuses, cette proposition-là.
J'aimerais vous entendre sur quelles ont été les démarches pour la consultation
de vos membres, puis les enquêtes que vous avez menées, puis le résultat
de ces enquêtes-là.
Le
Président (M. Bachand) :
Avant de vous céder la parole, je m'excuse, j'aurais besoin d'un consentement
pour allonger la séance de 20 minutes. Consentement? Merci
beaucoup. Je vous invite à répondre. Merci.
M. Daigle
(Christian) : Alors, suite aux différentes situations qui se
sont produites et qui ont été médiatisées à
l'époque, le service de la recherche au niveau du syndicat s'est déplacé et a
fait état ou a questionné sur qu'est-ce qui s'était passé réellement à travers les situations, où est-ce qu'il
pouvait y avoir des problèmes, également, aussi. Et c'est suite à ça que
nous avons regardé puis que nous avons pris position à travers les différentes
instances, soit le conseil syndical et même
le congrès de 2012 à l'époque, pour justement trouver une façon de faire qui ne
brime pas les droits de nos travailleurs, des membres que nous
représentons à travers les différents ministères et organismes. Donc, c'est à ce niveau-là que les enquêtes ont été effectuées
et pour trouver une solution à travers tout ça pour permettre à nos membres
de pouvoir exercer leurs fonctions sans avoir de biais à travers cette
fonction-là qui est exercée.
M. Jolin-Barrette : Vous, en
tant qu'organisation syndicale, dans le fond, là, vous avez plusieurs membres, j'imagine, qui portent des signes religieux, actuellement, que vous représentez, et tout
de même, suite aux consultations de vos propres membres, vous en êtes venus à la proposition
qu'on ne devrait pas permettre les signes religieux dans la fonction publique,
c'est bien ça?
M. Daigle
(Christian) : Effectivement, présentement, certains de nos membres peuvent porter... On n'a
pas fait d'étude pour savoir combien ou quelles personnes pouvaient le faire,
mais ça peut arriver, effectivement. Et présentement
nos instances, à travers les décisions que nous avons prises à l'époque jusqu'en
2012, il n'y a pas eu de contestation à
travers tout ça, et les gens étaient d'accord avec la position que nous avions, nos instances
étaient d'accord avec la position que nous avions.
M. Jolin-Barrette :
Rappelez-nous combien de membres vous représentez, déjà.
M. Daigle
(Christian) : Dans la fonction publique, nous représentons environ 27 000 fonctionnaires,
4 000 ouvriers, 6 000 personnes
à l'Agence du revenu du Québec, par la suite des organismes publics, organismes
parapublics, également, aussi, tels que la SEPAQ, et autres, mais qui ne
sont pas visés, là, à travers tout ça.
M. Jolin-Barrette : Ça fait 10 ans qu'on parle de la question de
la laïcité de l'État, d'interdiction du port de signes religieux par certaines personnes en situation
d'autorité. Nous, ce qu'on propose dans le cadre du projet de loi n° 21, c'est un nombre limité d'agents de l'État qui vont être interdits.
On n'étend pas à l'ensemble des fonctionnaires de l'État, c'est une approche qui est plus limitée, donc juges,
policiers, agents correctionnels, procureurs, enseignants, directeurs d'école.
Est-ce que vous croyez que le débat sur la
laïcité devrait se poursuivre encore ou vous pensez qu'on doit adopter le
projet de loi n° 21 pour tourner la page sur
ce dossier-là?
M. Daigle
(Christian) : Bien, nous, ce
qu'on préconise de par le dépôt de notre mémoire également, c'est que tous les employés de la fonction publique soient
assujettis à une telle loi. Donc, est-ce que le débat doit se poursuivre?
C'est plus entre vous, je pense, que vous devez regarder et voir si vous voulez
le poursuivre. Mais, pour nous, la neutralité
de l'État ne va pas juste pour les personnes en autorité, mais pour l'ensemble
des fonctionnaires qui donnent un service public aux citoyens,
citoyennes.
M. Jolin-Barrette : Parfait. M. le président, je vous remercie. Je
vais peut-être revenir à la suite, mais je sais que j'ai des collègues
qui veulent poser des questions.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de
Bellechasse, s'il vous plaît.
Mme Lachance : Non, c'est
monsieur...
M. Lemieux : Si vous permettez.
Le Président
(M. Bachand) : Ah! bien sûr, M. le député de Saint-Jean,
allez-y.
M. Lemieux : Merci beaucoup, M.
le Président. Désolé de ne pas m'être manifesté de façon plus bruyante.
Vous vous
prononcez en faveur d'un renforcement du droit de réserve des fonctionnaires. Pourriez-vous
nous expliquer de quelle manière vous
proposez de le faire? Parce que c'est dans l'application de le faire que
c'est important. Alors,
quand vous parlez de renforcement du devoir de réserve, vous le voyez comment,
ce renforcement-là, en mesures, aussi, là?
M. Daigle (Christian) : Bien, au niveau du renforcement au niveau du
devoir de réserve, on sait déjà que nous avons l'obligation de ne pas présenter ou de porter quelque chose qui nous apparenterait à un parti
politique plutôt qu'à un autre, donc on a déjà ce devoir-là. C'est le même
principe pour les signes ostentatoires religieux, où est-ce qu'on dit que les employés de l'État
devraient avoir une neutralité religieuse dans la prestation des services
qu'ils donnent. Donc, c'est pour ça que nous demandons d'avoir un
retrait de tout signe ostentatoire pour les gens qui donnent des services à la population
pour l'ensemble des ministères et
organismes, donc le renforcement de cette neutralité de l'État là, de cette
dissociation-là qui s'est faite de par les
années lorsque, dans les... il y a 30, 40 ans, peut-être, où est-ce qu'on a
dissocié l'Église catholique et l'État.
Donc, on doit poursuivre dans la même veine et
arriver à une laïcité plus grande au niveau de l'État québécois. Mais je
n'y vais pas sur les mesures qui pourraient être prises par les ministères, là,
ça, c'est du côté de la gestion. Et il y aura des conventions collectives à
négocier éventuellement, donc on aura peut-être à se parler à ce niveau-là.
M. Lemieux :
Vos membres et les fonctionnaires en général, pensez-vous qu'ils préfèrent ou
qu'ils préféreraient, dans les circonstances, une règle universelle, là, on
parle d'un projet de loi, même chose pour tout le monde, ou de s'inspirer de jurisprudence sur des cas précis, et
dans ce cas-là, on fait ci, dans ce cas-là, on fait ça? Comment vous voyez ce que vos membres voient?
M. Daigle (Christian) : Lorsqu'il y a eu des cas d'accommodement
religieux qui ont été demandés, je sais que chaque ministère ou
organisme s'est nommé une personne responsable qui devait recevoir ces cas-là
et les étudier à la pièce. Je ne sais pas qu'est-ce qui est ressorti de ça par
la suite, mais nous avons eu très peu de cas qui nous ont été rapportés par la suite de par nos membres. Donc,
est-ce que ces situations-là ont été publicisées à travers les ministères
pour savoir comment agir dans telle ou telle situation? On n'a pas eu de suivi
qui s'est fait là-dessus, mais on n'a pas réentendu
de situations problématiques pour nos membres à nous. Donc, est-ce qu'il y a
des cas qui ont été abordés et qui pourraient,
à ce moment-là, être publicisés à travers le ministère pour dire comment agir
dans telle, telle circonstance... serait
bénéfique? Peut-être que oui, si ça ne s'est pas reproduit. Mais, pour nous, la
neutralité de l'État doit également être dans la prestation de services
que nous donnons au quotidien, peu importe la situation qui arrive.
• (12 h 50) •
M. Lemieux :
Une dernière question, M. le Président. Au sujet de la clause grand-père, dans
le projet de loi on parle d'un lien d'emploi en autant qu'on a le même employeur. J'ai
bien entendu dans votre présentation
que vous disiez : Il faudrait que ça reste tout le temps,
toujours, genre jusqu'à la fin de la carrière de la personne. Vous ne trouvez
pas que, là, il y a une espèce de «trop, c'est comme pas assez»?
M. Daigle (Christian) : Bien, à ce niveau-là, les gens, lorsqu'ils ont
occupé un emploi, où est-ce qu'ils sont rentrés dans la fonction publique pour occuper un emploi, je ne pensais pas ou
ils ne devaient pas penser qu'ils étaient cantonnés sur leur poste uniquement. Je pense qu'il y a
toujours une promotion du cheminement de carrière qui se fait à l'intérieur
de la fonction publique, à l'intérieur des
ministères. Je pense que c'est une des choses qui peut attirer les gens,
d'avoir une possibilité d'occuper
d'autres fonctions que leur fonction première, et que, s'ils développent des
aptitudes, des intérêts, qu'ils
puissent avoir ce cheminement de carrière là qui est positif pour tout le
monde, incluant les ministères et les citoyens. Donc, nous, de voir ou
d'avoir à restreindre les gens par rapport à ça, par rapport à une clause qui
n'était pas présente lorsqu'ils sont entrés
en fonction, nous croyons que ça peut être un petit peu restrictif pour ces
gens-là, qui n'auront pas la même possibilité de faire un cheminement de
carrière comme leurs collègues de travail.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de
Bellechasse, s'il vous plaît. M. le ministre?
M. Jolin-Barrette : Oui. M. le président, à la page 7 de votre
mémoire, vous indiquez Le Québec et la laïcité, et, au deuxième paragraphe, je cite le mémoire,
là : «À la fin des années 2000, le SFPQ [a] constaté que ce principe
était parfois remis en cause par des
demandes d'accommodement qui constituaient une discrimination à l'égard des
femmes» sur le principe de la Charte des droits et libertés, qui «proclamait
que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité». Qu'est-ce que vous voulez dire au
niveau, là, des demandes d'accommodement qui constituent une discrimination
par rapport aux femmes?
M. Daigle (Christian) : À l'époque, il y avait des cas au niveau de la
SAAQ, la Société de l'assurance automobile du Québec, qui demandaient à ce qu'une personne, mettons, qui voulait
passer un examen de conduite, une personne qui voulait avoir un... qui avait à
être assistée par un employé de l'État ne pouvait pas l'être si... un homme
versus une femme, ou ainsi de suite.
Donc, il y avait des demandes d'accommodement qui faisaient qu'un employé
pouvait ne pas avoir... être brimé de
donner le service, et on demandait à un collègue ou une collègue de travail de
donner la prestation de service à ce
moment-là. Alors, nous, ce qu'on veut, c'est que la primauté de l'égalité
hommes-femmes soit présente et que les employés de l'État puissent
rendre les services publics pour lesquels ils ont été embauchés.
M. Jolin-Barrette :
Le critère principal, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes.
M. Daigle
(Christian) : Tout à fait.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je reviens sur la clause du maintien en
emploi ou de droits acquis. Vous dites : Écoutez, il faudrait que ça soit élargi tout au long de la
carrière de l'individu, peu importe le poste ou même l'organisation, donc,
supposons, des déplacements, des mutations,
supposons, à l'intérieur de la fonction publique ou un changement de fonction,
parce que, dans le projet de loi, on indique
«la même fonction». Exemple, un enseignant qui enseigne dans une commission
scolaire pourrait changer d'école, pourrait
changer de niveau, secondaire, primaire, pour autant qu'il soit dans la même
commission scolaire, conserve son droit
acquis à porter un signe religieux s'il le portait au moment du dépôt de la
loi.
D'un autre
côté, dans votre mémoire, vous dites : Bien, nous, on est en faveur de
l'interdiction complète des signes religieux.
Comment est-ce que je dois réconcilier ça si, d'un côté, vous dites : On
ne devrait pas permettre le port de signes religieux, mais, de l'autre
côté, vous dites : Vous devrez élargir la clause de droits acquis?
M. Daigle
(Christian) : Bien, pour
nous, la distinction se fait lorsque l'embauche de la personne a été effectuée.
Lorsque l'embauche de la personne a été
effectuée, le projet de loi n'existait pas, cette contrainte-là n'existait pas
non plus. Alors, les conditions de
travail qui étaient siennes à ce moment-là devraient pouvoir perdurer et lui
permettre d'avoir un cheminement de
carrière qui était prévu selon ce qui a été fait. Nous avons d'autres cas, des
cas plus techniques un petit peu, où
est-ce que la personne a été embauchée avec un salaire x, et, après quelques
années, on lui dit : Non, on s'est trompés sur ton salaire, on te baisse de 5 000 $ par année.
Alors, nous sommes en contestation avec des griefs présentement parce que les conditions de travail de la
personne, lorsqu'elle a été embauchée, lorsqu'elle a choisi de venir donner un
service public, n'étaient pas les mêmes que ce qui a été amené après.
Donc, c'est un
peu le même principe que nous évoquons aujourd'hui ici pour les personnes.
Présentement, nous n'avons pas de membre qui est visé par le projet de loi
n° 21. Je tiens à le préciser. Mais, pour nous, la position que nous
avions, c'était que cette possibilité-là de
poursuivre à travers le temps puisse se faire pour avoir un cheminement de
carrière qui était possible lorsqu'elle a été engagée également.
M. Jolin-Barrette : Mais je comprends que la clause de droits acquis,
vous souhaiteriez qu'elle soit élargie, mais vous êtes d'accord avec le
fait qu'on inclut une clause de droits acquis dans le projet de loi?
M. Daigle
(Christian) : Tout à fait,
oui, parce qu'effectivement, lorsque l'embauche s'est faite, ce n'étaient pas
les mêmes conditions.
M. Jolin-Barrette : O.K. Malgré l'argument que certains amènent, à
l'effet de dire que ça créerait deux classes d'employés, ceux qui pourraient porter un signe religieux et ceux qui ne
pourraient pas en porter, malgré ça, vous êtes d'accord.
M. Daigle
(Christian) : Malgré ça,
nous demeurons d'accord, oui, parce qu'elle a une fin. Nous avons déjà signé
des ententes, à l'époque, où est-ce que des
personnes qui étaient à l'emploi continuaient de pouvoir avoir un droit, mais
que les nouvelles personnes, le droit changeait à ce moment-là. Ce
n'était pas une clause orphelin, qu'on peut dire, parce qu'il y avait une finalité qui se faisait dans le temps aussi, ça ne
perdurait pas à travers le temps non plus. Mais c'était une clause pour
ces personnes-là qui étaient visées dans des cas spécifiques.
M. Jolin-Barrette : Sur la question des services publics à visage
découvert, il y a eu le projet de loi n° 62 qui a été suspendu par les tribunaux, et dont la
disposition n'est pas applicable actuellement. Moi, ce que je fais, c'est que
je réintroduis la disposition, et la
disposition sera applicable notamment par le fait qu'on utilise la disposition
de dérogation. Et donc, pour vos membres qui travaillent dans la
fonction publique, est-ce que vous êtes en accord avec le fait que, lorsqu'on
est un employé de l'État, on doit exercer ses fonctions à visage découvert?
M. Daigle
(Christian) : Pour nous,
oui, ça fait partie de la laïcité de l'État, où est-ce qu'on doit avoir une
prestation à visage découvert et sans signe religieux ostentatoire.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et puis, pour vos employés qui doivent
identifier... ou, pour des motifs de sécurité, qui font affaire avec des citoyens dans le cadre de la
prestation d'un service, est-ce que vous êtes d'accord aussi sur le fait
que les personnes qui requièrent un service doivent se découvrir le visage?
M. Daigle
(Christian) : Pour nous, ça va dans le même sens, effectivement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Au niveau de la définition de la laïcité de
l'État, on l'a incorporée. On a indiqué que, notamment, les agents de l'État devaient agir avec neutralité, qu'il y a
une égalité de tous les citoyens, qu'on met toutes les religions sur le même pied d'égalité.
Êtes-vous à l'aise avec la définition de laïcité de l'État qu'on met de l'avant
dans le cadre du projet de loi?
M. Daigle
(Christian) : Oui. Puis, à
moins que les autres personnes veulent intervenir avec moi, mais, pour nous,
la laïcité de l'État est quelque chose de primordial, où est-ce qu'on se doit
d'avoir des services qui sont donnés de façon
égalitaire pour l'ensemble des citoyens qui se présentent. Peu importent les
personnes qui sont devant nous, on se doit
d'avoir la même prestation de service. La même bonne prestation de service
qu'on donne depuis de nombreuses années, elle doit se poursuivre aussi.
M. Jolin-Barrette : Et, selon vous, est-ce que l'Assemblée nationale
du Québec, par le biais de ses représentants élus, est légitimée que l'organisation des rapports entre l'État et les
religions, ça soit décidé ici, à l'Assemblée nationale, et pas devant
les tribunaux?
M. Daigle
(Christian) : Sur cet
aspect-là, on n'a pas été si loin que ça à travers nos présentations puis à
travers nos demandes puis les
décisions que nous avons prises. Alors, ça serait plus une opinion personnelle
que je pourrais vous livrer aujourd'hui. Je n'ai pas de position
d'organisation sur cette question-là, je m'en excuse.
M. Jolin-Barrette : Dans votre mémoire, vous faites référence au fait
que, présentement, dans le cadre du projet de loi n° 21, le ministre responsable de l'application de la
loi serait le ministre de l'Immigration, en l'occurrence moi, mais que j'exerce ce dossier en tant que leader du
gouvernement parce que c'est un dossier du premier ministre. Là, vous
recommandez que le ministre responsable de l'application de la loi soit le ou
la ministre de la Justice. Pourquoi cette proposition?
M. Daigle
(Christian) : Bien, avec les
situations que nous pouvons connaître et avec ce qui se passe présentement,
nous croyons que le ministère de
l'Immigration ne serait peut-être pas le ministère approprié au niveau de la
laïcité. C'est peut-être plus le
ministère de la Justice qui serait le bon ministère pour pouvoir faire le suivi
approprié de ces dossiers-là, toujours
dans un esprit de neutralité à travers ce qui est amené, pas que je présume de
quoi que ce soit, M. le ministre, mais plus de dire... bien, d'avoir une
image plus externe à travers tout ça.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et je note, en conclusion de votre mémoire,
que vous dites que ça répond en partie aux requêtes exprimées par votre
organisation au cours des dernières années en lien avec la laïcité. O.K.
M. Daigle
(Christian) : ...c'est parce que,
bien sûr, les membres ne sont pas concernés par ça présentement, alors que nous, on demandait
que tous les services publics soient inclus là-dedans, à travers les
autres petites choses que nous avons soulignées également.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Je
vous remercie de votre présence en commission. Je n'ai pas d'autre question. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
• (13 heures) •
Mme David : Merci beaucoup, M.
le Président. Bonjour, messieurs. Ça me fait plaisir de vous rencontrer.
Écoutez,
je vais aller à la première question, qui est dans votre mémoire à la page 7.
Donc, vous dites : «Au cours des
dernières années, aucun incident à caractère religieux mettant en cause un
membre de la SFPQ lors d'une prestation de service n'a été rapporté.» Alors, aucun, c'est comme vraiment
zéro, là, aucun, ça veut dire aucun événement à caractère religieux. C'est intéressant parce
que vous, vous êtes à zéro. La CSQ
hier, Centrale des syndicats du Québec, ont fait faire une étude assez sérieuse, qu'ils ont déposée d'ailleurs, dont on a les résultats, le tableau, auprès de 48 commissions scolaires. C'est
donc gros, là, il y a beaucoup de monde. Et, depuis 2016, ils ont demandé le
recensement des plaintes, justement, un
peu
comme vous, j'imagine, vous avez ça,
et sur 48 commissions scolaires, depuis 2016 — donc on est en 2019 — une seule
plainte depuis 2016, une seule. Vous, vous êtes à zéro, la CSQ est à un. Et la
commission des droits de la personne et
de la jeunesse nous a dit aussi que, pour l'année 2017‑2018, donc la
dernière année de recensement, ils ont eu 97 plaintes reliées en
général à des accommodements de tous ordres, hein? Ça peut être accommodements
pour des sportifs, des handicaps et toutes
sortes de motifs. Et sur les motifs typiquement à caractère religieux, sur 97 plaintes,
trois plaintes seulement, trois
plaintes, ce qui équivaut à 3 %. Donc, trois plaintes, Commission des
droits de la personne; une plainte, CSQ, en trois ans, en
48 commissions scolaires; et zéro pour vous, aucun incident.
Là, je me
demande... En même temps, vous dites un peu plus loin, à la page 7 :
«Au moment de leur adoption — vous parlez des chartes — ces chartes consacraient un mouvement de sécularisation — et je cite — qui ne laissait pas présager les futurs
problèmes soulevés par la cohabitation de différentes communautés de croyance,
dont certaines s'affirment davantage
dans l'espace public.» Alors donc, vous parlez de problèmes, même si vous dites
qu'il y a zéro incident, et vous n'êtes
pas les seuls à le dire, donc, les problèmes qui ont été soulevés. Et puis
aussi vous dites, la page suivante, par ailleurs, vous voudriez
l'appliquer à tous les employés, à l'ensemble de la fonction publique.
Donc, on
passe de zéro incident à 100 % des employés. On passe de la CSQ, qui a une
plainte sur 48 commissions scolaires,
Commission des droits de la personne, 3 %, donc trois plaintes sur 97,
alors j'ai de la misère à comprendre que vous parliez, un, de problèmes
soulevés puis, deux, pourquoi vous voulez étendre ça à toute la fonction
publique.
M. Daigle
(Christian) : Comme je l'ai
expliqué tout à l'heure, pour nous, la neutralité de l'État va pour l'ensemble
des ministères et organismes lorsqu'on donne
des services publics à la population. Nos employés sont des employés de
soutien, qui sont des préposés aux renseignements, qui sont des techniciens qui
répondent aux gens lorsqu'ils ont des questions
sur des formulaires, qui vont conseiller des gens également aussi sur
différentes situations qu'ils vivent, qui sont à l'aide sociale, qui sont à la CNESST, qui sont dans différents
services publics au Québec. Alors, pour nous, nos positions ont toujours été que l'ensemble de
l'État québécois devait être laïque et que l'égalité hommes-femmes devait
prévaloir. Alors, pour nous, c'est le même
principe que nous avons remis à travers l'ensemble des projets de loi qui ont
été déposés à travers les années, que nous
avons le même discours depuis le début également aussi. Ma prédécesseure,
Mme Lucie
Martineau, avait fait le même discours lorsqu'elle était venue se présenter
devant vous à l'époque, et c'est toujours
la position que nous avons défendue, que l'ensemble des services publics
devaient être donnés de façon neutre et
impartiale, à ce moment-là, sans signe religieux ostentatoire. Alors, pour
nous, nous avons maintenu la même position à travers les ans.
Mme David : J'entends bien que
vous avez maintenu la même position, mais comment conciliez-vous le fait qu'il y ait zéro incident... que les futurs
problèmes, ils ne se sont pas manifestés, en tout cas, à travers ni des
incidents ni des plaintes, ni chez
vous, ni à la CSQ, ni à la Commission des droits de la personne? Est-ce qu'on
fait une loi sans problème?
M. Daigle
(Christian) : Sur les
problèmes qui n'ont pas été soulevés, vous comprendrez que le syndicat n'est
pas au fait de ces situations-là
nécessairement. Nous, c'est lorsque les gens ont des problèmes qu'ils veulent
nous amener. Peut-être qu'il y a eu des problèmes dans les ministères et
organismes, mais les gens ne l'ont pas verbalisé auprès du syndicat ou de leur représentant syndical.
Peut-être qu'il s'est réglé au niveau du ministère, à travers les personnes qui
ont été nommées pour répondre à ces
questions-là d'accommodement, mais nous n'avons pas eu de plainte. C'est comme
un grief. Nous avons des gens qui sont congédiés à chaque année, mais ce n'est
pas tout le monde qui conteste son congédiement.
Donc, on ne peut pas vous dire aujourd'hui : Il y a eu, mettons,
150 congédiements qui sont le nombre total, il y en a peut-être eu
10 qui ont contesté leur congédiement.
Donc, il n'y
a pas eu aucun problème qui nous a été rapporté. C'est ce que je peux vous dire
aujourd'hui. Est-ce que les problèmes ont été vécus, ils ont été réglés
à l'intérieur même du ministère? Ça se peut.
Mme David :
Oui, mais, en tout respect, d'habitude, quand il y a des multiplications de
griefs... Et c'est votre mission même, comme syndicat, de recevoir les
griefs et puis de les faire cheminer. Et puis j'ai été dans une grande institution assez longtemps pour avoir à gérer,
justement, des griefs. Et, quand il y a des griefs qui s'accumulent, c'est là
que, souvent, l'employeur, dans ce cas-ci le gouvernement, va dire : Il
faut qu'on prenne action, il y a quelque chose vraiment qui ne va pas.
Et, quand je
vous lis en disant : «Au cours des dernières années, aucun incident à
caractère religieux mettant en cause
un membre du SFPQ lors d'une prestation de services n'a été rapporté», ça veut
dire qu'il n'y a personne, personne qui est venu porter, déposer une
plainte ou un grief par rapport à ça. Donc, vous devriez normalement
dire : Bien, il n'y en a pas, de
problème. Or, vous dites : Ça devrait s'appliquer à tout le monde, pour
des gens qui n'ont jamais déclaré quoi
que ce soit par rapport à ça. C'est ce que j'ai un peu de misère à comprendre,
sinon que... une opinion plus qu'un
problème.
M. Daigle
(Christian) : D'accord.
Bien, vous me dites... c'est votre opinion, je la comprends, mais, pour nous,
il y a eu des problèmes dans le passé et il n'y a rien qui a été fait, à ce moment-là, pour corriger la situation, mis à part le fait que nous avons nommé des gens dans les ministères
et organismes. Donc, pour nous, il y
avait une situation
qui devait être adressée. Nous
l'avons adressée à travers nos instances en prenant les décisions, à savoir
quelle était notre position sur cette situation-là, et c'est la position
qu'on vient vous exprimer ici aujourd'hui.
Je comprends
ce que vous me dites, je comprends qu'il
n'y a pas eu de cas, mais ce n'est
pas une situation... si une telle situation se produisait, elle
n'est pas grieffable parce qu'elle n'est pas couverte par la convention collective. Donc, c'est des cas
qui nous étaient dénoncés à l'époque. Tantôt, j'ai fait un parallèle avec les
griefs au niveau du congédiement, mais c'est tout à ce niveau-là. J'ai mon
collègue qui va peut-être rajouter.
M. Gaudreau
(Julien) : ...rajouter rapidement, c'est sûr qu'on parle
aussi de la vie de nos fonctionnaires puis de la qualité de leur travail. Un des enjeux qu'on voit là-dedans,
au-delà de l'absence, disons, de biais dans la livraison de
services... Parce qu'on ne nie pas qu'une personne peut tout à fait, comme
Christian l'a mentionné tout à l'heure, porter
un signe religieux ostentatoire et faire une prestation de services qui est complètement, disons, sans biais face aux citoyens et aux citoyennes. Ce qui
est la préoccupation de certains de nos membres, ce qui a amené, dans le fond,
à vouloir régler la question
des signes religieux ostentatoires, c'est également le libre accès aux
services publics d'une manière qui soit fluide dans des contextes où ces
arbitrages-là peuvent être difficiles.
De la même
façon que si on allait faire le décompte des problèmes qui peuvent avoir
été vécus sur l'affichage de signes politiques, tu sais, il y en aurait probablement
assez peu, qu'on l'interdise ou pas, mais par contre je pense qu'il y a
assez peu de parlementaires qui voudraient qu'on retire l'obligation de réserve politique pour les fonctionnaires de l'État pour, dans le fond, le libre accès
aux services publics, mais également pour l'image générale de l'État en termes de neutralité.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je passe maintenant la parole à la députée
de Notre-Dame-de-Grâce, s'il vous plaît.
Mme Weil : Bonjour, MM. Daigle, Audy et Gaudreau.
Alors, je ne sais pas si c'était vous trois, mais peut-être, vous, je pense, monsieur, pour
le projet de loi n° 94, vous étiez là en tant qu'organisation, et, c'est
vrai, vous êtes très consistant parce que
votre réflexion sur la laïcité, je
pense, a précédé peut-être
beaucoup d'autres, et vous êtes cohérent avec votre vision de la laïcité.
