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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mercredi 2 novembre 2016 - Vol. 44 N° 150

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes


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Table des matières

Auditions (suite)

M.Louis-Philippe Lampron

Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ)

Association canadienne des avocats musulmans (ACAM)

Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL)

Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS)

Autres intervenants

M. Guy Ouellette, président

M. Richard Merlini, président suppléant

Mme Stéphanie Vallée

Mme Agnès Maltais

M. Simon Jolin-Barrette 

*          Mme Josée Bouchard, FCSQ

*          M. Yvan Gauthier, idem

*          M. Alain Guimont, idem

*          Mme Coline Bellefleur, ACAM

*          M. Ferid Chikhi, AQNAL

*          M. Ali Kaidi, idem

*          Mme Hélène Tremblay, AFEAS

*          Mme Céline Duval, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente minutes)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement.

Le Président (M. Ouellette) : Nous entendrons, cet avant-midi, deux groupes : Me Louis-Philippe Lampron, professeur à l'Université Laval, et la Fédération des commissions scolaires du Québec.

Auditions (suite)

Nous débutons avec M. Louis-Philippe Lampron. Vous rappeler que vous avez 10 minutes pour faire votre exposé et que, par la suite, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions, c'est-à-dire Mme la députée de Taschereau et M. le député de Borduas. M. Lampron, à vous la parole.

M.Louis-Philippe Lampron

M. Lampron (Louis-Philippe) : Alors, merci beaucoup. D'une part, j'aimerais vous remercier pour me donner l'opportunité de m'adresser à vous aujourd'hui.

Peut-être commencer mon allocution par un petit rappel. Nous sommes en 2016. Donc, il y a de cela 10 ans aujourd'hui, le 12 avril 2006, la Cour suprême rendait l'arrêt Multani, qui, pour plusieurs, a été le point de départ de ce qu'on a appelé la crise des accommodements religieux au Québec. Et donc 10 ans plus tard... il y a eu plusieurs jalons importants qui nous ont menés à aujourd'hui, finalement, à regarder le projet de loi n° 62 : alors, en 2007‑2008, donc, c'étaient les travaux de la commission Bouchard-Taylor, le dépôt du rapport de la commission; ensuite, en 2009‑2010, on a discuté du projet de loi n° 94, qui visait essentiellement à codifier les balises jurisprudentielles concernant les accommodements raisonnables; la charte des valeurs québécoises en 2012‑2014 par la suite. Et finalement, aujourd'hui, donc 2015‑2016, le projet de loi n° 62 sur la neutralité religieuse de l'État et l'encadrement de certaines balises pour l'octroi d'accommodements religieux.

Le 2 novembre 2010, j'avais eu le plaisir aussi d'être entendu par cette même Commission des institutions, cette fois-là, sur le projet de loi n° 94 et, à cette occasion-là, j'avais déposé un mémoire daté du 4 mai 2010 dans lequel, essentiellement, je défendais deux idées en lien avec justement, là, les dérapages en lien avec les accommodements religieux et la portée de la liberté de conscience et de religion. À l'époque, on discutait non pas d'une neutralité religieuse de l'État, mais bien des balises permettant de refuser ou d'accepter des accommodements raisonnables pour des motifs religieux. Et donc les deux idées que je défendais, c'était que — je trouvais que ça n'avait pas été suffisamment abordé dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor — la source de la crise des accommodements raisonnables trouvait, donc, sa source dans des lacunes dans l'état du droit canadien en ce qui concerne les balises permettant, justement, de refuser un accommodement religieux mais uniquement pour une surminorité de convictions religieuses que j'identifiais dans mon mémoire, donc, comme étant les convictions religieuses préjudiciables. Donc, toutes les religions, on le sait, l'islam, le christianisme, le judaïsme, l'hindouisme... il y a parfois certains aspects de ces religions-là qui peuvent entrer en tension ou encore en conflit avec l'égalité entre les hommes et les hommes et/ou l'égalité entre personnes d'orientation sexuelle différente. Et donc cette surminorité de convictions religieuses, et j'insiste vraiment là-dessus... donc, l'écrasante majorité des convictions religieuses de toutes les religions peuvent être vécues dans l'espace public sans aucun problème, mais il y a quand même une surminorité de convictions qui posent problème et il y a un malaise palpable dans la jurisprudence notamment de la Cour suprême du Canada quand vient le temps de traiter ces convictions religieuses là, que moi, j'appelais les convictions religieuses préjudiciables. Alors, ça, c'est l'idée que je défendais dans le mémoire en 2010.

Et je critiquais aussi l'approche du gouvernement, qui, à mon avis, dans le projet de loi n° 94, se bornait à une codification de l'état actuel du droit canadien à l'intérieur... et donc ne changeait à peu près rien, sauf peut-être ajouter la fameuse balise, là, de la communication en fonction de laquelle il serait possible de refuser l'accommodement qui serait demandé par une personne qui voudrait traiter, avec l'Administration gouvernementale, à visage couvert.

Alors, au vu du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui, je vous renvoie donc à ce mémoire-là, qui m'apparaît toujours d'actualité, pour l'essentiel, voire même utile, peut-être, et je ferais quelques autres observations supplémentaires aujourd'hui et qui consistent essentiellement... pour ajouter donc à ce que j'écrivais en 2010, à la confusion, à mon avis, qui est nourrie par le projet de loi n° 62 entre la neutralité religieuse de l'État, ou encore la laïcité de l'État — on peut l'appeler comme on veut — et la protection des convictions religieuses individuelles.

Donc, avant de parler des commentaires que j'ai à faire directement en ce qui concerne le projet de loi n° 62, j'aimerais simplement faire une précision, c'est-à-dire rappeler que le principe de laïcité et/ou de neutralité religieuse de l'État, c'est une obligation qui s'impose à un État où on a séparé le religieux du politique, finalement, on a séparé le religieux de l'État. Et donc, quand on parle d'une obligation qui s'impose à l'État, c'est une obligation, donc, qui vise à opérationnaliser ce principe de la séparation du religieux et de l'État. Et, dès qu'on parle de neutralité religieuse de l'État ou de laïcité, bien, il se pose différentes questions, des questions qui sont tout à fait légitimes, en ce qui concerne, par exemple, la portée du devoir de réserve des fonctionnaires — ça, c'est tout à fait pertinent, en lien avec la neutralité religieuse de l'État — ou encore cette fameuse question, qui était au coeur de l'arrêt mouvement laïque du Québec contre ville de Saguenay, des fameux symboles religieux de la majorité qui auraient acquis une valeur patrimoniale et historique malgré le fait que ce soit également... ils tirent leurs origines, à tout le moins, du dogme religieux de la majorité.

Mais, simplement pour être clair, là, il y a certaines questions qui n'ont absolument aucune pertinence avec le principe de neutralité religieuse de l'État, et ça, c'est très important de bien comprendre cette distinction-là. Quand on parle d'une personne qui fait affaire avec l'État, qui n'a elle-même... une justiciable qui n'a aucun lien d'emploi avec l'État, on ne peut pas lui opposer l'idée de neutralité religieuse de l'État pour limiter son droit de vivre ses convictions religieuses dans l'espace public. Donc, cette confusion-là, elle est, à mon avis, nourrie par certains aspects du projet de loi n° 62, et donc ça va justifier certains de mes commentaires sur le projet de loi n° 62.

Donc, ce que je constate à la lecture du projet de loi n° 62 : sept choses, essentiellement. Ensuite, évidemment, on pourra en discuter.

D'une part, le projet de loi n° 62, comme le projet de loi n° 94, bien, ça se borne essentiellement à une codification de l'état actuel du droit canadien en ce qui concerne la neutralité religieuse de l'État et la protection de la liberté de conscience et de religion ou encore des dispositions qui protègent le droit à l'égalité et donc qui interdisent la discrimination religieuse. Le seul rajout substantiel, c'est le même qui avait été rajouté dans projet de loi n° 94, c'est la balise qui concerne la communication. Donc, on pourrait maintenant rejeter une demande d'accommodement faite par une personne qui veut avoir le visage couvert en traitant avec l'administration publique, au nom d'une entrave à la communication. Donc, ça, essentiellement, juridiquement, c'est le seul rajout à l'état actuel du droit canadien.

Deuxièmement, le projet de loi n° 62 n'interdit pas la prestation et la réception de services à visage découvert, en ce qu'il consacre la possibilité d'obtenir un accommodement raisonnable qui pourrait permettre à un fonctionnaire ou encore à un bénéficiaire de services publics d'avoir le visage couvert lorsqu'il donne un service et/ou lorsqu'il reçoit un service de la part de l'administration du Québec.

À mon avis, donc, notamment l'article 9, là, contribue à accroître la confusion en ce qui concerne la neutralité religieuse de l'État en ce qu'on traite, dans un même article, donc, d'une obligation, donc, d'une interdiction qui concernent le port de symboles religieux qui masquent le visage pour les fonctionnaires et pour les bénéficiaires de services publics. Alors, il me semble qu'en en traitant en un seul bloc on contribue à nourrir cette fameuse fausseté, finalement, selon laquelle on pourrait opposer la neutralité religieuse de l'État à une personne qui n'a aucun lien de rattachement avec l'administration publique.

Quatrième élément que je remarque à la lecture du projet de loi n° 62 : le projet de loi n° 62 ne fournit aucune explication supplémentaire qui permettrait de déterminer ce qui fait partie du patrimoine culturel, historique du Québec, donc de la majorité québécoise, qui devrait être préservé dans l'espace public malgré le fait que certains symboles ou certaines pratiques aient des origines religieuses, des origines, donc, essentiellement chrétiennes, considérant le fait qu'il s'agit du dogme qui, historiquement, était le dogme de la majorité québécoise. Donc, ça, cette question-là, là, les fameux symboles religieux, on retourne, finalement, à tout le litige qui n'a pas été traité, tranché entièrement dans le fameux arrêt mouvement laïque du Québec contre ville de Saguenay.

Cinquième élément, le projet de loi focalise, donc, porte son attention sur un seul symbole religieux, donc, en parlant du niqab ou de la burqa, et donc, au lieu de donner des critères qui permettraient justement aux décideurs de mieux gérer les cas problématiques qui concernent l'ensemble des religions, qui ne concernent pas seulement l'islam, bien entendu... Il y a des convictions religieuses en lien avec le rapport qu'on peut entretenir avec les personnes d'orientation sexuelle différente ou envers les femmes, on peut en retrouver dans toutes les religions. Et donc ce projet de loi là ne fournit pas des critères généraux, des critères horizontaux qui permettent aux décideurs, justement, de mieux traiter ces demandes-là, donc de corriger les fameuses lacunes jurisprudentielles qu'on retrouve actuellement dans l'état du droit canadien, et, au contraire, se borne à cibler un seul symbole religieux, qui est le niqab et la burqa, et donc contribue à stigmatiser, finalement, l'idée selon laquelle l'islam est la seule religion qui est problématique dans l'espace public, alors que ce n'est absolument pas le cas.

• (11 h 40) •

Sixième élément, on isole les accommodements religieux, pour une raison que je m'explique assez mal, des autres formes d'accommodement, et ça, ça contribue — ça, c'est à l'article 10 que je fais référence — ça contribue, à mon avis, à laisser croire que les accommodements religieux sont des accommodements de moindre importance, finalement, que le fait d'accorder un accommodement raisonnable pour des motifs religieux, ce n'est pas aussi important ou encore il faut avoir une approche distincte des demandes d'accommodement qui sont formulées pour tous les autres motifs protégés par le droit à l'égalité à l'intérieur de la charte québécoise. Là, je fais référence à l'article 10.

Et finalement, dernier élément, il me semble que ce projet de loi n° 62 sonne le glas de l'idée, qui m'apparaissait très consensuelle depuis plusieurs décennies, selon laquelle il existe, au Québec, un modèle pluraliste de gestion de la différence culturelle et religieuse qui se distinguerait du multiculturalisme à la canadienne. Donc, on revient toujours à l'idée d'interculturalisme, notamment... ou on peut l'appeler comme on veut, mais cette idée-là, elle était très forte, elle est forte depuis le rapatriement de 1982. Et il me semble que le projet de loi n° 62, en se bornant donc à codifier l'état actuel du droit canadien, qui est un droit qui est interprété à l'aune du modèle du multiculturalisme à la canadienne, mais vient sonner le glas de cette idée-là selon laquelle il existerait un modèle, et j'insiste, pluraliste de gestion de la diversité culturelle et religieuse au Québec en ce que, ce fameux interculturalisme, si on veut prétendre qu'il existe et qu'il se distingue du multiculturalisme à la canadienne, mais encore faut-il le fonder juridiquement pour qu'on soit capables de savoir concrètement c'est quoi, cette fameuse différence là qui va permettre d'affirmer qu'il y a, au Québec, un modèle distinct de gestion des différences culturelles et religieuses.

Alors, voilà pour les observations que j'avais à vous lancer en lien avec le projet de loi n° 62.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Lampron. Mme la ministre.

Mme Vallée : Bonjour. Bienvenue, Me Lampron. Merci pour votre présentation. J'aimerais vous entendre davantage.

Vous avez indiqué que la réception des services par un citoyen ne devait d'aucune façon être ciblée par une loi portant notamment sur la neutralité. Donc, pour vous, selon votre raisonnement donc, il n'y aurait pas lieu d'imposer de balises pour ceux et celles qui demandent un service à l'État? J'aimerais vous entendre davantage sur cette question-là.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, dans l'état actuel du droit, il est tout à fait possible de refuser qu'une personne porte un symbole religieux dans certaines circonstances, finalement, pour obtenir un service religieux ou encore pour obtenir, par exemple, un permis de conduire.

Donc, l'idée que l'État ne puisse jamais demander à une femme qui porte le niqab ou la burqa de retirer son niqab ou sa burqa pour des fins, par exemple, d'identification, pour les mêmes raisons qui se retrouvent dans le projet de loi n° 62, ça, c'est déjà quelque chose, c'est déjà un pouvoir dont jouissent les décideurs et dont jouit l'administration publique québécoise. Alors, la question n'est pas tant de... je n'ai pas prétendu qu'il était impossible d'interdire le niqab ou la burqa dans le rapport entre l'administration publique et des bénéficiaires de services publics, je fais simplement dire que la manière qu'on a de traiter de manière assez confuse les bénéficiaires des services publics et les fonctionnaires en n'interdisant pas, de manière générale... Alors, à mon avis, ce qu'on aurait pu faire, là... C'est-à-dire que, pour les fonctionnaires publics, moi, ça m'apparaîtrait être une interdiction qui passerait le test de la Charte canadienne si on interdisait aux fonctionnaires publics de porter le niqab et la burqa alors qu'ils sont sur le lieu de travail, mais là, en traitant de front les fonctionnaires et des bénéficiaires de services publics, il me semble qu'on contribue à nourrir cette fameuse confusion là, qui est problématique. Et, on l'a vu dans le cadre du débat qui concernait le burkini en France, hein, en France, la laïcité est en train tranquillement de passer de ce principe qui vise à opérationnaliser la neutralité religieuse de l'État, la séparation du religieux et de l'État à une valeur collective qu'on peut imposer à tous les citoyens, et ça, ça m'apparaît très problématique.

Alors, moi, c'est davantage ça que je dénonce plutôt que la possibilité de demander à un bénéficiaire de services publics, dans certaines circonstances, de retirer son niqab ou sa burqa, ne serait-ce que de manière temporaire, pour procéder à son identification.

Mme Vallée : Donc, dans l'articulation du projet de loi, vous verriez donc que l'on traite dans un article distinct la façon dont la prestation de services doit être offerte, donc les obligations qui incombent aux représentants de l'État, et les obligations qui pourraient incomber à celui ou celle qui reçoit un service de l'État.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Dans un projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État, plutôt que de distinguer, justement, les bénéficiaires versus l'idée de neutralité religieuse de l'État, j'aurais tendance à compléter ce qui n'est pas prévu actuellement dans l'état du droit canadien, j'aurais tendance à davantage développer les choses qui sont problématiques actuellement quand on parle de l'opérationnalisation de l'idée de neutralité religieuse de l'État, comme par exemple les fameux symboles patrimoniaux, l'idée du crucifix à l'Assemblée nationale, par exemple, l'idée de la croix du mont Royal, qu'on finisse par faire le tri, une fois pour toutes, entre ces fameux symboles issus de la tradition chrétienne donc, et qui ont une valeur patrimoniale et historique, et qui, pour cette raison-là, doivent être maintenus dans l'espace public de manière compatible avec la neutralité religieuse de l'État. Et ça, ça a été accepté, cette idée-là, par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt mouvement laïque du Québec contre Saguenay.

Et l'autre question, c'est le fameux devoir de réserve des fonctionnaires. Le devoir de réserve des fonctionnaires, dans l'état actuel du droit, il est tout à fait canadien. Donc, il est tout à fait reconnu que les fonctionnaires doivent faire preuve de réserve en ce qui concerne l'expression de leurs convictions religieuses, par exemple, lorsqu'ils vont faire un acte de prosélytisme, un vrai acte de prosélytisme, pas l'idée de prosélytisme passif, qui est, à mon avis, indéfendable, selon laquelle une personne qui porte un symbole religieux ostentatoire fait, en portant ce symbole-là, un acte de prosélytisme passif. Ça, ça m'apparaît plus difficilement défendable. Mais, dans le projet de loi, on ne définit pas du tout qu'est-ce qu'on entend par «devoir de réserve des fonctionnaires», on ne va pas dans le détail, on ne va pas dans ce qui, à mon avis, importe et qui est problématique, en plus d'abandonner l'idée qu'on essaierait de définir un modèle québécois de gestion de la diversité culturelle et religieuse. Il me semble que, comme c'est un simple effort de codification, bien là on vient accepter donc que... on abandonne, finalement, l'idée qu'il existe un modèle différent au Québec pour gérer les accommodements religieux, notamment, mais également l'idée de neutralité religieuse de l'État.

Mme Vallée : Sur, justement, ce devoir de réserve des fonctionnaires, on a eu beaucoup d'échanges ici, en commission, et hors commission, sur l'une des recommandations du rapport Bouchard-Taylor qui recommandait que les hauts... pas les hauts fonctionnaires, mais les hauts représentants de l'État, c'est-à-dire la magistrature, les procureurs, ceux et celles qui ont un pouvoir coercitif soient assujettis à un devoir de neutralité totale, c'est-à-dire qu'il ne soit pas possible pour ces gens-là de porter quelque signe religieux. On sait notamment, à la Cour supérieure, que certains juges ont et portent la kippa.

J'aimerais vous entendre sur cette question-là. Vous n'avez pas abordé cette question-là. Je comprends que nous avons fait le choix, dans le projet de loi, de ne pas imposer à ces personnes un devoir, comme le souhaitait ou l'avait recommandé Bouchard-Taylor, mais j'aimerais vous entendre sur cette question-là, parce que vous nous disiez tout à l'heure : Le devoir de réserve, ce n'est pas le prosélytisme passif que certains ont identifié.

M. Lampron (Louis-Philippe) : C'est une très belle question. Il me semble que le débat s'est tellement enlisé au Québec depuis 2007. Donc, ça fait plusieurs années qu'on parle de ça. J'ai fait l'historique, là, des différentes interventions législatives, et, moi, ce que je sens, c'est que le débat, au Québec, actuellement, il est très polarisé. Notamment, en ce moment, le débat qui portait davantage, à l'époque... je pense, à l'époque de la commission Bouchard-Taylor, sur certaines formes d'accommodement qui pouvaient sembler déraisonnables, à mon avis, parce qu'elles avaient affaire avec justement ces fameuses convictions religieuses là qui peuvent être plus problématiques et qui concernent l'ensemble des religions, on est passé vraiment à autre chose et on est passé à une opposition entre deux modèles de gestion de la diversité, de la différence, le multiculturalisme à la canadienne, que certains... à mon avis, il y a des amalgames qui se font entre le multiculturalisme et le pluralisme — à mon avis, le multiculturalisme n'est pas la seule manière d'aborder la gestion de la différence de manière pluraliste, il peut y avoir d'autres modèles intermédiaires, comme par exemple l'interculturalisme — et le républicanisme à la française, donc toute cette idée-là selon laquelle... et qui était présente dans le projet de charte des valeurs, finalement, selon laquelle les fonctionnaires représentant l'État doivent également faire preuve d'une neutralité totale notamment en s'abstenant de porter des symboles religieux ostentatoires.

Bon. L'idée selon laquelle on interdit des symboles religieux visibles pour les fonctionnaires en situation d'exercer le pouvoir de contrainte étatique, la proposition de Bouchard-Taylor — les procureurs de la couronne, les gardiens de prison, etc. — il me semble que, dans l'état actuel des choses, c'est... moi, je fais référence maintenant, notamment quand j'en parle dans mes cours, au compromis Bouchard-Taylor, c'est une manière, à mon avis, qui pourrait être assez élégante d'arriver à mettre le couvercle sur la marmite et de passer à autre chose, de fermer ce fameux débat là. Il me semble que c'est la position consensuelle minimale actuellement en ce qui concerne le modèle québécois de gestion de la différence culturelle et religieuse.

Maintenant, il faut garder en tête que, dès qu'on parle d'une interdiction qui ne s'adresse qu'aux symboles religieux très visibles, à mon avis, là, c'est très, très problématique. C'est très problématique, parce que, là, c'est de calquer la vision athée, chrétienne ou agnostique aux raisons pour lesquelles une personne qui porte ces symboles-là religieux très visibles, comme par exemple un turban, une kippa ou un hidjab, le fait. Donc, ce n'est pas un acte politique, dans la grande majorité des cas, mais c'est bien un acte qui vise à respecter les obligations religieuses que cette personne-là croit devoir suivre, finalement.

Et donc, dès qu'on se borne à limiter le port de ces symboles-là religieux visibles, nécessairement, dans la rhétorique propre aux chartes des droits et libertés, Charte canadienne et charte québécoise, on parle d'une restriction à la liberté de religion de ces minorités religieuses là, très clairement.

Maintenant, est-ce qu'il y a des motifs impérieux, sérieux qui pourraient justifier cette restriction-là? Moi, je suis assez d'accord avec l'analyse qui avait été faite dans le rapport Bouchard-Taylor pour venir dire qu'au Québec, en fonction du type de fonctionnaires auquel cette interdiction-là s'adresserait, ça pourrait passer le test de la Charte canadienne. Et donc, dans ce contexte-là, surtout dans un contexte... peut-être une approche de réalisme politique, finalement, et dans le désir d'arriver justement à une réconciliation des deux positions très polarisées dans ce débat-là, il me semble que le compromis de Bouchard-Taylor serait une manière assez élégante d'y arriver.

• (11 h 50) •

Mme Vallée : J'aimerais vous entendre davantage sur la question des... vous avez abordé une question des surminorités religieuses et qui amènent certaines problématiques lors de demandes d'accommodement. J'aimerais vous entendre davantage sur cet aspect-là, qui est intéressant, qui n'a pas été abordé de cette façon-là.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Surminorités non pas de religions, mais surminorités de convictions religieuses.

Mme Vallée : De convictions.

M. Lampron (Louis-Philippe) : C'est-à-dire que les religions, historiquement, traditionnellement, ont un rapport, on va dire, un peu antagoniste ou encore on va traiter de manière différente deux groupes de personnes qui sont protégées par le droit à l'égalité, et essentiellement... il pourrait y en avoir d'autres également, là, dans le détail, pour une certaine forme de religion, mais on va parler des femmes et des homosexuels.

Donc, il y a un rapport. Et on a vu l'arrêt Trinity Western, là, qui est sorti récemment en Colombie-Britannique et qui porte justement sur une conciliation entre la liberté de religion... dans un contexte, évidemment, dans un établissement confessionnel, alors, il y a d'autres questions qui sont soulevées, mais quand même le conflit entre liberté de religion et droits des personnes d'orientation sexuelle... de ne pas être victimes de discrimination. Bon. Alors, à un certain moment... et là, moi, la meilleure illustration, à mon avis, de cette fameuse lacune, dans l'état actuel du droit canadien, en ce qui concerne l'appréhension de ces convictions religieuses problématiques là, c'était un avis qui avait été rendu par la Commission des droits de la personne en 2009 en ce qui concerne la pratique d'accommodement qui consistait pour une personne à demander à ne pas faire affaire avec un examinateur, pour un test de conduite, de sexe opposé. Et, grosso modo, le raisonnement de la... pas de la conviction, de la commission avait été de dire que la pratique d'accommodement, elle était raisonnable, parce que, dans les faits, il n'y avait rien dans le processus, là... La demande a été faite à une tierce partie, cette tierce partie là était responsable de répartir les dossiers aux différents examinateurs, et donc les examinateurs qui se trouvaient à être exclus pour leur sexe, finalement, ne savaient pas qu'ils l'étaient pour leur sexe, et il n'y avait pas de diminution effective de la charge de travail.

Mais donc, dans l'état actuel des balises jurisprudentielles canadiennes, il faut, nécessairement, pour être capable de refuser une demande d'accommodement, il faut faire la preuve qu'il y a une atteinte réelle au droit à l'égalité d'une personne d'orientation sexuelle différente ou encore d'une femme. Il me semble qu'on pourrait aller un pas plus loin et dire que, dans l'espace public, ça peut être un motif suffisant que de référer à la valeur de l'égalité pour refuser une pratique d'accommodement. De nommer... de faire à peu près la même chose que la Cour suprême fait pour classifier les actes expressifs qui sont protégés en vertu de de la liberté d'expression, donc d'être capable de nommer le fait que ce ne sont pas toutes les convictions religieuses qui doivent être traitées également dans l'espace public et que les convictions religieuses qui en elles-mêmes impliquent une opposition avec un autre droit fondamental... bien, ça, c'est quelque chose qui mérite moins de protection dans l'espace public québécois que les convictions religieuses qui représentent l'écrasante majorité des convictions religieuses, où il n'y a pas de tension avec un autre droit fondamental.

