(Onze heures quarante minutes)
Le Président (M. Ouellette) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à
toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie
de leurs appareils électroniques.
La commission est réunie afin de poursuivre les
consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité
religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes
d'accommodements religieux dans certains organismes.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Non, M. le
Président, il n'y a pas de remplacement.
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous entendrons, cet avant-midi, les organismes suivants : le Service d'aide et de liaison pour immigrants La Maisonnée,
représenté par M. Guy Drudi, le président du conseil d'administration, qui
va nous présenter les gens qui
l'accompagnent... Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura
un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. M.
Drudi, à vous la parole.
Service d'aide et de
liaison pour immigrants La Maisonnée
M. Drudi (Guy) : Merci beaucoup, M Ouellette, M. le Président. Donc, le titre du mémoire s'intitule Assurer une participation à la société en tant que citoyen à
part entière par la reconnaissance de la contribution sociale des
immigrants et de leurs familles au Québec.
La Maisonnée a présenté des mémoires aux cinq
commissions d'envergure concernant la lutte contre la discrimination et les
moyens pour favoriser la participation sociale des personnes issues de
l'immigration à la société québécoise. Lors
des consultations précédentes, La Maisonnée a formulé de nombreuses
recommandations sur le défi que représentait
l'harmonisation de la réalité de nos institutions civiques, neutres et laïques
avec les dimensions religieuses qui caractérisent
surtout les groupes de personnes issues de l'immigration. Nous constatons que
les croyances religieuses sont des
variables fondamentales culturelles pour la construction de la personne qui
sont enracinées profondément dans des traditions qui dépassent le vécu
individuel. Elles méritent qu'on les considère avec respect à l'intérieur d'un
dialogue interculturel qui favorise la cohésion sociale.
La Maisonnée
considère que le Québec moderne s'est construit sur un héritage de valeurs qui
sont le résultat de plus de 1 000
ans d'histoire de culture amérindienne et plus de 400 ans d'histoire et de
culture majoritairement canadienne-française transformée tout au long de
son parcours par l'immigration. Ces valeurs reflètent la notion d'hospitalité
des cultures amérindiennes originelles, qui ont laissé une tradition d'accueil
dans notre société.
La Maisonnée
s'est donné pour mission de faire de tout résident, ancien, nouveau ou de
naissance, un citoyen à part entière.
Ses services visent à aider les nouveaux résidents et leurs familles à
s'installer, à s'adapter, à s'intégrer au Québec afin de favoriser l'exercice de la citoyenneté et de la
participation civique et le développement des réseaux sociaux. Vivre
ensemble, définition de la convivialité, nécessite une volonté de partage
fondée sur la répartition équitable des richesses
de la société non seulement entre les individus, mais entre les collectivités.
La convivialité se vit dans un lieu, celui
du Québec. Ce n'est pas un territoire anonyme sans histoire, sans vision sur
les destinées individuelles et collectives. Réussir la convivialité nécessite une volonté politique d'impliquer non
seulement l'État, mais tous les acteurs sociaux pour garantir non
seulement l'égalité des chances, mais surtout l'égalité des résultats dans
l'intégration sociale, la mobilité sociale et la participation civique de tous
les résidents de la société, anciens, nouveaux ou de naissance.
La Maisonnée constate que le projet de loi n° 62
repose sur une démarche fragmentée ciblant des mesures spécifiques pour assurer le respect de la neutralité religieuse affirmée
de l'État et encadrer les demandes d'accommodements religieux dans
certains organismes. Il ne fait pas mention de la politique en matière
d'immigration, de participation et d'inclusion, adoptée en 2015, qui suggère une vision de la
société québécoise en termes derapprochement et de participation
sociale des immigrants. En ce sens, il ne s'agit pas d'un projetde loi
générique dont l'objet serait d'alimenter la réflexion
sur l'avenir de la société québécoise.Il s'apparente au défunt projet
de loi n° 94 établissant les balises encadrant les demandesd'accommodement dans l'Administration
gouvernementale et dans certains établissements,présenté en
2010.
Il sera important que
le gouvernement du Québec propose des mesures accrues de soutien à l'accueil, à
l'établissement et à l'employabilité des nouveaux immigrants pour
assurer l'implantation de la Politique québécoise
en matière d'immigration, de participation
et d'inclusion. Ainsi, l'aide à la francisation des immigrants, le soutien
diversifié à l'employabilité des personnes
immigrantes par de véritables campagnes de publicité pour informer les entreprises sur l'apport des immigrants au Québec,
le développement et le financement d'une partie des activités de jumelage professionnel
et de mentorat dans les entreprises,
la mise en place de passerelles permettant aux personnes détenant une profession de pratiquer leur profession au Québec et le financement de recherches pour saisir l'impact de la
contribution générale des populations immigrantes à la société québécoise
sont autant de mesures concrètes pour faciliter le rapprochement interculturel
entre les immigrants et les membres de la société d'accueil.
En
conclusion, les accommodements religieux, tels que stipulés dans le projet de loi n° 62, ne constituent pas une voie saine pour
favoriser l'intégration sociale des immigrants et de leurs familles au Québec.
Ainsi, à l'instar de la commission
des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, La Maisonnée éprouve
un malaise face à un projet de
loi qui vise encore de façon indirecte et
dans une unique disposition établissant des balises en matière d'accommodement un groupe particulier de personnes qui, pour des
motifs religieux, ont le visage couvert, à savoir les femmes musulmanes portant le niqab. Ainsi, elle est préoccupée par
les effets sociopolitiques néfastes qu'il pourrait avoir sur les femmes
ainsi ciblées, et là-dessus
nous nous référons à la lecture que la Commission
des droits de la personne avait faite, à la suite du projet de loi
n° 94, justement sur la même disposition. Et, ce qu'on peut dire — c'est
dans le document, vous l'avez eu — ça génère et ça augmente et ça alimente ce
que La Maisonnée appelle le choc
discriminatoire. De plus, le principe de neutralité de l'État devrait être inscrit nommément dans la charte des droits et des libertés du Québec, tel
que le recommandent certains juristes.
Je termine ici ma
présentation au niveau du mémoire et j'aimerais vous présenter les deux
personnes qui m'accompagnent : il
s'agit de Mme Micheline Nalette, qui se trouve à être responsable des
communications au niveau de La Maisonnée, et M. Hameza Othman, qui se
trouve à être responsable d'accueil, établissement et intégration. Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la ministre.
• (11 h 50) •
Mme
Vallée : Bonjour. Merci beaucoup pour votre présentation. Vous
avez mentionné dans vos commentaires de fin que vous croyez que le projet de loi ne constitue pas nécessairement
une voie saine pour favoriser l'intégration. Je crois que, ce projet de loi là, je le vois différemment, vous
comprendrez. Je considère que c'est important dans une société qu'on établisse certains paramètres clairs, parce
qu'au fil des dernières années, je vous dirais, au cours des
10 dernières années, il y a eu un tas
de débats qui ont pris des proportions qui, je crois, n'ont pas contribué à la
pleine intégration des personnes
immigrantes dans la société québécoise. Je pense que la façon dont certains
débats ont été menés, ça a plutôt eu tendance
à amener une certaine polarisation des positions, polarisation de certaines
parties de la population et à amener un débat qui nous a dangereusement
fait glisser, du «nous contre eux».
L'objectif
du projet de loi, c'est d'établir un certain nombre de balises qui vont
permettre de mettre de côté un flou, un flou qui, dans le traitement
notamment des accommodements pour un motif religieux, a pu amener ce type de polarisation dans le discours — discours politique, discours social,
discours sur les médias sociaux — et vient, on l'espère, encadrer et donner une référence qui permettra
d'éviter ces écueils. C'est le but du projet de loi. Je comprends qu'on
a... et certains experts, et vous le mentionnez, certains experts considèrent
que la neutralité doit être inscrite dans la charte. D'autres experts considèrent
que c'est la laïcité de l'État qui doit être inscrite dans la charte.
Pour
nous, il est important d'avoir cette déclaration à l'effet que la prestation de
services doit être empreinte de neutralité,
donc que la prestation d'un service de l'État ne soit pas teintée par
l'appartenance religieuse ou la non-appartenance
religieuse de la personne qui demande de recevoir le service mais aussi par
celle de la personne qui s'apprête à recevoir le service.
C'est
un peu la philosophie qui nous a amenés à déposer un projet de loi qui, je considère, est un juste équilibre.
Certains considéreront qu'il est trop
timide. Et ça, c'est le propre des projets
de loi : les projets de loi sont soit trop timides ou
soit trop forts, bien souvent, dans
l'esprit des gens, mais là on arrive avec une position équilibrée. Lorsqu'on
regarde, par exemple, les recommandations du
rapport Bouchard-Taylor, le gouvernement en a mis en place plus 80 %. On
s'est inspirés aussi beaucoup de ce qui ressort dans Bouchard-Taylor pour
apporter ce projet de loi là.
Donc,
je tenais à mettre la table puis vous expliquer de quelle façon ce projet de
loi là est arrivé. Et évidemment c'est certain que ce projet de loi là,
il existe, mais il y a tout un travail qui se fait par notre collègue la ministre
de l'Immigration, de la Diversité et de
l'Inclusion qui vise à intégrer les nouveaux arrivants pour qu'ils puissent
prendre leur juste place dans notre
société et qu'ils puissent jouer un rôle important dans notre société, ça,
c'est très clair, parce qu'on a tout à gagner d'enrichir et de
diversifier notre société.
J'aimerais
vous entendre. Vous, qui, au quotidien, travaillez auprès des nouveaux
arrivants, travaillez auprès de l'immigration,
comment percevez-vous ce débat qui a grandi au fil des dernières années? Est-ce
que vous partagez cette préoccupation-là quant à l'instrumentalisation
de certains positionnements pour peut-être des raisons que certains ont qualifiées de nationalisme frileux? Mais est-ce
que ça a un impact au sein de ceux et celles à qui vous rendez service
au quotidien? Est-ce que vous avez senti un impact du discours qui parfois est
porté par certaines personnes sur la place publique?
M. Drudi (Guy) : Avant de passer la parole à mes collègues, qui effectivement peuvent
facilement donner le son de cloche du
terrain, juste mentionner que, par rapport au projet de loi, c'est ça, c'est un
peu comme si votre ministère et celui du
MIDI fonctionnent mais, je dirais, pas au même rythme, voyez-vous, c'est un peu
en ciblant strictement une modalité, je dirais, procédurière. Et d'ailleurs, dans notre mémoire, nous l'avons
mentionné dans un de nos commentaires, il s'agit, dans le fond, d'une parcelle de l'ajustement, si je
peux dire, par rapport à l'inclusion, la façon de pouvoir accueillir les
personnes immigrantes, la notion d'accommodements religieux. Et encore
l'accommodement religieux, c'est vraiment minime par rapport à l'accommodement
raisonnable.
Juste,
mettons, mentionner qu'évidemment, par rapport à d'autres projets de loi, il
n'est pas coercitif, si on peut dire,
mais la question, dans le fond, c'est que, quand on veut développer le dialogue
interculturel, il faut effectivement avoir
un cadre de dialogue interculturel, et je ne pense pas que le prendre par le
bout de l'accommodement soit le cadre qui nous permette, mettons,
d'élargir le dialogue. Ceci étant dit, maintenant...
Mme Vallée :
...juste avant que vous abordiez l'autre aspect, tout simplement pour vous
rassurer. Le projet de loi a été
écrit en collaboration avec nos collègues du MIDI, ça, c'est certain. On a
travaillé en étroite collaboration et nous avons justement tenté de répondre à certaines... parce qu'il y a, dans le
projet de loi, des réponses à certaines recommandations du rapport Bouchard-Taylor, pas toutes, mais
certaines, et le travail s'est fait en collaboration pour justement que la
rédaction soit en symbiose avec les
réalités, aussi en harmonie avec les réalités du terrain tout en voulant
répondre à la mise en place de
balises qui étaient nécessaires, puisqu'actuellement la jurisprudence sert de
guide et la jurisprudence n'est pas connue de tous et de toutes.
Alors, je pense que c'était une façon de
répondre à ce qui pour plusieurs était flou et amenait des réponses parfois qui n'étaient pas adaptées, et le projet
de loi vient répondre en balisant, de façon législative, des principes
déjà établis par la jurisprudence.
M. Drudi
(Guy) : Justement. Et, dans
ce sens-là, je pense que nous, on suit Bouchard-Taylor en disant que,
sur la notion de laïcité, sur la notion de
pouvoir... mettons, neutralité religieuse, il faut effectivement comme être en
mesure d'avoir ce qu'on appelle une
étude plus approfondie, ce qu'on souhaitait, dans le fond, avoir peut-être un
petit peu plus lors de notre échange.
Maintenant, vous avez posé la question de la
polarisation, est-ce qu'à l'intérieur de nos services on vit cette polarisation et, si jamais elle est présente,
comment on l'aborde. Juste mentionner que La Maisonnée se trouve à
être... parmi d'autres, mais, entre autres, des artisans de l'interculturel, du dialogue interculturel. Donc,
juste donner, mettons, le cadre :
La Maisonnée, en travaillant à l'intérieur d'une vision sociale inclusive qui
permette, mettons, la participation
en tant que citoyen à part entière, bien, je
pense que ça nous donne beaucoup plus d'outils pour pouvoir justement nous
ajuster par rapport à ce qu'on appellerait
aujourd'hui, là, ce qui est ciblé, l'accommodement religieux. Évidemment, le
principe de neutralité s'applique dans nos
services, ça va de soi. Mais je vais passer la parole à M. Othman, qui est le
responsable...
M. Othman
(Hameza) : La question que
vous avez posée est très pertinente, Mme la ministre — alors, bonjour et merci de nous permettre de nous exprimer
aujourd'hui dans cette commission — par contre, vous avez parlé de nationalisme frileux, l'impact du discours
nationaliste frileux sur les gens qu'on reçoit, les immigrants qui viennent
dans nos organisations, si je comprends bien, si je reprends un peu vos termes.
Je dirais,
les immigrants qui arrivent ont d'autres préoccupations que de voir ces
problématiques au début, quand ils viennent
s'installer au Québec. Par contre, on voit l'impact de cette problématique, si
je peux l'appeler comme ça, entre guillemets,
sur la population qui reçoit. La société d'accueil, ce n'est pas seulement les
instances gouvernementales, ce n'est pas
seulement le gouvernement du Québec, ce n'est pas nos organisations. Nous, on
est des acteurs parmi tant d'autres. La société d'accueil, c'est plus, c'est la société civile. Et cette
problématique se répercute sur cette société civile et c'est là où on voit qu'au lieu de faire... nous, on travaille
énormément, comme disait M. Drudi, dans le rapprochement
interculturel, et c'est notre dada, si je peux appeler ça comme ça.
Par contre,
on a de la difficulté, lorsque ce genre de problématique vient, on a de la
difficulté à faire du rapprochement, à
travailler dans ce sens-là. Et, je pense, le manque à gagner, c'est dans la
sensibilisation de la société d'accueil sur l'apport et l'accueil des
immigrants au Québec. C'est là où le bât blesse, si je peux m'exprimer comme
ça. Je ne sais pas si je réponds à votre question, Mme la ministre, un peu.
M. Drudi (Guy) : Autrement dit,
notre intervention se fait fonctionnellement pour permettre aux personnes
immigrantes d'intervenir et de participer à notre société. Cependant, on voit
ce qu'on appelle, un terme qui est utilisé,
le revers, ou le «backlash», ou l'effet pervers, et c'est dans ce sens-là que
notre dernière recommandation, en fait, disait : Écoutez, à force
de toujours cibler les accommodements religieux, bien, ça crée une méfiance
indue auprès d'une population nouvellement
arrivée ou d'une population qui est déjà arrivée depuis longtemps mais qui a
une foi différente, autre que celle de la majorité, quoiqu'aujourd'hui,
la foi de la majorité, on dit que c'est beaucoup plus l'athéisme.
Mais donc ce
que je veux juste dire, c'est qu'à quelque part ça multiplie les obstacles
d'intégration sociale au niveau des
logements, d'intégration au niveau de l'emploi, d'intégration, quelquefois, à
l'école, en d'autres termes, et peut-être d'intégration à la fonction
publique. Dans les études que j'ai réalisées personnellement, on avait
effectivement cette crainte, parce qu'on
disait : Bien, peut-être que je ne suis pas en mesure de pouvoir tout
anticiper les difficultés que ça pourrait m'apporter si j'ai quelqu'un
d'origine autre qui est aussi de religion autre. Et, dans ce sens-là, je pense
que l'étude de M. Eid l'avait très bien illustré, mais l'étude de M. Eid, en
2012, reprenait ce que nous, on avait vu avec la firme L'Indice en 1996. Donc, c'est juste... je veux dire, c'est que ça
crée un contexte et c'est pour ça que nous, on pense qu'on doit davantage travailler au niveau du
contexte global pour pouvoir harmoniser nos pratiques d'accueil avec ce
qui se fait en réalité dans la société civile.
• (12 heures) •
Mme Vallée : Mais est-ce que
vous ne croyez pas qu'il est important de donner des balises claires pour le
traitement, l'analyse d'une demande d'accommodements religieux? Parce qu'une
demande d'accommodement, par exemple, pour
un motif de handicap, bien souvent, c'est un aménagement de l'environnement de
travail, par exemple, ou de
l'environnement physique. La réponse pour un citoyen, elle est peut-être plus
facile à trouver que l'accommodement religieux, qui pour bien des gens est un concept
parfois un peu plus abstrait, un peu plus difficile à gérer pour
l'administrateur qui n'est pas, dans bien des cas, familier avec la
demande d'accommodement qui est sollicitée.
Donc, est-ce
que vous ne croyez pas que c'est important? L'objectif n'est pas de stigmatiser
qui que ce soit, au contraire, mais
d'outiller celui ou celle à qui une demande sera formulée afin d'analyser, de
donner des paramètres qui permettront de répondre assez rapidement à la
demande. Mais là je manque de temps, je suis désolée.
M. Drudi
(Guy) : Mme la ministre, je
suis heureux d'entendre votre propos, parce que ce n'est justement pas
ce que la gestion de la diversité nous
enseigne, c'est-à-dire d'avoir, mettons, une recette à appliquer pour pouvoir
traiter une situation qui se présente devant nous, surtout pas lorsqu'il
y a des rapports humains qui sont en jeu.
Donc, qu'est-ce que je veux dire par là, c'est
que, pour avoir enseigné la gestion de la diversité à plusieurs professionnels, ce qu'on doit avoir, c'est d'avoir
davantage un cadre qui permet, mettons, de créer un climat de la
diversité, un climat organisationnel qui va
nous permettre, mettons, de favoriser une intégration, une participation. Et,
quand vous dites que c'est peut-être
moins tangible — ça, je
vous suis là-dedans, par exemple — un accommodement religieux qu'un accommodement relié au handicap, il n'en demeure
pas moins que les principes, selon M. Pierre Bosset, anciennement de la Commission des droits de la personne, sont
sensiblement les mêmes, et, dans ce sens-là, on les retrouve dans le
projet de loi. Nous, dans le fond, je veux dire, on l'observe, mais on
dit : Ça ne doit pas être cela. Et on ne pense pas que ça va améliorer les rapports à l'intérieur d'une
organisation. Et je peux vous dire que j'ai pratiqué la gestion depuis
40 ans, et, bien, si je ne me
fiais que sur mes principes directeurs, bien, le climat serait, à mon sens,
négligé. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est important de donner
des pistes qui permettent aux gestionnaires d'avoir ce qu'on appelle un
éventail d'outils, et La Maisonnée travaille justement, en employabilité,
à aller dans ce sens-là.
Et je
terminerais juste en mentionnant qu'il est important de faire valoir ces
pratiques-là et je pense que, malheureusement,
que ce soit à travers les médias ou à travers nos projets de loi, on cible trop
ce qui pourrait faire peur, ce qui pourrait faire craindre, et nous,
dans le fond, on est dans un recadrage plus élargi.
Le Président (M. Ouellette) : Merci.
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames messieurs de La Maisonnée. Je suis
très heureuse de vous accueillir. On
est devant deux grandes tendances au Québec actuellement qui sont souvent
représentées, on retrouve aussi ces
tendances à l'intérieur des partis politiques : intervenir ou ne pas
intervenir. Il y a une chose qui... des fois, je me demande si ce n'est pas pire de ne rien faire,
parce que c'est ça, moi, à mon avis, qui fait que les gens se mettent à
avoir peur, quand ils sentent qu'ils sont dans un univers qui n'est pas
contrôlé ou qu'il n'y a pas des balises claires, et c'est là que ça s'enflamme.
Moi, je pense
qu'on doit, à un moment donné, se doter, comme société, de balises, non pas de
règles qui font que tu es obligé
d'appliquer... pas nécessairement un cadre formatif très serré, mais de plus en
plus, si certains parlent de montée d'intolérance
ou de choses comme ça, c'est à cause d'une certaine incompréhension, parfois,
face aux valeurs culturelles portées
par les gens qui sont différents de nous qui arrivent. Ça dépend des valeurs.
Et, l'autre chose, ça vient aussi, des fois, d'une non-connaissance, de
l'ignorance. Ces débats-là sont sains. D'ailleurs, vous avez participé à
plusieurs débats. Vous étiez là à Bouchard-Taylor, j'ai remarqué.
Vous dites
d'ailleurs, dans votre mémoire, une chose qui est importante en
conclusion — je vais
la répéter, parce que, pour moi, elle
correspond à quelque chose de fort — c'est qu'il faudrait proposer «des mesures
accrues du soutien à l'accueil, à
l'établissement et à l'employabilité
des nouveaux immigrants». L'intégration passe par l'employabilité très,
très, très souvent, ça, c'est fondamental. Puis, à mon avis, le Québec
n'a pas assez donné de ce côté-là, le Québec n'a pas assez travaillé dans cette
matière-là.
Maintenant,
il y a quand même des choses dans votre mémoire qui sont intéressantes que je désire soulever. Un mémoire
est intéressant en soi, mais chaque parlementaire y voit des choses qui
l'allument. Vous avez assisté à Bouchard-Taylor, vous avez déposé un mémoire et vous en relevez deux points qui
auraient dû être retenus, d'après vous : un, la laïcité, définir ce qu'est la laïcité — vous ne dites pas toutefois si elle devrait
se retrouver dans cette loi, ça, j'aimerais ça que vous répondiez à ça; l'autre, c'est que vous dites : De
Bouchard-Taylor, on aurait dû conserver l'interdiction de port de signes
religieux par les agents de l'État — intéressant, ce n'est pas
dans cette loi — mais
vous ajoutez même «par les présidents et vice-présidents de l'Assemblée
nationale». Alors, j'aimerais ça vous entendre jaser là-dessus.
M. Drudi
(Guy) : Donc, très
exactement, nous, on pense qu'il doit y avoir un débat un petit peu plus
structuré non pas sur une piste qui va être
plus, mettons, une modalité d'intervention, la discussion autour, je dirais,
des accommodements religieux, mais
sur la laïcité de l'État. Oui, je veux dire, ça, je pense que... Et d'ailleurs,
dans Bouchard-Taylor, on parlait
vraiment de laïcité ouverte, donc, qui faisait comme un suivi de l'historique
du Québec. Remarquez que l'histoire
du Québec, dans nos débats actuellement, à part de la vision un peu, là, je
dirais, associée à la religion, elle n'est pas vraiment approfondie, là, je veux dire, dans nos débats en général,
là, je veux dire, quelle a été la tendance. Dans le fond, est-ce qu'on va parler de laïcité ou de
déconfessionnalisation? Et finalement notre société est-elle vraiment
laïque? Et jusqu'à quelle mesure la Charte canadienne et la Charte des droits
et libertés nous amènent à tenir compte des accommodements,
des ajustements, comme vous avez dit? Et, dans ce sens-là, le débat qui est
proposé par Bouchard-Taylor, ça
m'apparaît important de pouvoir le faire, le développer et en faire une grande
réflexion qui va nous permettre d'avancer un petit peu plus sur un
terrain un petit peu plus solide que celui du sentiment et de l'opinion.
Ceci
étant dit, oui, les officiers de l'État qui sont en position d'autorité,
notamment lorsqu'ils portent un uniforme, je veux dire, je pense que, oui, ça, c'est quelque chose qu'on considère
qui devrait être sans manifestation religieuse. Donc, dans le fond, là, il ne devrait pas y avoir de
signe religieux, et, dans ce sens-là, oui, ça, on suit Bouchard-Taylor à
l'intérieur de cela. Pourquoi? Parce qu'il y a une question d'autorité. Et donc
les officiers en position d'autorité doivent afficher au-delà... puis ce n'est pas juste dans ce domaine-là, mais dans
d'autres domaines aussi, doivent afficher au-delà ce qu'on appellerait un fondement de crédibilité, si je
peux dire. Donc, je m'arrête là là-dessus. Maintenant, je vais laisser la
parole...
Le Président (M.
Ouellette) : M. Othman.
M. Othman
(Hameza) : On parle de définition de la laïcité. On ne va pas la
définir ici. On a repris quelques notions,
nous, au niveau de la laïcité. Elle permet, selon la loi de 1905, en France, la
liberté de conscience et la liberté de culte — il y
a ça dans la laïcité française — la séparation des institutions publiques
et des organismes religieux et enfin l'égalité de tous devant la loi, quelles
que soient leurs croyances religieuses. Pour nous, ça, c'est indéniable.
Par
contre, au Québec, ce qu'on a vu au niveau des accommodements religieux, il y a
le respect de l'égalité morale des personnes, il y aussi la liberté de
conscience et de religion, bien entendu, qui revient, l'autonomie réciproque de
l'Église et de l'État et, bien entendu, la
neutralité de l'État. Nous, on tend plus vers un Québec où il y aurait un
principe d'accommodements religieux ouvert,
l'accès à la pratique et l'expression à l'appartenance religieuses des
personnes et non de l'État et des
institutions. C'est là-dedans que nous, on voit un peu la notion de laïcité du
gouvernement. C'est donc que nous, on tend vers ça, comme l'a dit M.
Drudi tout à l'heure avec un peu plus de détails.
Mme Maltais :
Une dernière question, parce que c'est tout le temps que j'ai, incroyablement.
Vous
dites que le fait de cibler «à visage découvert» cible le niqab particulièrement et donc cible une communauté. Je
comprends, mais est-ce que... D'abord, dans les mots du projet de loi, on ne dit pas
«niqab». Moi, je pense qu'on aurait même dû cibler carrément puis dire «tchador» aussi, parce que
c'est un vêtement qui, pour moi, est un symbole d'asservissement de la
femme et on ne peut pas accepter que l'État porte cette notion. Ça va à
l'encontre de l'égalité hommes-femmes.
Maintenant,
vous ne trouvez pas que c'est meilleur
pour le vivre-ensemble que les gens soient à visage découvert dans l'État? Je
comprends que... mais le
vivre-ensemble existe aussi, et c'est fondamental que cette notion de communication pour les employés de l'État,
tous les employés de l'État et de rencontre avec les... entre nous. C'est la
base de l'humanité que de voir son
visage, alors. Puis en plus c'est un symbole d'asservissement des femmes.
Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que vous dites que vous
n'êtes pas d'accord avec ce bout-là.
• (12 h 10) •
M. Othman
(Hameza) : C'est que c'est une infime minorité, et on dirait que c'est
cette infime minorité qui est ciblée par rapport à cette problématique. Je ne sais pas si vous me comprenez. Moi, je
travaille depuis 25 ans dans l'accueil
et l'intégration des immigrants, et, je
pense, c'est une fois... j'ai vu une
femme avec un niqab, et il lui a demandé de se présenter à visage découvert, comme il le voulait, pour l'identifier,
bien entendu. Une fois. Alors donc, une fois. Je ne peux pas me dire : Bon, bien, je vais faire
un règlement spécifiquement pour cette catégorie de population.
C'est pour ça, on dit : Il faut
être clair, et ne pas identifier juste une infime minorité mais de rien du
tout, et faire tout un débat autour de ça. Pour moi, c'est là-dedans
qu'on regarde la...
Mme
Maltais : Donc, en
ajoutant Bouchard-Taylor, on ne ciblerait pas une minorité. C'est ça
que vous voulez dire en ajoutant «des personnes en situation
d'autorité»? Est-ce que c'est ça que vous voulez dire? On irait plus large?
M. Drudi (Guy) : Non, ce qu'on peut dire, c'est qu'à quelque part on donnerait le
cadre de la loi de ceux qui sont en
autorité, et, dans ce sens-là, on a les personnes en autorité qui représentent l'État.
Et, comme nous avons dit, ça se trouve à être l'État qui doit être
neutre, et les représentants, comme de raison. Donc, ça, c'est un point.