Évidemment, on a deux visions, et c'est ce qu'on entend, et chacun a le droit à
ses opinions et de venir ici, au Parlement, pour exprimer leurs
opinions.
Je voudrais vous amener, et c'est un
peu en lien avec la question que le ministre vous a posée, donc cette notion
de clause grand-père dont parle projet de loi n° 21, peut-être... c'est difficile d'avoir une réponse très claire
quand on parle aux intervenants. En vertu de la Charte des droits et libertés ou de la personne, ou du Québec,
ou du Canada, cette notion de clause grand-père, quand on parle des droits fondamentaux, n'existe pas vraiment. Les gens ont
des droits et ils sont reconnus comme fondamentaux, puis il y a des
limites raisonnables ou non raisonnables.
Mais
vous, vous proposez, donc, page 9... quoi qu'il en soit, la notion est
là : «Le SFPQ aimerait que cette clause grand-père perdure pendant toute la carrière des personnes dans
l'administration publique.» C'est ce que vous demandez. Le ministre vous a posé une question, disant
qu'évidemment il y a beaucoup de gens qui n'y croient pas, mais, vous, c'est
pour protéger cette personne en vertu d'un
contrat. Est-ce que, pour vous, ça devrait être attaché, donc, à la personne?
Mais est-ce que c'est attaché à la personne et le contrat, ou ça pourrait être
attaché à la personne le temps durant, c'est-à-dire dans l'espace, dans le
temps, quel que soit l'employeur, puisque c'est une clause grand-père attachée,
semblerait-il, à la personne?
M. Daigle
(Christian) : Bien, pour nous, ce qu'on vise...
Mme Weil :
...juste pour vous dire, on entend des témoignages de personnes qui sont au
bord d'avoir une promotion, qui pourraient
avoir une promotion, et ça vient vraiment couper les ailes dans la vie de ces personnes.
C'est sûr que notre position, c'est
le respect de nos chartes et aussi de la liberté de religion et de notre modèle,
le modèle que nous, on prône et qui a
toujours existé, une laïcité ouverte. Mais — je
vais être très pragmatique — sachant
que ce projet de loi
sera adopté, je
pense bien, on s'en va dans ce sens-là, qu'il y aura une clause dérogatoire, il y a
des gens, actuellement, qui
vont vivre les conséquences.
Vous
êtes un syndicat, vous savez ce que ça veut dire quand quelqu'un
est freiné dans son élan, dans sa carrière. Alors, je vous demande peut-être
de voir peut-être si... Comment vous voyez ça?
• (13 h 10) •
M. Daigle (Christian) : Alors, comme vous l'avez fait état, chez nous
aussi, ces débats-là ont polarisé un
petit peu, parfois, les instances. Et les gens avaient des préoccupations pour leurs collègues de travail qui étaient également des
gens qui pouvaient porter des signes, parfois, dans l'exercice de leur fonction
à tous les jours, et on avait un souci de
ces gens-là qui sont membres chez nous. Et c'est pour ça que nous avons cette
position-là, en disant que ça devrait les suivre tout au long de leur carrière
dans la fonction publique lorsqu'ils exercent... à partir du moment où est-ce qu'ils ont été embauchés et qu'ils poursuivent leur carrière
dans ce cheminement de carrière là. Pour nous, c'était normal de pouvoir
maintenir les droits qu'elles avaient dès le départ et qu'elles puissent
suivre, à ce moment-là, cette possibilité-là de cheminement de carrière qu'il
est possible pour tout employé de l'État lorsque les conditions le permettent.
Mme Weil :
Mais dans votre...
Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, c'est tout le temps. M. le
député de Jean-Lesage, vous avez la parole, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Merci, M. le Président. Merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui. Je
voudrais savoir, votre position au fond, là, la consultation des membres que
vous avez faite, vous l'avez faite en quelle année?
M. Daigle (Christian) : La dernière position que nous avons prise, le
dernier débat qui a eu lieu, c'est au congrès de 2012.
M. Zanetti :
2012, donc ça fait sept ans. Est-ce que vous pensez que, tout comme le reste de
la population québécoise, il est possible
que vos membres, beaucoup de vos membres aient changé d'idée et que... Si vous
aviez fait ce congrès-là en 2019, selon vous, est-il possible que la
position ait pu être différente?
M. Daigle (Christian) : Au niveau des instances, nous avons deux conseils
syndicaux par année et un congrès qui
se déroule à tous les quatre ans. Le dernier a eu lieu en 2016. Et les débats
sont ouverts pour pouvoir amener tout sujet que les gens souhaiteraient.
Alors,
malheureusement ou heureusement, il n'y a pas eu de retour de cette notion-là
ou de cette demande-là de vouloir regarder
notre position sur la laïcité. Alors, je comprends que, de par la position que
nous avions, que nous avons
verbalisée à travers le temps, que nous avons défendue à travers différents
projets de loi qui ont été déposés, il n'y a pas eu de demande de
reconsidérer notre position à nous.
Est-ce
qu'aujourd'hui nous referions un débat et nous amènerions nous-mêmes le sujet,
ça pourrait être différent? Peut-être. Mais les gens que nous représentons, les
dirigeants syndicaux que nous représentons n'ont jamais voulu ramener ce débat-là à l'avant-scène non plus,
alors c'est qu'ils partagent, pour l'instant, notre position, parce qu'ils ont
le loisir de pouvoir le ramener dès qu'ils le souhaitent.
M. Zanetti :
Parfait. Je vous remercie. Je n'ai pas d'autre question. Je peux donner mon
temps au député de Matane-Matapédia, s'il le souhaite.
Le
Président (M. Bachand) :
Est-ce qu'il y a consentement pour donner le temps au député de
Matane-Matapédia? Consentement. M. le député, s'il vous plaît.
M. Bérubé :
Merci, M. le Président, puis je veux remercier doublement mon collègue, pour
hier et pour aujourd'hui, pour son temps. Je ne sais pas si je vais en avoir
besoin, mais j'ai deux questions.
À travers
votre mémoire, vos interventions, je réalise la nécessité d'avoir une
définition claire de ce qu'est un signe religieux visible ou invisible. Lors du projet de loi n° 60,
plusieurs s'étaient bien amusés des pictogrammes de mon ancien collègue
Bernard Drainville, mais ça avait l'avantage d'être clair, alors on savait
qu'est-ce qu'il en était.
L'autre
enjeu, c'est les sanctions. Et, dans les deux cas, le gouvernement ne nous
présente pas ni une définition très
claire des signes religieux ni les sanctions. Pourtant, lui, il le sait déjà,
le ministre. Il a ces réponses-là, probablement, dans un cartable ou près d'un de ses collaborateurs près de lui, mais il
a choisi de ne pas rendre publiques ces informations-là pour l'instant
dans le débat, ce qui nous apparaît nécessaire.
Alors, pouvez-vous compléter sur votre volonté
de savoir qu'est-ce qu'un signe religieux? Parce que vous demandez une définition claire, c'est ce que j'ai
lu. Alors, là-dessus, pouvez-vous répondre un peu sur vos inquiétudes,
comment elles se manifestent?
M. Daigle
(Christian) : Lorsque nous avons
fait le débat dans nos instances puis lorsque nous avons discuté de la situation ou des signes religieux, c'était tout
signe religieux apparent. Donc, pour nous, il n'y avait pas... il n'y a pas eu
de visuel ou de... est-ce que c'en est un ou ça n'en est pas un, il n'y
a pas eu de départage là-dessus. C'était tout signe religieux qui pouvait
amener un biais dans la prestation de services que les employés de l'État
pouvaient donner aux citoyennes et citoyens.
Alors, pour nous, c'était clair, à ce niveau-là, que tout signe religieux
apparent qui pouvait identifier ou qui pouvait apporter un biais pouvait
être problématique pour nous.
M. Bérubé :
Vous étiez en commission lors du projet de loi n° 60 en 2013. À ce
moment-là, les indications que le ministre vous avait fournies,
notamment à travers des pictogrammes, est-ce que ça vous apparaissait plus
clair que la situation actuelle?
M. Daigle
(Christian) :
Malheureusement, je n'étais présent à ce moment-là, c'est ma prédécesseure,
Mme Lucie Martineau, et je n'ai pas regardé les bobines qui ont passé de
cette prestation-là. Je n'ai pas la mémoire, malheureusement, de tout ça.
M. Bérubé :
Parce qu'on utilise sans cesse des images pour décrire les situations. Toutes
les formations politiques font appel
à un imaginaire ou à des images, mais ce qui est le plus important, c'est de
savoir de quoi on parle. Et on parle du voile, on parle des croix, on
parle de la kippa, mais est-ce qu'il y a d'autres signes potentiels?
J'avoue que moi, comme législateur, comme
parlementaire, il me manque des informations, qui sont à la disposition du
ministre : la définition d'un signe religieux visible, invisible et puis
aussi les sanctions. Qu'est-ce qui arrive si
un employé de l'État ne se conforme pas à la législation? Il me semble que ça serait pertinent de le savoir. Alors, je ne sais pas à quel moment on va le savoir,
mais, moi, ça me manque comme information. En savez-vous plus que nous sur les
sanctions possibles?
M. Daigle
(Christian) : Malheureusement, souvent, on connaît les sanctions lorsqu'elles sont appliquées, alors
je ne peux pas vous aider sur cet aspect-là.
On n'est pas mis au fait, d'habitude, des sanctions possibles. Lorsque ça va
arriver, on va le savoir. Mais ce qu'on a toujours
demandé, nous, c'est une gradation des sanctions. Ce qui a toujours
été demandé, ce qui a toujours été prôné, même par les arbitrages que nous avons
faits, c'est que, lorsqu'il y a des situations qui se
produisent, si elles sont répétitives, oui, il va y avoir gradation des
sanctions, mais ce qu'on espère, nous, c'est que ce ne soit pas la peine
capitale dès le départ.
M. Bérubé : Seriez-vous d'accord avec moi pour affirmer qu'il
serait pertinent et non prématuré que le ministre rende disponibles toutes les informations relatives aux
sanctions?
M. Audy (Patrick) : Effectivement, ça serait très pertinent parce que, souvent, il
y a des flous. Quand cette information-là, elle est diffusée à travers les ministères
et organismes, souvent, l'application, elle est très, très,
très diluée d'un ministère
à l'autre. Donc, effectivement, ça serait mieux que ça soit très clair en
partant au niveau de l'Assemblée
nationale pour qu'il n'y ait pas des vitesses variables sur son application.
Le Président
(M. Bachand) : Rapidement, M. le député.
M. Bérubé : Une des règles fondamentales pour une loi, c'est
qu'elle puisse être applicable. Alors, je vais utiliser cet appel que vous faites, le combiner avec le
mien et m'adresser au ministre en lui disant que, comme parlementaire, comme législateur,
il vaudrait mieux, plus tôt que tard, qu'il nous informe de ses objectifs
en ce qui a trait aux sanctions et également à la définition des signes
religieux.
Le
Président (M. Bachand) :
Sur ce, je vous remercie beaucoup de votre contribution aujourd'hui et de votre présence.
La commission suspend ses travaux jusqu'à
15 heures. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 13 h 17)
(Reprise
à 15 h 1)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! S'il
vous plaît! Merci beaucoup. La commission...
Des voix :
...
Le Président (M. Bachand) : S'il
vous plaît! La Commission des
institutions reprend ses travaux. Je demande, bien sûr, à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
Nous
poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, la Loi
sur la laïcité de l'État.
Cet
après-midi, nous allons entendre, entre autres, Me Christiane Pelchat,
Mme Fatima Houda-Pepin, la Fédération des commissions scolaires du Québec
et l'association provinciale des enseignants et enseignantes du Québec.
Mais,
avant de débuter, j'aurais besoin d'un consentement pour accueillir à notre
table, pour l'après-midi, le député de René-Lévesque. Est-ce qu'il y
aurait un consentement?
Une voix :
Avec plaisir.
Le
Président (M. Bachand) : Avec plaisir. Bienvenue, M. le
député de René-Lévesque. Donc, j'invite donc Me Pelchat
à débuter son exposé de 10 minutes, et après nous allons avoir un débat
d'échange... des échanges, pardon, entre les membres de la commission.
Me Pelchat, s'il vous plaît. Bienvenue.
Mme Christiane Pelchat
Mme Pelchat (Christiane) : Merci, M. le Président de la commission. Vous me
permettrez rapidement de saluer quelqu'un de particulier ici, c'est le
député de Vachon. Alors, puisque j'ai moi-même été députée de Vachon...
Une voix :
...
Mme Pelchat (Christiane) : Hein? Bien non, ce n'est pas pantoute méchant, au
contraire, vous êtes chanceux d'avoir
ce comté-là, alors je vous salue particulièrement. Et ça me fait plaisir d'être
ici, M. le Président. Je voudrais saluer le ministre, bien sûr, Mmes,
MM. les députés, les gens de Québec solidaire, que je ne connais pas
beaucoup. Le PQ, ça, je vous connais pas mal, mettons que j'ai siégé en
avant avec vous autres, là. Oui, c'est ça.
Des voix :
...
Mme Pelchat (Christiane) : Mais vous n'avez pas changé? O.K., alors, c'est
bon à savoir, mais, une fois qu'on le sait, ce n'est pas pire.
Alors,
M. le Président, je vais vous dire que je me représente moi-même, hein, mais je
ne représente pas personne d'autre
que Christiane Pelchat. Je vous le dis parce que j'ai commencé un nouvel emploi
il y a deux semaines, et puis j'ai dit : Malheureusement, vous
voulez que je commence trop vite, alors vous me prenez avec mes engagements.
Cela étant dit,
j'arrive de la Barbade, alors je n'ai pas eu beaucoup de temps pour le mémoire.
Vous l'avez eu aujourd'hui, je m'excuse
infiniment, mais, en tout cas, je pense que ça se tient. C'est fortement
inspiré des deux avis... des trois
avis, je vous dirais, juridiques qu'on a faits lorsque je dirigeais le Conseil
du statut de la femme de 2006 à 2011. J'avais
rapidement remarqué que, malheureusement, le droit des femmes à l'égalité était
le droit le plus susceptible d'être violé par les accommodements
raisonnables.
Et là vous vous
souviendrez des accommodements du YMCA, de la police de Montréal qui avait envoyé
une directive disant que, dans certains
endroits de la ville, c'était mieux de ne pas envoyer de femmes parce que les
gens des communautés religieuses préféraient ne pas avoir de femmes, la
Société d'assurance automobile du Québec, cette Société d'assurance automobile qui avait accordé un accommodement qui
disait que, bien, les femmes, ce n'était pas grave, là : Moi, je ne veux pas être servi par une
femme, donnez-moi un homme; ce n'est pas grave, monsieur, on vous tasse la
madame et on vous donne le service par un
homme. Donc, l'interprétation : il était évident que la liberté de
religion avait tendance à bafouer le droit des femmes à l'égalité.
Donc,
notre premier avis juridique s'appelait Un pas de... c'est-à-dire le
conflit de droit entre la liberté de religion et le droit des femmes à l'égalité. Le deuxième a été La laïcité, un
pas de plus vers l'égalité en 2011. Mais on a fait un troisième avis, aussi, sociologique et une partie
juridique intitulé La polygamie au regard du droit des femmes,telle
que défendue par les mormons devant les tribunaux de la
Colombie-Britannique.
Alors,
je tiens à dire que, malgré certaines réserves, j'appuie le projet de loi n° 21 et j'estime qu'il est tout à fait conforme au droit canadien et au droit québécois, particulièrement
depuis le jugement de la Cour suprême du Canada dans Bruker contre
Marcovitz, Trinity Western University, leMouvement laïque québécois
contre la Ville de Saguenay.
Pour la
première fois dans l'histoire du Québec, la laïcité sera affirmée dans une loi
et dans la charte. La laïcité telle qu'affirmée vient structurer tout notre
droit, et tous les jugements futurs devront s'y conformer. À partir de
maintenant, le devoir de neutralité
sera un élément du droit... le devoir de neutralité religieuse, qui est
maintenant un élément du droit individuel de la liberté de religion,
maintenant ce sera un principe juridique autonome édicté par le législateur.
Les
droits fondamentaux, dont la liberté de conscience, la liberté de religion,
sont aussi reconnus aux usagères et aux usagers des services publics. Le droit de ne
pas être discriminée du seul fait d'être une femme, le droit à la liberté de
religion et liberté de conscience des enfants dans les écoles sera aussi
respecté.
L'affirmation de la laïcité dans la charte
québécoise répond au motif supérieur de la protection du droit des femmes à
l'égalité au travail et comme usagères des services publics, la protection
contre la ségrégation sexuelle, protection
de la dignité humaine... des stéréotypes sexuels et sexistes et d'être traitées
inférieurement en vertu du droit de certains à la liberté de religion.
Alors, c'est la raison d'être profonde du
principe de laïcité, comme on le disait en 2011 dans notre avis : «...permettre la liberté et l'égalité de chacune
et chacun au sein de l'État. La liberté de croire et celle de ne pas croire. Le
droit de jouir des mêmes droits et de
bénéficier des mêmes avantages, indépendamment des caractéristiques
personnelles, dont le sexe.»
Alors, soyons
honnêtes, M. le Président, Mmes et MM. les membres de cette commission, ça ne
fait pas plus que 50 ans que les
femmes ont une personnalité juridique à part entière. Et d'ailleurs l'égalité
n'est pas encore intégrée complètement
dans les faits et nos habitudes, comme en témoignent les distorsions de
revenus, l'absence des femmes dans
les métiers payants, l'absence de parité chez les élus, la violence faite aux
femmes, la banalisation de la marchandisation du corps des femmes. Ces faits sont le résultat de la résistance à
reconnaître que les femmes ont les mêmes droits que les hommes.
La volonté de
protéger le droit des femmes comme fonctionnaires et comme usagères, par le
principe de laïcité, honore le
gouvernement du Québec. Depuis les années 80, tous les premiers ministres
et la première ministre du Québec ont
affirmé que le Québec est une nation, une société distincte bâtie sur trois
valeurs collectives principales : la protection et la promotion du
fait français, la laïcité de l'État et l'égalité entre les femmes et les hommes.
Jeune
députée — lorsque
j'étais jeune et folle — dans cette Assemblée, je participais à la commission parlementaire
de l'étude sur l'entente du lac Meech. Plusieurs d'entre vous êtes trop jeunes
pour se rappeler de ça, mais je sais que Sébastien
Proulx, lui, grande capacité de lecture, je suis sûre qu'il a tout lu les
rapports. C'est durant cette période que j'ai pris la mesure de l'impérieuse
nécessité pour que le Québec soit reconnu comme société distincte, voire comme
nation afin de survivre comme peuple de
langue et de culture française dans ce Canada qui avait fait du
multiculturalisme un droit protégé par la Constitution de 1982.
Comme le
rappelle le CSF en 2011 : «En 1971, le Canada devient le premier pays au
monde à adopter une politique officielle
du multiculturalisme. Il s'agit là de la réponse du premier ministre Trudeau au
rapport de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le
biculturalisme présenté en 1969, qui recommandait de renforcer le
biculturalisme au Canada et
"l'importance capitale de la notion des deux sociétés distinctes". En
adoptant [une] politique multiculturaliste, le gouvernement faisait en sorte d'accorder la même valeur à toutes les
cultures présentes au Canada et ainsi de noyer le bijuridisme, ce qui allait bien sûr à contresens
des recommandations de la commission et souleva l'ire des Québécoises et
[des] Québécois.»
La Cour
suprême, dans l'arrêt Ford, en 1988, invalidait l'interdiction d'affichage en
anglais pour le commerce du Québec.
Cependant, la Cour suprême reconnaissait que la protection de la langue
française constituait un objectif urgent et nécessaire pour permettre
l'utilisation des clauses dérogatoires pour limiter les droits individuels de
la liberté d'expression. Cette décision du
plus haut tribunal du pays a mené à l'adoption de la loi 178, qui
renouvelait l'interdiction d'affichage
autre... de l'interdiction d'affichage, pardon, autre que le français, cette
fois, en utilisant la clause dérogatoire.
• (15 h 10) •
J'étais
députée de Vachon, comme je disais, à ce moment-là. J'ai failli
démissionner — et c'est
sérieux, ceux qui ont siégé avec moi
le savent — en même
temps que Richard French, que Herbert Marx, Pr Marx, que j'admirais et que
j'admire toujours, et Clifford Lincoln. L'utilisation de la clause dérogatoire,
ça a été quelque chose qui a été très, très difficile
dans notre caucus. Au Québec, on l'a moins senti, mais plusieurs personnes
disent que c'est l'utilisation de la clause dérogatoire qui nous a fait
perdre — et
je vois M. Bachand... excusez-moi, M. le député de Richmond, vous étiez,
je pense, député, à ce moment-là, si je ne me trompe pas — c'est
ce qui a fait échouer, semble-t-il, l'entente du lac Meech. J'ai donc failli quitter mon poste de députée et je me
souviens que c'est Thérèse Lavoie-Roux qui m'avait dit, la députée de...
j'ai un petit blanc, qui m'avait dit : Christiane, on a besoin des jeunes
femmes comme toi au Parti libéral du Québec,
et je voudrais que tu restes. Mais c'est un discours du premier ministre Robert
Bourassa qui a su me convaincre et
d'autres collègues aussi de voter en faveur de la loi, en démontrant que seul
le gouvernement du Québec avait la
responsabilité et l'obligation, je dirais, l'obligation constitutionnelle de
défendre la protection et la primauté du français, la culture francophone comme bien commun de cette société
distincte. La protection du français comme droit collectif était
suffisamment urgente et nécessaire pour limiter un droit individuel.
Le CSF a
démontré qu'en droit canadien, et en droit québécois, et aussi en droit
international la liberté de religion trouve
sa limite dans le droit à l'égalité des sexes, dans le droit à l'égalité aussi,
et qui est non seulement un droit protégé par nos deux chartes, mais une
valeur collective au même titre que la protection et la promotion de la langue
et de la culture francophone québécoise.
C'est aussi dans cette même logique qu'il me permet... c'est aussi cette même
logique, dis-je, qui me permet
d'appuyer le projet de loi n° 21 proposé par le gouvernement du premier ministre
François Legault. Si la protection du
français méritait l'utilisation de la clause dérogatoire, je crois que le droit
des femmes à l'égalité mérite la même protection.
Le Président
(M. Bachand) : Je vais vous demander de conclure,
Me Pelchat, parce que...
Mme Pelchat (Christiane) : Eh!
ça, ce n'est pas drôle, M. le député.
Le Président (M. Bachand) : Bien, je le sais, mais c'est parce qu'on doit
passer à la période d'échange, s'il vous plaît.
Mme Pelchat (Christiane) :
Écoutez, j'ai tout un autre chapitre sur...
Le Président
(M. Bachand) : Bien, vous pouvez continuer, le
gouvernement vous laisse...
Mme Pelchat
(Christiane) : D'accord.
Écoutez, je vais terminer rapidement. Ce qu'il est important de dire, c'est
que nous avions démontré aussi que la
neutralité religieuse de l'État telle qu'elle était interprétée par la Cour
suprême du Canada, comme étant un
corollaire du droit à la liberté de religion, nous permettait aussi de penser
que le droit à la liberté de religion
pouvait être limité. Donc, l'obligation religieuse de l'État était aussi une
limite à la liberté de religion.
C'est qui est
intéressant dans ce projet de loi, c'est qu'on fait de la laïcité, hein, une...
on affirme la laïcité dans la charte
québécoise, donc dans la loi quasi constitutionnelle, comme le conseil l'avait
recommandé en 2011, et ce principe s'appuie
sur quatre autres principes juridiques : la séparation du religieux et de
l'État, l'égalité des citoyens et des citoyennes, le devoir de neutralité religieuse et — ce qui est intéressant du gouvernement,
parce que je n'avais jamais vu vraiment cette distinction-là — la
liberté de conscience. On a vraiment séparé ça.
Ce que ça
fait, c'est que ça vient confirmer le dernier arrêt de la Cour suprême du
Canada dans Trinity Western, qui a
dit que la liberté de religion ne peut pas être utilisée pour porter atteinte
au droit à l'égalité des homosexuels. Alors, Trinity Western, qui dit : Moi, dans mon université, vous devez,
pour avoir votre diplôme, signer un engagement que jamais vous n'aurez de relations homosexuelles, le
Barreau de l'Ontario a refusé de reconnaître le diplôme de ces universités en disant : Je ne peux pas faire ça, comme Barreau,
parce qu'on porte atteinte à l'égalité des homosexuels, alors c'est impossible. Et la Cour suprême a donné raison au
Barreau de l'Ontario. Donc, le gouvernement, en fait, prend des
enseignements de la Cour suprême du Canada et les enseignements du Conseil du
statut de la femme, j'aimerais bien le
croire, particulièrement les trois avis que j'ai signés, en toute modestie, M.
le ministre. Ce sont des avis qui ont été rédigés par notre juriste,
Caroline Beauchamp, et aussi par les conseils judicieux du grand
constitutionnaliste, Pr Henri Brun.
Alors, je
veux dire rapidement que l'interdiction des signes religieux chez certaines
agentes et certains agents de l'État
ne peut être interprétée comme une atteinte à la liberté de religion. Interdire
l'expression de sa croyance à certains endroits
pour un certain temps n'est certainement pas une négation de la croyance
elle-même, particulièrement quand cette
interdiction découle de l'obligation de la neutralité religieuse de l'État, de
la séparation du religieux de l'État et de l'égalité des femmes et des hommes. La Cour suprême a rappelé plusieurs
fois que la liberté de religion n'est pas absolue et qu'elle trouve sa
limite dans le droit des autres.
J'ajouterais,
en terminant, que l'interdiction des signes religieux pour le corps des
enseignants ne va pas assez loin. En
ce qui me concerne, on devrait inclure certainement les CPE et, en plus des
écoles publiques, les écoles privées subventionnées,
et je pense que c'est une restriction essentielle au respect de la laïcité qui
se construit sur l'obligation de la neutralité religieuse de l'État et
de ses représentants. J'aimerais dire que cette proposition est très proche de
l'avis de Mme Julie Miville-Dechêne,
qui a présidé le conseil... En fait, le projet de loi répond presque
entièrement, sauf pour les CPE, à l'avis de Mme Miville-Dechêne.
Alors, je
termine, M. le Président. Je vous regarde, là, vous êtes loin, mais je vois vos
yeux quand même. Je voudrais ajouter que, comme le CSF le mentionnait en
2011, le message religieux des signes religieux n'est pas que religieux. N'oublions pas que, lorsque l'État accepte ces
signes, il les avalise. La répétition et la prolifération des signes religieux
au sein de l'État contribuent à renforcer le message religieux, qui, en
lui-même, peut être sexiste et porteur de discrimination envers les
femmes.
Mais ce qui
est de la plus haute importance, c'est que le projet de loi n° 21 reconnaît les enfants comme sujets de droit. Les enfants qui fréquentent l'école publique ont aussi le droit
fondamental à la liberté de conscience et de religion et au droit à être
traités également, même s'ils sont des enfants. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président
(M. Bachand) : Merci infiniment, Me Pelchat. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Pouvez-vous nous indiquer combien de temps nous avons?
Le Président
(M. Bachand) : 12 minutes.
M. Jolin-Barrette :
12 minutes. Parfait.
M. Zanetti : ...
Le Président
(M. Bachand) : Oui?
M. Zanetti : Le temps...
Le Président
(M. Bachand) : ...est enlevé du côté du gouvernement.
M. Zanetti : Parfait.
Le Président
(M. Bachand) : Merci, M. le député de Jean-Lesage. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Me Pelchat, bonjour. Merci de participer aux
travaux de la commission en lien avec le projet de loi n° 21. Je tiens à vous remercier de venir parce que
vous avez fait beaucoup de service public dans votre vie. Vous avez été députée
de Vachon pour le Parti libéral entre 1985 puis 1994, vous avez présidé le
Conseil du statut de la femme cinq
ans environ, si je ne me trompe pas, vous avez été déléguée générale du Québec
à Mexico également, donc vous avez représenté le Québec, à la fois vos
concitoyens, à la fois les femmes au Conseil du statut de la femme, à la fois
le Québec à l'international aussi. Et
aujourd'hui vous nous livrez une proposition que je dénote qui est en faveur du
projet de loi, une importance du projet de loi.
