(Onze heures vingt-neuf minutes)
Le
Président (M. Ouellette) : Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la
salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
La commission est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention
et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la
violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la
protection des personnes.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
• (11 h 30) •
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. M. Hardy (Saint-François) remplace M. Boucher (Ungava) et M. Kotto
(Bourget) remplace M. Bédard (Chicoutimi).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre, bon matin.
Mme la députée de Taschereau, bon matin, Mme la députée de Montarville, chers collègues de l'Assemblée. Sans plus
tarder, je souhaite la bienvenue au Barreau du Québec. Je vous invite à
vous présenter et je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire
votre exposé.
Barreau du Québec
Mme
Paiement (Marie-Josée) :
Merci. M. le Président, Mme la
ministre, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de nous avoir
invités à donner notre point de vue concernant le projet de loi n° 59, la Loi
édictant la Loi concernant la prévention et
la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et
apportant diverses modifications législatives pour renforcer la
protection des personnes.
Je suis Marie-Josée
Paiement, avocate au Service de recherche et de législation du Barreau du
Québec. J'assure le secrétariat et je
coordonne les travaux des comités consultatifs en droit criminel, en droit de
la famille, en droit de la jeunesse et
sur les droits de la personne, dont les membres ont contribué à la confection
du mémoire qui vous est présenté aujourd'hui.
Afin
d'assurer la protection du public, le Barreau du Québec surveille l'exercice de la profession, fait la promotion de la primauté du
droit, valorise la profession et soutient ses membres dans l'exercice du droit.
Je suis
accompagnée aujourd'hui par mon collègue du Barreau, Me Nicolas Le Grand
Alary ainsi que par Me Pearl Eliadis et Me Béatrice Vizkelety.
Me Eliadis
est avocate spécialisée en droit de la personne, elle préside le comité consultatif du Barreau sur les droits de la personne. Elle a agi comme
conseillère principale et à la haute direction de plusieurs commissions et
institutions nationales de droits de la personne. Elle enseigne maintenant le
droit à la Faculté de droit de l'Université McGill.
Me Vizkelety, membre du comité également,
avocate spécialisée en droits de la personne, est présentement chercheure
invitée au Centre sur les droits de la personne et le pluralisme juridique de
l'Université McGill.
Le Barreau
reconnaît que le projet de loi n° 59 est une étape dans la réalisation du
plan d'action gouvernemental pour
contrer le phénomène de radicalisation qui mène à la violence et renforcer le
vivre-ensemble. Le Barreau accueille favorablement les objectifs visés
par le projet de loi, mais est préoccupé par certains aspects de celui-ci.
Je céderai la
parole à Me Eliadis pour ce qui concerne la partie I du projet de loi.
J'ajouterai ensuite quelques brefs commentaires sur sa partie II.
Le
Président (M. Ouellette) : Me Eliadis, vous identifier d'abord
pour les besoins des gens qui nous écoutent, et je vous laisse la
parole.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Merci beaucoup. Merci de nous avoir
accueillis aujourd'hui. Le Barreau du Québec appuie le principe voulant que les discours haineux relèvent de la
compétence de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et que la commission
des droits ait le pouvoir d'intervenir en matière de discours haineux,
qui sont d'ailleurs considérés comme des
actes discriminatoires. Rappelons deux décisions de la Cour suprême, dans
l'affaire Taylor et dans l'affaire Whatcott, qui ont clairement appuyé le
pouvoir non seulement d'intervenir en matière d'actes discriminatoires, dont
les discours haineux, mais aussi du pouvoir d'une commission de droits
d'intervenir aussi.
Nous savons qu'il existe des commentaires qui remettent en question la création des mécanismes civils alors
qu'il existe déjà des recours dans le Code criminel. Mais l'un n'exclut pas l'autre. Il y a plusieurs exemples de
problématiques qui sont traitées et sur le
plan civil et sur le plan criminel, sans aucune contradiction. Il y a une
complémentarité entre les deux et nous
soulignons que l'existence du mécanisme civil qui est prévu par le projet de loi n° 59 préconise une approche qui, selon nous, est plus
souple et qui respecte davantage les libertés civiles. Il faut
reconnaître le caractère discriminatoire des discours haineux. Et, encore
une fois, c'est une commission
de droit qui devrait avoir la compétence d'intervenir. Nous soulignons
que le régime administratif éviterait le recours automatique au droit criminel
tout en favorisant le respect des droits et libertés de la personne. Voilà la
force du projet de loi n° 59.
Mais
il y a des faiblesses dans la mise
en oeuvre de ces principes, qui sont
énumérés dans notre mémoire et qui suscitent des préoccupations importantes
chez le Barreau du Québec.
Je mentionnerai trois
éléments importants, encore une fois, qui sont déjà dans le mémoire, mais qui
sont des problématiques importantes concernant, selon nous, la mise en oeuvre
de la politique que le gouvernement préconise en l'espèce.
Premièrement, en ce qui concerne la définition des discours haineux, c'est clair,
dans la réaction que nous avons vue
dans les médias, qu'il y a beaucoup de confusion concernant la portée de discours
haineux, et c'est, à mon
humble avis, cette confusion et ce manque de
certitude en ce qui concerne la portée de ces termes qui portent les gens à
parler de discours haineux comme étant
parallèles ou synonymes avec les discours qui blessent, avec les discours qui
constituent les blasphèmes, ainsi de suite,
alors les choses qui n'ont rien à faire avec le projet de loi en soi. Mais le
manque de définition, je pense, porte
à confusion. Or, le Barreau du Québec a suggéré que les notions de discours
haineux et de discours incitant à la violence soient définies ou
clarifiées en des termes qui s'accordent davantage avec les propos exprimés par
la Cour suprême du Canada, notamment — pas exclusivement, mais
notamment — dans
l'affaire de Whatcott de la Cour suprême en 2013.
Notre
deuxième préoccupation concerne le régime parallèle créé par le système ou les
procédures, le mécanisme de dénonciation
par rapport avec le traitement de plaintes, qui existe déjà dans la charte
québécoise, particulièrement en ce qui concerne
les dénonciations, toutes les procédures qui sont susceptibles à créer les doublons,
et non seulement les doublons, dans les procédures de la commission, qui
pourraient porter à confusion, mais aussi des procédures de dénonciation qui
risquent de dénaturer les fonctions et les rôles d'une commission de droits de
la personne, qui doit préconiser les préventions,
la promotion. Oui, la prévention, mais, quand on parle des pouvoirs qui sont
quasi criminels, quand on parle du lien
avec la police qui est prévu dans le projet de loi n° 59, on commence à
éloigner, hein, on commence à éloigner le rôle et les fonctions de la
commission de droits par rapport à sa nature de promotion, par sa nature
préventive. Rappelons la décision de la Cour
suprême dans l'affaire Blanco, qui a dit qu'une commission doit être un
mécanisme qui est là pour prévenir, pour promouvoir les droits de la
personne, et qui n'est pas là comme un mécanisme punitif.
Or, nous croyons, et
là ça m'amène au troisième point avant de conclure, à cette fameuse liste de
personnes qui sont tenues responsables pour les discours haineux. Nous
considérons qu'il semble vouloir créer un régime quasi criminel qui risque de
bafouer les libertés civiles. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Paiement, en conclusion.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Oui, brièvement, je pense. Pour ce qui
concerne la partie II du projet de loi, le Barreau accueille favorablement, de manière générale, plusieurs
modifications prévues dans cette partie du projet qui visent à renforcer la protection des personnes, telle que
l'ordonnance de protection. Toutefois, le Barreau suggère de mieux
baliser cette nouvelle mesure et de préciser
certaines notions nouvelles introduites par le projet de loi afin d'éviter
toute confusion et possiblement toute ambiguïté.
Par
ailleurs, en regard des amendements plus spécifiquement proposés au Code civil
du Québec et à la Loi sur la protection
de la jeunesse, le Barreau inviterait à la prudence. En effet, certaines
modifications proposées risquent d'entraîner des difficultés d'interprétation et, pour ce qui concerne la chambre de
la jeunesse, de limiter la discrétion judiciaire de cette cour. Le Barreau suggère que certains
objectifs du projet de loi pourraient être assurés en amont par des
protocoles d'intervention à l'intention des personnes oeuvrant auprès des justiciables
qui sont visés par ce projet de loi.
Ça
termine les commentaires. On voulait être certaines ou certains de vous faire
des commentaires au préalable dans l'espace de 10 minutes, et je
pense qu'on a peut-être même...
• (11 h 40) •
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, Mme Paiement. Merci, Me Eliadis. Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup pour votre présentation. Merci
aussi pour les recommandations. Vous avez fait une présentation succincte, mais
votre mémoire comporte bon nombre de recommandations et de suggestions, des éléments que je considère
constructifs pour la suite des choses. Je tiens à vous informer qu'on a déjà
soumis un certain nombre de recommandations pour analyse plus poussée. Je l'ai
dit et je l'ai redit : Le travail
que nous faisons en commission
parlementaire, c'est un travail qui
est fort utile, qui permet de bonifier le projet de loi, de bonifier les
projets de loi dans leur ensemble, et vos interventions vont dans ce sens-là.
J'aimerais,
dans un premier temps, vous entendre. Vous avez discuté des limites
possibles à la liberté d'expression dans
une société libre et démocratique. J'aimerais que vous
élaboriez davantage, puisque, dans nos premières semaines de consultation, vous n'êtes pas sans savoir, Me Grey et Me Latour sont venus nous
faire une présentation et ont exprimé leurs craintes quant à la mise en application du projet de loi n° 59, ont indiqué qu'à leur avis il n'était pas
opportun de légiférer au Québec sur la question du discours haineux ou
du discours incitant à la violence.
D'autres groupes, et
vous en avez fait état, ont interprété ce projet de loi là comme étant un projet
de loi qui limiterait la satire, l'opinion,
la divergence et même le blasphème ou le sarcasme, et ce qui n'est pas le cas
non plus. Alors, j'aimerais pouvoir vous entendre davantage.
Vous avez fait référence à certains principes
qui avaient été établis par la jurisprudence, mais est-ce que vous pourriez
élaborer davantage? Parce que je comprends que la position du Barreau, elle est
celle-ci, et corrigez-moi si je me trompe : Il y a lieu d'intervenir, il y a lieu de baliser et il y a
une place pour une législation qui vient s'inscrire à l'encontre du discours haineux ou du discours qui
incite à la violence puisqu'il existe dans l'espace public de tels
discours.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Merci beaucoup. Sur le premier point, en ce qui concerne la
liberté d'expression, notre mémoire
préconise l'inclusion de la protection de liberté d'expression explicitement
dans le projet de loi, justement pour pallier aux préoccupations
concernant le problème potentiel de liberté d'expression dans le cadre du projet
de loi n° 59.
En deuxième lieu, il me semble que... et là ça
revient encore une fois entre le régime qui existe dans le droit
criminel et le régime qui existerait sur le plan civil. Il y a déjà au
Canada — en
Colombie-Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba,
entre autres — des
limites semblables qui existent, comme vous le savez sans doute, sans qu'il n'y
ait eu aucun dérapage important en
matière de liberté d'expression. Alors, l'historique est déjà là. Cette crainte
n'est pas justifiée sur le plan historique.
Mais le point
que j'aimerais soulever ou réitérer, c'est qu'entre un recours criminel et un
recours civil qui est plus souple le
recours administratif, qui est limité, par exemple, à l'enlèvement des propos
haineux d'un site Web, et mettre quelqu'un
en prison, par exemple, à cause de ses mots, si on a un vrai souci pour la
liberté civile, lequel préféreriez-vous? Et je pose la question aux gens
qui sont préoccupés par les libertés civiles : Lequel est de préférence?
Dans la loi, on parle de choix d'instruments que
vous, comme législateurs, pourriez avoir pour choisir les modalités d'intervenir. Je comprends qu'en droit
provincial on ne relève pas du droit criminel, bien sûr. Mais, pour ce
qui est des aspects pénaux, des aspects
quasi criminels, on le sait depuis belle lurette que l'approche quasi
criminelle en matière de la personne
ne marche pas. C'est la raison pour laquelle on a changé l'approche d'une
approche quasi criminelle à une approche civile.
Alors, pour les gens qui sont très préoccupés par les
libertés civiles tels que
Me Grey et Me Latour, c'est évident qu'une approche qui est moins axée sur le droit criminel ou un droit
quasi criminel devrait être préconisée en l'espèce. Or, nous croyons que c'est très important d'avoir
cette flexibilité dans la loi qui ne nécessite pas le marteau lourd du
droit criminel et qui préconise une approche
administrative, quelque chose qui est d'ailleurs bien ancré dans la loi
canadienne dans d'autres provinces et qui l'était en matière fédérale avant la
supprimation de l'article 13 de la loi canadienne des droits de la
personne.
Alors, nous
croyons qu'en bref il faudrait protéger de façon exprès la liberté d'expression
tout en prenant en ligne de compte
l'énoncé dans l'affaire Whatcott quand la Cour suprême a dit : Oui, ce
genre de disposition viole ou est susceptible à bafouer l'article 2 de la charte canadienne d'une part, mais,
d'autre part, qu'il s'agit d'une limite qui est justifiée dans une démocratie, et une limite raisonnable qui...
Alors, on reconnaît qu'il s'agit de quelque chose qui, au premier abord,
est à l'encontre de l'article de la charte
canadienne, mais qui, d'autre part, est une limite qui est justifiée, qui est
d'ailleurs la loi au Canada en ce moment et qui est conforme à la loi
internationale.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée : Et — merci — c'est
dans cette optique que vous nous proposez de baliser les définitions, les termes utilisés dans le projet de loi. Là-dessus,
j'ai eu la possibilité de le dire, nous sommes à travailler sur des
suggestions, des propositions de définition,
parce qu'en effet on est à présenter du droit nouveau au Québec. Et, en
incorporant ces notions-là dans notre
droit civil, il y a eu lieu, pour des fins notamment éducatives, de mieux
définir et de mieux encadrer ces notions pour éviter que l'on accorde
une définition contraire à ce qui est souhaité dans l'objectif du projet de
loi.
Vous avez
recommandé que la liberté d'expression, la protection de la liberté
d'expression soit prévue à l'intérieur du
projet de loi. Nous avons, à l'article 1... puisqu'il y a... il y a deux
aspects dans le projet de loi, il y a toutes les mesures qui concernent la commission des droits de la
personne et de la jeunesse qui sont intégrées dans ce que nous appelons
dans le jargon une loi autoportante — et c'est l'article 1 qui introduit
cette loi-là — et nous
avons, dans les «attendu» de la loi, un paragraphe prévoyant évidemment
que «attendu que, selon son article 3, toute personne est titulaire des
libertés fondamentales dont la liberté
d'opinion, la liberté d'expression». Est-ce que cette disposition-là répond à
votre préoccupation?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis.
• (11 h 50) •
Mme Eliadis (Flora Pearl) : Dans
ces interventions devant ce comité dans le passé, on a toujours été très
prudents de ne pas formuler les libellés pour le législateur. Alors, je ne veux
pas commencer une nouvelle tradition aujourd'hui.
Mais, cela étant dit, il me semble que, quand on regarde les autres provinces,
les autres dispositions législatives qui
sont pertinentes, on voit qu'il y a une protection expresse dans la loi, pas
juste dans le préambule, ou dans la formulation d'intention, ou dans les
plans qui sont autour du projet de loi, une mention exprès de la protection de
l'expression dans le cadre législatif.
Mais là où on
risque d'avoir des dérapages, et je ne veux pas laisser passer cet aspect,
c'est : toute question de dénonciation,
toute question d'amende, toutes les questions des aspects punitifs qui relèvent
ou qui font penser au pouvoir quasi
criminel dénaturent les fonctions d'une commission des droits de la personne.
Et je pense que c'est très important que la... je pense que la réaction du public et des avocats qui se
spécialisent dans ce domaine sont alimentés
par ces éléments punitifs dans la
loi, et je parle de la liste, je parle des pouvoirs d'enquête très forts tandis
qu'il existe déjà des pouvoirs d'enquête dans la charte québécoise.
Alors, la mise en oeuvre des politiques est une source de préoccupation pour le
Barreau. Et, pour ce
qui est de, si je peux me permettre, pour ce qui est du rôle de la commission, je pense
que c'est... j'aimerais céder la
parole, si je peux me permettre, à Me Vizkelety juste pour répondre davantage
à votre question en ce qui concerne le rôle de la
commission là-dedans.
Le Président (M. Ouellette) :
C'est fait, Me Eliadis. Me Vizkelety.
Mme Vizkelety
(Béatrice) : Merci, M. le Président. En ce qui concerne leur rôle, ça a été clairement dit qu'un régime parallèle
pourrait à la fois porter à confusion et, justement, en raison de certains
éléments qui donnent un certain caractère quasi criminel, cela pourrait
effectivement placer la commission des droits de la personne, qui est là pour défendre les droits fondamentaux dans une position
assez difficile, et certainement changer ses fonctions et son rôle de
façon très, très importante, ce qu'il ne faudrait pas sous-estimer.
Pour revenir
à la question aussi que posait Mme la ministre, est-ce que le fait d'inscrire
la liberté d'expression dans les «attendu» ne serait pas suffisant? Je
pense qu'il est important de souligner... c'est évident que tous ces cas-ci
vont automatiquement soulever un problème de conflit de droits. Alors, le fait
d'inscrire de façon explicite, expresse, une référence, une allusion au fait
qu'en traitant, en examinant les cas de discours haineux ou de discours qui
incitent à la violence — mais
attention! il y a aussi un principe qui est en compétition, qui est en
rivalité, celui de la liberté d'expression — permettra aux instances appropriées, que ça
soit la commission ou éventuellement le Tribunal des droits de la personne, d'entrée de jeu, de tenir compte de
ces droits qui sont en conflit et éventuellement trouver un équilibre
entre les deux. Je pense que c'est ce qui est souhaité par cette loi ou ce
projet de loi.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée :
Merci. J'aimerais revenir et faire du pouce sur la question des sanctions parce
que ce projet de loi introduit des
sanctions de nature civile, non pas des sanctions de nature pénale, et il y a
une distinction à faire entre les deux évidemment. La sanction civile,
dans le fond, intervient parce qu'il y a ce double mécanisme, c'est-à-dire le mécanisme de dénonciation où une personne peut
dénoncer la tenue d'un propos haineux, la tenue d'un discours incitant à
la violence et qui amène la commission à évaluer le dossier et qui pourrait
éventuellement, advenant que la plainte, la dénonciation,
soit fondée... amène à une sanction civile qui serait versée au Fonds Accès
Justice et il y a cette obligation de saisir
si le Tribunal des droits de la personne, si les éléments sont suffisants pour
démontrer l'existence de ce discours haineux ou incitant à la violence.
Par contre,
dans le cas d'une personne visée directement, eh bien là, il s'agit d'une
plainte que la victime va déposer et
la victime visée par ce discours-là va pouvoir agir par elle-même, et donc il y
a cette possibilité pour la victime aussi d'entente avec le responsable
ou la responsable du discours.
Alors, on a
mis en place ce régime-là, mais il est important de faire la distinction, c'est
qu'il ne s'agit pas d'une sanction de nature pénale, mais bien d'une
sanction de nature civile dans un contexte aussi où nous introduisons une protection pour les groupes. Alors, en introduisant une protection pour les
groupes visés à l'article 10, nous n'avons pas de victime identifiable, contrairement à une
plainte qui est déposée par un individu qui est visé par un motif de
discrimination ou qui est visé par un
discours haineux. Alors, c'est justement parce que nous introduisons une protection pour
les groupes que nous instaurons cette nature de sanction civile.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis ou Me Vizkelety.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) :
J'aurais une réaction préliminaire et, avec votre permission, M. le Président, je vais céder la parole à Me Vizkelety.
Pour ce qui
est de la dénonciation, nous avons une procédure qui existe déjà dans la
charte, qui n'est pas brisée. Alors,
pourquoi créer une autre? Les gens comprennent les plaintes. Il n'y a
aucune obligation aux droits de la personne à ce qu'une personne particulière
soit visée pour être capable de déposer une plainte. Nous l'avons vu dans
d'autres juridictions. Sur le plan
international, personnellement, j'ai vu beaucoup de commissions qui acceptent
les plaintes des tierces, des défenseurs de droits de l'homme, des
personnes qui ne sont pas particulièrement visées. Alors, je ne vois pas de
raison pour laquelle c'est nécessaire de créer ce régime parallèle, d'une part.
Et, d'autre part, c'est clair, dans la réaction que
nous avons vue du public, des avocats, des avocates et des commentaires que
nous avons vus en regard avec le projet de loi n° 59, que cet aspect de
dénonciation a suscité beaucoup de
préoccupations. Justement à cause de son aspect punitif, on dénonce, il y a
toute une attitude autour de ça qui pourrait et est susceptible de créer
la peur d'un régime de dénonciation qui évoque d'autres époques plus punitives.
Pour ce qui
est de la discrétion de la commission et que la commission est obligée de
poursuivre si certains critères sont
rencontrés, je soulignerai tout simplement que la commission est un organisme
indépendant et que son indépendance est
déjà prévue dans la charte québécoise. Alors, d'enlever sa discrétion est
susceptible de créer des problèmes en ce qui concerne l'indépendance de
l'institution.
Et, avec la permission du Président, M. le
Président.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Vizkelety.
Mme
Vizkelety (Béatrice) : Merci. Je vous remercie. Je pense qu'il est
important de rappeler que la charte et le système de plaintes et de
traitement de plaintes actuel concernent déjà, en large partie, les groupes. Il
est vrai que, pour
porter plainte en vertu de la charte, aujourd'hui, généralement, ça prend une
victime, grosso modo. Mais il est très, très important de rappeler que, premièrement, le phénomène de la
discrimination, c'est toujours une question de groupe. Une personne
n'est pas ciblée parce que c'est une personne individuelle, elle est ciblée en
raison de son appartenance à un groupe.
Mais ce qui est plus
pertinent de rappeler, c'est que, lorsque la commission intervient dans
différents cas de discrimination, elle agit souvent en faveur et/ou au nom
d'une personne victime de discrimination ou un groupe de personnes victimes de discrimination, mais elle a
agi aussi dans l'intérêt public. Et l'intérêt public, c'est justement
une approche qui va au-delà du préjudice
individuel, personnel vécu par la personne. C'est clair, la jurisprudence
reconnaît que la commission agit aussi dans l'intérêt public.
Et,
un dernier point, je voudrais tout simplement souligner aussi, c'est qu'il n'y
a pas une dichotomie. Ce n'est pas seulement
réparation pour un individu ou bien la sanction pénale qui devrait être prévue.
En vertu de la charte, il existe déjà une
panoplie de mesures de réparation, et, dans le contexte où nous sommes, je
pense, le plus important, c'est la cessation de l'acte reproché. Et c'est pour ça que le régime actuel prévoit... est
déjà très riche dans son contenu, et pourrait, nous le soumettons,
répondre en grande partie aux préoccupations actuelles.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
• (12 heures) •
Mme
Vallée : J'aimerais maintenant
passer... parce que le temps file et puis il y a d'autres aspects au projet de loi. Mais je vous remercie. Et, comme je vous ai mentionné, pour ce qui est
des commentaires sur les dispositions portant sur le discours haineux,
ils sont sous analyse. Et simplement aussi rappeler que l'article 17 du projet
de loi rappelle aussi le mandat d'éducation
qu'a la commission des droits de la
personne et de la jeunesse. Donc, évidemment,
on se penche sur la question des discours haineux, mais on ne met pas de côté
tout ce travail d'éducation, et d'ailleurs le plan
d'action y revient de façon
plus spécifique.
J'aimerais
vous entendre sur les dispositions introduites au projet de loi et qui concernent les mariages forcés et qui visent à mieux
encadrer la nature du consentement donné par notamment les mineurs.
Le Président (M.
Ouellette) : Me Paiement.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Le
Barreau salue les amendements proposés par le projet de loi et, tel qu'on
le mentionne dans le mémoire, l'article
proposé est similaire pour ce qui concerne le consentement du mineur et le...
qui doit être vérifié par l'autorisation d'un tribunal plutôt que strictement
par le titulaire d'autorité parentale.
L'article 10,
donc, du projet de loi, ne heurte pas les principes de droit. L'article
est similaire aux lois adoptées par certains
États européens. Et, en autant que les parents aient été appelés pour donner
leurs avis, que le tribunal rende une décision
suivant l'intérêt de l'enfant, il nous apparaît que cette
précaution ou ces mesures sont raisonnables et pourraient effectivement
permettre de vérifier de façon indépendante la qualité du consentement du
mineur.
Je ne sais pas si vous voulez que je vous parle de l'article 12, qui concerne
plus généralement le consentement d'un des époux...
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Bien, en
fait, oui, je comprends... Avant de revenir, je comprends aussi que, dans vos commentaires, vous souhaitiez, et je pense que c'est tout à fait à propos, que non seulement les époux ou les futurs époux soient entendus, dont le mineur,
mais également les parents.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Parce que
le mineur demeure soumis à l'autorité parentale jusqu'à sa majorité. Et le parent conserve une obligation d'exercer ses
devoirs de surveillance, d'éducation. On ne peut pas passer outre, il me semble,
à la convocation des parents et à recueillir leurs points de vue. Ça ne veut pas dire que le tribunal serait lié par la position
des parents. Le tribunal doit rendre une décision qui est dans l'intérêt de
l'enfant, comme le prévoit le Code civil. Et donc c'est simplement un exercice, il me semble, qui est prudent et qui est conforme à ce qui se fait dans plusieurs
pays, incluant la France, qui a adopté des mesures relativement récentes pour
changer sa loi dans ce sens.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Vous étiez
pour poursuivre avec vos commentaires quant à l'ajout à l'article 380 du Code civil.
Le Président (M.
Ouellette) : Me Paiement.
Mme
Paiement (Marie-Josée) :
Comme on le mentionne dans le mémoire, il nous apparaît que le caractère
libre et éclairé fait déjà
partie des conditions de fond comme étant requis pour assurer la validité du
mariage. Alors, il nous apparaît non
nécessaire de rajouter cette... de modifier l'article 380 par l'ajout, justement,
de ce consentement non libre et éclairé.
Mme
Vallée : Certains
groupes nous ont suggéré de rendre les célébrants plus imputables lorsque
certains font défaut de respecter les conditions prévues. Qu'en pensez-vous?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Bovet, en 30 secondes.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Paiement. Je vous dirais que ce n'est pas un
aspect qui a été discuté par les membres du
comité en droit de la famille. Si vous le désirez, si la commission
le désire, cette question pourrait faire l'objet d'une réponse ou de
commentaires ultérieurement.
Par ailleurs, on
convient que la publicité et les propositions mises de l'avant par le projet de
loi pour ce qui concerne la publicité sont... le barreau y est favorable.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames du Barreau. Ça fait plaisir
vous avoir aujourd'hui. Je vais
essayer de bien... vous me corrigerez je fais erreur, là, quand je vais décrire
un peu votre position. Donc, vous dites : Il faut mieux baliser, mieux définir le discours haineux. Vous avez
entendu ça à plusieurs endroits. Vous dites : Bon, il faudrait faire cette intervention-là dans la loi,
mais ensuite vous dites : Toutefois, après qu'il y ait eu discours
haineux, on s'en va vers un régime de
dénonciation alors qu'il y a déjà un régime de plaintes. Et vous dites :
Il est inutile de créer un nouvel... et c'est dénaturer l'esprit de la
CDPDJ que d'introduire tout un nouveau régime de dénonciation. On devrait
procéder par le régime de plainte. Est-ce que j'ai bien compris cette idée que
vous avez?
Le Président (M.
Ouellette) : Me Eliadis.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Oui,
tout à fait. Vous avez bien compris. Même si le Barreau
appuie le principe de donner à la commission de droits le pouvoir
d'intervenir en matière de discours haineux, c'est la mise en oeuvre qui est
visée par le projet de loi n° 59 qui nous préoccupe. Et sur les trois
points que j'avais soulevés au début, un de ces trois points, qui était
d'ailleurs souligné par Me Vizkelety, c'est le fait que cet aspect punitif...
dénonciation... Ces pouvoirs-là ont une connotation très punitive... qui sont
loin de l'esprit et des fonctions d'une commission de droits à notre humble
avis.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Donc, même chose pour ensuite ce qui en découle, évidemment, s'il y a culpabilité
déclarée, c'est-à-dire sanctions financières, listes, et tout ça. Vous
êtes à l'aise ou vous avez un malaise avec cette série-là ou ça devrait être une suite à une plainte? Parce que
tout ça est imbriqué, hein? Les discours haineux, bon, vous dites : On
pourrait le détacher, par définition, mais
ensuite conservons le processus de plaintes au lieu d'ouvrir un nouveau processus,
mais sanctions financières et listes, ça aussi, c'est nouveau.