L'autre
point, évidemment, le visage découvert permet une meilleure, je dirais,
approche de l'autre, mais ce qui arrive,
c'est qu'à force de pouvoir juste cibler et identifier... et ce n'est pas seulement
nous qui le disions, ça se trouve à être également la Commission des droits de la personne, donc, on semble, je dirais, comme créer un
problème qui autrement n'existerait à peu près
pas. Et souvent on nous dit : Oui, mais, si on ne le cible pas de suite,
on va peut-être l'affronter.
C'est que, là, on est devant peut-être un phénomène de prédiction créatrice
qu'il faut éviter en gestion de la diversité.
Mme
Maltais :
Il n'y a plus de temps?
Le Président (M.
Ouellette) : Non, on n'a plus de temps. On s'en va à Montarville, Mme
la députée de Taschereau. Merci de me rappeler à l'ordre.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci. Merci d'être là. Merci pour
le mémoire.
J'aimerais
tout de suite... les auditeurs à la page 13. Vous avez
écrit quelque chose que je trouve superbe, et je vais le lire parce que ça me touche, et,
pour moi, il y a une forme de nationalisme là-dedans
et il ne faut pas être gêné pour parler
de nos valeurs, et vous écrivez quelque
chose de très beau, puis je veux vous
le faire commenter parce que je veux avoir
plus de précisions sur ce que ça signifie, ce passage-là. Alors, à la page 13,
en haut, vous nous dites : «La Maisonnée considère que la convivialité interculturelle se vit dans un lieu, celui
du Québec. Celui-ci n'est pas un territoire anonyme sans histoire et sans vision sur les destinées individuelles et
collectives. Ce territoire s'est
construit sur un héritage de valeurs qui sont le résultat de plus de
1 000 ans d'histoire de cultures amérindiennes et plus de 400 ans
d'histoire [...] de [la] culture majoritairement
canadienne-française transformée tout au long de son parcours par
l'immigration.» C'est tellement beau, ce que vous avez écrit, c'est
tellement juste.
Poursuivons : «Ces valeurs
reflètent la notion d'hospitalité des cultures amérindiennes originelles, qui
ont laissé une tradition d'accueil dans notre société. Il importe que
les éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine
culturel religieux, témoignent de ce parcours historique. Mais ce
parcours doit traduire cette mémoire vivante interculturelle.» J'aime beaucoup
ce que vous dites là. Il y a cette ouverture à l'immigrant là-dedans. On peut être et nationaliste et ouvert à
l'immigrant. Moi, je le reçois comme ça, mais pourriez-vous élaborer sur ce que vous dites, que vous appelez
une mémoire vivante interculturelle à laquelle il faut faire attention?
Puis je partage votre point de vue.
M. Drudi
(Guy) : Merci. Peut-être, je vais débuter, mais M. Othman va... et
peut-être madame...
Ce
que je veux juste mentionner, c'est qu'on parlait tantôt de dialogue
interculturel, et ce dialogue interculturel, ce n'est pas simplement entre deux individus, mais c'est à l'intérieur
de la société, c'est une dynamique de communication qui permet, à l'intérieur du vivre-ensemble, pour
reprendre un peu l'expression, de pouvoir qualifier non seulement la mémoire virtuelle ou informelle, exemple la
culture, les arts... et je vais prendre pour exemple — moi, je suis d'origine italienne — donc, Marco Micone, qui avait beaucoup, je
dirais, influencé, par ses pièces de théâtre, les années 80, mais également une mémoire qu'on pourrait, mettons,
observer à l'intérieur de nos lieux, dans les lieux, dans l'espace
civique, et là ça veut dire, dans le fond, identifier des personnes ou des
moments qui finalement...
Exemple, on a eu,
toujours dans les années 80, si je me réfère encore à la communauté italienne,
le centre de réadaptation Dante, donc, le
Centre Leonardo Da Vinci. Bon, bien là, ça se trouve à être des éléments de ce
qu'on peut dire une mémoire vivante
interculturelle. Mais on peut le multiplier. Là, on est dans ce qu'on appelle
les anciens résidents, quelquefois les résidents de naissance, mais
actuellement pour les nouveaux résidents c'est important de pouvoir... Exemple, il y a eu l'ouverture de la maison
Toussaint-Louverture à Montréal-Nord. Donc, ce que je veux dire, c'est
que les jeunes se voient. Puis on sait que Toussaint Louverture, il faut
vraiment identifier... il a été le premier libérateur des personnes d'origine haïtienne, donc, au niveau de
l'esclavage. Écoutez, c'est une des premières républiques, là, qu'il y a
eu. Mais, ça, il faut le savoir, il faut le
connaître. Et donc, à ce moment-là, ça fait connaître la richesse de la culture
haïtienne. Je vais passer à monsieur...
M. Othman (Hameza) : «Mémoire vivante interculturelle». C'est très bien que vous l'ayez fait
ressortir. Pour moi, elle existait dès
le début de l'arrivée des premiers... comment dirais-je, des premières
personnes qui se sont rencontrées. Déjà,
il y a eu un brassage interculturel à ce moment-là. Si on va dans l'histoire du
Vieux‑Montréal, on sait très bien que
c'était à l'époque un centre de traite et d'échange, et cette traite et
échange, c'était de l'interculturel qui se faisait entre les gens qui sont venus de l'Europe et les
gens d'ici. Et c'est ce que j'appelle, moi, entre guillemets... je vais
prendre référence d'abord à un grand homme
qui est M. Léopold Sédar Senghor, qui disait que lui, c'était une personne qui
était métissée culturellement, mais, je
pense, au-delà du métissage culturel qui a déjà existé au Québec, ici, où
d'autres personnes viennent encore l'alimenter, ce métissage culturel,
il y avait aussi le métissage biologique qui a existé ici, au Québec.
Alors
donc, pour nous, c'est ça, c'est une mémoire interculturelle qui existait déjà,
que les gens qui viennent et qui arrivent ici devraient aussi s'en
imprégner. Alors, c'est cela, en fait, ça reflète un peu ça.
Le Président (M.
Ouellette) : Ça nous a fait plaisir, Mme la députée de Montarville.
Mme Roy :
Déjà?
Le Président (M. Ouellette) : Bien oui, c'est déjà terminé. M. Guy Drudi, M.
Hameza Othman, Mme Micheline Nalette, représentant le Service d'aide et
de liaison pour immigrants La Maisonnée, merci d'être venus déposer en
commission.
Je
suspends quelques minutes, le temps de demander à l'Alliance des cadres de
l'État de s'avancer, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 12
h 18)
(Reprise à 12 h 20)
Le Président (M.
Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant
l'Alliance des cadres de l'État, qui est
représentée par sa présidente-directrice
générale, Mme Anne Gosselin, qui va
nous présenter les personnes qui
l'accompagnent. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation — je
pense, vous connaissez les us et coutumes de la maison — et
après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Mme Gosselin, à vous la parole.
Alliance des cadres de l'État
Mme Gosselin
(Anne) : Merci beaucoup, M. le Président de la commission. Mme la
ministre, mesdames et messieurs, membres de la commission, j'ai le plaisir de vous présenter les deux personnes qui
m'accompagnent : à ma droite,
vous avez Mme Louise Labrecque, qui est directrice de l'administration et des
projets spéciaux, et, à ma gauche, Me Martine Doré, qui est
conseillère en relations de travail.
Alors, nous vous remercions de nous accueillir à
cette commission parlementaire. Pour votre information, je vous rappelle que l'Alliance des cadres de l'État
regroupe 3 400 gestionnaires oeuvrant auprès de 75 ministères,
organismes gouvernementaux
et sociétés d'État répartis dans 17 régions administratives et dont 55 %
sont des hommes et 45 %, des femmes,
avec une moyenne de 51 ans. Tout ça pour vous dire que les cadres de l'État
sont des acteurs clés de la réalisation de la mission de l'État et des
services aux citoyens. Ils concrétisent les orientations, les services et les
programmes gouvernementaux et ils sont les
leaders qui mobilisent les équipes pour la production et la livraison de
services publics de qualité.
Alors, ce projet de loi n° 62 aura
certainement des impacts sur la gestion des services publics. Tout comme la
population en général, les cadres de l'État, à titre de citoyens, ont des
perceptions variées au regard du projet de loi. Cependant, sa mise en oeuvre
les rassemble tous, et il s'agit là de leur principale préoccupation. Ainsi,
considérant la préoccupation commune des cadres et les compétences des nombreux
groupes invités à participer à cette commission parlementaire, l'alliance ne se prononcera uniquement que sur les
précautions à prendre pour en favoriser une application la plus harmonieuse possible. L'alliance ne fera
donc aucun commentaire sur les choix politiques qui ont mené à ce projet
de loi ni sur son opportunité ou sa
pertinence. Nos commentaires portent uniquement sur le rôle des gestionnaires
au sein de l'État comme représentants de l'employeur.
En ce qui a
trait aux services à visage découvert, les cadres de l'alliance sont, en grande
majorité, en accord avec ce principe.
L'alliance émet tout de même quelques recommandations pour enraciner
l'application et la gestion des services à visage découvert. D'une part, pour un citoyen à qui est fourni un
service, cette obligation doit être largement communiquée et inscrite
notamment sur la déclaration des valeurs de l'administration publique
québécoise et sur les déclarations de
services aux citoyens des ministères et organismes. De même, elle doit être
affichée dans tous les bureaux gouvernementaux
dispensant des services aux citoyens. Quant au membre du personnel dans
l'exercice de ses fonctions, l'obligation
des services à visage découvert doit être incluse tant à la Loi sur la fonction
publique qu'aux lois constitutives des
organismes et sociétés d'État non soumis à la Loi sur la fonction publique.
Elle doit être également clairement connue et acceptée lors de
l'embauche de tout fonctionnaire. De telles mesures sont, à notre avis, un
message clair susceptible d'endiguer certaines difficultés et faciliter la
gestion de certaines situations particulières.
En ce qui
concerne les accommodements religieux, l'alliance tient à souligner l'accent
mis sur la responsabilité commune des parties impliquées, à l'article
10, dans la recherche de solutions à caractère raisonnable. Nous saluons également les dispositions prévues à l'article 7
permettant aussi à un organisme public d'exiger d'une personne ou d'une
société qui conclut un contrat de services ou une entente de subvention de
respecter le devoir d'accommodement.
En fait,
l'enjeu du projet de loi en matière d'accommodement vise, en quelque sorte, à
assurer la gouvernance d'une société démocratique dans un contexte
pluraliste où les allégeances religieuses sont multiples, complexes et à géométrie variable. Or, il est souvent difficile
de départager les préférences, pratiques, coutumes et choix personnels
qui se sont imbriqués ou qui sont véhiculés par l'une ou l'autre des religions et
qui ne reposent sur aucune prescription ou interprétation facilement objectivable. Voilà l'importante difficulté de
la mise en oeuvre des dispositions sur les accommodements raisonnables.
Dans la pratique quotidienne, le travail des
cadres consiste en partie à faire des ajustements au regard de la gestion du personnel. Ils sont constamment appelés
à effectuer divers arrangements administratifs en jonglant avec les ressources disponibles pour assurer une prestation
de services de qualité dans les délais attendus, tout en conciliant au mieux les besoins de chacun. Donc, les
gestionnaires exercent déjà ce qu'on appelle leur droit de gérance. Mais, si
les cadres sont en mesure de juger de
l'impact de l'absence d'un employé sur la performance de leurs unités
administratives, il en est toutefois autrement pour déterminer s'ils sont en
présence d'une discrimination fondée sur la religion. La connaissance des différentes religions, pratiques
et coutumes varie énormément d'un individu à l'autre. Les gestionnaires s'interrogent, légitimement, de la façon
suivante : Quelles sont les religions reconnues et quelles en sont les
obligations ou prescriptions pouvant
nécessiter des accommodements? Comment peut-on distinguer un accommodement basé
sur un réel fondement religieux d'une
préférence personnelle? Bref, il est important de distinguer l'arrangement
administratif de l'accommodement raisonnable.
Donc, l'alliance est d'avis que le projet
gagnerait à définir ce qu'est un accommodement raisonnable. Et cette définition est déjà proposée par la Commission des
droits de la personne, qui tire des enseignements de la jurisprudence et
de ses travaux. La commission proposait la
définition suivante : «L'obligation d'accommodement raisonnable peut
donc être définie comme [...] une obligation
juridique, applicable uniquement dans une situation de discrimination, et
consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle dans les
limites du raisonnable en accordant un traitement différentiel à une personne
qui, autrement, serait pénalisée par l'application d'une telle norme.»
Cette
définition permet de distinguer les réels accommodements découlant des motifs
énoncés par la charte et la loi. Elle
permet également d'évacuer les situations qui relèvent davantage de la gestion
de la diversité culturelle, de la préférence
personnelle ou d'artifices qui ne doivent pas donner ouverture à un
accommodement. À notre avis, certaines demandes formulées sous le motif
de l'accommodement, que ce soit par un employé de l'État ou un citoyen, sont davantage des demandes d'arrangement administratif
qui ne répondent pas aux critères d'accommodement. Il faut bien les distinguer pour pouvoir les traiter adéquatement.
Ainsi, pour une application équitable et harmonieuse du projet de loi,
les cadres doivent être en mesure de
s'assurer d'être en présence d'une discrimination religieuse et non d'une
préférence liée à une croyance qui n'est pas nécessairement prescrite
par la religion.
En ce qui a
trait à l'application de la loi, l'employeur doit mettre en place des processus
structurants qui encadrent le
traitement de ces demandes. Ceux-ci sont essentiels. Ils doivent guider les
gestionnaires dans la prise des meilleures décisions possible dans
l'intérêt de la qualité des services publics ou du fonctionnement de l'État.
L'alliance
recommande que, dès l'entrée en vigueur de ce projet de loi, les gestionnaires
disposent de moyens et de ressources
nécessaires pour traiter adéquatement les demandes d'accommodement :
d'abord, une formation pour les habiliter
à bien cerner les situations qui constituent des demandes d'accommodement;
ensuite, des outils qui permettent une analyse efficace et constructive dans l'évaluation
de la demande au regard de ce qui est raisonnable et ne constitue pas une contrainte excessive. La formation et les
outils gagneraient à être conçus avec la collaboration de la Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse et de celle des cadres. Des répondants organisationnels doivent
aussi être identifiés pour exercer un rôle
conseil auprès des gestionnaires. Ainsi, tout en demeurant pleinement
responsables de leurs unités
administratives, les cadres peuvent traiter des demandes d'accommodement avec
efficience en s'appuyant sur la connaissance de leurs unités, des
processus de travail et des ressources disponibles.
Toutefois,
dans le cas des demandes d'accommodement susceptibles d'avoir un impact
organisationnel majeur, la situation est différente. La plus haute
autorité de l'organisation doit être non seulement responsable de prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect des
mesures qui y sont prévues à
l'article 14, mais aussi responsable et imputable des décisions rendues
ayant un impact majeur.
Somme toute, il ne faut pas dessaisir les
gestionnaires de leur rôle, mais simplement s'assurer d'une équité
organisationnelle, voire gouvernementale. Enfin, attirons l'attention sur le
fait que certaines décisions de cadre sont susceptibles de ne pas plaire aux
demandeurs et même d'être contestées. Dans de telles situations, les cadres
devront compter sur l'appui de leur employeur.
En terminant,
retenons que l'État a le privilège de compter sur des gestionnaires dévoués et
compétents au service de leurs
concitoyens. Donnons-leur les moyens pertinents pour une application
harmonieuse de la loi. Merci
beaucoup.
• (12 h 30) •
Le Président (M. Ouellette) : Merci
beaucoup, Mme Gosselin. Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci beaucoup.
Merci, mesdames, pour votre présentation, que j'ai trouvée fort intéressante, parce que j'imagine qu'en matière d'accommodements
religieux c'est quand même une réalité à laquelle sont confrontés vos membres. Et, actuellement, j'aimerais vous
entendre sur les outils qui sont mis à la disposition de vos membres
et la façon dont sont traités ces
dossiers-là à la lumière, j'imagine... parce que vous faites référence, dans
votre mémoire, à la page 6, à l'importance, à la qualité du travail qui est fait
par la commission des droits de la personne et de la jeunesse, vous
faites référence au Guide virtuel.
Mais
j'aimerais vous entendre sur votre réalité puis les enjeux, actuellement,
auxquels vous êtes confrontés dans votre quotidien lorsqu'une demande
est présentée dans l'administration publique.
Mme
Gosselin (Anne) : Je vous
dirais très simplement que, globalement, l'ensemble des demandes, quand il
y en a, elles sont traitées à la pièce. Il y
a quelques organismes qui ont tenté des politiques ou des encadrements, mais je
vous dirais que, globalement, les gens ne se sentent pas très, très outillés à
cet égard-là.
Nous avons eu
connaissance, à l'alliance, justement
du fameux Guide virtuel de la commission des droits de la personne et de la jeunesse, et je vous dirais que c'est un guide qui est
fort intéressant comme outil de démarrage mais qui, à mon sens, n'est pas suffisant pour coller à la
réalité, parce que bon nombre de gestionnaires gèrent des équipes
qui sont des équipes de services aux citoyens,
assurance maladie, assurance automobile, assurance parentale, et
j'en passe, et donc, souvent, les
gens ne connaissent pas vraiment... est-ce
que la demande qui m'est faite
constitue vraiment un élément qui est lié à une croyance
religieuse? L'interprétation est parfois difficile à faire.
C'est des
éléments qui ne sont pas toujours très objectivables. Et c'est là le besoin des
cadres de voir des guides qui pourraient les aider à pister les éléments
qui sont vraiment du ressort de la religion et non pas d'un ajustement administratif
ou d'une demande purement personnelle qui n'a pas d'assise par rapport à la
loi.
Mme Vallée :
D'accord. Parce que le guide propose actuellement... Et savez-vous s'il est
utilisé par vos membres?
Mme
Gosselin (Anne) : Très
honnêtement, je vous dirais qu'à ma connaissance il est très méconnu, il est
peu utilisé. Il y a beaucoup de propositions
intéressantes, dont un formulaire, à la toute fin, qui propose une démarche,
mais je pense qu'il y a comme un tour de
manivelle de plus qui devrait être fait au regard des services publics dans la
fonction publique, parce que toute l'interprétation de ce qu'est une contrainte
excessive est parfois difficile à évaluer.
Je prends
pour exemple un centre local d'emploi, un CLE. Dans la région métropolitaine,
dans la région de Québec, dans les
grands centres, il pourrait y avoir des demandes d'accommodement, et on
pourrait possiblement y donner suite sans
que ça constitue une contrainte excessive, dépendamment de quoi il en ressort,
bien entendu, parce qu'il y a du volume en termes de personnes, de ressources, mais, si on se retrouvait à
Blanc-Sablon, où souvent il y a des CLE qui se limitent à deux ou trois ressources, ce n'est pas une
situation qui pourrait être facilement gérée... et où, là, la contrainte
pourrait effectivement être excessive.
Mme Vallée :
C'est intéressant, puisqu'on a eu une discussion similaire hier avec les
responsables des services de
garde et même certains nous disaient : Bien, l'accommodement doit se faire
à coût nul, recommandaient que l'accommodement se fasse à coût nul, puisque,
pour certains, les demandes sont disproportionnées par rapport aux ressources
dont dispose celui ou celle à qui est dirigée la demande d'accommodement.
Donc, pour vous, lorsqu'il est question
d'analyser la contrainte excessive, il serait important de considérer les
ressources à la disposition de l'organisme et d'évaluer le poids que la demande
pourrait constituer pour l'équipe de travail, entre autres.
Mme Gosselin (Anne) : Effectivement,
dans la pratique, c'est des balises qui devraient être utiles à définir, qu'est-ce qu'une contrainte excessive en termes de
ressources humaines, ressources financières, ressources matérielles.
Vous
avez dû avoir connaissance un peu du dossier de la Société de l'assurance
automobile par rapport aux examens de
conduite. On peut se retrouver avec une demande semblable qui pourrait être
traitée dans un grand centre où le
volume des ressources pourrait permettre un certain accommodement, je dis bien,
un certain accommodement à évaluer selon
les horaires, les disponibilités des gens, et ainsi de suite. Mais, si on se
retrouvait dans une région où il y a peu de ressources, malheureusement,
on ne serait pas en mesure de donner suite à l'accommodement raisonnable, parce
que, là, il y aurait effectivement contrainte excessive.
Mme Vallée :
Est-ce que vous avez évalué les différents éléments? Il y a un certain nombre
d'éléments qui doivent être considérés par
le membre du personnel qui reçoit la demande d'accommodement. Est-ce que ces éléments dont... Bon. D'abord, qu'il s'agisse effectivement d'une demande
d'accommodement, donc qu'il ne s'agisse pas... et ça, vous l'avez clairement identifié, il ne faut pas
que ce soit un souhait personnel d'aménager l'horaire de travail en
fonction de ce qui convient le mieux à quelqu'un, il faut que ce soit fondé sur
des critères objectifs.
Le fait que l'accommodement respecte le droit de
l'égalité entre les femmes et les hommes et que l'accommodement ne compromette pas le principe de la neutralité
religieuse de l'État, est-ce que ces éléments-là, pour vous, vous
apparaissent suffisants pour guider en partie vos gestionnaires?
Mme Gosselin (Anne) : À mon sens, ce sont des éléments intéressants mais insuffisants, dans
le sens où je vous manifestais le
besoin de connaître exactement quelles sont les religions et les coutumes, ou
rites, qui sont formellement reconnues
et objectivables, parce qu'on peut se retrouver justement avec une géométrie
variable et où la ligne est difficile à cerner entre ce qui appartient à la religion et ce qui ne l'est pas. Et,
dans ce sens-là, on peut penser qu'il y a des individus cadres qui ont une connaissance variée des
différents préceptes de religions différentes, et qui sont moins souvent en
contact avec des gens qui ont des obédiences
différentes, et qui peuvent être mal à l'aise, d'où l'importance d'essayer
d'outiller les cadres à cet égard-là.
Mme
Vallée : Et donc, à cet effet-là, vous considérez que, bien
qu'intéressant, le guide de la Commission des droits de la personne
aurait avantage à être bonifié.
Mme Gosselin
(Anne) : Oui, effectivement.
Mme
Vallée : Certains
groupes nous ont aussi présenté... et je ne sais pas si, pour vous, ce serait
opportun, les groupes scolaires nous
ont mentionné qu'un guide adapté à la réalité scolaire serait utile. Les
groupes oeuvrant dans le milieu de la
petite enfance ont fait une représentation similaire. Je comprends que vous
avez des membres qui oeuvrent dans
des secteurs diversifiés. Alors, comment répondre, de façon
utile, aux besoins de vos membres? Est-ce qu'il y a des particularités, au sein de vos membres, auxquelles
on devrait être sensibilisés dans la préparation de toute forme de
documentation, de moyen de diffusion, de sensibilisation?
Si
d'aventure la loi devait être adoptée, est-ce qu'il y a des particularités
auxquelles on devrait être sensibilisés?
• (12 h 40) •
Mme Gosselin (Anne) : Effectivement, j'ai entendu les représentations des autres organismes par rapport aux
besoins d'un... compte tenu de leur clientèle qui est spécifique.
La difficulté dans la
fonction publique, bien entendu, c'est qu'on est en lien avec des citoyens
individus, des personnes et on est en lien
aussi avec des citoyens corporatifs, mais je pense que le problème va se poser
davantage auprès des citoyens individuels. Et on a une panoplie de
services qui s'adresse à des personnes plus jeunes, plus âgées, plus scolarisées, moins scolarisées, et ainsi de suite.
Je pense que, dans un premier temps, ne serait-ce que d'avoir une
formation sur l'ensemble des religions et pratiques qui sont communément
reconnues serait déjà un élément de base.
Par
ailleurs, je pense qu'aussi les cadres, qu'on parle de Revenu Québec, qu'on
parle de l'assurance automobile, de l'assurance maladie, de l'assurance
parentale... chaque cadre connaît spécifiquement son unité administrative, ses ressources, le service qu'il doit dispenser aux
citoyens. Donc, il s'agirait pour lui de l'aider, de l'outiller à une
démarche systématique, commencer d'abord par identifier : Sommes-nous en
présence d'un motif religieux?, si oui ou si non, et, s'il y a effectivement un motif religieux, d'essayer d'établir le
dialogue avec le demandeur, parce que c'est ça, l'intérêt de ce projet
de loi par rapport à l'article 10... ou 7, qui réfère à une responsabilité
commune, c'est d'essayer de faire une démarche avec le demandeur où le demandeur
aussi fait partie de la solution, ne se situe pas exclusivement dans une
position de demandeur et qu'il est en attente de.
Donc,
je pense que d'outiller les cadres à amorcer une démarche en considérant les
différents aspects en termes de besoins du demandeur et contraintes de
l'organisation en termes d'horaires, d'individus, et ainsi de suite, pourrait l'aider à faire la démarche. De même, si on
pouvait instaurer le genre de répondant en accommodement raisonnable ou accommodements religieux, ça pourrait être
intéressant. Il y a déjà des répondants en éthique, il y a déjà des
répondants en accès à l'information. Ces
répondants-là sont des ressources conseil, ce sont des professionnels qui
soutiennent les cadres à la décision.
Donc, c'est un élément de plus qui pourrait s'ajouter à la formation et aux
outils que les cadres souhaiteraient recevoir pour faire adéquatement
leur travail.
Mme Vallée :
Parce qu'actuellement vous n'avez pas, au sein de vos équipes, une
personne-ressource qui est disponible pour accompagner quelqu'un qui aurait une
demande d'accommodement.
Mme
Gosselin (Anne) : Non. À ma
connaissance, ça se fait vraiment sur le tas ou au gré des demandes et
des volumes qui sont présentés.
Mme Vallée : Je
relisais le guide, parce que je pense que le guide apporte un certain nombre
d'informations qui sont fort
intéressantes et qui, je crois, répondent à certaines préoccupations que vous
avez soulevées, parce que, lorsque, là,
on procède à la deuxième étape, qui est celle de l'analyse... la première étape
étant la réception de la demande, l'analyse de la demande, alors on identifie un petit peu comment cette demande-là
doit être analysée. On indique que, bon, il faut s'assurer qu'il s'agisse d'une demande d'accommodement, alors on vient
un peu, de façon très succincte mais en langage très clair, indiquer ce
qu'est une demande d'accommodement et ce que n'est pas une demande
d'accommodement, «documentez-vous», donc
demande de... et suggère à l'intervenant de documenter la demande qui lui est
présentée. Bon, évidemment, le professionnalisme, l'objectivité sont de
mise, mais on indique aussi : Évaluer la contrainte excessive.
Alors,
l'évaluation de la contrainte excessive, elle est suggérée. La recherche de
solutions également est suggérée dans
l'étape trois. Et l'étape quatre, la prise de décision et la communication,
elle est aussi prévue, et la mise en oeuvre des accommodements. Alors,
au-dessus de tout ça, là, qu'est-ce qu'on pourrait faire?
Mme Gosselin (Anne) : Je pense que les cadres, avec leur expertise, pourraient certainement
contribuer à raffiner l'outil pour y
mettre la couleur de la fonction publique. Parce que je voyais, par exemple,
quand on parle des ressources financières,
matérielles, on parle du coût réel, «le budget d'exploitation». Est-ce qu'on
parle de l'unité? Est-ce qu'on parle du
bureau au complet? Est-ce qu'on parle de tout le ministère? Alors, il y a
vraiment un raffinement qui doit être fait. On parle de la conjoncture économique, du caractère privé ou public. Il y a
beaucoup d'éléments qui sont intéressants, qui donnent un indice mais qui pourraient être raffinés avec la contribution
des cadres qui oeuvrent dans le secteur public.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, mesdames. Bienvenue à cette
commission parlementaire. Merci de
votre rapport. Je comprends que vous ne voulez pas aller dans les déclarations
sur les hypothèses genre «la laïcité aurait-elle dû être»... Est-ce
qu'on devrait avoir les personnes en situation d'autorité comme dans
Bouchard-Taylor?
J'aurais
aimé vous entendre sur cette idée que des gens en position d'autorité puissent
porter des signes religieux ostensibles. Voulez-vous commenter?
Mme Gosselin (Anne) : Je vous dirais, bien malheureusement, et en toute cordialité : Ce
n'est pas le mandat qu'on m'a donné.
Et je vous dirais aussi par ailleurs que, quand on a fait une consultation
auprès des membres, on a travaillé sur la base du projet de loi
n° 62 tel quel. Puisque cet élément-là n'était pas présent au projet de
loi, donc on ne s'est pas attardés... on s'est concentrés sur les éléments qui
étaient déjà présents au projet de loi.
Mme
Maltais :
Dommage, votre éclairage aurait été intéressant, mais enfin je respecte cela.
