(Dix heures quatre minutes)
Le Président (M. Bachand) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue.
Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite la bienvenue encore une fois. Et je demande, bien sûr,
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs appareils électroniques.
La
commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21,
Loi sur la laïcité de l'État.
Avant de débuter, Mme
la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire :
Oui, M. le Président. M. Lévesque (Chapleau) est remplacé par M. Skeete
(Sainte-Rose); M. Martel
(Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Lévesque (Chauveau); Mme Anglade
(Saint-Henri—Sainte-Anne)
est remplacée par Mme David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla
(Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et
M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous allons débuter par
les remarques préliminaires, et par
la suite nous entendrons l'organisme Pour les droits des femmes du Québec, et
également, après, nous entendrons Mme Benhabib et
Mme Mailloux.
Comme la séance a
commencé à 10 h 5, y a-t-il consentement pour poursuivre nos travaux
au-delà de l'heure prévue, soit jusqu'à 12 h 5, s'il vous plaît?
Consentement. Merci.
Remarques
préliminaires
J'invite maintenant
le ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion à faire ses
remarques préliminaires. M. le ministre, bienvenue. Vous disposez de
5 min 34 s. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Simon
Jolin-Barrette
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Chers collègues députés,
membres du public qui assistent à nos travaux, il me fait plaisir
d'entamer aujourd'hui avec vous les consultations particulières sur le projet
de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État. Il s'agit d'une étape importante, au cours de
laquelle nous aurons l'occasion d'entendre des organismes, des groupes, des citoyens et des experts dont les
points de vue seront variés. Nous aurons l'occasion d'entendre 36 groupes
sur six jours, six journées. Certains seront
favorables; d'autres, défavorables. Certains trouveront que le projet de loi va
trop loin; d'autres, pas assez.
Au
gouvernement, nous estimons qu'il s'agit d'un projet de loi équilibré et
modéré, et c'est dans cet esprit que nous
allons accueillir les différents points de vue. Nous avons cependant la volonté
ferme de respecter nos engagements pris
envers les Québécois et les Québécoises. Ces engagements se retrouvent dans le
projet de loi n° 21 : inscrire dans nos lois le
principe de laïcité, et donc séparer l'État des religions; interdire le port de
signes religieux pour certaines personnes en position d'autorité, y compris les
enseignants et les directeurs d'école; faire en sorte qu'au Québec les services
publics soient donnés et reçus à visage découvert.
Le
Québec est rendu là, à inscrire formellement dans ses lois que l'État et les
religions, c'est séparé. Cette laïcité repose
sur quatre grands principes : la séparation de l'État et des religions, la
neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et
citoyennes et la liberté de conscience et la liberté de religion.
J'aimerais profiter
de ces remarques préliminaires pour poser quelques-uns des éléments qui, selon
moi, devraient orienter nos discussions.
Tout
d'abord, je crois qu'il y a lieu d'insister sur le fait qu'il s'agit d'un
dossier important pour tous les Québécois et les Québécoises, peu importent les allégeances politiques. À preuve, au
cours des 10 dernières années, sept projets de loi sur les rapports entre
l'État et les religions ont été déposés par des députés représentant les quatre
formations politiques actuellement
présentes à l'Assemblée nationale. Je pense donc que tous les partis sont
d'accord pour dire que c'est de notre
responsabilité, en tant que législateurs, de décider de quelle manière les
rapports entre les religions et l'État doivent être organisés au Québec.
Comme
je l'ai mentionné lors du dépôt du projet de loi, il revient au gouvernement du
Québec d'assumer notre caractère distinct et de faire respecter nos
choix collectifs. L'Assemblée nationale, plutôt que les tribunaux, est donc le
lieu approprié pour faire un choix de société aussi fondamental que la laïcité
de l'État. C'est dans cette logique que s'inscrit
le recours aux dispositions de dérogation. Ces dispositions sont prévues dans
les chartes des droits, et le projet de loi respecte les balises qui y
sont associées.
Ensuite,
ce débat ne date pas d'hier. Depuis plus de 10 ans, nous débattons de
cette question, au Québec. Ce débat a
été très long, et différentes positions ont pu se faire entendre, se faire
valoir. Mais il vient un moment où les élus doivent prendre leurs
responsabilités, et c'est ce que propose le projet de loi n° 21.
La nation québécoise a
choisi l'action dans le dossier de la laïcité et des signes religieux lors des
dernières élections générales. En effet, le
choix de la nation québécoise, le 1er octobre dernier, a démontré
clairement la volonté de changement
et de procéder aux réformes qui s'imposent. Votre gouvernement respecte donc sa
parole et répond aux aspirations légitimes des Québécois et des
Québécoises en matière de laïcité de l'État.
J'insiste sur
l'importance de l'action du gouvernement du Québec dans ce dossier. Ce projet
de loi, pour la première fois de notre histoire, inscrit officiellement
la laïcité de l'État dans nos lois et notamment dans la Charte des droits et libertés de la personne. Ce projet de loi est le
résultat d'un parcours historique, d'un processus évolutif propre au Québec.
La laïcité de l'État est la suite logique de la Révolution tranquille et de la
déconfessionnalisation du système scolaire québécois.
Le Québec est distinct du Canada et du reste de l'Amérique du Nord. Ce projet
de loi n° 21 établit un modèle typiquement québécois de la laïcité qui définit
les rapports entre l'État et les religions. Le Québec est une nation. Plus
personne ne conteste cette réalité et notre
droit fondamental de décider de notre avenir et des orientations de notre
société.
• (10 h 10) •
Le gouvernement
du Québec est convaincu d'avoir
trouvé un juste équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. Cet équilibre est aussi le reflet de
notre évolution des 50 dernières années. Ce projet de loi concerne un
nombre limité de personnes, soit les
personnes en position d'autorité, et prévoit accorder un droit acquis pour les
individus concernés. Ainsi, une
personne actuellement en poste pourra continuer à porter un signe religieux
tant qu'elle conserve le même poste dans la même organisation.
J'invite tous
les parlementaires à faire preuve d'ouverture comme l'a fait d'emblée le gouvernement. Au cours des 15 dernières années, les gouvernements
précédents n'ont pas réussi à traduire et à mettre en oeuvre la volonté du
peuple québécois d'établir un cadre
laïque pour l'État. Les Québécoises et les Québécois peuvent être fiers de ce
projet de loi, car il permettra de tourner la page sur ce dossier.
M. le
Président, chers collègues députés, je nous souhaite de bons débats, de façon
sereine et dans le respect de toutes les opinions. Merci, M. le
Président.
Le
Président (M. Bachand) :
Bien, merci beaucoup, M. le ministre. J'invite maintenant la porte-parole de
l'opposition officielle et députée de Marguerite-Bourgeoys à faire ses
remarques préliminaires, pour une durée de 3 min 43 s. Mme la
députée, s'il vous plaît.
Mme Hélène David
Mme David :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, oui, nous entamons aujourd'hui, et le
ministre l'a dit, un mandat très délicat, très, très délicat, un mandat
essentiel. Essentiel à quoi? Essentiel au vivre-ensemble, essentiel à
l'inclusion. Ce n'est pas qu'au Québec qu'il y a ce problème et cette réflexion
sur comment, comment inclure le vivre-ensemble
dans la société. On se la pose, au Québec, on a, oui, une société distincte,
mais on se la pose partout dans le
monde. Et vous ne serez pas surpris que je dise que la réponse du projet de loi
doit être une réponse humaine, humaine avant tout. Ce sont des êtres
humains à qui on va enlever des droits fondamentaux.
Alors, la
question du vivre-ensemble est au coeur, le ministre est d'accord. Le seul
problème, c'est que nous n'avons pas la même réponse à cette question du
vivre-ensemble.
Notre population est de plus en plus riche de
cultures diverses. Les sociétés sont vieillissantes. Les villes s'agrandissent
et se diversifient. Alors, la vision du vivre-ensemble du gouvernement
s'incarnera, pour le Québec, à travers ce
projet de loi. C'est sa vision. Plusieurs visions sociales et politiques de
l'inclusion s'opposeront, au cours des prochains jours, c'est vrai et c'est
normal, il y a beaucoup de visions du vivre-ensemble. C'est l'histoire de
l'humanité, le vivre-ensemble. Il faut être conscient que ce sont des
discussions menées partout sur la planète.
Au Québec, on a une identité forte, on a un
héritage francophone très fort, on a une histoire qui est bâtie sur l'addition
des forces, l'addition dans la diversité et dans l'inclusion. Au Parti libéral
du Québec, nous ne sommes pas d'accord avec
le projet de loi du ministre. Des questions fondamentales sont en jeu dans
celui-ci, nous nous assurerons de les protéger jusqu'au bout.
Et nous aussi...
Depuis le début, je plaide pour que ce débat se fasse dans la sérénité, dans le
calme. En même temps, le ministre dit : Il faut que le projet de loi soit
rassembleur. Nous le voulons tous, qu'il soit rassembleur, parce qu'on parle
du vivre-ensemble. Le danger, c'est que ce
projet de loi, et on le voit jusqu'à maintenant, divise plus, malheureusement,
qu'il ne rassemble.
La deuxième
chose, il faut qu'il soit applicable. Quand on dit un projet de loi applicable,
et j'ai posé beaucoup, beaucoup de
questions au ministre, notre parti est celui qui, de loin, a posé le plus de
questions jusqu'à maintenant par rapport
à ce projet de loi, applicable, pour l'instant, on a beaucoup plus, disons-le,
de questions que de réponses. J'espère qu'à
travers les échanges qu'on aura avec les différents groupes on pourra justement
avoir un certain nombre de questions posées et un certain nombre de
réponses qui seront apportées.
Et la
Coalition avenir Québec dit que le projet de loi est modéré. Alors, quand on
regarde dans la définition du dictionnaire,
et qu'on a quelqu'un d'aussi important, unanimement, je pense, estimé au Québec,
c'est Gérard Bouchard, et qui dit lui-même,
et il viendra le redire, que le projet de loi est radical, je ne pense pas
qu'il y ait aucun dictionnaire ni au
Québec ni dans le reste du monde qui dise que le mot «radical» est synonyme du
mot «modéré». Alors, il va peut-être falloir se décider. Ou c'est un
projet de loi radical, tel que le dit M. Bouchard, ou c'est un projet de
loi modéré.
Alors, je
pense qu'à travers les gens qui viennent nous écouter, à travers les gens qui
viennent nous parler, à travers tous
les journalistes qui vont en parler, à travers le travail de parlementaires
essentiel, de quelque côté qu'on soit de cette Chambre, il va falloir
travailler avec beaucoup de rigueur, beaucoup de professionnalisme et être
conscients que nous
sommes tous et toutes ici dans un lieu absolument privilégié d'élus
démocratiquement, élus pour regarder ensemble une grande partie de
l'avenir du Québec, c'est-à-dire le vivre-ensemble.
Alors,
c'est normal qu'il n'y ait pas unanimité, il n'y a pas une société où il y a
unanimité par rapport à ça, mais je
pense qu'au Québec on peut se montrer, comme on s'est souvent montré, rassembleurs, on peut se montrer
dans l'inclusion des nouveaux
arrivants puis on peut se montrer comme une grande société,
qui a fait beaucoup, beaucoup de chemin
depuis 100 ans, j'oserais dire, qui continue à en faire. Mais nous aurons
forcément des questions importantes à poser quant au projet de loi n° 21.
Alors,
je nous souhaite à tous et à toutes des débats constructifs, des débats très riches
de contenu et des débats dans la sérénité. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup, Mme la députée. Je cède maintenant la parole au député de Jean-Lesage, porte-parole du deuxième
groupe d'opposition, pour ses
remarques préliminaires, d'une durée de 56 secondes. M. le député.
M. Sol
Zanetti
M. Zanetti : Ce projet
de loi là n'est pas dans la suite
logique de la Révolution tranquille et de l'histoire du Québec. Les Lesage, les René Lévesque, les
Jacques Parizeau n'auraient jamais joué dans ce film-là.
En
1975, on a fait quelque chose qui a marqué notre identité, une action
collective, on a mis sur pied, bien avant le Canada, la charte
québécoise des droits et libertés de
la personne. On y a inscrit nos valeurs, on y a inscrit notre
identité. Tout le monde était d'accord avec, tous les partis à l'Assemblée
nationale, ça ne faisait pas de débat.
Et
aujourd'hui, cette charte-là, on est en train de la renier,
de trahir ses fondements et ses principes. Et ça n'a rien à voir avec la
suite de quelconque révolution que ce soit. Merci.
Le Président (M. Bachand) : Merci. M.
le député de Matane-Matapédia, je vous invite à faire vos remarques préliminaires, pour aussi
une durée de 56 secondes. M. le député, s'il vous plaît.
M. Pascal
Bérubé
M. Bérubé : Merci, M.
le Président. Le Parti québécois est en faveur de la laïcité de l'État sans ambiguïté, de façon
assumée. C'est une décision qu'un État prend de façon confiante.
Le gouvernement de la
première ministre Pauline Marois a été le premier à vouloir légiférer avec le projet
de loi n° 60. J'étais membre de ce gouvernement, et c'était une initiative importante. Aujourd'hui, un autre gouvernement propose une loi
pour aller dans le sens de la laïcité. Nous assurons au gouvernement notre collaboration pour adopter la meilleure pièce législative possible. Tel est
notre rôle de parlementaires.
Toutefois,
deux enjeux nous guideront dans nos échanges et dans l'étude de ce projet de loi : la cohérence et le pragmatisme. Pourquoi assujettir les enseignants
à la loi mais pas les éducateurs et éducatrices en service de garde? N'est-ce pas là des personnes en autorité? Pourquoi
assujettir le réseau public scolaire mais pas le réseau public privé, qui compte, en plus, des écoles confessionnelles?
Ça fait partie des questions qu'on va poser et des amendements
également.
Pragmatisme.
Une loi, pour qu'elle soit bonne et efficace, doit être applicable dans le
réseau scolaire, dans les commissions
scolaires et avec l'État. Il nous
tarde de connaître les règles d'application de cette loi. Le succès sera mesuré
ainsi.
Alors, en conclusion,
dans ce printemps de la laïcité, nous souhaitons contribuer positivement à
adopter la meilleure loi possible d'ici la fin de la session parlementaire.
Auditions
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup, M. le député. Nous allons débuter, maintenant, les auditions. Je souhaite donc la bienvenue aux représentantes de l'organisme Pour les droits des femmes du Québec.
Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange
avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter
puis à commencer votre exposé. Encore une fois, bienvenue.
Pour
les droits des femmes du Québec (PDF Québec)
Mme Guilbault
(Diane) : M. le Président, Mmes et MM. les parlementaires. Donc, je
suis Diane Guilbault, présidente de Pour les
droits des femmes du Québec. Et je suis accompagnée par Leila Lesbet, qui est
membre du conseil d'administration
et membre fondatrice de PDF Québec. Elle est également intervenante en
milieu scolaire.
PDF Québec est un organisme féministe, mixte, non
partisan et en faveur de la laïcité. Plus de 600 personnes d'une
grande diversité d'origines font partie de notre organisation.
C'est
chaque fois un honneur que d'être invités dans cette enceinte, au coeur de
notre démocratie. L'adoption de lois est un processus noble qui exige de
la hauteur et de la rigueur, et c'est dans cette perspective que s'inscrivent
nos commentaires sur le projet de loi sur la laïcité.
• (10 h 20) •
D'entrée de
jeu, disons que PDF Québec appuie ce projet de loi, projet de loi attendu,
annoncé pendant la campagne électorale et souhaité par une forte majorité de
Québécoises et de Québécois de toutes origines. Je le souligne et je le répète,
les femmes et les
hommes qui appuient ce projet sont soit nés ici soit nés ailleurs, croyants,
incroyants, pratiquants ou non pratiquants.
Bref, la majorité qui appuie ce projet de loi est une parfaite représentation
de ce que signifie le concept de majorité dans une démocratie.
Quant à nous,
à PDF Québec, une des motivations importantes derrière notre engagement en
faveur de la laïcité, c'est le droit
à l'égalité des femmes. Ce droit à l'égalité, gagné tout récemment et de haute
lutte, ne peut exister dans un contexte
de loi religieuse. C'est en s'émancipant des pouvoirs religieux que les femmes
ont eu droit à l'égalité, un droit qui
s'est construit pas à pas, et chaque fois contesté par le religieux. Je fais
quelques rappels : la modification de la capacité juridique de la femme mariée en 1964, la reconnaissance du mariage civil
célébré par un officier laïque en 1968 et l'égalité des époux en 1980,
la décriminalisation de la contraception en 1969 et la décriminalisation de
l'avortement en 1989.
L'inclusion
du principe d'égalité entre les hommes et les femmes dans la Charte des droits
et libertés est toute récente, 2008.
Le droit à l'égalité des femmes est un droit fragile, sans cesse remis en question,
et, quand il est remis en question au nom de la religion, on dirait que
l'État, les tribunaux, les institutions n'osent plus l'affirmer et préfèrent appuyer le dogme religieux. Je donne des
exemples : le scandaleux accommodement dit raisonnable qui a été accordé à la Société
d'assurance automobile eu égard à sa directive qui propose des modalités
alternatives à ceux qui refusent de faire
affaire avec une femme. La ségrégation raciale est interdite, Dieu merci, mais,
en vertu de cet accommodement endossé par
la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en 2009,
la ségrégation sexuelle devient acceptable. Autres exemples : la Fédération des médecins spécialistes du Québec
a rapporté qu'il est parfois devenu impossible pour un médecin d'exercer son métier puisque sa seule
présence provoque l'ire d'un mari, ce qui favorise la ségrégation sexuelle;
la Cour suprême qui a jugé que la demande de
garder en cour le voile intégral, le niqab ou la burqa, pouvait être recevable
dans certains cas. Et enfin un autre exemple
récent : une femme qui, avant même d'être citoyenne canadienne, a contesté
la loi pour finalement gagner le droit de prêter serment de citoyenneté à
visage couvert avec son niqab.
Il est
consternant de voir que des dogmes religieux contraires au droit à l'égalité
des femmes soient ainsi reconnus par
l'État et même par des organismes de défense des droits de la personne. C'est
dire que ces dogmes religieux font encore partie de l'État et que la séparation du pouvoir religieux du pouvoir
démocratique n'est pas achevée. Une loi sur la laïcité est donc nécessaire, et nous nous réjouissons des
modifications à la charte québécoise des droits et libertés de la personne
qui incluent dorénavant la laïcité.
Le projet de
loi n° 21 répond donc à de nombreuses attentes de la société québécoise,
mais il devrait être renforcé par
quelques modifications. Concernant les accommodements religieux, nous sommes
d'avis que les critères actuels pour dire
qu'un accommodement est raisonnable sont inadéquats quand il s'agit
d'accommodements religieux qui remettent en question des règlements, des lois qui ont fait l'objet d'un processus
démocratique. Le problème, avec les demandes d'accommodements religieux, c'est qu'elles sont basées sur des lois
religieuses qui viennent en contradiction avec des lois humaines démocratiques.
Les requérants invoquent leur loi divine, qui aurait préséance sur nos lois.
Or, ces lois démocratiques sont des choix de
société, et, comme le rappelait, en 2013, l'ancien ministre libéral
M. Benoît Pelletier, on peut se
demander dans quelle mesure on ne devrait pas mieux évaluer le fait qu'une
demande d'un individu, au nom de sa liberté religieuse, puisse remettre
en question des choix de société.
Prenons
l'exemple des demandes de certains sikhs à l'effet d'être exemptés de
l'obligation du casque de sécurité en
vertu du Code de la route ou en vertu de la Loi sur la santé et sécurité au
travail. Ces lois obligeant le port de casque sécuritaire sont, en fait,
un contrat social. S'il y a un accident, toute la société s'engage à soutenir
financièrement la victime ou à soutenir ses
héritiers. En contrepartie, les citoyens et les citoyennes s'engagent à
respecter des règles minimales de
sécurité pour prévenir des accidents graves. Pourquoi un tel contrat social
pourrait-il être modifié sur la seule demande d'une personne qui invoque
sa liberté religieuse?
Les choix de
société peuvent être remis en question, mais on peut légitimement se
questionner sur le fait qu'une personne
puisse s'en exempter automatiquement sur la seule foi de sa croyance. De plus,
ces demandes faites au nom de la
religion, quand elles sont acceptées pour une personne en particulier, sont
automatiquement accordées aux personnes appartenant au même groupe
religieux. Ce sont pourtant les individus qui ont des droits, mais les accommodements
religieux sont devenus une façon détournée
de reconnaître des droits à des groupes, même si ceux-ci n'ont aucun droit
en tant que groupe.
Une loi
sur la laïcité ne peut avoir de sens si elle permet encore que des règles
religieuses puissent arbitrer les rapports de l'État avec ses citoyennes
et citoyens. La loi n'est malheureusement pas claire à ce sujet, les femmes
restent donc particulièrement vulnérables.
C'est pourquoi PDF Québec souhaite que la Loi sur la laïcité de l'État
spécifie qu'aucun accommodement religieux ne peut être accordé s'il
enfreint le principe de laïcité, le principe de séparation de l'État et des religions, le principe de l'égalité des
citoyens et des citoyennes et le principe de la neutralité religieuse de
l'État.
Mme Lesbet
(Leila) : Pour l'école, nous
demandons à ce que la loi soit plus cohérente. La responsabilité de l'école
est de former les futurs citoyennes et
citoyens et non pas des croyants. Le Québec a demandé un amendement
constitutionnel pour faire en sorte
que les élèves ne soient plus, d'abord, considérés comme des catholiques, des
protestants, des Juifs, des
musulmans, des sikhs, des non-croyants mais des citoyennes et des citoyens. Cet
idéal citoyen ne peut se réaliser avec une équipe-école où chaque
confession religieuse s'affiche.
Il est important de rappeler que la présence du
crucifix dans une classe a été jugée attentatoire à la liberté de conscience des enfants. Si le caractère
attentatoire du crucifix a été reconnu par les tribunaux, que dire alors du caractère
attentatoire d'un symbole religieux porté par l'enseignant, avec qui l'élève a une relation affective, il doit
regarder constamment, et qui, de plus, incarne l'autorité?
Ce constat
est au moins aussi vrai pour les enfants dans les services de garde, confrontés
à des éducatrices et des éducateurs portant des symboles religieux
ostentatoires. Les jeunes enfants et les élèves sont pris en charge sur une longue durée et
apprennent à vivre ensemble à un âge où ils sont perméables et sujets aux
influences et pressions extérieures. En
principe, l'école existe pour leur apprendre à développer leur esprit critique,
à acquérir certains outils intellectuels qui leur permettront de forger une idée personnelle sur le monde.
L'expression des convictions religieuses des adultes qui en ont la
responsabilité ne doit pas leur être imposée et être admise dans ce contexte.
Compte
tenu de tout cela, nous comprenons difficilement que l'ensemble de
l'équipe-école ne soit pas soumise aux
exigences de neutralité. Il y a là un manque de cohérence évident. PDF Québec
croit qu'il faut que l'obligation de neutralité
s'applique à toute l'équipe-école et, pour les mêmes raisons, devrait être
étendue aux éducateurs et aux éducatrices dans les CPE.
Et,
en deuxième point, s'il veut être cohérent, le gouvernement ne peut pas
continuer de soutenir un double discours, un favorable à la laïcité et un autre
qui considère que la laïcité est une forme de racisme. C'est pourtant ce
qu'entendent depuis 10 ans nos
enfants dans le cadre du cours ECR, Éthique et culture religieuse, plus
précisément dans sa partie dite culture religieuse. Les intentions du
cours sont sans doute bien bonnes, mais le réel dément ces intentions. On
trouve en effet dans les manuels approuvés
par le ministre un cumul de stéréotypes sexistes et une folklorisation des
pratiques religieuses. Le problème ne
tient pas seulement aux manuels scolaires, mais au fait que le programme
lui-même interdit de critiquer ou de
commenter les pratiques religieuses ou culturelles, même si elles sont
inacceptables, comme la banalisation du
mariage de petites filles de huit ans. Les pratiques les plus fondamentalistes
sont ainsi perçues comme fréquentes ou normales.
Et, en tant que femme musulmane, je m'objecte également de tout mon être contre
le fait que les fillettes et les femmes
musulmanes soient toujours représentées portant le hidjab, voire même, dans
certains cas, le niqab. PDF Québec croit qu'il faut éliminer dès la
rentrée scolaire 2019 le volet culture religieuse du cours ECR.
Mme Guilbault
(Diane) : Pour conclure, plusieurs
décisions politiques ont façonné le Québec d'aujourd'hui de façon déterminante, qu'on
pense à la nationalisation de l'électricité, à l'adoption
de la Charte de la langue française, à la création
des CPE. Pour nous, la loi n° 21 s'inscrit dans cette volonté de modernisation de l'État québécois pour le bien commun. L'ex-premier ministre M. Jean Charest répétait souvent : Les trois
valeurs fondamentales du Québec sont l'égalité entre les hommes et les femmes, la primauté du fait français
et la séparation entre la religion et l'État. C'est cette dernière valeur que la loi n° 21 vient confirmer. Merci.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup. Vous êtes très bonnes, vous
êtes très efficaces, 10 minutes juste, juste, juste. Bravo!
Alors,
je cède maintenant la parole à M. le ministre pour une période d'échange de 17 min 30 s. M.
le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Mme Guilbault, Mme Lesbet, bonjour, bienvenue
à l'Assemblée nationale. Je vous remercie pour la présentation de votre mémoire.
Écoutez,
d'entrée de jeu, à la lecture de votre mémoire,
on constate que vous êtes favorables au projet
de loi, vous souhaitez qu'on
apporte certaines modifications, mais je voudrais vous entendre sur les modifications
qu'on apporte à la Charte des droits et libertés de la personne. Pourquoi, selon vous, c'est important
d'inscrire la laïcité, un, dans nos lois mais aussi dans la Charte
des droits et libertés de la personne?
Mme Guilbault
(Diane) : Bien, en l'incluant dans la charte, on affirme une valeur fondamentale,
et ça peut devenir un critère lorsqu'il
y aura éventuellement des plaintes, ou des remarques, ou des
contestations de projets de loi
qui sont... parce que la charte est quand même
au-dessus, d'une certaine façon, au-dessus, philosophiquement, des autres
lois. Alors, c'est une affirmation concrète
de la laïcité comme valeur fondamentale de l'État québécois.
Alors, oui, c'est un grand plus pour nous.
• (10 h 30) •
M. Jolin-Barrette : Parce
qu'on l'inscrit à deux endroits dans
la charte. Dans un premier temps, on va l'inscrire dans le préambule et on utilise un considérant, on dit :
«Considérant l'importance fondamentale que la nation québécoise accorde
à la laïcité de l'État», et, deuxièmement, on vient l'inclure à l'article 9.1,
également, de la charte comme... En fait,
c'est un outil d'interprétation. Après «valeurs démocratiques», on dit «de la laïcité de l'État». Donc, les droits et libertés fondamentaux
vont s'interpréter, désormais, à la lumière de la laïcité de l'État.
Ça, vous pensez que
c'est approprié de le faire dans le cadre de notre société?
Mme Guilbault
(Diane) : Tout à fait. D'ailleurs, c'était une des recommandations du Conseil du statut de la femme dans son mémoire sur la question de la
laïcité et le droit à l'égalité des femmes. Effectivement, c'est, pour nous,
une garantie supplémentaire, une protection
supplémentaire, que les droits soient interprétés à la lumière de
cette charte qui maintenant va inclure la laïcité.
M. Jolin-Barrette : Quand vous citez le premier ministre Charest, vous faites référence aux trois piliers de la société
québécoise, notamment la laïcité de l'État. Et, dans le présent débat que nous
avons, j'ai entendu beaucoup d'intervenants dans la sphère publique nous dire à quel point, bien, l'État québécois
ou l'État canadien, il était déjà laïque, mais pourquoi on fait le projet de loi n° 21,
c'est notamment pour répondre à ça, parce que
ça n'a jamais été écrit dans aucune de nos lois, à la fois québécoises et à la fois dans les lois canadiennes
aussi. Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on vient le cristalliser vraiment
dans nos lois. Donc, vous pensez que c'est pertinent de le faire?
Mme Guilbault (Diane) : Ah! c'est essentiel. Hier, par exemple, j'ai reçu copie d'un courriel qui a été envoyé par le bureau du premier ministre canadien
à l'ensemble du personnel pour souhaiter un joyeux ramadan au personnel
et aux employés, j'imagine, de culture musulmane. Je ne sais pas si c'est
adressé, ce message, à tous les employés catholiques pour le carême, à tous les employés... bon, peu importent les fêtes religieuses. Il me
semble qu'un État neutre, à tout le moins, ne devrait pas s'insérer comme ça
dans la gestion des fêtes religieuses. Même si c'est très sympathique,
ce n'est pas le rôle de l'État.
Et
ce n'est pas écrit, et on a une Constitution canadienne qui commence sous
la suprématie de Dieu et la primauté du droit. Donc, on a un problème,
au Canada, avec cette reconnaissance de la neutralité, de la laïcité.
Et,
quand la Cour suprême a statué dans la cause de MLQ et Saguenay, elle a
plus ou moins fait entendre qu'il
n'y avait pas de loi sur la laïcité. On pouvait parler de neutralité, mais ce
n'était pas clairement établi.
Alors,
une loi sur la laïcité vient vraiment confirmer, incarner avec des précisions qu'on est
un État laïque, qui est différent
d'un État multiconfessionnel. L'Angleterre est un État multiconfessionnel
dirigé par une reine qui est chef de l'Église anglicane, mais le Québec
se veut une société laïque.
Et
cette laïcité, elle s'inscrit... elle est enfin nommée, après plusieurs
années et plusieurs décennies où, entre autres, en 1997, on a
déconfessionnalisé le système scolaire, et c'est une opération par laquelle les
catholiques et les protestants du
Québec ont renoncé à leurs droits constitutionnels, renonciation qui n'a pas
été faite dans les autres provinces, il
n'y a qu'au Québec qu'on a fait ça. Pourquoi?
Pour ouvrir l'école à tous les enfants, peu importe leur appartenance
religieuse, et donc pour faire en sorte que l'école n'ait plus à gérer cette question du religieux. Ça ne
concerne pas l'école. Ça concerne les églises, les synagogues, les
mosquées, mais ça ne concerne pas l'école.
Donc,
on a voulu faire ce grand pas en avant, qui était quand même
une opération qui a duré sur plusieurs années et
qui est, je pense, un grand acquis du gouvernement québécois et de la société
québécoise. Par contre,
on a laissé réentrer le religieux de
façon différente, et maintenant la laïcité prononcée, établie, clarifiée permet, je pense,
de terminer un travail qui est amorcé depuis la Révolution tranquille.
M. Jolin-Barrette :
Sur la question de l'utilisation des clauses dérogatoires — dans
le projet de loi, on y fait référence pour la Charte des droits et libertés de
la personne ainsi que la charte des droits et libertés — qu'est-ce
que vous pensez de cette utilisation-là que le gouvernement en fait?
Mme Guilbault
(Diane) : Alors, écoutez,
nous... Des juristes, il y en a qui ont dit : Ce n'est pas nécessaire,
d'autres que c'est nécessaire.
Nous, je pense que, comme décision, affirmation politique,
c'était une très bonne chose parce que ça montrait la détermination du Québec
d'aller de l'avant.
Ceci
dit, la clause dérogatoire, elle fait partie de la Constitution, et je suis
très étonnée quand on la démonise, on la diabolise de cette façon, comme si c'était quelque chose qui était complètement illégal. Elle existe, cette clause, et en plus
elle a servi notamment dans des lois comme...
Par exemple, protéger l'identité des enfants mineurs devant
les tribunaux, il a fallu quand même passer outre le droit du public de
savoir ce qui se passe dans les tribunaux. Il y a eu d'autres situations, par exemple, je pense,
la Loi de protection du consommateur, où on n'a pas le droit à l'avocat, on a donc
passé outre un droit fondamental des citoyens. Et pourquoi? Parce que le
bien commun l'exige, et à ce moment-là les droits individuels peuvent céder le
pas aux droits pour le bien commun.
Et
enfin, je rajouterais, les droits fondamentaux dont on parle, je dirais, par exemple le droit à la liberté d'expression, il est constamment restreint
par vous tous ici, dans cette enceinte. Quand vous respectez la ligne du parti,
c'est une restriction à votre liberté
d'expression, il n'y a personne qui est allé à la Cour suprême ni à l'ONU pour
s'en plaindre. Ça fait partie du
travail. Quand on a des responsabilités quelconques, surtout dans les services
publics, mais, peu importe, un
employé a toujours des restrictions à sa liberté d'expression qui
viennent avec son emploi, parce que, quand on a un emploi, on des obligations, tandis que les
libertés de citoyen, de citoyenne, elles sont totales, parce que le citoyen n'a
pas ces obligations qu'un employé a, et encore plus un employé des
services publics.
Alors,
je pense que les gens vivent très bien les restrictions sur l'expression de
leurs convictions politiques, qui est un droit aussi fondamental que
l'expression sur les convictions religieuses. Et de neuf à cinq c'est dans le
cadre du travail, et je pense que, dans le
cadre du travail, si tout le monde y réfléchit comme il faut, il y a toujours
des restrictions à la liberté d'expression.
M. Jolin-Barrette : Je voudrais vous entendre également
sur l'étendue du projet de loi. Nous, ce qu'on a fait, c'est que, conformément à la position qu'on a depuis 2013 et à l'engagement qu'on a
pris en campagne électorale, on vise les personnes en situation
d'autorité, donc juges, policiers, agents correctionnels, procureurs.
Également, on ajoute les enseignants, les
directeurs d'écoles. Mais je crois comprendre, par le biais de votre mémoire,
que vous souhaitez qu'on élargisse
davantage. Donc, vous dites : CPE, membres de la fonction publique.
Pourquoi élargir davantage, vous souhaiteriez que le gouvernement
élargisse davantage le projet de loi?
Mme Guilbault
(Diane) : Bien, parce que, là, l'État va être partiellement laïque, un
petit peu laïque. Alors, moi, je
pense que la laïcité, ça devrait être un tout. Et je comprends par contre très
bien le côté pragmatique du projet de loi, la volonté peut-être d'y aller de façon consensuelle, de façon plus
lente, moins rapide, moins drastique, mais, logiquement, si l'État est laïque, l'État est laïque. Si l'État
est neutre, l'État est neutre. Et c'est un peu dommage de voir que, finalement,
ce sont les gens qui ont affaire à la justice qui vont avoir leur liberté de
conscience protégée, puisque ce sont les personnes
qui ont affaire avec les policiers, les juges, les gardiens de prison, donc
c'est les gens qui sont en lien avec la justice. Mais l'État, ce n'est pas que la justice, il y a un ensemble
d'activités qui sont sous la responsabilité de l'État, et idéalement nous, on pense que tous les citoyens
devraient bénéficier de ce respect par rapport à leur liberté de conscience.
Par
rapport aux écoles, ce qui est un grand plus, une grande avancée, et Leila
pourra en parler plus longuement, mais
on pense que, logiquement, il n'y a pas de raison que ce soient seulement les
enseignants, tout le personnel dans les écoles est un modèle pour les
enfants, et y compris dans les services de garde. Et il faut qu'il y ait une
cohérence à l'intérieur des écoles, et il ne nous semble pas logique d'exclure
les services de garde ou les orthopédagogues.
Et, par
rapport aux écoles, on comprend aussi le côté pragmatique de ne pas vouloir
bousculer trop les choses et de
permettre aux gens qui affichent leurs signes religieux actuellement de
continuer à le faire, mais, en contrepartie, il faut garantir la liberté de conscience des parents et des élèves, elle
est tout aussi importante, et il faudra trouver un mécanisme pour que les parents qui voudraient
avoir accès à un enseignant neutre puissent le faire sans avoir besoin de
recourir aux tribunaux. La liberté de
conscience qui est au coeur du projet de loi, au coeur de la laïcité, c'est la
liberté de conscience des citoyens et des citoyennes, des élèves et de
leurs parents, et je pense qu'il faut donner aux citoyens et aux citoyennes la garantie que leur liberté de
conscience va être protégée et même dans un contexte où on permet à des gens
de passer outre leur obligation de neutralité.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de la définition de la
laïcité qu'on a inscrite au projet de loi, à l'article 2 on
dit : «La laïcité de l'État repose sur les principes suivants :
«1° la séparation de l'État et des religions;
«2° la neutralité religieuse de l'État;
«3° l'égalité de tous les citoyens et
citoyennes;
«4° la liberté de conscience et la liberté de
religion.»
Est-ce que
cette définition-là est conforme à l'esprit... à l'opinion que vous vous faites
de la laïcité de l'État qui doit être appliquée au Québec?
Mme Guilbault
(Diane) : Tout à fait. En fait, on s'est réjouis dès qu'on a vu ces
mots dans la loi. Je pense que ce
sont les grands principes philosophiques qui définissent la laïcité et qui
permettent d'avoir une vision globale de la laïcité. Alors, oui, on est
tout à fait d'accord, et on approuve et on applaudit cette définition.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Bien, écoutez, je vous remercie. Je sais
que j'ai des collègues qui veulent poser des questions. Je pense que la
députée de Les Plaines et la députée de Bellechasse veulent poser des
questions.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.
• (10 h 40) •
Mme Lecours
(Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, je
tiens à vous remercier d'être ici aujourd'hui. Je pense que c'est
important qu'on puisse entendre tous les points de vue.
Je ne vous
apprends rien en disant que le Conseil du statut de la femme a produit, en
2011, un avis selon lequel il appuyait
une interdiction de porter des signes religieux pour les agents de l'État et
recommandait de modifier la Charte québécoise
pour, justement, consacrer la laïcité
de l'État. En fait, vous dites justement,
dans vos propos, que ce serait partiel, là, un État partiellement laïque. Moi, ce que j'aimerais... le sujet sur
lequel j'aimerais que vous nous entreteniez davantage, c'est justement les avancées des droits des femmes en lien avec
l'affirmation de la laïcité. Est-ce qu'on va assez loin?
Mme Guilbault
(Diane) : Si la laïcité
est inscrite dans la charte, je pense qu'effectivement on a un gain.
C'est sûr que la laïcité, ce n'est pas la seule condition pour arriver à
l'égalité entre les hommes et les femmes, on s'entend là-dessus, mais c'est une condition essentielle parce que les
règles religieuses de plusieurs religions, des grandes religions, sont souvent
discriminatoires à l'égard
des femmes, et, si ces règles ont droit de cité dans l'espace civique, dans les
interactions de l'État avec ses citoyens, il y a un problème, et les
femmes ont un problème en particulier.
Alors, pour
nous, c'est pour ça que notre appui à la laïcité date de bien plus longtemps,
là, que même 2008, bon, parmi nous,
on a des militantes en faveur de cette séparation plus stricte, parce qu'on
regarde, par exemple, à Ottawa,
on voit les groupes évangélistes qui ont fait des pressions énormes sur le gouvernement
Harper pour recriminaliser l'avortement, pour enlever des subventions à des organisations
qui font des services d'avortement ou des services de contraception. Ça, ce n'est pas acceptable dans un État démocratique comme nous. Et, si l'État canadien était laïque, ces pressions ou ces règles religieuses ne pourraient
pas avoir droit de cité. Alors, c'est vrai pour le Québec,
c'est vrai aussi pour l'ensemble du Canada.
Mais, au Québec — nous,
on est ici — si
on a déjà cette avancée que nous donne notre État québécois,
on va être rassurés, parce que c'est quand
même une prise qu'on aura pour
défendre les droits des femmes face à des revendications
religieuses qui voudraient être mises de l'avant plutôt que des droits démocratiques.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Petite question
additionnelle avant de laisser la parole à ma consoeur. Vous parlez de
600 membres, c'est ce que je comprends, du PDF?
Mme Guilbault (Diane) : Oui. Un
petit peu plus, oui.
Mme Lecours (Les Plaines) : Qui
sont répartis à quel endroit?
Mme Guilbault
(Diane) : On est un peu
partout au Québec. C'est sûr qu'il y a plus de membres à Montréal,
mais on en a dans toutes les régions
du Québec. Il y en a plusieurs qui sont ici, dans
la salle, aujourd'hui. Et ce sont surtout... je tiens
à le dire, parce qu'on a fait des capsules vidéo qui permettent d'ailleurs de
le voir, on a des membres de toutes les
origines, de toutes les confessions, des pratiquants, des non-pratiquants. Et
on se rend compte que... Leila pourra
en parler un petit peu plus, mais on
se rend compte que l'appui à la laïcité, il est très fort chez les gens qui ont
vécu sous des lois religieuses, notamment au Maghreb. Et ces gens
comprennent le problème que ça cause à la démocratie, quand la séparation entre
l'État et le religieux n'est pas accomplie. Peut-être quelques mots, Nadia...
Leila, je m'excuse.
Mme Lesbet (Leila) : Justement, j'aimerais rajouter qu'en fait, venant...
Nous représentons des minorités. Donc, quand j'entends parler de
minorités, qu'on est en train de bafouer les droits des minorités, je me
demande de quelles minorités il s'agit, sauf
si on fait aussi ici un classement par ordre : Cette minorité doit avoir
ses droits, l'autre non. Je fais
partie de cette minorité, et les multiples minorités que nous formons, nous
sommes tous, justement, pour que la laïcité soit enchâssée dans la charte des droits ici, au Québec. Pourquoi? Parce
que nous venons justement de pays où il n'y avait pas de laïcité, et cela, justement, opprime le
droit des femmes, et c'est toujours l'aspect religieux qui est mis de l'avant.
Donc,
ce que nous avons constaté, malheureusement, avec les quatre années du
précédent gouvernement, c'est que
nous avons été niées pendant quatre années, on n'a pas parlé de nous, on nous a
rendues tout à fait invisibles, totalement invisibles. Lorsqu'on parlait des
femmes musulmanes, il fallait que ces femmes musulmanes portent des signes
ostentatoires, pour le dire
clairement, qu'elles portent le hidjab, il n'y avait pas, dans le précédent
gouvernement, quelqu'un qui parlait de
ces femmes musulmanes. Ce n'est pas parce qu'on est musulmane qu'on a d'autres
aspirations que toutes les femmes de
la planète. Nous demandons aussi nos droits, nous demandons à exister et nous
demandons à être vues, même si on n'est
pas voilées. Donc, c'est ce qui s'est passé. Et cela, justement, à l'intérieur
de la communauté musulmane, il y a eu certaines
régressions, certaines pressions qui ont été faites sur ces femmes, dans cette
communauté, et c'est ainsi qu'ici, au Québec, nous avons vu des femmes
musulmanes être obligées de porter le voile.
Et
ce que je regrette profondément, c'est que le précédent gouvernement avait une
femme musulmane parmi ses députés et
qui était... On ne peut pas qualifier Mme Houda-Pepin d'extrémiste ou de
radicale. C'était la sagesse même, c'était
la cohérence même. Qu'est-ce qu'on a fait à cette députée qui nous
représentait, et on se sentait représentées? On lui a montré la porte.
