(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Ouellette) :
Après avoir constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des
institutions ouverte. Et, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques
sont en mode silencieux afin de ne pas perturber nos travaux.
La commission
est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 59,
Loi édictant la Loi concernant la
prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à
la violence et apportant diverses modifications législatives pour
renforcer la protection des personnes.
Mme la secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. M. Giguère (Saint-Maurice) remplace Mme Montpetit
(Crémazie); M. Hardy (Saint-François) remplace M. Tanguay
(LaFontaine); M. Lisée (Rosemont) remplace Mme Hivon
(Joliette); M. Rochon (Richelieu) remplace M. Leclair
(Beauharnois); et M. LeBel (Rimouski) remplace M. Marceau
(Rousseau).
Le
Président (M. Ouellette) : Merci. Je vais vous souhaiter la plus cordiale des bienvenues en ce
mardi matin, de retour d'une semaine, je pense, très occupée, tout le
monde, en circonscription.
Étude détaillée (suite)
Donc, M. le député d'Argenteuil, M. le
député de Saint-Maurice, de Saint-François, d'Ungava,
Mme la députée de Montarville, M. le
député de Richelieu — un des
quatre Sylvain — Mme la
députée de Taschereau et Mme la ministre, lors de notre dernière séance sur le projet de loi n° 59, nous
avions entrepris l'étude du sous-amendement du député de Richelieu qui consistait à introduire les mots
«tenu de manière répétée» dans le deuxième... dans le troisième
paragraphe de l'amendement. Et je pense que,
si je me souviens bien, M. le député de Richelieu avait des informations à
transmettre à la commission et avait des commentaires à faire sur son
sous-amendement.
M. Rochon : Oui. Merci, M. le
Président. Bonne Journée internationale des femmes à toutes.
Alors, je rappelle ce sous-amendement que j'ai présenté à la commission à sa dernière séance. Il était à l'effet
de modifier l'amendement à l'article 1
de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en ajoutant,
dans l'alinéa introduit par le troisième paragraphe de l'amendement et
après les mots «deuxième alinéa», les mots «tenu de manière répétée» :
«Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa, tenu de manière
répétée».
Alors, ce sous-amendement, M. le Président, Mme la
ministre, s'inscrit dans le même
esprit que ceux que nous avons jusqu'ici soumis à la commission, à
savoir encadrer, restreindre la portée de ce projet de loi qu'une majorité d'experts — je
suis tenu de le répéter — qu'une
majorité d'experts qu'on a entendus estime être
liberticide, c'est-à-dire qu'il s'attaque à la liberté, à la liberté
d'expression au lieu de lutter contre l'intégrisme. Au lieu de lutter contre
l'islamisme radical, la loi qui naîtra de ce
projet si la ministre ne s'amende pas, elle risque, cette loi, d'être
instrumentalisée pour lutter contre
celles et ceux qui luttent contre ces dérives intégristes. On a encore une fois l'impression que la ministre veut ouvrir à la commission des droits de
la personne et de la jeunesse un beau gros bureau des plaintes. Le plaignant
n'a pas ou la plaignante n'a pas à être
exposé au rejet, à la détestation ou au dénigrement, elle n'a qu'à être
susceptible de l'être. Alors, le droit de s'exprimer librement, là, est
clairement menacé, M. le Président.
On a reçu, au
cours des derniers jours, un document rédigé par Antonin Miller, qui est
chroniqueur en sciences sociales, qui
dit de l'esprit de ce projet de loi qu'il est douteux : L'esprit de cette
loi «invite à mettre trop d'emphase sur le ressenti victimaire — écrit-il — dans
l'offense au détriment des faits, [au détriment] de la réalité, [au détriment]
du contexte[...]. C'est inadmissible»,
écrit-il. Je le trouve aussi. Nous le trouvons aussi. On se bat depuis des
semaines contre cela. Et on se heurte
à l'opinion de la ministre à l'effet que, justement, l'effet du discours compte
davantage que l'intention du discours. Il nous semble à nous que
l'intention du discours est bien plus importante.
Il ne faut pas oublier, M. le Président, que ce
projet de loi, il rend légitime toute dénonciation, même anonyme. «[Ça] risque — écrit M. Miller, que je citais
tantôt — de
donner lieu à beaucoup de plaintes d'intégristes et à des poursuites abusives pour "offense
victimaire" d'ordre religieux ou autre. [Ça] va engendrer — écrit-il
toujours — une
contamination du climat social...» Voilà pourquoi
il faut mieux encadrer, mieux préciser. Voilà pourquoi, à notre point
de vue, ce serait déjà une avancée que d'adopter ce sous-amendement qui
parlerait d'un discours haineux «tenu de manière répétée».
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de Richelieu. Mme la députée de Montarville, on
n'avait pas eu le temps, justement, pour votre intervention lors de
notre dernière séance.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président.
Naturellement, mon commentaire va porter uniquement sur le
sous-amendement du député de Richelieu. Ce qu'on veut faire ici, c'est rajouter
qu'on parle d'un discours haineux qui est un discours qui est tenu de manière
répétée. Je dois souligner, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, que ça fait exactement partie,
cette idée d'un discours qui est tenu de manière répétée, de ce que nous
tentions d'évoquer à l'effet que
l'endoctrinement des jeunes ne se fait pas de façon instantanée, mais c'est un
discours insidieux et c'est un
discours qui est répété, ça se fait de longue haleine, ce n'est pas une... La
radicalisation des jeunes ou de qui que ce soit n'est pas automatique
après uniquement une phrase ou un mot. Et, comme l'objectif de la loi est de
contrer la radicalisation, force est de
constater qu'on parle d'un discours ou de propos qui auraient été répétés à
plusieurs fois ou qui auraient servi
à laver le cerveau des personnes pour les amener à commettre quelque chose ou
les amener à se radicaliser, pour le
moins. Et l'idée de mettre «tenu de manière répétée», ça rejoint totalement
l'objectif que nous visions, qui était de contrer la radicalisation des jeunes. Alors, je pense qu'il y a toute
une nuance ici, dans le discours puis les propos que nous voulons
contrer.
Et je persiste à dire que ces propos que nous
voulons contrer, qui sont des propos qui sont tenus de manière répétée, sont aussi... pas les propos de n'importe
qui mais les propos des agents de radicalisation, des imams
autoproclamés, des prédicateurs
autoproclamés. Et de personne d'autre. Et c'est extrêmement important de le
souligner parce que, si on brime la liberté d'expression de façon
beaucoup plus générale, beaucoup plus large, c'est une trop grande atteinte à
la liberté d'expression de chacun. Et c'est la raison pour laquelle il faut
être plus spécifique, selon nous, et il faudrait ajouter — et j'y
tiens fortement — que ce
sont les propos de ces agents de radicalisation qu'il faut contrer, naturellement,
lorsque ces propos s'inscrivent dans tout ce
processus de radicalisation pour amener quelqu'un vers quelque chose,
vers un but très précis.
Et j'aimerais
souligner ici... J'avais pris une note il y a quelques semaines, puis on
n'avait pas eu l'occasion d'en parler,
mais que les fameux mots, hein, les mots pour le dire — il y avait une émission qui s'appelait comme
ça, d'ailleurs, à moins que je ne me trompe — les fameux mots que
nous devrions rechercher et retrouver dans cette loi là, ce sont vraiment... contrer des propos, mais des propos,
comme je le disais, qui ne viennent pas de n'importe qui et qui ne
viennent pas de n'importe où, mais des propos qui émanent de l'extrémisme
religieux, de l'intégrisme, de la...
Et ce que je
trouve intéressant, c'est que, lors de sa visite au pays, à Montréal, si je ne
m'abuse, il y a le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon,
qui y est allé d'une déclaration très intéressante lorsqu'il était à Montréal
et qui parlait — et c'est M. Ban Ki-moon qui parle — de la lutte à la radicalisation et à
l'extrémisme religieux. Alors, ça, moi,
ça m'a touchée parce que c'est exactement ce à quoi nous devons nous attaquer
avec ce projet de loi. Et j'aimerais beaucoup que nous puissions voir
ces mots qui, jusqu'à présent, ne sont pas présents dans ce projet de loi et
que nous réclamons depuis l'ouverture des
travaux, enfin depuis que la loi a été déposée, au mois de juin dernier. Et ces
mots-là ne sont toujours pas là, et pourtant c'est à ça qu'il faudrait
s'attaquer, à l'extrémisme religieux et à ce que ça amène.
• (10 h 20) •
Et je ne peux pas m'empêcher de faire un
parallèle. Aujourd'hui, c'est la Journée internationale des femmes, et il y
avait des images qui circulaient sur Internet sur la répression des femmes
aujourd'hui en Turquie, lors d'une manifestation,
cette oppression dont sont victimes les femmes, mais une oppression qui émane
d'un intégrisme religieux. Et,
partout à travers le monde, dans d'autres pays, on le voit. Et c'est une
réalité : on parle de charia, on parle de burqa, on parle de niqab. Et il n'y a personne qui va me faire
accroire ici aujourd'hui que ces femmes-là qui sont opprimées et qui
doivent se cacher de la tête aux pieds le
font de leur bon gré. Jamais, jamais
je ne croirai ça, M. le Président. On les a amenées à cette réflexion, mais
jamais de leur propre gré... jamais une femme ne voudrait se cacher de la tête
aux pieds de son propre gré si ce n'est que
pour se protéger elle-même d'un intégrisme religieux qui la sanctionnerait parce qu'on la verrait.
Et c'est la
raison pour laquelle, quand Ban Ki-moon parle de la lutte à la radicalisation
et à l'extrémisme religieux, c'est à
ça qu'il faut s'attaquer au Québec, à l'extrémisme religieux. Et, Dieu soit
loué, on est loin de voir ce qui se passe dans ces pays ici, mais il faut prévenir pendant qu'il en est encore
temps. Et j'espère que la ministre verra que les démarches qui sont faites
sont effectivement dans un but de prévenir ces dérives épouvantables que sont
la charia et compagnie.
Et il ne faut pas oublier, M. le Président,
qu'ici même en 2006 — moi,
je n'y étais pas, mais les collègues de l'Assemblée
nationale y étaient — ils ont
voté une motion contre l'adoption de la charia. Parce qu'il y a
actuellement de ces imams qui sont encore
ici, au Québec... Ils sont venus nous parler d'ailleurs. Il y en a un qui est
venu en commission parlementaire et
qui, lui, faisait partie de ceux qui voulaient avoir l'instauration de la
charia au Québec : C'est une bonne chose, hein, les tribunaux islamiques au Québec, ça serait une bonne
chose. Non, ça serait horrible, il faut
se battre contre ça.
Et je pense
que l'occasion nous est donnée dans ce projet de loi de faire des choses précises contre
l'extrémisme religieux, l'islamisme radical. Et personne n'a le courage de
mettre ces mots-là dans un projet de loi actuellement au Québec.
C'est ce que je dénonce, c'est ce que je déplore. Parce qu'il
n'y a pas d'autre raison de faire une loi actuellement, il n'y en a pas
d'autre.
Hier, il y avait
les gens du SCRS qui nous donnaient des chiffres inquiétants sur des gens, des
jeunes qui ont été radicalisés, qui sont allés à l'étranger, qui sont à
l'étranger, certains qui sont revenus. On parle de 60 jeunes qui sont allés faire le djihad qui sont ici, au Canada, ils
sont revenus. Ces jeunes-là ont-ils un agenda? Ils sont là pour faire quoi?
Ils sont allés pour faire, on s'en doute,
là... enfin on fait plus que s'en douter, le SCRS nous confirme qu'ils sont
allés faire le djihad, donc la lutte
armée pour défendre des préceptes religieux radicaux, et ils sont revenus au
pays, ils sont ici, ils sont parmi
nous. Où sont-ils? J'imagine que les policiers les suivent à la trace, et je me
fie à la capacité et au professionnalisme des policiers québécois et
canadiens. Cependant, la problématique, elle existe.
Et c'est la raison pour laquelle j'aurais
souhaité de tout coeur qu'on voie dans cette loi que ces termes soient indiqués, qu'on lutte à l'extrémisme religieux,
comme le dit... et comme l'a si bien dit le secrétaire général des
Nations unies Ban Ki-moon, qu'on lutte
contre l'islam radical. Ce n'est que ça, le problème, il n'y en a pas d'autre,
et c'est la raison pour laquelle la loi avait été déposée en juin dernier, pour lutter
contre la radicalisation des jeunes. Et je vous rappelle que, cette radicalisation-là, elle est seulement
due à l'islam radical, il n'y a aucune autre radicalisation qui est problématique.
Alors, M. le
Président, je vous soumets que l'amendement «tenu de manière répétée»,
pardon, le sous-amendement, excusez-moi, «tenu de manière répétée»,
c'est un sous-amendement auquel nous souscrivons entièrement puisque la
radicalisation et l'endoctrinement — ou l'embrigadement, comme le
disait Me Julius Grey, à juste titre — c'est un processus qui
se fait à force de préceptes insidieux mais aussi répétés. Alors, pour ces
raisons, nous voterons pour ce sous-amendement, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Merci,
Mme la députée de Montarville. Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Merci,
M. le Président. Alors, d'abord,
bonne Journée internationale des femmes. Il y a eu tout un débat
sur le féminisme la semaine dernière. Moi, j'ai comme opinion... je veux
simplement faire un commentaire laconique, qui parle.
Je suis
féministe depuis toujours et pour longtemps. Et j'ai pris la peine... Je ne
pensais pas... Je ne veux pas en parler
longtemps, mais je pense que ce commentaire se raccroche bien à ce que vient de
dire ma collègue de Montarville. Je la remercie de bien comprendre le
sens de notre amendement, qui est effectivement l'amendement du député de Richelieu, qui est : «Tenu de manière
répétée», pour qu'on distingue les incidents qui peuvent arriver dans une
société des gens qui véritablement veulent
radicaliser les jeunes, qui veulent entraîner des gens vers l'extrémisme
violent. Et, bon, ce terme-là nous a
été refusé, effectivement, la collègue de Montarville l'a rappelé. Mais nous,
nous avions proposé qu'on parle
d'extrémisme religieux. Hein, le mot «intégrisme religieux», «extrémisme
religieux» a été amené de façon régulière par les oppositions, et
jamais, jamais il n'y a d'appui de ce côté-là du gouvernement.
C'est
important, ce que vient de dire la collègue, parce qu'elle nous ramène à une
chose. On a parlé de féminisme. Le
féminisme, c'est l'appel à l'égalité entre les hommes et les femmes. Or, le
féminisme s'est mondialisé au fil du
temps. M. le Président, le féminisme,
c'est aussi de se dire que nous allons... Les acquis que notre société québécoise a eus, ils font l'envie de bien des femmes à travers
le monde maintenant, qu'on pense à l'équité salariale, qu'on pense
au partage du patrimoine familial, qu'on pense à... simple accès aux
professions, nous sommes... à l'accès à l'éducation. Ce sont des avancées dans
le monde.
Par contre, l'extrémisme religieux amène
systématiquement, là, à l'inégalité entre les hommes et les femmes. Et, peu importent les extrémismes, à part Raël, peut-être,
qui est une secte dont on peut s'amuser, ou le monstre du... pas le monstre, mais la religion du spaghetti volant, qui
existe, là, aussi. Je pense que ces gens ont le goût de s'amuser avec
le phénomène religieux. Il y a quand même
le fait que la montée du phénomène religieux, en général, amène un recul
des droits des femmes.
Alors, c'est
pour ça qu'aujourd'hui, Journée internationale des femmes, on peut se
dire : Bon, si on a le goût de célébrer les acquis, si on a le goût
de parler de ce qui reste à faire, on a le goût aussi de s'inscrire dans une
mouvance mondiale de défendons les droits des femmes partout. Et
l'extrémisme religieux, la radicalisation, qui sont la base, normalement, de ce qui a amené ce projet
de loi là, nous amènent à un recul
des droits des femmes immense. Il y a
des femmes qui n'ont plus le droit de sortir de la maison sans être
accompagnées de leurs hommes dans des pays où ils avaient le droit avant...
accompagnées d'un mari...
M. Boucher : M. le Président?
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, M. le député d'Ungava.
M. Boucher : Bon, je
comprends que c'est un débat qui est
très intéressant, surtout aujourd'hui, en cette journée des femmes, mais j'aimerais, si possible, qu'on revienne à l'étude du sous-amendement comme tel, là, à savoir le texte qui nous est proposé aujourd'hui.
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Merci,
M. le Président. Vous avez bien compris, je suis tout à fait dans le sujet.
Alors, il y a, puisque je vais être plus explicite pour le collègue,
dans l'extrémisme, des discours tenus de manière soutenue, répétée, qui
font qu'on embrigade, qu'on endoctrine et que des sociétés en viennent à faire
reculer les droits des femmes.
L'extrémisme
religieux, c'est un discours tenu de façon répétée, ce n'est pas en une fois
qu'on fait reculer des droits, c'est
en plusieurs fois. On embrigade des sociétés,
on endoctrine des sociétés, on endoctrine des gens. On mélange le politique
et le religieux par un endoctrinement, par une façon de voir, par la charia.
Ça, c'est le portrait mondial.
Alors, nous,
au Québec, en déposant une loi comme celle-là, la
version... l'interprétation qu'en font une grande majorité de juristes... Une grande majorité de
gens impliqués dans le dossier de la laïcité, une grande majorité de
gens qui couvrent ce sujet depuis des années
considèrent qu'en faisant cela on encourage au lieu de museler l'extrémisme
religieux. Puis je vais vous lire, M. le Président, à l'appui de ce que vient
de dire notre collègue, je vais relater un fait, puis je vais passer d'un texte
de Pierre Trudel, qui a été paru, à un texte de François Doyon, qui ramène à un
texte de Denise Bombardier. Et ce chemin-là
va montrer exactement pourquoi ces mots-là, «tenu de manière répétée», sont
pertinents.
Pierre Trudel, mercredi le 2 mars, il nous
écrit ceci : «Pratiquement tous ceux qui se sont exprimés lors de la commission parlementaire ont mis en garde contre les graves violations de
la liberté d'expression qu'on retrouve dans le projet de loi n° 59
sur la prévention du discours haineux.
«Devant pareil tollé, la
persistance du gouvernement à vouloir le faire adopter surprend.
«Certes, la ministre
y a apporté des modifications. Pour l'essentiel, la principale modification a été d'inclure dans le texte
du projet de loi une définition de ce qui constitue du discours
haineux. La définition proposée se lit comme suit — bon,
évidemment, il n'y avait pas les derniers amendements, là, je vais enlever en
lisant les mots qui doivent être enlevés :
«"Est un
discours haineux le discours [...] qui, aux yeux d'une personne raisonnable,
est d'une virulence et d'un extrême
tel qu'il est susceptible d'exposer ce groupe à [...] au rejet, à la
détestation [et] au dénigrement [...] notamment pour que ce groupe soit
perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble."
• (10 h 30) •
«La simple
lecture de cette définition permet de constater que ce qui est considéré comme
du discours haineux en droit canadien, ce n'est pas n'importe quel
propos critique qui hérisse les gens.
«Ce n'est pas
n'importe quel discours ou éditorial critiquant un groupe protégé contre la
discrimination qui est un propos haineux.
«Il faut que le propos atteigne à un seuil élevé
de gravité dans l'esprit d'une personne raisonnable.
«Sauf que,
dans la société québécoise actuelle,
il s'en trouve plusieurs pour crier au discours haineux dès qu'un
commentaire les choque.
«Dans un tel
contexte, il paraît irresponsable de mettre à la disposition de ceux qui ont du
mal à tolérer des propos avec lesquels ils sont en désaccord, un
mécanisme de plaintes aussi commodément disponible pour faire taire les
opinions qui leur déplaisent.
«Par exemple,
il y a quelques jours, certains qualifiaient de discours haineux un commentaire
publié dans ce journal par Denise Bombardier et portant sur des
événements survenus au cégep de Maisonneuve.»
Effectivement,
et là je reviens... Je l'ai appris sur le blogue de François Doyon, quelqu'un
m'a envoyé... Je ne connais pas ce
François Doyon, je ne connais pas ses blogues, mais je sais qu'il a posté un commentaire d'Odile Jouanneau, dont le
nom est connu maintenant parce
qu'elle a gagné une plainte au
Conseil de presse contre Djemila Benhabib suite à une accusation de
plagiat. Mme Benhabib se défend et dit : Je n'ai pas voulu plagier,
si j'ai plagié. Mme Jouanneau dit :
Non... Alors, je n'irai pas sur cette accusation-là. Mais qu'a posté
Mme Jouanneau? Alors, elle a posté d'abord l'article La
direction du collège de Maisonneuve rétablit les faits. Collège de Maisonneuve, c'est un débat qu'on a déjà établi. Elle a posté... Elle écrit à la Direction du cégep : «J'attends vos commentaires au sujet de la mise au point de la direction, et aussi celle du
syndicat des profs.» Mais ensuite elle ajoute : «Aussi, si ça vous tente
de dénoncer Denise Bombardier pour incitation à la haine, je suis partante!» En
postant un beau grand sourire.
Denise
Bombardier, pour un article... Elle est partante pour l'attaquer pour
incitation à la haine. Eh, quand on lit l'article de Denise Bombardier, excusez-moi, là, on tombe à terre. C'est loin de l'incitation
à la haine. Mais la personne, elle,
l'interprète comme incitation à la haine. C'est la démonstration exacte du
problème du projet de loi n° 59, mais c'est aussi la démonstration de ce
qui pourrait nous éviter ça avec «tenu de manière répétée». Déjà, ça nous
aiderait à encadrer le problème.
Mais voici
une démonstration éclatante faite par Pierre Trudel du problème du fait de
légiférer contre le discours haineux
et de ne pas vouloir l'encadrer. Parce
que plus ça va,
plus on essaie d'encadrer, moins on a de réponses. Alors, M. le Président,
je vais lire ce que dit ensuite Pierre Trudel :
«On [a] beau lire et relire cent fois le propos
de Mme Bombardier, il est difficile d'imaginer comment une personne
raisonnable pourrait y voir quelque chose qui se rapproche de la définition de
propos haineux que nous avons reproduit plus haut.
«Mais, si le
projet de loi 59 était devenu loi, rien n'empêcherait une personne de
traîner la commentatrice devant la Commission des droits de la
personne», avec anonymat à la dénonciatrice.
Alors, M. le Président, il y a un délai d'un an à la Commission des droits de la personne et des droits
de la jeunesse avant le traitement d'une plainte. Alors, Denise
Bombardier vivrait avec cela pendant un an au-dessus de sa tête. Je, personnellement, vivrais, comme collègue
de l'Assemblée nationale, avec des dénonciations de propos haineux.
Parce qu'imaginez-vous donc que, toute la semaine, j'ai vu sur Facebook, sur
Twitter des commentaires disant... particulièrement
de M. Charkaoui, le Collectif québécois contre l'islamophobie et de sa
gang disant : Agnès Maltais fait du
discours haineux — bien, je
viens de me nommer, excusez-moi, M. le Président. La députée de Taschereau fait
du discours haineux. Je ne fais pas de
discours haineux, je commente un projet de loi. Mais, vous voyez, ça dit
exactement ce pour quoi Pierre Trudel
dit : Attention! et pourquoi la petite, toute petite balise que nous donne
le député de Richelieu nous permettrait, à tout le moins, de nous sortir
du phénomène de l'attaque constante contre les gens qui ont des propos avec
lesquels les gens sont en désaccord. C'est vraiment le problème.
Alors, je félicite le député de Richelieu.
J'espère que cet amendement... sous-amendement sera accepté, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Richelieu, vous allez sûrement avoir des commentaires sur les
commentaires de votre collègue.
M. Rochon : Brièvement, M. le Président — je vais vous surprendre — brièvement. Écoutez, je me réjouis de
voir la seconde opposition souscrire à ce sous-amendement. Je crois que nous
partageons la même volonté de ne pas manquer notre cible, hein?
Et
je reviens au document de réflexion que nous soumettait il y a quelques jours M. Antonin Miller, chroniqueur
en sciences sociales. Il écrit dans ce document qu'«au Québec, nous avons [...]
connu notre grande époque des noirceurs avec les dérives imposées jadis par la
religion catholique et sa collusion avec le pouvoir politique. Faut-il encore souligner — poursuit-il — à tous la toxicité des pouvoirs répressifs
d'un régime politico-religieux obscurantiste lorsqu'il a la possibilité
de s'imposer à toute une collectivité? Il suffit de se renseigner sur l'état de
la liberté de conscience et d'expression lorsqu'elle est interdite dans
certains pays du monde[...]. C'est tout à fait ce que nous ne voulons pas comme modèle de société. Un appel au retour de
l'obscurantisme politico-religieux nous revient sous la pression de
l'islam qui s'implante de plus en plus au Québec et ailleurs. Or, il faut le
dire, ce culte religieux a comme étendard celui de soumettre les infidèles à
ses propres règles.»
Passer
le projet de loi n° 59, en faire une loi — c'est moi, là, c'est une parenthèse dont je
suis l'auteur — sans modifier profondément ledit projet de
loi — et
je poursuis le texte de M. Miller — ça équivaudrait «à octroyer
un accommodement déraisonnable pour plaire
aux intégristes religieux[,] leur [donner] plus de pouvoir afin qu'ils
puissent imposer plus facilement leurs croyances et leurs règles aux citoyens
de notre société démocratique».
M.
le Président, j'espère — je disais vouloir être bref, je vais tenir ma promesse — voir la ministre souscrire à ce sous-amendement tout à fait raisonnable :
«Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa», nous
souhaitons que soit ajouté «tenu de manière
répétée». «Tenu de manière répétée». Encore une fois, nous craignons vivement
que ce projet de loi n° 59 ouvre à la commission des droits et
libertés de la personne et de la jeunesse un énorme bureau des plaintes, hein, où toute personne se sentira
vexée, ostracisée, dénigrée pour le moindre petit mot de travers. C'est
pour ça qu'il est important de parler d'un discours tenu de manière répétée.
Voilà, M. le Président.
Le Président
(M. Ouellette) : Commentaires, Mme la ministre, avant que...
• (10 h 40) •
Mme Vallée :
Oui, certainement. Dans un premier temps, je veux souhaiter aux collègues une
très belle journée internationale de
la femme, je pense qu'on est tous et toutes portés par cette même volonté d'en
arriver à l'égalité pour tous et pour toutes.
Sur
ce qui est de l'amendement... du sous-amendement, pardon, qui est présenté,
dans un premier temps, je pense qu'il
est important quand même de recadrer une petite chose, là, c'est-à-dire que je
reviens encore avec Whatcott, mais il ne faut pas oublier que, dans
l'arrêt Whatcott, on nous explique clairement que, lorsque vient le temps
d'interdire les discours haineux, les moyens
de défense comme la véracité, la motivation ou la continuation de l'acte
n'étaient pas des éléments qui sont
requis. Donc, la répétition d'un propos n'est pas nécessaire en soi pour
constituer un discours haineux.
Et pourquoi, pourquoi
c'est comme ça? Parce qu'un discours haineux, des propos haineux qui sont
forts, on s'entend, là, un propos haineux, c'est un propos qui est fort, qui
est quand même d'un certain extrême, dès qu'il est prononcé, un propos de cette teneur-là, une fois, c'est une fois de
trop. Et le caractère répétitif, le problème que ça pose... Dans la définition d'ajouter le caractère
répétitif, ça nous amène un élément arbitraire dans l'évaluation de ce qu'est
ou ce que n'est pas un discours haineux. À partir de combien de fois le propos
est-il un propos haineux? Est-ce que c'est deux
fois? Est-ce que c'est quatre fois? Est-ce que c'est 10 fois? Est-ce qu'on
ne place pas, en insérant la proposition de notre collègue... Et je
comprends ce qui est visé et je comprends qu'on cherche à éviter que ne soient
déposées des plaintes manifestement frivoles
et non fondées à l'encontre de ceux et celles qui ont manifesté un désaccord
avec une opinion, manifesté une opinion dissidente. L'objectif n'est pas
de venir pénaliser ceux et celles qui manifestent une dissidence, loin de là. Mais ajouter le caractère répétitif dans la
définition amènerait un élément d'arbitraire qui pourrait donner lieu à des décisions... à des évaluations
contradictoires qui pourraient porter atteinte à l'objectif même du projet de
loi. Donc, ce qui pourrait être un élément que nous pourrions peut-être étudier
un petit peu plus loin, ce serait de voir, au niveau des sanctions, au niveau des décisions, est-ce que le
caractère répétitif ne devrait pas être considéré et pris en
considération.
L'autre élément que
je souhaite rectifier, évidemment le projet de loi, tel qu'il est rédigé, ne
permet pas à des individus de déposer des
plaintes au tribunal. Ils vont saisir la commission des droits de la personne
et de la jeunesse, qui a tout le
loisir de rejeter une dénonciation qui est frivole, qui est vexatoire. Donc,
cet élément-là demeure. Il est possible de dénoncer quelque chose qui est manifestement frivole et vexatoire et qui
vise, d'une certaine façon, à bâillonner quelqu'un qui souhaite
simplement exprimer une décision dissidente.
Alors,
je vous explique le tout, mais, pour ce qui est de l'ajout du caractère
répétitif, je crois, et à la lumière des enseignements de la Cour
suprême puis à la lumière du potentiel arbitraire que cela viendrait ajouter,
je pense qu'il est peut-être délicat
d'incorporer ce sous-amendement, bien que je comprends très bien ce qui anime
notre collègue et ce que visent nos
collègues des oppositions. Parce que l'objectif, encore une fois, je vais le
dire, le redire et le redire, ce n'est pas
d'empêcher le discours d'opinion, bien au contraire. Les discours des gens, de
ceux et celles qui chroniquent parfois sont difficiles, parfois sont
cinglants, mais on ne veut pas les empêcher. Elles ont toute leur place dans
une société libre et démocratique.
Le Président
(M. Ouellette) : Commentaires sur les commentaires de la
ministre, M. le député de Richelieu.
M. Rochon :
M. le Président, moi, je ne remets pas du tout, pas du tout, pas du tout, là,
en question la bonne foi de la ministre. Je
la crois, là, quand elle dit qu'elle ne veut pas museler le discours d'opinion.
Sauf que nous pensons que ce sera
l'effet pervers de son projet de loi, même si ce n'est pas l'intention qui
fonde ce projet de loi. Et quel climat social ce gros bureau des plaintes à la commission des droits de la personne et de
la jeunesse créera-t-il au Québec? Elle n'a pas de craintes à ce propos?
Je lui adresse la question, M. le Président.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la ministre.
Mme Vallée :
Nous aurons la chance... J'espère, un jour, nous aurons la chance de nous
rendre aux articles qui portent sur
la commission des droits de la personne, mais, non, je crois que nous
pouvons... Et est-ce qu'il y a lieu d'ajouter certaines balises quant aux dénonciations?
Peut-être. On pourra les étudier ensemble. Mais il y a déjà au projet de loi
des mesures qui permettent de rejeter des
dénonciations qui s'avéreraient frivoles et non fondées. Parce que je suis
consciente, tout comme vous, que certaines personnes pourraient tenter
d'utiliser à mauvais escient les dispositions, comme on le voit à travers
d'autres dispositifs.
Et c'est pour ça d'ailleurs, c'est pour ça
d'ailleurs que la définition est si importante, pour définir ce qu'est le discours haineux, pour venir vraiment encadrer ce
discours-là. Et nous nous inspirons, nous nous sommes inspirés d'une série de dispositions législatives qui existent.
D'ailleurs, la semaine dernière... il y a deux semaines, on a eu la
chance de répondre à une question qui avait été inscrite au feuilleton par
votre collègue de Taschereau. Nous avons déposé la liste des législations, des
législatures qui ont encadré ce type de discours là, notamment dans le
Commonwealth et aussi dans l'espace... au
Canada. Il y a quand même
un certain nombre de législations qui existent et qui encadrent le tout.
Et on
s'inspire, évidemment, des décisions de la Cour suprême. Parce qu'encore la Cour suprême est venue...
a analysé certaines dispositions et est
venue indiquer les paramètres à l'intérieur desquels il est possible d'encadrer
le discours haineux pour éviter,
justement, que l'on porte atteinte à la liberté d'expression. Et la Cour
suprême... Et c'est pour ça qu'on se
colle et que je reviens avec l'affaire Whatcott, parce qu'il s'agit là des enseignements
de la Cour suprême. Et je me dis :
Bien, il est peut-être important de se coller sur ce qui a été considéré comme
étant correct et légitime dans une société libre et démocratique. L'objectif n'est pas d'aller au-delà de ça, pas du
tout. Et c'est pour ça que la définition, elle s'inspire justement de ce que l'on retrouve dans les arrêts
de la Cour suprême, afin d'éviter d'aller au-delà de ce qui est considéré
valable.
Et je
comprends qu'on souhaite... Et les sous-amendements, certains des sous-amendements
présentés par nos collègues visent à
resserrer davantage, mais, sur ce sous-amendement-ci, le caractère répétitif
pourrait nous amener vers de
l'arbitraire. Parce que deux fois, c'est répété, quatre fois, c'est répété, six
fois, huit fois... C'est cet encadrement-là qui est quand même laissé à
l'appréciation.
Le Président (M. Ouellette) :
Il vous reste 10 secondes, Mme la députée de Taschereau.
