(Quatorze heures deux minutes)
Le Président (M. Hardy) : Prenez
place, s'il vous plaît. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans
la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones
cellulaires.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de
loi n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte
contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et
apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des
personnes.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. M. Proulx (Jean-Talon) remplace M. Fortin (Sherbrooke);
M. Hardy (Saint-François) remplace M. Tanguay (LaFontaine);
M. Kotto (Bourget) remplace M. Cloutier (Lac-Saint-Jean); et
M. Jolin-Barrette (Borduas) remplace M. Martel (Nicolet-Bécancour).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Hardy) : Sans plus tarder, je souhaite la bienvenue à
Mme Houda-Pepin. Je vous invite à faire votre présentation, en vous
rappelant que vous disposez de 10 minutes.
Mme Fatima Houda-Pepin
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Merci, M. le Président. Alors, Mme la ministre,
Mmes et MM. les députés, je suis très
heureuse de revenir à mon alma mater, parce que je considère l'Assemblée
nationale comme une école d'apprentissage de la démocratie pour les députés. J'y ai oeuvré pendant 20 ans, de
1994 à 2014, à titre de députée de La Pinière, bien sûr, mais aussi
comme présidente de commission, comme première vice-présidente de l'Assemblée
nationale.
Je suis
politicologue de formation, consultante internationale. J'ai travaillé
auparavant comme chargée de cours à l'Université du Québec à Montréal et
à l'Université de Montréal, pendant une dizaine d'années, et j'ai également travaillé comme consultante auparavant en matière
d'immigration, d'intégration, sur les relations interculturelles auprès du
gouvernement du Québec, du gouvernement fédéral, de la ville de Montréal et
bien d'autres institutions.
Avant mon
engagement en politique active au sein du Parti libéral du Québec, j'ai été
partie à l'élaboration de certaines politiques publiques du gouvernement
fédéral sur la lutte au racisme et à la discrimination et collaboré à la rédaction du contrat moral de la ministre de
l'Immigration et des Communautés culturelles, Mme Monique Gagnon-Tremblay.
J'ai également organisé en 1985, il y a
30 ans, le premier colloque international sur les femmes musulmanes au
Canada, qui a réuni à Montréal quelque 400 participantes et rassemblé des
féministes musulmanes venues du Maghreb, d'Asie, du Moyen-Orient et de l'Amérique du Nord, c'était une
première pour l'époque, et j'ai également édité, en 1984... 1987, un
ouvrage intitulé Les femmes musulmanes à l'ère des islamismes. Donc,
j'en parlais il y a déjà 30 ans.
De 1987 à
1994, j'ai organisé de nombreuses conférences et forums sur la laïcité, sur la
neutralité religieuse de l'État, le
dialogue interreligieux entre les Juifs, les chrétiens et les musulmans et sur
la montée de l'intégrisme dans les pays
du Maghreb et du Moyen-Orient, et
édité Le Maghreb entre l'intégrisme et la démocratie en 1991. J'ai également
collaboré avec plusieurs
organisations institutionnelles et communautaires sur les
dossiers des droits de la personne, sur la place des minorités au Québec et au Canada, sur les programmes d'accès à l'emploi pour les
communautés. Cofondatrice du Comité
d'intervention contre la violence raciste avec les représentants de la
Commission des droits de la personne, de
la Ligue des droits et libertés et du Congrès juif canadien,
j'ai également collaboré à l'organisation du colloque qui
a porté sur le même thème et
participé également à l'édition... à la rédaction du rapport Violence
et racisme au Québec. En
1991, j'ai été mandatée par les organismes des communautés culturelles pour
coordonner un comité consultatif sur les
relations interculturelles au sein de la Commission des droits de la personne et
participé aussi au forum Féminin Pluriel en 1992, qui a rassemblé
quelque 1 200 Québécoises de toutes les régions du Québec.
En 2007, le Québec
avait été remué, comme vous le savez, par la commission Bouchard-Taylor et
ses travaux. J'étais dans la fonction
de première vice-présidente à l'époque, donc astreinte à la neutralité. J'ai
donc réfléchi sur ce que serait un
modèle québécois de la neutralité religieuse de l'État,
qui a donné lieu à un projet de loi, le projet
de loi n° 491,
que j'ai déposé le 12 avril 2014 à titre
de député indépendant. J'avais alors
indiqué — et je
l'indique encore aujourd'hui — que l'enjeu de la laïcité, et de la
neutralité religieuse de l'État, et de la lutte à l'intégrisme étaient des
enjeux de société et non pas des
enjeux de parti. Alors, non seulement, évidemment, il fallait le définir,
définir la laïcité, la neutralité directement dans la charte québécoise
des droits, mais il fallait aussi documenter et encadrer les manifestations de
l'intégrisme, parce que ça existe.
Alors, M. le Président, comme je vous
ai dit aujourd'hui, mon premier message à mes anciens collègues parlementaires, c'est de vous dire : Si nous
voulons, au Québec, s'attaquer à cet enjeu, il faut d'abord bien le définir. De
quoi est-ce qu'on parle? Qu'est-ce qu'on
veut protéger? Qui est-ce qu'on veut protéger et contre quel type de menace?
Ma
réflexion pendant de nombreuses années, ma présence sur le terrain, ma
compréhension des communautés et de
ce qui se passe m'amènent à constater que l'intégrisme est une réalité qu'on ne
peut nier, c'est devenu une évidence, donc
il faut s'y attaquer. Vous, Mmes et MM. les députés, Mme la ministre, vos
adversaires ne sont pas autour de cette table. Ce ne sont pas les libéraux, ce ne sont pas les péquistes, ce ne
sont pas les caquistes, ce ne sont pas les solidaires. Vos adversaires sont les intégristes, parce que
les intégristes sont les adversaires de la démocratie, et votre rôle, c'est de
protéger la démocratie.
Le
projet de loi n° 59 qui est devant nous, tout comme le projet de
loi n° 60 que nous avons déjà répudié, ne règle rien parce qu'il ne s'attaque pas au vrai
problème. Il faut admettre que l'islamisme radical est devenu un acteur, un
acteur du système international. Ce
qui se passe ailleurs nous rattrape ici. L'ailleurs est ici, j'ai déjà signé
des textes là-dessus. Je vous invite
donc — c'est ma
première proposition — à un exercice législatif de consensus. Je le répète, ce n'est pas
un enjeu de parti. Les leaders
parlementaires des différents partis politiques, les représentants de Québec
solidaire ou des députés
indépendants, s'il y en a, peuvent s'asseoir autour d'une même table et
s'entendre, un, sur une bonne définition de ce que c'est que la neutralité religieuse de l'État; deux, l'inscrire
dans la charte québécoise des droits et libertés. On n'a pas besoin d'une autre charte, elle est déjà là,
il faut la renforcer, ça, c'est extrêmement important, et il faut s'attaquer
à la lutte à l'intégrisme.
• (14 h 10) •
Parce
que nous sommes dans des enjeux
nouveaux, que les parlementaires, comme bien des décideurs dans la société québécoise, n'arrivent pas nécessairement à bien cerner ces phénomènes, j'avais
proposé, c'était une idée, elle
peut être améliorée, elle peut être modifiée...
j'avais proposé la création d'un centre de recherche-action de lutte contre
l'intégrisme qui se situerait au-delà de
toutes les interférences, au niveau du premier ministre, et qui pourrait faire
rapport de ce qu'il constate
réellement annuellement, et ce rapport pourrait être déposé à l'Assemblée
nationale. Mme la députée de Taillon
a reformulé cette proposition; des milieux académiques également s'est inspiré
de ça pour former un observatoire. C'est
très bien, mais les parlementaires, ce sont les décideurs en cette matière. Le
pouvoir législatif, ça existe, et il faut également l'assumer.
Compte
tenu que nous avons très peu de temps, et le président me signale que le temps
passe, je consacrerai mes commentaires
à la partie I du projet de loi n° 59, sachant que le projet de
loi n° 491, M. le Président, que j'avais déposé à cette Assemblée le 12 avril 2014 à
titre de députée indépendante proposait déjà un ensemble de dispositions
claires interdisant un certain nombre de
pratiques, notamment les mariages forcés, parce que
ça existe, la polygamie, parce que
ça existe, l'excision, parce que
ça existe, la ségrégation sur une base sexuelle dans les institutions publiques, notamment les écoles,
ça existe, de même que le niqab, la burqa et le tchador sont interdits selon le
projet de loi n° 491, qui, comme vous le savez, est caduc, comme tous les autres projets de loi qui sont
terminés après le déclenchement des élections. Mais les bonnes idées ne
meurent jamais, elles peuvent être reprises; elles peuvent être
reformulées, elles peuvent être bonifiées, mais c'est à cet exercice-là
que je vous invite.
Comme
commentaire général, concernant cette deuxième partie du projet de loi, sur laquelle je ne m'attarderai pas, je voudrais tout simplement
dire que cette partie...
Le Président (M.
Hardy) : En conclusion.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : ...elle
est très timide et minimaliste quant à sa portée et quasiment nulle quant
à ses effets réels. Ce n'est pas en renvoyant les mineurs devant les tribunaux
et en les embarquant dans des labyrinthes bureaucratiques
interminables qu'on va leur assurer la protection. Les avis du Directeur de
l'état civil dont on va proposer une modification du mode de
publication, ça ne fait rien à personne.
Merci, M. le
Président. Et c'est avec un immense plaisir que je suis prête à échanger avec
vous.
Le Président (M.
Hardy) : Merci. Nous allons maintenant débuter la période d'échange...
Oui, excusez.
M.
Ouellette : Juste
avant qu'on débute, M. le Président, de consentement avec mes collègues, est-ce qu'on pourrait faire ce qu'on a
fait la semaine dernière avec le ministre des Affaires intergouvernementales pour la
période d'échange, là, de scinder notre bloc en deux parties égales?
Mme
Maltais :
Il n'y a pas de consentement.
M.
Ouellette :
Il n'y a pas de consentement? Bon, bien...
Le
Président (M. Hardy) :
Parfait. Alors, nous allons débuter la période d'échange. Mme la ministre, à vous la parole pour une
période de 25 minutes.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, Mme Houda-Pepin, merci de votre présentation.
Rebienvenue à l'Assemblée nationale, c'est un plaisir de vous retrouver. Évidemment,
je comprends que vous avez un grand intérêt pour toutes ces
questions-là, il n'y a personne ici qui contestera cet intérêt que vous
manifestez.
J'aimerais
qu'on puisse ensemble échanger surtout sur le projet de loi n° 59.
Pour ce qui est de 62, je comprends que nous aurons des consultations, et il nous fera plaisir de vous revoir, de vous
retrouver et d'échanger sur les aspects de 62 qui pourraient peut-être
faire l'objet de bonifications, mais, pour
ce qui est de 59, on a peu échangé
sur la première partie, sur la question du discours haineux et du
discours qui incite à la violence.
On aura un peu plus tard aujourd'hui certains groupes qui viendront nous expliquer que
cette partie-là du projet de
loi est quand même importante, bien que certaines personnes ne le comprennent
pas tout à fait correctement, si je pourrais
dire, puisqu'il y a peut-être eu une mauvaise compréhension par ma collègue de l'opposition, mais les dispositions
du projet de loi n° 59 visent à
s'attaquer à un problème réel. Et plusieurs groupes, les femmes notamment, font
l'objet de discours qui incitent à la violence ou qui sont carrément de
nature haineuse et... selon, évidemment, les prescriptions prévues à la Cour
suprême. J'aimerais vous entendre là-dessus, Mme Houda-Pepin, puisqu'on n'a pas
eu beaucoup l'opportunité d'échanger sur ces enjeux-là, vous et moi. Je sais
que vous avez une sensibilité à l'égard de ce type de discours là et j'aimerais
pouvoir vous entendre sur cette première partie du projet de
loi n° 59.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci
beaucoup, Mme la ministre, de me donner l'occasion de revenir sur ce point-là, qui est effectivement extrêmement
important, vous avez raison de le dire. Mais peut-être qu'on n'est pas assis du même côté de la clôture
pour mesurer l'importance de ce sujet. J'aimerais vous dire qu'est-ce
que ça signifie pour moi, ce qui est proposé dans ce projet de loi concernant
les discours haineux.
D'abord,
comme vous le savez, il donne suite à une proposition du président de la
Commission des droits de la personne,
M. Jacques Frémont, qui a proposé en 2014 l'ajout d'une disposition à la
charte qui interdirait les propos ou les
actes qui exposent des personnes à la haine pour un motif de discrimination
interdit. Je pense que M. Frémont ne sera pas déçu du projet de
loi, et vous allez l'entendre.
Le projet de
loi ne souffle mot sur la définition de «discours haineux». Et, comme vous le
savez, Mme la ministre, le
législateur ne parle pas pour ne rien dire. J'ai entendu un certain nombre
d'explications que vous avez données, qui sont pertinentes à certains
égards, mais, comme vous le savez, Mme la ministre, lorsqu'un projet de loi est
devant les tribunaux, ce ne sont pas les
paroles d'un ministre qui sont regardées, on regarde le texte de la loi et même
la virgule, à quelle place qu'elle
est située. Donc, ce projet de loi qui ne définit pas, donc, ce qu'est le
discours haineux, c'est également une
porte ouverte à toutes les dérives en matière de droits de la personne et de
démocratie. Si le projet de loi n° 59 venait à être adopté tel quel, tel que libellé, on
bâillonnerait la liberté d'expression, la liberté d'opinion, le droit à la
dissidence et à la critique, y compris le droit de critiquer les
religions, qui ne saurait être assimilé à un crime raciste.
Je dois vous
dire, M. le Président, que je suis une personne qui a un immense respect pour
les religions. Je suis très à l'aise
dans toutes les maisons de Dieu. Je n'ai pas de problème avec Dieu, j'ai juste
un problème avec ceux qui se prennent pour Dieu. Ça fait une différence.
Donc, ce
projet de loi qui va venir empêcher la liberté d'expression lorsqu'on critique
les religions, on sait ce que ça a
donné. Ça a donné Charlie Hebdo, par exemple. Ça peut donner... Ça a donné
Salman Rushdie. Ça, on a vécu ça. Moi, j'ai été impliquée dans ce
dossier également.
L'article 1
du projet de loi stipule, et je cite : «La présente loi a pour objet
d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours
haineux et les discours incitant à la violence.
«Elle
s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence tenus ou
diffusés publiquement et qui visent
un groupe de personnes qui [représentent] une caractéristique commune
identifiée comme un motif de discrimination interdit à l'article 10 de
la Charte des droits et libertés...»
Permettez-moi
deux secondes, M. le Président. Qu'est-ce qu'on veut régler par ce problème-là?
Par exemple, les Hamza Chaoui de ce
monde, les Adil Charkaoui que vous allez entendre de ce monde, eux autres, on
va les protéger parce qu'ils
appartiennent à un groupe de personnes qui présentent une caractéristique
commune identifiée? Est-ce que c'est ça qu'on va protéger? J'aimerais
qu'on me l'explique.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
• (14 h 20) •
Mme Vallée :
M. le Président, alors, évidemment, ce qui protégé, c'est la protection des
groupes, des individus qui ont une
caractéristique commune prévue à l'article 10 de la charte contre des discours
qui sont haineux ou qui incitent à la violence, suivant les principes
définis par la Cour suprême.
Mme Houda-Pepin, M. le Président, a fait la même... a soulevé la
même préoccupation qui a été soulevée dans cette Chambre, dans cette
salle à quelques occasions depuis le début de nos consultations, les gens
craignent que le projet de loi porte atteinte à la liberté d'expression. Ce
n'est pas ce que le projet de loi prévoit, et je tiens à rassurer Mme Houda-Pepin. Le projet de loi prévoit une
protection contre un discours qui
amène à un sentiment de haine profond. C'est
ce que l'arrêt Whatcott de la Cour
suprême a prévu, et la Cour suprême a été très claire à cet effet-là. L'arrêt Taylor, également,
de la Cour suprême a été assez clair aussi à cet effet-là. La
liberté d'expression est un droit qui nous est cher et qui est cher à la
démocratie, mais on ne peut permettre, sous le prétexte de la liberté
d'expression, d'utiliser cette liberté-là pour amener des gens... d'une part
pour inciter les gens à la violence ou pour inciter les gens à devenir... à tenir un discours qui va déconsidérer un
groupe de personnes, qui va les dénigrer pour les rendre ignobles, pour les
rendre inacceptables aux yeux de tous. C'est l'objectif du projet de loi, M. le
Président.
Ceci étant
dit, ridiculiser une religion, du sarcasme, de la satire à l'égard d'une
religion, ce n'est pas un discours haineux.
Il faut cesser d'utiliser ces exemples-là et de prétendre que le projet de loi
va venir empêcher un éditorialiste, empêcher
un caricaturiste d'exercer son travail, d'exercer son art. Alors, ce n'est pas le projet de loi. Ce que nous codifions...
Et je comprends. Est-ce qu'il y aurait
lieu de préciser davantage certains termes comme on l'a fait sur les soins
de fin de vie, vous vous rappellerez? Je m'excuse, M. le Président, je regarde
Mme Houda-Pepin, mais je pense que Mme Houda-Pepin
était présente lorsqu'on a travaillé le projet de loi sur les soins de fin de
vie, qui amenait différents concepts,
des concepts nouveaux au sein de la législation, et on les a précisés. Moi, je
vous dis d'emblée, M. le Président, je
suis prête à travailler avec les collègues autour de la table pour ramener les
principes de Whatcott et de Taylor à une définition qui sera peut-être
plus claire. Je comprends que «discours haineux» peut porter à interprétation,
et on ne voudrait pas, justement, que les dispositions du projet de loi soient
utilisées à des fins autres. L'objectif n'est pas de sanctionner la liberté
d'expression, l'objectif n'est pas de bâillonner qui que ce soit. L'objectif du
projet de loi est de protéger, qu'on parle
des femmes, qu'on parle des homosexuels, qu'on parle des transgenres, qu'on
parle des personnes qui vivent avec une situation de handicap, contre
des discours qui deviendraient carrément haineux.
Et,
lorsque l'on a fait les consultations, le forum, notamment, sur les agressions
sexuelles, beaucoup de femmes, de groupes de femmes ont noté
l'importance de venir baliser certains discours qui portent des propos qui
incitent à la violence à l'égard des femmes.
Et notre collègue de Montarville pourra sans doute réitérer, on a entendu à
Rivière-du-Loup, il y a deux semaines de ça, des groupes qui s'étaient
mobilisés contre des gens qui tenaient des propos qui incitaient notamment au
viol, ce qui est tout à fait inacceptable.
Bref,
je veux... je trouve qu'il est important, au-delà de tous les échanges, que
l'on ne donne pas à 59 une portée liberticide
comme certains voudraient. Ce n'est pas le cas. C'est un projet de loi qui
prévoit la protection de certains groupes portant des caractéristiques nommément prévues à la charte parce qu'à un
certain moment donné les droits et libertés ne sont pas absolus, et il faut protéger certains contre des discours qui
vont bien au-delà, bien au-delà d'un discours d'opinion ou d'un discours
de satire.
Alors,
on n'a pas eu la chance, Mme Houda-Pepin et moi, d'échanger sur cette
question-là, mais, M. le Président, je tenais à lui expliquer un petit peu ce
qu'il en était. Les décisions de la Cour suprême sont quand même assez
élaborées, je comprends, et
comportent des nuances, mais, le discours haineux, lorsque nous avons rédigé le
projet de loi, avec les légistes du
ministère de la Justice, nous nous sommes basés sur les principes mis de
l'avant par la Cour suprême, puisque justement
la Cour suprême devait déterminer à savoir quelles sont les limites à la
liberté d'expression, jusqu'où, dans une société libre et démocratique... que pouvons-nous accepter dans une
société libre et démocratique, et il y a aussi de nombreux traités
internationaux qui déclarent que la liberté d'expression a, à un certain moment
donné, une limite. À partir du moment où on entre dans le discours qui incite à
la violence, dans le discours qui incite à la haine, à ce moment-là ça devient...
La liberté d'expression ne peut être utilisée pour permettre la tenue de tels
discours.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Merci, M. le Président. Alors, Mme la ministre,
si votre volonté était de resserrer la
législation en ce qui a trait à la protection des femmes, la violence faite aux
femmes... J'ai participé récemment à un forum international sur la violence faite aux femmes à l'ère de DAESH auquel
ont participé 22 représentantes de différents pays du Moyen-Orient, du Maghreb, des femmes, des
intervenantes terrain qui travaillent avec les femmes qui sont complètement
décomposées dans leur identité, dans leur
chair, victimes de violence sexuelle, de viol sexuel, d'esclavage sexuel. Je
suis extrêmement sensible à ça. C'est
quelque chose auquel il ne faut même pas toucher parce que ça va durer... ça va
porter là-dessus longtemps.
Ce que je viens de
vous dire, j'ai, moi, au début des années 90, participé, avec la Commission des
droits de la personne, la ligue des droits
de la personne, le Congrès juif canadien, à travailler sur la notion de
violence et racisme au Québec. Nous
avons... J'ai cosigné un rapport là-dessus, j'ai coordonné les colloques sur ce
sujet. Je pense, tout ce qu'il y avait au
Québec à ce moment-là par rapport à cette problématique était réuni autour de
ça. Je suis très sensible à la violence faite aux femmes et à la violence raciste en particulier. Je suis
moi-même issue d'une minorité, ça peut peut-être vous rendre plus
sensible.
Ce
que j'essaie de vous dire : Si vous voulez cerner la violence faite aux
femmes, faites-le, je vais être votre alliée. Mais moi, je vais vous
lire un court extrait : «[Le] véritable enjeu, [...]la
véritable préoccupation de la population, la menace
que représentent, chez nous, l'extrémisme et tous les intégrismes religieux. À
ceux qui viennent chez nous pour profiter
de nos libertés et de notre démocratie pour ensuite s'y attaquer et ultimement
les détruire, nous disons haut et fort : Vous n'êtes pas les bienvenus chez nous, nous vous combattrons, nous
vous poursuivrons sans relâche. Nos députés [et] militants sont déjà au travail, et nous proposerons bientôt des moyens
efficaces pour lutter contre cette menace qui est [...] bien réelle.» Je cite M. Philippe Couillard, chef de
l'opposition officielle, lors de son discours d'assermentation au salon rouge le 13 décembre 2013. Mme la
ministre, est-ce que le projet de loi n° 59 s'attaque à ce que le premier
ministre d'aujourd'hui avait promis?
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
• (14 h 30) •
Mme
Vallée : M. le Président, un petit peu étrange, les questions
sont inversées. Mais je répondrais à Mme Houda-Pepin que le projet de
loi n° 59, et le projet de loi n° 62, et le plan d'action déposé par
mes collègues ministre de la Sécurité publique
et ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, c'est un tout,
c'est un tout. Il s'agit là, M. le Président, de notre réponse à un problème qui est important, qui est grave et
auquel on accorde une importance. Et ce projet, cette réponse, elle ne peut être que législative, elle
doit aussi s'accompagner de mesures sociales, de mesures d'éducation, de
mesures qui ne sont pas toujours... qui n'ont pas nécessairement besoin d'être
codifiées.
Alors, ce
plan d'action là comprend notamment le projet de loi n° 59, qui vise, oui,
à encadrer le discours haineux mais
aussi à protéger des femmes, protéger des enfants contre une certaine forme
d'intégrisme, je vous dirais, en venant baliser la question des mariages, en venant aussi
encadrer les violences qui sont basées sur une notion d'honneur. Nous l'avons
fait, nous avons fait le choix de le présenter de cette façon-là. Et nous avons
différents moyens. Les consultations permettent,
nous l'espérons, de venir bonifier, parce
qu'un travail... notamment le travail législatif se fait ici de cette façon-là,
et c'est la beauté de notre Assemblée de pouvoir avoir ces échanges.
Mais, M. le
Président, le plan d'action est un élément global incluant les deux projets de
loi. Est-ce qu'il répond à la
totalité des préoccupations de notre ex-collègue? Peut-être, peut-être pas,
mais chose certaine il était notre vision, notre réponse à une problématique. Et puis plutôt... Et là le message
s'adresse peut-être à notre collègue, ma collègue de l'opposition officielle, mais, plutôt que d'en
faire une question où on s'affronte de façon partisane, est-ce qu'on ne peut
pas avoir un travail de collaboration?
Et là-dessus
je rejoins la... je suis encore... j'ai encore des anciens réflexes, mais je
rejoins notre ex-collègue qui dit que nous devons, sur des enjeux aussi
importants et aussi sérieux, aller au-delà de la partisanerie et travailler en collaboration, travailler et apporter des
solutions ou des idées constructives. Alors, je prends et j'entends les
commentaires de Mme Houda-Pepin et je sens sa volonté de vouloir aussi
contribuer à cette grande réflexion.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Houda-Pepin.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Alors,
premièrement, je voudrais signaler à la ministre que nous sommes ici pour discuter d'un projet de loi, donc d'un
pouvoir législatif dont disposent les parlementaires. Les plans d'action, c'est
des politiques gouvernementales, ça dure le
temps que dure le gouvernement. Alors, on ne peut pas s'attaquer à un problème
aussi structurel que les intégrismes par un
plan d'action, parce qu'on veut vraiment baliser, encadrer ce phénomène-là par
une législation qui va s'inscrire dans la
durée, on l'espère, et qui va peut-être être améliorée par d'autres députés qui
vont venir plus tard.
Ce que, Mme
la ministre, le projet de loi fait, et particulièrement l'article 1 sur les
discours haineux, c'est qu'il introduit
dans la législation québécoise le concept de l'islamophobie, l'islamophobie
pour donner suite à une revendication des groupes islamistes radicaux
qui réclament depuis longtemps la criminalisation de la haine à l'égard des
religions.
Qu'est-ce que l'islamophobie, M. le Président?
Vous avez... Est-ce que j'ai le temps ou je...
Le
Président (M. Hardy) : Oui, mais je vais permettre au député de
Chomedey de vous poser une question, ensuite vous continuerez.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : D'accord.
Je vais m'astreindre à la réponse, permettre à M. le député de...
Une voix : ...
Le Président (M. Hardy) : Elle peut
continuer? O.K., allez-y.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Ah! bon,
bien... Alors, j'étais en train d'expliquer, parce que c'est très important, c'est quoi, l'islamophobie. Prenons le terme «islamophobie». Il y a
deux mots là-dedans : il y a «islam», il
y a «phobie». Comment on définit l'islam? Comme religion, comme
civilisation, comme culture, la vie du Prophète. Le suffixe «phobie», de l'ancien grec «phobos» qui veut dire «peur»,
c'est un terme qui est entré dans le langage médical des peurs obsessionnelles,
de la répulsion, mais en dehors du champ
médical on parle du rejet, par
exemple le rejet d'une religion.
Est-ce qu'on va légiférer sur le
discours haineux pour encadrer le rejet d'une religion, la pensée que vous avez
par rapport à une religion? Je ne trouve ça pas
logique.
Et, M. le Président, cette revendication de l'islamophobie, vous allez en entendre parler,
vous allez en entendre parler, et ça se parle déjà pas mal depuis longtemps.
Et déjà en 1999 l'Organisation de la coopération islamique, qui représente 57 États où l'islam est religion
d'État, a plaidé devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU de museler
la liberté d'expression, d'introduire le
délit blasphématoire dans les instruments juridiques internationaux afin d'interdire la diffamation des religions. Le discours haineux,
tel que présenté dans l'article 1 du projet de loi n° 59, c'est
l'interdiction de la diffamation des religions, c'est ça que ça fait.
Et, M. le
Président, moi, je suis très préoccupée parce qu'il ne s'agit pas là d'une
revendication qui vient de tomber du
ciel, il faut remonter à la source. Déjà en 1948, lorsqu'on a élaboré la Déclaration
universelle des droits de l'homme, le
ver était dans le fruit. L'Arabie saoudite s'est opposée à la Déclaration
universelle des droits de l'homme pour deux
raisons : pour le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et
pour le principe de la liberté de religion, c'est-à-dire le droit de choisir sa religion et le blasphème. Donc, nous
sommes dans deux registres complètement différents. Et c'est à ça qu'on
est en train, par le projet de loi, d'apporter des réponses, et je suis
personnellement très inquiète.
Et, lorsque
j'entends, par exemple, la déclaration de M. Frémont qui disait que les
gens qui défendent la liberté d'expression,
c'étaient des intégristes de la liberté d'expression, de la liberté de presse,
venant d'un président de la Commission des droits de la personne je suis
pas mal inquiète, M. le Président.
Alors, il y a
une confusion, dans ce projet de loi, entre liberté d'expression au sujet d'une
religion — ce qui
est du domaine des idées, du domaine
des idées, on va mettre une police des idées — et la haine à l'égard des croyants en tant
que tels. Et ça, M. le Président, ce projet
de loi, personnellement, à mon humble avis, il ne traversera pas la rampe
devant une première instance de tribunal.
Le Président (M. Hardy) : M. le
député de Chomedey, il vous reste 1 min 20 s.
M.
Ouellette :
Dans 1 min 20 s, Mme Houda-Pepin, il va falloir que je fasse
très vite. Merci...
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Des
miracles, des miracles.
M.
Ouellette : Bien oui, il va falloir que je fasse des miracles, effectivement. J'entends les
commentaires que vous venez de nous
faire. Vous avez travaillé avec M. Frémont dans d'autres instances et vous
nous avez mentionné que M. Frémont va aimer le projet de loi
n° 59. J'entends aussi les balises ou l'encadrement que vous voulez avoir,
on demandera à M. Frémont, quand il viendra.
