(Quatorze
heures six minutes)
Le
Président (M. Hardy) :
Alors, prenez place s'il vous plaît. Ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission des institutions
ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir
éteindre la sonnerie de leurs
téléphones cellulaires. Mon nom est Guy Hardy, député du comté de
Saint-François, et j'ai le plaisir et l'honneur d'être ici pour présider
la séance aujourd'hui.
La commission est
réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 59, Loi
édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours
haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses
modifications législatives pour renforcer la protection des personnes.
Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Tremblay (Chauveau) remplace M. Ouellette (Chomedey);
M. Hardy (Saint-François) remplace M. Ouimet (Fabre); et M. Laframboise (Blainville)
remplace M. Martel (Nicolet-Bécancour).
Remarques
préliminaires
Le
Président (M. Hardy) : Nous
allons débuter par les remarques préliminaires et nous entendrons par la
suite quatre groupes cet après-midi.
Sans plus tarder, je
vous invite, Mme la ministre de la Justice, à faire vos remarques
préliminaires, et vous disposez de six minutes.
Mme Stéphanie Vallée
Mme
Vallée : Alors, M. le Président, je vous remercie. Membres de la commission, collègues parlementaires,
un plaisir de vous retrouver aujourd'hui. Un plaisir de retrouver aussi le personnel de la commission. Vous nous
permettrez de saluer notre petite nouvelle,
notre collègue de Chauveau, qui en est à ses premières expériences parlementaires. Alors, chère collègue, bienvenue en cette commission.
J'aimerais aussi remercier l'équipe du ministère de la Justice qui est présente dans la salle et ainsi que souhaiter la
bienvenue au regroupement À coeur d'homme qui brisera la glace dans le cadre de ces procédures, de ces consultations parlementaires, et saluer les citoyens et citoyennes qui sont rivés devant leur téléviseur aujourd'hui
et devant leur écran, qui suivent nos travaux avec attention.
Alors, vous savez, M.
le Président, le 10 juin dernier, lors du dépôt du projet de loi qui est à
l'étude, le projet de loi n° 59, notre premier
ministre a réaffirmé combien le gouvernement, notre gouvernement était attaché aux valeurs de respect,
d'ouverture et d'égalité qui sont propres à notre société. Il a alors présenté
l'ensemble des gestes que nous souhaitons
mettre de l'avant pour défendre nos droits et nos libertés dans le respect de
l'égalité entre les hommes et les femmes
tout en assurant la sécurité des Québécois et des Québécoises. Comme le
mentionnait le premier ministre,
face à la menace réelle de la
radicalisation, de la violence, des discours haineux et du terrorisme, il faut
savoir être vigilants, mais aussi surtout demeurer unis.
De
plus, il le mentionnait lors du forum sur l'intimidation, le Québec
ne peut accepter des comportements qui compromettent
la sécurité et la dignité de ses citoyens et de ses citoyennes. Bien sûr, comme société, nous pouvons déjà compter sur un certain nombre de moyens pour
assurer notre protection. Parmi ces moyens, il y a nos lois, notre
législation, dont le Code criminel, qui est
de compétence fédérale, nos lois pénales provinciales, nos règlements
municipaux. Nous pouvons aussi
compter sur l'engagement de nos services policiers, sur l'impartialité de nos
tribunaux. Nous nous sommes également
dotés de ressources pour assurer la protection des personnes vulnérables, qui
font un travail admirable dans des situations souvent délicates.
• (14 h 10) •
Mais
malgré ça, au cours des dernières années, des événements ont démontré les
limites de notre législation et de certaines
de nos interventions dans les cas les plus extrêmes. Nombreux ont alors été les
groupes qui nous ont demandé d'agir
au nom des victimes et d'assurer le respect du fragile équilibre entre la
liberté d'expression et la tenue de propos à caractère haineux ou
incitant à la violence dans l'espace public.
L'automne
dernier, dans le cadre de la consultation publique sur la lutte contre
l'intimidation, la commission des droits
de la personne et de la jeunesse recommandait au législateur d'introduire dans
la charte québécoise des droits et libertés
de la personne une nouvelle disposition pour interdire les propos ou les actes
qui exposeraient des personnes ou des
groupes à la haine ou à la violence pour un motif de discrimination qui est
interdit à la charte. Nous avons été à leur écoute en déposant ce projet
de loi qui propose un ensemble de solutions.
Notre gouvernement croit fermement au bien-fondé
des mesures qui sont sur la table aujourd'hui. Je tiens cependant à vous assurer que nous aurons une écoute favorable pour
toutes les propositions qui nous permettront d'agir encore plus efficacement dans l'intérêt de nos
concitoyennes et nos concitoyens. Aujourd'hui, j'ai la ferme conviction
que le statu quo n'est pas une option si nous voulons continuer à faire du
Québec ce lieu où toutes et tous se sentent respectés et en sécurité, tant sur
les plans physique que psychologique.
Le projet de loi vise certaines mesures visant à
contrer le discours haineux ou incitant à la violence. Avant d'entrer plus loin dans la présentation des
dispositions, je pense qu'il est nécessaire de rappeler les trois conditions
qui permettent de définir ce que nous
entendons par discours haineux ou incitant à la violence, qui sont au coeur du
projet de loi. Premièrement, on retient le critère de la personne raisonnable
qui estimerait que des propos exposent un groupe ciblé à la haine ou à des
gestes violents. Deuxièmement, nous visons des propos qui sont tenus ou qui
sont diffusés publiquement. Le projet de loi
ne vise pas les conversations privées. Il ne touche pas non plus les médias qui
rapportent des faits dans leur devoir
d'information. Troisième et dernière caractéristique, par le groupe de
personnes visées, nous entendons
celles ayant une caractéristique qui est commune, qui est identifiée à la
charte québécoise des droits et libertés de la personne, soit la race, la couleur, le sexe, la grossesse,
l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les
convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la
condition sociale ou le handicap.
Je tiens à
vous rassurer, nous voulons agir sans porter ombrage à ce droit fondamental
qu'est la liberté d'expression. Nous
sommes convaincus que le respect de ce droit fondamental ne doit pas servir à
cautionner la libre circulation de propos haineux ou incitant à la violence dans l'espace public. C'est pourquoi
nous croyons fermement qu'il est de la responsabilité de l'État québécois de se porter garant du respect
d'un juste équilibre entre la liberté d'expression des uns et la limite
à ne pas franchir pour que des propos soient qualifiés par les autres de
haineux ou incitant à la violence.
Au Québec,
nous disposons déjà de deux organismes dont la mission est justement de
contribuer à l'atteinte de cet
équilibre délicat mais nécessaire dans notre démocratie, deux remparts qui
agissent sur les deux fronts simultanément, gardiens à la fois de la
liberté d'expression et du respect des droits. Tout d'abord, le premier rempart
est celui de la commission des droits de la
personne et de la jeunesse, et sa responsabilité est d'accueillir les plaintes,
de faire enquête et d'intervenir. Le
second est celui qui est constitué par le Tribunal des droits de la personne,
notre bras agissant en matière judiciaire. Il pourra être saisi d'une
plainte par la commission, notamment pour faire cesser un discours haineux ou
incitant à la violence ou encore pour rendre jugement au terme d'une poursuite
assortie de sanctions.
Je le dis et je le répète, nous ne pouvons nous
contenter du statu quo. Notre enjeu collectif aujourd'hui, c'est d'assurer le respect de l'équilibre fragile entre
les droits et libertés au coeur de notre vie démocratique et de ce
Québec ouvert et inclusif que nous voulons toutes et tous.
Le
Président (M. Hardy) : Merci, Mme la ministre. J'invite maintenant la
porte-parole de l'opposition officielle en matière de réforme des institutions démocratiques et députée de
Taschereau à faire ses remarques préliminaires pour une durée maximale
de 3 min 30 s.
Mme Agnès Maltais
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, tout le monde. Je veux saluer les
parlementaires, particulièrement la ministre qui porte cette loi, mes
collègues de l'opposition, mon ami le député de Matane ainsi que les collègues
du gouvernement, ceux de l'autre opposition, la deuxième opposition. Alors,
bonjour, tout le monde, bienvenue. Je suis heureuse d'être avec vous pour cette
commission parlementaire.
Évidemment,
d'entrée de jeu, M. le Président, comme c'est une commission parlementaire qui
porte sur un sujet qu'on a déjà
étudié, c'est-à-dire comment est-ce qu'on fait face à l'intégrisme religieux,
parce que, pour l'essentiel, c'est souvent
à ce sujet-là qu'il y a eu des situations qui ont fait que les gens ont demandé
que le gouvernement pose des gestes, je tiens à remarquer que j'apprécierais que la ministre dépose les avis
juridiques que le député de LaFontaine — qui tient à être ici présent,
aujourd'hui à cette commission parlementaire, assis de l'autre côté de la
table — que
le député de LaFontaine a tellement réclamés
lorsque nous avons déposé, à l'époque, le projet de loi n° 60. Évidemment, la ministre pourrait dire : Ah! mais c'est courant qu'on ne dépose pas des avis
juridiques. Mais justement, après neuf ans de pouvoir libéral, le Parti libéral, par les propos
du député de LaFontaine, a continué à réclamer des avis juridiques. Donc,
s'ils en étaient conscients à
l'époque, ils en étaient encore conscients quand ils l'ont demandé, ils
devraient l'être encore aujourd'hui, on s'attend à recevoir les avis
juridiques, d'autant qu'il y a dans cette loi un ajout de la Charte des droits
et libertés, non seulement une modification, mais bien un ajout fort important.
Donc, peut-être aurons-nous les avis juridiques qui ont tant été réclamés à
l'époque.
Cette loi, en fait, c'est deux lois. D'abord, il
y a une partie de la loi qui est sur la prévention et la sanction des discours haineux. Elle crée même un nouveau
tribunal et des outils de travail. La deuxième partie, ce sont des
mesures pour aider les organisations à protéger les jeunes. C'est là-dessus,
souvent, qu'il y a eu des demandes d'intervention, entre autres, dans les écoles. La partie aussi sur les
mariages forcés est intéressante. Ce sur quoi on va travailler, nous,
pendant la commission parlementaire, c'est de bien comprendre si les mesures
qu'on nous propose sont efficaces, est-ce qu'on vient vraiment répondre aux demandes qui ont été faites dans le passé.
Je note par ailleurs, M. le Président, qu'il n'y aura rien sur les écoles illégales et rien pour obliger
les parents à faire respecter le programme du ministère de l'Éducation.
Que nos enfants soient bien éduqués, c'est un sujet sur lequel on attendait le
gouvernement, il n'y a rien là-dessus.
Donc, sur
cette deuxième partie, on va travailler sur l'efficacité des mesures. Sur la
première partie, c'est autre chose.
La nouvelle loi introduit beaucoup de questions. Quelles étaient les attentes
des Québécois? D'abord, ils attendaient quelque chose sur la laïcité et
la neutralité religieuse de l'État. De ce côté-là, encore une fois, on fait
chou blanc. Ni le projet de loi n° 62
ni 59 ne nous apportent des réponses aux questions qui sont posées depuis bien
longtemps. Est-ce que cette loi va répondre à l'apparition de
l'intégrisme religieux, de la radicalisation des jeunes qui les amène parfois jusqu'au terrorisme? J'ai
hâte de voir. On n'est pas encore sûrs, là, de l'efficacité des mesures. Mais
ce qu'on sait, par exemple, c'est que c'est une loi qui touche au
délicat équilibre entre la liberté d'expression...
Le Président (M. Hardy) :
20 secondes.
Mme
Maltais :
...et la sécurité. Alors, elle crée même une mise à l'index de propos et de
personnes. On a hâte de voir comment tout ça va être reçu par la société
à travers ces auditions.
Le Président (M. Hardy) : Merci pour
ces remarques préliminaires. J'invite maintenant la porte-parole du deuxième groupe d'opposition en matière de justice
et députée de Montarville à faire ses remarques préliminaires pour une
durée maximale de 2 min 30 s.
Mme Nathalie Roy
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour, j'aimerais saluer la
ministre, naturellement, ses collègues du
gouvernement, les collègues de l'opposition officielle et mes collègues de la
deuxième opposition. Je tiens aussi à saluer
et à remercier à l'avance tous nos invités pour leur apport à nos travaux et à
nos réflexions. Ils sont terriblement
importants, ces invités, et je crois sincèrement que leur participation au
débat permettra d'accroître l'efficacité de cet important projet de loi
dans l'atteinte de son objectif.
Alors, cette dernière année, vous savez, M. le
Président, le Québec a été le théâtre non seulement de discours méprisants et haineux à l'endroit des valeurs
démocratiques que nous chérissons, mais également et malheureusement
celui d'un attentat meurtrier perpétré au nom d'une religion. Nous avons par
conséquent demandé, pour notre part, la deuxième
opposition, à de nombreuses reprises au gouvernement qu'il dote le Québec des
outils nécessaires pour lutter contre
cette menace, contre cette radicalisation. Alors, le projet de loi n° 59
constitue un pas dans la bonne direction, et nous saluons les mesures
qu'il contient, notamment pour renforcer la protection des personnes, notamment
en ce qui concerne les mariages forcés ou
encore les crimes d'honneur. Je suis également heureuse que la ministre abonde
aujourd'hui dans le même sens que notre
proposition, en février dernier, à un égard très particulier, celui de limiter
la liberté d'expression un petit peu. Elle doit être limitée quand elle
est instrumentalisée pour discriminer et réduire les droits des autres.
Le projet de
loi n° 59 comporte cependant des faiblesses. Le diagnostic sur lequel il
repose n'est pas tout à fait juste,
et la problématique est mal cernée. Je m'explique. L'objectif du projet de loi
ne devrait pas être de prévenir et de lutter
contre les discours haineux, comme l'indique son titre, bien que leur
proscription doive en faire partie, mais il devrait plutôt viser à prévenir et à lutter contre leur
principale cause, soit l'intégrisme religieux et la radicalisation qui
fomentent la haine et la violence. Nulle
part, dans ce projet de loi, ne retrouve-t-on les mots, les vrais, qui sont au
coeur de tout ce problème qui nous amène ici aujourd'hui, soit «intégrisme», «dérive religieuse»,
«radicalisation», «agent de radicalisation», et j'en passe. Qui plus est, ce projet
de loi, qui reprend essentiellement les dispositions prévues au Code criminel, est
selon nous trop timide. Alors, j'aurai l'opportunité de faire valoir les points de
divergence, et nous espérons pouvoir travailler de concert pour faire
avancer ce projet de loi. Merci.
• (14 h 20) •
Le Président (M. Hardy) : Merci pour
ces remarques préliminaires.
Auditions
Nous allons
maintenant débuter les auditions. Alors, sans plus tarder, je souhaite la
bienvenue à À coeur d'homme, Réseau
d'aide aux hommes pour une société sans violence. Je vous invite à vous
présenter et je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre
exposé.
À coeur d'homme, Réseau d'aide aux
hommes pour une société sans violence
M. Boudreau (André) : Merci. Je vais
commencer. Je m'appelle André Boudreau, je suis directeur général de l'organisme C-TA-C, qui est dans le Bas-Saint-Laurent, mais aujourd'hui je suis ici comme président de l'association
provinciale À coeur d'homme.
M.
Bilodeau (Rémi) : Moi, mon nom, c'est Rémi Bilodeau. Je suis
travailleur social de formation, je suis directeur général du regroupement À coeur d'homme et je suis aussi intervenant contractuel au GAPI,
un organisme ici, à Québec, qui intervient auprès des hommes qui ont des
comportements impulsifs et violents.
Peut-être, en débutant, juste faire une très
courte présentation de ce que c'est, À coeur d'homme. À coeur d'homme, dans le
fond, c'est un réseau qui regroupe 29 organismes qui interviennent auprès des
hommes qui ont des comportements violents. Il y a
33 programmes, au Québec, qui sont subventionnés pour les hommes ayant des
comportements violents, À coeur
d'homme en regroupe 29. On est présents dans 15 régions administratives du Québec
et on aide, bon an, mal an, près de 8 000 hommes par année. Il y a quatre, cinq
ans, on était autour de 4 500, 5 000 hommes. On a augmenté, il y a de plus en plus d'hommes qui font appel à
nos ressources, et, l'an passé, c'est à peu près 8 000 hommes qui ont
fait affaire avec les ressources d'À coeur d'homme.
On est présents beaucoup au niveau de
la recherche avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur la
violence familiale et la violence faite aux femmes, le CRI-VIFF, on travaille beaucoup
en partenariat avec eux au niveau de la recherche.
On a développé une expertise
particulière, au niveau d'À coeur d'homme, sur le risque d'homicide. Donc,
on a développé, au fil des ans, un outil
d'appréciation du risque d'homicide qui est caractéristique pour les hommes.
Donc, c'est un outil qui nous permet
d'apprécier le risque d'homicide. On a formé plein de gens au Québec. On a
formé 40 formateurs, nous, d'À coeur d'homme, qui ont donné des
formations à la grandeur du Québec. L'an passé, il s'est donné 88 formations
en prévention de l'homicide conjugal.
À
coeur d'homme, c'est aussi... Oui, on a un volet pour les hommes qui ont des
comportements impulsifs, mais la plupart
de nos ressources ont des volets pour les hommes en difficulté, les adolescents
ayant des comportements violents. On
travaille aussi avec la commission de la santé des premières nations, Québec
Labrador, au niveau des autochtones, et quelques-unes de nos ressources donnent aussi des services aux femmes
ayant des comportements violents et aux hommes subissant de la violence.
M.
Boudreau (André) : Dans le
cadre de cette présentation-là, je dirais, on a fait le choix d'aller, par rapport au projet de loi, dans les
sphères qui correspondaient davantage au travail qu'on fait, où on avait ou une
expertise directe, ou, je dirais, par les rencontres, par le travail
qu'on fait, on pouvait faire une accointance avec ce qu'on retrouvait dans le projet
de loi.
Ça fait qu'il
y a quatre éléments qui ont retenu
notre attention. Le premier, il est en lien avec... Je vais reprendre ça, si vous permettez. Au-delà des éléments qui
ont retenu notre attention, d'une façon générale, on était en accord
avec le projet de loi, c'est un projet de loi qu'on trouvait
important puis, comme il a été nommé, là, je crois, par Mme la ministre tout à l'heure, qui est en
lien avec d'autres projets de loi au niveau de l'intimidation ou d'autres actions.
Donc, ce n'est pas unique, ça s'inscrit dans un ensemble.
Donc, pour nous, un
élément qui était fondamental dans l'esprit du projet de loi, c'était le
respect de l'être humain, l'égalité entre les femmes et les hommes, la reconnaissance
des droits et libertés. Pourquoi on revient sur cet élément-là? Parce qu'au-delà
de tout ce qu'on peut mettre comme lois pour protéger les victimes, pour,
comment je dirais ça, interpeller des agresseurs, des gens qui ont des
propos menaçants ou des actions, c'est comment on va réaliser ce traitement-là. Dans ce sens-là, on désire porter
votre attention sur une préoccupation concernant l'application de la loi
dans son traitement. Ça a l'air large, ce
que je vais dire, mais on souhaite qu'elle soit juste et équitable dans le sens
où on n'a pas toujours des victimes pures et
des gens qui posent des gestes qui sont... des agresseurs purs. On a des gens,
des fois, qui vont, dans un autre cadre,
comment je dirais ça, avoir posé des actes répréhensibles, mais, dans le cadre
où on parle du discours haineux, qui se retrouvent, eux, comme victimes.
Comment est-ce qu'ils auront droit à un traitement juste et équitable? Quand on regarde le travail en violence
conjugale, on le voit aussi que c'est dur de concevoir que des gens à
qui on a porté une accusation, bien, se retrouvent, dans d'autres contextes,
aussi victimes de certains éléments.
Un autre élément en
lien avec ça, c'est qu'on voit beaucoup, par rapport à la violence, le concept
du geste de violence physique, la violence
qui est apparente. Par contre, dans le projet de loi, ce à quoi on veut
s'adresser, c'est les propos, donc le
discours haineux. Jusqu'à présent, tout l'aspect des mots n'a jamais été des
éléments qui ont porté à des accusations
qui ont permis de contraindre les gens. Comment, donc, on... Comment je dirais
ça, pour nous, c'est important que l'action par rapport à la violence
s'inscrive dans une notion de violence qui est plus large que seulement l'acte physique de violence, mais qu'on puisse agir aussi
par rapport aux propos, et pas juste dans l'aspect du discours haineux
contre des groupes, mais d'une façon plus générale. Ça fait qu'il y a tout un
élément au niveau culturel, au niveau de l'éducation, qui est à faire aussi
pour en arriver à avoir une compréhension commune de qu'est-ce que la violence
et qu'est-ce que le discours haineux.
Dans le travail qu'on
fait auprès d'individus, on voit qu'un des éléments qui est absent souvent,
c'est la compréhension de ce qu'inclut la
loi, de quoi on parle quand on parle d'actes de violence, de propos haineux.
Qu'est-ce qui est un propos haineux?
Qu'est-ce qui est de l'ordre, on va dire, d'échanges virulents entre personnes,
mais qui n'est pas de l'ordre du propos? Et c'est faux de croire que,
parce qu'on va le définir d'une façon générale, on devrait en avoir une compréhension commune. On le voit souvent, ce qui
fait défaut avec les gens avec qui on travaille, c'est de comprendre de
quoi il est question. Et, dans le travail individuel avec eux, des choses qui
auraient pu nous sembler évidentes étaient complètement inconnues pour eux et
sont devenues claires en allant dans les détails.
Un autre élément,
c'était par rapport à l'ordonnance de protection où... On le voit au niveau...
Le Président (M.
Hardy) : ...
M.
Boudreau (André) : Parfait,
je vais rapidement. On le voit au niveau du travail en
violence, il y a souvent une
difficulté entre les différents niveaux de cour par rapport aux sanctions qui
vont être émises. Donc, dans un cas, une personne
va avoir le droit de garde de ses enfants puis, dans un autre niveau de cour,
elle aura une interdiction de contact complète. Donc, comment on va
s'assurer qu'il y ait une cohésion entre les différents éléments qui sont
nommés?
• (14 h 30) •
M. Bilodeau
(Rémi) : O.K. Effectivement, ce qu'on dit au niveau de l'ordonnance de
protection, c'est la difficulté de... Une
ordonnance de protection peut donner une illusion, dans le fond, de protection
si elle n'est pas bien appliquée puis
si elle n'est pas non plus individualisée... bien, individualisée, qu'elle
n'est pas adaptée à la réalité ou à la problématique.
Puis, un peu comme André disait, on voit souvent... parce qu'en violence conjugale, oui, il y en a,
des ordonnances de protection, mais souvent c'est la difficulté de les faire
appliquer.
On a choisi aussi de parler de protection de la
jeunesse. On a trouvé intéressant que, dans le projet de loi, on parle de la
violence psychologique et du contrôle excessif comme une forme de violence. Et
effectivement, dans nos groupes,
le travail qu'on avec les hommes, effectivement, c'est quelque chose où on a souvent besoin d'intervenir, au
niveau du contrôle excessif.
Ce qu'on dit aussi, c'est : Qu'est-ce qui
va être de l'ordre du contrôle excessif? Comment on va le définir? Qu'est-ce qui est du contrôle excessif? Qu'est-ce
qui n'en est pas? Comme André disait, on est d'accord avec l'ensemble du projet de loi, sauf qu'on se dit : À
quelque part, il va y avoir une difficulté d'application, je pense, dans ces
termes-là, au niveau des termes, de bien
définir qu'est-ce qu'un propos haineux, qu'est-ce que le contrôle excessif.
Moi, je pense qu'il faut qu'il y ait un travail de définition de fait à
ce niveau-là.
On n'a plus de temps?
Le Président (M. Hardy) : C'est
terminé, malheureusement.
M. Bilodeau (Rémi) : Oh mon Dieu!
Le
Président (M. Hardy) : Là, on est rendus à la période d'échange, on
permet aux membres de la commission d'échanger avec les invités, en
débutant par le groupe parlementaire formant le gouvernement puis par les
députés d'opposition, l'opposition officielle
et le deuxième groupe d'opposition. Donc, le groupe parlementaire formant le
gouvernement, vous avez 25 minutes de discussion.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, encore une fois, bienvenue en commission
parlementaire. Merci de briser la glace cet après-midi dans le cadre des
consultations.
Je comprends
que vos travaux vous amènent au quotidien à oeuvrer auprès de gens qui nagent
et vraiment qui baignent dans le milieu judiciaire, bien souvent, qui
sont référés à vos organismes par les tribunaux, qui sont référés à vos
organismes suite à différentes problématiques dans leur vie : contrôle,
agressivité, problématiques familiales.
Vous avez soulevé un enjeu et vous avez soulevé
une question quant à l'application juste et équitable des dispositions prévues au projet de loi. Qu'est-ce
que vous voulez dire précisément? Est-ce que vous craignez une
stigmatisation notamment de la clientèle de votre réseau?
M. Boudreau (André) : Pas
nécessairement qu'on la craint, mais, comment je dirais ça, c'est parce qu'il y
a des avenues dans lesquelles je ne veux pas
aller, mais, dans le fond, ce qu'on souhaite, c'est qu'on puisse regarder
des expériences qu'on a eues dans
l'application d'autres lois, prenons au niveau de la violence conjugale, par
exemple, et qu'on tienne compte d'où on a pris des pistes gagnantes, où
on a posé des gestes où on a été...
Je vais
tenter de vous donner un exemple différent. En violence conjugale, on a
tendance à définir la violence à partir d'un grand principe, et tout
rentre là-dedans. Dans les faits, dans le travail terrain... puis peut-être
qu'il n'y a pas moyen de faire autrement au
niveau de l'application de la loi, là, mais, dans le travail terrain, chaque
situation, il y a des éléments qui sont différents d'une situation à
l'autre, il y a des enjeux, il y a des dynamiques qui varient, on n'est pas capables de présenter un tableau qui inclut tout
ça. On imagine que, par rapport au discours haineux, il pourrait y avoir
les mêmes enjeux, des grandes pistes, mais,
au-delà de ça, individuellement, dans l'application, qu'est-ce qu'il y a
derrière ça? Et est-ce qu'au niveau
éducatif, au niveau culturel on a donné suffisamment d'outils aux gens pour
qu'ils soient en mesure de faire la différence entre ce qui est un
discours haineux ou...
M. Bilodeau (Rémi) : Peut-être juste
un complément.
Le Président (M. Hardy) :
M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : Dans le fond, ce qu'on disait aussi, c'est par
rapport à notre clientèle, parce qu'on se disait : Oui, la loi va encadrer les propos haineux, mais,
nous, notre clientèle, souvent c'est ceux-là... autant, s'ils ont commis
des actes répréhensibles, ils se ramassent souvent, par les médias sociaux, par
Facebook, victimes de propos haineux, là.
Je donne l'exemple d'un monsieur qui va avoir un
jugement en violence conjugale et qui va se ramasser sur Facebook à être complètement... tu sais, il va avoir des critiques, il va avoir...
Tu sais, nous, ce qu'on disait par rapport à la loi, c'est qu'elle demeure équitable autant pour les bonnes victimes,
puis ce n'est pas le bon terme, là, mais les gens qui sont victimes de propos, mais autant pour ceux-là
qui ont... bon, le monsieur, on disait, peut-être au niveau de l'alcool
au volant, bon, le monsieur qui a un
dossier, qui a commis un acte répréhensible souvent est aussi victime de propos
haineux et de propos... Donc, qu'il y ait quelque chose d'équitable à ce
niveau-là.
Puis, je pense, ce n'est pas d'emblée ce qu'on
va penser ou ce qu'on va choisir, là, de protéger, disons, entre guillemets, l'auteur du méfait, là, mais je pense
qu'il faut qu'il reste quand même une préoccupation de dire : Eux
aussi peuvent être victimes de propos haineux et de... Je ne sais pas si ça
répond à votre...
Mme Vallée :
Je comprends le sens de votre intervention. En même temps, le projet de loi
vise des motifs précis de discrimination
qui sont déjà prévus à la charte, à l'article 10. Donc, ce sont vraiment
les motifs de discrimination que l'on connaît,
qui permettent actuellement à quelqu'un de porter une plainte au niveau
individuel, mais qu'on étend aussi aux groupes
de personnes visés par ces personnes-là. Donc, c'est vraiment dans le cadre de
propos qui incitent à la haine envers des gens à l'égard de leur
orientation sexuelle, de leur sexe, de leur race. Bref, c'est ce qui est visé.
Vous, vous
nous dites : Notre préoccupation porte aussi vers des gens qui sont
peut-être marginalisés en raison de leur
propre comportement. Est-ce que je comprends bien? Donc, est-ce que vous
souhaitez que ce soit étendu ou est-ce que vous
souhaitez... Qu'est-ce que vous souhaitez précisément? Parce que, là,
actuellement, le projet de loi dirige vraiment les motifs visés... les motifs
de discrimination visés à l'article 10, donc...
