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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le jeudi 3 novembre 2016 - Vol. 44 N° 151

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes


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Table des matières

Auditions (suite)

Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité (CCIEL)

M. Jocelyn Maclure

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

MM. Guillaume Rousseau et Nicolas Proulx

Rassemblement pour la laïcité (RPL)

Autres intervenants

M. Guy Ouellette, président

M. Richard Merlini, président suppléant

Mme Stéphanie Vallée

Mme Agnès Maltais

Mme Nathalie Roy

*          Mme Louise Mailloux, CCIEL

*          Mme Francine Lévesque, CSN

*          Mme Anne Pineau, idem

*          M. André Lamoureux, RPL

*          Mme Leila Lesbet, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Ouellette) : Nous entendrons cet avant-midi le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité et M. Jocelyn Maclure, professeur à l'Université Laval.

Pour le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité, nous recevons Mme Louise Mailloux. Mme Mailloux, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation aux membres de la commission. Par la suite, il y aura une période d'échange avec Mme la ministre et les représentants des deux partis d'opposition. Je vous laisse la parole.

Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité (CCIEL)

Mme Mailloux (Louise) : Merci, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. Le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité est un club politique qui a été créé en 2009. C'est une organisation qui regroupe des citoyens qui croient à la nécessité de la laïcité et de l'égalité comme fondements de la démocratie. Nous avons pour objectif l'adoption d'une charte de la laïcité. Nous avons d'ailleurs été les premiers à proposer en 2010, lors de notre participation à la commission parlementaire sur le projet de loi n° 94, un projet de charte de la laïcité.

Le projet de loi n° 62 exige que les membres du personnel de l'État fassent preuve de neutralité religieuse dans l'exercice de leurs fonctions, mais l'État lui-même manque à son devoir de neutralité en favorisant les religions. Le gouvernement subventionne les écoles privées confessionnelles. Des subventions sont accordées à des écoles juives qui ne respectent pas le régime pédagogique. Le réseau de garderies familiales hassidiques a bénéficié de 20 millions de 2007 à 2013. Les organismes religieux sont exemptés d'impôts sur le revenu, de taxes foncières, municipales et scolaires. Aucun citoyen au Québec n'a droit à de tels privilèges.

Avec ce projet de loi, dans les services de garde à l'enfance, on va permettre un régime alimentaire fondé sur des préceptes religieux. Des employés de l'État portent des signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions. Et que dire du crucifix à l'Assemblée nationale? Ces quelques exemples illustrent à quel point l'État n'est pas neutre, et il n'y a rien dans ce projet de loi pour corriger ce favoritisme. Nous sommes ici en présence d'un gouvernement qui exige de ses employés ce qu'il est incapable de faire lui-même. L'État choisit plutôt de se décharger de ses responsabilités sur les membres de son personnel. Quelles seront les conséquences? L'employé n'étant ni un militant laïque pas plus qu'un juriste va fort probablement choisir d'accepter la demande d'accommodements religieux plutôt que d'avoir à justifier son refus par écrit comme cela se fait dans certains cégeps. Conscient aussi que sur un sujet aussi sensible il sera isolé, il n'aura pas l'appui de ses collègues, qui préféreront ne pas prendre position, il ne peut également être certain de l'appui de son syndicat et encore moins de la direction, qui ne tient pas à faire les grands titres des médias. Conscient également que, s'il y a contestation en cas de refus d'accommoder, c'est lui, l'employé, et non son employeur, qui se retrouvera à faire les frais d'une éventuelle poursuite, sans compter qu'il risque d'être montré du doigt dans son milieu de travail et subir les insultes dont font habituellement les frais les militants laïques, c'est-à-dire se faire traiter d'intolérants, de xénophobes, d'islamophobes et de racistes.

Vous aurez compris qu'ici il est drôlement plus tentant de dire oui que de dire non à une demande d'accommodement. Tout ceci aura pour effet de mettre tellement de pression sur les employés que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, on ne se retrouvera pas avec des accommodements au cas par cas, à géométrie variable, mais bien plutôt avec une normalisation des pratiques d'accommodements religieux qui iront tous dans la même direction, c'est-à-dire l'acceptation.

Concernant l'article 9 sur les services à visage découvert, tout le monde s'indigne, avec raison, du fait que ce projet de loi va permettre le tchador, qui est un symbole de soumission des femmes, mais le visage découvert, c'est aussi le hidjab, présent dans nos garderies et nos écoles, ce voile, qui participe de la même idéologie que le tchador, le niqab ou la burqa. Depuis l'abandon du projet de loi n° 60, le hidjab serait-il devenu soudainement acceptable? Il y a un éléphant dans la pièce, mais on dirait qu'il n'y a plus personne pour le voir.

D'entendre la ministre de la Justice déclarer que le voile, c'est du linge a quelque chose de profondément choquant. D'abord, nous savons très bien qu'au Parti libéral ils savent très bien que ce n'est pas le cas. Et en plus cela donne l'impression que l'on prend les Québécois pour des idiots, alors que la grande majorité des gens savent très bien que le hidjab n'est pas qu'une simple tenue vestimentaire.

• (11 h 40) •

Le Québec n'est pas une bourgade isolée du reste du monde. Nous avons l'Internet, la radio, la télé, les journaux, les revues et même des livres. Il suffit d'ailleurs de parcourir toute l'abondante littérature sur le voile, les livres et les revues qui y sont régulièrement consacrés pour comprendre que nous ne sommes pas en présence d'un vulgaire morceau de linge. Le hidjab est un étendard politique. Il est l'emblème d'un islam politique qui veut imposer une théocratie et remplacer les droits humains par la charia. En l'imposant aux femmes, les islamistes souhaitent donner un maximum de visibilité à l'islam et nous habituer ainsi à sa présence. C'est pourquoi il est essentiel pour eux de pouvoir introduire ce voile dans nos institutions publiques.

Concernant l'article 4, ce projet de loi va justement interdire d'interdire quoi que ce soit, parce que ce serait, à la lumière de l'article 4, défavoriser une personne en raison de son appartenance à une religion. Même le niqab et la burqa, avec ce projet de loi, pourront être permis, puisqu'à l'article 9 il est écrit qu'un accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles est possible mais doit être refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité et l'identification ou le niveau de communication requis le justifient. En clair, cela veut dire que, si l'un de ces trois critères n'entre pas en ligne de compte, et même si ces critères étaient en jeu, celui de l'identification, par exemple, il suffirait de faire contrôler l'identité de la femme par une autre femme pour que le port du niqab devienne acceptable. Quant au niveau de communication requis, tout repose ici sur le mot «niveau». Qu'en sera-t-il, du niveau de communication requis dans le cas d'une étudiante ou encore d'une employée qui travaille dans le laboratoire d'un hôpital?

En conclusion, ce projet de loi, loin de garantir la neutralité de l'État, va plutôt favoriser l'ingérence du religieux dans nos institutions publiques. Il fait la promotion d'une laïcité ouverte aux religions dans laquelle la neutralité de l'État est conçue non pas comme une neutralité d'indifférence, mais plutôt comme une neutralité de bienveillance face à celles-ci. Au lieu de n'accueillir aucune religion dans les institutions de l'État, ce projet de loi met en place les conditions optimales visant à les accueillir toutes, ce qui est contraire à la laïcité. En mettant le fardeau sur les épaules des employés, ce projet de loi vise à implanter une culture des accommodements dans nos institutions publiques. Ce projet de loi permet le tchador et le hidjab. Ainsi, des enfants continueront d'être exposés au hidjab dans nos écoles et nos garderies. Il va permettre un accommodement pour le niqab et la burqa. Avec ce projet de loi, plus rien ne pourra faire barrière à l'intrusion du religieux dans nos institutions publiques. Dans le contexte mondial actuel, où nous sommes témoins de la montée de l'islamisme et où bien des pays occidentaux sont confrontés à de nouveaux défis sur la laïcité, ce projet de loi témoigne d'un aveuglement inouï, d'une légèreté déconcertante et d'une grave inconséquence de la part du gouvernement. On va créer, en quelque sorte, les conditions idéales pour satisfaire les revendications des lobbys politicoreligieux, ces intégristes qui sont la frange la plus intolérante et la plus intransigeante des groupes religieux, et contribuer, du même coup, à augmenter la pression notamment sur les musulmans.

Nous savons qu'il existe ici même, au Québec, des associations qui se revendiquent de la pensée des Frères musulmans, alors que d'autres sont prokhomeynistes. Ces gens sont actifs dans leurs communautés et auprès des politiciens. Ils ont en commun de vouloir imposer ultimement la charia et utilisent différentes stratégies pour parvenir à leurs fins. L'entrisme par différentes demandes d'accommodement est l'une de leurs stratégies, et le hidjab, qu'ils imposent aux femmes et aux fillettes, en est le cheval de Troie. Ce projet de loi va tout simplement leur ouvrir grandes les portes de nos institutions publiques.

Ce projet de loi est une offensive antilaïque sans précédent qui va permettre à la religion de structurer de plus en plus la vie de nos institutions publiques. De la l'aveu même de la ministre Vallée, ce projet de loi est une réponse libérale au projet péquiste de charte des valeurs. Et, si cette dernière a été taxée par plusieurs d'islamophobe, on serait tenté de qualifier ce projet de loi d'islamophile. C'est peut-être un pas en avant dans la consolidation de la base électorale du Parti libéral, mais assurément un gigantesque pas en arrière dans la défense de la laïcité. Ce projet de loi est dangereux. Il va trop loin. Il ne doit pas être bonifié, mais abandonné. C'est pourquoi notre collectif demande au gouvernement le retrait du projet de loi n° 62. Je vous remercie.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Mailloux. J'ai bien compris que vous adressiez vos commentaires à la présidence et que les parlementaires se gouverneront en conséquence. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Mme Mailloux, bonjour. Je ne commenterai pas tout ce qui a été dit et tous les propos que vous m'imputez, parce qu'on pourrait avoir de très longs échanges entre nous. Alors, je vous dirais simplement que ce projet de loi là, c'est un projet de loi qui respecte les libertés individuelles puis, parmi les libertés individuelles que nous avons en tant que Québécois, que nous avons tous en tant que Québécois et en tant que Québécoises, il y a le droit à la liberté de religion, à la liberté de conscience.

Vous avez vos opinions, des opinions bien tranchées, avec lesquelles je ne suis pas en accord. Je ne les répéterai pas, parce que je ne crois pas que certaines opinions que vous avez pu véhiculer par le passé méritent d'être répétées, mais je vous dirais simplement que je ne les partage pas, mais je ne vous attaquerai pas personnellement, donc je ne dirai pas que vous prenez les gens pour... comme vous disiez : Ah! on prend... Vous présumez que je prends les Québécois pour des idiots. Ce n'est pas le cas, vraiment pas. Mais je suis respectueuse des droits et libertés et je crois fondamentalement aux droits et libertés que la Charte des droits accorde à tous les Québécois, sans exception, à toutes les Québécoises, sans exception. Qu'une Québécoise, par choix, choisisse de porter le hidjab, c'est un droit qui lui appartient. Il ne m'appartient pas de le juger et même d'empêcher cette personne de s'intégrer à notre société, de participer à notre société. Le Québec est riche de sa diversité, Mme Mailloux, j'y crois fondamentalement, et ce n'est pas creux de sens, ce que je vous dis ce matin.

Maintenant, vous étiez sur les rangs comme nous tous ici en 2014. Vous étiez candidate pour le Parti québécois. Qu'est-ce que vous pensez de la position de votre nouveau chef, qui mentionnait son intention d'appuyer le projet de loi? Lors de la course au leadership, je pense qu'on... c'était le 25 septembre dernier, au Monument-National, il mentionnait son intention d'appuyer le projet de loi. Qu'est-ce que vous pensez, en tant que militante de ce parti, de ce positionnement? Je comprends que ma collègue de Taschereau aura, sans doute, des suggestions de bonification, et puis on a une longue feuille de route de collaboration ensemble en commission parlementaire, mais il y a quand même une intention qui a été manifestée de la part du chef de l'opposition officielle. Qu'est-ce que vous pensez de ça?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Mailloux.

Mme Mailloux (Louise) : Je pense que la présence de Mme Maltais et le travail qu'elle fait à cette commission parlementaire depuis le début montrent bien que le Parti québécois, comme l'a souvent répété M. Lisée, est ouvert à la discussion. Mme Maltais a mentionné dès l'ouverture de la commission qu'ils sont ici pour prendre de l'information, pour écouter, être à l'écoute de la population, poser les bonnes questions, et je pense que, jusqu'à maintenant, c'est ce que fait Mme Maltais.

Maintenant, sur la question de... vous parliez, Mme la ministre, de la liberté religieuse, et je comprends très bien que ça puisse être quelque chose d'important, mais il faut quand même comprendre que ce n'est pas quelque chose qui est élastique à l'infini. Avant d'être protégée par les chartes, la liberté religieuse a été finalement protégée par la laïcité, et c'est la séparation du politique d'avec le religieux, c'est-à-dire de l'Église avec l'État, pour parler comme ça, qui nous a permis d'obtenir la liberté religieuse, parce que, là, l'État, étant indifférent aux religions, n'imposait plus aucune religion. Alors, la liberté religieuse, ce n'est pas le produit des chartes, c'est le produit de la laïcité. Il faut faire attention. Ce n'est pas contraire à laïcité. Maintenant, il faut bien comprendre aussi que, quand on sépare l'État de la religion, c'est pour une raison très simple : l'État s'occupe du bien commun. Il s'adresse à des citoyens au-delà de leur particularisme religieux, au-delà de leurs croyances, au-delà de leurs convictions, alors que les Églises, elles s'occupent du spirituel et non pas du temporel. Alors, ce que ça suppose, c'est que l'État n'a pas à dire aux Églises comment... ou aux cultes comment gérer leurs affaires, mais, en retour, les croyants n'ont pas à s'introduire dans les institutions publiques pour modifier les règles.

• (11 h 50) •

Alors, moi, je comprends très bien que des catholiques, que des Juifs, que des musulmans puissent obéir aux règles de leur religion, mais il ne faudrait quand même pas que ces règles-là puissent prévaloir sur les règles civiles dans nos institutions publiques. Alors, ça, ça veut dire protéger la neutralité, et, quand on fait ça, on n'est pas en train de porter atteinte à la liberté religieuse, mais on est en train de dire aux croyants : Vous avez une liberté, mais cette liberté-là, elle a des limites.

Parce qu'il faut voir les choses aussi du point de vue du citoyen. Il y a des parents qui envoient leurs enfants dans des garderies. Et il y a des éducatrices qui sont voilées et il y a des parents qui sont mécontents de ça. Bon, quelle option ils ont? Retirer l'enfant? Mais ils ne peuvent pas l'amener à 10 kilomètres plus loin dans une autre garderie, et il n'y a rien qui dit qu'on n'embauchera pas une prochaine éducatrice, par exemple, qui porte le voile. Alors, ces parents-là, ils n'ont aucune prise, aucune option. Si on allait chercher, par exemple, une protection juridique pour la laïcité, et je pense que ça mériterait ça, comme on en a pour les religions, à l'heure actuelle, d'inscrire, par exemple, dans la charte des droits de la personne, une affirmation officielle que le Québec est un État laïque où on sépare les religions de l'État, je pense que ce serait une bonne chose et que la liberté religieuse serait protégée.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : En fait, je vois difficilement... je vous écoute, et le projet de loi, c'est ce qu'il vient baliser, c'est-à-dire que l'État est neutre et ne doit être influencé d'aucune façon par la croyance religieuse ou l'absence de croyance religieuse. Donc, dans la prestation de services, cette neutralité est là. Par contre, il y a aussi, au sein de l'État, des gens, des individus, et ces individus-là, bien, ils ont droit à leurs propres particularités. Elles ont droit à leurs propres particularités. Certains sont croyants, certains ne le sont pas. Certains vont afficher une appartenance à leurs croyances. Certains vont porter la croix, certains vont avoir même des boucles d'oreille en forme de croix.

Bref, ce n'est pas qu'on cible, on fait un gros cercle autour de certaines religions. Mais le projet de loi, c'est un projet de loi qui vise tout le monde, l'ensemble de ceux et celles qui travaillent au sein de l'État, qui ont, dans leurs prestations de services, ce devoir de neutralité. Puis je comprends que vous êtes tenante d'une laïcité. Hier, on nous expliquait qu'il y avait deux types de laïcité : cette laïcité ouverte ou cette laïcité plus républicaine, à la française, à laquelle vous semblez vous associer davantage. Ce n'est pas le choix qui a été fait. C'est le choix d'une laïcité plus ouverte, d'une neutralité de l'État et qui, à mon avis, est beaucoup plus inclusive.

Vous faisiez référence aux parents qui ont un malaise avec une éducatrice voilée. Moi, je vous dirais, pour en connaître de très près, des parents qui ont fait le choix que leurs enfants puissent avoir ce contact avec la diversité, parce que notre société est diversifiée, parce que notre société, elle n'est pas un vase clos, et parce que les enfants auront à interagir avec des gens de toutes sortes de croyances, de toutes sortes de provenances, que les initier à un plus jeune âge à cette diversité, c'est de leur donner un bagage et il y a pour des parents ce besoin de mettre les enfants en contact avec la diversité à un très bas âge.

Est-ce que vous ne croyez pas que d'aseptiser la société, c'est soi-même de se fermer les yeux à la réalité de notre société? Est-ce que ce n'est pas justement une façon d'inciter davantage à cette radicalisation? On avait, cette semaine, un important forum ici, et il y a eu plusieurs échanges sur ce qui incite des jeunes, des moins jeunes à se radicaliser. Et, la semaine dernière, une étude était publiée et indiquant que la religion pouvait même être d'un certain secours chez les jeunes, qui sont en recherche parfois d'une identité. On en a peu parlé, de cette étude, mais elle fait quand même partie de ce qui a été porté à notre attention au cours de la dernière semaine. Il y a eu des échanges dans le cadre du forum sur l'UNESCO. On dit : Bien, peut-être que de cibler à répétition certaines communautés, bien, on contribue, d'une certaine façon, à cette radicalisation. Vous ne croyez pas?

Puis je ne veux pas vous faire changer d'opinion, loin de moi cette idée, mais je veux simplement vous expliquer ce qui est à la base, ce qui nous amène à adopter une approche qui est beaucoup plus inclusive et qui permet d'être davantage représentative de la réalité, de la vraie vie, parce que, dans la société, il y a des gens de toutes origines et notre société, elle est diversifiée, et c'est en s'ouvrant à cette diversité et en étant tolérants, je crois, qu'on se prémunit davantage contre cette radicalisation qui peut devenir insidieuse et éventuellement se manifester. Je ne crois pas que la France, par sa laïcité plus républicaine, a été à l'abri d'une certaine forme de radicalisation ou de la présence de radicalisme religieux.

Le Président (M. Merlini) : Mme Mailloux.

Mme Mailloux (Louise) : Il y a beaucoup de choses dans ce que vous avez dit, Mme la ministre.

Je pense qu'il faut distinguer d'abord une première chose quand vous dites : Les enfants, il faut les habituer à la diversité, puis, à la limite, ça pourrait contrer, jusqu'à un certain point, quand ils seront plus vieux, la radicalisation. Bon. Alors, sur l'éducation à la diversité, il faut bien comprendre que, quand on parle de laïcité, on parle d'État, on parle des institutions publiques, d'accord, et on ne parle pas de l'espace public.

Vous avez dit tout à l'heure que peut-être que ce que je souhaiterais ou le type de laïcité que je défends, ce serait d'aseptiser l'espace public de toute manifestation religieuse. C'est tout à fait faux. Alors, l'espace public, quand on est dans un autobus, quand on est sur la rue, dans un parc, dans une épicerie, au restaurant, dans une... bon, on est dans un espace public. Par contre, quand on fréquente une école, un CPE, je veux dire, quand on va dans un CLSC, dans un hôpital... Bon, autrement dit, les institutions qui relèvent de l'État, on n'est plus ici dans un espace public, mais on est dans un espace civique, c'est-à-dire un espace citoyen. Et je comprends bien, moi, que des parents veulent initier leurs enfants à... leur ouvrir l'esprit, les initier à la diversité, mais je pense qu'il y a bien des moyens de le faire. Mais, au niveau des institutions, je pense que le gouvernement, comme représentant de l'État, il a un devoir de faire en sorte que, dans l'État, on rassemble tout le monde, et ça, c'est de l'inclusion, au-delà de leur particularisme religieux. Et tout le monde est citoyen du Québec. Alors, je ne vois pas qu'est-ce qu'il y a d'exclusif à ce niveau-là.

Je vous donnerais un exemple sur la question de la liberté religieuse. Quand j'étais à l'université — rapidement — je faisais de la suppléance, tout en étant étudiante, à la CECM, à l'époque, la Commission des écoles catholiques de Montréal. Pour être engagée, j'ai dû faire la preuve que j'avais été baptisée. Ça veut dire quoi? Ça veut dire que les non-catholiques ne pouvaient pas être engagés à la CECM. Et là c'était vraiment exclure des gens de leur droit au travail, si on se base sur l'article 10 de la charte, en fonction de leur religion. Mais, avec la déconfessionnalisation qu'on a eue en 1997, et là c'est structuré différemment, on ne dit pas à quelqu'un : Parce que tu es musulmane, on ne veut pas t'engager dans une école publique. Tout ce que... là, je me réfère évidemment à la proposition controversée, là, du projet de loi n° 60 du PQ, tout ce qu'on disait, c'est : Durant tes heures de travail, tu ne portes pas de signes religieux, parce que tu représentes l'État, c'est tout.

Le Président (M. Merlini) : Merci. Ce bloc d'échange avec la ministre étant terminé, nous allons maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, pour votre bloc d'échange.

• (12 heures) •

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Mailloux. Je suis heureuse de vous recevoir. Je suis désolée de voir que ça commence de la même façon que l'audition du projet de loi n° 59, même façon. Moi, j'ai reçu ici des gens avec lesquels je n'étais profondément pas d'accord puis je ne les ai pas traités comme vous venez, encore une fois, d'être traitée, en disant que vous êtes une candidate du Parti québécois, puis on dirait que ça disqualifie les gens d'être du Parti québécois. Je m'excuse, mais moi, je pense, Mme Mailloux, que vous comprenez mieux les concepts que la ministre. Je vais le dire comme je le pense, moi aussi. D'entendre dire une ministre qui dit devant vous, pour vous : Moi, je suis pour la diversité, ça veut dire qu'elle pense que vous n'êtes pas pour la diversité. Je suis désolée que vous ayez entendu ça. D'entendre dire : Vous voulez aseptiser la société... Mme Mailloux, mes excuses, que vous ayez reçu d'une parlementaire et d'une ministre cette phrase.

Nous savons tous que personne ici ne veut aseptiser la société, surtout pas vous. Vous avez très bien expliqué le concept de laïcité, je vous en remercie. Il y a eu effectivement, récemment, non pas une étude, mais un sondage non représentatif, non probabiliste qui a été présenté dans les journaux. Ce n'est pas une étude, c'est un sondage non probabiliste. Il y a eu la Ligue des droits et des libertés qui est venue dire que le Parti libéral faisait du profilage religieux. Ça aussi, c'est des... Mais ces propos-là, ce n'est pas venu d'ici, ils sont venus de l'autre bord. C'est les gens qui doivent nous donner leurs commentaires sur le projet de loi, ce n'est pas nous qui devons passer des commentaires sur le monde qui vient ici. Alors, Mme Mailloux, encore une fois — je suis encore obligée de parler de vous — j'en suis désolée.