Mme Vallée :
10 secondes...
Mme Maltais : Je
dirais que répéter, c'est deux fois.
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la ministre.
Mme Vallée : C'est?
Répéter, c'est deux...
Mme Maltais : C'est déjà mieux qu'une fois, par rapport à cette loi-ci.
Ça, je trouve ça arbitraire, une seule fois. C'est ça,
mon problème.
Mme Vallée : Mais un
propos haineux qui correspond à la définition qui est présentée peut avoir des
effets malgré qu'il n'ait été prononcé qu'une fois, des effets qui peuvent être
tout aussi dommageables. Et c'est ça...
Mme Maltais : Pas
par rapport à la radicalisation, pas par rapport à la radicalisation.
Le Président (M. Ouellette) : M.
le député de Richelieu.
M. Rochon : Voilà une autre
dimension sur laquelle nous ne nous entendons pas, nous et la ministre, M. le Président.
Elle parle de l'effet du discours sur la personne, le groupe ou la personne qui
reçoit ce discours, alors que nous, nous souhaiterions nous attarder davantage
à l'intention.
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la ministre.
• (10 h 50) •
Mme Vallée : Avec respect, M. le Président, je comprends
qu'on a parlé d'intention, on en a parlé à plusieurs reprises avec le député de Richelieu dans nos échanges
passés, et il est très clair que l'intention et puis... que l'intention,
ce n'est pas un élément qui est requis au niveau de la constitutionnalité du
terme. Et l'effet, c'est que, justement, on va ostraciser le groupe d'une façon... Et ce groupe-là pourra éventuellement, en raison de cette ostracisation, devenir victime de violence. Alors, il y a le discours haineux, il y a
le discours incitant à la violence, mais le discours haineux peut amener
de la violence à l'égard de ces gens-là, de ce groupe-là.
Et,
l'intention, bien, on apporte une défense. Et là je crois que nous viendrions à
l'encontre même de ce que vous souhaitez
stopper, parce que certaines personnes pourraient s'approprier, je veux dire, cet élément de défense et prétendre que le discours ne visait pas, n'avait pas comme objectif de porter
atteinte à ces gens-là mais qu'il était motivé par un autre dessein, spirituel, intellectuel. Et là on ouvre
une porte à une défense qui pourrait faire l'affaire de ceux et celles
qu'on tente... à qui s'adresse ce discours-là.
Parfois,
lorsqu'on souhaite encadrer d'une certaine façon, il faut aussi voir l'effet
inverse et, en en faisant... bien, en en
faisant une infraction d'intention, dans
le fond — c'est ce que vous souhaitez, c'est ce que l'opposition souhaite — on dénature l'aspect civil de l'encadrement du
discours haineux, parce que c'est bien dans ce contexte-là que nous
sommes, et on amène de l'eau au moulin à
ceux et celles qui voudraient justifier la tenue de leurs discours par d'autres
éléments. Ça peut aussi... ça pourrait avoir l'effet inverse de ce que l'on
souhaite.
Le Président
(M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.
M. Rochon : M. le
Président, je ne souhaite pas tant
voir la ministre ébranlée par nos multiples requêtes à
l'effet qu'elle assouplisse son projet de loi, qu'elle l'encadre mieux, qu'elle vise plus juste, que de la voir
ébranlée par cette vaste... par cette
panoplie d'opinions expertes sur le sujet. Il y a plein, plein de gens,
d'experts, de groupes, de citoyennes et de citoyens qui sont venus dire ce qu'ils pensaient de ce projet de loi, et ce sont très, très, très majoritairement des gens qui s'y sont opposés. La ministre
dispose certainement comme moi d'une revue de presse, elle pullule,
cette revue de presse là, de commentaires très négatifs sur le p.l. n° 59, qu'on qualifie — puis
je ne reprends pas ça pour être déplaisant à l'endroit de la ministre, là — de
projet de loi liberticide. Moi, il me semble, à sa place, que
ça me fatiguerait, là. Ça ne l'ébranle pas, M. le Président? Si nous
étions les seuls à penser ce que nous pensons, je pourrais comprendre, là, qu'elle
en fasse abstraction et qu'elle continue à
aller de l'avant, mais nous ne faisons ici que reprendre les opinions exprimées
par une vaste majorité des gens que la commission a entendus.
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la ministre.
Mme Vallée : M. le
Président, dans un premier temps, les opinions contraires à la mienne ont
toutes leur droit, ont toutes leur place, et
là-dessus, M. le Président, certains ont une opinion du projet de loi. Mais je tiens à rappeler à
mon collègue que, suite aux consultations, il y
a eu une liasse d'amendements
qui ont été déposés, preuve que nous avons été à l'écoute, preuve que nous avons été sensibles aux commentaires qui ont été formulés. Et je crois, M. le Président, avoir été... et faire un effort pour être à
l'écoute aussi des commentaires formulés et des propositions formulées par mes
collègues dans le cadre de l'étude article par article. Donc, voilà.
Et, honnêtement, M. le Président, nous sommes en
politique, et la vie publique, c'est ça, c'est accepter que certaines personnes auront une opinion contraire à
la nôtre et la manifesteront, parfois de façon plus cinglante. Mais
soyez assurés que je connais...je suis
animée par un désir profond de bien encadrer le discours haineux, de le faire à
l'intérieur d'un cadre qui se justifie dans
une société démocratique, le faire de façon... suivant les enseignements de la Cour suprême. Mon objectif
n'est pas de limiter la liberté d'expression et de bâillonner le discours d'opinion,
au contraire. M'émouvoir, répliquer à
ceux et celles qui critiquent de façon très sévère ce que je fais, ce que je
suis serait simplement leur donner raison.
Je fais de la politique, j'accepte que mes opinions ne soient pas
partagées par les autres. Ça fait partie du débat de société.
Le Président (M. Ouellette) : M.
le député de Richelieu.
M. Rochon : Bon, alors, M. le
Président, à l'évidence, je ne vais pas convaincre la ministre qu'il faille
sous-amender dans... oui, son amendement
dans le sens que nous l'avons suggéré, tous, d'ailleurs, là. Parce que je
constate d'ailleurs que les deux
oppositions souscrivaient à cette idée qu'il faille ajouter au texte la notion
de «tenu de manière répétée». Je crois comprendre que la ministre veut
intervenir?
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la ministre.
Mme Vallée : Écoutez, c'est qu'on me donne des statistiques, puis c'est superintéressant, puis d'ailleurs je pense que ça revient... ça vient
rejoindre certaines préoccupations qui ont été soulevées, là, au cours des
derniers mois, pas seulement qu'au cours de la matinée, mais on est revenus
sur la capacité de la commission des droits de la personne et de la
jeunesse de traiter les plaintes. Petite statistique, puis je pense que c'est
intéressant : la commission des droits de la personne et de la jeunesse, là, actuellement reçoit 15 000 appels par année, des
dénonciations. 10 %, soit 1 590 demandes, deviennent des plaintes. De ces 1 590, on a
866 dossiers qui sont des dossiers ouverts, on a en 366 qui se règlent
dans le contexte de médiation, et il y en a
27 qui, ultimement, se retrouvent devant le tribunal. Donc, c'est simplement
pour vous indiquer que la Commission
des droits de la personne joue son rôle de filtre pour éviter que ne se
retrouvent devant les tribunaux des dossiers qui n'ont pas à s'y
retrouver.
Et ce rôle de
filtre est joué, donc, annuellement, on n'a en moyenne que 27 dossiers qui se
retrouvent devant les tribunaux sur
un total de 15 000 dossiers initialement qui ont été signifiés à la commission.
Donc, il y a, à travers ça, puis on le
mentionnait... On a fait référence aux demandes qui sont frivoles, qui sont
vexatoires. Parmi ces statistiques-là, il y en a actuellement... Parce qu'il
faut quand même comprendre que la commission des droits de la
personne et de la jeunesse est actuellement en travail et saisie de dossiers, dossiers de
discrimination des individus. Ce que l'on vise, c'est d'encadrer le
discours haineux qui touche un groupe protégé en vertu de l'article 10.
Alors, je
souhaitais simplement vous donner ça. Il y a quand même
un travail qui se fait, et puis je ne voudrais pas que l'on discrédite le travail des gens à la
commission des droits de la personne et de la jeunesse, parce qu'on a des
équipes qui s'activent au quotidien, et qui
sont très efficaces, et qui arrivent, par leurs interventions, à régler des
dossiers qui sont parfois très délicats.
Le Président (M. Ouellette) : Sûrement
que ces chiffres-là vont resservir au cours de nos débats, que ce soit sur l'article 1 ou d'autres articles. Mais, M. le député de Richelieu, pour votre dernière intervention sur le sous-amendement.
M. Rochon :
Bien, une réflexion spontanée, M. le Président. Avec le projet de loi n° 59,
la ministre faisait remarquer qu'actuellement la commission s'active beaucoup. Elle n'a pas fini de s'activer, là, hein? Parce
qu'encore une fois
je réfère aux gens qui sont venus nous donner leurs opinions sur ce projet de loi, ils estiment qu'on ouvrira, avec 59, tout un bureau des
plaintes à la commission, avec les délais que cela supposera pour traiter ces
plaintes-là.
Le Président (M. Ouellette) : Donc,
on est prêts à voter sur le sous-amendement, M. le
député de Richelieu.
Et je pense qu'on y va par appel nominal. Mme la secrétaire.
La Secrétaire :
M. Rochon (Richelieu)?
M. Rochon :
Pour.
La Secrétaire :
Mme Maltais (Taschereau)?
Mme Maltais :
Pour.
La Secrétaire :
Mme Roy (Montarville)?
Mme Roy
(Montarville) :
Pour.
La Secrétaire :
Mme Vallée (Gatineau)?
Mme Vallée :
Contre.
La Secrétaire :
M. Boucher (Ungava)?
M. Boucher :
Contre.
La Secrétaire :
M. Hardy (Saint-François)?
M. Hardy :
Contre.
La Secrétaire :
M. Giguère (Saint-Maurice)?
M. Giguère :
Contre.
La Secrétaire :
M. St-Denis (Argenteuil)?
M. St-Denis :
Contre.
La Secrétaire :
M. Ouellette (Chomedey)?
Le Président
(M. Ouellette) : Je m'abstiens.
La Secrétaire :
C'est rejeté.
Le Président
(M. Ouellette) : Donc, le sous-amendement de M. le député de Richelieu
est rejeté. Je vous redonne la parole, M. le député de Richelieu?
• (11 heures) •
M. Rochon : Oui, M. le Président. Je vais y aller d'un nouveau sous-amendement. Je
soumets de modifier l'alinéa introduit par le paragraphe 3 de l'amendement
modifiant l'article 1 de la loi proposé par l'article 1 du projet de
loi en remplaçant les mots «est susceptible d'exposer» par le mot «expose».
Le
texte amendé se lirait ainsi, puis je vais le déposer, là : «Est un
discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou
d'un extrême tel qu'il expose — plutôt qu'il "est susceptible d'exposer" — ce
groupe au rejet, à la détestation ou au dénigrement notamment
pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou
ignoble.» Je dépose le texte.
Le Président
(M. Ouellette) : Je vais suspendre quelques minutes.
(Suspension de la séance à 11 h 1)
(Reprise à 11 h 12)
Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux sur l'introduction
d'un sous-amendement de M.
le député de Richelieu. On s'excuse un peu du délai, parce qu'on a regardé
d'autres sous-amendements qui auraient pu être
similaires, qui ont été déposés auparavant. Mais votre amendement est déclaré
recevable, M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Vous m'en voyez ravi, M. le Président. Alors,
même esprit que celui qui a présidé au sous-amendement que nous avons
jusqu'ici soumis à la commission, alors esprit d'encadrer...
Mme Maltais :
Est-ce qu'on a une copie?
Le Président
(M. Ouellette) : Oui, vous en avez une copie.
M. Rochon : Alors, esprit d'encadrer, de restreindre la portée du projet de loi, M.
le Président, pour bien lutter contre l'intégrisme et l'islamisme
radical et pas contre celles et ceux qui luttent contre ces dérives intégristes
là.
Alors,
je suggère donc de remplacer les mots «est susceptible d'exposer» par le mot
«expose» : «Est un
discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne
raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose ce
groupe au rejet», puis là toute la litanie, là : la détestation,
dénigrement, etc.
Pourquoi?
Pourquoi employer l'expression «qu'il est susceptible d'exposer», M. le
Président, plutôt qu'écrire «qu'il expose»? Hein, pourquoi, «est un discours haineux, un discours
visé au deuxième alinéa qui, de
l'avis d'une personne raisonnable,
est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose» plutôt que «qu'il est
susceptible d'exposer ce groupe»?
J'ai
encore une fois l'impression — et c'est une impression très
désagréable — que la
ministre veut ouvrir le plus gros bureau des plaintes possible à la
commission des droits de la personne et de la jeunesse.
Alors, le plaignant
ou la plaignante n'aurait pas à être exposé au rejet, à la détestation ou au
dénigrement, elle n'aurait qu'été susceptible de l'être. M. le Président, là,
il me semble qu'il faut arrêter ça. Il faut arrêter ça, et c'est ce que je vous
soumets via ce sous-amendement.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais :
Oui, M. le Président. Amendement que je trouve pertinent. Encore une fois, on a
souligné plusieurs fois au cours de l'étude
de l'amendement de la ministre la largesse avec laquelle elle distribue les
possibilités de poursuivre pour discours haineux à la Commission des droits de
la personne et des droits de la jeunesse contre un groupe discriminé.
Beaucoup
des interventions que nous avons eues tentent de ramener, au départ, l'objectif
du projet de loi à la lutte à la
radicalisation, qui devait être l'objectif au départ. L'objectif de départ,
c'est la lutte à la radicalisation.
S'est inscrit à côté de cela ce concept de discours haineux contre tous
les groupes discriminés.
Donc,
j'ai lu tout à l'heure un texte de Pierre Trudel qui expliquait pourquoi
dans un tel contexte il était délicat de... pourquoi il était délicat
d'introduire ce projet de loi n° 59 : parce qu'on est dans un moment
où il y a des gens qui tentent de faire
taire les gens qui sont contre le discours religieux. Ils ont le droit d'être
contre le discours religieux, ils ont le droit d'être contre la radicalisation, on doit lutter contre la
radicalisation, mais on a le droit aussi d'avoir des opinions sur le
discours religieux. Or, il y a eu beaucoup de menaces de poursuites. Je viens
de lire Odile Jouanneau, qui est prête à sauter
et qui dit : Je veux poursuivre Denise Bombardier pour un article
dans LeJournal de Québec pour incitation à la violence. Elle se
déclare volontaire à poursuivre. Elle se déclare volontaire à poursuivre.
Alors,
on note à chaque fois qu'on le peut dans notre travail que les propositions du gouvernement sont d'une largesse incroyable envers les
gens qui auraient le goût de poursuivre. Entre «tel qu'il est susceptible
d'exposer ce groupe» et «tel qu'il expose à ce groupe», il y a un univers, il y
a un monde. Est-ce que ce discours était susceptible d'exposer ou est-ce que ce discours exposait ce groupe? Bien, on vient de
faire la différence entre une immense boîte de Pandore et un impact
réel, véritable.
La
ministre refuse systématiquement
de parler d'intention. J'y reviendrai, parce qu'il y a, entre autres, un des
pays qui a été cité jusqu'ici qui, lui,
clairement, demande l'intention. Donc, il y a des pays, eux autres, ils ne sont
pas gênés de dire : On demande
l'intention. Puis ce n'est pas dans le Code civil, c'est dans la common law. Même dans la
common law, il y a des pays qui disent : Il faut qu'il y ait une
intention. Là, on est susceptible d'exposer, dans la proposition du gouvernement,
susceptible d'exposer. «Susceptible d'exposer», c'est large. «Expose», c'est
clair.
Je
vais vous dire pourquoi ça me dérange tant, cette proposition gouvernementale — et
je suis d'accord avec la proposition de mon collègue le député
de Richelieu — en
me raccordant aux propos de la ministre tout à l'heure. La ministre,
tout à l'heure, nous a dit, nous a parlé de la Commission des droits de la personne et des droits
de la jeunesse, du nombre de dossiers
qu'elle traitait, d'appels, de plaintes. Elle ne nous a pas parlé beaucoup
des délais. Or, de quoi parlons-nous?
Ce sont des délais. C'est quoi, l'impact d'un délai d'un an pour le traitement
d'une plainte, par exemple? Bien, je suis allée voir, au Canada, la
cause Diane Proulx.
Qui
est Diane Proulx? Diane Proulx est cette madame — je vais
l'appeler madame — cette
vendeuse dans un Costco.
Mme Proulx est vendeuse dans un Costco depuis des années. Elle,
Mme Proulx, elle a un petit gag qu'elle fait à tout le monde. Puis elle ne fait pas de discrimination,
elle le fait à tout le monde, le même gag. Quand le monde... Elle vend
des manteaux, entre autres, dans le
département des manteaux d'hiver. Mais, quand les gens lui disent : Eh! je
trouve que ce manteau-là, il est
cher, bien, sa petite farce, c'est : Bien, c'est ou bien un bon manteau ou
bien un voyage de deux semaines dans
le Sud. Pas méchant, hein? Ce n'est pas bien méchant. Elle fait ça à tout le
monde, puis là les gens partent à rire. Mme Proulx s'est retrouvée devant la commission des droits de la
personne du Canada. Elle a perdu son
emploi pendant quatre mois pour son
petit gag. Quatre mois. Ça a pris quatre mois de traitement à la commission des
droits de la personne du Canada. Puis je ne vais pas sur les droits,
là... Mais voici une question de délai. Ici, c'est un an. Ici, au Québec,
Mme Proulx aurait perdu sa job pendant un an, pas de salaire.
Je
vais lire le courriel de Mme Proulx. Sur sa page Facebook, elle raconte la
fin : «Bonjour à tous. Plainte d'une musulmane au Costco Marché
central en octobre dernier. Presque quatre mois plus tard, la saga est
terminée, et je peux tourner la page. J'ai dû attendre et
respecter les délais imposés par la Commission canadienne des droits de la personne, mais je n'ai jamais
baissé les bras — bravo,
Mme Proulx! Aux milliers de personnes qui ont pris le temps de visionner et [de] lire les articles
dans les différents médias, aux autres milliers qui ont signé la pétition pour
ma réintégration dans les Costco — parce qu'elle avait perdu son
emploi — je
dis un gros merci... et surtout : C'est fait. [...]Temps maintenant de passer à autre chose et d'oublier
ces moments d'angoisse vécus ces derniers mois dont j'aurais pu me
passer.»
• (11 h 20) •
Je
vous ai parlé tout à l'heure d'un contexte que Pierre Trudel définit en
disant : Écoutez, la poursuite, là, contre propos islamophobes, elle est facile et elle est actuellement demandée.
Et j'ajouterais que Jacques Frémont, le président de la Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse, disait qu'il voulait une loi pour contrer le
discours islamophobe.
Alors,
que s'est-il passé? C'est une dame, Mme Asma al-Shawarghi, qui
affirme avoir été insultée par Mme Proulx qui lui aurait dit de retourner dans son pays. Ce n'est pas vrai. Elle
lui a dit, et ça a été prouvé, elle lui a dit : Vous vous achetez un manteau d'hiver, ou vous prenez un
voyage deux semaines dans le Sud, ou vous vivez dans le Sud. Le même gag qu'elle faisait à tout le monde. La dame, là,
elle a été accusée devant la Commission des droits de la personne, et
l'autre, la personne qui la poursuivait,
demandait des dommages moraux et punitifs, déposait une plainte. Le mari de la
dame était vice-président du Forum musulman canadien : Forum
musulman canadien. Ce n'est pas... D'après certains — je
fais toujours attention — d'après certains, c'est un lobby étroitement
lié à la confrérie islamiste des Frères musulmans. C'est dit couramment
à plein d'endroits. Je ne le sais pas, mais c'est dit couramment.
Mais
pourquoi tout à coup entrer dans un tel débat, au Québec, sur le discours
haineux? Qu'est-ce qui nous amène à croire
qu'on va régler les problèmes de radicalisation au Québec en permettant aux
gens qu'un discours, même prononcé une seule fois, hein, on s'entend,
parce que tantôt ça a été refusé, «tenu de façon répétée», qu'un discours qui
n'a été prononcé qu'une seule fois pourrait se retrouver devant la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse,
qui a des délais d'un an, et qu'une personne pourrait perdre un emploi pendant
un an, la personne pourrait être ostracisée
pendant un an parce qu'elle a un discours susceptible d'exposer un groupe? Au
moins qu'on nous dise : Parce que c'est un discours qui expose un
groupe. On n'est pas seulement dans la sémantique, là, on est dans les
résultats de personnes qui vivent, je vais répéter, là, des moments, des mois
d'angoisse, d'angoisse.
Et, quand mon
collègue de Richelieu dit : Pourquoi on ouvre un grand bureau des plaintes
comme ça?, bien, M. le Président, je pense
qu'il pose la bonne question. Pourquoi est-ce que la lutte à la radicalisation
nécessite une telle loi? C'est la question fondamentale. Pourquoi ils
considèrent qu'un propos qui est susceptible d'exposer ce groupe au rejet, au
dénigrement, à la détestation devrait se retrouver devant la commission des
droits de la personne et de la jeunesse — «susceptible d'exposer» au lieu
d'«expose» — alors
qu'on a déjà un Code criminel qui permet de poursuivre si véritablement on sent qu'il y a des propos haineux
ou incitant à la haine ou à la violence? Il y a déjà le Code criminel. Pourquoi, au Québec, on tient à se doter d'une loi
liberticide? Je vais prononcer le mot, M. le Président, parce que je le crois profondément, parce que c'est ce qui est
dénoncé. Pourquoi on parle de lutte à la radicalisation puis on se
permet d'ajouter une loi et un bureau des plaintes nouveaux?
Alors,
M. le Président, moi, je veux savoir... En fait, tout ça, c'est un commentaire,
mais maintenant la question, c'est :
Quelle peut être la difficulté d'accepter «expose» au lieu de «susceptible
d'exposer»? On essaie de donner le moins de libre cours à l'interprétation de la commission des droits de la personne
et de la jeunesse, qui a déjà été... qui est sous la mire de tous les défenseurs de la liberté
d'expression à l'heure actuelle. Soyons clairs, elle est sous la mire des
défenseurs de la liberté d'expression à
cause des propos de son président, à cause des propos qui ont été énoncés dans
le passé, à cause des intentions
exprimées avant ce projet de loi là. Moi, je demande : Pourquoi la
suggestion de mon collègue ne serait pas bonne? Alors, j'aimerais ça
entendre la ministre là-dessus, parce que c'est une suggestion très pertinente.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la ministre.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, justement, on vérifiait certains... Je comprends
que ma collègue m'interpelle, parce qu'elle nous voit nous activer de l'autre
côté.
La
question, c'est une question de preuve, d'administration de la preuve. Lorsqu'on
utilise le terme «susceptible d'exposer»,
évidemment la preuve à administrer, elle est différente, elle est moins lourde.
Lorsque l'on parle «d'exposer», donc il
y a vraiment un caractère très objectif, très clair. Lorsqu'il est question des
groupes, c'est certain que l'administration de la preuve peut être un
petit peu plus lourde lorsqu'on utilise le terme «exposer».
Ceci
étant dit, évidemment, l'utilisation du terme «susceptible d'exposer» nous
vient des arrêts de Taylor, des arrêts Whatcott. Alors, encore une fois,
là, je veux simplement vous indiquer que notre source est celle de la décision
de la Cour suprême. Ceci étant dit et selon
les avis... Outre la question de la preuve, de l'administration de la preuve,
il n'y a pas d'enjeu d'illégalité.
Donc, moi, M. le
Président, je ne sais pas ce qu'en pense mon collègue de la deuxième
opposition, mais, à ce stade-ci, parce qu'il
y a des éléments sur lesquels j'ai fait part de mes préoccupations... J'ai fait
part de certains enjeux qui pourraient
être soulevés, mais, dans ce contexte-ci, si pour tous ceux et celles qui sont
ici, c'est plus clair d'utiliser le terme «exposer», sachons, soyons conscients que l'administration de la preuve
va nécessiter une démonstration plus claire, que ça va amener une preuve
plus directe. Par contre, et c'est ce que je posais comme question, est-ce
qu'en utilisant cette proposition de notre
collègue on ne vient pas justement contrer certaines préoccupations que vous
avez soulevées quant à des dénonciations frivoles?
Je
comprends que l'une des grandes craintes que nos collègues de l'opposition ont,
c'est que les dispositions soient utilisées
par des tiers contre des discours d'opinion pour tenter, d'une certaine façon,
de mettre un terme ou de bâillonner le discours d'opinion dans la sphère
publique, ce qui n'est pas le cas.
Donc, est-ce que, par
l'utilisation du terme plus précis «exposer», on n'aide pas à venir mieux
baliser cette question? Moi, je vous le dis
d'entrée de jeu, puis je pense que j'ai démontré une ouverture, je ne suis pas
contre. Je pense que ça mérite une réflexion sérieuse.
Alors, peut-être... Je me tourne vers mon
collègue de la deuxième opposition, puis, si autour de cette table on s'entend,
bien, on aura fait un petit pas vers l'avant.
Le
Président (M. Ouellette) : Avant d'aller au député de Borduas, je ne sais pas si vous avez un
commentaire, M. le député de Richelieu, étant donné que vous êtes l'auteur de
cette proposition?
M. Rochon : Non. J'ai bien entendu les remarques de la
ministre et j'ai, comme elle, hâte d'entendre celles de la deuxième
opposition sur le sous-amendement que nous avons soumis à la commission.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Borduas, vous savez que... C'est ça. C'est à vous.
M. Jolin-Barrette : Je sens que
j'ai un public, M. le Président.
Le
Président (M. Ouellette) : Oui, vous avez définitivement un public, M. le député de Borduas. Sur
les remarques que la ministre vient de faire, sur le sous-amendement du
député de Richelieu, si vous avez des commentaires...
M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, M. le Président, on est ouverts à
appuyer l'amendement du député de Richelieu.
Le
Président (M. Ouellette) : Donc, Mme la ministre, dans le libellé et dans les discussions que vous
avez eues avec vos légistes, le
sous-amendement de M. le député de Richelieu serait tel quel. Mme la députée de
Taschereau, le temps que les légistes s'assurent de la conformité de la
rédaction de. Mme la députée de Taschereau.
• (11 h 30) •
Mme Maltais : M.
le Président, je pense que la rédaction est assez simple. C'est vraiment
changer... enlever le mot «susceptible», et
donc «est susceptible», puis mettre le bon temps de verbe. Le mot «exposer» est
toujours là. Je suis contente des propos de la ministre. Puis je pense
qu'on est... elle a bien compris notre intention, elle l'a bien exprimée. Ce
sont les dérives potentielles du projet de loi qui nous dérangent. Il y a plus
que ça qui nous dérange, mais, cette
dérive-là, on cherche... on tente de la baliser depuis longtemps.
C'est une des choses dont on va parler aussi un peu plus tard.
Puis, c'est
bon de l'aborder tout de suite, c'est toute l'idée de la prépondérance de la
preuve versus la preuve hors de tout
doute raisonnable. Je sais qu'on est en civil, mais, M. le Président, on décide de se donner... on décide de se donner quelque chose, de se doter d'une loi et d'un bureau des plaintes, qui n'existait pas
avant, alors c'est sûr qu'on est dans un nouveau domaine, un domaine nouveau, c'est notre travail de bien le
faire. D'autre part, on sait qu'on est en civil, mais nous, on considère que, comme il y a
des pénalités au citoyen, on est dans le pénal aussi. Je vais vous... Ça
s'en va dans le fonds du gouvernement, le Fonds d'aide aux victimes
d'actes criminels, je pense?
Une voix : ...
Mme
Maltais : Accès Justice, le Fonds Accès Justice. Donc, on
est dans le pénal, pour nous. Donc, cette idée de se doter de la preuve la plus solide possible, et
aussi dans l'esprit d'aider les citoyens et citoyennes qui peuvent être poursuivis.
Je rappelle
que la mécanique qu'on met en place, c'est un nouveau bureau des plaintes, une
formule que... je ne suis pas...
c'est la formule de mon collègue de Richelieu, là, «nouveau bureau des plaintes», qui amène à...
qui s'embarque dans un processus
où il y a déjà un délai de traitement d'un an. La plainte
pourrait être qualifiée de frivole dès le départ, mais, encore là, je rappelle que la plainte contre Mme
Proulx, ce n'est pas pour rien que je l'ai citée tout à l'heure, a quand même été traitée par la commission
des droits de la personne du Canada. Moi, je n'en reviens pas, là, mais cette
dame-là a perdu son emploi pendant quatre ans. Alors, toute la question de la
preuve...
Des voix : Quatre mois.
Mme
Maltais : Quatre
mois, pardon. Excusez-moi.
M. Rochon : Qui lui ont paru quatre
ans, sans doute.
Mme
Maltais : Qui lui ont paru quatre ans. Merci. Merci, collègue.
On voit que vous suivez nos propos. C'est bon! Je devrais... je
n'essaierai pas de vous faire accroire que c'était un test pour voir si vous
suiviez.
Mais il y a vraiment
une mécanique difficile. Alors, au lieu d'être «exposer», moi, je... On avait
l'intuition que c'était plus solide,
plus fort. La ministre nous dit : O.K., puis ça va nous donner de la... ça va demander de la preuve
plus solide. Je trouve ça intéressant.
Ceci
dit, on est encore devant le problème de la preuve et de l'intention. S'il faut
qu'il expose... En fait, je vais revenir,
on nous a toujours un peu refusé l'idée de mettre l'intention. On va y revenir
parce que, dans les lois, comme par exemple
ce qu'on nous a amené, là, par exemple l'Afrique du Sud, l'intention, il faut
qu'elle soit claire. Donc, il y a certains des exemples qui sont donnés par la ministre qui ne sont pas tout à fait
des bons exemples dans ce qu'on est en train de débattre. On va revenir, O.K.? Eux autres, c'est
clair : «Demonstrate a clear intention». On y reviendra. Mais la
preuve, qu'elle soit solide, c'est après.
Est-ce qu'on va traiter la plainte? Moi, la question que je me pose,
c'est : «Un discours haineux est d'un extrême tel qu'il expose ce
groupe à la marginalisation ou [au regret]...
Une voix :
Au rejet.
Mme
Maltais : ...au rejet», ça va donc être traité par la
commission des droits de la personne et de la jeunesse comme étant un
critère pour la frivolité aussi, pas seulement pour la plainte une fois
acceptée, mais pour la frivolité. C'est vraiment... C'est une vraie...
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Lorsque la Commission des droits de la personne est
saisie d'une demande, elle va, d'une part, toujours analyser la demande à la lumière de la définition que nous
aurons, dans un premier temps, va aussi analyser la demande en fonction du contexte, en fonction de ce
qui est reproché, mais notre article 1 va servir à cette analyse.
Donc, évidemment, moi, je vous dis, la
proposition de sous-amendement du collègue, il amène une preuve qui sera un
petit peu plus étoffée, va nécessiter
une preuve plus étoffée, mais ne vient pas dénaturer l'objectif visé par
l'article 1. Puis j'ai compris que c'était ce qui était souhaité
autour de cette table. Si on souhaite aller dans ce sens, bien, je vous dis, je
suis quand même... Je vous ai toujours dit
que j'analysais les propositions qui étaient faites, et ça me convient. Je ne
ferai pas un débat pour dire :
Non, non, non, il n'est pas question, puis je n'accepterai aucune proposition
qui vient de l'autre côté de cette table. Ce n'est pas du tout la façon
dont je suis habituée de travailler puis ce n'est pas du tout la façon dont
j'entends travailler ce projet de loi là.
Mme
Maltais :
Ça va, M. le Président.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Ça va.
Le Président (M. Ouellette) : Donc, on est prêts à passer au vote sur le
sous-amendement de M. le député de Richelieu. Est-ce que le
sous-amendement de M. le député de Richelieu est adopté?
Des voix :
Adopté.
Le Président (M. Ouellette) : Adopté. M. le député de Richelieu, je vous revois
encore... On va revenir à l'étude... On va revenir, Mme la ministre,
avec votre amendement à l'article 1.
Mme Vallée :
Je n'ai pas d'autre commentaire. Je pense qu'on est prêts à... Je pense qu'on
est prêts à voter?
Mme
Maltais :
M. le Président?
Le Président (M.
Ouellette) : Ne bougez pas. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Je n'ai malheureusement plus de temps pour commenter.
Le Président (M.
Ouellette) : Non, vous n'avez plus de temps pour commenter. Puis je
pense que M. le député de Richelieu...
Une voix :
...appeler l'article 1.
Le Président (M. Ouellette) : Pas l'article 1, l'amendement à
l'article 1, l'amendement de la ministre. Est-ce qu'il y a d'autres
commentaires? Je sais que vous...
Des voix :
...
Le Président (M. Ouellette) : Je sens beaucoup que... nous brûlons de... en ce
début de semaine. Mme la ministre.
Mme Vallée :
Sur l'amendement, je n'ai pas d'autre...
Le Président (M.
Ouellette) : Sur votre amendement, oui.