Un
petit commentaire sur le guide de la CDPDJ, parce que ça fait deux, trois fois
qu'on en parle. Je l'ai déjà dit, la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a perdu
beaucoup de plumes pendant l'étude du projet de loi n° 59, et le projet de loi n° 59 nous a heurtés. Et, dans
ce guide, il y a quand même des éléments que j'ai... il y en a un que j'ai soulevé hier, là, celui que de refuser
de se faire servir par un agent de l'État qui porte un signe religieux,
c'est discriminatoire. Moi, je m'excuse, je
suis de minorité non visible mais très audible qui considère que les religions
l'ont ostracisé, ce qu'elle est, sa condition, pendant des années et j'ai des
frissons à l'idée d'un fonctionnaire de l'État, pas n'importe qui, pas dans mes relations humaines ou de députée... de voir
un fonctionnaire de l'État devant moi qui porte un signe religieux ostensible qui puisse prendre une décision concernant
mon cas, j'en ai des frissons. Ça devient d'une minorité, comme je le
disais, non visible mais très audible. Alors, il y a des défauts dans ce
guide-là.
Ceci
dit, quand on n'a pas de déclaration sur la laïcité de l'État, qui sera un
guide de départ, on est obligé après ça d'envoyer effectivement un peu des messages partout pour essayer d'aider
à guider. Nous, nous trouvons que la laïcité de l'État, ça aurait été un bon message. Maintenant, le guide, c'est
intéressant que vous l'ameniez, parce que vous êtes les cadres. Jusqu'ici, il n'y en avait pas dans la
loi, c'est vraiment juste les membres du personnel qui prennent la
décision.
Si la loi n'est pas
amendée, est-ce que c'est vivable pour des cadres de savoir que c'est chaque
membre du personnel qui peut prendre une décision sur des accommodements
religieux?
Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais là-dessus que, justement, cet élément-là nous a
interpellés, parce qu'en fait, quand
on parle d'un membre du personnel, on parle d'un membre du personnel qui est
interpellé dans le cas d'une demande d'accommodement. Je vous dirais que
concrètement, dans les faits, il est assez rare qu'un membre du personnel de
bureau, ou aux services de renseignements, ou aux services de première ligne va
assumer lui-même directement la demande. Il va certainement, dans bien des cas,
interpeller son supérieur, son gestionnaire, pour lui demander comment il en dispose, en tant que tel, et ce qui fait que moi,
je pense que, dans bon nombre de ces demandes-là, ce n'est pas le technicien, ou le professionnel,
ou l'agent de bureau qui va en disposer, ça va être vraiment le
gestionnaire qui va devoir en traiter, d'où l'importance, pour nous, de
s'assurer d'une formation, des outils pour accompagner les cadres à cet
égard-là.
Mme
Maltais : Cette idée de formation est très intéressante, en
effet. C'est un bel ajout. On n'en avait pas encore entendu parler. Mais c'est comme un peu fou, c'est
rendu que, alors que, normalement, on évacuait la religion de l'État, on est rendus à organiser la religion dans l'État.
Pour moi, c'est toute la différence entre la laïcité et la neutralité
religieuse de l'État. Il y a un débat, moi,
qui est en train de virer, là... qui m'étonne beaucoup. Maintenant, je vais
vous demander comment... Vous avez
sûrement étudié l'article 9, sur les services à visage découvert. Il y a
des gens qui nous disent... et moi,
je l'ai analysé aussi puis j'ai demandé à des juristes des opinions, ils nous
disent : C'est une chose et son contraire.
Comment pouvez-vous interpréter la loi
qui vous dit qu'il ne peut pas y avoir de service à visage découvert,
sauf exception? Et même la manière de dire l'exception, c'est : L'accommodement
est possible, sauf... Donc, la demande d'accommodement,
c'est : elle est possible. Ce n'est pas le service à visage découvert, les
fonctionnaires de l'État doivent rendre
les services à visage découvert, c'est : l'accommodement est possible
d'abord, ensuite voici trois motifs de refus.
Comment on peut interpréter
ça? Est-ce que c'est vivable? Parce que, je sais qu'on l'a entendu puis on va
le réentendre, c'est une chose et son contraire.
• (12 h 50) •
Mme Gosselin (Anne) : Oui. Bien, je vous dirais que... je n'oserais pas
me transformer en juriste au niveau de l'interprétation,
mais notre compréhension, chez nous, à l'alliance, était que le principe du
visage découvert était de facto le premier
élément, et que l'accommodement était l'exception, et que le principe
s'appuyait sur le fait que tant le membre du personnel que le citoyen devaient être à visage découvert. Et je
comprenais que l'exception, c'est-à-dire la possibilité d'un accommodement, était aussi, même, extrêmement
restreinte dans le sens où on prévoit et on prescrit que l'accommodement
doit être refusé quand il y a un motif de
sécurité, d'identification et de communication qui est mis en péril. Alors,
nous, on se gouvernait dans ce sens-là et on se sentait à l'aise à cet
égard-là.
Mme Maltais :
Mais le principe, c'est : le service est à visage découvert. Un
fonctionnaire doit travailler à visage découvert,
mais, s'il demande un accommodement, il est possible, et voici les seuls trois
motifs de refus. C'est ça qui donne une impression de déséquilibre dans
l'accommodement.
Mme Gosselin
(Anne) : Mais je vous dirais
qu'en tout cas, notre connaissance pratique, là, du milieu, au niveau des
services de première ligne, je n'ai pas eu
connaissance d'individus, de membres du personnel qui étaient à visage couvert.
Et chez nous, statistiquement, il y a 3 % de nos cadres qui s'identifient
comme étant originaires d'une communauté culturelle de quelque nature que ce soit, donc la probabilité
qu'on se retrouve avec une situation semblable est assez mince, à mon sens.
Mme
Maltais : Oui, la probabilité est mince. Puis on s'est retrouvé...
puis je le comprends, puis c'est vrai, mais on s'est retrouvé avec une dame qui a fait une assermentation... elle
n'est pas fonctionnaire, et le service était rendu à cette personne qui est arrivée pour une assermentation
au Canada avec un visage couvert, avec un niqab, et ça a lui a été
accordé, ce qu'à mon sens... et sur les
mêmes motifs qui sont ici. Donc, c'est pour ça qu'on réfléchit à ça puis à
essayer de resserrer un peu cette clause-là. À mon avis, il faudrait le resserrer.
Mme Gosselin (Anne) : D'où l'importance de former, d'informer,
d'outiller les gens pour qu'ils puissent rendre une décision éclairée et
cohérente par rapport aux enjeux de cette loi-là.
Mme Maltais :
Est-ce qu'on ne devrait pas séparer les deux, c'est-à-dire que les
fonctionnaires, ceux qui rendent les
services, devraient toujours être à visage découvert et puis que
l'accommodement serait possible pour les personnes?
Mme Gosselin
(Anne) : En tout cas, quand on regarde...
Mme
Maltais : Parce que
moi, je ne vois pas comment un
fonctionnaire pourrait demander une exception, là.
Mme Gosselin
(Anne) : Je comprendrais mal qu'on ait deux poids, deux mesures quant
aux personnels et aux citoyens.
Mme Maltais :
Ah! tout à fait, madame, c'est l'État. On parle de l'État et des citoyens, on
peut avoir deux poids, deux mesures.
Il s'agit, là, du droit pour un employeur d'avoir une espèce de droit de
gérance, et, si on déclare que... moi, je trouve tout à fait pertinent,
et là je vais juste avoir un... je m'excuse, là, mais, pour moi, c'est
fondamental, l'État peut dire : Vous devez absolument avoir le visage
découvert, sinon...
Mme Gosselin (Anne) : ...pas ce point de vue là, mais ce que je vous
dis, c'est qu'on peut difficilement demander aux membres du personnel d'être à visage découvert quand on ne le
demande pas aux citoyens. Je le voyais à l'inverse.
Mme Maltais :
Ah oui! O.K. Bien, je vous comprends, mais je ne suis pas d'accord du tout, là.
Le Président
(M. Ouellette) : On va se laisser sur ce désaccord. Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci. Je vous écoutais
avec beaucoup d'attention. Et vous parlez du
droit de gérance. On parle des cadres ici, des cadres de l'État, qui ont à
travailler justement en première ligne avec les demandes des citoyens à
qui le personnel offre des services.
Et
je n'ai pas pu m'empêcher... je vous écoute, et vous dites des choses
extrêmement pertinentes, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cette étude de crédits qui a eu lieu en 2015 où
j'ai questionné ici même... ou dans la salle à côté, je crois, le ministre de l'époque, des Transports
relativement à une demande d'accommodement qui s'est ramassée devant les tribunaux. Ça a été jusqu'en cour. C'était
l'histoire de la pastafarienne qui voulait se faire photographier habillée
en pirate avec une passoire sur la tête, et ça démontrait toute la difficulté
d'appliquer le guide — Mme la ministre parle d'un guide qui
existe — de
toute évidence — c'est
une situation qui s'est passée il y a à peine quelques années — toute
la difficulté, puisque cette dame-là, qui
prétend qu'elle exerce sa religion en s'habillant en pirate avec une passoire
sur la tête...
Les pastafariens, c'est une religion qui a été créée dans une université
américaine pour démontrer qu'on peut créer une religion et qu'elles se
valent toutes.
Donc,
cette dame-là a réussi... Elle devait faire renouveler ses cartes. Elle a
réussi à se faire photographier dans un
CLSC à Montréal avec son accoutrement de pastafarienne, et on le lui a interdit
à la SAAQ. Alors, ça veut dire qu'il y a deux fonctionnaires qui ont pris des décisions différentes : un a
accepté l'accommodement religieux, l'autre a refusé. Ça s'est quand même ramassé en cour. Le ministère a
dû débourser des sous pour cette décision. Et j'imagine les pauvres
fonctionnaires qui ont pris deux décisions différentes pour la même personne
dans des situations similaires.
Ma
question est la suivante... Vous en faites mention dans votre mémoire, de cette
crainte qu'ont les cadres ou les employés
de l'État qui prennent une décision. Cette crainte qu'ont les cadres de faire
les frais d'une éventuelle poursuite parce
qu'ils refusent un accommodement, parlez-m'en. Dans quelle mesure est-ce que
c'est réel, dans quelle mesure est-ce que
ça joue dans la prise de décision? Et est-ce que ça arrive? En tout cas, chose
certaine, c'est arrivé dans ce cas présent, de la pastafarienne. Dans
quelle mesure cette crainte de ne pas prendre la bonne décision, de se
retrouver devant les tribunaux, pour les fonctionnaires, pour les gens que vous
représentez, c'est un problème?
Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais très franchement là-dessus que les gestionnaires
sont vraiment à la recherche de
formations et d'outils justement pour pouvoir être en mesure de rendre une
décision éclairée, d'être équipés pour
pouvoir vraiment distinguer les situations où le motif religieux, il est
démontré et objectivé, en tant que tel. Et je vois bien la difficulté que vous énoncez, d'où
l'intérêt aussi qu'on participe au développement de cette formation-là. Ça
nous permettrait aussi d'avoir une
compréhension commune et éviter justement deux poids, deux mesures d'une
organisation à l'autre, en tant que tel.
Je
pense que c'est important. Mais je vous dirais que par ailleurs les
gestionnaires sont préoccupés de bien faire leur boulot, de fournir le service adéquat, mais il reste que, dans nos
conditions de travail, il est prévu aussi que l'employeur doit prendre
fait et cause. Donc, c'est sûr que ce ne serait pas vraiment la... C'est,
techniquement, la décision qui serait contestée, mais ce serait le ministère
qui aurait à... ou l'organisme à défendre la position devant les tribunaux.
Mme
Roy : Donc, je comprends de votre réponse que vous manquez
d'outils pour le moment, même s'il existe un guide, puisque la démonstration est faite que deux employés de deux
ministères ont pris des décisions différentes pour le même sujet, la
même personne qui réclamait un service.
Par ailleurs,
Bouchard-Taylor, recommandations, ça date de 2008. 2008, c'est long, là.
J'aimerais savoir si vos gens, les cadres,
et vos employés sont de plus en plus confrontés à des demandes d'accommodements
religieux depuis... et là je ne parle pas d'accommodement raisonnable de
façon générale, ne serait-ce qu'une rampe pour une personne handicapée, mais d'accommodements religieux.
Depuis Bouchard-Taylor, est-ce que c'est une réalité qui entre davantage
dans vos fonctions ou ça n'a pas bougé, c'est similaire, et il n'y en a pas
plus, il n'y en a pas moins?
Mme Gosselin (Anne) : Bien, je vous dirais qu'à cet égard-là mon impression, c'est qu'on est
à peu près dans les mêmes eaux. Puis
je voyais d'ailleurs que les statistiques de la Commission des droits de la
personne, au fil du temps, sont assez
stables à cet égard-là, ce qui fait qu'on peut penser que c'est un portrait
représentatif de la réalité, c'est assez stable. Il reste que c'est sûr
que la médiatisation qui en est faite quand les journalistes sont saisis de ça
donne un focus ou une ampleur, des fois, qui
n'est pas réel par rapport au problème, en tant que tel, mais qui contribue à
rendre peut-être les gens plus inquiets ou plus craintifs à cet
égard-là.
Mme
Roy : Pour le bénéfice des gens qui écoutent, quand vous
dites : Les chiffres de la commission sont stables, ça ressemble à
combien de demandes annuellement?
Mme Gosselin (Anne) : Je vous dirais que, de mémoire, les derniers chiffres qu'on avait
regardés au cours des trois dernières années, c'était environ 3 %
des demandes qui portaient sur le motif religieux, et, quand on regardait ça
sur un espace-temps beaucoup plus élevé, soit une quinzaine d'années, on
parlait d'environ 1 %.
Mme Roy :
Sur combien de demandes?
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, Mme la députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, Mme Anne Gosselin, Me Martine Doré et Mme
Louise Labrecque, représentant l'Alliance des cadres de l'État.
La commission suspend
ses travaux jusqu'à 15 heures, où elle poursuivra son mandat.
(Suspension de la séance à 13
heures)
(Reprise à 15 h 6)
Le Président (M. Merlini) : Alors, à
l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! La Commission des institutions reprend ses
travaux. Je demande à toutes les personnes
dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
Nous
poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le
projet de loi n° 62, la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à
encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Nous
entendons cet après-midi les organismes suivants : le COR, qui veut
dire communication, ouverture et
rapprochement interculturel; la Fédération des établissements d'enseignement privé; Me François Côté; et le
Congrès maghrébin du Québec.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Aucun nouveau
remplacement.
Le
Président (M. Merlini) :
Aucun remplacement. Alors, je souhaite la bienvenue maintenant
aux représentants du COR,
communication, ouverture et rapprochement interculturel. Je vous rappelle que
vous disposez de 10 minutes pour
votre exposé et ensuite nous procéderons à la période d'échange avec Mme la ministre ainsi que les membres des partis d'opposition. Je vous invite
donc à vous présenter, ainsi qu'avec les personnes qui vous accompagnent, et à
commencer votre exposé. À vous la parole, et bienvenue à la Commission des
institutions.
Organisme de
communication pour l'ouverture
et le rapprochement interculturel (COR)
Mme Laouni
(Samira) : Merci. Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés. Samira Laouni et Marie-Andrée Provencher, enseignantes en
francisation des adultes. Je vous remercie de nous écouter une fois de
plus, pour le projet de loi n° 62 cette fois-ci.
Nous sommes à
la croisée des chemins pour préserver l'harmonie sociale au Québec. Afin de
passer du vivre-ensemble au
construire-ensemble, ce projet de loi doit être non seulement adopté, mais approuvé
par la majorité des élus. Le nom du COR décrit son programme :
communication, ouverture et rapprochement interculturel. C'est parce que nous déplorions le manque de relations entre les
communautés, cause de beaucoup d'incompréhension, que nous avons fondé
le COR. Nous sentions le besoin d'agir par
le dialogue pour rapprocher les anciens Québécois des nouveaux, la
majorité des minorités afin de construire ensemble un Québec interculturel,
pluriel et inclusif.
D'abord,
affirmons haut et fort que la neutralité religieuse de l'État est une condition
sine qua non d'une société juste. En
effet, cette neutralité garantit l'impartialité envers les croyants et les
non-croyants. En particulier, le principe de la neutralité religieuse de l'État faciliterait l'embauche du personnel
partout dans la fonction publique et parapublique. Seuls les mérites de la candidate ou du candidat
guideraient les décideurs pour octroyer postes, nominations,
subventions, récompenses, etc. La diversité
étant ainsi reflétée dans tous les domaines de la vie publique, l'État
deviendrait un donneur d'exemple pour les employeurs privés qui
surmonteraient peut-être plus facilement leurs réticences à embaucher une personne différente. Ainsi, dans les écoles
primaires et secondaires, la pluralité sociale doit être reflétée par le
personnel des écoles. En effet, et je
cite : «La crédibilité du discours sur l'ouverture à la diversité
ethnoculturelle et religieuse s'appuie en
bonne partie sur la visibilité de cette diversité parmi le personnel scolaire.»
Vous aurez peut-être reconnu ici une citation de Mme Marois, alors
qu'elle était la ministre de l'Éducation.
• (15 h 10) •
Aussi, la
neutralité religieuse doit s'étendre au niveau municipal quand il y a une
demande d'établir un lieu de culte.
D'une part, c'est tout à fait raisonnable que des règles de zonage déterminent
les utilisations du territoire
au bénéfice de l'ensemble
des citoyens, mais, d'autre part, il y a
un accroc évident au principe de neutralité quand on décide de recourir à un référendum qui permet, par définition, à la majorité
de dominer une minorité. Cependant, si nous comprenons bien le champ d'application du chapitre II, troisième paragraphe,
nous craignons que les municipalités ne soient pas assujetties à cette loi. Si
c'est le cas, nous le regrettons vivement.
Quant aux accommodements religieux, certains
ténors médiatiques réclament, à cor et à cri, des balises pour ceux-ci, croyant peut-être sincèrement qu'ils mettraient un terme à des problèmes graves et fréquents dans les
écoles, les hôpitaux ou d'autres milieux de travail. Comme l'objectif
du COR aujourd'hui est le renforcement de la cohésion
sociale, nous convenons que certaines balises peuvent y contribuer.
D'abord,
la population devrait être mieux informée sur la loi des
accommodements raisonnables et surtout sur le service-conseil offert par
la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour l'application
de l'article 10 de la charte du Québec, destiné aux gestionnaires de tout ordre. Si
ceux-ci étaient mieux formés à ce sujet, ils pourraient parfois prévenir
des difficultés au lieu d'attendre que les conflits éclatent. Il est surprenant
qu'on ait mis autant l'accent sur les
accommodements religieux, alors que la Commission
des droits de la personne avait
déclaré que les plaintes relatives aux demandes d'accommodements
religieux n'ont représenté qu'un pourcentage minime. En effet, de 2009 à 2013, la commission avait reçu 3 582 plaintes, dont 0,69 % pour des
demandes d'accommodements religieux. Selon le rapport 2015‑2016, il y
aurait une légère augmentation.
D'abord, il y
a des principes intangibles, en particulier l'égalité femmes-hommes, qui est
déjà inscrite dans la charte québécoise des droits et libertés de la
personne. Nous réclamons d'ailleurs une analyse égalitaire avant toute prise de
décision dans toutes les instances gouvernementales.
D'après notre
expérience sur le terrain, nous pouvons dire qu'il y a un certain degré de
consensus dans quelques domaines. En
effet, dans le domaine du travail, nous nous demandons s'il y a lieu d'avoir
des accommodements religieux. Nous
n'en voyons pas. Par exemple, un travailleur peut utiliser ses pauses comme bon
lui semble, que ce soit pour fumer une
cigarette ou pour dire une prière. Par contre, arrêter une chaîne de production
ou interrompre un quart de surveillance, que ce soit pour fumer ou pour
dire une prière, c'est également inacceptable.
Cependant,
il y a la question des fêtes religieuses qui pose vraiment problème, mais pour
laquelle il y aurait aussi des
solutions. Il faudrait que quelques jours fériés à date fixe deviennent à date
variable, donc des congés mobiles. Ainsi, un travailleur ou un étudiant
serait libre d'utiliser ses jours de congé personnel comme il l'entend, entre
autres pour célébrer une fête religieuse.
L'équité exige que tous les Québécois bénéficient d'un même nombre de jours
fériés, que tous les employés d'un même organisme aient droit aux mêmes
nombres de jours de congé. En appliquant une telle solution, la journée de congé supplémentaire accordée par la Cour
suprême le 23 juin 1994 à des enseignants de religion juive pour célébrer le Yom Kippour n'aurait plus
lieu d'être. Mais il faut prévoir des règles permettant la bonne gestion
des institutions, par exemple, écoles et hôpitaux. L'employé désirant se
prévaloir d'un tel congé devrait prévenir sa direction
un certain laps de temps à l'avance pour que celle-ci prenne les dispositions
nécessaires pour que cette absence ne
cause pas de problème. Évidemment, les institutions devraient fixer un
pourcentage maximum d'absences pour ne pas nuire à la qualité des
services.
Examinons maintenant l'alimentation dans les
institutions, au sujet de laquelle on a lu des déclarations enflammées accusant
des garderies et un hôpital de fournir des aliments halals et cachers à leurs
usagers. Dans les établissements où l'on
doit offrir des repas, par exemple les hôpitaux, les garderies, certaines
écoles, il y aurait une solution bien simple : offrir un menu
végétarien.
Passons aux nouvelles mesures proposées par ce
projet de loi : lors de la prestation de services publics, avoir le visage découvert pour les donneurs ou les
receveurs de services. Nous sommes
conscients que ces balises n'affectent que
des femmes musulmanes, elles qui ont tant souffert et souffrent encore des
débats concernant prétendument la laïcité pendant ces dernières années. Cependant, nous les croyons nécessaires pour des raisons d'identification, de sécurité et de communication. Entendons-nous, il s'agit des
moments où il y a une interaction entre le professionnel et l'usager ou l'usagère. Par exemple, si une femme
séjourne dans un hôpital, l'obligation d'avoir le visage découvert n'est pas continuelle.
Quant au patrimoine culturel, nous pensons qu'il faut le conserver tel qu'il
est.
En
conclusion, ne nous le cachons pas, certaines de ces mesures sont proposées
pour atténuer des préjugés contre des
Québécois musulmans. En effet, les attentats du 11 septembre, les conflits
au Moyen-Orient, les actes terroristes atroces au nom d'un prétendu islam ont marqué un tournant décisif et changé
dramatiquement la perception des Québécois à l'égard de leurs concitoyens musulmans. Alors que ce sont
surtout des musulmans qui sont victimes des tueries, il n'en demeure pas moins que les Québécois musulmans, environ
3,8 % de la population, en sont directement et injustement
affectés. En plus, des politiciens
opportunistes, dans des buts électoralistes, ont exploité des craintes
identitaires en s'ingéniant à faire peur au monde, selon une expression
bien de chez nous.
La neutralité religieuse de l'État, en
garantissant l'équité pour toutes et tous, va certainement contribuer à l'apaisement social, donc diminuer la
discrimination à l'égard de plusieurs minorités ethnoculturelles. Non seulement
ce projet de loi doit être adopté, mais il doit être accompagné de
mesures de formation pour les gestionnaires et de sensibilisation pour la population. Il faut d'abord faire mieux
connaître les outils qui existent déjà. Il faut aussi s'assurer de la
compétence des enseignants qui donnent le cours d'éthique et de culture
religieuse, car ils sont les principaux responsables de l'éducation à la
neutralité religieuse des futurs citoyens.
Comme le dit
Micheline Milot, codirectrice du Centre d'études ethniques des universités
montréalaises — et
je vais donner deux citations et je termine
là-dessus — «la
laïcité de l'État est inhérente au processus de construction de la
démocratie». Et sa deuxième citation : «Il y a entrave à la laïcité de
l'État lorsqu'il ne traite pas en toute égalité les différentes croyances et
qu'il prétend pouvoir interpréter la bonne façon d'être un croyant.» Je vous
remercie. M. le Président, à vous la parole.
Le Président (M. Merlini) :
Merci beaucoup, Mme Laouni, pour votre présentation, votre mémoire. À vous
maintenant, Mme la ministre et députée de Gatineau. À vous la parole.
Mme Vallée :
Merci beaucoup, mesdames. Merci de votre participation aux travaux de la commission.
D'abord, j'aimerais vous entendre davantage sur les outils nécessaires dans le
cadre d'une éventuelle adoption du projet de loi.
On a eu plusieurs groupes de représentants
syndicaux qui ont milité pour la mise en place de guides pour accompagner les enseignants, pour accompagner les
éducatrices en garderie, pour accompagner les membres, les gestionnaires de la fonction publique qui sont
confrontés à des demandes d'accommodements religieux, disant que le
guide de la commission des droits de la personne et de la jeunesse n'était
peut-être pas suffisamment connu et nécessitait évidemment d'être mis à jour et
d'être mieux adapté à la réalité, être plus simple, plus digeste peut-être.
J'aimerais vous entendre, parce que, dans
votre mémoire, une des recommandations formulées est de mettre en place une
campagne de sensibilisation et de mettre en
place également des mesures de formation. Donc, j'aimerais que vous puissiez
élaborer sur ces deux aspects.
• (15 h 20) •
Mme Laouni
(Samira) : Merci. Merci, Mme
la ministre. M. le Président, donc, pour nous, c'est sûr, comme on l'a toujours dit à plusieurs reprises dans cette
enceinte même, que le COR travaille pour vraiment rapprocher tout le
monde, la majorité des minorités, et pour
trouver des consensus, et pour pouvoir aller de l'avant et partir du
vivre-ensemble puis passer au
construire-ensemble d'un vrai Québec pour tous les Québécois et Québécoises,
qu'ils soient ici depuis 400 ans ou qu'ils soient là depuis quatre
ans, qu'ils soient sur le même piédestal.
Maintenant, pour ce qui est de la publicité, la
campagne publicitaire, nous l'avons beaucoup de fois redit, on l'a demandée, on continue à la demander, cette
campagne publicitaire là, parce que nous croyons que la sensibilisation
de la population manque. La population aujourd'hui est dans un stress énorme à
cause du travail, de la vie quotidienne de
M. et Mme Tout-le-monde et qu'en rentrant à la maison on consomme un petit peu
de télévision et puis on consomme un petit peu de médias qui veulent bien nous dire
ce qu'ils veulent dire, et ce n'est pas toujours la vérité qui est dite
par certains médias, pas tous heureusement.
Donc, dans ce cadre-là, si le gouvernement mettait
en place une publicité comme celle, par exemple, des textos au volant, une publicité-choc
qui va chercher vraiment la population et va prendre son regard, elle va
vraiment la conscientiser sur cet état de choses là, nous pensons que ce
serait la meilleure façon de sensibiliser la population, au-delà de faire des tournées, je dirais, des rencontres de
cuisine, ainsi de suite. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas ça, ça ne veut
pas dire qu'il ne faut pas aller vers les
gens, mais une publicité mise en place par le gouvernement aurait beaucoup plus
d'impact. Et on va même plus loin que ça, nous avons demandé à ce qu'elle soit
sur une longue période et qu'elle soit comme mesurable,
au fur et à mesure que le temps passe, pour en calculer, en déterminer, en
analyser l'impact qu'elle a sur la population.
Cela nous permettrait de la réorienter vers la sensibilisation qu'on veut et
qu'elle soit bien comprise et bien prise.
Pour ce qui
est de la formation, oui, Mme la ministre, vous le dites très, très bien, c'est
vrai, on a rencontré les gens de la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et, oui, ils
ont beaucoup d'outils qui sont mal connus
ou même méconnus, carrément. Est-ce que ça manque de vulgarisation? Peut-être.
Est-ce que ça manque de liens, ou
d'outils, ou de vecteurs pour les faire connaître, ces outils-là, qu'ils ont
déjà mis en place? Peut-être aussi. Je ne suis pas spécialiste pour dire qu'est-ce qu'il manquerait
exactement. Ce que je sais, c'est que, oui, il y a des outils, oui, que
ces outils-là ne sont pas très bien connus
surtout par les gestionnaires. Donc, peut-être qu'il faudrait organiser des
formations.
Et
d'ailleurs, justement, le COR avait organisé un colloque dans le cadre de la
Semaine d'action contre le racisme le
3 avril dernier, et on a reçu un haut responsable de la commission des
droits de la personne et de la jeunesse pour nous faire une présentation là-dessus, et justement
c'est ce qu'il disait, il disait qu'ils ont les outils qui ne sont pas très,
très bien connus. Et une des suggestions quand j'ai discuté avec lui, c'était
de vulgariser peut-être les termes, dont vulgariser l'aspect technique, peut-être, que les gens n'arrivent pas à saisir
comme ça du premier coup. Donc, ça serait dans ce sens-là.
Mme Vallée : Outre les outils qui existent, outre la documentation,
le matériel qui a été préparé par la commission des droits de la personne et de la jeunesse, est-ce que vous
verriez nécessaires la mise
en place et la diffusion d'autres types d'information et d'outil pour
permettre aux gens de déboulonner certains mythes? Et quels seraient les mythes
qui devraient être déboulonnés?
