(Seize heures trois minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je
déclare la séance de la Commission
des institutions ouverte. Je demande
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission est réunie afin de tenir des
auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité de l'État ainsi que d'égalité
entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce que nous avons des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président : M. D'Amour (Rivière-du-Loup—Témiscouata) remplace Mme Vien (Bellechasse);
Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) remplace M. Ouimet (Fabre); et Mme Roy (Montarville)
remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la
secrétaire. Cet après-midi,
nous entendrons deux groupes, c'est-à-dire M. Gaston Marcotte et M.
Roger Boileau, suivis des représentants de la Fédération des commissions
scolaires du Québec.
J'invite donc
M. Gaston Marcotte, qui m'a rappelé de bons souvenirs, d'ailleurs, dans mon ancienne vie du monde
du loisir et du sport. Alors, M. Marcotte, je vous demande de vous présenter,
bien sûr, ainsi que la personne qui vous accompagne pour s'assurer qu'on
inscrive les noms au bon endroit dans la… Alors, la parole est à vous, vous
avez 10 minutes pour votre mémoire, suivi d'un échange avec les parlementaires.
MM. Gaston Marcotte et
Roger Boileau
M. Marcotte (Gaston) : Merci, M. le
Président. Je vais laisser mon collègue faire les présentations et je prendrai
la suite.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, oui.
M. Boileau
(Roger) : Alors, merci, M.
le Président, M. Drainville, membres de l'opposition, Mmes, MM. les députés,
de nous permettre d'exprimer notre point de vue, point de vue du Mouvement
Humanisation sur le projet de loi
n° 60. Mon nom est Roger Boileau, je suis professeur retraité de la
Facultlé des sciences de l'éducation à l'Université Laval, professeur
associé également et vice-président du Mouvement Humanisation. Mon collègue
Gaston Marcotte, également professeur retraité et associé de la même faculté et
président fondateur du Mouvement Humanisation et son président depuis 2004.
La mission
que s'est donnée ce mouvement social est éducative et éthique, c'est ce qui
nous connecte sur le projet de loi à
l'étude. Cette mission consiste à défendre le droit des enfants et adolescents
à recevoir un enseignement éthique humanisant
et non religieux, ce qu'ils ne reçoivent pas présentement parce que les
contenus d'une telle éthique naturelle, rationnelle, universelle et
laïque n'ont pas encore été créés.
Ce droit que nous
revendiquons pour eux repose sur le concept de dignité humaine qui se justifie
par la connaissance et le respect des exigences de bon développement et
de bon fonctionnement des différentes dimensions des humains dans leur rapport avec le réel, l'environnement, eux-mêmes,
autrui, la société et l'humanité. En somme, nous cherchons à leur donner, au cours de leur parcours scolaire, les cartes
mentales les plus appropriées pour la conduite de leur vie personnelle
afin qu'ils deviennent davantage autonomes et équilibrés.
Le Mouvement
Humanisation regroupe près de 500 membres, a organisé cinq colloques, publié
quatre ouvrages et de multiples prises de position publiques sur les
fondements du concept de la dignité humaine pouvant générer cette nouvelle éthique. Le projet de loi
n° 60 présentement débattu ne répond pas directement à notre mission, mais
il ouvre des perspectives positives à cet égard. C'est pourquoi nous
approuvons l'ensemble de ses propositions.
En effet, ce projet poursuit le processus de laïcisation
de la société québécoise amorcé modestement depuis la Révolution tranquille
dans les domaines de la santé et de l'éducation en le répandant maintenant à
l'ensemble de la fonction publique.
Toutefois, nous regrettons l'absence d'un préambule qui justifierait
l'avènement d'une société laïque sur
le concept de la dignité humaine, concept lui-même fondé sur la connaissance
des exigences de bon développement et de bon fonctionnement des diverses
dimensions de l'humain.
Pour atténuer certains impacts de
cette charte, nous sommes d'accord avec la proposition du sociologue Guy
Rocher de remplacer les dispositions
transitoires par une clause de droits acquis, mais nous y apportons une
exception importante. Les personnes
oeuvrant dans les institutions éducatives obligatoires et subventionnées par
l'État devraient être soumises rapidement
à la loi à cause du caractère hautement influençable des enfants et des
adolescents. De plus, afin de respecter le droit des enfants et adolescents à une éthique humanisante, nous
demandons que l'enseignement éthique soit complètement séparé de l'enseignement actuel de la culture
religieuse, qui, elle, aurait avantage à s'intégrer à l'univers social — histoire,
géographie, et autres — dont
elle est inhérente.
Telles sont donc, M.
le Président, les grandes lignes de notre position sur le projet de loi
n° 60. Et je laisse maintenant à mon
collègue Marcotte le soin de vous présenter quelques justifications
fondamentales de cette position.
• (16 h 10) •
M. Marcotte
(Gaston) : Alors, mon rôle est d'essayer de synthétiser dans six, sept
minutes une vingtaine d'années de recherche sur l'identité humaine. Alors, le
début a débuté quand je me suis posé une question sur ma profession, qui
affirmait publiquement que la finalité de l'éducation obligatoire était le
développement intégral de l'élève. Et, quand j'ai cherché des programmes
d'humanisation fondés sur une science et un art transdisciplinaire du développement humain adaptée à chaque catégorie
d'âge et enseignée, transmise par des personnes dûment formées, je me suis trouvé devant un vide intellectuel : ça
n'existait pas. Et ça a été, si vous voulez, le défi de mes derniers 20 ans
d'essayer non seulement de trouver les raisons de cette lacune inadmissible
pour une espèce dont les membres ne naissent humains qu'en potentiel…
Alors,
ma première réalisation, en faisant un peu de recherche, c'est de me rendre
compte que la raison principale, c'est
qu'il n'existe pas actuellement une science et un art transdisciplinaire du
développement humain. Ça fait 20 ans, on a questionné des spécialistes, on a lu, ça n'existe pas présentement.
Et, deuxième point, c'est : Mais pourquoi? Alors, ça, j'admets que
ça m'a pris plusieurs années et, après avoir trouvé une liste d'au moins 20
causes de cette lacune, là, incompréhensible,
je crois que je suis arrivé sur la cause principale : les erreurs que les
êtres humains ont faites sur leur
propre nature tout au long de leur histoire, et ces erreurs-là continuent
encore aujourd'hui. Alors donc…
Et la littérature est
très claire actuellement, cette crise d'identité, ce n'est pas une crise
québécoise, c'est une crise universelle, et
elle met maintenant, quant à nous, l'avenir de l'humanité en question
parce qu'on ne peut pas fonder une unité minimale de l'être humain sans
une conception, un consensus minimal, si vous voulez, sur cette nature-là.
Or,
les sociétés, et surtout la nôtre, on est mis devant deux positions ou deux
conceptions irréconciliables de la nature humaine, et ça, c'est ce qui
va être le plus difficile à accepter : une conception qui est fondée sur
la primauté de Dieu et une conception qui
est fondée sur la primauté de l'humain. Et ces conceptions-là sont
irréconciliables parce qu'elles ne sont pas fondées sur les mêmes
fondements : un, c'est sur, si vous voulez, les superstitions, la magie,
les révélations, les récits
mythicoreligieux; alors que l'autre veut être fondée sur la raison,
l'objectivité, la science. Et, à ce moment-là,
quand on regarde bien la conception religieuse, c'est que c'est une conception
dogmatique, c'est inhérent à toutes
religions puisque leur position a été divinement révélée. Et ma position est toujours : Qui suis-je pour m'obstiner avec Dieu?
Alors,
de cette façon, c'est pour ça que les sociétés démocratiques vont être obligées
d'arrêter de penser qu'elles vont pouvoir concilier des positions
irréductibles, inconciliables à cause de la nature fondamentale des positions
sur l'origine et le développement, si vous
voulez, de la nature humaine. La raison, si vous voulez, pourquoi ça doit être
la primauté de l'humain est relativement simple. Combien de minutes, M. le
Président? Le temps?
Le Président (M.
Ferland) : Ah! Il vous reste deux minutes, M. Marcotte.
M. Marcotte (Gaston) : Oh là là! Les raisons sont fondamentales.
Premièrement, tous les êtres humains, de par leur nature, sont une fin en soi. Ce qui est une fin en soi est à
soi-même sa valeur absolue. Ce qui est une valeur absolue est digne d'un
respect absolu. Les humains n'ont pas à regarder à l'extérieur d'eux-mêmes,
comme on a fait depuis le début de
l'humanité, à mettre tous nos définisseurs, si vous voulez, à l'extérieur de la
nature, dans la nature, dans le cosmos, dans les dieux, dans la race — on
n'a pas de limite, j'ai une page remplie.
Alors
donc, si vous voulez, l'être humain étant une fin, il est automatiquement
autoréférentiel, c'est-à-dire
que toutes les directives de son être, dans
ses comportements individuels et collectifs, ne peuvent émaner que de sa
nature. Et les animaux n'ont que leur
instinct, et nous, on a heureusement cette incroyable culture qui nous permet
de nous donner des normes, des lois, des valeurs, des règles parce qu'on
est, de nature, des êtres normatifs. Le cerveau humain cherche constamment un sens et une direction à ses
actions. Et donc, à travers l'histoire, on a cherché des idoles, si vous
voulez, ou des moyens qui pourraient justifier nos comportements, nos façons
d'être.
Et le point
essentiel, c'est que les êtres humains ne sont, de nature, que des êtres de
potentiel. Et donc chaque enfant a un droit
inaliénable naturel à cette éducation et cette éthique humanisantes, fondées
sur l'humain, par l'humain et pour l'humain. Et le Mouvement
Humanisation n'existe... On a fini, là, après 20 ans, on a fini, là, ce
que j'appelle la rationalité, la théorie. Et
maintenant vous allez en entendre parler. On s'est donné ça
comme mission, de faire respecter ce droit,
et on est ici pour faire avancer ce dossier-là pour nous, et non seulement
important pour l'avenir du Québec, c'est important pour l'avenir de
l'humanité, compte tenu de la situation, la conjoncture actuelle. Merci, M. le
Président.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. Marcotte. Vous êtes très précis, dans les 10 minutes.
Vous avez arrêté au bon moment. Alors, je cède la parole à M. le
ministre pour la période d'échange.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci, messieurs, pour votre mémoire et votre présentation. Vous
écrivez, dans votre mémoire, à la page 4 : «Seule une démocratie
véritablement laïque peut être juste et respectueuse de la dignité de tous ses membres sans exception.»
Donc, pour vous, la laïcité, elle est garante de la dignité des
citoyens. Alors, ça, je vais vous demander d'élaborer un petit peu là-dessus.
Puis il y a
une autre citation également que j'ai relevée, à la page 5, là. Vous
écrivez : «Une nouvelle
conception de la commune nature des êtres
humains est devenue vitale pour tout État qui se veut démocratique. Sans une
telle conception, un gouvernement est dépourvu de fondements universels
capables d'unir les citoyens autour d'un socle commun de valeurs et de fonder l'humanisme, l'éthique, le
droit, l'éducation obligatoire, la démocratie et la laïcité ainsi que
toutes les institutions publiques au service du bien commun.»
Et vous
revenez constamment, donc, sur ce thème de l'humanisme et de l'universalité
dans votre mémoire. Est-ce que vous
pouvez nous expliquer pourquoi, selon vous, la laïcité est une valeur
universelle qui est propice à l'harmonie? Parce que certains diront, je
l'entends souvent, des adversaires, en particulier, de la charte, qui
disent : C'est un débat qui nous
divise, c'est un débat… Comment dire? Vous inventez une solution à un problème
qui n'existe pas, etc. Alors,
j'aimerais vous entendre là-dessus, moi : laïcité comme facteur
d'harmonie et laïcité comme condition de la dignité humaine.
M. Boileau
(Roger) : Je dirais, en
premier, qu'il est rare que des projets
de loi, quels qu'ils soient — et
vous êtes bien placés pour le juger — ne
créent pas une certaine dissension dans les rangs politiques
ou dans les rangs de la société, hein? En général, il y a des gens qui y
gagnent, il y a des gens qui y perdent. Alors, c'est donc, à mon avis, dans la
norme des législateurs de faire des mécontents quand on fait une loi.
En quoi
est-ce que la laïcité pourrait être gage d'harmonie? C'est qu'elle
place le substrat des valeurs fondamentales de la société auprès des caractéristiques fondamentales de la
personne. Qu'est-ce qui est nécessaire pour un développement harmonieux d'une
personne dans ses dimensions physiques, mentales, affectives, sociales,
environnementales? Qu'est-ce qui est
fondamental pour que la personne puisse vivre, dans sa tête, et dans sa société,
et dans sa vie, avec des cartes
mentales relativement sûres? C'est ça, la laïcité,
c'est de faire reposer les valeurs fondamentales de la société sur les exigences de bon développement
et de bon fonctionnement de la personne. Mais, pour ce faire, il faut qu'il y
ait des consensus scientifiques et des consensus sur d'autres aspects pour
pouvoir avancer ces préceptes.
Et dans
quelle mesure est-ce que ça créé l'harmonie? Bien, c'est que ces exigences de
bon fonctionnement et de bon développement, ils sont communs à tous les êtres humains. En tant qu'êtres humains,
nous partageons ces exigences-là. Les
cultures les modifient, les modèlent, mais fondamentalement les gens ont des
besoins fondamentaux qui se ressemblent, peu importent les cultures. Et
c'est dans ce sens qu'à notre avis la laïcité est un gage d'harmonie parce
qu'elle créé une plateforme commune au-delà des attentes et des interprétations
religieuses qui peuvent les avoir déformées, une plateforme commune à laquelle
l'ensemble des individus d'une société peuvent se retrouver.
M.
Drainville : Vous
ajoutez, par ailleurs : «Pour être juste, moral et respectueux de la
liberté de conscience de tous les
citoyens, tout gouvernement qui se veut démocratique devrait par conséquent
enlever aux religions tous les privilèges acquis au cours des siècles et
qui ne sont pas disponibles à tous les regroupements de la société civile qui
défendent leurs convictions non pas
religieuses, mais éthiques, idéologiques, etc.» Et là, vous ajoutez ceci :
«Il n'y a aucune raison qui justifie
qu'un gouvernement n'accommode que les croyances religieuses au nom de la
liberté de conscience et non pas les convictions de tous les citoyens et
citoyennes.» Qu'est ce que vous voulez dire?
• (16 h 20) •
M.
Marcotte (Gaston) : Je vais
compléter, M. Drainville, la partie et je reviens à votre point. C'est qu'il ne
faut jamais oublier que la laïcité est une
conséquence de la Révolution française, qui a voulu… puisqu'on a établi un
gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, on a voulu uniquement
mettre fin aux interminables guerres suscitées
par les religions. C'était la première raison : laïciser pour désamorcer
cette force divisive, si vous voulez, des religions entre elles, à l'intérieur d'un même pays, qui le faisait
imploser, et entre les pays. C'était la raison de la laïcité, c'était une protection, si vous voulez, qu'on se
donnait comme le plus important pouvoir, puisqu'on venait d'enlever le
roi, qui était l'hôte avec l'Église.
Mais
l'Église, l'État français ne la contrôlait pas, elle était
contrôlée à Rome. Alors donc, à ce
moment-là, c'était beaucoup
plus difficile. Et, comme elle était...
Et ça, il ne faut jamais oublier, là — moi, j'ai été éduqué par six communautés
religieuses différentes, là — c'est que les religions étaient les
représentants de… je dirais, du système moral de l'humanité. C'est eux qui ont commencé à mettre en place des
valeurs, des exigences. Et donc, je dirais, oui, ils ont fait un travail
du début de tout ça. Le problème, c'est que
c'est devenu une institution où là on en a fait, si vous voulez, un pouvoir
qui, je dirais, a disputé ce pouvoir-là avec
tous les autres pouvoirs dans tous les… aujourd'hui, on a juste à lire les
journaux. Donc, on est devant une forme de pensée qui est dogmatique,
donc, de par sa nature totalitaire.
Deuxièmement,
comme c'est fondé sur une révélation divine, ces gens-là sont dans l'obligation
morale de faire du prosélytisme parce
qu'ils jouent leur bonheur éternel ou leur malheur éternel, dépendant, là, de
leur position. Alors, il faut tenir
compte de ça. Mais on ne doit pas accepter, aujourd'hui, dans une démocratie,
qu'on puisse utiliser ce pouvoir-là qui est sans fondement. Les dieux, ce sont des créations imaginaires, de
toutes pièces, des êtres humains, c'est des socioconstruits. Et on a inventé, les humains, plus de 30 000 dieux
différents. Et on sait que chaque religion sont même en contradiction entre elles. On ne peut pas utiliser
ces formes de pensée pour gérer une société moderne qui se veut fondée
sur l'humain, par l'humain, pour l'humain. On n'y arrivera pas.
Et c'est pour
ça que je disais tout à l'heure : On est pris devant ce choix, qui est,
pour moi, un choix fondamental, et on ne peut plus faire semblant de
sauver le chou puis la chèvre. Et c'est ce qu'on essaie de faire dans la
société, toujours, la récupération. Et donc,
même actuellement, au Québec, ça se fait. Et le cours d'éthique et culture
religieuse, pour nous, était le modèle par excellence. Le gouvernement décide
de laïciser les commissions scolaires; ça va. Il essaie de laïciser l'enseignement. La pression du lobby
religieux force la main des fonctionnaires d'intégrer la religion avec un
cours d'éthique qui aurait dû être naturelle. Et vous avez ce que j'appelle un
joli programme bâtard qui ne respecte pas
les droits des enfants à ce droit à une éthique naturelle, humanisante. Et
c'est contre ça qu'on lutte. Et c'est pour ça que la laïcité, pour nous,
est si importante. Parce que, si on a une laïcité tout court, sans
qualificatif, ça veut dire que, M. Boileau l'a mentionné, la culture
religieuse, et je suis d'accord...
Il n'y a pas beaucoup de gens qui ont autant de
bouquins sur l'histoire des religions, tout ça, que moi, dans sa bibliothèque,
c'est important, mais en histoire ou dans les sciences sociales, mais pas dans
un programme d'éthique. Vous dites à un
enfant qui n'a pas la pensée formelle développée : Blanc et noir, et noir
et blanc. Comment voulez-vous avoir
des gens, ensuite, cohérents et rationnels quand on déforme, dans leur
jeunesse, leur cerveau? C'est immoral. Pour moi, c'est le premier crime — puis je l'ai écrit, puis je ne me gêne
pas — c'est le
premier crime contre l'humanité, puisque tous les autres découlent de ce
sous-développement moral, naturel, rationnel et scientifique des êtres humains,
alors que toutes les connaissances sont là. C'est ça qu'il faut… des éducateurs
comme nous qui...
Mais on a été
patients. Ça fait 20 ans. Maintenant, la patience, c'est terminé. On va amener
tout le monde… et j'en avais parlé
une fois avec M. Drainville, nous, on va amener tout le monde sur la place
publique pour se prononcer spécifiquement.
Vous fondez le Québec sur la primauté de Dieu, comme le gouvernement fédéral,
suprématie de Dieu, et vous avez la
primauté du droit. La Presse a passé un article le 12, je
crois, et le titre était : Les valeurs fondent le droit.
Et, si la charte des valeurs, des droits et des valeurs, des libertés, au
niveau fédéral, ne respecte pas la décision du peuple québécois, c'est automatiquement... c'est une obligation morale
d'utiliser la clause «nonobstant» parce qu'eux ne sont pas fondés sur
les valeurs de la dignité humaine. N'oubliez jamais, la Déclaration universelle
des droits de l'homme, la Convention relative aux droits de l'enfant, la charte
des droits et libertés du Québec sont toutes fondées sur la dignité humaine. Et on est incohérents par rapport à ça
puisque, même dans nos programmes pour nos enfants, on ne respecte pas
ça.
M. Drainville : Vous revenez
beaucoup sur la question des enfants, dans votre mémoire. Et d'ailleurs vous vous prononcez en faveur de la restriction
relative au port de signes religieux justement parce que c'est dans l'intérêt
des enfants, dites-vous. Est-ce que
vous pourriez nous expliquer, vous qui avez oeuvré auprès des jeunes, hein…
Vous avez été, je le répète, tous les
deux, professeurs d'université pendant plusieurs années, donc vous avez oeuvré auprès de
jeunes adultes. Est-ce que
vous pourriez nous expliquer, là, du point
de vue de l'adulte et du rôle de
l'adulte auprès des enfants, en quoi
le port de signe religieux par un enseignant peut poser problème pour le développement d'un enfant? Que ce soit au niveau
des garderies, ou plus tard, au niveau
primaire, secondaire, ou même à des niveaux supérieurs, de quelle façon
le port d'un signe religieux peut influencer négativement le développement d'un
enfant qui est exposé à ce signe?
M. Boileau
(Roger) : C'est qu'il expose
à un discours. Il expose à une réalité qui s'exprime dans la société de multiples façons. L'association du vêtement avec
une religion, c'est un lien qui se tisse, qui s'affiche, c'est un
discours qui s'établit plus ou moins explicitement, mais c'est quand même un
discours et un lien entre une religion, qui a d'autres espaces d'expession dans la société, et la personne qui le porte. C'est
de reconnaître la légitimité de cette réalité dans un milieu éducatif qui, à notre avis, devrait être
axé sur autre chose que le ou les discours religieux. Donc, c'est pour
enrayer cette ligne de pensée au sein d'une institution… ou des institutions
scolaires qui doivent être axées sur autre chose, sur un autre discours laïque, sur la connaissance de ce qui était fondamental,
adapté, bien sûr, au niveau des enfants. Mais la connaissance, l'intégration de conditions
d'existence dans sa dimension physique, comme je disais tantôt,
affective, sociale et autre, c'est ce
qui devrait, à notre avis, être la ligne de pensée, et non pas les
interprétations religieuses de ce qu'est le développement physique,
affectif, social, moral et environnemental.
M.
Drainville : Et vous, M. Marcotte, là, vous avez oeuvré dans
le domaine du sport amateur. Je lis que vous avez été le premier président de la Fédération
du hockey amateur du Québec et de la Confédération des sports du Québec. Vous avez été aussi le premier
directeur du Pavillon de l'éducation physique et des sports, le PEPS, de l'Université
Laval. C'est bien vrai, ça, hein? Bon. Mais parlez-nous-en donc un petit peu, disons, des questions d'accommodemnet dans le domaine du sport, hein?
Il y a eu quand même quelques épisodes et quelques controverses autour de ça. Ça
a dû susciter une réflexion chez vous, non?
M. Marcotte
(Gaston) : Ce qu'on a fait,
si vous voulez, dans le domaine du sport, je calcule que c'est presque unique, la façon qu'on l'a fait. Et on a eu des
résultats depuis ce temps-là, surtout que l'équipe Rouge et Or de
l'Université Laval s'est payée sept championnats, je pense, sur les derniers
neuf. Il n'y a pas un anglophone qui aurait pu penser ça possible il y a 20
ans. Ils doivent se tourner dans leur tombe.
Alors, moi,
je suis un Franco-Ontarien de souche. Je suis arrivé au Québec, je suis venu jouer
au hockey… une année et ensuite je suis allé faire ma maîtrise, mon
doctorat sur des sujets du hockey. Et, quand je suis revenu, j'ai enseigné
trois ans à l'Université d'Ottawa, et l'Université de Montréal est venu me
chercher.
Et la
première réunion que je suis allé, à la ville Laval, c'est Arthur Lessard qui
était directeur des loisirs, je suis arrivé dans une salle où 85 %
des Québécois, avec à peu près 15 % d'anglophones. Et j'ai vu les
Québécois essayer de baragouiner en anglais
pour se faire comprendre des gens qui vivaient au Québec depuis 10, 20, 30 ans
et je me suis senti insulté, agressé.
Je ne trouvais pas ça normal. Et, quand je suis sorti de la salle, j'ai dit à
M. Lessard : M. Lessard, c'est la première fois et la dernière fois
que je vais voir ça au Québec. Ce n'est pas normal.
• (16 h 30) •
M. Drainville : En quelle
année, là, à peu près?
M.
Marcotte (Gaston) : On est
dans les années 70 ici et dans les années 60 quelque chose, là. J'étais jeune
dans ce temps-là, j'avais du culot, tout
probable, tout le tour de la tête. Mais on l'a fait. Je me suis payé la
province de Québec, toutes les villes, une après l'autre. J'ai fait
signer les plus grosses villes, les plus grosses associations. On est allés au national, puis on a dit : Vous nous
reconnaissez ou vous perdez x nombre de joueurs de hockey. Et, en ayant mis la
main sur le hockey mineur, ensuite on a mis
la main sur le hockey majeur, et c'est là qu'on m'a voté président des sports,
et on a fait la même chose dans à peu près tous les sports. Et le Québec
est devenu autonome et il a pris sa place.
Alors, maintenant,
nous, parce que je me suis rendu compte qu'on ne respectait pas
le droit des enfants… Alors, je le
répète, là, ça fait plus de 20 ans que je suis sur ce dossier-là parce que,
pour moi, ce n'est pas juste le Québec, là, c'est la profession enseignante et
c'est l'avenir de l'humanité qui va se jouer. Et donc, pour nous, le
gouvernement est au service du peuple,
pas d'un groupe, pas… il est… Puis vous le dites toujours, il est neutre. Il
doit être impartial et il doit être juste. Et les personnes qui viennent pour des services ne doivent pas être mises
devant des formes de pensée qui pourraient être contraires, si vous voulez, à ma façon d'être et à la mienne, et je ne
la veux pas claire, pour que je m'entende, même en apparence, que tout
le monde est neutre devant moi.
Mais c'est
sûr que, par rapport à certaines convictions, si j'arrive devant une personne
et je le sais le moindrement, bien il
y a quelque chose qui cloche parce que, je le répète, c'est des positions
irréconciliables. Je peux bien comprendre que l'autre est pris dans
cette position-là, mais il faut que l'État ait cette neutralité, par respect de
la dignité humaine de chaque citoyen du
Québec qui vient chercher un service commun. Et ça, pour moi, c'est… Il y a
deux choses : une langue, un
socle commun de valeurs et le respect de la dignité humaine. On peut faire un
peuple uni qui s'entend. En autres mots, la nature humaine commune à
tous les êtres humains, c'est universel, c'est ce qui doit fonder toutes les
cultures, à la condition que chaque culture
respecte avant tout cette dignité humaine. Dès qu'elle ne respecte pas sa
dignité humaine, on n'a pas à la respecter, on a à la lutter. Sinon,
c'est illogique.
M.
Drainville : Il me
reste seulement quelques minutes. Je veux vous poser la question de la liberté
académique. Vous savez, il y a des
universitaires qui sont venus devant nous et qui ont dit : Le projet de
loi n° 60, on n'en veut pas, nous, dans les universités, parce que
votre projet, en restreignant le droit, par exemple, d'un professeur à porter
un signe religieux, votre projet porte atteinte à la liberté académique, la
liberté académique de l'enseignant et au principe de l'autonomie universitaire
également.
Alors, vous
qui avez oeuvré pendant de nombreuses années dans le milieu universitaire,
est-ce que vous pensez que la laïcité
doit s'appliquer au monde universitaire? Est-ce que vous pensez que
l'interdiction de porter un signe religieux doit s'appliquer aux profs
d'université? Et est-ce que vous pensez finalement que l'autonomie
universitaire est remise en question par la charte des valeurs ou charte de la
laïcité, comme vous voulez?