Le Président (M. Hardy) : M.
Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : Dans le fond, ce qu'on dit, c'est qu'effectivement
le projet balise très bien le groupe ou le... Quand on est dans quelque chose de plus individuel, on est plus
dans la problématique de l'intimidation. Par contre, on le disait, bien c'est là qu'on disait avec
André, il y a un lien entre le projet de loi et les mesures que le
gouvernement ou que les gens vont prendre
par rapport à l'intimidation. C'est la différence, nous, qu'on en faisait. Ça
balise très bien pour les groupes, mais il ne faut pas oublier...
Moi, je pense
qu'un des problèmes qu'on a beaucoup en violence conjugale, c'est effectivement
ce qu'André disait tantôt, où les gens compartimentent : De
l'intimidation, ce n'est pas de la violence. La violence, ce n'est pas de
l'intimidation. Les propos haineux... Qu'est-ce que la violence? Nous, on
s'aperçoit qu'il y a beaucoup, beaucoup d'hommes qui viennent chez nous, puis,
pour eux, la violence, c'est de la violence physique, ça se limite à ça. Donc, il y a un grand travail, je pense, à faire
d'éducation. Avec ce projet de loi là, je pense qu'il y a... puis on en parle
dans nos recommandations, il y a un
travail de sensibilisation, il y a un travail d'éducation auprès des gens pour
avoir les conditions gagnantes pour établir ce projet de loi là, là.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Donc, ça m'amène justement à mon autre question. Vous recommandez une
définition de ce qu'est le discours
haineux, de le définir avec plus de précision pour permettre un meilleur
travail d'éducation et de sensibilisation par la suite. C'est bien ça?
Vous souhaitez que la définition de «discours haineux» soit plus claire?
Le Président (M. Hardy) :
M. Boudreau.
M.
Boudreau (André) : Plus claire, plus simple, plus concrète. Donc, le
besoin, au niveau du terrain, ce n'est pas d'avoir une définition, c'est que concrètement on comprenne de quoi il
est question. La définition, elle est intéressante en discussion, mais, dans la compréhension dans la
vie de tous les jours, les gens, ils ont besoin de comprendre dans le
détail de quoi on parle. Et souvent l'idée,
elle est connue, mais comment ça se traduit en actes, en gestes, en paroles,
les gens ont de la difficulté à faire le lien.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Et... Oui? Vous
alliez ajouter?
M. Boudreau
(André) : Non, j'allais juste dire... Et je comprends que, dans un
projet de loi, on ne peut pas tout retrouver
ça. Et en même temps notre préoccupation, ce n'était pas d'aller contre des
éléments, c'était d'amener par notre expertise terrain où même malgré un
projet de loi qui peut être intéressant... où on va se retrouver avec des
difficultés d'application. Puis là, bien, pour nous, on a fait le parallèle par
rapport au travail en violence conjugale et familiale.
• (14 h 40) •
Mme Vallée :
Parlant de difficultés d'application, vous avez mentionné certaines
incohérences parfois qui pouvaient
exister dans certains dossiers de nature civile puis les dossiers qui sont
pendants devant la Cour du Québec en matière
criminelle dans les dossiers de violence conjugale, dossiers familiaux. Donc,
comment vous voyez cette cohésion-là,
cet arrimage-là entre les différents intervenants? Avez-vous une suggestion?
Est-ce qu'il y aurait lieu, dans le projet de loi, de
prévoir certaines dispositions additionnelles forts de l'expérience que vous
avez actuellement?
M.
Boudreau (André) : Je vous
dirais que, par rapport à... Je vais y aller avec l'expérience qu'on a au
niveau de la violence conjugale. Il se fait
des travaux. Je ne dirai pas qu'on a une orientation ou une recommandation spécifique de faire ou
d'inclure, mais je pense que plus le projet se transformera en loi... dans son application,
ce serait intéressant qu'il y ait des travaux ou des échanges pour voir comment
on peut appliquer, comment on peut répondre à cet élément-là de la cohérence entre les tribunaux mais entre les
acteurs terrain aussi qui vont travailler ou avec les victimes ou avec
les personnes ou les groupes à qui on reprochera le discours haineux, là.
Mme Vallée : Les ordonnances
de protection vont au-delà aussi du discours haineux, c'est-à-dire que les
ordonnances de protection pourraient être émises si un individu, une personne a
des raisons, pour sa sécurité, de se préoccuper
mais ne veut pas nécessairement porter ou déposer une plainte au poste de
police du quartier, pour toutes sortes de
raisons, mais veut simplement pouvoir prendre une saine distance avec
l'individu qui porte atteinte ou qui pourrait porter atteinte à sa
sécurité.
C'est
un petit peu... C'est aussi ça, la question des ordonnances de
protection. Malheureusement, le temps était court, lors des remarques
préliminaires, mais c'est important,
il y a vraiment deux aspects bien distincts dans le projet
de loi. On a toutes les dispositions sur le discours haineux, mais on a aussi les
ordonnances, les mesures qui visent à protéger les personnes, notamment les personnes plus vulnérables qui pourraient,
pour toutes sortes de raisons, être victimes de harcèlement de la part
d'un membre de la famille mais ne veulent pas porter plainte parce que ça peut
dégénérer, il peut y avoir toutes sortes de conséquences
au point de vue familial. Ça peut être entre deux voisins qui s'interpellent. Bref, il
y a plein de situations
qui peuvent amener quelqu'un à souhaiter une ordonnance de protection, à
vouloir prendre une saine distance d'un tiers sans nécessairement
vouloir soumettre le dossier à l'appréciation des procureurs ou des policiers. Et ça, bien, j'imagine que, dans le
cadre des travaux, dans le cadre de vos interventions, ça doit être une
réalité que vous connaissez bien. Que pensez-vous de ces dispositions dans ce
contexte-là?
Le Président (M.
Hardy) : M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : C'est un
peu qu'est-ce qu'on voulait soulever au niveau de garder toujours
à l'esprit que, même si, puis on le voit en violence conjugale, il y a des
ordonnances de protection qui bien
souvent sont difficilement applicables
sur le terrain. Exemple, on va dire à un monsieur : Bien, tiens-toi à
500 mètres de la maison, il va se tenir à 510 mètres, là. Parce
qu'on ne peut pas mettre un policier
derrière chaque personne, on ne peut pas... Mais, l'ordonnance de protection, moi, je pense qu'effectivement ça en prend, ça doit faire partie de la loi, mais, nous, ce qu'on
disait, c'est gardez à l'esprit qu'effectivement ça peut donner un faux
sentiment de sécurité, si c'est mal appliqué ou dépendant, comment je dirais
ça, donc, des nuances ou des... Ce qu'on ne souhaite pas ou ce qu'on ne veut
pas, c'est que les ordonnances de
protection, ce soit du mur-à-mur, dans le fond, que, quand on émet une
ordonnance de protection, on prenne le temps de regarder les
particularités de cette ordonnance-là. Et je pense que, quand on le fait, quand
ce n'est pas un automatisme, bien on est dans quelque chose de plus gagnant,
là, au niveau de ces ordonnances-là.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Et vous avez formulé une recommandation de mieux
définir ce qu'est le contrôle
excessif aussi même à l'intérieur des dispositions de la Loi de la
protection de la jeunesse. Est-ce que vous considérez que c'est une disposition qui permettrait à nos intervenants de
mieux pouvoir définir leurs interventions, qui leur permettra
d'intervenir de façon plus adéquate?
Le Président (M.
Hardy) : M. Bilodeau.
M. Bilodeau
(Rémi) : Encore là, comme on disait tantôt, je pense, c'est dans la
définition de qu'est-ce qu'un contrôle
excessif. Effectivement, le contrôle excessif, pour nous, on travaille
avec ça régulièrement, on travaille avec des gens qui sont contrôlants, donc, mais c'est variable, hein, le contrôle
excessif, là. Moi, je pense que ça mérite d'être bien balisé, bien défini, mais effectivement c'est un outil de plus pour les intervenants, pour être capable d'intervenir,
qui peut être intéressant, là.
Et,
dans la loi, aussi on parle de restreindre un peu l'information qu'on donnerait aux parents et qu'on prendrait en compte un
petit peu plus le point de vue de l'enfant. Ça aussi, on trouvait ça intéressant, question de protéger
l'enfant, pas nécessairement qu'il y ait une
divulgation automatique de ces faits-là, parce qu'encore là on est dans la nuance. Dans ces dossiers-là, quand on parle de propos haineux,
quand on est dans la violence, dans le contrôle excessif, on est tout le
temps dans la nuance, c'est dur d'appliquer quelque chose de mur à mur.
Mme
Vallée : Je sais que votre mémoire était quand même beaucoup
plus volumineux que votre présentation, vous aviez aussi d'autres recommandations sur lesquelles on n'a pas eu
la chance d'échanger. J'aimerais vous entendre. Il y a des recommandations qui ne touchent pas le
texte législatif comme tel mais qui touchent peut-être des mesures ou
des gestes qui pourraient être posés en parallèle. J'aimerais vous entendre sur
ces recommandations-là.
Le Président (M.
Hardy) : M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : Bien, la recommandation, dans le fond, on le disait
tantôt, je pense qu'associé à ce projet de loi là il doit y avoir et on recommande qu'il y ait une campagne de
sensibilisation et de responsabilisation sur les impacts des discours haineux afin d'opérer dans le temps
une transformation sociale. On pense que, comment je dirais ça, donc, la
piste gagnante, c'est la transformation
sociale, c'est l'éducation, c'est la transformation sociale. Donc, un projet de
loi seul, s'il n'y a pas des choses
qui sont mises en place pour sensibiliser, responsabiliser, bien on risque
d'avoir des atteintes moins grandes,
donc on souhaitait que le projet de loi soit accompagné d'une campagne de
sensibilisation et de responsabilisation.
On
souhaite aussi, on l'a dit : «S'assurer que les gestionnaires et les
créateurs de site Internet facilitent la mise en place de mécanismes permettant le contrôle et le retrait des discours
haineux sur Internet et [sur] les réseaux sociaux.» Présentement, je
pense que ça ne va pas d'emblée, on ne crée pas de mécanisme pour retirer ces
propos-là. Nous, on pense qu'effectivement,
s'il y avait... On ne sait pas de quelle manière, soit à travers un code
d'éthique ou à travers... peut-être pas un principe de loi mais
peut-être plus un code d'éthique, qu'on suggère aux fournisseurs et aux
créateurs de site Web d'y inclure une façon,
déjà, de retrait. Comme un genre de politique de confidentialité qu'on a déjà
quand on crée un site, bien il y aurait une politique aussi au niveau du
retrait des commentaires et des propos haineux. Je ne sais pas si ça fait le
tour.
Mme Vallée :
Merci. Je ne sais pas si j'ai des collègues qui ont des questions pour À coeur
d'homme. Pour le moment, ça va.
Est-ce qu'il est possible, M. le Président, de
reprendre les échanges... je ne sais pas, on n'en avait pas discuté, là, de
pouvoir avoir des blocs d'échange pour faciliter?
Une
voix : ...
Le Président (M.
Hardy) : Oui?
Mme
Maltais : Regardez, bien, c'est parce que ça devient un peu
complexe, parce que nous, on ne pourra plus répliquer si vous pouvez répliquer, vous autres. Alors, d'habitude, on
fait le premier bloc. Comme les blocs sont courts, je continuerais comme
ça.
Mais,
si la ministre veut prendre un dernier cinq minutes là-dessus, pour cette
fois-ci, oui, puis la prochaine fois on
continuera comme l'usage. Mais, si vous avez à revenir pour À coeur d'homme, il
n'y aura pas de problème. Merci.
• (14 h 50) •
Le
Président (M. Hardy) : Donc,
nous passons avec les députés de l'opposition
officielle, tout en vous
rappelant, Mme la députée de Taschereau, que vous avez 15 minutes.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, bonjour, messieurs
d'À coeur d'homme, M. Boudreau qui est président, je crois, et
M. Bilodeau.
Écoutez,
je comprends bien que vous êtes préoccupés par les impacts négatifs, par
exemple, qu'il pourrait y avoir sur
le fait que, dans les médias, il peut y avoir des répliques, discours haineux
contre discours haineux, il y a des gens qui se font attaquer alors qu'ils n'ont même pas le temps de se défendre,
puis que sur les médias sociaux ça prend une enflure démesurée. Comme on est femmes politiques — vous le notez d'ailleurs dans votre
mémoire — ça peut
nous arriver à nous aussi. Mais je ne
sais pas si vous êtes conscients ou si vous avez noté dans votre mémoire qu'à
l'article 1 de la loi, finalement,
dès le début, on nous dit que ça vise des groupes, ce sont des discours qui
visent des groupes de personnes, là.
Est-ce
que vous voulez dire que la loi devrait viser aussi les personnes
spécifiquement visées par des discours haineux?
Parce que, ça, il me semble que c'est déjà couvert par le Code criminel. Donc, est-ce
que vous voudriez que la loi soit étendue vers les personnes?
Le Président (M.
Hardy) : Monsieur...
Mme
Maltais :
...l'article 1 dit, pour vous le remettre en mémoire, là, parce que c'est
toujours compliqué, ces choses-là :
«Elle s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence
tenus ou diffusés publiquement — d'abord publiquement — et qui visent un groupe de personnes qui
présentent une caractéristique...» Donc, elle ne protège pas les
individus victimes de propos haineux personnellement.
Est-ce que vous
auriez voulu que ce soit étendu? Parce que, moi, à première vue, non, là, mais...
Le Président (M.
Hardy) : M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : Non, pas nécessairement. Ce qu'on souhaitait mettre
en lumière, c'est qu'effectivement le projet de loi, il balise très bien
pour ce qui est des groupes, sauf qu'on disait, puis qui est probablement dans
d'autres dispositions du code et, bon, les
travaux aussi faits sur l'intimidation... mais, nous, notre préoccupation,
c'était qu'on garde tout le temps ça
en portrait, en paysage, que ce ne soit pas... oui, il y a les groupes, mais il
y a les individus qui font partie des groupes, et qu'on garde une espèce
d'horizon de tout ça, là. Et effectivement ce n'est peut-être pas dans ce
projet de loi là qu'on va baliser les comportements individuels, mais c'est des
vases communicants aussi, là, c'est des gens individuellement qui font des
commentaires, souvent, là, haineux et des propos haineux. Ils font partie de
groupes, mais moi, je me dis, il faut garder
l'horizon sur effectivement... Oui, il y a les individus. Mais ce n'était pas
notre idée de vouloir inclure ou de vouloir... C'était plus un sentiment
de garder ça en préoccupation.
Mme
Maltais :
Vous me rassurez, mais vous ne m'étonnez pas non plus, je me doutais bien.
Écoutez,
en parlant d'individus, ça nous amène à ça. Je vois que, dans votre mémoire,
vous ne commentez pas la partie sur
le tribunal, le nouveau tribunal qui va être créé, tribunal administratif, donc
pas un tribunal civil mais bien un tribunal
administratif que serait le tribunal du CDPDJ. Et une fois que quelqu'un, qui
aurait tenu des propos haineux visant un groupe, serait passé devant le
tribunal, s'il est déclaré coupable, il va être sur une liste publique sur
Internet.
Est-ce
que vous avez déjà été favorables à des listes publiques sur Internet, genre,
par exemple, conjoints violents? Est-ce
que vous êtes favorables à ce que les gens coupables de violence conjugale
soient nommés sur une liste Internet?
Le Président (M.
Hardy) : M. Boudreau.
M. Boudreau
(André) : Non, on n'est pas favorables à la liste. Comment je dirais
ça? On l'avait abordé pas directement par rapport à la composition du tribunal
ni par rapport à la liste mais plus par rapport à la présomption d'innocence. De toute façon, à partir du moment où
on soupçonne, qu'on amène quelqu'un devant une cour, qu'on prétend qu'il a commis... au niveau de la population, on
reste avec l'idée qu'il a été coupable de, même si au final il est
absous. Donc, si en plus... Parce que, je me
rappelle, autour de cet élément-là, on parlait que, quand c'était connu, quand
la personne était déjà connue, automatiquement on devait présumer que...
je pense qu'elle était sur la liste, là. Je n'ai plus le détail, là, mais...
Mme
Maltais : ...on s'entend que, dans la loi, si quelqu'un
est déclaré coupable devant un tribunal
administratif, là, et pas devant une cour, là, devant un tribunal administratif
qui juge non pas avec la notion de doute raisonnable mais qui juge en fonction d'un certain équilibre,
là, de la preuve d'un bord et de l'autre, s'il est déclaré coupable, il est sur
une liste publique ou elle est sur une liste
publique sur Internet. Je sais qu'en général les groupes
communautaires ou les groupes, entre
autres, qui luttent contre la
violence, soit les hommes soit les femmes, ne sont pas véritablement favorables
à des listes, j'étais étonnée de ne
pas avoir de commentaire de votre part. Alors, ma question,
c'est : Seriez-vous d'accord avec le fait qu'une décision issue d'un tribunal
administratif fasse que quelqu'un
soit sur une liste sur Internet pour une durée indéterminée?
M.
Bilodeau (Rémi) : Je pense
que la réponse est non. Mais, un peu comme André disait, nous, on l'a pris
par rapport, bon, à la présomption d'innocence et on explique aussi
dans notre mémoire qu'à quelque
part il va y avoir une difficulté
au niveau de l'application, là. Parce qu'effectivement comment ça va être défini? Parce
que, dans nos recommandations
aussi, on souhaite que la commission puisse aller chercher de l'expertise chez
les groupes communautaires, auprès
d'intervenants qui travaillent dans cette problématique-là pour justement
éviter ces dérives-là, là.
Mme
Maltais : Je pense que vous visiez la réhabilitation. Les organismes communautaires qui sont dans
votre organisation — j'en
connais quelques-uns, je pense que les députés connaissent ce type de
groupe — travaillent
beaucoup vers la réhabilitation, la réinsertion.
Si on était
dans un cas de violence conjugale, par exemple, s'il y avait ce type de liste
là, est-ce que ce serait un frein à la réhabilitation, à la réinsertion?
Est-ce que ça pourrait être néfaste pour le travail que vous avez à faire, vu
qu'on est dans la violence conjugale, là, on n'est pas dans...
Le Président (M. Hardy) : M.
Boudreau.
M. Boudreau (André) : Est-ce que ce
serait néfaste pour notre travail? Je ne le sais pas. Est-ce que ce serait
néfaste pour la personne? Assurément.
Puis je ne
peux pas le comparer au discours haineux, on est dans deux éléments. Ce qu'on
voit beaucoup par rapport à la
violence : la raison de plaider coupable n'est pas la même pour toutes les
personnes. Donc, est-ce que c'était justifié qu'il plaide coupable pour la mauvaise raison? Peut-être pas, mais là ça
dépasse le travail qu'on peut faire. Mais assurément qu'à ce moment-là
être inscrit sur une liste augmente encore plus cet aspect-là, là, de
difficulté.
Je vous
dirais, on ne l'a pas retenu, l'aspect de la liste, on ne l'a pas inscrit dans
notre mémoire, ce n'est pas parce que ça nous a échappé, c'est plus
parce qu'on avait pris un regard différent par rapport au projet de loi. Mais
d'avoir posé un geste et d'être pris
longtemps avec ce geste-là sans possibilité de dire : J'ai été trop loin
et... bien la liste, là, n'aide pas à amener un changement auprès de la
personne qui a posé le geste, assurément, ça fait que ce n'est pas quelque
chose avec lequel on est...
Mme
Maltais : ...dans
la prévention du futur.
M. Boudreau (André) : Ni même dans
notre travail.
Mme
Maltais :
C'est-à-dire, la personne, elle a posé un geste, elle est sanctionnée, mais ça
n'aide pas à la réhabilitation et tout.
M. Boudreau (André) : Non. Non.
Mme
Maltais : O.K. Je
vous remercie.
Les
ordonnances, c'est difficile à appliquer. Est-ce que vous avez envie de
continuer à en jaser? Parce que je pense que la ministre de la Justice était intéressée aussi à voir qu'est-ce
qu'il pourrait y avoir comme changements à apporter. Entre autres, s'il
y avait des cas comme ça, là, d'incitation à la haine dans votre univers,
qu'est-ce qui pourrait faire que ça fonctionne mieux?
Le Président (M. Hardy) :
M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Rémi) : Je pense que c'est qu'il y ait une meilleure
communication entre les instances. Souvent, ce qu'on voit, c'est que, les différents jugements qui sont rendus, il n'y
a pas de prise de connaissance des dossiers, là, on les prend séparément
ou on les prend... Ça fait qu'effectivement moi, je pense que, si... Dans le
cas des ordonnances de protection, pour
cette loi-là, moi, je pense que l'idée, la condition gagnante, c'est qu'il y
ait un mécanisme ou quelque chose qui
fait que les tribunaux et les différents juges peuvent se parler et peuvent
communiquer l'information, ce qui est souvent difficile à cause de la
confidentialité et tout ça, là, mais qui gagnerait des fois peut-être à être
bonifié.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Ça va
pour le moment, merci. Merci beaucoup de votre participation.
• (15 heures) •
Le Président (M. Hardy) : Il va vous
rester cinq minutes. Ça marche? Maintenant, je vais donner la parole à Mme la
députée de Montarville pour une période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. M. Boudreau, M. Bilodeau, merci
d'être ici, merci pour votre mémoire.
J'aimerais,
d'entrée de jeu, peut-être faire un petit détour via ma collègue de
l'opposition officielle et la ministre. Selon notre compréhension des choses, il n'y a pas création d'un nouveau
tribunal. Alors, pour ne pas qu'on vous induise en erreur, là, c'est faux... Selon ce que prétend ma collègue de
l'opposition officielle... On parle ici de la Commission des droits de la personne, qui existe, et du
Tribunal des droits de la personne, qui existe, actuellement. Donc, on ne
crée pas de nouveau tribunal, il ne faudrait
pas que vous partiez avec cette idée-là, là. Je pense que c'est important de
faire cette rectification, mais Mme la ministre pourra défendre son ministère
par la suite, mais je pensais que c'était important de vous le dire.
Mme
Maltais :
C'est la journée de la...
Mme
Roy
(Montarville) : Voilà. Cela dit, à la lecture de
votre mémoire, il y a quelque chose qui me fascine, puis j'aimerais que vous nous en parliez davantage. À
coeur d'homme, on sait que c'est ce Réseau d'aide aux hommes pour une société sans violence, mais vous, dans vos
recommandations — je m'en
vais aux recommandations — page 21, vous faites
plusieurs recommandations qui ont trait à Internet, aux médias sociaux, aux
réseaux sociaux. Et j'aimerais que vous me disiez, dans votre
quotidienneté, dans le travail que vous faites, dans quelle mesure — et là
on parle d'incitation à la haine parce que
l'objet de ce projet de loi là, c'est contrer l'incitation à la haine, les
propos haineux et l'incitation à la violence — les
propos haineux, l'incitation à la violence fait partie d'un phénomène qui
implique votre clientèle? Pouvez-vous
élaborer à cet égard-là? Parce que je comprends qu'il y a tout un devoir
d'information qui doit être fait pour que
les gens sachent que ce qu'il écrit ne devrait pas être écrit, mais dans quelle
mesure ça touche votre clientèle ou votre clientèle s'y adonne, si je
peux dire? Mais parlez-nous de ce phénomène.
Le Président (M.
Hardy) : M. Boudreau.
M.
Boudreau (André) : Quand vous dites, là, «qui touche notre clientèle»,
ou de subir le propos haineux ou de poser le propos haineux, ce n'est
pas nécessairement une grande proportion, mais, dans tout le travail au niveau
de la violence, que ce soit au niveau
conjugal, familial ou — Rémi le disait plus tôt — certains de nos groupes travaillent
avec les jeunes aussi par rapport à la violence, là on fait face beaucoup,
comment je dirais ça, à tout ce qui se passe au niveau des réseaux sociaux. Soit un groupe qui attaque une personne, qui
discrimine, qui intimide une personne ou ce qu'on va voir, à l'occasion, auprès des hommes qu'on rencontre, c'est
d'avoir accès à des forums où on va avoir tendance à stigmatiser les
femmes et les féministes comme étant, comment je dirais ça, la pire chose qui
arrive à notre société. Et, comme les gars vivent des choses, eux-mêmes,
difficiles individuellement, bien, vont se sentir interpellés par ces propos-là. Ça fait que... Est-ce que ça rentre
dans l'ordre du projet de loi comme dans ce qu'on entend comme discours
haineux? Peut-être que oui, peut-être que non, mais ça fait partie, au niveau
du travail sur l'égalité entre les hommes et
les femmes, au niveau de la violence conjugale, d'un élément négatif en lien
avec les réseaux sociaux. Puis, d'une façon plus générale, comme citoyens, bien, on voit bien aussi tout ce qui se
dit ou tout ce qui se fait avec les réseaux sociaux ou Internet, tout ce
qu'il y a de positif avec ça, mais, dans ce cas-ci, là, par rapport aux
discours haineux.
Ça fait que ce n'est
pas tellement que ça inclut ou ça comprend beaucoup de nos participants, mais
ça a un impact soit mineur ou, pour
certains, là, fondamental, tout l'aspect du discours, ou de la propagande, ou
de la haine contre les féministes, entre autres, là, parce que c'est
celle-là qu'on entend le plus souvent, là.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, si...
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Pardon?
Le Président (M.
Hardy) : J'ai dit : C'est à vous que va la parole, Mme la
députée.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui, oui, merci. Donc, si je vous
entends bien, vous me dites que ce phénomène, ces réseaux sociaux là
sont, en quelque sorte, et servent, en quelque sorte, d'exutoire à une certaine
clientèle, là, hein, de défouloir, d'exutoire. Et vous nous dites : Il
faut faire attention à ça parce qu'ils ne sont pas nécessairement si mal intentionnés. C'est un peu ce que vous disiez dans
vos propos tout à l'heure lorsque vous disiez qu'il y a des victimes qui
ne sont pas tout à fait victimes puis des
agresseurs qui ne sont pas tout à fait agresseurs. C'est à ça que vous nous
dites de faire attention?
M. Boudreau
(André) : Oui, et c'est ce qui nous...
Le Président (M.
Hardy) : M. Boudreau.
M. Boudreau
(André) : ... — excusez-moi,
monsieur — amenait
à parler aussi d'éducation, d'éléments de changement
de culture. Au-delà de ce qui se passe dans l'action, souvent... bien, en tout
cas, pour plusieurs personnes, c'est comme une soupape qui leur permet de
répondre aux difficultés, et pas nécessairement une intention de
propager ou de contribuer au discours haineux.
En même temps... Vous m'excuserez, j'ai perdu le
fil de ce que je voulais dire.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oui. Là, je comprends ce que vous dites à
cet égard-là. Par ailleurs, on est ici pour cette loi qui vise à lutter contre les propos haineux, l'incitation à la
violence. Mais il y a un but qui était derrière tout ça et c'est aussi la radicalisation des jeunes.
Naturellement, pour préparer votre mémoire, vous avez lu le projet de loi,
vous vous êtes attardés aux chapitres ou aux articles qui touchent davantage
votre organisation.
C'est une
question que je vous pose à brûle-pourpoint, sentez-vous bien à l'aise :
Croyez-vous qu'avec ce que contient ce
projet de loi ça va faire en sorte que nos jeunes seront endoctrinés plus
difficilement ou ne seront plus endoctrinés,
comprenez-vous ce que je veux dire, qu'ils n'auront pas le goût de se
radicaliser? Trouvez-vous que c'est suffisant,
que c'est un pas dans la bonne direction ou qu'on devrait faire plus? Mais
sentez-vous à l'aise si vous ne voulez pas répondre à la question parce
que ce n'était pas l'objet de votre mémoire.
Le Président (M. Hardy) :
M. Bilodeau.
M. Bilodeau (Rémi) : Bien, ce qu'on
pourrait répondre : Effectivement, c'est un pas dans la bonne direction. Est-ce que ça va aider à ce que les jeunes ne se
radicalisent pas? Bien, comme je vous dis, ce n'est pas notre expertise,
à ce niveau-là. L'idée, je pense, même au
niveau de la radicalisation, c'est une question d'éducation, c'est une
question de culture puis c'est une question
de sensibilisation puis de responsabilisation. Ça fait que, je me dis, c'est un
peu, comment je dirais ça, donc, les bases du projet de loi. Donc, on se
dit : Effectivement, c'est un pas dans la bonne direction.
Mme Roy
(Montarville) : Je vous remercie. Mon collègue aimerait
prendre la parole pour le temps qui me reste, M. le Président.
Le Président (M. Hardy) : Oui. M. le
député de Blainville, il vous reste 2 min 58 s.