Souvent, on critique
le projet de loi n° 21 parce qu'on dit : Il n'y
a pas d'études qui démontrent la nécessité d'interdire
le port de signes religieux à la fois chez les personnes en situation d'autorité
et, en fait, chez toutes les personnes qu'on
vise dans le cadre du projet de loi. Quand vous étiez au Conseil du statut de
la femme, vous avez dit : On a émis trois avis. Quels étaient les
éléments d'analyse et qu'est-ce que vos avis disaient en lien avec la laïcité
de l'État et l'interdiction de port de signes religieux?
• (15 h 20) •
Mme Pelchat (Christiane) : En fait, les trois conclusions... excusez, M. le
ministre, les trois avis, on en vient à la conclusion qu'à chaque fois, malheureusement, que la liberté de
religion prend un peu trop d'espace, il y a une atteinte aux droits des
femmes.
Alors,
je donnais l'exemple, tout à l'heure, des accommodements raisonnables, qu'on
connaît, et là on ne parle pas des accommodements raisonnables dans les
écoles à Montréal, hein? Vous savez qu'on entend parler... c'est du ouï-dire, hein, mais il y a des gens qui disent
qu'il y a des accommodements qui sont donnés sans que personne ne sache.
Alors, une enseignante, par exemple, on va
dire : Bien, j'aimerais mieux que mon petit garçon soit enseigné par un
homme parce que, dans ma religion,
l'autorité est représentée par un homme. Oui, c'est malheureusement des choses
qui nous avaient été rapportées, au Conseil du statut de la femme. Et
alors ça, c'est le genre de choses qui nous ont fatiguées.
Bon, puis, dans
l'avis de 2007, l'avis de 2010 et l'avis de 2011, la polygamie, on a montré
clairement... les mormons voulaient
absolument que ce droit leur soit reconnu au nom de leur liberté de religion.
Alors, dans cet avis, on a démontré
que c'était une atteinte au droit à l'égalité des femmes. On a aussi montré que
c'était une atteinte aux droits des enfants,
mais, au nom de la liberté de religion, les femmes étaient flouées. Même chose
dans notre avis de 2011, où on a démontré
de toutes sortes de manières que, quand la laïcité n'est pas édictée comme une
norme juridique, les droits des femmes à l'égalité peuvent être floués,
et c'est ça, le problème.
Et
je regrette de le dire, mais ça me fait tellement de chagrin d'avoir
entendu le nouveau président — par ailleurs, je l'aime beaucoup, M. Tessier — de la Commission des droits de la
personne — hier,
j'avais encore l'impression que c'était
la Commission des droits de la personne d'il y a 20 ans, presque,
peut-être, même 25 ans — qui vient nous dire que le droit à la liberté de religion est plus
important que le droit à l'égalité des femmes. C'est quelque chose. Alors, la
liberté... Et ça fait longtemps qu'on dit ça, là. La Commission des droits de
la personne a tendance à hiérarchiser les droits :
droit n° 1, liberté de religion; droit n° 2, je ne sais pas trop.
Droit des femmes à l'égalité, c'est loin de chez Eaton, ça, là, là, c'est pas mal loin. Et ce n'est pas
moi qui le dis, l'UNESCO et puis les interprètes de la convention des droits
de l'homme disent que, écoutez, les
religions, c'est dans le creuset du patriarcat qu'elles sont nées. Alors, c'est
certain que le principe premier,
c'est la supériorité masculine. Je vous invite à lire la première partie de
notre avis de 2007, où on explique comment les femmes québécoises ont
obtenu le droit de vote, comment on a été obligées de se battre contre l'Église catholique pour obtenir le droit de vote.
Puis on a d'ailleurs été la dernière société canadienne à donner le droit
de vote aux femmes, parce que...
Le
Président (M. Bachand) : Merci, maître. M. le ministre,
s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Je voudrais vous poser une question en lien
avec le projet de loi n° 21. On a inclus les dispositions de dérogation
prévues aux chartes. Est-ce que vous êtes en accord avec le fait qu'on utilise
les dispositions de dérogation?
Mme Pelchat (Christiane) : J'ai bien de la misère avec ça, mais je me rallie
à votre argumentaire. Puis j'ai parlé avec d'autres juristes qui, aussi,
avaient un peu de difficultés avec ça. Moi, ce n'est pas parce que... Écoutez,
j'ai voté sur la loi 178 puis je ne me
suis pas évanouie — j'ai
bien failli — mais
j'étais bien mal à l'aise parce que, là, on parlait de la liberté
d'expression. J'avais bien de la misère. Je me suis ralliée, comme je vous dis,
parce que, bon...
Pour
moi, je vous le dis comme je le pense, et il y a d'autres juristes qui pensent
comme moi, la liberté de religion n'est
pas absolue, la Cour suprême l'a encore répété en juin dernier, là, elle peut
être limitée. Jamais la liberté de religion ne peut porter atteinte à un
droit à l'égalité, jamais. C'est ça que la... dans Trinity Western, là, c'est
ça que la... Mais, attention! moi, je pense qu'on passe le test des tribunaux.
Alors, c'est pour ça que je ne suis pas nécessairement en faveur
de l'utilisation en amont... de l'utilisation de la clause dérogatoire.
M. Jolin-Barrette : Mais ce que je dénote de votre propos, c'est qu'avec la proposition que
nous faisons vous dites : Écoutez, le gouvernement ne devrait pas
utiliser la clause dérogatoire parce que, même si c'était contesté, les
tribunaux valideraient le fait que les dispositions sont constitutionnelles.
Mme Pelchat (Christiane) : D'après moi, oui. En vertu de Bruker contre
Markovitz, de... on oublie souvent, là, mais MLQ contre Saguenay et
Trinity Western, oui.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Je sais que j'ai des collègues qui
veulent poser des questions, M. le Président. Je reviendrai par la
suite.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Alors, je regarde vos collègues. Mme la députée de Bellechasse,
s'il vous plaît.
Mme Lachance :
Merci, M. le Président. Merci, madame, d'être là, d'être parmi nous et de
prendre le temps. Les exemples que
vous nous avez donnés en tout début de votre présentation, pour ma part, je les
trouvais très éloquents et parlants.
Et j'ai bien entendu que vous avez affirmé que c'était important que la laïcité
soit enchâssée dans la charte. Et
vous avez dit, dans votre mémoire, à la page... que je n'ai pas notée, mais je
crois que c'est autour de la page 9, que l'affirmation de la
laïcité dans la charte québécoise telle que suggérée dans la loi, se joint au
principe de l'égalité hommes-femmes. J'ai
bien entendu que vous avez dit que la liberté de religion portait atteinte aux
droits des femmes, et j'aimerais ça vous entendre davantage, parce qu'il
me semble quand même qu'on fait un parallèle qui est direct.
Mme Pelchat (Christiane) :
Écoutez, je n'ai pas... Le début de votre question, c'était quoi?
Mme Lachance :
En fait, c'est que, dans votre mémoire, vous dites que l'affirmation de la
laïcité québécoise se joint au principe d'égalité des hommes et des
femmes comme fondement de la justice.
Mme Pelchat
(Christiane) : Oui. Alors,
ce qui est arrivé, puis vous me donnez une occasion de le répéter, lorsque
j'étais au Conseil du statut de la femme, le
premier avis, on a demandé au gouvernement du Québec, M. Charest, à
l'époque, de modifier la charte pour
inclure l'équivalent de l'article 28 de la Charte canadienne, qui a été
introduit, en fait, suite à des
pressions du mouvement féministe du
Canada anglais pour s'assurer que l'article 27, donc, sur le multiculturalisme canadien
ne viennent pas empiéter sur le droit des femmes à l'égalité.
Alors, avec le travail de Mme Christine St-Pierre, la ministre de la
Condition féminine, nous avons
modifié et nous avons... c'est-à-dire l'Assemblée
nationale a modifié la charte pour y inclure, pour la première fois,
le mot «femme» dans la charte. Ça n'existait pas. Pour la première fois,
on a introduit le mot «femme» dans la
charte. Et il y a un préambule qui dit que l'égalité
des femmes et des hommes est un
fondement de justice et de paix. Et on ajoute, pour avoir l'équivalent de l'article 28,
que les droits des femmes et des hommes
dans la... les droits de cette charte sont donnés également
aux hommes et aux femmes. Donc, pourquoi? Pour prévenir les demandes d'accommodements
raisonnables d'un monsieur qui ne veut pas être servi par une femme.
Donc, les
femmes qui travaillent dans la fonction
publique ont les mêmes droits que les
hommes. Ce n'est pas parce qu'elles sont des femmes qu'elles doivent s'éclipser pour
un accommodement dit religieux, qui est, à mon avis, un accommodement
déraisonnable.
Mme Lachance : Merci. Ainsi, on
soutient que laïcité et égalité des femmes et des hommes vont de pair.
Mme Pelchat
(Christiane) : Absolument.
Ça va de soi. Je vous dirais, laïcité et démocratie va de soi. C'est pour ça que je
suggérerais au ministre d'intervertir sa modification à 9.1, de mettre laïcité
avant la démocratie, mais, bon... parce que la laïcité, ça soutient la démocratie.
La laïcité est le socle de la démocratie, quant à moi.
Mme Lachance : Merci beaucoup.
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée de Les
Plaines, s'il vous plaît.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, Me Pelchat, pour votre présentation, pour votre mémoire. Vous avez parlé d'affichage, et c'est un mot qui
est revenu dans les dernières présentations, alors vous allez me permettre cette question-ci :
Croyez-vous qu'un signe religieux est aussi fort que de l'affichage? Et je
parle notamment dans les écoles, auprès des enfants.
Mme Pelchat
(Christiane) : Je suis
obligée de faire une distinction parce
que l'affichage référait à la
loi 178, qui avait... Mais je ne
pense pas qu'il y a de parallèle à faire entre l'affichage... Parce que
la Cour suprême a dit que le droit d'afficher dans sa langue relevait du droit à la liberté
d'expression, tandis qu'ici la demande de porter des signes religieux
par les fonctionnaires de l'État relève plutôt du droit à la liberté de
religion. Alors, ce n'est pas la même source juridique. C'est important de
faire la distinction.
Ce qu'on a
dit, le CSF, c'est que les signes religieux, ce n'est pas vrai que ça n'a pas
de signification. Les signes religieux...
Et, si vous me permettez, il y a... un petit extrait, rapidement,
de la cour des droits, européenne, de l'homme, qui a interdit à une enseignante suisse de porter le foulard islamique
durant ses heures de travail, en disant qu'«en effet, la requérante a
enseigné dans une classe d'enfants de quatre à huit ans, et donc d'élèves se
trouvant dans un âge où ils se posent beaucoup de questions tout en
étant plus facilement influençables[...]. Comment dès lors pourrait-on, dans
ces circonstances, dénier de prime abord
tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu'il semble
être imposé aux femmes par une
prescription coranique qui, comme le constate le tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe de l'égalité des sexes? Aussi,
semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message
de tolérance, de respect d'autrui et surtout
d'égalité et de non-discrimination que, dans une démocratie, tout enseignant
doit transmettre à ses élèves.»
Donc, et je suis plutôt d'avis... puis
on pourrait relire la décision du tribunal fédéral, qui cite un expert dans les
signes... qui parle des signes religieux, ce
que ça veut dire et que ce n'est pas vrai de dire qu'un signe religieux...
parce que pourquoi on le porterait si ça ne veut rien dire, hein? Alors,
ce serait comme inutile.
Le
Président (M. Bachand) : Merci, maître. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David :
Merci beaucoup d'être ici. On est-u ici pendant une heure, toutes les deux,
pour qu'on règle la question des femmes?
Le
Président (M. Bachand) : Vous avez le temps de jaser.
• (15 h 30) •
Mme David :
Alors, moi aussi, je vais trouver que le temps est trop court. Alors, comme
ex-ministre récente de la Condition
féminine, je suis étonnée, d'ailleurs, que le Conseil du statut de la femme ne
soit pas ici. Ça aurait été le fun qu'il
y ait un avis de l'actuel... donc, un avis beaucoup plus récent, ça aurait fait
la continuité, disons, des choses. Mais on vous a, et c'est quand même intéressant, puis vous vous êtes donné la
peine d'écrire, et tout ça. Alors, parlons d'un certain nombre de choses qui sont quand même des
affirmations que je qualifierais d'assez costaudes. On va commencer par la
page 6, quand vous dites : «Si la
protection du français méritait l'utilisation de la clause dérogatoire, je
crois que le droit des femmes à l'égalité...»
Mme Pelchat
(Christiane) : Pardon, Mme la députée...
Le
Président (M. Bachand) : Laissez terminer...
Mme Pelchat
(Christiane) : ...je ne vous entends pas.
Mme David : Ah! «Si la protection du français méritait
l'utilisation de la clause dérogatoire, je crois que le droit des femmes à l'égalité mérite la même protection!»
Vous parlez beaucoup, beaucoup, beaucoup de l'égalité
hommes-femmes, et j'en suis, évidemment,
on s'entend là-dessus. Mais, une fois qu'on a dit ça, on n'a pas les
mêmes chemins pour y arriver ou les mêmes
visions de la chose. Et je ne suis pas toute seule, heureusement. Vous connaissez certainement la... quand vous étiez au Conseil du
statut de la femme, la Fédération des femmes du Québec, qui n'est quand
même pas exactement...
Mme Pelchat (Christiane) : ...le Conseil
du statut de la femme, qu'est-ce que vous dites? Le Conseil de
statut de la femme, le dernier avis qui a été publié...
Mme David : Non, non, mais, quand vous étiez là, vous
connaissiez déjà la FFQ, c'est
ça que je veux dire. Ce n'est
pas... Ça ne vous est pas...
Mme Pelchat
(Christiane) : C'est parce que je ne vous entends pas bien,
Mme David... Mme la députée.
Mme David :
Mais il faut-u que... Non? Ça va?
Le
Président (M. Bachand) : Non, non, là c'est beau, c'est
beau, c'est beau, tout est au maximum.
Mme David :
Alors, les voix de femmes ne portent pas assez dans notre société. Voilà.
Donc,
vous connaissez donc la FFQ, et la Fédération
des femmes du Québec s'est quand même prononcée contre le projet de loi n° 21, carrément. Ils ont
fait une réunion complète, très complexe aussi, avec toutes leurs instances, et
ils sont arrivés avec ce qui résume
bien : Mon corps, mon choix. Et donc ils ont, le 28 octobre, je
pense, 2018, dit : Nous, nous sommes pour la liberté de choix et
contre l'interdiction de signes religieux.
Pour moi, la FFQ, là,
c'est quand même une organisation très importante. Puis vous avez dit que vous
ne les connaissiez pas beaucoup, mais il y a
quand même un parti à côté de nous ici, Québec solidaire, dont la base même,
c'est le féminisme, qui était un de
leurs articles 1, si on peut dire, et qui sont aussi contre le projet de
loi n° 21. Et puis il y a plein de femmes qui n'ont pas
nécessairement la même définition de ce qu'est l'égalité hommes-femmes.
Alors,
on sait, on veut tous l'égalité, c'est clair, puis même on dépasse, dans
plusieurs cas, les hommes à certains égards.
Mais l'égalité hommes-femmes, là, est-ce que... Pourquoi porter un hidjab fait
en sorte qu'intrinsèquement la femme n'est
pas dans une égalité avec les hommes? Pourquoi ce postulat, cette règle de
catéchisme, pourrait-on dire, universelle — on est
dans la religion — cette
règle universelle que hidjab, pour ne pas le nommer, parce qu'on va parler des
enseignants, égale inégalité hommes-femmes pour tout le monde, pour tout
le monde, toutes les femmes qui le portent?
Le
Président (M. Bachand) : Me Pelchat.
Mme Pelchat
(Christiane) : En fait, je voudrais dire que, pour moi, tous les
signes religieux portés par les fonctionnaires,
quant à moi, portent atteinte au devoir de neutralité religieuse de l'État, ça,
c'est la première chose, et au devoir
du respect du droit à l'égalité de tous les fonctionnaires. Parce que la Cour
suprême du Canada a défini la liberté de
religion, elle dit : Il y a deux facettes à la liberté de religion :
il y a la liberté de croire et il y a la liberté de conscience, qui est
la liberté de ne pas croire. Et c'est ça qui a été reconnu dans MLQ contre
Saguenay.
Alors, premièrement, l'obligation du
gouvernement, avant même de spécifier les signes religieux, c'est de s'assurer
que l'État est laïque et que ses
représentantes et représentants de l'État n'arborent pas aucun signe religieux.
D'accord? Alors, ce n'est pas le...
Vous parlez du hidjab plus spécifiquement. Moi, je parle de tous les signes
religieux, qu'ils soient portés par
des femmes ou des hommes. C'est une atteinte au devoir de neutralité religieuse
de l'État, à la séparation du religieux et l'État et, bien sûr, au droit
à l'égalité en général.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, s'il vous
plaît.
Mme David :
Oui, mais, encore une fois, en tout respect, je n'ai pas une réponse vraiment
complète à ma question. Parce qu'on
s'en va vers : les hommes portent aussi des signes religieux, la croix
catholique, par exemple, invisible, qui serait interdite. On ne tombera pas dans l'applicabilité qui va donner
quelques maux de tête au ministre, mais on essaiera de soigner ça avec lui, mais le fait que vous
répondiez sur la question de la neutralité, ça ne répond pas à ma question sur
l'égalité.
Mme Pelchat (Christiane) : C'est le droit à l'égalité, Mme la ministre...
Mme la députée. Excusez-moi, je vous vois encore ministre, alors c'est
des mauvaises habitudes.
Mme David :
Ah! c'est gentil, mais non, c'est...
Mme Pelchat (Christiane) : Mais, écoutez, je viens de vous lire la décision
de la Cour européenne des droits de l'homme.
Je pourrais vous lire la décision de la HALDE, la haute autorité des libertés
des droits de la France. Je pourrais vous
lire la même chose de la Belgique. Je pourrais vous lire tous ces jugements des
tribunaux internationaux. Il ne faut pas
oublier que la charte québécoise
et la Charte canadienne ont été fortement inspirées par la convention des
droits de l'homme et le PDCP. Donc, c'est pas mal... c'est sensiblement
pareil.
On
vient de dire... Je viens de vous lire le jugement qui dit qu'il semble
«difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de
tolérance, de respect d'autrui et surtout d'égalité et de non-discrimination
que, dans une démocratie, tout
enseignant doit transmettre à ses élèves». Alors, la cour nous dit qu'ils
ont... le tribunal fédéral a analysé qu'est-ce
que ça veut dire, le hidjab, et ils ont conclu que c'était une atteinte à
l'égalité des sexes, que les femmes paraissent moins dignes — et
c'est le mot utilisé par le tribunal, la HALDE utilise le même
propos — qu'elles
doivent se cacher les cheveux en
vertu d'un code, d'une religion monothéiste qui, à la base, est patriarcale et
infériorise les femmes.
Alors,
voilà, c'est le droit, et c'est comme ça qu'il est interprété. Je fais juste
vous lire des jugements de la cour européenne de justice. Et je pourrais
vous lire aussi le jugement de Bruker contre Marcovitz...
Le Président (M. Bachand) : Me Pelchat, vous entendez aussi les fameuses
cloches, alors donc il y a un appel au vote, alors je dois suspendre
les travaux pour que les membres puissent aller voter.
Alors, on suspend les
travaux. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
15 h 37)
(Reprise à 15 h 55)
Le Président (M. Bachand) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Merci.
Alors, la commission va reprendre ses travaux. Alors, je cède
la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys. Mme la députée, s'il vous
plaît.
Mme David :
Oui. Mme Pelchat, on poursuit donc nos réflexions, et je vais passer à un
sujet connexe, disons ça comme ça, de
l'égalité hommes-femmes. Il y a des phrases qui m'ont un peu surprise,
page 9, 10, 11. Disons que je prends celle de la
page 10 : «Les personnes chargées de prodiguer l'enseignement et les
services doivent le faire sans signes religieux
et sans prosélytisme.» Après ça, un peu plus loin : «Le message religieux
n'est pas que religieux.» Là, ça va vraiment passablement plus
loin : «La religion véhicule des valeurs qui parfois peuvent être
synonymes de violence, d'inquisition, de
patriarcat...» Et puis après ça : «Que l'État n'est pas guidé par des lois
démocratiques, mais par des lois religieuses
dictées par le Tout-Puissant? Que les femmes sont moins dignes que les hommes?»
Alors, je fais une espèce d'équation intellectuelle, là, puis vous me
direz si j'ai tort...
Mme Pelchat
(Christiane) : ...
Mme David :
Pardon?
Mme Pelchat
(Christiane) : J'ai dit : Je n'ai pas compris la dernière phrase
que vous avez...
Mme David :
Je fais une sorte d'équation intellectuelle, équation intellectuelle sur la
question du port de signes religieux
lié à... le mot est écrit, là, prosélytisme. Ça peut être lié à... «La religion
véhicule des valeurs qui peuvent être synonyme de violence, inquisition,
patriarcat...» Des «lois religieuses dictées par le Tout-Puissant». On est
dans... Je voudrais vous entendre là-dessus,
là, qu'encore une fois le port de signe religieux dans une classe pourrait
véhiculer tout cela. Je voudrais vraiment vous entendre là-dessus.
Mme Pelchat
(Christiane) : Bien, en
fait, ce qui est écrit, ce que vous avez lu, ce sont des extraits de notre avis
de 2011 et certains, peut-être, de l'avis de
2010. Donc, oui, et le conseil, Mme la députée, a toujours pris position,
depuis 1995, à l'effet que le voile
est un signe d'infériorisation des femmes. Premier avis, de 1995, qui dit que
le voile est un signe
d'infériorisation, donc, ça, ce n'est pas sous mon mandat que ça a été dit, et
c'est inspiré de travaux internationaux aussi.
Et la
conclusion, c'est que — je reviens encore une fois — tous les signes religieux ont un potentiel
de porter atteinte à, d'abord, la
laïcité de l'État, la neutralité et l'égalité. Ça, c'est important de bien
comprendre ça parce que ce sont des concepts juridiques qui vont
ensemble, le projet de loi le montre bien.
Alors là,
vous, vous parlez plutôt du voile. Moi, je pourrais vous parler d'autres signes
religieux qui sont aussi véhicules d'inégalité. Et ça, qu'on le veuille
ou non... Et ça me permet de revenir sur le jugement de la Cour fédérale
canadienne qui, sur le port du kirpan, avait fait témoigner un expert qui
disait que, non, un signe religieux, c'est un signe
qui... c'est d'abord du prosélytisme, donc ça veut dire... ça dit : Je
suis croyante ou croyant de cette religion, et, voici, je veux le montrer, et je veux en faire la promotion.
D'abord, c'est du prosélytisme. Le hidjab, Mme la ministre... Mme la députée, je vous invite à lire l'excellent livre
de Yolande Geadah, qui est une sociologue reconnue, une grande sociologue
québécoise, qui explique en quoi le voile
est un outil d'avilissement des femmes. Alors, ce que vous avez lu, ce sont...
Le
Président (M. Bachand) :
Me Pelchat, je vais laisser la parole à Mme la députée parce qu'il reste très,
très peu de temps. Mme la députée, s'il vous plaît. Excusez-moi.
Mme David :
Oui. Je me sens vraiment dans l'obligation de reprendre la phrase que vous
citez mais que vous faites vôtre, puisque vous la citez : Un signe
religieux, c'est du prosélytisme.
Mme Pelchat (Christiane) :
Absolument, et je suis tout à fait d'accord avec ça.
Mme David :
Vous êtes probablement... Depuis le début des consultations, en tout cas, c'est
la première fois que je l'entends aussi clairement.
Mme Pelchat (Christiane) :
Bien, ça me fait plaisir d'être claire.
Mme David :
Ça a le mérite d'être clair, mais ça a le mérite de pouvoir dire à quel point
je suis en désaccord avec vous, en tout respect.
Mme Pelchat (Christiane) :
Absolument, madame.
• (16 heures) •
Mme David :
Parce que, comme je vous dis, l'égalité hommes-femmes, il peut y avoir
plusieurs définitions, mais que,
donc... Et prosélytisme, vous n'avez pas dit le mot comme tel, mais vous
dites : Qui porte un signe religieux veut donc convertir, à la méthode missionnaire, ou quelque chose comme ça, donc endoctrinement. Et
c'est sûr, sûr, sûr, là, que, s'il y
a des femmes portant le hidjab qui sont enseignantes, et j'en ai rencontré beaucoup
qui ont témoigné en privé, en public...
Les monologues du voile, je vous encourage à lire ce livre-là parce
qu'il y a... le port du voile peut être fait pour plusieurs
raisons, et plusieurs sont venus le dire, et donc ces femmes-là vont
dire : Jamais, jamais, jamais je n'ai fait quelque prosélytisme que
ce soit.
Le Président
(M. Bachand) : Merci.
Mme Pelchat (Christiane) :
Mais, Mme la députée...
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, Mme la
députée. Désolé, Me Pelchat, désolé,
le temps file. Maître, c'est au tour du député de Jean-Lesage, s'il vous
plaît, de prendre la parole. M. le député.
M. Zanetti : Merci. Merci, M. le Président. Merci beaucoup,
Me Pelchat. Bon, vous êtes très critique des religions, c'est tout
à fait correct. On peut faire le
procès des religions dans une société démocratique, avoir ces débats-là. Je ne
pense pas que c'est le rôle des
législateurs dans un État laïque de faire ça, mais c'est tout à fait légitime d'avoir cette réflexion-là, et vous pouvez avoir cette
opinion-là.
Maintenant,
moi, ce que je me demande... parce que vous parlez beaucoup,
pour justifier un peu votre démarche, votre
position, vous parlez d'accommodements déraisonnables, et tout ça, puis
d'inégalités entre les hommes et les femmes. Et l'inégalité entre les
hommes et les femmes, là, c'est un problème, c'est un problème. Il n'y a
personne qui veut ça — bien,
en tout cas, pas ici, là — et
il y a des lois pour ça, et ce n'est pas accompli au Québec, surtout en termes
économiques, là, puis dans plein d'autres termes, là, ce n'est pas
accompli : sous-représentation sur les C.A., etc.
Toutefois,
là, sur la question du port du voile, en ce moment il y a des femmes qui
peuvent porter le voile et puis là, au fond, après le p.l. n° 21, il y a des femmes qui ne pourront plus le porter ou
qui ne pourront plus enseigner en le portant.
Alors, là, ma question, c'est : Comment est-ce que ça fait vraiment
avancer les femmes? Et je précise ma question, là : Qu'est-ce que ça donne de plus aux femmes qu'elles n'ont déjà
que d'interdire les signes religieux aux enseignantes, par exemple, puis
aux policières, puis aux juges?
Mme Pelchat (Christiane) :
Qu'est-ce que ça donne aux femmes qu'elles n'ont...
M. Zanetti : Qu'elles n'ont pas déjà? Qu'est-ce que ça donne
aux femmes qu'elles n'ont pas déjà, cette loi-là en particulier, là, p.l. n° 21? Qu'est-ce que ça apporte à qui? Aux femmes,
non, je veux dire. Qu'est-ce que ça apporte aux femmes?
Mme Pelchat
(Christiane) : En fait... O.K. Mais d'abord, cette loi, puis c'est ça
qu'il faut comprendre, et malheureusement ça semble difficile à comprendre, cette loi, elle
est d'abord et avant tout pour affirmer la laïcité et le devoir de neutralité religieuse de l'État, comme
l'a précisé MLQ contre Saguenay, qui dit : Au Québec
comme Canada, il n'y a pas de norme juridique sur la laïcité
et sur l'obligation de neutralité religieuse de l'État. C'est ça, le premier objectif
de cette loi, c'est de répondre au jugement
de la Cour suprême qui dit : Il y a un vide législatif. Et, M. le député, avec tout le respect que je vous dois, pour combler un vide
législatif, il y a juste le législateur. Il n'y pas d'autre... Le vide législatif...