C'est
ce que nous déplorons grandement, et c'est pour ça, les minorités qui sont ici,
au Québec, disent bravo au projet de loi n° 21, qui
nous permet d'exister, de respirer et de ne plus être considérées en tant que
musulmanes mais en tant que citoyennes à part entière. Je suis fière
d'être citoyenne québécoise.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup. Je cède maintenant
la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys
pour une période d'échange de 11 min 40 s. Mme la députée, s'il
vous plaît.
Mme David : O.K. Merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames. Bonjour à ceux et celles qui vous accompagnent.
Merci de votre implication dans le projet de loi.
Maintenant,
on a un certain nombre de questions à vous poser. Je vais commencer par la page 4
de votre mémoire, quand vous dites — et
vous y revenez beaucoup, alors, c'est pour ça, je pense que, pour vous, c'est très important :
«Mais, tant et aussi longtemps
que des règles religieuses peuvent
s'immiscer dans la gestion de l'État, les femmes sont à risque de voir s'éroder [ce droit].» Donc, j'aurai une
question sur ce que vous voulez dire par «règles religieuses qui peuvent s'immiscer dans la gestion de
l'État».
Mais vous donnez des exemples, après, dans cette même
page 4, qui remettent en question la séparation de l'État et de la religion :
«Voici des exemples éloquents...» Alors là, on parle du tribunal de la charia
en Ontario, on parle de la polygamie interdite au Canada,
on parle de recriminaliser l'avortement, on parle de modalités alternatives à
ceux qui refusent de faire affaire avec une femme, etc. Alors, je me
disais : Mon Dieu, en quoi le projet de loi n° 21 vient vous rassurer sur ces questions-là? Parce que je ne
vois pas tellement le lien, en tout respect, entre le projet de loi n° 21 et la charia,
la polygamie, les modalités alternatives, recriminaliser l'avortement. Donc, vraiment,
là, je me demandais comment vous situiez votre mémoire et le projet de
loi n° 21 dans cette question-là.
Mme Guilbault
(Diane) : Alors, parfait, je vais essayer de répondre du mieux que je
peux.
Alors,
écoutez, par exemple, quand on a fait les demandes à la Société de l'assurance automobile pour ne pas faire affaire avec des femmes, c'était... les gens ont évoqué : Dans ma
religion, c'est interdit qu'un homme parle avec une femme qui n'est pas de sa famille, et ça a été accordé.
Ça s'appelle de la ségrégation. Dans nos sociétés, on ne choisit pas le
sexe de l'intervenant... je ne parle
pas, évidemment, des soins de santé, on s'entend, là, mais à la Société de l'assurance automobile on fait affaire avec un fonctionnaire, avec une
fonctionnaire et on n'a pas le droit de dire : Moi, je ne veux pas
travailler avec une femme, tout comme on n'a pas droit de dire : Je
ne veux pas travailler avec une personne asiatique ou une personne d'une autre race. Mais, quand on
dit : Au nom de ma religion, je ne veux pas faire affaire avec une femme,
ça s'appelle de la ségrégation et ça
ne devrait pas être admis. Et, si on a la loi qui sépare très bien la religion
de l'État, l'État dit : Mais c'est peut-être bien chez vous, mais
moi, je ne peux pas appliquer cette règle-là, ici vous ne pouvez pas ségréguer sur la base du sexe, vous devez
respecter homme ou femme, il y a un droit à l'égalité, et vous ne pouvez pas
discriminer sur cette base-là.
Par rapport aux... les tentatives des groupes religieux, les groupes religieux
s'opposent à l'avortement, on le sait, de très nombreux groupes
religieux s'opposent à l'avortement, et, si l'État se laisse influencer et
ouvre la porte à ces pressions religieuses
au nom de la religion, eh bien, on bafoue le droit des femmes à l'accès à la
contraception. Il y a des groupes
qui ont perdu leurs subventions à cause de ces pressions qui étaient basées sur
la religion, qui interdit l'avortement.
Donc, ce sont
deux exemples que je peux vous donner. Évidemment, la polygamie, c'est au
niveau du mariage, ça relève du
fédéral, mais on est encore dans un contexte canadien. Alors, heureusement,
heureusement, le tribunal a fini par retrancher, mais ça avait déjà été
tranché, il a fallu réintervenir pour dire que, après plusieurs appels, c'est
parti de la Colombie-Britannique et c'est monté, donc, jusqu'à la Cour suprême... pour
restatuer que la polygamie était illégale. Et, en plus, pendant longtemps,
les tribunaux de Vancouver et de la Colombie-Britannique ont hésité à porter la cause devant les tribunaux parce qu'ils étaient certains que la
Cour suprême allait pencher en faveur de la reconnaissance de la liberté
religieuse des polygames de la région du sud de Vancouver.
Le
Président (M. Bachand) : Merci, Mme Guilbault. Mme la
députée, s'il vous plaît.
• (10 h 50) •
Mme David : Merci
beaucoup. Merci beaucoup, madame. Écoutez, à la page 6, quand vous dites : «...nous
voulons redire notre grande satisfaction [à] voir que le
législateur a reconnu le droit des élèves d'être dans des écoles qui ne
seraient pas soumises à des dogmes religieux» — vous
y revenez beaucoup, à cette question-là — de former — à
la page 10 — des
futurs citoyens et citoyennes
et non pas des croyants, alors là j'essaie de comprendre l'articulation
intellectuelle, je pourrais dire, ou
le rationnel entre des dogmes religieux puis des écoles où des professeurs pourraient effectivement avoir un signe religieux. C'est comme si vous faisiez clairement
le lien entre être croyant et être dans la question du prosélytisme, je crois
que c'est bien ça que je dois comprendre.
Mme Guilbault
(Diane) : Hier, à la conférence de presse, il y a un intervenant qui
est arrivé avec son tee-shirt, c'était
écrit : Dieu n'existe pas, et il me posait la question : Est-ce que
je pourrais me présenter en classe avec ça? Je pense qu'il y a beaucoup de parents qui rouspéteraient,
ils ne seraient pas contents, et avec raison. Mais, quand on met un autre
signe religieux qui affiche la préférence
religieuse de la personne, qui dit, passivement, mais c'est un message tacite
et à la fois très explicite :
Moi, ma religion préférée, c'est celle-ci, celle que j'affiche, alors, si c'est
quelqu'un qui met un grand crucifix, si c'est quelqu'un qui met un
voile, quelqu'un qui met un turban, il affiche, elle affiche ses préférences religieuses, on ne peut pas parler de neutralité.
C'est comme l'enseignant qui arrive avec un tee-shirt «Dieu n'existe pas»,
on ne peut plus parler de neutralité.
Et
donc on envoie... l'enfant reçoit un message, et il le reçoit quotidiennement,
ce message, sur les préférences religieuses de son enseignant ou de son
enseignante, et on pense qu'à l'école ce n'est pas la place, tout comme
on n'aimerait pas que nos enfants soient
soumis au discours politique de son enseignant ou de son enseignante.
Actuellement, tout le monde reconnaît le bien-fondé de la restriction de
la liberté d'expression en matière de convictions politiques. Eh bien, tout simplement, la même chose doit
s'appliquer pour les convictions religieuses, un devoir de réserve pendant
l'exercice de ses fonctions face aux élèves, dont on doit respecter la liberté
de conscience et qui n'ont pas à interpréter, à juger, à mesurer, à
critiquer les préférences religieuses de leur enseignant ou de leur
enseignante.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée,
s'il vous plaît.
Mme David :
Alors, on continue un peu sur ce sujet-là, la question de la neutralité. Vous
savez, peut-être que ma déformation
de professeure de psychologie pendant des années... C'est très complexe, la
question de neutralité, parce qu'il y
a la neutralité affichée puis il y a la neutralité entre les deux oreilles,
comme on dit. Alors, quelle différence vous faites entre la neutralité supposée existante d'un enseignant... Qui
peut être homophobe, qui peut être misogyne, qui peut être pro ou antiavortement, mais ça ne paraît pas
ostentatoirement. Alors, comment vous faites la différence? Et pourquoi
la neutralité visible est-elle tellement plus importante que la neutralité dite
invisible?
Mme Guilbault
(Diane) : On a tous la liberté de conscience, la liberté de penser ce
qu'on veut. On n'a pas à appliquer tout ce
qu'on pense. Par exemple, un enseignant homophobe n'a pas le droit de tenir des
propos homophobes, hein, on s'entend.
Donc, il peut le penser. S'il le pense, puis que personne ne le sait, qu'il le
pense, il n'y a pas de problème. S'il l'affiche par une caricature, par
un dessin, ça aussi, c'est inacceptable.
Donc,
il faut que l'enseignant laisse la place à l'élève pour, lui, réfléchir, puis
lui donner des outils pour réfléchir. Et il va de soi qu'un enseignant
qui tiendrait des propos... Bien, à ce moment-là, s'il tient des propos
homophobes ou misogynes, il n'est pas
neutre, il ne respecte pas son devoir de neutralité, son obligation de
neutralité. Donc, il faut que ce soit tant verbalement que tacitement,
que cette neutralité s'exerce et que ce devoir de réserve s'exerce.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée.
Mme
David : Alors, pour continuer — merci, M. le Président — dans ce sens-là, vous faites automatiquement
le lien entre le... Parce que vous le dites,
page 10 : «La responsabilité de l'école est de former les futurs
citoyens et citoyennes et non pas des
croyants.» Et c'est donc comme si vous disiez, à ce moment-là : La
neutralité n'existe pas à partir du moment où il y a un signe ostentatoire,
disons-le comme ça, un port d'un signe religieux, alors qu'on peut vérifier que
la neutralité existerait très bien. Et c'est une obligation du milieu de
l'enseignement que cette neutralité face à l'avortement ou face à la misogynie ou autres exemples dont on
parlait. Là, à ce moment-là, il pourrait y avoir des sanctions contre le professeur qui ouvertement afficherait des
propos, disons, homophobes. Alors, pourquoi le fait d'avoir un hidjab serait
automatiquement le fait qu'il y a du prosélytisme et qu'on forme des
croyants — je
trouve que l'affirmation est assez forte — et que, le fait qu'il n'y ait plus de signe
religieux, il n'y aurait plus ce... donc, il y aurait cette apparence totale de
neutralité? Je ne comprends pas la différence.
Mme Guilbault
(Diane) : Alors, quand on affiche ses préférences, on n'est pas
neutre, c'est aussi simple que ça. L'affichage
a de l'effet. Si l'affichage n'avait aucun effet, il n'y aurait plus
d'affichage sur les routes, puis vous n'auriez pas mis d'affiches pendant la campagne électorale,
parce que, si ça ne sert à rien, ça ne sert à rien. Alors, l'affichage sert
à quelque chose. Il module, il banalise, il
présente une image. Et afficher ses préférences, c'est le contraire de la
neutralité.
Ceci dit, quand on
parle de former des croyants, on inclut aussi la dimension du cours de culture
religieuse, qui est déficient pas dans ses
intentions mais dans sa forme et dans ses outils. Peut-être que tu peux glisser
quelques mots là-dessus, toi qui travailles à l'école.
Mme Lesbet (Leila) : Oui. Malheureusement, depuis que ce cours a été mis en place, d'abord, dans sa façon d'être
appliqué, vous savez, autant que les élèves
et l'enseignant ont le droit de discuter du côté... sur le cours
éthique, mais, quand il s'agit de
religion, les enfants sont là, ils s'imprègnent de ce qui est écrit dans les
textes et surtout des images. Et, pour des enfants qui sont dans le
primaire...
Le
Président (M. Bachand) : En terminant, s'il vous plaît, parce
qu'il ne reste pas beaucoup de temps.
Mme Lesbet (Leila) : ...les images sont vraiment parlantes. Et, dans
ce cours, justement, on valorise la religion, et, quand on valorise la religion, il n'y a
pas d'égalité des sexes. Pas plus tard qu'il
y a deux jours, la collègue
donnait un cours sur la religion et
elle parlait justement de tous les rites dans les différentes religions,
et ces rites très valorisants ne concernaient que les garçons et...
Voilà.
Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci
beaucoup. Excusez-moi, là, parce que
le temps file de façon très rapide. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys,
s'il vous plaît.
Mme David :
Je laisserais la parole à ma collègue, s'il vous plaît, de Bourassa-Sauvé.
Le
Président (M. Bachand) : Il vous reste une minute. S'il
vous plaît, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Robitaille : Je vais essayer de faire vite. Bonjour à tous.
Moi, mon comté, c'est Bourassa-Sauvé, Montréal-Nord, il y a beaucoup
de jeunes femmes qui ont décidé, par choix, et des femmes plus vieilles aussi
qui ont décidé, par choix, de porter le voile. À la commission scolaire
Pointe-de-l'Île, ils n'ont eu aucune plainte à l'endroit de ces femmes qui
enseignent là-bas, qui enseignent et qui portent le voile. Je vous écoute puis
je me dis : Est-ce que ce n'est pas un peu doctrinaire puis même réactionnaire d'avoir une position comme celle-là
qui dicte aux femmes comment s'habiller? Et ce n'est pas aussi un peu
antiféministe, si je puis dire, puisque ça les marginalise?
Je
me demandais qu'est-ce que vous répondez à ces femmes dans mon comté qui
portent le voile, et qui étudient, et
qui sont sur le point d'aller sur le marché du travail, et qui seraient de très, très
bonnes enseignantes. Il y a une pénurie d'enseignants dans Montréal-Nord,
dans mon coin. Qu'est-ce que vous leur répondez, à ces femmes-là qui, par
choix, portent le voile et font très, très bien leur travail?
Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, c'est tout le temps qu'on avait pour l'opposition officielle. Je me tourne
maintenant vers le
député de Jean-Lesage, s'il vous plaît, pour une période de 2 min 55 s. M. le député, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Merci, M.
le Président. Est-ce que
vous avez des statistiques sur le nombre de conversions à l'islam au
Québec par année?
Mme Guilbault
(Diane) : Non.
M. Zanetti : Est-ce
que vous avez une preuve quelconque
que l'exposition à un symbole religieux non accompagnée d'un discours
religieux pousse à la conversion à quelconque religion que ce soit?
Mme Guilbault
(Diane) : Ce n'est pas là le but, ce n'est pas là le but. Le but, c'est
d'offrir et de respecter la liberté de conscience des enfants et des élèves.
La
neutralité politique, hein, est-ce
qu'on a des preuves qu'on a converti des gens à Québec solidaire dans la
classe? Non. On comprend qu'un
professeur ne portera pas son chandail de Québec solidaire, ou du Parti
libéral, ou de la CAQ en classe, on
accepte ça, pas parce qu'on a peur que les enfants deviennent du parti
politique, parce qu'il y a une obligation de neutralité des convictions
politiques. On demande exactement la même chose pour les convictions
religieuses.
M. Zanetti :
Évidemment, il y a une grosse différence entre l'expression d'idées politiques,
par exemple, et la pratique d'une religion, c'est deux choses qui sont
complètement différentes. On peut pratiquer une religion sans être prosélyte. Si on est en campagne électorale, on
veut promouvoir des idées. Par ailleurs, on peut aussi très bien appuyer
un parti politique sans le dire à personne. Ce n'est pas des choses qui vont
ensemble de la même façon.
Maintenant,
est-ce que, selon vous, là, l'interdiction... Bien, en fait, est-ce qu'on a eu
besoin ou est-ce que c'est l'interdiction du voile des religieuses
catholiques dans les écoles, qui n'a pas eu lieu, là, qui a fait reculer la
pratique religieuse au Québec? Parce qu'on
sent derrière votre idée qu'essentiellement vous n'êtes pas uniquement pour la
neutralité, vous voudriez voir un
recul de la pratique et la croyance religieuses de façon généralisée dans la
société, et il vous semble, vous me corrigerez, là, il vous semble que ce
projet de loi là va dans la bonne direction et va contribuer à ça. Donc, est-ce
que, selon vous, là, il a fallu ou il aurait fallu interdire le voile aux
religieuses catholiques durant la Révolution tranquille?
• (11 heures) •
Mme Guilbault
(Diane) : Je vais effectivement vous corriger, notre mémoire
ne parle absolument pas de faire reculer
les religions. Le mémoire parle de la nécessité de bien séparer les pouvoirs
religieux de l'État et d'empêcher les intrusions
de la religion dans l'État. Jamais on ne parle de restreindre la liberté de
pratique des citoyens et des citoyennes, quelle que soit leur religion. Alors, je ne sais pas qu'est-ce que vous
avez lu, mais je pense que vous n'avez pas bien lu.
M. Zanetti :
Est-ce que vous considérez que les religions sont essentiellement sexistes?
Le
Président (M. Bachand) : En cinq secondes.
Mme Guilbault
(Diane) : Essentiellement sexistes? Pas essentiellement. Sexistes,
oui. Elles ne sont pas que ça, mais les grandes religions le sont.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole au
député de Matane-Matapédia pour une période de 2 min 55 s.
M. le député, s'il vous plaît.
M. Bérubé :
Merci. À mon tour, je veux discuter avec vous de vos recommandations, d'abord
celle d'éliminer, dès la rentrée
scolaire de 2019, le volet culture religieuse du cours ECR. Ce n'est pas lié au
projet de loi, mais je veux que vous sachiez que c'est une volonté affirmée du
Parti québécois, qu'on a fait le débat en Chambre, qu'on a amené une
motion et qu'on a un engagement du ministre de l'Éducation de mettre fin à
cette partie ou, à tout le moins, de la réformer.
Alors, si cet appel que je lance à travers nos échanges peut permettre au
ministre de préciser sa pensée, il me semble
que ça irait dans le sens de la cohérence que le gouvernement doit avoir dans
ce printemps de la laïcité. C'est le premier élément. On est d'accord
là-dessus. Sur plusieurs points, d'ailleurs.
La
question que je veux vous poser : Pouvez-vous nous expliquer en quoi il
serait pertinent, outre les enseignants et enseignantes, d'assujettir les
éducateurs et éducatrices en service de garde, en CPE et dans les services
subventionnés?
Mme Guilbault
(Diane) : Bien, pour les mêmes raisons, parce que les éducateurs et
les éducatrices passent beaucoup de
temps avec les enfants et sont des modèles. Elles sont des modèles, elles sont
des références, et le rapport avec l'enfant ne doit pas être basé sur
l'appartenance religieuse. Même si on dit qu'il ne parle pas, un symbole, c'est
un discours. On dit qu'une image vaut
mille mots. Un symbole, ça porte un discours. Et ce n'est, je pense, pas le
lieu, dans le CPE, pour faire ces discours. Même s'ils sont tacites, ils
sont quand même, des fois, explicites.
Par
exemple, quand on parlait, tout à l'heure... Dans les CPE, on l'a vécu, on a
des membres qui l'ont vécu. Il y en a
qui sont venus nous le dire même ici, à la commission parlementaire. Quand une
éducatrice, avec les enfants, enlève son
hidjab et elle le remet quand ça frappe à la porte, quand c'est le papa qui
arrive, quel message on envoie à l'enfant, jour après jour, tous les jours, jusqu'à tant qu'il rentre à l'école?
Elle est très gentille, son éducatrice, on n'enlève pas les qualités de son éducatrice, elle est charmante,
mais elle envoie un message à l'enfant que, devant un homme, une femme
doit se cacher les cheveux.
M. Bérubé :
La liberté de conscience, hein, je pense, ça doit nous animer tout au long de
ces débats. Cette liberté de conscience doit s'appliquer aux élèves au primaire
et au secondaire à travers la relation avec les enseignants et enseignantes. Je comprends que vous êtes d'avis
que la même logique devrait s'appliquer aux services de garde en CPE, en milieu scolaire et au-delà, parce qu'il
pourrait y avoir d'autres personnes significatives à l'école qui exercent une
autorité.
Je
vais donner l'exemple, par exemple, d'une personne qui est un psychologue ou
quelqu'un qui a un rôle significatif
auprès de l'élève. Nous, on avait proposé les directions d'école, le
gouvernement a décidé de l'inclure dans sa loi. Pouvez-vous terminer notre
intervention en nous disant comment on doit assurer une cohérence dans un même
milieu, le milieu scolaire, entre des
personnes qui vont se croiser à la salle des professeurs puis autour de l'école
et où on enverrait des messages croisés, différents auprès de la même
clientèle?
Le
Président (M. Bachand) : Très, très, très rapidement, s'il
vous plaît. Merci.
Mme Guilbault
(Diane) : Je vais donner rapidement l'exemple des filles Shafia. Vous
savez, le drame qui est arrivé à la
famille Shafia, le premier signalement qui a été fait, c'est par l'école, une
enseignante qui a... ou une psychologue, je ne me souviens plus, mais en
tout cas une personne de l'école qui a reçu les confidences d'une des enfants
et qui a signalé le problème, les tensions
qui existaient dans la famille, au directeur de la protection de la jeunesse.
Si cette personne avait porté un
signe religieux, la jeune fille ne serait pas allée se confier parce qu'elle
aurait été coincée entre son désir de ne pas se faire imposer un voile
et l'enseignante qui en faisait la promotion.
M. Bérubé :
Très clair.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Cela termine cette partie des
travaux. Merci beaucoup pour votre contribution.
Je
vais suspendre les travaux quelques instants afin de permettre au prochain
groupe de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
11 h 4)
(Reprise à 11 h 9)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre,
s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je souhaite la bienvenue à Mme Benhabib et Mme Mailloux.
Je vous invite à débuter votre exposé pour une période de 10 minutes.
Après ça, nous allons faire une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, bienvenue. La parole est à vous.
Collectif
citoyen pour l'égalité et la laïcité (CCIEL)
Mme Mailloux (Louise) : Merci, M.
le Président. Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour.
Nous
accueillons favorablement ce projet
de loi, nous, du Collectif citoyen
pour l'égalité et la laïcité. Bien que minimaliste et encore trop timide par rapport à ce qui se joue
au Québec, ce projet
de loi constitue une avancée
significative par la protection juridique qu'il va apporter à la laïcité,
par l'exigence du respect de la séparation de l'État et des religions, mais surtout par celle du nécessaire
respect de la liberté de conscience des élèves en interdisant le port de signes
religieux chez les enseignants des écoles publiques.
• (11 h 10) •
En
incluant les enseignants, ce projet
de loi souligne que l'école n'est pas
une institution publique comme les autres et atteste de l'importance de la laïcité
scolaire pour l'avenir de notre société. L'école, en plus de transmettre des
connaissances, joue un rôle
idéologique capital dans la transmission des valeurs et la socialisation des
individus. Elle est aussi la seule institution dont la fréquentation est obligatoire et
s'échelonne sur plusieurs années. On peut, sa vie durant, éviter l'hôpital, les
tribunaux, la prison, mais tout le
monde passe par l'école, d'où l'importance
d'accorder à la liberté de conscience des élèves une protection toute
particulière en interdisant toute forme de prosélytisme religieux comme celui
du port de signes religieux par les
enseignants. Préserver la liberté de conscience, telle est la mission
fondamentale d'une école laïque, que l'État a la responsabilité
d'assumer.
Cette
importance accordée à la laïcité scolaire témoigne également
de notre parcours historique. La Révolution tranquille a initié un vaste élan de laïcisation. La santé, la culture, les services sociaux et l'éducation,
aucun domaine ne fut épargné, sauf
les écoles publiques, qui demeurèrent les chasses gardées des catholiques et
des protestants. Commissions scolaires,
écoles, enseignement et manuels scolaires, tout était confessionnel et sous le
contrôle du clergé. Les religions avaient
évidemment compris qu'il était préférable de se tenir à l'école plutôt que dans
les hôpitaux. C'est alors qu'un fort mouvement en faveur de la
déconfessionnalisation des écoles publiques s'est enclenché; syndicats,
féministes, laïcs et progressistes, tous unis en faveur de la laïcité
scolaire, avec à la clé un argument central, le respect de la liberté de conscience des élèves. Voilà pourquoi on a
décroché les crucifix des murs de nos écoles et voilà aussi pourquoi nous
devons aujourd'hui interdire le port de signes religieux aux
enseignants.
Cette
mesure n'a rien d'arbitraire. Depuis le rapport Parent, tous les efforts en
faveur de la laïcité se sont concentrés sur la laïcisation des écoles publiques, et l'interdiction des signes
religieux chez les enseignants s'inscrit tout naturellement dans la
suite de notre histoire.
Certains prétendent
que nous n'avons pas d'étude mesurant l'impact des signes religieux sur les
élèves. Mais avions-nous des études lorsque
nous avons décroché nos crucifix? Non. Le signe signifie. C'est tout simple.
C'est d'ailleurs pourquoi certains s'entêtent à la porter, justement
parce qu'il signifie.
Rien n'est
insignifiant. Des études? Quand on va chez l'opticien, on ne choisit pas la
première monture du bord, on choisit l'image que l'on veut envoyer aux autres,
et une référence à une religion n'a pas sa place à l'école.
C'est sans compter le
sexisme du voile. Il y a 40 ans, on a retiré toute référence au sexisme
dans les manuels scolaires. Depuis ce temps
existe au sein du ministère de l'Éducation un bureau d'approbation du matériel
didactique chargé d'évaluer les
ouvrages destinés aux élèves, avec pour exigence l'absence de discrimination et
de stéréotypes selon l'apparence physique
ainsi que la tenue vestimentaire des personnages. Et il faudrait maintenant
accepter un symbole sexiste porté par les enseignantes? M. le ministre,
il est temps d'agir, agir où c'est nécessaire.
C'est
pourquoi nous recommandons l'adoption du projet de loi n° 21,
l'élargissement de l'interdiction des signes religieux aux enseignants de niveau préscolaire et aux éducateurs en
garderie et en CPE, l'application de l'interdiction à l'ensemble des
employés en contact avec les enfants dans les écoles...
Le Président (M. Bachand) : Mme Mailloux... Excusez-moi,
Mme Mailloux, je suis vraiment désolé, c'est parce que je veux juste être certain qu'on comprenne que
la période d'exposé totale pour les deux est de 10 minutes. Alors, je
ne sais pas si madame... si vous avez un échange. Alors, je m'excuse, la parole
est à vous.
Mme Mailloux
(Louise) : D'accord. Je suis rendue à combien de minutes?
Le
Président (M. Bachand) : Il reste quatre minutes. Ça va
très vite, 10 minutes. Je suis désolé.
Mme Mailloux
(Louise) : Bon. Alors,
l'arrêt du financement des écoles privées confessionnelles, un contrôle plus strict de ces écoles, l'abolition du cours
d'éthique et de culture religieuse, l'introduction d'un cours obligatoire sur
la laïcité pour les futurs enseignants et
ceux qui occupent des postes de responsabilité dans les écoles, la création
d'un référent laïcité dans les écoles
et la modification de la Loi sur l'Assemblée nationale de sorte que les élus
puissent y régir le port d'un signe religieux. Merci.
Mme Benhabib (Djemila) : Merci.
Après cette présentation spécifique à la laïcité dans le milieu scolaire, permettez-moi d'élargir la focale à quelques
éléments qui me paraissent fondamentaux pour justifier l'adoption du projet
de loi, que je salue grandement et vous félicite, M. le ministre, pour vos
efforts.
Le rapport de
notre société à la laïcité. La laïcité vue comme un principe fondateur de la
démocratie, garant de la séparation
des pouvoirs et de la souveraineté populaire, en mesure de créer du commun à
une époque de repli identitaire et religieux,
avec leur corollaire, le communautarisme, sont en progression partout dans le
monde. C'est parce que nous vivons dans
un monde de plus en plus fragmenté, individualiste, consumériste que la laïcité
est redevenue un référent commun pour
un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens, qui y voient comme moi,
comme nous, le meilleur ciment pour lier notre communauté politique,
c'est-à-dire notre nation.
Certes, nous
sommes différents les uns des autres, notre société regroupe des croyants et
des non-croyants, dans certains cas
des personnes appartenant à des univers éloignés les uns des autres. Pour
autant, nos institutions publiques sont
garantes du bien commun, c'est-à-dire qu'elles doivent veiller à nous
rassembler toutes et tous à travers un postulat très simple qui est celui d'imposer deux normes à ses
représentants : la neutralité politique, qui existe déjà, et la neutralité
religieuse, qui est l'objet de notre discussion.
Il n'est
nullement question de violation de droits fondamentaux mais plutôt d'une
restriction raisonnable dans le cadre
d'une société libre, démocratique et pluraliste, car, contrairement à ce que
véhiculent les détracteurs du projet de
loi n° 21, il n'existe pas un droit à l'exhibitionnisme
religieux dans la fonction publique. La liberté de religion n'est pas un
droit de religion. Elle n'est surtout pas un droit à l'intégrisme religieux.
Il est d'ailleurs troublant de constater des
alliances totalement improbables entre des intégristes notoires et certains de nos intellectuels et de nos députés
qui font front commun contre le projet de loi. Je citerai deux exemples :
une conférence organisée le 14 avril
sous l'égide d'Ali Sbeiti, qui est l'imam du Hezbollah du centre communautaire
de Montréal, la frange khomeyniste de
l'islam politique, avec la participation de Charles Taylor, Ruba Ghazal,
députée QS, et Frantz Benjamin, député du PLQ; une autre conférence organisée
le 20 avril par le Centre communautaire Laurentien, le paravent de la MAC,
Muslim Association of Canada, qui se revendique de l'idéologie de Hassan
al-Banna, le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, à laquelle
participait Charles Taylor.
Céder un
pouce de nos institutions étatiques aux pressions des intégristes revient à
fragiliser notre État. Or, jouer d'une façon absolutiste les droits
individuels contre les droits collectifs crée les conditions de notre échec
collectif.
Pourtant, la
laïcité n'est rien d'autre qu'un espace d'émancipation individuelle et
collective. Il n'est nullement question
de sacrifier l'un au détriment de l'autre mais de garantir un juste équilibre
entre les deux. La laïcité, c'est d'abord et avant tout une nette distinction entre trois espaces, privé, public
et civique, et deux sphères, la sphère publique et la sphère privée.
Chacun des espaces, chacune des sphères revêt ses propres exigences.
Ce que le
Québec s'apprête à mettre en application s'inscrit dans une tradition civiliste
du droit ayant pour fondement
philosophique l'universalisme des Lumières et comme attribut politique la
république. À titre d'exemple, des démocraties
telles la France, la Belgique, la Suisse, certains länder, en Allemagne, imposent
déjà l'interdiction des signes religieux aux enseignants. À l'instar de
ces grandes démocraties, le Québec peut-il encore choisir pour lui-même?
La question
se pose aujourd'hui avec une intensité soutenue compte tenu du fait de deux
modèles antagoniques qui
caractérisent le Canada, avec le multiculturalisme, qui n'est rien d'autre
qu'une forme de multiconfessionnalisation de l'État, et le modèle du Québec, porteur d'une expérience unique et
singulière en matière de rapports entre la religion et l'État dans toute l'Amérique du Nord. Certains
tendent à nous le reprocher. Pour ma part, j'y vois une forme d'affirmation
politique vis-à-vis d'un système canadien qui reconnaît le religieux, voire
l'accommode. Notre histoire est différente, assumons-la.
Je finirai
par attirer votre attention sur un appel intitulé Avec le peuple québécois
pour la laïcité de l'État!, signé par
un certain nombre d'intellectuels, d'hommes politiques, de femmes politiques
européens, dont le philosophe de la laïcité Henri Pena-Ruiz, dont la philosophe
et l'historienne Élizabeth Badinter, dont plusieurs autres, qui regardent avec
un grand intérêt le débat qui se fait
aujourd'hui et qui ont exprimé à travers cet appel, que nous allons publier
probablement dans des journaux
européens dans les quelques jours qui suivent, eh bien, leur plus grande
solidarité avec le peuple québécois pour la laïcité. Merci.
• (11 h 20) •
Le
Président (M. Bachand) :
Merci infiniment. Je cède la parole, maintenant, à M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Combien de temps, M. le Président?
Le Président
(M. Bachand) : 15 minutes.
M. Jolin-Barrette : O.K. Mme Benhabib, Mme Mailloux, merci
d'être présentes en commission parlementaire pour venir nous présenter
vos observations sur le projet de loi n° 21.
Je
souhaiterais commencer avec les derniers propos de Mme Benhabib
relativement au fait de garantir un juste équilibre pour le projet de loi n° 21. Vous avez parlé que c'est un
équilibre entre les sphères publique, privée et civique. Notamment, on inscrit dans la Charte des droits et libertés
de la personne le principe de laïcité de l'État et on l'inclut également à l'article 9.1. Est-ce que, pour
vous, le juste équilibre, ça fait partie notamment du fait de l'inscrire dans
la charte, le principe de la laïcité de l'État?
Mme Benhabib
(Djemila) : Oui, bien entendu. Je veux dire, aujourd'hui, au Québec,
on est forcés de constater que
formellement, juridiquement, il n'y a pas d'inscription de la laïcité sur aucun
document officiel, et ce caractère, donc, va offrir la possibilité au juridique de s'appuyer sur un texte de loi,
sur une charte, sur un référent qui est important et qui va garantir autant des libertés individuelles...
Car, encore une fois, je suis extrêmement attachée aux libertés individuelles,
mais ces dernières ne peuvent pas gommer les
libertés et le destin collectif de tout un peuple. Donc, il y a un équilibre
à avoir entre les deux, entre l'individu, son émancipation, mais aussi le
peuple, notre nation et son émancipation.
M. Jolin-Barrette : Et donc on utilise les dispositions de dérogation
notamment, dans le projet de loi, pour réaliser, un, cet objectif-là, mais aussi pour s'assurer que ce soit à l'Assemblée
nationale, que l'organisation du modèle de la société québécoise, de la séparation entre l'État et les
religions, soit définie par les parlementaires plutôt que par les tribunaux.
Je voudrais savoir qu'est-ce que vous pensez
de l'utilisation des dispositions de dérogation par le gouvernement dans le
cadre du projet de loi n° 21.
Mme Mailloux
(Louise) : Nous considérons que c'est une très bonne chose, que c'est
un geste d'affirmation politique qui est
nécessaire dans le contexte actuel. Si on remonte juste dans les
15 dernières années, je ne sais pas, en 2004, il y a eu un jugement de la Cour suprême, il y en
a eu un en 2006 avec le kirpan, il y en a eu deux autres en 2012, il y a
2015, Saguenay, et, en 2017, le projet de
loi des libéraux, trois semaines après, l'article 10 sur la question du
voile intégral était amené devant les
tribunaux. Alors, la clause dérogatoire, elle est nécessaire pour pouvoir
préserver la souveraineté parlementaire et éviter que le projet de loi...
que la loi prenne le chemin des tribunaux et que ce soit la Cour suprême,
ultimement, qui décide plutôt que les gens que nous avons élus le
1er octobre dernier.
Alors,
c'est une question de souveraineté politique, et je pense qu'il est très
légitime de pouvoir le faire. D'ailleurs, c'est la prérogative aussi et le privilège de tout Parlement provincial
à l'intérieur du Canada. C'est constitutionnel, en plus.
M. Jolin-Barrette : O.K. Vous avez fait référence, Mme Mailloux,
au projet de loi n° 62 relativement au fait que la disposition visant la prestation et la
réception de services à visage découvert était suspendue. Dans le projet de loi
n° 62... Bien, en fait, ce qu'on
fait, dans le projet de loi n° 21, c'est que notamment on vient
circonscrire cette disposition-là, on vient
la réintégrer, notamment pour des questions de sécurité et d'identification.
Pour que ce soit applicable, on utilise notamment la disposition de dérogation à ce niveau-là. Mais plus
largement, sur le 62, on parlait de neutralité religieuse de l'État; nous, on parle plutôt, dans le projet
de loi, de laïcité de l'État. Alors, est-ce que vous trouvez ça pertinent qu'on
parle davantage de laïcité que de neutralité?
Mme Mailloux
(Louise) : Oui, parce qu'au nom de la neutralité on peut aussi inviter
toutes les religions à se manifester, et
n'en privilégier aucune, et demeurer neutre, alors que, si on inclut le premier
principe de la laïcité, qui est celui
de la stricte séparation de l'État d'avec les religions, à ce moment-là c'est
une neutralité qui est, en quelque sorte, d'abstention, c'est-à-dire
qu'il n'y a aucune invitation à accommoder ou aucune invitation pour le
religieux dans les institutions publiques, alors que le projet de loi n° 62, c'était vraiment... Il créait une ouverture maximale
à toutes les religions et il donnait même la
possibilité d'un accommodement à l'article 10, c'est-à-dire pour le voile intégral. Alors, en termes d'ouverture, c'était
incroyable.
Mme Benhabib
(Djemila) : Le boulevard.
Mme Mailloux
(Louise) : Oui.
M. Jolin-Barrette :
Pardon, excusez-moi, je n'ai pas... Le boulevard? En termes d'ouverture?
Mme Mailloux
(Louise) : Bien, vous ouvrez un boulevard à tout le monde, y compris
les pires intégrismes.
M. Jolin-Barrette : Je comprends. M. le Président, je sais que
j'ai des collègues qui veulent poser des questions. Je reviendrai par la
suite, mais je crois que la députée de Bellechasse veut poser des questions.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée de Bellechasse, s'il vous plaît.
Mme Lachance :
Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être là.
Je
vous ai bien entendues lorsque vous avez parlé de l'importance de la laïcisation de l'école puis que vous avez mentionné qu'elle avait été initiée par le rapport
Parent. J'aimerais approfondir un petit peu cette importance-là mais plus
spécifiquement en traitant de l'importance
que vous accordez à l'interdiction des ports religieux par les enseignants.
Dans le fond, ce que je veux savoir,
c'est : Pourquoi estimez-vous que c'est si important d'éliminer le port de
signes religieux chez les enseignants?
Mme Mailloux (Louise) : Parce que le signe religieux, de «signe»,
autrement dit, signifie et que la religion, en quelque sorte, n'a pas sa place dans les classes, dans les salles de
cours. Ce n'est pas le message qu'il faut envoyer aux élèves dans une
école laïque.
Alors, la responsabilité de... En
fait, le signe religieux, il n'est pas chez lui dans les écoles. L'école, c'est
l'État, c'est une institution
publique, et l'État, il est chez lui et il est tenu de protéger la liberté de
conscience des élèves et de faire,
donc, respecter la neutralité, le devoir de réserve chez les enseignants.
Alors, c'est une des raisons, la raison principale : protéger la
liberté de conscience des élèves.
Mme Benhabib
(Djemila) : Oui. Et, si je peux me permettre de compléter, en fait,
l'école n'est pas une institution banale,
l'école véhicule un choix de société. Et le choix de société que nous avons
fait, au Québec, voilà quelques années déjà,
c'est celui de la distanciation vis-à-vis du religieux mais aussi celui de
l'égalité entre les femmes et les hommes. Donc, par souci de cohérence, comment accepter des symboles sexistes
dans une école qui a pour mission de véhiculer l'égalité entre les femmes et les hommes? Si l'État veut être cohérent,
la mission qu'il doit donner à l'école, c'est celle, bien entendu, de véhiculer à tout instant, eh
bien, cette assise fondamentale de la démocratie qui est celle de l'égalité.
Donc, si vous voulez, il y a un souci
de choix de société, mais il y a aussi un souci de cohérence vis-à-vis de la
mission que l'on donne à l'école.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée.
Mme Lachance :
Merci, M. le Président. Merci, mesdames.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Saint-Jean, s'il
vous plaît.
M. Lemieux :
Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames.
Mme Benhabib,
je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer qu'à la fin, pressée par le temps, vous
avez quand même insisté pour parler
de la réaction européenne, entre autres, à ce qui se passait ici, au débat qui
était courant au Québec, et ça
m'intéresse, ça m'interpelle, même, parce que l'image du Québec, autant à
l'étranger qu'au Canada, est importante, d'autant plus que je connais bien le reste du Canada et leur vision du
Québec, et ça bouge beaucoup ces temps-ci. Je ne veux pas être nombriliste, et puis j'ai retenu ce que le ministre a dit
aussi, là, on n'a pas besoin de la permission de personne, des autres
provinces, pays pour faire ce qu'on va faire, mais leur réaction et leur vision
des choses, c'est intéressant.
Sans
me faire une revue de presse, puisque vous êtes toutes les deux des gens qui
publiez et qui sont très au fait de ce qui se passe ailleurs parce que
vous interpelez... Mme Mailloux parce que vous êtes essayiste, entre
autres, et Mme Benhabib parce que vous
êtes conférencière et vous êtes un peu partout avec votre travail de
journaliste, sans me faire une revue
de presse, comment vous percevez, comment vous lisez ce qu'on pense et ce qu'on
dit de ce qu'on est en train de faire
ici? Et dans quelle mesure ça vous interpelle, cette vision du reste... des
autres sur ce qu'on est en train de décider?
• (11 h 30) •
Mme Benhabib
(Djemila) : Moi, je vis depuis pratiquement 10 ans entre le
Québec et l'Europe et j'interviens sur
les questions de la laïcité. Cela signifie que je rencontre des députés, des politiques, des intellectuels, des journalistes qui sont curieux de notre singularité québécoise
parce qu'ils y voient une façon, évidemment,
particulière de séparer le politique et le religieux, mais ils y voient
aussi une expérience unique vis-à-vis du multiculturalisme et vis-à-vis du communautarisme. Et les discussions que j'ai eues
avec un certain nombre, évidemment, d'intellectuels et de philosophes dont la
question principale est la laïcité, c'est que véritablement ils soutiennent
notre action et qu'ils se soucient de ce qui se passe ici, au Québec. Je
vais probablement rendre compte, évidemment, de tout ce qui s'est dit pendant
toute cette semaine. Je prends l'avion ce soir pour l'Europe et j'aurai des
discussions autour de ce projet de loi.
J'ai
intervenu au Parlement de Genève concernant la question spécifique des
accommodements raisonnables, et, bien entendu, ma recommandation était à
l'effet que, surtout, il ne fallait pas aller dans ce sens, dans la direction
des accommodements raisonnables. Ce qu'on voit en Europe depuis un certain
nombre d'années, c'est une montée du communautarisme,
c'est une montée aussi fulgurante du fondamentalisme religieux musulman qui
brise des familles, qui détourne des
enfants, qui les propulse dans le djihad. Et donc c'est pour ça que tous ces
débats de société que nous avons autour
de la laïcité, c'est-à-dire autour de cette question de faire du commun,
comment faire du commun, comment nous lier les uns les autres... Et ça,
ça va se faire véritablement indépendamment des religions. Les religions ne
sont pas le ciment de la vie politique. Les
religions, il faut les tenir, évidemment, à l'écart de la cité, dans le respect
des croyants, il ne s'agit pas du
tout de monter une croisade contre les croyants, absolument pas. La laïcité
accueille avec bienveillance de la même façon les croyants et les
non-croyants.
Donc,
juste pour résumer, ce qui se passe ici, au Québec, maintenant, est quelque
chose d'historique à l'échelle du monde parce que c'est une première en
Amérique du Nord.
M. Lemieux :
Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Autres interventions? M. le
ministre, s'il vous plaît. Merci.
M. Jolin-Barrette : Oui, certainement. Écoutez... Je ne sais pas, la
députée de Les Plaines... O.K. Vous faites une série de recommandations, notamment le fait d'élargir le projet de loi,
notamment, aux enseignants de niveau préscolaire et aux éducateurs de garderie, en CPE. Pourquoi vous faites cette
proposition-là d'élargir davantage le projet de loi pour l'interdiction
du port de signes religieux?