On va avoir
l'observatoire cet après-midi. Vous semblez être aussi très critique sur
l'observatoire, qui est différent du
centre recherche-action que vous aviez mis de l'avant ou que vous aviez avancé,
et j'ai l'impression que l'observatoire ne remplit pas le rôle que le
centre recherche-action pouvait avoir.
Et je vous
dirais, en terminant, dans mes 15 secondes qui restent, que le projet de
loi n° 59, peut-être contrairement à ce que vous pensez, n'est pas pour M. Chaoui et M. Charkaoui,
ce n'est pas pour eux autres, ça ne protège pas ces gens-là. Et, vous
l'avez dit, quand on légifère, on légifère pour l'ensemble de la population, en
toute équité et en toute justice.
J'ai brûlé mon temps, hein?
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à
la période d'échange avec l'opposition officielle. Mme la députée de
Taschereau, à vous la parole pour une période de 15 minutes.
• (14 h 40) •
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour. Rebonjour, chers collègues, vu qu'on se
retrouve. Mme la ministre. Bonjour,
Mme Houda-Pepin. Et permettez-moi de dire : Bonjour, Mme la députée
de La Pinière. Je vous ai connue pendant si longtemps sous ce titre
que ça me revient instantanément.
Écoutez,
Mme Houda-Pepin, je vous dis une chose. Je vais vous donner du temps de
parole, ne vous inquiétez pas. Je
vois que vous avez eu peu d'endroits, peu de moments, là, jusqu'ici pour placer
vos interventions. Je vais quand même
avoir un petit commentaire avant, d'abord, parce que la ministre a remis en
question ma compréhension de la loi. Je
lui signale que ma compréhension est celle de Me Julius Grey, de
Me Julie Latour, des représentants des Noirs, des groupes LGBT, des Juifs, la communauté juive — et c'est ceux, selon ce qu'elle dit
elle-même, où elle fonde son projet de
loi — et que
même son chef, le premier ministre, a déclaré qu'il y aurait de sérieux
amendements à cette loi. Je pense qu'il
n'y a pas que moi qui comprends qu'il y a de sérieux problèmes. Le plus grand
défenseur, jusqu'ici, de ce projet de loi a été Salam Elmenyawi. Ça dit
tout ce que ça a à dire.
L'autre
chose : Oui, je veux travailler sans partisanerie, et je réponds à votre
appel, Mme Houda-Pepin, là-dessus. Mais on répond... Nous,
présentement, on est en étude d'un projet
de loi qui a été déposé par le gouvernement, et jusqu'ici le travail qu'on à faire, c'est d'essayer,
en commission parlementaire, de poser des questions aux gens pour qu'ils nous expriment leur vision du projet de loi, c'est le seul travail que j'ai fait. D'ailleurs, si j'avais une
opinion à exprimer, c'est que je
souhaite au plus vite que les représentants
des indépendants d'un autre parti qui est présent à l'Assemblée nationale
se présentent au plus vite ici pour écouter
aussi ce qui se passe, les gens de Québec solidaire. Ce serait utile pour la
suite des choses.
Nous avons
demandé la scission du projet de loi parce qu'on pense que la première partie
est la partie importante, c'est là où
il y a un grand, grand, grand enjeu. Nous avons fait la même chose que vous,
c'est-à-dire donner une citation du premier ministre, et nous avons posé
la même question mais à l'association des libertés civiles, c'était sensiblement la même citation, dans les mêmes
eaux. L'association des libertés civiles du Canada a dit qu'effectivement
cette citation pourrait être visée par le projet de loi n° 59, donc vous
aviez raison de poser cette question.
Vous
dites : Le projet de loi n° 59 ne règle rien. Vous nous ramenez votre
idée d'un observatoire; moi, j'ai parlé d'observateur. Pouvez-vous nous dire quelle serait la différence entre
une loi qui touche la liberté d'expression... mais ce que ça apporterait concrètement, votre idée d'un
observateur? D'un observatoire, dans votre cas c'est un observatoire.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Houda-Pepin.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Merci, M.
le Président. Premièrement, je voudrais corriger l'intervention de M. le député de Chomedey. Je n'ai pas été critique
à l'égard de l'observatoire académique. J'ai dit que l'idée a été soumise
dans un projet de loi qui a été déposé le
12 février 2014 et que par la suite l'idée a été reprise
différemment — ce n'est
pas une critique — par
Mme la députée de Taschereau, qui a amené une autre formulation, et le milieu
académique s'est approprié aussi de cette idée pour créer un observatoire.
Vous savez,
dans les milieux académiques, dans les universités, il y a plein
d'observatoires sur plein de choses, mais
ce n'est pas ça, moi, que je voulais dans le projet de loi n° 491. Je
voulais quelque chose d'assez objectif, d'assez rigoureux, parce qu'on est ici dans une zone ultrasensible, on touche
aux droits de la personne, mais on veut en même temps libérer la société des pressions indues qui sont faites par voie
d'intimidation, par violence, par discours haineux par des groupes organisés et qui ciblent les
personnes les plus vulnérables. Alors, c'est à partir de ça que je me suis
dit : Dans l'état actuel des
connaissances que nous avons, comme parlementaires, vous, comme parlementaires,
qu'est-ce que vous en savez, de ces
enjeux-là? Il faut que vous vous appropriiez ça, c'est important. Alors, un
centre de recherche-action qui serait
autonome financièrement, il ne dépendrait pas des sources de financement comme
le milieu académique. Le milieu
académique, par exemple, le ministère de la Défense nationale peut confier un
mandat à un observatoire académique pour leur dire : J'aimerais que
vous m'analysiez tel problème, voici le financement, mais ça, ça répond à un
intérêt particulier, à un besoin
particulier. Le centre de recherche-action sur la lutte à l'intégrisme, il dit
ce qu'il dit et il doit faire ce qu'il fait, ce qu'il fera, donc il va encadrer
les manifestations d'intégrisme, aller sur le terrain, faire les analyses qui
s'imposent pour savoir comment ces
phénomènes-là se manifestent-ils chez nous, quels sont les problèmes qu'ils
posent.
Mme
la ministre, tantôt, avait fait un lien entre l'intégrisme et les crimes
d'honneur. Je me permets de vous dire que
les crimes d'honneur existent bien avant les manifestations des intégrismes,
c'est un phénomène de tradition qui se perpétue
dans différentes cultures et qui est toujours en vie encore aujourd'hui. Intégrisme
ou pas, ces crimes d'honneur peuvent exister dans certaines sociétés
traditionnelles. Donc, voyez-vous, c'est un tas de petits détails qu'il
faudrait apprivoiser, maîtriser pour savoir exactement de quoi on parle.
Dans
l'état actuel de la connaissance des choses qui se passent, vous avez des gens
très respectables qui vous disent : L'intégrisme n'existe pas. Sur
quoi se basent-ils? Aucune idée. Vous avez d'autres qui vous disent : Oui,
il y a des manifestations de l'intégrisme,
voici comment, par le discours, par ci, par ça. Alors, c'est à ça qu'il faut
s'attaquer. Mais, si on a un
organisme qui va faire le monitoring — excusez-moi l'expression anglaise — qui va encadrer ce phénomène-là, tout le monde va y gagner. Vous ne pouvez pas stigmatiser une communauté, à ce moment-là, parce que, lorsque vous allez parler de racisme, vous
parlez de faits et non pas d'hypothèses. C'est ça que moi, je vise.
Et les communautés
musulmanes, elles portent un fardeau très lourd, parce que les amalgames sont très,
très, très présents, et il faut sortir de cette dynamique, une dynamique
empoisonnée où quiconque touche à ce problème-là est accusé
d'islamophobe. Même les journalistes, j'ai parlé à des journalistes, ils ne
veulent même pas parler de ça parce
qu'ils ont peur de se faire
poursuivre pour diffamation. Il y a actuellement une poursuite en Cour
supérieure contre un journaliste de La Presse
et La Presse elle-même par M. Salam Elmenyawi qui
s'était présenté devant vous, perpétuel président du conseil des mosquées de Montréal; autoproclamé,
cela va de soi. Eh bien, lui, là, il vous a dit ce qu'il pensait, hein, mais
il poursuit le journaliste pourquoi? Parce qu'il a rapporté un fait, il a dit
que les services de renseignements américains considèrent
la mosquée Al Sunnah comme étant un nid de terroristes, O.K., il a dit ça,
il a écrit ça, enfin, quelque chose comme
ça, dans ces termes-là, et il est poursuivi pour diffamation pour
150 000 $. Alors, moi, je trouve que, si en plus de ça on leur donne le pouvoir que leur
conférerait le projet de loi n° 59 avec l'article 9, on va s'en aller
dans des dérives dont vous n'avez aucune idée, madame la...
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, Mme Houda-Pepin. Vous avez dit... Je
veux vous dire qu'effectivement je me suis inspirée de votre loi sur l'observatoire pour amener l'idée
d'un observateur, parce que, comme vous le dites, il faudrait tendre à
traiter ça sans partisanerie et qu'un observateur serait sous l'autorité de
l'Assemblée nationale.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Voilà.
Mme
Maltais : Personne ne conteste le Protecteur du citoyen
quand il amène des faits, personne ne... Bon, on peut contester, rarement, le VG, mais les faits, les chiffres sont dans
le document. Le Commissaire à l'éthique, par exemple, est sous
l'autorité de l'Assemblée nationale; un observateur pourrait être sous
l'autorité de l'Assemblée nationale.
Bon,
il y a quelque chose dont vous m'avez parlé tout à l'heure, dont vous avez
parlé tout à l'heure et dont vous avez
parlé souvent dans le passé, puis je n'ai pas réentendu beaucoup parler de ça.
D'où viennent les imams? Vous m'avez parlé...
Dans la tradition musulmane, il y a les... j'ai vos mots, j'ai des vieilles
notes ici, là, les «Al-'Alīm» et les «Al-Hafīdh». Il y a des savants, mais il y a des imams
autoproclamés, il y a des imams qui sont formés en Arabie Saoudite. J'aimerais
ça que vous m'en parliez, de ça.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Houda-Pepin.
• (14 h 50) •
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Alors, écoutez, oui, si vous voulez, je peux
vous donner une explication, mais, voyez-vous,
ça, c'est un sujet qui peut être analysé, on pourrait faire le portrait des
imams au Québec, d'où ils viennent, quel
est leur profil, quelle est leur formation académique ou pas, parce qu'il y en
a qui n'ont pas de formation académique; quelle est leur orientation
idéologique, parce qu'ils font beaucoup dans l'idéologie. C'est quoi, les
orientations qu'ils amènent? C'est quoi,
leur stratégie d'intervention? Comment ils interagissent avec la communauté?
Sont-ils impliqués dans la charia,
l'application de la charia? Empochent-ils de l'argent dans leurs poches
lorsqu'ils font des divorces alors qu'ils n'ont même pas le droit de le
faire? C'est toutes des questions auxquelles on ne peut répondre que si on a
une instance qui est autonome, qui est
indépendante et qui peut faire des recherches objectives. Ça pourrait être
utile même pour les médias, qui parfois, eux autres, ils n'ont pas le temps de
faire toutes ces recherches-là sur le terrain, et donc le public va
gagner parce qu'il va être mieux informé.
Alors, pour répondre à votre question, qu'est-ce
que c'est qu'un imam? En arabe, un imam, c'est quelqu'un qui se met devant.
Dans le mot «imam», il y a le mot «amma», il se met devant. Il se met devant
pourquoi? Il se met devant pour guider la prière. Alors, un imam égale
un guide de prière. «Basic», O.K.?
Maintenant, dans
l'islam, moi, j'ai été accusée, par exemple, souvent, par M. Elmenyawi et
d'autres... il m'a accusée, lors de la lutte
que j'ai menée contre la charia, que j'étais une musulmane laïque. Ça, c'est
une insulte. Musulmane laïque, donc
tu n'es plus musulmane. Il l'a dit, d'ailleurs : Fatima Houda-Pepin n'est
pas une musulmane. Imaginez-vous! Alors,
musulmanes laïques, bienvenue dans l'islam, parce que l'islam est une religion
laïque, l'islam sunnite majoritaire. Il n'y a pas de clergé, il n'y a pas de
sacerdoce, il n'y a pas de hiérarchie, il n'y a pas de confessionnal, et il n'y
a pas d'intermédiaire entre Dieu, le croyant
et la croyante. Les croyants sont en relation directe avec Dieu, on appelle ça
les actes «'ibādāt», et c'est le privilège de Dieu. Si jamais vous interférez
dans cette relation-là, ça s'appelle «shirk», et c'est très condamnable. Donc, il
n'y a pas un musulman, quelle que
soit son autorité morale, qui pourrait dire qu'un tel est
musulman et l'autre ne l'est pas, mais, comme ici les gens ne font pas la différence,
n'importe quelle accusation pourrait être peut-être portée par ces gens-là et
colportée de Halifax à Vancouver.
Bon,
ceci étant, il y a effectivement dans l'islam deux types d'imam, «Al-'Alīm» ou «Al-Hafīdh». «Al-'Alīm», ce sont les savants, les théologiens. «Al-Hafīdh»,
c'est ceux qui ont appris le Coran par
coeur, donc ils sont capables d'utiliser les versets du Coran pour mener
les prières. D'accord?
Dans les pays
musulmans, il y a généralement des conseils des ulémas, un conseil des ulémas,
un conseil des théologiens. Ces conseils de
théologiens n'ont aucun pouvoir décisif, ils n'ont qu'un... ils ne peuvent
émettre qu'un avis lorsqu'on leur demande. Donc, c'est très important de
comprendre ça.
D'où
viennent les imams? Bon, j'ai écrit un article aujourd'hui là-dessus.
L'Arabie saoudite, qui est la mamelle principale pendant des années du
financement de l'intégrisme dans le monde, incluant dans le monde occidental,
elle finance... elle forme des imams, elle
les envoie en mission, elle les paie, ils reçoivent leurs soldes, et puis ils
prêchent l'islam wahhabite, l'islam
salafiste. C'est ça, le problème. L'islam, comme tel, c'est une religion qui peut
se vivre dans la sérénité, dans la
paix, c'est ce que la plupart des musulmans font. Le problème,
c'est quand la religion est instrumentalisée à des fins idéologiques, et
là on a les problèmes.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci.
Et je pense qu'il y a des imams qui ont été formés en Arabie saoudite
qui sont au Québec et donc qui
font partie de la discussion qu'on a, c'est-à-dire de la section intégriste, probablement.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Bien, c'est sûr. S'ils sont là pour propager un islamisme
radical, propager un islamisme wahhabite, c'est-à-dire, faites vos analyses. Le
centre de recherche-action sur l'intégrisme vous aiderait.
Mme
Maltais : Oui, il
ferait l'analyse. Une dernière chose, vous avez dit : La neutralité
religieuse de l'État doit être inscrite dans la charte.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Oui.
Mme
Maltais :
Vous croyez encore que ça aurait un impact positif pour la société québécoise?
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Absolument.
C'est-à-dire, le Québec, il a fait un chemin incroyable au niveau de la sécularisation, la
séparation de la religion et de l'État. Il reste une étape à faire.
Et,
«by the way» — excusez-moi
l'expression — c'est
un combat qui a été mené pendant un siècle par des libéraux, hein, ils ont payé très cher leur combat pour la
séparation de la religion et de l'État.
Il y avait des députés, des candidats
qui ne pouvaient même pas afficher leur nom
sur un poteau lorsqu'ils se présentaient dans une campagne électorale. C'est toute une histoire à raconter, une page d'histoire qui
est méconnue mais qui est très, très importante à connaître.
Donc,
ce combat qui a été mené par des libéraux intellectuels et politiciens, qui a mené jusque dans des cours de
justice parce qu'il y avait des plaintes qui
avaient été portées contre l'Église ultramontaine de l'époque, ce combat-là, il
est inachevé. Il faut poser le jalon de la
liberté... de la neutralité religieuse de l'État pourquoi? Parce que, dans une
société pluraliste, et le pluralisme
inclut la diversité des religions, il est extrêmement important d'avoir une
idée claire de ce que nous voulons, du bien-vivre ensemble.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Je suis obligé de vous
interrompre, Mme Houda-Pepin. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec le deuxième groupe
d'opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la parole pour une
période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Mme Houda Fatima Pepin... pardon, Mme
Mme Fatima Houda-Pepin, je m'excuse. Je
ne voulais pas m'accrocher, c'est fait. Alors, Mme Houda-Pepin, merci
d'être ici mais surtout merci pour...
Je suis émue, je vais vous dire, honnêtement je suis émue parce que je trouve
que vous faites ici quelque chose
d'extrêmement important. Vous faites preuve d'un extrême courage, d'un très
grand courage. Vous nommez les choses,
vous osez mettre le doigt sur la problématique, actuellement, que le Québec vit
depuis des années, qu'on ne voyait pas mais qui est en train de se
révéler.
Et vous avez écrit
une lettre ouverte qui a été publiée dans les grands quotidiens ce matin, et
j'invite tout le monde à la lire. Et, pour le bénéfice de ceux qui n'ont
pas pu la lire, je vais en relire un court extrait, puis ensuite je vous
laisse la parole. Je veux vous entendre parce que ce que vous dites est extrêmement
important.
Alors,
pour le bénéfice des gens qui n'ont pas lu cette lettre ce matin, je prends
deux petits passages. Vous nous dites :
«L'islamisme radical au
Québec et au Canada n'est donc pas l'oeuvre d'une génération spontanée qui a
commencé avec le djihad 2.0 et les soi-disant "loups
solitaires". C'est la conséquence tangible d'un endoctrinement idéologique
systématique, faite dans l'ignorance et
l'indifférence générale depuis le début des années 1980, quand l'Arabie
saoudite a commencé l'envoi de ses
imams de service. Dès lors, et encore aujourd'hui, l'organisation de l'islam au
Québec a été monopolisée par la mouvance islamiste, elle-même reliée à un
réseau national et international d'organisations salafistes et disposant
de moyens financiers considérables.»
Vous
poursuivez en nous écrivant : «Comment sortir des griffes des financiers
de l'intégrisme qui ne se gênent même plus, aujourd'hui, pour importer ici des prédicateurs sulfureux
d'Europe et du Moyen-Orient et qui font ouvertement la promotion de la
charia en Amérique du Nord ?»
Vous nous dites :
«Oui : l'islamisme radical existe au Québec et au Canada. C'est
ainsi que le Canada est devenu, au fil des ans, le paradis des islamistes, à cause des garanties
fondamentales que leur confère la Charte des droits et libertés, à cause
de leur capacité à imposer leur agenda politique sous couvert de religion, à
cause de l'insouciance des classes politiques
qui s'agglutinent, tout parti [...] confondu, dans leurs mosquées pour
solliciter le financement et le vote de leurs fidèles.»
Mme Houda-Pepin, moi, quand j'ai lu ça, j'ai trouvé ça très
troublant. Vous êtes en train de nous dire : Les islamistes sont en train, ici, d'acheter même les partis
politiques pour faire passer leur message, c'est un peu ça. Je vous laisse la parole. Élaborez, je vous prie.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Il faut comprendre que ces gens-là, ils ont un
agenda politique qui est celui de
s'assurer... Dans leur conception, il y a deux mondes : il y a
«Dar al-Harb» et «Dar al-Islam»...
Une
voix : ...
Le
Président (M. Hardy) : Excusez-moi, il y a une question de règlement.
M. Proulx : Oui. Vous me permettrez, M. le Président, de reprendre là où j'ai laissé il y a quelques années. Vous m'excuserez, je ne peux pas laisser passer ce que
j'ai entendu il y a quelques instants. Je vais demander à ma collègue de retirer les propos qu'elle a faits. Je ne sais
pas quel parti politique elle visait, je ne sais pas sur quelle
partie du monde elle se croyait, mais je pense qu'on est ici pour tenir ces
débats-là de façon respectueuse. Et ce que j'ai entendu m'apparaît contraire à
ce qu'on veut faire ici d'abord et contraire au règlement que nous défendons,
surtout dans l'optique où je pense avoir entendu des collègues, depuis certains temps, et des nouveaux collègues pour moi dire qu'il fallait
travailler autrement dans cette Assemblée.
Mme
Roy
(Montarville) : ...est-ce que
je pourrais savoir quel article est-ce qu'il invoque au règlement?
M. Proulx : M. le Président, celui
qui va porter sur le respect, le respect des parlementaires, le respect de ceux qui ne pensent pas comme notre collègue députée aujourd'hui. Je vous
demande tout simplement, M. le Président, de
lui faire un rappel
poli, gentil à l'effet de ne pas dire des choses comme elle a dites, qui
m'apparaissent contraires... et surtout qui n'aideront pas ni le
témoignage de Mme Houda-Pepin ni la poursuite des travaux aujourd'hui.
Le
Président (M. Hardy) : Nous allons poursuivre
dans le respect. Ça fait que...
• (15 heures) •
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Je vous remercie. Vous m'avez coupé la parole, M. le Président, pour une question d'ordre interne, je connais cet exercice. Donc, je
voudrais qu'on termine dans la sérénité. Je pense que c'est bien parti
avec les deux partis.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a... dans leur conception il y a «Dar al-Harb»
et «Dar al-Islam», la maison de la guerre et la maison de
l'islam. Donc, tant qu'ils sont dans la maison de la guerre, ils vont vouloir
convertir, ils vont vouloir faire de
l'endoctrinement et amener les gens à leur idéologie. On est dans un domaine
d'idéologie politique sous couvert de religion, il faut apprendre à faire les
nuances entre les deux. L'islam est une religion qu'il faut respecter pour ce
qu'elle est et pour les croyants qui y croient, et
l'islamisme radical, c'est une idéologie qu'il faut combattre. Ça, c'est bien
important.
Ceci étant dit, il y a énormément d'instrumentalisation. Par exemple, ce que les messages que nous envoie DAESH, aux jeunes... Parce qu'on parle ici de déradicaliser nos jeunes,
c'est ça pourquoi est-ce qu'on est en train de discuter. Alors, je cherche toujours c'est quoi,
l'instrument par lequel on va le faire, mais je n'ai pas encore trouvé dans le
projet de loi n° 59.
Je
vous donne un exemple de cette manipulation. On dit aux jeunes
occidentaux : Quittez vos pays, quittez «Dar
al-Harb», quittez la maison de la guerre et venez vers la maison de l'islam,
faites ce qu'on appelle la hijra. C'est un mot-clé, ça, hein, sur Twitter et sur... C'est très, très
important pour les jeunes, la hijra. C'est quoi, la hijra?
C'est la migration, c'est
l'émigration. Donc, quittez vos pays et venez en Irak, venez en Syrie vous
faire tuer, tuer, et puis vous allez aller au paradis, et puis les
vierges vont attendent.
Bon,
ceci étant, la hijra, dans l'islam, est très importante, elle signifie
l'émigration du Prophète de La Mecque à Médine. Il est parti de La Mecque à Médine pour sauver sa peau, parce qu'il était poursuivi, on voulait le tuer à cause de cette religion nouvelle qu'il a amenée et qui
préconisait l'unicité de Dieu. Et La Mecque était polythéiste, il y avait des statues partout, des
divinités partout, qui avait une fonction économique, et politique, et
culturelle extrêmement importante. Donc, les
tribus arabes se sont levées contre lui, y compris sa tribu, Koresh, y compris
sa famille, y compris son oncle, qui
était un homme très influent, donc le Prophète est parti de La Mecque à
Médine. Médine, qu'est-ce que c'était, Médine? Ça s'appelait Yathrib, c'était
une ville où vivaient majoritairement des Juifs. Donc, pour que le Prophète
aille à Médine, il a signé un pacte de
protection mutuelle avec les Juifs, qui lui ont permis d'aller s'installer à
Médine, où il a construit la première mosquée, où s'est constituée la
première communauté.
Cette hijra est très
importante parce qu'elle s'est effectuée en 622, qui est le début du calendrier
musulman. Alors, on dit aux jeunes aujourd'hui : Faites la hijra, quittez le pays des mécréants et venez en terre
d'islam, d'accord, mais le
Prophète, il a quitté la terre de l'islam pour aller se réfugier chez les
Juifs, qui sont, selon leur même considération, des mécréants.
Voyez-vous la manipulation? Voyez-vous? Alors donc, c'est tout ça qu'il
faudrait déconstruire.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui. Comme j'ai très peu de temps malheureusement, Mme Houda-Pepin... Dans le projet de loi, on y revient, là, les discours haineux et les discours incitant à la
violence. Nous, ce que nous disons, de notre côté, c'est qu'il faut être beaucoup, beaucoup plus précis et s'attaquer aux discours d'endoctrinement — qu'est-ce que vous en pensez? — pour
ne pas, justement, être trop large et aller dans les excès mais être pointu.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Je
vous ai dit d'entrée de jeu qu'il faudrait que les leaders des différents partis...
que tous les partis, les groupes parlementaires et parlementaires s'assoient
autour d'une même table, qu'ils refassent l'exercice
de façon consensuelle. Le projet de
loi n° 60 sur la charte des
valeurs était un échec. Le projet de
loi n° 59, ça sera un
échec s'il est adopté tel qu'il est.
Bon, alors qu'est-ce qu'on peut faire? Si l'intérêt public prime, pourquoi est-ce qu'on ne peut pas s'asseoir? On l'a fait par le passé, pas seulement
sur le droit de mourir, qui était une initiative des députés, mais ça a été
fait aussi, par exemple, sur l'éthique et la déontologie, on a travaillé ensemble
pour bâtir quelque chose qui était consensuel. Sur cette question-là, il n'y a aucun parti qui va
faire des gains s'il veut y aller seul, il ne le pourra pas. Encore une fois,
vos adversaires, ce n'est pas ceux
qui sont devant vous, c'est ceux que vous ne voyez pas mais qui, eux autres,
sont à l'oeuvre. Si vous...
Allez-y parce que j'ai quelque chose à dire, je
ne sais pas...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Combien
de temps il reste?
Le Président (M. Hardy) : Il reste
1 min 45 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : O.K.
Alors, je voulais vous dire... Parce
que le projet de loi accorde plus de
pouvoirs à la Commission des droits
de la personne. Moi, je connais très
bien la Commission des droits de la
personne. Je n'ai pas travaillé avec M. Frémont, mais j'ai
travaillé avec ses prédécesseurs. La Commission des droits de la personne, dans
l'article 71 de la charte, elle a comme
obligation d'«élaborer et appliquer un programme d'information et d'éducation,
destiné à faire comprendre et accepter
l'objet et les dispositions de la présente charte», autrement dit faire l'éducation aux droits. La Commission des droits de la
personne avait une direction d'éducation qui réunissait les meilleures
expertises, qui allait dans les
écoles, dans le milieu institutionnel, dans le milieu communautaire pour faire
l'éducation aux droits pour le respect de la différence. La Commission des droits de la personne a réduit cette direction à peau
de chagrin. La commission, elle a les pouvoirs, mais elle n'a pas les
moyens.
Deuxième
élément, parce que je vous ai... dans ce que vous avez lu, peut-être il y a
deux leviers pour l'intégration et la
vie harmonieuse : l'école — donc, si on veut vraiment bâtir une
citoyenneté commune, il faut passer par l'école et par l'éducation aux droits; deuxièmement, sur le
marché du travail. Le marché du travail, c'est aussi le deuxième levier de l'intégration. La Commission des droits de la
personne a un pouvoir relativement... C'est la partie III sur les
programmes d'accès à l'égalité, l'article 88 et suivants. La Commission
des droits a le pouvoir d'influencer le gouvernement, en particulier la fonction publique, les organismes
gouvernementaux, pour faciliter l'embauche des jeunes des minorités, qui ont des
compétences inouïes et qui quittent le Québec pour aller travailler en Alberta,
ou à Vancouver, ou même aux États-Unis.
Le Président (M. Hardy) : En
terminant.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Alors, en terminant, M. le Président, la
Commission des droits de la personne n'a
pas besoin de plus de pouvoirs, notamment le pouvoir de contrôler la propagande
haineuse et le discours haineux. Elle a besoin de leadership et elle a
besoin de moyens.
Merci de m'avoir écoutée.
Le Président (M. Hardy) : Merci de
votre contribution.
Nous allons
suspendre nos travaux quelques instants, et j'inviterais les représentantes du
Conseil du statut de la femme à prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 15 h 7)
(Reprise à 15 h 10)
Le
Président (M. Hardy) : Nous
reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue au Conseil du statut de la
femme. Je vous invite à vous présenter et je vous rappelle que vous
disposez de 10 minutes pour votre exposé. Allez.
Conseil du statut de la
femme (CSF)
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Très bien.
Alors, Julie Miville-Dechêne,
présidente du Conseil du statut de la femme. À ma gauche, Rakia Laroui, qui est vice-présidente du conseil et
qui est aussi professeure à
l'Université du Québec à Rimouski...
Mme
Laroui (Rakia) : Campus de Lévis.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : ...campus de Lévis.
Mme Laroui
(Rakia) : Bonjour.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Et, à ma droite, Louise Langevin, avocate à
l'Université Laval, spécialiste dans les questions qui touchent les
femmes, les questions féministes. Donc, comme vous le voyez, je suis bien
entourée.
Quelques
mots d'abord pour vous dire qu'évidemment notre point de vue sera celui des
femmes, étant donné notre mandat.
Donc,
tout d'abord, les menaces anonymes et violentes à l'endroit des féministes de
l'Université de Toronto jeudi dernier sont clairement un exemple de
discours haineux envers les femmes. Quand on dit : «...lorsqu'une
féministe à l'Université de Toronto essaiera
de ruiner votre vie avec de fausses allégations de viol, empruntez un fusil et
commencez à tirer sur ces féministes dans la classe d'études féministes
la plus proche», clairement ce genre de discours, de notre point de vue, est du
discours haineux, il est difficile d'être plus clair que cela.