Mme Laouni
(Samira) : Écoutez... M. le
Président, je pense qu'à chaque fois il faudrait qu'on... Alors, oui, il
faudrait des outils pour vraiment aller
toucher le plus de monde possible, que ce soit pour les enseignants, que ce
soit pour les services de garde, pour...
Une voix : ...
Mme Laouni (Samira) : Pardon?
Une voix : ...
Mme Laouni
(Samira) : ...les
employeurs, justement. Pour tout
le monde ça prend des guides, mais
surtout que ce ne soient pas des
guides sur des sites Web où on irait dans un ministère... sur un site d'un ministère
pour aller chercher un coin quelque part et puis cliquer puis trouver, parce
que c'est rare, les personnes qui
vont aller chercher de l'information là-dedans. On s'entend bien? Il y a
plein d'outils, des fois, sur les sites et qu'on ne va pas chercher.
Par contre,
si on prend le temps d'organiser des formations, par exemple, tout en remettant
l'outil aux responsables, je pense que l'information va descendre des plus hauts gestionnaires aux
moyens, aux plus petits, ainsi de
suite, et ça va se
faire en cascade. Mais, si on s'attend juste à ce que les gens aillent chercher
ça sur un site quelconque, je ne pense pas que ce soit vraiment... oui, c'est un outil parmi d'autres, mais il
n'est pas aussi efficace qu'encore le papier aujourd'hui pour aller... et la formation en tant que telle.
Mme Vallée : J'aimerais maintenant
vous entendre sur l'idée, que vous avez mise de l'avant, d'accorder une banque de congés mobiles aux employés. Une des
solutions, pour vous, d'éviter de créer des droits supplémentaires pour
certaines catégories d'employés serait de créer cette banque de congés mobiles
là.
Comment,
pratico-pratique, voyez-vous cette mise en oeuvre? Avez-vous un exemple plus
particulier que vous pourriez nous
donner? Parce qu'il y a dans certains milieux une variété importante
de croyances religieuses. Et est-ce
que cette banque de congés mobiles là
ne pourrait pas constituer en soi une contrainte pour l'employeur et
pour le bon fonctionnement de l'organisation ou de l'entreprise?
Mme Laouni
(Samira) : M. le Président. Pour répondre à votre question, Mme la
ministre, je dirais que, dans tous les milieux, qu'ils soient publics,
parapublics, privés, il y a toujours des banques de congés personnels d'abord pour faciliter la chose. Si on commence par ce que les gestionnaires, les
responsables, les employeurs doivent faire, c'est d'établir le seuil minimal de bon fonctionnement de l'organisation, qu'elle soit une entreprise, un ministère, n'importe
quoi, une école, n'importe
quoi.
Maintenant,
une fois que c'est établi, que le ratio est établi, le ratio minimal est
établi, on laisserait aux gens, on laisserait aux travailleurs de
choisir, dans leurs banques de congés personnels, deux journées. Parce que, si
je prends l'exemple de l'islam — c'est
la religion que je connais le plus, même si je connais les autres — il y a deux jours de congé, il y a deux journées dont on a vraiment
besoin : la journée de fin du mois de ramadan, qui clôture le mois de
ramadan et qui est
l'équivalent de Noël, et il
y a la journée du sacrifice, qui est
l'équivalent de Pâques. Donc, deux journées par année. Ces deux journées-là, si, par exemple... Je sais qu'à part pour ce qui est de l'enseignement, où il y a
des congés fixes et qu'on ne peut pas
bouger, à part ça, on pourrait, par
exemple, au lien de prendre deux
jours, pour le jour de Noël, de congé
et deux jours pour le jour de l'An, on pourrait prendre une journée qui est
statutaire pour tout le monde,
mais, l'autre journée, on pourrait l'utiliser pour notre fête, par exemple.
C'est un exemple.
Un autre
exemple, c'est tout simplement que j'aille piger, que j'aille prendre ça dans
mes vacances personnelles. Ça ne fait
pas à l'employeur de payer plus, parce
que c'est ma journée, j'ai le droit à
cette journée-là. Advenant que je n'aie
plus de journée dans ma banque personnelle, eh bien, je la prendrais sans paie,
sans solde, tout simplement. C'est comme
ça que je le vois, mais avec la condition que j'ai dite tout à l'heure, c'est de prévenir l'employeur à l'avance pour qu'il s'organise,
et tout en respectant le seuil minimal du bon fonctionnement de la compagnie,
de l'organisation, de l'enseigne, en fait.
Le Président (M. Merlini) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Est-ce qu'il
reste du temps?
Le Président (M. Merlini) : Oui,
quatre minutes, Mme la ministre.
Mme Vallée : D'accord. Vous vous êtes exprimés sur l'importance de
reconnaître la neutralité de l'État. Nous avons
eu ici bon nombre de représentations.
Certains considèrent que la reconnaissance que l'on retrouve au projet
de loi est trop timide. D'autres souhaiteraient que l'on aborde de façon plus
claire la laïcité de l'État. Donc, j'aimerais vous entendre sur ce positionnement, parce que — je prends la page 10 de votre mémoire — vous avez mentionné : «Affirmer
officiellement le principe de la neutralité religieuse de l'État, donc
réaffirmer la liberté de conscience et de religion, constituerait un pas de
plus vers l'édification d'un Québec égalitaire, diversifié et interculturel.»
Donc,
j'aimerais vous entendre quant aux autres moyens qui ont pu être proposés ici à
cette commission depuis le début de nos consultations.
• (15 h 30) •
Mme Laouni (Samira) : M. le
Président, Mme la ministre, pour nous, la neutralité de l'État se confond à la laïcité de l'État en ce sens que c'est séparer le
religieux du pouvoir politique,
de une, mais, de deux, c'est de reconnaître la liberté de conscience et
de religion aussi. C'est le principe de la neutralité et de la laïcité.
Maintenant,
en séparant les institutions de la religion, en ayant une impartialité de l'État vis-à-vis
du religieux ou non-religieux, tout
ça aiderait à avoir une équité et une égalité entre tout le monde, pour tout le monde. Mais, plus que ça, c'est que même la neutralité
de l'État ferait en sorte qu'elle ne puisse pas dire qui est bon citoyen ou
mauvais citoyen et jusqu'à quand son degré de religiosité est bon ou pas
bon. C'est ça qu'on dit, parce que, oui, il faut séparer les institutions du religieux, ça, c'est certain, il
ne faudrait pas que l'État ait à se mêler de ce qui est bon ou pas bon,
religion ou pas religion, les degrés ou
d'établir une hiérarchie là-dedans, mais, mieux encore, c'est que, comme toutes
les libertés qui existent, il y a une
liberté d'expression, et donc les individus auraient la liberté d'expression
d'exprimer leur religion quand bon
leur semble. Par contre, ils sont interdits de faire du prosélytisme. Ça, c'est
très clair aussi dans notre esprit.
Mme Vallée : Bien, merci
beaucoup.
Le Président (M. Merlini) :
1 min 20 s, Mme la ministre.
Mme Vallée : Ah! encore?
Le Président (M. Merlini) : Oui.
Mme Vallée : C'est super.
Qu'en est-il maintenant pour... Nous avons fait le choix de ne pas assujettir
les personnes en autorité aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor.
Est-ce que vous avez une préoccupation à cet
égard? Parce qu'évidemment nous reconnaissons qu'il existe, à l'intérieur même
des lois encadrant ce type de fonction là, des dispositions très claires, et
j'aimerais vous entendre sur cette question.
Le Président (M. Merlini) : Vous
avez une quarantaine de secondes.
Mme Laouni
(Samira) : Bon. On avait
déjà intervenu lors de la commission Bouchard-Taylor, justement, et on avait établi qu'on était d'accord avec ce
consensus-là, parce qu'on croit que c'est un consensus qu'on a ressenti sur
le terrain de par tous les Québécois et
Québécoises, donc de part et d'autre, donc. Mais nous, on surligne, si vous
voulez, le fait des jobs ou des
responsabilités, je dirais, à caractère coercitif. C'est très important. Ce
n'est pas juste l'autorité, ce n'est pas juste en autorité, parce que
les parents ont une autorité aussi sur leurs enfants jusqu'à un certain âge.
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, Mme Laouni. Le temps du gouvernement étant écoulé, je me tourne
maintenant vers l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, la
parole est à vous pour votre bloc d'échange.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, les gens
du COR. Mme Provencher, Mme Laouni, bienvenue.
Bien, on va continuer, ça va permettre de... J'allais justement échanger
là-dessus, moi aussi. Quand vous êtes venus
sur le projet de loi n° 60 du temps du gouvernement du Parti québécois,
vous aviez effectivement dit que vous étiez d'accord pour l'application de Bouchard-Taylor, donc vous êtes d'accord
pour les juges, gardiens de prison et policiers, personnes en situation
d'autorité, pouvoir de coercition direct.
Est-ce que vous
seriez d'accord pour qu'on l'inscrive dans cette loi pour que ce soit clair
pour tout le monde?
Mme Laouni (Samira) :
M. le Président, Mme la députée, tout à fait. On maintient notre position,
puisque pour nous on cherche la cohésion
sociale. Donc, on a senti sur le terrain que c'est quelque chose qui fait quasi
unanimité, mais je resouligne le fait que ce
soient des emplois à caractère coercitif — c'est très important — pas seulement en autorité. C'est le caractère coercitif, comme vous l'aviez
bien mentionné, les juges, la police et les gardiens de prison. On est d'accord.
Mme
Maltais : Donc, je dirais, vous pouvez avancer jusque-là,
mais, Bouchard-Taylor, c'était ça exactement, là, ce n'était pas en dehors de ça. Il y a eu un débat
ensuite sur les enseignants, enseignantes, le port du hidjab, et tout,
mais je comprends qu'au moins on s'entend sur le minimum qui est là-dessus.
Mme Laouni
(Samira) : Tout à fait.
Mme
Maltais : Très intéressant. Merci. Il y a un autre mémoire
aussi qui a été présenté, de la Fédération autonome de l'enseignement,
qui disait un peu la même chose que vous. Je veux bien comprendre que c'est la
même chose, c'est-à-dire que, les congés
religieux, si des gens veulent prendre un congé pour une activité religieuse,
qu'ils le prennent à l'intérieur de
la banque déjà établie de congés et que ce soit à travers la convention
collective. La Fédération autonome de l'enseignement nous disait ça.
C'est un peu l'esprit que vous avez?
Mme Laouni (Samira) : M. le Président, c'est exactement ça qu'on a dit. On a dit que, si on
ne peut pas... parce que, pour les
enseignants et enseignantes, je l'ai bien souligné, je comprends qu'il y ait
des congés bien établis, qu'on ne peut
pas les rendre mobiles ou pas mobiles. Donc, ça, c'est clair et net pour nous.
Mais, pour ce qui est de la banque des congés
individuels, on peut puiser nos congés dans cette banque-là, et il n'y aurait
pas question d'aller chercher ailleurs.
Mme
Maltais : On retrouve un peu l'esprit de la FAE à ce
moment-là. Il y a un autre mémoire qui nous a amené ça. Par contre, il y a quelque chose qui
m'étonne : vous dites en page 7 que la façon de régler les problèmes
d'alimentation religieuse, c'est... je vais
le simplifier, là, mais vous dites : «Dans les établissements où l'on doit
offrir des repas aux usagers, par
exemple les hôpitaux, les garderies, certaines écoles, il y aurait une solution
bien simple : offrir un menu végétarien.» Donc, la majorité devrait se soumettre à la minorité dans ce cas-là.
Comment ça fonctionne? Parce que moi, je ne suis pas d'accord. Je veux comprendre,
parce que simplifier comme ça, c'est peut-être un peu gros.
Mme Laouni
(Samira) : Je laisserais la parole à Mme Marie-Andrée Provencher.
Le Président (M.
Merlini) : Mme Provencher.
Mme Provencher
(Marie-Andrée) : Un menu, ça veut dire... normalement, quand on offre
un buffet, une cafétéria, il n'y a pas un plat exclusif. Donc, un choix parmi
d'autres.
Mme
Maltais :
Oui. O.K. Mais, dans les centres de la petite enfance, par exemple, il y a un
repas qui se fait.
Mme Provencher (Marie-Andrée) : Ah! s'il n'y a qu'un repas qui se fait, l'enfant
ne prend pas tous ses repas dans le centre de la petite enfance, donc,
bien, non.
Une voix :
...
Mme Provencher (Marie-Andrée) : Bien oui. Donc, ils mangeront autrement en
d'autres temps. Je parle dans un milieu mixte, évidemment, dans un
milieu où le problème se présenterait.
Mme
Maltais :
Donc, il ne s'agit pas d'accommoder la personne qui a un besoin religieux, mais
de plier l'ensemble aux besoins d'une personne. Vous vous rendez compte
de ce que vous êtes...
Mme Provencher
(Marie-Andrée) : Je ne pense pas qu'on veuille l'imposer, je pense
qu'on veut l'offrir.
Mme
Maltais :
Enfin, écoutez, je veux juste vous dire que ce que sont venus nous dire les
centres de petite enfance, c'est que c'est
beaucoup plus facile d'accommoder une personne qui a un besoin comme ils
accommodent pour des aliments que d'imposer à tout le monde, là...
Mme Provencher
(Marie-Andrée) : Pourquoi pas?
Mme
Maltais : Ça ne semble pas facile pour les CPE et garderies.
Écoutez, je vous le dis comme ça, ce n'est pas vraiment une solution qui nous
semble envisagée de la part des CPE, des garderies, et tout. Ça a fait l'objet
d'un débat une fois.
L'autre chose, en
page 9, vous dites : «...il faudrait que, sinon toute la population,
du moins les personnes en autorité
connaissent les dates des fêtes incontournables des minorités largement
représentées ici afin d'éviter d'organiser, par exemple, une séance de conseil municipal ce jour-là.» Écoutez, là,
ça devient... Moi, je crois à l'État laïque. Le pas qu'on fait ici, dans la loi, c'est dire, bon, un
minimum : Neutralité religieuse. Mais là ça devient toutes les autorités
qui devraient se plier aux fêtes religieuses? Ça n'a pas de bon sens, là, dans
la façon dont je le comprends.
Ceci
dit, il y a quelque chose de bien dans votre mémoire, c'est que je comprends
que la loi devrait soumettre les municipalités à ça.
Mme Laouni (Samira) : M. le Président, ce qu'on voulait dire, nous... on n'a rien à imposer à
personne, rien du tout, c'est des propositions qu'on fait...
Mme
Maltais :
On jase.
Mme Laouni (Samira) : ...mais, pour ce qui est de ce que vous dites, que les responsables
connaissent minimalement les autres
fêtes, ça, je pense que c'est juste du bon sens, c'est juste connaître l'autre
dans toute sa dimension, et cela
n'enlève rien du tout à ses responsabilités. Si vous savez que les musulmans
ont deux jours de fête obligatoires, ça rajoute juste une connaissance. Ça vous rajoute juste une connaissance,
pas plus que ça. Pourquoi on disait qu'il fallait les connaître? C'est juste, par exemple, parce qu'il y
a eu... ce problème s'est posé, il y a eu des réunions, des convocations
pour des musulmans le jour de l'Aïd, le jour
de la fête du sacrifice et il y a eu des conseils municipaux qui se sont
tenus des journées où c'était une journée fériée pour ces personnes-là.
Donc,
juste par respect, dans la mesure du possible, je redis et je reviens encore à
ce que j'ai dit tout à l'heure, en maintenant un seuil de bon
fonctionnement, le seuil pour un bon fonctionnement, c'est là où on pourrait
établir ces choses-là, mais juste pour le bon sens.
Mme
Maltais :
Bien là, ça devient...
Le Président (M.
Merlini) : Deux minutes, Mme la députée de Taschereau, deux minutes.
• (15 h 40) •
Mme
Maltais :
Deux minutes. Oh! il ne me reste plus beaucoup de temps.
Enfin,
c'est que ça devient, encore une fois... on sort très loin de la neutralité
religieuse, on devient une espèce d'agencement des choses. Il y a une
limite qui est de passer de l'autre côté, qui est de tout agencer en fonction
du religieux, qui justement est supposé être
en dehors des décisions des élus. Moi, je ne suis pas supposée décider en
fonction du phénomène religieux.
Mme Laouni
(Samira) : M. le Président...
Mme Maltais :
Je veux comprendre, là. Ça fait qu'à quel moment on traverse de l'autre bord? À
accommoder... un peu d'accord, mais c'est
sûr que, si je fais une assemblée où je veux parler, par exemple, du phénomène
religieux, je vais m'organiser pour
que ça ne tombe pas, ce soir-là, sur une date où des gens intéressés par le
sujet ne puissent pas venir. Mais il faudrait que ça soit une assemblée
qui concerne ces gens-là, les gens qui ont le phénomène religieux à coeur.
Mme Laouni (Samira) : M. le Président. Je comprends votre préoccupation, Mme la députée. La
seule chose que je dis, c'est que
c'est du bon sens. Si on veut la cohésion sociale, ça prend connaître l'autre
dans toute sa dimension et l'accepter dans toute sa dimension.
Ceci
étant dit, cela ne nous oblige pas à arrêter le travail, s'il y a une réunion
importante, à cause de la fête d'un tel
ou d'une telle, mais, quand il y a une majorité qui va être absente, je pense
que le minimum, c'est de chercher... Et le Doodle existe aujourd'hui, et
puis c'est comme ça qu'on fait toutes nos réunions.
Mme
Maltais : J'avais une dernière question, simplement, on va
être rapide. Parce qu'on a plusieurs groupes qui sont venus puis ils nous disent, en général : On représente tant de
personnes, tant de personnes. Il y a combien de membres dans le COR?
Parce que je suis allée sur votre site comme pour tous les autres groupes et je
ne l'ai pas vu.
Mme Laouni
(Samira) : On n'a pas mis le nombre de membres, parce que d'abord on
ne perçoit aucun membership de nos membres. Et puis tous les gens qui viennent
à nos conférences sont considérés nos membres et ils sont considérés sympathisants,
et on leur envoie un courriel pour leur demander s'ils acceptent d'être membres
et sympathisants du COR, et ils répondent par courriel que oui. Nous en avions
une cinquantaine.
Mme
Maltais :
Merci.
Mme Laouni
(Samira) : Avec plaisir.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci. Merci pour votre présence,
merci pour votre mémoire. C'est notre deuxième journée d'audiences. Vous
êtes les premiers intervenants qui nous disent d'entrée de jeu : Oui, nous sommes pour le projet de loi n° 62, pour son adoption, en fait, une adoption
sans réserve, telle quelle, parce qu'il
n'y a pas de modification que vous nous demandez. Cependant,
nous, on veut se demander si on peut bonifier ou faire des amendements.
Vous avez très bien
ouvert la porte à une possibilité, en fait, à l'effet que vous ne seriez pas
contre la recommandation de Bouchard-Taylor à l'effet d'interdire le port
de signes religieux mais uniquement, là, aux personnes décrites en position d'autorité coercitive : juges, procureurs de
la couronne, policiers et gardiens de prison, point. Ça, c'est ça que Bouchard-Taylor disait. Dans cette foulée,
vous nous dites... et j'ai pris des notes pendant que vous parliez,
vous avez dit : Laïcité et neutralité se confondent. Le projet de loi ne
parle que de neutralité.
Moi, je me posais la
question : Est-ce que vous seriez à l'aise, si vous dites que la laïcité
et la neutralité se confondent, est-ce que
vous seriez à l'aise avec le fait d'incorporer, dans le projet de loi n° 62, le concept également de laïcité... qui, pour d'autres, sont deux concepts
différents?
Mme Provencher (Marie-Andrée) : C'est que, pour nous, notre conception de la
laïcité se confond avec notre conception
de la neutralité religieuse de l'État. Alors, pour nous, ça inclut la liberté
de conscience et de religion, y compris la liberté d'exprimer sa croyance ou sa non-croyance, la séparation de
l'État et des institutions religieuses, donc églises, etc., et
l'impartialité de l'État à l'égard des croyants et des non-croyants. Mais nous
croyons que c'est plus rassembleur d'utiliser
le terme «neutralité religieuse de l'État», parce que je pense qu'il y a des
gens qui ont une conception différente de
la nôtre... de la laïcité. Et je pense que les débats sur «en quoi consiste la
vraie laïcité?» ont duré pendant quelques années et ça risquerait de les ramener, tandis que, «neutralité religieuse de
l'État», bien, je pense que tout le
monde a la même définition.
Mme
Roy : ...respectueusement
qu'il y a plusieurs groupes qui n'ont pas la même
définition. Alors, je comprends...
Mme Provencher
(Marie-Andrée) : De la neutralité religieuse de l'État?
Mme
Roy : De la
neutralité et de la laïcité. Alors, ma question était : Est-ce que vous
seriez pour introduire le mot «laïcité»
dans ce projet de loi?, et je comprends par votre réponse que, pour vous,
ce n'est pas nécessaire de mettre «la laïcité». C'est ce que je
comprends.
Une voix :
Exact.
Mme
Roy : D'accord. Autre
question. J'ai pris des notes lorsque vous parliez. Vous disiez : Il est
surprenant que l'on mette autant
l'accent sur les accommodements religieux. C'est ce que fait le projet de loi n° 62. À son article 10,
on parle, et c'est écrit en haut de la section III, «Accommodements religieux».
Vous
pensez quoi du fait qu'on ne parle plus maintenant d'accommodements
raisonnables — parce que, c'est l'origine de tout
ça, ce sont des accommodements raisonnables — et que, là, maintenant, le projet
de loi n° 62 parle strictement d'accommodements religieux? J'aimerais vous
entendre là-dessus.
Mme Laouni (Samira) : On l'a dit, M. le Président, on l'a dit à la fin, dans notre
conclusion, justement, que, oui, il y a eu une cristallisation,
justement, depuis 2006.
Avec
votre ancienne formation, il y a eu comme une cristallisation des
accommodements raisonnables qui a abouti, par la suite, sur des accommodements religieux. Il y a une confusion sur
le terrain qui est quasi présente entre ce qui est accommodement
religieux versus ce qui est accommodement raisonnable, on mélange tout. Donc
là, je pense qu'il est très important de
définir séparément les deux, de parler séparément des deux, mais on sait très,
très bien, et on l'a dit en
conclusion, que ce projet de loi là vient pour rétablir une certaine cohésion
sociale. Après le 11 septembre, après tout ce qui se passe, après ce qui se passe aujourd'hui au Moyen-Orient avec
toute cette radicalisation menant à la violence, avec tout ce qui se passe aujourd'hui, c'est vrai que
les gens, les Québécois et les Québécoises ont beaucoup plus peur. Avec ce que certains médias apportent aussi, il y a une
peur de l'autre qui s'est installée, alors que les Québécois de
confession musulmane ne veulent qu'une
chose, c'est de vivre, parce qu'ils sont les premières victimes de toutes ces
atrocités-là.
Mme Roy :
En conclusion, parce que j'ai très peu de temps, je vous amène à la page 9.
Vous élaborez des moyens, entre autres, si
le projet de loi était adopté, bon, des outils et vous nous dites en bas de la
page 9, en toute fin de paragraphe :
«Il faut aussi s'assurer de la compétence professionnelle des enseignants qui
dispensent [les] cours d'éthique et
de culture religieuse, car ils sont les principaux responsables de l'éducation
à la neutralité religieuse des futurs citoyens.»
Donc,
il faut s'assurer de la compétence professionnelle des enseignants. Selon vous,
est-ce qu'il y a un manque de compétence actuellement dans la prestation
de services de ces cours-là?
Mme Laouni
(Samira) : Marie-Andrée.
Mme Provencher (Marie-Andrée) : Nous
espérons qu'ils sont compétents, et ça serait une bonne chose de s'en assurer.
Le Président (M.
Ouellette) : Et, sur ces bonnes paroles — Mme Marie-Andrée
Provencher, Mme Samira Laouni, représentant le COR, communication, ouverture et
rapprochement interculturel, merci d'être venues déposer en commission — je
suspends quelques minutes. Je demanderais à la Fédération des établissements
d'enseignement privés de s'avancer, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 15 h 48)
(Reprise à 15 h 51)
Le Président (M. Ouellette) : Nous
reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant la Fédération des établissements
d'enseignement privés et son président, M. Jean-Marc St-Jacques.
M.
St-Jacques, vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous avez
10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura un échange
avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous la
parole, M. St-Jacques.
Fédération des
établissements d'enseignement privés (FEEP)
M.
St-Jacques (Jean-Marc) : Merci, M. le Président. Alors, comme vous le disiez, je suis Jean-Marc
St-Jacques, président de la
fédération, et, dans mes temps libres, je suis le directeur général du collège Bourget, à Rigaud. À
ma droite, M. Philippe Malette, qui
est directeur aux services de l'administration des écoles à la fédération, et,
à ma gauche, M. Patrice Daoust, directeur des services complémentaires,
aussi à la fédération, pour l'ensemble des établissements.
M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes
les députés de l'Assemblée nationale, nous vous remercions d'abord de
l'invitation à venir témoigner à cette commission
parlementaire. Juste vous rappeler que
la fédération représente actuellement 192 établissements de niveaux préscolaire, primaire, secondaire,
d'adaptation scolaire, autour de 110 000 élèves au Québec sur à peu
près les 125 000, 130 000 qu'il y a au secteur privé.
Nos
établissements sont des organismes à but non lucratif qui font partie à part
entière du système d'éducation québécois.
Certains reçoivent des subventions qui représentent environ 40 % de leurs
revenus, et nous comprenons qu'ils soient
inclus dans ce projet de loi là. Les membres de la fédération sont répartis
dans différentes régions du Québec et ils représentent aussi bien la diversité québécoise. Ils accueillent des
élèves qui n'ont pas de religion autant que des élèves de confessions religieuses différentes. La majorité
de nos établissements sont francophones, mais certains sont anglophones,
certains sont bilingues, voire trilingues.
Nous avons mené, en 2010, une enquête auprès de
44 000 jeunes des écoles secondaires membres de notre fédération, et ça nous a révélé que nos effectifs
scolaires sont similaires à l'ensemble des élèves québécois en matière
de croyances religieuses. La fédération, en même temps, ne peut pas faire
abstraction de son histoire, marquée par les communautés
religieuses, toutes confessions confondues. L'histoire de certains de nos
membres remonte au début même de la
colonie; l'école des Ursulines, par exemple, ici, à Québec, du régime français.
Cette histoire fait non seulement partie du patrimoine architectural, mais aussi des projets éducatifs et de la
gouvernance de certains établissements. Les écoles fondées par des communautés religieuses se sont
adaptées à la réalité du Québec du XXIe siècle, mais elles sont fières
de la tradition dont elles sont issues et tiennent à ce que les jeunes Québécois
connaissent cette tradition. Mais il faut dire aussi que nous avons plusieurs établissements qui sont de tradition laïque qui ont été fondés
dans la fin des années 50, des années 60... qui sont de tradition laïque
et de culture laïque.
Dans le
mémoire que nous avons déposé, nous avons exprimé notre appui à l'essentiel du projet de loi tout en soulevant certains
aspects qui pourraient poser problème si les gestionnaires ne sont pas bien
outillés pour y faire face et nous nous sommes concentrés principalement
sur le chapitre III.
Nous sommes
en accord avec la notion de recevoir et de donner des services à visage
découvert. Toutefois, nous enjoignons
la ministre à se limiter à cette expression de la foi. Il y a
des élèves et parfois des membres du personnel ou de la direction qui portent le hidjab, l'habit, la
kippa. Aller plus loin provoquera inévitablement dans nos maisons une onde de choc, alors
que cette réalité se vit sans problème significatif.
Par ailleurs, la fédération tient à souligner qu'il pourrait surgir des difficultés
dans l'application de cette disposition de la loi si le gouvernement n'offre pas des
outils pratiques aux gestionnaires, des balises qui encadrent ces
modalités-là. Comment doit réagir, par exemple, une direction d'école si un élève se présente en classe avec le visage
couvert? Comment doit-elle réagir si
un parent se présente, à une rencontre avec les enseignants, à visage couvert?
Il serait important donc de fournir
aux directions d'école des directives claires quant aux procédures à suivre
dans de telles situations. Ces directives officielles aideraient à
préserver la relation entre l'école, l'élève et le parent, essentielle à la
réussite de l'élève. Et je soumettrais peut-être un exemple boiteux :
prenons la loi sur l'interdiction de la cigarette sur les campus. Ça a été beaucoup
plus facile pour nous quand c'était clairement indiqué c'était quoi, la loi,
c'était quoi, les balises, et là, à ce moment-là, on pouvait travailler beaucoup
plus facilement et la gérer. Bon, ici, c'est beaucoup
plus complexe, on s'entend, que de dire : Vous ne fumez plus sur un
campus.
