(Onze heures trente-cinq minutes)
Le Président (M. Ouellette) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans
la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions
publiques sur le projet de loi
n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et
visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans
certains organismes.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Non, M. le
Président, il n'y a pas de remplacement.
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous entendrons cet avant-midi le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité
et M. Jocelyn Maclure, professeur à l'Université Laval.
Pour le
Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité, nous recevons Mme Louise
Mailloux. Mme Mailloux, vous avez
10 minutes pour faire votre présentation aux membres de la commission.
Par la suite, il y aura une période
d'échange avec Mme la ministre et les représentants des deux partis
d'opposition. Je vous laisse la parole.
Collectif citoyen pour
l'égalité et la laïcité (CCIEL)
Mme Mailloux (Louise) : Merci, M. le
Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. Le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité est
un club politique qui a été créé en 2009. C'est une organisation qui regroupe
des citoyens qui croient à la nécessité de la laïcité et de l'égalité comme
fondements de la démocratie. Nous avons pour objectif l'adoption d'une
charte de la laïcité. Nous avons d'ailleurs été les premiers à proposer en
2010, lors de notre participation à la commission parlementaire sur le projet
de loi n° 94, un projet de charte de la laïcité.
Le projet de
loi n° 62 exige que les membres du personnel de l'État fassent preuve de
neutralité religieuse dans l'exercice
de leurs fonctions, mais l'État lui-même manque à son devoir de neutralité en
favorisant les religions. Le gouvernement subventionne les écoles privées
confessionnelles. Des subventions sont accordées à des écoles juives qui
ne respectent pas le régime pédagogique. Le
réseau de garderies familiales hassidiques a bénéficié de 20 millions de
2007 à 2013. Les organismes religieux
sont exemptés d'impôts sur le revenu, de taxes foncières, municipales et
scolaires. Aucun citoyen au Québec n'a droit à de tels privilèges.
Avec ce
projet de loi, dans les services de garde à l'enfance, on va permettre un
régime alimentaire fondé sur des préceptes
religieux. Des employés de l'État portent des signes religieux dans l'exercice de
leurs fonctions. Et que dire du
crucifix à l'Assemblée nationale? Ces quelques exemples illustrent à quel point
l'État n'est pas neutre, et il n'y a rien dans ce projet de loi pour
corriger ce favoritisme. Nous sommes ici en présence d'un gouvernement qui
exige de ses employés ce qu'il est incapable de faire lui-même. L'État choisit
plutôt de se décharger de ses responsabilités sur les membres de son personnel.
Quelles seront les conséquences? L'employé n'étant ni un militant laïque pas
plus qu'un juriste va fort probablement
choisir d'accepter la demande d'accommodements religieux plutôt que d'avoir à
justifier son refus par écrit comme cela se fait dans certains cégeps.
Conscient aussi que sur un sujet aussi sensible il sera isolé, il n'aura pas l'appui de ses collègues, qui
préféreront ne pas prendre position, il ne peut également être certain de
l'appui de son syndicat et encore
moins de la direction, qui ne tient pas à faire les grands titres des médias.
Conscient également que, s'il y a contestation en cas de refus
d'accommoder, c'est lui, l'employé, et non son employeur, qui se retrouvera à faire les frais d'une éventuelle poursuite, sans
compter qu'il risque d'être montré du doigt dans son milieu de travail
et subir les insultes dont font habituellement les frais les militants laïques,
c'est-à-dire se faire traiter d'intolérants, de xénophobes, d'islamophobes et
de racistes.
Vous
aurez compris qu'ici il est drôlement plus tentant de dire oui que de dire non
à une demande d'accommodement. Tout
ceci aura pour effet de mettre tellement de pression sur les employés que,
contrairement à ce que l'on pourrait penser, on ne se retrouvera pas avec des accommodements au cas par cas, à
géométrie variable, mais bien plutôt avec une normalisation des pratiques d'accommodements religieux qui iront tous
dans la même direction, c'est-à-dire l'acceptation.
Concernant l'article 9 sur les services à
visage découvert, tout le monde s'indigne, avec raison, du fait que ce projet de loi va permettre le tchador, qui est un symbole
de soumission des femmes, mais le visage découvert, c'est aussi le hidjab, présent dans nos garderies et nos
écoles, ce voile, qui participe de la même idéologie que le tchador, le niqab
ou la burqa. Depuis l'abandon du projet de
loi n° 60, le hidjab serait-il devenu soudainement acceptable? Il y a un
éléphant dans la pièce, mais on dirait qu'il n'y a plus personne pour le
voir.
D'entendre la ministre de
la Justice déclarer que le voile, c'est du linge a quelque chose de
profondément choquant. D'abord, nous savons
très bien qu'au Parti libéral ils savent très bien que ce n'est pas le cas. Et
en plus cela donne l'impression que
l'on prend les Québécois pour des idiots, alors que la grande majorité des gens
savent très bien que le hidjab n'est pas qu'une simple tenue
vestimentaire.
• (11 h 40) •
Le Québec
n'est pas une bourgade isolée du reste du monde. Nous avons l'Internet, la
radio, la télé, les journaux, les
revues et même des livres. Il suffit d'ailleurs de parcourir toute l'abondante
littérature sur le voile, les livres et les revues qui y sont régulièrement consacrés pour comprendre
que nous ne sommes pas en présence d'un vulgaire morceau de linge. Le hidjab est un étendard politique. Il est
l'emblème d'un islam politique qui veut imposer une théocratie et remplacer
les droits humains par la charia. En
l'imposant aux femmes, les islamistes souhaitent donner un maximum de
visibilité à l'islam et nous habituer
ainsi à sa présence. C'est pourquoi il est essentiel pour eux de pouvoir
introduire ce voile dans nos institutions publiques.
Concernant
l'article 4, ce projet de loi va justement interdire d'interdire quoi que
ce soit, parce que ce serait, à la lumière
de l'article 4, défavoriser une personne en raison de son appartenance à
une religion. Même le niqab et la burqa, avec ce projet de loi, pourront être permis, puisqu'à l'article 9 il
est écrit qu'un accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles est possible mais doit être
refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité et l'identification ou le niveau de
communication requis le justifient. En clair, cela veut dire que, si l'un de ces trois critères n'entre pas en ligne de
compte, et même si ces critères étaient en jeu, celui de l'identification,
par exemple, il suffirait de faire contrôler
l'identité de la femme par une autre femme pour que le port du niqab devienne
acceptable. Quant au niveau de communication requis, tout repose ici sur le mot
«niveau». Qu'en sera-t-il, du niveau de communication requis dans le cas d'une étudiante ou encore d'une
employée qui travaille dans le laboratoire d'un hôpital?
En
conclusion, ce projet de loi, loin de garantir la neutralité de l'État, va
plutôt favoriser l'ingérence du religieux dans nos institutions publiques. Il fait la promotion d'une laïcité
ouverte aux religions dans laquelle la neutralité de l'État est conçue non pas comme une neutralité
d'indifférence, mais plutôt comme une neutralité de bienveillance face à
celles-ci. Au lieu de n'accueillir
aucune religion dans les institutions de l'État, ce projet de loi met en place
les conditions optimales visant à les accueillir toutes, ce qui est contraire à
la laïcité. En mettant le fardeau sur les épaules des employés, ce projet
de loi vise à implanter une culture des
accommodements dans nos institutions publiques. Ce projet de loi permet le
tchador et le hidjab. Ainsi, des
enfants continueront d'être exposés au hidjab dans nos écoles et nos garderies.
Il va permettre un accommodement pour
le niqab et la burqa. Avec ce projet de loi, plus rien ne pourra faire barrière
à l'intrusion du religieux dans nos
institutions publiques. Dans le contexte mondial actuel, où nous sommes témoins
de la montée de l'islamisme et où
bien des pays occidentaux sont confrontés à de nouveaux défis sur la laïcité,
ce projet de loi témoigne d'un aveuglement inouï, d'une légèreté déconcertante et d'une grave inconséquence de la
part du gouvernement. On va créer, en quelque sorte, les conditions idéales pour satisfaire les revendications des
lobbys politicoreligieux, ces intégristes qui sont la frange la plus intolérante et la plus intransigeante des
groupes religieux, et contribuer, du même coup, à augmenter la pression
notamment sur les musulmans.
Nous savons qu'il existe ici même, au Québec,
des associations qui se revendiquent de la pensée des Frères musulmans, alors que d'autres sont
prokhomeynistes. Ces gens sont actifs dans leurs communautés et auprès des
politiciens. Ils ont en commun de
vouloir imposer ultimement la charia et utilisent différentes stratégies pour
parvenir à leurs fins. L'entrisme par
différentes demandes d'accommodement est l'une de leurs stratégies, et le
hidjab, qu'ils imposent aux femmes et
aux fillettes, en est le cheval de Troie. Ce projet de loi va tout simplement
leur ouvrir grandes les portes de nos institutions publiques.
Ce projet de
loi est une offensive antilaïque sans précédent qui va permettre à la religion
de structurer de plus en plus la vie de nos institutions publiques. De la
l'aveu même de la ministre Vallée, ce projet de loi est une réponse libérale
au projet péquiste de charte des valeurs.
Et, si cette dernière a été taxée par plusieurs d'islamophobe, on serait tenté
de qualifier ce projet de loi d'islamophile. C'est peut-être un pas en
avant dans la consolidation de la base électorale du Parti libéral, mais assurément un gigantesque pas en arrière dans la
défense de la laïcité. Ce projet de loi est dangereux. Il va trop loin. Il ne doit pas être bonifié, mais
abandonné. C'est pourquoi notre collectif demande au gouvernement le
retrait du projet de loi n° 62. Je vous remercie.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, Mme Mailloux. J'ai bien compris que vous adressiez vos commentaires
à la présidence et que les parlementaires se gouverneront en conséquence. Mme
la ministre.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Mme Mailloux, bonjour. Je ne commenterai pas tout ce
qui a été dit et tous les propos que vous m'imputez, parce qu'on
pourrait avoir de très longs échanges entre nous. Alors, je vous dirais
simplement que ce projet de loi là, c'est un projet de loi qui respecte les
libertés individuelles puis, parmi les libertés individuelles que nous avons en tant que Québécois, que nous avons tous
en tant que Québécois et en tant que Québécoises, il y a le droit à la
liberté de religion, à la liberté de conscience.
Vous avez vos
opinions, des opinions bien tranchées, avec lesquelles je ne suis pas en
accord. Je ne les répéterai pas,
parce que je ne crois pas que certaines opinions que vous avez pu véhiculer par
le passé méritent d'être répétées, mais je vous dirais simplement que je ne les partage pas, mais je ne vous
attaquerai pas personnellement, donc je ne dirai pas que vous prenez les gens pour... comme vous
disiez : Ah! on prend... Vous présumez que je prends les Québécois pour
des idiots. Ce n'est pas le cas, vraiment
pas. Mais je suis respectueuse des droits et libertés et je crois
fondamentalement aux droits et
libertés que la Charte des droits accorde à tous les Québécois, sans exception,
à toutes les Québécoises, sans exception.
Qu'une Québécoise, par choix, choisisse de porter le hidjab, c'est un droit qui
lui appartient. Il ne m'appartient pas de le juger et même d'empêcher cette personne
de s'intégrer à notre société, de participer à notre société. Le Québec est riche de sa diversité, Mme Mailloux, j'y
crois fondamentalement, et ce n'est pas creux de sens, ce que je vous dis ce
matin.
Maintenant,
vous étiez sur les rangs comme nous tous ici en 2014. Vous étiez candidate pour
le Parti québécois. Qu'est-ce que
vous pensez de la position de votre nouveau chef, qui mentionnait son intention
d'appuyer le projet de loi? Lors de la course au leadership, je pense qu'on...
c'était le 25 septembre dernier, au Monument-National, il mentionnait
son intention d'appuyer le projet de loi.
Qu'est-ce que vous pensez, en tant que militante de ce parti, de ce
positionnement? Je comprends que ma
collègue de Taschereau aura, sans doute, des suggestions de bonification, et
puis on a une longue feuille de route
de collaboration ensemble en commission parlementaire, mais il y a quand même
une intention qui a été manifestée de la part du chef de l'opposition
officielle. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Le Président (M. Ouellette) : Mme
Mailloux.
Mme
Mailloux (Louise) : Je pense
que la présence de Mme Maltais et le travail qu'elle fait à cette commission
parlementaire depuis le début montrent bien
que le Parti québécois, comme l'a souvent répété M. Lisée, est ouvert à la
discussion. Mme Maltais a mentionné dès l'ouverture de la commission qu'ils
sont ici pour prendre de l'information, pour
écouter, être à l'écoute de la population, poser les bonnes questions, et je
pense que, jusqu'à maintenant, c'est ce que fait Mme Maltais.
Maintenant,
sur la question de... vous parliez, Mme la ministre, de la liberté religieuse,
et je comprends très bien que ça
puisse être quelque chose d'important, mais il faut quand même comprendre que
ce n'est pas quelque chose qui est élastique à l'infini. Avant d'être protégée
par les chartes, la liberté religieuse a été finalement protégée par la laïcité,
et c'est la séparation du politique d'avec
le religieux, c'est-à-dire de l'Église avec l'État, pour parler comme ça, qui
nous a permis d'obtenir la liberté
religieuse, parce que, là, l'État, étant indifférent aux religions, n'imposait
plus aucune religion. Alors, la
liberté religieuse, ce n'est pas le produit des chartes, c'est le produit de la
laïcité. Il faut faire attention. Ce n'est pas contraire à laïcité. Maintenant, il faut bien comprendre aussi que,
quand on sépare l'État de la religion, c'est pour une raison très simple : l'État s'occupe du bien
commun. Il s'adresse à des citoyens au-delà de leur particularisme religieux,
au-delà de leurs croyances, au-delà de leurs convictions, alors que les
Églises, elles s'occupent du spirituel et non pas du temporel. Alors, ce que ça suppose, c'est que l'État n'a pas à dire aux
Églises comment... ou aux cultes comment gérer leurs affaires, mais, en retour, les croyants n'ont pas à s'introduire
dans les institutions publiques pour modifier les règles.
• (11 h 50) •
Alors, moi,
je comprends très bien que des catholiques, que des Juifs, que des musulmans
puissent obéir aux règles de leur
religion, mais il ne faudrait quand même pas que ces règles-là puissent
prévaloir sur les règles civiles dans nos institutions publiques. Alors,
ça, ça veut dire protéger la neutralité, et, quand on fait ça, on n'est pas en
train de porter atteinte à la liberté
religieuse, mais on est en train de dire aux croyants : Vous avez une
liberté, mais cette liberté-là, elle a des limites.
Parce qu'il
faut voir les choses aussi du point de vue du citoyen. Il y a des parents qui
envoient leurs enfants dans des
garderies. Et il y a des éducatrices qui sont voilées et il y a des parents qui
sont mécontents de ça. Bon, quelle option ils ont? Retirer l'enfant? Mais ils ne peuvent pas l'amener à
10 kilomètres plus loin dans une autre garderie, et il n'y a rien qui dit qu'on n'embauchera pas une prochaine
éducatrice, par exemple, qui porte le voile. Alors, ces parents-là, ils n'ont
aucune prise, aucune option. Si on allait
chercher, par exemple, une protection juridique pour la laïcité, et je pense
que ça mériterait ça, comme on en a
pour les religions, à l'heure actuelle, d'inscrire, par exemple, dans la charte
des droits de la personne, une
affirmation officielle que le Québec est un État laïque où on sépare les
religions de l'État, je pense que ce serait une bonne chose et que la
liberté religieuse serait protégée.
Le Président (M. Merlini) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : En fait, je vois
difficilement... je vous écoute, et le projet de loi, c'est ce qu'il vient
baliser, c'est-à-dire que l'État est neutre
et ne doit être influencé d'aucune façon par la croyance religieuse ou
l'absence de croyance religieuse.
Donc, dans la prestation de services, cette neutralité est là. Par contre, il y
a aussi, au sein de l'État, des gens, des
individus, et ces individus-là, bien, ils ont droit à leurs propres particularités.
Elles ont droit à leurs propres
particularités. Certains sont croyants, certains ne le sont pas. Certains vont
afficher une appartenance à leurs croyances. Certains vont porter la
croix, certains vont avoir même des boucles d'oreille en forme de croix.
Bref, ce
n'est pas qu'on cible, on fait un gros cercle autour de certaines religions.
Mais le projet de loi, c'est un projet de loi qui vise tout le monde,
l'ensemble de ceux et celles qui travaillent au sein de l'État, qui ont, dans
leurs prestations de services, ce devoir de neutralité. Puis je comprends que
vous êtes tenante d'une laïcité. Hier, on nous expliquait qu'il y avait deux types de laïcité : cette laïcité
ouverte ou cette laïcité plus républicaine, à la française, à laquelle vous semblez vous associer davantage. Ce n'est pas
le choix qui a été fait. C'est le choix d'une laïcité plus ouverte, d'une
neutralité de l'État et qui, à mon avis, est beaucoup plus inclusive.
Vous faisiez référence aux parents qui ont un
malaise avec une éducatrice voilée. Moi, je vous dirais, pour en connaître de très près, des parents qui ont fait
le choix que leurs enfants puissent avoir ce contact avec la diversité, parce
que notre société est diversifiée, parce que notre société, elle n'est pas un
vase clos, et parce que les enfants auront à interagir
avec des gens de toutes sortes de croyances, de toutes sortes de provenances,
que les initier à un plus jeune âge à cette
diversité, c'est de leur donner un bagage et il y a pour des parents ce besoin
de mettre les enfants en contact avec la diversité à un très bas âge.
Est-ce
que vous ne croyez pas que d'aseptiser la société, c'est soi-même de se fermer
les yeux à la réalité de notre société?
Est-ce que ce n'est pas justement une façon d'inciter davantage à cette radicalisation?
On avait, cette semaine, un important
forum ici, et il y a eu plusieurs échanges sur ce qui incite des jeunes, des
moins jeunes à se radicaliser. Et, la semaine
dernière, une étude était publiée et indiquant que la religion pouvait même
être d'un certain secours chez les
jeunes, qui sont en recherche parfois
d'une identité. On en a peu parlé, de cette étude, mais elle fait quand même
partie de ce qui a été porté à notre attention au cours de la dernière semaine.
Il y a eu des échanges dans le cadre du forum sur l'UNESCO. On dit : Bien, peut-être que de cibler à
répétition certaines communautés, bien, on contribue, d'une certaine façon, à
cette radicalisation. Vous ne croyez pas?
Puis je ne
veux pas vous faire changer d'opinion, loin de moi cette idée, mais je veux simplement
vous expliquer ce qui est à la base,
ce qui nous amène à adopter une approche qui est beaucoup plus inclusive et qui
permet d'être davantage représentative de la réalité, de la vraie vie, parce que,
dans la société, il y a des gens de toutes origines et notre société,
elle est diversifiée, et c'est en s'ouvrant
à cette diversité et en étant tolérants, je crois, qu'on se prémunit davantage
contre cette radicalisation qui peut
devenir insidieuse et éventuellement se manifester. Je ne crois pas que la France, par
sa laïcité plus républicaine, a été à l'abri d'une certaine forme de
radicalisation ou de la présence de radicalisme religieux.
Le Président (M. Merlini) : Mme
Mailloux.
Mme Mailloux (Louise) : Il y a beaucoup
de choses dans ce que vous avez dit, Mme la ministre.
Je pense
qu'il faut distinguer d'abord une première chose quand vous dites : Les
enfants, il faut les habituer à la diversité, puis, à la limite, ça pourrait contrer, jusqu'à
un certain point, quand ils seront plus vieux, la radicalisation. Bon. Alors, sur l'éducation à la diversité, il faut
bien comprendre que, quand on parle de laïcité, on parle d'État,
on parle des institutions publiques, d'accord, et on ne parle pas de l'espace
public.
Vous avez dit
tout à l'heure que peut-être que ce que je souhaiterais ou le type de laïcité
que je défends, ce serait d'aseptiser
l'espace public de toute manifestation religieuse. C'est tout à fait faux. Alors, l'espace public, quand on est dans un autobus, quand on est sur la rue, dans un
parc, dans une épicerie, au restaurant, dans une... bon, on est dans un espace
public. Par contre, quand on fréquente une école, un CPE, je veux dire, quand
on va dans un CLSC, dans un hôpital... Bon, autrement dit, les institutions qui relèvent de l'État, on n'est plus ici dans
un espace public, mais on est dans un
espace civique, c'est-à-dire un espace citoyen. Et je comprends bien, moi, que des parents veulent initier leurs enfants à... leur ouvrir l'esprit, les initier à
la diversité, mais je pense qu'il y
a bien des moyens de le faire. Mais, au niveau des institutions, je pense que le gouvernement, comme représentant de l'État, il a un devoir de faire en sorte que, dans l'État,
on rassemble tout le monde, et ça, c'est de l'inclusion, au-delà
de leur particularisme religieux. Et tout
le monde est citoyen du Québec. Alors, je ne vois pas qu'est-ce qu'il y
a d'exclusif à ce niveau-là.
Je vous
donnerais un exemple sur la question de la liberté religieuse. Quand j'étais à
l'université — rapidement — je faisais de la suppléance, tout en étant
étudiante, à la CECM, à l'époque, la Commission des écoles catholiques de
Montréal. Pour être engagée, j'ai dû
faire la preuve que j'avais été baptisée. Ça veut dire quoi? Ça veut dire que
les non-catholiques ne pouvaient pas
être engagés à la CECM. Et là c'était vraiment exclure des gens de leur droit
au travail, si on se base sur
l'article 10 de la charte, en fonction de leur religion. Mais, avec la
déconfessionnalisation qu'on a eue en 1997, et là c'est structuré différemment, on ne dit pas à
quelqu'un : Parce que tu es musulmane, on ne veut pas t'engager dans une
école publique. Tout ce que... là, je me
réfère évidemment à la proposition controversée, là, du projet de loi
n° 60 du PQ, tout ce qu'on
disait, c'est : Durant tes heures de travail, tu ne portes pas de signes
religieux, parce que tu représentes l'État, c'est tout.
Le
Président (M. Merlini) : Merci. Ce bloc d'échange avec la ministre
étant terminé, nous allons maintenant vers l'opposition officielle. Mme
la députée de Taschereau, pour votre bloc d'échange.
• (12 heures) •
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Bonjour, Mme Mailloux. Je suis heureuse de vous recevoir. Je
suis désolée de voir que ça commence de la
même façon que l'audition du projet de loi n° 59, même façon. Moi, j'ai
reçu ici des gens avec lesquels je
n'étais profondément pas d'accord puis je ne les ai pas traités comme vous
venez, encore une fois, d'être traitée, en disant que vous êtes une
candidate du Parti québécois, puis on dirait que ça disqualifie les gens d'être du Parti québécois. Je m'excuse, mais moi,
je pense, Mme Mailloux, que vous comprenez mieux les concepts que la ministre. Je vais le dire comme je le pense,
moi aussi. D'entendre dire une ministre qui dit devant vous, pour vous :
Moi, je suis pour la diversité, ça veut dire
qu'elle pense que vous n'êtes pas pour la diversité. Je suis désolée que vous
ayez entendu ça. D'entendre dire : Vous
voulez aseptiser la société... Mme Mailloux, mes excuses, que vous ayez reçu
d'une parlementaire et d'une ministre cette phrase.
Nous savons
tous que personne ici ne veut aseptiser la société, surtout pas vous. Vous avez
très bien expliqué le concept de laïcité, je vous en remercie. Il y a eu
effectivement, récemment, non pas une étude, mais un sondage non représentatif, non probabiliste qui a été présenté
dans les journaux. Ce n'est pas une étude, c'est un sondage non probabiliste.
Il y a eu la Ligue des droits et des
libertés qui est venue dire que le Parti libéral faisait du profilage
religieux. Ça aussi, c'est des... Mais ces propos-là, ce n'est pas venu
d'ici, ils sont venus de l'autre bord. C'est les gens qui doivent nous donner leurs commentaires sur le projet de loi, ce
n'est pas nous qui devons passer des commentaires sur le monde qui vient
ici. Alors, Mme Mailloux, encore une fois — je suis encore obligée de
parler de vous — j'en
suis désolée.
Je vais aller
au projet de loi. Il y a des parties du projet de loi, actuellement... Je sais
que vous nous proposez de le retirer
complètement. Pourtant, il y a des parties du projet de loi qui sont tirées...
une partie exactement telle quelle du projet
de loi n° 60, le défunt projet de loi du Parti québécois, c'est sur les
services éducatifs de garde à l'enfance; l'autre partie, sur les accommodements religieux, c'est
presque la même chose, sauf qu'on parle du membre du personnel au lieu de l'organisme, mais là déjà on s'avance dans la
possibilité que ce soit l'organisme ou la politique... qu'il y ait une
politique qui encadre, qui fasse que
ce ne soit pas le membre du personnel qui soit susceptible d'être poursuivi. On
sait, n'est-ce pas, que les poursuites arrivent parfois quand on prend
des décisions sur le phénomène religieux.