Mme Mailloux
(Louise) : Bien, le préscolaire
et les CPE, c'est l'antichambre de l'école publique. Alors, les jeunes, ils sont vraiment fragiles, ils sont vraiment...
il n'y a évidemment pas d'esprit critique de développé, alors je pense qu'il
est important, à ce
moment-là, d'interdire et d'éviter la banalisation des signes religieux,
surtout, par exemple, un signe qui
est sexiste. On n'a pas à envoyer le message aux jeunes que les femmes doivent
se couvrir les cheveux, les oreilles, le
cou et que les femmes doivent être davantage pudiques que les hommes. Alors, ce
n'est pas ce qu'on veut faire, ce n'est pas l'éducation qu'on a souhaité donner, au Québec, depuis les
années 70. Et je pense que l'éducation, elle commence aussi dans
les CPE et au niveau préscolaire, d'où l'importance d'agir.
M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous faites une distinction entre le
réseau public et le réseau privé? Quand vous formulez cette
recommandation-là, est-ce que vous dites : On devrait viser uniquement les
CPE?, ou on devrait viser également les garderies privées, privées
subventionnées et les établissements d'enseignement privés également?
Faites-vous une distinction?
Mme Mailloux (Louise) : Idéalement, il faudrait viser les deux, mais nous
sommes bien conscientes qu'on ne peut
pas tout faire d'une première fois. Alors, il faut peut-être y aller par
étapes. Comme a déjà dit M. Legault, et c'était une formule assez frappante, un éléphant, ça se
mange par tranches. Alors, allons-y avec cette tranche-là. Si c'est possible
d'agrandir un peu le steak, ce serait bien.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines,
s'il vous plaît.
Mme Lecours
(Les Plaines) : En fait, ce que je voulais savoir, j'ai posé la même
question à vos collègues qui étaient
juste avant vous : En quoi est-ce que l'affirmation de la laïcité de
l'État va faire en sorte que les femmes... le droit des femmes va prendre du
galon, en fait, l'avancée des droits des femmes va être plus importante? Parce
que c'est quand même concentré sur les gens qui sont en autorité.
Mme Mailloux (Louise) : Bien, déjà, d'éviter d'avoir comme figure d'autorité... Et
pas rien que d'autorité. Les enseignants, la première chose qu'un enseignant fait,
dans une salle de cours, et peu importe le niveau... Moi, j'ai enseigné pendant 35 ans au niveau
collégial, et la première chose à installer, dans une salle de cours, c'est un
niveau de confiance avec les étudiants, avec les élèves, c'est la première
chose à faire. Et c'est la raison pour laquelle on stresse tant, d'année
en année, dès la rentrée ou à la première semaine de la rentrée, parce qu'on
sait que, si on n'a pas cette confiance-là, c'est difficile, c'est plus
difficile par après de procéder.
Alors,
les jeunes, ils sont très vulnérables, et les tout-petits encore plus. Ils sont
dans une relation de confiance avec le professeur, et, à ce moment-là,
ils sont, comment je dirais, comme des éponges et ils peuvent tout gober.
Et
le message d'une école laïque, ce n'est pas un message où les professeurs
peuvent porter des signes religieux. L'école laïque, ce n'est pas
l'Expo 67, il ne faut pas confondre.
Le
Président (M. Bachand) : ...il reste
une minute.
Mme Benhabib
(Djemila) : Si je peux me permettre quelques éléments...
Le
Président (M. Bachand) : Oui.
Mme Benhabib
(Djemila) : D'abord parce que
l'éducation, certes, elle est verbale, mais, dans la petite
enfance, elle est non verbale, donc il y a beaucoup
de choses qui se font à travers l'image. Et ça, je pense que c'est extrêmement important de le considérer,
que les premières années sont des années extrêmement importantes,
sont des années décisives pour
l'individu. Et de pouvoir banaliser des symboles qui véhiculent des valeurs
rétrogrades, des valeurs sexistes, eh bien, ça hypothèque la suite, ça hypothèque l'avenir, ça formate, d'une
certaine façon, le schème de pensée, eh bien, de ce petit être qui est
en face de nous.
La
discussion que nous avons sur la laïcité aujourd'hui au Québec mais partout dans le monde, elle se fait dans un
contexte politique, et ce contexte-là, il est marqué par la montée des
intégrismes religieux. Les intégrismes religieux s'attaquent d'abord aux femmes
à travers des restrictions dans leurs corps, à travers la restriction de la
contraception, à travers l'interdiction de
l'avortement. Bref, la première victime de la montée des intégrismes religieux,
ce sont les femmes, et donc...
Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci
beaucoup. Pardon, désolé. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît. Désolé.
Mme David : Merci
beaucoup. Bonjour, mesdames. Merci de
vous prêter une nouvelle fois à l'exercice, parce que ce n'est pas la première fois que vous parlez de ces
notions-là. Et c'est intéressant d'en discuter, alors j'apprécie l'échange que
je vais avoir avec vous.
Vous m'amenez sur des
terrains où je ne pensais pas aller ce matin, mais vous m'avez, quand même,
avec le manifeste, je
crois, vous appelez ça comme ça, le manifeste que vous avez déposé... On va peut-être
parler un peu d'identité puis on va peut-être parler de Jacques Lacan, puisque vous avez parlé
d'Élizabeth Badinter, que je connais par
ailleurs. Et, s'il y a
des gens qui ont parlé d'identité, de signifiant, c'est bien les lacaniens, en
France. Alors, puisque vous allez souvent en Europe, vous aurez l'occasion
peut-être d'avoir ces discussions-là avec eux.
Quand
on parle de signifiant, quand on parle... Et non pas insignifiant, attention,
là. Le signifiant lacanien est une notion
qui a révolutionné la psychanalyse. Puisque j'en suis une, je pense que je connais un peu
les théories. Vous savez, le signifiant, ça définit l'identité. Vous avez parlé,
Mme Mailloux, de l'identité et vous avez parlé de gens qui s'entêtent
à porter... Et, dans le mot «entêtent», il y a
le mot «tête», hein, et c'est évident que vous faites référence au port du
hidjab chez des femmes, et vous
dites : Elles s'entêtent à le porter. Donc, si elles s'entêtent à le
porter, c'est peut-être parce
que c'est un signifiant extrêmement important pour elles, c'est peut-être parce que
nous sommes tous porteurs de nos propres signifiants. Je vous vois, je nous vois, je vois tout le monde, on se lève le matin, on s'habille d'une telle façon, on s'affiche
d'une telle façon, on porte des... on
choisit des vêtements qui nous ressemblent et qui signifient quelque chose. Et, quand on parle de religion, évidemment, c'est encore un
signifiant beaucoup plus profond.
Alors, évidemment qu'il
y a des gens qui reprennent politiquement... Et ça se peut qu'il y en ait qui
aient des messages signifiants très importants par rapport à des valeurs politiques.
Vous
parlez de valeurs rétrogrades. Je pense qu'il y a beaucoup
d'écrits qui ont dit que ce n'était pas que des valeurs rétrogrades, de porter
un signe ostentatoire, surtout que, là, on va interdire les signes religieux invisibles, j'ai posé plusieurs
questions à mon collègue là-dessus.
Alors,
moi, je voudrais vous entendre beaucoup plus sur l'aspect que moi, j'identifie un peu
comme péjoratif de cette question
d'identité. Comment vous pouvez soutenir qu'on s'entête à porter quelque chose alors que, justement, ce signifiant-là
donne un sens à notre vie? Il y a une éditorialiste, une chroniqueuse qui a
dit : C'est le sens qu'on donne à notre vie qui se traduit, entre
autres, par des signifiants.
• (11 h 40) •
Mme Mailloux (Louise) : Bien, il
y a un entêtement, il y a
une intransigeance, pour certaines et certains — quand on
parle de la tête, on peut parler de la kippa aussi — donc
des gens qui s'entêtent à vouloir porter leurs signes religieux. Et il y
en a même qui vont jusqu'à
dire : Ou je porte mon signe religieux ou je quitte mon travail,
j'abandonne mon travail. Alors, quand
on est rendu là, à défendre une identité religieuse à ce point-là, je ne sais
pas, on pourrait peut-être se poser des
questions, il y a peut-être, des fois, une dimension politique.
Est-ce qu'on est toujours dans la religiosité, est-ce qu'on est toujours
dans la spiritualité, quand on réagit de la sorte?
Pensez,
par exemple, à... Depuis Vatican II, les catholiques ont
abandonné d'eux-mêmes, le gouvernement n'a pas
eu à légiférer, ont abandonné d'eux-mêmes leurs signes religieux justement
pour mieux s'intégrer à la société
civile, ils ont adopté l'habit laïque.
Alors,
écoutez, on est au Québec, nous avons une histoire. Depuis, même, la Révolution
tranquille, on a fait des bonds
incroyables en termes de laïcité. On ne veut pas régresser, on ne veut pas
retourner en arrière. Alors, il faut que certaines personnes qui s'entêtent... ce n'est pas toutes, hein, mais,
certaines personnes qui s'entêtent, il va falloir qu'elles comprennent qu'elles sont au Québec et que la
laïcité, c'est quelque chose d'important. Ça fait aussi partie de, appelons
ça, notre identité, c'est ce qu'on veut.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme David :
On ne va peut-être pas passer tout le temps à parler de s'entêter, mais je
trouve ça extrêmement intéressant
d'avoir deux positions qui forcément nous différencient un peu sur la notion
d'entêtement parce que, pour moi, l'entêtement,
ça peut être qu'on croit en un certain nombre de choses, et que ça fait partie
de nous, et que ça ne se met pas à la
porte d'une classe, et que ça... parce qu'on pourrait dire que, dans
l'entêtement, il y a aussi l'entêtement interne et pas seulement
externe, c'est-à-dire nos croyances, qui ne sont pas ostentatoires mais qui
pouvaient être encore plus dommageables.
Parce que vous prenez pour acquis que c'est dommageable d'avoir un signe
ostentatoire. Moi, je posais la question
au groupe précédent. D'être homophobe, d'être misogyne, d'avoir... d'être pro
ou antiavortement, ça peut être extrêmement pénalisant, même si ce n'est
pas un signe ostentatoire.
Je
vais aller vers une phrase que je trouve quand même importante dans votre
manifeste : «La laïcité tend à unir les citoyens et citoyennes au-delà de leurs croyances et convictions en
s'appuyant sur ce qui les unit et non sur ce qui les différencie.» Est-ce que je pourrais vous faire la
proposition inverse, en tout respect, qu'on pourrait être beaucoup plus unis
dans la tolérance, et dans l'humanisme, et
dans la différence que d'être unis en homogénéisant tout le monde? C'est une
question philosophique importante que cette question-là, il me semble.
Mme Benhabib
(Djemila) : Oui, je peux répondre? En fait, je pense que l'exercice que
nous avons à faire ici, c'est aussi
un exercice pédagogique, c'est-à-dire expliquer qu'est-ce que la laïcité. Et,
quand j'entends un député exprimer la phrase suivante : On va interdire
les symboles religieux, certes, pour moi, c'est une phrase incomplète. Oui, on
va interdire dans l'espace civique,
on va interdire pendant les heures de travail à des représentants de l'État.
Ça, ce serait une phrase qui est beaucoup plus complète et qui
traduirait la complexité de ce qu'est la laïcité.
Donc,
encore une fois, faire la distinction entre l'espace public, l'espace privé,
l'espace civique mais aussi faire la distinction entre l'individu, c'est-à-dire
ce qui relève du particulier, du singulier, la croyance, la non-croyance,
et l'État, l'État qui est au-dessus de tous
les individus, l'État qui est au-dessus de tous les particularismes, l'État qui
est au-dessus de toutes les
religions, l'État qui est au-dessus de toutes les philosophies. Et donc c'est
pour ça que la laïcité, qui n'est ni une
option idéologique ni une option politique, mais qui est un cadre philosophique
d'abord et ensuite qui offre un cadre politique
et juridique, regroupe des individus qui sont différents dans leur conception
de voir la vie, de voir les choses, mais
qui, par ailleurs, acceptent de transcender leurs croyances, comme le disait le philosophe Pena-Ruiz, pour le
bien commun. Il y a quelque chose de plus grand que moi, il y a quelque
chose de plus grand que vous, et ce
quelque chose, c'est l'État, c'est
l'État du Québec, qui réunit toutes les Québécoises et tous les
Québécois et qui cimente l'ensemble de notre nation.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme David : Alors, dans le projet de loi, justement, le
ministre insiste beaucoup pour dire qu'on parle de laïcité
collective, de la laïcité de l'État. En quoi la laïcité de l'individu a-t-elle
un lien à voir avec la laïcité de l'État?
Mme Benhabib
(Djemila) : En fait, la
laïcité de l'individu, Mme la députée, ça n'existe pas, en tout respect, quoi.
Il n'y a que la laïcité de l'État, qui existe, il n'y a que sur la laïcité de
l'État que des intellectuels, des philosophes, des universitaires écrivent parce que ça concerne les institutions de l'État,
ça concerne des représentants de l'État. Donc, il faut bien savoir de
quoi on parle. On parle de l'État et on parle des représentants de l'État, des
fonctionnaires.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée, oui.
Mme David : Je ne sais pas si j'ai bien compris. Vous avez
dit : La laïcité, il n'existe que de laïcité étatique et non pas de laïcité individuelle. Or, tout le débat ici
porte sur cette question de laïcité individuelle. Le port de signes religieux,
les laisser à la porte de la classe, par exemple, ça réfère directement à toute
cette question de laïcité individuelle, c'est-à-dire d'avoir une apparence de
neutralité. Et c'est ça que vous parlez, là.
Quand
vous parlez de valeurs rétrogrades, par exemple, du port d'un signe religieux,
ce n'est pas très gentil pour tous les Québécois francophones dits de souche
qui portent une croix donnée, comme j'ai dit au ministre, par leurs grands-mères il y a 30 ans, et qui le portent
à leurs cous, et qui devront l'enlever pour rentrer dans la classe. Alors, ça
veut dire qu'on est beaucoup, beaucoup de rétrogrades dans la société québécoise. Et j'aimerais vous entendre
sur le fait que peut-être, je ne sais pas, moi, 70 %, 80 % des
gens sont donc rétrogrades, à votre point de vue.
Mme Mailloux (Louise) : Mme David, la laïcité individuelle, c'est
quelque chose... ça n'a aucun sens. La laïcité, c'est la définition des rapports juridiques et
politiques entre l'Église et l'État, et ça vient du XVIIe siècle, d'un
philosophe britannique, John Locke, qui a trouvé, si vous voulez, la recette
miracle pour mettre fin aux conflits religieux en Europe. Il a dit : J'ai la solution, il faut séparer
la religion de la politique. Et, en faisant ça, ce que ça fait, ça fait que,
contrairement à ce qui se passait précédemment, aucune religion, à ce
moment-là, n'est imposée par l'État, et ça crée une ouverture maximale pour les individus. Ça donne, ce qu'on
appelle, à chacun la liberté de conscience, c'est-à-dire de choisir d'avoir
ou non une croyance, de choisir d'en changer ou de l'abandonner.
Alors,
il n'y a pas de laïcité individuelle, c'est un non-sens sur le plan
philosophique, et en plus ça mélange tout le monde.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme David :
Alors, oui, il y a des philosophes qui ont une tout autre position.
Mais
je reviendrais quand même sur les valeurs rétrogrades, parce que c'est un mot
que j'ai noté, que, je pense, c'est Mme Benhabib qui a mentionné ça.
Alors, est-ce que le port de signes religieux catholiques, la petite croix en
dessous de la veste, est un signe religieux rétrograde qu'il faut bannir, même
s'il est invisible, même si, par ailleurs, il n'y aura pas de fouille à nu,
comme a dit le ministre? Comment on gère ça? Et que pensez-vous, dans le fond,
de la position que ça... de l'option ou de
l'opinion que ça donne sur l'ensemble des Québécois qui peut-être portent ce
signe religieux parce qu'il y a un lien affectif et identitaire?
Le
Président (M. Bachand) : Très, très rapidement, s'il vous
plaît.
Mme Benhabib
(Djemila) : Oui. Encore une fois, je pense que Mme David,
sincèrement, ne comprend pas véritablement ce qu'est la laïcité. C'est
dommage.
En
réalité, la laïcité réunit des croyants et des non-croyants. Il y a deux formes
de laïcité, et, si vous voulez, les grands
débats qui ont cours en ce moment, c'est autour d'une laïcité de reconnaissance
des religions, c'est-à-dire le type canadien,
et une laïcité d'indifférence vis-à-vis des religions. Voilà où se situe la problématique.
La laïcité, ce n'est pas la
stigmatisation des croyants, ce n'est pas véhiculer, disons, des idées qui sont
erronées à l'égard des croyants. La laïcité, ce n'est pas la chasse aux
croyants. La laïcité, c'est le respect des croyants et des non-croyants.
• (11 h 50) •
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup. M. le
député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Oui. Alors, Mme Mailloux, je pense que vous êtes professeur de philo,
n'est-ce pas?
Mme Mailloux (Louise) :
Oui, tout comme vous l'étiez.
M. Zanetti : Et donc vous savez ce que c'est qu'une fausse
analogie. Il y a quelque
chose dans votre discours où
vous dites : Pas besoin d'étude pour enlever les crucifix, pas besoin
d'étude pour enlever les signes religieux sur les personnes, mais il s'agit
d'une fausse analogie parce qu'il y a une immense différence entre les deux, on
ne peut pas comparer les deux choses, parce
qu'enlever des signes religieux sur les personnes, ça porte atteinte aux droits
de la personne.
Je
passe sur cette parenthèse. On pourrait aussi parler de pente fatale, mais je
ne veux pas utiliser tout mon temps pour
ça. J'aurais une question à Mme Benhabib : Selon vous, les femmes qui
portent le hidjab, est-ce qu'elles sont des intégristes?
Mme Benhabib
(Djemila) : (Interruption). Pardon, excusez-moi. Oui, les femmes qui
portent le hidjab, ça dépend de
quelles femmes on parle... (Interruption) Pardon, excusez-moi, je pense que
j'ai forcé sur la voix. C'est comme tout à l'heure je disais. Pour ma part, nous avons un exercice complexe à
faire et nous devons apporter des nuances. Et, lorsque nous prenons la parole, eh bien, je considère
qu'il est sain de poser une question peut-être complexe : De quel type de
femme on parle? Parle-t-on de la femme qui porte le hidjab dans la rue et qui
accepte d'enlever son hidjab pour aller enseigner
ou pour aller travailler? Cette femme, elle est visiblement une citoyenne à
part entière, une laïque qui a compris la séparation entre les pouvoirs politiques
et les pouvoirs religieux. Par ailleurs, les femmes qui portent le hidjab
et qui considèrent que la loi de Dieu est
au-dessus de la loi de la cité, qui ne souhaitent faire aucun compromis dans la
société à laquelle elles
appartiennent, qui exigent de l'État à ce qu'il les accommode à tout prix, qui
portent le hidjab de façon ostentatoire
et qui exercent un certain chantage émotif en disant : Non, je n'enlèverai
pas mon hidjab, eh bien, celles-ci, oui, je considère qu'elles sont
intégristes.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous
plaît.
M. Zanetti :
Vous avez dit quelque chose tout à l'heure, bon, vous parlez d'alliance
improbable pour invalider la position
des gens qui s'opposent au p.l. n° 21. Très récemment, il
y a un groupe nationaliste canadien d'extrême droite appelé Storm Alliance qui a manifesté son appui
vigoureux envers le p.l. n° 21. Est-ce que vous jugez que cet appui-là
improbable et peut-être peu recommandable et peu fréquentable nuit à la
légitimité du projet de loi n° 21?
Le Président
(M. Bachand) : ...s'il vous plaît.
Mme Benhabib
(Djemila) : Oui. Oui, encore là, ce que je voulais souligner, c'est,
en effet, la nature, d'abord, des
alliances qui est improbable parce que, pour moi qui suis de gauche, la lutte
contre les intégrismes religieux, la lutte pour la laïcité, ça fait partie de l'ADN de la gauche, historiquement,
historiquement c'est la gauche qui a consacré ce combat...
Une voix : ...
Le Président
(M. Bachand) : Allez-y, madame. En terminant.
Mme Benhabib (Djemila) : ...qui
a consacré ce combat, et donc...
M. Zanetti :
Storm Alliance, Storm Alliance. Vous en pensez quoi?
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. C'est tout. Alors, je cède la parole au député de Matane-Matapédia. S'il
vous plaît, M. le député.
M. Bérubé :
Merci, M. le Président. Je compléterais en disant qu'il y a des groupes
éminemment discutables et peu fréquentables qui contestent la loi n° 21, et peut-être qu'on pourrait en faire état ici, ça
ajouterait au débat.
Alors, je
pense qu'il faut que les radicaux ne soient pas au centre du débat et que les
gens qui sont modérés et qui ont
envie de débattre et d'échanger dans le cadre du parlementarisme soient au
centre des débats. Et en ce sens j'ai vu également des personnes peu recommandables et des groupes avec des
intentions à peine voilées contester fortement le projet de loi n° 21 qui va être discuté et adopté démocratiquement à l'Assemblée nationale du Québec. Ça mérite d'être dit.
Ceci étant dit, dans vos recommandations, évidemment, on se rejoint sur le cours d'éthique et culture
religieuse, j'ai eu l'occasion
d'échanger avec vous déjà là-dessus. Vous en proposez l'abolition; à tout le moins,
nous, des changements sur la partie culture religieuse. Et je réitère
que le ministre de l'Éducation devrait préciser son intention et donner un
échéancier avant la fin de nos échanges, avant qu'on puisse voter sur le projet
de loi n° 21. Ça, c'est important.
Je veux vous
donner du temps pour nous parler d'un phénomène important au Québec, c'est les écoles
privées confessionnelles. Votre
compréhension, l'application de la loi, potentielle, pourquoi
ce serait important que ça aille là? Tout
à l'heure, vous disiez : On ne
peut pas tout avoir, à la fois appliquer dans le secteur public et dans le
secteur privé. Moi, je crois que oui,
je crois que c'est le moment pour le faire. Il y a l'attention nécessaire,
il y a une loi. Pourquoi accepter que le privé ne serait pas
assujetti aux lois, d'autant plus qu'on finance fortement les écoles privées au
Québec?
Alors, je
vous laisserais le soin de nous expliquer pourquoi vous croyez qu'il faut
avoir une attention particulière aux écoles privées confessionnelles et
qu'elles doivent être assujetties également à la loi.
Mme Mailloux
(Louise) : Bien, ce qu'on
demande, dans nos recommandations, c'est l'arrêt du financement des écoles
privées confessionnelles, parce qu'un État laïque ne peut pas utiliser l'argent
de M. et Mme Tout-le-monde, l'argent public, pour financer des croyances
particulières. Or, on sait qu'au Québec c'est le cas, à l'heure actuelle, le
gouvernement finance à hauteur, je pense, de 60 %. C'est sûr que... Alors,
de ce point de vue là, il faudrait arrêter de financer
des écoles privées confessionnelles. Les gens ont le droit, il y a une liberté
religieuse, ils ont droit à leurs écoles privées confessionnelles, mais
ce n'est pas à l'État à payer pour la transmission de ces connaissances
particulières.
M. Bérubé : Donc,
l'État finance des écoles...
Mme Mailloux (Louise) :
Publiques.
M. Bérubé :
Publiques pour qui l'enseignement de la religion est au centre du projet
éducatif à bien des égards, non?
Mme Benhabib
(Djemila) : Non. En fait, il y a deux types d'école confessionnelle.
Il y a des écoles confessionnelles privées...
M. Bérubé : Qui
sont privées. C'est à celles-là auxquelles je fais référence.
Mme Benhabib
(Djemila) : ...qui sont
financées par le gouvernement, et il y a des écoles confessionnelles privées qui ne sont pas financées par le gouvernement. Donc, je pense qu'il y
a aussi une distinction à apporter
entre ces deux types d'école.
Et, pour ma
part, pour revenir à notre développement que nous avons tenu à faire sur l'importance primordiale de l'école, c'est
d'ailleurs pour ça que nous avons commencé notre exposé avec l'école, eh bien,
il y a une attention particulière à avoir parce que l'école véhicule les
valeurs d'une société. Et d'abord arrêter le financement des écoles
confessionnelles privées, ça, il serait temps, donc, de le faire, mais aussi
d'avoir un véritable débat de société sur le financement
des écoles privées de façon générale. Je pense qu'on est dus aussi pour avoir
une discussion à cet égard-là.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup.
Mme Benhabib
(Djemila) : Et je voudrais saluer, cher Pascal Bérubé, tous vos
efforts aussi et les efforts du Parti québécois pour la laïcité.
Le
Président (M. Bachand) :
Bon, alors, sur ces bons mots au député de Matane-Matapédia, je vous remercie
de votre contribution.
Et la commission suspend ses travaux jusqu'après
les affaires courantes. Merci infiniment.
(Suspension de la séance à 11 h 58)
(Reprise à 15 h 43)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue. La Commission des institutions
reprend ses travaux. Je demande, bien sûr,
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs appareils électroniques, vous connaissez les règles.
Nous
poursuivons donc les consultations
particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 21, la Loi
sur la laïcité de l'État.
Cet après-midi,
nous entendrons le mouvement national
des Québécois et Québécoises, l'Association québécoise des
Nord-Africains pour la laïcité et MM. Charles Taylor et Jocelyn Maclure.
Alors, je
souhaite la bienvenue aux gens du mouvement national des Québécois. Vous
connaissez les règles. Vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, et
par après nous allons procéder à une période
d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vous
invite donc à vous identifier et à débuter votre exposé. Encore une fois,
bienvenue.
Mouvement national des
Québécoises et Québécois (MNQ)
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Je vous remercie beaucoup, M. le
Président. Eh bien,
bonjour à tous et toutes. Pour commencer, permettez-moi de saluer le député
de Richmond et président de la Commission des institutions, M. André Bachand, M. le député
de Borduas, ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion et
leader parlementaire du gouvernement, M. Simon Jolin-Barrette, de même que
vous, Mmes et MM. les parlementaires.
Au nom du
Mouvement national des Québécoises et des Québécois, je tiens à vous remercier
de recevoir, dans le cadre des consultations particulières et auditions
publiques portant sur le projet de loi n° 21, les représentante et représentants de notre organisme, soit M. Yves
Bergeron, trésorier du Mouvement national, Mme Sarah Déry, professionnelle
responsable de l'animation politique et des commémorations, et moi-même,
Etienne-Alexis Boucher, président de l'organisme et directeur général par
intérim.
Vous donnez ainsi au mouvement l'opportunité de
contribuer directement et concrètement à un grand débat québécois comme nous le
faisons depuis maintenant plus de 72 ans, un débat qui se révélera avec le
temps, j'en suis convaincu, un moment
fondateur de notre histoire, un peu comme l'adoption de la loi 101. Parce
que, oui, l'adoption du projet de loi sur la laïcité de l'État, ce n'est pas juste un
enchaînement d'étapes liées au processus législatif en vigueur dans cette Assemblée. Non, il s'avère plutôt être
l'aboutissement d'un mouvement, d'un consensus social et culturel qui plonge ses racines dans notre histoire, dans ce
parcours unique qui est le nôtre, creuset d'un mariage réunissant des
traditions et des coutumes provenant de tous les continents.
Nous
n'étudions donc pas ici un projet de
loi qui vient, par exemple, corriger
des lacunes administratives générées par
l'évolution des technologies mais bien un projet de loi qui se veut être
un véritable geste d'affirmation nationale, qui rappelle que le Québec
est encore capable, au XXIe siècle, de décider pour et par lui-même des
grands principes qui régissent le
mieux-vivre, le vivre-ensemble dans notre société, évidemment tout ça au grand
dam de celles et ceux qui malheureusement et, je dirais, faussement
considèrent que l'existence même d'une identité nationale distincte pour le Québec, foyer historique de cette nation francophone et
nord-américaine dont nous sommes issus, est une menace à l'intégrité du Canada
ou encore à leurs droits et libertés individuels.
Humblement,
je pense qu'il y a là une partie de l'explication pour comprendre la violence
et l'exagération des réactions des
opposants à ce projet de loi. Bien sûr, son contenu touche à un débat très
sensible et un peu sans fin, parce que
chaque côté peut se réclamer de bons arguments et que, puisque nos sociétés
évoluent constamment, toujours il est nécessaire d'entretenir un
dialogue sur ce type d'enjeu. Non, ce qui, à mes yeux, peut le plus expliquer
les dérapages auxquels nous avons assisté depuis la présentation du projet de
loi n° 21, les uns parlant de nettoyage ethnique
pacifique — il
faut quand même le faire! — les
autres appelant à la désobéissance civile, traçant un dangereux parallèle entre ce projet de loi modéré et des
régimes inhumains, honnis, racistes tels que l'apartheid, en Afrique du Sud,
ou les lois ségrégationnistes du sud états-unien, eh bien, c'est que cette loi
vient remettre en question un dogme de l'identité
canadienne, le multiculturalisme, ou plutôt ce modèle de non-intégration
sociale et communautaire qui en vient, au
nom d'une soi-disant diversité, c'est-à-dire un mot fourre-tout, sans véritable
signification, qui est notamment utilisé pour diaboliser les opposants de l'orthodoxie canadienne... eh bien, on
en vient à encourager les citoyennes et les citoyens à limiter au possible leur
adhésion et donc leur contribution à un tronc national commun et spécifique à
un territoire donné.
D'ailleurs,
le premier ministre Justin Trudeau en personne se réclame de cette absence
d'une quelconque identité nationale pour le Canada et il l'a clamé haut et fort
à de multiples reprises : Mesdames et messieurs, le Canada est le premier État postnational au monde, vaste
programme, alors que le concept d'État national est encore aujourd'hui et pour
longtemps la pièce maîtresse, le fondement
des relations internationales et des institutions qui encadrent ces dernières
telles que l'Organisation des Nations unies,
l'Organisation mondiale du commerce ou encore des sommets internationaux,
tels que ceux portant sur le climat.
Maintenant,
revenons au projet de loi n° 21. Est-ce que cette loi est parfaite? Bien sûr
que non. Est-ce qu'elle viendra régler
à elle seule l'ensemble des débats en lien avec l'identité québécoise, avec
l'équilibre fragile entre les droits individuels et collectifs, avec l'évolution de la hiérarchisation des libertés
actuellement en cour au Canada, le procès intenté à l'égard de la clause dérogatoire — ou encore clause «nonobstant» — ou encore ce que signifie pour le Québec
concrètement et quotidiennement d'être assujetti à un cadre législatif
et politique qu'il n'a jamais signé? Poser la question, c'est évidemment y répondre, et la réponse, c'est non.
Mais ce projet de loi présente aussi de grandes qualités, et je tiens à
féliciter le gouvernement québécois
d'avoir élaboré un projet de loi qui n'en est pas qu'un de façade, mais qui
pose de véritables balises réglementaires afin que le concept d'État
laïque puisse s'incarner concrètement dans la réalité.
• (15 h 50) •
D'ailleurs,
le Mouvement national salue la volonté des parlementaires de retirer le
crucifix de l'Assemblée nationale, un
symbole patrimonial d'une grande importance, certes, mais dont le maintien
s'avérerait tout simplement incohérent avec le processus de laïcisation
actuellement en cours.
Nous avons,
en plus, l'intime conviction que ce projet de loi en est moins un qui limite
les droits et libertés de la personne,
tels que la liberté de religion, mais plutôt un projet de loi qui garantit les
droits et libertés de ces mêmes individus, par exemple la liberté de conscience. Bien entendu, certains considèrent
que la moindre restriction à la pratique religieuse est automatiquement et
inacceptablement, bien sûr, de manière à brimer leurs droits et libertés. Or,
on ne parle pas ici de balises réglementaires portant une atteinte
disproportionnée aux droits et libertés des individus alors qu'il n'est pas question, évidemment, d'empêcher des individus de
croire en la religion de leur choix ou encore de leur permettre de mettre
de l'avant les pratiques et coutumes qui y
sont associées, bien sûr, dans le domaine privé mais aussi dans la très grande
majorité de ce que l'on peut appeler comme
étant l'espace public. Les quelques restrictions qui y sont proposées visent
simplement à s'assurer de l'absence de
référence au religieux quant à la livraison de services publics lorsque les
agents responsables de ces mêmes services occupent des fonctions
auxquelles on attribue une certaine forme d'autorité.
Sur ce point,
le Mouvement national est d'avis que le principe de neutralité étatique, qui
doit être nécessairement incarné par
les individus qui représentent cet État, doit faire l'objet d'une application
beaucoup plus ambitieuse et ainsi s'étendre à l'ensemble des agents et
agentes de l'État.
De plus, selon notre interprétation du principe
d'égalité entre les individus, nous ne sommes pas enchantés par la décision gouvernementale de faire appel aux
clauses de droits acquis, qui auront nécessairement pour effet de créer
deux classes de fonctionnaires.
Enfin, nous
considérons nécessaire que le gouvernement étende l'application des
dispositions du projet de la loi sur la laïcité de l'État aux écoles
issues d'un partenariat public-privé, c'est-à-dire les écoles dites privées
mais dont le financement provient en très grande partie, souvent en majorité,
de l'État québécois.
Bien que nous comprenons que c'est peut-être là,
pour le gouvernement, une façon de favoriser le plus large consensus possible... ou encore, si vous préférez,
pour limiter le nombre de poignées auxquelles les adversaires de la loi peuvent s'accrocher, nous croyons que les
principes sous-jacents à cette même loi nécessiteraient de telles
modifications.
Dernier
point. Le Mouvement national félicite le gouvernement québécois pour
l'utilisation de la clause dérogatoire ou
clause «nonobstant». Grâce à la publication d'une étude financée par l'Institut
de recherche sur le Québec en mars 2016 et portant sur l'historique de l'utilisation de cette clause au Québec et
au Canada, il a été démontré que son utilisation ne relève absolument
pas des cas d'exception. Cette clause est ainsi apparue dans pas moins de
106 alinéas au sein de 41 lois
entre 1975 et 2016. De plus, l'utilisation de cette clause présente de nombreux
avantages, tels que le fait de s'assurer que le principe de démocratie représentative puisse s'exprimer sans
contrainte, en confirmant la souveraineté du Parlement et donc des élus du peuple face aux tribunaux. Enfin,
cet outil législatif et constitutionnel a démontré sa très grande efficacité
lorsque le législateur a la volonté de
protéger une collectivité fragile au plan culturel telle que la nation
québécoise face à l'effet uniformisateur de la Charte canadienne des
droits et libertés de la personne.
Voilà, Mmes et MM. les
parlementaires, ceci complète le résumé, en à peu près 10 minutes, des
positions du Mouvement national des
Québécoises et des Québécois en lien avec la présentation du projet de loi sur
la laïcité de l'État québécois. Je vous remercie pour votre attention et
suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. Boucher. Effectivement, vous avez été parfait sur le
temps. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Boucher,
M. Bergeron, madame... Je suis désolé, je n'ai pas... Pardon?
Une voix : Déry.
M. Jolin-Barrette : Déry, Mme Déry. Bonjour. Bienvenue à
l'Assemblée nationale. Merci d'être présents ici pour présenter vos
observations sur le projet de loi n° 21.
D'entrée de
jeu, là, vous avez fait référence à la société québécoise, à son caractère
particulier. La conception de la laïcité
au Québec, selon vous, elle est distincte du reste du Canada et des États-Unis,
du reste de l'Amérique du Nord? Le rapport que les Québécois ont par
rapport à la laïcité, comment vous le décririez?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, je pense que chaque pays a sa propre
définition de la laïcité. On prend
les États-Unis, par
exemple. Pour eux, la laïcité
signifie neutralité de l'État, c'est-à-dire que l'État ne favorise aucune religion, bien que la religion est une partie intégrante de
leur politique, hein, ils terminent souvent leurs discours
par : «God bless America», des trucs comme ça, tu sais.
Pour ce qui
est du Québec, évidemment, le rapport à la laïcité est très différent. C'est-à-dire que les Québécoises et les
Québécois, les Canadiens français ont, disons, vu leur
vie en société être gérée par l'Église catholique à des niveaux
plutôt surprenants, tu sais, alors que
l'Église catholique en venait à contrôler les hôpitaux, les écoles, bref,
les services publics, tu sais. Et,
lorsque l'État québécois, les Canadiens français ont décidé de se
moderniser, comment dire, de faire une véritable révolution mais tranquille,
puisque nous sommes un peuple pacifique, eh bien, il était tout à fait évident que l'Église ne devait plus interférer dans les affaires
de l'État.
Et donc cette victoire pour les Québécoises et
les Québécois, le fait de reléguer la religion à l'espace qui normalement lui est donné, c'est-à-dire de ne pas interférer dans l'espace de l'État, eh
bien, c'est quelque chose qui fait partie
de notre histoire, et notre histoire relativement récente, hein? Ça ne fait pas si longtemps
que les religions n'interfèrent plus
dans les affaires de l'État ou n'interféraient plus comme elles le faisaient auparavant.
Donc, évidemment, le Québec
a sa propre conception de la laïcité,
c'est-à-dire ce désir de ne plus être assujetti à des règles
qui, eux, font appel au religieux pour gérer leur vivre-ensemble.
M. Jolin-Barrette : Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le cadre du
projet de loi n° 21, on vient inscrire dans la loi ce qu'est la laïcité, on vient définir la laïcité,
notamment qui a une composante de neutralité, quatre
critères, mais ce qu'on fait aussi,
c'est qu'on vient inscrire la laïcité dans la Charte
des droits et libertés de la personne,
la charte québécoise. Il y a beaucoup de gens qui disent que la charte québécoise
représente une partie de l'identité québécoise. Je voudrais vous entendre là-dessus, du fait qu'on vienne inscrire la laïcité
comme valeur fondamentale de la société, qu'est-ce
que vous en pensez, puis aussi du fait qu'on utilise... on
inscrit à l'article 9.1 aussi la laïcité comme un outil
d'interprétation juridique par
rapport aux droits fondamentaux. Je voudrais savoir, là, en rapport
de l'identité québécoise, comment vous voyez ça.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, évidemment, tel que l'égalité entre les
hommes et les femmes ou, en fait, le
fait que le Québec est une... bien, en fait, la nation québécoise, elle est
francophone, l'importance de la laïcité fait partie des valeurs fondamentales de notre nation, je le
crois. Et évidemment l'inscrire dans la charte fait en sorte que le principe de
la laïcité s'impose, finalement, auprès de l'ensemble des lois, puisque, s'il
n'était question que d'une loi, sur le même pied d'égalité que les autres lois, ça ne pourrait avoir la force que
vous lui conférez en l'inscrivant au sein de la charte, tel que, finalement, nous avons fait avec une loi qu'on
appelle la loi 101, mais qui n'est pas une loi comme les autres mais
bien une charte, la Charte de la langue
française, et que cette charte-là, elle est au-dessus des lois, c'est-à-dire
que les lois ne peuvent pas aller à l'encontre de la charte.
Alors, évidemment, c'était un geste politique
très fort que vous avez posé en inscrivant la laïcité au sein de la charte, puisque maintenant celle-ci aura force de
loi, si je peux m'exprimer ainsi, c'est-à-dire que les lois devront être
interprétées à l'aune de cette charte, désormais.
M. Jolin-Barrette : O.K. Tout à l'heure, vous avez abordé la question
des droits acquis. Vous dites : On n'est pas en faveur des droits acquis pour les personnes qui portent un signe
religieux en situation d'autorité, donc on parle des procureurs, des juges, des agents correctionnels,
des enseignants, des directeurs d'école notamment. Pourquoi vous êtes contre
le fait de mettre une disposition de droits
acquis, de maintien en emploi, je dirais plutôt, pour le même emploi pour la
même organisation?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, écoutez, c'est simplement de question de
principe. En introduisant une clause de
droits acquis, on pourrait se retrouver devant une situation où deux personnes
qui occupent le même poste au sein même d'une même institution
n'auraient pas, entre guillemets, tous les mêmes droits, c'est-à-dire qu'une
personne pourrait effectivement
afficher des signes religieux... bien, des signes religieux tout court, pardon,
«ostentatoires» vient du débat français
chez nos cousins, alors que l'autre ne pourrait pas, et donc, évidemment, il y
a comme une forme d'inégalité entre les deux individus.
Mais, comme
je disais, cette loi, elle ne pouvait pas être parfaite, puisque la perfection
n'existe pas en ce bas monde. Alors, on est simplement très heureux de
ce grand pas en avant, malgré les petits défauts qu'il présente.
M. Jolin-Barrette : O.K. Mais
votre organisation aurait préféré qu'il n'y ait pas de clause de droits acquis.
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Pour une question de principe.
• (16 heures) •
M. Jolin-Barrette : Principe.
O.K. Bon, sur la laïcité, on vient introduire dans le projet de loi les services à visage découvert ainsi que la réception des
services à visage découvert. Quelle est votre opinion là-dessus, sur le fait
que le gouvernement vient, pour des motifs d'identification et de sécurité,
inscrire cette obligation-là?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, je pense que vous respectez les principes, et
c'est cette idée où, vous savez, on
parle de laïcité de l'État et celle-ci doit avoir un effet sur le terrain. On
ne peut pas parler d'un véritable État laïque si les représentants de
celui-ci ont une image qui n'est absolument pas laïque, qui n'est pas neutre.
Et, bon, l'idée de recevoir les services à
visage découvert et les donner, c'est une idée qui fait son chemin depuis
plusieurs années, hein, je pense même
qu'il y a eu des projets de loi en cette noble Assemblée qui ont étudié la
question. Donc, je pense que vous faites simplement preuve de cohérence.
M. Jolin-Barrette : O.K. Justement, il y a eu plusieurs projets de
loi qui ont eu cours, depuis les 10 dernières années. Le projet de loi que nous présentons, de
l'avis du gouvernement, représente un projet de loi qui est modéré, qui est
applicable aussi.
Vous
dites dans votre mémoire : Bon, il y a les personnes en situation
d'autorité qui ne portent pas de signe religieux, ça va, mais éventuellement on souhaiterait aller
plus loin. Ce que vous proposez, c'est que l'ensemble des gens de la fonction
publique ne portent pas de signe religieux, ultimement?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : C'est exact, et encore une fois pour une question
de principe. On sait que c'est... On comprend la position
gouvernementale, seulement on vous fait part de nos commentaires. Mais on la
comprend.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la
question du crucifix, on a déposé une motion qui a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, invitant les
parlementaires à avoir la réflexion de déplacer l'endroit où est situé le
crucifix, du salon bleu, pour le
mettre en valeur ailleurs dans l'enceinte du parlement. Votre organisation,
c'est une organisation qui a une
expertise au niveau de l'histoire québécoise, au niveau du patrimoine.
Qu'est-ce que vous nous suggérez relativement au crucifix? Est-ce que
vous avez eu cette réflexion-là? Et comment vous entrevoyez ça, le fait de
retirer le crucifix?