M. Boileau
(Roger) : Bien, pour nous,
c'est dans tous les domaines éducatifs subventionnés que la laïcité doit
s'appliquer, incluant donc le milieu universitaire. Quant à la liberté
académique, elle ne repose pas sur l'habillement du professeur, mais sur le contenu. Dans la mesure où le contenu est
protégé par cette liberté universitaire, je pense que l'essentiel est
protégé. Je pense que tout individu à l'intérieur du système éducatif, que ce
soit du préscolaire jusqu'à l'universitaire, à tous ces niveaux, le projet de
loi n° 60 doit s'appliquer.
M. Drainville : Mais on s'est fait dire, là :
Si on fait ça, là, nos universités vont avoir de la difficulté à
recruter des profs, des chercheurs ou elles vont avoir de la difficulté à les
garder.
M. Boileau
(Roger) : Bien, je ne crois
pas. D'abord, il faudrait voir le nombre. Et je ne crois pas que ça a créé des…
Vous savez, vous êtes bien placé pour le
savoir en tant que député, personne n'est irremplaçable. Et il y a plein de
jeunes universitaires qui frappent à la porte des universités pour y avoir un
emploi et qui n'en ont pas parce qu'il n'y a pas de poste de disponible. Alors, si les personnes en cause jugent que leur
vie professionnelle, par rapport à la balance de l'exigence du costume est… et que le costume est plus important et leurs
convictions religieuses associées à ce signe… ostentatoire, on s'entend, et non pas les signes plus discrets qui
peuvent demeurer… Donc, si leur attachement religieux est plus important
que leur carrière professionnelle, c'est à eux de juger, à mon avis.
M. Marcotte (Gaston) : Et surtout,
c'est que, notre emphase, c'est que c'est l'enfant. C'est dans l'enfance et l'adolescence qu'un être humain est, je dirais,
endoctriné malgré lui par la culture.
Alors, plus cette culture-là va s'éloigner de sa nature et ses exigences de bon développement et de bon
fonctionnement, bien il va subir les conséquences une grande partie de sa vie, et la société aussi. Parce que,
mon point de vue maintenant, c'est que la façon qu'on éduque ou nos
valeurs actuellement de la société produisent plus de malades qu'on est capable
de soigner. Parce que ce qu'on oublie, la médecine,
c'est le curatif, c'est quand on a des problèmes; là, on va à la médecine.
Mais, si on veut éviter les problèmes, on ne va pas à la médecine, on va à l'éducation. Et l'approche préventive
par excellence ne peut pas être autre chose qu'une éducation et une éthique humanisantes. Il ne peut
pas y en avoir d'autres. Vous donnez à un être humain les outils pour actualiser le potentiel que l'évolution lui a mis
en place, avec ce que les cultures ont de meilleur, pour lui dire : On
va t'armer, la vie est difficile. Elle est très difficile. Et tous nous éclopés
le démontrent. Alors, est-ce que…
Et, à ce
moment-là, c'est que le cerveau ne peut pas se défendre contre des signes,
contre des paroles ou contre des gestes
parce qu'il est fragile. Il n'y a pas de structure mentale intellectuelle
développée, et c'est les émotions qui fonctionnent, et ça, les religions
ont toujours, toujours compris ça. C'était le chantage émotif quand ils
n'étaient pas au pouvoir. Quand ils étaient
au pouvoir, ils se servaient du chantage physique aussi, vous le savez. Alors,
dans ce sens-là, une fois qu'un enfant, vous l'aurez développé à penser
par lui-même, à être autonome, à être courageux, moi, ça ne m'inquiète
pas trop qu'on invite un professeur à l'université qui vient même de l'Arabie
Saoudite parce que c'est des adultes, puis
ils vont faire leur partie, et que, s'il
y avait un professeur qui voulait, si
vous voulez, influencer, connaissant les étudiants, ils le mettraient à leur place. Moi, j'ai même eu un étudiant
dans mon cours, il dit : M. Marcotte, vous faites de la morale. Ma
réaction est : Eh oui, pourquoi pas?
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, c'était tout le temps qu'il y avait
à la disposition du parti ministériel. Alors, maintenant, je vais du côté de l'opposition
officielle avec le député de LaFontaine, je crois?
M. Tanguay :
Oui, merci beaucoup.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
M.
Tanguay : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, MM. Boileau et Marcotte, merci pour le
temps que vous avez pris à rédiger le
mémoire, et à nous en faire la présentation, et à répondre à nos questions aujourd'hui. Ma perception est la
suivante à la lecture de votre mémoire : la pierre d'angle de votre
présentation, de votre mémoire, se résume beaucoup à un terme qui est «éducation». Et vous basez
votre approche sur le remplacement et vous citez le fait historique,
1875, en page 12, le philosophe
«Renouvier avait écrit qu'avec la séparation de l'Église et de l'État, l'État
devrait être enseignant et moral».
Plus loin, vous dites : «Laïciser une société sans remplacer les éthiques
religieuses par des éthiques naturelles fondées sur la raison et la
science fut une erreur capitale que les démocraties se doivent de corriger
rapidement.»
Donc,
vous avez brossé le tableau d'une évolution historique, de l'influence que les
religions ont eue. Là, on est très
loin de l'interdiction de porter des signes religieux ostentatoires dans le
secteur public et parapublic, mais ça nous fait du bien parfois de faire
un pas en arrière et de regarder l'ensemble de la forêt.
Et
donc, pierre d'angle, l'éducation. Je reviens à un peu plus tangible. Dans le
débat actuel, on dit beaucoup
et on taxe beaucoup, à tort ou à raison, le gouvernement d'avoir lancé ce débat
sans avoir d'études, sans avoir préparé le chemin,
ce qui fait que, sur l'élément que je vous ai mentionné, l'interdiction des
signes, la société est très divisée là-dessus, qu'on soit pour ou
contre, on le constate. Auriez-vous aimé et auriez-vous, si d'aventures vous
aviez été consultés au préalable, suggéré qu'il y ait une phase éducative ou une phase où là on dirait : Bien écoutez,
nous, on considère, et c'est notre
proposition politique, on considère que la laïcité se décline par tel, tel, tel
élément, et prendre le temps également de déposer… de faire, de solliciter, déposer, publier et discuter sur des
bases d'études, d'études historiques, sociologiques et juridiques
également?
Donc,
trouvez-vous que, dans le débat — puis c'est ma question — très divisif, il y a un manque pour faire
avancer la société québécoise, un manque
d'éducation, justement, quant à cette importante question là? Et
certains, Parizeau en tête, Bouchard en tête, y voient là une rupture,
une rupture historique au Québec. Alors, qu'ils aient raison ou tort, vous
voyez que ce n'est pas tellement là mon propos. C'est sur, justement, cette
marche, à la vue de plusieurs, qui est beaucoup trop haute, que l'éducation
nous aurait aidées à aplanir.
• (16 h 40) •
M. Marcotte (Gaston) : …vous dire que ce sentiment que vous avez eu et,
je dirais, ce sentiment que ce qu'on
proposait, pour moi, j'appelle ça, là… c'est primordial, là. Pour toutes les démocraties,
là, ils n'ont pas de choix, il faut
faire ça. Et donc j'étais tellement sensible à ce que vous dites et je trouvais ce
document-là ou la position du Québec tellement importante que j'ai
préparé un préambule, on l'a déposé, en n'ayant que des entendus, considérants
qui justifient ensuite la position. Et on est après préparer actuellement une
charte universelle des valeurs humanisantes pour
pouvoir justifier toutes, je dirais, les positions que le gouvernement va prendre dans tous les secteurs, et fondée sur la dignité
humaine : Voici, c'est la dignité humaine, voici les caractéristiques d'un
humain et, si c'est ça, un humain, voici
comment le gouvernement, nos institutions, l'éducation, le droit
devraient agir pour respecter cette dignité humaine. Là-dessus, je suis 100 %... Et, pour moi, c'est des instruments, ce
que vous faites, puis même pour la question du droit de mourir. On a
fait un rapport, puis je suis après le finaliser, on est allés, parce que c'est
la dignité humaine.
Alors,
imaginez, là, mettez-vous, là, le moindrement cohérent ou rationnel, là. Vous
avez une commission sur la question
de mourir avec dignité, une des plus importantes décisions d'un être
humain : Est-ce qu'il reste en vie ou il décide de mourir?, fondée
sur la dignité humaine et le document dit que cette dignité-là est
universelle, essentielle, tous les qualitatifs
que vous voulez, en ajoutant que chaque personne décide de sa définition. Les
experts le disent, ce concept qui fait
nos documents les plus importants, c'est un concept flou et confus. Et, à ce
moment-là, vous pourrez dire n'importe quoi, tout le monde a raison,
tout le monde a tort.
Alors,
c'est pour ça que nous, un de nos objets précieux, c'est la définition de la
dignité humaine avant tout. Et il faut
dire au peuple québécois pourquoi la laïcité est importante, pourquoi la
démocratie est indispensable à un être qui veut être libre. Ça ne se sépare pas. La démocratie me permet… J'ai toujours
béni le ciel, moi, d'être venu au monde dans une démocratie parce que je
serais mort depuis longtemps. Déviant comme je suis, je n'aurais pas résisté
dans d'autres pays, c'est sûr, alors qu'au
Québec… Je ne le dirai pas, là, mais c'est une farce entre moi puis, souvent,
mes étudiants, là, par rapport à des positions que je peux prendre.
Parce que mon peuple — et
c'est pour ça que j'ai tellement, je dirais, de
respect — mon
peuple m'a permis d'être un être libre, créateur, et j'ai pu faire mon travail,
et j'ai essayé de remercier le Québec pour ça et ce qu'il permet à mes
enfants. Et ça, ça prend des décisions.
Et je dis
toujours : Expliquez au peuple québécois, arrêtez de penser pour lui,
arrêtez d'infantiliser nos aînés, comme
s'ils n'étaient pas capables de décider pour eux-mêmes. C'est leur vie. La
dignité humaine fait juste dire que toute vie est une valeur intrinsèque
absolue, ce qui veut de dire que toute vie est par soi-même sa propre fin.
L'humain existe pour
lui, mais c'est un être social, c'est un être normatif. Il a besoin des normes
pour mettre un minimum d'ordre dans la
société, un minium d'harmonie. On ne lui donne pas, alors qu'on ne soit pas
surpris de ce qui arrive, on ne lui donne pas les outils de se
développer et pouvoir satisfaire d'une façon rationnelle à ses besoins, à ses
désirs et ses aspirations.
Et les
humains ne veulent qu'une chose, tous, c'est écrit dans notre système : On
veut être heureux ici maintenant, ce qui veut dire : Diminuez nos
souffrances et nos douleurs, augmentez nos plaisirs et notre joie de vivre. C'est
incrusté dans tous les systèmes d'information, c'est le dialogique
plaisir-douleur, agréable-désagréable, satisfaction-insatisfaction. C'est Saint-Augustin qui disait : On ne peut pas ne
pas vouloir être heureux et on ne peut pas vouloir être malheureux, ça va contre tous nos systèmes
d'information. Et c'est ça qu'on ne dit pas à nos enfants, c'est ça qui
n'est pas enseigné à l'école, l'humain
M. Tanguay : Et, M. Marcotte, si je ne résistais pas à la
tentation d'être un peu partisan et réducteur, je tenterais de résumer votre point en disant que peut-être, dans
ce débat-là, on a mis la charrue avant les boeufs en essayant,
justement, de faire en sorte que le débat
sur les modalités… Et une modalité fait en sorte que ce sur quoi le 80 %
et plus qu'on pourrait faire avancer le Québec est bloqué sur cette
modalité-là. Et certains iront trouver peut-être un élément électoraliste là-dedans, ce n'est pas à moi de le dire, mais,
chose certaine, je pense qu'il y a là un message très fort. Et vous faites
comme nous le constat — encore
une fois, qu'on soit pour ou contre — de cette division-là au
Québec, cette division-là qui, soit dit en passant, là, ne fait pas avancer
personne, peu importe, là, la couleur du parti, ne fait pas avancer personne,
cette division-là.
Et j'en arrive peut-être sur une finalité qui
devrait être, pour tout gouvernement, je crois, la finalité qu'il y ait le plus
large consensus social, cette finalité-là de dire : Bien, on va passer une
loi qui est fondamentale, qui n'est pas anodine.
Il y a des lois qui ont des impacts moindres dans la vie de tous les gens.
Celle-ci aurait des impacts tangibles et, qui plus est, touche les
droits et libertés de tout le monde, ce qui est fondamental dans le
vivre-ensemble, le désir de vivre ensemble.
Alors, lorsqu'on considère la finalité,
croirez-vous qu'il y aurait lieu, de un, de reconnaître la division, de deux,
que l'on ne peut pas adopter une loi qui, à l'heure actuelle… l'Assemblée
nationale du Québec, la majorité des députés
sont contre cette interdiction mur à mur, et de faire en sorte — et je conclus là-dessus et j'aimerais vous
entendre là-dessus — que ce soit une obligation de résultat,
quasiment de garantie, je vous dirais, qu'il y ait le plus large
consensus possible? Parce que, par la suite,
après, il va falloir vivre tous ensemble avec cette loi fondamentale là. Donc,
j'aimerais vous entendre sur cette finalité-là qui devrait être au coeur de nos
esprits, là, les 125 députés.
M. Boileau
(Roger) : Écoutez,
effectivement, on aurait préféré un débat sur la charte des valeurs, alors
qu'on est en face d'un débat sur la charte
de la laïcité et de la neutralité de l'État, de l'égalité hommes-femmes. C'est
une sélection d'un certain nombre de
valeurs privilégiées qui sont mises maintenant de l'avant et qui font partie de
la charte. Parce qu'on aurait préféré
une charte des valeurs parce qu'elle aurait permis, dans la discussion,
effectivement, de poser le concept de la dignité humaine, et de le
fonder, et par la suite de faire une sélection, selon les besoins du moment,
qui aurait pu aboutir aux mêmes valeurs privilégiées, mais il y en aurait eu
d'autres en fondement.
M.
Marcotte (Gaston) : Et ce
sont ces valeurs universelles qui vont permettre au peuple québécois de
s'unir, peu importe leur culture, avec une
seule condition, toujours : le respect de la dignité humaine, qui est une
valeur inhérente à toute vie. Et, si on n'a pas ce socle, premièrement,
cette valeur ultime, on ne peut pas hiérarchiser les autres valeurs. Et, si elle n'est pas fondée sur l'humain, on a un
problème majeur. Et les problèmes de l'erreur — et l'humanité l'a payé par des centaines de millions de morts — c'est de ne pas s'être entendus sur leur
nature. Et qu'est-ce qui, je dirais, amène les gens à s'entendre? La science. Pourquoi? Parce que c'est universel. Les
scientifiques à travers le monde se rencontrent puis ils s'engueulent…
mais ils visent l'universel.
Alors, le
fondement de toute démocratie doit être sur la nature commune, universelle de
tous les êtres humains. Et toute démocratie doit mettre en place des
systèmes d'éducation et des institutions qui permettent de respecter cette
nature-là, sa liberté, son égalité. C'est la base. Si vous n'avez pas un être
humain libre, vous n'avez pas de créateurs. Puis tous les totalitaristes, ils
se tirent tous dans le pied parce qu'on arrête de créer, parce qu'un être
libre, lui, crée. L'être qui est conditionné, il ne peut pas.
Alors, dans
ce sens-là, je dirais, M. Boileau a entièrement raison, le problème de
l'humanité, c'est qu'elle ne s'est pas
donné une charte universelle de valeurs sur laquelle elle aurait pu fonder sa
déclaration. Et nous, en fondant la dignité humaine sur l'humain… Il y a
cinq droits qui ne sont pas dans la charte universelle, dont quatre
conditionnent tous les droits qui sont là.
Puis nos études sont finies, le document est fini, c'est sur les fondements de
la dignité humaine et ces cinq nouveaux droits. Le document est fini.
Mais, avec
ça, on est obligés d'aller, je dirais, là, sur-le-champ, là. Depuis un an qu'on
réfléchit à ça, qu'on écrit là-dessus, qu'on essaie de sensibiliser les
gens, dire : Le Québec, vous avez une chance unique de rentrer dans
l'histoire par la grande porte. Il n'y a pas un peuple qui a réussi ça. Et je
suis d'accord avec vous, il faut voir tous les partis, ils sont tous sincères,
hein? Et ils n'avaient pas ces connaissances-là. Nous, on veut que ce soit le
Québec qui profite…
• (16 h 50) •
On a mis 20
ans, hein, et des montants d'argent,
du temps, vous ne pouvez pas vous imaginer. Encore au bureau, là, sept
jours par semaine, là, hein? 8 heures le matin à 6 heures du soir.
Vacances, je relaxe un peu, je fais juste cinq, six heures. Mais sachez qu'on a
payé un prix formidable, puis on y croit, pour le peuple québécois. Et, en même
temps, c'est pour l'humanité, parce
que nous, on défend le droit de tous
les enfants et de tous les adolescents contre tous ceux qui ne veulent
pas respecter ce droit, qui est le droit fondamental. On rate ça, on rate tout
le reste.
Regardez juste l'état de l'humanité actuellement, puis ce n'est pas difficile à comprendre qu'on doit faire quelque
chose de mal. On dépense des mille milliards par année pour s'entretuer, en
armements, et on n'a pas d'argent pour sauver 10 millions d'enfants, là, qui ont des problèmes de faim et de maladie. Alors, dites-moi
pas que le développement moral de l'humanité...
Notre problème, l'humanité, c'est qu'on n'a pas suivi notre développement moral
avec notre développement technique et intellectuel. Et l'humain
s'humanise par sa moralité, rien d'autre. Devenir humain, c'est se moraliser.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, MM. Marcotte et Boileau, pour votre temps, merci beaucoup, et
pour votre message également, merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci M. le député. Alors,
maintenant, je reconnais la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Ferland) : Quatre minutes, Mme la députée, oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Merci, messieurs...
Le Président (M.
Ferland) : Quatre minutes... Excusez, je vous rajoute un
35 secondes.
Mme Roy
(Montarville) :
C'est encore mieux. Merci, messieurs, pour votre mémoire. Comme le temps est imparti, j'aimerais vous amener tout de suite à la
page 16, dans vos conclusions. D'entrée de jeu, tout à l'heure, vous
nous disiez que vous embrassiez la majeure
partie du projet de loi des valeurs ou de laïcité. Mais j'aimerais qu'on parle
plus précisément de l'encadrement des accommodements religieux.
Et
vous écrivez : «Par conséquent, offrir des accommodements aux seules
croyances religieuses et les refuser aux convictions des autres membres
de la société est antidémocratique, irrationnel, injuste et immoral. De plus,
de tels accommodements fondés sur la primauté de Dieu ne respectent pas la
dignité humaine puisqu'ils vont à l'encontre de certaines valeurs universelles
comme la vérité, l'égalité, la liberté et la démocratie.»
Alors,
j'aimerais que vous me parliez du fait que, dans le projet de loi n° 60
actuellement, on encadre les accommodements
religieux, les demandes d'accommodement. Donc, en vos mots, êtes-vous d'accord
avec cet encadrement des
accommodements religieux? Comment les vivez-vous? Voyez-vous qu'ils devraient
être vécus dans nos écoles ou devrait-il ne pas y en avoir? Élaborez,
finalement, sur les accommodements religieux.
M. Boileau (Roger) : Vous parlez du chapitre qui parle des modalités d'encadrement des
demandes? Bien, elles existeront,
elles continueront d'exister, et ça nous semble sage que le gouvernement tente
de les baliser pour les gestionnaires
qui auront à gérer ces situations, sans remonter à un projet de loi à chaque
fois. Et on n'a pas vu d'élément de critique particulière à la lecture
de ces modalités d'encadrement des demandes éventuelles.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, si je comprends bien, c'est que vous êtes en faveur de l'encadrement de
ces accommodements religieux ou des
accommodements religieux dans les écoles, par exemple, demander une nourriture
x, y, z, demander des locaux de prière. Je voudrais vous entendre parler
là-dessus.
M. Boileau
(Roger) : Comme je vous dis, ils seront existants... On a affaire
présentement à quelques grandes religions.
On peut imaginer que, dans les prochaines décennies, le nombre de religions
étant effarant à travers le monde, et le
Québec étant un pays ouvert, les demandes d'accommodement seront encore plus
nombreuses et encore plus variées, et même inimaginables par rapport à
ce qu'on connaît déjà. De l'excision à la circoncision et à la castration,
qu'on a connues à travers les grandes religions, il y aura plein d'autres
choses sur plein d'autres éléments.
Et
on constate, comme d'autres, qu'effectivement le phénomène religieux revient
dans nos sociétés malgré tout. Je
pense aux étiquetages halal et casher, qui étaient... qu'on ignorait il y a
plusieurs années; eh bien, ils sont là. Les signes religieux sur notre
monnaie canadienne, c'est toujours là, le «À la grâce de Dieu» est toujours
imprimé en latin sur toute notre monnaie solide. Bon. La royauté d'Angleterre
est primat de l'Église anglicane, etc.
Donc,
les phénomènes religieux nous imprègnent dans la société, et les demandes vont
continuer. Alors, que le législateur essaie de soulager les
administrateurs, les gestionnaires, ça nous semble normal, sinon on tombe dans
l'interdiction totale tous azimuts. Et il peut y avoir des demandes qui soient
effectivement peu demandantes.
M. Marcotte (Gaston) : Et, sur votre autre point, je ne peux pas, moi,
comme un citoyen québécois, me faire dire
que moi, je n'ai pas le droit de faire accommoder mes croyances... mes
convictions plutôt, pas mes croyances, mes convictions sur la politique, sur l'éthique, sur l'économique, alors
que, parce qu'un croyant qui n'a pas de fondement, si vous voulez, rationnel... Et ça, bien, c'est
démontré, personne n'a pu prouver l'existence de Dieu, il ne faut pas se
conter des histoires. Alors, pourquoi une
personne qui a des croyances sans fondement, on se sent obligés de l'accommoder
parce que c'est sa foi qu'il faudrait
respecter, alors que moi, on n'accommodera pas mes exigences intellectuelles,
morales, éthiques, politiques? Je ne pourrai pas les démontrer, aller
m'habiller en conséquence, voter humanisation, ou peu importe, là, je vous
donne un exemple. Qu'est-ce qui fait qu'on...
Le Président (M. Ferland) :
C'est tout le temps qui est imparti à la députée de Montarville. Je vais aller
du côté... Vous avez encore un 4 min 35 s. M. le député de
Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. M. Marcotte, M. Boileau, je
voulais clarifier quelque chose avec vous. J'ai bien compris que vous auriez souhaité qu'une charte sur des valeurs
basées sur l'humain aurait été adoptée bien avant. Tantôt, le député de LaFontaine vous demandait
s'il aurait dû y avoir des études auparavant. Et j'ai compris également,
dans votre témoignage, que vous nous avez dit qu'il ne devrait pas y avoir de
signes ostentatoires à tous les niveaux d'école.
Donc, si je vous comprends bien, même s'il n'y a pas eu d'études, même si votre
souhait est qu'il y ait une valeur, une
charte des valeurs basée sur l'humain, ceci ne veut pas nécessairement dire que
vous n'êtes pas en faveur de l'interdiction du port des signes
ostentatoires. Je veux être bien clair sur... Je voudrais être bien certain de
ça.
Il y a des gens, et vous le dites, tout à
l'heure vous l'avez dit, il y a des gens qui sont très convaincus, puis ils ont
leurs convictions, qui sont venus nous dire, par exemple — et
vous avez été dans le domaine de l'éducation tous les deux — que de
ne pas permettre ce port de signes ostentatoires, par exemple, par des
professeurs, c'est à l'inverse se fermer, ne pas permettre l'ouverture
d'esprit aux enfants, ne pas leur permettre de s'ouvrir à la diversité et
donc...
Vous savez, moi, je ne suis pas là actuellement
pour... pour juger plus d'un que de l'autre. Les gens sont convaincus, hein,
une commission scolaire est venue nous en parler la semaine dernière, on nous
dit : Il n'y a pas de problème; au
contraire, si vous appliquez cette règle-là, vous allez créer des problèmes et
vous allez refermer les gens sur eux-mêmes.
Alors, vous qui venez un peu défendre l'inverse, si j'ai bien compris,
pourriez-vous peut-être élaborer sur le sujet, sur comment vous voyez
cette différence, vous, d'ouverture sur le monde, si je peux dire, là?
M. Boileau
(Roger) : Pour avoir discuté
avec des professeurs qui sont en lien quotidien avec des enfants dans
des écoles multiethniques, je ne sais pas si vous en avez eu ici, autour de la
table, mais ces croyances religieuses génèrent
toutes sortes de problématiques peu agréables pour les professeurs, en
particulier les professeures féminines. Donc, de réduire l'imprégnance du phénomène religieux dans le système scolaire
obligatoire et subventionné nous apparaît effectivement quelque chose de
positif puisqu'il écarte, comme j'ai dit précédemment, ce lien entre le
phénomène religieux et l'institution scolaire.
Mais on a
dit, au début, qu'effectivement on aurait préféré un débat sur la charte des
valeurs dans un premier temps, mais
ce qui ne nous a pas empêchés, le phénomène étant... le projet de loi étant en
marche, d'y reconnaître des avancées pour
la laïcité dans la société. Et nous sommes pour ces avancées de la laïcité.
C'est un peu comme, ma foi, le lac qui gèle au printemps : il ne gèle pas partout uniformément, ça gèle par zone.
Bien, l'avancée de la laïcité dans la sphère publique nous semble un
fait positif, c'est pour ça que nous l'appuyons, tout en regrettant qu'on n'ait
pas de débat fondamental qui puisse étendre et générer une position, une plaque
des valeurs qui puissent être communes à l'ensemble des citoyens.
• (17 heures) •
M.
Marcotte (Gaston) : Et en
plus il faut arrêter de penser que l'enfant passe toute sa vie à l'école. C'est
que c'est un être social, et cette
diversité-là, il va la rencontrer partout, au marché, au cinéma. Alors, il ne
faut pas penser qu'on va le refermer,
tout ça, c'est… pour moi, non. Mais il y a un lieu qui doit rester neutre,
universel, respectueux de tous les jeunes en les traitant sur un pied
d'égalité, sans distinction. Ils les auront assez vite puis ils auront à
prendre des décisions assez tôt. Mais est-ce
que, dans ce moment où ils devraient être là pour s'actualiser, s'humaniser,
est-ce qu'on pourrait faire en sorte que : Vous êtes tous égaux, on
vous traite tous égal, vous êtes des humains?
Ma position, c'est qu'à l'école vous êtes des humains.
Vous n'êtes pas des démocrates, vous n'êtes pas des islamistes, vous n'êtes pas des chrétiens, vous n'êtes... non, vous
n'êtes pas catholiques, tu es un humain. Nous, c'est t'aider à t'humaniser, point. C'est tout ce qui nous
intéresse. Puis on va te donner les outils ensuite, quand tu arriveras sur la
place publique avec toutes ces
différences-là, avoir des normes pour pouvoir juger. Et c'est ce qu'ils n'ont
pas actuellement.