Mme Vallée :
Je n'ai pas d'autre commentaire, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Vous
n'avez pas d'autre commentaire. Est-ce que M. le deputé de Richelieu a d'autres
commentaires? M. le député de Borduas?
M.
Jolin-Barrette : Non, je
n'ai pas de commentaire, M. le Président. Simplement, est-ce qu'on pourrait
avoir copie de l'amendement sous-amendé avec
tous les sous-amendements, pour pouvoir voter sur l'amendement? Tel que
lu, actuellement, là.
Mme
Maltais : ...
Le
Président (M. Ouellette) :
Bon, on va juste suspendre deux petites secondes... deux petites minutes puis
on va s'ajuster en fonction de. On est suspendus quelques minutes.
(Suspension de la séance à 11 h 38)
(Reprise à 11 h 47)
Le
Président (M. Ouellette) :
Nous reprenons nos travaux et, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent,
nous avons effectivement récupéré les sous-amendements à l'amendement de la ministre à l'article 1, qui ont été déposés,
qui ont été... certains qui ont été adoptés,
et je demanderais à Mme la ministre de nous relire son amendement à l'article 1,
tel qu'il est libellé maintenant, avec tous les sous-amendements qui ont été...
Mme Vallée : Est-ce que vous
souhaitez que je lise l'amendement ou le texte tel qu'amendé? Parce que...
Mme Maltais : Le texte tel
qu'amendé...
Mme Vallée : Le texte tel
qu'amendé.
Mme Maltais : ...sachant qu'on vote
l'amendement.
Mme Vallée : D'accord.
Le Président (M. Ouellette) : C'est
ça.
Mme Vallée : Le texte, tel
qu'amendé, là, et suite à nos travaux et à nos échanges, se lirait comme
suit :
«La présente
loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les
discours haineux s'exprimant dans un
contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de
radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également
de telles mesures contre les discours incitant à la violence.
«Elle
s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence tenus ou
diffusés publiquement, peu importe
les préceptes sur lesquels ils s'appuient, qu'ils soient religieux ou autres,
et qui visent un groupe de personnes qui présentent une caractéristique commune identifiée comme un motif de
discrimination interdit à l'article 10 de la Charte des droits [de
la liberté] de la personne.
«Est un
discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une
personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il
expose ce groupe au rejet, à la détestation ou au dénigrement notamment pour
que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble.»
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de Richelieu, est-ce que vous avez des commentaires? M. le député
de Borduas, pas de commentaire. Est-ce que l'amendement... Oui. Est-ce que l'amendement amendé à l'article 1 de
l'article 1 du projet de loi est adopté?
Mme Maltais : M. le Président, vote
par appel nominal, s'il vous plaît.
Le Président (M. Ouellette) : Vous
m'avez enlevé les mots de la bouche, Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Ah! c'est mon devoir
de parfois vous devancer.
Le Président (M. Ouellette) : Oui.
La Secrétaire : Madame...
Le Président (M. Ouellette) : Oui.
La Secrétaire : Mme Vallée
(Gatineau)?
Mme Vallée : Pour.
La Secrétaire : M. Boucher
(Ungava)?
M. Boucher :
Pour.
La Secrétaire : M. Hardy (Saint-François)?
M. Hardy : Pour.
La Secrétaire : M. Giguère (Saint-Maurice)?
M. Giguère : Pour.
La Secrétaire : M. St-Denis (Argenteuil)?
M. St-Denis : Pour.
La Secrétaire : M. Merlini (La Prairie)?
M. Merlini : Pour.
La Secrétaire : Mme Maltais (Taschereau)?
Mme Maltais : Contre.
La Secrétaire : M. Rochon (Richelieu)?
M. Rochon : Contre.
La Secrétaire : M.
Jolin-Barrette (Borduas)?
M. Jolin-Barrette : Contre.
La Secrétaire : M. Ouellette
(Chomedey)?
Le Président (M. Ouellette) : Je
vais m'abstenir.
• (11 h 50) •
La Secrétaire : C'est adopté.
Le
Président (M. Ouellette) :
Donc, l'amendement amendé à l'article 1 de l'article 1 du projet de loi est adopté.
Nous continuons donc notre discussion sur
l'article 1. Et, à l'article 1, Mme la députée de Taschereau, il vous
reste du temps.
Mme
Maltais :
Oui, je sais. Je ne sais pas si la ministre voulait introduire des commentaires
avant, simplement par... j'irai jusqu'à... par déférence, vu qu'on a
quand même eu quelques débats sur cet article amendé...
Le Président (M. Ouellette) : Oui.
Oui. Mme la ministre.
Mme Vallée : Honnêtement, M. le Président, je
pense qu'on a élaboré longuement sur l'article 1, d'une part, d'entrée
de jeu, lorsqu'on a débuté nos travaux, mais aussi on l'a abordé lors des
différents amendements, sous-amendements. M. le Président, je pense...
Bon, je comprends que, par principe, les
collègues ont inscrit un vote à l'encontre de l'amendement qui était proposé, mais je pense qu'il est encore important
de mentionner que le texte qui est proposé a fait l'objet de discussions
et qu'il incorpore aussi... il a su
incorporer des commentaires qui ont été formulés tant par l'opposition que par
la deuxième opposition. Alors, je crois que c'est important de le
mentionner, nous, on souhaite aller de l'avant puis on souhaite pouvoir avancer
dans ce projet de loi là, tout en étant à l'écoute des commentaires qui nous
sont formulés et tout en incorporant, dans la
mesure du possible, les suggestions qui sont proposées et qui ne vont pas à
l'encontre de la jurisprudence et du droit. Alors, voilà. Je vous
remercie.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Alors, je sais qu'il y a quelques suggestions qui ont
été adoptées. Même si, sur le fond,
on ne s'entend pas, effectivement on a quand même essayé de tenter de baliser
cet amendement, qui était quand même un amendement majeur, là. Ce
n'était pas un petit amendement, ce n'était pas une simple coquille, c'était
véritablement... c'était l'introduction de la définition de discours haineux.
Et là-dessus on ne s'entend pas vraiment.
Puisqu'on est
rendus à l'article... M. le Président, on sait que cet article établit les
mesures et dit à qui ça s'applique. Alors,
là-dessus, je vais avoir un amendement, que je vais expliquer tout de suite, M.
le Président. Je vais le... rapidement, puis le déposer. C'est que cette loi touche aux
jeunes, aux gens de 18 ans et moins... aux moins de 18 ans, et là-dessus
nous ne sommes pas en accord. Nous croyons que nous avons une direction de la
protection de la jeunesse qui est fort efficace.
Alors, je
déposerais un amendement, M. le Président, qui est celui-ci : Modifier le
deuxième alinéa de l'article 1 de
la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en ajoutant, après les
mots «diffusés publiquement», les mots «par une personne de 18 ans
ou plus».
Le Président (M. Ouellette) : Je
suspends quelques minutes.
(Suspension de la séance à 11 h 53)
(Reprise à 11 h 57)
Le Président (M. Ouellette) : Nous
reprenons nos travaux. Et nous en sommes à l'étude de l'article 1 du projet de loi n° 59, et Mme la députée de
Taschereau vient de déposer un amendement, et elle nous en a fait la
lecture. Il est recevable. Mme la députée de Taschereau, pour vos commentaires.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Alors, j'en réfère au mémoire des directeurs de
protection de la jeunesse qui sont
venus en commission parlementaire le 14 septembre 2015. Évidemment,
comme DPJ, ils prennent, au départ... ils
acceptent le fait que le projet de loi n° 59 soit déposé — et fort probablement adopté, puisque nous
sommes devant un gouvernement majoritaire. Maintenant, ce n'est pas la
posture de l'opposition officielle. Alors, on a pris le contenu de ce que... quel est le message général que nous
envoient les DPJ par rapport à cette loi et quelle serait ensuite la
meilleure attitude à prendre.
En
page 7 de ce mémoire, on parle, entre autres, des protections
procédurales, et on dit ceci : «Force est de constater que ce projet de loi de nature civile, dont les
auditions se dérouleraient devant un tribunal administratif, comportera
de lourdes conséquences pour les personnes
mineures qui seraient visées par une enquête et une décision du Tribunal
des droits de la personne. Dans un esprit de
cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer harmonieusement avec
les autres lois, particulièrement celles s'appliquant aux enfants, et maintenir
les protections procédurales qui leur sont octroyées en vertu de ces lois.»
Évidemment,
là, il y a plein de protections procédurales qui sont connues comme étant
normalement affectées aux mineurs :
la primarité de l'autorité parentale, la responsabilisation du jeune, la
non-publication du nom, l'anonymisation des jugements, la comparution à huis clos. Voilà! Alors, il y a là-dedans
beaucoup, beaucoup, beaucoup d'exceptions qu'on est obligés de faire à
la loi n° 59 parce que la loi n° 59 vise les mineurs.
• (12 heures) •
Remettons-nous
dans la tête l'objectif de la loi. L'objectif de la loi, c'est la lutte à la
radicalisation. Je comprends qu'on a
élargi, mais, quand même, revenons simplement dans la lutte à la
radicalisation, c'est supposé être le coeur de cette loi-là, c'est supposé être le centre. Mais
qu'arrive-t-il si un jeune mineur se fait radicaliser? Savez-vous ce qui se
passe actuellement? On appelle non pas à
faire des plaintes contre le jeune, on appelle à appeler le centre d'aide... de
prévention contre la radicalisation, on appelle la DPJ, on appelle la police.
Les parents appellent les policiers en disant : Venez nous aider! Tout ce système-là se met en branle.
Il y a tout un système de protection de nos jeunes qui se met en branle.
Si le jeune est radicalisé au point qu'il
veuille aller se battre en Syrie, et tout ça, et qu'il tienne, donc, des propos
haineux... même s'il tient des propos
haineux, là on est rendus... ce n'est pas compliqué, on l'attrape à l'aéroport
pour sa propre protection. Donc, on
n'est pas dans un processus de plainte contre des jeunes, normalement on doit protéger les jeunes. Alors, je ne comprends pas pourquoi cette loi-là vient tout à coup s'attaquer aux jeunes. Je ne pense pas que ce soit nécessaire puis je ne pense pas que ce soit
la meilleure chose qu'on puisse faire.
Alors, M. le Président, je... Oui, M. le
Président?
Le Président (M. Ouellette) :
J'étais pour vous dire que, compte tenu de l'heure, Mme la députée de Taschereau,
la commission doit ajourner ses travaux. Et je pense que votre début
d'explication campe le débat.
(Suspension de la séance à 12 h 1)
(Reprise à 15 h 52)
Le Président (M. Ouellette) : À
l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Veuillez, s'il vous plaît, vous assurer que vos
appareils électroniques sont en mode silencieux afin de ne pas perturber
nos travaux.
Je vous rappelle que la commission est réunie
afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 59, Loi édictant
la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les
discours incitant à la violence et apportant diverses modifications
législatives pour renforcer la protection des personnes.
Lors de la suspension de nos travaux à la salle
La Fontaine, nous avions commencé l'étude d'un amendement présenté par Mme
la députée de Taschereau à l'article 1 édicté par l'article 1 du
projet de loi. Vous nous aviez mis en bouche, Mme la
députée de Taschereau, en nous expliquant quel était le fondement de l'ajout à
l'amendement à l'article 1. Donc, à vous la parole, Mme la députée de
Taschereau.
Mme Maltais :
Oui, M. le Président. Je vais expliquer de façon un peu plus approfondie.
Écoutez, on le sait, dans ce projet de loi, il y a deux parties, il y a
une partie sur les discours haineux et une partie qui traite d'autres
sujets : mariage forcé, protection, sécurité
morale des jeunes — qui va
être changé un peu, là, dans l'appellation — la sécurité des jeunes, et tout ça. Nous avons bien placé cette idée de sortir
l'application de la loi aux jeunes de 18 ans dans la première partie pour être sûrs de ne pas toucher à la
deuxième partie, où véritablement, là, il y aura un autre type de débat, où,
à certains endroits, il peut y avoir intérêt
à modifier la loi amendement par amendement, article par article, parce que
c'est ce que nous recommandait la direction de la protection de la jeunesse.
Maintenant,
il est clair que, quand il s'agit de discours haineux, surtout dans un... Quand
on sait que l'objectif initial de la
loi est une lutte à la radicalisation, je pense qu'il serait beaucoup plus
sage, beaucoup plus sage d'éviter l'application de cette loi aux
18 ans et plus...
Une voix : Et moins.
Mme Maltais : ...beaucoup plus sage
tout simplement de les sortir, vraiment la limiter aux 18 ans et plus, la
limiter aux 18 ans et plus.
On sait que,
par rapport aux jeunes, on a décidé, au Québec, d'avoir un type d'action quand
il s'agit de lutte contre les gestes,
les actes criminels ou quand il s'agit de l'attitude avec laquelle... de la
façon dont les jeunes se comportent, on a décidé d'agir soit par prévention, vraiment par prévention, soit dans
un objectif de réhabilitation. Alors, à notre avis, cette partie de la
loi ne permet pas de traiter les jeunes de cette façon-là, elle les inclut dans
un processus où ils ne devraient pas être
inclus. Ils sont déjà couverts et en prévention, et en réintégration,
et en, parfois, réhabilitation par d'autres processus. Alors, véritablement, M. le
Président, on ne voit pas l'intérêt
d'inclure les jeunes en bas de 18 ans dans cette partie de la loi.
J'aimerais ça savoir comment la ministre accueille cette suggestion.
Le Président (M. Ouellette) : Mme
la ministre.
Mme Vallée : M. le
Président, il y a
eu, effectivement, comme le mentionnait la collègue,
certains commentaires qui ont été
formulés lors des consultations. Les centres jeunesse nous ont... la DPJ,
pardon, nous a demandé... ou a porté à notre attention, dans le cadre de
son mémoire, l'importance d'appliquer une protection procédurale au mineur.
Effectivement, lorsqu'on regarde le mémoire de
la DPJ, on nous indique : «Dans un esprit de...»
Une voix : ...
Mme Vallée : Je suis à
la page 7, l'avant-dernier paragraphe :
«Dans un esprit de cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer harmonieusement avec les autres lois, particulièrement
celles s'appliquant aux enfants, et maintenir les protections procédurales qui
leur sont octroyées en vertu de ces lois.»
Et
donc : «Dans les situations où ces deux lois ne s'appliqueraient pas, nous
croyons que l'intervention de la CDPDJ pourrait
s'appliquer aux mineurs en préconisant une intervention non judiciaire axée sur
l'éducation et la médiation dans le respect des
principes reconnus [et] guidant l'intervention auprès des mineurs.»
Et également, en commission parlementaire le
23 septembre dernier, on a M. Jasmin Roy qui nous disait qu'il y avait quand même un certain nombre de mineurs... d'agresseurs,
dans les écoles, qui ont des comportements de délinquance, de violence. Et donc il faudrait être capable de rejoindre
ces jeunes-là, mais évidemment dans le contexte qui leur est propre.
Et donc c'est
dans ce contexte-là que nous avons apporté... nous avons déposé une modification à l'article 10. Alors,
un jour, on y viendra. Et, à l'article 10, on va... Puis je vais vous
lire le texte tel qu'amendé, puis, dans
le fond, ça vient un peu
rejoindre, d'une certaine façon, les préoccupations.
C'est :
«La commission peut mettre fin à son enquête lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche d'éléments de preuve ou lorsque
la preuve qu'elle a pu recueillir est insuffisante ou lorsqu'elle est d'avis que la personne faisant l'objet de l'enquête doit
être dirigée vers une ressource plus appropriée à sa situation notamment au
Curateur public, au directeur de la protection de la jeunesse ou au directeur de l'établissement d'enseignement
qu'elle fréquente. Dans ces derniers cas, la commission s'assure que la
personne est prise en charge par cette ressource.»
Pourquoi?
Parce que, M. le
Président, un enfant de moins de
18 ans qui tiendrait des propos haineux pourrait être un enfant qui
crie à l'aide, pourrait être un enfant dont des problèmes... qui vit, donc,
pour toutes sortes de raisons, des problèmes importants. Et il est important
de ne pas laisser cet enfant-là à lui-même et de pouvoir rapidement
le prendre en charge. Donc, c'est
pour ça, c'est dans cet esprit-là que, plutôt que de dire : Le texte ne
s'applique pas, le texte s'appliquerait, mais avec les adaptations.
Puis il est
vrai qu'on a des ressources, dans les centres jeunesse, qui pourront prendre en
charge l'enfant, s'assurer... Est-ce que
la problématique vient d'un problème de santé mentale?
Auquel cas, est-ce qu'on peut rapidement y voir? Est-ce que la problématique est
due à un contexte particulier que vit l'enfant dans sa famille? Est-ce que la problématique
est créée par d'autres circonstances? Et
donc, en permettant, par le biais de l'article 10, de diriger vers
l'instance appropriée lorsqu'il s'agit d'un jeune, je crois qu'on va
être en mesure d'éviter, oui, de judiciariser des dossiers des jeunes.
Puis, honnêtement, encore
une fois, les commissions parlementaires nous ont amené cet élément-là. Puis on
dit : Oui, il y a peut-être...
on doit faire le lien avec les centres jeunesse. Parce qu'un enfant qui tient des propos qui
sont... et qui correspondent à la définition
de discours haineux, c'est problématique. Parfois, ça pourrait peut-être
s'inscrire dans un contexte de crise
d'adolescence. Mais, encore là, le jeune a certainement besoin d'encadrement,
certainement besoin d'une intervention
adaptée. Et l'objectif n'est pas de pointer du doigt le jeune, de le
stigmatiser davantage, mais, bien au contraire, de l'aider. Alors, c'est
l'approche qu'on a préconisée dans le dossier.
• (16 heures) •
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais :
J'avais bel et bien vu l'amendement à l'article 10, M. le Président. Mais
je pense que notre position, honnêtement, assurerait une meilleure protection
aux jeunes. Parce que le défaut de l'amendement qui est apporté par la ministre
à l'article 10 est qu'il conserve la possibilité de poursuivre des jeunes
de moins de 18 ans via la loi
n° 59, via le processus des plaintes à la CDPDJ. Alors, ou bien on
dit : On ne veut pas que les jeunes soient sous l'égide de la loi n° 59 — et, à ce moment-là, c'est notre
proposition — ou bien
on dit : Oui, ils peuvent être sous l'égide de la loi n° 59,
puis l'amendement donne une possibilité d'envoyer ailleurs, mais ce n'est pas
un automatisme.
Moi, je pense que, si des jeunes ont des propos
haineux, on devrait normalement les repérer avant et non pas obliger des gens à faire des plaintes. C'est ça,
le problème. C'est qu'on est dans un processus de plainte à la
Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse. Et je rappelle — puis on a toujours ça derrière la tête, nous
autres, quand on discute — qu'il y a un an avant qu'une plainte soit
traitée, puis on n'a même pas encore commencé l'enquête. Il est là, le
problème : un an. Alors, ce n'est pas une intervention rapide, ça, là, ce
n'est pas une intervention rapide. Surtout si la plainte n'est pas frivole.
Alors, moi,
je ne comprends pas, puis ça, c'est... vraiment, là, je ne comprends pas qu'on
veuille mettre les mineurs, les personnes
mineures sous la coupe de cette loi, véritablement pas. Je n'en vois pas la
plus-value au niveau de la société. Je
ne pense pas que ça soit une bonne idée que de faire faire le trajet :
plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ensuite jugement de la
Commission des droits de la personne sur la frivolité, et, ensuite de
ça, va-t-il ou non être traité par la CDPDJ ou être traité ailleurs? Moi, je
pense qu'on est mieux de les exclure de ça et puis
que... Ailleurs, il y a les commissions scolaires, les écoles, les collèges qui
ont des moyens d'intervenir, la DPJ a des moyens d'intervenir. La CDPDJ
peut intervenir si ça attaque une personne. Et il y a même la police. Quand il
s'agit de la radicalisation, elle est intervenue.
Alors, je ne vois pas l'utilité de cet outil
supplémentaire, sauf pour les désagréments qu'il peut apporter, très
honnêtement.
Le Président (M. Ouellette) :
Vous avez d'autres commentaires, Mme la ministre?
Mme Vallée : Bien, en fait, M. le Président, je pense
qu'on a été à l'écoute des recommandations des DPJ puis je pense qu'il est important
aussi de se rappeler qu'en vertu de notre Code civil un jeune peut quand même
être poursuivi, peut quand même... la responsabilité d'un jeune peut quand
même être engagée. Donc, le Code civil s'applique, les principes de responsabilité s'appliquent aux adultes comme aux enfants. Et je
ne crois pas qu'il soit opportun d'exclure les jeunes du dossier. Au
contraire, je crois que le chemin qui est présenté par... les amendements que
nous aborderons à l'article 10 sont importants.
Et puis la
référence que la CDPDJ fera, que la commission
des droits de la personne et de la jeunesse fera, elle sera faite... elle peut être faite au DPJ. Puis,
comme je le mentionnais tout à l'heure, ça peut aussi être dans le milieu
scolaire. Donc, peut-être que la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse considérera que, dans le
contexte des propos, il est plus opportun de s'en remettre et de se tourner
vers le milieu scolaire et de mettre en place un plan d'intervention pour
l'enfant.
Je pense
qu'un enfant, et je l'ai mentionné, un enfant qui a des troubles de
comportement sérieux... D'ailleurs, c'est un motif d'intervention par
les DPJ en vertu de l'article 38f. Puis, un enfant qui a des troubles de
comportement sérieux qui peuvent, de
façon... compromettre le développement physique, le développement psychologique
de l'enfant, il est important que cet
enfant-là soit pris en charge. Donc, de fermer l'application de la loi et des
dispositions de la loi pourrait potentiellement exclure des enfants.
Il y a des
enfants qui vivent peut-être dans des milieux où... et qui font l'objet
peut-être de propos que l'on tente d'enrayer. Tous les propos
d'endoctrinement auxquels on fait référence à l'article 1, peut-être que
des jeunes sont sujets à ces propos-là et peut-être que ces jeunes-là répètent
et vont également imiter les modèles qui sont les leurs. Donc, si, par une référence à la DPJ, par une
référence à l'encadrement, on peut aider un jeune à se sortir de ce
milieu-là, je ne crois pas qu'on ait été à
l'encontre du droit des jeunes, au contraire. Puis l'enfant, le jeune, l'enfant
est un être doué de raison aussi,
alors c'est dans ce contexte-là, qui milite de ne pas exclure mais d'apporter
des adaptations bien particulières.
Puis, au même
titre, lorsqu'on parle du Curateur public, bien c'est aussi pour l'adulte qui
peut faire l'objet d'une curatelle. Parce qu'on a... C'est l'Ordre des
psychologues qui nous avait sensibilisés aux enjeux de santé mentale et qu'il
était opportun d'aider les gens également.
Alors, je pense que... Je crois que de dire que
la loi ne s'applique pas... En fait, on ne retrouve ça nulle part. Le Code criminel s'applique, les lois s'appliquent
aux citoyens, aux citoyens doués de raison. Et ça pourrait créer une situation plus... et créer des mailles
importantes, alors que, là, on considère la situation particulière des jeunes,
on considère également les ressources
qui existent pour ces jeunes-là, notamment les centres jeunesse et l'aide que
peuvent accorder les intervenants des centres jeunesse à un jeune, une
jeune qui manifeste des troubles de comportement sérieux.
Et, dans les troubles de comportement
sérieux, c'est intéressant, il y a un petit document qui s'intitule Faire
un signalement au DPJ, c'est déjà protéger
un enfant — Quand
et comment signaler? Et on a, à
la page 16 du document, la définition
des troubles de comportement sérieux et on nous indique quelques indices :
«L'enfant manifeste de l'agressivité et
de la violence de façon fréquente et incontrôlable[...]; l'enfant fréquente des
personnes qui l'influencent négativement et qui accentuent ses problèmes
de comportement», donc... «Le DPJ intervient uniquement dans les situations où
des indices de troubles de comportement
sérieux sont présents et lorsque les parents ne prennent pas les moyens pour
assurer la protection de leur enfant ou [si] l'enfant de 14 ans et plus
s'oppose aux services d'aide proposés.»
Alors,
comment l'intervention du DPJ fonctionne? Bien, on a la réception et le
traitement du signalement. Si le signalement
est non retenu, il y a la fin de l'intervention. S'il est retenu, on va évaluer
la situation. Est-ce que la sécurité et le développement de l'enfant
sont compromis? Si la sécurité et le développement de l'enfant ne sont pas
compromis, on met fin à l'intervention.
S'ils le sont, on va orienter les mesures de protection qui vont s'appliquer à
l'enfant, soit par des mesures volontaires, par d'autres démarches, et
là on va mettre en place des mesures de protection, on va réviser la situation
au besoin. Mais tout ça dans le meilleur intérêt de l'enfant.
Le Président
(M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.
• (16 h 10) •
M. Rochon :
Oui, M. le Président. Ma compréhension est à l'effet que ce n'est pas un
automatisme dans la loi de diriger le jeune — on parle des jeunes, là — vers
des ressources appropriées. C'est une perspective, c'est une possibilité, ça peut arriver, mais ça n'arrivera
pas nécessairement. Moi, je souscris tout à fait à l'argumentaire que
j'ai entendu tenir ma collègue de Taschereau
à l'effet que les personnes de 18 ans et plus soient soustraites de
l'application de la loi.
La
ministre réfère au mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse. J'ai
également parcouru ce mémoire, pour y
trouver des choses plutôt favorables à ce que propose maintenant ma collègue de
Taschereau. «Nous constatons — dit le mémoire — que le
projet de loi met en place une procédure de dénonciation anonyme à la CDPDJ
lorsqu'une personne a connaissance
d'un discours haineux ou incitant à la violence. Il octroie de plus à
[l'organisme] un pouvoir d'enquête à cet effet et confère de nouvelles responsabilités au Tribunal des droits de
la personne. [...]Nous n'avons pas de
recommandations à formuler en
ce qui concerne l'application de ces procédures aux adultes — "aux
adultes". Toutefois — disent
les directeurs de la protection de la
jeunesse — nous
tenons à vous faire part de nos vives inquiétudes quant au fait que le projet de loi ne crée pas de distinction entre les personnes mineures et majeures.»
C'est ce que regrette, là, la députée
de Taschereau, ce pour quoi elle soumet à la commission un amendement.
Je poursuis le texte
du mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse : «Ce dernier
aspect nécessite, selon nous, une révision. Notre système juridique établit généralement
cette distinction afin de prendre en compte la vulnérabilité des mineurs et
reconnaît l'importance d'agir avec célérité et efficacité pour prévenir la
récidive et ainsi bien protéger la société.»
Il y a une voie pour
les mineurs, il y a les ressources appropriées.
«Le regard que nous
portons sur cet aspect du projet de loi se fonde essentiellement sur les
connaissances scientifiques, notre
expérience clinique et l'efficacité largement reconnue de nos interventions en
matière de délinquance. En tant que
DPJ-DP, et à l'instar de nos partenaires québécois en cette matière, nous sommes
convaincus que la portée de nos interventions est tributaire des grands
principes qui guident nos actions et nos décisions[...].
«Ces
principes doivent en tout temps guider nos interventions à l'égard des jeunes,
et il ne devrait en être autrement dans le présent projet de loi.»
J'achève : «Les
connaissances cliniques et la jurisprudence le démontrent : l'adolescent
est un individu en développement qui n'a pas
atteint sa maturité et qui, à ce titre, a des besoins différents de ceux des
adultes. L'intervention doit donc
être appropriée à ce stade de développement. En ce sens, le projet de loi ne
précise nullement des modalités pouvant spécifiquement s'appliquer aux
mineurs, ce qui est fort préoccupant.»
Et,
encore une fois, la ministre nous dit que son projet de loi ouvre bien la
porte, là, à diriger les 18 ans et moins vers des ressources appropriées. Nous notons de notre
côté, M. le Président, que ce n'est pas un automatisme, ce pourquoi nous
maintenons que l'amendement que nous soumettons à la commission est tout à fait
approprié, c'est-à-dire d'exclure les 18 ans et moins de l'application du
projet de loi.
Le Président
(M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.
Mme Vallée :
Je veux simplement rappeler, M. le Président, qu'un jour on arrivera aussi à
l'article 10... à l'article 7,
pardon, puis nous avons des amendements. Il n'y a pas d'anonymat. La
confidentialité de l'identité sera prévue, mais pas d'anonymat. Donc, il y a une grande distinction à faire entre
l'anonymat et la confidentialité. Mais, chose certaine, il y a des
amendements qui sont apportés.
Alors,
vous voyez, M. le Président, je pense qu'on a été pas mal à l'écoute lors des
consultations, on a apporté des amendements. Mais il faudra
peut-être... en tout cas, je l'espère, qu'un jour on pourra s'y
rendre.
Le Président (M. Ouellette) : Ah! mais on prépare le terrain, Mme la ministre.
Je pense que c'est des discussions préparatoires et...
Mme Vallée :
...verser dans l'article 10 les commentaires faits.
Le
Président (M. Ouellette) : Et je pense... Je vais retourner à Taschereau. Je sais que mon collègue
le député de Rimouski va être intéressé de prendre la parole. Mme la
députée Taschereau.
Mme Maltais :
M. le Président, l'article 10, la modification qu'on amène à
l'article 10 est une modification qui n'a pas la même portée, la
même teneur que ce que nous proposons. C'est très, très, très différent. À la
limite, elles pourraient ne pas être... elles pourraient même exister toutes
les deux, à la limite. Ou bien on pourrait faire tomber simplement les mots...
Dans la modification, 10, on ferait... on ajouterait juste «directeur de la
protection de la jeunesse». Ce serait un
amendement qu'on pourrait apporter plus tard, quand on arrivera à
l'article 10. Mais présentement nous croyons profondément qu'il
faut sortir les moins de 18 ans de cette loi.
Il y a, au
Québec, entente. Il y a une compréhension qui est pareille pour tout le
monde : quand un mineur voit sa sécurité
ou son développement compromis, c'est à la direction de la protection de la
jeunesse qu'on fait affaire, qu'on interpelle.
Il y a une obligation de signalement, pas au gouvernement, pas à la CDPDJ. Il y
a une obligation de signalement qui
est inscrite dans la Loi de la protection de la jeunesse, signalement à la
direction de la protection de la jeunesse. Ici, on introduit quelque
chose qui vient dire : Oui, mais
vous pouvez faire une plainte à la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Alors, il y a
comme... il y a maintenant deux actions potentielles.
Si vous voulez vraiment... Vous êtes obligés... Si vraiment vous considérez qu'il y a
sécurité et développement compromis,
vous devez aviser la direction de la protection de la jeunesse. Et c'est un
mécanisme qui est reconnu, qui est contrôlé, puis qui agit surtout en
prévention, et qui peut même agir en coercition, s'il y a lieu, mais qui agit
surtout en prévention et réhabilitation. Il y a une conception, il y a un
principe québécois derrière ça.
Mais là on
s'en vient dire que, pour du discours haineux, pas du crime, là, pas du Code criminel, là, mais pour du discours haineux, il y a une autre façon de
procéder : les gens peuvent simplement aller à la commission des droits
de la personne et de la jeunesse, déposer une plainte sur le discours haineux
et ensuite, quand l'enquête est commencée, d'après ce que nous dit la ministre
dans son amendement à l'article 10, ensuite, quand l'enquête est
commencée, la commission des droits de la
personne et de la jeunesse jugera s'il faut référer à la DPJ. Elle va faire le
travail de la DPJ. Je m'excuse, là,
mais ça ne marche pas, ça. La CDPDJ ne doit pas être identifiée par les
Québécois et Québécoises comme étant le lieu par lequel on doit passer
pour protéger les jeunes.
L'amendement
de la ministre à 10 dit : «La commission peut mettre fin à son enquête
lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche
d'éléments de preuve, lorsque la preuve qu'elle a pu recueillir est
insuffisante ou lorsqu'elle est d'avis que
la personne dénoncée doit être référée...» «Peut mettre fin à son enquête».
Avant d'ouvrir une enquête à la
CDPDJ, c'est un an. Un an. Allez-vous laisser un an de temps un jeune dont la
sécurité ou le développement est compromis en vertu de discours haineux,
puisqu'il a des...
Si je prends le discours de la ministre, là, qui
me dit, vraiment, là, qui dit : Développement compromis, c'est important, la CDPDJ l'enverra à la DPJ... Mais il
y a un an de délai, alors que la direction de la protection de la
jeunesse, elle, elle doit agir
immédiatement. Elle va envoyer valider... Il y a des délais beaucoup plus
stricts qu'un an, croyez-moi, pour aller valider si la sécurité ou le
développement de l'enfant est compromis.
Alors, je
trouve que notre proposition protège beaucoup mieux la jeunesse et que c'est
exactement le système qu'on avait
choisi au Québec. Et quoi qu'en dise la ministre, je suis d'avis, et c'est
vraiment factuel, là, que l'amendement qu'elle apporte à
l'article 10 ne donne pas la même protection aux jeunes que ce que donne
la direction de la protection de la jeunesse.