Alors, par exemple, simplement de dire... écoutez, de refuser de faire affaire avec une femme dans l'espace public, ce n'est pas quelque chose qu'on peut accommoder, indépendamment des tergiversations sur le fait qu'il existe, dans les faits, ou non une atteinte au droit à l'égalité de cette autre personne-là. Cette demande-là pourrait être rejetée si on allait de l'avant avec un renforcement de la balise de l'égalité, finalement.

Mme Vallée : Le projet de loi fait référence à l'égalité hommes-femmes, à laquelle on ne doit pas faire atteinte, mais vous allez plus loin, vous parlez de la valeur de l'égalité. C'est intéressant, parce qu'hier on avait la Commission des droits de la personne et la Ligue des droits qui nous disaient : Bien, le projet de loi, dans la rédaction, porte atteinte... et vient mettre en place une hiérarchisation des droits avec laquelle on est plus ou moins à l'aise. Et, vous, ce que vous dites, puis ça rejoint un peu ce qui était prévu, nous, on l'a exprimé par l'égalité hommes-femmes, que l'on retrouve au préambule de la charte, que l'on retrouve dans la Charte canadienne, mais vous l'amenez d'une façon beaucoup plus large qui vient rejoindre aussi toute la question de la diversité sexuelle, et donc vous la ramenez à la valeur de l'égalité : en tant qu'êtres humains, entre nous, nous avons tous la même valeur, et donc d'aucune façon on ne doit, par un accommodement, porter atteinte à cette valeur d'égalité. C'est un petit peu ce que vous nous expliquez.

M. Lampron (Louis-Philippe) : C'est-à-dire que — j'ai pris connaissance du mémoire de la commission et du mémoire de la Ligue des droits et libertés, qui sont passées en commission hier — moi, sur la question de la hiérarchie des droits fondamentaux... bon, il faut dire que j'ai fait ma thèse de doctorat là-dessus, là, mais l'attache aveugle de l'idée de non-hiérarchie entre les droits fondamentaux de la personne, c'est : Comment est-ce qu'on fait pour trancher les conflits entre droits fondamentaux?, et, dès qu'on parle de liberté de conscience et de religion... Là, on ne parle pas de la neutralité religieuse de l'État, là, c'est-à-dire que, quand on parle des balises qui permettraient de refuser un accommodement, ce serait une balise qui serait applicable dans les rapports des individus avec l'administration publique mais, à la limite, qui pourrait également être applicable à l'intérieur d'entreprises, par exemple.

Donc là, il y a la question des accommodements religieux, où, là, c'est la mise en oeuvre de la liberté de conscience et de religion et les efforts que doivent faire les institutions, dans le domaine public ou privé, pour protéger les convictions religieuses notamment des minorités, mais, de l'autre côté, il y a également l'idée de neutralité religieuse de l'État. Donc là, on est en train de parler, donc, des accommodements raisonnables au sens large. Et donc — effectivement, vous faites référence à la disposition qu'il y a au préambule — on a une disposition similaire dans la Charte canadienne des droits et libertés, à l'article 28, dans l'état actuel des choses, effectivement, il ne doit pas exister de hiérarchie formelle entre les droits et libertés de la personne.

Maintenant, à partir du moment où on arbitre des conflits dans certaines circonstances, il me semble qu'il y a un consensus assez fort pour qu'on vienne donner un coup de pouce aux décideurs et qui dise que, dans les cas exceptionnels, en fait... parce que souvent on est capable d'arriver à une conciliation où on va être capable de protéger les deux droits également, mais, dans les cas exceptionnels où il y a un conflit de faits, où il y a une conviction religieuse qui est problématique dans l'espace public, et la conviction la plus facile à laquelle on pense tout de suite, c'est celle où une personne refuse de serrer la main à une femme, par exemple, ou encore une femme qui refuse de faire affaire avec un homme et qu'il n'y a pas d'autre considération, par exemple des considérations liées à l'intimité, donc c'est uniquement la conviction religieuse qui entre en ligne de compte, il me semble qu'on aurait toute légitimité et que vous auriez toute légitimité, en tant qu'Assemblée nationale, à venir renforcer cette valeur-là de l'égalité entre les hommes et les femmes pour permettre aux décideurs non seulement de faire primer automatiquement... parce que la protection des droits fondamentaux, ça doit toujours être fait selon une approche contextualisée, en fait, mais quand même d'être capables d'avoir une balise supplémentaire pour venir rejeter une demande d'accommodement. Et ça, c'est compatible avec l'approche, de toute façon, de la Cour suprême en ce qui concerne la liberté d'expression.

Sur la liberté d'expression, on n'a pas le même malaise que sur les convictions religieuses, et la cour fait clairement une hiérarchie entre les actes expressifs qui sont protégés en disant que certains actes, parce qu'ils s'approchent davantage des valeurs au coeur de la liberté d'expression, méritent une protection maximale, alors que certains autres méritent une protection — bien sûr, c'est des actes expressifs — mais de moindre importance. Il me semble qu'il faudrait nommer... et que simplement de nommer cette problématique-là, ça apaiserait beaucoup la question, mais ça faciliterait le travail des décideurs. Parce que, quand on regarde, là, dans toute la liste qui avait été faite dans le rapport Bouchard-Taylor... et ça, d'ailleurs, c'est quelque chose qu'il faut saluer dans le rapport Bouchard-Taylor, la liste de toutes ces fameuses demandes d'accommodement, entre guillemets, déraisonnables ou pseudodemandes d'accommodement, il y a un trait commun à toutes ces demandes-là, puis, généralement, c'est cette tension avec le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes et entre personnes d'orientation sexuelle différente.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Lampron. Bienvenue. Intéressant comme mémoire, parce que, je vais vous dire, vous suggérez des solutions. D'habitude, les juristes viennent ici puis ils nous arrivent avec l'état du droit : Est-ce que la loi est bonne, est-ce qu'elle n'est pas bonne? Là, on a quelqu'un qui dit : Vous devriez examiner telle piste, vous devriez examiner telle piste, et j'apprécie beaucoup, beaucoup, beaucoup, personnellement, cette attitude, qui est d'essayer de nous amener à produire la meilleure loi possible qui soit surtout applicable au Québec et qui soit applicable par les gens qui vont avoir à l'appliquer. Ce n'est pas nous qui allons avoir à l'appliquer, ce sont, d'abord et avant tout, les membres du personnel de la fonction publique qui vont vivre avec ça.

Alors, vous avez quelques questions. Vous avez dit une phrase qui a résonné pour moi, qui est assez forte. C'est la première fois que je l'entends. J'aimerais ça que vous m'expliquiez ce que vous voulez dire, comment vous concevez ça. Vous dites : Ce projet de loi sonne le glas de l'idée du modèle québécois de l'interculturalisme. Alors, comment vous voyez ça? Vous avez évoqué rapidement que, vu que ça codifie à partir du Canada, qui est multiculturaliste, donc... Et l'autre question que je vous pose, c'est : Comment se sortir de ça? Qu'est-ce qu'on pourrait inscrire qui nous amènerait à faire que ce projet de loi ressemble à la société québécoise, c'est-à-dire soit un projet de loi non pas multiculturel, mais interculturel?

• (12 heures) •

M. Lampron (Louis-Philippe) : L'idée de l'interculturalisme, en fait, il y a plusieurs personnes qui critiquaient cette idée-là en disant que c'était une manière, finalement, de faire passer le multiculturalisme au Québec. Dans les faits, l'interculturalisme et le multiculturalisme, c'est la même chose. C'est simplement qu'on donne une étiquette différente pour éviter de faire une comparaison avec le rapatriement de 1982 puis l'idée que la Charte canadienne, elle consacre le multiculturalisme.

Moi, il me semble que tous les travaux sérieux qui ont été faits sur la définition de ce fameux modèle intermédiaire de gestion de la différence culturelle, qui serait le modèle québécois et qui est très inspirant, hein... Moi, je suis allé au Japon. Ils étaient très, très intéressés à cette idée de modèle intermédiaire. C'est-à-dire que, dans un contexte où le multiculturalisme à la canadienne... où on va vraiment valoriser, donner une grande, grande importance à la différence individuelle, et le républicanisme à la française, qui est un régime de gestion de la différence qui est plus aveugle à cette fameuse différence-là dans le rapport des individus et de l'État, bien, la définition d'un modèle qui est médian, qui est intermédiaire, au centre du spectre, finalement, il y a quelque chose de très, très inspirant pour être capable justement d'arriver à un modèle qui est compatible avec l'état actuel de la société, notamment de la société québécoise.

Maintenant, pour qu'on soit capables de fonder les différences qui distingueraient l'interculturalisme québécois du multiculturalisme à la canadienne, il faut nécessairement le fonder dans une loi, il faut nécessairement qu'il y ait quelque chose qui se passe et qu'on les définisse, les précise et qu'on les consacre juridiquement, ces différences-là, et notamment il faudrait qu'on les consacre dans notre outil de protection des droits et libertés fondamentaux — c'est une proposition que je fais dans mon mémoire — qui est la charte québécoise des droits et libertés de la personne, parce qu'essentiellement, quand on parle d'interculturalisme, on parle d'une différence avec le multiculturalisme par certaines valeurs communes en vertu desquelles on ne pourrait pas accepter d'accommoder la différence individuelle. Alors, ces valeurs communes là, il faut les définir et il faut qu'elles aient une valeur juridique, parce que sinon, dans l'état actuel du droit québécois... et ça, ça va être renforcé par un projet de loi comme le projet n° 62, où on codifie la jurisprudence qui a été faite à travers le spectre, donc, d'analyse du multiculturalisme, bien, dans l'état actuel du droit canadien, ces valeurs-là, elles n'existent pas quand on veut prendre en considération une demande d'accommodement. Parce que, la charte québécoise, dans l'état actuel du droit constitutionnel canadien, la portée de la charte québécoise pour la liberté de conscience et de religion, pour le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes et pour les dispositions qui traitent justement de cette primauté-là de la valeur de l'égalité entre les hommes et les femmes... C'est l'interprétation de la Charte canadienne qu'on va calquer sur la charte québécoise. Donc, il n'y a pas une autonomie, en ce moment, à quelque modèle de gestion de la différence culturelle et religieuse québécoise qui a une valeur juridique dans le contexte d'une demande d'accommodement raisonnable ou de la neutralité religieuse de l'État, par ailleurs.

Mme Maltais : Si je comprends bien, on pourrait inscrire, par exemple, dans la charte, pour mieux positionner des éléments comme l'égalité entre les hommes et les femmes comme étant une valeur qui transcende les droits, même si je sais que la hiérarchisation des droits n'est pas très appréciée quand on parle à des juristes, mais je pense qu'on pourrait faire ça, l'autre... Est-ce que la laïcité ne pourrait pas être inscrite dans la charte? Je sais que vous en avez parlé lors de l'audition pour le projet de loi n° 60, et vous sembliez en accord avec l'idée d'inscrire «la laïcité», à mon souvenir, dans la Charte des droits et libertés. Où est-ce que vous en êtes dans votre réflexion là-dessus?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Quand on parle de laïcité et de neutralité religieuse de l'État — en fait, c'est deux noms qui désignent la même chose, finalement, c'est un modèle d'opérationnalisation de la séparation du religieux et de l'État — moi, il me semble, encore une fois, dans l'optique... C'est-à-dire que ce qui va distinguer l'approche canadienne de l'approche française, par exemple, c'est qu'en ce moment l'approche française, en raison du fait qu'elle va opérationnaliser une définition de la laïcité qui est plus proche du républicanisme, bien, elle, elle va y aller avec une approche en bloc en disant : L'État français est laïque, les fonctionnaires travaillent pour l'État français, ils doivent ne pas faire preuve de quelque appartenance religieuse que ce soit alors qu'ils sont sur leurs lieux de travail.

Moi, cette approche-là, elle est... et je pense au rapport Stasi puis je reviens toujours sur cet exemple-là, moi, cette approche-là, il faut prendre acte du fait qu'elle fait porter un poids additionnel, un préjudice, en fait, aux membres des minorités religieuses qui croient sincèrement devoir porter cette forme de symbole religieux là. Quand on regardait la proposition qui était au coeur de la charte des valeurs québécoises, c'était l'interdiction généralisée du droit des fonctionnaires de porter des symboles religieux qui était également accompagnée... et là c'était problématique, puis ça nous a amenés davantage à parler d'une forme de catholaïcité, à permettre de petits symboles religieux. Les chrétiens, les agnostiques, les athées n'ont aucun effort à faire pour se conformer à cette interdiction-là. Les seuls qui ont un effort à faire, c'est les membres des minorités religieuses.

Et donc, dans ce contexte-là, il y a nécessairement une atteinte au droit à l'égalité et/ou à la liberté de conscience et de religion dès qu'on limite le droit de porter des symboles religieux visibles, puis en plus, en le faisant, on limite le droit des membres des minorités religieuses.

Mme Maltais : ...dire que j'ai neuf minutes pour jaser avec vous.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Ah! excusez-moi. Oui, je sais, je parle trop.

Donc, rapidement, je conclus là-dessus. Maintenant, la question, c'est la justification de cette atteinte-là, et moi, j'ai l'impression que, dans le contexte actuel de la société québécoise, le compromis Bouchard-Taylor m'apparaît être le plus applicable.

Mme Maltais : Le plus applicable.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Oui.

Mme Maltais : D'accord. Et il pourrait correspondre un peu à la vision québécoise de l'interculturalité.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Absolument. Absolument. Ça serait une manifestation, justement, de ce modèle médian là entre le multiculturalisme et le républicanisme, tout à fait.

Mme Maltais : O.K. Est-ce que vous êtes d'accord si je vous dis qu'il existe déjà des arbitrages entre les droits? Comme, par exemple, à la liberté d'expression on oppose le droit à la dignité et le droit à la réputation, hein? Alors, il y a déjà des balises...

M. Lampron (Louis-Philippe) : Complètement.

Mme Maltais : ...puis il y a des droits déjà. Quand il y a des droits qui s'opposent, on met une limite à certaines choses.

Est-ce qu'on ne pourrait pas le faire entre l'égalité hommes-femmes et le phénomène religieux, du moment où l'égalité entre les hommes et les femmes, cette valeur, qui, je pense, transcende la société québécoise, à laquelle on adhère tous, vient en opposition avec une demande de... J'aime bien votre idée de surminorités ou surconvictions religieuses, qu'il y ait un temps d'arrêt, mais comment on pourrait inscrire ça?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Sur la hiérarchie, vous parlez de la liberté d'expression. C'est peut-être l'exemple le plus classique du fait que la Cour suprême reconnaît une forme de hiérarchie des droits fondamentaux de la personne. Quand elle vient limiter la portée de la liberté d'expression en disant qu'un acte de violence physique, ce n'est pas protégé par la liberté d'expression, bien, elle fait primer le droit à l'intégrité physique d'une autre personne sur la liberté d'expression. Donc, il y a plein d'exemples comme ça dans la jurisprudence où il y en existe une, hiérarchie, entre certains droits et libertés fondamentaux.

Maintenant, là où c'est dangereux, ce serait que le législateur vienne imposer une définition des droits fondamentaux de la personne, et c'est pour ça qu'à mon avis de donner une valeur, de donner une prise supplémentaires aux décideurs pour venir justement être capables d'opérationnaliser, donc d'orienter cette forme de hiérarchie là en disant : Face à une conviction religieuse préjudiciable, de dire : Écoutez, ici, ça entre en contradiction avec la valeur de l'égalité entre les hommes et les femmes, le législateur me donne le droit de me servir de cette valeur-là pour refuser l'accommodement, et donc je le fais, donc de donner plus d'outils aux décideurs en renforçant cette balise-là, ça, ça m'apparaît tout à fait compatible avec la jurisprudence et la réalité de la mise en oeuvre des lois sur les droits fondamentaux, qui implique une hiérarchisation des droits.

Mme Maltais : C'est probablement ce dont vous vouliez...

Une voix : ...

Mme Maltais : ... — une minute, oui — ce dont vous vouliez parler quand vous avez parlé de trouver des critères horizontaux. Parce que cette expression-là aussi m'a étonnée. Je me demandais qu'est-ce qu'on pouvait inscrire comme critères horizontaux. L'égalité hommes-femmes devrait être un critère horizontal. Est-ce qu'il y en a d'autres?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Oui. Bien, l'orientation sexuelle, en fait, dans le sens qu'il faut prendre acte du fait que toutes les religions ont un problème dans certains aspects de leurs dogmes, et plus on le vit de manière peut-être plus fondamentaliste ou intégriste, on va avoir encore plus de problèmes avec ça, avec essentiellement deux valeurs : l'égalité entre les hommes et les femmes et l'égalité entre les individus d'orientation sexuelle différente. Moi, quand je parlais de critères horizontaux, c'était aussi pour faire attention de ne pas stigmatiser une seule religion.

Comme c'est toutes les religions qui peuvent être problématiques avec ces convictions religieuses préjudiciables là, bien, assurons-nous de parler des religions et non pas uniquement de l'islam ou encore du niqab et de la burqa.

Mme Maltais : Merci beaucoup.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bonjour, Me Lampron.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bonjour.

M. Jolin-Barrette : Merci de participer aux travaux de la commission. C'est intéressant, ce que vous dites. Vous avez bien campé, bon, l'historique des dernières années depuis l'arrêt Multani. Il y a bien des gens que ça les a choqués, l'arrêt Multani, le fait de pouvoir porter un kirpan, même s'il était cousu à l'intérieur, bon, du vêtement.

Vous nous dites : On devrait fonder juridiquement l'interculturalisme. On pourrait le faire à travers la charte québécoise. On pourrait adapter une loi distincte aussi pour dire clairement c'est quoi, l'interculturalisme. Ce gouvernement-là refuse de le faire. Comment vous expliquez le malaise — puis on peut prendre une perspective historique, là — de le faire? Parce que, tout à l'heure, vous avez parlé des valeurs communes par rapport aux droits individuels. On peut retourner aux droits des provinces versus quand la Constitution a été rapatriée.

Comment vous voyez ça, une loi sur l'interculturalisme, puis qu'est-ce qui devrait être dedans? Parce que, dans le fond, souvent, ce qu'on se rend compte, c'est que le gouvernement libéral est frileux d'aller à l'encontre du modèle canadien. Donc, comment nous, on pourrait réconcilier tout ça?

• (12 h 10) •

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, il y a plusieurs travaux, il y a plusieurs auteurs, il y a Gérard Bouchard notamment, il y a Alain-G. Gagnon qui ont travaillé sur l'interculturalisme, des manières de donner justement des pistes de solution pour être capables de définir l'interculturalisme et de le distinguer du multiculturalisme à la canadienne. Moi, à mon avis, très clairement, l'interculturalisme est un modèle pluraliste, en fait, c'est-à-dire que ce n'est pas un modèle qui est fermé à la différence comme le républicanisme à la française, très, très clairement. Donc, on parle vraiment d'un modèle qui est médian et qui est pluraliste, c'est-à-dire qui reconnaît le droit des individus de faire valoir leurs différences individuelles, notamment leurs différences religieuses.

Mais, dans les trois piliers... il pourrait y en avoir d'autres, là, mais les trois piliers qui seraient au coeur de l'interculturalisme, quand on parle de ces fameuses valeurs communes là en fonction desquelles on serait capables de refuser des demandes d'accommodement dans l'espace public, il y a essentiellement l'idée de neutralité religieuse de l'État. Donc là, ça nous ramène à l'autre aspect du débat : Qu'est-ce que la neutralité religieuse de l'État applicable au Québec, l'égalité entre les hommes et les femmes et la protection du français comme langue commune? C'est essentiellement, quand on regarde les travaux, là... Puis notamment le rapport Bouchard-Taylor fait état de ces piliers-là. Les travaux de Gérard Bouchard, en général, y font état également, et les travaux des autres spécialistes, notamment politologues qui ont travaillé sur l'interculturalisme font état de ces valeurs communes là.

Maintenant, si on veut prétendre qu'il y a un modèle québécois distinct de gestion de la diversité culturelle et religieuse, tant qu'il n'est pas fondé dans une loi et qu'il ne permet pas, justement, aux décideurs québécois de se distancier de la jurisprudence qui a été établie en fonction de l'article 27 de la Charte canadienne, donc, qui prône le multiculturalisme à la canadienne comme modèle de gestion de la différence, bien, on ne peut pas prétendre que l'interculturalisme existe et est applicable en droit québécois et canadien, bien au contraire, parce que ce qui est applicable actuellement, c'est les balises, et elles sont mêmes codifiées dans le projet de loi n° 62, qui incarnent le multiculturalisme à la canadienne.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, ce que vous nous dites, c'est : Concrètement, on a les outils pour adopter une loi sur l'interculturalisme qui inclurait la neutralité religieuse, qui donnerait la primauté à l'égalité hommes-femmes et à la protection du français comme outil interprétatif de toutes les demandes d'accommodement.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Tout à fait.

M. Jolin-Barrette : Donc, il n'y a aucun malaise à instaurer une analyse hiérarchique des droits qui vont être invoqués lorsqu'un accommodement raisonnable est demandé.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, il n'y a aucun malaise... C'est-à-dire que comment faire pour fonder juridiquement l'interculturalisme? Je fais une piste de proposition dans le mémoire que j'avais déposé en 2010 qui m'apparaît toujours applicable aujourd'hui, qui implique nécessairement une rupture avec la Charte canadienne des droits et libertés pour se tourner vers la charte québécoise des droits et libertés de la personne, d'une part.

Maintenant, la question du malaise avec la hiérarchisation des droits fondamentaux de la personne, ça revient un peu à la réponse que j'ai faite à la députée Maltais, c'est le fait qu'il faut faire attention, c'est-à-dire que ce n'est pas du tout au législateur de venir définir la portée des droits et libertés fondamentaux. Maintenant, la légitimité du législateur, c'est de venir définir le modèle à l'intérieur duquel les décideurs vont interpréter la portée des droits fondamentaux, et ça, c'est la légitimité du législateur, et de vouloir fonder un modèle qui, à mon sens, était, jusqu'à tout récemment, consensuel, c'est-à-dire l'interculturalisme. On peut l'appeler autrement, finalement. Si l'interculturalisme ne nous plaît pas, appelons-le autrement, mais le modèle québécois de gestion de la différence culturelle et religieuse, qui serait un modèle médian entre le multiculturalisme et le républicanisme, ça, ça tombe tout à fait dans la légitimité de l'Assemblée nationale. Et même la Cour suprême, s'il y a une rupture avec la Charte canadienne, n'aura pas le choix que d'interpréter les droits fondamentaux de la personne à l'ombre de ce modèle de gestion de la différence culturelle et religieuse, qui serait le modèle distinct applicable au Québec. Mais là on tombe vraiment dans les choix politiques, là.

M. Jolin-Barrette : Oui. Mais vous nous dites : C'était le modèle consensuel. Où il y a une brisure, pour vous? À partir de quand vous voyez que ça ne devient plus un modèle consensuel? Parce que moi, j'entends les gens, puis ce que vous dites, c'est ce que les gens me disent, principalement. Le gouvernement décide de ne pas aller avec le modèle consensuel. Pour vous, la cassure se fait à quel moment?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Bien, après la charte des valeurs, non pas à cause de la charte des valeurs, mais après la charte des valeurs. Essentiellement, on avait un problème au Québec avec les accommodements religieux et la neutralité religieuse de l'État. On en a toujours un 10 ans plus tard. La solution du gouvernement libéral, donc, en 2010, avait été de dire : On ne change rien, le statu quo, et on va codifier dans une loi les balises actuelles du multiculturalisme. Ensuite, premier effort de se distancier, donc, puis, à mon avis, on est allé trop loin vers le républicanisme, de se distancier du multiculturalisme, la charte des valeurs, où là j'aurais plusieurs choses à dire, mais essentiellement, donc, on a essayé d'aller trop loin vers le multiculturalisme en important cette disposition-là aveugle à la différence, qui est venir interdire à tous les fonctionnaires de porter des symboles culturels et religieux, et on dirait que ça, ça a campé, ça a divisé le débat, ça a polarisé le débat en deux positions : les tenants du républicanisme, d'un côté, et les tenants du pluralisme multiculturel, de l'autre côté, et, ce faisant, c'est comme si ce n'était plus possible de parler d'un modèle médian, qui est à la fois pluraliste et distinct, qui serait applicable uniquement au Québec.

Et il me semble que, là, notamment le compromis Bouchard-Taylor serait vraiment une excellente manière de venir réaffirmer cette possibilité-là de dire, justement : Il existe au Québec un modèle pluraliste qui est distinct du multiculturalisme et du républicanisme et qui est fondé sur trois piliers communs. Voilà.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire à l'Université Laval, d'être venu déposer devant la commission.

Je suspends quelques minutes. Et, Mme Bouchard, vous vous avancez... de la Fédération des commissions scolaires du Québec.

(Suspension de la séance à 12 h 15)

(Reprise à 12 h 18)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant la Fédération des commissions scolaires du Québec et sa présidente, Mme Josée Bouchard.

Bonjour, Mme Bouchard. Vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous connaissez les us et coutumes de la maison.

Une voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Et vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. 10 minutes. Par la suite, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous la parole.

Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ)

Mme Bouchard (Josée) : Avec plaisir, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, oui, je suis, donc, Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec. Je suis accompagnée, aujourd'hui, de M. Yvan Gauthier, qui est le directeur général par intérim, et du secrétaire général de la fédération, Me Alain Guimont.

Alors, depuis le début des consultations sur le projet de loi n° 62 il y a deux semaines, tous ont pu constater que les questions entourant la définition de la neutralité religieuse de l'État et des accommodements religieux suscitent beaucoup d'intérêt, voire même des débats. C'est pourquoi le travail que fait cette commission parlementaire est si important. Les établissements scolaires, je le rappelle, c'est important, ont pour mission d'instruire, de socialiser et de qualifier. L'école est plus qu'un lieu d'apprentissage, c'est un milieu de vie dans lequel l'élève, jeune ou adulte, apprend les fondements de ce qu'il est convenu d'appeler le vivre-ensemble. L'école est souvent le premier contact qu'ont les immigrants avec la société québécoise, autant les jeunes que les adultes, par le biais de la francisation.

Les diversités religieuses et ethnoculturelles sont déjà une réalité pour un très grand nombre de commissions scolaires et elles le seront de plus en plus. En effet, selon les données publiées par l'Institut de la statistique en octobre dernier, plus de 30 % des bébés québécois nés en 2015 ont au moins un parent né à l'extérieur du Canada, et 20 % sont issus de deux parents originaires de l'étranger. De plus, ces données révèlent qu'il ne s'agit plus d'une réalité propre à Montréal. C'est pourquoi la fédération a toujours contribué à la réflexion et aux travaux portant sur les questions d'accommodement et de neutralité religieuse de l'État.

• (12 h 20) •

En plus d'avoir présenté un mémoire à la commission Bouchard-Taylor en 2007, nous avons participé aux travaux menés par le comité consultatif sur l'intégration et l'accommodement raisonnable en milieu scolaire. En suivi au rapport de ce comité, bien, la fédération a fait partie d'un groupe d'échange sur la prise en compte de la diversité culturelle en milieu scolaire et l'accommodement raisonnable. Les travaux de ce comité, présidé par le ministère de l'Éducation, avaient permis d'élaborer un projet de guide de référence sur l'accommodement raisonnable en milieu scolaire déposé en 2011 afin de mieux outiller les directions d'établissement. Il n'a pas encore été, à ce jour, mis à la disposition du personnel des commissions scolaires. Donc, cinq ans plus tard, nous pensons toujours qu'un tel guide favoriserait une compréhension commune des principes énoncés dans le projet de loi et sommes tout à fait disposés à poursuivre les travaux déjà entamés.

La fédération a aussi présenté un mémoire à cette commission en 2010, comme vous le savez, dans le cadre de la consultation portant sur le projet de loi n° 94, qui portait principalement sur les demandes d'accommodement raisonnable. Elle y réaffirmait l'importance de prévoir une définition de la notion d'accommodement raisonnable, son appui aux principes de la neutralité religieuse de l'État et de l'égalité entre les femmes et les hommes de même que la règle générale voulant qu'un membre du personnel dans le secteur public ait le visage découvert lors de la prestation de services. Toutefois, la fédération demandait que le projet de loi soit modifié afin d'encadrer la question de l'octroi de congés pour observance des rites religieux dans le but d'établir un traitement équitable pour l'ensemble des travailleurs québécois. À notre satisfaction, le projet de loi n° 60 sur la charte des valeurs répondait à cette dernière demande. Toutefois, lors de la présentation de son mémoire sur ce projet de loi en 2014, la fédération avait exprimé son désaccord avec la restriction relative au port d'un signe religieux, jugeant qu'elle était inapplicable dans le contexte scolaire. Nous trouvions également inacceptable que les établissements d'enseignement privés soient totalement exclus de l'application du projet de loi.

Le mémoire que nous vous présentons aujourd'hui, en fait, qu'on vous a déposé, est donc en concordance et en continuité avec tous les travaux menés et les prises de position exprimées par la fédération depuis 2007.

De manière générale, la fédération est en accord avec les principes énoncés dans la majorité des articles du projet de loi n° 62, mais elle a certaines réserves que je vais vous expliquer.

La fédération est favorable aussi au principe de neutralité religieuse de l'État, puisque les commissions scolaires, avec les modifications apportées à la Constitution en 1997, ont été déconfessionnalisées. De nos jours, le consensus social est en faveur du maintien de la neutralité des structures scolaires. La fédération s'interroge parfois sur la... pas parfois, mais toutefois, pardon, sur la portée du champ d'application du chapitre II de ce projet de loi, portant sur les mesures favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État, car les écoles régies par la Loi sur l'enseignement privé sont exclues de l'application de celui-ci. Bien qu'étant consciente que ces écoles ne soient pas des organismes publics et qu'elles sont parfois confessionnelles, il serait paradoxal qu'un État neutre maintienne et finance un réseau privé exclu de l'application d'une partie importante de ce projet de loi. Il est impératif que tous les établissements scolaires du Québec financés en tout ou en partie à même les fonds publics soient assujettis aux mêmes règles et aux mêmes obligations, quel que soit leur statut.

Nous recommandons également qu'en plus des membres du personnel les personnes occupant des postes d'administrateur sans recevoir de rémunération qui sont présentes dans les établissements scolaires, comme les membres des conseils d'établissement et de comité de parents, soient aussi assujetties à l'application de ce projet de loi.

Concernant l'article 4 du projet de loi, qui stipule qu'un membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de neutralité religieuse dans l'exercice de ses fonctions, nous souhaitons que ce principe soit précisé afin d'éviter toute ambiguïté. Le projet de loi n° 60 imposait un devoir de réserve au personnel d'un organisme public dans l'expression de ses croyances religieuses, ce avec quoi nous étions en accord. Nous suggérons que ce devoir de réserve soit inclus dans le devoir de neutralité religieuse.

La fédération est d'accord avec le principe inséré à l'article 9 d'assujettir le personnel d'une commission scolaire à l'obligation d'exercer ses fonctions à visage découvert, puisque cette exigence est un juste compromis entre la liberté de religion d'un individu, et le devoir de neutralité, et le caractère laïque de la commission scolaire. Nous sommes également d'accord avec le principe d'assujettir les prestataires de services à l'obligation d'avoir le visage découvert. Nous partageons aussi l'orientation de ne prévoir aucune réserve quant au port de signes religieux par un membre du personnel d'un organisme public. Rappelons que le projet de loi n° 60 prévoyait des restrictions importantes, et la fédération s'y était objectée.

Comme nous l'exprimions précédemment, nous accueillons favorablement l'établissement de balises pour le traitement des demandes d'accommodements religieux tant pour le personnel que les élèves tel que prévu à la section III du chapitre III et nous souhaitons également que soient encadrées les demandes de congé pour motif religieux, car, dans un environnement scolaire visant la réussite, la fédération s'interroge sur les contraintes qu'un accommodement pour motif religieux peut avoir sur le respect des 180 jours de classe prévus au régime pédagogique. En effet, l'attribution de ces congés religieux risque d'avoir des effets sur la présence du personnel enseignant auprès des élèves et sur la stabilité des services dispensés aux élèves. Le gouvernement devra donc s'interroger sur l'application de cette disposition si elle est adoptée dans sa forme actuelle.

En terminant, la fédération tient à réitérer le rôle fondamental du réseau des commissions scolaires dans le processus d'intégration des immigrants à la société québécoise et elle réitère également son appui au projet de loi n° 62. Cependant, il serait important qu'une fois cette loi adoptée des mécanismes soient prévus afin de présenter et d'expliquer les principes qui y sont contenus à la fois aux nouveaux arrivants et au personnel des organismes publics, dont les commissions scolaires, afin d'en assurer l'application dans le respect des droits de chacun. Nous espérons que le mémoire que nous avons déposé contribuera à la réflexion entreprise par la commission, réflexion nécessaire afin de guider les actions futures des organismes publics en cette matière, et ce, dans le but d'atteindre un équilibre entre le maintien et le développement d'une culture d'accueil et les valeurs associées à l'identité québécoise. Je vous remercie.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Bouchard. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci beaucoup, Mme Bouchard, de votre présentation et d'avoir pris le temps de venir échanger avec nous en commission parlementaire.

Je vais débuter avec la fin de votre intervention. Vous demandez que des balises, des guides puissent être offerts pour accompagner les commissions scolaires, pour accompagner tous ceux et celles qui oeuvrent au sein de votre réseau à bien mettre en oeuvre les dispositions d'une loi qui pourrait éventuellement être adoptée.

On a fait référence, à quelques reprises, à un guide qui a été préparé par la commission des droits de la personne et de la jeunesse et qui semble, un, méconnu et, deux, qui ne semble pas nécessairement répondre à ce besoin spécifique. Je me demandais si votre réseau avait utilisé ou utilisait ce guide puis, à l'intérieur du guide, quelles seraient, à partir de ce que vous connaissez, si vous l'utilisez, les améliorations qui pourraient être apportées afin de bien répondre aux besoins du milieu scolaire.

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, je suis très heureuse de la question de la ministre, parce que c'est au coeur, je dirais, des préoccupations de notre réseau, c'est terre à terre, hein? Lorsqu'il arrive quelque chose, une demande, qu'elle concerne les élèves ou le personnel, on doit trouver une solution rapidement pour que tout se passe bien. Je vais vous dire que, de façon générale, ça se passe assez bien, mais, oui, on a besoin d'un guide. Et le guide auquel fait référence la ministre, effectivement, il est peu utilisé, parce qu'il ne concerne pas vraiment... il ne répond pas vraiment, je dirais, aux demandes qu'on a, aux demandes qui concernent les élèves, entre autres, et tout ça. Et c'est pour ça que, dans l'allocution et dans le mémoire, on fait référence à, en fait, déjà un guide qui a été, donc, élaboré par le ministère et où Me Guimont siégeait, d'ailleurs, et il connaît très bien toutes les étapes de ces travaux-là. Et, dans le fond, ce que ça visait... les discussions visaient, dans le fond, à ce qu'on rende le plus concrètes possible les situations, les problématiques à régler sur le terrain. Donc, dans ça, en fait, ce à quoi on s'attend, nous, sur le terrain, ce qui devrait être contenu dans un guide, donc, c'est de bien identifier, dans une première étape, les problématiques, de s'assurer qu'on comprenne bien, par exemple, hein, les demandes qui sont faites, puis ensuite c'est d'élaborer, en fait, d'avoir tout un processus qui est décrit puis qui va nous mener, je dirais, à la décision finale : Est-ce que c'est une demande raisonnable ou moins raisonnable, est-ce qu'on va la refuser ou non, est-ce qu'on va accommoder?, tout ça.

Alors, pour l'enseignant, la direction ou, je dirais, même la... quand on est chez les cadres, donc, la personne qui est en autorité a une décision à prendre, bien, on a besoin d'être guidé, je dirais, bien concrètement. Alors, c'est pour ça qu'on trouve important de signaler les travaux qui avaient déjà été menés dans les dernières années. C'était suite, en fait, au rapport Bergman Fleury.

• (12 h 30) •

Mme Vallée : Et ces travaux-là vous ont été utiles pour le réseau?

Mme Bouchard (Josée) : Jamais ça n'a été rendu disponible à notre réseau. Je ne sais pas qu'est-ce qui est arrivé avec ça. Et bien sûr que ce serait, comme on dit, à Mme la ministre de valider ça, de vérifier ça.

Mme Vallée : Je comprends, parce que certaines organisations se sont dotées de certains guides, mais je comprends que, vous, malgré votre participation à ces travaux-là, il n'y a pas de guide, à proprement parler, qui a été élaboré par la fédération ou par certains de vos membres pour guider ces demandes.

Mme Bouchard (Josée) : Bien, en fait, tout le monde se régit, là, dans chaque commission scolaire, évidemment avec certaines balises, mais, à l'époque, je vais vous dire que, quand on était au courant de ces travaux-là, et dont Me Guimont pouvait témoigner même au président, au conseil général, nous étions en attente de ce guide-là avec beaucoup d'espoir, dans le fond. Et, en tout cas, l'espoir est toujours là, l'attente est toujours là.

Mme Vallée : Vous avez fait une distinction. Vous abordez les devoirs de neutralité religieuse de la part du personnel sous deux aspects. Vous abordez et vous suggérez que le devoir de réserve d'un membre du personnel soit inclus, soit ajouté aux obligations prévues au projet de loi. Tout à l'heure, l'intervenant qui vous précédait parlait de prosélytisme versus le prosélytisme passif.

Alors, vous demandez la mise en place de ce devoir de réserve, mais vous ne souhaitez pas par contre que ce devoir de réserve s'articule jusqu'à l'interdiction de port de signes religieux. C'est bien ça?

Mme Bouchard (Josée) : Absolument. Je dirais qu'il y a une différence entre les signes religieux comme tels puis, je dirais, l'expression même de ses convictions religieuses. En tout cas, nous, on sépare ça. En tout cas, on avait la question : Est-ce que vous comprenez que le devoir de réserve est inclus dans la neutralité? C'est pour ça qu'on s'adresse, dans le fond, à vous pour le préciser, parce que, pour nous, c'était important que le devoir de réserve soit respecté, évidemment, de la part de notre personnel. On est avec une clientèle jeune, il ne faut jamais l'oublier.

Mme Vallée : Donc, le fait de prévoir l'obligation... En fait, ce que je comprends, c'est que le libellé de l'article 4, pour vous, ne serait pas suffisamment fort et n'engloberait pas, à vos yeux, le devoir de réserve.

Mme Bouchard (Josée) : ...comme ça qu'on le comprenait.

Mme Vallée : Selon votre interprétation.

Mme Bouchard (Josée) : Oui.

Mme Vallée : D'accord. Pour ce qui a trait aux demandes d'accommodement, actuellement, vous les traitez de quelle façon, les demandes d'accommodement qui vous sont présentées? Est-ce que les critères, les guides qui sont inclus, qui sont prévus aux articles 10 et suivants sont des critères avec lesquels vous êtes déjà familiers? Est-ce qu'il y a des éléments qui devraient être portés à notre attention quant à la façon dont ces critères sont énumérés et expliqués au projet de loi?

Mme Bouchard (Josée) : Alors, là-dessus, M. le Président, un premier commentaire. Écoutez, pour qu'on puisse travailler, tout le réseau, avec quelque chose, en fait, d'uniforme au départ, hein, dans la procédure comme telle, lorsqu'on veut régler justement une problématique... voilà pourquoi on demande un guide.

Maintenant, oui, effectivement, on règle toutes sortes de situations, puis je demanderais à M. Gauthier, peut-être, de nous donner des exemples de ça.

Le Président (M. Ouellette) : M. Gauthier.

M. Gauthier (Yvan) : Oui. Merci, M. le Président. Effectivement, il n'y a pas de règle, ou de procédurier, ou quelque chose comme ça. Présentement, des demandes d'accommodement, effectivement, il y en a dans le réseau, depuis nombre d'années, qui se sont réglées, je veux dire, au début, au cas par cas, mais maintenant, à l'intérieur des établissements, par les directions, par la commission scolaire, quand ça va jusqu'à la direction, le respect du régime pédagogique demeure la ligne de front. Comment s'assurer, par rapport à la réussite, par rapport au régime pédagogique, que ce qui est demandé ne s'y soustrait pas, comme l'école est laïque, par rapport à l'impact?

Mais des demandes d'accommodement sont là, sont présentes, qu'on soit en formation professionnelle, qu'on soit en formation générale des jeunes, où que ce soit, là. Comme exemples on avait, par exemple, des reports d'examen en fonction d'une fête ou... Le réseau va faire en sorte d'accorder ou non, en fonction de la réalité de l'école, à ce moment-là, et des exigences scolaires qui sont là... Présentement, on est beaucoup centrés sur le régime pédagogique et son application, qui sert de balise. Mais le réseau sent le besoin d'avoir un procédurier, un guide, un guide de pratiques pour ne serait-ce que la direction qui reçoit une demande ou une demande qui est acheminée directement à la commission scolaire, qu'on soit en mesure de baliser le chemin un peu plus pour faciliter le travail de tout le monde.

Mme Bouchard (Josée) : Et, si vous permettez...

Une voix : ...

Mme Bouchard (Josée) : Oui. Merci, M. le Président. J'ajouterais un exemple concernant le personnel. La présidente de la CSDM, par exemple, nous disait récemment que, l'an passé, ils ont eu 500 demandes de membre du personnel pour octroyer des congés de nature religieuse, hein, à caractère religieux. Alors, là aussi, c'est le souci... Je faisais référence à ça tout à l'heure dans mon allocution. Quand M. Gauthier dit : Notre balise, nous autres, là, pour répondre le plus possible aux besoins, c'est le régime pédagogique, bien, c'est aussi à l'intérieur du régime pédagogique, c'est les 180 jours de classe à respecter. Et, comme on le sait, notre calendrier scolaire, oui, est basé sur, hein, nos fêtes religieuses, Noël, Pâques, et tout ça. Mais il reste que ça crée au départ une problématique d'iniquité entre les membres du personnel, vous comprenez, quand on est obligé de les octroyer et que, s'il y en a plusieurs, bien, c'est une question... On a toujours la préoccupation de la stabilité du personnel auprès des élèves, et tout ça. Alors, bien concrètement, là, bien pratiquement, c'est dans ça qu'on navigue.

Une voix : Mme la ministre.

Mme Vallée : Je trouve ça intéressant, parce qu'on nous disait hier qu'il y avait très peu de demandes d'accommodement pour motif religieux et que c'était, somme toute, marginal. Je comprends que ces demandes-là ne sont pas toujours portées à l'attention de la Commission des droits, elles se règlent bien souvent à l'interne. Donc, simplement pour la commission scolaire de Montréal, on parle de 500 demandes?

Mme Bouchard (Josée) : ...

Mme Vallée : Est-ce que vous avez recensé à l'intérieur de votre réseau le nombre de demandes, en tout et partout, qui sont présentées?

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, j'aurais beaucoup aimé répondre à cette question-là, mais la fédération ne fait pas ce type de recensement là. Mais ce dont on peut témoigner... parce que quand même, moi, à parler, bon, avec les présidents, et tout ça, ce que je peux dire, c'est qu'à tous les endroits où on se retrouve chaque fois devant une problématique tout est déployé pour effectivement faire en sorte qu'on puisse régler ça rapidement. Comme je le dis, on a toujours le souci de faire en sorte que l'élève aussi fonctionne, hein, dans un contexte le plus serein possible, là. On a toujours ces valeurs-là, nous autres, derrière chaque décision qu'on porte, puis c'est la même chose lorsqu'on s'adresse au personnel.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Puis ces 500 demandes — et j'entendais l'écho du président — touchent uniquement les membres du personnel, alors on n'est pas non...

Mme Bouchard (Josée) : ...ce n'étaient pas les élèves.

Mme Vallée : C'est ça, là. À ça s'ajoutent les demandes qui ont pu être présentées par des élèves, par leurs parents. Donc, pour vous, l'encadrement ou la mise en place de balises, je comprends que c'est utile pour votre réseau.

Mme Bouchard (Josée) : Bien, comme je vous disais, on y a travaillé, forcément. Il a fallu le faire parce que les situations se présentaient. Je le rappelle, comme le disait M. Gauthier, notre balise, aussi, principale, c'est le régime pédagogique. On a une obligation, on a une responsabilité, on a des comptes à rendre aussi, comme commissions scolaires. Alors, c'est ça. Mais effectivement c'est pour ça qu'on demande à ce que les choses soient plus balisées.

Puis on est en accord avec les principes qui sont vraiment évoqués, donc, dans le projet de loi, mais on dit que, bien, peut-être qu'en parallèle à ça un guide serait vraiment très utile dans, comme on dit, la gestion quotidienne des problématiques.

• (12 h 40) •

Le Président (M. Ouellette) : 1 min 30 s.

Mme Vallée : J'étais pour vous demander : Actuellement, comment vous conciliez ces demandes et votre calendrier scolaire? Comment arrivez-vous à trouver cette solution, cette voie de compromis?

Mme Bouchard (Josée) : Je vais demander à M. Gauthier de répondre.

Le Président (M. Ouellette) : Oui. M. Gauthier, pour la dernière minute.

M. Gauthier (Yvan) : Merci, M. le Président. Excusez-moi. En ce qui concerne les élèves, c'est vraiment à la pièce, en lien avec les enseignants. Et je vous dirais qu'au fil des années il y a des attitudes qui ont été faites, ne serait-ce que, si on remonte dans le temps, dans la demande pour... des locaux pour la prière, par exemple, qui ont été demandés. Je prends ça comme exemple.

Bien, souvent, les établissements, avec le conseil étudiant, avec la direction, mettent à la disposition des élèves d'une école un local pour le soin des élèves, mais pour toutes sortes de manifestations et de besoins. Donc, on a répondu par rapport à la tenue vestimentaire aussi. Avec les codes de vie, l'application et, évidemment, la jurisprudence, les choses se sont adaptées, comme tel. Donc, en ce qui concerne les activités mêmes dans l'établissement, je vous dirais que nos directions et le personnel de commission scolaire, en support... et ça va être réglé vraiment du cas par cas, mais avec l'expérience des années précédentes que c'est fait. Par contre, avec le personnel, avec les conventions collectives, qui ne sont pas obligatoirement arrimées avec les besoins de certains milieux, il peut y avoir une problématique dans l'offre même de services. Si on avait trop de personnel... Il y a un point critique de personnel dans un établissement qui, s'ils demandent des congés... ça peut avoir directement un impact sur le service offert aux élèves, en bout de piste, sur la réussite, parce que les 180 jours, si ce n'est pas de l'enseignement... Et je ne dis pas que la suppléance fait en sorte que c'est... on a quand même une présence d'adultes, on a des choses, mais elle n'est pas du même niveau en termes d'apprentissage et de suivi avec les élèves. Et on sait que le suivi avec les élèves dans le quotidien a aussi une importance sur la réussite.

Donc, à ce niveau-là, oui, le travail sur ce qui avait déjà été amorcé en comité avec le ministère serait à poursuivre pour aider le réseau, là, oui.

Le Président (M. Ouellette) : Puisque c'était une question conjointe, je vous ai laissé finir votre réponse. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Mme la présidente, Mme Bouchard. Bonjour, MM. Gauthier, Guimont. Oui, effectivement, j'avais la même question que la ministre. J'avais été éveillée par votre commentaire sur les 180 jours de classe prévus au régime pédagogique, alors, effectivement, j'avais un peu la même interrogation.

Je vais aborder aussi quelques autres sujets que la ministre a abordés, mais un l'a été très peu : la référence au droit à l'égalité entre les hommes et les femmes. Vous en parlez en page 13 de votre mémoire. Vous dites bien : «...il semble important de réaffirmer de façon particulière que le respect de l'égalité hommes-femmes est une valeur qui ne fait plus l'objet de débat au Québec et qui doit être respectée en toutes circonstances.» Ce sont des mots forts. On a des débats de juristes ici qui viennent nous dire : Bon, tu ne peux pas hiérarchiser un droit. Mais, dans la vraie vie, on sait qu'on a beaucoup de difficultés, au Québec, quand l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas respectée. Vous dites : «... doit être respectée en toutes circonstances.»

Est-ce que vous avez des exemples où vous sentez que ce droit à l'égalité est touché? Qu'est-ce qui fait que vous avez écrit, particulièrement, cette phrase-là? Et la sous-question qu'il va y avoir derrière, c'est : Comment on pourrait amender le projet de loi? Où est-ce qu'on pourrait inscrire cette valeur si importante?

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, d'abord, c'est une valeur que porte notre réseau, hein, je dirais que ça fait partie de nos valeurs, l'égalité entre les hommes et les femmes.

Puis, comme on dit, sur le terrain, le premier exemple qui me vient en tête, c'est évidemment la fameuse situation où on a, dans un établissement scolaire, du personnel féminin, juste du féminin... ou une direction féminine puis avec l'enseignante qui ont à régler une situation par rapport à un élève et où, par exemple, le père, guidé par évidemment les principes de sa religion, bien, refuse de rencontrer du personnel féminin. Alors, ça, je dirais que c'est un type de situation, là, qu'on a vécu sur le terrain et où on a finalement réussi à régler ça en négociant avec d'autres personnes qui peuvent éventuellement remplacer... qui peuvent être, oui, un membre du personnel masculin, parce qu'on veut accommoder, parce qu'on veut régler mais parce qu'il n'y a rien, dans la loi, qui nous dit le contraire non plus. Mais aussi ça peut aller jusqu'à, je vais vous dire, une direction qui peut contacter l'imam aussi de la communauté, puis passer par l'imam qui va parler aussi au père de famille puis qui va peut-être dénouer la situation. On vit des choses comme ça.

Maintenant, pour l'autre partie de la question, M. le Président, concernant, là, l'amendement possible, je demanderais à notre juriste de la fédération peut-être de proposer quelque chose s'il a une proposition, si vous le permettez, bien sûr.

Le Président (M. Merlini) : Tout à fait. Allez-y, Me Guimont.

M. Guimont (Alain) : Écoutez, sans faire un débat de juristes — l'intervenant qui nous a précédés avait des connaissances que je n'ai pas, connaissances approfondies en matière constitutionnelle — en ce qui nous concerne, à la fédération et le réseau scolaire, le projet de loi est un pas dans la bonne direction en ce sens que l'article 10 du projet de loi consacre le principe qu'un accommodement doit se faire dans le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes. Et, pour nous, c'est un pas dans la bonne direction. Alors, je le répète, sans faire un débat de juristes, pour nous...