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Bien, comme je le disais, évidemment on est en accord, puisque ce symbole patrimonial d'une grande importance ne pouvait
tout simplement pas rester au salon bleu puisqu'il incarnait à lui seul
l'assujettissement littéralement de la présidence de l'Assemblée au religieux,
hein? Il faut comprendre que c'était un mouvement ultramontain qui était
derrière le fait de mettre ce crucifix au-dessus de la tête de la présidence,
et, de le maintenir pour des raisons
historiques, disons que c'était un peu tiré par les cheveux. Et, vous savez, le
leadership, c'est souvent de montrer
l'exemple. Ce n'est pas juste de dire aux autres quoi faire, mais c'est de le
faire, d'abord et avant tout. Et ce
que l'Assemblée a fait, elle a envoyé un message très fort aux citoyens et
citoyennes du Québec en disant : Bien, nous retirerons ce crucifix, qui, bien sûr, doit, comment dire, être...
je ne dirais pas «honoré», mais il ne va pas dans un garde-robe, là, on s'entend, le crucifix doit être
mis en valeur, mais c'est le principe d'assujettissement de l'Assemblée
nationale au fait religieux qui ne pouvait être toléré.
M. Jolin-Barrette : Et, par rapport aux autres signes religieux qui
seraient présents au salon rouge... au salon bleu, pardon, faites-vous
une distinction?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, j'aimerais que vous développiez un peu, parce
que, là, vous me... De quel signe parlez-vous?
M. Jolin-Barrette : Bien, en
fait, supposons, les croix anglicanes qu'il y a au salon bleu.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Je dois vous... C'est la première fois que j'en
entends parler. Mais, si,
effectivement, il y a des signes religieux qui peuvent être retirés, qui ne
font partie, par exemple, des boiseries du salon bleu, bien, je pense
que la logique commanderait qu'on les retire, tout simplement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je vous remercie. M. le Président, je crois
que j'ai le collègue de Sainte-Rose qui souhaite poser des questions.
Le Président
(M. Bachand) : Oui. M. le député de Sainte-Rose, s'il vous
plaît. Merci.
M. Skeete :
Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence aujourd'hui parmi
nous. Moi, j'avais des questions
surtout par rapport à la clause dérogatoire. Je sais que vous êtes sortis en
faveur, j'aimerais vous entendre davantage
là-dessus. Au-delà des motifs juridiques, là, j'aimerais ça vous entendre,
qu'est-ce qui est le sentiment de... bien,
qu'est-ce que vous dites par rapport à la clause dérogatoire, au-delà du
juridique. Est-ce que vous avez une opinion par rapport au fait qu'on
l'a incluse dans le projet de loi?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Au-delà
du juridique, c'est un signe politique. Ce que vous dites, c'est que le Parlement est souverain, que les élus ont encore
le dernier mot à dire sur la façon dont on s'organise au sein de la société,
c'est-à-dire que vous permettez à ce qu'une loi soit effective, et je vous
salue de le faire.
M. Skeete : Donc, si je poursuis la logique de votre pensée,
et corrigez-moi si j'ai tort, c'est de dire, à quelque part : Il y
a les droits individuels et il y a les droits collectifs, la clause dérogatoire
s'inscrit dans cette lignée-là.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, effectivement, comme je le disais, et ce n'est pas moi qui l'ai dit, hein, c'est
d'éminents constitutionnalistes, là, la clause dérogatoire est un outil
fort utile lorsque vient le temps de protéger des minorités, par
exemple, au plan culturel qui
peuvent être fragiles, comme la nation québécoise ou encore d'autres minorités,
hein? Je me souviens que la clause
dérogatoire a été utilisée pour permettre aux commissions scolaires
anglophones de maintenir leur
identité, là, je ne me souviens plus exactement quel projet
de loi, je pourrais vous le trouver,
mais c'est un outil qui est fort
utile en ce sens puisqu'évidemment la Charte canadienne des droits et libertés de la
personne est un arbre vivant qui pousse en fonction des différents jugements,
et, de plus en plus, ce qu'on voit, c'est une hiérarchisation des libertés, on place des libertés plus hautes que
d'autres, et la clause dérogatoire, c'est simplement cette idée où les
parlementaires reprennent, entre
guillemets, le contrôle de ce qui... du comment qu'on peut s'organiser en
société, hein? C'est vraiment cette idée où le Parlement reste souverain, et ce
n'est pas ce qu'on désigne un peu aisément comme le gouvernement des
juges qui doit gérer notre vie en société.
M. Skeete :
Vous avez dit «gouvernement des juges». Pouvez-vous expliquer ce que vous
voulez dire quand vous dites ça?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, c'est simplement que, tu sais, dans le fond,
de laisser à des gens qui sont nommés,
un très petit nombre de gens... La Cour suprême c'est neuf personnes, neuf
personnes au Canada qui décideraient pour
l'ensemble des concitoyens, des gens qui sont non élus. À un moment donné,
politiquement, je pense que c'est questionnable.
Alors, la
clause dérogatoire, qui est un outil législatif prévu par la charte canadienne,
désormais, évidemment, la charte
québécoise, qui a été demandée à l'encontre de la volonté du Québec, elle
existe. Alors, bien, puisque les règles du jeu nous ont été imposées,
bien, on fait avec et on l'utilise lorsqu'on pense que c'est nécessaire.
M. Skeete :
Parfait. C'est fort intéressant. Moi, je pourrais continuer pendant plusieurs
moments là-dessus, mais je dois poursuivre.
Vous avez
fait le lien entre la loi 101 et le projet de loi n° 21.
C'est intéressant parce que moi-même, je suis porté à faire ces comparatifs-là. Je veux juste
m'assurer qu'on est sur la même longueur d'onde. Donc, pouvez-vous me dire
un petit peu qu'est-ce que vous pensez quand vous faites le lien entre les
deux?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, en fait, le lien, c'est qu'à nos yeux le
projet de loi sur la laïcité de l'État est un projet de loi important.
Ce n'est pas un projet de loi qu'on voit passer à tous les jours, voire même à
toutes les législatures, je le disais, c'est
un véritable geste d'affirmation national. Et, lorsque je regarde les réactions
des opposants, bien, je me dis :
Mon Dieu! on aurait pu transposer le truc pour la loi 101, c'est
exactement la même chose, alors que, lorsque le Dr Camille Laurin a
apporté la loi 101, bien, écoutez, les choses... tout ce qu'on a entendu
dire, il y aurait un exil de la population
anglophone, des gens perdraient leur emploi, et tutti quanti, alors
qu'aujourd'hui on a même le très fédéraliste... Bien, il n'est plus
député, je crois, mais un Stéphane Dion a vanté la loi 101 comme une
grande loi canadienne qui avait réussi à apaiser
les conflits. Alors, qui sait? Peut-être que, dans 25 ans, ces mêmes gens
qui aujourd'hui décrient l'adoption de la loi sur la laïcité vont
dire : Bien, écoutez, c'est une loi extraordinaire puisqu'elle a contribué
à atténuer les tensions liées au retour du religieux dans l'espace public.
M. Skeete :
Bien, je peux vous dire que je suis d'accord, parce qu'un des dossiers que je
porte ici, à l'Assemblée nationale,
je suis adjoint parlementaire du premier ministre, responsable des affaires
avec les relations avec les Québécois d'expression
anglaise, et, je peux vous dire, tous les groupes que je rencontre sont
maintenant ralliés à la loi 101. Donc, c'est un peu en ce sens-là
que je partageais votre point de vue.
J'aimerais ça
aussi vous entendre sur... On entend que le projet de loi n° 21
va retirer des droits, va brimer des droits, mais je serais curieux de vous
entendre parce que vous avez écrit dans votre mémoire : C'est la meilleure
garantie de la liberté de conscience, donc on ne va pas enlever des
droits, mais, en fait, on va garantir des droits de liberté de conscience.
J'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus.
• (16 h 10) •
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, comme je le disais en introduction, vous
savez, oui, bien sûr qu'il y a certaines restrictions dans ce projet de
loi là, et ces règles-là vont faire en sorte que, non, une personne pourrait ne
pas pouvoir exprimer sa religion comme elle
pourrait le faire s'il n'y avait pas de règles. Par contre, on est convaincus
que cette atteinte aux droits et libertés, elle est toute proportionnée, considérant que
les gens qui traitent avec l'État,
eux aussi, ont des droits et
libertés, dont la liberté de conscience. Ils ont le droit de traiter avec un représentant de l'État qui est neutre si on choisit, et je pense que c'est le choix que les Québécoises
et les Québécois ont fait, que l'État québécois
est neutre au plan religieux, tu sais.
Et donc c'est
cette idée où, comment dire, le... Vous savez, les opposants à ce débat
disent : Écoutez, ça n'a pas d'allure, on ne permet pas aux gens de vivre, comment dire, leur
religion. Or, dans d'autres débats... Prenons, par exemple, ce qu'on fait avec les statues de Macdonald, qui évidemment,
bon, a été le fondateur du Canada, entre guillemets, ou en tout
cas un des pères fondateurs, mais qui
a aussi, disons, plutôt maltraité les nations autochtones. Eh bien, qu'est-ce qu'on fait avec cette statue-là? Est-ce qu'on la glorifie en la gardant là ou
encore, étant donné les ravages qu'il a faits auprès des nations autochtones et ce que pourraient en penser
les autochtones d'aujourd'hui, bien, il faut le retirer? Donc, autrement
dit, on questionne la présence d'une statue,
la statue de Macdonald, en fonction du ressenti des gens qui regardent la
statue. Or, dans le cas des opposants
à cette loi, le ressenti des gens qui font face à une personne qui affiche des
signes religieux, ça, ça n'a pas du
tout d'importance, ce n'est que ce que vit la personne qui est important. Je
m'excuse, on vit en société, et le
ressenti, l'impact qui est vécu par les gens qui font face à une telle
situation, il doit être pris en considération, et non pas seulement ce
que ressent la personne.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Je me tourne maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Merci beaucoup.
Bonjour, messieurs et madame. Contente de vous recevoir, de vous écouter.
Vous avez une
phrase, à la page 4, qui m'a agréablement surprise, parce que vous êtes
probablement un des seuls mémoires, à
date, qui parle de cette façon-là, dans le troisième paragraphe : «On
notera que, devant ce nouveau
contexte — donc les
rapports de la politique, le religieux qui ressurgit, et ça, aucune société n'y
échappe — le
Québec ressent comme jamais la
tension entre son ancrage américain et ses racines françaises, mais que ces
appartenances croisées peuvent lui donner une inventivité collective
exceptionnelle.» C'est une des approches que j'aime beaucoup avoir moi-même, de parler du croisement qu'on a entre le
fait d'être des Nord-Américains et le fait d'avoir des racines françaises.
Maintenant,
dans la suite, on comprend bien — et ce sera ma question — qu'est-ce que vous trouvez d'exceptionnel
dans cette inventivité? Qu'est-ce que vous attribuez, donc, à la partie de
l'ancrage américain?
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Qu'est-ce que l'on attribue à...
Mme David :
...ce croisement-là, cette interpénétration d'influences américaines et
françaises devrait donner une inventivité
collective exceptionnelle. Quelle est la part de l'ancrage américain ou
nord-américain dans votre inventivité exceptionnelle?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, écoutez, un exemple très concret : la
laïcité mise de l'avant par l'État français. Ils ont été même jusqu'à obliger les jeunes hommes et les jeunes femmes
de ne porter aucun signe religieux ostentatoire à l'université. Est-ce qu'il est ici question
d'empêcher les élèves des universités, des institutions postsecondaires de
porter des signes religieux? La réponse, c'est non. Alors, il y a là,
par exemple, une très grande différence entre nos racines françaises, nées sous
le lis, et, disons, notre bagage américain, anglo-saxon, grandi sous la rose.
Mme David :
Donc, on pourrait conclure que vous trouvez que c'est une belle influence que
d'avoir un ancrage nord-américain, et
puis que justement d'étendre trop loin ou même de jouer dans cette valeur de la
laïcité n'est peut-être pas si bon que ça?
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Bien, je dois vous avouer, je ne sais pas où ce que vous voulez aller, mais effectivement je suis très fier de notre parcours
unique qui est le nôtre alors que nous sommes effectivement le mariage
de traditions et de coutumes qui viennent de partout à travers le continent. Je
n'ai jamais caché cela.
Mme David : Là-dessus, on est
d'accord. On est d'accord.
Maintenant,
vous dites des choses qui sont peut-être un petit peu plus sévères. Quand vous
dites, dans les recommandations, à la
page 10, qu'il faut, on en a parlé avec un député du gouvernement,
«maintenir le recours à la clause dérogatoire,
qui permet de réaffirmer que la laïcité est un principe politique relevant des
grands choix collectifs d'une société,
et rappelle que le peuple québécois devrait décider lui-même de son avenir en
la matière sans subir d'aucune manière la
tutelle fédérale», à moins que je me trompe, puis je pense que je ne me trompe
pas, c'est sûr que plusieurs groupes en font un enjeu presque
fédéraliste-souverainiste, souveraineté. Vous dites même, au début, que ce
projet-là est un projet autonomiste d'un gouvernement...
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
D'affirmation nationale.
Mme David : ...d'affirmation nationale, vous le dites très
bien, d'entrée de jeu, mais il me semble... Et même le ministre y a référé tout à l'heure en l'appelant,
d'ailleurs, je le souligne, la charte
québécoise des droits et libertés. C'est la charte des droits et libertés du Québec, mais elle l'est, québécoise,
et il a tout à fait raison. Elle a été adoptée en 1975, elle a été
adoptée avant la charte canadienne, qui s'est vraiment influencée ou inspirée de
la charte québécoise. Et à l'article 29 de ce projet de loi ci, évidemment, on dit : On
va passer par-dessus les chartes et puis, justement, on va aller en clause dérogatoire, mais, quand on parle de charte
québécoise des droits et libertés, tel que le ministre l'a même baptisée,
bien, il y a le mot «québécois» là-dedans.
Alors, pourquoi on en fait toujours un enjeu fédéral-provincial, alors que
c'est un enjeu tout autant
québéco-québécois? Cette charte-là, elle a été votée à l'unanimité par le gouvernement
du Québec, très fier, en 1975, de
l'adopter. Alors, comment vous la trouvez, cette charte-là, pour en faire un
enjeu fédéraliste-nationaliste, d'autonomie, d'affirmation nationale? Je
ne suis pas sûre de vous suivre.
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Vous me parlez de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec?
Mme David : Du Québec, qui est
aussi...
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Je n'ai pas l'impression de le transformer en un
débat fédéraliste-souverainiste. Tout
ce que je dis, Mme la députée, c'est que cet outil législatif permet de
restaurer la souveraineté parlementaire face aux jugements des tribunaux et il permet aussi de protéger des
communautés fragiles aux plans culturel, économique ou autres face à l'effet uniformisateur de la Charte
canadienne des droits et libertés de la personne. C'est tout. C'est de dire
que les élus doivent avoir le dernier mot, et non les tribunaux, puis ce n'est
pas plus compliqué que ça.
Mme David :
Bien, je vous entends bien, là, je... mais ce n'est pas exactement ce que vous
dites dans la fin de votre phrase
quand vous dites : «...le peuple québécois devrait décider lui-même de son
avenir — ce n'est
pas exactement ce que vous venez de
dire — sans
subir d'aucune manière la tutelle fédérale.» Donc, ce n'est pas seulement de ne
pas subir la tutelle des tribunaux,
quels qu'ils soient, mais c'est la tutelle fédérale. Donc, on sent un côté
peut-être... ou il y a une dimension
dans ça... Même quand vous parlez de la loi 101 et l'affirmation
nationale, il y a quelque chose fédéral-provincial dans les enjeux
soulevés, non?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien, écoutez, vous pourriez peut-être m'enseigner,
hein, quelle loi québécoise a été invalidée par la Cour d'appel du
Québec, par exemple, ou par les tribunaux québécois. Je connais plusieurs lois
québécoises qui ont été amoindries par, évidemment, la Cour suprême du Canada.
La loi 101 en est l'exemple même.
Mme David :
J'aurais une autre question. Qu'est-ce que vous pensez du concept d'autorité
coercitive? Dans la page 13 du
projet de loi, l'annexe II, quand on parle que l'autorité coercitive, bon,
on va jusqu'à un régisseur, Commission d'accès à l'information,
protection du territoire agricole, Régie de l'énergie, Régie des marchés
agricoles. Est-ce que, pour vous, conceptuellement, il y a quelque chose d'une
autorité, dans tout ça, et même coercitive?
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Les choix qui ont été faits par le gouvernement est les siens, est les leurs. C'est-à-dire que nous, je l'ai dit très
clairement, on n'aurait même pas fait de différence entre des gens qui occupent
des postes d'autorité et des gens qui
n'en occupent pas, croyant que la neutralité de l'État doit s'incarner par la
neutralité des individus qui représentent
cet État, peu importe la fonction qu'ils occupent. Alors, qu'on parle de
régisseur ou qu'on parle de... Les choix qui ont été faits dans le
projet de loi actuel sont ceux du gouvernement. Moi, je n'irai pas jusqu'à, comment dire, questionner, comment dire, le niveau
d'autorité qu'on a accordé à une fonction en particulier puis non à une autre fonction. Nous, on vous dit même
plutôt : Bien, le principe de laïcité, à nos yeux, aurait commandé que
l'ensemble des agentes et agents de
l'État puissent, dans le cadre de leur travail, bien évidemment, et seulement
dans leur cadre de leur travail, afficher une neutralité au niveau
religieux.
Mme David :
Quand vous dites, tout à l'heure : La laïcité aura force de loi dans la
charte, alors, vous être très, très
heureux de ça, mais il me semble que, dans la même charte, à commencer par la
québécoise, la liberté de religion est aussi inscrite, alors vous hiérarchisez
un peu les forces de différentes inscriptions dans cette charte.
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Mettons que la hiérarchisation des droits et libertés, au Canada, ce n'est pas nécessairement au Québec que ça se passe, c'est
plutôt au niveau fédéral. Ce qu'on vous dit, c'est que ce principe-là, à mes
yeux, est fondateur de l'identité québécoise et qu'en ce sens il doit être
inscrit dans cette charte, alors que la charte, évidemment, est plus qu'une
loi, c'est une loi en fonction desquelles les autres lois doivent se définir.
Mme David : M. le Président, je
passerais la parole à...
• (16 h 20) •
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.
M. Tanguay : La demande... Bonjour. Merci beaucoup d'être là pour nous aider à réfléchir collectivement. Sur votre demande de vous citer un exemple d'une cour québécoise
qui aurait invalidé une loi québécoise en vertu d'autre chose que de la charte
canadienne, bien, je vous soulignerais que la Cour d'appel, dans le contexte de
l'arrêt Ford, avait invalidé la
Charte de la langue française en vertu notamment de la charte québécoise des
droits et libertés. Ne trouvez-vous pas que c'est un bon exemple en soi?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien,
écoutez, je vous remercie de m'en informer, mais à nouveau, à mes yeux,
je me questionne encore où voulez-vous aller avec ça, là, qu'est-ce que vous
voulez démontrer par là.
M. Tanguay : Parce que, quand on fait une dichotomie entre la
protection offerte par la charte canadienne et la charte québécoise,
c'est là où je veux aller, la charte québécoise des droits et libertés a été
adoptée unanimement et a permis, entre
autres, un rééquilibrage de la loi 101, et qui n'a jamais été remis en
question par quiconque. Il n'y a pas eu de clause «nonobstant» pour faire en sorte que, suite à l'arrêt Ford, qui a
rendu illégal et invalide la loi 101 qui disait que c'était
affichage unilingue en français, maintenant c'est prépondérance du français...
Ça, ça a été jugé invalide par la Cour
d'appel et Cour suprême en vertu de la charte canadienne mais de la charte
québécoise. C'est là où je veux en venir. Alors, comment pouvons-nous donc mettre ça... faire une distinction
entre les deux chartes? Ne trouvez-vous pas utile que nos lois soient passées par le test notamment
de notre charte québécoise, qui respecte... et qui veut que les libertés
de tous soient respectées?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Évidemment, je ne suis pas juriste, hein, je n'ai
pas une grande expertise dans le domaine.
Seulement, ce que... Et là vous m'avez parlé de l'arrêt Ford. Ce que j'ai
trouvé bien dommage, c'est que cet arrêt,
en dépit du fait qu'il ait effectivement amoindri la portée de la loi 101,
a quand même reconnu la capacité du Québec à afficher de manière prépondérante le français. Ce n'est pas juste une
présence du français dans l'affichage commercial comme malheureusement
on a vu être incarné par l'adoption d'un règlement, là, au cours de la dernière
législature.
Alors,
évidemment, il est intéressant que toutes les lois respectent les chartes. Et
moi, je pense qu'en inscrivant la laïcité dans la Charte des droits et libertés
de la personne, bien, nécessairement, les lois devront respecter cette
même charte. Mais, à nouveau, à nouveau, la
clause dérogatoire, ce qu'elle permet, c'est de s'assurer que, finalement,
notre société ne soit pas régie par
l'interprétation que font les tribunaux de la Charte des droits et libertés de
la personne, mais bien par les élus, c'est-à-dire les gens qui ont été
démocratiquement désignés pour décider des grands principes qui gèrent le
vivre-ensemble au Québec.
M. Tanguay :
Mais vous dites ça, en même temps, en disant qu'il y avait eu du bien au test
des tribunaux, qui nous avaient
permis de trouver une paix linguistique par la prépondérance du français. Donc,
si nous avions utilisé de façon permanente la clause «nonobstant», on
n'aurait pas eu ce rééquilibrage-là. Et même des gouvernements du Parti
québécois n'ont jamais remis ça en cause, la prépondérance du français.
Une voix :
...
M. Tanguay :
...nationale gagne à être adoptée sous le bâillon et avec une clause
«nonobstant»? Croyez-vous qu'on parle d'un vivre-ensemble qui nous
assure un avenir meilleur?
Le
Président (M. Bachand) : Très rapidement.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Honnêtement, là, pour ce qui est du bâillon, ça
fait environ 10 à 12 ans, là, qu'on parle des accommodements raisonnables, je pense qu'il est tout à fait
normal que le gouvernement puisse procéder. Et là, actuellement, on en est à débattre, là, il n'y a
pas de bâillon. Moi, comme ex-parlementaire, j'ai passé des nuits entières
à l'Assemblée nationale pour traiter de lois
qui n'avaient pas fait l'objet de consultations particulières en précédent et
qui n'avaient pas fait l'objet d'une
longue discussion portant sur des années avec le rapport de la commission
Bouchard-Taylor et autres. Les
positions, là, sur la laïcité, on les connaît, ça fait très longtemps que les
acteurs et les actrices se sont posés dans ce débat-là. Et que le
gouvernement veuille procéder...
Le
Président (M. Bachand) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Puis de toute façon, le bâillon, ce n'est pas dit
qu'il va être utilisé, là, ça dépend, évidemment,
des parlementaires et de l'utilisation que feront les parlementaires des outils
législatifs à leur disposition.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Merci beaucoup, M Boucher.
M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, j'aimerais savoir, vous avez fait une
analogie étonnante tout à l'heure : La statue de
John A. Macdonald, est-ce que c'est une personne?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Bien non. Elle représente une personne, M. le député.
M. Zanetti :
Mais ce n'est pas une personne humaine, donc elle n'a pas des droits. Ça fait...
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Ce n'était qu'un exemple, et je voulais faire le
parallèle, M. le député...
M. Zanetti :
Oui, je comprends. Non, mais vous avez répondu à ma question. J'ai d'autres
questions, inquiétez-vous pas,
inquiétez-vous pas. C'est que vous
faites comme s'il n'y avait pas de différence entre une statue puis une personne qui
porte un voile, qui est une personne humaine, qui a des droits, et ça, je trouve ça
grave. Mais je n'ai pas de question
par rapport à ça.
Vous faisiez
une analogie, une autre analogie aussi entre la loi 101 et le projet de loi qui est actuellement à l'étude en disant : C'est une grande avancée, etc. La loi 101, je vous
suis tout à fait, grande avancée. Malheureusement, aujourd'hui, on
devrait la faire avancer encore plus, mais ça, c'est un autre débat. Mais il n'y a
aucun lien entre ça et le projet qui est sur la table. La loi 101, ça servait à protéger le français de
quoi? D'un recul du français. Mais de quoi nous protège le projet de loi n° 21?
Quelle est la menace?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : D'abord,
M. le député, j'utilisais l'exemple de la statue comme
un exemple parmi tant d'autres, je vais vous en donner
d'autres. Nous avons un producteur qui a mis sur pied une pièce de théâtre
et ensuite a été accusé de s'approprier...
M. Zanetti : Je préfère qu'on
réponde à la question, quand même.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage,
je vais donner la chance à M. Boucher de répondre, mais, M. Boucher, vous connaissez bien les
règles, il n'y a pas beaucoup de temps. Alors, je vous permettrais de... Si
vous pouvez répondre rapidement.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Oui. Bien, simplement que je me questionne sur
l'utilisation que fait M. le député, là,
de mon exemple sur la statue alors que j'aurais pu donner d'autres exemples qui
concernent des personnes qui ont été brimées, par exemple, dans leur
liberté artistique, tu sais. Alors, bon, la statue... Et l'autre...
Le Président
(M. Bachand) : ...Jean-Lesage, s'il
vous plaît.
M. Zanetti : Je réitère ma question. Alors, la
loi 101 répondait à un problème de recul du français au Québec. Et donc à quel problème, à quelle
menace répond le projet de loi actuel que vous appuyez?
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : Au cours
de la Révolution tranquille, les Québécoises et les Québécois ont décidé que le religieux n'allait plus
interférer dans les affaires de l'État, dans les services publics. Évidemment,
nos sociétés sont en
constante évolution, et, on constate aujourd'hui, la population du Québec juge que l'on se doit d'adopter cette loi non
seulement pour aller jusqu'au bout, finalement, pour aboutir à ce processus qui
est entamé depuis très longtemps...
M. Zanetti : Vous ne répondez
pas à la question.
M. Boucher
(Etienne-Alexis) : ...mais
de surcroît pour faire face à des phénomènes qui peuvent être, par exemple, désignés comme étant le retour
du religieux dans l'espace public.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup. M. Boucher, je vous remercie. Je passe maintenant la parole...
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Et j'ignore pourquoi vous êtes insatisfait...
Le Président
(M. Bachand) : S'il vous plaît, on
n'est pas en débat, on est en discussion libre, en échange. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M. Bérubé : Merci, M.
le Président. Alors, bienvenue à l'Assemblée nationale. Vous avez indiqué tout à l'heure que... penser
la laïcité comme une manifestation d'autonomie collective — et ça, j'aime bien — que l'Assemblée nationale, avec ses parlementaires élus, qui représentent
notre peuple, puisse adopter des lois qui sont nécessaires pour l'avenir notre
nation. Je pense à la loi 101,
effectivement, et la loi 101, c'était un geste d'affirmation fort. Et ce
n'était pas unanime. D'ailleurs, s'il
avait fallu attendre l'unanimité, par exemple, du Parti libéral, qui a voté
contre la loi 101, on n'aurait pas la loi 101 aujourd'hui.
Alors, c'était nécessaire pour notre nation, puis on l'a fait.
Il se peut qu'on n'ait pas l'unanimité des
parlementaires pour le projet de loi n° 21, en tout
cas au début des courses, là, c'est
possible, mais je pense que c'est aux parlementaires à trancher cette question,
pas les tribunaux, pas le gouvernement
fédéral. Pourquoi je vous parle du gouvernement fédéral? D'abord parce qu'on
est une province, le drapeau rouge
là-bas nous le rappelle, on est une province canadienne. Alors, ça fait en
sorte qu'on peut adopter ce qu'on veut, mais le gouvernement fédéral pourrait décider d'avoir une attitude
particulière qui brime ce geste d'autonomie collective, cette manifestation d'autonomie collective. À
titre d'exemple, le premier ministre actuel, M. Justin Trudeau, advenant
sa réélection à l'automne prochain, pourrait
utiliser une procédure qui s'appelle le désaveu, le désaveu d'une loi
québécoise.
Alors, moi, j'aimerais vous entendre. Qu'est-ce
qui arriverait si les parlementaires, heureux d'avoir adopté la meilleure législation possible, même s'il y a des
gens qui ne sont pas en accord, mais la meilleure loi possible, c'est toujours
ce qu'on veut faire, se retrouveraient avec
une loi contestée par le gouvernement fédéral, non appliquée par le
gouvernement fédéral, contestée? Et
je parle de Justin Trudeau, mais ça pourrait être Andrew Scheer, qui
n'est pas plus sensible à la laïcité québécoise,
ou Jagmeet Singh. Le seul qui l'est, c'est Yves-François Blanchet, du Bloc
québécois, au fédéral, mais il ne prendra
pas le pouvoir. Alors, ma question : Si le gouvernement fédéral décidait
de faire une offensive face à ce geste d'autonomie collective, quelle
devrait être la réaction des parlementaires de l'Assemblée nationale et de
toutes les personnes qui trouvent que cette loi est nécessaire pour le Québec?
Le Président
(M. Bachand) : M. Boucher.
• (16 h 30) •
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Bien, je pense qu'ils devraient
défendre férocement l'application de cette loi, qui, à nouveau, est une loi progressiste, là. Je veux dire, c'est
incroyable, je veux dire, au XXIe siècle, de prôner le retour du religieux dans les affaires de l'État, et de
s'y opposer, alors que la laïcité, c'est un principe progressiste, là, qui est en
vogue, là, comme, là, puis qu'il n'y a
personne qui s'y opposait il y a encore seulement quelques années, là, donc on
peut se questionner.
M. Bérubé : Vous avez tellement raison, parce que, pour
certaines personnes, s'afficher comme religieux, ça va de soi, mais de s'afficher comme nationaliste, ça,
c'est suspect. Je vous le dis, là, vous êtes nationaliste, vous vous promenez
avec le drapeau québécois; vous avez
nécessairement une pensée dans la tête, vous êtes quelqu'un qui a certainement, là, l'esprit plus bouché. Nationaliste, là, c'est suspect. Mais
s'afficher de façon religieuse, ça, il faudrait encourager ça.
Alors,
moi, je vais vous dire que je suis un indépendantiste, vous le savez, mais un
nationaliste qui pense aussi que
c'est noble de s'afficher pour sa nation et c'est noble d'adopter des lois pour
sa nation. Et c'est pour ça que nous, on a envie de contribuer avec les parlementaires
à adopter la meilleure loi possible. Mais, s'il fallait que le gouvernement
fédéral bloque cette volonté, il m'apparaît que la réaction devrait être
très forte.
Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup, M. le député. Ça met fin pour
cette période-ci. Alors, je vous remercie infiniment d'avoir été
présents avec nous.
Je
vais suspendre les travaux quelques instants pour permettre au prochain groupe
de prendre place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
16 h 31)
(Reprise à 16 h 36)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre! À l'ordre, s'il vous
plaît! Merci. S'il vous plaît, on prend place.
Alors,
je souhaite maintenant la bienvenue à l'Association québécoise des
Nord-Américains... Nord-Africains pour
la laïcité. Alors, bienvenue. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, et après ça nous allons passer à une période
d'échange. Alors, je vous cède la parole. Je vous demanderais de vous
identifier et de débuter votre exposé. Et, encore une fois, bienvenue.
Association
québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL)
M. Chikhi (Ferid) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Mon nom
est Ferid Chikhi, je suis membre
fondateur de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité. Et je
suis accompagné de mon ami, M. Ali
Kaidi, docteur en philosophie et membre fondateur aussi de l'Association
québécoise des Nord-Africains pour la laïcité.
On
vous remercie de nous inviter et de nous donner du temps pour présenter notre
avis sur le projet de loi n° 21 portant
laïcité de l'État québécois. C'est pour dire que, pour les membres d'AQNAL,
même s'il recèle quelques insuffisances, le projet de loi n° 21 propose un contenu rassembleur. N'en déplaise
aux détracteurs de la laïcité, il offre un minimum de garanties pour aller dans le sens d'une laïcité
qui permet à l'État québécois de préciser, entre autres, et de consolider
la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État,
qui évite les discordances dans les liens entre le cultuel et le politique, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes
comme fondement de base d'une société de progrès et la liberté de conscience, la liberté de religion
garanties pour tous, que ce soit pour les aînés, les hommes et les femmes, les
jeunes et surtout les enfants. Les membres
de notre association sont en phase avec ces principes, qui, malgré le fait
qu'ils ne couvrent pas tous les
aspects qu'ils souhaitent, que nous souhaitons, ne constituent pas moins un
minimum qui garantit, nous le répétons souvent, le bien-vivre ensemble
et en bonne intelligence, ce qui manque beaucoup.
Afin
d'étayer notre proposition, nous avons convoqué quelques Nord-Américains, rien
de moins que des pères fondateurs des
États-Unis, qui se sont prononcés en faveur de la séparation des institutions
de l'État et des Églises, même si la
Constitution des États-Unis proclame que c'est en Dieu qu'ils croient. Ce
principe vaut pour toutes les religions. Et je regardais, en haut, Dieu
et mon Droit. Bon, quel dieu? Je ne sais pas.
George
Washington a dit : «Tous possèdent également la liberté de conscience et
les protections de la citoyenneté. Le
gouvernement des États-Unis n'apporte aucun soutien au sectarisme ni assistance
à la persécution et requiert seulement que tous ceux vivant sous sa
protection se conduisent en bons citoyens.»
James
Madison a été clair et précis lorsqu'il a soutenu : «Le gouvernement n'a
pas l'ombre d'un droit de se mêler des religions ou de religion. Sa plus
petite interférence serait une usurpation flagrante.»
Qu'on
le veuille ou non, ce qui dérange le plus les citoyens du Québec, c'est que,
depuis une dizaine d'années, les
forces de l'inertie empêchent la société tout entière d'évoluer dans la
cohésion et l'harmonie en mettant en oeuvre parmi tant d'autres instruments institutionnels la laïcité.
Pour ces forces d'inertie qui veulent empêcher tout un chacun de vivre
sereinement, en harmonie avec les autres et loin des dogmes qui paralysent, ces
groupes et minorités extrémistes font de la
dissidence leur activité quotidienne, appuyés de quelques individus qui, de
leur tour d'ivoire, voudraient influer sur la gouvernance de l'État québécois. Ils abordent la laïcité non pas pour la
valider et la renforcer, pour le bien de toutes et de tous, mais pour empêcher son application afin de
faire avancer un projet politique et théocratique. Et ils ne veulent pas d'un
projet de société rassembleur qui permettrait à tous les citoyens et toutes les
citoyennes de vivre ensemble et toujours en bonne intelligence, c'est
notre conviction.
• (16 h 40) •
Notre
propos, celui de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité,
se veut un élément parmi tant d'autres
qui aiderait à aborder la question de la laïcité et, par extension, celle de
l'immigration sous un angle différent et tout à fait exceptionnel. Même si les points abordés ont déjà été
analysés et discutés, nous sommes d'avis qu'un gouvernement décide à la majorité de ses électeurs de voter des
lois. Celles-ci s'appliquent à toutes et à tous sans discrimination ni stigmatisation. Toutes celles et tous ceux qui
refusent de s'y conformer, qui appellent à la dissidence civile ne sauraient
être qualifiés que de subversifs impénitents.
Une société
civile et des obligations des membres, parce
que c'est ce qui manque ici, au Québec. Pourquoi
cette société en particulier? Pourquoi vivre avec des personnes
avec lesquelles nous n'avons pas nécessairement voulu vivre et nous soumettre à des règles auxquelles on a décidé de ne pas respecter?
En fait, à cette question, il est factuellement délicat de répondre dans le détail. Les philosophes de
l'époque moderne ont construit des cadres et proposé des modes de vie. Par des structures de pensée, ils ont investi dans
ce qu'ils pensaient devoir placer au centre de la société
pour son harmonie. Il faut par
conséquent supposer que la société a été créée par une décision des hommes et des
femmes qui la composent et que les
règles qui la régissent, les droits et obligations des citoyens
peuvent être expliqués, voire déduits de cette décision constitutive, ce qui implique que l'on s'interroge
sur son essence. L'immigrant, les immigrants, par leur diversité, sont nouveaux dans
la société moderne du Québec, et quelques-unes de ses lois ne conviennent pas à
certains, qui veulent imposer leurs lois, et c'est là que le bât blesse.
Du statut de citoyen
avant tout. L'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité
souligne qu'une grande proportion d'immigrants arrivent au Québec avec la ferme volonté d'y vivre une citoyenneté
à part entière ainsi que la ferme
intention de faire partie de la société d'accueil selon les valeurs universellement
admises et acceptées de part et
d'autre. Ils ont toutefois été disponibles et disposés à assumer leur part d'obligations
pour l'harmonie et la cohésion, encore une
fois, de la société. Ils sont venus au Québec, au Canada pour être considérés
comme des citoyens à part entière. AQNAL
n'est pas contre le fait de délimiter des espaces démocratiques pour les
personnes, mais alors pourquoi ne pas les nommer par le concept qui leur convient le mieux, c'est-à-dire celui de
citoyens, des membres de la cité, qui partagent un destin commun?
Je laisse mon ami terminer.
M. Kaidi
(Ali) : Au Québec, la
question de la laïcité a été et sera pour longtemps controversée, tant que
l'État n'a pas pris clairement position en faveur des valeurs fondamentales du
pays tout en les priorisant. Il ne doit pas, par ses hésitations et ses considérations conjoncturelles,
aller à contresens, à contre-courant de ce que la société attend de lui.
La laïcité est le seul dispositif, et le seul mécanisme, et la seule
construction institutionnelle qui aide à la conjugaison positive des convergences citoyennes. L'État doit prendre clairement
position en faveur des valeurs fondamentales du Québec et les prioriser. L'État ne doit pas inciter la fragilisation des
assises démocratiques du Québec que tant de générations, y compris
libérales, ont contribué à bâtir et se prononcer seulement pour la neutralité
religieuse.
Donc, je vais
aller directement à la conclusion et aux recommandations. Donc, notre
association voit qu'il faut adopter
sans hésitation la clause «nonobstant», s'il y a difficulté d'affirmer la
laïcité au Québec; étendre l'interdiction du port de toute forme de
signe de religion à l'ensemble des employés exerçant au sein des institutions
publiques ou parapubliques, et notamment
celles de l'éducation nationale — donc, il faut y aller au-delà de l'école
seulement, mais il faut y aller aux garderies et les centres
d'éducation; remplacer le concept de personne par celui de citoyen, parce
que la laïcité et la démocratie s'adressent
directement aux citoyens et non pas à des croyants ou autre chose; développer
une philosophie du bien-vivre
ensemble et du vivre en bonne intelligence; mettre en oeuvre des programmes
d'initiation aux cultures
institutionnelle et culturelle du Québec — donc, par exemple, le cours d'éthique et de
culture religieuse, pourquoi ne pas
remplacer son contenu par ce qu'on propose ou bien carrément faire ce qu'on
appelle la philosophie pour l'enfant, c'est
mieux que leur enseigner des religions; réfléchir à la mise en oeuvre d'une
stratégie d'intégration socioculturelle et insertion socioprofessionnelle
des personnes immigrantes, y compris celles qui sont arrivées depuis plus de
cinq ans. Et merci.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, merci, M. le Président. M. Chikhi,
M. Kaidi, merci de votre présence ici, à l'Assemblée nationale.
Merci pour la présentation de votre mémoire.
Je dénote de
votre mémoire que, pour votre organisation, la laïcité, c'est fort important,
pour les Nord-Africains. Vous
dites : C'est fondamental, dans le fond, et vous nous encouragez à
poursuivre dans la voie que nous avons... que le gouvernement a choisie
avec le projet de loi n° 21. Pourquoi c'est si important pour les membres
de votre groupe, la laïcité de l'État?
M. Chikhi (Ferid) : En fait, c'est important parce que, tout
simplement, on évite les sujets difficiles à traiter et qui ont des
considérations d'ordre personnel,
identitaire, culturel, régional, et ainsi de suite. On peut parler de citoyenneté,
on peut parler de ce qui nous est commun, on
peut trouver des solutions pour tout ce qui concerne les problématiques qui nous bloquent.
Je prends un exemple
concret : l'emploi. On parle souvent des musulmans et notamment
des femmes voilées qui vont perdre ou
qui ont perdu leurs emplois, il n'y en a pas beaucoup, d'après ce qu'on
dit, mais on ne parle jamais des blancs
comme nous, puisqu'on nous désigne comme ça, on est invisibles dans la société, et qui ne
trouvent pas d'emploi parce que, tout simplement, ils portent un nom qui n'est
pas québécois, qui n'est pas francophone. Ça, ça peut être résolu en essayant d'expliquer, de parler de compétences,
de qualifications sans interférer avec la religion. Mais aujourd'hui, avec le nom que je porte,
que M. Kaidi porte, on ne trouve pas d'emploi parce que les employeurs ont
peur de se trouver à gérer des problématiques qui sont en lien avec la
religion, alors qu'il est question de compétence, de qualification et
d'expérience.
Ça, c'est un exemple parmi tant d'autres puisque...
C'est l'insertion socioprofessionnelle. On peut parler de l'intégration socioculturelle, c'est la même
chose. Dès le moment où on voit une femme voilée, c'est un problème. Mais
tout à l'heure je regardais quelqu'un, je ne
sais pas s'il est toujours là, quelqu'un qui avait la barbe jusqu'ici.
Qu'est-ce qui dit que c'est un
intégriste musulman? Qu'est-ce qui dit que c'est un marxiste? Qu'est-ce qui dit
que c'est monsieur X, tout simplement? Mais pourtant on va nous
dire : Ah oui! mais il porte la barbe, donc c'est un islamiste, il ne va
pas rentrer chez nous, on ne le recrute pas. Et je ne parle pas des
accommodements liés à la religion.
Alors, la
laïcité est importante parce qu'on met de côté, bien sûr, la religion. Ça veut
dire qu'on la traite dans un espace privé, dans l'espace public, mais
pas là où c'est les institutions de l'État. Tout ce qui est service public, on
ne voudrait pas que la religion interfère,
qu'elle soit musulmane, juive, chrétienne, sikhe, et ainsi de suite, toutes les
religions au même niveau.
Et voilà
pourquoi c'est fondamental pour nous. On a d'autres arguments, bien sûr, mais...
On peut engager le débat.
Le Président
(M. Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui. Alors, bien, le projet de loi n° 21, ce qu'il fait, notamment, c'est mettre toutes les religions sur un pied d'égalité, parce que le principe de
laïcité de l'État qu'on a inscrit dans la loi, ça comprend notamment la liberté
de conscience et la liberté de religion,
mais ce qu'on fait formellement, c'est qu'on crée une séparation entre l'État
et les religions. Et on dit aussi
dans la définition : Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Et même
chose aussi, l'État a le devoir... et ses agents ont le devoir d'agir de façon
neutre sur le plan religieux lorsqu'ils donnent un service public à un
individu, à un citoyen.
Je crois que
vous préférez qu'on utilise le terme «citoyen» à «personne». Pouvez-vous me
rappeler pourquoi vous préférez «citoyen» à «personne»?