Alors, il serait sage, je pense, de voir à ce que les Québécois et les
Québécoises réfèrent toujours à la direction de la protection de la jeunesse plutôt qu'à la commission des droits. Je
pense que ce serait beaucoup plus sage, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée :
En fait, la commission des droits pourra le faire d'office, mais on fera le
débat sur l'article 10 une fois
rendus là. Je tiens simplement à rappeler à ma collègue que, dans le CDPDJ,
dans l'acronyme CDPDJ, il y a «j» pour «jeunesse». Alors, il faut savoir
que les intervenants de la commission des droits de la personne et de la
jeunesse sont très sensibilisés à ces
questions-là. Donc, l'objectif n'est pas du tout d'aller dans le sens qui est
anticipé par la collègue.
Mais, pour ce
qui est de l'article 10, pour le débat sur l'article 10, il me fera
plaisir d'analyser notre amendement et de voir peut-être à le bonifier rendus à l'article 10. Je ne ferai pas
le débat dans le cadre de l'article 1, avec respect, évidemment.
Mme Maltais : M.
le Président?
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Je
dis que c'est à l'article 1 que nous voulons que cela soit introduit parce
que cela fait qu'il ne devrait pas y avoir
d'enquête, il devrait y avoir signalement à la DPJ. C'est ça, la différence.
C'est pour ça qu'on en parle à
l'article 1. On veut sortir les jeunes qui sont déjà couverts par la DPJ
de cette loi-là, qui est une loi inacceptable au départ. Ça fait qu'imaginez-vous, mettre les jeunes en plus, comment
est-ce qu'on le prend? Bien, on le prend mal. Voilà.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée :
Ce n'est pas tout à fait le but de l'amendement lorsqu'on le lit. Mais, ceci
étant dit, je ne partage pas l'opinion
de la collègue. Et puis on ne peut pas tout mettre dans l'article 1 non
plus, parce que ça fait un article 1 qui est très lourd. Alors, on l'a mis un petit peu plus loin
dans le texte. Mais il n'est pas très loin de l'article 1, il est à
l'article 10.
Le Président
(M. Ouellette) : On aura l'opportunité d'en discuter, puis
j'aurais le goût de demander à notre collègue de Rimouski si c'est la même
chose en région.
• (16 h 20) •
M.
LeBel : Moi, j'ai... Ah! je
m'excuse du retard. C'est un projet de loi qui est bien important, là. C'est
quand même assez majeur. Puis moi, je suis venu quelques fois puis, moi, ce qui
m'inquiète beaucoup, c'est la liberté d'expression, c'est... Je
trouve qu'on vient mettre des balises. Pour une première fois au Québec, dans
l'histoire du Québec, on essaie de mettre des balises sur la liberté
d'expression. C'est fondamental comme projet
de loi, ce n'est pas rien, là.
Ça fait que c'est pour ça que l'article 1... Puis nous autres, on sait ce
que ça veut dire, l'article 1...
Le Président (M. Ouellette) :
Mais vous voulez l'amender, l'article 1?
M. LeBel :
Aïe! C'est assez compliqué. Ça fait qu'il faut y travailler comme il faut, à
l'article 1, si on veut savoir vers
où on s'en va, parce que c'est la base, hein, il me semble. Ça fait que c'est
pour ça qu'on... c'est bien important, à partir de cet article-là, de
voir c'est quoi, qu'est-ce que le législateur voulait faire, tu sais, qu'est-ce
qu'il avait en tête avec ce projet de loi
là. Mais moi, déjà là, je ne suis pas... j'ai de la difficulté avec le projet
de loi, qui vient comme baliser la liberté d'expression. Puis j'en ai
parlé la dernière fois que je suis venu, au niveau des artistes, au niveau
des...
Et là on veut
comme... les moins de 18 ans pourraient être interpellés là-dessus. Il
faut savoir, là, les adolescents, les décrocheurs,
les... Je ne le sais pas, mais, qu'on... C'est déjà un gros morceau de vouloir
baliser les droits d'expression, et là on
intègre les moins de 18 ans là-dedans. Vraiment, je suis un peu surpris.
Puis je me dis : Pourquoi pas, dans l'article 1, régler ça tout de suite, dire : Les moins de
18 ans, on va gérer leur comportement, là, comme on fait d'habitude, dans
les ensembles des lois du Québec? Pourquoi
vouloir intégrer ça là-dedans? Tu sais, il faut savoir, là, être... Moi, j'en
ai, des ados, là, qui... Tu sais, dans les écoles, partout, dans les...
il faut rencontrer des jeunes décrocheurs, des fois, qui sont comme... ils en ont jusque-là, là, puis des fois
ils ont des propos assez costauds. Je vais vous dire, ça réussit même à
me défriser, même moi. Ça fait que pour dire que c'est...
Je ne le sais
pas, mais il me semble qu'à l'article 1 on devrait clarifier cette
situation-là rapidement. Et ce serait bon pour tous les intervenants : les intervenants de la DPJ, les
intervenants qui travaillent auprès des groupes communautaires, qui
travaillent auprès de la jeunesse, auprès de... Il me semble que ça leur
permettrait d'y aller dans la façon plus positive
avec les jeunes, c'est-à-dire de l'éducation populaire, de la prévention, des
enseignements, plutôt qu'y aller avec un genre d'épée de Damoclès,
Damoclès qui est là, qui dit... avec la loi, qui vient comme toucher des jeunes
de 15, 16 ans, 17 ans. À mon avis, on pousse un peu trop loin. On a
déjà une loi qui pousse déjà pas mal loin, à mon avis.
Ça fait que
la proposition d'amendement, qui semble confirmée, être confirmée, là... — j'écoutais le député de Richelieu tantôt — qui semble confirmer, là, la direction de la
protection de la jeunesse, là... les vouloirs de la direction, qui disait : «Les connaissances cliniques et la
jurisprudence le démontrent : l'adolescent est un individu en
développement qui n'a pas atteint sa maturité et qui, à ce titre, a des besoins
différents de ceux des adultes. L'intervention doit donc être appropriée à ce stade de développement. En ce sens,
le projet de loi ne précise nullement des modalités pouvant
spécifiquement s'appliquer aux mineurs, ce qui est fort préoccupant.»
Si le
directeur de la protection de la jeunesse trouve ça préoccupant, je pense que
ça vient comme confirmer l'idée d'approuver
cet amendement, qui viendrait comme clarifier des affaires puis qui ferait en
sorte que... Au Québec, on a toujours
travaillé différemment avec nos jeunes, ça fait qu'il faut continuer de la même
façon, parler de prévention, parler d'enseignement, parler d'éducation,
parler d'intervention appropriée avec ces jeunes-là, et on devrait continuer à
travailler là-dessus. Et, quand on parle de... Si on veut parler de liberté
d'expression, de discours haineux, bien, adressons-nous
aux adultes puis essayons de voir comment on peut faire avec les adultes. Mais
les enfants, là, c'est... les adolescents,
les enfants, on peut peut-être les laisser tranquilles avec ça puis continuer à
travailler comme on a toujours travaillé au Québec avec eux autres, à mon
avis.
Le Président (M. Ouellette) :
Commentaires, Mme la ministre?
Mme Vallée : Moi, j'ai
fait les recommandations. C'est certain que, comme je le mentionnais, il y a
des enfants qui ont besoin de cette aide, de
cet encadrement. Ce n'est pas de les stigmatiser, au contraire, c'est... Les
moyens qu'on va vous proposer à
l'article 10 vont permettre d'aider un enfant qui lance un cri de
détresse, parce que, pour moi, c'est
ça, un jeune qui tient des propos haineux. Puis il peut y avoir plein de contextes,
des contextes qui ne méritent pas une
intervention, mais il peut y avoir un contexte
où il s'agit d'un cri de détresse de la part d'un jeune. Puis je pense
qu'on a la responsabilité d'y voir, lorsqu'il s'agit d'un cri de détresse de la
part d'un jeune.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Rimouski.
M. LeBel :
Mais il me semble qu'un cri de détresse... Auprès d'un jeune, il ne faut pas
arriver avec une loi comme ça, il faut l'aider.
Mme Vallée : C'est
exactement l'objectif.
M. LeBel : Il faut intervenir
avec des groupes communautaires qui sont mieux soutenus. Il faut, avec les
commissions scolaires... On arrête de couper auprès des services qui sont faits
à ces jeunes-là. C'est au niveau de la santé publique, c'est au niveau des
intervenants, c'est là qu'il faut travailler. Quand il y a un jeune...
Actuellement, je vous
le dis, les jeunes qui ont de la détresse, on a beaucoup de difficultés à
intervenir. Les travailleurs de rue ont été coupés un peu partout à travers les régions, les... Mais
c'est ça. C'est comme si c'est une pensée magique. Arrêtons de
démobiliser notre monde, arrêtons de sous-financer nos intervenants qui
travaillent auprès de la jeunesse, puis on va être capables d'intervenir dans
les... si on a un cri de détresse. Ce n'est pas par un projet de loi comme ça
qu'on va aider tous les jeunes qui sont en
détresse. Il me semble, il faut travailler sur le soutien à nos jeunes, sur les
gens qui interviennent auprès de nos
jeunes, sur les enseignements qu'on donne à nos jeunes. C'est là. Si on voit
quelqu'un qui a un cri détresse, le jeune, il faut savoir l'accrocher là, sur place, par un travailleur de rue, par un
prof qui a du temps pour s'en occuper. C'est par là qu'il faut intervenir...
Excusez-moi.
Le Président (M. Ouellette) :
Votre intervention est très pertinente pour les articles 24 à 27, M. le
député de Rimouski. M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Oui, M. le Président. J'ai trouvé à la
page 3 du mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse de
la lecture très intéressante, qui vaut la peine, là, d'être très attentif.
«Nous
croyons — écrivent-ils — que certaines dispositions du projet de loi
peuvent contribuer à une meilleure protection
des enfants. Les modifications qu'il propose, non seulement à la Loi de la
protection de la jeunesse, mais aussi à d'autres lois, impliquent
plusieurs institutions et organismes en vue de l'atteinte des objectifs du
projet de loi. Il s'appuie sur un principe fondamental à nos yeux, et souvent
réitéré, voulant que la protection des personnes, et plus particulièrement
celle des enfants, soit une responsabilité collective.» Jusque-là, c'est très
bien.
«La Loi de la protection de la jeunesse prévoit
que tout professionnel qui prodigue des soins ou toute forme d'assistance à des enfants, de même que tout
enseignant, toute personne travaillant dans un milieu de garde et tout
policier sont tenus de signaler la situation
d'un enfant lorsqu'il a des motifs de croire que sa sécurité ou son
développement est compromis. Tout
citoyen peut aussi signaler de telles situations et doit le faire lorsqu'il a
des motifs raisonnables de croire qu'un
enfant est abusé physiquement ou sexuellement. De plus, un établissement ou un
organisme du milieu scolaire est tenu
de prendre tous les moyens à sa disposition pour fournir les services requis
pour l'exécution de mesures volontaires ou judiciaires à l'égard d'un enfant pris en charge par le DPJ. Il en va de
même pour une personne ou un organisme qui consent à appliquer de telles
mesures.
«Le rôle et les responsabilités des
professionnels et de la population générale dans l'application de la Loi de protection de la jeunesse sont essentiels à la
protection des enfants. Or, nous craignons que les modifications
législatives proposées soient perçues comme
une substitution aux signalements prévus à la Loi de la protection de la
jeunesse et qu'elles aient pour effet
de laisser croire aux citoyens et aux professionnels qu'ils n'ont plus à
signaler une situation pour laquelle ils ont des motifs raisonnables de croire que la sécurité ou le
développement d'un enfant est compromis. Il importe donc de bien distinguer la portée d'une divulgation à la
commission des droits de la personne et de la jeunesse d'un signalement
à la direction de la protection de la jeunesse.» Ce sont exactement les
craintes, là, émises par ma collègue de Taschereau.
Et là
j'aimerais entendre la ministre. «À cet effet, nous recommandons — disent les directeurs de la
protection de la jeunesse — que
le chapitre I du projet de loi comporte une disposition réitérant que
cette loi ne saurait se substituer aux obligations de signalement prévues à
l'article 39 de la Loi sur la protection de la jeunesse.»
Alors, j'aimerais entendre de la ministre, M. le
Président, une réponse à la question suivante : Existe-t-il des
dispositions au chapitre I réitérant que cette loi n° 59 ne saurait
se substituer aux obligations de signalement prévues à l'article 39 de la
Loi sur la protection de la jeunesse?
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée : M. le
Président, c'est l'objectif visé par l'article 10. Un jour, on va s'y
rendre.
Le Président (M. Ouellette) : M.
le député de Richelieu.
• (16 h 30) •
M. Rochon : Ma collègue de Taschereau signifiait tantôt que ce n'était pas du
tout la lecture qu'elle faisait de l'article 10,
l'article 10 qui soulève la possibilité, hein, qu'un enfant soit dirigé vers une ressource
plus appropriée, référé à une ressource
plus appropriée, pour reprendre, là, le texte exact de l'article 10,
notamment au Curateur public — alors pas question juste des enfants — au directeur de la protection de la jeunesse ou au
directeur de l'établissement d'enseignement
qu'elle fréquente. Dans ce dernier cas, la commission
s'assure que la personne est prise en charge par cette ressource. Tout
ça lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche d'éléments
de preuve, lorsque la preuve qu'elle a pu recueillir
est insuffisante. Alors, c'est lorsque la commission met fin à son
enquête que tout ce processus peut s'enclencher. Ce n'est pas un processus automatique, ce n'est pas quelque chose d'automatique, on ne réfère pas automatiquement un jeune à des ressources plus appropriées.
Alors, je ne
souscris pas, là, à ce que vient d'affirmer la ministre à l'effet que ce que
réclament les directeurs de la protection de la jeunesse existe à l'article 10
du projet de loi.
Le Président (M. Ouellette) :
Je sens que nous aurons des discussions très intéressantes lorsque nous
arriverons à l'article 10. Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : M. le
Président, le projet de loi sur les discours haineux introduit une nouvelle
procédure que la ministre dit civile et que nous disons pénale, parce
qu'il va y avoir des pénalités aux citoyens. Et cette procédure fait que les gens maintenant
vont pouvoir référer non pas seulement au processus de plainte qu'il y a à la
commission des droits de la personne
et de la jeunesse — parce
qu'il existe déjà un traitement des plaintes — non pas au Code criminel, mais il pourrait en plus y avoir une espèce de grand
bureau des plaintes où les gens vont pouvoir aller référer, ils vont
pouvoir déposer une plainte contre quelqu'un
pour discours haineux. Mais, si on trouve qu'un jeune est en détresse, qu'il a
des propos haineux, il faut l'envoyer à la
direction de la protection de la jeunesse, puisque sa sécurité et son
développement sont compromis. C'est même ce que la ministre plaide.
Alors, on
introduit dans le projet de loi n° 59 de la confusion. On introduit le
fait maintenant que les gens pourront dire :
Non, non, non, j'ai découvert qu'un jeune a effectivement des problèmes, alors
je vais faire une plainte à la direction de la protection de la jeunesse... Pardon, je recommence : On va
trouver qu'un jeune a effectivement des problèmes, alors je vais faire une plainte à la Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse, et là ça va prendre un
an avant qu'on puisse savoir si la
commission a décidé de traiter la plainte. Et, quand il y a début de traitement
de la plainte, un an plus tard il y a
une enquête, et c'est pendant l'enquête que la ministre nous dit : Non, ça
va bien aller. Pendant l'enquête, la
Commission des droits de la personne pourra dire : On réfère à la DPJ, un
an plus tard. Mais ça, c'est déjà une confusion.
Mais,
deuxièmement, la plus grande confusion, c'est que, si un jeune a tellement de
problèmes qu'on est rendu... tient
tellement de discours haineux qu'on est rendu à déposer une plainte contre lui,
il faudrait que ce soit à la direction de la protection de la jeunesse qu'on aille. Il ne faut pas qu'on introduise
le fait qu'on va aller l'amener devant la Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse. C'est une confusion des genres. Il ne faut pas que ça fonctionne
comme ça. Si c'est vraiment tellement
sérieux, qu'il y a des propos haineux qui font qu'un jeune voit sa sécurité ou
son développement compromis, il faut l'envoyer à la direction de la
protection de la jeunesse ou — ce qui est arrivé — que
des parents disent : Je vais aller
rencontrer le Centre de prévention de la radicalisation, je vais aller
rencontrer la Sûreté du Québec puis je vais faire protéger ce jeune.
C'est ça qu'on fait jusqu'ici.
On a actuellement dans nos lois les mécanismes
qu'il faut pour aider ces jeunes. Alors, pourquoi introduire quelque chose qui va entraîner de la confusion? La
voie d'entrée, là, pour ce type de cas là, c'est la direction de la
protection de la jeunesse. Il ne faut pas
ouvrir un autre chemin, il ne faut pas introduire de la confusion dans la façon
dont on doit réagir quand un jeune a
une sécurité compromise. Puis, si c'est tellement grave... Par exemple, c'est
arrivé récemment, un parent réalise
qu'un jeune veut partir en Syrie se battre, en Syrie ou en Irak se battre, bien
là, c'est la Sûreté du Québec, parce qu'il faut aider puis rapidement
l'amener à ne pas y aller.
Alors, on ne
va pas le protéger en faisant une plainte à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse,
et on ne va surtout pas le déradicaliser. Ça n'a aucun effet sur le jeune, sauf
le stigmatiser. C'est ça, le problème.
Alors, moi,
je trouve que notre proposition, elle arrive au bon endroit. Elle est toute
simple, elle est bien écrite. On ne
peut pas dire quand même que l'article 1 est déjà trop touffu, qu'on n'a
pas le droit de lui rajouter des affaires, là. Ça, ce n'est pas un bon argument. Je pense qu'on va attendre un autre
argument que celui-là. Je vais faire comme si je ne l'avais jamais
entendu, là, parce que ça, c'est assez étonnant. Soyons...
Le Président (M. Ouellette) :
C'est ça. C'est étonnant. C'est beau.
Mme Maltais :
En effet, étonnant. Voilà, M. le Président. Et je pense qu'il nous restera une
petite minute, puis je reviendrai après.
Le
Président (M. Ouellette) : Il vous reste une petite minute. Je ne sais pas si vous avez de quoi à
rajouter, M. le député de Rimouski ou M. le député de Richelieu. M. le
député de Rimouski.
M. LeBel :
Oui, moi, je reviens à ce que je disais un peu tantôt. Tu sais, il y a beaucoup
de gens qui interviennent auprès de
la jeunesse, la DPJ... Le projet de loi n° 10 a tout modifié le système.
Les gens qui interviennent en DPJ sont brassés
d'un bord puis de l'autre. Ils ont de la difficulté à faire de l'intervention.
Il y a eu des coupes majeures dans ces domaines-là. Dans les
organisations communautaires qui interviennent auprès de nos jeunes, les
travailleurs de rue, les travailleurs communautaires auprès de la jeunesse, ils
sont débordés.
Moi, pour
travailler beaucoup avec eux autres, je me dis : Si on avait des
interventions à faire, c'est d'aider ces gens-là à être proches des
jeunes, puis à voir ce qui se passe, puis à voir à détecter les problématiques
auprès de la jeunesse. Je trouve ça un peu
particulier que, d'une main, on ne soutienne pas ce monde-là qui travaille
auprès de nos jeunes, puis, de
l'autre main, par une loi, on dit qu'on va aider nos jeunes. Il me semble qu'on
devrait continuer à... on devrait mieux soutenir les intervenants auprès
de la jeunesse puis on devrait continuer dans ce que le Québec a toujours
fait : travailler auprès des jeunes d'une
façon différente que le reste du Canada, que le reste... parler de prévention,
parler de soutien, parler d'accompagnement.
Puis moi, je pensais, là, que cette loi-là ne
touchait pas cette jeunesse-là puis les moins de 18 ans puis qu'on pouvait continuer à travailler avec les moins de
18 ans comme on a travaillé dans plein d'autres domaines. Et c'est
pour ça que je pense qu'il faut appuyer l'amendement qui dit qu'on veut... que
le projet de loi va toucher les 18 ans et plus. Les 18 ans et moins,
on va les accompagner autrement.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Oui. Bien, on pourrait aussi citer l'Ordre des psychoéducateurs et
psychoéducatrices du Québec. Cet ordre
écrit, lui, en page 6 de son mémoire, ceci : «On retrouve dans notre
société des individus, jeunes et adultes, ayant des difficultés importantes aux plans de la
communication et des habiletés sociales. Ces individus présentent des
comportements inadaptés pouvant être confondus
avec des signes de radicalisation. Leurs discours peuvent parfois être
vexatoires et porter atteinte à l'intégrité
d'autrui, même constituer des menaces. Considérant cette réalité, une question
émerge : Comment distinguer le
discours venant d'une personne ayant des difficultés d'adaptation importantes
d'un discours haineux venant d'une
personne réellement engagée dans un processus de radicalisation? Le
comportement de la personne malhabile dans ses relations sociales ne peut être analysé de la même façon que celui
de la personne pour qui la radicalisation et la violence sont des choix
assumés et réfléchis.»
Et, plus loin dans le
mémoire, l'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
écrit : «[Que] désigne-t-on par
"personne"? Est-ce que ce sont des individus âgés de 18 ans et
plus? Pourrait-on y retrouver des mineurs de 14 ans, ou même de 12 ans?» Eh bien, voilà! C'est la question
à laquelle la députée trouve une réponse en demandant que soit amendé le projet de loi n° 59, pour
précisément que cette question soit éclaircie. Elle s'applique au discours
haineux ou au discours incitant à la
violence tenu et diffusé publiquement par une personne de 18 ans et plus.
«Par une personne de 18 ans et plus», insiste la députée de
Taschereau dans son amendement.
Je
me répète, M. le Président, mais je réitère qu'il faut, à mon point de
vue — et ce
n'est pas que le mien, c'est aussi celui, lisait-on tantôt, des
directeurs de la protection de la jeunesse — soustraire les 18 ans et
moins de l'application du projet de loi n° 59.
Le Président
(M. Ouellette) : De l'article 1?
• (16 h 40) •
M. Rochon :
De l'article 1.
Le Président
(M. Ouellette) : O.K.
Mme Maltais :
Soustraire les moins de 18 ans.
M. Rochon :
Les moins de 18 ans de l'application du projet de loi n° 59.
Le Président (M. Ouellette) : Oui, c'est beau. O.K. Mme la ministre, est-ce que vous avez des commentaires?
Mme Vallée :
Je n'ai pas d'autre commentaire.
Le Président
(M. Ouellette) : M. le député de Rimouski, je sens que vous avez
d'autres commentaires.
M. LeBel :
Comment?
Le Président
(M. Ouellette) : J'ai dit : Je sens ça, que vous avez
d'autres commentaires.
M. LeBel : Oui. Vous êtes bon. Pour avoir discuté un peu
avec les gens de la DPJ chez nous... Puis là, quand je regarde leur mémoire, on confirme un peu,
là, ce qu'on dit depuis tantôt, qu'on essaie de convaincre d'adopter l'amendement qui sortirait les moins de 18 ans de ce projet de loi qui, je rappelle, vient baliser, là, la liberté d'expression. On dit,
dans le mémoire de la direction
de la protection de la jeunesse, il dit : «Force est de constater que ce
projet de loi de nature civile, dont
les auditions se dérouleraient devant un tribunal administratif, comportera de
lourdes conséquences pour les personnes mineures qui seraient visées par une enquête et une décision du Tribunal
des droits de la personne — on parle de personnes mineures.
Dans un esprit de cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer
harmonieusement avec les autres lois, particulièrement celles
s'appliquant aux enfants, et maintenir les protections procédurales qui leur
sont octroyées en vertu de ces lois.» C'est un peu ce que je disais tantôt.
«Ainsi,
nous croyons que la LPJ et que la LSJPA offrent de telles protections en
permettant le recours de plein droit à
l'appel et à la révision judiciaire tout en assurant aux enfants la stricte
confidentialité [de] processus et la non-publication de leur identité. De plus, le mineur étant soumis
à l'autorité parentale jusqu'à ses 18 ans ou jusqu'à son
émancipation, ces lois prévoient et insistent sur l'obligation d'impliquer les
parents et de les [inviter à la procédure].»
Moi,
je pense que ça vient... Puis, quand on regarde chacune des propositions qu'il
y avait au projet de loi, ça vient juste
comme confirmer le malaise qu'il y a ici. Moi, je pense qu'on... Puis ça vient
confirmer le malaise qu'on a puis le pourquoi
on arrive avec ce genre d'amendement à l'article 1, qui est le fondement
du projet de loi. Il me semble qu'il y a un genre de consensus qui
s'installe puis qu'on devrait en prendre compte. On doit travailler avec nos
enfants et nos adolescents d'une façon différente, puis on doit leur donner le
soutien qu'il faut d'une façon différente puis se sortir de lois contraignantes. Et je pense que c'est ce
que propose le mémoire de la direction de la protection de la jeunesse,
c'est ce qu'on essaie de donner suite ici
par notre amendement. C'est ce qu'on entend partout sur le terrain aussi. C'est
ce que les gens nous disent.
Le Président
(M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Ma collègue de Taschereau le disait, mon collègue de Rimouski faisait
de même, nous allons entrer, si ce projet de loi est adopté et que la
loi entre en vigueur sans que tout ça soit revu d'une façon importante, dans
une ère de confusion.
C'était
clair jusqu'ici : il y avait les directeurs de la protection de la
jeunesse pour les jeunes. C'est là que les plaintes étaient dirigées. Là, maintenant, il y aura la
commission des droits de la personne et de la jeunesse où d'autres
plaintes seront dirigées. La Loi sur la protection de la
jeunesse, elle confère la charge et l'imputabilité d'assurer la protection des
enfants sur l'ensemble du territoire québécois aux 19 directeurs de la
protection de la jeunesse. Ce sont eux, les responsables, ainsi que les membres
de leur personnel désignés à cet effet, de recevoir et de traiter les plaintes,
les signalements, d'évaluer les situations
pour lesquelles un signalement a été retenu et, si la sécurité ou le
développement de l'enfant est compromis, de
prendre en charge la situation. Ils décident alors de proposer des mesures
volontaires ou de soumettre le cas au
tribunal. Ils apportent de l'aide à l'enfant et à sa famille, avec pour
objectif de mettre fin à la situation de compromission et d'éviter qu'elle ne se reproduise. L'intérêt supérieur
de l'enfant guide toujours prioritairement leurs décisions à l'égard de
celui-ci.
Alors, le Québec a ce
qu'il faut, M. le Président. Les gens savent à qui se référer en matière de
personnes de 18 ans et moins. Alors, pourquoi, pourquoi une loi maintenant
viendrait-elle semer la plus parfaite confusion dans tout cela? Non, nous le
maintenons, il faut soustraire les 18 ans et moins de l'application de
cette loi sur le discours haineux et les discours incitant à la violence.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais :
M. le Président, je sais qu'il me reste peu de temps, mais ce principe de
confusion, il est extrêmement important. Et c'est, d'entrée de jeu, ce que nous signale
le mémoire de la direction de la
protection de la jeunesse. Il faut entendre les DPJ. La DPJ nous le
dit : Vous allez entraîner de la confusion si vous ne rappelez pas
aux Québécois et aux Québécoises que c'est nous qui devons recevoir tout
signalement concernant un enfant, un moins de 18 ans dont la sécurité ou
le développement est compromis.
Alors, maintenant, si
on n'accepte pas l'amendement que nous proposons, les gens auront le choix
entre signaler à la DPJ ou faire une plainte à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse, en vertu de 59, pour discours haineux. C'est là qu'il y a un problème.
On a introduit de la confusion. On ne donne pas le signal à tout le
monde... Il me reste?
Le Président
(M. Ouellette) : 30 secondes.
Mme Maltais :
On ne donne pas le signal à tout le monde : Appelez la DPJ, signalez
ou, si c'est urgent et monstrueux, appelez
la police, ce qui se fait régulièrement, mais on donne le signal qu'on peut faire autre
chose, on peut stigmatiser le jeune
ou l'envoyer à la Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui n'a pas les outils pour faire face à
de telles demandes. Un bureau des plaintes comme ça n'est pas la solution pour
les jeunes Québécois et Québécoises.
Le Président (M. Ouellette) : Sur ces bonnes paroles, M. le député de Richelieu, je vous sens fébrile d'intervenir.
M. Rochon :
Oui. La direction de la protection de la jeunesse, M. le Président, est déjà en
train d'adapter ses pratiques à l'émergence
de ces nouvelles réalités sociales au Québec, ce phénomène, là, notamment, là, basé... phénomène spécifique de la violence basée sur l'honneur. Ça présente,
c'est vrai, les caractéristiques uniques et distinctes des situations, là, de maltraitance ou de violence conjugale, mais
les directeurs de la protection de la
jeunesse, sur l'ensemble
du territoire québécois, sont à s'adapter à ça. Ça justifie une approche
différente de la part des intervenants. Alors, ils sont dans l'examen continu
de leurs pratiques. C'est incontournable face à ces nouveaux contextes là, mais
ils répondent à ça.
On
n'a pas besoin d'un gros bureau des plaintes qui sera déjà
submergé de plaintes, si non anonymes au moins confidentielles. On n'a
pas besoin d'un gros bureau des plaintes pour entendre les plaintes relatives à
des personnes de 18 ans et moins. Il y a, pour ça...
Mme Maltais :
Des moins de 18 ans.
M. Rochon :
De 18 ans et moins... De moins de 18 ans! De moins de 18 ans,
oui, c'est vrai. La nuance est importante. La direction de la protection de la
jeunesse est là pour ça.
Le Président
(M. Ouellette) : M. le député de Rimouski.
M. LeBel : Si on parle de confusion... Puis c'est ce que la direction de la protection de la jeunesse mentionne dans son mémoire. On parle de confusion des rôles, des responsabilités. On dit qu'il serait important de clarifier la portée des ordonnances,
entre autres, de protection du Code de procédure civile à l'égard des adultes.
Dans
nos écoles, de plus en plus les gens sont débordés par des cas qu'on ne
connaissait pas plus jeunes. Tu sais, quand on se battait dans les cours
d'école, là, ce n'était pas...
Le Président
(M. Ouellette) : Ah! chez vous, chez vous, M. le député de Rimouski.
• (16 h 50) •
M. LeBel :
Oui, moi... Non, c'est vrai. Chez nous, ce n'est pas pareil.
Le Président (M. Ouellette) :
Non, non, vous avez lu ça.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. LeBel :
Non, mais ça a changé beaucoup dans les cours d'école aujourd'hui. Puis les
enseignants, tout le monde, ils sont les premiers témoins, puis c'est des
gens qui travaillent auprès de nos
jeunes, puis ce n'est pas toujours évident pour plein de situations
qu'on ne connaissait pas il y a juste cinq, six ans, ou 10 ans, ou
15 ans. Avec nos intervenants, les
profs, les intervenants dans les cours d'école, qui sont déjà assez débordés
par l'ampleur de la tâche, doivent faire
face à des situations de plus en plus difficiles. Et ce projet de loi vient
encore comme rajouter dans leurs
responsabilités, puis avec beaucoup de confusion, comme disent mes collègues puis
comme dit la direction de la
protection de la jeunesse qui dit puis répétait : «À nouveau, nous croyons
important de distinguer les étudiants adultes et les enfants mineurs
fréquentant les milieux d'enseignement afin de garantir à ces derniers — aux
mineurs — des
considérations de traitement et [de]
garanties procédurales identifiées...» Quand tu arrives avec une conclusion
comme ça, de gens qui connaissent ça, il me semble qu'on doit se préoccuper de
ça.
Puis,
je le répète, sur le terrain, il faut... des fois, c'est bon de se coller aux
réalités concrètes. Les écoles des villes sont de plus en plus grosses, les gens de plus en plus collés. Tu vis
des réalités là-dedans de plus en plus complexes, tu dois intervenir. Les enseignants sont en première
ligne, mais, ceux qui sont en deuxième ligne, il y en a de moins en
moins, de personnes, de personnel. Les
commissions scolaires, on le sait, elles ont été coupées de partout, ça fait
que, là, elles font des choix
difficiles. C'est du monde de moins, c'est des gens qui interviennent des fois
au niveau du sport, au niveau de la culture, des gens qui sont proches
des jeunes, qui peuvent détecter des choses. Puis j'ai vu des cas, là,
récemment. La commission scolaire dans notre région, des gens qui
intervenaient, entre autres, au niveau du sport, au niveau du cirque, qui ont été comme... des intervenants qui
travaillaient auprès de jeunes, des jeunes qui n'aimaient pas trop
l'école, c'est des jeunes en difficulté,
mais qui étaient animés par ces personnes-là, ces personnes-là, il n'y a plus
de ressources, on ne peut plus les
garder. Ça fait que ces jeunes-là... Bref, on a un réseau d'enseignement qui
est comme... ils ont beaucoup, beaucoup de responsabilités puis de moins
en moins de ressources pour intervenir auprès de nos jeunes.
Puis,
d'un autre côté, on a d'autres ressources qui sont un peu à l'extérieur qui
vont aller chercher nos jeunes dans la rue — puis, encore là, ils
vivent des situations très difficiles — des jeunes qui sont
abandonnés, qui n'ont pas de ressources, qui se tirent un peu partout, mais que
les travailleurs de rue vont aller chercher, qui s'impliquent dans des organisations, qui essaient de prendre de la
dignité. Ça aussi, ces organisations-là sont de plus en plus sous-financées
puis sont à bout de souffle. Moins de
ressources, moins de travailleurs dans ces groupes-là, moins de travailleurs de
rue, moins de monde. Il me semble
qu'on devrait soutenir davantage ces gens-là, et ça pourrait nous permettre de
détecter, entre autres, auprès des jeunes, de détecter des
problématiques.