Puis moi, là, je vais vous dire une chose, je suis tellement fière que ce
soient les élus, les femmes et les hommes de l'Assemblée
nationale, qui votent sur cette
loi-là et que ce ne soient pas les tribunaux qui interprètent notre droit, parce
que c'est la... malheureusement, la cour, par les juges. Mais
c'est parce que c'est le premier point, c'est ça que fait la loi. Alors,
qu'est-ce que ça donne aux femmes...
Le Président (M. Bachand) : Merci, Me Pelchat. Me Pelchat, désolé,
je dois aller au député de René-Lévesque, s'il vous plaît. Eh oui, ça passe vite,
trois minutes.
M. Zanetti :
Hein? Je n'ai pas eu 2 min 58 s.
Le Président (M. Bachand) : Oui, oui. Eh oui, tout est calculé. M. le député de René-Lévesque, s'il
vous plaît.
M. Ouellet : Merci beaucoup, M. le
Président. Donc, à mon tour,
Mme Pelchat, de vous adresser la parole. Vous prenez effectivement position, dans votre mémoire,
sur le p.l. n° 21, mais vous y allez aussi d'autres
recommandations. Et dernièrement le
chef de ma formation politique, le député de Matane, a déposé une motion à l'Assemblée nationale sur le cours d'éducation et de culture religieuse. Nous
cherchions à démontrer au gouvernement que ce cours était désuet et qu'il
devait disparaître. Et je vois dans votre
mémoire, Mme Pelchat, que vous avez une recommandation pour,
effectivement, retirer le volet
religieux du cours d'éthique pour y inclure un volet sur l'égalité des femmes
et des hommes, sur l'égalité citoyenne
ainsi qu'un cours de philosophie, tel que proposé par PhiloJeunes. Il reste une
minute, j'aimerais vous entendre sur cette...
Mme Pelchat (Christiane) : En fait, on l'a déjà dit dans notre avis de 2007,
dans l'avis de 2011, le cours d'Éthique et
culture religieuse porte atteinte au droit à la liberté de religion des
enfants, au droit à la liberté de conscience des enfants et au droit à la liberté de religion des autres
fonctionnaires. Et ce cours-là, M. le ministre, je plaide... parce que j'ai
déjà plaidé auprès du ministre de
l'Éducation de l'époque pour éliminer ce cours, le volet religieux de ce cours,
et ça n'a pas été fait. Et en plus il faut voir comment on représente les
femmes dans ces cours d'éthique et de culture religieuse.
Moi,
je travaille dans les pays musulmans,
Mme David, depuis 1998... Mme la
députée, et, si mes collègues et amies musulmanes voyaient comment elles sont
dépeintes dans ces cours d'Éthique et culture religieuse du Québec, il y aurait une révolution, je peux vous dire ça. Mes
amies sénégalaises, mes amies de Niamey, du Burkina, de la Côte d'Ivoire,
qui portent toutes le voile, toutes,
seraient insultées. Et de voir des petites filles, 10 ans, le mariage
religieux... Voyons donc, c'est une
insulte à l'intelligence, mais en plus c'est une atteinte au droit à l'égalité
des enfants. Et ça, j'espère qu'il y a quelqu'un qui va vous le dire un
jour.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le député, il vous
reste une minute.
M. Ouellet : Donc, on remplace par un cours qui aborde
l'égalité des hommes et des femmes et de quelle façon? Pas sur un angle
religieux, mais sur un angle des droits civils?
Mme Pelchat
(Christiane) : Sur un angle citoyen.
M. Ouellet :
Citoyen?
Mme Pelchat (Christiane) : On dit que l'égalité entre les femmes et les
hommes est une des résultantes de la démocratie.
Alors, on explique qu'est-ce que ça veut dire, et comment les filles et les
garçons ont les mêmes droits, et
comment les filles et les garçons devraient pouvoir accéder aux mêmes emplois
que les garçons. En ce moment, au Québec, bien, ce n'est pas le cas, hein? Les filles gagnent encore 75 % du
salaire des hommes. Alors, ce serait une bonne façon de... Là, on aurait
une tâche utile.
Et
puis en plus je fais appel aussi à PhiloJeunes, qui est une organisation
reconnue par l'UNESCO, qui fait de la philosophie
pour les enfants. J'ai eu l'occasion de les rencontrer parce qu'ils étaient à
la commission scolaire Marie-Victorin, la
commission scolaire du comté de Vachon, entre autres, et ils font un travail
extraordinaire. Ce serait beaucoup plus utile que d'enseigner toutes les religions, et en fait souvent mal
enseigné parce que ça ne représente même pas les religions. C'est assez... Et puis comme si, dans les
religions, il y a seulement des croyantes et des croyants. Bien, je regrette,
il y a seulement des personnes qui affichent leurs signes religieux, en
plus, alors...
Le Président
(M. Bachand) : Merci
beaucoup. C'est tout le temps que nous avons, Me Pelchat. Merci beaucoup
de votre contribution aux travaux de celle-ci.
Je
vais suspendre les travaux quelques instants afin de permettre à
Mme Houda-Pepin de prendre place, s'il vous plaît. Merci.
(Suspension de la séance à
16 h 7)
(Reprise à 16 h 10)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre,
s'il vous plaît! Merci. La commission reprend ses travaux.
Alors, je souhaite la
bienvenue à Mme Houda-Pepin, et je l'invite à débuter sa présentation
d'une durée de 10 minutes, et après ça
nous allons avoir un échange avec les membres de la commission. Donc, Mme Houda-Pepin, merci beaucoup, je vous laisse la parole.
Mme Fatima Houda-Pepin
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Merci, M.
le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, je remercie la commission de me donner l'occasion d'échanger avec
vous sur le projet de loi n° 21, Loi
sur la laïcité de l'État. Je n'ai pas
eu l'occasion de rédiger un mémoire. Mon texte est un peu
barbouillé, donc je vais vous le présenter avec mes excuses.
J'ai
été élue à cette auguste Assemblée
nationale en 1994, et, à l'époque,
j'étais la première femme musulmane élue
dans un Parlement au Canada. Le 25 mai 2006, j'ai fait adopter, à
l'unanimité de l'Assemblée nationale, une motion contre l'implantation des tribunaux dits islamiques et la charia au Québec
et au Canada. Le 12 février 2014, j'ai déposé à l'Assemblée nationale le projet
de loi n° 491,
loi sur la neutralité religieuse de l'État et la lutte à l'intégrisme, à titre
de députée indépendante.
Avec
ces remarques succinctes, j'aimerais maintenant faire quelques remarques sur le projet de loi n° 21. Légiférer sur la laïcité,
c'est tailler dans le neuf, c'est élaborer du droit nouveau, d'où l'importance de s'assurer de la clarté et de la cohérence des concepts sur lesquels elles reposent. Alors, première
remarque, la laïcité est d'abord et avant tout un enjeu politique.
Dans un État de droit, la laïcité ne peut se soustraire à l'analyse juridique,
surtout lorsqu'il s'agit de législation. Mais la dimension juridique à elle seule ne
suffit pas à apporter toutes les réponses. Une telle approche, surtout quand
elle accapare le débat, ne permet pas de
dégager de larges consensus, surtout que la communauté juridique elle-même est largement divisée sur la neutralité religieuse
de l'État, sur la laïcité et sur ses modalités. C'est que le concept de la
liberté de religion lui-même est difficile à cerner. D'ailleurs, il n'est pas
rare que même des juges de la Cour suprême manifestent
leur dissidence quand il est question de décisions touchant la religion, et pour cause,
ils naviguent à vue parce qu'ils n'ont pas de balises claires. Le principe
de la laïcité qui aurait pu les guider n'est inscrit ni dans une loi ni dans
une charte des droits. Or, cette
responsabilité incombe au législateur. C'est à lui de faire les lois, c'est aux
juges de les interpréter.
Bien
que la dimension juridique soit très pertinente, la laïcité est d'abord un
choix éminemment politique. Qu'on soit
d'accord ou en désaccord avec la position du gouvernement, il a la légitimité
de la soumettre au Parlement, comme il s'y est engagé, et c'est aux
parlementaires de tous les partis d'en disposer.
L'un
des effets pervers de la prévalence de l'approche juridique dans ce débat,
c'est que les adversaires de la laïcité ne cessent de l'associer au racisme, à la discrimination et à
l'exclusion des plus vulnérables, une image très dommageable pour le Québec tant au plan national
qu'international. Il en va de même pour le Canada anglais, qui n'a pas la même
histoire que le Québec, qui ne
comprend pas la réalité du Québec et qui fait dans le jugement au lieu de la
compréhension. Or, la laïcité, M. le
Président, n'est pas la discrimination. Je le répète, la laïcité, ce n'est pas
la discrimination. La laïcité, c'est la meilleure garantie pour la liberté de religion et pour la liberté de
conscience, de même que pour le mieux-vivre-ensemble.
Dans
cette perspective, le gouvernement gagnerait à faire de la pédagogie pour expliquer que son projet de loi ne vise pas à brimer les droits. Il faut aussi accompagner
cette démarche législative par une politique interculturelle, car il ne suffit pas de
critiquer le multiculturalisme et ses travers, il faut se donner une vision
commune d'une société pluraliste, fière de son histoire et riche de sa diversité où tous les Québécois
de toutes les origines peuvent vivre et s'épanouir en harmonie.
Deuxième remarque, la laïcité n'est pas
l'identité. À cet effet, il serait judicieux d'éviter certains écueils comme
cette tentative de donner à la laïcité une
connotation idéologique en l'associant à l'identité. La laïcité, c'est tout le
contraire de l'identité parce que,
dans ses fondements mêmes, elle vise l'universalité. L'État du Québec a la
responsabilité et le devoir de
défendre et de promouvoir les intérêts supérieurs de la nation québécoise, mais
elle a aussi d'autres moyens pour le faire, notamment par la promotion
de la langue et de la culture.
La laïcité est un
enjeu très sensible. Même après avoir adopté le projet de loi, il faut
continuer à colmater des brèches. Le Québec
n'est pas le seul à vivre cette situation-là. Donc, à au moins trois reprises,
le projet de loi n° 21 fait référence à la nation
québécoise : dans les considérants cinq et huit et dans l'article 17.
Dans un contexte où il faut rassembler les
Québécois autour d'une citoyenneté civique commune, il faut éviter de réduire
la laïcité à une politique identitaire. Rappelons-nous le parcours
historique de la séparation de l'Église et de l'État au Québec. La devise des membres de l'Institut canadien de Montréal qui ont
mené le combat au XIXe siècle était, et je cite : Justicepour
nous, justice pour tous;
Raison et liberté pour nous, raison et liberté pour tous. Je propose donc que le terme «nation québécoise»
apparaissant aux trois alinéas susmentionnés soit remplacé par celui de «l'État
du Québec».
Vous avez dit
«signes religieux», c'est mon troisième commentaire, le projet de loi porte
essentiellement sur le port des
signes religieux. Or, nulle part dans le projet de loi ce concept n'est
clairement défini. L'un des signes religieux qui fait
couler beaucoup d'encre, et on l'a encore entendu, est le voile dit
islamique — je
souligne le «dit», M. le Président — or, le voile n'est pas plus islamique qu'il
n'est catholique, juif ou zoroastrien. Les femmes, avant et depuis l'islam, dans différentes religions, dans
différentes cultures sur différents continents, ont porté le voile et
continuent de le porter.
• (16 h 20) •
Alors,
comment le foulard est-il devenu islamique? Plusieurs raisons, M. le Président.
Faute de temps, je vais me limiter à
un élément : 1989, surgit la crise du foulard en France, et tout d'un coup
le foulard devient islamique, porté par des groupes qui avaient intérêt, justement, à en faire un foulard
islamique. Le phénomène s'est étendu à l'Europe, et, dans plusieurs pays occidentaux, il y a eu des recours
aux tribunaux qui se sont multipliés pour faire reconnaître le voile comme
symbole religieux associé à la liberté de
religion. La Cour européenne a validé plusieurs décisions nationales
interdisant le port du voile ou des signes religieux dans l'espace
public. Ces controverses du foulard nous ont rattrapés au Canada également, et nos tribunaux, multiculturalisme
oblige, en ont autorisé, évidemment, le port. Ainsi, ce qui a été exhibé en
France en 1989 par des groupes islamistes
comme symbole de leur identité politique est devenu, grâce à nos tribunaux,
en occident et ici, un signe religieux
conférant un droit religieux assimilé
à la liberté de religion, donc un droit fondamental.
Pourtant,
plusieurs autorités musulmanes ont affirmé que les femmes
musulmanes vivant dans les pays occidentaux doivent respecter la
neutralité religieuse de l'État, de même que la laïcité. Le grand mufti de la
prestigieuse Mosquée al-Azhar... Le grand mufti, M. le Président, c'est
l'interprète officiel du droit musulman. Alors, le grand mufti Cheikh Tantaoui l'avait affirmé à Nicolas Sarkozy
lors de sa visite officielle en Égypte. Qu'est-ce qu'il a dit, Cheikhe Tantaoui? Je le cite : La femme musulmane qui
«vit dans un pays non musulman, comme la France, dont les responsables veulent adopter les lois opposées au voile, c'est
leur droit». Alors, le voile islamique est-il un signe religieux? La réponse
est non. Il n'y a pas de signe religieux
dans l'islam, ni dans le Coran, ni dans les hadiths, ni dans les sources
primaires de l'islam.
Nicolas Sarkozy se
l'est fait dire deux fois plus qu'une, toujours en Égypte, cette fois-ci par Dr
Ali Jumâa, mufti d'Égypte et membre de
l'Académie de recherches islamiques, je cite, je cite Dr Ali Jumâa : «Le
voile [...] n'est en aucun cas un signe [religieux]», n'est en aucun cas un
signe religieux, une affirmation confirmée par un autre théologien et ancien mufti d'Égype, le Dr Farid Ouassil,
je le cite : «Nous ne pouvons pas accepter que l'on présente le voile
comme un signe religieux.»
Donc,
M. le Président, le voile n'étant pas un signe religieux, il peut
être interdit dans des pays occidentaux où prévaut la laïcité, disent les deux théologiens. Alors, si le
foulard dit islamique n'est pas un signe religieux, pourquoi le fait de
l'interdire en ferait un objet de discrimination? Je m'arrêterai là, je vais
attendre la suite dans les questions.
Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Je me tourne maintenant
vers le ministre pour son temps de
parole d'autour de 14 minutes.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Bonjour, Mme Fatima
Houda-Pepin. Merci d'être présente en commission
parlementaire et de venir nous donner
votre point de vue sur le projet
de loi n° 21, la Loi sur la laïcité de l'État. Vous avez dit tout à l'heure : La
Cour suprême navigue à vue dans ces concepts-là.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Exact.
M. Jolin-Barrette : En droit canadien, on ne retrouve pas, dans les
lois canadiennes, dans les lois québécoises, la laïcité. Donc, le fait
de l'insérer, la laïcité, dans notre corpus législatif, pour vous, c'est une
bonne chose?
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Absolument, absolument, parce que c'est nécessaire, parce qu'il y a
un vide juridique. Et, pour avoir
parlé avec un certain nombre de personnes autour de la Cour suprême, ce qu'on
m'explique, c'est que les juges font
des efforts pour essayer de faire avec ce qu'ils ont. Or, s'ils avaient des
balises, et ça, c'est la responsabilité
des Parlements, c'est la responsabilité du législatif, si on leur donnait une définition claire, surtout si
elle est inscrite dans la charte québécoise
des droits et libertés, bien, ils vont s'en servir, et ça va
aider à baliser les jugements au lieu de faire du cas par cas puis, à chaque fois, de savoir sur
quoi on va se baser. Je pense que c'est important que l'on puisse se
donner cette balise.
L'autre
raison aussi, M. le ministre, c'est que le Québec a une histoire. Et on
n'a pas commencé à parler de la laïcité
avec la décennie de Bouchard-Taylor, le combat pour la laïcité au Québec a
commencé au XIXe siècle. C'étaient des Canadiens
français catholiques contre d'autres Canadiens français catholiques, les uns
voulaient propulser le Québec vers la modernité,
vers la démocratie, d'autres
voulaient le maintenir et maintenir leurs privilèges sur le pouvoir au Québec.
Et donc cette lutte-là, beaucoup de
gens ne la comprennent pas, surtout dans le Canada anglais, ils n'ont aucune
idée de ce que ça a été. Et je pense
que ce cheminement qui a été fait au Québec nous amène à comprendre qu'il
faudrait poser le dernier jalon, et le dernier jalon, c'est la laïcité.
M. Jolin-Barrette : ...définition même de la laïcité que nous
inscrivons dans le cadre du projet de loi n° 21, que la laïcité, c'est la séparation de
l'État et des religions, que c'est la neutralité religieuse de l'État,
l'égalité de tous les citoyens et citoyennes, et la liberté de conscience, et la liberté de
religion. Êtes-vous d'accord avec la définition que l'on donne des composantes de la laïcité
de l'État, en termes de laïcité québécoise?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Oui, M. le ministre, la définition, elle couvre un
peu tous les cas de figure relativement à la
définition de la laïcité. J'aurais peut-être... Comme vous le
savez, j'avais déposé un projet de
loi, et, dans ce projet de loi, j'avais parlé d'abord de neutralité religieuse. Moi, je n'avais pas utilisé
le mot «laïcité» pour des raisons que je voulais aller vers les consensus. Mais il y avait
une... Dans cette définition, ça se lit comme ça : «...l'État est neutre
au regard de quelque religion que ce soit
[...] il ne peut, directement ou indirectement, favoriser ou défavoriser
l'exercice d'une religion.» Et j'ajoutais : «Toute personne a droit
à la neutralité de l'État envers les religions.»
Dans
cette définition, M. le ministre, il y a
ce dernier élément qui me tient beaucoup
à coeur, «toute personne a droit à la neutralité de l'État envers les religions», parce que, tel
que défini, j'en faisais à la fois un droit collectif et un droit individuel. Pourquoi? Parce que, dans ces questions
de laïcité, et de religion, et de liberté de religion,
souvent les gouvernements hésitent à prendre des actions quand c'est nécessaire pour ne pas froisser, pour ne pas
contrarier tel ou tel groupe. Et je
pense qu'en donnant ce pouvoir-là au simple citoyen, le simple citoyen peut
poursuivre le gouvernement pour
non-respect de la neutralité religieuse ou de la laïcité. Alors, je vous le
soumets, si jamais il y avait une ouverture de votre part.
M. Jolin-Barrette : Bien, je vous remercie. Est-ce que, selon vous, il
y a un lien entre la laïcité et la lutte à l'intégrisme religieux?
• (16 h 30) •
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Il n'y a que ça, M. le ministre. Vous savez, le
problème, qu'on ne comprend pas, c'est
que nous vivons dans un siècle des extrémismes religieux, et toutes les
religions sont affectées de ça, et toutes les religions sont instrumentalisées. Le problème n'est pas avec les
religions en tant que telles, le problème, c'est avec les religions quand elles sont instrumentalisées à des
fins politiques et idéologiques, et c'est là où on tombe dans un autre
agenda, et c'est là où on arrive des fois à des situations conflictuelles.
M.
le ministre, j'aimerais vous soumettre un commentaire relativement à la Charte
des droits. L'article 10, il y a à peu près 14 motifs de discrimination : la race, la couleur, le
sexe, etc., le handicap et la religion. Comment expliquez-vous que de
tous les motifs de discrimination, c'est la religion qui crée des tensions
sociales? Il faut qu'on réponde à cette question :
Pourquoi? Il y a des raisons. Il y a des raisons historiques, il y a des
raisons factuelles. Les religions sont associées avec les conflits, les guerres. Les religions sont porteuses de valeurs.
Ces valeurs, ça ne porte pas seulement sur des valeurs consensuelles, comme la compassion, comme
l'amitié, la solidarité, ça porte aussi sur des valeurs qui nous heurtent par
rapport à la liberté, par rapport à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Vous
savez, par exemple, que certains pays musulmans n'ont jamais signé la
Déclaration universelle des droits de
l'homme, y compris l'Arabie saoudite et un tas de pays qui sont sous son
influence. Et pourquoi? Parce qu'ils considèrent que la loi de Dieu est supérieure à la loi des hommes, alors nous sommes
en plein dans le conflit. Et ils considèrent aussi qu'un certain nombre de dispositions de cette
Déclaration universelle ne peut s'appliquer à eux. Par exemple,
l'article 18 de la déclaration,
ça touche justement la liberté de religion et de conscience, ils s'y opposent.
Pourquoi? Parce qu'ils sont contre le
fait de changer de religion. Changer de religion, dans ces pays-là, c'est
l'équivalent de l'apostasie et c'est passible de peine capitale. Et souvent c'est ces mêmes groupes qui arrivent de
ces mouvances-là qui, dans les pays occidentaux, utilisent les chartes
pour dire : On veut imposer le foulard, on peut imposer ci, imposer ça,
mais ces mêmes lois, ces mêmes droits, ils
ne les respectent pas quand ça s'applique à eux. Donc, il y a un problème. On ne réglera pas ça par des accusations de racisme. Oubliez ça, ça, c'est de
la futilité. Si on veut vraiment régler les problèmes, il faut s'y attaquer.
Et la première condition pour s'y attaquer, c'est de comprendre les enjeux, et
c'est ça, l'élément qui manque.
Le
Président (M. Bachand) : M. le
ministre.
M. Jolin-Barrette : Je reviens, là, sur la Cour suprême, je reviens relativement aux tribunaux aussi. Vous avez dit tout
à l'heure : Ça appartient aux
députés de l'Assemblée nationale de déterminer quelle est les modalités en
fonction duquel l'État et les
religions vont... bien, en fait, la séparation entre les deux, et comment les
rapports vont s'organiser. Donc, vous
considérez légitime que ça soit aux députés ici, à l'Assemblée nationale, de se prononcer sur cette question-là et non pas aux tribunaux?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Absolument. C'est le seul endroit où on devrait,
justement, légiférer, c'est la souveraineté
de l'Assemblée nationale avant tout. Les juges ne font pas les lois, ils
les interprètent. Mais ils travaillent avec ce qu'on leur donne, les juges
n'inventent pas les lois. C'est ça, le problème. Donc, il faut leur donner
aussi les outils. Puis la laïcité...
Même la Cour suprême, dans des jugements qu'elle a rendus, dans des
décisions qui sont rendues, elle laisse entendre qu'elle a besoin de ces
outils-là. Elle a besoin qu'on explique la laïcité pour qu'une bonne fois pour
toutes on sache de quoi on parle. C'est quand même un principe fondamental et
c'est une avancée pour le Québec.
M. Jolin-Barrette : M. le
Président, je crois que la députée de
Lotbinière-Frontenac veut poser une question. Je reviendrai par
la suite, s'il me reste du temps.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée de Lotbinière-Frontenac, s'il vous plaît.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) :
Bonjour, Mme Houda-Pepin. Vous aviez présenté le projet de loi n° 491, puis
ce projet-là comprenait certains éléments en commun avec notre projet de loi, dont l'interdiction de porter des signes religieux pour les policiers. Donc, moi,
j'aimerais vous entendre là-dessus. Pourquoi c'est important, l'interdiction de
porter des signes religieux pour les policiers?
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Il faut que vous sachiez que ce projet de loi, moi, je l'avais rédigé alors que j'étais dans une fonction de neutralité à la présidence de
l'Assemblée nationale. C'était durant la période de Bouchard-Taylor,
donc je voulais réfléchir sur les enjeux
touchant la laïcité, les modèles de laïcité dans le monde, et j'ai
atterri, j'ai accouché avec une
réflexion à caractère législatif. Et évidemment j'ai fait ça avec des experts et des gens qui
sont mieux outillés que moi sur le
plan du droit et j'ai fait cette définition, j'ai proposé cette définition de
la neutralité religieuse de l'État. Et, dans mon esprit, on ne peut pas
demander à l'État d'être neutre religieusement et ne pas exprimer cette
neutralité religieuse par les personnes en
autorité qui représentent l'État. L'État ce n'est pas juste des murs, c'est des
personnages. C'est ça qui fait...
Vous savez ce que c'est que la définition de l'Assemblée nationale, Mme la députée. C'est vous, les députés, c'est
vous qui faites l'Assemblée nationale. Et, malgré que c'est un bel édifice, là, il est Assemblée nationale parce que les députés
s'y rassemblent.
Alors donc,
l'État, il est représenté par des personnages en autorité. Je n'ai pas été
aussi loin que le ministre dans le
projet de loi qu'il propose, mais j'ai cherché le consensus. Et
d'ailleurs, dans mon projet de loi, je n'ai jamais parlé de signes religieux,
jamais, parce que je sais que ce concept-là est assez controversé et contesté
aussi.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. Mme la députée? M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui. Je
veux qu'on revienne sur la question du visage à découvert, le fait de donner
des services... bien, en fait, le fait que
les employés de l'État doivent exercer leurs fonctions à visage découvert et
que les citoyens et citoyennes qui demandent des services publics doivent avoir
le visage à découvert lorsque c'est nécessaire pour des motifs de sécurité ou d'identification. Actuellement, la disposition du projet de
loi n° 62,
elle est suspendue par les tribunaux. Nous, on la réintroduit, on
utilise notamment la clause dérogatoire pour s'assurer de son application. Je voudrais savoir qu'est-ce que vous en pensez, du
fait qu'au Québec on souhaite que, lorsqu'on demande un service
public, on puisse le faire à visage découvert.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Je suis
entièrement d'accord avec ça. D'ailleurs, j'ai été très critique par rapport
au projet de loi n° 62 parce que c'était quasiment le vide, il ne
définissait pas la neutralité religieuse de l'État. Oui, pour la question du visage découvert, mais on va
permettre, par accommodement
raisonnable, de faire le contraire.
Et, malgré que ce n'était pas grand-chose, le projet de loi a été porté
devant les tribunaux.
Pour ce qui
est de la clause dérogatoire, je
pense qu'elle se justifie pour plusieurs
raisons. D'abord, parce
que ça fait une dizaine d'années
qu'on tâtonne, ça fait une dizaine d'années qu'on fait des débats déchirants
sur cette question-là, et
c'est un échec. Il faut assumer ça comme étant un échec. Indépendamment des partis, c'est un échec. Et
maintenant on a un projet de loi,
avec la clause dérogatoire, qui... C'est une décision juridique, bien entendu,
mais aussi pragmatique, parce qu'il
faut avancer. Et, si on veut avancer, il faut que le projet de loi chemine.
Donc, la clause dérogatoire, elle est permanente dans la charte
québécoise des droits et libertés, elle a une durée de cinq ans dans la Charte
canadienne. Cinq ans, c'est un délai assez
raisonnable pour laisser la loi maturer, voir qu'est-ce qu'elle va produire. Et
il sera toujours temps de réagir, éventuellement, et de réajuster le
tir.
Mais je suis
totalement d'accord pour que les services soient donnés à visage découvert, que
cette histoire-là de niqab, etc., ce
sont des tenues vestimentaires dégradantes pour les femmes. Ça va à l'encontre
de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui, rapidement. Hier, M. Bouchard a dit que
le fait que... en fait, suite au dépôt du rapport Bouchard-Taylor, le fait que le gouvernement
libéral de l'époque n'avait pas mis le rapport dans une loi, ne l'avait pas
appliqué, ça avait été une erreur. Sous le
précédent gouvernement de Phillipe Couillard aussi, on ne l'a pas mis dans une
loi. Est-ce que vous considérez que
cette une erreur aussi, de la part du précédent gouvernement, de ne pas avoir
légiféré?
Le Président
(M. Bachand) : Rapidement, s'il vous plaît.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : J'étais dans le
gouvernement à ce moment-là et j'avais moi-même, après le dépôt du rapport, demandé à voir les décisions, la suite
des choses. Et on m'avait soumis une liste de toutes les recommandations
sur un côté puis, de l'autre côté, tout ce
qui allait être fait. Et c'était impressionnant quand on regardait la liste,
sauf qu'en la lisant attentivement j'ai réalisé que les choses
substantielles n'y étaient pas. Alors, effectivement, M. Bouchard, le diagnostic qu'il a fait, il a raison. On aurait
dû, au point de départ, agir, donner suite à ces recommandations-là. Et, si on
l'avait fait, peut-être, M. le ministre, que vous ne seriez pas là à présenter
le projet de loi sur la neutralité...