M. Ratthé : Vous avez bien
répondu à ma question. Je vous remercie beaucoup, messieurs.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, ceci met fin aux échanges et à la présentation de votre mémoire. Je vous
remercie, M. Marcotte et M. Boileau, pour le temps que vous avez pris pour, bien
sûr, préparer le mémoire et de vous être déplacés pour venir le présenter ici,
en commission parlementaire.
Sur ce, je
vais suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants de la Fédération des
commissions scolaires du Québec à prendre place.
(Suspension de la séance à 17 h 1)
(Reprise à 17 h 3)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant les représentants
de la Fédération des commissions scolaires du Québec.
Je vais vous
demander, Mme la présidente, de vous présenter ainsi que les personnes qui
vous accompagnent. Et vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire,
suivi bien sûr d'un échange avec les parlementaires. La parole est à vous.
Fédération des
commissions scolaires du Québec (FCSQ)
Mme Bouchard (Josée) : Merci, M. le
Président. Alors, bonjour à vous, M. le ministre d'abord, et Mmes, MM. les
députés.
Alors, m'accompagnent, bien sûr,
ma directrice générale Pâquerette Gagnon — on a l'habitude de venir ici, je pense que vous nous connaissez — Me
Bernard Tremblay, qui est secrétaire général et directeur des relations de
travail à la fédération; et Me Alain
Guimont, qui est conseiller juridique à la fédération. Alors, voilà. Vous
permettez que je mette mes lunettes de la cinquantaine? Voilà.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, Mme Bouchard, allez-y.
Mme Bouchard (Josée) : Alors, la Fédération des commissions scolaires du Québec tient à souligner qu'elle se sent particulièrement
interpellée par les principes énoncés dans le projet de loi n° 60, car la
diversité religieuse et ethnoculturelle est
une réalité pour un très grand nombre de commissions scolaires. Outre
sa collaboration aux travaux menés par le Comité
consultatif sur l'intégration et l'accommodement raisonnable en milieu scolaire
en 2006, comité présidé par M. Bergman
Fleury, la fédération a déposé un mémoire dans le cadre de la consultation publique menée en 2007 par la
Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux
différences culturelles présidée par MM. Bouchard et Taylor.
Plus
récemment, en 2010, la fédération a déposé un mémoire dans le cadre de la consultation générale portant sur le projet
de loi n° 94 intitulé Loi
établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans
l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. Dans ce
mémoire, la fédération accordait son appui aux principes de la neutralité religieuse de l'État,
de l'égalité entre les femmes et les hommes, de même que l'obligation du personnel du secteur public d'avoir le visage découvert lors
de la prestation de services.
Aujourd'hui, la Fédération des
commissions scolaires du Québec
entend commenter certains articles du projet de loi n° 60 en intervenant sous deux aspects, soit sur les principes qu'ils énoncent et sur leur application dans le réseau scolaire.
Concernant la
neutralité religieuse et le caractère laïque de l'État, la fédération y est favorable
puisque les commissions scolaires ont connu, depuis les modifications apportées
à l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 en 1997, une évolution importante en
matière de confessionnalité de leurs
structures et de l'enseignement religieux. De nos jours, le consensus
social est en faveur du maintien de la neutralité des structures scolaires.
Concernant
la définition d'un organisme public, la fédération s'interroge sur la
portée du champ d'application de ce projet
de loi puisque les écoles régies par
la Loi sur l'enseignement privé sont totalement exclues de son application. En effet, il serait paradoxal qu'un État qui
se veut neutre et laïque maintienne et finance un réseau privé exclu de l'application
d'une loi charnière dans la législature québécoise.
N'oublions
pas que ce projet de loi défend des valeurs partagées par l'ensemble des
Québécoises et Québécois et que les
jeunes du Québec sont ceux et celles qui défendront ces valeurs, quel que soit
leur réseau de scolarisation. Ainsi, il y a lieu de se poser les questions suivantes. La mission des écoles
privées serait-elle différente de celle des écoles publiques au niveau de la socialisation et de la formation à
la citoyenneté? Souhaitons-nous un système qui soit à deux vitesses non
seulement sur le plan du financement, mais également au niveau des valeurs
communes de la société québécoise? Sommes-nous en train de fragiliser le réseau
public en faisant reposer sur ses seules épaules la redéfinition des règles du
vivre-ensemble? Il est donc impératif que tous les établissements scolaires du
Québec financés à même les fonds publics soient assujettis aux mêmes règles et
aux mêmes obligations, quel que soit leur statut.
Concernant
les devoirs de neutralité et de réserve du personnel en matière religieuse, la
fédération est en faveur d'assujettir
le personnel d'une commission scolaire au devoir de neutralité et de réserve.
Cependant, l'application de ces dispositions
serait susceptible de poser certains problèmes de relations de travail. À titre
d'exemple, l'expression «dans l'exercice de ses fonctions» ne permet pas
de cerner avec exactitude l'étendue des obligations du personnel d'un organisme
public, et les contestations qui en découleraient pourraient engendrer des
coûts de gestion importants pour les commissions scolaires.
Par
ailleurs, concernant la restriction relative au port d'un signe religieux, bien
que la fédération soit d'accord avec
le devoir de neutralité imposé au personnel du secteur public, elle juge cette
restriction inapplicable dans le contexte scolaire. En effet, elle serait la source de nombreux conflits de
relations de travail et générerait à coup sûr des contestations très
coûteuses pour les commissions scolaires, car elles devraient assumer les frais
juridiques qui en découleraient. Or,
considérant les contraintes budgétaires importantes qu'elles vivent depuis
plusieurs années — on va
s'en reparler jeudi au budget — elles ne peuvent envisager
d'assumer un tel fardeau.
À
ce sujet, il est important de rappeler que la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys
a dû assumer seule les coûts associés
au dossier du port du kirpan dans une de ses écoles, soit plus de 500 000 $ en frais d'avocat
seulement. De même, la commission scolaire des Chênes a dû défendre sans l'aide
de l'État le Programme d'éthique et de culture religieuse mis en place par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du
Sport, et cette défense est aussi chiffrée à plus d'un demi-million de
dollars en frais d'avocat.
En
plus de générer un alourdissement significatif au regard de l'embauche du
personnel et dans le traitement des situations
problématiques qui en découleraient, le respect de cette disposition obligerait
les directions d'établissement à allouer plus de temps à la gestion
administrative et à la gestion de conflits liés à l'application de la charte,
disposant ainsi de moins de temps pour la gestion éducative.
Concernant
l'obligation d'avoir le visage découvert, la fédération est en faveur
d'assujettir le personnel d'un organisme
public à l'obligation d'exercer ses fonctions à visage découvert puisque cette
exigence est un juste compromis entre la liberté de religion d'un
individu et le devoir de neutralité et le caractère laïque de la commission
scolaire. La fédération est également en faveur d'assujettir les prestataires
de services à l'obligation d'avoir le visage découvert.
• (17 h 10) •
Par contre, il
faudrait préciser la portée de l'expression «lors de la prestation d'un
service», car un élève ne reçoit pas nécessairement un service entre deux cours
ou sur l'heure du dîner, par exemple. De plus, la fédération se demande si le texte proposé est suffisamment clair pour
obliger une personne à respecter son obligation d'avoir le visage découvert tout au long de la prestation de
services. Ainsi, l'expression «compte
tenu du contexte» permettrait-elle
à une commission scolaire d'obliger une personne portant un voile couvrant son
visage de le retirer non seulement le temps de son identification avant la
tenue d'un examen, mais également pendant toute la durée de cet examen?
Concernant les conditions
de travail du personnel d'une commission scolaire, la fédération est d'avis que
le dialogue devant précéder l'imposition
d'une sanction pour non-respect de la restriction relative au port d'un signe
religieux serait la source de contestations
très coûteuses et d'une importante jurisprudence arbitrale sur le sens à donner
au mot «dialogue», une exigence qui n'existe pas présentement en droit
du travail.
Concernant
les règles applicables en matière de congé religieux, la fédération considère
que la possibilité d'une contrepartie possible de la part d'un membre du
personnel est un pas dans la bonne direction. Toutefois, la formulation
de cet article devrait être renforcée de manière à permettre l'imposition d'une
telle contrepartie lorsqu'elle est possible et non seulement prévoir la possibilité
de la considérer.
Finalement,
concernant la période transitoire applicable à l'interdiction du port d'objets
et de signes religieux par les
membres du personnel, la fédération est d'avis, sous réserve de la position
exprimée plus tôt, que les commissions scolaires devraient être autorisées à prolonger la période
transitoire de quatre années supplémentaires, comme il est prévu pour les collèges et
les universités.
En terminant, nous
tenons à réitérer le rôle fondamental de l'éducation dans le processus
d'intégration des immigrants à la société québécoise et le rôle clé des commissions
scolaires dans ce contexte. La
fédération tient également à réitérer
son appui au principe de ce projet de
loi même si elle considère que
certaines dispositions devraient être revues puisqu'elles
seraient difficilement applicables dans le réseau scolaire. Je vous remercie.
Le Président (M.
Ferland) : Je vous remercie. Merci, Mme Bouchard. Maintenant,
nous allons à la période d'échange. Et je cède la parole à M. le ministre pour
un temps de 22 min 40 s.
M. Drainville : Merci pour votre mémoire et votre présentation.
On va y aller tout de suite avec un extrait de la page 15 de votre
mémoire où vous vous réjouissez du fait que le projet de loi n° 60 propose
des balises pour gérer les demandes
d'accommodement religieux. Et là vous dites, donc, que cette idée, donc, de
faire de l'égalité hommes-femmes un critère incontournable,
dirions-nous, vous vous réjouissez de ça. Là, je cherche la page 15, voilà.
Alors :
«Par ailleurs, la référence au droit à l'égalité entre les femmes et les hommes
est fondamentale puisque les problèmes
qui nous sont rapportés par les écoles et les centres de formation portent
souvent sur cette question. En effet, plusieurs demandes d'accommodement
présentées pour des motifs de nature religieuse ou culturelle l'ont été avec l'objectif d'obtenir soit une séparation physique
des hommes et des femmes ou afin d'éviter de devoir traiter d'une
question avec une femme.»
Est-ce
que vous pouvez nous préciser un petit peu ce que vous voulez dire, quels sont
les types de demandes que vous
recevez qui vont, donc, à l'encontre du principe de l'égalité entre les hommes
et les femmes? Est-ce que vous les avez répertoriés? Et quelle est la réaction de vos directions d'école… ou vos
directions de commission scolaire, dis-je, et des enseignants lorsqu'ils
reçoivent ces demandes dans les semaines ou les mois qui suivent?
Mme Bouchard (Josée) : Parce que, M. le Président, vous savez, depuis
une vingtaine d'années, nous autres, en fait, on a vraiment le devoir
d'accommoder, comme on dit, c'est le signal qu'on a, puis on travaille vraiment
dans ce sens-là. Et les cas auxquels fait
référence M. le ministre, c'est essentiellement des cas où, par exemple, le
père d'un élève a besoin de parler à une direction d'école, mais qui est
féminine, et, dans sa pratique, dans sa croyance religieuse, il ne peut
s'adresser à une femme en autorité, donc il demande à ce qu'il puisse échanger
avec un homme.
Et
je vais vous dire qu'actuellement, en fait, ce qui nous a été rapporté dans ce
qu'on réussit à trouver comme accommodement, le plus souvent, c'est lorsqu'il y
a un adjoint masculin à la direction de l'école,
c'est l'adjoint, par exemple, qui va faire la rencontre. Dans le cas où il n'y
en a pas du tout, bien, là, écoutez, comme on dit, il y a une réflexion à faire de la part du parent comme tel. Et
c'est pour ça qu'on dit — ça fait longtemps qu'on le demande : On veut des
balises claires qui vont faire en sorte qu'on n'ait pas à vivre des choses
comme ça, à négocier à toutes les fois au Québec. C'est très difficile pour les
directions d'école. Est-ce que vous voulez ajouter des choses?
M. Drainville :
…
Mme Bouchard
(Josée) : Oui.
M. Drainville :
Si je comprends bien, en tout cas, par le ton de votre propos, c'est que ça… En
tout cas, personnellement, je pense que ça vous heurte un petit peu. Je pense
bien décoder votre…
Mme Bouchard
(Josée) : Vous décodez bien.
M. Drainville :
Hein?
Mme Bouchard
(Josée) : Vous décodez très bien.
M. Drainville : Et ce que je
comprends aussi, c'est que, dans certains cas, ça heurte également la direction
d'école qui se fait demander ça. En général, ce sont des femmes directrices
d'écoles qui se font demander ça par des papas. Et ce que vous nous dites, c'est :
Comme il n'y a pas de balises claires, on accommode, donc on
essaie de trouver un adjoint masculin
à qui le papa va s'adresser possiblement en présence de la directrice qu'il ne
regarde pas, à qui il ne s'adresse pas, qui n'existe pas pour lui.
Exact?
Mme Bouchard (Josée) : Absolument.
M.
Drainville : Et ce que vous décodez dans le projet de loi n° 60, c'est : Enfin un
signal clair qu'à l'avenir on ne sera plus obligés d'accepter ça. Exact?
Mme Bouchard (Josée) : Absolument.
M.
Drainville : Moi, je
vais vous dire… Puis on va parler des autres points où vous êtes moins d'accord
avec nous, là, faites-vous en pas, là. Je suis conscient et je n'essaie pas
d'inventer un appui inconditionnel au projet
de loi n° 60 que vous ne donnez pas. Mais, je dois vous dire, sur cet
aspect-là, je trouve que vous faites tellement la démonstration de la
nécessité de ces balises-là. Parce que parfois on se fait dire : Il n'y en
a pas, de problème; lâchez-nous, il n'y en a
pas, de problème. Et nous, on dit qu'il y en a un… enfin, on dit qu'il y en a
plusieurs. Et moi, je suis assez renversé
qu'on soit obligés de déposer un projet de loi pour que nos directions d'école
mettent leurs pieds à terre, pour
enfin qu'elles obtiennent le cadre légal qui va leur permettre à l'avenir de
mettre leurs pieds à terre. Moi, bien,
je suis un peu découragé, je dois vous dire, parce que je me dis : Comment
ça se fait que, dans une société
comme la nôtre, on soit arrivés là, en fait? Vous devez vous poser la même
question.
Mme Bouchard (Josée) : Je peux vous
donner aussi un autre exemple auquel on fait aussi référence dans le mémoire.
Vous savez, quand on dit... On parle, par
exemple, des congés, là, autrement dit, où le fondement est religieux,
là, les congés qui sont demandés par notre personnel. Les gens ont dit :
On salue le fait qu'effectivement le projet
de loi aborde ça, mais, en fait, on
vous lance aussi un message supplémentaire, allez donc un petit peu plus loin, considérez
que ça laisse encore une marge de
manoeuvre. De dire que, ça, là, non,
c'est quelque chose qui ne se négocie pas, ça, ça aiderait énormément parce que, là, c'est de la gestion à la
pièce, commission scolaire par commission. Puis, considérez, ça laisse
encore une marge de manoeuvre.
Et vous savez
que, si on est dans ce mode-là aussi d'accommodement, puis de tous les travaux
qu'on a faits, puis précédemment
aussi… Le parti de l'opposition, hein, lorsqu'il était au pouvoir aussi a tenu
une commission parlementaire aussi
là-dessus avec un projet de loi. On a toujours eu ce même message d'importance
de bien baliser. Ça, c'est extrêmement important. Et pourquoi c'est
important effectivement de légiférer autour de ça? C'est parce qu'aussi il faut être conscients que notre Charte canadienne
des droits et libertés, elle est basée aussi sur la liberté de religion
ici. Donc, c'est ça qui nous amène à des
contestations aussi judiciaires. On a besoin de protéger, dans le fond, nos
institutions par rapport à ça.
M.
Drainville : La charte le fait dans le cas des demandes
d'accommodement qui briment l'égalité hommes-femmes…
Mme Bouchard (Josée) : Oui.
M.
Drainville : …et elle le fait, dans votre esprit, en matière de congés religieux. Juste avant qu'on aille plus loin sur la question des signes religieux, où effectivement vous n'êtes, disons, pas tout
à fait d'accord avec ce qu'on
propose, je veux juste… Sur la question
des accommodements et de l'égalité
hommes-femmes, est-ce qu'on a une idée de… Tu sais, est-ce que ça vous arrive, je ne sais pas, moi, à chaque semaine,
à chaque mois qu'on vous rapporte des cas comme ça? Y en a-tu beaucoup?
Puis y a-tu moyen de savoir combien il y en a?
• (17 h 20) •
Mme Bouchard (Josée) : Alors,
d'abord, puis ça, je pense qu'on l'a écrit quelque part, on n'a pas colligé ça simplement parce que ça ne fait pas… on n'a pas le
droit de faire ça. On n'a pas le droit de faire ça à l'embauche, et
puis, si on le faisait aussi, on se le ferait reprocher.
M. Drainville : Oui, mais,
sur les demandes de parents.
Mme
Bouchard (Josée) : Et, sur
les demandes, on n'a pas de statistiques précises là-dessus. Mais, écoutez, nos présidents des commissions scolaires, qui sont très concernés par ces questions-là,
nous ont quand même dit que ce n'était
pas quelque chose de très fréquent, là. Ça, je
peux juste vous dire ça. Est-ce
que…
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Mais peut-être
une précision, si vous permettez, M.
le Président, M. le ministre. Sans l'avoir répertorié, à
plusieurs reprises depuis, je dirais,
une bonne décennie, là, on en parle, de cette question-là. On a fait partie des
travaux avec la commission… c'est-à-dire Bergman Fleury, et le mot d'ordre dans le
réseau public de l'éducation, c'est : On accommode, on accommode, on met… La primauté sur les
services aux élèves, c'est la qualité du service. Donc, ça se règle…
M. Drainville : On accommode
le parent?
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Bien…
M. Drainville : On accommode
le parent, là.
Mme Gagnon
(Pâquerette) : On va
accommoder, quand c'est possible, le parent. Quand c'est possible, on va
l'accommoder.
M.
Drainville : O.K. Alors, disons qu'il y a deux femmes, une
directrice, puis son adjointe, c'est également
une directrice. Puis le papa, il ne veut pas rencontrer de femme. On fait quoi?
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Probablement que le parent n'aura pas un accommodement qui va être pour lui.
Ce n'est plus raisonnable pour nous parce qu'on ne pourra pas faire venir une
autre personne, une autre direction d'une autre municipalité. Parfois, on a 20,
25 kilomètres. On ne le fera pas. En général, on trouve une solution.
M. Drainville : Oui. Mais on
se comprend que ce n'est pas raisonnable.
Mme Gagnon (Pâquerette) : Tout à
fait.
M.
Drainville : Non, mais ce n'est pas raisonnable de le
demander, même s'il y
a un homme adjoint, là, ce
n'est pas raisonnable. Bon.
Mme Bouchard (Josée) : Ce n'est pas
raisonnable au Québec.
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Mais on a
toujours gardé la philosophie d'essayer le plus possible d'accommoder.
M. Drainville : Oui. Bien, on
est allés trop loin là-dedans. C'est clair. Maintenant, sur la question des
congés religieux, est-ce que c'est davantage étayé, est-ce que c'est davantage
quantifié?
M.
Tremblay (Bernard) : Il n'y a pas eu de recensement récent de fait à
l'ensemble du réseau scolaire. Je vous dirais
qu'évidemment c'est une réalité dont on entend plus parler dans la grande
région de Montréal. Et on sait effectivement
que des commissions scolaires, comme la commission scolaire de Montréal, la
commission scolaire Marguerite-Bourgeoys,
ont quand même recensé, je vous dirais, plusieurs centaines, là, de demandes de
congé annuellement. Je ne suis pas en
mesure de vous donner un chiffre précis, mais c'est quand même un phénomène
suffisamment important chez eux. Et
c'est pour ça qu'on l'avait mentionné à plusieurs reprises, hein, dans le cadre
la commission Bouchard-Taylor et dans
le cadre de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 94, de ce
besoin-là pour nous d'avoir, encore une fois, des balises sur l'octroi
de congés pour fête religieuse.
On nous a souvent répondu que c'était un
phénomène plus spécifique à l'éducation. Oui, notre calendrier de travail, il est basé sur un calendrier religieux,
mais il demeure quand même que, pour nous — et c'est
pour ça qu'on salue le projet de loi — pour nous, on répond enfin à quelque chose
qui doit être universel. C'est-à-dire, l'octroi de congés pour fête
religieuse, ce n'est pas spécifique à l'éducation, et on devrait avoir un
régime qui est commun à l'ensemble des employés
et à l'ensemble des employeurs du Québec. Et c'est pour ça qu'à ce titre-là on
est heureux évidemment qu'on en traite dans le cadre du projet de loi.
On aurait souhaité, comme le disait Mme
Bouchard, qu'on aille un petit peu plus loin, qu'on vienne vraiment camper
fermement l'idée d'une contrepartie qui peut être exigée par l'employeur parce
que, dans le fond, dans les centaines de cas
que je mentionne, là, qui sont répertoriés annuellement, même si je n'ai
pas un chiffre précis, il reste que les
gens nous témoignent, dans les commissions scolaires, qu'il y a un fort
sentiment d'iniquité chez le personnel entre les gens qui n'ont pas le
droit de bénéficier de ces congés-là et ceux qui y ont droit. Hein, vous savez,
un enseignant est payé pour 200 jours
de travail par année, alors, si je suis un enseignant, j'offre mes
200 jours de prestation de travail et que je suis un autre enseignant à côté et que j'en offre 195, 192, bien,
évidemment, pour les gens, il y a une iniquité, là, qui est difficile à
accepter.
Le Président (M. Leclair) :
Merci, M. Tremblay. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Nous, en
tout cas, je vais vous dire, on a plusieurs témoignages, nous, de gens qui nous
disent à quel point c'est frustrant, à quel
point ça suscite vraiment, au quotidien, dans le fonctionnement des écoles, des
frustrations parce que, comme vous le dites,
il y a un sentiment d'iniquité qui est vécu par certains enseignants qui voient
de leurs collègues obtenir, dans le
fond, plus de congés payés à cause de leur religion. On s'entend là-dessus?
O.K. Puis, vous dites, l'encadrement qu'on propose, c'est un pas dans la bonne
direction, même si vous souhaiteriez que ça aille encore un petit peu plus loi,
comme vous le disiez, Mme Bouchard.
Parlons des
signes religieux. Alors, je suis sûr que vous avez été bien «briefée», Mme
Bouchard. En général, vos interventions sont bien documentées puis, je
pense, vous êtes une femme qui fait ses devoirs. Et donc on a dû vous dire qu'il y avait eu plusieurs
témoignages qui nous avaient été livrés ici, qui viennent de toutes sortes d'horizons, mais la trame, l'espèce de ligne de force de
plusieurs de ces témoignages-là, c'est que le rapport entre le citoyen…
ou le rapport entre l'usager et la personne
qui porte un signe religieux peut vraiment remettre en question la confiance
que l'usager
peut avoir envers le service qu'il reçoit de l'État. Alors, ça peut être la
remise en… Il peut se sentir jugé ou
condamné dans son orientation sexuelle. Il peut se sentir jugé ou condamné dans
sa façon de s'alimenter. L'enfant, voyant un signe religieux, peut…
Je vous donne
l'exemple. Par exemple, il y a deux femmes qui ont travaillé pour la DPJ
pendant plus de 10 ans, qui sont
venues nous dire : Écoutez, imaginez une adolescente, par exemple, qui est
soumise à des pressions dans son milieu familial, des pressions… en
fait, des violences liées à l'honneur, hein, et cette jeune femme, cette
adolescente cherche de l'aide là où elle
peut en trouver. Elle ne peut pas en trouver à la maison parce que les parents,
par exemple — ou
le père — la
soumettent à des pressions.
Alors, elle
se retrouve à l'école. Elle aimerait pouvoir en parler avec son enseignante,
sauf que l'enseignante porte un signe religieux de la même religion que
sa famille, et cette adolescente-là, donc, craint, dans le fond, de se confier à l'enseignante… ou ça pourrait être une psychologue,
également, dans l'école, peu importe, mais elle craint de se confier à cette personne qui porte un signe religieux, donc
qui affiche ses convictions religieuses, parce qu'elle a peur, dans le
fond, de se faire dire : Regarde, tu n'as pas raison. Et donc, la relation
de confiance… Il peut y avoir…
Dans le fond,
cette jeune femme-là peut vivre un conflit entre les valeurs culturelles ou
religieuses de sa famille et, je
dirais, les valeurs que nous, comme société, on essaie de mettre de l'avant, de
cultiver, de renforcer, qui est notamment celui du droit à l'égalité pour une jeune femme comme elle, de vivre,
par exemple, un amour interdit ou de se sentir obligée de porter un signe religieux alors qu'elle ne le souhaite pas.
Bon. Il y en a eu, des cas comme ça. Alors, tout ça pour vous dire que le port de signes religieux,
c'est très clair, peut, dans certains cas, miner la relation de confiance.
Et moi, je me dis : Je suis certain,
Mme Bouchard, que vous êtes sensible à ça. Je suis certain que vous êtes
sensible à ça. Et donc je me
dis : Est-ce que ces cas-là ne justifient pas l'interdiction de porter des
signes religieux pour le personnel scolaire?
Mme Bouchard (Josée) : Alors, M. le
Président? C'est avec beaucoup de plaisir que je vais vous répondre, M. le ministre. C'est sûr que Josée Bouchard, la
femme, elle a son idée. Et Josée Bouchard, la présidente de la
Fédération des commissions scolaires du
Québec, a évidemment mis ce projet de loi au jeu avec l'ensemble de ses
présidents. Et les présidents,
écoutez, avaient toutes sortes d'opinions sur les signes ostentatoires. On a
tous vécu ça dans nos milieux de travail, dans nos familles, avec nos
amis, tout ça. Et c'est pour cela que vous ne retrouvez pas dans notre mémoire
de position ferme sur : On est-u d'accord avec le hijab, avec le niqab,
avec la croix, telle grosseur, tout ça? Vous n'en voyez pas parce que…
D'ailleurs,
on fait un lien avec ça dans le cadre de notre mémoire, en disant :
Regardez, déjà, là, de la façon que c'est
là, on craint que ça va être difficile, la gestion de tout ça dans nos écoles,
que la décision repose sur les directions d'école, sur les enseignants. C'est pour ça qu'on dit : Si
effectivement le gouvernement décide d'aller de l'avant avec le projet de loi, s'il vous plaît, soyez le plus
clair possible pour que ce soit le plus facilement gérable possible. Je m'attendais à ce qu'aussi vous me posiez la
question : Il y a comme une contradiction, là, tu sais, vous êtes
d'accord avec visage découvert, mais, là, dans le fond, le hidjab, ça veut dire
que c'est à visage découvert, il y a un
foulard qui se porte à visage découvert, mais, en même temps, vous nous dites,
Mme Bouchard, que vous êtes pour le principe de l'égalité hommes-femmes
quand on sait qu'il y a des femmes peut-être qui portent ces vêtements-là puis
qui ne sont peut-être pas dans un vécu d'égalité hommes-femmes. Puis l'exemple
que vous m'apportez, c'est ça.