M. Laframboise : Oui, bien, merci,
M. le Président. Moi, je vais revenir sur une partie de votre mémoire, la
page 10, là, parce que vous nous dites : «Nous souhaitons — évidemment,
quand on parle de la préoccupation et de l'application
de la loi et de son traitement — qu'elle soit juste et équitable pour tous et
qu'elle s'applique autant aux victimes de discours haineux qu'à des
personnes qui ont commis des actes répréhensibles.» Bon, je pense que c'était
le but, le message que vous voulez nous passer.
Par contre,
vous avez bien compris, avec les explications des différents collègues, que la
loi s'applique, pour les discours
haineux, en faveur des groupes. Évidemment, ma collègue vous a rajouté... On
parle d'endoctrinement. Là, ce que
vous nous demandez, c'est de dire... Parce que, dans le fond, on fait ça, c'est
parce que l'article 10 de la Charte des droits et libertés, présentement, permet à quelqu'un de faire ce qu'on
veut interdire de faire, finalement. C'est ce qu'on veut encadrer, là.
La charte le permet présentement.
Donc, ce que
vous nous dites, c'est : Il faudrait protéger pas juste ceux qui reçoivent
le discours, mais il faudrait aussi protéger celui qui le livre. C'est
ça que vous nous dites, là, finalement, là.
Le Président (M. Hardy) :
M. Boudreau.
M. Boudreau (André) : Pas
exactement, dans le sens où, quand on parle de l'acte répréhensible, c'est plus
quelqu'un qui a commis un autre acte
répréhensible, et, compte tenu qu'il en a déjà fait un d'un autre ordre, on
pourrait être tenté de croire qu'évidemment il a commis celui-là ou on ne
prétendra pas qu'il est victime, compte tenu qu'il a déjà commis d'autres actes répréhensibles — donc il a été accusé ou coupable de quelque
chose — mais pas
nécessairement celui qui tient les propos.
Par contre,
ceux qui tiennent les propos, bien, on croit qu'en plus de l'aspect de
l'accusation, de la condamnation, de
l'aspect d'être reconnu coupable de ça, bien, par la suite, ça pourrait
sûrement être intéressant qu'ils aient eux aussi accès à un processus de
changement, de remise en question, de responsabilisation, d'éducation.
Si vous me
permettez, je vais vous faire une petite comparaison. Il va arriver souvent,
dans le travail qu'on fait auprès des
hommes, qu'on leur demande : Est-ce que tel geste ou telle chose que tu as
dite, c'est de la violence? Pour les gars,
non, ce n'est pas de la violence. Bien, comment je dirais ça, quand on lui
permet de constater qu'est-ce que son enfant ou sa conjointe a vécu, bien, souvent, les gens n'ont pas réalisé qu'ils
avaient cet impact-là. Pour eux, c'était comme ça, puis ils ne touchaient pas d'individus, ils
s'adressent à un groupe en général. Le groupe en général, puis c'est un peu
ce qu'on dit aussi, le groupe, ce n'est pas un individu, c'est un groupe. Mais,
dans le groupe, c'est tous des individus.
• (15 h 10) •
M.
Laframboise : Moi, je peux
comprendre ce que vous voulez nous livrer, mais c'est parce que, écrit
comme vous le faites, c'est comme si... Moi,
ma personne qui livre le discours, si je lui parle, elle va me dire que ce
discours-là, il n'est pas haineux, pas du tout, puis, tu sais, il n'endoctrine
pas personne, là, ce n'est pas ça, là. Ils ont tous la même excuse, là. Donc, à quelque part, il faut
comprendre que le projet de loi s'adresse à des dispositions spécifiques, alors
que vous, quand vous nous parlez de tout ce qui pourrait arriver par rapport à
des actes répréhensibles, ce n'est pas par rapport au
discours haineux, c'est par rapport à d'autres actes qui auraient pu être
commis dans le passé, dans un cadre de violence
conjugale, puis là on leur remet. C'est un peu ça que vous nous livrez comme
message, là. Parce que, dans le fond, vous êtes en accord avec le
principe du projet de loi, là. C'est ce que vous nous dites aujourd'hui?
M. Boudreau (André) : Oui, oui.
M. Laframboise : Parfait. Merci.
Le Président (M. Hardy) : Donc, je
vous remercie de votre contribution. Le temps est présentement écoulé.
Nous allons
suspendre nos travaux quelques instants, et j'inviterais les représentants des
Juristes pour la défense de l'égalité et des libertés fondamentales à
prendre place a la table des témoins. Merci, messieurs.
(Suspension de la séance à 15 h 11)
(Reprise à 15 h 13)
Le
Président (M. Hardy) : Alors, sans plus tarder, je souhaite la
bienvenue aux Juristes pour la défense de l'égalité et des libertés fondamentales. Je vous invite à
vous présenter et je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes
pour votre exposé.
Les
Juristes pour la défense de l'égalité
et des libertés fondamentales
Mme Latour (Julie) : Merci, M. le
Président. Mme la ministre, Mmes et MM. les parlementaires, je vous remercie de nous accueillir. Alors, je suis Julie
Latour, avocate et ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal. Je suis accompagnée de Me Julius Grey, qui se passe
de présentation. Il a été partie prenante comme procureur dans la
plupart des causes-phares en matière de
droits et libertés depuis l'avènement de chartes des droits, en particulier en
matière de liberté d'expression, qui est le sujet qui touche au projet
de loi n° 59 en instance.
Alors, nous
agissons aujourd'hui au nom des Juristes pour la défense de l'égalité et des
libertés fondamentales. Il s'agit d'une coalition de juristes d'horizons
variés, mais qui oeuvrent en droit public, qui comprennent également le Pr Guy Tremblay, qui est coauteur d'un
ouvrage d'importance en droit constitutionnel; le Pr Daniel Turp de
l'Université de Montréal, un ancien collègue
parlementaire; Me Pierre Brun, bien connu en matière de libertés civiles;
Marie Laure Leclercq et Me Denis L'Anglais.
J'aimerais préciser, d'entrée de jeu, que la
portée de notre intervention, est tout particulièrement sur la partie I du projet de loi, qui édicte la Loi
concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les
discours incitant à la violence, ainsi que
les articles 24 à 32 de la partie II, qui concernent plus
particulièrement... en tout cas, qui ont un impact sur la liberté
académique et sur la liberté scolaire.
Je vais
débuter en vous exposant quelques notions qui figurent au sein de notre
mémoire, suivie de Me Grey, tout en
sachant que nos présentations d'ouverture sont concises, mais que nous aurons
ensuite l'occasion de poursuivre les discussions avec vous.
Alors, nous
souhaitons, comme juristes, vous exprimer notre vive inquiétude à l'égard du
projet de loi n° 59. À notre
avis, il n'y a aucune nécessité pour cette loi. On ne sait pas contre quel
péril inexistant on veut nous protéger, et donc le danger, c'est que la législation fasse boomerang à
moyen terme. C'est un projet de loi qui contient des mesures radicales
et extensives avec des ramifications inquiétantes. Et, en cette ère d'austérité
économique étatique où d'importants programmes
sociaux sont supprimés ou ont été significativement réduits, l'idée que des
deniers publics soient investis pour que la Commission des droits de la
personne se dote d'une brigade d'effectifs pour recevoir des dénonciations anonymes avant même la diffusion d'un supposé
discours, pour créer un comité des dénonciations et tenir une liste à
jour sur son site Internet des personnes
soi-disant coupables qui auraient été condamnées en vertu de cette législation
civile, donc ces mesures nous apparaissent totalement irréconciliables avec les
assises d'une société libre et démocratique.
Alors, je
vous soumets donc que nous avons déjà des dispositions existantes au Code
criminel, les articles 318 à 320,
pour prévenir les discours niant le génocide ou les discours à caractère
haineux, et donc il y a une duplication au sein du projet de loi n° 59 de ces dispositions, mais sans les garanties
procédurales importantes qui existent en droit criminel.
C'est la
quatrième tentative depuis 1994 de la Commission des droits de la personne de
voir le discours haineux être inclus au sein de la charte ou de voir une
législation civile à cet effet. Or, depuis 1994, est-ce qu'il y a un mal accru en ce domaine? Aucunement. La Cour suprême a déjà
statué que les dispositions concernant le discours haineux doivent être limitées aux propos les plus virulents et les
plus extrêmes et elle a même invalidé, dans l'affaire Whatcott, les
propos qui rabaissent, qui ridiculisent ou qui portent atteinte à la dignité.
Or, c'est au sein d'un récent mémoire pour contrer l'intimidation que la
Commission des droits revient à la charge avec de telles dispositions. Alors, à
plus forte raison, si on ne peut pas
permettre un discours qui ridiculise ou qui porte atteinte à la dignité, ce
n'est certainement pas le moyen approprié pour lutter contre
l'intimidation.
Et non seulement il n'y a aucun besoin pour
cette législation, mais les juridictions qui ont légiféré, qui ont des lois en matière civile ou de droits de la
personne pour prévenir les discours haineux, les ont soit abrogées ou
songent à le faire — notamment, au fédéral, l'article 13 de
la Loi canadienne sur les droits de la personne a été abrogé l'an
dernier avec le projet de loi C-304 — parce
que, justement, elles étaient utilisées de façon détournée. On pourra en reparler
un peu plus tard.
Donc, nous estimons qu'on utilise un canon
juridique pour tuer une mouche hypothétique. Et la liberté d'expression,
c'est une liberté mère dans une démocratie
parce que la liberté d'expression est intimement liée à la liberté d'opinion
et découle de toutes les libertés de la
pensée qui sont le propre de l'humain et qui sont les assises d'une société
démocratique. Et la liberté d'expression,
elle est utile comme liberté fondamentale dans les cas où l'expression dérange
ou est incompatible avec les vérités reçues de la société et non pas
pour dire des choses banales ou communément admises.
Nous nous
expliquons mal également la grande disparité, l'asymétrie entre le projet de
loi n° 59 sur les crimes haineux
et le projet de loi n° 62 concernant la neutralité religieuse de l'État,
présenté le même jour. Alors que le projet de loi n° 59 est très extensif avec un long préambule, des
amendements à la charte, voilà que le projet de loi n° 62 réduit la
neutralité de l'État à une peau de chagrin. Or, s'il y a un domaine où il est
urgent et réel d'agir, et la commission Bouchard-Taylor
l'a dit il y a bientôt 10 ans, et c'est au terme d'audiences tenues, c'est
en matière de laïcité. Et, comme juristes,
nous partageons cet avis, que nous exprimons au sein du mémoire. Il y a un
besoin de clarté juridique, et voilà un domaine où il faut agir de façon
urgente et réelle.
La démocratie aussi. Le projet de loi témoigne
d'une vision incarnée de la société parce que, la démocratie, c'est le théâtre des passions, c'est là où les
opinions diverses doivent pouvoir s'exprimer au sein des institutions
existantes. Et, sinon, il y a un danger de
glissement vers la violence, au contraire, si on essaie de museler
l'expression. Et on postule, comme société, que nous sommes une société
pluraliste, mais on voudrait un discours homogène.
Alors, voilà, quant à moi, ce que je voulais
vous livrer, et je cède la parole à Me Julius Grey.
• (15 h 20) •
M. Grey (Julius H.) : Je sais que
j'ai seulement quelques secondes. Vous connaissez la fameuse expression «une
minute d'avocat», mais ça ne sera pas le cas ici, je vais essayer de tout
mettre dans ma minute d'avocat.
Premièrement,
je pense que cette loi est très punitive. Les casiers, par exemple, les dénonciations anonymes, la publicité sont aptes à détruire
quelqu'un. Si nous voulons aider un jeune écervelé, par exemple, qui fait un
discours terrible, ce n'est pas en lui
collant un dossier de cette nature-là, et vous n'êtes pas sans savoir que les
casiers judiciaires, depuis quelques
années, c'est terrible au Canada,
mais, aux États-Unis, posséder un casier, même une accusation, ça veut dire être un citoyen de deuxième classe pour tout
employeur. À mon avis, pour le jeune écervelé qui va se permettre un
discours ridicule, c'est le contraire. Il faudrait l'instruire, avoir des
possibilités, si vous voulez, de l'aider, mais non pas le stigmatiser.
Deuxième
chose, ce projet de loi, à mon avis, présente un cas exact de ce que c'est que
le présentéisme. Il y a un terme qui circule
maintenant, c'est la croyance que, dans notre époque, nous avons trouvé la
dernière vérité et que nous pouvons
supprimer les opinions qui ne sont pas les bonnes. Et je veux vous montrer que
ce même projet de loi, appliqué en
1955, avec les mêmes termes que vous avez là, aurait été utilisé pour exclure
les homosexuels, les Témoins de Jéhovah et les communistes, surtout la partie scolaire de cela. On aurait
dit : Un professeur homosexuel, ça choque; un professeur communiste, ça choque, les enfants doivent être
protégés. C'est donc le présentéisme où nous ne comprenons pas que les
temps peuvent changer et qu'on utilisera ce discours contre toutes sortes
d'autres choses.
Finalement,
quel discours? Ce n'est pas du tout clair. Qu'est-ce que ça veut dire «permettre
qu'il soit publié»? Quel genre de
discours? Et finalement est-ce que les gens sont toujours très modérés dans
leurs discours? On peut montrer, par
exemple, que certains maîtres de nos littératures, Shakespeare, par exemple,
avec Shylock, Marguerite Yourcenar avec l'affaire avec un jeune garçon en Égypte, Mémoires d'Hadrien,
Drieu la Rochelle et Céline avec un antisémitisme clair que la France libérée n'a pas supprimé, ils ont
permis ces oeuvres-là. Robert Desnos, parlant des discours sur la violence,
qui, en tant que résistant, a dit : Je vous salue vous tous qui résistez,
porteurs de bombes, déboulonneurs de rails.
Dire qu'un
discours révolutionnaire est toujours prohibé, ça veut dire éliminer les
discours de Mandela, de Jefferson et
même, même écrire à l'ambassadeur français que, le prochain 14 juillet, il ne faut pas chanter «Aux armes
citoyens! Formez vos bataillons! [Que] le sang impur abreuve nos sillons.» Il
faudra dire : C'est un discours prohibé.
Le Président (M. Hardy) : Je vous remercie,
M. Grey.
M. Grey (Julius H.) : Parfait.
Le
Président (M. Hardy) : Nous
en sommes déjà rendus à la période d'échange avec nos invités.
Je débute avec le groupe parlementaire formant le gouvernement. Mme la
ministre, vous avez 25 minutes pour le faire. Merci.
Mme Vallée : Merci, M.
le Président. Alors, Me Grey,
Me Latour, merci de votre présence en commission parlementaire en cette première journée de consultation. C'est
la beauté de notre processus parlementaire, ça nous permet d'échanger,
d'avoir des échanges constructifs entre ceux qui ont peut-être une vision
différente du processus et des moyens législatifs qui pourraient être utilisés
pour venir régler ou solutionner une problématique.
Je sais que,
dans d'autres gouvernements, d'autres moyens législatifs avaient été pris,
d'autres moyens législatifs ont été
utilisés pour tenter de régler certaines problématiques. Je sais d'ailleurs
aussi... Me Latour, je
pense que vous aviez défilé en commission
parlementaire au moment du dépôt du projet de loi n° 60 par notre collègue qui alors pilotait le
projet de loi. Et c'est ça, la beauté, c'est qu'on peut venir échanger sur ces projets
de loi là.
Mais, je vous
dirais, lorsque vous soulevez la question de qu'est-ce
qui nous amène à déposer le projet de loi n° 59, de notre côté, bien, et je pense que ça a déjà été
utilisé et déjà été dit, il n'y a pas de liberté qui est absolue, en ce sens
que la liberté de l'un s'arrête là où débute celle de l'autre. Et le projet de
loi vise à encadrer les discours qui incitent à la haine,
pas le discours d'opinion, pas le discours qui est discordant et qui n'est pas
agréable. Parce que je lisais votre mémoire,
et je le relisais ce midi, et je sentais cette préoccupation, tout à fait
correcte, d'éviter la censure. Et je tiens à vous rassurer, l'objectif n'est pas du tout de déposer un projet de loi
qui viendrait mettre des gens à l'index par le simple fait qu'ils ont exprimé une opinion discordante
avec le discours politique ou avec un discours de nature politiquement correcte. Alors, là-dessus, je tiens à vous
rassurer parce qu'il n'est pas de notre intention d'aller aussi loin que ça et
de franchir cette barrière qui serait tout à
fait inacceptable et qui viendrait, justement, porter atteinte à la liberté
d'expression.
Par
contre — et je
pense que la commission des droits de la personne et de la jeunesse avait, à
juste titre, soulevé la question lors
du forum sur l'intimidation — il y a une utilisation de la liberté
d'expression qui vient porter atteinte à des groupes en raison de leurs différences, et c'est ça qu'on tente de venir
encadrer. C'est que, des propos haineux incitant à la violence à l'égard des femmes, à l'égard des
transgenres, à l'égard des homosexuels, à l'égard des personnes de nationalités
différentes, c'est ce discours-là qui incite
à la violence de l'autre, ce n'est pas le discours par lequel un individu va
exprimer son désaccord avec une politique ou
avec, par exemple, certaines différences. Alors, je pense qu'il est important de
le mentionner, et c'est pourquoi on a cru important de remettre le tout entre
les mains de la commission des droits de la personne
et de la jeunesse, qui a déjà ce rôle de gardien des droits et libertés, donc,
pour s'assurer que la liberté d'expression n'en prendra pas pour son
rhume. Et c'est pourquoi...
Par contre,
je comprends, vous avez interprété le projet de loi d'une façon différente,
mais j'aimerais comprendre ou j'aimerais échanger avec vous. De quelle
façon on peut venir empêcher qu'un discours violent ou empêcher la diffusion d'un discours qui incite à la haine, par
exemple à l'égard des femmes, ou qui inciterait à commettre des actes violents à l'égard des femmes ou à l'égard d'une
femme? Comment, civilement, pourrait-on répondre aux préoccupations qui ont été soulevées par la commission des droits
de la personne et de la jeunesse autrement que par le biais législatif
que nous avons proposé? Mais je suis à l'écoute puis je pense...
M. Grey (Julius H.) : Je vous dirais
d'abord qu'il n'y a pas vraiment, statistiquement, un grand danger. Il n'y a pas beaucoup de ça, ce qui explique pourquoi
chaque fois que quelqu'un dit des choses vraiment stupides comme la
semaine dernière, ça fait les manchettes, parce qu'il y a seulement un qui va
raconter des histoires pareilles.
Mais
deuxièmement je pense que vous devez donner des instruments. Vous appelez aux
dénonciations. Ce sont les gens qui
vont décider ce qu'ils vont dénoncer, et ce n'est pas clair dans chaque époque
ce qui va être dénoncé. Je vais vous
donner — et je
vais être parfaitement neutre politiquement — l'exemple d'une dénonciation aujourd'hui qui
irait de deux camps. Si quelqu'un disait que
l'État d'Israël n'a pas le droit d'exister, il y aurait des
dénonciations : C'est de la haine, de l'antisémitisme. Dans
d'autres milieux, si quelqu'un disait que l'État de Palestine n'a pas le droit
d'exister, que tout appartient à la
colonisation, ça serait considéré comme de la haine. Ça dépendrait des
individus, des êtres humains qui sont faillibles de déterminer si ces
discours-là, c'est de la haine ou non.
Et, quand
vous parlez de l'incitation à la violence, pensons-y, prohibée d'avance... Un
grand philosophe, Nietzsche, a écrit,
dans Ainsi parlait Zarathoustra, quand vous allez voir une femme, prenez
un gros bâton. Est-ce qu'on allait prohiber la publication des oeuvres
de Nietzsche, lui qui, entre parenthèses, était complètement dominé par sa
soeur qui lui disait quoi faire, mais il a
écrit cela? Est-ce qu'il faut prohiber d'avance ou prohiber les oeuvres qui
expriment des opinions qui
aujourd'hui ne sont pas considérées comme acceptables? Je pense que,
statistiquement, vous ne pouvez pas empêcher que ça soit quelque peu subjectif qu'on choisisse les causes qu'on va
retenir selon la rectitude politique d'aujourd'hui et que certaines
choses qui sont complètement raisonnables aujourd'hui, par exemple comme
l'homosexualité, auraient été visées en 1955.
• (15 h 30) •
Mme Latour (Julie) : Moi,
j'ajouterais, Mme la ministre, que, dans notre vision, ce n'est pas souhaitable
d'importer, en matière civile, les prohibitions sur le discours haineux qui
existent en matière criminelle. Et ça, ça a été confirmé aussi par le rapport
Moon, qui a mené à l'abrogation de l'article 13 de la Loi canadienne sur les
droits de la personne.
D'une part,
là, c'est un mal quasi inexistant. C'est quelques cas, mais il y a des
garanties procédurales, en matière criminelle,
qui sont importantes, alors que, là, ce qui est amené dans le projet de loi
n° 59, d'une part, est beaucoup plus invasif que ce qui n'existe dans aucune autre province : des
dénonciations anonymes, avant même la tenue du discours, la restriction préalable, des amendes exorbitantes.
Vous savez que, quand les amendes ont été ajoutées à l'article 54.1 de
la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est là où la Commission
canadienne des droits de la personne elle-même a dit : Là, on est
maintenant dans le registre punitif, on n'est plus en matière remédiatrice des
droits de la personne.
Alors, d'une
part, le projet de loi vient avec un arsenal de mesures très invasives, mais,
aussi, ce qui s'est passé dans le
reste du pays... et pourquoi même le Tribunal des droits de la personne de la
Saskatchewan a été aboli dans la foulée de l'affaire Whatcott? Parce que, pour les tribunaux, quel que soit le
type de plaintes, même si elles étaient vexatoires, futiles, on ne les rejetait pas. Il y avait des
plaintes dans diverses provinces et, dès qu'on blessait quelqu'un, alors le
taux de condamnation était presque de
100 %. Mais blesser quelqu'un, ça ne signifie pas que c'est un discours
haineux au sens du discours haineux.
Vous savez que les caricatures de Mahomet, leur publication, dans une province,
a entraîné une plainte pour discours
haineux. Alors, ce qu'on vous dit, ce
n'est pas hypothétique, là, c'est des
cas qui... l'intention d'un projet versus comment il est rédigé, comme
juriste, c'est ce qui demeure.
Ensuite, je
porte à votre attention que, devant la Commission des droits de la personne et
de la jeunesse, lorsque le Tribunal
des droits de la personne, donc, instaure des procédures, la partie plaignante
est appelée partie victime. C'est assez
particulier, hein? C'est comme si, en matière criminelle, on appelait l'accusé
le coupable. Déjà, ça... Et là les stigmates...
Ah
oui! Alors, aussi, il y a une disparité de traitement des parties. Devant la
Commission des droits de la personne et devant le tribunal, on prend le
fait et cause du plaignant, qui n'a rien à débourser pour ses frais juridiques.
Mais, dans le Canada
anglais, dans 90 % des dossiers, les défendeurs n'avaient jamais les
moyens d'avoir des conseils juridiques, alors c'est tout ce qui a amené les autres provinces à se questionner à
ce sujet. Et j'estime que, dans le devoir de conseil de la Commission des droits de la personne, ils
doivent aussi en aviser le législateur, de ce qui se passe ailleurs, et donc
on est très à contretemps d'arriver avec un projet de loi.
Et
je suggère beaucoup la lecture de cette étude générale de la Bibliothèque du Parlement
du Canada qui refait toute l'analyse
de la question. Et qu'est-ce que les amendes et ces législations ont? Ils ont
un effet dissuasif, ce qu'on appelle en anglais le «chilling effect».
Les gens, ensuite, ont peur de parler. Mais c'est ce qui est le plus grand
danger dans une démocratie. C'est mieux que
les choses soient verbalisées, que le conflit prenne forme autour des
institutions, plutôt qu'il y ait un glissement vers des valeurs
essentialistes, des valeurs morales non négociables, qui sont ensuite porteuses
de violence. Alors, en fait, c'est presque l'effet inverse de celui escompté
qui se présenterait avec le projet de loi.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Vous soulevez toute la question des plaintes anonymes
et votre préoccupation à cet effet-là, et, encore une fois, l'objectif de diriger ces plaintes-là vers la
commission était de faire un premier tri. Donc, la commission a, comme elle a actuellement, le pouvoir d'analyser
la plainte, d'analyser le bien-fondé de la plainte, de déterminer s'il
s'agit, oui ou non, d'une plainte qui a un
motif. Donc, avant de soumettre le dossier au tribunal, il y a quand même une
analyse du dossier, il y a des trucs, comme
actuellement, qui ne sont pas portés devant le tribunal. Il y a des dossiers
qui n'iront pas... la commission a la
possibilité... est un peu le gardien... la gardienne de s'assurer qu'il
y a effectivement un
discours haineux et que ce discours porte
atteinte ou semble porter atteinte à un droit qui est protégé. C'était une
façon, à notre avis, pour
éviter justement une prolifération de demandes qui pourraient s'avérer être tout
à fait non fondées. Et je comprends très bien le discours, Me Grey, les
exemples que vous avez mis en lumière. L'objectif des dispositions est vraiment
de protéger les groupes qui sont la cible de ce type de discours haineux là, et
donc la commission nous apparaissait l'organisme qui est peut-être le
plus sensible à la protection de la liberté d'expression.
M. Grey (Julius
H.) : C'est exactement ce à quoi a répondu John Milton, au XVIIe
siècle. Il était pour la liberté des
religions, ce qui était rare en Angleterre, mais il y avait une exception. Parce que,
la rectitude politique de ces jours-là,
il ne pouvait pas tolérer le catholicisme parce que ça, c'était être
agent du pape. Mais il a dit : On ne peut pas prohiber d'avance, pas de «prior restraint», parce que,
là, il y a quelqu'un qu'on ne voit pas, qui peut être faillible,
qui peut être biaisé, qui porte un jugement sur ce qui peut être retenu, ce qui
ne peut être retenu, et, si c'est retenu, on va empêcher d'avance la
publication, ce qu'on fait ici aussi, parce qu'on dit qu'on peut obtenir d'avance
la prohibition.
Le
deuxième problème avec ça, c'est que ce qui est bon et ce qui est mauvais ou ce
qui est... la rectitude politique n'apparaît
pas toujours dans une forme pure. Un homme n'est pas tout bon
ou tout mauvais. Il peut y avoir, par
exemple, comme dans le cas du grand poète
anglais T.S. Eliot, un homme dont la poésie est peut-être la plus grande au
XXe siècle, mais qui était
antisémite; il y a deux ou trois ou quatre poèmes qui sont
terribles. Et on ne peut pas permettre que quelqu'un porte un jugement
d'avance sur, par exemple, les poèmes de T.S. Eliot : Faut-il les publier
ou non?
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme Latour
(Julie) : Ce n'est pas l'expérience... J'ajouterais peut-être, en
complément...
Le Président (M.
Hardy) : Mme Latour.
Mme
Latour (Julie) : ...que, justement,
l'expérience des autres provinces, en
matière de traitement des
plaintes antihaine, a suscité une vive
controverse, au Canada anglais, parce
que beaucoup de plaintes-bâillons
ont été instituées qui n'étaient pas
rejetées de façon diligente par la Commission des droits de la
personne, ce qui posait des stigmates pour les gens. Même, plusieurs plaintes étaient... Quand, notamment
dans le dossier Canadian Islamic Council contre Rogers Communications, il y a eu de nombreuses
plaintes, dans divers problèmes, suite à un article, dans Maclean Hunter,
que personne n'estimait constituer du
discours haineux, et ça a vraiment réduit la liberté d'expression. Et la liberté
d'expression, elle est toujours la plus bénie et honnie à la fois des libertés
d'expression. Théoriquement, tout le monde est pour la liberté d'expression, mais, au plan pratique, lorsque
ça touche leurs convictions ou leurs domaines d'intérêt, parfois ils ont
l'épiderme un peu plus sensible. Et ce
qui fait avancer une société, c'est la confrontation, le débat d'idées. On
n'est pas dans une société Calinours, alors il faut l'accepter. Et on
est une société pluraliste, mais il y a aussi une pluralité des vues, et c'est
au contraire en mettant le couvercle que la marmite tend à arriver à
l'ébullition.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Non, je
comprends qu'on n'est pas dans une société Calinours, n'ayez crainte. Mais par contre je vous entends, je suis un petit
peu préoccupée, parce que
vous sembliez avoir un jugement un
petit peu sévère à l'égard de la commission,
à l'égard du fonctionnement du tribunal, et ça semble... ou peut-être que
j'interprète mal vos propos. Est-ce qu'il y aurait lieu d'aborder ou de
revoir certaines méthodes de fonctionnement actuelles afin de mieux encadrer,
par exemple, le pouvoir d'enquête de la
commission? Est-ce qu'il y aurait des modifications qui devraient être
apportées?