M. Chikhi (Ferid) : Parce que ça
délimite l'espace dans lequel le citoyen va vivre, c'est-à-dire cette cité, disons, grecque, hein, mais aujourd'hui c'est ça,
c'est la ville, c'est l'espace dans lequel on se rencontre tous, c'est l'espace
communautaire. Je peux aller dans un espace qui est citoyen mais qui est avec
des chrétiens, avec des Juifs et je peux partager
avec eux, c'est beaucoup plus facile, mais, quand on parle de personne, là on
va se dire : Quel type de personne c'est? Est-ce que c'est une personne qui est religieuse? Est-ce que
c'est une personne qui est athée? On se posera toujours cette question.
Mais, quand on parle de citoyen, la définition, elle est là, elle est claire.
Maintenant,
si la Charte des droits et des libertés... si le projet de loi pouvait définir
ce qu'est une religion, ce serait encore
meilleur, mais on va se perdre là-dedans, ça va être le labyrinthe duquel on ne
va pas sortir. Donc, on préfère rester avec le citoyen, le citoyen de la
cité grecque, démocratique, plutôt que la personne indéfinie.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je vous entends. Alors, avec le projet de
loi, on fait la séparation formelle entre l'État et les religions. Je voudrais vous entendre sur ce
qu'on a fait dans le cadre du projet de loi, notamment c'est le fait que les
services publics seront rendus et reçus à
visage découvert. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition-là qu'on a
inscrite dans le cadre du projet de loi?
• (16 h 50) •
M. Kaidi
(Ali) : Je trouve, cette
proposition, elle est sensée, donc c'est du bon sens. Donc, la question que je
me pose... ou les gens qui partagent
à peu près nos idées, c'est que cette question, elle ne devrait pas être du
tout posée parce que c'est du bon
sens. Donc, il ne faut pas aller jusqu'à dire : Ça menace la sécurité,
pour qu'on réagisse contre ça. C'est du bon sens.
D'ailleurs, lorsque je communique avec vous, il faut que je vous
regarde, donc il faut qu'il y ait un visage avec lequel... que je dois
communiquer. Donc, si on veut vivre ensemble, on doit communiquer, on doit se
regarder. Donc, comment se fait-il qu'une
personne, elle va se cacher tout son visage? Elle va vivre avec nous mais tout
en sachant qu'on n'arrivera même pas à identifier cette personne, on ne
saura jamais quelles sont ses expressions. Parce qu'il y a le non-verbal qui parle, les yeux, le visage, et ainsi de suite. Ceux-là font partie du langage, et le langage fait partie de la
société et du vivre-ensemble.
M. Jolin-Barrette : Donc, pour
vous, il n'y a pas de compromis à faire là-dessus.
M. Kaidi
(Ali) : Il n'y a
pas de compromis. C'est du bon sens, et il me semble que ça ne demande pas beaucoup d'arguments pour faire passer ça.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de l'interdiction de port de signes religieux,
nous, on a décidé de l'interdire pour les personnes en situation
d'autorité : procureurs, juges, policiers, agents correctionnels,
enseignants, directeurs d'école. Je crois
dénoter dans votre mémoire que vous souhaiteriez qu'on élargisse davantage.
Pourquoi vous souhaiteriez qu'on élargisse davantage
l'interdiction de porter un signe religieux pour certains fonctionnaires de l'État?
M. Kaidi (Ali) : Parce que le
principe est le même. Si on voit, par exemple, un fonctionnaire de l'État, un représentant de l'État, il a une certaine autorité et une certaine
influence et surtout il doit être neutre, pourquoi s'arrêter à mi-chemin et ne pas y
aller pour les enfants? Est-ce que les enfants, par exemple, ils n'ont pas...
leur liberté de conscience n'est pas
aussi importante qu'un enfant qui est à l'école? Pourquoi ne pas y aller aux
garderies? Les enfants aussi des garderies ont besoin de cette protection.
Donc, au nom
de la liberté de conscience de nos enfants, il faut y aller aussi dans l'éducation, dans les centres d'éducation.
M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce
que vous faites une distinction entre
le réseau public et le réseau privé? Exemple, quand vous dites : On devrait élargir aux garderies, est-ce que
vous visez uniquement, supposons, les centres de la petite enfance qui sont pleinement subventionnés ou vous
visez également, supposons, les garderies privées subventionnées
ou les garderies privées non subventionnées?
M. Kaidi
(Ali) : Là où il y a
de l'argent de l'État, donc là où il y a notre argent, la laïcité
et la neutralité doivent y aller. Donc, il faut aussi les enfants qui
sont dans le privé mais subventionné à une grande partie par l'État.
M. Jolin-Barrette : Donc, on
devrait les couvrir aussi, selon vous. O.K.
M. Chikhi
(Ferid) : Je voudrais
ajouter quelque chose, c'est qu'un des critères, justement, de faire la distinction entre le privé et le public, c'est que toutes
institutions qui offre un service public, par exemple l'éducation des enfants,
dans les écoles secondaires et primaires,
privées ou publiques, mais qui bénéficient du soutien, du budget de l'État,
doivent être exemptes de cette
problématique, il ne faudrait pas qu'il y ait de signe religieux là-dedans,
parce qu'au-delà de ce critère financier il y a le critère éducatif.
On enseigne,
dans ces écoles, ou dans ces CPE, ou dans ces écoles primaires, un programme
public. Les institutions privées qui
veulent enseigner la religion n'ont qu'à s'autofinancer. Il y a tellement
d'argent dans ces, justement, cultes qu'il faudrait qu'ils participent.
Pourquoi pas? Pourquoi demander l'argent du public? Pourquoi? Moi, je leur
renvoie toujours cette question. Il y a même
de l'argent qui vient de l'étranger. Est-ce qu'on le contrôle, cet argent qui
arrive dans certaines associations et qui est remis dans ces écoles
publiques en plus de l'argent du public? Non.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je vous entends. Et également, bon, au
niveau de la clause dérogatoire, vous nous invitez à l'adopter sans
hésitation. Pourquoi?
M. Chikhi
(Ferid) : Parce qu'il faut
savoir que cette clause a une validité de cinq ans, sauf erreur de ma part, je
ne suis pas juriste, mais du peu que
j'ai lu. Il faudrait qu'elle soit accompagnée, une fois qu'elle est adoptée,
d'une pédagogie politique à destination de toutes les institutions et de
tous les citoyens. Il faudrait un travail qui fasse comprendre pourquoi elle a été prise, la décision de
l'imposer, et qu'est-ce qui se passe après, parce que, moi, si j'étais au
gouvernement et que, bon, c'est
fermé, ça y est, la clause, elle est là, et puis je m'arrête, et, au bout de
cinq ans, je ne sais pas si je vais être
réélu en tant que député, en tant que ministre, bien, oui, le gouvernement qui
viendra, il va la changer d'un seul coup. Par contre, si on forme le citoyen à cet aspect-là... Ça n'a jamais été
fait au Québec. Toutes les clauses «nonobstant» qui ont été appliquées jusqu'à maintenant, il n'y a
pas eu de suivi. Eh bien, il y en a qui ont été changées sans qu'on s'en rende
compte. Donc, c'est un travail... c'est pour
une formation à destination du public, de tous les citoyens, pourquoi elle a
été adoptée et dans quel but ça a été fait.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Je vous remercie de votre présence en
commission. J'ai des collègues qui souhaitent poser des questions.
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée de Bellechasse,
s'il vous plaît.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président.
Le Président
(M. Bachand) : ...plaisir.
Mme Lachance : Merci,
messieurs, d'être là pour répondre à nos questions.
Écoutez,
tout à l'heure, vous avez mentionné que vous recommandiez
d'étendre l'interdiction de toute forme de signe religieux à l'ensemble des employés de l'État. Lorsque vous avez
discuté avec le ministre, vous avez parlé de dans nos écoles, nos garderies et tout. J'aimerais vous
entendre spécifiquement sur les ports religieux de nos enseignants.
Est-ce que vous pouvez me donner
votre opinion en ce qui a trait à l'interdiction des signes religieux chez les
enseignants? En quoi c'est important?
M. Kaidi
(Ali) : Pour moi, les
enseignants, ils sont en position d'autorité que certains qualifient de
symbolique. Il ne faut pas
oublier : dans une classe de cours, le seul adulte dans la classe, c'est
l'enseignant seulement. Donc, il a des enfants... Et, en plus de ça, ce n'est pas un adulte seulement,
c'est quelqu'un qui a de l'expérience et aussi il a du savoir.
Donc, l'expérience et le savoir, c'est des
autorités, c'est des autorités qu'il faut prendre en considération. Et, en
plus, c'est le modèle de l'enfant,
qu'il côtoie pratiquement plus que ses parents, pratiquement six heures, toute
la journée, six heures. Et, lorsqu'il
rentre à la maison, pratiquement, il passe la nuit plus qu'autre chose. Donc il
est influencé plus par l'enseignant que ses parents.
Donc, cette autorité-là, cette
autorité-là, il faut la prendre en considération dans cette loi. Et je vois
qu'ils l'ont prise, mais ils ont laissé ça, ils n'ont pas étendu ça
jusque, par exemple, aux enfants qui sont de bas âge.
Mme Lachance :
Je vous remercie. Je comprends bien votre recommandation. Et merci encore
d'être là.
M. Chikhi (Ferid) : Je voudrais ajouter quelque
chose, c'est qu'on a tous été des
petits élèves, de petits enfants, des
étudiants. Quel est, parmi nous ici, celui qui ne se rappelle pas de sa
première ou de son premier enseignant? Il
y a des enseignants qui nous ont
marqués, il y a des enseignants qui nous ont marqués depuis notre
plus jeune âge, depuis la maternelle.
Moi, jusqu'à maintenant, ça me suit, l'enseignante que j'ai eue à la
maternelle, qui n'était pas musulmane, qui
était juive, mais je n'ai pas vu en elle la juive parce qu'elle était laïque,
elle était dans l'école laïque. Pourtant, elle m'a influencé, je me rappelle encore de ses recommandations, alors que je n'avais à peine que quatre ans. Et c'est la même chose dans tout le cursus, il y a toujours
un enseignant qui influe par son savoir. C'est le savoir de cet enseignant,
c'est son non-verbal qui influe et
dont on se rappelle. Alors, j'imagine mal, que ce soit une femme avec le voile,
que ce soit une femme... un
enseignant avec la kippa ou avec une grosse croix, qui est là ou avec une chose
de sikh, et ainsi de suite... L'oublier, ce n'est pas facile.
Ce
n'est pas une question de coercition. Bon, les plus âgés, peut-être,
ont reçu des coups sur la tête ou avec une règle, ça a été le cas pour nous, mais, les plus jeunes, c'est par le
silence, c'est par le regard, c'est par le sourire qu'on les influence.
Voilà un petit peu pourquoi il faudrait que soit à visage découvert, sans signe
ni symbole religieux.
Mme Lachance :
Merci beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la
députée de Les Plaines, s'il vous plaît.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Combien de temps me reste-t-il?
Le
Président (M. Bachand) : Trois minutes.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Trois
minutes. Merci beaucoup, M. le
Président. Merci beaucoup,
messieurs, d'être ici aujourd'hui.
Je
vais relire la dernière recommandation que vous nous faites : «Réfléchir à la mise en oeuvre d'une stratégie
d'intégration socioculturelle et une insertion socioprofessionnelle des personnes
immigrantes, y compris celles qui sont
arrivées depuis plus de cinq ans.» À la lecture de cette recommandation-là,
c'est un petit peu à cheval avec un autre projet de loi dont on est à l'étude actuellement. En quoi, selon vous,
la mise en oeuvre d'une stratégie et l'intégration de la laïcité
pourraient contribuer à faire en sorte que vous allez pouvoir mieux vous
intégrer?
• (17 heures) •
M. Chikhi
(Ferid) : Alors, il y a de très beaux programmes du ministère de
l'Immigration pour l'accueil des nouveaux arrivants qui sont mis en oeuvre par
les organisations d'accueil des nouveaux arrivants, les organisations d'immigrants, des programmes d'Emploi-Québec qui
font dans la même stratégie, comment intégrer, comment trouver...
faciliter la tâche socioprofessionnelle, et ainsi de suite, mais moi, je vois
les choses encore différemment. Lorsque le ministère de l'Immigration avait
proposé de modifier la politique d'immigration, la politique du Québec en
matière d'immigration, j'avais soumis un
mémoire, qui n'a pas été entendu mais qui certainement a été lu, dans lequel je
disais : Il y a une séquence qui
manque. Cette séquence, c'est l'accueil des immigrants. À l'aéroport, on est livrés à nous-mêmes. Après le salut de l'agent d'Immigration Canada,
le salut d'Immigration Québec, on est... débrouillez-vous. Si on n'a pas
des gens qui nous accueillent, bien, oui, on
va aller à l'hôtel et puis on s'arrête là. Et ensuite on va aller vers les
organismes qui s'occupent de l'immigration pour nous dire quelles sont les étapes par lesquelles on doit passer
pour avoir le NAS, la sécurité, donc
la carte-soleil, et ainsi de suite. Et ce n'est qu'après qu'on va nous parler, bien,
de l'histoire du Québec, et ça
se fait en huit semaines, je ne sais pas si ça a changé maintenant, et c'est très dense. Les Québécois ne
connaissent pas le contenu de ce
programme et ils n'ont pas fait ça même dans les cours d'histoire. Il faut
alléger ce programme, mais il faudrait le prendre à l'arrivée, parce que
beaucoup d'Algériens... Je parle des Algériens puisque... je ne parlerai pas des autres, je ne sais pas, mais les Algériens
arrivent, ce sont les gens de la communauté qui les prennent en charge, c'est
les parents, les cousins, les amis et
souvent des organisations, qui vont les faire rentrer directement au Petit
Maghreb. Et là commence
l'endoctrinement. Même s'ils n'ont pas été endoctrinés en Algérie, ils
commencent l'endoctrinement ici. Et, après cinq ans, ils n'ont pas
trouvé de travail, ils vont travailler au noir, ils vont travailler chez
l'épicier, le dépanneur à côté, dans une
pâtisserie, etc., alors qu'il y a des programmes qui sont là, Emploi-Québec
offre les études, par exemple, pour
faire des A.E.C., et ainsi de suite. Ils ne les connaissent pas. Et il y en a
beaucoup, et ce sont ceux-là qui se plaignent et qui sortent le dimanche pour dire : Les Québécois sont des
racistes, les Québécois, c'est des xénophobes, et ainsi de suite. Mais
ils ont raison de le faire, quelque part, si ce n'était pas derrière l'idéologie
islamiste.
Alors,
on dit : Il faut les prendre en charge dès le départ. Les programmes
existent, il faut les affiner. Il faudrait les faire partir à partir de
l'aéroport, j'allais dire, et ce serait plus simple, mais il faudrait que ce
soit intégration socioculturelle et insertion socioprofessionnelle, maintenant,
des stages, et ainsi de suite. On pourrait aller plus loin.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à
l'opposition officielle. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
Mme David :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci, messieurs. Je vous écoute avec
attention, je vous ai lus avec attention aussi, alors j'ai plusieurs
questions.
Donc, à la
page 9 de votre présentation, du mémoire, vous dites que «la mise en
oeuvre des règles et principes [...]
ne doivent en aucun cas bloquer ou faire dévier de ses rails [la] loi adoptée
au nom de la majorité des citoyens». Ce n'est pas là-dessus que je vais revenir, même si je pourrais faire ça.
Mais vous dites : «Il est vrai que les membres d'AQNAL se questionnent sur les effets du projet de loi n° 21.» Alors, pouvez-vous élaborer un peu sur les questions que les gens
se posent?
M. Chikhi
(Ferid) : Toute loi,
lorsqu'elle est réfléchie, elle est pensée, elle est discutée, vient avec,
bien, les avis, les opinions des uns
et des autres. Et souvent on perd, on perd beaucoup de ce qui a été dit par les
citoyens qui interviennent, qui
donnent leur avis, les chercheurs, les universitaires qui font du travail de
recherche, d'analyse, il y a beaucoup de choses qui se perdent. Et on ne sait pas, c'est vrai, on ne sait pas qu'est-ce
qui va arriver avec ce projet de loi, personne ne peut anticiper, si ce n'est qu'on va être positifs et
on va dire : Oui, un minimum est garanti, c'est qu'au moins on évite
l'inclusion de la religion dans les espaces publics, et, vice
versa, l'État n'a pas à intervenir dans la manière dont est géré le culte x, ou
y, ou z.
Mme David :
Mais on peut dire que vous avez quand même eu des gens qui ont manifesté une
réelle inquiétude sur les effets de
ce projet de loi. Donc, ça veut dire que ça touche à des cordes très sensibles
dans vos communautés, qui ne sont pas nécessairement monolithiques.
M. Chikhi (Ferid) : Oui. Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier.
Et je vais parler des musulmans parce que c'est eux qui ont manifesté.
En réalité, ce n'est pas les musulmans qui ont manifesté, c'est un groupe de
musulmans. C'est ça, la grande différence.
Ce sont des gens qui sont beaucoup plus islamistes, qui sont beaucoup plus dans
les dogmes, dans une idéologie qui
n'est même pas celle de l'islam général, universel, avec ses différentes écoles
de pensée juridique, mais c'est un
groupe. Ce ne sont pas les 200 000 musulmans qui ont manifesté. Ces
gens-là ont besoin de soutien, effectivement, ils ont besoin d'être désendoctrinés, ils ont besoin d'être rassurés,
mais, bien sûr, lorsqu'ils affichent leurs convictions politiques à travers des signes, des symboles, c'est
en décalage par rapport à cet espace commun que nous voulons, à cet
espace citoyen.
Mme David :
Alors, je comprends... — excusez, on ouvre le mauvais micro — je comprends que ce que vous voulez
dire, c'est que tous ceux qui ont manifesté sont des islamistes.
M. Chikhi (Ferid) : Globalement,
oui.
Mme David : Globalement, tous
ceux qui ont manifesté sont des islamistes.
M. Chikhi (Ferid) : Oui, oui, oui.
Mme David : O.K., j'entends
bien. À la page 15, vous avez une citation : «Dieu voulait que
l'islam fut une religion, mais les hommes
ont voulu en faire une politique.» Et après ça vous parlez d'un mot qui
revient, vous l'avez mentionné, vous
dites : «L'endoctrinement est essentiel [à] cette propension à
l'occupation de l'espace visuel.» Ce sont des mots forts que vous employez parce que vous allez... Et je vais
continuer. Vous dites : «[L'habillement] qui, à première vue,
semblait anodin et même exotique», puis c'est devenu après «des citoyennes qui
refusent les lois du pays et les confrontent aux lois religieuses dérivées de
leur religion».
Je voudrais
vous entendre plus sur cette... je dirais cette globalisation de votre
position, qui fait en sorte que j'ai... Peut-être que je me trompe, mais, quand vous dites, à la
page 17 : «Le hidjab est politique, comme le confirme la grande
majorité des musulmans, et ce, depuis fort
longtemps», donc, vous avez, dans votre mémoire, vraiment une position très,
très claire que les femmes qui portent le
hidjab... Parce que c'est surtout à elles que vous vous en prenez, pas
tellement aux hommes, aux femmes qui
portent le hidjab : «Si ces femmes sont réellement musulmanes et qu'elles veulent
respecter les dogmes de l'islam,
elles ne doivent pas faire preuve d'extrémisme mais de souplesse par rapport
aux lois de leur société d'accueil...»
Donc, ça rajoute un autre mot que vous accolez, je dirais, au concept
«hidjab» : endoctrinement, extrémisme. Tout à l'heure, vous avez parlé d'islamisme. Ce n'est pas un petit peu
sévère comme... et un peu trop globalisant? Je pense à un livre qui s'appelle Les monologues du
voile, où, pendant 200 pages, on parle de toutes sortes de femmes qui
portent des hidjabs, pour toutes
sortes de raisons. Mais, pour vous, dans vos citations, tout ça, c'est
politique avant tout : extrémisme, endoctrinement, etc. Je voudrais
vraiment vous entendre là-dessus.
M. Chikhi (Ferid) : Je vais le
laisser répondre et puis je viendrai avec un supplément, si nécessaire.
M. Kaidi
(Ali) : Votre question, ça
soulève la question de la discrimination de la loi sur la laïcité, le projet de loi, donc son effet possible, qui est interprété comme étant
discriminatoire par rapport à certaines catégories, les musulmans, et surtout les musulmanes qui portent le voile.
C'est ça, le... Mais, si on pose la question convenablement, cette loi-là, elle
est... il y a une interdiction, en quelque sorte, qu'on peut dire universelle,
donc elle concerne toutes les religions. Donc, elle concerne tous les signes
religieux, non pas seulement le voile islamique.
Et, les gens
aussi qui disent qu'il y a une discrimination par rapport à ça, la question qui
se pose... Lorsque, par exemple, une personne veut être juge, ou policière, ou
enseignante, mais elle porte un signe religieux, elle est empêchée par cette loi-là, mais la
question qui se pose, c'est qu'elle est déjà empêchée par la religion
à laquelle elle appartient. Donc, elle
est déjà discriminée d'abord par sa religion, c'est sa
religion qui l'empêche d'aller vers une carrière ou une autre, ce n'est pas la laïcité qui l'empêche d'aller vers un
métier ou bien une profession. Donc, s'il faut dénoncer la discrimination, il faut déjà la dénoncer
dans les systèmes religieux, et surtout les systèmes religieux
fondamentalistes.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée.
Mme David :
Je vais poursuivre parce que, vraiment, ces propos-là, dans votre mémoire, il y
a des propos que je qualifie d'assez
forts et sévères. Mais je reviens à la page 18 : «Dieu ne modifie
rien en un peuple avant que celui-ci ne change ce qui est en lui.» Donc : «[L'AQNAL] observe que, pour y
remédier, l'appel au juste milieu, le respect de la ligne médiane est la solution la plus appropriée.»
Jusque-là, ça peut toujours aller. Mais après : «Si ces femmes sont
réellement musulmanes — donc, réellement musulmanes, je veux vous
entendre sur ça — et
qu'elles veulent respecter les dogmes de
l'islam, elles ne doivent pas faire preuve d'extrémisme mais de souplesse par
rapport aux lois de leur société d'accueil.»
Ce
qu'il faut entendre, enfin, ce que j'en décode, c'est que, si elles portent un
hidjab, elles sont... plutôt, elles font preuve d'un extrémisme et qu'elles ne respectent pas les dogmes de
l'islam. Alors : «...le refus de tout excès et de toute forme d'extrémisme, à l'exact opposé du
fondamentalisme activiste.» Vous parlez vraiment du hidjab à ce moment-là.
Je voudrais vraiment vous entendre là-dessus.
• (17 h 10) •
M. Chikhi (Ferid) : Alors, je vous répondrai en une seule phrase, et c'est un verset du
Coran. Je ne vais pas le dire en
arabe, vous n'allez rien comprendre, mais je vous le dis en français, il
s'adresse à toutes les religions : «Ô gens du Livre, n'exagérez pas en votre religion, s'opposant à la vérité. Ne
suivez pas les passions des gens qui se sont égarés avant cela, qui ont
égaré beaucoup de monde et qui se sont égarés du [droit chemin].»
Ces
gens qui portent le voile, dont vous parlez, on les connaît. Ils sont venus
avant nous. Pour la majorité, ils ont été
accueillis par le Canada — je ne parle pas des plus jeunes — par la Grande-Bretagne, par l'Allemagne
parce qu'ils ont demandé un asile
politique et puis ils ont formé des gens ici. Ils n'appliquent pas l'islam, ils
appliquent le wahhabisme, et c'est
ça, la grande différence. Ce n'est même pas une section de l'islam parce que,
si c'étaient des musulmans, ils auraient appartenu à une école de pensée juridique, et je prends le cas de
l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie, c'est aux réformateurs malékites qu'on serait, là. Les Égyptiens sont
beaucoup plus avec les chaféites et les hanafites, et ainsi de suite, je ne
vais pas rentrer dans le détail là-dedans. Mais c'est ça, le problème.
Si ces personnes avaient des possibilités d'écouter simplement les principes de
l'islam, ils n'exagéreraient pas dans leur religion, voilà.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée.
Mme David :
J'entends bien ce que vous dites, mais c'est donc qu'il y a une sorte de
généralisation de... Toutes les femmes qui portent le hidjab sont donc
des femmes que vous qualifiez d'extrémistes.
M. Chikhi (Ferid) : Ce n'est pas une généralisation. On les cible, mais nous avons quand
même une différence à faire entre
celles qui le portent parce que ce sont des activistes, et on en a vu à la télé...
Il y a celles qui le portent parce que c'est
par ignorance, elles ne savent pas, elles apprennent ça, et il y a celles qui
sont nées, malheureusement, avec l'islam politique, depuis les années 90, et c'est ce que nous avons ici. Ce
n'est pas une généralisation, parce que sinon on prendrait... toutes les femmes musulmanes seraient là-dedans.
Or, on est 250 000 ou 230 000 musulmans au Québec, vous n'en
voyez que 2 000, 3 000 qui portent le voile, les autres sont
invisibles. C'est ce que je disais tout à l'heure.
Mme David :
Alors, qu'est-ce que... comment vous répondez à toutes ces femmes qui ont
témoigné et qui témoignent dans le livre
auquel je réfère pour dire et redire à quel point elles portent le voile de
façon volontaire et que c'est même...
son mari ne veut pas, sa mère, ses enfants, et qu'elle le porte parce que c'est
une croyance sincère? Je pense, la notion de croyance sincère, ce n'est
pas exactement votre façon de voir les choses.
M. Chikhi (Ferid) : Elles peuvent croire, elles peuvent croire, madame, je ne suis pas
contre. Mais vous ne savez pas ce que c'est que l'endoctrinement, je m'excuse de
vous le dire, vous ne savez pas ce que c'est que l'endoctrinement. Vous ne savez pas ce que c'est que la pression
sociale. Quand on est dans le même quartier, que tout le monde est plus ou
moins musulman, ne disons pas islamiste,
plus ou moins musulman, et que du regard on vous fusille, croyez-moi que vous
allez mettre le voile.
Le
Président (M. Bachand) : Il reste 30 secondes, Mme la
députée.
Mme David :
Et ça va encore plus loin. À la page 24, je veux juste attirer votre
attention, parce que vous parlez des
grandes fortunes, ou de communautés religieuses, ou de n'importe lequel des
lobbys qui sévissent de nos jours et qu'il n'appartient pas à tous...
«La laïcité est seule à même d'éviter ces dérives...»
Donc,
je conclus en disant qu'il y a beaucoup de mots forts, dans votre mémoire, et
c'est pour ça que je voulais être sûre que je comprenais bien à quel point,
pour vous, la position est claire. Je la comprends, ça ne veut pas dire
que je la partage, mais je pense que vous avez eu l'occasion d'exprimer assez
clairement... Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, Mme la députée. Merci infiniment. M. le député de Jean-Lesage,
s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup de votre présence ici.
Dans
un autre mémoire qui a été déposé dans le cadre de cette commission, on peut
lire que, dans les pays où on a mis
en place des mesures restrictives semblables, on a noté une croissance
importante d'incidents haineux. Qu'est-ce qui vous fait penser que ça va
être différent ici, au Québec, en 2019?
M. Chikhi
(Ferid) : Je vais vous donner un avis personnel, et Ali continuera sur
ça.
On parle souvent de
statistiques et d'indicateurs. Si vous comparez à la France, il y a
2 millions d'Algériens musulmans en France, sans parler de ceux qui
étaient arrivés bien avant. Nous avons l'avantage que le nombre ici, au Québec, n'est pas important. On peut faire un
travail, encore une fois, pédagogique pour les amener à s'intégrer à la société
d'accueil et à partager les valeurs de la
société d'accueil sans réduire, sans oublier leurs propres valeurs. Donc, c'est
ce que je vous donne comme réponse,
parce que 2 000, ou 3 000, ou 4 000, ce n'est pas comme
2 millions en France... ou en Allemagne, où il y a 7 millions
de Turcs, et ainsi de suite.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il
vous plaît.
M. Zanetti :
Vous parlez d'endoctrinement. Je pense que ça, ça fait l'unanimité.
L'endoctrinement, ce n'est pas une bonne chose, tout le monde est pour
lutter contre l'endoctrinement. On ne s'entendra pas sur quel est le meilleur moyen de lutter contre l'endoctrinement si on
pense que c'est interdire les signes religieux, ça en fera partie. Mais
qu'est-ce qui, selon vous, là, fait
que quelqu'un sort de l'endoctrinement, quelqu'un, je ne sais pas si le verbe
existe, mais se désendoctrine? Comment sortir de l'endoctrinement?
M. Chikhi
(Ferid) : Ah! c'est un travail difficile, je peux vous le dire.
M. Zanetti :
Est-ce que... Mais c'est quoi, la place... Qu'est-ce qui est l'élément
fondamental, là-dedans, le plus important?
M. Chikhi (Ferid) : L'élément fondamental, c'est de revenir au contenu du Coran, pour ce
qui est des musulmans, attention, du
Coran, de la jurisprudence et des critères. Or, aujourd'hui, on ne travaille
qu'avec une partie de la jurisprudence et
on impose ça. Alors, comme je vous cite un... J'ai prévu, parce que, je me suis
dit, on va poser des questions, il faut que je me prépare, des réponses qui sortent du Coran, que malheureusement
ces gens-là ne connaissent pas... ou pas tous ne le connaissent.
Le
Président (M. Bachand) : 20 secondes, M. le député.
M. Zanetti :
Diriez-vous que ce qui fait sortir de l'endoctrinement, c'est réfléchir par
soi-même?
M. Chikhi
(Ferid) : Oui. L'«ijtihâd», oui.
M. Kaidi (Ali) : Oui. L'éducation, l'éducation, l'école, elle peut faire un grand
travail dans ce sens-là. Par exemple, j'ai proposé tantôt de parler de
la philosophie pour les enfants. La philosophie pour les enfants, elle peut en
quelque sorte préparer les enfants à avoir un esprit critique et ne pas avoir
des certitudes seulement, de l'école, comme les certitudes qu'ils ont du cours Éthique et culture religieuse, ils n'ont
que des certitudes. Et, ce qui concerne l'islam, ils ont des certitudes wahhabites et des certitudes de l'islam
politique, ils n'ont même pas les certitudes de la spiritualité musulmane.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Matane-Matapédia, s'il vous plaît.
M. Bérubé :
Merci, M. le Président. Bienvenue à l'Assemblée nationale.
Je
me rends directement à vos recommandations parce que c'est ce qui conclut votre
mémoire. Votre deuxième recommandation
indique : «Étendre l'interdiction du port de toute forme de voile à
l'ensemble des employés exerçant au sein
des institutions publiques ou parapubliques et notamment à celles de
l'éducation nationale et de la santé et toutes celles qui offrent des services publics aux citoyennes et citoyens sans
compromission, délai de grâce.» Si je comprends bien, vous considérez
que ce projet de loi ne va pas assez loin, en fonction de ce que vous demandez.
Est-ce juste?
Une voix :
Oui.
M. Bérubé :
Est-ce que le projet de loi n° 60 déposé en 2013 allait davantage dans le sens de
ce que vous demandez, proposez?
M. Chikhi (Ferid) : Alors, nous étions là pour le projet de loi n° 62,
on l'a soutenu aussi, il a fait faire à la société québécoise en général de grands pas. Simplement,
il y avait, dans le contenu, des aspects qui ne convenaient pas à tout le
monde, y compris au sein du PQ, qu'on le veuille ou non, il y avait des gens
qui étaient partagés.
L'avantage
avec ce projet de loi, c'est qu'il est dans un seul axe et il offre un minimum,
et, ce minimum, nous sommes preneurs.
Si on peut amender avec l'avis de l'opposition, avec l'avis des groupes qui
arrivent ici pour aller au-delà et
créer un espace juridique, législatif qui permettrait à tout un chacun d'être
respectueux des lois de l'État québécois, ce serait formidable.
Nous, notre idée, c'est que ce soient
les lois du Québec qui priment les lois religieuses. Que ce soit dans les
églises, les synagogues, les
mosquées, les temples, je n'ai aucun problème avec ces lois-là, mais, dans
l'espace public, dans les services publics, nous aimerions que ce soient
les lois du Québec qui...
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le député, s'il vous
plaît.
M. Bérubé :
Nous sommes d'accord que l'exercice de la religion, ça se fait dans les lieux
de culte, dans les centres communautaires, dans la famille, dans le
rassemblement des siens et que, l'État, si on choisit l'État pour y travailler,
il faut se conformer à des règles, notamment
la laïcité, ce qui n'est pas prématuré pour le Québec. En France, c'est réglé
depuis très longtemps, et au Québec on arrive à ça.
Je
vous indique votre recommandation n° 2 parce que, là, vous
indiquez que, pour vous, c'est un minimum, ce projet de loi, c'est service minimum, mais que vous demandez quand même
ça, vous demandez quand même... Alors, je veux comprendre. Vous acceptez ce projet de loi là, mais vous auriez
aimé beaucoup plus? D'ailleurs, vous l'indiquez dans...
M. Chikhi
(Ferid) : ...vous ajoutiez ces choses-là.
M. Bérubé :
Vous voudriez que nous, on... Mais vous, vous ne le proposez pas au
gouvernement?
M. Chikhi
(Ferid) : On l'a proposé.
M. Bérubé :
À travers cette recommandation, mais je ne l'ai pas entendu beaucoup dans nos
échanges.
M. Chikhi
(Ferid) : Bien oui. À travers notre écrit, à travers notre mémoire, on
l'a proposé.
• (17 h 20) •
M. Bérubé :
D'accord. Mais ça n'a pas été beaucoup discuté, depuis tout à l'heure, c'est
pour ça que je voulais valider avec vous que c'était ça. D'accord. Donc,
j'ai bien validé.
Le
Président (M. Bachand) : Parfait. Merci... En terminant, M.
le député.
M. Bérubé : Sur la discrimination, vous avez parlé tantôt des non-musulmans. Nous
proposons une mesure qui s'appelle les C.V. anonymes, qui fait en sorte
de ne pas discriminer ni en emploi... et une autre mesure en matière de logement, deux mesures concrètes que les parlementaires peuvent proposer pour lutter contre la discrimination auquel
la communauté musulmane est souvent confrontée. Voilà. Et je vous en ferai
part.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. Malheureusement,
c'est tout le temps que nous avons. Alors, je vous remercie infiniment de votre
participation aux travaux de la commission.
Je vais suspendre les
travaux quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre
place. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à
17 h 21)
(Reprise à 17 h 22)
Le Président (M. Bachand) : O.K. À
l'ordre, s'il vous plaît! Merci.
Alors, la commission reprend ses travaux. Je souhaite, bien
sûr, la bienvenue à M. Charles
Taylor et M. Jocelyn Maclure. Je vous rappelle que vous disposez d'une
période de 10 minutes pour votre
exposé, et après ce sera la période
d'échange. Alors, encore une fois, bienvenue. Et je vous cède la parole. Merci.
MM. Charles
Taylor et Jocelyn Maclure
M. Taylor (Charles) : Merci
beaucoup, M. le Président. Nous présentons ensemble parce
que nous avons travaillé ce problème ensemble depuis des années. Nous avons
même publié un livre qui s'appelle Laïcité et liberté de conscience,
paru chez Boréal, traduit dans plusieurs
langues, y compris l'arabe. Alors, fin de la pause publicitaire. C'est pour
vous expliquer pourquoi on est ici ensemble.
Moi,
je voudrais prendre cinq minutes de nos 10 pour un peu exposer des points que
je considère comme fondamentaux.
Et puis je vais présenter de façon très rapide parce qu'on va pouvoir discuter
par la suite. Voilà.
«Laïcité»,
le problème, c'est que le mot a deux sens différents, c'est-à-dire il y a deux
régimes dont les finalités sont
différentes. Il y a des régimes qui sont considérés comme laïques parce qu'ils
sont, bien, soit antireligieux, c'est assez rare que ce soit carrément ça, mais ils voient un problème dans la
religion, c'est quelque chose qui doit être caché ou ne pas exister dans certains espaces, etc., ils
veulent limiter la religion, et il y a une laïcité qui est fondée sur les
chartes, qui est une laïcité qui, en
quelque sorte, dérive des chartes des libertés, donc qui... dont le principe
est : L'État est neutre, mais les individus sont libres de leurs
choix.
Or, ces deux
laïcités-là sont en tension, je dirais même : Elles entrent en conflit,
pour la simple raison que la laïcité basée sur les chartes peut être vraiment
neutre, neutre entre religions, neutre entre philosophies, neutre entre religions et
non-religion, neutre de façon absolue, tandis que l'autre finalité, qui veut
limiter la religion, pose toujours des
problèmes parce que, par exemple, comme, en l'occurrence, la législation que
nous discutons, ils disent que certaines gens qui pratiquent certaines
religions, d'une certaine façon, ne peuvent pas accéder à certains postes, sont
exclus de certaines carrières, etc. Alors, à
ce moment-là, la non-neutralité entre religions et neutralité, ça entraîne des
discriminations, donc une non-neutralité entre personnes, disons,
les droits de certaines personnes sont plus grands que les droits d'autres.
Et c'est une tension qui est nécessaire si
on embarque dans le chemin de la laïcité qui veut confiner la religion, et on
le voit en l'occurrence parce que
justement il est proposé d'avoir appel à la clause
dérogatoire parce qu'on reconnaît que
certains droits qui sont inscrits à notre charte vont être violés.
Bon,
alors, quels sont, disons, les inconvénients de ce premier chemin? Eh bien,
c'est clair que, d'abord, ça va casser la carrière de certaines gens qui se
sont préparés depuis longtemps, mais aussi ça va rendre très difficile
l'intégration de ces gens-là. Comme vous le savez, dans un pays d'immigration,
l'intégration se fait d'abord, disons, l'approche des nouveaux arrivants avec les autres se fait ensuite,
l'acculturation se fait ensuite. Ça commence par l'intégration, l'intégration
commence par le travail, donc on empêche l'intégration de ces gens-là.
On crée des sentiments d'aliénation et de division.
Et,
à un autre niveau, bien que ce ne soit pas mentionné dans la loi, on encourage
certains préjugés. Vous savez, notre société, en Occident, est
maintenant vraiment le champ de propagande islamophobe qui vient de partout,
des États-Unis, des grands think tanks
américains, etc., normalement ça touche... ça commence à influencer les gens.
Au lieu de combattre ça, on cible ces
gens-là pour dire : Bien, ils devraient avoir moins de droits que les
autres, ils sont... Ça élève un
certain soupçon, ça fait encourager une espèce d'anti-islam absolument stupide
et dangereux, et ça, même si au niveau de
la décision politique on est angélique, on ne parle pas de l'islam, etc., on
parle de religion en général. C'est comme ça que ça se vit au niveau de la population. La preuve en est que, dans
chaque pays où il y a eu une campagne pour ce genre de législation, le nombre d'incidents haineux se sont énormément
multipliés : les États-Unis, il va sans dire, avec Trump, le Brexit, la France avec le Front
national, mais ici, au Québec, c'est-à-dire des incidents haineux qui peuvent
être simplement verbaux : Allez-vous-en chez vous, etc., mais qui peuvent
être beaucoup pires.
Alors,
je voulais signaler ces deux formes de laïcité et le danger très grand à suivre
la première, c'est-à-dire la laïcité antireligieuse.
Le
Président (M. Bachand) : Il vous reste quatre minutes.
M. Maclure, s'il vous plaît.
M. Maclure (Jocelyn) : Merci. Merci beaucoup, M. le Président. Merci de
nous avoir donné l'occasion de participer aux travaux de cette
importante commission parlementaire.
Comme Charles, je
suis déçu par ce projet de loi non pas parce que je suis opposé au principe de
laïcité, au contraire, mais parce que je
considère que l'État québécois n'a pas à adopter les interdictions qui sont
prévues dans le projet de loi sur le
plan du port de signes religieux pour affirmer et même consolider sa laïcité.
Le problème central, c'est qu'on restreint des droits fondamentaux sans
que cela soit absolument nécessaire. Et, contrairement à une caricature qui
circule beaucoup, notre position, la position de plusieurs des opposants au
projet de loi n'est pas que les droits individuels
sont des absolus, qu'on doit toujours les défendre, sans limites, au contraire,
ce n'est pas le cas. Et ceux parmi vous
qui ont eu la chance, entre autres, comme ça a été le cas lorsque j'étais à
l'université, de lire les travaux de Charles en philosophie politique dans les 30 dernières années, on est bien
conscients que le libéralisme philosophique et politique a ses limites,
que la défense des droits individuels ne peut pas à elle seule constituer un
projet de société.
• (17 h 30) •
Il
y a de bonne raisons, parfois, de limiter des droits individuels, entre autres
lorsque les droits d'autrui sont en jeu, hein, lorsque l'exercice des droits des uns entraîne des violations des
droits des autres, hein, ça, c'est une bonne raison pour limiter les
droits individuels, ou lorsque le bien commun, mais le bien véritablement
commun exige, hein, qu'on restreigne de façon raisonnable des droits. Ce sont
de bonnes raisons de les limiter. Mais ce n'est pas le cas ici.
Dans le cas du projet de loi n° 21, d'un
côté, hein, il y a une vraie atteinte à des libertés fondamentales, c'est-à-dire que l'on place une petite minorité de citoyens, c'est-à-dire ceux dont les croyances sincères impliquent le port de signes religieux... Lorsqu'ils sont en public, on leur
demande de choisir entre le respect d'une conviction religieuse sincère, d'un
côté, ou entre leur droit à un accès égal
aux fonctions et postes qui sont énumérés dans le projet de loi, hein? Donc, il faut choisir
soit entre sa liberté de conscience et de religion soit entre son droit à un
accès égal à ces postes, hein? Et ce sont les seuls citoyens qui sont visés qui sont dans cette obligation
de choisir entre l'exercice de ces deux libertés fondamentales.
Il
est tout à fait vrai que l'objectif de faire en sorte que l'État soit laïque, c'est un objectif législatif
d'une grande importance, mais ça n'exige pas ces interdictions. Ce qui
importe, sur le plan de la laïcité de l'État, c'est que les agents
publics, tous les agents publics... qu'ils n'agissent pas sur la base de leurs
convictions religieuses lorsqu'ils sont en fonction,
qu'ils se gardent de faire tout prosélytisme lorsqu'ils sont en fonction. Mais
c'est tout à fait possible pour un agent de l'État de respecter ces exigences et ces limites tout en
affichant un signe religieux qui l'identifie à une religion donnée, il n'y a pas d'incompatibilité entre les
deux. Inversement, c'est tout à fait possible qu'une personne religieuse, une personne qui a des convictions religieuses,
qui est aussi un agent de l'État, contrevienne au devoir de neutralité sans
porter un signe religieux, comme si on pensait, par exemple, à un médecin qui
déciderait de refuser une demande d'aide
médicale à mourir non pas parce que la personne ne remplit pas les critères énoncés
dans la loi, mais parce que ses convictions morales, des questions religieuses
ou non religieuses, feraient en sorte qu'il serait opposé à l'AMM. Dans les deux cas, que l'on porte un signe religieux ou
non, ce qui importe, c'est que les actes, que les décisions, que la conduite
professionnelle respectent l'exigence de
neutralité et le devoir de réserve des agents publics, et ce qui importe, ce
n'est pas leur simple apparence.