Est-ce que le
fait de prendre ces parties-là intégralement... vous pensez qu'on peut le
faire, que ce pourrait être une avancée? Je veux vous entendre
là-dessus, ça m'intéresse vraiment.
Le Président (M. Merlini) : Mme
Mailloux, à vous la parole.
Mme Mailloux (Louise) : Quand vous
dites «de prendre les parties», vous parlez de quelles parties?
Mme
Maltais : L'article 10 sur
les accommodements religieux, excepté le fait qu'on dit «membre du personnel» au lieu d'«organisme», c'est tel quel comme c'était
dans le projet de... du projet de loi n° 60 du Parti québécois, puis on
est en train de revenir au mot «politique»,
qui devrait aller avec. L'autre, c'est sur les services, l'article 16 sur la
Loi des services de garde éducatifs à
l'enfance. C'est exactement ce qu'on avait dans le projet de loi n° 60. Ça
n'empêche pas qu'il faille le bonifier, peut-être, les gens soulèvent
des problèmes.
Mais, comme vous étiez d'accord avec le
n° 60, est-ce que vous pensez qu'on pourrait utiliser ça?
Mme Mailloux (Louise) : Bien, sur la
question des accommodements, il y a deux grosses différences d'avec le n° 60, c'est : premièrement, ce sont
ici les employés à qui revient le devoir d'assumer la neutralité de l'État, ce
qui est une responsabilité qui n'est
pas la leur, à mon avis, ce doit être celle du gouvernement, alors que, dans la
charte des valeurs, pour l'appeler
comme ça, c'étaient les organismes publics, donc on avait un gouvernement qui
avait une volonté de donner une direction claire pour affirmer la laïcité.
Mais il y
avait un autre élément qui est disparu dans le projet de loi n° 62, c'est
qu'une des conditions à l'accommodement
raisonnable, c'était qu'il ne contrevienne pas à la séparation du religieux
d'avec le politique, de l'État d'avec
les religions — si je me
souviens bien, c'était formulé comme ça — et que ça n'aille pas à l'encontre du
caractère laïque.
Mme
Maltais : Donc, évidemment, ce que je comprends, c'est que, pour vous,
le fait que la loi actuelle n'enchâsse pas la laïcité de l'État, en
quelque part, crée une faille qui se répercute sur l'ensemble de la loi.
Le Président (M. Merlini) : Mme
Mailloux.
Mme
Mailloux (Louise) : Bon.
C'est sûr qu'on peut toujours bonifier... Vous parliez, par exemple, de revenir
à Bouchard-Taylor sur l'interdiction des
signes religieux. C'est sûr qu'on peut faire ça, mais je pense qu'il faut
regarder l'ensemble de ce projet de loi là.
Écoutez, ce
projet de loi là, l'article 4 va finalement interdire d'interdire quoi que ce
soit, parce que ça va être toujours considéré comme... ou, souvent,
défavoriser une personne en fonction de ses croyances religieuses. On va
permettre le tchador et le hidjab, évidemment, qui est aussi à visage
découvert, dans les garderies et dans les écoles publiques, là où il est le plus présent.
Il va y avoir des accommodements possibles pour le niqab et la burqa. On va
permettre des menus religieux dans
les garderies. Écoutez, le Québec va commencer à ressembler à l'Afghanistan. Alors,
est-ce que c'est ça qu'on veut? Je
pense que non. Bonifier, c'est un petit de ci, un petit peu de ça. Je pense que
l'ensemble de ce projet de loi là est dangereux. C'est ce que nous avons
convenu, au collectif, et nous demandons son retrait. On ne veut pas de
bonification.
Écoutez,
apporter quelques améliorations... je pourrais vous dire, par exemple, que... je ne sais pas, sur le port de signes religieux, Bouchard-Taylor, c'est vraiment une mesure minimale,
mais c'est comme si tout à coup on légiférait pour interdire la chasse à l'alligator en Mauricie. On peut le faire,
mais ça n'a pas tellement de sens, et c'est sans risque, hein, alors que... Ah! peut-être
que la Ligue des droits et libertés puis la Commission des droits de la
personne diraient qu'on fait du
spécisme et qu'on fait du profilage animalier, mais, au-delà de ça, c'est une
mesure qui n'aura pas de poids. Je
l'ai dit, il y a un éléphant dans la pièce et il est dans les
garderies et il est dans les écoles publiques, et, s'il y a consensus à aller chercher, Mme Maltais — je
me permets ça, même si nous sommes du même parti — le consensus, il ne faut pas aller le chercher avec Bouchard-Taylor, il faut
aller le chercher avec la CAQ, qui a cette proposition-là et qui a
l'avantage d'aborder le champ de l'éducation, qui est le passage obligé de tous
les petits Québécois de six à 16 ans. Il me semble que c'est quelque
chose d'intéressant.
Mme
Maltais : M. le
Président. Mme Mailloux, d'abord,
j'ai corrigé quand je trouvais que les propos allaient un peu
loin. Dire que le Québec va devenir l'Afghanistan, c'est un petit peu
raccourci, mettons.
Mme Mailloux (Louise) : C'est
caricatural, mais quand même...
Mme
Maltais : Il y a quelques siècles, mettons. Mais il y a
l'exception, effectivement, qui me fatigue beaucoup, beaucoup, sur les visages découverts. Moi, je ne comprends
pas cette exception, surtout pour les services donnés. Ça, je le dis vraiment,
ça, on le répète plusieurs fois, c'est assez difficile de vivre avec une
exception, parce que l'exception dit : Le refus est possible. Donc, l'ouverture est d'abord, le refus est
ensuite. Ça, on l'a bien compris. Dans la loi, de la façon dont elle est libellée,
là, c'est clair que c'est beaucoup
trop ouvert. Mais maintenant, comme je le disais, les services de garde à l'enfance sont... c'est exactement
la charte des valeurs, la charte du Parti
québécois. Moi, j'avais l'impression qu'en prenant ce bout-là, qui est
exactement ce qu'on avait écrit — on peut l'améliorer, là, on va le
travailler, là, des amendements, ça arrive, là — on pouvait faire faire
un pas.
L'autre,
c'est que les gens des écoles, des milieux éducatifs sont, à part la fédération
des commissions scolaires anglophones,
tous venus nous dire : Donnez-nous des balises, on n'en peut plus. Il y a
500 demandes d'accommodement par
année à la CSDM. Vous ne trouvez pas qu'on devrait entendre ce cri-là? Parce
que vraiment, curieusement, là, je pensais qu'il fallait entendre ce
cri-là.
Mme
Mailloux (Louise) : Écoutez, je suis sensible au désarroi des gestionnaires ou
des employés dans le champ de l'éducation particulièrement, qui a toujours été mon domaine, dans le milieu de travail, mais
je pense que, écoutez, ce projet de loi là, il est à refaire. Écoutez, si vous le bonifiez, ça veut dire quoi?
L'article 4, vous faites quoi avec ça? Le
tchador et le hidjab, vous faites quoi avec ça? Les accommodements pour le
niqab, vous faites quoi avec ça? Vous avez
dit, Mme Maltais, en commission
parlementaire qu'à un moment donné ce
ne serait pas convenable, par exemple,
de mettre tout le monde aux menus végétariens pour satisfaire des exigences de
parents qui ne veulent pas que leurs enfants mangent non halal.
Bien, il y a
des gens des garderies qui sont venus ici, des CPE et qui ont témoigné, puis
ils revenaient sur les coûts, ils
disaient : Ça veut dire quoi, «la contrainte excessive», quand on parle
d'argent, quand on parle des coûts? Et une façon de résoudre la chose, parce
qu'avec le peu de moyens qu'ils ont... ce qu'ils font, c'est qu'ils font un menu.
Ils ne peuvent pas se permettre de
faire deux menus, alors ils font le même menu pour tout le monde, et tout le
monde mange halal. Il y a même des CPE sur l'île de Montréal qui ont
retiré le porc des...
• (12 h 10) •
Mme Maltais : ...ça fait que c'est
pour ça que je vous regardais.
Le
Président (M. Ouellette) :
Effectivement. Je m'excuse, Mme Mailloux. Probablement que Mme la députée
de Montarville pourra vous faire compléter votre réponse. Mme la députée de
Montarville.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Je vais y revenir, à votre réponse, mais, avant, merci
pour le mémoire. Il y a une vision, une lecture du projet de loi que
vous avez et qui est similaire à la mienne.
Vous avez
parlé de la position de la Coalition avenir Québec. Elle demeure la même. Nous
voulons interdire le port de signes
religieux dans la fonction publique, comme le recommandait Bouchard-Taylor, aux
employés de l'État en position
d'autorité coercitive — juges, procureurs de la couronne, police et gardiens de
prison — et, oui,
nous voulons y ajouter les
enseignants pour une foule de raisons, et c'est notre position. Et vous savez,
Mme Mailloux, le Québec est riche de
sa diversité, la ministre vient de le dire tout à l'heure, et, vous savez, moi,
je pense qu'on peut en être fiers et, oui, dire que nous sommes riches
d'une diversité tout en étant à la fois contre le projet de loi n° 62. Je
pense qu'il y a quelque chose ici de très triste.
Vous dites
dans votre mémoire : «D'entendre la ministre de la Justice et d'autres de
ses collègues déclarer devant les
journalistes que "le voile, c'est du linge" a quelque chose de
profondément choquant.» Moi, je vous dirais que ça m'a profondément attristée, attristée, parce que, et
je vous dis pourquoi, je considère que, dans ce projet de loi n° 62, ce
projet de loi libéral, la ministre nous l'a bien répété, on n'accepte de voir
qu'un signe religieux dans la burqa, le niqab et le tchador. Et ce qui m'attriste, c'est qu'on ne voit pas l'autre
côté de la médaille et qu'on refuse d'entendre les citoyens, tout comme vous, tout comme moi, tout comme
plusieurs autres personnes, qui disent : Non, Mme la ministre, non, Parti
libéral, attention, il y a l'autre
interprétation : pour nous, ce n'est pas un signe religieux. Pour nous,
c'est un symbole de soumission de la
femme, la burqa, le niqab, le tchador. Et il y a beaucoup de gens qui nous le
disent, qui nous le disent ici même,
au Québec, des Canadiens, des Québécois, et qui nous le disent à l'étranger. Et
ce que je trouve triste, c'est qu'on ne
voit que le côté de la médaille qui dit : Religieux. Mais c'est aussi un
objet de soumission de la femme qui est totalement contraire à nos
valeurs, contraire à notre Charte des droits et libertés, contraire à l'égalité
hommes-femmes.
Et ce que je
trouve triste dans le discours, actuellement, du projet de loi n° 62,
c'est qu'on omet toute cette tranche de
la population, entre autres plusieurs Maghrébins, des Algériens qui ont quitté
l'Algérie dans les années 90 après justement avoir été victimes du joug des islamistes radicaux. Et là j'aimerais
vous lire, parce que ça m'a terriblement touchée, un Facebook que j'ai reçu, tout frais, d'une dame...
je vais taire son nom complet, mais son prénom... elle s'appelle Radia. Et, oui, c'est une immigrante, mais, pour moi,
c'est une Québécoise, c'est une Canadienne, elle vit avec vous, et elle nous
dit... et c'est tellement juste ce qu'elle
dit, elle voit l'autre côté de la médaille. Et je l'ai entendue. Et il faut les
entendre, ces gens qui ont connu
quelque chose d'autre et qui nous disent : Attention. Elle nous dit :
«Bonjour, Mme la députée. Je vous
suis avec passion. Sachez que le p.l. n° 62 ne fait qu'accentuer le fait
discriminatoire pour l'embauche des immigrants pour qui la majorité a fui les ténèbres du salafisme wahhabite, dont
l'étendard se trouve sur la tête de ces 3 % des femmes qui sont en place dans la fonction publique ici
même, au Québec. Je vous souhaite le meilleur dans votre travail, et ne lâchez pas, ne lâchez rien pour votre pays, qui
est aussi celui que j'ai choisi pour venir élever ma fille.» Ça, M. le
Président, Mme Mailloux, je pense qu'on est sur la même longueur d'onde
quand on dit qu'il faut entendre nos concitoyens qui viennent de l'étranger et qui nous disent : Il faut faire attention
à quelque chose. Alors, je pense qu'il faut voir ces objets non pas
comme du linge, mais également comme ce symbole.
Et, vous le
dites à juste titre, vous nous parlez, à l'article 9, du fait que ce visage
découvert va surtout être l'éléphant dans
la pièce qui va permettre, en permettant l'accommodement, tous ces objets. Et
j'aimerais que vous me parliez de l'article
4 rapidement — je sais
que j'ai pris un petit peu de temps, mais vous avez la même vision que
moi — l'article
4, qui nous parle
de la neutralité religieuse de l'État. On exclut la laïcité. Et j'avais
moi-même déposé une charte de la laïcité à l'époque. Alors, pourquoi, pour vous, c'est important que le terme «de
la laïcité» apparaisse dans une charte en quelque part?
Le Président (M. Ouellette) : Mme
Mailloux.
Mme
Mailloux (Louise) : Merci,
Mme Roy. Bien, c'est important, parce que, de un, il faut être capable de nommer les choses.
Et, quand on
parle de laïcité, ça veut dire qu'on se réfère à une philosophie,
la laïcité, et le premier moment de ça, le moment fondateur, c'est que, si on veut une société
laïque, il faut d'abord séparer le religieux du politique
parce qu'ils ne font pas la
même job, si vous voulez. Le politique s'occupe du bien commun, du temporel, alors
que le religieux s'occupe du spirituel, du
salut de l'âme des gens, bon, etc. Et donc il ne faut pas confondre les deux
ordres. Et ça, ça veut dire que, dans
les institutions de l'État, les gens, à ce moment-là, se rassemblent sous la
citoyenneté, ce sont des citoyens et
non pas des catholiques, des Juifs, des musulmans, des bouddhistes, bon, etc.,
alors que, dans leurs Églises, ils sont ce qu'ils sont. Et avec la séparation... ça veut dire que mon État est
neutre, c'est-à-dire qu'il ne favorise aucune religion, et c'est ça qui
va permettre... et non pas la charte canadienne ou la québécoise, c'est ça qui
va permettre la liberté de conscience. C'est
ça qui va permettre aux individus à ce moment-là... S'il n'y a pas de religion
d'imposée, ça veut dire que je peux
moi-même choisir une religion, ne pas en choisir une, en changer ou y renoncer,
et je peux faire ça 24 heures sur 24. Ça, c'est la liberté de
conscience, et c'est la laïcité qui nous a donné ça, pas les chartes. Donc,
c'est important d'amener ça, parce que ce
serait comme, je ne sais pas, moi, parler de la force gravitationnelle sans
parler de physique. Ça n'a aucun sens.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, Mme Mailloux, représentant le Collectif citoyen pour l'égalité et la
laïcité, d'être venue déposer en commission aujourd'hui.
Je suspends
quelques minutes. Je demanderais à M. Jocelyn Maclure, professeur à
l'Université Laval, de s'avancer.
(Suspension de la séance à 12 h 17)
(Reprise à 12 h 19)
Le Président (M. Ouellette) : Nous
reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant M. Jocelyn Maclure, professeur à l'Université Laval, de Québec probablement. Et je dis «probablement»,
puis ne le prenez pas personnel. C'est parce qu'étant un député de
Laval... C'est ça.
Vous avez 10
minutes pour faire votre exposé, M. Maclure. Après, il y aura un échange
avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Je vous
laisse la parole.
M. Jocelyn Maclure
M. Maclure
(Jocelyn) : M. le Président, Mme la ministre de la Justice, Mmes et
MM. les députés, je vous remercie de
cette invitation à participer aux travaux de cette commission parlementaire.
J'ai soumis un bref mémoire expliquant mes positions sur le projet de
loi n° 62.
• (12 h 20) •
Comme vous le
savez, une des recommandations principales du rapport Bouchard-Taylor était
l'adoption d'un livre blanc sur la laïcité puis ensuite, dans un
deuxième temps, d'un texte législatif sur la laïcité. J'ai fait partie de la commission Bouchard-Taylor en tant qu'analyste
expert et rédacteur, en particulier, des chapitres sur la laïcité, la liberté
de religion, les accommodements
raisonnables. Dans ce rapport, on a tenté de démontrer que l'idée voulant que
le Québec souffre d'un déficit
normatif important sur le plan de la régulation de la religion dans l'espace
public... que cette idée-là, c'est un
mythe, qu'il y a déjà un ensemble de normes qui régulent l'expression du
religieux dans les institutions publiques mais que néanmoins il serait utile et pédagogique que l'État québécois
dise explicitement et officiellement quelque chose sur la laïcité.
La laïcité au
Québec et au Canada, c'est le corollaire, au fond, c'est dérivé de l'engagement
de l'État à assurer les droits
fondamentaux de tous les citoyens, et en particulier le droit à l'égalité et à
la non-discrimination, peu importent nos
croyances, nos convictions, puis pour assurer aussi et favoriser l'exercice de
la liberté de conscience et de religion de tous les citoyens. Or, si l'État s'identifie à une religion, ou s'il
fait la promotion d'une religion, ou aussi s'il est ouvertement hostile aux religions, bien, l'État ne
traite pas les citoyens également. Donc, l'État doit être neutre sur ces
questions. Personnellement, que le
législateur parle de neutralité religieuse de l'État plutôt que de laïcité, ça
ne me trouble pas. Le concept de
neutralité religieuse de l'État, c'est un des concepts de nature
institutionnelle qui permet à l'État d'être laïque. Philosophiquement parlant, si on a besoin de la laïcité, c'est
pour que l'État traite tous les citoyens d'abord également, peu importent leur conception du monde, leur
conception de ce qu'est une vie bonne, qu'elle soit religieuse ou non, et
c'est aussi pour favoriser, comme je le
disais, l'exercice de la liberté de conscience et de religion. Puis, pour
atteindre ces deux finalités, égalité
et liberté de conscience et de religion, l'État doit être neutre par rapport
aux religions, hein? Donc, la
neutralité religieuse de l'État, c'est un des concepts, un des moyens
institutionnels de faire en sorte que l'État soit laïque. On parle aussi
de séparation entre État et Église, hein, qui est une autre façon,
institutionnellement, de réaliser la laïcité.
Ce
que fait le projet de loi. Le projet de loi d'abord formalise ou codifie des
normes juridiques déjà effectives, hein,
d'abord en rappelant ce qu'est l'accommodement raisonnable, à quelles
conditions il faut offrir des mesures d'accommodement.
Il rappelle aussi la notion qui vient limiter cette obligation juridique
d'accommodement raisonnable, donc, la
notion de contrainte excessive, hein, et les différents critères qui
constituent la contrainte excessive puis qui nous permettent de déterminer si une demande est
raisonnable ou non. Donc, le projet de loi vient codifier des normes
existantes.
Le projet
de loi vient aussi ajouter des nouvelles normes juridiques. La principale est,
sans aucun doute, celle contenue dans
l'article 9, hein, la norme du visage découvert dans les interactions
entre les employés des organisations publiques et les citoyens. Considérant que le voile intégral entrave
l'identification, évidemment, des personnes et rend beaucoup plus difficile la communication entre un employé
d'une organisation publique et un citoyen, la norme du visage découvert
semble, a priori, raisonnable. Ça fait partie, hein, des critères de la
contrainte excessive, hein, cette idée qu'on doit pouvoir identifier les gens
et que la communication doit être possible. L'article précise, avec raison,
cela dit, que le principe de l'accommodement
raisonnable s'applique aussi à cette norme du visage découvert. Donc, il peut y
avoir des circonstances où une exemption à cette règle du visage
découvert, donc, soit nécessaire, hein, comme l'obligation juridique d'accommodement raisonnable s'applique
par rapport à toutes les normes d'application générale qui pourraient
poser problème lorsqu'on les applique de façon, disons, aveugle.
Je pense qu'il serait peut-être important
d'ajouter que la règle du visage découvert ne doit pas empêcher l'intervention
d'un professionnel dans les cas d'urgence, hein, qu'il s'agisse donc de
professionnels de la santé, de policiers, de
pompiers, et ainsi de suite. Il ne faut pas commencer à négocier : Bon, la
personne a le vissage couvert, est-ce que
j'interviens ou pas? Dans les cas d'urgence, évidemment, on ne discute pas de
la possibilité d'un accommodement, il faut intervenir. Donc, ce serait à
vérifier, donc, si un ajout serait nécessaire de ce côté-là.
Ensuite,
sur le plan des nouvelles règles, hein, qui sont énoncées par le projet de loi,
l'article 16 interdit le prosélytisme et la ségrégation sur la base de la religion dans les services de garde
subventionnés, ce qui me semble essentiel, alors que l'article 11 trace les grandes lignes d'un
cadre qui permet aux institutions de se doter d'une politique de gestion des
congés religieux. Peut-être
qu'éventuellement une politique devrait venir aussi avec ce projet de loi pour
aider davantage, entre autres, les
écoles à gérer ces demandes de congé religieux. Mais l'article 11 trace
les grandes lignes des éléments à prendre en considération.
Une des
vertus du projet de loi réside dans ce qu'il ne fait pas. Je pense en
particulier à cette possibilité, hein, cette position défendue par plusieurs, donc, d'interdire le port de signes
religieux visibles chez les employés d'organisations publiques au nom, à mon sens, d'une conception
erronée de la neutralité religieuse de l'État. La neutralité religieuse de l'État, ça implique qu'un employé de l'État
ou d'une organisation publique ne fasse pas la promotion de la religion
pendant qu'il est en fonction, que
son jugement professionnel ne découle pas de ses convictions religieuses. Or,
il est tout à fait possible,
hein, de faire preuve de neutralité et d'impartialité dans l'exercice de ses
fonctions tout en portant un signe religieux
visible. Hein, porter un signe religieux visible, ce n'est pas en soi du
prosélytisme, puis qu'on porte un signe religieux visible, ça ne veut pas dire qu'on va faire passer nos
croyances religieuses avant notre fonction professionnelle.
Donc, il faut
accorder une présomption de neutralité à ces agents de l'État qui portent un
signe religieux visible tout comme on
le fait en ce qui concerne les personnes qui peuvent avoir des convictions
morales ou religieuses très fortes sans porter pour autant un signe
religieux visible, hein? C'est tout à fait possible d'être, par exemple, un
chrétien très orthodoxe sans porter un signe
religieux visible. On accorde une présomption de neutralité à cette
personne-là, heureusement, mais il
faut faire la même chose en ce qui concerne ceux et celles qui portent des
signes religieux visibles. On doit accorder cette présomption de neutralité et d'impartialité à tous et vérifier
dans les actes, dans leur conduite professionnelle comment ils se comportent, hein? Donc, je suis heureux
qu'il n'y ait pas d'interdiction, même limitée, sur le plan du port de signes religieux visibles pour ces employés.
Une chose qui
n'est pas dans le projet... mais, si on adopte ce projet de loi, je pense
qu'éventuellement il va falloir réfléchir à déplacer le crucifix à l'Assemblée
nationale, hein? Si on se dote d'une loi sur la neutralité religieuse de
l'État, c'est difficilement compatible avec l'idée qu'il y a un
crucifix, un symbole religieux, au-dessus de la tête du siège du président de
l'Assemblée nationale, hein? Donc, c'est un geste qui devrait suivre. Je
suppose que certains pourraient invoquer l'article 13, sur le respect du
patrimoine, pour dire qu'il devrait rester là, mais je vous inviterais à relire
le rapport Bouchard-Taylor sur cette
question, en disant que, oui, il faut respecter le patrimoine culturel et
religieux, mais on ne doit pas
défendre une forme d'identification de l'État envers une religion sous l'idée
donc qu'il s'agirait, donc, tout simplement d'un symbole patrimonial,
hein? Donc, c'est un geste qui devrait probablement suivre l'adoption de ce
projet de loi.
L'omission
des municipalités dans le projet de loi, c'est aussi quelque chose que je
trouve difficile à expliquer, sachant
que la norme de neutralité religieuse de l'État et l'obligation d'accommodement
raisonnable s'appliquent à toutes les
organisations puis les organisations publiques en particulier. Dans les faits
et dans le droit, les institutions municipales, donc, ne pourraient pas être exemptées de ces règles, évidemment. Donc,
ça, c'est une absence qui mériterait d'être interrogée.
En
conclusion, je sais que certains considèrent que le projet de loi n° 62 ne
va pas assez loin. J'ai dit pourquoi je
ne suis pas d'accord avec cette évaluation, sauf s'il est question de crucifix
à l'Assemblée nationale ou des municipalités. Cela étant dit, il me
semble que, les parlementaires qui considèrent que le projet de loi, au fond,
est insuffisamment contraignant, qu'il ne va
pas assez loin, de leur propre point de vue, hein, si on considère que ce
projet de loi ne va pas assez loin,
on devrait quand même, de ce point de vue là, le soutenir quand même en se
disant : C'est quand même un pas dans
la bonne direction, étant donné que l'État énonce le principe de neutralité
religieuse de l'État. Donc, même du point de vue de celui qui trouve que ça ne va pas assez loin, ça reste un pas
dans la bonne direction, puis il sera toujours possible pour ces personnes, hein, de défendre dans une
phase ultérieure de notre débat l'ajout de nouvelles contraintes, de nouvelles
régulations par rapport à l'expression de la religion dans l'espace public,
hein?