Mme Maltais : Est-ce que, pour vous, cela vous éviterait d'avoir à remplacer du personnel féminin? Est-ce que vous considérez que la direction d'école qui lit ça se sentirait autorisée à dire aux parents : Écoutez, la personne qui connaît le mieux votre enfant, c'est la professeure, et c'est elle que vous devez rencontrer? Est-ce que ça pourrait dégager ça, la façon dont c'est libellé, à votre avis, là, quand les gens vont lire ça?

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, je vais demander, peut-être, à M. Gauthier de répondre à la question.

Le Président (M. Merlini) : M. Gauthier.

M. Gauthier (Yvan) : Merci, M. le Président. Oui, Mme Maltais. Effectivement, dans un établissement, les personnes les plus proches par rapport aux apprentissages d'un enfant, bien, c'est le personnel de l'établissement, c'est l'enseignante, c'est la direction d'établissement, qui peut être une directrice, effectivement, ou... vice-versa, et par rapport à toutes sortes de situations. Et, qu'on soit une femme ou un homme dans un établissement, on a un statut d'enseignant ou de direction, on porte le même statut, on a une convention semblable. Est-ce qu'on peut le traiter aussi? Assurément, si c'est possible dans l'établissement, si d'autres personnes connaissent l'enfant. Mais jusqu'où on va aller par rapport à ce besoin-là de... Si on priorise l'enfant, si on priorise sa réussite, on va être le plus près de lui et on va utiliser les gens qui ont les compétences reconnues et dans un sens d'égalité entre elles aussi.

Mme Maltais : Donc, pour vous, ce n'est pas encore clair que vous pourriez vous asseoir sur cette loi pour dire : Non, non, non, il faut que vous rencontriez le parent, quitte à passer par l'imam. Je n'ai rien contre, là, de passer par quelqu'un pour essayer de convaincre le parent. Ça, je comprends, là. Mais, pour vous, ce n'est pas assez clair pour donner une assise solide, pour dire : Non, non, pour le bien de l'enfant, il faut que ce soient l'enseignant et l'enseignante qui rencontrent le parent.

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, en fait, ce que dit essentiellement notre mémoire, c'est que, sur les principes qui sont évoqués, en fait, défendus dans ce projet de loi là, on est tout à fait en accord, mais qu'il y a effectivement des zones où on n'est pas capables de répondre concrètement à qu'est-ce que... bien, qu'est-ce que ça pourrait donner sur le terrain. C'est vraiment le centre, je pense, de notre message, oui.

Mme Maltais : Je comprends. Parfait. Bien, je vois bien la difficulté de dire oui ou non. Je ne voulais pas vous coincer, c'est plus parce que c'est justement le genre de choses où peut-être on... le genre d'article qu'on peut peut-être améliorer pour donner de la force à ce débat sur l'égalité hommes-femmes.

Vous avez parlé du devoir de réserve. Effectivement, dans le projet de loi n° 60, on faisait une différence avec le projet de loi n° 62, qu'on a aujourd'hui. Dans le projet de loi n° 62, qu'on a aujourd'hui, on dit : «Un membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de neutralité religieuse dans l'exercice de ses fonctions.» C'est tel quel que le projet de loi qu'il y avait à l'époque, ce qu'on a appelé la charte des valeurs. Mais ensuite, maintenant, aujourd'hui, on dit : «...doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion.» Pour moi, c'est un peu... et pour du monde qui sont venus nous dire : C'est un peu l'explication de qu'est-ce qu'une neutralité religieuse. Mais vous ajoutez quelque chose, vous dites qu'on devrait revenir peut-être... je dis «peut-être» parce que ce n'est peut-être pas ce que vous avez voulu dire, je veux dire, là, mais on devrait revenir à l'article 4, qui disait : Un membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de réserve en ce qui a trait à l'expression de ses croyances religieuses dans l'exercice des ses fonctions, devoir de réserve, preuve de réserve n'étant pas un avis sur soit une religion soit un vêtement, mais bien sur une attitude. C'est bien ce que je comprends.

• (12 h 50) •

Mme Bouchard (Josée) : Oui, une attitude, une croyance. Prenons un enseignant qui commenterait, je ne sais pas, l'histoire, je ne sais pas, de... une partie d'histoire d'un pays ou même de notre pays mais à la lumière, lui, du regard, je dirais, de... il porterait un regard là-dessus à travers ses commentaires mais basé sur, évidemment, sa propre histoire ou ses propres croyances. Évidemment que ça serait inacceptable. En fait, profitons d'un projet de loi pour bien baliser les choses, hein, pour prévenir plutôt que guérir, avoir des problématiques qui pourraient arriver par la suite. C'est vraiment dans cet esprit-là qu'on évoquait ça.

Mme Maltais : Donc, ça pourrait vous aider à gérer les situations que vous vivez actuellement...

Mme Bouchard (Josée) : Oui, gérer ou...

Mme Maltais : ...de demandes d'accommodement ou de compréhension mutuelle des cultures.

Mme Bouchard (Josée) : Absolument. Et, M. le Président, dans le fond, ce n'est peut-être pas juste gérer, mais aussi, dans le fond, bien expliquer au départ. Parce qu'on disait : Ce serait important qu'on prévoie aussi qu'à l'arrivée, par exemple, d'immigrants, et tout ça, de... bien, c'est ça, de nouveaux membres du personnel, qu'on puisse bien expliquer, à la lumière évidemment de ce qui est contenu dans ce projet de loi là, mais à la lumière du respect, comme on dit, des droits de chacun... Bien, c'est une occasion, avant même qu'il se passe quelque chose, qu'on puisse expliquer comment ça fonctionne ici, tout simplement.

Le Président (M. Merlini) : Ça termine ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On passe maintenant au deuxième groupe d'opposition. Et, M. le député de Borduas, pour votre temps d'échange avec nos invités.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme Bouchard, M. Gauthier, Me Guimont, bonjour. Merci pour votre contribution aux travaux de la commission. Je vous remercie, parce que vous nous livrez concrètement ce qui se passe directement sur le terrain, les enseignants, les directions d'école qui vivent au jour le jour ces réalités-là, des réalités de conjuguer la religion avec le programme éducatif. Puis la mission, dans le fond, que vous avez, puis que les enseignants ont, puis que les directions d'école ont, c'est la réussite éducative des enfants. Puis c'est la priorité. Puis le collègue de la ministre dit : Nous, notre priorité, c'est la réussite éducative, on ne veut plus aller jouer dans l'organisation des commissions scolaires, tout ça, on est passé à la réussite éducative. C'est un choix gouvernemental, puis on appuie le fait qu'il y ait une réussite éducative.

Ceci étant dit, ce que vous avez dit, Mme Bouchard, tout à l'heure, moi, ça me choque profondément lorsqu'on dit qu'actuellement il y a des individus qui refusent de parler avec l'enseignante ou avec la directrice d'école par rapport à leur enfant, par rapport à la réussite éducative de leur enfant. Puis on se retrouve dans cette situation-là, parce que, puis, je pense, vous l'avez bien dit, on n'a pas de balise... ou on ne supporte pas les commissions scolaires ou on ne supporte pas les établissements d'enseignement, on ne supporte pas les enseignants. Et, tout à l'heure, vous avez dit : Bien, on aimerait ça avoir des balises claires dans l'application, mais surtout d'avoir une règle qui va faire en sorte que l'égalité entre les hommes puis les femmes, ça va être élevé au rang de principe non négociable.

Puis là, je termine mon préambule puis j'arrive avec ma question, vous dites en conclusion de votre mémoire, à la page 15 : «Cependant, il serait important que cette loi, une fois adoptée, soit présentée et expliquée aux nouveaux arrivants et aux futurs immigrants afin d'en assurer l'application, dans le respect des droits de chacun.»

Donc, pour y arriver, à cet objectif-là, on devrait bonifier la législation puis mettre plus de balises notamment sur la hiérarchisation des droits?

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président, en fait, je pense qu'effectivement on a été assez clair, on a besoin le plus possible d'un guide qui détermine des balises, qui détermine, je dirais, aussi... bien, qui, par des exemples aussi... Il n'y a rien de mieux que des exemples concrets, on le voit aujourd'hui, pour bien illustrer une situation. Mais de là l'importance d'effectivement se donner des balises maintenant, de toujours être respectueux des chartes aussi, évidemment, parce que les chartes nous guident aussi. On est conscient de ça. Elles font jurisprudence aussi dans notre réseau. Pensons juste, en fait, au cas du kirpan, où, effectivement, on a trouvé l'accommodement final.

Mais il reste que, comme je le disais tout à l'heure, cette étape préalable, effectivement, en fait, de faire en sorte que les gens, quand ils arrivent, s'intègrent en connaissance de cause puis qu'ils soient informés, je pense que c'est une démarche tout à fait louable. Dans une démocratie comme la nôtre, bien, elle est tout à fait souhaitable.

M. Jolin-Barrette : Mais supposons qu'on prend la grille d'analyse uniquement, là, pour le personnel enseignant puis le personnel administratif, on ne touche pas aux enfants, aux élèves. Tantôt, on parlait du calendrier scolaire. Présentement, il y a des iniquités entre les individus. Vous avez dit tout à l'heure : On a un calendrier où on fête Noël, Pâques, tout ça, calendrier peut-être religieux. Moi, je vous dirais, maintenant, moi, je le considère comme un calendrier patrimonial, si on pouvait reprendre... puis, dans le fond, je ne pense pas que les gens le voient comme les fêtes religieuses, mais plutôt : Ça fait des années que c'est comme ça, puis c'est comme ça, puis c'est l'organisation de la société.

Mais là on se retrouve dans une situation où il y a iniquité. Est-ce qu'on ne devrait pas dire, comme société : Bien, le calendrier scolaire, c'est ça, et c'est le mode d'organisation que la société québécoise a choisi...

Mme Bouchard (Josée) : M. le Président...

M. Jolin-Barrette : ...dans le cadre de viser l'objectif de la réussite éducative pour la stabilité des enfants?

Mme Bouchard (Josée) : Oui. Il y a une qui est certaine, M. le Président, écoutez, si la présidente de la CSDM ou, encore une fois, le président de Laval, même, où on a vraiment de plus en plus aussi d'immigrants, et le personnel, évidemment, par la force des choses... cette situation-là, là, du 180 jours respecté puis de répondre, finalement, positivement effectivement à des demandes de congé pour, par exemple, la question du ramadan, ça crée des tensions, je dirais, une iniquité, donc, chez le personnel comme tel, alors qu'on a des conventions collectives à respecter, et tout ça, puis un régime pédagogique. Je sais que ça, ça embête vraiment, donc, les dirigeants des commissions scolaires. Puis ça, c'est une chose qu'il faudrait qui soit réglée éventuellement.

Ce qu'on ne comprend pas — je me permets ce commentaire-là — c'est que, écoutez, au Maghreb, en Tunisie, au Maroc... M. Gauthier a travaillé trois ans au Maroc. On me rapportait que c'est une obligation, pendant le ramadan, d'aller travailler, tu sais, tu ne peux pas demander un congé, ce serait quasiment toute la population qui demanderait un congé. Mais c'est pour vous dire : Pourquoi on a, dans le fond, à vivre ça mais surtout à créer une iniquité? C'est ça qui nous préoccupe. Ce n'est pas la contestation des fêtes religieuses, que ce soit... pas juste chez la communauté maghrébine, mais aussi, par exemple, chez les communautés asiatiques, par exemple, qui ont d'autres jours, aussi, religieux où ils fêtent...

Le Président (M. Merlini) : Mme Bouchard, je dois vous interrompre, malheureusement.

Mme Bouchard (Josée) : Malheureusement.

Le Président (M. Merlini) : M. Gauthier, Me Guimont et Mme Bouchard, représentant la Fédération des commissions scolaires du Québec, merci pour votre contribution aux travaux de la Commission des institutions et au projet de loi n° 62.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, où nous poursuivrons notre mandat. Bon appétit à tous.

(Suspension de la séance à 12 h 58)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Merlini) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande donc à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons cet après-midi les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Nous entendrons cet après-midi les organismes suivants : l'Association canadienne des avocats musulmans, l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité et l'Association féminine d'éducation et d'action sociale.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de nouveau remplacement.

Le Président (M. Merlini) : Il n'y en a pas. Alors, excellent. Alors, nous poursuivons. Je souhaite donc la bienvenue à l'Association canadienne des avocats musulmans, Me Coline Bellefleur. C'est bien ça?

Association canadienne des avocats musulmans (ACAM)

Mme Bellefleur (Coline) : Oui.

Le Président (M. Merlini) : Alors, bienvenue à la Commission des institutions. Vous connaissez un peu nos us et coutumes. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Elle se suivra ensuite d'un échange avec la ministre et les porte-parole des deux partis d'opposition. La parole est à vous, Me Bellefleur.

Mme Bellefleur (Coline) : Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les parlementaires. L'Association canadienne des avocats musulmans vous remercie de lui permettre de vous présenter ses commentaires relatifs au projet de loi n° 62. Je vais rapidement la présenter.

Fondée en 1998, l'Association canadienne des avocats musulmans, l'ACAM, est un organisme national à but non lucratif basé à Toronto qui regroupe des avocates et avocats musulmans de toutes les provinces ainsi que des notaires, étudiants et professeurs oeuvrant dans tous les domaines de droit. L'ACAM compte, à l'heure actuelle, plus de 300 membres, avec des sections provinciales en Ontario et au Québec, cette dernière section ayant été créée en 2014.

La mission de l'ACAM se concentre autour de quatre axes principaux : premièrement, participer à la construction d'un réseau professionnel entre les avocats canadiens musulmans ainsi qu'entre les avocats canadiens musulmans et les membres d'autres organismes juridiques; deuxièmement, l'ACAM offre de l'information juridique à ses membres ainsi qu'aux communautés canadiennes juridiques... aux communautés canadiennes, pardon, en général sur divers sujets de droit dans le cadre de son engagement pour une justice plus accessible; troisièmement, elle propose un soutien professionnel aux étudiants en droit et aux avocats juniors; quatrièmement, l'ACAM oeuvre pour la défense des droits touchant les communautés musulmanes et la société canadienne en général. À cet égard, l'ACAM intervient devant la Cour suprême du Canada. Elle participe également activement aux débats entourant les questions du respect des droits de la personne et la mise en place de législations et politiques publiques en matière de sécurité nationale. L'ACAM a ainsi déposé des mémoires et témoigné devant des comités parlementaires et sénatoriaux chargés d'analyser des questions de sécurité nationale, de droits de la personne et de libertés civiles à de nombreuses occasions depuis 2001.

Je suis devant vous aujourd'hui en tant que présidente de la section du Québec. Mon nom est Coline Bellefleur. Je suis avocate, membre du Barreau du Québec, détentrice d'une maîtrise en droit de la personne avec une spécialisation en droit des minorités de l'Institut des hautes études européennes de Strasbourg. Je pratique personnellement le droit à Montréal, et plus précisément en litige civil, en droit de la famille et en droit de l'immigration. Je suis également régulièrement amenée à conseiller des clients sur des questions de discrimination.

Je passe à présent aux commentaires de l'ACAM sur le projet de loi. L'ACAM soutient l'introduction du concept de neutralité religieuse de l'État dans le corpus législatif québécois tel que défini par la Cour suprême dans la décision Mouvement laïque québécois contre Saguenay, pour rappel, même si vous l'avez déjà entendu plusieurs fois en commission, une neutralité de l'État qui serait assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse. Et, selon cette même définition, la Cour suprême a également précisé qu'un espace public neutre ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs privés qui s'y trouvent, la neutralité étant celle des institutions et de l'État, non celle des individus, ce à quoi nous adhérons pleinement.

Bien que l'ACAM reconnaisse le fait que le projet de loi ne vise pas à empêcher le port de signes religieux dans l'espace public en général, nous sommes cependant d'avis que ce projet de loi représente à plusieurs égards une mauvaise application du principe de neutralité religieuse, à la lumière de la définition du concept que nous venons de citer. Nous y reviendrons.

• (15 h 10) •

De manière plus spécifique, et ce, sans nécessairement reprendre l'intégralité de notre mémoire, l'ACAM est préoccupée par l'étendue apportée par l'article 7 du projet de loi, qui vise à étendre le devoir de neutralité religieuse à des organismes et personnes traditionnellement exclus d'un tel devoir. Le projet de loi tente ainsi d'assujettir des organismes privés au devoir de neutralité religieuse propre à l'État et à ses institutions, ce que nous n'appuyons pas. Par ailleurs, l'ACAM note que cet assujettissement ne serait qu'optionnel, soumis à la discrétion de l'organisme public concerné, selon des balises inconnues et non définies. Or, le devoir de neutralité religieuse, s'il doit être appliqué pour préserver la neutralité religieuse de l'État, ne peut être optionnel. L'inclusion d'un choix possible à cet égard est, selon nous, révélatrice de l'incohérence conceptuelle de l'article 7.

En ce qui concerne l'article 9 du projet de loi, l'ACAM souligne que la mesure proposée constitue en elle-même une possible violation de l'obligation de neutralité religieuse de l'État, puisqu'une telle mesure visera, dans les faits, certaines communautés religieuses en particulier et aura pour effet que l'État s'immisce dans la régulation du mode vestimentaire de certaines femmes musulmanes, pour ne pas les nommer, laissant ainsi ouverte la possibilité qu'un organisme public défavorise une personne en raison de son appartenance à une religion. De manière générale, nous sommes inquiets du glissement juridique proposé par le législateur à l'article 9 du projet de loi et nous sommes d'avis qu'une telle façon de procéder pourrait être inconstitutionnelle au regard du droit canadien notamment en considérant l'absence d'objectifs urgents et réels. L'ACAM s'inquiète également des débordements que l'inversion d'un droit et de son exception est susceptible d'entraîner sur le terrain en termes d'atteinte illégale aux droits fondamentaux des personnes concernées.

Quant au dernier alinéa de l'article 9, il constitue une tentative de codifier un accommodement spécifique et pour l'avenir, alors qu'un accommodement est, par essence, une question factuelle unique à analyser selon un ensemble de circonstances et un contexte qui ne peuvent être discernés ou connus à l'avance. La possibilité d'accommoder vient par ailleurs apporter une conception nouvelle de la notion d'accommodement à cet article, qui semble ici être vue comme une faveur et non comme un droit. Étant donné que le droit actuel permet déjà de répondre adéquatement aux situations qui pourraient être problématiques en termes de sécurité, d'identification et de respect des droits d'autrui face au sentiment d'obligation religieuse d'une personne de se couvrir le visage, l'ACAM estime qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur cette question.

En ce qui concerne plus précisément la section sur les accommodements religieux, l'ACAM est, de manière générale, en désaccord avec la proposition d'encadrer les demandes d'accommodements religieux selon des principes distincts des demandes d'accommodement qui seraient faites sur la base d'autres motifs de discrimination, créant ainsi une dichotomie dans l'application du droit à égalité. L'ACAM est par ailleurs d'avis que le présent projet de loi a pour effet d'introduire un flou dans des concepts déjà bien établis par la jurisprudence et de dénaturer la notion d'accommodement qui prévaut depuis de nombreuses années et qui a été élaborée par nos tribunaux afin de pallier certaines inégalités. Nous rappelons à cet égard que le concept même d'accommodement découle directement des articles des chartes qui garantissent le droit à l'égalité. L'accommodement raisonnable est un droit, non une faveur ou un privilège.

L'ACAM est d'avis que les paragraphes 2° et 3° de l'article 10 du projet de loi vont à l'encontre du droit à l'égalité en conditionnant la demande d'accommodement au respect du droit à l'égalité entre les hommes et les femmes, ce qui a pour effet de créer une hiérarchie des droits fondamentaux individuels contre laquelle les tribunaux et la doctrine se sont positionnés à plusieurs reprises. Quant au troisième paragraphe de l'article 10, soit le fait que le membre du personnel doive s'assurer que l'accommodement religieux demandé ne compromet pas le principe de la neutralité religieuse de l'État, l'ACAM s'inquiète de voir ici le concept d'accommodement raisonnable présenté comme pouvant entrer en conflit avec la neutralité religieuse de l'État. Or, un accommodement pour motif religieux considéré comme raisonnable selon les critères déjà existants est en soi une mesure d'égalité qui doit par ailleurs être prise en fonction de la croyance sincère d'un individu, et non de sa validité. Dans les circonstances, nous ne voyons pas l'utilité d'ajouter le critère de la neutralité religieuse de l'État dans l'analyse d'une demande d'accommodement, car, sans rien apporter d'utile, cet ajout pourrait, au contraire, causer des incompréhensions pour les gestionnaires chargés de prendre des décisions, et entraînant des effets préjudiciables importants pour les droits des personnes concernées.

Au sujet de l'article 11, nous constatons que plusieurs éléments indiqués dans l'article reprennent ceux de la jurisprudence, mais nous nous inquiétons de voir apparaître la notion d'équité au regard des autres membres du personnel comme condition d'octroi d'un accommodement en milieu de travail et nous nous interrogeons sur l'intention du législateur à ce sujet. Soumettre une mesure d'équité, l'accommodement, au concept d'équité lui-même représente, en effet, un paradoxe susceptible d'engendrer des conséquences indésirables.

Pour terminer, je tiens à mentionner que nous sommes sensibles aux difficultés d'application ressenties sur le terrain et exprimées par certains acteurs. Pour l'ACAM, cependant, ces difficultés ne sont pas liées à des lacunes qui seraient inhérentes aux critères applicables, mais plutôt à un manque de connaissances et de formation quant à ces critères et à leur possible traduction concrète en pratique. En ce sens, nous sommes favorables à l'élaboration de guides additionnels, si cela peut aider, de la mise en place de services-conseils additionnels, etc. — nous pourrons y revenir dans la discussion — tout en rappelant, cependant, et c'est un point extrêmement important sur lequel nous insistons, que la clé du succès de la mise en place d'accommodements respectueux des droits de tous se situe dans le dialogue et le respect et non dans l'application d'une formule rigide toute faite, encore moins dans la confrontation.

La collaboration de toutes les parties en cause à la recherche d'une solution est essentielle, et pas seulement celle de la personne qui demande un accommodement, mais également celle de la personne qui va devoir l'analyser, contrairement à ce que le projet de loi semble présenter en mentionnant l'obligation de collaboration pour la personne qui demande l'accommodement uniquement. Je vous remercie pour votre attention.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Bellefleur. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, Me Bellefleur. Merci de votre présentation. C'est vraiment fascinant de constater, dans le contexte — et, le commentaire, je le fais suite à votre présentation, mais c'est aussi suite à plus d'une semaine de consultation, une semaine et demie de consultation — c'est vraiment fascinant de constater à quel point il existe des différences d'interprétation du projet de loi selon les intervenants qui se présentent devant nous.

Pour certains, le projet de loi est trop frileux, ne va pas suffisamment loin, n'encadre pas suffisamment certains éléments et, pour d'autres groupes, il va trop loin. Et c'est certain que, pour le gouvernement, ce n'est pas toujours simple d'arriver à faire ces arbitrages-là entre ce que différents groupes demandent, mais je pense qu'en fait on a présenté le projet de loi n° 62 comme étant, on l'espérait, un équilibre entre toutes ces demandes.

Vous, vous mentionnez qu'il y a potentiellement dans le projet de loi ou, à vos yeux, une forme de hiérarchisation des droits. D'autres l'ont également mentionné. Notamment, la commission des droits de la personne et de la jeunesse, hier, a fait part de cette lecture du projet de loi là. Par contre, pour nous, et comme pour d'autres, il n'y a pas de hiérarchisation des droits, c'est un projet de loi qui respecte des principes qui, à l'intérieur de notre société, je crois, font consensus, c'est-à-dire, dans un premier temps, l'égalité entre les hommes et les femmes. Ce matin, on a avait une discussion intéressante, par contre, sur la valeur de l'égalité, parce que cette égalité-là, pour certains, devait s'étendre non seulement à l'égalité hommes-femmes, mais l'égalité de l'individu en tant que tout, donc la diversité sexuelle y était également incluse. Puis j'ai trouvé intéressante cette approche de Me Lampron, qui, tout comme vous, est un expert des droits individuels, des libertés individuelles et des droits et libertés. Alors, c'est vraiment fascinant de constater à quel point des juristes qui ont une formation commune vont interpréter ce projet de loi.

Et vous craignez qu'il y ait, dans le projet de loi, une forme de hiérarchisation des droits. Je vous réfère au préambule de la charte québécoise. Je vous réfère aux articles de la Charte canadienne qui font référence au principe d'égalité entre les hommes et les femmes, c'est-à-dire qu'il s'agit, dans notre société, d'un principe de base sur lequel on s'entend. Malgré toutes les différences qu'on peut avoir en cette Assemblée, malgré toutes les perceptions que nous pouvons avoir ou notre vision de la société, je pense qu'il y a un point commun qui vient nous unir, du moins, c'est cette importance de n'accorder à l'égalité hommes-femmes aucune modification, aucun amendement, aucun accommodement, dans ce sens que l'égalité hommes-femmes est un principe de base et on ne devrait pas y porter atteinte d'aucune façon.

J'aimerais vous entendre sur cette question-là, parce que c'est très important. Vous avez fait des représentations. Vous avez présenté un mémoire qui aborde des questions très importantes également. D'autres personnes l'ont vu autrement. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus, sur la place ou l'importance accordées à l'égalité hommes-femmes et à l'égalité entre les individus.

• (15 h 20) •

Mme Bellefleur (Coline) : Parfait. N'ayant pas écouté la présentation de Me Lampron, puisqu'elle a eu lieu ce matin, je vais m'abstenir de commenter précisément sur ses commentaires, sur ce qu'il a pu vous transmettre.