En ce qui a trait aux accommodements raisonnables ou religieux, il est important
de laisser la flexibilité nécessaire aux
établissements pour qu'ils puissent prendre les bonnes
décisions dans l'intérêt de l'élève. Il faut garder à l'esprit que
la relation maître-élève est un élément-clé de la réussite éducative et que des
absences répétées peuvent avoir des conséquences directes sur la réussite
éducative. Donc, je reprendrai peut-être dans les questions ce que j'ai entendu
tantôt, mais ça rejoindrait ce qu'on veut
dire, et surtout que l'année scolaire est balisée : on ne peut pas la
commencer avant telle date et on sait qu'à telle date les
examens du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur nous
arrivent.
En lien avec
la charte des droits de la personne, les analyses jurisprudentielles nous
démontrent la nécessité pour les
organismes de s'adapter à la nouvelle réalité québécoise. Nous retrouvons,
d'ailleurs, dans le projet de loi déposé par la ministre les exigences auxquelles font face nos établissements en matière d'accommodement
raisonnable. Bien que ces exigences soient de plus en plus définies selon
différents paramètres établis, nous souhaitons souligner à la ministre qu'en milieu scolaire il est essentiel de garder en tête que l'intérêt
premier est celui de l'élève. Ainsi, lors d'une demande d'accommodement, les écoles suivent un mécanisme
qui limite les possibilités afin d'assurer que l'élève et sa réussite éducative demeurent la priorité. Les directions
d'école ont besoin de flexibilité pour que l'intérêt de l'élève passe en
premier. Et il faut dire qu'on n'a pas de problème majeur là-dessus actuellement.
J'arrêterais
là pour tout de suite. Je vous remercie de votre accueil, et nous aurons
l'occasion justement d'aller plus en profondeur à partir de vos
questions. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Merci.
Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci beaucoup.
Merci, messieurs, de votre présentation.
Je vais aborder la question des guides et des
outils pouvant être mis à la disposition des établissements et des enseignants. Vous n'êtes pas les premiers à nous
indiquer le besoin de mieux outiller le personnel qui reçoit une demande
d'accommodement, de mieux outiller les gestionnaires qui devront appliquer le projet
de loi.
Il existe actuellement un guide qui a été publié par la commission des droits de la
personne et de la jeunesse. La connaissance de ce guide-là, elle est variable.
On se rend compte que, malgré, nous, notre connaissance, en tant que parlementaires, de l'existence du document, ce n'est peut-être pas tout
le monde qui, sur le terrain, a eu
l'occasion de se familiariser avec le guide et de l'utiliser.
Je me demandais si, au sein de vos établissements,
ce guide-là était utilisé, et utile, et connu.
M. Malette
(Philippe) : Le guide en
lien avec la Commission des droits de la personne, je vous dirais que
nous le consultons, mais nous, à l'interne,
à la fédération, nous avons fait un guide pour nos établissements spécifique, en lien aux exigences
qu'ils peuvent rencontrer. Le guide a été fait en 2009, aurait peut-être
besoin d'un petit rafraîchissement, mais, en grandes lignes, ça couvre généralement les courants jurisprudentiels
qu'on retrouve. Puis c'est un guide qu'on a essayé de rendre le plus pratique possible pour les
directions de nos établissements. Aussi, en 2007, vous le savez aussi bien
que moi, au ministère de l'Éducation, il y a
eu des travaux qui ont été faits à cet effet-là. En tant que fédération,
nous avons participé également à ces travaux-là.
Donc, je vous
dirais, sans s'en tenir directement au guide de la Commission des droits de la
personne, nous avons été en mesure de
travailler sur différents guides également, mais on est au courant du guide de la Commission
des droits de la personne. De là à
dire s'il est tout le temps utilisé par nos membres, je vous dirais que probablement que non. Mais nos outils sont adaptés en fonction, également...
M. Daoust
(Patrice) : ...Jusqu'où
va la liberté d'expression?, pour justement être en mesure de gérer les situations qui
pouvaient se présenter dans les classes ou à l'extérieur des classes.
Le
Président (M. Ouellette) :
Juste avant, Mme la ministre, juste pour les besoins des gens qui nous
suivent... M. St-Jean, vous nous avez fait
des beaux petits signes, mais c'était M. Daoust qui vient de terminer son
intervention.
Mme la ministre. Le signe, c'est parce que ça ne
rentre pas à l'audio, hein?
Mme Vallée : Donc, je comprends que vous avez déjà un
certain nombre de formulaires, de guides qui sont mis à la disposition
de vos membres.
M.
St-Jacques (Jean-Marc) : Ce
qu'on pourrait rajouter, Mme la
ministre, c'est que, oui, on a ces
choses, mais on pourrait travailler en concertation justement avec le ministère
de l'Éducation, votre ministère, les commissions scolaires pour voir si ces
guides-là répondent entièrement aux exigences de la loi, les baliser, par exemple. Ou, si on est placé dans des situations... les congés religieux
pour les membres du personnel, bon, on se limite à dire : Bien, vous avez — comme on a entendu tantôt — une banque de congés, prenez-les là-dedans.
Mais les écoles ne sont pas certaines, parce
que chacun des établissements est autonome, chacun des établissements n'a pas
un consulteur juridique pour être sûr qu'il
fait bien, donc elles font référence à la fédération, mais, si on pouvait
étoffer davantage ces guides-là pour qu'on puisse fonctionner... Parce qu'on ne sent pas de problème majeur, dans
nos établissements, là-dessus. Il faut être honnête, là.
• (16 heures) •
Mme Vallée :
D'accord. Quels sont les principaux défis auxquels... Outre les demandes de
congé par les membres du personnel, est-ce qu'il y a d'autres enjeux
chez vous qui constituent un défi?
M.
St-Jacques (Jean-Marc) : Je
pourrai demander tantôt de compléter, mais, à premier abord, selon ce
qu'on entend des membres de nos
établissements, on... j'allais dire, les accommodements religieux ou les
accommodements raisonnables ne sont pas le
premier des défis actuellement, on était davantage sur les défis des élèves à
besoins particuliers, de la réussite
éducative, de l'amélioration de nos bâtiments pour tenir compte des exigences.
Vraiment, on est centrés là-dessus.
Mais il y a peut-être des éléments que je possède moins. Je vais demander à
l'un ou l'autre... M. Malette, vous aviez...
Le
Président (M. Ouellette) : M. Provencher. Ah! non. M. Malette.
Excusez.
M. Malette
(Philippe) : Il n'y a pas de problème, M. le Président.
Le Président (M.
Ouellette) : M. Provencher; là, je ne sais pas où...
M. Malette
(Philippe) : ...il n'y a aucun problème.
Le Président (M.
Ouellette) : Non. C'est bon.
M.
Malette (Philippe) : Écoutez, pour répondre spécifiquement à votre
question, la question que je pourrais dire qui nous revient le plus
souvent... mais, encore là, là, je veux peser mes mots, parce que ce n'est pas
une question qui vient régulièrement, là, à
l'occasion, on peut avoir des questions de nos établissements à savoir
qu'est-ce qu'on fait si une élève se
présente avec un voile, mais je vous dirais que c'est peut-être une ou deux
fois par année qu'on a cette question-là. Et nos établissements sont très bien capables de gérer cette situation.
Ils veulent juste s'assurer que leur position ou la direction qu'ils vont prendre dans leur décision
est convenable et correcte, mais, je vous dirais, on n'a pas une tonne
de questions en lien avec ce questionnement-là.
Mme Vallée :
D'accord. Vous avez...
Le Président (M.
Ouellette) : M. Daoust.
Mme Vallée :
Oh! d'accord.
Le Président (M.
Ouellette) : Excusez. M. Daoust, en complémentaire.
M.
Daoust (Patrice) : Excusez-moi. Et, naturellement, dans le projet de
loi, bien, on va un petit peu plus loin, où on parle, justement, sur la question de recevoir le service, donc,
forcément, pour les parents qui, eux, peuvent parfois être à visage couvert dans certains établissements.
Donc, c'est ces balises-là, en quelque sorte, là, qu'on aurait peut-être
besoin d'avoir un éclaircissement.
Mme
Vallée : D'accord. À la recommandation 3 de votre mémoire,
vous mentionnez que la fédération souhaite que «le gouvernement laisse la latitude nécessaire aux établissements
d'enseignement privés pour gérer [les] demandes tout en respectant les
cinq recommandations prescrites par la Loi sur l'instruction publique».
Pourriez-vous
préciser à quelles recommandations vous faites référence spécifiquement?
J'étais dans la loi et je tentais de les retrouver.
M. Daoust
(Patrice) : C'est dans le...
Le Président (M.
Ouellette) : M. Daoust.
M.
Daoust (Patrice) : Oui. Vous avez ça à la page 10 du projet de loi,
donc, les cinq recommandations qui y sont, alors, l'obligation de fréquentation scolaire, les régimes pédagogiques
établis par le gouvernement, le projet éducatif de l'école, la mission de l'école, qui est
d'instruire, socialiser et qualifier, et la capacité de l'établissement de
dispenser aux élèves les services éducatifs prévus par la loi.
Mme
Vallée : Ça, il s'agit des mesures, des éléments prévus à
l'article 12, mais j'étais sous l'impression que votre recommandation suggérait de s'en remettre
également à d'autres dispositions. Donc, vous reprenez ces dispositions-là.
M. Daoust
(Patrice) : Exact.
Mme
Vallée : D'accord. Donc, lorsque vous demandez une certaine
latitude, à quoi faites-vous référence de façon plus précise? À partir du moment où ces cinq éléments sont prévus, sont
issus et proviennent des fondements de la Loi sur l'instruction publique, vous dites : Oui, on
est prêts à respecter ça, j'ai de la difficulté à comprendre la portée de
votre recommandation 4, où vous nous
dites : De nous laisser la latitude. Je crois que le projet de loi ne
propose pas ou n'oblige pas aux établissements d'autres éléments ou
d'autres critères que ceux que vous avez identifiés et qui font partie de votre
mémoire. Ou ça peut être une interprétation d'un autre article. Mais je tente
de comprendre la portée de votre recommandation 4.
M.
Daoust (Patrice) : Oui. Elle est en lien avec... on sait qu'il
pourrait y avoir des amendements possibles, ou quoi que ce soit. Donc, ça devient un peu plus contraignant. C'est
certain que, comme on l'a mentionné en préambule, il pourrait y avoir
une onde de choc un peu plus grande à ce niveau-là.
Mme Vallée : D'accord. Donc,
votre recommandation n'est pas en lien avec le projet de loi tel que rédigé,
mais quant à d'éventuels amendements qui pourraient être suggérés.
M.
Daoust (Patrice) : Exact.
Mme Vallée :
D'accord. Merci.
Le Président (M.
Ouellette) : Monsieur... Pourquoi j'ai «Provencher» en tête? M.
Malette. Excusez.
M.
Malette (Philippe) : Il n'y a pas de problème. Si je peux juste
compléter le discours de mon collègue. Dans le fond, c'est qu'on vient dire : Dans un milieu scolaire, il y
a... puis M. St-Jacques en parlait tout à l'heure, dans le milieu
scolaire, il y a quand même des contraintes qu'il faut prendre en considération
et qu'ultimement c'est l'élève qui doit bénéficier
du service, au bout de la ligne. Ça fait que, dans le fond, qu'est-ce qu'on
voulait dire, c'est simplement de... les
établissements, lorsqu'ils auront à prendre des décisions, ils veulent avoir la
flexibilité de prendre... de dire : Au bout de la ligne, est-ce que c'est bénéfique ou non pour l'élève? Et c'est un
peu ça, dans le fond, qu'on voulait souligner, là, qu'éventuellement,
s'il y a des modifications, de le prendre en considération.
Mme
Vallée : Puis, de toute façon, vous êtes contraints de
respecter la Loi sur l'instruction publique. Donc, déjà, la Loi sur l'instruction publique impose un
certain nombre de paramètres auxquels vous êtes assujettis, la
fréquentation scolaire, elle est là. Donc, permettre à un élève, par exemple,
de s'absenter sur une base trop régulière pourrait aller à l'encontre même des
dispositions de la loi. C'est un petit peu le message que vous nous lancez.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Tout à fait, Mme la ministre. Et on a aussi...
par exemple, prenons les calendriers... ou les horaires des examens du ministère de l'Éducation, qui sont très
balisés : c'est le 3 juin à 9 h 30, et la durée de... Si
c'est le mois du ramadan, bien, je n'ai pas d'accommodement à donner, là.
L'examen est là, l'élève doit prendre les conséquences
et le sommeil où il va le trouver pour se préparer adéquatement à l'examen. Je
pense que l'école, quand... et on ne
demande pas de souplesse sur ça, c'est beaucoup plus sur... À aller, par
exemple, dans l'alimentation, on n'a pas de problème là-dessus, parce que c'est des cafétérias d'école. On sait
qu'il y a toujours plus qu'un menu. De toute façon, avec la quantité d'allergies, il faut toujours
prévoir une série de menus pour tenir compte de tout cela. Ça, ce n'est
pas de l'accommodement raisonnable, ça, ça
va de soi, là. Mais c'est plus dans... si un parent disait : Au nom, par
exemple, de ma religion, je ne veux
pas que mon enfant aille au cours d'éthique et culture religieuse. Désolé,
c'est un cours d'obligation et...
Ou : Je ne veux pas qu'il lise tel roman. Désolé. C'est : on a déjà
cette souplesse-là de dire : Non, ce roman-là, c'est celui qui est prévu dans le programme que... ça va
être là, là, tu sais. Ou : Je ne veux pas que mon enfant soit à la fête
de l'Halloween. Bien, il n'y sera pas si vous voulez, mais, si c'est pendant
les heures de l'école, il y aura une fête de l'Halloween. Tu sais, je veux
dire, on a déjà ces moyens-là, dans le respect des lois, bien sûr.
Mme
Vallée : Et, actuellement, ce que je comprends de votre
présentation, c'est que, ces demandes qui vous sont présentées actuellement sans balise particulière,
vous arrivez quand même à naviguer à travers ça. C'est certain que de
vous outiller davantage serait plus pratique et certainement utile.
M. St-Jacques
(Jean-Marc) : Ce qu'on voit actuellement, Mme la ministre...
effectivement, on sent ça, mais supposons qu'il arriverait justement des
personnes à visage couvert ou des gens avec le port de couteau, des éléments comme ça, bien là ça devient plus difficile si on
n'a pas effectivement des balises légales d'une société qui reconnaît la
neutralité de l'État puis reconnaît
certaines pratiques. Alors, ça, c'est plus facile pour nous après ça de gérer
et mettre des balises qui ne sont pas des accommodements, qui sont le
bon sens aussi, parfois, là.
Mme Vallée :
Ça va.
Une voix :
C'est beau?
Mme
Vallée : Oui, ça va pour moi. Merci de votre présentation. Je
pense que vous avez présenté un mémoire qui était succinct, qui était
propre à votre réalité mais qui était aussi assez clair quant aux besoins de
votre milieu. Merci beaucoup.
Une voix :
Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, messieurs. MM. St-Jacques, Malette et
Daoust, bienvenue. Vous avez mentionné un établissement qui est dans ma
circonscription, les Ursulines de Québec, 400 ans d'histoire, en effet, que je visite régulièrement. Ça fait plaisir de
vous voir. Il y en a quelques-uns aussi, des établissements privés.
J'ai, évidemment, le petit séminaire, et d'autres, le collège de Laval
maintenant.
Écoutez, dans votre
mémoire, il y a une section sur laquelle j'ai plus de questions, c'est celle
sur le visage découvert, c'est en page 7.
Vous dites comme clarification : «Les établissements de confession
musulmane membres de la fédération prônent déjà, auprès des membres de
leur personnel et de leurs élèves, d'être à visage découvert lors de la prestation ou de la réception de services. C'est
le cas même pour celles qui ne sont pas subventionnées et, de ce fait,
ne seraient pas assujetties à la loi.»
Donc, comment ça se
gère? Est-ce qu'il y a une directive? Comment ça fonctionne?
M.
St-Jacques (Jean-Marc) : D'ailleurs, pour compléter, Mme la députée...
Parce qu'on a des écoles, effectivement, laïques. On a des écoles de
tradition — je
dis bien «de tradition» — catholique,
parce qu'on sait que, dans la tradition
catholique, l'école doit être plus inclusive. On a des écoles de tradition
protestante, traditions musulmane, orthodoxe, arménienne, bon, juive
aussi, alors donc il y a un peu de variété.
Effectivement,
on a vérifié auprès de nos établissements membres comment ils appliquaient ce
règlement, et toutes les directions
d'école, les établissements ont dit que, dans leurs règles de fonctionnement,
la prestation de services devait être
à visage découvert dans tous les établissements puis ils n'y voyaient pas de problème, ça allait, pour eux, de soi.
Bon. Et, peu importe l'interprétation qui peut être faite du Coran, ou peu
importe, pour eux, ça allait de soi que, dans une école, l'enseignant doit reconnaître qui est dans sa classe et l'élève
doit reconnaître qui lui enseigne, y compris quand les parents s'y présentent.
Et je ne sais pas s'il
y a d'autres compléments de M. Daoust, là, mais, de mémoire...
• (16 h 10) •
Le Président (M.
Ouellette) : M. Daoust.
M.
Daoust (Patrice) : Bien, en
fait, là où il y a eu du questionnement... mais, de toute façon, ces établissements-là
ne sont pas nécessairement subventionnés,
donc, mais il y avait parfois des rencontres de parent avec des parents
avec visage couvert, donc, d'où la demande
de précision sur les balises pour la prestation de services à ce niveau-là auprès d'un parent qui serait
présent à une rencontre de parent, par
exemple, ou quoi que ce soit,
advenant le cas de... Mais ces écoles n'étaient pas nécessairement
subventionnées, donc non souscrites à la loi.
Mme
Maltais : O.K.
Alors, on va séparer les deux. Donc, pour vous, c'est clair au départ, il n'y a
vraiment eu aucun questionnement
ou aucune réticence, le personnel doit avoir le visage découvert. Ça, c'est
clair. Il n'y a pas d'exception à la règle.
M. Daoust
(Patrice) : Non.
Mme
Maltais : Là, maintenant, comme la loi va permettre des
exceptions à la règle et pour le personnel et pour les gens qui demandent des services, moi, je pense
qu'il faudrait, à tout le moins, l'exception, la restreindre puis
qu'elle ne soit pas pour le personnel, parce
que, là, avec cette loi-là, maintenant, il pourrait y avoir des demandes de
votre côté. Mais, évidemment, dans
une école, c'est compliqué, parce que, la communication, ça prend un visage
découvert, mais, dans le personnel, c'est plus que le personnel
enseignant, là, c'est tout le personnel de l'école.
Une voix :
Tout le personnel.
Mme
Maltais : Tout le personnel de l'école. Il n'y a pas de
raison de communication, par exemple, c'est tout le personnel de
l'école. O.K.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Et j'allais dire aussi, Mme la députée, «tous les
élèves», parce qu'aussi on doit savoir, effectivement, qui est dans la
classe.
Mme
Maltais :
L'élève aussi.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Parce que, d'abord, juste la fréquentation et
l'obligation scolaires, il faut bien être sûr de reconnaître l'élève qui est là et s'assurer, quand il y a un
examen, que c'est bel et bien l'élève à qui on enseigne qui est en train de passer l'examen, là. Puis, comme,
des examens, il n'y en a pas trois dans l'année, il peut y en avoir à
toutes les semaines, donc on pense que c'est le minimum, effectivement.
Mme
Maltais :
Mais l'élève pourrait s'identifier et, après ça, être à visage couvert.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Non, je pense que c'est plus... De ce qu'on
entend de nos membres, c'est : visage découvert en tout temps.
Mme
Maltais : Complet. Ça fait que donc, quand vous dites :
«Nous recommandons à la ministre de veiller à ce que les gestionnaires d'établissement soient bien outillés pour gérer
des situations problématiques», votre outil à vous, c'était
l'interdiction pure et simple, puis ça a réglé le problème.
M. St-Jacques
(Jean-Marc) : Sur le visage découvert...
Mme
Maltais :
Sur le visage découvert, oui, oui.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : ...notre position, c'est ça, oui. Quant aux
autres symboles religieux, bon, on les a déjà, parce qu'on a encore
quelques écoles où c'est des religieuses avec l'uniforme, on a encore des gens
qui peuvent avoir une petite croix, ou bien
donc le voile, ou bien donc la kippa, là. Ça, ça ne nous cause pas trop de
problèmes, là.
Mme
Maltais :
Ça, vous gérez, ça. Merci. Sur les guides, évidemment, s'il y a des exceptions
au visage découvert, ça va prendre
des balises, des guides. C'est ce que vous demandez, parce qu'on va plus
générer des problèmes qu'en enlever dans
votre cas. Sur les autres, sur les accommodements religieux, préférez-vous la
Loi de l'instruction publique telle qu'elle est actuellement ou si on l'additionne avec ce projet de loi là et que
ça vous va? Est-ce qu'on fait un guide pour la loi en plus? Parce que c'est une des questions... je suis
peut-être un peu floue, excusez-moi, là, mais c'est une des questions
qu'on se pose, c'est : Est-ce
qu'actuellement, avec la loi qu'il y a là, il y a les balises nécessaires pour
les membres du personnel? Parce que chaque membre du personnel va devoir
gérer ça... les membres du personnel de gérer les demandes.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je vais donner la parole à M. Malette dans
quelques instants, mais je crois que je ne rajouterais pas un autre guide. J'adapterais nos guides actuels, s'il
y a lieu, pour garantir que les guides qu'on a sur la gestion des
accommodements... J'ajusterais, s'il y a lieu, mais je ne ferais pas une loi
spécifique, sinon de... Et où on va avoir
besoin de balises, exemple, c'est, comme je disais, les congés pour des fêtes
religieuses, pour des élèves... les élèves
et l'obligation de fréquentation scolaire, ça devient plus difficile, mais pour
les membres du personnel pour que les directeurs
ou les directrices ne se trouvent pas en situation toujours conflictuelle quand
ils refusent ou qu'ils acceptent un congé.
Qu'il y ait les balises, là arrive la certaine flexibilité qui peut s'ajuster
dans leurs programmes, mais, en même temps, qu'il y ait des balises plus
claires.
Puis, M. Malette,
vous avez peut-être autre chose, parce que vous travaillez avec ces
dossiers-là, vous, dans les écoles.
M.
Malette (Philippe) : Bien, dans le fond, ça vient exactement à
qu'est-ce que je voulais dire, c'est que... Un cas concret qu'on s'est posé la question, c'est qu'un enseignant, une
enseignante qui fait face à un parent qui veut la rencontrer ou le rencontrer pour le dossier de l'élève et que
la mère arrive à l'école avec le visage couvert... quels sont les outils
que l'enseignant a pour... pas interagir,
mais intervenir auprès de la personne si elle a à lui servir à visage
découvert. C'est un peu le questionnement qu'on s'est posé.
C'est
pour ça que, lorsqu'on mentionne... peut-être avoir un guide qui
va venir baliser, qui va venir aider, supporter un peu l'enseignant ou la direction de l'école à ce niveau-là, bien, au moins, ça viendrait un peu clarifier un peu la situation.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Puis, je rajouterais un élément, la fédération
appuie la Charte des droits et
libertés, croit à cet acte fondamental de la
société québécoise, donc l'égalité des personnes. Si on avait des situations,
par exemple, qu'un parent, pour sa religion, ne veut pas rencontrer un
enseignant mâle sans que la mère... écoutez, ils géreront leur problème, mais nous, on doit assurer les services
selon... Et c'est la formation qu'on doit enseigner aussi, et d'où le
cours d'éthique et culture religieuse, qui
doit rappeler justement la neutralité de l'État. L'importance de la Charte des
droits et libertés, l'égalité
hommes-femmes, bon, toutes ces valeurs-là, je pense, ça aussi, ça fait partie
de la formation. C'est pour ça qu'il faut se garantir que les balises
nous permettent d'appliquer ces lois fondamentales là aussi.
Mme
Maltais : Est-ce que l'exception pourrait remettre en cause votre
politique? Dans la loi, il y a une possibilité d'exception maintenant.
M. St-Jacques
(Jean-Marc) : Sur le visage découvert?
Mme Maltais :
Oui.
M. St-Jacques (Jean-Marc) : Je vous dirais que, dans nos établissements, de
ce qu'on a vu, nous, on n'est pas favorables au visage non découvert.
Mme Maltais :
Une dernière...
M. St-Jacques
(Jean-Marc) : Parce qu'on trouve les personnes belles aussi en
éducation.
Mme
Maltais : Oui. C'est clair. À la page 6, vous dites :
«L'employé — idéalement,
là — doit
démontrer que le précepte religieux est bien réel au coeur de sa
religion en plus de démontrer la sincérité de ses croyances.»
Comment on fait ça?
Parce que, si on commence à faire des accommodements religieux basés sur la
religion, est-ce qu'on peut vraiment aller
chercher la sincérité de la croyance chez l'individu? Est-ce que vous avez vécu
ce genre de situation et vous y arrivez?
M. St-Jacques (Jean-Marc) : C'est sûr que, pour les congés, je pense qu'ils
ont une banque de congés. Si c'est... bon,
ils le prendront là. Peut-être qu'où ça peut commencer à arriver, parce qu'on
a, dans nos écoles, de plus en plus de personnel
de différentes confessions religieuses ou sans confession et aussi des élèves
où ça pourrait arriver, c'est... je
ne sais pas, on fait une fête... ou souligner Noël, par exemple, dans une
école. Moi, si, dans ma religion, Noël n'existe pas... On ne l'a pas senti, le problème. Mais, non, il faudrait vraiment
que ça soit une atteinte à tes droits fondamentaux, là. Je pense que cet
exemple-là est un peu boiteux aussi, là. Je ne sais pas s'il y a d'autres
exemples que vous avez.
Le Président (M.
Ouellette) : À moins que vous en ayez vite, vite un, exemple. M.
Malette.
M.
Malette (Philippe) : Bien, dans le fond, c'est qu'à la lecture... les
lectures qu'on a faites par rapport à tout ça, c'est que, oui, les congés du calendrier scolaire sont basés... exemple,
Noël et Pâques, sont basés sur des préfets religieux, mais, aujourd'hui, c'est rendu beaucoup plus des
congés civils. Donc, à ce moment-là, le calendrier scolaire n'est plus
un calendrier, je vais dire, religieux, entre guillemets...
Mme Maltais : Non, c'est un
calendrier civil. C'est ça, la différence.
M. Malette
(Philippe) : ...mais c'est vraiment un calendrier civil. Donc, quand
que je parlais, tout à l'heure, de contraintes aussi dans le milieu
scolaire, ça rentre en ligne de compte également.
Mme Maltais : Merci.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
M. Malette. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Merci. Naturellement, quand on
parle d'écoles privées, je ne peux
m'empêcher de penser aux institutions que j'ai également à Montarville, dans
mon comté, l'académie des Sacrés-Coeurs, le collège Trinité, de belles
institutions, Boucherville également, l'école primaire les Trois-Saisons. Donc,
c'est tous du monde que vous connaissez, on est en pays de connaissance, on
s'entend bien.
Je veux vous
amener à votre mémoire, à la page 7. Je vais citer pour le bénéfice des gens
qui nous écoutent, vous dites : «En raison de la diversité des
confessions religieuses des établissements membres de la fédération, nous recommandons à la ministre de s'en tenir à la
notion de visage découvert.» Ça, on l'a bien expliqué, je pense, vous
avez fait le tour, là. Vous dites :
«Aller au-delà dans la démarche provoquera une rupture avec le consensus établi
et les pratiques courantes au sein des établissements scolaires.»
Alors, quel est ce consensus établi? De quoi
vous parlez quand vous dites ça?
• (16 h 20) •
M.
St-Jacques (Jean-Marc) :
Bon. D'abord, Mme la députée, tous les établissements s'engagent, un, à
respecter les lois fondamentales du Québec, on a une charte des valeurs qu'on
fait signer, deuxièmement, suivre le curriculum prévu par le ministère de l'Éducation, donc enseigner toutes les
matières selon ce qui est prescrit, selon les programmes prescrits, y compris si un établissement, par
exemple, ne croyait pas à la théorie de l'évolution, pour reprendre ce
qu'on entend souvent du Sud des États-Unis. Non, les établissements enseignent
les programmes prescrits, suivent les programmes prescrits dans tous les
domaines.
Il y a aussi
les membres du personnel qui sont de confession religieuse qui portent des
signes religieux, qu'on doit respecter
historiquement. Il y a des établissements aussi que, dans leur projet éducatif,
ils ont une tradition religieuse. Même s'il y a une tradition
d'ouverture qui accueille... qu'ils sont très inclusifs, dans les écoles, aux
talents variés, et aux religions variées, et
aux options variées aujourd'hui, on pense qu'il ne faudrait pas provoquer...