Le Président (M.
Ouellette) : Me Eliadis.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Merci, M. le Président. Il y a eu une décision de la Cour fédérale il y
a quelques années dans l'affaire de
Warman contre Lemire, qui a justement mis en question l'utilisation des amendes soi-disant
civiles dans le contexte d'une commission
de droits de la personne. C'est une question qui... et c'est susceptible de porter une grande confusion dans la matière... La plupart des
droits de la personne au Canada prévoient certaines amendes civiles pour
les comportements qui sont susceptibles à mettre en question le pouvoir et les
responsabilités des instances judiciaires et des commissions de droit, par exemple, les représailles ou le refus
de se conformer aux ordonnances d'un tribunal, par exemple. Mais pour ce qui est des actes
discriminatoires en soi, la pratique administrative, même si le pouvoir
juridique existe, la pratique administrative
est de poursuivre la voie civile. Et la Cour fédérale, dans l'affaire de Warman contre Lemire, a appuyé comme... Ils l'ont pris presque pour acquis que cette question
d'une amende, même sur le plan
civil, pourrait mettre en question la constitutionnalité de l'article en
question qui considère les propos haineux comme des actes discriminatoires.
Finalement, ils ont
scindé les deux questions, mais l'objectif dans mon intervention et ma réponse
à votre question, c'est de dire qu'il n'y a pas toujours une clarté devant...
au moins en ce qui concerne les cours au Canada, concernant le statut des amendes punitives. Alors, notre suggestion,
dans le mémoire, c'est de préconiser l'aspect souple, flexible, non punitif des pouvoirs d'une
commission de droits et de n'avoir recours à cet aspect punitif, amendes,
ainsi de suite, que pour les comportements qui bafouent, si vous voulez, le
pouvoir, et la juridiction, et les compétences des instances québécoises, y compris la commission de droits. Alors, c'est
une question qui n'a pas de réponse simple parce que, je pense, la Cour suprême n'a pas statué
là-dessus, mais je pense que c'est un élément important qui revient encore
une fois à cette question de la nature, les
fonctions, le rôle d'une commission de droits, que nous avons déjà discutés
avec vous.
• (12 h 10) •
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Je comprends donc que vous dites : Attention,
si vous ajoutez cette partie sanctions, entre autres, on pourrait se
questionner sur la constitutionnalité de cette loi.
Mme Eliadis (Flora
Pearl) : ...a eu lieu...
Le Président (M.
Ouellette) : Me Eliadis.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Pardon, excusez-moi. Ça a déjà eu lieu une
fois, alors nous soulevons ou nous rappelons le fait que ça pourrait être un
risque dans le cadre du projet de loi n° 59.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Je viens de comprendre pourquoi la ministre a dit
que c'était... a eu un petit bémol en prononçant... sur les avis
juridiques, où elle a dit que c'était probablement ou globalement, je ne me
souviens plus du terme, là, constitutionnel. Donc, il peut y avoir un petit
enjeu.
Je
le sais que vous avez dit que vous... Vous avez parlé des constitutionnalistes
qui sont venus ici, des avocats spécialisés
en liberté d'expression. Je pense à Me Grey, Me Latour. Me Latour nous disait
ceci pendant son mémoire, je la
cite : «Et non seulement il n'y a aucun besoin pour cette législation,
mais les juridictions qui ont légiféré, qui ont des lois en matière
civile ou de droits de la personne pour prévenir les discours haineux, les ont
soit abrogées ou songent à le faire — notamment, au fédéral, l'article 13 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne a été abrogé l'an dernier
avec le projet de loi C-304 — parce que, justement, elles étaient
utilisées de façon détournée.»
Est-ce
que vous pouvez nous dire... Est-ce que vous savez pourquoi Ottawa a enlevé
cette section? Je pense, ce serait intéressant qu'on sache ça ici.
Le Président (M.
Ouellette) : Me Eliadis.
Mme Eliadis (Flora
Pearl) : Merci, M. le Président. Sans trop politiser la réponse, il y
a un gouvernement maintenant au fédéral qui
a un certain point de vue concernant la liberté d'expression et la nature, si
vous voulez, absolue de ce droit.
Mais, comme nous le savons tous, tous les droits et toutes les libertés sont
sujets aux limites raisonnables pour protéger
le public et pour le vivre en commun pour protéger les particuliers. Alors, il
y a toujours un équilibre entre, d'une part, la liberté et, d'autre
part, l'égalité. Cet équilibre est toujours en question.
Dans
le contexte de l'article 13, c'était un projet de loi qui a été déposé par le
membre du Parlement, M. Brian Storseth,
qui a été un membre conservateur, qui a commencé par un projet de loi privé et
qui est devenu un projet de loi fédéral.
La raison pour... Et c'est ironique que ça a eu lieu parce que la Cour suprême
avait déjà prononcé sur la constitutionnalité de l'article 13 de la Loi
canadienne des droits de la personne en 1990, dans l'affaire Taylor, c'est très clair, et les principes de l'affaire Taylor
ont été réitérés en 2013 dans le cadre de la décision dans l'affaire
Whatcott.
Alors,
avec tout le respect, ce n'est pas vrai qu'il y avait des dérapages importants.
D'ailleurs, deux décisions de la Cour
suprême l'ont renforcé, et, la première fois, une décision où il y avait une
majorité, sauf erreur, je pense que c'était une majorité d'une personne
qui a fait la différence dans l'affaire Whatcott, ça a été une décision unanime dans l'affaire Whatcott. Alors, 1990,
Taylor, 2013, décision unanime dans l'affaire Whatcott. Les faits qui
ont donné lieu à cette image d'un dérapage
en ce qui concerne la loi fédérale ont été beaucoup dénaturés par les médias
et par les commentateurs, d'après moi. En
l'espèce, il s'agissait des plaintes contre la revue Maclean's, des
plaintes qui n'ont pas réussi, tant
sur le plan fédéral que dans la juridiction de Colombie-Britannique. Alors, ce
n'est pas vrai qu'il y a ce grand problème au Canada. Il y avait une
supprimation de l'article 13 pour les raisons politiques et non pour les
raisons juridiques.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci de cette précision. J'apprécie. Une dernière
chose. Je sais que mon collègue veut poser des questions, donc on va y
aller plus simplement. Le...
Une voix :
...
Mme
Maltais :
Je vais laisser la parole à mon collègue. Je me suis mêlée dans...
Le
Président (M. Ouellette) : Il est prêt, votre collègue de
Bourget, et vous pourrez revenir, Mme
la députée de Taschereau. M. le député de Bourget.
M.
Kotto : Merci, M. le Président. Mesdames, monsieur, soyez les bienvenus et merci pour votre
contribution aux travaux de cette commission.
Page 18 de votre mémoire déposé, il est écrit, à
la fin de la page : «Le projet de loi constitue une étape importante d'un
plan d'action gouvernemental visant à lutter
contre la radicalisation menant à la violence et à renforcer le vivre-ensemble.
Le Barreau du Québec partage les objectifs de la ministre de la Justice et
salue tous les efforts en ce sens.»
Comme vous le savez,
la rhétorique est à la politique ce que l'eau est au moulin, et c'est un document
que nous allons évidemment garder, qui sera
un document de référence pour nos réflexions subséquentes. Pouvez-vous
préciser le sens de votre appréciation de la
démarche du gouvernement dans sa lutte contre la radicalisation menant à la
violence, car, pour ma part, je ne vois encore rien de tangible dans ce plan
d'action qui s'attaque au fondement même de la radicalisation menant à la violence, l'enjeu étant de nature culturelle,
politique et géopolitique? Ça, c'est une chose. Et une question, par ailleurs, le vivre-ensemble, est-ce
un idéal que l'on peut atteindre sous la contrainte ou la répression? Ce
sont deux éléments que je sortais de ce dernier paragraphe. Voilà.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis ou Me Paiement, parce que là, c'était... Me Paiement.
Mme Paiement
(Marie-Josée) : Votre question appelle une réponse qui dépasse le
cadre de nos réflexions. Nous avons
simplement voulu soulever et rappeler, tel qu'il avait été émis en communiqué
en juin lors de la parution du projet de loi, le contexte dans lequel
celui-ci s'inscrivait. Sans plus.
Nous ne
sommes pas, comme juristes, ici, préparés ou probablement pas compétents dans
le sens où vous l'attendez pour
commenter davantage les objectifs plus larges visés par le projet de loi et par
le plan d'action gouvernemental, c'est simplement ici l'idée de
souligner notre connaissance du lien et du courant dans lequel s'inscrit le
projet de loi, mais notre réflexion et notre analyse a porté davantage sur, en
tant que juristes, sur le projet de loi lui-même.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci beaucoup. Une petite question. Il y a des craintes qui ont été exprimées
ici quant au fait que, quand on va
dans une procédure civile, on n'a pas toutes les garanties procédurales qu'on a
dans une procédure criminelle. Le
fardeau de la preuve est moins lourd, la dénonciation est anonyme. On aimerait
ça vous entendre là-dessus. Est-ce que vous partagez ces craintes?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis.
Mme
Eliadis (Flora Pearl) : Non.
Premièrement, la procédure devant la commission et devant le tribunal
ensuite n'est pas une procédure criminelle.
Or, on n'a pas les mêmes protections au criminel parce que ce n'est pas une
procédure au criminel. Il y a, dans le cadre
d'une commission de droits, comme les douzaines, sinon les centaines, de
tribunaux et commissions administratifs qui existent au Canada et au
Québec... suivent tous une procédure qui est reconnue, qui est inscrite dans la loi. Ce n'est pas vrai de dire,
comme on le fait entendre souvent, que ces tribunaux et ces commissions n'ont pas de procédure ou que les gens ne sont pas
protégés. Malheureusement et souvent, ces commentaires sont énoncés par
les personnes qui n'ont jamais paru devant ce genre de tribunal ou qui, s'ils
l'ont fait, ont mêlé le criminel avec l'administratif
à s'attendre à ce qu'une procédure administrative ressemble à une procédure
criminelle. C'est la raison pour
laquelle, si je peux me permettre, c'est la raison pour laquelle que c'est très
important que le projet de loi ne se penche pas dans la direction d'une
procédure criminelle ou un langage criminalisé ou les punitions criminelles.
Alors, voilà.
• (12 h 20) •
Mme
Maltais : Mais le
fardeau de la preuve est quand même moins lourd...
Mme Eliadis (Flora Pearl) : Comme
dans toutes les procédures... Excusez-moi...
Mme
Maltais : Voilà,
c'est ce que je disais...
Le Président (M. Ouellette) :
Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour à vous tous,
maîtres. Merci d'être là. Merci de nous éclairer, on en a bien besoin. C'est un problème délicat,
multifactoriel. On s'attaque à une portion. Mais, pour le bénéfice des
gens qui nous écoutent, j'aimerais reprendre, d'entrée de jeu, vos commentaires
généraux. Parce que vous dites quelque chose
qui me touche puis avec laquelle je suis tout à fait d'accord parce que j'ai
fait la même remarque en lisant les 43 articles du projet de loi.
Alors là, je
vais citer votre rapport : «Le Barreau du Québec estime que, si le
législateur a l'intention d'établir un lien
entre les discours haineux ou incitant à la violence et la radicalisation, il
devrait [clairement] afficher plus clairement son intention, notamment dans le titre du projet de loi, puisque la
radicalisation ne se limite pas à tenir ou à diffuser de tels discours. [Et,] inversement, les discours haineux
ou incitant à la violence ne se limitent pas aux situations qui
impliquent l'extrémisme et la radicalisation.»
Je suis tout
à fait d'accord avec vous. J'aimerais vous entendre un petit peu plus
là-dessus. Puis j'ai des questions par
la suite. Enfin, on est là pour bonifier le projet de loi puis faire en sorte
que cette vaste problématique, qu'on puisse la contrer, donc.
Et je vais
aller tout de suite avec ma question, et élaborez : Serait-il plus
pertinent, donc, d'inclure des thèmes beaucoup
plus précis... des termes, pardon, beaucoup plus précis? Moi, j'en avais soumis
à la partie gouvernementale, les termes comme : endoctrinement,
radicalisation, intégrisme religieux. Ce genre de termes, naturellement, il
faut les choisir, mais serait-il plus pertinent, pour arriver à nos fins et
incidemment pour limiter le moins possible la liberté d'expression... Parce que
ce qui est là est extrêmement large. Je vous écoute.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis.
Mme Eliadis (Flora Pearl) : On n'a
pas voulu parler du plan contre la radicalisation, parce qu'on est là pour
commenter sur le projet de loi n° 59. Mais il est clair que, dans le
libellé même du projet de loi, on ne parle pas de la radicalisation. Alors, si le projet de loi s'inscrit dans l'objectif de
prévenir la radicalisation, le projet de loi est, sur sa face même, pas assez inclusif et trop vague en même
temps. La Cour suprême, à maintes reprises, a fait le lien avec l'importance... avec le lien rationnel qui doit
exister entre l'objectif du législateur, d'une part, et sa mise en oeuvre
dans le projet de loi comme tel. Or, nous
avons fait des commentaires sur le projet de loi tel qu'il est parce qu'il ne
mentionne pas la radicalisation. Alors, on
ne fait qu'un constat, mais on ne va pas commencer à commenter sur le plan
parce que le Barreau n'est pas là pour ça, on
commente sur le projet de loi. Mais, sur son plan même, dans son libellé même,
il est évident, on ne parle pas de la radicalisation, en ce qui concerne au
moins la partie I. Je vais peut-être céder la parole à Me Paiement s'il y a des
commentaires supplémentaires sur la partie II.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Montarville, c'est correct pour que Me Paiement termine?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, oui, absolument, absolument.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Paiement.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Comme je l'ai dit au départ, on comprend que
la partie II du projet de loi prévoit des
mesures de protection particulières. Et, dans ce sens-là, il semble y avoir eu
un lien avec, effectivement, la protection des personnes contre des problématiques de mariage forcé, par exemple,
des mariages... des problématiques de contrôle excessif et ainsi de suite. Et, dans ce sens-là, effectivement, le
projet de loi comporte vraiment deux parties qui semblent s'articuler
différemment et présenter des solutions juridiques différentes.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci. Si je comprends bien, ce que vous
nous dites : Si on ciblait mieux à qui, à quoi s'appliquerait et
pour qui cette loi s'appliquerait, ça pourrait nous aider. Cibler plus, cibler
mieux, être moins large. Et, compte tenu du fait qu'on parle ici d'une limite à
la liberté d'expression... on en est tous conscients, là, qu'on touche la liberté d'expression, mais comment faire
pour y arriver sans outrepasser, sans brimer la liberté d'expression des
gens?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis.
Mme Eliadis (Flora Pearl) : Dans la
décision de l'affaire Whatcott, la Cour suprême a clairement indiqué comment le faire. La Cour suprême s'est déjà prononcée sur les critères à utiliser pour
les discours haineux. Alors, si on veut
empêcher la radicalisation, qu'on le fasse dans une législation et on va faire
des commentaires. Mais on ne peut pas faire des commentaires sur une loi
qui ne reflète pas des objectifs qui ne sont pas dans la loi. Bon.
Pour ce qui
est des discours haineux, pour ce qui est des discours haineux, si la loi vise
à empêcher les discours haineux ou au
moins donner à la commission de droit le pouvoir d'y intervenir — je
sais que ça fait plusieurs années que la commission est intéressée à
être outillée pour intervenir dans les cas de discours haineux — qu'on
le fasse sans cet entourage politique qui a provoqué des commentaires chez le
public et, je pense, une certaine confusion.
Et nous
l'avons tous vu, hein? Quand on parle de blasphèmes, les propos qui blessent ne
devraient pas être... C'est parce qu'il y a tout ce discours submergé
dans la loi à cause d'un plan qui est autour qui n'est pas mentionné dans la loi. Alors, c'est un peu normal que ça peut porter
à confusion. Alors, qu'on soit précis, qu'on fait ce qu'on veut faire,
qu'on dise ce qu'on veut faire et que la conclusion soit reflétée dans le projet
de loi selon les intentions du législateur.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci. Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est ce qu'on dit depuis un
petit bout de temps, puis je pense qu'on pourra élaborer là-dessus quand
il sera le temps d'étudier plus amplement le projet de loi.
J'aimerais
vous amener à une autre partie, totalement, à la page 13 de votre
document. Hier, nous avions avec nous
des gens... hier et avant-hier, à moins que je ne m'abuse, la Fédération des commissions scolaires, les cégeps, alors c'était hier, et, lorsqu'on parle... vous avez des commentaires sur les articles 24
à 32, sur la sécurité morale et physique des étudiants et des élèves, ça, c'est toute l'autre portion pour
protéger, comme vous disiez, entre
autres, les mariages forcés, les crimes d'honneur, on en parle d'une façon
particulière. Donc, nous avions la Fédération des commissions scolaires, nous avions les cégeps, ces gens-là nous
disaient : On n'a pas besoin de tous ces articles de loi là, parce
qu'on dispose déjà de mesures qui
nous permettent d'agir et qui se retrouvent dans la loi sur l'enseignement
public et sur l'enseignement collégial, par exemple.
Vous nous
dites, à ces articles 24 et 32, plusieurs commentaires, et ces articles 24
et 32, pour la compréhension des gens
qui nous écoutent, pour donner un exemple, je vais vous lire l'article 24,
par exemple, qui modifie la Loi
sur les collèges d'enseignement général et
professionnel : 24. L'article 29 de la Loi sur les collèges
d'enseignement général et professionnel est modifié :
1° par l'insertion, après le premier alinéa, des
suivants :
«Le ministre
peut également désigner une personne pour enquêter sur tout comportement
pouvant raisonnablement faire
craindre pour la sécurité physique ou morale des étudiants.» Et là ça
continue : Est réputé, est un comportement, etc. Donc, vous nous dites, vous faites des mises en
garde : «Le Barreau croit qu'il serait utile de définir la notion de
"sécurité morale", ne lui ayant pas trouvé d'équivalent dans le
corpus législatif québécois.» Et vous poursuivez.
Alors, grosso
modo, je veux vous entendre sur ces articles, 24 à 32, qui touchent ce qui se
passe dans les écoles.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Eliadis ou Me Paiement, ça sera votre dernière intervention, parce
qu'il nous reste 1 min 30 s.
Mme
Paiement (Marie-Josée) : Mme la députée, les aspects les plus importants des commentaires qu'on apporte,
et, enfin, ce qui paraissait plus
problématique était, comme on le mentionne dans le mémoire, comme vous
soulevez, le fait que le terme
«sécurité morale» n'a pas d'équivalent dans le corpus législatif québécois.
Et donc on suggère de préciser ce terme afin d'éviter toute confusion.
Ces articles 24 à 32, en fait, s'appliquent
aux écoles subventionnées. Donc, on exclut quand même certaines institutions qui ont été nommées il y a quelques
minutes. Et les suggestions qu'on fait sont plutôt de l'ordre de prévoir
des règles d'harmonisation entre les
procédures internes adoptées par les établissements d'enseignement, comme un
règlement interne ou un code de vie, et des
pouvoirs d'enquête confiés au ministre, conférés au ministre. Donc, notre
propos est surtout de... peut-être de resserrer, de s'assurer qu'il n'y
a pas de heurt entre les différentes juridictions. Et on suggère également
l'usage du terme «présumé» plutôt que «réputé» afin de donner un peu plus de
souplesse à l'application des articles 24, 27 et 32.
Le Président (M. Ouellette) :
Sur ces bons mots, Me Paiement, je remercie le Barreau, Me Paiement,
Me Eliadis, Me Vizkelety, Me Le Grand Alary, qu'on
entendra lors d'une prochaine visite, de votre présence.
La commission suspend ses travaux jusqu'à
15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 30)
(Reprise à 15 h 2)
Le
Président (M. Ouellette) : La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les
personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs
appareils électroniques.
Je vous
rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques
sur le projet de loi n° 59, Loi
édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours
haineux et les discours incitant à la
violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la
protection des personnes.
Nous recevons
cet après-midi l'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec. M. Denis Leclerc et M. Jean Hénault, on vous souhaite la
bienvenue en commission parlementaire. Je vous invite... Et je vous rappelle
que vous disposez de 10 minutes pour
votre exposé, ça va très bien aller, là, on n'est pas difficiles là-dessus.
Moi, je suis juste difficile sur le temps. Et, après, on aura un échange
avec les différents partis. Ça fait que, M. Leclerc.
Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec
(OPPQ)
M. Leclerc
(Denis) : Merci, M. le
Président. Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les
députés, l'Ordre des psychoéducateurs et
psychoéducatrices du Québec remercie la Commission des institutions de
l'invitation qui lui a été faite d'exprimer son point de vue sur le projet de
loi n° 59.
Je me
présente, je suis Denis Leclerc, président de l'ordre. Je suis accompagné de
M. Jean Hénault, psychoéducateur et coordonnateur aux admissions et
au soutien professionnel.
L'ordre
compte à ce jour plus de 4 300 membres qui exercent leur profession
dans différents secteurs, principalement dans les réseaux de la santé et des services sociaux ainsi que de
l'éducation, mais également en pratique privée et au sein d'organismes communautaires. Ils oeuvrent auprès
des personnes vivant des difficultés d'adaptation à leur environnement.
L'ordre est
préoccupé, comme le gouvernement du Québec et bien d'autres acteurs de la
société québécoise, par la diffusion
des discours haineux ou pouvant inciter à la violence dont peuvent être
victimes différents groupes dans notre société ainsi que par les
situations de violence liées à une conception de l'honneur.
Plusieurs
psychoéducateurs confrontés dans leur pratique à l'impact de ces situations
sont souvent sollicités pour intervenir, tant auprès des victimes que
des personnes adoptant ces types de comportement. Pour cette raison, l'ordre convient de l'intention de protection qui semble
sous-tendre le projet de loi et apporte son appui à certains de ces
principes. Toutefois, nous sommes également
préoccupés par l'impact de certaines orientations proposées, notamment
en ce qui a trait au respect des droits fondamentaux ainsi que des
répercussions possibles pour les clientèles les plus vulnérables.
Nos commentaires porteront principalement sur la partie I du projet de loi, mais nous allons également traiter des articles de loi touchant les établissements
d'enseignement ainsi que des modifications législatives visant à renforcer la protection
des personnes.
À l'instar d'autres
groupes ou organisations qui ont déjà présenté des mémoires, nous
déplorons que le projet de loi
ne propose pas une définition claire des termes clés «discours haineux». Mme la
ministre, votre intervention à la commission le 20 août dernier nous a permis d'apprendre que
le sens donné à «discours haineux» doit s'appuyer sur le jugement dans
l'affaire Whatcott, notamment soulevée ce matin par le Barreau, et réfère à un
discours qui expose un groupe de personnes à la déconsidération, au
dénigrement. Nous avons pris note de ce nouvel élément d'information.
Toutefois,
les préjudices potentiels et les risques de confusion étant importants,
nous considérons qu'outre cette définition
légale il est nécessaire d'introduire dans le projet de loi une définition plus opérationnelle qui guidera clairement les
intervenants responsables dans son application sur le terrain.
À titre de
psychoéducateurs, nous sommes appelés à oeuvrer auprès des personnes à risque
de tenir un discours haineux ou
incitant à la violence. Parmi ces personnes dites à risque figurent entre
autres les adolescents et des jeunes ayant des difficultés d'adaptation
avec ou sans problème de santé mentale. Ceux-ci recourent souvent à des
comportements antisociaux pour exprimer leur
détresse. Sans qu'il y ait de profil type de la personne radicalisée ou à
risque de tenir un discours haineux ou incitant à la violence, il est tout de même possible de relever des caractéristiques et des facteurs de
risque qu'elles partagent avec les personnes en difficulté d'adaptation.
La personne
radicalisée, tout comme celle en difficulté d'adaptation peut se montrer
impulsive, ressentir le besoin de
vivre des sensations fortes, vivre un sentiment d'insécurité, de frustration ou
de mécontentement face à certains aspects de sa vie ou de la société en
général. Elle développe dans les mouvements radicaux ou les
groupes, tels que les gangs de rue par exemple, un sentiment
d'appartenance et de puissance que lui procure la poursuite d'un objectif.
Par ailleurs,
le système judiciaire prévoit déjà des mesures d'encadrement de certains délits
ou crimes lorsqu'ils sont commis par
une personne adulte ou adolescente qui présente ou semble présenter des
problèmes de l'ordre de la santé mentale.
Nous faisons ainsi référence à certains articles du Code criminel ou de la Loi
sur le système de justice pénale pour
les adolescents. Il est important que ces personnes puissent continuer à être
traitées dans le respect de leurs droits et ainsi puissent avoir les mêmes recours et profiter des services
d'accompagnement, de soutien et de soins qui leur sont disponibles actuellement. En s'appuyant sur ces
éléments, nous recommandons que l'analyse des situations rapportées à la Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse ou au Tribunal des droits de la personne se
fassent avec prudence et discernement, en
tenant compte des problématiques particulières des personnes en difficulté
d'adaptation, avec ou sans problème de santé mentale.
Parce que
nous souscrivons à l'idée que la radicalisation est un processus, que la tenue
de discours haineux ou incitant à la
violence n'est pas un phénomène soudain, la prévention et l'éducation
apparaissent comme des incontournables. Le processus de radicalisation est lié à un ensemble de perceptions
négatives combinées à une indignation morale et un désir de vengeance s'inscrivant dans une
trajectoire de vie. Cette façon d'aborder le phénomène met en relief
l'importance de considérer les différents
facteurs qui peuvent influencer une personne, qu'ils soient individuels,
familiaux, sociétaux, culturels,
politiques, socioéconomiques ou idéologiques. Nous appuyons donc le principe
adopté par le projet de loi n° 59, qui ne parle pas seulement de
lutte, mais également de prévention face au discours haineux ou incitant à la
violence.
Toutefois, l'ordre déplore le peu de place qui
est accordée à cette prévention. Seulement trois articles sur 68 y font référence, soit les articles 1, 17 et 18 de
la partie I. Et ces articles se limitent à indiquer que la prévention
relèvera de la commission et que la loi a pour objet d'établir des mesures de
prévention et de lutte.
• (15 h 10) •
Si on retient
l'idée que les comportements symptomatiques de radicalisation peuvent
apparaître dès l'adolescence, et ce, de manière plus intense et souvent
liés à une idéologie extrémiste, il est essentiel de miser sur une intervention
précédant l'émergence de ces comportements. Dans ce sens, nous aimerions
rappeler que le réseau de la santé et des services sociaux, le réseau de l'éducation,
le ministère de la Famille et des Aînés ainsi que le réseau communautaire possèdent une expertise complémentaire à celle de
la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour agir sur plusieurs facteurs de risque
associés au phénomène de la radicalisation. Il serait donc important qu'ils
soient associés de près aux actions liées à la prévention.
Par ailleurs,
nous tenons à exprimer des réserves concernant le choix de constituer et rendre
publique une liste de personnes qui auront
fait l'objet d'une décision du tribunal. En fait, nous ne pensons pas que ce
soit une mesure souhaitable, d'autant
plus qu'il n'est pas clair si des personnes de moins de 18 ans pourraient se
retrouver sur cette liste. Pourrait-on y retrouver des mineurs âgés de 14 ans
ou même de 12 ans? Nous considérons donc qu'il sera important de
préciser qui est désigné par le terme «personnes», et nous savons ne pas être
les premiers à soulever cette question.
Aussi, il reviendra au tribunal de fixer la
durée de l'inscription d'une personne sur le registre en ligne. Nous
considérons qu'il devrait y avoir des balises clairement définies qui soient
données au tribunal sur cette question afin d'éviter les glissements et les
injustices.
Nous nous questionnons également sur les
conséquences de l'inscription sur cette liste pour une personne qui est encore aux études ou souhaiterait y retourner.
En aucun cas le fait de se retrouver sur une telle liste ne devrait se
traduire par la perte du droit à
l'éducation. En effet, le retrait de l'accès à l'éducation ne pourrait que
contribuer à la stigmatisation de la
personne et devenir un incitatif à poursuivre sur la voie de la radicalisation.
Nous l'avons déjà fait ressortir précédemment, et il est permis de
relever des caractéristiques et des facteurs de risque communs entre les
personnes radicalisées et les personnes en difficulté d'adaptation.
Il nous
apparaît donc capital de s'assurer que, dans l'application des différents
articles en lien avec la tenue et la diffusion de discours haineux ou de
discours incitant à la violence du présent projet de loi, les intervenants
impliqués puissent être en mesure de distinguer s'il s'agit de comportements
dus à une problématique de santé mentale ou non. Il importe de se souvenir que la hiérarchisation des services de
psychiatrie légale, sous la responsabilité du ministère de la Santé et
des Services sociaux, prévoit des services destinés aux personnes dont l'état
de santé mentale est tel qu'il nécessite
qu'on le prenne en compte lors de leur judiciarisation et qu'on leur offre
soins et soutien. L'ordre souligne ici l'importance
que ces personnes puissent continuer à être traitées dans le respect de leurs
droits et ainsi puissent avoir les mêmes
recours et profiter des services d'accompagnement, de soutien et de soins qui
leur sont disponibles actuellement.