Je vais aller au projet de loi. Il y a des parties du projet de loi, actuellement... Je sais que vous nous proposez de le retirer complètement. Pourtant, il y a des parties du projet de loi qui sont tirées... une partie exactement telle quelle du projet de loi n° 60, le défunt projet de loi du Parti québécois, c'est sur les services éducatifs de garde à l'enfance; l'autre partie, sur les accommodements religieux, c'est presque la même chose, sauf qu'on parle du membre du personnel au lieu de l'organisme, mais là déjà on s'avance dans la possibilité que ce soit l'organisme ou la politique... qu'il y ait une politique qui encadre, qui fasse que ce ne soit pas le membre du personnel qui soit susceptible d'être poursuivi. On sait, n'est-ce pas, que les poursuites arrivent parfois quand on prend des décisions sur le phénomène religieux.

Est-ce que le fait de prendre ces parties-là intégralement... vous pensez qu'on peut le faire, que ce pourrait être une avancée? Je veux vous entendre là-dessus, ça m'intéresse vraiment.

Le Président (M. Merlini) : Mme Mailloux, à vous la parole.

Mme Mailloux (Louise) : Quand vous dites «de prendre les parties», vous parlez de quelles parties?

Mme Maltais : L'article 10 sur les accommodements religieux, excepté le fait qu'on dit «membre du personnel» au lieu d'«organisme», c'est tel quel comme c'était dans le projet de... du projet de loi n° 60 du Parti québécois, puis on est en train de revenir au mot «politique», qui devrait aller avec. L'autre, c'est sur les services, l'article 16 sur la Loi des services de garde éducatifs à l'enfance. C'est exactement ce qu'on avait dans le projet de loi n° 60. Ça n'empêche pas qu'il faille le bonifier, peut-être, les gens soulèvent des problèmes.

Mais, comme vous étiez d'accord avec le n° 60, est-ce que vous pensez qu'on pourrait utiliser ça?

Mme Mailloux (Louise) : Bien, sur la question des accommodements, il y a deux grosses différences d'avec le n° 60, c'est : premièrement, ce sont ici les employés à qui revient le devoir d'assumer la neutralité de l'État, ce qui est une responsabilité qui n'est pas la leur, à mon avis, ce doit être celle du gouvernement, alors que, dans la charte des valeurs, pour l'appeler comme ça, c'étaient les organismes publics, donc on avait un gouvernement qui avait une volonté de donner une direction claire pour affirmer la laïcité.

Mais il y avait un autre élément qui est disparu dans le projet de loi n° 62, c'est qu'une des conditions à l'accommodement raisonnable, c'était qu'il ne contrevienne pas à la séparation du religieux d'avec le politique, de l'État d'avec les religions — si je me souviens bien, c'était formulé comme ça — et que ça n'aille pas à l'encontre du caractère laïque.

Mme Maltais : Donc, évidemment, ce que je comprends, c'est que, pour vous, le fait que la loi actuelle n'enchâsse pas la laïcité de l'État, en quelque part, crée une faille qui se répercute sur l'ensemble de la loi.

Le Président (M. Merlini) : Mme Mailloux.

Mme Mailloux (Louise) : Bon. C'est sûr qu'on peut toujours bonifier... Vous parliez, par exemple, de revenir à Bouchard-Taylor sur l'interdiction des signes religieux. C'est sûr qu'on peut faire ça, mais je pense qu'il faut regarder l'ensemble de ce projet de loi là.

Écoutez, ce projet de loi là, l'article 4 va finalement interdire d'interdire quoi que ce soit, parce que ça va être toujours considéré comme... ou, souvent, défavoriser une personne en fonction de ses croyances religieuses. On va permettre le tchador et le hidjab, évidemment, qui est aussi à visage découvert, dans les garderies et dans les écoles publiques, là où il est le plus présent. Il va y avoir des accommodements possibles pour le niqab et la burqa. On va permettre des menus religieux dans les garderies. Écoutez, le Québec va commencer à ressembler à l'Afghanistan. Alors, est-ce que c'est ça qu'on veut? Je pense que non. Bonifier, c'est un petit de ci, un petit peu de ça. Je pense que l'ensemble de ce projet de loi là est dangereux. C'est ce que nous avons convenu, au collectif, et nous demandons son retrait. On ne veut pas de bonification.

Écoutez, apporter quelques améliorations... je pourrais vous dire, par exemple, que... je ne sais pas, sur le port de signes religieux, Bouchard-Taylor, c'est vraiment une mesure minimale, mais c'est comme si tout à coup on légiférait pour interdire la chasse à l'alligator en Mauricie. On peut le faire, mais ça n'a pas tellement de sens, et c'est sans risque, hein, alors que... Ah! peut-être que la Ligue des droits et libertés puis la Commission des droits de la personne diraient qu'on fait du spécisme et qu'on fait du profilage animalier, mais, au-delà de ça, c'est une mesure qui n'aura pas de poids. Je l'ai dit, il y a un éléphant dans la pièce et il est dans les garderies et il est dans les écoles publiques, et, s'il y a consensus à aller chercher, Mme Maltais — je me permets ça, même si nous sommes du même parti — le consensus, il ne faut pas aller le chercher avec Bouchard-Taylor, il faut aller le chercher avec la CAQ, qui a cette proposition-là et qui a l'avantage d'aborder le champ de l'éducation, qui est le passage obligé de tous les petits Québécois de six à 16 ans. Il me semble que c'est quelque chose d'intéressant.

Mme Maltais : M. le Président. Mme Mailloux, d'abord, j'ai corrigé quand je trouvais que les propos allaient un peu loin. Dire que le Québec va devenir l'Afghanistan, c'est un petit peu raccourci, mettons.

Mme Mailloux (Louise) : C'est caricatural, mais quand même...

Mme Maltais : Il y a quelques siècles, mettons. Mais il y a l'exception, effectivement, qui me fatigue beaucoup, beaucoup, sur les visages découverts. Moi, je ne comprends pas cette exception, surtout pour les services donnés. Ça, je le dis vraiment, ça, on le répète plusieurs fois, c'est assez difficile de vivre avec une exception, parce que l'exception dit : Le refus est possible. Donc, l'ouverture est d'abord, le refus est ensuite. Ça, on l'a bien compris. Dans la loi, de la façon dont elle est libellée, là, c'est clair que c'est beaucoup trop ouvert. Mais maintenant, comme je le disais, les services de garde à l'enfance sont... c'est exactement la charte des valeurs, la charte du Parti québécois. Moi, j'avais l'impression qu'en prenant ce bout-là, qui est exactement ce qu'on avait écrit — on peut l'améliorer, là, on va le travailler, là, des amendements, ça arrive, là — on pouvait faire faire un pas.

L'autre, c'est que les gens des écoles, des milieux éducatifs sont, à part la fédération des commissions scolaires anglophones, tous venus nous dire : Donnez-nous des balises, on n'en peut plus. Il y a 500 demandes d'accommodement par année à la CSDM. Vous ne trouvez pas qu'on devrait entendre ce cri-là? Parce que vraiment, curieusement, là, je pensais qu'il fallait entendre ce cri-là.

Mme Mailloux (Louise) : Écoutez, je suis sensible au désarroi des gestionnaires ou des employés dans le champ de l'éducation particulièrement, qui a toujours été mon domaine, dans le milieu de travail, mais je pense que, écoutez, ce projet de loi là, il est à refaire. Écoutez, si vous le bonifiez, ça veut dire quoi? L'article 4, vous faites quoi avec ça? Le tchador et le hidjab, vous faites quoi avec ça? Les accommodements pour le niqab, vous faites quoi avec ça? Vous avez dit, Mme Maltais, en commission parlementaire qu'à un moment donné ce ne serait pas convenable, par exemple, de mettre tout le monde aux menus végétariens pour satisfaire des exigences de parents qui ne veulent pas que leurs enfants mangent non halal.

Bien, il y a des gens des garderies qui sont venus ici, des CPE et qui ont témoigné, puis ils revenaient sur les coûts, ils disaient : Ça veut dire quoi, «la contrainte excessive», quand on parle d'argent, quand on parle des coûts? Et une façon de résoudre la chose, parce qu'avec le peu de moyens qu'ils ont... ce qu'ils font, c'est qu'ils font un menu. Ils ne peuvent pas se permettre de faire deux menus, alors ils font le même menu pour tout le monde, et tout le monde mange halal. Il y a même des CPE sur l'île de Montréal qui ont retiré le porc des...

• (12 h 10) •

Mme Maltais : ...ça fait que c'est pour ça que je vous regardais.

Le Président (M. Ouellette) : Effectivement. Je m'excuse, Mme Mailloux. Probablement que Mme la députée de Montarville pourra vous faire compléter votre réponse. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Je vais y revenir, à votre réponse, mais, avant, merci pour le mémoire. Il y a une vision, une lecture du projet de loi que vous avez et qui est similaire à la mienne.

Vous avez parlé de la position de la Coalition avenir Québec. Elle demeure la même. Nous voulons interdire le port de signes religieux dans la fonction publique, comme le recommandait Bouchard-Taylor, aux employés de l'État en position d'autorité coercitive — juges, procureurs de la couronne, police et gardiens de prison — et, oui, nous voulons y ajouter les enseignants pour une foule de raisons, et c'est notre position. Et vous savez, Mme Mailloux, le Québec est riche de sa diversité, la ministre vient de le dire tout à l'heure, et, vous savez, moi, je pense qu'on peut en être fiers et, oui, dire que nous sommes riches d'une diversité tout en étant à la fois contre le projet de loi n° 62. Je pense qu'il y a quelque chose ici de très triste.

Vous dites dans votre mémoire : «D'entendre la ministre de la Justice et d'autres de ses collègues déclarer devant les journalistes que "le voile, c'est du linge" a quelque chose de profondément choquant.» Moi, je vous dirais que ça m'a profondément attristée, attristée, parce que, et je vous dis pourquoi, je considère que, dans ce projet de loi n° 62, ce projet de loi libéral, la ministre nous l'a bien répété, on n'accepte de voir qu'un signe religieux dans la burqa, le niqab et le tchador. Et ce qui m'attriste, c'est qu'on ne voit pas l'autre côté de la médaille et qu'on refuse d'entendre les citoyens, tout comme vous, tout comme moi, tout comme plusieurs autres personnes, qui disent : Non, Mme la ministre, non, Parti libéral, attention, il y a l'autre interprétation : pour nous, ce n'est pas un signe religieux. Pour nous, c'est un symbole de soumission de la femme, la burqa, le niqab, le tchador. Et il y a beaucoup de gens qui nous le disent, qui nous le disent ici même, au Québec, des Canadiens, des Québécois, et qui nous le disent à l'étranger. Et ce que je trouve triste, c'est qu'on ne voit que le côté de la médaille qui dit : Religieux. Mais c'est aussi un objet de soumission de la femme qui est totalement contraire à nos valeurs, contraire à notre Charte des droits et libertés, contraire à l'égalité hommes-femmes.

Et ce que je trouve triste dans le discours, actuellement, du projet de loi n° 62, c'est qu'on omet toute cette tranche de la population, entre autres plusieurs Maghrébins, des Algériens qui ont quitté l'Algérie dans les années 90 après justement avoir été victimes du joug des islamistes radicaux. Et là j'aimerais vous lire, parce que ça m'a terriblement touchée, un Facebook que j'ai reçu, tout frais, d'une dame... je vais taire son nom complet, mais son prénom... elle s'appelle Radia. Et, oui, c'est une immigrante, mais, pour moi, c'est une Québécoise, c'est une Canadienne, elle vit avec vous, et elle nous dit... et c'est tellement juste ce qu'elle dit, elle voit l'autre côté de la médaille. Et je l'ai entendue. Et il faut les entendre, ces gens qui ont connu quelque chose d'autre et qui nous disent : Attention. Elle nous dit : «Bonjour, Mme la députée. Je vous suis avec passion. Sachez que le p.l. n° 62 ne fait qu'accentuer le fait discriminatoire pour l'embauche des immigrants pour qui la majorité a fui les ténèbres du salafisme wahhabite, dont l'étendard se trouve sur la tête de ces 3 % des femmes qui sont en place dans la fonction publique ici même, au Québec. Je vous souhaite le meilleur dans votre travail, et ne lâchez pas, ne lâchez rien pour votre pays, qui est aussi celui que j'ai choisi pour venir élever ma fille.» Ça, M. le Président, Mme Mailloux, je pense qu'on est sur la même longueur d'onde quand on dit qu'il faut entendre nos concitoyens qui viennent de l'étranger et qui nous disent : Il faut faire attention à quelque chose. Alors, je pense qu'il faut voir ces objets non pas comme du linge, mais également comme ce symbole.

Et, vous le dites à juste titre, vous nous parlez, à l'article 9, du fait que ce visage découvert va surtout être l'éléphant dans la pièce qui va permettre, en permettant l'accommodement, tous ces objets. Et j'aimerais que vous me parliez de l'article 4 rapidement — je sais que j'ai pris un petit peu de temps, mais vous avez la même vision que moi — l'article 4, qui nous parle de la neutralité religieuse de l'État. On exclut la laïcité. Et j'avais moi-même déposé une charte de la laïcité à l'époque. Alors, pourquoi, pour vous, c'est important que le terme «de la laïcité» apparaisse dans une charte en quelque part?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Mailloux.

Mme Mailloux (Louise) : Merci, Mme Roy. Bien, c'est important, parce que, de un, il faut être capable de nommer les choses.

Et, quand on parle de laïcité, ça veut dire qu'on se réfère à une philosophie, la laïcité, et le premier moment de ça, le moment fondateur, c'est que, si on veut une société laïque, il faut d'abord séparer le religieux du politique parce qu'ils ne font pas la même job, si vous voulez. Le politique s'occupe du bien commun, du temporel, alors que le religieux s'occupe du spirituel, du salut de l'âme des gens, bon, etc. Et donc il ne faut pas confondre les deux ordres. Et ça, ça veut dire que, dans les institutions de l'État, les gens, à ce moment-là, se rassemblent sous la citoyenneté, ce sont des citoyens et non pas des catholiques, des Juifs, des musulmans, des bouddhistes, bon, etc., alors que, dans leurs Églises, ils sont ce qu'ils sont. Et avec la séparation... ça veut dire que mon État est neutre, c'est-à-dire qu'il ne favorise aucune religion, et c'est ça qui va permettre... et non pas la charte canadienne ou la québécoise, c'est ça qui va permettre la liberté de conscience. C'est ça qui va permettre aux individus à ce moment-là... S'il n'y a pas de religion d'imposée, ça veut dire que je peux moi-même choisir une religion, ne pas en choisir une, en changer ou y renoncer, et je peux faire ça 24 heures sur 24. Ça, c'est la liberté de conscience, et c'est la laïcité qui nous a donné ça, pas les chartes. Donc, c'est important d'amener ça, parce que ce serait comme, je ne sais pas, moi, parler de la force gravitationnelle sans parler de physique. Ça n'a aucun sens.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Mailloux, représentant le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité, d'être venue déposer en commission aujourd'hui.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais à M. Jocelyn Maclure, professeur à l'Université Laval, de s'avancer.

(Suspension de la séance à 12 h 17)

(Reprise à 12 h 19)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant M. Jocelyn Maclure, professeur à l'Université Laval, de Québec probablement. Et je dis «probablement», puis ne le prenez pas personnel. C'est parce qu'étant un député de Laval... C'est ça.

Vous avez 10 minutes pour faire votre exposé, M. Maclure. Après, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Je vous laisse la parole.

M. Jocelyn Maclure

M. Maclure (Jocelyn) : M. le Président, Mme la ministre de la Justice, Mmes et MM. les députés, je vous remercie de cette invitation à participer aux travaux de cette commission parlementaire. J'ai soumis un bref mémoire expliquant mes positions sur le projet de loi n° 62.

• (12 h 20) •

Comme vous le savez, une des recommandations principales du rapport Bouchard-Taylor était l'adoption d'un livre blanc sur la laïcité puis ensuite, dans un deuxième temps, d'un texte législatif sur la laïcité. J'ai fait partie de la commission Bouchard-Taylor en tant qu'analyste expert et rédacteur, en particulier, des chapitres sur la laïcité, la liberté de religion, les accommodements raisonnables. Dans ce rapport, on a tenté de démontrer que l'idée voulant que le Québec souffre d'un déficit normatif important sur le plan de la régulation de la religion dans l'espace public... que cette idée-là, c'est un mythe, qu'il y a déjà un ensemble de normes qui régulent l'expression du religieux dans les institutions publiques mais que néanmoins il serait utile et pédagogique que l'État québécois dise explicitement et officiellement quelque chose sur la laïcité.

La laïcité au Québec et au Canada, c'est le corollaire, au fond, c'est dérivé de l'engagement de l'État à assurer les droits fondamentaux de tous les citoyens, et en particulier le droit à l'égalité et à la non-discrimination, peu importent nos croyances, nos convictions, puis pour assurer aussi et favoriser l'exercice de la liberté de conscience et de religion de tous les citoyens. Or, si l'État s'identifie à une religion, ou s'il fait la promotion d'une religion, ou aussi s'il est ouvertement hostile aux religions, bien, l'État ne traite pas les citoyens également. Donc, l'État doit être neutre sur ces questions. Personnellement, que le législateur parle de neutralité religieuse de l'État plutôt que de laïcité, ça ne me trouble pas. Le concept de neutralité religieuse de l'État, c'est un des concepts de nature institutionnelle qui permet à l'État d'être laïque. Philosophiquement parlant, si on a besoin de la laïcité, c'est pour que l'État traite tous les citoyens d'abord également, peu importent leur conception du monde, leur conception de ce qu'est une vie bonne, qu'elle soit religieuse ou non, et c'est aussi pour favoriser, comme je le disais, l'exercice de la liberté de conscience et de religion. Puis, pour atteindre ces deux finalités, égalité et liberté de conscience et de religion, l'État doit être neutre par rapport aux religions, hein? Donc, la neutralité religieuse de l'État, c'est un des concepts, un des moyens institutionnels de faire en sorte que l'État soit laïque. On parle aussi de séparation entre État et Église, hein, qui est une autre façon, institutionnellement, de réaliser la laïcité.

Ce que fait le projet de loi. Le projet de loi d'abord formalise ou codifie des normes juridiques déjà effectives, hein, d'abord en rappelant ce qu'est l'accommodement raisonnable, à quelles conditions il faut offrir des mesures d'accommodement. Il rappelle aussi la notion qui vient limiter cette obligation juridique d'accommodement raisonnable, donc, la notion de contrainte excessive, hein, et les différents critères qui constituent la contrainte excessive puis qui nous permettent de déterminer si une demande est raisonnable ou non. Donc, le projet de loi vient codifier des normes existantes.

Le projet de loi vient aussi ajouter des nouvelles normes juridiques. La principale est, sans aucun doute, celle contenue dans l'article 9, hein, la norme du visage découvert dans les interactions entre les employés des organisations publiques et les citoyens. Considérant que le voile intégral entrave l'identification, évidemment, des personnes et rend beaucoup plus difficile la communication entre un employé d'une organisation publique et un citoyen, la norme du visage découvert semble, a priori, raisonnable. Ça fait partie, hein, des critères de la contrainte excessive, hein, cette idée qu'on doit pouvoir identifier les gens et que la communication doit être possible. L'article précise, avec raison, cela dit, que le principe de l'accommodement raisonnable s'applique aussi à cette norme du visage découvert. Donc, il peut y avoir des circonstances où une exemption à cette règle du visage découvert, donc, soit nécessaire, hein, comme l'obligation juridique d'accommodement raisonnable s'applique par rapport à toutes les normes d'application générale qui pourraient poser problème lorsqu'on les applique de façon, disons, aveugle.

Je pense qu'il serait peut-être important d'ajouter que la règle du visage découvert ne doit pas empêcher l'intervention d'un professionnel dans les cas d'urgence, hein, qu'il s'agisse donc de professionnels de la santé, de policiers, de pompiers, et ainsi de suite. Il ne faut pas commencer à négocier : Bon, la personne a le vissage couvert, est-ce que j'interviens ou pas? Dans les cas d'urgence, évidemment, on ne discute pas de la possibilité d'un accommodement, il faut intervenir. Donc, ce serait à vérifier, donc, si un ajout serait nécessaire de ce côté-là.

Ensuite, sur le plan des nouvelles règles, hein, qui sont énoncées par le projet de loi, l'article 16 interdit le prosélytisme et la ségrégation sur la base de la religion dans les services de garde subventionnés, ce qui me semble essentiel, alors que l'article 11 trace les grandes lignes d'un cadre qui permet aux institutions de se doter d'une politique de gestion des congés religieux. Peut-être qu'éventuellement une politique devrait venir aussi avec ce projet de loi pour aider davantage, entre autres, les écoles à gérer ces demandes de congé religieux. Mais l'article 11 trace les grandes lignes des éléments à prendre en considération.

Une des vertus du projet de loi réside dans ce qu'il ne fait pas. Je pense en particulier à cette possibilité, hein, cette position défendue par plusieurs, donc, d'interdire le port de signes religieux visibles chez les employés d'organisations publiques au nom, à mon sens, d'une conception erronée de la neutralité religieuse de l'État. La neutralité religieuse de l'État, ça implique qu'un employé de l'État ou d'une organisation publique ne fasse pas la promotion de la religion pendant qu'il est en fonction, que son jugement professionnel ne découle pas de ses convictions religieuses. Or, il est tout à fait possible, hein, de faire preuve de neutralité et d'impartialité dans l'exercice de ses fonctions tout en portant un signe religieux visible. Hein, porter un signe religieux visible, ce n'est pas en soi du prosélytisme, puis qu'on porte un signe religieux visible, ça ne veut pas dire qu'on va faire passer nos croyances religieuses avant notre fonction professionnelle.

Donc, il faut accorder une présomption de neutralité à ces agents de l'État qui portent un signe religieux visible tout comme on le fait en ce qui concerne les personnes qui peuvent avoir des convictions morales ou religieuses très fortes sans porter pour autant un signe religieux visible, hein? C'est tout à fait possible d'être, par exemple, un chrétien très orthodoxe sans porter un signe religieux visible. On accorde une présomption de neutralité à cette personne-là, heureusement, mais il faut faire la même chose en ce qui concerne ceux et celles qui portent des signes religieux visibles. On doit accorder cette présomption de neutralité et d'impartialité à tous et vérifier dans les actes, dans leur conduite professionnelle comment ils se comportent, hein? Donc, je suis heureux qu'il n'y ait pas d'interdiction, même limitée, sur le plan du port de signes religieux visibles pour ces employés.

Une chose qui n'est pas dans le projet... mais, si on adopte ce projet de loi, je pense qu'éventuellement il va falloir réfléchir à déplacer le crucifix à l'Assemblée nationale, hein? Si on se dote d'une loi sur la neutralité religieuse de l'État, c'est difficilement compatible avec l'idée qu'il y a un crucifix, un symbole religieux, au-dessus de la tête du siège du président de l'Assemblée nationale, hein? Donc, c'est un geste qui devrait suivre. Je suppose que certains pourraient invoquer l'article 13, sur le respect du patrimoine, pour dire qu'il devrait rester là, mais je vous inviterais à relire le rapport Bouchard-Taylor sur cette question, en disant que, oui, il faut respecter le patrimoine culturel et religieux, mais on ne doit pas défendre une forme d'identification de l'État envers une religion sous l'idée donc qu'il s'agirait, donc, tout simplement d'un symbole patrimonial, hein? Donc, c'est un geste qui devrait probablement suivre l'adoption de ce projet de loi.

L'omission des municipalités dans le projet de loi, c'est aussi quelque chose que je trouve difficile à expliquer, sachant que la norme de neutralité religieuse de l'État et l'obligation d'accommodement raisonnable s'appliquent à toutes les organisations puis les organisations publiques en particulier. Dans les faits et dans le droit, les institutions municipales, donc, ne pourraient pas être exemptées de ces règles, évidemment. Donc, ça, c'est une absence qui mériterait d'être interrogée.