Quand on parle de rupture, c'est
qu'en allant plus loin on a l'impression qu'on relancerait un débat qui serait
inutile pour nos établissements, à savoir la place de la religion dans l'école. On a déjà fait ces choix-là, comme
société, et les cours d'éthique et culture religieuse ne sont pas des cours qui amènent à confesser une
foi, qui amènent à pratiquer une religion. Alors, ce choix-là, on l'a
accepté, on l'a promu dans nos écoles, et je
pense que, comme ça, on sent que le consensus est dans ce sens-là, et le climat
est correct là-dessus actuellement, là.
Mme Roy :
Alors, pour que vous sachiez jusqu'à quel point je comprends ce que vous dites
quand vous dites : Le caractère très particulier de ces écoles, qui
sont des écoles privées qui ont un historique... Entre autres, en 2013, ma formation politique et moi-même avions déposé un
projet de loi, une charte de la laïcité qui ne touchait pas les écoles
privées pour les motifs que vous venez de me
dire là, parce que nous, ma formation politique, croyons au libre choix. Alors,
je voulais que vous le sachiez puis que vous le compreniez très, très bien.
On a devant
nous ce projet de loi n° 62, et vous nous dites ce que d'autres gens...
c'étaient, naturellement, des syndicats hier que nous avons reçus, mais
ils nous disaient un peu la même chose dans la mesure des syndicats d'enseignants : Laissez-nous la latitude
nécessaire, parce que, dans les écoles, on a déjà des procédures. Vous nous
dites, à la fédération : «La
[fédération] souhaite que le gouvernement laisse la latitude nécessaire aux
établissements d'enseignement privés
pour gérer ces demandes...» Et vous dites à nouveau : «La réalité des
écoles confessionnelles — parce que c'est bien de ça qu'il s'agit lorsqu'on parle
d'écoles privées, et je parlais de Sacrés-Coeurs, on comprend d'où viennent ces
écoles — demande
une certaine flexibilité afin de répondre adéquatement aux demandes
d'accommodement.» Recommandation 4 : «Laisser la latitude nécessaire aux
établissements d'enseignement privés...»
Est-ce que
vous craignez que ce projet de loi n° 62 là vous enlève une portion de la
latitude que vous avez? Parce que vous définissez, de façon très
intelligente, des critères pour accepter ou non un accommodement religieux.
M.
St-Jacques (Jean-Marc) : Je
vous dirais qu'au cours des dernières années on était là dans la réflexion
sur la laïcisation des écoles il y a
quelques années... des écoles deviennent neutres, enlever les cours
d'enseignement religieux dits confessionnels.
Parce que je suis un ancien prof d'enseignement religieux et je vous avoue
qu'il y avait de confessionnel une heure par année. Le reste, c'était
très, très général. Mais on a déjà fait ce débat-là, on a trouvé des balises de
fonctionnement qui permettent aux gens
d'évoluer. Alors, c'est de ça qu'on parle quand on parle de latitude. Je vais
aller plus loin, dans le sens... nos écoles
aussi, en offrant le cours d'éthique et culture religieuse, permettent aux gens
qui veulent se questionner par
rapport à c'est quoi, les religions au Québec, de le faire. Et c'était notre
recommandation quand il y a eu la laïcisation des écoles, d'éviter de retirer
complètement l'aspect... pas réflexion, mais étude du phénomène
religieux, sans mener à une confession, pour éviter la création d'écoles qui
auraient été des... j'allais dire, plus ghettoïsantes sur l'approche
religieuse.
Donc, notre
souci, comme fédération, c'est qu'on forme des citoyens qui sont des citoyens
qui vont fonctionner au Québec ou
ailleurs dans le monde, mais dans le respect des lois, dans le respect des
valeurs de la société québécoise. Alors, on pense qu'actuellement, la
neutralité proposée, allons jusque dans les expressions... qui est prévue dans
la loi, ça nous garantirait qu'on pourrait
continuer à faire cet exercice d'éducation là dans le respect de la différence,
parce que nos élèves ne partagent
pas, et nos enquêtes le démontrent, ne partagent pas du tout le même point de
vue religieux, social et politique non plus, d'ailleurs.
Mme Roy : Je vous remercie
infiniment. C'était très clair, très édifiant. Merci.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, M. Malette, M. St-Jacques et M. Daoust, d'être venus nous voir en
commission.
Je suspends quelques minutes. Je demanderais à
M. François Côté de s'avancer, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à 16 h 24)
(Reprise à 16 h 26)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant Me François Côté.
Vous avez 10 minutes. Me Côté, je pense, vous connaissez les us et coutumes de
la commission.
M. François Côté
M. Côté (François) : J'en suis à mon
deuxième passage.
Le
Président (M. Ouellette) :
Bon. Effectivement. Et après il va y avoir une période d'échange
avec Mme la ministre et les porte-parole
des deux oppositions. À vous la parole, Me Côté.
M. Côté (François) : Merci beaucoup.
Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, chers membres de la commission,
bonjour. J'ai l'honneur de m'adresser à vous aujourd'hui pour vous faire
part de mes observations et critiques à l'égard du projet de loi
n° 62, m'exprimant ainsi, à cet égard, devant vous tant à titre personnel
et citoyen qu'à titre d'avocat et juriste théoricien du droit et des libertés fondamentaux.
La délicate
recherche d'un rapport sain entre la religion et le droit au sein des affaires
de l'État au travers de la neutralité
religieuse est une question qui colore et traverse le droit des sociétés
occidentales depuis plusieurs siècles. Au Québec, en 2016, elle se
trouve au coeur des préoccupations d'actualité contemporaine, notamment au
travers de l'accroissement croissant et constaté des exigences d'accommodement
raisonnable formulées au nom de la religion ayant
pour but de mettre de côté le respect de la règle de droit applicable à tous
pour le bénéfice d'un individu en particulier qui revendique le droit de refuser de s'y conformer au nom de ses
pratiques religieuses. Cet état de fait cause un malaise significatif au sein de la population québécoise
perçu à cet égard, à juste titre, comme une certaine forme de spoliation
de ses acquis sociaux et nationaux en matière de laïcité.
Le droit à
des accommodements raisonnables que le projet de loi n° 62 cherche à
aborder nous provient du régime normatif
de la Charte canadienne des droits et libertés et de la jurisprudence de la
Cour suprême du Canada qui en découle. Il obéit à une logique de droit
anglo-saxonne, de common law ancrée dans une conception juridique du concept de
neutralité religieuse de l'État qui relève du sécularisme britannique. À juste
titre, cette situation est dénoncée depuis longtemps par la société civile
québécoise et par de nombreux juristes comme étant décalée et incompatible avec
sa réalité sociojuridique, tout particulièrement
depuis la Révolution tranquille, où, au Québec, la véritable neutralité
religieuse passe au travers de la laïcité.
Rappelons-le, le concept de laïcité renvoie à un retrait complet de
l'expression et de la croyance religieuses
au sein de l'État, alors que le sécularisme considère plutôt que l'État est
neutre en laissant simplement faire ce qu'elles
veulent aux religions, sans en favoriser ou en défavoriser une en particulier,
sous la seule réserve du respect des droits individuels des autres
individus.
Il est
désolant de constater à cet égard que le projet de loi n° 62 ne fait rien
pour affirmer ni défendre la spécificité québécoise en matière de
neutralité religieuse pour plutôt préférer lui imposer une mouture
anglo-canadienne du sécularisme qui n'est
pas la sienne, qui ignore la distinction entre les croyances religieuses, qui
relèvent de la conviction profonde,
et les pratiques religieuses, qui en sont la manifestation extérieure dans un
comportement social, qui ignore que la religion,
au Québec, est une affaire privée et qui ignore toute la signification passive,
prosélyte et inhérente au port des symboles religieux et, plus
largement, à l'expression des pratiques religieuses dans la sphère publique et
civique.
• (16 h 30) •
Littéralement, en proposant une culture des accommodements
raisonnables qui placerait la norme religieuse au-delà du droit, au travers de l'accommodement, le projet de loi n° 62 propose que la
religion redevienne droit au Québec et même qu'elle revête un statut
normatif supérieur à celui de la loi démocratiquement adoptée par l'ensemble de
la population. Dans les faits, l'effet du
projet de loi n° 62 sera effectivement d'interdire toute restriction au
port de symboles religieux au sein
des membres du personnel des organismes d'État et du réseau élargi de la santé
et de l'éducation. Nous ne pouvons que nous interroger laconiquement sur les raisons qui ont amené
les rédacteurs du projet de loi à ne pas plutôt l'intituler loi autorisant le port de symboles religieux et la dissimulation
du visage au sein de la fonction publique. Pire, la chose est d'autant plus critiquable, et on le dira
ici avec une certaine ironie, que, ce que le projet de loi n° 62
propose, il ne propose même pas de le faire à découvert.
Une lecture
rapide du projet de loi n° 62 par un justiciable ordinaire semble donner à
ce projet des allures certes décevantes,
mais somme toute anodines, alors que la réalité juridique de son contenu est
bien plus lourde qu'il n'y paraît. La
plus large part juridique du projet de loi n° 62 ne se trouve pas dans ce
qu'il dit, mais dans ce qu'il ne dit pas. Il fait cruellement manque de transparence intellectuelle
et de redevabilité démocratique en légiférant par le silence, et par le non-dit, et par le recours implicite à l'interprétation
jurisprudentielle canadienne plutôt que d'avoir la franchise de porter
ouvertement et clairement le poids des normes de droit qu'il entend décréter
auprès du peuple québécois.
Le projet de
loi n° 62, en légiférant par l'ombre, de manière à imposer aux Québécois
des règles de droit dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas,
constitue, à mots pesés, un échec législatif. Ce projet doit être abandonné. On
invitera la commission et l'Assemblée nationale à renoncer à son adoption. Dans
l'alternative où, pour des raisons politiques
et partisanes, le gouvernement déciderait d'ignorer cette recommandation pour
aller de l'avant malgré tout, nous
recommanderions alors, à tout le moins, une réécriture complète du projet de
loi pour lui faire réellement dire ce qu'il
veut dire et pour que tous les Québécois puissent savoir sans ambiguïté ce
qu'il entend véritablement imposer. En effet, quelques dispositions clés
du projet de loi n° 62 se relèvent beaucoup plus chargées de contenu qu'il
n'y paraît. On relèvera tout particulièrement les articles 4 et 9.
À l'article
4, on parle, au second alinéa, du fait qu'un membre du personnel d'un organisme
public doit veiller à ne pas
favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de
cette dernière à une religion. Plusieurs interrogations sont à soulever
ici, dont notamment le poids normatif des mots «favoriser» ou «défavoriser».
Que signifient-ils? Qu'emportent-ils comme contenu de droit et à quoi
obligeront-ils nos citoyens et nos institutions? Le mot «défavoriser»
signifie : Priver quelqu'un d'un avantage ou d'une condition juste,
satisfaisante qu'un autre a ou qu'il aurait
pu avoir. Porter atteinte à quelqu'un, à sa situation économique, porter
atteinte au développement de quelque chose.
Avec ces définitions, et tout compte tenu de la perspective subjective de
l'évaluation des droits fondamentaux mise de l'avant par la jurisprudence de la Cour suprême, ne pourrait-on pas
affirmer qu'on fonctionnaire qui, tout en obéissant scrupuleusement à une norme d'application
générale, refuserait d'accorder un permis ou un privilège en lien avec
une activité comportant un contenu religieux... ne pourrait-on pas dire que ce
fonctionnaire se retrouve à défavoriser le justiciable
en limitant sa situation économique ou son épanouissement? Il s'agit d'une
hypothèse à ne pas cavalièrement rejeter,
parce qu'elle a été retenue par les tribunaux canadiens, la Cour suprême du
Canada, au premier chef. «Défavoriser», ainsi, ne veut plus faire référence à un refus de servir quelqu'un en
raison de ses croyances religieuses, il implique dans le projet de loi tout effet ressenti, du point de vue
d'un justiciable, qui limiterait l'expression de ses pratiques
religieuses, même s'il provient de l'effet neutre et objectif de la loi. C'est
lourd.
Ensuite, autre observation, l'article 9, un des
articles piliers de ce projet de loi, qui propose, en apparence, l'interdiction
du recouvrement du visage par les justifiables et les fonctionnaires dans la
prestation et la réception de services de
l'État. Or, toute la portée de cette prétendue obligation de donner de tels
services à visage découvert est réduite à néant par l'effet du troisième alinéa de cet article, qui prévoit la possibilité de demander un accommodement à cette règle. Ni plus ni moins, il anéantit, en pratique, tout
caractère véritablement obligatoire du devoir de visage découvert dans
la prestation de tels services. En réalité, cette obligation n'en est plus une.
Nous en
aurions encore beaucoup à dire, le temps manque, mais, en définitive, il
demeure une chose : le projet de loi
n° 62, s'il devient loi,
imposera, avec une force autoritaire et législative, une destruction
en règle de la place de la laïcité dans
la sphère civique au sens large, des bureaux du gouvernement aux centres de la petite enfance en passant par les écoles et les hôpitaux. Il contribuera à un effritement du pouvoir et du
rôle de représentation de l'État en... le respect de la règle de droit démocratique au respect de la pratique religieuse individuelle
et, au surplus, il le fera à mots couverts, sans clairement dire ce qu'il entend réellement faire. On ne peut
y voir quoi que ce soit de positif pour le droit et la société québécoise.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
Me Côté. Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci. Merci, Me Côté. Alors, une autre rencontre
où vous vilipendez les projets de loi
présentés et les projets de loi qui se basent sur des décisions de la Cour
suprême, notamment, mais ça, c'est votre droit. Moi, je le respecte. Je
respecte votre droit de ne pas reconnaître ou de ne pas être en accord avec
certains principes de droit.
De ne pas
reconnaître certains principes de droit, c'est votre droit. Puis je vois aussi
votre petit sourire, mais je
pense que c'est important pour les collègues
de la commission parlementaire de savoir quand même que Me Côté est
l'auteur d'un article qui était fort
intéressant, en juillet 2016, où, je pense, vous critiquiez le premier ministre
Bouchard... non, en fait, Me
Bouchard, pardon, qui condamnait les propositions de Jean-François Lisée...
pardon, du chef de l'opposition sur la laïcité,
dans un article, en disant que les propositions ne passeraient pas le test des
tribunaux. En fait, M. Bouchard critiquait certaines propositions en
disant qu'elles ne passaient pas le test des tribunaux.
Une voix : ...
Mme Vallée : En fait, j'ai
trouvé sur LeHuffington Post un article de juillet 2016 et je
sais que vous aviez également publié de nombreux textes pour défendre le projet
de loi n° 60, notamment. C'est votre droit.
Dans l'article de juillet 2016, et c'est là que
c'est intéressant, parce que j'aimerais vous entendre, vous vous exprimez
ainsi, vous dites : «...l'encadrement du port de symboles religieux dans
l'appareil de l'État est une mesure entièrement légitime et raisonnable, dans une
société libre et démocratique, qui ne contrevient pas aux droits
fondamentaux des individus dans leurs
convictions profondes ni ne porte atteinte à la dignité humaine.» Ça, c'était
en juillet 2016. Par contre, dans
votre mémoire sur le projet de loi n° 60, vous vous êtes dit favorable à
l'utilisation de la clause dérogatoire pour protéger cette légitime expression de la volonté démocratique et de la
société québécoise d'une mise en censure par les tribunaux canadiens. Donc, ce que je comprends, c'est que, pour vous, il
y a deux ans de cela, vous disiez : Il est possible d'utiliser la clause dérogatoire, ce qui veut dire
donc que vous reconnaissez qu'il est possible de porter atteinte aux
droits garantis par la charte par l'utilisation de la clause dérogatoire.
J'aimerais ça que vous nous éclairiez là-dessus,
parce qu'il semble y avoir deux positions. Vous dites : On ne contrevient
pas aux droits, mais, d'un autre côté, oui, utilisons la clause dérogatoire,
donc il y a une contravention aux droits.
Le Président (M. Ouellette) : Me
Côté.
• (16 h 40) •
M. Côté
(François) : Alors, je commencerais en remerciant la ministre de
s'intéresser à mes écrits. Cependant, je ne puis être en accord avec ce
que vous venez de dire.
Tout premièrement, lorsque vous affirmez que je
ne reconnaîtrais pas certains principes de droit, j'aimerais vous amener à considérer l'existence de plus d'une
manière de concevoir le droit, de concevoir les droits, notamment les droits fondamentaux, dont la diversité s'observe
partout dans le monde et qui relèvent, de manière intime, de la réalité
sociojuridique des populations. Et, c'est un fait qui n'est plus à démontrer,
ici, au Québec, nous avons une réalité sociojuridique
qui est intrinsèquement différente de celle du reste du Canada.
Nous avons une histoire, nous avons un patrimoine,
nous avons une culture et nous avons une tradition juridique différente, une
manière de voir le droit différente qui part de prémisses de base
différentes.
Or, à cause
du contexte constitutionnel canadien, le Québec est assujetti, est
soumis à la Charte canadienne des droits
et libertés, laquelle est interprétée de manière majoritaire et constante par
des juges à Ottawa qui jugent en fonction d'une mentalité
juridique de common law qui obéit à des principes différents.
Donc, lorsque vous dites que, d'une part, je ne
reconnais pas certains droits, j'aimerais plutôt vous inviter à considérer que je me rattache à une conception
civiliste et québécoise de ces droits et que ce n'est pas le fait de ne
pas être d'accord avec la Cour suprême qui implique de ne pas reconnaître des
droits fondamentaux.
De même manière, l'utilisation de la disposition
dérogatoire n'est pas une manière, n'est pas un aveu de culpabilité, d'une
négation des droits fondamentaux. Bien au contraire, il s'agit d'un outil
extrêmement puissant au service du législateur
pour avoir le droit et le pouvoir souverains — nous sommes en démocratie, ne l'oublions pas,
le législateur est au sommet de la pyramide — de
déclarer que, dans son interprétation et dans sa compréhension des
droits fondamentaux, en fonction de la réalité
sociale dans laquelle notre population évolue, nous ne la comprenons pas et nous
ne la vivons pas de la même manière que ce
que les juges de la Cour suprême à Ottawa nous disent. Donc, le fait d'utiliser une disposition dérogatoire pour protéger une loi
d'une éventuelle invalidation par la Cour suprême en fonction d'une
pensée juridique anglo-canadienne, je ne vois pas du tout en quoi il y a
contradiction avec le fait de dire que, suivant une perspective de laïcité, une perspective québécoise, donc suivant la
mentalité juridique traditionnelle et historique au Québec, ce serait
tout à fait légal et légitime d'encadrer le port de symboles religieux.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Une perception, mais je vous dirais que la
liberté de religion, la liberté de croyance, la liberté de conscience sont quand même des droits qui sont aussi ancrés et enchâssés dans la Charte
des droits et libertés de la personne, notre charte québécoise. Alors,
il y a, au Québec, aussi cette reconnaissance du droit de l'autre de croire, du
droit de l'autre de ne pas croire. Donc, dès
lors que l'on utilise le recours à la clause dérogatoire, c'est qu'il y a un
accroc à ce droit, qui est protégé par nos chartes.
Puis je
voulais aussi vous entendre, parce que, dans votre publication de juillet, vous
faites une distinction, puis ça aussi,
ça risque d'être fort intéressant, entre le concept de conviction religieuse et
le concept de pratique religieuse. Et, dans votre mémoire portant sur le
projet de loi n° 60, vous indiquiez que le port d'un signe religieux,
c'était une pratique religieuse, donc ça
fait partie des pratiques religieuses, alors que pour certaines personnes la
manifestation des croyances religieuses est une composante de la dimension
de la liberté de religion, et, évidemment, cette composante-là, elle est
protégée par nos chartes.
J'aimerais
que vous nous éclairiez sur cette distinction-là, lorsque vous faites cette
distinction entre conviction religieuse et pratique religieuse, versus
le port du signe religieux.
Le Président (M. Ouellette) : Me
Côté.
M. Côté
(François) : Alors, petite observation préliminaire : quant à la
reconnaissance de la liberté de religion dans la charte québécoise, on
peut d'ailleurs se féliciter, la charte québécoise est plus ancienne que la
Charte canadienne. Cependant, à cause de la
supériorité hiérarchique de la Charte canadienne dans l'ordre normatif
québécois et canadien, depuis les
30 dernières années, la jurisprudence de la Charte canadienne a fini par
assujettir celle de la charte québécoise à de nombreux aspects. Donc, oui, notre charte québécoise, notre
législation québécoise reconnaît la religion... la liberté de religion, pardon, mais elle s'est retrouvée, en
pratique, assujettie, de manière interprétative, à la pensée juridique
anglo-canadienne.
Maintenant, pour aller à
la question que vous me posiez, la distinction entre les croyances et les
pratiques, la distinction que l'on peut
effectuer entre les croyances et les pratiques dépend résolument du modèle
sociojuridique auquel on adhère dans
la conception de la neutralité religieuse. Est-ce qu'on parle de laïcité — auquel cas on peut les distinguer — ou est-ce
qu'on parle de sécularisme d'origine
anglo-saxonne?, auquel cas on ne peut pas les distinguer. Et un État ne
peut pas être entre deux chaises : on
ne peut pas permettre que pour certains on puisse distinguer croyances et
pratiques et que pour d'autres on ne permette pas cette distinction.
Or, au Québec, depuis la Révolution tranquille,
voire même avant, nous avons un consensus social fort, un consensus
rassembleur à l'effet que la religion est une affaire privée. Toutes
nos grandes modifications sociales, tous nos grands acquis en matière de laïcité partent
d'une reconnaissance que la croyance de chacun, elle est
souveraine : croyez ce que vous
voulez, ne croyez pas ce que vous voulez, il s'agit d'une sphère
intouchable. Par contre, dès lors que ces croyances se manifestent
dans le monde réel, et commencent à influencer les droits des autres, et
commencent à influencer la collectivité,
bref, se manifestent, elles ne sont plus de simples croyances, elles sont des
comportements sociaux, et les comportements sociaux, dans une démocratie,
dans un État de droit, peuvent et doivent être encadrés.
Que certaines
personnes considèrent que les pratiques religieuses font partie des croyances
n'efface pas cette réalité. Et on se permettra un parallèle avec la
conviction politique. Le fait que vous adhériez à un dogme politique, à une idéologie politique quelconques vous autoriserait-il à faire fi des
règles de droit pour exprimer vos comportements politiques en demandant des accommodements raisonnables pour
des considérations politiques? Non. Pourtant, politique et religion partent toutes deux de l'adhésion à un contenu
intellectuel, de l'adhésion à un ensemble de valeurs et de
considérations de ce qui serait bien. Le
fait de croire, c'est souverain, mais le fait d'agir, ça ne peut plus l'être, parce que
ça ne concerne plus que la seule personne, ça concerne les autres, ça
concerne la société, et, à ce titre, les pratiques doivent recevoir une
certaine déférence, bien sûr, mais ne peuvent pas être érigées en supériorité à
la règle de droit, parce que, je conclurai là-dessus,
étant donné que l'on considère que la religion est une affaire privée au Québec et qu'on a un large consensus social à cet effet, le fait d'invoquer la
religion, affaire privée, pour demander un accommodement aux règles de droit,
qui sont une affaire collective, qui nous
viennent de tous les citoyens, revient à faire passer le je, reviens à faire
passer des normes de droit
religieuses auxquelles on adhère par-dessus le droit démocratique,
démocratiquement adopté et applicable à tous. Dans une démocratie, il y
a quelque chose de discutable à cette situation.
Mme Vallée :
Est-ce que vous ne croyez pas que la diversité est importante dans la
démocratie? Je vois le sourire. Vous
savez, on peut avoir des opinions différentes, et ça ne veut pas dire qu'on est
dans le tort. J'ai des collègues de l'autre côté de la table qui ne partagent pas mon opinion, mais je les respecte.
Et je vous respecte, même si vous ne partagez pas mon opinion. Alors, le non-verbal, on ne le voit
pas ici, à l'écran, mais il est fort éloquent. Moi, je vous respecte, Me
Côté, même si je ne partage pas votre point
de vue. Je m'attends tout simplement au même respect, même si vous ne
partagez pas mon point de vue.
Alors, quand je vous pose la question : La
diversité, est-ce que vous ne croyez pas qu'elle a sa place dans une société
démocratique comme celle du Québec?, moi, j'essaie de comprendre en quoi la
présence d'un signe religieux pourrait venir entacher cette neutralité dans la
prestation d'un service public, en quoi le port d'une croix par un fonctionnaire, le port, même à la limite, du
hidjab par une fonctionnaire, le voile qui ne recouvre pas entièrement le
visage, viendraient entacher ce devoir
d'agir de façon neutre à l'égard de celui ou de celle qui sollicite un service
ou sollicite une prestation de
l'État. J'essaie de comprendre en quoi ce que l'on porte vient affecter cette
neutralité, parce que la neutralité, elle s'exprime dans l'interaction
des gens.
Le Président (M. Ouellette) : Me
Côté.
• (16 h 50) •
M. Côté (François) : Parfait. Alors,
d'emblée, j'aimerais présenter mes excuses à la ministre pour le non-verbal d'il y a quelques instants. J'ai
simplement été surpris par le simple fait qu'on me demande si je considérais
que la diversité était importante ou non.
J'ai été pris au dépourvu et je vous prierais de m'en excuser, parce que
la réponse est, évidemment, oui, que la diversité est importante, mais
je ne...
Je reformule.
La diversité est importante, et il n'y a rien d'incohérent avec le fait de
chercher à réglementer le port de symboles religieux. Le fait
de demander à quelqu'un de converger vers une culture, de converger vers les
valeurs communes, de respecter les règles de
droit, en quoi, j'aimerais qu'on me l'explique, est-ce une négation de la
diversité? Le demander à quelqu'un : Vous êtes dans notre société, adoptez
votre comportement à nos valeurs, en quoi est-ce une quelconque négation de la diversité? Il s'agit, au contraire, d'une main
ouverte et tendue à cette diversité pour l'inviter à venir faire partie du grand nous collectif. Donc,
le Québec peut se féliciter d'ailleurs d'être la société
la plus ouverte à la diversité de toute l'Amérique du Nord, et il serait
une chose incroyable que cela continue au travers des années et des décennies à
venir, mais il faut savoir le faire. Comment?
Maintenant,
vous me posez la question de : En quoi est-ce que ça dérange, la présence d'un
symbole religieux dans la fonction publique? Ce n'est pas qu'une pièce
de vêtement, ce n'est pas qu'un bout de tissu ou qu'une croix. Par définition, un symbole religieux porte un message
religieux intrinsèque qui est indépendant de la volonté de son porteur. Quand bien même une personne agisse de manière,
même de bonne foi, neutre, fasse tous les efforts possibles pour ne
volontairement favoriser ou défavoriser personne, du simple fait qu'elle porte
un symbole religieux, elle envoie un message
à connotation religieuse alors qu'elle se trouve dans une situation
d'autorité, particulièrement, réfléchissons-y, dans les situations qui impliquent des personnes vulnérables. Je
pense premièrement aux CPE et aux écoles, où nous aurions des
représentants de l'autorité, des enseignantes, des directeurs d'école qui
seraient face à des enfants jeunes et impressionnables qui voient en eux un
modèle à suivre. Ce modèle à suivre revêt un symbole religieux et il envoie le message... en fait, il envoie deux messages. Le premier,
c'est le message religieux, c'est : Je crois en cette foi. Et, par définition,
toute religion prétend à être la bonne. Donc, de dire : Je crois en cette
foi, ça se retrouve à dire : Cette foi est la bonne — un
message qui n'a pas sa place au sein de l'appareil d'État. Deuxièmement, alors qu'il est représentant
de l'État, le fonctionnaire est en train
d'utiliser la plateforme que lui confère sa fonction comme véhicule de son
message et fait passer son je avant le nous collectif de la société, qu'il a
pour mission de servir. Lorsque vous acceptez un emploi au service de l'État,
est-ce que vous le faites pour vous ou est-ce que vous le faites pour la société,
pour la collectivité?
Et je conclurais, encore une fois, avec le même
parallèle, avec les opinions politiques. Si vous vouliez vous présenter au comptoir de service d'un gouvernement en tant qu'employé, pourriez-vous arborer un chandail portant un
slogan politique, porter un macaron
avec un symbole d'un parti politique? Non, bien
sûr, parce que vous vous
retrouveriez à envoyer votre message politique
aux justiciables que vous servez, alors que vous êtes dans une situation
d'autorité où ça n'a pas lieu d'être. La même chose est entièrement
vraie pour les croyances... pardon, pour les pratiques religieuses.
