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Version finale

40e législature, 1re session
(30 octobre 2012 au 5 mars 2014)

Le jeudi 16 janvier 2014 - Vol. 43 N° 112

Consultation générale et auditions publiques sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement


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Table des matières

Auditions (suite)

M. Yves Gauthier

Association des Townshippers

M. Michel Gauthier

Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)

M. Alain Rioux

Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS)

M. Claude Pineault

Autres intervenants

M. Luc Ferland, président

M. Bernard Drainville

M. Marc Tanguay

Mme Kathleen Weil

Mme Rita de Santis

M. Laurent Lessard

Mme Nathalie Roy

M. Daniel Ratthé

M. Pierre Reid

Mme Françoise David

*          M. Gerald Cutting, Association des Townshippers

*          Mme Rachel Hunting, idem

*          Mme Michèle Sirois, PDF Québec

*          Mme Radia Kichou, idem

*          Mme Naomie Caron, idem

*          Mme Céline Duval, AFEAS

*          Mme Paula Provencher, idem

*          Mme Manon Pineault, accompagne M. Claude Pineault

*          Mme Geneviève Caron, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures quarante minutes)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que l'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Ouimet (Fabre) est remplacé par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme la secrétaire. Avant de débuter nos travaux ce matin, j'aimerais vous rappeler que les mémoires transmis à la commission en vue d'être présentés en auditions ne sont pas publics tant qu'ils n'ont pas été présentés devant les parlementaires. Bien entendu, les mémoires appartiennent à leurs auteurs, qui peuvent en disposer comme bon leur semble. Mais je tenais à vous demander d'être respectueux des travaux de la commission. Ces mémoires seront rendus publics sur le site Internet de l'Assemblée au fur et à mesure que nos auditions avanceront. Je vous demande donc votre collaboration sur ce point. Merci.

Auditions (suite)

Ce matin, nous allons… nous entendrons M. Yves Gauthier, l'Association des Townshippers et M. Michel Gauthier. J'invite donc M. Yves Gauthier à nous présenter son mémoire, en vous rappelant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, et suivra immédiatement après une période d'échange avec les groupes parlementaires. Alors, M. Gauthier, la parole est à vous.

M. Yves Gauthier

M. Gauthier (Yves) : Merci, M. le Président. Mmes, MM. les députés, bonjour. Je suis heureux que le débat large et ouvert ait cours au Québec, sur la laïcité de l'État. Ce faisant, le ministre reconnaît que ce débat est trop important pour qu'il soit laissé aux mains seules des députés ou des groupes de pression professionnels.

On sait tous qu'il est évident qu'une loi seule, à elle seule, ne peut pas régler tous les problèmes. Si c'était le cas, on serait très heureux, parce que nos prisons seraient vides. Une loi, dans le fond, ça pose des balises pour le bien commun. Puis, dans ce sens, le concept de laïcité de l'État est fort bien défini dans l'énoncé du projet de loi n° 60 comme étant la séparation des religions et de l'État, la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci, voulant dire l'État. Il va de soi que, comme pour la justice, il faut qu'il y ait non seulement laïcité, mais qu'il y ait aussi apparence de laïcité de l'État, et ça doit se traduire par une neutralité religieuse visuelle chez tous ses mandataires.

Je dois dire aussi que je regrette vivement que les tenants du statu quo, ceux qui se réclament de la laïcité ouverte, voient les prochartes comme des racistes xénophobes. Comme si être contre l'immixtion du catholicisme, du protestantisme, de l'islam, du judaïsme, du sikhisme ou même de la scientologie dans la gestion de l'État, c'est être intolérant. Puis évidemment que, pour certains, l'occasion est trop belle pour ne pas la saisir et ramener toute la discussion à une primaire question identitaire québécoise francophone de souche, alors qu'on sait que des Québécois et Québécoises de toutes religions et de toutes origines ethniques, de sexe et de couleur de peau différents appuient le projet de loi n° 60.

Tous les aspects de la question doivent être pris en compte, non seulement les plus évidents, comme les signes religieux ostentatoires, mais ceux tout aussi importants, comme par exemple la présence du religieux dans le milieu d'enseignement, les avantages pécuniaires reliés aux organismes religieux.

D'ailleurs, ce débat n'a rien de nouveau, ni au Québec ni dans le monde. Quelqu'un l'a mentionné hier, les Patriotes de 1837 en parlaient déjà. Nous regardons un petit peu vers l'Europe. En 1990, la Commission européenne a statué que l'interdiction du hidjab constituait une limite raisonnable à la liberté religieuse. En Allemagne, certains États proscrivent le hidjab et les soutanes chrétiennes. La ville de Berlin interdit à ses employés le port de tout signe religieux dans le cadre de leurs fonctions. En Belgique, outre le fait que le port de signes religieux est interdit pour les juges et les policiers, en 1994 le tribunal de Liège a considéré que le port du hidjab est un choix et non une obligation religieuse, et la plupart des écoles belges interdisent le port du hidjab tant aux élèves qu'aux professeurs. En France, les sikhs doivent enlever leurs turbans pour la photo sur le permis de conduire. En 2003, une loi est adoptée interdisant le port de signes religieux ostentatoires par les élèves à l'école publique, et le même interdit vaut pour les employés de l'État. En Suisse, l'interdiction du hidjab a été statuée par la cour européenne, et l'Union européenne comprend 28 pays, je crois.

Revenons au Canada, revenons en Ontario. En 2005, suite à une demande faite par la Ligue islamiste mondiale, le gouvernement de l'Ontario a refusé d'instituer des tribunaux basés sur la charia — on en sait quelque chose ici. «Il n'y aura pas d'arbitrage religieux en Ontario. Il y aura une loi pour tous les Ontariens. L'arbitrage religieux menace notre terrain commun», disait le premier ministre McGuinty à l'époque. En Ontario, quand on a décidé ça, est-ce qu'on faisait preuve de racisme? Est-ce qu'on faisait preuve de xénophobie? Est-ce que c'était un primaire nationalisme et identitaire WASP? Parce qu'en refusant les tribunaux de la charia, n'était-ce pas brimer des droits fondamentaux de certaines personnes? Parce que la charia est une composante importante de l'islam. Même que, pour les puristes, et ça c'est important, la charia est la loi d'Allah à laquelle tous les musulmans doivent se soumettre. Nul ne peut y déroger ni être tenu au respect des lois qui ne sont pas d'essence musulmane, parce que ces lois-là sont jugées comme inférieures à la charia, qui, elle, est pure et parfaite.

Lorsque Mme Houda-Pepin a attaché le grelot ici, à l'Assemblée nationale, au Québec, est-ce qu'on l'a traitée de raciste et de xénophobe? Non, mais on l'a traitée d'islamophobe, par exemple.

Si la plupart des jugements dont je fais mention ont porté principalement sur la religion musulmane, c'est parce que les islamistes sont plus actifs et se sont donné une mission divine : celle d'islamiser le monde entier, de gré ou de force. C'est vrai que les islamistes peuvent être plus visibles. C'est sûr qu'ils sont sur le devant de la vitrine. Mais ça ne veut pas dire que les autres religions, les Juifs ou les catholiques, les protestants ne sont pas tout aussi actifs en catimini.

Voici d'autres exemples, en dehors des fatwas puis des meurtres commis au nom du fondamentalisme religieux, des vitres givrées, qui peuvent éclairer un peu notre réflexion ici, au Québec.

En 2004, Salam Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal, presse le gouvernement du Québec pour instaurer la charia. Il justifiait son intervention de la façon suivante : Cette cour religieuse porterait le nom de Conseil de la charia. Tout ce qu'on veut, c'est un accord pour que les musulmans aient une instance officielle pour s'assurer qu'ils gèrent leur vie selon les préceptes de leur religion. Si Québec refuse, nous devrons nous-mêmes donner la crédibilité au Conseil de la charia.

Et, plus récemment, en 2010, Naïma Atef Amed, dans ses cours de francisation — ça, ça a sorti dernièrement, on l'a vu — refusait d'enlever son niqab et demandait même aux autres étudiants de la classe de lui tourner le dos lorsqu'elle faisait des exposés.

En 2011, l'imam Foudil Selmoune, du centre communautaire de Brossard, professe avec la plus belle candeur possible que la lapidation des femmes, c'est dans la charia, et je le cite : «Ce n'est pas nous qui nous donnons ce droit; ce sont des lois de Dieu, et on ne peut pas les changer.»

Lors de la deuxième conférence sur les religions du monde, en 2011, parrainée par l'Université McGill et l'Université de Montréal, les participants élaboraient une déclaration universelle des droits de la personne stipulant, entre autres, que chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d'enseignement et qu'il est du devoir de l'adepte de chaque religion de s'assurer qu'aucune religion n'est dénigrée dans les médias ou dans les maisons d'enseignement. Ce n'est pas rien, ça!

C'est donc dire que nul n'aurait pu dénigrer l'Église catholique lorsqu'une petite Brésilienne de neuf ans a été violée par son oncle et qui portait des jumeaux. Les médecins ont décidé, ont trouvé, ont jugé que son bassin était trop petit pour une telle charge et qu'il fallait, avec la permission des parents, l'avorter. La très sainte Église catholique s'est empressée d'excommunier le père, la mère, le médecin et la petite fille de neuf ans. Pendant ce temps-là, le petit mononcle pédophile, lui, court dans les prés, tout heureux de son coup. Est-ce qu'on va laisser le Québec se laisser bâillonner par une quelconque croyance religieuse? Je ne le cois pas.

En octobre 2011, l'Université Concordia accueille un conférencier, à l'Université Concordia, un conférencier qui disait, en parlant de la femme : «The husband is allowed, to prevent her from evil, to provide some type of physical force.» Évidemment que c'est aussi le mari qui va décider ce qui est bon ou mal pour la femme, selon, bien sûr, les bons conseils de son imam.

En 2012, l'Université McGill reçoit 1,5 million du Qatar pour aider The Institute of Islamic Studies. Est-ce que le Qatar est un pays qui met en valeur la charte universelle des droits de la personne?

En 2013, ça ne fait pas longtemps, ça, le Collectif Indépendance, qui n'a rien à voir avec le Parti québécois, invitait, avec l'appui de la Human Concern International — un regroupement, là, qui est proche d'al-Qaida, on dit — des conférenciers d'Europe qui tiennent des propos indécents envers tout ce qui ne correspond pas à leur vision de l'Islam radical.

• (9 h 50) •

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, pour conclure.

M. Gauthier (Yves) : Est-ce que vous pouvez me donner deux minutes?

Le Président (M. Ferland) : Allez-y.

M. Gauthier (Yves) : Mentionnons aussi les nombreuses démarches faites par le prêtre catholique Mgr Ouellet et ses semblables auprès des différentes instances gouvernementales pour abroger le droit à l'avortement, à la reconnaissance des droits des gais et pour demander le retour de l'enseignement religieux dans les écoles publiques. Il faut lutter à la fois contre les intégristes religieux, bien sûr, partout au Québec, mais il ne faut pas aussi hésiter de bannir de l'espace civique, je dis bien «civique», les signes religieux qui les représentent et puis qui leur servent de panneaux publicitaires.

Je voudrais conclure, si vous me permettez, M. le…

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste à peu près 30 secondes.

M. Gauthier (Yves) : Le ministre me permet-il de prendre sur son temps?

Je voudrais conclure en citant Mme Louise Mailloux, qui est professeure de philosophie au cégep du Vieux Montréal, citation citée… tirée de son livre La laïcité ça s'impose! : «Les Québécois ne veulent pas que la religion, ni la leur ni celle des autres, ne revienne à l'avant-plan de nos institutions publiques, parce que nous n'avons pas oublié de quel prix se paie l'emprise politique d'une religion sur un peuple, de quel prix se paie cette soumission des corps et des esprits…

Le Président (M. Ferland) : Je vous demande, M. Gauthier, de…

M. Gauthier (Yves) : …et celui plus exorbitant encore qu'ont dû payer nos mères et nos grands-mères et toutes ces femmes pour qui la religion fut un calvaire. [...]C'est la liberté qui nous fait protester…»

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier…

M. Gauthier (Yves) : «…et qui nous fait se lever...»

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier… M. Gauthier, le temps est maintenant écoulé. Mais vous allez avoir l'occasion d'un autre 50 minutes pour échanger avec les parlementaires, donc sûrement de compléter ce que vous vouliez mentionner. Alors, nous allons procéder aux échanges avec les groupes parlementaires. La parole est à vous, M. le ministre.

M. Drainville : Oui. Bien, merci, M. Gauthier, pour votre présentation, pour votre mémoire. Si je vous comprends bien, donc, pour l'essentiel, vous appuyez cette charte des valeurs québécoises ou de la laïcité. Je veux juste revenir quand même sur certains points que vous énoncez, donc, certains arguments que vous énoncez dans votre mémoire.

D'abord, je pense qu'on va s'entendre, vous et moi, que, oui, il y a des fondamentalistes et il y en a ou il y en a eu dans toutes les religions, des fondamentalistes. Hein, on s'entend là-dessus? Donc, ce n'est pas une religion en particulier qui doit être visée là-dessus, je pense qu'il faut prendre le temps de se le dire. Et d'ailleurs, la neutralité religieuse de l'État, on veut la faire justement au nom du respect de tous, de tous, peu importe que tu décides de croire ou de ne pas croire, et de toutes les religions. Ça, pour nous, c'est un argument qui est fondamental.

Par ailleurs, dans votre mémoire, à un moment donné, vous dites : «Par contre, ce qui dérange une majorité de Québécois de souche», c'est la tentative de l'islam de s'imposer, etc. Moi, je ferais attention, si vous me le permettez, en tout respect, je n'aime pas tellement diviser les Québécois entre Québécois de souche et Québécois d'autres origines. Je préfère qu'on parle de Québécois de façon générale, parce qu'ils sont tous égaux à nos yeux. Et, je dois vous dire, et on les a entendus, puis visiblement vous avez suivi nos travaux jusqu'à maintenant, on a eu quelques Québécois d'autres origines que d'origine française, donc des néo-Québécois qui se sont installés chez nous, certains d'entre eux depuis 40 ans, et qui sont venus dire qu'ils appuyaient la charte de la laïcité. Donc, je pense que ça, c'est important de le redire.

Par ailleurs, dans votre mémoire, vous parlez… à un moment donné, vous dites : «…les communautés judaïques vivent plutôt repliées sur elles-mêmes…» Encore une fois, je me garderais de telles généralisations, je pense que… certaines, effectivement, plus orthodoxes, mais je ne pense pas que… De généraliser à l'ensemble d'une communauté ou à l'ensemble d'une religion, je ne pense pas que ça soit utile dans le débat que nous avons présentement, de la même façon qu'on ne peut pas dire que tous les musulmans souhaitent la charia ou veulent la charia, il y a un courant intégriste qui le souhaite. Mais, moi, comme je l'ai dit et répété plusieurs fois depuis ce débat-là, la majorité des Québécois de confession musulmane sont à l'image du reste du Québec, c'est des gens modérés qui veulent vivre heureux avec leurs familles, qui veulent travailler.

Et donc c'est juste une petite mise au point. Vous comprenez la situation et les responsabilités qui sont les miennes, donc prenez-le pas comme un désaveu, ce n'est pas ça du tout, mais je me dois de faire ces précisions-là, ces mises au point là.

Maintenant, parlons du fond des choses. Pourquoi, à votre avis… Parce que je sens, dans votre mémoire, que vous êtes animé par quand même un certain sentiment d'urgence : c'est important de bouger maintenant. Pourquoi c'est important, à votre avis, de la voter, cette charte de la laïcité, dans le contexte actuel? Parce que certains vont dire : Ah! c'est un faux problème, on n'aurait pas dû s'occuper de ça, il y a des enjeux plus pressants, etc. Comment vous réagissez à ça?

M. Gauthier (Yves) : Moi, je me suis surtout attardé à voir l'importance de la loi sur la laïcité, son application, un peu moins parce que c'était… D'abord, en ce qui a trait au français, je me disais qu'il y avait la loi 101 qui devait s'en occuper, ça, il y avait une charte de la langue française aussi. Pour ce qui était de l'égalité hommes-femmes, on l'avait inscrit dans la charte dernièrement. Alors, je me disais, il y avait une chose, par exemple, qui n'était pas inscrite nulle part, c'était : reconnaître la laïcité officielle de l'État et de ses institutions.

Si vous permettez, je vais faire une petite genèse de ce qui m'a amené un petit peu à me préoccuper de cette question-là. D'abord, en 2005, Mme Houda-Pepin a soulevé la question des tribunaux de la charia, ça a fait un petit peu de… ça a émulsionné un peu le Québec, évidemment. Et j'avais une connaissance, un ami qui travaillait, à ce moment-là, dans une radio communautaire ici, à Québec, et qui, à partir de ce débat-là, avait fait une sortie en règle contre les Québécois, qu'ils ne comprenaient rien, qu'ils étaient ignares, qu'ils étaient racistes, xénophobes, enfin tout ce qu'on peut entendre. J'ai dit : Sapristi! Alors, je l'ai rencontré puis j'ai dit : Écoute, qu'est-ce qui se passe? Puis, au fil de la discussion, il m'a répété la même chose qu'il avait dite à la radio. Puis, au fil de la discussion, là il m'a dit qu'il sortait avec une musulmane et qu'il devait la marier, donc il fallait qu'il se confesse. Alors, c'était un petit peu une réaction d'un néophyte qui… Bon. Quand même, ça m'avait quand même frappé, pour un type… un Québécois de souche, là, hein, francophone de souche, comme on peut dire, et puis ça m'avait frappé de voir ça. En tout cas.

Ensuite, bien là, madame… Ensuite, en 2008, j'ai jasé avec un jeune père de famille, de mes connaissances aussi, qui avait une jeune fille qui rentrait à l'école primaire, lui est athée, puis il dit : Moi, ma fille va être obligée de suivre le cours d'éthique et de culture religieuse, puis, il dit, moi, je suis athée puis je considère que ce cours-là, c'est beaucoup plus faire l'apologie des religions que d'autre chose. Bien, il dit : J'ai aucune poignée pour me prémunir contre ça, contrairement aux croyants qui, eux, utilisent les chartes pour aller en cour, pour essayer d'avoir plus de religieux dans les écoles, etc. Lui, il dit : Moi, je n'ai aucune poignée. Et ça, ça m'a fait aussi un petit peu ouvrir les yeux, j'ai dit : Ah oui!

Alors, c'est resté là, évidemment, pendant un petit bout de temps. Puis, lorsque le projet de loi sur la laïcité est sorti, ça m'est revenu, et je me suis dit : C'est vrai! Cette loi-là, peut-être que je me trompe, mais cette loi-là, est-ce qu'elle ne permettrait pas aux non-croyants d'avoir un certain levier, un certain outil pour faire valoir leur liberté de conscience à eux aussi? Donc, par conséquent…

M. Drainville : Elle donne les mêmes droits, la laïcité, la neutralité religieuse de l'État visent à reconnaître le droit des croyants et des non-croyants d'avoir leurs convictions religieuses. Elle met sur un même pied d'égalité croyance, non-croyance, convictions religieuses. Donc, la réponse à votre question, c'est oui, oui.

• (10 heures) •

M. Gauthier (Yves) : Alors, bravo! Pour moi, c'est ça qui est important. Son application, c'est plus problématique, ça, c'est évident, ça, on le sait. Mais ce qui est important, moi, c'est que tout le monde puisse finalement avoir un outil pour défendre sa liberté de conscience. Ça, ça veut dire, ça, que, par exemple… — je pose la question — ça veut dire que ce père de famille… je ne dis pas que ça ira jusque-là, mais ça veut dire que ce père de famille pourrait dire, par exemple… pourrait contester le contenu du cours d'éthique et culture religieuse en disant que c'est trop, c'est plus... ça manque de neutralité religieuse, si l'on veut. Alors, ça, moi, je trouve que c'est extrêmement important, parce que... pour tout ce qu'on sait, là, pour tout ce qu'on voit, pour tout ce qu'on entend, pour tout ce qu'on peut lire. Parfois, le mot «éthique et religion», c'est pas mal plus antinomique que d'autre chose. Faire l'amalgame entre éthique et religion, c'est un petit peu bizarre.

M. Drainville : Là, M. Gauthier, je ne veux pas qu'on se laisse... ou qu'on laisse la discussion se poursuivre sur un malentendu. Le principe de l'égalité de tous et de toutes et le principe de l'égalité du droit de chacun à sa liberté d'expression et sa liberté de religion, c'est un principe qui est fondateur, qui est fondamental dans notre projet. Mais, je dois vous dire, sur le cours d'éthique et culture religieuse, ça ne fait pas partie du programme, là, nous, là. Je comprends que vous, vous ayez une opinion là-dessus, puis, encore une fois, c'est un débat qui a cours présentement, mais je veux juste que vous soyez conscient du fait que ça ne fait pas partie de nos intentions de...

M. Gauthier (Yves) : C'était un exemple.

M. Drainville : Voilà. O.K.

M. Gauthier (Yves) : C'était un exemple. Je me dis qu'un citoyen non croyant pourrait... aurait une poignée, à ce moment-là, avec la loi sur la laïcité de l'État et de ses institutions, pour contester; ce que les croyants, eux, font avec les chartes, par exemple. Je me dis... C'est là que je voyais... C'est là que je vois : Bien là, s'il n'y a pas ça, ça ne sert pas à grand-chose.

M. Drainville : ...dire : Un citoyen peut toujours utiliser... Un citoyen peut toujours utiliser les chartes...

M. Gauthier (Yves) : Qu'est-ce qu'il y a dans des chartes pour les non-croyants?

M. Drainville : Comment?

M. Gauthier (Yves) : Qu'est-ce qu'il y a dans les chartes pour les non-croyants?

M. Drainville : Bien là, écoutez, on pourrait...

M. Gauthier (Yves) : Il n'y a pas un vide juridique, là?

M. Drainville : On pourrait en discuter longtemps.

M. Gauthier (Yves) : Non, non, mais...

M. Drainville : On pourrait en discuter longtemps.

M. Gauthier (Yves) : …quelqu'un qui a mentionné ça aussi hier. Je ne suis pas certain, là, mais...

M. Drainville : Oui. Non, mais c'est parce que ce n'est pas parce qu'on affirme la neutralité religieuse de l'État et le caractère laïque des institutions... quand on fait ça, on place sur un même pied d'égalité croyance et non-croyance, et donc le droit de chacun d'avoir une religion, comme le droit de ne pas en avoir, ça, c'est clair. Maintenant, ça ne veut pas dire qu'il n'y a rien dans la charte actuellement pour les non-croyants. Là, je n'irais pas jusque-là. Encore une fois, c'est une... Vous avez votre lecture, que je respecte tout à fait.

Mais je veux vous amener ailleurs. Ce que j'apprécie dans votre présentation, c'est que, pour vous, il n'y a pas de problème de légitimité démocratique à ce projet-là. C'est-à-dire que les élus de l'Assemblée nationale, ils ont le droit de se prononcer là-dessus. Et, moi, c'est un des principes que je défends depuis qu'on a déposé ce projet de loi là, je dis : C'est d'abord et avant tout... en fait, c'est d'abord aux élus, c'est d'abord aux représentants de la population de voter là-dessus, de se prononcer là-dessus. En démocratie, c'est au Parlement de voter les lois. Alors, nous, on propose une loi, et puis on souhaite, bien évidemment, qu'elle soit votée, puis par la suite, bien, les tribunaux feront leur travail comme il se doit, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Alors, ça, c'est très, très bien.

Je veux juste faire un petit détour, parce que j'imagine que vous avez lu les journaux ce matin, le Barreau qui fait... enfin, le mémoire du Barreau qui apparaît en première page d'un grand quotidien, comme on dit. Si c'est le Barreau qui l'a transmis, il n'y a pas de problème, j'espère juste que ce n'est pas du coulage, là. Mais je dois vous dire que, tout à l'heure, je me suis fait poser des questions là-dessus et je vais vous dire ce que j'ai répondu sur la question du Barreau. J'espère que ça vous intéresse. En tout cas, je pense que ça risque d'intéresser certaines personnes autour de cette table puis peut-être des gens qui nous écoutent également. Moi, je pense que la situation actuelle au Québec, le statu quo, là, ce n'est pas acceptable. Moi, je pense qu'il faut que... Notamment, il y a un très, très fort consensus pour mettre des balises en matière d'accommodement, et, ça, je pense qu'il faut aller de l'avant avec ça.

L'autre chose, également, que j'ai dite, et ce n'est pas inintéressant de le noter... Parce que le Barreau semble avoir de la difficulté avec le concept, la notion de «valeurs». Ce que je disais tout à l'heure à mes anciens confrères et consoeurs, c'est que la Cour suprême, à de multiples reprises, a reconnu que la charte canadienne exprimait les valeurs canadiennes. Alors, je leur ai dit : Bien, si la charte canadienne peut exprimer des valeurs canadiennes, tel que la Cour suprême l'a dit dans de multiples jugements, pourquoi la charte québécoise n'exprimerait-elle pas les valeurs québécoises? Et ça aussi, c'est un principe important que nous défendons depuis le début, c'est-à-dire : le Québec est une société de plus en plus multiethnique, où il y a de plus en plus de religions, mais il faut qu'on ait une fondation commune, à un moment donné, qui fait qu'on est capables de se rassembler puis de s'unir autour d'un certain nombre d'idées puis de valeurs. Et c'est notamment à ça que sert notre charte de la laïcité.

Et puis, par ailleurs, je vais conclure là-dessus, il faut souligner qu'il y a un débat au sein des juristes. Ce n'est pas tous les juristes qui pensent que la charte ne respecte pas... ou, enfin, n'a pas des fondements juridiques solides qui lui permettront de passer la rampe, le cas échéant. Je rappelle toujours qu'il y a d'éminents juristes, également, qui pensent que la charte a des fondements juridiques très, très solides. Et donc je pense que c'est bon de se le rappeler aussi.

Sur la question du visage à découvert, M. Gauthier, vous… en tout cas, je ne crois pas que vous en parliez dans votre mémoire, à moins que je me goure, là. Est-ce que, pour vous, c'est un principe important, ça, cette idée que, quand on donne un service à ses citoyens, à ses concitoyens et quand les citoyens demandent un service à l'État, ils doivent montrer leur visage? Est-ce que, pour vous, c'est important?

M. Gauthier (Yves) : Moi, je pense qu'en général je ne parlerais même pas de signes religieux ostentatoires ou pas, je parle de signes religieux tout court, je l'ai dit tout à l'heure, là, parce que ce sont, pour moi, des panneaux publicitaires. Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, l'admettre, là, c'est ça. Quand j'entends dire des gens : Ce n'est pas ce qu'il y a sur notre tête qui est important, c'est ce qu'il y a dans notre tête. Bien, si ce n'est pas important, ce qu'il y a sur notre tête, bien, enlevons-le. Je trouve qu'il y a un peu de contradiction là, là. Je sais très bien que ce n'est pas ça qu'on veut dire dans le fond, mais on le dit pareil. Ce n'est pas ce qu'il y a sur notre tête qui est important, c'est ce qu'il y a dans notre tête.

C'est évident que, pour nous autres, pour nous, là, pour moi comme pour bien des gens, se faire servir par une personne qui est derrière une grille, là, c'est sûr que c'est embêtant un peu. Vous savez, on a maintenant, là… Dans la profession médicale, par exemple, il y a beaucoup de femmes. Moi-même, là, mon médecin de famille, c'est ma médecin de famille. Et, en tant qu'homme, je ne sais pas si ça arrive chez certains députés, mais, en tant qu'homme, ce n'est pas toujours évident non plus. Même là, même si on est ouvert, puis tout ça, ce n'est pas tout à fait évident. Parce que se faire examiner la prostate par le toucher rectal, c'est un petit peu déboussolant au début ou, en tout cas, la première fois. Je me verrais mal en plus d'avoir affaire à un médecin voilé, avec la burka ou bien le tchador, quoiqu'elle ne le ferait pas, évidemment. Mais on ne sait pas, dans certaines circonstances. Alors, oui, sur une question de principe, oui, je suis tout à fait d'accord qu'on doit avoir des services à visage découvert, ça, c'est bien sûr, et quels qu'ils soient.

M. Drainville : L'autre élément important, j'y ai fait…

M. Gauthier (Yves) : ...recevoir aussi à visage découvert.

M. Drainville : Pardon?

M. Gauthier (Yves) : Et les recevoir aussi à visage découvert.

• (10 h 10) •

M. Drainville : Oui, oui, oui. C'est ça. Exactement. L'autre élément important, j'y ai fait un peu référence tout à l'heure, là, c'est toutes les règles que nous souhaitons mettre en place par rapport aux demandes d'accommodement religieux, donc cette idée qu'une demande d'accommodement doit d'abord être fondée sur une discrimination. Il faut vraiment que la personne qui demande l'accommodement subisse une atteinte à ses droits. Donc, il faut faire la part des choses.