En conclusion, je sais que certains considèrent que le projet de loi n° 62 ne va pas assez loin. J'ai dit pourquoi je ne suis pas d'accord avec cette évaluation, sauf s'il est question de crucifix à l'Assemblée nationale ou des municipalités. Cela étant dit, il me semble que, les parlementaires qui considèrent que le projet de loi, au fond, est insuffisamment contraignant, qu'il ne va pas assez loin, de leur propre point de vue, hein, si on considère que ce projet de loi ne va pas assez loin, on devrait quand même, de ce point de vue là, le soutenir quand même en se disant : C'est quand même un pas dans la bonne direction, étant donné que l'État énonce le principe de neutralité religieuse de l'État. Donc, même du point de vue de celui qui trouve que ça ne va pas assez loin, ça reste un pas dans la bonne direction, puis il sera toujours possible pour ces personnes, hein, de défendre dans une phase ultérieure de notre débat l'ajout de nouvelles contraintes, de nouvelles régulations par rapport à l'expression de la religion dans l'espace public, hein?

Donc, même si on pense que ça ne va pas assez loin, ce qui n'est pas mon cas, il ne faut pas perdre une occasion de faire un pas dans la bonne direction sur le plan de la consolidation du modèle de laïcité propre au Québec. Merci.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Maclure. Maintenant, on va commencer la période d'échange avec Mme la ministre et députée de Gatineau. La parole est à vous pour votre bloc d'échange.

• (12 h 30) •

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Alors, M. Maclure, merci beaucoup de votre présentation, et votre présence, et votre participation à nos travaux et à notre réflexion.

J'aimerais vous entendre, puisque certains des groupes et des intervenants qui se sont présentés au cours des dernières semaines nous ont suggéré de bonifier le projet de loi en y incluant une définition de ce qui était entendu par «neutralité».

Et, bon, il y en a un certain nombre, là, qui nous ont fait part d'une interprétation de la neutralité qui était différente de celle souhaitée par le projet de loi, c'est-à-dire que, pour certains, la neutralité était l'équivalence d'une forme d'assurance qu'il n'y aurait, dans l'espace public, à l'intérieur des services publics, aucune expression d'appartenance ou de non-appartenance à une religion.

Est-ce que vous croyez... je prends bonne note de vos commentaires, mais est-ce que vous croyez qu'il serait important de prévoir à l'intérieur du projet de loi une définition, bien que ce soit peu commun dans le processus législatif, de ce qui est entendu par «neutralité» à l'intérieur du projet de loi?

M. Maclure (Jocelyn) : Merci de votre question. La neutralité religieuse de l'État, hein, la définition la plus courante, puis il me semble qu'elle apparaît même dans le projet de loi, mais c'est le cas dans la jurisprudence, bien, c'est l'idée que l'État ne va ni favoriser ni défavoriser les religions, donc qu'il ne prendra pas parti ni de façon positive ni de façon négative, hein? Donc, la neutralité, c'est ça, c'est : au fond, lorsqu'on est neutre, on demeure, au fond, agnostique, hein, on ne prend pas position. Donc, il me semblait que c'était en quelque part dans le projet de loi. Si ce n'est pas le cas, bon, une définition aussi minimale pourrait être ajoutée. Mais il ne faut pas en faire dire trop non plus à la neutralité religieuse de l'État.

Donc, on peut après ça chercher à réfléchir à : Est-ce que la neutralité religieuse de l'État exige qu'il n'y ait pas de signe d'appartenance religieuse dans les institutions publiques? Donc, moi, je considère que ça, c'est une mauvaise compréhension de ce qu'est la neutralité religieuse de l'État, je l'ai dit, parce qu'on focalise souvent sur, disons, les moyens institutionnels de la laïcité, à savoir la séparation et la neutralité, mais, si on a besoin de ces formes institutionnelles, c'est pour protéger, d'un côté, l'égalité et, de l'autre, la liberté de conscience et de religion, hein? C'était une des propositions du rapport Bouchard-Taylor. Donc, notre conception de la neutralité religieuse de l'État ne doit pas être attentatoire à un de ces principes, en particulier la liberté de religion et le droit d'exercer aussi cette liberté de religion.

Je comprends qu'il y a un débat plus difficile, hein, puis un vrai débat sur : Qu'est-ce que ça exige des agents de l'État? Donc, moi, je fais partie de ceux qui considèrent que, pour respecter le principe de neutralité religieuse de l'État, un fonctionnaire ou un employé dans une organisation publique peut très bien avoir un signe qui témoigne de son appartenance religieuse tout en demeurant neutre dans sa conduite professionnelle, hein, c'est parfaitement possible. Donc, pour moi, la neutralité religieuse de l'État n'implique pas que les agents, au fond, ils n'aient pas de signe de leur appartenance religieuse. L'important, c'est qu'ils respectent leurs normes professionnelles et qu'ils soient impartiaux dans leur conduite professionnelle.

Mme Vallée : Vous recommandez d'assujettir les municipalités au projet de loi. Je vous dirais, et je l'avais expliqué, l'objectif initial de ne pas avoir assujetti les municipalités, c'était de reconnaître l'autonomie des municipalités. Les municipalités demandent à recevoir plus d'autonomie. Et donc, en considération de cette reconnaissance-là, nous avions jugé qu'il n'était pas opportun de les assujettir au projet de loi.

Maintenant, est-ce que vous ne croyez pas que de les assujettir viendrait, d'une certaine façon, empiéter sur cette autonomie qu'est la leur?

M. Maclure (Jocelyn) : Oui, ça empiète sur leur autonomie, mais je pense que c'est nécessaire de le faire. Toutes les institutions publiques doivent respecter ce principe de neutralité religieuse de l'État pour traiter tous les citoyens également, hein? Puis, dans une société pluraliste, il y a des gens qui croient et il y a des gens qui ne croient pas. Les institutions publiques ne doivent pas prendre position. Et, dans le droit, les institutions municipales sont aussi assujetties, hein, d'abord au respect des droits fondamentaux protégés par les chartes, et la neutralité religieuse de l'État est un corollaire de ces droits fondamentaux, qui sont protégés, hein, donc, d'où la défaite, hein, de Saguenay dans l'arrêt Saguenay, parce qu'effectivement d'avoir une prière avant la tenue d'une assemblée d'un conseil de ville, bien, effectivement, ça fait en sorte que l'institution publique vient s'identifier à une conception du monde particulière. Et elle ne doit pas le faire, parce qu'elle doit être neutre. Puis c'est vrai que ça fait que les citoyens athées, ou agnostiques, ou d'autres religions sont traités comme des citoyens de second rang.

Donc, les institutions municipales, tant sur le plan de principes philosophiques que dans le droit, sont assujetties à ces normes, sont assujetties aussi, évidemment, à l'obligation d'accommodement raisonnable, hein? Toutes les normes publiques sont assujetties, hein, à cette obligation d'accommodement raisonnable si on arrive à démontrer que, lorsqu'on l'applique, hein, une forme de discrimination indirecte est créée. Dans le droit, les institutions municipales sont déjà assujetties, en fait. Donc, pour moi, ça ne viendrait que codifier une norme déjà existante.

Mme Vallée : J'aimerais vous entendre davantage sur la prestation de services à visage découvert. On semble, chez certains, voir dans la rédaction de l'article une ouverture et on tente de laisser sous-entendre que dans la fonction publique il pourrait y avoir prestation de services à visage couvert. J'aimerais vous entendre sur cette interprétation, que certaines personnes ont pu avoir, de la rédaction du projet de loi.

M. Maclure (Jocelyn) : Je pense que ça aussi, c'est une question délicate, là, c'est qu'il n'y a pas vraiment de réponse facile et évidente. Personnellement, ça me semble une contrainte qui est raisonnable, qui est justifiable dans une société libre et démocratique, sachant que l'obligation d'accommodement raisonnable donc est délimitée, hein, par cette norme de la contrainte excessive.

Bon. D'abord, dans la prestation d'un service public, il faut pouvoir identifier les personnes. Sur le plan du prestataire, évidemment, le citoyen donc doit pouvoir voir avec qui il transige, puis, les citoyens, bien, il faut pouvoir les identifier. Si on est dans une salle de classe, ainsi de suite, en milieu hospitalier, il faut pouvoir communiquer de façon claire. Donc, la norme du visage découvert me semble raisonnable, même si certains vont pouvoir démontrer qu'il y a une certaine atteinte à leur liberté de religion. Pour moi, ça, c'est une atteinte qui est raisonnable dans la majorité des cas.

Ceci étant dit, il y a peut-être des cas où effectivement un accommodement va s'imposer, mais ça, je pense qu'il faut voir au cas par cas. Puis, si je suis à l'aise de défendre cette nouvelle règle, c'est qu'elle vient avec cette possibilité qu'il y ait des accommodements, dans certains cas, qui s'imposent. Mais, comme règle générale, il me semble que c'est justifié dans, vraiment, la majorité des cas auxquels je peux penser. Ça me semble une contrainte qui est raisonnable.

Mme Vallée : Dans vos recommandations que vous nous avez formulées, vous avez mentionné qu'il ne faudrait pas que cette obligation prive de services dans les cas d'urgence, par exemple. Donc, vous faites référence à des cas particuliers.

M. Maclure (Jocelyn) : Bien, je ne sais pas, mais, si on est un travailleur social ou si on est un policier, une policière puis on a à intervenir avec quelqu'un qui porte un niqab ou une burqa, mais s'il y a vraiment situation d'urgence, il faut intervenir, puis après on discutera. Donc, ça, ça me semble impératif, là, lorsqu'il est question de santé, des situations d'urgence, ainsi de suite, parce que, bon, on n'a pas le temps de commencer à discuter pour voir : Est-ce qu'on peut faire une exemption par rapport à la norme du visage découvert? Il faut tout simplement intervenir, puis on discute après. Mais, bon, c'est des cas assez rares, on s'entend, mais évidemment ça paraît clair qu'il faut intervenir d'abord puis qu'on discutera ensuite.

Mme Vallée : Vous avez utilisé le terme... bien, en fait, vous avez dit que vous n'étiez pas favorable au compromis Bouchard-Taylor... ou vous utilisiez dans votre mémoire que l'on faisait référence à tort au compromis Bouchard-Taylor. Alors, j'aimerais, peut-être, que vous puissiez élaborer davantage sur cette question.

• (12 h 40) •

M. Maclure (Jocelyn) : En fait, ce que je voulais dire, ce n'est pas qu'on s'y réfère à tort, parce qu'il y a une véritable position qui a été prise par la commission Bouchard-Taylor, c'est-à-dire donc une interdiction très limitée sur le plan du port de signes religieux visibles, hein, qui couvre une petite gamme de postes, donc, ceux qui incarnent au plus haut point, hein, l'autorité de l'État et son pouvoir coercitif. Ce sur quoi je voulais attirer votre attention en disant que ce compromis... parce qu'on le présente comme si c'était un consensus puis la commission avait vraiment fait une recommandation très forte.

Si on se réfère au passage du rapport Bouchard-Taylor où il est mention de ce compromis, on voit que son statut est quand même plus fragile que ce qu'on l'entend dans le débat public aujourd'hui, hein, puis je m'en souviens bien parce que j'avais rédigé la première version de ça. Donc, je cite le rapport Bouchard-Taylor : «Telle est notre conclusion — donc, sur l'interdiction limitée. Nous admettons que l'on peut y arriver en suivant différents types d'argumentation. Par exemple, on peut considérer que cette proposition est la plus appropriée dans le contexte actuel de la société québécoise, étant bien entendu que ce contexte peut changer [dans] le temps — donc, c'est la première voie, là, on est en 2007-2008. Ou alors — c'est la deuxième voie — on peut également soutenir que la proposition revêt un caractère plus permanent qui déborde le contexte actuel dans la mesure où elle incarne le principe de la séparation de l'État et des Églises. Nous n'avons pas à trancher ce débat, puisque les deux argumentaires conduisent à la même conclusion.»

Mais la première voie donc nous dit qu'il y a là un compromis plus contextuel, hein, puis que ça pourrait changer dans le temps, alors que l'autre en fait plus une question de principe. Personnellement, je n'ai jamais soutenu ni la voie un ni la voie deux, mais je suis plus à l'aise avec la voie un, disant qu'il y avait là un jugement très contextuel dans un contexte particulier et que, le contexte pouvant évoluer, l'interdiction pourrait ne plus être nécessaire, parce qu'elle s'attaque à des droits fondamentaux.

Le Président (M. Merlini) : Deux minutes.

Mme Vallée : D'accord. Une dernière petite question. On a eu beaucoup de témoignages à l'effet qu'il y aurait lieu de mettre en place différents guides d'accompagnement, si le projet de loi devait être adopté, afin de permettre aux intervenants de certains milieux de bien comprendre la portée. Il existe actuellement un guide qui a été préparé par la commission des droits de la personne et de la jeunesse qui semble peu utilisé et peu connu.

Comment verriez-vous ce type d'accompagnement? Est-ce que vous croyez qu'il est opportun d'accompagner notre milieu scolaire, nos services de garde, nos différents ministères de guides pour l'application du projet de loi ou croyez-vous que le projet de loi en soi serait suffisant?

M. Maclure (Jocelyn) : Le projet de loi n'est pas suffisant en lui-même, parce qu'il rappelle et énonce des normes d'application générale, mais une des grandes difficultés, c'est le jugement contextuel, hein : dans des milieux particuliers, avec des clientèles particulières, avec des contraintes, hein, de différents ordres, comment on arrive à déterminer si un accommodement est raisonnable ou non. Donc, ça, on a besoin de faire le passage du général au particulier. Ça, on ne peut pas le faire dans un projet de loi. Aristote l'avait déjà compris, hein, il faut que le décideur, hein, sur le terrain ait une certaine sagesse pratique, qu'il connaisse les règles générales mais qu'il les adapte aussi à son milieu, hein? Donc, c'est ce qu'on avait proposé dans un des chapitres du rapport Bouchard-Taylor, un des chapitres qui n'a presque pas été discuté.

Mais une des recommandations, c'est que chaque milieu se dote de son propre modèle d'aménagement, au fond, des demandes d'accommodement et d'ajustement concerté, puis pour ça, effectivement, le législateur pourrait aller plus loin soit en adoptant des guides ou des politiques qui viendraient, au fond, préciser, bon, les balises. En milieu scolaire, il y a des balises qui s'ajoutent. Puis, effectivement, les gestionnaires, qui ont beaucoup de choses à gérer souvent avec des ressources limitées, donc, souvent en ont plein les bras, puis je pense qu'ils ont besoin d'accompagnement là-dedans. Mais l'objectif, c'est que les milieux institutionnels se dotent de mécanismes de prise en charge, hein, par la base, de ces demandes. Hein, dans des sociétés diversifiées, c'est essentiel que les institutions le fassent. Puis je pense que, dans plusieurs cas, effectivement, le législateur pourrait aller plus loin et adopter soit des politiques ou des guides qui permettraient vraiment d'adapter les normes générales à des contextes particuliers.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Maclure. Ça termine ce bloc d'échange avec la ministre. À l'opposition officielle, maintenant, et la députée de Taschereau. À vous, avec votre bloc d'échange.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Maclure, bienvenue à cette commission parlementaire. Merci pour votre opinion.

D'abord, une des premières phrases de votre mémoire m'a étonnée, puis je me suis demandé : Ah! peut-être qu'il y a quelque chose là. Deuxième phrase : «Elle rappelait que, si l'État québécois est, de facto et de jure, laïque...» Mais ce n'est écrit nulle part que l'État québécois est laïque. Ce n'est que de la jurisprudence. En quoi vous pouvez affirmer que l'État québécois est, de jure, laïque?

M. Maclure (Jocelyn) : Parce que la jurisprudence fait partie du droit positif. Donc, dans l'état de notre droit, la laïcité ou la neutralité religieuse de l'État sont déjà reconnues, et la jurisprudence fait partie du droit positif, auquel on doit tous se plier, donc de jure l'État québécois est déjà laïque. Et il y a plusieurs décisions politiques qui ont fait en sorte que l'État québécois s'est laïcisé aussi, hein, lorsqu'on a déconfessionnalisé les structures scolaires par exemple.

Mme Maltais : ...minutes, je vais avoir quelques questions à vous poser. Les accommodements raisonnables aussi sont codifiés par la jurisprudence. Pourtant, on ressent le besoin de l'inscrire dans cette loi. On l'avait fait, nous, dans le projet de loi n° 60. Là, maintenant, c'est dans le projet de loi n° 62. On sent le besoin de dire que les accommodements raisonnables ou que les services éducatifs à l'enfance doivent avoir des balises. Pourtant, il y a des gens qui nous disent : C'est déjà dans la jurisprudence.

Alors, ce qui m'a éveillée dans votre phrase, c'est que ça m'a fait : Bien, tiens! c'est dans la jurisprudence, pourquoi est-ce qu'on ne l'inscrirait pas? Est-ce qu'il n'est pas temps de l'inscrire dans une loi? Qu'est-ce que vous pensez de ça?

M. Maclure (Jocelyn) : Oui. Bien, c'est pour ça que je trouve que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction, c'est-à-dire que, là, la norme de l'accommodement raisonnable est rappelée.

Mme Maltais : «La laïcité», est-ce qu'il n'est pas le temps de l'inscrire?

M. Maclure (Jocelyn) : La laïcité.

Mme Maltais : Puisque vous dites que la jurisprudence dit que l'État est laïque, est-ce qu'il ne serait pas le temps de l'inscrire dans une loi?

M. Maclure (Jocelyn) : Écoutez, si on décidait de parler de laïcité plutôt que de neutralité religieuse de l'État, je serais très à l'aise avec ça. Puis effectivement c'est le concept général qui regroupe, hein, l'idée de la séparation, l'idée de la neutralité au service des grands principes dont j'ai parlé, d'égalité, de liberté de conscience, de religion, donc je serais tout à fait à l'aise avec ça, mais ça ne me trouble pas non plus qu'on choisisse de parler de neutralité religieuse de l'État.

Mme Maltais : Merci. Je veux dire aussi que je vous remercie d'avoir souligné que les municipalités devraient être incluses, c'est une des choses qu'on avait soulignées, entre autres, dans les remarques préliminaires, puis on l'a oubliée au fil des auditions qu'on a eues. Et c'est la première fois que quelqu'un vient nous rappeler cela : les municipalités, normalement, devraient être dans cette loi-là. Je suis sûre qu'on va avoir des échanges là-dessus soit pendant l'adoption du principe soit pendant la commission parlementaire, mais effectivement vous nous soulevez ça, qui, pour moi, est important

Mais après vous dites quelque chose qui m'étonne : «Les agents de l'État doivent être jugés en fonction de leur conduite professionnelle et non de leur apparence.» Et, en cela, vous vous mettez en porte-à-faux avec le rapport Bouchard-Taylor. Vous avez été un des spécialistes de Bouchard-Taylor, mais les agents de l'État, dans le sens des agents, juges... les agents qui sont visés dans le rapport Bouchard-Taylor, juges, agents correctionnels et les policiers, ils ont un statut spécial. Alors, le fait de penser qu'ils puissent être tellement de conviction religieuse profonde qu'ils ressentent le besoin de briser le code étatique qui est qu'un costume, pour ces gens-là, il est clair... il doit y avoir le même costume... le simple fait de demander de porter sa conviction religieuse de façon visible m'amène à penser que la personne a des convictions très profondes qui pourraient influencer son jugement. C'est un peu l'esprit dans lequel on était.

M. Maclure (Jocelyn) : Bien, comme je vous dis, il y avait deux motifs très différents qui ont été évoqués, mais moi, je pense qu'on est très proche du procès d'intention à l'endroit de ces personnes lorsqu'on dit ça, hein, parce que je pense que, dans l'esprit d'une personne très croyante qui considère avoir un devoir de porter un signe religieux particulier, il est tout à fait possible de respecter cette conviction, qui est de nature religieuse, et d'exécuter les tâches, hein, qu'elle doit exécuter en tant que professionnelle. Je ne pense pas qu'il y ait de conflit de normes ou de valeurs nécessaire entre les deux.

D'ailleurs, donc, comme vous le savez, dans la police montée au Canada, on sait qu'un accommodement a été permis, hein, voilà plusieurs années sans que cela pose véritablement de problème. Donc, je pense que c'est possible. Par exemple, si on prend le cas des juges, un juge qui se sent en conflit d'intérêts a un devoir de se récuser, hein, ça fait partie de ses obligations déontologiques d'évaluer par lui-même... S'il n'est pas en mesure d'arbitrer de façon impartiale le désaccord, il doit se récuser.

Mme Maltais : ...on n'accepterait pas qu'un avocat arrive en jean sale et en tee-shirt à... pourquoi on accepterait qu'il y ait aussi un vêtement qui ne soit pas conforme à ce que l'État demande?

Est-ce qu'il n'y a pas l'apparence de conflit d'intérêts? Or, l'apparence de conflit d'intérêts est tout aussi importante dans notre société de droit que le conflit d'intérêts. Vous comprenez, c'est la réaction. Je comprends qu'il y a la personne qui croit, mais, de l'autre côté, il y a la personne qui reçoit le service, qui reçoit des messages. C'est là-dessus que Bouchard-Taylor avait tranché. Ça fait que je suis très étonnée de voir que vous vous distanciez de ça, d'autant que vous ajoutez en page 7 : «Ensuite, qui prétend devoir porter un chandail sur lequel un slogan politique est imprimé ou une épinglette politique de façon permanente en public?» Vous seriez étonné.

Vous avez là un commentaire, pour moi, qui déborde, je vous dirais, la qualité du reste de votre mémoire. Là, vous avez un commentaire sur les personnes qui ont des convictions politiques profondes et qui, certains jours ou de façon permanente, porteraient des slogans politiques mais qui font : Non, quand je suis fonctionnaire de l'État, je dois le faire. Je suis étonnée. Le reste de votre mémoire est assez solide, on peut en prendre... mais là je trouve qu'on tombe dans quelque chose de différent.

• (12 h 50) •

M. Maclure (Jocelyn) : La norme, l'idée qu'il y ait un certain décorum s'applique aussi aux personnes qui portent un signe religieux visible, hein? S'ils ont ce droit, c'est que ça découle d'un droit fondamental protégé par les chartes, hein, la liberté de conscience et de religion.

Mme Maltais : Ce n'est pas un droit sur le vêtement.

M. Maclure (Jocelyn) : Sur le passage en question, hein, qui est tiré d'un extrait du mémoire que 60 chercheurs qui travaillent sur ces questions avaient présenté pendant la commission parlementaire sur le projet de loi n° 60, mais, comme la commission avait été interrompue, on n'avait pas pu témoigner, c'est pour s'en prendre à une idée qui trace une analogie entre les signes politiques et les signes religieux, puis on pense que l'analogie ne tient pas. Puis, sur le plan de l'expression de nos convictions politiques, hein, on a différents droits politiques, on a la liberté d'expression.

Le législateur a décidé, à côté de ça, aussi de protéger la liberté de conscience et de religion et son exercice, puis le port de signes religieux visibles, donc, est couvert par la liberté de religion, mais, à chaque fois qu'on fait cette analogie, une épinglette, tout ça, c'est toujours pour s'opposer au port de signes religieux, mais il n'y a jamais personne qui fait une revendication... qu'on connaisse, là, qu'on ait entendu, disant : Oui, je veux porter une épinglette politique pendant que je suis au travail, mais de...

Mme Maltais : M. Maclure, ils ne le font pas, parce que c'est déjà convenu. L'État a déjà convenu de ça, alors les gens ne vont pas contre l'État. Mais enfin, là, on n'est pas dans toute la fonction publique, mais là il y a une convention qui a été établie par l'État, que les gens respectent. Mais une conviction politique est tout aussi profonde qu'une conviction religieuse. Chez des gens comme moi, par exemple, puis chez des militants que je connais, c'est des convictions extrêmement profondes. On ne doit pas juger de ça.

M. Maclure (Jocelyn) : Vous avez raison sur la profondeur.

Mme Maltais : Mais pourtant on applique un code.