La deuxième
partie du projet de loi prévoit apporter des modifications aux lois touchant
les milieux d'enseignement. Certains articles soulèvent des réserves de
notre part. Nous considérons d'abord qu'il est nécessaire de clarifier les termes «sécurité morale» et «tolère». La notion
également de présomption que l'on retrouve dans les notes explicatives
demanderait également à être clarifiée. De la manière dont ils sont formulés,
les articles 24 à 31 suscitent nombre de questions
de notre part. Il nous est permis de s'inquiéter de l'interprétation qu'en
feront les instances concernées et les impacts qu'auront ces mesures
pour les personnes en cause.
Enfin,
l'ordre tient à exprimer son appui aux modifications qui ont pour but de
renforcer la protection des personnes, soit celles touchant le
consentement pour les mariages, et celles liées à l'injonction et à
l'ordonnance de protection, ainsi que celles
concernant la protection de la jeunesse. Nous appuyons l'introduction de la
notion de contrôle excessif dans le cadre législatif de la protection de la jeunesse.
Toutefois, il nous apparaît important que des précisions soient apportées quant à la signification de cette
notion, une telle clarification permettant à toute personne qui veut
recourir à l'article 33 de la Loi sur la protection de la jeunesse, pour des
motifs de contrôle excessif, de bien en saisir le sens et de développer une
meilleure compréhension de son application. Je vous remercie de votre
attention.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, M. Leclerc. Ça a bien été. Mme la ministre.
Mme
Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre présentation et puis
merci aussi d'apporter un autre son de cloche, soit celui de ceux et de celles qui pourraient tenir des propos de la
nature... des propos tels que les propos haineux, des propos incitant à la violence, mais dans un
contexte de désorganisation de santé mentale. Je pense que c'est un
élément qui est important, de considérer et de reconnaître que dans notre
société il y a des gens également qui peuvent tenir de tels propos, mais qui le
font pour exprimer, comme vous l'avez bien explicité, une douleur, une
difficulté émotive.
Et là-dessus le
projet de loi prévoit, à son article... Attendez juste un instant, j'essaie de
reprendre... J'avais annoté votre mémoire
tout à l'heure. Le projet de loi prévoit, à l'article 4, que la commission des droits de la
personne et de la jeunesse peut, sur la réception de la dénonciation, déterminer
des actions appropriées.
Donc,
je vous entends, et, si je vous comprends bien, vous souhaitez que, lors de la
réception d'une dénonciation, il y ait, par la commission des droits de la personne et
de la jeunesse, une considération pour les situations soulevées dans votre mémoire afin que la suite des choses... que
le dossier soit traité en ayant en tête la situation de la personne qui a
posé les gestes. Est-ce que j'ai bien cerné
votre préoccupation, puis est-ce que vous croyez que l'article 4,
dans sa forme actuelle, permettrait à la commission de répondre à cette
préoccupation de votre organisme?
Le Président (M.
Ouellette) : M. Leclerc.
M. Leclerc (Denis) : Merci de votre question. Effectivement, ce que vous soulevez, Mme la ministre, en contexte, c'est effectivement une préoccupation importante que nous avons, qui est très centrale.
Vous savez, les psychoéducateurs, les psychoéducatrices, nous sommes des
intervenants qui travaillons directement avec ces personnes en difficulté et
souvent on va travailler avec les victimes et avec les personnes elles-mêmes en
difficulté.
Donc,
pour répondre plus directement à votre question, de un, on souhaite que, comme
c'est présent dans d'autres lois et
ainsi de suite, puis vous comprendrez qu'on n'est pas juristes, donc c'est
difficile pour nous d'aller dans la précision là-dessus, mais ce qu'on en comprend de notre pratique, c'est que
parfois, que ce soient les personnes qu'on accompagne, ou qu'on côtoie, ou tout ça, ou des collègues, il y a
des personnes qui peuvent poser des gestes, des gestes de violence, des gestes qui contreviennent à certains actes...
certaines lois, et ainsi de suite, et il est prévu puis il est... c'est conçu,
c'est prévu dans les lois, certaines mesures, si jamais la personne est
considérée comme ayant des problèmes de santé mentale.
Donc,
on trouve que c'est important de s'inspirer de cela, on trouve que c'est
important de le mettre, d'autant plus que
c'est des types... puis ça a été soulevé souvent en commission,
c'est des types de problèmes qui seraient soulevés, qui seraient reliés
à ce projet de loi là, qui sont souvent assez difficiles à cerner de façon
noire et blanche, hein? Ça se situe sur un
continuum. Donc, c'est d'autant plus important. Et on souhaite éviter que, trop
rapidement, que les lois, les intervenants restent accrochés aux
comportements, sans tenir compte du principe ou du phénomène de santé mentale
qui peut être sous-jacent ou de difficultés importantes d'adaptation.
Et
vous me demandez si, selon nous, l'article 4 est suffisant? Je vous dirais qu'à la lecture
de l'article 4, que
nous avons lu souvent, on n'a pas le sentiment en tout cas que ça porte de
façon suffisante, que ça fait ressortir de façon suffisante ces différents éléments là, qu'il nous semble important de
noter. On ne peut pas nier qu'en dessous de tout ça il pourrait y avoir ça, mais l'article en lui-même
est très... c'est deux lignes et c'est très succinct, pour en venir à
quelque chose de consistant. C'est dans ce sens-là.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
• (15 h 20) •
Mme
Vallée : Vous savez, le projet de loi introduit aussi la notion
d'ordonnance civile de protection, puis je pense que ça, ça peut-être aussi venir d'une certaine façon répondre à la
problématique que vous avez soulevée. Et je m'explique. Une personne
peut vouloir qu'un comportement ou qu'un discours cesse sans pour autant
vouloir porter une plainte de nature
criminelle parce qu'elle peut être au fait que la personne, qui pose le geste
ou qui tient le discours, est aux prises avec un problème de santé
mentale. Donc, l'ordonnance civile de protection permet d'éviter les contacts
notamment, pourrait permettre d'éviter la
tenue d'un discours sans pour autant pousser la personne, qui est affligée d'un
problème de santé mentale ou qui est affligée d'un autre enjeu de nature
sociale à travers le processus criminel. Puis on n'en a pas parlé beaucoup, de l'ordonnance civile de
protection, dans nos échanges, mais, au-delà de la question du discours
haineux, il fait partie du projet de loi,
et... Ailleurs, c'est un outil. Dans d'autres juridictions, c'est un outil qui est fort utilisé, justement, pour permettre d'éviter une situation
qui peut poser problème à un individu
sans pour autant criminaliser l'auteur de la situation, qui peut poser des gestes parce qu'il est dans une période de
désorganisation, par exemple, ou est... On pouvait donner l'exemple d'une mère qui voudrait avoir une
ordonnance... une interdiction de contact avec son fils majeur, qui est aux prises avec un problème de santé mentale et
qui hante... et qui devient harcelant. Des situations déchirantes pour
des familles, mais qui, parfois, commandent une intervention sans être une
intervention hypermusclée qui criminalise des gens
qui traversent des moments difficiles. Est-ce que vous vous êtes penchés sur la
question de l'ordonnance civile de protection, puis qu'est-ce que vous
en pensez?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M.
Leclerc (Denis) : La réponse
rapide à votre question, c'est : Non, nous nous n'y sommes pas
penchés. Dans la mesure où, puis vous
l'avez soulevé vous-même dans votre courte présentation, ce n'est pas quelque chose qui a été soulevé beaucoup
puis ce n'est pas quelque chose qui est ressorti même dans... on a écouté, évidemment,
plusieurs de nos prédécesseurs, puis des échanges et ce n'est pas quelque chose qui nous est apparu comme étant très, très... qui
ressortait beaucoup. Donc, je vous dirais qu'on ne s'y est pas penchés beaucoup,
puis c'est davantage sur des angles un peu plus légaux.
Ceci dit,
toute mesure qui permettrait de bien tenir compte des caractéristiques de certaines personnes vulnérables et à risque d'être sinon confondues, du moins amalgamées avec un profil
supposé de radicalisation ou d'extrémisme alors que, dans les faits, la
personne a des caractéristiques communes mais est davantage une personne avec
des difficultés d'adaptation ou ayant des problèmes de santé mentale, bien,
tous les éléments qui permettront de nuancer ça, puis de décriminaliser plutôt
que d'aller vers la criminalisation seront des éléments qui nous sembleront
porteurs par rapport à ces clientèles plus vulnérables. Mais, de façon très
précise, l'ordonnance civile de protection, on n'a pas rien vu, là, je ne sais
pas...
M. Hénault (Jean) : ...on ne s'est
pas penchés là-dessus.
M. Leclerc (Denis) : Mon collègue, M. Hénault,
confirme la chose
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée : Vous recommandez également que des définitions
soient ajoutées au projet de loi. Je
l'ai dit, je l'ai redit à ceux et
celles qui se sont présentés devant nous, les équipes travaillent actuellement
à voir de quelle façon on pourrait intégrer ces recommandations dans le
projet de loi. Toujours, on fait du droit nouveau, on avance dans un domaine où le... on trace une voie et, lorsqu'on trace une
voie, parfois, il est important de poser des gestes pour bien que les
gens comprennent là où on s'en va. Alors,
là-dessus, c'est certain que... Puis je tiens à vous rassurer, votre
proposition, comme celles d'autres groupes qui vous ont précédés, est
prise en considération, et on travaille à y donner suite.
Vous avez
aussi fait référence à la question de la sécurité morale. Puis, comme vous
évoluez dans le milieu de la santé, je tiens à réitérer et à vous
rappeler que c'est quand même un principe qui est déjà codifié dans certaines
de nos lois, le service d'aide à l'enfance. C'est également prévu à
l'article 481 de la loi sur les services... la santé et les services sociaux. Alors, cette définition de
sécurité morale, elle est déjà dans le corpus législatif du Québec. Et, pour
ce qui est du terme «tolère», je vous réfère à l'article 189.9 de la loi
sur l'assurance auto. Alors, ce sont des termes qui sont déjà employés dans le corpus législatif québécois et auxquels on
fait référence. Donc, on n'est pas arrivés, on n'a pas sorti des expressions là d'un chapeau, on s'est
inspirés d'autres termes qui... d'autres lois ou législations où les
termes étaient employés.
Pour ce qui est de la liste, c'est un sujet qui
a été abordé par plusieurs intervenants également. Certains ont mentionné qu'ils avaient des craintes à l'égard de
la mise en place d'une liste. Des listes, il y en a actuellement au
Québec dans d'autres domaines. On le
retrouve au RENA, avec le registre des entreprises non admissibles, on le
retrouve également dans la Loi de
l'environnement, des entreprises où les gens qui auraient été coupables d'infraction. Ici, évidemment,
on ne parle pas d'infractions pénales, on
parle de sanctions civiles qui seraient reconnues. Et l'objectif
derrière tout ça, c'était de permettre...
et puis c'est là-dessus que je voudrais vous entendre, c'est qu'on
souhaitait trouver une façon pour faciliter le travail notamment de ceux et celles qui gèrent des centres
communautaires, qui gèrent des salles où pourraient se retrouver des gens qui ont tenu de tels types de discours,
et c'était parce que souvent on nous disait : On n'a pas les
outils pour pouvoir prévenir la tenue
de tels discours. Alors, l'objectif était de rapatrier la jurisprudence sous une
liste pour permettre une consultation plus rapide.
Je comprends que vous avez des réserves quant à
cette liste-là, vous avez des réserves quant à la durée de l'inscription du
nom. Il existe actuellement un principe, c'est-à-dire que les décisions sont
déjà publiques. Donc, une décision d'un tribunal, les décisions de la commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse sont déjà publiques,
sont déjà accessibles et sont déjà sur des banques de données auxquelles on
peut facilement avoir accès.
Quelle est la
distinction que vous faites entre la publication, par exemple, d'une décision
qui reconnaît qu'une personne ou
qu'un individu a tenu des propos haineux ou des propos incitant à la violence
et qui fait état de la situation qui est
disponible en ligne et la compilation d'une liste? Parce que, sur la décision,
là, on ne retrouve pas non plus de date de naissance, et d'adresse, et tout, donc on a le nom des personnes. Quelle
distinction faites-vous entre la liste et le fait que, peu importe qu'il
y ait ou qu'il n'y ait pas de liste, la décision sera publique et sera
facilement accessible?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc (Denis) : Merci. Vous me permettrez,
Mme la ministre, je veux juste revenir au début de votre intervention. Vous avez parlé de la question des
définitions, et nous sommes conscients que nous ne sommes évidemment pas les seuls à les soulever. On trouvait
important de le rajouter, mais évidemment on n'était pas les premiers à venir,
mais on l'exprime. On a deux soucis, là, que
je voudrais peut-être préciser en lien avec ces préoccupations-là et un peu en
lien avec votre intervention.
D'abord,
qu'il y ait des définitions qui sont d'ordre légal... Nous, notre souci, c'est
de bien guider les
intervenants. Évidemment, peut-être que ce n'est pas dans le cadre du projet de
loi en tant que tel, mais il faut s'assurer que les définitions vont devenir
opérationnelles puisqu'on demande aux gens d'identifier que la personne a tenu
des propos haineux. C'est sûr qu'en bout de ligne on peut
faire confiance à un juge qui aura des critères très précis, mais les intervenants, c'est quelque chose, comme je le
disais tout à l'heure, qui est dans une zone grise, et il va falloir
être un peu plus
aidant pour les intervenants puis les personnes en général. Donc, c'est plus
la définition opérationnelle que légale qui nous préoccupe. Comme je
vous l'ai dit, on n'est pas des juristes.
Et, quand
vous parlez également des termes «sécurité morale» et «tolère», nous,
là où on a un petit peu... pas réagi, mais dans le fond ça nous a alertés, c'est que, oui, on ne
connaissait pas non plus si les définitions sont bien existantes sur le plan juridique et tout, mais ce qui nous semblait
ressortir, c'est qu'on les applique dans ce cas-ci dans le contexte
scolaire, et ce n'est pas la culture
scolaire, ce n'est... La sécurité physique en milieu scolaire, j'ai fait ma
carrière en milieu scolaire, je la comprends
bien et j'arrive à la cerner quand
même assez bien. La sécurité morale,
là, à ce moment-là, là, ça devient pas mal plus
complexe. Et la même chose quand on dit le terme «tolère», bien, évidemment, par rapport au milieu scolaire...
mais la Fédération des cégeps et la Fédération des commissions scolaires ont
suffisamment élaboré de ce côté-là.
Pour ce qui est de la liste, donc, à votre
question précise, bien, on a des préoccupations sur les droits des...
éventuellement des personnes. Notamment, bon, toute la question — puis
je sais que vous avez souligné qu'il y aura une réflexion à faire — à
savoir la présence ou non de mineurs sur cette liste-là, donc, on n'est pas les
premiers à le souligner, mais ça, c'est une
préoccupation évidente, et l'impact notamment sur certains droits fondamentaux,
notamment le droit à l'éducation. Si vous me permettez, M. le Président, je
céderais la parole à M. Hénault sur cette question-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Avec grand plaisir. M. Hénault.
• (15 h 30) •
M. Hénault (Jean) : Merci. Moi, par
rapport à la liste, c'est sûr qu'on questionne beaucoup que les mineurs apparaissent sur la liste, première des choses, la notion de confidentialité,
puis, de par les enjeux puis les impacts que ça peut avoir sur le
développement de cette personne-là, qui n'a pas encore atteint l'âge de la
maturité, ça, je pense que c'est important.
Vous dites
aussi qu'il y a des décisions qui sont rendues publiques. On va toujours, nous
autres, sur le sens. Qu'une personne
soit inscrite sur une liste... Puis tantôt, ce matin, le Barreau parlait d'une
liste, dans le fond, c'est... Comment que les gens vont percevoir cette liste-là, qui est accessible à tous? Puis,
dans notre mémoire, on le spécifie, d'ailleurs, qu'on n'est pas contre qu'il y ait... on ne dit pas
qu'il n'y ait pas de liste du tout. Ce qu'on précise, c'est qu'elle ne soit pas
grand public, dans le fond. Et quel sens que
prend cette liste-là pour M. et Mme Tout-le-monde qui voit les noms sur cette
liste-là? Qu'il y ait une décision, elle est publique, elle est expliquée, les
gens vont pouvoir la lire, vont pouvoir comprendre, mais, la liste, qu'est-ce que les gens vont penser ou pouvoir comprendre
de vraiment de... Comment ça se fait que cette personne-là se retrouve
sur cette liste-là?
Et nous, on
se situait beaucoup par rapport au contexte scolaire, aussi. Par rapport au
droit à l'accès à l'éducation, on a des craintes que, est-ce qu'un
cégep, un collège qui peut, qui aurait le nom d'un étudiant qui veut
s'inscrire, l'étudiant apparaît sur la liste, bien, on s'inquiète sur, bien,
est-ce que ça va être un facteur discriminatoire pour ce jeune-là qui a droit... qui a accès à l'éducation?
Puis ça, pour nos personnes en difficulté d'adaptation, problèmes de
santé mentale, tout le sens de l'éducation est important, puis l'accès à
l'éducation est important pour l'autonomie de ces personnes-là. Donc, est-ce que de se retrouver sur cette liste-là ne
viendrait pas entamer, peut-être, ce droit à l'éducation là?
Puis je fais
le lien avec «tolère» parce que, dans le fond, dans les cégeps, est-ce que tous
les cégeps ont toutes les ressources,
les connaissances, le savoir-faire pour faire avec une personne qui pourrait
tenir de tels discours? Et, nous, ce qu'on
craint, c'est qu'il y ait des institutions qui trouvent plus facile d'exclure
cette personne-là que de l'accueillir entre ses murs puis de favoriser,
de par l'enseignement qui va lui être donné, l'éducation que, bien, ce soit un
facteur... à ce moment-là, que ça devienne
un facteur de protection de l'éducation. Donc, il faut juste resituer pourquoi,
dans le fond, nos craintes par rapport à cette liste-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée :
Simplement pour vous rassurer, toutes les décisions concernant les mineurs sont
déjà caviardées. Alors, je pense
qu'il est important... Et cet enjeu-là a été soulevé notamment par les
directeurs des centres jeunesse un peu plus
tôt, cette semaine, et c'est un enjeu, un élément sur lequel on va s'assurer de
préciser, parce que l'objectif n'est pas d'ostraciser les jeunes, au
contraire. Il y a déjà... que ce soient les dossiers de protection de la
jeunesse, la Loi sur les jeunes
contrevenants, le nom des jeunes est toujours effacé, caviardé, comme on dit.
Alors, il est important de préserver ça parce qu'on a une philosophie en matière de droit de la jeunesse, au
Québec, et il n'est pas de notre intention de s'en éloigner.
Maintenant, je vais laisser la parole à mon
collègue de Jean-Talon, qui a mentionné son intérêt.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la ministre. Avant de
laisser la parole à votre collègue de Jean-Talon, que je veux féliciter
pour sa nouvelle nomination d'adjoint parlementaire à la Sécurité publique et à
la vice-première ministre... M. le collègue de Jean-Talon.
M. Proulx : Merci, M. le Président.
D'abord, bravo à vous également pour votre nomination à la tête de la
commission. M. Hénault, M. Leclerc, merci de votre présentation aujourd'hui.
Vous avez
attiré mon attention, à la page 9 et 10 de votre mémoire, sur la section où
vous parlez de la personne ayant un problème de santé mentale et la loi.
J'essaie juste de comprendre un peu, là, où sont vos préoccupations. Puis dites-moi si je résume assez bien. Ce que je
comprends, c'est la chose suivante : c'est que, dans le fond, dans
les gens susceptibles de contrevenir, là, à une éventuelle loi où il y aura...
tenté de contrevenir à... toutes ces questions-là et aux
propos haineux et autres, il y a les personnes ou il y a les personnes ayant
des problèmes de santé mentale. Ce que je comprends de ce que vous nous dites,
c'est : Faites attention pour ne pas qu'on se retrouve dans la situation
où cette personne-là, prenons l'exemple, là,
nominatif d'une personne ayant un problème de santé mentale, cette
personne-là se retrouve dans le même processus ou judiciarisée, si vous me
prêtez l'expression, comme une personne qui avait l'intention, par exemple, de tenir des propos, intention par : Je
l'ai fait sciemment, je l'ai fait volontairement, j'ai cherché à causer du tort, plutôt que de me retrouver dans
une situation où c'est une conséquence de ma problématique ou de mon problème de santé mentale. Est-ce que c'est ça que vous dites quand vous nous
dites : Faites attention? Et, quand je le lis, là, est-ce que, dans l'application du présent projet de loi, les personnes ayant ces symptômes seront
considérées comme si leurs propos
étaient faits de manière consciente et volontaire? Parce que,
et avant de vous laisser la chance de répondre, parce que j'ai l'impression
que... D'abord, en tout temps et dans toutes les lois ou dans
tous les systèmes punitifs, d'abord, il y a les moyens de
défense qui existent, il y a effectivement tout le contexte, il y a une enquête
qui est faite.
Alors, est-ce
que vous nous dites que ces gens-là sont à risque d'être judiciarisés plus dans
un programme comme celui-là, ou bien vous nous dites tout simplement : Faites attention parce qu'il y
a là des personnes qui peuvent malheureusement
se retrouver incluses à cette catégorie-là parce que ça peut leur arriver,
c'est une conséquence parfois de leur situation personnelle?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc (Denis) : Effectivement,
ce que vous soulevez fait partie de nos craintes. Si je les précise, il y a
effectivement, vous le soulignez, différents moyens de défense et
d'encadrement, bien, dans le cadre du projet de loi, bien là on ne sait plus trop si les mêmes types de défense vont être
accessibles aux gens parce que les procédures, on les connaît moins puis
on n'est pas familiers, on n'est pas juristes, je le répète, mais elles nous
semblent, en tout cas, différentes et ne semblaient pas prévues.
L'autre
élément, vous savez, à partir du moment où une personne pose des gestes
inacceptables, que ce soit des gestes
de violence, d'agression, bon, à un moment donné, on va prendre effet... les
policiers, et ainsi de suite, vont prendre effet du geste en question qui est inacceptable et, à partir de ce
moment-là, il y aura des actions qui seront prises, mais, dans la suite des choses, on va tenir compte du profil
de la personne. Actuellement, c'est ce qu'on veut souligner et nous, en plus, quand on a fait l'analyse de différents
documents, on en est venus à constater que les profils de radicalisation
sont parfois les mêmes profils que les gens qui ont des problèmes de santé
mentale.
Alors,
maintenant, étant donné qu'on sait que, si je prends l'historique, le projet de
loi s'insère dans le plan d'action au
niveau de la radicalisation, donc il y a un esprit sous-jacent, bien qu'on ne
le nomme pas, les propos haineux sous-jacents,
c'est les propos haineux dans un contexte, dans un profil de radicalisation,
bien, nous, ce qu'on dit, c'est : Attention, on peut retrouver les propos haineux, ce qui, de
façon observable, va être associé à des propos haineux pouvant inciter à
la violence, on le conçoit, et ce n'est pas
acceptable. Mais, si la conclusion est de dire que cette personne-là est une
personne radicalisée, qui mérite d'être sur
une liste de gens qui sont radicalisés et qui sont à risque d'influencer
d'autres, et tout ça, on dit : Là, là, on se trompe, ce n'est pas
ça, le profil de cette personne-là. Il faut reculer, dire : Elle a posé
des gestes qui sont inacceptables, et il faut tourner à droite plutôt qu'à
gauche parce que cette personne-là maintenant a besoin d'être accompagnée.
Et nous,
évidemment, on a une sensibilité très grande à cette question-là des gens en
difficulté. Vous savez, nous, notre mandat dans la société, de façon
générale, c'est de travailler avec ces personnes-là, qui sont violentes, qui
sont difficiles, qui intimident, et tout ça,
et d'essayer de les amener, dans la mesure du possible, dans le bon chemin.
Bien là, on se dit : Là, on
n'est pas aidés. Si cette personne-là est sur la liste, puis qu'on lui ferme
les portes, comment on peut l'aider adéquatement par rapport à ses
problèmes? Là, on a une difficulté. Donc, ça répond à votre question, j'espère.
M. Proulx : Merci.
Le Président (M. Ouellette) :
Eh oui! Ça répond à sa question. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Bonjour, messieurs.
Bienvenue à cette commission
parlementaire. Votre mémoire est riche d'enseignements, je dirais, de
manifestations d'une nécessaire prudence. Vous travaillez beaucoup, vous dites, avec des jeunes en difficulté
d'adaptation avec des problèmes de santé
mentale. Vous les trouvez où, réseau
scolaire, majoritairement, santé? Comment ils vous sont référés chez vous?
M. Leclerc (Denis) : M. le
Président...
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc
(Denis) : D'accord. Excusez.
Grosso modo, les 4 300 membres se divisent pratiquement au tiers en
milieu scolaire et la moitié environ
travaille dans les différents établissements de services de la santé et
services sociaux, que ce soit centres
jeunesse, CLSC, avec les clientèles CRDI, en milieu hospitalier, ainsi de
suite, donc... et pas seulement, un complément
d'information, pas seulement les jeunes, également les clientèles adultes, mais
historiquement beaucoup des jeunes, mais également des clientèles
adultes.
• (15 h 40) •
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Vous avez parlé beaucoup de la radicalisation,
vous nous avez dit, entre autres, que la radicalisation, ou les gens en processus de radicalisation, ou
radicalisés avaient souvent des problèmes de santé
mentale ou que le... je n'ai
pas compris si c'est arrivé souvent ou que le même... c'est un peu le même
processus. J'aimerais ça que vous m'expliquiez cela, je trouve ça assez important
parce que le débat, justement, devrait être la radicalisation, et on en parle
très peu ici.
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, M. Hénault.
M. Hénault
(Jean) : Ce qu'on dit
principalement, c'est que les personnes ayant des difficultés d'adaptation
avec ou sans trouble de santé mentale et les
personnes qui sont radicalisées, ils partagent certaines caractéristiques, donc
d'impulsivité, entre autres. Donc, on relève, dans la littérature, que ces deux profils, c'est des
profils qui sont difficiles à préciser, puis ils ne sont pas toujours
noirs ou blancs, puis ce n'est pas très précis, mais qu'il y a des
caractéristiques qui se rejoignent.
Et ce
qu'aussi on peut voir, c'est qu'il ne faut pas mélanger, bon, la douleur
sociale versus la maladie mentale, trouble de santé mentale. Et cette
distinction-là, elle est faite entre autres par certains auteurs qui ont fait
un peu de recherche là-dessus.
Puis nous, on insiste sur ce détail-là aussi. Douleur sociale peut vouloir
dire : difficulté d'adaptation à
son environnement, difficulté d'intégration à sa communauté, peut
être relié à différents facteurs, mais pas nécessairement les troubles de santé mentale. Mais les
manifestations, par exemple, en bout de ligne, elles peuvent se ressembler
grandement.
Et ce qu'on dit, c'est ça, c'est de dire :
Le symptôme, souvent, il peut être le même, il y a des caractéristiques communes, mais il faut bien distinguer, et
c'est complexe, tout ça. Et c'est pour ça qu'on insiste tant sur cette
dimension-là, pour qu'on la prenne en
considération puis qu'on prenne le temps, vraiment, de se donner des
outils puis les connaissances pour bien discerner ces différences-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Vous parlez de connaissances, effectivement la Commission des droits de
la personne et des droits de la
jeunesse est spécialisée en droit
pour appliquer la charte des droits et libertés, mais absolument
pas spécialisée en jeunesse et absolument
pas spécialisée en problèmes de santé mentale, on s'entend là-dessus,
là. Il y a quelque
chose que vous interpellez ici, dans
la commission, là, qui est : Attention, les spécialistes
du droit, on va tomber dans un domaine qui n'est pas si simple.
Et je pense,
entre autres, par
exemple... Parce que,
là, il va falloir finalement décoder si un jeune, si jamais les mineurs
sont couverts... Parce que c'est une autre discussion qu'on a eue à cette commission,
la DPJ est venue dire : Vous êtes sûrs que vous voulez couvrir les jeunes,
là? Pour les jeunes, on fait exception, on leur a créé un système au Tribunal de la jeunesse différent... la DPJ
différemment, parce qu'on ne veut pas travailler en pénalisation des
jeunes, de leur avenir, on veut travailler en réinsertion. J'entends ce
message-là aussi chez vous. Je ne sais pas si vous voulez ajouter là-dessus.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc
(Denis) : Bien, simplement,
effectivement, Mme la
députée, je pense... je veux simplement affirmer que je vais dans le même sens. Il
y a une loi sur la protection de la
jeunesse, il y a même une loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, anciennement la Loi
sur les jeunes contrevenants. Donc, il
y a un système de lois, on
encadre les jeunes de façon différente.