Puis
là j'amène l'autre élément : les parents. Les parents ont un rôle à jouer
aussi là-dedans, et il y a des façons d'intervenir avec les parents.
Tout ce travail-là en amont, il me semble bien important. Puis c'est un travail
qui fait confiance aux parents, qui fait
confiance aux jeunes, qui pourrait détecter des gros problèmes. Mais ce
travail-là, actuellement, qui est
fait en amont, il est... pas handicapé, mais il est comme... Beaucoup, beaucoup
de coupures budgétaires ont fait en sorte que ces intervenants-là sont
de moins en moins présents ou sont débordés par les événements. Il me semble que, si on arrive avec... Puis là ces
intervenants-là travaillent beaucoup avec la DPJ, soit dit en passant, là.
Dans nos régions, tout le monde se connaît,
tout le monde travaille ensemble puis essaie de trouver des solutions pour
aider nos jeunes dans des écoles, dans des problématiques précises,
essaie de voir comment on peut intervenir.
Ce
projet de loi, avec les confusions qui sont amenées, où on pourrait traiter un
jeune de 15 ou 16 ans de la même façon
qu'un jeune de 21, 22, 23 ans, où il faudrait passer par une enquête
pour voir si on retire ou pas, puis une enquête qui pourrait durer des
années, où on laisse les jeunes une patte en l'air en disant : Tu as une enquête,
on va étudier ce qui se passe dans ton
école... Puis on sait ce que ça peut être dans l'école, hein? Ça peut être un
groupe de jeunes qui stigmatise un autre groupe de jeunes. Et là tu es
pogné dans une patente qui peut durer des mois et des mois pour essayer de dénouer l'impasse, où la DPJ ne sait plus par où
prendre ça et c'est quoi, l'impact de la loi dans leur travail. Il me
semble qu'on devrait y aller d'une façon
moins compliquée, puis de faire confiance aux intervenants qui sont dans notre
milieu, puis leur donner les moyens pour
qu'ils puissent intervenir auprès de nos jeunes, auprès de la jeunesse, auprès
de notre monde, puis identifier selon les besoins de chacun.
Puis ma collègue de
Taschereau, c'est Québec, puis d'autres, c'est la région métropolitaine. Moi,
je connais moins ces réalités-là, puis je suis certain que je ferais des moyens
sauts si j'irais faire des stages dans des écoles dans certains quartiers de Montréal. Je suis certain. Moi, je ne connais pas
toutes ces réalités-là, je connais les réalités plus locales, plus régionales. Mais ça fait juste démontrer que
les réalités sont différentes de région en région puis qu'il faut
pouvoir s'adapter puis faire confiance à notre monde.
Pour un projet de loi
comme ça... Dans bien d'autres projets de loi mur à mur, on veut intervenir
avec des jeunes de la même façon, qu'ils
demeurent chez vous, à Laval, comme chez nous, à Esprit-Saint, ou je ne sais
pas trop où. Je ne pense pas que
c'est la bonne façon. Je pense
encore que la meilleure façon, c'est de faire confiance à notre monde
puis leur donner des moyens d'intervenir,
d'intervenir quand c'est le temps d'intervenir puis à la façon qu'il faut intervenir, avec les bonnes
personnes, qui sont capables de parler aux jeunes. Je pense encore que c'est
comme ça qui est la meilleure façon de faire.
Dans
le passé, on le sait, chacun, on a eu des profs qui sont intervenus auprès de nous autres dans les bons
moments, puis je pense que c'est encore
comme ça que ça fonctionne. Ça fait que, quand on déstabilise notre réseau
d'enseignement puis les aides aux jeunes,
bien, on peut se ramasser avec des problèmes. Puis ce n'est pas par une loi
comme ça qu'on va régler le problème. Il faut régler le problème en
amont, à mon avis.
Ce
projet de loi, il me semble que c'est important, à l'article 1, article
qui est majeur dans un projet, je pense qu'il serait bon de mettre les
bonnes affaires aux bonnes places en partant. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) :
Merci, M. le député de Rimouski. Mme la ministre, est-ce qu'il y a d'autres
commentaires?
Mme Vallée :
Bien, en fait, non. Je pense que j'ai fait le tour de ce qui nous animait et je
crois que ce qui est proposé permet de
répondre à des préoccupations. Et simplement réitérer que les lois s'appliquent
à tous, que l'objectif, c'est de
trouver la meilleure façon d'aider ces jeunes-là. Et je crois
que les dispositions qui sont
introduites par l'amendement sont
tout à fait adéquates parce qu'elles permettront rapidement une intervention
des centres jeunesse ou de la commission scolaire, le cas échéant.
Le Président (M. Ouellette) : Donc, je vais mettre aux voix l'amendement de Mme
la députée de Taschereau. Et, Mme la secrétaire, pour le vote nominal.
Mme Maltais :
Vote par appel nominal.
Le Président
(M. Ouellette) : Oui.
Mme Maltais :
Par appel nominal, le bon français.
La Secrétaire :
Mme Maltais (Taschereau)?
Mme Maltais :
Pour.
La Secrétaire :
M. Rochon (Richelieu)?
M. Rochon :
Pour.
La Secrétaire :
M. LeBel (Rimouski)?
M. LeBel :
Pour.
La Secrétaire :
Mme Roy (Montarville)?
Mme Roy
(Montarville) :
Contre.
La Secrétaire :
Mme Vallée (Gatineau)?
Mme Vallée :
Contre.
La Secrétaire :
M. Merlini (La Prairie)?
M. Merlini :
Contre.
La Secrétaire :
M. Hardy (Saint-François)?
M. Hardy :
Contre.
La Secrétaire :
M. Boucher (Ungava)?
M. Boucher :
Contre.
La Secrétaire :
M. Giguère (Saint-Maurice)?
M. Giguère :
Contre.
La Secrétaire :
M. St-Denis (Argenteuil)?
M. St-Denis :
Contre.
La Secrétaire :
M. Ouellette (Chomedey)?
Le Président (M. Ouellette) : Je vais m'abstenir. Donc, l'amendement proposé
par Mme la députée de Taschereau est rejeté. Et Mme la députée de
Taschereau.
Mme Maltais :
Oui, M. le Président. Je suis vraiment déçue de voir qu'on introduit de la
confusion. C'est la journée de la confusion. Après la confusion, c'est le
mariage religieux. On est rendus dans la confusion sur les appels ou les
choses.
Des voix : ...
Mme Maltais :
M. le Président, je ne vois pas le problème, là. J'ai quand même le droit de
commenter un peu, là, hein? Si vous
cherchez un lien avec le projet de loi n° 59, je vais vous dire le lien,
c'est la section... article 10 de l'autre partie, sur les mariages
forcés, si ça peut vous rassurer, là...
1valle
Mme Vallée : ...
Mme Maltais : O.K. On va le
faire tout à l'heure, avec plaisir.
Le Président (M. Ouellette) :
Woups! Oui?
Mme Maltais :
J'ai juste dit le mot. Bien, moi, vous auriez dû laisser passer la phrase, ça
aurait été fini. Il y a des moments où il faut parfois apprendre à
laisser passer les choses.
Je vois que
la CAQ aussi est d'accord pour que le projet de loi s'applique aux mineurs,
j'en suis désolée. Je pensais que
vous nous suiviez dans cette idée-là. Quand on n'est pas d'accord avec une loi,
quand on voit qu'en plus elle s'applique aux mineurs, c'est assez... Je suis un peu étonnée de votre position.
Mais enfin vous aurez sûrement d'autres moments pour nous expliquer.
Alors, M. le
Président, comme cette loi, supposément, devait être amendée, d'après le
premier ministre, pour se limiter à des appels à la violence, je vais
déposer un amendement conforme à la volonté du premier ministre.
Alors, amendement : Modifier
l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en remplaçant,
dans le premier alinéa, les mots «discours haineux et les discours incitant à
la violence» par les mots «appels directs à la violence». Voilà, M. le
Président.
Le Président (M. Ouellette) : Je
vais suspendre quelques minutes.
(Suspension de la séance à 17 heures)
(Reprise à 17 h 8)
Le Président (M. Ouellette) : Nous
reprenons nos travaux. Après avoir regardé l'amendement soumis par Mme la députée de Taschereau, je pense que, Mme la députée de Taschereau,
vous voulez nous préciser certains détails.
Mme
Maltais : Bien, M.
le Président, d'abord,
je vais retirer l'amendement que j'avais déposé pour déposer le
nouveau, parce qu'il y avait une erreur, effectivement, dans l'écriture. Alors,
le nouveau, c'est :
Modifier l'article 1
de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en remplaçant,
dans le premier alinéa, les mots «discours haineux» par les mots «appels
directs à la violence».
Voilà qui respecte le travail qui a été fait auparavant.
Le
Président (M. Ouellette) :
Voulez-vous nous lire le texte amendé, ça nous donnerait quoi pour le
premier paragraphe?
Mme
Maltais : Merci. «La présente loi a pour objet d'établir
des mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte
de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de
radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également de
telles mesures contre les discours incitant à la violence.»
Le Président (M. Ouellette) : Vos
commentaires.
• (17 h 10) •
Mme
Maltais : M. le
Président, on a ici deux types de discours, si on veut, appelant ou incitant à
la violence, discours concernant la
violence. On sait que j'avais... On a déjà cité maintes, et maintes, et maintes
fois le fait que le premier ministre avait dit d'amender... qu'il avait promis
d'amender le projet de loi. Et je le cite : «On peut dire toutes sortes
de choses, mais on ne peut pas appeler à la
violence.» C'est l'appel direct — et même ce sont ses mots — «l'appel direct à la violence» qui
doit être visé.
Alors, ce
qu'on fait, c'est : on rétablit les choses dans ce sens-là dans cet
amendement-là. On parle d'abord de prévention et lutte «contre les
appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination»,
hein, «les appels directs à la violence
s'exprimant dans un contexte de discrimination». Donc, on sait de quoi on
parle, puis, justement, on parle de
«contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme
violent». D'après ce qu'on nous a dit
jusqu'ici, le «y compris» nous mène à cibler plus spécifiquement cela. Donc, on sait qu'effectivement l'endoctrinement et le contexte de radicalisation, c'est des
appels... le problème qu'on a souvent, c'est des appels directs à la violence.
D'autre part,
évidemment, il y a des choses qui ne sont pas des appels directs à
la violence, mais il y a des discours qui incitent à la violence. C'est très différent. Il y a
l'appel direct à la violence : Il
faut faire le djihad, il faut combattre les mécréants. C'est un des discours... un appel
direct à la violence, le jeune qui a déjà dit : Il faut tuer les musulmans,
c'est épouvantable, ta, ta, ta. Ça, c'est de l'appel direct à la violence. Mais
il y a des discours qui incitent à la violence, qui amènent à la violence,
alors c'est pour ça qu'on a mis les deux dans cette proposition.
Donc,
on clarifie en enlevant le concept de discours haineux dans la première partie.
Ensuite, on le retrouve dans la
deuxième partie. Mais c'est d'abord une loi qui établit des mesures de
prévention et de lutte contre les appels directs à la violence dans un contexte de discrimination
puis contre les discours incitant à la violence. En fait, elle s'applique
aux discours haineux et aux discours incitant à la violence. Moi, ça me semble
assez clair.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : On a eu bien des
moments pour s‘exprimer sur cette question-là, les discours qui incitent à la violence font l'objet de... font déjà l'objet du
projet de loi. Les discours haineux, on a eu la chance... on a eu le loisir
d'en parler abondamment et de parler et
d'expliquer le pourquoi derrière l'inclusion du discours haineux dans le projet
de loi. On a fait référence aux différents schémas ou aux schémas qui amènent
à la radicalisation qu'on avait retrouvés dans certains mémoires. Donc, j'ai
l'impression...
Je comprends que ma collègue dépose un nouvel
amendement. Par contre, le débat a été abordé à maintes et maintes reprises. D'ailleurs, on a fait beaucoup
d'efforts, il y a quelques jours, quelques mois, pour modifier la
définition de discours haineux, et on l'a
fait en collaborant avec nos collègues de l'opposition. On a même apporté des
amendements à leur demande, suite à leur suggestion. Et donc, là, on revient...
Je comprends,
là, c'est ce que... La collègue est quand même conséquente, mais il n'en
demeure pas moins que le discours
haineux, et la définition du discours haineux, a fait l'objet d'un travail
important ici, en commission parlementaire, qui vise à bien circonscrire, à bien limiter la portée pour éviter que
ne soient affectés... que ne soient visés ceux et celles qui ne font
qu'émettre un discours d'opinion, pour éviter ce que la collègue qualifiait de
«potentielle dérive». Donc, dans le contexte...
et dans le contexte aussi de toute la radicalisation, de la radicalisation qui
mène à la violence, de l'explication qui
nous a été fournie par le centre de prévention, qui nous indique que la
violence va être prônée, d'abord et avant tout, par un discours, un discours qui va mettre à l'écart
des groupes. Et c'est ça qu'on vise : c'est qu'on ne vise pas
seulement que le discours violent, on vise aussi ce noyau qui va se gangrener
par la tenue d'un discours qui est haineux. Et on en a parlé abondamment.
Alors, voilà.
Je le disais pour l'attention du collègue de Rimouski, qui s'est joint à nous
aujourd'hui, qui n'avait peut-être pas eu l'opportunité de nous entendre
élaborer sur la question.
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de Richelieu.
M.
Rochon : Écoutez, moi, je
salue l'amendement de ma collègue de Taschereau parce qu'il aurait pour
effet, s'il était ici adopté, ce dont je
doute —mon optimisme
est fort modéré, M. le Président — il aurait pour effet de faire subir
une méchante cure minceur au gros bureau des plaintes de la commission des
droits de la personne et de la jeunesse, une méchante cure minceur, si on ne
devait s'attarder qu'aux appels directs à la violence.
Et j'ai le
goût de citer deux de vos amis, M. le
Président, je l'ai fait souvent, mais
ça vaut la peine de les refaire parler
de temps à autre, je trouve que c'est instructif : Mme Fatima Houda-Pepin,
que je peux appeler de son nom, hein, puisqu'elle
ne siège plus parmi nous... Comment ça, qu'elle ne siège plus parmi nous? En tout cas. Alors : «L'ancienne élue libérale Fatima Houda-Pepin...
Le Président (M. Ouellette) : De La Pinière.
M.
Rochon : ... — oui,
de La Pinière, c'est le ministre
de la Santé maintenant
qui représente cette circonscription — juge que le gouvernement
[...] favorise les intégristes avec le projet de loi n° 59 qui les
aidera à stigmatiser les critiques de leur pratique rigoriste.»
Et je
rappelle ce qu'elle a dit : «"Je suis estomaquée" [a-t-elle
lancé] à l'issue de sa comparution [ici] en commission parlementaire au sujet du projet de loi n° 59[...]. "C'est une revendication des
intégristes depuis longtemps", estime[-t-elle].
«Grâce au projet de loi n° 59, un
groupe religieux, et non plus seulement une personne croyante, pourrait se dire la cible d'un discours haineux alors qu'il ne
s'agirait que de critiques découlant d'un exercice légitime de la
liberté d'expression...» Et elle ajoute qu'«avec une telle loi, elle aurait
[sans doute pu être] condamnée pour islamophobie quand elle a combattu en 2005
les imams qui voulaient imposer la charia au Canada».
Elle aurait
sans doute pu être condamnée, en effet, puisque, nous a souventefois expliqué
la ministre, ce n'est pas l'intention qui compte,
c'est l'effet, l'effet sur les gens du discours, entre guillemets, haineux, là.
Et elle ne tenait pas un discours haineux, Mme la députée de La Pinière,
ce n'est pas son genre.
Je veux maintenant vous parler du...
Le Président (M. Ouellette) : Vous
lui prêtez des intentions, M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Pas du tout. D'ailleurs,
je provoque chez vous un rire que je ne m'explique pas.
Je veux maintenant
vous parler du premier ministre, dont on pourrait presque croire qu'il a donné un
coup de fil, avant le début de la
séance, à la députée de Taschereau pour lui dire : Repasse... repose... revient
avec ton amendement, puisque cet amendement, il rejoint ce que le premier
ministre exprimait lui-même.
Il a convenu,
en août 2015 — Le Devoir en parlait — «de la nécessité
de restreindre la portée du projet de loi» pour ne lutter... Puis ça aussi je l'ai dit souvent, c'est pour ça que j'ai
ce ton-là, là, parce que je sais que mes amis d'en face doivent être
excédés de l'entendre, mais je me sens le devoir de répéter. Donc, le premier
ministre a souhaité que le projet de loi se restreigne à lutter contre les discours incitant à la
violence. Il a souhaité que le projet de loi ne prohibe que les appels
directs à la violence. C'est exactement, exactement, exactement l'objet de
l'amendement de ma collègue de Taschereau.
«"Le
but — disait
le premier ministre — n'est
pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite, qui, à mon avis, requiert le consensus
et va recueillir le consensus des citoyens. [...]On peut dire des
bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la
violence."
«Le projet de
loi — dit
l'article du Devoir du 29 août 2015 — sera ainsi amendé — ah! c'est peut-être aujourd'hui que ça va se produire, finalement — afin de préciser la "démarcation"
entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. "Elle doit être explicite[...].
La ligne pour moi — dit le
premier ministre — c'est
l'appel [...] à la violence."»
Bien, voilà, on est exactement là où nous
souhaitons que le projet de loi prohibe l'appel direct à la violence.
M. Merlini : M. le Président,
j'aurais une question de règlement.
Le Président (M. Ouellette) : Oui,
M. le député de La Prairie.
• (17 h 20) •
M.
Merlini : Question de règlement en vertu des articles 197 et 198.
L'amendement, tel qu'il est proposé, enlève les mots, dans le premier alinéa, «contre les discours haineux», alors
que le texte dit clairement qu'il a été... l'amendement qui a été adopté
à l'article 1, puis qu'on a adopté plus tôt aujourd'hui, dit que la loi a
pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours
haineux.
Dans le deuxième alinéa, on dit que la loi, on
dit... c'est écrit : «Elle s'applique aux discours haineux et aux discours
incitant à la violence», ça continue.
Et, au
troisième paragraphe... au troisième alinéa, on dit : «Est un discours
haineux, un discours visé au deuxième alinéa».
Alors, le fait de venir enlever, dans le premier alinéa, l'aspect de «contre
les discours haineux» pour le remplacer par les mots «appels directs à
la violence» dénature, selon moi, l'amendement que nous avons adopté et
dénature le propos qui est inscrit là.
Alors, c'est pour ça que je fais un appel au règlement
pour vous demander une question de directive sur la recevabilité de la motion,
qui dénature vraiment ce qu'on a déjà adopté.
Le Président (M. Ouellette) : Alors,
Mme la députée de Taschereau, vous avez quoi à me dire là-dessus?
Mme
Maltais : Oui, M.
le Président. Si vous lisez très bien
l'article au complet, vous verrez qu'au troisième alinéa, où l'on décrit qu'est-ce que le discours haineux,
on dit : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième
alinéa...» Avons-nous enlevé les mots
«discours haineux» du deuxième alinéa? Non, M. le Président, nous ne
l'avons pas enlevé, il est toujours là. Il est toujours là.
Alors, que
faire? On va faire un, deux, trois. Que fait l'alinéa un? Il dit de quoi parle
la loi : d'établir des mesures de prévention contre les appels
directs à la violence et contre les discours incitant à la violence.
Elle
s'applique à quoi? Elle s'applique aux discours haineux et aux discours
incitant à la violence, tenus et diffusés.
Ah! on rajoute un nouveau concept, «discours haineux».
Très bien. Explicitons-le. Et voilà, il est explicité. Il n'y en a pas, de
problème, M. le Président.
M. Merlini : M. le Président, si
vous me permettez?
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de La Prairie.
M.
Merlini : Le titre même du projet de loi dit que c'est la Loi édictant la Loi concernant la prévention et la
lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et
apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des
personnes.
L'article 1,
comme y a fait référence tantôt le
député de Rimouski, c'est le coeur
même, l'essence même de ce projet de
loi. Et, si on vient enlever dans le
premier alinéa l'aspect de la lutte contre les discours haineux, bien, on
vient dénaturer le titre même du projet de loi. Je comprends l'argument de la
députée de Taschereau, qui fait référence au deuxième et au troisième alinéa,
mais, en l'enlevant dans le premier paragraphe de l'article 1, on dénature
vraiment l'objet du projet de loi dans le titre, qui dit clairement que c'est
une loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux.
Alors, voilà pourquoi je demande cette question
de règlement, à savoir si c'est recevable ou non.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : À ce nouvel argument concernant le titre, M. le Président, ce n'est pas pour rien qu'on adopte le titre à la fin, c'est parce qu'il peut y avoir des modifications dans une loi. D'ailleurs, c'est pour ça aussi qu'on adopte le préambule à la fin, c'est parce qu'il peut y avoir
des modifications, dans une loi, qui nous amènent à modifier le
préambule et le titre. Donc, l'argument du
collègue est intéressant, mais, quand on aura adopté le reste, on pourra
débattre du titre, c'est ça qui est la règle du jeu, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de La Prairie.
M. Merlini :
Alors, à ce moment-là, M. le Président, je vous demande une question de
directive à savoir si l'amendement est recevable.
Le
Président (M. Ouellette) : M. le député de La Prairie, je vais effectivement donner la parole à M. le député de Richelieu ou M. le député de Rimouski, en vous disant que l'amendement est recevable,
qu'il ne dénature pas le projet de loi. Et je donne la parole à M. le
député de Rimouski.
M. LeBel : As-tu l'article?
Une voix : C'est
l'article 1.
M. LeBel : Non, non, c'est...
Des voix : Ha, ha, ha!
M. LeBel : Oui, puis le titre va
correspondre à l'article 1, éventuellement, j'ai bien l'impression.
Non, le premier ministre le disait clairement :
ce qu'il veut, c'est que le projet de loi s'adresse aux appels directs à la violence. C'est assez clair dans ses déclarations, je pense que c'était ça qu'il voulait. Ça fait que l'amendement
vient juste copier-coller ce que voulait le premier ministre comme objectif,
comme objet du projet de loi.
Ce qu'il
disait... «...les discours incitant à la violence. Celui-ci prohibera seulement
"l'appel direct à la violence", a-t-il indiqué» aux journalistes. Je pense, ça vient confirmer ce que le
premier ministre voyait comme objet de ce projet de loi, ça
vient juste confirmer.
Comme je
disais, moi, depuis le tout début, puis j'essaie d'assister comme je peux,
là... À travers mon rôle de whip, j'essaie
de me sauver... bien, d'essayer d'intégrer la commission aux moments que je
peux. J'essaie aussi de... je fais ça souvent,
j'en discute avec des amis ou avec des gens de mon organisation, avec des intervenants, des citoyens, tu sais, j'essaie de voir un peu comment les gens voient tout ça. Puis c'est
clair : le hic, c'est un projet
de loi qui embrasse trop large puis qui vient comme restreindre la liberté
d'expression. C'est ça, le gros questionnement que les citoyens se
disent puis que les gens, quand on en discute, nous disent.
Ce que tout le monde comprend, c'est quand
quelqu'un vient faire un discours qui appelle à la violence contre des
groupes, contre des gens, ça, par exemple, c'est clair pour tout le monde. Ça,
ils disent : Non, non, ça, on ne peut pas accepter ça. Tu sais, quand tu
prends les ondes ou tu prends les tribunes... Puis là, par les médias sociaux
maintenant, il y a toutes sortes de façons
de le faire, puis c'est rendu un peu fou, là, on a de la misère à suivre. Il y
a tellement de moyens, à un moment
donné, où tu peux faire des appels à la violence que, oui, effectivement, c'est
comme confirmé. Il faut faire quelque
chose, il faut intervenir là, on ne peut pas laisser faire ça parce que ça
devient trop facile. Ça, ça fait consensus.
Mais les
discours haineux, les discours... ça, c'est plus compliqué, puisqu'on se
dit : C'est quoi? On va jusqu'où? Comment on peut gérer tout ça?
Puis des fois je me sens... Tu sais, tout le discours sur les discours haineux
puis la radicalisation, le djihad, l'islam, moi, je me sens, des fois, un peu
comme... tu sais, on connaît moins ça. Puis il faut le dire, là, je le dis honnêtement : Dans nos régions, chez nous,
je n'ai pas ce genre de problème là au cégep à Rimouski ou à l'université à Rimouski. Ça fait que c'est sûr que
moi, j'ai un oeil différent, tu sais, quand on discute de ça. Et c'est
un peu normal, là, ce n'est pas... le Québec
est différent de région en région, puis on a des réalités différentes. Puis des
fois je me dis, comme je disais
tantôt : J'aime... Des fois, je me dis : Si je passais un peu de
temps dans la métropole ou... Tu sais, on parlait beaucoup du cégep de
Maisonneuve, je serais curieux de prendre du temps, aller un peu voir les
situations.
Mais moi, je
vis une autre réalité. Puis, comme législateur, comme représentant des gens de
chez nous, bien, je porte cette
réalité-là puis je pose des questions. Et là-dessus, je vous le dis, c'est
assez clair, pour les citoyens, un projet de loi qui arrive, là, qui nous arrive... qui va comme essayer de baliser la
liberté d'expression, parce qu'il faut le dire comme ça, c'est ça que ça fait, bien, ça rappelle certains
souvenirs, tu sais, la Loi du cadenas, d'autres lois que, dans le passé...
Ça rappelle des affaires, tu sais, puis le
monde dit : Wo! On a déjà voulu jouer là-dedans puis on n'a pas, tu
sais... Je ne sais pas si ça dit
encore des choses pour les gens, mais Adrien Arcand, tu sais, je ne sais pas si
on se rappelle de ça, c'est... les plus vieux s'en rappellent, oui, mais, tu sais, ça ramène ce genre de débat
qu'on a eu, que nos parents ou nos grands-parents ont eu, puis qu'ils ont déjà vécu, puis ils se
disent : Quand on touche à ça, là, il faut être prudent. Ça fait que c'est
ce que le monde nous disent puis me disent.
Ça fait que je trouvais que le premier ministre
avait fait preuve de bon jugement en disant... en essayant de ramener les
affaires simples. Le projet de loi doit viser seulement, ce qu'il dit, l'appel
direct à la violence. Et c'était sage, il
faut le dire. Puis moi, je me... Est-ce qu'on pourrait travailler à partir de
ça? Puis ça, je pense, ça fait consensus, ça, je pense que les gens comprennent ça. Puis les gens n'acceptent pas des
discours qui font des appels directs à la violence. Personne n'accepte
ça.
• (17 h 30) •
Puis des gens qui, sans préjugé, là, sans
rien... Des fois, tu ne connais pas toute la situation, mais tu dis : Ça, ça ne peut pas... on ne peut pas accepter ça. Je
ne connais pas toute la situation, mais c'est clair que c'est un appel
direct à la violence, puis je ne peux pas
l'accepter. Ça, les citoyens comprennent ça. Ils sont prêts à aller vers ça,
parce que c'est clair puis c'est...
Aller plus large, commencer à tomber dans des définitions... Tu sais, on
dit «discours haineux», mais on a tellement de la difficulté à
savoir exactement c'est quoi qu'on s'embarque dans des définitions exactes des
discours haineux puis ça va aller jusqu'où?
Comment? Puis c'est qui qui va décider, en haut, après des enquêtes qui peuvent
durer des années, un an ou plus qu'un an? On
parle d'enquêtes qui vont essayer de déterminer c'est quoi, le discours
haineux, puis comment
ça fonctionne. Ça, le monde ont bien de la difficulté à embarquer là-dedans. Tu
dis, là, on a assez de patentes qui
nous contrôlent de partout puis assez d'affaires, là on va embarquer dans
quelque chose où des gens pourraient être accusés... Puis là on parle de jeunes, en plus, en bas de 18 ans
qui pourraient être enquêtés sur des discours haineux, avec une
définition que pas tout le monde va saisir comme il le faut, parce que ça
devient assez compliqué.
Si, tout le monde ensemble, on acceptait la
proposition du premier ministre de dire : Allons-y pour quelque chose de clair, quand on parle d'appels directs à
la violence, oui, donnons-nous des
moyens pour intervenir rapidement, parce que ça, ce n'est pas
acceptable.
Je pense même que, de toutes les régions du Québec,
de toutes les situations que tu peux vivre, de toutes les connaissances que tu peux avoir sur des réalités
modernes de métropole, des réalités modernes qu'on ne saisit pas, tout
le monde, de façon égale, mais ça, on peut comprendre ça, par exemple. Ma grand-mère comprend ça, tu sais, mais... Tout le monde
comprend ça. On ne peut pas faire des appels directs à la violence, ce n'est
pas acceptable. Tu n'as pas besoin de tout
savoir ce qui se passe avec différentes réalités, ça, c'est la chose qu'il faut
faire. Ça va de soi puis que... Ça fait qu'il me semble, encore je répète, c'est un peu un élan de sagesse du premier ministre qu'on devrait suivre, parler d'appels directs à la violence.
C'est clair puis ça dit ce que ça veut dire.
Le
Président (M. Ouellette) : Vous êtes chanceux qu'on n'ait pas de caméra. Mme la députée de Montarville, vous vouliez intervenir?
Mme Roy
(Montarville) : Oui, s'il vous plaît. Merci, M. le
Président. D'abord, j'aimerais tout de suite réconforter ma collègue la députée de Taschereau, qui m'a
interpellée tout à l'heure. Alors, j'aimerais prendre quelques instants
pour lui répondre brièvement, mais elle va
comprendre ma réflexion, la raison pour laquelle j'ai voté contre l'amendement
de tout à l'heure, et elle semblait ahurie
et me dire : Comme ça, vous êtes pour que cette loi s'applique aux mineurs?
Alors, voici ma réflexion.
Ce que je souhaite, c'est qu'une loi s'applique
auprès de jeunes... Mais on se comprend, là, on ne parle pas d'enfants, là. Vous savez comme moi, Mme la
députée de Taschereau, les jeunes de 16 et 17 ans qui prônent le
djihad, c'est à eux qu'il faut s'adresser
aussi, et malheureusement ils sont mineurs. Et actuellement force est de
constater qu'on n'a rien. Alors, ça
prend une loi pour, justement, pouvoir faire quelque chose contre ces jeunes
qui prônent le djihad, ou qui s'enrôlent dans le djihad, ou qui vont
faire le djihad.
D'ailleurs, il manque d'outils. Alors, je ne
vous dis pas que c'est cette loi-ci actuellement, parce qu'il faut travailler, puis on travaille, puis on travaille,
puis ça n'avance pas beaucoup, mais chose certaine, il manque d'outils.
Et on n'a qu'à penser au fameux collège
Maisonneuve. La direction est prise avec un manque d'outils. Et là on ne parle
pas de jeunes qui ont 18, 19, 20, 21. On
parle de mineurs qui fréquentent le cégep. Bon, on arrive à 18, là, mais on
commence à 16, 17, là, au cégep. Donc, ça pourrait fournir des outils dans le
cas de mineurs. Mais naturellement, comme je vous dis, actuellement, il y a
comme une montagne de travail à faire.
Alors, de quelle loi parle-t-on? Ça, c'est une
autre question, mais je crois qu'il faut également toucher à ces jeunes de 16 et 17 ans. Et, comprenez-moi
bien, là, quand je parle de mineurs, là, je ne parle pas d'enfants de neuf
ans ici, là. Parce que n'oublions pas
l'objet de tout ça : contrer la radicalisation. Ce n'est pas les enfants
de neuf ans, 10 ans qui se radicalisent, là. On est vraiment
lorsque des jeunes se cherchent davantage à l'adolescence. C'était pour
réconforter ma collègue.
Cela dit, si
je reviens sur l'amendement du député de l'opposition officielle... Je vais
vous avouer quelque chose, M. le
Président : Lorsque la ministre a déposé sa loi, en juin dernier, et que
j'ai vu le titre, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux
et les discours incitant à la violence et apportant diverses
modifications législatives pour renforcer la
protection des personnes, j'ai dit : Mon Dieu! Pourquoi qu'on s'en va là?
Pourquoi est-ce que c'est le discours
haineux et le discours incitant à la violence qu'on veut légiférer ou encadrer?
Parce que mon instinct de personne,
de citoyenne me dit : Ce n'est pas à tous les discours qu'il faut
s'attaquer. C'est aux discours des intégristes religieux, c'est aux discours des islamistes radicaux, c'est aux
discours des agents de radicalisation. C'est à ce type de discours là qu'il faut s'attaquer si on veut
contrer la radicalisation, l'endoctrinement. Parce que c'est toujours le but,
la seule raison pour laquelle on est ici,
c'est parce qu'il y a un phénomène. Et ça, je vous dis, c'est la citoyenne en
moi qui a dit ça.
Mais l'avocate en moi, elle dit : Ah! bien,
ce sont les termes qui sont utilisés légalement. Et je l'ai d'ailleurs dit ici, à ce micro : Lorsqu'on fait une loi,
on se colle sur la jurisprudence pour que la loi puisse être acceptée ou
répondre... passer le test des tribunaux. Et
de quoi parle-t-on dans les décisions dont nous avons fait mention plus d'une
fois, Taylor et Whatcott? On parle de
discours haineux, discours incitant à la violence, discours haineux. Alors
donc, c'est normal, pour les
législateurs et toute son équipe de juristes également, de reproduire les
termes qui sont communément reconnus et approuvés par la communauté
juridique.