Le Président (M. Merlini) : Merci, Mme la députée de Taschereau, M. Maclure. On va passer maintenant au deuxième groupe d'opposition et à la députée de Montarville pour son bloc d'échange.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Maclure. Merci pour votre mémoire. Je le lis avec beaucoup d'intérêt. Vous avez répondu déjà à une des questions qui étaient importantes, pour moi : y inclure le mot «laïcité», parler de laïcité mais que ce soit écrit. Je comprends le concept que c'est dans notre droit, mais ce n'est pas édicté dans une loi. Vous n'êtes pas contre, donc ça, je trouve ça intéressant. On est sur la même longueur d'onde là-dessus.

Vous dites quelque chose, là, que j'aimerais que vous m'expliquiez, parce que j'ai besoin de vos lumières. Vous nous dites, à la page 3 : «...il est tout à fait possible de porter un signe religieux qui témoigne de notre foi sans faire de prosélytisme et sans que cela n'affecte notre jugement professionnel. Nous reconnaissons d'ailleurs cette présomption de neutralité aux agents de l'État...» Un petit peu plus bas : «[Le] projet de loi n° 62 [devrait] logiquement mener au retrait du crucifix au salon bleu de l'Assemblée nationale. Même si son effet est purement symbolique, la présence du crucifix à la Chambre des représentants suggère — donc, il y a un effet ici, là — qu'il y a un lien entre le pouvoir législatif et la religion chrétienne...»

Alors, ma question : Pourquoi un signe religieux, en l'occurrence ici une grosse croix, suggère quelque chose à un endroit, mais ailleurs la même croix bénéficierait d'une présomption de neutralité parce que dans le cou d'un employé de l'État? J'aimerais que vous m'expliquiez ça.

M. Maclure (Jocelyn) : Oui. C'est une bonne question. Dans le cas de la croix au salon bleu, c'est l'institution qui parle, c'est un symbole qui représente l'institution. L'institution n'a pas de droit, contrairement aux personnes, aux citoyens, hein, qui, eux, ont des droits fondamentaux. Donc, en choisissant de mettre une croix, là on dit quelque chose sur l'institution, qui vient s'identifier symboliquement à la religion chrétienne, puis ça, ce n'est pas compatible avec la laïcité, avec la séparation, avec la neutralité, peu importe le concept qu'on veut utiliser. Même si aujourd'hui on sait bien que vous, comme parlementaire, vous ne vous dites pas : Bon, j'ai des comptes à rendre ou je tire mes croyances de cette religion, symboliquement, ça envoie le message qu'il y a un lien intrinsèque entre le pouvoir législatif et la religion de la majorité, puis ça, ce n'est pas compatible avec le principe de neutralité.

Lorsqu'il est question des agents de l'État, de ceux qui y travaillent, donc, eux, ce sont des professionnels, ce sont aussi des personnes, des citoyens qui ont des droits, puis l'idée, c'est : Comment on concilie les différentes obligations et ces différentes logiques, hein, d'une personne qui a des droits fondamentaux et qui a aussi un rôle professionnel qui vient avec des responsabilités, puis un devoir de réserve, puis ainsi de suite, hein? Et puis je pense que, dans ce cas-là, une personne qui porte un signe religieux qui témoigne de sa foi est parfaitement capable de continuer à respecter les exigences, hein, de son poste et sa déontologie, et ainsi de suite. Donc, ce n'est pas nécessaire de venir restreindre sa liberté de religion pour assurer la neutralité religieuse de l'État. On est capable de le faire sans restreindre ses droits.

Mme Roy : Je comprends que vous me dites que l'État n'a pas de religion, dans un cas c'est l'État, dans l'autre c'est une personne, mais moi, je ne vous parle ni de la personne ni de l'État, moi, je vous parle du signe.

La grosse croix, ça reste la grosse croix, peu importe où on la met. Vous nous dites : Elle suggère quelque chose, c'est un symbole, ça représente quelque chose. Alors, moi, ce que je vous dis, c'est : Dans quelle mesure peut-on permettre le port de signes religieux, alors qu'on comprend qu'un signe, peu importe où il se trouve, il signifie quelque chose? Pourquoi serait-il acceptable chez les fonctionnaires de l'État qui sont justement en lien avec d'autres personnes? Et comment se fait-il que ce signe, qui représente, qui symbolise, qui envoie un message, ne l'enverrait pas dans le cou d'un fonctionnaire? Et là je ne mets pas en doute la qualité de son travail. Donc, comment le justifier?

M. Maclure (Jocelyn) : Parce que dans un cas c'est...

Le Président (M. Merlini) : M. Maclure, 1 min 30 s.

M. Maclure (Jocelyn) : ... — oui, d'accord — dans un cas, c'est l'État qui parle. On pourrait ne pas mettre de crucifix là, hein? Quand Duplessis a décidé de le mettre à un moment donné, ça aurait pu ne pas être le cas. Un fonctionnaire, c'est une personne, c'est une personne qui a aussi une identité morale, un système de croyances et des droits, et donc ça représente quelque chose sur elle.

Sur le sens des symboles, vous avez raison, mais les symboles ont des sens, hein, puis il y a toute une polyphonie, hein, de sens, mais, dans le cas du crucifix, vous savez, vous êtes représentante en matière de laïcité, hein, c'est très souvent des citoyens qui ne sont pas issus de l'immigration ou qui n'appartiennent pas à des groupes minoritaires religieux qui contestent la présence de ces symboles, hein, mais des gens qui s'associent à une certaine conception de la laïcité, au Mouvement laïque québécois, ainsi de suite. C'est souvent ceux qui sont des athées, qui veulent qu'il y ait une séparation très marquée entre l'Église et l'État, qui revendiquent le retrait de ces symboles, puis eux aussi, me semble-t-il, ont un bon argument, là.

Mme Roy : J'ai très, très peu de temps, mais vous allez convenir avec moi qu'un signe, qu'un symbole envoie un message.

M. Maclure (Jocelyn) : Oui, il envoie un message qui peut être interprété de toutes sortes de façons différentes, hein? Je vous invite à voir les études sur quel est le sens que les femmes musulmanes donnent au hidjab, puis, toutes les études sont unanimes, il y a une multitude de sens, de raisons qui justifient pourquoi une femme porterait le hidjab, si bien qu'on ne peut pas tout simplement dire : C'est un symbole d'oppression. Peut-être que nous, on peut le penser si on veut, mais, du point de vue de la personne qui le porte, hein, il peut y avoir d'autres raisons de porter un hidjab.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Maclure.

Mme Roy : Merci.

Le Président (M. Merlini) : Ça termine ce bloc d'échange. Je vous remercie, M. Maclure, pour votre contribution à nos travaux sur le projet de loi n° 62.

La commission ajourne ses travaux...

Le Secrétaire : Suspend.

Le Président (M. Merlini) : ...pardon, suspend ses travaux jusqu'à 15 heures — merci, M. le secrétaire — où elle poursuivra son mandat. Merci, et bon appétit.

(Suspension de la séance à 12 h 58)

(Reprise à 15 h 7)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

Nous entendrons, cet après-midi, la Confédération des syndicats nationaux, Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke, et le Rassemblement pour la laïcité. Oui, c'est ça. Donc, notre premier groupe, c'est la Confédération des syndicats nationaux. Mme Francine Lévesque est sa vice-présidente. Bonjour, mesdames. Vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne et vous avez 10 minutes pour la présentation de votre mémoire — je pense que vous connaissez les us et coutumes de la maison — et après il y aura une période de discussion avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Mme Lévesque, à vous la parole.

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Mme Lévesque (Francine) : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, je suis accompagnée d'Anne Pineau, qui est adjointe au comité exécutif de la CSN.

Or, bien, merci de nous permettre de vous présenter ici aujourd'hui les positions de la CSN à l'égard du projet de loi n° 62. C'est un projet de loi qui nous intéresse au plus haut point, étant donné que, comme organisation syndicale, évidemment, nous sommes très présents particulièrement dans le secteur public, mais également parce que nous sommes très préoccupés de cette question-là importante pour le développement du vivre-ensemble dans notre société québécoise et par rapport aux différentes questions auxquelles on est confrontés et en lien avec les questions éthiques, les questions de... c'est ça, du vivre-ensemble.

Donc, ça nous intéresse en particulier, également, ces questions-là, depuis le tout début, où le gouvernement de M. Charest avait mis en place la commission Bouchard-Taylor. Et on a été, dès ce moment-là, je dirais, impliqués dans les consultations. Nous l'avons été également à chaque fois que les gouvernements précédents ont déposé des projets de loi. Et évidemment celui-ci, bien, on l'espère, pourra permettre qu'on puisse faire avancer un peu plus la discussion, puisque ça fait 10 ans qu'on en parle puis qu'on n'a pas encore été, au moment où on se parle, en mesure d'adopter une position... Bien, on en a adopté une en 2010, là, mais elle n'allait pas très loin. Or, on pense que ce serait intéressant, cette fois-ci, qu'on puisse quand même tabler sur un acquis et poursuivre les réflexions, poursuivre les discussions dans notre société pour faire avancer les questions relatives à l'encadrement, bon, des accommodements et de la neutralité.

• (15 h 10) •

Or, depuis 2007, donc, que nous intervenons sur ces questions, je vous dirais que nos positions n'ont pas vraiment changé. On était assez attachés aux conclusions de la commission Bouchard-Taylor et, à cet égard-là, je dirais, depuis 10 ans, nous réitérons à toutes les tribunes où nous sommes en mesure de nous faire entendre que nous apprécierions qu'on puisse effectivement enchâsser dans une loi, dans une charte en l'occurrence, l'idée de la laïcité de l'État québécois. Et on était préoccupés par cette question-là, parce qu'on trouve premièrement qu'elle est beaucoup plus large que la question de la neutralité religieuse et, en fait, elle englobe cette question-là et elle en englobe d'autres également liées au fait, par exemple, qu'on reconnaît la liberté de conscience, la liberté de religion, la séparation de l'Église et de l'État. Donc, la neutralité de l'État est, à notre point de vue, inscrite dans cette idée-là de la laïcité.

Donc, on pense que ce serait intéressant que, dans la loi, si on pouvait inclure cette vision-là, ce mot-là dans la loi, bien, ça pourrait, à ce moment-là, assurer d'une certaine façon que partout au Québec cette loi-là puisse avoir une certaine forme de préséance. Et, si ça permet de glisser immédiatement, également, sur d'autres niveaux de gouvernement, bien, ça nous permettrait aussi d'assurer que l'ensemble des municipalités, par exemple, se trouvent aussi régies par cette obligation-là de respecter la laïcité, alors qu'au moment où on se parle elles sont exclues du champ d'application de la loi qui est à l'étude au moment où on se parle.

J'aborderais maintenant la question, je pense, qui ne fait pas vraiment de complications, ce sur quoi on s'entend facilement, l'idée de pouvoir ne pas porter... c'est-à-dire, de travailler, d'agir, en tant que porte-parole de l'État, à visage découvert. Je pense que c'est une notion qui rallie facilement l'ensemble des opinions exprimées devant cette commission, mais également il y a toute la question liée au port des signes religieux, où nous, on pense qu'il faut aller un peu plus loin, puisque cette question-là n'est pas vraiment abordée dans le projet de loi. Mais nous, on pense que c'est important que les magistrats de l'État, c'est important que les gens qui travaillent dans le monde de l'éducation, qui travaillent auprès de la petite enfance également, qu'ils soient du secteur public ou même des établissements privés ou qu'ils soient subventionnés de quelque manière que ce soit... mais nous, on pense que ce serait important que, pour l'ensemble de ces groupes-là, compte tenu de leur mission fondamentale... que c'est important qu'ils présentent une image de neutralité et que les gens qui occupent ces fonctions-là, que ce soit à titre de magistrats, tout ça, bien, que ces personnes-là, dans le fond, ne soient pas autorisées à porter des signes religieux, sauf si, au moment où on se parle, actuellement ils ont ce droit acquis là. On l'appellerait comme ça. Vous allez reconnaître là un discours, à proprement parler, syndical, parce que, pour des personnes qui ont commencé à occuper des fonctions dans un contexte où le droit leur permettait de porter leurs signes religieux, bien, pour ces personnes-là, on pense que ça ne devrait pas être une condition d'emploi qui remette en cause leurs emplois, mais ça devrait être très clair au niveau de l'État et au niveau de l'ensemble de ces missions-là que l'idée de présenter la neutralité de l'État, c'est quelque chose qui est fondamental et qui est lié à la fonction de façon intrinsèque.

Donc, sur ces questions-là, on pense que ça, ça serait un signe qui serait très clair à donner également et qui viendrait renforcer l'idée qu'au Québec on ne prend pas position sur ces questions-là, qui demeurent, à toutes fins pratiques, des questions individuelles, de droits individuels.

Ça m'amène à parler du crucifix de l'Assemblée nationale. On pense que, pour ces considérations-là, également le crucifix pourrait très bien jouer son rôle d'image de notre patrimoine mais que pour ça il n'a pas nécessairement besoin de présider aux débats de l'Assemblée nationale.

Donc, on apprécie que ce débat-là soit sur la table au moment où on se parle. On espère qu'on va être en mesure d'avancer. On aurait souhaité aller plus loin que les éléments qui sont inscrits actuellement dans le projet de loi, notamment sur les questions de laïcité, sur les questions des ports de signes religieux, tout ça.

Et je terminerais en vous disant qu'une des questions qui nous préoccupent au plus haut point, c'est surtout le comment on va faire pour porter ensemble une vision de cet État québécois. Or, quels moyens prendrons-nous pour être en mesure d'assurer de la formation, d'assurer de l'éducation, d'assurer que, dans le fond, dans le respect de ce qui nous caractérise au plan de nos valeurs, dans le respect de la langue, dans le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes, bien, on soit en mesure d'évoluer ensemble dans le respect mutuel?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. Merci beaucoup pour votre présentation, qui suscite un certain nombre de questions parce que vous abordez des enjeux qui ont été abordés de façon différente par d'autres groupes mais qui sont fort importants, fort intéressants.

Dans votre mémoire, vous abordez la question de l'application du projet de loi aux municipalités et aux organismes municipaux. C'est un commentaire que l'on a reçu. Bon, je vous dis d'emblée ce que j'avais expliqué, la raison pour laquelle les municipalités ne sont pas ciblées par le projet de loi, c'était pour respecter l'autonomie municipale qui est sollicitée et demandée notamment par l'Union des municipalités. Mais moi, j'aborde ces consultations-là avec ouverture et puis je ne suis pas fermée à ce qu'on ait une certaine réflexion. Donc, j'aimerais vous entendre sur la question des municipalités, et surtout parce que vous ne parlez pas que des municipalités mais vous mentionnez aussi que les organismes municipaux soient également assujettis au projet de loi.

Alors, j'aimerais savoir ce que vous entendez par «organismes municipaux».

Le Président (M. Ouellette) : Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne) : Oui. Merci. Écoutez, on a été assez étonnés de voir qu'effectivement les municipalités n'étaient pas visées par le projet de loi, étonnés, parce que je pense que, s'il y a une organisation ou un type de gouvernement qui a été au coeur de toute la question des accommodements et de la neutralité religieuse, bien, ce sont les municipalités. La décision majeure de la Cour suprême, c'est ville de Saguenay, qui porte et qui définit la neutralité religieuse.

Donc, on se serait attendus qu'un projet de loi sur la neutralité religieuse vise au premier chef les municipalités, ce qui nous apparaît un incontournable, d'autant que, de toute façon, la cour l'a dit, elles sont visées par l'obligation de neutralité religieuse et qu'en tout état de cause la question des obligations d'accommodement en matière religieuse s'applique à elles. Or donc, il y a comme un inexplicable, mais un inexplicable, je vous dirais, qui revient de plus en plus, il nous semble, ces derniers temps. On a la loi sur lanceurs d'alerte qui ne s'applique pas non plus aux municipalités. On a des lois qui prévoient des régimes particuliers pour les municipalités. Alors, ici, on comprend difficilement qu'on exclut les municipalités. Bien, vous avez aussi toute la question des communautés urbaines, les sociétés de transport, les organismes qu'on voit en général, là, tu sais, qui forment une catégorie qui apparaissait, d'ailleurs, je pense, dans le projet de loi n° 60. Donc, les usuels qu'on voit, là, municipalités, corporations, communautés urbaines.

Mme Vallée : Dans le fond, lorsque vous référez aux municipalités et organismes municipaux, vous référez un peu à ce qui était prévu dans d'autres projets de loi, notamment le projet de loi n° 60.

Mme Pineau (Anne) : En général, qui viennent, là...

Mme Vallée : O.K. Donc, on...

Mme Pineau (Anne) : ...je ne dirais pas «en kit», là, mais qui viennent comme une catégorie.

Mme Vallée : Un peu comme les organismes gouvernementaux.

Mme Pineau (Anne) : Oui.

Mme Vallée : D'accord. Pour ce qui est des accommodements religieux, vous mentionnez que la codification, qui, pour certains, peut sembler inutile, présente un intérêt pédagogique. Donc, là-dessus, j'en suis également. Mais vous recommandez que l'obligation ne relève pas du personnel, donc de l'individu qui reçoit la demande, mais bien de l'organisme à qui est présentée la demande. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette distinction.

Mme Lévesque (Francine) : En fait, cette distinction-là vise à couvrir, d'assurer une cohésion dans l'organisation. Or, on verrait mal comment on pourrait se retrouver dans une commission scolaire avec quelqu'un qui a une interprétation x de sa vision de qu'est-ce qui peut être accommodé ou pas, alors que, dans une autre école à côté ou même dans un autre département, une autre personne puisse avoir une autre vision de ça. Il faut assurer une certaine forme de cohérence dans le propos, et c'est l'organisme... c'est de ça dont on parle, on veut assurer la neutralité religieuse de l'organisation. C'est pour ça qu'on pense qu'il faut qu'on en réfère à la personne en autorité, qu'il y ait une responsabilité dévolue à l'organisation d'assurer l'application de la loi, la compréhension de tout ce qui... bon, les règlements et autres codes qui pourront servir à aider à l'application de la loi.

Mais c'est pour ça qu'on pense que c'est important de faire cette distinction-là. C'est sûr que c'est des personnes qui demandent à être accommodées, mais on voudrait que l'ensemble des demandes soient traitées selon une seule et même vision, celle qui est parrainée par l'organisation.

• (15 h 20) •

Mme Vallée : Cette vision de l'organisation pourrait être expliquée à travers un guide, un guide d'application qui pourrait être produit par l'organisation.

Mme Pineau (Anne) : Oui, exactement. En fait, c'était aussi le sens, pour nous, d'une charte de la laïcité, c'était de s'assurer que chaque organisation se dote d'une politique de mise en oeuvre de la question des accommodements raisonnables. Et là-dessus je sais que vous avez référé, à quelques occasions pendant la commission parlementaire, au guide de la Commission des droits, qui est un bon outil mais qui reste finalement assez général, mais même le guide de la Commission des droits de la personne recommande aux organismes d'être proactifs et de se doter de guides et de politiques de mise en oeuvre des accommodements raisonnables. Donc, on pense que ce serait utile de formaliser ça dans la loi et, en ce sens, de reconnaître que ce n'est pas tant les membres du personnel qui doivent décider. D'ailleurs, la responsabilité de voir à l'application de la loi dans chacun des organismes appartient au plus haut dirigeant.

Donc, c'est une question d'organisation. Chaque organisme doit s'assurer de l'application via le plus haut dirigeant, et la façon de le faire pour assurer une cohérence, bien, c'est sans doute par des guides et des politiques de mise en oeuvre.

Mme Vallée : Et est-ce que par votre commentaire je dois comprendre que la loi devrait prévoir spécifiquement l'obligation de l'organisme de se doter d'un guide ou est-ce que la préparation d'un guide en parallèle, une fois que le projet de loi pourrait être adopté, pourrait se faire par l'envoi de directives? Comment le voyez-vous?

Mme Pineau (Anne) : Bien, idéalement, pour nous, ça devrait être inscrit dans la loi, histoire de s'assurer que ce sera bel et bien fait, et ça n'exclut pas la possibilité de directives, par ailleurs. On a d'ailleurs cette possibilité-là dans le cas des services de garde, là, d'émettre des directives dans la mise en application. Mais, oui, idéalement, ça devrait être consigné, là, au texte de loi.

Mme Vallée : Et j'aimerais également vous entendre, parce que vous abordez une question, je pense que vous êtes parmi les seuls à l'avoir abordée de cette façon-là.

À la page 11 de votre mémoire, vous suggérez que le projet de loi précise que «l'énoncé de balises en matière d'accommodements religieux ne porte pas atteinte au droit à l'accommodement relatif aux autres motifs de discrimination». J'aimerais vous entendre, parce que certains groupes disent : Il ne devrait pas y avoir d'accommodements, on ne devrait pas faire de référence aux accommodements, parce que ça porte en soi atteinte à la neutralité religieuse, puis chacun a sa propre interprétation du projet de loi. Et on a d'autres personnes, d'autres groupes qui nous ont dit : Le libellé de l'article 10 semble établir une hiérarchisation des droits.

Donc, j'aimerais vous entendre sur votre proposition.

Mme Pineau (Anne) : Oui. Écoutez, nous, on est contre évidemment le principe de hiérarchisation des droits. Notamment, dans le cadre du projet de loi n° 63, c'était une préoccupation importante qui faisait que, pour nous, on n'estimait pas nécessaire de modifier même le préambule pour prévoir l'égalité, dans la crainte qu'on induise une hiérarchisation des droits. Maintenant, c'est fait, et, dans la mesure où ça n'emporte pas... ou ça ne signifie pas de hiérarchiser les droits, chose avec laquelle on ne serait pas d'accord, bien, ça ne nous pose pas problème, là, d'indiquer qu'un accommodement devrait tenir compte de l'égalité hommes-femmes tout comme de la neutralité religieuse mais, idéalement, pour nous, de la laïcité et des autres éléments.

En fait, à la page 11, ce sur quoi nous attirons plus l'attention, c'est le fait que... et ça, la Commission des droits le notait, je pense, dans le précédent projet de loi n° 60, c'est qu'il ne faudrait pas que, parce qu'on parle d'accommodements religieux dans une loi, on laisse entendre aux organismes qu'ils n'ont pas, par ailleurs, des obligations d'accommodement pour d'autres motifs. Et c'est un peu ce que disait la commission en disant : «Est-ce qu'un décideur devant répondre à une demande d'accommodement ne pourrait pas être amené à penser, à tort, que son obligation d'accommodement [...] est strictement circonscrite au seul motif religion?» Et ça, avec toute l'intersectionnalité des éventuelles discriminations, c'est d'autant plus important. En fait, c'est toute la question de l'articulation de cette loi-là par rapport à la Charte des droits et libertés, et cette articulation-là n'est pas claire. Est-ce qu'on doit la voir comme un complément, comme une entité distincte? C'est quoi, les références, entre la charte et cette éventuelle loi-là, sur la religion? Et d'ailleurs la Commission des droits, il y a quelques jours, demandait qu'on réitère la préséance de la Charte des droits et libertés sur cette loi-là.

Donc, je pense qu'il y a une ambiguïté quant à où se situe cette loi-là par rapport à l'application générale de la charte. Est-ce qu'elle est en plus ou est-ce qu'elle est autonome ou... Je ne sais pas si vous voyez, là, la difficulté que pose, là, le...

Mme Vallée : Je comprends très bien. Puis la commission nous a fait valoir un certain nombre de recommandations. Dans le fond, l'exercice auquel on se livre depuis presque deux semaines nous amène à recevoir les différentes demandes d'aménagement ou les suggestions de bonification du projet de loi et voir comment concilier ces différentes demandes, est-ce qu'il est possible, dans l'esprit de la loi, de donner suite à certaines des demandes ou certaines des suggestions qui sont présentées, puis, je vous dis, il est important que ces suggestions-là soient analysées.

Je trouvais intéressante votre proposition. Certes, chaque groupe amène ses propres analyses, ses propres recommandations. Et je trouvais ça intéressant, cette référence au devoir d'accommodement qu'ont les organismes en général pour assurer une pleine égalité de tous dans notre société, finalement.