Donc, oui, Mme la ministre, le fait de porter un symbole religieux par un employé de l'État dans
l'exercice de ses fonctions, il y a quelque chose d'intrinsèquement
dérangeant pas à cause de l'employé lui-même, pas à cause de la personne, pas à cause de sa croyance, mais à cause
de sa pratique et à cause de la visibilité qui lui est accordée à
travers de son rang et à travers de son poste à l'endroit de la société.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
Me Côté. Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Merci, M. le Président.
Alors, juste quelques petites notes. J'ai assisté à ce débat intense et respectueux, je pense. D'abord, que la clause
dérogatoire est constitutionnelle. Elle est dans la Constitution et elle a
même été utilisée par Robert Bourassa. On
peut la démoniser si on veut, mais elle est constitutionnelle, à ce que je
sache, et elle a été utilisée au Québec,
et on peut la réutiliser. C'est un droit qu'on a. Parlant de droit, c'est un
droit, la clause dérogatoire, inscrit dans la Constitution.
L'autre,
bien, écoutez, être pour la laïcité, je suis d'accord avec
vous, ce n'est pas être contre la diversité. Bien au contraire, être pour la laïcité, c'est permettre
aux croyances d'exister si elles sont protégées dans la charte, mais la
laïcité, ce n'est pas contre la diversité.
La diversité peut s'assumer, elle peut se vivre au Québec,
mais c'est l'affichage, le prosélytisme, c'est les signes religieux ostentatoires dont on discute actuellement. Et, ce qui est intéressant, vous ne serez peut-être pas étonné, étant
donné ce qui vient de se passer, M. Côté, d'apprendre que la ministre a dit au
début des audiences que c'était un projet de loi libéral, pas un projet
de loi social ou pour l'avancement de la société... oui, oui, pour l'avancement
de la société, mais que c'était d'un point de vue libéral.
Donc, vous
avez entendu le plaidoyer contre les symboles religieux. J'ai déjà dit
moi-même... et je ne me sens pas quelqu'un
qui soit contre la diversité et je dis moi-même que, venant d'une minorité invisible mais très
audible, le poids du religieux a été
très lourd, au fil de l'histoire, sur ma communauté et qu'en ce sens je
crois beaucoup plus... Moi, je veux la laïcité
et je veux que l'État soit libre de tout symbole religieux. Ça fait
partie des choses dans lesquelles je crois. C'était d'ailleurs dans la
charte du Parti québécois. J'y crois. Ça, c'est quelque chose de très fort chez
moi aussi.
Alors, écoutez,
moi, il y a deux aspects desquels je veux vous parler. Je
veux vous entendre sur l'article 9. On nous dit que c'est une loi qui interdit le visage couvert dans la fonction publique pour les services rendus et pour les services donnés. Vous nous dites : En fait, cette
loi-là, ce qu'elle légalise, c'est le visage couvert. C'est un peu ce que vous
nous dites. C'est-à-dire, vu qu'il y a
une exception, vous nous dites : Cette loi va ancrer le phénomène
religieux et la possibilité de porter un visage couvert pour la fonction
publique. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Côté.
M. Côté (François) : C'est exact. En
fait, il y a plusieurs aspects critiquables au projet de loi n° 62. Une
des principales critiques qu'on peut avoir à
son encontre, c'est justement le fait que, plutôt que de dire les choses telles
qu'elles sont, il passe par les voies déroutées de l'interprétation et du
non-dit.
Et, justement,
l'article 9, avec son obligation de visage à découvert, qui
était présentée comme un minimum par le gouvernement au moment de la
présentation du projet de loi et même avant, durant la précédente campagne électorale, on assurait que ça allait être un minimum, qu'à tout
le moins on va avoir le visage découvert. Si on lit la facture du projet
de loi, ce minimum n'est même pas atteint. Les deux premiers alinéas de l'article
9 parlent d'une obligation de visage découvert. Mais cette obligation ne veut absolument
plus rien dire, parce qu'il y a une exception qui est prévue au troisième alinéa et qui dit que, face à une
demande d'accommodement... pardon, «un accommodement qui implique un
aménagement à l'une ou l'autre de ces règles est possible mais doit être refusé
si, compte tenu du contexte, des motifs portant sur la sécurité,
l'identification ou le niveau de communication [...] le justifient».
Bon. Ça veut
dire qu'on peut demander un accommodement et qu'on peut avoir le visage couvert
dans la prestation et la réception de
services. Si on prend cet élément puis on prend pour acquis le reste du projet de loi, dans sa philosophie, dans ses notes explicatives, dans son article
4, l'accommodement est la règle. Ça, ça veut dire que n'importe qui qui demande un accommodement va le recevoir et que les
exceptions de motifs portant sur la sécurité, l'identification ou le
niveau de communication seraient les seules possibilités où on pourrait refuser
à une personne de porter tout symbole religieux,
jusqu'au voilement du visage. Mais, quand on considère la jurisprudence, quand on considère l'actualité, c'est quoi, au juste, les
exceptions pour la sécurité, l'identification ou le niveau de communication?
Pour
la sécurité, on rappellera l'affaire Multani, de la Cour suprême, où le plus haut tribunal canadien a jugé que porter un poignard dans une école, ce n'est pas un motif de sécurité
suffisant pour limiter la liberté religieuse. Donc, avoir une arme dans une école, ce n'est pas suffisant en matière de sécurité. Récemment, on a pu le voir aussi dans les équipes sportives. Ce n'est pas
du judiciaire, mais c'est de l'administratif.
Mais, dans les équipes sportives, le port de vêtements religieux n'était pas jugé suffisant pour
restreindre la liberté religieuse. Pour ce qui est du niveau d'identification,
à part peut-être les photos pour le
permis de conduire ou la carte d'assurance maladie, étant donné qu'on permet la prestation de serment de citoyenneté à
visage dissimulé et qu'on permet maintenant de témoigner, dans des
procès criminels, à visage dissimulé, on
arrive mal à voir à quel genre de situation on pourrait atteindre un degré
suffisant de niveau de sécurité, d'identification ou de communication
pour empêcher cet accommodement.
Donc,
l'effet réel de l'article 9, c'est vraiment de dire sans le dire qu'à partir de
maintenant, qu'à partir de l'entrée en
vigueur de cette loi plus personne n'a le droit de s'opposer aux accommodements
raisonnables, au port de
symboles religieux et au voilement du visage, notamment dans la fonction
publique, tant chez les fonctionnaires que chez les justiciables.
• (17 heures) •
Mme Maltais :
Vous dites ça parce qu'évidemment la Cour suprême a déjà jugé qu'un témoignage
pouvait se faire avec un niqab,
l'assermentation pouvait se faire avec un niqab et qu'un kirpan pouvait être
porté dans une école primaire. C'est
à partir de la jurisprudence que vous dites : Ce que vous faites, c'est effectivement encoder la jurisprudence, qui est déjà extrêmement permissive actuellement.
C'est ce que je
comprends. Non? Je me goure?
M.
Côté (François) : En fait,
oui, à peu de chose près, oui. Simplement que l'affaire Ishaq, c'était la Cour
fédérale et pas la Cour suprême, la Cour d'appel fédérale, mais c'est, à toutes
fins pratiques, la même chose.
Et,
si on regarde, le projet de loi, il est calqué sur la jurisprudence. Si on
regarde les critères... je n'en parle
pas vraiment, mais, si on regarde les
critères d'attribution des accommodements raisonnables, ils sont les deux pieds
dans la mentalité juridique de la
jurisprudence des accommodements raisonnables depuis l'affaire Big M Drug
Mart et l'affaire Simpsons-Sears, qui
sont des affaires anglo-canadiennes qui proviennent d'Alberta et d'Ontario.
Donc, c'est vraiment un droit qui
provient d'une mentalité juridique qui est différente de la mentalité juridique
québécoise et civiliste. Mais donc la mentalité avec laquelle le projet
de loi a été rédigé est une mentalité qui est calquée sur le droit
jurisprudentiel anglo-canadien, et c'est
pour ça qu'on peut regarder ces précédents jurisprudentiels et se dire :
Ils vont interpréter, ils vont colorer l'interprétation du projet de
loi. Et c'est justement au travers de la charge du non-dit de ces mots qu'on
peut anticiper que le projet de loi va avoir un effet qui va être on ne peut
plus restrictif sur la laïcité et qui va permettre que l'accommodement
raisonnable devienne la règle qui supplante le droit et qui va permettre une
mise au rencart de la laïcité québécoise pour y préférer le modèle du
sécularisme anglo-canadien.
Mme
Maltais : Donc, c'est pour ça que vous dites : On légalise la
présence du religieux. J'ai pris une note, là, vous dites : Ce projet de loi, ça légalise la
culture des accommodements religieux, on légifère de manière à ne rien
changer à ce qui est dans l'ordre de la
jurisprudence canadienne ou dans l'ordre de la vision canadienne des choses.
C'est pour ça que vous dites des choses
comme : Culture des accommodements religieux, on légalise la présence du
religieux. En fait, on fait un pas de plus dans le mauvais sens.
Le Président (M.
Ouellette) : Une minute, Me Côté.
M.
Côté (François) : Pire, non seulement...
alors, oui, non seulement non seulement notre législateur préfère se conformer à la jurisprudence anglo-canadienne plutôt que de faire preuve
d'originalité, plutôt que de refléter véritablement...
les intérêts et la réalité québécoise il préfère
s'accoler sur la jurisprudence anglo-canadienne, mais, au surplus — puis je
conclurai rapidement — le
fait de parler uniquement des accommodements religieux et de laisser les autres
droits fondamentaux dans ce projet de loi vient bouleverser l'équilibre des
droits fondamentaux.
En reconnaissant la
religion comme étant un droit qui va être particulièrement protégé par la
législation, qu'est-ce qu'on est en train de
dire au sujet des autres droits, qu'est-ce qu'on est en train de dire au sujet
de la protection accordée en fonction
de l'orientation sexuelle, du handicap, de l'origine ethnique? Qu'est-ce qu'on
est en train d'envoyer comme message lorsque le législateur protège un
droit fondamental et laisse les autres de côté? La question se pose.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy : Oui, M. le Président, avec plaisir. Me Côté, c'est un
plaisir de vous recevoir, de vous lire, de vous entendre. Vous venez de
l'Université de Sherbrooke, mon alma mater.
Je
suis ravie d'entendre un juriste de votre trempe analyser le projet de loi
n° 62, parce que les gens qu'on entend depuis deux jours nous disent : C'est compliqué, il faut être
juriste pour comprendre. Et moi, depuis le début, je lis ça puis je dis : Mais, ma foi, ce n'est pas une loi
sur la laïcité, ça. On parle de neutralité, mais il n'y a pas le mot «laïcité»
là-dedans, puis, moi, ça me dérange.
Je sais qu'actuellement vous êtes en train de faire un doctorat. Pouvez-vous
nous dire, de un, sur quoi porte
votre doctorat, très brièvement, puis ensuite j'aimerais que vous me disiez...
Et vous avez dit : La véritable neutralité passe par la laïcité.
Le mot «laïcité»
n'apparaît pas là-dedans. Qu'est-ce que ça veut dire?
Le Président (M.
Ouellette) : Me Côté.
M. Côté (François) : Alors, merci
pour la question. Pour répondre rapidement, bon, le sujet de mon doctorat traite de la mentalité juridique du droit
québécois, d'inspiration civiliste, et les interactions entre notre droit
québécois et les droits fondamentaux dans l'environnement
juridique normatif canadien et avec la Charte canadienne des droits et
libertés.
Et nous avons
ici un exemple patent de déviation d'un droit appliqué par rapport à ses
fondements et par rapport à sa
mentalité profonde. Effectivement, le projet de loi ne mentionne pas du tout le
mot «laïcité», on parle de «neutralité religieuse».
Il y a une chose qu'on doit savoir, c'est que la neutralité religieuse en tant
que telle, c'est un concept qui ne veut
rien dire tant qu'on n'a pas adhéré à l'une ou l'autre des écoles de pensée. Il y en a deux : la
laïcité ou le sécularisme. La laïcité
n'est pas au projet de loi, parce
que, accolé sur la jurisprudence
anglo-canadienne, il est les deux pieds dans le sécularisme. Ça ressort
de sa facture, ça ressort des notes explicatives. Et, le sécularisme, qu'est-ce
que ça dit? Ça dit, tout simplement : Laissez tout
le monde faire ce qu'ils veulent. Dans la mesure où ça ne dérange pas les droits individuels et privés d'autrui, l'État ne devrait tout simplement pas légiférer. C'est ça, la conception de la neutralité religieuse
suivant l'approche séculière : l'État
ne fait rien, l'État laisse faire. Et, dans la conception de la
laïcité, qui est véritablement
le modèle québécois, pour des raisons sociologiques, pour des raisons
historiques et pour des raisons culturelles, le Québec est laïque, c'est un fait. Ce n'est pas une orientation politique, c'est un fait. Et, suivant la laïcité, la
véritable neutralité religieuse de l'État,
donc l'absence de pression et d'exposition porteuse de pression religieuse sur
les citoyens par l'État, ça passe non seulement en ne faisant pas
preuve de favoritisme ou de défavoritisme, mais bien en disant : Il n'y a
pas de religion dans les affaires de l'État.
Mme Roy : Sachez que je suis tout à fait d'accord
avec vous, là, et je me pose la question : Avec un titre comme Loi
favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État, croyez-vous qu'il
est possible que ce concept-là soit peut-être mal compris par la population ou induise les gens
en erreur, croyant qu'il s'agit d'une loi sur la laïcité, alors que, bien
au contraire, c'est une loi qui permet tout?
Le Président (M. Ouellette) : Me
Côté.
M. Côté
(François) : Absolument. Une des principales critiques qui peut et qui
doit être adressée à ce projet de loi, c'est
qu'il donne l'impression de chercher à légiférer sans le dire, qu'il cherche
des mots vides, qu'il cherche des termes qui font plaisir à entendre, qu'il présente une formulation, en apparence,
anodine. En apparence, rien de dangereux. Mais le problème, c'est que... Vous mentionnez le fait
qu'un juriste devrait étudier, devrait se pencher sur le projet de loi. Alors,
je viens de le faire et j'imagine que des juges vont le faire, que des
procureurs vont le faire, que des membres de la Commission des droits de la personne vont le faire et en beaucoup plus de temps que depuis que j'ai reçu ma
convocation. On parle de mois à étudier la question et vous pondre des opinions
juridiques de 200 pages. Ce qui va se produire, c'est que le contenu normatif
va être révélé d'une manière bien autre que ce que les justiciables pensaient.
On pense être
face à un projet de loi qui parle de la neutralité d'action et qui
interdit le recouvrement du visage. Il en est autre. Le but de ce projet
de loi, c'est de légiférer en matière d'accommodement raisonnable pour les imposer, c'est d'interdire l'interdiction du port de symboles religieux et c'est de
décréter que toute demande d'accommodement en raison des pratiques religieuses doit prendre le pas sur
la règle de droit. C'est loin d'être faible chose. Cette portée
normative est absolument incalculable au moment où on se parle, les conséquences
et les ramifications que ça peut entraîner sont imprévisibles. Et pourtant, et
pourtant, le gouvernement présente un projet de loi qui s'exprime à mots
couverts sans présenter réellement
à la population dans des termes clairs les conséquences que ce projet de loi là aura pour effet d'apporter.
Mme Roy : Petite question : Évoquer la clause
dérogatoire — et moi, je crois qu'elle existe et qu'elle
est légale, cette clause-là, là — est-ce que ça signifie une
négation des libertés fondamentales?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Côté.
M. Côté
(François) : Mais absolument pas. En fait, une des grandes théories en
matière de disposition dérogatoire, une théorie qui est même acceptée au
Canada anglais, c'est ce qu'on appelle la théorie du désaccord délibératif, c'est-à-dire qu'étant donné que notre Charte canadienne est interprétée par la Cour suprême, que notre charte québécoise va se faire interpréter par la Cour
suprême en fonction d'une mentalité juridique qui n'est pas forcément
partagée — les
occasions où les mentalités juridiques québécoise et anglo-canadienne se sont
rencontrées de manière pas forcément heureuse
sont, malheureusement, légion — l'utilisation de la clause dérogatoire, c'est
une manière pour le législateur de dire :
Nous respectons ces mêmes libertés fondamentales, mais nous ne sommes pas
d'accord avec vous, MM. les juges, quant
à la manière de les interpréter et de les comprendre. Et il est difficile de
voir là-dedans une négation des libertés fondamentales, à moins, bien sûr, de considérer que le fait d'avoir une
pensée juridique distincte de la mentalité juridique anglo-canadienne en matière de droits
fondamentaux, c'est une négation des droits fondamentaux. Mais vous comprendrez
qu'on ne se rattachera pas à une telle perception.
Mme Roy : Merci.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, Me François Côté, de votre participation à la commission
parlementaire.
Je vais suspendre quelques minutes. Je vais
demander aux représentants du Congrès maghrébin du Québec de s'avancer, s'il
vous plaît.
(Suspension de la séance à 17 h 10)
(Reprise à 17 h 12)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant le Congrès
maghrébin du Québec, son secrétaire général
et un bon ami, Lamine Foura. Donc, vous avez 10 minutes pour nous entretenir de
votre présentation, et après il y aura
échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. À vous
la parole.
Congrès maghrébin au Québec
(CMQ)
M. Foura
(Lamine) : M. le Président,
Mmes, MM. les députés, donc, bonsoir et merci de cette invitation pour participer à ce débat très important pour le
Québec. Je fais la présentation au nom du Congrès maghrébin, et ma
présentation va s'étaler sur trois grands
points. Le premier point, on voudrait présenter quelques principes que nous
considérons très importants dans ce débat pour s'assurer que cette
valeur très importante qu'est la laïcité soit mise en application au Québec en harmonie avec une société sans fracture
sociale. Après, je commenterai un petit peu quelques articles du projet
de loi et je passerai, à la fin, à une proposition que je ferai aux membres de
la commission mais aussi à tous les partis politiques au Québec.
En termes de principe, nous considérons que la
laïcité est un élément non négociable au Québec, et que la société québécoise, à travers son histoire et sa
Révolution tranquille, a choisi la laïcité comme un modèle qui gérait la
société et qui gérait l'État, et que cette
Révolution tranquille s'est caractérisée aussi par une approche progressive qui
a permis une adhésion totale de l'ensemble de la société à la démarche
de laïcisation de l'État mais aussi à une démarche de sécularisation de la
société.
Parmi les principes
qu'on considère très importants dans tout projet de loi ou dans toute démarche
concernant la laïcité, c'est la cohérence,
de façon à ce qu'aucun groupe ne se sente ciblé par cette laïcité, parce qu'en
réalité cette laïcité servirait
l'intérêt de l'ensemble de la société. Et même les religieux eux-mêmes doivent
être les premiers à demander la laïcité,
parce que les principes de la laïcité leur garantissent une neutralité de
l'État de façon à ce que l'État ne soit pas d'un côté ou d'un bord d'un groupe religieux. À titre d'exemple, je trouve un
petit peu malheureux qu'aujourd'hui au Québec on parle beaucoup sur les signes religieux, qui peuvent être un problème
sur la question de la neutralité, mais on ne parle pas du financement des écoles religieuses par l'État. On
ne peut parler de laïcité sans attaquer d'autres problèmes qui font...
ou qui donneraient une impression que l'État
n'est pas laïque à certains groupes et qui se sentent visés par certaines
démarches de laïcité.
D'autres exemples que je pourrais donner dans
les articles en termes d'incohérence, et on a retrouvé la même incohérence même dans le projet de loi de la
charte du Parti québécois, c'est l'article 6, un concept juridique
d'objection de conscience qu'on retrouve
dans toutes les lois québécoises, qui permettrait à un praticien de refuser de
faire un acte médical pour des convictions religieuses, personnelles,
des actes pour lesquels il est payé. En termes de perception, c'est une incohérence de parler de laïcité sans débattre de
ce point-là, qui, à mon avis, est aussi contraire à un principe de
neutralité. Et je ne vise pas seulement ce
projet de loi. Je pense que même, comme je l'ai mentionné en 2014, la même
clause, en fin de compte, qui
libérait les praticiens, qui sont protégés par ce concept d'objection de conscience, d'assurer une certaine
neutralité...
Le deuxième principe qui est très important,
c'est la sincérité. Et, sur la question de sincérité, c'est important aujourd'hui, après 10 ans qu'on tourne en rond, depuis 2007, sur cette
question des accommodements et de neutralité, que les partis politiques
s'engagent à s'éloigner d'une utilisation partisane et électoraliste de ce
sujet. Et, quand je parle d'utilisation
partisane électoraliste, elle peut être à travers des propositions de projet de
loi, mais aussi elle peut être par ne rien
faire. Ne rien faire est aussi une position qui engendre des problèmes dans la
société, parce que, s'il y
a un malaise, il faut qu'on
fasse quelque chose, mais loin de l'utilisation électoraliste ou partisane.
Le dernier
point qu'on considère qui est très important... l'avant-dernier point sur ce sujet, c'est très
important d'aller chercher un consensus. Il n'y a
pas de bonne et mauvaise solution. Aujourd'hui, on a vu un juriste qui est passé. On peut
avoir, la semaine prochaine, un autre juriste qui va donner un autre point de
vue. Le débat est complexe d'un point de vue
légal. Ce qui est important, c'est que la classe politique,
les acteurs communautaires et sociaux s'engagent à aller chercher une
solution de consensus. Une solution de consensus, elle ne va pas satisfaire tout
le monde, mais elle représente un trait
commun. Et je dirais que, moi, qui ai rejoint la société québécoise
depuis une vingtaine d'années, ce que
j'aime dans le Québec, c'est cet esprit de consensus. Et,
malheureusement, je sens qu'on l'a perdu depuis 10 ans à travers
une bipolarisation de la société à chaque fois qu'on traite de ce sujet.
Le dernier
point aussi qui est très important, c'est la notion de clarté et de précision. C'est
un sujet très sensible. On ne peut
pas se permettre d'avoir des projets
de loi qui portent à confusion, dans
lesquels on dit la chose et son contraire.
Je passerai
directement à quelques commentaires sur le projet de loi, dans lequel je vois que ces éléments ne sont pas présents. Sur l'article 9, où on confirme
tout simplement un élément évident pour la majorité des Québécois,
que les services doivent être reçus
et donnés à visage découvert mais tout de suite on dit qu'un accommodement peut
exister... et en même temps, dans l'article 5... plutôt, dans
l'article 10, on dit qu'un accommodement ne peut pas être donné s'il
compromet le principe de la neutralité religieuse de l'État. C'est, comme on
dit, la chose et son contraire. Et moi, sincèrement,
je suis mal à l'aise avec cette non-clarté d'une décision claire, bien sûr, qui
est... Aujourd'hui, je considère que l'article 9, dans la partie, donc, et dans la confirmation que les
services doivent être offerts à visage découvert et aussi donnés, c'est
un élément très... C'est très rare, les gens au Québec qui sont contraires à ce
point-là. Donc, pourquoi l'affirmer et reculer à travers une possibilité
d'accommodement raisonnable?
Un autre aussi
élément que je considère, comme je l'avais dit, comme contradictoire sur la question
de la cohérence, c'est tous les
articles 4, 5 et 6, dans lesquels on affirme la neutralité mais on donne
des exceptions. Et, en plus, ces exceptions ne sont pas seulement des
résultats de ce projet de loi, mais elles sont même dans les autres projets de loi présentés, entre autres, par le Parti québécois et
d'autres propositions qui sont sur la table par les partis politiques dans lesquels c'est comme... il y a
des sacrés qu'on ne veut pas toucher. Mais l'impression que ça donne pour les
personnes sur lesquelles des lois vont
s'appliquer, c'est l'incohérence et qu'ils sont visés. Et c'est très important
qu'on ne perde aucune personne de la société québécoise
quand on parle de neutralité, quand on parle de laïcité, parce que
la laïcité est faite pour le bien-être
de tout le monde. Et, à titre d'exemple, l'article 5,
dans lequel on nous parle que quelqu'un qui va enseigner la religion, il peut ne pas être neutre, c'est un peu
fort. Si on veut envoyer un message très clair, on va éviter d'utiliser
des termes que, cette neutralité, en fin de compte, il y a des dérogations dans la loi qui permettent
d'aller trop loin et d'autres personnes,
elles vont la subir parce qu'eux, tout
simplement, on va leur interdire des
choses. Donc, c'est important
d'avoir une démarche globale incluant la question
du financement des écoles religieuses de façon
à ce que notre démarche soit acceptable et aussi consensuelle.
Comme dernier point,
je ne vais pas rentrer dans aucun débat, je dirais, juridique sur la proposition,
ce que je propose, et c'est un appel du
coeur... Je ne représente pas la
communauté maghrébine, je suis quelqu'un qui travaille au sein de
plusieurs communautés culturelles, au sein de plusieurs organisations, et ce
que je peux vous dire : qu'aujourd'hui la
société québécoise a besoin d'un consensus. Ce que je propose... et c'est un
appel du coeur à toute la classe politique, je pense que, sur la question des accommodements raisonnables, nous devons
travailler sur des règles très claires et nous devons faire l'effort à les clarifier. Pour moi, les accommodements
raisonnables ne doivent pas créer un système en parallèle au système
juridique, qui est celui de toute la société, tout en prenant en considération
notre histoire d'une révolution tranquille qui va accompagner les gens dans
cette démarche.
Concernant les signes
religieux, depuis 2007, nous tournons en rond. Depuis le 25 mai 2008, où le
rapport Bouchard-Taylor a été mis sur la table, commandé par le Parti libéral
du Québec... et on peut dire que tous les partis politiques depuis 10 ans ont adopté, à un moment ou à un autre, la
position sur les signes religieux de Bouchard-Taylor, je considère et nous considérons, au Congrès
maghrébin, qu'aller avec la proposition de Bouchard-Taylor sur la
question des signes religieux représente une
solution consensuelle, en s'engageant à ce qu'au moins dans les deux prochains
mandats on évite d'utiliser ça pour des raisons
politiques, et on prendra un bilan à faire après 10 ans pour voir est-ce que
les messages envoyés à travers cet
engagement qu'est la neutralité représentent un consensus qui va nous permettre
d'envoyer un message clair mais en même temps voir si on pourra faire
plus ou tout simplement considérer que le rapport Bouchard-Taylor, sur la
question des signes religieux, est un consensus national. Et merci.
• (17 h 20) •
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la ministre.
Mme Vallée :
Merci beaucoup. Il y a beaucoup de contenu dans votre présentation, bien que
très succincte.
Vous
mentionnez qu'à la lecture de certains articles il y a un flou, qu'il y a une
notion de clarté puis de précision qui n'est
pas présente. Je tiens peut-être à regarder avec vous... J'essaie de comprendre
votre positionnement, parce que vous faites référence notamment aux
articles touchant les accommodements. Le concept d'un accommodement, c'est un concept qui est bien ancré dans la société. Il
s'applique certes aux accommodements religieux, mais il peut s'appliquer
également à d'autres types d'accommodement, on en a parlé ce matin,
l'accommodement pour raison de handicap, un accommodement accordé à une
employée qui est enceinte, en raison de sa grossesse. Il s'agit de notions qui
sont présentes, qui existent actuellement et
auxquelles sont confrontés bien souvent les gestionnaires, les centres de la
petite enfance, les écoles.
Le
projet de loi, ce qu'il se veut, c'est une mise en place de balises qui ont
déjà été définies par la jurisprudence, parce que les accommodements existent. Alors, on n'arrive pas avec une
proposition qui est nouvelle, en fait on arrive avec un encadrement juridique, des balises légales
d'une pratique jurisprudentielle, et on le fait parce que le rapport
auquel vous avez fait référence mentionnait qu'il était important de baliser,
de circonscrire ces accommodements et on le fait à la lumière des paramètres
qui ont été identifiés par les tribunaux. Donc, j'essaie de comprendre en quoi
ce concept d'accommodement, pour vous,
constitue un flou ou une contradiction avec le concept de neutralité,
puisqu'ils existent déjà dans les
écoles qui actuellement ne sont... Dans l'école publique, qui est neutre, il y
existe, pour toutes sortes de raisons, des demandes d'accommodement
présentées par et pour des élèves.
Alors, en quoi cette
notion-là est-elle floue ou contraire au principe de neutralité?
M. Foura
(Lamine) : C'est-à-dire que le premier commentaire, c'était par
rapport à l'article 9, comparé à l'article
10, dans lequel on établit clairement que les services offerts et donnés en...
donc, et, en même temps, on établit l'accommodement dans l'article, et à
l'article 10, au numéro 3, on dit clairement que l'accommodement ne peut
pas compromettre le principe de la neutralité. Donc, s'il ne peut pas, donc on
ne peut pas avoir un accommodement sur l'article 9.