Mais la fédération, en fait, le conseil général
a décidé de plutôt mettre de l'avant justement toute, je dirais, cette
importance qu'il faut considérer dans le projet de loi par rapport au principe
à protéger, hein, à faire prévaloir, l'égalité
hommes-femmes, et en même temps de dire : Écoutez, nous, on n'a pas envie
de trancher, hein, c'est quoi qui va être
acceptable ou pas acceptable. On vous demande effectivement de faire cette
réflexion-là puis d'équiper notre monde sur le terrain pour que ça puisse être gérable puis surtout aussi, si je
pousse le raisonnement encore plus loin, pour ne pas qu'on se retrouve
aussi avec un paquet de griefs ou de contestations qui vont faire qu'on va
avoir des coûts astronomiques.
Vous avez vu, nous autres, c'est notre pratique,
là, qui parle. On l'a vécu puis, nos commissions
scolaires, là, Marguerite-Bourgeoys puis des Chênes, ils n'ont jamais
eu de support de la part du gouvernement au niveau financier, pour financer ça, toutes ces contestations-là. Dans
le cas de des Chênes, de la région de Drummondville, c'est un cours Éthique et culture religieuse qui
nous vient du gouvernement, qui fait partie du régime pédagogique, ce
n'est pas la décision de la commission scolaire des Chênes de l'avoir donné,
puis il y a eu une contestation, puis ça leur a coûté 500 000 $. Des Chênes, c'est la région de Drummondville,
là, ce n'est pas une grosse commission scolaire, là. Ça fait que c'est
tout ça, là, que je dis.
• (17 h 30) •
M.
Drainville : Quand
vous dites que vous souhaiteriez... Il me reste seulement quelques minutes.
Quand vous dites : Si vous êtes
pour aller de l'avant avec la restriction sur le port des signes religieux,
assurez-vous que ce soit clair, moi, je trouve qu'on est plutôt clair,
c'est-à-dire qu'on ne commence pas à s'enfarger dans : Tel signe est
permis puis tel autre n'est pas permis, puis tati, puis tata. On dit :
Regardez, à partir du moment où vous travaillez dans le service public, vous devez garder pour vous vos convictions
religieuses, donc il n'y en a pas, de signes religieux ostentatoires.
Moi, je trouve ça pas mal clair, mais visiblement, ce n'est pas tout à fait
votre avis. Qu'est-ce que vous souhaiteriez de plus pour clarifier encore
davantage l'interdiction de porter un signe religieux? Qu'est-ce que vous
aimeriez de plus pour clarifier ça?
Mme Bouchard (Josée) : Alors, je
vais demander à Me Tremblay d'ajouter...
M.
Tremblay (Bernard) : Évidemment, pour nous, la difficulté est en lien
avec l'article 14, hein, beaucoup plus, hein, c'est le fait de devoir procéder à un dialogue et qu'on y fasse
référence, à l'article 14, à des mesures disciplinaires. Alors, dans le processus,
là, que vous connaissez, là, de relations de travail, la notion de dialogue est
nouvelle. On sait que, est-ce qu'on aura assez dialogué dans un cas x,
pas assez dialogué dans un cas y, quels seront les éléments de ce dialogue-là,
le projet de loi évidemment n'en traite pas. Et on imagine facilement la longue
jurisprudence et les coûts astronomiques qu'on va devoir supporter pour définir
cette notion-là. Tout comme le fait de référer à des mesures disciplinaires, pour nous, nous embête, parce que,
pour nous, on comprend que, si, donc, la décision du législateur était
de prévoir, là, que les signes ostentatoires
ne doivent pas être présents dans... chez le personnel de l'État, on se dit que
ça devrait être une exigence de l'emploi, un
peu comme ne pas avoir d'antécédents judiciaires, dans les commissions
scolaires, c'est une exigence de l'emploi.
Et, dans ce contexte-là, on voit mal qu'on se place dans un processus de
gradation des mesures disciplinaires,
donc un dialogue qui implique une sanction qui implique un autre dialogue qui
implique une deuxième sanction plus
sévère. Et c'est ça qu'on décode dans l'article 14, qui nous inquiète et qui
fait en sorte que, pour nous, ça devient
très lourd d'application, et qu'on critique, dans le fond, par notre
commentaire sur l'article 5 et l'article 14. On critique plus le
caractère d'applicabilité de cette mesure-là que le fondement même, dans le
fond, sur lequel on ne se prononce pas, comme disait Mme Bouchard.
M. Drainville :
Il ne doit pas me rester grand temps, mais je veux juste vous dire...
Le Président (M.
Ferland) : ...
M. Drainville :
Hein?
Le Président (M.
Ferland) : Deux minutes.
M. Drainville :
Merci, M. le Président, vous êtes généreux. Dans notre esprit, puis s'il faut
resserrer — comment dire? — la formulation, le
libellé, on le fera, mais, dans notre esprit, le processus de dialogue ou le
moment de dialogue, il précède le processus
disciplinaire. Il n'y a pas de dialogue, processus disciplinaire, on retourne
au dialogue. Voyez-vous? Et ça s'inspire,
soit dit en passant, de ce qui a été tenté dans les écoles françaises...
publiques françaises, ça a plutôt
bien fonctionné là-bas. Alors, c'est ça, l'idée. Nous, on ne fera pas
du… comment dire, on retourne au dialogue. L'idée, c'est : La
loi, on se donne un an, la loi entre en vigueur et là on s'assoit avec les
personnes concernées, et puis, là, bien, avant d'arriver dans le processus
disciplinaire, on veut d'abord en discuter.
Le
Président (M. Ferland) : M. le ministre, le temps est écoulé. Je dois aller du côté de
député de LaFontaine, pour un temps de 18 minutes.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci à vous quatre d'être présents, présentes aujourd'hui pour répondre à nos questions. Merci d'avoir rédigé le mémoire. Et je vais
essayer d'être efficace, nous n'avons que 18 minutes, et je sais que mes
collègues auront des questions pour vous, notamment au niveau des
accommodements que l'on veut raisonnables, et des balises, et du débat qui
avait eu lieu lors du projet de loi n° 94, en 2010.
J'aimerais revenir,
donc, sur l'article 5. On vient d'entendre le ministre faire état de malaise
pour une personne à la vue d'un signe
religieux. Et on voit que le ministre développe la logique : un malaise à la vue
d'un signe religieux ne devrait pas exister, pas de signe, pas de
malaise, alors que l'on sait qu'un signe religieux, une croyance religieuse, c'est un motif de non-discrimination,
on ne peut pas discriminer. Et toute personne pourrait avoir des
malaises liés à un motif de non-discrimination, et ça ne serait pas en faisant
disparaître cet élément-là que l'on serait justifiés de dire : Bien, pas de motif de discrimination présent, donc, pas
de malaise, j'ai fait avancer la société. Je pense qu'on n'est pas du tout dans le bon paradigme, alors que vous en faites état,
la diversité au Québec, et c'est une richesse, nous devons, évidemment,
faire en sorte que les enfants, les élèves puissent y voir là une richesse et
puissent l'accueillir.
Vous faites
référence, à la page 11 de votre mémoire, au niveau du port de signes religieux
et vous dites carrément : L'article 5…
Et 80 % et plus de la charte déposée, nous sommes d'accord, on veut faire avancer le Québec. Vous
avez mis le doigt : L'article 5, interdiction de port de signes religieux,
nous sommes contre, parce que contre la liberté de conscience et de
religion. Et votre recommandation 4, vous, la Fédération des commissions
scolaires du Québec, recommande qu'il soit retiré, tout simplement.
J'aimerais vous
entendre sur la phrase suivante : «Alors que le milieu scolaire a réussi,
au fil des ans, à gérer efficacement cette problématique dans le respect des orientations
véhiculées par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport...»
J'arrête là, la citation de la phrase. Pouvez-vous nous parler, pour les gens
qui nous écoutent à la maison, de ce que sont ces orientations? À quoi
faites-vous référence ici?
Mme Bouchard
(Josée) : Pouvez-vous répéter la dernière phrase?
M.
Tanguay : Oui. Lorsque vous parlez, à la page 11 de votre
mémoire, d'«orientations véhiculées par le ministère de l'Éducation», à
quoi faites-vous référence ici?
M. Tremblay (Bernard) : Finalement,
un peu comme le disait, donc, Mme Gagnon il y a quelques minutes, il faut se rappeler que, depuis 20 ans,
effectivement, le message, je dirais, général au Québec, hein, c'était de
favoriser les accommodements. Donc, évidemment, en milieu scolaire, on l'a
beaucoup favorisé et c'est sûr qu'on a travaillé dans cette
perspective-là. Les exemples que Mme Bouchard et Mme Gagnon vous ont donnés
tout à l'heure, par rapport à, entre autres,
des directions d'écoles, bien c'était le message qui était transmis, sans que
ce soient des orientations. Là, on ne
parle pas ici d'orientations nécessairement écrites toujours, mais c'était
l'esprit dans lequel l'ensemble, je pense, des institutions, là,
publiques travaillait. Et là, effectivement, donc, on a appris à travailler
dans cette perspective-là. Je pense que c'est à ça qu'on fait référence ici,
dans notre mémoire.
M. Tanguay :
Toujours en mettant de côté le débat, je laisserai mes deux autres collègues
poser des questions là-dessus, au niveau des balises aux accommodements,
nous sommes tous d'accord pour clarifier le tout.
Page 12, vous
dites : «Les commissions scolaires qui emploient un nombre important de
personnes portant des signes religieux ostensibles, notamment dans la
grande région de Montréal…» Donc, il y a déjà des commissions scolaires qui emploient, vous dites «un nombre
important de personnes portant des signes religieux ostensibles,
notamment dans la grande région de
Montréal». Les enfants, les élèves qui sont assis sur les bancs d'école, face à
de tels professeurs, sont-ils en péril? Parce que le ministre, il voit
une urgence et un péril.
• (17 h 40) •
Mme
Bouchard (Josée) : Les
enfants ne sont pas en péril. Non. En fait, il faut rassurer tout le Québec sur
le fait que, écoutez… De toute façon,
nos enseignants n'ont pas à parler de leurs croyances religieuses ou… de toute
façon, on ne tolérerait pas ça, hein, dans nos institutions. Mais,
écoutez, sur toute cette question encore des signes ostentatoires, je vous le
rappelle, nous, on ne veut pas commencer à discerner qu'est-ce qui devrait être
permis, non-permis.
En fait, ce
qu'on recherche, dans le fond, et je pense que ce que le gouvernement devrait
rechercher, c'est vraiment la bonne…
en fait, les bons libellés qui vont faire en sorte qu'on ne se retrouvera pas
avec des problèmes de jurisprudence après,
des poursuites légales, et tout ça. Dans le fond, je dirais que c'est le fond aussi de notre présentation, ce
n'est pas d'être contre quelque chose, c'est vraiment d'allumer une lumière
puis de dire : Nous autres, à la lumière de
notre vécu sur le terrain puis avec ce qu'ont vécu certaines commissions scolaires, bien, si le gouvernement du Québec
décide de se donner, justement, une charte des valeurs, bien, soyons certains,
là, qu'on ne mettra pas le monde dans le
trouble, comme on dit en bon québécois, puis qu'on ne se retrouvera pas avec un bon
nombre de poursuites puis des coûts associés à ça. Oui, Mme Gagnon, peut-être,
pourrait ajouter quelque chose.
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Je veux juste
préciser et rappeler qu'en 2006 on a participé à d'importants travaux, un comité qui s'est appelé le Comité
consultatif sur l'intégration et l'accommodement raisonnable en milieu
scolaire, Bergman Fleury, et, ce rapport-là,
on a vraiment travaillé pour donner des balises pour avoir un cadre de
référence. Bien sûr, accommodement pour des élèves, mais ce qu'on dit,
c'est que, s'il y avait une application d'un projet de loi de cette sorte, il faudrait avoir des balises claires pour
le personnel, pour les élèves pour empêcher que ce soit le milieu
scolaire qui ait une bureaucratie
extraordinaire à faire là-dedans, une gestion de conflits très difficile. C'est
de ça qu'on parle, dans le fond, on
dit : On veut des balises claires, un cadre de référence. Je finis en
disant que les fameux travaux n'ont jamais été publiés, ils ne sont jamais sortis du ministère de l'Éducation, ces
travaux-là, et on y a travaillé plus de deux ans. Alors, où sont-ils?
Qu'est-ce qu'on en a fait? Mais il y avait là des recommandations extrêmement
intéressantes.
M. Tanguay : …témoignage. Et
je veux, encore une fois, laisser du temps à mes collègues. On pourrait en
discuter longuement. Et d'où peut-être, et vous m'excuserez, l'aspect un peu
télégraphique de mes questions parce qu'on
manque de temps. Mais je vous invite à le faire et sinon à préciser ce qui ne
serait pas votre pensée si je vous
avais mal compris. Une commission scolaire, à l'heure actuelle, notamment de la
région de Montréal, embauche et a à son service des enseignants et des enseignantes qui ont des signes
religieux. Basés sur votre expérience de décennies — vous
représentez 60 commissions scolaires — pouvez-vous nous dire
aujourd'hui si, oui ou non, les enfants qui assistent à de tels cours ont une carence ou pourraient être mis en péril quant à
leur développement, directement ou indirectement, et quant à leur
passage académique?
Mme
Bouchard (Josée) : Bien,
non. Puis je suis un petit peu perdue, mais je pense que, dans le fond, je
pense que ce n'est peut-être pas le meilleur angle pour attaquer, je dirais, le
projet de loi. De toute façon, on le sait,
là, que ce n'est pas ça, que ce n'est pas ça qui se passe, là, dans nos écoles.
Comme vous le disiez, il n'y a pas… C'est vrai qu'il n'y a pas de péril en la demeure, mais ça ne veut pas dire
qu'il n'y a pas des situations qui sont problématiques puis qui méritent
vraiment d'y apporter une attention puis surtout, comme on le disait, des
balises claires. Puis on l'a fait… On l'a dit aussi, lorsque votre parti était
au pouvoir, avec Mme Weil comme ministre, aux travaux de Bergman Fleury, là, puis, comme disait Mme Gagnon, ça
concernait les élèves. Me Guimont y participait, d'ailleurs, à ces
travaux-là.
Alors, voilà,
c'est ça, l'idée, soyons sages, soyons… Nous sommes tous des élus, des
représentants de la population, le but, il
ne faut surtout pas, vous avez raison, là, il ne faut pas alarmer la
population, là, on n'est pas à feu et à sang
au Québec, là, puis la Fédération des commissions scolaires du Québec, ce n'est
pas ça qu'elle dit non plus dans son
mémoire. Mais la Fédération des commissions scolaires du Québec, c'est qu'elle
reconnaît qu'il y a effectivement des
problématiques, effectivement qu'on collige, forcément, là, par toutes sortes
de… bien, de griefs, bon, ou de
situations qu'on a à régler et qui démontrent qu'effectivement on a besoin de
balises, de balises claires.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, Mme Bouchard. Vous êtes présidente, donc, de la Fédération des
commissions scolaires du Québec et vous avez dit, avec le sourire dans la voix,
que ce n'est pas l'angle pour attaquer le projet de loi n° 60. Vous avez tout à
fait raison parce que c'est l'angle pris par certaines personnes pour justifier
l'interdiction mur à mur de port de signes
religieux du secteur public, parapublic et de tout le corps professoral et
celles et ceux qui travaillent au sein de nos
établissements d'enseignement. C'est justement… Et je vois votre réaction très claire et nette qui fait en sorte que vous êtes
partie à rire spontanément. C'est un argument central notamment du
ministre et de certaines personnes qui sont venues témoigner ici en disant qu'il y avait péril en la demeure et qu'on devait
justifier l'interdiction mur à mur par cet élément-là. Vous avez référé à ma
collègue, je vais laisser ma collègue poser des questions. Merci beaucoup.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, Mme la députée Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Ferland) :
Il reste environ 8 minutes.
Mme Weil : Mme Bouchard, Mme Gagnon, Me Tremblay, Me
Guimont, merci. Alors, on se revoit trois ans plus tard, et ce que je trouve intéressant, c'est que tous les points essentiels
de 94, vous êtes toujours d'accord avec ça. On avait fait la promotion de balises claires, vous aviez
souligné les problématiques, et on était très ouverts à ça, et donc il y
avait une suite à tout ça, puis on allait s'adresser à ça. Neutralité
religieuse de l'État, vous étiez tout à fait en accord pour qu'on l'inscrive,
et le visage découvert. Et je vois que vous êtes aussi d'accord avec la
position qu'on avait alors, qu'on ne pouvait
pas voir d'interdiction mur à mur. J'étais accompagnée par les juristes du
ministère de la Justice. Les opinions juridiques
étaient très claires, parce qu'à l'époque c'était la même division, même
division : ceux pour l'interdiction mur à mur et ceux qui disaient
que ça allait contre la Charte des droits et libertés. Nous voilà trois ans
plus tard, et vous avez la même position.
C'est un peu frustrant parce qu'on aurait pu avancer beaucoup. On aurait pu
maintenant avoir ces balises dont
vous faisiez état à ce moment-là. On les aurait en place, là, si on avait
avancé. Et, si, à l'époque, l'opposition avait voulu aller de l'avant
avec des balises claires, on était là.
J'aimerais
vous entendre sur l'inapplicabilité. Parce qu'on a deux juristes ici, de votre
organisation, et ce serait intéressant
parce que je vous dirais qu'il y a beaucoup de gens qui font ce commentaire. Il
y a des expériences en Europe justement qui ont fait des études sur des
projets de loi… des lois très, très semblables, à Berlin. Ils ont été inondés… Je
comprends que vous ne vouliez pas aller sur le fond de la chose, mais sur
l'impact d'une loi semblable, et vous parlez
d'inapplicabilité. Et donc ils ont été inondés de plaintes de discrimination à
l'emploi. J'aimerais vous entendre,
si vous pourriez aller un peu plus loin sur cette question-là, les coûts et les
entraves à votre fonctionnement quotidien de faire face à ces plaintes qui
vont certainement suivre. Vous êtes des juristes, vous le savez, l'opinion du Barreau, de la Commission des droits de la
personne, Louise Arbour, à peu près tous les juristes, même les juristes
lorsque j'étais ministre de la Justice allaient exactement dans le même sens.
Mme Bouchard (Josée) : Juste avant
de céder la parole justement aux deux maîtres, ici, présents, c'est ça, je crois que peut-être aussi la réflexion de départ,
en tout cas, ce qu'il était important de considérer, oui, au départ et qui
est à la source souvent des contestations judiciaires — vous
me direz si je suis dans l'erreur — mais, si, par exemple… on prend souvent l'exemple de la France, leur charte
est basée sur la neutralité, au départ, de l'État, donc, déjà, ça met la
table, alors qu'ici la charte canadienne est basée sur la liberté de religion.
Donc, déjà, ça crée des espaces différents. Oui?
Mme Weil : Juste pour clarifier, c'est plus
basé sur la laïcité, en France, la loi sur la laïcité, mais la liberté de
religion existe dans les deux pays de
façon importante, autant en France qu'ici, mais leur cadre juridique est
légèrement différent.
Mme Bouchard (Josée) : …à Me
Tremblay.
• (17 h 50) •
M.
Tremblay (Bernard) : Oui. Pour répondre à votre question, je vous
dirais, évidemment, le réseau scolaire, hein, c'est un gros réseau, hein, c'est 180 000 personnes. C'est un
réseau effectivement qu'on a incité à se diversifier et qui cherche à se diversifier en termes de provenance,
hein, des gens qui y travaillent. On a une loi sur l'accès à l'égalité
en emploi qui est très lourde à gérer et qui nous oblige à procéder, donc, à
beaucoup d'accommodements. Alors, c'est sûr aussi qu'on a des organisations
évidemment qui sont fortement syndiquées. Vous le savez comme moi qu'il y a deux fédérations qui représentent le personnel
enseignant. Il y a d'autres personnels que le personnel enseignant, il
ne faut pas l'oublier. On parle beaucoup des enseignants.
Mais, si je prends les enseignants, juste à
titre d'exemple, une fédération qui est en appui à la charte, l'autre fédération qui est contre. Alors, de penser que
celle en particulier qui est contre… et même dans l'autre cas, il y aura
des griefs, il y aura des gens qui vont
contester, donc, cette charte, qui vont la contester sur la base de la charte
canadienne, de la charte québécoise, pour toutes sortes de raisons, qui vont,
donc, se présenter devant des arbitres de griefs qui vont devoir rendre des décisions qui vont, par la suite,
être portées en révision judiciaire, fort probablement jusqu'en Cour suprême. Alors, tout ce contexte-là, pour
nous, on y voit évidemment un impact important dans nos milieux en
termes de climat de travail, en termes de difficultés de gestion.
On parle de
directions d'établissement qui n'ont pas été recrutées pour gérer des conflits
juridiques, hein, qui sont là — et on le leur dit — pour
gérer évidemment la réussite éducative, aider évidemment la réussite éducative
et gérer la pédagogie. Et donc, c'est sûr que de leur demander, dans certains
cas, évidemment, ce n'est pas l'ensemble des
écoles du Québec, mais, dans certains cas, d'être au coeur de ces débats-là, de
gérer le fameux dialogue, qui est un concept
qui, selon nous, n'est pas clair, et de devoir procéder quand même
à un processus, là, de mesures disciplinaires qui peut être lourd et fastidieux… Et on a une jurisprudence abondante, en éducation, où on sait évidemment
ce que c'est que de mettre fin à un lien d'emploi dans le cadre des mesures
disciplinaires. C'est excessivement coûteux
et c'est excessivement long parce
qu'on a des organisations en face de nous qui ont les moyens évidemment de contester et de porter ces contestations à des
niveaux supérieurs, et, en plus de ça, donc, tout ça dans un contexte où il n'y
a pas un consensus social, là, absolu. Alors, c'est sûr que c'est sur cette
base-là que, nous on dit : De demander aux gestionnaires scolaires de
faire cette gestion-là…
Et
je vous rappelle que, on le souligne dans notre mémoire, nous serons les
premiers à aller au bâton parce
que les universités, les hôpitaux auront un délai de grâce plus grand que nous.
Et donc nous serons les premiers à faire les frais — c'est
le cas de le dire — un
peu des tests, là, qui seront portés devant les tribunaux. Alors, c'est à ce
niveau-là qu'on parle d'inapplicabilité
dans le cadre actuel des choses. Et, comme le disait Mme Bouchard, on ne se
prononce pas sur pour ou contre, mais on se prononce sur le fait que, de
devoir appliquer ça demain matin, ce sera particulièrement difficile en éducation.
Mme Weil :
Ce qu'on remarque dans le cadre de cette consultation, c'est que la population québécoise
et les intervenants sont très, très
divisés sur cette question. Beaucoup sont contre l'interdiction. Même ceux qui sont
pour disent : Il vaudrait mieux scinder le projet de loi, aller sur
ce qui fait consensus, notamment les balises. Il y a tellement un consensus
là-dessus. Nous, ça fait au moins trois ans qu'on en parle
que des organismes veulent des balises claires pour aller de l'avant. C'est le plus important. Pensez-vous
que ce serait intéressant, qu'on devrait scinder pour adopter ce qui
fait consensus, la neutralité religieuse de l'État et des balises claires afin
d'aller de l'avant?
Mme Bouchard (Josée) : La fédération, vous comprenez, n'a pas réfléchi à cette
hypothèse-là. Alors, c'est vous, Mmes, MM. les députés, qui allez avoir
le plaisir de trancher cette question.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci. Il reste à peine 40 secondes, mais…
Mme
de Santis :
O.K. Alors, le ministre nous a dit que le projet de loi est clair. Sauf
que l'article 5 parle de signes ostentatoires. «Ostentatoire» n'a aucune définition encore. Il y aura des règlements du gouvernement qui vont
nous dire c'est quoi, un signe ostentatoire. Et ça va être encore à vous
de déterminer si, oui ou non, quelqu'un porte un signe ostentatoire. Ça va ajouter au débat et aux coûts. Ce qui m'intéressait
aussi, c'était de savoir, la politique de mise en oeuvre, pourquoi vous
étiez contre ça.
Mme Bouchard (Josée) : D'abord, parce qu'on pense qu'on n'a pas besoin
de légiférer là-dessus. On est capables de se donner nos propres
politiques. Voilà.
Mme Gagnon (Pâquerette) : C'est prévu dans la Loi sur l'instruction
publique qui nous régit, que la commission scolaire peut se doter de
politiques de mise en oeuvre sur n'importe quelle loi au Québec.
Le
Président (M. Ferland) : …met fin aux échanges avec la partie
de l'opposition officielle. Je vais maintenant du côté de la députée de
Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Bonjour mesdames. Bonjour messieurs, merci pour votre mémoire. J'aimerais tout de suite vous amener à la
page 11. Je vous cite : «Bien que la fédération soit d'accord avec
le devoir de neutralité imposé au personnel du secteur public, elle juge
inapplicable l'article 5 dans le contexte scolaire.»
Et là vous nous donnez plusieurs exemples où ça a coûté très, très cher, entre
autres, pour le kirpan, la bataille juridique
qui a coûté 0,5 million. Et, plus bas, vous terminez en disant : «…il
nous semble irréaliste, considérant les coûts et les difficultés d'application, de demander maintenant aux gestionnaires
des établissements scolaires de faire respecter la règle prévue à
l'article 5…»
Alors,
pour le bénéfice des téléspectateurs, l'article 5, c'est l'article qui dit
justement : Interdiction de porter des signes religieux ostentatoires. Et vous nous dites dans votre mémoire
que cet article-là, vous voulez le voir disparaître. Alors, ce que je comprends de vos propos puis ce
que vous êtes venus nous dire, c'est que c'est strictement et principalement
avec l'applicabilité pour des raisons
monétaires que vous en avez contre l'article 5. Alors, ma question est la
suivante : S'il n'y avait pas de conséquences financières pour la
fédération, pour les commissions scolaires, est-ce que vous seriez pour
l'abolition ou l'interdiction du port de signes religieux dans les écoles?
Mme Bouchard
(Josée) : Je suis contente que vous me posiez cette question.
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y, Mme Bouchard.
Mme Bouchard (Josée) : Bien, la réponse, c'est : Bien oui, ça…
Écoutez… Mais le passé nous a démontré… Je vais être bien franche avec
vous. Le passé nous a démontré qu'à toutes les fois qu'on nous a dit :
Bien oui, on va s'occuper de ça — tu sais, là, croire quelqu'un
sur parole — ce
n'est pas arrivé. Si c'est ça, là, si c'est la volonté, donc, du gouvernement, inscrivez-le, soyez clairs, encore une fois, dans la loi, prévoyez des
dispositions qui vraiment
viendront encadrer, je dirais, le financement des coûts qui seront générés par
de futures contestations, par exemple.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, si je vous comprends bien, s'il n'y avait pas de conséquences financières
pour les commissions scolaires, vous
seriez pour l'interdiction du port de signes religieux dans les écoles pour le
personnel.
Mme
Gagnon (Pâquerette) : On a encore des nuances.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, allez-y, allez-y.
Mme Gagnon
(Pâquerette) : Si vous permettez, on aurait encore quelques nuances...
Mme Roy
(Montarville) :
Allez-y.