Pour
nous, ce dernier incident vient renforcer l'importance de trouver un équilibre
entre la liberté d'expression et les
propos virulents et extrêmes qui peuvent fragiliser les femmes collectivement.
La liberté d'expression se porte bien, au
Québec, très bien, j'oserais dire, elle n'est aucunement menacée, mais, à la
faveur de la montée des médias sociaux, le dénigrement des groupes identifiables est bien présent. Nous tenons à
rappeler aujourd'hui que le Conseil du statut de la femme et plusieurs voix dans le mouvement des
femmes demandent depuis des années un outil juridique en droit civil pour répondre à cette violence verbale misogyne.
Je vais laisser Me Langevin vous en parler un peu plus longuement. Pour ma part, étant donné que j'ai davantage
participé à l'écriture et à la réflexion sur notre avis sur les crimes
d'honneur, je voudrais me concentrer
sur cette partie du projet de loi qui donc essaie de donner quelques outils
juridiques pour lutter contre les violences basées sur l'honneur.
Bien
sûr, on ne peut que souligner qu'évidemment, comme conseil consultatif, on est
satisfaites que certaines des mesures
que nous avons proposées dans notre avis de 2013 s'y retrouvent, mais ce qu'il
est important de dire ici, c'est qu'on
préférerait que la radicalisation, d'un côté, et les violences liées à
l'honneur, de l'autre, soient traitées séparément, parce que ce sont deux problématiques différentes.
Toutefois, il y a une interface entre ces deux problématiques parce que les femmes, par la radicalisation et dans les
violences liées à l'honneur, quand leur mode de vie est jugé, entre guillemets,
immoral — et je dis bien entre guillemets — selon des interprétations très rigides de
différentes religions, elles sont donc les
premières victimes. Les femmes paient un lourd tribut à la radicalisation, et
c'est là l'enjeu souvent occulté par l'extrémisme
religieux, qui renforce la mainmise des hommes et brime les droits et libertés
des plus vulnérables, notamment les femmes et les fillettes.
Donc,
en gros, nous sommes d'accord avec les principes mis de l'avant dans le projet
de loi n° 59 pour lutter contre les violences basées sur l'honneur,
mais nous proposons dans certains cas des améliorations.
Les
ordonnances de protection civile, bien sûr, ont fait leurs preuves en
Grande-Bretagne. On peut sauver des vies ainsi, en empêchant les parents
d'amener leurs filles à l'étranger pour les marier de force.
Le
contrôle excessif des jeunes filles, certains demandent une définition plus
claire. D'après nos consultations, il
reste quand même qu'il ne faut pas être trop précis pour permettre à la DPJ
d'avoir une certaine marge de manoeuvre quand vient le temps
d'intervenir auprès des jeunes filles.
Pour
ce qui est du mariage, publication plus large des bans, possibilité de
s'objecter à ce mariage, plus grande responsabilité
des célébrants, sur toutes ces mesures nous trouvons qu'elles vont dans la
bonne direction, mais on voudrait les
renforcer. Par exemple, dans le cas des célébrants, nous proposons d'avoir des
sanctions civiles quand le célébrant ne
fait pas ses devoirs, qui ne sont pas si compliqués que ça, qui est d'aller
consulter le registre pour voir s'il y a déjà eu un mariage et de
s'assurer du consentement réel des époux.
L'âge du mariage, enfin, qui est une question
très intéressante et pas si difficile que ça, je vous dirais, en
2015, des pays comme la France, je
crois, l'Irlande aussi, enfin, quelques pays européens ont déjà
remonté l'âge du mariage minimum,
sans exception, à 18 ans. C'est aussi une recommandation de l'ONU
Femmes, pour une raison très simple : à 18 ans, une jeune
fille est plus en mesure de s'opposer aux diktats de sa famille qu'à
16 ans. Alors, il n'y a aucune raison
qu'au Canada nous ne puissions pas avoir aussi un âge minimum
de mariage de 18 ans sans exception. Bien
sûr, il s'agit d'une juridiction fédérale, mais rien ne nous
empêche de faire pression sur le gouvernement
fédéral là-dessus pour laisser le temps à ces
jeunes filles de mûrir.
Finalement,
de façon plus large, je vous dirais que le plan d'action nous semble incomplet parce
que, oui, il faut agir
au plan des lois, mais il faut aussi des mesures préventives, des mesures
sociales pour changer les mentalités. Et là on dit qu'il faut plus de formation des intervenants pour prévenir les violences basées sur
l'honneur. On dit aussi qu'il faut
des campagnes dans les communautés
visées pour effectivement changer la mentalité des femmes et les informer de
leurs droits. Bref, il y a beaucoup de travail à faire en termes de
mesures de prévention pour que cette violence basée sur l'honneur diminue.
Je laisse la parole à
Mme Langevin.
Mme
Langevin (Louise) : Je vous remercie. Je désire remercier la commission de nous permettre de discuter du projet de
loi n° 59. Et moi, je vais aborder la partie I du projet de loi qui
porte sur la liberté d'expression.
La liberté
d'expression est la pierre d'assise de la démocratie, une valeur fondamentale protégée par les chartes. Les
divergences d'opinions et les questions controversées doivent se discuter sur la place
publique. Notre société fait le pari que des idées plus riches
sortiront des débats.
Le
conseil croit en la libre circulation des idées, mais il s'inquiète néanmoins
des effets plus diffus du radicalisme et
du discours haineux sur les femmes. Le conseil se préoccupe depuis longtemps des effets sur les
femmes du discours misogyne, qui est exacerbé et banalisé par Internet
et les réseaux sociaux.
Les
femmes et les groupes de femmes profitent de la liberté d'expression comme tous
les autres groupes. Les femmes peuvent
s'exprimer, dénoncer, nommer, revendiquer sur la place publique. La montée des
réseaux sociaux a même donné un espace de plus aux féministes pour se
faire entendre, pensons au mouvement #AgressionNonDénoncée.
Par ailleurs,
les femmes, en tant que groupe, ne profitent pas pleinement de cette liberté
d'expression parce qu'elles vivent
encore des inégalités et parce qu'elles ont été exclues de la place publique et
des décisions politiques pendant des siècles.
Encore aujourd'hui, elles subissent impunément les discours haineux de groupes
ou d'individus radicaux, discours qui réduisent les femmes au silence.
Le cas du blogueur de Toronto que nous avons relaté tout à l'heure est le
dernier exemple d'une longue liste de propos haineux à l'égard des femmes.
Le conseil
désire un autre outil juridique pour interdire les propos haineux à l'égard des
femmes, pour punir les auteurs, afin
de permettre aux femmes d'exercer réellement leur liberté d'expression. Des
recours juridiques existent déjà, le Code criminel interdit les propos
haineux. Cependant, l'article 318 n'a jamais pu protéger les groupes de
femmes contre la propagande haineuse, car le
sexe n'était pas mentionné parmi les motifs. Depuis mars dernier, la notion de
groupe identifiable au sens de
l'article 318.(4) du Code criminel a été élargie pour inclure notamment le
sexe. Jusqu'à ce jour, les tribunaux
canadiens ne se sont pas prononcés sur cette question, sur la question de la
propagande haineuse par rapport aux
groupes de femmes. Par ailleurs, le fardeau de preuve est très exigeant en
matière de droit criminel. L'accusé jouit de protections procédurales,
et le Procureur général de la province doit donner son accord au dépôt des
accusations. Seuls les propos virulents et
extrêmes, comme la Cour suprême l'a prononcé dernièrement, sont visés. Nous
pensons que les propos du blogueur
qui a appelé à tuer par balle les femmes du Département de sociologie et
d'études féministes de l'Université de Toronto et à attacher les
survivantes à un arbre avec la gorge tranchée constituent, pour une personne prudente et diligente, des propos haineux au sens
de l'article 318 du Code criminel, mais aucun tribunal ne s'est encore
prononcé sur cette question.
À notre avis,
le législateur québécois devrait adopter un autre recours juridique civil pour
contrer les propos haineux envers les
femmes comme groupe. En ce moment, il n'est pas possible d'intenter une action
pour propos haineux, misogynes,
discriminatoires ou offensants à l'égard du groupe des femmes; la victime doit
être identifiée ou identifiable, et
le préjudice doit être individualisé. Au Québec, des groupes de femmes ne
pourraient pas intenter d'action au civil pour des propos misogynes contre un blogueur ou toute autre personne qui
tient publiquement un tel discours à moins que les noms de ces femmes aient été clairement
mentionnés. Le discours misogyne porte atteinte au droit à l'égalité des femmes
garanti par les chartes. Les propos
discriminatoires, sexistes, misogynes sont des formes de violence puisqu'ils
portent atteinte à l'intégrité physique et psychologique des femmes et
qu'ils sont posés dans un contexte de domination.
• (15 h 20) •
Le Président (M. Hardy) : En
conclusion.
Mme
Langevin (Louise) : Le discours misogyne véhicule des stéréotypes à
l'égard des femmes sans égard à leurs capacités réelles. Quelle image
des femmes ces insultes transmettent-elles? Je m'arrête ici.
Le
Président (M. Hardy) : Merci. Nous allons maintenant débuter la
période d'échange. Mme la ministre, à vous la parole pour une période de
25 minutes.
Mme Vallée : Merci, M. le
Président. Alors, merci. Merci de votre présentation. Bienvenue à l'Assemblée.
J'aimerais
qu'on puisse aller un petit peu plus loin sur toute la question des
dispositions prévues à la partie I du projet de loi, justement sur
les dispositions qui portent sur le discours haineux puis le discours incitant
à la violence. Vous avez mis fin à votre
présentation, mais, je me demandais, est-ce qu'il y a des éléments dans le
projet de loi que vous souhaitez porter à notre attention, est-ce qu'il
y aurait des amendements ou des modifications que vous considéreriez souhaitables, puisque l'objectif de la présente
consultation vise justement à entendre les groupes et les gens sur le projet
de loi? On comprend que tout ça s'inscrit
dans un grand contexte, mais il y a quand même devant nous un projet de loi
avec des dispositions précises. Vous, vous
mentionniez tout à l'heure l'importance d'ajouter aux dispositions qui existent
actuellement, qui sont prévues au Code
criminel, de doter l'État québécois de mesures civiles permettant de se
pourvoir à l'encontre de discours de nature haineuse. Donc, est-ce qu'il y a
des éléments au projet de loi sur lesquels vous souhaitiez attirer notre
attention? Parce que votre mémoire était quand même fort étoffé.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Je
vais commencer et je laisserai la parole à Mme Langevin. Là-dessus, on
s'est effectivement beaucoup
interrogées. Je vous dirais que, quand on consulte la jurisprudence de la Cour
suprême, on se rend compte qu'il y a
plusieurs... la question du discours haineux est balisée, c'est-à-dire qu'il
faut que ce soit un discours virulent
et extrême. On voit aussi des mots comme des «émotions intenses,
irrationnelles», «l'hostilité», de la «détestation». Donc, on parle d'un
discours qui n'est pas que de la critique.
Donc, de notre point de vue, quand on regarde la
jurisprudence, la critique des religions, des politiques et des idéologies n'est pas du discours haineux et n'a
jamais été traitée comme telle dans la jurisprudence. Ceci dit, en écoutant
les différentes présentations à cette
commission, on se rend compte qu'il y a néanmoins une peur que cet outil soit
utilisé justement pour empêcher la
critique légitime des religions. Donc, nous nous disons que, bien qu'il soit,
du point de vue du droit, difficile
de clairement ajouter des définitions dans l'article 1, quand on parle du discours
haineux ou du discours haineux incitant à la violence, on croit que dans
le préambule de votre projet de loi on pourrait davantage clarifier les intentions du
gouvernement, parce qu'il faut le dire, il n'y a pas une fois où on mentionne
le mot «radicalisation». Et ensuite, quand
on parle des intentions, on pourrait certainement dire ce que ce projet de loi
ne veut pas faire, c'est-à-dire par la négative
on pourrait dire : Ce projet de loi n'a pas l'intention d'empêcher la
critique des religions, des idéologies et de la politique. Donc, ça, ça pourrait être ajouté par mesure de précaution
pour, évidemment, préciser les intentions du législateur.
Et je vais laisser Mme Langevin poursuivre
là-dessus.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Langevin.
Mme
Langevin (Louise) : Merci. Le conseil appuie l'ajout dans la charte
québécoise de l'article 11.1, qui vient après 11, où une personne, individuellement, pourrait porter plainte
pour discours haineux, et de la même façon l'ajout dans la charte de l'équivalent de l'article 1
ou 2 du projet de loi, où un groupe de personnes qui... une représentante de ce
groupe de personnes pourrait porter plainte
parce que le groupe a été victime de propagande haineuse, donc, pour compléter
les dispositions présentement dans la
charte, parce qu'il n'y a pas de
façon, en ce moment, pour des représentants d'un groupe
vulnérable, d'un groupe protégé, de porter plainte en cas de discours haineux,
sauf la poursuite devant le criminel, mais
le niveau de preuve est très élevé, les propos doivent être extrêmes, extrêmes
et violents. Mais, si les propos ne sont pas extrêmes et violents mais qu'ils sont par ailleurs misogynes,
discriminatoires, offensants, inacceptables dans notre société,
quels sont les autres recours outre la poursuite en diffamation lorsqu'il y a
une personne identifiée et identifiable avec un préjudice clair? Outre cette situation-là, il n'y a
pas d'autre possibilité. Donc, les femmes, en tant que groupe, lorsqu'elles sont victimes de propos misogynes — et elles le sont — elles n'ont pas de recours, en ce moment, au civil.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Et
il est clair qu'on n'est pas les seules à réfléchir sur ces questions-là
quand on regarde les principes de
Camden qui sont... C'est une espèce de rencontre qui a eu lieu au niveau
international en 2009, on a vraiment dit là qu'il fallait trouver un équilibre
entre la liberté d'expression et l'égalité. Et là on est vraiment
dans deux principes qui normalement sont garantis dans nos chartes, qui est aussi l'égalité des femmes et
des hommes. Et en ce sens-là,
bien sûr, il n'est pas question de parler de discours
haineux quand quelqu'un s'oppose à l'égalité des sexes, mais, quand ce discours va jusqu'à
dire, par exemple, j'écoutais les propos d'un imam qui étaient
rapportés sur le Web, qu'il faut
battre une femme quand elle refuse une relation sexuelle avec son mari, bien je
pense qu'on commence à s'approcher — je
ne suis pas une avocate ou une juriste — du discours haineux, parce que, là, il est
vraiment question de violence envers une
femme qui n'obéirait pas, qui ne... De notre point de vue, évidemment, c'est un
viol, ça. Mais, pour nous, ça ressemble à du discours haineux, et donc
ça donnerait des outils qui n'existent pas en ce moment.
Mme Maltais, je vous entendais, là, parler...
Quand les deux imams sont entrés... ou les trois imams français voulaient rentrer au pays, au Québec, et avaient
des propos vraiment assez épouvantables sur les femmes, bien, à part être
offensés, on n'avait pas grand-chose qu'on pouvait faire.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Est-ce que... J'aimerais maintenant vous entendre... Vous avez soulevé
certaines... une suggestion concernant les mariages, la célébration des
mariages, vous avez suggéré que certaines dispositions soient mises de l'avant
pour venir créer une responsabilité, une obligation de vérification de la part
des célébrants, et j'aimerais vous entendre
un petit peu plus sur cette question, sur les éléments qui, à votre avis,
commandent un meilleur encadrement, un meilleur resserrement.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Il
faut comprendre que, par définition, les jeunes filles qui sont prises dans des
mariages forcés sont sous la coupe d'une
famille qui parfois utilise jusqu'au chantage pour obtenir ce qu'elle veut.
Parfois, ça peut être des menaces de
mort envers les autres membres de la famille. Dans notre voyage en
Grande-Bretagne, on a vu des choses absolument effarantes.
Donc, au
Québec, pour toutes sortes de bonnes raisons, j'imagine, on a permis que les
célébrants soient un groupe plus
large qu'auparavant, un ami, un membre de la famille, enfin, plusieurs personnes
peuvent être célébrantes, mais souvent les
gens prennent ce rôle-là comme étant : Bon, bien je fais partie du
mariage, je fais partie du party, et donc il n'y a pas toujours une
responsabilité très grande prise avec ça. Alors, nous, on dit : Peut-être
qu'on peut effectivement étendre ce rôle — en même temps on se questionne
là-dessus — mais
encore faut-il que le célébrant comprenne ses responsabilités, c'est-à-dire de vérifier les registres, et c'est
pour ça aussi qu'on dit que tous les mariages contractés à l'étranger devraient
faire partie de registres qui seraient
consultables, et ce célébrant doit tenter de mesurer le consentement. Et je le
sais, que c'est difficile, on
s'entend. Ce qu'on demanderait, c'est un effort raisonnable pour mesurer le
consentement, on ne peut pas demander
l'impossible. À défaut de quoi, si rien n'est fait, on croit que ce célébrant
devrait être passible de sanctions pour
bien montrer que de marier deux personnes, c'est un geste important qui vient
avec des responsabilités, que ce n'est pas juste un party.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
• (15 h 30) •
Mme Vallée :
Vous m'avez... vous avez commencé à
parler de votre idée de registre. J'aimerais voir comment vous imaginiez ce registre-là. Donc, si je comprends bien, vous souhaiteriez qu'il
y ait au Québec
un registre de tous les mariages célébrés à l'étranger, donc, qui serait... ce serait
systématique, c'est-à-dire que, dès qu'un nouvel arrivant arrive au Québec, on vérifie. Mais comment contrôler les
déclarations? Parce qu'on arrive avec
un statut de réfugié ou même à titre d'immigrant et on peut bien faire
les déclarations que l'on veut, si on souhaite se faufiler...
Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...un
peu comme la polygamie.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme Miville-Dechêne (Julie) :
Pardon, je suis trop rapide.
Mme Vallée :
Je comprends justement que l'objectif, c'est de venir empêcher les mariages
polygames, ce qui...
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : C'est ça,
polygames. Mais je vous dirais que c'est la même chose que la polygamie,
dans le sens qu'on demande aux immigrants de
préciser, quand ils viennent de l'étranger, s'ils ont déjà contracté un
mariage, s'ils sont... Et donc, s'ils
ne le font pas, s'ils n'obéissent pas à cette règle, quand vient le temps...
quand ils sont dénoncés, ça peut être
un motif d'expulsion. Donc, dans le cas des registres, ça pourrait peut-être
être la même chose, c'est-à-dire que,
si le mariage n'est pas enregistré, si l'immigrant n'enregistre pas le mariage
ou si le citoyen canadien qui va à l'étranger marier quelqu'un ne l'enregistre pas, ça pourrait être passible de
sanctions et d'expulsion, évidemment, si on ne parle pas d'un citoyen canadien. Mais l'idée, bien sûr, ici,
c'est de lutter contre la polygamie, qui est une autre question qui a intéressé
le Conseil du statut de la femme en 2010,
et, depuis ce temps, aucune mesure n'a été prise pour essayer de réduire
l'importance de cette pratique, dont on ne connaît pas l'étendue, soyons
francs.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : J'aimerais vous
entendre également — j'y
vais un peu en rafale — sur
les dispositions ou les amendements que nous
prévoyons apporter à la Loi sur la protection de la jeunesse sur les violences
basées sur une conception de
l'honneur. Vous avez, tout à l'heure, abordé la question aussi du contrôle
excessif. Pour ce qui est du contrôle excessif, j'entendais récemment
des gens qui indiquaient que contrôle excessif, c'est une notion qui est très
vague et qui peut peut-être être interprétée de différentes façons. Quelle est
votre interprétation? Et aussi quels sont les éléments auxquels on doit
s'attarder plus précisément?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Bien sûr,
c'est une question d'interprétation, et je comprends qu'il puisse y avoir des
questionnements à ce chapitre. Encore
une fois, quand nous avons été en
Grande-Bretagne, le contrôle excessif était vraiment clair quand on le
voyait à l'oeuvre. Ça veut dire, quand on a une jeune fille, de, par exemple, minuter le temps que ça lui
prend de partir de l'école à la maison, de contrôler tous ses allers-retours,
toutes ses sorties, de l'empêcher d'aller aux sorties de l'école; bref,
d'avoir un contrôle qui dépasse largement le contrôle parental.
Mais, vous
avez raison, il peut y avoir des questions de culture, des différences entre
les individus, et justement c'est pour ça qu'on ne peut pas définir de façon
trop précise ce que constitue du contrôle excessif, parce que,
si vous êtes face à un enfant très
fragile, le contrôle excessif aura peut-être un impact sur lui plus important,
sur une jeune fille fragile, que sur
un autre. Donc, la DPJ veut se garder, j'en suis certaine, une certaine marge
de manoeuvre pour pouvoir évaluer, pour
que le travailleur social puisse évaluer la chose quand il se retrouve en face
d'une réalité. C'est un outil qui n'existait pas, et non plus la question des crimes d'honneur, comme vous le savez, comme
étant un motif pour contrôler sa jeune fille, les violences basées sur l'honneur n'existaient pas. Donc, le fait de
rajouter ces notions, bien sûr, les spécialistes de la question
se prononceront, mais, de notre point
de vue, ça donne au moins l'intention
du gouvernement de dire : Il faut tenir compte de ces aspects et il ne faut pas, au nom
d'une différence culturelle, ne pas se préoccuper de ces enfants.
Donc, le
signal est bon. Quant aux détails, je suis sûre que les gens de la protection
de la jeunesse seront mieux à même que moi de préciser leurs besoins.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre. Il reste 11 minutes.
Mme Vallée : Pour ce qui est, maintenant... Attendez,
j'avais des notes. Oui, les ordonnances de protection. Le projet de loi prévoit l'introduction du concept d'ordonnance de protection, des
ordonnances civiles de protection, et, bon, elles visent, en fait, la population
en général, mais j'imagine que, pour les femmes, ces mesures-là... du moins
moi, je le vois très clairement
comme une mesure qui peut aider, qui peut être aidante notamment
lorsque l'on ne souhaite pas nécessairement passer à travers tout le processus
de dénonciation, plainte aux policiers et tout le processus criminel. Est-ce
que vous avez une réflexion particulière sur les dispositions prévues au projet
de loi?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Encore une fois, je vous référerais à d'autres juridictions, parce que
cette mesure n'existe pas au Canada.
Il est très clair qu'en ayant une ordonnance de protection civile ça permet à
des jeunes filles qui ne veulent pas
que leurs parents se retrouvent en prison de dénoncer la possibilité d'un mariage forcé sans toutefois que leur famille paie trop cher pour la chose. Et ça,
c'est assez intéressant de voir que cette formule, dans la première année
où elle a été mise sur pied en
Grande-Bretagne, a permis d'intervenir dans 500 cas. Donc, ce n'est pas
une formule qui n'a pas marché. En ce
moment, donc, il y a cette voie-là en Grande-Bretagne qui permet donc
à des jeunes filles de rester chez
elles tout en ayant une ordonnance de protection qui empêche leurs parents de
les marier de force ou de les amener à l'extérieur du pays. Et,
croyez-le ou non, pour certaines jeunes filles qui sont très intégrées dans un
milieu, parce qu'il y a là une communauté assez tissée serrée, l'idée de ne pas
devoir s'enfuir, l'idée de rester là mais tout en étant protégée, parfois, semble être la solution — c'est un peu difficile à comprendre de notre
point de vue — mais
aussi, dans d'autres cas, ça leur permet d'être prises en charge et
d'avoir une ordonnance de protection qui empêche les parents, à moins d'amendes
très salées, de les amener à l'étranger.
Donc,
évidemment, on n'aura pas ici, probablement, autant de cas qu'en
Grande-Bretagne, parce que notre immigration
est moins ancienne venant des pays... venant de l'Asie du Sud-Est, où on
retrouve pas mal de mariages forcés, mais
c'est un outil qui permettrait d'intervenir dans des cas où on soupçonne qu'il
pourrait y avoir un mariage forcé à la fin d'un voyage familial ou
quelque chose comme ça.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
J'aimerais revenir sur le discours haineux. Me Langevin, vous avez analysé
toute la question. Vous avez entendu,
j'imagine, et vous avez eu... ou lu les échanges que nous avons eus ici, en
commission parlementaire. Pour certains,
les dispositions prévues au projet de loi ne sont pas nécessaires. Vous avez
fait état... Mme Miville-Dechêne a fait état d'un incident qui s'est
produit, un incident horrible qui s'est produit la semaine dernière.
Est-ce que
des incidents se sont produits au Québec et requièrent justement... à votre
avis des incidents similaires se sont
produits au Québec? Parce que... Est-ce qu'il y a des choses ici, au Québec,
qui se sont produites et qui pourraient être portées à l'attention de nos collègues parlementaires qui considèrent
que peut-être ce projet de loi là n'est pas nécessaire?
Le Président (M. Hardy) :
Me Langevin.
• (15 h 40) •
Mme
Langevin (Louise) : Je me souviens, en 2007, 2008 ou peut-être 2009,
l'affaire Rochefort qui avait fait... M. Rochefort,
sur son site, avait fait l'apologie du tueur de Polytechnique, et il y avait eu
une plainte au pénal en vertu de
l'article 319 — ou
quelque chose comme ça — du Code criminel. La juge, dans ce dossier-là, n'avait pas pu
condamner Rocherfort parce qu'à cette époque-là, en 2009, le sexe
n'était pas un des motifs visés à 319.(4), on ne pouvait pas... il n'y avait
pas de propagande haineuse à l'égard des femmes. Là, ça a été corrigé, au mois
de mars dernier.
Donc, c'est
pour ça que je vous dis qu'on ne sait pas ce que c'est... en tout cas les
tribunaux ne savent pas ce qu'est la
propagande haineuse à l'égard des femmes, on n'a pas cette tradition-là.
Évidemment, si vous me posez la question à moi, je pourrai vous dire — ou à Mme Miville-Dechêne ou à
d'autres femmes qui ont travaillé sur le sujet — à quoi peut ressembler la propagande haineuse à l'égard des femmes, mais, au-delà de
la question pénale, en ce moment il n'y a pas de façon d'intenter un recours pour des propos offensants, des propos
misogynes, des propos qui sont sur Internet. Il y a des poursuites civiles, une femme qui a été
attaquée par des propos misogynes peut intenter une action au civil, mais on
sait ce que ça veut dire en termes de délais et en termes d'argent. Donc, elle doit
faire la preuve que c'est elle, la victime, qu'elle a été clairement identifiée et qu'elle a subi un préjudice très
clair. Mais on comprend les difficultés d'intenter une telle action.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Si
je peux me permettre, il y a, bien sûr, Polytechnique qui est pour nous toutes
un événement où des femmes ont été ciblées,
et on a su après la tragédie que des femmes étaient ciblées par le tueur, et
ces femmes n'avaient pas,
essentiellement, de recours non plus, bien qu'il s'agisse, dans ce cas-là,
clairement d'un discours haineux envers les femmes.
Mais je vous
dirais qu'assez souvent, quand on regarde Internet, le niveau de haine, sans
être paranoïaque, là, mais le niveau
de haine et de mots haineux envers les femmes existe, là, on parle de viol, on
parle de violence souvent envers les femmes, et dans des mots très crus,
et de façon répétitive. Alors, bien sûr, ce serait, dans un éventuel passage de
la loi n° 59, à la Commission des droits de la personne d'évaluer si c'est véritablement du discours
haineux, mais je vous dirais qu'il ne
faut pas oublier qu'à force de répétition, ce genre de discours qui peut être
considéré par certains comme de la
liberté d'expression, puis c'est mieux de pouvoir dire ces choses plutôt que de
ne pas les dire, bien ça peut finir par avoir un impact sur l'image que les femmes ont d'elles-mêmes. Il ne faut
pas nier que particulièrement chez des jeunes filles, qui n'arrêtent pas de lire des insultes à caractère sexuel sur
elles, sur leur corps, bien tout ça peut affecter l'estime de soi, peut
affecter la confiance en soi.
Donc, on
n'est pas ici sur un préjudice facilement identifiable, je pense, bien ça a été même assez
compliqué dans le cas de Sophie
Chiasson, là, mais on est sur
l'impact de ce genre de discours sur les femmes collectivement, et je crois
qu'on ne peut pas sous-estimer l'impact que ce genre de phrases,
d'insultes répétées, haineuses contre les femmes, peuvent avoir.
Mme Laroui (Rakia) : Est-ce que je
peux me permettre de...
Le Président (M. Hardy) : Mme Laroui.
Mme Laroui
(Rakia) : Rapidement,
parce que Mme la
ministre demandait un exemple. Dans plusieurs
sites où il y a des prédicateurs et des imams, on trouve clairement
écrit : Il faut battre la femme quand elle se refuse au lit. Donc, ça,
c'est un discours qui
est haineux, à mon avis, c'est un discours qui incite à la violence.
Battre une femme, il n'y a pas de plus
violent que ça. Et pourtant c'est un discours que vous trouverez sur tous les
sites, je n'ai pas besoin de vous donner... Tous les sites parlent de
cette phrase-là, de : Il faut battre la femme quand elle se refuse. Merci.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Bien, en fait, je vous remercie pour cet
exemple parce que je pense que c'est une illustration très claire de ce que nous souhaitons éradiquer, c'est
toute forme d'appel à la violence et toute forme de propos qui incitera à la haine à l'égard d'une personne,
qu'elle soit féministe, qu'elle soit aussi handicapée, qu'elle soit racisée,
peu importe. Vous nous apportez le point de vue féministe, des femmes, mais évidemment toutes les personnes qui comportent une
caractéristique énumérée à l'article 10 de la charte sont visées également.