Alors, par contre,
je veux... c'est difficile pour nous de bien connaître l'expertise de la commission,
mais on soulève les problématiques qui devront être prises en compte,
que ce soit par la commission ou d'autres instances.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau. Oh! M. Hénault, peut-être un complément.
M. Hénault
(Jean) : Et, en complément à
ce que M. Leclerc vient d'apporter, c'est pour ça qu'on amène aussi dans
le rapport, dans le mémoire, l'importance de
la collaboration des différents organismes. On parle des
ministères, les réseaux de l'éducation et de la santé, le communautaire. Ces différents réseaux là ont cette
expertise-là qu'on peut mettre en commun.
Mme
Maltais : Évidemment, j'en appelle à ce que la commission
écoute, là, parce que je prends un exemple qui est complètement
différent, là, pour ne pas qu'on soit dans un exemple de jeunes et tout.
Regardez, Guy Turcotte, c'est son deuxième
procès. Et on est encore dans la décision que le nouveau juré va prendre,
c'est : Avait-il la capacité d'agir? Avait-il toutes ses facultés mentales
au moment du geste? Et on est à un deuxième
procès pour essayer de juger ça dans des tribunaux qui font venir des experts
et tout. Puis là on donnerait, à la commission des droits de la personne
et de la jeunesse le mandat de juger du discours haineux. Et là il va falloir
qu'il y ait évaluation effectivement d'où en
est rendu le jeune. J'imagine, un jeune de 18, 20 ans, un peu égaré,
jusqu'où on va l'amener vers la pénalisation de son avenir ou bien on va
l'amener vers la réinsertion? En tout cas, ça va être assez complexe pour la
CDPDJ, je vais vous dire.
La liste,
vous le savez, on est tout à fait d'accord avec vous, là, on ne croit pas que
la liste soit une bonne idée. Je pense que ça devrait être retiré,
quoique ce soit la bonne intention. Puis ça, l'intention de la liste peut être
bonne, c'est-à-dire pouvoir avoir doté... un
outil de l'intervenant, mais, à ce que je sache, comme intervenant, vous
disposez... Est-ce que vous pensez que vous avez d'autres
outils qu'une pareille liste pour essayer de déceler si des gens sont
radicalisés? Ou en avez-vous besoin, d'une liste comme ça?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc (Denis) : Bien, la question
est peut-être celle-ci, hein : Est-ce qu'on sent avoir un besoin? Dans
notre type de travail, dans notre type de niveau d'intervention, on ne pense
pas. On peut soulever parfois, là, que la liste
puisse être utile. Entre autres, éviter de faire affaire, un organisme
communautaire, supposons, avec quelqu'un de la liste, et tout, et on en convient. Mais, nous, ce qui nous a alertés
davantage, c'est les risques de glissement et de stigmatisation. Donc, M. Hénault a bien parlé que, parfois, l'accès à
l'éducation pourrait être potentiellement compromis pour des gens, et on sait à quel point cet accès à
l'éducation là est un élément qui peut aller dans le sens d'une
réinsertion, si on peut dire, dans un comportement plus acceptable, et ainsi de
suite.
Donc, alors,
toute la question de la stigmatisation est d'augmenter le sentiment de frustration,
de confrontation avec la société en
général que certains jeunes peuvent avoir parfois. Bien, si on les identifie
sur la liste, bien, en tout cas, j'ai de la difficulté à penser que ce jeune-là va tout à coup souhaiter revenir
dans... Tu sais, il peut le souhaiter par le côté coercitif, mais on pense surtout qu'il y a une importance de
le faire dans le sens d'un accompagnement, puis que la personne, de façon... comment je dirais... qu'elle sente qu'on
lui laisse une place, et non qu'on ne lui laisse plus de place. Puis ça
justifie, à ce moment-là, un comportement de
radicalisation quand on a le sentiment qu'on n'a plus de place, puis qu'on est
mis de côté, puis ainsi de suite. Donc,
c'est des risques de glissement qui nous apparaissent plus grands que les
quelques éléments peut-être positifs qu'on a plus de difficultés à
percevoir.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Oui, j'apprécie cette ouverture que vous faites en disant : Finalement, il
peut y avoir une bonne intention,
mais les risques sont tellement grands qu'il faut écarter de nous cette
intention. Moi, je pense que c'est ça, c'est que les risques... Je peux comprendre la bonne intention d'avoir un
outil de travail. Mais les risques pour les personnes sont grands. Les
organisations, évidemment, on tombe... Parce que la liste qu'on nous met comme
référence, c'est l'Orénoque, qui est un
registre des entreprises, mais ce sont des organisations, ce sont des
entreprises. Là, on est dans des individus,
des personnes : c'est là toute la délicatesse de la chose. Alors, je
comprends. Moi aussi, je me range derrière vous : c'est que, quelle que soit la bonne intention, si les
dommages sont beaucoup plus grands, il va falloir peser ça dans la
nouvelle mouture de la loi, que j'appelle de tous mes voeux.
Vous êtes sur
le terrain : réseau de la santé, réseau communautaire, réseau de
l'éducation. Vous nous parlez de radicalisation.
C'est quoi, l'état de la situation pour vous? Est-ce qu'il y a vraiment une
montée de la radicalisation chez les jeunes?
Comment vous sentez ça? Moi, je suis vraiment... je veux profiter de ces
quelques instants que j'ai encore pour vous poser la question : Une
vision globale de la situation.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc
(Denis) : J'aurais tendance
à vous dire, Mme la députée, que... Je m'excuse de vous décevoir, mais
on n'a pas vraiment développé une analyse
très avancée sur l'état de la radicalisation. On est davantage au niveau de ce
qui touche la santé mentale, les problèmes d'adaptation, qui, comme on l'a dit,
peuvent avoir des liens. Mais je ne suis pas
en mesure de vous dire s'il y a une problématique actuelle au niveau de l'état
de la radicalisation ici. On n'a pas fait cette analyse-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
O.K. Mais, si vous ne l'avez pas, c'est clair, j'aime mieux qu'on travaille
comme ça. Mais un jeune... Alors,
prenons-le comme ceci : vous avez parlé de processus qui sont semblables.
Vous vous fiez quand même sur quelques données ou sur l'expertise de vos
psychoéducateurs?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
• (15 h 50) •
M. Leclerc
(Denis) : Oui. Bien, M.
Hénault le soulevait : on a évidemment, entre guillemets, fait nos
devoirs. On a regardé ce qui s'écrit dans...
puis ce qui peut être près de nos domaines. Puis ce qu'on a constaté, c'est à
quel point les auteurs qui parlent de
radicalisation vont soulever cette concordance-là au niveau des profils. Et
c'est à ce titre-là que nous soulevons
que, si on veut travailler la radicalisation, bien, souvent, ça peut être la
même manière, plus ou moins, de travailler les difficultés d'adaptation ou les problèmes de santé mentale, à
certains moments. Donc, à ce titre-là, il y a un lien. Je ne sais pas si
M. Hénault souhaite compléter. Bien, en tout cas, à ce titre-là, on y voit un
lien.
Ce qu'on
soulève également puis qui, pour nous, est important, c'est tout l'élément... à
partir du moment... puis vous avez vous-même évoqué le processus. Donc,
le processus de radicalisation, nous autres, nous a amenés sur une dimension
qu'on a développée, mais un peu moins dans mon intervention jusqu'à maintenant,
c'est l'importance de travailler en
prévention. On l'a soulevé d'entrée de jeu qu'on trouve que ça ne ressort pas
tellement. Possiblement qu'on pense
davantage le mettre au niveau du plan d'action, j'en conviens, mais, malgré
tout, là, on analyse le projet de loi, on se dit : Attention, on
est dans une approche un petit peu, à certains égards, coercitive ou
d'encadrement. Mais toute la notion de prévention puis comment on va travailler la
prévention, bien, ça nous apparaît en tout cas important puis surtout, comme M. Hénault l'a soulevé, mais je le répète,
qu'elle ne repose pas uniquement sur la commission, mais sur d'autres acteurs, notamment le milieu de l'éducation, qui
peut être mis à contribution puisqu'ils ont une responsabilité dans...
que ce soit au niveau de la violence, au
niveau de différents éléments dans notre société, ils ont une responsabilité en
termes de prévention et je pense qu'il va
falloir réfléchir à ça, les organismes communautaires, d'autres organismes qui
vont travailler en prévention, parce que, si on ne fait qu'attendre que
les phénomènes se produisent et qu'on sanctionne, bien là à un moment donné il
y a quelque chose... On doit être dans un continuum d'intervention.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Je vous remercie. Je comprends, donc, que vous... Je veux juste vous dire que
vous vous joignez à... votre voix
automatiquement à plusieurs groupes qui étaient les porte-parole un peu de...
porte-parole ou représentants de groupes
qui sont systématiquement discriminés, Noirs, communautés juives; des LGBT sont
venus ici en disant : Si on a réussi
à avancer autant, c'est grâce à la prévention, c'est grâce à l'éducation. Et
c'est comme ça que les grands bonds ont été faits au Québec. Ce n'est
pas par cette loi-là qu'on fait avancer la prévention. Est-ce qu'on pourrait la
faire... Il y en a d'autres qui sont rendus
jusqu'à on pourrait la faire reculer et que ce pourrait être contre-productif
auprès des jeunes parce qu'ils
peuvent être attirés par une espèce de contre-culture ou marginalisation qui
peut être intéressante. Moi, ce seraient mes derniers commentaires, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque
chose, mais, pour moi, ce serait terminé, M. le Président. Je vous
remercie beaucoup.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Hénault.
M. Hénault (Jean) : Je voudrais
peut-être juste revenir, vous avez parlé dans le fond, s'il y avait un besoin d'outils... une liste versus d'autres outils, vous
aviez nommé ça tantôt, dire : Qu'est-ce que vous aviez de besoin? Je
pense que les psychoéducateurs qu'on
représente à l'ordre, ce qu'ils ont besoin, c'est vraiment qu'on développe les
connaissances, donc les travaux de
recherche, que les recherches-action dans les milieux se multiplient, se
poursuivent. De là, dans le fond, on
va être en mesure sur le terrain d'opérationnaliser ces connaissances-là et de
développer des outils qui vont les aider à faire les interventions à propos. Ça, je pense que nous autres, il y
a... Cette dimension-là, là, les connaissances qu'on a sur le phénomène, sur la problématique, on considère
qu'il faut faire un bout de chemin là-dessus pour vraiment favoriser les
meilleures interventions possibles dans les milieux.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau, en conclusion.
Mme
Maltais :
Alors, vous venez de dire le mot recherche-action. J'entends Fatima
Houda-Pepin, qui était ici aujourd'hui et nous qui disons qu'on devrait
avoir un observateur, je crois que c'est l'idéal, puisqu'il serait sous la
responsabilité de l'Assemblée nationale, ou un observatoire de lutte à
l'intégrisme, qu'on essaie de comprendre le phénomène,
qu'on fasse de la recherche-action sur le territoire, comprendre le phénomène,
comment il se produit. Alors... mot me rappelle. Merci beaucoup.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. MM. Leclerc
et Hénault, merci. Merci pour votre document.
Et j'ai trouvé certaines des questions des collègues extrêmement pertinentes,
mais surtout la réponse que vous avez
donnée parce que vous nous arrivez avec un éclaircissement particulier. Et je
comprends que vous nous dites, parce que
vous êtes psychoéducateurs ou psychoéducatrices, c'est important de le
souligner, c'est votre expertise, vous nous dites : Attention, attention, il ne faut pas tout mêler et il est
possible qu'il y ait des problèmes de santé mentale aussi dans les cas
des jeunes parce qu'on veut lutter contre la radicalisation, ces jeunes qui
partent à l'étranger, attention peut-être qu'il y a d'autres choses que uniquement de la radicalisation ou l'endoctrinement.
Il faut faire attention à cet égard-là et je pense que ce que vous avez dit, puis je ne veux pas
m'étendre sur le sujet, vous avez bien expliqué qu'il fallait faire
attention et il fallait faire la différence,
à savoir, lorsque c'était vraiment un processus d'endoctrinement de façon
consciente, la personne est endoctrinée, décide d'adhérer à des thèses,
à des idées, à des prêches, appelez ça comme vous voulez, mais se fait «brainwasher», en bon français, et quelqu'un qui a
des problèmes d'ordre de santé mentale qui font en sorte qu'il est plus vulnérable et qu'il n'a pas nécessairement toute
sa tête et ça peut aussi l'amener à embarquer là-dedans puis à se
radicaliser, c'est très important. Je ne
sais pas si, à cet égard-là, il y a un petit peu quelque chose d'autre que vous
voudriez ajouter. Je trouvais que c'était très pertinent, mais nous
aurions besoin de quoi en tant que société de plus à cet égard?
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
M. Leclerc
(Denis) : Pour répondre
directement à votre dernier élément, qu'est-ce qu'on a besoin de plus :
en tout cas, à y réfléchir, à continuer à
avancer sur cette réflexion-là, dans cette direction-là. Mais ce que je veux
peut-être soulever, c'est que oui, il
y a une différenciation, une différence. Mais nous, comme intervenants,
n'oublions pas une chose : nous,
on va être appelés à intervenir parce qu'il y a des gestes qui sont posés. Et
on a à ce titre-là à accompagner la personne, qu'elle soit dans un processus plus de radicalisation ou qu'elle soit
dans une problématique de santé mentale, ce qu'on dit, c'est : Il
faut faire attention, parce que, si on met des catégories trop grandes, donc si
la personne est en situation de radicalisation, voici ce qui est mis en place, puis sinon voici, puis ainsi
de suite. Bien, à un moment donné, vous savez, encore là, c'est des zones grises. Puis, si, parce qu'on a identifié la
personne dans un processus de radicalisation, tout à coup elle est sur une liste, elle n'a plus accès à
l'éducation et tout ça, pourtant, à peu de choses près, elle a posé le même
type de geste et elle a les mêmes types de problématique qu'une autre personne
qui a un problème d'adaptation.
Alors, on
pose cette question-là : Est-ce que c'est la bonne chose? Les moyens qui
seront déterminés sont une chose,
mais, nous, ça nous pose question sur nos outils puis notre capacité
d'intervenir. Vous savez. Nous, comme ordre, on a une responsabilité qui
est celle de faire en sorte qu'on voit la compétence de nos membres en premier
et la compétence ultimement des
organisations puis des services qui sont offerts aux clientèles en difficulté,
comme d'autres ordres... ont cette même
compétence-là partagée. Alors, on se pose des questions sur comment on va
pouvoir bien former, bien accompagner nos
intervenants s'il y a autant de situations que nous-mêmes on considère comme
étant floues. Alors, c'est un petit peu ce à quoi on alerte sans être tout à fait en mesure de faire le pas de
plus en disant : Voici la solution, elle serait là. Je ne voudrais
pas m'engager jusque-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci. Vous avez raison, la solution n'est
pas facile, puis c'est pour ça qu'on y travaille. Essayer de trouver une
solution, c'est très délicat. Il y a un problème, il faut s'y attaquer, mais il
faut effectivement faire très attention.
Si on revient
plus précisément au projet de loi n° 59, vous nous parlez, à la page 16 de
votre mémoire, 16 sur 24, vous parlez
de la notion de la présomption. Vous nous dites, à la recommandation 10, «que
le législateur retire des articles concernés les éléments basés sur le
principe de présomption [du] comportement de faute». Et, pour les gens qui nous
écoutent, je vais lire un petit bout de
l'article, on parle entre autres, lié à l'article 27 du projet de loi qui en
parle, et on dit : «Est reputée
avoir un comportement pouvant raisonnablement faire craindre pour la sécurité
physique ou morale des élèves, la personne
dont le nom est inscrit sur la liste tenue par la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse...»
Et ce que
c'est qu'une présomption, c'est : quand à partir d'un élément on présume
que l'autre va se produire ou est
intimement lié. Ce n'est peut-être pas la bonne définition, mais vous avez le
premier élément, donc on présume que vous avez le deuxième. Si je veux le vulgariser, là, c'est vraiment
vulgariser. Alors, vous demandez que cette présomption, cette
présomption-là soit retirée du projet de loi. Alors, moi, ce que je vous
demande, c'est s'il vous plaît, expliquez-nous davantage pourquoi, quelles
seraient les conséquences de cette présomption-là.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Leclerc.
• (16 heures) •
M. Leclerc (Denis) : Évidemment, il
y a une dimension, là, qui nous est apparue, notamment en regardant avec notre
juriste à l'ordre et ainsi de suite, qu'on semblait avoir tout à coup un
principe habituel dans la société de présomption
d'innocence qui, dans ce cas-là, nous semblait, en tout cas à la lecture, être
davantage une présomption de culpabilité.
Donc, il y a cet élément-là. Mais là-dessus, on ne veut pas aller trop loin. On
n'est pas juristes. Mais cet élément de
présomption là nous a amenés à dire... c'est là qu'on a parlé de la question de
la liste et à savoir : Est-ce que, en étant sur la liste, puisque
c'est en lien avec la liste, le fait de figurer sur la liste, bien, est-ce que
tout à coup la personne est présumée comme étant dangereuse, présumée comme
étant à risque de reproduire les choses?
Donc, il y a l'élément en termes de... une
préoccupation qu'on a de façon importante en termes de possibilité d'accès à l'éducation notamment, comme on a
soulevé. Autre élément : Combien de temps la personne va figurer sur
une telle liste et donc va se retrouver à
toujours traîner une image de présomption, donc quelqu'un qui est jusqu'à un
certain point dangereux, quand on sait, pour
avoir... Notre profession, comme je vous le dis, on travaille beaucoup avec des
jeunes, on travaille avec des jeunes en
devenir d'être des jeunes qui deviennent des adolescents, qui deviennent des
jeunes adultes, qui deviennent des
adultes. Et il y a beaucoup de changements qui se produisent dans ces
moments-là. Alors, est-ce que la personne, sur un comportement tout à
fait inacceptable, et là-dessus on en convient... mais ce comportement-là qui
se produit à un certain moment et qui a été
extrême, puisque pour être sur la liste, il y a quand même des étapes, ce
n'est pas juste un coup de tête d'un
intervenant, ça, on en convient... Mais, malgré tout, on ne ferait pas le
travail qu'on fait si on ne croyait
pas à la possibilité de réhabiliter les personnes, hein, on serait allés
ailleurs. Alors, on se dit : C'est un obstacle à la possibilité de réhabiliter quelqu'un quand, peu
importe le processus qu'il fera de se reprendre en main, puis surtout
chez des jeunes qui sont en changement
rapide de leurs comportements, bien, si, la personne, malgré tous les efforts
qu'elle fait, elle demeure avec cet élément-là
de présomption, bien là il y a quelque chose qui nous semble, en tout cas,
préoccupant pour le moins. Et c'est sous cet
angle-là qu'on considère que la question de la présomption, sur le plan... on
s'entend, nous, c'est un regard davantage clinique que juridique, mais
c'est là qu'est notre préoccupation en lien avec cela.
Mme Roy
(Montarville) :
Tout à fait.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Hémond, vous aviez un commentaire?
M.
Hénault (Jean) : Bien aussi, je dirais que pour la personne, un jeune
qui se retrouverait sur cette liste-là... je ne sais pas... on revient... parce que c'est pris en contexte par
rapport aux institutions scolaires, hein, donc qui veut s'inscrire à une école, un collège par exemple, et, dans le
pire des cas... je dirais : Dans le pire des cas, parce que je ne pense
que ce processus-là ou cette tendance-là d'exclusion serait généralisé, là,
mais qu'un cégep refuse, dans le fond, parce qu'il craint pour la sécurité de ses autres élèves dans l'institution, le
jeune, lui, il ne comprend pas, parce que, dans le fond... et puis c'est peut-être
relié à une situation qui... il y a un comportement qu'il a eu qui n'a pas
rapport du tout à une école, ça s'est
fait sur Internet, puis lui, il ne voit pas le lien du tout... Puis une
personne qui se radicalise, là, on peut voir qu'ils ont une certaine sensibilité par rapport aux
situations sociales. Et comment ce jeune-là va comprendre la décision du
cégep qui... au pire, qui déciderait, dans le fond, de lui refuser l'accès à
l'institution?
Ça
fait que c'est un peu... dans ce sens-là, c'est très hypothétique, on en
convient. Mais est-ce que, dans le fond, il faut faire l'économie de ne pas regarder ces scénarios-là? Bien, pour
ces clientèles-là qu'on représente puis pour lesquelles on se préoccupe,
on considère qu'il faut à tout le moins alerter et se poser la question, dans
le fond, qu'est-ce que ça peut vouloir dire.
Le Président (M.
Ouellette) : Dernière minute de jeu, Mme la députée de
Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci. Il me reste un petit peu de temps?
Le Président (M.
Ouellette) : Dernière minute de jeu.
Mme
Roy
(Montarville) : Dernière minute de jeu. Parfait.
Votre recommandation 6 — on va rester sur la liste, puisqu'on est dessus : «Que la liste de personnes reconnues
coupables de propager ou d'encourager la propagation de discours haineux ne soit pas rendue publique»,
vous en avez discuté d'ailleurs avec la ministre, mais vous nous arrivez
avec une alternative, vous nous dites «que
sa diffusion soit limitée aux organismes ayant un lien direct avec la
sécurité publique». Ça serait quelque chose
de plus acceptable pour vous, pour la clientèle avec laquelle vous travaillez
aussi?
M. Leclerc
(Denis) : Bien, étant donné que, jusqu'à un certain point, cette
liste-là, elle existe, elle n'est pas regroupée,
mais elle existe, il est possible d'avoir les liens, les noms des personnes qui
ont été jugées et tout ça puis d'en constituer
une liste. Et ce n'est pas quelque chose qui n'existe pas. Qu'on souhaite
faciliter un petit peu les choses en les regroupant d'une certaine
manière, bien, je veux dire, on n'est pas contre puisque ça existe déjà. On est
préoccupés du fait qu'elle puisse être accessible de façon générale.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, M. Leclerc et M. Hénault,
représentant l'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du
Québec.
Nous allons suspendre
nos travaux quelques instants, et j'inviterais Mme Djemila Benhabib à prendre
place, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à
16 h 4)
(Reprise à 16 h 8)
Le Président (M.
Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Mme Benhabib, on vous
souhaite la bienvenue. Vous avez la parole
pour une période de 10 minutes. Et après il y aura un échange avec les parties qui sont autour de la
table. À vous la parole.
Mmes Djemila Benhabib et
Louise Mailloux
Mme Benhabib
(Djemila) : Merci. Merci de me donner la parole et de m'avoir conviée
à cet échange. Je m'appelle Djemila
Benhabib. Je suis journaliste, essayiste et je travaille sur les questions de
l'islam, de l'islam politique, de la
laïcité et des droits des femmes. Je suis diplômée en sciences politiques, en
droit international, en sciences physiques. Et je suis accompagnée de Louise Mailloux, qui est professeure de
philosophie, auteure et militante laïque, qui partagera également ses
préoccupations avec vous.
Permettez-moi
d'entamer mon exposé par une question qui établira dès le départ le cadre de ma
réflexion. Pourquoi sommes-nous réunis
aujourd'hui ici pour débattre d'un tel projet de loi? En d'autres mots,
qu'est-ce qui justifie une telle
mesure législative? Ma conviction profonde est que la société québécoise attend
de ses décideurs des mesures concrètes pour contrer le phénomène du
terrorisme, qui ne connaît pas de frontière. D'autant plus qu'à travers Martin Couture-Rouleau on a réalisé avec stupéfaction que
le terrorisme avait une force d'attraction, y compris parmi les jeunes
Québécois nés dans une bonne famille catholique de la classe moyenne.
• (16 h 10) •
Face à cette
conjoncture, notre gouvernement a mis en place une stratégie pour, et là je
cite, «lutter contre la radicalisation des
jeunes et la montée de l'islamophobie», les prémisses de cette posture étant
que la cause de la radicalisation est
l'islamophobie. Ce paradigme ne tient pas la route un seul instant. Soyons
sérieux. Les jeunes qui se radicalisent le font pour des raisons d'abord
idéologiques : ils sont convaincus, on les a convaincus que le djihad est
une réponse tout à fait légitime aux
injustices que vivent les musulmans dans le monde et que par conséquent leur
rôle est de participer à ce djihad.
C'est ce qu'on appelle typiquement de l'endoctrinement. Dans la mire des
djihadistes, on retrouve trois catégories de personnes : premièrement, les intellectuels laïcs
anti-islamistes; deuxièmement, les Juifs; troisièmement, les musulmans
considérés comme des apostats. Le projet de loi vise aussi ces catégories-là
non pas pour leur offrir une protection particulière,
mais pour les mettre en danger face... oppression de groupes islamistes
organisés qui opèrent dans notre pays en toute impunité.
Je vois trois conséquences
immédiates à cela. D'abord, nourrir un climat de peur, qui existe déjà, à
l'égard de quiconque critique l'islam et
l'islam politique. Deux, judiciariser le débat public. Trois, criminaliser la
critique des religions et de l'islam
en particulier. À ce chapitre, je suis sincèrement préoccupée par les
déclarations de Jacques Frémont au sujet de la lutte à l'islamophobie.
Encore là,
qu'est-ce que l'islamophobie? Le fait de critiquer l'islam, de dénoncer des
groupes intégristes, de tenir des
propos malveillants envers les musulmans, de se prononcer contre la charia et
le voile islamique? Ne trouvez-vous pas gênant que l'état d'esprit de cette loi repose sur un concept
fourre-tout agité avec instance, depuis plusieurs années, par des personnages comme Charkaoui et El Menyawi? Ne
trouvez-vous pas troublant que l'état d'esprit de cette loi rejoint exactement les mêmes motivations que les
monarchies des pays du golfe et, à leur tête, l'Arabie saoudite qui, à
travers l'OCI mène, depuis 1999, une
campagne diplomatique très agressive à l'ONU pour instaurer le concept de
diffamation des religions? Ne trouvez-vous
pas inquiétant que l'état d'esprit de cette loi repose sur un concept qui a
justifié la mise à mort d'un écrivain, Salman Rushdie, le 14
février 1989 par l'ayatollah Khomeyni?
Cette
répression des idées, je la connais fort bien. Je l'ai vécue, je l'ai subie. La
recette est connue depuis trop longtemps. L'État instrumentalise le
religieux pour tuer dans l'oeuf toute dissidence politique. Paradoxalement, la commission des droits de la personne s'apprête à
reproduire le même schème de censure que celui qu'adoptent des pays antidémocratiques non plus au nom du respect du
sacré, de l'islam, mais au nom de la soi-disant protection des
minorités. Et il est bien là, le problème.
Alors, osons
une autre question. Le rôle de la charte est-il de protéger les intégristes ou
de défendre la démocratie? Mais
allons au fond de la question. De quoi veut-on au juste protéger l'islam? De la
critique, de la pensée, de la pluralité des idées et des postures philosophiques et politiques si vitales à l'esprit
critique? C'est précisément en raison d'un manque cruel d'autocritique que la pensée islamique s'est
ankylosée voilà plusieurs siècles déjà. Petit à petit, l'être musulman
s'est fragilisé, acclimaté à la mort, à
intégrer dans son schème de pensée la violence en se référant exclusivement à
une lecture littéraliste du Coran.
C'est là le plus court chemin vers le djihad. C'est pourquoi la question de la
violence de l'islam est une vraie
question. «L'islam est malade et sa maladie a pour nom l'islam politique»,
écrivait le regretté penseur Meddeb. Pour en sortir, il est nécessaire
d'ouvrir un vrai débat libre et contradictoire.
Bien entendu, l'État québécois n'a pas à prendre
position dans ce débat. Néanmoins, son rôle ne consiste pas à l'étouffer. L'État québécois doit prendre toutes
les mesures qui s'imposent pour que quiconque souhaite participer à ce débat puisse le faire en toute sécurité et en
toute sérénité. Bref, les musulmans laïques n'ont pas à craindre ici, au
Québec, ni la violence, ni la haine des
intégristes, qui se cachent derrière la démocratie pour avancer et pour faire
avancer la charia. Et je cède la parole à Mme Mailloux.
Le
Président (M. Ouellette) : Mme Mailloux, veuillez vous
identifier. Nous aurions apprécié à la commission connaître votre venue
aussi, parce que c'est une surprise pour la commission ce matin que vous
preniez la parole cet après-midi avec Mme Benhabib. Veuillez vous identifier
pour les besoins de la commission.
Mme Mailloux (Louise) : Je suis la bienvenue,
M. le Président?
Le Président (M. Ouellette) :
Pardon?