Pour pouvoir demander un accommodement, il faut que tu puisses… il faut que tu puisses montrer, que tu puisses convaincre qu'il y a effectivement une atteinte à tes droits. Le deuxième critère qu'on amène après ça, c'est l'égalité entre les hommes et les femmes. On dit : Si la demande d'accommodement, elle est recevable, parce qu'il y a une possibilité d'atteinte aux droits de la personne qui demande l'accommodement, il faut s'assurer que la demande d'accommodement ne mine pas l'égalité entre les hommes et les femmes. Par la suite, il y a les critères de raisonnabilité. Et finalement, dans le cas d'une demande d'accommodement à une institution publique, il faut que ça respecte les principes de neutralité religieuse.

Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de cette espèce de grille d'analyse, dans le fond, qu'on se donne, dans le projet de loi n° 60, pour justement départager des accommodements qui sont véritablement raisonnables, fondés, des autres qui ne le sont pas?

M. Gauthier (Yves) : Des accommodements religieux. Parce qu'on en a, des accommodements raisonnables, par rapport aux personnes handicapées, présentement, puis ça ne cause aucun problème.

M. Drainville : Ce n'est pas de ça dont il est question.

M. Gauthier (Yves) : Ça n'a jamais causé de problèmes au Québec, les accommodements raisonnables par rapport, par exemple, aux personnes handicapées. Mais des accommodements raisonnables par rapport à des demandes… en fonction de demandes religieuses, à caractère religieux…

M. Drainville : Vous avez raison — permettez-moi de vous interrompre — vous avez raison de souligner qu'il n'y a rien, dans la charte, qui change quoi que ce soit au statut des accommodements demandés par les personnes handicapées. Les mêmes critères, par exemple, de raisonnabilité s'appliquent. On prend les mêmes critères que la Cour suprême, notamment, a utilisés pour accorder des accommodements aux personnes handicapées. On ne fait que codifier ces critères-là dans la charte. Donc, la charte ne change rien, effectivement, pour les personnes handicapées.

Mais, pour les accommodements de nature religieuse, effectivement, notamment à partir du moment où on affirme le principe de l'égalité hommes-femmes, qui ne peut pas être remis en question, là effectivement on va sans aucun doute rendre plus difficiles, sinon même impossibles des demandes d'accommodement. Par exemple, celui de l'étudiant à York, là, ça, c'est un très bel exemple. Avec la charte que nous proposons, l'accommodement demandé par l'étudiant à l'Université York aurait été impossible, aurait été tout de suite refusé parce qu'il remettait en question justement l'égalité hommes-femmes. C'est un exemple.

M. Gauthier (Yves) : Juste pour un petit brin d'humour : je suis gradué de York, il y a 40 quelques années, de York University à Toronto, en 1974.

M. Drainville : Dans quel domaine, si vous me permettez?

M. Gauthier (Yves) : Pardon?

M. Drainville : Dans quel domaine?

M. Gauthier (Yves) : Sciences politiques.

M. Drainville : En sciences po. O.K.

M. Gauthier (Yves) : Alors, oui, c'est évident qu'il faut avoir des balises pour les accommodements religieux, mais j'ai un petit peu de difficultés à faire l'équation entre laïcité, je parle du concept de laïcité de l'État et de ses institutions, et accommodements religieux.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. Gauthier, malheureusement, le temps alloué à la partie ministérielle étant écoulé, je dois aller du côté de l'opposition officielle. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine. M. le député.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci, M. Gauthier, bon matin. Merci d'être là. Merci, M. Gauthier, d'avoir pris le temps de rédiger un mémoire, de nous l'avoir acheminé — que l'on a tous lu avec attention — et ce matin d'être ici présent pour répondre à nos questions. Nous avons 18 minutes — c'est ce qu'on me confirme — alors je sais que mes collègues auront des questions, je vais essayer de… 16 minutes? Alors, on va essayer de vous poser des questions le plus efficacement possible.

Tantôt, vous avez entendu le ministre vous parler du mémoire du Barreau. Est-ce que vous l'avez lu?

M. Gauthier (Yves) : Non. Non.

M. Tanguay : Vous ne l'avez pas lu. O.K. Et le ministre vous a parlé également de décision de la Cour suprême à laquelle il a référé. Est-ce que vous aviez lu de telles décisions de la Cour suprême? Les décisions de la Cour suprême auxquelles il a référé, est-ce que ça vous disait quelque chose? Est-ce que vous les aviez lues?

M. Gauthier (Yves) : Non.

M. Tanguay : O.K. Donc, ce matin, quand le ministre vous a parlé, pendant quelques minutes, du Barreau, puis tout ça, donc, ça, ce n'est pas des éléments sur lesquels, ce matin, là…

M. Gauthier (Yves) : Ce matin, non. Je n'ai pas eu le temps de le lire, les journaux, ce matin, encore.

M. Tanguay : O.K. Mais on aura compris pourquoi le ministre, ce matin, là, sentait un certain besoin et malaise de parler du Barreau.

M. Gauthier (Yves) : Mais par contre je vous ai entendu dans le corridor.

M. Tanguay : Vous l'avez entendu dans le corridor, puis il parlait de quoi?

M. Gauthier (Yves) : Vous, je vous ai entendu.

M. Tanguay : Vous m'avez entendu? O.K. Et avez-vous remarqué que je parlais du Barreau ce matin?

M. Gauthier (Yves) : Oui, tout à fait.

M. Tanguay : Et vous avez compris pourquoi le ministre, ce matin, avec un certain malaise, a tenté de vous amener sur ce terrain-là. Mais je ne vous amènerai pas sur ce terrain-là puisque vous ne l'avez pas lu, vous n'avez pas lu les décisions de la Cour suprême, puis on laissera peut-être le ministre ramener un peu de cohérence là-dedans.

J'aimerais, monsieur… Vous avez dit au ministre que ce n'était pas évident, mais en tout cas — là je vous cite. À un certain moment donné, quand vous parliez au ministre… Je vais parler plus fort pour m'assurer que vous me comprenez. Vous parliez du ministre ce matin, là, de cet homme athée qui disait : Moi, ma fille, je suis athée, je ne veux pas qu'elle participe aux cours d'éthique et de culture religieuse. Et là vous avez dit : Ça prend la charte pour qu'on puisse avoir une poignée — puis c'est l'expression que vous avez utilisée — pour permettre à nos enfants d'être exclus de ça. Le ministre vous a dit : Écoutez… Puis je pense que c'est un point majeur, hein? On lit votre mémoire — et vous dites oui, là — c'est un point majeur pour vous, vous, pour un athée, de ne pas avoir aucune influence religieuse, c'est important, puis ça transpire de votre mémoire, pour ce père-là. Là, le ministre vous a dit : Bien, écoutez, c'est le fondement de votre présence ici, autrement dit, puis il vous a confirmé que la charte ne réglerait pas ça du tout, qu'il n'y aurait pas de poignée. Puis, à un certain moment donné, vous rappelez-vous, vous avez dit : Ce n'est pas évident, mais en tout cas. Êtes-vous un peu déçu de ça, qu'il n'y ait pas de poignée là-dessus?

M. Gauthier (Yves) : Moi, je… Est-ce qu'on peut faire une distinction entre la loi et la charte ou bien si c'est…

M. Tanguay : J'aimerais vous entendre là-dessus, que…

M. Gauthier (Yves) : Bien, moi… Est-ce que c'est une distinction qu'on peut faire?

M. Tanguay : Mais allez-y, étayez sur votre point.

M. Gauthier (Yves) : Parce que moi, je parlais de la loi. La charte, c'est beaucoup plus, pour moi, là, comme son application de la loi.

M. Tanguay : Vous parlez de la charte du PQ, là?

M. Gauthier (Yves) : Non, non, la charte…

M. Tanguay : Le projet de loi?

M. Gauthier (Yves) : Le projet de loi, là, il y a…

M. Tanguay : Non, c'est la même chose. Autrement dit, le projet de loi n° 60, c'est la charte du PQ. C'est la même chose, là. C'est un projet de loi qui… on verra, là, s'il va devenir loi.

M. Gauthier (Yves) : En tous les cas, moi, ma compréhension, oui, je serais déçu si la loi ne donnait pas des outils nécessaires aux non-croyants pour faire valoir leur liberté de conscience. Si la loi ne fait pas ça, moi, je suis déçu.

M. Tanguay : Bien, la loi ne fait pas ça.

M. Gauthier (Yves) : Bien, je ne suis pas sûr, mais en tout cas.

M. Tanguay : Bien, le ministre vous a confirmé ce matin, puis à sa réponse vous avez dit : Ce n'était pas évident.

M. Gauthier (Yves) : Ce n'était pas certain.

M. Tanguay : Qu'en pensez-vous?

Le Président (M. Ferland) : …juste quelques secondes pour rappeler : Les députés, les partis, peu importe, tous confondus, sont là pour questionner la personne qui vient ici, en avant, mais pas pour les contredire non plus. Alors, j'aimerais les échanges…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : C'est ça, et voilà. Parce qu'il y a des réponses… pour permettre que monsieur donne sa réponse, à ce moment-là. Allez-y.

M. Tanguay : Et je vous remercie beaucoup, M. le Président, pour votre rappel. Effectivement, je peux comprendre qu'il y a des éléments de la présentation de M. Gauthier qui ne font pas l'affaire de la banquette ministérielle puis qu'il y a eu des interpellations de ce côté-là, mais j'aimerais entendre M. Gauthier là-dessus, sur sa déception puis pourquoi c'est important pour vous. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Gauthier (Yves) : Bien, c'est important parce qu'il me semble… puis à la lumière de ce qu'un jeune père de famille me disait, qu'il semblait… et il me disait… puis après avoir examiné la situation… Puis ce n'est pas n'importe qui non plus, c'est un gradué puis c'est un type impliqué dans le communautaire depuis plusieurs années, qui défend beaucoup de causes, et qui disait : Moi, je n'ai pas de poignée pour éviter à mon enfant… Je parle en théorie, là, évidemment, il ne voulait pas s'en aller, là, en cour immédiatement, mais il réalisait qu'il n'avait pas de poignée, qu'il n'avait pas d'outil pour contester ce genre d'enseignement là, par exemple. Ça peut se produire dans d'autres domaines, mais ça, c'est un exemple que je donne, là. Je ne veux pas rien que m'arrêter à ça.

Alors, si les non-croyants n'ont pas d'outil parce que dans aucune… En tout cas, il me semble que dans aucune charte ce n'est écrit qu'on peut faire objection à la religion, ou quoi que ce soit… Dans les chartes, par exemple, on dit : Oui, la religion, les gens ont la liberté de religion. Mais ce n'est pas marqué qu'on a la liberté aussi de non-religion. Alors, moi, je me dis que, si cette loi-là ne donne pas des outils pour les non-croyants — si, je dis bien si, je ne suis pas légiste, moi — si, à ce moment-là ce serait une déception.

M. Tanguay : O.K. Et, M. Gauthier, juste avant de céder la parole à mes collègues, parce qu'ils ont des questions, je veux juste faire une précision également que — il serait important de le mentionner — votre mémoire traite beaucoup de la religion musulmane et de l'intégrisme, vous avez parlé de la charia…

M. Gauthier (Yves) : Je parle aussi beaucoup du catholique… du catholicisme, monsieur.

M. Tanguay : Oui…

M. Gauthier (Yves) : Très beaucoup, même, beaucoup plus.

M. Tanguay : Oui, oui. Et là-dessus… Mais, par rapport à la charia, juste pour vous rappeler, vous aviez noté… Le 26 mai 2005, il y avait une motion unanime de l'Assemblée nationale, et je la cite : «Que l'Assemblée nationale s'oppose à l'implantation des tribunaux dits islamiques au Québec et au Canada», fin de la citation, qui avait été déposée par notre collègue libéral le 26 mai 2005, motion unanime. Alors, au Québec, au niveau de la charia, c'est réglé, il n'y en aura pas, et ça, c'est très clair.

M. Gauthier (Yves) : Ah! c'est une résolution, monsieur. C'est une résolution, hein?

M. Tanguay : Résolution de l'Assemblée nationale.

M. Gauthier (Yves) : C'est une résolution, ce n'est pas une loi, ça.

M. Tanguay : Oui. Mais ça, il n'y a personne là-dessus qui conteste.

Une voix : Oui, mais le Code civil, c'est la loi.

M. Gauthier (Yves) : Ah non! mais…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : …qui a la parole. On va laisser les échanges, et vous aurez l'occasion après.

M. Tanguay : Et dernier point également…

M. Gauthier (Yves) : En tout cas, je ne veux pas embarquer dans… Je m'excuse de vous interrompre, mais je ne voudrais pas embarquer dans des questions de légalité, je suis absolument incompétent là-dedans.

M. Tanguay : Non, non, non. Mais merci. Je vais laisser mes collègues poursuivre, M. Gauthier. Merci beaucoup.

Le Président (M. Ferland) : La parole est à la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois. C'est ça? Oui, allez-y.

• (10 h 20) •

Mme Weil : Merci, M. le Président. Oui, bonjour, M. Gauthier. Merci pour votre présence. Je vais peut-être aller dans ce sens et votre perception par rapport à la charte, d'une part, et l'interdiction de signes religieux et les accommodements, hein, parce qu'on a parlé un peu des deux. Vous, si je comprends bien, mais vous allez me dire si j'ai raison, vous voyez la charte et les interdictions de signes religieux, parce que vous parlez beaucoup de ça, le port du voile, comme un véhicule d'islam et de répandre l'islam… — il y a une citation. Est-ce que vous voyez la charte et cette interdiction comme un rempart contre les accommodements religieux?

M. Gauthier (Yves) : Je vois la charte comme un rempart contre toute ingérence religieuse dans les affaires de l'État et de ses institutions.

Mme Weil : Et, en particulier, si vous pouvez être un peu plus précis, est-ce que c'est l'interdiction qui, pour vous, est le rempart ou est-ce que c'est d'amener des balises sur les accommodements?

M. Gauthier (Yves) : L'interdiction de?

Mme Weil : Bien, c'est que vous parlez beaucoup des signes religieux, dans votre mémoire, et cette déclaration de laïcité, mais l'interdiction… Parce que vous parlez beaucoup du voile comme une manifestation… une manifestation.

M. Gauthier (Yves) : Mais vous voulez dire les interdictions de…

Mme Weil : De porter.

M. Gauthier (Yves) : …de porter des signes religieux. Bien, je trouve que c'est un moyen, c'est un outil…

Mme Weil : C'est un bouclier contre…

M. Gauthier (Yves) : C'est un outil. C'est un outil pour que les gens de toutes religions, toutes les religions, pas seulement l'islam, là, toutes les religions, aient moins… en tout cas, moins d'emprise sur les décisions de l'État et de ses institutions. Parce que vous savez que je ne pense pas que le Québec est un État complètement laïque, et je pense qu'il est loin d'être encore complètement laïque.

Mme Weil : Bon. Mes collègues ont des questions. Alors, je vais laisser mes collègues poser leurs questions.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je crois reconnaître la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme de Santis : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Il reste environ… je pense que c'est six minutes à peu près, oui.

Mme de Santis : Merci. Merci beaucoup, M. Gauthier. Je reprends une de vos recommandations, vous demandez qu'il y ait une absence de tout signe religieux, que ce soit ostentatoire ou pas, dans l'espace civique. Comment cette recommandation, si adoptée, affecterait le patrimoine religieux du Québec? Parce qu'on a une croix au Mont-Royal…

M. Gauthier (Yves) : Dans l'espace civique, hein?

Mme de Santis : L'espace civique, oui, alors…

M. Gauthier (Yves) : Alors, j'essaie de faire la différence, en tout cas, entre civique et public, hein? Civique, c'est l'État et ses institutions.

Mme de Santis : Ah! Vous voulez dire à l'intérieur des institutions de l'État?

M. Gauthier (Yves) : C'est ça, oui.

Mme de Santis : Ah! O.K. Parfait. Parce que, quand j'ai lu «espace civique», ce n'était pas clair pour moi.

M. Gauthier (Yves) : Est-ce que je me trompe ou bien si… Ce n'est pas ça, la définition du «civique»?

Mme de Santis : Bien, maintenant, on l'a clarifié, ça va.

M. Gauthier (Yves) : Oui. O.K. Bon.

Mme de Santis : Mais, quand on parle de tout signe religieux, alors… et vous voulez… Vous proposez que soit interdit tout signe religieux porté par un fonctionnaire. Comment on traite des signes religieux qui ne sont pas des objets, par exemple une barbe d'une certaine taille, des cheveux très longs, qui sont portés par les sikhs?

Une voix : Cachés.

Mme de Santis : Oui, ils sont cachés aujourd'hui derrière un turban, mais le turban ne serait pas admissible en vertu… Alors, derrière quoi le sikh pourrait cacher ses cheveux? Est-ce qu'il doit couper ses cheveux?

M. Gauthier (Yves) : Bien, écoutez bien, madame, je pense que, dans tous les métiers, toutes les professions, il y a des limitations, il y a des limites, il y a des règlements vestimentaires à avoir. À l'Assemblée nationale, les députés ne pourraient pas, je pense, entrer à l'Assemblée nationale sans avoir une cravate, hein?

Mme de Santis : Je ne porte pas de cravate.

M. Gauthier (Yves) : Alors, ça, ça veut dire, ça, qu'il y a… et dans tous les métiers. Si, par exemple, c'est pour la fonction publique ou, en tout cas, ses institutions, si on demande qu'il n'y a pas de signe religieux, alors les gens qui feront application le sauront. Il faut faire des choix dans la vie, c'est malheureux, mais c'est ça.

Mais il y a des limites dans tout, madame, à peu près tout. On m'oblige à mettre une ceinture de sécurité, si je veux… on m'oblige à ne pas fumer en public. Alors, c'est plein de règlements comme ça qui, pour le bien commun, pour le vivre-ensemble, sont là. On me dit : Ah! ce n'est peut-être pas des questions de droits fondamentaux. Mais, encore là, il faudrait voir, hein?

Mme de Santis : Merci. Je vais laisser la parole à mon collègue.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. le député de Lotbinière-Frontenac.

M. Lessard : Oui. Merci, M. Gauthier. Merci de la présentation. Vous me semblez être un homme franc, d'un franc-parler, en tout cas, c'est clair.

M. Gauthier (Yves) : C'est peut-être mes 21 années à Saint-Séverin de Beauce.

M. Lessard : Ah! ça doit être ça, ça doit être ça. Alors donc, j'aime beaucoup la façon dont vous vous exprimez.

Donc, vous venez… D'entrée de jeu, vous avez fait votre présentation puis vous avez vu rapidement que le ministre était… avait à justifier pourquoi le Barreau, etc. Mais, vous, ce n'est pas ça qui vous animait aujourd'hui, c'était plutôt… Vous avez une cause, puis, quand vous avez posé la question au ministre, votre cause, c'était : Moi, je… Vous avez rencontré un père de famille non croyant, puis, lui, il ne se sent pas protégé par la charte des droits et libertés québécoise actuellement, hein? Il n'a pas l'air à trouver sa place dans le fait que, lui, il ne croit à rien, puis il voudrait que ses enfants ne croient à rien puis que personne n'essaie de lui enseigner quelque chose sur ce que sont… l'enseignement des diversités religieuses.

M. Gauthier (Yves) : Des choses contre lesquelles il n'est pas d'accord.

M. Lessard : Donc, on a vite senti — je suis capable de voir le non-verbal, là — votre déception. Parce que vous avez dit au ministre : Est-ce que votre charte, ça garantit ça? Puis il a dû se rabattre sur la Charte des droits et libertés qui existe actuellement, qui dit : La neutralité de l'État, ça se représente par le fait que les croyants comme les non-croyants, à cause de leur liberté de conscience, de religion, ils vivent tous ensemble, c'est comme ça que ça se passe. C'est comme ça que votre non-croyant est protégé, en vertu de la charte qui existe actuellement. Puis là vous avez dit : Oui, bien, si c'est comme ça, ça ne sert à rien, votre charte. Parce que vous, vous y voyez une prise, vous aimeriez que quelqu'un gagne quelque chose pour débattre le fait qu'il ne croit en rien, et que, partout, on puisse avoir cette approche-là.

M. Gauthier (Yves) : En partie, ça, là, mais pas uniquement ça.

M. Lessard : En partie, en partie ça. Donc, je vous amène sur le fait que, quand vous analysez le projet de loi, puis, sans être un spécialiste, vous voyez que le ministre est obligé de venir en baliser. Alors, il dit : Il n'y a plus de signe pour la fonction publique, bien, il n'y a plus de signe ostentatoire. Là, il va être obligé de contrôler la… Bon. Pour les non-croyants, il n'a pas besoin de rien contrôler, ils n'en ont pas, de signe. Pour la religion catholique, là, la croix, il va être obligé de trouver la grosseur que ça prend pour que ça ne soit pas ostentatoire. Ça, ça vous surprend-u puis ça vous déçoit-u de savoir qu'il devra tout arbitrer ça, puis tout le linge, puis tout ce qu'on porte sur la tête?

M. Gauthier (Yves) : Bien, c'est pour ça que je dis… c'est pour ça que je dis, moi : Qu'il n'y ait aucun signe.

M. Lessard : O.K. Alors, vous y allez vers aucun signe. Mais ce n'est pas ce qui est dans le projet, là. Vous avez bien…

M. Gauthier (Yves) : Bien, non, je le sais bien. Une commission parlementaire, ça sert à quoi? À bonifier un projet.

M. Lessard : Oui. Alors, j'ai vu aussi que vous aviez participé ou lu sur beaucoup de conférences qui se sont données sur l'islam ou sur tout autre sujet. Donc, vous nous ramenez encore dans la charte québécoise qui dit : Tu as le droit à la libre expression, tu as le droit à la liberté d'opinion, etc. Donc, est-ce que vous trouvez que la charte, actuellement, des droits et libertés québécoise va… n'en fait pas assez ou… Je vous pose la question. Parce que la charte existe, là. Vous avez entendu autant du monde de l'étranger qui est venu faire des conférences, sur des sujets qui nous surprennent, que du monde l'écouter en disant : J'en prends, j'en laisse.

M. Gauthier (Yves) : Tous les éléments que j'ai apportés, c'était tout simplement pour dire qu'il y avait encore des mouvements, il y a encore des gens, il y a encore beaucoup de gens même, que ce soient musulmans, que ce soient chrétiens, orthodoxes ou intégristes, qui manoeuvrent pour toujours influencer les décisions de l'État en fonction de leurs croyances. C'est ça que je voulais montrer, point à la ligne. Et je voulais montrer que c'est important d'avoir une loi qui garantit la neutralité ou la laïcité de l'État et de ses institutions. Ce n'est rien… Et je voulais montrer cette importance-là.

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, sur ce, je dois céder la parole à la députée de Montarville. Allez-y.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Gauthier.

M. Gauthier (Yves) : Bonjour.

Mme Roy (Montarville) : Merci. Merci beaucoup pour votre mémoire. Je vous écoute, et ce que vous dites, ça me touche, ça me rejoint, et je trouve — c'est une opinion purement personnelle — que vous avez une position qui probablement touche et rejoint beaucoup de Québécois et de Québécoises, la position du gros bon sens, entre autres quand vous dites : C'est plus simple abolir les signes religieux qu'y aller avec l'obligation de mesurer, par exemple.

Outre ça, dans votre présentation, vous avez aussi beaucoup parlé de l'influence de la députée Mme Houda-Pepin, ses sorties, tout ça, et, moi aussi, c'est quelque chose qui m'a touchée. Et je me souviens, entre autres, de la lettre qu'elle a publiée dans les médias, dans laquelle elle disait que, parfois… et là, si vous voulez, je n'ai pas le verbatim exact, mais je pourrais le déposer, mais que, des fois, dans la vie, il faut réduire, il faut limiter les droits, les droits individuels au profit des droits collectifs. J'aimerais que vous parliez de ça, parce que c'est l'essence de votre mémoire aussi, là. Qu'est-ce que vous en pensez de ces propos qu'elle a tenus puis justement du fait qu'à certains moments il faut limiter des droits?

• (10 h 30) •

M. Gauthier (Yves) : Les propos de Mme Pepin, je les ai trouvés un peu ambigus, là, je dois avouer, là. Elle avait des choses à défendre sur plusieurs fronts, là. Mais je suis d'accord que, quand on vit en société… c'est évident, on n'a même pas le choix, quand on est en société, il y a des limites à peu près pour tout, parce qu'autrement ça serait l'anarchie, ça, on le sait.

Mme Roy (Montarville) : Et à l'égard des droits religieux qui sont garantis, là...

M. Gauthier (Yves) : Ah! les droits religieux! Bien, Saint-Maurice!

Mme Roy (Montarville) : Pardon? Vous avez dit saint quoi?

M. Gauthier (Yves) : Saint-Maurice. C'était justement pour... Je trouve que... D'abord, dans mon mémoire, j'ai fait une espèce d'historique, là. À mon âge — j'ai 67 ans — j'ai fait une espèce d'historique de ce que j'ai vécu, là, hein, de ce que mes parents ont vécu aussi, évidemment, pour montrer l'influence néfaste que peut avoir une trop grande présence du religieux dans une société. Alors, qu'on dise qu'on met des limitations à leur influence, moi, je suis tout à fait d'accord.

Vous savez, c'est assez drôle, parce qu'en faisant un petit peu de recherche, je me suis rendu compte que, dans le Code criminel du Canada, canadien, le blasphème est encore considéré comme criminel. En quoi est-ce qu'un athée, un non-croyant pourrait commettre un acte criminel en blasphémant? Encore dans le Code criminel canadien, si des propos haineux sont tenus et sont fondés sur des textes religieux, ce n'est pas interdit, mais, pour un athée qui le ferait, ce serait interdit. Ça, on a encore ça.

Moi, j'ai vu le premier ministre Harper, en sortant d'un scrum, entre guillemets, se faire poser la question : Ce que vous prenez comme décision, là, M. Harper, vous n'avez pas peur du jugement des Canadiens? Il a répondu : «Le seul jugement que je crains, c'est celui-là», en pointant vers le ciel, où Dieu est supposé résider. Est-ce que, depuis ce temps-là, il y a plus de démocratie au Québec? Depuis ce temps-là, je peux vous dire, moi, qu'on a un ministre de la Science et de la Technologie qui se dit créationniste. Je peux vous dire qu'il y a 2 000 scientifiques qui ont été mis à pied au fédéral puis qui n'ont même pas le droit d'aller consulter les recherches qu'ils ont déjà faites s'ils veulent en continuer d'autres.

Le Président (M. Ferland) : Sur ce, M. Gauthier, je dois passer la parole au député de Blainville pour la dernière partie de cette audience. Allez-y, M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Gauthier, bonjour.

M. Gauthier (Yves) : Rebonjour.

M. Ratthé : Oui. Écoutez, M. Gauthier, moi, en lisant votre mémoire, je me suis surtout attardé aux recommandations. On en a peu parlé, de vos recommandations. Ce que je comprends, puis corrigez-moi si je me trompe, ce que je comprends, c'est que vous êtes satisfait du projet de loi pour sa garantie au niveau de la laïcité de l'État, de ce qui pourrait être, vous en avez parlé tantôt, un rempart, mais vous aimeriez qu'il soit bonifié. Vous apportez certains points, là, qui ont déjà été soulevés par d'autres, par exemple le crucifix à l'Assemblée nationale, vous, vous dites : Aucun signe ostentatoire. Il n'est pas question de les mesurer. On a entendu ça aussi. Vous nous dites également : Bien, on devrait enlever les privilèges fiscaux, alors... qu'on a entendu également.

Mais il y a des points qui n'ont pas été entendus, puis j'aimerais que vous élaboriez un peu — parce qu'on n'a pas beaucoup de temps. Vous parlez, entre autres, de l'abolition des conseils de Secrétariat des affaires religieuses dans les ministères. Vous parlez également de songer à présenter une loi omnibus. Alors, moi, je voudrais vous entendre là-dessus, parce que ça, on n'a pas entendu ça jusqu'à maintenant.

M. Gauthier (Yves) : D'abord, on sait qu'au ministère de l'Éducation il y a le Comité des affaires religieuses, il y a le Secrétariat aux affaires religieuses aussi. Puis, rien que pour… On sait que les professeurs de ECR sont formés à la faculté de théologie et non pas par la faculté des sciences de l'éducation. La faculté de théologie. Tu sais, il faut le faire! Probablement que ces facultés-là n'existeraient plus s'il n'y avait pas ces professeurs-là, là, qui allaient là.

Je dis une loi omnibus. Pourquoi, une loi omnibus? Parce que je me suis dit... bien, c'est une réflexion comme ça. C'est pour dire que, finalement, tous les ministères, à chaque fois qu'ils font une loi ou qu'ils posent un geste, devraient penser à cette chose-là, à savoir : Est-ce que le geste que je pose contrevient ou non au principe de laïcité de l'État et des institutions? C'est dans ce sens-là. Puis d'ailleurs je me demande si ça ne sera pas ça, finalement, qu'il faut faire, si...

M. Ratthé : ...intéressant, le fait que vous dites : Bien, il faut aussi que ça se transcrive ou ça transparaisse dans tous les gestes de l'État.