• (15 h 40) •
Mme Latour (Julie) : Vous soulevez
une question très pertinente qui se discute aussi beaucoup dans les autres provinces. Je crois que la finalité de la
Commission des droits de la personne est louable. Cependant,
notamment en
l'instance, je vous soumets que, si toute autre institution au Québec
voulait se doter de pouvoirs aussi invasifs et intrusifs que la commission elle-même, la commission des
droits pousserait les hauts cris. Alors, je m'attendrais à ce qu'ils
fassent preuve de davantage d'autocritique
au sein du présent dossier, d'avoir aussi une vision collective. Et certains
faits parlent d'eux-mêmes, je vous
répète : les procédures du Tribunal des droits de la personne, la partie
plaignante est qualifiée de partie
victime. C'est assez étonnant quand on reçoit les procédures, et, à travers le
Canada, plusieurs éditoriaux ont été écrits
et, dans certains cas, on a qualifié les tribunaux des droits de la personne de
«kangaroo courts». Et donc les garanties procédurales qui existent en
matière criminelle... Et c'est pour ça que beaucoup de juristes disaient :
Bien, ce sont les juges qui sont les plus
aptes... Et vous savez les stigmates que l'on a pour avoir été accusé de
discours haineux, mais là on va avoir les mêmes en matière civile, un
dossier qui demeure toujours, qui va être inexorable.
Alors, oui,
de traiter... et ça, peut-être qu'il faudrait en savoir davantage,
parce que, comme juristes, on... Donc, intervenir davantage ou avoir un tamis, au sein duquel la commission pourrait
opérer, parce que, comme juriste, je ne peux pas m'empêcher d'observer
qu'en matière de droits de la personne ils ont un côté où ils sont à la fois
juge et partie.
Je ne sais pas ce que Me Grey...
M. Grey
(Julius H.) : Il faudrait
ajouter une chose. En analysant la jurisprudence des commissions de droits,
tant dans les autres provinces que même chez
nous, on voit, à tort ou à raison... parce que, jusqu'à maintenant, leur
juridiction est purement civile. Ils ne
créent pas de casier, mais ils favorisent plutôt l'égalité que la liberté
d'expression. La liberté d'expression
n'a pas eu beaucoup de succès devant les commissions. Elle a eu beaucoup plus
de succès devant les tribunaux, la Cour suprême, Cour d'appel, etc., ce
pour quoi je préfère ne pas confier le pouvoir de limiter la liberté d'expression à des commissions. Elles peuvent très
bien, par exemple, donner des dommages aux gens qui n'ont pas été desservis dans un restaurant parce qu'ils sont
Noirs. Mais bien sûr c'est terrible, quand ça arrive. Mais de limiter la
liberté d'expression, je préfère utiliser la
loi criminelle qui, quand même, garantit la sécurité de l'accusé et qui ne crée
pas un casier sans avoir une preuve
au-delà du doute raisonnable. La
jurisprudence n'a pas été bonne pour la liberté d'expression.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Il me reste
combien de temps?
Le Président (M. Hardy) : 6 min 24
s.
Mme Vallée : J'aimerais prendre
quelques minutes. Vous me permettrez, Me Latour, je ne peux m'empêcher de vous questionner. Je sais que votre mémoire ne
porte pas, ou porte peu, sur les mesures de protection, les mesures
portant sur des modifications apportées à la Loi de la protection de la
jeunesse et à l'égard des mariages forcés.
J'aimerais vous entendre, puisque vous étiez, à
l'époque, membre du Conseil du statut de la femme lorsque l'avis — un
avis fort intéressant — a
été déposé et qui portait notamment sur toute la question des crimes fondés sur
l'honneur et sur les préoccupations qu'avait
le conseil, à l'époque, à cet égard-là, et j'aimerais vous entendre, est-ce
que... J'imagine que ce n'est quand même pas
si loin de vous, cette période-là, j'aimerais vous entendre sur ces
dispositions-là. Est-ce qu'il y aurait des bonifications à y apporter? Est-ce
qu'il y a des éléments qui vous ont semblé satisfaisants?
Mme Latour (Julie) : Certainement,
Mme la ministre. Donc, je sais que d'autres groupes vont intervenir nommément
sur ces questions, mais, comme je faisais effectivement partie du Conseil du
statut de la femme lorsque l'avis sur les
crimes d'honneur, rédigé par Yolande Geadah, est paru, et c'est une question
qui me préoccupe de longue date,
alors les dispositions qui ont trait à prévenir les mariages forcés, au
contrôle excessif, je n'ai pas les réserves à cet égard, et je pense que c'est un pas en avant.
Cependant, à mon avis, le meilleur véhicule pour faire en sorte que les
femmes bénéficient des mêmes droits et
libertés que toutes les femmes, c'est de confirmer la neutralité de l'État, de
la reconnaître, et le principe de
laïcité incluant, au sein de la charte québécoise des droits et libertés pour
que nous confirmions que nous vivons dans une société de droit, dans un
État de droit où il ne peut y avoir d'aménagement en particulier par rapport au
statut des femmes — mariage,
scolarité, tous leurs droits civils et sociaux — pour des raisons
religieuses.
Et je vous donnerais comme exemple la question
des soeurs Shafia et un lien un peu avec ce qui existe en ce moment. J'ai siégé au conseil aviseur du Musée
canadien des droits de la personne, qui a été érigé à Winnipeg, inauguré
en septembre 2014, et nous avons tenu des audiences, à travers le Canada, dont
au Québec, et nous avons des directeurs de
centre jeunesse — les
directeurs — qui sont
venus, à l'époque, nous dire qu'ils avaient de graves inquiétudes parce qu'ils avaient des pressions pour ne pas
intervenir dans certaines familles pour des raisons religieuses ou culturelles.
Or, tous les enfants, au Québec, devraient
avoir le bénéfice du droit de la loi, et c'est pourquoi, par une action qui
confirme et qui donne aux juges les outils pour confirmer que toutes les femmes
du Québec ont les mêmes droits, et les jeunes filles...
Et vous savez ce qui est préoccupant dans le dossier Shafia, la raison pour
laquelle j'en faisais état, c'est qu'une ou deux des jeunes filles ont
été retirées de l'école pendant au moins deux mois. Pourquoi les directeurs
d'établissement ne portaient pas plainte
auprès de la protection de la jeunesse ou du ministère de l'Éducation? Parce
que c'était contraire à la Loi sur l'instruction publique, qui demande
la fréquentation scolaire obligatoire pour les moins de 16 ans.
En partie, on
peut se demander, parce qu'il y a eu beaucoup de plaintes, devant la Commission
des droits de la personne, à l'égard
de directeurs d'école, soi-disant pour actions racistes ou autres... Alors,
dans certains cas, la finalité de l'action
de la commission, ce qu'il faut jauger et ce qu'il faut peut-être limiter,
c'est justement l'impact du multiculturalisme, limiter l'aspect communautaire
et travailler dans un État de droit dont tous font partie intégrante. Alors, ce
côté de crainte d'avoir des mesures de
rétorsion parce qu'un directeur d'établissement scolaire agit, je crois qu'il
faut y réfléchir.
Et
j'étais en commission parlementaire, en 2010, sur le projet de loi n° 94,
et je vous soumets humblement que le projet
de loi n° 62 est encore plus timide que le projet de loi n° 94 qui,
pourtant, est mort au feuilleton. Alors, moi, je voudrais encourager... Et, nous, c'est aussi le symbolique de notre
coalition de juristes de différents horizons; on partage tous cet avis. On n'était peut-être pas tous
d'accord sur les modalités des signes religieux, mais la nécessité
d'affirmer la laïcité de l'État, la
neutralité religieuse, de la reconnaître dans la loi et dans la charte des
droits, ça, je peux vous dire qu'on est tous d'accord avec ça, et c'est
ce qu'on considère être un objectif urgent et réel.
M.
Grey (Julius H.) : Moi, j'aimerais dire seulement une chose sur ça.
Moi aussi, je n'ai pas d'objection à cette partie-là de la nouvelle loi. Cela dit, je pense qu'il y a... Moi aussi,
j'ai des réserves au sujet du multiculturalisme, et je pense qu'il faut investir de l'argent non pas dans les
punitions et dans la stigmatisation de jeunes personnes qui disent des
choses, mais plutôt dans l'intégration des
immigrants. Et je suis un peu perplexe face aux coupures dans tous les
programmes sociaux qui pourraient aider à intégrer et instruire les jeunes, qui
empêcheraient les conséquences néfastes comme le cas Shafia, qui, bien sûr,
était une tragédie, un crime.
Le Président (M.
Hardy) : Merci. Mme la ministre, il vous reste 45 secondes.
Mme
Vallée : Bien, simplement, notre plan d'ensemble prévoit des
mesures d'éducation, également des mesures de sensibilisation, et ça, je pense qu'on ne doit pas l'oublier. Le plan
d'action qui a été déposé par la ministre de la Sécurité publique et la ministre responsable de
l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion vise justement toutes les
mesures non législatives qui sont
importantes pour notre vivre-ensemble et qui permettent également de venir
éduquer, de tendre la main et
d'amener notre société à une meilleure compréhension, un meilleur
vivre-ensemble en général. Alors, c'est un grand plan d'action, et le projet de loi qu'on étudie aujourd'hui, le
projet de loi n° 59, est l'une des mesures de ce plan d'action et il y a des mesures d'intégration, des
mesures d'éducation auprès des communautés culturelles et auprès de l'ensemble de la société québécoise. Et ça, c'est
aussi très important de le réitérer parce que l'action n'est pas
seulement qu'au niveau législatif. Je suis tout à fait d'accord avec Me Grey, il
y a beaucoup d'éducation qui est nécessaire et d'intégration qui est
nécessaire, dans notre société en général, afin de prévenir notamment les
discours haineux.
Le
Président (M. Hardy) : Merci, Mme la ministre. Le temps accordé au
groupe parlementaire étant écoulé, moi, je cède la parole au groupe de
l'opposition officielle. Mme la députée de Taschereau, vous avez 15 minutes.
• (15 h 50) •
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Grey, bonjour,
Me Latour. C'est un plaisir de vous recevoir aujourd'hui, d'autant
que vous parlez au nom d'un groupe de juristes qui a quand même une certaine
réputation, une certaine notoriété et qui
sont parmi, je pense, les juristes qui ont étudié le droit, le droit québécois
versus le droit canadien et les
causes des droits de la personne. Vous êtes des personnes, je pense, qu'on a le
devoir non seulement d'entendre, mais d'écouter attentivement.
Je pense que, pendant
cette Commission des institutions, on va souvent entendre ce que vous avez dit tout
à l'heure : C'est déjà couvert. Il y a une partie de ce
qu'on veut faire ici qui est déjà couverte, entre autres sur les propos haineux. Qu'est-ce qu'on veut ajouter, qui veut-on
protéger? Je pense qu'à un moment donné il va falloir que le
gouvernement soit plus clair là-dessus : Qu'est-ce qu'on veut faire avec
ça? Qui est-ce qu'on veut...
Évidemment, Me
Latour, je suis heureuse de vous entendre parler de neutralité religieuse de
l'État, de laïcité. Effectivement, moi, j'ai dit : Bon, on recherche à savoir où est-ce que, dans le
corpus législatif, ça va apparaître un jour, parce que ce ne l'est toujours pas, mais là n'est pas la question d'aujourd'hui, je pense qu'on va pouvoir en reparler quand on va étudier le projet
de loi n° 62.
Avant
d'aller sur des éléments que vous avez nommés, j'aimerais ça vous entendre
parler sur un projet que vous avez
abordé, mais vraiment effleuré : la sécurité morale. On parle,
dans cette loi, de protéger la sécurité morale et physique, dans les
articles 24 à 27 — c'est
dans ce coin-là, là — particulièrement
des enfants. J'aimerais ça que vous me parliez,
est-ce qu'il y a une définition quelconque, par exemple, de la sécurité morale,
dans le corpus législatif ou dans la jurisprudence?
Le Président (M. Hardy) :
M. Grey.
M. Grey (Julius
H.) : ...bien ce que ça aurait voulu dire, en 1955‑1956, quand on
aurait probablement... Non, bien, disons, en
1960, quand j'avais 12 ans, je pense que ma mère aurait peut-être été
traînée devant un tribunal parce qu'elle
m'a passé sa copie de Lolita. Alors, sécurité morale est une chose très
relative, dépendant de l'époque, dépendant de... C'est ça dont j'ai peur dans une loi qui est essentiellement punitive,
on a quelque chose qui pourra mettre les professeurs à l'écart.
Sécurité
physique, c'est un peu plus facile, mais, même là, c'est très subjectif. Et je
pense que ça n'a pas de place dans
une loi qui n'a pas d'abord une définition très restreinte, comme d'ailleurs la
haine dans la législation fédérale, qui ne couvre... c'est le
juge Dickson qui a donné la définition... les choses les plus extrêmes, les
plus impensables qui sont couvertes
par cela. C'est pourquoi il y a eu seulement deux ou trois condamnations. Mais,
sur la sécurité morale, tout est ouvert,
et ça va dépendre de l'époque. Par exemple, jusqu'à quel point est-ce qu'il
faut expliquer aux enfants... Je vais vous
dire, les écoles ultrareligieuses juives n'enseignent pas la biologie parce que
même les moeurs sexuelles des vaches sont
trop dangereuses pour les jeunes filles qui pourraient les étudier et avoir des
idées à partir de ça. Donc, la sécurité morale, selon eux, est beaucoup plus restreinte — tout est immoral — que pour un Québécois moyen, pour qui la
reproduction va de soi, humaine ou animale. C'est très dangereux, précisément à
cause de l'aspect subjectif.
Mme Latour
(Julie) : Bien, c'est ça, il y a un pouvoir...
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Non,
bien, je vais attendre Me Latour.
Mme Latour (Julie) : Si je peux
ajouter, sur le même...
Mme
Maltais : Oui.
Le Président (M. Hardy) : Me Latour.
Mme Latour
(Julie) : ...non balisé du ministre, donc, d'intervenir pour protéger
la sécurité morale ou physique des élèves
au fil du temps, et, comme c'est un pouvoir non balisé, ça peut amener à toute
sorte d'abus. Et déjà qu'il y a des demandes,
au sein de certaines institutions, par certains élèves ou communautés, de ne
pas mettre telle chose à l'agenda de
lecture, ou certains élèves demandent des dispenses de voir une pièce où il y a
de la nudité. Or, le rôle de l'école, c'est de permettre de développer
une mentalité citoyenne et d'émanciper l'étudiant de sa famille, qu'il puisse
faire partie intégrante de la société.
Alors, la finalité de l'éducation, ce n'est pas de servir des fins restrictives
de discours ambiants.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
O.K. On comprend bien que c'est l'intervention du ministre. C'est un pouvoir
d'enquête de la ministre, mais les
directeurs d'école vont devoir assumer la responsabilité aussi de ça. Et donc
c'est en quelque sorte un pouvoir qui
va entraîner, si je comprends bien, une espèce de chaîne de réaction dans
l'appareil où tout le monde, tout à coup,
va vérifier, va devenir vigilant, ou va pouvoir plaider la sécurité morale et
physique. Je pense, par exemple, à une école
très religieuse vis-à-vis des professeurs homosexuels. Écoutez, on a été assez
victimes de stigmatisation dans le passé pour se permettre de vous
écouter attentivement.
M. Grey (Julius H.) : Alors, si le
père...
Le Président (M. Hardy) : M. Grey.
M. Grey (Julius H.) : ...arrive, en
disant : Ma fille ne doit pas être exposée... Elle vient d'un pays où nous
sommes très orthodoxes et vous l'exposez à
des choses, vous risquez sa sécurité morale, le directeur d'école va avoir
peur. Peut-être il va porter plainte contre moi, peut-être il va faire quelque
chose. Et qui sait comment, dans ce monde de multiculturalisme un peu débordé,
quelqu'un va interpréter ce que j'ai dit ou fait.
Mme Latour
(Julie) : Parce qu'on peut même couper les subventions à certains établissements pour ces raisons. Et, moi,
le danger que j'y vois, c'est un peu comme si cette loi, même si
les intentions derrière sont louables, mais était un peu du «target legislation», là; certains ont dit le dossier Charkaoui ou d'autres.
Mais la façon de légiférer, ce n'est pas par de la plomberie et du «target», mais c'est d'avoir une architecture
législative globale. Et, je le répète, ce qui est l'assise de toute la société... Et on est un des rares pays au
monde où le fait que la neutralité de l'État, la laïcité ne figure pas
dans notre acte constitutif de 1867, parce
qu'à l'époque, entre les pères fondateurs, catholiques, protestants, on ne
voulait pas trop se donner des
droits, mais, d'habitude, c'est, d'emblée, précisé. Là, on a ajouté des chartes
des droits et libertés où la liberté de religion a été interprétée de façon très extensive, mais les juges, les
intervenants sociaux demandent juste à avoir ce qu'il faut pour confirmer ce qui est l'évidence :
qu'on vit dans une société laïque, que notre Code civil est laïque, que
notre Code civil ne doit pas être interprété
différemment pour des raisons religieuses, et que notre corpus législatif est
laïque. Quand on voit un arrêt comme l'arrêt Gabriel, en 2003, qui a
permis à une femme de prendre le patronyme de son mari contre l'article 393 du
Code civil, on l'a accommodée, c'est pourtant un article d'ordre public, on
peut se questionner.
Mme
Maltais :
On sait que les... Je pense, tout le monde a l'air de dire que les balises qui
sont dans l'arrêt Whatcott sont
raisonnables, semblent pouvoir mieux baliser un peu, justement, ce que sont les
procédures contre, ce que j'appellerai, les délits d'opinion, d'opinion haineuse ou diffamation, et tout ça.
Mais là, dans ce cas-ci, on y ajoute... ça devient une infraction, il y
a une sanction monétaire, et il y a même inscription sur une liste qui sera
rendue publique.
Qu'est-ce que cette liste? Comment est-ce que
vous percevez cette liste? Moi, je veux juste vous donner un exemple, là.
Imaginons que quelqu'un tient des propos haineux, il s'appelle — un
des prénoms les plus connus au Québec — Jean Tremblay. Il y en a à
peu près, il me semble, j'ai déjà entendu dire, au-delà de 300; au-delà de 300.
Est-ce qu'on peut inscrire Jean Tremblay sur une liste publique? Qu'est-ce
qu'on fait? Comment on le discrimine des 300
autres? Donc, on va inscrire son adresse pour le discriminer? Or, qu'est-ce
qu'on fait? Comment on agit? Est-ce que c'est de bon usage, dans une
société démocratique, que ce type de liste?
M.
Grey (Julius H.) : C'est ça, le problème... et le seul problème même
de casier judiciaire. Il y avait un article, dans le New York Times,
hier, qui montre que les gens accusés — accusés — qui
passent quelques jours en prison en attendant
leur procès ne peuvent pas trouver d'emploi 20 ans, 30 ans plus tard à New York
parce que chaque employeur, en regardant dans son ordinateur, peut le trouver.
Et il ne peut pas payer la caution, c'était ça, le problème,
mais également ça a des conséquences
permanentes : cette liste sera disponible à tous les employeurs. Et je
peux vous dire tout simplement
que ça aura pour effet de rendre des gens
des citoyens de deuxième classe. Il y a beaucoup
d'employeurs qui ne choisiront pas quelqu'un, ils diront : Il est
controversé, ça va offenser d'autres employés. Il a dit des choses, qui sait ce
qu'il va dire? C'est très, très
dangereux. Et le casier judiciaire, en fait, nécessite une discussion dans un
autre forum, peut-être en partie ici, en partie dans chaque province, en
partie au fédéral. Les casiers judiciaires deviennent une chose qui
opprime, mais, dans ce cas-ci, un casier
judiciaire sans procès, sur une dénonciation anonyme, qui est permanent, il n'y a aucune façon de détruire, de
changer, c'est vraiment dangereux pour chaque individu.
Et
les stupidités que les gens disent sont souvent causées par la jeunesse. Quand
je me souviens de tout ce qui était
écrit dans le McGill Daily de ma jeunesse dans les années 60, je sais
que la moitié de l'article aurait pu être placé sur une liste. Les
gens disaient n'importe quoi et après ça on traîne ça toute la vie.
Mme
Maltais :
Vous aviez dit tout à l'heure que, pour vous, la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse est à la fois juge et partie. J'aimerais
ça que vous creusiez un peu cette question : Pourquoi vous voyez ça comme
ça.
• (16 heures) •
Mme Latour
(Julie) : Par la dualité de son mandat, d'une part, qui est de
promouvoir l'égalité et le respect des
droits de la personne, mais aussi son côté de pouvoir d'enquête et pouvoir de
sévir comme tribunal. Alors, c'est sûr que
les deux véhicules... Et aussi le fait que les garanties procédurales ne sont pas exactement les mêmes que
devant les tribunaux de droit civil.
Alors, cette dualité du rôle, on ne peut pas l'ignorer même si la fin est
louable au plan juridique, au plan de la rigueur du processus et des
stigmates. Et là ici il ne faut pas oublier que les amendes vont, pour des
individus, jusqu'à 10 000 $ et même, pour les représailles, peuvent
aller jusqu'à 250 000 $. C'est même, au plan de la juridiction du tribunal, exorbitant de son
pouvoir, là. Je pense qu'en vertu de notre constitution et de la Cour supérieure... Alors, les amendes ici sont inédites, là, de 1 000 $ à
10 000 $ pour la personne elle-même, qui peuvent être doublées,
et, en cas de représailles, 20 000 $ et jusqu'à 250 000 $,
c'est très significatif, là.
Alors, on n'est plus
en matière médiatrice de droits de la personne. Il faudrait peut-être savoir
aussi quelle est l'authenticité du respect de son mandat de la commission par
rapport à ce qui est indiqué dans cette loi.
Mme
Maltais :
Merci. Écoutez, je fais partie des personnes qui parfois demandent que...
mettons, des gens qui proposent des discours
haineux, je pense parfois à des imams religieux qui viennent au Québec,
qui font du prosélytisme et qui
veulent inculquer la haine, j'ai parfois demandé qu'ils interviennent, mais
qu'on intervienne gouvernementalement parlant.
Mais ce qu'on demandait, c'était des outils pour empêcher la diffusion de
propos incitant à la haine, vraiment, là.
Là,
on est dans un autre univers, et cet autre univers nous amène aussi à... Tout à coup, en abordant ça de l'angle droits
de la personne, en créant un tribunal, en amenant des infractions financières,
l'inscription sur une liste, la question sera : Est-ce que ça pourra toucher à la capacité des gens... en tout cas,
l'image qu'ils ont personnellement de leur liberté d'expression, de leur champ de liberté d'expression? Autrement dit — vous
avez abordé ça légèrement dans votre mémoire, je ne l'avais pas vu du
tout sous cet angle-là — est-ce
que ça veut dire que les gens pourraient craindre d'exprimer leur expression?
M. Grey (Julius
H.) : Sûrement, s'il y a des amendes...
Mme
Maltais :
En voulant protéger, vous voulez dire qu'on pourrait brimer.
Le Président (M.
Hardy) : M. Grey.
M.
Grey (Julius H.) : Écoutez, quand j'étais à l'université, mon père, à
un certain moment, m'a demandé de me calmer,
de réduire mes critiques d'Israël parce que ça pourrait affecter son emploi. Je
pense que les gens ont peur de se retrouver dans les controverses, et
ils savent que quelqu'un peut se plaindre même si cette plainte n'ira pas très
loin. Bien sûr que les gens vont dire : Mieux vaut ne pas parler de ces
sujets-là, rien d'ethnique, rien sur la relation entre hommes et femmes, rien
sur quoi que ce soit qui pourrait susciter la moindre controverse parce qu'il
faut l'empêcher.
Mme Latour
(Julie) : Tout à fait, là. C'est ce qu'on appelle le «chilling
effect», là, l'effet dissuasif et qui est tangible,
là, donc, qui a été prouvé ailleurs, parce que les ramifications peuvent être
larges. Me Grey parlait de la question palestinienne
ou israélienne, mais même une féministe qui écrit un article disant qu'à son
avis la place des femmes en Arabie
saoudite est inacceptable et les règles applicables de la charia... est-ce que
ça, c'est vu comme du discours haineux?
Et
c'est aussi la finalité qui n'est pas très claire, du projet de loi. Est-ce que
c'est pour prévenir l'islamophobie? Est-ce
que c'est pour prévenir la radicalisation? Ça semble un peu tout et son
contraire. Et ce n'est pas en légiférant pour des situations données... Il faut réfléchir dans une
globalité et de façon déductive, là. C'est ça aussi le droit civil. Ce n'est
pas de la... Même si la courtepointe fait
partie de notre patrimoine, au niveau législatif, c'est mieux d'avoir une idée
d'ensemble que de travailler par petit... Et
j'ai aimé l'expression que vous avez utilisée, c'est qu'en fait on crée un
délit d'opinion.
Mme
Maltais : Est-ce que cette loi couvrirait la littérature?
C'est un peu ce que j'ai compris aussi, à la limite.
M. Grey
(Julius H.) : ...la littérature. Je vais vous donner un exemple. Il y
a quelques années, il y a cinq ans, un critique du Canada anglais a dit
que toute la littérature québécoise était haineuse et il s'est attaché surtout...
Une
voix : ...que toute la littérature québécoise était haineuse...
M. Grey (Julius
H.) : ...québécoise était haineuse, et il a attaqué surtout Menaud,
maître-draveur de Savard en disant que
c'est de la propagande. C'est absurde, mais on peut imaginer que quelqu'un
irait porter plainte et quelqu'un d'autre dirait : Si j'écris ça,
il faut faire attention, que père Savard, s'il écrivait aujourd'hui, il
dirait : Je ne peux pas dire : Les étrangers sont arrivés, il
faudrait que je change mon langage. Quelqu'un qui était autrefois étranger...
Le Président (M. Hardy) :
Je vous remercie beaucoup. Le temps est écoulé, disons, du côté de l'opposition
officielle, mais on revient avec le deuxième
groupe de l'opposition. Je cède la parole à la députée de Montarville
pour une période de 10 minutes.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président.
Me Latour, Me Grey, merci, c'est toujours un plaisir de vous
entendre. Je vais commencer peut-être par un aparté.
On
est ici pour le projet de loi n° 59, mais, dans votre mémoire, vous en
faites allusion, donc je vais tout de suite sauter au projet de loi n° 62. Ce que vous dites à l'égard du
projet de loi n° 62, d'entrée de jeu, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je me souviens, à l'époque, entre
autres, de la charte du précédent gouvernement, Me Latour, je vous avais
entendue d'ailleurs dans des entrevues, on s'était croisés sur le plateau de 24/60,
je vous avais entendue à la radio de Radio-Canada
et tout ça, et vous étiez en faveur, effectivement, de cette atteinte,
puisqu'on parle de droits ici, à la liberté de religion dans certaines circonstances très précises, et j'étais tout à
fait d'accord avec vous, alors je réitère ces propos-ci.
Cependant,
ici, on parle d'atteinte à la liberté d'expression, et j'aimerais brièvement
que vous puissiez me dire dans quelle
mesure peut-on être en faveur de l'atteinte à certaines libertés à l'égard de
la religion, par exemple en étant d'accord avec l'interdiction du port
de certains signes religieux, comme le préconise Bouchard-Taylor, et ne pas
être d'accord à l'atteinte à la liberté
d'expression lorsqu'il est question... et là, Me Grey, vous parliez tantôt, et
Me Latour, de délit d'opinion. Nous
considérons qu'on ne parle pas ici de délit d'opinion dans la mesure où l'objet
de la loi qui est visé, qui est
ciblé, ce sont bien ces gens, ces prédicateurs qui endoctrinent. Les gens
parlent de radicalisation, donc ce n'est pas n'importe qui, n'importe quoi qui est écrit dans un journal de jeunesse
ou un journal étudiant. Ce n'est pas un délit d'opinion dans la mesure où ce sont des organisations
structurées avec un agenda politique à l'arrière de ça, et c'est
l'endoctrinement des jeunes pour les amener à faire quelque chose.
Alors,
comment est-ce possible de limiter leur liberté d'expression pour les empêcher
d'arriver à cette fin? C'est la grande question, mais je vous la pose
parce que je pense que c'est l'objectif qui est recherché par tous, d'empêcher
cet endoctrinement, cette radicalisation. Mais comment le fait-on, outre par
l'enseignement, ou donner de l'argent, ou aider?
Mais il y a quand même des agents de radicalisation, des agents provocateurs
qui sont là et qui agissent par leurs discours. Qu'est-ce qu'on fait?
Le Président (M.
Hardy) : M. Grey.
M.
Grey (Julius H.) : Il faut dire, premièrement, que ce n'est pas écrit
dans la loi. Si vous dites que c'est contre la radicalisation, ce n'est pas ce qui est écrit. On ne sait pas, c'est
peut-être contre l'islamophobie, qui est une chose terrible aussi,
contre l'islam radical, qui mérite d'être critiqué, mais ce n'est pas ça.