Mme Gagnon (Pâquerette) : ...notamment sur la bureaucratie, sur la difficulté de gérer ça dans un
contexte où nos écoles… Il faut se rappeler qu'on a de très petites
écoles au Québec. On a des écoles où la direction d'école n'a pas d'adjoint, n'a pas de secrétaire à temps plein et
elle a toutes ces lois et toutes ces obligations, hein, parce
qu'on a aussi la loi pour contrer l'intimidation et on a beaucoup,
beaucoup de gestion à faire et de reddition de comptes.
L'aspect financier est très important,
comme Mme Bouchard vient de le dire. Je corrobore les mêmes propos, on n'a jamais
eu la démonstration que ces promesses-là avaient été tenues pour
appliquer une nouvelle loi. Donc, on n'y croit pas beaucoup qu'on aurait tout l'argent nécessaire
puisqu'on a plaidé pour Marguerite-Bourgeoys et pour des Chênes le financement
en tout ou en partie de ces causes-là
puis ces deux commissions scolaires là n'ont jamais eu un sou. Alors, ça, mais aussi la
lourdeur administrative que ça va imposer.
Mme Roy
(Montarville) :
Plus de paperasserie, plus de comptes à rendre, plus de redditions, plus...
Mme Gagnon (Pâquerette) : Tout ce qu'on dit qui est trop lourd dans les commissions scolaires et dans les écoles. Dans le fond, on a là, devant nous... En plus, madame posait la question
sur la politique de mise en oeuvre alors qu'on a tous les moyens, tous les outils dans notre réseau pour
mettre en oeuvre une nouvelle loi sans avoir à se doter d'une
nouvelle politique de reddition de comptes.
Mme Roy
(Montarville) :
Il me reste un peu de temps?
Une voix :
...
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Je vous amène à la page 22 de votre mémoire. À la fin, vous
dites : «…la fédération est d'avis que les commissions scolaires
devraient être autorisées à prolonger la période transitoire actuellement
d'une année, tout comme les collèges et les universités
peuvent le faire.» Pourriez-vous élaborer? Pourquoi vous voulez plus de
temps?
Mme Bouchard
(Josée) : …faudrait demander plutôt au gouvernement pourquoi il a
prévu une différence entre les réseaux. On ne comprend pas puis…
Mme Gagnon (Pâquerette) : On a la même question pour l'enseignement privé; on ne comprend pas. Ça, c'est une réponse que nous n'avons pas
trouvée. On a tenté de le trouver, pourquoi cette différence entre les enfants
qui fréquentent le réseau privé, qui sont
des citoyens à part entière comme dans le public, et pourquoi
cette différence entre le collège et l'université, en termes de délai. Et la différence est énorme, hein? On
parle d'une année plus quatre. Puis, pour nous, il n'y a aucune
extension.
Mme Bouchard
(Josée) : Tout à l'heure, Me Tremblay a bien expliqué, hein, ce que ça
peut entraîner pour notre réseau, le fait que, bien, on soit les premiers à
passer à la caisse, dans le fond, là.
Mme Gagnon
(Pâquerette) : On va tracer la voie, hein?
Mme Bouchard
(Josée) : Voilà. Alors, là encore, on vous demande d'y réfléchir.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, ceci met fin au temps imparti à la députée de Montarville. Je vais du côté du
député de Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs, fort
intéressant. On va continuer dans la même veine. J'avais à peu près la même question que la députée de Montarville. Donc,
effectivement, on comprend bien que ce n'est plus juste pour une logique d'applicabilité, de recours judiciaires,
surtout pas… vous ne vous êtes pas prononcés contre le fait que l'article 5 pourrait atteindre la liberté de
conscience et de religion, comme semblait le dire notre collègue de LaFontaine.
Moi,
je ne suis pas juriste, mais je vous ai entendu dire, tantôt : Dans le
contexte actuel, tel que c'est actuellement… Puis Mme Bouchard a fait
référence à la charte des droits et libertés canadienne. Je vais vous poser
peut-être une question que les gens à la maison qui ne sont pas juristes, comme
moi, pourraient se poser la question.
Dans
le projet de loi, d'une part, on voterait une loi, là, en supposant qu'elle
serait dans sa forme actuelle, là. Le projet de loi prévoit une
modification de la Charte des droits et libertés québécoise, donc, pour que ça
tienne la route justement, peut-être… de contestation. Et on a beaucoup dit au
ministre ici : Bien, s'il le faut — parce qu'il pourrait y avoir contestation, j'imagine, en fonction de la
charte des droits et libertés canadienne — il devrait y avoir la clause
«nonobstant» qui s'applique.
Alors, écoutez, éclairez-moi, là. Je
ne suis pas un juriste. Si toutes ces conditions-là sont rassemblées, est-ce
que ça vient d'une part diminuer les
risques? Est-ce que ça vient diminuer les coûts? Est-ce que ça a un impact...
Moi, je suis plus là pour me faire
éclairer. Je ne suis pas un avocat, je ne suis pas un juriste puis je pense que
le papa puis la maman à la maison voudraient peut-être comprendre cet
aspect-là aussi.
• (18 heures) •
M.
Tremblay (Bernard) : Écoutez, il y a d'éminents juristes, hein, qui
sont passés ici, et qui vont vous éclairer, et qui pourront vous donner
des avis sur cet aspect-là. Je pense qu'effectivement le test de la loi par
rapport à la charte canadienne sera un test
important. Et effectivement on peut se poser des questions par rapport à l'opinion des tribunaux dans ce
contexte-là.
Mais
notre commentaire, nous, il visait plus, quand on parle
d'inapplicabilité ou de difficulté d'application…
il portait à la fois sur des aspects très, très
pratiques, comme je le disais, le dialogue et la question des mesures
disciplinaires et de ne pas prévoir clairement qu'il s'agit d'une exigence de
l'emploi. Donc, dans notre esprit, si c'est une exigence de l'emploi, tu n'y réponds pas, tu n'es plus admissible
à ton emploi, et on n'a pas besoin de t'accompagner par une gradation
des mesures disciplinaires. C'est dans cette perspective-là que, pour nous, au
niveau juridique, il y a des risques de contestation.
Au-delà de
la contestation par rapport à la loi versus la charte canadienne, mais il y a
aussi, comme on le disait par rapport à la bureaucratie, le fait qu'avec
des coûts de gestion, vous le savez, de 4,6 %, les commissions scolaires ont peu d'effectifs administratifs pour diriger,
évidemment, le personnel syndiqué. Alors, de demander, dans une école,
par exemple, de l'Ouest de Montréal qui est
composée présentement d'un ensemble d'individus, au niveau du service de
garde, au niveau des enseignants, au niveau
du personnel professionnel, peut-être avec 50 %, 60 % de gens qui
portent des signes religieux
ostentatoires présentement, de demander à une personne, qui est la direction de
l'école, de devoir gérer, demain matin,
l'accompagnement de ces gens-là, le dialogue avec ces gens-là et éventuellement
la sanction de ces gens-là, vous imaginez ce que ça représente. Alors,
c'est de ça aussi dont on parle ici et c'est de ça dont on parle quand on parle
de la difficulté d'application de l'article 5 et de l'article 14.
M.
Ratthé : …une charge
qui évidemment… ça pourrait être lourd. Et c'est dans cet
angle-là que vous abordez de façon bien spécifique l'article 5. Ce qui m'étonne,
c'est que vous dites : On devrait le retirer, mais en même temps, vous nous dites, bien…
Des voix :
…
M.
Ratthé : C'est parce que
vous n'avez pas trouvé la solution. Voilà. O.K. Donc, dans
l'applicabilité, là, vous n'avez pas
de suggestion à nous faire encore, mais, si on en trouve, bien,
à ce moment-là, il
faut être cohérent, il faut être clair, et vous êtes ouverts
aux différentes suggestions.
Alors,
écoutez, je pense que ça clarifie vraiment votre point par rapport à, des fois, ce qu'on essaie d'imputer aux gens qui viennent nous voir, et, pour moi, là,
c'est très clair. Je vous remercie beaucoup de nous avoir déposé ce mémoire. Merci, M.
le Président.
Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Ceci met fin à la période d'échange. Alors, Mme
Bouchard, Mme Gagnon, M. Guimont et M. Tremblay, je vous remercie pour
la préparation du mémoire et d'être venus vous déplacer pour le présenter.
Avant
de suspendre, je veux juste mentionner aux parlementaires que vous pouvez
laisser vos documents ici. La salle sera sécurisée pendant
l'heure du souper. Alors, on suspend.
(Suspension de la séance à
18 h 3)
(Reprise à 19 h 32)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! La commission
va reprendre ses travaux. Ce soir, nous recevons les représentants de la
Communauté des druides du Québec.
Alors,
je vais vous demander de vous présenter et ainsi que la personne qui vous
accompagne, en vous mentionnant que
vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, et suivra une période
d'échange avec les parlementaires d'une durée de 50 minutes. Alors, je vous
cède la parole, et vous présentez celui qui vous accompagne.
Communauté des druides du Québec
M. Boutet (Michel-Gérald) : Merci, M.
le Président. M. le premier ministre… M. le
ministre, excusez, Mmes et MM. les députés. Je m'appelle Michel Boutet, je vous
présente Réal Genest, président et vice-président de la Communauté des druides
du Québec. M. Genest va vous présenter un peu ce à quoi on voulait parler ce
soir.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. Genest, la parole est à vous.
M. Genest (Réal) : Oui. Alors, nous, nous ne sommes pas des légalistes, hein, alors nous
voulons tout simplement vous faire
savoir pourquoi nous supportons, nous appuyons la charte. Il y a trois points,
en fait, sur lesquels nous nous appuyons. Le
premier point est, à notre avis, que toute société ou tout État doit se bâtir
autour d'une structure légale, de savoir, de
connaissance, de rationnel, de logique. Et ça, c'est la structure qui doit
normalement, à notre avis, représenter
la société. De l'autre côté, avec la population, il y a une présence des
mythes. Les religions sont des mythes, et ces
mythes-là ne doivent en n'aucun temps venir et influencer, ou exercer un
certain pouvoir, ou avoir des ramifications avec
l'État. Ici, au Québec, sur le plan de notre démarche, nous demandons à ce que
le droit, la primauté du droit ne soit
pas placée au même niveau que le mythe religieux, et donc on doit maintenir une
laïcité authentique à l'État.
Ça, c'est les trois
points sur lesquels on veut discuter. Comme on dit, on n'est pas des légalistes,
donc. En tant que druides, nous appartenons
à une longue tradition, et notre mission actuellement est de faire
découvrir chez les Québécois, chez nos concitoyens leurs racines
celtiques. La Communauté des druides existe depuis, quoi, 12 ans maintenant?
10 ans? 12 ans?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : 2004.
M. Genest (Réal) : 2004. Et notre démarche a été constamment d'instruire nos concitoyens
sur leurs traditions celtiques. Et,
en tant que tradition celtique, ils ont aussi une tradition… ils ont aussi une
spiritualité qui n'a rien à voir avec la religion. Et c'est actuellement ce que l'on est en train de faire découvrir tranquillement à nos concitoyens. Alors, on
n'est pas opposés aux religions, on s'entend
bien, on n'est pas en guerre contre aucune religion. La seule chose, c'est
qu'on veut que l'État demeure laïque et qu'en aucun temps le religieux soit
hissé au même niveau que le savoir, la connaissance et le rationnel. Michel?
M. Boutet (Michel-Gérald) : C'est ça. Aussi, il faut savoir que toutes les
religions sont porteuses de cultures, et ces cultures, en fait, sont à l'origine de ces systèmes religieux. Et il
n'y a pas une seule religion sur la planète qui peut se dire universelle. Peut-être qu'une charte peut
être universelle en ce qu'elle encadre, finalement, la société ou les
besoins de l'homme, mais la religion ne peut pas le faire.
Par
exemple, la charte canadienne, dans le préambule qui stipule «attendu que le
Canada est fondé sur les principes qui
reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit», c'est que
finalement on met… On le sait, on est dans une constitution monarchique.
Le fait que Dieu et le droit sont placés d'une façon juxtaposée comme ça, pour
nous, ça nous apparaît aberrant et
discriminatoire, hautement discriminatoire parce que, premièrement, on sait que
Dieu, c'est le dieu judéo-chrétien,
qu'il a une histoire, un fondement, c'est-à-dire qu'il a été créé à un certain
moment par un certain besoin, un peuple l'a créé parce que finalement ça
répondait à un mythe fondateur qui pouvait rallier, finalement, ce peuple-là,
mais ce n'est certainement pas…
C'est un personnage
de fiction. Donc, la mythologie, c'est toujours une fiction, ce n'est pas la
réalité. Donc, c'est un personnage de
fiction, mais ce n'est pas l'entité religieuse ou la conception de l'entité
divine que nos compatriotes ou
cousins amérindiens ont quand ils parlent de Gitchi Manitou, le grand esprit,
c'est une entité complètement différente. Par exemple, quand on parle de l'Être suprême dans d'autres traditions,
que ce soit chez les anciens Européens de l'époque de l'Antiquité, que ce soit chez les bouddhistes
ou chez les hindous, le personnage ne fonctionne pas de la même façon, ce n'est pas les mêmes mythes qui l'encadrent puis
ce n'est pas le même théâtre spirituel… même théâtre sacré, donc ce
n'est pas le même univers qui est là, qui est décrit là.
Donc,
là, on soumet, finalement, toute une population à une entité culturelle créée
et on les met finalement sous la jurisprudence de cette charte-là,
finalement, qui, elle, stipule que cette entité-là, elle est suprême. Il est
évident qu'un personnage fictif ne peut pas
répondre à ces actes. C'est une entité abstraite, ça reste dans l'imaginaire
des êtres qui l'ont créée. Donc, à ce
niveau-là, selon nous, la charte canadienne est hautement discriminatoire, puis
d'autant plus que, si on se réfère à ces
textes-là, les textes de ces traditions-là, les mécréants ou les non-croyants
sont perçus comme des idolâtres, sont stigmatisés, sont catalogués et
puis sont diabolisés et très mal vus par les croyants les plus intègres, là, de
ces traditions-là.
Donc, il est évident
que la plupart, on l'a dit, la plupart des croyants sont capables de
relativiser. La majorité des gens sont
capables, à partir de leurs textes sacrés, de dire : Bon, c'est sûr qu'il
y a des passages, là, qui sont très haineux envers un peuple ou envers certaines
personnes. C'est sûr qu'on est capables de contextualiser puis de mettre ça à une autre époque. Mais, de plus en
plus, il y a des gens dans notre société qui ne sont pas capables de faire cette
part-là et qui vont lire le texte d'une façon intégrale. Mais ce n'est pas une
petite minorité infime, parce que ces
courants-là sont internationaux, très bien organisés. Bien, évidemment, on ne
les retrouve pas seulement que dans un des monothéismes. On les retrouve dans
tous les trois monothéismes. Et il y en a qui sont peut-être plus visibles
que d'autres puis plus bruyants que d'autres. Mais disons que, si on veut
mettre l'État à l'abri de ce genre de message
de propagande… Parce que, finalement, dans le fond, ce qui est voulu là, c'est
s'accaparer, finalement, du paradigme de la
réalité…
• (19 h 40) •
Le Président (M.
Ferland) : …oui, allez-y.
M. Boutet (Michel-Gérald) : … — parfait — du paradigme de la réalité dans lequel on
vit puis de nous l'imposer. Puis nous, c'est ce qu'on refuse.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci beaucoup. Nous allons maintenant aller
à la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Oui. Merci, M. le Président. Merci beaucoup. Vous
signez votre mémoire : Les signataires Boutios, Genestos…
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Oui. Ça, c'est nos noms de famille.
M. Drainville :
…et Iuos. Lequel d'entre vous est Boutios?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui. Moi, c'est Boutios. Puis, lui, c'est
Genestos. C'est nos noms de famille, en fait. On est remonté à
l'étymologie gauloise et puis, finalement, c'est la version gauloise de nos noms
français.
M. Drainville :
O.K. Donc, vous êtes Boutios?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Oui.
M. Drainville :
Puis vous, monsieur?
M. Genest
(Réal) : Boutet, Boutios…
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Boutet, c'est Boutios.
M. Genest (Réal) : Genestos, c'est
Genest. Ce sont les…
M. Drainville :
Et vous, vous êtes Genestos.
M. Genest
(Réal) : Oui. Genestos.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Genestos, ça veut dire Genest en gaulois. Puis…
M. Genest
(Réal) : Genest, c'est Breton.
M. Drainville :
O.K.
M. Genest
(Réal) : Alors, pour le besoin de l'initiation druidique, on a gardé
nos noms bretons anciens, les noms anciens.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Français, celtiques, gaulois.
M. Genest
(Réal) : C'est ça.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Un peu comme les Amérindiens font, finalement,
quand ils veulent retrouver leur identité, bon, ils vont aller le
récupérer, leur ancien nom.
M. Drainville :
Vous savez, comment dire, tous les commentaires qui ont été faits sur le fait
que des druides allaient venir témoigner.
M. Genest (Réal) : Je n'ai pas entendu, mais j'ai entendu des éléments, certains
commentaires au moment où ils ont annoncé ça. Michel a passé des
entrevues à la radio. Mais c'est toujours le même humour un peu fatigué, de dire : Est-ce que vous faites des
potions magiques? Êtes-vous comme Panoramix? Et on ignore complètement qu'il
existe depuis 500 ans un ordre officiel de
druides, que la famille royale fait partie de l'ordre des druides. Et je
ne pense pas que ce sont…
M. Boutet
(Michel-Gérald) : La reine…
M. Genest (Réal) : La reine Elizabeth et toute la famille royale font partie d'un ordre de
druides. Et des grandes familles européennes font partie des ordres des
druides. Alors, je ne pense pas qu'on soit
nécessairement des gens qui sont un peu des gens qui auraient peut-être un peu
consommé du crack, comme certains ont
dit. Ce n'est absolument pas ça. La tradition druidique remonte à la vieille
tradition celtique. Michel est un spécialiste, ici, de la tradition
païenne en Nouvelle-France. Alors, ce sont toutes des choses que la plupart des
Québécois ignorent parce que, les Québécois, il y a tout un pan de notre
culture qui a été occulté par les historiens.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Si vous permettez, M. le ministre…
M. Genest
(Réal) : Ça, c'est notre spécialiste.
M.
Drainville : Oui,
oui, oui. Parce que, dans le fond, je pense, moi, avant d'aller sur la charte,
je pense qu'il faut d'abord
comprendre c'est quoi, le druidisme, puis pourquoi vous sentez le besoin de
nous faire découvrir ce que c'est que le druidisme. Vous autres, vous,
vous êtes deux druides, là? Est-ce que vous vous considérez comme des druides?
M. Genest (Réal) : Oui.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui.
M. Drainville : Oui?
M. Boutet (Michel-Gérald) : On a été
initiés par des Bretons…
M. Genest (Réal) : Et l'ordre
druidique, l'ordre de Bretagne existe depuis quoi? Peut-être 1700, 1600?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Bien, je
peux vous donner des dates, si vous voulez, puis des… En fait, la raison
pourquoi ce n'est pas très connu, c'est
parce que ça a été une société secrète
jusqu'en 1717. En 1717, il y a eu, finalement, un appel au pays de Galles puis à Londres, et là il y a
deux groupes qui ont répondu à l'appel. Donc, il y a l'institution du bardisme, les collèges bardiques, et la
franc-maçonnerie. Nous, on a fonctionné parallèlement. Il y a des druidisants qui font partie de la franc-maçonnerie, comme il y en a,
chez les druides, qui sont des francs-maçons. Et, en Bretagne, vers… Bon. Au pays de Galles, il y a
eu, finalement, l'institutionnalisation de l'ordre, ça s'est fait
appeler la Gorsedd, qui veut la chaire, et
puis c'est cette même chaire du pays de Galles qui, elle, va introniser
des membres de la famille royale ou
des membres du Parlement britannique comme Winston Churchill, il a été un grand
druide aussi. Au pays de Galles…
Donc, c'est passé du pays de Galles, en Bretagne en 1900, en 1900 exactement.
Les Bretons ont demandé, finalement, d'être rattachés à la Gorsedd du
pays de Galles, c'est devenu la Goursez bretonne.
Et puis nous,
la raison pourquoi qu'on s'est ralliés à ça, c'est que, dans notre
jeunesse, on cherchait, finalement, une voie spirituelle. On s'est fait dire par plusieurs, par exemple, quand on allait voir les autochtones, ces choses-là : Pourquoi
vous ne revenez pas à vos traditions? Et c'est un peu ce qu'on a fait. On est
allés voir auprès de ces gens-là
et puis on s'est rendu compte c'est un enseignement qui est extrêmement riche et profond,
et puis qui est hautement philosophique, et puis qui a toujours été là, mais comme une société secrète, mais qui
est devenue semi-secrète. Puis, tranquillement, dans les années 1970,
c'est devenu un peu plus public, avec les événements puis les manifestations qu'il y a eu autour de Stonehenge. La presse s'en
est… de ça à ce moment-là. Mais, après le 11 septembre, la plupart des
francs-maçons puis des druidisants ont décidé qu'il était temps d'en finir avec
le secret puis de s'ouvrir au monde.
M. Drainville : Donc, là, excusez-moi si je résume à outrance, là, vous me corrigerez.
Mais est-ce qu'on peut dire
que le druidisme, c'est une forme de spiritualité non religieuse?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : C'est
qu'on est un peu comme le bouddhisme, en fait. Parce que, finalement,
les druides, c'étaient des savants. Et puis la religion des druides, c'était
une religion qu'on appelle moniste, donc une sapience,
une philosophie, donc, druide. «Dru»,
ça veut dire «dru» comme quand la pluie tombe drue, le nom, c'était du gaulois, mais c'est resté le même mot en français,
puis «uid», qui veut dire «savoir», donc c'était le savoir dru, donc le savoir des docteurs. Et ces gens-là ont continué à
être actifs tout le long du Moyen Âge. Puis nous, notre lignée, elle
procède justement des collèges bardiques qui existaient au Moyen Âge. Et
c'est sûr qu'il y a une filiation depuis l'Antiquité, mais, pendant 1 000 ans, il y a eu un besoin de se protéger, donc
il y a eu un recul. La plupart des gens ont choisi de garder le secret, puis, bien, l'enseignement se faisait,
à ce moment-là, dans des endroits assez reculés ou dans le secret du
politique pour se protéger parce qu'il y a eu les chasses aux sorcières,
l'Inquisition, et on en passe.
Mais, comme
je vous dis, le monisme, donc, c'est sûr que c'était une vision qui voit
l'esprit divin comme quelque chose
qui n'est pas une entité, qui n'est pas une personnalité, qui n'est pas un être
qu'on peut vraiment palper ou voir, c'est une énergie ou une force
cosmique, un peu comme dans le bouddhisme. Mais, effectivement, le bouddhisme
et le druidisme ont quelque chose en commun,
c'est que c'est deux formes philosophiques et spirituelles qui viennent
des Indo-européens; donc Indo-européens, Inde et Europe. Et nous, on parle une
langue indo-européenne. Le français, c'est une langue indo-européenne, comme
l'anglais l'est. Puis c'était, finalement, la spiritualité ou la philosophie de
l'Antiquité qui a continué tout le long du Moyen Âge puis qui était en
résistance au christianisme et continue à être résistante aussi. En gros, c'est
ça.
M. Drainville : Parce que je
n'ai pas beaucoup de temps, malheureusement, mais je veux juste…
M. Boutet (Michel-Gérald) : Non. En
gros, c'est ça.
• (19 h 50) •
M.
Drainville : …lire,
là, pour les qui nous écoutent… Parce que moi, je ne dois pas être le seul à me
poser des questions, là.
Alors : Notre credo… C'est votre credo, je vais le citer, c'était dans votre mémoire : Fais-le bien et pratique l'honneur, la vérité et le courage!. «Notre méthode, outre l'observation et la participation aux cérémonies, consiste
en des lectures dirigées, du tutorat, de la
recherche personnelle, des travaux, des ateliers et séminaires, une ascèse
personnelle, yoga, méditation et arts martiaux celtiques — je ne
savais pas que ça existait, des arts martiaux celtiques — et
une alimentation équilibrée, de préférence végétarienne.
«Pour
participer, aucune expérience ou connaissance requise en matière de
celtodruidisme, seul compte l'élan du coeur et le désir sincère de
partager et d'approfondir cette expérience spirituelle en lien avec les forces
divines de la nature.» Donc, c'est le lien
avec la nature, pour vous. Le sacré est dans le lien avec la nature, pas dans
le lien avec un dieu.
M. Boutet (Michel-Gérald) : C'est
ça.
M. Drainville : C'est ça?
M. Genest (Réal) : C'est exactement
ça. Nos rituels se déroulent en pleine nature.
M. Drainville : Oui, oui,
oui.
M. Genest (Réal) : Les rituels se
font… Il y a un feu. Et il y a le calendrier celtique, qu'on appelle, tous les équinoxes, les solstices. Et souvent on fête les
solstices avec nos frères Amérindiens. Alors, très souvent, il y a un
partage parce qu'on fête exactement les mêmes solstices et on a la même
démarche spirituelle qu'eux.
M.
Drainville : C'est
intéressant. C'est intéressant. Alors, il me reste quelques minutes encore, M.
le Président, n'est-ce pas?
Le Président (M. Ferland) :
Oui, il reste encore...
M. Drainville : Quatre, cinq
minutes, certain.
Le Président (M. Ferland) :
12 minutes, presque.
M. Drainville : 12 minutes?
Le Président (M. Ferland) :
Oui.
M. Drainville : C'est le gros
luxe! Alors, allons sur le fond des choses. Vous dites, au tout départ de votre
mémoire : «La Communauté des druides du
Québec est en faveur de la charte de la laïcité. Le druidisme a toujours
été attaché aux principes de la liberté de
conscience et du libre arbitre à l'abri de tout… — excusez-moi, la journée avance — à
l'abri de tout exercice de prosélytisme religieux explicite ou implicite.»
Alors, laissez-moi vous demander : Est-ce
que le port d'un signe religieux, pour vous, c'est du prosélytisme religieux?
Et, si oui, est-ce que c'est explicite ou implicite?
M. Boutet (Michel-Gérald) : C'est
explicite, parce que c'est manifesté d'une façon visuelle...
M. Drainville : Apparente.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Apparente.
Donc, on touche, à ce moment-là, à la représentation puis aux symboles. Et puis c'est sûr que les symboles ne sont pas
neutres ni, disons, innocents puis qu'il y a toute une tradition qui est
derrière ça. Puis il faut toujours se
référer, finalement, aux écrits. Alors, si on se réfère aux écrits, à ce
moment-là, on a accès à ce que le
symbole veut dire. Alors, ce n'est pas un symbole, à ce moment-là, qui est
innocent. Alors, le symbole, il serait innocent s'il était vide de tout
contenu.
M.
Drainville : J'essaie
de comprendre… Bon. Là, enfin, on a une meilleure idée un peu des fondements,
je dirais, philosophiques de votre mouvement. J'imagine qu'on peut
parler de mouvement?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui.
M. Drainville : Maintenant, je
me fais un peu l'avocat du diable, mais vous pourriez tout aussi bien, diront certains, vous ranger du côté des communautés
religieuses, qui voient, dans la charte de la laïcité, une attaque à leurs
droits.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui.
M.
Drainville : Hein?