M. Gauthier (Yves) : Ben oui!

M. Ratthé : Et c'est ce que vous venez nous dire. Vous nous parlez de l'abolition des conseils et secrétariat, la même chose, donc tout ce qui est secrétariat, conseil qui a un lien avec la religion. Donc, ce que vous nous dites, là, ce qu'on fait là devrait transpirer non seulement dans l'apparence visuelle, mais aussi dans tous les gestes que l'État devrait poser. C'est ce que vous nous dites, grosso modo.

M. Gauthier (Yves) : Tout à fait.

M. Ratthé : J'aimerais également… Puis je vais conclure là-dessus. Ce que j'ai compris du fait que vous… les athées ne se… devraient être mieux, j'allais dire… ou se reconnaître davantage dans le projet de loi, vous aimeriez qu'on bonifie le projet de loi, surtout en rapport aux cours qui sont donnés, de culture religieuse, on va dire. Bien, qu'on fasse valoir tous les points de vue, un peu, c'est ce que vous dites, là.

M. Gauthier (Yves) : …c'est ça. Parce que, si on prend le… On dit qu'on parle de l'athéisme ou de l'agnosticisme, bien, on l'effleure, là, tu sais, on… Est-ce que, dans les ECR… Est-ce que, dans les cours de culture religieuse, on présente seulement un beau côté des religions ou bien si on présente aussi, comme je dis, les fleuves de sang puis les montagnes de cadavres, là, sur lesquels elles se sont bâties? Je ne crois pas.

M. Ratthé : …M. Gauthier, je voudrais dire que ça paraît que vous avez étudié en sciences politiques, parce que vous avez très bien compris le sens d'une commission parlementaire. On a un projet, un projet de loi, et, avec des commentaires comme le vôtre… ça ne veut pas dire que le projet est parfait, mais il sera sûrement… en tout cas, moi, il va m'aider dans ma réflexion, à savoir : Est-ce qu'on doit le bonifier? Est-ce qu'on doit ajouter des éléments que vous avez apportés? Et je ne le vois pas juste comme un sens d'insatisfaction de votre part, bien au contraire.

Alors, je vous remercie beaucoup, M. Gauthier.

Le Président (M. Ferland) : Alors, c'est terminé, M. le député? Il vous restait quand même 30 secondes.

M. Ratthé : …économe.

Le Président (M. Ferland) : Mais, étant donné qu'on a un peu de retard, on va les récupérer.

Alors, moi, j'aimerais vous remercier, M. Gauthier, en tant que citoyen, d'avoir pris la peine de vous informer et de préparer un mémoire, de venir le présenter. Et, soyez assuré, parce que vous avez soulevé un point important dans votre présentation, les commissions parlementaires sont là pour vous entendre. Et, tous les personnes, les groupes, les individus, les citoyens qui viendront ici au fil des semaines, des jours, bien, les parlementaires, lorsque viendra le temps d'analyser le projet de loi, vont tenir compte inévitablement des suggestions, des commentaires, des recommandations que vous faites à l'intérieur de vos mémoires.

Sur ce, je vais suspendre quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 37)

(Reprise à 10 h 42)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux, mais, avant de passer au prochain groupe, je demanderais le consentement de la commission pour permettre au député d'Orford de participer à cette commission et d'y prendre la parole. Alors, ça me prend le consentement.

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Ferland) : Alors, il y a consentement. Alors, maintenant, nous allons entendre les représentants de l'Association des Townshippers, alors, en vous mentionnant que vous disposez d'un temps de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'un échange avec les groupes de parlementaires. Alors, je vous demanderais de vous présenter ainsi que de présenter les personnes qui vous accompagnent. À vous la parole.

Association des Townshippers

M. Cutting (Gerald) : Merci beaucoup pour ce moment d'avoir une chance de vous rencontrer et d'avoir une chance de faire des échanges.

Mon nom, c'est Gerald Cutting. Je suis le président de l'Association des Townshippers. Je vais présenter Rachel Hunting, elle est la directrice de notre association; Mme Heather Bowman, ancienne présidente, et ici Melanie Cutting, secrétaire de notre conseil d'administration.

Le Président (M. Ferland) : Alors, à vous la parole pour la présentation de votre mémoire.

M. Cutting (Gerald) : Merci. Nous allons partager la présentation entre Mme Hunting et moi-même. On va commencer avec Mme Hunting, s'il vous plaît.

Le Président (M. Ferland) : Mme Hunting.

Mme Hunting (Rachel) : Bonjour. Au terme d'une étude en profondeur des changements à la législation existante proposés dans le projet de loi n° 60, l'Association des Townshippers demande que ce projet de loi soit retiré, car il est d'avis que le projet de loi constitue une menace directe non seulement à l'égard des populations d'expression anglaise, qui sont représentées par des groupes comme le nôtre, mais aussi à l'égard de l'ensemble des minorités au Québec. Nous avons identifié quatre grandes préoccupations qui nous amènent à conclure que, dans le meilleur intérêt de toutes les minorités au Québec, le gouvernement doit retirer ce projet de loi.

La première inquiétude : les modifications aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne. Lors de l'examen du chapitre XI, articles 40 et 41 traitant de la charte québécoise des droits et libertés de la personne, il devient évident que ce projet de loi poursuit un objectif beaucoup plus large que celui d'ajouter une autre couche de réglementations bureaucratiques destinées à imposer et contrôler un code vestimentaire.

Dans cette section, qui semble, pour nous, avoir été ajoutée à la dernière minute, le législateur présente plusieurs concepts importants qui requerront la modification de la charte québécoise existante des droits et libertés de la personne. Le projet de loi propose que l'égalité entre les hommes et les femmes, la séparation de l'Église et de l'État et d'autres valeurs fondamentales de la nation québécoise soient regroupées avec la primauté de la langue française. Si la Charte des droits et libertés de la personne est considérée comme la mesure selon laquelle tous les projets de loi devraient être rédigés afin de s'assurer que les droits et libertés de tous les citoyens soient protégés, alors cette modification laisse clairement beaucoup à désirer.

Est-ce que l'inclusion de la condition de la primauté de la langue française signifie que la minorité d'expression anglaise se trouverait elle-même privée de la protection de la charte québécoise des droits et libertés de la personne non seulement pour ce qui a trait au projet de loi n° 60, mais aussi à l'égard de toute législation passée et future?

L'égalité entre les hommes et femmes est déjà enchâssée dans les chartes, tant canadienne que québécoise, des droits et libertés. Pourquoi alors remettre en question la légitimité de ces chartes? Est-il de l'intention de ce gouvernement d'utiliser la disposition dérogatoire pour faire abstraction de la charte canadienne? Nous croyons fermement que la laïcité qui épouse le projet de loi n° 60 n'est pas une valeur mais plutôt une politique qui vise à retirer des droits et une liberté déjà établis.

Qu'est-ce qui constitue les valeurs fondamentales de la nation québécoise? Quelle est la place des autochtones ou des anglophones de même que des membres des minorités visibles? Nous n'avons aucune idée de la façon dont la communauté d'expression anglaise du Québec, entre autres, sera affectée quant à sa place au sein d'une nation québécoise. Clairement, le projet de loi n° 60 n'a guère à voir avec les valeurs, il s'agit plutôt d'un document conçu pour mettre en oeuvre des protocoles destinés à fabriquer une société de conformité et de discrimination flagrante, fondée sur des différences observables telles que la langue, l'appartenance religieuse et l'origine ethnique.

Deuxième inquiétude : la raison d'être du projet de loi n° 60. Pourquoi ce projet de loi à ce moment-ci? Aucun élément précis n'a été présenté pour justifier un tel projet de loi. Cependant, depuis que le débat sur le projet de loi n° 60 est amorcé, de nombreux incidents de violence physique et verbale contre les minorités visibles et religieuses ont été rapportés dans les médias, comme il s'agissait maintenant d'un comportement acceptable. Étant donné que le projet de loi fournit déjà une plateforme et confère une légitimité pour attaquer les minorités, maintenant que les barrières de l'intolérance et de la xénophobie sont ouvertes, quelles mesures présentera le gouvernement pour protéger ceux qui sont à risque? Si la discrimination sur la base de l'appartenance religieuse est acceptée et officialisée, est-il encore si loin de nous le moment où l'État trouvera nécessaire de pratiquer une discrimination sur d'autres bases, telles que l'origine ethnique, l'orientation sexuelle ou la langue, afin de servir les intérêts idéologiques du jour?

• (10 h 50) •

M. Cutting (Gerald) : Inquiétude numéro trois: Quelle est la définition de «laïcité» imposée par cette loi? Quand nous parlons de valeurs, la mise en place de sanctions, appuyées par l'État, à être utilisées contre les minorités qui affichent des caractéristiques religieuses, raciales ou linguistiques différentes de celles de la majorité constitue, en fait, un assaut contre toute valeur qui affirme les droits et libertés individuelles. Si l'intention du projet de loi n° 60 est de fournir un modèle fonctionnel de neutralité laïque à l'égard de toutes les questions ayant trait aux services fournis, directement ou indirectement, par l'État, beaucoup de clarifications s'imposent.

On soutient que le projet de loi nous ramène à une époque où la société québécoise se divisait, en fonction des frontières religieuses, entre le «nous» et le «eux», ce qui va à l'encontre des valeurs d'ouverture et d'inclusion, vont faire de pair avec la liberté dans une démocratie nord-américaine.

L'Association des Townshippers suggère fortement que la neutralité de l'État devra signaler que l'appartenance ou non-appartenance religieuse de quelqu'un n'a pas de place dans l'embauche, la promotion ou le licenciement dans la fonction publique ou parapublique. Dans le Québec d'aujourd'hui, autant les nouveaux venus que les résidents établis affichant une appartenance religieuse devraient avoir une chance d'occuper un emploi intéressant sur la base de leurs seules qualifications. Le projet de loi représente un «gigantic» pas en arrière pour la cause de la justice sociale et de l'égalité. Le résultat de ce type de laïcité radicale va créer à nouveau une dynamique de nous et eux. Pourquoi ne pas recourir simplement à l'accommodation raisonnable comme moyen de traiter de la question symboles religieux dans les lieux de travail plutôt que de faire appel à la discrimination sanctionnée par l'État?

Inquiétude n° 4 : la mise en oeuvre et les coûts associés. Quelles sont les structures bureaucratiques qui seront mises en place pour effectuer le contrôle, l'inspection et le suivi de l'application à long terme de cette loi? En termes de coûts financiers, quelles dispositions ont été prises? À un moment où on assiste à des coupures importantes dans l'éducation et les services sociaux, le projet de loi n° 60 exigera inévitablement des dépenses additionnelles. À elle seule, la contestation juridique anticipée sera onéreuse, indéterminable et assurer d'imprimer une marque indélébile sur le Québec. En effet, en connaissons-nous même les coûts anticipés?

En conclusion, le projet de loi ne peut mener qu'à son aggravation des divisions entre les groupes, l'isolement des minorités et des litiges sans fin. L'Association des Townshippers recommande, en conséquence, que l'Assemblée nationale retire le projet de loi n° 60 pour les motifs suivants : À tout le moins, il s'agit d'une solution à la recherche d'un problème, et au pire celle-ci mènera à une escalade d'actes injustifiés, de fanatisme à l'égard des membres des minorités. L'actuelle Charte des droits et libertés de la personne fonctionne, mais uniquement lorsqu'appliquée.

L'égalité des hommes et des femmes est déjà engoncée dans la loi, tout comme le droit à l'appartenance religieuse. Nous souhaitons que les nouveaux venus au Québec, dont nous avons désespérément besoin, compte tenu de notre taux de natalité dangereusement bas, s'intègreront beaucoup plus rapidement s'ils se sentent bienvenus et sont en mesure de trouver un emploi intéressant. S'il y a un consensus quelconque qui puisse émerger du présent débat sur la loi n° 60…

Le Président (M. Ferland) : On doit arrêter, le temps qui vous était imparti étant écoulé. Mais vous aurez l'occasion avec les échanges de, j'imagine, poursuivre la composition de votre mémoire. Alors, je cède la parole à M. le ministre.

M. Drainville : Oui, merci, M. le Président.

M. Cutting (Gerald) : …mettre devant vous juste quelque chose. Moi, je porte des appareils depuis longtemps et, à cause de ça, si, par chance, je vous demande de répéter… Peut-être, notre technicien pourrait monter un peu le volume, ou quelque chose… Ça nous permettra d'avoir un échange où que je ne serai pas obligé de dire…

Le Président (M. Ferland) : Bien, je vais demander aux gens de parler un petit peu plus fort qu'à l'habitude…

M. Cutting (Gerald) : Oh! Parfait.

Le Président (M. Ferland) : …pour permettre de bien entendre.

M. Cutting (Gerald) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Ferland) : Au lieu de monter le volume, je vais demander de monter d'octave, les gens qui vont s'adresser à vous. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Oui, merci beaucoup. Alors, merci pour votre mémoire, merci pour votre présentation. Juste quelques précisions, donc, avant qu'on débute l'échange.

Je voulais juste vous dire… À la page 2, et vous l'avez répété dans votre présentation, vous parlez des articles 40 et 41 qui auraient été ajoutés à la dernière minute au projet de loi. Je veux juste vous rappeler que la modification… ou les modifications à la Charte des droits et libertés étaient prévues dès le départ. Dès que nous avons déposé les orientations, il était prévu que nous allions amender la Charte des droits et libertés. Donc, ce n'est pas un ajout de dernière minute, O.K.? Ça, c'est le premier point que je voulais souligner avec vous.

Vous avez fait référence aux incidents déplorables. Je veux juste vous dire que, depuis le départ, moi, systématiquement, à toutes les fois qu'il y a des incidents, en tout cas des incidents qui sont portés à ma connaissance ou dont j'ai connaissance, des gestes d'intimidation, peu importe quelle est leur nature, des gestes d'intimidation, des gestes qui ne sont pas acceptables en démocratie, je me suis toujours imposé le devoir de les condamner et d'appeler le débat… ou d'appeler au respect dans le débat, de dire : Il faut se respecter. Vous, votre groupe, par exemple, votre présentation, elle est très critique de la charte, mais je respecte votre point de vue, O.K.? Et ce que je dis, c'est que, même si on a un désaccord, il faut quand même être capables d'en discuter dans le respect, et donc sans verser dans des gestes qui ne sont pas acceptables dans une démocratie comme la nôtre, des gestes, par exemple, d'intimidation, ou même pire encore.

Et je veux juste attirer votre attention et vous inciter, je dirais, à une certaine prudence. Vous semblez attribuer seulement à un camp ces gestes-là, répréhensibles. Les gestes répréhensibles ne viennent pas seulement d'un seul camp. On se comprend? Il y a des gestes répréhensibles qui, malheureusement… Parce que ce n'est pas qu'ils viennent d'un camp plutôt que l'autre qu'ils sont davantage acceptables, mais il faut faire attention avant de dire que tout ce qui a été répréhensible, ou appelons ça dérapages, jusqu'à maintenant, ne venaient que des gens qui appuient la charte. Je veux juste que ce soit bien, bien clair. L'un et l'autre doivent se respecter, le camp procharte comme le camp anticharte doivent manifester le même respect les uns envers les autres.

Maintenant…

M. Cutting (Gerald) : …quelque chose?

M. Drainville : Bien sûr.

M. Cutting (Gerald) : Bravo! Parce que vous avez raison quand vous avez dit que, chaque fois qu'il y avait quelque chose, c'est sûr que vous avez sorti puis vous avez mentionné que ce n'est pas la façon d'avoir un vrai débat. Et, si on parle avec le point de vue, ça va être avec du respect. On va en avoir un, vrai échange.

Mais, il faut comprendre, entre nous, ici, nous sommes des personnes qui ont certaines habitudes, un certain… Ça fait partie de nos carrières d'être capables de s'exprimer les points de vue, d'entendre l'autre et d'avoir la chance de bâtir des compromis. Mais il y a des gens, sur les deux bords, qui ne respectent pas l'autre et ça va être absolument, absolument nécessaire de prendre certaines mesures de démontrer ce respect parmi nous autres et de faire un modèle. Et je pense qu'on peut faire ça ensemble.

Mais entre-temps il faut poser des questions. Qu'est-ce qui va se passer quand il y a des gens qui se promènent sur la rue et ils ne comprennent pas qu'est-ce qu'on parle? On parle d'une forme de laïcité qui va être, disons, est-ce que je pourrais dire ça, une façon de gérer l'emploi, de gérer des services. Eux, il y a certaines gens qui comprennent qu'on va changer le Québec d'un jour à l'autre, et tous ceux qui sont différents n'ont pas une place au Québec. Il y a des gens qui vont réagir comme ça. Et ces gens-là vont créer des incidents, ça va être dans les médias et ça va donner encore d'autres personnes qui vont penser : Ah! Est-ce que c'est correct et est-ce qu'on peut faire ça? Ça, c'en est un, danger. On l'a mentionné parce que c'est une réalité dans notre société.

• (11 heures) •

M. Drainville : Mais, si je peux me permettre, M. Cutting, puis ce n'est pas un, comment dire… Par exemple, O.K., il ne faut pas le prendre mal, O.K., mais je cite un bout de votre mémoire, là. Vous dites : «Clairement, le projet de loi n° 60 n'a guère à voir avec les valeurs; il s'agit plutôt d'un document conçu pour mettre en oeuvre les protocoles destinés à fabriquer une société de conformité et de discrimination flagrante, fondée sur des différences telles que la langue, l'appartenance religieuse [ou] l'origine ethnique.» Si vous me permettez, en tout respect, je pense que ce langage va trop loin, parce que «des protocoles qui visent à fabriquer une société de discrimination flagrante», moi, je pense que ça va trop loin, M. Cutting. Maintenant, je respecte votre point de vue. Je vous dis juste… je vous donne le mien également, O.K.?

Bon, maintenant, allons sur le fond des choses. Vous parlez du problème que vous avez, à la page 3, vous dites : «Une autre question monumentale reliée à la modification de la Charte des droits et libertés, c'est le problème de ce qui constitue les valeurs fondamentales de la nation québécoise», O.K.? Et là vous soulevez la question de la primauté du français et vous dites, sur la primauté du français, je cite : «L'inclusion de la condition de la primauté de la langue française signifie que la minorité d'expression anglaise se trouverait elle-même privée de la protection de la charte québécoise des droits et libertés de la personne non seulement pour ce qui a trait au projet de loi n° 60, mais à l'égard de toute législation passée et future.»

Mais, vous savez, M. Cutting, quand le Parti libéral a créé la commission Bouchard-Taylor, ils ont inscrit dans le décret qui créait la commission Bouchard-Taylor… Alors, c'était écrit dans le décret : «Attendu que la société québécoise est attachée à des valeurs fondamentales, telles que l'égalité entre les femmes et les hommes, la séparation de l'Église et de l'État, la primauté de la langue française…» Donc, je veux juste vous dire que le concept de primauté de la langue française, dont on peut discuter d'ailleurs… Parce qu'il y a des gens qui trouvent que ça ne va pas assez loin, que c'est déjà une dilution, ça. Il y a des groupes qui l'ont dit déjà et qui vont venir nous le dire. Mais vous comprenez que, si, pour vous, ça va trop loin, la primauté de la langue française, ce n'est pas une valeur péquiste, ça là, c'est aussi partagé par les gens qui étaient là avant nous.

Et donc je vous pose la question : Est-ce que vous, vous avez un problème avec le principe de la primauté de la langue française au Québec?

M. Cutting (Gerald) : Alors, juste pour commencer à répondre, ça ne fait aucune différence si c'est le Parti québécois, si c'est le Parti libéral ou d'autres, on a les mêmes questions, on a les mêmes inquiétudes. Pour démontrer que nous autres, on accepte la langue française comme la langue de la majorité des Québécois, comme la langue de fonctionnement dans notre vie sociale, politique, culturelle, nous autres, on a décidé de venir ce matin et de présenter notre mémoire en français, parce que, notre association, comme mandat clair, c'est de créer des liens entre les deux cultures, les deux langues.

Et, pour démontrer concrètement qu'on est convaincus que la langue française est un outil pour tout le monde, soit Français, Anglais ou nouveau arrivé, on encourage les gens d'apprendre le français pour être capables d'avoir un emploi intéressant, d'être capables de fonctionner dans notre société. Mais on questionne ici comment on va l'appliquer, ces termes. Et, peut-être, ce n'est pas à nous de donner des exemples. Est-ce que vous pourrez nous donner un exemple concret comment vous allez prendre cette partie de changement dans la charte et de nous donner un exemple concret comment on peut s'appliquer ça, ces termes-là? Ça, peut-être, ça pourrait répondre facilement à la question, peut-être ça pourrait nous soulager, peut-être ça pourrait… Ce qu'on demande, c'est : Est-ce qu'on revient au Bill 14 d'une autre façon?

M. Drainville : Bien, écoutez…

Des voix :

M. Cutting (Gerald) : Non?

M. Drainville : Oui puis non.

M. Cutting (Gerald) : Oui puis non. O.K.

M. Drainville : Oui puis non…

M. Cutting (Gerald) : Dites-moi le oui.

M. Drainville : Non, mais au sens où la loi n° 14 prévoyait affirmer la langue française comme valeur, O.K., comme valeur, et, nous, ce que l'on fait, c'est qu'on affirme la langue française comme valeur dans la charte, la charte de la laïcité ou la charte des valeurs. Donc, je vous dirais que c'est une reconnaissance de la langue française comme valeur commune à tous les Québécois, y compris aux Townshippers, même si ce n'est pas votre première langue, puis je… Mais vous admettez vous-même que c'est important pour vous, le français, parce que c'est un moyen notamment de progression professionnelle, par exemple, pour l'obtention d'un meilleur emploi, et tout ça. C'est essentiellement…

Si vous regardez où on l'a placé, on l'a placé dans une déclaration des grandes valeurs québécoises et on l'a mis avec la neutralité religieuse, avec la laïcité, avec l'égalité hommes-femmes. Donc, c'est une reconnaissance symbolique mais qui reste quand même importante pour la suite des choses. Vous avez raison de dire qu'on renforce, à notre avis, le statut du français par cette reconnaissance-là, mais je ne pense pas que c'est une menace pour les droits de la minorité anglophone, il ne faut pas y voir une menace. On n'enlève rien à la minorité anglophone là-dedans, M. Cutting, absolument rien, là.

M. Cutting (Gerald) : Pour répondre : Quand on a présenté notre mémoire sur le Bill n° 14, c'est clair que nous autres, comme association, on a affirmé l'importance de la langue française. Qu'est-ce qu'on met en question, ce n'était pas cette réalité. Qu'est-ce qu'on a mis en question, c'était la façon de procéder. Et, quand on parle du Bill n° 60, qu'est-ce qu'on met en question, c'est est-ce que c'est possible d'avoir plus de détails sur toute la question de ces valeurs fondamentales de la nation québécoise.

Et aussi on pose une autre question. Quand on parle de la nation québécoise, tout de suite un autre terme qui, pour nous autres… Parce que moi, j'ai eu beaucoup de débats, de rencontres avec des gens qui ont d'autres points de vue, et une couple de fois ils m'ont dit carrément : Bien, vous n'êtes pas un Québécois, vous n'êtes pas un vrai Québécois.

M. Drainville : M. Cutting, je dis, je dis et nous disons, depuis le départ, depuis le début… Et cette conception de la nation québécoise, elle est portée… en tout cas depuis toujours en ce qui me concerne, par la formation politique à laquelle j'appartiens. En tout cas, René Lévesque, qui est le fondateur, tout de même, de ce parti, disait : Est Québécois celui qui vit au Québec — je paraphrase un peu — point à la ligne, peu importe la langue parlée, la langue maternelle, l'origine, peu importe, on est tous des Québécois.

Alors, est-ce que vous êtes d'accord, vous, pour dire que la langue française, c'est une valeur importante du Québec? Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

M. Cutting (Gerald) : Je vais dire deux choses : Absolument pour la langue française, et j'apprécie beaucoup que vous avez mentionné, dans un forum public, que la définition d'un Québécois, c'est : un résident du Québec. Oui?

M. Drainville :

M. Cutting (Gerald) : Absolument.

M. Drainville : Toujours. Alors, est-ce que vous êtes…

M. Cutting (Gerald) : Toujours. Parce qu'il y en a d'autres qui vont dire non. Dans ce forum public, on peut dire que, quand on sort d'ici, on a une définition claire qu'est-ce que ça veut dire, de compter parmi la nation québécoise, c'est d'être un résident du Québec. Et, avec ça, on est toujours prêts à dire, comme association : Est-ce que le français est un… Ce n'est pas tout simplement un atout, c'est une nécessité d'avoir le français comme outil et d'être capable de fonctionner dans la société québécoise.

M. Drainville : Est-ce que vous êtes prêts à dire que c'est une valeur?

M. Cutting (Gerald) : Une valeur? Oui, c'est une valeur. Je voulais avoir aussi, si vous êtes capable, ce matin, de dire quelles sont les autres valeurs fondamentales.

• (11 h 10) •

M. Drainville : On en met quelques-unes dans le projet de loi, hein, on en énonce quelques-unes qui nous semblent très, très, très importantes. On pourrait avoir une longue discussion, vous et moi, sur d'autres valeurs qui pourraient être incluses. Nous, on fait une proposition et on pense que c'est une proposition qui est fondée.

Mais là il me reste peu de temps, je dois vous poser une autre question. Sur la question des signes religieux, je vois bien que, pour vous, vous avez un gros problème avec la restriction en matière de signes religieux. Et je veux juste attirer votre attention sur certains témoignages que nous avons eux ces derniers jours, notamment celui de Mme Michelle Blanc, O.K., qui est venue donner l'exemple d'un jeune Maghrébin, un jeune Québécois d'origine maghrébine, qui est homosexuel et alors il a été rejeté par sa famille pour des raisons religieuses, O.K., sa famille n'accepte pas son orientation sexuelle. Il se présente devant une infirmière qui porte un signe religieux. M. Leblanc… Mme Blanc, dis-je, a parlé du hidjab, mais je pense qu'elle aurait tout aussi bien pu dire une infirmière qui porte un signe d'une autre religion. Ce qu'elle disait, Mme Blanc, c'est que ça peut créer un malaise. Le jeune peut se sentir rejeté à cause du signe religieux que porte la personne qui lui donne son service de santé, dans ce cas-ci. Est-ce que vous pouvez comprendre que le signe religieux peut parfois être un message de rejet pour les personnes qui le voient, dans ce cas-ci un jeune Magrébin québécois, Magrébin qui est homosexuel? Est-ce que vous pouvez comprendre ça?

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre, le temps étant écoulé, je dois aller du côté du parti de l'opposition et je reconnais le député d'Orford. À vous la parole.

M. Reid : Merci, M. le Président. J'aimerais qu'on retombe sur la minorité anglophone, et nous avons la chance d'avoir aujourd'hui des visiteurs qui représentent le plus grand groupe de nos concitoyens anglophones en dehors de Montréal. Donc, c'est souvent des milieux plutôt ruraux et qui ont des problèmes particuliers. Les représentants des Townshippers ont eu l'occasion d'en parler dans une autre commission, mais, même si on a abordé un peu le sujet, il serait intéressant de reprendre certains des points qui ont été mentionnés mais dans un contexte qui est celui des Townshippers, c'est-à-dire des anglophones de l'Estrie et pour lesquels il y a une vingtaine de villes avec statut anglophone bilingue… c'est-à-dire à statut bilingue, pas anglophone, et qui ont des enjeux bien particuliers, et qu'on vient d'effleurer.

Moi, j'aimerais ça, M. Cutting, que vous nous parliez un peu des enjeux de la communauté anglophone de l'Estrie, qui est celle de la plupart des communautés anglophones hors Montréal, des enjeux de survie, de maintien et de développement, de votre intégration dans la vie des Cantons-de-l'Est. Évidemment, dans certains cas comme le vôtre, je pense, c'est une intégration qui dure depuis neuf générations, donc ce n'est pas d'hier, et c'est le cas d'une grande majorité des Townshippers.

Votre rapport avec la langue française, et j'aimerais ça que vous reveniez un peu sur les implications. Parce qu'on a parlé de la langue française pour laquelle vous avez toujours affirmé que c'est une valeur fondamentale, vous l'avez réaffirmé, mais pour laquelle vous dites, dans le rapport, dans votre rapport, ici, quelque chose qui est nouveau, parce que le projet de loi n° 60 amène quelque chose de nouveau, c'est l'inclusion des mots de «priorisation», d'une «priorité», donc, de la langue française dans une charte, dans la Charte des droits et libertés. C'est donc dire… et vous le dites, mais on a passé rapidement là-dessus tantôt, j'aimerais ça que vous donniez un petit peu plus de détails. Ce que ça fait une charte, ça veut dire que c'est hiérarchiquement supérieur, sur le plan juridique, à n'importe quelle loi, et donc ça veut dire que même des lois qui ont déjà été passées pourraient se retrouver, à ce moment-là, disons, caduques. Et donc, là, c'est quelque chose de totalement différent entre affirmer la valeur de la langue française au Québec, que vous avez toujours fait, et d'avoir une inscription dans la charte, dans une charte qui, elle, est supérieure à toutes les autres lois, qui dit qu'effectivement… Alors, j'aimerais que vous me donniez quelques exemples, dans le contexte, dans votre contexte, le contexte de votre rapport avec la langue française, qui est un rapport qui est extrêmement fluide et serein dans les Cantons-de-l'Est, et je peux en témoigner.