Mais il y a aussi la politicienne en moi. Alors,
je comprenais la réflexion de la ministre puis je la comprends toujours, cette
réflexion-là, mais la politicienne en moi, elle dit : Bon Dieu! Depuis le
temps qu'on est en train de discuter de ça, depuis le temps qu'on est ici. Ce
n'est effectivement pas les discours de n'importe qui qu'on veut viser — ça,
la ministre nous l'a dit — ce
n'est effectivement pas les discours des humoristes, des chroniqueurs, des chanteurs, des rappeurs, des... Non, c'est des
discours très précis, mais pas de n'importe qui. On revient vraiment encore à
qui? À ces gens qui réussissent à
endoctriner les jeunes et à faire en sorte que les jeunes se radicalisent,
puisque c'est une loi pour contrer la radicalisation.
Alors, dans
cette optique — et nous
avons déposé en liasse plusieurs amendements à la ministre — moi, j'aurais souhaité depuis le début que l'on voie les termes que je vous ai dits et
que je vais répéter, que nous nous attaquions aux discours des
intégristes religieux, aux discours des islamistes radicaux, aux discours des
agents de radicalisation, et j'en passe, on aurait pu
dire des extrémistes religieux, comme l'a dit Ban Ki-moon d'ailleurs si
sagement lors de sa visite à Montréal.
Et c'est la
raison pour laquelle l'amendement qui nous est soumis, je le trouve fort
intéressant, puisqu'on enlève le fameux terme «discours haineux». Et
cependant j'irais même plus loin, c'est que, si on enlève le terme «discours haineux», il faut l'enlever partout, on ne peut
pas l'enlever uniquement dans le premier alinéa, il faut l'enlever
partout. Ce ne serait plus une loi contre
les discours haineux, mais les discours... ou, pardon, les appels directs à la
violence, ce que je trouve très
intéressant, «appels directs à la violence», et je trouve que c'est un pas dans
la bonne direction. Et je vous dis : C'est un pas dans la bonne direction parce qu'il
faudrait rajouter peut-être — je vous soumets ça respectueusement — d'autre
chose. Parce que, dans le processus de la
radicalisation et de l'endoctrinement, il n'y pas que des appels directs à la
violence. Quand on est rendus aux appels
directs à la violence, le travail est pas mal fait, et là le jeune, il est prêt
à passer à l'acte.
Cependant, avant qu'il soit endoctriné puis
qu'il ait été radicalisé, on va tenir d'autres propos, on va dire des propos qui... Justement, pour interpeller ma
collègue de Taschereau, lorsque ces agents de radicalisation vont
enseigner à ces jeunes que la femme doit
rester à la maison, qu'elle ne peut pas sortir sans tuteur, un, ce n'est pas un
discours haineux, donc Mme la ministre
ne pourrait pas le proscrire, et, deux, ce n'est pas plus un appel direct à la
violence. Quoique, pour les oreilles
d'une femme et des hommes que vous êtes tous ici, entendre qu'une femme n'est
pas l'égale d'un homme et ne peut pas sortir seule, ça vous offusque.
Sauf qu'il n'y a personne... À la lumière de tout ce qu'on a, là, présentement,
il n'y a rien qui empêche ce type de propos. Et ça fait partie de
l'endoctrinement.
Donc, c'est
la raison pour laquelle, oui, c'est un pas dans la bonne direction, «appels
directs à la violence», mais moi, je
cogite à l'effet qu'il faudrait rajouter ces espèces de propos qui sont les
propos d'endoctrinement qui mènent à la radicalisation et qui incluent
des propos qui ne sont pas nécessairement violents ou incitant à la violence
parce que c'est, et nous le disions,
insidieux. C'est une longue fomentation et c'est un continuum d'enseignements,
de prêches, de préceptes, de paroles dites, répétées, transmises pour en
arriver à la radicalisation.
Donc, mon propos était de deux ordres :
rassurer ma collègue, lui expliquer la raison pour laquelle je considérais qu'il fallait aussi faire quelque
chose pour les djihadistes de 16 et 17 ans, parce que c'est à ça aussi
qu'on est confrontés — on a juste à aller au collège, au cégep — et souligner le fait que... omettre
carrément «discours haineux» partout
dans le projet de loi. Déjà, je pense qu'on pourrait s'entendre sur plusieurs
choses, enlever le critère de discours haineux,
qui, je le sais en tant que juriste, répond aux critères de l'arrêt Whatcott.
Mais être politicien, c'est peut-être ça aussi, être législateur, c'est essayer de faire changer les choses.
Puis, des fois, ça prend du courage, puis, des fois, il faut sortir des balises qui sont édictées pour créer de nouvelles
balises, et, on se comprend, de façon très exceptionnelle, parce qu'il
s'agit d'une situation exceptionnelle.
D'ailleurs,
je rappellerai à la ministre que, lors du projet de loi n° 26, qui était
justement pour se faire rembourser les sommes que nous nous étions fait
voler... ou que nous avons versées...
Une voix : En trop.
• (17 h 40) •
Mme Roy
(Montarville) :
...en trop, voilà, auprès de contracteurs, etc., ce projet de loi là a passé,
et c'était un projet d'exception, et c'était un projet qui allait à l'encontre
de ce que le Code civil prévoyait actuellement. On a renversé les présomptions, on a créé des présomptions. On a renversé la
durée de la prescription, on l'a allongée. Alors, moi, je pense que,
lorsque le législateur veut, il peut.
Alors, c'est
la raison pour laquelle je vous soumets que c'est un pas dans la bonne
direction et que, si on pouvait faire
sauter, partout dans ce projet de
loi, «loi contre les discours haineux et les discours incitant à la violence»,
en étant beaucoup plus précis, plus ciblé — c'est ce qu'on dit
depuis le début — les
discours de ces intégristes religieux, les discours
de ces islamistes radicaux, les discours de ces agents de radicalisation, qui
sont des appels directs à la violence ou qui mènent à la radicalisation, qui pourraient être d'autres types de
discours, d'autres phrases que des appels uniquement violents... qui
mènent directement à la violence, pardon.
Alors,
c'était le commentaire que je voulais faire, et puis rassurer ma collègue,
également, de Taschereau, puis effectivement
se poser la question : Est-ce qu'on est là pour suivre tous les préceptes
de Whatcott ou est-ce qu'on peut aller plus loin? E ce qu'on peut, en
tant que législateurs, faire sauter les barrières qui sont devant nous pour un
motif exceptionnel, une raison exceptionnelle? Puis, on lui fera passer le test
ou on utilisera la clause «nonobstant». Merci, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre, un commentaire sur...
Mme Vallée :
On a eu l'opportunité d'en jaser et de discourir amplement sur la question,
comme je l'ai mentionné. Parce que je
comprends les points qui sont soulevés par notre collègue de Montarville. Je
pense qu'elle est très constante dans ses demandes, dans ses
représentations.
Et, toute la
question de la radicalisation, on en a parlé. La radicalisation en soi, il n'y
a pas de problème, c'est la radicalisation
qui va mener vers un discours... Parce que la radicalisation comme telle, on
l'a vu, dans certains cas, elle n'est...
si elle n'amène pas à la violence, si elle n'amène pas à un discours haineux...
On peut être radical dans une pensée. Et on a échangé longuement sur
cette question-là.
Alors, l'objectif, ce n'est pas justement
d'avoir un projet de loi qui, par le choix des mots, va venir... risque de ratisser encore plus large que ce qui est
prévu. Alors, on tente vraiment de cibler des éléments précis qui sont le
discours haineux... Et je pense qu'on a fait un travail sérieux pour
l'encadrer, pour le définir et bien certainement les discours qui incitent à la
violence. Et là, dans le discours qui incite à la violence, on vient chercher
les préoccupations de la collègue. Et même, dans le
discours haineux, parce que rappelons-nous les amendements que nous avons
apportés, on vient cibler aussi des préoccupations que notre collègue avait
soulevées.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Oui, merci, M. le Président. J'ai écouté très,
très attentivement la députée de Montarville et je me suis demandé si
elle entendait proposer une série d'amendements ayant pour effet de rayer du
projet de loi, partout où cette expression
apparaît, l'expression «discours haineux». Est-ce que je dois comprendre que
nous aurons droit à des amendements en ce sens, M. le Président?
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Richelieu, vous m'adressez cette requête?
M. Rochon : Oui.
Le Président (M. Ouellette) :
Est-ce que madame...
Mme
Maltais : ...on
veut comprendre l'intention.
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, oui. Non, non.
M. Rochon : C'est ça, je souhaite mieux comprendre
l'intention, là, comment techniquement elle va atterrir ici, là,
l'intention de la collègue de Montarville.
Le Président (M. Ouellette) :
Je pense que, dès le début, M. le député de Richelieu, Mme la députée de Montarville a déjà déposé certains amendements.
Donc, peut-être qu'il y en aura d'autres. Et je comprends que vous avez
une interrogation dans votre commentaire sur l'amendement de Mme la députée de
Taschereau.
M. Rochon : Elle a évidemment le libre choix de ne pas y
répondre, mais au moins elle aura entendu — et ceux qui suivent nos travaux
également — cette
interrogation que je portais.
Sur les
appels directs à la violence, il y a Guillaume Rousseau et François Côté,
respectivement professeur de droit et
candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, qui nous ont fait
part de leur opinion : «Nous nous joignons à nos collègues juristes qui, sous la direction de
Me Julie Latour, se sont mobilisés pour vous dire que la partie I de
ce projet de loi constitue un danger
grave pour la liberté d'expression. Cela est d'autant plus vrai au Québec où,
pour l'instant, les rapports entre liberté d'expression et religions
semblent plus favorables à la première qu'ailleurs au Canada. Dans ce contexte, l'ouverture du gouvernement, qui semble
prêt à reculer — à
reculer — en
interdisant seulement les appels directs à la violence et non plus les
discours haineux au sens large, doit être saluée.» Ils avaient lu, hein,
l'article auquel je référais plus tôt, où le
premier ministre annonçait ça, hein, que le projet de loi allait ne s'attaquer
qu'aux appels directs à la violence.
«À notre
avis — écrivent
Rousseau et Côté — il
serait préférable de laisser tomber l'ensemble de cette partie I,
ne serait-ce que pour prendre le temps de
commander une étude approfondie sur l'opportunité de régir davantage les
discours haineux et discours incitant à la
violence. Cette étude pourrait être l'occasion d'analyser des moyens de lutter
contre ces discours qui portent peu
ou pas atteinte à la liberté d'expression, un peu comme l'a fait le rapport
Moon. D'ailleurs, c'est en
s'inspirant notamment de ce rapport que nous proposons la mise de côté de la
partie I du projet de loi ou, à défaut, la modification en
profondeur de plusieurs de ses éléments, surtout eu égard à la portée de
l'interdiction, aux sanctions qui y sont associées et à l'autorité appropriée
pour en assurer le respect.
«Dans
l'éventualité — poursuivent-ils — où le Parlement [déciderait] de ne pas
mettre de côté la partie I, il devrait tout au moins la modifier substantiellement — et vous allez voir que ça vient appuyer
l'amendement qui est sur la table actuellement.
La référence aux "discours haineux" devrait être retirée — la députée de Montarville a entendu — tant ce concept est flou et donc de nature à permettre à la commission des
droits de la personne et de la jeunesse et aux tribunaux de brimer la
liberté d'expression. L'idée d'interdire seulement les appels directs à la
violence est un pas dans la bonne direction.
Il faudrait toutefois faire un pas de plus et interdire...» Écoutez, ça recoupe
l'ensemble des amendements qui ont été
présentés ici aujourd'hui, amendements et sous-amendements. «Il faudrait
toutefois faire un pas de plus et interdire seulement les appels directs
et répétés à la violence. Le but est d'éviter de mobiliser les ressources et le
pouvoir coercitif de l'État pour une
personne qui n'aurait fait que "déraper" à [...] une reprise, par
exemple sur un réseau social où la spontanéité
des échanges favorise les "dérapages". Il y aurait également lieu de
prévoir qu'une personne ne [pourrait] être reconnue comme ayant commis l'infraction que si elle avait l'intention
d'inciter à la violence. Ici, il s'agit notamment d'éviter qu'une personne commette l'infraction en
employant une métaphore un peu violente, alors qu'elle n'a aucunement
pour but de faire en sorte que le groupe visé pas sa métaphore soit
violenté[...].
«Surtout si
le projet de loi se concentre sur les discours incitant à la violence de
manière répétée et intentionnelle et laisse
de côté les "discours haineux", faute d'une définition claire, il ne
devrait pas limiter sa protection aux seuls groupes visés à
l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.»
Bon, alors, vous
constatez, M. le Président, qu'encore une fois nous trouvons dans les mémoires
soumis à la commission de quoi appuyer les amendements et les sous-amendements
que nous proposons ici. Ce serait tout un revirement, je l'admets, là, que la ministre
concède à cet amendement, mais je répète que c'est ce qu'attendent d'elle la majorité de celles et ceux qui se sont exprimés devant la
commission et c'est ce qui répond même à l'opinion du premier ministre, hein,
lequel promettait d'amender le projet de loi n° 59 en ce sens. Alors,
voilà, M. le Président.
Le Président
(M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
• (17 h 50) •
Mme Maltais :
Oui, M. le Président. L'amendement que j'ai apporté est une contribution qui va
dans le même sens que les contributions que
nous avons apportées ou tenté d'apporter — selon la réception qu'ils ont eue — à cette loi pour essayer de la restreindre,
d'empêcher qu'elle balise, qu'elle brime trop radicalement, puisque c'est un
mot que nous utilisons couramment ici, «trop
radicalement», la liberté d'expression. Si on accepte ce que nous
proposons, c'est que les personnes qui vont
interpréter ensuite cette loi-là, les personnes à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, vont avoir un éclairage supplémentaire. Cet éclairage supplémentaire a été demandé par des gens, en commission
parlementaire. Vous avec cité Guillaume Rousseau, et je comprends qu'il reçoit
cette fois-ci l'aval de la CAQ, la seconde opposition.
Éclairage
supplémentaire... D'où nous sommes-nous inspirés, M. le Président? Qui donc a
pu nous inspirer pour se dire :
Ceci serait intéressant pour... comme à l'article 1? Bien, du premier
ministre. Je l'ai déjà dit, et, je crois, ici c'est assez rare que j'ai comme référence le premier ministre.
Ceci dit, tout comme parfois je dis qu'il faut savoir écouter
l'opposition... Je viens de le faire
d'ailleurs à propos du projet de loi n° 70 qui est en discussion au salon
bleu, je proposais une scission en
disant : Écoutez, rappelez-vous, si la ministre de la Justice avait écouté
l'opposition sur le projet de loi n° 59, peut-être que ça aurait mieux été. Alors, c'est un débat que
j'avais amené, je l'ai ramené sur le projet de loi n° 70. Alors, de
temps en temps, il faut écouter
l'opposition, mais de temps en temps il faut écouter le gouvernement... enfin,
le premier ministre.
Des voix :
...
Mme Maltais :
Bien, c'est parce que, dans ce cas-là, c'est embêtant parce que la ministre de
la Justice n'a pas écouté son premier ministre, donc c'est le
gouvernement qui ne s'écoute pas lui-même.
Le Président
(M. Ouellette) : Ne lui prêtez pas d'intentions.
Mme Maltais :
Non, non, telle n'est pas mon intention.
Le Président
(M. Ouellette) : Je le sais.
Mme Maltais :
Je n'ai pas l'intention de prêter d'intentions, M. le Président.
Alors, Le Devoir,
29 août 2015 : «"Nous ne voulons pas brimer la liberté d'expression",
explique le premier ministre.» Il y a déjà un problème. «Le premier ministre
Philippe Couillard...»
Le Président (M.
Ouellette) : Woups!
Mme
Maltais : Pardon : «Le premier ministre [...] convient de la
nécessité...» Il faudrait que je le raie sur mon petit papier.
M. Rochon :
Oui.
Mme Maltais :
«Le premier ministre [...] convient de la nécessité de restreindre la portée du
projet de loi n° 59 visant à lutter contre les discours haineux et
les discours incitant à la violence. Celui-ci prohibera seulement "l'appel
direct à la violence", a-t-il indiqué [ce] vendredi.
«"Le but n'est
pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite
qui, à mon avis, requiert le consensus — on est mal partis, M. le Président, sur le
consensus — et va
recueillir le consensus des citoyens."» Là-dessus aussi je pense
que ce n'est pas véritablement le chemin qui est emprunté actuellement.
Et je finis la
citation : «"On peut dire des bêtises. On peut dire toutes sortes de
choses, mais on ne peut pas appeler à la violence."
«Le
projet de loi n° 59 sera ainsi amendé afin de préciser la
"démarcation" entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis
et l'interdit. "Elle doit être explicite et définie. La ligne, pour moi,
c'est l'appel direct à la violence."»
Et
ici je me permets un petit commentaire, M. le Président. En plus, je dirais que
cet appel a été soutenu et répété, tenu
de façon répétée par le premier ministre. Il l'a dit trois fois le même jour,
trois fois le même jour. C'est de valeur qu'on n'ait pas retenu «tenu de
façon répétée», parce que je trouvais que ça s'appliquait bien à ce moment-ci.
Un discours que j'apprécie, «tenu de façon répétée», disant la ligne de
démarcation, c'est l'appel direct à la violence.
Alors,
si on enlève «discours haineux» dans le premier alinéa seulement, dans le
premier alinéa, comme je le faisais remarquer
tout à l'heure, pour dire : «La présente loi a pour but d'établir des
mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la
violence s'exprimant dans un contexte de discrimination», bien, on vient de
donner un éclairage supplémentaire. Parce
qu'on a également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.
Mais la ligne demeure toujours la
même, c'est la violence. Le mot clé du premier alinéa, quand les gens vont
vouloir interpréter la loi, le mot clé, c'est le mot «violence». Ce
n'est pas le mot «haine», c'est le mot «violence». Ensuite, on retrouve le mot
«haine», discours haineux, interprétation de
discours haineux. Mais il y a un mot clé qui est introduit dans le premier
alinéa, et je pense que l'intention gouvernementale serait beaucoup
mieux exprimée par cela.
Je répète aussi qu'on nous a refusé
d'exclure les mineurs, ce que je considère encore qui aurait été important.
Je comprends que la CAQ rêve d'une loi qui n'existe pas. Malheureusement, la
CAQ rêve d'une loi qui n'est pas cette loi-ci.
La CAQ continue à dire... ma collègue de Montarville continue à dire :
Dans la loi... On voudrait une loi qui vise la radicalisation, mais ce n'est pas ça qu'on a dans les mains. Alors, si
la loi cible mal les personnes, bien, j'ai encore moins le goût qu'elle cible mal des jeunes, des mineurs.
C'est simplement... c'est le débat dans lequel on est. Alors, en amenant
ça, au moins, on devient dans un contexte qui est vraiment un contexte d'appel
direct à la violence. Le mot «direct» est important
aussi. Un appel à la violence ou un
appel direct à la violence, ça définit le type de discours haineux qu'on
veut... le type de discours incitant à la
violence qu'on veut amener. Après, il
y a le discours incitant à la
violence, ça, il y a ça, là, mais les appels directs à la
violence, c'est ce dont on parle.
Puis
je veux toujours, toujours, toujours ramener à une chose : on est dans un plan de
lutte à la radicalisation. C'est drôle,
on dirait qu'on l'oublie de temps en
temps, quand on étudie cette loi.
Moi, je n'oublie pas. On est dans un plan de lutte à la radicalisation qui est supposé nous amener véritablement à combattre l'islamisation. D'ailleurs, la radicalisation qui
est entraînée par l'islamisation, qui est un
contexte où on mélange le politique et le religieux et qu'on essaie de faire
croire aux jeunes qu'ils vont aller aider des sociétés qui sont en guerre actuellement
en allant se battre sur leur territoire.
L'objectif, quand on
veut radicaliser ces jeunes, ce dans quoi on veut les entraîner, c'est dans la
violence. Les sites auxquels ils
s'abreuvent, ces jeunes, sont des sites qui appellent au djihad, qui appellent directement à la violence. Moi, je trouve
qu'on ciblerait beaucoup mieux la lutte à la radicalisation en prenant ces mots, «appels
directs à la violence», M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Montarville, avant qu'on
suspende nos travaux, vous vouliez faire une petite intervention?
Mme Roy
(Montarville) : Oui. Oui, oui. Tout simplement, pour
réconforter ma collègue, est-ce que... Et vous avez posé une question
tout à l'heure, M. le député de Richelieu, et c'est... Lorsque j'ai fait ma
présentation sur votre amendement, je vous ai dit que...
Le Président
(M. Ouellette) : Vous me parlez à moi, là? Oui?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, M. le Président. Excusez-moi.
Le Président
(M. Ouellette) : Non, non...
Des voix :
...
Le Président
(M. Ouellette) : Oui, oui.
Mme Roy
(Montarville) : Alors, lorsque j'ai fait le commentaire sur
l'amendement, je vous disais qu'il fallait que le terme «discours haineux» saute, si vous voulez, mais à chacun des
alinéas. Actuellement, nous sommes sur le premier alinéa de l'article 1. Parce qu'actuellement
ce que vous faites avec cet amendement-là, c'est que vous changez
l'objet du projet de loi mais pas le champ d'application, puisque le deuxième
alinéa, c'est le champ d'application. Et le champ d'application demeurerait les
discours haineux, mais de toutes sortes, alors avec toutes les largesses
proposées par la ministre. Donc, on demeure
dans un projet de loi très liberticide. Et ça, c'est si on ne circonscrit pas
davantage le discours à ceux qui nous intéressent, ceux qui sont les
discours qui relèveraient de l'intégrisme religieux.
Alors,
juste pour vous conforter ou vous réconforter, on ne s'était pas opposés au
terme «discours haineux», depuis le
début, en soi, parce que nous voulions qu'il soit circonscrit à l'intégrisme
religieux ou l'extrémisme religieux, comme l'a dit Ban Ki-moon. Mais
force est de constater qu'ils ne le seront pas. Alors là, ça change un peu la
donne, dans la mesure où on y va
d'amendement par-dessus amendement, de réflexion par-dessus amendement, mais on
voit qu'on ne circonscrit pas davantage dans le champ d'application. Le
champ d'application demeure encore très large.
Alors,
c'était un aparté, mais c'était vraiment pour préciser ce fameux terme-là,
«discours haineux». Puis, la façon que ça se dirige, il faudrait l'enlever
partout, puisqu'on ne circonscrit pas de quel type de discours il s'agit.
Le Président
(M. Ouellette) : On va terminer nos travaux, cet après-midi, sur
ce commentaire.
Compte tenu de
l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30, et on
déménage à la salle du Conseil législatif à compter de 19 h 30.
(Suspension de la séance à 17 h 59)
(Reprise à 19 h 36)
Le Président (M.
Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des
institutions reprend ses travaux. Veuillez vous assurer que vos appareils
électroniques sont en mode silencieux afin de ne pas perturber nos travaux.
Je
vous rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée
du projet de loi n° 59, Loi
édictant la Loi concernant la prévention et
la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et
apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des
personnes.
Lors
de la suspension de nos travaux à 1.38, nous étions à l'étude de l'amendement
présenté par Mme la députée de Taschereau à l'article 1 édicté par l'article 1 du projet de loi. Mme la députée de Montarville, vous veniez de nous faire partager, quand
nous avons terminé, vos commentaires, et je pense que vous aviez terminé, selon
ce que je comprends. Donc, Mme la députée de Taschereau, à vous la parole.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Alors, à l'appui de mon amendement,
je voudrais citer un petit bouquin, qui est de François Gendron —non pas
notre vice-président de l'Assemblée nationale, mais de François Gendron l'avocat — un bouquin qu'il m'a fait parvenir il y a
quelques années, qui s'intitule L'affaire des «traîtres» : essai sur
la liberté de parole en matière politique. Mais c'est l'affaire des
«traîtres».
Qu'est-ce que
l'affaire des «traîtres»? C'était que, le 4 décembre 1981, deux
militants souverainistes, Gilles Rhéaume et
Guy Bouthillier, avaient publié un placard enflammé dans Le Devoir, au
nom de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui
disait qu'en imposant une nouvelle constitution... rappelons-nous que le Québec
s'est fait imposer la Constitution de 1982
par un homme dénommé Trudeau, premier ministre du Canada... disait un texte...
Ils avaient acheté un texte, dans Le
Devoir, qui disait que les
députés libéraux du Canada avaient trahi le Québec, ils avaient collaboré — le mot «collabo», là — avec le Canada anglais pour faire
disparaître le peuple québécois, qu'il fallait leur faire payer ce forfait et
que seule l'indépendance nous libérerait de la trahison. Et ils disaient
que ces députés libéraux étaient des traîtres. Alors, ils ont été poursuivis en
cour, M. le Président. Or, les gens qui les ont poursuivis ont été déboutés.
Et
ce livre-là est riche d'enseignement. Alors, en page 31, dans ce texte de
François Gendron, on lit ceci : Le droit de tout dire, sous-titre. «Faut-il en conclure qu'on peut écrire ou dire
n'importe quoi? Certes non. Par exemple, l'appel à la violence, qui peut
être implicite, est prohibé parce que contraire aux principes démocratiques.
«En droit criminel,
la comparaison est instructive, le principe de non-violence a été posé dès 1909
par lord Coleridge, dans un arrêt de droit
anglais, l'arrêt Rex c. Alfred, où la cour criminelle centrale a jugé qu'un
citoyen pouvait vilipender les hommes politiques et le gouvernement de
toutes les manières, tant qu'il n'incitait pas à la rébellion, à l'insurrection,
à l'assassinat, bref, à l'utilisation de la force physique pour provoquer du
désordre.»
• (19 h 40) •
Je
vais citer l'arrêt : «[On] peut prendre les politiciens à partie, il peut
critiquer les gouvernements, il peut mettre en garde les dirigeants contre l'adoption de telle ou telle position ou
il peut reprocher aux dirigeants de ne pas avoir adopté telle ou telle position; il peut chercher à
démontrer que les rébellions, les insurrections, les actes de violence, les
assassinats [ou] autres actes semblables sont [des résultats naturels,
déplorables, inévitables] de la politique qu'il combat. Tout cela est permis puisque tout cela est inoffensif;
mais, d'autre part, si dans son discours il cherche à inciter autrui au
désordre, c'est-à-dire à la rébellion, à
l'insurrection, à l'assassinat, à l'utilisation de la force physique ou à tout acte de violence, alors, peu importent les motifs ou les intentions de l'auteur, il y aurait une preuve à partir de laquelle un tribunal pourrait juger,
devrait vraisemblablement juger, et jugerait que l'auteur est coupable de
déclarations séditieuses.»
Donc,
l'appel à la violence, l'atteinte à l'intégrité physique est fondamentale.
C'est dans une cause où les mots étaient
durs, là. Les gens s'étaient sentis... Utiliser le mot «traîtres» dans un grand
placard dans Le Devoir, là, c'est énorme. Il y a des gens
qui pourraient dire : C'est du discours haineux.
«Le principe [ensuite
a] été réaffirmé par la Cour suprême du Canada, en 1950, dans l'arrêt Boucher
c. le roi. Il s'agissait d'un témoin de
Jéhovah qui, en 1946, à Saint-Georges de Beauce, avait distribué une brochure
incendiaire intitulée La haine ardente du
Québec pour Dieu, le Christ et la liberté est un sujet de honte pour tout le
Canada. Il en résulta évidemment
une grande agitation, mais y avait-il matière à sédition pour autant? La cour
jugera que non. Bien sûr, les propos
avaient été conçus pour éveiller des sentiments de malveillance et d'hostilité,
mais il y manquait l'incitation directe au désordre et à la
violence — direct
incitement to disorder and violence.
«L'arrêt
Boucher c. le roi s'inspirait de l'arrêt Terminiello, rendu en 1949 par la Cour
suprême des États-Unis sur une
question semblable. Le père Terminiello avait tenu, à Chicago, quelques années
auparavant, un discours antisémite incendiaire,
devant un public de 800 personnes, dont certains affirmaient — je cite : "Jews, niggers and
Catholics would have to be gotten rid
of", ou encore : "Yes, the Jews are all killers, murderers. If we don't kill them first, they will kill us."» C'est terrible. Ça, c'est du discours
haineux.
«À
l'extérieur de la salle, une foule de quelque 1 000 protestataires
hurlaient des injures en cassant des vitres, foule que le père Terminiello, à travers les
haut-parleurs, chauffait à blanc et traitait de rebus de la société. Était-il
permis de soulever ainsi la colère
publique et la contestation? Le tribunal jugea que oui, dans la mesure où il
n'y avait pas de danger clair et
immédiat : La liberté de parole, dans notre régime gouvernemental, vise
notamment à susciter le débat. De fait, elle atteint peut-être son but
primordial lorsqu'elle provoque un malaise, un mécontentement par rapport aux
conditions qui existent, ou même de la
colère. Le discours est souvent provocateur et revendicateur. Il peut combattre
les préjugés et déranger profondément lorsqu'il cherche à faire accepter
une nouvelle idée. C'est pourquoi — et ça, ce bout-là est important — la liberté de parole, sans être absolue, est
toutefois à l'abri de la censure ou du châtiment, à moins qu'il n'y ait
danger clair et immédiat d'un mal nettement plus grave qu'un embarras, qu'un
mécontentement ou un malaise au sein de la population.»
En fait, ce qu'ils
nous disent dans le cas qui nous intéresse, l'affaire des «traîtres» :
«Depuis 1981, le texte de Rhéaume et
Bouthillier n'avait suscité écho de nature à troubler l'ordre public malgré sa
grande diffusion, c'est-à-dire son innocuité.»
Voilà. L'appel à la
violence. On est allés jusqu'à un discours tellement haineux qu'on disait que
c'étaient des traîtres, mais, comme il n'y a pas eu de conséquence violente,
les cours avaient décidé qu'à tout le moins en matière politique il n'y avait
pas matière à poursuite.
Alors là, nous, on veut revenir à cette
importance de l'appel à la violence et ses effets, et notre amendement, M. le
Président, ramène l'importance de l'appel à la violence, véritablement. Dans le
premier alinéa, on sort de cette idée qu'on est dans le discours haineux seulement et dans le discours
incitant à la violence, et on dit : On veut nommer l'appel direct à la violence et ensuite on
traitera du discours haineux comme étant le discours d'appel à la violence
qui est ciblé par la loi, qui est appliqué. La loi s'applique au discours
haineux, mais on est dans l'appel direct à la violence.
Alors, M. le
Président, moi, je pense que j'ai bien fait de ramener, je pense, Gendron, L'affaire
des traîtres, c'est intéressant. Je citerais pour l'anecdote que, M.
Gendron, je ne le connais pas, mais il m'avait envoyé une petite note
personnelle. J'avais reçu ce livre-là et je l'ai toujours gardé dans ma
bibliothèque, et c'est... Il me disait : «Avec nos hommages, sur la liberté d'expression, ses limites, ses risques — il s'amusait — et sur l'utilité d'avoir un brillant
avocat.» Mais je pense qu'il y a beaucoup de
monde qui vont avoir besoin de brillants avocats si on entérine le projet de
loi n° 59 tel qu'il est là actuellement, M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Je
sens, M. le député de Richelieu, que vous avez des choses à ajouter.
M.
Rochon : Oh! je
n'ajouterais, M. le Président, que des choses déjà dites maintes fois depuis le
début de notre journée de travail
d'aujourd'hui et qui l'ont été aussi précédemment. Je vous ai maintes fois
exprimé que je partageais entièrement
les avis exprimés par ma collègue de Taschereau, qui a soumis à la commission
cet amendement visant à ce que la loi
ait pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les
appels directs à la violence. Ce serait une façon, vous ai-je plus tôt exprimé, là, de faire prendre une cure
minceur au bureau des plaintes de la... au futur bureau des plaintes,
là, de la commission des droits de la personne et de la jeunesse.
Je pourrais
vous rappeler brièvement qu'avec cet amendement nous nous rendons curieusement
à une suggestion du premier ministre
lui-même, suggestion qu'un article du Devoir, là, de l'été dernier,
relatait, à l'effet, effectivement, qu'il fallait bien prendre soin que ce projet de loi n'ait pas l'effet pervers
de brimer la liberté d'expression. Et c'est là qu'il a soumis, le premier ministre, qu'il ne devrait que
s'adresser, ce projet de loi, aux appels directs à la violence pour
ainsi calmer les inquiétudes des nombreux groupes entendus par cette
commission.
J'ai le goût de faire à nouveau valoir que, si
nous étions seuls à penser ce que nous pensons, nous pourrions peut-être nous poser de fort sérieuses questions,
mais, non, nous nous faisons les porte-voix, là, d'une vaste majorité
des gens consultés, parmi lesquels beaucoup d'experts. Et il y en a, des
journalistes, qui ont chroniqué là-dessus, hein, le projet de loi n° 59,
là.
Et, écoutez, je reprends les propos de MM.