En ce qui concerne la présence de l'égalité hommes-femmes dans le préambule, ce que l'ACAM est en train de dire, ce n'est absolument pas que c'est un droit qui n'a aucune pertinence, qui n'a aucune valeur. Ce qu'on dit, c'est que tous les droits ont une importance équivalente. L'égalité hommes-femmes, dans ses interactions avec les mesures proposées dans le projet de loi, sera soit un droit concurrent, éventuellement, si on parle d'une discrimination fondée sur le sexe peut-être versus sur la liberté de religion, ou un objectif légitime qui vous permettrait d'aller porter atteinte à d'autres droits, de limiter certains autres droits. C'est tout à fait correct de limiter des droits en considération d'autres droits dans certaines circonstances. C'est exactement ça que la jurisprudence et le droit canadien reconnaissent. Le problème, c'est lorsque l'on détermine à l'avance et pour toutes sortes de situations qu'un droit aura toujours primauté sur l'autre droit. Et c'est ce qui se passe ici si on soumet les demandes d'accommodement raisonnable à cet élément-là.

Maintenant, dans des circonstances spécifiques, lorsqu'on aura à analyser des demandes d'accommodement qui pourraient, par exemple, porter atteinte à la dignité d'une personne, vous parliez... Alors, j'extrapole un petit peu, parce que je ne sais pas ce qu'a dit Me Lampron, mais vous parliez de la question des homosexuels. Si une personne, en invoquant son droit à liberté de religion, refuse de se faire servir par un une personne homosexuelle, par exemple, il se pourrait fortement que ça ne soit pas... il pourrait être quasiment certain même que ça ne soit pas un accommodement qui puisse être accordé. Pourquoi? Parce qu'en face on a une atteinte à la dignité de la personne. On a une balance inconvénient pour la société et vis-à-vis des droits individuels qui sera trop grande. C'est vraiment une question de cas par cas. Et, quand on s'oppose à la question de l'égalité hommes-femmes comme une mesure qui viendrait supplanter toutes les autres, c'est parce qu'il n'est pas possible de dire à l'avance que ça sera la solution la plus juste et la plus équitable dans toutes les situations.

Donc, oui pour l'égalité hommes-femmes comme un droit reconnu qui pourra venir limiter certains autres droits dans certains cas, oui pour l'égalité hommes-femmes comme un objectif légitime qui vous permet de prendre des mesures législatives qui viennent raisonnablement porter atteinte à ce droit, mais là il faudra encore passer les autres critères du test de constitutionnalité, et, selon nous, le bât blesse à ce niveau-là également, mais non pour décréter qu'un droit est plus important ou plus fort que les autres.

Mme Vallée : Pour la question de la prestation de services, de la réception de services à visage découvert, nous avons reçu, la semaine dernière, la fédération des établissements privés. Et la fédération regroupe un peu plus de 190 établissements d'enseignement privés — certains sont laïques, d'autres sont religieux — et nous disait que même les établissements de confession musulmane membres de la fédération prônaient déjà, au sein de leurs établissements, auprès des membres de leurs personnels puis de leurs élèves, cette obligation d'être à visage découvert lors de la prestation et de la réception de services.

Est-ce que vous étiez au fait de cette position de la fédération et des membres de la fédération? Parce qu'il semble... puis je me suis exprimée sur cette question-là un petit peu plus tôt ce matin, mais la prestation de services à visage découvert, pour nous, dans une société libre et démocratique, c'est important. Comme un collègue dirait, c'est important de se connaître pour se reconnaître, c'est important d'échanger, de communiquer pour assurer un vivre-ensemble, pour assurer, au sein de la société, une saine cohésion. Est-ce que ce n'est pas important justement de pouvoir assurer, au sein de la société, une communication, un échange entre les différents intervenants qui permettra de s'identifier, d'échanger, de communiquer entre nous? Est-ce que ce n'est pas un élément important dans une société comme la société québécoise?

Et, dans un autre ordre, les établissements d'enseignement, les centres de la petite enfance nous disaient : Pour nous, il est essentiel d'avoir la prestation de services à visage découvert, puisque la communication, surtout avec les tout-petits, la communication non verbale, elle passe beaucoup par l'expression du visage, elle se passe beaucoup par le sourire, le regard, et donc c'est une partie essentielle même de l'enseignement, de l'accompagnement d'un jeune à travers son apprentissage.

Le Président (M. Ouellette) : ...Bellefleur.

Mme Bellefleur (Coline) : Concernant la première question, sur le fait que, selon la fédération des établissements privés, il y a des règlements qui impliquent que la prestation doit être faite à visage découvert, je ne sais pas si ça s'applique en totalité pour tous les établissements musulmans.

J'ai effectivement également écouté la prestation de la fédération. Je comprends que ce type d'élément ou de déclaration vous rassure quant à la position et au climat politiques par rapport aux mesures que vous prenez. D'un point de vue juridique, le fait qu'il y ait une mesure comme ça, qui par ailleurs n'a jamais été contestée, cette mesure pourrait être déclarée inconstitutionnelle, peut-être, si quelqu'un décidait de la contester... contraire aux chartes. Excusez-moi. Si on a un consensus de la majorité, qui décide que, oui, c'est correct d'exiger le visage découvert, cela ne veut pas dire que ça respecte les droits fondamentaux. On pourra toujours avoir un consensus de la majorité pour ce qui concerne une minorité. On pourra toujours avoir un consensus de la majorité pour des éléments, des personnes qui pourraient être concernés dans l'avenir. Ce n'est pas un critère. Ce n'est pas suffisant pour permettre à une mesure législative de remplir le test constitutionnel. C'est en ce sens que tous les arguments qui entourent la question du consensus sont un petit peu dérangeants, pour nous, parce qu'au-delà du consensus qu'il pourrait y avoir entre certaines personnes cela n'a pas d'impact sur la constitutionnalité d'une mesure. Et ce qui importe, au-delà du consensus, c'est la préservation des droits fondamentaux des personnes concernées, qui, en l'occurrence, sont tellement peu nombreuses, voire inexistantes, pour certains cas, qu'il est important que les droits et les chartes protègent ces droits-là.

Mme Vallée : Également, dans votre mémoire, vous indiquez que, par l'encadrement des demandes d'accommodements religieux, le projet de loi vient introduire un flou dans des concepts qui sont déjà établis par la jurisprudence.

J'aimerais vous entendre, parce qu'on a entendu également de la part des groupes que cet encadrement-là, ces balises-là étaient importants pour les gestionnaires, pour ceux et celles qui recevaient, au quotidien, des demandes d'accommodement, parce que, et on l'a entendu, nos enseignants, nos gestionnaires ne sont pas des juristes, ils ne sont pas familiers avec les décisions de la Cour suprême, avec les décisions des tribunaux des droits de la personne. Nos gestionnaires ont besoin de repères, et, à défaut de repères, bien, c'est ce qui amène éventuellement une judiciarisation des dossiers où on a pu trouver ce terrain d'entente, ce juste équilibre entre la demande qui est formulée et la réalité vécue par l'employeur ou par le gestionnaire. Donc, j'aimerais que vous précisiez cette question du flou, puisque, pour bien des organismes, il est nécessaire de venir donner ces grandes lignes directrices et donner des guides.

D'ailleurs, pas plus tard qu'en septembre dernier, je pense, c'était la présidente de la commission scolaire de Montréal qui disait : Nous attendons, nous avons besoin de guides, nous avons besoin de directives, puisqu'il est difficile pour les gestionnaires de répondre aux demandes qui nous sont formulées. Et puis ce matin on apprenait que la commission scolaire avait reçu, dans la dernière année, de la part de ses employés plus de 500 demandes qui ont été traitées.

On ne dit pas qu'il s'agissait de 500 demandes problématiques, mais il y a quand même un volume important de demandes, et, pour certains, la mise en place de lignes directrices est très importante pour éviter des malentendus, pour éviter des interprétations erronées et éviter des judiciarisations qui ne sont pas nécessaires.

• (15 h 30) •

Mme Bellefleur (Coline) : Alors, sur le fait d'introduire des critères et des balises, ce n'est pas ça qui pose problème. Si le législateur décide de codifier des critères qui existaient dans la jurisprudence, c'est son droit le plus strict. Notre souci, c'est que le législateur ajoute des nouveaux critères et change, de ce fait, la structure même du raisonnement qui sous-tend les accommodements. Ça, c'est le premier point.

Maintenant, concernant les manques de repères, je voudrais premièrement souligner que plusieurs groupes ne se sont pas présentés en commission parlementaire pour ce projet de loi là, alors qu'ils avaient déjà eu l'occasion de se prononcer sur des dispositions similaires et notamment dénoncé qu'ils n'avaient pas vraiment de problème de demande d'accommodement. La commission scolaire anglophone est également venue vous dire qu'elle n'avait pas de problème concernant les demandes d'accommodement qui pouvaient lui être faites. Donc, à nuancer simplement par rapport aux soucis que ça pourrait entraîner sur le terrain.

Ceci étant dit, je n'ai aucune raison de remettre en question ce que disent d'autres gestionnaires et d'autres représentants, mon point étant que la question qui pose problème ici, c'est le manque de connaissances et le manque de formation des accommodements. Lorsque j'entends des représentants venir ici dire qu'il faudrait s'assurer qu'une demande d'accommodement se fasse à coût zéro, qu'elle se fasse sans compromis aucun de l'employeur, lorsque j'entends des représentants d'organisme venir dire ici qu'il faudrait des balises pour permettre de déterminer la validité de telle ou telle croyance en fonction d'une religion, le message que ça m'envoie, c'est qu'il y a un problème de compréhension du concept même de l'accommodement. Donc, le mot d'ordre et la solution, c'est la formation, le soutien, le conseil, la mise en place de services d'aide pour ces personnes.

Et également, concernant la notion même d'accommodement, je voudrais souligner que plusieurs organismes laissent transparaître un désaccord avec le mécanisme d'accommodement tel qu'il existe aujourd'hui. Alors, il y a aussi une différence à faire entre : Je ne comprends pas ou j'ai du mal, de bonne foi, à appliquer ces accommodements, parce que je suis mis en face de situations délicates, et je ne suis pas d'accord avec les critères des accommodements qui existent, ils m'irritent, et je n'ai pas vraiment, au fond de moi, envie de les appliquer ou de faire un effort pour les appliquer. Deux cas de figure différents qui seront résolus, l'un et l'autre, par les questions de sensibilisation et de formation des acteurs sur le terrain.

Concernant le risque de judiciarisation, la Commission des droits de la personne a un service-conseil, et puis j'ai consulté le rapport d'activité 2015‑2016. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'en parler avec la commission elle-même. Le service-conseil a reçu, entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016, 20 demandes pour des questions d'accommodements religieux, qui concernent 22 % des demandes d'accommodement au total, donc très peu tant en nombre qu'en termes de pourcentage. Et puis, en ce qui concerne les plaintes pour motif de religion, on a 3 % des plaintes totales qui concernent cet élément, incluant là-dedans les demandes d'accommodement. Dans le milieu du travail, on est rendu à 2 % des plaintes. Que ce soient les demandes de conseil qui sont faites au service-conseil ou les plaintes en tant que telles, il y a une baisse constante depuis 2013, une baisse constante depuis 2013.

Alors, au-delà des impressions, des sentiments que l'on a, qui peuvent être exaltés par un certain contexte, je pense qu'il est toujours très important de revenir aux faits, revenir aux chiffres, ne pas nier les difficultés qui peuvent avoir lieu pour certains points et aussi garder en tête que l'accommodement raisonnable, ce n'est pas une formule toute faite, ce n'est pas quelque chose qu'on pourra régler avec une check-list, si vous permettez l'expression, et avoir une solution toute faite. On parle de droits fondamentaux, on parle de questions sensibles. Donc, oui, il faut s'asseoir, il faut prendre le temps de réfléchir, il faut prendre le temps de consulter, si nécessaire, pour prendre une bonne décision. Je ne dis pas que ce sont toutes des décisions rapides à prendre ou extrêmement faciles à prendre, mais ce que je dis, c'est que nous avons les éléments, nous avons les outils, et il nous manque juste d'ajouter la connaissance, la formation et la collaboration de tout le monde pour que le système actuel fonctionne mieux.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : ...M. le Président. Bonjour, Me Bellefleur. Bienvenue. Je pense que vous étiez venue au projet de loi n° 59. C'est vous, hein? C'est ça, oui. Bienvenue.

Je lisais votre mémoire et j'étais un peu perplexe. Je vais vous dire pourquoi. Puis je suis sûre que vous allez pouvoir mieux me l'expliquer. Vous êtes d'accord avec le principe de la neutralité religieuse. Vous le dites d'ailleurs en conclusion : On est d'accord avec l'introduction de la neutralité religieuse. Mais je regarde les articles avec lesquels vous êtes d'accord et ceux avec lesquels vous n'êtes pas d'accord, vous nous mettez en garde, et j'ai l'impression qu'on accueille la neutralité religieuse de l'État et le devoir des fonctionnaires d'être neutres mais qu'ensuite, quand on fait la mise en opération du service à visage découvert — accommodement religieux, patrimoine culturel — vous êtes contre. C'est comme si le principe allait exister mais que, l'opération, la mise en oeuvre de cela, vous êtes contre. C'est parce que ça ne marche... à mon avis. J'ai un peu de difficultés à concilier ça.

Mme Bellefleur (Coline) : Alors, au fait, ma question de réflexion, évidemment, vous n'êtes pas obligée d'y répondre : Quel est le lien entre le fait d'interdire à un fonctionnaire de se couvrir le visage et la neutralité religieuse? Quel est le lien réel, au-delà du rapprochement thématique «on parle de religion ici, on parle de religion ici»? Ce qui importe, c'est que le fonctionnaire ne favorise pas ou ne défavorise pas une personne lorsqu'elle rend un service. Le fait d'avoir un élément qui identifie une personne à une religion ne dit rien sur les opinions de cette personne, ne dit rien sur ses positions qu'elle pourrait avoir vis-à-vis du service qu'elle rend... ou qui pourrait influencer son système de valeurs ou l'interaction qu'elle aurait avec le public. En ce sens, c'est déjà un problème.

Concernant l'article 9, nous disons que ça va contre l'obligation de neutralité religieuse de l'État, parce que, même si on ne mentionne pas, à cet article, une religion en particulier, dans les faits, cette mesure vise spécifiquement et uniquement une certaine religion... un certain membre de cette religion, disons, à l'intérieur.

Mme Maltais : ...d'autres personnes qui sont intervenues, qui sont venues, avoir le même commentaire. Toutefois, je le dis sincèrement comme je l'ai dit aux autres personnes, c'est assez difficile de comprendre qu'un fonctionnaire de l'État ne donne pas un service à visage découvert.

Ceci dit, là, c'est assez difficile à comprendre. Nous, même, l'exception, on ne la voit pas là. Quant aux services demandés, on peut peut-être en parler, mais, aux services donnés, c'est assez difficile de comprendre comment on peut justifier qu'une personne puisse ne pas vouloir avoir le visage découvert pour donner un service. Le visage est un mode de communication, ça fait partie de l'humanité. C'est par le visage que se transmettent les sentiments, les impressions, le refus, le non-verbal. Alors, moi, je n'en vois pas là-dedans, un phénomène religieux, nécessairement, j'y vois plutôt une communication humaine normale.

Est-ce que vous agréez avec moi que, normalement, le visage découvert est une communication humaine normale de la, un peu... certains disent «la base du vivre-ensemble»?

Mme Bellefleur (Coline) : J'attendais, parce que mon petit voyant n'était pas allumé.

Mme Maltais : Oui, oui, oui.

Mme Bellefleur (Coline) : Concernant la question de la communication normale, en fait, peu importe ce que vous et moi pensons, en réalité, dès l'instant que la personne qui décide de se couvrir le visage considère qu'elle le fait pour des motifs religieux et que la croyance sincère existe, c'est sur ce point-là qu'il va falloir débattre, puis ce ne sera pas à l'État, évidemment, de définir : Est-ce que c'est réellement une obligation religieuse ou pas? Évidemment, si on se lançait dans ce type de débat, on serait en plein dans la violation de la neutralité religieuse de l'État. Ce n'est pas à l'État de décider quelle pratique religieuse est valable ou pas selon telle ou telle religion. Donc, le mécanisme, si vous voulez, s'enclenche dès l'instant qu'il y a la croyance sincère, peu importe ce que Coline Bellefleur pense, peu importe ce qu'Agnès Maltais pense.

Également, quand on dit : Il me semble que ça fait du sens, il me semble que ci, il me semble que ça, on ne prend pas en considération le droit individuel qui va être attaqué de l'autre côté, et il faut toujours faire l'analyse avec cette balance-là. Le droit à la liberté de conscience et de religion va être atteint, et ce qu'on dit, c'est qu'une interdiction généralisée, sans prendre en considération des cas particuliers... Je ne dis pas que, dans certains cas, ce ne serait pas justifié. Il faudrait voir selon des faits précis de certains cas, mais une interdiction globale n'est pas justifiée. Le niveau de communication... peut-être qu'on préfère voir si la personne est de bonne humeur ou pas le jour où elle nous parle. Mais, en dehors de ça, il y a la parole, il y a tous les autres aspects du non-verbal qui ne sont pas le visage, il y a le discours, évidemment, le contenu du discours.

On a beaucoup d'éléments qui nous permettent quand même d'interagir. Je ne sais pas, en réalité, si vous avez déjà eu l'occasion d'interagir avec une personne qui se couvre le visage. Vous pourriez vous rendre compte que vous êtes tout à fait capable de la reconnaître, si vous la connaissez, de savoir si elle plaisante, de savoir s'il y a du sarcasme. Donc, il y a aussi une question un petit peu réaliste à envisager ici. Et puis, encore une fois, je ne dis pas que, dans certaines circonstances, ce ne serait pas justifié et légitime, mais généralement non. Et, dans R. contre N.S., là, on parle du niveau de communication requis, on l'analyse en fonction de faits très précis, du droit à l'accusé à un procès équitable. Donc, c'est vraiment quelque chose qui devrait être pris dans un contexte précis, pas dans l'abstrait comme ça : On aimerait bien voir la personne. Ça ne me semble pas juridiquement assez fort comme...

• (15 h 40) •

Mme Maltais : Ce n'est peut-être pas juridiquement fort, mais ce que je comprends, c'est que, pour vous, c'est à la personne, à ce moment-là, qui recevrait le service de faire l'effort de comprendre ce que l'autre fait, puisque le visage est couvert et qu'on n'a pas accès à ce mode de communication qui... Croyez-moi, quand on parle que c'est l'État qui vous représente, je suis incapable de concevoir que la personne qui me donne un service ait le visage voilé. Moi, j'ai beaucoup de difficultés. Peut-être qu'en droit ça existe, mais, à ce moment-là, nous, comme législateurs, on a le droit de changer aussi la Charte des droits et des libertés pour en arriver à mieux se comprendre et à mieux se connaître. Et je pense que, là, on est dans des questions de vivre-ensemble aussi — on n'est pas seulement dans des questions de droit, là — dans des questions de vivre-ensemble.

La question que je me pose aussi, c'est ça... Services à visage découvert, vous avez beaucoup de réticences; accommodements raisonnables, vous avez beaucoup de réticences; patrimoine culturel, beaucoup de réticences. J'ai l'impression qu'il ne reste plus grand-chose de la loi. Vous dites que vous êtes pour la neutralité religieuse mais contre l'opérationnalisation de ce qui est offert dans cette loi-là. Il y a un paragraphe qui m'a vraiment étonnée, c'est que vous dites que — c'est en page 9 — vous vous inquiétez «de voir apparaître la notion d'"équité au regard des autres membres du personnel"». Mais, si ce n'est pas équitable envers les autres membres du personnel, c'est donc inéquitable envers les autres membres du personnel. J'aimerais ça comprendre ce que vous voulez dire, parce que, pour moi, l'accommodement se fait... il y a une intention d'accommodement, mais qu'il y ait un jugement sur l'équité avec les autres membres du personnel me semble tout à fait correct.

Dans cet esprit-là, c'est souvent que le même nombre de jours de congé s'applique, que le même niveau salarial s'applique. C'est dans cet esprit-là. Alors, j'aimerais comprendre à quoi ça s'applique, parce que c'est difficile à comprendre en ce moment.

Mme Bellefleur (Coline) : Je vais clarifier. Notre inquiétude, c'est que ça ne fait tout simplement pas de sens. Si vous prenez l'accommodement raisonnable, nous avons une loi qui est... ou une règle, peu importe, là, si on est dans le domaine privé, qui applique la même règle à tout le monde, donc, en apparence, neutre, en apparence, juste. En fonction des convictions religieuses d'une personne, peut-être que la majorité des gens vont se retrouver là, mais la personne qui a une religion particulière pourrait se retrouver ici. L'accommodement raisonnable vise à remettre cette personne au même niveau que les autres. Partant de là, si ma démarche... alors, effectivement, l'analyse de la raisonnabilité, les critères, ce n'est pas toujours accordé, mais, si ma démarche vise à remettre la personne ici, oui, une demande d'accommodement raisonnable sera toujours équitable envers les autres, elle sera toujours équitable. Mais donc, si on conditionne ça à l'équité, on a l'impression qu'on amène un nouveau critère.

C'est ça, notre point. Comprenez-vous? C'est que, par définition, l'accommodement raisonnable est équitable. Maintenant, l'équité, ça ne veut pas dire «tout le monde pareil», c'est-à-dire que ça ne veut pas dire : Tout le monde aura nécessairement les mêmes jours de congé. Dans la plupart des cas, oui. Dans le secteur privé, c'est très facile pour les gens de prendre des congés sans solde, de prendre leurs jours de vacances qu'ils ont déjà, là, leurs jours de congé pour des fêtes religieuses. Quand on a des conventions collectives qui prévoient une banque de congés personnels, on peut aussi puiser là-dedans. Toutes ces conditions, toutes ces circonstances feront que, normalement, ça ne devrait pas être considéré raisonnable de donner des jours de congé payés en plus.

Maintenant, il reste le cas très précis des métiers qui ont un calendrier très strict. Le calendrier est le même pour tous, mais, par définition, il va couvrir les fêtes religieuses d'une certaine partie de la population, alors qu'il laisse en jours travaillés d'autres journées. Dans ce cas-là, et dans ces cas-là seulement, peut-être que la mesure équitable, ce sera de donner des jours payés supplémentaires ou, à tout le moins, la possibilité de prendre des jours de congé en plus, pas nécessairement payés, mais la possibilité de ne pas se présenter au travail.

Mme Maltais : Ce sont des...

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Merci.

Mme Maltais : J'aurais aimé continuer l'échange. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Me Bellefleur, bonjour.

Mme Bellefleur (Coline) : Bonjour.

M. Jolin-Barrette : Merci de participer aux travaux de la commission. Je n'ai pas entendu tout ce que vous avez dit, parce que j'ai dû sortir, et je m'en excuse.

Ceci étant dit, est-ce que l'association reconnaît le principe de l'interculturalisme et de la possibilité pour le Québec d'avoir une tradition juridique différente de celle du Canada?

Mme Bellefleur (Coline) : Alors, on ne se positionne pas vraiment sur les choix politiques qui pourraient être faits à cet égard. Dans tous les cas, les décisions, les lois du Québec devront également être conformes à la Charte canadienne, et c'est sur ça que se base notre analyse.

Pour le reste, est-ce que le Québec pourrait avoir des règles différentes?, non, tant et aussi longtemps qu'elles briment les droits fondamentaux tels que prévus par les chartes. Ça, c'est très clair. Est-ce que ça répond à votre question?

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, en fait, ce que vous nous dites, c'est... vous faites une analyse positiviste du droit en fonction des chartes, de la Charte canadienne puis en fonction de la charte québécoise. Vous nous dites : Bien, écoutez, nous, on a une interprétation rigoriste de la Charte canadienne puis on dit qu'en vertu de la jurisprudence qui a été développée, bien, on ne devrait pas porter atteinte aux droits des minorités, on devrait s'assurer de continuer de permettre le fait d'avoir des accommodements, des accommodements parfois qui peuvent être considérés déraisonnables aux yeux de la population, parce que les droits individuels doivent primer sur les droits collectifs.

Est-ce que je résume bien le positionnement que vous avez pris dans le mémoire?

Mme Bellefleur (Coline) : La question de notre interprétation de la jurisprudence, c'est parce qu'on considère que c'est un bon système, on considère qu'il a été élaboré avec soin pendant plusieurs années. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Les juges qui ont pris les décisions quant aux critères à appliquer, etc., l'ont fait en y réfléchissant longuement. Il faut faire très attention quand on vient et qu'on pense à ajouter quelque chose de positif, parce qu'on arrive avec des nouveaux mots puis des nouveaux termes qui nous semblent corrects.

Maintenant, je ne suis pas certaine de comprendre votre question droits individuels versus droits collectifs. Dans ma conception, un droit collectif, c'est autre chose que ce que vous mentionnez ici. Par contre, je comprends très bien votre question : Est-ce que, malgré qu'aux yeux de la population c'est déraisonnable... aux yeux de la population, peut être déraisonnable et, aux yeux du droit, raisonnable? Je me range du côté du droit, clairement.

M. Jolin-Barrette : Mais vous savez que, le droit, on le fait ici, à l'Assemblée, aussi. Vous nous dites : On doit se ranger à la décision des juges. Et puis on peut faire de la sémantique aussi, mais, ultimement, si le Parlement, et sous réserve de la Constitution puis sous réserve de la charte... mais il y a un rôle des élus aussi à dire dans quel type de société on veut vivre, quelles sont les balises du vivre-ensemble collectif aussi, donc. Puis il y a des intervenants qui sont venus nous dire aussi en commission parlementaire : Bien, écoutez, c'est possible de hiérarchiser, puis vous avez des outils législatifs.