Également, vos efforts pour garder vos jeunes, nos jeunes Québécois anglophones dans l'Estrie et d'attirer des familles, également. Et qu'est-ce qu'en fait l'impact de ce projet de loi n° 60 sur le plan de la langue française, sur le plan aussi, probablement, de l'emploi? Parce qu'évidemment on peut attirer des gens ou garder nos jeunes en Estrie s'il y a de l'emploi. Alors, qu'est-ce que vous voyez comme difficultés que vous avez mentionnées?

J'aimerais que vous nous permettiez de comprendre un peu mieux et d'élaborer un petit peu plus sur ces deux aspects : donc, l'aspect de la primauté du français et qu'est-ce que ça pourrait, d'après vous, avoir comme effets qu'on ne voit pas quand on fait juste parler de la valeur de la langue française. Vous êtes d'accord avec ça. C'est la primauté dans la charte pour laquelle vous avez exprimé une inquiétude. Pouvez-vous nous en parler un peu plus? Et aussi, donc, dans le contexte de la communauté et de son intégration, en fait, dans le Québec et comme étant partie du Québec depuis plusieurs générations, comment est-ce que ces deux points-là, langue française et emploi, viennent vous amener des inquiétudes importantes par rapport aux efforts que vous faites — et je sais que vous en faites beaucoup — pour effectivement vitaliser et revitaliser la communauté anglophone, qui est un plus pour le Québec?

M. Cutting (Gerald) : Pour essayer de répondre à cette question-là, nous autres, qu'est-ce qu'on comprend, c'est que, si on apporte des changements à la Charte des droits et libertés de la personne, ça, ça va être comme la mesure qu'on va diriger toutes les autres lois, quand... C'est quelque chose qui va être permanent. Et qu'est-ce que ça va apporter sur d'autres possibilités? Si on prend comme un exemple dans les Cantons-de-l'Est historiques, je pense qu'on pourrait dire facilement : On a un grand nombre de municipalités qui ont un statut bilingue. Je pense qu'au moins 18 de ces municipalités ont le statut bilingue. Si, par chance, on tombe en bas des définitions ou si on est en mesure d'avoir la possibilité de quelqu'un qui pourrait dire : Bien, moi, j'ai reçu un pamphlet bilingue dans ma boîte à malle, ça va contre la Charte des droits et libertés des personnes, parce qu'on dit, dans cette charte-là : La primauté de la langue française, est-ce qu'il y aura possibilité d'avoir un appel devant la commission des droits de la personne?

Nous autres, qu'est-ce qu'on essaie de faire avec les commissions scolaires dans notre région, c'est de travailler pour établir des projets pour s'assurer que des jeunes auront une chance d'avoir une vraie expérience non tout simplement dans l'école, mais une expérience dans le milieu de travail, qui va les encourager à dire : Bien, aussitôt que je vais terminer, je vais être diplômé, qu'est-ce que moi, je vais faire, je vais travailler aussi au Québec, parce que présentement j'ai des outils pour le faire.

Le problème de décrochage chez les anglophones partout dans les Cantons-de-l'Est, c'est un problème majeur. Et on sait qu'est-ce qui se passe quand un jeune décroche. Souvent, il se retrouve facilement, et souvent dans un très bref de temps, au chômage, bien-être social, parce qu'ils n'ont pas les outils. Un outil de base, c'est la langue française, l'autre outil, c'est de l'expérience qui donne une porte d'entrée à l'emploi. Et ça doit être, quand on parle des valeurs, une valeur d'avoir un emploi. Peut-être que ça serait quelque chose intéressant de le penser, de le mettre dans la charte.

En tout cas, on pourrait en discuter à long terme, qu'est-ce qu'on essaie de faire comme association, mais notre but, c'est de s'assurer que la communauté anglophone ont une chance de célébrer leur héritage, les contributions qu'ils ont faites déjà à notre société québécoise, et d'assurer qu'on a une place dans le futur, dans notre... Ça, c'est chez nous, pour nous, le Québec. Et, quand on parle des valeurs, quand on parle... Pour nous autres, la laïcité, ça devrait être neutre. Comme valeur, ça devrait être neutre, comme on a mentionné. Si vous êtes croyants ou non croyants, ça ne devrait pas avoir aucun impact sur votre employabilité. Et, je crois, depuis les années 60, on a fait des pas majeurs dans ce domaine-là. Je dirai qu'en pratique, en pratique, notre société est vraiment laïque. Parce que moi, à mon âge, je peux vous dire, quand je faisais des applications pour un emploi, une des questions majeures, c'était : Votre religion? Catholique? Protestant? Si je comprends bien, présentement c'est contre la loi, parce qu'avec les chartes qu'on a présentement on n'a pas le droit d'avoir une discrimination contre quelqu'un à cause qu'ils sont croyants, protestants, catholiques, musulmans, on ne devrait pas avoir un préjudice contre une personne à cause de ça.

Et un droit, c'est un droit, c'est un droit. On ne peut pas avoir un droit à 50 %. On ne peut pas dire à quelqu'un : Vous avez le droit de pratiquer la religion, mais vous n'avez pas le droit de porter quelque chose. Si j'arrive avec un petit crucifix, est-ce que vraiment vous êtes en danger à cause de ça? Moi, je crois que non. Mais il y a des personnes, oui, ils sont mis dans une situation où ils sont peut-être... à cause qu'ils n'ont jamais eu le contact avec les gens qui sont différents. Pourquoi... On ne visera pas... C'est dans nos écoles, de bâtir des programmes pour s'assurer que tous les Québécois aient une bonne connaissance des différences entre les religions, l'impact, mais d'être capables de dire : Juste à cause que vous croyez d'autres choses, ça ne veut pas dire que vous n'êtes pas très, très compétent dans votre domaine. Et tout le monde qui a un emploi a une description de tâches.

• (11 h 20) •

Le Président (M. Ferland) : La députée de Notre-Dame-de-Grâce avait aussi une question. Alors, Mme la députée, allez-y.

Mme Weil : Oui. Alors, je vous remercie, M. Cutting, Mme Bowman, Mme Cutting et Mme Hunting, pour votre présence ici. Alors là, on arrive, on arrive au sujet de la charte des soi-disant valeurs. Et je vais vous citer ici, dans votre mémoire : «En d'autres termes, le projet de loi n° 60 propose une définition de l'"inclusion", qui est effectivement une définition de l'"exclusion", sur la base d'un ensemble de caractéristiques qui vont bien au-delà des normes de citoyenneté», connues, par ailleurs. Donc, est-ce que c'est le port des signes et l'interdiction de port de signes religieux quand vous parlez d'exclusion et non d'inclusion? Est-ce que c'est cet aspect-là du projet de loi n° 60 du ministre qui vous inquiète? Et est-ce que le Barreau… Vous avez peut-être lu le journal ce matin, La Presse, que le Barreau exprime des inquiétudes. Est-ce que c'est les mêmes inquiétudes que vous? Et finalement les répercussions. Vous vous inquiétez des répercussions de ce débat, de ce projet de loi. Pourriez-vous nous expliquer vos inquiétudes?

M. Cutting (Gerald) : Peut-être une autre façon d'exprimer notre inquiétude, c'est que… si on a un projet de loi où qu'on va dire la définition de «société laïque», ça va être tel que vous n'avez pas le droit de pratiquer votre religion. Et je vais donner une précision ici. Si vous êtes un membre d'une certaine religion, c'est impossible de dire… Je vais donner un exemple comme moi. J'arrive ici, dans l'Assemblée nationale, j'ôte mon crucifix, je le mets à côté. Quand je parle, je mets mon crucifix. Il y en a d'autres qui pratiquent une autre religion, ce n'est pas possible parce que c'est… Une religion, encore, c'est comme un droit, on le pratique ou on ne le pratique pas. On devra. Mais, quand ça arrive le temps de dire à certaines gens : Bien, vous n'avez pas le droit de… en effet, pas le droit de pratiquer votre religion, c'est un droit.

Si l'État va dire que vous allez perdre votre emploi, qu'est-ce qui va se produire, c'est que les gens qui sont exclus vont se ramasser ensemble et on va créer des ghettos. Les gens qui n'ont pas de possibilité d'avoir des emplois dans la fonction publique et même, on va plus loin, on dit, dans le privé, qu'est-ce que ca va produire, ils vont créer des petites communautés, et ils vont être tous ensemble, et il n'y aura pas de contact entre ces gens-là et la société en général. Comme ça, qu'est-ce qu'on prétend, c'est que, si on désire d'avoir plus de contacts entre les gens, les valeurs, il faut des valeurs qui permettent une plus grande inclusion, pas une exclusion.

Mme Weil : …maintenant à ma collègue.

Le Président (M. Ferland) : Alors, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, en vous mentionnant qu'il reste à peu près une minute.

Mme de Santis : Merci, M. le Président. Merci d'être là. Ma question, c'est votre inquiétude n° 4, dont on n'a pas encore beaucoup parlé, c'est les coûts associés avec la mise en oeuvre du projet de loi n° 60, qui n'incluent pas seulement les coûts des contestations devant les cours, qui pourront nous amener à des millions de dollars, certainement. Je suis anciennement… je suis avocate, donc je sais. Et aussi, les coûts de la mise en application du projet de loi ou de la loi, est-ce qu'on va créer un autre office, maintenant, des valeurs québécoises? Est-ce qu'on aura besoin de quelqu'un qui va vérifier si, oui ou non, il y a des signes ostentatoires qui sont portés par les infirmières, les médecins, les fonctionnaires, les personnes qui travaillent pour les sous-contractants qui fournissent des services aux organismes publics? Est-ce que vous pouvez donner votre opinion là-dessus?

Le Président (M. Ferland) : …parce que le temps est écoulé, et je dois céder la parole à la députée de Montarville. Mais la question a été quand même posée. Peut-être que, par ricochet, vous pourrez y répondre. Allez-y, Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci à vous tous. M. Cutting, j'aimerais vous poser une question très précise. À la page 5 de votre mémoire, vous dites, et je vous cite : «En fait, le Québec fonctionne maintenant comme un modèle très positif de société laïque moderne, et nous pouvons convenir que l'Église ne joue plus un rôle majeur [de] la vie [politique et] publique.» Je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais vous dites : «En fait». Et c'est ça, la problématique : dans les faits, la laïcité de l'État existe. Ma question est la suivante — elle est très simple : Je vous demande pourquoi justement ne pas l'inscrire dans une loi, cette laïcité de l'État? Parce qu'actuellement, vous le savez, ce n'est pas inscrit.

M. Cutting (Gerald) : Oui, c'est vraiment une bonne question. Est-ce qu'on pourrait penser que peut-être c'est possible de faire une déclaration des valeurs fondamentales du Québec, en disant qu'on est en faveur : Comme valeurs, voici les suivantes, et on va mettre... Tu sais, on va créer une liste des valeurs et on va dire : Nous autres, ici, au Québec, qu'est-ce qu'on a, c'est une société laïque, il y a une séparation entre l'État et l'Église. Peut-être, on devra dire «entre l'État et les religions».

La problématique que ça soulève, c'est : Comment est-ce qu'on va s'assurer qu'on garde ces valeurs en pratique? Et, quand on parle de qu'est-ce qui va... une façon de démontrer que notre société est vraiment laïque. Il faut toujours dire que, d'après nous, une façon de savoir, ce n'est pas qu'est-ce que vous portez sur la tête, c'est ce que vous avez dans la tête qui va démontrer vos valeurs.

Mme Roy (Montarville) : ...avec une déclaration, une déclaration, ça n'a pas ce qu'on appelle force de loi. Alors, on ne pourrait pas nécessairement appliquer ou exécuter cette laïcité avec une déclaration.

Cela dit, vous mentionnez aussi, je crois que c'est à la page 2 de votre mémoire, vos inquiétudes, on en parlait d'entrée de jeu, les inquiétudes d'événements disgracieux. Dans votre réalité, dans les Cantons-de-l'Est, que j'adore, soit dit en passant, y a-t-il eu des événements disgracieux? Quelle est l'ambiance, quelle est l'atmosphère depuis qu'on parle de la charte? Il y a déjà cinq mois qu'on en parle.

M. Cutting (Gerald) : Dans les Cantons-de-l'Est... Moi, je suis plutôt au courant qu'est-ce qui se passe dans l'Estrie. Qu'est-ce qui s'est passé jusqu'à date, c'est qu'on a eu... je crois que c'est au moins deux exemples, et c'est des exemples… c'est des gens qui ont décidé de téléphoner à notre association, ils ont commencé avec le secrétaire, et c'était pour dénoncer l'association parce qu'on parlait, dans notre mémoire, de la primauté de la langue française. Et ce n'étaient pas des gens qui étaient... je dirais, pas des gens qui parlent comme nous. Il n'y en avait pas beaucoup, de respect. Et, quand il y a des gens qui nous chantent des bêtises, moi, je...

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, je dois aller au député de Blainville, malheureusement. J'ai un travail assez ingrat, hein? Vous voyez. Mais je dois le faire respecter. Alors, M. le député de Blainville.

• (11 h 30) •

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Cutting, mesdames, merci d'être là, de nous partager votre point de vue. Je pense que je comprends mieux maintenant, avec les explications, les questions que vous avez soulevées sur la primauté du français dans la Charte des droits et libertés, la charte québécoise des droits et libertés. En tout cas, j'ai un meilleur sens.

Je serais tenté de vous dire que j'ai travaillé dans toutes les provinces canadiennes, je parle très bien anglais. J'ai vécu même dans les Cantons-de-l'Est et j'ai pu y constater l'harmonie qui existe entre tous les Québécoises et Québécois des Cantons-de-l'Est. Et ça m'a quand même un petit peu... Basé sur cet historique-là, je dois vous dire que je suis un petit peu étonné de vos craintes, parce qu'il y a un historique de Québécoises, Québécois de langue anglaise qui, je pense, au Québec, sont au même niveau de respect, en tout cas, de la part de n'importe quel gouvernement du Québec, que ce soit le gouvernement libéral ou péquiste. Et ça m'étonnait un petit peu de voir vos craintes, de dire qu'on allait pratiquement reculer en arrière en mettant de l'avant ce tel projet de loi là, qu'on allait revenir à des valeurs qui faisaient… On parle du «eux» et du «nous», et ma question… Et je me demandais est-ce que, justement… Si on n'affiche pas des signes qui témoignent de notre religion, de notre appartenance religieuse, est-ce qu'on ne vient pas, justement, éviter ou du moins enlever peut-être quelque chose qui démontrerait, justement, les différences entre eux et nous, justement?

M. Cutting (Gerald) : Encore, c'est une question que c'est très complexe, parce que, quand on parle des préjudices, quand on parle que c'est des gens qui ont des craintes, si on est capable de les mettre… de dire… C'est ça qu'on a fait. On a décidé de venir ici pour dire : Mais nous autres, on a des craintes. Est-ce que c'est fondé, oui ou non? Est-ce qu'on peut avoir un échange? Est-ce qu'on peut trouver des compromis qui vont amener tout le monde à être capable de dire : Ça a du bon sens. Ça, c'en est un, ça fait partie…

Mais il faut toujours penser que ce n'est pas vraiment les symboles qui comptent. Si vous avez le préjudice dans votre coeur puis dans votre tête, vous allez faire… Ça ne prend pas… Est-ce que vraiment on croit que, si tout le monde prend leur… s'ils ont quelque chose sur leur tête ou quelque chose alentour du cou, si on met ça à côté, on va créer plus de respect? Moi, je dis : Je ne crois pas.

M. Ratthé : …dans le sens qu'il y a des gens qui, effectivement, et heureusement c'est la minorité, entretiennent des sentiments comme ceux-là. Et, peu importe leur origine, là, on peut en trouver un peu partout. La question que je vous posais davantage, c'est de savoir si, par exemple… On va supposer que moi, je suis quelqu'un qui a des ressentiments contre une religion quelconque, je vais dire catholique, tiens, orthodoxe catholique, et que vous affichez un gros crucifix. Est-ce que je ne serais pas tenté, en tout cas, de… Ça va être plus facile pour moi de vous identifier puis peut-être d'avoir des ressentiments que… Si je ne le sais pas, c'est beaucoup plus difficile pour moi de ressentir quelque chose à votre endroit.

M. Cutting (Gerald) : Ça commence toujours avec du respect. Si j'en ai, du respect, pour tout le monde, pour moi, ça n'a aucune différence qu'est-ce que vous portez alentour de votre cou, ce que vous mettez sur votre tête. Si vous êtes habillé… on peut dire la mode, là… Il y a certains d'entre nous, quand on rencontre les gens de notre génération…

Le Président (M. Ferland) : Maintenant, en tout respect, je dois aller à la députée de Gouin.

M. Cutting (Gerald) : Oh! Oh! 

Le Président (M. Ferland) : Alors, Mme la députée de Gouin, la parole est à vous.

M. Cutting (Gerald) :

Le Président (M. Ferland) : Monsieur, quand la députée de…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Oui. Vous aviez utilisé le mot «respect», j'ai dit : «En tout respect, je vais aller à la députée de Gouin.» Allez-y, Mme la députée.

Mme David : Merci. C'est fort intéressant. Merci beaucoup d'être ici ce matin. Mais j'ai une question précise à vous poser. Comme je n'ai pas beaucoup de temps, on va y aller directement.

Dans le fond, vous proposez de retirer toute la loi. Ça, ça m'embête un peu, parce qu'il me semble qu'il y a pas mal de consensus au Québec, chez toutes sortes de gens, là, qui, par ailleurs, ne sont pas d'accord sur, oui ou non, interdire les signes religieux, il y a pas mal de consensus sur le fait d'inclure le concept de laïcité dans la charte des droits, de baliser les demandes d'accommodement religieux, par exemple, là, de donner et recevoir les services à visage découvert.

Est-ce qu'au moins vous, vous êtes à l'aise avec ces notions-là? Et, si oui, mais, à ce moment-là, il faudrait garder du projet de loi ce qui fait consensus. Parce que c'est ça, ça m'embête un peu que vous proposiez de tout retirer.

M. Cutting (Gerald) : Quand nous avons décidé de présenter un mémoire en disant : Au point de départ, il faut retirer le Bill 60, c'est parce qu'on ne croit pas que c'est possible, avec le Bill 60 tel quel, de construire un tel consensus. Je dirais : Peut-être que c'est faisable. Si on avait un tableau, on pourrait aller dire; On est d'accord avec a, b, c, d; f, g, o, pas tout à fait, et les autres points, non, pas du tout. Est-ce qu'on peut le commencer? Est-ce qu'on peut savoir comment on pourrait construire ce consensus? Et, jusqu'à date, qu'est-ce que j'entends, c'est que… Oui, je pense que tout le monde est en faveur de créer ou de dire une déclaration : Québec, c'est une société séculaire, laïque. Ça, ce n'est pas difficile à faire.

Mme David : Mais êtes-vous d'accord que ça, ça puisse s'écrire dans une loi?

M. Cutting (Gerald) : Ça dépend qu'est-ce que vous allez mettre dans la loi. Parce que, quand on parle des lois, on parle de comment on va l'appliquer, on parle de comment on va créer de bureaucratie pour l'«enforcement». À ce moment-là, on a des questions, et je pense que tout le monde va poser des questions. On part avec des principes, et après ça comment est-ce qu'on va mettre en pratique. Il y a quelque chose qu'on dit en anglais : «The devil is always in the details.»

Mme David : Mais, vous savez, c'est le cas de toutes les lois. Le diable est dans les détails, c'est clair, mais ça ne nous empêche pas, comme parlementaires, de légiférer pour essayer de faire avancer la société québécoise. Et je dois dire que la formation politique que je représente croit que nous avons besoin d'une charte de la laïcité, et après, oui, il faut débattre de son contenu.

Le Président (M. Ferland) : …Mme la députée de Gouin, que le temps est écoulé. Alors, je vous remercie énormément pour le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire, votre présentation. Alors, sur ça, je vous remercie beaucoup.

Et je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain témoin de prendre place.

(Suspension de la séance à 11 h 36)

(Reprise à 11 h 40)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Alors, j'inviterais M. Gauthier à prendre place, s'il vous plaît. Alors, la commission reprend donc ses travaux. Nous allons entendre maintenant M. Michel Gauthier. Bienvenue, M. Gauthier. Alors, vous constatez que les acteurs ont changé, mais le mobilier est demeuré le même. Alors, vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, ensuite un échange avec les groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous, M. Gauthier.

M. Michel Gauthier

M. Gauthier (Michel) : Je suis très respectueux des règles parlementaires, M. le Président, je vais me conformer à vos directives.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y.

M. Gauthier (Michel) : Alors, M. le ministre, M. le Président, Mmes, MM. les députés, ceux et celles qui ont vécu la Révolution tranquille, au début des années 60, se souviennent de cette période où la vie religieuse se superposait à la vie civile, les écoles et les hôpitaux ayant un personnel provenant, pour une bonne part, des communautés religieuses. Cette situation a changé du tout au tout puisque, sous la pression sociale, les habits religieux sont disparus graduellement, concrétisant ainsi de façon visible la séparation de l'Église et de l'État. Aucune loi ne fut nécessaire pour concrétiser légalement cette nouvelle situation tant le mouvement avait été graduel, continu et surtout consensuel.

Tout au long des décennies qui ont suivi, les quelques signes religieux qu'on pouvait voir de temps à autre au sein de la fonction publique n'inquiétaient personne, puisque rien ne laissait croire à une remise en question du grand principe de la neutralité de l'État. L'accroissement récent de l'immigration, provenant de la région du Maghreb notamment, à très forte majorité musulmane, a cependant changé la donne. Plusieurs femmes portant le hidjab ou d'autres déclinaisons des symboles vestimentaires religieux se sont jointes à la fonction publique et parapublique.

La situation est loin d'être critique, mais la tendance est cependant très visible. Les signes religieux ostentatoires sont de plus en plus présents au sein des services publics, et cette tendance va dans le sens d'un accroissement perceptible. Ce nouveau contexte commande à nos représentants à l'Assemblée nationale d'agir.

Il ne faut pas craindre de protéger nos acquis et de faire connaître aux nouveaux arrivants les règles qui prévalent au Québec et l'histoire qui les a portées jusqu'à nous. Être ouverts aux nouveaux arrivants, être accueillants, être inclusifs, ce n'est pas de mettre de côté nos valeurs, c'est plutôt d'en faire la promotion et de les protéger dans une charte. Tous les futurs immigrants pourront ainsi être bien informés au sujet de leur société d'accueil, tous et toutes s'en trouveront mieux servis.

Depuis le début de ce débat sur la charte au Québec, il a grandement été question du droit fondamental pour tous et toutes de pratiquer librement une religion et de ne subir aucune discrimination à cet égard. Certains opposants à la charte ont même affirmé que celle-ci, en interdisant le port de signes religieux au travail, dans le service public, contreviendrait aux droits et libertés fondamentales. Or, à mon avis, il n'en est rien.

Tous les plus grands spécialistes de la religion musulmane affirment que le port du voile n'est absolument pas obligatoire et qu'il n'est en fait que le résultat d'un choix individuel. Nulle part dans le Coran… et je peux vous dire que j'ai procédé à la lecture du Coran d'un couvert à l'autre, et effectivement, nulle part dans le Coran, il est prescrit de porter le voile pour être considérée comme une bonne musulmane. Comment pourrait-on accuser le gouvernement de ne pas respecter les droits fondamentaux uniquement parce qu'il limite l'exercice d'un choix personnel, sans plus?

Puisque plusieurs musulmanes pratiquent très correctement leur religion sans pour autant porter le voile, quel droit fondamental se trouve ainsi brimé par la charte, dont l'objectif n'est que de préserver la neutralité religieuse de l'État? Toutes les femmes voilées qui ont participé aux différents débats publics ont toutes affirmé que personne ne les avait contraintes à porter le hidjab, que c'était leur choix. Comment aujourd'hui pourrait-on prétendre que ces choix individuels devraient avoir prépondérance sur le droit fondamental de plusieurs citoyens de ne pas se faire imposer les croyances religieuses de quiconque qui travaille à fournir des services publics?

N'est-ce pas un droit fondamental que de vouloir préserver ses jeunes enfants de l'influence religieuse à la garderie ou à l'école primaire ou secondaire? N'est-ce pas un droit fondamental pour celle ou celui qui ne pratique aucune religion que d'obtenir des services neutres de la part de l'État et de ne pas être ennuyé d'aucune façon par des signes religieux ostentatoires?

Serait-on en train de prétendre que le grand mouvement de laïcisation de l'État résultant de la Révolution tranquille serait devenu tout à coup un motif de non-respect de la Charte des droits et libertés?

Deux recommandations du rapport Bouchard-Taylor sont vues par plusieurs comme un compromis intéressant pouvant rallier tout le monde autour d'un projet de charte. Elles ont même été identifiées comme telles par les ex-premiers ministres Parizeau, Bouchard, Landry et plusieurs autres adeptes du compromis. Ces deux recommandations sont : Seules quelques catégories de personnes se verraient interdire les signes religieux et une limitation — alors les juges, les avocats, les policiers — une seule limitation aux signes religieux permis : le visage découvert.

Si le gouvernement du Québec s'en tenait à ces recommandations, il commettrait, à mon avis, une erreur extrêmement grave, et voici pourquoi. En droit, lorsqu'une loi contient une énumération, tout ce qui n'est pas inclus dans cette énumération est exempté des prescriptions de la loi. En termes clairs, ce principe signifie que toutes les autres personnes qui travaillent dans la fonction publique, à l'exception des quatre catégories mentionnées, pourraient porter tous les signes religieux ostentatoires qu'ils désirent à la seule condition que le visage soit découvert. Appliquer ces deux recommandations du rapport Bouchard-Taylor ferait en sorte que, pour la première fois dans notre histoire, un gouvernement québécois confirmerait dans un texte législatif le droit pour la très vaste majorité des employés de l'État de porter dorénavant tous les signes religieux qu'ils souhaitent en autant que leurs visages soient découverts. Et hop la Révolution tranquille!

Mon propos n'est pas alarmiste outre mesure, puisque récemment, lors d'un débat qui avait cours au sein du caucus libéral, le chef de l'opposition officielle expliquait, avec autorité d'ailleurs, qu'une personne portant un tchador ne pourrait siéger au parlement, puisque le port d'un tel vêtement traduisait une rupture de communication avec l'entourage. Cette question était donc très théorique, disait-il. Il n'y aurait à peu près aucune chance que cela ne puisse se produire. Deux jours plus tard, deux jours plus tard, une photo présentant deux éducatrices en garderie portant le niqab, c'est-à-dire le visage voilé sauf les yeux, mettait le Québec en émoi. Nous aurions pu tous affirmer, quelques jours avant cet événement, que cela était impossible, et pourtant! Malheureusement, la situation la plus improbable est vite devenue une réalité.

Juste avant Noël, un conseiller municipal de la ville de Montréal a déclaré que, puisqu'il n'y avait pas de plainte à la ville de Montréal sur les citoyens qui portaient des symboles religieux, il n'y a pas de raison de se donner une charte, disait-il. En tout respect, je crois au contraire qu'il ne faut pas attendre que des situations conflictuelles se produisent avant d'agir. Qu'y a-t-il de mal pour notre gouvernement à réaffirmer dans une charte les valeurs qui sont les nôtres et dont on a hérité de la Révolution tranquille?

Ceux qui prétendent que rien n'oblige le gouvernement à adopter une charte, puisque le débat risque de diviser la société et que, finalement, ils n'en voient pas l'obligation maintenant, doivent se questionner à savoir si le débat sera moins divisif lorsque le nombre de personnes portant des signes religieux au travail dans la fonction publique aura augmenté considérablement. Serait-ce courageux de laisser la responsabilité de faire ce débat à nos enfants?

Les conditions difficiles qui prévalent actuellement dans ce débat public sont très semblables à celles qu'on a connues à l'époque de l'adoption de la Charte de la langue française : le gouvernement divise la société, le gouvernement fait preuve de discrimination, le gouvernement bafoue les droits, les anglophones vont quitter le Québec, et le gouvernement fait preuve de racisme. On les a toutes entendues. Et pourtant, malgré tout cela, qui, aujourd'hui, voudrait se départir de la loi 101?

M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, pour l'avenir du Québec, pour favoriser la cohésion sociale et surtout pour nos enfants, posez ce geste courageux et nécessaire d'adopter une charte qui préserve une nette séparation entre les religions et l'État. Le respect de notre histoire le commande. Merci.

• (11 h 50) •

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. Gauthier. Maintenant, la parole est à vous, M. le ministre.