Et il y a... Malheureusement, Internet et les médias
sociaux nous apportent des bonnes choses mais nous apportent également
de moins bonnes choses, et on peut y lire des trucs vraiment accablants
qui incitent carrément, sans nuance à la violence. Merci de votre présence.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : ...au
mépris des femmes.
Mme Vallée : Au mépris.
Merci.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau,
à vous la parole pour une période de 15 minutes.
Mme
Maltais : Merci, M.
le Président. Bonjour, Mme la
présidente du Conseil du statut de la femme, Mme Miville-Dechêne. Mme Laroui, Mme Langevin, bienvenue.
Très heureuse de vous entendre
aujourd'hui. On aime toujours avoir
l'opinion du Conseil du statut de la femme, particulièrement quand il s'agit de
la situation des femmes au Québec et
comment la faire avancer. Là, dans votre proposition, c'est comment ne pas la
faire reculer, parce que la haine des femmes est un recul pour une
société, on s'entend bien.
Avant de
débattre du contenu du projet de loi, je voudrais bien comprendre ce que vous
voulez dire. En page 11, vous dites sous un sous-titre Traiter
séparément les deux problématiques, vous dites que «le Conseil estime
qu'elles méritent d'être traitées
séparément», les deux volets, c'est-à-dire la radicalisation religieuse et les
violences basées sur l'honneur. Nous
avons... Je ne veux pas vous embarquer dans un débat partisan, mais je veux
bien comprendre. Nous avons proposé
de scinder le projet de loi pour pouvoir étudier les deux choses séparément,
les problèmes d'une partie étant, à mon
avis, beaucoup plus faciles à régler que les problèmes de la deuxième partie.
Entre autres sur les crimes d'honneur, on
pense qu'on pourrait assez rapidement trouver des amendements, des
accommodements pour essayer d'en faire une loi qui se tienne. Est-ce que ça signifie qu'on devrait, quand vous
dites : Le conseil estime qu'elles méritent d'être traitées
séparément?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
C'est une bonne question, Mme Maltais. Si on n'a pas été jusqu'à le dire
de façon aussi précise, c'est qu'on
préfère se positionner sur les principes plutôt que sur : Est-ce que ça
prend un texte, deux textes, trois
textes?, mais c'est clair qu'il y a un danger d'amalgame quand on traite les
deux problématiques ensemble dans le même texte.
Toutefois,
quand vous lisez le paragraphe qui suit, sur l'interface entre les deux
problématiques, elle existe, on ne
peut pas complètement séparer les deux problématiques puisque notre propos...
bien, évidemment, notre objet d'étude, ce
sont les femmes, et les femmes sont souvent les principales victimes et dans la
radicalisation et dans les violences liées à l'honneur. Parce que, dans la radicalisation, vous savez, bien sûr,
qu'on attire les jeunes filles vers l'État islamique et tout pour servir et qu'elles se retrouvent là-bas
souvent en étant littéralement des servantes, elles servent à la reproduction,
elles sont traitées... Évidemment, les
jeunes hommes, là-bas, ne sont pas traités si mieux que ça, mais pour les
femmes c'est encore pire. Vous l'avez
vu en Afrique aussi, clairement ces groupes radicaux et cette radicalisation
transforment les femmes en esclaves sexuelles, donc...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Mais je veux juste vous dire respectueusement que,
vous l'avez dit vous-mêmes, le mot «radicalisation» n'est pas dans le
projet de loi, n'est pas dans la première partie.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Exact.
Mme
Maltais :
Sur la radicalisation, on s'entend que les femmes en sont la plupart du temps
victimes... quoiqu'on pourrait se
demander si Maxime Couture-Rouleau, qui s'est fait entraîner dans la
radicalisation et qui a fini par se sacrifier au nom de je ne sais quoi, d'Allah, n'est pas victime du processus de
radicalisation. Il est agresseur et victime à la fois, on peut le prendre comme ça. Mais la question que
je me pose, c'est juste comment il ne serait pas plus facile de traiter les deux éléments séparément. Je vous le dis comme
ça, c'est pour ça que je m'appuie sur cette partie-là, mais je comprends
bien l'interface entre les deux.
L'autre
chose, je suis un peu étonnée parce qu'on sait — vous l'avez très bien dit,
Mme Langevin, je reconnais votre
expertise — que depuis
mars les propos haineux envers un sexe sont maintenant introduits dans
l'article du Code criminel, donc on
peut poursuivre maintenant. C'est clair qu'il n'y a pas encore de jurisprudence
ou à peu près, c'est clair que...
mais il y a maintenant une attention accordée à ça. Si la commission des droits
de la personne et de la jeunesse avait maintenant
la possibilité d'intervenir face à des groupes, il n'y aurait pas plus de
jurisprudence, puis même elle n'est pas habituée à traiter ce type de cas là, donc on est... Et elle a elle-même
des délais, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a des délais assez
longs qui sont en général dénoncés, qui ont été dénoncés ici, en commission
parlementaire. Je suis assez étonnée qu'il y aurait un avantage de temps ou de
compréhension à se tourner vers un tribunal
qui, lui, n'existe même pas et qui... La CDPDJ n'a pas ce type de tribunal là
actuellement. Elle ne juge jamais de causes
de propos haineux envers un groupe, c'est une nouvelle loi qu'on crée, là.
Alors, je me demande quel serait l'avantage de se tourner vers la CDPDJ.
Le Président (M. Hardy) :
Me Langevin.
• (15 h 50) •
Mme
Langevin (Louise) : Merci.
Merci pour votre question. La question des moyens de la Commission des droits de la
personne est une autre question. On est tous et toutes d'accord que la
commission n'a pas toujours les moyens pour faire ce qu'elle doit faire, mais c'est une autre question, parce qu'il
y a les propos haineux qui sont extrêmes et violents qui sont maintenant...
qui sont de l'ordre du droit criminel, mais des propos qui ne sont peut-être
pas aussi haineux et extrêmes mais qui sont
misogynes, qui sont offensants, qui sont discriminatoires, ces propos-là
portent atteinte au droit à l'égalité
des femmes et vont aussi porter atteinte à leur liberté d'expression parce que
les femmes vont se taire, compte tenu de
ces propos-là. Donc, la commission serait tout à fait en mesure de recevoir des
plaintes pour des propos discriminatoires misogynes envers un groupe comme... envers un groupe de femmes, par
exemple, elle pourrait tout à fait faire une enquête et ensuite décider si elle porte l'affaire devant le
Tribunal des droits de la personne, donc une poursuite civile, une poursuite
déposée par la Commission des droits de la
personne devant le tribunal. Et, avec l'ajout de 11.1 à la charte, une personne
pourrait donc déposer une plainte pour
propos haineux et avec un nouvel article pour reconnaître que quelqu'un qui est
membre d'un groupe a vu son droit à l'égalité violé par des propos
discriminatoires, par des propos haineux.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Mais, Mme Langevin, c'est que cette loi, ce qu'on nous dit, c'est que ça
se base sur Whatcott, sur l'arrêt Whatcott, la définition de Whatcott.
Mme Langevin (Louise) : Exact.
Mme
Maltais :
Or, c'est la définition qui est utilisée dans le Code criminel, donc il n'y a
pas de différence, et qui va être
utilisée... La base, la base par laquelle on va déterminer si c'est
effectivement un discours haineux, c'est la même. Je veux juste qu'on
sépare bien les choses, là.
Mme Langevin (Louise) : Oui. Je peux...
Le Président (M. Hardy) :
Me Langevin.
Mme
Maltais :
La base, à mon avis, en tout cas ce que j'ai compris, est la même. La ministre
n'arrête pas de nous citer l'arrêt
Whatcott quant à la définition de «discours haineux». Donc, la base du Code
criminel et la base de cette loi seraient
la même, il n'y a pas donc quelque chose... Moi, ce que la ministre n'arrête
pas de dire, c'est que ça va être des discours
haineux, vraiment haineux, extrêmes, qui incitent à la violence, donc pas
seulement un discours discriminant envers un groupe. En tout cas, c'est
ce que j'ai compris jusqu'ici.
Mme
Langevin (Louise) : Oui, vous avez raison, Whatcott a dit que c'était
le discours haineux et violent qui est permis...
Mme
Maltais : ...incite
à la haine et à la violence.
Mme
Langevin (Louise) : ...qui incite à la haine. Mais est-ce qu'on peut...
Et le discours discriminatoire misogyne pourrait aussi être... est aussi reconnu, parce qu'en ce moment,
lorsqu'il y a des propos racistes, il y a des poursuites pour propos racistes. Il n'y a pas de poursuite pour
propos sexistes parce que ça tombe dans le harcèlement au travail, le
harcèlement sexuel. Mais, au-delà des
propos qui sont extrêmes, est-ce qu'on ne pourrait pas penser à des propos qui
sont discriminatoires, qui sont misogynes?
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Bien,
écoutez... Je vous entends bien. Écoutez, vous savez comme moi qu'à peu près
tous les parlementaires ici ne peuvent pas
sentir, ne peuvent pas voir qu'il puisse y avoir... percevoir qu'on puisse
entendre ou lire des propos haineux
et discriminatoires comme on en voit sur les réseaux sociaux, je suis tout à
fait d'accord. Sauf que, là, il faut bien comprendre la portée de la loi, parce qu'à mon sens et
à ce que j'ai entendu jusqu'ici là où vous voulez aller n'est pas là où va la loi. Donc, sur les
critères, moi, je pense que le gain que vous croyez faire n'est peut-être pas
le gain qu'il y a dans la loi, je vous dis ça respectueusement d'après ce que
j'ai entendu jusqu'ici.
L'autre
chose, c'est que vous dites que le fardeau de la preuve va être plus léger, les
garanties procédurales qui vont être
amenées par cette loi-là ne seront pas les mêmes que celles devant le Code
criminel. La plupart des gens qui sont
venus ici nous ont dit qu'ils étaient inquiets de ça, d'autant que non
seulement ça s'en va à la commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui n'a pas encore visé ce type de
cas, mais en plus il va y avoir sanction financière, il va y avoir inscription sur une liste qu'on a
appelée la liste de la honte. Le fait que le fardeau de la preuve soit plus
léger, ça semble vous réjouir, alors que ça inquiète tout le monde.
J'aimerais ça vous entendre là-dessus.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Miville-Dechêne.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien,
vous avez raison de dire qu'en ce
sens-là on s'inscrit en faux contre, par exemple, ce que M. Grey ou Mme Latour ont dit, parce que
justement, de notre point de vue, le fait de
devoir faire une preuve hors de tout
doute, le fait que les protections des droits des accusés, dans le Code criminel, sont telles que de faire une
preuve de discours haineux, de discours extrême et virulent qui pourrait avoir
une influence, une portée sur les femmes... Vous vous rendez compte que c'est très difficile, parce que
comment prouver qu'un groupe de femmes a été... va faire l'objet de haine à cause de ce discours? C'est
compliqué, faire une preuve de cet ordre-là. Je ne vous dis pas que ce serait
vraiment totalement facile devant la Commission des droits de la
personne, mais les critères sont différents, et la possibilité d'obtenir justice pour des propos dégradants et haineux nous semble plus
grande. Et donc j'ai moins d'inquiétude que d'autres face à cela. Et je vous dirais qu'au-delà de dire que le
discours haineux doit être virulent et extrême, ce sont des
interprétations, c'est la jurisprudence, mais il reste que les tribunaux ont toujours
une certaine marge de manoeuvre pour dire ce
qui est virulent, ce qui est extrême, ce qui cause de la haine pour ce groupe.
Donc, étant donné les possibilités d'interprétation
de la loi, je crois qu'en effet le recours à la Commission des droits de la
personne s'avère un premier recours qui
peut être un petit peu moins exigeant en termes de preuve que le Code criminel, moins cher pour une femme aussi, il y a plusieurs avantages à la chose, donc je ne vois pas pourquoi
on ne donnerait pas aux femmes la possibilité d'avoir deux recours : un au civil,
un au criminel.
Mme
Maltais : Mais il y a déjà...
Une femme qui serait victime de discrimination peut déjà aller devant la CDPDJ. On parle de
groupes, là, qui visent... des propos qui visent des groupes.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : De groupes, exact.
Mme
Maltais :
Et là vous dites propos... C'est quoi, le mot que vous avez...
Une voix :
Dégradants.
Mme
Maltais :
Dégradants. Mais j'aimerais bien comprendre, là. Vous considérez que des propos
dégradants... on n'aime
pas les propos dégradants, mais, qu'ils soient simplement du niveau du
dégradant, ils devraient être couverts par
cette loi. C'est parce que, vous comprenez, là on est en plein dans le problème
de la loi. J'ai l'impression que tout
le monde espère quelque chose de cette loi ou tout le monde craint quelque chose de cette loi mais que c'est le contraire. Il y a
des gens qui espèrent qu'enfin ce ne sera pas si difficile que ça, que ça
touche à des propos qui seraient peut-être
moins violents ou plus légers, je vais oser
dire ça, mais on se comprend dans l'ordre, là, de la hauteur des propos... ou
plutôt de leur bassesse, mais qu'il y en a d'autres qui disent : Au contraire, il faut conserver la liberté
d'expression ouverte, et que... J'ai
l'impression qu'on a ouvert une boîte, mais que personne n'est capable de
comprendre ce qu'il y a dedans.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : Mais quelle est la solution?
Mme
Maltais : Ah! la
solution, c'est au gouvernement à amener quelque
chose de mieux. Mais je vais vous
dire une chose, par exemple : Il y a une solution qui n'est pas là-dedans.
C'est exactement ce dont vous avez parlé tout à l'heure, c'est-à-dire que, quand je protestais, moi-même,
quand il y a des imams radicaux qui sont venus à Montréal,
la solution n'est pas dans le projet de loi n° 59. Il n'y a pas
d'outil pour les organisations publiques, il n'y a pas d'outil pour les municipalités, il n'y a pas d'outil pour faire cesser... pour empêcher quelqu'un
qui vient de l'extérieur de venir diffuser des propos comme ceux-là. L'outil, il n'est pas là. Autrement dit, ce à quoi vous et moi peut-être voulons nous attaquer véritablement n'est
pas dans cette loi, à mon sens, et c'est ça, le dommage.
Vous
me dites : Mais qu'est-ce qu'on peut faire? Bien, à tout le moins séparons les
deux projets de loi puis essayons de travailler à partir de
ces deux éléments-là. En tout cas, c'est mon opinion.
Mme Miville-Dechêne (Julie) : Bien, si je peux juste rajouter, j'ai effectivement parlé de «dégradants»... j'aurais probablement dû ajouter
«dégradants», «extrêmes», «virulents», j'étais un peu dans la qualification des
propos. Mais vous avez raison de dire qu'il y a une marge
d'interprétation, là, qui existe.
Mme
Maltais : ...là,
on va être dans l'interprétation avec les membres de la CDPDJ, le tribunal de
la CDPDJ qui va... à qui on donne un nouveau droit, qui ensuite, comme je le
disais, il y a l'autre partie, là. Est-ce que
vous êtes d'accord avec ça,
une liste?
Mme Miville-Dechêne
(Julie) : On n'en a pas...
• (16 heures) •
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Je vous remercie, le temps est écoulé. Nous allons maintenant
passer à la période d'échange avec le
deuxième groupe d'opposition. Mme la
députée de Montarville, à vous la parole pour une période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci d'être là. Je ne prends
pas la balle au bond, mais je vais
poursuivre parce que c'était ma question, la fameuse liste à l'article 17, paragraphe 3°
du projet
de loi n° 59 qui nous dit que la...
Je vais vous la lire. Alors, autres fonctions et obligations de la commission : «Pour l'application de la
présente loi, la commission assume en outre les fonctions suivantes...» Et au
paragraphe 3° on nous dit : «3° tenir à jour une liste de personnes qui ont fait
l'objet d'une décision du tribunal», etc. Alors, que pensez-vous de
cette liste, justement?
Mme
Miville-Dechêne (Julie) : ...pas
parlé parce que ce n'est pas spécifiquement une question
qui touche les femmes, mais en effet
nous ne sommes pas... disons que nous avons des problèmes sérieux avec cette
idée de liste parce que ce
qu'elle fait, c'est qu'elle punit deux fois ceux qui auront été reconnus
coupables de discours haineux, c'est-à-dire
qu'il y a une première sanction qui est une
amende, et il y a ensuite la liste. Donc, ce n'est pas un élément sur lequel
nous avons un consensus, donc nous avons préféré ne pas en parler dans
l'avis.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : ...parce que je me disais : Peut-être
que certains groupes de femmes y verraient un avantage, d'avoir une liste, et peut-être que d'autres non. Alors, vous
dites qu'il n'y a pas de consensus à cet égard, ça confirme ce que je
pensais. Alors, merci pour cette question-ci.
Maintenant, lorsqu'on parle du projet de loi, la
première partie touche les discours incitant à la haine et à la violence. Vous tenez au discours incitant à la
haine, et je comprends, mais il faut mettre le droit... le doigt, pardon,
précisément sur la problématique. Vous avez dit et à juste titre :
Si cette loi-là, effectivement, elle doit toucher la radicalisation, pourquoi est-ce que ça n'apparaît pas dans la
loi?, j'ai pris quelques notes à cet égard-là. Maintenant, je pense comme
vous, hein, il faut être précis sur ce qu'on
va vouloir interdire, je crois comme vous qu'il faille absolument que ce soit
très précis. Cependant, j'ai hâte de voir ce que la partie gouvernementale, Mme
la ministre, fera avec le projet de loi. Nous
allons déposer des amendements, nous voulons que ce soit très précis, mais j'ai
une certaine inquiétude dans la mesure où
on n'a pas encore toutes les clés de la solution. Et, dans un texte paru dans La Presse
le 28 août dernier sous la plume de
Tommy Chouinard, c'était au sortir de votre caucus présessionnel — je parle au gouvernement, mais je parle à
vous, je parle au président
également — on
pouvait lire que «la notion de "discours haineux" serait biffée pour
ne laisser que celle de "discours incitant à la violence"».
Naturellement, c'est un processus de travail qui est en cours.
Alors, que
pensez-vous du fait... Et ça, c'était le premier ministre que je citais. Si le
premier ministre a l'intention de
biffer la notion de discours haineux, que pensez-vous des impacts que cela
pourrait avoir? Parce qu'on n'est plus devant le même projet de loi, là.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Miville-Dechêne.
Mme
Miville-Dechêne (Julie) :
Nous sommes d'accord avec le principe de sanctionner le discours haineux et le
discours haineux incitant à la violence, les
deux, parce qu'évidemment, on s'entend, c'est plus facile quand il y a une
notion de violence de définir et de dire : Voilà, nous sommes en présence
d'un discours haineux qui incite à la violence, mais nous croyons que,
dans l'intensité, dans l'extrémisme, dans la virulence des propos, il peut y
avoir du discours haineux où la violence
n'est pas explicitement... dont on ne parle pas explicitement mais qui pourrait
en effet être sanctionné. Donc, nous sommes pour une définition plus
large.
Mais vous
comprendrez qu'à partir d'un projet de loi dont l'intention... bien qu'elle ne
soit pas écrite, mais c'est l'intention
du législateur d'en faire un projet de loi contre la radicalisation, nous, ce
qu'on dit, comme organisme qui défend les
femmes, c'est : Oui, la radicalisation, c'est une question importante,
mais nous voulons que ça aille plus loin, nous voulons que cette question du discours haineux et incitant à la violence
puisse protéger toutes les femmes même dans un contexte qui n'est pas un contexte de radicalisation. Et en ce sens-là
on ne croit donc pas que c'est un projet de loi qui peut... Enfin, tous les projets de loi ont probablement
des risques, mais ça a été beaucoup dit que c'était un projet de loi qui pouvait amener de l'islamophobie. De notre
point de vue — et je
vais laisser peut-être Mme Laroui, si vous me le permettez, répondre à cela — de notre point de vue, ce n'est pas le
principal risque de ce projet de loi si le précèdent... si les
intentions sont bien clarifiées au début.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Laroui.
Mme Laroui
(Rakia) : Merci. Pour
répondre à la question, je
pense qu'il s'agit de contextualiser
le mot «discours haineux». Nous, nous
le percevons de la posture du Conseil
du statut de la femme, et ce sur quoi
on travaille, c'est la dignité humaine, la dignité de
la femme, donc nous considérons qu'est considéré discours haineux tout ce qui
porte atteinte vraiment à l'intégrité physique, aussi bien psychologique,
etc., de la femme. Donc, voyez-vous, nous le prenons dans le sens le plus
large. Ça intègre les propos misogynes, etc.
Maintenant, par rapport aux craintes qu'il y a eu, moi, j'aimerais... et je pars de ma posture,
j'aimerais partir de deux postulats qui sont clairement identifiés dans
l'islam, je suis Arabe et musulmane, et les deux postulats qui sont vraiment sous-jacents à l'islam sont la quête du
savoir et le respect de l'autre. Donc, dans la quête du savoir, nous avons
tout le processus de développement de
l'esprit critique, on ne peut pas être en quête du savoir si on n'accepte pas
l'esprit critique qui permet de construire, de nous construire, et
d'avancer, et d'être réflexif. Et le deuxième postulat, qui est vraiment... on ne peut le discuter, il est non
négociable pour tout musulman, c'est le respect de l'autre. Donc, le respect
de l'autre va à l'encontre du discours haineux, on ne peut pas...
Donc,
l'islamophobie, excusez-moi, c'est instrumentalisé. Je ne veux pas reprendre
tout ce qui a été dit. Un projet de
loi pour qu'on puisse vraiment avoir la possibilité, en tant que femmes, de
nous défendre quand on est victimes d'un discours haineux est plus que
nécessaire. Merci.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui, bien, écoutez, je vous
remercie, c'est clair et limpide. Merci infiniment pour votre
témoignage.
Document déposé
Le
Président (M. Hardy) : Merci. Merci de votre contribution. Mais, avant
de terminer, je crois que Mme la ministre, elle a un document à
déposer.
Mme
Vallée : Bien, en fait, on aurait pu le faire à la fin de la
séance, mais je vais déposer l'arrêt Whatcott pour les fins de ceux et celles qui seraient intéressés
à le consulter, il sera sur le site de la commission. Et peut-être... notre
collègue de l'opposition pourra peut-être en prendre connaissance, si ce
n'est fait.
Mme
Maltais :
M. le Président, puisque la ministre me... j'ai déjà l'arrêt Whatcott depuis
longtemps.
Le Président (M.
Hardy) : Vous l'avez déjà? Parfait.
Donc,
nous allons suspendre nos travaux quelques instants. Et j'inviterais les
représentantes des directeurs de la protection de la jeunesse à prendre
place à la table des témoins. Merci.
(Suspension de la séance à
16 h 8)
(Reprise à 16
h 11)
Le
Président (M. Hardy) : Nous
reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux directeurs de la protection
de la jeunesse. Je vous invite à vous présenter et je vous rappelle que vous
disposez de 10 minutes pour votre exposé.
Directeurs régionaux de la protection de la jeunesse
Mme
Dionne (Michèle) : Merci. M. le Président, Mme la ministre, Mmes
et MM. les députés, nous vous
remercions de nous avoir invités à
donner notre point de vue sur le projet
de loi n° 59 concernant la
prévention et la lutte contre le discours
haineux, les discours incitant à la violence et le renforcement de la protection
des personnes. Je suis Michèle Dionne, directrice
de la protection de la jeunesse et directrice provinciale pour la clientèle
francophone et allophone de l'île de Montréal,
et je suis accompagnée par
Mme Madeleine Bérard, cadre supérieure à la direction de la protection de
la jeunesse pour la clientèle
anglophone et juive de l'île de Montréal, et de Me Annick Bergeron, qui est avocate
en droit de la jeunesse au CISSS de la Montérégie-Est.
Nous
agissons aujourd'hui à titre de porte-parole des 19 directeurs de la protection de la jeunesse à
qui la Loi sur la protection de la jeunesse confère la charge et
l'imputabilité d'assurer la protection des enfants sur l'ensemble du territoire québécois. Cette responsabilité
implique de recevoir et de traiter les signalements, d'évaluer les situations
pour lesquelles un signalement a été
retenu et, si la sécurité ou le développement de l'enfant est compromis, de
prendre en charge la situation de ce
dernier. L'aide que nous apportons à l'enfant et à sa famille a pour objectif
de mettre fin à la situation de
compromission et d'éviter qu'elle se reproduise. L'intérêt supérieur de
l'enfant doit prioritairement et en tout temps guider nos décisions à
l'égard de la protection de celui-ci.
Par
ailleurs, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, de
compétence fédérale, s'applique aux adolescents
ayant commis une infraction criminelle alors qu'ils sont âgés entre 12 et
18 ans. La LSJPA octroie au directeur provincial plusieurs
responsabilités. Au Québec, ce sont les DPJ qui exercent les fonctions de
directeur provincial.
Le
présent projet de loi nous interpelle dans l'exercice de l'ensemble de ces
responsabilités puisqu'il concerne autant
les jeunes pouvant présenter des indices de radicalisation ou agir avec
violence que les jeunes victimes. Comme l'ensemble des acteurs sociaux en témoignent, le phénomène de la
radicalisation et des violences basées sur l'honneur ajoutent
indéniablement à la complexité des situations qui nous interpellent
quotidiennement et nous confrontent aux limites
de nos interventions. Par conséquent, nous accueillons favorablement le présent
projet de loi. De notre point de vue,
le statu quo n'est plus possible. Nous devons collectivement nous donner
d'autres leviers d'action pour éviter les abus et les violences et ainsi
mieux protéger les personnes et surtout les enfants.
Nous
saluons l'appel à la responsabilité collective que porte le projet de loi,
lequel propose des modifications non seulement à la Loi sur la protection de la
jeunesse, mais aussi à d'autres lois impliquant plusieurs institutions et
organismes. Ainsi, nous appuyons les modifications à la Loi sur la protection
de la jeunesse qui sont proposées.
En
ce qui concerne les motifs pour lesquels la sécurité ou le développement d'un
enfant est présumé compromis, il est proposé d'ajouter le contrôle
excessif à l'énumération des comportements traduisant une situation de mauvais traitement psychologique. Nous appuyons cette
modification qui a pour effet de codifier une jurisprudence existante et
reconnaît par le fait même de façon
explicite que ces comportements peuvent compromettre la sécurité ou le
développement d'un enfant.
De
la même manière, nous accueillons favorablement les modifications proposées en
ce qui concerne la non-divulgation de renseignements au stade du
traitement du signalement ou de la fermeture après évaluation ou prise en
charge de la situation de l'enfant. De notre
point de vue, ces modifications sont une importante avancée et permettront sans
aucun doute de mieux soutenir et accompagner des jeunes qui souhaitent obtenir
de l'aide mais qui craignent la réaction de leurs parents si cela devait
se savoir.
Dans la pratique, nous sommes témoins de certaines
situations déchirantes. Elles s'observent, par exemple, chez des jeunes filles qui sont à l'aube de leur
majorité et qui expriment un besoin d'aide pour une situation
personnelle qui apparaît, à leurs
yeux, inavouable à leurs parents. Les enjeux pour ces jeunes sont souvent liés
à l'honneur de la famille et la crainte d'être stigmatisées, sévèrement
blâmées, voire exclues si leur situation devait être connue.
Bien
que cette modification nous apparaisse essentielle en 2015 pour assurer
une réponse juste et adaptée au besoin d'aide
de certaines jeunes et une protection de ces dernières au-delà de leur
majorité, nous continuons de croire à l'importance d'impliquer et de soutenir la participation des
parents à la démarche d'intervention. Nous continuerons donc, par conséquent,
à travailler dans cette perspective en
amenant autant que possible le jeune à faire confiance à ses parents dans leur
capacité de l'accompagner et de lui venir en aide.
En ce qui concerne le
mariage forcé, nous saluons l'intention du législateur et les mesures proposées
pour contrer ce phénomène. Malheureusement, nous demeurons sceptiques quant à l'impact réel de ces mesures. Notre
connaissance terrain de cette réalité
nous permet de dire que, dans la majorité de ces situations, les jeunes filles
qui en sont victimes sont amenées
dans leur pays d'origine pour être mariées. Le scénario auquel nous sommes
confrontés est assez semblable d'une
fois à l'autre : la jeune fille concernée est âgée entre 15 et 17 ans
et elle nous est signalée par un professionnel qui a reçu ses confidences dans un moment de panique, la
menace d'un mariage forcé et la perspective d'un voyage dans le pays
d'origine étant de plus en plus précises.
Dans
ces situations, il nous est difficile d'assurer une protection
efficace et surtout durable de la jeune victime compte tenu de la nature de la
problématique elle-même mais aussi de l'absence, au Québec
et au Canada, d'autres leviers pour empêcher la sortie du pays et la réalisation de ce mariage. Faute
d'interdit explicite, de sanctions à l'égard des parents et de mécanismes de contrôle des sorties du pays,
nous ne parvenons pas à protéger efficacement ces jeunes de la menace qui pèse sur elles. Cette situation
nous préoccupe grandement et commande, à
notre avis, une action plus affirmée
et plus imposante afin de réussir à mettre à l'abri ces jeunes filles
d'un mariage non désiré et des situations d'abus sexuel, psychologique et
parfois physique qu'ils engendrent. Comme société, nous devons faire plus.
En
dépit de notre adhésion aux fondements de ce projet de loi et aux éléments
précédemment identifiés, certains aspects de celui-ci nous préoccupent
grandement, cependant.