Si
vous voulez chercher une loi très précise, qui va dire qu'il est, par exemple,
prohibé d'essayer de mobiliser des jeunes personnes dans des buts de
lutte à l'étranger ou autre chose comme ça, ça pourrait passer. Je ne sais pas
si ça prendrait un amendement au Code
criminel ou quelque chose dans la protection de la jeunesse qui dirait qu'il
est prohibé de faire de la propagande
quelconque de cette nature-là dans les écoles. Même là, ça pourrait être controversé
parce que quelqu'un dirait :
Est-ce qu'il est illégal de se joindre à l'armée américaine, par exemple, ou
israélienne? Il y avait une question de ça.
Mais
on pourrait sûrement rédiger une loi qui attaque la radicalisation comme telle,
la tentative de prendre des jeunes
étudiants chez nous et les embrigader dans des choses horribles où ils risquent
de perdre leur vie ou de commettre des
crimes. Il est également clair que, si quelqu'un va à l'étranger et commet un
crime contre l'humanité, on peut le juger ici. Alors, quelqu'un qui va
là et fait quelque chose comme ça n'est pas à l'abri de la justice.
Mais
je pense qu'il est toujours dangereux de sacrifier la liberté
d'expression — on
a parlé de l'aspect littéraire — d'insister que les gens présentent un
discours complètement modéré et conventionnel sur toutes les questions,
surtout parce que ce qui est conventionnel et ce qui est désagréable n'est pas
toujours tout à fait distinct, comme, par exemple, dans les oeuvres de Céline
ou dans les oeuvres de Drieu. On trouve que les deux sont mêlés l'un à l'autre.
Alors, la liberté d'expression, c'est une chose, un programme précis contre la
radicalisation et l'embrigadement, oui, on peut faire ça.
• (16 h 10) •
Mme
Roy
(Montarville) : Mon Dieu, M. le Président, je vois
la lumière au bout du tunnel. Me Grey, vous me réconfortez parce que, d'entrée de jeu dans mes remarques préliminaires,
je soulignais à la ministre que, dans ce projet de loi actuellement, et
ce n'est pas un reproche, mais c'est le fait que nous croyons tous... et je
pense que la population pense qu'on
travaille pour contrer la radicalisation des jeunes, et ça passe par
l'endoctrinement, c'est le mot. Et le fait qu'on ne retrouve pas dans le p.l. n° 59 ni le mot «radicalisation»,
ni le mot «endoctrinement», moi, j'y vois un problème. Et dans le cas
qui nous occupe, dans cette réalité où il y a le djihad à la porte, et on sait
qu'il y a cet agenda politique, le mot
«extrémisme» ou «intégrisme religieux islamiste», je pense que ce sont des mots
qui auraient dû y figurer. Du moins, vous ouvrez la porte qui pourrait nous permettre
certains de ces mots, «endoctrinement», «propagande», qui pourrait nous permettre de rédiger des articles de loi qui
pourraient stopper ces gens-là ou, du moins, limiter leur oeuvre
destructrice.
Alors,
ça, ça me réconforte beaucoup d'entendre ça, M. le Président, et c'est
enregistré, c'est une bonne chose parce
que cette propagande-là, on peut tenir des propos qui ne sont pas de la nature
du discours haineux, qui ne sont pas des
incitations à la violence et endoctriner les jeunes comme ça. On n'a qu'à
penser à des prédicateurs autoproclamés qui diraient, par exemple : les femmes ne peuvent pas sortir de chez
elles, messieurs, sans un tuteur. Ce n'est pas haineux, ce n'est pas incitation à la violence, et la loi
actuellement ne l'empêcherait pas si elle était adoptée telle quelle. Vous en
convenez?
M. Grey (Julius
H.) : Elle ne l'empêche pas du tout. Ce n'est pas haineux, ce n'est
pas radical, c'est tout simplement
l'expression, et je pense qu'il devrait pouvoir s'exprimer, mais il ne devrait
pas pouvoir endoctriner les enfants en
utilisant ce genre d'idées. Mais je n'ai rien contre lui s'il publie ça dans
une presse spéciale à 300 exemplaires. Bien, grand bien lui fasse. Par contre, s'il va dans les écoles pour dire aux
filles : Vous devriez avoir honte, pas de carrière, pas de chose
comme ça, là on peut faire quelque chose.
Mme
Roy
(Montarville) : Écoles, ou centres communautaires,
ou tous regroupements possibles. Ça me réconforte énormément de vous entendre à cet égard-là, puis
je crois qu'il y aurait des modifications à faire pour enligner dans la bonne direction pour ne pas porter atteinte à la
liberté d'expression «at large», excusez l'anglicisme, de façon très,
très large, mais plutôt précises pour atteindre ce qu'on appelle l'objet de la
loi, le but de la loi.
M.
Grey (Julius H.) : Je n'utiliserai pas le mot «islamiste» parce que ça
peut être une autre religion, mais une secte chrétienne, les extrémistes
juifs sur les territoires, ça peut être n'importe qui.
Mme Roy
(Montarville) :
Extrémisme religieux. Le mot «religieux» n'apparaît pas non plus, là, dans la
loi.
M.
Grey (Julius H.) : C'est une question d'embrigader. C'est la question
de créer des armées dans un but que nous ne voulons pas. Ça, on peut le
prohiber, mais non pas la parole et l'expression des idées.
Mme
Roy
(Montarville) : Ça me réconforte de vous entendre
dans la mesure où c'est ce que nous préconisions. Mme Latour, oui?
Mme
Latour (Julie) : ...dans l'état actuel des choses, vous référiez au...
Le projet de loi n° 59 est beaucoup plus attentatoire à la liberté
d'expression que l'était le projet de loi n° 60 de 2013 sur la laïcité. Le
projet de loi n° 60 sur la laïcité, il
y avait peut-être 5 % la question du port des signes religieux, mais tout
le reste du projet visait à confirmer et à reconnaître la neutralité de
l'État, à encadrer les accommodements, et c'était donc l'expression vestimentaire.
Là, c'est
l'expression de pensées de tous les citoyens québécois qui est menacée de façon
très large, là. On a énuméré des dénonciations anonymes et tout. Je pense que
c'est incommensurable, là. Le moyen qui est pris pour la finalité recherchée, ça ne correspond pas du tout.
Et moi, je m'étonnais, peut-être que c'est la saison estivale ou autre
ou parce que c'est plus politiquement
correct, mais qu'il n'y ait pas de levée de boucliers de la part des juristes
qui, dès qu'ils ont pris connaissance du projet de loi, étaient vraiment
inquiets, et c'est beaucoup plus invasif que l'était la charte de la laïcité.
Mme Roy
(Montarville) :
Et je vous remercie infiniment. Il me reste une minute quelque?
Le Président (M.
Hardy) : 1 min 10 s.
Mme
Roy
(Montarville) : Mon Dieu! c'est court. J'aimerais
passer la parole à mon collègue, mais je m'excuse, c'est très court pour
toi.
M. Laframboise : Bien, il n'y a pas de problème. Juste pour vous dire, Me Grey, que
je vous comprends très bien. Par
contre, la liberté d'expression, évidemment, c'est directement lié à la charte
des droits, là. À Ottawa, elle est enchâssée dans la Constitution puis, s'ils n'y ont pas touché, vous le savez
pourquoi, à cause du fait qu'on n'ouvre pas la Constitution à cause des
récriminances puis des demandes du Québec et autres.
Nous,
on peut agir ici sur la charte des droits, et, compte tenu qu'on parle de
discours, de propagande, je ne vois pas
comment on... En tout cas, vous, vous souhaitez une modification du Code
criminel plutôt que de toucher à la charte des droits, mais je ne vois
pas comment on ne peut pas y toucher, nous, par rapport à nos lois à nous, là.
M. Grey (Julius
H.) : J'aurais peut-être effectué un divorce entre la...
Le Président (M.
Hardy) : M. Grey, je vous demanderais une réponse courte, s'il vous
plaît.
M.
Grey (Julius H.) : J'aimerais dire que la liberté d'expression n'est
pas un concept anglais. Elle est autant un concept français. Voltaire a
été celui qui a insisté sur la liberté d'expression et la liberté de religion.
Alors, ce n'est pas anglais, c'est universel pour toutes les démocraties, et on
ne peut pas vivre sans ça.
Le Président (M.
Hardy) : Merci beaucoup. Donc, merci de votre contribution, Mme
Latour, M. Grey.
Nous allons
suspendre nos travaux quelques instants, et j'inviterais les représentants de
la Fondation Émergence à prendre place à la table des témoins.
(Suspension de la séance à 16 h 16)
(Reprise à 16 h 20)
Le Président (M. Hardy) : Alors, sans
plus tarder, je souhaite la bienvenue à la Fondation Émergence, et je vous
invite à vous présenter, et je vous rappelle que vous avez 10 minutes pour
faire votre exposé.
Fondation Émergence
M. Breault
(Laurent) : Donc, bonjour. Je me présente, Laurent Breault, chargé de
programme à la Fondation Émergence.
Mme Martine Roy, présidente de la Fondation Émergence, tient à remercier la
Commission des institutions pour
l'invitation qui nous est faite à exposer notre point de vue sur plusieurs
enjeux que sous-tend le projet de loi
n° 59.
Avant de
commencer, je rappelle que la Fondation Émergence fête cette année ses
15 ans de lutte à l'homophobie et
à la transphobie. Elle poursuit sa mission à travers différents programmes,
dont celui de la Journée internationale contre l'homophobie et la
transphobie, qu'elle a initiée en 2003. Elle a aussi instauré, en 2009, un programme
appelé Pour que vieillir soit gai destiné
aux intervenants qui oeuvrent auprès des personnes aînées pour les sensibiliser
aux enjeux des personnes aînées LGBT. Ici, l'acronyme signifie
«lesbiennes, gais, bisexuels et trans». J'ai été d'ailleurs le chargé de programme
du programme Pour que vieillir soit gai au courant des deux dernières années.
Dans le cadre
de ce programme, nous avons instauré une charte de la bientraitance envers les
personnes aînées LGBT, dont plusieurs
institutions québécoises se sont engagées à respecter ses
11 principes en la signant. Le respect de ces principes assure la prévention des discours haineux et l'incitation
à la violence envers les personnes aînées LGBT. Malheureusement, le programme
Pour que vieillir soit gai a pris fin en février dernier, faute de soutien
financier.
Aujourd'hui, la Fondation Émergence, que je
représente, se prononcera que sur la partie du projet de loi qui concerne la
protection individuelle contre les discours haineux et incitant à la violence. D'abord,
la fondation salue le projet de loi du gouvernement et félicite la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse d'en être
l'instigatrice.
Rappelons que
les communautés et les personnes LGBT sont parmi les victimes importantes du
discours haineux. À ce propos, mentionnons, parmi les conséquences, plus
de suicides chez les jeunes hommes gais que chez les jeunes hommes
hétérosexuels, plus de suicides aussi chez les jeunes en questionnement sur
leur identité de genre.
Le discours
homophobe et transphobe est toujours important dans la plupart des milieux, dont le milieu
scolaire, et contribue à l'intimidation. Ce
discours est aujourd'hui très insidieux alors que les jeunes utilisent, par exemple, fréquemment les mots «gai»,
«tapette», «fif», «pédé» en les banalisant et en les associant généralement non plus à des personnes
LGBT, mais à quelque chose de poche, de mauvais, bref de négatif et de
péjoratif. Bien qu'ici il ne s'agisse pas d'un discours à proprement dit, le caractère répétitif de ces mots
entretient un climat haineux et un rapport d'infériorisation envers les
personnes LGBT.
Afin de
bonifier le projet de loi, la Fondation Émergence propose l'inclusion, dans
la Charte des droits et libertés de la
personne, article 10, l'ajout du mot «notamment» pour donner au
législateur la possibilité d'inclure toutes les diversités sexuelles,
expressions et identités de genre comme motif de discrimination. Donc,
l'article 10 se lirait ainsi : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité,
des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou
préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la
grossesse, l'orientation sexuelle», etc.
À noter que
ce mot, «notamment», apparaît à l'article 15 de la charte des
droits et libertés canadienne. Ici, citation : «...tous ont droit
à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute
discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race», etc.
Donc, ici, c'est de vouloir inclure les personnes trans en incluant, comme
motifs de discrimination, l'identité de genre et l'expression de genre.
De plus, la
Fondation Émergence s'inquiète du manque de définition des notions de base dans
le projet de loi. Il serait impératif, selon nous, que les notions de
haine, de crime haineux, de discours haineux et de liberté d'expression soient définies. Tel que souligné précédemment dans le milieu scolaire, il serait
important d'inclure le caractère répétitif des mots haineux dans la
définition de «discours haineux».
Nous sommes aussi d'avis que la prévention
devrait rester la priorité d'intervention. En effet, des campagnes de sensibilisation et d'information pourraient
contribuer à prévenir les discours haineux. Autrement dit, il ne faudrait
pas que la mise en place de ce projet de loi
entretienne un laxisme quant à la prévention primaire et secondaire, si vous
me permettez l'expression, qui mette de l'avant la démystification des préjugés
et la diffusion d'une identité positive des personnes LGBT.
Dans le cas où le tribunal a décidé de
sanctionner un discours haineux, pour son objectif pédagogique auprès du grand public, nous proposons qu'un avis soit
publié, au même titre que la publication des autres avis gouvernementaux,
faisant référence au jugement rendu. La
simple publication d'une liste de noms sur le site de la Commission des
droits de la personne et des droits de la
jeunesse nous semble ne pas faire l'unanimité et contribuerait peu à informer
le grand public sur la faute
reprochée. Autrement dit, il nous semble important de mettre l'accent sur le
jugement plutôt que sur l'incriminé. Le jugement deviendrait alors pour
nous un appui et un outil clair pour mener nos activités de sensibilisation.
Pour
terminer, le Fondation Émergence salue la volonté du gouvernement d'apporter un
élément de solution au discours haineux par
une loi concernant la prévention et la lutte contre le discours haineux et le
discours incitant à la violence. Les
communautés LGBT et les personnes LGBT sont parmi les premières victimes de
tels discours et seraient donc parmi les premières personnes à
bénéficier directement d'une telle loi.
Enfin,
élevée au rang des droits fondamentaux, la protection individuelle contre les
discours haineux est, pour nos communautés LGBT et nos personnes LGBT,
un levier supplémentaire pour leur intégration sociale et leur pleine
participation à l'avancement de notre société. Je vous remercie.
Le
Président (M. Hardy) : Merci, M. Breault. Maintenant, nous en sommes
rendus à la période d'échange avec notre invité, en débutant toujours
par le groupe parlementaire formant le gouvernement. Mme la ministre, vous avez
25 minutes.
Mme
Vallée : Merci, M. le Président. Alors, M. Breault, merci
beaucoup de votre présentation. Nous avons juste... bien, vous étiez dans la salle, donc vous avez
entendu les commentaires des groupes qui vous ont précédé. Certains
groupes, des juristes, des individus
interprètent le projet de loi comme étant un projet de loi qui va venir porter
atteinte à la liberté d'expression des gens.
Je
vous ai entendu, et vous nous dites : Bien, nous, les groupes, la
communauté LGBT a besoin de cette protection-là puisqu'on est la cible, de plus en plus, de ce type de propos haineux
qui incitent à la violence, bien au-delà simplement des propos dans les
cours d'école qui font beaucoup de ravages, qui ne sont pas de nature haineuse.
Mais il y a des exemples aussi, et je pense
qu'au sein de la fondation vous êtes au fait qu'il existe des propos qui vont
bien au-delà aussi des mauvaises farces, des farces de mauvais goût et
des commentaires de mauvais goût. Il y a des propos qui vont bien au-delà du
commentaire de mauvais goût.
Et
j'aimerais vous entendre parce que, dans le fond, notre projet de loi, le
projet de loi, c'est ce qu'il vise, c'est d'aller bien au-delà, ce n'est pas de sanctionner le commentaire de
mauvais goût, ce n'est pas de sanctionner l'opinion qui est désagréable ou l'opinion qui n'est pas
nécessairement partagée par la société, mais c'est de sanctionner le
discours qui va inciter quelqu'un peut-être à adopter un comportement violent,
un comportement haineux à l'égard d'un groupe, à l'égard d'une personne en
raison de sa différence.
Dans
le fond, c'est un petit peu ça parce que ce que prévoit la charte, c'est une
protection face à la différence. C'est un
peu ça. Et puis, dans le fond, ça revient un peu à votre commentaire parce que,
lorsque vous nous demandez d'ajouter «notamment»
à l'article 10 de la charte, si je comprends bien, pour vous, chaque individu a
droit à la protection et a le droit
de s'émanciper dans la société, peu importe sa différence, peu importe sa
particularité, peu importe ce qui, peut-être, aux yeux de l'autre, pourrait le rendre différent. Et je comprends aussi
que, pour vous, il est important, pour l'organisation, pour la Fondation Émergence, il est important de
venir baliser le discours qui va venir porter une atteinte aux droits à
cette différence-là et qui va le faire d'une façon violente, agressive
et plus que simplement hargneuse. Est-ce que je cerne bien? Est-ce qu'il y a des éléments, des exemples que
vous souhaiteriez donner de propos, donc, qui ont fait l'objet de
préoccupations ou de situations, sans entrer dans le détail des propos,
parce que, parfois, on ne souhaite par reproduire ce qui a été dit, là, mais...
• (16 h 30) •
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
M.
Breault (Laurent) : Bien,
première des choses, l'homophobie et la transphobie ne se résument pas qu'à
des discours haineux et de l'incitation à la
violence. La plus large partie, c'est souvent un comportement qui est
insidieux, que, des fois, on a de la misère à pouvoir démontrer qu'il y a eu
homophobie, mais on finit par s'en douter du fait de la récurrence de certains
actes. Donc, je voulais juste clarifier ce point-là.
Pour ce qui est des
discours haineux et de l'incitation à la violence, il y en a, effectivement. Je
confirme, Mme Vallée, qu'il y a des discours haineux envers les personnes LGBT
et que ça fait du dommage non seulement psychologique, mais aussi physique.
Quand on pense notamment à nos aînés, dans la situation des aînés, ce qui est
particulier, c'est que l'homophobie, elle a tellement été intense, notamment
parce que, dans leur jeunesse, ils étaient considérés
comme des criminels, ensuite des malades mentaux, jusqu'en 1990, puis ensuite
des pécheurs, avec l'Église catholique,
qu'ils sont complètement invisibles, puis la très grande partie des aînés sont
encore dans le placard. Donc là, on
ne parle même pas de discours haineux à leur endroit, parce qu'ils craignent
trop de sortir du placard, ce qui va changer, d'ailleurs, avec les
baby-boomers, puis il faut encadrer ce changement-là, parce que je pense que
tout le milieu des aînés ne sera pas prêt nécessairement à l'assumer, n'aura
pas les outils conceptuels pour s'adapter.
Pour
revenir sur le «notamment», c'est l'idée ici de reconnaître la réalité et les
enjeux des personnes trans. Je pense qu'on
est arrivés aujourd'hui à une plus grande conscientisation, une plus grande
reconnaissance aussi. On le voit, dans les sondages commandés par la Fondation Émergence et réalisés par Léger
Marketing, que les Québécois sont de plus en plus conscients de ce qu'est la transphobie et qui sont les personnes
trans. Donc, je pense qu'à l'époque où la Charte des droits et libertés avait listé les différents motifs de
discrimination, les personnes trans n'étaient pas encore reconnues. Donc,
ça serait d'ajouter, comme au palier
fédéral, d'ajouter le mot «notamment» pour pouvoir inclure les personnes trans
ou carrément ajouter, comme motif de
discrimination, l'identité et l'expression de genre. Je ne sais pas si ça
répond à votre question.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme Vallée :
Oui. Est-ce que vous avez... Je comprends que vous vous êtes préoccupé surtout...
Vous avez fondé votre analyse, votre
appréciation du projet de loi particulièrement sur la question du discours
haineux. Qu'en est-il des ordonnances de protection? Est-ce que c'est une mesure qui pourrait
aussi être une mesure complémentaire pour venir protéger ceux et celles
qui font l'objet d'une certaine persécution, d'une certaine intimidation de la
part de tiers sans pour autant s'adresser aux policiers, sans pour autant
enclencher un processus de nature criminelle?
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
M. Breault
(Laurent) : Oui, deux points. Le premier, je pense que le tribunal se
réserve une autorité pour responsabiliser
les différentes administrations. On pense notamment des administrations qui
entretiennent un laxisme par rapport
à l'intimidation vécue à l'intérieur de leur établissement, mais on pourrait
aussi étendre ça dans le milieu des aînés, où, carrément, il y a des situations d'homophobie, mais l'administration
ne s'en responsabilise pas. Je pense que sur ce point-là, si j'ai bien compris, quand vous parlez des ordonnances...
bien, moi, dans le fond, c'est le point d'accorder une autorité au
tribunal pour responsabiliser les administrations. À la fondation, on voit ça
d'un oeil tout à fait positif.
L'autre
point, qui est plus litigieux, c'est de quoi on parle, comme homophobie, c'est-à-dire
est-ce qu'on en reste juste à la
sanction ou on permet aussi à un moment donné que l'homophobie s'exprime? Je
pense que, d'un point de vue purement sociologique, là, ça fait partie
d'un traitement collectif qu'il y ait, à un moment donné, une liberté aux gens d'exprimer leur malaise, leur crainte, leur
mépris, même, envers les personnes LGBT, en autant que ça soit toujours
encadré d'une façon à ce qu'il y ait débat,
argumentation, échange d'idées. S'il y a un discours haineux et une incitation
à la violence envers les personnes
gaies qui sont diffusés, mais qu'il n'y a aucune possibilité pour les
organismes LGBT, entre autres, de pouvoir répondre à ces arguments-là, à
ce discours-là, c'est là qu'est le problème et c'est là qu'on salue le fait que
le projet de loi, bien, amène les instances
gouvernementales à vouloir s'impliquer, vouloir aider et contrebalancer la
force du discours haineux.
Mais c'est ça, je
pense que c'est important qu'on puisse laisser, dans une certaine mesure, quand
c'est bien encadré, l'échange d'idées, et,
lorsqu'il y a échange d'idées, la plupart du temps, les gens, on n'est pas
d'accord, puis il peut y avoir des
termes qui blessent, et tout ça, mais je pense qu'il y a quelque chose de
thérapeutique là-dedans. C'est un peu
comme une bouilloire. Si le projet de loi fait en sorte qu'on bouche toutes les
issues d'une eau qui bout, bien, à un moment
donné, la bouilloire va exploser. Donc, on se retrouve avec un problème encore
pire. Ça fait que je pense qu'il faut
laisser la vapeur sortir, puis c'est le rôle, ensuite, du gouvernement et des
organismes communautaires de pouvoir s'assurer qu'ensuite, une fois que
la vapeur est sortie, on puisse échanger puis faire valoir la réalité et les
enjeux des personnes LGBT.
Ceci dit, il ne faut
pas trop non plus banaliser ça, parce qu'il y a carrément des personnes qui
sont victimes aujourd'hui, pas juste au
Québec, mais à l'extérieur du Québec, il y a des personnes qui en meurent, il y
a des personnes qui sont tuées. Même
qu'on a des problèmes, par exemple, avec les personnes trans qui viennent ici,
font leur transition, puis sont
expulsées dans d'autres pays, puis finalement elles se font assassiner dans le
pays d'où elles viennent. Donc, c'est
ça, je ne veux pas banaliser non plus le fait que, bien, il faut laisser une
certaine liberté d'expression à l'homophobie, là, on s'entend, c'est vraiment de bien encadrer le discours, peut-être,
plutôt que de toujours le sanctionner. Mais c'est au gouvernement de
voir et au tribunal aussi, là.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
• (16 h 40) •
Mme
Vallée : Bien, en effet, vous mettez le doigt sur quelque chose
qui est exact, c'est-à-dire que d'exprimer son désaccord, son malaise, c'est une chose, mais inciter les autres à
la haine, inciter les autres à la violence à l'égard d'un tiers, c'est là qu'est la nuance. C'est tout à
fait sain, puis vous l'avez mentionné, que, dans une société, un individu
puisse exprimer son malaise, puisse exprimer
ses états d'âme, mais, de là à inciter les gens à s'en prendre à un groupe, à
s'en prendre à une personne en raison de son
appartenance à un groupe, là, c'est là qu'est la ligne très fine qu'il est
important de tracer, et c'est pour ça que le
projet de loi vise à soumettre l'analyse, l'appréciation, tout ça, à la
Commission des droits de la personne
et de la jeunesse, parce qu'il y a, quand même, cette liberté d'expression,
qu'on a le devoir de protéger aussi comme législateurs, qui fait de
notre démocratie ce qu'elle est.
Donc, oui à la
liberté d'expression, mais non au discours qui va inciter à la haine ou au
discours qui va être haineux à l'égard de l'autre, à l'égard de la différence.
C'est un peu le projet. Puis évidemment on aimerait puis on souhaite un jour que l'homophobie n'existe pas. On
souhaite tous que la différence ne soit pas l'objet d'attaques, mais
c'est utopique, parce que la différence fera toujours l'objet de discussion,
puis malheureusement... c'est ça. Mais je pense que ce que le projet de loi vient faire, ce n'est pas d'empêcher une
personne d'émettre une opinion, d'émettre une opinion, même, qui ne fait pas partie du consensus social,
mais c'est de protéger contre un discours
qui pourrait inciter quelqu'un à la
haine ou à la violence à l'égard d'un
groupe, à l'égard d'une personne. Et
ça, c'est quand même... la marche est très haute entre les
deux, il y a une grosse distinction, et c'est le projet de loi qui est devant
nous.
Pour
ce qui est des ordonnances de protection, les ordonnances de protection visent
à protéger un individu contre
un tiers qui pourrait intimider, qui
pourrait porter atteinte à la sécurité sans pour autant devoir passer par le
processus des... sans pour autant criminaliser le tiers en question.
Donc, s'il s'agissait de menaces, s'il s'agit d'une forme de harcèlement aussi que l'on retrouve parfois dans les dossiers
de violence conjugale, dans les dossiers de violence sexuelle... Alors,
dans certains dossiers, pour toutes sortes
de raisons, les gens ne souhaitent pas aller porter une plainte aux autorités
policières, mais voudront se prévaloir d'une ordonnance de protection. Alors,
c'est l'objectif qui est visé par le projet de loi.
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
M. Breault (Laurent) : Je reviendrais sur le point du jugement, en fait
plutôt d'abord sur la question de la liste. En consultant les différents membres de la Fondation Émergence, il y avait
un certain malaise par rapport à présenter une liste des incriminés. Nous, ce qu'on suggère, et comme je l'avais dit
dans mon texte, puis qu'on trouve que c'est beaucoup plus utile pour nous ensuite en tant qu'organisme
communautaire, là, de lutte à l'homophobie, c'est de mettre l'accent sur
le jugement, la logique, l'argumentaire
plutôt que sur l'incriminé. Donc, le but, c'est de sanctionner, mais pas dans
un esprit revanchard où on dresse une
liste de : Voici, eux, ce qu'ils ont commis, puis de salir la réputation
par la suite au-delà de, peut-être,
dans certains cas, ce qu'ils auront commis. Mais c'est surtout la logique
argumentative ensuite qui nous est utile, parce qu'on va ensuite pouvoir rationaliser davantage notre discours,
rationaliser les histoires qu'on aura connues puis sortir un peu de
l'anecdotique. Donc, en ayant vraiment un jugement clair, mettre l'accent sur
le jugement, c'est une autre proposition qu'on fait au gouvernement.
Mme
Vallée : Les jugements sont actuellement... les jugements de la
Commission des droits de la personne... du Tribunal des droits de personne sont déjà publiés, sont déjà accessibles
pour des tiers. Donc, est-ce que vous, ce que vous souhaiteriez, c'est
quelque chose de plus? Si je peux vous comprendre, c'est plus que la
publication du jugement.
M. Breault
(Laurent) : Mais je retournerais la question. C'est ce qu'on se
disait, c'est que, dans le fond, le jugement
est déjà public, et ça nous amenait à se poser la question : Pourquoi une
liste dans ce cas-là? Et j'aurais tendance à vous renvoyer la question.
Mme Vallée :
Donc, vous considérez que la liste...
M. Breault (Laurent) : Tu sais, ce n'est pas très clair de notre côté
exactement c'est quoi, l'objectif de cette liste-là.