M. Drainville : Merci, M. Gauthier. Je vois que vous n'avez pas perdu la forme.

M. Gauthier (Michel) : …tantôt, vous allez voir.

M. Drainville : J'aimerais ça que vous… J'aimerais ça revenir avec vous sur certains éléments de votre mémoire, là. D'abord, vous le situez très clairement dans le prolongement des décisions qu'on a prises comme société au moment de la Révolution tranquille. Moi, j'ai dit souvent dans ce débat-là, puis parfois il y en a qui me l'ont reproché, mais c'est correct, là, ce n'est pas grave, ça, je disais : Dans le fond, ce qui était bon pour la religion catholique dans les années 60 est bon pour toutes les religions. Bon. Ou, enfin, pourquoi, si c'était bon pour la religion catholique dans les années 60, ce ne serait pas bon pour toutes les religions aujourd'hui? J'aimerais ça que vous élaboriez un peu là-dessus, c'est-à-dire pas tellement sur ce que je disais mais sur le contexte historique. Comment, dans votre esprit, la charte des valeurs ou charte de la laïcité se situe dans le prolongement des décisions qu'on a prises au moment de la Révolution tranquille?

M. Gauthier (Michel) : Vous savez, le premier ministre qui a initié toute cette affaire-là, c'est un premier ministre libéral, M. Jean Lesage. M. Lesage, on le considère comme le père de la Révolution tranquille. Et un des objectifs était nettement, oui, de moderniser l'État mais surtout de séparer de façon complète le pouvoir religieux et le pouvoir de l'État. M. Lesage avait très certainement compris que le succès d'un État moderne résidait dans ce choix politique qu'il a fait. Durant toutes ces années, les années 60, où moi, j'étais tout petit puis j'allais à l'école, graduellement on a sorti les costumes religieux des écoles, on les a sortis des hôpitaux. Tranquillement, il y a eu des consensus, il y a eu des moments difficiles, mais l'État s'est laïcisé. Même les membres des communautés religieuses, je me souviens, les membres des communautés religieuses et les frères… Clercs de Saint-Viateur, chez qui j'ai étudié, ont enlevé graduellement leurs costumes pour revêtir un habit laïque, considérant qu'il était plus facile de travailler comme enseignants sans que la religion soit à tout moment au coeur de leur action par leur costume, qui les marginalisait, on va se le dire.

Et tous les gouvernements ont posé des gestes. Même récemment, le gouvernement de Lucien Bouchard, par exemple, qui a demandé à Ottawa… j'étais là à ce moment-là, comme député, il est venu à Ottawa demander un amendement constitutionnel pour faire en sorte qu'on enlève le caractère confessionnel des commissions scolaires. Mais tout le monde est d'accord avec ce mouvement de laïcisation, même les derniers gouvernements, je crois, le gouvernement de M. Charest. On a sorti les programmes religieux, l'enseignement religieux des écoles, on les a transférés là où ils doivent être, dans les paroisses, et on a fait en sorte que le tout soit remplacé par un programme d'histoire religieuse, de connaissance des religions. Mais tout le monde est d'accord avec ce mouvement de laïcisation de nos institutions, notamment de nos institutions scolaires.

Il me semble, moi, que la charte, qui vient juste dire… On confirme dans les faits que ce mouvement qu'on a vécu depuis 1960… Cette histoire récente qui nous a portés jusqu'à maintenant, on la confirme, on ne veut plus de costumes religieux, de signes religieux ostentatoires dans le service public. Et hier j'écoutais M. Seymour qui disait : La neutralité de l'État se traduit… et le Barreau, ce matin, a repris ça, bien, il faut le faire : «La neutralité de l'État se traduit dans une multiplication des signes religieux.» Alors, si on en voit tout partout, des signes religieux, là, de toutes sortes de religions, c'est merveilleux, c'est comme ça que l'État définit sa neutralité dans le service public. J'oserais juste demander : La neutralité politique, elle, qui est une neutralité aussi qu'on demande à l'État, trouvera-t-elle son épanouissement dans la multiplication des macarons, des chandails et des slogans?

M. Drainville : Alors, poussons-la plus loin. Il y a plusieurs intervenants — encore une fois, je respecte leur position — qui disent : Oui à la neutralité religieuse, mais ça n'a pas besoin d'aller jusqu'à la neutralité d'apparence. Vous répondez quoi à ça?

M. Gauthier (Michel) : J'ai écouté les travaux de la commission, j'ai écouté notamment le porte-parole de l'opposition officielle là-dessus hier matin, je crois, qui disait : Écoutez, d'abord, il ne faut pas comparer… je me souviens : C'est tout un raccourci intellectuel, disait-il, que de comparer un macaron du PQ avec le voile islamique — je pense que ce sont vos paroles… ou, en tout cas, je ne veux pas vous les traduire incorrectement, vous me corrigerez si ce n'est pas le cas. Et moi, je me disais : Je pense que, déjà, de poser la question comme ça, c'est un peu faire tout un raccourci, et je m'explique. Comment pouvez-vous me dire qu'un signe, un symbole politique porté par un fonctionnaire et vu par un citoyen compromet la neutralité politique de l'État et qu'un signe religieux porté par un fonctionnaire et vu par un citoyen ne compromet pas la neutralité religieuse? Pourquoi la neutralité politique serait-elle vulnérable au port des symboles puis la neutralité religieuse ne serait pas vulnérable au port des symboles?

Le message, il est là. Ce qu'il faut comprendre, c'est : comme citoyen qui ne pratique pas de religion, quand je vais me faire servir par mon gouvernement, je veux avoir un service public qui n'a rien à voir avec les croyances religieuses de qui que ce soit. Je ne veux pas empêcher les gens de pratiquer leur religion, mais, comme il s'agit de choix personnel dans la grande majorité des cas — là, je ne voudrais pas… il y a peut-être des détails qui peuvent m'échapper, mais le port du voile notamment qui est le plus visible — comme il s'agit de choix personnel, aïe! on va-tu cesser d'élever les choix personnels des individus au rang des libertés fondamentales?

C'est ce que le Barreau fait ce matin. Les choix personnels sont des droits fondamentaux. Bien là, avec ça, l'État, pour prendre un terme biblique, ça va être la tour de Babel, ce ne sera pas un État ordonné. C'est impensable. Les droits fondamentaux, c'est le droit de ne pas être discriminé parce que tu pratiques une religion, de ne pas être discriminé parce que tu as des croyances politiques, etc. Bien, ne pas être discriminé parce que tu pratiques une religion, ça ne veut pas dire que tous les autres choix personnels que tu fais à l'intérieur de ta pratique deviennent le droit fondamental.

D'ailleurs, M. Roger Tassé, qui a écrit la Charte des droits et libertés, qui n'est pas particulièrement un péquiste, que je sache, M. Roger Tassé, qui a conçu la Charte des droits et libertés, a répété à quelques reprises durant la période des fêtes qu'en aucune façon la Charte des droits et libertés ne serait heurtée par la charte québécoise, parce que, les signes religieux ostentatoires, le port en est limité sur le temps de travail. Porter le hidjab, c'est un choix personnel, je le respecte, ça peut faire partie de l'individu. Probablement… j'écoutais une dame aussi qui a témoigné, c'était très touchant, c'est extrêmement délicat, puis c'est pour ça qu'il va falloir parler tantôt peut-être de certains compromis, mais c'est son choix, là. Si elle ne porte pas son hidjab, elle ne cesse pas d'être musulmane, elle ne devient pas une mauvaise musulmane, elle ne sera pas exclue de la religion musulmane. Son droit fondamental, c'est de pratiquer sa religion musulmane. La façon dont elle la pratique, ça ne fait pas partie des droits fondamentaux, je m'excuse.

M. Drainville : Dans votre mémoire, vous soulignez l'importance, je cite, «de préserver les jeunes enfants de l'influence religieuse» — fin de citation — à la garderie et à l'école. Vous, vous avez oeuvré longtemps dans le monde de l'éducation, vous avez été enseignant, vous avez été conseiller pédagogique, vous avez été directeur général de la commission scolaire de Roberval, parlez-nous justement de cet aspect, de cette dimension des enfants, l'influence que ça peut avoir sur les élèves.

• (12 heures) •

M. Gauthier (Michel) : Vous savez, dans toute la recherche de compromis qui s'est faite à partir des recommandations Bouchard-Taylor, les catégories, là, de personnes, soi-disant, en autorité, les juges, les magistrats, les policiers puis les gardiens de prison… J'étais content, moi, de la CAQ quand la CAQ a dit : Il faut absolument ajouter à ça — absolument ajouter à ça — les enseignants, ça m'apparaît un minimum. S'il y a une figure d'autorité, dans toute la fonction publique, où le port d'un signe religieux peut être très dommageable au plan culturel, au plan familial, au plan personnel, c'est à la petite école primaire, à la garderie aussi, en passant, mais à la petite école primaire, puisque vous me demandez de parler des écoles. Un petit enfant qui est dans une classe de maternelle, et j'en ai vu pas mal souvent dans ma carrière dans le monde de l'enseignement, c'est extrêmement vulnérable. Maternelle, première, deuxième, troisième année, on a tous des enfants, on les a tous connus à cet âge très vulnérables, très perméables à tout ce qu'ils voient.

S'il y a un endroit où j'ai le droit, moi… bien, ce n'est plus mon cas, mais enfin où mes petits-enfants ont le droit d'aller sans être confrontés à des religions alors que, chez nous, nous n'en pratiquons pas, c'est bien à l'école. Je sentirais mon droit fondamental de citoyen brimé si j'avais un enfant de six ans, que je devais l'amener dans une école et qu'on y retrouvait des costumes religieux comme à l'époque où moi, je fréquentais l'école primaire et où les costumes religieux nous indiquaient clairement la nature de l'école. Dans ce sens-là, je crois qu'il faille absolument… Moi, pour en ce qui me concerne, c'est : tous les fonctionnaires de l'État devraient ne pas porter de signe religieux, mais, au minimum, les garderies, les écoles primaires, les écoles secondaires.

Est-ce que les prisonniers sont plus vulnérables à l'influence religieuse d'un voile que les petits enfants du primaire? C'est-u ça qu'on est en train de dire? Ah! ce sont des symboles religieux. Tu sais, quand on fait du légalisme, là : Ah! des symboles… c'est-à-dire des symboles d'autorité, puis l'enseignant, ce n'est pas un symbole d'autorité, il n'a pas un pouvoir coercitif. Foutez-moi la paix! Un enseignant, ça a un pouvoir terrible sur la société, il est important que l'image qu'il donne à mes enfants, quand moi, comme citoyen qui ne pratique pas, je vais les conduire à l'école, c'est bien de ne pas avoir de soutane, ou de robe, ou de signe ostentatoire religieux pour qu'il me demande : C'est quoi, ça? Ah! tu sais. Je regrette, là, mais ça fait partie, ça, des libertés fondamentales.

J'écoutais M. Seymour, hier, également, qui disait : Les droits de ceux qui ne pratiquent pas, hein, ils ne devraient pas se retrouver dans le droit. Aïe! Le droit de ceux qui ne pratiquent pas, le droit de ceux qui ne croient pas, le droit des athées, des agnostiques, des catholiques comme moi non pratiquants d'aucune façon, on ne devrait pas avoir de droits, nos droits ne devraient pas être inclus dans le droit? Aïe! Heureusement que ce n'est pas un avocat, que c'est un professeur de philosophie qui a dit ça, parce que je vais vous dire : Franchement, c'est grave, c'est grave. Moi, je pense que les droits de tous les citoyens sont là puis, mon droit… Si je vais reconduire — je reviens à l'école — mes enfants à l'école primaire, c'est bien de ne pas être confronté à un costume religieux.

Qui a le plus de droits, à votre avis, au plan juridique : la personne qui prend sa décision personnelle de porter le voile, parce que c'est un choix personnel, je vous le rappelle, ou celui dont le droit fondamental de ne pas pratiquer de religion… donc qui ne veut pas être confronté à la religion? Qui des deux a le droit, à mon avis, qui devrait prévaloir? Moi, je pense que c'est celui dont le droit fondamental, c'est de pratiquer la religion qu'il veut, puis sa religion, c'est aucune religion. Et ça, ça existe aussi. Puis il y a pas mal de monde au Québec qui font partie de cette catégorie-là, il ne faut pas l'oublier.

M. Drainville : Il me reste cinq minutes, M. Gauthier, y incluant votre réponse, ça fait que c'est probablement la dernière question que je peux vous poser. Vous avez dit, dans votre mémoire : Ce serait une erreur extrêmement grave — c'est ce que vous dites, «une erreur extrêmement grave» — de s'en tenir aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor en interdisant les signes religieux ostentatoires seulement pour les personnes en position d'autorité. Bon. Vous avez déjà donné un bout de la réponse dans les propos que vous venez de tenir. Mais, vous savez, il y en a qui disent, là : C'est ça, la base du compromis, ça devrait être ça, le compromis. Ils disent ça. Puis, si tu veux aller plus loin que ça, là, ah! bien là, tu commences à t'exposer à toutes sortes d'épithètes, là, hein? Bon, on sait lesquelles.

Moi, je vais vous dire franchement : Parfois… Puis Dieu sait que je le dis, je dis : Il faut se respecter, mais parfois j'ai l'impression que les personnes qui sont contre la charte puis qui utilisent ces épithètes assez dures à l'endroit de personnes comme moi, qui la proposent puis qui la défendent… C'est comme si, parfois, ceux qui sont contre la charte nous regardaient avec une certaine supériorité morale, avec une espèce de sentiment qu'il y a juste leur position qui a une légitimité, et nous, dans le fond, on est des espèces de… Des fois, c'est comme si… Bien, ils reconnaissent parfois qu'on a un fondement rationnel correct, là, puis qu'on a des bons arguments, mais la légitimité de notre position, ça, ils ne la reconnaissent pas. Moralement, elle est comme atteinte, alors que la leur, elle, c'est la position morale correcte, et ils partent avec cette attitude-là. Moi, ça m'agace un peu. Je voulais savoir si ça vous agaçait, vous, un peu aussi, des fois.

M. Gauthier (Michel) : Bref, oui. Mais, M. le ministre, vous avez parfaitement raison, mais je pense que ça fait partie de la tolérance qu'on veut manifester, d'accepter de se faire regarder avec une certaine supériorité, là, pour prendre vos termes. Il y a différentes approches pour regarder le dossier. Vous avez eu hier une très belle approche philosophique avec M. Seymour, il avait un mémoire d'une qualité remarquable, je n'en disconviens pas. Vous avez l'approche juridique, qui est celle du Barreau, et là où on est dans… On sait d'ailleurs que, je m'excuse auprès des avocats, mais, s'il y a 10 avocats autour d'une table, il y a parfois 10 opinions différentes; ça n'enlève pas la qualité. Mais il y a l'aspect juridique où vraiment, là, on se place dans la Charte des droits et libertés, ça devient la seule référence possible. Il y a l'approche historique, qui n'est pas moins bonne. C'est celle que j'utilise en parlant de la Révolution tranquille. Et il y a l'approche humaine, l'approche toute simple, là, du citoyen qui dit, comme quand je parlais de l'école : Est-ce que je n'ai pas le droit, moi, comme citoyen, que mon enfant ne soit pas en contact avec? Ça, c'est l'approche citoyenne. Ça ne s'appuie pas sur des grands textes juridiques, ça ne s'appuie pas sur des traités de philosophie extraordinaires, ça s'appuie sur les gens qui nous écoutent puis pour qui on va faire une charte, c'est ça que ça fait. Puis l'approche historique, elle est un peu plus scientifique, elle s'appuie sur les historiens. Et il ne faudrait pas être vraiment mal… Il ne faudrait vraiment pas… ne pas vouloir accepter que la Révolution tranquille… Il faudrait être mal informé pour ne pas savoir que, depuis 50 ans, depuis M. Jean Lesage, les différents gouvernements successifs, libéraux comme péquistes, comme… il y a eu un unioniste aussi à travers… tous les gouvernements ont posé des gestes de séparation de l'Église et de l'État.

Parce que ce dont il est question aujourd'hui, ce n'est pas tellement de ne pas faire de la peine à un, ne pas faire de la peine à l'autre, être gentil pour les communautés, être ouvert ou avoir l'air tellement bon au plan juridique que tout le monde reste bouche bée devant notre témoignage. Ce qu'on veut, c'est qu'on comprenne notre histoire, on la valorise, on la fasse connaître. Puis il y a un principe de base inaliénable : il y a une ligne extrêmement étanche entre l'Église et l'État, et, dans tous les pays du monde où cette ligne-là n'est pas étanche, c'est là que les religions sont les plus mal servies. Et, dans tous les pays du monde — je termine là-dessus…

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, je me dois d'être étanche parce qu'il y avait un temps de…

M. Gauthier (Michel) : Bien, soyez étanche, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Et vous allez pouvoir continuer, j'imagine, par ricochet. Donc, je cède la parole au député de LaFontaine.

• (12 h 10) •

M. Tanguay : Oui. Bonjour, M. Gauthier. Alors, merci beaucoup, M. Gauthier, pour le temps que vous avez pris à rédiger le mémoire et, ce matin, le temps que vous prenez pour venir nous parler et répondre à nos questions.

Moi, je dois vous avouer, M. Gauthier, comme nouvellement élu — ça ne fait pas longtemps, ça ne fait pas deux ans que je suis ici, à l'Assemblée nationale — je suis allé, ce qu'on dit aujourd'hui, googler sur votre nom et j'ai pu constater… je vous connaissais très bien au sein du Bloc, mais j'ai pu constater… Puis détrompez-moi si j'ai tort, mais vous avez commencé ici même, à l'Assemblée nationale, en 1981, comme élu, et jusqu'en 1988, donc vous avez été député provincial au Parti québécois, donc, pour deux mandats, et par la suite au Bloc québécois jusqu'en 2007, et je trouvais ça très impressionnant.

Et, vous savez, M. Gauthier, il y a… c'est un débat, on le sait, comme législateurs… Et vous avez une vaste expérience de législateur tant au provincial qu'au fédéral, c'est réellement impressionnant. Moi, comme nouveau législateur, ça ne fait pas deux ans, et une des préoccupations… et je suis sûr que vous la partagez, que vous la partagez aussi dans le débat que l'on voit aujourd'hui, un débat où il y a des pour, il y a des contre. Et essentiellement je pense qu'on peut s'entendre que le débat est ciblé sur cette interdiction, là, du port des signes religieux, qu'est-ce qui est ostentatoire, pas ostentatoire. Le reste, puis je ne vous ferai pas ma ritournelle politique, là, le reste, je pense que, vous le savez, on le constate, là, les balises, les accommodements, la neutralité de l'État dans la charte, visage découvert, ça fait un très large consensus.

J'aimerais vous entendre, moi, M. Gauthier, et, pour moi qui commence, et je me le souhaite, si la santé me le permet, une carrière… Et ce n'est pas une carrière, c'est, je vous dirais, une mission, hein, d'être représentant, d'être élu, d'essayer de bien traduire les convictions et de bien traduire ce que les gens dans la population vivent. J'aimerais vous entendre sur l'aspect extrêmement «divisif» de ce débat-là. Puis j'avais l'intention de vous citer Maria Mourani, mais je ne le ferai pas, parce que je ne veux pas tomber là-dedans, mais force est de constater que, comme législateurs, qu'on soit pour ou contre… puis je ne vous citerai pas Maria Mourani, mais gardons ça à l'esprit : Qu'on soit pour ou contre sur un élément aussi fondamental que la charte québécoise, ne devrait-on pas, M. Gauthier — puis votre réponse va être importante pour moi — ne devrait-on pas aller chercher le plus large consensus? Puis, si jamais on se rend compte que, sur cet aspect-là… Les autres, faisons avancer le Québec, puis, sur cet aspect-là, peut-être qu'il y aurait lieu de réfléchir davantage, ne le croyez-vous pas, comme législateurs, M. Gauthier?

M. Gauthier (Michel) : Votre question est extrêmement intéressante à mon point de vue, puis je vais vous dire pourquoi. J'en étais rendu, dans mes explications, à vouloir parler de la nécessité d'une formule de compromis parce qu'effectivement, comme législateur, quand on décide de faire une loi de cet ordre-là, c'est extrêmement délicat, le ministre en sait quelque chose, et moi, j'ai vécu à l'époque tout ce que Camille Laurin a pu souffrir lorsqu'il a mis en place la Charte de la langue française. Et donc il faut qu'on trouve le moyen de le faire de la meilleure manière possible, et voici comment je vois les choses.

Il y a un principe de base, quand tu regardes la société, les sondages… En tout cas, on ne se chicanera pas sur les chiffres, mettons, 50 % du monde veulent la charte comme elle est, 40 % ne la veulent pas, 10 % flottent. Bon, laissons ça à peu près comme ça. Si vous regardez, si vous testez les gens — je l'ai fait, moi, de façon bien modeste, mais ça ne vaut pas un sondage scientifique, mais quand même — si vous testez les gens, vous leur dites… sur le principe de la séparation totale de l'Église et de l'État, je pense que tout le monde est d'accord — puis je vois des gens qui opinent du bonnet partout, j'imagine qu'ici c'est la même chose.

Quand on arrive dans les signes religieux, si vous demandez aux gens : Est-ce que ça vous incommode d'avoir des gens qui vous servent avec des signes religieux ostentatoires?, ils vont vous dire — moi, en tout cas, ma petite expérience : De temps à autre, à l'occasion, ce n'est pas quelque chose qui me dérange vraiment, mais, quand je vois… Bon. Exemple, dans une garderie, moi, on me l'a dit, on m'a donné un exemple d'une garderie, à ville d'Anjou, où plusieurs éducatrices portent le voile, et la personne m'a dit : Moi, là, quand il y en avait une, ça ne me dérangeait pas; cette année, il y en a quatre sur huit qui portent le voile, là ça commence à me déranger, parce que j'ai l'impression d'avoir affaire à une garderie qui est engagée religieusement. Et c'est là qu'il faut mettre le stop.

Moi, je vous dis ceci : Vous avez une formule de consensus, la CAQ travaille fort là-dessus pour essayer de rejoindre les gens, c'est correct, mais, à mon avis, vous travaillez sur la mauvaise chose. On travaille sur les catégories : qui devrait avoir un symbole religieux et qui ne devrait pas en avoir. On va toujours se chicaner là-dessus, parce que moi, je vais me chicaner à mort pour que les enseignants et les gens de garderie soient inclus, puis d'autres vont se chicaner pour d'autres raisons.

À la place de chercher un consensus là-dessus, pourquoi on n'aborderait pas la chose de la façon suivante? Ce qui est important, c'est de faire connaître aux nouveaux arrivants notre histoire puis nos désirs concernant la séparation de l'Église et de l'État. Si on passait, on adoptait une loi qui, à compter du 1er juillet 2014, exige de tous les employés de l'État nouveaux de ne pas porter de signe religieux, c'est clair : si vous venez travailler pour l'État, le choix est fait, la séparation exige ça, pour tous ceux qui sont là… Parce que moi aussi, je suis sensible à la dame qui était ici l'autre jour puis qui racontait qu'un petit enfant disait à sa mère : Maman, vas-tu perdre ton emploi — vous vous souvenez, vous étiez tous là, je le sais — vas-tu perdre ton emploi? Qu'est-ce qui va se passer? Moi aussi, je suis sensible à ça.

Si on accordait une tolérance, inévitablement… D'abord, le phénomène n'est pas actuellement si énorme que l'État soit en péril. Si on accordait une tolérance pour cinq ans, 10 ans et qu'on disait : On va revoir les choses, il n'y aura pas de nouveaux arrivants avec de signes religieux ostentatoires, ceux qui ont déjà acquis leur permanence, qui sont déjà, on dirait, dans une forme de droits acquis et qui risqueraient de créer des problèmes, au niveau des poursuites, au niveau des mises en demeure, au niveau des congédiements, si on disait à ces gens-là : Vous conservez votre droit, on vous invite à vous conformer à la loi, mais il n'y a pas urgence en la demeure de telle sorte qu'on va vous demander de vous enlever automatiquement vos signes religieux, il y aurait un respect des personnes qui sont déjà en place, il y aurait une démonstration d'ouverture, à mon avis, qui serait intéressante. On préserverait…

Dans 25 ans, le problème qu'on veut régler aujourd'hui va être réglé de façon absolument complète. Et, dans cinq ans et dans 10 ans, le problème va diminuer d'une fois à l'autre, si tant est qu'il y a un problème, les signes religieux vont disparaître d'eux-mêmes. On n'aura pas attendu que la société soit compromise, soit dans une mauvaise situation, on aura agi. On préservera la séparation de l'Église et de l'État, on préservera les droits des individus qui en ont acquis et on s'assurera que ceux qui viennent ne pourront toujours pas prétexter les droits acquis. Si ça vous tente de venir travailler pour l'État, chez nous, c'est neutre, et être neutre, c'est ne pas afficher de signes. En tout cas, c'est le choix que le gouvernement a fait. D'autres diront : Être neutre, ça prendrait tous les signes, là, mais ça, c'est un autre débat.

M. Tanguay : …M. Gauthier, je trouve ça extrêmement intéressant — puis, comme je vous l'ai dit, je n'ai pas deux ans de député derrière la cravate, moi, là — et c'est un débat extrêmement «divisif». Puis, moi, ça me préoccupe, ça me préoccupe aussi comme père de famille. J'ai deux petites filles, neuf ans et sept ans, puis on veut qu'elles vivent puis qu'elles grandissent dans une société où les petites filles ont autant de droits que les garçons. Et ça, c'est très clair, personne ne le conteste.

Aussi, comme élus, puis c'est pour ça que votre réponse m'est tout à fait importante, comme élus, on reçoit les gens dans notre bureau de comté — et vous l'avez fait de nombreuses années — des gens qui ont des préoccupations. Et, moi, ce qui me guide toujours — je prends mon cas personnel puis je pense que je peux parler au cas de bien des élus, là, je ne pense pas qu'on diverge d'opinion là-dessus — c'est d'essayer de donner une chance égale à tous, indépendamment de motifs de discrimination. Et, moi, ça me touche beaucoup quand je vois quelqu'un qui a une croyance sincère, qui ne lui pas été imposée par personne. Puis j'avais l'intention de vous citer d'anciens collègues, là, M. Dorion, M. Marceau, Lucien Bouchard, Raymond Gravel, qui, dans sa croix, lui, il dit : Bien, moi, c'est ma conviction, c'est mon identité, c'est fondamental. Et j'ai beau… Une personne a beau être athée et ne pas croire du tout à sa conviction, on ne peut pas, je crois, aller lui refuser cette conviction profonde, qui n'est pas une conviction partisane.

Puis c'était ça, mon point que je voulais faire hier, et également, comme élu, de dire : Bien, une fois élu, moi, je ne suis pas élu par les électeurs libéraux, je suis le représentant et le député de tout le monde, et, en ce sens-là, qu'on soit pour ou contre, de dire comment on peut traduire, dans nos lois qu'on va voter, comment on peut traduire la diversité de notre société tout en gardant cet équilibre-là, équilibre de dire : Bien, on a des éléments fondamentaux, l'égalité hommes-femmes doit être respectée, la neutralité politique et religieuse de l'État doit être respectée. Mais, vous savez, dans les années 70, 80, 90, 2000, il y a des lois qui étaient : la discrimination positive pour que la dame, tantôt mère de famille avec le voile, non seulement elle ne perde pas sa job, parce qu'elle aurait une clause grand-père, ou grand-mère ici, mais également qu'elle a l'opportunité d'en avoir une, job au gouvernement, et même au sein d'entreprises qui font affaire avec le gouvernement. Et comment, M. Gauthier, on pourrait traduire, je pense, cette préoccupation-là, légitime, que ce soit le gouvernement de tout le monde, tout comme moi, je ne suis pas le député des électeurs libéraux mais de tout le monde, comme vous, vous l'avez été aussi? Et ça, je le pose, là… Et, encore une fois, vous avez cette expérience-là qui est très importante, votre réponse est importante.

• (12 h 20) •

M. Gauthier (Michel) : Ah! merci de m'accorder toutes ces vertus, mais je ne les ai pas toutes, cher ami.

Ceci étant dit, vous me parlez de deux choses. D'abord, vous me parlez de la balance des droits. Quand vous dites : Quelqu'un qui veut aller faire carrière pour l'État, il a une personnalité qui est caractérisée par la pratique d'une religion, il la fait d'une certaine façon, etc., je ne veux pas l'écarter, je veux être un bon gouvernement face à cette personne-là, vous avez raison. Mais là on se pose la question, comme gouvernants : Est-ce que le droit d'une personne, comme je vous dis tantôt, qui fait des choix individuels dans sa pratique religieuse, si, pour être musulman, tu devais porter le hidjab, si c'était une prescription... D'ailleurs, des gens ont dit : C'est une prescription. Pas du tout! Ce n'est pas une prescription. Une prescription, c'est obligatoire, ça. Si c'était une prescription, je serais le premier à dire comme vous : Il faut trouver un moyen d'inclure ces gens-là. Mais ce n'est pas une prescription, c'est un choix. Puis elles l'ont toutes répété — j'ai écouté tellement d'entrevues, je me suis payé tout un boulot avant de venir ici. Elles ont toutes répétées, ces femmes-là à voile, la même chose : C'est mon choix personnel, ce n'est pas quelque chose d'imposé. Moi, je prends ce qu'elles disent pour la vérité.