Je comprends tout à fait qu'il y ait une certaine lassitude par rapport à ce débat et que l'on
ait envie de tourner la page, nous en sommes aussi, mais ce projet de
loi n'est pas la bonne façon de tourner la page. Je ne pense pas, en restreignant des droits
de façon non justifiée, qu'on calme véritablement le jeu. Et, en utilisant le pouvoir de
dérogation, on se donne aussi un
autre rendez-vous, hein, dans cinq ans, donc je ne pense pas que ce
soit là une bonne façon de calmer le jeu. Merci.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci infiniment. Juste avant de continuer, pour avoir tout le temps pour la commission, j'aurais besoin d'un consentement
pour aller jusqu'à 18 h 5. Consentement? Merci.
M. le ministre, s'il vous plaît. La parole est à
vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. M. Taylor,
M. Maclure, bonjour. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Merci d'être présents aujourd'hui pour
témoigner sur le projet de loi n° 21.
Ce que
j'entends de vos propos notamment, c'est que vous n'êtes pas en désaccord avec le
fait d'inscrire la laïcité de l'État dans nos lois, mais vous en avez contre
les moyens qu'on utilise, vous n'auriez pas nécessairement pris ces
moyens-là ou la façon dont on fait les
choses. Donc, vous êtes d'accord avec nous sur le fond, mais c'est au niveau des modalités.
J'aurais une
question pour vous relativement au projet
de loi n° 62. Dans le projet de loi n° 62, on interdisait, dans
le fond... bien, il fallait que les services
publics soient donnés et reçus à visage découvert, notamment pour des questions
de communication, d'interaction.
L'article 10 a été suspendu. Moi, j'ai travaillé, retravaillé tout ça, et
ce que j'ai fait, c'est que maintenant
les services publics doivent être rendus à visage découvert mais aussi reçus à
visage découvert lorsque nécessaire
pour des questions d'identification ou pour des motifs de sécurité. Comment
vous voyez cette modification-là qu'on a apportée? Est-ce que vous
trouvez que c'est une modification qui est favorable?
M. Taylor
(Charles) : Oui, si je vous
comprends bien, parce que le problème avec la loi n° 62,
comme elle était rédigée, ce n'était
pas tout à fait clair que... elle invoquait toujours des raisons fonctionnelles
pour exiger un service à visage découvert.
Du moment où on dit : Pour des fonctions d'identification et pour des
fonctions de sécurité, c'est clair, il y a une raison fonctionnelle. Et, comme disait mon collègue, aucun droit
n'est absolument sans limites, et justement c'est une limite, à ce moment-là, disons, la fonction de
l'État ne pouvait pas marcher, il y aurait danger public si on n'en tient pas compte. Le problème, c'est que la loi n° 62 semblait s'étendre à des femmes qui pourraient monter sur l'autobus,
etc., et là il n'y avait pas ce soin, au départ, d'en quelque sorte cibler des
raisons vraiment acceptables d'après notre charte.
M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, ce que j'entends de vos propos, c'est
que, dans nos sociétés, il exerce certaines limites aux droits et libertés.
Et, dans le cadre de ces limites-là... Et tout à l'heure, je crois,
M. Taylor, vous avez dit que c'est de
reconnaître une violation aux droits et libertés, le fait d'utiliser les
chartes... les dispositions de
dérogation aux chartes. Je n'en suis
pas là. Je n'en suis pas là parce qu'on fait le choix de l'utilisation des
dispositions de dérogation pour
s'assurer que le débat, il reste ici, au niveau du Parlement, et non pas que ce
soient les tribunaux qui viennent définir la laïcité et l'organisation
des rapports entre l'État et les religions. Je pense que ça appartient aux élus
de la nation québécoise d'établir quelles sont les balises qui vont être
établies, c'est pour ça que nous utilisons les chartes... les dispositions de dérogation prévues aux chartes.
Mais surtout, aussi, je constate que vous dites : Pour tout droit et pour
toute liberté, il existe des limites. C'est bien ça?
M. Taylor
(Charles) : Exactement. Et la loi prévoit qu'il y a des raisons acceptables. Comme disait mon
collègue, il y a un instant, si l'exercice de mon droit empêche
l'exercice du vôtre, ou si ensemble on crée une situation impossible,
invivable, ou si ça crée des inégalités... Il y a des raisons qui sont
reconnues.
Maintenant,
on attend encore, par exemple l'interdiction des femmes musulmanes portant le
voile d'enseigner, on attend encore la raison acceptable. Quelle sorte de difficulté
cela pose pour la liberté des autres? Quelles inégalités est-ce que ça
crée? On attend encore de vous, M. le ministre, que vous nous expliquiez et
donnez une raison qui est acceptable d'après notre charte.
M. Jolin-Barrette : Je comprends, je vous entends, mais, justement
sur ce point-là, au niveau des limites qui sont raisonnables par rapport à certains droits
et libertés, notamment, le projet
de loi que j'ai rédigé, en collaboration avec mes collègues gouvernementaux, c'est largement inspiré du rapport
que vous avez publié avec M. Bouchard en 2007, Fonder l'avenir — Le temps de la conciliation. Également, je pense que M. Maclure
était membre également de la commission
au niveau de la recherche. Et, quand vous prenez le projet de loi n° 21, il y
a des larges pans du projet de loi n° 21 qui sont
inspirés directement des recommandations que vous avez formulées en compagnie de
M. Bouchard dans le rapport.
Si, en 2007,
le gouvernement du premier
ministre Charest avait pris votre
rapport et l'avait mis dans une loi comme je le fais, est-ce que vous
diriez que ça aurait été une erreur de faire ça?
M. Taylor
(Charles) : Bien, je ne
comprends pas la raison de votre question parce que vous présentez une loi,
par exemple, concernant les enseignants qui va beaucoup au-delà de
notre rapport, qui est même condamnée par l'esprit de notre rapport. Donc,
est-ce que vous me dites que, si M. Charest avait mis en vigueur
tout ce que nous avions proposé, vous ne seriez pas ici à proposer
d'interdire aux enseignants de porter le voile? Est-ce que c'est ça que...
M. Jolin-Barrette : Bien, peut-être
qu'on ne serait pas ici. Mais faisons l'exercice suivant ensemble. Dans le
fond, prenons le projet de loi
n° 21 et excluons les enseignants et les directeurs d'école, qui ne sont
pas recommandés par votre rapport.
Bon, vous conviendrez avec moi que, dans le cadre du projet de loi n° 21,
il y a pas mal tout ce qui se retrouve dans votre
rapport. Alors, est-ce que ce serait une erreur d'adopter votre rapport sans
les enseignants ni les directeurs d'école? Est-ce que vous considérez ça
comme une erreur?
M. Taylor
(Charles) : Sans les enseignants?
M. Jolin-Barrette :
Sans les enseignants.
M. Taylor (Charles) : Non, je ne serais pas d'accord, parce qu'à ce
moment-là j'ai accepté cette clause sur les fonctions coercitives parce que je croyais que ce serait... d'abord, que
ça choquerait vraiment les gens, de sorte que tout le rapport serait discrédité, et ensuite que les
gens ont marqué une distinction très importante entre les fonctions coercitives
et des fonctions qui ne l'étaient pas. Maintenant, je trouve qu'il y a deux
fois qu'une législation a été proposée, le Parti québécois d'abord, il y a quelques années, et par vous, que vous passiez
outre, vous alliez au-delà. Et c'était, dans mon esprit, à l'époque, un rempart, jusque-là, mais pas plus loin, et c'est
devenu un tremplin. Vous vous fondez là-dessus pour sauter, là, et pour exclure des carrières à
d'autres gens dans d'autres... Alors, je crois que c'est complètement contre
l'esprit de notre rapport et...
M. Jolin-Barrette : O.K. Mais aujourd'hui, M. Taylor, là, si je
n'incluais pas les enseignants ni les directeurs d'école, dans le cadre du projet de loi n° 21, puis je me limitais
uniquement au rapport Bouchard-Taylor, aux recommandations de
Bouchard-Taylor, avec l'interdiction du port de signes religieux pour les
personnes en situation d'autorité, est-ce que vous m'appuieriez dans le cadre
de ce projet de loi là?
• (17 h 40) •
M. Taylor (Charles) : C'est parce que, oui, c'est très important de
souligner ça. Ce dont j'ai été complètement inconscient, je l'admets, à l'époque, c'était, disons, les différents mouvements de haine et d'opposition
qui ont lieu, qui existent, qui sont
actifs dans notre société, et je ne parle pas de notre société
au Québec, je parle de l'Occident en général, surtout le fait de répandre l'islamophobie, etc.
On a trouvé, et j'ai été très naïf, il faut dire, que — d'accord,
j'admets ma naïveté — seul
le fait de faire campagne sur ce genre de programme commence à stimuler
des incidents haineux. Et ce n'est pas uniquement au Québec, c'est
partout, les recherches sociologiques ont été faites.
Donc,
à ce moment-là, je suis devenu... j'ai non seulement
fait la constatation que cette distinction entre fonctions coercitives
et pas n'était pas vraiment importante, que ça ne retenait pas l'attention des
gens, mais j'ai vu que le fait même de faire
ce genre de campagne fait énormément de mal à notre société. Vous ne pouvez pas
exagérer la division, le sentiment
d'aliénation que ça cause pour des minorités vulnérables. C'est terrible
d'entrer dans une société où on est invité,
on a une compétence, et on est admis à cause de cette compétence, et de se
faire traiter comme beaucoup de ces gens-là
se sont faits... ont eu l'expérience.
Alors, je commence à voir que, même
s'aventurer sur ce terrain de façon minime, il y a certaines fonctions
et... certaines gens qui ne pourraient pas entrer dans ces fonctions, ça donne
du confort et de l'encouragement à un climat qui est vraiment affreux.
Je
crois que la discussion politique au niveau ici, c'est un peu angélique, hein,
ça ne voit pas ce qui se passe sur le terrain. Alors, j'ai vraiment
changé d'idée quand j'ai vu des conséquences de ce genre de campagne.
M. Jolin-Barrette :
Mais, avec égard, lorsque vous dites que les parlementaires ne voient pas
l'impact sur le terrain, je peux vous assurer
que l'ensemble des parlementaires ici sont présents sur le terrain, et, les
fins de semaine, sont dans leurs
circonscriptions et sur l'ensemble du territoire québécois, et sont vraiment au
fait de ce qui se passe sur le terrain.
Mais
revenons sur la question des minorités. Tout à l'heure, Mme Leila Lesbet
est venue témoigner, ce matin, avec
l'organisme Pour les droits des femmes, et elle parlait beaucoup des minorités,
des femmes d'origine maghrébine, du
nord de l'Afrique, celles qui ne portent pas de signe religieux, et
disait : Nous, on n'en porte pas, mais il n'y a personne qui parle pour nous, on est toujours identifiées
en fonction des femmes qui portent des signes religieux, des femmes qui sont
définies par leurs signes religieux. Qu'est-ce que vous dites à une dame comme
Mme Lesbet qui dit : Moi, en tant que femme, je souhaite qu'on légifère et que, pour certaines fonctions
de l'État... Et d'ailleurs, même, eux, ils proposent que ce soit la
totalité des fonctions de l'État, qu'on interdise le port de signes religieux.
Elle-même dit : Moi, je suis considérée comme une minorité, mais je n'ai
pas voix au chapitre. Qu'est-ce qu'on lui répond?
M. Taylor (Charles) : Elle a voix au chapitre, mais ce qu'elle propose,
c'est que les droits des autres soient limités. Bien, nous avons dans toute
notre société des gens qui ont des problèmes avec d'autres gens, surtout à
l'intérieur de leur religion. Je
connais bien ça, je suis dans une religion puis j'avais beaucoup de gens qui le
sont en même temps avec lesquels je ne suis pas d'accord. Alors, c'est
clair que ce genre de sentiment existe. Mais est-ce que ce genre de sentiment, c'est-à-dire de l'inconfort que ces
femmes sentent à côté des femmes qui portent le voile, est une raison pour
restreindre des droits fondamentaux, hein? Est-ce qu'on dirait qu'ils ont un
droit à proposer d'enfreindre les libertés des
autres? Ça, c'est une drôle de société, où ils sont considérés comme négligés
parce qu'ils ne peuvent pas écourter les droits des autres. Ce n'est pas
comme ça que nous pouvons coexister dans une société saine et unie.
M. Jolin-Barrette : Je respecte votre point de vue, mais je ne suis
pas en accord avec l'interprétation que vous en faites au niveau du fait
de restreindre les droits. Ça ne constitue pas une restriction de droits.
Dans
le livre que vous avez écrit conjointement, ensemble, Laïcité et liberté de
conscience, vous dites, écoutez : «Interdire le port d'un signe religieux en classe va augmenter
l'apparence de neutralité pour un enseignant.» Comment est-ce que je réconcilie les propos que vous tenez
dans le livre, là, à la page 36, relativement au fait d'interdire le port
d'un signe religieux relativement à l'apparence de neutralité?
M. Maclure (Jocelyn) : En fait, c'est une citation qui... je ne sais
pas, ce n'est pas une citation, mais c'est hors contexte, hein? Ce qu'on fait, dans ce livre-là, c'est de tenter de
présenter les meilleurs arguments contre notre position, hein? C'est un art qui se perd énormément dans
notre débat public aujourd'hui. Donc, on dit : Bon, on peut penser, hein,
qu'il y a des raisons, de bonnes raisons
d'interdire les signes religieux et que ça pourrait, par exemple, augmenter l'apparence de neutralité, mais c'est un argument
qu'on rejette au final, hein, qu'on n'endosse pas nous-mêmes et auquel on dit, au fond, entre autres, hein, qu'il
faudrait qu'on nous montre, hein, quels peuvent être les effets véritables,
hein, d'un port d'un signe religieux
qui n'est pas accompagné d'une forme de prosélytisme, hein, ou une tentative
d'endoctrinement ou de promotion de la croyance.
Et
ça, on est vraiment dans une question qui est assez empirique. C'est-à-dire
que, là, des recherches en psychologie pourraient
nous dire, être exposé à un signe religieux sans prosélytisme, est-ce que ça
peut avoir un impact, endoctrinement, et
ainsi de suite. J'attends toujours de voir ces études-là, hein, parce qu'elles
n'existent pas, parce que ce n'est pas le cas. Et, mon expérience personnelle avec des enfants qui sont passés tant par
des CPE, et qui sont à l'école primaire maintenant, et qui côtoient des éducatrices et des
enseignantes qui portent le hidjab depuis le début, je veux dire, il n'y a
aucune forme de pression morale et
psychologique qui est exercée si ça ne vient pas... ça ne se traduit pas dans
des gestes particuliers ou dans un discours particulier.
Donc, au final, on
rejette cette idée-là, mais on a voulu rendre justice à l'argument pour ensuite
le rejeter.
M. Jolin-Barrette : Mais c'est quand même souligné également dans
votre livre qu'il s'agit d'un cas difficile. Vous donnez l'exemple aussi de deux pays, l'Angleterre et l'Allemagne,
qui n'ont pas traité le cas de la même façon non plus, aussi. Donc, moi, je pense que ça appartient à chaque société de
faire ce choix-là. On va développer un modèle québécois de laïcité, un modèle
qui s'inspire notamment du rapport auquel vous avez contribué, en grande
partie, je vous dirais même, et qui a été une source d'inspiration.
Alors,
M. le Président, je vous remercie d'être venus en commission parlementaire. Je
sais que mon collègue de Vachon a des questions.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Vachon, s'il vous
plaît.
M. Lafrenière :
Oui, merci. Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui.
Vous
avez parlé tantôt de terrain, puis ça m'a interpelé. J'ai eu le plaisir de
patrouiller les coins et les racoins de Montréal pendant plus de 25 ans, ça fait que je connais un petit
peu le terrain. Et, par déformation professionnelle, je vais vous parler
de police un peu aujourd'hui.
Vous
parliez tantôt de neutralité, d'apparence de neutralité. Moi, il y a un cas que
j'ai dû traiter comme policier, qui
s'appelle la famille Shafia, en 2009. Et je me disais : Si la plus jeune
des filles, Geeti, qui a 13 ans, avait décidé un jour d'appeler la police, parce qu'on savait qu'il
y avait un conflit entre elle et le père à savoir de quelle façon la religion
se pratiquait à la maison, elle décide
d'appeler la police, puis c'est difficile, hein, souvent, pour des victimes, de
décider de faire ce geste-là, et que
la policière qui venait à sa rencontre portait le hidjab, à ce moment-là, mais,
même si la personne était très, très
neutre et avait la meilleure volonté du monde, je crois que, dans sa tête à
elle, elle se dirait : Je pense je vais être jugée de la même façon que mon père. Alors, je ne veux pas faire de
généralités mais juste vous dire de l'importance, comme policier, d'être neutre en apparence, et, en
fait, bien, c'est hyperimportant. Et je l'ai vécu sur le terrain et je voulais
vous l'apporter aujourd'hui.
Et,
je vous dirais, comme représentant d'une circonscription où j'ai beaucoup de
musulmans, dans ma circonscription,
aussi, il y a des gens qui quittent leur pays pour venir ici, surtout dans le
Maghreb, pour avoir une neutralité, pour avoir la paix avec la religion, et ils
sont très surpris de voir de quelle façon ça se déroule ici. Pour eux, ce n'est pas leurs attentes du tout. Vous avez
parlé tantôt de quelle façon on aurait une intégration, il ne faut pas mettre
de côté ces gens-là non plus.
M. Taylor (Charles) : Oui, mais, écoutez, qu'est-ce qu'on essaie de
bâtir ici comme société? Il y a des gens qui viennent d'une société où le hidjab est imposé, par exemple l'Iran, etc.
Est-ce que notre réponse à ça, c'est de dire : On va faire exactement le contraire, ce qui est
permis là-bas va être interdit ici, et vice versa? Non. Je crois qu'on
bâtissait une société où la liberté était au centre.
Et
le fait qu'un policier, une policière vient avec un hidjab et traite bien cette
fille-là parce que professionnellement elle devrait le faire, bien, ça
changerait du tout au tout la façon de voir le hidjab.
C'est
clair que, si on arrive d'Arabie saoudite, on peut avoir une réaction de peur
et d'horreur, c'est tout à fait compréhensible,
mais on n'est pas ici en train de bâtir l'envers de l'Arabie saoudite, hein, on
est en train de bâtir une société basée sur la liberté.
• (17 h 50) •
M. Lafrenière :
Vous avez parlé tantôt d'idéologie, mais je comprends aussi... Quand vous êtes,
comme policier, en état d'urgence, ce
que vous décrivez là, qu'avec le temps on verra de quelle façon elle va être
traitée, ce n'est pas comme ça que ça
marche dans la vraie vie, là. Pour la jeune fille, elle va se fermer
directement. À la vue de ce signe religieux là, pour elle, même si ce n'est pas vrai, là, pour elle, il y a un obstacle
à la communication, et, dans un monde d'urgence, puis je parle vraiment de police, donc un monde d'urgence, écoutez, on a
perdu la seule chance qu'on avait de
rejoindre cette victime-là, qui
autrement ne parlerait pas aux policiers. Ça fait que je voulais vous soulever
ce point-là qui est très important pour moi.
Le Président (M. Bachand) : Merci,
M. le député. Je me tourne maintenant
vers l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David : Oui. Alors, merci beaucoup,
MM. Taylor et Maclure. Je pense que nous devons prendre la mesure de votre
présence ici et l'apprécier tous autant qu'on est et quelle que soit la
position qu'on a. Je pense que tout
le monde est d'accord ici que, quand même,
c'est une discussion extrêmement importante. Merci pour votre immense contribution à toute cette question-là depuis plus de 10 ans, autant
M. Maclure que M. Taylor et M. Bouchard, qui n'est pas ici,
qu'on aura l'occasion
de rencontrer. Ce sont des débats extrêmement compliqués. Et puis, M. Taylor, vous auriez peut-être
plein d'autres choses à faire dans la
vie, en ce moment, que d'être ici à venir affronter différentes
opinions. Alors, vous êtes un citoyen
engagé depuis toujours, et ça le montre encore, et je voudrais vraiment vous
rendre hommage pour ça, même s'il y a des gens qui ne sont pas tout à fait d'accord
ou qui partagent...
Alors, on va profiter, quand même, de votre
présence et de votre grande et très longue réflexion à tous les deux sur cette question de la laïcité,
qui est une question, comme on disait, très contemporaine de la situation
mondiale, et la situation
mondiale ou la migration des peuples, et on n'a rien vu encore par rapport à la migration environnementale, qui
est à nos portes, mais il y a toutes sortes de migrations. Et la vraie question,
c'est ça, c'est la question de la migration
et du vivre-ensemble. Alors, pour ceux qui...
Et mon collègue le ministre de
l'Immigration le sait très bien,
j'ai une approche beaucoup plus humaniste et une approche de tolérance et
d'inclusion. C'est ma vision du vivre-ensemble. C'est beaucoup
plus exigeant que l'interdiction, on est d'accord.
Mais je
voudrais vous entendre parce que vous faites référence, M. Taylor, à la laïcité
ouverte et la laïcité fermée, vous
avez beaucoup travaillé ces concepts-là, et vous dites :
Attention! Pour tous ceux qui, avec plaisir, se réfèrent toujours à la France toujours en disant : C'est notre modèle, la laïcité
à la française, 1905, la loi, etc., donc, la France est dans
une laïcité fermée. Vous dites : Attention! Il y a
des débats en France. J'aimerais vous entendre plus sur cette position loin
d'être monolithique dans un pays auquel on se réfère toujours, qui est celui de
la France.
M. Taylor (Charles) : Absolument.
Nous avons eu, lors de la commission, beaucoup de conseils très, très intéressants et utiles de Jean Baubérot, qui est le grand historien de la laïcité française,
et qui nous fait remarquer que, justement, en 1904, 1905, il y avait deux théories qui
étaient en jeu, en quelque sorte. Il y
avait le «père Combes» qui ne voulait pas parler de la religion, voulait
expulser les enseignants, etc. Il y
avait, par exemple, Jean Jaurès, le
chef du Parti socialiste, qui était
un grand tenant de la liberté de conscience. Et je crois qu'on pourrait dire
que la laïcité antireligieuse, ce n'est pas la version française,
c'est une version qui est en débat constant avec l'autre version en France, seulement
il y a une espèce de va-et-vient, et malheureusement, depuis une nouvelle ère, je crois qu'on peut
dire que la forme fermée, antireligieuse,
commence à gagner du terrain. Et c'est un grand problème parce qu'en France c'est complexe, c'est relié à
la relation des Français avec la minorité
musulmane qui vient du Maghreb. Le Maghreb a été gouverné par la France mais
avec une telle violence et des révoltes, des
suppressions, etc., et donc ça a créé une aliénation assez grande, en France,
doublée du fait que les Français n'ont pas
très bien géré le problème des jeunes, qui n'avaient pas la formation d'autres,
qui vivaient dans les banlieues. Ils
envoyaient leurs résumés même sans mettre le nom arabe, et puis, si ça venait
d'un certain code postal, c'était
immédiatement écarté. Alors, il y a eu des brûlures de voitures en 2005, etc.
C'est terriblement difficile, en France, de gérer ça. Et puis je ne suis pas
tellement indigné devant ce que fait la France que j'ai pitié de leur
situation, c'est vraiment affreux.
Il n'y a aucune raison de créer ça ici en créant
des aliénations. Nous avons toutes les raisons d'éviter ça, d'éviter qu'il y ait une minorité qui se sente
trahie, qui est venue ici avec certaines attentes, brutalement démenties. Là,
nous marchons dans le chemin non seulement français au sens essentialiste, mais dans le
chemin actuel de la France, qui est un désastre pour ce pays.
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée.
Mme David : Merci beaucoup, parce
que je pense qu'il faut un peu... il fallait parler de ça parce que c'est important.
La référence est constante, à la France, en pensant que c'est le modèle par
excellence, maintenant. Puis il y a un peu de politique à travers tout
ça.
Mais
parlez-nous... Parce qu'on a des philosophes. Quand même, ce n'est pas des
notions faciles, avec lesquelles on
travaille tous, là, et donc c'est pour ça qu'il faut se poser un certain nombre
de questions. Je voudrais vous entendre vraiment sur la notion
d'autorité, parce que, dans le rapport 2017‑2018, on parlait
d'autorité coercitive; là, maintenant, on parle d'autorité tout court, si on veut, et
on fait référence aux enseignants, enseignantes, pour dire la vraie chose,
là, qui portent un signe visible, même si on
est rendus aussi aux signes invisibles pour faire peut-être
un... enfin, pour ne pas donner l'impression qu'on vise trop les signes
ostentatoires. Mais on est dans la notion d'autorité. Il y a des longues discussions, il y a des manuels, il y a des gens
qui ont passé leur vie à réfléchir à cette notion d'autorité. J'aimerais vous
entendre, et l'un et l'autre, parce que c'est au coeur du débat qu'on a
actuellement sur ce projet de loi.
M. Taylor
(Charles) : Moi, je trouve
que souvent les enseignants n'ont pas assez d'autorité. Puis l'autorité vient
du fait non seulement qu'on maîtrise son
sujet, mais qu'on peut enthousiasmer l'enfant. Quand je songe à ma formation
primaire, secondaire, il y a un certain
nombre d'enseignants qui ont eu une influence immense sur moi parce qu'ils
m'ont ouvert à la poésie, ils m'ont ouvert à l'histoire, etc. C'est en
ce sens-là qu'un enseignant peut avoir de l'autorité. Et justement on s'attend à ce qu'un enseignant, même
s'il choisit une ligne plus qu'une autre, même s'il dit que Baudelaire est beaucoup meilleur, enseignant de poésie,
beaucoup meilleur que Victor Hugo, c'est peut-être défendable, il soit ouvert à ce que l'enfant... à ce
qui enthousiasme l'enfant, hein? Et c'est ça qu'on demande des enseignants. À
ce moment-là, c'est la véritable
autorité de l'enseignant qui entre en ligne de compte. Et c'est malheureux
qu'il n'en soit pas toujours ainsi.
Je crois que
nous n'avons pas assez d'enseignants... Nous avons beaucoup
d'enseignants qui ont cette trempe-là, mais nous n'en avons pas assez.
Et c'est vraiment dommage si quelqu'un a été formé, était très bien éduqué, a
une véritable vocation pour être ce genre
d'enseignant là, et qu'on lui ferme la porte. Ça, pour moi, c'est se compter
dans le propre but, ce n'est pas ça qu'il faut.
Alors, l'autorité de l'enseignant, c'est très important
de définir en quoi ça consiste.
Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, oui.
Mme
David : Et, si je comprends
bien, il y a très peu de liens... en
tout cas, je crois comprendre de
votre définition, qui est beaucoup plus dans ce qu'elle transmet ou dans la passion
qu'elle suscite chez l'enfant et qu'elle laisse se développer que ce
qu'elle peut porter comme signe ostentatoire, par exemple. Donc, vous... Parce
que...
M. Taylor (Charles) : ...aucun
rapport. En fait, l'enfant n'y pense même pas, comme disait mon collègue,
nécessairement.
Mme David : ...une notion très importante dont il est très
peu question dans les autres mémoires : La laïcité d'État, ça veut dire le professionnalisme des agents de
l'État. Donc, la laïcité de l'État, c'est d'avoir des gens professionnellement
compétents, et ce n'est pas en lien avec ce
qu'ils peuvent ou non porter, parce que porter quelque chose ne veut pas dire
être dans le prosélytisme, on se comprend. Vous pouvez élaborer là-dessus?
M. Taylor
(Charles) : Oui. D'ailleurs,
ce que l'enfant apprend dans une école où il y a vraiment de la diversité
comme ça, c'est qu'il vit dans une société où il y a de la diversité et qu'il
vit dans une société où il doit apprendre à connaître
d'autres gens. D'ailleurs, c'est pour ça que nous suivons... nous sommes,
dans notre commission, dans la foulée de
la commission Proulx, qui a non seulement enlevé l'enseignement confessionnel
des écoles, à juste titre, mais a mis dans
l'école les cours sur la religion et l'éthique, justement pour que les enfants
sachent quelle sorte de variété, de diversité il y a dans notre monde et dans
notre société. Et ce n'est pas nécessairement préparer nos enfants pour ce
qu'ils vont vivre dans notre société,
pour ne pas parler de notre monde, que de leur cacher tous les signes
religieux. Ce n'est pas comme ça qu'on les... disons, qu'on les prépare
pour la vie qu'ils vont vivre dans notre monde.
Le Président
(M. Bachand) : Mme la députée.
• (18 heures) •
Mme David :
Vous avez... On a eu, avec les
précédents interlocuteurs, une discussion, et je vais peut-être m'adresser à M. Maclure, puisqu'il a parlé de ça. Vous dites : C'est
une petite minorité qui est visée, mais il peut y avoir une croyance religieuse sincère. Et donc on a eu
une discussion : Est-ce que c'est sincère, de porter le hidjab, ou pas ou est-ce
que c'est toujours politique? Vous qui avez quand même, à travers tous les
écrits, réfléchi à ça, vous parlez de croyance religieuse sincère. Donc, ça
existe, ça existe, cette croyance religieuse sincère, selon vous.
M. Taylor
(Charles) : Et une croyance
sincère de ce genre peut motiver une performance vraiment... au plus haut point
de l'enseignant. Et, rappelons-nous, une de ses fonctions, c'est l'écoute,
hein, et ça peut... on peut être motivé par sa foi. Je connais beaucoup de gens de différentes fois, donc, qui
justement ont cette motivation d'écouter l'enfant. Veux-tu ajouter?
M. Maclure
(Jocelyn) : Oui. Une des
choses qui est difficile, et je comprends, étant donné notre histoire, hein,
moi-même, ce n'était pas naturel de penser
ainsi au départ, c'est de bien comprendre une façon différente de vivre sa foi
religieuse, hein? Même ceux qui sont athées,
notre athéisme, hein, s'est beaucoup défini en opposition par rapport soit à
l'Église catholique ou au sein de la chrétienté et de ses différents
tiraillements, ce qui fait qu'on accorde énormément d'importance à tout ce qui relève des croyances, du for intérieur, de la
recherche spirituelle. Mais, pour plusieurs croyants à travers le monde,
la religion, la foi religieuse s'incarne aussi dans un certain mode de vie,
dans des actes, dans des pratiques, dans des
rituels, dans le port de vêtements à connotation religieuse, et ces
pratiques-là permettent à la personne de vivre, hein, sa vie spirituelle
de la façon qui lui semble la plus apte.
Le Président
(M. Bachand) : Merci...
M. Maclure (Jocelyn) : Et c'est
un mode...
Le Président
(M. Bachand) : En terminant, s'il vous plaît.
M. Maclure
(Jocelyn) : ...c'est une
façon de vivre sa religion qui est différente. Et, si, au fond, notre
conception de la liberté de
conscience et de religion, c'est : Oui, on tolère la diversité religieuse,
mais uniquement si vous croyez de la bonne façon, hein, bien, c'est une
vision bien appauvrie de la liberté de conscience et de religion.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Oui, je vous remercie. Je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi,
M. Taylor, M. Maclure, qui avez
travaillé au rapport Bouchard-Taylor, mais, c'est drôle, quand j'entends le
ministre qui dit : Je me suis grandement inspiré de ce rapport-là, ça me fait penser à une petite comparaison,
là. C'est comme si, par exemple... si j'avais une bonne recette de tarte, là, à la pistache et au chocolat
blanc, par exemple, et que le ministre prenait ma recette de tarte, qu'il
ajoutait une tasse de sel. Bien, ce
ne serait plus une bonne recette de tarte. Et puis, s'il allait dire à tout le
monde : Regardez, je me suis
inspiré de la recette de tarte du député de Jean-Lesage, bien, je serais un peu
offusqué, j'aurais l'impression qu'on essaie
d'usurper ma crédibilité sur le sujet. Je ne sais pas si vous vous sentez un
peu comme ça quand on fait référence à votre rapport.
M. Taylor (Charles) : C'est une
bonne... oui, une bonne comparaison. Oui, je comprends la...
M. Zanetti :
J'ai une question sérieuse, maintenant. Comment on lutte... Parce que ça, c'est
un souci qui revient et qui est partagé par tout le monde, qu'on soit
pour ou contre le p.l. n° 21, et je pense que c'est
là-dessus qu'il faut qu'on table, sur ce qui nous unit, là. Tout le monde
dit : Il y a un danger avec l'endoctrinement religieux. Certains disent : L'interdiction des signes religieux
est un remède à ça. Mais comment on peut lutter contre l'endoctrinement
religieux sans porter atteinte aux droits de la personne?
M. Taylor
(Charles) : Les gens en
fonction ont l'obligation de ne pas faire du prosélytisme. Et, que je sache,
ça ne se fait pas au jour le jour dans nos écoles ni dans nos hôpitaux, là.
Je crois que
ce qu'il faudrait, et une autre critique que je ferais... il faudrait des
études sérieuses, là. Il y a toutes sortes
de gens qui disent : Mais celles qui portent le hidjab, c'est des
intégristes, c'est... etc., ou ils veulent faire du prosélytisme. Personne n'a
fait une étude sérieuse de nos écoles, de ce qui se passe, etc. Et je trouve ça
d'une légèreté un peu inquiétante qu'on propose d'enfreindre des droits
fondamentaux...
Le Président
(M. Bachand) : Très rapidement, s'il vous plaît.
M. Taylor (Charles) : ...sur la
foi de racontars de différentes gens qui...
Le Président
(M. Bachand) : En 30 secondes, s'il vous plaît.
Merci. Pardon.
M. Maclure
(Jocelyn) : Oui. Si, là, il
y a un vrai problème d'endoctrinement, il faut le documenter. Et je soupçonne
qu'il se produirait davantage dans les écoles
confessionnelles, hein, de toutes les confessions, mais ces écoles-là ne font
pas partie... ne sont pas ciblées par le
projet de loi. Mais, s'il y avait de l'endoctrinement et que c'était un
véritable problème, j'imagine que ce
serait dans les écoles confessionnelles que ça se produirait, et là ça
prendrait une autre approche, hein, pour lutter...
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M. Bérubé : Je n'ai pas de question,
M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Donc, étant... Nous sommes rendus à la fin. Donc, je vous remercie beaucoup de votre collaboration,
de votre participation.
La commission va suspendre ses travaux jusqu'à
19 h 30, ce soir. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 18 h 5)
(Reprise à 19 h 38)
Le
Président (M. Bachand) :
Alors, bienvenue. À l'ordre, s'il
vous plaît! Merci beaucoup. La Commission des institutions reprend ses travaux. Comme vous savez, je demande à toutes les personnes
présentes dans la salle de bien éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
Nous allons
poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi
sur la laïcité de l'État.
Ce soir, nous
entendrons la Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse et le Centre consultatif des relations juives et israéliennes.
Alors donc, je vous souhaite la bienvenue, aux
membres de la Commission des droits de la personne. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes de
présentation, et après on aura un échange avec les membres de la commission. Alors, encore une fois,
bienvenue. Et je vous laisse la parole.
Commission des droits de
la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)
M. Tessier
(Philippe-André) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes
et MM. les députés. Je m'appelle Philippe-André
Tessier, je suis président de la Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse. Je suis accompagné par M. Jean-Sébastien Imbeault et
Me Evelyne Pedneault, qui sont respectivement chercheur et conseillère
juridique au Service de la recherche de la commission.
Permettez-moi
d'abord de vous remercier pour l'invitation qui est faite à la commission de
participer aux présentes consultations.
Comme vous le savez, la mission de la commission
est d'assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
C'est dans le cadre de ce mandat que lui confère la charte que la
commission a procédé à l'étude du projet de loi n° 21,
Loi sur la laïcité de l'État. Le mémoire de la commission soulève de sérieuses préoccupations quant à l'impact de
certaines dispositions de ce projet de loi sur les droits et libertés
protégés par la charte.
• (19 h 40) •
C'est la
quatrième fois depuis 2010 que la commission est appelée à commenter une
proposition législative qui, à des
degrés divers, vise à encadrer l'exercice de la liberté de religion dans les
institutions publiques. La commission tient à réaffirmer qu'elle est en
faveur de l'affirmation dans une loi de la laïcité de l'État et des quatre
principes qui la fondent tel que le
proposent les articles 1 à 3 du projet de loi. Les commentaires et les
recommandations de la commission portent
toutefois sur le décalage qu'introduirait le projet de loi entre, d'une part,
l'affirmation de la laïcité de l'État et, d'autre part, la mise en oeuvre de celle-ci, présentée aux
articles 4 et suivants du projet de loi, notamment, évidemment,
quant au port de signes religieux.
La laïcité de l'État québécois est reconnue et
effective juridiquement. En droit québécois, cette notion a été interprétée en fonction des finalités qu'elle
poursuit : la protection des droits et libertés de la personne. La laïcité
de l'État met en oeuvre deux moyens, la séparation de l'Église et de
l'État et la neutralité religieuse de l'État, en vue d'assurer l'exercice concret de deux droits de la personne,
à savoir la liberté de conscience et de religion puis le droit à l'égalité.
En ce sens, la charte contribue à la laïcité de l'État.
Les exigences
qui, en vertu du projet de loi, découleraient de la laïcité risquent pourtant
de porter atteinte à cette même
charte. Le fait que le projet de loi propose à la fois de modifier la charte
tout en y dérogeant en vue d'affirmer la laïcité illustre bien, à notre
avis, que les moyens choisis entrent en contradiction avec les finalités du
concept. Ainsi, la commission recommande que
le préambule du projet de loi soit modifié afin d'affirmer explicitement la
primauté de la charte et l'importance des droits et libertés qui y sont
inscrits pour l'ensemble de la société québécoise.
Par ailleurs, la commission émet de sérieuses
réserves sur les articles 17 et 18 du projet de loi qui prévoient modifier la charte. Il convient de faire certains
rappels à cet égard. Premier rappel, le respect des minorités, de pair avec
la démocratie et la primauté du droit, est
un des principes fondamentaux autour desquels s'articule la charte québécoise.
Deuxième rappel, la charte constitue un ensemble cohérent de droits et de
libertés qui ont la même importance et qui doivent
être traités sur un pied d'égalité. Enfin, une modification à la partie I
de la charte, celle visant les droits et libertés fondamentaux, doit se
faire avec prudence, dans le respect de l'objet et de la portée de cette loi
fondamentale. Les modifications apportées
jusqu'à présent par l'Assemblée nationale reflètent d'ailleurs cet impératif de
prudence. Parmi les 18 modifications
législatives qui ont touché la partie I depuis 1975, seules deux n'ont pas
été adoptées à l'unanimité. De plus, aucune n'a eu pour effet de
restreindre la protection aux droits et libertés inscrits à la charte.
À la lumière
de ces quelques rappels, les modifications que le projet de loi propose au
préambule et à l'article 9.1 de
la charte sont de nature à soulever certaines craintes. En vertu des règles
d'interprétation en vigueur, l'introduction d'une référence à la laïcité de l'État et à la charte devrait
nécessairement être traduite conformément à l'objet de la charte. Cette
notion devrait donc continuer d'être interprétée dans le respect des droits et
libertés de la personne.
La commission s'interroge toutefois sur l'effet
concret que pourrait avoir une telle modification à la charte et l'interprétation qu'on pourrait lui donner dans la
mesure où elle s'accompagne d'une clause de dérogation aux articles 1 à 38 de celle-ci. Le projet de loi
prévoit ainsi déroger à l'avance aux effets de deux dispositions qu'il cherche
pourtant à introduire.
Pour ces raisons, la commission émet de
sérieuses réserves quant à l'introduction du concept de laïcité de l'État au préambule et à l'article 9.1 de la
charte. Elle recommande de ne pas procéder à cet ajout si on entend définir et
mettre en oeuvre cette notion différemment
de l'interprétation qui a été donnée en vertu de la charte, comme en témoigne
notamment le recours à une clause dérogatoire.
En ce qui a
trait à cette clause dérogatoire, la commission rappelle... — je m'excuse — qu'elle ne devrait être utilisée que lorsqu'une situation d'une certaine
gravité l'exige. Elle devrait en outre être limitée à la stricte mesure exigée
par cette situation. Aux fins de son
application, le projet de loi envisage plutôt la suspension de droits protégés
à la charte sans qu'on ait démontré
que la situation exige un geste d'une telle gravité. Au contraire, les données
tendent à démontrer qu'il n'y a pas
de véritable enjeu eu égard à la laïcité de l'État ou même le port de signes
religieux par des employés de l'État.
La large
portée de la clause dérogatoire inscrite dans le projet de loi retient
également l'attention. On propose de soustraire toutes les dispositions du
projet de loi et de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de
l'État — le
projet de loi n° 62,
tel qu'il s'appelait alors — aux articles 1 à 38 de la charte. Il
convient pourtant de questionner le lien qu'il y a entre les objectifs
du projet de loi et plusieurs articles de la charte visés par la clause
dérogatoire.
Plus
largement, la commission prend acte de la méfiance qui se dégage de certains
commentaires à l'égard des tribunaux
dans la protection des droits et libertés protégés par la charte. Soulignons
néanmoins que l'État de droit «suppose l'existence
d'une instance judiciaire capable de faire respecter les normes
constitutionnelles, et ce — à l'occasion — même à l'encontre de la volonté exprimée [de] l'État».
Il ne s'agit
pas de nier le malaise qui a pu être ressenti par une certaine partie de la
population à ce sujet, au contraire. Il est d'ailleurs permis de douter que le
fait de déroger à la charte vienne clore le débat. Un tel constat appelle
plutôt la mise en oeuvre de mesures
qui permettraient d'y répondre adéquatement. Pensons notamment aux initiatives
nécessaires en matière
de sensibilisation, d'information et d'éducation aux droits et libertés de la
personne et, plus fondamentalement, d'accès à la justice.
Sur un autre plan, un
renvoi du gouvernement à la Cour d'appel du Québec quant à la conformité à la
charte québécoise des mesures prévues par le
projet de loi permettrait de mettre en lumière le rôle des tribunaux dans la
mise en oeuvre des droits et libertés, et ce, conformément aux principes
démocratiques en vigueur. Cela permettrait aussi de statuer sur les exigences qui découlent de la
laïcité de l'État et sur le sens à donner aux modifications proposées à la
charte dans le respect des droits et libertés qu'elle protège.
Ainsi, la commission
recommande la mise en oeuvre de mesures permettant de répondre adéquatement aux
questionnements d'une partie de la population quant à l'importance de la charte
et au rôle des tribunaux dans une société
démocratique. Afin d'assurer la protection du droit à l'égalité et de
l'ensemble des droits et libertés de la personne, il convient de mettre en place des initiatives
en matière de sensibilisation, d'information et d'éducation aux droits. Il importe également
de rappeler l'importance de différentes institutions dans le respect
de ceux-ci, entre autres par des mesures d'accès à la justice et
par le biais d'un renvoi opportun du gouvernement à la Cour d'appel.
Le mémoire de la commission
s'emploie par ailleurs à analyser les articles 4 et suivants du projet de
loi à la lumière de la charte. Ce faisant, elle conclut que l'interdiction de
port de signes religieux contredit trois des principes constitutifs de la laïcité.
