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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mardi 27 septembre 2016 - Vol. 44 N° 141

Mandat conféré par une loi - Étude du Rapport sur la mise en œuvre du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale


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Table des matières

Auditions (suite)

M. Luc Bégin

M. Bernard Keating

M. René Villemure

Autres intervenants

M. Guy Ouellette, président

M. Richard Merlini, président suppléant

M. Marc Tanguay

Mme Agnès Maltais

M. Benoit Charrette

Journal des débats

(Dix heures six minutes)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques relatives à l'étude du rapport sur la mise en oeuvre du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale.

M. le secrétaire, pouvez-vous nous rappeler les remplacements pour ce mandat?

Le Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Boucher (Ungava) est remplacé par Mme Nichols (Vaudreuil); M. Rousselle (Vimont) est remplacé par M. Sklavounos (Laurier-Dorion); et Mme Roy (Montarville) est remplacée par M. Charette (Deux-Montagnes).

Auditions (suite)

Le Président (M. Ouellette) : D'entrée de jeu, je souhaite la bienvenue à notre invité de ce matin, M. Luc Bégin, qui est directeur de l'Institut d'éthique appliquée de l'Université Laval. Je vous rappelle que vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre exposé et, par la suite, nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission de façon alternée. Et, de façon à favoriser nos échanges, la présidence a scindé les blocs en périodes de 12 à 14 minutes, et donc le gouvernement aura trois blocs, l'opposition officielle aura deux blocs... ne bougez pas, oui, deux blocs, et le deuxième groupe d'opposition aura un bloc.

Nous allons procéder immédiatement avec M. Bégin. Je vous laisse la parole.

M. Luc Bégin

M. Bégin (Luc) : Merci beaucoup. Bon. Tout d'abord, merci de l'invitation à venir discuter avec vous de ces questions. Je dois préciser au point de départ que je ne suis plus directeur de l'Institut d'éthique appliquée de l'Université Laval depuis mai 2016. Je continue toujours d'y oeuvrer, mais, après 12 ans à la direction de l'institut, j'ai choisi de laisser la place à quelqu'un d'autre.

Alors, bon, j'ai remis un court mémoire, et le propos que je développe dans ce court mémoire est en relatif décalage par rapport au document qui a été soumis par le Commissaire à l'éthique et à la déontologie et faisant rapport de la mise en oeuvre du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale. Ce décalage ne suppose pas que je n'accorderai pas d'intérêt au rapport. Au contraire, on y trouve des informations et des recommandations très intéressantes, il n'y a aucun doute. Je suis donc disposé à discuter des mesures et recommandations qui sont suggérées par le commissaire, dans la mesure de mes capacités et en fonction de mon expertise, qui ne couvre pas tout le champ de ces recommandations.

La proposition que j'ai soumise dans mon mémoire est la suivante, c'est-à-dire d'appliquer la recommandation 54 du rapport de la commission d'enquête sur l'industrie de la construction, la commission Charbonneau, comme première étape d'un processus de réévaluation de nos institutions d'encadrement de l'éthique et de la déontologie. Cette proposition vient s'ancrer dans un travail de réflexion préliminaire qui a été conduit par une petite équipe de chercheurs universitaires ainsi que dans les travaux de la commission Charbonneau. J'ai joint en annexe du mémoire cette recommandation ainsi que les grandes orientations de réforme que nous avions proposées dans un chapitre de livre l'an dernier, donc, cet ouvrage, Marchés publics à vendre.

• (10 h 10) •

Et je me permets ici de lire très rapidement cette recommandation. Je pense que c'est pour bien situer mon propos. Alors, je l'extrais ici du tome 3 du rapport de la commission Charbonneau, la recommandation 54 : «...adopter une loi regroupant au sein d'un même organisme les instances de contrôle et d'application des règles d'éthique et de lobbyisme de l'État québécois et de ses municipalités, incluant les dispositions suivantes — il y en a trois : [tout d'abord,] l'abolition du Commissaire à l'éthique et à la déontologie de l'Assemblée nationale [...] et du commissaire au lobbyisme du Québec[...]; [2°] la nomination d'un commissaire à l'éthique et au lobbyisme par les deux tiers des voix de l'Assemblée nationale pour un mandat fixe de sept ans; [et, 3°,] un pouvoir de surveillance touchant l'ensemble des élus provinciaux et municipaux et de leur personnel politique, des sous-ministres, des dirigeants d'organismes publics et des présidents de conseil d'administration des organismes et des entreprises d'État.»

Ça, c'est le libellé de la recommandation 54 de la commission Charbonneau.

Tout d'abord, une précision importante concernant la proposition, par ailleurs, de notre équipe universitaire. C'est une proposition qui doit être prise comme une invitation à mettre en place un processus de révision d'ensemble de notre infrastructure québécoise de l'éthique non pas nécessairement dans le but de transformer radicalement cet ensemble, mais plutôt de le rendre plus performant et plus cohérent. En ce sens, il m'apparaît moins important, pour l'instant, de s'attarder aux détails de cette proposition qu'à bien comprendre les raisons et la perspective à partir desquelles elle est proposée. Ce sont ces deux éléments, à mon sens, qu'il faut conserver à l'esprit dans tout effort de révision de nos institutions d'encadrement de l'éthique publique. Et, pour avoir suivi de près les travaux de la commission Charbonneau, je crois également pouvoir affirmer sans trop de risque d'erreur que ce sont des raisons et une perspective assez semblables qui en ont guidé la rédaction, de nombreuses recommandations, dont la recommandation 54, que je porte à votre attention.

Donc, quelques mots tout d'abord sur la perspective d'arrière-plan de cette proposition. Nous approchons les questions d'éthique publique à partir de ce qu'on appelle une perspective de design institutionnel. Je me permets ici deux brèves clarifications : par «éthique publique», il faut entendre tout ce qui concerne l'éthique et la déontologie dans les affaires de l'État, ce qui inclut conséquemment l'encadrement des pratiques et des comportements des agents publics; quant au design institutionnel, il s'agit d'une perspective qui a fait l'objet d'une certaine littérature académique et qui se distingue d'une perspective individuelle de compréhension de l'éthique publique. Cette dernière, la perspective individuelle, s'inscrit surtout dans une logique de détection des déviants, ce qu'on appelle aussi, parfois, communément, dans une certaine littérature, les pommes pourries.

Je rappellerai simplement qu'on a été en mesure de voir, avec les auditions de la commission Charbonneau, les attentes de la population et de certains journalistes, qui allaient surtout dans le sens de pouvoir identifier les déviants de façon à être en mesure de les sanctionner, ce qui nous ramène à la logique, essentiellement, d'enquêtes et sanctions visant des individus. La perspective institutionnelle est différente. Elle suppose, et je cite ici mon collègue Daniel Weinstock, de l'Université McGill, elle suppose «de ne pas se contenter de répondre à des problèmes systémiques par des solutions individuelles. Il faut penser non à la vertu des personnes qui occupent des rôles importants dans nos institutions, mais plutôt aux règles de fonctionnement des institutions qui font en sorte qu'elles peuvent remplir leur finalité. Comment faire pour s'assurer que l'institution remplit sa fonction? Voici la question. Est-ce que l'institution remplit son rôle public?» Fin de la citation.

Le travail dans une perspective institutionnelle vise donc l'identification des failles institutionnelles qui peuvent laisser place à des déviances. Ainsi, l'emphase sera mise sur les mécanismes pouvant favoriser une culture éthique et de l'intégrité. On est dès lors dans une perspective de prévention, de transformation des conduites et de culture plutôt qu'uniquement de correction et de sanction, bien que l'on prévoira inévitablement des mécanismes de sanction sous la responsabilité des institutions redessinées. Les travaux de la commission Charbonneau allaient dans le sens donc d'une perspective de design institutionnel, même si ce sont des individus et des déviances individuelles qu'on a vus, pourrions-nous dire, en spectacle.

Il est clair que nos institutions d'encadrement sont dessinées de manière à et dans le but de prévenir les déviances et d'améliorer la culture des milieux visés. Toutefois, et je pense que c'est important de l'avoir bien en tête, la plupart de nos institutions qui touchent d'une manière ou d'une autre l'éthique publique ont été créées à la suite d'affaires, de scandales ou de crises dans le but immédiat de régler un certain type de problème relatif à certains milieux et certaines pratiques particulières. Cela peut conduire à empêcher d'aller véritablement au bout d'une logique de design institutionnel qui prendrait la mesure globale des finalités à atteindre en cherchant les moyens les plus performants pour y arriver. On a fait, autrement dit, un travail tout à fait respectable, mais un travail à la pièce, de création d'institutions concernées par les questions d'éthique publique. Or, une telle logique s'accommode très mal... la logique de design institutionnel s'accommode très mal d'initiatives pensées en silos, comme c'est le cas actuellement de nos institutions d'encadrement, à moins que ces dernières ne bénéficient de mécanismes concrets et efficaces de coordination.

Et c'est là qu'on en arrive aux raisons centrales qui motivent ma proposition et qui sont présentes à la fois dans les travaux de notre équipe et dans ceux de la commission Charbonneau. Donc, la raison principale à l'appui de la proposition soumise, c'est d'assurer une meilleure coordination de ces institutions d'encadrement de manière à pallier aux insuffisances actuelles. Je rappelle rapidement les insuffisances présentées dans mon mémoire.

Première insuffisance : tout d'abord, le défaut d'équité dans le traitement des situations et des acteurs impliqués. Je me permets ici de citer un paragraphe du tome 3 du rapport de la commission Charbonneau, page 178, où il est écrit : «L'encadrement de l'éthique au sein de l'État québécois et des municipalités forme [...] un ensemble de mesures hétérogènes visant chacune une catégorie de personnes, ces catégories peuvent parfois se superposer. Cette réalité engendre un problème de coordination entre les nombreux organismes chargés de veiller au respect de ces mesures. Ces derniers risquent aussi de devoir appliquer des normes contradictoires ou incompatibles, ou de ne pas réserver le même traitement à des situations similaires. Or, les phénomènes de manquement à l'éthique observés par la commission concernent souvent des acteurs [qui relèvent] de plus d'un organisme. C'est le cas, par exemple, lorsqu'une firme de génie-conseil — lobbyiste — fait des représentations auprès d'un élu municipal afin d'obtenir un contrat — une minute — puis auprès d'un chef de cabinet — personnel politique — pour influencer la décision d'un ministre — élu provincial — en matière de subvention à la municipalité.»

On a aussi un risque de cohérence insuffisante entre les normes et les diverses institutions et entre leurs initiatives et parfois aussi un risque de compréhension divergente des fonctions à assumer. J'en soulève un exemple dans mon mémoire.

Ensuite, autre insuffisance, les problèmes font l'objet d'une approche fragmentée. Il y a une absence manifeste de vue d'ensemble de l'éthique publique au sein de nos institutions, ce qui entraîne la possibilité que des comportements et des événements passent entre les mailles des filets des différents gardiens. Les risques majeurs qui sont associés à la situation actuelle, c'est, notamment, un risque de nuire à la crédibilité de l'une ou l'autre de nos institutions par le phénomène de comparaison entre elles, par le public et les journalistes, des actions entreprises. Et la situation actuelle contribue à laisser croire que les questions d'éthique publique ne sont qu'affaires de personnalité des commissaires ou de volonté plus ou moins variable. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Bégin. Nul doute que vous aurez l'opportunité de compléter dans les échanges que nous aurons avec les collègues. M. le député de LaFontaine, pour une première séquence de 12 min 30 s.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, bonjour à vous, M. le Président, bonjour aux collègues également qui sont avec nous et qui poursuivent nos travaux quant à l'amélioration, je dirais, de notre Code d'éthique et de déontologie.

Bien évidemment, bienvenue, merci, M. Bégin, de prendre le temps, avec nous, de réfléchir, d'avoir déposé un mémoire, ce qui nous permet de vous avoir lu au préalable et d'être plus efficaces lors de nos échanges. Nous aurons, en ce qui nous concerne, la banquette ministérielle, trois blocs d'à peu près 12 minutes, alors on aura l'occasion de revenir, et c'est ce qui nous permettra, je pense, de bien pouvoir cibler le message que vous nous apportez aujourd'hui. Je me suis plu à relire votre passage, le 10 juin 2009, lors de la première mouture — à l'époque, c'était le projet de loi n° 48 — et ce qui fait en sorte que... et je pense que c'est une bonne chose, que l'article 114 du projet de loi n° 48, qui était donc notre première mouture de code d'éthique, faisait en sorte qu'à tous les cinq ans nous avions le processus aujourd'hui.

J'aimerais donc, un peu comme le principe de l'entonnoir, là... et par la suite on parlera des distinctions importantes que vous faites entre «éthique» et «déontologie», mais j'aimerais, sur un aspect un peu plus fonctionnel... croyez-vous qu'il serait donc justifié et efficace de reproduire cet article 114 là, cette logique-là de dire : Bon, nous allons bonifier, j'en suis convaincu, avec les collègues, l'actuel Code d'éthique? Est-ce qu'on se donne rendez-vous — est-ce que c'est une bonne chose? — dans cinq ans ou est-ce que l'on peut se permettre d'avoir un processus... c'est sûr que le législateur, les députés peuvent toujours ouvrir un débat et amender toute loi en tout temps, mais est-ce qu'on devrait avoir un processus plus court dans le temps, plus formel ou autre? Je ne sais pas si vous avez une réflexion à cet effet-là quant à l'article 114 du code actuel.

• (10 h 20) •

Une voix : M. Bégin.

M. Bégin (Luc) : Bon. Je pense qu'il est essentiel de pouvoir faire un retour, effectivement, en commission parlementaire, sur des questions comme celle-là, c'est-à-dire le dépôt d'un rapport, et que ça puisse être examiné. Je pense que c'est des moments importants de révision et de réflexion qui devraient permettre de prendre un peu de hauteur par rapport à certains problèmes qui peuvent être rencontrés et surtout le fait que, une institution comme celle-là d'encadrement, il y a un rythme dans son développement, bien entendu, et je pense qu'après un certain nombre d'années de voir où en est l'évolution de l'institution, c'est essentiel.

Maintenant, les façons de le faire. Que ça doive se faire en commission parlementaire, je pense que c'est une très bonne chose et, en fait, je considère, oui, même que c'est tout à fait essentiel.

M. Tanguay : Et le rythme aux cinq ans est-il le bon? Trois ans?

M. Bégin (Luc) : Je serai peut-être davantage favorable aux trois ans, mais enfin je n'ai pas une opinion absolument arrêtée, là, sur cette question-là.

M. Tanguay : Vous faites donc — et, dans votre mémoire, vous en faites état, et dans ce que vous nous affirmiez, donc, le 10 juin 2009 — une distinction quand même assez nette que le code actuel ne fait pas entre «éthique» et «déontologie», et je me suis pris quelques notes de l'échange que vous aviez eu à l'époque : L'éthique ne se codifie pas, ne se judiciarise pas, n'existe pas afin de sanctionner. Ça, c'est l'éthique, c'est l'aspect peut-être un peu plus philosophique mais duquel découlera, je pense, une approche qui est très tangible, alors que la déontologie participe d'une codification, et c'est réellement — à l'époque, le projet de loi n° 48 — notre code de déontologie et d'éthique aujourd'hui.

Pourquoi c'est important pour vous et pour nous, dans nos travaux, de faire cette distinction-là, l'éthique et la déontologie, et en quoi on en aurait des applications tangibles et une approche bonifiée, en ce qui nous concerne?

M. Bégin (Luc) : O.K. Si on fait un retour sur cette distinction, bon, distinction qui n'a pas été, enfin, prise en compte, à mon sens, là, dans le Code d'éthique et de déontologie, je recommandais, à l'époque, de rayer tout simplement «éthique» du titre du code. Je pense qu'on est face, tout simplement, à un code de déontologie comme on a pour les ordres professionnels. On a un ensemble de devoirs et d'obligations qui couvrent un ensemble de phénomènes, et c'est tout à fait adéquat et opportun qu'on ait ce type de code.

Maintenant, lorsqu'on parle véritablement d'éthique et quand je dis : Bien, ça ne se codifie pas, c'est que, lorsqu'on est dans la dimension éthique des choses, on est dans l'arrière-plan ou dans ce qui permet de fonder justement les devoirs et obligations et donc davantage dans l'ordre de la capacité à l'exercice d'un jugement critique, réflexif qui guide les comportements des individus. Donc, on est davantage, dans le fond, dans une perspective de formation et d'accompagnement dans la qualité de la réflexion par rapport aux situations problématiques rencontrées, ce qui est un univers différent que l'univers de la déontologie.

Maintenant, bon, il a été jugé préférable par le législateur de développer un code d'éthique et de déontologie qui est fondamentalement un code de déontologie, et puis, bien, on travaille avec ça maintenant, tout simplement.

M. Tanguay : Basé sur votre expérience, vous faites référence aux ordres professionnels. Est-ce que le législateur, les 125 députés ont, je dirais, pour profession... Puis même, en disant «profession», je trouve ça réducteur. C'est notre démocratie, nous sommes le législateur, je veux dire, les 125 députés.

Est-ce que, si on se compare justement avec les autres ordres professionnels, en tout respect, on manque à la nature même du rôle du député, qui est beaucoup plus large et qui reste, j'imagine, au-delà d'un simple code de déontologie : arrête à la lumière rouge, et repars, et ce sera parfait? Et, nous, nos réflexes d'élu, c'est de dire : Donnez-moi une règle très claire, donnez-moi un avis, idéalement, écrit, pas verbal, puis je vais être capable de le respecter et là je serai hors de toute atteinte à ma réputation.

Est-ce que ce n'est pas un peu réducteur, puis je le dis sans méchanceté, de comparer le législateur aux autres ordres professionnels, selon vous, dans l'approche?

M. Bégin (Luc) : O.K. Je pense que c'est davantage par l'instrument que par la fonction qu'il y a une comparaison, que je fais la comparaison. C'est qu'effectivement, l'élu, comme le professionnel, on peut avoir... Nous avons légitimement, en démocratie, des attentes quant à certains devoirs et certaines obligations, et c'est ce qui est couvert, à mon sens, dans le Code d'éthique et de déontologie, et, en ce sens, il y a une analogie à faire. Donc, ce n'est pas d'associer directement, mais il y a une analogie à faire avec ce qu'on retrouve dans les ordres professionnels.

Je souligne par ailleurs, pour poursuivre cette analogie-là, que, dans certains ordres professionnels et de plus en plus, on juge à propos aussi de susciter une réflexion des membres, particulièrement dans les formations universitaires, autour de l'éthique professionnelle, qui est en deçà de la déontologie professionnelle, autrement dit, une réflexion sur le rôle plus large et sur les responsabilités non pas dans une perspective de sanction, de devoir et obligation, mais dans une perspective de jugement adéquat quant au rôle qui est le sien dans une démocratie comme la nôtre. Et, en ce sens-là, lorsque je regarde le rapport du commissaire, il est clair que le travail... mais, compte tenu du code qui existe, le travail a été fait essentiellement, donc, autour de questions de déontologie des élus.

Et je me permets de souligner ici un point que je porte à votre attention : il est question de conseils et d'avis de la part du Commissaire à l'éthique et à la déontologie. Lorsqu'on regarde les sections du rapport où il parle de conseils et avis — je réfère notamment aux pages 63 à 67 — le titre est Conseils et avis, mais, là où il en est question, on ne parle que d'avis et d'avis juridiques. Un peu comme vous le disiez, on a besoin d'être rassurés, au plan légal, donc, de ce que l'on avance, de ce que l'on fait, si c'est adéquat ou non, dans le respect ou non des règles et des normes. C'est une fonction tout à fait normale, mais ce que je vois, c'est que le conseil n'existe pas dans la structure actuelle, bien qu'on parle de conseils et d'avis. L'avis relève, à mon sens, davantage du volet déontologique et juridique, dès lors du code, alors que le conseil pourrait relever beaucoup plus d'une perspective d'ordre éthique dans une perspective, je dirais, encore davantage préventive que peut l'être l'avis. Mais pour ça, pour que ça soit fonctionnel, parler de conseils... Et là je reviens à la proposition qu'on fait, de regrouper des structures d'encadrement, des institutions d'encadrement. Pour que le conseil puisse être fonctionnel, je pense qu'on devrait réfléchir à la possibilité de créer une entité distincte de cette structure d'encadrement de la déontologie des élus.

M. Tanguay : Vous faites référence à la recommandation 54 du rapport de la Commission d'enquête sur l'octroi, la gestion des contrats publics, l'industrie de la construction, qui propose justement, donc, l'abolition du poste de Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme et la nomination d'un seul commissaire éthique et lobbyisme.

Faites-vous, donc, dans la dernière partie de votre intervention... à un jurisconsulte bonifié, qui existe déjà? Parce que 54 ne parle pas de fusionner et Commissaire à l'éthique, et Commissaire au lobbyisme, et jurisconsulte, et le jurisconsulte, sa nature, l'esprit, était justement d'apporter des éclairages, des avis confidentiels, qui permet, en plus de la formation... Je pense qu'il faut le doubler, comme vous le dites bien, à de la formation continue, chose que peut-être, malheureusement, et je le dis, on n'a pas suffisamment, comme élus, là. On pourrait y revenir.

Mais êtes-vous en train de pointer vers le jurisconsulte? Est-ce qu'on le confirme, on le laisse indépendant, on bonifie son action?

• (10 h 30) •

M. Bégin (Luc) : On pourrait l'envisager de cette façon-là. J'ai seulement un problème avec le titre de jurisconsulte, si on veut parler de conseils en éthique, parce qu'on vient encore rabattre l'éthique sur une lecture associée au droit. Et, pour moi, le grand problème serait là si on se contentait de bonifier la fonction de jurisconsulte. Mais ce serait effectivement dans cette direction-là qu'il faudrait aller, c'est-à-dire dans un analogue à ça, tout à fait, oui.

M. Tanguay : Comment l'appelleriez-vous, le jurisconsulte?

M. Bégin (Luc) : Ah! c'est une belle question à laquelle je n'ai pas réfléchi. C'est toujours un grand problème de donner un nom aux choses. Je pense que je laisserais ça à la sagesse du législateur.

M. Tanguay : C'est bon. De ce que vous en savez, a-t-il suffisamment de moyens? Encore une fois, si vous n'avez pas étayé la réflexion à cet effet-là... Mais ce jurisconsulte a-t-il suffisamment de moyens? Est-ce que, tel qu'il existe aujourd'hui, il remplirait l'objectif?

M. Bégin (Luc) : Je pense qu'on aurait peut-être besoin d'un petit ajout.

M. Tanguay : O.K.

M. Bégin (Luc) : Un petit, oui.

M. Tanguay : O.K. Et on aura l'occasion puis le temps... puis je vais clore là-dessus, M. le Président, parce qu'on aura l'occasion, avant d'aborder d'autres blocs, d'autres logiques, on aura l'occasion, M. Bégin, d'avoir la discussion avec vous au niveau de la nature du rôle du député, où on a vu qu'il y a eu des rapports... Puis je ne fais pas de partisanerie ici, là, je pense qu'on est au-dessus de la partisanerie. Il y a eu des rapports du Commissaire à l'éthique qui disaient : Bien, peut-être que le collègue a mal agi, mais il n'y a pas de sanction. Systématiquement, il n'y a pas de sanction, parce qu'on dit : Bien, déjà, le fait qu'il ait été publié qu'il avait mal agi, c'est suffisant comme sanction.

Alors, les articles où il y a des sanctions, on aura l'occasion d'en reparler, et aussi d'analyser comment on peut sanctionner, entre guillemets, des atteintes aux valeurs de l'Assemblée nationale, qui est un autre débat qui peut paraître philosophique mais qui est très tangible aussi dans notre réalité à nous, où un article de journal, pour tous les collègues, là, est déjà... il y a un prix très élevé à payer au niveau réputationnel, ce qu'on ne retrouve pas dans d'autres ordres. Mais on reviendra. Merci.

M. Bégin (Luc) : Tout à fait. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Bonjour. Bienvenue. C'est vraiment un plaisir de vous entendre ce matin, d'autant que c'est la deuxième fois que vous venez jaser de code d'éthique avec nous. Je pense que vous aviez déposé un mémoire lors de la création du Code d'éthique. Je vous remercie de la pertinence de votre mémoire, sa qualité.