Maintenant, je vais juste... J'ai perdu le fil de ma... Je pense que ça fait pas mal le tour des questions que j'avais pour vous, mais je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, mesdames de la CSN, bienvenue à cette commission parlementaire.

Évidemment, il y a plusieurs principes qui ont déjà été énoncés dans d'autres commissions parlementaires. On essaie de voir maintenant jusqu'où on peut faire évoluer cette loi, qui est loin d'une charte de la laïcité mais qui, peut-être, selon où on va se rendre dans la discussion, pourrait nous permettre d'avancer ou d'aider un petit peu les gens qui sont, comme on le disait hier, devant des centaines de demandes d'accommodements religieux, entre autres. La Fédération des commissions scolaires nous a appris que la CSDM recevait 500 demandes d'accommodements religieux par année. C'est quelque chose.

Alors, je vais partir dans l'annexe où vous avez vraiment des positions et des recommandations. La première, vous dites : «L'affirmation d'un principe de laïcité et de neutralité religieuse de l'État de même d'égalité entre les femmes et les hommes dans une charte de la laïcité.» Bon, on n'a pas de charte de la laïcité, mais vous êtes d'accord avec l'idée qu'on affirme le caractère laïque de l'État québécois ou la séparation entre l'État et les religions dans une loi. Est-ce que vous avez une idée d'où on pourrait inscrire ça? Dans celle-ci? Dans la Charte des droits et libertés? Comment vous voyez ça?

Mme Pineau (Anne) : Bien, en fait, pour nous, il doit y avoir une concordance. Ça devrait être inscrit dans le projet de loi n° 62, la question de la laïcité, parce que nous, on estime que la neutralité religieuse, c'est un des aspects seulement qui fait partie, là, de l'ensemble laïcité. Je pense que la façon dont le définit Bouchard-Taylor dans son rapport explique bien qu'il n'y a pas que la neutralité religieuse, il y a aussi la question de la séparation de l'État et des religions, il y a la liberté de religion. Donc, nous, c'est le principe de laïcité qu'on aimerait... parce qu'il est complet, et on voudrait le voir inscrit autant dans cette loi-là que, par concordance, dans la charte, oui.

• (15 h 30) •

Mme Maltais : D'autant que vous nous rappelez avec justesse, en page 8 de votre mémoire, le décret qui avait constitué la commission Bouchard-Taylor, où il était écrit : «L'égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français et la séparation entre l'État et la religion constituent des valeurs fondamentales. Elles ne peuvent faire l'objet d'aucun accommodement.» Effectivement, j'avais oublié ce bout-là. Peut-être qu'on l'a tous oublié au fil du temps. Mais c'est assez intéressant, ce rappel. Je vous en remercie.

L'autre, vous demandez, comme troisième point ou comme troisième picot, comme dirait Denise Boucher, qui souvent venait nous voir à l'époque... c'était son langage, l'ex-vice-présidente de la CSN, disait : «Un devoir de réserve et de neutralité religieuse pour les membres du personnel, y incluant le personnel de la direction des organismes publics dans l'exercice de leurs fonctions.» Effectivement, il y a un autre groupe qui est venu nous rappeler cela, qu'on a le devoir de neutralité mais on n'a pas le devoir de réserve. Et on avait ça dans le projet n° 62, c'est à l'article 4, ça disait : Un membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de réserve en ce qui a trait à l'expression de ses croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions.

Ça donnerait quoi comme impact si une clause comme ça était inscrite? J'aimerais ça... pour que les gens entendent bien, ce que ça voudrait dire. Qu'est-ce que ça amènerait de plus à cette loi que ce devoir de réserve dont vous nous parlez dans votre troisième picot? C'est dans l'annexe. Ça résume bien vos interventions.

Mme Pineau (Anne) : Bien, écoutez, moi, je dirais que la neutralité religieuse inclut une obligation de réserve. Je pense que ça serait, sans doute, plus clair de le préciser, mais on pense qu'on peut vivre avec le texte, là, actuel. Mais effectivement, souvent, on va ajouter toute la question de la réserve, qui...

Mme Maltais : ...devoir de réserve pour un employé de la fonction publique? Comment vous décririez ce que ça commande comme attitude?

Mme Pineau (Anne) : Bien, écoutez, c'est sûr que, bon, il y a toute la question de ne pas faire de prosélytisme, mais nous, je veux être claire là-dessus... Par exemple, on pourrait penser que ça suppose de ne pas porter de signes religieux. Or, là-dessus, et c'est la position qu'on a prise dans le cadre du projet de loi n° 60, c'est de ne pas interdire de façon générale le port de signes religieux. Nous limitions notre suggestion aux postes en autorité, ceux qui ont été identifiés par le rapport Bouchard-Taylor, et nous l'étendions, par contre, à toute la question des enseignants, en fait, des écoles, des services de garde mais pas parce que ce sont des agents de l'État, mais parce que ce sont des gens qui travaillent dans une école qu'on a voulue laïque, qui est composée d'enfants, de jeunes enfants pour qui les enseignants et les personnels de l'éducation sont des modèles, des gens qui travaillent au quotidien avec ces jeunes-là et qui ont un rapport d'autorité aussi, et c'est dans cette mesure-là qu'on estimait qu'il ne devrait pas y avoir de port de signes religieux pour ces personnels-là.

Mais, pour ce qui est de la réserve, la réserve ne comporte pas nécessairement de ne pas porter de signes religieux.

Mme Maltais : Ça ne le comporte pas, mais ça permettrait d'articuler finalement un peu une position, par rapport à la fonction publique, de qu'est-ce que la neutralité religieuse, c'est-à-dire devoir de réserve, donc pas de prosélytisme. Et les gens en situation d'autorité : interdiction totale de signes religieux? On parle d'interdiction totale, pas de...

Mme Pineau (Anne) : Pour les personnes en autorité?

Mme Maltais : En autorité, oui.

Mme Pineau (Anne) : Oui, oui. Nous, on n'a fait aucune distinction, et, peu importe la dimension, là, c'était : aucun signe religieux.

Mme Maltais : O.K. Autre chose. Dans vos commentaires, vous parlez du service à visage découvert. Je ne sais pas si vous l'avez noté — sûrement — il y a une exception possible. En fait, ça dit : Tout accommodement est possible, sauf exception. En fait, l'exception, c'est... bien, c'est drôlement écrit. Étonnamment, ça dit : Les services doivent être donnés à visage découvert. Les services doivent être demandés à visage découvert ou rendus à visage découvert, mais les accommodements sont tous possibles, sauf exception.

Moi, je ne crois pas à la valeur de l'exception, surtout pour les services donnés, parce que je trouve que la fonction publique ne peut pas avoir le visage couvert, et non seulement les services, mais aussi le fait de travailler avec le visage couvert, pour moi, est contre-productif, carrément, là. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Mme Pineau (Anne) : Bien, écoutez, en fait, nous sommes d'accord avec cette disposition-là, dans la mesure où on pose le principe général de services tant donnés que reçus à visage découvert. On prévoit qu'évidemment, si des conditions de travail nécessitent le visage couvert pour des raisons de santé-sécurité ou d'hygiène, on peut avoir le visage couvert, mais on prévoit aussi l'obligation d'accommodement pour quelqu'un qui, pour des raisons qu'elle établirait comme valables, justifierait qu'on accommode la personne.

Or, nous, ça nous apparaît correspondre, là, de toute façon, à l'état du droit, la possibilité d'obtenir un accommodement. Évidemment, les motifs qui sont prévus, ceux d'identification, de sécurité et de niveau de communication le justifiant, peuvent faire échec à une demande d'accommodement. Et, à cet égard-là, bien, on pense qu'il y a de fortes chances que, toute personne qui travaille dans l'administration publique, à cause des nombreux contacts qu'elle doit avoir avec ses collègues de travail, avec les usagers, avec les gestionnaires, avec les clients, les sous-traitants, peu importe, c'est un niveau de communication qui emporte que tu devrais avoir le visage découvert. Mais la possibilité demeure là, et je pense que c'est correct.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville. En fait, on ne le saura pas. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bien, bonjour, mesdames. Poursuivez ce que vous disiez. On va le savoir, justement. Juste pour faire mentir notre président. Allez-y.

Mme Pineau (Anne) : Bien, j'avais terminé, pratiquement. Je disais que, pour nous, c'est valable que ça soit là, de toute façon, cette obligation d'accommodement là qui sera évalué au cas par cas. Et je pense que, dans le cas des usagers, bien, ça va se poser très différemment.

Mme Roy : Merci. Merci, mesdames, d'être là, parce que je n'ai pas pris le temps de vous saluer. J'ai pris des notes pendant que vous parliez, parce que vous avez dit des choses, d'entrée de jeu, qui m'ont interpellée. Et ça fait 10 ans qu'on en parle, vous avez tellement raison, ça fait 10 ans qu'on en parle, ça prend quelque chose.

La première chose qui vous a frappées en plein visage, c'est le fait qu'on n'y voit pas le mot «laïcité». Moi aussi, j'ai compris ça comme vous. J'avais d'ailleurs moi-même présenté, en 2013, une charte de la laïcité pour expliquer qu'il fallait décréter en quelque part que l'État québécois était laïque. Parce que, vous avez raison, vous écrivez : «Cependant, aucun texte ne vient encore proclamer ouvertement la laïcité du Québec.» C'est vrai, c'est vrai. C'est via la jurisprudence, mais on est loin du texte qui le proclame. Vous avez raison.

Par ailleurs, dans vos commentaires... et il y a plusieurs choses qui... on se rejoint beaucoup, entre autres, quand vous dites : «La CSN se prononce contre une interdiction générale du port de signes religieux pour tous les membres du personnel d'un organisme public.» Et ça, c'est notre position depuis 2013. On dit : Il ne faut pas que ça touche tout le monde, mais on pense comme vous, dans la mesure où Bouchard-Taylor, personnes en position d'autorité... déjà là, on enverrait un signal très fort, en plus, naturellement, d'inscrire que l'État québécois est laïque, parce qu'il faut le dire en partant. Bouchard-Taylor, les personnes en position d'autorité. Nous, nous ajoutons les enseignants, tout comme vous. Vous allez un petit peu plus loin. Nous, on ajoutait les enseignants pour des raisons évidentes. Pour nous, des enseignants qui portent des signes religieux, avec des mineurs... Il ne faut pas l'oublier, ce sont de jeunes enfants, pour la plupart, influençables. Lorsqu'on est jeune... corrigez-moi, mais je pense que les enfants sont influençables, ils sont influencés par ce qu'ils voient. Et nous avions tout à l'heure un professeur de philosophie qui a fini par avouer qu'un signe portait un symbole et un message. Et c'est la raison pour laquelle on ne veut pas influencer les enfants. Donc, ne pas avoir de signe lorsqu'on est un enseignant. On se rejoint à plusieurs égards.

Vous disiez également, et je trouve que c'est une bonne idée, d'ailleurs : Ce n'est pas une question de mettre des gens à la porte, bien au contraire, surtout dans la mesure où vous nous parlez... je pense, ça s'appelle une clause grand-père, le fait de protéger les employés qui sont déjà à l'embauche, mais que les nouveaux employés comprennent et sachent que, pour être enseignante, par exemple, dans une école au Québec... si vous voulez être enseignante, personne ne porte de signe religieux, tout simplement. On pense comme vous. On pense qu'il y a là-dedans beaucoup de bons enseignements, de gros bons sens puis on préserve l'emploi des individus, mais le message est très fort.

Par ailleurs, j'aimerais vous entendre, parce qu'il y a des recommandations aussi, et d'autres groupes nous l'avaient fait... à l'égard, entre autres, des explications, parce que vous nous dites : En bout de piste, actuellement, oui, on définit ce que sont les accommodements religieux comme la jurisprudence les définit, mais, en bout de piste, ce sont vos gens qui devront les appliquer lorsqu'il y aura une demande de faite.

Et dans quelle mesure il faudrait qu'il y ait des précisions, des guides, un encadrement? Que désireriez-vous à cet égard-là?

• (15 h 40) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme Pineau... Ah! Mme Lévesque.

Mme Lévesque (Francine) : Bien, écoutez, au moment où on se parle, on se base beaucoup sur ce qui a été défini par les tribunaux au niveau de la jurisprudence, parce que déjà les tribunaux des droits de la personne ont eu à traiter ce genre de question là. Donc, au moment où on se parle, on se base beaucoup là-dessus. Et effectivement, tout dépendant de la portée de la loi, comment est-ce qu'elle sera rédigée dans sa forme finale, tout ça, bien, on pourra jouer un rôle, effectivement, les institutions pourront jouer un rôle pour définir, pour donner des guides, pour produire des outils qui serviront à l'ensemble des organisations, à l'application et à la reconnaissance de tout ça, et ça va continuer d'évoluer au fil des questions qui seront posées éventuellement devant les tribunaux.

Le Président (M. Ouellette) : ...

Mme Roy : Merci. Ça fait 10 ans qu'on en parle. Avec le passage du temps, est-ce que vos membres sont de plus en plus confrontés à de plus en plus de demandes? Et y a-t-il une façon de colliger les demandes pour s'assurer que, dans telle unité d'accréditation, dans telle unité syndicale, on traite les demandes de telle façon pour que ça se sache, pour que les autres le sachent, pour qu'on puisse avoir une forme d'uniformité ou encore il peut y avoir des disparités d'application, même s'il y a de la jurisprudence?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne) : Écoutez, bon, d'abord, l'obligation d'accommodement, c'est une invention qui est née dans le monde du travail, hein — la décision O'Malley, en 1985, émanait d'un cas en milieu de travail — et c'est une réalité avec laquelle nos syndicats fonctionnent depuis bientôt 30 ans.

On a appris à fonctionner avec les notions d'obligation d'accommodement. On s'est fait dire notamment en 1992, et à juste titre, que c'était une question qui concernait tout le monde en milieu de travail et le syndicat devait aussi participer à trouver des moyens de maintenir les gens au travail pour assurer le droit à l'égalité. Évidemment, on est plus souvent confrontés à des questions de handicap, de personnes qui ont des lésions, à des questions qui peuvent mettre aussi en cause le sexe, des congés de maternité sans ancienneté, des trucs comme ça, puis, bon, à l'occasion, des problèmes qui concernent des congés religieux. Donc, bon, dans ce sens-là, je pense que le projet de loi codifie en gros, là, les paramètres développés au niveau de la jurisprudence. Mais, bon, nos syndicats sont assez informés, et on se charge de rappeler ces questions-là.

Mais on a régulièrement, là, des demandes d'avis juridique pour établir un peu, là, certains paramètres, mais les gens sont habitués quand même à fonctionner avec ces questions-là.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Anne Pineau, Mme Francine Lévesque, représentant la Confédération des syndicats nationaux.

Je suspends quelques minutes, le temps que M. Guillaume Rousseau et M. Nicolas Proulx, de l'Université de Sherbrooke, s'avancent en avant.

(Suspension de la séance à 15 h 44)

(Reprise à 15 h 45)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke. M. Rousseau, vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne. Je pense qu'on la connaît, mais, en tout cas, vous allez nous la présenter quand même. Et vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Par la suite, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. M. Rousseau, à vous la parole.

MM. Guillaume Rousseau et Nicolas Proulx

M. Rousseau (Guillaume) : Chers membres de la Commission des institutions, merci pour cette invitation à venir discuter, avec vous, du projet de loi n° 62. Je suis accompagné aujourd'hui par M. Nicolas Proulx, étudiant à la maîtrise en droit, pour qui j'ai l'honneur d'agir à titre de directeur de recherche.

Notre objectif aujourd'hui, ça va être d'illustrer que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada est en général excessivement favorable à l'imposition de normes religieuses aux dépens d'autres principes, comme la laïcité, l'égalité hommes-femmes, d'où l'importance du projet de loi n° 62.

On le disait à l'instant avec les gens de la CSN, si on veut comprendre la jurisprudence en matière d'accommodement raisonnable, il faut retourner à l'arrêt de principe de base, O'Malley contre Simpsons-Sears. Dans cette affaire-là, c'est une dame d'une église évangélique qui ne souhaite pas travailler le vendredi soir et le samedi, qui a donc moins d'heures de travail, et là elle poursuit son employeur pour être payée pour les heures qu'elle n'a pas travaillé. Et ce qui est intéressant, c'est qu'on peut lire, dans ce jugement-là, donc, sous la plume de la Cour suprême, la phrase suivante : «La plaignante a déclaré ne plus être intéressée à un emploi à [temps plein], son mari préférant qu'elle travaille à temps partiel — son mari préférant qu'elle travaille à temps partiel.» Fin de la citation.

C'est la Cour suprême qui le dit, comme quoi, dès l'origine, le ver de l'inégalité hommes-femmes était dans la pomme de l'accommodement religieux. Et ça, pour moi, ça illustre l'argument un peu théorique qui dit : Les religions sont contre l'égalité hommes-femmes, les accommodements religieux donnent plus de place aux religions dans l'espace public, donc les accommodements sont contre l'égalité hommes-femmes. Ce syllogisme qu'on entend, qui est un peu théorique, bien, je constate qu'il est quand même assez justifié empiriquement. C'est pourquoi nous approuvons le deuxième paragraphe de l'article 10 du projet de loi, qui reconnaît qu'il y a un problème au niveau des accommodements religieux en ce qui concerne l'égalité femmes-hommes.

Autre chose d'intéressant dans l'affaire O'Malley, qui est donc le premier arrêt, là, de principe de la Cour suprême en matière d'accommodements religieux, c'est que la Cour suprême du Canada, évidemment, n'invente pas ça, elle importe de la jurisprudence américaine le concept d'accommodement raisonnable sans qu'il n'en résulte une contrainte excessive. Mais la Cour suprême du Canada, elle est originale, parce qu'en droit américain une contrainte excessive, ça veut dire une contrainte plus que minimale. Dès que la contrainte est plus que minimale, l'employeur peut le refuser. Or, la Cour suprême du Canada, elle va nous dire que «contrainte excessive», ça veut dire «vraiment excessif». Ça peut être beaucoup plus que minimal et être imposé quand même à l'employeur.

Donc, au Canada, c'est beaucoup plus facile d'obtenir un accommodement religieux. Et on peut se poser la question : Mais pourquoi, en droit canadien, c'est tellement plus facile d'obtenir un accommodement religieux qu'en droit américain? Bien, c'est dans Central Okanagan que la Cour suprême du Canada nous le dit. La raison, c'est qu'en droit américain, dans la Constitution, il y a le principe de «non-establishment», donc l'interdiction pour le congrès d'établir une religion, donc un principe de neutralité religieuse de l'État qui n'a pas d'équivalent au niveau explicite dans la Constitution canadienne. Et c'est pourquoi il y a cette différence-là au niveau du fardeau de preuve en matière d'accommodements religieux. Donc, le fait d'arriver avec un principe de neutralité religieuse de l'État, de le prévoir dans une loi, c'est intéressant, pour nous, ça pourrait favoriser un rapprochement avec la jurisprudence américaine, mais, en même temps, en reprenant les mots de «contrainte excessive», eh bien, on invite les juges à continuer avec la même jurisprudence canadienne actuelle, excessivement ouverte aux accommodements religieux.

Alors, nous, ce qu'on propose pour se rapprocher de la jurisprudence américaine, qui découle du principe de neutralité religieuse de l'État, c'est de substituer aux mots «contrainte excessive» les mots «contrainte plus que minimale». Comme ça, on s'aligne sur le droit américain, qui découle du principe de neutralité religieuse de l'État.

On pourrait le faire dans le projet de loi. Idéalement, on le ferait dans la charte québécoise, de même que les autres balises, hein? La balise de l'égalité hommes-femmes se retrouve, dans le projet de loi, applicable seulement aux organismes publics. C'est quand même particulier. On envoie comme message que les accommodements religieux doivent être conformes à l'égalité hommes-femmes dans les organismes publics, mais ce n'est pas applicable aux organismes privés, ce qui est quand même un peu particulier. Donc, on vous invite à faire une intervention du législateur, là, plus soutenue en matière d'accommodement comme en matière de visage découvert.

• (15 h 50) •

M. Proulx (Nicolas) : Oui. Merci beaucoup, Pr Rousseau, et bonjour à vous tous.

D'abord, je vais vous entretenir, pour les prochaines minutes, sur l'obligation d'avoir le visage découvert telle que semble l'édicter l'article 9 de votre présent projet de loi.

Et donc, si on s'y transporte immédiatement, parce que le temps nous restreint, à notre avis, il nous semble que, tant sur le fond que sur la forme, l'article 9 est construit, je dirais, de façon antithétique en ce que le sens des alinéas s'oppose de façon à s'annuler. Plus précisément, on va dire dans les deux premiers alinéas que... bien, en fait, on vient édicter la règle de l'obligation d'avoir le visage découvert. Bon, jusqu'ici, tout semble clair et limpide.

Or, dans le troisième alinéa, on viendra dire, bizarrement, du moins, qu'il y aura accommodement. Voyons voir de quoi il en ressort. On dit qu'un accommodement devra être refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité, l'identification ou le niveau de communication requis le justifient. Autrement dit, dans tous les autres cas, l'accommodement est permis. Et donc on imagine mal une situation, en fait, mis à part peut-être ne serait-ce qu'un cas extrême, inusité de sécurité publique, une situation où l'accommodement ne sera pas accepté. Et donc, à notre avis, ce sont des critères un peu trop laxistes, du moins pas assez coercitifs, de sorte que, si l'exception devient la norme, la règle devient supplantée par l'exception elle-même. Par la bande, par ailleurs, ce libellé-là, de la façon qu'il est formulé présentement, permettrait à une personne de participer à sa cérémonie d'assermentation publique, de le faire à visage couvert, pour autant que cette personne se soit préalablement dénudé le visage en privé pour des fins d'identification, mais transgressant par ailleurs l'une des règles les plus élémentaires de nos démocraties libérales, soit le caractère public et universel de la citoyenneté.

En gros, on n'attribue pas de mauvaise intention au législateur, au contraire, mais il nous semble que, peut-être malgré lui, le législateur fait indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement, et il nous semble que le propre de l'exception était, jusqu'à aujourd'hui, de confirmer la règle de par son caractère exceptionnel. C'est pourquoi on propose au législateur, je dirais, d'adopter une règle claire.

Et, parlant de la règle claire, c'est d'ailleurs ce que le juge LeBel, dans la dissidence d'un jugement qui ne vous est sûrement pas étranger, R. contre N.S., qui portait sur le port du voile intégral... lors du contre-interrogatoire, le juge LeBel a défendu avec conviction l'adoption d'une règle claire. Et LeBel, en fait, parmi les sept juges qui siégeaient sur cet arrêt-là, LeBel sera celui qui fera la corrélation la plus directe entre la neutralité religieuse de l'État et le port du voile intégral. C'est pour ça que, sous sa plume, on pourra lire la citation suivante : «La neutralité religieuse de l'État et de ses institutions [...] assure la vie et la croissance d'un espace public ouvert à tous, peu importe les croyances, le scepticisme ou l'incrédulité de chacun.» Bon, évidemment, ce n'est pas l'opinion de la majorité de la Cour suprême, qui va plutôt pencher vers la doctrine des accommodements raisonnables, qu'elle va justifier de la façon suivante : «Une réponse laïque obligeant les témoins à laisser de côté leur religion à l'entrée de la salle d'audience est incompatible avec la jurisprudence et la tradition canadienne et restreint la liberté de religion là où aucune limite n'est justifiable.» Et donc la Cour suprême, du moins la majorité, va venir tasser du revers de la main l'argument de la laïcité en se basant sur les jugements O'Malley et Central Okanagan, qu'on a discutés plus tôt, mais, entre autres, sur ces jugements-là. Et puis, dans cette foulée de cette réflexion-là sur les accommodements raisonnables, il va venir à entrevoir la possibilité d'installer, disons... bien, du moins, d'évincer les hommes de la salle lors du contre-interrogatoire, donc instaurer une certaine forme de ségrégation sexuelle dans la salle d'audience. Évidemment, elle l'écarte, mais pas en raison de l'égalité hommes-femmes, ce qui nous amène à dire que, de l'affaire O'Malley à l'affaire R. contre N.S., il y a une même insensibilité envers l'égalité femmes-hommes.