Certains pourraient dire : Bien là, ils sont dans le spiritualisme ou dans
la spiritualité, donc leurs alliés naturels, ça devrait être les
personnes qui sont croyants ou croyantes et qui plaident pour la liberté de religion, y compris le droit de l'afficher même si
on est au service de l'État. Et donc pourquoi vous vous démarquez, je vous dirais, de cette filiation religieuse?
Pourquoi? Pourquoi vous êtes pour la charte, alors que, jusqu'à maintenant,
toutes les communautés religieuses, si je ne
me trompe pas, celles qui se sont prononcées, en tout cas, se sont prononcées
contre?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui,
nous, on est vraiment une communauté religieuse, effectivement.
M.
Drainville : C'est-à-dire vous l'êtes au sens de la loi, là?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui. Puis aussi on l'est aussi dans le sens que,
finalement, il y a du contenu religieux dans nos enseignements. Mais
juste très rapidement...
M. Drainville :
O.K., mais, attention, là! Est-ce que vous vous définissez comme une communauté
religieuse ou pas? Je ne parle pas de votre régime fiscal, là.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Oui, oui.
M. Genest (Réal) : Religieuse dans le sens de «religare», et non religieuse dans le sens
de foi envers un divin. Ce qui est
religieux pour nous : la terre est sacrée, la terre de nos ancêtres est
sacrée, l'environnement est sacré. Et ça, c'est la forme... c'est ce qu'on peut appeler la religion
des druides, mais ce n'est pas le mot «religion» dans le sens qu'on suit
une théologie envers une divinité, absolument pas. Alors, c'est une
spiritualité, point.
M. Drainville :
Oui, oui, O.K. Alors, sur le fond...
M. Genest
(Réal) : Mais, étant donné que, quand on s'est inscrits...
M. Drainville : …alors, sur la question que je vous pose, où est-ce que
vous tirez… Vous êtes dans l'autre camp, dans le fond.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui, c'est ça. Parce que ça tient à notre
histoire, finalement, tout ça, notre mise à l'écart qui a duré
1 500 ans puis aussi le fait qu'on a fait un grand bout de chemin
avec les francs-maçons puis qu'on est
revenus pendant les Lumières, puis c'est avec les Lumières qu'on s'est révélés
à la clarté, à la lumière du jour.
M. Drainville : Peut-être que je me trompe encore une fois, puis
corrigez-moi, là, je pars de zéro, là. Mais est-ce qu'on
peut dire que l'une des raisons pour lesquelles vous n'êtes pas dans le même
camp que les communautés religieuses, disons,
organisées, là, c'est que vous avez été, à travers l'histoire, un peu les
victimes de ces communautés-là, n'est-ce pas? C'est ça?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Voilà. Exact. Exact.
M. Genest (Réal) : Mais il y a autre chose aussi, c'est que les druides, la
philosophie, l'approche des druides a toujours été appuyée sur la science. «Druide», ça veut
dire «homme de science». Et notre credo, c'est avant tout la science.
Alors,
je vais vous donner une petite phrase que j'ai entendue cette semaine qui va,
en quelques mots, vous résumer exactement
ce que c'est les druides. D'accord? Il y a un monsieur qui a dit... C'est un M. Tesson, et malheureusement je n'ai
pas le... mais c'est un philosophe. Il disait : «Le moment le plus
spirituel et le plus scientifique, c'est lorsque le disque solaire se
lève à l'horizon, que la fleur ouvre sa corolle et reçoit les premiers photons
de lumière.» Vous avez là la vie,
vous avez le mystère de la vie, vous avez là la spiritualité et vous avez là la
science. Et les druides ont toujours
été du côté des sciences. Et les Grecs disaient : «Les hommes les plus
instruits de notre époque, ce sont les druides», parce que les druides,
c'étaient des hommes de science, c'étaient des philosophes...
M. Drainville :
Juste des hommes, en passant? Il n'y avait pas de femmes druides?
M. Genest
(Réal) : Oui, oui. Ah oui!
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Il y a des prêtresses... des druidesses.
M. Drainville :
O.K.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Oui. Et, chez les Celtes, les hommes et les femmes
étaient en parfaite égalité.
M. Genest
(Réal) : Égalité.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Et même, encore, les femmes de cette époque-là,
les femmes, en Gaule, avaient plus de droits que même nos femmes d'aujourd'hui.
M. Genest
(Réal) : Bien, à Paris, un des grands druides, c'était une druidesse,
en fait.
M. Drainville : O.K. Alors, pourquoi la laïcité est importante pour les druides? Pourquoi
les druides appuient la laïcité? En quelques phrases, là.
M. Boutet (Michel-Gérald) : C'est
pour le vivre-ensemble surtout. C'est-à-dire que ça crée un espace qui est
neutre puis qui permet à toutes les...
M. Drainville :
Croyances.
M. Boutet (Michel-Gérald) :
...toutes les croyances de pouvoir coexister en harmonie. On l'a vécu, tout le monde,
on a tous vécu des moments dans notre milieu de travail ou avec des collègues,
où, finalement, on sentait, là, qu'il y avait
une influence, là, de la religion qui cherchait à nous ramener de leur bord.
Mais c'est justement pour éviter ça.
Mais nous, on
ne prêche pas de dogme, on questionne. C'est ça qu'on fait. Nous, les druides,
on n'a pas de dogme, mais on
questionne. On n'a que des questionnements.
Et on se questionne beaucoup sur : Quels sont les motifs derrière
cette volonté presque maladive de vouloir s'afficher publiquement? Qu'est-ce
qu'il y a derrière ça? Pourquoi tiennent-ils tant que ça à s'afficher?
M. Drainville : Quelle
réponse donnez-vous à cette question?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Bien,
nous, on a été 1 500 ans à ne pas pouvoir le faire. Puis on est
capables de le faire encore sans problème.
M. Genest
(Réal) : Je m'engage, moi,
là, je n'engage pas l'ordre. Pour moi, c'est du colonialisme culturel, ce qu'on essaie de faire. Parce que,
dans du colonialisme... c'est-à-dire, dans le sens que vous arrivez avec une tradition religieuse, avec une
religion... Parce que le Québec a été colonisé religieusement, l'Europe
a été colonisée par la religion. Ça a été
une forme de colonisation. Et ce qu'on essaie de faire actuellement, c'est une
forme de colonisation. Et là, nous,
on se dit : En 2014, il faut éviter ça. Que chacun s'habille selon sa
tradition religieuse, il n'y a aucun
problème, jamais les druides ne vont critiquer ça. Mais il ne faut pas que la
religion devienne une espèce de pénétration
dans l'écorce pour essayer d'atteindre autre chose, pour aller chercher
d'autres pouvoirs. Et ça, actuellement, c'est ce qui nous fait peur. On
veut que l'État, on veut que la cité demeure laïque, et c'est ça.
• (20 heures) •
M.
Drainville : Parce que
vous souhaitez, justement, le respect de toutes les croyances et de toutes les
non-croyances?
M. Genest (Réal) : Voilà. Et on veut
que le savoir, la connaissance demeure primauté.
On ne voudrait pas, à un moment donné, que vous soyez à Université de
Montréal — moi,
c'est parce que je viens de
l'Université de Montréal — et que quelqu'un arrive et qu'il dise : Bien, moi, selon ma
religion, la création s'est faite à
partir de la Genèse, et là j'aimerais pouvoir exprimer mon identité religieuse
pour obtenir un diplôme en sciences. Et
là il faudrait accepter, à l'université, le créationnisme. Ce serait absolument
aberrant. Ça ne se fait pas, on ne peut pas faire ça. Il faut que le système soit bâti sur des connaissances, sur un
véritable savoir, un savoir qui se partage de tous. Si vous voulez
croire à la Genèse et vous voulez croire au créationnisme, libre à vous, mais,
si vous voulez aller chercher un diplôme à
l'université, vous allez devoir étudier de la génétique, de la cosmologie, vous
allez devoir étudier de l'astronomie, de la physique, de la physique
quantique. Et c'est ça. Les druides ont toujours été très près de ça.
M. Drainville : À la page 5
de votre mémoire, vous parlez de la diffusion des doctrines religieuses et vous
abordez la question des rituels, que vous assimilez, si je comprends bien, à
une sorte d'endoctrinement. Et là vous écrivez : «Cette portion de
l'endoctrinement est efficace à deux périodes; [premièrement] chez l'enfant où
l'esprit est incapable de faire la part des choses et remettre en question les
concepts qu'on lui impose et [deux] souvent quand l'individu est dans une phase
très vulnérable…»
Il y a
beaucoup de personnes qui sont opposées à la charte, qui ne voient absolument
la nécessité d'interdire le port de
signes religieux chez les enseignants, enseignantes ou chez les éducatrices en
garderie. Nous, on pense que c'est très important, notamment pour, je
dirais, respecter les droits de l'enfant. Où est-ce que vous êtes là-dessus,
vous?
M. Genest (Réal) : Michel, c'est un
enseignant. Vas-y.
M. Boutet
(Michel-Gérald) :
Parfaitement d'accord. Moi, je suis un retraité, retraité de l'enseignement. Il
y a…
M. Drainville : C'est quoi
l'impact d'un signe sur un enfant?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : C'est
majeur. C'est majeur. C'est aussi fort qu'un enfant, à un moment donné,
qui passe en auto avec ses parents, puis qui
passe devant le gros M, McDonald illuminé, puis qui voit ça, puis qui
dit : Papa, est-ce qu'on peut
aller là? Bien, là, il faut gérer ça. Mais, là, expliquer à un enfant que, bon,
il y a ce signe-là, puis ça, c'est autre
chose : Nous, on ne va pas là… Mais, selon moi, le fait que… bien, l'enfant…
D'ailleurs, on en parle, finalement, quand
on parle de défense des droits des enfants, l'enfant vit dans la culture
familiale, il peut avoir une interaction avec ses parents. Dans le milieu scolaire, il en a aussi,
et ce n'est pas vraiment au milieu scolaire, finalement, d'envoyer des
messages contradictoires à droite puis à
gauche, surtout que, là, on a affaire à des systèmes, des constructions
mythologiques qui ne sont pas du
domaine de la réalité. Et puis c'est sûr qu'un enfant va dire : Oui, mais est-ce
que le père Noël existe? C'est comme demander finalement : Est-ce
que Dieu existe ou est-ce que Jésus existe aussi? Selon nous, il faut
soustraire l'enfant de certaines influences qui viennent de d'autres, qui ne
sont pas celles nécessairement de la culture familiale.
Le Président (M. Ferland) :
Environ 20 secondes, M. le ministre, pour…
M.
Drainville : Bien,
écoutez, merci. On aura appris des choses. C'est clair puis… Bien, vous aurez
fait notre éducation sur le druidisme ce soir, je pense qu'on n'a pas
perdu notre temps.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, le temps étant écoulé,
je vais céder la parole au député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Boutet et M. Genest,
d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire, de l'avoir présenté
aujourd'hui à la commission et d'avoir répondu aux questions notamment du ministre,
que vous avez beaucoup, beaucoup intéressé aujourd'hui, le ministre du Parti
québécois. Je pense qu'il est important de voir, à l'intérieur de votre
mémoire, entre autres, la liberté de conscience, le libre arbitre également, le
respect de la diversité. C'est ce que je retiens, moi, de votre message, puis
je vous remercie de l'avoir porté. Et, M. le Président,
avec votre permission, je sais que ma collègue aurait quelques questions… de
Bourassa-Sauvé. Merci beaucoup.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je cède la parole. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme de Santis : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci d'être venus. La laïcité, c'est quand l'État est neutre vis-à-vis
une croyance et une non-croyance. Il n'y a pas de religion ou de croyance qui
est privilégiée. Quand je vous écoute, j'ai
presque l'impression que vous voulez que l'État privilégie la non-croyance.
Vous dites vous-même dans votre mémoire que les religions entretiennent des mythes qui sont très souvent
en contradiction avec la connaissance
scientifique. Et d'autres commentaires que vous faites vis-à-vis
les religions semblent m'indiquer que votre préférence, c'est que l'État
ne soit pas neutre mais qu'en effet privilégie la non-croyance.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : …vous
savez, le fait de croire ou de ne pas croire qui est important,
là, ça, ce n'est pas ça, le propos, finalement. Nous, on ne propose pas
des croyances sur la place publique. Mais M. Genest, je pense qu'il avait quelque chose dans ce sens-là, au sujet de cet aspect-là, finalement, de la non-croyance, là. C'est
qu'au niveau du mythe, par exemple, dans toutes les religions, il y a
des mythes fondateurs puis il y a aussi des mythes cosmiques. Comme par
exemple, dans le christianisme, il y a
l'histoire de la naissance, de la nativité du Christ. Bon, là, on va regarder ça, puis on va se dire : C'est le
solstice, c'est la naissance d'un nouveau soleil. Bon, d'une façon
astronomique, il y a une belle histoire qui peut être racontée autour de ça, il
y a le petit Jésus qui vient au monde. Ça, c'est de la légende puis du conte.
Ce n'est pas la réalité, la marche normale dans la gestion d'un État. C'est
beau à se raconter, des contes et des histoires, ça fait dormir les enfants,
mais ça ne crée pas une paix sociale très forte.
Mme de Santis : J'aimerais vous demander… On parlait tout à l'heure des droits des enfants et qu'on ne devrait pas… on devrait s'assurer qu'il n'y a pas
d'influence religieuse à l'école. Vous savez, les enfants vivent avec leurs
familles, et les familles ont leurs propres croyances. À l'école, ils peuvent
être exposés à d'autres croyances, pour qu'à un moment donné de leur vie ils
peuvent choisir la croyance qu'ils veulent avoir. En interdisant l'enfant
d'avoir accès à des renseignements ou informations sur les autres croyances,
vous ne croyez pas que de facto ce qui se passe, c'est que l'enfant a
seulement une croyance, celle à laquelle l'enfant est exposé?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Il n'y a
pas d'interdit…
Mme de Santis :
Parce que, dans les droits des enfants, je ne comprends pas l'argument.
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Non, non,
non, il n'y a pas de question d'interdit, là. Ce n'est pas un interdit.
C'est… La neutralité, là, ça se vit comme
une paix sociale, comme une entente. Ce n'est pas : Non, toi, tu ne feras
pas ci, tu ne feras ça. C'est
simplement un respect mutuel qui s'établit. Moi, j'ai vu des enfants être
complètement ostracisés, parce qu'à un moment donné ils portaient des
signes religieux ostensibles, par les autres élèves, puis que ces enfants-là
étaient extrêmement malheureux. Mais la famille tenait à ce que ça se passe
comme ça. Mais peut-être que, si l'enfant n'avait
pas eu à avoir ça, à subir ça, peut-être qu'à ce moment-là son intégration à
l'école aurait été beaucoup plus harmonieuse.
Mais personne n'est allé lui dire : Ah! Tu n'as pas le droit de faire ci
puis tu n'as pas le droit de faire ça, là.
Mme de Santis :
Merci beaucoup. Je laisse maintenant la parole à la deuxième opposition.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme la députée. Alors, je vais
moi-même céder la parole à la députée de Montarville. Allez-y, Mme la
députée.
• (20 h 10) •
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Bonsoir, messieurs, merci, merci pour votre mémoire. Je
suis très curieuse. Je vais vous amener à votre 3 du mémoire. Vous dites, pour
le bénéfice des téléspectateurs : «Le 11
février 2004, la Communauté des druides du Québec reçoit la reconnaissance en
temps que communauté religieuse sous
la Loi des corporations religieuses du gouvernement du Québec.» En d'autres
mots, vous avez le statut de communauté religieuse. Alors, ma première
question est la suivante : Est-ce que vous pouvez nous dire vous avez
combien de membres dans votre communauté religieuse? Il y en a combien, des
druides, au Québec?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : C'est une
communauté qui est extrêmement diverse et éparpillée. Vraiment, là, des
gens, souvent, ils vont nous demander : Est-ce que c'est une secte? Puis
moi, à la blague, je vais leur dire : Non, c'est un insecte, parce que finalement ça se décline en
plusieurs sections. Et, comme je disais à M. le ministre, il y a deux grandes lignées, puis ces deux grandes lignées,
comme elles étaient sous le couvert pendant longtemps, ont foisonné dans toutes les directions, c'est-à-dire,
toutes les directions… mais pas tant que ça, mais selon différentes
options, selon certains choix. Et, avec la venue, dans les années 60, de
l'éclatement, avec le mouvement holistique aux États-Unis, le New Age, et tout
ça, il y a eu des redécouvertes, des spiritualités natives et autochtones,
entre autres celle-là.
Mme Roy
(Montarville) :
…interrompre parce que j'ai peu de temps, alors…
M. Boutet (Michel-Gérald) : Mais,
c'est ça, mais tout ça pour dire…
Mme Roy
(Montarville) :
Avez-vous une idée de grandeur du nombre de membres dans votre communauté, au
Québec?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Nous, on
ne tient pas des registres puis on n'a jamais demandé de l'argent à qui que ce soit, tout se fait
gratuitement, et les gens sont libres de venir et de partir comme ils veulent.
Donc, on peut faire des mariages ou des rites de passage, et ces
choses-là, mais on ne sait même pas, nous-mêmes, combien il y en a, mais je
sais qu'on en rencontre plusieurs dans toutes les régions du Québec, et il y en
a partout en Amérique du Nord.
Mme Roy
(Montarville) : O.K. Maintenant, autre question :
Comment est-ce qu'on devient druide? Est-ce qu'il y a un enseignement
particulier, un rituel, un baptême?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : C'est
qu'il y a plusieurs, disons, degrés des niveaux d'enseignement,
d'initiation, un peu comme chez les
francs-maçons justement. Mais en gros il y a trois ordres d'enseignement. Puis
c'est souvent en faisant la demande
auprès d'un maître ou d'une maîtresse. Et puis nous, ce qu'on leur dit :
Le mieux, c'est d'aller chez les vrais
autochtones, donc d'aller au pays de Galles ou d'aller en Bretagne, puis être
là, dans la milieu naturel, où ça se passe vraiment, où est-ce que les familles… C'est des familles qui ont gardé
des savoirs traditionnels extrêmement riches, avec souvent des manuscrits ou des… Donc, cet
enseignement-là, s'ils ne peuvent pas se déplacer dans ces endroits-là,
nous, on leur assure, à ce moment-là, une certaine continuité ou une certaine
transmission des savoirs.
Mme Roy
(Montarville) : Autre question. On parlait justement des
signes religieux ostentatoires, ostensibles. Alors, chez les druides, est-ce qu'il y a un signe, un symbole, quelque
chose qui vous distingue ou qui fait que vous pouvez vous reconnaître
les uns les autres?
M. Boutet (Michel-Gérald) : Oui, on
a tous les signes de la main aussi, qui…
Mme Roy
(Montarville) :
Comme quoi, par exemple?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Par
exemple, ça, c'est le triban, finalement, c'est les trois rayons de soleil.
Mais les francs-maçons, ils ont leur façon
de serrer une main, et nous, on a aussi la nôtre. Mais il y a le triskel. Quand
vous allez dans une crêperie bretonne, vous voyez l'espèce de symbole
avec la spirale. Bien, ça, c'est un très ancien symbole celtodruidique qui
représente, finalement, la trinité de la réalité, finalement, là, les trois
aspects de la réalité. Et puis aussi on a, à part le triban puis le triskel, un
autre symbole…
Mme Roy
(Montarville) :
…symboles, des signes, des objets, avez-vous quelque chose?
M. Boutet
(Michel-Gérald) : Moi, j'en
ai un ici, là, très discret, ici, puis le triskel aussi sur une bague.
Quand j'enseignais, je le portais. Des fois,
les élèves me demandaient : Qu'est-ce que c'est? Je disais : C'est un
bijou breton. C'est tout. Jamais je ne leur parlais de…
Mme Roy
(Montarville) :
Vous ne faisiez pas de prosélytisme en classe.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Non, pas
du tout, non, non. D'ailleurs, ça, c'est une chose, c'est que, dans nos enseignements puis dans ce qu'on a reçu de nos
maîtres, c'est qu'il ne faut jamais, jamais, jamais s'adonner à ça.
Parce que les gens, ils prennent ce qu'ils
veulent de ce qu'ils entendent, de ce qu'ils reçoivent, puis c'est à eux de décider
après ce qu'ils vont en faire.
Le Président (M. Ferland) :
…pour la députée de Montarville. Je vais céder la parole au…
M.
Drainville :
Peut-être que Mme la députée de Montarville aimerait ça devenir une druidesse,
puis on pourrait tous assister à son initiation.
Le Président (M. Ferland) :
Mais peut-être après la classe.
Une voix : …
M. Drainville :
Mais on pourrait renter ensemble, druide et druidesse.
Le Président (M. Ferland) :
Je vous invite à demeurer après la classe si vous voulez entrer…
Une voix : Ne tombez pas dans
la potion magique, là.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, M. le député de Blainville, la parole est à vous.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Messieurs,
merci. Bon, à l'évidence, là, vous l'affirmez, vous êtes en faveur de la charte sur la laïcité.
Vous dites qu'il est nécessaire que la laïcité soit affirmée comme valeur commune de la
nation québécoise, pour différentes raisons, entre autres séparer la gestion étatique du religieux, assurer le droit à la
neutralité politique et religieuse.
Il y a des gens qui sont venus nous dire également
qu'on devrait aller beaucoup plus loin, qu'on devrait, par exemple, enlever le
crucifix, que les députés ne devraient pas porter de signes ostentatoires, que
le cours d'éthique et culture religieuse
devrait être, en fait, enlevé de nos écoles. Et une des suggestions qu'on nous
a faites, c'est cesser toutes subventions ou avantages fiscaux à des communautés
religieuses.
Alors, je reviens au fait que vous êtes reconnus
comme une communauté religieuse. D'une part, je demande : Est-ce que
vous avez droit à ces avantages fiscaux là dans votre reconnaissance? C'est ma
première question. Et, si oui, comment pouvez-vous concilier
votre laïcité, votre position de laïcité avec le fait que l'État vous
subventionne ou du moins vous donne des
avantages fiscaux? Et, si ce n'est pas le cas, pourquoi avoir demandé cette
reconnaissance-là, là? C'est un peu le sens de ma question.
M. Genest
(Réal) : Premièrement, pourquoi qu'on a demandé la reconnaissance? C'est qu'il n'y a aucune réserve dans la loi
qui dit qu'une communauté ou un ordre peut être reconnu comme un ordre de
sagesse. Alors, n'importe quel
ordre tombe dans le système,
tombe dans la fausse du religieux. Et nous, on a été les premiers à dire :
Regardez, on n'est pas une communauté religieuse dans le sens qu'on
l'interprète pour les religions.
Deuxièmement, on n'a jamais demandé et il n'a jamais
été dans notre intention de demander des privilèges à l'État avec le titre de communauté religieuse. Notre
druide Boutios a fait un mariage il y
a, quoi, deux ou trois ans. Et
le mariage a été scellé par une de nos
druidesses qui, elle, l'a fait en tant que… Comment est-ce qu'ils appellent ca, donc? Qui a officié, là… Quand Diane a officié…
Ils appellent ça une…
Une voix : Une célébrante.
M. Genest (Réal) : Une célébrante.
C'est ça. Une célébrante qui était autorisée. Nous, on ne s'est pas du tout impliqués
là-dedans. On pourrait le faire, mais on ne veut pas tomber dans le piège des
religions. Nous sommes une société, nous sommes un ordre de sapience, un ordre
de connaissance, de sapience.
Qui peut être
druide? Dernièrement quelqu'un m'a
posé la question, et j'ai résumé ça très rapidement, j'ai dit : On a 100 000 personnes ici, au Québec, qui
sont des druides puis qui ne le savent même pas. Vous avez 100 000
têtes grises au Québec qui sont des gens qui
ont un bagage extraordinaire, qui sont allés à travers le monde, qui ont des
formations académiques, des formations
universitaires. Déjà, en partant, ce sont des druides pour nous. Ce sont des
gens de sciences.
Et les
druides, ce n'étaient pas des gens qui étaient complètement éclairés, c'étaient
surtout des gens qui étaient spécialistes dans certains domaines, hein?
Certains, c'était la loi, certains, c'était la philosophie, certains, c'était
la médecine. Alors, tous ces gens-là qu'on a
actuellement avec des bagages extraordinaires n'auraient qu'à faire une
demande pour devenir druides, et on les accepterait les bras ouverts. Et on
leur donnerait simplement la formation qu'ils ont besoin sur leur véritable
tradition qui est la tradition celtique. Et, à ce moment-là, ils deviendraient
de véritables druides. Parce qu'un druide, ce n'est pas quelque chose qu'on
forme avec des diplômes, c'est quelque chose qui se forme avec le temps et une
expérience de vie. C'est quelqu'un qui a quelque chose à transmettre.
M. Boutet (Michel-Gérald) : On est
religieux comme les bouddhistes sont religieux.
M. Genest
(Réal) : Moi, j'ai 40 ans de
formation en bouddhisme, j'ai vécu au Japon et je peux vous dire que, le
bouddhisme, c'est exactement la tradition,
la sagesse soeur du druidisme. Et d'ailleurs on utilise les mêmes termes
sanskrits.
M. Ratthé : À ce moment-là,
donc, je comprends que vous n'avez pas pris les avantages fiscaux.
M. Boutet (Michel-Gérald) : Non.
Jamais qu'on ferait ça.
M. Ratthé :
Est-ce que vous seriez en faveur, justement, que tous les avantages fiscaux, les
subventions qui sont raccordées aux communautés religieuses soient
abolies. Parce que c'est un des points quand on nous disait qu'on devrait aller
plus loin.
M. Genest
(Réal) : Il faudrait qu'on y
réfléchisse au lieu d'essayer d'y répondre comme ça, à brûle-pourpoint,
là. Mais on pourrait y réfléchir. Mais moi, ce
que je vois très mal, c'est qu'il y a des organismes pseudoreligieux qui
profitent de ça.
Le
Président (M. Ferland) : …malheureusement écoulé. Alors, le
temps est écoulé pour la présentation et les échanges. Je vais vous
remercier pour la présentation et la préparation de votre mémoire.
Et je vais
suspendre quelques instants pour permettre à M. Karim Akouche et les personnes
qui l'accompagnent à prendre place. Alors, on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à 20 h 20)
(Reprise à 20 h 22)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant M. Karim Akouche pour la
présentation du dernier mémoire de la journée.
Alors, je
vous mentionne que vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire,
suivi d'un échange avec les différents groupes parlementaires. Alors, la
parole est à vous.
M. Karim Akouche
M. Akouche
(Karim) : Mmes et MM. les
députés, bonsoir. Je veux d'abord dire ma gratitude au Québec, qui m'a accueilli en 2008. Je suis parti d'une France en déliquescence
morale et économique. Six auparavant, j'avais déjà quitté l'obscurantisme
religieux et la junte qui règne encore en Algérie. J'avais fui les barbouzes,
qui oppriment les Berbères et plus particulièrement les Kabyles, mon peuple, et, en ce moment, ils sont en train d'opprimer
les Mozabites, un autre peuple berbère.
J'avais cru
trouver en France un remède à mes blessures identitaires, mais, quelque
temps après, j'ai déchanté. Le contentieux historique entre
l'ex-puissance coloniale et mon pays perdu est lourd. À la télé, dans la presse
écrite, on met les étrangers à l'index et on
leur fait porter la responsabilité de la crise sociale. Il fallait partir, vite
partir. Mais où?