Vous êtes vraiment sur les sujets qui actuellement nous questionnent. Vous êtes dans le coeur de certains éléments importants. Par exemple, deux sujets qui, moi, me font beaucoup réfléchir en ce moment sont l'utilisation ou non de sanctions, la mécanique des sanctions. Est-ce qu'on y arrive ou on n'y arrive pas? Pourquoi ce n'est jamais utilisé? Puis j'ai jasé avec le Commissaire à l'éthique là-dessus. Il a ses réponses, qui sont valables, mais il y a quand même un questionnement là-dessus. Le deuxième, vous en parlez, puis mon collègue en parlait aussi, ce qui est nos institutions... Nous avons le Commissaire au lobbyisme, le Commissaire à l'éthique et le jurisconsulte. Comme mon collègue de LaFontaine, j'allais ajouter cet élément-là, qui, pour nous, fait partie de notre environnement éthique et juridique.

Alors, je vais commencer, peut-être, dans ce premier groupe, premier morceau, à parler de ce qui m'interpelle le plus, parce qu'il y a eu beaucoup, beaucoup, depuis quelque temps, de rapports du Commissaire à l'éthique, qui a trouvé des fautes. Il y en a certaines qu'il a appelées et que je vais appeler des erreurs de jeunesse, mais il y en a d'autres qui étaient des fautes assez sérieuses. Dans vos deux dernières pages du mémoire, vous parlez de deux dossiers, entre autres du dossier du 7 juin 2012 — c'était Tony Tomassi, je pense, qui était visé par ce rapport du Commissaire à l'éthique du 7 juin 2012 — et l'autre, du 8 juin dernier, de notre collègue de Louis-Hébert. Votre dernière phrase est très, très lourde. C'est assez inhabituel en commission parlementaire qu'on ait des avis aussi clairs, et je veux vraiment en parler. Vous dites : «En tout respect pour le commissaire, je me permets d'affirmer que la manière dont il a choisi d'aborder la question des manquements aux valeurs et principes de l'Assemblée nationale ne sert pas adéquatement la fonction qu'il occupe.» Donc, vous respectez le commissaire, mais vous dites : Pour la fonction, il y a un problème. Je sais, j'ai parlé avec le commissaire plusieurs fois, et il m'a dit... Il est le premier commissaire, donc il est la jurisprudence de ce Code d'éthique. À chaque fois qu'il fait un rapport, à chaque fois qu'il émet un jugement et il fait de la jurisprudence, on est dans une matière qui est nouvelle, ce Code d'éthique. Ça ne fait pas longtemps qu'on se gouverne selon ce Code d'éthique à l'Assemblée nationale.

Alors, j'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce qu'en même temps, la jurisprudence, il va falloir la faire évoluer à un moment donné. Puis, si elle est trop molle face aux valeurs, vous dites... Face aux valeurs, non pas face à la déontologie, mais face aux valeurs, face au Code d'éthique, vous êtes très critique. J'aimerais ça vous entendre là-dessus. Pourquoi? Parce que c'est vraiment un sujet qui est important.

M. Bégin (Luc) : Oui. Honnêtement, j'ai hésité à écrire ces lignes. Je pesé le pour et le contre un certain temps, parce que je sais que c'est un peu lourd, et c'est pourquoi j'ai présenté aussi au début que c'était délicat, parce que je ne veux surtout pas donner l'impression que j'ai un regard très critique par rapport à la fonction et la manière dont la fonction est exercée.

Il y a un rythme dans l'évolution d'une institution d'encadrement. On l'a vu avec le Commissaire au lobbyisme, notamment. Je rappellerai que, dans les premières années d'existence de l'institution du Commissaire au lobbyisme, le travail en a essentiellement été un de formation et de sensibilisation des personnes concernées parce qu'on partait de très loin. La fonction de lobbyisme était considérée par beaucoup comme étant illégitime en soi, donc il fallait déjà la rendre légitime. Et donc former, informer, expliquer, ça a été le travail des premières années, parce que j'ai été très près du Commissaire au lobbyisme à l'époque. On avait rempli un mandat, notamment, auprès d'eux, concernant les élus municipaux à l'époque.

Donc, on a cette perspective-là au départ, mais, je dirais, le Commissaire au lobbyisme a eu la chance, dans les premières années de l'institution, de ne pas avoir de situation particulièrement délicate à résoudre, si bien que l'évolution s'est faite de façon, je dirais, normale pour l'institution. Et je pense qu'on a présentement un commissaire au lobbyisme qui est un peu plus, je dirais... qui intervient de façon plus claire dans son rôle d'enquête et de sanction. On a ici une nouvelle institution qui est créée, donc, depuis peu et qui a à se mettre en place, qui a à établir sa propre légitimité et à préciser clairement quelle est sa fonction, et de sorte que tout le monde qui y est soumis, donc les élus... qu'on comprenne bien c'est quoi, ça, ce truc, là, qui existe maintenant, et qu'est-ce qu'on en fait, et qu'est-ce qui est attendu de nous, sauf que là où c'est très différent, c'est que le Commissaire à l'éthique et à la déontologie n'a pas eu le loisir d'attendre cinq ans, sept ans ou 10 ans avant que des situations plus difficiles, délicates se présentent à lui de par la fonction même.

Alors, je peux comprendre la réticence à aller... et surtout en ce qui concerne la question des valeurs, à aller dans l'ordre de sanctions immédiatement. Là où j'ai un problème, ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'à partir du moment où on vient dire dans le Code d'éthique et de déontologie que les valeurs sont aussi... c'est-à-dire que le commissaire peut aussi sanctionner sur la base des valeurs, qu'on inscrit le respect de ces valeurs-là dans la même logique que les règles davantage déontologiques, a ce moment-là il y a une question de cohérence. Si on est cohérent, on doit sanctionner les manquements aux valeurs aussi, si évidemment on le juge à propos, quant à la gravité des gestes. Et là où j'ai un problème, mais je ne veux pas... et c'était aussi le côté délicat, je ne veux pas revenir spécifiquement sur les situations qui se sont produites, mais simplement souligner quand même qu'à partir du moment où on a décidé que les valeurs sont là, me semble-t-il, on doit appliquer la même logique, et appliquer la même logique, ça veut dire que des sanctions peuvent avoir lieu. Et je pense qu'on a été dans des situations où les affirmations du commissaire étaient suffisamment claires pour qu'il y ait sanction. Et, en ce sens, quand je dis qu'il dessert... à ce moment-là, ne sert pas adéquatement la fonction qu'il occupe, je pense que ces situations-là contribuent à jeter... du moins, à susciter une interrogation quant à la valeur de l'exercice ou même de l'existence de cette institution. Et c'est ce qu'on a vu dans les journaux, c'est ce qu'on a entendu beaucoup dans la population aussi et c'est malheureux.

• (10 h 40) •

Mme Maltais : Si vous permettez. J'ai donné un peu l'argument du commissaire, qui était, et que vous venez de relever, effectivement : il fait la jurisprudence, il est le premier à utiliser ce code, à l'interpréter, puis effectivement il a été rapidement plongé dans des situations de conflit d'éthique.

Maintenant, par contre, je vous ferais remarquer qu'avant nous n'étions pas dans le néant, la loi de l'Assemblée nationale existait et il y avait des articles qui concernaient l'éthique des collègues députés et ministres, et ils ont été transférés dans le Code d'éthique, finalement. Aujourd'hui, le président de l'Assemblée nationale, si on l'interpelle, il va dire : Écoutez, ce n'est pas à moi à juger à ça, c'est maintenant au Commissaire à l'éthique à juger de cette situation. Donc, il y a eu un transfert de pouvoirs, mais donc il y avait quand même des règles. Il y avait aussi les règles de conduite des employés des cabinets, qui étaient sous la responsabilité du premier ministre.

Donc, je pense qu'on ne peut pas dire que la matière est totalement neuve. Le code est neuf, mais les règles d'éthique ne viennent pas d'apparaître à l'Assemblée nationale aujourd'hui. Je ne sais pas si vous avez des commentaires là-dessus par rapport à ce que vous venez déjà d'énoncer.

M. Bégin (Luc) : ...très bien la précision que vous faites, effectivement, mais la fonction, elle est neuve, et, à partir du moment où la fonction est neuve, bien, évidemment, la personne a à établir l'interprétation et actualiser cette fonction-là.

Mais, je le répète, je pense que c'est un travail qui est très délicat dans les premières années, mais, en même temps, je pense qu'il faut se mettre au clair quant à la cohérence d'ensemble de cet ensemble-là. Et, je le répète, à partir du moment où on a décidé... et ce n'était pas une position que je trouvais souhaitable, personnellement, mais, à partir du moment où on a décidé d'inscrire ces valeurs dans le code de déontologie et de considérer à partir de l'article 92 qu'on peut faire enquête pour déterminer si un député a commis un manquement aux règles déontologiques ou aux valeurs de l'Assemblée nationale, bien, à ce moment-là, il faut agir en cohérence avec ce qui a été décidé.

Mme Maltais : Je comprends aussi que vous dites : Si un manquement aux règles déontologiques encourt une sanction mais qu'on sent que, quand il s'agit de valeurs et que c'est affirmé qu'il y a un manquement aux valeurs, il n'y a pas de sanction, il y a donc un message envoyé aux députés de l'Assemblée nationale : Suivez votre code, mais, si vous avez un manquement aux valeurs, c'est moins grave. C'est ce que vous semblez dire.

M. Bégin (Luc) : Pour moi, c'est très clair, là, dans la situation actuelle. Et c'est un message qui est malheureux, parce qu'on ramène, encore une fois, l'ensemble de ce qui est véritablement préoccupant. Ce sont les règles déontologiques. Ce sont les règles déontologiques. Et, dans la mesure où on se tient dans le cadre, je dirais, juridico-légal de ce pour quoi on peut obtenir un avis très clair juridiquement appuyé de la part du commissaire, bien, si on s'en tient à ça, on vient dire, au fond, que les valeurs qui sont celles, donc, de l'Assemblée nationale... Et je rappellerai quand même que ce n'est pas absolument banal, là, les valeurs dont on parle, hein? On parle notamment d'honnêteté. On parle d'honnêteté, de convenance, bon, sincérité et justice. Je veux bien croire que, dans certains cas, c'est plus vague à juger, mais l'honnêteté, c'est quand même quelque chose sur quoi on arrive à s'entendre assez bien.

Donc, est-ce qu'on dit : Bien, ça, dans le fond, on laisse ça à votre jugement personnel, et il n'y aura pas de sanction? Parce que vous dites : Bien, moi, je pense que ça a été... j'ai bien jugé, et c'est tout. Mais alors, à ce moment-là, pourquoi le mettre dans le code, franchement pourquoi, sinon à dire, comme on l'indique à l'article 8, que, dans le fond, les députés reconnaissent que ces valeurs doivent les guider dans la tâche? Je veux bien, mais, si on laisse ça à l'appréciation personnelle totalement, sans autre guide, mais qu'on vient dire en même temps que ça peut être soumis à des sanctions, je pense qu'il y a un problème de cohérence à l'intérieur du code.

Le Président (M. Ouellette) : ...M. Bégin. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : ...M. le Président. Pour combien de temps? Un bloc de?

Le Président (M. Ouellette) : 12 min 30 s.

M. Tanguay : 12 min 30 s. M. Bégin, il y a une chose qui est... puis je vais le verbaliser de cette façon-là, puis, encore une fois, comme on dit parfois dans les films, là, tout rapprochement avec la réalité, là, n'est que fortuit... Puis c'est vrai, là, je veux dire, je ne ferai pas de partisanerie, puis, vous allez voir, même je vais nommer les choses. De part et d'autre, la logique partisane fait en sorte que, quand un de nous, un de nos collègues est sur la sellette pour des allégations, il y a une joute partisane qui s'installe, et ce, de part et d'autre. De part et d'autre, les groupes parlementaires, par définition, par nature, ne laisseront pas passer l'occasion, tous les groupes parlementaires, ce qui est la grosse distinction, je vous dirais, et je vais en nommer deux, entre nous et les autres ordres professionnels. Et moi, je suis membre du Barreau du Québec. Si je fais le... ce n'est pas le cas, mais, si je faisais l'objet d'une enquête, il n'y aurait pas de mes confrères qui alerteraient les médias pour dire : Ah! cet avocat-là, voici, on fait un cercle autour de la tache, on va vérifier, on est sûrs, puis là avec des suppositions, et ainsi de suite. Nous sommes donc dans un contexte où, oui, il y a la déontologie, il y a l'éthique qui doit être constatée dans tous nos gestes à tous les jours mais qui est très rapidement, puis c'est la nature des choses, lancée dans un débat partisan, parlementaire. Et la deuxième distinction fondamentale, c'est que ça a des échos dans les médias. Je veux dire, nous alimentons les médias de ces faits-là : il y a enquête.

Si bien que je vais vous donner un exemple, puis je ne nommerai pas le collègue, parce que ça n'a aucune importance. Vous savez que nous, comme députés, on doit lister tout don de plus de 200 $. Bien, il y a un collègue qui s'était fait offrir un repas et il l'avait listé. Bien, c'est sorti public, évidemment, c'est un registre public. Et là il y a un article de journal, il y avait du millage qui a été fait, du millage partisan là-dessus. Ce n'est pas un collègue de notre formation, alors vous voyez que... Et, à la limite, je vous dirais que je le déplore, parce que c'est justement l'objectif : déclarer, comme député, si vous avez reçu quelque chose qui est de plus de 200 $. Il l'a fait, et là ça a été l'article de journal, il a du se dépêtrer, il n'y a pas passé un bon 24 heures, alors qu'il avait respecté les règles, et là c'était la question : Bien, qu'est-ce qui est sous-entendu derrière ça?

Alors, c'est la logique dans laquelle nous sommes, où je crois qu'on pourrait, et je veux vous entendre là-dessus... ce n'est pas une affirmation, c'est une hypothèse que j'émets, on pourrait avoir les institutions que l'on veut, fusionner le Commissaire au lobbyisme, le Commissaire à l'éthique, avoir le jurisconsulte à côté, mais ne gagnerions-nous pas collectivement à prendre conscience du fait que, oui, à toutes les fois où un des 125 députés, peu importe le parti politique, fera l'objet d'enquête ou quoi que ce soit, il y aura nécessairement une récupération très féroce, partisane, de un, et il y aura nécessairement un écho qui sera fait dans les médias, de deux? Et, de trois, on boucle la boucle. On a un commissaire qui, jusqu'à maintenant, puis je ne juge pas, a toujours dit : Bien, il y a eu suffisamment de publicité, oui, le collègue a mal agi, il y a eu suffisamment de mauvaise publicité que je n'irai pas en plus en rajouter et soumettre une sanction en vertu de l'article 99. Sa cour est pleine, il a suffisamment payé.

Alors, voyez-vous, c'est ça le noeud, le coeur du problème, où peut-être que... je lance l'idée, peut-être que, nous, y voyez-vous peut-être l'avantage et la possibilité, comme parlementaires, d'être peut-être, les 125, un peu plus sereins, responsables et pas trop vites pour manger notre prochain qui fait peut-être, oui, l'objet d'une vérification, et se garder une réserve. Comment on pourrait l'inspirer, cette réserve-là nécessaire, parce que partisanerie et éthique, là, ne vont pas de pair, on s'entend?

• (10 h 50) •

M. Bégin (Luc) : Je suis très heureux de vous entendre dire que partisanerie et éthique ne vont pas de pair et là je vais dire quelque chose de très gros, là, mais vraiment mais qui va dans le sens de ce que vous dites : Parfois... mais c'est une interrogation, là, je n'affirme pas, O.K., soyons bien clairs, là, c'est le chercheur qui réfléchit tout haut, avec tout ce que ça implique, et on a l'habitude de partager nos réflexions, mais ce n'est qu'une réflexion, je me demande parfois si la logique du politique est compatible avec la logique de l'éthique, aussi clairement.

C'est une interrogation, mais une interrogation très sérieuse, très, très sérieuse. Non pas que le politique et là que les individus ne puissent pas être des personnes à l'éthique irréprochable, ce n'est surtout pas ça que je dis, mais que la logique même de nos institutions politiques, de notre institution politique, notre façon de faire les débats, notre façon de médiatiser, notre façon de nous rapporter aux événements est quelque chose qui est bien souvent, et je le questionne, en porte-à-faux avec une logique qui serait véritablement d'ordre éthique. Et on essaie de mettre l'un et l'autre ensemble. On force quelque chose qui n'est pas tout à fait naturel. Bon, ça, c'est plus qu'une question, c'est... un ensemble de questions que d'affirmations.

Dans l'ordre de l'affirmation maintenant, je pense qu'on n'a pas beaucoup, collectivement... et c'est normal aussi, on n'a pas beaucoup de maturité au plan du débat sur des questions d'ordre éthique. C'est relativement nouveau qu'on soit dans cette dimension-là du débat. On n'a pas beaucoup de maturité, et ça vaut autant pour les médias que pour les personnes qui sont les premières concernées et pour la manière dont la joute parlementaire va se jouer. Et ça, c'est un problème manifeste. Maintenant, est-ce qu'il est possible d'en arriver progressivement à développer cette maturité-là? Est-ce qu'il y a des moyens d'y arriver? J'aimerais bien vous arriver avec une solution très claire et dire : Voici les étapes à suivre, voici les étapes à suivre. Mais je pense que, si on regarde... même si la question est différente, le milieu est différent, si on regarde la façon dont la question du lobbyisme s'est développée depuis une dizaine d'années, je pense qu'on peut quand même être modérément optimistes quant à notre capacité, progressivement, de traiter de ces questions-là sereinement.

Quand vous me dites : Bon, le collègue, par exemple, bon, qui a déclaré un don de plus de 200 $, c'est la procédure normale, il a fait exactement ce qu'il avait à faire, je pense que devra venir un certain moment où les médias, devant une situation comme celle-là, n'auront tout simplement pas à se préoccuper de la nouvelle, parce qu'il n'y a là rien de particulièrement intéressant publiquement, dans la mesure où on suit la procédure, on regarde ce qu'il en est, et voici. C'est simple. Mais, pour des cas plus délicats, plus chargés, là, effectivement, je pense que ce rapport de force va toujours demeurer, et c'est normal.

M. Tanguay : Il y a... et c'est bon, ce que vous dites, puis vous dites : Bon, malheureusement, vous nous dites que vous n'avez pas la solution, là, a plus b égalent c, là, de l'application de ça, mais ça participe quand même, je pense, du sain débat que nous avons quant à d'éventuelles bonifications de notre Code d'éthique, et ce que vous apportez comme éclairage nous aide, je pense, à réfléchir.

Il y a, par exemple, puis là je pense tout haut, il y a, par exemple, en vertu de notre règlement de l'Assemblée nationale, des interdits, je le dirais comme ça. Peut-être que le mot est trop fort, mais c'est quand même interdit. En vertu de l'article 35, on ne peut pas référer, par exemple, à une cause qui est pendante devant un tribunal, on ne peut pas poser de question là-dessus, ce n'est pas un sujet qui est reçu. Et on peut attaquer la conduite d'un collègue en vertu de l'article 315 et suivants : si tu veux attaquer la conduite d'un collègue, tu le fais formellement, et, si d'aventure on se rend compte que l'attaque ou la contestation du comportement n'était pas justifiée — 323 — il pourrait y avoir des conséquences contre la personne qui aurait inutilement, en bout de piste, attaqué la conduite d'un collègue.

Il y aurait peut-être là une réflexion, puis je lance l'idée, où, lorsque l'institution qui est le commissaire affirme qu'il s'est saisi d'une question, qu'il y ait de facto, en vertu de notre règlement, aussi une certaine réserve, un laisser-faire également, c'est le respect que l'on accorde à un commissaire qui serait nommé par, évidemment, les deux tiers... un commissaire qui regrouperait les deux chapeaux nommé par les deux tiers de l'Assemblée nationale. Il y a nécessairement un devoir de réserve. Et, ce faisant, je pense, là, on est en amont. Si le politique, durant la période des questions et durant les scrums, les mêlées de presse et les conférences de presse, si le politique applique une certaine réserve, je pense qu'il en découlerait aussi une couverture médiatique qui serait plus sereine et à partir de laquelle on pourrait tous en bénéficier, parce qu'ultimement peut-être qu'on aurait, évidemment, une institution qui dirait : Bien, le débat s'est fait de façon sereine. Oui, il y a eu une publicité minimale quant à l'enquête que j'ai menée. Il a ou elle a mal agi, et donc je me dois d'appliquer une sanction en vertu de 99. La sanction n'a pas eu lieu au niveau réputationnel en faisant...

Alors, peut-être que, nous, puis je lance la réflexion, il serait de bon ton de nous limiter lorsque l'institution affirme qu'elle s'est saisie... parce que, là, de part et d'autre, il s'agit d'un débat qui est purement partisan, et qui fait les manchettes, et qui fait vendre de la copie, qui augmente les auditoires, et je vous dirais que, comme députés à l'Assemblée nationale, les 125, on aura toujours ce réflexe-là, de manger du prochain pour compter des points politiques. Et on a eu chacun nos périodes où nous étions sur la défensive et/ou nous étions à l'attaque. Et, encore une fois, là, on dessert l'éthique. Puis savez-vous quoi?, en bout de piste, je pense, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, je pense que les citoyennes et citoyens, là, quand ils nous regardent agir de cette façon-là... pas sûr que nous avons nos meilleures heures à leurs yeux. Et, en ce sens-là, je pense qu'on y gagnerait tous collectivement. Je ne sais pas si vous avez une réflexion quant à cet effet-là.

Le Président (M. Ouellette) : ...1 min 30 s, M. Bégin.

M. Bégin (Luc) : Pardon?

Le Président (M. Ouellette) : 1 min 30 s pour votre réflexion sur celle-là.

M. Bégin (Luc) : O.K. Bien, ce sera plus court que 1 min 30 s. Non, je n'ai pas une très grande réflexion là-dessus, si ce n'est qu'une forme de contrôle, je pense, des élus entre eux peut être effectivement une bonne chose. Maintenant, je ne me fais pas tellement d'illusions de ce côté-là, honnêtement, je ne me fais pas tellement d'illusions, parce que je pense qu'il y a des situations où la partisanerie nécessairement reprend le dessus et de façon très importante. C'est assez normal aussi, quelque part, mais, en même temps, il est clair que, oui, il faut bien se rendre compte qu'aux yeux de la population parfois ça lance une image qui n'est pas la plus glorieuse de la fonction de député.

M. Tanguay : Et, juste pour clore là-dessus, puis je terminerai mon bloc là-dessus, j'étais de ceux qui... à l'interne, on se faisait une réflexion en vertu de l'article 35.3°, M. le Président, quand on dit : «Paroles interdites [...] propos non parlementaires. Le député qui a la parole ne peut[...] — ça, c'est en toutes circonstances — parler d'une affaire qui est devant les tribunaux [...] un organisme quasi judiciaire, ou qui fait l'objet d'une enquête...» «Enquête», à lire «Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme».

Alors, on pourrait peut-être bonifier notre jurisprudence ou y faire une référence. C'est la réflexion personnelle, M. le Président, que je fais tout haut. Autrement dit, il ne faut pas perdre espoir sur la capacité de nous, les parlementaires, collectivement, unanimement, donner des règles qui vont nous restreindre et apporter... ou élever le débat, apporter une certaine sérénité quand l'on sait, évidemment, que les vérifications se font, que les enquêtes se font.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de LaFontaine. M. le député de Deux-Montagnes, 15 minutes.

M. Charette : ...M. le Président, M. Bégin. Un plaisir de vous recevoir ce matin. C'est d'autant plus intéressant que vous avez participé à l'élaboration de la première mouture du Code d'éthique il y a quelques années maintenant.

Première question relativement simple. Donc, vous aviez participé aux consultations, oui, il y a quelques années. Un code d'éthique a été retenu, par la suite. Quelle est votre appréciation générale du Code d'éthique adopté il y a plus de cinq ans maintenant? Est-ce qu'il se compare avantageusement à d'autres codes d'éthique semblables, là, dans d'autres législatures? Est-ce que c'est une comparaison que vous avez pu faire, de votre côté?