C'est pourquoi que nous pensons que le législateur devrait plutôt tendre vers, je dirais, un raisonnement qui se rapprocherait plutôt de celui du juge LeBel, par ailleurs qui nous semble beaucoup plus en harmonie avec l'essence et l'intention mêmes de votre projet de loi. On parle de la neutralité religieuse. Votre titre en fait mention. On parle de l'égalité femmes-hommes. Votre article 10 en fait mention. Et c'est pour ça qu'on vous propose modestement une modification à l'alinéa 3°, qui pourrait être lu de la façon suivante : «Tout accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles doit être refusé, sauf si un motif de sécurité impératif et avéré le justifie clairement.» Bon, évidemment, cet amendement-là poserait la question de la constitutionnalité de la loi.

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Il reste combien de temps?

Le Président (M. Ouellette) : Bien, il vous reste 20 secondes. Mais en avez-vous pour encore... pour une conclusion, quelques minutes?

M. Rousseau (Guillaume) : Je vous résume ça en deux, trois minutes.

Le Président (M. Ouellette) : Bien, résumez ça en trois minutes sur le temps de la ministre.

M. Rousseau (Guillaume) : Parfait. Donc, rapidement. Tout simplement pour dire que, bien, vous l'avez entendu, l'Association canadienne des libertés civiles a dit que le projet est discriminatoire et donc qu'elle pourrait le contester devant les tribunaux. La Commission des droits de la personne nous dit que c'est contraire aux chartes, etc.

Moi, ce que je tiens à vous dire là-dessus, c'est qu'une contestation constitutionnelle fort probable à ce stade-ci serait éminemment coûteuse, pourrait déboucher sur une déclaration d'invalidation partielle de la loi. Donc, j'encourage l'Assemblée nationale à invoquer les dispositions dérogatoires des deux chartes des droits. Et, contrairement à une croyance largement répandue, l'usage des dispositions dérogatoires n'a pas à être rare et n'est pas exceptionnel. Beaucoup d'auteurs, dont Henri Brun, Guy Tremblay, Eugénie Brouillet, nous disent que ça doit servir lorsque c'est pour promouvoir une vision proprement québécoise des choses. Jacques Gosselin nous dit que ça doit servir, par exemple, pour des libertés à caractère collectif ou communautaire comme l'égalité hommes-femmes. Et, dans mes recherches empiriques, j'ai trouvé pas moins de 106 cas d'utilisation de la disposition dérogatoire, dont 17 sont toujours en vigueur, et, dans 80 % des cas, c'était pour protéger l'identité québécoise ou encore pour un enjeu de progrès social. Et, plus précisément, puis je termine là-dessus, dans de très nombreux cas, une dizaine de cas, les deux dispositions dérogatoires des deux chartes ont été utilisées dans un contexte pour des questions de religion. Et, dans de très nombreux cas, elle a été utilisée. Et c'est toujours le cas à l'heure actuelle. Ça a été des clauses dérogatoires renouvelées en 2014, donc, sous le gouvernement actuel. Les clauses dérogatoires sont toujours utilisées en matière de retraite pour créer des avantages pour les femmes qui ont été discriminées à une autre époque. Donc, aujourd'hui, on tente de les avantager.

Alors, tout ça pour dire que, lorsqu'on a des menaces de contestation constitutionnelle et qu'on pense qu'on a un bon projet de loi, il existe un moyen pour le législateur de se prémunir contre ces contestations-là, et c'est approuvé par plusieurs auteurs de doctrine et par la pratique surtout lorsqu'il est question de religion et d'égalité femmes-hommes. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. C'est vraiment intéressant, toute cette question de l'utilisation ou de l'opportunité d'utiliser la clause dérogatoire ou de ne pas l'utiliser. Je comprends que vous émettez une opinion qui est fort étayée, et puis il y a d'autres juristes — je pense notamment à certains écrits de Stéphane Beaulac — qui disaient qu'il fallait éviter l'utilisation abusive de la clause dérogatoire. Puis certains juristes sont de cette tendance, d'autres sont d'une tendance comme la vôtre, de dire : Il ne faut pas hésiter à l'utiliser lorsque, potentiellement, il pourrait y avoir une contestation judiciaire. Puis on a aussi d'autres juristes qui sont venus présenter leurs observations devant nous. Hier, on recevait Me Lampron, qui avait une autre analyse, qui considérait que, oui, il pourrait y avoir une contestation mais que les dispositions de la loi, dans le contexte d'une société libre et démocratique comme la nôtre, pouvaient se justifier, et il ne croyait pas qu'une contestation aurait une chance de succès.

Donc, moi, j'aimerais vous entendre davantage sur l'utilisation de la clause dérogatoire, parce que je trouve ça très instructif lorsque des professeurs comme vous l'êtes viennent ici faire part de leurs analyses d'un projet de loi, des conséquences potentielles de... ou des risques potentiels de contestation. On a eu, vous en avez fait mention, certains qui ont fait part de leurs préoccupations, mais on a d'autres groupes qui nous ont dit que le projet de loi était trop frileux et n'allait pas assez loin et qu'il devait comporter des éléments encore plus forts. Donc, j'aimerais vous entendre davantage sur cette question de l'utilisation de la clause dérogatoire, parce qu'aussi, dans une certaine philosophie d'utilisation, la clause dérogatoire implique une reconnaissance d'emblée qu'il y a une atteinte aux droits à l'intérieur de la loi, à l'intérieur du texte législatif.

Et donc est-ce qu'il ne serait pas risqué d'emblée d'inclure ou de reconnaître... ou l'utilisation de la clause dérogatoire ne constitue-t-elle pas en soi une présomption d'atteinte à un droit de la part du législateur?

• (16 heures) •

M. Rousseau (Guillaume) : Merci pour votre question, qui va me permettre de développer un peu là où j'avais coupé un peu à la fin, question fort intéressante. Je vais essayer de répondre à chacun des aspects soulevés.

D'abord, pour ce qui est des opinions diverses qu'il peut y avoir dans la doctrine chez les professeurs d'université, tout à fait, effectivement, il y a diverses appréciations de la clause dérogatoire.

Cependant, cela dit, en tout respect pour mes collègues ayant exprimé une opinion différente, je suis le premier à avoir fait une véritable recherche empirique, c'est-à-dire d'aller voir tous les cas d'utilisation de la disposition dérogatoire depuis 1975 dans la charte québécoise, depuis 1982 dans la Charte canadienne, donc ça d'épais d'archives législatives et ça d'épais d'archives parlementaires. Parce que je ne me suis pas limité à faire un catalogue de tous les cas d'utilisation, mais je suis allé voir qu'est-ce qu'ont dit chaque fois le ou la ministre responsable pour justifier l'usage des dispositions dérogatoires. Donc, c'est une opinion qui n'est pas simplement l'opinion d'un professeur qui s'exprime à titre citoyen, mais l'opinion d'un chercheur avec une méthodologie très solide, et tout. Alors, c'est quand même une nuance importante à faire. Puis le résultat de cette recherche-là, c'est que j'ai découvert, premièrement, un large courant doctrinal, puis pas n'importe qui, là, vraiment les pères fondateurs de la doctrine en droit constitutionnel québécois, qu'on pense à Brun, Tremblay. Plusieurs de ces auteurs-là nous disent : C'est tout à fait normal, c'est la souveraineté du Parlement, c'est la démocratie parlementaire. Donc, j'ai trouvé beaucoup plus d'auteurs, puis c'est même le courant majoritaire, qui sont favorables à l'usage de la disposition dérogatoire. Donc, ça, ça m'a un peu surpris.

Ensuite, si on regarde dans les archives parlementaires de l'époque, en 1975, Jérôme Choquette, si je me souviens bien, qui était ministre à l'époque, quand il fait adopter la disposition dérogatoire, il ne dit pas : Bien, voilà, ça doit être absolument exceptionnel puis ça doit être très, très rare. Au contraire, il dit : Voilà, c'est normal, c'est la démocratie parlementaire, etc. Donc, on ne fait pas de cette clause-là quelque chose qui doit être absolument très rare. Ensuite, l'argument de Beaulac et d'autres, c'est dire : La clause dérogatoire, c'est très, très, très rarement utilisé. Bien, j'ai quand même trouvé 106 cas d'utilisation, en une quarantaine d'années, j'en conviens, mais ça fait quand même trois, quatre fois par année. On est loin de l'usage absolument exceptionnel.

Donc, je pense qu'il y a un certain nombre de résultats empiriques qui font en sorte qu'une opinion pèse plus que l'autre, du point de vue scientifique. Après ça, politiquement, on peut avoir diverses appréciations, mais disons que, voilà, c'est ma réponse à cet aspect-là de la question.

Ensuite, pour ce qui est du fait que le projet de loi pourrait ne pas être inconstitutionnel, notamment selon le Pr Lampron, et que donc un usage de la disposition dérogatoire consisterait en un aveu qu'il y aurait atteinte au droit, là-dessus, deux choses. Premièrement, dans la théorie de la disposition dérogatoire, plusieurs nous disent que, non, on peut très bien mettre une disposition dérogatoire, même si on considère que le projet de loi est constitutionnel, donc ce qu'on appelle un usage préventif. Donc, je vous cite Jacques Gosselin, qui a écrit un chapitre au complet sur la disposition dérogatoire. Donc, il nous dit qu'un usage préventif, donc avant jugement déclarant la loi inconstitutionnelle, donc, un usage préventif de la disposition dérogatoire peut être justifié, car — et je cite — «il est alors permis de considérer que le législateur, même s'il est d'avis que la mesure législative envisagée n'est pas incompatible avec la charte, juge préférable [...] d'éviter de façon préventive toute contestation judiciaire à son sujet». Donc, clairement, il y a un courant doctrinal assez fort à cet égard-là, puis la pratique est encore plus forte, parce que, sur les 106 cas d'utilisation de la disposition dérogatoire que j'ai trouvés, j'en ai trouvé deux, cas, sur 106, qui ne sont pas préventifs, c'est-à-dire les cas de l'arrêt Ford. Puis c'est le cas qui est le plus connu, évidemment, l'arrêt Ford, avec le gouvernement Bourassa, qui, pour maintenir l'affichage exclusif en français, invoque la clause dérogatoire. Donc, on se souvient toujours de ça.

Donc, on pense que l'usage de la clause dérogatoire, c'est après un jugement déclarant inconstitutionnelle une loi. Or, c'est le seul cas, les deux cas, parce qu'il y a la clause dérogatoire de chacune des deux chartes. Donc, deux cas. Les 104 autres cas, dont tous les cas présents, les 17 cas actuellement en vigueur, c'est à titre préventif. Donc, le législateur, dans 104 cas, a jugé qu'on n'avait pas besoin d'attendre que la Cour suprême nous dise que notre loi est inconstitutionnelle pour la protéger, question de sécurité juridique, entre autres.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. Je vous avoue qu'on a rarement l'occasion d'échanger avec quelqu'un qui a fait une étude aussi poussée de la question. Donc, je vous remercie.

J'aimerais aussi vous entendre sur la notion de contrainte plus que minimale, parce que vous proposez de remplacer l'expression «contrainte excessive», qui est reconnue, qui est utilisée, par «contrainte plus que minimale», concept qui est moins connu, donc qui commande peut-être des explications additionnelles de votre part. Et comment le gestionnaire... ou comment l'organisme à qui est présentée une demande apprécie le caractère de contrainte plus que minimale?

Le Président (M. Ouellette) : Me Rousseau.

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Merci. Donc, je l'ai expliqué tantôt rapidement, je reviens un peu là-dessus, donc, le critère de la contrainte plus que minimale, c'est vraiment celui du droit américain. Donc, dans l'arrêt Hardison, repris par la Cour suprême du Canada, mais qui ensuite décide de modifier le fardeau de preuve... donc, dans l'arrêt Hardison, qui n'a pas été renversé depuis, on dit qu'une contrainte excessive, «undue hardship», c'est dès que c'est plus que minimal, «more than the minimal hardship». Donc, c'est ça, l'état du droit américain. Donc, dès que c'est plus que minimal.

Maintenant, comment on l'applique? Bien, c'est un peu les mêmes raisons qu'on peut invoquer pour refuser un accommodement qu'en droit canadien, c'est-à-dire les coûts, la complexité administrative, la convention collective, etc. Donc, c'est le même raisonnement, c'est juste le fardeau de preuve qui est différent. Plutôt que d'avoir à prouver une contrainte excessive lourde, tout ce qu'on a à prouver, c'est que c'est plus que minimal. Donc, si on veut savoir concrètement ce que ça veut dire, on a juste à aller en droit américain. Donc, ce n'est pas comme si je vous proposais une norme tout à fait nouvelle qui nous plongerait dans l'insécurité juridique. Rapidement, si on adopte cette norme-là, les tribunaux pourront aller voir du côté de la jurisprudence américaine, auront tout ce qu'il faut pour comprendre la notion puis ensuite pourront la préciser en droit québécois.

Mais, pour vous donner quelques indices, par exemple, en droit américain, on va dire, avec la contrainte plus que minimale, que, si quelqu'un souhaite un congé religieux d'une journée, puis qu'il trouve un coemployé pour le remplacer, puis que tout ce que l'employeur a à faire, c'est, au niveau des feuilles de paie, et tout, de changer les dates, on considère que c'est minimal, et donc il y a une obligation d'accommodement. Mais, à partir du moment où, par exemple... Et c'est le classique et c'est le prochain qui s'en vient, là, et ça a commencé dans l'affaire Val-Maska, la prochaine question, c'est le congé de plusieurs semaines pour fins de pèlerinage. C'est très présent aux États-Unis, dans la doctrine, et tout. Au Québec, ça vient d'arriver dans Val-Maska, avec une sentence arbitrale qui ne permet pas le congé de plusieurs semaines, mais c'est pour une question de preuve.

Sur le fond, moi, je pense qu'il sera possible, avec la jurisprudence canadienne actuelle de la contrainte excessive, d'imposer aux employeurs, publics ou privés — ça peut être même, dans certains cas, des PME — d'imposer le congé de plusieurs semaines, ce qui... avec la norme américaine du plus que minimal, ça, c'est impossible. Donc, il ne s'agit pas tant de revenir sur ce qui existe déjà en termes de congé d'une journée, par exemple, pour fins de religion, mais c'est de prévenir la prochaine vague, puis la prochaine vague, c'est un exemple concret, là, c'est le pèlerinage de plusieurs semaines, et, à mon avis, ça m'apparaît excessif. Mais la définition d'«excessif», dans la jurisprudence canadienne, est tellement... les tribunaux exigent tellement de preuves de l'employeur qu'une telle possibilité, là, en droit canadien nous pend au bout du nez, donc, d'où l'intérêt de la contrainte plus que minimale, qui est une notion, là, qui vient vraiment réduire... et, concrètement, ça répond à la question, là, de la commission scolaire qui a 500 demandes. Pourquoi elle a 500 demandes? Bien, parce que le critère de la contrainte excessive exige tellement de preuves... d'ailleurs, à ce stade-là, le fardeau de preuve revient à l'employeur, qu'il y a tellement de preuves à faire pour refuser que, finalement, bien, c'est un peu le bar ouvert, alors que, si on envoyait un message clair de la part du législateur : Maintenant, dès que c'est plus que minimal, l'employeur peut refuser, ça aurait pour effet de diminuer le nombre, puis ce serait ensuite plus facile d'en refuser, puis ceux qui sont clairement raisonnables, bien, rencontreraient le test de la contrainte minimale, qui permet un accommodement.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Rousseau. Et, Me Proulx, bonjour. Bienvenue à cette commission. Merci de votre mémoire, qui a vraiment été chercher qu'est-ce qu'il y avait derrière notre pratique d'accommodement raisonnable, très intéressant aussi, puis qui nous rappelle... c'est la première fois qu'on entend vraiment un argument aussi clair sur qu'est-ce que la clause dérogatoire, pourquoi on l'utilise et comment elle a déjà été utilisée et non pas démonisée. Parce que moi, je trouve que, des fois, elle est rendue démonisée, la clause dérogatoire. C'est intéressant.

Votre recommandation, c'est qu'on utilise la clause dérogatoire de manière préventive pour éviter de perdre du temps et de l'énergie. Est-ce que vous mettriez toute la loi sur la clause dérogatoire ou quelques articles?

• (16 h 10) •

M. Rousseau (Guillaume) : Merci pour votre question. Je vais y répondre à l'instant. C'est dans l'annexe de notre mémoire, où on précise exactement le libellé de la clause dérogatoire que l'on désire.

Mais, avant ça, je veux juste remercier le ministère de la Justice, parce que, dans le cadre de ma recherche sur la disposition dérogatoire, j'ai recherché par mots-clés toutes les dispositions dérogatoires et j'ai fait une demande d'accès à l'information et on m'a fourni la liste du ministère de la Justice. De là, j'ai pu comparer. Il en manquait une sur ma liste et il en manquait une sur la liste du ministère. Donc, je ne pense pas m'être trompé dans mon total de cas d'utilisation de la clause dérogatoire.

Mme Maltais : ...page 16, ce serait là?

M. Rousseau (Guillaume) : Oui, c'est ça, à la toute fin, là, effectivement. Je me perds un peu dans mes feuilles, mais...

Mme Maltais : À la toute fin.

M. Rousseau (Guillaume) : Donc, je l'ai ici. Donc, effectivement, je propose de dire : «La présente loi s'applique malgré les dispositions des articles 3 [à] 10...» Donc, je dis «la présente loi» au moment de l'article 15. Donc, les articles suivants, je ne les touche pas, là. Je me suis moins attardé aux articles après 15, là, mais ils m'apparaissaient moins problématiques puis moins visés par les groupes qui viennent vous dire que c'est discriminatoire. Donc, effectivement, je vise l'ensemble du projet de loi. Ensuite, on pourrait décider d'être plus ciblé, d'y aller seulement pour l'article 9, seulement pour l'article 10, seulement pour les articles que les groupes qui disent qu'ils pourraient attaquer la constitutionnalité de la loi vous indiquent.

Donc, on pourrait être plus ciblé dans l'usage de la disposition dérogatoire. Il n'y a pas vraiment de pratique constante là-dessus, ça varie beaucoup. Si vous regardez, par exemple, la Loi sur les jurés, vous avez, présentement, donc, en vigueur, des chapitres au complet puis beaucoup, beaucoup d'articles de la loi qui sont visés par une clause dérogatoire, alors que, dans le Code de procédure civile, on y va article par article à deux endroits de manière plus précise, quoiqu'il y en ait une des deux qui est peu plus large. Mais, bref, la pratique n'est pas dans le béton. Donc, moi, je propose quelque chose de plus large que pas assez, parce que finalement tous les articles du projet de loi sont un petit peu liés les uns aux autres. Mais c'est sûr qu'on peut y aller soit comme je le suggère, pour l'ensemble de la loi, ou soit pour les articles 9 et 10, là, qui me semblent...

Mme Maltais : Me Rousseau, je n'avais que huit minutes, il nous en reste cinq.

M. Rousseau (Guillaume) : Ah! désolé.

Mme Maltais : On a peu de temps pour jaser avec vous, malheureusement. Et je trouve ça très intéressant.

Je veux vous entendre parler du visage à découvert. Nous, ce qu'on se demandait, c'est s'il ne fallait pas tout simplement enlever l'exception. Vous semblez préférer encadrer l'exception, si j'ose dire. En fait, vous semblez vouloir inverser les choses. Actuellement, la loi, puis ça, ça m'a étonnée, ça fait plusieurs fois que je le fais remarquer, dit : Un accommodement est possible, sauf... Là, vous nous dites, vous... ce que vous proposez, c'est de dire : Tout accommodement doit être refusé, sauf... J'aimerais ça que vous élaboriez là-dessus. Vous parlez aussi de motif de sécurité. Moi, je me serais demandé si le mot «santé» ne devrait pas être là. Par exemple, les gens qui ont un problème de santé, je sais que ça a été quelque chose qui a été évoqué, un problème de santé ou les gens qui travaillent dans le milieu hospitalier, par exemple, qui, pour des motifs de santé, travaillent masqués — c'est normal, ils ont des masques — j'aimerais ça vous entendre sur cette clause-là particulièrement.

Une voix : M. Proulx.

M. Proulx (Nicolas) : Oui. Bien, en fait, je vais commencer, puis Pr Rousseau terminera.

En fait, la raison pour laquelle nous ne pensons pas qu'il faudrait, disons, enlever la possibilité d'accommodement totalement, c'est principalement une raison de pragmatisme et de réalisme, entre autres, aussi pour embrasser la position qui pourrait se rapprocher plus de celle du gouvernement. Donc, c'est une question de faire, je dirais, des...

Mme Maltais : ...

M. Proulx (Nicolas) : Oui, exactement.

Mme Maltais : O.K.

M. Rousseau (Guillaume) : Tout à fait. On le disait tantôt, que ça fait 10 ans, et même 10 ans et demi, puisque l'arrêt Multani, qui a déclenché toute l'affaire, date du printemps 2006, donc, 10 ans et demi qu'on est là-dessus. Donc, je pense que c'est important d'essayer de trouver des compromis. Alors, l'article 9, alinéa trois, je pense, va trop loin dans l'ouverture à la permission des visages couverts. Donc, il faut revenir un peu en arrière mais ne pas empêcher totalement toute forme d'accommodement. Je pense qu'il faut chercher un compromis pour des raisons un peu politiques, là, en espérant que vous, tous les partis, allez vous entendre, mais aussi pragmatiques au sens de l'application sur le terrain, effectivement. On peut imaginer des cas où quelqu'un a besoin de porter un masque puis, par ailleurs, il se trouve à travailler pour l'État, et, dans ce cas-là, je pense qu'il faut le prévoir, comme tel. Nous, on avait mis «sécurité». Vous, vous ajoutez «santé». Ça va dans le sens de ce qu'on avait en tête. Nous, on pensait sécurité et santé au travail, on avait ça en tête.

Mais j'attire votre attention non seulement sur, effectivement, comme vous l'avez remarqué, le renversement, on dit : Refuser, sauf exception, donc on veut clairement signifier que l'exception est exceptionnelle, pour le dire comme ça, mais aussi on dit : Pour un motif de sécurité — on pourrait ajouter «ou de santé» — «impératif et avéré», donc «impératif» dans le sens : Il faut que ce soit important, «avéré» dans le sens : Il faut que ce soit prouvé, pas : Je mets un masque, parce que peut-être que je pourrais recevoir une poussière dans l'oeil. Non, non, non, il faut que ce soit plus sérieux que ça. Et, «le justifie clairement», donc, encore là, on joue sur le fardeau de preuve pour s'assurer que l'exception demeure exceptionnelle.

Mme Maltais : Il y a beaucoup d'échanges sur ça aussi, sur le fait qu'il y a deux types de service là-dedans : il y a le service rendu par le fonctionnaire, par la fonction publique et il y a le service qui est donné aux citoyens. Donc, une clause interpelle la fonction publique, le personnel, l'autre clause interpelle le citoyen.

Est-ce que ce refus d'accommodement, à votre avis, devrait s'adresser aux deux?

M. Rousseau (Guillaume) : Oui, tel qu'on l'a libellé, «tout accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles — référant aux règles des deux premiers alinéas — doit être refusé». Donc, oui, dans notre esprit, c'est comme ça qu'on le voyait.