Donc, même si on pense que ça ne va
pas assez loin, ce qui n'est pas mon cas, il ne faut pas perdre une occasion
de faire un pas dans la bonne direction sur le plan de la consolidation du
modèle de laïcité propre au Québec. Merci.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Maclure. Maintenant, on va commencer la période d'échange avec
Mme la ministre et députée de Gatineau. La parole est à vous pour votre bloc
d'échange.
• (12 h 30) •
Mme
Vallée : Merci, M. le Président. Alors, M. Maclure, merci beaucoup de votre présentation, et votre présence, et votre participation
à nos travaux et à notre réflexion.
J'aimerais vous
entendre, puisque certains des groupes et des intervenants qui se sont
présentés au cours des dernières semaines
nous ont suggéré de bonifier le projet
de loi en y incluant une définition
de ce qui était entendu par «neutralité».
Et,
bon, il y en a un certain nombre, là, qui nous ont fait part
d'une interprétation de la neutralité qui était différente de celle souhaitée par le projet de loi, c'est-à-dire que, pour certains, la neutralité était
l'équivalence d'une forme d'assurance qu'il n'y aurait, dans l'espace
public, à l'intérieur des services publics, aucune expression d'appartenance ou
de non-appartenance à une religion.
Est-ce que vous
croyez... je prends bonne note de vos commentaires, mais est-ce que vous croyez
qu'il serait important de prévoir à l'intérieur du projet de loi une définition, bien que ce soit peu commun dans le processus législatif, de ce qui est entendu par «neutralité»
à l'intérieur du projet de loi?
M.
Maclure (Jocelyn) : Merci de votre question. La neutralité religieuse
de l'État, hein, la définition la plus courante, puis il me semble qu'elle apparaît même dans le projet de loi, mais
c'est le cas dans la jurisprudence, bien, c'est l'idée que l'État ne va ni favoriser ni défavoriser les
religions, donc qu'il ne prendra pas parti ni de façon positive ni de façon
négative, hein? Donc, la neutralité, c'est
ça, c'est : au fond, lorsqu'on est neutre, on demeure, au fond,
agnostique, hein, on ne prend pas
position. Donc, il me semblait que c'était en quelque part dans le projet de
loi. Si ce n'est pas le cas, bon, une
définition aussi minimale pourrait
être ajoutée. Mais il ne faut pas en faire dire trop non plus à la neutralité
religieuse de l'État.
Donc,
on peut après ça chercher à réfléchir à : Est-ce que la neutralité
religieuse de l'État exige qu'il n'y ait pas de signe d'appartenance
religieuse dans les institutions publiques? Donc, moi, je considère que ça,
c'est une mauvaise compréhension de ce
qu'est la neutralité religieuse de l'État, je l'ai dit, parce qu'on focalise
souvent sur, disons, les moyens institutionnels
de la laïcité, à savoir la séparation et la neutralité, mais, si on a besoin de
ces formes institutionnelles, c'est pour protéger, d'un côté, l'égalité et, de
l'autre, la liberté de conscience et de religion, hein? C'était une des
propositions du rapport
Bouchard-Taylor. Donc, notre conception de la neutralité religieuse de l'État
ne doit pas être attentatoire à un de ces principes, en particulier la
liberté de religion et le droit d'exercer aussi cette liberté de religion.
Je
comprends qu'il y a un débat plus difficile, hein, puis un vrai débat
sur : Qu'est-ce que ça exige des agents de l'État? Donc, moi, je fais partie de ceux qui considèrent que, pour
respecter le principe de neutralité religieuse de l'État, un
fonctionnaire ou un employé dans une organisation publique peut très bien avoir
un signe qui témoigne de son appartenance
religieuse tout en demeurant neutre dans sa conduite professionnelle, hein,
c'est parfaitement possible. Donc, pour
moi, la neutralité religieuse de l'État n'implique pas que les agents, au fond,
ils n'aient pas de signe de leur appartenance
religieuse. L'important, c'est qu'ils respectent leurs normes professionnelles
et qu'ils soient impartiaux dans leur conduite professionnelle.
Mme
Vallée : Vous recommandez d'assujettir les municipalités au
projet de loi. Je vous dirais, et je l'avais expliqué, l'objectif
initial de ne pas avoir assujetti les municipalités, c'était de reconnaître
l'autonomie des municipalités. Les municipalités
demandent à recevoir plus d'autonomie. Et donc, en considération de cette
reconnaissance-là, nous avions jugé qu'il n'était pas opportun de les
assujettir au projet de loi.
Maintenant,
est-ce que vous ne croyez pas que de les assujettir viendrait, d'une certaine
façon, empiéter sur cette autonomie qu'est la leur?
M.
Maclure (Jocelyn) : Oui, ça empiète sur leur autonomie, mais je pense
que c'est nécessaire de le faire. Toutes les institutions publiques
doivent respecter ce principe de neutralité religieuse de l'État pour traiter
tous les citoyens également, hein? Puis, dans une société pluraliste, il y a
des gens qui croient et il y a des gens qui ne croient pas. Les institutions publiques ne doivent pas prendre
position. Et, dans le droit, les institutions municipales sont aussi
assujetties, hein, d'abord au respect des droits fondamentaux protégés par les
chartes, et la neutralité religieuse de l'État est un corollaire de ces droits fondamentaux, qui sont
protégés, hein, donc, d'où la défaite, hein, de Saguenay dans l'arrêt Saguenay,
parce qu'effectivement d'avoir une prière
avant la tenue d'une assemblée d'un conseil de ville, bien, effectivement, ça
fait en sorte que l'institution publique
vient s'identifier à une conception du monde particulière. Et elle ne doit pas
le faire, parce qu'elle doit être
neutre. Puis c'est vrai que ça fait que les citoyens athées, ou agnostiques, ou
d'autres religions sont traités comme des citoyens de second rang.
Donc,
les institutions municipales, tant sur le plan de principes philosophiques que
dans le droit, sont assujetties à ces
normes, sont assujetties aussi, évidemment, à l'obligation d'accommodement
raisonnable, hein? Toutes les normes publiques
sont assujetties, hein, à cette obligation d'accommodement raisonnable si on
arrive à démontrer que, lorsqu'on l'applique, hein, une forme de
discrimination indirecte est créée. Dans le droit, les institutions municipales
sont déjà assujetties, en fait. Donc, pour moi, ça ne viendrait que codifier
une norme déjà existante.
Mme Vallée :
J'aimerais vous entendre davantage sur la prestation de services à visage
découvert. On semble, chez certains,
voir dans la rédaction de l'article une ouverture et on tente de laisser
sous-entendre que dans la fonction publique il pourrait y avoir prestation de
services à visage couvert. J'aimerais vous entendre sur cette interprétation,
que certaines personnes ont pu avoir, de la rédaction du projet de loi.
M. Maclure
(Jocelyn) : Je pense que ça aussi, c'est une question délicate, là,
c'est qu'il n'y a pas vraiment de réponse
facile et évidente. Personnellement, ça me semble une contrainte qui est raisonnable,
qui est justifiable dans une société
libre et démocratique, sachant que l'obligation d'accommodement raisonnable
donc est délimitée, hein, par cette norme de la contrainte excessive.
Bon. D'abord,
dans la prestation d'un service public, il faut pouvoir identifier les
personnes. Sur le plan du prestataire,
évidemment, le citoyen donc doit pouvoir voir avec qui il transige, puis, les
citoyens, bien, il faut pouvoir les identifier. Si on est dans une salle
de classe, ainsi de suite, en milieu hospitalier, il faut pouvoir communiquer
de façon claire. Donc, la norme du visage découvert me semble raisonnable, même
si certains vont pouvoir démontrer qu'il y a
une certaine atteinte à leur liberté de religion. Pour moi, ça, c'est une
atteinte qui est raisonnable dans la majorité des cas.
Ceci étant
dit, il y a peut-être des cas où effectivement un accommodement va s'imposer,
mais ça, je pense qu'il faut voir au
cas par cas. Puis, si je suis à l'aise de défendre cette nouvelle règle, c'est
qu'elle vient avec cette possibilité qu'il
y ait des accommodements, dans certains cas, qui s'imposent. Mais, comme règle
générale, il me semble que c'est justifié dans, vraiment, la majorité
des cas auxquels je peux penser. Ça me semble une contrainte qui est
raisonnable.
Mme Vallée :
Dans vos recommandations que vous nous avez formulées, vous avez mentionné
qu'il ne faudrait pas que cette obligation prive de services dans les
cas d'urgence, par exemple. Donc, vous faites référence à des cas particuliers.
M. Maclure (Jocelyn) : Bien, je ne
sais pas, mais, si on est un travailleur social ou si on est un policier, une policière puis on a à intervenir avec quelqu'un
qui porte un niqab ou une burqa, mais s'il y a vraiment situation d'urgence,
il faut intervenir, puis après on discutera.
Donc, ça, ça me semble impératif, là, lorsqu'il est question de santé, des
situations d'urgence, ainsi de suite,
parce que, bon, on n'a pas le temps de commencer à discuter pour voir :
Est-ce qu'on peut faire une exemption
par rapport à la norme du visage découvert? Il faut tout simplement intervenir,
puis on discute après. Mais, bon,
c'est des cas assez rares, on s'entend, mais évidemment ça paraît clair qu'il
faut intervenir d'abord puis qu'on discutera ensuite.
Mme Vallée : Vous avez
utilisé le terme... bien, en fait, vous avez dit que vous n'étiez pas favorable
au compromis Bouchard-Taylor... ou vous utilisiez dans votre mémoire que l'on
faisait référence à tort au compromis Bouchard-Taylor. Alors, j'aimerais,
peut-être, que vous puissiez élaborer davantage sur cette question.
• (12 h 40) •
M. Maclure (Jocelyn) : En fait, ce
que je voulais dire, ce n'est pas qu'on s'y réfère à tort, parce qu'il y a une véritable position qui a été prise par la
commission Bouchard-Taylor, c'est-à-dire donc une interdiction très limitée sur
le plan du port de signes religieux
visibles, hein, qui couvre une petite gamme de postes, donc, ceux qui incarnent
au plus haut point, hein, l'autorité
de l'État et son pouvoir coercitif. Ce sur quoi je voulais attirer votre
attention en disant que ce compromis... parce qu'on le présente comme si
c'était un consensus puis la commission avait vraiment fait une recommandation
très forte.
Si on se réfère
au passage du rapport Bouchard-Taylor où il est mention de ce compromis, on
voit que son statut est quand même
plus fragile que ce qu'on l'entend dans le débat public aujourd'hui, hein, puis
je m'en souviens bien parce que
j'avais rédigé la première version de ça. Donc, je cite le rapport
Bouchard-Taylor : «Telle est notre conclusion — donc, sur l'interdiction limitée. Nous admettons que l'on peut y arriver en
suivant différents types d'argumentation. Par exemple, on peut considérer que cette proposition est la
plus appropriée dans le contexte actuel de la société québécoise, étant bien
entendu que ce contexte peut changer [dans] le temps — donc,
c'est la première voie, là, on est en 2007-2008. Ou alors — c'est
la deuxième voie — on
peut également soutenir que la proposition revêt un caractère
plus permanent qui déborde le
contexte actuel dans la mesure où elle incarne le principe de la séparation de
l'État et des Églises. Nous n'avons pas à trancher ce débat, puisque les
deux argumentaires conduisent à la même conclusion.»
Mais la
première voie donc nous dit qu'il y a là un compromis plus contextuel, hein, puis que
ça pourrait changer dans le temps,
alors que l'autre en fait plus une question de principe. Personnellement, je n'ai
jamais soutenu ni la voie un ni la
voie deux, mais je suis plus à l'aise avec la voie un, disant qu'il y avait là un jugement très contextuel dans un contexte particulier et
que, le contexte pouvant évoluer, l'interdiction pourrait ne plus être nécessaire,
parce qu'elle s'attaque à des droits fondamentaux.
Le Président (M. Merlini) : Deux
minutes.
Mme Vallée :
D'accord. Une dernière petite question. On a eu beaucoup de témoignages à
l'effet qu'il y aurait lieu de mettre
en place différents guides d'accompagnement, si le projet de loi devait être
adopté, afin de permettre aux intervenants de certains milieux de bien
comprendre la portée. Il existe actuellement un guide qui a été préparé par la
commission des droits de la personne et de la jeunesse qui semble peu utilisé
et peu connu.
Comment
verriez-vous ce type d'accompagnement? Est-ce que vous croyez qu'il est
opportun d'accompagner notre milieu scolaire, nos services de garde, nos
différents ministères de guides pour l'application du projet de loi ou
croyez-vous que le projet de loi en soi serait suffisant?
M.
Maclure (Jocelyn) : Le projet de loi n'est pas suffisant en lui-même,
parce qu'il rappelle et énonce des normes d'application générale, mais une des grandes difficultés, c'est le
jugement contextuel, hein : dans des milieux particuliers, avec des clientèles particulières, avec des
contraintes, hein, de différents ordres, comment on arrive à déterminer si un
accommodement est raisonnable ou non. Donc,
ça, on a besoin de faire le passage du général au particulier. Ça, on ne
peut pas le faire dans un projet de loi.
Aristote l'avait déjà compris, hein, il faut que le décideur, hein, sur le
terrain ait une certaine sagesse
pratique, qu'il connaisse les règles générales mais qu'il les adapte aussi à
son milieu, hein? Donc, c'est ce
qu'on avait proposé dans un des chapitres du rapport Bouchard-Taylor, un des
chapitres qui n'a presque pas été discuté.
Mais une des
recommandations, c'est que chaque milieu se dote de son propre modèle
d'aménagement, au fond, des demandes
d'accommodement et d'ajustement concerté, puis pour ça, effectivement, le
législateur pourrait aller plus loin
soit en adoptant des guides ou des politiques qui viendraient, au fond,
préciser, bon, les balises. En milieu scolaire, il y a des balises qui s'ajoutent. Puis, effectivement, les
gestionnaires, qui ont beaucoup de choses à gérer souvent avec des ressources limitées, donc, souvent en ont
plein les bras, puis je pense qu'ils ont besoin d'accompagnement là-dedans.
Mais l'objectif, c'est que les milieux
institutionnels se dotent de mécanismes de prise en charge, hein, par la base,
de ces demandes. Hein, dans des sociétés diversifiées, c'est essentiel
que les institutions le fassent. Puis je pense que, dans plusieurs cas, effectivement, le législateur
pourrait aller plus loin et adopter soit des politiques ou des guides qui
permettraient vraiment d'adapter les normes générales à des contextes
particuliers.
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, M. Maclure. Ça termine ce bloc d'échange avec la ministre. À
l'opposition officielle, maintenant, et la députée de Taschereau. À vous, avec
votre bloc d'échange.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Maclure, bienvenue à cette commission
parlementaire. Merci pour votre opinion.
D'abord, une des premières phrases de votre
mémoire m'a étonnée, puis je me suis demandé : Ah! peut-être qu'il y a quelque chose là. Deuxième phrase :
«Elle rappelait que, si l'État québécois est, de facto et de jure, laïque...»
Mais ce n'est écrit nulle part que l'État
québécois est laïque. Ce n'est que de la jurisprudence. En quoi vous pouvez
affirmer que l'État québécois est, de jure, laïque?
M. Maclure
(Jocelyn) : Parce que la jurisprudence fait partie du droit positif.
Donc, dans l'état de notre droit, la
laïcité ou la neutralité religieuse de l'État sont déjà reconnues, et la
jurisprudence fait partie du droit positif, auquel on doit tous se plier, donc de jure l'État québécois
est déjà laïque. Et il y a plusieurs décisions politiques qui ont fait en sorte
que l'État québécois s'est laïcisé aussi, hein, lorsqu'on a déconfessionnalisé
les structures scolaires par exemple.
Mme
Maltais :
...minutes, je vais avoir quelques questions à vous poser. Les accommodements
raisonnables aussi sont codifiés par la
jurisprudence. Pourtant, on ressent le besoin de l'inscrire dans cette loi. On
l'avait fait, nous, dans le projet de
loi n° 60. Là, maintenant, c'est dans le projet de loi n° 62. On
sent le besoin de dire que les accommodements raisonnables ou que les services éducatifs à l'enfance doivent avoir des
balises. Pourtant, il y a des gens qui nous disent : C'est déjà
dans la jurisprudence.
Alors, ce qui
m'a éveillée dans votre phrase, c'est que ça m'a fait : Bien, tiens! c'est
dans la jurisprudence, pourquoi est-ce
qu'on ne l'inscrirait pas? Est-ce qu'il n'est pas temps de l'inscrire dans une
loi? Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Maclure
(Jocelyn) : Oui. Bien, c'est pour ça que je trouve que ce projet de
loi est un pas dans la bonne direction, c'est-à-dire que, là, la norme
de l'accommodement raisonnable est rappelée.
Mme Maltais : «La laïcité», est-ce
qu'il n'est pas le temps de l'inscrire?
M. Maclure (Jocelyn) : La laïcité.
Mme
Maltais : Puisque vous dites que la jurisprudence dit que l'État est
laïque, est-ce qu'il ne serait pas le temps de l'inscrire dans une loi?
M. Maclure
(Jocelyn) : Écoutez,
si on décidait de parler de laïcité plutôt que de neutralité religieuse de
l'État, je serais très à l'aise avec
ça. Puis effectivement c'est le concept général qui regroupe, hein,
l'idée de la séparation, l'idée de la
neutralité au service des grands principes dont j'ai parlé, d'égalité, de
liberté de conscience, de religion, donc je serais tout à fait à l'aise avec ça, mais ça ne me trouble pas non plus qu'on choisisse de
parler de neutralité religieuse de l'État.
Mme
Maltais : Merci. Je veux
dire aussi que je vous remercie d'avoir souligné que les municipalités devraient être incluses,
c'est une des choses qu'on avait soulignées, entre autres, dans les
remarques préliminaires, puis on l'a oubliée au fil des auditions qu'on
a eues. Et c'est la première fois que quelqu'un vient nous rappeler cela :
les municipalités, normalement, devraient être dans cette loi-là. Je suis sûre
qu'on va avoir des échanges là-dessus soit pendant l'adoption du principe soit pendant la commission parlementaire, mais effectivement vous nous soulevez ça, qui, pour moi, est important
Mais après vous dites quelque chose qui
m'étonne : «Les agents de l'État doivent être jugés en fonction de leur
conduite professionnelle et non de leur apparence.» Et, en cela, vous vous
mettez en porte-à-faux avec le rapport Bouchard-Taylor.
Vous avez été un des spécialistes de Bouchard-Taylor, mais les agents de l'État, dans le sens des agents,
juges... les agents qui sont visés dans le
rapport Bouchard-Taylor, juges, agents correctionnels et les policiers, ils ont
un statut
spécial. Alors, le fait de penser qu'ils puissent être tellement de conviction
religieuse profonde qu'ils ressentent le besoin de briser le code étatique qui est qu'un costume, pour ces
gens-là, il est clair... il doit y avoir le même costume... le simple fait de demander de porter sa conviction
religieuse de façon visible m'amène à penser que la personne a des
convictions très profondes qui pourraient influencer son jugement. C'est un peu
l'esprit dans lequel on était.
M.
Maclure (Jocelyn) : Bien, comme je vous dis, il y avait deux motifs
très différents qui ont été évoqués, mais moi, je pense qu'on est très proche du procès d'intention à l'endroit de
ces personnes lorsqu'on dit ça, hein, parce que je pense que, dans l'esprit d'une personne très
croyante qui considère avoir un devoir de porter un signe religieux
particulier, il est tout à fait
possible de respecter cette conviction, qui est de nature religieuse, et
d'exécuter les tâches, hein, qu'elle doit
exécuter en tant que professionnelle. Je ne pense pas qu'il y ait de conflit de
normes ou de valeurs nécessaire entre les deux.
D'ailleurs,
donc, comme vous le savez, dans la police montée au Canada, on sait qu'un
accommodement a été permis, hein,
voilà plusieurs années sans que cela pose véritablement de problème. Donc, je
pense que c'est possible. Par exemple,
si on prend le cas des juges, un juge qui se sent en conflit d'intérêts a un
devoir de se récuser, hein, ça fait partie de ses obligations
déontologiques d'évaluer par lui-même... S'il n'est pas en mesure d'arbitrer de
façon impartiale le désaccord, il doit se récuser.
Mme
Maltais : ...on n'accepterait pas qu'un avocat arrive en jean sale et
en tee-shirt à... pourquoi on accepterait qu'il y ait aussi un vêtement
qui ne soit pas conforme à ce que l'État demande?
Est-ce
qu'il n'y a pas l'apparence de conflit d'intérêts? Or, l'apparence de conflit
d'intérêts est tout aussi importante dans
notre société de droit que le conflit d'intérêts. Vous comprenez, c'est la
réaction. Je comprends qu'il y a la personne qui croit, mais, de l'autre côté, il y a la personne qui reçoit le
service, qui reçoit des messages. C'est là-dessus que Bouchard-Taylor avait tranché. Ça fait que je suis très
étonnée de voir que vous vous distanciez de ça, d'autant que vous ajoutez
en page 7 : «Ensuite, qui prétend
devoir porter un chandail sur lequel un slogan politique est imprimé ou une
épinglette politique de façon permanente en public?» Vous seriez étonné.
Vous
avez là un commentaire, pour moi, qui déborde, je vous dirais, la qualité du reste
de votre mémoire. Là, vous
avez un commentaire sur les personnes qui ont des convictions politiques
profondes et qui, certains jours ou de façon permanente,
porteraient des slogans politiques mais qui font : Non, quand je suis
fonctionnaire de l'État, je dois le faire. Je suis étonnée. Le reste de votre mémoire est assez solide, on peut en
prendre... mais là je trouve qu'on tombe dans quelque chose de différent.
• (12 h 50) •
M.
Maclure (Jocelyn) : La
norme, l'idée qu'il y ait un certain décorum s'applique aussi aux personnes
qui portent un signe religieux
visible, hein? S'ils ont ce droit, c'est que ça découle d'un droit fondamental
protégé par les chartes, hein, la liberté de conscience et de religion.
Mme
Maltais :
Ce n'est pas un droit sur le vêtement.
M.
Maclure (Jocelyn) : Sur le
passage en question, hein, qui est tiré d'un extrait du mémoire que 60
chercheurs qui travaillent sur ces
questions avaient présenté pendant la commission
parlementaire sur le projet de loi n° 60,
mais, comme la commission avait été
interrompue, on n'avait pas pu témoigner, c'est pour s'en prendre à une idée
qui trace une analogie entre les
signes politiques et les signes religieux, puis on pense que l'analogie ne
tient pas. Puis, sur le plan de l'expression de nos convictions politiques,
hein, on a différents droits politiques, on a la liberté d'expression.
Le
législateur a décidé, à côté de ça, aussi de protéger la liberté de conscience
et de religion et son exercice, puis le
port de signes religieux visibles, donc, est couvert par la liberté de
religion, mais, à chaque fois qu'on fait cette analogie, une épinglette, tout ça, c'est toujours
pour s'opposer au port de signes religieux, mais il n'y a jamais personne qui
fait une revendication... qu'on connaisse, là, qu'on ait entendu,
disant : Oui, je veux porter une épinglette politique pendant que
je suis au travail, mais de...
Mme
Maltais : M. Maclure, ils ne le font pas, parce que c'est
déjà convenu. L'État a déjà convenu de ça, alors les gens ne vont pas contre l'État. Mais enfin, là, on n'est pas dans
toute la fonction publique, mais là il y a une convention qui a été établie par l'État, que les gens
respectent. Mais une conviction politique est tout aussi profonde qu'une
conviction religieuse. Chez des gens
comme moi, par exemple, puis chez des militants que je connais, c'est des
convictions extrêmement profondes. On ne doit pas juger de ça.
M. Maclure
(Jocelyn) : Vous avez raison sur la profondeur.
Mme
Maltais :
Mais pourtant on applique un code.
Le
Président (M. Merlini) : Merci, Mme la députée de Taschereau,
M. Maclure. On va passer maintenant au deuxième groupe d'opposition
et à la députée de Montarville pour son bloc d'échange.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Maclure. Merci pour votre mémoire. Je le
lis avec beaucoup d'intérêt. Vous avez
répondu déjà à une des questions qui étaient importantes, pour moi : y
inclure le mot «laïcité», parler de
laïcité mais que ce soit écrit. Je comprends le concept que c'est dans notre
droit, mais ce n'est pas édicté dans une loi. Vous n'êtes pas contre,
donc ça, je trouve ça intéressant. On est sur la même longueur d'onde
là-dessus.