Mme Mailloux (Louise) : Est-ce que
je suis la bienvenue?
Le Président (M. Ouellette) :
Vous êtes la bienvenue.
Mme Mailloux (Louise) : Merci.
Le Président (M. Ouellette) :
Mais, tout simplement, nous aurions apprécié connaître que vous veniez avec Mme
Benhabib aujourd'hui. C'est tout simplement qu'une question d'intendance, Mme
Mailloux. Je vous donne la parole pour les trois minutes qui restent.
Mme Mailloux (Louise) : Trois
minutes? Merci, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés,
bonjour.
Comme
plusieurs l'ont exprimé devant cette commission, ce projet de loi constitue une
grave menace à la liberté d'expression parce qu'en voulant lutter contre
les discours haineux vis-à-vis les groupes de personnes visées par l'article 10 de la Charte des droits et libertés
de la personne, ce projet va mettre en place une série de mesures
répressives qui permettront de museler ceux
qui critiquent l'islam et dénoncent les islamistes, de faire taire ceux qui
nous informent sur leurs propos,
leurs stratégies, leur réseautage, leur lobbyisme et leur activisme politique.
Telle sera la vocation première de ce projet de loi.
Ceux qui font
le plus mal aux islamistes ne sont pas ceux qui insultent les musulmans sur les
réseaux sociaux, mais bien ceux qui
nous préviennent, nous éclairent et nous alertent sur la présence de l'islam
politique au pays et du danger qu'il nous
fait encourir. Plusieurs de ceux-là qui ont le courage de prendre publiquement
position contre les islamistes sont eux-mêmes
musulmans de croyance ou de culture. Je pense à Fatima Houda-Pepin et à
Djemila. Ce sont ces gens-là que l'on
veut faire taire. Ceux qui font le plus mal aux islamistes, ce sont des sites
comme Point de bascule, qui nous informent sur les méthodes et les moyens qu'utilisent les
leaders et les organisations islamistes pour appliquer leur programme au
Canada. Ce sont aussi certains journalistes
qui ont le courage de s'aventurer sur un terrain sensible et qui, par leur
travail d'enquête, nous livrent des informations
cruciales qui sont d'intérêt public. Je pense notamment à Fabrice de
Pierrebourg et Vincent Larouche, qui
viennent de publier un ouvrage sur l'évolution et l'influence des islamistes au
Québec. Ce sont ces gens-là qui font
mal aux islamistes et ce sont ces gens-là que les islamistes veulent
bâillonner, et ce projet de loi va exactement
dans le sens de ce qu'ils souhaitent, c'est-à-dire intimider quiconque voudrait
critiquer l'islam politique et même l'islam tout court, tout en
facilitant des poursuites abusives vis-à-vis ceux qui, loin d'insulter les
musulmans, dénoncent les islamistes. Ces gens-là seront ciblés par les islamistes.
Par la
promotion de la censure qu'autoriserait ce projet de loi, on fera bien plus que
menacer la liberté d'expression puisqu'on
rendra périlleuse cette parole indispensable de ceux qui, jusqu'à maintenant,
se font un devoir de nous informer sur
un sujet faisant régulièrement l'actualité et dont le public est en droit
d'être informé, je parle ici de la menace islamiste.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Mailloux, je sais que je vous bouscule...
Mme
Mailloux (Louise) : En
conclusion — merci,
M. le Président — alors
que dans une démocratie libérale la responsabilité
d'un gouvernement devrait être de protéger la liberté d'expression de ses
citoyens, en adoptant ce projet de loi,
vous abandonnerez ces citoyens et ces journalistes aux islamistes, vous les
exposerez à des poursuites abusives faites dans l'anonymat, à des frais judiciaires, à des amendes et à
l'humiliation d'une liste des parias, laquelle n'est pas sans rappeler
les régimes totalitaires.
Et je termine
en disant : Chers parlementaires, je vous demande de bien réfléchir, parce
qu'en adoptant ce projet de loi vous allez bien imprudemment donner
raison à ceux qui nous menacent. Je vous remercie.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci. Avant de donner la parole à
Mme la ministre, si vous aviez la chance de nous faire parvenir vos notes ou le mémoire que vous avez lu devant la
commission dans le but d'alimenter nos travaux, je pense que ce serait
grandement apprécié. Mme la ministre.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Un tout petit, petit commentaire. Bonjour, mesdames. La
ponctualité, c'est une marque de
respect. Je voulais simplement vous le dire. Il y avait des parlementaires qui
vous attendaient. Je sais que vous avez préféré faire un petit point de
presse. Nous vous attendions à quatre heures.
Une voix : ...
Mme Vallée : Le maire de
Montréal était pris dans le trafic. Ceci étant dit... et, M. le Président, je
constate encore une fois...
Mme
Maltais : M. le
Président? Je veux juste...
Le Président (M. Ouellette) :
Oui?
Mme
Maltais :
M. le Président, je vais quand même noter, là, il faut faire attention. Le
maire de Montréal était 15 minutes
en point de presse puis on l'a attendu, puis il ne s'est pas dit un mot contre
ça ici, en commission parlementaire. Je demanderais le même respect pour
Mme Benhabib et pour Mme Mailloux.
• (16 h 20) •
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
Mme Vallée : M. le Président.
Alors, j'ai compris de vos interventions une incompréhension du projet de loi,
une incompréhension aussi de ce qui s'est dit dans cette salle depuis la
mi-août.
Il ne s'agit
pas d'un projet de loi qui est incompatible avec la protection de la
liberté d'expression. Dans ce projet de
loi, ce que nous faisons, nous
donnons des outils pour combattre le discours haineux et le discours qui incite
à la violence. Et ces dispositions-là, c'est... ce principe-là a quand
même été reconnu par notre Cour
suprême. Combattre le discours haineux,
combattre le discours violent est tout
à fait acceptable dans une société
libre et démocratique parce qu'il y a une limite aux propos qui peuvent être
tenus, justement, dans cette démocratie.
Et je suis
étonnée parce que je m'attendais, quand même, à ce qu'on
puisse... à ce qu'on ait évalué, qu'on ait analysé le projet
de loi, puisqu'il n'y pas si longtemps Mme Benhabib, vous
disiez : Pourquoi est-ce que... le discours de la haine qui l'a emporté? Je ne l'accepte pas. Justement,
on veut venir contrer le discours de la haine par le projet de loi. D'aucune façon ce projet de loi vise à empêcher la critique d'une religion, d'aucune façon ce projet de loi vient empêcher la satire, d'aucune façon ce projet de loi ne
vient-il empêcher la critique d'une idée, d'une idée politique. Alors, ce n'est
pas le but de ce projet de loi, c'est un projet de loi qui propose d'agir pour
que la liberté d'expression, elle ne serve pas de prétexte pour amener vers la
haine et la violence. C'est tout à fait le contraire.
Puis, honnêtement, je suis un peu estomaquée parce
qu'en vous entendant aujourd'hui vous êtes d'accord... s'il y a une chose, là, vous êtes d'accord avec M. Charkaoui, qui, hier,
nous a dit que ce projet de loi là n'était pas bon. Alors, moi, je suis
vraiment étonnée parce que...
Aussi, je
suis étonnée puisque j'aurais aimé vous entendre sur les dispositions du projet
de loi qui prévoient des mesures de
protection additionnelles pour les femmes, pour les enfants, puisque, puisque
vous êtes toutes les deux des intervenantes
qui, dans le passé, ont manifesté un intérêt pour la protection des droits des
femmes et des enfants. On a, dans ce projet de loi là, des mesures qui
visent à contrer ou à resserrer toute la question des mariages forcés, on a des
mesures qui visent notamment la protection des jeunes
contre des violences basées, fondées sur une conception de l'honneur. On a dans ce projet de loi là aussi des
mesures civiles de protection. Mais vous avez souhaité ne pas en parler dans votre présentation et, tout simplement, nous
faire une présentation qui ressemble étrangement à la présentation faite
par Point de bascule il y a quelques semaines.
Vous avez
attaqué Me Frémont dans ses propos. Hier, Me Frémont est venu
recadrer et expliquer le contexte des propos qui lui ont été attribués.
Je pense qu'il serait important de, peut-être, de revoir les explications
données à mes collègues quant à ses citations.
Donc, je
comprends, puis... Et je comprends qu'on milite, vous et moi, dans des
formations politiques différentes, qu'on
a mené... Vous vous êtes toutes les deux présentées sous la bannière du Parti
québécois pendant le débat sur la charte, vous avez milité, puis ça, je le comprends. Mais en même temps j'aurais
aimé pouvoir bénéficier de votre expertise sur les autres aspects du
projet de loi, sur des éléments... J'aurais aimé qu'on puisse avoir un échange
constructif, parce que, vous voyez, le
projet de loi, — puis
vous le savez, vous êtes des universitaires — ce n'est pas un projet de loi qui
vise à brimer la liberté d'expression comme
on veut le laisser entendre, ce n'est pas vrai, ça. Ce n'est pas vrai, et là il
faut le dire parce que ce qui
circule, c'est malheureusement... à force de dire des choses qui ne sont pas
vraies, ça devient une vérité. Et c'est
un projet de loi qui vise à restreindre la liberté d'expression lorsque la
liberté d'expression amène à la haine
et à la violence. C'est ce qui fait le projet de loi. Puis malheureusement on
n'a pas pu compter sur votre expertise parce que vous n'avez pas
souhaité échanger avec nous sur ces enjeux-là.
Alors, M. le Président, c'est dommage parce qu'on
aurait aimé savoir ce que vous pensiez des mesures qui visent la
protection des femmes et des enfants qui sont vulnérables. Parce que, vous
savez, Mme Benhabib nous disait, M. le Président :
On ne comprend pas dans quel contexte le projet de loi est présenté, quelle est
la volonté du gouvernement. Ce projet
de loi là, je pense qu'on l'a dit, on l'a dit haut et fort, il a été présenté
dans un contexte global, dans un plan d'action qui a été déposé par mes collègues. La responsable de la Sécurité
publique, la ministre responsable de la Sécurité publique, la ministre responsable du ministère de
l'Immigration. Et c'est un projet de loi qui vise et qui s'inscrit dans un plan
global, dans un plan intégré. Ce n'est pas le projet de loi seul qui fera la
différence.
Et est-ce que
notre réponse est la réponse que le parti de l'opposition avait au moment...
C'est une réponse qui est différente,
c'est une réponse qui est distincte, c'est notre réponse avec notre perception
qui est déposée en fonction de nos valeurs et en fonction de réalités
aussi. Et c'est dans ça qu'il s'inscrit, le projet de loi. Mais de dire que ce
projet de loi là va empêcher, va bâillonner ceux et celles qui critiquent la
religion, ce n'est pas du tout l'objectif, croyez-moi.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Oui. Il y a beaucoup
de choses qui ont été dites. Je pense que je vais partir l'association des incompris parce
qu'apparemment j'ai mal compris, qu'il y a beaucoup de gens qui ont mal compris
l'état d'esprit de ce projet de loi puisqu'il y a beaucoup de gens qui le
critiquent. Et donc je le critique aussi. Je le critique en toute sincérité,
sans partisanerie aucune, et j'ose espérer que vous allez faire la même chose
et m'écouter aussi sans partisanerie.
Vous
comprendrez que les déclarations de M. Frémont sont extrêmement préoccupantes.
Ce n'est pas du tout une attaque que je fais à son endroit, c'est tout
simplement une réaction légitime dans une société libre et démocratique à l'égard de propos, eh bien, extrêmement
préoccupants puisqu'il a donné le cadre qui servira d'ossature à ce projet de
loi et donc il a clairement dit, à deux
reprises, du moins, qu'il se servira de ce cadre pour mener la lutte contre
l'islamophobie. Alors, ma question, vous
savez, elle est très simple. Moi, je souhaiterais savoir qu'est-ce que
l'islamophobie, comment est-ce que
vous, Mme la ministre, vous définissez l'islamophobie, comment est-ce que M.
Frémont définit l'islamophobie, tout
simplement. Alors, dites-le-moi si vous le savez, parce que ce qui... écoutez,
ce qui est bien conçu, en général, s'énonce bien. Alors, voilà.
Le Président (M. Ouellette) :
Vous comprendrez, Mme Benhabib... Mme la ministre.
• (16 h 30) •
Mme Vallée : M. Charkaoui
nous a posé la même question hier soir. C'est vraiment ironique. Mais ici, les questions, malheureusement, dans le principe, là,
c'est les parlementaires qui posent les questions à ceux et celles qui
sont venus nous faire une présentation. Nous, c'est un projet de loi qui vise à
combattre le discours haineux et le discours qui
mène à la violence, et à l'encontre non seulement de ceux et celles qui
pratiquent une religion, mais aussi à l'encontre des femmes, à
l'encontre des membres des communautés LGBT, à l'encontre des personnes qui
représentent des caractéristiques communes,
des caractéristiques prévues et énumérées à l'article 10 de la Charte des
droits et libertés de la personne. C'est ce que ce projet de loi vient
encadrer.
Alors, on
n'est pas dans la stigmatisation, et soyez rassurées, nous ne sommes pas à la
solde de l'islam, comme vous semblez
le prétendre. Ce projet de loi est vraiment un projet de loi qui vise à
protéger contre les discours haineux. Parce
qu'on nous disait : Bon, vous... c'est un projet de loi qui correspond à
ce que certaines personnes souhaiteraient pour venir empêcher de critiquer les religions. Ce n'est pas du tout ce que
nous souhaitons faire. La critique de la religion est permise. Et là-dessus je veux que vous soyez
rassurées, là. Les enseignements de la Cour suprême sont quand même
clairs et définis. Est-ce que des termes
peuvent être bonifiés? Est-ce qu'il y a lieu de définir, de préciser des
concepts? Là-dessus, le groupe qui
vous succédera nous a amené un certain nombre de recommandations, comme
d'autres groupes. Et je consens qu'il y a toujours place à la
bonification d'un projet de loi lorsqu'on introduit du droit nouveau. Et votre
présentation aujourd'hui me confirme qu'il y
a lieu de définir les concepts de discours haineux et de discours incitant à la
violence puisque, manifestement, cette
incompréhension, elle est là, bien que la Cour suprême ait défini les termes.
Et est-ce qu'il y
a lieu de revoir peut-être certains éléments du projet de loi? Certainement,
c'est la beauté de l'exercice parlementaire auquel on s'est astreints.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme Benhabib (Djemila) : ...
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Mailloux.
Mme Mailloux (Louise) : Oui. Merci,
M. le Président. Alors, Mme la ministre, merci pour votre question. Écoutez,
je n'ai jamais prétendu, dans ma présentation très brève, que ce
projet de loi est à la solde de l'islam. Ce que j'ai dit et, si vous permettez, je relis rapidement,
je dis que «ce projet de loi va museler ceux qui critiquent l'islam et
dénoncent les islamistes», je fais une distinction ici, de faire taire ceux qui
nous informent sur leurs propos, leurs stratégies, leur réseautage, etc. Et j'ai même parlé de journalistes et de musulmans de
croyance ou de culture. Mme Houda-Pepin est venue ici, alors on ne lui a pas dit qu'elle avait mal
compris le projet de loi, et elle a dit en substance qu'objectivement ce
projet de loi va favoriser les islamistes et
que ça va mettre des gens comme elle, par exemple, des gens à risque qui vont
devoir s'exposer à des poursuites.
Maintenant,
pour ce qui est de... quand vous dites : Vous ne comprenez pas le projet
de loi parce que vous êtes contre,
écoutez, comme Djemila a dit, il y a plusieurs groupes aussi qui ont manifesté
des réserves quand ils n'étaient pas tout
simplement contre vis-à-vis ce projet de loi là. Alors, tout le milieu de
l'éducation est venu vous dire : On préfère une approche éducative, pédagogique, plutôt que punitive.
Il y a l'observatoire de l'intégrisme aussi qui travaille à la
déradicalisation des jeunes. Ils ont tenu les mêmes propos : On ne veut
pas d'approche punitive. Du côté du milieu juridique, on a dit : Ça va
porter atteinte à la liberté d'expression. Alors, on n'est pas, là, chez M.
Charkaoui. Vous avez les LGBG qui ont dit : Nous, on a toujours à
travailler dans une approche où il y a place pour la discussion, les échanges,
donc encore une fois une approche éducative.
Alors,
écoutez, maintenant, pour ce qui est de la deuxième partie du projet de loi,
concernant les mariages forcés, tout
ça, on avait peu de temps jusqu'à maintenant. On a une heure pour échanger,
alors on a à peine parlé un peu. Notre intervention aujourd'hui, notre
témoignage, porte uniquement sur la première partie du projet de loi.
Mme Benhabib (Djemila) : Et
j'aimerais ajouter...
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme Benhabib (Djemila) : Oui.
J'aimerais ajouter que moi, je suis disponible en tout temps, hein, Mme la ministre, pour vous offrir mon expertise justement
en matière de droit des femmes, de crime d'honneur, et ainsi de suite.
Ça va vraiment me faire plaisir. Vous pouvez m'appeler à n'importe quel moment,
je serai toujours là pour défendre le droit de femmes.
Le
Président (M. Ouellette) : Vous me permettez un commentaire
avant de repasser la parole à Mme la ministre. Vous comprenez pourquoi le mémoire est tellement important. Vous
comprenez que votre position, et j'espère que vous allez nous faire parvenir votre position, que ce
soit sur la deuxième partie sur les crimes d'honneur, sur les mariages
forcés, je pense que les membres de la commission en ont besoin aussi pour
alimenter leurs réflexions et dans le projet...
Mme
Maltais :
...M. le Président, excusez-moi, là, vous n'avez dit ça à personne d'autre. Je
veux juste vous dire que jamais,
pendant cette commission, là, aujourd'hui, depuis qu'on a commencé le 17,
personne ne s'est fait reprocher de ne
pas avoir déposé son mémoire avant. Je voulais juste noter ça, M. le Président.
Je vous remercie. Vous présidez bien jusqu'ici, je vous souhaite... je
vous demande de continuer d'une façon respectueuse.
Le
Président (M. Ouellette) : Vous comprenez bien, Mme Mailloux,
que je ne vous ai pas reproché de ne pas avoir fait de mémoire, je vous suggère tout simplement et je vous
éclaire en vous disant que les membres de la commission, si vous avez des recommandations à faire à la
commission, vous pouvez soumettre un mémoire à la commission, et que la commission va accepter, et qui va être partagé avec les membres de la commission,
ce que je dirai au besoin à tous les groupes
que se présenteront devant la commission. Parce
qu'on n'avait pas de mémoire
de Mme Benhabib et de vous. Je vous
suggère tout simplement, et je ferai la même suggestion à ceux qui seront dans
le même cas. Ce n'est pas personnel à vous, je pense que c'est une
suggestion pour alimenter notre réflexion. Mme la ministre.
Mme Vallée : J'aimerais justement qu'on puisse
échanger sur la question des violences fondées sur une conception
de l'honneur. J'imagine que vous avez pris connaissance de l'avis du Conseil du
statut de la femme qui a été déposé en 2013 et qui portait sur la question. On
a inséré quelques dispositions dans le projet de loi pour venir encadrer cette question-là.
Certains organismes nous ont dit : Il n'est pas nécessaire
de faire référence à la question des violences fondées sur une conception de l'honneur, soit parce qu'elles sont marginales ou parce que les dispositions de la Loi sur la protection de la
jeunesse permettent déjà d'intervenir. Qu'est-ce que vous en pensez?
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Bien écoutez,
tout d'abord je vous dirai qu'on a perdu énormément
de temps entre le moment où il y a
eu ce crime absolument odieux donc de l'affaire Shafia et le moment où
le gouvernement en fait, bon bien, s'est réveillé puis il s'est dit : Bon, bien, je vais faire quelque chose. Parce qu'il faut bien comprendre qu'on est la seule démocratie occidentale qui a connu un quadruple crime
d'honneur. Et donc, par conséquent, on aurait souhaité donc que la réaction soit un petit peu rapide, disons. Bon. Elle est là. Le Conseil du statut de la femme
donc a émis quelques recommandations, que je partage d'ailleurs à plusieurs
égards.
Mais, cela
étant, ce que je remarque, c'est que les violences à l'égard des femmes sont alimentées par un discours, sont alimentées par un schème de pensée qui veut
contrôler la sexualité des femmes, qui veut maintenir les femmes dans un
carcan, disons, traditionnel, et donc pour
ce faire, pour ma part, on ne peut pas contrer les violences contre les
femmes sans pour autant s'attaquer à
l'idéologie. Et l'idéologie ici en question, c'est bien entendu l'idéologie
patriarcale, mais c'est aussi
l'idéologie de l'islam politique, car vous n'êtes pas sans savoir que, dans les
pays musulmans, le nombre de crimes
d'honneur sont toujours extrêmement élevés. On parle de pays comme le Pakistan,
comme l'Afghanistan, comme la Jordanie,
comme le Liban également, et ainsi de suite. Les crimes d'honneur ne se passent
pas seulement dans les pays musulmans,
mais disons qu'une grande partie donc y contribue. Et donc, par conséquent,
contrer tous les discours des prédicateurs
islamiques qui participent donc à violenter les femmes... Parce que la violence
contre les femmes, elle est multiple,
elle peut être une violence psychologique, elle peut être une violence
physique. Et donc moi, j'aurais souhaité qu'on s'attaque directement aux prédicateurs donc musulmans qui
alimentent ce type de violence et qui, par exemple, parlent des femmes en des termes extrêmement
péjoratifs, comme étant des souillures, qui organisent aussi des
mariages, des mariages religieux ici même,
au Québec, et donc c'est extrêmement préoccupant pour ma part. Donc, faire un
lien entre, d'une part, l'idéologie, ce qui est systémique et les
violences des femmes me paraît tout à fait légitime si l'on veut réellement
contrer ces violences-là.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la ministre.
• (16 h 40) •
Mme Vallée : Mais justement
les dispositions contre les discours haineux et le discours incitant à la
violence visent aussi le type de propos qui
amène vers une détestation des femmes ou qui incite. Une membre du Conseil du
statut de la femme nous citait des
déclarations où on invitait à violenter les femmes qui n'acceptaient pas, par
exemple, de se soustraire à des relations sexuelles, sur certains sites
de prédicateurs. Alors, lorsqu'on incite à la violence, il s'agit là de ce que
nous tentons de contrer.
Tout en
parallèle, dans le projet de loi, nous avons aussi choisi de nommer, notamment
d'inclure, à la Loi sur la protection
de la jeunesse, une disposition où l'on faisait référence de façon très claire
au concept de violence fondée sur une conception de l'honneur. Pourquoi?
Parce qu'actuellement, dans la loi, ce n'est pas prévu. Et j'ai été très
interpelée par le Conseil
du statut de la femme qui
disait : Pour venir à bout de certains fléaux, il faut
les nommer. Lorsqu'on a voulu s'en prendre à la violence conjugale, on l'a dit.
Lorsqu'on a voulu s'en prendre à la violence sexuelle ou aux violences sexuelles, on l'a nommée. Alors, c'est un petit
peu la même chose, on veut... Et certaines personnes nous disaient...
hier soir, on entendait : Ah! il y a très peu de cas, il y a très peu de
cas. Bien, chaque cas est un cas de trop.
Mme Benhabib (Djemila) : Permettez-moi...
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme Benhabib (Djemila) : ...si vous
avez fini, oui, permettez-moi, en fait, de clarifier un point. Écoutez, si vraiment votre intention était vraiment de cibler
ces prédicateurs religieux, vous n'avez pas besoin d'un tel projet de
loi puisque la disposition des crimes... du
discours haineux existe déjà dans le Code criminel. Donc, vous voyez, ce qu'il
vous manque, c'est une volonté politique de
vous attaquer aux violences faites aux femmes parce que, si cette volonté
politique avait existé, il y a bien
longtemps que ces prédicateurs religieux auraient, disons, affiché un peu moins
d'ouverture dans leurs propos aussi
véhéments à l'égard des femmes. Donc, ma foi, je ne vois pas de lien
envisageable entre ce que vous me dites et le projet de loi que j'ai lu.
Le Président (M. Ouellette) :
En conclusion, Mme la ministre.
Mme Vallée :
Le Barreau, ce matin, nous indiquait qu'il était important non seulement
d'avoir des dispositions criminelles
prévues au Code criminel, mais qu'un chemin à travers un processus civil était
tout aussi important et non incompatible.
Alors, je pense que c'est... oui, il existe actuellement des dispositions au
Code criminel, les dispositions au Code
criminel parfois comportent des enjeux puisque le niveau de preuve requis n'est
pas le même, mais, au niveau civil... Et
les dispositions visent à pouvoir intervenir dans un mode préventif également,
pas devoir attendre que l'infraction soit commise, mais pouvoir aussi
arriver en amont par l'émission d'injonctions, par l'émission d'ordonnances
civiles de protection pour mettre un terme
parce qu'on ne souhaite pas que le discours se propage et reste. Et c'est un
petit peu ce que les représentantes
du Barreau nous disaient, entre avoir un discours haineux qui reste et qui
demeure sur un site, et avoir une personne reconnue coupable au
criminel, qu'est-ce que vous voulez? Vous voulez que le site... que le discours
disparaisse. Ce qui est le plus important,
c'est que le discours haineux, le discours incitant à la violence disparaisse,
et c'est la raison pour laquelle des moyens civils sont proposés dans le projet
de loi.
Le Président (M. Ouellette) :
C'est fini, Mme la ministre.
Mme Vallée :
Merci.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Bonjour, Mme Benhabib, bonjour Mme Mailloux,
bienvenue à cette commission parlementaire. Bienvenue. Vous devez être et vous
êtes les bienvenues.
Alors, je
vais rectifier quelque chose. Bien, je vais faire une nuance, M. le Président.
Tout à l'heure, il est arrivé qu'on
demande des mémoires. Il y a des gens qui sont... Il a été très courant,
pendant cette commission parlementaire, que des gens n'aient pas déposé leurs mémoires d'avance. O.K. Sauf que, si
on calcule ça à ce qu'on vous a reproché votre retard, ce qui n'est pas
arrivé à d'autres, on vous a reproché d'avoir déposé seulement une partie,
alors que la grande majorité des groupes qui
se sont présentés ici nous ont dit d'entrée de jeu : Nous commenterons une
seule des deux parties... C'est arrivé très régulièrement. Donc, vous
vous joignez aux Julius Grey, Me Latour, vous vous joignez aux Fatima Houda-Pepin, qui sont venus ici pour nous parler
principalement de liberté d'expression. En ce sens-là, quand j'ai
entendu en plus de façon peut-être un peu
lourde, je vais vous le dire comme très respectueusement, M. le Président, vous
faire reprocher en plus de ne pas avoir...
bien, pas reproché, mais dire lourdement que vous n'aviez pas de mémoire, je ne
dis pas le reproche, je trouve que ça fait lourd pour vous. Alors, c'est pour
ça que je répète : Bienvenue.
Je trouve
dommage aussi qu'il y ait eu cette confusion du côté de la ministre où on vous
a prêté des intentions que vous
n'avez pas. Vous n'avez pas dit que qui que ce soit était à la solde de
l'islam, d'autant que l'islam est une grande religion. L'islamisme, c'est tout autre chose, et nous savons faire la
différence, je crois. Alors, je
voulais vous dire que moi, j'accueille bien votre mémoire, puisqu'il est
tout à fait dans la ligne de Fatima Houda-Pepin, des Julius Grey, Latour, comme
je le disais.
Vous parlez
d'autocensure, vous craignez l'autocensure. Je veux le dire encore une fois : D'autres avant vous ont abordé cet aspect, vous n'êtes pas les seules.
J'aimerais ça que vous m'expliquiez quels mécanismes pourraient nous
amener à faire que cette loi provoque une
autocensure chez les gens, d'autant que je vois Mme Mailloux qui est là, qui,
elle, a vécu durement le fait de s'être exprimée. Je pense que vous avez
encore une poursuite sur votre dos, Mme Mailloux.
Mme Mailloux (Louise) : Oui.
Mme
Maltais : O.K.
Alors, parlez-nous d'autocensure.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib ou Mme Mailloux?
Mme Benhabib (Djemila) : Mme
Mailloux.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Mailloux.
Mme
Mailloux (Louise) : Bon.
Alors, écoutez, Me Latour en a parlé,
ça va créer ce qu'on pourrait appeler, ce projet de loi là, au départ, un effet refroidissant, hein, un «chilling
effect». Et ce que ça va donner, écoutez, de s'exposer à une plainte qui va être anonyme, de ne pas avoir
au départ la présomption d'innocence, de devoir cesser de prendre la
parole publiquement ou de diffuser, dépendamment de quoi on parle, que son nom
puisse apparaître, qu'on soit soumis à des
sanctions pécuniaires, que ce soit l'humiliation publique parce que son nom va
apparaître sur une liste, et pour combien de temps encore, alors il y a des gens qui se sont opposés à ça
évidemment par rapport à des mineurs, mais je pense qu'on peut le faire aussi par rapport à des adultes. Ça
va nécessairement créer une mauvaise réputation, et ça peut briser
parfois une carrière, et même parfois des
vies, sur le plan, j'entends, professionnel ou politique. Et ce que ça crée
aussi, ça fait des exemples pour les gens qui défendent les mêmes
positions que nous.