Après avoir erré entre Clermont-Ferrand,
Toulouse, Lyon et Paris, j'ai enfin jeté mon dévolu sur la belle province.
C'est la langue française qui m'a naturellement dicté ce choix. Cioran
écrivait : «On n'habite pas un pays, on
habite une langue.» J'ai donc habité le Québec avant même de fouler sa
terre. Je l'ai découvert à travers les chansons de Félix Leclerc et de
Gilles Vigneault. Je me rappelle encore ces deux vers de Miron que je me
récitais sur le bord de la Seine : «Nous ne serons jamais des hommes si
nos yeux se vident de leur mémoire.»
J'aime le Québec et je le confesse. Je suis très
attaché à cette terre francophone des Amériques. Lorsque les quatre
prédicateurs islamistes s'apprêtèrent à venir donner une conférence au Palais
des congrès de Montréal, c'est au nom des
valeurs du pays d'accueil et de l'égalité hommes-femmes que j'ai pris la plume
pour dénoncer le caractère misogyne et intégriste de la manifestation.
J'ai été
parmi les tout premiers à faire mienne la charte des valeurs québécoises.
Cela m'a été violemment reproché. J'ai
perdu des amis, des faux amis certes, mais j'en ai gagné d'autres, des vrais.
On m'a accusé d'islamophobie, moi qui suis victime, ayant perdu notamment un cousin cher, criblé de balles par les
islamistes durant la guerre civile en Algérie. Je suis blessé, outré. Il y a trop d'amalgames, trop
de mensonges, trop de mauvaise foi. On assiste à l'inversion des valeurs
et à l'exploitation de la compassion.
Je suis
révolté, franchement révolté contre ces pharisiens convertis à un humanisme
hypocrite. Je suis offusqué par ces spécialistes de la haine de soi qui
accusent de racisme les Québécois, ces hommes et femmes parmi les plus accueillants au monde. Si l'on juge recevable le
chantage à la repentance fait aux anciens empires par les peuples
colonisés, en quoi cela concerne-t-il le Québec? Le Québécois n'a pas à pousser les
sanglots de l'homme blanc. Le Québec n'est ni la France, ni
l'Angleterre. Le Québec n'a colonisé personne. Les Québécois n'ont pas à se
sentir coupables de crimes qu'ils n'ont pas commis.
Soyons
francs, les tenants de l'idéologie multiculturaliste ont échoué, car ils ne
proposaient pas un vivre-ensemble, mais
un laisser-vivre, mais un vivre séparé. Ils ont apporté de fausses solutions à
des vrais problèmes. Les accommodements de MM. Taylor et Bouchard sont
en réalité déraisonnables. Qu'est-ce qu'il faut accommoder? Qu'entend-on par le
mot «raisonnable»? Quelle en est la limite?
Posons plutôt les vraies questions et apportons-y
de vraies réponses. Dans un Québec qui accueille chaque année des dizaines de milliers d'immigrants, comment former une unité
alors qu'il y règne une diversité faite d'îlots, de bulles qui ne communiquent pas entre elles? Sur
quelle base juridique s'appuyer pour permettre à tous les Québécois — je dis
bien «tous les Québécois» — sans distinction d'origine ni de sexe, de vivre ensemble sans
qu'on touche à leur singularité?
La seule solution, à mon sens, c'est la laïcité.
Il faut évacuer de la sphère publique tous les particularismes religieux. Certes, les citoyens sont libres de
choisir leur éthique de vie, mais cela doit respecter les limites du droit
commun. Henri Lacordaire disait, à juste
titre : «La liberté n'est possible que dans un pays où le droit l'emporte
sur les passions.»
Commençons par le commencement. Qu'est-ce que la
laïcité? J'adore une définition du philosophe français Henri Peña-Ruiz, qui dit la chose suivante : La laïcité est un
cadre juridique et politique du vivre-ensemble qui s'articule sur trois
principes du droit universel. Le premier principe, c'est la liberté de
conscience. Le deuxième, c'est l'égalité de droit
des croyants, des non-croyants, des agnostiques et des athées. Et le troisième
principe, c'est l'orientation universaliste de la puissance publique.
La laïcité met en avant ce qui est commun à
tous, aux hommes et aux femmes, et non ce qui les divise, ce qui les fragmente, car, dans un État de droit, les
croyants n'ont pas à imposer leur religion aux athées et aux agnostiques,
et ces deux derniers n'ont pas à imposer leur athéisme ou leurs croyances aux
croyants. La laïcité, donc, n'est ni le prosélytisme religieux, ni l'athéisme. Le général
Franco, qui disait qu'en Espagne ou bien on est catholique ou bien on
n'est rien, n'était pas laïque. Staline, qui
faisait persécuter les orthodoxes au nom de l'athéisme, n'était pas non plus
laïque.
Moi, je n'aime pas l'adjectif «laïcité ouverte»,
le concept. La laïcité ouverte, pour moi, c'est l'ouverture à l'intégrisme. Ceux qui adjectivent la laïcité
cachent leur jeu sournois, ils y sont en réalité hostiles. Faute de la
combattre frontalement, ils se l'approprient
en la pervertissant ou en y donnant un sens tronqué. C'est comme pour les
militantes qui affublent le féminisme de mots islamiques; elles font en réalité
un travail de sape contre le vrai féminisme laïque et universel. La plupart des ennemis de la laïcité sont nostalgiques d'une
époque révolue et ils regrettent d'en avoir perdu les privilèges.
Adjectiver la laïcité, c'est produire des brèches dans cette digue qui protège
l'État contre des tentations intégristes. Si
on suit la logique des détracteurs de la laïcité, pourquoi, se demande
Peña-Ruiz le philosophe, ne parle-t-on pas
d'égalité des sexes ouverte, de justice ouverte, de droits de l'homme ouverts?
Si on suit, donc, la logique de ceux qui ont inventé la laïcité ouverte,
ouvrons tous les idéaux. Il n'y a pas de limite, donc.
La laïcité
est une idée universelle. Elle nous vient non seulement des Lumières, mais
aussi d'Afrique du Nord. Déjà, au Ve
siècle, le pape berbère Saint-Gélase l'avait explicité dans une lettre adressée
à l'empereur byzantin, il disait ceci : «En matière politique, le prêtre doit se plier aux ordres de l'empereur;
et en matière de religion, l'empereur doit écouter le prêtre.»
Contrairement à ce que pense Lysiane Gagnon du journal La Presse, la
laïcité n'est pas une idée importée de France.
Plusieurs pays l'ont adopté, citons entre autres le Mexique, Cuba, les
Pays-Bas, la Belgique et même le Kosovo.
• (20 h 30) •
J'approuve l'interdiction des signes religieux ostentatoires
dans les établissements publics prônée par le projet
de loi n° 60, mais en partie seulement,
car il faut étendre ces devoirs et ces obligations aux élèves et aux
étudiants. L'école est un lieu de
construction de soi, où l'on apprend le savoir, autrement dit ce qui est
commun à tous. L'éducation, disait
Jacques Muglioni, ne doit pas se donner pour mission d'adapter les élèves à la société,
mais de leur fournir les clés intellectuelles pour choisir la société
dans laquelle ils souhaitent vivre. Pour que les conflits politiques et
religieux ne soient pas importés dans les salles d'étude et les cours de
récréation, il faut absolument y interdire le port de tous les signes religieux
ostentatoires.
J'aurais également souhaité que le gouvernement
inscrive dans la charte un article interdisant le port du voile intégral sur la voie publique. Cela permettrait
aux femmes victimes de l'intégrisme de s'en libérer, car le voile
intégral est aux antipodes des valeurs
universelles et les valeurs québécoises. Il rabaisse la femme en lui ôtant son identité.
L'être humain se définit tout simplement par le visage, disait Levinas. Le
voile intégral supprime la dignité, la féminité et la liberté de la femme. De plus, il n'est pas un vêtement innocent, il
est un élément de propagande de l'islam politique, qui vise à occuper la
voie publique. Il est un marqueur de territoire.
Je n'aime pas
le mot «islamophobie» parce que — vous
faites de la politique — tout
combat idéologique est avant tout un
combat sémantique. Le mot «islamophobie» signifie «crainte de l'islam». Serait-il
raciste celui qui a peur d'une religion, en l'occurrence l'islam?
L'islam est une religion et non une ethnie. Le mot «islamophobie» est utilisé
par les fondamentalistes musulmans dans une posture victimaire afin de répandre
leurs idées obscurantistes en Occident. C'est
un mot bâillon, rabâché à tort et à travers en vue de museler les détracteurs
de l'islam politique et d'étouffer toute critique sérieuse de l'intégrisme. Ce vocable est
devenu sorte de délit, de blasphème. Or, l'islam est critiquable comme toutes les religions et les idéologies. Le
critiquer, ce n'est pas dénigrer les musulmans, c'est faire avancer le débat
public sur des questions essentielles.
J'arrive à la
conclusion. Le Québec de demain sera laïque ou ne le sera pas. On
mesure la grandeur d'un peuple à la solidité de son État. On jauge la
solidité d'un État à la consistance de ses valeurs. C'est le religieux qui doit
se plier aux lois de l'État,
et non le contraire. Adapter les institutions en fonction des caprices des croyants, c'est affaiblir
assurément l'État. Et, quand l'État est affaibli, il
devient vulnérable, il devient une passoire, il flanche, il courbe l'échine.
Quand l'État est fragile, les
fanatiques en profitent pour semer leur haine. J'en veux pour preuve
l'islamisme, qui a soumis bien des pays, et a gangrené les écoles, et a
brûlé les églises, et a souillé les institutions, et a assassiné les identités
et les cultures.
Si l'Algérie avait été un État laïque, le
génocide des années 90, qui a fait plus de 200 000 morts, n'aurait jamais eu lieu. L'élite algérienne en grande
partie a failli, et l'histoire l'a déjà condamnée. Si l'élite québécoise rate
son rendez-vous historique avec la laïcité, elle aussi, elle sera jugée sans
pitié.
Je termine par la conclusion...
Le Président (M. Ferland) :
...il reste à peu près 30 secondes.
M. Akouche (Karim) : Juste la
citation d'un grand philosophe allemand, Schopenhauer, qui a dit la chose suivante : «Toute vérité franchit trois
étapes : d'abord, elle est ridiculisée; ensuite, elle subit une forte
opposition; puis elle est considérée comme ayant toujours été une
évidence.» La charte de laïcité est la vérité. Après que ses détracteurs
l'auront raillée et combattue, elle deviendra un jour une évidence. Bientôt,
elle triomphera. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci pour votre présentation.
Alors, à la période d'échange, je cède la parole à M. le ministre.
M. Drainville : Merci, M.
Akouche. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre mémoire. Et d'ailleurs je
souhaite que les gens qui nous écoutent prennent la peine de le lire. Il n'est
pas tellement long. Et il y a plusieurs citations qui m'ont frappé.
D'ailleurs,
si vous me permettez, je vais reprendre quelques passages, juste pour mettre la
table pour la discussion qui va
s'ensuivre. Alors, je cite, là, comme ça, là, quelques extraits. «Entre le fort
et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté
qui opprime et la loi qui affranchit.» Citation de Lacordaire que Camille
Laurin utilisait du temps de la loi 101. Et
je pensais que c'est Camille Laurin qui avait créé cette citation. Et là, à la
lecture de votre mémoire, je me rends compte qu'il citait Lacordaire.
Vous nous
apprenez également, dans votre mémoire, que la laïcité vient du mot grec
«laos», qui veut dire «unité d'une population». Et vous dites : «"Laos"
a donné le mot "laïcus", qui signifie "membre d'une population
que rien ne distingue".»
Une voix : …
M. Drainville : Laïsus?
Une voix : …
M. Drainville : Ah! Laïcus? Laïcus. Excusez-moi, mon latin, ou mon grec… encore pire.
Ensuite de ça : «…la laïcité, cette digue qui protège l'État
contre des tentations intégristes.» Moi, j'ai utilisé «le mur». J'ai dit que la
laïcité, c'est un mur qu'on plaçait devant les intégrismes; on n'est pas loin.
Il y a une autre citation, je vais, celle-là…
Vous dites : «Tout combat idéologique est avant tout un combat sémantique.» Et là vous revenez sur le mot
«islamophobie». J'aimerais bien qu'on en discute dans un instant. Vous
dites : «Le mot "islamophobie" signifie "crainte de
l'Islam". Serait-il raciste celui qui a peur d'une religion, en
l'occurrence l'Islam? L'Islam est une
religion et non une ethnie. Le mot "islamophobie" est utilisé par les
fondamentalistes musulmans dans une
posture victimaire afin de répandre leurs idées obscurantistes en Occident.
C'est un mot piège, rabâché à tort et à travers en vue de bâillonner les
détracteurs de l'Islam politique et d'étouffer toute critique sérieuse de
l'intégrisme. Or, l'Islam est critiquable, comme toutes les religions et les
idéologies.»
Et, à la fin, vous aviez effectivement
Schopenhauer, là : «Toute vérité franchit trois étapes : d'abord,
elle est ridiculisée; ensuite elle subit une
forte opposition; puis elle est considérée comme ayant toujours été une
évidence.» J'ai parfois l'impression que, dans le débat actuel, on est
quelque part entre la deuxième et la troisième étape, hein, entre la forte
opposition et l'évidence.
Et juste une dernière. Ça, c'est dans un texte,
par contre, que vous avez publié sur le Huffington Post, et vous dites : «L'islamisme n'est pas compatible
avec la modernité, encore moins avec les valeurs québécoises. Car
l'islamiste ne reconnaît pas l'État. Il ne
respecte pas les identités des autres. Il ne jure que par la suprématie des
lois d'Allah. Il n'en a cure des lois des hommes. Pour lui, la
démocratie et la laïcité sont illicites. Seule la charia compte. L'islamiste
vit dans une logique de conquête. Sa mission, c'est bâtir la Oumma et islamiser
le monde.»
Alors, je tiens à le dire, je ne suis pas
nécessairement d'accord avec tout ça parce qu'il y a certaines de ces affirmations, à mon avis, qui demandent une
certaine réflexion, un certain recul, mais je dirais que c'est des…
Comment dire? C'est des phrases percutantes
ou des idées très percutantes que vous exprimez, donc, à travers votre mémoire
et à travers certains des textes que vous avez publiés. Alors là, vous,
vous dites que la laïcité du Québec est menacée, hein? Pourquoi elle est
menacée, selon vous?
M. Akouche
(Karim) : Parce qu'avant il
y avait une certaine laïcité, je dirais, implicite entre les Québécois.
Donc, il y avait un vivre-ensemble, il n'y
avait pas, à vrai dire, d'autres joueurs. Mais, ces dernières années, il y
a plusieurs immigrants de différentes
religions. Ils n'ont pas forcément, donc, la même signification de l'État,
c'est-à-dire la séparation entre l'État et… entre le politique et le
religieux. Donc, pour qu'il y ait un vivre-ensemble, pour qu'il y ait continuité
de ce vivre-ensemble, à mon avis, il faut définir de nouvelles règles très
claires, de tolérance, de paix. Parce que la
laïcité, comme je le disais dans le texte, ce n'est pas, je dirais, un cadre
contre la religion. Au contraire, c'est un cadre qui permet à la
religion d'exister mais dans l'espace privé. La laïcité, ce n'est pas…
C'est-à-dire, comme je le disais, l'athéisme
militant également n'est pas la croyance religieuse, le prosélytisme religieux.
Donc, à mon avis, la laïcité, c'est
un cadre juridique qui va structurer l'État à long terme pour assurer, donc, le
vivre-ensemble et non pas le vivre-séparé.
• (20 h 40) •
M.
Drainville :
D'ailleurs, à plusieurs reprises, vous évoquez les conséquences négatives que
peuvent engendrer le multiculturalisme, le vivre-séparé, hein, et la
laïcité ouverte également.
M. Akouche
(Karim) : J'aimerais… Oui.
La laïcité ouverte, vraiment c'est un concept que je n'apprécie pas du tout. D'ailleurs, je ne sais pas ce que les libéraux savent d'où
il vient, ce concept, parce que j'aimerais bien les entendre tout à l'heure
s'expliquer là-dessus. Est-ce
qu'ils connaissent l'histoire de la laïcité
ouverte? D'où vient-elle? Est-ce
qu'ils connaissent d'où vient la laïcité
positive également? Donc, je leur poserai la question
tout à l'heure, s'ils me permettent.
M.
Drainville : Peut-être que moi… Regardez, on ne prendra pas de chance,
donnez-nous donc la réponse tout de suite, là.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. Akouche (Karim) : Non. J'aimerais
bien, parce que c'est très important. Parce que défendre, à mon avis, un concept, je dirais, philosophique, parce que
la laïcité ouverte, c'est un concept philosophique… Il faut
qu'ils sachent, à mon avis, d'où il vient. C'est très important. Si vous
êtes impatient, je pourrai vous répondre.
M. Drainville :
Mais je suis impatient.
M. Akouche (Karim) : Oui. À vrai
dire, avant, il y avait juste la laïcité. La laïcité ouverte est un concept qui
est né durant les années 1960 en France.
Elle est née au sein de la Ligue de l'enseignement, en France, dirigée à l'époque par Jean Macé. Et il y a eu le premier colloque
en France en 1987, organisé par le journal La Croix, donc c'est un
journal catholique, en 1987, sur la laïcité
ouverte. Tariq Ramadan, l'idéologue, Tariq Ramadan, le petit fils d'Hassan El-Banna,
a parlé de laïcité ouverte, de la laïcité ouverte en 1992. Durant la campagne
électorale en France, en 2007, Sarkozy a parlé de la laïcité ouverte également.
Et le pape Benoit XVI a parlé également de la laïcité ouverte. Donc, je dirais,
là — dans
mon exposé, j'ai parlé de Lysiane Gagnon qui a dit que c'est la laïcité
qui est importée de France — en fin de compte, c'est la laïcité ouverte
qui est importée de France. Voilà l'histoire de la laïcité ouverte.
M.
Drainville : Et pourquoi le multiculturalisme ne trouve-t-il
pas grâce à vos yeux? Pourquoi est-ce
que vous vous en méfiez? Ou même,
c'est plus que ça, vous vous opposez au… Vous dites : «Les tenants de
l'idéologie multiculturaliste ont échoué. Car ils ne proposaient pas un
vivre-ensemble mais un laisser-vivre sans cohésion.»
M. Akouche (Karim) : C'est-à-dire
que moi, je viens au Québec. Pour moi, le Québec n'est pas une page blanche par
son histoire, sa langue, sa philosophie profonde, sa civilisation également.
Donc, en tant qu'immigrant, je suis
accueilli. Donc, le Québec, c'est l'accueillant. Ce n'est pas à moi d'imposer
les lois du pays d'accueil. L'intégration ou l'immigration en général, c'est quasiment une loi physique. Voilà. Il y a
un verre, quand on verse un liquide dedans, c'est le contenu qui va prendre la forme du contenant, et non le
contraire. Mais le multiculturalisme, quelque
part, dit… C'est-à-dire, le Québec par
exemple, ou en général
le Canada, c'est quasiment une page blanche. Or, le Québec, il y a une culture ancienne. Donc, il faut
respecter le pays d'accueil. En même temps, il crée, le multiculturalisme, des
îlots, au début, qui ne communiquent pas entre elles. Donc, ce n'est pas un
vivre-ensemble, c'est un vivre-séparé.
M. Drainville : À la page 6
de votre mémoire, vous écrivez : «La laïcité met en avant ce qui est
commun aux hommes et aux femmes et non ce
qui les divise ou les oppose. Car dans un État de droit, les croyants
n'ont pas à imposer leur religion aux athées et aux agnostiques, et ces
derniers — les
athées et agnostiques — n'ont
pas à interdire aux croyants de pratiquer leur foi dans la sphère privée.»
Je ne sais
pas pour vous, mais moi, j'ai parfois l'impression que, dans ce débat-là, il y a de plus en plus de gens qui… ou, en tout cas, il y a un certain nombre de personnes qui se sont
prononcées dans ce débat-là, qui remettent carrément en question le fait que de travailler pour l'État
implique un certain nombre de responsabilités supplémentaires envers les citoyens,
alors que moi, je dirais, une de nos prémisses, c'est de dire : Bien,
travailler pour l'État, ça implique un certain nombre de responsabilités
parce que tu es au service de tes concitoyens, tu es payé par tes concitoyens et donc tu as un certain nombre de
devoirs et d'obligations qui viennent avec ça. Et donc, parfois,
j'entends des personnes qui sont opposées à la charte, qui, donc, ne
reconnaissent pas cette responsabilité supplémentaire pour les personnes qui
sont au service de l'État. Et c'est comme si, dans leur esprit, la vie privée
se confondait avec l'espace étatique, alors que vous, visiblement, vous faites
une distinction entre les deux.
M. Akouche
(Karim) : …c'est-à-dire, travailler pour l'État comporte des obligations. Et en même temps je ne suis pas d'accord
avec ceux qui disent : On va juste interdire le port des signes religieux,
c'est-à-dire, aux gens, aux fonctionnaires de l'État
comme des policiers, des juges et des gardiens de prison. Je ne comprends pas.
Parce que, d'un côté, ils disent : Le
signe religieux fait partie de l'identité profonde de celui qui le porte, de
l'autre côté, ils veulent interdire à
une catégorie de fonctionnaires de porter ces signes. Donc, est-ce que ces
fonctionnaires n'ont pas d'identité? Ça
n'a pas de sens. Soit tout le monde, le signe religieux, quand il le porte,
c'est son identité, ça fait partie de son identité profonde, il va le garder. Après, là, on pourrait
discuter. Moi, je ne suis pas d'accord parce que l'identité avant tout,
c'est l'être, ce n'est pas le paraître. Le signe religieux, pour moi, c'est le
paraître. Le paraître, c'est une identité artificielle. C'est l'être. Il y a le
domaine du paraître et il y a le domaine de l'être. Donc, il y a contradiction.
Donc là, je ne les comprends pas. D'ailleurs, même le philosophe Charles
Taylor, j'ai du mal à le suivre sur ce point.
M.
Drainville : Sur la
question du port des signes religieux… Sur la question du voile en particulier,
tiens, parce que, bon, le niqab, la
burqa, le tchador, de façon générale, je pense qu'il y a un consensus assez
fort pour dire que ce sont des symboles
intégristes, mais, sur le voile, il y a un débat. Vous vous situez où, vous,
là-dedans? Parce qu'une des choses qui apparaît dans ce débat que nous
avons au Québec actuellement, une des questions qui se posent présentement,
c'est : Est-ce qu'il est possible de
distinguer la personne qui porte le voile du symbole ou de la symbolique
qu'incarne le voile? En d'autres
mots, la personne peut le porter par choix ou, en tout cas, elle a la
conviction de le porter par choix, donc elle exerce sa liberté par le port du voile. Mais le voile lui-même pourrait
avoir une signification autre dans le regard de celui ou de celle qui voit ce voile-là, il pourrait avoir
une signification autre que la signification que lui donne la personne qui
le porte. Vous comprenez ce que je veux dire, n'est-ce pas?
M. Akouche (Karim) : Oui, oui, je
comprends très, très bien.
M. Drainville : Il y en a
pour qui le voile, c'est un symbole de l'islam politique.
M. Akouche (Karim) : Exactement.
M.
Drainville : Mais la personne qui le porte n'endosse pas nécessairement l'idéologie de l'islam politique. Elle peut croire que c'est son Dieu qui lui demande de le
porter, le voile. Elle, elle n'est pas du tout dans la politique. Alors,
vous voyez cette espèce de tension?
M. Akouche
(Karim) : Très, très bien.
J'ai essayé même de réfléchir à cette question. Moi, je trouve que les
gens qui posent cette question : Est-ce que les femmes qui le portent, le
portent par choix ou non, etc.? se trompent. Parce que la véritable question est la suivante : Que symbolise le voile?
Que représente le voile? C'est ça. Est-ce qu'il représente la libération de la femme ou son oppression? Pour
ma part, je dirais : Le voile est un symbole intégriste qui opprime
la femme, qui rabaisse la femme, qui avilit
la femme. Voilà mon point de vue parce que je viens d'un pays où on n'a
pas vu surgir l'intégrisme, on n'a pas vu l'intégrisme lorsqu'il était en train
de pousser à l'ombre des institutions de l'État algérien. Voilà.
Donc, mais,
si vous voulez que je réponde à la question : Est-ce que les femmes le
portent par choix ou non? moi, j'ai
essayé de réfléchir à cette question et j'ai trouvé plusieurs catégories. Il y
a des femmes qui le portent, je dirais, par choix, mais c'est une infime minorité. La plupart de ces femmes, je
dirais, pas elles le portent par choix, elles le portent comme vêtement
refuge, elles sont conditionnées. Elles ont vécu peut-être des situations très
difficiles, donc elles le portent pour se réfugier, donc, ce vêtement. La
deuxième catégorie, je dirais, les femmes le portent par intimidation. Parce qu'il y a des femmes qui sont intimidées et
le portent par intimidation. La grande majorité, je dirais, de femmes
qui le portent, le porte par obligation. Et il y a une catégorie, je dirais, la
dernière : le portent par ruse.
Une voix : …
• (20 h 50) •
M. Akouche (Karim) : Ruse. Ruse. Je
m'explique. On avait vu un débat entre Djemila Benhabib et la jeune coquette Dalila Awada. C'était un débat
intéressant. Déjà, ce n'est pas le voile ce qu'elle porte. C'est un voile fait
par un… qu'aurait fait Christian Dior peut-être.
Donc, c'est un voile fleuri. Il faut
essayer de comprendre pourquoi elle porte un voile comme ça. Elle dit : Voilà, je le porte par choix. C'est pour
ça, je dis : Elle le porte. Je ne dirais pas elle, plusieurs femmes qui portent des voiles fleuris comme ça le
portent par ruse. La plupart sont manipulées par des intégristes, ce
qu'on appelle en arabe «takia». «Takia»,
c'est le visage à double face, un visage pour séduire, pour plaire aux Québécois, et un autre visage pour faire le travail pour les intégristes. Voilà. Donc, il faut
faire vraiment attention à ça. Après, je ne peux pas rentrer dans la tête des femmes qui portent le
voile. Mais la véritable question est la suivante : Que représente le
voile? Que symbolise le voile?
M.
Drainville : Moi, j'ai assisté à certaines des entrevues qu'a
données Dalila, Mme Dalila, que j'ai rencontrée, d'ailleurs. Et, si vous me
permettez, j'ai un peu de difficultés à me convaincre qu'elle est instrumentalisée. Parce qu'elle est très articulée. C'est une
femme qui est...
M. Akouche
(Karim) : ...Dalila Awada.
M. Drainville : Je vous parle
de Dalila, moi.
M. Akouche (Karim) : Ah oui! O.K.
Pardon. Excusez-moi.
M.
Drainville : Puis
elle est évidemment contre la charte. Elle a donné plusieurs entrevues. Mais
moi, j'ai beaucoup de respect pour cette femme-là parce que je trouve
qu'elle...
M. Akouche (Karim) : Moi également,
j'ai du respect pour cette femme.
M.
Drainville : Elle
s'exprime merveilleusement bien. Moi, je dis toujours : Dans ce débat-là,
je conçois aisément qu'il y ait
d'autres visions que la nôtre sur la laïcité, et elle, elle exprime une autre
vision de la laïcité, et je dois dire que je respecte cette vision-là,
et je trouve qu'elle la porte très bien, sur le fond et sur la forme, hein?