M. Bégin (Luc) : Honnêtement, ce n'est pas une comparaison que j'ai faite de façon très instruite et très approfondie, mais je dirai que, oui, dans l'ensemble, très clairement, c'est un code... Moi, je préfère l'appeler code de déontologie. Je garde le deuxième terme plutôt que le premier, parce que c'est davantage sa nature que d'être un code d'éthique, mais, oui, je pense qu'il est globalement très intéressant. Et je pense que beaucoup des recommandations qui ont été déposées dans le rapport du commissaire permettraient de bonifier le code suite aux expériences, donc, qui ont eu cours pendant les premières années, là, d'existence du code. C'est un bon code globalement, oui.

M. Charette : Donc, nous avons entre les mains un code qui se vaut, qui a sa valeur.

Maintenant, peut-être un petit peu plus... Et c'est des questions qui ont été soulevées, dans une certaine mesure, par mes collègues. Oui, le code a sa valeur, mais quelle est l'utilisation que nous en avons faite au cours des dernières années? C'est peut-être là où l'expérience est plus décevante. Est-ce que c'est ce que je dois comprendre de vos propos?

• (11 heures) •

M. Bégin (Luc) : L'utilisation qui en a été faite... Non, en fait. Bon, je constate dans le rapport du commissaire qu'il y a eu notamment de nombreuses demandes d'avis. Je pense que les élus ont été très attentifs à ce qui est inscrit dans le code, de manière à s'assurer justement de respecter ces devoirs, ces obligations qu'on y trouve en différentes matières. Je pense que le code a fait son chemin parmi les membres de l'Assemblée nationale et qu'il a rempli certains de ses objectifs.

Mon jugement plus critique, comme je le disais, est plus globalement en ce qui concerne l'articulation ou la coordination entre ce code, cette institution et d'autres institutions. Est-ce qu'on est capable par là, véritablement, de s'assurer de réponses cohérentes vis-à-vis les différentes situations touchant l'éthique publique, tout simplement? Et je trouve qu'à l'heure actuelle, même si on a quelque chose d'intéressant ici, on est encore et toujours dans une perspective de silos : on s'adresse aux élus sur un certain type de question, on s'adresse aux lobbyistes sur un certain type de question, on s'adresse encore aux élus avec le Directeur général des élections. Bon. On a des institutions comme celles-là mais qui travaillent en parallèle les unes par rapport aux autres.

Même si on a un article dans le Code d'éthique et de déontologie qui prévoit qu'il y a des possibilités de coordination entre le commissaire et d'autres instances, ces coordinations-là n'ont pas eu lieu. Et, moi, là-dessus, mon grand problème, il est vraiment de ce côté-là. Est-ce qu'il ne serait pas temps, compte tenu de la relative maturité de certaines de nos institutions d'encadrement de l'éthique publique, de penser à conduire des travaux visant à garantir une meilleure coordination de l'ensemble de ces intervenants, passant notamment par la fusion de certains d'entre eux? Oui.

M. Charette : On va y revenir, sans doute, dans quelques instants. Il est déjà proposé, effectivement, de fusionner, bon, ce qui touche au lobbyisme avec l'éthique. Est-ce qu'il y a d'autres regroupements plus globaux ou plus larges qui pourraient être envisagés? Ou si non, la collaboration que vous préconisez, quelle forme pourrait-elle prendre dans le Code d'éthique lui-même? Parce qu'elle est déjà permise, on s'entend, cette collaboration-là. On ne l'a, malheureusement, pas exploitée, mais elle est permise.

Dans cette nouvelle mouture qu'on s'apprête à travailler, quelle forme que ça pourrait prendre plus précisément?

M. Bégin (Luc) : Bien là, ce qu'on aurait, notamment, c'est... bon, en fait, il y a plus d'une possibilité. Si on pense à la création d'une nouvelle institution qui regroupe le Commissaire à l'éthique et à la déontologie et le Commissaire au lobbyisme, à ce moment-là on n'est plus dans l'ordre de la collaboration, on crée une entité qui a un mandat plus large et, dans le fond, qui regroupe les ressources de l'une et l'autre de ces institutions-là et qui, d'emblée, s'assurera d'une évidente meilleure coordination des actions, des enquêtes, des formations, et ainsi de suite. Donc, ça, je pense qu'il y a déjà là un gain réel qui peut être accompli dans ce type de fusion qu'on peut opérer.

L'autre chose, avec le type de proposition qu'on a lancé dans notre article, des collègues et moi, on suggérait notamment de créer un comité permanent d'éthique et de gouvernance publique, sous l'égide de l'Assemblée nationale, qui verrait notamment à s'assurer de la cohérence, de la complémentarité et de la collaboration des institutions concernées, et ce comité-là serait formé des autorités gardiennes de l'éthique publique. Autrement dit, il y aurait une structure, d'emblée, de coordination entre les institutions qui voit à l'encadrement de l'éthique publique.

Présentement, on travaille avec une possibilité de coordination mais sur base volontaire. Je pense qu'il est dans la nature des institutions d'être très jalouses de leur autonomie et de leur capacité à gérer elles-mêmes et à remplir elles-mêmes les mandats qui sont les leurs, c'est dans la nature de toute institution, si bien que la coordination, la coopération n'est pas spontanément recherchée. Si on crée une instance comme celle-là, on force cette coordination et cette coopération-là. Si, en plus, on fusionne certaines de ces institutions, alors, à ce moment-là, on vient de régler une partie du problème de la coordination.

M. Charette : On n'est certainement pas contre la collaboration en question.

Il y a une question qui, dans les circonstances, me vient à l'esprit. On a vu, au cours des dernières années, le Commissaire au lobbyisme versus celui à l'éthique... ont adopté, tous les deux, en fait, des approches relativement différentes. On a un commissaire au lobbyisme pour qui le pouvoir de sanction semble s'être mieux concrétisé, on voit régulièrement des sanctions ou des avis de blâme qui sont adressés, alors que le Commissaire à l'éthique, lui, a retenu davantage une approche pédagogique, je vous dirais, ce qui a pu en décevoir certains.

Comment, si on devait réunir ces deux fonctions-là, on pourrait justement arriver à un certain équilibre entre la pédagogie et la sanction? Parce que plusieurs vous l'avaient aussi évoqué, auraient peut-être souhaité des dents un petit peu plus acérées dans le cas du Commissaire à l'éthique par rapport à certaines des situations qui lui ont été soumises.

M. Bégin (Luc) : Il est assez difficile de... Bon, si on regarde, par exemple, encore une fois, l'historique du Commissaire au lobbyisme, dans un premier temps, comme je le soulignais tout à l'heure, ça a été davantage une fonction de sensibilisation, formation, c'est surtout là-dessus que l'accent a été mis dans les premières années. Maintenant, il y a quelque chose de différent parce qu'il y a une certaine maturité de l'institution. Est-ce qu'il arrivera la même chose avec le Commissaire à l'éthique et à la déontologie? Je ne le sais pas. Je ne le sais pas. Mais, si on fusionne l'un et l'autre, à ce moment-là je pense... Et je pense que, dans une dynamique plus large de concertation des institutions d'encadrement de l'éthique publique, c'est là que devraient opérer cette discussion et ce travail de définition plus claire de la manière d'assurer la fonction de surveillance, d'enquête et de sanction. C'est quelque chose qui ne peut pas être établi, je dirais... on ne peut pas commander au commissaire d'être davantage ou d'être moins... Par contre, par l'association de l'ensemble de ces organismes-là, de ces institutions-là, je pense qu'inévitablement il y a une forme de culture plus globale de la manière de se rapporter à la fonction d'enquête et sanction qui pourrait en ressortir, et plus cohérente.

M. Charette : Dans la même veine, vous évoquez le parcours du Commissaire au lobbyisme, dans un premier temps, qui a effectivement développé une pratique de pédagogie, pour ensuite en arriver là où il est aujourd'hui. Vous avez aussi mentionné qu'on ne sait pas si c'est le même parcours que retiendra le Commissaire à l'éthique.

Sans le savoir, est-ce qu'on peut le souhaiter, est-ce qu'on peut... et je ne veux pas vous faire dire ou... mais est-ce qu'on peut souhaiter qu'on en vienne à... et le mot «durcissement» n'est certainement pas non plus le bon, mais est-ce qu'on peut souhaiter que l'apprentissage vécu par le Commissaire au lobbyisme devienne celui du Commissaire à l'éthique également?

M. Bégin (Luc) : J'aurais tendance à dire : Jusqu'à un certain point, oui, jusqu'à un certain point, c'est-à-dire que l'ensemble des fonctions qui relèvent de son mandat soient assumées en totalité, ce qui, pour le cas, demeure un peu... enfin, ce qui n'est pas tout à fait le cas à l'heure actuelle, tout simplement. Maintenant, quant au degré de sévérité, je pense, encore une fois, que c'est quelque chose qui a à faire objet d'une plus grande concertation entre nos institutions d'encadrement.

M. Charette : Et, cela dit, M. le Président, je comprends la frustration partagée par notre collègue de LaFontaine, parce que c'est vrai qu'au niveau médiatique les échos ne rendent pas justice à la valeur du code en question, mais a priori, lorsqu'on a d'autres cas qui sont aussi largement médiatisés mais qui laissent entendre... et il y a peut-être des raisons, mais qui laissent entendre que la pédagogie est priorisée ou valorisée, c'est là où dans la population on vient à se questionner sur la valeur de ce code-là. Je ne peux pas nommer personne, mais, si on se fie à une décision encore toute récente du Commissaire à l'éthique où clairement il semblait y avoir eu faute, sans juger de la gravité de la faute, la réponse donnée par le commissaire, c'est que, bon, la personne a agi en toute bonne foi, sans connaître véritablement les tenants et les aboutissants du code. Bref, comme commissaire, ce qu'il a jugé bon de faire, c'est d'informer le titulaire de la charge publique en question, et ça s'est arrêté là.

Mais dans la population, lorsque l'on lit ceci ou lorsque l'on entend qu'il n'y a pas davantage de conséquences aux manquements à l'éthique... et je ne veux nullement remettre en question la bonne foi de la personne en question, là, ce n'est pas du tout l'intention, mais dans la population on vient à se demander si la mentalité ou les mentalités ont véritablement changé dans le sens que l'Assemblée nationale s'était engagée à le faire, et c'est là où on est encore jugés très sévèrement par rapport aux outils dont on s'est dotés.

• (11 h 10) •

Le Président (M. Merlini) : 1 min 30 s, M. Bégin. 1 min 30 s.

M. Bégin (Luc) : Très bien. Merci. Je reviendrai sur la... parce que vous le soulevez également, ça a été soulevé précédemment, sur le fait que le député aurait déjà assez payé publiquement.

Je rappellerai qu'il y a un autre effet aussi en retour, c'est-à-dire que le fait que le commissaire décide de ne pas imposer de sanction permet aussi de tenir le discours partisan tout à fait inverse, à savoir que la personne est totalement blanchie par le commissaire. Alors, on se maintient dans une logique, au fond, où ce qui devrait être ne se produit pas et ne se produit pas pour les bonnes raisons. On est dans une situation finalement qui n'est pas très avantageuse. Et, je voudrais souligner, je rappelle la... C'est parce qu'on a parlé de formation, sensibilisation. Je pense que, vraisemblablement, les membres de l'Assemblée nationale ont accès à des informations tout à fait valables notamment par des avis sur le Code d'éthique et de déontologie. Je ne suis pas sûr qu'il y ait, par ailleurs, véritablement, des formations sur la manière de penser un peu plus globalement l'ensemble de cet outil-là et ce que ça représente, l'ensemble de l'institution.

Et je reviens simplement sur la recommandation 18 du rapport, qui suggère qu'il y ait au moins une formation dans les six mois du début des mandats, là, des membres. Je pense que c'est un minimum.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Bégin. M. le député de Deux-Montagnes, merci pour votre échange. Avant de poursuivre avec le gouvernement, j'aimerais demander le consentement des membres pour poursuivre nos travaux, puisque nous avons commencé quelques minutes en retard. Alors, on parle de peut-être cinq, six minutes passé 11 h 30. Est-ce que j'ai votre consentement?

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Alors, à vous, M. le député de LaFontaine, pour votre prochain bloc d'intervention, 12 min 30 s.

M. Tanguay : Merci beaucoup. L'importance de la formation, je pense que vous l'avez bien ciblée, et ça ne s'applique pas uniquement, je crois, aux élus, ça s'applique également aux membres... évidemment, aux ministres, aux députés, mais aux membres des cabinets et aux membres des bureaux de comté. Et ça, je dirais, puis je le souligne, je dirais qu'on pourrait mieux faire. On pourrait beaucoup mieux faire de façon systématique pour qu'idéalement, sur une période d'une année, on ait couvert tous les sujets, que ce soit au niveau des dons, au niveau de différentes décisions, au niveau du lobbyisme, de couvrir tous les sujets avec les élus, évidemment incluant les ministres, les membres des cabinets et les membres des bureaux de comté.

Dans une vie antérieure, j'étais directeur de la conformité, et, ultimement, lorsqu'il n'y avait pas de règle très précise... et Dieu sait qu'en matière d'éthique, je veux dire, si tu fais un pas de côté, tu es mort, il n'y a pas de demi-mesure en termes de perception, en termes de réputation, ultimement, il y avait la règle de dire : Bon, bien, ce que tu vas faire, si c'était dans le journal demain matin, est-ce que tu serais à l'aise? Puis, si tu n'es pas à l'aise, pose-toi la question, puis peut-être tu serais mieux de ne pas le faire. Alors, on se rabat dans mon coin, avec les gens avec qui je travaille, au bureau de comté. Des fois, il y a des questions : Comment on pourrait agir? Bien, si demain matin c'est dans le journal, là est-ce que tu es parfaitement à l'aise? Si la réponse est oui, on va y aller. Si non, si tu as des doutes, on va creuser, on va aller plus loin puis on va faire ça de façon différente.

Vous parliez donc d'une éventuelle fusion Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme et la nécessaire éducation. Est-ce que... puis là je fais écho à l'article 87 de notre Code d'éthique et de déontologie, vous en faisiez référence le 10 juin 2009 dernier lorsque vous dites que l'on peut demander conseil au Commissaire à l'éthique, mais, article 87, deuxième paragraphe... ou alinéa deux, le Commissaire à l'éthique peut dire : Oui. Ah! O.K., venez me voir, vous me demandez conseil par rapport à ça, ça, ça, O.K., d'accord, et ça peut déclencher une enquête, et là il y a comme un élément dissuasif. Donc, au-delà de la fusion commissaires à l'éthique et lobbyisme, diriez-vous qu'il faudrait aussi donc se sortir de la logique de 87, ne pas demander conseil à la même entité, peut-être au jurisconsulte?

Mais là il faudrait... puis j'aimerais vous entendre là-dessus, si d'aventure vous abondez, dans un premier temps, dans cette logique-là, de donner la fonction d'éducation et de conseil exclusivement au jurisconsulte, il faudrait évidemment que le jurisconsulte et le supercommissaire, appelons-le comme ça, puissent être à la même page pour que le conseil colle à la réalité de ce qui pourrait s'en venir comme sanction, qu'il y ait une jurisprudence à étayer, des guides d'interprétation, et ainsi de suite. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Bégin (Luc) : Là-dessus, ma proposition serait d'envisager de manière distincte le conseil et l'avis.

Comme je le mentionnais, le commissaire parle de conseils et d'avis en titre général dans son rapport mais, dans les faits, ne mentionne que des avis. L'avis a une teneur juridique. L'avis permet notamment, et c'est 88, hein : Un député est réputé n'avoir commis aucun manquement au présent code s'il a antérieurement fait une demande d'avis au commissaire et si l'avis conclut que l'acte ou l'omission n'enfreint pas le présent code. Donc, il y a là, dans le fait d'aller chercher un avis et d'obtenir un avis, une protection qui s'ensuit pour le député, et, en ce sens, ce mécanisme-là m'apparaît tout à fait adéquat, c'est un bon mécanisme.

Maintenant, on peut envisager le conseil comme étant quelque chose de distinct de l'avis, et le conseil ne liant pas au plan juridique. On va te demander conseil. C'est qu'à ce moment-là, probablement avant même d'en arriver à la situation pour laquelle on sent le besoin d'obtenir un avis parce que peut-être on sent qu'on est un peu dans l'eau chaude... Si on demande un avis... c'est souvent après le fait qu'on a besoin de se rassurer — pas toujours, mais souvent. Le conseil, c'est de développer, dans le fond, ce réflexe : avant de s'informer sur certaines choses, de parler de situations plus globales avec quelqu'un sous le sceau de la confidentialité et d'avoir, à ce moment-là, de premières lumières sur l'ensemble de la situation. Ce n'est pas un avis, ça ne se prétend pas tel, mais ça peut aider drôlement notamment sur la question des valeurs, notamment sur l'articulation entre des normes ou règles qui relèvent du lobbyisme ou qui relèvent du Code d'éthique et de déontologie, sur des questions parfois plus générales.

Quand vous disiez, avec votre comité, donc, de comté : Le réflexe à développer... bien, oui, effectivement, c'est le genre de chose qui devrait faire partie de formations véritables assurées par une instance distincte du commissaire à l'éthique et au lobbyisme, distincte, de manière à aider, je dirais, ce développement du sain réflexe, savoir quoi faire, le plus rapidement possible, pour éviter de se mettre dans des complications, le plus tôt possible. Ça suppose avoir intégré très rapidement dans nos réflexes une préoccupation pour le volet éthique et déontologique de notre rôle.

M. Tanguay : Peut-être, un peu comme un réflexe de survie, je vais quand même poser la question, puis je suis sûr que, dans quelques mois ou quelques années, des collègues s'y référeront : Si d'aventure vous étiez le supercommissaire, et que je fais l'objet d'un avis ou d'une vérification, et que j'avais demandé conseil, est-ce que ça pourrait être une circonstance atténuante que j'aie demandé conseil et qu'on m'ait dit : Ça a l'air correct, mais que ça débouche néanmoins à une enquête? Croyez-vous qu'il serait justifié pour moi de plaider : Bien, c'est une circonstance atténuante, j'ai demandé conseil, puis on m'a dit que je pouvais y aller, ne soyez pas déraisonnable dans votre analyse?

Est-ce que c'est une circonstance atténuante, à ce moment-là? Est-ce qu'on pourrait le plaider?

M. Bégin (Luc) : Je dirais oui, mais ça voudrait dire que le conseil a été mal donné, au sens où la fonction conseil devrait notamment pouvoir signifier que le conseiller dit au député : Là où vous en êtes, allez chercher un avis, tout simplement.

• (11 h 20) •

M. Tanguay : Et, aujourd'hui, je pense, c'est tellement pertinent, ce que vous dites là, la logique dans laquelle nous sommes, vous le savez. Puis je vais donner un exemple tangible : dans un débat — puis je ne fais pas de partisanerie — où on parlait beaucoup de fiducie avec ou sans droit de regard, on a eu d'abord, en février 2014, une note d'information du Commissaire à l'éthique qui disait certaines choses qu'il y avait place à interprétation, et, le 10 mars 2015, il y avait eu un conseil qui avait été demandé, à ce moment-là, au jurisconsulte qui précisait certaines choses. Tout dépendamment du débat partisan, on pouvait y voir une contradiction, une complémentarité, mais là il y avait, en quelque sorte, en bout de piste, deux avis rendus publics, deux documents. Alors, je pense qu'il y a là... et ce à quoi je fais référence, effectivement, c'est faire en sorte que l'entité — et je vois la distinction faite entre conseil et avis, mais, l'entité qui donnerait les conseils, il faudrait nécessairement que vous parliez du danger de travailler en vase clos — soit minimalement synchronisée en termes de jurisprudence, d'interprétation. Et ça, je crois qu'à l'heure actuelle le corpus, là... vous dites qu'il ne faut pas tout codifier, mais la jurisprudence, les notes explicatives, les notes d'information ne sont pas suffisamment étayées, parce qu'il y a place à interprétation, force est de le constater.

Donc, je pense qu'il devrait y avoir, et j'aimerais vous entendre là-dessus, un mécanisme qui fait en sorte que les deux entités, celle de conseil et celle d'avis et enquête, soient à la même page sur des questions fondamentales, à tout le moins.

M. Bégin (Luc) : Bien, en tout cas, certainement sur des questions qui devraient conduire précisément le conseiller, que ce soit le jurisconsulte ou un autre, à dire au député : Le seul conseil que j'ai à vous donner, c'est d'aller chercher l'avis là pour... parce que ça ne relève plus de mes compétences, là où vous en êtes rendu par rapport aux actes qui ont été posés ou ce qu'il en est de votre situation actuelle. Et ça, ça suppose évidemment une forme de coordination bien claire entre les deux instances, mais toujours préservant, bien entendu, la confidentialité des informations, et ainsi de suite. Ça, pour moi, c'est très clair. Mais je crois qu'il est possible de penser ce type de relation là d'une façon adéquate, tout à fait.

M. Tanguay : Donc, avis, conseil, Commissaire à l'éthique, article 87 : on sort le conseil, par exemple, on le donne au jurisconsulte...

Une voix : ...

M. Tanguay : ...bonifié, c'est ça, à la lumière de tout ce qu'on vient de dire. Maintenant, avis, conseil de 87 qui pouvait déboucher sur enquête, vous disiez en 2009 : Faites attention, je demande conseil, puis ça peut déboucher à une enquête, peut-être que je vais me réfréner à demander conseil. On le sort.

Maintenant, demander un avis pourrait néanmoins, en vertu de 87, déboucher sur une enquête. Là, êtes-vous d'accord que ça pourrait coexister? Parce que, avis, conseil, vous disiez, ça ne devrait pas coexister et déboucher sur une enquête. Mais conseil séparé, avis et enquête? Avis et enquête, oui, ça, ils peuvent coexister.

M. Bégin (Luc) : Je maintiendrais la coexistence d'avis et enquête, effectivement, encore là, dans la mesure précisément où il est déjà prévu que l'avis offre une garantie au député, dans la mesure où les faits ont été présentés de façon exacte et complète, donc. Et, en ce sens-là, on ne s'attend pas à ce que ça débouche sur une enquête, mais qu'il pourrait effectivement arriver des situations. Ça, je vois bien que le pouvoir d'enquête du commissaire demeure, bien entendu, mais le conseil, c'est autre chose. On en fait autre chose.

Le Président (M. Merlini) : 1 min 30 s, M. le député.

M. Tanguay : Une minute. Détrompez-moi si j'ai tort, mais, au niveau de la mécanique, même de façon un peu plus élevée au niveau des conflits d'intérêts, la recommandation 23, quant à la nature et l'ampleur, avez-vous fait une réflexion là-dessus? Ma perception était que vous n'aviez pas particulièrement, dans votre mémoire, pointé là-dessus.

Est-ce qu'au-delà de tous les pare-feux, murailles de Chine il y a un questionnement à se faire quant à... même s'il y a une fiducie sans droit de regard, une réflexion à se faire en vertu de la recommandation 23, quant à la nature et l'ampleur des intérêts possédés? Avez-vous une réflexion là-dessus?

M. Bégin (Luc) : En fait, je n'ai pas une réflexion experte sur cette question-là, mais je pense qu'effectivement il y a une réflexion à faire. C'est-à-dire qu'il sera toujours avantageux, je pense, pour les élus et pour ceux qui veulent le devenir...et, en ce sens-là, je pense que la première recommandation du rapport est de pouvoir donner des avis aussi à des personnes avant, et ça, je pense que c'est très précieux parce qu'on évite que des individus se retrouvent dans des situations tout à fait malheureuses à partir du moment où ils sont élus, alors que, s'ils en avaient été avisés au point de départ, peut-être qu'ils auraient pris une autre décision, de ne pas s'engager. Ou, s'ils s'engagent, ils s'engagent en sachant très bien ce que ça implique. Ça, pour moi, c'est très précieux comme recommandation.

Et l'autre, comme vous disiez, plus on a d'informations... c'est-à-dire, plus on a été en mesure de baliser les situations possibles pouvant se produire, mieux c'est en termes de prévention, encore une fois, de situation malheureuse.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Bégin.

M. Tanguay : Merci, M. Bégin.

Le Président (M. Merlini) : Mme la députée de Taschereau, la parole est à vous pour le dernier bloc de 11 minutes.

Mme Maltais : Merci. M. Bégin, quelle est la valeur d'un serment pour quelqu'un en éthique, un serment fait, mettons, publiquement devant toute la population du Québec, sur la constitution du Québec?

M. Bégin (Luc) : Bien, je pense qu'on devrait avoir à peu près la même réponse, hein? Un serment est censé engager la personne tout à fait, complètement et entièrement.