Alors, il est
évident que... pour moi, ça me semble assez évident qu'on va cibler des gens.
On ne se mettra pas à poursuivre M. et Mme Tout-le-monde qui a écrit sur
Facebook que, bon, etc., on va cibler des gens dont la parole publique a une résonance, une importance. Donc, on
va évaluer le poids politique de cette parole-là. On va cibler des gens
et on va se servir de... quand j'ai dit «on
va», je parle des islamistes, vont se servir de cette loi-là pour faire taire
des gens qui nous éclairent, nous
renseignent, nous alertent. Ce n'est pas des gens qui insultent l'islam. Mme
Houda-Pepin n'insulte pas l'islam.
Djemila Benhabib n'insulte pas l'islam. Ça fait des années qu'ils essaient de
nous dire : Ne vous mettez pas la tête
dans le sable, ce qui est ailleurs est aussi ici, etc., et je pense que ce
projet de loi là va être excessivement répressif vis-à-vis ces gens-là qui... et même des journalistes. Il y
a des journalistes qui se retrouvent aussi poursuivis devant les
tribunaux pour diffamation pour avoir
mentionné des faits, alors... Et imaginez ce que ça peut vouloir dire si on met
ça en place. Et ce qui est remarquable
jusqu'à maintenant aussi, c'est de voir ceux qui sont en faveur de ce projet de
loi là et ceux qui veulent s'en dissocier, le contestent ou demandent le
rejet. Bon, on a des recommandations. Djemila va vous en parler. On a des
choses à apporter, nous aussi. Mais il est étonnant de voir à qui ça plaît, et
il y a de quoi avoir un peu peur.
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Mme Benhabib, si vous voulez ajouter, mais, si vous avez des recommandations aussi,
on aimerait beaucoup les entendre.
• (16 h 50) •
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Oui, merci. En fait, le Comité sénatorial
permanent de la sécurité nationale et de la défense, donc, du Canada s'est penché, donc, sur la question et a émis
un rapport provisoire, donc Combattre la menace terroriste au Canada, et je pense que c'est un document de travail
extrêmement intéressant et qui serait donc pertinent que vous devriez,
donc, lire et vous en servir.
Et, pour ma
part, donc, j'aimerais donc partager avec vous quelques recommandations qui me
semblent intéressantes. Alors, la
première étant, par exemple, que le gouvernement érige en infraction le fait
d'être membre d'un groupe terroriste
au Canada. Nous avons ici, au Québec, des personnes qui se proclament
ouvertement militants de groupes terroristes dans le monde et qui le
disent ouvertement, qui font des collectes de fonds, qui tiennent des
conférences, qui sont extrêmement dynamiques sur le plan politique aussi. Et
donc il serait intéressant donc qu'on érige donc cette appartenance en
infraction.
Recommandation 11 : «Que, lorsque le gouvernement retire le statut d'organisme de bienfaisance en
organismes pour des motifs liés au
terrorisme, il tienne les personnes responsables d'être [aussi] complices
d'activités terroristes ou de fournir un soutien matériel à ce type
d'activités.»
Une recommandation que j'ai particulièrement,
donc, appréciée, c'est celle qui rejoint un peu ce que fait le gouvernement britannique : «Que les Frères musulmans et les groupes qui y sont
étroitement associés fassent l'objet d'une enquête — bon,
ici, c'est le SCRS, mais bon, on pourrait s'associer à cette enquête — [...] de manière prioritaire afin de déterminer s'ils devraient être
désignés des entités terroristes.
«Que le gouvernement fédéral encourage les gouvernements provinciaux[, par exemple,] à adopter des
lois qui protègent les Canadiens qui participent au discours public de
poursuites vexatoires.»
Et il me
paraît aussi important de comprendre également de quelle façon se font financer
des organismes ici, à caractère qu'on
nous dit cultuel ou culturel, par des États étrangers. Donc, s'il y a des États
étrangers comme l'Arabie saoudite et
le Qatar qui financent directement des écoles et des mosquées, c'est bien parce
qu'ils veulent tirer quelque chose de
cela. Et nous savons ce que fait l'Arabie saoudite à l'échelle internationale,
donc c'est la promotion de la charia. Donc, ici, il existe des gens, des groupes, des organismes qui font
ouvertement la promotion de la charia avec des fonds étrangers. Et ça,
je pense qu'on devrait criminaliser ce genre de procédure.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Mme Benhabib, vous parlez beaucoup de lutte au terrorisme. Puis là je vais vous
amener ailleurs, je veux dire...
Donc, le mot, à ce moment-là, c'est... votre introduction, c'était :
Pourquoi? Le grand verbe, c'est «pourquoi»... le grand mot, plutôt, ce n'est pas un verbe, mais le mot «pourquoi».
Mais là on n'est pas dans la lutte au terrorisme, on est... En fait, le gouvernement nous amène dans un plan
pour contrer la radicalisation. Ce projet de loi là émane de ce plan-là,
mais, à ce que je comprends, et ce que
beaucoup, beaucoup de gens, beaucoup de gens qui ont fait des commentaires
nous disent, c'est : Ce n'est pas là
pour contrer la radicalisation, c'est là pour contrer le discours haineux, et
parfois ça peut aller à l'encontre, ça peut ne pas atteindre son
objectif.
Mais vous dites, sur le pourquoi... Mais vous
comprenez qu'on est un peu en amont en étant dans la lutte à la radicalisation
plutôt que sur le terrorisme, le terrorisme étant finalement l'aboutissement de
la radicalisation.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Bien, écoutez, en fait, on a vu tout simplement
une évolution dans la sémantique. Je travaille
sur ces questions-là depuis suffisamment longtemps pour vous dire que le mot
«radicalisation», en soi, je l'ai très peu
lu, il y a à peine deux, trois ans. En fait, il est né comme ça. C'est un
mot qu'on a sorti du chapeau... que les médias, plutôt, hein... ça a été une invention médiatique qui a été reprise par
la suite parce que le mot «terrorisme» fait peur. Et moi, je pense qu'il faut bien nommer les choses. Mal
les nommer, ça contribue à compliquer le problème. Et je pense qu'il
faut parler du terrorisme, je pense qu'il faut aussi parler de la
radicalisation, je pense qu'il faut parler des idéologies qui contribuent à la
radicalisation et au terrorisme et qu'il faut agir aussi bien en amont qu'en
aval.
Et, pour résumer, ce que ne fait pas ce projet
de loi, c'est précisément de s'attaquer à la question de la radicalisation. Parce que, s'il l'avait réellement
fait, je l'aurais défendu. Je l'aurais défendu! Or, je me rends compte
que ce projet de loi n'est qu'un paravent pour ne pas parler précisément de la
radicalisation. Or, c'est le problème. C'est le problème à l'échelle planétaire et c'est aussi devenu le problème, eh
bien, du Québec. Et donc nous avons l'obligation de réfléchir sur ce
problème.
Et plus
encore. Vous, vous êtes des parlementaires. Vous avez la responsabilité de
prendre des décisions, et, plus encore, d'agir. Les Québécois ont besoin
d'action. Les Québécois ont besoin d'être rassurés, parce que les Québécois
sont inquiets et que le monde aujourd'hui est en ébullition. Et nous devons
leur offrir une perspective de paix, une perspective de sécurité et nous devons
clarifier les concepts. Et donc c'est pour ça que j'ai demandé : Comment
se fait-il qu'un projet de loi qui repose...
dont l'ossature principale repose sur le concept d'islamophobie et de crimes
haineux, donc qui à peu près... il y a deux
concepts, hein, qui se chevauchent, et qu'on ne les définisse pas? Honnêtement,
ça ne fait pas très sérieux. Voilà.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci. Vous dites : Vous avez, comme
parlementaires, le devoir d'agir. Effectivement, il s'est passé un événement tout à l'heure au salon bleu,
ma collègue a déposé une motion pour demander que le gouvernement fédéral interdise le
niqab dans la cérémonie d'assermentation des citoyens et citoyennes. Je le
faisais conjointement. J'ai même demandé
que ce soit une demande officielle du Québec dans la prochaine... dans la
présente campagne électorale, mais ça
a été refusé, effectivement, par le Parti libéral, malheureusement. Je souhaite
encore qu'ils réfléchissent et qu'ils en arrivent... qu'ils reviennent
là où on en est. Je pense que ce serait important.
Et puis l'autre chose
que je veux dire, c'est intéressant ce que vous dites parce qu'hier M.
Charkaoui était ici, le coordonnateur du
Collectif québécois pour... contre l'islamophobie — je ne sais plus comment l'appeler — et il a attaqué nos deux... ma collègue et moi, de la CAQ, en
disant que nous portions un discours de haine. Donc, pour ce que nous
disons, comme parlementaires, qui est très
modéré, ceci dit, nous pourrions être poursuivis pour discours haineux. Donc,
il y a un problème qu'on va vivre, nous autres aussi.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Bien, écoutez, le premier ministre canadien est
poursuivi pour les propos qu'il a tenus à l'égard d'une organisation islamique. Donc, oui, en fait, on poursuit,
y compris le premier ministre, donc, du Canada. Donc, enfin, ils aiment
bien les poursuites, vous l'avez compris, je pense.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau, dernière minute.
Mme
Maltais :
30 secondes. Allez-y, continuez, mais je vais me garder un 30 secondes.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Mailloux.
Mme Mailloux (Louise) : Ce que vous venez de dire, Mme Maltais, ne fait
que confirmer ce que j'avance : le projet de loi est flou, on n'a
pas de définition précise, ça va ouvrir à toutes les dérives, entre autres, par
exemple, des poursuites de gens qui vont critiquer l'islam et les islamistes.
Mme
Maltais : Dernière chose, si je peux dire. Oui, vous avez
été candidate du Parti québécois. J'en suis très fière, mais je suis très fière à chaque fois que des
femmes intelligentes, des penseurs désirent se présenter pour un parti,
quel qu'il soit. Et je veux vous dire :
Je vous en remercie, d'avoir voulu participer à la société civile et que ça
n'empêche pas... et que de se présenter pour un parti n'enlève pas sa
crédibilité et ne fait pas que des gens n'aient pas le droit au respect quand
ils présentent des mémoires en commission parlementaire.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Je vais me dépêcher, je sais que les cloches vont nous interrompre et moi, je suis entre deux événements
en même temps. Merci de votre présence. Vous soulignez quelque chose que
j'ai souligné lors du dépôt de ce projet de loi, le fait que les mots
«radicalisation», «intégrisme», «extrémisme religieux»,
enfin, toute la panoplie de mots n'y apparaisse pas. Moi, ça me dérange
profondément puisque le but, c'est de s'attaquer à cette radicalisation.
Vous
avez dit : Les musulmans laïques n'ont pas à craindre ici, au Québec.
C'est vos mots. Je le souhaite de tout coeur.
Les musulmans laïques, les musulmans démocrates n'ont pas à craindre ici, au
Québec. Mais pourtant moi, je suis inquiète parce que comment expliquer
le silence des musulmans laïques, des musulmans démocrates qui viennent dans nos bureaux en tant que députés pour nous
dire : Aidez-nous, on a besoin de quelque chose, on a besoin d'une
charte, on a besoin de protection, on a
besoin que la laïcité soit exprimée ici, au Québec, parce que les prédicateurs
sont ici et endoctrinent les jeunes? Vous devriez les entendre. Mais
pourquoi ne les entendons pas davantage, ces gens-là?
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Benhabib.
• (17 heures) •
Mme
Benhabib (Djemila) : D'abord, je viens d'apprendre que vous aviez,
donc, déposé une motion et j'aimerais vous
en féliciter. Vous avez posé une excellente question, bien entendu, et qui me
trouble beaucoup, mais il faut savoir que les musulmans démocrates, les
musulmans laïques se sentent totalement, je dirais, seuls, se sentent
abandonnés des démocraties lorsque les démocraties
ne prennent pas leurs responsabilités. Tout à l'heure, vous aviez tout
simplement, donc, évoqué votre souhait à l'effet de condamner, donc, le port du
niqab, et malheureusement ce souhait-là a été contrarié. Eh bien, le message que ça envoie aux démocrates
laïques, aux musulmans, c'est que le port du niqab, donc cet habit qui
cristallise une idéologie, disons, barbare à l'égard des femmes, est soutenu
dans une démocratie.
Et
donc, vous voyez, on est en train de faire de la démocratie ce qu'elle n'est
pas en relativisant tout et n'importe quoi.
Et donc c'est pour ça que j'ai insisté sur le rôle que devraient avoir les parlementaires, sur le rôle que devraient avoir les politiques dans une démocratie. Et je suis triste
d'apprendre que nous n'avons pas exprimé la même solidarité que nous avons eue en 1995 dans cette Assemblée nationale. En 1995, l'Assemblée
nationale s'est exprimée à l'unanimité contre les tribunaux islamiques et contre la charia. Et j'aurais souhaité que
cette unanimité puisse s'exprimer. Or, on voit qu'il y a un recul, et ce recul, malheureusement,
n'encourage pas les démocrates musulmans, les laïcs à s'exprimer, parce
qu'ils se sentent menacés, parce qu'ils se sentent intimidés, parce qu'ils se
sentent tout simplement incompris...
Le
Président (M. Ouellette) : Les cloches. Je m'excuse, Mme
Benhabib, de vous couper dans votre envolée, mais les cloches sonnent.
Nous devons retourner au salon bleu pour le vote sur la motion du mercredi.
Nous reviendrons vous
voir pour terminer le bloc de Mme la députée de Montarville dans 10, 15
minutes. ...laisser nos affaires, ça va être fermé.
Je suspends les
travaux.
(Suspension de la séance à
17 h 2)
(Reprise à 17 h 20)
Le
Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. On s'excuse du délai, mais les votes au
salon bleu ont prédominance sur tout.
Je vous laisse terminer votre réponse, Mme Benhabib. On m'a informé que le
député de Borduas va terminer le bloc de la CAQ, mais je vous laisser
terminer votre réponse de tantôt.
Mme Benhabib
(Djemila) : Bien, en fait, j'avais fini.
Le
Président (M. Ouellette) : Bon, si vous aviez fini... M.
le député de Borduas... Je comprends
qu'un vote, ça coupe une inspiration. M. le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour à vous deux, mesdames. Merci pour votre
contribution à cette commission parlementaire. D'entrée
de jeu, je voulais savoir... Je n'ai
pas entendu le début de votre intervention et je m'en excuse. Cependant, hier, on a reçu un témoin, l'imam Charkaoui, qui
parlait de la question des mariages forcés dans un premier temps. Il disait : Ça n'existe pas au
Québec, on ne peut pas le documenter. Eh bien, vous ne l'avez pas
documenté, et ça n'existe pas.
J'aimerais
connaître votre point de vue sur cette affirmation, et s'il y a
mariages forcés au Québec, si vous avez des cas d'espèce.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Benhabib.
Mme Benhabib
(Djemila) : Merci. En fait, ce n'est pas parce qu'un phénomène n'est
pas documenté qu'il n'existe pas. Ce n'est
pas parce qu'on n'a pas un avis sur le problème que le problème n'existe pas.
Bien entendu, une panoplie de
violences à l'égard des femmes existe, et, parmi ces violences, il y a en fait
des conceptions, qui sont totalement dépassées,
des unions. Et donc les mariages arrangés, les mariages forcés existent parce
que ce sont des pratiques qui sont courantes
dans des régions du monde. Si l'on parle de pays comme le Pakistan et
l'Afghanistan, les mariages arrangés, c'est vraiment une norme, c'est
une norme sociale.
Donc, comment peut-on
s'imaginer recevoir des personnes venant de ces pays-là sans pour autant qu'ils
ramènent avec eux leur propre bagage culturel? Et là, en fait, je ne suis pas
du tout en train de faire une critique par rapport
à ce bagage culturel. Par ailleurs, ce que je dis, c'est qu'à l'arrivée ici,
dans un pays où on considère l'égalité entre les femmes et les hommes un
pilier de notre démocratie, eh bien il faut leur apprendre à s'unir de façon
différente, et il faut leur dire qu'un mariage arrangé ou un mariage forcé est
une entorse à ce principe d'égalité.
Alors,
moi, dans ma vie de tous les jours, je peux vous dire, je rencontre des femmes
battues par leur mari; oui, je rencontre des femmes qui ont subi des
mariages arrangés, oui; et, oui, j'ai déjà rencontré des femmes qui ont subi un
certain nombre de violences qui sont
systémiques, qui sont dues à un certain bagage culturel ou même religieux.
Donc, écoutez, ce problème-là existe, il est largement documenté, que ce soit
ici ou que ce soit ailleurs dans le monde.
Le Président (M.
Ouellette) : M. le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Oui. Et concrètement vous faites référence au bagage culturel et vous
dites : L'égalité entre les hommes
et les femmes doit être indiquée aux individus qui désirent s'installer au
Québec. Mais comment fait-on concrètement pour inculquer et pour
informer les gens que cette situation de mariage arrangé, de mariage forcé
n'est pas acceptable? Quels sont les outils
que l'État québécois doit développer pour ce faire? Et, de façon sous-jacente,
est-ce que, le projet de loi que nous avons, vous considérez qu'il donne les
outils pour ce faire?
Le Président (M.
Ouellette) : Mme Benhabib.
Mme
Benhabib (Djemila) : Oui, merci. En fait, ce qui s'est fait dans
d'autres pays, et là je parle de la France, je parle de la Belgique, je parle de la Suisse, enfin, des pays que je
connais bien, c'est vraiment des grandes campagnes de sensibilisation, de grandes campagnes d'éducation
à travers un tissu d'organismes communautaires et un certain nombre
d'outils pour rencontrer les gens, pour discuter avec eux, pour les amener à
réfléchir sur leur condition, pour les sortir
bien souvent de leur isolement. Bien
souvent, ces femmes ne parlent pas, donc, la langue du pays, donc il faut aller vers elles et non pas
s'attendre à ce que la femme vienne vers les institutions. Bref, ce sont des
pratiques qui se font dans différents pays.
Et, dans le cadre,
donc, de cette ambition, disons, du gouvernement à lutter contre les violences,
eh bien, il m'apparaît tout à fait légitime qu'on s'intéresse aux pratiques qui ont été faites ailleurs
dans le monde. Je peux vous dire, par exemple, bien souvent, j'ai pris
le métro à Bruxelles et j'ai vu, dans le métro, des panneaux d'affichage qui
faisaient la promotion, par exemple, de la lutte contre les mariages arrangés.
Dans
les écoles françaises, il y a des luttes aux mariages également
arrangés qui commencent dans les écoles. Donc, on sait très bien que la période estivale, donc la période de l'été est
une période qui est propice aux voyages dans le pays d'origine, c'est là où bien souvent les mariages
forcés se font, eh bien, il y a des campagnes de sensibilisation et d'éducation
dans les écoles qui se font ouvertement.
Donc, il faut d'abord commencer par accepter qu'il y a
un problème. Il
faut d'abord nommer le problème
et il faut avoir aussi cette volonté politique,
ce courage politique de dire : Ici, bon, bien, les
mariages forcés, c'est un crime, les mariages arrangés, on n'en veut pas, les
crimes d'honneur, et ainsi de suite.
Donc, vous
voyez, on ne peut pas agir si l'on n'est pas convaincus dès le départ que
l'idéologie sous-tend une action. Et
donc c'est là où il faut... C'est sur ce terrain-là, donc, de l'éducation, de la sensibilisation... Nous avons ici, au Québec,
des organismes communautaires qui sont bien rodés, qui ont une expertise dans
ce domaine, qui travaillent avec les femmes.
Donc, il me paraît tout à fait, donc... On peut s'attendre à des résultats donc
probants, concernant la lutte aux violences, en s'appuyant et en
s'outillant avec les organismes communautaires, par exemple.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Benhabib, merci, Mme Mailloux, de votre présence en commission
aujourd'hui. On s'excuse encore du délai.
Je vais suspendre quelques minutes, le temps que
MM. Rousseau et Côté prennent place.
(Suspension à 17 h 28)
(Reprise à 17 h 29)
Le
Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons M. Guillaume Rousseau,
accompagné de Me François Côté. Et vous avez la parole, M. Rousseau, pour une
période de 10 minutes.
Juste avant
de vous donner la parole, vous savez que je vais effectivement vous demander
votre indulgence et votre consentement, compte tenu du fait que nous
avons eu un vote, pour finir un petit peu plus tard que l'heure prévue. Et,
merci, j'ai votre consentement.
Donc, à vous la parole, M. Rousseau.
MM. Guillaume Rousseau et François Côté
M. Rousseau (Guillaume) : Merci
beaucoup. Alors, nous avons choisi de vous présenter deux contributions dans un
même mémoire, mais en respectant évidemment les 10 minutes qui nous sont
allouées.
• (17 h 30) •
La partie I de ce projet de loi constitue un
danger pour la liberté d'expression. Il serait donc préférable de la laisser tomber. Dans l'éventualité où le Parlement décidait de ne pas mettre de côté la
partie I, il devrait tout de même la modifier.
La référence au discours haineux
devrait être retirée tant ce concept est flou et à notre avis extrêmement difficile pour ne pas dire impossible à préciser de manière
satisfaisante, comme l'illustre la définition qu'on retrouve en jurisprudence, qui est assez floue. Il faudrait interdire seulement,
à notre avis, les appels directs, intentionnels et
répétés à la violence. Le but est d'éviter
de mobiliser le pouvoir coercitif de l'État pour une personne qui n'aurait fait que
déraper à une seule reprise.
Surtout si le
projet de loi se concentre sur les incitations à la violence,
il ne devrait pas limiter sa protection aux groupes visés par l'article 10 de la charte québécoise, car interprété a
contrario, comme il se doit, le deuxième alinéa de l'article 1 de la loi
proposée signifie qu'il est permis d'inciter à la haine contre les groupes qui
ne sont pas visés à l'article 10. Par exemple, puisque l'origine régionale
n'est pas un motif énuméré à cet article, ainsi libellée, la loi envoie comme message qu'il est permis de promouvoir la violence
contre les habitants provenant d'une région. Cela est inacceptable. Le
deuxième alinéa en question devrait donc être abrogé.
L'idée de rendre publique sur Internet une liste
des personnes ayant tenu des discours haineux ou incitant à la violence est très discutable. L'article
21 a beau prévoir que le nom d'une personne ne figure sur cette liste que pour
une durée limitée, en réalité, une simple
capture d'écran fera en sorte qu'un nom va figurer sur cette liste pour toujours.
Loin de favoriser la réhabilitation de la
personne, cette sanction risque de lui nuire sur le marché du travail, de la
stigmatiser, de l'isoler, peut-être même de la radicaliser davantage, voire
même carrément de mettre sa sécurité en danger.
De manière générale et à plus forte raison, si
l'interdiction ne vise que les incitations à la violence directe, répétées et
intentionnelles, nous doutons que la commission des droits soit l'autorité
appropriée. La commission a elle-même suggéré au gouvernement cette idée d'interdire
des discours haineux et de prévoir que des pouvoirs soient octroyés à cette
fin. Or, de nombreux citoyens considèrent cette idée comme hautement
liberticide. Dans ce contexte, considérant
en particulier les positions opposées à l'idée de la commission exprimées par
d'éminents juristes défenseurs des libertés, force est de constater que
cette commission a implicitement subi un vote de non confiance qui la
discrédite pour la suite.
De plus,
particulièrement au cours des dernières années, la commission a pris plusieurs
positions politiques très controversées.
Cette situation est problématique et le serait encore plus advenant l'adoption
de la partie I du projet de loi. Imagine-t-on
la commission prendre position contre une loi spéciale dans un conflit étudiant
puis, le lendemain, lancer les enquêtes
sur les personnes ayant tenu des discours haineux contre des étudiants ou se
prononcer contre la règle du visage découvert
lors de la réception de services publics, comme elle l'a déjà fait, puis
intenter des poursuites contre des personnes favorables à cette règle,
qui critiquent trop fortement le courant religieux prônant le voilement du
visage?
Enfin, les articles de la
partie II relatifs aux mariages forcés ou aux violences basées sur une
conception de l'honneur sont nécessaires au
point de mériter une protection parlementaire spéciale. Notamment parce que les
mariages forcés sont une pratique pouvant se
caractériser par des contraintes religieuses, que l'emprise sur une personne
s'exerce souvent dans un contexte sectaire et que des crimes d'honneur peuvent
être associés à une religion, ces articles pourraient être contestés sous
prétexte de liberté de religion protégée par les deux chartes des droits. Même
si une contestation constitutionnelle de ces articles aurait de fortes chances
d'échouer à terme, elle ne serait sans doute pas rejetée avant un procès au fond. La jurisprudence est claire sur ce
point. Il y a lieu pour le tribunal d'être très prudent avant d'accueillir une requête en irrecevabilité. Par conséquent,
ces articles de la partie II pourraient être contestés, au moins jusqu'au procès, au fond, en première instance.
C'est donc dire que l'État québécois risque de devoir consacrer
d'importantes ressources pour défendre ces articles devant les tribunaux. Pour
cette raison, mais aussi parce que ces dispositions sont trop nécessaires pour
être laissées à la merci des juges, il y a lieu de les protéger par le recours
à la clause dérogatoire des deux chartes des droits.
Comme le mentionne le docteur en droit Jacques
Gosselin, et je cite : «Il est [...] permis de considérer que le législateur, même s'il est d'avis que la mesure
législative envisagée n'est pas incompatible avec la charte [des
droits], juge préférable, compte tenu de l'importance que revêt à ses yeux
cette mesure, d'éviter de façon préventive toute contestation judiciaire à son sujet.» Fin de la citation. Les résultats
de nos recherches à travers les cas d'utilisation de la clause dérogatoire le confirment d'ailleurs. En
comptant l'utilisation systématique de cette clause entre 1982 et 1985,
nous dénombrons 41 lois québécoises qui
comprenaient cette clause. Donc, en dénombrant, pardon, l'utilisation
systématique de la clause dérogatoire entre 1982 et 1985 une seule fois, on la
compte pour une seule fois. Et, en utilisant cette technique-là, on arrive à 41 lois québécoises qui comprenaient une
référence à la clause dérogatoire, dont 11 sont toujours en vigueur d'ailleurs. Toutes ces lois sauf une
prévoyaient une dérogation aux chartes à titre préventif. Nous en
concluons donc que l'utilisation de la
clause dérogatoire pour protéger les articles relatifs au mariage forcé et aux
violences basées sur l'honneur serait justifiée. Je cède maintenant la
parole à Me Côté.
Le Président (M. Ouellette) :
Me Côté.
M. Côté
(François) : Chers membres
de la commission, bonjour. C'est avec honneur que je m'adresse à
vous, aux côtés du professeur Guillaume
Rousseau, que je remercie de m'avoir invité, et nous sommes d'avis tant à titre
citoyens qu'à titre d'avocats et de chercheurs en droit, que le projet de loi n° 59,
dans sa mouture actuelle, est contraire aux droits et libertés fondamentaux.
Le projet de loi n° 59 ouvre la porte à une négation institutionnalisée du droit fondamental à la liberté d'expression au travers d'un processus jonché d'un nombre
dangereusement élevé de risques d'arbitraires. Il s'avère incompatible
avec le droit fondamental à la liberté
d'expression, de critique et de désaccord au coeur du contrat social québécois
et il risque à terme d'instaurer un
climat de censure et de répression intellectuelle au travers d'une procédure
kafkaïenne, inquisitoire et intrusive, ancrée dans une culture de
surveillance et de délation des délits d'opinions.
Le projet de loi n° 59 prévoit
l'interdiction de tenir ou de diffuser des discours haineux, ayant vocation à sanctionner de manière quasi pénale toute personne qui tiendrait de tels discours ou
agirait de manière à ce qu'ils soient tenus.
Mais qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce qu'un discours haineux? Aucun
comportement précis n'est défini et nous le déplorons. Comment un
justiciable peut-il adapter sa conduite dans le but de se conformer à la loi si
la loi ne lui précise pas ce qu'elle entend réprimer?