Maintenant,
je vous trouve très catégorique sur le voile. Évidemment, vous venez d'Algérie,
vous avez vécu des choses que nous, on n'a pas vécues au Québec et donc
vous parlez avec l'autorité de l'expérience.
M. Akouche (Karim) : Oui,
exactement.
M.
Drainville : Et c'est
une expérience, en tout cas, que moi, je respecte beaucoup parce que vous
êtes passé par un vécu épouvantable. Vous l'avez subi, l'intégrisme, vous. Vous
avez payé cher.
M. Akouche (Karim) : J'ai perdu un
cousin. J'ai perdu un cousin très cher.
M.
Drainville : Oui. Et
donc il y a, à travers votre mémoire, une mise en garde. Et donc vous avez tiré
vos propres conclusions sur le voile.
Mais moi, je dois vous dire que, pendant tout ce débat-là, j'ai toujours tenu
le même discours. Je conçois qu'il y
a des femmes qui le portent parce qu'elles se sentent obligées de le porter,
mais je pense qu'il y en a qui le portent
aussi par choix, elles ont fait une démarche spirituelle et elles sont
convaincues que c'est la chose correcte à faire. Et je... Donc, je ne
vais pas aussi loin que vous, en d'autres mots.
M.
Akouche (Karim) : Non. Je comprends très, très bien.
M. Drainville :
Je ne suis pas rendu...
M. Akouche (Karim) : Je comprends très, très bien. Vous faites un travail pédagogique pour
expliquer la laïcité et la charte.
Certainement. Mais, moi, il y a l'expérience qui parle également. Il y a des
gens qui m'ont qualifié d'islamophobe. Moi, j'ai écrit un roman qui
s'appelle Allah au pays des enfants perdus, où j'ai dit la chose
suivante : «La haine est la consolation
de l'homme quand l'intelligence lui fait défaut.» Je n'ai pas de leçons à
recevoir, voilà, des gens qui... des faux humanistes qui disent :
Voilà, il faut aller tout doucement. C'est vrai, il faut expliquer, il faut
être pédagogue, expliquer les choses, les
gens qui ignorent, voilà, c'est quoi, l'intégrisme. Il y a un homme politique
de chez nous qui a dit la chose
suivante : «L'intégrisme, c'est comme la mort, on n'en fait l'expérience
qu'une fois.» C'est un grand homme politique de chez nous.
J'aimerais vous
raconter une anecdote. Durant la guerre civile en Algérie, il y avait un parti politique qui s'appelait le
RCD, Rassemblement pour la culture et la démocratie, qui prônait la
laïcité, qui défendait la laïcité durant les
années 90, et les islamistes l'ont rebaptisé Rassemblement contre Dieu. Pour
eux, défendre la laïcité, c'est
quelque part concurrencer Dieu. Quelque part, c'est ça, c'est-à-dire, c'est un
projet contre Dieu.
En
fin de compte, la laïcité, ce n'est pas ça. Je l'ai très bien expliqué à
travers la citation du grand philosophe
Henri Peña-Ruiz, qui dit : La laïcité, c'est un cadre juridique et politique.
La liberté de conscience, c'est très important, donc je respecte la
liberté de conscience. L'égalité de droit des croyants, des athées et des
agnostiques. Malheureusement, les athées et
les agnostiques, on les a oubliés. Ce
sont les deux oubliés du débat. Et le troisième point, c'est
l'orientation universaliste de la puissance publique. L'État doit servir les citoyens,
tout court, sans leur couleur religieuse. C'est ça.
Donc,
je respecte les religions, j'ai des amis qui sont musulmans, mais, quand il
s'agit d'un débat de ce genre, c'est-à-dire qui engage tout le Québec, l'avenir du Québec, à mon avis,
il faut être intraitable. Il faut expliquer certainement, comme vous le faites, vous le faites d'ailleurs
assez bien, mais également il faut être... voilà, il faut... Moi, j'ai de
l'expérience, donc j'estime, avec mon expérience, j'arriverai, on arrivera
tous, avec nos amis qui défendent la laïcité, à convaincre ceux qui sont encore
hésitants.
M. Drainville : Il me reste moins d'une minute. Vous avez
participé à un documentaire, Mon Algérie et la vôtre,
qui a été diffusé aux Grands reportages et à Zone doc sur RDI.
M. Akouche
(Karim) : Exactement.
M. Drainville :
Et je pense que vous avez subi des menaces à la suite de la diffusion de ce
reportage.
M. Akouche (Karim) : Exactement, parce
que j'ai qualifié l'islamisme... Je
tiens à faire une précision. Je ne confonds
pas l'islam et l'islamisme. L'islamisme, c'est l'instrumentalisation à des fins
politiques de l'islam. Donc, les musulmans, je les respecte tous. Donc, ce ne sont
pas des islamistes. Donc, je ne fais pas cet amalgame. Donc, dans le documentaire,
j'ai cité...
Le
Président (M. Ferland) : ...malheureusement, c'était le temps qui était à la disposition de
la partie ministérielle. Je vais aller du côté du parti de l'opposition
officielle. Et je cède la parole à Mme la députée de Bourassa-Sauvé. La parole
est à vous.
Mme
de Santis :
Merci beaucoup, M. le
Président. Merci, M. Akouche. J'ai lu
votre mémoire avec grand intérêt. Et, comme le ministre,
moi aussi, j'ai appris un nombre de choses en lisant votre mémoire.
Vous
avez choisi le Québec. Mes parents ont choisi le Québec. J'étais toute petite
quand je suis venue. Et moi, je peux témoigner que le Québec est très
accueillant, très ouvert. Et, quand vous dites que vous aimez, et je crois que je peux vous citer, vous dites que vous aimez le
Québec : J'aime le Québec, je
peux vous dire que moi aussi, j'aime le Québec, qui m'a permis d'avoir toutes sortes d'opportunités que je
n'aurais pas probablement eues dans mon pays natal à l'époque que moi,
je suis née.
On
parle de laïcité. Je suis sûre que vous êtes au courant que tous les partis à
l'Assemblée nationale sont d'accord
que l'État doit être laïque et neutre. Nous sommes d'accord que les hommes et
les femmes sont égaux. Nous sommes
d'accord que les services qui sont donnés par l'État ou reçus par une personne
qui vient recevoir ces services doivent être faits à visage découvert.
Et on est d'accord sur les accommodements raisonnables.
Tout
le discours qu'on vient d'entendre semble être avec un focus sur le voile. Vous
savez qu'au Québec il y a une communauté juive qui est ici depuis 200
ans et je me demande si les hommes portent la kippa par intimidation, par obligation, ou par choix, toutes les raisons qu'on
a données tout à l'heure pourquoi une femme porterait un voile.
Vous savez qu'on a
l'Hôpital général juif à Montréal et que nous avons des médecins... Mon propre
médecin de famille porte une kippa. Cet
article 5 du projet de loi dit que lui, il ne pourrait plus porter sa kippa
quand il agit comme médecin à l'hôpital. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?
Est-ce que vous êtes d'accord que ces gens qui sont là depuis 200 ans et
qui depuis toujours ont compris que le port de la kippa n'affectait rien dans
la société, n'affectait pas la laïcité de la société et soudainement ils ne
peuvent plus pratiquer la médecine au Québec…
M. Akouche
(Karim) : Je peux vous répondre?
Mme de Santis :
Mais si!
• (21 heures) •
M. Akouche (Karim) : Merci. Donc,
vous dites d'abord que vous êtes... c'est-à-dire, tout le monde ici, tous les partis sont pour la laïcité. Vous êtes pour la
laïcité ouverte. Ce n'est pas la même
chose, madame. Je suis désolé.
La laïcité ouverte, ce n'est pas la laïcité.
Mme de Santis :
Je vous... On est pour la...
M. Akouche (Karim) : Je ne suis pas d'accord
avec vous là-dessus.
Mme de Santis : On est pour la laïcité de l'État.
Et, écoutez, s'il vous plaît, répondez à ma question sur les Juifs, et,
sur la laïcité, on va revenir là-dessus dans un instant.
M. Akouche
(Karim) : Bon, il n'y a
pas de problème. Moi, je vais vous citer un exemple : une infirmière,
par exemple, qui refuse d'administrer un médicament, un calmant à un patient sous
prétexte que sa religion ne le lui permet pas est disqualifiée par
avance parce qu'elle ne respecte pas sa déontologie.
Mme de Santis :
Je m'excuse, mais, si vous regardez l'article 12 de la charte sur la laïcité,
le médecin et le pharmacien peuvent refuser de donner un service professionnel
à cause de sa croyance.
M. Akouche
(Karim) : Donc, moi, pour
répondre, donc, le médecin qui est... enfin, ses parents sont ici depuis
200 ans, par exemple, on ne va pas lui interdire
de porter la kippa. Moi, sincèrement, la loi est la même pour tout le
monde. Et M. Drainville l'a expliqué très, très bien, il dit : Par
exemple, pour l'Hôpital juif, ça prendra quelques années. Donc, on leur donnera un temps d'adaptation. Moi,
je suis d'accord, d'ailleurs, avec lui sur ce point. Donc, la loi est la
même pour tout le monde. Il ne faut pas créer des lois pour les uns, créer,
donc, quelque part une ségrégation entre les groupes sociaux, les groupes
religieux. La loi est la même pour tout le monde. C'est-à-dire, les religieux,
c'est eux qui doivent s'adapter à l'État et non le contraire. Je l'ai très bien
dit dans mon mémoire.
Mme de Santis :
Maintenant, quand on regarde le concept de la laïcité et la neutralité de
l'État, il y a ceux qui disent que
l'État doive être neutre, laïque. Les personnes qui travaillent pour l'État, si
l'État ne favorise aucune croyance ou non-croyance, les personnes qui
travaillent pour l'État sont traitées de la même façon par l'État, qui, eux,
vont... La laïcité existe parce qu'il n'y a
pas de préférence vis-à-vis les croyances. Il y a ceux qui disent, comme
probablement vous dites, que la
personne ne devrait porter aucun signe religieux si la personne est un
fonctionnaire ou travaille pour l'État.
M. Akouche (Karim) : Est-ce que...
Mme de Santis :
C'est une définition différente.
M. Akouche (Karim) : Vous réduisez
la foi aux signes religieux. Est-ce que moi, qui ne porte pas de signes religieux, je n'ai pas de foi?, même si je ne
pourrais pas vous dire en quoi je crois. Mais est-ce que c'est important, le
signe religieux? Est-ce que, c'est-à-dire,
celui qui a plus de foi est celui qui porte un signe religieux très visible? Ça
n'a pas de sens, madame. L'identité, la foi, c'est l'être, ce n'est pas
le paraître, madame. En même temps, là, dans le projet de la laïcité, on n'interdit pas... La loi, la charte
n'interdit pas la foi. Il ne faut pas confondre la foi et le signe religieux,
il y a une différence. C'est là où je ne suis pas d'accord, parce qu'on
parle d'identité profonde, notamment Charles Taylor, qui dit : Le signe
religieux fait partie de l'identité profonde de celui qui le porte. Je ne le
comprends pas là-dessus.
Mme de Santis :
Mais le sikh qui porte le turban et qui a aussi des cheveux qu'il ne coupe pas,
il y a une raison qu'il porte son
turban. Vous allez lui dire : Il ne peut pas porter son turban? Est-ce que
vous allez lui dire : Il faut qu'il coupe ses cheveux, parce que...
pour des raisons d'hygiène, etc.? Qu'est-ce qu'il va faire avec ses cheveux?
M. Akouche (Karim) : Ce que je
n'arrive pas à comprendre également dans votre raisonnement, c'est que… ce que j'ai compris, hein — j'essaie de comprendre — c'est-à-dire, vous voulez une neutralité
pour les institutions et pas la neutralité pour les fonctionnaires qui
travaillent dans ces institutions. Les institutions sont l'émanation des
individus. Ce sont les individus qui...
Mme de Santis :
Mais vous avez choisi le Québec…
M. Akouche (Karim) : ...font les
institutions. On ne peut pas observer la neutralité dans les institutions sans
que les fonctionnaires qui travaillent dans ces institutions ne soient pas…
c'est-à-dire ne laissent pas de côté leurs signes religieux.
Mme de Santis :
Vous avez choisi le Québec.
M. Akouche
(Karim) : Exactement.
Mme de Santis : O.K. Et vous avez choisi un Québec
où aujourd'hui il n'y
a aucune interdiction sur les
signes religieux. Et vous-même avez dit que le Québec est ouvert et
accueillant.
M. Akouche (Karim) : Exactement.
Mme de Santis : O.K.
Alors, quel est le problème qu'on veut résoudre? Vous parlez d'intégrisme. Est-ce que vous croyez que la
charte va faire quoi que ce soit contre l'intégrisme? Qu'est-ce qu'il y a dans la charte qui va
attaquer l'intégrisme?
M. Akouche
(Karim) : Exactement. Je
pourrais vous répondre simplement : La charte, certes, n'est pas
suffisante pour contrer l'intégrisme, mais
la charte est un cadre, la laïcité est un cadre qui va freiner, qui va essayer
de contrecarrer l'intégrisme. C'est
une mesure... je dirais même plus qu'une mesure, c'est un cadre qui va stopper
l'intégrisme. C'est un cadre nécessaire pour faire face au rouleau
compresseur intégriste.
Mme de Santis :
Vous connaissez...
M. Akouche
(Karim) : Il faut, il faut
certainement accompagner cette charte par des mesures d'ordre économique
et social pour certainement résoudre des
problèmes de chômage qui existent dans la communauté... donc les communautés...
différentes communautés, voilà,
certainement. Après, certainement, ce n'est pas une mesure suffisante, mais
nécessaire, à mon avis, pour faire face, c'est-à-dire, au chômage, etc., et
pour contrer l'intégrisme.
Mme de Santis :
Pour faire face au chômage?
M. Akouche (Karim) : Oui, oui,
certainement.
Mme de Santis :
Le nombre de personnes qui...
M. Akouche
(Karim) : Si, «pour le
chômage», je voulais dire... C'est-à-dire, que c'est une mesure nécessaire pour régler le problème du racisme, nécessaire mais insuffisante,
mais également nécessaire et suffisante pour contrer l'intégrisme.
Mme de Santis :
Si le gouvernement ne permet pas de signes religieux parmi les fonctionnaires,
ou dans les hôpitaux, ou dans les écoles,
etc., les mêmes personnes qui ne pourront pas trouver d'emploi chez l'État ne
pourront pas trouver d'emploi dans le privé, car beaucoup vont décider
que, si une personne qui porte un signe religieux n'est pas acceptable à l'État, pourquoi
ça devrait être acceptable pour eux? Est-ce
que vous croyez que vous allez
réduire le chômage? Qu'est-ce que vous allez faire avec tous les gens qui ne seront
pas prêts à enlever leurs signes religieux parce que c'est une croyance profonde, pour ces gens-là?
M. Akouche
(Karim) : La véritable question,
madame : Est-ce qu'on a le droit de mettre beaucoup plus en avant sa croyance religieuse et son travail,
son éthique, derrière? Ça n'a pas de sens, madame. C'est-à-dire l'éthique et la déontologie doivent primer sur sa croyance religieuse. En même temps, comme je l'ai expliqué, la croyance religieuse, ce n'est pas le
signe religieux. L'identité profonde, ce n'est pas le signe religieux. C'est
l'être, ce n'est pas le paraître. C'est très important.
Mme de Santis :
Cela, c'est votre croyance.
M. Akouche
(Karim) : J'aimerais juste
citer un exemple qu'on oublie, que je l'ai lu dans le journal de La Presse, cet exemple, le Collège Marie-de-France, qui
fonctionne avec une laïcité à la française. Il va plus loin que la
charte proposée par M. Drainville.
Mme de Santis :
Vous avez choisi de quitter la France.
M. Akouche (Karim) : Ça fonctionne très,
très bien, ils n'ont aucun problème, et cela fonctionne depuis des années.
Donc, il n'y a pas de problème, ça marche. Donc, dire qu'il y aura des
problèmes avec cette charte, je ne vous crois pas.
Mme de Santis :
Vous avez choisi de quitter la France et de venir au Québec. Alors, je laisse
la parole à...
Une voix : Pas de question.
Mme de Santis :
Pas de question? Alors, merci beaucoup. Est-ce que...
M. Akouche (Karim) : Merci.
Une
voix : Non.
Mme de Santis :
Merci.
La
Présidente (Mme Champagne) : Alors, merci beaucoup, Mme la
députée de Bourassa-Sauvé. Alors, nous allons passer à la deuxième
opposition. La parole est à vous pour, je crois, un gros 4 min 35 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme
Champagne) : Alors, la parole est à vous.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci. Merci, M. Akouche, merci
pour votre mémoire. Je voudrais vous dire, d'entrée de jeu, que je trouve particulièrement intéressant
de vous entendre, mais surtout entendre le témoignage d'une personne
comme vous, qui avez vécu, justement, dans les pays du Maghreb, qui avez quitté
l'Algérie. Et vous nous le dites à la
page 3 : «J'ai fui l'obscurantisme religieux.» On sait qu'il s'est
passé des choses atroces en Algérie. Vous avez vous-même perdu un membre
de votre famille, vous parliez de votre cousin.
Moi,
ce que j'aimerais savoir… Vous nous dites que vous êtes arrivé au Québec en
2008. Alors, 2008-2014, ça fait bientôt six ans que vous êtes avec nous.
Est-ce que vous avez constaté des choses au Québec, vu des choses au Québec qui
vous inquiétaient particulièrement à l'égard de cette montée de l'intégrisme?
Parce que c'est ce dont on discute ici entre autres.
La Présidente (Mme
Champagne) : M. Akouche.
• (21 h 10) •
M. Akouche (Karim) : Oui, certainement. Par exemple, quand je... Il y a des quartiers qui
me... M. Drainville a parlé de documentaire. Moi, j'ai failli être
agressé sur Jean-Talon, par exemple, parce que je suis laïque quelque part. Et ce que je dis dans le documentaire, j'ai cité
une phrase que j'ai trouvée dans un manuel scolaire en Algérie, la suivante : «L'islam est comme un arbre et ne
vit que lorsqu'il est irrigué par du sang.» Donc, j'ai parlé d'intégrisme
en Algérie. Il y a des gens qui ont essayé
de m'agresser sur Jean-Talon plusieurs fois parce que moi, je le redis, je ne
confonds pas l'islam et l'islamisme. Ce n'est pas la même chose, je ne fais pas
d'amalgame là-dessus. Mais l'islamisme, c'est comme le fascisme vert, c'est
comme le chiendent, il ronge les cultures. C'est ça qu'on n'arrive pas à comprendre.
Il y a eu plus de 200 000 morts en
Algérie parce qu'il y a eu collusion entre l'État et l'islam, et une religion,
il y a eu collusion. Et, quand il y a
collusion… D'ailleurs, la charte de M. Drainville va éviter cette collusion
entre le religieux et le politique, entre l'État et les religions. C'est
très important.
Mme
Roy
(Montarville) : Ça, j'en suis. Je suis tout à fait
d'accord avec vous. Nous sommes effectivement pour édicter que l'État
québécois est laïque. C'est primordial pour ne pas qu'il y ait, justement,
cette entrave du religieux sur l'État. Je suis tout à fait avec vous.
À
cet égard, si on parlait des signes religieux, vous comprenez que le projet de
loi de M. Drainville ne touchera que les employés de l'État, public et
parapublic, ce qui est quand même assez large. Mais vous voulez aller plus loin
que ça. J'aimerais vous entendre là-dessus.
À cet égard, vous dites : «J'approuve mais en partie seulement car,
dans les établissements
d'enseignement — et
nous voulons aussi interdire le port de signes religieux dans nos établissements d'enseignement — il
faut étendre ces devoirs et ces obligations aux élèves et aux étudiants.»
Pourriez-vous élaborer?
M. Akouche (Karim) : Exactement. D'ailleurs, j'ai cité l'exemple du Collège Marie-de-France
qui fonctionne à merveille. Les
élèves n'ont pas le droit de porter des signes religieux. C'est très important
parce que sinon, on créerait une surenchère au sein de ces
établissements, dans les cours de récréation, dans les salles d'étude, sinon on
créerait une concurrence entre les religions.
Et ceux qui ne
portent pas de signe religieux, est-ce qu'ils ont leur place dans ces
établissements? C'est ça, le problème.
C'est-à-dire, à mon avis, on ne résout pas le problème si, par exemple, le prof
ou l'enseignante devant les élèves, une
élève qui porte un voile ou un élève qui porte une kippa, etc., donc il y a…
Parce que l'enseignant, non seulement il a une autorité morale sur
l'élève, mais également l'élève qui porte le signe religieux véhicule un
message religieux.
Mme Roy
(Montarville) :
Le projet de loi actuellement ne réglera pas ce problème-là.
M. Akouche
(Karim) : Oui, exactement.
Mme Roy
(Montarville) :
Vous dites : C'est un problème. Mais il ne le réglera pas.
M. Akouche (Karim) : Bien, alors je le dis clairement, j'approuve la charte, mais j'espère
qu'elle va être améliorée après parce qu'il y a des points qu'on n'a pas
réglés dans cette charte. C'est vrai. Mais, quand on me sert un repas qui n'est pas complet, j'aime… enfin, il y a des
choses qui me plaisent dans le repas, je ne vais pas dire : Voilà, je ne
vais pas manger. Donc, j'accepte le repas.
Après, peut-être, une autre fois, si la personne m'invite… va améliorer son
repas, donc il n'y a pas de raison que je dise : Voilà, non. Moi,
sincèrement je le défends et…
Le Président (M.
Ferland) : …temps de la députée de Montarville étant écoulé, je
vais du côté du député de Blainville pour le même temps, 4 min 35 s exactement.
M. le député.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Akouche, merci d'être là, surtout à cette heure. Ce
n'est pas toujours facile. Je vais
profiter, moi aussi, de votre expérience de Québécois venu de l'étranger. Moi,
c'est plus au niveau, justement, de l'immigration.
Vous avez dit que vous avez choisi le Québec au départ pour sa langue. Vous
étiez déjà attaché à cette langue française. Est-ce que vous croyez que
les valeurs qui sont celles du Québec et qui éventuellement pourraient être la
laïcité, est-ce qu'elles sont suffisamment connues à l'extérieur du Québec,
est-ce qu'elles sont suffisamment promues auprès de l'immigration qui vient
ici?
Je ne sais
pas quelles étaient vos attentes quand vous êtes arrivé. Est-ce que ça
correspond à ce que vous vous attendiez?
Est-ce que le Québec devrait promouvoir davantage, faire plus? Il y a là
peut-être aussi… Les gens arrivent ici, s'attendent peut-être à quelque
chose, et ce qu'ils ont devant eux est peut-être différent de ce à quoi ils
s'attendent. J'aimerais que vous parliez de
cette perception. Est-ce que les gens arrivent ici en se disant : On va y
aller puis on va pouvoir changer des
choses? Vous voyez ce que je veux dire, là? Quelle est cette perception à
l'étranger, là, au niveau de l'immigrant qui s'en vient au Québec?
M. Akouche
(Karim) : Certainement,
c'est un défi quand on vient ici d'une terre étrangère. Mais moi, ce qui m'a aidé,
c'est la langue française parce que
j'ai appris ça lorsque j'étais jeune. Et, en même temps, j'ai découvert,
sincèrement, un peuple généreux, un peuple
ouvert sur le monde. D'ailleurs, je suis blessé d'entendre les gens taxer les
Québécois de racistes. Partout dans le monde, il y a des racistes.
Les islamistes, c'est l'extrême droite; on ne le
dit pas. L'islamisme, c'est l'extrême droite; on ne le dit pas. En France, il y a Jean-Marie Le Pen qui représente
l'extrême droite. En Algérie, c'est l'islamisme qui représente l'extrême
droite. Donc, le Québec… Moi, j'aime
sincèrement le Québec. C'est un pays généreux, ouvert sur le monde.
D'ailleurs, entre les Kabyles et les
Québécois, il y a vraiment des liens de fraternité. Le peuple québécois est un
exemple d'espoir pour le peuple
kabyle, et le peuple kabyle, quelque part — je l'ai dit à des amis — est un exemple de courage pour les Québécois.
M. Ratthé :
Mais alors, quand les gens disent : Bien, écoutez, si vous implantez cette
laïcité, surtout, là, l'interdiction des signes ostentatoires, vous
allez réduire l'immigration, vous allez faire fuir les gens, vous allez à l'encontre de l'ouverture du Québec… C'est un peu
ce qu'on nous dit souvent, on dit : Si le Québec est ouvert,
pourquoi est-ce que le Québec ne laisserait pas les gens exprimer librement ce
qu'ils veulent exprimer?
M. Akouche (Karim) : Est-ce que les
Québécois ont le droit de choisir le modèle de société dans lequel ils
souhaitent vivre? C'est ça, la véritable question. Ils ont le droit de choisir
le modèle dans lequel ils souhaitent vivre. D'ailleurs,
on entend les gens dire : La Charte canadienne des droits et libertés,
etc. Mais est-ce à la Cour suprême du
Canada à qui revient le droit de décider du sort du peuple québécois,
c'est-à-dire du projet de société dans
lequel ils souhaitent vivre? Je suis désolé, les Québécois sont un peuple
majeur et vacciné, ils ont le droit de choisir la société dans laquelle ils souhaitent vivre. Donc,
la laïcité fait partie de leurs valeurs. Parce qu'il y a eu la «grande
noirceur», il y a eu la Révolution
tranquille. On ne va pas tourner le dos à ces acquis. C'est ça, ce qui me
dérange, d'ailleurs, dans le point de
vue de Québec solidaire, c'est qu'à mon avis ils ont développé le complexe
d'Orphée, ils refusent de regarder en arrière. On a le droit de regarder en arrière tout en regardant l'avenir
également, l'avenir. Je veux dire, l'arrière, il y a des valeurs très intéressantes, très importantes comme par exemple
les acquis de la Révolution tranquille. On doit les garder. Après, on
regardera vers le futur.
M. Ratthé : Que dites-vous
aux gens qui disent : Il n'y a pas nécessité de légiférer parce qu'il n'y
a pas de problème, alors pourquoi? On nous
dit : Pourquoi on interdirait les signes religieux parce que, de toute
façon, il n'y en a pas, de problème de ce côté-là? Bien, je vous pose la
question. Vous venez d'un pays où vous avez dit tantôt que vous n'avez pas vu
venir le problème.
M. Akouche
(Karim) : Exactement. Le
problème, même si on… Il y avait quand même des gens qui ont émis des craintes. Ils disent : Voilà, il y a… Par
exemple, on a assisté à l'affaire de Shafia, par exemple. Donc, il y a quand
même des réalités. On a assisté, par exemple, en 2003, à la tentative
d'instauration de tribunaux islamiques…
Le
Président (M. Ferland) : …est écoulé pour la période
d'échanges. Alors, M. Karim Akouche, je vous remercie pour la
préparation de votre mémoire et votre présentation, bien sûr.
Alors, sur
ce, je lève maintenant la séance. Et la commission ajourne ses travaux à
demain, mercredi le 19 février, 15 heures. À demain!
(Fin de la séance à 21 h 19)