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Je passe maintenant la parole à la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
• (16 h 40) •
Mme David :
Oui. Bonjour, Mme Houda-Pepin. On a eu l'occasion de se saluer, mais je
vous resalue officiellement de
nouveau. Merci d'être ici et encore partager avec nous vos réflexions qui,
comme vous dites, datent de plusieurs années, maintenant, à différentes
étapes.
Je voulais
vous rassurer au début, parce que je dois... qu'on doit rendre hommage à tous
les gens autour de la table ici. Il
n'a jamais été question que les gens contre le projet de loi étaient... que les
gens en faveur, excusez, du projet de loi étaient racistes. Je pense que personne,
heureusement, de tous ceux qui sont venus... Et, bon, les discussions qu'on a
entre les collègues... j'espère que
c'est un mot qui, effectivement, n'est pas utilisé. Alors, on n'était pas là-dessus
ici, en tout cas. Alors, ça ne veut
pas dire que ce n'est pas entendu ailleurs, mais je pense que la discussion ici
se fait le plus souvent, et le plus possible, dans la sérénité et dans
le respect des positions des uns et des autres.
Maintenant, je vais aller sur votre... Il y a
beaucoup de choses intéressantes. Ce n'est vraiment pas long, les 11 min 40 s qu'on a. La question de
la laïcité et de l'identité... Parce que vous dites : Ne confondons pas
les concepts. Et là je vais vous
ramener à des citations quand même assez récentes du premier ministre,
rapportées, entre autres, dans un
article, qu'on a sous les yeux, de Marco Bélair-Cirino, qui va se reconnaître,
le 27 mars, donc ça fait un petit mois et demi : «Le premier
ministre François Legault se dit prêt à employer l'arme nucléaire de l'arsenal
législatif pour sauvegarder l'"identité"
québécoise.» Après ça, il va dire : «...il faut être prêt à
l'utiliser — donc cet
arsenal. Ce n'est jamais une décision facile,
mais je pense qu'il faut protéger notre identité.» Alors, nous voilà au coeur
de ce dont vous parlez et la mise en garde
que vous nous faites : identité, laïcité, ce n'est pas équivalent, et vous
avez même employé le mot «nation», justement, que le ministre emploie à de très multiples reprises. Peut-être
qu'il parle à des gens qui voudraient bien que ça soit ça : laïcité
égale identité. Mais je voudrais vraiment vous entendre un peu plus là-dessus
parce que je trouve ça fort intéressant.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Bien, je pense
que M. le premier ministre est un homme, comme vous le connaissez, très émotif des fois, surtout lorsqu'il touche aux questions
de la nation et de l'identité, mais je soumets bien respectueusement à son attention et à la vôtre
d'éviter tout de suite que l'on aille dans cette trajectoire. Parce que même les premiers Canadiens français qui se sont battus
pour la séparation de l'Église et de l'État ne l'ont pas fait pour l'identité,
c'étaient des Canadiens français catholiques
contre des Canadiens français catholiques. Les uns voulaient la modernité,
la démocratie, les autres voulaient le statu quo, et c'est ça qui... c'est là
d'où l'on vient. Et la société québécoise est diversifiée. On ne peut porter
que les identités que l'on se donne, l'État ne peut pas définir l'identité des
gens.
Deuxièmement, l'identité québécoise a évolué. Au
début, on était des Canadiens français catholiques, puis par après on est devenus des Canadiens français,
on a oublié le catholique, puis après on est devenus des Québécois, puis
on est identifiés à la nation, la Révolution tranquille. Qu'est-ce que ça sera,
l'identité québécoise, dans 20 ans? Les Québécois,
les jeunes d'aujourd'hui, ils ont de multiples identités. Donc, c'est des
notions qui sont fragiles et sur lesquelles il faudrait être attentifs.
Donc, je
lance le signal tout de suite, en disant : Mettons-nous dans la bonne voie
parce que, lorsque que... La laïcité, ça s'adresse à toutes les religions et à
l'irréligion aussi, donc on ne peut pas la cerner uniquement à partir d'une
même identité. Et j'espère que M. le ministre m'a bien entendu, puis qu'il y
aura éventuellement une écoute active.
Le Président
(M. Bachand) : ...
Mme David :
Merci, M. le Président. Alors, justement, vous dites : Que sera l'identité
québécoise? J'aime beaucoup votre
parcours historique de l'identité canadienne-française, et puis après ça de...
puis on peut reculer bien plus loin que ça, et maintenant de l'identité à venir. Alors là, nos chemins peuvent diverger
rendu là parce qu'effectivement la question... vous touchez une question extrêmement intéressante et importante, qui
est ce concept du vivre-ensemble, parce que c'est ça dont...
Mme Houda-Pepin (Fatima) :
...
Mme David : Le concept du
vivre-ensemble.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Ah! vivre-ensemble, d'accord.
Mme David :
Parce que c'est de ça dont il est fondamentalement question dans ce projet de
loi et dans la notion de laïcité,
c'est comment regarder les identités en fonction de l'avenir, de ce qu'est
devenu le Québec et de ce qu'on veut qu'il devienne. Alors, vous nous
dites : Faites attention, ça n'a rien à voir avec l'identité, le concept
de laïcité, mais ça peut être une
façon de vivre ensemble, ça peut être une façon de dire : On a des choses
qui sont communes dans cette laïcité mise dans la charte.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Je parle aussi, Mme la députée, de la citoyenneté
civique commune. C'est sous-jacent à la notion de la laïcité parce que la
laïcité donne des balises claires. Et de quelque origine ethnique, ou raciale, ou religieuse que vous soyez, si vous
êtes Québécoise ou Québécois, vous savez à quoi vous attendre, et donc on
va faire un parcours commun qui va... et on va aller aussi vers une
appartenance commune.
Mme David :
Quand on parle, justement, de ce vivre-ensemble, il a été question... et on
nous a soumis toutes sortes de
statistiques. On a eu un tableau, hier, fort intéressant. On est rendus à trois
organismes qui nous ont parlé des plaintes qu'ils avaient reçues ou pas reçues
par rapport au port de signes religieux ou à la religion en général. Et on a eu
la CSQ, la Centrale des syndicats du Québec, qui était là hier avec un
tableau, qu'ils ont déposé, de 48 commissions scolaires, depuis 2016, combien de plaintes reliées à la
religion, et ils en ont eu zéro depuis 2016... une depuis 2016. Et, si on parle
de la commission des droits de la personne
et de la jeunesse, dans la dernière année où ils ont des chiffres, 2017, ils
ont eu trois plaintes sur les 97
liées à des accommodements raisonnables. Ça donne l'impression... Et puis je
passe sous silence... Il y a le Syndicat de la fonction publique, qui,
eux, n'ont jamais... du Québec, n'ont jamais eu de plainte liée à ça.
Et donc, dans le climat social,
l'atmosphère, etc. — vous
étiez là en 2008, vous aviez un regard privilégié en étant ici — quand on voit ces chiffres-là, on se
dit : Ce vivre-ensemble, il ne doit pas être en péril tant que ça,
puisqu'il n'y a pas de gens qui se
précipitent à la Commission des droits de la personne, ou à leur syndicat, ou
dans les commissions scolaires. Comment vous interprétez alors ce
sentiment de quasi-urgence nationale?
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Bien, vous savez, Mme la députée, dans une autre
vie, j'ai aussi travaillé beaucoup avec
les intervenants sociaux. J'ai formé des policiers, j'ai formé des travailleurs
sociaux, j'ai formé des médecins, j'ai formé
des infirmières à la gestion de la diversité, des sessions, des fois, qui
pouvaient durer deux jours, une journée, et vous ne pouvez pas imaginer tout ce que ces intervenants disaient des
difficultés qu'ils rencontraient à gérer la diversité et des défis que ça leur posait comme intervenants. J'ai
vu des travailleuses sociales... pleuraient, pour me dire : Comment ça se
fait que les outils que vous me donnez aujourd'hui, je ne les avais pas pour
régler tel ou tel problème? Les problèmes, Mme la députée, et je suis sur le terrain, existent, mais les
statistiques ne rendent pas nécessairement compte de cette réalité. Je vous inviterais plutôt à être réaliste. On
ouvre les yeux. S'il y a des problèmes, on va s'y attaquer. Si on est là en
train de parler de ces questions-là... Et on n'est pas les seuls, le
monde entier parle de ça.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée.
Mme David :
Voilà.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Vous allez à Davos, et on parle de ces problèmes.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme David :
Vous touchez justement un point important. Ce n'est pas au Québec, c'est dans
le monde entier, en fait, dans...
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Au Québec aussi. C'est nous incluant.
Mme David :
Oui, mais vous parlez, justement, du vivre-ensemble et dans le sens, et je suis
d'accord avec vous, de l'interculturalisme, et c'est tout à votre honneur, vous
en faites... vous enseignez, vous donnez des formations, et donc pour aider les gens à s'y retrouver et puis à être
capables d'être dans un réel interculturalisme, et ça, c'est très, très bien.
En quoi la loi n° 21
va venir aider ces gens qui pleurent parce qu'ils ne savent pas comment
interagir dans différentes situations, travailleuses sociales,
ergothérapeutes, etc.? En quoi la loi n° 21 vient
améliorer quelque chose par rapport à l'interculturalisme?
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Je pense que ça va leur donner des outils pour...
et surtout ça va leur clarifier les règles de jeu. Je pense que... Par exemple,
une infirmière qui est aux prises... Je vous donne ça comme exemple, là, juste
les cas qu'on me raconte. Une fois que la laïcité est là puis que la religion,
on sait qu'elle n'est pas à sa place dans les institutions,
ça pourrait peut-être changer beaucoup de choses. Quand une infirmière, par
exemple, se fait dire : Tu me trouves
un médecin femme parce que je ne veux pas être soignée par un homme, ou quand
une enseignante se retrouve avec un
enfant dont les parents lui disent : Tu sais, mon enfant ne doit pas
suivre de cours de musique ou ne doit pas suivre de cours d'éducation physique, ma religion me l'interdit...
L'interférence de la religion dans le système de l'enseignement, c'est quelque chose qui est inacceptable et
discriminatoire à l'égard des enfants. Vous rappelez-vous... Je ne sais pas si
vous le savez, il y avait une petite fille
dans un service de garde, et les enfants, ils jouent avec les instruments de
musique, elle jouait avec un
xylophone, et la mère est venue puis elle a dit : Ma fille ne peut pas
toucher aux instruments de musique, la
musique est «haram», c'est interdit. Savez-vous qu'est-ce qu'on a fait à cette
petite fille? On l'a isolée du groupe et on lui a mis un casque pour ne
pas qu'elle écoute la musique. Trouvez-vous ça humain?
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, madame. Je passe maintenant la
parole au député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Je vous remercie. Merci beaucoup. Si je suis votre raisonnement,
Mme Houda-Pepin, là, étant donné que le hidjab n'est pas un signe
religieux, le p.l. n° 21 n'interdit pas le hidjab.
• (16 h 50) •
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Ce que je dis — ce n'est pas ce que je dis moi-même, les
autorités religieuses musulmanes — c'est qu'on peut l'interdire sans que,
nécessairement, il puisse s'agir de discrimination, puisque le foulard, il a plusieurs
interprétations. J'ai moi-même, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en
Afrique, au sud du Sahara, demandé à
des femmes voilées : Pourquoi vous le portez? Et vous avez une multitude
d'explications, qui sont parfois de l'ordre
du spirituel, en disant, bon, par modestie. D'autres vont vous dire : Pour
avoir la paix, parce qu'on va arrêter de m'achaler. L'autre va vous dire :
Parce qu'il faut que je trouve un mari; si je ne suis pas voilée, le mari ne
viendra pas. Bref, toutes sortes de raisons. Mais, dans ce cas-là, si ce
voile n'est pas un symbole religieux, pourquoi est-ce qu'on va le déifier pour l'associer à la liberté de
religion, à un droit fondamental puis que ça devient une discrimination si on
demande de l'enlever?
Le
Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Si ça ne tient pas de la liberté de religion, alors ce que vous êtes en train
de dire, c'est : Les personnes qui
portent le hidjab le portent par liberté de conscience. Est-ce que le projet de
loi n° 21, qu'il l'interdise pour une raison ou
pour une autre, là, bien, il vient limiter les droits fondamentaux?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Non, c'est parce
que c'est ce que le mufti, le grand interprète du droit musulman, dit,
le voile ne peut pas être associé à un signe religieux.
M. Zanetti : De quel principe
demanderait-on aux femmes de ne pas porter le voile si elles veulent le porter?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Les femmes
peuvent porter le voile, mais ce n'est pas un signe religieux et ça ne
confère pas des droits.
M. Zanetti : Donc, on ne
devrait pas leur interdire le port du hidjab?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : C'est-à-dire que
le voile n'est pas un signe religieux qui confère des droits. La liberté
de religion n'est pas en cause ici. Les femmes peuvent porter le hidjab pour
toutes sortes de raison.
M. Zanetti : Donc, on devrait
leur permettre de le faire si elles le souhaitent?
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Mais ce n'est pas
un symbole qui va leur conférer des droits. Le problème, ce n'est pas de porter un hidjab ou un signe. Le
problème, c'est que ce foulard, ou ce hidjab, ou cette burqa, ou quoi que ce
soit, on prétend que ça fait partie de la liberté de religion, et on prétend
que c'est un droit fondamental, et on prétend, à ce titre-là, qu'on ne
peut pas l'enlever parce que, sinon, c'est de la discrimination.
M. Zanetti : Je respecte votre
droit de ne pas répondre.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci, M. le député de Jean-Lesage. M. le député de René-Lévesque, s'il vous
plaît.
M. Ouellet : Merci beaucoup, M. le Président. Donc, à mon
tour, Mme Houda-Pepin, de vous poser quelques questions. Donc, si je vous comprends bien, il est
important, aujourd'hui, de légiférer en matière de la laïcité pour l'État,
et ce sont les parlementaires ici,
aujourd'hui, qui représentent cet État-là, donc les individus. À travers
tous... je ne veux pas dire vos
combats, mais vos écrits ou vos représentations, vous avez essayé de trouver
une position modérée qui cherchait à
interdire les personnes en autorité contraignante, donc les juges, les
procureurs, les policiers et les agents correctionnels, de porter un signe religieux ostentatoire dans
l'exercice de leurs fonctions. Dans le projet de loi en question,
Mme Houda-Pepin, nous avons une pièce législative qui va un petit peu plus
loin en parlant des enseignants, des enseignantes et aussi des directions
d'école. J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Il est vrai qu'en
2011‑2012, lorsque j'ai commencé à rédiger le projet de loi, je ne voulais pas aller trop loin... que le consensus de
Bouchard-Taylor, donc je me suis limitée aux personnages en autorité religieuse, parce qu'à ce moment-là c'est là où le
Québec devait aller. Maintenant, les choses ont évolué. On a un nouveau
gouvernement qui s'est engagé à le faire, et il le fait par voie de
législation. Personnellement, j'aurais été plus vers le consensus, personnellement, si vous me demandez.
Mais en même temps vous avez un gouvernement qui a choisi d'aller aussi
loin, et je pense qu'il ne va pas aussi loin que votre groupe parlementaire,
non? Je me trompe?
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de René-Lévesque, s'il vous
plaît.
M. Ouellet : Ce n'est pas une question d'aller aussi loin.
Pour nous, c'est un souci de cohérence. C'est-à-dire que, si on parle des professeurs et des directions
d'école pour les écoles publiques, notre souci de cohérence, c'est d'aborder
aussi ce même principe là, ces mêmes
individus qui ont une figure d'autorité dans les écoles privées. Mais
évidemment, lorsque nous allons, puis
vous l'avez déjà fait par le passé, étudier la pièce législative, vous avez
rapidement compris que nous allons
avoir des amendements pour discuter de ce point-là et de faire valoir, pour
nous, ce souci de cohérence. Donc, je
crois comprendre que c'est important, pour nous, d'apparaître, par un souci de
clarté et de cohérence... ce droit nouveau de la laïcité. Je crois
comprendre, au final, que votre position, elle était, à l'époque, réfléchie
dans les termes... et l'état de 2011, mais elle pourrait effectivement... avec
cette nouvelle position, vous pouvez trouver, effectivement, satisfaction dans ce projet de loi là qui adresse cette interdiction-là aussi pour ce qui est des directions d'école, mais aussi pour ce qui est des professeurs.
Vous êtes à l'aise avec ça, c'est cohérent.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Je pense que le gouvernement agit selon ce qu'il avait dit qu'il allait faire. Et le fait d'avoir introduit la clause grand-père, de
pouvoir... je sais qu'il y a des gens qui ne sont pas d'accord
avec ça, mais moi, je suis toujours pour le consensus. Je trouve que ça
serait une bonne chose, ça va permettre de voir quel impact réel ça va avoir
vraiment, et l'État ou le gouvernement va s'ajuster en conséquence, je pense. Vous
savez, la législation, c'est un «work in progress». Quand vous ouvrez un projet de loi, la première
chose que vous voyez, c'est que ce projet
de loi modifie telles lois, puis là
on vous donne la liste des projets de
loi qui vont... Pourquoi?
Parce que les lois antérieures, on a constaté
qu'elles n'étaient pas aussi efficaces que le jour où on les avait adoptées.
C'est ce que vous faites. Le travail législatif, c'est celui-là. Et je pense que le
fait d'avoir et la clause dérogatoire et la clause grand-père, ça vient
atténuer les impacts négatifs, ça
permet d'aller de l'avant. Ça permet de pacifier le débat sur le plan social et
ça permet aussi, de façon pragmatique, de voir quel sera l'impact de ce
dispositif législatif mis de l'avant.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier, encore une fois, personnellement
d'avoir participé...
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : M. le Président,
est-ce que je peux vous demander une faveur par consentement? J'ai une
proposition à faire au ministre sur...
Le Président
(M. Bachand) : Est-ce qu'elle est écrite? Parce que le
temps nous manque.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Je vous la lis
dans deux secondes, mais j'ai besoin du consentement. Je veux...
Le Président
(M. Bachand) : Allez-y, mais... parce qu'on dépasse le
temps.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Merci. Alors, M.
le ministre, dans le projet de loi que j'avais déposé, il y avait l'article 10, qui dit ceci : La neutralité
religieuse de l'État ne peut «porter atteinte à l'exercice d'une religion au
bénéfice d'une personne en fin de vie
ou d'interdire un service d'accompagnement religieux pour une personne emprisonnée
ou mineure placée dans un
établissement de l'État». Ça, ça veut dire que les personnes en détresse, en
prison, etc., ou en fin de vie, on
peut autoriser à avoir un service religieux. Je vous le soumets, M. le
ministre, pour considération. Merci de votre accommodement.
Le Président
(M. Bachand) : Merci à vous.
Alors, je
vais suspendre les travaux quelques instants pour permettre aux gens de la
Fédération des commissions scolaires de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 16 h 58)
(Reprise à 17 h 1)
Le Président
(M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux.
Je souhaite
la bienvenue aux gens de la Fédération des commissions scolaires du Québec.
Je vous rappelle que vous avez 10 minutes
de présentation. M. Fortier, je vous laisse vous présenter et présenter
les gens qui vous accompagnent. Merci beaucoup.
Fédération
des commissions scolaires du Québec (FCSQ)
M. Fortier (Alain) :
Merci beaucoup, M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Donc,
je suis Alain Fortier, président de la
Fédération des commissions scolaires du Québec. Je suis accompagné de la directrice générale de la fédération, Mme Christiane Barbe, et de
la secrétaire générale, Me Sophie Laberge. Nous souhaitons d'abord vous
remercier de nous donner l'occasion de nous exprimer sur le projet de loi n° 21, dont l'incidence sur le réseau public d'éducation sera très
importante s'il est adopté tel quel.
La fédération
représente la très vaste majorité des commissions scolaires francophones
présentes dans toutes les régions du Québec. Je précise d'abord le
mandat émanant de nos instances : s'exprimer non pas sur le principe de la
laïcité de l'État, mais bien sur l'applicabilité du projet de loi dans le réseau public d'éducation. Nous nous appuyons donc sur notre rôle d'employeur de plus de
120 000 personnes pour discuter seulement de l'applicabilité et de la
mise en oeuvre du projet de loi dans nos établissements publics d'enseignement. À notre avis, et pour différentes raisons que je souhaite
vous exposer aujourd'hui, le projet de loi est inapplicable dans le réseau
scolaire et présente plusieurs incohérences à différents niveaux.
En prémisse,
il convient de rappeler la déconfessionnalisation des écoles québécoises depuis
2000, soit depuis l'adoption d'une loi de l'Assemblée nationale après
les modifications constitutionnelles de 1997. Le présent projet de loi vise à affirmer la laïcité de l'État mais
sans en définir le concept autre que par l'énoncé de grands principes par le
ton de laïcité de l'État ou bien des
individus. À notre avis, il y a risque de confusion. Sans une définition claire
de la laïcité de l'État, le projet de loi ne peut être appliqué dans le
réseau de l'éducation.
Le projet de
loi prévoit que seules les commissions scolaires instituées en vertu de la Loi
sur l'instruction publique doivent
respecter les principes de la laïcité de l'État. Pourtant, les établissements
d'enseignement privés sont financés à 70 % par des fonds publics, le
régime pédagogique applicable aux services éducatifs est le même. L'État
inclurait une laïcité variable,
mixte, selon le réseau. Cela nous semble contradictoire et incohérent. La même
contradiction existe à l'égard des
enfants de quatre ans fréquentant soit une maternelle soit un centre de petite
enfance ou une garderie subventionnée.
Concernant
les acteurs du réseau scolaire touchés par l'interdiction des ports
religieux... port de signes religieux, pardon,
nous questionnons grandement les éléments retenus pour justifier l'interdiction
aux enseignants et aux directions d'établissement. Cela nous amène à la
question de l'autorité face à l'élève. Or, les surveillantes et les
surveillants, les professionnels,
les éducateurs et les éducatrices en service de garde, pour ne nommer que
ceux-ci, font partie des adultes significatifs
à la vie de l'enfant. Ils contribuent à l'apprentissage de l'enfant, sont
impliqués dans sa réussite. Ils représentent un modèle pour l'élève et l'aident à atteindre son plein potentiel. Poussons
plus loin : qu'en est-il du stagiaire en enseignement, de l'entraîneur en sport-études, etc.? Comment peut-on
justifier l'interdiction pour une enseignante mais pas pour une éducatrice en service de garde en
milieu scolaire responsable d'un groupe de 20 élèves? Cette contradiction
est, à notre avis, source d'inéquité entre les membres du personnel d'une même
école.
Aussi,
l'annexe II fait référence à la notion d'«établissement d'enseignement».
Une clarification ici est essentielle. Selon
la Loi de l'instruction publique, les centres de formation professionnelle et
les centres d'éducation des adultes, sous la responsabilité des
commissions scolaires, sont des établissements d'enseignement. À travers ses
prises de position publiques, le
gouvernement semble adjoindre exclusivement l'interdiction aux écoles primaires
et secondaires. Cela doit être clarifié.
J'aborderai
maintenant les problématiques d'application stricte de l'interdiction du port
de signes religieux ainsi que de ses
conditions... et ses conséquences, pardon, dans nos milieux et nos relations de
travail. Posons d'abord la première question
fondamentale : qu'est-ce qu'un signe religieux? Les réponses sont sans
doute plurielles, hein, parmi les gens dans
cette salle. Certes, le chapelet, le turban, la kippa, le hidjab, entre autres,
sont généralement reconnus comme des signes
religieux, mais les exemples d'autres bijoux ou vêtements pouvant être
interprétés comme signes religieux sont nombreux. La notion de signe religieux
s'accompagne d'une certaine subjectivité dépendant de la perspective de chaque
individu.
En termes de
relations de travail, vous le savez, le manque de clarté est synonyme de
multiples interprétations. Sans une définition précise du concept de
signe religieux, le projet de loi ne peut être appliqué. Ainsi, la personne exerçant la plus haute autorité administrative
devra prendre les moyens nécessaires pour s'assurer du respect de
l'interdiction prévue dans le projet
de loi. Nous nous interrogeons sur l'absence de balises claires disponibles aux
gestionnaires pour le faire. Sans ces
précisions, les décisions prises par les gestionnaires à ce niveau à ce sujet
seront source de contestations et de griefs. Cela embourbera les
instances décisionnelles et judiciaires, en plus d'engendrer des coûts
considérables, soustrayant ces sommes du service aux élèves.
Dans la
réalité de l'école, il est aussi difficile d'appliquer les dispositions
transitoires du projet de loi concernant les droits acquis. Un enseignant occupant la même fonction mais
changeant de commission scolaire perdrait son droit acquis. Il s'agit, pour
nous, d'une incohérence, la personne demeurant à l'emploi du réseau public
d'éducation et occupant la même
fonction. Cela pourrait empêcher un changement de fonction, par exemple, à un
poste de direction d'établissement, puisque
l'enseignant perdrait son droit. Un autre exemple : il est fréquent, dans
plusieurs milieux, qu'un enseignant cumule des fonctions de direction
d'établissement, dans ce cas les mesures transitoires ne peuvent en aucun temps
trouver application.
Dans un
contexte de pénurie de main-d'oeuvre pour toutes ces catégories de personnel,
le projet de loi viendrait accentuer
cette pénurie de main-d'oeuvre dans certaines régions du Québec. Comme vous le
constatez, M. le Président, plusieurs éléments compliqueraient
passablement l'application du projet de loi dans le réseau scolaire.
Résumons
donc : Ce projet de loi ne comporte aucune définition claire de la laïcité
de l'État, les établissements d'enseignement
privés et publics ne sont pas assujettis aux mêmes règles, le projet de loi
crée une laïcité mixte pour les enfants
de quatre ans selon qu'ils fréquentent une maternelle, un centre de petite
enfance ou une garderie subventionnée, l'absence de balises ou de
mesures d'application le rend inapplicable dans le réseau public d'éducation.
Considérant le haut taux d'interprétation
potentielle et les conséquences en découlant, la Fédération des commissions
scolaires du Québec recommande au gouvernement de soustraire les
commissions scolaires de l'application du projet de loi n° 21,
Loi sur la laïcité de l'État.
Je vous
remercie infiniment de nous avoir écoutés, et, bien sûr, nous sommes
disponibles pour répondre à vos questions. Merci.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Fortier. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Fortier,
Mme Barbe, Me Laberge, bonjour. Bienvenue à la commission
parlementaire. Merci d'être présents.
Bien,
écoutez, d'entrée de jeu, j'aimerais que vous me disiez qu'est-ce qu'il y a de
positif dans le projet de loi n° 21.
M. Fortier
(Alain) : Bien, en fait, je
laisserai, bien sûr, l'ensemble des experts vous le dire. Pour nous, dans sa
formule actuelle, ça représente un projet de
loi extrêmement difficile, pour toutes les contraintes que je vous ai
présentées. Donc, dans ce cadre-là, il est, pour nous, très difficile
d'application.
• (17 h 10) •
M. Jolin-Barrette : Mais le fond de ma question, c'est plutôt :
Est-ce qu'il y a quelque chose de bon dans le projet de loi? Est-ce que c'est
pertinent que la société québécoise inscrive la laïcité de l'État, qu'on donne
une définition? On dit que le Québec est un État laïque, mais ce n'est écrit nulle part
dans nos lois. Le premier ministre du Canada dit : Le Canada, c'est un État laïque,
il n'est écrit dans aucune disposition législative. Ce n'est pas dans la Constitution canadienne,
rien du tout. Là, on vient mettre la laïcité
de l'État, on vient la définir, on le met même dans la charte québécoise
aussi. Ça, c'est-u positif pour vous ou non?
M. Fortier
(Alain) : En fait, je trouve
que votre question est bonne, puisque le dépôt du projet de loi nous permet d'avoir cette discussion.