Donc, on a à mettre en balance un choix personnel puis, d'un autre coté, l'histoire récente du Québec qui sépare l'Église et la religion, qui a sorti les symboles religieux, puis également des gens qui ont le droit fondamental de ne pas être ennuyés par les symboles religieux puis par la religion des autres, parce qu'ils n'en pratiquent pas. Quel droit est le plus important? À mon avis, le droit le plus fondamental, c'est celui de ne pas être ennuyé parce que mes croyances religieuses, c'est égal zéro. C'est aussi une croyance religieuse que d'être athée, par exemple. Je ne suis pas athée, mais c'est une croyance religieuse, c'est une croyance que d'être athée : Moi, je ne crois pas qu'il n'y a rien qui existe, Dieu n'est pas là. Alors donc, ça, c'est un élément.

Pour le reste, vous savez, la loi, on en a parlé comme si on empêchait les gens de vouloir pratiquer leur religion. J'ai fait un petit calcul pendant que vous me parliez. Il y a 168 heures dans une semaine, il y a 35 heures de travail, quand tu es au gouvernement, c'est 20 % de la semaine. Je vais être très mathématique puis peut-être même grossier, mais, écoutez, là, quand on demande à quelqu'un qui a fait un choix personnel de porter le voile : Si tu veux travailler pour le gouvernement, bien, viens, mais dorénavant tu sais que tu n'as pas le droit de porter le signe religieux, ça veut dire que 20 % de ton temps dans la semaine, tu devras t'abstenir de porter ce signe religieux, ce n'est pas la fin du monde...

Le Président (M. Ferland) : ...calculé le temps qu'il vous restait...

M. Gauthier (Michel) : Et il faut qu'on considére que...

Le Président (M. Ferland) : Et nous en sommes maintenant à…

M. Gauthier (Michel) : ...ce n'est pas un mauvais choix.

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier! J'ai calculé le temps...

M. Gauthier (Michel) : Oh! vous me parliez. Excusez, j'étais tellement absorbé par mon interlocuteur…

Le Président (M. Ferland) : Alors, je vois, M. Gauthier, que vous n'avez pas perdu la main, au contraire! Alors, le temps que j'ai calculé, il n'en restait plus du tout. Alors, c'est à la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Gauthier, pour votre mémoire. Heureuse de vous voir. Nous, on s'est connus dans une autre vie, dans un autre milieu.

M. Gauthier (Michel) : N'allez pas partir de rumeurs.

Mme Roy (Montarville) : Non, non, non! On va le dire tout de suite : À TQS. Bon, c'est réglé.

Cela dit, j'aimerais revenir à votre mémoire, et j'aurai pour vous une question très théorique, on s'entend, là, vous écrivez : «L'accroissement récent de l'immigration provenant de la région du Maghreb, à très forte majorité musulmane, a cependant changé la donne. Plusieurs femmes portant le hidjab ou d'autres déclinaisons des symboles vestimentaires religieux se sont jointes à la fonction publique et parapublique. La situation est loin d'être critique, mais la tendance est cependant très visible : les signes religieux [ou] ostentatoires sont de plus en plus présents au sein des services publics, et cette tendance va dans le sens d'un accroissement perceptible.»

 Alors, la voici, la question théorique : Est-ce qu'on fait erreur, au Québec, en favorisant l'immigration de gens francophones plutôt que de favoriser une immigration qui nous proviendrait de pays partageant davantage nos valeurs? Et ça, vous savez, c'est un sondage qui a été posé il y a quelques mois déjà. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Gauthier (Michel) : Il ne faudrait pas en arriver à ça. Moi, je pense que, justement, quand les règles sont claires, quand ce qui pourrait nous ennuyer, en quelque sorte, ou déranger, je dirais, nos lois, nos règlements, nos habitudes, enfin notre histoire, quand ceci est bien cerné, quand on identifie les irritants et qu'on dit : Voici, il faudrait vous soumettre à ce type de règlement là, de réglementation là, je pense que le problème ne se pose pas.

Moi, je ne sais pas comment sont faits les quotas d'immigration. Parce qu'on a besoin de nouveaux arrivants au Québec, c'est merveilleux qu'il y en ait beaucoup. Moi, qu'il y en ait énormément qui viennent du Maghreb, bien, je trouve ça extraordinaire. Ils sont déjà francophones, ce qui est un grand pas de franchi. Mais ce n'est pas parce que je suis heureux de les voir puis que le gouvernement augmente constamment les seuils d'immigration, ce qui est tout à fait correct, ce avec quoi je suis en accord, qu'il faut, par ailleurs, pour autant que je me sente obligé de perdre ce que, depuis 1960, mes parents, moi et mes enfants ont bâti. Et, dans ce sens-là, c'est pour ça que moi, je ne me sens pas mal à l'aise d'imposer un certain nombre de contraintes, dont celle de la charte.

Puis je fais comme tout le monde : au début, je n'aurais pas voulu aucun compromis. Puis, je regardais la recherche de compromis puis je me disais : Il faut faire un effort. Moi, j'ai pensé à une forme de tolérance comme celle dont je vous parlais, puis je sais qu'à la CAQ, entre autres, ça fait partie de votre préoccupation, de trouver un compromis, bien, il y a là matière à discuter. Puis je pense qu'il ne faut pas revoir les seuils d'immigration, il faut juste fixer les balises d'un mieux vivre-ensemble. C'est tout.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Mais j'ai tellement très peu de temps, je vais essayer de passer à une deuxième question. Pour ce qui est de l'interdiction du port des signes religieux, oui, effectivement, à la CAQ, nous les sélectionnons, si vous voulez dire, entre guillemets, et nous ne considérons pas que les employés municipaux, finalement... le p.l. 60 ne devrait pas s'appliquer aux villes. Pourquoi? Parce que l'esprit même de la loi, du p.l. 60, c'est d'interdire le port de signes religieux aux employés de l'État québécois. On considère que les municipalités, qui sont des créatures provinciales, effectivement, cependant sont des gouvernements autonomes. Alors, qu'est-ce que vous répondez à votre ami Denis Coderre, que vous avez côtoyé, qui dit : Ce n'est pas à Québec de venir choisir mes employés?

M. Gauthier (Michel) : Bon, je pourrais lui répondre comme lui, il parle, hein? Ce n'est pas à Denis Coderre de venir mener la province puis de venir mener le gouvernement non plus, là, tu sais? Je veux dire, Denis Coderre, il a sa gestion à faire puis il va la faire. Je le connais, c'est un gentil garçon, il va faire une très bonne job.

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, je dois malheureusement...

M. Gauthier (Michel) : Vous ne me coupez pas quand j'ai dit que c'était un gentil garçon! Laissez-moi continuer.

Le Président (M. Ferland) : Non. D'ailleurs, M. Coderre viendra peut-être ici, on lui posera la question.

Une voix : On va lui retweeter. On va lui retweeter.

Le Président (M. Ferland) : Alors, le député de Blainville.

M. Gauthier (Michel) : ...donnez-moi la chance!

Le Président (M. Ferland) : Non, mais on en avait trouvé un bon, là, M. Coderre... M. le député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Gauthier, bonjour.

M. Gauthier (Michel) : Bonjour.

M. Ratthé : Je trouve intéressant que vous mentionniez la comparution, si on peut dire, là, de M. Seymour parce que, dans une des premières choses que j'ai écrites, je voulais faire un parallèle avec ce que vous nous indiquiez puis ce que M. Seymour nous a indiqué hier. Alors, je ne vais pas répéter ce que vous avez dit, je pense que c'est assez clair par rapport à ce que M. Seymour nous disait : Bien, il y a des religions qui, eux, sont attachées à une communauté, puis justement c'est leur façon de faire.

Je vais plutôt continuer, un peu faire du pouce sur ce que ma collègue de Montarville vous demandait. Il y a beaucoup de questionnements, à savoir : On va beaucoup plus loin que la fonction publique. Tantôt, vous avez dit : Quant à moi, ce serait peut-être la fonction publique. Et là on nous dit : Non, non, écoute, on déborde largement la fonction publique, ça va toucher 500 000, 600 000 personnes, ça va même toucher, peut-être, un sous-contractant en informatique, par exemple, qui viendrait faire un travail dans un ministère où il ne pourra pas, lui non plus, parce qu'il a un contrat avec le gouvernement, arborer un signe.

Est-ce que vous trouvez qu'on va trop loin ou est-ce que, non, il faut... Puis là je vais inclure les villes. Tantôt, on a... Quelqu'un, hier, disait : Il faut inclure les maires. Est-ce qu'on met les conseillers municipaux? Quelqu'un nous a dit : Les directeurs de commission… Jusqu'où on va?

M. Gauthier (Michel) : Oui, effectivement, ça fait partie des discussions qui auront lieu. Mais, vous savez, dans un... quand tu acceptes une... quand tu votes une loi, tu acceptes des principes, et après ça on définit certaines modalités d'application, qui sont des règlements. Malheureusement, ça échappe trop souvent aux parlementaires, les règlements. Ça devrait revenir au débat parlementaire, parce que c'est souvent plus substantiel que la loi elle-même. Pendant 21 ans, moi, j'ai pensé ça, puis je le pense encore, et j'en profite de le dire parce que je n'ai pas d'allégeance politique maintenant, donc je suis considéré comme un peu plus objectif que la moyenne des députés qui parlent. Alors donc, la loi ne fera pas tout, et les règlements vont préciser. Et je m'explique.

Quand on parle des sous-contractants, moi, je ne trouve pas que c'est aller trop loin dans certains cas. Si moi, je suis sous-contractant, je ne sais pas, en informatique et que j'ai trois employés qui viennent faire un travail de trois semaines au niveau du gouvernement, en plus qui ne sont pas en services publics, il faut se calmer, là. Moi personnellement, ça ne me dérange pas tellement. Mais, sous-contractant, là... Je sais qu'il y a des hôpitaux où les infirmières sont sous-contractantes depuis je ne sais pas combien d'années. Alors, sous-contractant, ça doit se définir et dans le temps.

Alors, je suis certain que ça, ça fait partie des discussions, sans parti… en dehors des partis politiques, des allégeances politiques, que vous pouvez avoir, dire : Comment on définit... une fois que le principe est là, comment on définit un sous-contractant de façon raisonnable? Quelqu'un qui, comme sous-contractant, donne des services à la population, à mon avis, c'est à la première journée. Celui qui ne donne pas de service à la population et qui est là pour une période, je ne sais pas, inférieure à deux mois, bien là, regarde — en tout cas, ça, c'est mon opinion à moi — moi, ça ne me traumatise pas. Mais, si ce sous-contractant-là vient pour six mois, bien là, ça vaut la peine d'ajuster ses pratiques, probablement, à celles de l'État. Alors, moi, c'est un peu la manière dont je vois les choses. Mais ce n'est pas une question à laquelle j'ai vraiment réfléchi, mais mon simple bon sens, gros bon sens de citoyen m'amènerait à vous dire ça. Je suis un citoyen pour la charte, mais je ne suis pas traumatisé par des approches de cet ordre-là.

Concernant les municipalités, écoutez, il y a des grosses administrations, c'est aussi l'État, là. Tu sais, la ville de Montréal... tu sais, je parlais de M. Coderre tantôt, bien charmant, bien gentil, mais je sais comment il est accroché à la Charte des droits et libertés, et, même si le père de la charte a dit qu'il n'y avait pas de problème, je sais que M. Coderre a une pensée un peu particulière là-dessus. Mais…

• (12 h 30) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. Gauthier…

M. Gauthier (Michel) : …honnêtement…

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, nous allons…

M. Gauthier (Michel) : Vous allez encore me couper sur M. Coderre!

Le Président (M. Ferland) : …à la députée de… Aussitôt que vous prononcez le mot «Coderre», on arrête. Alors, Mme la députée de Gouin.

Mme David : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Alors, il ne faut plus prononcer ce mot-là, monsieur. Mme la députée.

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Ce n'est pas vrai.

Mme David : Bonjour, M. Gauthier.

M. Gauthier (Michel) : Parlez-moi de Denis Coderre, je vous en prie!

Mme David : Pas du tout.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme David : Écoutez, moi, je trouve ça intéressant qu'après avoir présenté un mémoire aussi flamboyant vous arriviez finalement à nous dire : Savez-vous, j'aurais un compromis à vous proposer. Ça serait bien si tout le monde avait ce genre d'attitude. Ça serait vraiment intéressant.

Mais moi, je veux vous amener plus sur l'héritage de la Révolution tranquille, parce que je partage votre vision historique mais pas entièrement. Vous dites : La Révolution tranquille, ça nous a amenés vraiment à clarifier les rapports Église-État. Complètement d'accord. L'État a repris en main les institutions scolaires et de santé. Tout à fait d'accord. Mais je vous soumets que, sur la question des signes religieux, l'État québécois, au moment de la Révolution tranquille, n'a absolument pas légiféré. Il n'y a aucun établissement qui a exigé des professeurs de l'époque, ou des infirmières, ou des médecins l'abandon de quelque signe religieux que ce soit. C'est Vatican II qui a provoqué l'abandon, par les religieux, de leurs costumes. Mais tout ça a fait que, pendant bien des années encore, nous avons eu, dans nos écoles, des professeurs portant des croix. Nous avons encore aujourd'hui des infirmières, des médecins, etc., portant des signes religieux. Et — votre mémoire a le mérite, dans le fond, d'appeler un chat un chat — jusqu'à ce qu'il y ait un certain nombre de femmes portant le voile dans nos services publics, honnêtement, M. Gauthier, il n'y a personne qui se préoccupait de savoir s'il y avait une croix dans le cou de quelqu'un. C'est depuis ce temps-là que vraiment, et vous en parlez dans votre mémoire, on se questionne.

Alors, moi, la question, à ce moment-là, que j'ai à vous poser, nonobstant tout ce qu'on peut penser de la question du voile — on pourrait en débattre longtemps — ce sont des femmes qui le portent, ce sont des femmes qui risquent d'être sanctionnées et congédiées parce qu'elles portent un voile : Vous proposez des mesures de transition, est-ce qu'il ne serait pas normal que ces femmes puissent, elles-mêmes, trouver le chemin de leur émancipation, comme ma mère l'a fait, comme je l'ai fait? Est-ce qu'il ne faut pas laisser un peu de temps?

M. Gauthier (Michel) : Oui, il y a beaucoup de choses. D'abord, je suis d'accord avec vous, la perspective historique, c'est la même. Je n'ai jamais voulu mettre de côté le rôle du concile dans les signes religieux, le départ des signes religieux. Mais je me souviens… J'ai parlé ainsi parce que M. Parizeau, qui a été un acteur de la Révolution tranquille, a dit : Effectivement, on n'a pas eu besoin de légiférer — je le dis d'ailleurs dans mon mémoire — on n'a pas eu besoin de légiférer, mais, disons, comme État, on a fait en sorte que, graduellement, ils ont senti que les costumes religieux devaient prendre le bord. Et c'est un peu ce qui est arrivé. Il y a eu des décisions de prises, il y a eu des incitations, etc. Alors, de ce côté-là, je pense qu'on ne se créera pas de problème.

Concernant le fait qu'il faudrait permettre à ces femmes de s'émanciper d'elles-mêmes, bon, écoutez, moi, je suis bien pour la vertu et je suis pour la tarte aux pommes, je suis pour toutes ces choses-là, mais je crois, des fois, qu'il faut aider la nature. Et il y a des gens… Moi, je connais des femmes qui se font imposer le voile, et elles se le font imposer par leur milieu, puis vous en connaissez tous, je connais, là… en fait, on connaît ça…

Le Président (M. Ferland) : M. Gauthier, malheureusement, le temps est terminé.

M. Gauthier (Michel) : Et ces gens-là ont besoin d'être aidés.

Le Président (M. Ferland) : Et, sur ce, je vous remercie énormément. Vous n'avez pas perdu la main, M. Gauthier, je peux vous le confirmer.

Alors, sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures. Allez-y.

(Suspension de la séance à 12 h 34)

(Reprise à 14 h 7)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend donc ses travaux. Cet après-midi, nous entendrons les représentants Pour les droits des femmes du Québec, M. Alain Rioux, l'Association féminine d'éducation et d'action sociale et M. Claude Pineault.

J'invite donc les représentantes du groupe Pour les droits des femmes du Québec à nous présenter leur mémoire, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la présentation, et après suivra un échange. Alors, je vous invite à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.

Pour les droits des femmes du
Québec (PDF Québec)

Mme Sirois (Michèle) : Alors, je suis Michèle Sirois. Je suis présidente du groupe PDF Québec, qu'on appelle aussi PDF Pour les droits des femmes du Québec. Je suis anthropologue et spécialiste en sociologie des religions, et, à ma droite, Naomie Caron, qui va aussi intervenir, et Radia Kichou.

Alors, PDF Québec est un groupe féministe, citoyen, non partisan et mixte. Fondé tout récemment, PDF Québec veut, au nom de toutes les femmes, porter leur voix et leurs revendications sur la place publique. Pour PDF Québec, il est clair qu'une véritable démocratie ne sera possible qu'à la condition de réaliser pleinement une véritable égalité de fait entre les hommes et les femmes. PDF Québec fait appel à celles et à ceux qui, comme nous, soutiennent inconditionnellement la société démocratique et laïque et qui tentent de la bâtir. Nous voulons promouvoir l'égalité de fait entre les femmes et les hommes, car la persistance des inégalités reste évidente dans des domaines comme le partage des tâches, la conciliation famille-travail, la violence exercée à notre endroit, les salaires, l'accès au travail, etc. Enfin, nous voulons rassembler toutes les femmes, au-delà de leurs différences et de la diversité de leurs besoins.

• (14 h 10) •

La volonté de créer un nouveau groupe féministe, que nous sommes, était dans l'air depuis plusieurs années déjà, mais, avec la promesse électorale du Parti québécois de créer une charte de la laïcité, il nous est apparu essentiel de créer maintenant notre organisation féministe, puisqu'il semblait bien que plusieurs organisations normalement vouées à la défense des droits des femmes semblent avoir changé de direction politique et opté pour la défense des droits religieux plutôt que la défense des droits des femmes. Mais soyez assurés que PDF Québec sera actif dans tous les dossiers qui interpellent le droit des femmes.

Notre mémoire, que vous pourrez retrouver aussi sur notre site, pdfquebec.org, veut d'abord dire oui à la charte parce que nous appuyons la neutralité religieuse et le caractère laïque des organismes publics. La laïcité, ce n'est pas la seule condition pour permettre aux femmes d'accéder à l'égalité, mais elle est une condition essentielle. C'est au terme, d'ailleurs, d'une longue période de sécularisation que la société québécoise s'est dotée de règles et de lois démocratiques, c'est-à-dire basées sur la volonté humaine, par opposition aux lois ancestrales. Les sociétés qui se veulent égalitaires doivent rejeter la vision entretenue par les religions en regard des femmes et des homosexuels. Les droits de ces deux groupes sont encore menacés dans le monde, leur vie même est menacée là où les règles religieuses sont les références légales. Il faut donc refuser de retourner à ces règles discriminatoires, imprégnées de tous les préjugés à l'égard des femmes qui existaient à l'époque où ces règles ont été consignées par écrit, c'est-à-dire souvent plusieurs milliers d'années. Le Québec se démarque d'ailleurs, dans le monde, quant à la place que les femmes occupent dans la société. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais PDF Québec dit non au recul, par rapport aux droits des femmes, sous prétexte de liberté religieuse, ce serait une trahison de toutes les luttes menées par des générations de Québécoises.

En second lieu, PDF Québec dit oui à la charte parce que nous appuyons le devoir de neutralité et de réserve en matière religieuse et les restrictions relatives au port de signes religieux. L'affichage est le contraire de la neutralité, tous les publicitaires l'ont compris depuis longtemps. L'affichage est d'ailleurs le b. a.-ba du prosélytisme, l'arme de base du marketing. Et c'est pour ça qu'un État neutre ne s'incarne pas dans ses murs mais bien dans les personnes qui oeuvrent en son nom, qui y travaillent, qui sont rémunérées par l'ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec.

D'ailleurs, en 1997, c'est une date importante, le Québec a obtenu un amendement constitutionnel, catholiques et protestants ont renoncé à leurs droits, leurs privilèges constitutionnels pour faire respecter la liberté de conscience de tous les enfants qui fréquentaient les écoles secondaires et primaires du Québec, de même que la liberté de conscience de leurs parents. Il ne s'agissait pas à ce moment-là de protéger la liberté de conscience des enseignantes et enseignants mais de s'ouvrir à la diversité des convictions spirituelles, et de protéger la liberté de conscience, donc, des enfants qui fréquentent les écoles publiques, et ainsi, également, leur permettre de se côtoyer, quelles que soient leurs communautés d'origine.

Nous ne saurions trop insister sur l'importance de la neutralité des professionnels scolaires qui se trouvent en première ligne auprès des enfants. Non seulement ils sont des modèles pour les élèves, exercent une autorité morale, mais également, auprès des jeunes, ils sont, donc, des personnes qui… les jeunes peuvent recourir à eux. Ils fonctionnent comme des intervenants de première ligne pour protéger les enfants. Et on l'a vu dans le cas de la famille Shafia jusqu'à quel point c'était important, des intervenants de première ligne. Malheureusement, la famille Shafia n'a pas été écoutée, et on a su le résultat très malheureux. Peut-on franchement penser qu'une petite fille à qui les parents imposent des restrictions de toutes sortes se sentira suffisamment en confiance avec des enseignants, enseignantes qui arboreraient des symboles religieux et qui… par le fait même, leur accord tacite avec des règles religieuses que ce symbole illustre et qui font justement partie de ce que veulent leur imposer leurs parents?

Troisième point, le caractère sexiste et discriminatoire de certains symboles religieux. Il y a différents symboles religieux, mais on est particulièrement préoccupés par des symboles qui sont sexistes. Le Québec a des obligations en regard de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Dès le début des années 80, le Québec a entériné un accord international, il s'est engagé à éliminer les différentes formes de discrimination, dans lesquelles font partie également certaines coutumes et certaines habitudes culturelles ou prescriptions religieuses.

En outre, le Québec a énormément investi de ressources pour lutter contre tous les symboles sexistes dans les écoles. Or, tolérer le port de symboles sexistes par des employés des services publics implique tacitement une acceptation de la discrimination fondée sur le sexe. L'État ne doit être associé à aucune promotion du sexisme. Ce n'est pas parce que les gens nient le caractère sexiste, qu'ils invoquent toutes sortes de motivations que le caractère sexiste n'existe pas, la discrimination n'existe pas par elle-même. Depuis des millénaires, certains symboles ont un sens, et malheureusement ce sens est dévastateur pour les femmes. La société québécoise ne doit pas favoriser le retour à ces images sexistes sous prétexte de liberté religieuse.

PDF Québec, en quatrième lieu, dit oui à la charte mais dit non aux accommodements religieux. Un accommodement, oui, est accordé à une personne qui subit une situation ou un état qui ne pose aucun problème, d'accord. Par contre, il s'agit d'un devoir de la société pour favoriser l'intégration notamment des personnes handicapées qui subissent, donc… c'est une contrainte naturelle, à bien distinguer des accommodements religieux, qui sont des contraintes choisies. Alors, on a affaire à tout un phénomène qui est très différent, et c'est pour ça que c'est aussi…

Le Président (M. Ferland) : …Mme Sirois, pour conclure, à peu près une minute.

Mme Sirois (Michèle) : O.K. Alors, c'est encore inacceptable, car il s'agit de dispositions discriminatoires à l'égard des femmes et des homosexuels ou des adeptes d'autres religions.

PDF Québec appuie la charte, mais il y a des aspects incomplets, comme la question des signes pour les élus, la question du crucifix à l'Assemblée nationale et surtout, pour nous, la clause dérogatoire qui devrait apparaître. Je voudrais peut-être laisser un petit mot aux deux personnes.

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, on est rendus aux 10 minutes, mais sûrement qu'ils auront l'occasion, lors des échanges avec les différents groupes parlementaires, de pouvoir s'exprimer, parce qu'il y aura de nombreuses questions qui vont vous être adressées, j'en suis convaincu. Alors, M. le ministre, la parole est à vous pour débuter les périodes d'échange.

M. Drainville : Merci beaucoup, mesdames. Merci, Mme Sirois. Merci, Mme Kichou. Merci, Mme Caron. On va aller tout de suite dans le vif du sujet, sur la question donc de ce principe de neutralité, qui est au coeur même du projet de charte que nous avons déposé. Vous savez, le principe de la neutralité politique n'a jamais été remis en question dans ce débat, hein? Tout le monde… en tout cas à ma connaissance, tout le monde reconnaît que la neutralité politique, c'est un principe tout à fait consensuel, il n'y a pas lieu de le remettre en question. Ce principe de neutralité politique inclut l'obligation de garder pour soi ses convictions politiques lorsqu'on est au travail, lorsqu'on est, donc, un fonctionnaire. Donc, on n'a pas le droit d'afficher notre appartenance ou notre appui à tel ou tel parti, donc pas le droit de porter un macaron, une casquette, un tee-shirt, et tout le reste. Donc, pas le droit de s'afficher politiquement.

Mais parfois ces mêmes personnes qui reconnaissent que la neutralité politique est tout à fait légitime, nécessaire, disent : Ah! mais la neutralité religieuse, ça, c'est autre chose, ça, ce n'est pas pareil, y compris en matière d'affichage, là. Comment vous réagissez quand vous entendez cet argument-là, où on dit : La neutralité politique, c'est une chose, la neutralité religieuse, ce n'est pas pareil?

• (14 h 20) •

Mme Sirois (Michèle) : Dans la charte québécoise des droits et libertés, l'article 3 présente différentes libertés et semble les mettre au même pied d'égalité : il y a la liberté religieuse, mais il y a aussi la liberté d'expression. Au Québec, on a conçu que c'était acceptable et raisonnable de mettre des limites à la liberté d'expression. Et ce qui m'étonne, moi aussi, c'est que, les mêmes personnes qui disent qu'il ne faut pas hiérarchiser les droits, eh bien, là, elles font un cas particulier pour la liberté religieuse. Là, ça nous pose des problèmes. Parce que, si la liberté religieuse est égale aux autres, pourquoi est-ce qu'on ne trouverait pas raisonnable justement de la mettre au même pied d'égalité que la liberté d'expression? Personne ne remet ça en question, pourquoi tout à coup la liberté religieuse serait-elle au-dessus des autres? Donc, si elle est au-dessus des autres, il faut nous le dire. Donc, ça veut dire que les personnes ne sont pas d'accord avec l'égalité. Il y a des libertés qui sont plus importantes que d'autres, notamment la liberté religieuse. Nous ne sommes pas d'accord avec ça.

Ça veut dire : si c'est les personnes qui trouvent… c'est vrai que la liberté religieuse… il faut le dire officiellement : Notre parti, notre groupe est d'accord pour que les libertés religieuses soient plus importantes. Par contre, s'ils sont toutes égaux, eh bien, il faudrait voir à ce qu'on demande… Si on demande de laisser la liberté d'expression religieuse, il faudrait la demander pour la liberté d'expression politique, ce qui serait vraiment contre la loi qu'on accepte depuis longtemps, il y a un accord tacite. Pourquoi ne pas mettre sur le même pied d'égalité la liberté d'expression des opinions, des convictions politiques et la liberté religieuse d'expression des convictions spirituelles? Pourquoi il y en a une qui aurait préséance sur les autres, notamment quand il s'agit du port de signes sexistes qui vont à l'encontre justement de l'égalité des droits, qui est un fondement, une valeur fondamentale?

Alors, sur ça, je pense qu'il y a beaucoup d'incohérence, les gens n'ont pas poussé à fond tout leur raisonnement, et je pense que la commission parlementaire est là justement pour faire ressortir les contradictions des positions.

M. Drainville : O.K. Juste pour poursuivre un peu dans la même ligne, on nous dit souvent que, dans le secteur de l'État, il n'y a pas de prosélytisme, les gens gardent leur religion pour eux. Vous, est-ce que vous en avez, des exemples de prosélytisme, à nous transmettre, à nous communiquer, à partager avec nous? Est-ce que ça existe?

Mme Sirois (Michèle) : Bien oui, ça existe. Entre autres, ma collègue Radia Kichou, qui a une petite fille de deux ans et qui va à la garderie la porter, parce qu'elle est étudiante, eh bien, elle, elle en a des exemples concrets, elle est ici pour témoigner.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y. À vous la parole.

Mme Kichou (Radia) : Bonjour. Donc, je suis Radia Kichou. Je suis résidente permanente, nouvellement installée au Québec, à peine 10 mois. Et là, donc, comme tous les nouveaux arrivants, nous avons signé, donc, quand on a entamé les procédures d'immigration, donc, la liste des valeurs québécoises, dont la laïcité, la primauté du droit, l'égalité hommes-femmes et la langue française. Donc, c'était assez intéressant. Et donc adhérer à ces valeurs-là était obligatoire pour déposer un dossier pour l'immigration.