Vous dites quelque chose,
là, que j'aimerais que vous m'expliquiez, parce que j'ai besoin de vos
lumières. Vous nous dites, à la page
3 : «...il est tout à fait possible de porter un signe religieux qui
témoigne de notre foi sans faire de
prosélytisme et sans que cela n'affecte notre jugement professionnel. Nous reconnaissons
d'ailleurs cette présomption de
neutralité aux agents de l'État...» Un petit peu plus bas : «[Le] projet
de loi n° 62 [devrait] logiquement mener au retrait du crucifix au salon bleu de l'Assemblée
nationale. Même si son effet est purement symbolique, la présence du crucifix
à la Chambre des représentants suggère — donc, il y a un effet ici, là — qu'il y a un lien entre le pouvoir
législatif et la religion chrétienne...»
Alors, ma
question : Pourquoi un signe religieux, en l'occurrence ici une grosse
croix, suggère quelque chose à un endroit,
mais ailleurs la même croix bénéficierait d'une présomption de neutralité parce
que dans le cou d'un employé de l'État? J'aimerais que vous m'expliquiez
ça.
M. Maclure
(Jocelyn) : Oui. C'est une bonne question. Dans le cas de la croix au
salon bleu, c'est l'institution qui
parle, c'est un symbole qui représente l'institution. L'institution n'a pas de
droit, contrairement aux personnes, aux citoyens, hein, qui, eux, ont des droits fondamentaux. Donc, en choisissant
de mettre une croix, là on dit quelque chose sur l'institution, qui vient s'identifier symboliquement à la religion
chrétienne, puis ça, ce n'est pas compatible avec la laïcité, avec la
séparation, avec la neutralité, peu importe le concept qu'on veut utiliser.
Même si aujourd'hui on sait bien que vous,
comme parlementaire, vous ne vous dites pas : Bon, j'ai des comptes à
rendre ou je tire mes croyances de
cette religion, symboliquement, ça envoie le message qu'il y a un lien
intrinsèque entre le pouvoir législatif et la religion de la majorité,
puis ça, ce n'est pas compatible avec le principe de neutralité.
Lorsqu'il est
question des agents de l'État, de ceux qui y travaillent, donc, eux, ce sont
des professionnels, ce sont aussi des personnes, des citoyens qui ont des
droits, puis l'idée, c'est : Comment on concilie les différentes obligations et ces
différentes logiques, hein, d'une personne qui a des droits fondamentaux et qui a aussi un rôle professionnel
qui vient avec des responsabilités, puis un devoir de réserve, puis
ainsi de suite, hein? Et puis je pense que, dans ce cas-là, une personne qui porte un signe religieux qui témoigne
de sa foi est parfaitement capable de continuer à respecter les exigences,
hein, de son poste et sa déontologie, et ainsi de suite. Donc, ce n'est pas nécessaire de venir restreindre sa liberté de religion
pour assurer la neutralité religieuse de l'État. On est capable de le faire
sans restreindre ses droits.
Mme Roy : Je
comprends que vous me dites que
l'État n'a pas de religion, dans un cas c'est l'État, dans l'autre c'est
une personne, mais moi, je ne vous parle ni de la personne ni de l'État, moi,
je vous parle du signe.
La grosse
croix, ça reste la grosse croix, peu importe où on la met. Vous nous
dites : Elle suggère quelque
chose, c'est un symbole, ça représente quelque
chose. Alors, moi, ce que je vous
dis, c'est : Dans quelle mesure peut-on permettre le port de signes
religieux, alors qu'on comprend qu'un signe, peu importe où il se trouve, il
signifie quelque chose? Pourquoi serait-il acceptable chez les fonctionnaires
de l'État qui sont justement en lien avec d'autres personnes? Et comment se fait-il que ce signe, qui représente,
qui symbolise, qui envoie un message, ne l'enverrait pas dans le cou d'un
fonctionnaire? Et là je ne mets pas en doute la qualité de son travail. Donc,
comment le justifier?
M. Maclure (Jocelyn) : Parce que
dans un cas c'est...
Le Président (M. Merlini) : M.
Maclure, 1 min 30 s.
M. Maclure
(Jocelyn) : ... — oui,
d'accord — dans
un cas, c'est l'État qui parle. On pourrait ne pas mettre de crucifix
là, hein? Quand Duplessis a décidé de le mettre à un moment donné, ça aurait pu
ne pas être le cas. Un fonctionnaire, c'est
une personne, c'est une personne qui a aussi une identité morale, un système
de croyances et des droits, et donc ça représente quelque chose sur
elle.
Sur le sens
des symboles, vous avez raison, mais les symboles ont des sens, hein, puis il y
a toute une polyphonie, hein, de
sens, mais, dans le cas du crucifix, vous savez, vous êtes représentante en matière de laïcité, hein, c'est très souvent des citoyens
qui ne sont pas issus de l'immigration ou qui n'appartiennent pas à des groupes
minoritaires religieux qui contestent la présence de ces symboles, hein,
mais des gens qui s'associent à une certaine conception de la laïcité, au Mouvement laïque québécois, ainsi de suite.
C'est souvent ceux qui sont des athées, qui veulent qu'il y ait une séparation
très marquée entre l'Église et l'État, qui
revendiquent le retrait de ces symboles, puis eux aussi, me semble-t-il, ont un
bon argument, là.
Mme Roy :
J'ai très, très peu de temps, mais vous allez convenir avec moi qu'un signe,
qu'un symbole envoie un message.
M. Maclure
(Jocelyn) : Oui, il envoie un message qui peut être interprété de
toutes sortes de façons différentes, hein?
Je vous invite à voir les études sur quel est le sens que les femmes musulmanes
donnent au hidjab, puis, toutes les études sont unanimes, il y a une
multitude de sens, de raisons qui justifient pourquoi une femme porterait le
hidjab, si bien qu'on ne peut pas tout
simplement dire : C'est un symbole d'oppression. Peut-être que nous, on
peut le penser si on veut, mais, du point de vue de la personne qui le
porte, hein, il peut y avoir d'autres raisons de porter un hidjab.
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, M. Maclure.
Mme Roy : Merci.
Le
Président (M. Merlini) : Ça termine ce bloc d'échange. Je vous
remercie, M. Maclure, pour votre contribution à nos travaux sur le
projet de loi n° 62.
La commission ajourne ses travaux...
Le Secrétaire : Suspend.
Le
Président (M. Merlini) : ...pardon, suspend ses travaux jusqu'à
15 heures — merci,
M. le secrétaire — où
elle poursuivra son mandat. Merci, et bon appétit.
(Suspension de la séance à 12 h 58)
(Reprise à 15 h 7)
Le
Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission
des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes
dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
Nous
poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le
projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à
encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains
organismes.
Nous
entendrons, cet après-midi, la Confédération des syndicats nationaux,
Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke, et
le Rassemblement pour la laïcité. Oui, c'est ça. Donc, notre premier groupe,
c'est la Confédération des syndicats
nationaux. Mme Francine Lévesque est sa vice-présidente. Bonjour,
mesdames. Vous allez nous présenter
la personne qui vous accompagne et vous avez 10 minutes pour la présentation de
votre mémoire — je
pense que vous connaissez les us et coutumes
de la maison — et après
il y aura une période de discussion avec Mme la ministre et les
porte-parole des deux oppositions. Mme Lévesque, à vous la parole.
Confédération des
syndicats nationaux (CSN)
Mme
Lévesque (Francine) : Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, je suis accompagnée d'Anne Pineau, qui
est adjointe au comité exécutif de la CSN.
Or, bien,
merci de nous permettre de vous présenter ici aujourd'hui les positions de la
CSN à l'égard du projet de loi n° 62. C'est un projet de loi qui
nous intéresse au plus haut point, étant donné que, comme organisation
syndicale, évidemment, nous sommes très
présents particulièrement dans le secteur public, mais également parce que nous
sommes très préoccupés de cette
question-là importante pour le développement du vivre-ensemble dans notre
société québécoise et par rapport aux
différentes questions auxquelles on est confrontés et en lien avec les
questions éthiques, les questions de... c'est ça, du vivre-ensemble.
Donc, ça nous
intéresse en particulier, également, ces questions-là, depuis le tout début, où
le gouvernement de M. Charest avait
mis en place la commission Bouchard-Taylor. Et on a été, dès ce moment-là, je
dirais, impliqués dans les
consultations. Nous l'avons été également à chaque fois que les gouvernements
précédents ont déposé des projets de loi. Et évidemment celui-ci, bien,
on l'espère, pourra permettre qu'on puisse faire avancer un peu plus la
discussion, puisque ça fait 10 ans qu'on en
parle puis qu'on n'a pas encore été, au moment où on se parle, en mesure
d'adopter une position... Bien, on en a adopté une en 2010, là, mais
elle n'allait pas très loin. Or, on pense que ce serait intéressant, cette fois-ci, qu'on puisse quand même tabler sur
un acquis et poursuivre les réflexions, poursuivre les discussions dans notre société pour faire avancer les questions
relatives à l'encadrement, bon, des accommodements et de la neutralité.
• (15 h 10) •
Or, depuis
2007, donc, que nous intervenons sur ces questions, je vous dirais que nos
positions n'ont pas vraiment changé.
On était assez attachés aux conclusions de la commission Bouchard-Taylor et,
à cet égard-là, je dirais, depuis 10
ans, nous réitérons à toutes les tribunes où nous sommes en mesure de nous
faire entendre que nous apprécierions qu'on puisse effectivement
enchâsser dans une loi, dans une charte en l'occurrence, l'idée de la laïcité
de l'État québécois. Et on était préoccupés
par cette question-là, parce qu'on trouve premièrement qu'elle est beaucoup
plus large que la question de la
neutralité religieuse et, en fait, elle englobe cette question-là et elle en
englobe d'autres également liées au fait, par exemple, qu'on reconnaît la liberté de conscience, la
liberté de religion, la séparation de l'Église et de l'État. Donc, la
neutralité de l'État est, à notre point de vue, inscrite dans cette idée-là de
la laïcité.
Donc, on
pense que ce serait intéressant que, dans la loi, si on pouvait inclure cette
vision-là, ce mot-là dans la loi, bien,
ça pourrait, à ce moment-là, assurer d'une certaine façon que partout au Québec
cette loi-là puisse avoir une certaine forme
de préséance. Et, si ça permet de glisser immédiatement, également,
sur d'autres niveaux de gouvernement, bien, ça nous permettrait aussi d'assurer
que l'ensemble des municipalités, par exemple, se trouvent aussi régies par
cette obligation-là de respecter la laïcité,
alors qu'au moment où on se parle elles sont exclues du champ d'application de
la loi qui est à l'étude au moment où on se parle.
J'aborderais maintenant
la question, je pense, qui ne fait pas vraiment de complications, ce sur quoi on s'entend facilement, l'idée de pouvoir ne pas porter...
c'est-à-dire, de travailler, d'agir, en tant que porte-parole de l'État, à
visage découvert. Je pense que c'est
une notion qui rallie facilement l'ensemble des opinions exprimées devant cette commission,
mais également il y a toute la
question liée au port des signes religieux, où nous, on pense qu'il faut aller un peu plus loin, puisque cette
question-là n'est pas vraiment abordée dans le projet de loi. Mais nous, on
pense que c'est important que les magistrats de l'État, c'est important
que les gens qui travaillent dans le monde de l'éducation, qui travaillent
auprès de la petite enfance également, qu'ils soient du secteur public
ou même des établissements privés ou qu'ils soient subventionnés de quelque manière que ce soit... mais nous, on pense que
ce serait important que, pour l'ensemble de ces groupes-là, compte tenu de leur mission
fondamentale... que c'est important qu'ils présentent une image de neutralité et que
les gens qui occupent ces fonctions-là, que
ce soit à titre de magistrats, tout ça, bien, que ces personnes-là, dans le
fond, ne soient pas autorisées à
porter des signes religieux, sauf si, au
moment où on se parle, actuellement ils ont ce droit acquis là. On
l'appellerait comme ça. Vous allez reconnaître là un discours, à proprement
parler, syndical, parce que, pour des personnes
qui ont commencé à occuper des fonctions dans un contexte où le droit leur
permettait de porter leurs signes religieux,
bien, pour ces personnes-là, on pense que ça ne devrait pas être une condition
d'emploi qui remette en cause leurs
emplois, mais ça devrait être très clair au niveau de l'État et au niveau de
l'ensemble de ces missions-là que l'idée de présenter la neutralité de l'État, c'est quelque chose qui est
fondamental et qui est lié à la fonction de façon intrinsèque.
Donc, sur ces
questions-là, on pense que ça, ça serait un signe qui serait très clair à
donner également et qui viendrait renforcer
l'idée qu'au Québec on ne prend pas position sur ces questions-là, qui
demeurent, à toutes fins pratiques, des questions individuelles, de
droits individuels.
Ça m'amène à
parler du crucifix de l'Assemblée nationale. On pense que, pour ces
considérations-là, également le
crucifix pourrait très bien jouer son rôle d'image de notre patrimoine mais que
pour ça il n'a pas nécessairement besoin de présider aux débats de
l'Assemblée nationale.
Donc, on
apprécie que ce débat-là soit sur la table au moment où on se parle. On espère
qu'on va être en mesure d'avancer. On
aurait souhaité aller plus loin que les éléments qui sont inscrits actuellement
dans le projet de loi, notamment sur les questions de laïcité, sur les
questions des ports de signes religieux, tout ça.
Et je terminerais en vous disant qu'une des
questions qui nous préoccupent au plus haut point, c'est surtout le comment on
va faire pour porter ensemble une vision de cet État québécois. Or, quels
moyens prendrons-nous pour être en mesure
d'assurer de la formation, d'assurer de l'éducation, d'assurer que, dans le fond, dans le respect
de ce qui nous caractérise au plan de
nos valeurs, dans le respect de la langue, dans le respect de l'égalité entre
les hommes et les femmes, bien, on soit en mesure d'évoluer ensemble
dans le respect mutuel?
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Merci. Merci beaucoup pour votre présentation, qui suscite un certain nombre de
questions parce que vous abordez des enjeux qui ont été abordés de façon
différente par d'autres groupes mais qui sont fort importants, fort
intéressants.
Dans votre
mémoire, vous abordez la question de l'application du projet de loi aux
municipalités et aux organismes municipaux. C'est un commentaire que
l'on a reçu. Bon, je vous dis d'emblée ce que j'avais expliqué, la raison pour laquelle les municipalités ne sont pas ciblées par
le projet de loi, c'était pour respecter l'autonomie municipale qui est sollicitée et demandée notamment par l'Union des
municipalités. Mais moi, j'aborde ces consultations-là avec ouverture et
puis je ne suis pas fermée à ce qu'on ait une certaine réflexion. Donc, j'aimerais
vous entendre sur la question des municipalités,
et surtout parce que vous ne parlez pas que des municipalités mais vous
mentionnez aussi que les organismes municipaux soient également
assujettis au projet de loi.
Alors, j'aimerais savoir ce que vous entendez
par «organismes municipaux».
Le Président (M. Ouellette) : Mme
Pineau.
Mme Pineau
(Anne) : Oui. Merci.
Écoutez, on a été assez étonnés de voir qu'effectivement les municipalités
n'étaient pas visées par le projet de loi,
étonnés, parce que je pense que, s'il y a une organisation ou un type de
gouvernement qui a été au coeur de
toute la question des accommodements et de la neutralité religieuse, bien, ce
sont les municipalités. La décision majeure de la Cour suprême, c'est
ville de Saguenay, qui porte et qui définit la neutralité religieuse.
Donc, on se
serait attendus qu'un projet de loi sur la neutralité religieuse vise au
premier chef les municipalités, ce
qui nous apparaît un incontournable, d'autant que, de toute façon, la cour l'a
dit, elles sont visées par l'obligation de neutralité religieuse et
qu'en tout état de cause la question des obligations d'accommodement en matière
religieuse s'applique à elles. Or donc, il y
a comme un inexplicable, mais un inexplicable, je vous dirais, qui revient de
plus en plus, il nous semble, ces derniers temps. On a la loi sur lanceurs
d'alerte qui ne s'applique pas non plus aux municipalités. On a des lois qui prévoient des régimes particuliers
pour les municipalités. Alors, ici, on comprend difficilement qu'on exclut
les municipalités. Bien, vous avez aussi toute la question des communautés
urbaines, les sociétés de transport, les organismes
qu'on voit en général, là, tu sais, qui forment une catégorie qui apparaissait,
d'ailleurs, je pense, dans le projet de loi n° 60. Donc, les usuels
qu'on voit, là, municipalités, corporations, communautés urbaines.
Mme Vallée :
Dans le fond, lorsque vous référez aux municipalités et organismes municipaux,
vous référez un peu à ce qui était prévu dans d'autres projets de loi,
notamment le projet de loi n° 60.
Mme Pineau (Anne) : En général, qui
viennent, là...
Mme Vallée : O.K. Donc, on...
Mme Pineau (Anne) : ...je ne dirais
pas «en kit», là, mais qui viennent comme une catégorie.
Mme Vallée :
Un peu comme les organismes gouvernementaux.
Mme Pineau (Anne) : Oui.
Mme Vallée :
D'accord. Pour ce qui est des accommodements religieux, vous mentionnez que la
codification, qui, pour certains,
peut sembler inutile, présente un intérêt pédagogique. Donc, là-dessus, j'en
suis également. Mais vous recommandez que l'obligation ne relève pas du
personnel, donc de l'individu qui reçoit la demande, mais bien de l'organisme à
qui est présentée la demande. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette
distinction.
Mme
Lévesque (Francine) : En
fait, cette distinction-là vise à couvrir, d'assurer une cohésion dans l'organisation. Or, on verrait mal comment on pourrait se retrouver dans une commission scolaire avec quelqu'un qui a une interprétation x de sa
vision de qu'est-ce qui peut être accommodé ou pas, alors que, dans une autre
école à côté ou même dans un autre
département, une autre personne puisse avoir une autre vision de ça. Il faut
assurer une certaine forme de
cohérence dans le propos, et c'est l'organisme... c'est de ça dont on parle, on
veut assurer la neutralité religieuse de l'organisation. C'est pour ça qu'on pense qu'il faut qu'on en réfère à
la personne en autorité, qu'il y ait une responsabilité dévolue à l'organisation d'assurer l'application
de la loi, la compréhension de tout ce qui... bon, les règlements et autres
codes qui pourront servir à aider à l'application de la loi.
Mais c'est
pour ça qu'on pense que c'est important de faire cette distinction-là. C'est sûr que c'est des personnes qui
demandent à être accommodées, mais on
voudrait que l'ensemble des demandes soient traitées selon une seule et même
vision, celle qui est parrainée par l'organisation.
• (15 h 20) •
Mme Vallée : Cette vision de l'organisation pourrait être
expliquée à travers un guide, un guide d'application qui pourrait être produit par l'organisation.
Mme Pineau
(Anne) : Oui, exactement.
En fait, c'était aussi le sens, pour nous, d'une charte de la laïcité, c'était
de s'assurer que chaque organisation se dote d'une politique de mise en oeuvre
de la question des accommodements raisonnables.
Et là-dessus je sais que vous avez référé, à quelques occasions pendant la commission parlementaire, au guide
de la Commission des droits, qui est un bon outil mais qui reste finalement
assez général, mais même le guide de la Commission des droits de la
personne recommande aux organismes d'être proactifs et de se doter de guides et
de politiques de mise en oeuvre des accommodements raisonnables.
Donc, on pense que ce serait utile de formaliser ça dans la loi et, en ce sens, de reconnaître que ce n'est pas tant les
membres du personnel qui doivent décider. D'ailleurs, la responsabilité de voir à l'application de
la loi dans chacun des organismes appartient au plus haut dirigeant.
Donc, c'est
une question d'organisation. Chaque organisme doit s'assurer de l'application via le plus haut dirigeant, et
la façon de le faire pour assurer une cohérence, bien, c'est sans doute par des
guides et des politiques de mise en oeuvre.
Mme Vallée : Et est-ce
que par votre commentaire je dois
comprendre que la loi devrait prévoir spécifiquement l'obligation de l'organisme de se doter d'un guide ou est-ce que la préparation d'un
guide en parallèle, une fois que le projet de loi pourrait être adopté,
pourrait se faire par l'envoi de directives? Comment le voyez-vous?
Mme Pineau (Anne) : Bien, idéalement, pour nous, ça devrait être inscrit dans la loi,
histoire de s'assurer que ce sera bel
et bien fait, et ça n'exclut pas la possibilité de directives, par ailleurs. On a d'ailleurs cette possibilité-là dans le cas des services
de garde, là, d'émettre des
directives dans la mise en application. Mais, oui, idéalement, ça devrait être consigné,
là, au texte de loi.
Mme
Vallée : Et
j'aimerais également vous entendre, parce que vous abordez une question,
je pense que vous êtes parmi les seuls à l'avoir abordée de cette
façon-là.
À
la page 11 de votre mémoire, vous suggérez que le projet de loi précise que «l'énoncé de balises en matière d'accommodements religieux ne porte pas atteinte
au droit à l'accommodement relatif aux autres motifs de discrimination».
J'aimerais vous entendre, parce que certains groupes disent : Il ne
devrait pas y avoir d'accommodements, on ne devrait pas faire de référence aux accommodements, parce
que ça porte en soi atteinte à la neutralité religieuse, puis chacun a sa
propre interprétation du projet de loi. Et
on a d'autres personnes, d'autres groupes qui nous ont dit : Le libellé de
l'article 10 semble établir une hiérarchisation des droits.
Donc, j'aimerais vous
entendre sur votre proposition.
Mme Pineau (Anne) : Oui. Écoutez, nous, on est contre évidemment le principe de
hiérarchisation des droits. Notamment, dans le cadre du projet de loi
n° 63, c'était une préoccupation importante qui faisait que, pour nous, on
n'estimait pas nécessaire de modifier même le préambule pour prévoir l'égalité,
dans la crainte qu'on induise une hiérarchisation des droits. Maintenant, c'est
fait, et, dans la mesure où ça n'emporte pas... ou ça ne signifie pas de hiérarchiser les droits, chose avec laquelle on ne
serait pas d'accord, bien, ça ne nous pose pas problème, là, d'indiquer qu'un
accommodement devrait tenir compte de l'égalité hommes-femmes tout comme de la
neutralité religieuse mais, idéalement, pour nous, de la laïcité et des
autres éléments.
En
fait, à la page 11, ce sur quoi nous attirons plus l'attention, c'est le fait
que... et ça, la Commission des droits le
notait, je pense, dans le précédent projet de loi n° 60, c'est qu'il ne
faudrait pas que, parce qu'on parle d'accommodements religieux dans
une loi, on laisse entendre aux organismes qu'ils n'ont pas, par ailleurs, des obligations d'accommodement pour
d'autres motifs. Et c'est un peu ce que disait la commission en disant : «Est-ce
qu'un décideur devant répondre à une demande
d'accommodement ne pourrait pas être amené à penser, à tort, que son obligation
d'accommodement [...] est strictement
circonscrite au seul motif religion?» Et ça, avec toute l'intersectionnalité
des éventuelles discriminations, c'est
d'autant plus important. En fait, c'est toute la question de l'articulation de
cette loi-là par rapport à la Charte des droits et libertés, et
cette articulation-là n'est pas claire. Est-ce qu'on doit la voir comme un
complément, comme une entité distincte? C'est quoi, les références, entre la
charte et cette éventuelle loi-là, sur la religion? Et d'ailleurs la Commission des droits, il y a quelques jours,
demandait qu'on réitère la préséance de la Charte des droits et libertés sur
cette loi-là.
Donc, je pense qu'il y a une ambiguïté quant à où
se situe cette loi-là par rapport à l'application générale de la charte. Est-ce qu'elle est en plus ou est-ce qu'elle est
autonome ou... Je ne sais pas si vous voyez, là, la difficulté que pose, là, le...
Mme Vallée : Je comprends très bien. Puis la
commission nous a fait valoir un certain nombre de recommandations. Dans le fond, l'exercice auquel on se livre depuis
presque deux semaines nous amène à recevoir les différentes demandes d'aménagement ou les suggestions de bonification
du projet de loi et voir comment concilier ces différentes demandes, est-ce qu'il est possible, dans l'esprit de la
loi, de donner suite à certaines des demandes ou certaines des suggestions qui
sont présentées, puis, je vous dis, il est important que ces
suggestions-là soient analysées.
Je trouvais intéressante votre proposition.
Certes, chaque groupe amène ses propres analyses, ses propres recommandations. Et je trouvais ça intéressant,
cette référence au devoir d'accommodement qu'ont les organismes en
général pour assurer une pleine égalité de tous dans notre société, finalement.
Maintenant,
je vais juste... J'ai perdu le fil de ma... Je pense que ça fait pas mal le
tour des questions que j'avais pour vous, mais je vous remercie
beaucoup.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, mesdames de la CSN, bienvenue à cette
commission parlementaire.