• (16 h 20) •
Mme
Bérard (Madeleine) : Je vais
poursuivre. Alors, premièrement, nous constatons que le projet de loi ne crée pas de distinction
entre les personnes mineures et majeures. Cet aspect nécessite, selon nous, une
révision. Dans notre société, l'enfant est considéré différemment de l'adulte.
Il fait ainsi l'objet d'une attention particulière de la part de la justice. Ses besoins, son degré de responsabilité, la nécessité de le protéger et l'importance d'adapter la nature et la
forme des interventions à son âge et à son degré de développement expliquent la distinction généralement faite dans notre système
juridique à son égard.
Le regard que nous
portons sur cet aspect du projet de loi se fonde essentiellement sur les
connaissances scientifiques, notre expérience clinique et l'efficacité
largement reconnue de nos interventions en matière de délinquance.
À l'instar de nos partenaires québécois
en cette matière, nous sommes convaincus que la portée de nos interventions est
tributaire des grands principes qui guident
nos actions et nos décisions. Ces principes sont les suivants : la
responsabilisation du jeune face à
ses comportements, la primauté de l'autorité parentale et la participation
active des parents à l'intervention, la prise en compte des caractéristiques particulières du jeune et de sa situation,
la réadaptation et la réinsertion sociale au premier plan des objectifs
de ces interventions et l'utilisation d'approches consensuelles telles la
médiation et autres mesures non judiciaires.
Ces principes doivent en tout temps guider nos interventions à l'égard des jeunes. Il
ne devrait pas en être autrement dans le présent projet de loi.
Or, ce dernier ne
fait aucune mention des modalités distinctes devant s'appliquer aux mineurs,
qu'ils soient victimes ou auteurs des actes
visés par le projet de loi. Nous ne pouvons concevoir qu'il en soit ainsi.
Nous considérons essentiel, par
conséquent, de réviser certaines des dispositions prévues au projet de loi afin de les harmoniser aux lois actuelles telles que la Loi de la protection de la jeunesse
et la Loi du système de justice pénale pour les adolescents, notamment en ce qui concerne la
confidentialité, les sanctions pécuniaires et les protections procédurales.
Par ailleurs, le
mineur étant soumis à l'autorité parentale jusqu'à ses 18 ans, jusqu'à son
émancipation, il nous apparaît nécessaire aussi d'ajuster les mesures proposées
pour s'harmoniser avec la Loi de la protection de la jeunesse et la LSJPA, qui prévoient et insistent sur l'obligation
d'impliquer les parents tout au long de l'intervention et de les aviser
des procédures.
Nous sommes
aussi inquiets que l'exercice de dénonciation à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse engendre une confusion qui pourrait avoir des
conséquences majeures pour la protection des enfants. En effet, la Loi sur la
protection de la jeunesse énonce clairement l'obligation de signaler toute situation
d'un enfant lorsqu'il y a des motifs de croire que sa sécurité ou son développement
peut être compromis, par exemple en situation d'abus physiques ou sexuels. À
cet égard, le rôle et les responsabilités des professionnels et de la population
en général dans l'application de la loi sont essentiels à la protection des
enfants, aussi croyons-nous qu'il existe un risque réel que les modifications législatives proposées soient
perçues comme une substitution au signalement prévu à la LPJ. Afin d'éviter
un écueil, il nous importe donc de bien distinguer la portée d'une divulgation.
Enfin, nous
sommes préoccupés par la multiplicité
des acteurs et des instances juridiques impliqués dans l'exercice des diverses responsabilités. Il importe donc de
préciser le champ d'action de chacune de ces instances. Nous y reviendrons
plus tard.
Le Président (M. Hardy) : Merci
beaucoup. Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Mme la ministre,
à vous la parole pour une période 25 minutes.
Mme Vallée : Merci beaucoup.
Merci de votre participation à nos travaux.
J'aimerais
reprendre là où vous avez laissé, sur la question de la confusion entre le rôle
que joue la direction de la protection
de la jeunesse et le rôle qu'elle pourrait être appelée à jouer la commission
des droits de la personne et de la jeunesse
dans le contexte du discours haineux. Je ne saisis pas en quoi il pourrait y
avoir confusion entre une dénonciation d'un
discours haineux et la dénonciation d'une situation de compromission chez un
jeune, mais j'aimerais vous entendre sur cette question.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : Même si on en parle souvent, hein, de l'obligation de
signaler chez les professionnels et l'importance
de le faire pour la population en général, on se rend compte très souvent que
ce n'est pas nécessairement encore
connu, compris, bien saisi pour l'ensemble de la population. Alors, dans le
projet de loi, compte tenu de la notion de dénoncer, par exemple, un jeune qui aurait des propos haineux, qui
pourrait vraiment avoir des propos qui incitent à la violence, ce qui nous inquiète, c'est que les
gens, en faisant une démarche de dénonciation auprès de la CDPDJ, aient le
sentiment d'avoir fait tout ce qu'ils devaient faire pour rapporter cette
situation-là. Or, on peut s'imaginer que, dans certaines situations, cet événement-là s'inscrit dans une situation plus
large qui pourrait vouloir dire éventuellement un signalement à la DPJ, qu'on examinerait,
évidemment, et qu'on pourrait possiblement, selon comment la situation se
présente et l'ensemble, là, des
éléments de grille d'analyse qui nous guident là-dedans... alors qui pourrait
éventuellement donner ouverture à la LPJ.
Alors, c'est
un peu ça, de se dire : Bien, ça va être important de bien distinguer que
ce n'est pas parce que j'appelle à la
CDPDJ et que je rapporte une situation qui m'inquiète que je n'ai pas d'autre
responsabilité à l'égard de ce jeune-là si j'ai des raisons de croire que sa sécurité ou son développement est
compromis. Alors, il nous apparaissait important, dans le projet de loi, de bien souligner qu'on parle de
deux responsabilités différentes et que l'une ne se substitue pas à l'autre.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Est-ce que — et là je
vous pose la question — il ne pourrait pas revenir à la CDPDJ de référer un dossier de mineur, puisqu'une personne faisant une
dénonciation n'est pas nécessairement informée que le responsable du discours est une personne mineure? Parce que,
sur les médias sociaux, comment savoir si quelqu'un qui utilise un avatar
ou quelqu'un qui est derrière un blogue...
L'âge des personnes est loin d'être évident, ce n'est pas une information qu'on
peut connaître au départ. Donc, est-ce qu'il pourrait y avoir, à ce moment-là,
un processus provenant de la CDPDJ, c'est-à-dire
qu'à partir du moment où on prend connaissance que l'auteur des propos est un
mineur on s'assure d'entrer en communication, et de voir, justement, et
d'investiguer le dossier plus en détail?
Le Président (M. Hardy) : Mme
Dionne.
Mme Dionne (Michèle) : On se disait
qu'inévitablement, dans l'application... Parce que, bon, il peut y avoir effectivement plusieurs cas de figure. Il pourrait
y avoir des situations où on est déjà impliqués auprès d'un jeune dans le cadre de l'application de la Loi sur la
protection de la jeunesse ou encore dans le cadre de l'application de la LSJPA,
et, de notre point de vue, si on est
présents, bien il est fort probable qu'on est présents pour une situation
beaucoup plus large mais qui concerne
aussi, je dirais, les éléments qui sont préoccupants et qui font l'objet de la
dénonciation. De notre point de vue,
il va falloir se préoccuper — et ça, ça nous préoccupe, nous — de clarifier quelles sont les instances qui
devraient, à ce moment-là, être interpellées
à intervenir. Donc, dans les situations où on est déjà impliqués, on se disait,
bien, au fond, qu'on reçoive l'information, oui, et on devrait, nous, agir. On
a deux lois qui nous permettent d'agir efficacement auprès des jeunes.
Et si par
contre, dans une situation comme celle que vous évoquez, arrivait... au fond,
la CDPDJ était saisie qu'il s'agit d'un jeune, on se disait
effectivement qu'il devrait y avoir une concertation. Puis cette
concertation-là pourrait se faire à d'autres
niveaux aussi. On peut imaginer une situation que nous ne connaissons pas, qui
n'est pas prise en charge, qui
pourrait justifier un signalement par ailleurs, mais nous, on doit se poser la
question et faire la démarche d'analyse à savoir : Est-ce que cette situation-là devrait ou pas donner
ouverture à la loi? Alors, à ce moment-là, il y aurait lieu qu'on se concerte pour se dire : Bien, comment on
l'aborde, la situation? Est-ce que la CDPDJ se met en attente un temps, on
fait le point sur la
situation, on se reparle un peu plus loin? Mais forcément il devrait y avoir,
je pense, c'est ce qu'on pensait, une
concertation pour s'assurer, au fond, que le bon acteur s'adresse à la
situation, sans multiplier... il y a un risque de confusion aussi à
travers ça, ça fait que sans multiplier les acteurs.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Parce
qu'une chose est certaine, le projet de loi n° 59 ne vient d'aucune façon
se substituer au rôle de la
protection de jeunesse, c'est vraiment... Le projet de loi vise, entre autres
la première partie, qui est en soi autonome des autres dispositions puisqu'une fois... c'est une loi autoportante,
qui aura sa pleine autonomie une fois le processus terminé, mais le projet de loi n° 59 ne vient
pas se substituer d'aucune façon au travail qui est fait par la direction de la
protection de la jeunesse.
Par contre,
je comprends que, derrière nos écrans, il ne soit toujours pas évident de
déterminer qui, et quel âge, et à quelle
catégorie de personnes appartient celui ou celle qui a tenu des propos incitant
à la violence ou des propos haineux. Et
là je suis très sensible au votre drapeau que vous levez, à savoir :
Comment s'assurer d'une meilleure coordination? Je pense que c'est
important.
Au même
titre, lorsque vous mentionnez le travail d'harmonisation qui devrait se faire
avec les parents, avec les détenteurs
de l'autorité parentale, avec la direction de la protection de la jeunesse, une
fois... je comprends que ce travail-là doit
se faire... À partir du moment où on a considéré que les propos dénoncés sont
des propos à caractère haineux ou sont des
propos qui incitent à la violence, ce que vous nous dites aujourd'hui,
c'est : Attention! S'il s'agit d'un mineur, on ne doit pas le traiter de la même façon qu'on va
traiter un adulte, il faut s'assurer de respecter l'esprit de la loi sur la
justice pénale pour adolescents et l'esprit des interventions de la
direction de la protection de la jeunesse.
Alors, est-ce
que vous auriez des suggestions particulières à nous présenter à cet égard-là,
pour assurer de ne pas entrer en contradiction, justement, avec ces deux
dispositions importantes?
Le Président (M. Hardy) :
Me Bergeron.
• (16 h 30) •
Mme
Bergeron (Annick) : En fait,
Mme la ministre, ça va un petit peu plus loin que ça. Ce qu'on vous
propose, c'est même de
faire en sorte que, les situations pour lesquelles soit la Loi sur la protection de
la jeunesse ou la LSJPA s'applique,
bien, qu'à ce moment-ci ces situations-là ne soient pas soumises à la CDPDJ mais qu'il y ait,
dans le fond... que ce soit cette loi particulière là qui s'applique
à l'exclusion même de la portion CDPDJ, que ce soit comme mis en suspens.
Évidemment,
il y a des situations où ça va arriver que ces lois-là ne trouvent pas
application, puis qu'effectivement la
personne qui a prononcé le discours haineux est un mineur, et que, bon, la loi
doit... le projet de loi n° 59 donc doit trouver application. Dans ces situations spécifiques là,
on vous demande justement de prendre en compte les différents principes qu'on vous a listés dans notre mémoire par rapport
au modèle d'intervention qui a été mis en place et éprouvé, là, par les différents intervenants, c'est la première chose,
donc l'aspect, que je vous dirais, qui est un peu plus clinique, donc comment
on intervient avec ces jeunes-là; aussi de prôner une approche non judiciaire,
une approche qui est plus centrée sur la médiation.
On vous
demande aussi de prendre en compte que les conséquences pécuniaires sont très
importantes. Et, si je fais le
parallèle, par exemple, avec la LSJPA, la Loi sur le système de justice pénale
pour adolescents, pour d'autres types d'actes...
bien en fait ce ne seraient pas des actes... pour d'autres types d'infractions,
je vous dirais, l'adolescent n'aurait pas
à payer des amendes qui sont aussi élevées. Donc, je pense que, ça, il y a un problème
peut-être d'arrimage entre les différentes législations qui peuvent
s'appliquer pour un même geste ou un geste similaire. Ça, c'est une chose.
On vous parle
aussi de toute la question des garanties procédurales. Dans le fond, bon, on
parle de la question de la liste.
Évidemment, en matière de protection de la jeunesse, LSJPA, le nom des enfants,
de leurs parents, c'est gardé confidentiel,
donc ce qu'on vous demande... C'est sûr que la question de la liste, ça nous
préoccupe beaucoup par rapport aux
personnes mineures qui pourraient se retrouver sur cette liste-là, d'une part.
Ensuite, toute la question de la publication des jugements, ça nous préoccupe aussi. Puis on parle de garanties
procédurales, donc la question de droit d'appel de plein droit, qui,
selon nous, devrait être mis en place, là, compte tenu du fait qu'on parle de
jeunes...
Et
évidemment, là, je vous parlais de la LSJPA, d'arrimage entre les lois. On n'en
a parlé dans le mémoire, mais le fait
qu'il n'y ait pas de seuil minimum d'application de cette loi-là non plus aux
personnes mineures... La LSJPA prévoit que
la responsabilité pénale, c'est à partir de 12 ans. Donc, peut-être que ce
serait intéressant, là, de faire une réflexion aussi par rapport à cet
aspect-là.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : Je compléterais un seul petit aspect. On disait aussi la
place des parents parce que, quand on parle d'intervention auprès des
mineurs qui ont des comportements répréhensibles, qu'on veut responsabiliser
les mineurs, dans nos lois qui s'adressent
aux enfants, justement, les parents sont les premiers responsables et ils sont
des acteurs clés, et on était étonnés de voir que, dans le projet de loi...
Évidemment, on ne distingue pas mineurs, majeurs, mais il n'y a aucune référence aux parents et au
rôle, la place des parents, le rôle qu'ils pourraient jouer, comment ils sont
interpellés quand leur jeune commet... tient
des propos haineux puis a des comportements qui sont vraiment répréhensibles.
Alors, ça aussi, ça nous préoccupait, et on se disait : Il y a vraiment
cette dimension-là de la place des parents qui est à réfléchir.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme Vallée :
J'aimerais revenir sur la question des mariages forcés. Vous nous avez
mentionné que l'une des situations
que vous rencontrez et qui est les plus fréquentes, ce sont les mariages à
l'étranger, donc les jeunes filles qui quittent,
qui s'en vont faire un voyage pour être mariées. Est-ce que vous ne voyez pas
les dispositions qui portent sur les ordonnances civiles de protection
comme pouvant être utilisées pour justement empêcher un voyage de ce type-là, puisqu'un peu... Juste avant vous,
Mme Miville-Dechêne nous disait que ces dispositions-là sont aussi
utilisées, au-delà des ordonnances
civiles de protection, c'est-à-dire de ne pas entrer en contact avec une
personne, mais elles étaient utilisées en
Grande-Bretagne pour empêcher le voyage à l'étranger ou pour empêcher que
l'enfant puisse sortir du pays. Est-ce que
vous voyez la possibilité d'utiliser ces dispositions-là du projet de loi pour
justement venir contrer cette situation?
Le Président (M. Hardy) : Me
Bergeron.
Mme
Bergeron (Annick) : Je vous
dirais qu'actuellement certains mécanismes prévus à la Loi sur la protection
de la jeunesse prévoient qu'on puisse retirer l'autorité parentale d'un parent
pour la remettre à une tierce personne, habituellement
c'est à la DPJ, par exemple, en matière d'autorisation de voyage. Dans ces
situations-là, en fait, le juge a déjà juridiction pour le faire, et ça
peut être fait.
Par contre,
le problème qu'on voit parfois, c'est qu'il n'y a pas de système de contrôle
aux frontières. Donc, je pense que la
réponse, pour que ce soit réellement efficace, passe peut-être plus par un
arrimage par rapport aux différentes autorités.
Donc, oui, il y a l'aspect judiciaire d'un jugement, mais encore faut-il, quand
la famille se présente à la frontière, que
ce jugement-là soit exécutoire, donc qu'il y ait des arrimages avec, par
exemple, l'autorité des services frontaliers pour ne pas que la jeune
fille, là, puisse sortir.
Donc, je vous
dirais que cette juridiction-là est déjà possible, c'est déjà utilisé dans
certaines situations, évidemment, de
mineurs. Maintenant, ça ne va peut-être pas assez loin, là, par rapport à la
façon dont c'est déployé sur le terrain quand on se retrouve vraiment
face à la sortie du pays, là.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Il y a toujours la possibilité aussi de remettre les passeports, lorsque les
passeports ont été émis, et d'aviser,
en effet, les services frontaliers, mais j'essayais de voir au-delà... Parce
qu'évidemment le consentement parental, maintenant, pour tout mariage, ce qui est prévu, c'est que tout mariage
d'une personne mineure devra être présenté devant le tribunal, c'est-à-dire que les parents ne
pourront plus autoriser un mariage d'un jeune entre 16 et 18 ans, ce sera
soumis à l'appréciation du tribunal,
qui pourra déterminer le consentement réel, le contexte. Est-ce que, par
exemple, on a une différence d'âge
marquée? Est-ce que les époux se connaissent? Est-ce que les époux... Bref, il
y a un tas d'éléments qui pourront être considérés.
Mais j'avais compris de votre intervention
qu'au-delà de ce qui pouvait se faire ici, le contrôle du tribunal pour valider les conditions, l'existence des conditions
de base au mariage... je comprenais que vous n'aviez pas d'outil. Donc, vous avez... la Loi de la protection de la
jeunesse accorde la possibilité de délégation de l'autorité parentale, et nous
avons dans le projet de loi aussi des dispositions, des ordonnances
civiles de protection qui pourraient être utilisées.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : Notre sentiment,
c'est que, pour les situations de mariage qui se passent au Québec, c'est effectivement des leviers supplémentaires, et dans ce sens-là
on est tout à fait en accord, on se dit que ça va
nous aider. C'est vraiment
dans les situations où on est plus dans un contexte où, finalement, il y a
un subterfuge. Parce que c'est souvent ça, hein? On parle d'un parent
malade, une grand-mère, et là il y a un voyage qui s'organise, et puis la famille
s'en va visiter la personne malade, et le mariage se passe là-bas. C'est vraiment
dans ces situations-là.
Et nous, à la DPJ, autant du côté anglophone, de
la clientèle anglophone et juive que du côté francophone, allophone, on est très peu confrontés à des
mariages qui se passent au Québec, ce n'est pas des situations qui nous sont
signalées. Nous, les situations signalées,
c'est vraiment dans le contexte d'un mariage qui se passe dans
le pays d'origine. Et à cet égard-là, bien, oui, on intervient, on intervient momentanément, on va demander
le dépôt des passeports, on va prendre
différentes mesures, mais, à un
moment donné, bon, la perspective de
ces mesures-là... On peut le faire pendant un temps, mais, si la jeune a 14 ans, est-ce qu'on reste en protection jusqu'à majorité? Est-ce qu'on saisit les
passeports pour quatre ans en avant
et... Bon. Alors, toute cette... Comment on organise? Comment on réussit vraiment
à faire en sorte d'éviter la sortie
du pays? Il y a aussi des fois des complexités, des fois les familles
ont deux passeports, deux citoyennetés. Bref,
c'est de bien saisir dans quoi on est et de poser les bonnes actions. Moi, je
vous dirais qu'au moment où on se parle il y a des situations où,
malgré les moyens qu'on a pris, les familles nous ont échappé, elles sont
sorties du pays, et les enfants ont été mariés là-bas.
Le Président (M. Hardy) : M. le
député de Chomedey.
• (16 h 40) •
M.
Ouellette : Merci,
M. le Président. Avant que je laisse la ministre... Puis je continue,
je vais essayer de comprendre une des
dimensions, parce que l'esprit du projet de loi n° 59,
c'est de contrer le discours haineux qui incite à la violence et de faire en sorte, au niveau
des mariages forcés, qu'il y en ait le moins possible et que ce soit encadré. Je
vous écoute depuis tantôt, et vos réponses, je
veux dire, m'interpellent, parce que comment je m'assure de la cohésion entre
les différents organismes? Vous travaillez déjà sur
certains dossiers dont la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse ne sont pas nécessairement au courant. Eux autres vont
travailler sur des dossiers dont vous ne serez pas nécessairement au courant, qui peuvent toucher la
même clientèle, parce qu'on a beaucoup parlé, dans le projet de loi, de
12 ans, 14 ans, 16 ans, au niveau de nos enfants. Et vous nous
avez suggéré, dans vos recommandations, plusieurs recommandations pour faire la
différence par rapport à la liste entre les mineurs et les majeurs, pour
s'assurer de la protection de l'identité, des noms, etc., mais ma grande
préoccupation — et
si vous avez des suggestions à nous faire là-dessus... — c'est l'arrimage, pour ne pas qu'on en
échappe. Parce que je vous écoutais tantôt nous parler de...
Bon, les passeports, c'est une chose,
mais la douane n'est pas nécessairement au courant. Donc, il y a une maille qui
nous manque en quelque part. Et notre
travail, si on veut faire un travail le plus complet possible, c'est de ne pas
en échapper, et j'ai besoin que vous
me rassuriez un petit peu, là, ou j'ai besoin que vous me donniez certaines
pistes de solution ou certains outils
qu'il faudrait réfléchir dans le projet de loi n° 59, pour justement ne
pas, quand ce sera adopté, que, là, à un moment donné, vous leviez la main pour dire : Bien là, il y a quelque
chose qu'on n'a pas prévu ou il y a quelque chose qu'on n'a pas pensé,
et parce qu'on a à penser à la protection de la population, là, puis c'est
notre première préoccupation.
Ça
fait que je veux bien que vous ayez tous les outils pour faire le travail, le
vôtre, je veux bien que la Commission des
droits ait les outils pour le faire, le sien, qu'on puisse protéger l'ensemble
des citoyens du Québec et ceux qui sont aux prises avec ce pour quoi le
projet de loi n° 59 est sur la table et... mais, l'arrimage de ça, je me
questionne, là.
Le Président (M.
Hardy) : Mme Dionne.
Mme
Dionne (Michèle) : Je vais essayer de répondre à votre question de
façon la plus satisfaisante possible. Je vous dirais que vous touchez probablement... un aspect dont on s'est beaucoup
parlé, qui est la complexité de ce qui est proposé. Et, de fait, nous,
on n'a pas les réponses autour de précisément comment pourrait se faire, je
dirais, l'arrimage. Il y a là-dedans aussi,
quand même, des éléments juridiques importants, et, comme DPJ, on n'est pas des
juristes. Évidemment, on a discuté de
ça passablement avec des juristes, mais je pense que la question, elle est
vraiment entière, là, il y a quand même plusieurs enjeux.
Mais
ce qu'on se disait, au fond, c'est qu'à partir du... quand la LPJ s'applique,
nous, on considère... Quand la LPJ ou
la LSJPA s'applique, on se disait : Il y a là déjà deux véhicules pour
adresser les préoccupations qu'on a comme société puis, je dirais,
atteindre les objectifs qu'on vise aussi comme société. Et, pour nous, c'est
clair que, celui de la responsabilisation, responsabiliser le jeune fait partie
de ces objectifs-là, c'est bien certain.
Maintenant,
dans l'arrimage, bien on avait en tête un peu la façon dont on travaille dans
des situations d'entente multisectorielle en abus physique et abus
sexuel, où, là, il y a des acteurs autres que le DPJ qui sont concernés, donc policiers, procureurs, et on se concerte, on se
concerte. À partir du moment où il y a une situation d'abus physique ou d'abus
sexuel qui est signalée, bien là on va se
parler, on se concerte et on va déterminer, au fond, qu'est-ce qu'on fait
ensemble. Est-ce qu'un se met en
situation d'attente, l'autre va avancer? Est-ce que... Et on se concerte pour
être sûrs de ne rien échapper et pour être sûrs aussi d'avoir
l'intervention qui va être la plus juste et la plus appropriée possible dans le
contexte.
Alors,
dans ce sens-là, bien, quel pourrait être le mécanisme? Ça, ce n'est pas clair
pour nous, mais il en faudrait un, je
pense, parce qu'il y a des situations où ni la Loi sur la protection de la
jeunesse ni la LSJPA ne s'appliqueraient mais où il faut... on pense que ce serait opportun, dans l'optique de
responsabiliser un jeune, de saisir ses parents aussi de ce qui se joue, de ce
qui se passe et d'amener ces parents-là aussi à peut-être resserrer
l'encadrement, peut-être jouer autrement
leur rôle, leurs responsabilités autour de ce jeune-là. Mais, bref, il y a des
situations où, de fait, c'est peut-être la commission qui est la mieux placée pour agir et qui, à ce moment-là,
pourrait faire la démarche qui est proposée dans le projet de loi.
Mais
c'est sûr que toutes les ficelles, comment on pourrait... il y a matière à
réfléchir et à discuter encore. Nous, on a des idées mais pas
nécessairement les réponses.
Le Président (M.
Hardy) : M. le député de... Mme la ministre.
Mme Vallée :
...mentionné en début d'audition qu'il souhaitait...
Le Président (M.
Hardy) : M. le député de La Prairie.
M.
Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. J'aimerais revenir sur
quelques aspects de votre mémoire, entre autres sur les situations autour de l'article 33 et le concept du contrôle
excessif, parce que, dans votre rapport, vous mentionnez les situations exceptionnelles dans lesquelles
vous agissez — et je
vais le lire pour le bénéfice des auditeurs — la protection que vous offrez : «Cette protection est requise lorsqu'un enfant
est dans une situation d'abandon, de négligence, d'abus physique, d'abus sexuel, de mauvais traitements
psychologiques ou lorsqu'il manifeste des troubles de comportement sérieux. La LPJ, autorisant l'intervention du DPJ
dans la vie des enfants et de leur famille, ne doit s'appliquer que dans
[des] situations exceptionnelles.» J'en viens à la recommandation 4 que vous
avez à la page 12 de votre rapport, dans laquelle
vous dites : «Pour les situations donnant lieu à l'intervention de la
CDPDJ pour des mineurs, introduire des principes généraux d'application
aux mineurs afin de :
«1° reconnaître la
primauté de l'autorité parentale;
«2° favoriser la
responsabilisation du jeune;
«3° privilégier une
approche axée sur l'éducation et la réadaptation plutôt qu'une approche
judiciaire; et
«4° favoriser la participation active des parents.»
Je
reviens au contrôle excessif, que vous appuyez à la page 13 par la suite,
que vous dites que c'est une bonne chose
d'ajouter ce concept-là, mais, dans ce que vous faites, ce que j'ai dit, qui
est à la page 5, et dans votre recommandation, là, je reviens sur le...
Pouvez-vous élaborer ou pouvez-vous... J'aimerais vous entendre sur ce que vous
voyez comme étant un contrôle
excessif, parce que, si vous voulez reconnaître la primauté de l'autorité
parentale et d'en faire une partie prenante de vos démarches, si le parent exerce un contrôle excessif, comment vous
faites, à ce moment-là, comment allez-vous élaborer votre intervention auprès des jeunes, surtout dans le cadre du
projet de loi n° 59, quand on parle de discours haineux et des
discours incitant à la violence? J'aimerais vous entendre là-dessus.
Le Président (M. Hardy) : Mme
Bérard. En 1 min 15 s.
Mme Bérard
(Madeleine) : Je vais tenter
de répondre. Alors, quand on parle de la recommandation 4, on fait
vraiment référence à la partie I du projet de loi dans la mesure
où on est en face d'un jeune qui a peut-être émis un discours haineux ou incitant à la violence. Donc, c'est plus dans la notion de
comment est-ce qu'on va responsabiliser ce jeune et comment est-ce qu'on va, oui, impliquer les parents pour qu'ils
exercent leur rôle parental d'enseigner à cet enfant-là, de lui montrer
un chemin qui est plus paisible et respectueux des autres.
Quand on
parle de contrôle excessif, on parle de la Loi de la protection de la jeunesse; à ce moment-là, on fait référence à l'article 38c sur les
mauvais traitements psychologiques. Et on a déjà dans notre jurisprudence et dans notre expérience clinique des situations où on a eu des
éléments de contrôle excessif de la part de parents, et je vous dirais que
c'est deux choses différentes dans la mesure
où on parle de protection dans un cas et de responsabilisation par rapport
à un acte répréhensible dans l'autre. Quand
on parle de contrôle excessif, on parle plus d'enfants en besoin de protection,
de jeunes filles dont on contrôle les sorties de façon vraiment exagérée, les
allées et venues, les habillements, etc.
M. Merlini : Très bien. Merci.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Maintenant, nous allons passer à la période d'échange avec l'opposition
officielle. Mme la députée de Taschereau, à vous la parole pour une période de
15 minutes.
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Bonjour. Bonjour,
mesdames de la DPJ, puisque vous êtes trois dames, c'est
Mme Dionne, Mme Bérard et Mme Bergeron. Bienvenue à cette commission
parlementaire.