Mme Maltais : Vous savez que les députés du Québec font un serment en prenant leurs charges, hein? Je suis la seule qui le sait : Je jure loyauté envers le peuple du Québec et je servirai, à titre de député de — Taschereau, dans mon cas — avec honnêteté et justice, dans le respect de la constitution du Québec.

Jure loyauté au peuple, honnêteté et justice. Donc, ça, ça devrait quasiment être au-dessus des valeurs et du code. Le mot «honnêteté» devient partie fondamentale de la fonction de député. Il n'y a rien, pour moi, qui va au-delà d'un serment au-dessus de la population du Québec. C'est pour ça que, sur le mot «honnêteté», j'écoutais votre propos tout à l'heure qui disait : Écoutez, l'honnêteté... En général, on est capable de juger si quelqu'un a été honnête ou pas, là. Je voulais juste revenir là-dessus, parce que les gens ne savent pas qu'il y a un serment, ils oublient, puis il ne faut pas que les députés l'oublient non plus. Mais je pense qu'en grande majorité ils sont très, très, très conscients de ça.

Moi, il y a quelque chose qui me fatigue, c'est votre idée que le Commissaire à l'éthique et le Commissaire au lobbyisme devraient être la même personne, on devrait fusionner les deux entités, parce qu'ils ne s'adressent pas du tout, du tout, du tout aux mêmes personnes. Moi, j'aime cette idée d'un commissaire à l'éthique qui est vraiment sur les élus, sur les députés, tandis que le Commissaire au lobbyisme surveille aussi ou veille sur le lobbyisme auprès de tout le monde au Québec, auprès de toutes les entreprises, auprès des lobbyistes. Il est vraiment dans un autre monde, pour moi. Je trouve que la fusion... mais je n'en ai pas parlé en caucus, je suis vraiment dans les discussions, là, dans les échanges, d'autant que j'ai pris ça à pied levé, donc je n'ai pas vu ce qui s'est dit avant, mais je vais vous dire mon opinion personnelle, je suis, en paroles, libre, M. le Président, à défaut de vote libre...

Une voix : ...

Mme Maltais : Oui, je le suis souvent. J'aime cette idée que les gens sachent qu'il y a un chien de garde qui est véritablement attaché à la fonction de nos élus. Quand on a fondé la fonction de Commissaire à l'éthique, il y avait un article dont vous parlez, l'article 94, qui permet que tout le monde travaille ensemble. Vous soulignez que ça a été peu utilisé. Savez-vous pourquoi? Avez-vous une opinion là-dessus? Parce que, finalement, si 94 était utilisé, on réglerait pas mal de problèmes.

• (11 h 30) •

M. Bégin (Luc) : On réglerait certains problèmes, effectivement, mais on laisserait ça toujours à chaque fois à l'appréciation des deux commissaires, qui sont concernés. Et, en ce sens-là, maintenir ça sur une base strictement volontariste m'apparaît un peu risqué, parce que... bon, je n'ai pas de réponse très claire à votre question, mais il me semble qu'il y a toujours une forme, intrinsèquement, dans toute institution, une forme de jalousie des prérogatives qui sont les siennes, si bien que la coopération n'est pas naturelle, elle n'est pas naturelle. Et il y a un gain, je pense, réel à faire avec l'idée d'une meilleure coopération, d'une plus grande coordination de ces acteurs-là.

Je comprends bien quand vous dites, et je suis sensible à ça, que pour la population c'est bien de savoir qu'il y a une instance qui est dévouée très précisément pour la surveillance et l'encadrement du travail des élus. Tout à fait d'accord. C'est vrai que c'est un argument qui est intéressant. Mais, personnellement, je trouve que, par rapport au bienfait qu'on peut penser retirer d'une plus grande coordination... je pense que le second l'emporte sur le premier.

Je pense, très clairement, qu'on a tout intérêt à garantir et à améliorer cette coordination-là, ne serait-ce que pour permettre d'éviter que ne se glissent entre les mailles des filets certaines situations qui peuvent difficilement être prises par l'un ou par l'autre des commissaires, compte tenu des limites de leurs mandats respectifs.

Et je vous dirai là-dessus un simple exemple très rapide. L'an dernier, j'ai été appelé par le Vérificateur général à les accompagner dans une vérification qu'ils avaient à faire, alors que je n'ai aucune compétence en juricomptabilité, mais ce qu'on voulait avoir de ma part, c'était le regard d'un expert en éthique publique et organisationnelle pour les aider à regarder sous un angle un peu différent les situations qu'ils devaient enquêter, de manière à pouvoir mettre le doigt sur certains stratagèmes auxquels eux, à partir de leur formation et de leurs préoccupations, n'étaient pas d'emblée formés pour y arriver. Et je donne cet exemple-là, parce que, me semble-t-il, de la même façon, si on rassemble des fonctions comme celles de Commissaire à l'éthique et de commissaire à la... et là j'ai dit «à l'éthique», oui, commissaire à la déontologie et Commissaire au lobbyisme, si on rassemble les deux, me semble-t-il qu'on va s'aider justement à enrichir le regard et les perspectives de manière à ne pas échapper certaines situations qui peuvent échapper à l'heure actuelle.

Mme Maltais : Je comprends, mais ça, ça peut absolument se faire via l'article 94. Par exemple, moi, j'ai demandé récemment, ce qui a été accordé, deux enquêtes, une au Commissaire à l'éthique, une au Commissaire au lobbyisme, sur la situation du ministre des Transports et de son employé. Ils peuvent actuellement utiliser l'article 94 pour faire le travail. Est-ce qu'on aurait dû, par exemple, dire que, dans la demande d'enquête, si les deux enquêtes arrivent en même temps, si c'est sur le même sujet, il y a peut-être un moyen de forcer la collaboration?

Mais je vais vous dire pourquoi ça me fatigue, cette idée de fusionner les deux. Je me souviens d'une fois où le maire de Québec était insatisfait du fait que le Commissaire au lobbyisme ait posé un jugement sur son travail. Nous, ici, on va poser un jugement sur une situation, mais jamais on ne remettra en question, en tout cas je n'ai jamais entendu ça, là, le travail du Commissaire à l'éthique. Pourquoi? Parce qu'on l'a voté et on l'a voté par les deux tiers de l'Assemblée nationale. C'est nous qui l'avons choisi pour qu'il soit notre chien de garde, notre vigile. Alors, ce serait le soumettre automatiquement à une... ce serait amener, pour moi, peut-être une fragilisation de sa fonction, de son rôle, puisque, pour d'autres sujets que les députés, c'est-à-dire les entreprises privées qui travaillent avec des élus... des titulaires de charge publique pourraient avoir eu une enquête du Commissaire au lobbyisme.

Alors, je vous dis, je suis encore attachée à cette fonction, et, en multipliant sa... je vais appeler ça sa clientèle, les gens sur lesquels il a un regard, on multiplie aussi les gens qui peuvent contester, tandis que, là, entre nous, les 125, contester le Commissaire à l'éthique, c'est compliqué, c'est difficile, parce que nous, nous l'avons choisi et nous avons voté ensemble le code à partir duquel il pose des jugements sur nos activités. La personne d'une entreprise privée qui va avoir un commentaire du Commissaire au lobbyisme, elle ne l'a pas élu, elle n'a pas choisi le code d'après lequel elle est jugée. C'est nous qui faisons ça en commission parlementaire.

En tout cas, pour moi, il y a quelque chose de fondamental dans l'institution pour le moment. Je vous dis, je ne suis pas passée en caucus, puis on verra ce que choisit le caucus. C'est dans ce temps-là que notre parole est parfois moins libre, c'est quand on se soumet au conseil d'administration. J'appelle ça le conseil d'administration, le caucus. C'est comme un conseil d'administration : quand la résolution est votée, tu t'en vas dans la résolution, tu la supportes.

Mais j'aimerais ça vous entendre là-dessus, sur ce questionnement que j'ai, moi, par rapport à cette relation directe de : Nous vous avons choisi, nous avons choisi les termes d'après lesquels nous avons une relation, et ça crée une espèce de respect et de ciment autour de l'institution.

Le Président (M. Merlini) : M. Bégin, 1 min 30 s. M. Bégin.

M. Bégin (Luc) : C'est un argument très intéressant auquel je devrai, et je le ferai, réfléchir très sérieusement, parce que ça peut avoir effectivement un poids réel dans une décision comme celle-là. Spontanément, parce que je ne laisse pas tomber le morceau facilement, hein...

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Maltais : Moi non plus, en général.

M. Bégin (Luc) : ... — mais ça, je m'en doute bien — spontanément, je pense quand même que l'idée du regroupement est souhaitable, malgré tout.

En ce qui concerne notamment les reproches pouvant être adressés, par exemple, au Commissaire au lobbyisme, je dirais simplement pour anecdote que... par le maire de Québec, c'est arrivé plus d'une fois. Il y a des gens qui ont davantage de respect pour les institutions que d'autres. Je ferme la parenthèse là-dessus, mais je l'aurai dit quand même. Et, je tiens à le dire, je pense que c'est important d'avoir le plus grand respect pour les institutions qui sont les nôtres, dont on s'est dotés, qu'on soit heureux ou non du travail qui est accompli.

Je maintiens quand même que, non, le regroupement, pour moi, m'apparaît quand même souhaitable, parce qu'au total et en bout de ligne la coordination est essentielle et 94, c'est vraiment insatisfaisant, vraiment insatisfaisant et insuffisant pour y arriver. En tout cas, je pense que l'expérience...

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Bégin, de l'Institut d'éthique appliquée. Je crois que les parlementaires apprécieraient, si vous avez des compléments d'information ou de réflexion... à les soumettre, à ce moment-là, au secrétariat de la commission, qui, lui, s'assurera de les distribuer pour les collègues, le bienfait des collègues et pour alimenter, encore une fois, nos réflexions sur ce qui a été discuté aujourd'hui. Je vous remercie de votre contribution à nos travaux.

La commission suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes, soit vers 15 heures cet après-midi. Bon appétit à tous et merci.

(Suspension de la séance à 11 h 37)

(Reprise à 15 h 55)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques relatives à l'étude du rapport sur la mise en oeuvre du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale. Nous entendrons cet après-midi M. Bernard Keating ainsi que M. René Villemure. D'ailleurs, je souhaite la bienvenue à M. Bernard Keating, qui est professeur associé à l'Université Laval. Je le remercie pour son immense patience. Nous sommes tout près de 50 minutes en retard, mais les prérogatives du mardi, là... Je vous rappelle que, comme je vous l'ai mentionné, vous disposez de 10 minutes pour votre exposé puis nous procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission. Et je vous laisse la parole, M. Keating, en vous remerciant encore pour votre patience.

M. Bernard Keating

M. Keating (Bernard) : Merci. J'espère que j'aurai le temps d'être bref. Écoutez, d'abord, je veux vous remercier de cette invitation. Vous m'associez à des travaux qui sont très importants. La Commission des institutions, c'est une commission, pour moi, qui est vraiment majeure parce qu'elle est liée intrinsèquement à nos institutions démocratiques et au respect, qu'on doit nourrir, de nos institutions démocratiques. Donc, l'adoption de ce Code d'éthique et sa mise en oeuvre correspondent, je pense, à ce travail qui doit générer le respect pour l'institution. Et il suffit de regarder les nouvelles le soir à la télé pour voir le sort des pays dans lesquels les institutions sont discréditées. Donc, c'est une mission très importante.

J'irai de façon très succincte, très schématique. En 10 minutes, on ne peut pas se permettre de longues transitions.

D'abord, je vais risquer de vous dire en cette vénérable Assemblée que je préfère l'expression anglophone pour désigner le code qu'on appelle le code de déontologie, qui est désigné en anglais par le terme «Code of ethics». Et, pour moi, ça expose de façon plus claire le rapport entre l'éthique et ce qu'on appelle, également, la déontologie, c'est-à-dire que la déontologie, c'est la codification d'une éthique substantielle. J'avais eu l'honneur de m'adresser à vous avant la rédaction du code et j'avais insisté sur l'importance d'avoir un code qui soit à la mesure de la tâche, du mandat des députés, et non pas, comme il arrive parfois dans certains milieux, des codes d'éthique qui ne sont que des meilleures pièces, et ça fait la courtepointe, mais, malheureusement, ce n'est pas très pertinent.

Alors, le Code d'éthique, c'est à la fois l'éthique substantielle des députés, c'est la réponse aussi à des exigences sociales qui vous sont adressées et qui nous sont adressées de façon constante. Et, curieusement, je pense simplement à ce débat d'hier entre Clinton et Trump, cette question de la vérité et de la rigueur. Alors, la vérité et la rigueur étaient dans ce rapport, et donc je ne peux que le juger pertinent. Et, quand on voit cette habitude qu'ont prise les journalistes de faire une vérification des faits, ça correspond aussi à cette sensibilité sociale qui s'est accrue.

Donc, le rapport, pour moi, illustre cette préoccupation d'un code qui est appliqué, interprété d'une façon qui est adaptée à la mission qui est la vôtre. Et là je vais parler brièvement des conflits d'intérêts.

• (16 heures) •

La tentation, effectivement, comme je vous disais à l'instant, c'est de faire un certain décalque de l'éthique d'une profession sur une autre. Vous n'êtes pas des professionnels, il y a quelque chose d'un autre ordre, et la situation qui est la vôtre est bien plus complexe que celle du professionnel. Mon expérience est particulièrement en santé. Quand je consulte un professionnel en santé, il a un devoir fiduciaire. Son devoir fiduciaire suppose de porter un jugement appuyé sur un corpus scientifique, et à la fin je vais éventuellement sortir avec une prescription. Le conflit d'intérêts, vous le savez, c'est une interférence en ce jugement professionnel qui pourrait faire en sorte que la prescription soit influencée par certains rapports que pourra avoir eus le médecin avec la compagnie pharmaceutique.

Mais votre rôle est beaucoup plus complexe que ça. Vous n'êtes pas des médecins qui recevez des patients, qui avez un corpus scientifique, mais vous avez une charge, et je pense que c'est très bien expliqué dans le rapport, c'est très juste, où vous vous retrouvez parfois comme ceux qui doivent défendre des intérêts particuliers parce que vous êtes des représentants, des députés qui représentent des citoyens. Ces citoyens peuvent être aussi bien des entrepreneurs, des groupes communautaires, des groupes d'économie sociale. Donc, vous devez donner votre voix. Vous devez également guider le citoyen dans la complexité des programmes de l'État, qui n'a évidemment comme point de comparaison que la complexité des corridors de l'édifice d'en face, le complexe H, lorsqu'on n'y est pas habitué. Donc, on a besoin d'un guide, et souvent vous servez de guides, et de là vient la question : Quand est-ce que je suis un guide et quand est-ce que je suis en train de jouer d'influence sur une décision qui doit être prise par des fonctionnaires, etc.? Et, d'autre part, comme législateurs, vous avez à légiférer en tenant compte du bien commun, et non pas du bien de quelques groupes particuliers. Donc, votre situation est très, très complexe, et vous êtes, en plus, sujets plus que tout autre professionnel à cette fichue d'exigence qu'est celle qui concerne l'apparence de conflit d'intérêts : ne pas avoir de conflit d'intérêts. Et ce qui complique encore la situation, c'est qu'au ciel des idées, où je réside de temps à autre, il est fort simple d'expliquer le concept de conflit d'intérêts. Ce qui est compliqué et ce qui demande beaucoup de sagesse, c'est de juger des mesures appropriées pour bien gérer le conflit d'intérêts, parce qu'on n'y échappe pas. Dans mon domaine, qui est celui du médicament, à peu près tous les experts, sauf exception, ont également des rapports avec les pharmaceutiques, et c'est très difficile de trouver des experts... et quasi impossible de trouver des experts qui n'en auraient pas.

Donc, quelles sont les mesures appropriées, quels types de lien? C'est une question d'une très, très grande complexité à régler, et un des motifs pour lesquels c'est difficile à régler — c'est peut-être ce que j'aurais dû souligner en introduction — c'est que nous avons tous la ferme conviction qu'on ne peut nous influencer inconsciemment. On a tous cette conviction qu'on ne sera pas influencés. Or, les études qui ont été faites auprès des médecins démontrent très bien que participer à des activités médicales avec des compagnies pharmaceutiques influence les habitudes de prescription. Donc, tous les citoyens, tous les acteurs ont cette conviction, qu'ils ne peuvent être influencés, alors qu'on sait très bien qu'on peut subir une influence. Donc, cette question de la gestion des conflits d'intérêts, c'est une question qui est extrêmement difficile, et je salue le travail qui a été fait à ce sujet-là.

Je n'ai pas procédé dans l'ordre, mais enfin, puisque c'est assez décousu, vous remettrez les choses dans l'ordre, parce que j'aurais dû au départ parler d'éthique et de déontologie.

Je vous l'ai dit, la déontologie est une codification de l'éthique, et souvent nous, les éthiciens, on peut développer, à un certain moment de notre vie, des formes d'intolérance ou d'allergie vis-à-vis une profession que plusieurs d'entre vous probablement avez pratiquée, qui est le droit, en croyant qu'il y a une opposition.

Or, la vision qui est la mienne, c'est que l'éthique et la déontologie sont, somme toute, des frères siamois. Une éthique sans déontologie est une éthique impuissante et une éthique qui ne donne pas aux acteurs les orientations dont ils ont besoin pour bien agir. Par contre, une déontologie sans éthique ne fournit pas ce qui est essentiel à l'action. C'est-à-dire que l'action morale, le plus souvent... ou, si on prend l'action immorale, elle n'est pas le fait de l'ignorance. Le plus souvent, elle est le fait d'un déficit motivationnel. Vous savez, ces gens qui, dans certains téléromans, se sont passé des enveloppes brunes d'une poche de veston à l'autre poche de veston ne l'ont jamais fait sous les feux de la rampe, ce qui illustre très bien qu'ils savaient que leur agir était éthiquement condamnable, et ils l'ont fait en tentant de préserver le secret. Et le problème qu'on a quand on se situe du point de vue de l'éthique, c'est de nourrir, d'alimenter, de renforcer la motivation pour bien agir, parce que l'expérience démontre partout où l'avion de l'éthique est tombé qu'un grand nombre de personnes savaient que les jeunes professionnels ont tendance à tout simplement imiter les séniors qui sont déjà là et à faire que l'éthique du groupe soit leur propre éthique sans exercer de jugement critique. Il y a le monde de l'école et il y a le monde de la vraie vie, et, dans la vraie vie, ça se passe comme ça.

Alors, l'éthique, elle, elle n'est pas simplement attentive à la conformité de l'action au devoir, mais elle est attentive au fait qu'un acteur agit, comme dirait mon ami Emmanuel Kant, agit par devoir, c'est-à-dire que l'éthique suppose qu'on a fait nôtres certains idéaux et que notre action est motivée par le fait que ces idéaux sont devenus les nôtres, et ce que la déontologie va faire, c'est de préciser concrètement ce que signifie agir avec bienveillance, droiture, convenance, sagesse, honnêteté et sincérité en accomplissant sa tâche de député, qu'est-ce que ça signifie concrètement. Donc, cet aspect de l'éthique, pour moi, est très important, de voir que ce qui est fondamental du point de vue éthique, c'est quel type de personne on veut être puis comment on nourrit et on fait en sorte que la vie professionnelle ou la vie de député ne se transforme pas... pas la vie, mais, en fait, la personnalité du député ne se transforme pas pour abandonner des idéaux qui étaient là au début, mais que ces idéaux vont demeurer vivants. Et, pour que les idéaux demeurent vivants, un des, je dirais, éléments majeurs, ce sont les modèles. On a beaucoup de confiance dans les cours, dans les formations, mais les formations ne fournissent pas de motivation, elles fournissent des arguments, elles fournissent des informations : jusqu'où on peut aller, jusqu'où on ne peut pas aller, et ainsi de suite, mais le plus important, c'est cette motivation éthique, qui fait qu'effectivement, en cas de doute, je vais m'arrêter — je vais m'arrêter aussi, je n'ai pas de doute sur le fait que je dois m'arrêter — en cas de doute je vais m'arrêter à réfléchir, en cas de doute je vais consulter, en cas de doute je vais valider mon jugement avec un sénior ou avec le Commissaire à l'éthique.

Donc, c'est cette, je dirais, capacité constante de s'interroger et, je dirais, cet objectif constant d'incarner les valeurs fondamentales qui sont les vôtres qui constituent, pour moi, la fibre éthique qu'il faut alimenter.

• (16 h 10) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Pr Keating. M. le député de LaFontaine, deux blocs : un de 12 et un autre de 11 min 45 s. Mme la députée de Taschereau, un bloc de 14 min 15 s. Et, M. le député de Deux-Montagnes, un bloc de 9 min 30 s. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup. Merci, M. Keating, d'être présent encore une fois devant nous. Je dis «encore une fois», parce que, comme vous l'aviez bien dit le 10 juin 2009, vous étiez là pour apporter votre éclairage à la première mouture du code. Donc, aujourd'hui, cinq ans après, c'est, en vertu de l'article 114, une façon, un processus par lesquels on est très heureux de vous accueillir, de vous entendre puis de bonifier notre réflexion quant à d'éventuels amendements en vue d'améliorer notre code, qui a vécu pour les quelques dernières années et qui donc nous permet de se rendre compte... puis on aura l'occasion, au cours de la discussion que nous allons avoir, de voir peut-être certains éléments. On va en reparler.

Mais, déjà là, je vais prendre un exemple tangible : à travers les trois années de mise en application du code, c'est l'article 99, il y a possibilité pour le Commissaire à l'éthique, qui remet un rapport où il y a, de un, reconnu qu'une faute avait été commise... un comportement s'était écarté du comportement, devrais-je dire, qui était attendu d'un député, plutôt que de parler de faute. Puis j'aimerais ça revenir peut-être sur l'aspect, le terme «morale», parce que les mots ont leur sens, et «morale», dans ma définition à moi, mais vous me corrigerez si j'ai tort, est une approche peut-être un peu plus manichéenne, le bien et le mal, alors que, comme députés, souvent on a à naviguer entre des eaux gris clair et gris foncé souvent. Et, quand on parle de morale, peut-être qu'on tomberait, là, dans un piège de dire : Bien, est-ce que c'est bon ou pas bon?, et, si ce n'est pas bon, ce n'est totalement pas bon. Et, si c'est bien, c'est totalement bien. Il y aurait peut-être une approche un peu réductrice là-dessus que d'utiliser... Et je tire tout ça du terme «morale». Est-ce que c'est moral? Aujourd'hui, peut-être qu'on y gagnerait plus en disant : Est-ce que ça s'apparente au comportement qu'aurait adopté une, ou un, députée normalement prudente et diligente?

Bref, les mots, puis on aura l'occasion d'en discuter, ne sont pas anodins, ont leur sens et ont leurs répercussions dans ce qui fait notre pain quotidien, pour rester dans le même domaine, comme députés, notre pain quotidien, qui est bien souvent influencé par la récupération qui est faite des médias, la pression publique, et ainsi de suite, qui est le tribunal sans appel. C'est un tribunal sans appel. Alors, j'aimerais, d'entrée de jeu, vous entendre sur cette façon. On a parlé beaucoup de la distinction entre l'éthique, l'éthique qui doit insuffler un comportement codifié, qui est la déontologie. Votre approche, en tant qu'éthicien, est éthique et morale, également biomédicale. Vous avez travaillé dans ce domaine-là.

Bref, après cinq ans de la première mouture, vous, de la lecture que vous en faites, quels seraient les éléments plus précis sur lesquels vous nous inviteriez à porter notre réflexion quant à ce code-ci? Puis j'aurai des exemples un peu plus tangibles. Mais on parlait, par exemple, de la formation, l'importance de bien former les députés. On parlait d'y aller... vous le disiez en juin 2009, prêcher par exemple des pairs, les pairs qui sont...

Alors, en quelques phrases ou... vous prenez le temps que vous désirez, là, mais, si vous aviez à résumer le message que vous nous envoyez aujourd'hui, en considérant le préambule, là, qui est un peu le terreau de notre réflexion, vers quoi, de façon plus tangible, vous nous inviteriez à porter notre réflexion?

M. Keating (Bernard) : Écoutez, vous m'avez tendu un os, c'est un petit peu difficile de ne pas y mordre. Donc, je vais d'abord parler de morale et je répondrai à votre autre question par la suite.