Mais mon idée sur la
question d'accommodement, c'est que moi, je crois que le vivre-ensemble est
aussi une valeur très importante dans notre
société. Et, quand on essaie de trouver des solutions pour satisfaire des
besoins particuliers et que ces
besoins-là vont affecter le vivre-ensemble, j'ai un malaise avec ça. Ça fait
qu'il faut qu'on trouve un équilibre entre...
Et je vais donner un exemple. Bon. Je préfère un État laïque qui va garantir
des lieux de culte qui respectent les règles
d'urbanisme, qui respectent les lois en termes d'urbanisme et en termes
d'instauration d'un lieu de culte au lieu de donner des lieux de culte dans les établissements
publics. C'est que ça serait paradoxal de vouloir autoriser des lieux de
culte dans les établissements de l'État et
que l'État n'essaie pas de trouver des solutions à ce que toutes les religions
puissent avoir des lieux de culte
établis selon les lois d'urbanisme, avec la question de zonage. C'est que, des fois, souvent, si on
laisse les gestionnaires prendre toutes les décisions sans leur donner
plus de précisions... J'admets que le projet de loi apporte certaines
précisions, mais je pense qu'il y a des cas particuliers sur lesquels le
vivre-ensemble, aussi l'harmonie dans la société, éviter des fractures sociales
soient aussi mis en avant.
Moi, je considère que le droit de la
religion est un droit fondamental, et par contre le respect du vivre-ensemble,
le respect du cadre qui est établi est aussi
une valeur aussi importante que celle de la religion. Et ce n'est pas un
discours d'un juriste, je ne suis pas
juriste. Moi, je viens du terrain. Je considère que cet équilibre qu'on doit
chercher, en tant que société, est
très important et aussi qu'on envoie des messages très clairs à ceux qui
demandent des accommodements, non pas en leur disant qu'on est contre vous, mais il faut qu'il y ait un système,
aussi, pédagogique pour ramener les gens à créer un équilibre entre leurs droits individuels, parce
que, si on met la question de la laïcité purement sur la question légale,
c'est difficile d'avoir un consensus parce
qu'aujourd'hui il y a une divergence chez les juristes sur la limite. Le débat
qu'on a eu juste après mon intervention...
il y aura d'autres personnes, donc il faudra qu'on soit conscients... Et je
pense que je ne poserai pas la
question des accommodements seulement sur la question de l'immigration, que
toute... en tant que société, parce
que quelqu'un de souche pourra aussi adopter une religion qui pourra l'amener à
vouloir avoir des accommodements et
il faudra qu'on soit conscients que cette société démocratique et laïque, elle
fonctionne très bien parce qu'il y a aussi un vivre-ensemble qu'on doit sauvegarder. Donc, ce n'est pas contre la
personne, mais c'est un équilibre, je dirais, qui est très important et que le gouvernement, que nos lois
doivent envoyer, mais aussi avec une cohérence, parce que, comme j'ai mentionné, sur des questions de l'objection de
conscience que je considère problématiques par rapport à la question de
la neutralité, sur la question de
financement des écoles religieuses... et je peux vous parler, les gens ont la
perception que, derrière ces
clauses-là, il y a des lobbys qu'on ne veut pas toucher et que, sur des sujets
où il n'y a pas de lobby, on peut se permettre d'aller un peu plus loin.
Donc,
c'est cet équilibre, parce qu'on gère aussi une perception, et on ne voudrait
pas aujourd'hui qu'une nouvelle loi,
quelle que soit la loi — elle peut être très bonne — crée une fraction sociale sur une partie de
la société. Donc, c'est tout cet équilibre que je propose à aller
chercher comme gouvernement, comme opposition et comme société.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la ministre.
• (17 h 30) •
Mme Vallée :
Vous abordez un élément qui est intéressant, c'est : lorsque vous parlez
des accommodements, vous mentionnez à
quel point il est important que l'accommodement ne crée pas un privilège. Et
c'est clair que l'accommodement ne
doit pas être source de privilège. Et il est prévu à l'article 10 que
l'accommodement ne doit pas imposer de contraintes excessives, doit respecter le droit d'autrui et
que la personne qui sollicite, qui souhaite obtenir un accommodement
participe à la recherche de la solution.
Donc, cette préoccupation à l'égard du vivre-ensemble et à l'égard de ne pas
créer de droits supérieurs ou de créer de privilèges, elle est présente
dans l'article.
Je
souhaite revenir sur un élément que vous avez abordé sur la question du service
à visage découvert, qui a été abordée un petit peu plus tôt avant votre
prestation. Vous savez, le principe, il est là, les services sont reçus et sont
offerts à visage découvert. Vous remarquerez
que l'accommodement dont il est question n'est pas qu'un accommodement religieux, les accommodements sont des principes
qui existent et qui sont régis. Alors, ce que l'on indique, c'est que,
pour qu'il y ait un accommodement à ce principe-là, qui est un principe
fondamental, on doit s'assurer qu'il n'y ait pas de contrainte, qu'il n'y ait pas de motif qui porte atteinte à la sécurité,
à l'identification et au niveau de communication. Alors, ça, ça vient donner un élément additionnel à celui
ou celle à qui sera formulée la demande d'accommodement, additionnel aux
autres critères.
Donc, non seulement
les autres critères sont considérés, parce que, si on n'avait pas ajouté cet
élément-là, les autres critères auraient été
le critère d'appréciation pour déterminer si, face à ce principe général, il y
a lieu d'avoir un accommodement, mais
on ajoute qu'il est nécessaire. Et la raison du visage découvert est là pour
des raisons d'identification, de sécurité et de communication. Et donc
ce sont des critères que l'on ne retrouve pas dans l'analyse d'une demande
d'accommodement habituelle. Alors, on ne vient pas ouvrir la porte... on vient
baliser de façon encore plus claire le pourquoi,
pourquoi on souhaite que, dans la prestation de services publics, ça se fasse à
visage découvert, parce qu'on veut s'assurer
que la personne qui reçoit le service, c'est bel et bien la personne qui a
droit au service. Alors, ça, c'est l'identification.
Les enjeux de sécurité : évidemment, on veut s'assurer qu'on soit capable
de bien identifier la personne.
La
communication. Tout à l'heure, on a fait allusion au non-verbal. Bien, le
non-verbal dans la communication est très
important. Moi, lorsque je vous parle, lorsque j'échange avec vous aujourd'hui,
je suis à même de voir votre réaction face
à ce que je vous dis. Je peux aussi déterminer est-ce que la personne à qui
j'explique un droit ou un service comprend ce que j'explique. Pour un agent, par exemple, de l'État qui est en
relation avec une tierce personne, le fait d'avoir le visage découvert permet de constater : Est-ce que la
personne comprend, est-ce que la personne comprend bien la nature du
service que je lui livre? Bref, il y a plein
d'éléments comme ça. Par contre, il pourrait y avoir, et je le mentionnais à ma
collègue de Taschereau un peu plus tôt
aujourd'hui, des situations où une personne a le visage couvert pour des
natures tout autres aussi. Pensons à quelqu'un qui a subi une chirurgie,
qui a le visage couvert par des bandeaux, des grands brûlés. On peut avoir plein de... Alors, il ne faudrait pas non
plus... et on dit : Bien oui, ça va de soi. Ça va de soi, mais parfois il
faut quand même encadrer le tout.
Alors,
je voulais juste vous rassurer, parce que l'objectif, ce n'est pas de créer
une... Ce n'est pas exact, ce qui a été véhiculé tout à l'heure, et on ne crée pas un droit de visage couvert. Au
contraire, on affirme de façon claire et précise que, dans l'État québécois et dans la prestation de
services, c'est à visage découvert, et on explique pourquoi en indiquant
que, dans le fond, il n'y a pas
d'accommodement qui est accordé lorsque ces accommodements-là pourraient venir
à l'encontre de l'identification, de la sécurité et de la communication.
M. Foura (Lamine) : Mme la ministre, je voudrais réagir par rapport à ça rapidement. C'est
que je vous comprends dans votre explication de la cohérence de la
démarche.
Moi, je vous parle,
je dirais, loin d'une description juridique de la chose, des balises qu'on peut
mettre, moi, je vous parle du terrain, de ce
qui se passe par rapport surtout à la communauté maghrébine, à titre d'exemple.
Les gens veulent chercher un emploi. Les gens
voudraient fermer ces sujets-là. Donc, si dans les lois qu'on propose ça peut
porter à confusion, qu'on continue à en débattre, les conséquences sur
l'insertion professionnelle des gens, c'est des conséquences très graves. C'est qu'il faudra qu'on arrive à trouver une
solution de façon à ce que les choses se ferment sur ce sujet le plus
tôt possible pour que les gens puissent se concentrer sur les vraies affaires.
À titre d'exemple, on fait un débat sur le
tchador : au sein de la communauté, interdisez le tchador. Moi, je
voudrais débattre : Est-ce que les communautés culturelles sont bien
représentées à l'Assemblée? Je ne voudrais pas débattre : Est-ce qu'une femme peut le porter ou non? Aujourd'hui,
tous les partis politiques, si on voit notre Assemblée nationale... n'est pas encore représentative de la
diversité québécoise, au-delà de ce que les gens peuvent porter. Ils ne
veulent pas le porter.
Donc, c'est,
comme, ce débat-là, l'appel du coeur que j'ai fait à travers la proposition.
Chaque projet de loi peut être justifié,
chaque texte peut être justifié par des juristes. Je pense qu'on a tourné en
rond depuis 10 ans. Il faut qu'on puisse faire un pas significatif dans lequel on envoie un message très
clair : on veut cette neutralité. Et, autour de moi, j'ai des amis qui vont dire : Bouchard-Taylor, sur les
signes religieux, ce n'est pas assez. J'en ai d'autres qui vont dire :
Non, non, ça va trop loin. Je sais.
Mais il faut aller avec une proposition qui a créé un consensus, de façon à ce
qu'on puisse avancer le sujet, parce
que, comme je dis, ce débat, il doit continuer dans la société. La société, les
intellectuels, les médias peuvent en débattre,
mais, moi, c'est surtout l'utilisation politique de ce sujet-là, qui traîne
depuis 10 ans, et, par un laxisme et par une proposition, des fois,
électoraliste, ces deux positions font trop mal à l'harmonie dans la société.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre, deux minutes.
Mme Vallée : Bon. Je suis d'accord avec vous
qu'il est important de se concentrer sur l'intégration des communautés culturelles dans la société québécoise. D'ailleurs, des gens disaient : Ce projet de loi va permettre d'affirmer de
façon claire un certain nombre de principes, un certain nombre de
paramètres justement pour permettre de se concentrer davantage
sur l'intégration d'une plus grande diversité au sein de l'appareil
gouvernemental. Vous avez raison, on a la présence...
et, je pense qu'on le mentionnait, la fédération des cadres de la fonction publique nous
disait : On a à peine... je crois, c'est 3 % de nos membres qui s'identifient à une communauté
culturelle à l'intérieur de l'appareil gouvernemental québécois. C'est
infime, c'est famélique comme chiffre, c'est très peu.
Et vous avez
raison à l'effet que notre Assemblée nationale, nos instances publiques doivent
faire des efforts pour être davantage
représentatives de la diversité de la réalité québécoise. Puis la diversité,
elle se décline de toutes les couleurs, de toutes les formes et elle est importante, parce qu'on s'enrichit
lorsqu'on a ces débats et lorsqu'on amène une perception autre des
différents enjeux auxquels la société est confrontée.
Donc,
l'objectif était de combler certains vides qui existent afin de reconnaître
certains principes. Je comprends et j'ai mentionné : Certains
collègues, certaines formations politiques souhaitent aller plus loin. Nous
proposons une solution qui est, pour nous,
une situation mitoyenne. Et, je suis d'accord avec vous, si d'aventure on
souhaite, après une période, pousser
plus loin, bien, il appartiendra à d'autres formations de le présenter, mais,
pour nous, il s'agissait d'un équilibre pour, on l'espère, passer à une
autre étape et cesser ces discussions qui portent sur l'apparence de l'autre.
Le Président (M. Ouellette) : ...commentaire,
Mme la ministre.
Mme Vallée : Oui.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Foura, représentant le Congrès maghrébin.
Merci d'être là. Merci de votre cri du coeur. J'ai bien entendu. Ce
n'est pas toujours facile de se faire dire : Arrêter de faire un enjeu politique de ce que nous sommes, ou de ce qu'est
la société, ou de la diversité. Mais j'accepte ce cri du coeur, je le
prends et je me demande comment je peux y
répondre. Alors, mon échange va être sur cela, si vous permettez, parce que je
pense qu'il y a bien des juristes qui sont
venus et d'autres qui viendront étudier la loi au niveau juridique et
comprendre sa portée, mais ce dont vous nous avez parlé aujourd'hui, ce
n'est pas de ça.
Ce dont vous
nous avez parlé, c'est de l'impact de nos discussions sur la société et sur une
communauté, particulièrement la communauté maghrébine, qui voudrait
passer à autre chose. Nous autres aussi, on voudrait passer à autre chose, mettons. Vous avez ciblé des points
qui font consensus, je vais revenir sur d'autres... mais vous avez
nommé, entre autres, la laïcité. Elle n'est
pas inscrite dans la loi. Est-ce que, pour vous, ce serait une avancée pour la
société si ce qui est reconnu par
tous, c'est-à-dire que l'État québécois est laïque, ce qui est dans notre
tradition historique, devait être inscrit dans la loi? Est-ce que vous pensez que c'est fondamental, que ça
aiderait ou vous dites : Écoutez, cette étape-là n'est pas
fondamentale, à ce moment-ci? Je ne veux pas vous coincer, vous envoyer dans
une direction, je vous demande vraiment votre position.
M. Foura
(Lamine) : Ma position, pour respecter la cohérence... je pense que la
question de la laïcité est un consensus. Je
ne pense pas qu'il y ait personne au Québec qui serait contre que l'État est
laïque, et, je dirais, surtout pour les minorités religieuses, il serait dans leur intérêt que l'État soit
laïque. C'est beaucoup plus pour les minorités religieuses que pour d'autres majorités. Donc, oui, l'inscription
de la laïcité fait partie, pour moi, de l'approche de consensus, qu'on
soit clair que l'État est laïque, et en
respectant, comme je dis, l'approche consensuelle de faire cette procédure.
Parce que, vous savez, la laïcité,
c'est comme la liberté, hein : on n'est pas libre, c'est tout, on se bat à
être libre, c'est un combat continu. C'est la même chose, la laïcité, c'est qu'on va
l'inscrire, et c'est une démarche collective d'aller vers un idéal qu'on
ne peut pas atteindre dans un moment donné mais qu'on doit toujours chercher à
améliorer.
Donc,
moi, je trouve que l'inscription dans une loi de l'État québécois va aussi
envoyer un message très clair à tout le
monde, que nous voulons être laïques. Je dirais, nous voulons être... parce
qu'on ne peut pas l'être, c'est une démarche collective. Et les
contradictions que j'ai soulevées, par exemple l'objection de conscience, le
financement des écoles religieuses, démontrent aussi que c'est une démarche qui
est aussi une particularité québécoise, hein?
Je
suis originaire d'Algérie, donc je connais très bien l'histoire de France, et
on voit que le processus de la laïcité française, qui a été plus
radical, a son histoire, a ses bienfaits. Mais aussi, quand je suis venu au
Québec, ce qui m'a marqué, c'est la notion
de Révolution tranquille. C'est une révolution qui avance, qui avance, qui doit
faire des pas, parce que, c'est pour ça, on ne peut pas s'arrêter, il
faut qu'on avance, mais à notre vitesse et à la vitesse de la société. Et je
pense qu'aujourd'hui on est prêts à inscrire le mot «laïcité» dans une loi pour
dire clairement que l'État québécois est un État laïque.
• (17 h 40) •
Mme
Maltais : Les autres éléments de la loi que vous avez soulevés ont été
soulevés par beaucoup de gens, par nous entre autres, puis je vais ici
dire que ma collègue de la Coalition avenir Québec a exprimé à peu près les
mêmes réserves que moi par rapport à cette loi, c'est-à-dire que ça prenait des
règles claires pour les accommodements raisonnables — c'est ce que vous avez souligné — pour aider justement à mieux se comprendre,
que, les signes religieux, il y a
consensus autour de Bouchard-Taylor déjà. Si on disait les mots : On prend
les personnes en position d'autorité, juges, policiers et gardiens de prison, on vient de régler le problème, là...
c'est-à-dire, une partie du problème, on avance. Et, l'autre, que, le
visage à découvert, bien, il faudrait que ce soit une règle et non pas une
exception.
J'ai bien compris que
ces trois éléments-là, pour vous, sont des éléments qui pourraient fonder le
début de la démarche législative québécoise en cette matière.
M. Foura (Lamine) : C'est exactement ça. Je considère que ces éléments sont une étape
aujourd'hui, après 10 ans de débat, après un pas en avant, deux pas en
arrière, après plusieurs, je dirais, fractures sociales sur le terrain.
Le
débat est légitime, il ne faut pas le remettre en cause. Une société qui a ce
genre de débat, c'est une société vivante.
Donc, il ne faut pas que le débat dans nos cités arrête, il faudra que nos
intellectuels, nos universitaires, nos acteurs sociaux continuent à en débattre, mais, au niveau politique, à un moment
donné, il faut qu'on fasse le pas qui, à mon avis, représente un consensus.
Et, comme je dis, le Parti libéral du Québec, c'est lui qui a fait la commande
du rapport, donc il vient de lui. Le Parti
québécois aujourd'hui adhère plus proche, donc, de cette position. La CAQ
aussi, à un moment donné, elle avait
la position de Bouchard-Taylor, Québec solidaire aussi. Donc, il y a un certain
consensus sur 10 ans, faisons ce pas-là. Il y a des gens qui ne vont pas
aimer... il y a des gens qui vont considérer qu'on n'est pas allés loin, il y en a d'autres qui vont dire qu'on n'est pas
assez... mais ça représente une moyenne, à mon avis, acceptable et qui
serait une façon d'aller voir les autres problèmes qui sont aussi importants,
comme la question de l'intégration, comme la question du vivre-ensemble.
Et,
j'ajouterais un élément important, je pense que, le problème de la laïcité,
pendant 10 ans, on a considéré que c'était un problème de loi. Oui,
c'est un problème de loi en premier lieu, mais c'est aussi un problème de
pédagogie, c'est-à-dire que, sur la question des accommodements, oui, on peut
améliorer les balises, mais aussi c'est lancer des programmes éducatifs aux
gestionnaires, lancer des programmes éducatifs aussi à toute la société.
Je vous donne un
exemple sur la question des accommodements raisonnables. Je suis de confession,
donc, musulmane, et ça arrive que des fêtes
musulmanes arrivent dans des dates où j'ai un travail. Moi, je trouve que je
n'ai pas à avancer mon appartenance religieuse pour avoir ma journée de congé.
Par contre, si, dans l'entreprise où je travaille, il y a un système déjà qui me permet d'avoir des journées personnelles,
vis-à-vis de mon responsable, je ne dois pas avancer un élément personnel, qui est la conviction
religieuse, pour avoir la journée, mais je peux tout simplement prendre
une journée personnelle. Donc, c'est aussi
une éducation collective. Et, dans la majorité des cas, ça existe, donc les
gens peuvent demander des journées personnelles. Mais je n'ai pas à
ramener la motivation religieuse, parce qu'en ramenant la motivation religieuse
je ramène un argument personnel qui n'est pas valable pour l'entreprise et qui
n'est pas valable pour le supérieur. Donc, c'est ce genre d'éducation aussi
qu'on doit tous se donner, à trouver des solutions qui... tout simplement, on va utiliser les éléments communs de
loi commune pour arranger. Parce que c'est sûr que je voudrais fêter la fête familiale qui m'est personnelle, mais je dois
trouver des solutions personnelles et non pas ramener un argument qui
concerne une conviction purement personnelle que je ne dois pas imposer à mon
environnement.
Mme Maltais :
Écoutez, M. Foura, je vais répondre à votre appel, je vais dire ceci, autour de
la table, aux parlementaires : Si on
est prêts à s'asseoir autour des thèmes qui sont la laïcité... Et, celui-là, je
n'en fais même pas quelque chose de
fondamental, même si j'y crois profondément. Mais partons de la loi qu'on a
devant nous, là. Moi, je crois à la laïcité.
J'aimerais ça que ce soit discuté. Mais, fondamentalement, si on donne des
règles claires aux accommodements raisonnables, si on introduit
l'interdiction de signes religieux pour les personnes en situation d'autorité,
nommée par Bouchard-Taylor, s'il n'y a pas d'exception au visage découvert pour
les personnes qui donnent le service, on peut travailler ensemble et arriver à
une solution qui nous permettrait d'avancer.
Maintenant,
je vais vous dire, si vous avez encore d'autres arguments pour convaincre la
ministre, c'est le temps, parce que
c'est la première fois que je le dis comme ça, ouvertement, mais jusqu'ici je
n'ai pas reçu la réponse de l'autre côté. Alors, je vous le dis. Voici,
il me restait 1 min 45 s, je vous la laisse.
M. Foura (Lamine) : Merci beaucoup. Ce que je peux dire sincèrement, donc, à Mme la
ministre : Je comprends très
bien l'approche, je comprends qu'il y a une explication juridique à la
cohérence du projet de loi. Comme j'ai dit, les incohérences, je peux les faire aussi au projet de loi présenté par le Parti
québécois en 2014. Je pense qu'il
faut voir les choses autrement. Il
faut voir ce qui se passe sur le terrain. Il faut voir des gens qui passent des
entrevues, le lendemain d'un débat autour de ce sujet, et qui ont des
noms à connotation arabo-musulmane... les conséquences sont majeures, les
conséquences sur des familles sont majeures. Et je pense qu'il est arrivé un
moment, après 10 ans de débat, d'essayer de trouver un consensus.
J'ai
fait une proposition de consensus. Je ne dis pas que c'est la meilleure, mais je
pense qu'on doit toutes et tous être guidés par cet esprit de consensus
et de s'éloigner d'un débat purement juridique sur la jurisprudence, sur des éléments que... oui, elles sont réelles, elles
existent. Mais c'est ça, mon point, c'est : continuer à débattre sur ce
sujet va représenter... Et
j'appellerai aussi à un engagement collectif de la classe politique pour au
moins les prochaines élections : quand
on parle d'immigration, quand on parle de diversité, j'aimerais qu'on parle
d'emploi, qu'on parle d'engagement, de certains
chiffres comme on les avait faits dans certaines années où certains partis
politiques se sont engagés à 10 % de diversité dans la fonction publique, qu'on s'engage en plus à débattre
sur des sujets comme la question de la représentativité politique et administrative au lieu de débattre sur
des sujets qui, en réalité — je ne veux pas remettre en cause la
liberté individuelle, religieuse des gens — ne touchent pas l'intérêt
collectif même des communautés, même des minorités religieuses. Merci.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Foura. Toujours un
plaisir de vous entendre. J'ai pris des notes pendant que vous parliez, et, naturellement, mes propos vont rejoindre
ceux de ma collègue de l'opposition officielle, parce que vous avez dit, puis je prenais des notes,
là : La laïcité, c'est «un élément non négociable au Québec», ça a été
choisi au Québec comme un modèle. Vous dites
plus loin : La laïcité est faite pour le bienfait de tout le monde. Tout
comme vous, j'ai sursauté quand j'ai
lu la loi et... que j'ai vu le projet de loi, que le mot «laïcité» n'y
apparaissait même pas. Tout comme vous, je souhaite que ce mot y
apparaisse. Il est très important.
Vous
parlez d'un consensus, des éléments qui font un consensus. Ça fait 10 ans qu'on
en parle. Hérouxville, les accommodements,
etc., alouette... Des projets de loi, il y en a eu quelques-uns.
Bouchard-Taylor était effectivement une commission mise sur pied par le gouvernement libéral de M. Charest.
Pour nous, c'est un minimum, Bouchard-Taylor, à l'égard des signes religieux. Je pense la même chose que vous.
J'aimerais que Mme la ministre pense aussi la même chose. Vous dites une chose qui m'a touchée, vous
dites : Il ne faut pas que ce soit un projet de loi politique. C'est sûr,
on est tous des politiciens ici, mais
Mme la ministre nous a clairement dit que ce n'était pas le projet de loi du
PQ, c'était le projet de loi du Parti libéral. Alors, c'est clair que le
nid est fait.
Moi,
j'aimerais tout comme vous qu'on inclue minimalement le fait que l'État
québécois est laïque, que ces mots y
apparaissent, la recommandation de Bouchard-Taylor sur l'interdiction de port
de signes religieux pour les personnes en position d'autorité coercitive. Et elles sont nommées, vous les
connaissez. C'est clair, c'est précis. Je dis comme vous, le signal
serait fort. Déjà, on aurait un bon bout de chemin à faire.
Et
Mme la ministre a dit quelque chose, et j'ai pris une note parce que ça m'a
fait sursauter, elle dit : Je veux «cesser ces discussions qui portent sur l'apparence de l'autre». Et là je pense
que c'est là qu'on ne s'entend pas, parce que je ne crois pas que ce sont des discussions qui portent sur
l'apparence de l'autre. Je crois que nous sommes ici pour travailler sur
un projet de loi qui parle de la place du religieux dans l'État. Et, tout comme
vous, je pense que c'est une question que la société devrait se poser.
Et,
à cet égard et à la lumière de ce que Mme la ministre vient de dire, je vous
poserai la même question que ma collègue de l'opposition
officielle : Que faire et que lui dire — et je vais vous laisser la
parole — pour
la convaincre d'inclure, dans son projet de
loi, la laïcité de l'État québécois, d'inclure, dans son projet de loi, la
recommandation visant l'interdiction de port de signes religieux, celle
qui est minimalement édictée par Bouchard-Taylor, ne serait-ce que ça pour
commencer? Qu'est-ce qu'il faut lui dire? Qu'est-ce qu'il faut faire?
• (17 h 50) •
M. Foura (Lamine) : Je reviens à la même chose, c'est-à-dire que, comme je dis... Et je ne
voudrais pas blâmer un parti plus
qu'un autre, parce que tous les partis politiques ont participé à ce débat
depuis 10 ans. Comme j'ai dit, je suis venu vous parler, avec un message du coeur, de ce que beaucoup de gens, je
pense, vivent aujourd'hui au Québec, même s'ils ne sont pas concernés
par les signes religieux, qu'à un moment donné il faudra qu'on puisse avancer.
Et,
je considère, comme je l'ai dit précédemment, l'inscription de la laïcité dans
une loi québécoise, je ne vois pas ça
comme étant un problème qui va toucher le droit de quiconque au Québec, parce
que tout le monde... même
durant le débat en 2014, je n'ai pas vu quelqu'un
qui... On peut avoir des interprétations
différentes sur les détails de l'application d'un principe de laïcité,
mais, je pense, c'est un principe qui va permettre de tourner la page sur ce
débat-là, revenir à la recommandation Bouchard-Taylor. Ça reste un débat
théorique, donc ça va permettre de calmer les esprits, de voir qu'on avance.
Et,
je terminerai par un élément très important, dans ma proposition, aussi j'ai
ramené un point très important, c'est qu'aussi il y ait un engagement
collectif de la classe politique, qu'on éviterait, au moins en 2018, de
débattre de ce sujet si le gouvernement
libéral accepte d'être mis... Je pense que, vous savez, actuellement, au
Québec, je suis sûr que vous en êtes
conscients, au-delà du débat sur la laïcité, on a une crise de l'image du
politicien, on a une crise... il y a des scandales un peu partout, il y
a des problèmes. Je pense que, sur ce dossier aussi sensible, c'est une
occasion à toute la classe politique de
démontrer qu'à un moment donné, oui, on peut avoir des idées différentes, à un
moment donné on peut avoir une divergence
sur des sujets aussi sensibles, mais à un moment donné toute la classe
politique est capable de se mettre autour de la table pour proposer un
consensus qui va démontrer que l'intérêt de la société, c'est le premier
objectif de la classe politique québécoise. Et il faut saisir cette occasion, à
mon avis.
Mme Roy :
Et il me reste quelques secondes. Sur l'article 9, vous avez dit, à juste
titre... on parle du visage découvert, vous dites : On dit une chose et
son contraire. Mme la ministre a dit : Non, on ne permettra pas le visage découvert. Mais, lorsqu'on lit l'article 9, on
nous dit que les services sont donnés et rendus à visage découvert mais
on va permettre un accommodement s'il est demandé. Donc, on va permettre le
visage couvert, vous avez tout à fait raison. Je voulais juste spécifier ceci.
Je vous remercie infiniment pour votre présentation.
M. Foura (Lamine) : Merci à vous.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, M. Lamine Foura, représentant le Congrès maghrébin, d'être venu
nous entretenir sur le projet de loi n° 62 aujourd'hui.
La commission
ajourne ses travaux à demain, jeudi 27 octobre, où elle se réunira en séance de
travail à 8 heures puis en séance publique, après les affaires
courantes, où elle poursuivra les auditions publiques. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 52)