Je vais
continuer dans la foulée des questions intéressantes que soulevait le collègue. Donc, on peut
considérer... Vous, vous considérez que vous êtes déjà outillés pour
faire face à des parents qui utilisent le contrôle excessif?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : En fait, quand
on parle de mauvais traitement psychologique, dans l'application de la loi, présentement, bien, oui, il arrive qu'on va aborder la
problématique du contrôle excessif dans sa dimension de mauvais
traitement psychologique, et de fait les tribunaux ont accueilli ça dans...
c'est inégal par ailleurs, mais certains juges ont accueilli cette situation-là,
ces motifs-là comme s'apparentant à des mauvais traitements psychologiques.
Là où on est d'accord
avec la modification qui est proposée, c'est de le rendre explicite,
de le nommer, de dire clairement que, quand il y a une situation de
contrôle excessif... Et là il faut bien se comprendre que, dans le contrôle excessif, on est dans un contrôle qui nuit au développement, hein, qui a vraiment des impacts sous l'angle du développement, du développement social dans le fait de développer des relations avec sa communauté,
avec son environnement, donc un épanouissement qui est vraiment
normal. On n'est pas en train de dire : On va mettre la barre de qu'est-ce
qu'un parent peut ou ne peut pas autoriser,
puis là... On est vraiment dans quelque
chose qui, à sa face même, on
va tous être devant la situation
et on va tous se dire : Ça n'a pas de bon sens, c'est excessif. Alors, on
est vraiment dans ce type... dans ce registre-là.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci. Donc, je comprends bien que vous
dites : On est déjà outillés, il y a une jurisprudence,
mais c'est bien de l'étendre, de l'expliciter, puis vous êtes d'accord avec ça.
Je comprends bien ça.
Maintenant,
vous allez voir pourquoi je commençais par là. Bien, d'abord,
mon collègue en avait parlé de façon... avait
commencé à questionner de façon très juste. L'autre, on a comme... Quand on
discute du projet de loi n° 59
et qu'on parle particulièrement du contrôle excessif ou des jeunes, des
enfants, on pense beaucoup à deux cas : la situation qu'il y a eu dans l'affaire Shafia et la situation
qu'il y a eu dans le cas Lev Tahor, qui est un autre type de situation mais
où il y a effectivement un contrôle excessif.
Dans le cas
de l'affaire Shafia, ce qu'on sait maintenant, il va y avoir une... je pense
que la tendance, c'est d'avoir une
application plus rigoureuse du terme de «contrôle excessif» et tout. Donc, ça,
il y a une réponse là-dedans, dans le... et on est d'accord, là.
Mais, dans le
cas de Lev Tahor, j'ai dans les mains le rapport de Jacques Dumais, consultant
expert qui a fait un rapport en avril
2015, c'était l'Étude sur l'intervention du DPJ et de ses partenaires auprès
de la communauté Lev Tahor et dans
des milieux potentiellement sectaires, et il nous dit... son premier constat, c'est ceci : «Une
interprétation différente des
prescriptions[...], concernant la non-fréquentation scolaire en novembre 2011,
aurait permis au DPJ de rester impliqué avec le réseau scolaire pour analyser la situation d'une cinquantaine
d'enfants non scolarisés.» Donc, s'il y avait eu une interprétation différente, on aurait pu régler ce
problème. Dans ce cas-là, on n'a pas de proposition pour une interprétation
différente.
Est-ce
que vous pensez qu'on ne devrait pas aussi, dans ce cas-là, aller chercher des
solutions pour les enfants non scolarisés ou victimes de sectes
religieuses aussi?
Le Président (M.
Hardy) : Mme Dionne.
• (16 h 50) •
Mme
Dionne (Michèle) : C'est une
autre question, à mon sens. C'est une question...
je dirais que c'est une question
sensible puis c'est une question
dont il faudrait disposer, mais là le regarder beaucoup plus largement, en
impliquant le ministère de
l'Éducation. Comme DPJ, on est... et
là je m'écarte un peu du projet de
loi, mais on est très sensibles aux questions
de non-fréquentation scolaire. Maintenant, il y a la Loi sur l'instruction
publique. Ce serait de voir, au fond, où sont les leviers et quels sont
les meilleurs leviers.
De
notre point de vue, la question de la non-fréquentation scolaire ne doit pas
devenir l'affaire exclusivement de la DPJ. Au moment où on se parle, il
est possible de retenir une situation en protection, quand il y a des éléments
de non-fréquentation scolaire, mais quand derrière cette problématique-là il y
a l'une ou l'autre des problématiques de négligence,
d'abus, il y a d'autres éléments problématiques qui font en sorte qu'on
s'inquiète de l'impact de la situation sur l'enfant. Mais toute
situation de non-fréquentation scolaire n'a pas la même connotation ou le même
impact.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Mais est-ce que ça pourrait être un critère...
Évidemment, ce n'est pas nécessairement... ce n'est pas au même niveau que la maltraitance physique
peut-être, qui demande une intervention immédiate. Mais ça ne devrait
pas être un critère de maltraitance ou de négligence, plutôt, j'utiliserais
plutôt «négligence»?
Le Président (M.
Hardy) : Mme Bergeron.
Mme Bergeron (Annick) : En fait, c'est déjà prévu, Mme la députée, à
l'article 38, qui sont les différents motifs de compromission. Il y a un motif de négligence
sur le plan éducatif, là, c'est l'article 38b1°iii. Donc, c'est sûr que
les différents motifs de
compromission, par contre, là, sont analysés par le DPJ, quand il reçoit le
signalement, à la lumière de différents critères cliniques qui sont
prévus à l'article 38.2. Il y a l'article 38.1 qui prévoit aussi que
la sécurité et le développement d'un enfant
peut être considéré compromis s'il est d'âge scolaire et ne fréquente pas
l'école ou s'en absente fréquemment
ou sans raison. Donc, on a ces deux leviers-là, la négligence sur le plan
scolaire ou l'article 38.1, et les faits doivent être analysés à la
lumière de l'article 38.2, qui est, dans le fond, l'intégration de
différents critères cliniques à la loi pour
déterminer... Dans le fond, je regarde l'ensemble de la situation de cet
enfant-là, c'est quoi, son âge, est-ce qu'il a déjà été signalé, ses caractéristiques personnelles, la capacité des
parents de mettre un terme à la situation. Donc, on regarde vraiment, là, l'enfant sous toutes ses
coutures pour vraiment voir... O.K., il ne va pas à l'école. C'est quoi, les
autres facettes de sa vie qui vont faire en
sorte que je vais ou non décider que sa sécurité et son développement vont être
compromis ou non? Donc, c'est vraiment... ce
n'est pas juste sur la sphère scolaire qu'on va s'arrêter, mais on va vraiment
élargir le spectre de ce qu'on va regarder
et on va analyser l'ensemble de la situation de cet enfant-là. Donc, c'est
prévu dans la loi.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Oui, je comprends donc que c'est déjà prévu dans
la loi. Et, de ce côté-là, Jacques Dumais dit : Une interprétation différente devant le cas aurait
permis peut-être de rester mieux impliqué avec le réseau scolaire. Donc,
c'est déjà dans la loi, vous dites, ce n'est pas nécessaire.
Mais
le contrôle excessif, c'est déjà dans la loi, mais ça, vous pensez que ça vaut
la peine parce qu'il y a... J'essaie de
comprendre pourquoi il y a deux choses différentes, mais je vais vous demander
d'être brèves, parce que je n'ai pas beaucoup de temps puis je veux
continuer à débattre avec vous.
Mme Bergeron
(Annick) : Oui, parfait.
Le Président (M.
Hardy) : Me Bergeron.
Mme Bergeron (Annick) : En fait, la situation de contrôle excessif, c'est
une situation de mauvais traitement psychologique.
Ça, c'est prévu à l'article 38c. Étant donné que l'expression «mauvais
traitements psychologiques», ça peut
être quand même large, le législateur a décidé de mettre certains exemples,
donc on parle... — et il y
a le mot «notamment», donc c'est
vraiment des exemples et c'est non limitatif — on parle, donc, indifférence, dénigrement,
rejet affectif, isolement, menaces,
donc on a déjà des exemples qui sont quand même assez clairs. Donc là, on en
rajoute un pour justement codifier une
jurisprudence qui est déjà existante puis signifier aussi que, comme société,
on est en désaccord avec le contrôle excessif.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci. Donc, donc, on pourrait ajouter un «notamment»... ou c'est déjà inscrit.
En tout cas, vous dites : Il
n'est pas nécessaire d'ajouter de «notamment» quant au parcours scolaire, alors
suivi... Il y a un «notamment» pour le contrôle excessif, mais il n'y a pas...
vous voulez ajouter «contrôle excessif»... ou en tout cas dans cette loi-là on
ajoute la notion de contrôle excessif, mais,
éducation scolaire, là, contrôle du... que l'enfant suit le parcours scolaire,
vous trouvez que vous êtes déjà assez outillés.
Constat 2
de Jacques Dumais : «Il y a tout lieu de croire après coup que les
engagements verbaux et écrits des rabbins de la communauté Lev Tahor
leur ont permis de gagner du temps pour éviter de se conformer aux exigences légales de la scolarisation des enfants au
Québec.» J'aimerais ça que vous commentiez ça parce qu'il y a d'autres écoles
actuellement qui essaient de se soustraire
au parcours scolaire, enfin, des parents qui ont dit : On va scolariser à
l'école... pardon, on va scolariser à
la maison, puis ça ne se fera pas à l'école. Puis c'est des classes complètes,
là, des écoles complètes. Évidemment, ils ne sont pas dans une... les enfants ne sont
pas dans une situation de secte aussi lourde que ce qu'est, par exemple, Lev Tahor, mais ils vont quand même
être soustraits de l'éducation. Or, j'ai l'impression que ce projet de loi là, s'il amène des solutions
pour le contrôle excessif, s'il veut le nommer, il n'amène rien de ce côté-là.
Bien, ça, c'est pour ça que je voulais échanger avec vous.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Bérard.
Mme Bérard
(Madeleine) : Ce sur quoi
nous nous sommes penchés, c'est sur vraiment les modifications qui sont proposées dans le projet de loi
n° 59, et effectivement il n'est pas question là-dedans de comment est-ce
qu'on adresserait un problème de
non-fréquentation scolaire par un choix d'une communauté ou d'une autre,
qu'elle soit religieuse ou autres.
C'est effectivement une problématique qui est importante, qui est sensible, à laquelle nous voulons
contribuer, mais c'est clair que ce n'est pas dans l'objet de l'étude
qu'on a faite pour le projet de loi n° 59.
Mme
Maltais : Parfait. Je comprends que ce n'est pas dans
l'objet de l'étude, mais notre travail est aussi de voir s'il y a
des manquements à la loi, si on pourrait faire des ajouts qui vous
permettraient d'être mieux outillés pour protéger les enfants du Québec,
parce que c'est ça, votre mandat, c'est d'abord la protection.
Mme Bérard
(Madeleine) : Ce serait important
de le faire en lien avec le ministère
de l'Éducation, effectivement.
Mme
Maltais : En lien avec le ministère de l'Éducation,
comme vous dites qu'il est important de revoir cette loi en fonction de la loi de santé et services sociaux, parce que
vous semblez dire qu'il y a des... — là,
j'ai vraiment... votre mémoire est très intéressant, très fouillé là-dessus — il y a vraiment des problèmes de concordance,
de jonction, ça va être... il va y
avoir des problèmes d'incohérence avec la loi de santé et services sociaux, si
on veut dire : J'écarte, je protège l'enfant, je cache l'information aux parents, mais, dans la loi de santé
et services sociaux, si le dossier est dans... le dossier de l'enfant, bien, le parent a accès au dossier de
l'enfant. Donc, il va falloir vraiment mieux arrimer les lois. J'ai bien
compris votre mémoire, donc?
Le Président (M. Hardy) : Me
Bergeron.
Mme
Bergeron (Annick) : Oui,
tout à fait. En fait, ce qu'on vous propose, c'est justement de faire
l'arrimage, parce que le parent a un
droit d'accès au dossier de son enfant mineur, c'est prévu dans la LSSSS à
l'article 21. Cet article-là prévoit quand même certains moyens,
hein, parce que, quand un dossier est suivi par la DPJ, l'enfant a moins de
14 ans, on va demander à la DPJ s'il y a un préjudice à ce qu'on donne
communication du dossier de l'enfant à son parent, donc ce mécanisme-là existe
déjà, mais c'est sûr qu'à partir du moment où on prévoit des mécanismes très clairs dans la LPJ pour
justement faire en sorte que le parent n'a pas accès, bien, pour moi, il faut absolument qu'on fasse le lien avec cet
article 21 là pour ne pas, justement, risquer qu'il y ait un glissement
par rapport à une demande d'accès à
l'information, là, d'un parent quand ça risque de porter préjudice. Mais il y a
quand même déjà quelque chose dans la
loi, mais on pensait que ça venait renforcer la portée du projet de loi
n° 59 de vraiment mentionner explicitement que ça s'applique
nonobstant l'article 21 de la LSSSS.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
...une question plus globale. Il y a une première partie très contestée du
projet de loi. La deuxième, on
cherche vraiment les amendements pour en faire une loi plus forte, une loi qui
puisse vraiment atteindre ses objectifs. Mais, sur la première partie, vous nous avez beaucoup parlé des
problèmes de traitement des jeunes. On n'a pas pensé qu'il y a des gens qui pouvaient être visés par ça
qui pouvaient avoir moins de 18 ans. Est-ce qu'on ne serait pas mieux, si
jamais la loi avance... Encore là, je pense qu'il devrait y avoir une remouture
complète de la partie I, à tout le moins le gouvernement devrait scinder et déposer une nouvelle partie I.
Mais, dans ce cas-là, est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir... est-ce qu'il ne pourrait pas être intéressant que
les mineurs soient complètement exclus de la première partie de la loi, ce qui éviterait d'essayer de raccommoder partout?
Parce que, là, on essaie d'introduire des raccommodages... Je ne veux pas vous... je ne veux pas avoir... ce n'est pas
une opinion politique, là, c'est : Est-ce que ce serait faisable, d'après
vous, de dire : On enlève carrément les mineurs puis on laisse ça à la
DPJ, qui est l'autorité avec laquelle nous pensons que les enfants
doivent être protégés?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
• (17 heures) •
Mme
Dionne (Michèle) : On en a discuté, on a vraiment soupesé les pour et
les contre, puis honnêtement on a jonglé
avec l'idée d'une telle recommandation en même temps qu'on se disait :
Dans les situations... Puis là on essayait de voir le genre de situation puis on avait du mal à se les représenter,
ceci étant dit, mais on se disait : Dans les situations où ni la Loi sur
la protection de la jeunesse ni la LSJPA ne s'applique, bien, on se disait,
l'enjeu de la responsabilisation n'est
quand même pas banal. Et, dans ce sens-là, quand on dit, nous, que le statu quo
n'est plus possible, on se dit : Il faut passer à un autre niveau, là, puis collectivement se responsabiliser et
responsabiliser nos jeunes. Et, dans ce sens-là, bien, qu'il y ait une autre manière d'adresser cette
question-là et de responsabiliser nos jeunes, bien on se disait : Il y a
quelque chose qui peut être intéressant.
En même temps, on répond ça en se disant toujours : Oui, mais dans le respect des grands principes qui doivent guider l'intervention auprès des jeunes, par ailleurs, donc vraiment dans une perspective, je dirais, d'abord d'éducation, de réadaptation avec des parents, des parents qui ont rôle à
jouer. Ça fait que c'est...
Mais on a vraiment
jonglé entre les deux et on en est arrivé plus à dire : Non, on ne va pas
faire la recommandation de les exclure, en donnant un poids un peu plus important à la notion de responsabilisation. Mais il faut vraiment
lire notre recommandation avec l'approche et les valeurs qui doivent
soutenir cette intervention-là.
Mme
Maltais : ...groupes ont dit : On a gagné beaucoup
justement par l'éducation, par la formation, à contrer la haine au Québec. Vos recommandations
vont dans le sens aussi d'aller plus vers la réinsertion ou la... et non pas
vers la punition, l'amende. Moi, j'ai
regardé. Les sanctions financières, ça n'a pas d'allure, pour les jeunes; la
liste, ça n'a pas d'allure. On va à
l'encontre de toute la vision qu'on a du développement de la jeunesse québécoise.
Merci. Merci beaucoup.
Le Président (M. Hardy) : Merci
beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période d'échange avec le deuxième
groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la parole pour une
période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, mesdames, merci d'être ici. Je vois entre autres, Mmes Dionne, Bérard et Bergeron,
Me Bergeron qui est coordonnatrice des services juridiques au CISSS de la
Montérégie-Est. Alors, c'est chez nous. Bienvenue chez vous.
J'aimerais
qu'on revienne... Ma collègue a abordé brièvement l'affaire Shafia. C'était en
2009, la direction de la protection
de la jeunesse avait été interpellée à l'époque. Bien de l'eau a coulé sous les
ponts depuis. Maintenant, on est beaucoup plus conscientisés, on
comprend des choses auxquelles on faisait moins face ou on était moins
sensibilisés.
Alors, depuis
ce temps-là, pouvez-vous nous donner une idée de grandeur, concrètement... on
parle de protéger les jeunes ici,
mais, concrètement, une idée de grandeur peut-être de cas de signalement
où il y a des enfants... où il y a de l'abus à l'encontre des jeunes mais un abus qui
est vraiment, ici, culturel, religieux, là? C'est de ce type
d'abus là dont il est question parce que... dans le contexte de la radicalisation, là, et des crimes d'honneur.
Pouvez-vous nous donner une idée de
grandeur? Ça ressemble à quoi, les dénonciations? On en est où? Est-ce qu'il y
a des types, par exemple, d'abus qui
sont commis sur les jeunes qui sont plus problématiques que d'autres? Sur quoi
est-ce qu'il faut vraiment, là, miser et travailler?
Le Président (M. Merlini) :
Mme Bérard.
Mme Bérard
(Madeleine) : D'abord, je
dois préciser que les violences basées sur l'honneur ne font pas référence
nécessairement à des notions de religion, c'est vraiment plutôt une question de
contrôle excessif pour toutes sortes d'idéologies. Donc, première chose.
Ce que je
vous dirais, en termes de volume, c'est qu'on a développé dans les deux centres
jeunesse des guides de pratique, des
grilles de dépistage qui nous ont permis de vraiment raffiner notre
intervention et qui nous ont vraiment
permis de mieux intervenir dans ces
situations, de mieux les voir, de mieux les dépister et de mieux intervenir. En
termes de volume, ce que je peux vous
dire, c'est que, pour nous, au centre jeunesse Batshaw, il est question d'une
douzaine de cas par année, alors
qu'avant on n'en voyait pas du tout, qui nous sont vraiment dépistés sous cet
angle-là. Ça reste encore marginal,
sauf que ça demande une intervention qui est complètement différente de nos
paradigmes habituels. Donc, il a
vraiment fallu penser à des façons différentes de travailler avec ces
jeunes-là.
Le Président (M. Merlini) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui. Vous nous disiez d'ailleurs tout à l'heure dans vos propos, par exemple,
les mariages forcés, la fille craque, elle
nous parle puis elle nous dit qu'elle s'en va en voyage. Donc, quand vous
parlez de vos 12 cas, ça inclut
ça... ou si on pouvait une vision un
peu plus globale? Vous dites...
Directeurs régionaux de la protection de
la jeunesse sur quel... Quand vous dites 12 cas, là, sur quel territoire? Ou est-ce qu'on a portrait plus global de la situation?
Oui?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : Bien, en fait,
sur le territoire de Montréal il y a deux DPJ qui agissent, hein? Donc, si on le regarde pour le grand territoire
de Montréal, Mme Bérard parle d'une douzaine de situations au
cours d'un an. Et, si je le regarde pour la clientèle francophone,
allophone, pour l'année 2014 on a eu environ... nous, on a dépisté environ 27 situations. Il faut bien se comprendre que
dépister, c'est vraiment de se dire : Il y a des indices qui nous permettent de craindre, au fond, de
croire qu'il y a peut-être une problématique ou des enjeux liés à des questions d'honneur, mais là c'est vraiment assez large. Et à l'intérieur de ça, bien sûr,
il peut y avoir des éléments de menaces d'un mariage, d'aller dans le
pays d'origine puis de marier... Alors, c'est englobé.
C'est sûr
que, sur le volume des signalements qu'on reçoit, ça reste quand même
marginal, mais c'est sûr que, vous
l'avez dit, vous l'avez mentionné, la situation, la triste situation de la famille
Shafia, bien, évidemment, c'est un drame qu'on ne veut plus voir se reproduire. Et, dans ce sens-là, bien, évidemment,
même si on est dans un petit nombre, on a essayé vraiment à la fois de se doter d'un cadre de pratique et
d'outils mais aussi d'encadrer professionnellement, cliniquement les intervenants qui doivent faire
l'intervention, pour bien juger. Parce
qu'on est aussi sur une fine ligne,
hein? Il ne faut pas glisser de l'autre côté, par ailleurs, et d'avoir une pratique défensive, et de se dire :
On ne veut tellement pas qu'il arrive quoi que ce soit que tout à coup on tombe dans de l'abus ou de la stigmatisation. Alors, on essaie vraiment, je dirais, d'accompagner les
intervenants, de développer notre
pratique. On travaille avec des organismes externes aussi, avec un ensemble de partenaires qui ont une
connaissance de ces questions-là, et on réfléchit et on travaille ensemble.
Des chercheurs sont associés aussi, parce
qu'il y a de la recherche qui se fait. On regarde ce qui se fait au Canada, ce
qui se fait aussi au plan international pour être le plus possible à la
fine pointe des bonnes pratiques.
Le Président (M. Merlini) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. J'aimerais vous amener, dans vos conclusions, à
une question de droit, là. La page 21, vos recommandations, la recommandation n° 5, j'ai été un petit peu surprise. Probablement que je suis ignorante, alors je vous pose la question. Vous nous
dites : «Pour les situations donnant lieu à l'intervention de la [commission] et du Tribunal des droits de la personne à l'égard
des mineurs, introduire des garanties procédurales en respect des
principes énoncés, dont celles concernant : la non-publication du nom,
l'anonymisation des jugements, la comparution
à huis clos, l'appel de plein droit», etc. Alors, vous dites : Introduire
des garanties procédurales. Est-ce à dire — et c'est là que je suis ignorante — que la procédure entourant la comparution des mineurs n'existe pas actuellement devant la commission ou devant
le Tribunal des droits de la personne?
Le Président (M. Merlini) :
Me Bergeron.
Mme
Bergeron (Annick) : Bien,
c'est ce que je comprends, c'est ce que je comprends. Nous, dans le fond, on vous demande d'importer...
en fait on demande que soit prévu d'importer les mêmes garanties procédurales
que celles qui sont prévues, là, entre autres, là, quand on a des jeunes en protection de la jeunesse devant la
chambre de la jeunesse, soit qu'ils comparaissent
en vertu de la LSJPA ou en vertu de la Loi sur la
protection de la jeunesse. Mais, de ce que je comprends, c'est que ce n'est pas prévu, là, par les règles
qui sont prévues dans la charte, là, qui s'appliquent au Tribunal des droits
de la personne.
Mme Roy
(Montarville) :
...quelque chose à cet égard.
Par ailleurs, on parlait tout à l'heure du fameux article 33, le contrôle
excessif, et par ailleurs on parlait
également de l'article 38 et
suivants. J'aimerais vous amener sur le 38 et suivants, puisque, le 33, le
travail a été fait. Dans ces articles, là,
malgré que ce ne soit pas un motif de compromission, est-ce que vous êtes
d'accord que l'endoctrinement, les prêches, les enseignements qui visent à galvaniser, à radicaliser les jeunes, les
jeunes vulnérables, on s'entend, sur le plan psychologique, a pour effet de compromettre leur sécurité, leur
intégrité? En d'autres mots, est-ce que ça pourrait devenir un motif de compromission, le fait d'endoctriner les jeunes?
Parce qu'il ne faut pas oublier l'objet de la loi. On parle de contrer la
radicalisation, on parle de contrer le fait
que des jeunes s'endoctrinent et s'en vont à l'étranger. C'était, à l'origine,
le but de tout le plan, la
radicalisation, du gouvernement, et là on arrive avec cette loi-ci. Est-ce que
vous pensez donc qu'on devrait faire un motif de compromission, le fait
d'endoctriner les jeunes?
Le Président (M. Hardy) :
Mme Dionne.
Mme Dionne
(Michèle) : En tout cas, on n'a pas retenu cette avenue-là. Puis, dans la Loi sur la protection
de la jeunesse, c'est rarement des
grandes catégories ou des grands concepts qui sont des motifs de
compromission, c'est des comportements,
c'est des faits, c'est des gestes et... Alors, c'est sûr qu'il y a une prudence à y avoir aussi quand on
ouvre des grandes catégories, de se
dire : Bien, qu'est-ce que ça représente? Qu'est-ce qu'on met là-dedans?
Quand est-ce que ça compromet la
sécurité ou le développement? Alors, c'est sûr que, je dirais, à chaque fois
qu'il y a des éléments... des raisons
de croire que la sécurité ou le développement est compromis, c'est qu'il y a
probablement une menace à quelque chose,
et c'est la menace à cette affaire-là qui va être examinée et qui va
probablement s'apparenter à l'un ou l'autre des alinéas qui sont... qui
est déjà visé, là, qui est déjà précisé dans la loi.
Le Président (M. Hardy) :
Mme Bergeron.
Mme
Bergeron (Annick) : Et, si je peux ajouter aussi, c'est sûr que ce qui est prévu aussi, et là je
vous ramène à l'article 33
du projet de loi, on ajoute : «Aucune considération, qu'elle
soit d'ordre idéologique ou autre, [...]ne peut justifier une situation prévue [à l'article 38].» Donc, je pense qu'on ne fait pas
référence de façon spécifique
à l'endoctrinement, mais je
pense que, quand on vient énoncer
comme principe qu'un motif idéologique ne peut pas justifier un comportement comme celui-là, ça répond quand même
à cette question-là de façon peut-être un
petit peu plus large, là.
Le
Président (M. Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui. Recommandation n° 10,
la dernière en page 22 : «Ajouter une disposition s'inspirant de l'article 271 du Code civil
qui pourrait se lire ainsi : Une requête en protection peut être demandée
à la Cour supérieure dans l'année
précédant la majorité. Le jugement ne prend effet qu'à la majorité.»
Pourriez-vous élaborer? Je crois comprendre que c'est pour protéger les
jeunes après 18 ans, mais pourriez-vous élaborer?
Le Président (M.
Hardy) : Mme Bergeron.
Mme Bergeron
(Annick) : Ou, bien ça peut être une longue réponse, je vais tenter
d'être concise.
Le Président (M.
Hardy) : Il vous reste une minute.
• (17 h 10) •
Mme Bergeron (Annick) : Ouf! En fait, on vient demander de préciser la
juridiction des tribunaux par rapport, justement, aux ordonnances qui peuvent être rendues. On
demande de préserver la juridiction de la chambre de la jeunesse, qui a déjà une juridiction, là, qui est prévue par
le Code civil et par la Loi sur les tribunaux judiciaires, en matière de jeunes, pour l'application LPJ, LSJPA. On vient vous demander de maintenir cette juridiction-là et
de la clarifier dans le cadre du projet de loi. Ça, c'est le premier volet. Et,
ce faisant, on demande, pour éviter, par exemple, qu'un jeune à 17 ans et
huit mois... que ce soit la juridiction de
la Cour du Québec mais seulement pour quatre mois, donc on dit que, dans le
fond, un an avant la majorité on peut
commencer les procédures pour faire l'arrimage entre les deux tribunaux, pour
ne pas qu'il y ait de vide juridique, pour que le jeune continue d'être
protégé après la majorité.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville, il vous reste
15 secondes.
Mme
Roy
(Montarville) : Cinq secondes, le temps de vous remercier. C'était très clair comme
réponse, merci.
Le Président (M.
Hardy) : Merci de votre contribution.
Nous allons suspendre
nos travaux quelques instants, et j'inviterais les représentants de
l'Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent à prendre place à
la table des témoins.
(Suspension de la séance à
17 h 11)
(Reprise à 17 h 13)
Le Président (M.
Hardy) : Nous reprenons nos travaux, mais avant je demanderais le
consentement pour terminer au-delà de l'heure prévue. Il y a consentement?
Merci.
Je souhaite la
bienvenue à l'Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent. Je
vous invite à vous présenter et je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé.
Observatoire sur la radicalisation et
l'extrémisme violent (OSR)
M.
Morin (David) : Merci, M. le Président. Alors, 10 minutes, pour des universitaires, c'est toujours un défi, mais
on vous promet de faire aussi vite qu'on pourra et de ne pas dépasser le temps
qui nous est imparti. M. le Président, Mmes
et MM. les ministres, Mmes et MM. les députés, au nom de l'Observatoire sur la
radicalisation nous vous remercions pour votre invitation pour nous
exprimer sur le projet de loi n° 59.
Alors,
pour rappel, l'Observatoire sur la radicalisation est une structure
indépendante et non partisane qui regroupe des chercheurs et des experts de toutes disciplines et domaines d'action, qui fait à la fois de la
recherche-action, de plus en
plus de la formation et finalement essaie de participer de manière constructive
au débat public sur les enjeux liés à la radicalisation et à l'extrémisme
violent.
En
préambule à notre intervention, nous souhaitons évidemment rappeler
l'attachement de l'ensemble des membres de l'observatoire à la fois à la vigilance face aux discours haineux et à
tout discours incitant à la violence et dans le même temps son
attachement à la liberté d'expression, qui nous semblent être deux principes
cardinaux de la démocratie au Québec. De ce fait, nous reconnaissons l'importance, le défi et l'intention louable du législateur pour lutter contre
les discours haineux sous toutes leurs formes.