Donc, vous, vous nous dites : Écoutez, c'est très bien comme ça, donc on ne vous encourage pas à bouger quoi que ce soit.

Mme Bellefleur (Coline) : Moi, ce que je vous dis, c'est que les élus, oui, peuvent changer et faire bouger certains éléments de droit dans la société, il restera toujours les chartes au-dessus. Ce n'est pas le pouvoir législatif face au pouvoir judiciaire, c'est le pouvoir législatif face à des lois qu'il a lui-même votées à un moment donné, qu'il a lui-même décidées, donc. Et, à cette époque, on avait des raisons bien précises de vouloir protéger les droits fondamentaux et de vouloir les protéger d'une façon qui empêche justement qu'un pouvoir législatif, à un moment donné, décide de revenir sur ces questions-là. C'est en période de crise sociale que ces chartes sont le plus importantes, clairement.

M. Jolin-Barrette : Je comprends. Mais on peut faire une analyse historique aussi là-dessus notamment par rapport à la Charte canadienne. Bien entendu, les droits qui se retrouvent dans la charte québécoise... souvent, la jurisprudence est interprétée de façon conjointe entre les deux chartes, mais il y a une réalité aussi qui existe, que — et c'est pour ça que je vous parlais de droits collectifs tout à l'heure aussi — au moment du rapatriement puis de l'enchâssement de la Charte canadienne, le Québec n'a pas ratifié cette charte aussi. Ça fait que, lorsque vous me dites : Écoutez, il y a eu des raisons pourquoi ça a été développé, il y a eu des raisons pourquoi ça a été instauré aussi, l'approche québécoise est importante, et l'histoire est également importante aussi. Donc, la particularité, la spécificité du Québec est également à prendre en compte, et le concept d'interculturalisme est également à prendre en compte aussi dans le cas particulier du Québec notamment pour le fait français, pour la question des valeurs également.

Donc, j'essaie juste de réconcilier votre propos avec ce qu'on pourrait faire, nous, ici puis avec le projet de loi n° 62 aussi. Donc, je ne sais pas si vous avez des propositions, une proposition d'avancement pour qu'on réussisse tous ensemble... parce que, depuis de nombreuses années, le débat sur les accommodements raisonnables est présent dans l'univers public puis on doit réussir à trouver une solution ensemble. Ce n'est pas facile. Le gouvernement, durant de nombreuses années, a proposé certains projets de loi. Certains n'ont pas été adoptés. Il y a eu la charte des valeurs. Donc...

• (15 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : ...M. le député de Borduas, elle n'aura plus de temps pour répondre.

M. Jolin-Barrette : Donc, est-ce que vous avez une proposition pour nous?

Mme Bellefleur (Coline) : O.K. Je ne commenterai pas sur l'aspect politique de la chose, à nouveau, là, concernant votre introduction, votre position. En ce qui concerne les problèmes que vous mentionnez, les débats qu'il pourrait y avoir au sein de la société, je reviens sur notre position initiale, c'est que les problèmes qui semblent être évoqués, premièrement, ne sont peut-être pas si importants qu'on le mentionne, parce qu'on n'entend bien que ce qu'on veut entendre, mais sont également liés toujours à un manque de formation et de sensibilisation.

Partant du fait que notre association est en accord avec les critères qui existent à l'heure actuelle, nous n'avons pas réfléchi à une façon de changer ces critères-là, puisqu'ils nous semblent équilibrés, ils nous semblent équitables et ils nous semblent conformes aux chartes telles qu'elles existent.

Maintenant, si je comprends... que certains voudraient s'enligner dans une bataille avec le gouvernement fédéral sur certains points, là ça sort complètement de l'analyse qu'on a faite du projet de loi.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Coline Bellefleur, représentant l'Association canadienne des avocats musulmans. C'est toujours un plaisir de vous recevoir en commission.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais à l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité de s'avancer.

(Suspension de la séance à 15 h 52)

(Reprise à 15 h 55)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité. M. Ferid Chikhi, vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, et après il y aura une période de discussion avec la ministre et les représentants des deux partis d'opposition. Vous allez nous présenter la personne qui est avec vous. À vous la parole.

Association québécoise des Nord-Africains
pour la laïcité (AQNAL)

M. Chikhi (Ferid) : M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. L'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité se présente aujourd'hui pour aborder la question du projet de loi n° 62, et je suis accompagné par M. Ali Kaidi, qui est membre aussi de l'association. Alors, je vais directement à la présentation. Merci de nous donner l'opportunité de communiquer l'avis des membres de l'AQNAL au sujet du projet de loi n° 62.

L'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité regroupe des Québécois originaires de l'Afrique du Nord qui ne veulent pas être identifiés par leur appartenance religieuse et désirent une réelle intégration basée sur les valeurs laïques et démocratiques du Québec. L'avis que nous présentons n'est pas bâti autour d'une analyse juridique complète du projet de loi n° 62, même si nous proposons en résumé quelques points partagés par nos membres. Il se veut surtout l'expression de leurs préoccupations les plus vives. Nous nous sommes questionnés sur son bien-fondé et sa portée au plan sociologique, notamment la partie de la section III dans ses points 10, 11 et 12. À titre indicatif, les conditions et exigences auxquelles doit satisfaire la demande d'accommodement ne nous paraissent en rien suffisamment définies. Si on se doit de soulever la question, c'est surtout compte tenu de la contestation juridique potentielle dont elle pourrait faire l'objet. Si nous évoquons cet aspect, c'est que la conjoncture et l'actualité nous interpellent au vu de l'apparition de ce qui est déjà qualifié par un grand nombre d'observateurs et d'analystes politiques avertis et sérieux de djihad juridique. Nous considérons qu'il faille s'attendre à des controverses, des polémiques et non seulement de la part des demandeurs, mais aussi des défenseurs d'une certaine laïcité ou tout simplement des professionnels du droit. Donc, au plan juridique, ce projet de loi est non seulement incomplet, mais, par l'absence de modalités pratiques nécessaires et suffisantes à son application, il est inachevé et vague. Il pourrait, par ses insuffisances, être préjudiciable pour tous.

Nous évoquons ci-après quelques-unes des raisons qui nous incitent à souligner ce qui précède. Un, il n'indique pas si le rejet d'une demande d'accommodement doit être motivé ou non. Il ne dit pas aussi que, si le rejet n'est pas motivé, il est, de ce fait, discrétionnaire, et ne risque-t-on pas de tomber dans l'arbitraire et la stigmatisation implicite? Trois, il ne prévoit pas de recours en cas de rejet d'une demande d'accommodement. Les services concernés risquent d'être débordés de demandes, et, dans ce type de situation ou dans cette hypothèse, il ne prévoit pas des mécanismes pour harmoniser les modalités de traitement des demandes et éviter des contradictions ou des incohérences qui fragiliseraient l'objectif recherché à travers la loi une fois adoptée.

En ce qui concerne la neutralité religieuse, que nous ne considérons pas comme étant la laïcité : alors que la notion de neutralité religieuse, rapportée à la notion anglo-saxonne de sécularité, prône une égale représentation de toutes les Églises, la laïcité prône une totale indépendance de l'État face aux religions. Dans ce contexte, notre questionnement s'énonce comme suit : Comment peut-on se protéger contre les dérives de la liberté religieuse lorsque la neutralité de l'État est passive, sachant que celle-ci n'est pas construite comme l'est la laïcité? Nous savons toutes et tous que la différence entre laïcité et neutralité religieuse s'exprime très concrètement par la réponse fournie à certaines demandes dont le caractère idéologique au plan sociétal est plus porteur que le religieux. Dans un État de droit démocratique, l'autorité se doit d'être neutre parce qu'elle est l'autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu'elle doit, en principe, les traiter de manière égale, sans discrimination basée sur leurs convictions ou leur appartenance à une communauté religieuse ou à un parti politique. La neutralité de l'État ne peut se confiner à de petites mesures techniques.

• (16 heures) •

Même si nous savons qu'il s'agit de la neutralité religieuse de l'État, selon différentes lectures faites par nos membres, une seule perception en est ressortie, et c'est la suivante : l'auteur de ce projet de loi n° 62 semble vouloir amener le législateur à reculer et à réduire le débat sur la neutralité religieuse de l'État à de simples mesures techniques sans effet qui tracent des limites à respecter sans préciser les différents paramètres, pour ensuite les réviser et nous donner les moyens légaux afin de les contourner.

Cela nous démontre que l'État peut manifester une appartenance religieuse si son action ne provoque pas de problèmes de sécurité et, de l'autre, que la neutralité de l'État doit cesser si elle est contredite par des convictions religieuses d'une personne ou d'un groupe. Autrement dit, la neutralité religieuse n'est pas quelque chose d'essentiel pour l'État, mais un point tout à fait accessoire.

L'AQNAL observe que les séparations des religions et de l'État devraient être affirmées à travers la laïcité plutôt qu'à travers la neutralité religieuse de l'État. La laïcité, c'est l'indépendance totale face à toutes les représentations, religieuses ou non, contrairement à la neutralité religieuse, qui est comprise comme une façon d'accorder un privilège égal à toutes les religions, le risque de son occultation étant une surreprésentation du fait religieux, pour ne pas dire de certains faits religieux dans les institutions publiques. C'est pour cela que l'AQNAL conçoit que seule une véritable laïcité peut favoriser l'inclusion de tous les citoyens, la cohésion sociale et le rapprochement culturel.

Je vais aborder la question du voile, du tchador et du hidjab. Concernant le voile intégral, il est reconnu partout dans le monde comme l'instrument privilégié de l'idéologie prônée par les islamistes pour défier les lois du pays d'accueil et ébranler son unité sociale, en raison de sa triple dimensionnalité — ça n'a jamais été porté à la connaissance des citoyens ou du public : il est visuel, il est spatial et il est éthique. Et nous ajoutons qu'il ne s'agit que de l'envers de la médaille, du fait que le revers touche les quatre autres enjeux, que sont la religion, le statut de la femme dans la société, l'école et, bien entendu, l'immigration. En fait, le peu qui est connu est mal compris. Ce qu'il faut apprendre, c'est que, pendant que tout le monde le cible — c'est-à-dire, le tchador, la burqa, le jilbab ou le voile intégral — les tenants du wahhabisme se réjouissent, parce que le port du hidjab ou du foulard est banalisé et il gagne encore plus de terrain. Plus personne ne réagit à ce morceau d'étoffe, qui, en fonction de la manière dont le portent certaines, nous indique à quel groupe d'islamistes elles font allégeance. Les premières victimes des accommodements sont bien sûr les musulmans et les musulmanes.

Encore une fois, à supposer que l'islam avait existé auparavant ici, au Québec, on n'aurait pas ce problème. Mais, depuis un certain temps, n'en déplaise aux islamistes, on prévoit des aménagements permettant, par exemple, aux fidèles de regrouper leurs prières au moment le plus favorable pour eux. Donc, pas de demande de salle de prière dans les institutions. Nous savons que c'est une religion universelle que l'islam. Elle doit pouvoir s'exprimer dans les lieux très divers. Cependant, c'est une religion qui nous invite à une adaptation constante et aux contextes. Ce qui nous fait dire que ce projet de loi n'existerait pas si, depuis le milieu des années 90, l'islamisme ne s'était pas invité dans l'espace public ici, au Québec, et s'il n'envahissait pas aussi les institutions et les organisations publiques et parapubliques et... tente de s'étendre à toutes les autres sphères d'activité commerciale, économique et, à présent, le domaine judiciaire.

Je laisse M. Kaidi faire la suite. Merci.

M. Kaidi (Ali) : En tant qu'association de citoyens originaires principalement de pays de la rive sud de la Méditerranée, ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les demandes incessantes d'accommodements religieux émanant de groupes idéologiques qui se drapent du voile de l'intégrisme et entendent imposer leur mode de vie d'un autre temps non seulement aux citoyens originaires du même pays, mais aussi à toute la société d'accueil. La conséquence la plus visible réside dans les torts causés à tous et complique l'insertion socioprofessionnelle de pans entiers d'immigrants.

Nous croyons que les accommodements religieux ont pour effet beaucoup plus de diviser les citoyens que de les rassembler autour du même projet de société. Or, tous les faits montrent, bien au contraire, que céder le terrain sur une demande, si anodine soit-elle, ouvre encore plus la brèche qui permet l'intrusion d'agents d'endoctrinement traçant le cheminement vers la radicalisation.

Je vais aller à la conclusion. Donc, dans ce projet de loi, nous ne voyons, malheureusement, que très peu de mesures allant dans le sens de la laïcité ou même dans celui de la protection de la neutralité religieuse de l'État. Bien au contraire, nous observons une fuite en avant du gouvernement, qui préfère se libérer des réponses à donner aux demandes d'accommodement déraisonnable formulées par des activistes islamistes et des extrémistes, intégristes et autres fondamentalistes des autres cultes. Nous observons aussi des reculs quant à l'indépendance de l'État face aux revendications pseudoreligieuses qui fusent de tous bords. Laisser la responsabilité de débattre et de décider des accommodements à octroyer à des employés de base, c'est proclamer la démission de l'État.

Nous pensons qu'accorder du crédit à des islamistes qui, avec l'aide de certains politiques, s'autoproclament représentants de tous les musulmans et qui sont mis de l'avant pour passer leurs messages de victimes, de cibles et de souffre-douleurs subissant l'exclusion de la société d'accueil et de tout le monde occidental est une dérive qui ne conforte point la neutralité religieuse de l'État.

La majorité des citoyennes et citoyens originaires de l'Afrique du Nord sont éreintés, et beaucoup d'entre eux, surmenés de subir ce qu'ils perçoivent comme étant des calculs politiciens et une inaction du gouvernement versus une montée vertigineuse de l'intégrisme religieux. Ce compromis de circonstances entre les deux groupes, gouvernement et islamistes, se fait au détriment des valeurs citoyennes que revendiquent les autres citoyens intégrés à la société d'accueil. Ils sont convaincus que leur intégration culturelle, politique et sociale au contexte historique québécois passe nécessairement par l'affirmation de leur citoyenneté et non pas par des accommodements religieux. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. Merci, messieurs. Je disais à Me Bellefleur, juste avant vous, à quel point c'était fascinant de constater les perceptions différentes que nous avons ici et qui défilent jour après jour en commission parlementaire, parce que, d'un groupe à l'autre, vous avez une perception de notre projet de loi qui est tout à fait différente. Et évidemment c'est certain que chaque projet de loi est lu avec les lunettes qui sont les nôtres et en fonction de notre propre connaissance d'une certaine réalité, en fonction de nos valeurs, en fonction de ce qui nous anime.

J'aimerais vous entendre un peu davantage sur la question des accommodements, parce que, si je vous comprends bien, pour vous... Et là, on comprend, là, le projet de loi n'est pas articulé et ne vise pas que les accommodements demandés par un membre de la communauté musulmane, il vise l'ensemble des accommodements religieux pouvant être demandés à un organisme. Donc, il peut s'agir d'une étudiante de confession juive, il pourrait s'agir d'un citoyen de religion catholique. Bref, les demandes d'accommodement pour motif religieux ne visent pas que la communauté musulmane. Mais vous nous dites dans votre mémoire, si je le résume : La demande d'accommodements religieux est un enjeu, est problématique et vient stigmatiser la communauté musulmane. Bien, c'est un petit peu comme ça que... alors que la demande d'accommodements religieux s'adresse à l'ensemble de la population. Puis la notion d'accommodement ne touche pas que la religion, mais c'est quand même un principe qui est là, qui a été reconnu par la Cour suprême comme étant une obligation de venir accommoder une personne pour assurer qu'elle soit égale, reconnaître une certaine égalité et qu'il n'y ait pas de discrimination ou de traitement différent en fonction de certaines caractéristiques propres à la personne.

Mais vous avancez, vous allez plus loin. On a eu différentes personnes qui se sont présentées ici. Certains nous ont dit : On ne doit pas encadrer d'aucune façon les demandes d'accommodements religieux, parce qu'on stigmatise les accommodements religieux. On ne devrait pas les encadrer, parce qu'on fige, à l'intérieur d'un texte juridique, des principes jurisprudentiels qui ont été élaborés au fil des ans par la Cour suprême. Mais vous, vous allez vraiment plus loin, vous dites : Il ne devrait pas y avoir d'accommodements religieux dans la sphère publique, point. Et donc, ce faisant, est-ce qu'il n'y a pas là une atteinte aux principes mêmes de la liberté de religion, de la liberté de conscience, qui sont garantis tant par la charte québécoise que par la Charte canadienne? Ces principes-là sont là, ils sont ancrés, ils sont reconnus. Ils ont été reconnus par la Cour suprême à maintes et maintes reprises non seulement pour les membres de la communauté musulmane, mais pour les membres de différentes confessions religieuses. Et vous nous dites, bien : Non, il ne devrait pas y avoir d'accommodements religieux.

Donc, là-dessus, j'aimerais vous entendre davantage, parce que votre mémoire, oui, l'a abordé, mais ce n'est pas rien, ce que vous abordez puis ce que vous affirmez cet après-midi.

• (16 h 10) •

M. Chikhi (Ferid) : Merci, Mme la ministre. Lorsque nous avons lu le projet de loi, on l'a fait lire à plusieurs niveaux par plusieurs personnes de formation différente, d'expérience différente, et ce qui nous a frappés, en premier lieu, en tant que laïques, c'est que le mot «laïcité», il n'y est pas. Et on s'est dit : Bon, mais comment parler de neutralité religieuse de l'État dès le moment où la laïcité n'est pas là, les valeurs laïques ne sont pas portées à la connaissance du grand public, du citoyen tout court?

En tant que citoyens, on se met sur le même pied d'égalité que tous les Québécois qui étaient là depuis 400 ans, et les Amérindiens qui étaient avant... qui sont intégrés, et les autochtones, et tout ce qui s'ensuit. Et on vient, depuis à peu près... bon, disons-le, depuis la commission Bouchard-Taylor, pour dire : Écoutez, on a un gros problème avec une communauté qui vient... en fait, plusieurs communautés qui nous viennent des pays arabes, des pays d'Afrique du Nord, et ils ont des attitudes, ils ont des comportements, ils ont des vêtements qui sont différents des nôtres. Qu'est-ce qu'on fait avec? Ils nous parlent de religion dans l'espace public, ils nous parlent de religion partout, ils nous imposent des habitudes de vie, bien, il y a un problème qui... hein, ils devraient s'adapter. Or, c'est eux qui demandent que le Québec, la société d'accueil, s'adapte à leurs us et coutumes, à tel point que nous avons des quartiers aujourd'hui ou des zones où on vit pratiquement comme si on était au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Égypte, au Liban, et ainsi de suite. Les quelques Québécois, Québécoises de qui on peut apprendre des choses nouvelles, des valeurs québécoises, canadiennes, nord-américaines, il n'y en a pas beaucoup. On est ostracisés, on est stigmatisés dans... mis à part ceux qui ont quitté ces quartiers ou qui vivent ailleurs.

Alors, bien sûr, certains conservateurs... parce que nous avons des personnes qui sont très conservatrices, très rigoristes qui disent : Écoute, moi, je dois faire ma prière. Mais cette personne sait que son islam lui permet de faire sa prière à un autre moment que celui qui est prescrit par les textes. Il va regrouper ses prières pour les faire le soir, il n'ira pas au travail demander un espace de prière. Imaginez, en Algérie, pays musulman, religion d'État, il y a eu une période où on a eu l'invasion et l'ouverture des salles de prière. Ça n'existe plus. Et ici on va offrir, pour m'accommoder ou accommoder deux ou trois personnes très... Je dirais, c'est beaucoup plus des islamistes que des musulmans qui vont demander une salle de prière, qui vont demander des congés pendant la période, je ne sais pas, de l'aïd, du Nouvel An musulman, de la fête de la naissance du prophète. On va leur accorder, pour les accommoder, ces journées d'absence, et ils profitent aussi des journées d'absence qui sont dans les normes du travail, accordées à tout le monde, Noël, même le jour de l'An, et ainsi de suite.

Alors, à ce niveau-là, par exemple, on dit : Bon, il y a un manque, il y a un vide juridique. Au lieu de laisser le chef de service des ressources humaines ou l'employeur décider est-ce qu'il doit accorder aujourd'hui la fête de l'aïd à monsieur ou à madame, est-ce que ça ne serait pas mieux d'ouvrir plutôt les normes du travail et de dire : Voilà, il y a une liste des fêtes et des journées chômées et payées, on va mettre celle des Juifs, on va mettre celle, je ne sais pas, des bouddhistes, on va mettre tout? Si c'est faisable, faisons-le. Pourquoi donner plus de travail à des personnes qui ont justement des problèmes d'hygiène et de sécurité, des problèmes de santé, des problèmes d'absentéisme à résoudre, des problèmes de gestion, de carrière. Pourquoi? Pourquoi leur ajouter encore une autre... Alors, on dit : Oui, il y a des insuffisances, on a plusieurs lectures, mais il y a les effets aussi, parce qu'il y a des causes, mais il y a des effets. Il y a une discrimination qui se crée dès le moment où on va accorder à madame x, musulmane, l'autorisation de porter le voile. Mais celle qui ne le porte pas n'est-elle pas discriminée dès le moment où celle qui a demandé le voile est autorisée à le porter?

Mme Vallée : Là-dessus, sérieusement, je me questionne, parce que vous allez... C'est fascinant de vous écouter, parce qu'en gros ce que vous me dites : On doit restreindre la portée ou la possibilité d'accorder un accommodement sur une base religieuse pour éviter la montée de l'islamisme radical, mais c'est parce qu'il y a d'autres citoyens au Québec de confession religieuse différente. Et là vous êtes en train de me dire : Pour freiner la montée de l'islam radical, il faudrait empêcher toute forme d'accommodement à l'égard du citoyen de religion catholique, du citoyen de confession juive?

Une voix : Non.

Mme Vallée : Parce que vous ne faites...

Une voix : Non.

Mme Vallée : Laissez-moi terminer.

Une voix : O.K.

Mme Vallée : Vous référez spécifiquement à l'islam radical. Je comprends cette préoccupation-là, mais, en même temps, de fermer la porte à la notion d'accommodement pour motif religieux, d'une part, ne vient-on pas porter atteinte à la liberté de religion, qui est prévue à l'intérieur de nos chartes? Ne vient-on pas porter atteinte à la liberté de conscience? Ne vient-on pas porter atteinte aux droits de ceux et celles qui, pour des motifs tout à fait justifiés... Et les principes, les critères qui sont établis dans le projet de loi visent justement à éviter un peu la dérive à laquelle vous faites référence, c'est-à-dire que, sous toutes sortes de prétextes, on accorde des droits qui amèneraient quelqu'un à avoir plus de droits finalement que son collègue ou sa collègue de travail. Parce que l'objectif de l'accommodement, ce n'est pas de créer des inégalités. Au contraire, l'accommodement existe pour permettre que tout le monde soit sur un pied d'égalité, parce que l'accommodement présume qu'il y a une iniquité en raison d'un caractère particulier, que ce soit la confession religieuse... ou, dans d'autres cas, l'accommodement, il est nécessaire en raison d'un handicap.

Là, ce que vous dites : Bien, nous, en raison d'une certaine forme d'instrumentalisation qu'on constate, bien, on voudrait mettre un terme aux accommodements religieux. On fait quoi de la liberté de religion?

M. Chikhi (Ferid) : Alors, j'ai cité trois exemples : le voile; j'ai parlé des journées fériées; et j'ai parlé, donc, des espaces de prière, d'accord? Pour nous, le voile n'est pas religieux. C'est ici, au Québec, depuis une dizaine d'années, à travers le monde qu'on considère que le voile est religieux. Bon. Donc, pour moi, il n'y a pas d'accommodement possible, et surtout dans les institutions publiques ou parapubliques. Ça, c'est un aspect.

Maintenant, pour les fêtes religieuses, je dis : Oui, mais pourquoi ne pas le faire comme on le fait pour Noël, l'avoir dans les normes du travail? Et puis on dit que la personne qui va avoir Noël n'aura pas droit à l'aïd, n'aura pas droit à Kippour, et, inversement, celle qui a droit à l'aïd ou à la fête du prophète Mohammed, bien, elle n'aura pas droit à aller à... pendant la fête de Noël. Ça, c'est un équilibre, c'est une égalité, je ne gêne personne. Maintenant, si vous me donnez la possibilité, pour m'accommoder, d'avoir un espace de prière, parce que je souhaiterais faire ma prière durant la journée, l'équité, l'égalité voudrait que, si un chrétien, un Juif demande un espace de prière ou un espace de méditation, on le lui accorde. Je ne porte pas préjudice et je ne remets en question nullement ni la liberté de conscience ni la liberté religieuse et je voudrais, plutôt de parler d'accommodements religieux... je parlerais plutôt d'accommodements administratifs et je laisse, à ce moment-là, à travers, bon... Les normes du travail existent, mais il y a aussi les conventions et les règlements internes des entreprises, des institutions qui vont aller dans le détail. Oui, vous aidez le gestionnaire à faire du bon travail, mais, s'il y a une demande qui est faite ici, à Montréal, parce qu'il y a le plus de communautés ethnoculturelles, religieuses, et ainsi de suite, et qu'ailleurs, dans une autre région, il n'y en a pas et qu'une personne, une seule, demande un accommodement, libre à la personne qui est chef de service ou employeur de lui accorder un accommodement administratif, mais il aura été normé, il aura été standardisé, il aura été réglementé auparavant.