L'éthique est, comme beaucoup de sciences humaines, la... Je reformule. L'éthique, comme beaucoup de sciences humaines, est le lieu de multiples théories, alors, autant en psychologie qu'en sociologie, les théories sont multiples, et les termes «éthique» et «morale» prennent des significations différentes selon les théories auxquelles on se réfère. Quant à moi, avec les a priori qui sont les miens, les a priori théoriques, si je devais m'adresser de façon rigoureuse à des philosophes, je réserverais le terme «morale» pour les questions qui touchent le vivre-ensemble, la question de la justice et je réserverais le terme «éthique» pour la question de la vie bonne, de la vie réussie, de la vie digne d'être vécue. Entre vous et moi, j'accorde très peu d'importance à quel terme on accorde à quoi. Ce qui est important, c'est de voir qu'il y a deux sphères très importantes à distinguer : la sphère du vivre-ensemble, nous qui n'avons pas la même conception du bien, nous qui n'avons pas la même conception de la vie réussie; et le respect et les limites du respect des valeurs substantielles des communautés particulières, et je pense évidemment, en premier lieu, aux communautés culturelles qui vivent parmi nous. Donc, pour moi, c'est les deux grandes sphères. L'étiquette, après, a peu d'importance. Alors, on peut voir l'éthique comme cette vie dans des institutions justes.

Or, et vous le savez mieux que moi, un des problèmes que vous rencontrez, c'est d'aménager la vie commune à travers ces multiples conceptions du bien, et vous vous refusez, sans doute, à privilégier une conception du bien, à faire d'un absolu une vision culturelle, qu'elle soit religieuse, qu'elle soit culturelle au sens, je dirais, plus commun du terme. Donc, ce sont ces deux questions qui sont les plus importantes.

C'est sûr qu'au Québec, quand on parle de morale, c'est le grand spectre de cet épouvantail qu'est le judéo-christianisme qui ressort. Ça m'est encore... enfin, je ne veux pas rentrer là-dedans, il y a trop de bêtises, et vous n'êtes pas ici pour qu'on parle de ces bêtises, mais quand même ça permet de dire une chose, c'est que l'éthique n'est pas simplement une entreprise normative, l'éthique est une entreprise qui donne également des raisons de vivre, des raisons de continuer à vivre. La question du sens de la vie est une question éthique. Et, quand on fait, comment dire, un procès rapide, et sans appel et sans écouter les deux parties, au judéo-christianisme, on oublie que le christianisme a fourni également des raisons de vivre à des personnes. Donc, l'éthique fournit des raisons de vivre. Donc, c'est ça aussi, l'éthique, et pas simplement un appareil normatif. L'appareil normatif, il ne peut pas durer simplement si on réduit l'éthique à l'appareil normatif. Donc, la question du sens fait également partie de l'éthique.

Donc, je reviens à votre question principale. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction le rapport et je pense que... et c'est un peu... puis je ne voudrais pas être prétentieux en portant un jugement sur ce rapport-là, mais mon opinion sur le rapport est très favorable, parce que j'ai l'impression que le Commissaire à l'éthique a trouvé un équilibre justement entre cette préoccupation éthique et une préoccupation de justice qui fait en sorte que, comme députés, vous devez savoir ce qui est attendu de vous.

Et, quand on lit son rapport, les justifications, la légitimité des gestes qui sont posés est à fleur de rapport, on n'a pas besoin de creuser, c'est très clair de voir comment il justifie, hein, les gestes qu'il a posés, ses propositions. Les concepts éthiques qui sont derrière sont clairs, et parfois il se contente de poser des conditions qu'il faut respecter, et je pense qu'il y a quelque chose de très équilibré, comme dans sa façon de voir le conseil aux députés et le piège du conseil, parce que le piège du conseil, c'est que je vais me délester de mon obligation éthique et de ma responsabilité, où je vais avoir une éthique, pour revenir à nos vieilles histoires, hein... on va mesurer la décence de la dame au nombre de centimètres qui sépare l'ourlet de sa robe de son genou.

Alors, on veut avoir des règles précises, et, quelque part, ça tue le bon sens et ça tue l'application contextuelle des préceptes éthiques. Ce qui est décent, vous le savez... ce qui est décent sur une plage et ce qui est décent à l'Assemblée nationale, c'est fort différent. C'est le contexte qui détermine certaines limites. Donc, l'insécurité dans ce domaine-là est mauvaise conseillère, parce que, si on détermine, par exemple, qu'il y a un plafond de 100 $, je vous gage ma chemise, et je ne perdrai pas grand-chose, que les cadeaux vont être de 99 $. Alors, placer des limites, oui, c'est nécessaire, mais à la fois ça peut devenir illusoire et ça peut tuer la préoccupation éthique qui est derrière.

• (16 h 20) •

M. Tanguay : Est-ce que... puis il me reste pour ce bloc-ci... puis on aura l'occasion, M. Keating, de revenir dans notre second bloc, je vais le dire de façon... puis je ne vise pas personne, là, je nous inclus, les 125 députés, vous, de l'extérieur, êtes-vous déçu de la façon dont ont été gérés les mécanismes ou dont a été récupérée toute question d'éthique appliquée à la politique au Québec? Est-ce qu'on a bien servi la cause de l'éthique appliquée aux députés où... puis je me mets là-dedans parce que j'ai joué dans ce film-là, on a tous joué dans ce film-là, où, quand un de nous fait une coche mal taillée, on mange du prochain, et il y a de la partisanerie? Et ça, c'est la logique qui s'applique à tous.

M. Keating (Bernard) : Oui, tout à fait. C'était une remarque conclusive que je voulais faire. Je veux dire, un des dangers, c'est de faire de l'éthique une question partisane.

Et, d'autre part, je vous dirai que j'ai été presque blessé par les remarques que j'ai reçues de mon entourage au sujet de ma contribution ici aujourd'hui. C'est comme de dire : Les députés, ils sont tellement... que ça ne vaut pas la peine, tu sais, dans le genre : Qu'est-ce que tu vas faire là? L'image... je ne voulais pas vous parler de ça, parce que vous le savez, qu'il y a une opinion publique, c'est décourageant, parce que j'ai...

Moi, mon expérience... j'ai été au Conseil du médicament, actuellement je suis à l'INESSS, on a un rôle de conseil auprès du ministre de la Santé, mon expérience, c'est la difficulté de l'action politique. Mon expérience, c'est de voir que le bon politicien, c'est celui qui trouve la marge de manoeuvre, la fenêtre d'opportunité pour faire avancer les choses. Quand on veut faire avancer les choses parfois qui nous semblent simples, tout à coup il y a un corporatisme, il y a une intervention ici, à gauche et à droite, qui fait que... et là on a l'impression que les députés se traînent les pieds, blablabla, comme si c'était facile de faire prendre des virages à une société, comme si c'était facile, quand on voit toutes les pressions qui s'exercent... Et, curieusement, c'est peut-être un des rôles de l'éthique. Récemment, j'ai donné une entrevue, à une émission religieuse qui s'appelle Second regard, sur le coût des médicaments, et il y a des gens qui m'ont dit : Écoute, tu as dit là des choses que, si c'était le ministre qui les avait dites, il se serait fait fusiller sur la place publique, parce qu'il y a des choses que les gens ne veulent pas entendre.

Donc, vous êtes dans une position, je dirais, difficile, et, pour moi, je vous le dis franchement, là, je ne veux pas vous faire de flagornerie, là, je suis à la retraite, je n'ai pas besoin de revenus supplémentaires, je n'attends rien de vous, c'est décevant de voir... parce que, comme je vous l'ai dit au début, personnellement, pour toutes sortes de raisons dans ma vie, je suis très sensible à sauvegarder la légitimité des institutions et je trouve que c'est très dangereux, lorsqu'on met en cause les institutions, que ce soit la magistrature, que ce soit l'Assemblée nationale, le discrédit systématique sur les institutions, parce qu'il faut réaliser que la seule chose qu'il nous reste, c'est la violence, si on ne peut pas faire confiance aux juges. C'est absolument essentiel. Si on ne peut pas faire confiance aux législateurs, qu'est-ce qu'il nous reste? Donc, il faut, dans une société...

Et, dans une société comme la nôtre — et je reviens sur l'éthique dans son aspect procédural — parce qu'on n'a pas de consensus sur un nombre important de valeurs, l'aspect procédural est plus important que jamais parce qu'on respecte les décisions non pas parce qu'on partage nécessairement des valeurs, mais parce que toutes les personnes concernées ont eu l'occasion de se faire entendre comme vous le faites dans des commissions parlementaires, parce qu'on a cherché à représenter les intérêts de chacun — ce que vous faites, comme députés — que vous avez cherché à trouver des intérêts qui sont communs, ce qu'on appelait autrefois le bien commun, et c'est cette procédure, toutes les exigences de transparence auxquelles vous faites face. Prenez, par exemple, dans mon domaine, le fait que maintenant notre rapport au ministre, il est rendu public, bien, on sait sur quelles études notre recommandation est basée. Donc, c'est là pour alimenter le respect de la décision que le ministre prendra.

Donc, il y a un aspect ici de l'éthique procédurale, qui est très importante, et c'est très difficile pour les gens qui viennent de l'entreprise privée, je dirais, au départ — je l'imagine, je ne l'ai pas testé — mais, parmi vous, les députés qui viennent de l'entreprise privée d'être soumis à des exigences si rigoureuses de reddition des comptes.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. M. Keating. Ça fait plaisir de vous entendre. Vous volez à une certaine hauteur, je dois dire, c'est-à-dire qu'on n'est pas seulement dans la déontologie, on est dans vraiment le mot «éthique», quelle perception on en a, comment on l'applique à soi-même, au-delà des codes. Quand vous dites : Quel type de personne on veut être, c'est l'essence même de la question qu'on doit se poser quand on a des doutes, parce que vous parlez du doute aussi.

Écoutez, je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser, parce que je trouve que vous avez extrêmement bien répondu à mon collègue, mais je voulais vous dire ceci : Moi, j'ai travaillé sous des premiers ministres, Lucien Bouchard, Bernard Landry, et les gens avaient beaucoup plus confiance en l'institution à l'époque. Ce n'est pas seulement les premiers ministres, je pense, d'abord il y avait une qualité que je leur reconnais, là, je pense qu'ils étaient des gens qui attachaient beaucoup de sens à la responsabilité ministérielle. Le sens de la responsabilité ministérielle est peut-être disparu au fil du temps... puis ça le fait de tous côtés, là, ça a disparu au fil du temps, ce qui fait qu'on a moins l'impression qu'on va être jugés pour nos actes et pour les actes de nos employés, des gens qui travaillent avec nous, de notre entourage. Il y a quelque chose là-dedans qui me fatigue.

Vous dites : En cas de doute, en cas de doute, comment on peut... Évidemment, on ne peut pas codifier qu'est-ce qu'un doute, qu'est-ce qui devrait devenir un doute, ça devient extrêmement difficile. Mais, quand même, il y a là-dedans... au moindre doute, on doit chercher conseil. Je retiens beaucoup «sensibilité sociale accrue». On pense qu'on ne peut pas être influencé inconsciemment. Et donc, comprenez bien, là, déjà qu'on part avec ce travers humain là... puis en plus on ne sait pas qu'est-ce qu'un doute. «En cas de doute», on a de la difficulté à le codifier, je vais vous dire. C'est pour ça que j'apprécie la phrase «quel type de personne on veut être». Je pense que c'est une extraordinaire balise, mais c'est difficile de rentrer dans la tête du monde.

• (16 h 30) •

M. Keating (Bernard) : Tout à fait, et on regarde avec un grand cynisme certains étudiants. Moi, j'ai enseigné, pendant plusieurs années, en médecine dentaire, hein? Comme si, tous les étudiants en médecine dentaire, leur ambition dans la vie, c'était de rouler en BMW ou en Audi. Mais, quand tu demandes aux garçons puis aux filles qui sont là : Pourquoi vous êtes là?, on entend des choses extraordinaires, des récits de vie, des gens qui ont eu des expériences avec un bon dentiste, aussi des choses qui sont moins... je dirais, d'un autre ordre, de gens qui se sont senti à la fois des capacités scientifiques, mais aussi des talents artistiques dans lesquels ils vont trouver, à travers la médecine dentaire, un épanouissement. Donc, on entend de très belles choses, alors qu'en principe, évidemment, c'est des salauds qui veulent faire beaucoup de fric, alors, quand on les écoute, ces étudiants-là.

Mais le malheur, c'est que ces idéaux-là se perdent, si bien que, moi, la façon dont j'ai évolué dans mon enseignement de l'éthique, ce n'est pas de transmettre des valeurs, c'est de renchausser... ou de faire en sorte que ces valeurs qui animent l'étudiant qui arrive à l'université ne se perdent pas en cours de chemin. Parce que ce n'est pas par hasard qu'on devient avocat, qu'on devient travailleur social. Vraiment, il y a un aspect vocationnel. Et je peux facilement imaginer qu'on peut devenir député parce qu'on veut que la société soit meilleure. Et, des deux côtés de la Chambre, on a des visions différentes, mais on partage cette volonté de faire que le Québec grandisse, qu'on soit capables de vivre en paix ensemble. Et ça, c'était... dans mon cours, j'utilisais une... comment dire, un scan qui venait d'un article de médecine dentaire où c'était un doyen qui demandait à ses futurs étudiants : Quelle sorte de dentistes vous voulez être? Et je trouvais que c'était la question pertinente, là : Qui vous voulez être, là?

Mme Maltais : Merci beaucoup, M. Keating. Je n'ai pas d'autre question. J'ai écouté avec beaucoup d'attention et je vous remercie de votre apport.

M. Keating (Bernard) : Je l'apprécie beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette : Merci, M. le Président. Merci. C'est effectivement un plaisir de vous entendre. On a eu l'occasion de rencontrer, ce matin, un autre... et je ne sais pas si vous avez pu suivre un petit peu les...

M. Keating (Bernard) : ...

M. Charette : J'imagine, effectivement.

M. Keating (Bernard) : ...et énormément de respect pour lui, d'ailleurs.

M. Charette : Et vous avez différents éléments en commun, dont votre participation aux travaux au tout début du processus, il y a quelques années maintenant. Et je serais tenté de vous poser certaines des questions qui lui ont été posées ce matin. Et loin de moi l'idée de vous mettre en contradiction. Ce n'est pas du tout le but, loin de là. En fait, j'ai été marqué par un de vos propos lorsque vous avez dit, je l'ai noté, que vous avez été blessé par les remarques de certaines personnes de votre entourage tellement la perception était négative à l'égard du milieu politique. Et on est bien placés, effectivement, pour vous le confirmer, il y a cette perception-là qui est bien présente, qui n'est pas partagée par tous mais qui est bien présente dans la population.

Et, à M. Bégin, ce qu'on a pu lui poser comme question ce matin, c'est que... Vous avez un code d'éthique qui est généralement bien reçu. Lui-même le qualifiait de très, très probant, en ce sens que le texte lui-même contient des valeurs qui devraient être les nôtres, mais, lorsqu'on voit, au niveau de l'application, ce que l'on en a fait, c'est là où on se questionne, en ce sens qu'on a un commissaire à l'éthique qui est le premier à occuper cette fonction. Peut-être a-t-il voulu tout simplement se donner le temps d'établir une mécanique, peut-être a-t-il voulu... le temps d'établir une jurisprudence qui soit prudente, mais, dans les faits, il n'y a pas eu beaucoup de sanctions, il n'y a pas eu beaucoup... sinon que quelques tapes bien polies sur les doigts. Il n'y a pas eu beaucoup de conséquences à certains manquements à l'éthique qui ont été pourtant relevés, et c'est à se demander si ça ne venait pas encourager cette perception négative dans la population, c'est-à-dire que les gens peuvent se dire : Oui, oui, ils ont un code d'éthique, mais, dans les faits, les conséquences, elles sont plus de l'ordre du symbole que d'autre chose.

Donc, dans votre lecture, dans votre analyse, est-ce qu'on aurait intérêt, oui, à parfaire le Code d'éthique actuel? C'est l'exercice qui nous réunit cet après-midi, mais, ultimement, est-ce qu'on devrait se donner de meilleurs moyens de sanction pour celles et ceux qui, malheureusement, contreviendraient à ce Code d'éthique?

M. Keating (Bernard) : Je regarde toujours la sanction comme une réponse au déficit motivationnel. Je veux dire, quand il faut brandir la sanction, c'est qu'il y a un déficit motivationnel.

Or, il faut bien reconnaître que dans tous les milieux, dans tous les groupes, il y aura toujours des gens qui n'ont pas la motivation pour agir, et c'est le bénéfice du droit et de la déontologie de pouvoir sanctionner. Mais, dans les recommandations, si je ne m'abuse, il y a une recommandation au niveau du caractère public des rapports, et déjà c'est un élément, à mon avis, majeur de rendre publics les avis qui sont donnés. Évidemment, ça devient une question de tempérament. Mais je suis un partisan de la politique des petits pas et je pense qu'il y a une orientation qui est bien établie, et, dans la mesure où il y a un consensus des membres de l'Assemblée nationale sur la nécessité d'avoir des sanctions, bien, ces sanctions-là vont devenir légitimes aux yeux des membres, et c'est absolument important, sinon on perd cet aspect d'autonomie. Vous savez, «autonomie», c'était le statut... on ne parlera pas du Québec, mais le terme «autonomie», à l'origine, désignait les cités qui avaient le pouvoir de faire leurs propres lois. Le premier sens était un sens politique : les cités autonomes.

Alors, l'autonomie, en morale ou en éthique, est très importante, et je pense que, du point de vue de l'éthique professionnelle, il faut que vous vous donniez cette éthique, qu'elle ne vous soit pas imposée par l'extérieur, puis, d'autant plus que vous êtes l'Assemblée nationale, je pense que vous devez... et c'est ça qui va donner une force. Par contre, il faut faire attention de... comment dire, de développement normatif qui est exagéré et qui devient une espèce de surenchère. Parce que moi, je viens également — mais ça, ça fait plus longtemps — du monde de l'éthique de la recherche. Il faut faire attention que, tout à coup, la perception qu'on a, ça soit que c'est une nouvelle bureaucratie qui s'impose. Et je dirais qu'une des règles, ça semble curieux comme préoccupation, c'est la simplification du travail des députés qui doivent remplir ces rapports-là. Il faut faire en sorte que de minimiser... Moi, il n'y a rien qui me frustre plus que d'avoir à donner encore une fois ma date de naissance, mon numéro d'assurance sociale. Il faut minimiser ce travail clérical, parce que, sans ça, ça va être tout simplement fait par des assistants comme ça se fait beaucoup en éthique de la recherche, et on va perdre le sens éthique.

Donc, il faut faire attention d'écraser les gens, parce que ça va disqualifier. Mais il faut que vous soyez capables de sanctionner ces situations où vous dites : Ça n'a pas de bon sens. Au-delà de la solidarité que tous les groupes humains ont entre eux, il faut qu'on soit capables de sanctionner nos pairs puis dire : Ça fait, ça fait.

• (16 h 40) •

M. Charette : On s'est retrouvé, dans les faits, devant des situations particulières au cours des dernières années, pour ne pas dire de la dernière année, où le commissaire... parce que déjà les rapports peuvent être rendus publics, dans la mesure où c'est une enquête ou une vérification qui a été demandée publiquement. Donc, déjà, on a trace de ces rapports-là.

Et ce qui me faisait poser cette question, c'est que, dans certains cas, le Commissaire à l'éthique va adresser un blâme poli, donc il y a reconnaissance qu'il y a une faute, et la personne visée, à la lecture du rapport, peut ressortir et dire : J'ai été blanchie par le Commissaire à l'éthique. C'est dire à quel point la nuance, elle est tellement forte que certains parlent de blâme, et le principal intéressé peut ressortir et dire : Bien, vous voyez, dans les faits, j'ai été blanchi par le Commissaire à l'éthique.

M. Keating (Bernard) : S'il y a un blâme, je ne suis pas blanchi, et s'excuser. Je pense, je vais démarrer une entreprise qui va donner des cours d'excuse. Tu sais, s'excuser, c'est de reconnaître un tort, ce n'est pas de dire : S'il y a des gens qui ont été vexés par ce que j'ai dit. Bien, ce n'est pas s'excuser, ça, c'est de la bêtise. S'excuser, c'est de dire : J'ai posé un geste que je n'aurais pas dû poser, j'ai eu tort de poser ce geste. Et ça, il faut être capable de faire ça. Et on demande maintenant aux professionnels, par exemple, de dévoiler les erreurs qu'ils font. Les hôpitaux ont des obligations, vous le savez, de divulgation, de divulguer aussi les moyens qu'on va prendre pour éviter que les erreurs se répètent.

Donc, il ne faut pas qu'on puisse s'en sortir en disant : Voyez, j'ai été blanchi. Non, ça ne va pas.

M. Charette : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. Keating, pour cette réflexion. Vous nous aidez, par vos commentaires, par votre approche, à, je pense, bien asseoir ce qui sera le fruit de nos discussions quant à d'éventuelles bonifications au Code d'éthique. Puis, vous l'avez bien ciblé aussi, le rôle du député est difficile, vous l'avez dit. Également, on a fait référence au fait que nous sommes dans un environnement très, très médiatisé où, à la télévision, vous avez, M. Keating, sept secondes pour me convaincre de votre point.

M. Keating (Bernard) : Oui, oui, tout à fait.

M. Tanguay : Alors, oubliez la nuance, parce que vous ne ferez pas Le téléjournal.

M. Keating (Bernard) : J'écoutais ça... pour avoir donné, de façon régulière, des entrevues, on est à la merci de l'intervieweur et des ciseaux qu'il va utiliser.

M. Tanguay : Et même, des fois, il y a des questions où, si vous répondez oui, c'est préjudiciable pour vous et, si vous répondez non, c'est préjudiciable pour vous, des questions du genre : M. le député, êtes-vous d'accord avec le fait que vous allez, en décidant cela, favoriser tel groupe de la société? Si je dis oui... évidemment, je ne peux pas répondre oui, parce que je vais dire que je vais favoriser tel groupe de la société, et, si je dis non, le titre sera : M. Tanguay croit agir... même s'il y a un risque de favoriser tel groupe de la société. Alors, c'est un jeu puis, je veux dire, c'est notre réalité, aux 125 députés, puis c'est un autre débat, mais c'est ce qui fait en sorte que la nuance n'existe que très peu, et c'est un euphémisme, hein, on vient de le définir, et, appliqué en matière d'éthique, bien, moi, si un collègue de l'opposition ou si un collègue du gouvernement fait face à des vérifications, bien, je vais retourner à la charge et je n'irai pas dans la nuance, et c'est la logique, encore une fois. J'ai joué dans ce film-là des deux côtés, et c'est notre réalité.

Ceci dit, avez-vous une réflexion... On a parlé, ce matin, de l'éventualité, parce qu'il y a différentes sphères : il y a le Code d'éthique et de déontologie, il y a un commissaire, nous avons un jurisconsulte qui fait office de conseiller aux députés, il y a un commissaire au lobbyisme, également, qui est une autre sphère. Il y a, jusqu'à un certain point, et ça a été étayé dans les dernières années, depuis 2009, le Directeur général des élections aussi qui touche à des questions de bons ou mauvais comportements.

On parlait de fusionner le poste de Commissaire à l'éthique et déontologie avec celui de lobbyisme. Est-ce que vous, vous avez une réflexion là-dessus, sur ce qui serait peut-être un supercommissaire, son efficacité, la façon de mieux faire dans l'avenir pour, d'une part, nous conseiller, offrir de la formation, mais, dans certains cas, faire des vérifications, mener enquête et suggérer des sanctions, ou mériterions-nous plutôt de scinder cela sans tomber dans le piège de dire : Bien, ça y est, la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite, et les gens fonctionnent en silo, tout en ayant pour préoccupation de faire en sorte que les différents acteurs, les différentes institutions se parlent?

Mais est-ce que nous gagnerions en efficacité? Je ne sais pas si vous avez une réflexion là-dessus.

M. Keating (Bernard) : Après 10 secondes de réflexion, je crois qu'effectivement fusionner le rôle du Commissaire à l'éthique et celui du Commisaire au lobbyisme est une hypothèse qui pourrait faire du sens, parce qu'effectivement cette question du lobbyisme, ça suppose de déterminer la fine ligne entre une intervention qui vise des intérêts particuliers, qui risque... Donc, il y a sûrement quelque chose qui devrait être réfléchi, mais, en 10 secondes, disons que je n'oserais pas avoir une opinion ferme, mais ça me semble faire du sens, compte tenu du rôle et de la mission des députés.