Plusieurs
préoccupations ont déjà été faites jour concernant le projet de loi n° 59.
Parmi celles-ci, nous souhaiterions
simplement en reprendre trois. La première est évidemment la nécessité de
préciser un certain nombre de termes
tels que ceux de «discours haineux» ou de «sécurité morale», par exemple. Nous
y reviendrons tout à l'heure. Un deuxième
élément que nous avons retenu aussi à ce stade, c'est la portée des sanctions
civiles, en particulier notre préoccupation
par rapport au fait de publier une liste de noms de gens qui pourraient être
donc reconnus de propos haineux ou de propos incitant à la violence. Un
troisième élément, évidemment, qui a déjà été souligné, c'étaient les possibles
chevauchements entre ce projet de loi ou cette loi, ce qui deviendrait loi, et
puis le Code criminel.
Ces
préoccupations sont connues, et nous prenons acte de l'intention du
législateur, puisque c'est notre compréhension,
de remédier à certaines d'entre elles dans une version améliorée du projet de
loi. Ceci dit, conformément au mandat que l'observatoire s'est donné, nous
avons décidé d'analyser ou de lire le projet de loi au regard de l'objectif
qu'est la lutte contre la radicalisation, et c'est donc sur cette question bien
précise que nous allons développer ici trois éléments.
M.
Leman-Langlois (Stéphane) : Donc, moi, mon nom est Stéphane
Leman-Langlois, aussi codirecteur de l'OSR.
Le
premier élément qui nous préoccupe un peu, chez l'OSR, c'est la façon dont le
discours est défini dans le projet de loi. On accepte tout à fait... il
est légitime de se préoccuper du discours, du langage qui est utilisé en tant
que non seulement descriptif, mais
constitutif de la réalité. On est un peu en sciences sociales ici, et donc,
oui, c'est une préoccupation légitime
d'essayer d'étudier, de comprendre la portée du discours. Cela dit, ma première
remarque là-dessus, c'est le fait que
c'est quand même relativement peu défini dans la loi, quelle est la portée au
juste de ce fameux projet de loi. On
a d'un côté le discours qui mène à la violence, ça, ça va, c'est quand même
relativement clair, mais le discours haineux,
là, il y a deux catégories qui se sont dessinées qui sont vraiment exclusives,
là, dans le projet de loi. Donc, le discours
haineux qui ne mènerait pas à la violence, ça nous pose un problème de
définition. On n'a pas... On trouve que ce n'est pas assez clair, on ne sait pas trop de quoi il s'agit, et il y
a une possibilité que cette portée-là soit beaucoup trop grande. Donc, cela dit, ça ne veut pas dire qu'on
n'est pas d'accord avec le fait de contrôler ou de surveiller les discours
en général, sauf que, dans ce cas-ci, la
question qui se pose à nous, c'est vraiment la façon dont, bon, les personnes
vont subjectivement amener ces discours-là devant, bon... en faisant un
processus légal.
Le deuxième, c'est... Bon, nous, on se préoccupe
de la radicalisation, donc, mais de la radicalisation qui va mener à de la violence, pas seulement du discours
radical. Bon, discours radical, on peut en discuter plus ou moins, mais grosso
modo ce qui nous importe, c'est quand la
conséquence va être un acte de violence. Et, à ce moment-là, ce qu'il faut
noter, c'est que le discours haineux,
même si ça semble logiquement lié à la violence, ça semble même logiquement
mener à la violence, en réalité ce
n'est pas le cas, on peut tout à fait tenir un discours haineux pendant une vie
sans jamais que ça mène à un acte de
violence, on voit ça avec plusieurs groupes dans la société. Donc, ça, c'est la
première chose. Donc, si on veut
faire la prévention de la radicalisation violente, le discours haineux n'est
pas un levier qui va permettre de faire cette chose-là.
Troisième chose qu'on voulait ajouter, c'est qu'il
y a comme une... on a l'impression que la radicalisation est une espèce de maladie ou de défaut de pensée qui est
causée par ce discours-là, et encore là on s'aperçoit, à l'étude des cas des
personnes qui se sont radicalisées, qu'en
fait le discours de haine était souvent très accessoire dans ce processus-là,
était un des facteurs parmi beaucoup d'autres qui ont mené...
(Interruption)
M.
Leman-Langlois (Stéphane) : ...excusez, qui ont mené à cette
radicalisation-là, et donc... Ça, c'est mon temps, je m'excuse, ça fait bip-bip parce qu'on s'est
séparé le temps. Je vais m'arrêter là et je vais passer la parole à
M. Berthomet.
• (17 h 20) •
M. Berthomet (Stéphane) : Bonjour. Stéphane Berthomet. Je suis donc
codirecteur de l'observatoire. Je vais donc poursuivre.
En
fait, ce qui nous a intéressés, c'est de comprendre et de replacer peut-être
dans le contexte de ce projet la place du
discours radical dans le processus de radicalisation. En tant que discours, en tant que message, le
discours haineux est effectivement un outil d'endoctrinement. C'est effectivement
à la fois un des éléments de l'endoctrinement, un des éléments visibles, mais c'est aussi un outil actif de l'endoctrinement
d'autres individus et dans cette vision de ce que peut être le discours haineux et ce que mes confrères
ont délimité d'une façon peut-être un peu plus précise qu'il ne l'a été dans le texte même du projet de loi, c'est-à-dire de parler d'un côté du discours haineux et du discours qui incite à la
haine en passant jusqu'au discours qui incite à la violence.
Comme
le disaient mes collègues, le discours qui incite à violence est déjà
couvert par le Code criminel, donc on l'a écarté du champ de nos
réflexions. Que faire face au discours haineux et face au discours qui incite à
la haine? Eh bien, il y a
deux solutions : il y a celle de l'interdire, évidemment, et il y a celle de le laisser dire, de le laisser entrer
dans le champ social. C'est évidemment
la question qui nous préoccupe, puisque nous avons constaté
souvent que, dans les échanges qui sont menés publiquement ou sur les
réseaux plus fermés, que ce soient les réseaux sociaux ou les endroits où se discute ce genre de chose, eh bien,
l'interdiction n'avait pas toujours un effet très efficace. En fait, si on interdit le discours haineux et le discours qui
incite à la haine — et
encore une fois on laisse ici au législateur le soin de peut-être mettre
avec plus de précision la barrière, l'endroit où il souhaite qu'elle soit mise — on
n'empêchera pas le discours haineux, on ne
bloquera ce discours haineux. On va créer une judiciarisation, on va créer, en
fait, de plus en plus de passages
devant des instances répressives, mais on va continuer à avoir ce discours
haineux qui va exister de façon cachée.
Il va se replier, il va se renfermer dans des endroits où on l'atteindra de
moins en moins. Alors, évidemment, c'est une problématique très complexe,
hein?
On
parle aussi, en mettant des verrous qui soient des verrous répressifs sur ce
discours, de la réduction de l'espace démocratique.
La réduction de l'espace démocratique, c'est exactement l'argument des
radicaux et des extrémistes, qui prétendent
que nos sociétés ne sont pas des
vraies sociétés démocratiques, et qu'on limite, et qu'on brime la parole et la
liberté d'expression, donc, ce faisant, on fait malheureusement, par un
résultat pervers, le jeu du discours radical.
Dernier
point : on s'attaque assez peu, au sens de ce qu'on a vu dans le texte, au
discours radical qui est plus caché, qui
est plus dissimulé, celui qui s'exprime notamment sur les réseaux sociaux, et
vous savez que c'est un des vecteurs de radicalisation extrêmement
importants et qui, à notre sens, est sous-estimé.
Je terminerai en parlant de l'impact
de la répression et de la fermeture de ce discours dans un espace répressif.
D'abord, pour les policiers et pour les
agents de renseignements, évidemment, plus le discours s'exprime, plus il fait
l'affaire des agences de
renseignements parce qu'il leur permet de collecter de l'information et il leur
permet de voir qui sont les personnes qui agissent sur ces questions-là
et donc de mieux les identifier et de mieux mener leurs enquêtes.
Ensuite,
dans le système scolaire, dans le milieu où on doit justement discuter de ces
questions très en amont, si on ferme
la parole, si on bloque la verbalisation même de ce qui peut être un discours
que nous ne partageons pas, que nous considérons
comme, du point de vue de la morale, répréhensible, eh bien, on va fermer aussi
le champ du débat et on va donc
fermer le champ du dialogue. Et nous avons été amenés à intervenir à plusieurs
reprises dans des cégeps et dans des endroits où justement on devait
discuter de ces questions-là, et il faut laisser la parole libre pour qu'on
puisse arriver, justement, à avoir un contre-discours.
Je
terminerai très rapidement pour dire que cela exerce une pression sociale sur
certaines des personnes qui se trouvent en plein coeur de ce discours
radical, notamment les familles, les proches des individus radicalisés, qui
vont avoir de plus en plus de craintes de justement signaler ce discours parce
qu'il va tomber dans un champ répressif.
Voilà. Mesdames et
messieurs, je vous remercie de nous avoir écoutés.
Le Président (M.
Hardy) : Merci, messieurs, pour votre exposé. Nous allons maintenant
débuter la période d'échange. Mme la ministre, à vous la parole pour une
période de 25 minutes.
Mme Vallée :
Oui, bonjour. Merci, M. le Président. Merci, messieurs, de votre présence et de
vos réflexions sur le projet de loi n° 59.
Juste recadrer. Évidemment, lorsque vous nous avez
mentionné la nécessité de préciser ce qu'est et ce que constitue un
discours haineux, évidemment on l'a mentionné, on l'a dit, c'est évidemment
qu'un propos... un discours haineux, c'est
un discours ou ce sont des propos qui vont être extrêmes puis qui vont chercher
à dénigrer les membres d'un groupe pour
en faire, d'une certaine façon... on
va attaquer leur statut, on va attaquer le fait qu'elles sont des femmes, on va
attaquer le fait qu'ils sont des
homosexuels, on va attaquer le fait qu'ils sont des personnes handicapées pour
les rendre... pour mettre en place un
système de mépris puis compromettre leur acceptation au sein de la société.
C'est un petit peu ça. Et ça
va amener... évidemment ils vont
préparer le terrain, des propos comme
ça vont préparer le terrain à des attaques plus virulentes à l'égard de
ces groupes-là. Alors, c'est un discours...
Et
là je vous entendais, M. Berthomet, dire : Le discours haineux, c'est
un outil d'endoctrinement, alors vous dites : C'est un outil d'endoctrinement qui est là, qui
existe. Et vous dites : Par contre, on doit permettre que le discours haineux
puisse se tenir pour être en mesure
d'intervenir, mais, d'un autre côté, on permettrait, au nom de... On
permettrait que soient tenus des propos qui incitent à la violence à
l'égard des groupes? J'essaie de comprendre un petit peu là où l'observatoire se situe. D'un côté, vous
dites : Il y a une nécessité
d'encadrer les discours haineux, les discours qui incitent à la violence, vous nous dites que des discours
haineux sont présents dans l'endoctrinement. Nous avions des membres du Conseil du statut de la femme qui, un petit peu
plus tôt, nous disaient que sur certains sites on incitait à poser des gestes
de violence à l'égard des femmes qui... dans
certains contextes, dont dans l'absence de relations sexuelles. Et donc vous
nous dites : Le discours haineux, c'est
un outil d'endoctrinement, mais il ne faudrait pas venir sévir à l'encontre du
discours haineux pour permettre que
ce discours continue de se tenir — j'essaie de comprendre — donc de permettre l'endoctrinement.
Parce que, si on permet au discours haineux... je comprends que vous, vous
souhaitez l'intervention, mais on permet aussi
que l'endoctrinement se continue et on permet aussi que la diffusion de propos
qui incitent à la violence ou qui vont inciter d'autres personnes à la
haine envers un groupe soit dans l'espace public.
Le Président (M.
Hardy) : M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : Oui. Alors, d'abord, il faut comprendre
qu'effectivement on est dans une situation de paradoxe. Ce dont on parle, ce n'est pas de laisser aller le discours
haineux; ce dont on parle, c'est de la réponse qu'on doit apporter au
discours haineux.
Vous
avez parlé des cas de gens qui, sur des sites, incitent à la violence.
L'incitation à la violence, c'est prévu par le Code criminel, 318 et suivants, elle est réprimable par ce
biais-là. La question qui nous est posée dans l'intervention qu'on mène sur ce texte de loi, c'est de savoir
par quel moyen on répond au discours haineux. C'est pour ça que j'ai exprimé
tout à l'heure le fait qu'il y avait peut-être
un distinguo à faire, qui n'est pas fait dans le texte, entre le discours
haineux, le discours qui incite à la
haine sur une communauté ou un groupe déterminé à l'article 10, comme vous le
signaliez, et quelle réponse on peut donner en fonction de la graduation
de ce type de discours là.
Le
discours haineux, si on l'interdit de fait et si on ne laisse pas la place à un
contre-discours puisque finalement ce
à quoi on répond, c'est uniquement par la répression, eh bien, on va le laisser
s'enterrer, on ne le soignera pas, on ne le résorbera pas. Et la question qui est éminemment délicate... Et nous
partageons effectivement vos réflexions sur le fait que l'objectif final est de lutter contre la
radicalisation et d'empêcher ce type de discours de se développer, mais, si on
croit qu'on l'éteint par la répression,
alors qu'en fait il se continue d'une autre façon ou d'une façon plus
souterraine, on n'a pas résorbé cette problématique-là, on n'y a pas
répondu.
Alors,
notre point, et ce n'est pas un point qui est définitif dans le sens où il ne
s'agit pas d'une solution proposée, il
s'agit d'une interrogation qui est la nôtre sur cette problématique-là, c'est
de dire : Quand on parle d'un discours haineux, est-ce qu'il n'est pas préférable de laisser quand
même le champ de la liberté d'expression, ce que vous disiez que... Ce discours haineux, finalement, on le laisserait
aller au nom de quoi? Bien, au nom de la liberté d'expression, au nom de la
liberté d'opinion. Et là on pourrait entrer
dans le champ du débat pour, par un contre-discours, par des contre-arguments,
par le débat social, arriver à le contrecarrer.
Le
Président (M. Hardy) : Mme la ministre.
• (17 h 30) •
Mme
Vallée : Je pense qu'il est important de faire une distinction.
Vous faites référence et d'autres ont fait référence aux dispositions du Code criminel qui existent.
Effectivement, des dispositions du Code criminel existent pour contrer la propagande haineuse, ce sont des dispositions
qui vont venir punir et qui vont venir dissuader. Mais là où on veut aller,
c'est plus loin, c'est-à-dire qu'on veut
prévenir, on veut empêcher que se tienne un discours... Lorsqu'on incite à la violence à l'égard d'une femme, lorsqu'on
incite au viol à l'égard d'une femme, on ne peut pas permettre qu'un discours
comme ça se tienne au nom de la
liberté d'expression, ce n'est pas acceptable. Et ça, c'est des propos... Et le
projet de loi permet de
rendre... d'un côté civil donne des outils pour permettre entre autres, notamment, l'émission d'une injonction pour ne pas que ce discours-là puisse être diffusé; permet
aussi des sanctions non seulement à l'égard de la personne qui le propage mais aussi à l'égard de ceux et celles qui
acceptent que ce discours-là soit diffusé au sein de sa salle ou sur sa
plateforme. Bref, c'est...
Et
je pense qu'il est bon d'utiliser... Bon, il y a la
question du sexe, les femmes, mais il y a
les handicaps, il y a eu des
discours épouvantables aussi qui ont porté envers les personnes vivant avec un
handicap, envers les homosexuels, et
il n'est pas tolérable de tolérer cet appel à la violence à l'égard des
groupes, à la haine à l'égard des groupes prévus au nom de la liberté d'expression. Et c'est un peu ce que la Cour suprême a dit, c'est qu'il arrive un moment donné où, les droits, et il n'y a
pas de droit supérieur, il n'y a pas de hiérarchisation dans les droits qui sont
protégés par la charte, et, dans une société
libre et démocratique, on doit trouver ce point de rencontre où, par exemple, la liberté d'expression n'est plus tolérable. Et évidemment ce
sont dans des cas extrêmes, parce que, comme on l'a mentionné, critiquer une religion, ce n'est pas un discours haineux, on
s'entend là-dessus, et la satire n'est pas un discours haineux, mais
il faut quand même
faire attention que la liberté d'expression ne soit pas utilisée non plus comme
un outil pour accepter des discours qui inciteraient à la violence à
l'égard des gens, ce n'est pas... Et nous croyons que le projet de loi... Oui,
il y a des dispositions qui existent dans le
Code criminel, mais ce projet-là permet des outils
supplémentaires dans la société civile pour
empêcher... et pour venir répondre plus rapidement, avant que le fait
ne soit... avant, parfois même, que le discours ne soit prononcé, si ça
permet d'éviter, par exemple, la venue d'un conférencier qui est connu pour ses
propos.
Le Président (M.
Hardy) : M. Leman-Langlois.
M.
Leman-Langlois (Stéphane) :
J'entends beaucoup de confusion entre discours haineux et discours
qui mène à la violence. Vous échangez
un avec l'autre. Nous, on n'a pas dit, personne... Je pense avoir écouté, là, personne n'a dit qu'on devait
laisser les gens inciter à la violence, là.
On
parle de discours haineux, et, de la façon dont vous l'avez défini, je ne
serais pas d'accord avec vous que ça prépare
le terrain à de la violence. Le discours haineux, là, ce n'est pas quelque
chose qui est tout à fait nouveau dans notre société, hein, il n'y a pas d'urgence d'agir là-dessus maintenant, c'est
un discours qui n'incite pas à la violence... à moins qu'il y ait une erreur dans le projet de loi
lui-même et qu'en fait on fasse le discours haineux qui incite à la violence,
et non pas les deux, mais le projet de loi ferait vraiment une
distinction entre les deux.
Et,
nous, ce qui nous préoccupe le plus, c'est quand le discours haineux est visé
pour une intervention étatique de contrôle, incluant créer des listes
d'ennemis du royaume qui vont rester à perpétuité. On pense vraiment qu'il y a
un dérapage potentiel ici dans le cas...
dans une société libérale où en principe on devrait avoir un droit à
l'expression. C'est pour ça
d'ailleurs que c'est plus difficile de faire la poursuite de ces gens-là dans
le Code criminel, c'est parce que le Code criminel a beaucoup plus de manières de sauvegarder le droit des accusés
que le processus qui est présenté maintenant dans ce projet de loi là.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Simplement, lorsque j'ai parlé... lorsque je vous ai
donné des exemples de discours haineux ou de discours... haineux, en effet, ce sont des exemples tirés de l'arrêt de
Whatcott. Donc, ce n'est pas ma définition, ce sont des extraits de la
décision de la Cour suprême. Alors, la Cour suprême a clairement défini... a
défini ce qu'il en était.
Maintenant,
est-ce qu'il serait opportun, dans le projet de loi, de définir davantage la
portée de discours haineux, puisqu'on introduit un concept de droit
nouveau au Québec, outre le Code criminel, qui n'est pas prévu? Moi, je l'ai
mentionné, je suis ouverte à étudier cette question-là.
Maintenant, pour ce
qui est du discours haineux, moi, je revenais également aux propos de votre
collègue qui disait : Les discours
haineux, c'est un outil d'endoctrinement, mais on doit permettre que ces
discours-là puissent avoir lieu pour éviter qu'ils soient cachés et
repliés sur soi. Alors, c'était l'échange. Et puis je pense qu'on peut ne pas
être d'accord sur certaines choses.
Le Président (M.
Hardy) : M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : Oui. Je vais juste préciser et être plus clair
pour qu'effectivement on continue sur des bonnes bases. Quand on parle de discours haineux,
on parle d'un certain type de discours, c'est-à-dire : Je vous
hais — ça,
c'est un discours haineux — je
hais telle communauté, telle personne. Quand on parle d'un discours qui incite
à la haine : Je pense que nous
devrions tous haïr telle personne ou tel groupe de personnes. Quand on parle
d'un discours qui incite à la violence : Nous devrions tous nous en
prendre à tel groupe de personnes.
Il est
évident que tous les appels à la violence doivent être condamnés et réprimés
avec force de loi, de la façon la
plus ferme qui soit. Je ne peux pas entendre de votre bouche que vous disiez
que j'ai laissé la part à ce genre de chose. Je vous le dis, il est évident — notre
position est très claire là-dessus — que tout appel à la violence, toute
incitation à la violence doit être réprimée de la façon la plus ferme
qui soit.
Maintenant,
il y a la question de ce qu'on appelle le discours haineux. Et, quand je
dis : On doit laisser peut-être la
place à l'expression de ce discours-là, c'est pour le combattre; non pas pour
le laisser s'exprimer et vivre en tant que tel, mais pour le combattre dans le champ du débat, du dialogue, du débat
d'idées plutôt que dans le champ de la répression. Je pense
qu'effectivement... On ne semble pas d'accord là-dessus, mais c'est une base de
discussion, voilà.
Le Président (M.
Hardy) : M. Morin.
M.
Morin (David) : Oui. En fait, tout à fait, probablement que le projet
de loi n° 59 pourrait permettre de faire taire, par exemple, des agents de
radicalisation, soit quelqu'un qui prêche dans un centre communautaire soit
quelqu'un qui écrit un blogue, etc.
De ce point de vue là, il peut y avoir un intérêt. Mais, dans un discours, il y
a l'émetteur et il y a le récepteur,
et, nous, ce qui nous intéresse, c'est : Pourquoi est-ce que des jeunes
peuvent être, finalement... entendre ce discours-là? Pourquoi est-ce qu'ils peuvent le faire leur? Pourquoi
est-ce que ça imprègne, ça percole dans leur tête? Et je pense que c'est là où se situe le débat, de
dire : Qu'est-ce qu'on fait si des jeunes effectivement reprennent à leur
compte ce type de discours?
Et
je vous donne un exemple. Pas plus tard que la semaine dernière, je suis allé,
moi, dans un centre jeunesse, on a
fait l'expérience aussi dans un de mes cours. Vous seriez surpris de savoir le
nombre de jeunes et moins jeunes, donc de 13 à 22 ou 23 ans, qui
font leurs les théories complotistes suite au 11 septembre. C'est
effarant, je vous le dis.
Et
donc qu'est-ce que nous, on fait ici en tant qu'éducateurs, en tant
qu'enseignants, vous au niveau des pouvoirs publics? Et je pense que, là, ces jeunes-là, on ne peut pas réprimer ce
discours-là, il faut l'entendre, il faut le comprendre et il faut engager le dialogue, proposer des contre-narratifs,
leur dire : Pourquoi est-ce que vous... d'où est-ce que vous tenez
ces informations-là, quelles sont vos sources?, éventuellement en discuter dans
les cours d'éthique et de culture religieuse,
donc engager le débat. L'agent de radicalisation, vous avez raison, et puis je
pense qu'on s'entend tous là-dessus, il
faut le neutraliser, mais vraiment nous, on s'intéresse à savoir pourquoi
est-ce que ce discours peut vraiment percoler, et je pense que c'est là
qu'il faut effectivement peut-être ouvrir le dialogue.
Vous
savez, à l'heure actuelle, la question du djihad, la radicalisation djihadiste
s'apparente à une contre-culture. Qu'on
le veuille ou non, c'est exactement ce qui est en train de se passer en Europe.
Une contre-culture, c'est celle qui s'oppose
à la culture dominante libérale démocratique. Et, partant de ça, à ce
moment-là, comment est-ce que nous, on essaie
d'opposer des arguments positifs? Et beaucoup de choses dans ce discours-là,
précisément, c'est qu'on est en train de
faire taire tout ce qui ne nous plaît pas, nous, en tant que société
démocratique. Alors, le combat, la prévention montre que, non, non, non, nous sommes plus à cheval sur
les libertés d'expression, etc., et on est capables, avec ces jeunes-là, d'engager le discours bien en amont, bien avant
que ce discours, effectivement, ne soit teinté d'incitation à la haine, voire,
effectivement, d'actes de violence, etc., et donc c'est plus là, et je pense
que votre projet de loi le soulignait dans son article 17, la nécessité de faire de la prévention. Nous, on vous
encourage à aller encore davantage dans ce sens-là, mais là, évidemment, ça se fera avec les intervenants
précédents qu'on a vus, probablement avec le ministère de l'Éducation, etc.
Mais je crois que, si on veut parler de
prévention contre les discours haineux, c'est vraiment à ce stade-là, et ce
n'est pas nécessairement avec une
législation... qui a son utilité sur d'autres champs, mais ce n'est pas
nécessairement avec une législation
qu'on va le mieux rejoindre toute cette partie immense qui pourrait constituer,
si vous voulez, le terrain favorable au discours radical. Merci.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
• (17 h 40) •
Mme
Vallée : Certainement que cette législation-là s'inscrit dans
un plan plus global. Et, dans ce plan global, il y a effectivement des mesures qui visent notamment l'éducation, parce
que, pour contrer la radicalisation, il faut aussi pouvoir rejoindre ces jeunes-là. Là-dessus, je suis tout
à fait d'accord avec vous. Il faut
pouvoir comprendre les jeunes, il faut pouvoir rejoindre les jeunes puis
il faut pouvoir aussi parler et échanger avec ces jeunes-là.
Là-dessus, je vais
céder la parole, parce que mon collègue de Chomedey me faisait signe, alors...
Le Président (M.
Hardy) : M. le député de Chomedey.
M.
Ouellette :
Merci, M. le Président. M. Morin, M. Berthomet,
M. Leman-Langlois, bienvenue.
Je
suis un peu déçu. Aujourd'hui, on a entendu notre ancienne collègue
de La Pinière venir nous parler d'un centre de recherche-action et vanter les mérites d'un
observatoire qui, dans sa perception des choses, devrait être plus académique, devrait être... devrait nous... On s'attendrait à
avoir une recherche fouillée, poussée sur différentes choses qui nous interpellent et pour lesquelles on a besoin
d'avoir des réponses, pour lesquelles on a besoin d'avoir les deux côtés de la
façon la plus factuelle possible de certaines
décisions qu'on a à prendre ou de projets
de loi qui sont sur la table.
J'espère qu'on aura peut-être
l'opportunité d'avoir un mémoire ou vos observations par écrit suite à votre
passage devant la commission, parce
que ça aurait été probablement intéressant de connaître, de la part de l'observatoire,
quelle définition vous donneriez au
crime haineux menant à la violence, basé sur une étude exhaustive et factuelle
de ce qui se passe ailleurs. C'est ce que j'aurais pensé qu'on aurait eu aujourd'hui. Je sais que certains d'entre vous, pour avoir lu certains de vos
commentaires sur les réseaux sociaux, faisiez part d'une consultation peut-être un peu trop rapide dans certains axes du plan de radicalisation du gouvernement. Vous aviez l'opportunité et
vous avez encore l'opportunité, justement, de nous faire part de vos idées, de vos suggestions pour
justement meubler le projet de loi, et c'est pour ça que je vous fais part
un peu d'une certaine déception de ma part.
M. Berthomet faisait
état de l'utilisation des réseaux sociaux, faisait état de certaines choses au
niveau... répressives. Je concilie
passablement difficilement le fait que vous soyez d'un observatoire sur la
radicalisation et l'extrémisme... J'ai
l'opportunité de vous lire régulièrement sur les réseaux sociaux, et des fois
il y a des choses qui passent un petit peu plus difficilement. J'en ai une dans les derniers jours où,
M. Berthomet, vous aviez déclaré que les accidents de la route représentent environ 20 % des tués ou blessés
graves par la police au Québec. Totalement, totalement, je vous dirai de
façon très personnelle, totalement déplacé.
Et, en partant du moment où vous êtes dans un observatoire, où on est en
droit de s'attendre de votre part à un
certain éclairage, comme disait Mme Houda-Pepin, plus académique, j'essaie
de voir où vous êtes exactement et où
vous vous situez exactement dans le débat. Ça fait que, si vous pouviez me
rassurer, M. Morin, j'apprécierais.
Le Président (M. Hardy) :
M. Morin.
M. Morin
(David) : Oui, M. le député. Alors, effectivement, où on se situe,
bien vous le savez vous-même, puisque la ministre de la Sécurité
publique, il y a quelques mois, disait elle-même qu'elle n'était pas au courant
des chiffres concernant la radicalisation au
Québec et au Canada, que c'est un domaine extrêmement complexe dans lequel on
doit investiguer, évidemment. Donc,
ça fait effectivement plusieurs mois qu'on est en train de dresser des profils
et que notre étude a commencé. Mais
je dois vous avouer que nous-mêmes, nous sommes un peu déçus parce que cette
étude, pour l'instant, se fait sans
subvention, donc à même les fonds de recherche des deux professeurs que vous
avez ici. Des demandes ont été faites
en ce sens-là, donc nous attendons encore les réponses du côté des
gouvernements fédéral et provincial. Donc, nous-mêmes, nous avançons
effectivement plus lentement que nous ne l'aurions souhaité. Et, comme vous le
savez, il y a aussi ici toute la question des données, de la confidentialité,
donc c'est assez complexe.
Donc,
effectivement, à l'heure actuelle, on avance. Je dois vous dire aussi qu'effectivement nous sommes académiques, nous ne sommes pas... nous nous intéressons au phénomène de radicalisation sous différents
angles. Un projet de loi, évidemment,
comporte des éléments juridiques. Moi, je ne suis pas juriste, je ne suis pas
constitutionnaliste, mes collègues
non plus, donc on ne peut pas, effectivement, sur systématiquement chaque
projet, etc., prendre position immédiatement.