Évidemment,
il y a plusieurs principes qui ont déjà été énoncés dans d'autres commissions
parlementaires. On essaie de voir
maintenant jusqu'où on peut faire évoluer cette loi, qui est loin d'une charte
de la laïcité mais qui, peut-être, selon
où on va se rendre dans la discussion, pourrait nous permettre d'avancer ou d'aider
un petit peu les gens qui sont, comme
on le disait hier, devant des centaines de demandes d'accommodements religieux,
entre autres. La Fédération des commissions
scolaires nous a appris que la CSDM recevait 500 demandes d'accommodements
religieux par année. C'est quelque chose.
Alors, je vais partir dans l'annexe où vous avez
vraiment des positions et des recommandations. La première, vous dites : «L'affirmation d'un principe de
laïcité et de neutralité religieuse de l'État de même d'égalité entre les
femmes et les hommes dans une charte
de la laïcité.» Bon, on n'a pas de charte de la laïcité, mais vous êtes
d'accord avec l'idée qu'on affirme le
caractère laïque de l'État québécois ou la séparation entre l'État et les
religions dans une loi. Est-ce que vous
avez une idée d'où on pourrait inscrire ça? Dans celle-ci? Dans la Charte des
droits et libertés? Comment vous voyez ça?
Mme Pineau
(Anne) : Bien, en fait, pour
nous, il doit y avoir une concordance. Ça devrait être inscrit dans le projet de loi n° 62, la question de la
laïcité, parce que nous, on estime que la neutralité religieuse, c'est un des
aspects seulement qui fait partie, là, de l'ensemble laïcité. Je pense
que la façon dont le définit Bouchard-Taylor dans son rapport explique bien qu'il n'y a pas que la neutralité religieuse, il y
a aussi la question de la séparation de l'État et des religions, il y a la liberté de religion. Donc,
nous, c'est le principe de laïcité qu'on aimerait... parce qu'il est complet,
et on voudrait le voir inscrit autant dans cette loi-là que, par
concordance, dans la charte, oui.
• (15 h 30) •
Mme
Maltais :
D'autant que vous nous rappelez avec justesse, en page 8 de votre mémoire,
le décret qui avait constitué la
commission Bouchard-Taylor, où il était écrit : «L'égalité entre les
femmes et les hommes, la primauté du français
et la séparation entre l'État et la religion constituent des valeurs
fondamentales. Elles ne peuvent faire l'objet d'aucun accommodement.»
Effectivement, j'avais oublié ce bout-là. Peut-être qu'on l'a tous oublié au
fil du temps. Mais c'est assez intéressant, ce rappel. Je vous en remercie.
L'autre, vous
demandez, comme troisième point ou comme troisième picot, comme dirait
Denise Boucher, qui souvent
venait nous voir à l'époque... c'était son langage, l'ex-vice-présidente de la CSN, disait : «Un devoir de réserve et de neutralité religieuse pour les membres du
personnel, y incluant le personnel de la direction des organismes publics dans l'exercice de leurs
fonctions.» Effectivement, il y a un autre groupe qui est venu nous rappeler cela,
qu'on a le devoir de neutralité mais on n'a pas le devoir de réserve. Et
on avait ça dans le projet n° 62, c'est à l'article 4, ça
disait : Un membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de réserve en
ce qui a trait à l'expression de ses
croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions.
Ça donnerait quoi comme impact si une clause
comme ça était inscrite? J'aimerais ça... pour que les gens entendent bien, ce que ça voudrait dire. Qu'est-ce que ça amènerait de plus à cette loi que ce devoir de réserve dont vous
nous parlez dans votre troisième picot? C'est dans l'annexe. Ça résume bien vos
interventions.
Mme Pineau
(Anne) : Bien, écoutez,
moi, je dirais que la neutralité religieuse inclut une obligation
de réserve. Je pense que ça serait, sans doute, plus clair de le
préciser, mais on pense qu'on peut vivre avec le texte, là, actuel. Mais effectivement,
souvent, on va ajouter toute la question de la réserve, qui...
Mme Maltais : ...devoir de réserve pour un employé de la fonction publique? Comment vous décririez ce que ça commande comme attitude?
Mme Pineau (Anne) : Bien, écoutez, c'est sûr que, bon, il y a
toute la question de ne pas faire de prosélytisme, mais
nous, je veux être claire là-dessus... Par exemple, on pourrait penser que ça
suppose de ne pas porter de signes religieux.
Or, là-dessus, et c'est la position qu'on a prise dans le cadre du projet de
loi n° 60, c'est de ne pas interdire de façon générale le port de signes religieux. Nous limitions notre
suggestion aux postes en autorité,
ceux qui ont été identifiés par le rapport Bouchard-Taylor, et nous
l'étendions, par contre, à toute la question des enseignants, en fait, des
écoles, des services de garde mais
pas parce que ce sont des agents de l'État, mais parce que ce sont des gens qui
travaillent dans une école qu'on a
voulue laïque, qui est composée
d'enfants, de jeunes enfants pour qui les enseignants et les personnels de
l'éducation sont des modèles, des gens qui travaillent au quotidien avec ces
jeunes-là et qui ont un rapport d'autorité aussi, et c'est dans cette mesure-là qu'on estimait qu'il ne devrait pas
y avoir de port de signes religieux pour ces personnels-là.
Mais,
pour ce qui est de la réserve, la réserve
ne comporte pas nécessairement de ne pas porter de signes religieux.
Mme Maltais : Ça ne le comporte pas, mais ça permettrait
d'articuler finalement un peu une position, par rapport à la fonction publique, de qu'est-ce
que la neutralité religieuse, c'est-à-dire devoir de réserve, donc pas de prosélytisme. Et les gens en situation
d'autorité : interdiction totale de signes religieux? On parle
d'interdiction totale, pas de...
Mme Pineau
(Anne) : Pour les personnes en autorité?
Mme Maltais :
En autorité, oui.
Mme Pineau (Anne) : Oui, oui. Nous, on n'a fait aucune distinction,
et, peu importe la dimension, là, c'était : aucun signe religieux.
Mme Maltais : O.K.
Autre chose. Dans vos commentaires, vous parlez du service à visage découvert.
Je ne sais pas si vous l'avez
noté — sûrement — il y a une exception possible. En fait, ça
dit : Tout accommodement est possible, sauf exception. En fait, l'exception, c'est... bien, c'est drôlement
écrit. Étonnamment, ça dit : Les services doivent être donnés à visage découvert. Les services doivent
être demandés à visage découvert ou rendus à visage découvert, mais les
accommodements sont tous possibles, sauf exception.
Moi,
je ne crois pas à la valeur de l'exception, surtout pour les services donnés,
parce que je trouve que la fonction
publique ne peut pas avoir le visage
couvert, et non seulement les services, mais aussi le fait de travailler avec
le visage couvert, pour moi, est contre-productif, carrément, là. J'aimerais avoir
votre opinion là-dessus.
Mme Pineau (Anne) : Bien, écoutez, en fait, nous sommes d'accord avec cette disposition-là,
dans la mesure où on pose le principe
général de services tant donnés que reçus à visage découvert. On prévoit
qu'évidemment, si des conditions de
travail nécessitent le visage couvert pour des raisons de santé-sécurité ou
d'hygiène, on peut avoir le visage couvert,
mais on prévoit aussi l'obligation d'accommodement
pour quelqu'un qui, pour des raisons qu'elle établirait comme valables,
justifierait qu'on accommode la personne.
Or,
nous, ça nous apparaît correspondre, là, de toute façon, à l'état du droit, la
possibilité d'obtenir un accommodement. Évidemment, les motifs qui sont prévus, ceux d'identification, de
sécurité et de niveau de communication le justifiant, peuvent faire échec à une demande d'accommodement.
Et, à cet égard-là, bien, on pense qu'il y a de fortes chances que,
toute personne qui travaille dans l'administration publique, à cause des
nombreux contacts qu'elle doit avoir avec ses collègues
de travail, avec les usagers, avec les gestionnaires, avec les clients, les
sous-traitants, peu importe, c'est un niveau de communication qui emporte que tu devrais avoir le visage découvert.
Mais la possibilité demeure là, et je pense que c'est correct.
Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville. En fait, on
ne le saura pas. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy : Merci, M. le Président. Bien, bonjour, mesdames.
Poursuivez ce que vous disiez. On va le savoir, justement. Juste pour
faire mentir notre président. Allez-y.
Mme Pineau (Anne) : Bien, j'avais terminé, pratiquement. Je disais que, pour nous, c'est
valable que ça soit là, de toute
façon, cette obligation d'accommodement là qui sera évalué au cas par cas. Et
je pense que, dans le cas des usagers, bien, ça va se poser très
différemment.
Mme
Roy : Merci. Merci, mesdames, d'être là, parce que je n'ai pas
pris le temps de vous saluer. J'ai pris des notes pendant que vous parliez, parce que vous avez dit des choses,
d'entrée de jeu, qui m'ont interpellée. Et ça fait 10 ans qu'on en
parle, vous avez tellement raison, ça fait 10 ans qu'on en parle, ça prend
quelque chose.
La
première chose qui vous a frappées en plein visage, c'est le fait qu'on n'y
voit pas le mot «laïcité». Moi aussi, j'ai
compris ça comme vous. J'avais d'ailleurs moi-même présenté, en 2013, une
charte de la laïcité pour expliquer qu'il fallait décréter en quelque part que l'État québécois était laïque. Parce
que, vous avez raison, vous écrivez : «Cependant, aucun texte ne vient encore proclamer ouvertement
la laïcité du Québec.» C'est vrai, c'est vrai. C'est via la jurisprudence,
mais on est loin du texte qui le proclame. Vous avez raison.
Par ailleurs, dans vos commentaires...
et il y a plusieurs choses qui... on se rejoint beaucoup, entre autres, quand
vous dites : «La CSN se prononce contre
une interdiction générale du port de signes religieux pour tous les membres du
personnel d'un organisme public.» Et ça,
c'est notre position depuis 2013. On dit : Il ne faut pas que ça touche
tout le monde, mais on pense comme
vous, dans la mesure où Bouchard-Taylor, personnes en position d'autorité...
déjà là, on enverrait un signal très
fort, en plus, naturellement, d'inscrire que l'État québécois est laïque, parce
qu'il faut le dire en partant. Bouchard-Taylor,
les personnes en position d'autorité. Nous, nous ajoutons les enseignants, tout
comme vous. Vous allez un petit peu
plus loin. Nous, on ajoutait les enseignants pour des raisons évidentes. Pour
nous, des enseignants qui portent des
signes religieux, avec des mineurs... Il ne faut pas l'oublier, ce sont de
jeunes enfants, pour la plupart, influençables. Lorsqu'on est jeune... corrigez-moi, mais je pense que les enfants sont
influençables, ils sont influencés par ce qu'ils voient. Et nous avions
tout à l'heure un professeur de philosophie qui a fini par avouer qu'un signe
portait un symbole et un message. Et c'est
la raison pour laquelle on ne veut pas influencer les enfants. Donc, ne pas
avoir de signe lorsqu'on est un enseignant. On se rejoint à plusieurs
égards.
Vous
disiez également, et je trouve que c'est une bonne idée, d'ailleurs : Ce
n'est pas une question de mettre des gens
à la porte, bien au contraire, surtout dans la mesure où vous nous parlez... je
pense, ça s'appelle une clause grand-père, le fait de protéger les employés qui sont déjà à l'embauche, mais que
les nouveaux employés comprennent et sachent que, pour être enseignante, par exemple, dans une école
au Québec... si vous voulez être enseignante, personne ne porte de signe religieux, tout simplement. On pense comme
vous. On pense qu'il y a là-dedans beaucoup de bons enseignements, de
gros bons sens puis on préserve l'emploi des individus, mais le message est
très fort.
Par
ailleurs, j'aimerais vous entendre, parce qu'il y a des recommandations aussi, et d'autres groupes nous l'avaient
fait... à l'égard, entre autres, des
explications, parce que vous nous dites : En bout de piste, actuellement, oui, on définit ce que sont
les accommodements religieux comme la jurisprudence les définit, mais, en bout
de piste, ce sont vos gens qui devront les appliquer lorsqu'il y aura
une demande de faite.
Et
dans quelle mesure il faudrait qu'il
y ait des précisions, des guides, un encadrement? Que désireriez-vous à
cet égard-là?
• (15 h 40) •
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Pineau... Ah! Mme Lévesque.
Mme Lévesque (Francine) : Bien, écoutez, au moment où on se parle, on se
base beaucoup sur ce qui a été défini par les tribunaux au niveau de la jurisprudence, parce que
déjà les tribunaux des droits de la personne ont eu à traiter ce genre de
question là. Donc, au moment où on se parle, on se base beaucoup
là-dessus. Et effectivement, tout dépendant de la portée de la loi,
comment est-ce qu'elle sera rédigée dans sa forme finale, tout ça, bien, on
pourra jouer un rôle, effectivement, les institutions pourront jouer un rôle pour définir, pour donner
des guides, pour produire des outils qui serviront à l'ensemble des organisations, à l'application et à la reconnaissance de tout ça, et ça va continuer d'évoluer
au fil des questions qui seront posées éventuellement devant les tribunaux.
Le Président (M.
Ouellette) : ...
Mme
Roy : Merci. Ça fait
10 ans qu'on en parle. Avec le passage du temps, est-ce que vos membres sont de plus en
plus confrontés à de plus en plus de demandes? Et y a-t-il une façon de colliger les demandes pour s'assurer
que, dans telle unité d'accréditation, dans telle unité syndicale, on traite les demandes de telle façon pour
que ça se sache, pour que les autres
le sachent, pour qu'on puisse avoir une forme d'uniformité ou encore il peut y
avoir des disparités d'application, même s'il y a de la jurisprudence?
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Pineau.
Mme Pineau (Anne) : Écoutez, bon, d'abord,
l'obligation d'accommodement, c'est une invention qui est née dans le monde du travail, hein — la décision O'Malley, en 1985, émanait d'un
cas en milieu de travail — et c'est une réalité avec laquelle nos syndicats
fonctionnent depuis bientôt 30 ans.
On
a appris à fonctionner avec les notions d'obligation d'accommodement. On s'est
fait dire notamment en 1992, et à juste titre, que c'était une question
qui concernait tout le monde en milieu de travail et le syndicat devait aussi participer à trouver des moyens de maintenir les
gens au travail pour assurer le droit à l'égalité. Évidemment, on est plus
souvent confrontés à des questions de
handicap, de personnes qui ont des lésions, à des questions qui peuvent mettre
aussi en cause le sexe, des congés de
maternité sans ancienneté, des trucs comme ça, puis, bon, à l'occasion, des
problèmes qui concernent des congés
religieux. Donc, bon, dans ce sens-là, je pense que le projet de loi codifie en
gros, là, les paramètres développés au niveau de la jurisprudence. Mais, bon, nos
syndicats sont assez informés, et on se charge de rappeler ces
questions-là.
Mais
on a régulièrement, là, des demandes d'avis juridique pour établir
un peu, là, certains paramètres, mais les gens sont habitués quand même
à fonctionner avec ces questions-là.
Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Anne Pineau, Mme Francine Lévesque, représentant la Confédération des
syndicats nationaux.
Je suspends quelques
minutes, le temps que M. Guillaume Rousseau et M. Nicolas Proulx, de l'Université
de Sherbrooke, s'avancent en avant.
(Suspension de la séance à
15 h 44)
(Reprise à 15 h 45)
Le Président
(M. Ouellette) : Nous
reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke. M. Rousseau, vous allez nous présenter la
personne qui vous accompagne. Je pense
qu'on la connaît, mais, en tout cas, vous allez nous la présenter quand même.
Et vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Par la suite, il
y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux
oppositions. M. Rousseau, à vous la parole.
MM. Guillaume
Rousseau et Nicolas Proulx
M.
Rousseau (Guillaume) : Chers membres de la Commission des
institutions, merci pour cette invitation à venir discuter, avec vous, du projet de loi n° 62.
Je suis accompagné aujourd'hui par M. Nicolas Proulx, étudiant à la maîtrise
en droit, pour qui j'ai l'honneur d'agir à titre de directeur de recherche.
Notre
objectif aujourd'hui, ça va être d'illustrer que la jurisprudence de la Cour
suprême du Canada est en général excessivement
favorable à l'imposition de normes religieuses aux dépens d'autres principes,
comme la laïcité, l'égalité hommes-femmes, d'où l'importance du projet
de loi n° 62.
On le
disait à l'instant avec les gens de la CSN, si on veut comprendre la
jurisprudence en matière d'accommodement raisonnable, il faut retourner à l'arrêt de principe de base, O'Malley
contre Simpsons-Sears. Dans cette affaire-là, c'est une dame d'une église évangélique qui ne souhaite pas
travailler le vendredi soir et le samedi, qui a donc moins d'heures de travail, et là elle poursuit son employeur pour
être payée pour les heures qu'elle n'a pas travaillé. Et ce qui est
intéressant, c'est qu'on peut lire,
dans ce jugement-là, donc, sous la plume de la Cour suprême, la phrase
suivante : «La plaignante a
déclaré ne plus être intéressée à un emploi à [temps plein], son mari préférant
qu'elle travaille à temps partiel — son mari préférant qu'elle travaille
à temps partiel.» Fin de la citation.
C'est la Cour
suprême qui le dit, comme quoi, dès l'origine, le ver de l'inégalité
hommes-femmes était dans la pomme de
l'accommodement religieux. Et ça, pour moi, ça illustre l'argument un peu
théorique qui dit : Les religions sont
contre l'égalité hommes-femmes, les accommodements religieux donnent plus de
place aux religions dans l'espace public, donc les accommodements sont
contre l'égalité hommes-femmes. Ce syllogisme qu'on entend, qui est un peu
théorique, bien, je constate qu'il est quand même assez justifié empiriquement.
C'est pourquoi nous approuvons le deuxième
paragraphe de l'article 10 du projet de loi, qui reconnaît qu'il y a un
problème au niveau des accommodements religieux en ce qui concerne
l'égalité femmes-hommes.
Autre chose
d'intéressant dans l'affaire O'Malley, qui est donc le premier arrêt, là, de
principe de la Cour suprême en matière
d'accommodements religieux, c'est que la Cour suprême du Canada, évidemment,
n'invente pas ça, elle importe de la
jurisprudence américaine le concept d'accommodement raisonnable sans qu'il n'en
résulte une contrainte excessive. Mais
la Cour suprême du Canada, elle est originale, parce qu'en droit américain une
contrainte excessive, ça veut dire une contrainte plus que minimale. Dès
que la contrainte est plus que minimale, l'employeur peut le refuser. Or, la
Cour suprême du Canada, elle va nous dire que
«contrainte excessive», ça veut dire «vraiment excessif». Ça peut être beaucoup
plus que minimal et être imposé quand même à l'employeur.
Donc, au
Canada, c'est beaucoup plus facile d'obtenir un accommodement religieux. Et on
peut se poser la question : Mais pourquoi, en droit canadien, c'est
tellement plus facile d'obtenir un accommodement religieux qu'en droit
américain? Bien, c'est dans Central Okanagan que la Cour suprême du Canada nous
le dit. La raison, c'est qu'en droit américain,
dans la Constitution, il y a le principe de «non-establishment», donc
l'interdiction pour le congrès d'établir une religion, donc un principe de neutralité religieuse de l'État qui
n'a pas d'équivalent au niveau explicite dans la Constitution canadienne. Et c'est pourquoi il y a cette
différence-là au niveau du fardeau de preuve en matière d'accommodements
religieux. Donc, le fait d'arriver avec un
principe de neutralité religieuse de l'État, de le prévoir dans une loi, c'est
intéressant, pour nous, ça pourrait
favoriser un rapprochement avec la jurisprudence américaine, mais, en même
temps, en reprenant les mots de «contrainte excessive», eh bien, on
invite les juges à continuer avec la même jurisprudence canadienne actuelle,
excessivement ouverte aux accommodements religieux.
Alors, nous, ce qu'on propose pour se rapprocher
de la jurisprudence américaine, qui découle du principe de neutralité religieuse de l'État, c'est de
substituer aux mots «contrainte excessive» les mots «contrainte plus que
minimale». Comme ça, on s'aligne sur le droit américain, qui découle du
principe de neutralité religieuse de l'État.
On pourrait
le faire dans le projet de loi. Idéalement, on le ferait dans la charte
québécoise, de même que les autres balises, hein? La balise de l'égalité
hommes-femmes se retrouve, dans le projet de loi, applicable seulement aux organismes publics. C'est quand même particulier.
On envoie comme message que les accommodements religieux doivent être conformes à l'égalité hommes-femmes dans les
organismes publics, mais ce n'est pas applicable aux organismes privés, ce qui est quand même un peu particulier. Donc, on
vous invite à faire une intervention du législateur, là, plus soutenue en
matière d'accommodement comme en matière de visage découvert.
• (15 h 50) •
M. Proulx (Nicolas) : Oui. Merci
beaucoup, Pr Rousseau, et bonjour à vous tous.
D'abord, je
vais vous entretenir, pour les prochaines minutes, sur l'obligation d'avoir le
visage découvert telle que semble l'édicter l'article 9 de votre présent
projet de loi.
Et donc, si
on s'y transporte immédiatement, parce que le temps nous restreint, à notre
avis, il nous semble que, tant sur le
fond que sur la forme, l'article 9 est construit, je dirais, de façon
antithétique en ce que le sens des alinéas s'oppose de façon à s'annuler. Plus précisément, on va dire
dans les deux premiers alinéas que... bien, en fait, on vient édicter la règle
de l'obligation d'avoir le visage découvert. Bon, jusqu'ici, tout semble clair et
limpide.
Or, dans le troisième alinéa, on
viendra dire, bizarrement, du moins, qu'il y aura accommodement. Voyons voir
de quoi il en ressort. On dit qu'un
accommodement devra être refusé si, compte tenu du contexte, des motifs portant
sur la sécurité, l'identification ou le niveau de communication requis
le justifient. Autrement dit, dans tous les autres cas, l'accommodement est permis. Et donc on imagine mal une situation,
en fait, mis à part peut-être ne serait-ce qu'un cas extrême, inusité de sécurité publique, une situation
où l'accommodement ne sera pas accepté. Et donc, à notre avis, ce sont des
critères un peu trop laxistes, du moins pas assez coercitifs, de sorte que, si
l'exception devient la norme, la règle
devient supplantée par l'exception elle-même. Par la bande, par ailleurs,
ce libellé-là, de la façon qu'il est formulé présentement, permettrait à
une personne de participer à sa cérémonie d'assermentation publique, de le
faire à visage couvert, pour autant que
cette personne se soit préalablement dénudé le visage en privé pour des fins
d'identification, mais transgressant
par ailleurs l'une des règles les plus élémentaires de nos
démocraties libérales, soit le caractère public et universel de la citoyenneté.
En
gros, on n'attribue pas de mauvaise intention au législateur, au contraire,
mais il nous semble que, peut-être
malgré lui, le législateur fait indirectement ce qu'il ne peut pas faire directement,
et il nous semble que le propre de l'exception
était, jusqu'à aujourd'hui, de confirmer la règle de par son caractère
exceptionnel. C'est pourquoi on propose au législateur, je dirais,
d'adopter une règle claire.
Et,
parlant de la règle claire, c'est d'ailleurs ce que le juge LeBel, dans la
dissidence d'un jugement qui ne vous est
sûrement pas étranger, R. contre N.S., qui portait sur le port du voile
intégral... lors du contre-interrogatoire, le juge LeBel a défendu avec conviction l'adoption d'une
règle claire. Et LeBel, en fait, parmi les sept juges qui siégeaient sur cet
arrêt-là, LeBel sera celui qui fera la
corrélation la plus directe entre la neutralité religieuse de l'État et le port
du voile intégral. C'est pour ça que,
sous sa plume, on pourra lire la citation suivante : «La neutralité
religieuse de l'État et de ses institutions
[...] assure la vie et la croissance d'un espace public ouvert à tous, peu
importe les croyances, le scepticisme ou l'incrédulité de chacun.» Bon,
évidemment, ce n'est pas l'opinion de la majorité de la Cour suprême, qui va
plutôt pencher vers la doctrine des
accommodements raisonnables, qu'elle va justifier de la façon suivante :
«Une réponse laïque obligeant les
témoins à laisser de côté leur religion à l'entrée de la salle d'audience est
incompatible avec la jurisprudence et
la tradition canadienne et restreint la liberté de religion là où aucune limite
n'est justifiable.» Et donc la Cour suprême, du moins la majorité, va venir tasser du revers de la main l'argument de
la laïcité en se basant sur les jugements O'Malley et Central
Okanagan, qu'on a discutés plus tôt, mais, entre autres, sur ces
jugements-là. Et puis, dans cette foulée de cette réflexion-là sur les accommodements raisonnables, il va venir à
entrevoir la possibilité d'installer, disons... bien, du moins, d'évincer les hommes de la salle lors du
contre-interrogatoire, donc instaurer une certaine forme de ségrégation
sexuelle dans la salle d'audience.