Voilà ce que nous disons. Peut-être que M. Kaidi pourrait ajouter quelque chose.

• (16 h 20) •

M. Kaidi (Ali) : Oui. Il y a aussi la problématique : Sur quelle base on peut déterminer ce qui est religieux et ce qui ne l'est pas? Et surtout, dans le projet de loi, on voit que l'utilisation de «culturel»... des rituels, etc., des concepts, qu'il y a une frontière très mince entre eux. Par exemple, je peux revendiquer quelque chose comme étant religieux. En fin de compte, à la base, il est rituel, il est traditionnel, et des fois il est idéologique comme le cas du tchador ou bien du voile, etc., il est idéologique, politique plus qu'autre chose. Donc, sur quelle base on peut déterminer ce qui est religieux et ce qui n'est pas religieux? Ça, on trouve que c'est une problématique.

C'est une problématique à laquelle il peut y avoir des agents idéologiques d'endoctrinement. Ils peuvent exploiter cette brèche-là pour aller revendiquer plus d'espace pour passer leurs messages qu'autre chose. Donc, c'est cette crainte-là qui est à l'intérieur de notre association, c'est qu'il y a une crainte qu'il va y avoir une certaine ouverture pour des revendications déraisonnables, et, si les revendications déraisonnables... ils peuvent répercuter négativement sur toute une communauté. Parce que ceux qui revendiquent représentent une mince minorité, une mince minorité, et la plupart soit sont... ceux qui revendiquent sont des agents d'idéologie, des agents d'endoctrinement et des agents qui ont un agenda, en quelque sorte, politique ou bien ils vont être défendus par des associations, par des groupes qui ont aussi des agendas.

Donc, on va ouvrir une brèche pour entrer dans des débats et des polémiques idéologiques qui mettraient en valeur une idéologie qui est en train de prendre de l'espace à l'intérieur de la communauté, et aujourd'hui elle veut sortir de la communauté et, en quelque sorte, porter avec elle les caractéristiques communautaires dans des espaces qui sont censés être neutres.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Kaidi. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, bonjour à l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité. Vous aussi, M. Chikhi, M. Kaidi, bienvenue. Je sais que, vous aussi, votre association était venue lors des auditions du projet de loi n° 59. Et, si je me permets, j'ai remarqué justement quelque chose qu'on oublie dans le débat. Vous êtes les seuls à le ramener, en page 12 de votre mémoire, et vous dites : «Finalement, ce projet de loi ainsi que le précédent projet de loi n° 59, inscrit dans le plan d'action gouvernemental sur la lutte contre la radicalisation au Québec, ne sont pas à même d'offrir les conditions adéquates et pertinentes pour lutter contre la radicalisation.»

C'est fou, là. Ce projet de loi s'était inscrit dans le cadre d'un plan d'action pour lutter contre la radicalisation, et là ce que vous nous dites, c'est : Il n'y a rien là-dedans pour lutter contre la radicalisation. Au contraire, ça permet aux gens qui font de la pression sur la communauté, qui sont intégristes, de s'introduire... C'est comme ça que vous le sentez?

M. Chikhi (Ferid) : Nous le vivons.

Mme Maltais : Vous le vivez.

M. Chikhi (Ferid) : Nous le vivons.

Mme Maltais : Oui. Il y a des gens qui sont venus ici exprimer aussi, là, la pression des pairs pour embarquer dans le mouvement religieux. Est-ce que vous voulez nous en parler? Parce que ça a été impressionnant. Ça a été bref, mais ça a été impressionnant.

M. Chikhi (Ferid) : Oui. Vous savez, on a entendu récemment... c'est même une pression qui se fait sur le gouvernement actuel pour aller vers une conférence, une rencontre sur le racisme systémique. Nous, on se pose des questions, on se pose des questions. Racisme systémique, ça voudrait dire que les institutions de l'État font dans la discrimination. Il y a certes une discrimination à l'embauche, parce que, si tous... je parlerai juste des Nord-Africains francophones tous diplômés des universités, ayant des expériences de 10 ans en expression française, pas en arabe, mais en français, des gens de ma génération et un peu plus jeunes, comme M. Kaidi ne trouvent pas de travail, n'ont pas accès à la fonction publique ou aux organismes et institutions parapubliques, il y a un problème sérieux. Ce ne sont pas seulement les ordres professionnels, ce sont les institutions publiques qui ne recrutent pas cette catégorie de personnes, alors ces personnes-là se retrouvent dans des emplois en dessous de leurs compétences, en dessous de leurs capacités. Ils sont appréciés sur la reconversion qu'ils ont faite, qui des fois... ou souvent échoue, et ils n'ont pas, sur l'expérience qu'ils ont acquise, les qualifications qu'ils ont eues dans leurs pays d'origine, et ça pose problème.

Mme Maltais : Et vous ajoutez même que, je dirais, la surdemande d'accommodements religieux ou, en tout cas, le fait qu'on parle beaucoup des accommodements religieux crée un phénomène qui rebute les employeurs.

Maintenant, est-ce que vous ne trouvez pas que, si on arrivait à justement régler un peu le problème, là, faire un pas en avant puis essayer d'encadrer les choses, comme par exemple, en introduisant la laïcité... Ça, je sais que vous en parlez, vous avez tout à fait la même conception que moi de la laïcité versus la neutralité religieuse, c'est quelque chose d'important.

Si on encadrait les accommodements raisonnables en ajoutant l'égalité entre les hommes et les femmes comme étant un principe fondateur de la société québécoise, pensez-vous qu'on pourrait un peu en venir à faire que tout ça s'apaise ou si vous pensez qu'au contraire ça ouvre la porte... je ne sais plus entre lesquels balancer, là, ça ouvre la porte à l'intégrisme?

M. Chikhi (Ferid) : Mme Maltais, pour nous, si une charte de la laïcité était adoptée rapidement, même dans ses contours, vous savez, les plus grossiers, j'allais dire, vous verriez qu'il y aurait une baisse de pression d'environ 60 % à 70 %, ne serait-ce que dans la communauté nord-africaine, qu'on appelle communément maghrébine.

Mme Maltais : Et qu'est-ce qu'il faudrait qu'elle contienne? La laïcité? On s'entend?

M. Chikhi (Ferid) : Oui.

Mme Maltais : Bouchard-Taylor? C'est-à-dire que les personnes en situation d'autorité ne portent pas de signes religieux. C'est un minimum, là. J'essaie de m'entendre avec les collègues.

M. Chikhi (Ferid) : C'est un minimum, mais, bon, pour nous, on a parlé des recommandations de Bouchard-Taylor, c'est déjà dépassé.

Mme Maltais : C'est déjà dépassé.

M. Chikhi (Ferid) : On est dans une autre situation, on est dans un autre contexte. Bouchard-Taylor, nous, nous l'avons évalué comme étant l'après-11 septembre. On est avec Daesh. Il y a de l'eau qui a coulé sous les ponts, les recommandations de Bouchard-Taylor n'ont pas été adoptées, n'ont pas été mises en application, c'est déjà dépassé.

Mme Maltais : ...dépassé. Alors, on fait quoi, on ajoute quoi?

M. Chikhi (Ferid) : Bien, il faut se remettre à table, comme on dit, travailler sérieusement non pas en tant que parti politiques, non pas seulement en tant que société civile, mais en tant que visionnaires, en tant qu'élus qui voyaient un petit peu les perspectives à long terme et dire : Oui, il nous faut une charte de la laïcité et il faut aller vraiment dans le détail à ce niveau-là si on peut le faire. Mais sinon, au moins les contours.

Mme Maltais : ...M. Chikhi. M. Kaidi, vous voulez parler. Je vois la petite main qui s'agite.

M. Kaidi (Ali) : Oui. Moi, il me semble, il faut des mesures qui vont décourager les gens qui vont vers l'extrémisme et la radicalisation, donc il faut des mesures claires pour les dissuader. Ce n'est pas de leur donner des voies pour détourner, en quelque sorte, la laïcité. Parce que, les accommodements, on les ressent de cette façon : c'est une façon de détourner la laïcité ou bien la neutralité de l'État. On leur dit : Oui, voilà, la neutralité religieuse, elle doit être respectée, mais vous pouvez la détourner d'une autre façon. Donc, c'est une autre façon de les encourager à continuer dans leurs projets de radicalisation ou bien d'extrémisme.

Nous, on veut qu'il y ait des mesures claires qui peuvent, en quelque sorte, dissuader les gens. Par exemple, lorsqu'un père de famille, il voit qu'il y a une interdiction que sa fille travaille avec son voile intégral dans une institution de l'État, il ne va pas l'éduquer dans ce sens, il ne va pas l'éduquer dans un sens qu'elle va être marginalisée par la suite. On va le dissuader, même si lui, il est pour cette idéologie, mais, au moins, il va épargner son enfant. Donc, il faut qu'il y ait de la pédagogie aussi dans l'interdiction et dans la philosophie des lois. Dans l'esprit des lois, il faut qu'il y ait cette dimension pédagogique qui déçoit les gens à y aller, vers l'extrémisme.

Mme Maltais : J'apprécie, d'autant que, c'est un commentaire qu'on se faisait, il n'y a pas eu de formation, au Québec, autour de la laïcité, autour de ce que ça veut dire, ce qui fait que des gens peuvent s'en emparer et faire opérer des dérapages à des jeunes en disant que c'est un rejet des autres communautés, alors que c'est simplement que l'État, lui, est laïque, mais il permet à chacun de vivre ses croyances, et tout, mais que l'État et ses fonctionnaires sont laïques.

M. Kaidi (Ali) : Pour nous, la laïcité, c'est un garant et c'est une protection pour les minorités plus que la majorité, parce que les catholiques qui sont majoritaires ici... supposons qu'il n'y a pas de laïcité, qu'il n'y a pas cette indépendance entre le religieux et le politique, ils vont être majoritaires, ils vont faire passer leurs valeurs religieuses au détriment des autres minorités. Il me semble, la laïcité doit être la revendication principale des minorités pour s'intégrer à la société, s'intégrer aussi dans les institutions de l'État.

Une voix : 40 secondes.

Mme Maltais : 40 secondes? Il reste une exception, pour le niqab : que ce soit possible pour un fonctionnaire de le porter. Vous en pensez quoi?

• (16 h 30) •

M. Chikhi (Ferid) : Vous savez, pendant que nous parlons d'autorité, hein, de position d'autorité... Nous connaissons les islamistes puis nous les avons vécus dans nos pays et nous les vivons ici. Ils sont en situation d'influence. Ils ne travaillent pas pour l'autorité, ils travaillent pour influencer les enfants qui sont les citoyens de demain.

Le port du voile, j'ai entendu des gens dire : Non, non, c'est la liberté de religion, la liberté de conscience, et tout. Mais la femme qui porte le voile dans une garderie familiale, elle a plus d'influence que le professeur d'université sur son étudiant. Je me rappelle de ma première enseignante. Je suis rentré à l'école en Algérie à l'âge de cinq ans. Je me rappelle encore de ma première enseignante. Elle est décédée, mais, jusqu'à un âge très avancé, jusqu'à 85 ans, je suis resté en contact avec elle. Elle m'a influencé à tel point que, bien, je suis parmi vous. Alors, aujourd'hui, même le port du voile dans une garderie, dans un CPE, il a un message bien précis à destination de cette personne qui va devenir plus tard citoyen... je ne sais pas, citoyen de ce pays.

M. Kaidi (Ali) : En plus...

Le Président (M. Ouellette) : Woups! il n'y a plus de temps. M. le député de... Ah! votre réponse sur le temps du député de Borduas. M. Kaidi, votre réponse sur le temps du député de Borduas.

M. Kaidi (Ali) : Bon. En plus, par rapport au voile intégral, le fait que la personne cache son visage... Le visage est une porte vers l'altérité. Si on cache le visage, ça veut dire qu'on ne veut pas qu'on le découvre, on ne veut pas que les gens viennent vers nous. Donc, c'est une façon de se marginaliser, de s'automarginaliser, et ça, en quelque sorte, encourage le communautarisme et aussi encourage les idéologies sectaires qui essaient de donner certaines justifications pour se démarquer des principes qui nous unissent avec tout le monde ici, au Québec. C'est ce que je voulais ajouter.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Oui. M. Chikhi et M. Kaidi, bonjour. Merci pour votre contribution aux travaux de la commission.

C'est très intéressant, ce que vous nous relatez. Je voudrais juste faire une mise au point aussi. Lorsqu'on parle d'accommodements qui nous occupent, les accommodements pour les gens qui ont un handicap, ce n'est pas visé, puis je pense qu'il n'y a pas de débat là-dessus au Québec. Le n° 62 parle des accommodements religieux, puis je pense que c'est important de faire une distinction entre la notion d'accommodement pour les personnes qui souffrent d'un handicap et les accommodements religieux.

Ceci étant dit, vous dites, là, aux pages 8 et 9 de votre mémoire, là, en parlant du voile intégral... à la page 9, puis je vais citer, là : «Le Québec libéral deviendrait-il le champion de la régression par la ségrégation des femmes musulmanes en autorisant son port, y compris dans les espaces publics? C'est là une question fondamentale, et la société québécoise dans son ensemble attend une réponse claire de la part de ses élus.»

Pouvez-vous revenir sur ce texte-là, sur ces propos que vous avez? Parce que, bon, vous traitiez de la question du voile, du fait qu'une éducatrice dans un centre de la petite enfance avait une influence, tout ça. Les enseignantes, également, aux niveaux primaire et secondaire, c'est des personnes qui se retrouvent, en quelque sorte, en situation d'autorité. Lorsque vous parlez de ségrégation pour les femmes, c'est quoi, l'impact dans la communauté?

M. Chikhi (Ferid) : Bien, écoutez, la chose est simple. On peut prendre pour référence encore une fois les pays musulmans.

Dans les pays musulmans, des muftis, des imams, des religieux sont en train de dire : Écoutez, une femme qui porte le voile a les mêmes droits qu'une femme qui ne porte pas le voile, et celle qui porte le voile est aussi musulmane que l'autre. Alors, dès le moment où on dit : Non, non, il faudrait qu'elle porte le voile, c'est la mettre de côté. Si on autorise le port du voile... Et, je parle du voile, c'est juste sur la tête. La dame qui était là et qui est avocate, bien, je me demande quel est le regard que vous portez sur elle. Je me pose la question, en tant que musulman : Est-ce que vous la regardez... est-ce que le Québécois, en général, la regarde comme une femme qui met un... C'est comme celle qui porterait un chapeau, hein, pour se couvrir la tête pendant l'été ou un couvre-chef, quel qu'il soit. Est-ce que vous la regardez en tant que musulmane? C'est la grande question. Et c'est là où on dit : Arrêtons de jouer à ce jeu, parce que ça devient fatigant pour nous, ça nous éreinte.

Nous sommes, approximativement, 300 000 Nord-Africains venant d'Égypte, de Tunisie, d'Égypte, du Maroc, d'Algérie, de France. Parce qu'on a nos Algériens d'origine en France, en Belgique qui sont ici. Bien, je suis désolé, dès le moment où ils portent le voile ou ils parlent trop de religion, ils sont discriminés. Alors, on dit : Bon, faisons quelque chose rapidement, passons à une autre étape de la relation des citoyens au sein de la nouvelle société québécoise par justement une charte de la laïcité, et par la suite il y aurait des textes subséquents qui, arrangés...

J'ai bien entendu ce que vous disiez pour les personnes handicapées. Je connais bien cette partie, j'y ai travaillé. Vous savez ce qu'on demande à une personne handicapée pour recevoir les aides gouvernementales? Il faut des rapports de spécialistes, des rapports médicaux qui doivent dire que leur handicap est significatif et persistant. Est-ce que nous avons quelque chose en ce sens pour ce qui est des religions? M. Kaidi l'a dit, qui peut déterminer que X est convaincu par sa religion et qu'il pratique vraiment la religion et ce n'est pas des us ou une coutume? Parce que moi, en tant que Kabyle, je pourrais demander... Moi, j'ai ma fête kabyle, Yennayer, pour tous les Imazighen, pour tous les Nord-Africains berbères d'origine. Nous n'avons pas les mêmes fêtes que les musulmans, même si nous sommes musulmans. Est-ce que vous allez m'accommoder en tant que minorité?

M. Kaidi (Ali) : Et, en plus, je peux ajouter, cette problématique qui dit que la neutralité doit être pour les institutions mais pas pour le personnel qui y travaille, c'est une façon de dire que le signe religieux, en quelque sorte, il ne transmet pas un message. Si, dans ce cas-là, il ne transmet pas un message, pourquoi on le qualifie de religieux? Donc, il transmet un message. Il ne peut pas être neutre tout en exhibant son appartenance religieuse. Donc, par exemple, une personne qui va demander un service pour un employé qui exhibe son appartenance religieuse, c'est possible, lorsqu'il n'aura pas... s'il n'est pas satisfait de sa demande, il peut l'interpréter comme étant : Parce que j'appartiens à une religion différente de celui qui est en face de moi. Donc, dire que... seulement les murs qui sont neutres, il me semble que c'est une façon de refuser la neutralité.

Le Président (M. Ouellette) : Je m'excuse, M. Kaidi, c'est moi qui suis le méchant, là.

Des voix : Ha, ha, ha!

Le Président (M. Ouellette) : M. Ferid Chikhi, M. Ali Kaidi, merci d'être venus, au nom de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité, déposer pour le projet de loi n° 62.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais aux représentants de l'Association féminine d'éducation et d'action sociale de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 16 h 38)

(Reprise à 16 h 39)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant l'Association féminine d'éducation et d'action sociale et sa présidente, Mme Hélène Tremblay. Donc, Mme Tremblay, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Par la suite, il y aura une période d'échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne.

Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS)

Mme Tremblay (Hélène) : C'est Mme Céline Duval, c'est l'ex-présidente provinciale.

Le Président (M. Ouellette) : À vous la parole, Mme Tremblay.

• (16 h 40) •

Mme Tremblay (Hélène) : Merci. M. le Président. Mme la ministre, MM., Mmes les députés, merci de nous recevoir dans le cadre de cette consultation particulière. Après une courte mise en contexte, je vous présenterai quelques-uns des éléments de notre analyse et de nos demandes quant au projet de loi n° 62. Plutôt que d'analyser ce projet de loi dans ses détails, nous avons choisi de formuler un avis sur les grands points à revoir pour permettre une éventuelle solution applicable dans le dossier de la neutralité religieuse et des demandes d'accommodement.

50 ans après sa fondation, l'AFEAS regroupe quelque 8 000 Québécoises oeuvrant bénévolement au sein de 225 groupes locaux et répartis en 11 régions. L'Association féminine, dynamique et actuelle, elle donne, depuis 1966, une voix aux femmes pour défendre leurs droits et leur permettre de pratiquer activement au développement de la société québécoise, fondée sur des valeurs de paix, d'égalité, d'équité, de justice, de respect et de solidarité.

Pour bien camper cette consultation et nos positions, rappelons que l'histoire et la culture du Québec ont considérablement évolué depuis les années 60. D'un peuple fermé sur lui-même, de culture francophone et de religion catholique avec des rôles sociaux bien déterminés, le Québec change de façon drastique. Avec la Révolution tranquille, la séparation entre l'Église et l'État permet d'amorcer une nouvelle ère pour les Québécoises et les Québécois. De ce fait, au fil des ans, le Québec s'ouvre au monde et devient une société où l'égalité entre les personnes et la non-discrimination jouent un rôle majeur. Afin de composer avec ce changement de paradigme historique et culturel, le Québec a choisi un mode d'intégration de vivre-ensemble en se construisant à partir d'un projet sociétal collectif fondé sur des valeurs communes.

Pourtant, à la fin de 2006, une série d'événements fortement médiatisés soulèvent des inquiétudes tant chez les Québécoises et Québécois de souche que chez des membres de communautés culturelles. Ces événements ont comme point commun les demandes particulières de membres de communautés culturelles qui, sur la base de leur religion, indiquent leur relation avec les femmes. Dans ce dossier, ce qui inquiète l'AFEAS, c'est la possibilité de perdre des acquis durement gagnés pour et par les femmes et que, de ce fait, la possibilité d'un retour en arrière dont les femmes feront les frais encore une fois... Dans ce dossier, ce que l'AFEAS souhaite, c'est la garantie qu'aucun accommodement pour motif religieux ne vienne entraver ou diminuer l'égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes.

Le projet de loi n° 62, tel que déposé, fait un pas, un très petit pas dans le sens des demandes de l'AFEAS dans le dossier de la laïcité, de la neutralité religieuse et des accommodements pour motif religieux. Le projet de loi n° 62 vise à établir des mesures pour favoriser le respect de la neutralité religieuse par le personnel des organismes publics comme dans la prestation de services rendus par ces mêmes organismes et certains autres. Il vise aussi à établir les conditions par lesquelles un accommodement pour un motif religieux peut être accordé. Mais, au-delà de ces intentions, le projet de loi n° 62 oublie l'essentiel, soit de définir les prémisses dans le cadre desquelles doivent baigner les obligations qu'il crée et sur lesquelles doivent s'appuyer ceux et celles à qui s'adressent ces obligations. À cet effet, deux éléments doivent être définis pour que le projet de loi soit applicable, soit la neutralité religieuse et les accommodements pour un motif religieux.

En ce qui concerne la neutralité religieuse, le projet de loi n° 62 présume, à l'article 1, en disant : «Considérant la neutralité religieuse de l'État, la présente loi...», mais ne la définit pas. Pourtant, encore aujourd'hui, la neutralité religieuse n'a pas été enchâssée ni dans la Charte des droits et libertés de la personne ni dans aucune autre loi. Nous ne savons donc pas ce que le projet de loi entend par «neutralité religieuse de l'État».

Du côté des accommodements pour des motifs religieux, le projet de loi détermine les conditions qui doivent être remplies pour accepter une telle demande d'accommodement mais ne définit pas ce concept. Donc, comment juger si la demande d'accommodement pour motif religieux respecte bien l'égalité entre les femmes et les hommes quand tous, au Québec, ne s'entendent pas encore sur ce droit inaliénable?

Point particulier qu'il semble, à l'AFEAS, important de soulever, celui de l'accommodement permis à l'article 9 dans le cadre des services à visage découvert. Même si l'alinéa trois détermine les motifs qui permettent de refuser un tel accommodement, il est contradictoire de donner, d'un côté, un devoir au personnel d'un organisme et aux personnes qui reçoivent leurs services et, de l'autre, de permettre de passer outre ce devoir pour les uns comme pour les autres. L'AFEAS suggère de ne pas permettre d'accommodements liés au service à visage découvert et de retirer l'alinéa trois de l'article 9.

Enfin, afin de permettre la mise en application du projet de loi n° 62, s'il devait être adopté tel quel, quels sont les outils qui seront en place, et dans quel échéancier? Pour l'AFEAS, il ne faut pas encore laisser aux membres du personnel des organismes ciblés par le projet de loi n° 62 le soin et l'odieux de faire du cas par cas sans soutien concret et constant. À cet effet, l'AFEAS propose dans son mémoire divers outils, dont des guides d'information, de formation et un service-conseil. À la suite de notre analyse du projet de loi n° 62, en soulignant la volonté du gouvernement de tenter d'établir des paramètres pour baliser les demandes d'accommodement, l'AFEAS ne peut que constater que le résultat risque fort, à terme, de ne pas répondre à l'objectif recherché.

Depuis le rapport de la commission Bouchard-Taylor, le Québec cherche sa voie pour affirmer sa laïcité et baliser les demandes d'accommodement de façon raisonnable afin de persévérer... préserver, excusez, la spécificité du Québec, dont l'égalité entre les femmes et les hommes. Après quatre consultations, dont deux projets de loi devenus caducs, depuis 2007, pourquoi ne pas rechercher une base commune non partisane dans ce dossier majeur pour notre identité? Pourquoi ne pas trouver un terrain d'entente commun comme dans le dossier mourir dans la dignité, où les parlementaires de tous les partis ont fait montre d'une grande ouverture d'esprit et de collaboration? L'AFEAS croit sincèrement que c'est une affirmation clairement... qui nous sommes que nous obtenions... obtiendrons, voyons — excusez — le respect de tous, des citoyennes et citoyens comme des nouveaux, et nouvelles, arrivants. C'est pourquoi l'AFEAS demande que le gouvernement enchâsse la laïcité et la neutralité religieuse de l'État de même que les paramètres pour encadrer les demandes d'accommodement dans une charte de la laïcité. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Merci, mesdames, merci de votre présentation.

D'abord, je pense que notre réponse, la réponse législative qu'on vous propose, c'est celle du projet de loi n° 62. Je crois qu'une charte de la laïcité, ce n'est pas ce que l'on souhaite présenter. Je peux comprendre qu'il y ait différentes opinions, qu'il y ait différentes façons de voir, d'aborder ce dossier-là, ce dossier qui est délicat, puis je comprends qu'il faut le prendre avec beaucoup de sérieux, et c'est ce qu'on fait, mais notre réponse, pour le moment, n'est pas une réponse de charte de la laïcité. Puis, je pense qu'on a été très clairs là-dessus, je l'ai mentionné à plusieurs reprises, je pense, l'objectif, c'est d'assurer et d'identifier de façon très claire le principe de la neutralité de l'État et de donner des balises pour les accommodements. Ça, je pense que c'était nécessaire et c'était souhaité et souhaitable. D'ailleurs, vous le mentionnez et vous le mentionniez à l'époque de l'étude du projet de loi n° 94. Je pense, en mai 2010, vous aviez déposé un mémoire ici, à l'Assemblée nationale, dans lequel vous disiez : Il est important d'encadrer les demandes d'accommodement qui sont faites sur des bases religieuses.