On a un
besoin collectif de données. Nous-mêmes, on a toujours plaidé en faveur de la
recherche. On a vu que votre plan
d'action faisait une belle part à la recherche et on s'en réjouissait. Et donc,
bien, en fait, je vous renverrais la question. Puisque ce plan fait une
grande part à la recherche, nous, on attend effectivement d'avoir des éléments
pour savoir où les fonds de recherche ont
été. On est en contact effectivement avec quelques autres groupes, on essaie de
se fédérer, mais, vous savez, vous
connaissez le milieu académique, c'est un milieu complexe avec beaucoup de
chapelles, il faut évidemment faire en sorte que tous les efforts
convergent. Donc, on travaille là-dessus actuellement et on va probablement être en mesure d'éclore ou en tout
cas arriver à une étude préliminaire, sur laquelle on travaille. Et puis,
vous voyez, derrière moi j'ai des étudiants qui sont pleinement engagés dans
cette recherche-là, mais, écoutez, on est vraiment
sur un terrain complexe en termes de données et d'analyse, surtout que, vous le
savez, au Québec et au Canada, ça ne
fait finalement pas si longtemps qu'on parle de cette question-là. Mais on
travaille fort et à perte pour le moment. Je vous remercie.
M.
Ouellette : Merci,
M. le Président.
Le Président (M. Hardy) : Merci beaucoup.
Oui, M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : Malheureusement,
je regrette qu'on aille sur d'autres terrains que ceux de la radicalisation, mais je vous donnerai les chiffres
des enquêtes indépendantes qui ont été conduites pendant la période sur laquelle j'ai travaillé, et ces chiffres-là sont
ceux du nombre d'accidents, de tués ou blessés graves par la police dans le
cadre de l'ensemble des morts de citoyens
soit au contact de la police soit dans des interventions policières, et ça
représente au bas mot 20 %. Ces chiffres sont exacts. Je m'étonne
qu'ils interviennent dans ce débat-là, mais je tenais à les rectifier auprès de vous. Vous pourrez lire d'ailleurs à ce
sujet-là mon livre, vous verrez qu'ils sont totalement dans le livre et que,
pour l'instant, ils n'ont jamais été remis en cause.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la
période d'échange avec l'opposition officielle. Mme la députée de
Taschereau, à vous la parole pour une période de 15 minutes.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. MM. Morin, Leman-Langlois, Berthomet, bienvenue à
cette commission parlementaire. Merci
de nous ramener au sujet sur lequel les Québécois veulent qu'on se penche, pour
lequel nous devrions être en train de débattre véritablement,
c'est-à-dire contrer la radicalisation.
Vous avez dit
quelque chose, je pense, qui est assez étonnant et, je vais dire, pour des gens
qui sont actuellement en train de
chercher des subventions, courageux, parce que c'est toujours délicat, ces
choses-là, mais vous dites : Il y a un plan d'action sur la radicalisation, et souvent la ministre nous dit que
tout ça fait partie d'un ensemble, un plan d'action, projet de loi n° 59, projet de loi
n° 62, ça, c'est la position gouvernementale, mais le plan d'action sur la
radicalisation porte cela, le projet
de loi n° 59, ça a déjà été dit, ne parle jamais de radicalisation. Ça, ça
a déjà été énoncé. Mais ce que vous
énoncez aujourd'hui, c'est que finalement l'effet pourrait être contraire à
l'objectif visé. Et je vais vous citer, j'ai pris vite la... j'ai pris un bout de phrase, là, qui finissait
par : «Le discours haineux ne constitue pas un levier pour contrer la radicalisation.» La lutte au discours haineux,
vous parlez même... vous avez même laissé sous-entendre que ça... plus que sous-entendre, vous
avez presque dit clairement que ça pourrait nuire. Je voudrais que vous
expliquiez comme il faut, là, aux
gens puis à nous à quel point ça pourrait provoquer que le discours menant à la
violence, parce que c'est celui... ou menant
à la radicalisation pourrait vouloir se dissimuler, les gens qui portent ces
discours pourraient vouloir au contraire disparaître de la face
publique.
Le Président (M.
Hardy) : M. Leman-Langlois.
• (17 h 50) •
M.
Leman-Langlois (Stéphane) : Oui. Effectivement, je pense que la raison
pour laquelle ça peut être contre-productif, c'est qu'effectivement, comme on l'a dit tantôt, quand on pousse un
discours comme ça dans les marges de la société, pour une grande partie de ceux qui recherchent ce discours-là ça le
légitimise, ça lui donne une réputation de vérité au-delà de ce que les conspirationnistes vont appeler le
discours officiel qui par définition est faux, et donc tout ce que le gouvernement veut interdire, bien, devient de plus
en plus vrai. Plus c'est interdit, plus on va le rechercher et plus on va
lui donner cette qualité-là de vérité.
Donc, vous avez tout
à fait raison, à mon avis, de dire que cette loi-là va à l'encontre un peu...
bien même beaucoup de tout un paquet de pans du plan de lutte à la
radicalisation qui a été présenté auparavant, parce que, si on veut faire de l'éducation des gens, par
exemple, comment on fait pour faire cette éducation-là sans que le discours haineux...
bon, c'est ça, qu'il disparaisse? Parce
que la seule... À ce que
je vois dans le projet de loi maintenant, la seule exception qui est faite, c'est
l'exception pour les médias. C'est quand même bizarre, si on dit que le
discours haineux va mener à la violence, qu'on permette aux médias
de l'amplifier, je trouve ça un peu contradictoire. Mais il n'y a
pas d'autres exclusions, comme par
exemple pour un professeur ou quelque chose du genre. Un programme
de déradicalisation qui serait obligé
de ne jamais dire, de ne jamais entendre ou ne jamais prononcer de discours
haineux, c'est pratiquement impossible,
à mon avis. Donc, pour ces deux raisons-là, je pense que vous avez raison de
dire que les deux sont opposés.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci beaucoup. C'est quand même étonnant comme
commentaire, puis je ne l'avais pas vu sous cet angle-là. Comme je vous le dis, on avait le mot, que la
radicalisation n'était pas là, mais qu'en plus ça puisse servir à dissimuler... Mon recherchiste qui est ici me
disait que lui aussi, il avait entendu dire que les jeunes étaient d'accord
avec la théorie du complot sur le 11
septembre, que lui aussi... il me confirmait qu'ils entendaient ça beaucoup
dans les écoles.
Êtes-vous
en train de nous dire qu'en accentuant la répression, c'est-à-dire que ce soit...
pour contrer le discours haineux on aille vers la répression, les
sanctions, l'inscription sur une liste, on pourrait créer quasiment un effet d'engouement ou de... ce n'est pas le bon mot,
peut-être, «engouement», mais d'identité, d'identification autour de la
bataille contre le gouvernement,
contre la société, en allant sanctionner de cette façon-là le discours haineux?
J'essaie de bien comprendre cette partie-là, là. Vous avez parlé de
l'effet mode, je vais l'appeler comme ça, chez les jeunes.
Le Président (M.
Hardy) : M. Morin.
M.
Morin (David) : Oui. Alors, effectivement, c'est une possibilité, mais
encore une fois, je tiens à le dire, il faut, à mon avis, distinguer le
vecteur de radicalisation, celui qui prononce le discours, qu'on va essayer
momentanément d'empêcher de nuire et de
sévir, de ceux qui l'entendent et qui l'écoutent. Donc, moi, mon intervention
tout à l'heure, et je pense que c'est
un souci constant qu'on a, c'est au niveau de la caisse de résonance de ce
discours. Et c'est ce que mon
collègue essaie de dire, c'est qu'effectivement souvent on alimente la
suspicion, on essaie de montrer comment...
Et, vous savez, à
l'heure actuelle, je fais une parenthèse, mais les radicalisateurs savent très
bien profiter des environnements politiques
spécifiques des sociétés dans lesquelles ils essaient de radicaliser, donc ici
c'est évident que le discours
serait : Bien, regardez au Québec ce qui se passe, etc., et je pense que,
si on ne travaille pas à déconstruire les narratifs des radicalisateurs dans les bassins où ils essaient
précisément de recruter, alors là il y a effectivement un risque.
C'est
pour ça que je disais que cette loi ne me semble pas... ce projet de loi ne me
semble pas incompatible avec, effectivement,
un plan de prévention mais qui soit réellement de la prévention, qui soit plus
global et qui, là, cible les bassins dans
lesquels, effectivement, ces recruteurs essaient d'aller chercher les jeunes.
Et donc c'est à ce moment-là, effectivement... Et Stéphane le soulignait, selon moi, à juste titre.
Moi, en tant que professeur, si dans ma classe j'entends un discours haineux,
qu'est-ce que je suis censé faire avec ce
projet de loi? Est-ce que je suis censé dire : Stop! on ne le dit plus. Et
moi-même, parce que je suis dans le
débat public à ce moment-là dans cette classe, c'est un discours public. Est-ce
que je dois, moi, me retourner vers
la Commission des droits de la personne pour dire : Écoutez, un ou deux
étudiants ont tenu ce type de discours
dans mon cours, ou alors est-ce que vous me demandez, moi, en tant
qu'enseignant, de confronter ce discours-là avec ces jeunes dans ma classe et de dire : Mais quel est cet
argument qui tend à stigmatiser telle communauté ou telle autre, vous savez, le fameux discours, à l'heure
actuelle, si on parle de la question du djihad, sur les mécréants, les croisés,
etc.? Qu'est-ce que je suis censé faire? C'est ça, ma question.
Et
je pense que nous, on s'inquiète effectivement un petit peu du fait que dans
nos classes, alors, à ce moment-là, on serait supervisés, la parole
serait supervisée et tomberait sous le coup de la loi, et je pense
qu'effectivement, pour nous, c'est une
préoccupation. Et je pense qu'elle l'est notamment dans le milieu scolaire, et
je crois que le milieu scolaire est
le principal milieu où on doit intervenir, parce qu'on peut difficilement avoir
une approche intrusive dans les familles, et c'est le lieu précisément où s'expriment ces discours, ces arguments
haineux et les contre-arguments qu'on peut leur opposer. Donc, je pense
que, oui, là, effectivement, il y a pour nous une préoccupation.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Vous avez parlé du milieu scolaire. Il y a un nouveau moyen qui est introduit
dans cette loi, c'est de permettre de
réagir quand il y a une atteinte à la sécurité morale et physique des
étudiants. Est-ce que vous avez des commentaires sur cette partie de la
loi?
Le Président (M.
Hardy) : M. Morin.
M.
Morin (David) : Oui. Alors,
sur la sécurité physique, là, je vois bien ce que ça peut être, donc je n'ai
pas de commentaire particulier. Sécurité morale, c'est ce que je
disais en introduction et en préambule, effectivement je pense que la
sécurité morale pourrait être mieux balisée. Parce que qu'est-ce que la
sécurité morale d'un étudiant ou d'un jeune en classe? Là, j'avoue que j'ai
plus de difficultés. Étant entendu... Et puis on le dit toujours,
mais, vous savez, le discours radical
est toujours très contextuel, il dépend de l'environnement politique,
social dans lequel il s'insère. Donc, ce qui pourrait être la sécurité
morale aujourd'hui n'est pas forcément ce qui sera la sécurité morale demain.
Donc
là, effectivement, j'avoue que, moi,
en tant qu'enseignant, la sécurité morale de mes étudiants, mon rôle est
aussi de pousser les étudiants à avoir une
réflexion critique sur un certain nombre d'enjeux, etc. Donc, je serais, comme vous, intéressé à
avoir peut-être une définition plus claire du terme «sécurité morale».
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Des
écoles plus, évidemment... plus conservatrices pourraient interpréter tout à fait autrement la discussion autour de qu'est-ce qu'une sécurité
morale.
Vous
avez parlé, dans la foulée de tout à l'heure, là, d'essayer de ne pas faire une
loi qui irait à l'encontre du plan dans
lequel elle s'insère, ce qui serait complètement paradoxal. Vous avez parlé même — puis là l'oreille m'a levé — que ça
pourrait même nuire aux agences de collecte de renseignements. J'ai entendu le
mot «services secrets», là, je ne voulais pas l'utiliser parce que ça
fait... je me sens un peu dans un James Bond.
Le Président (M.
Hardy) : M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : Oui. En fait, il faut s'entendre sur le fait
qu'on est en train de chercher, là, autour de cette table, un équilibre
entre la répression et le dialogue. Ce qu'on essaie de faire, c'est de savoir à
quel moment la répression devient inefficace et à quel moment il faut cesser le
dialogue parce qu'il devient intolérable.
Évidemment, il ne
nous appartient pas de définir de façon précise ce point, mais il est évident
qu'à partir du moment où on réprime toute
forme d'expression on la conduit à se dissimuler dans des réseaux parallèles,
dans des réseaux souterrains, et donc
on ne facilite pas ni le travail de la société pour le combattre de façon
ouverte, puisqu'il ne s'exprime plus
de façon ouverte, et, comme le disait David Morin, il ne s'exprimerait plus
dans les lieux où on en débat, comme l'école.
Et en même temps il va s'isoler de façon de plus en plus dure, et vous n'êtes
pas sans savoir que les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook sont des réseaux sur lesquels il
y a des gens qui sont extrêmement bien documentés quant à la façon de se dissimuler, quant à la façon de se
protéger. J'ai moi-même très récemment conduit une enquête empirique sur le sujet qui m'a conduit à me rendre compte
qu'en quelques discussions vous pouviez être informé de façon extrêmement
précise de tous les matériels et de tous les
logiciels que vous pouviez utiliser pour vous dissimuler aux yeux des
autorités.
Donc,
il appert qu'on est vraiment dans un équilibre très difficile à trouver et que,
si on met l'appareil répressif trop
en amont, on va perdre l'efficience du débat, et évidemment, si on laisse le
débat prendre trop le champ, on va aller vers ce qu'on ne veut pas, ce que personne ici ne veut, ce sont des
actes qui incitent à la haine ou à la violence. Alors, c'est toute la
difficulté de ce texte. Et notre expérience qui est celle des discussions qu'on
mène avec des jeunes, des discussions que
moi, j'ai pu mener avec des familles, dont une famille dont le jeune garçon
s'est radicalisé et est parti en zone
de conflit, c'est que la solution, elle relève aussi beaucoup du débat, et je
pense que le problème, et c'est ce qu'on a tendance à mettre un petit peu trop de côté aujourd'hui, c'est que le
débat ne doit pas être étouffé par la réponse législative.
Mme
Maltais :
Merci. M. le Président, mon collègue a quelques questions.
Le Président (M.
Hardy) : M. le député de Bourget.
• (18 heures) •
M.
Kotto : Merci, M. le Président. Messieurs, soyez les bienvenus.
Et merci pour votre contribution à cette commission.
De
la perspective de l'esprit de ce projet de loi, le projet de loi n° 59,
volet 1, sur lequel nous sommes en train d'échanger, j'aimerais
vous entendre, enfin, avoir votre point de vue. Est-ce que de votre point de
vue, justement, le législateur, dans ce
qu'il nous propose aujourd'hui, éclaire? Je vous donne plusieurs questions en
rafale. Est-ce que vous percevez précisément la finalité de ce projet de
loi, volet 1, j'entends? Sommes-nous sur les bonnes cibles?
Et une autre question : Contrer le discours
que moi, je considère de haine — on
parle de discours haineux, mais c'est
plus clair quand on dit «discours de haine» — est-ce
que... Le contrer, ce discours de haine, suffit-il à juguler l'acte au
sens de l'action et l'attitude au sens de la posture psychique, conditionné par
la culture, etc.?
Le Président (M.
Hardy) : M. Morin, est-ce que c'est vous qui répondez?
M. Morin
(David) : Oui.
Le Président (M. Hardy) : Vous avez
1 min 35 s pour résumer tout ça.
M. Morin (David) :
D'accord, très bien. Alors, les bonnes cibles, écoutez, je réitère ce que j'ai
dit, je pense que le projet de loi
n° 59, s'il entend essayer de faire taire les agents radicalisateurs, peut
être d'utilité, c'est mon point de vue. En revanche, je pense qu'il fait trop abstraction, à ce stade, du reste
du bassin, donc, je le répète, du récepteur du message, et là ça me
semble être à ce niveau-là qu'il faut vraiment qu'on travaille beaucoup plus
fort à l'heure actuelle.
Et
je reviens ici à votre seconde question sur contrer le discours de la haine,
juguler l'action. Juguler l'action, quand les jeunes sont déjà radicalisés complètement et qu'ils sont prêts à
passer à l'acte violent, on est d'accord, c'est un tout autre dispositif qu'il faut faire intervenir. On
fait intervenir des équipes multidisciplinaires qui, là, sont dans des
processus de déradicalisation qui
n'ont rien à voir avec la prévention de la radicalisation. En revanche, si on
parle de contrer la posture psychique
ou les prédispositions — et, quand je parle des prédispositions, c'est simplement
l'environnement politicoculturel dans lequel éventuellement peut se
déployer le discours haineux — alors là, effectivement, il y a bien
d'autres types d'intervention qui doivent
être faits, comme par exemple faire intervenir des jeunes radicalisés
auparavant déradicalisés, les faire
aller dans les classes, travailler dans les cours d'éthique et de culture
religieuse, et donc, finalement — et là je rejoins ce que disait mon
collègue — susciter
le dialogue social, le débat autour de ces questions-là.
Donc,
c'est vraiment, à mon avis, à ces deux niveaux, que moi, je dissocie, qu'il
faut intervenir. Et c'est ce second volet là, le fameux article 17 avec
ces deux points, que nous souhaiterions voir renforcé ou sur lequel nous
aimerions avoir davantage d'éléments,
étant entendu que je pense qu'il y a déjà beaucoup d'organisations et
d'institutions qui peuvent potentiellement travailler sur cette question
de la formation. Je vous remercie.
Le Président (M.
Hardy) : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période
d'échange avec le deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville,
à vous la parole pour une période de 10 minutes.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Je
pars également mon chronomètre. Merci, messieurs, merci d'être là.
J'ai
pris en note certains de vos propos, et vous nous avez dit «comme le discours
haineux est un des éléments de
l'endoctrinement», c'est un des éléments de l'endoctrinement, et vous avez
poursuivi. Alors, moi, je reprends la balle au bond. Comme le discours haineux est un des éléments de l'endoctrinement,
je vous pose la question : Ne devrait-on pas, justement, plutôt interdire les discours qui
endoctrinent les jeunes? Est-ce qu'on n'est pas rendu trop loin quand on parle
du discours haineux et il ne faudrait pas
travailler un petit peu avant, avant qu'on en soit rendu là? Parce que l'objet
de la loi et le plan, c'est contrer la radicalisation.
Le Président (M.
Hardy) : M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : La difficulté réside dans l'identification de ce
discours d'endoctrinement. Quel est-il? Quelles sont les composantes de ce discours-là? C'est un travail que
personne n'a réussi à mener encore à bien, et ce sont des éléments qu'on
n'arrive pas à mettre clairement en avant parce qu'ils sont organiques, ils
sont évolutifs, ils sont adaptés à chacun
des cas, ils sont carrément individuels. Nous évoquons souvent dans les
discussions, justement, sur les causes
de radicalisation les éléments personnels, endogènes et exogènes, les éléments
de nature géopolitique, les éléments qui
sont de l'ordre de la politique interne même du pays, des éléments sociaux, et
le discours s'adapte à ces éléments-là. Le discours de radicalisation, les arguments qui mènent à la
radicalisation ne sont jamais les mêmes. Alors, comment savoir ce qu'ils
sont avant de s'attaquer à eux? Ça, c'est, à mon avis, une difficulté qu'on ne
pourra pas résoudre avec cette approche-là.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Alors...
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci. Partons du principe que nous
sommes ici pour tenter de contrer la radicalisation, pour trouver des solutions pour que les jeunes ne
quittent pas, ne partent pas vers l'étranger faire le djihad. En tant que
chercheurs, là... Nous, nous avons fait des
propositions en février dernier à la ministre et au gouvernement, et, entre
autres, une des propositions que nous
avions faites, c'était de s'attaquer à l'argent. L'argent, c'est le nerf de la
guerre. Alors, nous disions entre
autres : Pourquoi ne pas priver les organismes religieux, là, qui
naturellement, naturellement ont des liens avec l'extérieur, avec le terrorisme, avec des organismes reconnus comme
tels... Pourquoi ne pas les priver des exemptions d'impôt auxquelles ils
ont droit, entre autres taxe scolaire, taxes municipales?
Est-ce qu'on pourrait
agir contre le mal de cette façon-là? Est-ce que c'est une piste de solution?
Le Président (M.
Hardy) : M. Morin.
M. Morin
(David) : Oui. Alors, sur la question du financement, c'est une piste intéressante,
mais il y a une nouveauté dans le paysage du
djihadisme qui s'appelle l'État islamique, qui est une organisation quasiment
autosuffisante sur le plan financier.
Donc, c'est extrêmement difficile, et puis là il faudrait voir les accords
internationaux, etc., mais de couper les vivres à une telle
organisation. Ça, c'est le premier élément.
Le
deuxième élément, évidemment, c'est que ça pourrait évidemment fonctionner sur
certaines personnes morales, peut-être
dans certains centres communautaires, quelques individus à qui vous couperiez
les vivres, mais vous avez aussi toute
l'autre partie de l'endoctrinement qui se fait, finalement, de manière
transfrontalière, qui se fait de manière virtuelle et sur laquelle il est évidemment beaucoup plus difficile,
si vous voulez, d'agir et d'avoir prise en termes de financement.
Donc,
je pense que, dans l'arsenal de réponses qu'on peut avoir, l'élément lutte
contre le financement est très certainement
une piste intéressante, qui est d'ailleurs souvent mentionnée par différentes
agences de sécurité, mais, pour ce
qui est, si vous voulez, de l'autre versant, à savoir... et là encore non pas
les agents de radicalisation mais ceux qui sont susceptibles de se
radicaliser, là vous comprenez que ce sont vers d'autres outils qu'on est
obligé d'aller.
Mme
Roy
(Montarville) : Je vous ramène au mois de mai
dernier dans La Presse, le 27 mai dernier. Il y a un
père qui dénonçait Adil Charkaoui, et c'est un texte de La Presse
de Vincent Larouche : «Le père d'un des 10 jeunes Québécois arrêtés in extremis il y a
12 jours, à l'aéroport, parce qu'on craignait qu'ils partent grossir les
rangs de groupes djihadistes accuse
Adil Charkaoui et son centre islamique d'avoir "semé la haine"
dans le coeur de sa fille.» Semer de la
haine, discours haineux. Est-ce qu'on a une piste de solution? Est-ce qu'on n'a
pas là un cas de figure auquel le projet de loi n° 52 pourrait
s'appliquer?
Le Président (M.
Hardy) : M. Berthomet.
M. Berthomet (Stéphane) : Vous me demandez de me prononcer sur un cas
individuel, ce qui, vous le comprenez bien,
est extrêmement difficile compte tenu du fait que vous nommez certaines
personnes dans ce cas-là. Prenons un cas générique, si vous le voulez bien, prenons le cas d'un individu qui
pousse des jeunes à la radicalisation. Normalement, il est du ressort des autorités policières de mener
l'enquête et de collecter des éléments pour l'incriminer, pour l'incriminer
compte tenu des lois en vigueur. Le problème
que vous posez, c'est de dire, finalement : Est-ce que la loi fait défaut
ou est-ce que les enquêtes policières ne permettent pas d'amener cet
individu, finalement, devant des accusations? Et ne devons-nous pas y remédier par un autre moyen? Là, on est dans une
question qui est très philosophique, qui est celle de : Est-ce que, quand on n'arrive pas à
faire condamner quelqu'un... Et je partage votre point de vue. Sur un cas
générique qui serait celui d'un
individu qui radicalise des jeunes, il me semble aberrant, à ce stade, qu'on
n'arrive pas à faire condamner un tel
individu ou qu'on n'arrive pas à l'amener devant une accusation. Mais la
question, c'est : Est-ce qu'on doit pallier à ça?
Le
système, normalement, est là pour se suffire à lui-même, c'est un système
criminel avec une police qui fonctionne bien, à qui on a donné beaucoup de moyens et à qui il faut souhaiter
qu'on donne d'autres moyens. Il ne me semble pas qu'on puisse tout le temps vouloir substituer à un système qui a de la
difficulté un nouveau système, parce qu'il ne me semble pas que ce soit
très pérenne comme façon de fonctionner, il ne me semble pas que ça soit très
constructif. Peut-être, peut-être que dans
certaines situations extrêmes, dans certaines situations particulièrement
complexes ça puisse être une partie
de la réponse, mais, à mon sens, elle devrait être complémentaire plutôt que de
se substituer à l'incapacité qu'on aurait, dans ce cas-là, d'amener un
individu face à ses responsabilités.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Comme la problématique à laquelle
nous faisons face... Et d'ailleurs, tout à l'heure, Mme Fatima Houda-Pepin le disait à juste
titre. Je pense qu'on a peur des mots ici, mais elle le disait. Oui,
l'islamisme radical existe au Québec, et on le sait tous. Et c'est à ça
qu'il faut s'en prendre, là.
Comme
c'est un phénomène qui n'existait pas il y a 25 ans ou que nous ne
connaissions pas, et que nous sommes maintenant
confrontés à ce phénomène... Je sais que les lois existent, le Code criminel
existe, mais ne devons-nous pas aussi arriver avec une réponse nouvelle
à un problème nouveau? Et, s'il vous plaît, quelle serait cette réponse?
Le Président (M.
Hardy) : Oui, M. Morin.
• (18 h 10) •
M.
Morin (David) : Alors, effectivement, vous avez raison de dire que le
Québec a découvert cette réalité-là dans les dernières années. Je dirais
qu'il faut ici prendre l'exemple de beaucoup de pays qui, eux, sont confrontés
à cette question-là depuis de longue date,
qui ont pris des mesures depuis de longue date, dont ce type de loi, dont des
lois sur la laïcité extrêmement strictes, la France notamment, et que ce
ne sont pas les lois qui empêchent le phénomène de la radicalisation. Ça, il faut être très clair là-dessus. La loi peut être un
outil parmi d'autres, mais la loi en tant que telle ne suffira jamais à contrer le phénomène de
radicalisation. Si on fait ça, alors on crée des attentes dans l'opinion
publique au niveau de la société en disant : Oui, la loi est capable de
répondre à ça. Non. La loi peut pallier une petite partie de problème.
Alors,
maintenant, la deuxième partie de votre question : Qu'est-ce qu'on fait? Bien, concrètement, nous, ce dont on s'est aperçu, c'est que les sociétés
dont on parle, donc d'autres sociétés occidentales, ont beaucoup tardé à adresser
la question spécifiquement, justement, avec les jeunes au niveau du milieu scolaire, ont souvent, je dirais, mis ça de côté en pensant que c'est un épiphénomène qui peut-être
allait s'éteindre de lui-même. Alors, on a beaucoup d'exemples tous
en tête ici dans d'autres pays. Donc, je pense
qu'effectivement la question est que, le Québec étant une société,
à l'heure actuelle,
où il y a beaucoup moins de tensions sociales que dans d'autres
systèmes politiques, occidentaux notamment, on est
encore en amont, on a encore les moyens précisément de vraiment travailler sur
la prévention.
Et
le message doit être très positif à
ce niveau-là. Je vous dirais, le
premier, c'est de ne pas dire aux jeunes : Alors, qu'est-ce que vous pensez de la radicalisation? Le point de vue qu'ils ont sur
cette question-là est qu'ils ne sont pas radicaux. Donc, en leur disant ça, on les stigmatise, on les
renvoie dans une espèce de querelle générationnelle, de contre-culture qui n'a pas de sens, alors qu'en revanche, si on
leur dit : Quelles sont les causes qui vous dérangent dans la vie?,
l'injustice, la question
humanitaire, l'intégration au Québec, etc., vous êtes sur des valeurs qui sont des
valeurs beaucoup plus positives et, à ce moment-là, vous canalisez l'éventuel militantisme politique
de ces jeunes-là vers des canaux qui ne sont pas ceux du discours
radical discriminatoire mais qui sont des valeurs beaucoup plus positives
d'intégration.
Donc,
je crois que vraiment l'effort doit être mis sur cette question-là de
cette relation à la jeunesse. Et, là encore, nous aussi, on attend effectivement d'avoir des données statistiques plus précises sur l'âge, les profils,
encore qu'on ait déjà des bonnes idées, mais vous savez qu'une des
spécificités... ou pas des spécificités, mais un des éléments importants,
au Québec, qu'on est capables de retenir pour l'instant,
c'est que beaucoup des jeunes qui sont partis, sur les cas qu'on a,
sont des jeunes qui sont de première ou de
deuxième génération, donc ça devrait nous inciter, des immigrants de première
ou deuxième génération, à réfléchir effectivement à la question de l'intégration et à ouvrir ce dialogue social
avec les jeunes sans condamner a priori
mais en leur demandant de s'expliquer, de s'exprimer, et puis, à partir de là,
on va être en mesure ensemble de préparer des contre-narratifs, des
discours, de déconstruire cette espèce de radicalisation. Et moi, je suis convaincu que, si on y va avec cette approche-là,
les résultats à moyen et long terme seront bien plus positifs. Mais je comprends aussi l'urgence du politique de répondre parfois
à court terme à une société qui est un
petit peu inquiète de la situation, mais je
pense que, la réponse, il faut
la concevoir sur le moyen et long terme, et c'est là qu'on prendra des
décisions beaucoup plus éclairées.
Le Président (M. Hardy) : Je vous
remercie de votre participation.
La commission ajourne ses travaux au mardi
15 septembre, à 10 heures, afin de poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques sur le projet de loi n° 59.
(Fin de la séance à 18 h 13)