Mme
Vallée : Bien, notamment, la liste est, entre autres, en lien
avec les dispositions sur les mesures scolaires, c'est-à-dire que quelqu'un qui aura diffusé un discours haineux incitant
à la violence, bien, il y aura des sanctions si cette personne-là est notamment un intervenant dans le
milieu scolaire. Il pourrait y avoir d'autres conséquences à
l'inscription à la liste d'une personne qui
aurait diffusé ce type de propos là. Parce qu'on en est vraiment, là, à une
étape vraiment extrême, c'est-à-dire
qu'il y a eu dénonciation, il y a eu enquête de la commission des droits de la
personne et de la jeunesse. La commission
des droits de la personne et de la jeunesse a jugé qu'il était opportun pour le
tribunal d'intervenir et a soumis le dossier
au Tribunal des droits de la personne qui ultimement, après avoir entendu les
parties, aura déterminé qu'il y avait là matière à intervention et à sanctionner la partie contrevenante. Et là,
bien, l'objectif de dresser une liste, dans un temps, c'est une mesure
dissuasive. C'est-à-dire qu'à partir du moment où quelqu'un tient un propos
haineux et un propos qui incite à la
violence il est passible non seulement d'une amende, mais il est aussi passible
de se retrouver sur une liste, et cette liste-là... Bien que la
publication des jugements, elle existe actuellement. C'est-à-dire que quelqu'un
qui a un jugement... lorsque le Tribunal des
droits de la personne rend une décision défavorable à l'égard d'une personne
qui aurait contrevenu aux dispositions
de la charte, bien, ces jugements-là sont de nature publique. Donc, peu
importe, la nature publique du document, elle est là actuellement, et,
si on ajoute des pouvoirs, cette même nature... Mais il s'agirait de consigner
à l'intérieur d'une liste, un registre, les noms de ceux et celles qui
contreviennent aux dispositions bien spécifiques portant sur le discours
haineux.
Maintenant, je
comprends de votre intervention que la préoccupation de la fondation, ce serait
pour des fins d'éducation, d'éducation
populaire. Non. La liste, pour vous, vous ne considérez pas que ce soit une
nécessité, mais, pour vous, la nécessité serait de diffuser les motifs
sans pour autant entrer dans le détail des individus, sans identifier les individus, mais publiciser et mettre en lumière
davantage les motifs, ce qui a amené la commission à rendre une
ordonnance afin de constituer au fil du temps une jurisprudence très claire sur
ce qui constitue clairement un discours haineux pour éviter ce type de discours
là et pour permettre une meilleure interaction, là. C'est ce que vous...
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
M. Breault (Laurent) : Vous m'avez bien compris, Mme Vallée. Peut-être
juste pour le nom de la personne... De
toute manière, étant donné que le jugement est public, son nom serait public,
là. C'est juste vraiment de mettre l'accent et de montrer davantage le jugement que le coupable, là. Mais vous
m'avez très bien compris, c'est ce que je voulais dire.
Mme Vallée :
Merci. Je n'ai pas...
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre, il vous reste 4 min 30 s.
Mme
Vallée : Bien, je
vous remercie de votre participation aux travaux de la commission.
Je pense que vous avez fait le tour des enjeux qui interpellent la commission. Puis merci beaucoup d'être présent aujourd'hui. Je sais que ça
a été, pour la fondation, une longue semaine
de festivités, alors... J'ai croisé Mme Roy hier, lors du défilé, à Montréal,
et donc je comprends que, dans le contexte dans lequel tout ça s'est
inscrit, ça a demandé beaucoup de travail à la fondation pour être présent
aujourd'hui, et je l'apprécie grandement.
M. Breault
(Laurent) : Merci beaucoup pour l'invitation, à tous.
Le Président (M. Hardy) :
Merci. Je cède la parole au député de l'opposition officielle... à la députée,
Mme la députée de Taschereau, pour un maximum de 15 minutes.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président, de ne pas faire de
discrimination selon le sexe. Fait plaisir, M. Breault, de vous voir. Je
suis contente de saluer la Fondation Émergence qui était là hier, comme la
ministre d'ailleurs. Il y avait beaucoup de députés hier au défilé de la Fierté
gaie. C'était vraiment un plaisir. Effectivement, on a parlé des trans, j'y
reviendrai aussi. C'est une des causes qui est...
La
question que je me pose : Est-ce que le milieu a déjà demandé une telle
loi? Je n'ai jamais entendu parler de demander
des pouvoirs accrus à un tribunal. Est-ce que ça répond à une demande
quelconque, soit de la fondation avant, d'avoir une loi punitive sur les
propos haineux? Est-ce que c'est parce que vous ne vous sentez pas protégés par
les lois actuelles? Moi, je veux vraiment bien comprendre.
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
• (16 h 50) •
M. Breault
(Laurent) : Je dirais, dans premier temps, que la question de l'ajout
du «notamment» est une revendication qui
date, en fait, de plusieurs années. C'est une revendication qui vient
principalement des milieux trans. Pour
ce qui est d'est-ce qu'il y avait revendication, dans le milieu, d'un projet de
loi qui se serait concrétisée sous cette forme-là, je n'oserais pas parler au nom de l'entière communauté, et
malheureusement c'est plutôt récent que je m'implique de façon permanente dans la lutte à l'homophobie
et la transphobie. Je dirais qu'étant donné que, depuis plusieurs
années, on fait avec pas beaucoup, je vous
dirais que c'est un peu surprenant et étonnant d'avoir un projet de loi qui arrive. Première réaction, je pense
que ce projet de loi là est intéressant, mais n'est pas fait pour les LGBT de
prime abord, O.K.? Je pense que ça se sent
et ça se voit très bien. Par contre,
la communauté LGBT a son mot à dire, parce qu'il y a ici... on aborde
tous les motifs de discrimination, qui incluent l'orientation sexuelle.
Mme
Maltais : Merci. De toute façon, je comprends que vous ne
pouvez pas parler au nom de la communauté, personne ne peut le faire. De toute façon, il y aura aussi d'autres
membres de la communauté qui viendront demain, qui vont nous amener un mémoire avec un autre angle de
vue, je pense. Puis je pense que toutes les opinions sont importantes,
il faut qu'on voie l'ensemble.
Tout
à l'heure, vous avez dit que vos moyens sont peu importants. Vous avez dit que
vous avez perdu du financement récemment?
M. Breault
(Laurent) : C'est-à-dire que le programme s'est terminé après six
années consécutives, et nous sommes en démarche pour avoir d'autres
subventions. Mais, pour l'instant, on aime dire que le programme est sur la
sellette plutôt qu'il s'est terminé.
Mme
Maltais :
Ce programme, il est à quel ministère?
M. Breault
(Laurent) : Ministère de la Famille.
Mme
Maltais :
Le ministère de la Famille et de l'Enfance.
M.
Breault (Laurent) : C'était le programme QADA, Québec ami des aînés,
qui le finançait depuis six années consécutives.
Mme
Maltais :
O.K. Donc, vous souhaitez que ce programme se renouvelle.
M. Breault
(Laurent) : Absolument, ou sous une autre forme, ou sous une autre appellation,
absolument.
Mme
Maltais :
C'est ce qui est important.
M. Breault
(Laurent) : Parce que c'est le seul, qu'il est unique en son genre
puis...
Mme
Maltais :
Et qui parle aux aînés, qui protège les aînés.
M.
Breault (Laurent) : ...qui parle aux aînés, et probablement même dans
le reste du Canada et dans le monde.
Mme
Maltais :
Évidemment, je comprends votre inquiétude, étant donné qu'il y a eu aussi une
coupe de 1 million de dollars dans
la lutte à l'intimidation, alors que moi, je vais vous dire, personnellement,
je pense que la lutte à
l'intimidation dans les écoles, c'est un des objets les plus importants pour
faire avancer à cause de l'égalité des droits pour les LGBT.
Vous
avez dit tout à l'heure : On veut répondre, parce que, quand il y a des
propos haineux, ça va nous donner des moyens de répondre. Mais qu'est-ce
qui vous empêche de répondre actuellement? Parce que moi, je pense qu'il y a
une communauté, là, qui prend la parole assez fortement et qui est, en général,
appuyée par la société québécoise.
M.
Breault (Laurent) : Le tableau est loin d'être noir, là, il faut le
dire. Il y a beaucoup d'avancées. Puis, précédemment, je faisais allusion au
sondage de la Fondation Émergence. Bien, on le voit très bien, selon certaines
données, que le malaise de voir, par exemple, deux hommes ou deux femmes
s'embrasser au Québec, bien, les taux diminuent,
mais on voit encore que, pour ce qui est des hommes, c'est au-dessus de
50 % qui ont encore un malaise, là. Je ne me souviens pas du
chiffre exact, là.
Pour
ce qui est de la prise de parole, il y a des instances. On voit aussi qu'il y a
un appui du gouvernement aussi qui
permet de répliquer, de pouvoir argumenter. Je dirais que le problème réside,
selon moi, particulièrement dans ce qui est des recherches sur notre communauté. La chaire sur
l'homophobie — je pense
que, d'ailleurs, c'est un de vos invités à cette commission — est assez récente puis elle est fortement utile, parce que,
maintenant, on peut quantifier, mesurer, délimiter et analyser de façon quantitative, qualitative la communauté
LGBT au Québec. Et avec ça, bien là, ensuite, on peut argumenter. Mais, tant qu'on n'a pas de données sur quoi se baser,
quelle est la valeur, quelle est la crédibilité de notre discours par rapport à des discours
homophobes qui vont s'appuyer, par exemple, sur la tradition, sur une
continuité historique, et tout ça, qui aurait fait ses preuves par le fait
même, entre guillemets, là?
Donc, avec des données qui amènent : Bien,
voici ce que vivent les aînés, voici ce que vivent les jeunes LGBT, etc.,
c'est un appui considérable. Donc, c'est
pour ça que, pour revenir à la question de mettre l'accent sur le jugement, de
le mettre en valeur, c'est très utile pour nous ensuite.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : O.K. On s'entend que tous les jugements sont
publics et que, là, il est question d'une liste, mais, quand un jugement est publié, le jugement est
publié avec un peu la logique de la cause et les raisons du juge ou de
la juge pour lesquelles il ou elle porte ce
jugement. Alors, l'idée, moi, c'est plus, le jugement et, bon, tout le
questionnement, est-ce que ça devrait être
au... Est-ce qu'on ajoute quelque chose en ajoutant une infraction d'un
tribunal comme la CDPDJ? Est-ce
qu'ils ont les pouvoirs? Est-ce qu'ils ont les moyens? L'autre, c'est :
Est-ce qu'on publie une liste? Ça, c'est l'autre grande question à laquelle, bon, évidemment, vous n'êtes pas soumis
là-dessus. Je comprends, là, votre conseil d'administration.
Avez-vous
examiné le projet de loi sous l'angle inverse? Et je vais vous dire, je
voudrais connaître votre opinion. Un mouvement quelconque — la
Fondation Émergence, le conseil LGBT — déclare qu'une religion tient
des propos homophobes et fait une attaque,
tu sais, elle dit : On n'en peut plus, ta, ta, ta, ça n'a pas de bon sens,
on ne veut pas entendre de tels propos. Grâce à cette loi, la communauté
ou le groupe qui a dit ça est poursuivi devant le CDPDJ. Avez-vous examiné
cette loi-là sous cet angle?
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
Mme
Maltais :
C'est-à-dire qu'elle pouvait être, à la limite, un frein à votre critique des
religions. Parce que, croyez-moi, ce sont souvent les religions qui ont amené
et qui ont prôné, à un certain moment donné pour certaines, l'homophobie carrément ou le rejet de
l'homosexualité. Est-ce que vous avez examiné cette loi en disant : Si on
l'appuie, on se retrouve avec aussi une possibilité, nous, d'être menottés dans
notre capacité de lutter contre l'homophobie? Avez-vous examiné ça sous cet
angle-là?
Le Président (M.
Hardy) : M. Breault.
M.
Breault (Laurent) : Non.
Ceci dit, on n'a pas senti qu'il y
avait possibilité de menottage pour
ce qui est du discours à l'homophobie et à la transphobie, parce qu'on
n'est pas dans des discours discriminants, on n'est pas en train de cibler une
personne ou un groupe pour le dénigrer et l'inférioriser en fonction d'un motif
de discrimination.
Ceci
dit, pour revenir à la question des religions, effectivement, la religion, je
pense, aujourd'hui amène un débat qui se complexifie, qui se transforme, et, pour faire le lien avec ce
que je disais, on a besoin d'outils théoriques, d'analyses pour bien comprendre et se préparer à ce discours-là
qu'on entend, là, ou qu'on a déjà entendu, donc, des discours religieux qui
entretiennent un discours de haine envers les personnes LGBT. Mais c'est qu'on
n'a pas encore les outils pour bien comprendre ces religions-là, l'ampleur de
ça et puis où on se positionne.
En
ce moment — ça,
je suis pas mal certain, je pense que je peux le dire — dans les
communautés LGBT, je pense qu'il y a
un malaise par rapport aux discours haineux liés à des groupes religieux puis
qu'on n'est pas tout à fait outillés et à l'aise de pouvoir répliquer ou argumenter avec ces discours-là. Mais,
pour voir le projet de loi dans l'autre sens, pour être bien honnête,
Mme Maltais, je ne pourrais pas bien vous... on ne l'avait pas vu comme
ça.
Mme
Maltais : D'autres l'ont vu comme ça, c'est pour ça qu'on
pose la question, c'est tout l'intérêt, là, c'est de voir jusqu'à quel point... Parce qu'on est entre
la liberté d'expression et puis la protection des droits. Alors, ça se
joue serré, ça fait qu'il faut le voir de
tous les côtés. C'est pour ça que je voulais vous poser la question. Je vois
que vous ne l'avez pas examiné sous cet angle-là, mais c'est correct,
c'est normal.
Dernière chose,
peut-être, rapidement. Vous, vous voulez un «notamment». Vous savez bien que,
si on met «notamment», ça veut dire qu'on
permet d'ajouter des droits qui ne sont pas dedans, puisque ça ne devient plus
une citation exclusive de droits. Par
contre, ça veut dire que vous considérez que les trans ne sont pas couverts par
l'interdiction de discrimination selon le sexe ou selon l'orientation
sexuelle, c'est ça? Parce que, déjà, c'est deux...
M. Breault (Laurent) : C'est ce que
les groupes trans disent eux-mêmes, absolument.
Mme
Maltais : ...trans
disent, c'est que... Est-ce que vous avez eu un avis, de la part de la justice,
considérant ce fait là? Est-ce que le ministère de la Justice refuse parce
qu'il considère que c'est déjà couvert?
M. Breault (Laurent) : Non, je pense
que c'est par ignorance...
Mme
Maltais : O.K.,
merci.
M. Breault (Laurent) : ...ignorance
des réalités trans.
Mme
Maltais : Alors,
votre rappel est lancé.
• (17 heures) •
M. Breault
(Laurent) : Non, mais, dernièrement, il y a eu une page Facebook
qui a été publiée puis qui véhiculait clairement, explicitement un
discours haineux envers les personnes trans, puis les personnes trans ont
demandé à ce que cette page-là soit retirée,
et ça a pris plusieurs jours, voire des semaines avant que Facebook
retire la page. Mais on a clairement vu là une absence d'instance qui
puisse interpeller Facebook pour fermer cette page-là qui encourait un discours haineux
envers les personnes trans. Donc, on voit qu'il y avait un vide ici au niveau administratif, gouvernemental pour appuyer les communautés trans. Puis peut-être
que le gouvernement, justement, se sentait désengagé, déresponsabilisé
parce que l'identité de genre et l'expression de genre n'est pas dans les
motifs de discrimination.
Mme
Maltais : Merci
beaucoup. Merci, M. Breault, pour votre témoignage.
M. Breault (Laurent) : Merci à vous.
Le Président (M. Hardy) : Terminé?
Mme
Maltais : Terminé.
Le Président (M. Hardy) : Parfait.
Maintenant, je cède la parole au deuxième groupe d'opposition. Mme la députée
de Montarville, pour une période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour,
M. Breault. Ma collègue de l'opposition officielle m'a littéralement enlevé la question de la bouche. Pour
mettre les choses en perspective, vous êtes d'abord ici pour nous
dire — et
c'est ce que je comprends, corrigez-moi — que vous trouvez que la
protection qui est accordée actuellement par notre charte avec les termes qui
sont employés sont insuffisants. Même avec les termes «sexe» ou «orientation
sexuelle», pour vous, c'est insuffisant. Vous considérez qu'elle ne vous
protège pas?
Le Président (M. Hardy) :
M. Breault.
M. Breault (Laurent) : Ce n'est pas
que c'est insuffisant. Le but d'ajouter le «notamment» ou d'y inclure clairement l'identité de genre et l'expression de
genre, ce n'est pas l'orientation sexuelle, ici, qui manque de support
ou de soutien, c'est vraiment les personnes
trans, ici, là, c'est elles. C'est en ce sens-là que je faisais un clin d'oeil
aux personnes trans, en parlant
d'ajouter le mot «notamment» ou l'expression de genre et l'identité de genre
comme motif de discrimination. Par le
fait même, elles ne sont pas... L'orientation sexuelle et l'identité de genre,
c'est vraiment deux choses, là. On peut être trans, mais ne pas avoir
une orientation sexuelle différente de celle qu'on a eue à la naissance, là.
Mme Roy
(Montarville) : Je suis tout à fait d'accord avec vous. On a
d'ailleurs eu une commission parlementaire fort intéressante sur le sujet. Mais ici je vois un petit paradoxe, dans
la mesure où, lors de cette commission parlementaire, la communauté, plusieurs personnes LGBT, les trans
surtout, sont venus nous dire dans quelle mesure cette identité de genre
était importante, mais dans quelle mesure aussi ils voulaient bénéficier du
règlement que nous attendons et qui leur permettraient de changer de genre sur
les papiers de la Direction de l'état civil. Et c'est ce qu'elles espèrent, les
personnes trans.
Alors, c'est la raison pour laquelle je me
demandais si, légalement parlant, le fait d'écrire seulement «non de discrimination», «aucune discrimination»,
«exclusion», «préférence fondée sur la race, la couleur ou le sexe» ne
pouvait pas inclure trans au lieu de mettre
«notamment». Parce que les gens réclamaient d'avoir la mention «M» ou la
mention «F», donc la mention «sexe». Alors, c'est peut-être juste plus
philosophique comme débat, là.
M. Breault
(Laurent) : On va essayer de voir avec les comités trans pour voir ce
qu'elles préfèrent, notamment. Et,
carrément, c'est certain, d'après moi, qu'elles vont vouloir qu'on mette
clairement comme motif de discrimination l'identité de genre et l'expression de genre que plutôt juste
«notamment», là, mais c'était pour faire le lien aussi avec la charte
des droits et libertés au fédéral. Non, mais pour... bien, oui. Je ne sais pas
si je réponds à votre question.
Mme Roy
(Montarville) :
Non, non, c'est très clair, ce que vous dites. Vous avez répondu à ma question.
Par ailleurs, je comprends très, très bien
qu'ici ce qui vous préoccupe, c'est l'identité de genre, cet ajout du
«notamment» pour que ça soit plus large, la protection semble ou puisse
englober davantage de personnes.
Si
on revient au projet de loi n° 59 tel que rédigé... J'imagine que vous
l'avez lu, mais, là encore, sentez-vous bien à l'aise de ne pas répondre si ce n'est pas votre champ de compétence,
mais je veux juste savoir votre impression à cet égard-là. Est-ce que vous croyez... Parce que nous, nous soumettons que,
pour nous, ce qu'on appelle l'esprit de la loi, l'objet de la loi, c'est effectivement de proscrire les discours
d'endoctrinement, de radicalisation qui sont prodigués ou qui sont faits
par ce qu'on appelle des espèces de prédicateurs. On ne va nommer personne,
mais on a une idée. Tout le monde les
connaît, mais on ne les nommera pas, mais ces gens-là qui tiennent des discours
très répréhensibles à l'égard des
homosexuels, entre autres, qui font des prêches, qui lavent le cerveau des
jeunes avec ces discours-là, donc, avec cet endoctrinement-là, est-ce que vous pensez que le projet de loi, la façon
dont il est rédigé actuellement, va faire en sorte que ces prédicateurs ne pourront plus tenir ces propos
contre les homosexuels? Croyez-vous que c'est suffisant? Croyez-vous que
c'est adéquat?
M. Breault
(Laurent) : Comme je disais dans ma présentation, c'est qu'il y ait un
volet de sanctions plus clair, mieux défini, nous, on s'en réjouit.
L'affaire, c'est que ce projet de loi là, selon nous, ne pourra être que
réellement effectif si on continue et on donne toujours
la priorité à du travail de sensibilisation de terrain, de première ligne, si
vous voulez, là, et de deuxième ligne par
des campagnes de sensibilisation nationales, etc., qui abordent des
thématiques, des problématiques particulières. Bon, je pense
qu'il ne faut pas que ce projet de
loi là fasse en sorte qu'on s'assoit
sur nos lauriers puis on dise :
Bah! Maintenant, c'est le tribunal qui s'en occupera, puis, nous,
voilà, on a fait notre travail, puis il n'y a plus d'homophobie, il n'y a
plus de transphobie, il n'y a plus rien au Québec, voilà, tout est beau,
bon. Ce n'est pas vrai. Il faut davantage
de sensibilisation, davantage de première ligne. C'est le message que j'amène
ici en commission.
Mme Roy
(Montarville) : Je comprends très, très bien. Et tout ce travail de sensibilisation en
première ligne ne toucherait pas, de toute façon, des gens qui ont un agenda qui est de radicaliser les jeunes et de les
endoctriner. Alors, peu importe le travail de terrain qui sera fait,
donc, c'est à un autre égard qu'il faut travailler.
M. Breault
(Laurent) : Absolument.
Mais c'est sûr que, là, oui, le discours de radicalisation... Mais, c'est
ça, c'est que, là, ça touche la dimension... J'imagine que c'est
«radicalisation religieuse», là, ici, on s'entend, hein?
Mme Roy
(Montarville) :
On présume, parce que ce n'est pas écrit dans la loi.
M. Breault
(Laurent) : On présume, d'accord.
Bien, c'est ça, la radicalisation religieuse, c'est un discours sur
lequel on doit être de plus en plus vigilants. Et, nous, dans nos communautés,
ça nous inquiète aussi, effectivement, beaucoup. Mais c'est surtout parce que
peut-être qu'on ne connaît pas non plus ces religions qui
prônent un tel discours. J'inclus aussi la religion catholique, là, évidemment.
Voilà.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci pour ces précisions. J'aimerais passer la parole, M. le Président, à mon collègue de Blainville.
Le Président (M. Hardy) : Oui, et je
vous rappelle qu'il vous reste 3 min 46 s.
M.
Laframboise : Oui, merci beaucoup. Dans ce que vous nous avez énoncé, vous avez dit que les aînés
LGBT se sentaient... J'aimerais que vous me
précisiez ça. Souvent parce qu'on
avance dans l'âge — c'est
mon cas, là — tu
sais, on a plus de vécu, et tout ça, mais ce que vous semblez nous dire. Est-ce
que c'est l'arrivée d'Internet, c'est les discours, c'est... Est-ce qu'il y a
quelque chose qui...
M. Breault
(Laurent) : Dans le cas des aînés LGBT, c'est tout à fait particulier
parce qu'on est encore très loin... C'est-à-dire, il y a des discours
haineux qui sont présents dans le monde des aînés, mais on n'en est pas tout à
fait là, dans le sens — comprenez-moi bien — que les aînés LGBT, les tranches d'âge les
plus vieilles, les plus aînés ne sont pas sorties du placard. Donc, il ne peut pas y avoir discours haineux
explicite envers une personne aînée qui n'est pas sortie du placard, on s'entend. C'est un discours qui est latent,
qui vient de l'histoire de l'homosexualité et de l'homophobie et qui se
concrétise dans un silence, dans une invisibilité des personnes aînées LGBT.
Écoutez, toute leur vie, c'était...
Imaginez-vous à 25 ans, et vos pulsions sexuelles sont considérées comme criminelles. Il y a une honte, il y a une
culpabilité d'être soi, il y a même des tentatives de changer d'orientation
sexuelle. Puis ensuite on est aussi des
malades mentaux, l'homosexualité est considérée comme une maladie mentale — j'aime
le rappeler parce que c'est quand même assez
récent — jusqu'en
1990. Puis en plus l'Église catholique qui est là, qui dit, bien, que
c'est péché, etc.
Donc, le
réflexe, puis je pense qu'on aurait tous fait la même chose, c'est de mettre
cette réalité-là sous le tapis. La
famille, même si elle le savait parfois, cachait l'homosexualité, elle mettait
ça sous le tapis. Les personnes entraient dans le placard, et ce placard-là, au fil du temps, s'est blindé, puis, en
fait, même beaucoup d'entre eux se sont mariés, ont des enfants puis...
Donc, c'est
ça, leur réalité. Ça fait que, là, on arrive avec la question du discours
haineux. Dans ce cas-ci — parce que, là, je parle vraiment au nom de l'ensemble
des LGBT, là, des personnes LGBT, dans ce cas-ci, les aînés LGBT — on est
encore dans un problème plus profond, plus complexe, accentué que juste en
restant la problématique du discours haineux.
• (17 h 10) •
M. Laframboise : ...des médias
sociaux n'a pas aidé non plus parce que ça...
M. Breault
(Laurent) : Bien, c'est parce que ce n'est pas tous les aînés qui
utilisent les réseaux sociaux, là, donc ils
sont... Et sont-ils affectés par les discours haineux envers les personnes LGBT
à travers Facebook? Bien, moi, mes grands-parents n'utilisent pas
Facebook, par exemple, tu sais. Mais il y a une autre partie qui — surtout
les baby-boomers — sont
plus à même d'utiliser les technologies numériques, etc. Eux sont plus à même,
effectivement, de vivre toutes les conséquences d'un discours haineux.
Le Président (M. Hardy) : Je tiens à
vous remercier pour votre contribution, M. Breault.
M. Breault (Laurent) : Merci à vous.
Le
Président (M. Hardy) : Nous
allons suspendre nos travaux quelques instants, et j'inviterais les
représentants de l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec.
Merci.
(Suspension de la séance à 17 h 11)
(Reprise à 17 h 14)
Le Président (M. Hardy) : Alors, la
commission reprend ses travaux.
Sans plus
tarder, je souhaite la bienvenue à l'Association
des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec. Je vous invite à
vous présenter et je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour
votre exposé.
Association des musulmans et des Arabes pour
la laïcité au Québec (AMAL-Québec)
M. Hachem
(Mohamed) : M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les
députés de l'Assemblée nationale et
Mmes et MM. les auditeurs, au nom de l'Association
des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec, je vous remercie de nous donner l'occasion d'exprimer
notre point de vue.
Fondée en
2012, AMAL-Québec est une association citoyenne et plurielle. Elle regroupe des
Québécoises et des Québécois d'origine arabe et/ou musulmane ou
n'appartenant à aucune de ces composantes, incluant des personnes pratiquantes, non pratiquantes, juives,
chrétiennes, agnostiques ou athées. AMAL-Québec souhaite contribuer constructivement au débat sur les thèmes de la
laïcité et des discriminations, de la visibilité religieuse et de la
contribution interethnique du vivre-ensemble
au Québec à travers ses positions. AMAL-Québec souhaite s'affirmer non pas en suscitant la polarisation, la division ou l'accusation, mais
plutôt en s'imposant comme une association rassembleuse tournée vers le
dialogue. Elle entend mener la lutte à travers la démystification des
confusions et l'élimination des amalgames et des stéréotypes. AMAL-Québec sera représentée aujourd'hui par deux de ses
membres, M. Haroun Bouazzi et moi-même, Mohamed Hachem.
M. Bouazzi
(Haroun) : Donc, en premier
temps, nous tenons à saluer la volonté du gouvernement de légiférer sur les discours haineux et incitant à la
violence. Nous remercions cette commission de nous donner la possibilité de nous exprimer sur ce sujet. Comme les délais pour analyser
la loi étaient courts, nous allons principalement nous prononcer sur la
partie I du projet de la loi n° 59.
Dans notre présentation, nous reviendrons
d'abord sur les raisons qui nous motivent pour appuyer une loi contre la haine
puis nous présenterons nos recommandations. Pourquoi légiférer contre la haine?
Dans une société où circulent des discours
haineux contre les femmes, les homosexuels, les musulmans, les Noirs ou les
Juifs, il paraît essentiel de promulguer une loi afin de protéger les
groupes vulnérables.
Nous
identifions deux raisons principales qui nous poussent à appuyer une telle
loi : la lutte contre la discrimination systémique ainsi que la lutte contre les extrémismes violents. Dans la société
actuelle, on peut aisément se sentir démuni face à la discrimination systémique, qui est bien plus répandue et
diffuse que la discrimination personnelle. Or, il peut exister des liens entre discrimination systémique
et les discours haineux. Il est évident que la banalisation de l'appel à
la haine, de la diabolisation, de la
déshumanisation de certains groupes a pour effet d'accentuer les attitudes
empreintes de préjugés et de
stéréotypes souvent inconscients. Ainsi, il est urgent de promulguer une loi
contre les discours haineux, qui sera un outil puissant dans la lutte
contre la discrimination institutionnelle.