Mme Maltais : Vous avez parlé de la clause de «non-establishment» qui existe aux États-Unis, qui envoie un message qui ensuite guide le reste des principes de neutralité religieuse, dans ce cas-là, et des accommodements. Vous ne nous proposez pas pourtant ce type de principe — en tout cas, j'ai cherché — dans votre mémoire, soit l'inclusion d'une clause laïcité ou l'inclusion d'une clause séparation entre l'Église et les religions. Pourquoi? Pourtant, vous nous parlez vous-même du fait que la clause de «non-establishment» avait amené un regard différent des tribunaux sur la façon dont on gère les accommodements.

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Un instant.

(Consultation)

M. Rousseau (Guillaume) : L'amendement que je propose à la fin... En fait, c'est qu'au sujet de...

Mme Maltais : ...

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. C'est qu'en fait je propose : soit on fait une modification un peu plus technique au projet de loi, parce que parfois le projet de loi ne vise pas à modifier la charte québécoise... De dire au gouvernement de le faire, c'est comme... on risque que ça ne fonctionne pas, là. Donc, très, très pragmatiquement. Donc, moi, j'y vais pragmatique, je propose un amendement technique à l'article 10 du projet de loi, mais ensuite je dis qu'idéalement, effectivement, il faudrait modifier la charte québécoise en y incluant le fait qu'un accommodement religieux doit respecter l'égalité hommes-femmes, neutralité religieuse de l'État.

Donc, je le prévois là, mais c'est vrai qu'on pourrait le prévoir comme un principe interprétatif plus large de la charte québécoise, je vous suis, et...

Mme Maltais : Une petite question. Il me reste 10 secondes.

M. Rousseau (Guillaume) : Oui.

Mme Maltais : Est-ce que ça aurait un impact juridique, le fait d'écrire dans l'article 1 «Considérant la laïcité de l'État, la présente loi» au lieu de «la neutralité religieuse»? Est-ce que ça aurait un impact?

M. Rousseau (Guillaume) : Je ne pense pas, parce que tout est sujet à conformité au droit constitutionnel canadien, qui n'est pas du tout favorable à «laïcité», d'où l'importance d'aller dans le détail avec jouer sur le fardeau de preuve et des dispositions dérogatoires. Sinon, on peut avoir tous les beaux principes qu'on veut, à la fin de la journée, les juges nommés par le fédéral vont nous ramener ça à la norme canadienne, multiculturalisme, accommodements raisonnables ou déraisonnables, à fond.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Je vous remercie.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Me Rousseau, Me Proulx, bonjour. Extrêmement intéressant. Clause dérogatoire, vous en avez parlé, je suis ravie, elle existe, elle est là pour que nous nous en servions, en tant que législateurs. J'apprécie l'entendre, parce que souvent on nous traite de toutes sortes de noms quand on évoque la clause dérogatoire, alors qu'elle existe pour une raison très précise, pour justement préserver notre particularisme — je ne sais pas si ça se dit — notre particularité à l'intérieur du Canada.

Vous écrivez quelque chose que je trouve hyperpertinent : «Comme quoi dès l'origine le ver de l'inégalité hommes-femmes était dans la pomme de l'accommodement religieux.» Je comprends que c'est un clin d'oeil, mais je trouve donc qu'il y a quelque chose qui résonne à mon oreille ici. Ça, c'était le clin d'oeil.

Maintenant, si on passe à l'article 9, «visage découvert», vous nous dites — j'ai pris des notes : «...le sens des alinéas s'oppose de façon à s'annuler.» Et ça, on le voit. On dit : Tout doit être services reçus et donnés à visage découvert, mais, mais, mais, si on nous demande un accommodement, il faut accommoder... Vous nous parlez, entre autres, de la cérémonie d'assermentation avec un niqab. Tout comme vous, je considère que c'est impensable, mais on en est là. Donc, vous nous disiez qu'il fallait surtout s'attarder, entre autres, à la dissidence du juge LeBel lorsqu'on parle d'égalité hommes-femmes. Et vous en parlez à la page 9. Je vais en lire un petit bout puis j'aimerais que vous y alliez puis que vous vous concentriez là-dessus, parce que c'est un son de cloche qui est extrêmement intéressant puis ce n'est pas celui sur lequel on se penche souvent. Mais vous nous dites : «Le projet de loi vise notamment à favoriser la neutralité religieuse de l'État et donc une certaine forme de laïcité, comme le souligne son titre, et l'égalité hommes-femmes, comme l'indique son article 10. Or, dans l'arrêt [la] Reine contre N.S., c'est l'opinion dissidente des juges LeBel et Rothstein qui pose le plus clairement la question de la compatibilité entre le visage couvert et la neutralité religieuse.»

J'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous plaît. Allez-y, expliquez-nous.

• (16 h 20) •

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Merci pour la question. En fait, nous, on attire votre attention, dans le fond, sur le fait que, sur cette question-là, clairement la Cour suprême était divisée.

Donc, de dire : Il faut absolument permettre largement les accommodements à la règle du visage découvert, sinon vous n'êtes pas conforme aux droits de la personne... Non, c'est plus compliqué que ça. C'est : Vous n'êtes pas conformes, à la limite, à une certaine interprétation qui, de manière assez serrée, l'a emporté en Cour suprême en 2012, mais la question est toujours pendante, et on peut penser qu'à terme c'est l'opinion du juge LeBel qui va l'emporter puis on peut aussi penser que, pour des raisons d'intérêt public, de vivre-ensemble, etc., c'est la plus fondée politiquement, et, dès lors, comme parlementaires, vous ne devriez pas vous gêner pour établir une règle plus claire de visage découvert, sachant que, politiquement, il y a des raisons de le faire puis juridiquement, bien, il y a un argument très solide par deux juges de la Cour suprême pour dire que, non, ça ne porte pas atteinte à la liberté de la religion ou, du moins, c'est une atteinte tout à fait justifiée.

Mme Roy : Corrigez-moi si je me trompe, mais l'article 9, tel qu'il est rédigé actuellement, avec son troisième alinéa, ferait en sorte qu'un fonctionnaire de l'État, par exemple, pourrait porter niqab ou burqa. Est-ce que c'est possible ou est-ce que je me trompe totalement?

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Tout à fait. Pour qu'on puisse refuser, il faut une raison de sécurité. Bon, donc là, ça suppose un chantier de construction, ou autres. «Identification». Bon, à partir du moment... la personne pourra toujours s'identifier en privé, par exemple une femme seulement avec une femme, bon, des choses comme ça, en privé, remet le masque. On ne voit pas pourquoi l'identification, ça empêcherait plus que ça. Les communications. Bon, la personne peut toujours parler à travers son masque, donc on ne voit pas pourquoi ça refuserait... Donc, sauf les cas de sécurité, on ne voit pas vraiment dans quels cas, là, ça va être refusé.

Donc, ça ouvre la porte très, très largement, d'autant plus que 9, alinéa trois, sera interprété à la lumière de la jurisprudence, donc de R. contre N.S., qui, majoritairement, l'a permis, y compris lors d'un... ou, en tout cas, ouvre la porte au cas par cas, à ce que ce soit permis lors d'un interrogatoire en cour, où il n'y a pas de moment où c'est plus important d'avoir le visage découvert. Donc, c'est ça, là, c'est : 9, alinéa trois, doit être interprété à la lumière de ça, là. On part de là, comme on dit. Alors, évidemment que l'interprétation va être hyperlarge puis que 9, alinéa trois, va complètement faire disparaître les deux premiers alinéas, là. Dans l'état actuel de la jurisprudence, c'est inévitable.

Mme Roy : Maître, si vous saviez comme ça me réconforte d'entendre une sommité comme vous me dire qu'effectivement ça ouvre la porte au port du niqab et de la burqa dans la fonction publique! Je le dis, naturellement, je ne suis que la petite députée de la deuxième opposition, là, qui fait peur au monde, mais l'entendre de votre bouche... nous dire que la jurisprudence, dans l'état actuel du droit, va permettre cela, moi, je pense qu'il faut que tous les gens l'entendent. Merci de nous le dire, maître.

Maintenant, j'aimerais vous poser une autre question.

Le Président (M. Ouellette) : Une petite de trente secondes.

Mme Roy : Une toute petite de trente secondes. Vous nous dites que nous devons, en tant que juristes, si nous voulons justement protéger nos spécificités, utiliser la clause dérogatoire et le faire de façon préventive. Un parti politique qui voudrait interdire certains signes religieux... enfin, le port de signes religieux, point, comme le recommande Bouchard-Taylor, en y ajoutant les enseignantes, par exemple, pour ne pas qu'il y ait d'enseignantes avec un tchador avec les enfants, pourrait-il se servir de la clause dérogatoire pour le faire?

M. Rousseau (Guillaume) : Le pourrait seulement. Pour ce qui est de la clause dérogatoire de la Charte canadienne, il faudrait le renouveler aux cinq ans, donc ce qui suppose qu'à un moment donné il y a une alternance politique qui rend la chose peut-être un petit peu insécure sur le plan juridique, mais quand même, pour au moins cinq ans, ça fonctionnerait. Et, pour la charte québécoise, on la met une fois, puis c'est bon pour une période indéterminée.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke, et M. Nicolas Proulx, étudiant à la maîtrise à l'Université de Sherbrooke, d'être venus en commission.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais aux gens du Rassemblement pour la laïcité de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 16 h 23)

(Reprise à 16 h 25)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant, pour le Rassemblement pour la laïcité, M. André Lamoureux et Mme Leila Lesbet.

M. Lamoureux, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation avec Mme Lesbet, et, par la suite, il y aura échange avec Mme la ministre.

Une voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Ah! je vais vous faire signe. Ne soyez pas inquiets, je vais vous faire des signes, là, quand on va être dans les temps. Et après il y aura un échange avec les porte-parole des deux oppositions. M. Lamoureux, à vous la parole.

Rassemblement pour la laïcité (RPL)

M. Lamoureux (André) : Bonjour, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés. Je me présente, je suis André Lamoureux, politologue et porte-parole du Rassemblement pour la laïcité, et je suis accompagné de Mme Leila Lesbet, qui est technicienne en éducation spécialisée et membre du rassemblement aussi.

Le Rassemblement pour la laïcité vient ici pour vous dire qu'il s'oppose fermement au projet de loi n° 62. L'examen attentif du projet nous permet de conclure qu'il n'est pas, mais pas du tout un projet de loi visant la neutralité religieuse de l'État. Par son contenu, il dénote tout le contraire. À notre avis, il ferait même reculer les avancées durement acquises au Québec au cours des 50 dernières années en matière de laïcité.

Vous dites, Mme Vallée, que votre intention n'est pas de concevoir un projet de loi sur la laïcité, mais bien sur la neutralité. Sur cet aspect, nous voulons vous faire part que la neutralité de l'État sans laïcité est impossible. Les États qui ont progressé sur le terrain de la neutralité religieuse, même si c'est de manière inégale, ce sont ceux qui ont décidé d'avancer et de porter des gestes concrets en matière de laïcité. C'est le cas du Québec. Malgré tous ses jugements controversés, la Cour suprême du Canada reconnaît elle-même cette tendance des grandes démocraties à tendre vers la laïcité. Il est déplorable que le Parti libéral du Québec se refuse aujourd'hui de le reconnaître et soit tenté de mettre tout cela aux rebuts.

Non seulement votre projet de loi ne donne-t-il pas de définition de «neutralité religieuse de l'État», mais il camoufle par le non-dit son véritable objectif, qui est de légaliser les pratiques et le port de signes religieux par toutes les personnes exerçant du pouvoir ou autorité dans les rouages de l'État, les élus, les personnels de cabinet, les juges, les maires, les mairesses des municipalités et des arrondissements, les conseillers d'arrondissement et les conseillers municipaux, les présidents de MRC, les hauts fonctionnaires ainsi que l'ensemble du personnel des sociétés d'État et des organismes publics. En prime, vous ouvrez la porte aux accommodements envers la mouvance islamiste en permettant aux femmes de porter le tchador, le niqab ou la burqa. Ces tenues vestimentaires ne sont pas du simple linge, elles ne sont nulle autre chose que des symboles d'asservissement et d'avilissement édictés par des idéologies oppressives et hautement patriarcales que sont le salafisme et le wahhabisme. Ces idéologies instrumentalisent la religion à des fins politiques rétrogrades notamment en prônant des pratiques sociales prémédiévales.

Le projet de loi à l'étude, s'il jouait franc jeu, devrait s'intituler ainsi : loi permettant les pratiques et les signes religieux au sein de l'État pour l'ensemble des élus et des personnels des organismes publics ainsi qu'aux usagers des services avec possibilité de bonification de l'offre par le port du tchador, du niqab et de la burqa. Mais, Mme la ministre, vous savez que, lorsqu'un immigrant veut être accepté au Québec, il doit remplir et signer un certificat de sélection. Dans celui-ci, il y a une déclaration sur les valeurs communes inspirée de l'interculturalisme, que pratique le Québec depuis longtemps, que le nouvel arrivant doit accepter. Parmi les énoncés qu'il doit accepter, il y en a un qui spécifie que l'État québécois et les institutions sont laïques, les pouvoirs politiques et religieux sont séparés. Vous qui dites que le projet de loi, ce n'est pas ça et ce ne sera pas un projet de laïcité. Êtes-vous en train de nous dire que le gouvernement est en désaccord avec les conditions minimales que le ministère de l'Immigration impose aux immigrants pour venir au Québec mais qu'il ne veut pas s'imposer à lui-même ou est-ce aussi votre intention de demander de faire retirer cette condition d'octroi du certificat de l'immigration... de citoyenneté? Excusez-moi. Pour notre part, nous pensons qu'il ne faut pas le retirer. Il faut, au contraire, faire beaucoup plus, car, dans cet énoncé, l'engagement du nouvel immigrant ne dépasse pas le stade de voeu pieux. Il est donc sans conséquence pour lui, puisque nulle part la législation québécoise ne précise que le Québec est un État laïque. Selon nous, il faut que cette reconnaissance du caractère laïque de l'État soit statuée et traduite sous forme législative et réglementaire.

• (16 h 30) •

Concernant l'incohérence du projet de loi, le RPL en profite pour dénoncer le passe-droit qui est donné au palier municipal. Tous les services municipaux, donc, pourront être ouverts à toutes les pratiques religieuses et tous les signes, y compris les plus oppressifs.

Ajoutons un autre aspect du projet de loi. Pour le gouvernement, la façon de protéger la neutralité religieuse pour le personnel, c'est sur une base, en fait, ici tout à fait individuelle, à savoir de ne pas favoriser ou défavoriser les croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions. Or, on suppose que cela veut dire qu'un membre du personnel ne devrait pas parler en faveur ou en défaveur de quelque religion. Mais comment ne pas reconnaître que les symboles et signes religieux parlent d'eux-mêmes sans qu'une personne n'ait besoin de parler? Elle n'a qu'à porter des signes religieux pour le faire. La cour de justice de l'Union européenne est allée assez précisément sur cette question-là dans un jugement historique en 2015. Il s'agit d'une cause qui opposait, d'un côté, une musulmane et un collectif luttant contre le racisme et, de l'autre, une entreprise privée qui prônait une politique de neutralité religieuse. La dame réclamait son présumé droit de porter le hidjab à son poste de travail comme réceptionniste. L'entreprise pour laquelle elle travaillait, évidemment, interdisait le port de signes religieux. Cette employée a finalement perdu sa cause à deux paliers du système judiciaire belge. Son dernier recours, c'était la cour de justice européenne. Non seulement ladite cour a confirmé la décision de l'entreprise au nom de la préservation de sa politique de neutralité religieuse, mais elle a en plus expliqué que porter des signes religieux à son poste de travail représentait une discrimination directe — le seul fait de porter des signes religieux — envers les autres employés et la clientèle, donc une atteinte directe à la liberté de conscience d'autrui. La cour a expliqué qu'il fallait distinguer les croyances religieuses, qui sont du domaine privé, et les conditions d'exercice de la profession, qui peuvent être dictées par l'employeur notamment en ce qui concerne les conditions de loyauté envers l'entreprise et les restrictions que celle-ci veut instaurer.

Claire L'Heureux-Dubé, ancienne juge de la Cour suprême du Canada, a expliqué ici la même chose en commission parlementaire dans le cadre de l'étude du projet de loi n° 60. Elle expliquait que la réclamation de porter des signes religieux, pendant les heures de travail, dans les organismes publics ne peut pas être considérée comme un droit ou comme faisant partie des grandes libertés fondamentales. Tout employeur a le droit de fixer des règles de tenue vestimentaire au travail.

La Commission des droits de la personne, en 2009... en 1999, excusez-moi, par le biais de Me Pierre Bosset, ex-directeur de la recherche et de la formation, expliquait qu'un symbole religieux affiché dans les classes, tel que le crucifix, porte atteinte aux droits et libertés fondamentales des élèves, placés en situation de clientèle captive. Le crucifix, disait-il, doit être considéré comme attentatoire aux libertés de conscience et de religion des élèves. Si la présence du crucifix représente une atteinte à la liberté de conscience des élèves, qui doivent le subir tout le temps dans leur champ de vision, comment pourrait-il en être autrement pour les autres signes religieux portés par les enseignants, comme le voile islamique, le turban sikh, la kippa ou la croix catholique? En situation d'apprentissage, la tête de l'enseignant ou de l'enseignante est forcément toujours dans le champ de vision de l'élève.

Nous demandons l'autorisation pour prolonger un petit peu... Je sais que, la semaine dernière, on a remarqué que certains groupes ont eu des prolongations, même jusqu'à 17 minutes.

Une voix : Mme la ministre. On le prendra sur la...

Des voix : ...

M. Lamoureux (André) : Non, mais peut-être trois minutes? Deux, trois minutes?

Une voix : ...

M. Lamoureux (André) : D'accord. Parfait. Je donne la parole à Mme Lesbet.

Mme Lesbet (Leila) : Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés.

Alors, je prends suite de ce que vient de dire M. Lamoureux. Alors, c'est pourquoi le Rassemblement pour la laïcité considère qu'il ne peut y avoir de neutralité religieuse sans l'interdiction de port de signes religieux pour les élus et le personnel de l'État et des organismes publics. Le domaine de l'enseignement est le secteur où cette exigence est la plus capitale, car il est le lieu de socialisation le plus important dans la société.

Nous croyons qu'au nom du principe de neutralité religieuse le port de signes religieux chez les élèves des écoles publiques devrait être interdit, au moins aux niveaux primaire et secondaire. Cela tient au fait que, comme l'école publique est obligatoire, les élèves qui ne pratiquent pas ou qui appartiennent à d'autres religions se trouvent immanquablement dans le corridor obligé, n'ayant pas le choix de subir une influence religieuse non désirée.

Le port de signes religieux par les élèves heurte directement la liberté de conscience des autres. Le port du voile islamique, en l'occurrence, qui demeure un symbole de ségrégation sexuelle, heurte la liberté de conscience des autres jeunes filles, non musulmanes, et exerce une pression indirecte sur elles. Il amène aussi ces jeunes filles voilées à se placer en marge du groupe, nuisant ainsi à leurs propre socialisation et intégration. Les risques de voilement des fillettes débordent aussi sur d'autres facettes du développement de l'enfant — physique, affectif, psychologique, cognitif et rationnel — mais nous n'avons pas le temps de tout développer ici, bien entendu.

Les services de garde éducatifs à l'enfance devraient être tout autant démunis de pratiques religieuses, et le personnel devrait s'y abstenir de porter des signes religieux. Autoriser de telles pratiques religieuses permet l'intrusion du communautarisme dans les CPE et ne peut que brimer la liberté de conscience des enfants et des familles qui pratiquent une autre religion ou qui sont agnostiques ou athées.

Enfin, il y a deux grandes omissions dans le projet de loi. Il y a d'abord la question du financement des écoles privées à vocation confessionnelle. En 2011, le Conseil du statut de la femme rappelait au gouvernement que l'Ontario ne finance pas les écoles privées confessionnelles. Les écoles publiques dans cette province s'en trouvent d'ailleurs plus valorisées. Le conseil expliquait qu'en finançant les écoles religieuses l'État favorise le fait religieux plutôt que de conserver une distance qui lui commande l'objectif de neutralité. Le Conseil du statut de la femme demandait que la pertinence de cesser le financement des écoles confessionnelles soit débattue en commission parlementaire à l'Assemblée nationale du Québec. Cinq ans plus tard, nous sommes obligés de constater que rien n'a progressé sur cette question chez le législateur. Le Rassemblement pour la laïcité trouve cette situation déplorable. L'autre préoccupation que nous avons, c'est la teneur du cours éthique et culture religieuse, qui est dispensé dans les écoles. Le cours ECR se donne comme mission de livrer aux élèves une culture religieuse visant la connaissance des religions. On prétend le faire sans visée confessionnelle. En vérité, ce cours met en scène une myriade de contenus multiconfessionnels auxquels sont exposés des élèves qui, en jeune âge, ne sont pas en mesure de distinguer la propagande religieuse et la connaissance. Dans ce tour d'horizon de croyances, l'élève est coincé dans un tourbillon d'expositions religieuses avec tous les préjugés et les stéréotypes qui découlent de celles-ci. Les élèves nourrissent inconsciemment une obligation de croire, même chez les enfants de famille non pratiquante, agnostique ou athée. Ajoutons aussi que les dimensions obscurantistes de certaines religions ne sont pas non plus soumises à des analyses critiques. Nous suggérons donc que le volet culture religieuse du cours ECR soit aboli et remplacé par l'apprentissage de valeurs humanistes, démocratiques et citoyennes de notre société.

En conclusion, le projet de loi qui est devant nous est un gros mensonge public, un trompe-l'oeil, de la poudre aux yeux lancée aux citoyens, comme l'était le projet de loi n° 59 avant lui. Il est un cadeau offert sur un plateau d'argent aux intégrismes et particulièrement à la mouvance islamiste au Québec, qui est très invasive. La question du nécessaire respect de la dignité des femmes, la condamnation de toute forme d'asservissement ou d'avilissement à leur endroit, tous ces motifs fondamentaux de l'interdiction du voile intégral sont complètement évacués du projet. Dans l'histoire du Québec, depuis l'émergence des débats sur la laïcité au cours des années 60, jamais on n'aura vu un gouvernement plier autant l'échine devant les particularismes et les pressions exercés par les mouvements religieux. Nous demandons le retrait du projet de loi n° 62. Merci.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Pour les bienfaits de la technique, pour rappeler les temps : le premier trois minutes a été séparé également entre le gouvernement et l'opposition officielle, et la minute additionnelle que j'ai consentie va être prise sur le temps du gouvernement dans votre échange avec les gens.

Alors, à vous la parole, Mme la ministre et députée de Gatineau, pour votre bloc d'échange.

• (16 h 40) •

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Donc, M. Lamoureux, Mme Lesbet, merci de votre présentation.

Comme je le mentionnais à d'autres groupes, la beauté de cet exercice, c'est que, même si on ne voit pas les choses de la même façon, même si on n'a pas la même vision et les mêmes souhaits ou la même façon de concevoir, peut-être, certaines règles de société... la beauté de notre exercice, c'est de permettre à tous ceux et celles qui ont un intérêt de venir s'exprimer et d'exprimer leurs perceptions du projet de loi.

Je vous dirais avec un clin d'oeil et bien gentiment : Vous m'avez prêté des intentions un petit peu dans votre présentation, M. Lamoureux, et Mme Lesbet aussi, en prétendant que l'objectif était presque de mettre la table pour une certaine forme d'intégrisme religieux. Bien, je fais simplement vous dire : Moi, je ne le vois pas de cette façon-là. Puis, la beauté de la chose, c'est justement, je vous entends nous faire part de votre analyse du projet de loi et puis moi, je vous indique que ce n'est pas du tout là où on loge. Et je serais curieuse de vous entendre sur toute la question de la notion des accommodements religieux. On a quand même, dans notre société, des droits qui sont reconnus, la liberté de conscience, la liberté de religion.

Et, la question des accommodements, comment un... Je m'excuse. J'irais avec deux volets : votre conception de la laïcité, selon, je vous dirais, vos rêves les plus fous, et de quelle façon on concilie cette vision de la laïcité avec les notions d'accommodement notamment pour motif religieux?