Rousseau et Côté, de l'Université de Sherbrooke, le premier, professeur de droit, le second, candidat au
doctorat en droit : «Dans l'éventualité où le Parlement décidait de ne pas
mettre de côté la partie I — parce qu'il ne semble pas que la ministre
soit disposée à mettre de côté la partie I, là — il devrait tout au moins la modifier
substantiellement.» Et alors c'est pour ça qu'on arrive avec moult
sous-amendements, dans un premier temps, et une quantité importante
d'amendements maintenant.
«La référence
aux "discours haineux" devrait être retirée — c'est une opinion que nous savons partagée
maintenant par la deuxième opposition — tant ce concept[-là de
discours haineux] est flou et donc de nature à permettre à la commission des
droits de la personne et de la jeunesse et aux tribunaux de brimer la liberté
d'expression. L'idée d'interdire...» Je cite
ces messieurs que je vous nommais, là, Rousseau et Côté : «L'idée
d'interdire seulement les appels directs
à la violence — eux
autres disent — est un
pas dans la bonne direction.» Parce qu'ils avaient entendu le
premier ministre s'exprimer là-dessus.
Interdire seulement les appels directs et répétés à la violence serait un pas
dans la bonne direction, le but étant
«d'éviter — comme
nous l'avons nous-mêmes souvent, souvent de fois répété — de mobiliser les ressources et le
pouvoir coercitif de l'État pour une personne qui n'aurait fait que
"déraper" à une seule reprise[...]. Il y aurait également lieu de
prévoir — écrivent-ils — qu'une
personne ne pourra être reconnue comme ayant commis l'infraction que si elle
avait l'intention d'inciter à la violence», une autre notion sur laquelle nous
sommes revenus maintes et maintes fois, le
caractère intentionnel de l'auteur du discours, ce à quoi la ministre nous a
toujours rétorqué que ce n'était pas l'intention qui devait être considérée
mais l'effet.
Et, vous
savez, en termes d'effet, il y a des groupes, des gens qui ont l'épiderme plus sensible que d'autres. C'est pour ça qu'on
ouvre toute une boîte de Pandore avec ce projet de loi et un énorme, un gros
bureau des plaintes à la commission des droits de la personne et de la
jeunesse. Alors, cure minceur de ce bureau des plaintes, c'est une chose
possible en acceptant l'amendement soumis
par ma collègue de Taschereau, de voir cette loi ne concerner que «les
appels directs à la violence s'exprimant
dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement
ou de radicalisation — je
lis la suite du texte amendé — pouvant mener à l'extrémisme violent.
Elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la
violence.»
Alors,
j'espère, dans un optimisme sans doute manquant de réalisme, que la ministre se
range à ce point de vue qui était celui de son propre premier ministre,
de notre premier ministre, en août 2015.
• (19 h 50) •
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : M. le
Président, je citerais la conclusion... une partie de la conclusion de François
Gendron, L'affaire des «traîtres», c'est aux éditions
Wilson & Lafleur : «La liberté de parole est un des fondements
du système démocratique. Elle
garantit la diversité des opinions et permet aux idées vraies de l'emporter sur
les autres, dans les débats sur la chose publique; du moins, on aime à
le croire. Je l'ai dit : De toutes les libertés, la liberté de parole est
la plus précieuse. Si l'on perdait toutes les autres, la liberté de parole
permettrait de les reconquérir.»
C'est là-dedans qu'on est, M. le Président. On
est en... Dans la fin de sa conclusion, il ajoute : «Cet espace de liberté, si étroit qu'on puisse le juger, reste en
Occident une des conquêtes majeures de l'histoire contemporaine. C'est pourquoi il nous incombe, en tant que citoyens, de
protéger la liberté de parole contre ceux qui, pour lui faire obstacle
ou en pervertir le sens, se draperont dans de grands
principes de justice. Chateaubriand l'aura prévu : "La justice est si
sacrée, elle semble si nécessaire aux succès des affaires, que ceux mêmes qui
la foulent au pied prétendent n'agir que d'après ses principes.» Chateaubriand.
C'est assez instructif.
Une dernière chose qu'il dit, notre ami l'avocat
François Gendron : «Il faut le dire, la parole peut censurer le
gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la parole.»
La parole
peut censurer le gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la
parole. Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ouellette) :
Sur cette belle parole, nous allons mettre l'amendement de la députée de
Taschereau au vote. Et je pense qu'il va y avoir un vote par appel nominal, Mme
la députée de Taschereau?
Une voix : ...
Le Président (M. Ouellette) : Donc,
Mme la secrétaire.
La Secrétaire : Mme Maltais
(Taschereau)?
Mme
Maltais : Pour.
La Secrétaire : M. Rochon
(Richelieu)?
M. Rochon : Pour.
La Secrétaire : Mme Roy
(Montarville)?
Mme Roy
(Montarville) :
Pour.
La Secrétaire : Mme Vallée
(Gatineau)?
Mme Vallée : Contre.
La Secrétaire : M. Merlini
(La Prairie)?
M. Merlini : Contre.
La Secrétaire : M. Boucher
(Ungava)?
M. Boucher : Contre.
La Secrétaire : M. Giguère
(Saint-Maurice)?
M. Giguère : Contre.
La Secrétaire : M. Hardy
(Saint-François)?
M. Hardy : Contre.
La Secrétaire : M. Rousselle
(Vimont)?
M. Rousselle : Contre.
La Secrétaire : M. Ouellette
(Chomedey)?
Le Président (M. Ouellette) : Je
m'abstiens.
La Secrétaire : C'est rejeté.
Le
Président (M. Ouellette) :
Donc, l'amendement proposé par Mme la députée de Taschereau est rejeté.
On continue nos discussions sur l'article 1. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : M. le
Président, je trouve dommage qu'on n'ait pas accepté de circonscrire le premier
alinéa dans sa première phrase — parce qu'il y a deux phrases dans... — aux appels directs à la violence. Encore une
fois, à chaque fois qu'on essaie de
ramener l'intention du premier ministre, qui avait demandé à la ministre de la
Justice de revoir la loi en
profondeur, on se fait débouter. Je ne sais pas s'il y a confusion au
gouvernement ou qu'est-ce qui s'est passé dans les discussions, mais c'est clair que l'appel du
premier ministre, c'était exactement l'amendement qu'on a apporté, M. le
Président.
Alors, c'est peut-être que
le mot «appels directs à la violence» dérange. Je comprends que la ministre
tient à conserver le mot «discours haineux».
D'ailleurs, ça a été un des commentaires de notre ami le collègue de... je ne
peux pas le nommer, là, j'essaie de
retrouver son... La Prairie! La Prairie, sa circonscription, cher collègue
de La Prairie. Il disait : Il
faut retrouver les mots «discours haineux». Alors, je vais proposer un
amendement qui va réintroduire ces mots dans la façon qu'on a de le voir. Peut-être que ça va... En fait, j'ai essayé de
trouver, d'après les commentaires qui ont été apportés, s'il n'y avait
pas un entre-deux, s'il n'y avait pas une position où on pourrait se rejoindre.
Alors, je propose cet amendement, M. le
Président :
Modifier
l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en
ajoutant, après les mots «discours haineux», les mots «appelant
directement à la violence».
Ce qui donnerait ceci : «La présente loi a
pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la
violence s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans
un contexte d'endoctrinement ou de
radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent [et] elle établit également
de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»
Le Président (M. Ouellette) : On va
suspendre quelques minutes.
Je nous rappelle que, dans les prochaines
45 minutes, nous serons appelés au salon bleu pour un vote.
(Suspension de la séance à 19 h 56)
(Reprise à 20 h 5)
Le Président (M. Ouellette) :
Nous reprenons nos travaux. L'amendement déposé par Mme la députée de Taschereau
est recevable et vise à ajouter dans le premier paragraphe, après «les
discours haineux», l'expression «appelant directement à la violence». Mme
la députée de Taschereau, pour vos commentaires.
Mme Maltais : Merci, M.
le Président. Alors, d'abord,
d'entrée de jeu, je veux rappeler que nous ne sommes pas,
je dirais, des partisans amoureux de l'expression «discours haineux». Je réfère
aussi à ce que disait tout à l'heure la deuxième
opposition, la députée de Montarville :
Les discours haineux ne devraient pas être là. Dans le plan de lutte à
la radicalisation, ce n'était pas l'esprit,
c'est «discours incitant à la violence», c'est «discours de
radicalisation». Mais, enfin, la ministre a décidé de déposer un projet
de loi concernant les discours haineux.
Alors, nous
essayons systématiquement d'essayer d'amoindrir l'impact de la proposition
gouvernementale du projet de loi
n° 59 sur la société, l'impact qu'elle aura sur les gens qui prennent la
parole et qui critiquent de façon normale et parfois intempestive,
parfois dure les opinions des autres, les croyances des autres. Ça peut avoir
un impact, ce projet de loi.
Alors, on
comprend que les mots «discours haineux» semblent importants du côté du
gouvernement, alors on va faire comme
d'habitude : on va essayer de réduire la portée de la loi, on va essayer de
la préciser, on va essayer de diminuer les types d'interprétation qui
peuvent être faits de cette loi.
Alors, une
des meilleures manières de le faire, c'est que, quand on commence le texte...
«La présente loi a pour objet», donc
l'objet de la loi, donc, là, toute l'interprétation va arriver à partir de là.
«La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention — remarquez que les mesures de prévention, je
les cherche encore, M. le Président — et de lutte contre les discours
haineux appelant directement à la violence, s'exprimant dans un contexte de
discrimination...» Alors, voilà. Au moins, on va éliminer le type de cause que
je vais vous montrer.
Mais, justement, notre collègue le député de
Rosemont vient de se joindre à nous pour cette soirée, oui, et il a souvent
participé à cette commission parlementaire. Puis là il vient d'arriver, un
petit peu en retard, là. Excusez-moi de dire que vous avez été un peu en retard
de cinq minutes.
M. Lisée : Appel au règlement, M. le
Président. Il est interdit de noter la présence ou l'absence
d'un parlementaire.
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme Maltais : Il
était pris au salon bleu, il avait une intervention au salon bleu.
Le Président (M. Ouellette) :
Parce qu'il est annoncé déjà depuis fort longtemps.
Mme Maltais :
Oui, tiraillé qu'il était entre toutes ses obligations parlementaires, il vient
de se joindre à nous. Voilà une belle manière de le dire. Merci de me
rappeler aux usages.
Alors, je vais peut-être le surprendre, le
collègue de Rosemont, mais je vais lui apprendre que lui et moi sommes ciblés comme étant fomentateurs de discours
haineux, comme étant des gens qui avons des discours haineux. Je le lui
annonce.
M. Rochon : Ah bon? Pas moi,
pas moi.
Le Président (M. Ouellette) :
Bien, ils ne vous connaissent pas encore, M. le député de Richelieu.
Mme Maltais :
Ça viendra peut-être.
M. Rochon :
Je l'ai échappé belle.
Mme Maltais :
Mais lui et moi sommes ciblés, comme sont d'autres personnes. J'ai déjà parlé
d'une dame Longpré qui est attaquée en
disant que, parce qu'elle critique la religion, elle tient un discours haineux.
Bien, ça, ça existe. Ça, c'est la vérité sur le terrain. Ça, c'est la
vraie vie.
Odile Jouanneau, je
le répétais ce matin, a dit : Alors, je suis partante pour attaquer Denise
Bombardier pour son article dans Le
Journal de Montréal, pour l'attaquer et la poursuivre pour incitation à la
haine. Elle l'a dit comme ça : «Je suis partante.» Elle l'a
écrit : Je suis partante pour poursuivre Denise Bombardier pour incitation
à la haine.
Donc,
vous comprenez que, dans la vraie vie, le discours haineux, l'incitation à la
haine, le discours incitant à la haine,
il peut être interprété de bien des façons par les personnes et que, là, on est
dans un système de traitement de la plainte avec un an avant d'être... Je vais toujours rappeler ça, parce que c'est
important : On s'engrange dans un beau mécanisme qui va nous mener à une plainte, dans le
magnifique bureau des plaintes qu'on est en train de créer — de l'expression de mon collègue de
Richelieu — qui
ensuite va donner lieu à un traitement de plainte qui prend un an, hein, parce
qu'on n'ajoute pas de ressources à la CDPDJ,
après ça le temps qu'il y ait l'enquête, après ça la disgrâce potentielle, la
perte d'emploi potentielle. Imaginez-vous, là. Moi, je me retrouverais, là,
dans un processus comme ça... Ça ne me tente pas,
M. le Président, puis je pense que ça ne tente à personne, puis ça ne tente pas
aux personnes que je viens de nommer. Puis
probablement qu'il n'y a pas beaucoup de Québécois qui ont envie de se faire
embarquer dans un processus comme ça.
Et le texte de Pierre
Trudel, son blogue, est très parlant. Il dit : Le problème de la loi,
c'est qu'on est dans un contexte où il y a
beaucoup de gens qui interpellent les autres pour discours haineux au Québec.
J'en suis, M. le Président.
Alors, si on ajoute
«appelant directement à la violence», je viens de dégager un petit peu le
terrain, je viens d'enlever un petit peu de
problèmes qui résident, je viens de protéger le député de Rosemont, je viens de
me protéger. Je viens de protéger
toutes les personnes que je viens de nommer.
Je viens de proposer... je viens de protéger Mme Proulx, qui s'est fait poursuivre à la commission
des droits de la personne du Canada puis qui a perdu son emploi pendant quatre
mois chez Costco. Quatre mois qu'elle a perdu son emploi chez Costco.
• (20 h 10) •
Une voix :
Ah oui?
Mme Maltais : Oui. Elle a été poursuivie parce qu'elle a dit à une dame... elle a fait une farce sur le Sud à une dame qui l'a mal prise puis qui a dit à... qui l'a
interprétée comme étant ce discours haineux, c'est : Retourne donc dans
ton pays! Sa farce, c'est que la personne
avait un manteau d'hiver, achetait un manteau d'hiver puis elle le trouvait
cher. La madame a fait la blague
qu'elle fait à tout le monde, elle a dit : Écoutez, qu'est-ce qui est le
plus cher : un voyage dans le Sud
ou un bon manteau chaud? Ça fait
qu'elle s'est fait poursuivre devant
la commission des droits du Canada. Elle a perdu son travail pendant quatre mois. Ça, là, ça
a été calculé comme... Ça serait interprété comme du discours haineux. Mais, si tu ajoutes «appelant directement à la violence», tu viens d'éliminer. Tu viens de protéger pas mal de
monde. Puis ça ne nuit pas à l'esprit, je pense, de ce que cherche la ministre.
Alors,
toujours dans un esprit de clarification des interprétations potentielles, moi,
je trouve que c'est un amendement qui pourrait être intéressant. Alors,
j'ai hâte de voir si la ministre trouve que je suis quand même assez
respectueuse, parce que je conserve «discours haineux», mais que cette
restriction pourrait être intéressante.
Le Président (M. Ouellette) :
Commentaires, Mme la ministre?
Mme Vallée :
J'ai l'impression qu'on a déjà fait ce débat-là sur le discours haineux qui
appelle à la violence. Un discours qui
appelle à la violence, c'est un discours qui appelle à la violence. Il n'a pas
besoin... Il n'est pas nécessaire qu'il soit haineux pour être
sanctionné. Et là-dessus je crois qu'on a fait des débats par le passé sur la question,
on a discuté. Je crois qu'on avait abordé justement
cette question-là. Alors, on amène un élément encore plus fort,
c'est qu'on ajoute à l'appel à la
violence, au discours incitant à la violence le qualificatif de «haineux».
Donc, c'est encore plus lourd pour le
discours incitant à la violence. Et on ne vient pas... Et, le discours haineux,
la définition que nous avions convenue et qui avait fait l'objet de plusieurs
débats dans le cadre du sous-amendement, à mon avis, vient colmater certaines
des ouvertures auxquelles ont fait référence
nos collègues de l'opposition dans le passé. Alors là, on vient ni plus ni moins rejouer avec le concept
sans nécessairement bonifier le projet de loi.
Le Président
(M. Ouellette) : Je vous rassure : Lors de la réception de l'amendement,
on a vérifié avec le secrétariat les sous-amendements. Ça a fait partie des discussions, mais il n'y a
pas eu de sous-amendement directement.
Et, compte tenu de... Il y a eu plusieurs discussions de toute nature par les différents collègues,
et ça a fait partie des commentaires, que ça soit du député de Richelieu
et de Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, mais ça n'a pas fait partie spécifiquement
d'un sous-amendement. M. le député de Richelieu.
M. Rochon : Oui. En fait, notre amendement, il reprend celui que le premier ministre avait annoncé qu'il viendrait, dans un article du Devoir,
hein, en août, je pense, 2015...
Mme Maltais :
29 août.
M. Rochon : ... — c'est
ça, le 29 août 2015 — et
conserve à la ministre son «discours haineux». Pas son discours haineux à elle, mais la notion de discours
haineux, hein? Là, il me semble que ça devrait faire l'affaire de l'ensemble
du gouvernement. Le premier ministre et la ministre devraient s'en trouver
satisfaits.
Tantôt, ma collègue
de Taschereau citait Pierre Trudel, professeur au Centre de
recherche en droit public de la Faculté
de droit de l'Université de Montréal. C'est lui — je veux lui en donner la paternité — qui
parle d'un gros bureau des plaintes. Ce sont ses propos que je reprends
quand je fais allusion à ça. Alors, ce qu'il a écrit, lui, c'est que «même le propos marginal, contraire aux vues de la majorité — le
propos, là — déplaisant — le
propos — stupide
[...] de mauvais goût est protégé par la liberté d'expression, pas seulement
ce qui est "légitime". [Et] c'est d'ailleurs pour protéger les
discours marginaux qu'on a besoin de la liberté d'expression, pas pour protéger
ce qui fait l'unanimité!»
S'il faut
bien circonscrire ce à quoi le projet
de loi doit s'adresser, c'est qu'«il y a
dans la société québécoise — comme
dans toutes les sociétés — des
gens qui sont persuadés que le propos qui critique une religion, [qui
critique] les homosexuels, les femmes
est [automatiquement] un propos [...] haineux. En somme, plusieurs
confondent le propos illégitime avec le propos haineux.»
Alors, c'est
à lui que Pierre Trudel dit que le projet de loi n° 59
ouvre un bureau des plaintes. Moi, j'ajoute : Un gros, gros bureau
des plaintes.
Alors :
«Bien sûr, les tribunaux — écrit M. Trudel — ont distingué entre le propos qui incite vraiment
une personne à haïr ou à se livrer à de la violence et des propos
détestables qui n'ont pas de chances d'avoir de tels effets. Mais la
distinction est ténue.
«[Alors,] en
ouvrant [...] cette "chasse" à tout propos qui déplaît, le projet de loi n° 59 — rappelons-nous,
depuis des jours et des jours — fait fi des conditions concrètes de
l'exercice de la liberté d'expression.
«Il [va
forcer] tous ceux qui s'expriment à se demander à chaque fois si quelqu'un
quelque part ne va pas trouver [...] leurs mots, leurs
blagues, leur photo [...] leur caricature [...] "haineux."»
Alors, voilà pourquoi il faut être beaucoup plus
précis.
«La présente loi — texte amendé — a
pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux — pour faire plaisir à la ministre — appelant directement à la violence — pour faire plaisir au premier
ministre — s'exprimant
dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement
ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit
également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»
Je crois que
c'est un compromis, et, puisque c'est un compromis, nous, ça ne nous satisfait
pas pleinement, là.
Mme Maltais : Non, même pas.
M. Rochon : Mais, au moins, ça limiterait les dégâts.
J'atteindrais, là, la cure minceur que je souhaitais pour le gros, gros
bureau des plaintes de la commission des droits de la personne et de la
jeunesse.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Rosemont, à vous la parole.
M. Lisée :
Merci, M. le Président. Je pense qu'avec cet amendement de ma collègue de
Taschereau on est au coeur du sujet.
Alors, la loi parle de propos haineux. On dit, bien : «Les discours
haineux appelant directement à la violence». C'est ça qui nous
intéresse. Et ça nous intéresse et, comme l'a dit mon collègue, bien, ça
intéressait aussi le premier ministre, parce que c'est exactement ce qu'il nous
a dit d'écrire, finalement. Je relis Le Devoir du
29 août 2015 : Discours haineux — Couillard
promet d'amender le projet de loi n° 59...
Le Président (M. Ouellette) :
Le premier ministre?
M. Lisée : Le premier
ministre lui-même, vous l'avez reconnu, tout à fait.
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, je l'ai reconnu.
M. Lisée : Oui.
Alors : «Le premier ministre[...] — dont on ne peut mentionner le
nom — convient
de la nécessité de restreindre la portée du projet de loi n° 59 visant à
lutter contre les discours haineux et les discours incitant à la violence.
Celui-ci — le
projet de loi — prohibera
seulement — ouvrez
les guillemets — "l'appel
direct à la violence" — fermez
les guillemets — a-t-il
indiqué...» Bien, on lui donne raison pour une fois.
Et savez-vous
pourquoi c'est important que le premier ministre et nous soyons d'accord... et
la ministre, bien sûr, soyons
d'accord? Pourquoi? Parce que, dans sa grande sagesse, qu'est-ce qu'il a dit,
le premier ministre? Il a dit : «Le but [...] n'est pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais
d'en indiquer la limite, qui, à mon avis, requiert le consensus...» Ce n'est pas beau, ça, M. le
Président? Le premier ministre nous appelle au consensus et il nous donne
la clé du consensus. Il dit — et je le cite encore : «On peut dire
des bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas
appeler à la violence.» Fin de citation.
Bien, voilà.
Nous sommes d'accord avec lui. Le premier ministre, l'opposition officielle...
Est-ce que je m'avance en disant que la seconde opposition...
Mme Roy
(Montarville) :
Tout à fait.
• (20 h 20) •
M. Lisée :
Je ne m'avance pas, elle confirme. Nous sommes dans le consensus avec le
premier ministre, l'opposition officielle, la deuxième opposition. Et donc tout
ce qui manque à ce consensus, c'est la ministre de la Justice, puisqu'on serait tous d'accord dans ce cas-là en disant,
bien : «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de
prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la
violence...»
Je veux
dire, moi, je veux bien vous proposer, M. le Président, qu'on appelle, pour un
bref commentaire, une brève consultation,
le premier ministre lui-même pour vérifier avec lui si on a bien lu sa pensée.
La pensée du législateur est très importante dans la rédaction des lois
et leur interprétation. Mais je pense que c'est assez clair, parce qu'ensuite
il y a une autre citation, où il dit : «Le projet de loi n° 59 sera
ainsi amendé — dit
le premier ministre — afin
de préciser la "démarcation" entre — le mot du premier ministre,
"la démarcation" — l'acceptable
et l'inacceptable, le permis et l'interdit.»
La démarcation, dit le premier ministre — j'ouvre les guillemets — «doit être explicite et définie. La
ligne pour moi, c'est l'appel direct à la violence...» Fin des guillemets.
Et là il dit
autre chose où, là, je dois poser la question de la véracité des propos qui
suivent. Je n'affirme pas qu'ils ne sont pas véridiques, mais je soulève
un doute. Je suis dubitatif, M. le Président. J'en appelle à votre indulgence,
O.K., j'en appelle à votre indulgence...
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Rosemont...
M. Lisée :
...parce qu'il dit : «C'est sur quoi», ce dont il vient de parler, la démarcation
de l'appel à la violence, «c'est sur quoi [la ministre de la Justice]
travaille.»
Bon, je ne
suis pas sûr qu'elle... Peut-être pensait-il qu'elle y travaillerait, peut-être
y a-t-elle travaillé, mais force est de constater, M. le Président, que le
travail n'a pas rendu un libellé proche de la pensée du premier ministre,
que nous partageons. On sent qu'il y a
encore un écart considérable entre la pensée du premier ministre et la
rédaction de la ministre.
Alors, nous, notre tâche d'opposition constructive,
c'est de réduire cet écart, et c'est ce que nous faisons avec cet amendement en disant, en reprenant les mots du
premier ministre et en disant : Mais quelle est la ligne de
démarcation? Bien, c'est celle de l'appel à
la violence. Et d'où cette nouvelle formulation : «La présente loi a pour
objet d'établir des mesures de
prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la
violence...» Et là on est en symbiose avec la pensée du premier ministre
et on se rapproche du consensus.
On est aussi proche de la pensée développée par
les juristes canadiens ces derniers temps sur ce que doit être le discours haineux. Et le professeur de droit
Moon, Richard Moon, qui a bien dit, dans son rapport à la commission des
droits humains du Canada, sur la question de la réglementation du discours
haineux, son rapport de 2008, où il dit : «...le recours à la censure par un gouvernement doit être limité aux
catégories très étroites d'expressions extrêmes qui menacent ou justifient la violence — qui menacent ou justifient la violence — contre les membres d'un groupe
identifiable, et non pour éviter les
stéréotypes, les atteintes à la dignité ou la diffamation.» Et, quand on
regarde le texte de son rapport, il est
très clair et il dit : Le problème, c'est qu'il y en a tellement, de
propos publics qui sont de nature diffamatoire, ou qui répètent des stéréotypes, ou qui peuvent être vus
comme des atteintes à la dignité, que... vraiment, c'en est plein. C'en
est plein, et un gouvernement ne peut pas se mettre à réguler tout ça.
Et je vais le citer en anglais, avec
votre permission, M. le Président : «The use of censorship by the Government should be confined to a narrow category of extreme
expression – that which threatens, advocates or justifies violence against the members of an identifiable group.» He
argues that «it's not practical to deal with what one might generously describe as group defamation or stereotyping
through censorship. It's just not a viable option. There's too much of it,
and it's so pervasive within our public discourse that any kind of censorship
is just overwhelming.»
Il y en a trop, il y en a partout, il y en a tout
le temps. On ne peut pas se mettre à dire : C'est du discours
haineux, portez plainte, on va faire une liste, on va regarder ça. On va être
débordés, c'est «overwhelming», c'est un tsunami, ça va être fou, O.K.?
Alors donc, c'est ce qu'il nous dit, le Pr Moon.
Et c'est ce qu'a semblé sentir d'instinct le premier ministre lorsqu'il a prononcé ces paroles sensées, en août
de l'an dernier. Et on ne comprend pas pourquoi on n'arrive pas à faire
cette synthèse, faire cette synthèse.
Je me serais attendu à ce que la ministre nous
dise : Bon, bien, si on fait l'amendement proposé, bien là, le dernier bout de phrase devient de trop :
«Elle — la
présente loi — établit
également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.» On n'en a plus besoin. On n'en a plus besoin
puisqu'on a fait le travail avec l'amendement de la collègue de Taschereau. Donc, on serait
certainement ouverts à un sous-amendement de la ministre pour nous
rapprocher encore plus du consensus.
Maintenant, j'ai écouté avec intérêt ce que la ministre a dit dans son intervention de tout à
l'heure sur l'amendement, en disant, bon : Le discours haineux qui appelle
directement à la violence, bien, écoutez, si le discours est haineux dans la façon dont je comprends le
discours haineux, il appelle directement à la violence. Bien, je vous dirais,
M. le Président : Pas nécessairement. Dans l'ordre de la palette des
perversions, on peut appeler à la violence sans discours haineux. Tout est possible, hein? Là, on est dans
le dérangement mental, dans la détestation. On peut avoir un appel à la
violence qui ne découle pas d'un discours haineux mais d'un genre de
rictus violent sans cause, mais avec un effet dramatique.
Donc, on ne
doit pas dire : Bien, nous n'allons sanctionner que les appels à la
violence qui sont liés au discours haineux,
parce qu'il y a des violents qui pourraient se faufiler, et on ne veut pas que
ça arrive. Mais, vous voyez, le texte que j'ai lu du Pr Moon dit :
Il faut limiter l'intervention de l'État à ce qui menace, promeut ou justifie
la violence.
Alors là, si
la ministre voudrait débattre avec nous en disant : Bon, c'est un peu plus
riche que l'appel à la violence, la
promotion de la violence, la justification de la violence ou la menace de la
violence... Puis là on pourrait débattre, et il y aurait vraiment sujet
à débat.
Parce
que la question de la justification de la violence, par exemple, est utilisée
pour interdire le discours révisionniste sur
la Shoah. Alors, il y a deux types de discours révisionnistes sur la Shoah. Il
y a des gens qui disent que ça n'a
pas existé, c'est faux. Bon. Ça, c'est une révision de l'histoire. C'est une
bêtise, comme dit le premier ministre. On
a le droit de dire des bêtises. Moi, je crois qu'on a le droit de dire cette
bêtise-là et que c'est au corps social de dire : C'est une bêtise,
et que ce discours permis soit simplement marginalisé par la discussion
publique. Maintenant, il y a des gens qui
disent : C'était une bonne chose, la Shoah. C'était une bonne chose. Il y
a des gens qui pensent ça, qui sont un peu malades, qui pensent ça. Et donc c'est une justification de la violence.
Est-ce que ça devrait être interdit? Moi, je pense que non. Je pense que
cette justification a posteriori de la violence ne doit pas être interdite, que
ça fait partie du discours public, et on doit simplement marginaliser cette
bêtise par la discussion publique et la connaissance historique.
Maintenant,
la justification a priori de la violence, bien, on peut dire : Elle ne
devrait être interdite que si elle est assimilée
à un appel à la violence. Alors, moi, si on avait cette discussion-là, je
dirais : Bien, j'aimerais savoir quelle est la différence entre la justification et l'appel, tu
sais? On devrait éliminer tous les membres de telle minorité... Ou,
comme disait Shakespeare dans une de ses pièces : «D'abord,
tuez tous les avocats.» Bon. Est-ce
que c'est un discours haineux?
Du point
de vue des avocats, certainement, hein? Bon. Maintenant, est-ce que c'est de la
discrimination? Est-ce que c'est de la
détestation? Est-ce que c'est un appel à la violence? Ça se débat. Mais vous
voyez comme ce terme connu, écrit, répété
très souvent sur des scènes de théâtre partout dans le monde n'a jamais été
considéré comme un appel à la violence qui devait être sanctionné par
l'État. Pourquoi? Bien, parce qu'on sait que c'est à l'intérieur d'une pièce de
théâtre, c'est une façon de parler. Et des
gens diraient : Bien, les avocats l'ont bien cherché par leur façon
d'être. Moi, je ne dirais jamais ça, évidemment, étant juriste moi-même.
Mais on sent bien la difficulté que ça pose.
Parce
qu'aujourd'hui, à l'ère de l'Internet, et de Twitter, et de la diffamation à
144 caractères ou moins, on arrive à traiter tout le monde de toutes sortes de choses. Et, si Twitter avait
existé, et Facebook, à l'ère de Shakespeare, lorsqu'il l'a d'abord écrit, il y a sûrement des avocats qui
auraient dit : C'est un appel à la violence. Il appelle à l'assassinat de
tous les avocats, emprisonnez-le! Et là il
aurait fallu aller débattre : Est-ce que c'est un vrai appel à la
violence? Est-ce que c'est juste une
formule de style? Et qu'est-ce qui est permis? Est-ce que c'est de l'art?
Est-ce que l'art permet de dire des choses qui ne sont pas permises
autrement? On aurait eu cette discussion-là.
Mais
donc, même lorsqu'on parle d'un appel à la violence, il faut avoir un critère
qui dit : Mais c'était un vrai appel à la violence. On était dans
un contexte d'excitation d'une foule ou d'une personne pour pousser quelqu'un à
commettre un acte violent. Ce n'est pas le cas de la pièce de William, mais,
dans un autre contexte, c'est le cas.
• (20 h 30) •
Alors,
j'utilise cet exemple pour vous montrer combien il faut être précautionneux dans notre restriction de la
liberté d'expression et que, s'il est vrai
que l'expression «discours haineux» est beaucoup, beaucoup, beaucoup
trop large à mettre entre les mains
de quelque agent de l'État pour restreindre la liberté d'expression, même le
terme «appels à la violence» pourrait conduire à des dérives. On pourrait
décider que, si demain Pierre Curzi, sur le TNM, crie, dans une pièce de
Shakespeare : D'abord, tuez tous les avocats, ah! il faut l'emprisonner.
On ne veut pas que ça arrive. On ne veut pas que ça arrive.
Alors,
si c'est vrai que, même avec «appels à la violence», il faut faire preuve de
discernement, alors que les mots sont
clairs, «appels à la violence», imaginez «discours haineux», la porte de grange
que ça constitue et qu'il faut au moins refermer en suivant les indications, d'une très grande clarté, du premier ministre du Québec, qui a quand
même été élu avec pas tout
à fait 40 % de la population, mais, je veux dire, il a
quand même... il est arrivé premier, hein? Je veux dire, on peut dire : Il n'y a pas 50 % des
Québécois qui ont voté pour le Parti libéral du Québec, c'est vrai. C'est vrai
et c'est ce qui explique pourquoi il
n'y a jamais 50 % de Québécois qui sont satisfaits, il n'y a pas 50 %
des Québécois qui ont voté pour lui.