Et je dirais qu'à quelque part, à toutes les fois que les parlementaires et la société québécoise
se réunissent pour
discuter d'un enjeu, pour moi, c'est toujours positif. Vous savez à quel point j'ai un respect
pour les institutions démocratiques.
Ceci
étant dit, ce qu'on essaie de vous dire le plus concrètement possible, c'est
que, si le projet de loi est retenu comme
tel, nous risquons d'avoir d'énormes difficultés sur le plan de son
applicabilité dans le milieu scolaire. Et, s'il perdure des situations
ou des zones d'ombre, bien, on risque d'avoir des difficultés, comme on l'a eu
sur les frais chargés aux parents, par exemple.
M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que la Fédération des commissions
scolaires est d'accord pour que des enseignants enseignent avec le
visage couvert?
M. Fortier (Alain) : Bien, je pense qu'on a déjà pris une position
claire là-dessus, que le visage à découvert... parce qu'il y a une relation pédagogique, là, à établir avec les
personnes. Je pense que notre position a déjà été prise à ce sujet, à
moins que je me trompe. Mme Barbe?
Mme Barbe
(Christiane) : Non, c'est ça.
M. Fortier
(Alain) : Oui?
M. Jolin-Barrette :
Parce qu'actuellement, en vertu de la loi actuelle, vous avez des enseignants
qui peuvent enseigner avec le visage
couvert, hein? On pense, tout le monde, que la relation pédagogique fait en
sorte que, oui, le visage doit être
découvert, mais le projet de loi n° 21 s'assure que les employés de l'État
doivent avoir le visage découvert. Ça, je pense que c'est quelque chose que vous auriez pu souligner de positif
dans le cadre du projet de loi. Donc, je pense qu'en milieu scolaire
aussi, ça, les commissions scolaires vont être en mesure d'appliquer ça. Est-ce
qu'il y a des difficultés d'application, selon vous, le fait qu'on oblige les
enseignants à enseigner avec le visage découvert?
M. Fortier (Alain) : Ça, c'est assez clair, hein, visage couvert ou
visage découvert. Donc, à quelque part, on devrait être bons pour faire
un bout de chemin ensemble.
M. Jolin-Barrette : Vous voyez, je travaille fort pour vous aider à
trouver des points positifs sur le projet de loi, mais j'en ai trouvé
un. O.K. Ça, c'est bon.
Sur
le port de signes religieux, vous dites : On va avoir des difficultés d'application...
l'interdiction du port de signes
religieux. En quoi est-ce différent qu'un enseignant qui porte un signe, un
symbole politique, la manifestation de leurs opinions politiques? Actuellement, les commissions scolaires, là,
interdisent à leurs enseignants de manifester leurs opinions politiques
et de porter des chandails, exemple, «J'aime la CAQ» dans la classe. C'est
fait, actuellement, ça.
M. Fortier
(Alain) : Mme la secrétaire générale, à mon avis... à mon avis,
c'est fait.
Mme Laberge
(Sophie) : Effectivement, l'avis...
M. Jolin-Barrette :
Je n'ai pas entendu.
M. Fortier
(Alain) : Oui, à mon avis, c'est fait. En même temps...
M. Jolin-Barrette : O.K. Si jamais, là, moi, je suis enseignant, je
fais mon bac en enseignement, j'ai mon brevet, tout ça, je suis engagé à la commission scolaire des Patriotes, j'arrive
après ma carrière politique, je me réoriente puis je porte un chandail
«J'aime la CAQ», qu'est-ce qui va arriver? Est-ce que mon employeur va venir
m'avertir? Est-ce qu'il va venir m'informer
que je ne peux pas, en vertu des dispositions de la convention collective,
porter un chandail qui dit «J'aime la CAQ»?
M. Fortier (Alain) : Oui, en fait, je vois bien où vous voulez en
venir. Si jamais le signe est évident et clair, bien sûr, ce sera facile d'application. Ce qu'on vous dit
ici, c'est que la difficulté d'application à ce niveau, c'est que la définition
du signe religieux et de ses différentes déclinaisons devient assez subjective,
et c'est dans ce sens-là qu'on vous invite,
en tout cas, le plus respectueux du monde, à bien définir ce que vous entendez
par «signe religieux» pour, advenant le cas que le projet de loi est
adopté, aider les gestionnaires à encadrer cette loi-là.
M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que les gestionnaires auraient de la
difficulté à constater qu'une croix constitue un signe religieux?
M. Fortier
(Alain) : Je m'excuse...
M. Jolin-Barrette : Est-ce que les gestionnaires auraient de la
difficulté à constater que le port d'une croix est difficilement... est
difficile à déterminer que ça constitue un signe religieux?
M. Fortier (Alain) :
J'ai de la misère à vous répondre, dans le sens où... Où est portée la croix?
Est-ce que ce sont des boucles d'oreilles? Est-ce que c'est dans le cou? Est-ce
que c'est évident? Est-ce que c'est à l'intérieur? On parle de la croix, un signe religieux que tout
le monde connaît, mais j'imagine qu'il y en a d'autres, signes religieux,
que je ne connais pas. Ce qu'on vous invite à faire, c'est de nous aider à vous
aider.
M. Jolin-Barrette : Je comprends. Mais, sur le sens commun, là, on
s'entend qu'une croix, c'est un signe religieux.
M. Fortier
(Alain) : Ça dépend.
M. Jolin-Barrette :
Ça dépend?
M. Fortier (Alain) : Bien, non, mais c'est parce que... deux plus
deux, il y a une croix dans le milieu, non? Non, je m'amuse, là, mais ce que je veux dire, c'est
que... ce qu'on vous dit, c'est qu'il
y a des éléments pour lesquels ils
sont bien évidents. Je pense que l'intervenante précédente vous a dit que le hidjab n'était pas un signe religieux. Moi, je pensais, avant
d'arriver ici, que c'en était un. Ça fait que, là, on a besoin d'aide, tout le monde, pour définir qu'est-ce qu'un signe
religieux.
M. Jolin-Barrette :
O.K., on va s'aider à s'aider, à ce moment-là. Sur votre commentaire n° 3 : «La notion d'"établissement[...]" prévue au projet de loi n° 21 doit être précisée quant aux centres de formation professionnelle et aux centres d'éducation des adultes, eu égard aux dispositions
de la Loi sur l'instruction publique.»
Cette
question-là, je l'ai déjà évaluée. En vertu de la Loi sur l'instruction publique, c'est déjà couvert, les deux. Les juristes de l'État
qui ont travaillé avec moi ont été très clairs à ce niveau-là, et, par les dispositions
de renvoi des différents articles de la Loi sur l'instruction publique, ils sont visés. Donc, sur ces questions
de clarification là, c'est fait.
Je reviens aux
questions de... à la définition de la laïcité. Les quatre principes que l'on
met au niveau de la définition de la
laïcité, vous dites : Ça a une portée trop générale, ce n'est pas assez
clair. Pourtant, les autres intervenants qui sont venus, dont M. Bouchard, étaient d'accord avec cette
définition-là. En quoi elle n'est pas claire, la définition de la laïcité
de l'État, avec ces quatre principes?
M. Fortier (Alain) : Oui. Non, parce que j'essaie de les revoir, et,
si on me demandait de définir maintenant la laïcité de l'État, bien, il faudrait que je compose une définition
à partir de vos quatre principes, et c'est un peu ce qu'on vous invite à faire, pour qu'au lieu qu'il y ait
des principes qui guident la laïcité de l'État on essaie de dire : Bien, s'il y avait
un exercice pour qu'à quelque part tout le monde ensemble accepte une définition
de la laïcité de l'État, on a l'impression que ça permettrait une certaine forme de consensus et
donnerait un outil supplémentaire moins interprétatif. C'est ce qu'on
essaie de dire ici.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je comprends ce que vous dites. Moi, je trouve ça
quand même clair que la laïcité de l'État... la séparation de l'État et des
religions, ça, c'est quand même clair, la neutralité religieuse de
l'État, l'égalité de tous les citoyens
et citoyennes devant la loi et la liberté de conscience et
la liberté de religion. Donc, vous voudriez qu'on fasse une définition
avec ces quatre principes-là.
M. Fortier (Alain) : ...on vous dit, c'est que la neutralité
religieuse de l'État... Qu'est-ce que l'État? Est-ce que l'État, c'est ses institutions? Est-ce que
l'État, ce sont ses travailleurs? Est-ce que l'État, ce sont sa documentation? On a souvent dit, nous, que
la laïcité de l'école est à travers sa documentation, notamment le Programme de formation de l'école québécoise.
Donc, juste le mot «État»... En tout
cas, moi, j'aurais besoin d'aide, là,
pour être capable d'avoir une définition
claire de qu'est-ce que la laïcité
de l'État. C'est «de l'État» qui, pour moi, n'est pas très clair, mais en tout
respect, bien sûr.
M. Jolin-Barrette : Je vous dirais que, par le truchement de
l'article 3 et de l'annexe I, on retrouve qu'est-ce que la laïcité de l'État, à qui ça s'applique, aux institutions, notamment judiciaires, aux institutions gouvernementales, aux institutions parlementaires, et donc les écoles sont visées, notamment,
par cela. Et aussi il y a une interdiction de porter des signes
religieux pour les directions d'école et pour les enseignants.
M. le Président, je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions.
Je reviendrai par la suite, s'il nous reste du temps.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup. Alors, je regarde vos collègues,
faites-moi signe. Mme la députée
de Bellechasse. Merci.
Mme Lachance : Oui, oui, oui. Merci, M. le Président. Merci. Merci, mesdames, merci, monsieur, d'être parmi nous.
J'ai
peut-être une brève question. D'abord, tous ceux qui me connaissent savent que
tout ce qui touche le développement de l'enfant me touche particulièrement en ce qui a trait à son développement, sa sécurité. Et ce que j'aimerais savoir, c'est... Je sais que vous êtes là pour la
défense de vos membres, mais, quand
même, on parle du milieu de l'enseignement, donc ce n'est pas banal, c'est important.
J'aimerais
savoir si... D'abord, on sait que plusieurs estiment que la laïcité commence par l'école
et les enseignants, qui occupent une
fonction qui est quand même très importante,
celle d'instruire, de socialiser et de qualifier. Lorsqu'on parle de socialisation, on parle aussi de
transmission des valeurs. Donc, ma question est la suivante : Est-ce que
la liberté de conscience des enfants devrait primer sur le choix d'un
enseignant de porter un signe religieux?
M. Fortier (Alain) :
C'est une question vaste.
Mme Lachance :
...réponse vaste.
• (17 h 20) •
M. Fortier (Alain) :
Oui. Bien, en fait, vous savez, moi, je suis venu présenter un mémoire sur la
difficulté d'applicabilité et je représente
mes membres, qui m'ont mandaté pour venir vous parler que le projet de loi, tel quel, est extrêmement difficile à appliquer dans le milieu scolaire,
compte tenu des différents flous qu'on a pu... Et, bien sûr, je ne suis pas un
expert, hein, de la notion du lien de cause à effet entre la laïcité et le
développement de l'enfant. Je pense que ça a été aussi répété en commission
parlementaire dans les jours précédents.
Mme Lachance : Dans ce cas-là, on va se limiter à une autre
question. Si je vous demandais... Parce que, si je comprends bien... Si on vous confirme
l'applicabilité du projet tel que
proposé, est-ce que vous seriez pour? Est-ce que vous l'appuieriez?
M. Fortier
(Alain) : Vous savez, bien
sûr, on est dans une situation hypothétique où, si jamais on aplanissait toutes
les inquiétudes que nous avons, il y aurait probablement une réflexion
nécessaire à avoir, compte tenu notamment de l'impact que pourrait avoir, sur les ressources humaines, la nouvelle
mouture du projet de loi. Et probablement qu'on viendrait ici avec un nouvel angle, puis je ne dis pas contre ou pour,
mais on aurait besoin de retourner dans nos terres, de réfléchir tout le monde
ensemble et de voir comment votre nouvelle proposition pourrait s'exprimer dans
le réseau scolaire.
Et donc, à cette question-là, vous m'excuserez,
mais j'ai un petit peu de misère à vous répondre de manière hypothétique, ne
sachant pas quelle mouture ça aurait et quel impact ça aurait dans notre
réseau.
Mme Lachance :
Écoutez, je comprends bien ce que vous me dites. Merci de me répondre. Je
soulignerais quand même qu'en tant que représentant d'un syndicat
d'enseignants, je trouve quand même primordial qu'on puisse mettre les
étudiants et les enfants au coeur de nos préoccupations. Merci. Merci, M. le
Président.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui. Je ne
sais pas s'il y avait d'autres questions.
Mme Lecours (Les Plaines) :
Pour moi...
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines.
M. Jolin-Barrette : Non, non,
allez-y, Mme la députée de...
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Bien, simplement, juste un petit commentaire.
J'entends bien vos commentaires. Si jamais vous avez des propositions d'amendement pour simplifier l'application en
vertu des employeurs, des commissions scolaires, moi, je serais heureux de les recevoir. Si on peut travailler ensemble
puis dire, pratico-pratique, dans le milieu de l'éducation, qu'est-ce qui mériterait d'être changé, moi, je
serais ouvert à recevoir vos propositions d'amendement, éventuellement.
Mais, cela étant dit, je laisse la parole.
Le Président
(M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Mme la députée de
Les Plaines, s'il vous plaît.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Merci, M. le Président. Ai-je bien compris que la
fédération, ça regroupe 120 000 personnes? C'est ce que j'ai
compris?
M. Fortier (Alain) :
120 000 employés, voilà.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Employés. J'imagine qu'une grosse majorité de ces employés
sont des femmes?
M. Fortier
(Alain) : Ça dépend, dans
différents postes, mais vous savez que le milieu de l'enseignement... Vous
savez, moi, j'ai fait 25 ans de
formation des enseignants, hein? Je suis docteur en éducation, donc, à quelque
part, j'ai fréquenté le milieu scolaire partout au Québec. Et
effectivement, notamment au primaire, hein... Et, pour enseigner à
l'université, là, quand j'ai 200 étudiants, il y a cinq gars qui se
lèvent, je les applaudis, là, d'accord?
Mme Lecours
(Les Plaines) : J'ai eu un enseignant dans ma vie, au primaire, et je
m'en rappelle encore parce que les autres, c'étaient des femmes, là.
Écoutez, ma
question est bien simple. C'est que le Conseil du statut de la femme a produit,
en 2011 — et on
avait la présidente qui était ici il y a quelques heures, la présidente de
cette époque-là — un avis
selon lequel il appuyait une interdiction
de porter des signes religieux pour les agents de l'État et il recommandait,
bien évidemment, de modifier la charte
québécoise pour consacrer la laïcité de l'État. Qu'est-ce que le gouvernement
devrait faire de cet avis-là, selon vous?
M. Fortier
(Alain) : Aller de l'avant,
probablement, mais soustraire le milieu de l'éducation de cette question-là.
Mme Lecours (Les Plaines) :
...comporte beaucoup de femmes, oui?
M. Fortier (Alain) :
Si vous voulez.
Mme Lecours (Les Plaines) :
O.K., d'accord. Merci.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Alors, vous dites, dans le projet de loi, on
devrait viser, dans le fond, l'ensemble des différents réseaux, que ce
soit public, privé, également les CPE. Est-ce que c'est une invitation à
élargir le champ d'application de la portée de la loi?
M. Fortier
(Alain) : En fait, on
souligne l'incohérence entre... Maintenant, nous... Vous savez, ce projet de
loi là a différentes branches, hein? La branche des ressources humaines en est
une, la branche des... ce qu'on appelle les clauses grand-père en est une
autre.
Nous, ce
qu'on dit, c'est qu'on a de la misère à comprendre lorsque vous visez certaines
indépendances pour nos enfants par
rapport à la laïcité. On a de la misère à comprendre pourquoi vous ne le visez
pas aussi pour l'ensemble des enfants du Québec. C'est ce qu'on dit.
M. Jolin-Barrette : C'est un choix que nous faisons de viser le
réseau public, O.K., puis c'est un choix de viser l'école primaire et secondaire. Partant de là,
est-ce que vous nous recommandez
d'étendre la portée de l'interdiction de porter des signes religieux vers les écoles privées, vers les garderies
privées et vers également les CPE? Est-ce
que vous nous incitez à faire
ça ou vous dites : Non, ça devrait rester dans le réseau public scolaire?
M. Fortier
(Alain) : Nous, on vous dit
que, tel qu'il est présenté maintenant, il va être difficilement applicable. Si c'est
vrai chez nous, ce sera vrai ailleurs. Et c'est dans ce sens-là qu'on vous
invite, pour le moment, à retirer le milieu scolaire de votre projet de
loi.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Donc,
vous dites à tous les parents du Québec : L'école publique québécoise,
malgré le fait qu'on est parti des
années 60 avec le rapport Parent, où il y a eu une déconfessionnalisation,
par la suite, des commissions scolaires,
qu'il y a eu un processus de sécularisation et que la laïcité de la... la
sécularisation de la société québécoise s'est faite tout d'abord par les écoles au Québec, on devrait exclure les
écoles québécoises du principe de laïcité de l'État, puisque les écoles, c'est pas mal l'État québécois,
hein? Dans le réseau public, on devrait permettre aux enseignants de
continuer de porter des signes
religieux et on devrait dire : Bien, pour le milieu de l'éducation public,
on n'applique pas la laïcité de l'État.
Donc, on n'assure pas que chacun des élèves a le droit à sa liberté de
conscience, à sa liberté de religion. On n'assure pas que les citoyens, les enfants, les élèves puissent avoir
l'égalité, puissent avoir accès à la neutralité religieuse de l'État, puissent également avoir la séparation
de l'État et des religions. Vous ne voulez pas que le réseau de l'éducation
soit visé par ça?
M. Fortier
(Alain) : En fait, ce
qu'on... Écoutez, je vais reprendre, là. C'est-à-dire que la laïcité de l'État,
c'est une chose; son application dans le milieu scolaire, c'en est une
autre.
Je pense que
quelqu'un vous a dit ici hier qu'il n'y a aucun lien prouvé entre... le fait de
fréquenter quelqu'un qui porte des
signes religieux empêche quelqu'un d'avoir une liberté de conscience et de
réflexion. Nous, ce qu'on vous dit, c'est
qu'on a besoin d'une définition claire de la laïcité de l'État. Ce qu'on vous
dit, c'est qu'il y a... les réseaux sont traités différemment. Ce qu'on vous dit, que notamment à la fois chez les enfants
de quatre ans... tu sais, un enfant de quatre ans en milieu scolaire ne pourrait pas avoir quelqu'un
qui porte un signe, mais en service de garde pourrait. On dit : Bien là,
c'est comme incohérent. Enfin, c'est ce qu'on essaie de vous dire, c'est
tout.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Je me tourne maintenant vers la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous
plaît.
Mme Robitaille :
Bonjour à tous et merci, merci d'être là. Écoutez, si je vous comprends bien,
la laïcité, ça existe déjà dans les commissions scolaires du Québec.
M. Fortier (Alain) :
Nous, on est...
Mme Robitaille : Le cadre comme
tel...
M. Fortier (Alain) :
Oui, l'école est laïque...
Mme Robitaille : ...il y a une
séparation, évidemment, c'est clair, la laïcité est bien présente.
M. Fortier
(Alain) : La laïcité du
milieu scolaire se vit à travers son Programme de formation de l'école
québécoise et des objets
d'apprentissage que nous adressons. Et donc, lorsqu'un professeur de maths
parle de mathématiques, il s'appuie
sur le programme du gouvernement, l'école de formation de l'école québécoise,
qui a un contenu laïque. Et c'est ça qu'on essaie de dire, c'est-à-dire que la
laïcité, dans notre réseau scolaire, se vit à travers ses documents officiels
et ses objets de discussion en milieu scolaire.
Mme Robitaille :
Et ces femmes... parce que mon comté, c'est Bourassa-Sauvé, Montréal-Nord. J'ai
devant moi le mémoire de la
commission scolaire Pointe-de-l'Île, qui dit à peu près ce que vous dites
aussi, mais là-bas, il y a des enseignantes
qui portent le voile. Racontez-moi, est-ce que ces enseignantes-là qui portent
le voile, est-ce que vous avez... Parlez-moi de leurs compétences,
parlez-moi de la façon dont ces femmes-là travaillent, racontez-moi.
• (17 h 30) •
M. Fortier (Alain) : Bien, en fait, pour les avoir formés pendant
25 ans, tous les enseignants du Québec passent à travers une école
de formation qu'on appelle une université, une faculté des sciences de
l'éducation, qu'on soit au préscolaire ou au
primaire, et apprennent l'ensemble des didactiques nécessaires pour permettre
aux enfants de parcourir le Programme
de formation de l'école québécoise et développer les compétences qui s'y
rattachent. Et cette formation-là, qui
est une formation extrêmement
rigoureuse, supervisée en milieu scolaire, accompagnée par des enseignants d'expérience, fait en sorte qu'ils développent un sens professionnel et une éthique
de travail qui garantit, à mon avis, que l'on parle des bons objets. Une fois
que j'ai dit ça, tu sais...
Mme Robitaille : Et donc c'est ça, donc, ces femmes voilées qui
enseignent sont comme un autre enseignant, elles transmettent leur savoir. Il
n'y a pas de plaintes, si je comprends bien, il n'y a pas eu de plaintes. Ce que je lis ici, là, dans le mémoire de la commission Pointe-de-l'Île, il n'y a pas eu de problèmes
ou même de plaintes écrites, là. Est-ce
que vous pouvez confirmer ça aussi dans les autres commissions scolaires?
M. Fortier (Alain) : En fait, à notre connaissance, non. Et c'est
pour ça que nous, on a été très surpris de voir le milieu scolaire inclus dans ce projet de loi là. Et, lorsqu'on l'a accueilli, un, on s'est demandé : Ah!
oui, mais pourquoi, pourquoi certains enseignants plus que d'autres? Et, pour
nous, en tout cas, on disait que c'est comme si on venait régler
une problématique qui, à
notre avis, n'est pas très vécue dans
notre milieu scolaire. Bref, je ne suis pas capable de dénombrer ou de
savoir combien qu'il y a de plaintes ou combien que ça crée d'inconfort dans le
milieu scolaire.
Notre
Programme de formation de l'école québécoise, il y a une dimension qui
s'appelle le vivre-ensemble, hein, et,
autour de cet enjeu-là, bien, il y a toute la question de l'éducation à la
citoyenneté. Bref, tout ça pour vous dire que, si on se fie à la rigueur des enseignants et à leur professionnalisme,
bien, ça fait qu'il n'y a jamais eu de plaintes de ce côté-là.
Mme Robitaille :
Et justement, parlant de vivre-ensemble, quel impact une loi comme ça va avoir
sur le vivre-ensemble de ces écoles-là?
M. Fortier (Alain) : Bon, là, on va déborder un peu, là, du mémoire
qu'on vous présente, et là je ne voudrais pas prendre la parole... Alain Fortier, le formateur d'enseignants, là, et
donc, si vous me permettez, je vais rester dans le cadre de notre mémoire. Mais, si jamais la question se
posait puis on avait le goût d'échanger là-dessus, ça nous fera vraiment
plaisir, avec nos membres, tu sais, d'alimenter
cette question-là puis de pouvoir vous revenir. Mais, pour le moment, si vous me permettez... parce que j'essaie de
respecter le mandat puis de distinguer, là, Alain Fortier formateur
d'enseignants du Alain Fortier président de la Fédération des
commissions scolaires.
Mme Robitaille :
Oui, mais... parce que vous parliez tout à l'heure d'incohérence, que,
finalement, il y a des femmes aux services
de garde qui ne seront pas visées par le projet de loi, mais par contre il y a
des stagiaires qui seront peut-être
visées par le projet de loi et qui devront partir, peut-être, il y a des
enseignantes qui ne pourront pas changer de commission scolaire, ça crée des problèmes. Et je me demandais,
justement, pour ce vivre-ensemble-là, nécessairement, évidemment, il y aura des incidences quelconques
parce que, justement, on ne saura pas trop, trop sur quel pied danser.
M. Fortier (Alain) : On peut regarder aussi au niveau des ressources
humaines, c'est-à-dire que, lorsqu'on va engager... lorsque quelqu'un qui a décidé par choix de porter le voile,
par exemple, bien là, plutôt que d'avoir deux réseaux potentiels, il n'y aura que le réseau privé, si on
se fie au projet de loi qui est là. Vous savez, je pense que c'est un secret
de Polichinelle que les ressources humaines,
dans le milieu scolaire, notamment public, sont extrêmement rares, de plus en
plus difficiles, et la rétention des
enseignants est difficile. Donc, à toutes les fois qu'on met un petit frein
supplémentaire, uniquement sur le
plan des ressources humaines, ça accentue la difficulté. Je pense qu'on l'a
souligné dans notre mémoire.
Mme Robitaille :
Oui, c'est ça. Et, encore une fois, à la commission scolaire Pointe-de-l'Île,
il y a une pénurie de main-d'oeuvre
importante, donc le recrutement est difficile, et je pense que c'est comme ça à
plusieurs endroits, dans la région de Montréal, donc ça complique le
travail. Cette loi-là compliquerait le travail d'aller recruter du monde pour
travailler dans vos écoles.
M. Fortier (Alain) : Dans un contexte où on ajoute un degré scolaire
supplémentaire, et donc, là, on aura besoin de nouveaux enseignants. La maternelle quatre ans créera, tu sais, son
besoin de ressources humaines également, et donc ce seront nos nouveaux enseignants qui combleront ces postes, hein? On
ajoute un degré scolaire, et donc ça continue d'accentuer la difficulté
de main-d'oeuvre.
Mme Robitaille : Merci.
Le Président (M. Bachand) : Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David :
Merci beaucoup. Bonjour, M. Fortier. Mme Barbe, nos destins se sont
croisés tellement souvent que j'avais même oublié votre nouveau poste.
Et Mme Laberge, très contente de vous entendre, de vous entendre, M. Fortier. Et je vais faire comme vous, je
vais essayer de ne pas prendre toutes mes anciennes vies pour contaminer mes
questions, parce que je sais que vous avez des réflexions fort intéressantes de
par votre parcours de formation.
Mais
je vais revenir quand même sur la proposition du ministre, qui est fort intéressante. Puis, si j'étais
lui, je vous aurais engagés bien avant pour... retenu vos services pour,
effectivement, écrire le projet de loi parce que peut-être qu'il y aurait
eu un côté un peu plus concret, appliqué qui aurait mieux passé la rampe
des nombreuses questions que nous
recevons dans les... que nous écoutons,
donc, à travers les différents mémoires. Parce que, c'est vrai, votre mémoire,
il n'est pas théorique, il n'est pas dans les grands concepts, mais il
est dans : Mais qu'est-ce qu'on fait avec ça?
Alors, le ministre
vous a amenés vers des concepts plus théoriques, je dirais, là, sur l'éducation
puis pourquoi enlever du milieu de
l'éducation. Ce que j'en comprends,
c'est que votre position finale, en disant : Conclusion, soustrayons
les commissions
scolaires du projet de loi n° 21, c'est beaucoup plus pour des raisons
d'inapplicabilité. Et, probablement, vous avez bien d'autres raisons,
mais vous vous êtes tenus à des raisons très bien motivées dans ça, mais qui
sont essentiellement pragmatiques?
M. Fortier (Alain) : Je vous dirais même teintées du fait que, dans le
milieu de l'éducation, actuellement, il n'y en a pas, de problème à ce niveau-là. Et donc c'est comme si on arrivait avec,
je dirais, un nouveau cadre, là, qui vient bien plus complexifier le
travail déjà complexe que nous accomplissons en milieu scolaire.
Mme David :
Alors, je suis obligée de vous amener sur le mot «problème», parce qu'il n'y en
a pas, de problème. Puis je ne veux
pas vous faire dire des choses, vous amener là où vous ne voulez pas aller,
mais, effectivement, il y a des... La
CSQ, hier, nous a dit : Zéro plainte, il n'y en a pas, de plaintes, la
Commission des droits de la personne, la même chose, le syndicat des fonctionnaires du Québec, etc.