Évidemment, elle l'écarte, mais pas en raison de l'égalité hommes-femmes, ce
qui nous amène à dire que, de
l'affaire O'Malley à l'affaire R. contre N.S., il y a une même insensibilité
envers l'égalité femmes-hommes.
C'est
pourquoi que nous pensons que le législateur devrait plutôt tendre vers, je
dirais, un raisonnement qui se rapprocherait plutôt de celui du juge
LeBel, par ailleurs qui nous semble beaucoup plus en harmonie avec l'essence et l'intention mêmes de votre projet de loi. On
parle de la neutralité religieuse. Votre titre en fait mention. On parle de
l'égalité femmes-hommes. Votre article 10 en
fait mention. Et c'est pour ça qu'on vous propose modestement une modification
à l'alinéa 3°, qui pourrait être lu de
la façon suivante : «Tout accommodement qui implique un aménagement à
l'une ou l'autre de ces règles doit
être refusé, sauf si un motif de sécurité impératif et avéré le justifie
clairement.» Bon, évidemment, cet amendement-là poserait la question de
la constitutionnalité de la loi.
M. Rousseau
(Guillaume) : Oui. Il reste combien de temps?
Le Président (M. Ouellette) : Bien, il vous reste 20 secondes. Mais en avez-vous
pour encore... pour une conclusion, quelques minutes?
M. Rousseau
(Guillaume) : Je vous résume ça en deux, trois minutes.
Le Président (M.
Ouellette) : Bien, résumez ça en trois minutes sur le temps de la
ministre.
M.
Rousseau (Guillaume) :
Parfait. Donc, rapidement. Tout
simplement pour dire que, bien, vous
l'avez entendu, l'Association canadienne des libertés civiles a dit que le projet est discriminatoire et donc qu'elle pourrait le
contester devant les tribunaux. La Commission des droits de la personne
nous dit que c'est contraire aux chartes, etc.
Moi,
ce que je tiens à vous dire là-dessus, c'est qu'une contestation
constitutionnelle fort probable à ce stade-ci serait éminemment coûteuse, pourrait déboucher sur une déclaration
d'invalidation partielle de la loi. Donc, j'encourage l'Assemblée nationale à
invoquer les dispositions dérogatoires des deux chartes des droits. Et,
contrairement à une croyance
largement répandue, l'usage des dispositions dérogatoires n'a pas à être rare
et n'est pas exceptionnel. Beaucoup d'auteurs,
dont Henri Brun, Guy Tremblay, Eugénie Brouillet, nous disent que ça doit
servir lorsque c'est pour promouvoir une
vision proprement québécoise des choses. Jacques Gosselin nous dit que ça doit
servir, par exemple, pour des libertés à caractère collectif ou
communautaire comme l'égalité hommes-femmes. Et, dans mes recherches
empiriques, j'ai trouvé pas moins de 106 cas
d'utilisation de la disposition dérogatoire, dont 17 sont toujours en vigueur,
et, dans 80 % des cas, c'était
pour protéger l'identité québécoise ou encore pour un enjeu de progrès social.
Et, plus précisément, puis je termine
là-dessus, dans de très nombreux cas, une dizaine de cas, les deux dispositions
dérogatoires des deux chartes ont été
utilisées dans un contexte pour des questions de religion. Et, dans de très nombreux
cas, elle a été utilisée. Et c'est toujours
le cas à l'heure actuelle. Ça a été des clauses dérogatoires renouvelées en
2014, donc, sous le gouvernement actuel. Les clauses dérogatoires sont toujours utilisées en matière de retraite
pour créer des avantages pour les femmes qui ont été discriminées à une
autre époque. Donc, aujourd'hui, on tente de les avantager.
Alors,
tout ça pour dire que, lorsqu'on a des menaces de contestation
constitutionnelle et qu'on pense qu'on a un bon projet de loi, il existe un moyen pour le législateur de se
prémunir contre ces contestations-là, et c'est approuvé par plusieurs auteurs de doctrine et par la
pratique surtout lorsqu'il est question de religion et d'égalité femmes-hommes.
Merci.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Merci. C'est vraiment intéressant, toute cette question de l'utilisation ou de l'opportunité d'utiliser
la clause dérogatoire ou de ne pas
l'utiliser. Je comprends que vous émettez une opinion qui est fort étayée,
et puis il y a d'autres juristes — je pense notamment à certains écrits de Stéphane Beaulac — qui
disaient qu'il fallait éviter l'utilisation abusive de la clause dérogatoire. Puis certains juristes sont de cette
tendance, d'autres sont d'une tendance comme la vôtre, de dire : Il ne faut pas hésiter à l'utiliser
lorsque, potentiellement, il pourrait y avoir une contestation judiciaire. Puis
on a aussi d'autres juristes qui sont
venus présenter leurs observations devant nous. Hier, on recevait Me Lampron,
qui avait une autre analyse, qui
considérait que, oui, il pourrait y avoir une contestation mais que les dispositions de la loi, dans le contexte
d'une société libre et démocratique comme la nôtre, pouvaient se justifier, et il ne
croyait pas qu'une contestation aurait une chance de succès.
Donc, moi,
j'aimerais vous entendre davantage sur l'utilisation de la clause dérogatoire, parce que
je trouve ça très instructif lorsque des professeurs comme vous l'êtes
viennent ici faire part de leurs analyses d'un projet de loi, des conséquences potentielles de... ou des risques
potentiels de contestation. On a eu, vous en avez fait mention, certains qui
ont fait part de leurs préoccupations, mais on a d'autres groupes qui nous ont dit que le projet de loi était trop frileux et n'allait
pas assez loin et qu'il devait comporter des éléments encore plus forts. Donc,
j'aimerais vous entendre davantage
sur cette question de l'utilisation de
la clause dérogatoire, parce qu'aussi, dans une certaine philosophie d'utilisation,
la clause dérogatoire implique une
reconnaissance d'emblée qu'il y a une atteinte aux droits à l'intérieur de la
loi, à l'intérieur du texte législatif.
Et donc est-ce qu'il ne serait pas risqué d'emblée d'inclure
ou de reconnaître... ou l'utilisation de la clause dérogatoire ne
constitue-t-elle pas en soi une présomption d'atteinte à un droit de la part du
législateur?
• (16 heures) •
M.
Rousseau (Guillaume) : Merci pour votre question, qui va me permettre
de développer un peu là où j'avais coupé un peu à la fin, question fort
intéressante. Je vais essayer de répondre à chacun des aspects soulevés.
D'abord, pour
ce qui est des opinions diverses qu'il peut y avoir dans la doctrine chez les
professeurs d'université, tout à fait, effectivement, il y a diverses
appréciations de la clause dérogatoire.
Cependant,
cela dit, en tout respect pour mes collègues ayant exprimé une opinion
différente, je suis le premier à avoir
fait une véritable recherche empirique, c'est-à-dire d'aller voir tous les cas
d'utilisation de la disposition dérogatoire depuis 1975 dans la charte québécoise, depuis 1982 dans la Charte
canadienne, donc ça d'épais d'archives législatives et ça d'épais d'archives parlementaires. Parce que
je ne me suis pas limité à faire un catalogue de tous les cas d'utilisation,
mais je suis allé voir qu'est-ce qu'ont dit
chaque fois le ou la ministre responsable pour justifier l'usage des
dispositions dérogatoires. Donc,
c'est une opinion qui n'est pas simplement l'opinion d'un professeur qui s'exprime
à titre citoyen, mais l'opinion d'un
chercheur avec une méthodologie très solide, et tout. Alors, c'est quand même
une nuance importante à faire. Puis
le résultat de cette recherche-là, c'est que j'ai découvert, premièrement, un
large courant doctrinal, puis pas n'importe
qui, là, vraiment les pères fondateurs de la doctrine en droit constitutionnel
québécois, qu'on pense à Brun, Tremblay. Plusieurs de ces auteurs-là nous disent : C'est tout à fait normal,
c'est la souveraineté du Parlement, c'est la démocratie parlementaire.
Donc, j'ai trouvé beaucoup plus d'auteurs, puis c'est même le courant
majoritaire, qui sont favorables à l'usage de la disposition dérogatoire. Donc,
ça, ça m'a un peu surpris.
Ensuite, si
on regarde dans les archives parlementaires de l'époque, en 1975, Jérôme
Choquette, si je me souviens bien,
qui était ministre à l'époque, quand il fait adopter la disposition
dérogatoire, il ne dit pas : Bien, voilà, ça doit être absolument
exceptionnel puis ça doit être très, très rare. Au contraire, il dit :
Voilà, c'est normal, c'est la démocratie parlementaire,
etc. Donc, on ne fait pas de cette clause-là quelque chose qui doit être
absolument très rare. Ensuite, l'argument de Beaulac et d'autres, c'est
dire : La clause dérogatoire, c'est très, très, très rarement utilisé.
Bien, j'ai quand même trouvé 106 cas
d'utilisation, en une quarantaine d'années, j'en conviens, mais ça fait quand
même trois, quatre fois par année. On est loin de l'usage absolument
exceptionnel.
Donc, je
pense qu'il y a un certain nombre de résultats empiriques qui font en sorte
qu'une opinion pèse plus que l'autre,
du point de vue scientifique. Après ça, politiquement, on peut avoir diverses
appréciations, mais disons que, voilà, c'est ma réponse à cet aspect-là
de la question.
Ensuite, pour ce qui est du fait que le projet
de loi pourrait ne pas être inconstitutionnel, notamment selon le
Pr Lampron, et que donc un usage de la disposition dérogatoire
consisterait en un aveu qu'il y aurait atteinte au droit, là-dessus, deux choses. Premièrement, dans la
théorie de la disposition dérogatoire, plusieurs nous disent que, non, on
peut très bien mettre une disposition
dérogatoire, même si on considère que le projet de loi est constitutionnel,
donc ce qu'on appelle un usage
préventif. Donc, je vous cite Jacques Gosselin, qui a écrit un chapitre au
complet sur la disposition dérogatoire.
Donc, il nous dit qu'un usage préventif, donc avant jugement déclarant la loi
inconstitutionnelle, donc, un usage
préventif de la disposition dérogatoire peut être justifié, car — et je cite — «il est alors permis de considérer que
le législateur, même s'il est d'avis que la
mesure législative envisagée n'est pas incompatible avec la charte, juge
préférable [...] d'éviter de façon
préventive toute contestation judiciaire à son sujet». Donc, clairement, il y a
un courant doctrinal assez fort à cet
égard-là, puis la pratique est encore plus forte, parce que, sur les
106 cas d'utilisation de la disposition dérogatoire que j'ai trouvés, j'en ai trouvé deux, cas, sur 106, qui ne
sont pas préventifs, c'est-à-dire les cas de l'arrêt Ford. Puis c'est le cas qui est le plus connu, évidemment, l'arrêt
Ford, avec le gouvernement Bourassa, qui, pour maintenir l'affichage exclusif
en français, invoque la clause dérogatoire. Donc, on se souvient toujours de
ça.
Donc,
on pense que l'usage de la clause dérogatoire, c'est après un jugement
déclarant inconstitutionnelle une loi. Or,
c'est le seul cas, les deux cas, parce qu'il y a la clause dérogatoire de
chacune des deux chartes. Donc, deux cas. Les 104 autres cas, dont tous les cas présents, les 17 cas actuellement en
vigueur, c'est à titre préventif. Donc, le législateur, dans 104 cas, a jugé qu'on n'avait pas besoin
d'attendre que la Cour suprême nous dise que notre loi est inconstitutionnelle
pour la protéger, question de sécurité juridique, entre autres.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Merci. Je vous avoue qu'on a rarement l'occasion
d'échanger avec quelqu'un qui a fait une étude aussi poussée de la
question. Donc, je vous remercie.
J'aimerais
aussi vous entendre sur la notion de contrainte plus que minimale, parce que
vous proposez de remplacer l'expression
«contrainte excessive», qui est reconnue, qui est utilisée, par «contrainte
plus que minimale», concept qui est
moins connu, donc qui commande peut-être des explications additionnelles de
votre part. Et comment le gestionnaire... ou comment l'organisme à qui
est présentée une demande apprécie le caractère de contrainte plus que
minimale?
Le Président (M.
Ouellette) : Me Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui.
Merci. Donc, je l'ai expliqué tantôt rapidement, je reviens un peu là-dessus, donc, le critère de la contrainte plus que
minimale, c'est vraiment celui du droit américain. Donc, dans l'arrêt
Hardison, repris par la Cour suprême du Canada, mais qui ensuite décide
de modifier le fardeau de preuve... donc, dans l'arrêt Hardison, qui n'a pas été renversé depuis, on dit qu'une contrainte
excessive, «undue hardship», c'est dès que c'est plus que minimal, «more than the minimal hardship».
Donc, c'est ça, l'état du droit américain. Donc, dès que c'est plus que
minimal.
Maintenant,
comment on l'applique? Bien, c'est un peu les mêmes raisons qu'on peut invoquer
pour refuser un accommodement qu'en
droit canadien, c'est-à-dire les coûts, la complexité administrative, la
convention collective, etc. Donc,
c'est le même raisonnement, c'est juste le fardeau de preuve qui est différent.
Plutôt que d'avoir à prouver une contrainte excessive lourde, tout ce qu'on a à prouver, c'est que c'est plus que
minimal. Donc, si on veut savoir concrètement ce que ça veut dire, on a
juste à aller en droit américain. Donc, ce n'est pas comme si je vous proposais
une norme tout à fait nouvelle qui nous plongerait dans l'insécurité juridique.
Rapidement, si on adopte cette norme-là, les tribunaux pourront aller voir du côté de la jurisprudence américaine, auront tout
ce qu'il faut pour comprendre la notion puis ensuite pourront la préciser
en droit québécois.
Mais,
pour vous donner quelques indices, par exemple, en droit américain, on va dire,
avec la contrainte plus que minimale,
que, si quelqu'un souhaite un congé religieux d'une journée, puis qu'il trouve
un coemployé pour le remplacer, puis
que tout ce que l'employeur a à faire, c'est, au niveau des feuilles de paie,
et tout, de changer les dates, on considère que c'est minimal, et donc il y a une obligation d'accommodement. Mais,
à partir du moment où, par exemple... Et c'est le classique et c'est le prochain qui s'en vient, là,
et ça a commencé dans l'affaire Val-Maska, la prochaine question, c'est
le congé de plusieurs semaines pour fins de pèlerinage. C'est très présent aux
États-Unis, dans la doctrine, et tout. Au Québec,
ça vient d'arriver dans Val-Maska, avec une sentence arbitrale qui ne permet
pas le congé de plusieurs semaines, mais c'est pour une question de
preuve.
Sur
le fond, moi, je pense qu'il sera possible, avec la jurisprudence canadienne
actuelle de la contrainte excessive, d'imposer
aux employeurs, publics ou privés — ça peut être même, dans certains cas, des
PME — d'imposer
le congé de plusieurs semaines, ce qui... avec la norme américaine du plus que
minimal, ça, c'est impossible. Donc, il ne s'agit pas tant de revenir sur ce qui existe déjà en
termes de congé d'une journée, par exemple, pour fins de religion, mais c'est
de prévenir la prochaine vague, puis la prochaine vague, c'est un exemple
concret, là, c'est le pèlerinage de plusieurs semaines,
et, à mon avis, ça m'apparaît excessif. Mais la définition d'«excessif», dans
la jurisprudence canadienne, est tellement...
les tribunaux exigent tellement de preuves de l'employeur qu'une telle
possibilité, là, en droit canadien nous pend au bout du nez, donc, d'où l'intérêt de la contrainte plus que
minimale, qui est une notion, là, qui vient vraiment réduire... et, concrètement, ça répond à la
question, là, de la commission scolaire qui a 500 demandes. Pourquoi elle a
500 demandes? Bien, parce que le critère de
la contrainte excessive exige tellement de preuves... d'ailleurs, à ce
stade-là, le fardeau de preuve revient à l'employeur, qu'il y a
tellement de preuves à faire pour refuser que, finalement, bien, c'est un peu le bar ouvert, alors que, si on
envoyait un message clair de la part du législateur : Maintenant, dès que
c'est plus que minimal, l'employeur
peut refuser, ça aurait pour effet de diminuer le nombre, puis ce serait
ensuite plus facile d'en refuser,
puis ceux qui sont clairement raisonnables, bien, rencontreraient le test de la
contrainte minimale, qui permet un accommodement.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, Me Rousseau. Et, Me Proulx, bonjour.
Bienvenue à cette commission. Merci de votre mémoire, qui a vraiment été
chercher qu'est-ce qu'il y avait derrière notre pratique d'accommodement
raisonnable, très intéressant aussi, puis qui nous rappelle... c'est la
première fois qu'on entend vraiment un
argument aussi clair sur qu'est-ce que la clause dérogatoire, pourquoi on
l'utilise et comment elle a déjà été utilisée et non pas démonisée.
Parce que moi, je trouve que, des fois, elle est rendue démonisée, la clause
dérogatoire. C'est intéressant.
Votre
recommandation, c'est qu'on utilise la clause dérogatoire de manière préventive
pour éviter de perdre du temps et de l'énergie. Est-ce que vous mettriez
toute la loi sur la clause dérogatoire ou quelques articles?
• (16 h 10) •
M.
Rousseau (Guillaume) : Merci
pour votre question. Je vais y répondre à l'instant. C'est dans l'annexe de
notre mémoire, où on précise exactement le libellé de la clause
dérogatoire que l'on désire.
Mais, avant
ça, je veux juste remercier le ministère de la Justice, parce que, dans le
cadre de ma recherche sur la disposition dérogatoire, j'ai recherché par
mots-clés toutes les dispositions dérogatoires et j'ai fait une demande d'accès à l'information et on m'a fourni la liste
du ministère de la Justice. De là, j'ai pu comparer. Il en manquait une sur
ma liste et il en manquait une sur la liste
du ministère. Donc, je ne pense pas m'être trompé dans mon total de cas
d'utilisation de la clause dérogatoire.
Mme Maltais : ...page 16, ce serait
là?
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui, c'est ça, à la toute fin, là,
effectivement. Je me perds un peu dans mes feuilles, mais...
Mme Maltais : À la toute fin.
M.
Rousseau (Guillaume) : Donc, je l'ai ici. Donc, effectivement, je
propose de dire : «La présente
loi s'applique malgré les dispositions des articles 3 [à] 10...» Donc, je dis «la présente loi» au moment de
l'article 15. Donc, les articles suivants, je ne les touche pas, là. Je
me suis moins attardé aux articles après 15, là, mais ils m'apparaissaient
moins problématiques puis moins visés par
les groupes qui viennent vous dire que c'est discriminatoire. Donc, effectivement, je vise l'ensemble du projet de loi. Ensuite, on pourrait
décider d'être plus ciblé, d'y aller seulement pour l'article 9, seulement
pour l'article 10, seulement pour les articles que les groupes qui disent
qu'ils pourraient attaquer la constitutionnalité de la loi vous
indiquent.
Donc, on pourrait être plus ciblé dans l'usage
de la disposition dérogatoire. Il n'y a pas vraiment de pratique constante là-dessus, ça varie beaucoup.
Si vous regardez, par exemple, la Loi sur les jurés, vous avez, présentement,
donc, en vigueur, des chapitres au
complet puis beaucoup, beaucoup d'articles de la loi qui sont visés par une
clause dérogatoire, alors que, dans
le Code de procédure civile, on y va article
par article à deux endroits de
manière plus précise, quoiqu'il y en ait une des deux qui est peu plus large. Mais, bref, la pratique n'est pas
dans le béton. Donc, moi, je propose quelque
chose de plus large que pas assez, parce que
finalement tous les articles du projet de loi sont un petit peu liés les uns aux autres. Mais c'est sûr qu'on peut y aller soit comme je le
suggère, pour l'ensemble de la loi, ou soit pour les articles 9 et 10, là,
qui me semblent...
Mme
Maltais : Me
Rousseau, je n'avais que huit minutes, il nous en reste cinq.
M. Rousseau (Guillaume) : Ah!
désolé.
Mme
Maltais : On a peu
de temps pour jaser avec vous, malheureusement. Et je trouve ça très intéressant.
Je veux vous entendre parler du visage à
découvert. Nous, ce qu'on se demandait, c'est s'il ne fallait pas tout simplement enlever l'exception. Vous semblez
préférer encadrer l'exception, si j'ose dire. En fait, vous semblez vouloir
inverser les choses. Actuellement, la loi,
puis ça, ça m'a étonnée, ça fait plusieurs fois que je le fais remarquer,
dit : Un accommodement est
possible, sauf... Là, vous nous dites, vous... ce que vous proposez, c'est de
dire : Tout accommodement doit être refusé, sauf... J'aimerais ça
que vous élaboriez là-dessus. Vous parlez aussi de motif de sécurité. Moi, je
me serais demandé si le mot «santé» ne
devrait pas être là. Par exemple, les gens qui ont un problème de santé, je
sais que ça a été quelque chose qui a été évoqué, un problème de santé ou les
gens qui travaillent dans le milieu hospitalier, par exemple, qui, pour des motifs de santé,
travaillent masqués — c'est
normal, ils ont des masques — j'aimerais ça vous entendre sur cette
clause-là particulièrement.
Une voix : M. Proulx.
M. Proulx (Nicolas) : Oui. Bien, en
fait, je vais commencer, puis Pr Rousseau terminera.
En fait, la
raison pour laquelle nous ne pensons pas qu'il faudrait, disons, enlever la
possibilité d'accommodement totalement,
c'est principalement une raison de pragmatisme et de réalisme, entre autres,
aussi pour embrasser la position qui pourrait se rapprocher plus de
celle du gouvernement. Donc, c'est une question de faire, je dirais, des...
Mme
Maltais : ...
M. Proulx (Nicolas) : Oui,
exactement.
Mme
Maltais : O.K.
M.
Rousseau (Guillaume) : Tout
à fait. On le disait tantôt, que ça fait 10 ans, et même 10 ans et demi,
puisque l'arrêt Multani, qui a
déclenché toute l'affaire, date du printemps 2006, donc, 10 ans et demi qu'on
est là-dessus. Donc, je pense que c'est important d'essayer de trouver des compromis. Alors,
l'article 9, alinéa trois, je pense, va trop loin dans l'ouverture à la permission des visages couverts.
Donc, il faut revenir un peu en arrière mais ne pas empêcher totalement
toute forme d'accommodement. Je pense qu'il faut chercher un compromis pour des
raisons un peu politiques, là, en espérant que vous, tous les partis, allez
vous entendre, mais aussi pragmatiques au sens de l'application sur le terrain,
effectivement. On peut imaginer des cas où
quelqu'un a besoin de porter un masque puis, par ailleurs, il se trouve à
travailler pour l'État, et, dans ce
cas-là, je pense qu'il faut le prévoir, comme tel. Nous, on avait mis
«sécurité». Vous, vous ajoutez «santé». Ça va dans le sens de ce qu'on
avait en tête. Nous, on pensait sécurité et santé au travail, on avait ça en
tête.
Mais j'attire
votre attention non seulement sur, effectivement, comme vous l'avez remarqué,
le renversement, on dit :
Refuser, sauf exception, donc on veut clairement signifier que l'exception est
exceptionnelle, pour le dire comme ça,
mais aussi on dit : Pour un motif de sécurité — on pourrait ajouter «ou de santé» — «impératif et avéré», donc «impératif» dans le sens : Il faut que ce
soit important, «avéré» dans le sens : Il faut que ce soit prouvé,
pas : Je mets un masque, parce
que peut-être que je pourrais recevoir une poussière dans l'oeil. Non, non,
non, il faut que ce soit plus sérieux que
ça. Et, «le justifie clairement», donc, encore là, on joue sur le fardeau de
preuve pour s'assurer que l'exception demeure exceptionnelle.
Mme
Maltais :
Il y a beaucoup d'échanges sur ça aussi, sur le fait qu'il y a deux types de
service là-dedans : il y a le service
rendu par le fonctionnaire, par la fonction publique et il y a le service qui
est donné aux citoyens. Donc, une clause interpelle la fonction
publique, le personnel, l'autre clause interpelle le citoyen.
Est-ce que ce refus d'accommodement, à votre
avis, devrait s'adresser aux deux?
M. Rousseau (Guillaume) : Oui, tel
qu'on l'a libellé, «tout accommodement qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles — référant aux règles des deux premiers
alinéas — doit
être refusé». Donc, oui, dans notre esprit, c'est comme ça qu'on le
voyait.
Mme
Maltais :
Vous avez parlé de la clause de «non-establishment» qui existe aux États-Unis,
qui envoie un message qui ensuite
guide le reste des principes de neutralité religieuse, dans ce cas-là, et des accommodements. Vous ne nous proposez pas
pourtant ce type de principe — en tout cas, j'ai cherché — dans
votre mémoire, soit l'inclusion d'une clause
laïcité ou l'inclusion d'une clause séparation entre l'Église et les religions.