Donc, seulement, voilà, quand je suis arrivée là, donc j'ai suivi, comme la procédure l'indique, donc, le programme Objectif Intégration, donc c'est un programme qui consiste à accompagner les nouveaux arrivants dans la recherche du travail, la rédaction de C.V., les pièges à éviter, comment trouver un loyer, enfin vous connaissez certainement le dossier. Et là, justement, on avait affaire à un employé de l'État… enfin du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, qui nous a fait littéralement du prosélytisme. Bien, il ne l'a pas fait pendant toute la formation, mais enfin je tiens à souligner que c'était vraiment impartial comme cours parce que…

M. Drainville : Impartial ou partial?

Mme Kichou (Radia) : Impartial.

Une voix : Partial.

Mme Kichou (Radia) : Oui. Pardon. Oui, partial, donc elle a pris parti. Excusez-moi. Oui. Donc là, il nous a… il s'est mis, quelque part, à indiquer les boucheries où on peut s'acheter de la viande halal. Et, quand on a entamé, donc, le chapitre qui nous encourageait à aller nous installer au nord, Le Nord pour tous, donc là il nous dit que le caribou… qu'il ne pouvait pas, enfin, manger le caribou parce qu'il n'était pas halal. Donc, vous voyez, il y a toutes sortes de dérives, conspirations religieuses qui mettaient vraiment mal à l'aise, parce qu'il n'y avait pas que des musulmans dans le groupe, il y avait des gens venus d'Haïti, du Brésil, d'Afghanistan, en fait toutes les provenances, et tout. Et donc on voyait ça que c'était vraiment désobligeant comme cours. Donc, je ne dis pas qu'il n'a pas fait un bon travail, donc, dans sa façon de nous montrer comment rédiger un C.V. et chercher du travail, et tout le reste, mais je tiens à signaler que… enfin, que ce n'était pas vraiment un enseignement des plus laïques. Enfin, voilà.

Et aussi, donc, pour revenir au cas de la garderie, donc j'ai trouvé une garderie en milieu familial pour ma fille. Et là, donc, c'est depuis ce jour-là que j'ai décidé vraiment de me mêler dans les discussions qui portent sur la laïcité. Donc, je vais chercher ma fille à 4 heures. Et là, quand j'ai discuté avec l'éducatrice, j'ai entendu un cri, donc j'ai entendu un cri d'enfant. Et c'était vraiment intrigant, j'ai dit : Qu'est-ce qui se passe? Elle me dit : C'est l'application de l'appel à la prière que je viens d'installer sur mon ordinateur, en fait, qui leur fait peur quand ils regardent des dessins animés. Et puis, ça, j'ai trouvé ça épouvantable.

Donc, j'ai eu à vivre comme ça des situations très, très désobligeantes et qui remettent vraiment le principe de la laïcité, pour un nouvel arrivant, bien, qui a signé dûment des formulaires très clairs et très précis... Donc, c'est ça, donc, j'ai eu à vivre, par plusieurs reprises, des situations, enfin, très difficiles et très contraignantes, je dirais, oui.

M. Drainville : Je veux juste revenir au cas du… C'était un fonctionnaire, dites-vous? C'était un fonctionnaire? Le premier exemple que vous nous avez donné, c'était un fonctionnaire…

Mme Kichou (Radia) : Un fonctionnaire, oui.

M. Drainville : …du ministère de l'Immigration?

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui, oui. Alors, c'est ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, oui.

M. Drainville : C'est ça.

Mme Kichou (Radia) : Donc, ça se passe… C'est les adresses qu'on nous remet aux douanes. Quand on arrive, on donne une adresse, et dépendamment, enfin, de notre adresse personnelle, on était regroupés dans des centres d'orientation pour la recherche d'emploi. Donc, j'ai suivi le processus et j'ai…

M. Drainville : Et pourquoi ça vous a mis mal à l'aise comme ça? Parce que vous faisiez référence à la Déclaration sur les valeurs communes, je tiens à dire, je l'ai sous les yeux ici, la Déclaration sur les valeurs communes de la société québécoise. C'est une déclaration qui a été adoptée par le gouvernement de M. Charest, donc le gouvernement précédent, je ne sais pas si c'est madame…

Mme Kichou (Radia) : …en 2007, donc, probablement, oui.

M. Drainville : Oui. Oui, oui, très certainement.

Mme Kichou (Radia) : Mais elle est toujours d'actualité, monsieur.

M. Drainville : On me dit que c'est lorsque la députée de Nelligan était ministre, donc, de l'Immigration et des Communautés culturelles. Puis vous avez raison, les personnes qui arrivent doivent signer : «Comprenant la portée et la signification de ce qui précède et acceptant de respecter les valeurs communes de la société québécoise, je déclare vouloir vivre au Québec dans le cadre et le respect de ses valeurs communes et vouloir apprendre le français, si je ne le parle [...] déjà», et là «signature du requérant», «signature de l'enfant à charge de 18 ans et plus», etc. Et les valeurs communes, donc, qui sont dans cette déclaration, c'est : «Le Québec est une société libre et démocratique; les pouvoirs politiques et religieux au Québec sont séparés; le Québec est une société pluraliste; la société québécoise est basée sur la primauté du droit; les femmes et les hommes ont les mêmes droits; l'exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d'autrui et du bien-être général.»

Et donc, quand vous avez entendu ce fonctionnaire, vous aviez l'impression qu'il manquait… Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, si je me trompe, vous me corrigez immédiatement, mais ce qui vous a fait réagir, c'est que vous aviez l'impression qu'il contredisait, par son comportement ou par les paroles, donc qu'il… ou le discours qu'il utilisait, la déclaration que vous aviez vous-même signée à l'arrivée. C'est ça?

• (14 h 30) •

Mme Kichou (Radia) : Non, mais… Oui, c'est à peu près ça. Donc, ce que je tiens à préciser, c'est qu'il y avait une conspiration, disons, presque tangible, oui, de ses propres convictions à lui, qui est musulman, tout comme moi, parce que je suis musulmane aussi. Donc, il y avait certaines femmes, donc, maghrébines, tout comme moi, qui étaient là, et puis elles… enfin, on posait des questions dans le cadre du cours : Est-il vrai que, par exemple, je ne sais pas, aller chez la coiffeuse, est-ce que c'est vrai que ça coûte cher? Est-ce qu'aller chez le dentiste coûte cher? Enfin, des questions de base comme ça. Il dit : Mais pourquoi vous avez besoin d'aller chez la coiffeuse puisque vous êtes voilée? C'est que, enfin, j'ai déjà l'habitude de ce genre de réflexion dans mon pays d'origine, et j'étais vraiment offusquée, enfin, de retrouver ça au Québec. C'est un petit peu... Enfin...

M. Drainville : Pardonnez-moi de vous posez la question, mais votre pays d'origine, c'est?

Mme Kichou (Radia) : Je suis Algérienne, oui.

M. Drainville : Vous êtes Algérienne.

Mme Kichou (Radia) : Je viens d'Algérie, oui.

M. Drainville : O.K. Donc, dans le fond, ce que vous nous... Parce que je pense aussi à cette personne, là. Dans le fond, ce que vous me dites, c'est qu'à part le fait que la personne, donc, a laissé très clairement transparaître son billet religieux, pour le reste, elle a fait un travail compétent, cette personne-là, hein?

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui. Oui.

M. Drainville : C'est ça. Donc, c'est vraiment... S'il y avait un devoir de neutralité religieuse comme celui que nous souhaitons voter avec cette charte, à ce moment-là, je... enfin, ce genre de discours n'aurait pas été acceptable. Ce devoir de neutralité religieuse que nous voulons créer devrait normalement, si la loi est appliquée, une fois qu'elle est votée, devrait signifier donc, pour une personne dans sa position, qu'elle ne pourrait plus, donc, tenir de tels propos, elle devrait être neutre dans le cours, là, ou la formation…

Mme Kichou (Radia) : ...à l'intégration des immigrants, oui.

M. Drainville : C'est une formation à l'intégration des immigrants.

Mme Kichou (Radia) : Oui. Et, moi, M. le ministre, permettez-moi, donc, de mettre l'accent aussi sur l'autre incident, qui est arrivé dans la garderie de ma petite fille, elle a deux ans. Donc, c'est là où j'ai vraiment ressenti le besoin imminent de mettre une loi, d'adopter une loi. Parce que, quand je vous ai fait part de l'incident qui est arrivé à la garderie, c'est que je pouvais très bien me plaindre à la régie du ministère de la Famille et des Aînés, c'est elle qui régit... enfin, c'est cette organisation qui régit toutes les garderies. Mais je me rends compte qu'il n'y a aucune loi qui dicte… enfin, qui interdirait le...

M. Drainville : Est-ce qu'on parle d'une garderie en milieu familial?

Mme Kichou (Radia) : ...par l'État, oui. Je paie 7 $ par jour pour la faire garder.

M. Drainville : Mais c'est une garderie en installation ou une garderie familiale?

Mme Kichou (Radia) : Familiale, familiale.

M. Drainville : Donc, c'est dans une résidence privée.

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui, oui.

M. Drainville : Alors, vous avez raison de dire que la... Dans la loi que nous proposons, ce que nous faisons… En fait, c'est qu'il y a une directive, vous savez, qui existe en matière d'apprentissage religieux. Cette directive-là remonte également au gouvernement précédent. Ils ont mis en place, donc, une directive. Là, je la résume, là, parce que c'est assez technique, là, mais le sens profond de cette directive-là, c'est de dire : La garderie ne doit pas servir à un apprentissage religieux, O.K.? Jusqu'à maintenant, cette directive-là s'appliquait aux garderies en installation : CPE et garderies privées subventionnées. Et, dans le projet de loi, ce que nous faisons, c'est que nous élargissons la portée de cette directive aux garderies en milieu familial.

Et donc ma compréhension, encore une fois, c'est qu'à partir du moment où cette directive devient la loi je pense que ce serait possible pour quelqu'un du ministère de la Famille, si vous portiez plainte… Une fois que la loi est adoptée, si vous portiez plainte, je pense que ce serait possible pour quelqu'un du ministère de la Famille de dire à la dame : Écoutez, en vertu de cette directive qui est maintenant loi, vous devriez vous garder de mettre un signal comme celui-là, qui vient s'interférer, si on veut, dans le fonctionnement quotidien de votre garderie. C'est ma compréhension. Je ne pense pas me tromper.

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui. Oui, parce que, de tous les incidents que j'ai eu à vivre, celui-là reste le plus heurtant.

M. Drainville : Mais pourquoi... Pour les gens qui nous écoutent, là, aidez-nous à comprendre pourquoi ça vous a heurtée autant. Amenez-nous un petit peu plus loin. Parce qu'il y a des gens qui pourraient dire : Bien oui, mais là elle entend un son, ça fait sursauter, dans le fond ce n'est pas si grave que ça. Il y en a qui pourraient être tentés de minimiser l'importance de ce qui s'est produit. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi vous dites : Ça m'a heurtée. Pourquoi ça vous a heurtée autant?

Mme Kichou (Radia) : ...ça m'a heurtée. Il en résulte que j'ai très mauvaise conscience. Parce que ce à quoi nous assistons aujourd'hui, que nous voyons dans les médias, et tout, n'est qu'un triste constat de toutes les assises qui ont été mises en place voilà, je ne sais pas, une quinzaine, voire une vingtaine d'années. On a commencé par, comment dire, mettre une certaine... je ne sais pas, je dirais, une certaine contrainte dans le milieu... enfin, à l'école, en garderie, notamment, qui font que les enfants apprennent très, très tôt dans leur vie qu'il y a des limites à ne pas enfreindre. Souvent, on ne donne pas une explication. Par exemple, donc, si je prends le cas d'une femme, une éducatrice qui affiche ces signes religieux, par exemple, l'appel à la prière, le Coran, enfin, une calligraphie, dans les murs, religieuse, ou voire son habit, son comportement avec les parents des élèves… Quand je vais la chercher, quand c'est moi qui vais la chercher et quand c'est mon époux qui va la chercher, on voit qu'avec moi elle se délaisse de son voile, mais, quand c'est mon mari… D'ailleurs, il n'aime pas aller la chercher, parce qu'il me dit : Je n'ai pas envie qu'à chaque fois que je tape à la porte elle mette sa panoplie pour me remettre mon enfant. Donc, on trouve ça très, très désobligeant.

Mais, pour revenir aux enfants, donc je ne pense pas que quelqu'un puisse amoindrir le cri d'un enfant, ça marque, c'est terrible, c'est sans défense, et ça ne protège pas les parents aussi.

M. Drainville : Alors, je veux juste que ce soit… Merci, d'abord, pour ce témoignage, parce que ça prend un certain courage pour témoigner de ce que vous avez dit.

Je veux juste être bien clair, là, ce dont on parle ici, c'est l'article 30 du projet de loi, O.K.? Pour que ce soit bien, bien clair, c'est l'article 30 du projet de loi qui reprend la directive libérale, du gouvernement libéral, dis-je bien, en tout respect, qui s'appliquait, jusqu'à maintenant, seulement aux garderies privées subventionnées et aux CPE, et nous avons étendu l'application de cette directive aux garderies en milieu familial, et nous inscrivons donc cette directive dans la loi pour lui donner un statut encore plus solide. Donc, je pense que c'est important de le souligner.

En terminant, il vous reste une minute, est-ce qu'il y a un point que vous souhaiteriez porter à notre attention? Prenez pour acquis que je vous pose la question et je vous donne la chance de donner la réponse, tiens.

Mme Caron (Naomie) : Donc, moi, ça serait juste pour appliquer un peu la question de prosélytisme qui s'est passé à l'école. Moi, j'en ai subi. Je suis née d'une mère québécoise et d'un père haïtien. J'ai été élevée dans les moeurs québécoises, toutes les valeurs totalement québécoises. À l'école, dès le primaire, ça s'est passé au niveau de la première communion, tous les élèves, les écoles… C'est sûr, c'était avant qu'il y ait eu la déconfessionnalisation des écoles. Mais juste pour dire comment l'influence d'une autorité pour imposer à un enfant que nécessairement… Aujourd'hui, je ne suis aucunement pratiquante, mais j'ai imposé à mes parents de devenir chrétienne catholique à cause que je voulais faire partie du groupe. J'ai…

Le Président (M. Ferland) : …le temps imparti. Mais vous aurez l'occasion de vous exprimer. Il reste encore des groupes parlementaires. Alors, je reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois. Ah! excusez. La députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y.

Mme de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, Mmes Sirois, Kichou et Caron. J'aimerais seulement souligner une chose sur le prosélytisme : Tous les partis, ici, à l'Assemblée nationale, on est d'accord qu'on ne devrait pas avoir du prosélytisme, soit politique ou religieux, fait par les agents de l'État ou par les fonctionnaires. Mais j'aimerais aussi apporter à l'attention que l'article 30 du projet de loi doit être lu avec l'article 29, et l'article 30 parle de ce qu'on va retrouver dans une politique, et la politique est décrite à l'article 29. Je ne vais pas faire une discussion juridique ici, parce que ce n'est pas le sens de tout ça, mais j'aimerais seulement faire ce point-là vis-à-vis le gouvernement.

Ce que j'aimerais vous poser comme question, c'est… On a vécu la situation de la famille Shafia, O.K.? J'aimerais… Et ce n'est pas des personnes qui portaient des signes religieux ostentatoires ou des signes religieux. Est-ce que vous croyez que vraiment cette charte répondra aux besoins de notre société vis-à-vis une situation comme celle dans laquelle se sont retrouvés les enfants Shafia? Parce que c'est ça dont on est vraiment concernés.

• (14 h 40) •

Mme Sirois (Michèle) : Vous savez que protéger les enfants, les jeunes de la notion, entre autres, de crime d'honneur — on vient d'avoir un avis du Conseil du statut de la femme sur ce sujet-là — eh bien, ça demande beaucoup de notions… de conditions dans la société. Mais il y en a une qui est essentielle, c'est aussi envoyer des messages, et aussi pas juste aux nouveaux arrivants, envoyer un message aux responsables des organismes publics, à ceux qui interviennent à l'intérieur. Les petites filles Shafia sont allées frapper à la porte de plusieurs… à plusieurs endroits et elles ont été écoutées avec des oreilles multiculturelles — de nos jours, c'est plus à la mode de dire «interculturelles», mais c'est très, très proche l'un de l'autre. Elles n'ont pas été écoutées parce qu'il y avait une forme d'ignorance.

Souvent, les gens, les décideurs, les gestionnaires ont tellement peur d'être accusés de racisme, et autres, qu'il s'est produit une dérive, justement, où on accorde immédiatement les choses, avant même, des fois, qu'on le demande, de peur de froisser, d'avoir des problèmes. Alors, il faut avoir un changement dans les mentalités, mais il faut un changement dans les structures. Et c'est très important de guider les gestionnaires avec une charte et qu'on officialise la laïcité dans la charte, dans les lois pour pouvoir justement avoir, comme on dit au Québec, des poignées pour les gestionnaires, pour les juges, qu'ils peuvent être guidés pour dire : Non, ça, ça ne marche pas, et tout spécialement pour ce qui concerne les signes sexistes.

Vous avez parlé tout à l'heure du prosélytisme, madame. Oui, mais le prosélytisme, il se fait aussi silencieux, hein? Une annonce de McDonald, ça n'a pas besoin de parler, tout le monde sait qu'est-ce que c'est. Eh bien, c'est la même chose avec le voile. Et pourquoi je parle du voile? Parce qu'on est un groupe qui défendons les droits des femmes, et le voile est un signe qui est sexiste, les hommes n'en portent pas, et, pour nous, les femmes, c'est un recul, le voile. À l'époque, les femmes qui étaient les victimes de viol, elles étaient pointées du doigt comme les responsables, c'est elles qui n'étaient pas au bon endroit, qui n'étaient pas habillées de la bonne façon, qui étaient peut-être trop maquillées, qui n'étaient pas à la bonne heure. C'est la même chose pour le voile, le message qui est envoyé avec le voile, c'est que les cheveux des femmes, c'est une incitation et que c'est la femme qui est responsable. Et pourtant, dans le Coran, ça n'existe pas, de cacher ses cheveux. Mais les habitudes culturelles disent : Cache tes cheveux, sinon tu envoies un message comme quoi tu es une fille de mauvaises moeurs.

Mme de Santis : Mais vous êtes d'accord que pas toutes les féministes sont de cette opinion-là?

Mme Sirois (Michèle) : Absolument.

Mme de Santis : Je croirais bien que je suis féministe et je ne soutiens pas nécessairement cette position. Et je crois que la Fédération des femmes du Québec, elles, disent : «Être féministe et pour la laïcité de l'État, c'est vouloir que l'État soit neutre envers les religions mais pas neutre dans le choix des principes qui guident son action. Pour les féministes, l'État québécois doit respecter le droit de toutes les femmes à l'égalité. Si une pratique religieuse compromet la liberté d'une fille ou d'une femme, l'État doit intervenir, prenons pour exemple les mariages forcés des adolescentes. L'État, en revanche, ne doit pas être source de discrimination envers les femmes. Lorsqu'il interdit le port de foulard en permettant le port d'une petite croix par les employé-e-s de l'État, il crée une discrimination à l'endroit des femmes. Pourquoi une personne portant la croix serait perçue par l'État comme étant capable d'assumer son travail avec neutralité et non celle qui porte [son] foulard?» Alors, elles disent ça.

Mme Sirois (Michèle) : Oui.

Mme de Santis : Comment vous répondez à leur déclaration?

Mme Sirois (Michèle) : Alors, d'abord, il faut distinguer, je crois que, dans le projet de loi, on parle des signes ostentatoires, c'est-à-dire si la croix est très grosse, oui, ça devient un signe ostentatoire comme les autres. Et souvent on fait la distinction, surtout depuis le rapport Bouchard-Taylor, on fait la distinction entre la laïcité des institutions et la laïcité des individus, la neutralité des individus. Je pense que c'est une… Moi qui ai enseigné la sociologie de nombreuses années, je pense que ça ne tient pas au niveau sociologique. Une institution s'incarne dans son personnel, s'incarne dans les individus. C'est comme si on disait : La famille est une institution qui a des règles, mais les membres ne sont pas obligés de suivre les règles. Ça n'a pas de sens, c'est un illogisme. Cet établissement est non-fumeurs, mais le personnel peut fumer. C'est exactement le même type d'argumentation, qu'on fait la différence…

Et vous avez parlé de la Fédération des femmes du Québec. Oui, c'est ce genre de définition. Et le problème, c'est que les discriminations, les exigences religieuses discriminatoires contre les femmes viennent de religions, et je ne crois pas qu'il soit sain pour un climat social ni pour les droits des femmes que ces exigences religieuses discriminatoires soient intégrées dans le fonctionnement de l'État. Ce n'est pas le rôle de l'État que de banaliser… avaliser des discriminations.

Mme de Santis : Mais le projet de loi permet une petite croix qui n'est pas ostentatoire. Comment on a un voile qui n'est pas ostentatoire? Ça, ça fait partie aussi d'un argument de la fédération. Et je veux aller un peu plus loin : Le projet de loi permet aux hommes d'avoir des barbes ou des cheveux assez longs qui démontrent leur adhérence à une certaine religion, mais les femmes, elles, ne peuvent pas, ne pourraient pas porter leur voile. Moi, je trouve que, là, c'est aussi un signe de discrimination entre hommes et femmes.

Mme Sirois (Michèle) : Mais je me permets, madame, j'ai lu le Coran. En tout respect pour vous, je pense que vous avez des points, vous auriez intérêt aussi à le lire, parce que la barbe ne se retrouve pas dans… Ça n'est pas des signes religieux dans des textes sacrés, c'est des habitudes culturelles. Et je pense… Je parle des cheveux, O.K.? Et le voile, lui, se retrouve, mais il ne se retrouve pas sur la tête dans le Coran, il se retrouve sur la poitrine. Alors, pourquoi ça devient… c'est monté sur la tête, c'est un point d'interrogation pour moi. Mais je pense que vous confondez en mettant sur le même pied d'égalité les cheveux cachés par le voile, qui est, lui, ostentatoire, et une barbe. Il y a beaucoup d'hommes au Québec qui portent des barbes et les cheveux, et ce n'est pas dans les textes sacrés. Je pense qu'il y a confusion actuellement.

Mme de Santis : Non, non, mais ce que je veux dire, c'est qu'on va accepter que les sikhs gardent les cheveux qui sont très longs, mais qu'il faut enlever le turban, que les hommes… Parce qu'il y a une différence entre quelqu'un… — est-ce qu'il y a un homme qui porte une barbe ici? — et une barbe comme on voit très souvent qui est portée par les religieux musulmans. Ce n'est pas exactement la même façon que c'est porté. Et donc on voit un homme et on peut voir que ces cheveux ou cette barbe, on reconnaisse à une appartenance religieuse. Ça, c'est permis. Mais, une femme, le voile ne l'est pas. Et le voile, que ce soit la religion qui l'impose ou soit la culture, pour les gens qui le voient, c'est une référence aussi religieuse.

Mme Sirois (Michèle) : Je pense que vous confondez. Excusez-moi, mais je pense que vous confondez des signes identitaires et des signes religieux, et c'est vraiment… Puis c'est pour ça que c'est utile qu'on puisse en débattre ici, parce qu'il ne faut surtout pas confondre les deux. Et, quand les femmes disent : C'est mon choix, eh bien, je me dis : Ce n'est pas une obligation, et ça devient un choix personnel, et ce choix personnel doit-il primer sur les choix collectifs qu'une société s'est donnés? Eh bien, nous, nous disons non, d'autant plus qu'on a des engagements internationaux d'éliminer toutes les formes de discrimination faite aux femmes, et je pense que c'en fait partie, de ces formes de discrimination faite aux femmes.

Mme de Santis : O.K. J'aimerais laisser maintenant la parole à mon collègue.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Allez-y.

Mme Weil : Alors, bonjour, Mme Sirois et Mme Kichou, Mme Caron. Fort intéressant. J'ai eu l'occasion de voir votre… c'est un débat, je pense, à l'Université de Laval, ou en tout cas c'était sur Internet. J'ai regardé le débat, c'était assez houleux et émotif…

Une voix : Vigoureux.

Mme Weil : …mais c'était intéressant, quand même. Et je trouve le débat intéressant. Qu'on soit d'un bord ou de l'autre, une opinion ou l'autre, on apprend toujours quelque chose. Moi, je vous dirais que j'ai l'impression que c'était un fonctionnaire… c'était une dérive importante, d'après ce que j'ai entendu, l'exemple que vous avez donné. C'est important d'en discuter et, quand viendra le temps d'adopter des balises, moi, je pense, très concrètement, c'est ces genres de situations qu'il faut regarder.

Parce que c'est très difficile pour tout le monde d'être orienté là-dedans. Moi, ce que j'ai découvert quand j'avais le dossier des accommodements — et vous avez fait référence à SAAQ, hein, cet exemple — c'est le décideur qui ne sait pas, il ne sait pas qu'est-ce qui est correct, qu'est-ce qui est légal, qu'est-ce qui est juridique, qu'est-ce qui… hein? Il faut l'orienter pour lui donner assurance que, non, non, non, ça, c'est inacceptable. L'histoire de York, par exemple, hein? C'est du gros bon sens à un moment donné, mais plus que du gros bon sens, d'après ce que j'ai compris. Franchement, mon collègue parle d'incompétence par rapport à… Donc, il y a une formation qui est importante.

Alors, je vais revenir plus… Parce que je comprends votre argumentaire sur les signes. Je comprends que, pour votre argumentaire, c'est du prosélytisme. Alors, vous l'avez bien expliqué.

Sur les accommodements, vous dites : Il ne devrait pas y avoir d'accommodement religieux. Vous ne pensez pas que les règles actuelles de raisonnable et pas raisonnable peuvent, justement, si les gens ont de la jugeote et de la formation et qu'on est capables de dire non pour certaines choses… Vous avez... je pense que c'est vous… quelqu'un avait évoqué la fameuse cause de Naïma, vous vous rappelez de ça? Le cours de francisation? Finalement, c'était non. Non, on n'allait pas chambarder la classe de francisation pour quelqu'un qui voulait être voilé. Donc, la société est capable de dire non. Vous ne pensez pas, donc, que, sans bannir l'exercice d'accommodement, on serait capables d'apporter des accommodements? Un congé religieux, par exemple, ou certaines choses raisonnables qui ne viennent pas chambarder ou... J'aimerais vous entendre là-dessus.

• (14 h 50) •

Mme Sirois (Michèle) : Je pense qu'il faut avoir... c'est important d'avoir l'égalité. Parce que, dans certaines écoles actuellement, on ajoute des congés religieux, certains ne sont même pas religieux, mais veulent avoir un congé supplémentaire, ça crée de la zizanie. Ce qu'il faut, c'est... La laïcité, ça comporte non seulement la liberté de conscience, également l'égalité entre les différents citoyens, qu'il n'y en ait pas qui aient un traitement privilégié sur les autres. C'est pour ça qu'on est d'accord, on demande de retirer le crucifix pour cohérence. Tout le monde doit faire sa part.

Mais il ne faut pas oublier une chose, c'est qu'au Québec, depuis la Révolution tranquille, les employés de l'État se sont départis — parce que c'étaient beaucoup des religieuses et des religieux — de leurs signes religieux pour s'ouvrir à la diversité. On a créé, au fil du temps, un contrat social où c'étaient les droits des citoyens qui devaient primer sur les choix religieux des employés.

Le Président (M. Ferland) : ...Mme Sirois, malheureusement, je dois céder la parole. C'était le temps qui était imparti au groupe d'opposition officielle. Je reconnais la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Alors, Mme Sirois, mesdames, merci d'être ici. Je parle vite parce que j'ai très peu de temps.

J'ai pris connaissance du mémoire avec beaucoup d'intérêt, mais ce que vous nous avez dit tout à l'heure, d'entrée de jeu, Mme Kichou, de un, ce que vous avez vécu, c'est totalement déplorable, mais ce n'est pas la première fois que je l'entends. Je l'ai entendu de groupes provenant de la région du Maghreb, qui sont venus à mon bureau me raconter, M. le ministre, que, lorsqu'ils arrivent, on explique à ces gens, peut-être pour les rendre très, très à l'aise, là, tout ce qui touche leur communauté d'origine ici, au Québec. On leur dit où est la mosquée, où est l'épicerie, où ils peuvent se procurer telle et telle nourriture.

Alors, ma première question, en tant que députée, je leur ai dit : Est-ce que la personne qui vous a dit ça, le fonctionnaire, était d'une origine autre, était un immigrant? Et on m'a répondu : Non c'est un Québécois pure laine. Alors, il faudrait juste… par souci, là, il faudrait peut-être vérifier ce qui se passe au niveau du ministère. Peut-être par un souci, là, vraiment de les rendre à l'aise… Quant à moi, c'est trop, là, il ne faut pas ghettoïser les gens, il faudrait plutôt les inciter à venir visiter nos épiceries, nos ci, nos ça. Cela dit, ça me touche beaucoup, ce que vous avez dit.