Une loi
contre les discours haineux participerait aussi à contrer les diverses formes
d'extrémisme violent, d'abord d'une
manière directe, puisque les groupes d'extrême droite se développent dans un
environnement social où la haine colore les discours, mais aussi de manière indirecte, car l'exclusion, la haine
et l'islamophobie conduisent certaines personnes issues des groupes discriminés vers une autre forme d'extrémisme et de
violence. Ceci étant dit, le discours haineux est à vrai dire un symptôme, et nous y reviendrons plus
tard. Il faut, de concert avec cette loi, que le gouvernement travaille
sur le volet de prévention pour contrer efficacement le phénomène.
Donc, nos revendications. En premier lieu, il
nous semble important de s'assurer de bien définir ce qu'est un discours haineux ou plus fondamentalement ce
qu'est la haine. Il est important que l'application de cette loi
restreigne à son strict minimum la subjectivité
de l'interdiction légale. Pour ce faire, nous retenons la définition établie
dans le jugement de la Cour suprême du Canada, Saskatchewan (Human
Rights Commission)/Whatcott. Ce jugement établit trois critères principaux. Premièrement, les tribunaux n'ont pas
à juger de l'émotion exceptionnellement forte et profonde de la personne
qui tient des propos haineux. La question à laquelle le
tribunal est appelé à répondre est de savoir si une personne raisonnable, informée du contexte et des circonstances
dans lesquelles les propos ont été tenus estimerait que ces derniers
exposeraient le groupe protégé à la haine.
Deuxièmement,
les termes «haine» et «mépris» n'équivalent pas à «détestation» ni
«diffamation». Ainsi, sont écartés du
jugement les propos pourtant répugnants ou offensants, sont retenus ceux qui
incitent clairement à l'exécration, au dénigrement au rejet et qui
risquent d'entraîner la discrimination et d'autres effets préjudiciables.
Enfin, comme
le caractère répugnant des idées exprimées ne suffit pas à lui seul pour
justifier d'en restreindre l'expression, on doit comprendre que
l'interdiction des propos haineux ne vise pas à censurer les idées ou à forcer quiconque à penser correctement. Dans cette
perspective, nous estimons que les tribunaux administratifs doivent axer
leur analyse sur les effets que produisent
les propos en cause. Ces derniers sont-ils susceptibles d'exposer la personne
ou le groupe à la haine d'autres personnes?
• (17 h 20) •
Dans le respect des principes énoncés, le
Tribunal des droits de la personne jugera s'il est raisonnable ou non de limiter, dans certains cas, la liberté
d'expression ou la liberté de religion pour garantir d'autres droits
fondamentaux, tels que le droit à l'égalité.
Dans ce cadre, il est néanmoins important d'éviter les excès. Tant et aussi
longtemps qu'il n'y a pas appel à la
haine, il faut réaffirmer que, dans notre société, on protège la liberté de
critiquer les idées politiques, une pratique
religieuse ou une orientation sexuelle. La liberté d'expression est une des
conditions permettant le débat public, qui
est un des piliers d'une démocratie.
Il est donc important de maintenir la liberté de débattre sans tabou, y compris
de débattre de la possibilité de limiter un droit fondamental d'un groupe
vulnérable. La liberté artistique et la liberté de création méritent aussi une
attention particulière et doivent être préservées.
Le projet de
loi attribue à la commission des droits de la personne et de la jeunesse
plusieurs prérogatives importantes.
Dans un souci de transparence, nous recommandons que le refus de donner suite à
une plainte soit soumis à l'obligation par la commission d'en signifier
les raisons au plaignant.
Ne pas
afficher la liste des contrevenants sur Internet. Dans notre société,
l'information publique circule
rapidement et le stockage de données est virtuellement infini. Il importe de
réfléchir sur le fait que les personnes dont les noms apparaissent sur la liste
pour une certaine durée y seront en fait exposées de façon permanente.
L'article 11.1 : «Personne» ou
«groupes de personnes»? L'article 11.1 projeté de la charte québécoise
réfère uniquement à une personne alors que
les articles 1 et 2 de la loi sur les discours haineux réfèrent plutôt à
un groupe de personnes. La personne faisant partie du groupe de
personnes visées par les discours haineux définis dans le projet de loi peut-elle prétendre subir une discrimination
aux termes des articles 11.1 de la charte québécoise? L'article 11.1
tel que formulé semble suggérer que le
discours devrait être tenu à l'égard d'une personne, alors que le projet de loi
indique que ce discours puisse
contrevenir à la loi du fait qu'il vise un groupe de personnes. Ne faut-il pas
que l'on dise, dans 11.1, «à l'égard
d'une personne ou d'un groupe de personne»? Ceci étant dit, nous présumons
qu'il y a sûrement une explication permettant
de bien réconcilier le projet de l'article 11.1 de la charte et les
articles 1 et 2 du projet de loi, qui ne nécessiteraient pas une
telle phraséologie.
La lutte contre la haine ne se limite pas aux
pratiques juridiques. La loi n° 59 prévoit que la commission soit en charge d'«assurer un rôle de prévention et
d'éducation en matière de lutte contre les discours haineux et ceux
incitant à la violence». Ceci est d'ailleurs
cohérent avec le plan d'action gouvernemental de lutte contre la
radicalisation. Dans ce contexte, le
gouvernement prévoyait déjà de donner à la commission deux responsabilités
importantes définies par les mesures 2.1.3 et 4.3, donc «documenter et analyser
les actes haineux et xénophobes», c'est la mesure 2.1.3 prévue en application à partir de l'hiver 2016, ainsi que la
mesure 4.3, qui est «déployer les activités d'éducation aux droits et
libertés de la personne et aux valeurs démocratiques», qui devrait débuter en
automne 2015, soit dans quelques semaines. Le gouvernement
semble être conscient de l'urgence de la situation. Nous espérons donc qu'il
mettra en route les activités éducatives,
comme prévu, dès l'automne 2015, sans attendre l'adoption de la loi. Le rôle de
la commission est essentiel dans la
prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à
la violence. Pour qu'elle puisse mener à bien ses nouvelles responsabilités et jouer pleinement son rôle, il est
impératif que la commission obtienne une augmentation substantielle de
ses ressources humaines et budgétaires.
Nous vous
remercions pour l'attention que vous nous avez accordée et sommes à votre
disposition pour répondre à toute question. Merci.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup, messieurs. Là, nous sommes
rendus à la période d'échange avec nos invités.
Alors, en débutant par le groupe parlementaire formant le gouvernement, Mme la
ministre, vous avez 25 minutes.
Mme Vallée :
Merci, M. le Président. Alors, messieurs, merci beaucoup de votre participation
à nos travaux et merci aussi des
commentaires qui sont formulés, les recommandations, suggestions et
bonifications. Je pense que notre processus
nous permet, justement, d'aller chercher et de soulever les éléments qui
pourraient être bonifiés. J'aimerais, dans
cette veine-là, vous entendre sur la question des définitions. Donc, on a
entendu certains groupes qui vous ont précédé cet après-midi nous
mentionner, effectivement, que certains termes mériteraient d'être précisés à
l'intérieur du projet de loi. Et vous soulignez que, de ces termes, «discours
haineux» devrait être davantage défini par le projet de loi.
Je comprends que les critères établis dans
Whatcott sont quand même substantiels. Il pourrait être un peu lourd d'inclure
dans le texte législatif les extraits, les trois critères de l'affaire
Whatcott. Par contre, évidemment, ces critères-là nous ont guidés dans
l'élaboration du projet de loi. Est-ce qu'il y aurait d'autres définitions ou
d'autres éléments, en sus des critères
établis par Whatcott, qui devraient être considérés si nous devions aller et
préciser davantage le terme «discours haineux»?
Le Président (M.
Hardy) : M. Bouazzi.
M. Bouazzi
(Haroun) : Évidemment,
nous ne sommes pas une association de juristes, et loin de nous l'idée de
penser qu'on est capables de jouer ce rôle-là. Ayant dit ça, ce qu'on comprend,
c'est qu'évidemment, dans certains moments,
il faut trancher entre plusieurs droits fondamentaux dans notre société.
Il y a aujourd'hui un problème profond par rapport à des
questions de discrimination systémique, et les outils qui s'offrent à nous pour
contrer ce genre de problèmes ne sont pas
très nombreux. On comprend que la Cour
suprême, d'ailleurs,
a statué que la lutte contre l'appel à la haine a comme principal objectif, en fait, de pouvoir permettre le droit à
l'égalité, qui est aussi un droit fondamental, dans le sens où ça lutte,
justement, contre les inégalités systémiques qu'on peut avoir dans notre
système.
Ayant dit ça,
évidemment, il y a aujourd'hui une certaine liberté, dans notre société,
qu'on chérit beaucoup. On a donné,
par exemple, l'exemple de débattre du droit à limiter des
droits fondamentaux à des groupes. On pense que c'est un exemple assez intéressant. On peut avoir, dans
notre société, des groupes qui luttent contre le mariage gai,
des groupes qui luttent pour absolument
mettre à la porte un médecin qui a une kippa sur la tête ou des groupes qui
luttent contre le droit à l'avortement. Nous, on considère que les
homosexuels ont droit à l'égalité et droit à vivre l'amour dans le cadre d'un mariage, que les femmes ont le droit à leur
intégrité physique et à leur choix d'utiliser les moyens de contraception
ou l'avortement si elles veulent et qu'un
enseignant ou un médecin a le droit d'avoir la liberté de conscience et de
continuer à enseigner et être professionnel,
mais on ne pense pas qu'on devrait éviter ce genre de voix dans notre société,
qui permettent un débat sain, très souvent, dans notre société.
Là où on
pense qu'il n'y a plus de doutes, et je pense que c'est là où ça se passe,
c'est-à-dire qu'évidemment la ligne est
très mince, mais, si on va sur des réseaux sociaux, dans des associations
connues, hein, qui ont pignon sur rue ou, en tout cas, qui existent en tant que telles, bien, quand on voit qu'un
commentaire sur deux, à peu près, traite — disons, pour les cas islamophobes
qu'on connaît bien — les
musulmans de rats, de coquerelles, etc., on n'est pas dans le débat d'idées, on est dans la déshumanisation la plus
totale. C'est des animaux qui ne sont non seulement pas des humains,
mais c'est le genre d'animaux qu'on a le
droit d'exterminer. Et on est aujourd'hui démunis devant cette haine qui n'est
pas, donc, personnifiée, c'est une haine
générale où on parle des musulmans en général, et on pense que, dans ces cas-là
particulièrement, il n'y a pas de
zone grise. Et ce n'est pas un délit d'opinion qu'on a pu entendre aujourd'hui,
mais c'est plutôt une parole haineuse qui ne devrait pas avoir pignon
sur rue et être acceptée dans nos sociétés.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée : Vous me devancez dans mes questions, parce que,
justement... Un
peu plus tôt, vous avez sans doute entendu les propos de Me Latour, de Me Grey, qui nous
mettaient en garde, parce qu'à leur
avis ce projet de loi là n'est pas utile,
n'est pas nécessaire, qu'il n'existe pas de situation, actuellement,
nécessitant une intervention de l'État. Par contre, tu sais, ce n'est pas l'avis... évidemment, ce
n'est pas notre avis, mais vous faites partie de ceux et celles qui ont
demandé que le gouvernement pose des gestes
pour venir mettre un terme à cette discrimination systémique qui va beaucoup
plus loin que la simple opinion dissidente ou l'expression d'une idée qui n'est
pas «politically correct», mais bien qui est l'expression
d'une haine et d'une violence, bien souvent, dans les propos, qui n'a tout simplement pas sa place dans une société démocratique.
• (17 h 30) •
M. Bouazzi
(Haroun) : Oui, on a été
plutôt étonnés, d'ailleurs, des différents points. M. Grey est
cohérent, c'est quelqu'un qui aime beaucoup la liberté d'expression quelle qu'elle soit, donc
autant pour des extrémistes religieux, que pour des néonazis, etc. Il y
a une cohérence totale là-dedans et, entre autres, aussi dans le fait qu'il est
pour la liberté d'expression religieuse. Donc, on le comprend idéologiquement.
Nous, on n'est pas d'accord avec ça, on pense qu'il y a des limites. Il n'y a
aucun droit fondamental qui devrait être comme ça, immuable. Il y a le droit, effectivement,
à l'égalité qui a toute sa place dans notre société,
surtout quand on sait qu'il y a des groupes effectivement vulnérables,
donc les homosexuels, les Juifs, les Noirs,
les musulmans, les Arabes, etc., qui sont des groupes aujourd'hui qui souffrent dans notre société.
On veut et nous, on espère que notre société ne va pas avoir des couches sociales, par exemple, qui sont définies par la
pigmentation de la peau. On pense que c'est important que tous les citoyens
aient droit à avoir les chances égales sans avoir, comme ça... bon.
Mais, je dois
avouer, dans le cas de Mme Latour, il
y a beaucoup de contradictions, parce qu'elle, ce qu'elle nous dit, c'est que c'est un problème imaginaire. Nous,
on reste quand même bouche bée quand on voit que, dans notre société, il y a des gens qui nous expliquent à quel point
il faut décriminaliser le viol à la maison. On a eu un blogueur,
dernièrement, qui est venu, bon, on a aussi des rappeurs qui viennent aussi
nous parler de culture du viol et on a une islamophobie; pour ne pas la voir dans les réseaux sociaux, il
faut quand même... On a du mal à comprendre qu'est-ce qui est imaginaire
dans le fait qu'il y a des milliers de
commentaires par jour, au Québec, sur certaines pages bien particulières, des
pages qui sont plus suivies que tous
les députés qui sont ici, autour de la table, dans les médias sociaux, où on
traite les minorités, musulmanes
particulièrement, nommons les choses comme elles sont, comme des sous-hommes,
des gens qui n'ont aucun droit, même
pas à la citoyenneté, mais au fait d'être des êtres humains respectés. Donc, on
ne comprend pas, donc, d'un côté,
comment on peut imaginer que ce problème est imaginaire. D'un autre côté, Mme
Latour elle-même a milité très, très fort
pour pouvoir restreindre une des libertés d'expression qui est la liberté
religieuse, où même un morceau de tissu sur la tête, donc un médecin qui
porte une kippa, est pour elle un danger à sa propre liberté de croyance.
Donc, on voit mal
comment est-ce qu'une parole qui traite les homosexuels, disons, de rats ou de
coquerelles serait correcte, ferait partie
de la liberté d'expression, alors qu'un médecin qui porte une kippa ne fait
plus partie de la liberté d'expression. Donc, je vous avouerais que,
personnellement, nous avons un peu de mal à comprendre la cohérence de Mme Latour particulièrement, parce que, comme j'ai dit,
M. Grey, au moins, est tout à fait cohérent dans ces questions-là.
Le Président (M.
Hardy) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Vous avez
soulevé, dans votre mémoire, une préoccupation quant à l'article 11 et l'article
11.1. Évidemment, la charte, actuellement, vise clairement les personnes. L'objectif
du projet de loi, c'est d'ouvrir cette protection
aux groupes qui ne sont pas actuellement protégés au
niveau individuel. Et l'objectif vise aussi à protéger les groupes contre un discours haineux et un discours
qui incite à la violence, d'où l'expression... Maintenant, je comprends,
vous soulevez une préoccupation peut-être au niveau de la forme, la rédaction
de l'article. Alors, c'est noté, mais...
M. Bouazzi
(Haroun) : ...parce qu'on ne maîtrise pas ces questions-là. On a juste
été étonnés de voir que, clairement, on
parlait de groupes de personnes, alors que, dans la charte, on parlait
clairement de personnes, mais on n'ose pas penser qu'on a raison.
Mme
Vallée : L'objectif est d'ajouter cette protection aux groupes
de personnes de sorte qu'un discours qui vise un groupe et non seulement un individu puisse faire l'objet d'une
évaluation par la Commission des droits de la personne et par la suite, le cas échéant, d'une intervention du
tribunal. Donc, ce ne sera pas que le discours haineux qui vise un
individu, mais bien un groupe de personnes qui se distingue par un motif prévu
à l'article 10. Alors, c'est ce qui est prévu, et évidemment l'objectif du projet de loi, et vous l'avez réitéré, ce n'est
pas de censurer le discours public, l'objectif n'est pas d'établir une
censure, mais c'est bien de mettre un frein à l'inacceptable.
Comme
je l'ai mentionné, nos libertés, à quelque part, s'arrêtent là où la liberté de
l'autre commence, et il est tout à fait inacceptable d'avoir, dans notre
espace public, un discours qui inciterait quelqu'un à porter, à commettre un
acte de violence à l'égard d'un autre en
raison de sa différence, parce que notre diversité, bien, elle enrichit le
Québec, l'ensemble de notre diversité
enrichit le Québec. En tout cas, moi, j'y crois bien fort et je crois aussi à
la liberté d'expression. Mais je pense
qu'il y a cet espace, parfois, malheureusement, qui est traversé et qui est
tout à fait inacceptable dans une société libre et démocratique. Appeler à la haine, appeler des tiers à la haine
en raison de la différence d'une personne ou d'un groupe de personnes,
c'est inacceptable.
Je
reviens... parce que nous avons eu des échanges sur la création d'une liste.
Donc, l'objectif visé était un objectif de sensibilisation, d'éducation.
Je comprends que vous questionnez cette réalité-là et vous questionnez aussi...
bien qu'il y ait un terme à garder ou à
maintenir le nom d'une personne sur la liste, vous nous sensibilisez au fait
que le contenu qui est disponible en
ligne peut, ne serait-ce que par une capture d'écran, demeurer, et ce, d'une
façon indéterminée, et ça aussi, je
vous entends sur cette question-là, parce qu'on me faisait remarquer
qu'effectivement des captures d'écran ça peut revenir une fois le terme
passé.
Mais
l'objectif, bon, c'était une question de sensibilisation, notamment si un
parent... Un parent qui est préoccupé par
les fréquentations de ses jeunes pourrait voir, par la consultation de la
liste, si les fréquentations en question sont des gens qui auraient pu tenir des propos haineux et
pourrait, à ce moment-là, peut-être intervenir. Lorsqu'on parle du plan
de lutte à la radicalisation, il y a aussi la sensibilisation, l'éducation,
mais cet outil-là permet cet objectif d'éducation, de sensibilisation et aussi d'intervention, au besoin. Maintenant, je
comprends votre préoccupation quant aux technologies et à la possibilité
de maintenir un nom sur une liste pour une période indéfinie.
Comment
pouvons-nous trouver un juste milieu entre notre volonté, au-delà de la
publication du jugement, de faire
connaître ceux et celles qui auraient tenu de tels propos sans pour autant, et
je le comprends, aller au-delà de ce qui peut être raisonnable?
M. Bouazzi (Haroun) :
Écoutez, nous, on a peur d'un point en particulier. On imagine quelqu'un, un
jeune, je ne sais pas, moi, qui a 18 ans,
qui se rase la tête, et qui décide de rentrer dans des groupes néo-nazis, et
qui tient des propos absolument
inacceptables sur les homosexuels, ou sur les Juifs, ou je ne sais pas, se
retrouve à juste titre, donc, condamné
parce qu'il a beaucoup de gens qui l'écoutent, etc., imaginons, et 20 ans plus
tard, alors que la personne est totalement
rentrée dans un système acceptable, sortie totalement de cette jeunesse où il a
un peu erré, se retrouve toujours dans
une souffrance, un peu, d'ailleurs, comme ce que disait M. Grey, où, à chaque
demande d'emploi, il se retrouve à exister
dans une liste sur un autre site parallèle qui est géré à l'extérieur du Québec
et auquel on ne peut pas grand-chose.
Donc,
cette situation-là, on ne voudrait pas que la justice devienne vengeance. On
voudrait vraiment... Ce qu'on comprend,
c'est qu'un des objectifs, c'est de protéger les groupes vulnérables, et pas
spécialement de punir, mais en fait d'éviter
que ça continue. On comprend aussi que la commission espérait qu'il y ait un
côté de prévention, ne serait-ce que dans
le fait que les gens ne veulent pas se retrouver dans une situation comme
celle-là. Mais l'objectif ne devrait vraiment pas... En fait, la punition est un mal nécessaire, si on veut, mais
l'objectif serait vraiment que l'incitation à la haine cesse dans des
cas bien particuliers.
• (17 h 40) •
Mme
Vallée : Donc, pour vous, vous êtes très préoccupés par la
stigmatisation qui pourrait résulter de la mise en place de la liste,
une stigmatisation qui pourrait aller au-delà des objectifs?
Le Président (M.
Hardy) : M. Bouazzi.
M. Bouazzi (Haroun) : Oui. Très
préoccupés est un mot un peu fort, là. On voulait attirer votre attention sur le fait que, si on compte sur le côté temporaire
de la liste, on ne pense pas que c'est raisonnable de penser qu'on va y
arriver. Je vous
avouerais, moi, je ne suis pas juriste, je suis informaticien, ça fait que c'est quelque chose qui m'a tout de suite interpellé. Mais,
au-delà de ça, aujourd'hui, on pense qu'on serait plutôt préoccupés qu'on nie
le problème de l'appel à la haine dans notre société.
On espère
aussi que la commission sera capable de faire de la prévention. Si on a
une préoccupation, ça serait vraiment un de nos derniers points, qui rejoint d'ailleurs
le document de lutte contre la radicalisation où il faut
qu'on fasse de l'éducation au
niveau de la jeunesse par rapport à qu'est-ce que la discrimination, juste enseigner la Charte des droits et libertés à nos jeunes
Québécois, ce qui, aujourd'hui, n'est pas clairement fait d'une manière
explicite. Au-delà de la valorisation de la
différence, vraiment expliquer que discriminer sur la base de l'orientation
sexuelle ou de la couleur, la religion
n'est pas acceptable par rapport à nos lois et qu'on a un pacte citoyen qui
nous unit ici, au Québec, qui est la Charte des droits et libertés, qu'on a un pacte qui fait en sorte qu'on n'a pas
le droit de juger les gens sur un, donc, des 14 critères
discriminatoires qui sont décrits dans la charte. Et là on pense qu'il y a un
travail à faire réellement, là. Et ce qu'on comprend, c'est que, dans quelques
semaines, donc, la commission est sensée commencer ses exercices d'éducation au
niveau scolaire, et donc on espère que ça va commencer à être mis en place au
plus tôt.
Mme Vallée :
Certains viendront nous indiquer que le projet de loi pourrait contribuer à
stigmatiser des groupes ou stigmatiser des communautés ethniques. Est-ce
que vous êtes de cet avis-là?
M. Bouazzi
(Haroun) : Non, on ne pense
pas. Les personnes qui sont attaquées sont des personnes, ce n'est pas
un groupe. D'ailleurs, il serait temps
d'arrêter de généraliser à chaque fois, je ne sais pas, moi, qu'un musulman se
fait arrêter, qu'on pense que les musulmans... ou qu'un homosexuel se
retrouve à, je ne sais pas, moi, consommer des drogues dures sur un comptoir, qu'on dise : Bien, les homosexuels, c'est des
drogués. Bon, la personne qui se fait arrêter pour de la drogue, bien, elle s'est fait arrêter pour la
drogue; c'est son problème, ce n'est pas une question de groupe. Nous, on
ne pense pas du tout que le problème se pose.
Par contre,
ce qui est sûr, c'est qu'il va y avoir des problèmes qui vont se poser plus
larges. En tant que société, il va falloir qu'on réfléchisse où sont les
limites de la liberté religieuse, quel est un discours qui est acceptable par
un groupe et les conséquences d'un certain
discours, parce que, si on revient encore une fois à ce qui a été dit dans la
définition de la Cour suprême, la question,
c'est surtout une question de conséquences. Donc, on peut très bien tenir des
propos qui, quand on les dit, on les
dit avec énormément de haine, mais, s'il n'y a aucune conséquence, ce n'est pas
ces propos-là qui sont... Un peu
comme la diffamation, d'ailleurs. La diffamation rentre dans le même cadre.
C'est-à-dire que le problème de la
diffamation n'est pas seulement... D'ailleurs, on peut très bien tenir des
propos diffamatoires qui sont vrais. La question, c'est : Est-ce
qu'on a voulu nuire à la réputation de quelqu'un et est-ce qu'on y est arrivé?
Ce n'est pas seulement : Est-ce qu'on
a... bon. Quel est l'auditoire, à quel point est-ce que ça a été relayé, etc.,
et quel est l'objectif derrière, donc, la diffamation? Bien, l'appel à
la haine, c'est un peu le même style. C'est-à-dire que la question,
c'est : Est-ce qu'on est réellement en
train d'exposer une minorité vulnérable à la haine des autres personnes, qu'ils
soient homosexuels, musulmans, Juifs ou Noirs? Et on pense que, suivant
les périodes, dans notre société, il y a des groupes qui sont plus vulnérables que d'autres et on pense que les
paroles haineuses, quelles que soient les périodes, ne sont pas
acceptables.
Le Président (M. Hardy) : Mme la
ministre.
Mme Vallée :
Je reviens avec la nécessité d'intervenir. Est-ce que vous avez pu constater
dans la société... Bon, vous avez mentionné certains exemples. Mais
cette tendance, malheureusement, qu'ont certains individus à porter un discours extrêmement agressif, voire haineux à
l'égard de groupes, on le voit, elle se profile depuis combien de temps?
Est-ce que ça a toujours été aussi présent?
Est-ce que ça s'est immiscé tranquillement, de façon insidieuse, ou...
Parce que je sais que vous vous intéressez à la question depuis quand même un certain
temps.
M. Bouazzi (Haroun) : Donc, il y a
des constats des chercheurs. Malheureusement, il n'y a pas énormément de chiffres par rapport à ça. On a les
chiffres d'actes haineux qui ont été déclarés à la police, par exemple, et on sait qu'au Canada il y a eu une diminution des actes
haineux l'année dernière de 22 % en moyenne et, pour les musulmans, une augmentation de 44 %, et, malgré cette
augmentation-là, il y a eu une baisse de 22 %. Donc, on peut comprendre
que les autres ont baissé plus, et tant mieux pour les autres, hein,
mais on espère qu'il n'y aura plus jamais d'actes haineux contre qui que ce soit. Mais il y a une réalité,
c'est qu'en gros depuis le 11 septembre, donc ça fait déjà longtemps...
Moi, je me souviens avoir lu un sondage, donc, qui expliquait que l'opinion,
donc, sur les Arabes... je pense que c'était en 2010 et en 2003 où il y avait une opinion neutre. En fait, les gens, ils
n'avaient pas vraiment d'opinion sur les Arabes en 2010 et en 2003. On se retrouvait avec déjà des
taux négatifs, si on veut, d'appréciation négative, alors qu'il ne s'est
pas passé grand-chose pour la personne qui
le vit. Elle va au travail, ça n'a pas changé rien dans sa vie. Donc, il y a
une réalité.
Le débat
qu'on a eu en 2007 avec Hérouxville, etc., n'a pas aidé, surmédiatiser des cas
en les faisant passer pour des accommodements
raisonnables alors qu'ils ne le sont pas, faire en sorte qu'on focalise sur des
minorités particulièrement, etc., n'ont
pas aidé. Et le fait qu'il y ait des partis politiques qui ont décidé de mener
campagne en parlant justement qu'on va s'affirmer, nous, etc., n'a pas
aidé, parce que les partis politiques sont garants d'une certaine morale
publique, et, en stigmatisant, en expliquant
qu'il y a un cinquième pilier, un problème... et on pense que l'apogée de tout
ça a été vraiment le débat sur la
charte qui a été malheureusement très violent. Là, on n'est plus au niveau d'un
parti politique, mais on est au niveau
de l'État, du gouvernement, et le fait de débattre comme ça beaucoup, pendant
très longtemps, d'enlever des droits fondamentaux à une minorité religieuse
ou plusieurs, donc les Juifs et les musulmans principalement, n'a pas aidé. On a vu une prolifération de pages Facebook
avec des milliers de fans. Comme j'ai dit, ils ont beaucoup plus de fans
sur leurs pages que la somme de tous les députés qui sont
ici, autour de la table, hein? C'est grave. Chaque post peut être partagé 150 fois, 200 fois, 300 fois, alors qu'en
pleine campagne électorale on va sur la page du Parti conservateur au
fédéral, par exemple, ils seraient très heureux d'avoir 300 partages d'un post
qui parle du premier ministre actuel. La situation
est vraiment difficile, on pense, et ça, c'est un phénomène tout à fait
nouveau. Bon, aujourd'hui, c'est un far west, les médias sociaux, Internet, c'est un véritable far west. On est
heureux qu'on apporte une certaine législation qui puisse enfin prendre
compte d'une nouvelle réalité qui est celle-là.
Il y a aussi
d'autres réalités, hein? Il y a des radios d'ailleurs ici, à la capitale, qui
tiennent des propos qui sont très déshumanisants,
des fois, pour certaines minorités. Donc, c'est à la justice d'essayer de voir
est-ce que ça a des conséquences,
est-ce que ça peut en avoir, et c'est vraiment ça, encore une fois, qui est
important, ce ne sont pas seulement les propos, mais surtout les conséquences
que ça peut avoir sur les personnes.