Vous n'avez pas de plaintes, il n'y en a pas, de problème. Et puis le ministre
va vous répondre : Mais ce n'est pas
qu'il y a un problème ou il n'y a pas de problème, on veut ça laïque. Et là on
est dans la définition laïque. C'est quoi? Déjà, c'est des concepts qui
sont d'une très grande complexité.
Mais
M. Bouchard a quand même dit hier, Gérard Bouchard, que c'était radical
d'inclure les enseignants. Donc, on
revient un peu dans les concepts. Mais vous dites : Il n'y a pas de
problème, donc la laïcité n'est pas un enjeu. Est-ce que je pourrais
traduire ça comme ça pour le ramener au pratico-pratique?
M. Fortier (Alain) : En fait, je vais essayer une réponse la plus
pragmatique possible. C'est-à-dire que nous, on ne discute pas de la
laïcité, c'est-à-dire qu'on s'est déjà prononcés en faveur de la laïcité à
quelque part dans d'autres opportunités. Ce
qu'on essaie de dire, c'est que l'école est laïque, de par ses documents
officiels, à travers le professionnalisme des enseignants et des directions d'établissement. Et, dans ce sens-là,
on a bien plus ici une problématique d'encadrement de nos ressources, de ressources humaines, et
d'inéquités envers l'ensemble des élèves du Québec que, je dirais, un enjeu
de la laïcité qui, pour moi, dépasse mes compétences, sincèrement. Qu'est-ce
que la laïcité, là?
Mme
David : Donc, vous allez dire, effectivement, que, s'il y avait un
jour un équivalent de : port de signes religieux égale prosélytisme ou endoctrinement, parce que
c'est ça l'équation intellectuelle qui est souvent faite, vous diriez — bien, je vais vous laisser répondre, mais c'est la proposition que je vous
suggère — que vous
avez déjà toute l'armature éthique et déontologique
pour répondre à cette question d'un enseignant qui ferait du prosélytisme parce
qu'il porte un signe religieux, de la même façon qu'il pourrait en faire
s'il avait une orientation sexuelle x ou y?
M. Fortier (Alain) : D'une certaine manière. L'autre jour, quelqu'un
me disait : Vous savez, on ne sait jamais ce que les gens disent non plus, c'est-à-dire qu'il
n'y a rien qui vous dit si j'ai un signe ou je n'ai pas un signe. Et donc c'est
pour ça qu'à quelque part il faut s'appuyer sur le professionnalisme des
enseignants et faire confiance à la qualité de la formation qu'on leur donne à l'université, aux vigilances qu'on leur
enseigne, et aux gens sur le terrain qui font un travail, à mon avis,
extrêmement rigoureux.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation. Concrètement,
là, une enseignante qui porte le hidjab,
qui arrive dans une école et qui dit : Bien, ça, pour moi, ce n'est pas un
signe religieux, ça vous met dans quelle situation? Qu'est-ce qui se
passe, concrètement? Vous lui dites quoi? Qu'est-ce qui se passe?
• (17 h 40) •
M. Fortier (Alain) : Là, je vais appeler l'intervenante précédente
puis je vais lui demander si elle a raison de dire que c'est un signe religieux
ou non. En fait, votre question, très, très, très claire, soulève surtout la
question des zones d'ombre. C'est-à-dire que : Qu'est-ce qu'un
signe religieux?
Tu
sais, il va falloir développer une expertise dans l'identification nette et
précise d'un signe religieux. Le jour où on va mettre le pied un petit peu à côté de la définition entendue par
tous... Parce que nos directions d'établissement vont travailler avec le plus de rigueur possible, mais
en même temps ce ne seront pas tous des experts, il y aura des nouveaux,
des anciens. Enfin, bref, vous comprenez ce
que je veux dire. Et à un moment donné il va y avoir une intervention qui
n'aura peut-être pas été nécessaire, et là
on va se ramasser dans des situations relationnelles avec nos employés qu'on
ne souhaite pas ou qu'on souhaite le moins possible.
Et donc, si jamais on allait dans ce
sens-là, on a besoin d'un encadrement clair, qu'est-ce qu'un signe religieux.
Et je continue à faire le parallèle avec les
frais chargés aux parents, qu'est-ce qu'on peut charger, qu'est-ce qu'on ne
peut pas charger, ça a coûté au réseau scolaire 153 millions, là,
parce que ce n'était pas clair.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Donc, si je comprends bien, bon, vous l'expliquez très bien, il y a un problème
d'applicabilité. Quel genre de
sanctions... Tu sais, des fois, on dit : Ce projet de loi va simplifier
les choses, ça va faire qu'il n'y aura plus... les tribunaux ne seront plus obligés de décider à la place... Mais
finalement pensez-vous que cette procédure-là va, au contraire,
multiplier les démarches légales et le temps passé aux tribunaux?
M. Fortier
(Alain) : C'est ce qu'on essaie de dire à travers notre mémoire
et notre présentation ce soir.
M. Zanetti :
...les tribunaux, et les citoyens, et les institutions du devoir d'aller faire
ça, là. On est en train de faire encore pire puis de créer des problèmes
où il n'y en a pas, si je vous comprends bien?
M. Fortier (Alain) : Je suis convaincu que l'intention n'est pas de
faire pire et je suis convaincu de ça, que les gens travaillent de bonne foi. Lorsqu'on regarde la mouture du projet de
loi et qu'on essaie de l'appliquer en milieu scolaire, on y voit
davantage de difficultés que de facilitations.
M. Zanetti :
Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
René-Lévesque, s'il vous plaît.
M. Ouellet :
Merci beaucoup, M. le Président. Donc, à mon tour, M. Fortier, de vous
adresser la parole. Si je comprends bien,
vous nous dites, dans votre interprétation, que vous êtes déjà laïques mais
qu'au final ce projet-là est tout simplement
inapplicable. Donc, j'essaie de comprendre : S'il avait été applicable,
vous seriez quand même restés laïques? J'essaie de voir, là, votre piste
de salut dans votre intervention.
Je
comprends que vous nous dites : Il y a de la nuance, il y a de l'imprécision,
il y a du gris. Mais vous dites dans le
mémoire : Pourquoi les écoles privées ne sont pas couvertes? Et pourquoi
les centres de la petite enfance et les services de garde en milieu scolaire ne sont pas couverts? Alors, le gouvernement
est majoritaire, je pense qu'il a effectivement donné sa couleur et sa saveur pour le projet de loi en question. Alors,
ma question : Est-ce que ça devrait s'appliquer aussi dans les
commissions scolaires privées mais aussi dans les CPE et dans les services de
garde?
Parce
que vous parliez de cohérence tout à l'heure. Je comprends qu'au final, dans
les amendements que vous allez
peut-être soumettre au ministre, il y aura des zones plus précises ou, du
moins, nuancées qui vont pouvoir vous aider. Au final, est-ce que vous tenez aussi à revendiquer ici aux élus que...
pourquoi c'est public, et pourquoi, dans le privé, et dans les CPE, et
dans les services de garde en milieu scolaire, ce n'est pas appliqué?
M. Fortier
(Alain) : En fait, ce qu'on a essayé de dire, c'est démontrer
différentes incohérences à travers la proposition
qui est faite, là, du projet de loi dans notre mémoire. C'est ce qu'on essaie
de dire. On n'est pas en train de dire
que ça devrait s'appliquer aussi dans les autres réseaux. On fait juste de dire
qu'on ne comprend pas pourquoi un réseau est ciblé et qu'un autre ne l'est pas. C'est ce qu'on dit. Ensuite, je
vous répondrais aussi qu'il y a toute la question... tu sais, il y a des
incohérences de différentes natures, et c'est ce qui nous amène, je dirais, à
soulever la nécessité d'une très, très grande prudence avec ce projet de
loi là.
M. Ouellet : Et donc, pour vous, si effectivement la pièce législative est adoptée,
qui ressemble beaucoup à ce qui a été
présenté, et donc on l'applique dans les écoles publiques, quoiqu'incohérente,
vous allez être obligés de vivre avec ça,
puis c'est correct ou vous nous demandez, nous, les parlementaires... Parce
qu'il y a des bouts qu'on peut faire, il y a des bouts qu'on ne peut pas faire. Mais celle-là, nous aussi, on trouve
que c'est incohérent qu'il y ait seulement un secteur qui soit couvert et non pas les autres, alors que
c'est le même travail. Alors, la question qu'on se pose : Est-ce qu'on ne
devrait pas plutôt appliquer ça partout?
M. Fortier
(Alain) : Est-ce qu'on va...
M. Ouellet :
Est-ce qu'on devrait plutôt appliquer ça partout?
M. Fortier (Alain) : Ma réponse, c'est : Selon la proposition que
nous avons là, il est difficilement applicable dans notre réseau. Ça, c'est la réponse que je vous ferais. Si jamais il
y avait une autre proposition, ça nous fera énormément plaisir de l'étudier, de
retourner dans nos terres, de voir
qu'elles en sont les nouvelles conséquences ou les nouveaux gains, si
jamais il y a des gains, puis de revenir ici, puis de vous répondre.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Et je tiens à
vous remercier beaucoup de votre présence aujourd'hui.
Je vais suspendre les travaux quelques
instants pour donner la chance au prochain groupe de prendre place. Merci
beaucoup.
(Suspension de la séance à
17 h 45)
(Reprise à 17 h 49)
Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci beaucoup.
La commission reprend ses travaux.
Alors,
je souhaite la bienvenue à l'Association provinciale des enseignantes et des
enseignants du Québec. Je vous invite à débuter votre exposé
d'une durée de 10 minutes, puis après ça on aura un échange avec des
membres de la commission. Et, encore une fois, bienvenue. La parole est à vous.
Association provinciale des enseignantes
et enseignants du Québec (APEQ)
Mme Yetman (Heidi) : Bonjour, M.
le Président, le ministre,
Mmes, MM. les députés. Mon nom est Heidi Yetman, je suis présidente de l'Association provinciale des
enseignantes et enseignants du réseau
scolaire public anglophone. Je suis accompagnée de Sébastien Joly, notre
directeur exécutif.
• (17 h 50) •
J'aimerais
avant tout vous remercier d'avoir convié notre association à intervenir dans le
cadre de ces consultations. En tant
que syndicat, l'une de nos principales missions est de protéger les droits
individuels et collectifs de nos membres, et ces droits sont garantis par nos conventions collectives. Nous
défendons et portons également un certain nombre de principes et de valeurs
comme la démocratie, la solidarité, la justice, l'égalité, l'égalité
hommes-femmes et les respects des différences, pour n'en nommer que
quelques-uns.
Nous sommes fortement
en faveur de la laïcité de nos institutions publiques et de la neutralité des
services qui y sont dispensés. En ce sens,
nous sommes d'avis que les écoles et les centres de formation, en tant
qu'institutions, devraient demeurer laïques mais que les individus qui y
oeuvrent doivent conserver leur droit de porter des symboles religieux dans l'exercice de leurs fonctions. La
charte protège les libertés et les droits fondamentaux essentiels afin que
notre société demeure libre et démocratique.
La
décision du gouvernement d'utiliser la clause dérogatoire dans le but de
soustraire la loi n° 21 à l'application des chartes est très inquiétante pour nous, est pour nous un précédent
dangereux. L'APEQ considère qu'en allant de l'avant de cette loi le gouvernement
propose une solution à un problème inexistant.
Nous
avons, au sein de nos écoles, des enseignantes et enseignants qui travaillent
depuis des années tout en portant des
signes religieux et nous ne pouvons citer aucune plainte formulée ni de la part
d'employeurs ni de parents ou d'élèves. Au contraire, non seulement ces enseignantes et enseignants font-ils, dans
leurs interactions avec leurs élèves, preuve du même niveau de professionnalisme que leurs collègues, mais ils
transmettent également le même curriculum. L'APEQ est d'avis que la neutralité est liée à un état
d'esprit et à une façon d'être dans la manière dont on dispense le service
public et non à l'apparence de la personne qui dispense ce service.
Afin
de bien illustrer l'impact de l'adoption d'une telle loi sur certains de nos
membres, j'aimerais vous parler d'une
enseignante que j'ai eu le privilège de côtoyer en tant que collègue et avec
laquelle je me suis liée d'amitié. Elle s'appelle Nadia. Elle est née au Québec et elle porte le
hidjab. Elle est forte et indépendante. Porter le hidjab est son choix
personnel et fait partie de ses convictions profondes, tout autant que de son
identité. C'est une enseignante dévouée, compétente, engagée. Elle est très
respectée de ses élèves, de leurs parents, de ses collègues et de sa direction.
Nadia
ne perdra pas son emploi parce que le projet
de loi n° 21
contient une clause de droit acquis. Cependant, elle ne pourra pas devenir directrice d'école ou travailler dans une
autre commission scolaire. Sa fille, quant à elle, si elle décide de porter le hidjab, ne pourrait pas être
enseignante ou directrice dans une école publique du Québec.
Ses deux fils, par contre, pourraient poursuivre une carrière dans le
domaine de l'enseignement.
Cet
exemple met en lumière une contradiction évidente entre l'objectif théorique
poursuivi par le projet de loi et les
conséquences concrètes de son adoption qui pourrait contribuer à entretenir les
inégalités entre les hommes et les femmes.
Le
fait que les femmes représentent plus que 75 % de l'effectif enseignant au
Québec, il est évident que ce sont des
femmes, en majorité musulmanes, qui sont affectées de façon évidente par ce projet de loi. Plusieurs femmes comme Nadia enseignent présentement dans nos écoles, sont en voie de compléter
leur baccalauréat en enseignement ou sont sur les bancs d'école et
aspirent à pratiquer un jour cette belle profession. Avec l'adoption du projet
de loi n° 21, ce sont les aspirations
professionnelles de ces jeunes filles ou de ces jeunes femmes qui s'envolent en
fumée.
Le fait de dire à une
portion de la population qu'en raison de ses convictions religieuses elle
n'aura pas accès à certaines professions et
particulièrement à l'enseignement envoie le message à ces personnes qu'elles ne
sont pas dignes de confiance. Loin
d'encourager leur intégration à la société dans laquelle ils vivent, l'APEQ est
inquiète que cette approche aboutisse à une plus grande stigmatisation
de ces individus en rendant légale une discrimination à l'emploi. L'APEQ
considère également qu'une telle mesure est d'autant plus difficile à
comprendre dans le contexte d'une pénurie d'enseignants qui risque de
s'aggraver avec le temps.
Je vous lis un
extrait du Programme de formation de l'école québécoise : «Communauté
d'apprentissage et microcosme de la société,
l'école accueille des individus de provenances sociales et culturelles
diverses. Elle constitue, à ce titre,
un lieu privilégié pour apprendre à respecter [...] dans sa différence, à
accueillir la pluralité, à maintenir des rapports égalitaires et à
rejeter toute forme d'exclusion.»
La mission de l'école est non
seulement d'instruire et d'éduquer, mais de former des citoyens ouverts sur le
monde, libres de préjugés et dotés
d'un esprit critique. La présence d'une enseignante comme Nadia peut également
constituer un modèle positif pour
plusieurs jeunes filles qui s'identifient à elle. À ce titre, permettez-moi de
lire un extrait d'un message reçu de
l'une de ses élèves : «Votre passion et votre amour pour l'enseignement
étaient ressentis en classe tous les jours. En tant que jeune femme portant le hidjab et luttant pour sa propre
identité dans ses années de formation, le fait de vous regarder était vraiment une inspiration et une
assurance qu'il y aurait un jour une place pour moi dans cette société.» Le
projet de loi envoie un message fort
contradictoire à nos élèves, et il est aussi contradictoire au Programme de
formation. Ceci est le plus grand problème du projet de loi n° 21 d'un point de vue éducatif et pédagogique.
Je
suis mère de deux garçons. Nadia leur a enseigné les sciences au
secondaire III. Et, quand j'ai parlé à mes fils du projet de loi, ils ne parvenaient pas à le
comprendre. Mon plus jeune fils a quitté ses cours mardi qui vient de passer
pour manifester contre le projet de
loi n° 21. Quatre écoles secondaires sur l'île de
Montréal ont participé. Ces manifestations étaient organisées par les
élèves. Ils étaient là pour appuyer les enseignantes et les enseignants comme
Nadia.
Mon
fils aîné, dans sa sagesse, m'a dit : Une loi n'empêcherait pas les
enseignants de parler de leurs croyances religieuses, qu'ils portent des symboles religieux ou non. Nadia n'a
jamais parlé de sa religion. J'ai remarqué son hidjab comme je remarquerais toute autre pièce de
vêtement sur n'importe quel autre professeur. J'ai enseigné pendant 23 ans
de ma vie et je peux vous le dire que
les yeux des enfants ne voient pas ces différences que la loi met inutilement
en évidence. Mes élèves ont toujours
vu l'essence d'une personne et non pas les détails de son apparence, qui sont
sans aucune importance.
En
conclusion, l'APEQ demande donc, à défaut de retirer complètement, que le
projet de loi soit modifié de telle sorte
que soient exclus de l'application de cette interdiction les enseignantes et
les enseignants qui oeuvrent au sein de notre système public
d'éducation.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant de passer la parole au
ministre, j'aurais besoin d'un consentement pour ajouter 35 minutes
à nos travaux.
Des voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : Consentement? Merci. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette :
Oui, merci, M. le Président. Madame monsieur, bonjour. Merci de venir à
l'Assemblée nationale aujourd'hui pour présenter votre mémoire.
J'ai
bien entendu le témoignage que vous nous avez rendu, la lettre de la
professeure qui représente un modèle. Et donc je crois, par ce témoignage-là,
que ça démontre justement le pouvoir d'influence d'un enseignant, n'est-ce pas?
Mme Yetman
(Heidi) : ...c'est une influence qui n'a pas rapport avec la
religion du tout.
M. Jolin-Barrette :
Mais un enseignant, c'est un modèle pour les enfants, pour les élèves.
Mme Yetman (Heidi) : Bien, elle est un modèle comme enseignante dans
son professionnalisme. Elle ne parle pas
de sa religion. C'est sûr que c'est possible que les enfants lui posent des questions,
ça, c'est une autre chose, mais, non.
Je vais dire, là, mes enfants, ils ont eu cette enseignante-là, jamais eu ce
problème-là, jamais. Je ne comprends pas votre...
M. Jolin-Barrette : Non, non, mais je veux juste qu'on reste sur la
relation privilégiée, la relation privilégiée que... Les enseignants, souvent, c'est un modèle pour
leurs élèves, pour les enfants. Parfois, ça va être un confident, parfois,
ça va être vraiment... c'est une figure
d'autorité. Mais les enseignants ont un caractère particulier dans notre
société, on est d'accord là-dessus?
• (18 heures) •
Mme Yetman (Heidi) : Bien, moi, j'étais enseignante pendant
23 ans, alors c'est sûr qu'on a un effet sur nos élèves, pas tous nos élèves. Il y a des élèves qui nous...
on est plus proches puis il y a des élèves qu'on est moins proches, mais
absolument, c'est sûr qu'on a une influence
sur nos élèves, mais on est professionnels aussi. Et moi, je dirais que
l'influence de Nadia était tout le temps professionnelle. J'ai d'autres
beaux témoignages d'élèves, c'est...
M. Jolin-Barrette : Non, mais je sais, puis c'est pour ça que je vous
dis ça, le témoignage que vous amenez, c'est justement l'illustration qu'un
enseignant, pour les élèves, c'est vraiment une personne hyperimportante, qui a vraiment
une influence importante sur les enfants, sur les élèves.
Moi,
je suis convaincu, M. le Président, si on faisait un tour de table puis on demandait
à tout le monde : Vous, dans votre vie, qui est-ce qui vous a
influencé le plus?, souvent on va dire : Bien, mes parents, ma famille, un
oncle, une tante, mais je suis pas
mal convaincu aussi... puis je n'ai pas de données empiriques là-dessus, là, je
vous l'avoue, sur mon affirmation, je
n'ai pas de données empiriques, mais je suis pas mal convaincu qu'un
enseignant, ça arriverait au haut de la
liste pour dire : Ah! quand j'étais plus jeune, oui, ça a forgé ma
personnalité, ça a forgé mes idées, ça a représenté un modèle pour moi. Moi, je vous le dis, j'en ai eu quelques-uns,
enseignants qui, je pense, ont tracé le chemin de ma vie, entre autres. Mais je pense qu'on peut constater que c'est une relation privilégiée
que les enseignants ont avec leurs élèves.
Mme Yetman
(Heidi) : Oui, bien sûr, je suis d'accord avec vous.
M. Jolin-Barrette :
O.K. Dans votre mémoire, vous dites : Une utilisation abusive et
injustifiée de la clause dérogatoire, puis là, dans le premier paragraphe,
vous dites : «La décision du gouvernement d'utiliser la clause dérogatoire dans le but de soustraire la loi n° 21 à l'application des chartes et de la Constitution canadienne, et ce,
dès le dépôt du projet de loi, est non seulement une première, mais également une reconnaissance
par le gouvernement que le contenu de la loi proposée ne respecte pas, d'entrée de jeu, le cadre
constitutionnel [applicable] et serait donc invalidé par les tribunaux.»
Je comprends que
c'est votre opinion. Ce n'est pas la mienne puis ce n'est pas celle du gouvernement.
Mais il y a une chose importante, par
contre, là-dedans, vous dites :
Ça constitue une première, l'usage préventif de la clause dérogatoire, or, ça, ce n'est pas vrai. Il y a
plus de 100 cas d'utilisation de la clause préventive. Et d'ailleurs, présentement, il y a des lois qui ont des clauses préventives, notamment
la Loi sur le régime de retraite des enseignants, O.K., qui touche justement
vos membres. Bien, il y a une clause dérogatoire préventive dedans, puis
elle va être à renouveler cet automne, puis elle a été renouvelée sous
le Parti libéral en 2014 aussi quand ils sont arrivés au pouvoir.
Alors,
juste par souci de cohérence et de transparence, je pense que cette partie-là
du mémoire... Ce n'est pas une première,
puis il y en a de multiples, lois québécoises qui ont des clauses préventives aussi. Ça, je
pense, c'est important de le souligner. Puis surtout, si on ne faisait
pas ça, bien, parfois, bien, on se retrouverait à ne pas protéger non plus
certaines dispositions des lois qu'on a adoptées aussi.
Mme Yetman (Heidi) : Bien, pour moi, qu'est-ce qui me fait peur, c'est
que c'est des droits de la charte qu'on touche. En tout cas, je ne sais
pas si vous voulez parler, parce que... Sébastien...
M. Joly (Sébastien) : Moi, je pense que... peut-être
que ça aurait dû être exprimé différemment, mais c'est clair que, comme on touche des droits fondamentaux qui
sont protégés par les chartes et qu'aussi, là, on l'explique plus loin dans le mémoire, on touche des droits
fondamentaux, on utilise la clause dérogatoire de façon préventive... et puis,
comme c'est indiqué, là, dans le
libellé de la charte et aussi quand on se fie, justement, à... L'objectif
d'une charte et le rôle d'une charte
des droits et libertés dans une société,
c'est justement pour protéger les droits fondamentaux des
minorités, en fait, qui peuvent être protégés, justement, de décisions
prises par n'importe quel gouvernement, n'importe quel palier de gouvernement qui peuvent affecter ces droits-là. Donc, le fait qu'on invoque cette
clause dérogatoire là et qu'il n'y ait pas de motif supérieur... là,
on peut citer M. Bouchard, qui a passé hier à la commission. Le fait qu'il
n'y a pas de motif supérieur pour justifier l'invocation de cette clause
dérogatoire là fait en sorte qu'on considère que c'est quelque chose qui est exceptionnel dans les circonstances,
contrairement... Vous avez fait référence à un projet de loi, là, qui a un lien
avec le régime de retraite des
enseignants, mais, en fait, la question principale, là, c'est vraiment en lien
avec le fait qu'on affecte des droits
fondamentaux qui sont protégés par les chartes et qu'on invoque cette clause
dérogatoire là qui... on considère qu'on l'invoque de façon abusive ou
prématurée.
M. Jolin-Barrette : O.K. Mais là-dessus, là, sur l'utilisation de la
disposition, là, on se retrouve dans
une situation où le législateur québécois le fait souvent, et justement, lorsqu'on utilise ce régime juridique là, effectivement, ça concerne les droits et
libertés qui sont prévus aux chartes. Mais le législateur canadien, il a également prévu cette disposition-là. Donc, est-ce
dire qu'à toutes les fois où le législateur québécois utilise la disposition de
dérogation, bien, il n'est pas dans son droit? On se retrouve dans une
situation où c'est un outil juridique à la portée. Le fait de l'utiliser, ça ne
veut pas dire qu'on nie les droits,
on fait le choix que c'est le Parlement qui va décider de l'État du droit, que
les rapports entre l'État et la religion vont être déterminés par le
Parlement et pas par les tribunaux.
Mais
je donne un exemple, là, sur la question du visage à découvert. Je l'ai posée
au groupe qui vous précédait. Les enseignants, là, ils doivent avoir le
visage découvert lorsqu'ils enseignent, on est d'accord là-dessus?
Mme Yetman
(Heidi) : Oui.
M. Jolin-Barrette : O.K. Bien, actuellement, ils ne sont pas obligés
parce que, dans la loi n° 62, l'article qui prévoit ça, il est suspendu par la cour. Trouvez-vous que,
dans notre société, on devrait s'assurer que, dans notre droit, là, ça soit prévu
que les enseignants doivent enseigner avec le visage à découvert?
Mme Yetman (Heidi) : Moi, je n'en connais pas, des enseignants qui
couvrent leur visage. Ce n'est peut-être pas la question, là, mais...
M. Jolin-Barrette : Non, mais, sur le fond, sur le fond... Parce que,
quand, là, on rédige les lois, là... si on retourne, là, aux théories, là, hein, l'homme est un loup
pour l'homme, là, puis qu'il n'y a pas... Ah! bien, le député de Jean-Lesage
va aimer ça, là, hein, on va faire de la philosophie.
Des voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : Allez-y, M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Alors, s'il n'y a aucune règle, là, O.K...
L'organisation de la société passe par des règles. La liberté absolue dans notre société n'existe pas
parce qu'on a un contrat social. Le contrat social, c'est l'Assemblée
nationale, par le biais des représentants élus, quand on fait les lois.
Et
là on se retrouve dans une situation où il faut qu'il y ait un cadre, et là on
dit : Bien, écoutez, il n'y a pas de cas, ça fait qu'on ne légiférera pas pour dire que, lorsqu'on enseigne, on
doit avoir le visage découvert. C'est ça, la logique que vous m'invitez à faire. Donc, s'il y avait des
cas, est-ce qu'on devrait légiférer pour s'assurer qu'ils aient le visage
à découvert lorsqu'on enseigne? J'essaie
juste de réconcilier tout ça. Parce qu'il me semble que, dans la société
québécoise, c'est de l'acquis qu'on
devrait enseigner avec le visage découvert, qu'on devrait avoir l'obligation
d'enseigner avec le visage découvert. Puis ce que je fais, moi, dans le
projet de loi n° 21, c'est que je m'assure qu'au Québec, lorsqu'on
enseigne, on a le visage à découvert. Ça, êtes-vous d'accord avec ça?
Mme Yetman
(Heidi) : Il faut faire
attention. Moi, je sais que vous êtes avocat, puis moi, je ne suis pas avocate,
je suis une enseignante, alors la façon que je vais parler, ça va être un petit
peu différent. Et, quand je pense à nos droits d'avoir la religion qu'on veut, nos droits... les droits d'être femme,
tous les droits, là, acquis, cette loi-là me... pour moi, en tout cas, là, bien, je pense, pour l'APEQ en
général, il dit qu'il y a certains enseignants, là, eux autres, il faut que
vous enleviez votre hidjab, il faut que vous enleviez votre kippa pour
enseigner. C'est vraiment ça que vous dites à ces enseignants-là, ils n'auront
plus le droit de porter le hidjab pour enseigner.
M. Jolin-Barrette : Non, non, non, ce n'est pas ça qui est écrit dans
le projet de loi. Ce n'est pas ça qui est écrit dans le projet de loi.