Par ailleurs,
nommons l'éléphant dans la pièce. Les discours haineux visés par ce projet de
loi sont principalement ceux visant
les croyances ou pratiques religieuses ou culturelles. Et, si on s'en fie aux
propos de la commission des droits de la
personne, cette dernière n'hésite pas à qualifier d'actes d'intimidation qui
contribuent à un milieu hostile, générateur d'exclusion, rentrant ainsi dans l'esprit du discours haineux tel
qu'envisagé par le plan d'action du gouvernement, les actes suivants : «...les caricatures, les
graffitis — je vous
cite la commission des droits de la personne — les blagues, les plaisanteries, les commentaires humiliants, les
remarques désobligeantes, les insultes, les injures, l'isolement, les omissions
blessantes, les attitudes méprisantes et les rebuffades.» Cette situation — fin
de la citation — pourrait
exposer toute personne qui se moquerait des croyances ou pratiques religieuses
ou culturelles ou qui, sans le couvert de l'humour, s'exprimerait de manière franche dans son mépris envers de tels éléments
être qualifiée de tenante d'un discours haineux et de voir fondre sur elle les foudres de l'État. Un
tel potentiel de censure non balisée de la liberté d'expression en
matière culturelle ou religieuse visant, rappelons-le, non pas des individus,
mais des concepts et des codes moraux, est tout simplement injustifiable dans
une société libre et démocratique.
En outre — et je vais essayer
d'accélérer un peu — au
niveau de son application, le projet de loi semble ignorer certains droits fondamentaux des défendeurs accusés de discours
haineux qui seraient pris dans des engrenages procéduraux qu'il prévoit. J'en nomme quelques-uns issus d'une liste
beaucoup plus longue que nous avons compilée dans notre mémoire, mais la négation du droit au
contre-interrogatoire, la négation des droits judiciaires du défendeur
en le forçant à témoigner contre lui-même,
l'absence presque totale de contrôle dans les pouvoirs d'enquête, de fouille
et de perquisition de la Commission des droits de la personne et l'absence de droit d'appel de ces décisions au
stade de l'enquête. Ce ne sont que quelques exemples.
Finalement, le projet
de loi prévoit un registre d'inscription public de ces contrevenants. Nous
sommes tout simplement abasourdis par cette mesure qui semble n'avoir pour objectif
que de stigmatiser et de propager un effet de
terreur à l'idée de s'exprimer franchement au sujet des croyances et pratiques
culturelles ou religieuses. Le seul autre registre d'identification des
contrevenants comparable est le Registre national des délinquants sexuels, et
encore, ce registre n'est pas public.
L'opprobre par association générée par le recours au même mode d'indexation
public de surcroît des contrevenants au projet de
loi que celui visant les violeurs et les pédophiles ne peut tout simplement pas
être ignorée ici, et il en porte un
potentiel démesuré de stigmatisation par association à l'ignoble, invitant les
citoyens à se distancer et à se méfier de ceux qui oseraient parler
contre les croyances ou pratiques culturelles ou religieuses.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, Me Côté. Mme la ministre.
• (17 h 40) •
Mme
Vallée : M. le Président, merci. Merci, messieurs, merci de
votre présentation. Me Rousseau, bienvenue à l'Assemblée nationale, je sais que vous y avez travaillé quelques années,
alors c'est un plaisir de vous retrouver. Simplement... Bien, en fait, je reviens... parce que le discours...
surtout la présentation de Me Côté revient et reprend certains
éléments dont il a déjà été question.
Au risque de me
répéter, ce n'est pas un projet de loi qui est incompatible avec la liberté
d'expression. Et je pense qu'entre juristes
on peut avoir l'ouverture de reconnaître qu'il y a quand même des décisions des
tribunaux qui ont défini qu'il était
possible, pour des juridictions, de légiférer à l'encontre d'un discours
haineux, d'un discours qui incite à la violence. La jurisprudence est
là. La jurisprudence de la Cour suprême, elle est là, elle est claire.
Maintenant,
est-ce que les concepts que nous introduisons aujourd'hui dans la législation
québécoise, est-ce que ces concepts-là
méritent d'être précisés, méritent d'être définis? Encore une fois, tout comme
les intervenantes qui vous ont précédé, vos interventions me
convainquent que, oui, nous avons à définir les termes, justement pour éviter
une interprétation qui mène les gens à
prétendre que la critique de la religion, la satire — comme vous l'avez soulevé — le
journalisme pourraient être considérés comme un discours haineux ou un discours
incitant à la violence.
Ce
n'est pas du tout ce dont il est question dans le projet de loi. Le projet de
loi vise justement à s'assurer que notre liberté d'expression ne soit
pas un prétexte, ne serve pas de prétexte pour laisser cours à la haine et à la
violence, tout simplement, au même
titre...Et, dans Whatcott, on l'a clairement défini, qu'il y avait une limite à
la liberté d'expression dans une
société libre et démocratique, et on ne pouvait pas inciter à la haine, alors,
et déconsidérer un groupe de personnes, dénigrer un groupe de personnes, le rendre ignoble. Mais critiquer un
groupe de personnes, critiquer une religion, ce n'est pas un discours
haineux. Alors, là-dessus, je reviens, parce que je crois que c'est important
de le mentionner.
J'avais,
Me Rousseau, une question, parce que vous nous avez amené,
Me Rousseau, un certain nombre de recommandations,
de suggestions face au projet de loi. Vous avez recommandé que l'on légifère
afin d'interdire tout ce qui serait
un appel direct et répété à la violence. Vous avez insisté sur le caractère de
répétition de l'appel à la violence. Moi, j'avais une préoccupation quant à ça. Parce que, pour moi, un appel à la
violence, ce n'est pas acceptable, point. Si on appelle à violenter une femme... Parce que le Conseil du statut de la
femme nous disait qu'il y avait, sur certains sites, des hommes qui disaient : Bien, votre femme...
écrivaient : Si une femme n'accepte pas des relations sexuelles, elle doit
être battue, donc c'est clairement une incitation à la violence. Comment
pouvons-nous accepter, même, qu'une seule fois quelqu'un puisse tenir de tels
propos? Et c'est pour ça que je voulais vous entendre et j'aimerais que vous
précisiez le pourquoi de cet ajout d'appel répété, direct et répété à la
violence. Est-ce qu'un appel à la violence n'est pas un appel de trop?
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau.
M. Rousseau
(Guillaume) : C'est sûr que tout appel à la violence n'est pas
souhaitable. Est-ce qu'il faut l'interdire? Ça, c'est une autre question. Puis
l'exemple que j'ai ici, c'est qu'on peut penser à une personne qui, sur un réseau social... On sait que les réseaux
sociaux, ça favorise, comment dirais-je, la spontanéité des échanges,
disons-le comme ça. Ça se peut qu'une
personne à un moment donné, une fois, sur un réseau social, par une comparaison
douteuse ou quoi, emportée dans un combat de
tweets, pour le dire comme ça, la personne, une fois, dérape. Est-ce que, pour
cette raison-là, un dérapage, on va tout
enclencher une procédure très lourde et tout? J'ai un doute. Moi, je pense que,
si cette personne-là, effectivement,
dérape une fois, que le groupe qui est visé par ça le note. Une deuxième fois,
là, la personne devient,
effectivement, sujette à la dénonciation. Donc, ça apparaît une façon de...
Parce que c'est toujours une question d'équilibre,
en fait. Évidemment, on n'en veut
aucune, incitation à la violence, mais, bon, si on a une loi qui va très,
très fortement contre toute forme d'incitation
à la violence, même une fois, même pas répétée, même pas intentionnelle,
bien à ce moment-là, ça devient très lourd
pour la liberté d'expression. Donc, c'est une question d'équilibre ici. Et, en
ajoutant un «répété», on a peut-être un petit peu moins de protection pour les
groupes qui pourraient être visés, mais on a un petit peu plus de liberté
d'expression. Et c'est de trouver l'équilibre là-dessus.
Et,
sur la question de la liberté d'expression, de la Cour suprême, et tout, moi,
je vous dirais la chose suivante : Vous savez, la Cour suprême, elle n'est pas sans appel parce qu'elle est
infaillible; elle est infaillible parce qu'elle est sans appel. Ça se peut qu'elle se trompe, la Cour
suprême, mais il n'y a personne au-dessus pour le dire, sauf le Parlement,
qui peut décider, avec la clause dérogatoire...
Donc, autrement dit, ce n'est pas parce que la Cour suprême a
dit : Ceci respecte la liberté d'expression que ça la
respecte. Elle peut se tromper, elle peut changer d'avis plusieurs années plus
tard. On a vu ça dans le cas des questions de mourir dans la dignité.
Donc, moi, l'appel
que je vous fais, en tant que parlementaires, c'est que, quand vous voyez un
projet de loi — c'est vrai particulièrement pour celui-là,
c'est vrai en général — dites-vous : Est-ce qu'en votre âme et conscience ça
respecte les droits fondamentaux? Demandez-vous pas : Ah! bien je ne le
sais pas trop, mais je vais sous-traiter ça à la
Cour suprême. Je vais aller me chercher un avis, là, d'un fonctionnaire qui va
me dire que ça la respecte, puis je n'ai plus à me poser la question. Non, non : en votre âme et conscience,
est-ce que ça respecte les droits fondamentaux tels que vous les percevez, en fonction de votre
philosophie politique? Ensuite, que la Cour suprême pense telle ou telle
chose, c'est bien de le savoir pour la ministre de la Justice, et tout.
Ensuite, si ça ne respecte pas la Cour suprême, on peut passer une clause
dérogatoire. C'est un aspect technique.
Mais,
au-delà de ça, si jamais la Cour suprême vous dit : X est conforme à la
liberté d'expression, mais qu'en votre âme et conscience vous dites : Non,
il me semble qu'il y a un problème, écoutez votre âme et conscience. Ne sous-traitez pas le respect des droits fondamentaux
auprès de la Cour suprême. Vous avez un rôle en tant que parlementaires, et c'est... La Cour suprême, les
tribunaux, les parlementaires, le peuple qui descend dans la rue :
toutes ces instances-là ont leur rôle à jouer en frais de protection des droits
fondamentaux. Pas seulement la Cour suprême, vous comprenez? Donc, ça, ça
m'apparaît important.
Puis, pour ce qui est
de Whatcott — je
finis là-dessus et je passe la parole à mon collègue — dans
Whatcott, on dit la chose suivante,
donc : «...les termes "haine" et "mépris" qui figurent
dans la disposition ne s'entendent que des manifestations extrêmes de l'émotion à laquelle renvoient les termes
"détestation" [...] "diffamation".» Donc, on définit
«haine» par «détestation» : ça ne nous avance pas beaucoup. Ensuite, on
dit : «Ainsi sont écartés les propos qui, bien que répugnants et
offensants, n'incitent pas à l'exécration, au dénigrement et au rejet qui
risquent d'emporter la discrimination et
d'autres effets préjudiciables.» Donc, sont écartés les propos qui n'insistent
pas, donc ça veut dire qu'ils sont
inclus, ceux qui insistent. Vous voyez, une espèce de définition qui est très
vague. On aurait beau codifier ça dans la loi, on ne serait pas plus avancés. C'est plein de mots très vagues :
dénigrement, rejet. Bon, qu'est-ce qu'un propos qui tend au rejet? Bon,
tout ça ne m'apparaît pas clair.
Et nous, on s'est
posé la question : Est-ce qu'on pourrait... On aurait aimé ça, vous
proposer une définition d'un discours haineux qui aurait été précise, et
tout : c'est impossible. La seule façon de vraiment le préciser, c'est de ramener à appel à la violence. Violence, on
sait c'est quoi, et là il y a un minimum de sécurité juridique. Toute forme
de définition de discours haineux qu'on a
vue n'atteint pas le minimum de sécurité juridique que l'on souhaite, c'est-à-dire
qu'il faut que le citoyen lise la loi, dise : O.K., ça, je peux le dire,
ça, je ne peux pas le dire puis, si je le dis, j'ai telle conséquence et j'agis en conséquence, je m'assume.
Donc, ça, c'est la sécurité juridique et c'est superimportant. Et je
n'ai pas vu de définition de discours haineux qui permette le minimum de
sécurité juridique qui est souhaitable.
Et, là-dessus, je me
tais pour laisser du temps à mon collègue.
Le Président (M.
Ouellette) : Ne bougez pas, M. Rousseau, je pense que vous avez
incité une réponse de la ministre par rapport à...
M. Rousseau
(Guillaume) : Ah! peut-être, oui, je...
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la ministre.
• (17 h 50) •
Mme Vallée :
Oui, bien, en fait, Me Rousseau, vous avez remis peut-être en doute le jugement
de la Cour suprême. Par contre, vous nous
appelez à écouter notre âme et conscience lorsque nous sommes appelés à
légiférer. Moi, je vous dirais : Au-delà de la question qui a été
tranchée par la Cour suprême, qui a été tranchée par la Cour suprême à quelques reprises... Parce que le discours haineux
et le discours incitant à la violence... On parle beaucoup de Whatcott, mais il n'y a pas que Whatcott. Ça, je pense qu'on
s'entend tous là-dedans. Et il y a quand même une tangente qui se dégage
de la jurisprudence de la Cour suprême.
Puis moi, dans mon
âme et conscience, j'ai beaucoup de difficultés à ce que, sous le prétexte de
la liberté d'expression, on puisse inciter à
la violence, notamment à l'égard des femmes, à l'égard des membres de la
communauté LGBT, à l'égard d'un membre qui...
Bien, oui, mais qui... ou à l'égard d'un groupe en raison de leur appartenance
à une ethnie, à leurs croyances religieuses. Et puis on est appelés à
tracer une voie qui n'est pas clairement définie. C'est ce qu'on fait. Vous avez fait référence aux soins de
fin de vie, et je pense que vous avez travaillé sur le dossier, je me
souviens bien, mais les soins de fin de vie justement
nous amenaient là. On a eu des échanges similaires en commission parlementaire : Qu'est-ce que l'aide médicale à mourir?
Comment on la définit, l'aide
médicale à mourir? Ce n'était
pas clair, il y avait un tas de
questionnements qui étaient soulevés, et certains prétendaient qu'elle allait à
l'encontre, justement, des droits et libertés de la personne.
Et donc on est dans
une situation similaire, où on doit... on est amenés à introduire dans la législation
des concepts de droit nouveau. Et la raison
pour laquelle on n'a pas défini les termes, je vous dirais, c'est que nos
équipes... et, vous savez, je crois également que vous avez été juriste au ministère
de la Justice... et l'équipe nous disait : Il faut faire attention de ne pas trop définir, parce que parfois, en
définissant, dans un texte de loi, on peut limiter la portée de la loi, on peut limiter la portée d'un article.
Alors, on a fait le choix de ne pas introduire de définition dans le projet de loi. Mais je comprends qu'on est
dans un processus quand
même assez nouveau, on aborde des
concepts qui sont nouveaux et que, pour des fins d'éducation, des fins de compréhension il peut être opportun de
définir, exercice qui sera un exercice important. Mais je crois qu'il
serait important... et il faudra le faire.
Mais
tout ça pour vous dire que je pense que, oui, la liberté d'expression, c'est un
droit fondamental au Québec, c'est tout à fait... et ça, on ne revient
pas là-dessus, mais elle ne peut être utilisée pour propager la haine et
propager l'appel à la violence, tout simplement. Ce n'est pas plus compliqué que ça. On ne peut pas... Il faut, à un
certain moment donné... Et la Cour suprême l'a dit, qu'il y avait un
point de bascule. Le Barreau, d'ailleurs, nous a tenu des propos similaires ce
matin, qu'il y avait ce point de bascule où on ne pouvait utiliser un droit
pour diminuer un autre droit, soit celui de l'égalité.
Qu'est-ce
que vous pensez de ces concepts-là, notamment, et des interventions... Je crois que vous étiez
présents ce matin, ou l'un de vous deux
était présent ce matin lorsque le Barreau a fait sa présentation. Qu'est-ce que vous pensez de
cet élément-là?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Côté.
M. Côté (François) : Merci
beaucoup. Nous sommes tous en faveur de la vertu ici. Il n'y a personne ici
présent, je l'espère, qui souhaite
activement voir des déferlements de haine. Mais là où le bât blesse, c'est de
définir qu'est-ce que la haine. Qu'est-ce qu'on entend par une
incitation à la haine, par un discours haineux, par une incitation à la
violence? La définition proposée par mon
collègue le professeur Rousseau, des actes directs, intentionnels et répétés,
elle a le mérite d'être claire. Mais
l'actualité récente nous le démontre : les sensibilités des
justiciables — des
justiciables qui peuvent intenter des poursuites, rappelons-le, et qui
peuvent porter plainte, rappelons-le — varient énormément quant à la
question de considérer il est où, le plancher de répréhensibilité d'un acte.
Mme la ministre, vous avez mentionné à quelques occasions précédemment qu'il semblerait
y avoir une certaine incompréhension
dans l'objectif du projet de loi, que son discours ne serait certes pas de limiter
la liberté d'expression et que, de
toute manière, la liberté d'expression ne peut pas être utilisée comme un
véhicule derrière lequel se cacher pour propager de la haine. Tout
d'abord, comme je viens de vous le dire, il y a une nuance dans la
compréhension que les citoyens ont de la liberté
d'expression. Et le fait de ne rien définir dans la loi favorise le maintien du
miasme. Et deuxièmement, si des juristes, si des grands experts en
questions sociales se présentent devant vous et souffrent tous de la même incompréhension du projet de loi, il y a
des interrogations à se poser sur
comment est-ce qu'un justiciable ordinaire va l'interpréter. Comment
va-t-il savoir à quoi s'attendre et comment régir son comportement?
Ensuite, pour parler
plus précisément de la référence à l'arrêt Whatcott — la
référence principale, il y en a d'autres, mais il semblerait que ce soit
l'arrêt coeur — nous
trouvons, d'emblée, pour le moins discutable que... bon, d'inviter le législateur québécois à s'abstenir
d'exercer son pouvoir législatif pour définir l'élément principal de tout
son projet de loi, pour le déléguer à
l'appareil judiciaire par une référence à une décision issue d'un tribunal
pancanadien, non élu, au sein duquel les
juges québécois sont minoritaires, rendue dans le cadre d'une affaire ayant
lieu en Saskatchewan, où la réalité
sociale et juridique est fort différente de celle du Québec, et qui, de
surcroît, visait un cas de discrimination contre une caractéristique
intrinsèque d'un individu, son orientation sexuelle, alors que le projet de loi
vise notamment principalement, dans les
faits, à sanctionner les discours antagonistes aux croyances ou pratiques
culturelles ou religieuses qui sont,
par définition... qui ne sont pas, dis-je, par définition de telles
caractéristiques intrinsèques comme les autres... Elles ne visent pas
l'être de la personne, mais bien le code moral auquel elles adhèrent.
Ne
l'oublions pas, les croyances et les pratiques culturelles ou religieuses ne
sont pas un élément caractéristique rattaché
à un individu comme le serait, par exemple, le genre, l'orientation sexuelle ou
l'origine ethnique. Elles entraînent par définition un contenu normatif
prescrivant des règles de comportement et de vie en société. C'est ça, le
concept d'une religion. Or, si on peut aisément comprendre qu'il serait
légitime... illégitime, dis-je, de mépriser l'être d'une personne dans son
origine ethnique, dans son orientation sexuelle, ou face à tout éventuel
handicap, en ce que cela se trouverait à nier le droit de cette personne à
participer au débat public, il apparaît tout aussi inversement illégitime d'empêcher que l'on condamne les actions et les
règles de comportement qui sont prescrites par le code moral, religieux
ou culturel d'une personne ou d'un groupe,
même d'une manière virulente qui prônerait qu'elles ne seraient pas les
bienvenues.
Alors,
elle est là, la grande distinction. C'est que, si on n'a pas le droit, et nous
sommes tous d'accord pour le dire ici, si on n'a pas le droit, s'il est
illégitime de dire à une personne qu'elle n'est pas la bienvenue en fonction de
son orientation sexuelle, c'est complètement
illégitime, mais, de dire une personne le code moral, le code de vie, le
contenu normatif religieux auquel vous adhérez, lui, je ne le trouve pas
bienvenu. Comment est-il légitime d'empêcher une personne de critiquer cet
élément?
Ensuite,
comme tout débat en matière sociale, toute critique acerbe, même caustique,
doit être permise, permise et parfois
même nécessaire. Tout comme en matière politique, lorsqu'il est question de
concepts et de modes de vie, de règles de vivre ensemble, la critique
doit être permise pour le débat public.
Et finalement,
finalement, nous croyons surtout que ce renvoi à l'arrêt Whatcott est inadéquat
en ce que cette décision est elle-même
sujette à interprétation. Pour déterminer le concept d'incitation à la haine
qui y figure, elle fait référence
elle-même à des concepts larges tels que dénigrement, rejet, discrimination,
effet préjudiciable, marginalisation. Ce
sont des termes qui eux-mêmes doivent être interprétés pour trouver application
dans le monde réel. Comment est-ce qu'un
justiciable qui voit le terme «effet préjudiciable» peut le comprendre? Ce qui
va se produire, c'est que la question va demeurer entière, et la
question ultime de définir ce que constitue un discours haineux et, par
conséquent, de définir en fonction de quoi
initier les enquêtes et déclencher les procédures va demeurer dans les mains de
l'instance chargée de son application : la commission. Et c'est
pour ça qu'on a besoin absolument de définir précisément ce qu'on entend par
«discours haineux».
Le Président (M.
Ouellette) : M. le député de Jean-Talon.
M. Proulx :
Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. J'entends assez bien,
vous n'êtes pas les premiers à le dire, qu'il faut
définir... je pense que la ministre a été assez ouverte, elle l'a
dit, elle a dit qu'il y a du travail qui se fait actuellement sur
ces aspects-là.
J'avais,
moi, une question un peu plus technique, dans le fond, juste pour essayer encore
une fois de cerner, là, ces définitions-là. Je reprends un peu les recommandations, c'est vraiment pour tenter de le comprendre. Je ne juge
pas une position par rapport à l'autre, j'essaie juste de voir comment vous le
cernez dans votre réflexion.
À
la recommandation 2.3, vous dites : «La définition de
"tenir ou de diffuser un tel discours" — je comprends que vous l'avez défini avant
comme étant un appel répété, notamment à la violence — doit clairement
exclure de son champ d'application les conversations privées ainsi que celles
qui, même ayant [eu] lieu en public, n'ont pas été tenues avec l'intention
d'être adressées au grand public, au public étudiant dans un contexte
académique — là,
je comprends — ou
parascolaire ainsi qu'au sein des associations ou organismes à vocation
sociale, communautaires et religieuses.»
L'intention du législateur est effectivement de vouloir contrer
la tenue de certains discours dans notre société. Il y a effectivement des appels à la violence, là,
directs : Je veux attaquer telle personne et lui causer du mal. J'essaie
de faire ça simple pour ne pas tenter de prendre des exemples ou quoi
que ce soit. Mais par contre il y a aussi, dans des conversations privées, peut-être, dans des conversations qui ne devaient
pas se retrouver sur la place publique, des choses un peu plus insidieuses, style des remarques, ou des
propos, ou des actions dans le but de stigmatiser des gens, stigmatiser
des groupes, des gens avec des difficultés,
des gens avec des conditions différentes des nôtres, des gens qui sont tout
simplement différents de ma conception...
pas de la mienne, mais de celle qui «progule»... ou qui dit ces propos-là de sa
normalité, si normalité il y a là-dedans.
Pourquoi
seulement l'expression «sur la place publique», alors que, dans les faits, si
on a été en mesure, tu sais, de voir passer une conversation qui ne
devrait pas se retrouver sur la place publique, mais qui a la même intention
que celle qu'on veut exclure, pourquoi vous
tentez ou pourquoi vouloir le définir plus restrictivement, dans le fond, que
ça devrait l'être? Parce que, dans le fond,
c'est l'intention qu'on veut juger, l'intention de commettre ce qui ne devrait
pas être permis, c'est-à-dire tenir un tel discours vis-à-vis un groupe ou une
personne.
• (18 heures) •
Le Président (M.
Ouellette) : Me Côté.
M. Côté
(François) : Je tenterai de répondre de manière brève. Je suis un peu
sous le choc de ce que vous venez de me dire.
Donc,
tout d'abord, la question de l'intention, elle ne figure pas dans la mouture
initiale, que nous avons devant nous, du projet de loi. Donc, nous
proposons un ajout.
Deuxièmement,
j'aimerais... enfin, j'aimerais faire remarquer que ce que vous proposez, ça se
trouve ni plus ni moins à mandater une espèce de police de la pensée.
Attention, ce que vous proposez, c'est de permettre de critiquer les conversations privées. On ne parle plus maintenant
de répandre un discours haineux faisant des appels à la haine, on parle de surveiller les conversations entre les citoyens,
ce qui va à l'encontre de ce que Mme
la ministre, elle-même, disait
dans la présentation du plan d'action. C'est que, si on commence à... surtout compte
tenu du degré grave d'imprécision du concept
de discours haineux, on va mettre une épée de Damoclès, on va mettre un risque
que n'importe quelle conversation privée
puisse faire l'objet d'une plainte. Supposons qu'une personne qui a été
présente dans la salle vous a entendu parler et n'aime pas ce que vous avez dit, va porter plainte à la commission — de
manière anonyme, en plus, ce qui est un autre aspect qu'on critique — ça va faire en sorte que les gens ne
pourront plus s'exprimer librement sans avoir crainte que, même en privé, sur des questions controversées,
rappelons-le, le sujet... et c'est un sujet controversé au Québec... les
gens, si on va chercher jusque dans la vie
privée, ça devient une espèce de police de la pensée orwellienne, et ça, c'est
justement pour ça qu'on propose de limiter cette sanction pénale dans le
domaine public.
Pour le reste, je vais
céder la parole au professeur Guillaume Rousseau.
Le Président (M.
Ouellette) : Bien, pour le reste, en 30 secondes, M.
Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Rapidement, bien, je suis content de voir M. le
député parler du critère de l'intention, donc ce qui n'est pas dans le projet de loi. Vous semblez dire que ça
vise les gens qui ont l'intention de. Donc, tant mieux, je pense que, si notre contribution aujourd'hui sert
au moins à convaincre le gouvernement qu'il faut ajouter le critère de
l'intention, bien, tant mieux.
Le
problème qu'on a ici, c'est qu'à partir du moment où on ajoute l'intention on
se rapproche du droit criminel, et là
la question du dédoublement par rapport au criminel se pose. J'ai vu la réponse
du Barreau et tout, mais le problème étant que les ressources de l'État
sont limitées. Donc, d'abord une enquête policière en plus une enquête en
commission des droits, à un moment donné,
les ressources étant limitées, on peut se demander si c'est la meilleure
utilisation des fonds, si les fonds
ne seraient pas mieux utilisés pour de la prévention, pour financer des
groupes, des organismes communautaires qui peuvent parler au nom des
femmes et des autres groupes pouvant être victimes de propos. Mais, sur le
critère de l'intention, je pense, ça a bien été noté que vous vous y ralliez,
et je m'en réjouis.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Ah! bonjour, M. le Président. Oui, merci. Bonjour,
messieurs. M. Rousseau, M. Côté, bienvenue à cette commission
parlementaire.
Je
veux prendre le début, au départ, là, le début de votre mémoire pour être bien
sûr qu'on parle bien de la même chose,
parce que j'ai vu avec quelle habileté mon collègue le nouveau député de
Jean-Talon, mais parlementaire quand même
qui a un peu d'expérience, a réussi à mener votre mémoire. Mais, moi, si je le
lis comme il faut, là, c'est bien écrit que vous ne voulez pas de la partie I au départ. Votre position
préliminaire, c'est : la partie I doit être abandonnée. «À notre avis, il serait préférable de laisser tomber
l'ensemble de cette partie I, ne serait-ce que pour prendre le temps de
commander une étude approfondie sur l'opportunité de régir davantage les
discours haineux et discours incitant à la violence.»
Alors
donc, véritablement, vous nous parlez de cette étude. Qu'est-ce que vous avez
en tête? Quel pourrait être le sujet de cette étude? Comment on
pourrait... Qui pourrait nous faire une telle étude?
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau.
M. Rousseau
(Guillaume) : Merci. Donc, l'exemple qu'on donne, c'est le rapport
Moon, donc, qui avait porté sur l'article
13 de la Loi canadienne des droits de la personne, qui proposait un mécanisme
semblable. Et, si je ne me trompe pas, le professeur Moon... M. Moon est un
professeur de droit. Donc, évidemment, je ne veux pas faire
l'autopromotion de ma corporation, mais je
vais le faire quand même. Alors, vous pourriez demander à un professeur de
droit de faire une enquête. Il ne
s'agit pas de tenir une commission d'enquête avec des auditions publiques à ne
plus finir avec les frais qui s'ensuivent,
mais vraiment une étude, là, sur l'opportunité, pas seulement de chercher... Au
niveau technique, je comprends que le
travail se fait, puis ça peut être bien de chercher, au niveau technique, une
définition plus claire. Moi, comme je vous
dis, à la lumière de la jurisprudence, si on dépasse le concept de violence,
qui, lui, est clair, puis on cherche d'autre chose, ça devient vaseux, vague, je ne pense pas que vous allez vous en
sortir, que vos légistes vont arriver à quelque chose de suffisamment précis. Donc, ce ne serait pas
là-dessus comme vraiment sur l'opportunité. Est-ce que, vraiment, le
Code criminel ne fait pas le travail?