Pourquoi? Pourtant, vous nous parlez vous-même du fait que la clause de «non-establishment»
avait amené un regard différent des tribunaux sur la façon dont on gère
les accommodements.
M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Un
instant.
(Consultation)
M. Rousseau (Guillaume) : L'amendement
que je propose à la fin... En fait, c'est qu'au sujet de...
Mme
Maltais : ...
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui.
C'est qu'en fait je propose : soit on fait une modification un peu plus technique
au projet
de loi, parce que
parfois le projet de loi ne vise pas à modifier la charte québécoise...
De dire au gouvernement de le faire, c'est comme... on risque que ça ne
fonctionne pas, là. Donc, très, très pragmatiquement. Donc, moi, j'y vais
pragmatique, je propose un amendement technique à l'article 10 du projet
de loi, mais ensuite je dis qu'idéalement, effectivement, il faudrait modifier la charte québécoise
en y incluant le fait qu'un
accommodement religieux doit respecter l'égalité hommes-femmes,
neutralité religieuse de l'État.
Donc, je le
prévois là, mais c'est vrai qu'on pourrait le prévoir comme un principe
interprétatif plus large de la charte québécoise, je vous suis, et...
Mme
Maltais : Une
petite question. Il me reste 10 secondes.
M. Rousseau (Guillaume) : Oui.
Mme
Maltais :
Est-ce que ça aurait un impact juridique, le fait d'écrire dans
l'article 1 «Considérant la laïcité de l'État, la présente loi» au
lieu de «la neutralité religieuse»? Est-ce que ça aurait un impact?
M.
Rousseau (Guillaume) : Je ne pense pas, parce que tout est sujet à
conformité au droit constitutionnel canadien, qui n'est pas du tout favorable à «laïcité», d'où l'importance d'aller
dans le détail avec jouer sur le fardeau de preuve et des dispositions dérogatoires. Sinon, on peut avoir
tous les beaux principes qu'on veut, à la fin de la journée, les juges nommés
par le fédéral vont nous ramener ça à la
norme canadienne, multiculturalisme, accommodements raisonnables ou
déraisonnables, à fond.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Je vous
remercie.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Me Rousseau, Me Proulx, bonjour. Extrêmement
intéressant. Clause dérogatoire, vous
en avez parlé, je suis ravie, elle existe, elle est là pour que nous nous en
servions, en tant que législateurs. J'apprécie
l'entendre, parce que souvent on nous traite de toutes sortes de noms quand on
évoque la clause dérogatoire, alors
qu'elle existe pour une raison très précise, pour justement préserver notre
particularisme — je ne
sais pas si ça se dit — notre particularité à l'intérieur du
Canada.
Vous écrivez quelque chose que je trouve
hyperpertinent : «Comme quoi dès l'origine le ver de l'inégalité hommes-femmes était dans la pomme de
l'accommodement religieux.» Je comprends que c'est un clin d'oeil, mais je
trouve donc qu'il y a quelque chose qui résonne à mon oreille ici. Ça, c'était
le clin d'oeil.
Maintenant,
si on passe à l'article 9, «visage découvert», vous nous dites — j'ai pris des notes : «...le sens des alinéas s'oppose de façon à s'annuler.» Et ça, on
le voit. On dit : Tout doit être services reçus et donnés à visage
découvert, mais, mais, mais, si on
nous demande un accommodement, il faut accommoder... Vous nous parlez, entre
autres, de la cérémonie
d'assermentation avec un niqab. Tout comme vous, je considère que c'est
impensable, mais on en est là. Donc, vous nous disiez qu'il fallait
surtout s'attarder, entre autres, à la dissidence du juge LeBel lorsqu'on parle
d'égalité hommes-femmes. Et vous en parlez à
la page 9. Je vais en lire un petit bout puis j'aimerais que vous y alliez
puis que vous vous concentriez
là-dessus, parce que c'est un son de cloche qui est extrêmement intéressant
puis ce n'est pas celui sur lequel on
se penche souvent. Mais vous nous dites : «Le projet de loi vise notamment
à favoriser la neutralité religieuse de
l'État et donc une certaine forme de laïcité, comme le souligne son titre, et
l'égalité hommes-femmes, comme l'indique son article 10. Or, dans l'arrêt [la] Reine contre N.S., c'est
l'opinion dissidente des juges LeBel et Rothstein qui pose le plus
clairement la question de la compatibilité entre le visage couvert et la
neutralité religieuse.»
J'aimerais vous entendre là-dessus, s'il vous
plaît. Allez-y, expliquez-nous.
• (16 h 20) •
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui. Merci pour la question. En fait, nous, on
attire votre attention, dans le fond, sur le fait que, sur cette
question-là, clairement la Cour suprême était divisée.
Donc, de
dire : Il faut absolument permettre largement les accommodements à la
règle du visage découvert, sinon vous
n'êtes pas conforme aux droits de la personne... Non, c'est plus compliqué que
ça. C'est : Vous n'êtes pas conformes, à la limite, à une certaine interprétation qui, de manière assez serrée,
l'a emporté en Cour suprême en 2012, mais la question est toujours
pendante, et on peut penser qu'à terme c'est l'opinion du juge LeBel qui va
l'emporter puis on peut aussi penser que,
pour des raisons d'intérêt public, de vivre-ensemble, etc., c'est la plus
fondée politiquement, et, dès lors, comme parlementaires,
vous ne devriez pas vous gêner pour établir une règle plus claire de visage
découvert, sachant que, politiquement, il
y a des raisons de le faire puis
juridiquement, bien, il y a un argument très solide par deux juges de la
Cour suprême pour dire que, non, ça ne porte
pas atteinte à la liberté de la religion ou, du moins, c'est une atteinte tout à fait justifiée.
Mme
Roy : Corrigez-moi si
je me trompe, mais l'article 9, tel qu'il est rédigé actuellement, avec son troisième alinéa, ferait
en sorte qu'un fonctionnaire de l'État, par exemple, pourrait porter
niqab ou burqa. Est-ce que c'est possible ou est-ce que je me trompe totalement?
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui.
Tout à fait. Pour qu'on puisse
refuser, il faut une raison de sécurité. Bon, donc là, ça suppose un chantier de construction, ou autres.
«Identification». Bon, à partir du moment... la personne pourra toujours
s'identifier en privé, par exemple une femme
seulement avec une femme, bon, des choses comme ça, en privé, remet le masque. On ne voit pas pourquoi l'identification,
ça empêcherait plus que ça. Les communications. Bon, la personne peut toujours parler à travers son masque, donc on ne
voit pas pourquoi ça refuserait... Donc, sauf les cas de sécurité, on ne
voit pas vraiment dans quels cas, là, ça va être refusé.
Donc, ça ouvre la porte très, très largement,
d'autant plus que 9, alinéa trois, sera interprété à la lumière de la jurisprudence, donc de R. contre N.S., qui,
majoritairement, l'a permis, y compris lors d'un... ou, en tout cas, ouvre la
porte au cas par cas, à ce que ce soit permis lors d'un interrogatoire en cour,
où il n'y a pas de moment où c'est plus important
d'avoir le visage découvert. Donc, c'est ça, là, c'est : 9,
alinéa trois, doit être interprété à la lumière de ça, là. On part de là, comme on dit. Alors, évidemment que
l'interprétation va être hyperlarge puis que 9, alinéa trois, va
complètement faire disparaître les deux premiers alinéas, là. Dans
l'état actuel de la jurisprudence, c'est inévitable.
Mme Roy : Maître, si vous
saviez comme ça me réconforte d'entendre une sommité comme vous me dire qu'effectivement ça ouvre la porte au port du
niqab et de la burqa dans la fonction publique! Je le dis, naturellement, je ne
suis que la petite députée de la deuxième
opposition, là, qui fait peur au monde, mais l'entendre de votre bouche... nous
dire que la jurisprudence, dans l'état
actuel du droit, va permettre cela, moi, je pense qu'il faut que tous les gens
l'entendent. Merci de nous le dire, maître.
Maintenant, j'aimerais vous poser une autre
question.
Le Président (M. Ouellette) : Une
petite de trente secondes.
Mme Roy :
Une toute petite de trente secondes. Vous nous dites que nous devons, en tant
que juristes, si nous voulons
justement protéger nos spécificités, utiliser la clause dérogatoire et le faire
de façon préventive. Un parti politique qui voudrait interdire certains signes religieux... enfin, le port de
signes religieux, point, comme le recommande Bouchard-Taylor, en y ajoutant les enseignantes,
par exemple, pour ne pas qu'il y ait d'enseignantes avec un tchador avec
les enfants, pourrait-il se servir de la clause dérogatoire pour le faire?
M.
Rousseau (Guillaume) : Le pourrait seulement. Pour ce qui est de la
clause dérogatoire de la Charte canadienne, il faudrait le renouveler aux cinq ans, donc ce qui suppose qu'à un
moment donné il y a une alternance politique qui rend la chose peut-être un petit peu insécure sur le
plan juridique, mais quand même, pour au moins cinq ans, ça fonctionnerait.
Et, pour la charte québécoise, on la met une fois, puis c'est bon pour une
période indéterminée.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
Me Guillaume Rousseau, professeur à l'Université de Sherbrooke, et M. Nicolas
Proulx, étudiant à la maîtrise à l'Université de Sherbrooke, d'être venus en
commission.
Je
suspends quelques minutes. Je demanderais aux gens du Rassemblement pour la laïcité
de s'avancer, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 16 h 23)
(Reprise à 16 h 25)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant, pour le
Rassemblement pour la laïcité, M. André Lamoureux et Mme Leila Lesbet.
M. Lamoureux,
vous avez 10 minutes pour faire votre présentation avec Mme Lesbet, et, par la
suite, il y aura échange avec Mme la ministre.
Une voix : ...
Le
Président (M. Ouellette) :
Ah! je vais vous faire signe. Ne soyez pas inquiets, je vais vous faire des
signes, là, quand on va être dans les
temps. Et après il y aura un échange avec les porte-parole des deux
oppositions. M. Lamoureux, à vous la parole.
Rassemblement pour la
laïcité (RPL)
M.
Lamoureux (André) : Bonjour,
Mme la ministre, Mmes, MM. les députés. Je me présente, je suis André
Lamoureux, politologue et porte-parole du Rassemblement pour la laïcité, et je
suis accompagné de Mme Leila Lesbet, qui est technicienne en
éducation spécialisée et membre du rassemblement aussi.
Le Rassemblement pour la laïcité vient ici pour
vous dire qu'il s'oppose fermement au projet de loi n° 62. L'examen attentif du projet nous permet de
conclure qu'il n'est pas, mais pas du tout un projet de loi visant la
neutralité religieuse de l'État. Par
son contenu, il dénote tout le contraire. À notre avis, il ferait même reculer
les avancées durement acquises au Québec au cours des 50 dernières
années en matière de laïcité.
Vous dites,
Mme Vallée, que votre intention n'est pas de concevoir un projet de loi sur la
laïcité, mais bien sur la neutralité.
Sur cet aspect, nous voulons vous faire part que la neutralité de l'État sans
laïcité est impossible. Les États qui
ont progressé sur le terrain de la neutralité religieuse, même si c'est de
manière inégale, ce sont ceux qui ont décidé d'avancer et de porter des
gestes concrets en matière de laïcité. C'est le cas du Québec. Malgré tous ses
jugements controversés, la Cour suprême du
Canada reconnaît elle-même cette tendance des grandes démocraties à tendre vers
la laïcité. Il est déplorable que le
Parti libéral du Québec se refuse aujourd'hui de le reconnaître et soit tenté
de mettre tout cela aux rebuts.
Non seulement
votre projet de loi ne donne-t-il pas de définition de «neutralité religieuse
de l'État», mais il camoufle par le
non-dit son véritable objectif, qui est de légaliser les pratiques et le port
de signes religieux par toutes les personnes exerçant du pouvoir ou autorité dans les rouages de l'État, les élus,
les personnels de cabinet, les juges, les maires, les mairesses des municipalités et des
arrondissements, les conseillers d'arrondissement et les conseillers
municipaux, les présidents de MRC,
les hauts fonctionnaires ainsi que l'ensemble du personnel des sociétés d'État
et des organismes publics. En prime,
vous ouvrez la porte aux accommodements envers la mouvance islamiste en
permettant aux femmes de porter le
tchador, le niqab ou la burqa. Ces tenues vestimentaires ne sont pas du simple
linge, elles ne sont nulle autre chose que des symboles d'asservissement et d'avilissement édictés par des
idéologies oppressives et hautement patriarcales que sont le salafisme et le wahhabisme. Ces idéologies
instrumentalisent la religion à des fins politiques rétrogrades notamment
en prônant des pratiques sociales prémédiévales.
Le projet de
loi à l'étude, s'il jouait franc jeu, devrait s'intituler ainsi : loi
permettant les pratiques et les signes religieux
au sein de l'État pour l'ensemble des élus et des personnels des organismes
publics ainsi qu'aux usagers des services
avec possibilité de bonification de l'offre par le port du tchador, du niqab et
de la burqa. Mais, Mme la ministre, vous
savez que, lorsqu'un immigrant veut être accepté au Québec, il doit remplir et
signer un certificat de sélection. Dans celui-ci, il y a une déclaration sur les valeurs communes inspirée de
l'interculturalisme, que pratique le Québec depuis longtemps, que le nouvel arrivant doit accepter.
Parmi les énoncés qu'il doit accepter, il y en a un qui spécifie que l'État
québécois et les institutions sont laïques,
les pouvoirs politiques et religieux sont séparés. Vous qui dites que le projet
de loi, ce n'est pas ça et ce ne sera pas un
projet de laïcité. Êtes-vous en train de nous dire que le gouvernement est en
désaccord avec les conditions
minimales que le ministère de l'Immigration impose aux immigrants pour venir au
Québec mais qu'il ne veut pas
s'imposer à lui-même ou est-ce aussi votre intention de demander de faire
retirer cette condition d'octroi du certificat de l'immigration... de citoyenneté?
Excusez-moi. Pour notre part, nous pensons qu'il ne faut pas le retirer. Il
faut, au contraire, faire beaucoup
plus, car, dans cet énoncé, l'engagement du nouvel immigrant ne dépasse pas le
stade de voeu pieux. Il est donc sans
conséquence pour lui, puisque nulle part la législation québécoise ne précise
que le Québec est un État laïque.
Selon nous, il faut que cette reconnaissance du caractère laïque de l'État soit
statuée et traduite sous forme législative et réglementaire.
• (16 h 30) •
Concernant
l'incohérence du projet de loi, le RPL en profite pour dénoncer le passe-droit
qui est donné au palier municipal.
Tous les services municipaux, donc, pourront être ouverts à toutes les
pratiques religieuses et tous les signes, y compris les plus oppressifs.
Ajoutons un
autre aspect du projet de loi. Pour le gouvernement, la façon de protéger la
neutralité religieuse pour le
personnel, c'est sur une base, en fait, ici tout à fait individuelle, à savoir
de ne pas favoriser ou défavoriser les croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions. Or, on suppose que cela
veut dire qu'un membre du personnel ne devrait pas parler en faveur ou en défaveur de quelque
religion. Mais comment ne pas reconnaître que les symboles et signes religieux
parlent d'eux-mêmes sans qu'une personne
n'ait besoin de parler? Elle n'a qu'à porter des signes religieux pour le faire.
La cour de justice de l'Union européenne est
allée assez précisément sur cette question-là dans un jugement historique
en 2015. Il s'agit d'une cause qui opposait,
d'un côté, une musulmane et un collectif luttant contre le racisme et, de
l'autre, une entreprise privée qui
prônait une politique de neutralité religieuse. La dame réclamait son présumé
droit de porter le hidjab à son poste
de travail comme réceptionniste. L'entreprise pour laquelle elle travaillait,
évidemment, interdisait le port de
signes religieux. Cette employée a finalement perdu sa cause à deux paliers du
système judiciaire belge. Son dernier recours,
c'était la cour de justice européenne. Non seulement ladite cour a confirmé la
décision de l'entreprise au nom de la
préservation de sa politique de neutralité religieuse, mais elle a en plus
expliqué que porter des signes religieux à son poste de travail représentait une discrimination directe — le seul fait de porter des signes
religieux — envers
les autres employés et la clientèle, donc une atteinte directe à la
liberté de conscience d'autrui. La cour a expliqué qu'il fallait distinguer les croyances religieuses, qui sont du
domaine privé, et les conditions d'exercice de la profession, qui peuvent
être dictées par l'employeur notamment en ce
qui concerne les conditions de loyauté envers l'entreprise et les restrictions
que celle-ci veut instaurer.
Claire
L'Heureux-Dubé, ancienne juge de la Cour suprême du Canada, a expliqué ici la
même chose en commission parlementaire
dans le cadre de l'étude du projet de loi n° 60. Elle expliquait que la
réclamation de porter des signes religieux, pendant les heures de travail, dans les organismes publics ne peut pas
être considérée comme un droit ou comme faisant partie des grandes libertés fondamentales. Tout employeur a le droit de
fixer des règles de tenue vestimentaire au travail.
La Commission des droits de la personne, en
2009... en 1999, excusez-moi, par le biais de Me Pierre Bosset, ex-directeur de la recherche et de la formation,
expliquait qu'un symbole religieux affiché dans les classes, tel que le
crucifix, porte atteinte aux droits
et libertés fondamentales des élèves, placés en situation de clientèle captive.
Le crucifix, disait-il, doit être considéré comme attentatoire aux
libertés de conscience et de religion des élèves. Si la présence du crucifix représente une atteinte à la liberté de conscience
des élèves, qui doivent le subir tout le temps dans leur champ de vision,
comment pourrait-il en être autrement pour
les autres signes religieux portés par les enseignants, comme le voile
islamique, le turban sikh, la kippa
ou la croix catholique? En situation d'apprentissage, la tête de l'enseignant
ou de l'enseignante est forcément toujours dans le champ de vision de
l'élève.
Nous
demandons l'autorisation pour prolonger un petit peu... Je sais que, la semaine
dernière, on a remarqué que certains groupes ont eu des prolongations,
même jusqu'à 17 minutes.
Une voix : Mme la ministre.
On le prendra sur la...
Des voix : ...
M. Lamoureux (André) : Non, mais
peut-être trois minutes? Deux, trois minutes?
Une voix : ...
M. Lamoureux (André) : D'accord.
Parfait. Je donne la parole à Mme Lesbet.
Mme Lesbet (Leila) : Bonjour, M. le
Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés.
Alors, je
prends suite de ce que vient de dire M. Lamoureux. Alors, c'est pourquoi le
Rassemblement pour la laïcité considère
qu'il ne peut y avoir de neutralité religieuse sans l'interdiction de port de
signes religieux pour les élus et le personnel
de l'État et des organismes publics. Le domaine de l'enseignement est le
secteur où cette exigence est la plus capitale, car il est le lieu de
socialisation le plus important dans la société.
Nous croyons
qu'au nom du principe de neutralité religieuse le port de signes religieux chez
les élèves des écoles publiques
devrait être interdit, au moins aux niveaux primaire et secondaire. Cela tient
au fait que, comme l'école publique est
obligatoire, les élèves qui ne pratiquent pas ou qui appartiennent à d'autres religions se trouvent immanquablement
dans le corridor obligé, n'ayant pas le choix de subir une influence
religieuse non désirée.
Le port de
signes religieux par les élèves heurte directement la liberté de conscience des autres. Le port du
voile islamique, en l'occurrence, qui
demeure un symbole de ségrégation sexuelle, heurte la liberté de conscience des
autres jeunes filles, non musulmanes,
et exerce une pression indirecte sur elles. Il amène aussi ces jeunes filles
voilées à se placer en marge du groupe, nuisant ainsi à leurs propre
socialisation et intégration. Les risques de voilement des fillettes débordent aussi sur d'autres facettes du développement de
l'enfant — physique,
affectif, psychologique, cognitif et rationnel — mais nous n'avons pas
le temps de tout développer ici, bien entendu.
Les services
de garde éducatifs à l'enfance devraient être tout autant démunis de pratiques
religieuses, et le personnel devrait s'y abstenir de porter des signes
religieux. Autoriser de telles pratiques religieuses permet l'intrusion du communautarisme dans les CPE et ne peut que brimer
la liberté de conscience des enfants et des familles qui pratiquent une
autre religion ou qui sont agnostiques ou athées.
Enfin, il y a
deux grandes omissions dans le projet
de loi. Il y a
d'abord la question du financement des écoles privées à vocation confessionnelle. En 2011, le
Conseil du statut de la femme rappelait au gouvernement que l'Ontario ne
finance pas les écoles privées confessionnelles. Les écoles publiques dans
cette province s'en trouvent d'ailleurs plus valorisées. Le conseil
expliquait qu'en finançant les écoles religieuses l'État favorise le fait
religieux plutôt que de conserver une distance qui lui commande l'objectif de
neutralité. Le Conseil du statut de la femme demandait que la pertinence de cesser le financement des écoles
confessionnelles soit débattue en commission
parlementaire à l'Assemblée nationale du Québec. Cinq ans plus tard, nous sommes obligés de
constater que rien n'a progressé sur cette question chez le législateur. Le Rassemblement pour la laïcité trouve cette
situation déplorable. L'autre préoccupation que nous avons, c'est la
teneur du cours éthique et culture religieuse, qui est dispensé dans les
écoles. Le cours ECR se donne comme mission de livrer aux élèves une culture religieuse visant la connaissance des
religions. On prétend le faire sans visée confessionnelle. En vérité, ce cours met en scène une myriade de
contenus multiconfessionnels auxquels sont exposés des élèves qui, en
jeune âge, ne sont pas en mesure de distinguer la propagande religieuse et la
connaissance. Dans ce tour d'horizon de croyances, l'élève est coincé dans un
tourbillon d'expositions religieuses avec tous les préjugés et les stéréotypes
qui découlent de celles-ci. Les élèves
nourrissent inconsciemment une obligation de croire, même chez les enfants de famille
non pratiquante, agnostique ou athée.
Ajoutons aussi que les dimensions obscurantistes de certaines religions ne sont
pas non plus soumises à des analyses
critiques. Nous suggérons donc que le volet culture religieuse du cours ECR
soit aboli et remplacé par l'apprentissage de valeurs humanistes,
démocratiques et citoyennes de notre société.
En
conclusion, le projet de loi qui est devant nous est un gros mensonge public,
un trompe-l'oeil, de la poudre aux yeux lancée aux citoyens,
comme l'était le projet de loi n° 59
avant lui. Il est un cadeau offert sur un plateau d'argent aux
intégrismes et particulièrement à la mouvance islamiste au Québec, qui est très
invasive. La question du nécessaire respect
de la dignité des femmes, la condamnation de toute forme d'asservissement ou
d'avilissement à leur endroit, tous ces motifs fondamentaux de
l'interdiction du voile intégral sont complètement évacués du projet. Dans l'histoire du Québec, depuis l'émergence des débats
sur la laïcité au cours des années 60, jamais on n'aura vu un gouvernement plier autant l'échine devant les
particularismes et les pressions exercés par les mouvements religieux. Nous
demandons le retrait du projet de loi n° 62. Merci.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Pour les bienfaits de la technique, pour rappeler les temps : le
premier trois minutes a été séparé également
entre le gouvernement et l'opposition
officielle, et la minute
additionnelle que j'ai consentie va être prise sur le temps du gouvernement
dans votre échange avec les gens.
Alors, à vous la parole, Mme la ministre et
députée de Gatineau, pour votre bloc d'échange.
• (16 h 40) •
Mme Vallée : Merci, M. le
Président. Donc, M. Lamoureux, Mme Lesbet, merci de votre présentation.
Comme je le
mentionnais à d'autres groupes, la beauté de cet exercice, c'est que, même si
on ne voit pas les choses de la même
façon, même si on n'a pas la même vision et les mêmes souhaits ou la même façon
de concevoir, peut-être, certaines règles de société... la beauté de notre
exercice, c'est de permettre à tous ceux et celles qui ont un intérêt
de venir s'exprimer et d'exprimer leurs perceptions du projet de loi.
Je vous dirais avec un clin d'oeil et bien
gentiment : Vous m'avez prêté des intentions un petit peu dans votre présentation, M. Lamoureux, et
Mme Lesbet aussi, en prétendant que l'objectif était presque de mettre la
table pour une certaine forme
d'intégrisme religieux. Bien, je fais simplement vous dire : Moi, je ne le
vois pas de cette façon-là. Puis, la beauté
de la chose, c'est justement, je vous entends nous faire part de votre analyse
du projet de loi et puis moi, je vous indique
que ce n'est pas du tout là où on loge. Et je serais curieuse de vous entendre sur toute la question de
la notion des accommodements
religieux. On a quand même, dans notre société, des droits qui sont reconnus,
la liberté de conscience, la liberté de religion.
Et, la
question des accommodements, comment un... Je m'excuse. J'irais avec deux
volets : votre conception de la laïcité,
selon, je vous dirais, vos rêves les plus fous, et de quelle façon on concilie
cette vision de la laïcité avec les notions d'accommodement notamment
pour motif religieux?