Mme Yetman (Heidi) :
Oui, les futurs enseignants.
M. Jolin-Barrette : Je pense que c'est important de rappeler les
faits. C'est très clair dans le projet de loi, tous les enseignants qui
portent un signe religieux peuvent continuer de le porter parce qu'on a mis une
clause de maintien en emploi. On a mis une
clause de droits acquis pour le même employeur, pour la même commission
scolaire. Donc, toutes les personnes
qui sont présentement avec un lien contractuel et qui enseignent vont pouvoir
conserver leurs signes religieux. Par
contre, les gens qui ne sont pas à l'emploi, effectivement, ils ne pourront pas
porter de signes religieux. Mais par contre il n'y a aucun de vos
membres qui va se retrouver à perdre ses droits acquis.
• (18 h 10) •
Mme Yetman
(Heidi) : Les futurs
membres, parce qu'il va y en avoir, des futurs membres, ils ont, eux autres...
Maintenant, on a créé deux classes
d'enseignants, deux classes : la classe qui est présentement à l'école,
mais, comme j'ai dit tantôt, il y a des enseignants qui sont en formation
à l'université, eux autres, non. On a deux classes
d'enseignants. Comment est-ce que
vous pensez que les enseignants présentement à l'école qui portent le hidjab vont sentir
qu'eux autres ils ont le droit, leurs cousins, leurs filles n'ont pas le
droit? C'est deux classes de citoyens, ça.
M. Jolin-Barrette : Non. Est-ce
que vous nous invitez, d'abord, à ne pas mettre de clause de droits acquis? Est-ce
que ce serait une meilleure solution, par souci de cohérence, de ne pas avoir
de droits acquis?
Mme Yetman (Heidi) : C'est sûr que ça protège les enseignantes qui
sont présentement dans le système, sauf qu'elles
n'ont pas le droit de devenir directrices ou de changer de commission scolaire. C'est ça que ça dit dans la loi.
M. Jolin-Barrette : Non, ça, ce n'est pas vrai. Ils peuvent conserver
leur emploi à l'intérieur de la même commission scolaire, ils peuvent devenir directeurs d'école, mais par contre
le port de signes religieux n'est pas permis, à ce moment-là. Donc,
c'est dans le cadre de la même fonction pour la même organisation. Donc, on
peut être enseignant au primaire, secondaire,
changer de niveau, c'est possible. Pour la même commission scolaire, c'est
possible. Effectivement, si jamais on change de fonction, on devient directeur d'école, effectivement, ce n'est pas possible de porter le même signe religieux... le signe
religieux.
Mme Yetman
(Heidi) : Oui, c'est ça que
j'ai compris, exactement. Mais, encore là, on a deux classes d'enseignants.
Je vais dire, là, je suis contente que les
enseignants qui sont là présentement, là, sont protégés. Ça, je suis contente,
mais ce n'est pas assez. Il faut enlever les enseignants et les
enseignantes de cette loi.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends. M. le Président, je sais que mon collègue de Vachon souhaite poser
des questions. Je vous remercie.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. M. le
député de Vachon, s'il vous plaît.
M. Lafrenière :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci à vous. Merci d'être avec nous
aujourd'hui, très, très, très apprécié. Ça nous aide beaucoup à
comprendre toute la situation.
Je vais vous
parler d'un autre corps de métier très important, déformation professionnelle,
je vais vous parler de policiers un peu. Ça va?
Mme Yetman (Heidi) :
Oui, mais...
M. Lafrenière :
Un peu. Je vais vous expliquer quelque chose puis je veux que vous me suiviez
deux instants, inquiétez-vous pas.
Alors, comme policier, policier
gestionnaire à l'époque, ce que je demandais à mes policiers, c'était de
s'assurer de leur grande neutralité
dans leurs façons d'agir et dans l'image qu'ils envoyaient aussi. Alors, même,
je vous donne un exemple, même le port d'une petite épinglette ou quoi que ce
soit, on demandait d'être très neutre. Pourquoi? Vous savez pourquoi on porte l'uniforme. Premièrement, on
veut que les gens nous reconnaissent rapidement, mais on veut aussi que les
citoyens s'attendent à un même service,
qu'ils parlent à un ou... une personne, qu'ils aient tous le même service. On
ne veut pas être un frein, on ne veut
pas que la personne se dise : Vous savez, tel policier, peut-être qu'il a
une conviction, peut-être qu'il a
d'autres choses. On ne voulait pas que ça devienne un frein, alors on trouvait
ça extrêmement important, la neutralité et l'apparence de neutralité.
Est-ce que vous êtes d'accord avec moi dans cette importance-là?
Mme Yetman (Heidi) : Pour les policiers, ça, c'est une autre affaire.
Je n'aimerais peut-être pas parler d'eux autres parce que je ne connais
pas leur situation et je suis vraiment... ici, je suis enseignante puis...
M. Lafrenière :
Je vais faire le parallèle avec vous. On va revenir avec des gens
hyperimportants, nos enseignants, qui,
en passant, passent plus de temps avec mes enfants que moi-même à chaque jour.
Alors, ce sont des personnes qui sont significatives, ils sont très,
très importants.
Mme Yetman
(Heidi) : Oui, bien sûr, oui.
M. Lafrenière :
Et, si on prend la même logique, si on part de tout ça, on part du fait aussi
que les enseignants passent beaucoup
de temps... c'est des personnes qui sont très significatives. Moi, le point que
je veux vous amener à réflexion, vraiment un point à réflexion, je me dis,
lorsqu'un enfant veut... Parce que vous l'avez dit, je suis persuadé que, dans
votre carrière de professeur, il y a des enfants qui se sont approchés de vous,
qui vous ont rapporté un événement qu'ils avaient vécu puis ils ont eu
confiance en leur prof. Et la dernière chose que je voudrais... puis je ne veux
pas embarquer dans des statistiques, parce
que je sais que, des fois, il y a une tentation d'aller chercher des chiffres,
puis, pour moi, une victime, ce n'est pas un chiffre, c'est une personne, mais
j'aurais un grand malaise à savoir qu'un enfant pourrait avoir un frein à aller rencontrer son professeur
ou à lui soumettre une problématique qu'il vit à la maison pour un signe,
pour une non-apparence de neutralité.
Et,
moi, ce que je veux vous amener aujourd'hui, c'est juste de penser au fait
qu'un prof avec un signe, avec une non-apparence de neutralité par ce qu'elle
porte, par ce qu'elle envoie comme message, pourrait faire en sorte qu'un
enfant pourrait dire : Je ne devrais
peut-être pas lui parler du fait que j'ai un problème de relation avec mes
parents pour une vision religieuse
parce que mon prof a un signe quelconque, a une non-apparence de neutralité. Je
veux juste amener sur ce point-là, penser à ce petit point-là qui pourrait
faire en sorte qu'un enfant qui a une grande confiance dans son prof
pourrait peut-être être moins à l'aise, dans certains cas, par un signe.
Mme Yetman (Heidi) : Je ne suis pas d'accord. En étant enseignante
moi-même, il y a des élèves qui m'approchaient,
mais il y avait d'autres élèves qui ne m'approchaient pas, et je dirais la même
chose que les enseignants qui portent
des signes religieux. J'ai beaucoup de témoignages à propos de cette
enseignante-là que j'ai parlé parce que je la connais, et je peux vous
donner d'autres témoignages comme de quoi elle a vraiment... elle a touché les
coeurs des enfants, des étudiants...
M. Lafrenière :
...je comprends ce que vous dites. Et je peux me permettre un instant?
Mme Yetman
(Heidi) : Oui.
M. Lafrenière : On ne parle pas des... Je veux juste... Je ne
remets pas en cause sa neutralité ou sa qualité de prof, jamais, jamais, c'est juste dans l'apparence... Et
je sais que je n'ai plus de temps, je pense que j'entends M. le Président qui me fait signe, je
m'excuse...
Le
Président (M. Bachand) : Malheureusement,
puis je m'en excuse.
Mme Yetman (Heidi) : C'est
beau.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Oui, merci beaucoup. Il est tard, on a beaucoup,
beaucoup discuté. Mais savez-vous quoi? Le ministre m'a
beaucoup, beaucoup stimulée dans mes réflexions, alors ça va vraiment,
là... je trouve que c'est un débat d'une telle importance.
Alors,
l'homme est un loup pour l'homme, grave réflexion. L'homme est un loup pour
l'homme. La seule chose pour
l'instant, mais je vais continuer à y penser, c'est que je dirais que, dans ce
cas-ci, c'est plus : l'homme est un loup pour la femme, parce que ce sont les femmes, majoritairement, et on le sait tous et on ne se
fera pas d'histoires là-dessus, les
enseignantes qui vont être touchées, et ça, les chiffres le démontrent, et tout
ça. Alors, l'homme est peut-être un loup pour la femme dans ce sens-là, et, dans ce sens-là, on serait très loin
du concept d'égalité hommes-femmes qui, supposément, serait dans ce
projet de loi là. Moi, quand les avocats disent, en tout respect, j'ai une
autre opinion...
M. Jolin-Barrette : Avec
égards.
Mme David :
Avec égards. Avec égards, j'ai une autre opinion. Merci, M. le ministre ou
monsieur l'avocat.
Donc, l'homme
est un loup pour la femme, et je vais revenir à... et vraiment très stimulant,
la question de la relation privilégiée. Je ne pense pas qu'il ait beaucoup
exercé la profession de professeur, le ministre, mais il a été étudiant, ça,
c'est sûr, puis il a été étudiant en
droit, bon, il a sûrement été influencé. Vous, vous avez été professeure très
longtemps, j'ai été professeure aussi
longtemps, et, oui, on est beaucoup évalués. Puis savez-vous quoi? On est des
supermodèles pour les jeunes qui ont
même 18, 19, 20 ans. Non, M. le ministre, je ne dis pas d'aller étendre ça
jusqu'à l'université puis au postdoctorat.
Ce que je
veux dire, c'est que, justement, parce qu'on est des modèles extraordinaires,
il faut que ces jeunes-là soient
exposés à toutes sortes de modèles. Alors, moi, là, vous voyez, je suis assez
expressive, etc., les commentaires que j'ai
reçus pendant 25 ans, c'est...
bien, des fois, je ne veux pas me vanter, mais les gens appréciaient beaucoup
mon cours, mais la matière était superintéressante, et puis soit parce
que j'étais une femme, soit parce que j'étais une jeune, soit parce que j'avais des enfants, en étant une femme,
en étant professeure puis en faisant 1 000 choses en même temps, soit
parce que j'avais les cheveux de telle
couleur ou que je m'habillais de telle façon, mais c'est ça, justement,
influencer, exactement.
Il a tout à
fait raison, M. le ministre, de dire que c'est une relation privilégiée, et
tant mieux. Mais justement, parce que
c'est une relation privilégiée, il me semble qu'il faut qu'elle soit aussi diversifiée.
Et c'est là qu'on tombe dans une page
très, très sympathique et importante de votre mémoire, quand vous citez le programme
de l'éducation québécoise, le fameux
PFEQ, qui dit, entre autres, «viser une formation globale et diversifiée». Aïe!
Ça serait-u assez plate si on était tous
pareils? On a eu ça, justement, quand on était... les costumes, etc. Ça a
sauté, les costumes dans les écoles. Pourquoi ça a sauté? Pour permettre aux enfants, justement, d'être exposés les
uns les autres et pour une certaine liberté. Pourquoi les profs ne pourraient pas être exposés à cette
même diversité? C'est exactement ce que vous dites, celui d'une collectivité
pluraliste, une formation ouverte sur le monde. Bien, voyons donc, ouverte sur
le monde, comment on peut être ouverts sur le monde dans ce qu'on apprend, ce qu'on lit, les choses qu'on voit dans
les belles images de nos livres, puis ce qu'on a en face de nous, il
faut que ce soit tout pareil?
Excusez, je
donne mon point de vue, mais je voudrais vous entendre. C'est à cause du ministre,
il m'a vraiment fait
réfléchir.
• (18 h 20) •
M. Joly
(Sébastien) : Bien, effectivement, c'est vraiment le point de vue qu'on développe dans le mémoire,
c'est d'indiquer, justement, que ça fait partie... quand on parle de l'école
comme étant un microcosme de la société, bien, on pense que tout le monde, vous devriez être inclus.
Donc, les enfants qui, évidemment, vont à l'école devraient être en mesure de
porter des signes religieux s'ils le veulent, ou pas du tout, ou s'habiller
comme ils veulent, s'ils le veulent, et les enseignants devraient aussi être
inclus là-dedans.
Puis,
lorsqu'on parle du lien privilégié, c'est superimportant, le lien privilégié,
c'est aussi de développer un lien de
confiance avec ses élèves. Puis ce lien de confiance là, que tu portes ou non
un signe religieux, va se développer de façon différente dépendant de la personnalité de l'individu. Puis,
lorsque ma collègue Mme Yetman parlait de la vision des enfants ou de l'interprétation qu'ils ont de
ces signes religieux là, en fait, ils ne voient que la personne et la relation
pédagogique qu'ils ont développée avec leur enseignante ou leur enseignant, ils
ne voient pas le signe religieux, la kippa,
ou le hidjab, ou quoi que ce soit. Et c'est ce lien de confiance là qui est
important. Et le fait que l'enseignant porte ou non un signe religieux n'a absolument rien à voir avec sa capacité de
développer ce lien de confiance là, avec l'influence positive qu'il peut
avoir sur les élèves.
Puis,
lorsqu'on parle des élèves qui peuvent se voir aussi, s'identifier... une jeune
femme s'identifie à une enseignante
féminine qui l'a inspirée, une jeune fille qui porte le hidjab peut
s'identifier de façon positive, comme ça a été le cas pour l'enseignante dont parlait... Nadia, peut s'identifier de
façon positive à cette enseignante-là en disant : Oui, moi aussi, je pourrai prendre ma place dans la
société, moi aussi, je pourrais devenir enseignante, éventuellement. Et c'est
ce qui nous inquiète avec le projet de loi n° 21 et l'inclusion des enseignants qui y est faite, au niveau de
l'interdiction des signes religieux,
du port des signes religieux, c'est que ces jeunes filles là qui pourraient
rêver de devenir enseignantes, bien, n'auront pas accès à cette
possibilité-là dans le futur et pour aucun motif supérieur ou pour aucune
justification raisonnable, dans la mesure
où, on l'a dit et plusieurs l'ont dit, il n'y a aucune donnée, aucune
recherche, aucune étude qui prouve qu'il y a un problème.
Et nous,
lorsqu'on parlait des plaintes, là... lorsqu'il y a des plaintes envers un
enseignant, on est un syndicat, on le sait assez rapidement, et puis il y a eu zéro
plainte. Il y a une plainte, là, qui a été rapportée par la CSQ. Pour les
10 commissions scolaires que nous couvrons,
là — en fait,
on représente les enseignants des 10 commissions scolaires anglophones — il y a zéro plainte en lien avec le port des
signes religieux ou toute forme de prosélytisme, là, qui peut...
Le Président
(M. Bachand) : Merci. Mme la députée.
Mme David :
Oui. Justement, on revient à cette relation privilégiée, et vous dites :
Une jeune fille qui pourrait provenir
d'une famille... qui porte un signe religieux et qui pourrait, justement, se
dire : Ah! mon professeur est comme moi, puis c'est un modèle dans la société. J'entendais tous ceux qui ont
dit, à l'élection de Barack Obama : C'est extraordinaire. Moi, je
pleurais quand j'ai vu Barack Obama venir faire son discours devant... il y
avait 1 million de personnes, je
pense — ce n'est
pas ce que dit le président actuel américain, mais disons qu'il y avait
1 million de personnes — et qui avait ses deux jeunes
filles avec lui, sa femme, etc...
(Interruption)
Mme David : ... — woupelaïe! — et donc c'est vraiment une question d'un
modèle pour que les jeunes Noirs peuvent s'identifier et dire : Moi
aussi, je peux devenir président des États-Unis.
Je
cherche encore et, en tout respect, j'essaie de comprendre pourquoi c'est
dangereux d'avoir un professeur qui a des
signes distinctifs, qu'ils soient religieux, d'orientation sexuelle. On a eu un
témoignage incroyable, ce matin, de la porte-parole
de Québec solidaire sur le projet de loi n° 21, très émouvant
d'ailleurs, sur sa différence par rapport à son orientation sexuelle. Alors, parlez-m'en, justement, de ces professeurs
différents. Vous avez dû en côtoyer, vous aussi. Ce n'est pas... Qu'est-ce que c'est, différent, de toute façon, par
rapport à... Qui est différent de qui? On est tous différents les uns
des autres.
Mme Yetman (Heidi) : Aussi, qu'est-ce qui est aussi important, c'est
que vous aussi, vous êtes assis en arrière de ce siège ou en arrière du banc, là, puis vous êtes un leader qui est
une femme, et c'est superimportant pour les jeunes, les jeunes femmes de voir
des leaders qui sont femmes aussi. Et ça, c'est pourquoi aussi, là, quand on
voit une femme dans la salle de classe qui porte le hidjab, c'est
superimportant pour ces jeunes-là.
Je
dirais la même chose avec LGBTQ. Si vous avez un prof qui est LGBTQ, puis toi
aussi, tu l'es, dans la classe tu as quelqu'un que tu peux dire :
Hé! regarde ça, il y a quelqu'un que je peux avoir... identifier avec. Alors,
c'est superimportant, ces choses-là. Même chose avec des enseignants qui ont
peut-être un handicap, c'est superimportant.
Mme David :
...une dernière question, parce que le temps file vite, hein? Et ça, vous êtes
les premiers à vraiment rapporter une étude réalisée par deux
chercheuses de Stanford — ce
n'est quand même pas la dernière université, là, Stanford — et
rapportée par quelqu'un de l'École d'économie de Paris — bon,
bien, ça aussi, ce n'est pas rien — et
l'École des hautes études en sciences
sociales, ce qui est une grande école en France, et qui parle des conséquences non voulues de cette
interdiction totale du port du voile et d'autres signes religieux, autant pour
les élèves, d'ailleurs, et c'est très inquiétant — parce qu'ils l'ont, le recul, ils l'ont, le
recul, profitons de pays qui ont du recul là-dessus, justement : le nombre
de jeunes filles déclarant avoir été victimes de racisme ou de discrimination
s'est accru, la confiance dans l'école a diminué, le sentiment d'identité
nationale s'est accru, les jeunes enquêtés déclarant un attachement plus fort
au pays d'origine. Alors, c'est pas mal à l'opposé de ce qu'on cherche et qu'on
espère par le projet de loi n° 21.
Le
Président (M. Bachand) : M. Joly.
M. Joly (Sébastien) : Oui. Bon, en fait, on a trouvé ça, cette
étude-là, vraiment intéressant parce que, justement, c'est une étude qui est très récente, janvier
2019, et c'est une étude aussi qui rend compte des conséquences de l'adoption
de la loi en 2004 en France, qui est
beaucoup plus, je dirais, restrictive que le projet de loi n° 21, mais, quand même, on pensait
que c'était pertinent d'amener cet exemple-là. C'est deux chercheuses de
l'Université de Stanford, qui sont sérieuses, qui ont fait une étude sérieuse sur une période de 15 années, et elles
ont comparé les générations des jeunes filles et des jeunes femmes qui
sont entrées dans le système scolaire avant l'adoption de la loi et celles qui
sont rentrées après l'adoption de la loi, et
puis voici les conséquences non voulues. Puis on trouvait aussi un parallèle
intéressant parce que, d'une part, la
majorité des Français ont appuyé le projet de loi, comme c'est le cas ici. La
majorité des Québécois ont dit qu'ils
appuient le projet de loi, que les intentions étaient bonnes. Et en fait l'une
des intentions, parmi tant d'autres, là, mais l'une des intentions, c'était justement d'aider ces jeunes filles
dont on pensait qu'elles se faisaient imposer le port du voile. Et ce à quoi ça a résulté, c'est que ça a
résulté à une exclusion, une ghettoïsation davantage de ces jeunes filles et,
en fait, une diminution du nombre de jeunes femmes portant le hidjab sur le
marché du travail.
Et
donc on sait tous que, si on veut intégrer des personnes à la société, le
marché du travail, c'est le moyen privilégié d'intégration, que ce soient des immigrants ou de toute personne dans la
société. Si on adopte une loi qui, éventuellement, va les amener à ne pas intégrer le marché du
travail, ne pas avoir accès à certaines professions... C'est là qu'on voyait la
pertinence de cette recherche-là, et, si vous voulez qu'on la dépose, on peut
la déposer.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Joly. M.
le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Oui, je vous remercie. Oui, j'aimerais ça que vous la déposiez, cette étude. Je
ne sais pas si ça peut être...
Document déposé
Le
Président (M. Bachand) : ...sinon, vous la ferez parvenir.
Parfait. Merci beaucoup.
M. Zanetti :
Parfait, je vous remercie. J'ai bien hâte qu'on parle de loup ensemble, plus
tard, dans l'étude article par article. Ça, ça va être drôle, tiré hors
contexte, là.
On a une querelle sur
les moyens. Tout le monde est d'accord avec la liberté de conscience, tout le
monde est d'accord avec la laïcité, ça ne
pose aucun problème. Le gouvernement dit : Pour faciliter, améliorer la
liberté de conscience des élèves, il
faut interdire les signes religieux. On est profondément en désaccord. Qu'est-ce
que vous leur proposeriez comme autre solution? Qu'est-ce que l'école
peut faire pour contribuer à la liberté de conscience des jeunes et qui
fonctionnerait vraiment?
Mme Yetman
(Heidi) : Bien, ça se passe présentement comme ça.
M. Zanetti :
...quoi?
Mme Yetman (Heidi) : Bien, on est des professionnels, on a étudié à
l'université, on utilise le sens critique quand on enseigne les élèves. Présentement, le curriculum est neutre... bien,
sauf si vous prenez la religion, mais, même à ça, les institutions
scolaires sont laïques. Il n'y a pas de problème, il n'y a rien à... Si je
comprends votre question, là, c'est qu'il n'y a rien qui va mal, là, quand ça
vient de la laïcité dans nos institutions d'éducation, présentement.
• (18 h 30) •
M. Zanetti :
Je vous remercie. C'est bon de vous l'entendre dire, parce que vous avez le
regard du terrain. Il n'y a personne d'autre mieux placé que vous pour
savoir ça. Il y a des enseignantes qui vont peut-être vouloir contester
légalement, là, cette loi-là. Est-ce que vous avez pensé à si vous alliez les
soutenir, comme institution syndicale?
Mme Yetman (Heidi) : C'est ça, notre job. Comme syndicat, on supporte
nos membres et on va les supporter, c'est sûr.
M. Zanetti : Pensez-vous que ce projet de loi là va mettre le
couvercle sur quelque chose ou est-ce que vous pensez que le débat
n'est pas terminé et il va juste faire prendre la voie des tribunaux?
Mme Yetman (Heidi) : Ah! bien, le débat n'est pas terminé, ça, c'est
vrai. Moi, je n'ai pas beaucoup de connaissances
quand ça vient des tribunaux, et tout ça, là, sauf que je... Oui, vas-y,
Sébastien... Je veux juste finir puis dire
qu'on reçoit des appels des enseignants qui ne sont pas d'accord avec la loi.
Et notre exécutif aussi, qui sont tous les membres du... tous les présidents des membres nous disent aussi que les
gens dans nos écoles ne sont pas contents puis, généralement, nos membres sont contre le projet de loi n° 21. Il y en a qui sont pour, mais, généralement, ils sont contre.
Puis nous autres, on...
Le Président (M. Bachand) : Le temps est écoulé, mais, M. Joly,
rapidement, je vous laisse quand même la parole, s'il vous plaît.
Mme Yetman
(Heidi) : Oui, pardon.
M. Joly (Sébastien) : Bien, en fait, il y a différents articles, là,
qui sont sortis récemment, là, entre autres un dans le Globe and Mail,
où on parle de plusieurs experts... on n'est pas des juristes, mais de
plusieurs juristes qui croient qu'il y
aurait matière même à contester la loi n° 21 et l'utilisation de
la clause dérogatoire, là, qui en est faite. Donc, on ne pense pas que le débat va être terminé, d'une part,
dans notre société, mais on ne pense pas que même le débat juridique va être terminé, qu'on va mettre le couvercle
avec l'utilisation de la clause dérogatoire parce qu'il y a plusieurs
experts qui se sont prononcés en disant qu'il y aurait probablement matière à
poursuite.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Joly. M.
le député de René-Lévesque, s'il vous plaît.
M. Ouellet : Merci beaucoup. À moi de conclure cette semaine de la laïcité. Madame
messieurs, je ne veux surtout pas que
mon commentaire vous donne l'impression de mettre en opposition le réseau
scolaire francophone et anglophone. Tout
à l'heure, les gens de la commission scolaire nous ont parlé beaucoup de choses
qui étaient inapplicables. Dans votre mémoire, vous parlez beaucoup de
liberté, liberté de choix et de quelle façon ça atteint vos membres.
J'aimerais par
ailleurs vous entendre... Dans le réseau anglophone, que vous représentez,
est-ce qu'il y a des difficultés
d'application? Tout comme la Fédération
des commissions scolaires a essayé, tenté de nous dire tout à l'heure en disant : Si on souscrit à la loi telle que
présentée par le ministre, voici de quelle façon, pour nous, comme commissions
scolaires, ça sera inapplicable parce qu'on a des zones grises, parce qu'il y a
des zones d'ombre, parce qu'il y a des imprécisions,
est-ce que, dans votre réseau, vous sentez cette même... voyons, est-ce que
vous êtes capables de l'appliquer? Merci. Aïe! C'est moi qui ai de la
misère en français, puis vous êtes... Merci beaucoup.
Mme Yetman (Heidi) : Moi, c'est l'anglais. Bien, on n'est pas là pour
parler des commissions scolaires, mais je sais que la plupart de nos
membres sont sur l'île de Montréal. Les deux grosses commissions scolaires de
l'île de Montréal, ils ont été...
publiquement en disant qu'ils sont contre le projet de loi. Mais, c'est ça,
moi, je suis ici pour parler pour les
enseignantes et les enseignants, alors je ne peux pas savoir comment ça va être
appliqué, mais je pense qu'ils sont contre le projet de loi, les deux
grosses commissions scolaires de Montréal.
M. Ouellet :
Allez-y. Oui, oui.
M. Joly (Sébastien) : L'Association des commissions scolaires
anglophones, on a eu des échanges avec eux, un peu le pendant de la fédération des commissions
scolaires francophones, et puis, bon, ils se prononcent contre le projet de
loi, un petit peu... une position
semblable à la nôtre. Mais évidemment toutes les mêmes difficultés
d'application vont se retrouver dans le réseau anglophone comme dans le
réseau francophone, là. Il n'y a pas vraiment de différence, là.
M. Ouellet : Le gouvernement est majoritaire. Vous savez que la loi va probablement
passer, dû à la majorité du gouvernement.
Croyez-vous que... de vos membres vont défier la loi? C'est-à-dire que, même si
les signes religieux sont interdits, avez-vous
le sentiment que certains de vos membres vont défier la loi et se présenter au
travail avec des signes religieux?
Mme Yetman (Heidi) : Ça, je ne peux pas savoir, mais je sais que les
commissions scolaires, ils ont déjà dit que... en tout cas, ils ont dit publiquement qu'ils n'étaient pas pour suivre
la loi, là, mais ça, ce n'est pas... C'est tout ce que je sais.
Une voix : ...
Mme Yetman (Heidi) :
Oui, ce n'est pas...
M. Ouellet : Et, comme syndicat, je comprends bien, et je
termine là-dessus, vous n'allez pas promouvoir vos membres de ne pas
respecter la loi. Ça, je comprends bien ça, là?
Mme Yetman (Heidi) :
Non, on ne ferait pas ça, mais on va être là pour les défendre s'il y a un
problème, absolument.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Merci, d'abord, de votre implication, votre participation au
sein de la commission.
Cela dit, la
commission ajourne ses travaux au
vendredi 10 mai 2019, à 10 heures, où elle va entreprendre un autre
mandat. Merci infiniment.
(Fin de la séance à 18 h 35)