Combien y a-t-il de poursuites suivant l'article 319, de mémoire, du Code
criminel? Est-ce qu'il y a des cas,
vraiment, qui auraient dû être visés qui ne le sont pas par le Code criminel?
C'est donc de l'empirique et une
réflexion aussi de pourquoi l'article 13 a été... la loi canadienne a été
retirée. Ça aussi, il faut se poser la question.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Mais, justement, est-ce que... Pourquoi l'article 13 a-t-il été retiré? J'ai posé la question aux gens du Barreau. J'aimerais ça vous entendre aussi là-dessus.
Pourquoi l'article 13 a-t-il été retiré? Qu'est-ce qui a nécessité ça? Eux autres, ils ont expliqué un peu
la technique, qu'est-ce qui s'est passé. J'aimerais vous entendre sur la
pertinence de ce retrait de l'article 13.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui, tout à fait. Donc, j'ai entendu cette partie, là, de la réponse des représentants
du Barreau, qui disaient que, finalement,
bon, ça avait été... si j'ai bien compris, là, entre les lignes, un petit peu leur réponse, ça a été adopté,
bon, par des députés du Parti conservateur. Donc, ils semblaient dire qu'il y avait
peut-être un aspect politique. Mais il faut
comprendre que l'opposition à l'article 13 était beaucoup plus large que
simplement les députés du Parti conservateur, et c'était un article très, très
controversé. Le rapport Moon demandait d'ailleurs de l'abroger. Donc, il y
avait vraiment eu une réflexion à fond sur cet article-là.
Puis ce qui a causé la controverse, et les gens
du Barreau l'ont mentionné, c'est la fameuse enquête, là, sur le magazine Maclean's.
Entre autres, il y avait eu, bon, un chroniqueur avec des propos controversés.
Et les gens du Barreau nous disaient ce
matin : Oui, mais à la fin les plaintes ont été rejetées. Fort bien,
heureux. Mais le problème n'est pas là, le problème est qu'il y a eu
enquête, alors que, quand on sait c'étaient quoi, les propos, il n'y aurait jamais
dû y avoir enquête, donc ce qui pose la question du filtre. Donc, avant même
l'enquête...
Il ne suffit pas qu'il y ait une dénonciation
pour que ça justifie qu'une personne se retrouve sous enquête, là. Imaginez,
pour un journaliste, qu'est-ce que ça veut dire d'être sous enquête :
pendant ce temps-là, autocensure maximum; pour un chercheur, même chose. Donc,
c'est problématique pendant l'enquête, même si, plusieurs mois après, ça ne va
pas de l'avant.
Donc, c'était ça, le problème dans l'affaire du Maclean's,
ce qui pose la question du filtre, donc de trouver le bon filtre, le fait qu'une plainte frivole doit être rejetée rapidement
pour ne pas que ça soit comme une épée de Damoclès au-dessus de la
personne.
Et là-dessus
j'attire votre attention sur un article que je trouve particulier, qui est l'article
5 de la loi proposée, donc à la page
7 du projet de loi, qui dit la chose suivante : «La commission
peut refuser de donner suite à une dénonciation [...] si elle estime que
la dénonciation est frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi.» Donc, elle
peut refuser de donner suite si c'est
frivole. Donc, le «peut» étant une faculté de, comme tout bon parlementaire sait, ça veut aussi dire que la commission peut continuer une enquête, même si c'est frivole. On a un
problème de filtre ici. Donc, il faut que, lorsqu'il y a une
dénonciation, rapidement on puisse dire : C'est frivole, il n'y aura pas
enquête, puis que là la personne visée est stigmatisée et puis que ça nuit dans
son travail et tout, immédiatement que l'épée de Damoclès soit retirée très rapidement.
Donc, ce mécanisme-là, ça devrait être un «doit» au lieu du «peut»,
minimalement, puis c'est ça, le problème, donc, puis c'est un des problèmes de l'article 13, le problème en général
pour ce mécanisme-là, mais particulièrement sur le fait : c'est qu'il peut y avoir des enquêtes. Donc, dès qu'on
est sous enquête, ça porte atteinte à notre réputation, là, d'être sous enquête pour, je ne sais pas, moi,
islamophobie ou quoi, propos haineux. Même si, à la fin... il faut dire que
pendant longtemps ça porte atteinte à la réputation, et c'est vraiment
problématique. Donc, c'est ça qui est arrivé dans l'affaire du Maclean's
et qui explique, là... un des facteurs qui expliquent l'abrogation de l'article
13 en question.
Le Président (M. Ouellette) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Et, si je continue à lire votre
mémoire, vous dites bien : Bon. D'abord, laissez tomber ça, là, ce n'est pas une bonne idée. Ça, c'est la principale. Mais
ensuite vous dites : «Dans l'éventualité où le Parlement décidait de
ne pas mettre de côté la partie I...» Donc, vous dites, là : Si vraiment
vous allez vers ça, prenez des précautions, «il devrait tout au moins la modifier substantiellement. La référence aux "discours haineux" devrait être retirée...» Donc, il
s'agit bien... Ce que vous proposez, c'est
non pas, comme beaucoup de gens sont venus le dire et comme peut-être la ministre, après, nous a dit qu'elle se préparait à le faire, à
préciser qu'est-ce qu'un discours haineux, mais vous dites : Retirez
carrément et remplacez-le par... je pense, vous dites : «...appels directs
et répétés à la violence.»
Le Président (M. Ouellette) :
M. Rousseau.
M. Rousseau (Guillaume) : Merci,
M. le Président. Je serais surpris de
voir si les gens qui vous disent de préciser le concept, s'ils vous proposent eux-mêmes une définition, et je serais
surpris de le voir. Probablement qu'ils ne vous en proposent pas, parce que, s'ils vous en proposaient une, ce serait probablement aussi flou que «discours haineux», on ne serait pas beaucoup plus avancés. Alors, si ce n'est pas le cas,
soumettez-moi des définitions, je serais très heureux d'en voir une
précise. Mais je suis à peu près sûr que les gens qui vous disent de le
préciser ne le font pas eux-mêmes, et ce n'est pas pour rien.
• (18 h 10) •
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
C'est pour ça que vous dites : Choisissez le «incitation à la violence» ou
«appels directs et répétés à la violence» pour que ce soit véritablement
conscrit à ça.
On
est dans l'ère des médias sociaux, c'est pour ça... Le mot «répétés» vient à
cause de l'ère des médias sociaux, parce
que ça arrive, hein, il y a
des... On reçoit tous et toutes, j'en suis convaincue, là, sur Twitter,
sur Facebook, des fois par courriel sur nos adresses, des
courriels parfois assez rudes. Il y a des animateurs de radio qui peuvent être
rudes avec à peu près n'importe qui ici aussi des fois, j'en ai été
victime longtemps, mais pas de ce temps-ci, dans le passé, dans
mon passé avant. Aujourd'hui, j'ai une très bonne relation, je suis respectée,
mais ça n'a pas toujours été le cas.
À l'ère des réseaux
sociaux, est-ce que ce n'est pas encore plus dangereux s'il n'y a pas ce mot,
«répétés»?
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau. Ah! Me Côté? Non, M. Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui, tout à fait. C'est l'argument, c'est le fait de la spontanéité des échanges,
c'est là-dessus, c'est vraiment... ça fait en sorte que, bien, justement,
il y a des gens qui risquent d'agir très,
très rapidement, donc l'intention ne
sera pas là. Mais, en ajoutant le critère de la répétition, je pense
qu'on s'assure encore plus, là, de ne pas prendre des personnes qui seraient très correctes, qui auraient toutes
des bonnes intentions, puis qu'une fois qui auraient eu, bon... Je pense que le critère de la répétition,
là, ça permet vraiment l'équilibre entre, oui, si quelqu'un le fait systématiquement, ça devient un danger public. Quelqu'un
qui, une fois, dérape, bon, c'est... On peut, pour préserver la liberté
d'expression, c'est peut-être le prix à payer, finalement, hein, c'est un peu
ça, la logique.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Vous
avez soulevé un point important qui n'a pas été soulevé souvent, c'est :
votre concept de la Cour suprême n'est pas infaillible, mais elle est sans appel.
Je trouve ça intéressant. Puis vous nous ramenez à quelque chose,
le concept du temps. Ça veut dire que, et vous avez bien dit, la Cour suprême peut varier d'opinion au fil du temps, donc une loi comme ça
aussi va être interprétée différemment au fil du temps. La jurisprudence va
s'ajouter, va s'accumuler. Et, selon l'angle
avec lequel les juristes l'approchent, les juges l'approchent, on pourrait
aussi en arriver à des dérives si on
reste sur les concepts de discours haineux. Parce que qu'est-ce qui est haineux aujourd'hui? Qu'est-ce
qui sera haineux dans 20 ans?
J'aimerais ça vous entendre là-dessus. Je ne sais pas si vous avez des
commentaires là-dessus, mais, moi, ça me sonne une cloche.
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau.
M. Rousseau
(Guillaume) : Donc, je vais commencer, je vais laisser ensuite la
parole à mon collègue. Effectivement, la
logique... Dans le fond, quand on cherche une loi juste, il y a deux façons de
procéder, hein? Ou on dit : On
va rester dans le vague, puis c'est un peu ce que la ministre disait plus
tôt : On laisse, on ne veut pas trop fermer de portes, hein? C'est
un argument qu'on peut retrouver. Donc, on reste un petit peu dans le vague et
on laisse les juges prendre des décisions justes au cas pas cas. C'est une
notion de justice plus proche de la common law.
Une
autre notion, c'est dire : Non, il faut être très précis. Et ça se peut
qu'on se trompe, ça se peut qu'on soit un peu trop sévères, peut-être pas assez, mais on est précis, les gens savent à
quoi s'attendre, ils régissent leurs comportements juridiques, leurs comportements en fonction des
conséquences juridiques qu'ils ont. Et ça aussi, c'est juste. Même si la
peine peut être trop sévère, mais ils le savaient d'avance. Ils savent, les
gens savent. Quand c'est précis, ils connaissent les conséquences de leurs actes et agissent en conséquence. C'est la
sécurité juridique qui est la justice dans une approche plus de type de droit civil, alors que, si on y va vers
le flou, vers laisser les juges décider et tout, c'est une autre
conception de la justice, qui est aussi
respectable, mais que, je pense, moins proche de la tradition québécoise, et
qui est plus problématique parce que,
bon, on pourrait en nommer, là, des décisions en matière de droit de la
personne qui ont été mal avisées dans les dernières années. Et, à la
lumière de ça, il faut, comme parlementaires, vraiment, le plus possible, avoir
la volonté de préciser les choses pour éviter qu'il y ait de mauvais jugements
qui ont été rendus, parce qu'il y en a, des mauvais jugements qui sont rendus.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Oui, j'aimerais ça entendre...
Le Président (M.
Ouellette) : Ah! Me Côté, excusez.
Mme
Maltais : Oui.
M.
Côté (François) : Si possible.
Mme
Maltais :
Oui, oui, allez.
M.
Côté (François) : En fait, on parlait d'imprécisions, on parlait de
sécurité juridique, l'élément central, surtout dans une loi de nature quasi pénale, c'est de correctement définir
l'infraction qu'elle entend sanctionner et de permettre au justiciable
de savoir qu'est-ce qui va lui être reproché.
Mais,
dans un concept où, en fonction des moeurs politiques de l'heure, la conception
de ce qui est haineux varie en
fonction du temps... Certains discours qu'on considère aujourd'hui haineux n'étaient
pas considérés haineux il y a 10, 15,
20 ans. Certains discours qu'aujourd'hui on ne considère pas haineux vont
l'être dans 10, 15, 20 ans, et ainsi de suite.
Donc,
compte tenu de cette variance, en
gardant à l'esprit que la loi que nous adopterons aujourd'hui va continuer à s'adapter dans... à s'appliquer, dis-je, dans le
futur, considérons la phrase suivante, d'accord? Un exemple. Si je vous dis...
Pardon?
Mme
Maltais :
Continuez, mais nous n'avons que 15 minutes pour échanger.
M. Côté (François) : D'accord, alors, je me dépêche. Si je vous dis : Le christianisme
est la superstition la plus infâme
qui ait jamais abruti les hommes et désolé la terre, compte tenu de ce qu'on a observé, compte
tenu de l'imprécision dans le projet
de loi, il apparaît manifeste que cette phrase, en jetant le discrédit de
manière méprisante sur la religion chrétienne, en la rabaissant au rang de
superstition, en la qualifiant d'infâme et en traitant ses fidèles d'abrutis
dont l'humanité doit se désoler pourrait
facilement être conçue comme constituant un discours haineux. Or, cette phrase
est de Voltaire, écrite en 1763 pour dénoncer le cas d'un père protestant
accusé à tort d'avoir assassiné son fils converti au catholicisme, qui a — pour la petite histoire — été condamné à mort et a été exécuté sur la
torture suite à un procès traversé d'intégrisme
catholique. Est-ce qu'on doit considérer que, s'ils avaient été prononcés
aujourd'hui ou dans un futur proche avec
cette infraction qui n'est pas suffisamment définie, les propos de Voltaire, à
la lumière du projet de loi n° 59, pourraient être condamnés à
titre de discours haineux? Est-ce qu'on devrait inscrire Voltaire sur la
liste... D'accord.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau, je pense que
Voltaire va vous prendre le restant de votre temps.
Mme
Maltais :
Oui, c'est ça. C'est parce qu'on a peu de temps.
Le Président (M.
Ouellette) : Je m'excuse, Me Côté, je...
M. Côté
(François) : Voltaire va se taire.
Mme
Maltais :
O.K. Il nous reste combien de temps?
Le Président (M.
Ouellette) : Bien, il vous reste deux minutes, Mme la députée
de Taschereau.
Mme
Maltais : Ah! c'est bon. Vous voyez pourquoi je vous arrête?
Vous dites que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a eu des jugements controversés et
qu'elle pourrait même être un peu en... contre... je viens de perdre le
mot...
Une voix :
En porte-à-faux.
Mme
Maltais : ...en porte-à-faux avec elle-même. J'aimerais ça
vous entendre une dernière fois, dans la minute qu'il nous reste,
M. Rousseau.
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Merci. Donc, la question, c'est que la
commission des droits de la personne prend des positions politiques
controversées, surtout depuis quelques années, c'est un fait, contre la loi
spéciale dans le conflit étudiant, au sujet
de la laïcité et tout. Donc, elle prend position de manière controversée puis,
ensuite, elle peut lancer des poursuites
pénales ou quasi pénales — quasi pénales ou pénales, il y a même un
article qui parle carrément de poursuites pénales — contre des gens qui pourraient défendre le
point de vue adverse. Donc, ça, c'est problématique. On sait par exemple que la police, le Directeur des poursuites
criminelles et pénales, ce n'est pas des gens qui prennent des positions
politiques. De par leur rôle de coercition,
ils s'abstiennent d'avoir des positions politiques. La commission des droits
de la personne n'a pas cette prudence, et je le déplore.
Le Président (M.
Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Je
pense que j'apprécie ce bout-là, je pense
que vous êtes les premiers à aborder ça... Bien, un peu, là, Me Latour et Me Grey ont pu aborder ça,
mais, après deux semaines, vous revenez effectivement et vous expliquez bien ce
sujet.
M. Rousseau,
est-ce que la CDPDJ avait parlé du projet de loi n° 204 sur lequel nous
avions travaillé tous deux?
Le Président (M.
Ouellette) : Monsieur...
Mme
Maltais : Non, je
ne pense pas. C'était une petite complicité, c'était une petite complicité
entre nous.
M. Rousseau (Guillaume) : ...le
Barreau, je pense.
Le
Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Montarville... Ah
non! monsieur... votre collègue de Borduas. Merci, monsieur le collègue
de Borduas. Vous terminez la dernière ronde.
M. Jolin-Barrette : Effectivement.
Merci, M. le Président. Bonjour, M. le professeur Rousseau, bonjour Me Côté, merci pour votre contribution à la
commission. Je vais avoir quelques questions, mais, dans un premier
temps, un cas d'espèce. Le Barreau
recommandait de supprimer le mécanisme de dénonciation prévu à l'article 3
du projet de loi et donc de conserver
uniquement une plainte à la Commission des droits de la personne. Prenons le
cas de quelqu'un qui serait dans une
église, dans une mosquée ou dans une synagogue et qui prêcherait à l'encontre
d'une des valeurs fondamentales... d'une
valeur québécoise inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne
et inciterait à commettre des actes à l'attention d'une population
visée x. La personne qui serait témoin de cette situation-là, si on
supprime la possibilité de dénonciation à la
Commission des droits de la personne, bien, on n'aurait pas de mécanisme. J'aimerais
vous entendre sur ce cas d'espèce là.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui. Bien, deux choses. Premièrement, vous
parlez de prêche contre, par exemple, les valeurs de la charte québécoise. Moi, je pense qu'on a le droit de dire
ce qu'on veut contre la charte des droits. Si quelqu'un trouve que la charte des droits, ce n'est pas une
bonne idée, que, par exemple, dans les droits économiques et sociaux, en
quelque part, on prévoit, on protège le droit à l'école privée, des choses
comme ça, moi, je pense qu'on peut...
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Oui, mais, ce
que je veux vous dire, supposons qu'on inciterait au viol d'une femme...
M. Rousseau (Guillaume) : Bon, bien,
c'est ça, nous, on dit : À partir...
M. Jolin-Barrette : Ou au viol des
femmes en général.
M. Rousseau (Guillaume) : C'est bon,
mais...
Le
Président (M. Ouellette) : ...dernière fois, là, parce que je
veux... Notre spécialiste à l'audio, là, il ne faudrait pas qu'à un
moment donné il soit perdu. M. Rousseau.
• (18 h 20) •
M.
Rousseau (Guillaume) : Oui. Donc,
vous parlez de viol, donc il s'agit évidemment d'un acte éminemment violent. Il
n'y a pas de problème
là-dessus, nous, on n'est pour... Bien, on est pour... Il faut,
comme plan b, il faut
interdire ça, ça l'est déjà, par ailleurs, par le Code criminel, mais ça
pourrait tout à fait être envisageable d'interdire les cas de violence. Puis on le voit, c'est intéressant qu'en précisant un peu votre argument, vous allez sur la violence, parce que, sinon, on est dans le vaseux. Donc, c'est intéressant qu'on va sur les
cas de violence, et effectivement, là, ça nous paraît beaucoup plus clair.
Maintenant, de savoir quel est exactement
le bon mécanisme, bien, effectivement, le caractère anonyme, quand même, c'est toujours
un peu problématique. Quand on dit, à l'article 7 : «La commission doit
prendre toutes les mesures — doit, cette fois-là, ce n'est pas un «peut»,
c'est un «doit» — nécessaires
afin de s'assurer que l'anonymat de la personne qui a effectué une
dénonciation soit préservé», bienvenue les ordonnances de non-publication, là.
Donc, ça demeure un processus, je pense,
assez problématique. Et on sait qu'à l'heure actuelle, pour reprendre votre
exemple, bien, s'il y a une prêche qui appelle au viol, et tout, la
personne peut aller à la police, évidemment, faire... parce qu'il peut y avoir incitation à la violence, et tout, au sens
de 319, là, si je ne me trompe pas, du Code criminel. Donc, ça, ça
existe déjà. Il ne faut pas perdre ça de
vue, surtout si on dit qu'on veut ajouter l'intention puis qu'on est juste sur
la violence, on tombe sur du... vraiment plus proche du Code criminel,
là, on dédouble.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Je vous soumets
que, dans l'éventualité où, supposons, le prêche ne serait pas pour une infraction criminelle, mais supposons serait sur
le fait de dire qu'une femme ne doit pas quitter la maison si elle n'est
pas accompagnée d'un individu masculin ou
d'un tuteur et que la personne prêche, et donc on se retrouve dans une
situation où ça contrevient à l'égalité
entre les hommes et les femmes, une des valeurs inscrites dans la charte, donc
comment est-ce qu'on va concilier
tout ça si on ne peut pas dénoncer? Je comprends que vous amenez l'argument de
dire : Bon, bien, la plainte va
être confidentielle, les ordonnances de non-publication, mais il y a quand même
une nécessité d'adopter une législation pour ça, non?
Le Président (M.
Ouellette) : M. Rousseau. Ah! Me Côté, oui.
M. Côté (François) : Alors, comme
mon collègue le professeur Rousseau vient de le dire, il y a une question délicate lorsqu'on aborde les droits protégés par
les chartes. Il y a une nuance entre faire un appel à la violence, par
exemple, de dire : Nous devons s'en
prendre physiquement à tel type de personne caractérisée par un groupe, par une
appartenance à un groupe visé dans la
charte, et plaider pour un comportement en fonction duquel on peut être ou non
en accord ou en désaccord. On marche
sur une limite difficile à définir. Et de tout mettre dans le même panier sous
le mot «haine», c'est dangereux pour la liberté d'expression.
En outre, ce qui nous dérange le plus — puis
je vais y aller rapidement là-dessus — avec le mécanisme de dénonciation prévu dans le projet de loi, c'est
surtout l'anonymat des plaignants, parce que ça, ça vient ouvrir la
porte aux plaintes et aux dénonciations qui
seraient abusives parce que faites sans aucunes représailles possibles. Est-ce
que, suite à une dénonciation
anonyme, l'auteur de la dénonciation pourrait être poursuivi pour abus de
droit, pour avoir mobilisé l'appareil
d'État, pour avoir déclenché une enquête qui pourrait ruiner la réputation de
quelqu'un? Non. En étant anonyme, cette
personne n'aura pas à répondre de ses actes et surtout elle ne pourra pas être
contre-interrogée. Le défendeur a le droit de contre-interroger la
personne qui dit qu'il a posé tel geste pour faire valoir la vérité, mais, avec
ce mécanisme de dénonciation anonyme, on en les prive.
M. Rousseau (Guillaume) : Si je peux
compléter...
Le Président (M. Ouellette) :
Oui, bien, M. Rousseau, c'est sur le temps du député de Borduas. Je n'ai pas de
trouble.
M.
Rousseau (Guillaume) : Rapidement. Donc, évidemment, si une personne
dit, puis a fortiori si elle prêche que les femmes ne devraient pas
sortir sans un tuteur, quelque chose comme ça, c'est éminemment déplorable,
c'est condamnable. Est-ce que pour autant ça
devrait être illégal? Ça, c'est une autre question. Moi, je pense que la
solution à ça, c'est de s'assurer que les groupes qui peuvent être visés par ce
genre de propos là, il faut s'assurer que ces groupes-là peuvent répondre. C'est ça, la logique de la
liberté d'expression, c'est de dire : Oui, il y a des choses offensantes
qui peuvent être dites, mais il faut s'assurer qu'il y a une possibilité
d'y répondre, donc il faut s'assurer que les groupes visés, notamment les
femmes, les gais, etc., puissent répondre, qu'il y ait des groupes de pression
organisés, qu'il y ait du financement, qu'il
y ait des responsables des communications, qu'il y ait des porte-parole, puis
qu'ils puissent condamner ça puissamment. C'est ça, la réponse
démocratique à ce genre de problème là, à mon avis.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Borduas.
M.
Jolin-Barrette : L'État n'a
pas à établir un cadre législatif pour dire : Cette situation-là doit être
interdite, la tenue de tels propos doit être interdite.
Le Président (M. Ouellette) :
M. Rousseau.
M.
Rousseau (Guillaume) : Bien, c'est-à-dire que l'État... Bon, il y a le
niveau du Code criminel, et tout, il pourrait y avoir un ajout, ici, au
niveau de l'appel à la violence. Pour le reste, l'État peut agir de manière non
pas à limiter la liberté d'expression, mais
à l'augmenter, en favorisant justement le financement des groupes. S'il y a des
groupes qui sont victimes de ce genre
de propos, dans la mesure que les finances publiques le permettent,
accordons-leur du financement pour qu'ils puissent se débattre, le
démontrer puis le dire que les femmes, non, ce n'est pas vrai qu'elles ont
besoin d'un tuteur pour sortir. Donc, tous
les arguments, il faut qu'ils les
sortent sur la place publique, et c'est comme ça que l'État... l'État
peut décider de financer tel ou tel groupe pour s'assurer que tel discours est
sur la place publique. Et le discours de
défense des droits des gais, on va l'entendre, parce qu'il y a des groupes...
que le discours du droit des femmes, on
va l'entendre parce qu'il y a des groupes. Donc, l'État
peut, par des politiques non coercitives, s'assurer de combattre
les discours haineux.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Borduas.
M.
Jolin-Barrette : Oui. Dans
votre mémoire, vous parlez du pouvoir d'adjudication qui serait
accordé au Tribunal des droits de la
personne. Vous dites : On devrait seulement le retrouver à la Cour du Québec
et à la Cour supérieure. Pourquoi?
Le Président (M. Ouellette) :
Me Côté.
M. Côté (François) : En fait, c'est
surtout pour une question de contrôle de la proportionnalité et du genre
d'ordonnances qui peuvent être rendues. Si l'on regarde... Parce que le projet
de loi n° 59 fait référence à la Charte des
droits et libertés de la personne, qui elle-même fait référence à la Loi sur les commissions
d'enquête. Donc, les pouvoirs à
l'intérieur desquels toute la machine
va fonctionner au sens procédural ultimement dérivent de la Charte des droits
et libertés et la Loi sur les commissions d'enquête. Et ces pouvoirs sont très
vastes.
La raison pour laquelle on prévoit, puis on le
détaille beaucoup plus à l'intérieur du mémoire, mais la raison pour laquelle on demande... pour laquelle on
propose de donner le pouvoir d'adjudication aux tribunaux supérieurs ou
aux tribunaux de droit commun, c'est parce qu'il y a plus
de mécanismes de contrôle. Pensons par exemple au fait que le Tribunal des droits de la personne, ses décisions
ne sont pas susceptibles d'appel avant le jugement final. Ça, ça veut
dire que tout le long du processus, avec tout le niveau préliminaire, tout le
niveau interlocutoire, toutes les injonctions provisoires
qui pourraient être rendues, bref, tout ce qui précède un jugement final, ça
peut être long, on peut parler d'années de procédures, ce n'est pas susceptible d'appel. La personne qui est
visée, le défendeur accusé d'incitation à la haine, ne peut pas dire : Hé! un instant! Il y a
une erreur de droit. Non. On le prive de ce droit-là pour le laisser seulement
à la fin, ce qui, dans certains cas, peut devenir, pour le défendeur, bien
trivial.
Donc, en
proposant de reporter la compétence vers des tribunaux qui ont une pleine
compétence, qui ne seraient pas non
plus limités dans leur capacité d'aller chercher dans sanctions dans le Code civil
en matière d'abus de droit,
par exemple, ou qui seraient tenus au
respect du Code de procédure civile... Le Tribunal des droits de la personne
n'est pas obligatoirement tenu de
respecter le Code de procédure civile, il n'a pas compétence pour prononcer des
condamnations en dommages ancrées dans le
Code civil en tant que tel. Donc, on cherche à donner une pleine compétence
judiciaire pour trancher des questions de cette nature pour éviter
justement des situations où le Tribunal des droits de la personne serait dans
l'impuissance.
M. Rousseau (Guillaume) :
Rapidement...
Le Président (M. Ouellette) :
M. Rousseau, pour le mot de la fin.
M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Donc,
rapidement. Le Tribunal des droits de la personne, il a été créé parce qu'à l'époque on craignait que les juges des autres
tribunaux, Cour supérieure ou quoi, ils n'avaient pas cette sensibilité pour les droits de la personne, parce que c'était
tout nouveau, puis les juges ont tendance à être conservateurs lorsqu'il
y a une nouveauté au niveau législatif.
Donc, on a dit : On va créer un tribunal où, là, ça va être des gens
sensibilisés aux droits de la
personne et tout. Mais, 20, 30 ans plus tard, il n'y a plus ce problème-là. Les
juges à la Cour du Québec, à la Cour supérieure, sont très sensibilisés
aux droits de la personne. Donc, on n'a plus vraiment besoin d'un tribunal
spécialisé là-dessus de manière générale, là. Donc, c'est une vraie question
d'administration de la justice, ici.
Le
Président (M. Ouellette) : Pr Guillaume Rousseau, Me François
Côté, merci d'être venus à la Commission des institutions aujourd'hui.
La commission ajourne ses travaux au jeudi
matin... au jeudi 17 septembre, après les affaires courantes, afin de poursuivre la consultation générale et
auditions publiques sur le document intitulé Orientations gouvernementales pour un gouvernement plus
transparent, dans le respect du droit à la vie privée et la protection des
renseignements personnels. Merci à tous.
(Fin de la séance à 18 h 29)