M. Tanguay : Dans — et la question n'est pas anodine, je pense, puis elle réfère au corpus que nous avons pour guider — est-ce que mon comportement s'est écarté du comportement qui aurait été normalement attendu par un bon député, bon entre guillemets?, je crois que, et puis c'est une réflexion toute personnelle, nous n'avons pas beaucoup d'éléments. Oui, il y a le Code d'éthique, il y a les valeurs très générales, il y a quelques fiches explicatives, quelques-unes, de la jurisprudence où on a dit : Bien, il a mal agi ou elle a mal agi, mais il n'y a pas de sanction, parce qu'il n'était pas au courant, il a agi de bonne foi ou l'opprobre médiatique a été une sanction suffisante. Donc, quant à l'analyse, l'étalon de mesure du comportement dans les décisions du Commissaire à l'éthique appliqués aux conflits d'intérêts, on fait souvent référence à ce qu'une personne raisonnablement bien informée pourrait considérer, c'est une chose. En droit civil, c'est : Est-ce qu'une personne normalement prudente et diligente placée dans la même situation, aurait agi de cette façon-là?

Avez-vous des indications quant à ce que devrait être en tout temps et en tout lieu, tant pour juger du comportement que pour, j'imagine, appliquer une sanction, quel devrait être notre étalon de mesure appliqué à notre rôle de député?

M. Keating (Bernard) : Je vois mal comment aller beaucoup plus loin que cette norme de la personne qui est raisonnablement bien informée. C'est une norme qui est très difficile à appliquer, et je vous avoue qu'évidemment ma... comment dire, mon expérience concerne notre travail au comité d'évaluation des nouveaux médicaments à l'INESSS, de dire : C'est une chose d'avoir la conviction qu'on gère bien un conflit d'intérêts, mais est-ce qu'une personne raisonnablement bien informée va penser la même chose?, c'est une norme qui est très difficile, effectivement, à appliquer et qui pose des défis considérables. Pensez, par exemple, au médecin qui a participé à un essai clinique, qui était le chercheur dans son hôpital. Est-ce que, quand le médicament concurrent va arriver pour analyse, il peut se prononcer? Est-ce que c'est le fait que c'était la compagnie pharmaceutique XY qui fait qu'il ne peut plus maintenant se prononcer sur les médicaments qui viennent de cette compagnie pharmaceutique? Qu'est-ce qu'une personne raisonnable va penser, puis comment la personne raisonnable va tenir compte du fait que ce n'est pas la recommandation d'un individu, mais c'est la recommandation d'un groupe d'individus? Quel moyen de gestion va sembler adapter à la situation par une personne raisonnable? Comment la personne raisonnable va tenir compte du très petit bassin d'expertise?

Une des recommandations touche justement la possibilité pour un député de participer à un débat lorsqu'il est en conflit d'intérêts. Il y a des moments où les expertises sont tellement... le nombre d'experts est tellement réduit, hein, c'est... Ce sont des questions auxquelles se heurte la FDA. Tous les organismes réglementaires dans le monde du médicament se heurtent à ces problèmes, qui sont très, très difficiles.

Je parlais, tout à l'heure, du ciel des idées. Bien, sur le ciel des idées ou sur la banquette arrière, c'est très facile, mais, quand il faut organiser le travail pour avoir, dans trois semaines ou dans quatre semaines, des experts qui vont analyser l'essai clinique... mais je pense qu'on doit tenir compte du fait que cette opinion va être dans un groupe, que l'opinion du député, elle est aussi dans un contexte où il y a une opposition dont le rôle est justement de s'assurer de la rigueur de l'argumentation, et un individu peut plus difficilement, je dirais, déterminer le résultat. Alors, si jamais je trouve la solution, je vous appelle à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.

• (16 h 50) •

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Tanguay : Tout à fait. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Keating, pour votre contribution aux travaux de la commission. Soyez assuré que vos commentaires ont été entendus, et qu'on en prend très bonne note, et que, malgré notre retard, je pense que c'est dans l'intérêt de tous les parlementaires, ceux qui sont ici et les autres, qui pourront vous écouter en d'autres temps.

Je vais suspendre les travaux quelques instants et je vais demander à M. René Villemure de prendre place, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 16 h 51)

(Reprise à 16 h 55)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant M. René Villemure. Vous savez comment nos règles fonctionnent, M. Villemure : vous avez 10 minutes pour faire votre exposé — et je pense que ce n'est pas la première fois que vous venez nous voir à l'Assemblée — et après il y aura un échange avec les députés ministériels et les députés de l'opposition. Donc, je vous laisse la parole.

M. René Villemure

M. Villemure (René) : Merci beaucoup, M. le Président. Mmes et MM. les députés, bonjour. Le texte de ma présentation... ou le titre plutôt, c'est : De quoi parle-t-on et d'où parle-t-on? Ayant participé aux consultations qui ont mené à la création du Code d'éthique et de déontologie, je vous remercie du privilège renouvelé qui m'est fait en m'invitant de nouveau à commenter la mise en oeuvre de ce même Code d'éthique et de déontologie. J'aurai, à la fin de mes remarques, trois recommandations.

Comme il est attendu, j'avais commencé mon analyse en lisant le rapport, en commentant chaque paragraphe de chaque page, et puis je me suis rendu compte que cette solution, cette façon de faire là n'était pas la bonne, que cette manière de faire ne vous offrirait aucune nouvelle perspective. J'ai préféré porter un regard sur l'ensemble du rapport afin de vous offrir une perspective différente de ce que vous avez pu entendre ou voir jusqu'à maintenant. Ma perspective sera celle de l'éthique, bien sûr, mais surtout celle du langage. Je m'inscrirai dans le sillage d'Orwell, qui disait : «En restreignant le vocabulaire, on restreint aussi la pensée.»

Donc, de quoi parle-t-on et d'où parle-t-on? Le rapport du commissaire contient beaucoup de texte, mais, curieusement, il ne contient que très peu de mots, du moins très peu de mots pour dire l'éthique, en conséquence il ne parle que très peu d'éthique, ce qui est curieux pour un rapport sur l'éthique, quand même. Dans les médias, on parle d'éthique presque à tous les jours, mais, au fond, de quoi parle-t-on?, si ce n'est que des manquements, des fautes alléguées ou commises. Comment est-on censé connaître une chose si on ne parle que de son contraire? Puisque nommer, c'est dire avec du sens, bien, débutons nos commentaires en appelant les choses par leur nom : le rapport du commissaire est un rapport déontologique. Lorsque j'affirme que le rapport ne contient que peu de mots pour dire l'éthique, on remarque que le commissaire ne parle d'éthique que pour dire la déontologie. Il appelle la déontologie éthique et ne parle que de manquements.

Le rapport traite d'un sujet fort complexe, fondamental, mais avec un pauvre lexique. Le rapport demeure dans le champ du connu, la déontologie et les règles, et pèche par son manque de contenu éthique. Mes prédécesseurs éthiciens ont tous pris la peine de mentionner la confusion bien réelle entre éthique et déontologie, qui était déjà présente lors des auditions du projet de loi n° 48, qui s'est transposé tel quel dans le code. Cette confusion n'est pas sans risque. La déontologie, le «deon ontos logos» grec, est un discours sur le devoir énoncé sous la forme de règles, de prescriptions et d'interdictions. La déontologie compare une conduite présente avec un texte passé jugé idéal. La déontologie, qui se préoccupe de codes déjà vus, est utile mais ne représente pas l'éthique dans son entièreté. L'éthique, de son côté, est une réflexion qui cherche à donner ou à déterminer le sens à donner à une conduite surtout lorsqu'il n'y a pas de règle, lorsque la règle est muette ou lorsque les règles sont en conflit. Il ne faut jamais oublier que l'éthique est une composante de la culture, en passant, d'une organisation, d'un peuple, d'une nation. L'éthique fait partie, tout comme la non-éthique d'ailleurs... mais l'éthique est surtout affaire de sens. Et, quand je dis le mot «sens», le sens, c'est le chemin, c'est la direction, c'est la voie. Et, devant l'absence de sens, bien, c'est l'absence de direction, de voie ou de chemin, et qu'est-ce qu'on retrouve rendu là, bien, c'est l'égarement, l'inconduite et la faute.

Donc, ce qu'on remarque dans le rapport, c'est que l'on ne parle d'éthique que pour dire la faute, c'est-à-dire l'égarement. Rarement cherche-t-on une solution du côté de la culture. On cherche une solution du côté de la structure. Il est important de ne pas confondre culture et structure. Le code, les règles, le commissaire sont des éléments de structure. Le commissaire cite modestement le mot «éthique» dans son introduction et bifurque ensuite directement vers la déontologie, que le commissaire s'obstine à appeler éthique.

Pour entrer dans le vif du rapport et, par la même occasion, pour démontrer les limites du lexique, je vous invite à prendre note des données linguistiques suivantes : Sophie Hamel-Dufour, qui m'accompagne à l'arrière, a fait une analyse linguistique, une analyse du discours, et on remarque que, sur le plan de l'occurrence des termes, on retrouve le mot «éthique» 57 fois dans le rapport; «déontologie» ou «déontologique», 166 fois; «règles» et «règlement», 260. Sur le simple plan des occurrences, là, juste compter les mots, là, on parle d'un rapport déontologique.

Maintenant, afin de mieux comprendre, allons plus loin et analysons ces occurrences sur le plan de la sémantique et de la sémiotique, c'est-à-dire la construction du sens et le message qui est transmis. Ainsi, quand on parle d'éthique, de quoi parle-t-on? Je reviens souvent à mes deux éléments de départ, de quoi parle-t-on?, d'où parle-t-on?, en passant. Dans le rapport, le mot «éthique» précède habituellement «déontologie» ou «déontologique». Pour le dire précisément, le mot «éthique» fait office de ce qu'on appelle en linguistique une périssologie. Je vous explique qu'est-ce que c'est, hein? Une périssologie, c'est une figure de style de la famille des pléonasmes. Un pléonasme, c'est deux mots pour dire la même chose. La périssologie, de son côté, c'est une redondance. Elle est la combinaison de deux mots, dont un des deux mots ne veut rien dire ou ne comporte aucun message, ce mot ne faisant office que de remplissage. C'est fréquemment le cas du mot «éthique» dans le rapport. Celui-ci n'a que peu ou pas de sens. Il n'ajoute que peu ou rien au message déontologique transmis.

• (17 heures) •

Certes, à quelques reprises, le mot «éthique» signifie «bien faire» ou «quelque chose de bien», mais on demeure vague sur le sens exact. Au final, le mot «éthique» précède généralement le mot «déontologie», et c'est partout, dans tous les domaines où je suis en intervention, parce qu'il le faut bien ou parce que ça fait joli, c'est moins raide un petit peu.

Mais, si je poursuis sur le plan des occurrences, on remarque que la «déontologie» occupe une place trois fois plus importante que «l'éthique» : 166-57. Par contre, si on ajoute les occurrences de «règles» et «règlement», on arrive à une place huit fois plus importante : 426 à 57. Mais ce n'est pas tout, il faut aller au-delà des occurrences quand même. Sur le plan de la sémiotique, lorsqu'on mentionne «déontologie», «règles» ou «règlement», aucun doute n'est permis quant au sens accordé à ces termes, c'est clair. Pendant ce temps, l'éthique, elle, marine dans un flou, un flou inacceptable, parce que, sans le sens, comment l'éthique peut-elle offrir une direction? Et, sans la direction, c'est l'inconduite, l'égarement et la faute.

Force est ainsi de le constater, je le répète, c'est un rapport déontologique, mais c'est normal dans les circonstances. L'Assemblée nationale ayant choisi un juriste pour occuper la fonction de commissaire, bien, on illustre ici le «d'où parle-t-on?» d'un point de vue juridique, évidemment. Il importe de savoir que l'éthique s'appuie sur des valeurs — 63 mentions, dans le texte — pour lesquelles il existe au moins deux sens. Quand on parle de valeurs, il y a les valeurs monétaires puis, par exemple, les valeurs de l'Assemblée nationale. Sur le plan éthique, je vais m'arrêter sur ce dernier sens, sur le plan éthique, les valeurs, pour être utiles, doivent avoir au moins deux caractéristiques : elles doivent être claires et suggérer une direction, c'est-à-dire un sens. Bien que les valeurs de l'Assemblée nationale soient fortes et empreintes de noblesse, force est d'admettre qu'elles ne sont pas claires. Dans le rapport, les valeurs de l'Assemblée sont mentionnées en introduction, mais elles ne sont jamais expliquées ni clarifiées. On fait comme pour l'éthique : tous devraient savoir.

À cet effet, permettez-moi, M. le Président, un petit aparté d'une minute, de type formation pour pouvoir comprendre le reste. Quand on emploie le mot «valeur»... ou le mot «respect», tiens, il y a au moins deux sens qu'on peut donner à ce mot-là. Quand on dit : Je respecte le code, ou je respecte Robert, c'est très, très différent. Quand on parle du «respecte le code, les règles ou les règlements», il y a une connotation d'obéissance. «To respect», en anglais, c'est «obéir» en français. Donc, respecter le code, c'est la conformité. Quand on parle du respect au sens d'une valeur sur le plan éthique, la définition, avec l'étymologie, nous amène ceci : un «re» dans un mot, c'est un doublon : «retourner», «refaire», «redire», «revoir», donc deux fois, et «spect», c'est «regard». Le respect, c'est un second regard que l'on porte afin de ne pas heurter inutilement. Il y a au moins ces deux familles de sens là quand on parle de respect, mais présentement, à chaque fois qu'on en parle dans le rapport, on ne dit rien, donc on peut prendre chacun des deux chemins. Cependant, on prend un petit peu, je vous dirais, le chemin habituellement de la conformité, l'obéissance aux règles puis on oublie le second regard, et c'est ça, c'est là où se situe l'éthique, dans le second regard que l'on porte afin de ne pas heurter inutilement : J'ai le droit, mais puis-je? C'est une différence. Donc, le rapport réduit l'éthique à la déontologie, bien, il réduit le respect à l'obéissance, alors qu'en réalité on oublie un grand pan réflexif, qui est celui du second regard. Il faut comprendre que la conformité, ce n'est qu'un seuil minimal. Sous la conformité, c'est le manque d'éthique ou l'illégalité, là. Et puis l'éthique, de son côté, ça représente un idéal. Donc, la marge est grande entre les deux, entre le seuil minimal et l'idéal. C'est la fin de l'aparté, mais je pense que c'était nécessaire pour comprendre le plan des valeurs.

Si je reviens sur le plan des valeurs, moi, ce qui m'a sidéré, c'est que, parmi les valeurs nommées dans le rapport, qui sont celles de l'article 6 de l'Assemblée nationale, on ne retrouve pas l'intégrité. Quand même, à ce moment-ci, c'est intéressant. Donc, on ne retrouve pas l'intégrité. Deuxièmement, comment les députés peuvent-ils appliquer ces valeurs si elles ne sont définies que par des règles, si elles ne parlent pas de sens à donner à une conduite, si elles n'exigent que l'obéissance? Donc, les valeurs doivent être claires, et, selon moi, il y a bon flou.

En poursuivant l'analyse, dès la section 2, le commissaire réduit l'éthique à l'obéissance aux règles, on comprend tout de suite que les règles, c'est sérieux. L'éthique, bien, c'est laissé à l'imagination de chacun parce que c'est difficile à définir. Tout au long du rapport, le commissaire mentionne à de nombreuses reprises l'importance pour les députés de maintenir la confiance de la population, et cette confiance, vous savez, elle ne sera pas restaurée avec la simple obéissance aux règles. On attend beaucoup plus d'un député et de vous tous, c'est-à-dire l'exemplarité. J'aime croire que les députés de l'Assemblée nationale, que je présume tous habités par une forme d'idéal, devraient traduire cet idéal en actions en tout temps au lieu de simplement se préoccuper de ne pas être sous la barre. Être député, c'est noble, c'est un beau geste. Vous et vos collègues avez la responsabilité de restaurer cette noblesse, qui est mise à mal par les actions de quelques-uns. Vous êtes également responsables de restaurer cette noblesse en indiquant clairement que le seuil minimal ne suffit pas à redonner la confiance du citoyen. Vous devez viser l'idéal, celui qui a mené d'ailleurs à votre engagement politique.

Le commissaire, dans son rapport, recommande de prévoir un cadre déontologique plus fort ou de renforcer le cadre déontologique. C'est le fétiche, c'est le biais juridique. Je veux dire, on aime renforcer des cadres quand on est juriste, mais ça existe, ça illustre encore le «d'où parle-t-on?» du début : on parle d'un point de vue juridique. En quelques mots, de quoi parle-t-on? Le mot «éthique», pour moi, en tant qu'éthicien, est vide de sens dans le rapport. On parle de déontologie. D'où parle-t-on? Du point de vue juridique seulement et exclusivement.

En terminant, je ne ferai que trois recommandations : la première : assurez-vous que le Commissaire à l'éthique suive ou ait suivi une solide formation à l'éthique; deuxièmement, ne videz pas l'éthique de sa substance et cessez de l'utiliser telle une matraque, une menace ou une jambette afin de faire trébucher l'adversaire — si l'adversaire manque d'éthique, instrumentaliser l'éthique à des fins partisanes est également un manquement à l'éthique; troisièmement, ne soyez pas satisfaits du seuil minimal, exigez que l'éthique reprenne sa place dans le Code d'éthique, dans la culture de l'Assemblée nationale et dans vos actions au quotidien, surtout ne réduisez pas l'éthique aux cadeaux et aux conflits d'intérêts, c'est tellement plus vaste.

Ce serait dommage d'arrêter là, sur les cadeaux et les conflits d'intérêts. Dans le fond, ma recommandation, c'est quoi? Visez l'idéal. Merci beaucoup de m'avoir écouté.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Villemure. Pour avoir vu les non-verbaux de mes collègues, j'ai l'impression que vos commentaires vont susciter plusieurs questions. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Pour un bloc de combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : Oh! pour un bloc...

M. Tanguay : Vous avez du lousse, là. C'est ça que vous me dites.

Le Président (M. Ouellette) : Pas que j'aie du lousse, mais vous...

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. Villemure. Merci pour votre réflexion. Vous avez participé, donc, en juin 2009 à ce qui aura été la première mouture du Code d'éthique. Aujourd'hui, vous le voyez.

J'ai pris note de vos trois recommandations. Ne pas réduire l'éthique aux cadeaux et de la voir dans son spectre plus large, comment on pourrait faire ça à la lumière du mandat, qui est dans le mandat de la Commission des institutions, qui est de proposer, de façon tangible, des amendements au Code d'éthique? Avez-vous des exemples d'amendement, ou de nouvelle approche, ou de nouveaux chapitres? Puis je ne veux pas tomber dans le piège de celui qui, en se disant : Bien, on a pleinement codifié, donc, l'éthique, «check», permettez-moi l'anglicisme, c'est fait... je ne veux pas tomber dans ce piège-là, mais comment pouvons-nous, et j'aimerais que vous nous donniez des conseils tangibles, ne pas aborder l'éthique dans son spectre le plus large? Comment pourrions-nous réaliser votre troisième recommandation?

M. Villemure (René) : Bien, d'une part, ce qui est intéressant, c'est qu'on parle beaucoup de valeurs, et les valeurs sont peu définies et, dans le fond, peu en lien avec la pratique autre que pour les conflits d'intérêts. Ça fait que je pense que les valeurs peuvent servir d'inspiration à une pratique globale un peu plus large. Si vous faites référence à ma présentation de 2009 qui s'intitulait Bien faire ou bien paraître?, à l'époque, j'avais suggéré que le mandat soit beaucoup plus large, justement, et puis je trouvais qu'on le restreignait aux cadeaux et aux conflits d'intérêts, et, par conséquent, bien, c'est ce qui s'est passé.

Je vais vous montrer un petit peu quatre statistiques qui viennent du rapport du commissaire. Ce sont les pages 90 à 92, je crois... 93, c'est sous forme de graphiques que vous pouvez voir ici. Le premier, à la page 90, illustre les préoccupations des membres de l'Assemblée nationale, puis on remarque que déclarations d'intérêt, dons et avantages sont les deux plus grandes préoccupations. Si on remarque, «valeurs» a, et pardonnez-moi l'anglicisme, scoré zéro. Donc, ce n'est pas quelque chose qui a préoccupé les membres. On a réduit l'éthique, par le code, aux cadeaux et aux conflits d'intérêts. Et il y avait un philosophe polonais qui s'appelait Stanislaw Jerzy Lec qui disait : Vous savez, pour sortir d'un cul-de-sac, c'est là où était l'entrée. Alors, je pense qu'il y a un côté où il va falloir revoir là par où on est rentré. C'est une des premières de quatre statistiques que je vous amène. Les membres du personnel — page 91 — on remarque que leurs intérêts ou leurs questionnements auprès du commissaire sont sur les règles d'après-mandat et les conflits d'intérêts. Là où on avait zéro pour les valeurs dans le premier graphique, on n'a même pas la mention dans la deuxième page. Donc, écoutez, on est directement dans le champ de la déontologie, assurément. La page 92, quelles sont les interrogations des citoyens? Et on remarque que la plus grande interrogation, c'est ce qui ne relève pas du mandat du commissaire, illustrant ainsi... pas la certitude, mais une indication comme quoi ce n'est peut-être pas la totalité qui est couverte par le code actuellement. Il y a des choses qui préoccupent les gens et qui ne sont pas là. Par contre, ce qu'on remarque tout de suite, les gens sont intéressés par les valeurs de l'Assemblée nationale plus que les députés ou les membres de cabinet. Donc, il y a un élément à aller chercher là.

Et, le dernier, la page 93, on remarque que les médias sont sensibles aux conflits d'intérêts et aux enquêtes. Évidemment, le code parle de ça. Alors, le commissaire ayant fait une action strictement déontologique, les demandes sont strictement déontologiques, c'est de cause à effet.

Pour répondre de manière tangible à votre question, je crois que les valeurs devraient reprendre leur place, que vous avez le pouvoir, à la Commission des institutions, d'aller faire un usage plus ample des valeurs simplement que de s'en servir comme figurants, et ça nous permettrait de couvrir des sujets beaucoup plus larges que sont les cadeaux et les conflits d'intérêts, qui sont importants, là, mais ça ne peut pas être réduit à ça, parce que... Et cette recommandation-là, elle s'accroche avec la précédente, si je peux me permettre, monsieur. C'est qu'actuellement moi, je vois une instrumentalisation de l'éthique, c'est-à-dire je m'en sers comme une arme ou une matraque, et puis on n'a pas, à ce moment-là, le bien commun en tête tant que de faire trébucher l'adversaire, et ça, ce n'est pas un usage admissible de l'éthique, simplement. Mais je ne fais pas la leçon, là, je dis juste que simplement l'éthique sert à bien faire, en gros, là, si on veut donner le sens à une conduite, et puis, si on s'en sert à répétition pour enfarger l'autre, c'est difficile de dire : Je vais mettre plus d'éthique, là.

• (17 h 10) •

M. Tanguay : Diriez-vous que... c'est votre deuxième recommandation puis je fais du pouce sur vos dernières paroles, diriez-vous que toute prétention des élus de l'Assemblée nationale de vouloir mieux faire en matière d'éthique qui ne mettrait pas de côté minimalement et beaucoup la partisanerie serait vouée à l'échec?

M. Villemure (René) : Je vais vous demander de la répéter, parce que je ne suis pas sûr que je l'aie bien compris.

M. Tanguay : Dans votre recommandation, vous dites que les fins partisanes desservent l'éthique. Alors, diriez-vous que, si on ne fait pas, nous, les 125 députés de l'Assemblée nationale, qui allons bientôt proposer des amendements au Code d'éthique... si on ne trouve pas une façon de sortir la partisanerie du champ d'application, qui est l'éthique, bien, on risque de passer à côté de nos objectifs, qui est ultimement de renforcer la confiance qu'ont les citoyens en nos institutions démocratiques, qui, ces dernières années, là... Puis, je ne fais pas de partisanerie, de part et d'autre, là, on a tous joué, d'un côté de la clôture ou de l'autre, dans ce film-là, de dire : Bien, oups! il y a un collègue de la partie adverse qui semble avoir pris certaines libertés en matière d'éthique; conférence de presse, on sort l'artillerie lourde, pas besoin de procès, là : coupable.