Dans votre mémoire, par contre... moi, j'aimerais vous entendre, parce que vous mentionnez et vous souhaitez que le concept de la neutralité religieuse soit défini dans le cadre du projet de loi n° 62. On a eu d'autres commentaires similaires. D'ailleurs, les évêques sont venus nous présenter leur mémoire la semaine dernière et mentionnaient qu'il pouvait y avoir différentes perceptions ou différentes définitions de la neutralité.

Et j'aimerais vous entendre sur votre... puis je ne vous demande pas d'arriver avec des termes juridiques, là, soyez bien à l'aise, mais j'aimerais vous entendre sur votre vision, votre définition. Quelle est, pour vos membres au sein de l'AFEAS, votre vision de la neutralité religieuse de l'État? Elle s'exprime comment? Et comment pourrait-elle être simplement expliquée?

• (16 h 50) •

Mme Duval (Céline) : Merci. Si vous permettez, je vais répondre aux questions, parce que Mme Tremblay est présidente de l'AFEAS depuis le 25 septembre, alors elle n'a pas eu le temps de prendre tous les dossiers.

Alors, la neutralité. Bien, il y avait dans votre texte le deuxième paragraphe du point 4. C'était une définition sans en être une, on se posait la question : Le gouvernement ou... en tout cas, doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser, bon, oui, une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion. Est-ce que ça voulait dire que les gens qui n'ont aucune religion sont traités de la même façon que ceux qui en ont une très visible ou une pas visible? C'est cet aspect-là qui n'est pas très précis. Pour quelqu'un, être neutre, ça veut dire quoi par rapport à un autre? On n'a pas tous la même définition d'«être neutre».

Mme Vallée : C'est pour ça que je vous posais la question, parce qu'on a eu ici plusieurs représentations, il y a des gens qui lisaient le projet de loi et donnaient au projet de loi une définition et une portée qui n'étaient pas nécessairement celles qui étaient souhaitées par le gouvernement, mais je souhaitais vous entendre sur votre définition à vous, dans vos mots, dans vos termes.

Lorsque vous avez échangé avec vos membres pour prendre position sur le mémoire — j'imagine que vous avez eu des échanges — ...

Mme Duval (Céline) : Oui, on a échangé, mais, justement, quand on cherchait le sens de «neutralité» ou de «neutre», en cherchant simplement dans les dictionnaires, on arrivait à des termes tellement contradictoires. Parce qu'être neutre, ça peut vouloir dire «je m'en fous, je ne m'en occupe pas», dans le sens où «ça ne me dérange pas, qu'ils fassent ce qu'ils veulent, là, je suis neutre». Puis, dans d'autres cas, être neutre, c'est, au contraire : Je suis actif pour m'assurer que tout le monde a le même traitement puis que tout le monde s'implique, a la chance de s'impliquer de la même façon.

Mais on ne le sait pas, dans votre texte, ce n'est pas si précis, quel est le sens que vous donnez au mot «neutre». Donc, quel est le sens de la neutralité telle que le gouvernement la veut ou telle que vous la voulez?

Mme Vallée : En fait, pour nous, le fait de déclarer la neutralité de l'État, c'est d'indiquer clairement que l'État... parce que l'État et les personnes qui oeuvrent au sein de l'État, c'est deux choses. Donc, l'État, lorsque vient le temps d'offrir des services et de rendre une prestation de services à un citoyen, on ne fait pas de distinction dans cette prestation de services là en raison du fait que la personne qui est devant nous a une croyance religieuse ou n'en a pas.

Ça, vous avez raison, la croyance religieuse ou l'absence de croyance religieuse d'une personne ne doit pas venir influencer la façon dont le service est rendu, parce que les citoyens ont droit au même service, et la prestation du service ne doit être teintée par le fait que la personne qui reçoit le service s'affiche religieusement, dans le fond, à une croyance religieuse. Et la personne qui rend le service au nom de l'État, même si elle, dans sa vie de tous les jours, a sa propre croyance religieuse, ne doit pas teinter sa prestation de services en raison de sa croyance religieuse ou en raison de son absence de croyance religieuse, parce qu'on a des gens qui sont athées, on a des gens qui sont non croyants et qui ne doivent pas non plus teinter leurs prestations de services envers un citoyen ou une citoyenne qui serait d'une confession religieuse x ou y et qui serait visible, par exemple, parce qu'on a des confessions religieuses qui s'expriment de façon plus visible que d'autres.

Donc, c'est la prestation des services, et la neutralité de l'État, elle s'inscrit dans cette dynamique-là, où la prestation de services, elle n'est pas teintée d'aucune façon par les croyances religieuses de celui qui offre le service ni par les croyances religieuses de celui qui les reçoit. Et ça, pour nous, c'est important. C'est important de respecter la liberté de religion, la liberté de conscience aussi, parce que, pour les non-croyants, ça fait partie de cette liberté de conscience, de ne pas croire, parce que — et on s'inspire des décisions — il y a plusieurs décisions qui ont été rendues par les tribunaux, la Cour suprême entre autres, et qui viennent clairement affirmer que l'État en soi est neutre. Les individus, par contre, au sein de l'État, bien, ça, chaque personne a sa propre identité. Et il ne faut pas aseptiser notre vie publique et notre vivre-ensemble en demandant à ceux et celles qui interagissent avec l'État ou qui oeuvrent au sein de l'État de ne pas afficher aucun signe religieux.

Pour nous, vous ne retrouverez pas, dans le projet de loi, d'interdiction de port de signes religieux par les fonctionnaires, par les employés de l'État. Puis, quand on parle de signes religieux, on parle aussi de la croix, là, la croix que bien des gens vont porter, parce que ça aussi, c'est un signe religieux. Alors, il ne faut pas faire abstraction... parce qu'on a ciblé beaucoup tout ce qui était très visible, mais ça s'adresse aussi à l'ensemble des fonctionnaires. Donc, c'est ça. Mais moi, j'étais intéressée par votre perception de la neutralité, comment vous l'aviez... Quand vous vous rencontrez au sein de l'AFEAS, quand vous échangez sur ces enjeux-là, de quelle façon vous discutez de la neutralité, de quelle façon vous discutez de cette réalité-là? Parce que vous avez, j'imagine, au sein de vos membres, des membres qui sont... Parce que vous êtes, quoi... vous êtes dans 11 régions, vous êtes présentes dans 11 régions du Québec, et donc vous devez avoir une variété, une diversité de membres aussi.

Mme Duval (Céline) : On a des membres qui sont pasteures, dans certaines religions, on a des membres qui ne sont d'aucune religion puis d'autres... oui, c'est variable. Je vous dirais qu'on n'a pas retravaillé ce dossier-là dernièrement, parce qu'on avait d'autres thèmes qu'on a travaillés à notre dernier congrès, mais, dans les discussions lors de la préparation des autres mémoires, l'aspect d'être neutre, ça voulait dire, comme je... c'est vraiment, là, de traiter tout le monde avec le même respect puis de considérer que tu peux avoir une religion, tu peux ne pas en avoir, tu peux être très fervent ou ne pas l'être, mais, quand tu demandes un service à l'État, tu dois le recevoir de la même façon.

Mme Vallée : On se rejoint. Vous avez dit quelque chose d'intéressant, vous avez dit : On ne s'est pas penchées sur le projet de loi n° 62 récemment.

Mme Duval (Céline) : ...oui, mais on n'a pas consulté toutes nos membres.

Mme Vallée : Ah! d'accord. O.K. Donc, comment avez-vous travaillé la préparation et l'élaboration de votre mémoire?

Mme Duval (Céline) : Bon. Le conseil d'administration a demandé à Mme Hélène Cornellier, qui rédige généralement nos mémoires, de regarder... Elle m'a consultée. On a consulté. Le conseil d'administration est formé de 11 membres, alors celles-là ont consulté des gens autour. On n'a pas consulté toutes nos membres, mais plusieurs ont été consultées, et ce qu'on a fait, c'est une espèce de corrélation entre ce que le projet de loi propose et nos positions. C'est comme ça. Je peux vous le montrer. On a fait ça en corrélation. Qu'est-ce que vous dites, comment nous, on le disait... on n'a pas nécessairement les mêmes mots pour le dire, mais ça finit par dire souvent la même chose.

• (17 heures) •

Mme Vallée : Bien, justement, parce que vous avez... et ça fait longtemps que vous demandez d'encadrer et de baliser les accommodements. Vous avez vu, dans le projet de loi, on établit un certain nombre de critères. Vous amenez quelque chose qui est intéressant — et puis j'aimerais vous entendre — vous mentionnez dans votre mémoire que l'accommodement prévu, les critères qui doivent guider une demande d'accommodement visant la prestation de services à visage découvert... bon, on retrouve les critères d'identification, de sécurité et de communication à l'article 9. Vous verriez ces critères-là... vous souhaiteriez retirer la référence à l'accommodement de l'article 9 mais inclure les critères d'identification, de sécurité et de communication à l'article 10.

Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que je crois que vous êtes l'un des premiers groupes à nous faire cette proposition-là.

Le Président (M. Merlini) : En une minute, Mme Duval, en une minute.

Mme Duval (Céline) : Deux minutes. Parfait.

Le Président (M. Merlini) : Une.

Mme Duval (Céline) : Une? C'est que le point 9, premier paragraphe, dit qu'on autorise à tout le monde... puis le deuxième paragraphe dit qu'autant ceux qui donnent que ceux qui reçoivent... Par contre, on arrive à : Un accommodement est possible. Tantôt, on venait de dire que, pour tout le monde, c'est le visage découvert, puis on arrive tout à coup en disant : Bien, peut-être que vous pourriez demander un accommodement. Bien, si on peut demander un accommodement, pourquoi on ne met pas ça exactement dans le point qui parle des accommodements?

Mme Vallée : Bien, je vous dirais, parce que l'accommodement, à cette question-là, peut ne pas être basé sur une question de religion, parce que l'accommodement au visage couvert peut découler d'autres réalités. Notamment, un individu pourrait avoir le visage couvert pour des raisons autres que le port d'un voile, on s'entend?

Mme Duval (Céline) : Bien oui.

Mme Vallée : Ça peut être pour des raisons médicales, des raisons esthétiques. Il y a plein de situations qui peuvent amener quelqu'un...

Mme Duval (Céline) : Conditions de travail, et ainsi de suite, tel que mentionné.

Mme Vallée : Et donc le...

Le Président (M. Merlini) : Merci. Ça complète ce bloc, malheureusement, Mme la députée de Gatineau et ministre de la Justice. Maintenant, je me tourne vers l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, à vous, votre temps d'échange avec nos invités.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Merci, Mme Tremblay, Mme Duval, l'AFEAS, qui a une grande tradition de protection des droits et de l'égalité hommes-femmes.

Je lisais en annexe, là, vos positions. Vous n'avez pas dévié de beaucoup, beaucoup, et vous êtes très claires. À chaque fois, ce sont des congrès qui vous ont amenées à prendre des positions affirmées comme cela concernant l'égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité?

Mme Duval (Céline) : Oui.

Mme Maltais : En 1995, «l'AFEAS demande que les autorités concernées, tant civiles que religieuses, reconnaissent dans la pratique l'égalité des rapports entre les femmes et les hommes dans toute société civile et religieuse». À l'époque, c'était sûrement la religion catholique que vous visiez.

Mme Duval (Céline) : Oui.

Mme Maltais : C'était la religion qui était la religion majoritaire. Donc, vraiment, l'esprit de la laïcité, ce n'est pas de viser une religion, c'est vraiment de faire que l'égalité hommes-femmes soit un principe fondamental de la société.

Vous avez continué, la charte de la laïcité, vous l'avez demandée en 2010. Donc, vous avez continué à travailler et à raffiner votre position, c'est ça?

Mme Duval (Céline) : La raffiner davantage, peut-être pas, mais la retravailler, oui. Puis on revient toujours à... on ne l'a pas avancée plus, on revient à notre idée que, pour nous, tant que ce ne sera pas écrit, que ce ne sera pas... Parce que, là, on a une laïcité de fait, mais elle n'est pas écrite. Ce n'est pas une laïcité de droit, ce n'est pas écrit, là, ce n'est pas une loi, puis ça nous fatigue, parce que, quand tu veux faire appliquer une loi, quand elle est écrite, tu peux y revenir, tu peux la faire appliquer, mais, quand c'est un fait, une situation, chacun peut l'interpréter un petit peu, tandis qu'une loi écrite, elle est là.

Mme Maltais : Donc, c'est fondamental pour l'AFEAS que d'inscrire la «laïcité», à tout le moins, dans les... je ne sais pas où on pourrait l'inscrire, dans la Charte des droits et libertés, par exemple, à ce moment-là?

Mme Duval (Céline) : Oui.

Mme Maltais : Vous dites, d'ailleurs, je comprends : «Qu'attend — enfin, la conclusion est très intéressante — le gouvernement [...] pour statuer formellement sur la laïcité de l'État et de ses institutions?»

Vous demandez qu'on inscrive «la laïcité» dans cette loi. Est-ce que ça vous irait si on l'inscrivait à quelque part dans cette loi? On cherche où l'inscrire.

Mme Duval (Céline) : Ce serait déjà un pas, parce que, la laïcité étant une chose, et la neutralité une autre... La laïcité, on sépare vraiment l'État de la religion, quelle qu'elle soit, tandis que la neutralité, c'est traiter chacun correctement, peu importent sa religion ou ses croyances. Ce n'est pas la même définition.

Mme Maltais : Est-ce qu'on pourrait inscrire, par exemple, «considérant la séparation de l'État et des religions»? Je dis : Des religions. Avant, on disait «de l'Église et de l'État», mais là il y a plusieurs Églises. Alors, «de l'État et des religions» ou... je cherche une formule qui permette à mes collègues de s'avancer sur le même terrain que moi, là, parce que, jusqu'ici, on a «la neutralité religieuse de l'État», on n'a pas encore «la laïcité». Ça fait que j'essaie de trouver une formule qui nous permette d'affirmer quelque chose qui est pourtant reconnu par tous les Québécois et Québécoises, qu'il y a une séparation entre l'État et les religions.

Mme Duval (Céline) : C'est ça, mais ce n'est pas écrit, puis ça, c'est fatigant, là, parce que ce n'est pas écrit. Ça nous prend quelque chose de clair, auquel on peut se référer toujours.

Mme Maltais : Bien, l'idéal, c'est effectivement d'écrire «laïcité», parce que je pense qu'au Québec on s'entend sur le sens de ce que ça veut dire, séparation entre l'Église et l'État, puis une affirmation solide, un socle sur lequel on peut bâtir. C'est ça, la différence.

Mme Duval (Céline) : C'est ça.

Mme Maltais : Un socle sur lequel on peut bâtir mais qui vient d'années de travail et des Québécoises aussi et des Québécois de la Révolution tranquille.

Vous dites, l'autre phrase après : «Qu'attend le gouvernement pour trouver un terrain d'entente sur un projet de loi avec les différents partis représentés à l'Assemblée nationale dans ce dossier majeur pour notre identité?» J'aimerais ça vous entendre sur cette proposition que vous faites.

Mme Duval (Céline) : C'est un petit peu le droit de mourir dans la dignité, qui venait de nous un petit peu, beaucoup, là, qui a été travaillé ensuite avec beaucoup d'ouverture, de respect de tous les partis pour arriver à quelque chose. C'était un sujet pointu. Mais l'identité québécoise est aussi un sujet pointu, puis il faut le travailler, il faut prendre le temps d'en parler, mais il faut, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, essayer de trouver, tout le monde ensemble, une façon de le dire qui convienne à tout le monde.

Mme Maltais : Évidemment, ce serait difficile de repartir dans une grande consultation publique comme mourir dans la dignité. Il y a eu Bouchard-Taylor, il y a eu 94, il y a eu des audiences sur le projet de loi n° 59 qui ont toujours le même sujet.

Mme Duval (Céline) : ...éléments qui font consensus, qu'on parte de ceux-là puis qu'on regarde si on peut améliorer encore.

Mme Maltais : Si je vous demande : Quels éléments font consensus?, par exemple, «laïcité», pour vous, c'est assez clair que ça devrait être inscrit. Nous, on parle beaucoup de Bouchard-Taylor. Même tout à l'heure, on me disait : Bouchard-Taylor, c'est même du vieux. Mais est-ce qu'on ne pourrait pas trouver là une base de consensus sur le fait que les personnes en situation d'autorité ne devraient pas porter de signes religieux? Avez-vous d'autres éléments qui, à votre sens, devraient être inscrits dans une espèce de loi commune? C'est parce que je ne vais pas jusqu'à... le signe religieux pour tous les fonctionnaires. Je sais déjà qu'il y a une réponse de l'autre côté, qui est non.

Ceci dit, je tiens à faire remarquer à tout le monde que je n'ai jamais entendu parler en aussi bien de la charte que quand on reçoit le monde en commission parlementaire. Quand on reçoit les groupes concernés par ça, un après l'autre... pas tous, là, il est sûr que les juristes, en général, sont contre, mais, quand tu viens voir les gens qui sont concernés par... qui viennent ici, en général, c'est étonnant comment la charte, ça intéresse les Québécois et Québécoises puis qu'ils y voient une avancée. Ça me fait plaisir. Mais, comme on ne se rendra pas jusque-là, sur les accommodements religieux qu'est-ce que... Est-ce que vous êtes pour, est-ce que vous contre toute cette partie-là, là, de l'idée d'accommoder?

Mme Duval (Céline) : Il faut être très vigilants pour que les mêmes droits soient accordés aux femmes, aux hommes.

Mme Maltais : Mais, pour vous, c'est l'égalité hommes-femmes qui est le point d'équilibre, on ne doit jamais briser l'égalité hommes-femmes.

Mme Duval (Céline) : Non, jamais.

Mme Maltais : Jamais. Présenté comme il est là, dans la loi actuellement, est-ce que ça vous satisfait? Parce que ça dit que l'accommodement doit respecter...

Mme Duval (Céline) : C'est dit que ça doit respecter l'égalité.

Mme Maltais : Mais c'est un parmi...

Mme Duval (Céline) : Aussi, l'accommodement, c'est un cas par cas, hein?

Mme Maltais : Oui, tout à fait.

Mme Duval (Céline) : On n'accorde pas un accommodement à une foule, là, on accorde un accommodement à un individu, à une personne.

• (17 h 10) •

Mme Maltais : O.K. Ça veut dire que, si une personne demande, par exemple, que les hommes et les femmes soient séparés dans une salle, pour tout le monde, ce n'est plus un accommodement, à ce moment-là. Ça ne respecte pas l'égalité entre les hommes et les femmes, parce que ce n'est plus pour une personne, c'est pour un groupe. C'est ça que vous voulez dire?

Mme Duval (Céline) : C'est ça. Bien, c'est-à-dire qu'il faut que la personne qui demande l'accommodement le demande pour elle-même, elle ne le demande pas pour un groupe.

Mme Maltais : Parce que ce n'est pas inscrit comme ça, là. C'est marqué : «Le membre du personnel d'un organisme qui traite une demande d'accommodement pour un motif religieux...» O.K. Donc, votre intention, ce serait qu'on limite ça à une personne.

Mme Duval (Céline) : Bien, c'est parce qu'en principe une demande d'accommodement, c'est accordé à une personne. Une personne fait la demande, puis on l'étudie, là. Par exemple, on disait : Pour les écoles ou pour les usines, ou peu importe, là. On ne gagne pas pour tout le monde, là.

Mme Maltais : ...cas par cas. Merci.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup pour ce bloc d'échange. On va maintenant passer au deuxième groupe d'opposition. Et, le député de Borduas, la parole est à vous.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme Tremblay, Mme Duval, bonjour. Merci d'être à l'Assemblée nationale et de participer aux travaux de la commission parlementaire.

D'entrée de jeu, vous me permettrez un commentaire éditorial. Je tiens à féliciter particulièrement l'AFEAS‑Richelieu-Yamaska, qui organisait son cinquième Gala femmes d'influence à Sainte-Rosalie, au Domaine de l'Érable, il y a environ deux semaines. C'est toujours un événement qui est approprié. Puis je tiens à souligner le bon travail qui est fait par la fédération Richelieu-Yamaska. Je pense que c'est apprécié également des femmes qui sont récipiendaires aussi à cette occasion.

Mme Duval (Céline) : Je suis de Richelieu‑Yamaska. Je peux vous dire merci.

M. Jolin-Barrette : Bon. Je vous ramène sur le sujet. Tout à l'heure, la ministre nous disait : C'est quoi, votre définition de la neutralité?, puis elle disait aux membres de la commission puis à vous, elle disait : Bien, c'est le fait pour l'État de rendre des services de façon neutre. Il faut que la personne ne juge pas la personne qui porte un signe religieux puis il ne faut pas qu'elle émette d'opinion sur la personne qui reçoit le service. Puis, même chose, la personne qui reçoit le service, elle ne doit pas juger la personne qui lui livre des services si elle porte un signe religieux, supposons. Là, on peut se retrouver dans une situation où l'État... Supposons, on va prendre un policier, un policier qui porterait un signe religieux. Lui, il représente l'État, là, puis on ne parle pas nécessairement en mesures où le policier vous arrête. Vous allez voir le policier pour un renseignement. C'est un service public. Vous pouvez aller au poste de police pour plein de raisons, pour avoir un renseignement. Et là le policier, qui a un pouvoir de contrainte aussi, se retrouve avec un signe religieux.

La question qui se pose, c'est : Est-ce que l'État est neutre à partir de ce moment-là, surtout que, si la personne qui reçoit le service, elle, elle fait une analyse subjective... Dans le fond, supposons que c'est moi, c'est dans mon for intérieur que je vais aller voir le policier qui porte un signe ostentatoire, un signe religieux, puis là ça va être ma perception à moi. Ça fait que c'est difficile, la neutralité, si les individus portent un signe religieux. Est-ce que c'est votre compréhension de la chose au niveau de la neutralité?

Mme Duval (Céline) : C'est un fait que c'est plus difficile de faire abstraction de ses propres croyances, ou de ses propres appréhensions, ou de ses... je ne sais pas, les imaginations qu'on peut se faire par rapport à quelqu'un d'une religion quelconque surtout si on ne les connaît pas, si on ne les a jamais vus, si c'est quelqu'un qu'on... Tu sais, tu peux voir quelqu'un avec un signe religieux, tu dis : C'est quoi, ça? Je ne l'ai jamais vu, je ne sais pas ce que c'est. Ça fait quoi? C'est sûr que ça peut influencer.

M. Jolin-Barrette : Donc, dans la perception de la personne qui reçoit le service.

Mme Duval (Céline) : Qui le reçoit.

M. Jolin-Barrette : Donc, pour l'AFEAS, dans le fond, vous nous invitez vraiment à clarifier la situation puis à nous doter d'un outil législatif pour avoir un code de conduite, une référence. C'est bien ça?

Mme Duval (Céline) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que vous trouvez que... Bon, tout à l'heure, vous nous avez parlé de la charte un peu puis vous nous avez invités aussi à travailler tous ensemble. Je vous dirais que parfois on réussit, des fois c'est plus difficile. Ça dépend des sujets. Mais c'est tout à fait sage.

Mais, concrètement, est-ce que vous croyez que le port de signes religieux, ça nous empêche de clarifier cette situation-là pour l'État, là, pour la neutralité de l'État?

Mme Duval (Céline) : Je ne le sais pas. En tant que gouvernants, vous devez travailler puis regarder tous les aspects. Vous avez entendu plein de monde en commission, là. On n'est pas venus ici, tout ce monde-là, pour rien, là, vous avez dû entendre des idées. Maintenant, c'est vous qui devez travailler ça, là. Est-ce que le fait des costumes, ou des signes, ou des objets influence puis peut empêcher d'arriver à réaliser une charte ou à réaliser un programme qui permette d'accommoder? C'est bien plus vous que moi qui peut vous le dire, là.

M. Jolin-Barrette : C'est ça, nous, puis la ministre si elle veut écouter nos propositions, mais on travaille fort, on travaille fort.

Le débat sur les signes religieux, sur les accommodements, ça touche beaucoup les gens. Et, dans la majorité des cas, souvent, c'est une méconnaissance de la situation, c'est enflé médiatiquement, puis il y a un cas, puis finalement on ne connaît pas toute l'histoire. Puis les gens, finalement, quand ils connaissent l'histoire au complet, bien, ils se réconcilient peut-être avec la mesure d'accommodement. Tout à l'heure, vous disiez : Bien, c'est quelques cas. Tu sais, dans le fond, un accommodement, ce n'est pas pour tout le monde, c'est quelques cas.

Comment est-ce qu'on pourrait réussir, comme société, selon vous, à mieux expliquer, à mieux diffuser c'est quoi, l'accommodement pour la personne?

Le Président (M. Merlini) : Et, sur cette question, Mme Duval, vous avez le mot de la fin.

Mme Duval (Céline) : Oh! Bien, c'est, je pense, le vivre-ensemble, se connaître, mieux vivre ensemble, mieux partager entre nous pour comprendre ce que l'autre veut puis ce qu'on peut lui donner. Merci.

Le Président (M. Merlini) : Bien, c'est ce que je disais. Mme Hélène Tremblay, Mme Céline Duval, représentant l'Association féminine d'éducation et d'action sociale, merci d'être venues déposer en commission.

J'ajourne les travaux à demain, jeudi 3 novembre, après les affaires courantes, soit vers 11 h 30, où elle poursuivra son mandat.

(Fin de la séance à 17 h 17)

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