Ce serait toute une réalisation de passer à
50 % de satisfaction. En ce moment, c'est à peu près 62 %
d'insatisfaction, ce qui recoupe à
peu près le nombre de gens qui n'ont pas voté pour lui et le nombre de gens qui
ont voté pour lui. Mais, quand même,
dans le respect de nos institutions, nous sommes au salon rouge, c'est le
premier ministre des Québécois, dans
le système parlementaire britannique dont nous avons hérité et que nous voulons
réformer. Nous, du Parti québécois, nos
amis de la deuxième opposition, nos amis de Québec solidaire, on est tous d'accord
pour dire que c'est quand même... ça commence à faire un peu que
quelqu'un qui est élu avec seulement 34 %, 35 % des voix prenne des
décisions majoritaires comme d'imposer une
loi sur les discours haineux — vous voyez, M. le Président, vous pensiez
que je ne reviendrais pas sur le sujet...
Le Président (M.
Ouellette) : ...ramener.
M.
Lisée : ...mais non, mais j'y ramenais... j'y revenais — et, s'il faut être précautionneux lorsqu'on
réduit la liberté d'expression, il
faut l'être d'autant plus lorsqu'on ne représente pas une majorité, quand une
majorité n'a pas voté pour nous, et c'est pourquoi le premier ministre
est conscient de ça. Et je tiens encore une fois à saluer sa sagacité lorsqu'il
dit que ce sujet, cette limite, «à mon avis, requiert le consensus». Il nous
l'a dit, là, «requiert le consensus».
Et
donc je pense que, si, effectivement, on arrivait puis... Et je suis conscient
que ce ne serait pas impossible de convaincre
plusieurs membres de la délégation ministérielle, avec l'appui du premier
ministre bien sûr, et que donc, disons, la poche de résistance semble vraiment autour de la ministre de la
Justice elle-même, et que nous, on veut ce consensus-là avec la ministre de la Justice de notre côté, avec
les oppositions et le premier ministre, et à ce moment-là nous serions
sur une base très large, presque... Nous
sommes des partis qui représentons cumulativement 100 % de l'électorat.
Vous savez ça, M. le Président,
lorsqu'on additionne les votes de l'ensemble des partis de l'Assemblée, ça fait
100 %. Ça fait 100 %. Et là nous aurions ce consensus.
Donc, je pense que tout ça milite en faveur de
l'insertion de cet amendement très finement pensé, «appelant directement à la
violence». Et j'aime le mot «directement», qui revient à mon propos précédent
qui disait : «Appels à la violence», dans Shakespeare, ça pourrait être vu comme un appel, mais
un appel direct à la violence. Alors, il n'a pas dit... Il dit : D'abord, tuez tous les avocats. Il ne dit
pas : Allons, vous et moi, immédiatement au palais de justice
trouver des avocats pour les éliminer, où,
là, c'est un appel direct à la violence. Il y a même... il y a un moment, il y
a un lieu, il y a une action, hein,
ce n'est pas rhétorique. Donc, le mot «directement» permet, encore une fois,
d'être plus précautionneux dans la restriction que nous voulons... que
nous trouvons utile à la liberté d'expression.
Et puis je
vais conclure là-dessus et laisser les minutes qui me restent à mes collègues,
s'ils veulent les utiliser.
Le Président
(M. Ouellette) : Et je sens
que M. le député de Richelieu veut continuer sur votre élan, monsieur...
M. Rochon : Vous croyez ça, vous, M.
le...
Le Président (M. Ouellette) : Ah! je
suis certain.
M.
Rochon : Puis vous ne croyez
pas, de la même façon, partant de votre même que la ministre veuille
réagir aux propos de mon collègue de Rosemont, non?
Le Président (M. Ouellette) : Vous
savez qu'un président...
M. Rochon : Moi, je la crois tentée
de le faire. Oui.
Le Président (M. Ouellette) : ...se
doit d'assurer une certaine neutralité. Donc, M. le député de Richelieu.
M. Lisée : Mais, si mon collègue me permet, est-ce que...
Mais j'aimerais comprendre quand même, parce
que, de la part de la ministre,
comment concilie-t-elle son refus de cet amendement avec les propos
tenus par le premier ministre
en août? Puisque la concordance semble tellement
totale, est-ce qu'elle peut nous expliquer pourquoi
elle ne se rend pas aux arguments du premier ministre?
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : M. le Président,
vous savez ce que je vais dire.
Une voix : ...le jour de la
marmotte.
Mme Vallée : C'est le jour de
la marmotte. Bien, c'est un peu ça. C'est qu'on a eu...Puis je faisais le commentaire : On a eu des discussions
similaires, des lectures de textes de journaux du mois d'août dans cette même
salle, dans cette même enceinte il y a
quelques mois. J'ai dit ce que j'avais à dire. Vous n'êtes pas sans savoir, et
surtout mes collègues de l'autre côté de la table, mes collègues
de l'opposition qui ont siégé au Conseil des ministres savent
très bien le cheminement que vont
suivre les amendements, le cheminement en comité parlementaire d'un dossier,
comité parlementaire... les amendements que nous avons déposés ont suivi
ce cheminement. Alors, je veux simplement rassurer mes collègues que les amendements que nous avons déposés au projet de loi sont des amendements déposés par le gouvernement. Et, pour
ce qui est des propos, des commentaires à
l'égard de propos tenus par le premier
ministre, je pense
qu'on en a parlé dans le passé, et je verserai la preuve... je verserai
le tout dans la séance d'aujourd'hui, M. le Président.
Le
Président (M. Ouellette) :
C'est pour ça qu'effectivement vous nous aviez fait un commentaire qu'on
avait déjà travaillé sur un amendement similaire, c'est parce que c'était dans cette
même enceinte. M. le député de Rosemont.
M. Lisée : Alors, bien, je remercie beaucoup
la ministre pour sa réponse, qui reste, pour une part,
nébuleuse, mais je comprends que, dans le calendrier des faits, il y a
eu le projet de loi d'origine qui a été déposé, il y a
eu un certain nombre de discussions
publiques, le premier ministre a indiqué, en août, une ligne assez claire. C'est
postérieurement aux déclarations du premier ministre que les amendements ont été validés par le gouvernement, donc y compris le premier
ministre. Et donc les amendements qui ont été déposés ne sont pas en
phase avec l'opinion que le premier
ministre avait évoquée en
août.
C'est donc de
deux choses l'une : soit il a perdu la bataille de son amendement,
il n'a pas réussi à convaincre son gouvernement de la qualité de ses arguments, ce que je trouve
assez rare. J'ai été conseiller de deux premiers ministres, j'ai assisté
à des Conseils des ministres, j'ai été ministre moi-même, c'est arrivé que le ou la première ministre n'arrive pas à convaincre,
mais c'est très rare, c'est très rare. Ou bien le premier ministre a changé d'avis lui-même entre le 15 août, ses déclarations très claires, et l'adoption des
amendements par son gouvernement. Il a dit : Je me suis trompé, d'abord ça ne requiert pas le consensus; il ne faut pas indiquer la limite qui, à mon avis,
doit être : on ne peut pas appeler à la violence. Alors, si on dit : Bon, il a changé d'avis...
Son avis d'août, c'était : «On peut dire des bêtises. On peut dire toutes
sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence.» Et là il a changé
d'avis puis a dit : Bien, on ne peut pas dire des bêtises, on ne peut pas dire toutes sortes de choses, et ce n'est pas nécessaire
d'appeler à la violence pour se faire rabrouer par l'État. Donc, il a
changé d'avis.
Bien,
écoutez, moi, je n'ai jamais entendu le premier ministre contredire
cette position-là. Alors donc, je reviens à ma proposition
précédente : si on pouvait convoquer le premier ministre comme témoin
expert pour qu'on puisse lui demander s'il a
changé d'avis, pourquoi il a changé d'avis, et qu'il nous convainque de
la position nouvelle du gouvernement...
enfin, ancienne et
nouvelle, puisqu'il s'est inséré
entre ces deux positions, ancienne et nouvelle, ça nous éclairerait.
Parce que nous, on est ici à tenter de
trouver un consensus pour répondre à son appel, et là on nous dit : Bien,
non, cet appel est caduque. Alors, j'aimerais mieux l'avoir de la source
première du pouvoir et, si la ministre le permet, que, dans une séance
subséquente, le premier ministre vienne nous exposer l'évolution de sa pensée.
Le Président (M.
Ouellette) : ...M. le député de Rosemont, sûrement que vous auriez été
très bon au théâtre. Mme la ministre.
• (20 h 40) •
• (20 h 40) •
Mme
Vallée : Je n'ai pas d'autre commentaire, M. le Président. On a
eu la chance d'élaborer sur cette
question-là à plus d'une reprise par le passé et on a expliqué pourquoi et ce
qui avait motivé l'intégration du concept de discours haineux. On a eu la chance et on a eu l'opportunité de discourir en long
et en large sur la définition de ce discours haineux, définition que nous avons ajoutée au projet de loi à la lumière de 35 commentaires formulés en commission parlementaire, qui
demandaient qu'une définition soit introduite, une définition qui correspond à
l'esprit des décisions de la Cour
suprême.
Parce que c'est
important d'encadrer le discours haineux mais conformément aux enseignements de
la Cour suprême. Il n'est pas question de
venir donner une portée qui n'est pas celle que l'on souhaite. Alors,
évidemment que le discours haineux,
ce n'est pas le discours... ce n'est pas le discours d'opinion qui est visé par
ça. Ce n'est pas la dissidence qui est visée par ça. Et là j'ai
l'impression de répéter encore une fois une vieille cassette que j'ai
abondamment...
Une voix :
...
Mme
Vallée : Ah! bien, je pense que vous étiez là. Peut-être que
vous n'aviez pas porté attention à mes propos, mais, de toute façon, je
suis persuadée qu'on vous a rapporté mes propos, parce que vous travaillez si
étroitement ensemble. Mais il est certain
que l'objectif a été de travailler et d'élaborer un projet de loi qui
respecterait les principes et les guides qu'a formulés la Cour suprême.
Je parle beaucoup de
Whatcott, mais il y a aussi Taylor, il y a d'autres décisions qui nous ont
guidés. Et s'assurer... Je pense qu'il est
important de le baliser de cette façon-là pour éviter toute forme de brèche.
Et, ce matin, la collègue de
Taschereau disait : Il faut éviter à tout prix que le discours d'opinion
puisse être considéré comme étant un discours haineux. Bien, on a
travaillé ensemble pour apporter des amendements, puis, malgré ça, on a voté
contre, de l'autre côté. Alors, je me dis... Parce que j'écoutais tout à
l'heure et je me dis : Peu importent les amendements qu'on apporterait, je
comprends que, de toute façon, on voterait contre, de l'autre côté. Alors, on a
fait beaucoup de boulot, on a travaillé, on a apporté beaucoup d'amendements,
mais on a quand même voté contre un amendement ce matin, qu'on avait travaillé.
Et
là, M. le Président, si, d'aventure, on devait aller de l'avant avec la
proposition, qui vient changer... Puis je vous dirais... Puis je n'analyse pas, mais la proposition vient changer de
tout au tout le projet de loi puis vient définir, d'une certaine façon, le discours incitant à la violence
en obligeant qu'il soit précédé d'un discours haineux en plus. En tout
cas, bref, c'est un peu compliqué, mais même... Si, d'aventure, on devait
soutenir ça, je ne suis pas certaine qu'au bout de l'exercice on adopterait, de l'autre côté... on adopterait même
l'article 1. Donc, on nous ferait faire ce travail-là... En tout cas, bref, je ne le sais pas, peut-être que... puis je
ne veux pas imputer d'intentions, je regarde, si le passé est garant de
l'avenir...
Mais,
bon, ceci étant dit, j'en ai dit pas mal. Et puis, d'autant plus, c'est aussi
cocasse, puis je pense... Je vais faire juste un petit aparté. Saviez-vous, M. le Président, que, lors du
Conseil général du Parti québécois, il y avait une résolution pour
féliciter la députée de Taschereau pour son obstruction constructive dans le
cadre des travaux de ce projet de loi?
Cocasse, hein? Mais, bref, c'est un aparté puis ça n'a pas sa place dans le
cadre de l'amendement. Je suis désolée.
Le Président (M. Ouellette) : ...loin de l'amendement. Je vais revenir à M. le
député de Richelieu, à moins que Mme la députée de Taschereau veuille
intervenir sur les propos de la ministre?
Mme
Maltais :
Avant — je
sais que mon collègue veut intervenir — je veux juste dire que, quand
nous, on a présenté des amendements, en
général on nous les a refusés, puis, quand ils ont été acceptés par le gouvernement,
bien, on a voté pour. Ça s'adonne que ceux
qu'on avait déposés, on avait voté pour. Je ne comprends pas trop ce qu'on nous
raconte, là, de l'autre côté. Il y a peut-être un peu de confusion, il est un
peu tard ce soir, peut-être, M. le Président.
Le Président (M.
Ouellette) : Peut-être. M. le député de Richelieu, à vous de nous
éclairer.
M. Rochon :
Non, en fait, M. le Président, je ne me souviens pas, avant que le député de
Rosemont le fasse, que quelqu'un, ici, ait questionné la ministre
relativement à la démarche intellectuelle du premier ministre depuis qu'il nous
annonçait le 29 août 2015 que le projet de loi n° 59 allait être
amendé. C'était une brillante question, collègue de Rosemont. Jamais, jamais, jamais elle n'a été posée ici, et je n'ai
pas entendu de réponse qui me satisfasse. C'était une réponse pour les initiés : Ah! vous savez, M.
le député de Rosemont, pour avoir été ministre, comment ça se passe au
sein d'un Conseil des ministres. On n'a pas appris grand-chose, là. Et c'est
vrai que ce serait intéressant de recevoir le premier ministre pour qu'il nous...
M. Lisée :
Oui, je seconde. La proposition est secondée.
M. Rochon : Oui, je seconde,
j'appuie votre proposition à l'effet de recevoir le premier ministre à cette
commission pour qu'il nous explique s'il est toujours d'avis qu'on doive
amender le projet de loi n° 59 pour qu'il ne s'adresse qu'aux appels... qu'aux discours haineux
appelant directement à la violence. Parce que c'est bien ce que ce texte
du Devoir du 29 août 2015 nous annonçait : «Le premier
ministre [M.] Philippe Couillard convient de la nécessité de restreindre la
portée du projet de loi n° 59 visant à lutter contre les discours haineux
et les discours incitant à la violence. Celui-ci — le projet de loi — prohibera
seulement "l'appel direct à la violence."» Ce n'était pas... C'était
vraiment clair, là, hein?
M. Lisée : Il était bon ce
jour-là.
M.
Rochon : Il était très, très
bon. N'essayez pas de m'influencer! «"Le but [...] n'est pas de réduire la
liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite, qui, à mon avis — c'est
toujours le premier ministre qui parle — requiert le consensus et va
recueillir le consensus des citoyens", a affirmé [le premier ministre] au
terme du caucus présessionnel des élus
libéraux tenu à Saint-Georges de Beauce.» La ministre était certainement là, elle fait partie du caucus. «"...on peut dire toutes sortes de
choses, mais on ne peut pas appeler à la violence"», a prévenu le premier
ministre.
«Le projet de
loi n° 59 sera ainsi amendé afin de préciser la "démarcation"
entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. "Elle doit être explicite et définie. La
ligne pour moi — c'est
toujours le premier ministre qui parle, à moins qu'il ait été mal cité — c'est l'appel direct à la violence",
a-t-il dit, cherchant à apaiser les inquiétudes des défenseurs de la
liberté d'expression. "C'est sur quoi [la ministre de la Justice] travaille."»
C'est écrit,
là : «C'est sur quoi la ministre de la Justice travaille.» Que s'est-il
donc passé entre le 29 août 2015 et aujourd'hui? C'est une...
M. Lisée : C'est une énigme.
M.
Rochon : ...question que mon
collègue de Rosemont a posée et qui demeure une parfaite énigme, dont il
serait très, très, très intéressant de
percer le mystère. Je suis sûr qu'il y a plein de monde, là, qui n'attend que
ça. Tous les gens qui ont témoigné
devant cette commission, là, et qui ont les pires inquiétudes concernant le
projet de loi n° 59 ne demanderaient pas mieux que de voir cette
énigme résolue.
Et moi, je soupçonne, parce que je ne peux avoir
que des soupçons, on n'entend pas le premier ministre s'exprimer personnellement sur cette question-là depuis le
29 août 2015, mais je soupçonne qu'il puisse avoir eu une
autre motivation. Oui. Il a dû se dire,
comme nous ici, comme M. Trudel, que j'ai maintes fois cité, tellement que la
députée de Taschereau pensait que c'étaient
des propos venant de moi, que ce n'était pas une citation, que c'était de mon
cru... Il s'est aperçu qu'on allait
ouvrir un beau gros bureau des plaintes à la commission des droits de la
personne et de la jeunesse. Il s'est dit : Il y a plein de monde
qui va se plaindre qu'on critique une religion, les homosexuels, les femmes,
qui vont confondre ce propos-là avec un
propos automatiquement haineux, alors qui vont confondre le propos illégitime
avec le propos haineux. Et quel sera l'impact financier? Je coupe déjà
partout avec mes ministres et là je vais dépenser des sommes considérables
d'argent pour ouvrir une brigade d'enquête à la commission des droits de la
personne et de la jeunesse. Il a dû se
dire : Ça n'a pas de sens! Ça serait bien qu'il soit là, hein, pour nous
confirmer que, oui, effectivement, ce fut ça, ma démarche intellectuelle.
M. le Président, bon, on ironise, on blague un
peu, mais on aimerait drôlement ça, que la ministre souscrive à l'amendement présenté par la députée de Taschereau, qui, encore
une fois, reprend l'amendement que le premier
ministre avait lui-même annoncé, tout en sauvegardant l'expression que la ministre
veut voir demeurer dans son projet de loi, l'expression
«discours haineux», à laquelle on ajouterait, donc, «incitant...» Quel est le
terme exact? «Appelant directement à la violence».
• (20 h 50) •
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Beaux plaidoyers de mes collègues, je pense, j'ai bon espoir
qu'ils réussissent à faire entendre l'appel qu'est mon amendement à la ministre,
qui est de voir à ce que ce projet de loi soit mieux ciblé, mieux balisé et évite les dérapages qui s'annoncent. Le
nombre de personnes qui sont qualifiées de tenants des discours haineux à
l'heure actuelle est assez affolant, je dois dire, et ça mérite véritablement
réflexion.
L'autre
argument que j'apporterai, qui n'a pas encore été apporté ici, concernant cet amendement,
de qualifier les discours haineux
d'appelant directement à la violence dans l'objet de la loi, c'est le mémoire
du Barreau. Le Barreau dit : Bon, on peut bien amener, au Québec,
un système de traitement du discours haineux, mais ça ne doit pas redoubler le
système de plainte pour discrimination qui existe déjà à la Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le Barreau dit — j'ai le mémoire : «Ce régime serait en parallèle avec le
régime de plaintes pour discrimination, prévu aux articles 74 et suivants de la charte québécoise.»
Donc, c'est un peu un dédoublement du régime de plaintes.
D'ailleurs,
la question fondamentale qu'on pose au départ, c'est : Pourquoi on
ne passe pas tout simplement...
Pourquoi on crée un régime de droit civil?
Pourquoi on ne va pas tout simplement dans le processus qui existe déjà à la Commission
des droits des personnes et des droits de la jeunesse, soit le processus de
plainte? Il y a un processus de plainte pour
discrimination, pour les individus. On aurait pu ajouter : Processus de
plainte pour discours haineux envers des groupes. Mais ce n'est pas le
chemin qu'a choisi la ministre, ce qui fait qu'on a des objections assez
fondamentales, sur la loi, à plusieurs endroits.
Mais là, en mettant
«discours haineux appelant directement à la violence et s'exprimant dans un
contexte de discrimination», on sort des
autres filières, on va véritablement dans «discours haineux appelant
directement à la violence», on sort
de l'autre modèle. On restreint le champ d'application de la loi. On répond aux
craintes, en partie — je dis
bien, là, en
partie — aux
craintes qui ont été soulevées par toutes les personnes qui sont venues ici. Il
y a beaucoup de personnes qui sont venues ici en disant : Champ de
loi trop... portée trop large, portée trop large, interprétations diverses,
climat d'autocensure. «Climat
d'autocensure», c'est probablement les mots les plus graves qui aient été
prononcés, pour moi, les mots les
plus dangereux. Tu entraînes une façon de penser différente, façon de penser
qui est de s'autorestreindre avant de prendre la parole. C'est très
grave.
D'ailleurs,
mon collègue de Rosemont n'était pas là quand j'ai cité François Gendron — non pas le vice-président de l'Assemblée nationale, mais l'avocat — L'affaire des «traîtres», Wilson
& Lafleur, 2005, essai sur la liberté de parole en matière politique. Mais ça s'applique aux
autres libertés de parole, puis ces paroles-là sont sur le quatrième de
couverture, je répète : «De toutes les
libertés, la liberté de parole est la plus précieuse. Si l'on perdait toutes
les autres, la liberté de parole permettrait
de les reconquérir. On ne doit pas en dépouiller les citoyens au profit des
hommes politiques. Il faut le dire, la parole
peut censurer le gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la
parole.» C'est bien dit, très bien exprimé.
Alors,
vu qu'on est dans un projet de loi qui brime la liberté d'expression, un projet
de loi qui censure la liberté d'expression,
un projet de loi qui risque de créer un climat d'autocensure, au moins, à tout
le moins, restreignons-nous aux discours haineux appelant directement à
la violence et aux discours incitant à la violence.
La ministre, tout à
l'heure, a dit : Ça mélange les genres. Pas du tout! Pas du tout! On est
dans le «discours haineux appelant
directement à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination» et on
est dans le «discours incitant à la violence», qui ne parle pas de
contexte de discrimination, et tout. Donc, moi, je pense que ce serait un bon
pas à faire.
Nous,
on a fait le pas de ramener «discours haineux», hein? On a comme franchi la
moitié de la table, comme on l'a fait fréquemment d'ailleurs pendant ces
débats, ces discussions. Alors, on fait le pas de dire : Écoutez, vous
tenez un discours haineux; nous autres, on
n'y tient pas, on trouve que c'est dangereux, c'est là qu'on rentre dans
l'autocensure. À tout le moins, balisons-le
par «appelant directement à la violence». Ce discours doit appeler directement
à la violence.
Est-ce
que, par contre, ça atteint notre objectif de lutte à la radicalisation? Tout à
fait, dans le sens où beaucoup mieux que «discours haineux» tout seul.
«Discours haineux s'exprimant dans un contexte de discrimination», quelle grande largesse pour l'autocensure au Québec!
Tandis que «discours haineux appelant directement à la violence», là on risque de cibler un peu plus la radicalisation,
c'est-à-dire je dis un peu plus... dans le fait, ce n'est pas qu'on cible un
peu plus, c'est qu'on cible un peu moins les
autres. Donc, notre projet de loi, en se circonscrivant lui-même, on en arrive
à cerner le problème. La difficulté qu'on a,
c'est de le nommer puis d'y aller directement, mais on essaie toujours, par des
voies que j'appellerais contournées, de restreindre...
Le Président (M.
Ouellette) : Il faut vous...
Mme
Maltais :
Ça ne sera pas long, M. le Président, une phrase seulement...
Le Président (M.
Ouellette) : Oui... Non, mais c'est ça. Je vous laisse terminer.
Mme
Maltais : ... — merci — de
circonscrire le débat et de restreindre le champ d'application pour qu'à la
fin peut-être ne reste que l'objectif de la loi, la lutte à la radicalisation,
M. le Président.
Le Président (M. Ouellette) : Sur ces bonnes paroles, je vais suspendre
quelques minutes, le temps que nous nous rendions au salon bleu voter
sur la motion de scission du projet de loi n° 70.
(Suspension de la séance à
20 h 57)
(Reprise à 21 h 19)
Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous en sommes à
l'étude de l'amendement qui a été introduit par Mme la députée
de Taschereau. Et, avant que nous ne suspendions nos travaux pour un vote au
salon bleu, Mme la députée de Taschereau avait terminé ses commentaires
sur son amendement, et je pense que M. le député de Richelieu avait des
éléments à rajouter.
M. Rochon :
Oui. En fait, je souhaitais insister, avant que se terminent nos travaux
d'aujourd'hui...
Le Président (M.
Ouellette) : On peut terminer pour 10 heures, si vous voulez.
• (21 h 20) •
M. Rochon :
Vraiment, vous avez cette générosité, M. le Président? Je ne savais pas que
vous étiez animé d'une telle générosité. Le
projet de loi n° 59 est large, lui aussi, mais, dans le cas du projet de
loi, c'est une largesse dont on se
passerait, parce que, nous l'avons exprimé maintes fois, il ouvre la porte à de
l'exagération en termes de plaintes qui risquent d'être déposées devant la Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse, ce pourquoi nous souhaitons le voir s'adresser aux discours haineux appelant directement
à la violence au sens de l'amendement déposé ce soir à la commission par ma collègue de Taschereau, amendement sur
lequel nous nous sommes longuement exprimés, rappelant qu'il reprenait
un souhait exprimé par le premier ministre lui-même.
La
Ligue des droits et libertés s'oppose au projet de loi n° 59, elle aussi, elle aussi. Selon elle, «ce projet
de loi annonce des restrictions
importantes à la liberté d'expression alors que le gouvernement — dit-elle — ne nous en a pas démontré la nécessité pas plus que les avantages
pour notre vie en commun. Vouloir restreindre la liberté d'expression signifie limiter la possibilité de manifester ses
opinions, [ses] croyances, [ses] idées. Or, si impopulaires ou
déplaisantes puissent paraître certaines de celles-ci, une société démocratique
digne de ce nom doit les permettre et ne devrait pas empêcher leur expression publique. Nous croyons également — écrit la Ligue des droits et libertés — que le système de dénonciation que
met de l'avant ce projet de loi aura pour effet d'inciter [...] la délation et
nous fera entrer dans une ère du
soupçon — une ère
du soupçon — où la
méfiance des uns à l'égard des autres sera la règle et non l'exception.»
Elle
n'y va pas avec le dos de la cuillère. Des fois, on dit : Ah! c'est
l'opposition, ils exagèrent, c'est la nature de l'opposition dans notre
système politique. Mais la Ligue des droits et libertés ne fait pas de
politique, là.
«S'il
est évident qu'un acte violent ne peut être permis sous prétexte de liberté
d'expression, un discours violent peut
l'être à la condition qu'il n'exhorte pas au crime — c'est à peu près quelque chose que vous avez
dit tout à l'heure, collègue de Rosemont. Reste à évaluer, et voilà
l'objet réel du projet de loi n° 59, les cas de discours violent haineux,
qui incitent à la haine envers les membres d'un "groupe
identifiable", lequel est caractérisé par des critères
raciaux, religieux, de genre ou
d'orientation sexuelle. Il est crucial de bien examiner — fait valoir la Ligue des droits et
libertés — le sens à donner à des notions comme
celles de "discours incitant à la violence" ou "discours
haineux". Qu'est-ce qu'"inciter à la violence"? Un discours violent sera-t-il jugé selon sa capacité
d'influencer les actes de certaines personnes ? Si tel est le cas, alors
il sera extrêmement difficile de démontrer de quelle manière cette influence a
été subie.
«Imposer de nouvelles normes juridiques ne signifie pas pour
autant que nous comprenons bien le sens du mal dont on
veut nous protéger. Au contraire, un nouveau projet de loi pourrait au final
accroître plutôt que réduire la confusion générale qui prévaut en ce moment sur
des sujets aussi complexes.»
Ligue des droits et libertés : «Un nouveau projet de
loi pourrait au final accroître plutôt que réduire la
confusion générale qui prévaut en ce moment
sur des sujets aussi complexes.» Alors, voilà pourquoi, M. le Président, nous
voulons voir le projet de loi n° 59 beaucoup, beaucoup, beaucoup plus
précis et nous faisons des compromis importants, là, en y allant de cet
amendement, là, dans lequel subsiste l'expression «discours haineux». Nous y
ajoutons «appelant directement à la violence» pour rétrécir le corridor
d'entrée vers le bureau des plaintes de la commission des droits et libertés de
la personne, où il y aura, craignons-nous, affluence si nous ne sommes pas plus
précis.
Et je renouvelle mon souhait que la ministre saisisse la
main que nous lui tendons vers un projet de loi qui
pourrait être plus acceptable aux yeux ou de l'avis de ceux que nous avons
reçus en commission et de l'avis du premier ministre même.
Le
Président (M. Ouellette) : Mme la députée de
Taschereau.
Mme
Maltais : Oui, M. le
Président. Écoutez, on a lu plusieurs textes ici parce que nous avons souvent
dit que beaucoup de
gens s'étaient élevés contre le projet
de loi n° 59. Je pense... Bon,
simplement dans les médias... Évidemment, il y a dans les médias :
Pierre Trudel, Le Journal de
Québec, Le projet de loi
n° 59 : une très grave menace à la liberté d'expression; le Suberban, Bill 59 : Our continuing problem with
freedom; Le Devoir, Josée Boileau, La mauvaise
loi; Denise Bombardier, La loi comme
bâillon; Lise Ravary, Alerte à la liberté d'expression; Mathieu
Bock-Côté, Peut-on critiquer les religions, les tourner en
ridicule, les conspuer?; et, enfin, étonnant mais... pas étonnant dans la
tradition anglo-saxonne, mais étonnant qu'elle appuie l'opposition officielle, The Gazette,Editorial : Québec's hate speech bill is problematic. Voilà.
Y
a-t-il d'autres personnes en dessus de ça, depuis ce temps-là, qui ont déposé
des textes? Oui. Sur les blogues, j'ai trouvé récemment une analyse de
ce projet de loi de M. Léon Ouaknine, qui est quand même — je
crois qu'il est sociologue, assez réputé — souvent intervenu sur les questions de
liberté d'expression, de laïcité, des choses comme ça. Il a publié sur Huffington Post le
21 février 2016, donc c'est
très récent — je dois
le dire, j'ai vérifié, il avait les amendements qui ont déjà été adoptés jusqu'ici — et le
titre est assez désolant pour la proposition gouvernementale, le titre est La
loi n° 59 est une loi scélérate. Une loi scélérate. Dur.
Il
nous interpelle, les députés. Il dit : «Le gouvernement va vous demander
sous peu d'adopter le projet de loi n° 59 proposé par la ministre
de la Justice[...].
«Le projet de loi
n° 59 sur les discours haineux fut examiné en commission parlementaire, et
de nombreux groupes vinrent présenter à la ministre de la Justice leurs avis et
recommandations. À l'exception de quelques rares organisations — c'est lui qui le dit — pratiquement tous les groupes, y compris des
représentants du Barreau, soulignèrent le
danger et même l'absurdité d'un projet de loi dont la définition du discours
haineux était tout sauf claire et revenait de fait à réintroduire la
notion de blasphème, considérée aujourd'hui comme insensée, au sens strict,
dans toute démocratie moderne digne de ce nom.
«Or, le critère qui identifie la ligne à ne pas
dépasser dans le discours haineux existe déjà dans la loi fédérale — c'est ce que nous-mêmes, on répète
depuis le début. De plus, la Cour suprême a identifié les balises nécessaires
pour interpréter à quel moment un discours libre devient inacceptable dans le
cadre d'une démocratie qui doit assurer la protection de chacun de ses citoyens
et garantir le droit fondamental à la liberté d'expression.
«Ce
critère, MM. les députés, vous le connaissez bien, et le premier ministre [...]
lui-même l'a rappelé à quelques reprises.
Ce critère, c'est l'appel direct à la violence contre des personnes aisément
identifiables. Ce faisant, on respecte le fait que la Charte des droits
et [des] libertés est là pour protéger des personnes et non des idées ou des
croyances, que n'importe qui peut critiquer sans préjudice quant au langage
employé.»
Il est d'accord avec
toute notre argumentation. Je ne l'ai pas contacté, ce monsieur-là, là. Je le
lis. Je le lis comme je l'ai lu.
«Mesdames
[et] messieurs[...], si vous entérinez ce projet de loi unique, sachez qu'il
servira à bâillonner toute critique des pratiques jugées inacceptables
et antidémocratiques, alors que les événements au Québec comme partout dans le monde exigent au contraire que nous aidions nos
immigrants à examiner de façon critique les comportements qui les desservent
quant à leur intégration dans notre société — c'est son avis.
«Sachez
également que cette loi sera inévitablement contestée jusqu'en Cour suprême,
puisque des représentants éminents du Barreau venus critiquer ce projet
de loi ont déclaré être prêts à le combattre devant toutes les cours de justice
du pays.
«Mais,
au-delà des désagréments partisans de cette bataille, vous aurez à porter
devant l'histoire l'odieux — je
répète le mot, "l'odieux" — d'avoir mis fin à près de 50 ans
d'élargissement et de renforcement des droits des Québécois, qui ont
fait du Québec une terre de libertés et de dignité.
«L'histoire ne sera pas tendre à votre égard!»
Je pense que le mot le plus usité pour cette
lettre serait «lapidaire». Une missive lapidaire qui a été envoyée...
Qu'est-ce qui se passe, M. le Président?
Le Président (M. Ouellette) : Bien,
on va terminer notre séance sur ces belles paroles, Mme la députée de
Taschereau.
Mme
Maltais : Ah!
Le Président (M. Ouellette) : Et,
compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux au mercredi 9 mars 2016,
à 11 h 30 pour une séance de travail sur la demande de mandat
d'initiative du député de Borduas. Bonne soirée à tous.
(Fin de la séance à 21 h 30)