M. Lamoureux (André) : Écoutez, je pense que, votre réponse, vous l'avez eue des commissions scolaires... je pense, c'est hier, là, où on a appris que seulement qu'à la commission scolaire de Montréal vous avez eu 500 demandes d'accommodements religieux au cours de l'année dernière.

Dans le cadre de ce projet de loi, nous sommes vraiment contre tout accommodement religieux, puisque la loi que vous avez présentée dit que le critère qui doit être fixé pour accorder les accommodements religieux, c'est celui du respect de la neutralité religieuse de l'État. Or, la neutralité religieuse de l'État, Mme la ministre, vous ne la définissez pas dans votre loi, et donc ça va être un fourre-tout, un passe-partout, puis, pour être méchant, je dirais : C'est une vraie farce. La laïcité...

Mme Vallée : Je vous dirais, avec un clin d'oeil, encore une fois, ce n'est pas très gentil pour les juristes de l'État qui ont participé à la rédaction de ce projet de loi là.

M. Lamoureux (André) : ...

Mme Vallée : Non, mais c'est important, je...

M. Lamoureux (André) : ...peut-être pas les juristes, mais ils ont quand même des orientations lorsqu'ils écrivent.

Mme Vallée : Bien, c'est parce que, lorsqu'on dit des choses comme ça à l'égard d'un projet de loi, on porte atteinte à ceux et celles qui ont travaillé à la rédaction et aux avis qui ont été donnés.

M. Lamoureux (André) : ...pas du tout porté atteinte aux...

Mme Vallée : Les gens, parfois, dans leur empressement, vont viser la ministre, le ministre qui est porteur d'un projet de loi, mais sachez que, ce projet de loi là, ce n'est pas moi toute seule assise à ma table de cuisine qui l'ai rédigé dans un élan, mais ce projet de loi là a été rédigé par une équipe de constitutionnalistes, de juristes de grande qualité.

M. Lamoureux (André) : Mme la ministre, il n'y a pas de doute là-dessus, puis je les respecte tout à fait...

Mme Vallée : C'est important.

M. Lamoureux (André) : ...mais ils ont quand même une demande politique, ils ont quand même une orientation politique avant d'écrire, avant de tenir leur ordinateur dans leurs mains, et tout ça. Donc, ils ont eu des demandes de la part du gouvernement.

Alors, laissez-moi continuer. Je vous dis ceci : En plus, la loi ne dit rien par rapport aux questions des critères fondamentaux qui seraient la question de l'équité dans la procédure, disons, d'octroi d'accommodements religieux et la question des privilèges aussi accordés dans la situation, disons, donc, d'octroi de ces accommodements. Et, en plus, il n'y a rien sur l'enseignement supérieur, qui est un problème majeur aussi, ces questions-là, même chez les étudiants, chez les employés, la question des privilèges. Donc, il n'y a rien à cet effet, et la loi ne dit rien sur la question de la neutralité religieuse. Le risque est trop grand, pour nous, là.

Et en plus on a un principe dans la laïcité qui est le suivant, c'est ce qu'on appelle l'universalité dans l'exercice des droits et des responsabilités, à savoir que les lois qui sont adoptées dans un État, nous, que nous considérons comme laïque doivent être égales pour tous et toutes en termes de responsabilités et de droits également. Ce problème-là a été posé au port de Montréal il n'y a pas longtemps avec les sikhs qui portaient le turban par rapport aux autres travailleurs qui étaient à l'extérieur des camions et qui occupaient des fonctions pas mal différenciées par rapport à ces gens-là. Donc, cette question-là d'équité et de privilège, en ce qui nous concerne, tel que le projet de loi, il est libellé... accorder des accommodements religieux, ça irait dans toutes les directions et ça créerait toutes sortes de problèmes d'iniquité et d'inégalité parmi les employés, les membres du personnel.

Mme Vallée : Quelle est votre définition de la neutralité religieuse? Selon votre regroupement, quelle est la définition de la neutralité religieuse? C'est intéressant puis c'est une question sérieuse, parce qu'on a eu différents groupes qui avaient une perception différente de la neutralité religieuse.

M. Lamoureux (André) : Notre définition, il y a trois principes : c'est la séparation des religions de l'État; le deuxième principe, c'est le respect de la liberté de religion, qui est une affaire, dans une perspective laïque, privée, et de la liberté de conscience, que la Cour suprême a rappelée il n'y a pas longtemps dans le jugement sur la prière, donc, à Saguenay, au conseil municipal; et le troisième, c'est l'universalité des droits pour tous et toutes, on est sur un pied égal, tout le monde. Ça, c'est le principe de la neutralité. Et, pour nous, ça ne peut être qu'une laïcité qu'on pourrait appeler franche. Mme Lesbet va...

Mme Vallée : La laïcité franche. Je comprends que vous avez écouté beaucoup les travaux de la commission. Donc, la laïcité franche, est-ce que, pour vous, c'est la laïcité que certains identifiaient comme étant la laïcité plus républicaine? Certains disaient que c'est une laïcité à l'européenne, plus républicaine.

M. Lamoureux (André) : ...le modèle européen, on s'appuie beaucoup sur le cheminement du Québec lui-même depuis 50 ans, beaucoup. C'est sûr qu'on regarde ailleurs, en Suisse, ce qui se fait en Belgique, on y a parlé de la Belgique, on regarde en France, partout, mais on s'appuie sur notre propre cheminement. Je donne la parole à Mme Lesbet.

Mme Lesbet (Leila) : Si vous permettez, Mme la ministre, je répondrai à votre question et à vos préoccupations. Mais on parle beaucoup de religion, on dit : Accommodements religieux, hein, d'accord? Et donc moi, j'aimerais dire ceci aux... comment dirais-je, aux députés libéraux, et plus particulièrement à vous, Mme la ministre de la Justice, parce que vous avez dit que c'est un projet de loi libéral, d'accord?

Alors, nous aimerions vous demander, à tous les députés libéraux : Pourquoi choisissez-vous de faire la promotion de l'islam politique, c'est-à-dire du wahhabisme, dont l'essence même est l'asservissement et l'aliénation de la femme, la négation de ses droits fondamentaux? Pourquoi choisissez-vous de nier l'existence des musulmanes et des musulmans laïques que nous sommes et qui avons été contraints à l'exil par ce même islam politico-fondamentaliste? Pour quelle raison décidez-vous que notre marqueur identitaire soit la manifestation de comportements, de signes et de symboles qui n'ont aucune existence et aucune véracité dans le Coran? Ce sont des pratiques patriarcales, sexistes, ségrégationnistes et inégalitaires dont le Coran ne fait nullement la promotion. Quel est votre objectif lorsqu'à travers un projet de loi vous nous renvoyez à l'ère antéislamique, c'est-à-dire la Jâhiliya? Avez-vous si peu de considération pour nous, au point de nier jusqu'à notre existence et de mettre en péril l'avenir de nos enfants, qui ont trouvé refuge ici, au Québec, une terre de liberté, après avoir été poussés à l'exil dans leur propre pays?

Faire le choix de folkloriser l'islam peut paraître sympathique et anodin s'il ne menait pas à l'obscurantisme, le repli sur soi, à la radicalisation, et le cas de l'Algérie en témoigne. Et le plus inquiétant, c'est de consacrer dans un texte de loi l'inégalité hommes-femmes telle que pratiquée dans les pays de la Péninsule arabique et déversée dans tout l'Occident grâce au laxisme de ces politiques coupables d'opportunisme.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Oui, M. le Président. Je pense que j'ai terminé mes échanges, parce que vraisemblablement on semble nous prêter des intentions qui ne sont pas les nôtres.

Je vous dirais, Mme Lesbet et M. Lamoureux, tout simplement qu'il s'agit d'un projet de loi qui, à notre avis, est respectueux des libertés individuelles, est respectueux de la diversité au Québec et des réalités. Et vous avez le droit de ne pas être d'accord avec moi. Je vous vois faire des signes de la tête. Vous me posez une question, je vous réponds. Alors, ceci étant dit...

Une voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Un instant. Un instant.

Mme Vallée : ...M. le Président, je vais laisser la parole à ma collègue, parce que c'est une espèce de dialogue de sourds cet après-midi puis c'est désagréable.

• (16 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, madame, monsieur du Rassemblement pour la laïcité. M. Lamoureux, Mme Lesbet, bienvenue. Je comprends puis je peux comprendre, Mme Lesbet, la difficulté que vous avez devant la montée, je vais le dire comme ça, du phénomène religieux au Québec, quand, comme vous l'exprimez, vous avez vécu dans d'autres... des gens qui ont vécu dans d'autres pays la difficulté de vivre dans un pays où la religion est mélangée à l'État.

Je comprends que vous soyez extrêmement sensibles à ces réalités, que nous découvrons aussi chez nous, mais, je vais vous dire, j'aimerais ça que notre échange soit non pas sur l'objectif de la loi, parce que, là, c'est prêter des intentions puis, entre nous, on ne se fait pas ça, mais sur la perception que vous avez du résultat que ça va donner. Moi, j'aimerais que notre échange se situe dans ce cadre-là, c'est : vous croyez que le résultat va donner ça. Comme ça, on ne tombe pas dans l'objectif, on reste dans le résultat.

D'ailleurs, il y en a un peu pour tout le monde dans votre mémoire, puisqu'en page 16 vous chicanez un petit peu le Parti québécois et la Coalition avenir Québec en disant que vous êtes étonnés de nous voir soutenir que les recommandations du rapport Bouchard-Taylor seraient un seuil minimal acceptable pour la mise en oeuvre de la laïcité au Québec et que ce seuil ferait consensus. Ce n'est pas tout à fait ça. Nous avons déposé le projet de loi n° 60, et d'ailleurs je remarquais que vous rappelez que 60 % à 70 % des Québécois étaient d'accord avec, en général, ce qu'il y avait là-dedans, mais là ce n'est pas nous qui sommes au pouvoir. Alors, nous travaillons à partir du projet de loi n° 62 puis on essaie de voir s'il y a moyen d'en faire quelque chose d'acceptable minimalement, en disant que chacun d'entre nous rêve, un jour, d'aller au pouvoir ou d'y revenir et de faire mieux, O.K.? Ce n'est pas une intention de dire : Voici le seuil minimal, on l'a atteint. C'est : Qu'est-ce qu'on fait avec cette loi-là puis comment en faire quelque chose d'intéressant pour tout le monde? On cherche une piste d'atterrissage pour tout le monde avec cette loi-ci.

J'aimerais ça vous entendre parler sur l'Algérie. C'est un des très rares mémoires qui nous amènent à ce qui se passe en Europe et qui parlent un peu aussi, c'est ça, de... qu'il y a des pas qui se franchissent un en arrière de l'autre, et vous parlez justement de l'interdiction de signes religieux chez les personnes en situation d'autorité.

M. Lamoureux (André) : Oui. Je vais intervenir sur cette question-là, ce qui se passe. On a pris cet exemple, l'Algérie, pour montrer que, pour nous, ce qu'on appelle, au Québec, la laïcité ouverte telle que présentée par le rapport Bouchard-Taylor, ce n'est pas une laïcité, c'est, en fait, la porte ouverte plutôt à la présence du religieux dans les institutions publiques, sauf pour quelques postes, on le sait, là, les juges, etc. On n'en fera pas la liste encore. Ce qu'on voulait simplement dire, c'est que l'Algérie, qui n'est pas un État laïque, dont certaines lois principales... les principales lois, en tout cas... comme le code de la famille est fondé sur la charia... est quand même un État qui interdit des signes religieux à plusieurs niveaux, disons, de la structure de l'appareil d'État d'une façon plus élaborée même que ce que nous proposait le rapport de la commission Bouchard-Taylor, et donc ça inclut pour eux la police, ça inclut aussi les agents des douanes, etc., donc. Et même j'ajouterais, en passant, en parallèle que vous savez probablement qu'Air Algérie même interdit les ports de signes religieux pour ses agents de bord.

Donc, ce qu'on se dit, c'est : Est-ce que le Québec mérite mieux que l'Algérie en termes de laïcité? Nous, on pense que oui, et ça couvre, Mme Lesbet l'a dit, les enseignants notamment. Pour nous, s'il y a un lieu où la laïcité doit être priorisée, et l'interdiction de signes religieux, c'est le milieu de l'enseignement, particulièrement au primaire, secondaire, je dirais, jusqu'au collégial. Les universités, c'est un petit peu plus complexe, on l'a indiqué dans notre mémoire.

Je vais vous donner le témoignage... je pense qu'on l'utilise dans le rapport. Il y a une députée belge, députée de Bruxelles, la capitale, Mme Fatoumata Sidibé, qui dit, elle, une partisane de la laïcité... elle est d'origine malienne, Noire et musulmane et elle fait une charge au Parlement européen, elle dit que les signes religieux doivent absolument être interdits pour tous les employés des secteurs publics, parce qu'ils sont des panneaux publicitaires. Les signes religieux parlent en eux-mêmes, et c'est vrai pour des maires, c'est vrai pour des enseignants, c'est vrai pour... je ne sais quoi, même pour des employés d'hôpitaux, c'est vrai pour tout le monde, les fonctionnaires aussi qui font face à une clientèle, le grand public. Donc, les signes religieux sont parlants. Ce n'est pas vrai, Mme la ministre, et là je le dis en toute politesse, qu'ils ne sont que du linge.

Je vais vous compter une histoire. J'ai été coordonnateur du Département des sciences humaines dans un cégep longtemps, et puis, dans les années 90, il y avait, dans notre département, ce qu'on appelait des Hammerskins. Vous connaissez ça, des Hammerskins? Peut-être pas. C'est des skinheads mais violents et qui prônent la violence contre les Noirs et... la violence physique, là, et les homosexuels. Il y en avait quelques-uns et il y en avait un, à un moment donné, qui a décidé de se promener avec ses signes. Et les signes des Hammerskins, ce n'est pas l'étoile nazie, c'est deux marteaux qui se croisent et qui, quand tu les regardes... tu sais exactement ce que ça veut dire, c'est : j'appelle à la violence contre les Noirs et les homosexuels. Des professeurs se sont aussitôt plaints en anthropologie, en sociologie, et je suis allé les voir. J'étais coordonnateur du département, une trentaine de professeurs, et puis je lui ai dit : Tu ne peux pas porter ça ici, ces signes-là. Ça parle, ça, ça parle de violence. On n'en veut pas, de ça, dans le Département de sciences humaines, dans nos cours, dans nos classes. Il a dit : Je n'ai rien fait, je n'ai rien fait. J'ai dit : Non, non, on ne se comprend pas, là. J'ai dit : Ce que tu portes, ça dit tout. Donc, les signes parlent.

Prenons, d'une façon plus légère... si je suis à un examen, je donne un examen avec mes étudiants à l'université et pour l'examen, pour la chose, si on est en séries éliminatoires, disons, au printemps... puis là je porte ma casquette du Canadien de Montréal. Je ne dis pas un mot, O.K., je ne dis pas un mot pendant l'examen. Est-ce que je favorise les Canadiens de Montréal? Bien sûr. Ma casquette dit : Je favorise les Canadiens de Montréal et je défavorise les autres équipes. Donc, c'est anodin, mais c'est simplement pour dire que, quel que soit le symbole qu'on porte, il veut toujours dire quelque chose, même des fois pour des choses anodines. Le voile islamique participe de l'intégrisme islamique, est un symbole de ségrégation sexuelle. Les musulmans laïques ne portent pas de voile et sont contre la ségrégation sexuelle. Et la ségrégation sexuelle des femmes chez les intégristes islamiques, ça va jusqu'au cimetière. Et je vous dis ceci : Vous me dites, Mme la ministre, qu'on porte des intentions. On ne porte pas d'intentions. L'article 9, le paragraphe trois, ouvre la porte au port du voile intégral... le niqab notamment et la burqa. Le niqab, c'est le symbole même de l'État islamique. Il n'y a pas une femme qui rentre dans Raqqa actuellement en Syrie sans être obligée de porter le voile intégral. Ce n'est pas anodin, ça. Comment, dans une société démocratique, peut-on accepter un symbole si rétrograde? Ça n'a pas de sens, surtout après... je vous parlais d'où on prend notre inspiration, surtout après 50 ans de bataille. On s'est battus.

Écoutez, en 1967, les enseignants se battaient pour être libérés de l'obligation de l'enseignement religieux, là, c'était une longue marche. C'est une longue marche, et là on retournerait en arrière avec des symboles absolument... je ne dirais même pas «d'une autre époque», là...

Le Président (M. Ouellette) : Non, mais il faut que je vous arrête, M. Lamoureux, il faut que je laisse la parole à Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Madame, monsieur, merci. Merci pour votre mémoire. Je ferais peut-être un petit saut, moi aussi, à la page 16, parce qu'effectivement vous critiquez tous les partis et c'est votre droit le plus légitime. Vous dites qu'il est fort étonnant de voir aujourd'hui le PQ et la CAQ soutenir les recommandations du rapport Bouchard-Taylor. Pour votre gouverne, nous avons la même position depuis 2013, là. Nous disons, depuis 2013...

M. Lamoureux (André) : ...que vous étiez pour un minimum, consensus, non?

Le Président (M. Ouellette) : ...M. Lamoureux, là, je vais la laisser terminer, puis je vous donnerai la parole, pour les gens de l'audio, si ça ne vous dérange pas. Mme la députée de Montarville.

• (17 heures) •

Mme Roy : Oui. Je vais poursuivre. Dans nos échanges, on se disait entre nous : C'est un minimum, là, tu sais, ce que Bouchard-Taylor a dit. Mais, nous, notre position, elle demeure la même : Bouchard-Taylor, interdiction de port de signes religieux pour les fonctionnaires en position de... excusez-moi, je commence à être fatiguée, interdiction du port de signes religieux pour les fonctionnaires en position d'autorité coercitive, vous les connaissez tous, et on ajoutait à ça les enseignants et on se disait : Ce sera déjà un message très fort, un premier pas à envoyer. Et je comprends que vous nous dites que, dans des pays où il y a même la charia, des pays islamiques, on est allé plus loin. Bien, moi, je vous dirais, justement, ici, Dieu soit loué! on n'a pas la charia et nous croyons, nous considérons qu'il ne faut pas aller aussi loin, parce qu'on vit dans un État de droit, de droit civil, de droit commun, de droit criminel, et Dieu soit loué! on va tout faire pour qu'il n'y ait pas de charia. Et je comprends qu'ils aillent un peu plus loin, parce qu'ils ont déjà énormément de restrictions qui les étouffent.

Cela dit, notre position est demeurée la même, et c'est toujours la même. Cependant, tout comme vous, je comprends à la lecture du projet de loi que ce projet de loi n'est pas un projet de loi sur la laïcité, est un projet de loi sur la neutralité de l'État et qu'il va également permettre à tout le monde le port de signes religieux, à l'effet que les services ne doivent pas être entachés par une croyance, mais tous les symboles pourront être là. On a la même lecture.

J'aimerais vous entendre. Naturellement, on parlait, tout à l'heure, du voile intégral. Il y avait maître... le professeur de l'Université de Sherbrooke ici...

Une voix : ...

Mme Roy : ...Me Rousseau, effectivement, qui nous a dit qu'à la lumière de la jurisprudence actuelle l'article 9, troisième alinéa, permettrait, dans l'état du droit actuel, à une fonctionnaire de l'État de réclamer, en vertu des accommodements raisonnables, même si les services se donnent à visage découvert... se donnent et se reçoivent à visage découvert, en vertu du troisième alinéa, une fonctionnaire pourrait demander de travailler avec le niqab et la burqa. Les professeurs nous l'ont confirmé tout à l'heure, vous avez la même lecture, j'ai cette lecture-là. Ça, je m'en inquiète. Alors, soyez assurés qu'il faut faire quelque chose. Nous considérons que ce projet de loi n° 62 ne va pas assez loin, il faut trouver quelque chose qui pourrait faire consensus.

Je comprends votre position, qui est une laïcité très... vous la dites ouverte, partout, tous, dans le privé, dans le public... bien, le privé; sur le trottoir, dans l'espace public et non la fonction publique. Nous, je vous le dis bien, bien honnêtement, là, nous, on ne va pas là, mais on dit : D'abord, au Québec, nous sommes une jeune société, une société libre, un État de droit, mais commençons par dire que l'État québécois est laïque, commençons par envoyer des signaux très, très forts à l'étranger et au reste du pays également. Mais, je sais, et tout comme vous, quelque chose m'attriste dans ce projet de loi, et c'est le fait de voir dans certains vêtements qui sont portés par des femmes un symbole religieux, alors que d'autres y voient plutôt un signe de soumission de la femme, et, tout comme vous, j'y vois un signe de soumission, parce que des gens ont vécu d'autres expériences ailleurs et nous disent : Faites attention.

Vous aviez une lettre tout à l'heure. Je n'ai pas compris. Est-ce que c'est votre...

Le Président (M. Ouellette) : ...Mme la députée.

Mme Roy : Oui. Je parle beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : Je le sais.

Mme Roy : Est-ce que c'est votre témoignage à vous ou le témoignage de quelqu'un qui est dans votre regroupement?

M. Lamoureux (André) : ...

Mme Roy : Allez-y.

M. Lamoureux (André) : Je vais répondre deux secondes, ensuite je vais donner la parole à Mme Lesbet.

Mme Roy : Prenez tout le temps pour... Allez-y, oui.

M. Lamoureux (André) : C'est, tout simplement : un projet de société laïque au Québec serait nécessairement, à mon sens, contradictoire avec l'article 2 de la Charte canadienne, parce que cet article-là dit que la liberté religieuse existe, la liberté de conscience... mais il ne dit pas, cet article-là, comme ça devrait être le cas dans une société démocratique, que cet exercice se fait dans le respect de la séparation des religions et de l'État.

Les religions, c'est une affaire privée. L'État, c'est une affaire publique. Donc, à ce point de vue là, pour tout ce que vous venez de dire, on utiliserait sans aucune gêne la clause «nonobstant». Elle est utilisée actuellement pour protéger la loi 101. Cette clause-là a été imposée au Québec dans le rapatriement de la Constitution de 1982. Je ne vois pas pourquoi le Québec aurait de la gêne à l'utiliser pour, en fait, aller plus loin sur le terrain de la démocratie que ne le fait cette Charte canadienne. Je donne la parole à...

Le Président (M. Ouellette) : 30 secondes, Mme Lesbet.

Mme Lesbet (Leila) : Oui. Bien, c'est dommage, 30 secondes, parce que j'aimerais revenir quand même sur... parce qu'on parle beaucoup de religion ici, et, quand on parle de religion, et quand on parle de tchador, et quand on parle de jilbab, et quand on parle de voile, je pense que c'est à la religion musulmane qu'on prête cela. Vous me voyez navrée, mais mon témoignage, ce n'est pas mon témoignage, c'est notre témoignage à nous, les musulmanes et les musulmans laïques. Nous ne voulons plus que ces signes ostentatoires d'oppression de femmes soient... comment dirais-je, définissent la religion musulmane et qu'on dise que ça émane du Coran. C'est le rectificatif que je voulais apporter.

Qu'on fasse des accommodements aux citoyens qui demandent pour x raisons de porter tel signe ou tel symbole, je le conçois tout à fait, mais, qu'on folklorise la religion musulmane et qu'on s'amuse avec la religion musulmane, je pense qu'on n'a pas le droit de... On peut la critiquer, mais on ne peut pas la folkloriser. On peut la critiquer de l'intérieur, on peut critiquer ses articles un à un, ses sourates une à une, mais on ne peut pas prêter au Coran ce qui n'existe pas dans le Coran. Et c'est ce que je suis venue exprimer. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Leila Lesbet, M. André Lamoureux, représentant le Rassemblement pour la laïcité. Merci d'être venus déposer en commission.

La commission ajourne ses travaux au mardi 8 novembre 2016, à 9 h 45, où elle poursuivra son mandat.

(Fin de la séance à 17 h 6)

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