M. Villemure (René) : Sortir l'artillerie lourde, c'est le procès.

M. Tanguay : Et comment pourrions-nous... je ne sais pas, c'est une déclaration commune que dorénavant, désormais... Est-ce que ça nous prend un : Désormais, en matière d'éthique, on mettra le holà sur la partisanerie?

M. Villemure (René) : Écoutez, la partisanerie est partie constitutive de votre travail. Vous représentez des partis. Et ça fait partie de l'ensemble de votre travail parlementaire.

Cependant, votre travail parlementaire ne peut être réduit qu'à la partisanerie, et l'excès, comme le manque, dans toute action est probablement nocif. L'excès de partisanerie est nocif, et le manquement... vous ne rempliriez pas votre rôle. Donc, moi, je pense qu'il y a moyen de concilier sérieusement éthique et travail politique en donnant la juste part à la partisanerie.

Je ferai deux remarques : une sur vos commentaires qui étaient avec M. Keating et une sur l'action de Mme Maltais, ce matin, que j'ai regardée à la télé parlementaire. Tantôt, vous disiez : C'est difficile, les médias nous regardent. Et puis c'est un fait, hein, on est rendu dans l'ère du clip de 10 secondes, mais cependant consentir aux clips, c'est un peu tisser notre propre corde aussi. Je suis dans une position où les médias me demandent, en quatre secondes, de condamner quelqu'un, ce que je ne fais pas, parce que justement ça ne rend pas justice à une situation. Il y a un débalancement dû au manque de confiance, qui est très grand, et je pense que de tenter de le rebalancer sans la confiance nécessaire, c'est-à-dire sans l'exemplarité, ça va être difficile.

Ce matin, Mme Maltais parlait d'un serment qui est donné par tous les députés en entrée en fonction. Il y a un rappel à faire là-dessus, parce que je ne pense pas que c'est une instance de plus que ça prend tant que peut-être un certain rappel, parce que ce serment-là, celui-là, ou un autre du même acabit, si on veut, est fait une fois la première fois, et ça fait longtemps, et entre-temps on a des bosses et des bleus au visage, là. Alors, c'est sûr que la joute, elle est rude maintenant. Elle est, par essence, à mon avis, trop rude. Quand je regarde... puis on a tous eu des jeunes enfants qui regardaient les débats, parce qu'ils devaient les regarder avec moi, là, mais il reste que ce qu'ils voyaient, c'était la chicane de la période des questions. Évidemment, les médias nous ramènent des bouts croustillants aussi, mais tout le travail formidable que vous faites n'obtient jamais d'attention. Ce n'est pas aussi croustillant qu'un conflit d'intérêts. Mais je pense qu'on a avantage à rééquilibrer le balancier, à démontrer que le rôle du député n'est pas que celui d'un chien de garde de l'autre.

Et puis il y a quelque chose de noble... Moi, je le répète, c'est une fonction que j'admire, la fonction de député, c'est un don de soi extraordinaire, mais la partisanerie à tout prix dessert l'ensemble et surtout ne sert pas l'intérêt public. L'intérêt public, qui préside le code, hein, et qui préside la déclaration de l'Assemblée nationale, on a comme oublié cette partie-là au profit de la partisanerie. Ça fait que je pense qu'il y a un rééquilibre... Dire qu'on va bannir la partisanerie, voyons, il faut être sur un nuage blanc, là, mais, entre totalement absent et que ça, il y a une marge.

M. Tanguay : Vous disiez même en juin 2013... parce que vous avez l'avantage d'avoir beaucoup écrit, et vous portiez une application de ce que vous venez dire dans le domaine municipal, où dans un de vos papiers vous disiez : «Qui consentira à se présenter aux élections municipales prévues pour le mois de novembre 2013 si la moindre allégation se transforme immédiatement en accusation, voire en condamnation?» Alors, de ça découle la partisanerie à outrance, qui, en amont même, va se faire se questionner des femmes et des hommes qui vont dire : Bien, moi, je veux-tu jouer dans ce film-là? Est-ce que je veux descendre dans l'arène? Puis, la démocratie et le fait d'être député, ça ne devrait pas être vu, l'Assemblée nationale, comme une arène.

M. Villemure (René) : On voit les députés comme des coupables, honnêtement, et c'est malheureux, parce que, franchement, s'il y a quelqu'un qui donne des heures et de tout ce qu'il faut d'amour du peuple, c'est bien là. Oui, j'avais écrit ça à l'époque, et ce qui est malheureux aujourd'hui, c'est pire encore qu'à l'époque, c'est-à-dire que toute allégation devient vérité dans l'instant, et puis il y aura l'erratum que vous voudrez, là, ou il y aura la démonstration contraire, ça demeure vérité.

On vit dans un monde de clips, et ça dessert beaucoup. Le mandat de la commission n'arrangera pas cette situation-là. Mais il y a une réflexion sociale à faire sur la place des réflexions en 30 secondes. Vous savez, Umberto Eco, qui est décédé récemment, disait : 140 caractères, ça ne permet pas d'argumenter, ça ne permet que de crier. Et c'est ça qu'on voit. Vous savez, sur les médias sociaux, ça crie beaucoup, et il y a des gens qui répondent à ces cris-là, ça fait toutes sortes de batailles, mais vous devriez être au-dessus de ça, là. À quelque part, il y a comme le désir ou la nécessité de s'élever au-delà de la mêlée. C'est difficile, ce n'est pas automatique, mais c'est nécessaire, parce que sinon vous allez arriver en bas des vendeurs d'auto, et là vous êtes juste au-dessus. Alors, il faut faire attention, là. Moi, je ne peux pas comprendre qu'on laisserait la fonction de député empreinte de cynisme et de penser que ce ne sont que des moins que rien et des affairistes. Je ne crois pas ça.

M. Tanguay : Et se rendre compte — et je participe à votre réflexion, je réfléchis tout haut, là — se rendre compte également que, de planter — vous me permettrez l'expression — un député qui siège en face de moi, il aura passé un mauvais 24, 48 heures, mais ultimement c'est toute la fonction de député qui va être en...

Une voix : ...

M. Tanguay : Si je ne fais pas dans la nuance, je le plante, j'aurai gagné sur lui et sur elle pendant 24, 48 heures, ça aura fait la manchette, j'aurai marqué le point, mais, ultimement, quand on parle du cynisme de la population, les gens pourront très bien se dire : Bien, c'est tout du pareil au même, tout du pareil au même. Et, en ce sens-là, je pense qu'il faut faire attention quand on dit : Ah! les médias, les médias, mais nous les nourrissons. Et, si en matière d'éthique nous avons une saine réserve, comme vous dites, ne pas mettre de côté le travail qu'on a à faire, qui est de questionner quand on est dans l'opposition... mais, quand on nourrit les médias, ils se nourrissent par ce que l'on fait, et, de s'imposer, qui pourrait découler du serment, comme député, de ne pas avoir un comportement qui viendrait attaquer l'institution, ultimement, de s'imposer une saine réserve, je pense qu'en découlerait aussi la couverture médiatique, parce qu'ils ne pourront pas inventer, hein, les médias n'inventent pas les affirmations et les clips.

M. Villemure (René) : Non. Mais je vais retourner sur le sujet des valeurs un instant. Tantôt, j'ai brièvement défini le respect : le second regard que l'on porte afin de ne pas heurter inutilement. C'est une longue définition, là. Mais moi, je me poserais la question souvent, sur le point d'agir, là : Est-ce que j'ai posé un second regard? Puis ça peut être oui, hein, c'est correct. Est-ce que ça heurte inutilement? Là, c'est une évaluation qu'on a à faire, et je pense qu'on doit la faire.

Tantôt, j'ai mentionné qu'on n'avait pas par écrit le terme d'«intégrité». C'est une chose à laquelle vous seriez en pouvoir de peut-être remédier. Mais l'intégrité, c'est quoi aussi? Moi, j'ai la marotte de définir les termes en les rendant opérationnels, pas en les obscurcissant. L'«intégrité», c'est : Agir, sans compromis, dans l'intérêt de l'État. Bon, si on se pose la question : L'intervention que je fais, la jambette que je donne, est-ce qu'elle est dans l'intérêt de l'État?, ça se peut qu'elle le soit, hein, mais ça se peut qu'elle ne le soit pas, et là je m'abstiendrais. C'est sûr qu'il y a une retenue à aller chercher. Le respect implique une retenue, d'ailleurs, lui aussi. Alors, si on prend chacune des valeurs de l'Assemblée, il y en a... Vous savez, il y en a beaucoup. Parce qu'on dit, par exemple : La valeur d'honnêteté inclut la prudence, la diligence, ta, ta, ta. Elles ont toutes quatre valeurs qui en définissent une, ça fait 16 à peu près, là, mais, dans le total, il y a moyen de dire : Nous autres, ce qui nous gouverne dans le code, ce sont ces, mettons, quatre concepts-là, qu'on va définir comme ça.

Vous savez, le respect, tout le monde est pour, tout le monde en veut, on veut en donner à tout le monde, mais, quand je demande aux gens dans des conférences qu'est-ce que c'est, tout le monde dit : Euh... oui, oui, on connaît le nom, mais on ne connaît pas le sens.

Et je vais revenir à mon commentaire. Je disais : Je fais un commentaire linguistique, je parle de mots. C'est quoi, un mot? C'est juste une chose, c'est la construction d'un son et d'un sens. On connaît le son «respect», on connaît le son «intégrité», mais des fois on ne connaît pas le sens qui va avec. Et je vais juste vous donner un exemple qui est comique, pour l'illustrer, mais, quand on dit «compte en Suisse», c'est un son, ça, mais le sens qu'on y apporte, c'est quoi? «Fraudeur», en gros, là, mais pourtant les Suisses ont tous un compte en Suisse, ce n'est pas tous des fraudeurs. C'est qu'on a perverti le sens. Bien, à force de pervertir le sens des éléments comme ceux des valeurs, comme celui de l'éthique, à un moment donné, l'éthique vide de sens, ça ne veut plus rien dire. Et là vous êtes, en effet, pris avec la conséquence, parce que, si c'est vide de sens, des fois on l'a vidé nous-mêmes, hein, c'est... et le média ne l'a pas inventé, c'est un fait.

Je pense qu'il y a une nécessité de faire un grand virage, à savoir... Vous n'êtes pas dans l'erreur à 100 %, là, mais il y a la nécessité de dire : Écoutez, il faut qu'on fasse quelque chose, parce que la situation, elle est intenable à terme, et ça, intenable à terme, ce n'est pas bon pour vous, ce n'est pas bon pour nous, ce n'est pas bon pour personne. Et ça n'implique pas que les gens ne seront pas des gardiens, que l'opposition ne fera pas son travail, ce n'est pas ça, c'est peut-être qu'à un moment donné il y a... l'éthique n'est pas que dans les cadeaux, conflits d'intérêts, simplement.

• (17 h 20) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Villeneuve. Je me suis plu à dire récemment dans une entrevue dans une radio communautaire que vous étiez mon maître à penser en matière d'éthique, et, je dirais, ce n'est pas parce que vous êtes un béni-oui-oui ou rose bonbon, parce que des fois vous nous confrontez à nous-mêmes, et j'apprécie beaucoup ce que vous nous apportez à chaque fois. Vous amenez plusieurs éléments intéressants. J'ai cette idée, qu'il y a la structure, le code de déontologie, mais qu'il y a une culture et qu'il faut sortir des débats de structures «Je respecte le code, j'ai respecté le code» pour en arriver à : Est-ce que j'ai... comment vous le dites?, j'ai le droit, mais puis-je? Mais puis-je? Ça, c'est vraiment toute la question que je me pose.

Le collègue de LaFontaine disait tout à l'heure : On utilise peut-être beaucoup de façon partisane le code. Moi, je ne suis pas d'accord. En fait, si on utilisait mieux les valeurs, on n'aurait pas besoin de référer tout le temps au code de déontologie, parce que, comme vous le dites, s'il n'y a pas de sens, il n'y a pas de conduite, là on a des manquements. Or, les valeurs ne sont pas codifiées, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire à un collègue... ou faire enquêter sur un collègue parce qu'il ne correspond pas aux valeurs de l'Assemblée nationale. Ça, c'est dans le code. Sur les valeurs, on est supposés les — votre mot — respecter. C'est vraiment assez complexe.

Alors, j'ai regardé les rapports du Commissaire à l'éthique. Pendant que vous étiez en train de parler, j'ai fait faire un balayage. À peu près tous les rapports qu'on a demandés, toutes les enquêtes qu'on a demandées au Commissaire à l'éthique ont résulté en véritablement une reconnaissance de faute au code, sauf une, parce que le rapport était non fondé, parce que la date d'entrée en vigueur de l'article précédait l'enquête, mais, sur la valeur, on avait le même problème. Là, on est dans une date, on est dans de la structure, alors qu'il y avait un problème de valeurs. L'autre, il y a eu effectivement quelque chose qui s'est avéré non fondé pour le commissaire, c'était sur le ministre de la Santé et l'affaire du CHUM.

Maintenant, comment on fait pour... on ne veut pas codifier les valeurs, mais comment on réagit, comment est-ce qu'on fait pour toucher à la culture? Parce que, moi, c'est ça qui m'intéresse. C'est la culture.

M. Villemure (René) : La culture d'une organisation, d'une nation ou d'un peuple, c'est le résultat d'actions ou de non-actions prises au fil du temps. Donc, on est rendu avec une culture x suite aux actions ou aux non-actions prises, et le chemin est, encore là, de prendre des actions différentes, ou ainsi de suite, mais, pour y arriver — quand même, je vais vous donner un chemin, parce que sinon c'est trop vague — les valeurs, sans les codifier... parce que je ne crois pas à la codification des valeurs, mais on peut toujours bien les rendre claires, praticables. Ça, c'est deux choses qu'on ne voit pas nécessairement : claires et praticables.

Tantôt, quand je disais : Si je dis «respect», bien, vous êtes légitimes de penser les deux sens, là, l'obéissance ou le second regard... mais, si je vous dis, par exemple, à l'Assemblée, le sens, c'est ça, bien là vous êtes déjà en avance. Mais présentement on agit comme si tout le monde le savait. Puis c'est drôle, parce qu'en matière d'éthique il n'y a personne qui répondrait à une autre personne qui lui demande : Est-ce que tu connais l'éthique? Puis l'autre répondrait : Non. Tu sais, ça n'a pas de sens. Bon, même chose si on dit : Tu sais c'est quoi, pourtant, l'honnêteté? Bien, c'est sûr que je sais c'est quoi. Bien, définis-le. Ça aussi, il y a des éléments où ce n'est pas défini. Et, curieusement, même si ça devrait faire partie du cursus de tous, ça n'en fait pas partie, en pratique.

Donc, il y a une nécessité de définir ou de rendre claires ces valeurs-là afin de voir si elles sont praticables — je crois qu'elles le sont, là — mais quand même d'arriver avec une forme de définition. Quand je disais tantôt : L'intégrité, c'est agir, sans compromis, dans l'intérêt de l'État, bien, si j'agis, sans compromis, dans l'intérêt du parti, déjà on n'est pas là, par exemple. Puis ça, la définition que je vous propose là, ce n'est pas une affaire qui prend deux paragraphes, là, c'est une phrase, et on peut toutes les avoir comme ça, ces phrases-là, qui seraient utiles, parce que la règle vient dire : Dans le cas x, c'est ça. Mais, s'il n'y a pas de règle, bien, vous avez des valeurs qui prennent la relève et qui vous donnent un genre de carré. La valeur, elle ne vous dira pas : 15 degrés à droite, mais elle va vous dire peut-être les 25 premiers à droite, par exemple. On est déjà plus proche, parce qu'on vient d'évacuer le reste des 345 degrés... 335 degrés, je m'excuse.

Mais donc il y a une sensibilisation, auprès des députés, à faire sur la forme des valeurs. Les gens qui ont défilé ici ont tous dit : Ça prend une formation à l'éthique. En tout cas, le commissaire en a besoin d'une. Mais il reste que, néanmoins, je pense que tout le monde aurait avantage à ça. Mais, au-delà de ça, c'est que la formation à l'éthique s'accroche sur quoi? Et elle va s'accrocher sur des valeurs, et ces valeurs-là ont besoin d'être affinées. Ce n'est pas qu'elles ne sont pas bonnes, loin de là, mais affinées, parce qu'aujourd'hui on est rendu dans des problèmes précis et on ne peut pas prendre un concept brut pour régler un problème précis. Ça fait que, pour moi, c'est sûr qu'il y a une sensibilisation à l'ensemble des députés en amont, à savoir : Écoutez, ce n'est pas juste le plancher que vous visez, là, c'est le plafond dont on vous parle, en tout cas, entre les deux, là, chose certaine, et puis les valeurs qui doivent guider vos comportements sont a, b, c, qui signifient d, e, f, puis avec des exemples, à part ça. Moi, je l'ai vu dans de nombreuses grandes organisations, dans la fonction publique tout comme dans le privé, réduire l'incidence de nécessité de plainte. Puis ce qu'on veut, ce n'est pas de pogner l'autre, c'est que ça ne se passe pas, simplement.

Alors, la culture, c'est un peu ça, c'est d'influencer la culture en augmentant la compréhension et en réduisant la nécessité de plainte. S'il y a lieu de se plaindre, il faut se plaindre, mais, s'il n'y a pas lieu... ou s'il y a lieu de le régler autrement, je pense qu'on doit le faire. Et puis, encore là, je le répète, la culture, c'est la somme des actions, non-actions, et puis là il est un moment où on doit prendre des actions.

Mme Maltais : J'ai un guide, moi, qui m'appartient, c'est : Quand la population va apprendre ça, comment elle va réagir? C'est vraiment mon guide, puis je vous le dis, parce qu'on est obligés... comme on n'a pas codifié les valeurs et qu'il ne faut pas les codifier mais qu'on a parfois l'impression qu'elles sont galvaudées ou qu'elles sont mal comprises, on est finalement obligés d'en revenir à ça en disant : Bon, bien, je vais l'apprendre à la population, qui ensuite posera un jugement, ce qui provoquera une réaction. Donc, je respecte le code, mais, si la population ne nous respecte pas, là je trouve mon chemin pour essayer de changer les pratiques. C'est extrêmement compliqué. En même temps, on est obligés de faire affaire à la population, on est obligés d'aller devant la population, mais ça devrait être aussi un guide personnel.

M. Villemure (René) : Oui, oui. Je vais vous donner deux exemples de guide personnel qui peuvent servir ou desservir, dépendamment de ce qu'on fait avec.

Tantôt, vous avez parlé d'homme raisonnable ou de conduite prudente à la personne qui, normalement, devrait savoir. Bon, souvent, on donne un fait à quelqu'un qui ne sait pas, ne peut pas savoir mais qui va commenter pareil. Ça, c'est les médias sociaux. Donc là, c'est embêtant, parce que, si la personne n'a pas le contexte pour comprendre, elle va vous juger sévèrement souvent en l'absence de contexte. C'est embêtant. D'autres vont dire : Moi, bien, je vais regarder si je suis capable de me regarder dans le miroir ou si je suis capable de l'avoir dans le journal. Parfois, l'action courageuse, il va falloir qu'elle suscite des vagues pour pouvoir être la bonne action. Parfois, quand on dit : Est-ce que je serais confortable si c'était dans le journal?, ça nous pousse à prendre des actions encore moindres que ce qu'on devrait faire. Ça fait que c'est embêtant, vous savez.

Je vais prendre l'analogie du courage, dont l'excès est la témérité et le manquement est la lâcheté. Je ne vous dis pas de viser la lâcheté, là, je vous dis peut-être de cesser la témérité et tomber dans le courage. C'est peut-être là où on devrait regarder. Alors donc, c'est sûr qu'il y a un côté... la population, il faut la consulter, mais elle doit comprendre, mais aujourd'hui l'information passe tellement vite, les gens, on est bombardés de messages publicitaires, de tout ce qu'on peut... et puis la capacité d'attention, vous le savez, elle diminue. Et là on a deux choix : on vulgarise au maximum, puis la personne ne dira rien, mais elle n'a pas compris ou on prend un peu plus de temps. Moi, je m'ennuie des émissions politiques où on pouvait entendre parler des gens plus que cinq secondes, honnêtement, mais la plupart du monde préfère une téléréalité aujourd'hui. Donc, c'est embêtant, on ne contrôle pas ce bout-là.

Mais néanmoins je pense que la compréhension, c'est la clé de tout. La compréhension vient de deux mots latins : «cum» et «prehende». «Cum», ça veut dire «ensemble»; «prehende», c'est saisir. Bien, pour comprendre, il faut être capable de saisir l'ensemble. Et aujourd'hui on est bombardé de pièces, et donc, des pièces, des fois, on n'arrive pas à recréer l'ensemble. La population, même quelqu'un qui écoute comme il faut, là... pas juste la personne qui fait un tweet de temps en temps, il y a des gens qui se disent : Je veux comprendre. On n'y arrive pas, parce que c'est complexe, votre travail est complexe.

• (17 h 30) •

Mme Maltais : C'est extrêmement complexe. Regardez, là, je soulève... bon, on le sait, j'ai soulevé, sans faire de partisanerie, j'ai soulevé une question, à l'Assemblée nationale, ce matin, de quelqu'un qui a un employé qui a trois emplois à côté de son travail, mais la réponse, c'est : Je respecte le code. Et je ne trouve aucune prise actuellement, jusqu'ici, là — je ne dis pas que je ne vais pas continuer — mais pour envoyer ça devant ses pairs au niveau éthique, sauf devant le public.

M. Villemure (René) : Là, vous venez d'illustrer une limite du code et une limite d'un code déontologique, et je vais répondre à votre question sans prendre en compte le cas en question, parce que ça s'applique tellement partout.

Une action peut être légale tout en étant non éthique. Et puis ça, la personne va vous dire : J'ai respecté le code, j'ai respecté le code. Oui, mais tu as fait fi des citoyens ou de l'intérêt public peut-être, et, encore là, je ne parle pas du cas de ce matin, là, mais c'est une dynamique que moi, je vois souvent quand même. Et puis, à la limite — vous savez, vous êtes là pour représenter les gens — il vaut mieux respecter les gens que respecter le code. C'est un peu l'idée derrière ça. Alors donc, oui, une action peut être légale ou non blâmable dans le code tout en demeurant non éthique. Et le gros de mon travail aujourd'hui se situe sur cette ligne-là, ce n'est pas tellement sur : C'est blâmable dans le code, parce que ça, c'est clair, d'habitude, on y arrive, il y a une disposition, éventuellement elle s'applique. Mais toutes ces zones de gris là, de gris foncé ou de gris pâle qui font que, sur le plan de la règle, ça passe, mais, sur le plan des valeurs, donc le plan de l'éthique, ça ne passe pas... et, si j'avais à prendre un cas en exemple, mettons... non, je ne prendrai pas d'exemple, ce n'est mieux pas, mais il reste que, si on disait devant un tel cas : L'intégrité, agir, sans compromis, dans l'intérêt de l'État, est-ce que ça représente une action, sans compromis, dans l'intérêt de l'État?, des fois, on va dire non. Et peut-être que ça respecte le code, mais ça ne respecte pas ça. Et ça, cet élément-là de valeurs et d'éthique est aussi pesant que le code. Et ce qui fâche la population... et dans les graphiques de tantôt, ce qui est très drôle, c'est que la population veut entendre parler de valeurs, c'est marqué dans le rapport du commissaire. Et puis, quand on regarde la page «députés ou membres du personnel», c'est zéro ou absent. Ça fait qu'il y a une connexion à faire là-dedans, sérieusement, et puis le commissaire, sans tirer de conclusion, l'illustre dans ses demandes, alors ça ne vient pas des airs, là. Mais je crois qu'on devrait travailler... pas tellement à renforcer la déontologie comme le commissaire l'entend, à renforcer l'éthique.

Mme Maltais : J'ai une dernière question, M. Villemure. On se questionne beaucoup en ce moment, parce que — je dis «nous, les députés, la population» — il y a eu des manquements soit aux valeurs, à l'éthique qui ont été découverts par le commissaire qui ont fait l'objet de rapports mais jamais de sanctions.

Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Est-ce que c'est dommageable? Il y en a certains... j'en parlais ce matin, je disais : C'est peut-être parce qu'on établit la jurisprudence, donc on est plus prudent, puis ensuite on sait qu'en plus ça va aller devant les pairs, devant l'Assemblée nationale. On ne fait que recommander des sanctions. Qu'est-ce que vous pensez de ce débat-là? Je suis sûre que vous avez... Vous dites que vous avez écouté ce matin. On cherche vraiment une direction là-dedans.

M. Villemure (René) : J'ai écouté ce matin, mais je vais mettre en tension deux éléments. Certes, il y a une construction de la jurisprudence et il ne faut pas le nier. Cependant, ça ne devrait pas être un frein à une action. Quand je regarde, encore là, ici la demande des citoyens et je vois que la plus grande ligne, c'est : Ne concerne pas les actions... du moins, le champ de pratique du commissaire, ça me dit que le champ de pratique du commissaire est peut-être trop réduit notamment aux conflits d'intérêts et aux cadeaux. L'absence de sanction, est-ce que... Moi, j'ai de la difficulté aussi quand on dit : L'opprobre public est une sanction. C'en est une, hein, mais ça, ça fait partie du lot d'une personnalité publique. Qu'on soit agent de spectacle ou qu'on soit député, tout le monde qui est en public renonce à une partie de sa vie privée. Donc, la sanction ou l'allégation faites envers M. le maire ou tel homme d'affaires connu, c'est la même chose à peu près, là.

L'absence de sanction, est-ce que c'est dû à une interprétation trop laxiste des règles en question, est-ce que c'est dû à une insécurité de la personne? Certains ont dit : C'est une commande politique. Je ne suis pas de ceux-là, mais on l'a entendu quand même à quelques reprises. Moi, je crois que la fonction... si je prends la comparaison que M. le député de LaFontaine va m'amener un peu plus tard sur le Commissaire au lobbyisme et le Commissaire à l'éthique, je dirais, j'ai vu les deux aller depuis le début, là, le Commissaire au lobbyisme actuel, évidemment, est beaucoup plus mordant, ce n'est pas le premier, et il a une jurisprudence de construite, mais le premier qui était là, M. André Côté, avait quand même eu une présence un peu plus présente, disons. Le Commissaire à l'éthique est par essence plutôt discret, et je pèse mes mots.

Mais donc, la fonction d'éducation, je ne l'ai pas vue. Mais on s'est dit : Bien, c'est le jurisconsulte, ça. Oui, mais tout ça, pour la population, ce mélange-là... D'ailleurs, les gens ne comprennent pas, hein, qu'il y ait deux instances. Moi, je le comprends, mais la population ne le comprend pas. Mais du moins le Commissaire à l'éthique a été plus pâle que la peinture pâle entre le mur puis la peinture, on ne l'a pas vu. Est-ce que sa fonction commande d'être vu? Ah! bien, non, mais pas plus que le Commissaire au lobbyisme, rendus là. Alors, pourquoi est-ce que les gens ont une affinité spontanée... je ne parle pas des entreprises, mais la population respecte plus le Commissaire au lobbyisme? Est-ce qu'il a arraché plus de visages? Je ne sais pas. Moi, je trouve qu'il a une action plutôt hargneuse. Mais il reste que néanmoins on ne peut pas ignorer qu'il existe.

Du côté de Commissaire à l'éthique, il a été prudent, pour être poli, c'est-à-dire on ne l'a pas vu. Et ce n'est pas un rôle public, ça va, là, mais un rôle public puis une invisibilité, c'est deux, hein?

Le Président (M. Ouellette) : Merci. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. M. Villemure, j'ai trouvé ça symptomatique, puis je ne veux pas que vous donniez l'exemple, quand vous avez dit... Puis je le dis, je fais la remarque avec le sourire au coin des lèvres. Quand vous avez dit : Si je prends un exemple, là vous avez dit : Non, vaut mieux pas que je prenne un exemple. Alors, je ne veux pas que vous preniez votre exemple, je l'ignore puis je ne veux pas le connaître, mais il y avait visiblement un malaise que d'utiliser un exemple. D'où vient ce malaise-là? Puis probablement qu'il participe de ce que l'on sait, que, quand, au Québec, on parle d'éthique, veux veux pas, la personne qui est sur la sellette, c'est plus qu'un malaise, elle est sur la sellette.

Alors, je pense que votre remarque était très symptomatique, du fait que vous avez dit : Bon, bien, je vais prendre un exemple... ah! non, je ne l'utiliserai pas, parce que c'est comme un ballon de football, on ne sait pas comment ça va rebondir. Mais la personne nécessairement que vous auriez prise en exemple, qu'elle soit de peu importe la formation politique, serait presque de facto sur la sellette et jugée. Et donc on n'a comme pas atteint... et, juste au point de vue des chiffres, il y a des rapports d'activité du Commissaire à l'éthique, on a comme... mon point, c'est que, et j'aimerais vous entendre là-dessus, on a encore beaucoup de maturité, je pense, à acquérir socialement en termes d'éthique lorsque l'on en parle. C'était mon point, de façon plus posée. Oui, il n'y a pas de sanction. On aimerait en avoir, des sanctions. Mais, parce que l'opprobre social est tellement lourd, est tellement fort, ça aura justifié, à tort ou à raison, le commissaire de dire : Bien, la personne, le député ou la députée, a mal agi mais a fait tellement les manchettes que, pauvre lui, pauvre elle, je ne lui retaperai pas sur la tête.

Il se développe une jurisprudence où il y a eu des rapports, deux en 2012, trois en 2014, deux en 2015, deux en 2016, et il y en aura d'autres. Je pense qu'il y a un corpus qui se construit, et corrigez-moi si j'ai tort, mais je pense que ça participe socialement aussi d'une certaine maturité quand on aborde un sujet qui est l'éthique, que l'on a encore, je crois, à étayer, et ça participe aussi du fait que, oui, la partisanerie... mais pas à outrance, parce qu'on dessert, à ce moment-là, l'éthique. Et c'est ce que m'a inspiré votre interjection : Je vais prendre un exemple... non, vaut mieux pas que je prenne un exemple. Vaut mieux pas dans ce contexte-là.

M. Villemure (René) : Bien, vous savez, vaut mieux pas, parce que j'en avais 10. C'est peut-être ça aussi. Non, non, sérieusement... je ne veux pas vous taquiner, vous savez, qu'est-ce qui est drôle, c'est que mes fonctions impliquent que je ne donne à peu près jamais d'exemple, en gros, et là je m'étais laissé aller sur un... puis je me suis rattrapé moi-même. Mais la discrétion est de mise dans mon domaine d'activité. Cependant, c'est certain... regardez, moi, comme éthicien, je ne suis pas un fan des sanctions, en partant. Je vous dirais que l'éthique ne comporte pas de sanction. La déontologie en comporte, là, mais l'éthique, non. L'éthique, il y a une sensibilisation à aller chercher, puis, à quelque part, je vous dirais que le ménage se fait à mesure que la culture évolue, mais, si le seul outil, c'est celui de la punition puis de la déontologie, bien, on va trouver qu'on ne sanctionne pas assez, mais, si on a l'outil de la culture qu'on doit améliorer, bien, je pense qu'on peut vivre... Tu sais, vivre dans un monde de sanctions, ce n'est pas agréable, et dans un monde de surveillance non plus, mais, quand il n'y a rien d'autre, c'est ça que les gens demandent.

Et puis je pense qu'à quelques reprises un député aurait pu dire : Écoutez, ce n'était pas la meilleure décision que j'ai prise, puis, si c'était à refaire, je ne le referais pas. Le capital de sympathie est pas mal plus grand que se faire taper dessus par le Commissaire à l'éthique, honnêtement.

• (17 h 40) •

M. Tanguay : ...et je pense que c'est M. Keating. Vous étiez là, vous l'avez entendu, quand M. Keating disait : On devrait peut-être réapprendre à faire de vraies excuses, à un certain moment donné, reconnaître ses torts. On dit : Faute avouée est à moitié pardonnée, là. Ça découle peut-être de notre héritage judéo-chrétien, là, puis je fais un lien avec M. Keating, mais il y a cet aspect-là aussi, puis j'aimerais vous entendre là-dessus. Oui, il y a l'aspect de dire : Bien, oui, il y a une question d'éthique, on ne va pas livrer, pieds et poings liés, le collègue, le déclarer coupable et qu'on le lance au feu. Ça, c'est une chose, il y a peut-être une mesure à aller chercher. Mais, à l'inverse aussi, le réflexe d'une personne qui est, entre guillemets, sous attaque d'avoir contrevenu à l'éthique est de dire, peut-être, bien souvent : Il n'y a absolument rien là. Si c'était à refaire, je ferais exactement la même chose. Probablement que, dans bien des cas, on ne ferait pas exactement la même chose. Et le fait de pouvoir le reconnaître, effectivement : J'ai appris de cela, ça serait salutaire, donc?

M. Villemure (René) : Moi, je crois qu'il y a un côté... honnêtement, en amont, à sensibiliser, parce que ça... sensibiliser, faire une petite éducation aux valeurs, une forme de formation avec ça, et après ça la personne est plus en mesure de dire : Oui, peut-être que ce n'était pas la meilleure décision. Et, franchement, ce n'était pas la meilleure décision, c'est une réponse, là.

Là, certains vont dire : Ce n'est pas assez, ce n'est pas ci, mais je pense qu'il faut apprendre à vivre ensemble, parce que la fonction d'un gouvernement et d'une opposition est de travailler ensemble, à quelque part. Et puis, si on faisait la somme du temps consacré à dire : Je vais accuser l'un ou l'autre de ça, par rapport à un travail parlementaire constructif... Je ne dis pas que tout blâme n'est pas constructif, mais que du blâme, ce n'est pas constructif. Bien, à un moment donné, on ne se demande pas pourquoi ça... le cynisme est là et puis les gens ne considèrent pas la fonction, on va se dire : Tout ce qu'ils font, c'est que l'un dit que l'autre n'est pas bon. Et l'autre ne réagit pas en se disant : Si je dis que j'ai fait une erreur, bien, je vais me faire couper. Mais, moi, savez-vous quoi?, dans mes fonctions d'éthicien, quelqu'un qui dit : Je l'ai échappée, celle-là, je n'avais pas raison, franchement, ça n'a jamais causé de... personne n'est mort de ça, là. Et puis je pense que c'est à voir. Dans votre cas, là, où vous vivez à clips de sept secondes, d'une part, ça se dit en moins que sept, mais il reste que, je pense, les gens seraient tellement surpris et intéressés à part ça, parce que ça, c'est une forme d'humilité qui va avec le service public. Le service public, on ne s'attend pas à ce que ce soit un matamore qui soit là, on s'attend quand même à quelqu'un qui a le bien commun en tête, qui veut servir. Ce n'est pas tout le monde qui va dans le service public.

Et, tantôt vous avez évoqué un point très intéressant, il y a bien des gens qui ne voudront pas venir dans le service public, parce qu'ils vont se dire : À tous les jours, je vais me faire caricaturer, insulter. Si je vais au restaurant puis je prends du vin, on va me taper dessus. Moi, je me rappelle d'un cas, c'était au fédéral il y a très longtemps, quelqu'un avait dit : Tel ministre est allé dans un lunch avec un... je ne sais pas qui, un ambassadeur, et puis ça a coûté 250 $. Il prend la peine d'ajouter : Et il y avait du vin. Je me disais : J'espère qu'il y avait du vin, parce que 250 $ de hamburgers, ça fait beaucoup. Mais il reste que, tu sais, le côté «et il y avait du vin», je me disais, mais où on prend ça, cette indignation-là? Quand on est député, là on dit : On ne doit pas prendre avantage de la fonction, mais on ne doit pas non plus se flageller, là, tu sais, il y a comme une juste mesure à aller chercher. Et puis, quand on est juste dans la flagellation puis, pire que ça, l'autoflagellation, bien là ça rend ça difficile et ça n'attirera pas, dans le futur, des jeunes qui sont beaucoup animés par des concepts de valeurs et de vivre-ensemble, parce que la prochaine génération, faites-vous pas une idée, elle est différente de celle qui est ici. On fait des études, nous autres, sur le monde en 2030 puis, on voit une chose, les réputations d'entreprise, le fait qu'ils ont une culture d'entreprise... je parle du privé, mais néanmoins c'est des choses que les jeunes considèrent. Ils vont dire : J'achète de tel fournisseur, je veux travailler à telle place, à cause de raisons que nous, on n'aurait jamais pensé évoquer, mais eux les évoquent, et ce sont les députés de demain.

Alors, je pense que l'Assemblée a à faire sa préparation pour ceux qui viendront après, d'ailleurs, parce que vous voulez être certains que ceux qui viendront après, ce ne sera pas juste ceux qui restent, ceux qui ne voudront pas avoir d'autre chose, là. Ça doit encore animer le service public, parce que, je le l'ai dit dans la présentation initiale, je le répète, c'est noble, être député, ce n'est pas un défaut, mais il faut peut-être apprendre sur un vivre-ensemble, un vivre avec ou un vivre à côté, peut-être s'améliorer un petit peu là-dessus. Thierry Pauchant avait dit, quand il est venu devant vous : C'est d'être admirable. Moi, je souscris à ça totalement. Il avait dit : Être député, c'est : il faut agir de manière admirable. Tout est dit. Est-ce que vous êtes l'exemple, par exemple, de ce que vous voudriez avoir d'un parlementaire de demain? L'exemplarité, dont je vous ai parlé tantôt, c'est agir comme si tout le monde était comme moi.

Bien, il faudrait réfléchir sur ces concepts-là, qui sont bien au-delà des règles. C'est en amont de ça, là, c'est une vision du monde, et, la vision du monde, actuellement on la voit beaucoup dans une vision de confrontation, mais il n'y a pas que la confrontation; faire avancer les choses, et vous le savez tous. Et puis je regarde les débats... pas le débat d'hier soir aux États-Unis, mais le concept de confrontation, là. Les gens le disent : C'est deux candidats dont on ne veut pas, mais il y en a un qui va être là, hein, et c'est un peu... On ne peut pas arriver dans ces points-là, où le moindre des deux va être celui qui va être élu, là.

Alors, je pense que, pour attirer les plus jeunes, pour attirer la faveur de la population, lorsqu'applicable, de dire : Écoutez, je me suis trompé, je ne l'avais pas vu comme ça, voici comment je l'ai vu, puis, honnêtement, c'est vrai qu'après coup ça n'avait pas de sens, tu sais, ça ne tue pas personne. Je ne vous dis pas qu'il n'y a jamais lieu d'avoir de blâme. Il y a des comportements inadmissibles. Mais, comme a dit M. Keating tantôt, mettez une barre à 100, ça va être 99; mettez-là à 200, ça va être 199, tout simplement, là, tu sais.

M. Tanguay : Et, comme vous le disiez dans un écrit que vous faisiez en novembre 2014, l'éthique est une discipline réflective, la nécessaire réflexion. Autrement dit, on ne pourra, même pour la personne qui fait l'objet d'allégations, on ne pourra jamais avoir 100 % non plus, parce que, comme vous le dites, on est des êtres humains, on n'est pas parfaits, personne n'est parfait, on peut l'échapper, puis dire : Bien, si c'était à refaire, effectivement, je ferais ça différemment. Puis donc, le fait de dire que c'est réflectif, en ce sens que, les valeurs appliquées à tous les jours, des fois, on peut prendre de moins bonnes décisions que d'autres, on ne l'a pas vu. Faire amende honorable, aussi ça participe de l'autre côté du spectre, d'une confiance à aller rechercher, parce qu'elle a été effritée ces dernières années, là.

M. Villemure (René) : ...qui se gagne, d'une part, puis, à quelque part, la confiance, c'est la non-nécessité de faire la preuve, hein? Quand il n'y a pas de confiance, on demande des preuves, des preuves, des preuves. Mais c'est certain que celui qui l'échappe tout le temps, la balle, celui-là, le code est là pour lui, là. Ça, c'est clair. Mais, autrement, moi, je pense qu'il y a... puis, écoutez, moi, je ne suis candidat à rien ici puis je ne vends rien, O.K., première des choses, mais je pense qu'il y a une nécessité de formation en haut lieu qui sera faite dans un mode à être déterminé, sur : C'est quoi, une valeur, c'est quoi, le sens du serment, le sens à donner à une conduite?, et puis, dans ça, il y a également les règles, mais ça ne peut pas être que ça. Et puis le problème, c'est que le premier bout... appelez-le le premier ou le deuxième, c'est la poule et l'oeuf, là, un des deux bouts manque, et puis vous êtes pris, malgré vous, dans des situations que, mettons, même vous-mêmes, vous n'auriez pas rêvées, là. Il n'y a personne qui, je pense, volontairement, s'est dit : Je vais aller faire cette malversation-là. Ceux-là, il fait les identifier puis les exclure. Mais, en gros, ça représente, quoi, 5 % dans une population. Ce n'est pas beaucoup, là. Il y en a quelques-uns dans les 125.

Une voix : Merci. C'est beau.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette : Merci, M. le Président. Merci pour votre présence, merci d'avoir accompagné les députés depuis la première mouture, qui était en préparation.

On a l'avantage d'avoir quelques années d'expérience avec le code qui a été adopté. On a l'avantage aussi d'avoir composé avec un premier commissaire. Tout à l'heure, vous avez mentionné qu'on ne juge pas les individus mais que l'actuel commissaire était un juriste et que, pour le prochain, parce que nous sommes sans doute à quelques semaines, sinon à quelques mois de devoir nommer son successeur... que ce serait peut-être une bonne chose finalement de retenir un éthicien plutôt qu'un juriste. Quelle est la grande différence à vos yeux pour le rôle qui lui reviendra?

M. Villemure (René) : ...c'est une bonne question, et je répondrai en disant que je ne suis candidat à rien, je veux le préciser, mais... non, non, mais ce n'est pas une plug. La différence réside dans la perspective, le «d'où parle-t-on?».

Le juriste va parler d'un point de vue du droit : Alors, est-ce légal en bout de ligne? Mais Mme Maltais disait : C'est légal, mais ce n'est peut-être pas éthique, là. Donc, il y a un complément à aller chercher. Des éthiciens, vous savez, il n'en traîne pas les rues non plus, là. Il y a beaucoup de profs d'université qui s'occupent d'éthique, tout ça. Moi, je suis plus indépendant, mais disons qu'il n'en traîne pas les rues, honnêtement. Mais, sans dire : Ça sera absolument un éthicien, je pense que le commissaire devrait avoir une solide formation en éthique, et ça, c'est faisable, à quelque part, c'est de voir un peu qu'est-ce qu'il en est. Moi, je ne juge pas l'individu, honnêtement. C'est juste que, sur papier, les qualifications sont celles d'un juriste, d'un très bon juriste, mais d'un juriste. Et, vu qu'on se dit : La cause peut être légale et non éthique, bien, ça prend l'autre bout.

Alors, il faudrait s'assurer, dans le choix, de toujours bien avoir quelqu'un qui peut assurer ces deux composantes-là. Et puis c'est une fonction que, j'ai trouvé... les juristes ont de la difficulté à l'appliquer, parce que le biais du droit, il est fort. Et puis je ne dis pas qu'il n'est pas bon. Il est juste fort. Puis, souvent, autant on a eu des débats sur la parité hommes-femmes, on a eu des débats sur la parité avec les jeunes, je vous dirais que ça serait le fun d'avoir un peu de sciences humaines dans ces fonctions-là, quelqu'un qui a un autre regard. Ça peut être, des fois, un anthropologue, tiens, qui est bien placé pour ces choses-là. Ça peut être — bien, moi, j'ai une formation en philosophie — mais un philosophe anthropologue, tu sais, des éléments comme ça. Je pense que c'est des gens qui sont habitués à penser hors d'un cadre établi, et l'éthique se situe hors d'un cadre établi. Les balises ne sont pas faites une fois pour toutes.

Ça fait que, si j'avais un conseil à nommer : regardez du côté des sciences humaines. Je veux dire, sans nécessairement y aller, n'évacuez pas ça. C'est toute une commande que vous avez, à trouver la perle rare, parce que, connaissant à peu près tous les gens qui travaillent dans le domaine, il y a de tout, mais la perle rare est plus dure à trouver. Je vous souhaite bonne chance.

• (17 h 50) •

M. Charette : Merci. La commande nous semble d'autant plus grande que vous n'êtes pas sans savoir qu'une des recommandations de la commission Charbonneau est justement de fusionner deux postes actuellement importants, c'est-à-dire tout ce qui regarde l'éthique et la déontologie mais également, ultimement, le lobbyisme.

Est-ce que, si on regarde du côté des sciences humaines, on peut aussi trouver ce profil qui soit en mesure de regarder et considérer les questions d'éthique, de déontologie mais également les questions de lobbyisme, qui sont peut-être plus naturelles au droit ou qui sont peut-être plus associées au droit, là, dans les circonstances?

M. Villemure (René) : Bonne question. Écoutez, moi, je n'ai pas fait une analyse exhaustive sur le supercommissariat. Cependant, l'analyse de premier niveau, je vous dirais que de joindre les deux fonctions m'apparaît comme étant improductif parce que la nature même des deux boîtes diffère beaucoup.

Maintenant, si on considère que le Commissaire à l'éthique ne fait que des enquêtes en déontologie ou enquêtes en lobbying, ça va bien, mais, si on considère qu'il doit également se préoccuper d'éthique, c'est plus embêtant. La suggestion que je ferais à la commission à ce stade-ci serait : s'il y a une fusion des structures, en haut de la pyramide il y a le Commissaire à l'éthique qui est qualifié en éthique, sous lui il y a peut-être un commissaire au lobbyisme, mais de là à dire : Ça... Écoutez, on ne pourra pas éloigner le juriste de là, mais je pense qu'il ne peut pas être en haut, tout simplement, il doit être partie prenante, là. Mais, du côté du lobbyisme, c'est clairement du droit appliqué, là. Je ne verrais pas un éthicien comme Commissaire au lobbyisme, mais pas du tout. Mais, s'il y a une fusion des fonctions, je pense qu'il y aura un numéro un et un numéro deux. Puis, vous savez, le lobbyisme est une forme d'éthique, à quelque part, tandis que l'éthique n'est pas une forme de lobbyisme. Donc, je pense que, de qui veut le plus veut le moins, il y aurait une subordination. C'est la seule façon de les faire coïncider, selon moi, et je ne suis pas un gros fan de les faire coïncider.

M. Charette : J'allais mentionner que c'était ma dernière question, mais il y en a peut-être une qui me vient rapidement, compte tenu du peu de temps qu'il me reste. Vous dites : Les subordonner. Mais, selon la recommandation, ce ne serait pas de les subordonner, mais n'en faire qu'un seul, et c'est là où vous auriez une réserve de votre côté.

M. Villemure (René) : Une réserve immense, parce que, si ce n'est qu'une seule personne, il sera forcément un juriste et, à moins d'une exception, il y aura un problème avec l'éthique. Donc, je ne dis pas que c'est impossible, je dis : C'est improbable. Mais ça, c'est tout un défi. Et je pense que, si vous faites un tel genre de structure, vous vous mettez les mains dans le tordeur, parce qu'à un moment donné ce qui va prendre le bord vite, ce sera encore l'éthique, et, dans cinq ans, on dira : Vous savez, il y a un rapport du supercommissaire où est-ce qu'on parle d'éthique, de déontologie et lobbyisme puis il n'y a pas d'éthique, et on va être revenu au même point.

Ça fait que c'est sûr que la recommandation telle que libellée, et je n'ai pas fait une étude exhaustive dessus... mais je serais porté à penser : Un supercommissariat, oui, mais il a comme deux grandes fonctions.

Le Président (M. Ouellette) : ...M. Villemure. Merci de votre participation à nos travaux. Je remercie également les membres de la commission pour leur collaboration.

Je lève donc la séance, et la commission ajourne ses travaux à demain, le mercredi 28 septembre, après les affaires courantes, soit vers 11 h 15, où elle entreprendra un autre mandat, soit l'audition du Commissaire au lobbyisme sur le rapport intitulé Étude sur l'assujettissement de tous les organismes à but non lucratif aux règles d'encadrement du lobbyisme, tel que prévu au projet de loi n° 56, Loi sur la transparence en matière de lobbyisme. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 54)

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