D'une
part, elle porterait atteinte à la liberté de religion. Retenons que la liberté
de religion comprend le droit de manifester ses croyances par la mise en
pratique, ce qui inclut le droit de porter un signe religieux.
D'autre
part, l'interdiction de port d'un signe
religieux risque de compromettre le
droit à l'égalité des personnes visées, notamment le droit à l'égalité en
emploi. Les conséquences de ces dispositions pourraient être d'autant plus importantes
que les articles 13 et 25 du projet de loi lèveraient
l'obligation d'accommodement
raisonnable, entre autres, quant aux dispositions du projet
de loi. Celui-ci avance plutôt l'idée
que tous et toutes doivent se soumettre à une règle unique, sans possibilité d'aménagement. Il
s'agit pourtant d'une vision de l'égalité qui est dépassée, une égalité
formelle, qui constituerait un recul important
quant à l'interprétation du droit à l'égalité, incluant eu égard au droit à
l'égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin,
le décalage que le projet de loi impose en regard du modèle effectif de laïcité
développé au Québec apparaît clairement lorsqu'on envisage son
impact sur le milieu scolaire. Un examen des orientations ayant mené à la déconfessionnalisation du système
scolaire et des principes ayant guidé ce processus donne à voir que
l'interdiction prévue au projet de loi ne cadre pas avec le modèle québécois
de laïcité qui s'est développé à l'école.
L'interdiction
pour des membres du personnel de l'école de porter des signes religieux contreviendrait en outre à la mission de socialisation de
celle-ci, à des aspects de la Loi sur l'instruction publique ainsi qu'à des
éléments du programme éducatif.
Insistons
par ailleurs sur la distinction entre
le fait d'être exposé aux croyances d'autrui et le fait d'être contraint
à adhérer à celles-ci. Le seul port d'un
signe religieux par un enseignant ne peut a priori être assimilé à une
contrainte pour les élèves. Le simple port d'un signe religieux ne
permet pas de conclure que l'enseignant exerce une forme de prosélytisme ou encore qu'il agit de façon
contraire à son devoir de réserve ou à son obligation d'impartialité. Le
respect de ces obligations repose plutôt sur ses comportements, son
attitude, ses paroles et ses décisions.
Parmi
les recommandations portant sur l'interdiction de port de signes religieux, la
commission propose donc de ne pas adopter les articles 4 et 6 du projet de
loi n° 21. La commission recommande en outre de ne pas
adopter les articles 13 et 25 en
vertu desquels aucun accommodement raisonnable ne pourrait être accordé pour
les situations préjudiciables créées par l'application de dispositions
interdisant le port de signes religieux.
Nous
restons, bien évidemment, à votre disposition pour répondre à vos questions. Je
vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Tessier. M. le ministre,
vous avez la parole, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Me Tessier, Me Pedneault, M. Imbeault,
bonjour. Merci d'être présents à la commission ce soir pour témoigner en lien
avec le projet de loi n° 21 que le gouvernement du
Québec a déposé. C'est un volumineux mémoire que vous nous avez fait parvenir.
Écoutez,
en lien avec le projet de loi n° 62, relativement à l'obligation de donner des
services à visage découvert et de les
recevoir à visage découvert, notamment pour des questions de sécurité,
d'identification mais aussi de communication et d'interaction, on sait que la disposition, elle est suspendue par les
tribunaux. Il y a eu un sursis... en fait, deux sursis qui ont été accordés, et ce que j'ai fait, c'est
que j'ai précisé l'obligation de réception des services uniquement pour des
motifs de sécurité et d'identification.
Qu'est-ce
que la Commission des droits pense de cela, de cette
disposition-là à l'effet qu'au Québec, lorsqu'on demande un service public, on devrait se découvrir le visage pour
obtenir un service public lorsque c'est nécessaire pour des motifs de
sécurité et d'identification? Êtes-vous favorables?
M. Tessier
(Philippe-André) : Ce que la commission dit, eu égard à ça, c'est que
c'est le cadre que la charte applique déjà,
les motifs de sécurité et identification sont déjà des motifs reconnus comme
étant valables pour exiger à une personne de se découvrir. Alors, ce
sont... pour nous, une possibilité déjà existante.
Et c'est un
peu un des messages qu'on vous transmet, qu'on transmet à l'ensemble des
parlementaires, c'est qu'il faut faire attention de faire dire à la
charte des choses qu'elle ne fait pas. Et la charte est un instrument qui amène
plus de laïcité dans la société québécoise
et justement par l'interprétation, notamment, de certaines contraintes, eu
égard à la prestation de certains services,
lorsqu'il y a sécurité ou identification, il y a des exemples à cet effet-là
dans la jurisprudence québécoise et canadienne.
• (19 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Mais, quand même, vous auriez deux gouvernements
successifs, l'un libéral, avec une ministre de la Justice qui aurait cru opportun de venir indiquer ça dans un texte
de loi, et vous avez un ministre... bien, le gouvernement d'une autre formation politique aussi qui considère que
c'est important que le législateur
vienne le mettre dans le projet de loi. Et, si c'était si clair que ça
avec l'application de la charte, on n'aurait pas besoin de le faire.
Mais
c'est jumelé aussi au fait qu'il n'y a pas d'accommodement possible, dans le
cadre du projet de loi n° 62, relativement à la réception de services
à visage découvert, à l'exception des motifs de handicap ou de santé ou pour dénoncer une infraction de nature criminelle,
pensons, supposons, à une agression sexuelle. Mais, à l'exception de ces
trois motifs-là, il n'y a pas d'exception. Est-ce que vous êtes favorables à
cela?
M. Tessier
(Philippe-André) : Il est
évident que, pour la commission, la notion de l'accommodement raisonnable,
et puis c'est vrai depuis les 10 dernières
années, à tout le moins, si ce n'est pas plus, c'est une notion qui mérite
d'être mieux comprise et qui mérite d'être comprise comme étant un compromis.
L'accommodement raisonnable, puis je l'ai déjà dit en commission
parlementaire, c'est un véhicule qui sert à trouver un équilibre entre des
droits, un équilibre entre une situation où
deux droits s'opposent. Et il n'y a pas, malheureusement, de réponse
facile ou simple à ce genre de principe.
Et
il y a, à tout le moins, des principes quand
même reconnus. La commission, depuis maintenant
10 ans, offre un service-conseil
en matière d'accommodement raisonnable pour les employeurs au Québec,
tant privés que publics, et nous
recevons donc des demandes et des questions pour accompagner les citoyens et
les entreprises du Québec dans la mise en oeuvre de ces
obligations-là, le tout, évidemment, étant pour éviter la judiciarisation ou
des plaintes. Et ce système-là, évidemment,
mérite d'être mieux connu, mieux utilisé parce qu'il fait ses preuves et il
trouve des solutions concrètes à des problèmes.
Le
problème le plus important, lorsqu'on parle d'accommodement religieux, d'ailleurs,
je le souligne, c'est les problèmes
de contraintes d'horaire. Donc, évidemment, on est au quotidien, nous, à
oeuvrer auprès des citoyens du Québec
pour leur donner des solutions et des pistes de solution par rapport à ça.
M. Jolin-Barrette : Mais là, M.
le Président, on s'éloigne un petit
peu. Ma question est davantage sur l'article
de loi, dans le projet de loi n° 21, qui indique que, pour recevoir des services,
ça doit être à visage découvert. Et, outre les exceptions nommément indiquées, je souhaiterais savoir si la commission
est favorable au fait qu'au Québec les services doivent être reçus à visage découvert pour des questions
d'identification et de sécurité, à l'exception de si on a un handicap,
pour une raison de santé ou pour une dénonciation par rapport à une infraction
criminelle.
M. Tessier
(Philippe-André) : Comme je
vais le répondre à nouveau, pour la commission, le cadre d'interprétation
de la charte prévoit déjà des
situations où il est nécessaire de recevoir les services à visage découvert, et
ces principes-là sont appliqués au
cas par cas en fonction des situations qui se présentent. Alors, c'est la
réponse que j'ai à vous offrir sur ça, M. le ministre... M. le Président.
M. Jolin-Barrette :
Et, pour mon information, ce serait quoi, un exemple concret de cela?
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, en
gros, vous l'avez donné comme exemple, la question de l'identification d'une personne qui a à être identifiée pour savoir
si cette personne-là est bel et bien la bonne personne. L'exemple aussi
du permis de conduire, la photo du permis de conduire, il est tout à fait
valable et possible d'exiger à quelqu'un de se découvrir pour avoir une photo de permis de conduire. Évidemment, on
pourrait parler de cas, d'exemples, mais, lorsque c'est nécessaire pour l'identification ou la
sécurité, ceci est déjà balisé en jurisprudence dans le cadre que la
charte applique, la charte québécoise applique au Québec.
M. Jolin-Barrette :
Donc, c'est légitime pour le législateur de le faire puis de venir l'inscrire.
O.K.
Au
niveau du projet de loi n° 62 encore, lorsque la commission est venue
témoigner aux audiences que la précédente ministre de la Justice tenait, la commission était opposée, entre
autres, à l'inclusion dans la loi d'une mention de l'égalité
femmes-hommes comme critère devant être respecté lors du traitement d'une
demande d'accommodement religieux. Et vous
me permettrez de citer le mémoire, là, concernant le projet de loi n° 62 : «La mise en évidence du droit à l'égalité entre les
femmes et les hommes risquerait en outre d'emporter d'importants impacts
juridiques et sociaux quant à la protection
des droits garantis par la charte. [...]L'ajout [...] pourrait précisément introduire
une hiérarchie entre les droits et
libertés de la personne prévus à la charte et porter atteinte à l'équilibre
fondamental qui caractérise celle-ci.» On parlait même d'une possibilité
que la protection du droit à l'égalité soit amoindrie.
Là,
ça fait plus de deux ans que projet de loi n° 62
a été adopté. La disposition en question, elle n'a pas été suspendue. Est-ce que vous avez constaté une
diminution, une hiérarchisation des droits, par rapport à vos craintes, à vos
anticipations qui avaient été formulées dans
le cadre de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 62, du fait que les accommodements raisonnables allaient être
envisagés à la lumière de l'égalité entre les hommes et les femmes?
M. Tessier
(Philippe-André) : Je vais passer la parole à ma collègue.
Mme Pedneault
(Evelyne) : On exprime effectivement et dans le mémoire sur le projet
de loi n° 62 et dans le mémoire sur le projet de loi n° 21 des
craintes quant à la garantie de cohérence de la charte, au maintien de cette cohérence-là.
Les auteurs de la charte, inspirés du droit
international, ont fait très attention de maintenir l'équilibre entre
l'ensemble des droits. Il faut lire
la charte comme un ensemble, comme un tout cohérent, et jouer sur un morceau,
c'est aussi jouer sur tous les autres
morceaux. Et, entre autres, quand on joue par rapport au droit à
l'égalité, ou à la hiérarchisation, ou à la vision antagoniste qu'on peut avoir de certains droits, et qui peut
ressortir de certains débats entourant, entre autres, le projet
de loi n° 21, cette vision antagoniste là vient contredire
l'interprétation de la charte qui veut qu'on doit lire les droits comme se... pour qu'ils se renforcent
mutuellement et non pour qu'ils s'affaiblissent les uns et les autres ou qu'ils
soient opposés. S'il advient que certains droits dans la charte peuvent, dans
des situations ponctuelles, donner... être opposés, il y a des exercices de
conciliation qui sont prévus et qui sont très bien balisés par la
jurisprudence.
Quant au
droit à l'égalité, on l'a dit dans les notes de présentation et on l'explique
dans le mémoire, la remise en question
de l'obligation d'accommodement raisonnable, la vision, une certaine vision qui
semble être partagée par certains de l'obligation d'accommodement
raisonnable comme étant un privilège ou comme étant un écart d'égalité ou une atteinte à l'égalité, ça nous ramène au début des
années 80, à une vision formelle de l'égalité, une vision qui a été,
depuis, largement dépassée. Pour atteindre l'égalité réelle, il faut
parfois avoir des mesures différenciées. Traiter toutes les personnes de la même façon peut entraîner une
inégalité, de la même façon que d'avoir des mesures différenciées peut permettre d'atteindre l'égalité. On le comprend
aisément, par exemple, lorsqu'on pense qu'il est nécessaire, par exemple,
d'avoir des moyens pour adapter les
bâtiments à l'accessibilité universelle. Ça, on le comprend. Mais c'est la même
chose pour l'ensemble des motifs de la charte.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. On va juste revenir sur
le projet de loi n° 21, avec le 62, là, parce que c'est directement
lié, eu égard des commentaires de la Commission des droits. Pratico-pratique,
là, depuis deux ans et demi, trois ans, là,
vous aviez une crainte importante à l'effet que... de dire que, dans nos lois...
Et c'est la ministre de la Justice,
Mme Vallée, députée de Gatineau, à l'époque, qui avait fait ça, pour
dire : Les accommodements religieux vont être interprétés à la lumière de l'égalité entre les femmes et les
hommes. C'était important puis c'est une avancée importante qui avait été faite par la collègue de Gatineau à
l'époque, et la commission avait critiqué ce choix-là. Alors, vous
disiez : Ça va porter atteinte
au droit à l'égalité, il va y avoir des conséquences à ça. Alors, c'est quoi,
le bilan, depuis ces trois ans-là, du
fait que le Parti libéral avait, à juste titre, mis l'égalité entre les femmes
et les hommes comme outil d'interprétation dans la grille d'analyse pour
les accommodements religieux? Alors, est-ce qu'il y a un bilan de la
commission?
M. Tessier
(Philippe-André) : Ce que je
peux vous dire, c'est que je n'ai pas de bilan à vous offrir. Ce que je
peux vous dire néanmoins, c'est que le principe d'égalité hommes-femmes est déjà
prévu à la charte.
Et, encore
une fois, comme ma collègue vous le mentionnait, lorsque l'on regarde la
charte comme un tout, les droits fondamentaux ne peuvent pas s'interpréter en
vase clos, de façon isolée, on ne peut pas... et c'est toujours
risqué, lorsqu'on isole un motif, parce que
cet élément d'ensemble là a des conséquences pratico-pratiques sur d'autres
que, des fois, dans la grande sagesse
du législateur, on ne peut pas anticiper. Et c'est un peu ça,
l'équilibre qui vient d'être... qui est
atteint par 40, plus de 40... presque 45 ans de vie de la charte au Québec,
c'est que les façons de la construire et les façons de l‘interpréter sont
comprises, sont cohérentes et forment un tout. Et un des risques, et c'était un
des risques de 62 puis c'est un des risques de 21 également, c'est de venir hiérarchiser les droits et c'est de venir dire, en
gros : Bien, l'accommodement religieux, lui, il est différent des autres. Le
droit à la religion, c'est un droit différent, et il faut l'interpréter
différemment que les autres.
Ce que je
vous dis, c'est que de toute façon
les droits sont toujours interprétés en fonction des tensions inhérentes
entre les différents droits, donc, de venir
jouer dans cet équilibre-là, c'est très risqué parce que ça peut venir
débalancer ce cadre-là puis cette
façon-là de fonctionner. Et c'est un peu la critique que la commission faisait
sur 62 et fait sur 21, et d'autant
que 21, comme on le mentionne en entrée de jeu, inclut une clause dérogatoire. Alors, c'est comme si on vient placer par-dessus la charte... Puis je parle en
langage imagé, là, pour que les gens me comprennent bien, là. C'est comme
si on venait dire : Il y a la charte, puis en haut de ça il y a 21.
Donc, la laïcité,
ce n'est pas quelque chose qui s'interprète comme un tout, à même la
charte, puis c'est une des problématiques qu'on soulève. On vous dit : On
n'est pas contre la laïcité, on est d'accord avec le concept de laïcité, mais, si on y ajoute, à ça, la clause dérogatoire,
bien, on vient placer la laïcité au-dessus de la charte, et ça, ça nous inquiète.
• (20 heures) •
M. Jolin-Barrette : Oui. Alors, je comprends que les risques ne se
sont pas matérialisés, du projet de
loi n° 62.
Mais vous
parliez de la hiérarchisation des droits, puis un des risques que vous
soulevez, vous dites : Ah! bien, la
laïcité va être hiérarchisée par
rapport aux autres droits. Je vous
dis : Ce n'est pas le sens du projet
de loi, et les droits
s'interprètent les uns par rapport aux autres.
Par contre,
dans votre mémoire, je n'ai pas noté de référence à la décision de la Cour suprême Trinity Western University et
Brayden Volkenant contre le Barreau du Haut-Canada qui... et c'est une décision
récente, là, 2018, de la Cour suprême en lien avec une faculté de droit qui voulait
être accréditée par le Barreau du Haut-Canada, qui avait des pratiques, on va se le dire, qui étaient
homophobes, et la Cour suprême semble dire : Bien, écoutez,
le droit à l'égalité pour les personnes
LGBTQ, il faut le protéger. Et, la liberté de religion, il y a
certaines limites aussi à ça.
Alors, je me
dis, les droits s'interprètent les uns par
rapport aux autres, mais il est
légitime aussi parfois d'amener certaines
balises. Et, avec la laïcité de l'État, ce qu'on fait, c'est justement
ça. On établit un cadre, la société québécoise
choisit le cadre dans lequel elle souhaite
évoluer en s'assurant que les droits et libertés fondamentaux sont notamment interprétés à la lumière de la
laïcité.
Mais il faut se rappeler aussi que la
Charte des droits et libertés de la personne, elle est modifiée, elle est
modifiable. Et le législateur n'a pas
prévu de procédure de modification formelle, comme la charte canadienne non
plus. Alors, lorsqu'on dit : Ça fait 40 ans, aussi, bien, ce
n'est pas immuable non plus.
Alors, comment est-ce
qu'on réconcilie tout ça? Parce que moi, je dis : Écoutez, ce qu'on fait,
c'est un outil d'interprétation. La laïcité, c'est une valeur importante de la
société québécoise.
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, premier principe, loin de l'idée de la
commission de prétendre à l'Assemblée nationale
que celle-ci ne peut pas modifier la Charte des droits et libertés, qui a été
adoptée par cette même Assemblée. Ce n'est
pas le sens de notre propos. Ce que l'on dit, c'est qu'il faut toujours être
prudent lorsqu'on vient modifier la partie I de la charte, je précise, cette partie-là qui vise
les droits et libertés fondamentaux, parce que, comme vous le dites, le
ministre vient de le dire, ils s'équilibrent l'un en fonction des autres.
Et, lorsqu'on parle
de la cause, par exemple, de Trinity Western, bien, c'est exactement là un
exemple où, dans un cadre... et je vous soumets que cette décision-là a été
interprétée en fonction d'une situation en Ontario, en Colombie-Britannique, mais les principes applicables auraient été vrais
en vertu de la charte québécoise... où le droit à la religion a cédé le pas à un autre droit garanti.
Et c'est exactement ce que le cadre de la charte prévoit présentement. C'est
faux de prétendre que la liberté de religion est illimitée, qu'elle n'a pas de
limite. Il y en a, elles existent en droit. Le ministre vient de faire référence à un exemple, mais il y en a d'autres.
Et c'est un peu ce qu'on met en lumière, d'ailleurs, dans notre mémoire
lorsqu'on parle de notion de sécurité, identification.
Alors, cet exercice
d'équilibre là, il est interne à la charte, il est intégré à la charte. Alors,
ce qu'on dit, avec beaucoup de respect pour
les prérogatives de l'Assemblée nationale, c'est d'être prudent lorsqu'on vient
jouer dans la partie I de la charte et c'est de faire attention à
hiérarchiser les droits. C'est tout simplement ça.
Puis,
je le répète, la commission est d'accord avec les principes d'affirmer la
laïcité au Québec. Les décisions des tribunaux
et en vertu de la charte québécoise des dernières années ont consacré le fait
que le Québec est un État laïque, il
y a une neutralité religieuse qui existe au Québec, et le jugement dans ville
de Saguenay pour ce qui est de la prière, par exemple, en est un bon exemple. Il n'y a personne qui remet en cause
le fait que l'État du Québec est un État neutre d'un point de vue
religieux.
M. Jolin-Barrette : Par contre, M. le Président, je m'excuse auprès
de mes collègues, mais il y a une distinction, il y a une distinction très claire. Oui, neutralité religieuse, mais on
a la démonstration que la neutralité religieuse, ce n'est pas la laïcité
de l'État. Et le législateur québécois, aujourd'hui, par le biais de son projet
de loi, dit : Au Québec, la laïcité va être définie avec quatre principes
importants, chose qui n'était pas définie. Et d'ailleurs, dans Mouvement laïque québécois, parfois la cour se mélange entre
laïcité et neutralité, et ce n'est pas du tout la même chose. Et l'ensemble
des auteurs le disent, que ce n'est pas la
même chose. On a eu M. Taylor tantôt, lui-même dit également que ce n'est pas la même chose.
M. Bouchard aussi dit que ce n'est pas la même chose, la neutralité et la
laïcité.
Alors, moi, je
voudrais vous demander : N'est-il pas légitime que le Parlement du Québec,
par le biais de ses représentants élus,
puisse définir les rapports entre l'État et les religions? Ça n'appartient pas
au Parlement plutôt qu'aux tribunaux, de faire ça? Ce n'est pas légitime
pour l'Assemblée nationale de le faire?
Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, je dois céder la parole à l'opposition officielle. Mme la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît. Désolé.
Mme David : C'était intéressant comme échange, M. le Président. Mais, savez-vous quoi, je vais céder la parole, moi-même, au
député de LaFontaine, qui va peut-être poursuivre dans les méandres juridiques.
Le
Président (M. Bachand) : Pour 11 minutes.
M. Tanguay :
Merci beaucoup. Alors, merci beaucoup à Me Tessier, aux représentants,
représentantes de la Commission des droits de la personne.
Question, petite question rapide pour
débuter : N'est-il pas vrai d'affirmer que les protections offertes aux libertés
de conscience et religion sont protégées
également par la charte canadienne, au même titre que par la charte québécoise?
M. Tessier
(Philippe-André) : C'est rigoureusement exact. Cela dit, notre propos
aujourd'hui, c'est de parler... nous sommes ici pour parler de la charte
québécoise.
M. Tanguay :
Voilà. L'utilité est de vous l'entendre dire est, le cas échéant, de pouvoir
répliquer à celles et ceux qui
diraient que la charte canadienne est l'empêcheur ici de danser en rond, alors
que l'on sait par votre réponse que, dans les deux cas d'espèce, les deux libertés, conscience et religion, sont
également et de façon aussi forte enchâssées dans les deux chartes, la
québécoise et la canadienne.
Vous en faites état, la charte québécoise, c'est
la Charte des droits et libertés de la personne. On protège l'individu, on protège la minorité contre quoi? Contre la
majorité. N'est-il pas vrai d'affirmer que le fait d'introduire ce que certains
pourraient appeler une définition de la
laïcité qui mettrait le poids de ce que certains considèrent des droits
collectifs dans une analyse d'une charte qui est là pour protéger les
personnes, les individus, bien, ça va créer nécessairement un débalancement
puis que ça n'a pas sa place à ce niveau-là?
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, ce que je peux me permettre de répondre, puis
j'en profite aussi pour répondre peut-être un petit peu indirectement à
la question que le ministre m'avait posée un peu plus tôt, pour ce qui est de
la commission, il faut rappeler quelque
chose, et je l'ai dit d'entrée de jeu, nous sommes favorables à l'affirmation
dans une loi, la laïcité de l'État et les quatre principes. On l'a dit, les
articles 1 à 3 de la loi, on comprend et on reconnaît que cette
mesure-là peut avoir un effet positif, de venir affirmer la laïcité de l'État.
Cela dit, il
faut faire attention dans quel contexte on affirme ces principes-là. Puis je
suis bien au fait des distinctions et
des nuances, quand même assez pointues, entre les concepts de neutralité religieuse
et de laïcité, puis ce n'est pas l'objet de mon propos aujourd'hui. Mais, cela dit, il faut comprendre que
l'interprétation donnée par les tribunaux et puis par toute la littérature qui est écrite autour de la
charte québécoise tend à reconnaître ces principes-là qui viennent être
précisés dans la loi. Donc, ce sont des principes qui sont déjà
préexistants.
Est-ce qu'ils sont campés dans une loi
présentement? Non, on ne peut pas prétendre ça. Puis je comprends la volonté du gouvernement, c'est ce qui est affirmé
à 1 à 3. Mais, cela dit, est-ce que ces droits-là... est-ce que cette
question-là de la laïcité doit venir
perturber l'équilibre de l'ensemble des droits? C'est là où on dit : Il y
a un risque sérieux. On vient placer ces concepts-là de laïcité et on
vient les hiérarchiser par rapport au reste des droits. Et c'est ce qu'une
clause dérogatoire vient faire, parce qu'on
vient placer à l'abri du regard et de l'interprétation des autres droits ces
notions-là qu'on vient introduire à la charte.
Alors, je
vous avoue bien candidement qu'une des choses qui nous laissent un peu
perplexes, dans les circonstances, c'est
de dire... Et, encore là, on reconnaît la prérogative de l'Assemblée de
modifier les lois du Québec, dont la charte. Mais au même moment on applique une clause dérogatoire, donc on empêche
cette charte-là de vivre avec ces principes-là parce qu'on dit : Bien, vous n'avez pas à l'interpréter. Disons que
c'est sûr que ça demeure un peu insatisfaisant comme mécanisme.
• (20 h 10) •
M. Tanguay :
Et ça participe de l'équilibrage... Justement, on parle du législatif,
l'exécutif et le judiciaire. Ça participe
de l'équilibrage de notre système, qui est un système parlementaire, et dont
chacune des trois sphères, l'exécutif, le
législatif et le judiciaire, ont un rôle à jouer. Et, par la clause
«nonobstant», pour la canadienne, et par... en voulant mettre à l'abri de toute analyse judiciaire le projet de
loi n° 21 en regard de la charte québécoise, bien, on
vient briser cet équilibre-là et, le cas échéant, ce réajustement-là.
Puis vous
recommandez très clairement de ne pas adopter l'article 6 qui interdit les
signes religieux. Pourquoi c'est
important que le débat se fasse au cas par cas et qu'il y ait, le cas échéant,
pas des accommodements déraisonnables, mais
des accommodements raisonnables? Pourquoi c'est important de ne pas couper
court à toute analyse dans un cas bien précis, pour tous les cas où
l'article 6 interdirait, selon le contexte, un signe religieux? Pourquoi
c'est important, dans notre vivre-ensemble, de permettre, juste permettre cette
analyse-là et, le cas échéant, le processus qui va nous permettre d'avoir un
vivre-ensemble et un accommodement raisonnable?
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, le premier principe, c'est que c'est sûr et
certain que la société québécoise est
très diversifiée. Et on a donc une série de motifs prévus à l'article 10,
qui sont tous aussi interdépendants les uns avec les autres et importants. Et souvent, là, ce qu'on va retrouver, nous,
c'est ce qu'on appelle de l'intersectionnalité, en ce sens que les motifs vont s'entrecroiser. Exemple,
quelqu'un va être discriminé non seulement en raison de son sexe, mais en
raison de sa condition sociale, donc, ou en raison de son origine ethnique ou
nationale. Donc, on va se retrouver avec un
cumul, si on veut, là, de motifs qui se reflètent dans une personne. Et ces
cumuls-là sont très souvent subis, ces cumuls-là de motifs, sont très souvent
subis par un groupe de la population qui est donc, à ce titre, un peu
injustement stigmatisé, on vient donc
pointer du doigt ou identifier certaines catégories de la population, et c'est
sûr et certain que ça, c'est un
risque. Puis je vous dirais que c'est un risque, mais surtout c'est que c'est
au concret, pour la commission, l'objet de plaintes, de gens qui
s'adressent à nous parce qu'ils ou elles sont victimes de situations de
discrimination.
Et, quand vous dites : C'est quoi,
l'importance du cas par cas, bien, c'est parce que justement il n'y a pas un cas semblable, parce que... Je vous donnais
l'exemple des aménagements d'horaire de travail. Bien, l'aménagement de l'horaire de travail, il va dépendre de la nature
de l'entreprise, de la grosseur de l'entreprise, de la nature de
l'accommodement demandé, de la
récurrence. Des situations individuelles, il y en a à l'infini, et de tenter de
venir jouer et puis de mettre une
ligne... Puis je comprends que ça peut sembler séduisant comme idée, de
dire : On va tracer une ligne, puis d'un bord c'est correct, puis de l'autre bord ce n'est pas
correct. Le problème, en réalité, qui va se produire, c'est qu'il va y avoir
du monde avec les jambes chacune d'un bord
de la ligne, ça va être un peu inconfortable longtemps pour ces personnes-là.
M. Tanguay :
Et est-ce que c'est en lien avec cette réalité-là où vous disiez qu'il s'agit
d'une règle dépassée, la règle
unique, la règle formelle? C'est une règle dépassée, vous avez utilisé le terme
«dépassée». Pouvez-vous nous dire en quoi, en 2019, cette approche-là,
elle est dépassée?
M. Tessier (Philippe-André) :
Bien, je veux dire, elle est dépassée dans la mesure où la jurisprudence, les
instruments internationaux, là, les chartes, les lois du Québec, pas juste la
charte, ces concepts-là... Je pense à la loi visant...
assurant l'exercice pour les personnes handicapées, qui date de 1979, qui vise
à une meilleure intégration, à un vivre-ensemble
avec... Ces notions-là d'égalité formelle ont été, depuis les années 80,
remplacées par l'égalité réelle, au Québec, et par, comme je vous dis,
là, un ensemble de lois, pas juste la charte, là.
M. Tanguay :
Vous avez souligné, et c'est assez éclairant, le paradoxe de l'approche du
projet de loi n° 21 et l'article 2
qui définit la laïcité, notamment 3° et 4°, l'égalité entre les citoyens puis
la liberté de conscience et religion. Vous avez soulevé que cette approche, telle que
décrite par le projet de loi n° 21, est à sa face même un paradoxe parce que, justement, si d'aventure le projet de loi n° 21 était adopté tel qu'il est, ses autres articles, que vous recommandez
par ailleurs qu'ils ne soient jamais
adoptés, viendraient en contradiction avec notre façon — «on» étant... exclut la personne qui parle — de définir la laïcité, à savoir l'importance
de l'égalité, et nous en sommes tous, mais cette approche est en soi
inégalitaire et irrespectueuse de la liberté notamment aussi de conscience et
de religion.
M. Tessier
(Philippe-André) : Je vais laisser mon collègue répondre à cette
question-là, avec votre permission.
M. Imbeault
(Jean-Sébastien) : Oui. En
fait, on a indiqué dans notre mémoire, comme vous le soulignez, que la liberté de conscience, l'égalité, la neutralité,
la séparation font en effet partie, là, de la laïcité, ce sont les quatre
principes qui la constituent.
Cependant, suivant les articles, là, 1 à 3, on constate que l'interdiction de
porter des signes religieux, finalement,
vient limiter l'exercice de la liberté de religion, qui comprend le droit de
porter des signes religieux, va créer des
barrières en emploi de nature discriminatoire, donc qui est contraire à
l'égalité, va créer des exclusions à l'entrée du système d'emploi et en promotion également en emploi. Puis, sachant que
la neutralité religieuse de l'État est le corollaire de la liberté de conscience et de religion, on
constate également que ce principe-là
aussi est contredit, si on veut, par l'approche du projet de loi.
Donc, c'est
en ce sens-là qu'on dit que le projet
de loi effectue un décentrement par rapport à une laïcité qui est déjà effective au Québec. On dispose... Quand on
regarde les indicateurs juridiques de la laïcité, ils sont déjà
présents, ils sont déjà effectifs, donc, en l'affirmant, on la...
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la
députée de Notre-Dame-de-Grâce, s'il vous plaît. Excusez-moi, c'est parce que
le temps est très court. Allez-y.
Mme Weil : Donc, vous dites, vous n'êtes pas contre une loi
qui enchâsserait le concept de laïcité, mais, en le mettant là où on le met, il y
a cette contradiction interne en ce
que d'autres dispositions de la loi diraient dans le projet de
loi n° 21
et le concept même de laïcité, qui entraîne la liberté de religion et
l'expression de religion. Ça, c'est une chose. Mais, même si on le mettait dans une autre loi, il y aurait
toujours cette contradiction avec la charte des droits et libertés, si je
comprends bien.
Écoutez, vous
parliez de, donc, notamment le droit à l'égalité. Donc, ce qui en découle, de
tout ça, c'est le droit à l'égalité,
notamment le droit à l'égalité en emploi. Donc, j'aimerais vous amener sur le
concept de droits acquis. Que pensez-vous d'un concept de droits acquis,
en matière de protection de libertés fondamentales, comme si ça suit une personne et que ce n'est pas tout simplement un
droit qui existe, auquel tout le monde a droit en tout temps, en tout lieu,
en toute circonstance, si les circonstances sont là, et puis il n'y a pas de
limite à ce droit en particulier ou de raison de limite? J'ai eu l'occasion de parler avec beaucoup d'avocats, ce n'est
pas un concept qu'on voit normalement en matière de droits fondamentaux.
Qu'est-ce que vous en dites?
Le Président
(M. Bachand) : En 30 secondes...
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, c'est certain que, comme notre mémoire ne
porte pas spécifiquement sur la question
des droits acquis, il porte sur l'ensemble du projet de loi... Mais ce que je
peux vous dire, c'est que, par rapport... en lien particulièrement avec le système d'éducation, une des
problématiques que nous avons relevées notamment eu égard à l'utilisation de la clause de droits acquis mais
de viser le système d'éducation public par les principes de la loi n° 21, c'est qu'on vient en
contraction avec tout l'historique de déconfessionnalisation de l'école
québécoise, qui s'est inscrite dans un
cadre laïque où, les institutions, on venait laïciser nos institutions,
déconfessionnaliser nos commissions scolaires, mais tout ça s'est fait... puis si on regarde les
rapports, les états généraux de l'éducation, tout ça s'est toujours fait dans
l'idée où on respectait la liberté
individuelle des gens. C'étaient les structures de l'éducation qu'on venait
laïciser, qu'on venait rendre neutres, ce n'étaient pas les individus
qui composent le système d'éducation.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Merci beaucoup, M.
le Président. Est-ce que vous pourriez nous expliquer pourquoi le projet de loi
n° 21 brime les droits de la personne? Parce que ce
n'est pas tout le monde qui le reconnaît, là, c'est pour ça que j'aimerais vous
entendre là-dessus en particulier.
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, comme on l'expliquait d'entrée de jeu, c'est
sûr et certain que, pour nous, le
projet de loi a pour effet, bien évidemment, comme l'a dit mon collègue, de
venir mettre, par exemple, des barrières à l'entrée de l'emploi de certains postes. Donc, des personnes seront
placées devant un choix soit de laisser tomber le signe religieux qu'ils, elles portent, la valeur
religieuse à laquelle ils adhèrent, ou de ne pas prendre l'emploi. Donc, ça, en
peu de mots, c'est de la discrimination,
il n'y a pas vraiment 20 000 façons d'appeler ça. Donc, juste en
30 secondes, c'est ce que je peux vous dire.
Puis ce que je peux vous dire aussi, c'est
qu'une des solutions qu'on avance, nous, dans le projet... dans notre mémoire, puis qu'on met de l'avant, c'est l'idée
que, plutôt que d'avoir recours à la clause dérogatoire, à ce moment-ci de
l'histoire du Québec, il est peut-être plus opportun de demander un renvoi à la
Cour d'appel, justement pour avoir un éclairage de ce qu'est... puis là vous me
demandez des exemples, mais le débat qui aura lieu puis qui impliquera nécessairement, advenant
que ça se produise... Puis évidemment c'est la prérogative du gouvernement de
le faire, un renvoi. Nous, on le
recommande. Mais le gouvernement pourra le faire ou ne pas suivre cette
recommandation-là, c'est sa prérogative.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous
plaît.
M. Zanetti :
Merci. On présente... bien, le gouvernement présente le projet de loi n° 21 comme étant quelque chose qui
s'inscrit dans l'histoire du Québec, dans une suite logique d'actions pour la
laïcité au Québec. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse,
cette lecture de notre histoire?
• (20 h 20) •
M. Tessier
(Philippe-André) : C'est très difficile de nier que la question de la
laïcité ou de la neutralité religieuse n'a
pas occupé l'actualité québécoise des dernières années. On vous l'a dit
d'entrée de jeu, c'est la quatrième
fois que la commission se présente en commission parlementaire pour
quatre projets de loi différents sur le même sujet. Donc, encore une fois, pour
répondre indirectement au ministre tout à l'heure, il n'y a personne ici, dans
cette pièce, ou au Québec qui ne reconnaît pas que cet enjeu-là a fait
couler beaucoup d'encre, tant parlementaire que judiciaire ou que
de l'actualité.
Maintenant,
l'évolution de la laïcité et de la neutralité religieuse de l'État, elle existe
de fait. Elle est peut-être moins visible parce qu'elle n'apparaît pas
expressément dans un projet de loi, comme je vous le disais tout à l'heure, qui trace une ligne claire,
mais elle existe, dans les faits, par une série... toujours
dans le cadre de la charte, une série de décisions qui viennent préciser ses balises et qui viennent
dire que, comme je le donnais comme exemple tout à l'heure, le ministre
y faisait référence, bon, la liberté de religion doit céder le pas lorsqu'il y
a une discrimination, dans un cadre de Trinity
Western University, pour ce qui est des droits pour les personnes LGBT; la question
du permis de conduire, les photos, la
question de la prière au conseil municipal. Donc, ces éléments-là, dans le temps, avancent et viennent créer une zone
dans laquelle la laïcité de l'État s'exprime et vit.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.
M. Bérubé : Merci,
M. le Président. Merci aux
représentants de la commission de venir nous éclairer avec toute l'indépendance de cette commission, ce qui en fait une institution importante pour nous, comme législateurs, bien que
l'intention du législateur et l'intention, je dirais, majoritaire des
législateurs, c'est de faire adopter une loi. Alors, en ce sens-là, comment nous
guider pour adopter la meilleure loi possible? C'est un discours que je porte
depuis ce matin, sachant que le gouvernement a cette volonté. Il est majoritaire,
donc il y aura nécessairement une loi. Alors, on pourrait décider de prioriser vos recommandations, à savoir
laquelle est la plus fondamentale pour s'assurer que la loi fonctionne.
Alors, ma première question, c'est... Faisons un
peu de «realpolitik». Cette loi-là va exister tôt ou tard. Ne serait-ce que le gouvernement seul peut l'adopter,
même sans l'appui d'aucune des oppositions. Alors, s'il y avait quelque
chose qui vous apparaissait le plus fondamental, dans toutes vos
recommandations, ce serait laquelle? Et pourquoi?
Le Président
(M. Bachand) : M. Tessier.
M. Tessier
(Philippe-André) : Je vous dirais que je vous mets en garde de
hiérarchiser les droits. Je me mets moi-même en garde de hiérarchiser nos
propres recommandations. Mais je vous soumettrais humblement qu'il est évident que, lorsqu'on parle d'une clause de
dérogation à la charte québécoise, il faut que les parlementaires comprennent
bien quelque chose. La charte québécoise,
c'est une loi du Québec que vous pouvez modifier, pas la charte canadienne. La
charte québécoise, vous pouvez la modifier.
Et il est évident que, l'article 52 de la charte, qui prévoit la
suprématie de la charte sur les
autres lois québécoises, on peut y déroger par une simple loi, ce que le p.l. n° 21 propose. Cette dérogation-là, elle est éternelle tant et aussi longtemps que le législateur décide de
ne pas revisiter, contrairement à la charte canadienne, qui, elle, est pour cinq ans. Alors, je vous
dirais que la clause dérogatoire... Nous, on vous recommanderait peut-être de
soumettre la question à la Cour d'appel avant d'utiliser la clause dérogatoire.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M. Bérubé : O.K. Vous indiquez également qu'il y a des articles qui ne devraient pas se
retrouver là, à plusieurs reprises,
mais est-ce qu'il y a des éléments qui ne sont pas dans le projet de loi qui
devraient s'y retrouver? Je ne suis pas juriste, mais je pose la question. Par exemple, on m'indique souvent...
Comment on applique la loi? Par exemple, quelles sont les conséquences sur
quelqu'un qui est dans un parcours en enseignement secondaire et qui décide
d'entrer dans la profession
enseignante et de porter le tchador, par exemple, donc qui contreviendrait à la
loi? Qu'est-ce qui arrive à cette personne-là?
Est-ce que vous vous êtes questionnés à savoir : Bien, on aimerait savoir
comment le gouvernement entend appliquer la loi?
M. Tessier (Philippe-André) :
Bien, ce qui arrive à cette personne-là, elle va aller travailler à l'école
privée.
M. Bérubé : Cette personne-là est dans l'école, elle a été
engagée. Donc, elle est engagée puis elle décide une journée que, finalement, je vais le porter, parce
que c'est important pour moi, puis je décide de forcer le jeu par
conscience d'affronter la loi. Alors, moi, je ne retrouve pas qu'est-ce qui va
arriver à cette personne-là. Est-ce que vous vous êtes posé la question?
M. Tessier
(Philippe-André) : Nous ne
nous sommes pas posé cette question-là. À ce moment-ci, c'est une question hypothétique. À votre question à savoir qu'est-ce qu'on pourrait
ajouter, je pense que je vous réfère à notre recommandation 1.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je vous remercie
infiniment de votre collaboration.
Je vais suspendre les travaux quelques instants
afin d'accueillir notre prochain groupe. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 20 h 25)
(Reprise à 20 h 29)
Le Président
(M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous
plaît! Merci. La commission reprend ses travaux.
Cela dit, j'aurais besoin de deux consentements,
avec votre accord. D'abord, pour accueillir le député de D'Arcy-McGee à la
table, alors, est-ce qu'il y a consentement pour accueillir notre collègue de
D'Arcy-McGee? Consentement. Également, pour ajuster le temps qu'il nous reste,
on aurait besoin d'un consentement pour ajouter 15 minutes à l'heure de la
séance de ce soir. Consentement pour 15 minutes? Merci beaucoup.
Alors, je
souhaite la bienvenue au Centre consultatif des relations juives et
israéliennes. Donc, bienvenue. Je vous rappelle
que vous avez 10 minutes pour votre présence... pour votre exposé, pardon,
et après ça on aura un échange avec les membres de la commission. Alors,
bienvenue.
Centre consultatif des
relations juives et israéliennes (CERJI)
M. Cape
(David) : Merci, M. le Président. M. le ministre, MM. et Mmes les
députés, merci de nous recevoir. Je
suis David Cape, président sortant de CIJA. Je suis accompagné ce soir d'Eta
Yudin, vice-présidente de CIJA Québec, et Dan-Michael Abécassis,
directeur des relations gouvernementales.
• (20 h 30) •
Le centre des
relations juives et israéliennes CIJA est l'agence de représentation de la
fédération CIJA, l'organisation principale
de la communauté juive institutionnelle du Québec. Le CIJA a pris position
relativement à toutes les initiatives législatives en matière de
laïcité. Ce soir, nous aborderons les raisons de l'opposition de notre
communauté au projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité
de l'État.