Le Président (M. Hardy) : Merci. Mme
la ministre, M. Bouazzi. Le temps accordé au groupe parlementaire formant le gouvernement étant écoulé, je cède
maintenant la parole à la députée de Taschereau, représentante de
l'opposition officielle, et je vous rappelle que vous avez 15 minutes à partir
de maintenant.
• (17 h 50) •
Mme
Maltais : Merci,
M. le Président. Bonjour, M. Bouazzi, M. Hachem, c'est un plaisir de vous
recevoir aujourd'hui. Je vous remercie de
votre éclairage, entre autres sur la liste. Je n'avais pas pensé à ça en plus.
Déjà que je me questionnais. Je pense
que beaucoup de mémoires vont se questionner sur cette idée d'une liste. On
disait : Il n'y en a pas dans
d'autres cas de crimes, on s'est souvent refusé à faire des listes, et puis
vous nous dites effectivement un phénomène technologique qui est : maintenant, on fait une capture d'écran, et
puis c'est fini, ça dure toute la vie. Donc, j'apprécie beaucoup ce commentaire, je vous le dis, puis je
pense que la ministre a noté aussi que c'est quelque chose d'important.
Autre chose,
je sais que vous êtes, vous aussi, très cohérent dans vos propos en général,
parce qu'on a eu un débat lors de l'adoption du projet de loi
n° 62, puis vous nous avez rappelé fort exactement que votre association
est bien l'Association des musulmans et des
Arabes pour la laïcité au Québec et que ce qui nous manque encore dans notre
corpus législatif, c'est quelque chose sur
la neutralité religieuse de l'État et la laïcité. À ce moment-là, j'étais
contente d'entre ça. On en reparlera sûrement, peut-être quand arrivera
le projet de loi n° 62.
Maintenant,
on va parler de cohérence parce que je suis un peu étonnée puis je ne suis pas
étonnée, mais il y a un point qui m'étonne parce que je suis allée
chercher des propos que vous avez déjà eus, vous. Vous disiez... c'est ces
propos de quand sont arrivés les événements autour de la possibilité que l'imam
Hamsa Chaoui s'installe à Montréal. L'imam Chaoui est un imam qui est fortement
contesté et qui a des propos... peut-on les qualifier de haineux quand il parle de la lapidation? Il trouve ça correct et
normal, des choses comme ça. Vous l'avez pourtant défendu et vous l'avez défendu comme ceci : «We think we're seeing
dangerous events, one after the other, where actually the rights of
citizens are not respected, no matter what we think about the speech.» En
français, ça donne à peu près : Nous pensons que nous constatons des événements dangereux alors que nous
constatons que les droits des citoyens ne sont pas respectés, peu
importe qu'est-ce que l'on pense de leur discours.
Alors là, à
l'époque, vous défendiez le discours de l'imam Chaoui que nous, on demandait
justement qu'il soit complètement...
qu'on ne puisse pas peut-être l'entendre, le laisser faire du prosélytisme,
qu'il rende ce discours public, et puis là, aujourd'hui, vous voulez une
loi sur les propos haineux. J'avoue que, là, c'est moi qui ai de la difficulté
à vous suivre.
Le Président (M. Hardy) : M.
Bouazzi.
M. Bouazzi (Haroun) : Je suis
heureux de pouvoir vous éclairer sur mon point de vue là-dessus. J'ai donné
vraiment beaucoup d'interviews en français aussi sur le cas, et d'ailleurs,
dans le cadre de ces interviews-là, j'avais justement
expliqué l'importance de pouvoir apporter des modifications à la charte pour
pouvoir introduire ce genre de question,
que, si on pense réellement qu'il y a eu un appel à la haine et qu'on n'a pas
aujourd'hui les atouts législatifs pour pouvoir prendre action, bien, on
a le droit de se donner une législation qui parle d'appel à la haine, ce qui
manquait et qui rejoignait ce que la Commission des droits de la personne
demandait.
Maintenant,
moi, je ne défends pas les propos de M. Chaoui, je suis étonné que vous ayez
compris ça. Moi, ce que je défends,
c'est son droit à être respecté en tant que citoyen. Bon, heureusement, nous
sommes dans une démocratie, il y a des gens qui tiennent des propos...
et d'ailleurs lorsque j'ai lu, tout à l'heure, les propos répugnants, les
propos dégradants, etc., les propos peuvent
être acceptés dans une démocratie et même protégés; aussi dur que ça puisse
être, ils peuvent être protégés dans leur
droit citoyen. Dans le cas de M. Chaoui, à nos yeux, il n'a pas été respecté
dans son droit citoyen. On a fait un
changement de zonage assez collé, là, un genre de bricolage. On a appelé ça du
bricolage démocratique où on a changé un zonage en nous disant qu'il
était dangereux, on n'a jamais attaqué la personne pour des questions de danger. Tout le monde nous dit qu'en fin de
compte ce qu'il dit, ce n'est pas un appel à la haine d'après les
juristes, bon. Donc, notre réalité, c'est
qu'aujourd'hui on n'avait pas de quoi contrer, si on avait envie de contrer
cette personne-là, et donc on n'a pas
respecté son droit citoyen. Et, quand on demande aux gens de respecter les
droits citoyens des gens, ça ne veut pas dire qu'on défend ce qu'ils
disent, mais ça veut dire qu'on défend la démocratie.
De la même
manière, nous sommes contre la peine de mort. Si, demain, il y a une personne
qui tue des enfants après les avoir
violés et qu'on dit : Bien non, nous, on est contre la peine de mort,
j'espère que vous n'allez pas comprendre qu'on est d'accord avec la
pédophilie, bon. Donc, c'est important quand même de faire la différence,
surtout que c'est des sujets qui sont très sensibles dans la population. Comme
vous savez très bien que, dans une association où juste il y a le mot «musulmans» et qui défend le droit des musulmans à
être des citoyens à part entière, les amalgames sont infinis. Il suffit de dire qu'on est pour la
liberté pour une femme de mettre un foulard pour que tout le monde nous
traite de vouloir imposer la loi islamique sur les Québécois ou des choses de
ce genre. Il faut faire attention.
Mme
Maltais :
Si vous permettez un peu, j'aimerais qu'on échange un peu, M. Bouazzi.
J'aimerais comprendre. Là, vous
dites : Je défends le droit de ce citoyen à tenir ces propos et, en même
temps, vous appuyez cette loi qui vise peut-être,
peut-être à faire que ces propos ne soient plus sur la place publique. Je veux
mieux comprendre ça. Est-ce que vous
défendez ou pas ce genre de propos qu'il prône, par exemple, ou si vous êtes
vraiment comme moi, mettons, pour le fait
que les gens qui prônent la lapidation, les coups de fouet sont des gens qui
prônent des propos haineux qui devraient être couverts par cette loi?
Le Président (M. Hardy) : M.
Bouazzi.
M. Bouazzi
(Haroun) : Alors, vous
m'apprenez, un, qu'il prône la lapidation. Moi, je pensais qu'il était
d'accord avec couper des mains en Arabie
saoudite, ce qui n'est pas super, hein, mais, à ma connaissance, et puis je me
trompe peut-être... La question...
Mme
Maltais : ...
M. Bouazzi (Haroun) : Non, c'est ça,
mais... Et on dit ça, on a des gens dans notre société qui sont d'accord avec la peine de mort, qu'on ne trouve pas super
non plus, hein, bon. Je ne sais pas si «super», c'est le bon mot, mais
reste que la question est qu'à l'époque on
n'avait pas de législation qui puisse l'empêcher de faire ce qu'il veut, et, à
ce moment-là, il a le droit de faire
ce qu'il a le droit de faire. Et donc nous, et vous aussi en tant que députée,
et tout le monde, je pense, on a le devoir
de se battre pour les droits des gens, même ceux qu'on n'aime pas, même ceux
qui disent des choses avec lesquelles
on n'est pas d'accord, parce qu'on croit dans notre démocratie. Cette
personne-là ne semble pas croire dans la démocratie. Nous, on a une responsabilité, c'est d'y croire beaucoup
plus qu'eux, et donc de défendre les droits de tout le monde. À moins que vous me dites qu'il y avait une
loi qui permettait de le contrer, mais, s'il n'y avait aucune loi,
j'espère que vous aussi, vous allez défendre
les droits de ces personnes-là. Vous comprenez? C'est important de défendre, à
travers tous les combats des droits de la personne, en fait, pas la...
justement, on est en train de contrer ces discours-là. Vous comprenez?
Si, pour répondre à quelqu'un qui nous dit que
la démocratie, ce n'est pas bien parce que ça peut élire des homosexuels, on dit : Bon, bien, on va
arrêter de respecter un principe fort de notre démocratie, c'est que tout le
monde est protégé par la loi, bien, en fait, ils ont gagné, là. Nous, on a
perdu, là, on a abdiqué à cette idée que n'importe quel prédicateur peut nous dire : La démocratie, ce n'est pas bien. On
va dire : O.K., c'est... Non, non, c'est très bien, la démocratie, mais, pour vous, vous allez avoir un peu moins de droits
en tant que citoyen. Et c'est un exercice difficile, effectivement. Les gens qui ont beaucoup milité pour les droits
des personnes, les premières fois, c'est un peu difficile,
effectivement, de combattre la peine de mort
pour des gens pour qui on n'a pas la moindre sympathie, mais, par principe, si
on croit dans nos valeurs démocratiques, nos principes, à ce moment-là,
on doit effectivement, heureusement, je dirais, protéger les droits de tout le
monde, même ceux qu'on n'aime pas.
Mme
Maltais :
J'ai quand même de la difficulté à vous suivre. Je vais vous dire, M. Bouazzi,
par exemple, moi, je suis élue ici, à
cette Assemblée nationale, on connaît mon orientation sexuelle. Ça me choque
quand quelqu'un... je lève un tollé
quand quelqu'un dit qu'une élue ne devrait pas, avec une orientation sexuelle
différente, être à l'Assemblée nationale,
mais je n'ai jamais demandé à ce qu'il soit jugé par le CDPDJ et sur une liste
ensuite, ta, ta, ta. Il y a comme... Puis le tollé, fait général, permet
à un moment donné, des fois, de... bon.
Ce que je me demande, c'est : Est-ce que ce
type de discours est haineux ou pas? Là, ça, je ne le sais pas. Ce n'est pas
inscrit dans cette loi-là, je ne sais pas si ce type de discours est haineux.
Donc, je pense qu'il y a un besoin de clarification.
Mais vous,
vous dites à la fois que les citoyens, il faut protéger la liberté
d'expression, mais, en même temps, vous êtes d'accord avec cette loi qui, d'après certains juristes, mais
d'après beaucoup de monde, vous allez voir les mémoires tomber, est
dangereuse pour la liberté d'expression.
M. Bouazzi
(Haroun) : Encore une fois,
je suis étonné. Je ne dis pas qu'il faut protéger la liberté
d'expression, je dis qu'il faut protéger les
droits d'un citoyen quand il y a droit, quel que soit le citoyen. C'est
important, je pense, que tout le monde...
Une voix : ...
M. Bouazzi
(Haroun) : Bon. Donc, a
priori, il avait le droit de dire ce qu'il avait à dire, et donc nous, on se
doit, par respect pour nos institutions, et
notre démocratie, et notre État de droit, de défendre son droit de citoyen à
être respecté. Et puis il peut être
le plus exécrable possible, il y a des gens... Et malheureusement c'est ça, la
démocratie, et c'est pour ça que ça marche, c'est parce qu'on est tous ensemble
à... Et, si lui ne veut pas que des gens soient respectés dans leurs droits
citoyens, bien, nous, notre réponse à ça, c'est plus de démocratie, ce n'est
pas moins de démocratie.
Maintenant,
est-ce que c'est un discours haineux ou pas? La question qui va se poser à la
justice, c'est : Est-ce que ce qu'il a dit va faire courir un
risque à des groupes d'être victimes de la haine? C'est ça, la question à
laquelle la justice...
Moi, honnêtement, je n'ai pas de réponse à ça. Il faudrait voir tout ce qu'il a
dit, etc. Je n'ai pas le temps, je vous avouerai. C'est effectivement désagréable de l'écouter et c'est surtout
ennuyeux. Je ne sais pas si vous avez eu la chance d'écouter ses vidéos. Il y a beaucoup, beaucoup,
beaucoup de choses qui ne sont pas de la haine et qui sont vraiment
très, très, très ennuyeuses. Maintenant,
donc, je ne sais pas tout ce qu'il a dit, vous m'apprenez la question de la
lapidation.
D'autres
questions, c'est de dire : Bien, lui, par exemple, il serait d'accord pour
le droit, en Arabie Saoudite, que la
justice coupe des mains. Bon, nous, on pense que les sévices corporels, c'est
non. Bon, est-ce que c'est un appel à la haine? Est-ce que ça fait courir un risque à un groupe particulier?
Honnêtement, moi, je ne penserais pas. Maintenant, malheureusement, effectivement, c'est une personne
que nous, on n'aime pas particulièrement, mais qu'on va défendre dans
son droit de citoyen jusqu'au bout. Honnêtement, on pense que tous les citoyens
ont le droit d'être défendus, et il n'y a
pas que lui, je vous avouerai. Moi, ça fait à peu près 15 ans que je
milite pour les droits de la personne, et je vous assure que j'ai milité pour les droits de
personnes absolument... Et surtout ne tombons pas dans le raccourci qui
explique que, bien, en fait, vous êtes d'accord avec ce qu'il dit.
• (18 heures) •
Mme
Maltais :
Je ne le pense pas. J'essaie de bien comprendre la nuance dans les propos, là, parce qu'à l'époque vous aviez défendu son
droit de le dire, alors que justement...
M. Bouazzi (Haroun) : ...à l'époque
c'est... non...
Mme
Maltais : ...ce
qui soulève le droit de le dire comme citoyen, parce que c'était son droit.
M. Bouazzi (Haroun) : Oui. À
l'époque, ce que j'ai dit, ce que j'ai dit, c'est qu'il avait le droit de...
Mme
Maltais : Voilà.
M. Bouazzi
(Haroun) : Je n'ai pas
défendu son droit de le dire, mais j'ai dit explicitement — et
vous pouvez aller écouter la vidéo — que donc il fallait qu'on
légifère sur l'appel à la haine si on voulait l'empêcher de dire ce qu'il
voulait dire.
Mme
Maltais : Bien
dit.
M. Bouazzi (Haroun) : Donc,
explicitement, je défends le droit de quiconque, jusqu'à aujourd'hui encore, malheureusement, de tenir des propos haineux, jusqu'à temps qu'on ait la loi. On ne va
pas faire des lois sur mesure qui empêchent des gens d'être des citoyens.
Mme
Maltais : Et vous pensez, contrairement à d'autres — puis
ça, je veux bien le comprendre — que
les lois fédérales ne couvrent...
Puis on a vu que c'est assez difficile dans des moments de tension, comme quand
il y a des appels à la haine. Moi,
je considère que ce sont des appels à la haine, mais ça, ce seront aux juges
d'en juger, là, à chacun sa grille d'analyse.
J'espère qu'elle sera codifiée un peu. Mais donc vous considérez que le Code
criminel canadien, qui s'applique aux crimes haineux, aux
appels à la haine, n'est pas suffisant?
M. Bouazzi (Haroun) : Oui, absolument,
on pense effectivement que les groupes, aujourd'hui, vulnérables ne sont pas protégés comme ils devraient l'être.
Et on est capables, aujourd'hui, sur des réseaux sociaux, d'avoir des
pages avec des milliers de «followers» à
expliquer que les Arabes, les musulmans, les Juifs possiblement — je
vous avouerai que je ne passe pas mon
temps sur ces sites-là, je connais mieux les sites islamophobes, là — ne
sont pas des êtres humains, comme
j'ai dit. Je vous avouerai, juste avant de venir, hier, notre administrateur a lâché une question pour
dire : Donnez-moi quelques captures-écrans d'appels à la haine. Je
ne pourrai pas vous les lire, on en a reçu beaucoup. C'est juste insupportable,
et il y en a des quantités industrielles, industrielles.
Mme
Maltais :
...écoutez, j'ai deux chefs de parti... deux fois un chef de mon parti
politique a été non seulement victime
d'appels à la haine, mais a failli être tué. Alors, de ce côté-là, comme
société, c'est sûr que ce sont toujours des choses qui... les appels à la haine font toujours mal. On a eu, nous...
Denis Lortie est venu ici voulant tuer René Lévesque, et Mme Marois a failli mourir sous les balles
de Richard Bain. Donc, effectivement, c'est comment les appels à la
haine peuvent entraîner des conséquences
chez les gens dérangés, on doit être absolument très attentifs à ça comme
société. Puis moi-même, je ne peux pas supporter le mépris sur des sites
Internet, et tout ça. Le problème, c'est qu'on n'a pas vraiment le contrôle sur
Internet, c'est fédéral.
Une dernière chose, puis j'ai trouvé ça
important, j'aimerais ça que vous le répétiez, donc, l'application de cette loi ne doit pas retarder l'application du
plan de lutte à la... Excusez-moi, je suis un peu fatiguée, là, j'ai eu une
fin de semaine chargée.
M. Bouazzi (Haroun) : ...contre la
radicalisation.
Mme
Maltais : Plan de
lutte à la discrimination.
Le Président (M. Hardy) : M.
Bouazzi.
M. Bouazzi
(Haroun) : Oui, absolument. On cite d'ailleurs les deux points qui
touchent particulièrement le contexte dans
lequel on est, dont un qui devrait commencer en automne. Il y en a plusieurs.
Heureusement, le gouvernement s'est donné des... j'allais dire des
«deadlines», des temps... je ne sais pas le mot en français, excusez-moi, et il
y en a plusieurs qui commencent en automne,
un certain nombre qui commencent en hiver. Et nous, on va se faire un
devoir de faire le suivi, et j'espère que le gouvernement aussi fera le suivi.
Mme
Maltais : ...merci.
Le Président (M. Hardy) : Merci
beaucoup. Le temps accordé à l'opposition officielle étant écoulé, je cède maintenant la parole au deuxième groupe de
l'opposition, la députée de... Montarville, excusez-moi, Montarville,
pour une période de 10 minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci infiniment, M. le Président. Bonjour,
messieurs. Merci. Merci d'être ici. Merci pour le mémoire, que j'ai lu
en vous écoutant et que j'ai raturé.
Si je
comprends bien, vous êtes plutôt en faveur du projet de loi qui est présenté.
Bon, ensuite, plus loin dans votre document,
vous nous parlez aussi d'islamophobie, et je sens ici que ça vous touche,
naturellement, mais je sens aussi — et vous me corrigerez si je
me trompe — qu'après
tout ce qui s'est passé, tous les événements qu'on a connus, après... C'est une nouvelle à chaque fois qu'il y a un
événement où il y a de la radicalisation, où il y a un jeune qui s'en va,
ou qu'on retient avant qu'il parte, ou qui est parti, il est trop tard, bon, je
sens qu'à chaque fois les premières victimes de ces histoires affreuses sont les musulmans, au premier chef. Et ça, je le
comprends, je comprends très bien ce que vous dites. Et je comprends aussi que vous nous dites :
Il faut protéger nos minorités, en l'occurrence ici on parle des
musulmans, dans ce cas précis, on parle de
radicalisation et des jeunes qui vont à l'étranger. Je comprends, là, et je
partage tout à fait cette chose qui est d'une grande tristesse. Il ne
faut pas mettre tout le monde dans le même panier, et c'est l'erreur qu'il ne
faut pas faire.
Alors, pour
cette raison — et
c'est l'erreur que nous ne voulons pas faire également — pour
cette raison, je crois comprendre
également que vous tenez de façon très, très, très importante à la liberté
d'expression. Dans le projet de loi ici,
la liberté d'expression, on y porte certaines atteintes. Nous, nous considérons
que ce n'est pas assez précis et défini, l'objet de la loi étant de vouloir contrer la radicalisation et le
départ des jeunes à l'étranger pour le djihad, pour des raisons
terroristes, des agendas que nous n'avons pas. Et, pour cette raison, si ce
n'était que cette raison que nous voulions cerner
et justement à laquelle on veut s'attaquer pour que les musulmans puissent
pratiquer leur religion en paix, pour justement qu'on ne les mette pas
tous dans le même paquet avec les terroristes, quand les propos des
prédicateurs deviennent de l'endoctrinement qui mène à la radicalisation, alors
là je vous pose la question : Que devrait-on faire?
Le Président (M. Hardy) :
M. Bouazzi.
M. Bouazzi (Haroun) : C'est une
bonne question. Je comprends que la question de la radicalisation est très importante pour vous. Bon, nous, on a préféré le
mot «extrémisme violent» dans ce document. Il y a beaucoup de gens
radicalisés dans notre société, et puis on pense que c'est correct.
Maintenant,
le projet de loi, je ne pense pas, le mot «radicalisation» ne revient pas.
Nous, on fait le lien, ceci étant dit,
on fait quand même le lien, d'ailleurs le gouvernement le fait dans son plan de
lutte contre la radicalisation, mais le projet de loi touche principalement la question de l'incitation à la
haine et puis ensuite de protection de la jeunesse. La question qu'on se pose, nous, c'est : Comment
ça se fait qu'il y a des jeunes Québécois, donc des jeunes qui sont nés
ici, et qui ont grandi ici, et qui sont
allés à l'école ici, qui décident, hein, dans un âge très jeune, là, 18, 19,
bon, pratiquement adolescents, là, de
prendre l'avion et de partir combattre dans une guerre qui n'est pas la leur?
C'est assez effrayant, là. Bon, pour les parents, c'est effrayant. Pour
eux, ils vont vivre des choses horribles, c'est effrayant. Pour la société,
c'est effrayant, c'est effrayant, et on comprend.
Bon,
maintenant, ce n'est pas parce que c'est effrayant qu'on ne peut pas y
réfléchir d'un point de vue rationnel. Et donc ces jeunes-là ne se
sentent pas Québécois, ils se sentent faire partie d'un genre de fantasme d'un
groupe religieux totalement extrémiste qui
est dans une guerre où il y a plein d'intérêts étrangers, etc., et donc il y a
trois raisons principales pour lesquelles les jeunes vont là-bas.
Il y en a
une, c'est qu'ils ne se sentent pas Québécois, donc le rejet, le racisme,
l'islamophobie, le fait de voir la discrimination,
etc., voir que son voisin d'école a plus de chances que lui dans la société
qui, jusque-là, il sentait qu'il en faisait
partie, il a l'accent québécois. C'est assez impressionnant. Ce n'est pas des
immigrants, c'est des gens qui sont nés ici. Bon, ça, d'un côté.
D'un autre
côté, il y a la question de la justice internationale. Ici, dans ce Parlement,
on n'y pourra pas grand-chose, hein, bon, un étage plus haut, au
fédéral, ils pourraient ne pas être d'accord avec beaucoup de crimes qui
peuvent se faire dans le monde, mais reste qu'il y a cette volonté de lutte, et
il ne faut pas minimiser ce côté-là où il y a des gens qui y vont parce qu'ils veulent sauver des vies, parce que l'armée de
Bachar el-Asad a tué des centaines de milliers de gens, parce qu'il y a des milices irakiennes qui
tuent des gens, parce que... Et donc, pour eux, en partant, par exemple,
pour l'État islamique, le groupe État islamique, ils vont défendre des
populations, entre autres, hein, il y a aussi des...
Et il y a le
facteur religieux, sur lequel vous insistez beaucoup, qui évidemment existe. Et
donc il y a une idéologie particulière qui est en gros... si on la
nomme, c'est le salafisme, le takfirisme, donc, pour être très précis, qui est
une idée que ces gens-là détiennent le vrai
islam et qu'ils se donnent le droit de décider qui est musulman et qui ne l'est
pas. Et d'ailleurs c'est pour ça que
l'extrême, extrême, extrême majorité des morts de ces groupes-là sont
musulmans, parce qu'eux,
ils décrètent que le musulman d'à côté n'est pas musulman, et donc on a le
droit de le tuer. Nous, ce qu'on pense, c'est qu'une fois qu'on est
arrivé à ce qu'un jeune rentre dans cet engrenage-là déjà il est très tard dans
le processus, et effectivement il y a des questions d'«intelligence», donc de
services secrets, etc., qui doivent sauver la société des attentats, des
attaques armées, etc.
Ayant dit ça,
ce qu'on propose, c'est de travailler sur la prévention, donc sur les raisons
qui font que les gens vont aller vers
ce discours-là, parce que vous comprenez que, si on arrête un prédicateur...
Ces gens-là sont avides. C'est-à-dire que,
si je ne me sens pas Québécois, que je me sens attaqué dans mon identité
religieuse musulmane, on continue depuis à peu près 2007, c'est le seul sujet de conversation qu'on peut voir, et
que donc je me dis : O.K., je ne fais pas partie de cette société, je vois des bombes, des gens
mourir, etc., je veux faire quelque chose, j'ai 18 ans, je veux faire
quelque chose de ma vie, bien, ce
prédicateur-là n'est plus là, et je vais en trouver un autre, on ne règle pas le problème. C'est-à-dire qu'il va falloir, malheureusement, qu'on enlève tout le sensationnalisme derrière
et qu'on voie ces gens-là comme des êtres humains qui sont passés effectivement par
rapport à un processus
de radicalisation, mais le processus de radicalisation, il n'est pas avant tout religieux, il est avant tout
un processus... Le religieux, c'est la dernière pointe. C'est
une fois qu'on est arrivé au bout du processus
où on ne se sent pas Québécois et on veut de la justice qu'on se dit :
Bien, dans quel groupe je vais me
sentir bien?, un peu comme les gangs de rues, chez les Noirs, où on n'est pas
né dans un gang de rue, c'est-à-dire
qu'on arrive dans le gang de rue parce qu'on en est arrivé là dans un processus de
vie, où, si on décide d'enlever un chef de gang de rue dans un quartier, bien ce n'est pas vrai qu'il n'y aura pas
un gang de rue le lendemain, là, on n'est pas en train de régler le
problème. Mais c'est en réglant des problèmes de racisme, de discrimination,
d'inégalité sociale qu'on va réussir à contrer ce phénomène.
• (18 h 10) •
Mme Roy
(Montarville) : Je suis tout à fait d'accord avec vous sur
cette portion, tout à fait d'accord également, mais je crois qu'il faut travailler sur plusieurs tableaux. Entre-temps,
avant que ce problème de racisme, de discrimination, de manque d'emploi soit réglé, d'intégration,
parce qu'il faut travailler là-dessus, vous avez tout à fait raison, on fait
quoi du prédicateur qui entre-temps continue à recruter et à envoyer des
jeunes?
M. Bouazzi
(Haroun) : Je vous remercie
de me relancer parce qu'effectivement il y a un point important que j'ai
oublié. Il y a une question d'encadrement de
ces jeunes-là, bon, ces jeunes-là ont un besoin de se sentir parmi les
leurs, acceptés. Aujourd'hui, il y a des
groupes communautaires qui travaillent très, très fort là-dessus, qui
travaillent à expliquer aux jeunes que l'islam, ce n'est pas tuer un
musulman à côté. Il y a des groupes aujourd'hui à Montréal et à Québec, d'ailleurs, des groupes de musulmans qui avec
très, très peu de moyens essaient de faire des conférences sur
l'importance de s'engager dans la société québécoise, essaient, dans les
prières de vendredi, d'expliquer, etc.
Et il y a une
réalité, c'est qu'en fin de compte il y a des groupes religieux qui peuvent
même être conservateurs qui sont nos
alliés, parce qu'eux, ils peuvent aller chercher, justement, la fin de ce
processus-là que des associations comme la mienne et encore moins des institutions comme la police ou même des
centres ou je ne sais pas quel truc institutionnalisé... eux, ils peuvent aller les chercher dans un cadre
qui n'a rien à voir avec ni avec la sécurité ni avec des questions,
donc, de police, c'est vraiment dans un
cadre communautaire. Donc, s'il y a quelque chose à faire, c'est d'investir et
de ne pas couper dans des quartiers
sensibles, effectivement, pour que ces jeunes-là se retrouvent entre jeunes, à
l'aise, se retrouvent à vivre et leur identité religieuse musulmane et
leur identité québécoise, quitte à accepter un discours religieux qui souvent,
effectivement, peut être conservateur mais est très loin, à des
kilomètres-lumière d'un discours violent.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie beaucoup. Merci.
M. Bouazzi (Haroun) : Merci
beaucoup.
Le
Président (M. Hardy) : Merci beaucoup. Merci de votre contribution,
M. Hachem, M. Bouazzi. Puis j'espère que je n'ai pas trop
déformé votre nom durant nos entretiens.
Donc, la commission ajourne ses travaux à
demain, mardi le 18 août 2015, à 10 heures, afin de poursuivre les
consultations particulières et auditions publiques sur le projet de
loi n° 59. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 18 h 13)