M. Lamoureux
(André) : Écoutez, je pense
que, votre réponse, vous l'avez eue des commissions scolaires... je pense, c'est hier, là, où on a appris que
seulement qu'à la commission scolaire de Montréal vous avez eu
500 demandes d'accommodements religieux au cours de l'année
dernière.
Dans le cadre
de ce projet de loi, nous sommes vraiment contre tout accommodement religieux,
puisque la loi que vous avez
présentée dit que le critère qui doit être fixé pour accorder les
accommodements religieux, c'est celui du respect de la neutralité religieuse de l'État. Or, la neutralité
religieuse de l'État, Mme la ministre, vous ne la définissez pas dans votre loi, et donc ça va être un
fourre-tout, un passe-partout, puis, pour être méchant, je dirais : C'est
une vraie farce. La laïcité...
Mme Vallée :
Je vous dirais, avec un clin d'oeil, encore une fois, ce n'est pas très gentil
pour les juristes de l'État qui ont participé à la rédaction de ce
projet de loi là.
M. Lamoureux
(André) : ...
Mme Vallée : Non, mais
c'est important, je...
M. Lamoureux
(André) : ...peut-être pas
les juristes, mais ils ont quand même des orientations lorsqu'ils écrivent.
Mme Vallée :
Bien, c'est parce que, lorsqu'on dit des choses comme ça à l'égard d'un projet
de loi, on porte atteinte à ceux et celles qui ont travaillé à la
rédaction et aux avis qui ont été donnés.
M. Lamoureux (André) : ...pas
du tout porté atteinte aux...
Mme Vallée :
Les gens, parfois, dans leur empressement, vont viser la ministre, le ministre
qui est porteur d'un projet de loi,
mais sachez que, ce projet de loi là, ce n'est pas moi toute seule assise à ma
table de cuisine qui l'ai rédigé dans un élan, mais ce projet de loi là
a été rédigé par une équipe de constitutionnalistes, de juristes de grande
qualité.
M. Lamoureux (André) : Mme la
ministre, il n'y a pas de doute là-dessus, puis je les respecte tout à fait...
Mme Vallée : C'est important.
M. Lamoureux
(André) : ...mais ils ont quand même une demande politique, ils ont quand même une orientation politique avant d'écrire, avant de tenir leur
ordinateur dans leurs mains, et tout ça. Donc, ils ont eu des demandes de la
part du gouvernement.
Alors,
laissez-moi continuer. Je vous dis ceci : En plus, la loi ne dit rien par
rapport aux questions des critères fondamentaux
qui seraient la question de l'équité dans la procédure, disons, d'octroi
d'accommodements religieux et la question des privilèges aussi accordés
dans la situation, disons, donc, d'octroi de ces accommodements. Et, en plus, il n'y a rien sur l'enseignement supérieur, qui
est un problème majeur aussi, ces questions-là, même chez les étudiants,
chez les employés, la question des
privilèges. Donc, il n'y a rien à cet effet, et la loi ne dit rien sur la
question de la neutralité religieuse. Le risque est trop grand, pour
nous, là.
Et en plus on
a un principe dans la laïcité qui est le suivant, c'est ce qu'on appelle
l'universalité dans l'exercice des
droits et des responsabilités, à savoir que les lois qui sont adoptées dans un
État, nous, que nous considérons comme laïque
doivent être égales pour tous et toutes en termes de responsabilités et de
droits également. Ce problème-là a été posé
au port de Montréal il n'y a pas longtemps avec les sikhs qui portaient le
turban par rapport aux autres travailleurs qui étaient à l'extérieur des camions et qui occupaient des fonctions
pas mal différenciées par rapport à ces gens-là. Donc, cette question-là
d'équité et de privilège, en ce qui nous concerne, tel que le projet de loi, il
est libellé... accorder des accommodements religieux, ça irait dans toutes les
directions et ça créerait toutes sortes de problèmes d'iniquité et d'inégalité
parmi les employés, les membres du personnel.
Mme Vallée : Quelle est votre
définition de la neutralité religieuse? Selon votre regroupement, quelle est la
définition de la neutralité religieuse?
C'est intéressant puis c'est une question sérieuse, parce qu'on a eu différents
groupes qui avaient une perception différente de la neutralité
religieuse.
M.
Lamoureux (André) : Notre
définition, il y a trois principes : c'est la séparation des religions de
l'État; le deuxième principe, c'est
le respect de la liberté de religion, qui est une affaire, dans une perspective
laïque, privée, et de la liberté de conscience, que la Cour suprême a
rappelée il n'y a pas longtemps dans le jugement sur la prière, donc, à Saguenay, au conseil municipal; et le troisième,
c'est l'universalité des droits pour tous et toutes, on est sur un pied égal,
tout le monde. Ça, c'est le principe de la neutralité. Et, pour nous, ça ne
peut être qu'une laïcité qu'on pourrait appeler franche. Mme Lesbet
va...
Mme Vallée :
La laïcité franche. Je comprends que vous avez écouté beaucoup les travaux de
la commission. Donc, la laïcité franche, est-ce que, pour vous, c'est la
laïcité que certains identifiaient comme étant la laïcité plus républicaine?
Certains disaient que c'est une laïcité à l'européenne, plus républicaine.
M.
Lamoureux (André) : ...le
modèle européen, on s'appuie beaucoup sur le cheminement du Québec lui-même
depuis 50 ans, beaucoup. C'est sûr qu'on
regarde ailleurs, en Suisse, ce qui se fait en Belgique, on y a parlé de la
Belgique, on regarde en France, partout, mais on s'appuie sur notre
propre cheminement. Je donne la parole à Mme Lesbet.
Mme Lesbet
(Leila) : Si vous permettez, Mme la ministre, je répondrai à votre
question et à vos préoccupations. Mais
on parle beaucoup de religion, on dit : Accommodements religieux, hein,
d'accord? Et donc moi, j'aimerais dire ceci
aux... comment dirais-je, aux députés libéraux, et plus particulièrement à
vous, Mme la ministre de la Justice, parce que vous avez dit que c'est
un projet de loi libéral, d'accord?
Alors, nous aimerions vous demander, à tous les
députés libéraux : Pourquoi choisissez-vous de faire la promotion de l'islam politique, c'est-à-dire du
wahhabisme, dont l'essence même est l'asservissement et l'aliénation de la
femme, la négation de ses droits fondamentaux? Pourquoi choisissez-vous de nier
l'existence des musulmanes et des musulmans
laïques que nous sommes et qui avons été contraints à l'exil par ce même islam
politico-fondamentaliste? Pour quelle raison décidez-vous que notre marqueur identitaire soit la
manifestation de comportements, de signes et de symboles qui n'ont
aucune existence et aucune véracité dans le Coran? Ce sont des pratiques
patriarcales, sexistes, ségrégationnistes et
inégalitaires dont le Coran ne fait nullement la promotion. Quel est votre
objectif lorsqu'à travers un projet
de loi vous nous renvoyez à l'ère antéislamique, c'est-à-dire la Jâhiliya?
Avez-vous si peu de considération pour nous,
au point de nier jusqu'à notre existence et de mettre en péril l'avenir de nos
enfants, qui ont trouvé refuge ici, au Québec, une terre de liberté,
après avoir été poussés à l'exil dans leur propre pays?
Faire
le choix de folkloriser l'islam peut paraître sympathique et anodin s'il ne
menait pas à l'obscurantisme, le repli
sur soi, à la radicalisation, et le cas de l'Algérie en témoigne. Et le plus
inquiétant, c'est de consacrer dans un texte de loi l'inégalité
hommes-femmes telle que pratiquée dans les pays de la Péninsule arabique et
déversée dans tout l'Occident grâce au laxisme de ces politiques coupables
d'opportunisme.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
Mme Vallée :
Oui, M. le Président. Je pense que j'ai terminé mes échanges, parce que
vraisemblablement on semble nous prêter des intentions qui ne sont pas les
nôtres.
Je
vous dirais, Mme Lesbet et M. Lamoureux, tout simplement qu'il s'agit d'un projet
de loi qui, à notre avis, est
respectueux des libertés individuelles, est respectueux de la diversité au
Québec et des réalités. Et vous avez le droit de ne pas être d'accord avec moi. Je vous vois faire des signes
de la tête. Vous me posez une question, je vous réponds. Alors, ceci étant
dit...
Une voix :
...
Le Président (M.
Ouellette) : Un instant. Un instant.
Mme
Vallée : ...M. le Président, je vais laisser la parole à ma
collègue, parce que c'est une espèce de dialogue de sourds cet
après-midi puis c'est désagréable.
• (16 h 50) •
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, madame, monsieur du Rassemblement pour
la laïcité. M.
Lamoureux, Mme Lesbet, bienvenue. Je
comprends puis je peux comprendre,
Mme Lesbet, la difficulté que vous avez devant la montée, je vais le dire
comme ça, du phénomène religieux au Québec, quand, comme vous
l'exprimez, vous avez vécu dans d'autres...
des gens qui ont vécu dans d'autres pays la difficulté de vivre dans un
pays où la religion est mélangée à l'État.
Je comprends que vous soyez extrêmement sensibles à ces réalités, que nous découvrons
aussi chez nous, mais, je vais vous
dire, j'aimerais ça que notre échange soit non pas sur l'objectif
de la loi, parce que, là, c'est prêter des intentions puis, entre nous, on ne se fait pas ça, mais sur
la perception que vous avez du résultat que ça
va donner. Moi, j'aimerais que notre échange se situe dans ce cadre-là,
c'est : vous croyez que le résultat va donner ça. Comme ça, on ne tombe pas
dans l'objectif, on reste dans le résultat.
D'ailleurs,
il y en a un peu pour tout le monde dans votre mémoire,
puisqu'en page 16 vous chicanez un
petit peu le Parti québécois et la Coalition avenir Québec en disant que vous êtes étonnés de nous voir
soutenir que les recommandations du rapport Bouchard-Taylor seraient un seuil minimal acceptable pour la mise
en oeuvre de la laïcité au Québec et que ce
seuil ferait consensus. Ce n'est pas tout à fait ça. Nous avons
déposé le projet de loi n° 60, et d'ailleurs je remarquais que vous rappelez que 60 %
à 70 % des Québécois étaient d'accord avec, en général, ce qu'il y avait
là-dedans, mais là ce n'est pas nous
qui sommes au pouvoir. Alors, nous travaillons à partir du projet de loi
n° 62 puis on essaie de voir s'il y a moyen d'en faire quelque chose d'acceptable minimalement, en disant que
chacun d'entre nous rêve, un jour, d'aller au pouvoir ou d'y revenir et de faire mieux, O.K.? Ce n'est pas une
intention de dire : Voici le seuil minimal, on l'a atteint. C'est : Qu'est-ce qu'on fait avec cette
loi-là puis comment en faire quelque chose d'intéressant pour tout le monde? On
cherche une piste d'atterrissage pour tout le monde avec cette loi-ci.
J'aimerais
ça vous entendre parler sur l'Algérie. C'est un des très rares mémoires qui
nous amènent à ce qui se passe en
Europe et qui parlent un peu aussi, c'est ça, de... qu'il y a des pas qui se
franchissent un en arrière de l'autre, et vous parlez justement de
l'interdiction de signes religieux chez les personnes en situation d'autorité.
M. Lamoureux (André) : Oui. Je vais intervenir sur cette question-là, ce
qui se passe. On a pris cet exemple, l'Algérie,
pour montrer que, pour nous, ce qu'on appelle, au Québec, la laïcité ouverte
telle que présentée par le rapport Bouchard-Taylor,
ce n'est pas une laïcité, c'est, en fait, la porte ouverte plutôt à la présence
du religieux dans les institutions publiques, sauf pour quelques postes,
on le sait, là, les juges, etc. On n'en fera pas la liste encore. Ce qu'on
voulait simplement dire, c'est que
l'Algérie, qui n'est pas un État laïque, dont certaines lois principales... les
principales lois, en tout cas...
comme le code de la famille est fondé sur la charia... est quand même un État
qui interdit des signes religieux à
plusieurs niveaux, disons, de la structure de l'appareil d'État d'une façon
plus élaborée même que ce que nous proposait le rapport de la commission Bouchard-Taylor, et donc ça inclut pour eux
la police, ça inclut aussi les agents des douanes, etc., donc. Et même j'ajouterais, en passant, en parallèle que
vous savez probablement qu'Air Algérie même interdit les ports de signes
religieux pour ses agents de bord.
Donc,
ce qu'on se dit, c'est : Est-ce que le Québec mérite mieux que l'Algérie
en termes de laïcité? Nous, on pense que oui, et ça couvre, Mme Lesbet
l'a dit, les enseignants notamment. Pour nous, s'il y a un lieu où la laïcité
doit être priorisée, et l'interdiction de
signes religieux, c'est le milieu de l'enseignement, particulièrement au
primaire, secondaire, je dirais, jusqu'au collégial. Les universités,
c'est un petit peu plus complexe, on l'a indiqué dans notre mémoire.
Je vais vous donner le témoignage...
je pense qu'on l'utilise dans le rapport. Il y a une députée belge, députée de
Bruxelles, la capitale, Mme Fatoumata Sidibé, qui dit, elle, une partisane
de la laïcité... elle est d'origine malienne, Noire
et musulmane et elle fait une charge au Parlement européen, elle dit que les
signes religieux doivent absolument être
interdits pour tous les employés des secteurs publics, parce qu'ils sont des panneaux publicitaires. Les signes religieux
parlent en eux-mêmes, et c'est vrai
pour des maires, c'est vrai pour des enseignants, c'est vrai pour... je ne sais
quoi, même pour des employés
d'hôpitaux, c'est vrai pour tout le
monde, les fonctionnaires aussi qui
font face à une clientèle, le grand public.
Donc, les signes religieux sont parlants. Ce n'est pas vrai, Mme la ministre, et là je le dis en toute politesse, qu'ils ne sont que du
linge.
Je
vais vous compter une histoire. J'ai été coordonnateur du Département des
sciences humaines dans un cégep longtemps, et puis, dans les années 90,
il y avait, dans notre département, ce qu'on appelait des Hammerskins. Vous connaissez ça, des Hammerskins? Peut-être
pas. C'est des skinheads mais violents et qui prônent la violence contre les
Noirs et... la violence physique, là,
et les homosexuels. Il y en avait quelques-uns et il y en avait un, à un moment donné, qui a décidé de se promener
avec ses signes. Et les signes des Hammerskins, ce n'est pas l'étoile nazie,
c'est deux marteaux qui se croisent
et qui, quand tu les regardes... tu sais exactement ce que ça veut
dire, c'est : j'appelle à la violence contre les Noirs et les homosexuels. Des professeurs se
sont aussitôt plaints en anthropologie, en sociologie, et je suis allé les
voir. J'étais coordonnateur du département,
une trentaine de professeurs, et puis je lui ai dit : Tu ne peux pas
porter ça ici, ces signes-là. Ça
parle, ça, ça parle de violence. On n'en veut pas, de ça, dans le Département
de sciences humaines, dans nos cours,
dans nos classes. Il a dit : Je n'ai rien fait, je n'ai rien fait. J'ai
dit : Non, non, on ne se comprend pas, là. J'ai dit : Ce que
tu portes, ça dit tout. Donc, les signes parlent.
Prenons,
d'une façon plus légère... si je suis à un examen, je donne un examen avec mes
étudiants à l'université et pour
l'examen, pour la chose, si on est en séries éliminatoires, disons, au
printemps... puis là je porte ma casquette du Canadien de Montréal. Je
ne dis pas un mot, O.K., je ne dis pas un mot pendant l'examen. Est-ce que je
favorise les Canadiens de Montréal?
Bien sûr. Ma casquette dit : Je favorise les Canadiens de Montréal et je défavorise les autres
équipes. Donc, c'est anodin, mais c'est simplement pour dire que, quel que soit
le symbole qu'on porte, il veut toujours dire quelque chose, même des fois pour des choses anodines. Le voile
islamique participe de l'intégrisme islamique, est un symbole de ségrégation sexuelle. Les musulmans
laïques ne portent pas de voile et sont contre la ségrégation sexuelle. Et la ségrégation sexuelle des femmes chez les
intégristes islamiques, ça va jusqu'au cimetière. Et je vous dis ceci :
Vous me dites, Mme la ministre, qu'on
porte des intentions. On ne porte pas d'intentions. L'article 9, le paragraphe
trois, ouvre la porte au port du
voile intégral... le niqab notamment et la burqa. Le niqab, c'est le symbole
même de l'État islamique. Il n'y a
pas une femme qui rentre dans Raqqa actuellement en Syrie sans être obligée de
porter le voile intégral. Ce n'est pas
anodin, ça. Comment, dans une société démocratique, peut-on accepter un symbole
si rétrograde? Ça n'a pas de sens, surtout après... je vous parlais d'où
on prend notre inspiration, surtout après 50 ans de bataille. On s'est battus.
Écoutez,
en 1967, les enseignants se battaient pour être libérés de l'obligation de
l'enseignement religieux, là, c'était
une longue marche. C'est une longue marche, et là on retournerait en arrière
avec des symboles absolument... je ne dirais même pas «d'une autre
époque», là...
Le Président (M. Ouellette) : Non, mais il faut que je vous arrête, M.
Lamoureux, il faut que je laisse la parole à Mme la députée de
Montarville.
Mme
Roy : Merci, M. le Président. Madame, monsieur, merci. Merci pour votre mémoire.
Je ferais peut-être un petit
saut, moi aussi, à la page 16, parce qu'effectivement vous critiquez
tous les partis et c'est votre droit le plus légitime. Vous dites qu'il
est fort étonnant de voir aujourd'hui le PQ et la CAQ soutenir les recommandations
du rapport Bouchard-Taylor. Pour votre gouverne, nous avons la même position
depuis 2013, là. Nous disons, depuis 2013...
M. Lamoureux
(André) : ...que vous étiez pour un minimum, consensus, non?
Le Président (M. Ouellette) : ...M. Lamoureux, là, je vais la laisser terminer,
puis je vous donnerai la parole, pour les gens de l'audio, si ça ne vous
dérange pas. Mme la députée de Montarville.
• (17 heures) •
Mme
Roy : Oui. Je vais
poursuivre. Dans nos échanges, on se disait entre nous : C'est un minimum,
là, tu sais, ce que Bouchard-Taylor a
dit. Mais, nous, notre position, elle demeure la même : Bouchard-Taylor,
interdiction de port de signes
religieux pour les fonctionnaires en position de... excusez-moi,
je commence à être fatiguée, interdiction du port de signes religieux pour les fonctionnaires en
position d'autorité coercitive, vous les connaissez tous, et on ajoutait à ça
les enseignants et on se
disait : Ce sera déjà un message très fort, un premier pas à envoyer. Et
je comprends que vous nous dites que, dans des pays où il y a même la
charia, des pays islamiques, on est allé plus loin. Bien, moi, je vous dirais,
justement, ici, Dieu soit loué! on n'a pas la charia et nous croyons, nous
considérons qu'il ne faut pas aller aussi loin, parce qu'on vit dans un État de droit, de droit civil, de droit commun,
de droit criminel, et Dieu soit loué! on va tout faire pour qu'il n'y
ait pas de charia. Et je comprends qu'ils aillent un peu plus loin, parce
qu'ils ont déjà énormément de restrictions qui les étouffent.
Cela dit,
notre position est demeurée la même, et c'est toujours la même. Cependant, tout
comme vous, je comprends à la lecture
du projet de loi que ce projet de loi n'est pas un projet de loi sur la
laïcité, est un projet de loi sur la neutralité de l'État et qu'il va également permettre à tout le
monde le port de signes religieux, à l'effet que les services ne doivent pas
être entachés par une croyance, mais tous les symboles pourront être là. On a
la même lecture.
J'aimerais
vous entendre. Naturellement, on parlait, tout à l'heure, du voile intégral. Il
y avait maître... le professeur de l'Université de Sherbrooke ici...
Une voix :
...
Mme Roy :
...Me Rousseau, effectivement, qui nous a dit qu'à la lumière de la
jurisprudence actuelle l'article 9, troisième
alinéa, permettrait, dans l'état du droit actuel, à une fonctionnaire de l'État
de réclamer, en vertu des accommodements
raisonnables, même si les services se donnent à visage découvert... se donnent
et se reçoivent à visage découvert,
en vertu du troisième alinéa, une fonctionnaire pourrait demander de travailler
avec le niqab et la burqa. Les professeurs
nous l'ont confirmé tout à l'heure, vous avez la même lecture, j'ai cette
lecture-là. Ça, je m'en inquiète. Alors, soyez assurés qu'il faut faire quelque chose. Nous considérons que ce
projet de loi n° 62 ne va pas assez loin, il faut trouver quelque
chose qui pourrait faire consensus.
Je comprends
votre position, qui est une laïcité très... vous la dites ouverte, partout,
tous, dans le privé, dans le public... bien, le privé; sur le trottoir,
dans l'espace public et non la fonction publique. Nous, je vous le dis bien,
bien honnêtement, là, nous, on ne va pas là,
mais on dit : D'abord, au Québec, nous sommes une jeune société, une
société libre, un État de droit, mais
commençons par dire que l'État québécois est laïque, commençons par envoyer des
signaux très, très forts à l'étranger
et au reste du pays également. Mais, je sais, et tout comme vous, quelque chose
m'attriste dans ce projet de loi, et
c'est le fait de voir dans certains vêtements qui sont portés par des femmes un
symbole religieux, alors que d'autres
y voient plutôt un signe de soumission de la femme, et, tout comme vous, j'y
vois un signe de soumission, parce que des gens ont vécu d'autres
expériences ailleurs et nous disent : Faites attention.
Vous aviez une lettre tout à l'heure. Je n'ai
pas compris. Est-ce que c'est votre...
Le Président (M. Ouellette) : ...Mme
la députée.
Mme Roy : Oui. Je parle
beaucoup.
Le Président (M. Ouellette) : Je le
sais.
Mme
Roy : Est-ce que c'est votre témoignage à vous ou le témoignage
de quelqu'un qui est dans votre regroupement?
M. Lamoureux (André) : ...
Mme Roy : Allez-y.
M. Lamoureux (André) : Je vais
répondre deux secondes, ensuite je vais donner la parole à Mme Lesbet.
Mme Roy : Prenez tout le
temps pour... Allez-y, oui.
M.
Lamoureux (André) : C'est,
tout simplement : un projet de société laïque au Québec serait
nécessairement, à mon sens,
contradictoire avec l'article 2 de la Charte canadienne, parce que cet
article-là dit que la liberté religieuse existe, la liberté de conscience... mais il ne dit pas, cet article-là, comme ça
devrait être le cas dans une société démocratique, que cet exercice se
fait dans le respect de la séparation des religions et de l'État.
Les
religions, c'est une affaire privée. L'État, c'est une affaire publique. Donc,
à ce point de vue là, pour tout ce que vous
venez de dire, on utiliserait sans aucune gêne la clause «nonobstant». Elle est
utilisée actuellement pour protéger la
loi 101. Cette clause-là a été
imposée au Québec dans le rapatriement de la Constitution de 1982. Je ne vois
pas pourquoi le Québec aurait de la
gêne à l'utiliser pour, en fait, aller plus loin sur le terrain de la
démocratie que ne le fait cette Charte canadienne. Je donne la parole
à...
Le Président (M. Ouellette) : 30
secondes, Mme Lesbet.
Mme Lesbet
(Leila) : Oui. Bien, c'est dommage, 30 secondes, parce que j'aimerais
revenir quand même sur... parce qu'on
parle beaucoup de religion ici, et, quand on parle de religion, et quand on
parle de tchador, et quand on parle de
jilbab, et quand on parle de voile, je pense que c'est à la religion musulmane
qu'on prête cela. Vous me voyez navrée, mais mon témoignage, ce n'est pas mon témoignage, c'est notre témoignage
à nous, les musulmanes et les musulmans laïques. Nous ne voulons plus que ces signes ostentatoires d'oppression
de femmes soient... comment dirais-je, définissent la religion musulmane
et qu'on dise que ça émane du Coran. C'est le rectificatif que je voulais
apporter.
Qu'on fasse
des accommodements aux citoyens qui
demandent pour x raisons de porter tel signe ou tel symbole, je le conçois tout à fait, mais, qu'on folklorise
la religion musulmane et qu'on s'amuse avec la religion musulmane, je pense
qu'on n'a pas le droit de... On peut la critiquer, mais on ne peut pas la
folkloriser. On peut la critiquer de l'intérieur, on peut critiquer ses articles un à un, ses
sourates une à une, mais on ne peut pas prêter au Coran ce qui n'existe pas
dans le Coran. Et c'est ce que je suis venue exprimer. Merci.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, Mme Leila Lesbet, M. André Lamoureux, représentant le Rassemblement
pour la laïcité. Merci d'être venus déposer en commission.
La commission ajourne ses travaux au mardi 8
novembre 2016, à 9 h 45, où elle poursuivra son mandat.
(Fin de la séance à 17 h 6)