Le CIJA est
en faveur d'un Québec pluraliste et respectueux de sa diversité mais où la
culture majoritaire forme au moins la
base de la culture commune. Nous soutenons un modèle de laïcité qui soit propre
au Québec, c'est-à-dire une laïcité souple correspondant à
l'émancipation tranquille qu'a connue la société québécoise par rapport à
l'Église.
Depuis le
dépôt du rapport de la commission Bouchard-Taylor, le CIJA a adopté comme
position de principe que les atteintes aux droits et libertés
fondamentaux provoquées par un interdit sur le port de signes religieux ne sont
pas proportionnelles à l'objectif de
réaffirmer la laïcité de l'État québécois. Nous estimons que le projet de loi
est empreint de flou juridique et
d'arbitraire, compromettant la volonté de législature de clore le débat sur la
laïcité par son adoption. De même,
nous croyons que le recours à la clause dérogatoire n'est pas justifié, puisque
le gouvernement n'a pas encore fait
la démonstration que la réaffirmation de la laïcité était à ce point urgente
qu'elle justifie de restreindre l'exercice de droits et libertés
fondamentaux.
Mme Yudin (Eta) :
La double justification de l'interdit de port de signes religieux, soit la
nécessité de respecter le principe de
laïcité en fait et en apparence et le besoin d'établir un devoir de réserve
plus strict en matière religieuse, ne
nous paraît pas fondée sur une preuve préalable de l'existence d'une menace
démontrée à la laïcité de l'État québécois justifiant des mesures attentatoires à la liberté de religion et à
l'égalité dans l'accès à des emplois de la fonction publique et du
secteur parapublic.
D'une
part, la laïcité des institutions étatiques et publiques du Québec est une
réalité politique et sociologue solidement établie depuis la Révolution tranquille, d'autant qu'elle s'appuie sur
un robuste consensus politique et social. D'autre part, aucune preuve ne permet de conclure que l'exercice
des fonctions ciblées par le p.l. n° 21 révèle un
quelconque manque de réserve en matière religieuse. La neutralité
religieuse de l'État et des institutions publiques ne repose pas sur les choix vestimentaires de ses agents, mais dans
l'application égale et, partant, non discriminatoire des lois et règlements.
Bien entendu, aucun droit ou liberté n'est
absolu, et la restriction d'un droit ou d'une liberté pour protéger d'autres
droits ou libertés peut être légitime. Encore faut-il qu'une telle restriction
soit proportionnelle à l'objectif poursuivi
par le législateur et qu'elle réponde au besoin urgent de protéger d'autres
droits et libertés. Or, c'est en vain que
nous cherchons à identifier quels droits ou libertés seraient menacés et ce qui
justifierait une restriction non négligeable de la liberté de religion. En l'absence de démonstration probante de
toute menace concrète à la laïcité de l'État, nous estimons que bloquer
l'accès à de nombreux postes à des Québécois arborant des signes religieux
constitue non seulement une atteinte
disproportionnée à leur liberté de religion, mais au droit à l'égalité dans
l'accès à l'emploi. C'est pour cette même raison que nous déplorons le recours à la clause dérogatoire de la
Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu'à la dérogation aux
articles 1 à 38 de la charte québécoise des droits et libertés de la
personne.
Enfin, la désignation des fonctions ciblées par
l'article 6° à l'annexe II du p.l. n° 21 nous
paraît incohérente puisqu'elle vise autant
des fonctions dont les détenteurs exercent des pouvoirs coercitifs que des
fonctions où aucun tel pouvoir n'est
exercé. Le cas le plus flagrant est celui des enseignants du système scolaire
public, qui ne sont ni des agents de l'État ni
investis d'une autorité coercitive au sens où on l'entend dans le cas des
policiers. Ce manque de clarté conceptuelle nuit à la compréhension du projet
de loi.
M. Abécassis
(Dan-Michael) : Donc, le projet de loi n° 21
propose d'interdire les signes religieux, mais nulle part nous n'avons
vu, eu de définition de ce qu'était un signe religieux. Selon nous, cela va
favoriser, en fait, des interprétations qui pourraient être arbitraires et
compliquer de beaucoup l'application du projet de loi.
Quand on parle de l'application, c'est parce
qu'on a parlé de transférer à des autorités administratives le pouvoir de gérer
ça, mais ils ne sont clairement pas outillés pour cela. S'ils devraient définir
si x, y, z enfreint la loi, comment ils vont faire, sans avoir même une
définition pour le faire?
Pour ça, on
aurait quelques exemples pour le faire. Par exemple, la main de Fatma, la main
de Miriam, la Hamsa, comment on veut
l'appeler, c'est un élément qui est important et qui est répandu dans beaucoup
de communautés juives et des communautés arabes et c'est, pour certains,
un symbole qui pourrait être national, un symbole identitaire, un symbole culturel. Ça pourrait être aussi un
symbole religieux ou alors simplement un porte-bonheur. L'étoile de David,
qui est à tort crue, comprise comme étant un
symbole religieux, c'est vraiment, en fait, un symbole national identitaire
du peuple juif, donc c'est un peu à la même
image de la fleur de lis, dans ce cadre-ci. Qu'est-ce qu'on ferait dans un cas
pareil?
Identifier
les signes religieux, c'est donc clairement, de base, un travail qui pourrait
être subjectif et arbitraire, et appliquer
l'interdiction, ça le serait, dans ce cadre-là, tout autant. On craint que ça
va ouvrir, donc, la porte à des litiges et une prolifération des recours
en justice.
En même
temps, comment est-ce qu'un gouvernement laïque peut définir les signes
religieux? Ça porterait atteinte même au concept de laïcité, on se
retrouve un peu dans un «catch-22».
Le cadre d'application, il est donc, aussi,
flou. La plus haute autorité administrative qui prend les moyens nécessaires, on parle de quels moyens dans un
cadre... Il ne faudrait pas qu'on puisse voir des traitements différents pour
les mêmes offenses. Un tel projet de loi, ça
ne peut pas se permettre d'être spéculatif, ça doit être compréhensible. Ça ne
parle pas de sanctions non plus dans le projet de loi. Donc, il faudrait
vraiment que le gouvernement puisse remédier à tout ça.
Puis, en
annexe II, ça explique de manière exhaustive qui est visé directement par
le projet de loi. Donc, on a un peu de
mal à comprendre. Oui, il y a clairement des fonctions, comme c'est défini, qui
sont en position d'autorité mais d'autres qui ne le sont pas du tout. Donc, vous comprendrez ici que je fais...
que je pense aux enseignants. Donc, la question que j'aimerais poser,
c'est : Quels critères ont mené à cette liste? Comment est-ce qu'ils en
sont arrivés là?
Mme Yudin
(Eta) : Il est louable que le gouvernement ait pris, à
l'article 27 du p.l. n° 21, des mesures de protection des droits acquis des personnes exerçant des
fonctions ciblées par l'interdiction de port de signes religieux. En revanche,
ces personnes perdent le bénéfice de cette clause si elles sont mutées ou promues.
Nous croyons que l'intention du gouvernement
de mitiger les effets négatifs découlant de son projet de loi serait mieux
servie si l'article 27 protégeait les individus plutôt que la
fonction.
L'article 16
soustrait à l'application du p.l. n° 21 les éléments
emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine culturel religieux, qui
témoignent de son parcours historique. Le 28 mars dernier, lors de votre présentation du p.l. n° 21 en conférence de presse, M. le ministre, vous avez, à juste titre,
précisé que ce patrimoine est multiconfessionnel. À titre de
collectivité historique dont les racines au Québec remontent à deux siècles et
demi, la communauté juive estime qu'il est primordial de reconnaître que le
patrimoine culturel de toute société a une
dimension évolutive, dynamique et plurielle. Des institutions publiques comme
des hôpitaux ou des écoles dont le patrimoine historique comporte des
symboles ou une architecture distinctive doivent être protégées de l'exigence de neutralité religieuse en apparence.
Nous recommandons par conséquent que l'article 16 soit modifié pour
préciser que le caractère pluriel du patrimoine culturel religieux du Québec
est multiconfessionnel.
M. Abécassis (Dan-Michael) :
Donc, on comprendra que le CIJA soutient la neutralité religieuse de l'État et la laïcité qui va garantir la liberté de culte, de
conscience et l'égalité de tous les citoyens. La neutralité religieuse de
l'État, selon nous, pour nous, c'est
un devoir, par contre, qui est institutionnel et non individuel. Toute loi qui
restreint les droits et libertés doit
reposer sur la démonstration qu'elle répond à un besoin social réel et urgent.
Retirer les enseignants de la liste
des fonctions ciblées serait un compromis qui renforcerait l'accessibilité du
projet de loi mais aussi son acceptabilité. Donc, ça ne veut pas dire qu'on soutient un ban sur les autres
professions mais juste qu'on reconnaît l'opinion selon laquelle
l'apparence de neutralité religieuse revêt une importance significative, car ça
va inciter à accroître la confiance en l'impartialité.
Selon nous, vraiment, pour finir, c'est que le projet de loi n° 21, il reste beaucoup trop flou, et que ça risque de mener à de
nombreuses conduites un peu discrétionnaires.
Le Président
(M. Bachand) : Merci infiniment. Je cède la parole à M. le
ministre, s'il vous plaît.
• (20 h 40) •
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. M. Cape, Mme Yudin,
M. Abécassis, merci d'être présents ce soir pour nous donner vos
commentaires en lien avec la présentation du projet de loi n° 21.
D'entrée de
jeu, je tiens à vous remercier parce que... Manifestement, on n'est pas du même
point de vue. Par contre, je trouve
que votre mémoire, il est constructif dans les commentaires que vous apportez.
Vous êtes contre, mais, par contre, il
y a des éléments qui sont positifs et constructifs. Alors, j'apprécie
l'exercice que vous avez fait d'apporter... en fait, d'énoncer l'opinion de votre organisation avec les
nuances appropriées. Je pense que ça donne de la crédibilité à vos propos.
Alors, d'entrée de jeu, à la page 9 de
votre projet de loi, vous indiquez...
Une
voix : ...
M. Jolin-Barrette :
Pardon, du... Qu'est-ce que j'ai dit?
Une voix :
Du projet de loi.
M. Jolin-Barrette : Du projet
de loi! Du mémoire, pardon. Une
grosse journée, aujourd'hui. Vous indiquez, bon, la quatrième ligne en partant de la fin : «...d'autant
que l'expérience ailleurs au Canada et dans d'autres pays ne relève aucun problème à cet égard — nous reconnaissons tout de même que l'opinion
contraire, selon laquelle l'apparence de neutralité religieuse
revêtirait une importance particulière pour ce type d'agent dans la mesure où
elle inciterait à accroître la confiance en
son impartialité, n'est pas déraisonnable. Aussi peut-elle servir de base à un
compromis honorable.» Alors là, on
parle des policiers, des gardiens de prison, des personnes qui exercent des
fonctions étatiques coercitives.
Donc,
je crois comprendre de cette phrase-là que vous dites : Bien, écoutez,
ça peut être légitime, il y a peut-être
une raison pour laquelle ces personnes-là
ne devraient pas porter de signes
religieux. Est-ce que
je me trompe ou c'est ce que ça signifie?
Mme
Yudin (Eta) : Non, c'est ça.
Ce n'est pas notre position, mais c'est un argument cohérent, et on le
comprend.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et donc, au
niveau de votre compréhension à ce niveau-là, est-ce que ça vise uniquement
les policiers et les agents correctionnels
ou la réalité pour un magistrat également, ça s'applique à ce niveau-là, même chose pour un procureur également?
Mme
Yudin (Eta) : C'est sûr,
dans les positions où la personne est dans une position où il, elle doit porter un
uniforme et représenter l'autorité ou le pouvoir coercitif, que cet
argumentaire a une logique.
M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, il
y a une logique à ce niveau-là. Mais, par contre, pour les enseignants, vous, vous
n'auriez pas le même raisonnement.
Mme Yudin
(Eta) : Non.
M. Jolin-Barrette :
Non. Non plus les directeurs d'école, par la force des choses.
Tout à l'heure, je vous ai entendus parler de neutralité religieuse, que l'État devait
être neutre. On incorpore, dans le cadre du projet de loi n° 21,
le concept de laïcité, mais, de façon sous-jacente, la neutralité est un des
principes de la laïcité,
c'est ce qu'on vient consacrer. Et la laïcité, c'est vraiment
la séparation formelle de l'État et des religions, ça va plus loin que la simple neutralité, parce que la
neutralité, c'est le fait que l'État agisse d'une façon neutre au niveau des religions. Cela étant dit, avec la laïcité, ça
garantit davantage le droit à la liberté de religion parce que tous les
citoyens sont mis sur un pied d'égalité. Donc, ça vise formellement à
garantir cela. Mais l'État ne retire et ne favorise ou ne défavorise pas une religion en soi. Donc, c'est
pour ça qu'on veut inscrire la laïcité dans les lois et qu'on veut le mettre
dans la charte également, pour garantir
notamment l'égalité de tous les citoyens, peu importe leur confession
religieuse, peu importe ce en quoi
ils croient, tout le monde est sur un même pied d'égalité, mais c'est la
séparation formelle qu'on indique.
Donc, je ne sais pas si c'était la compréhension que vous aviez au niveau de la
laïcité, mais c'est le sens où on veut aller.
M. Abécassis
(Dan-Michael) : On comprend ça, on comprend ça de la manière que vous
êtes en train de l'expliquer. Mais,
pour vraiment revenir au niveau des enseignants, c'est qu'on n'a pas cette
compréhension du tout. Selon nous, en
fait, on est plus proche avec les personnes qui auraient... On peut comprendre
cette idée des personnes qui sont en position d'autorité, avec des
pouvoirs coercitifs, mais, pour revenir au point que vous avez fait au début,
on a du mal à voir ça dans... cette
présence-là chez les enseignants et chez les directeurs d'école, en effet. On
comprend la nuance que vous avez
faite puis on comprend totalement la volonté derrière ça, c'est juste qu'on ne
partage malheureusement pas cette opinion par rapport aux enseignants et
directeurs d'école.
M. Jolin-Barrette : O.K. Dans votre mémoire, vous abordez la question
des exceptions patrimoniales, vous dites : On devrait préciser le caractère multiconfessionnel. Par le parcours
historique, je suis d'accord avec vous, la communauté juive est présente au Québec depuis plus de
200 ans, c'est une communauté qui est importante et qui a contribué à
bâtir le Québec. Dans la perspective
de l'article 16 qu'on a rédigé, la disposition couvrait déjà le... sur
l'aspect patrimonial, couvrait également
les institutions qui font partie du patrimoine du Québec, donc couvrait les
différentes confessions, mais je suis sensible
à ce que vous dites relativement au caractère multiconfessionnel. Mais,
d'entrée de jeu, l'intention du législateur, si je peux dire, était de couvrir également. Mais, très certainement, je
peux vous dire que je vais accorder une attention particulière à votre suggestion de peut-être
intégrer à l'article 16 le patrimoine culturel et religieux du Québec
multiconfessionnel. Je pense que c'est un
bon élément que vous soulevez. Mais, d'entrée de jeu, je souhaite vous dire que
ça fait partie du concept même de l'article 16 et qu'il était couvert.
Est-ce que
vous avez des exemples relativement à des lieux qui seraient visés, supposons, en
lien avec le patrimoine multiconfessionnel?
Mme Yudin (Eta) : On peut imaginer certainement des institutions de la communauté ou des synagogues, par exemple, qui datent de 200 ans, qui sont d'un aspect
patrimonial, qui ont même ce statut au Québec. Il y a certainement
des lieux historiques qui ont peut-être
des décorations, ou des symboles, ou quelque
chose de visible qui démontre un
peu l'histoire de l'édifice ou du lieu. Dans cette instance, ça peut être le
cas.
Et j'apprécie vraiment
votre réponse. Et je peux dire qu'en lisant la loi on a eu ce sens que c'était
dans cette direction, la loi, mais que le
mot, qui serait «visible», va ajouter certainement à rassurer plusieurs qui ont le sens que
ce n'est peut-être pas précisément indiqué dans la loi.
M. Jolin-Barrette : Parfait. Je vous entends bien là-dessus,
et puis on va se garder une note pour l'étude
détaillée. M. le Président, je céderais peut-être la parole à mon
collègue de Sainte-Rose, puis je reviendrai par la suite, s'il reste
du temps.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Sainte-Rose,
s'il vous plaît.
M. Skeete :
...combien de temps, M. le Président?
Le
Président (M. Bachand) : 10 minutes.
M. Skeete :
Merci. En fait, je n'ai pas beaucoup de questions, mais je voulais surtout vous
remercier pour votre présence. C'est
toujours très pertinent d'entendre vos suggestions et, comme disait M. le
ministre, c'est toujours constructif et toujours dans le bon ordre des
choses, alors je vous en remercie.
J'aimerais
ça vous entendre, s'il vous plaît, sur votre vision par rapport à... Puis je
l'ai dit beaucoup en entrevue dernièrement, là, mais on est sur la
ligne, hein, on est sur la ligne entre les droits individuels et les droits
collectifs. Et nécessairement les droits
individuels sont protégés par les tribunaux, hein, les tribunaux viennent
trancher pour être sûrs que la majorité, bien, n'empiète pas trop sur les
minorités, mais il y a aussi, à travers ça, la responsabilité du Parlement
de parler pour la majorité, pour parler au nom de cette majorité-là.
Donc, je me demande
et je vous demande quelle est votre vision par rapport au rôle du Parlement
dans un cas comme ça. Est-ce que le rôle du
Parlement, c'est tout simplement d'exécuter les décisions des tribunaux ou
est-ce que le Parlement doit être le leader et faire avancer le désir
collectif? Alors, j'aimerais ça vous entendre là-dessus.
Mme Yudin
(Eta) : C'est sûr que, quand on parle du Parlement, on parle des élus
qui représentent tous les Québécois. C'est aussi vrai que, comme citoyens du
Québec, dans les élections, il nous faut élire des leaders qui vont vraiment diriger la province dans une direction qui
va améliorer la qualité de vie pour tout le monde. L'aspect de l'équilibre
entre les droits des individus et les droits du collectif, c'est sûr que c'est
présent. Et il y a certains cas où c'est assez raisonnable de limiter les droits de l'individu pour assurer la sécurité
ou, en d'autres cas, les intérêts de la collectivité de la société québécoise. Alors, c'est sûr qu'il y a des
cas où c'est raisonnable, et on les a déjà vus, et il y a de la jurisprudence.
Mais il y a aussi des cas où on peut
imaginer que ça va peut-être un peu trop loin, et c'est ça où il faut trouver
l'équilibre. Et c'est là où, dans le cas des enseignants, nous trouvons
que c'est un peu trop loin.
M. Skeete :
Justement, pour parler des enseignants, j'ai pu comprendre par votre mémoire
que vous êtes globalement satisfaits
du fait que le projet de loi ne s'applique pas aux écoles privées. Ça, c'est
quelque chose qui... Vous êtes satisfaits de ça?
Mme
Yudin (Eta) : Ce serait inquiétant, je pense, si à ce stade, dans la
loi, on commence à aller dans la direction du privé. Alors, pour nous, oui, c'est une exclusion importante. Mais je
pense que, si on commence avec le privé, on va vraiment avoir une situation où on commence à vraiment explorer les
droits des individus dans le privé. Alors, pour les représentants de
l'État, c'est une chose, et, dans le privé, c'est autre chose.
• (20 h 50) •
M. Skeete :
...parce qu'il y a des gens ici qui disent qu'on ne va pas assez loin, il y a des gens ici qui disent
qu'il faudrait continuer puis il faudrait aussi aller dans les écoles
privées. Alors, c'est un point très important et sensible. J'aimerais ça vous
entendre, vous, sur exactement c'est quoi, la différence que vous voyez entre
le public et le privé. C'est quoi, la notion de différence que vous voyez?
M. Abécassis
(Dan-Michael) : Donc, déjà, on va peut-être... Pour reprendre le cas
des écoles privées, on va commencer par ce
qui est le plus clair, à notre avis. Déjà, outre... on ne pense pas du tout que les
enseignants devraient être touchés,
donc ça, c'est déjà le point numéro un, car ils ne sont pas en
position d'autorité. Les employés et enseignants des écoles privées, c'est surtout qu'ils sont des employés du domaine
privé. La loi affecte les employés du secteur public, pas ceux du privé. Donc, ce serait déjà
parler d'un tout autre projet de loi, si on commençait, je pense, à entrer dans ces
discussions-là.
Les États qui sont assez
champions de la laïcité, comme la France, par exemple, parce qu'on a aussi
entendu aussi les groupes précédents en
parler, financent aussi des écoles privées, également. Donc, on entend ce que
vous avez entendu. Puis, pour
répondre à ça, je pense qu'il y
a une spécification qui
s'impose : l'État finance le cursus public de nos écoles, les frais déboursés par les parents vont
couvrir le cursus culturel. Donc, si réellement on veut s'embarquer à ce que le privé soit également affecté par le projet de loi n° 21, comme j'ai dit plus tôt, juste avant, c'est
qu'on parle de toute nouvelle dimension que le projet prendrait, puis,
avec ça, c'est sûr qu'on ne serait pas à l'aise, puisque ce serait juste complètement
différent, là.
M. Skeete :
Donc, si je comprends bien, la distinction entre le privé et le public, selon
vous, c'est... en partie, il y a le curriculum standard du ministère,
mais il y a un surplus ou un plus dans le privé. Donc, ce
serait d'élargir un petit trop grand, selon vous.
J'ai aussi...
Puis j'aimerais aussi juste corriger quelque
chose parce que je pense
qu'il y a un élément où est-ce qu'on n'est pas d'accord, c'est pour dire que
les professeurs ne sont pas des
personnes en autorité. Je pense qu'il est clair pour nous, en tout cas, que les professeurs sont des figures d'autorité
au sens de la loi large, hein? On le voit quand il y a des situations... Bien, la jurisprudence est
claire, en fait, qu'à plusieurs niveaux les professeurs ont été identifiés
comme des personnes de confiance, des personnes en autorité.
Moi, c'est terminé, mes questions, M. le
Président. Si M. le ministre voudrait continuer, ça me fait plaisir.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Je veux qu'on revienne sur l'utilisation de
la disposition de dérogation. Dans le fond, dans votre mémoire, vous dites : Bien, écoutez, c'est source
d'inquiétude, source d'inquiétude. Je souhaiterais comprendre quelles sont les sources d'inquiétude que vous
avez relativement à l'utilisation des dispositions de dérogation des deux
chartes.
Mme Yudin (Eta) : Le dernier bout,
je n'ai pas entendu.
M.
Jolin-Barrette : Oui, en
fait, dans le fond, dans votre mémoire, à la page 3, deuxième
paragraphe, la première ligne, dans le fond, vous dites : L'utilisation, le recours, dans le cadre du projet de loi n° 21, à des dispositions de dérogation
est source d'inquiétude. Quelles sont
les sources d'inquiétude que vous éprouvez en lien avec l'utilisation, dans le projet de loi n° 21... de l'utilisation des dispositions
de dérogation?
M. Abécassis (Dan-Michael) :
Donc, c'est surtout, en fait... dans le cadre qu'on pensait ensemble, c'est que
restreindre les droits et les libertés
fondamentaux, ça se justifie en voulant en protéger d'autres. C'est juste qu'on
n'est vraiment juste pas convaincus que le gouvernement a fait la preuve de la menace urgente envers la laïcité québécoise,
c'est vraiment de là que partent nos
inquiétudes. On n'est pas certains que la démonstration a été faite, donc on
éprouve des réticences par rapport à ça.
M. Jolin-Barrette : Je vous répondrais que la société québécoise, depuis plus de 10 ans, débat de la question de laïcité,
du port de signes religieux. Tout à
l'heure, on avait M. Taylor qui
était avec nous. Il y a une partie, je pourrais dire, de la position qui se retrouve... du projet de loi n° 21 qui émane notamment du
rapport Bouchard-Taylor. Je vous dirais aussi que c'est un processus de sécularisation de la société qui a eu
cours depuis la Révolution tranquille et même avant. Et on dit toujours que l'État québécois est un
État qui est laïque, même chose pour l'État canadien, mais ça ne se retrouve
dans aucune loi. Le premier ministre canadien, dernièrement, disait : Le
Canada est un État laïque, mais, la dernière fois que j'ai consulté le
corpus législatif canadien, il n'y avait rien qui le prévoyait.
Alors, c'est
un choix de société que le gouvernement du Québec fait, d'inclure... en fait,
d'inscrire dans ses lois, de le
mettre dans sa loi la plus importante, dans la Charte des droits et libertés de
la personne, le principe de laïcité et que les droits et libertés
fondamentaux doivent s'interpréter à la lumière de la laïcité.
Mais c'est un choix tout aussi important
de la société québécoise que l'égalité entre les femmes et les hommes, et c'est
pour ça notamment qu'on utilise les dispositions de dérogation, pour dire que
ça revient aux élus de définir les rapports entre l'État et les religions et
non pas aux tribunaux. Et, dans certaines
circonstances, l'Assemblée nationale, le Parlement du peuple québécois,
doit prendre ses responsabilités et doit dire quel est le cadre juridique applicable pour la société québécoise, le tout en ayant un souci, je vous dirais, de réflexion sur l'ensemble
des impacts. Et je peux vous dire que j'y ai réfléchi beaucoup.
Cela étant
dit, c'est légitime pour la nation québécoise
de faire ces choix-là parce que c'est un modèle qui est unique au Québec. On l'a vu, il y a différents acteurs qui
sont venus nous dire : Au Canada, c'est différent. En Amérique du Nord,
c'est différent. Même en Europe, aussi, il y
a des États qui ont été dans ce sens-là, mais entre chacun des pays européens
il existe des distinctions. Il n'y a pas de
modèle de laïcité unique. Et même la Cour suprême reconnaît les valeurs
sociales distinctes du Québec, les spécificités québécoises. Alors,
c'est le modèle qui sera choisi.
Et il ne doit
pas y avoir de crainte à l'utilisation de cette disposition-là parce qu'elle
est prévue, elle est légitime, au
sein de la Constitution canadienne. Et j'espère que, par mes propos, j'ai
diminué vos inquiétudes en lien avec l'utilisation de la disposition.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le
ministre. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il
vous plaît.
Mme David : Oui, merci
beaucoup. Je prenais des notes. C'est
assez intéressant, les derniers propos du ministre. Il
s'est ouvert avec une profondeur de réflexion, il a dit : Il y a
un souci de réflexion sur l'ensemble des impacts. Alors, on pourra en discuter peut-être
dans d'autres forums, éventuellement.
Mais je
voulais dire, moi aussi, que j'appréciais beaucoup votre présence, d'une part,
et j'appréciais beaucoup non
seulement le côté constructif, il est vrai, mais le côté assez pragmatique
aussi, où vous posez des questions dignes d'une belle étude détaillée, article par article, comme on dit dans
notre jargon, parce que vous posez des vraies questions, comme j'ai eu
l'occasion de poser au ministre. Et soyez sûrs que non seulement, je pense, ils
ont lu attentivement, son équipe, ce... mais vous posez des vraies
bonnes questions.
Et
je veux vous remercier pour une chose particulière, c'est que vous êtes
particulièrement constructifs et collaborateurs. Et, venant d'une communauté
que l'histoire n'a pas épargnée en ce qui a trait à l'ostracisme et à la discrimination, y compris au Québec, à certaines
époques malheureuses de notre développement, je pense que nous devons apprécier encore plus votre mémoire, votre
attitude, vos réflexions. C'est vraiment tout à votre honneur. Et ça devrait
être un exemple aussi pour nous,
parlementaires. Ça, c'était mon introduction, où je veux vous rendre vraiment
hommage.
Maintenant,
vous parlez d'une question qui m'a intriguée, à la page 6. Et après je
laisserai la parole à mon collègue, qui
vous connaît bien, et qui connaît bien la communauté, et qui veut interagir
avec vous, je le comprends. À la page 6, deuxième paragraphe, vous
dites... Et ça fait partie, là, vraiment des questions qu'on aura à poser,
nous, comme parlementaires, et je suis sûre
que le ministre s'y prépare bien, beaucoup sur des questions de : Oui,
mais comment on fait? Comment est-ce applicable? Et vous dites : «...l'identification
de signes religieux étant éminemment subjective et arbitraire...» Vous avez donné des exemples tout à l'heure, et puis
on n'aura pas, malheureusement, de spécialistes en science des religions, mais il y a des gens qui
ont fait des... qui enseignent à l'université là-dessus, et c'est passionnant.
Je suis sûre qu'on ne connaît pas le quart
de la moitié du demi de ce que peut être l'interprétation d'un signe religieux.
Vous dites donc, et c'est
normal : «...l'application de l'interdit du port de signes religieux
le sera autant — le
risque que ce soit subjectif et
arbitraire — ouvrant
la porte à des interprétations litigieuses et à la prolifération de recours
judiciaires contre des institutions
publiques, recours qui ne seraient pas empêchés par les clauses dérogatoires
puisqu'ils découleraient non pas
d'une contestation constitutionnelle de la loi mais simplement de litiges quant
au sens à donner à ses dispositions. [Et]
dans le même temps, si le gouvernement s'aventurait à définir les signes
religieux, il porterait atteinte à la neutralité religieuse de l'État en
s'immisçant dans des interprétations religieuses.»
Ça n'a pas été nécessairement apporté comme
ça par des précédents mémoires. J'aimerais ça que vous-mêmes,
vous vous aventuriez un peu plus loin dans la réflexion qui vous a conduits à parler, justement,
de prolifération de recours judiciaires,
parce que justement, si je
comprends bien, le recours à la
clause dérogatoire, etc., c'est pour protéger lesdits recours et que ce
soit bien bâillonné, sans faire de jeu de mots sur le bâillon, mais que ce soit
bien encadré.
• (21 heures) •
M.
Cape (David) : Je veux vous
remercier pour vos commentaires. Notre communauté, comme vous avez dit, nous sommes ici depuis longtemps,
nous sommes très attachés à la province de Québec et nous sommes fiers de ce
que nous avons établi ici. Nos
parents, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents ont contribué à l'agrandissement du Québec. Alors, nous sommes
ici pour faire partie de la construction d'un Québec dans le futur. Alors,
c'est dans cette volonté que nous sommes arrivés ici ce soir.
M. Abécassis
(Dan-Michael) : En fait, je pense
que... Pour répondre un peu à votre question, c'est qu'évidemment on ne peut pas voir
ce qui va se passer exactement dans le futur, on présuppose que, oui, ça va
amener une prolifération de litiges
et de recours judiciaires. Ça reste à voir, comment est-ce que
le projet de loi va être adopté dans sa version finale, ça reste à voir, il
y a beaucoup d'éléments qui restent à voir.
Je pense
que le paragraphe en tant que tel est écrit assez clairement.
Vous me pardonnerez si j'ai mal compris la question, vous me reprendrez
au besoin. Je pense que le paragraphe est écrit assez clairement, je ne pense pas que ce soit nécessaire de s'aventurer plus loin que ça. Je pense
que c'est juste qu'on présuppose vraiment qu'il y aura ce genre d'éléments là dû à ce manque de clarté qui est
présent dans le projet de loi n° 21 par rapport, justement, à ces
définitions, à sa mise en place et à son application.
Mme David :
Alors, pour terminer, et je vais passer la parole à mon collègue après, vous
supposez qu'il y aura une
prolifération... et je pense que, par ce paragraphe ainsi que par l'ensemble du
mémoire, vous nous invitez à l'exercice le plus sérieux possible de réflexion quant à l'applicabilité — c'est un mot très laid, là — quant à la qualité de l'application, et des
mesures, et des sanctions. Vous donnez une foule d'exemples sur lesquels, pour
l'instant, on n'a pas de réponse. Et je pense qu'on va devoir, nous,
parlementaires, rendre cette loi, si tant est qu'elle sera adoptée un jour,
applicable.
Alors, je vous
remercie pour ça. Je passe la parole à mon collègue.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de D'Arcy-McGee,
s'il vous plaît.
M. Birnbaum :
Merci, M. le Président. Mme Yudin, M. Cape, M. Abécassis, ça me
fait plaisir de vous retrouver. On a
le plaisir d'être amis et collègues depuis longue date. En étant un ancien
directeur général du Congrès juif canadien, région du Québec, je suis fier d'eux et très connaissant de notre
histoire ici, au Québec, ainsi que l'histoire à travers le monde ces
derniers 4 000 ans.
Et
une trame de fond qui est présente au Québec comme au fil de cette histoire, je
crois qu'on va en convenir, c'est...
deux trames de fond, c'est-à-dire, notre capacité et notre détermination de
nous adapter à notre société d'accueil et en même temps d'être
respectueux de nos valeurs de base et des principes incontournables, ça, en
face d'une histoire marquée par le
préjudice, l'oppression et de l'antisémitisme, présents, malheureusement, au
fil de ces 4 000 ans. On a eu des moments ici, au Québec, dont on n'est pas fiers collectivement, à
titre d'exemple. En même temps, quand je parle de l'adaptation, je crois
qu'on est fiers, comme communauté, d'avoir été une des communautés minoritaires
les plus bilingues, qui ont maîtrisé le français bien avant la Charte de la
langue française, bon, un exemple qui souligne notre dévouement, notre
attachement à notre Québec, je crois qu'on va en convenir.
Je
veux, dans cette optique-là, vous inviter à préciser et clairement ce que j'ai
cru comprendre, c'est-à-dire que la communauté est tout à fait dévouée
au concept de la laïcité de l'État et que de votre lecture — est-ce
que j'ai bien compris? — cette laïcité peut et réussit à s'exprimer
sans l'adoption du genre de projet qui est devant nous. Est-ce que j'ai
bien raison?
Mme Yudin (Eta) : On peut
dire en effet que le projet de laïcité au Québec... le Québec est un succès de
laïcité. Je pense qu'on a réussi,
dans notre société, à créer une laïcité
à la québécoise, qui évolue au fil du temps, et je pense que nous sommes là. Je comprends très bien, après
12 ans de débat sur le sujet, la volonté du gouvernement, justement, de
clore le débat et de trouver une manière de formaliser, concrétiser cette
notion de laïcité que nous vivons au Québec.
M.
Birnbaum : Vous parlez... On
a discuté un petit peu de la clause dérogatoire, et qui vous pose des
difficultés. Je vous invite à vous
prononcer sur le fait que ce qui est assez spécial, je me permets de m'exprimer
ainsi, c'est que nous avons devant
nous une proposition d'avoir recours à cette clause avant le fait, c'est-à-dire pour mettre à l'abri des références devant les tribunaux ce projet
de loi devant nous.
La
clause a été employée déjà, c'est un mécanisme qui est disponible au législateur.
Par contre, on parle, de façon préalable, de contourner la possibilité
des contestations judiciaires, dans ce cas-ci. Comment vous réagissez à cette
proposition?
M.
Abécassis (Dan-Michael) :
Donc, merci pour la question. Puis je vais répondre un peu la même chose que
j'ai répondue à M. le ministre. D'ailleurs, on a beaucoup apprécié les explications qui avaient été
fournies, ça apporte aussi de la clarté, mais l'élément de réponse qu'on
donne reste le même. Bien qu'on comprend toujours cette volonté derrière et les explications qui ont été données,
c'est vraiment, encore une fois, que restreindre les droits et
les libertés fondamentaux, ça ne se justifie qu'en voulant en protéger
d'autres. Donc, encore une fois, c'est juste qu'on n'est pas convaincus que le gouvernement a fait la preuve
d'une menace urgente envers la laïcité québécoise, c'est vraiment dans le même ordre d'idées, pourquoi on a des réticences
par rapport à l'utilisation de cette clause-là. Et, malgré les explications,
toujours, qu'on apprécie, certes, ça n'a pas bougé depuis.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée de
Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme
Robitaille : Moi, j'ai une
question très courte mais peut-être qui va aider les gens à comprendre un peu.
En fait, la kippa, pourquoi c'est fondamental pour certains de la porter?
Pourquoi c'est fondamental?
Mme
Yudin (Eta) : Pour les
hommes qui sont pratiquants, qui pratiquent la religion juive, il y a une
obligation de couvrir la tête, qui signifie qu'il y a...
Mme
Robitaille : ...mais pourquoi
c'est fondamental? Pourquoi ça va à l'encontre de droits fondamentaux s'il
faut vous demander de l'enlever?
Mme
Yudin (Eta) : Bien, si,
déjà, une personne est pratiquante et qu'il y a une obligation de faire telle
ou telle chose, de ne le pas faire,
c'est demander à quelqu'un de ne pas observer la pratique religieuse que cette
personne a choisie.
Mme
Robitaille : Merci.
Le
Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage,
s'il vous plaît.
M.
Zanetti : Je vous remercie.
Est-ce que vous pensez que le projet
de loi n° 21
va amener un sentiment d'exclusion au sein de la communauté juive du Québec?
Mme
Yudin (Eta) : C'est clair
qu'il y a un courant majoritaire, dans la communauté juive, qui justement est contre
la loi, qui est opposé à la loi n° 21. La notion est quelque chose qui trouble plusieurs de la communauté.
Et c'est vraiment la raison qui nous mène ici, aujourd'hui, et c'est vraiment la perspective que nous présentons, qu'il y a des
inquiétudes dans la communauté juive
envers la loi n° 21, que le courant majeur... Cela dit, il y en a
certains qui sont pour la loi n° 21, mais
c'est clair que le courant majeur, la majorité de notre communauté est contre
la loi n° 21. Et, dans ce sens, nous sommes là.
M.
Zanetti : Je pose un peu une
question qui y ressemble mais différemment : Est-ce que vous pensez que le
projet de loi n° 21
va favoriser l'inclusion et le sentiment d'unité nationale au Québec?
• (21 h 10) •
M.
Abécassis (Dan-Michael) : ...on
comprend et on voit très bien, d'après les chiffres qui ont été avancés, du moins, que c'est ce qui est demandé par la majeure
partie des Québécois. Pour répondre à la question directement, si ça va favoriser un sens d'unité des Québécois, je pense
que c'est qu'on comprend surtout la volonté de vouloir clore ce débat.
C'est d'abord et avant tout cette volonté un peu d'en finir avec ce projet de
loi.
Mais,
si je peux me permettre, je pense qu'on ne pourra pas parler d'unité tant qu'on
ne pourra pas résoudre ces problèmes de flou derrière ce projet de loi. Étant
donné ces éléments un peu problématiques qu'on a soulevés plus tôt en présentation, je pense que c'est d'abord ça et
avant tout qu'il faudrait régler, avant de commencer même à parler du
reste, à mon humble avis.
M.
Zanetti : Mais pensez-vous que... L'adoption du projet de loi n° 21 tel qu'il est en ce moment, là, pensez-vous que ça va clore le
débat?
M.
Abécassis (Dan-Michael) : Non. Comme on a expliqué, et je pense qu'on
a été assez clairs, il faudrait d'abord qu'on puisse résoudre, premièrement,
ces flous, que ce soit sur la mise en application, les personnes qui vont...
ces autorités administratives, ces moyens.
Il faut d'abord qu'on puisse résoudre tous ces éléments-là, avant même de
pouvoir considérer le reste.
M. Zanetti : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M.
Bérubé :
Merci, M. le Président. Il y a un enjeu de cohérence avec le projet de loi.
Tout à l'heure, le député de
Sainte-Rose faisait référence à des gens qui pensent que le projet de loi ne va
pas assez loin sur le privé, il parlait de moi notamment. Le privé, au Québec, ce n'est pas tout à fait privé,
c'est 500 millions de fonds publics pour financer 60 % de chacun des
élèves, alors ce n'est pas tout à fait privé. Nous, on est d'avis que, si on
accepte l'argent du Québec, on accepte
les lois aussi. Alors, on va avoir une contradiction avec le gouvernement
là-dessus, qui a fait le choix de ne pas assujettir les écoles privées.
C'est une clientèle qu'il a choisi de protéger, nous ne sommes pas d'accord
avec ça.
Ceci étant
dit, croyez-vous que, pour le Québec, pour la nation québécoise, il est
légitime de débattre de laïcité à travers une loi?
M. Abécassis (Dan-Michael) : ...s'il
est légitime, pardon, de vouloir débattre...
M.
Bérubé : Oui, si
c'est un débat légitime de légiférer sur la laïcité.
M. Abécassis (Dan-Michael) : Bien...
Veux-tu répondre?
Mme Yudin
(Eta) : Bien, je pense que c'est clair qu'au Québec nous avons un
consensus social et politique sur la
notion d'un État laïque. Quand ça arrive à la question de légiférer la laïcité,
les aspects de la loi que nous avons soulevés dans notre rapport, justement, ouvrent la porte, je pense, de mettre
dans certains cas le gouvernement dans la position de, justement, arbitrer entre religions ou entre
symboles religieux, et là ça dépasse l'idée, la notion d'un État laïque, mais
ça devient une discussion : Qu'est-ce que c'est, un symbole
religieux...
M.
Bérubé : ...est-ce que c'est
un débat légitime, par une loi? Est-ce que vous reconnaissez que le Québec fait
bien de légiférer sur cette question-là ou vous considérez que ce n'est pas une
opportunité qui est légitime?
M.
Abécassis (Dan-Michael) : Pour répondre clairement à votre question,
on a été présents durant les quatre dernières versions de la chose, on comprend totalement cette volonté-là. Idéalement,
c'est sûr que nous, dans l'état actuel des choses, on préférerait qu'il
n'y ait rien du tout qui se passe en termes de ce qui est proposé actuellement,
mais le Québec a totalement le droit et
l'État, le gouvernement du Québec, a totalement le droit, et ses
parlementaires, le droit de se questionner là-dessus, à notre avis.
Le Président (M.
Bachand) : En terminant.
M.
Bérubé :
...parce que, sur une autre législation, si on avait laissé aller les choses,
sur la langue, on n'aurait pas adopté
la loi 101, qui ne faisait pas l'unanimité. De nombreux groupes sont venus
nous dire que cette loi-là ne serait pas
applicable, qu'elle allait brimer des droits, et le Québec a bien fait de faire
fi de cette opposition et d'appliquer une loi fondamentale qui aujourd'hui fait en sorte que, dans votre
communauté, 80 %, notamment, des jeunes parlent français, alors
c'est des progrès qui sont importants.
Alors, je
suis d'avis, et je vous partage ça que le Québec a intérêt à codifier, à
légiférer sur ces questions pour que les règles soient claires. Mais je suis
d'accord avec vous que les règles méritent d'être précisées, notamment sur
qu'est-ce qu'un signe religieux, vous
en avez nommé quelques-uns — la main de Fatima, l'étoile de David, la
kippa — comment
on applique ça aussi, hein, dans les écoles, notamment. Alors, tout ça mérite
d'être précisé.
Mais je vous
soumets que ça doit s'appliquer également dans les écoles. Parce que vous ne
reconnaissez pas que les enseignants ont un rôle d'autorité, je vous ai
entendus dire ça tout à l'heure. Je suis un peu étonné.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le député. Alors, je tiens à vous remercier pour votre
contribution aux travaux de la commission, c'est plus qu'apprécié.
Cela dit, la commission ajourne ses travaux sine
die. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 21 h 15)