Par ailleurs, en ce qui a trait à l'immigration, je viens de recevoir des chiffres, et j'aimerais vous les partager — attendez, ça a disparu de mon ordinateur — sur l'immigration. L'année... en 2012 — c'est important, je pense, on va tous apprendre avec ces chiffres-là, c'est tout nouveau — le ministère de l'Immigration rapporte que 12 721 immigrants ont été sensibilisés aux valeurs communes de la société québécoise sur les 55 000 que nous avons reçus. C'est environ le quart des nouveaux arrivants. 6 782 ont suivi la session Objectif Intégration en 2012-2013. C'est très peu.

Alors, ce que je vous demande — c'est que vous, vous avez vécu l'expérience en tant que nouvelle arrivante : Pourquoi est-ce qu'il y a si peu d'immigrants qui décident d'adhérer à ce genre de formations, qui sont volontaires, volontaires et offertes par le gouvernement? Et qu'est-ce qu'il faudrait faire pour qu'il y en ait davantage?

Mme Kichou (Radia) : Moi, je trouve qu'enfin l'idée même de la formation est formidable. J'ai beaucoup appris. Mais, cela dit, je ne peux pas répondre à la place de quelqu'un qui a décidé de ne pas suivre la formation. Parce que la formation en elle-même est formidable. On a appris sur l'histoire du Québec, du Canada, de toutes les guerres, des acquis, des valeurs, du partage des compétences entre le fédéral et le provincial. C'est très, très enrichissant comme matière. Cela dit, je ne pourrais pas vous répondre à la place de quelqu'un qui a choisi de ne pas suivre la formation.

Mme Roy (Montarville) : Je comprends.

Mme Kichou (Radia) : Je suis désolée.

Mme Roy (Montarville) : Non, mais je vous comprends. Je vais formuler ma question autrement : Est-ce que ça vous surprend qu'il y ait si peu de nouveaux arrivants qui prennent cette formation-là et dans quelle mesure ça pourrait les aider d'y aller puis ça pourrait favoriser l'intégration? Êtes-vous surprise du fait…

Mme Kichou (Radia) : Oui, bien, je trouve ça dommage qu'il n'y ait pas un plus grand nombre qui suit cette formation, elle est enrichissante, comme je l'ai dit. Je la trouve assez complète, ça prend un mois. Elle est, comme vous dites, facultative, on n'est pas obligé d'assister. Même si on rate… par exemple, si on a une entrevue d'embauche, on pourra rattraper le cours et la séance ratée ultérieurement, mais, à la fin, on a toujours notre attestation qui dit qu'on a suivi huit modules… enfin, huit modules du cours.

Mme Roy (Montarville) : Parfait.

Mme Kichou (Radia) : Je me demande pourquoi ils ne viennent pas, ce serait… C'est assez complet, oui.

Mme Roy (Montarville) : Bien, voilà. Je suis d'accord avec vous. Cela dit, vous parliez de garderie tout à l'heure, de votre petite fille et de ce que vous avez entendu, un appel à la mosquée. Est-ce que vous avez…

Mme Kichou (Radia) : L'appel à la prière.

Mme Roy (Montarville) : Oui. Excusez-moi.

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui, oui. Il n'y a pas de problème.

Mme Roy (Montarville) : Est-ce que vous avez posé des questions? Est-ce que vous êtes allée plus loin? Est-ce que vous avez demandé des explications?

Mme Kichou (Radia) : Oui, naturellement, parce que…

Le Président (M. Ferland) : …peut-être, permettre au député de Blainville de vous la poser, la même question. Alors, M. le député de Blainville, la parole est à vous.

M. Ratthé : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mmes Sirois, Caron et Kichou. Je n'irai pas tout à fait dans le même sens, mais ce que vous nous apprenez, effectivement, je pense, nous déroute tous, évidemment je pense qu'il ne faut pas généraliser.

J'imagine que de quitter son pays d'origine pour prendre un pays d'adoption, ça prend beaucoup de courage, c'est un gros changement dans une vie. Je vais vous poser deux, trois questions en rafale puis je vais vous laisser répondre dans l'ordre que vous voudrez — oui, à vous — à savoir : Est-ce que cette valeur de laïcité… Vous avez parlé des principes sur lesquels vous avez accepté… adhéré, pardon, j'imagine que ce principe-là est important pour vous, si vous êtes venue ici. Des personnes nous disent que, si on adopte, cette charte sur la laïcité pourrait au contraire faire diminuer l'immigration, empêcher des gens de venir. Alors, je voudrais peut-être avoir votre opinion là-dessus.

Et est-ce que vous croyez, avec l'expérience que vous avez vécue, que, le fait de ne plus porter des signes ostentatoires visibles, ça va aider à changer des comportements? Parce que ce que vous avez vécu, c'est un comportement. Est-ce que vous croyez que, si, la personne, on interdit ce genre de manifestation, ça pourrait aider? Alors, je vous entends.

Mme Kichou (Radia) : Oui. Donc, j'ai le plaisir de vous répondre aussi, enfin, heureusement un autre incident, qui corrobore tout à fait avec votre question. Donc là, je m'en allais pour une séance de diète, je suis un régime alimentaire. Je me rends à l'hôpital, et il y a ma diététicienne, une charmante femme. À côté d'elle, il y avait une stagiaire qui était en fin d'obtention de son diplôme, qui était voilée, paraît-il elle est du même pays que moi. Donc, elle est Algérienne comme moi. Et là la diététicienne a commencé à me poser des questions pour élaborer une diète, un régime alimentaire. Elle me dit : Est-ce que vous prenez de l'alcool? C'est vrai, je suis Algérienne, je suis musulmane et je suis issue d'une famille très libérale… enfin libérée, et tout, ça m'arrive de prendre de l'alcool occasionnellement…

M. Ratthé : Pourquoi pas?

            Mme Kichou (Radia) : …je n'ai aucun problème, mais j'ai dû répondre que non, parce que j'étais extrêmement gênée par la présence de cette charmante stagiaire qui portait un signe, donc un voile islamique pour…

M. Ratthé : Donc, si elle ne l'avait pas porté, vous n'auriez pas su son allégeance religieuse et vous auriez été plus à l'aise, en fait, de pouvoir le faire.

Mme Kichou (Radia) : Absolument. Tout à fait, oui. Donc, ça, ça s'est passé pendant l'une des séances chez mon médecin à l'Hôpital de Montréal.

M. Ratthé : Mais croyez-vous que le fait de ne pas porter de signe ostentatoire pourrait, chez la personne même, changer son comportement? C'est un peu ce que je voulais savoir. La personne qui vous a donné des indications…

Mme Kichou (Radia) : Oui, oui. Là aussi, je vais vous répondre que… Je vais répondre pour moi. Moi, en tant que cliente, en tant que bénéficiaire d'un service, je vais ressentir beaucoup moins de gêne si cette personne ne portait pas le voile, tout simplement. Parce que moi-même, comme je vous dis, je suis née dans l'islam. Je connais très, très bien l'islam. Il y a des gens qui le pratiquent sans pour autant porter des signes ostentatoires, vous comprenez, ce sont des gens tout à fait pieux, qui croient en tout, qui ont leur rituel mais dans la sphère privée. Et c'est des gens… même si elle condamne, elle condamne des gens qui boivent de l'alcool, c'est son problème, mais, pour moi, donc je vais répondre pour moi, en tant que bénéficiaire, en tant que patiente, j'aurais beaucoup moins de contraintes et de gêne à répondre sincèrement. Oui.

M. Ratthé : C'est tout, j'imagine, M. le Président…

Le Président (M. Ferland) : Vous êtes un des seuls qui…

M. Ratthé : …je commence à voir le sens du timing.

Le Président (M. Ferland) : …un des seuls qui me laissait disposer de 20 secondes, mais que je ne peux pas transmettre, d'ailleurs, à la députée de Gouin, malheureusement…

M. Ratthé : Il me restait combien de secondes, vous dites?

Le Président (M. Ferland) : …mais vous avez trois minutes, Mme la députée. Allez-y.

• (15 heures) •

Mme David : Merci, M. le Président. Mesdames, bonjour. Bien, d'abord, une chose qui est quand même intéressante, là, c'est que ce fonctionnaire qui a eu un comportement inapproprié, c'est évident, était un homme et ne portait pas de signe religieux. Alors, bien, c'est ça, voilà toute la complexité de la chose.

Mais je voudrais revenir plutôt sur une autre question, qui est évidemment celle du voile. Dans votre mémoire, vous parlez de l'intégration des personnes immigrantes, et en particulier des femmes. Vous faites référence à certains états généraux, etc., dont j'ai eu connaissance, moi aussi. Et vous dites : «…le voile ne [représente] qu'une embûche supplémentaire à l'intégration des femmes, qu'elles soient immigrantes ou natives du Québec.» Donc, le voile, mettons-le à la positive, le voile, quand même, à certains moments, représente une embûche supplémentaire. C'est loin d'être la première, c'est loin d'être la seule, mais c'en est une.

Alors, moi, ça m'amène à poser la question suivante, et ça, c'est en tout respect de vos opinions puis du fait qu'on veut tous la laïcité au Québec, là. On parle ici de 600 000 emplois, là, qui sont en cause, plus tous les emplois d'entreprises ou de secteurs communautaires, même, ou de quiconque voudra traiter avec l'État, hein, voudra contracter — je ne sais pas si c'est français — avec l'État. On commence à parler de beaucoup d'emplois. Et on sait que, dans les municipalités belges où le port des signes religieux par les employés municipaux a été interdit, le privé a emboîté le pas. Il y a des grands magasins qui congédient des femmes, travailleuses, parce qu'elles portent le voile. Ma question est simple : Comment on va faire pour intégrer toutes ces femmes, leur donner un travail si nous renchérissons sur cette embûche supplémentaire?

Mme Sirois (Michèle) : Oui, je vais répondre. Merci. Excellente question. La question, donc, porte sur la question de l'emploi. Et on a à soupeser qu'est-ce qui va créer le plus d'emplois, qu'est-ce qui va maintenir le plus d'emplois. Souvent, on fait une adéquation très simple et, je pense, très réductrice : Ah! pauvres femmes — et on les présente souvent comme des victimes — elles vont perdre leurs emplois. Je tiens à rappeler qu'il y a plus d'un an il y a eu les états généraux des femmes racisées et immigrantes, qui ont fait, donc, des états généraux, qui ont étudié quels étaient les meilleurs moyens — ils ont fait tout un plan d'action, publié en mai 2012, qu'on peut retrouver sur leur site — et qui ont présenté toute une série de mesures pour justement qu'elles puissent s'intégrer à l'emploi, s'intégrer à la société québécoise. Et ce qui est intéressant, c'est que, dans ce document-là où il y avait de multiples bonnes façons d'intégrer, il y avait zéro demande d'accommodement religieux, zéro, zéro, zéro. Et même plusieurs personnes de la communauté maghrébine et du Moyen-Orient nous ont dit : Ça nous fait du tort, cette…

Le Président (M. Ferland) : Mme Sirois, malheureusement, le temps…

Mme Sirois (Michèle) : …banalisation du voile, ça nous fait perdre des emplois.

Le Président (M. Ferland) : Le temps est écoulé, malheureusement. Je vous remercie énormément pour le temps que vous avez pris pour préparer votre mémoire, de vous déplacer pour venir le présenter. Alors, merci beaucoup.

Et, sur ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain intervenant, M. Alain Rioux, de prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 3)

(Reprise à 15 h 9)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant, nous recevons M. Alain Rioux, en vous rappelant, M. Rioux, que vous disposez d'un temps de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'un échange avec les groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous, M. Rioux.

M. Alain Rioux

M. Rioux (Alain) : Bonjour. Je me présente : mon nom est Alain Rioux. Je me présente ici à titre de citoyen. Moi, pour moi, c'est le plus beau titre, parce que c'est comme citoyen que je participe à des délibérations collectives. Et finalement, je veux dire, c'est comme citoyens que nous sommes tous égaux et que nous participons tous à des délibérations collectives.

• (15 h 10) •

Mon mémoire s'appelle Proposition de modification de la formulation de la charte de la laïcité québécoise. Alors, d'abord, vous verrez que c'est une proposition, c'est un avis citoyen que je vous donne, de modification de la formulation. Donc, ça signifie que je ne suis pas opposé au principe de laïcité. Ce que ça implique, c'est plutôt que la modalité de l'énonciation, de la formulation, la modalité de l'application légale, législative de la laïcité, pour moi, me pose quelques problèmes.

Au tout départ, je voudrais dire pourquoi est-ce que le principe de laïcité, pour moi, est important. Alors, je vais d'abord vous lire l'énoncé que moi, je propose comme substitution pour le projet de loi de la charte. Alors, moi, je verrais une loi qui, carrément, se limiterait à dire : «La province de Québec assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté des manifestations, à caractère idéologique, sous réserve de la préservation de l'ordre public. La province de Québec ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ni aucune idéologie.»

Alors, pourquoi est-ce que je considère que la laïcité est importante et que je tiendrais, ou, enfin, qu'il me plairait, ou je pense qu'il serait pertinent qu'on adopte un énoncé de cette sorte? Alors, première des choses, l'identité du Québec. Alors, il faudrait peut-être se poser la question sur l'identité du Québec. Tout le monde se souviendra des propos de Machiavel qui, dans son Discours sur la seconde décade de Tite-Live, disait que les trois marques de l'État étaient le territoire, la langue et les institutions. Bon. Au Québec, nous avons le territoire depuis 1774, mais disons 1867 d'une façon officielle. Nous avons la langue depuis 1774, la langue française reconnue, mais officialisée en 1977. Et, comme institution, nous avions et nous avons encore la Charte de droits et libertés de 1975, mais nous avons maintenant — et, pour moi, c'est un moment historique que l'on vit actuellement — nous avons à nous prononcer sur la neutralité, l'impartialité de l'État.

Alors, la question est de savoir pourquoi est-ce que cette impartialité est si importante. Alors, un petit peu d'histoire nous montrera que, depuis la fameuse «Quiet Revolution», la Révolution tranquille, l'État s'est substitué, dans différents champs de compétence, à l'Église. Avant, autrefois, je veux dire, on parlait du Québec comme étant une «priest-ridden province». Et puis, bon, maintenant, je veux dire, on a sécularisé la plupart des institutions de l'État. Quelle est la pertinence? Et c'est là, finalement, ce sur quoi je veux qu'on se penche et ce sur quoi j'ai voulu que nous nous penchions dans ce mémoire, pour la rédaction même de ce mémoire-là. Je me suis posé la question : Quelle est la pertinence de l'impartialité de l'État? Et là il n'y a personne qui pourra me contredire, la pertinence de la laïcité de l'État est étroitement liée, beaucoup plus qu'à la séparation de la religion, est étroitement liée au caractère démocratique du Québec, au caractère profondément démocratique de nos sociétés occidentales. Il n'y a personne, ici, qui va pouvoir me contredire.

Ce qui est l'essence même de la démocratie, c'est le suffrage universel. Vous tous qui êtes ici assemblés, vous avez été élus au suffrage universel. Et le suffrage universel a été garanti comment? Par la liberté du vote. Et comment est-ce qu'on garantit la liberté du vote? Par son caractère secret. Lorsque je vais voter, je vais dans un isoloir. Les membres ne doivent pas m'influencer. Et, dans cette délibération ultime, dans cette manifestation ultime du caractère de la délibération citoyenne, personne n'a le droit d'intervenir pour influencer d'une quelconque manière le scrutin, sinon le scrutin est nul.

Si tant est que le fondement même de notre démocratie repose sur la neutralité du vote, la neutralité de l'État par rapport au vote, eh bien, la question qu'on a à se poser, et ça, c'est une question typiquement québécoise… Ici, au Québec, par rapport et en exclusivité avec la France, nous avons décidé de donner à la raison critique la primauté sur la raison technique. C'est-à-dire, autrement dit, nous sommes les seuls États au monde qui enseignons et obligeons l'apprentissage de la philosophie à la fin du cours secondaire. Donc, la raison critique, pour nous, était extrêmement importante. Quelle est la caractéristique foncière de la raison critique? C'est d'être radicale, d'aller à la racine des choses. Le parlementarisme… On nous a trop traités de colonisés, nous, Canadiens français, nous, Québécois. On nous a traités… Finalement, on a parlé de notre profonde aliénation, la Conquête anglaise étant supposément cette aliénation. Mais je pense justement qu'une charte de la laïcité, c'est la capacité pour nous de nous réapproprier ce legs du parlementarisme britannique, ce legs qu'est la démocratie.

Et comment on se le réapproprie? En allant radicalement jusqu'au fond de qu'est-ce que c'est que la démocratie, c'est-à-dire le suffrage universel, qui implique la neutralité de l'État, et en disant : Si c'est vrai, la neutralité de l'État au moment du vote, au moment du scrutin, pourquoi est-ce que ça ne serait pas vrai pour tout le temps? Le citoyen, il n'est pas délibérant seulement au moment du vote. Il est délibérant du moment de sa majorité jusqu'à sa mort. Et on lui demande son avis à chaque élection. De sorte que je pense que c'est une spécificité typiquement québécoise de dire : Bien, la neutralité de l'État, de tout l'appareil d'État, s'implique puisqu'elle est là pour garantir ce fondement même de la démocratie, qui s'exprime dans le scrutin et qui est la vie même, le sens même de la citoyenneté, c'est-à-dire la délibération.

Et l'État doit être neutre, l'État doit être impartial. L'État ne doit pas subventionner aucune forme d'idéologie, doit être impartial, ne pas prendre parti, ni pour une chose ni pour une autre, sinon que, je veux dire, d'entériner les lois, sinon d'entériner les constitutions que le peuple aura choisies. Mais, en dehors de ça, l'État ne doit pas suggérer aucun choix à un individu. Être de telle religion, de telle appartenance, je regrette, mais ce n'est pas le rôle même de l'État. C'est le rôle de la délibération des partis politiques, des organismes d'influence dans la société civile.

De sorte que, pour ce qui est de la laïcité, je pense que, plus que de se cantonner à des, comment dire, signes ostentatoires et puis des réglementations par ci, des réglementations par là, qui ont leur valeur d'être, qui ont leur raison d'être évidemment, je pense qu'on devrait arriver et puis, comment dire, faire une loi dont l'énoncé pourrait tenir en quelques lignes et puis, tout le reste des clauses… — je ne suis pas nécessairement en désaccord avec toutes les clauses de la charte du projet de loi n° 60 — que les autres clauses soient reléguées à la rubrique réglementaire. Alors, le règlement est là pour appliquer la loi, donc les clauses de la charte seraient dans la rubrique réglementaire, et l'énoncé lui-même, l'énoncé de la laïcité, lui, je vais dire, est un universel, un impondérable.

Je vois mal comment Ottawa, comment quelque charte des droits de la personne pourrait arriver et dire : Bien, écoutez, État du Québec, vous n'avez pas le droit de ne pas employer l'argent de la population pour subventionner la religion unetelle, ou l'opinion unetelle, ou l'opinion unetelle. Ça serait la fin du pacte fédératif, ça serait la fin même du pacte démocratique. À ce moment-là, c'est pour ça que je dis que c'est quelque chose d'extrêmement important, de pouvoir se pencher sur ce moment où on décide comment…

Quelle est l'institution qui nous représente le plus, nous, Québécois, dans notre identité? L'institution qui nous représente, c'est la démocratie, la démocratie laïque, un point c'est tout. Nous avons notre langue française, nous avons notre territoire, nous sommes un État laïque, un point c'est tout. Et cette laïcité, bien, que voulez-vous, c'est la neutralité de l'État, c'est l'impartialité même de l'État.

Et je pense que, pour ce qui est des autres clauses de la charte ou du projet de loi, je pense qu'à ce titre-là, si on analyse les…

Le Président (M. Ferland) : M. Rioux, je dois vous…

M. Rioux (Alain) : Seulement terminer. Si on analyse les articles de cette clause-là, ils ne pensent pas…

Le Président (M. Ferland) : Mais nous sommes rendus, M. Rioux, à l'étape des échanges avec les parlementaires.

M. Rioux (Alain) : Enfin, on me posera des questions.

Le Président (M. Ferland) : Alors, la parole est à vous, M. le ministre.

M. Drainville : Merci, M. Rioux. Vous aurez effectivement le… Faites comme on fait des fois : ne répondez pas à la question, finissez votre exposé.

M. Rioux (Alain) : Bon, bien, je vais le finir terriblement rapidement. C'est-à-dire…

M. Drainville : Vous savez bien que c'est une blague. Je ne fais jamais ça, puis ni mes collègues autour de la table. Ils ne font jamais ça.

• (15 h 20) •

M. Rioux (Alain) : …disons que, les clauses de la charte, je pense que… Si on les analyse en dehors d'un énoncé vraiment formel de la laïcité, je pense que les clauses de la charte, certes, peuvent être sujettes à caution et peuvent être contestées en vertu de déclarations de droits, parce qu'on met l'accent sur qu'est-ce qu'un individu doit faire ou ne doit pas faire. De savoir, évidemment… bien, la longueur, la grosseur, la profondeur d'un signe ostentatoire, bien, on n'est quand même pas dans la Chine populaire avec la jupe Mao non plus, là, la jupe-culotte de Mao. Donc, ce que je veux dire, c'est qu'il faut faire… Dans une, comment dire… Pour ce qui est d'un règlement, d'accord. Mais, pour ce qui est d'une loi, la loi, elle, doit être au-delà de toute discussion.

Le Président (M. Ferland) : …M. Rioux, que M. le ministre avait quand même une question à vous poser, je crois, hein?

M. Drainville : Je vois que vous mettez en pratique rapidement mon très mauvais conseil. Alors, vous êtes un diplômé en philosophie?

M. Rioux (Alain) : Oui.

M. Drainville : Hein, c'est ça? Et, si je comprends bien, votre mémoire de maîtrise portait sur la laïcité de l'État.

M. Rioux (Alain) : Mémoire de maîtrise dirigé par Mme Josiane Boulad-Ayoub, qui est titulaire de la chaire UNESCO des fondements philosophiques de la démocratie et de la justice, portait… avec pour titre La laïcité, état des lieux. Et puis, dans cette discussion qui était mon mémoire, j'en suis parvenu au fait que, finalement, la laïcité ouverte dont on parlait, à la Bouchard-Taylor, je ne l'ai pas dit clairement, dans mon mémoire, de cette façon-là, mais n'était finalement que de la démagogie, de la dictature de la majorité et ne remplissait pas réellement les conditions d'un État démocratique, c'est-à-dire d'assurer la délibération par l'impartialité même.

M. Drainville : M. Rioux, si je peux me permettre, de dire que la commission Bouchard-Taylor et son rapport n'étaient que de la démagogie, je vous le dis, j'ai un problème avec ça. Même si M. Bouchard n'est pas nécessairement d'accord avec moi — c'est le moins que l'on puisse dire — je pense quand même qu'on devrait faire l'économie des excès de langage, et restons, je dirais… Je pense que vous pouvez exprimer la même idée avec d'autres mots, si vous me permettez.

M. Rioux (Alain) : Ce n'est pas tant les propos, c'est le concept — parce que c'est une déformation professionnelle, lorsqu'on fait de la philosophie, on travaille avec des concepts — et c'est le concept même de laïcité ouverte, je pense à l'oeuvre de Marcel Gauchet en particulier, ou à l'oeuvre de David Gauthier, et puis, après, l'analyse même de Will Kymlicka. Après l'analyse de ces oeuvres-là, je me… Bon. Et puis, bon, les classiques, Rousseau, et tout ça. Il faut faire une distinction, lorsqu'on parle de laïcité, la laïcité sert à quoi, entre la démocratie, c'est-à-dire la défense du bien commun, et le bien commun aujourd'hui, en modernité, c'est la liberté, c'est la délibération, et la défense d'un bien commun qui serait la somme, la totalité des choix individuels, ce qui ferait que ça serait toujours la totalité des choix individuels moins un qui vient à venir. Donc, vous auriez une dictature de la majorité. Il y en aurait toujours un de côté qui n'aurait pas entériné… que l'État n'aurait pas entériné son droit, et là, bien, on tombe dans ce qu'on appelle la démagogie, c'est-à-dire la dictature de la majorité. C'est strictement au niveau du concept que je parle.

M. Drainville : Oui, je sais, mais…

M. Rioux (Alain) : Je n'attaque pas les personnes.

M. Drainville : …faisons l'économie de ces mots-là quand même, si on peut, là. Je veux juste revenir à votre concept, le concept central de votre présentation. Dans le fond, vous êtes d'accord sur le principe de la laïcité. Vous pensez que c'est important de l'inscrire quelque part. Ça, on s'entend, n'est-ce pas?

M. Rioux (Alain) :

M. Drainville : Hein?

M. Rioux (Alain) : C'est foncier. C'est foncier.

M. Drainville : C'est foncier. Bon. C'est la manière de le faire, dans le fond, qui cause matière à débat.

M. Rioux (Alain) : Bien, parce que je pense qu'une… c'est que le…

M. Drainville : Qui est matière à débat, dis-je bien, qui est matière à débat. Excusez-moi, il y a un peu de fatigue. Alors, vous, vous dites : Plutôt que d'y aller avec un projet de loi comme le gouvernement le propose, vous devriez adopter une déclaration générale — que vous nous soumettez — et, les aspects plus spécifiques, la mécanique notamment, ça devrait faire l'objet d'une série de règlements.

M. Rioux (Alain) : Moi, à mon avis. Écoutez, je ne suis pas juriste, ce n'est pas ma formation.

M. Drainville : Oui, bon.

M. Rioux (Alain) : Vous, vous aviez une armée de juristes pour faire votre projet de loi.

M. Drainville : Mais laissez-moi juste terminer ma question, M. Rioux. Si la démocratie est à ce point importante pour vous — et je ne doute pas qu'elle le soit…

M. Rioux (Alain) :

M. Drainville : …elle l'est pour nous tous, vous avez bien raison — est-ce que vous croyez que c'est sage de dire au législateur : Contentez-vous d'une déclaration générale, et, pour ce qui est du champ d'application, pour ce qui est des modalités, des moyens de mettre en pratique ces principes, on envoie tout ça du côté de l'Exécutif? On envoie tout ça au ministre, puis on envoie tout ça au Conseil des ministres, et donc on dessaisit le Parlement d'une bonne partie de sa capacité de légiférer, là. Vous comprenez ce que je dis, n'est-ce pas?

M. Rioux (Alain) : Oui, évidemment.

M. Drainville : Est-ce que ça ne pose pas un problème, justement? Est-ce que ce n'est pas une entorse à un principe fondamental en démocratie, c'est-à-dire de… hein?

M. Rioux (Alain) : Je ne pense pas.

M. Drainville : Non?

M. Rioux (Alain) : Je ne pense pas, dans ce sens où, si vous faites un énoncé général de la sorte que je vous propose, enfin, qui, finalement, je veux dire, est presque une traduction de la loi française de 1905, il n'y a pas de déclaration des droits de la personne parce que cela s'applique à l'État, la province de Québec. Bon, à savoir si les clauses de la charte de la laïcité ou du projet de loi n° 24, le législateur doit voter sur ces clauses-là, moi, je me dis : Si vous le mettez dans un projet de loi, c'est tout le projet… c'est toute la loi — et là on se pose la question sur l'énoncé lui-même — c'est toute la loi qui peut être remise en cause, parce que vous dites à des personnes x et y, vous leur dites : Vous n'avez pas le droit de faire ci ou de faire cela, d'exprimer telle ou telle religion. Et là il y a les problèmes de hiérarchie des droits auxquels… moi, à laquelle je ne crois pas. Donc, il y a des problèmes de hiérarchie des droits, la liberté d'expression versus le fait que je travaille, est-ce que j'ai le droit de porter le foulard, est-ce que j'ai le droit de porter la croix, est-ce que j'ai le droit de porter la kippa, enfin, etc. Ça n'en finit plus.

Et puis moi, je me posais la question… Pour ce qui est de la contestation juridique, ça devient beaucoup plus difficile de contester une loi très simple, un énoncé très simple, vous comprenez. Et après ça, lorsque quelqu'un arriverait et dirait : Bien, je veux dire, moi, je ne suis pas d'accord avec ce règlement, je vais devant les tribunaux, parce que c'est le recours qu'on a, bien, on dirait : Bien, la loi est là, et puis c'est la consécution de la loi.

M. Drainville : Très bien. On comprend, je pense, votre proposition. Passons maintenant… Retournons au principe, si vous me le permettez. Parce que, dans le fond, ce dont on parle, c'est une question de moyens, on pourrait discuter longtemps, j'aimerais mieux qu'on revienne sur les principes. Vous, là, dans votre esprit, là, que ce soit par voie de règlement ou par voie législative, là, dans votre esprit, est-ce que la neutralité religieuse de l'État doit se traduire par l'obligation de l'employé de garder pour lui, ou pour elle, ses convictions religieuses lorsqu'il travaille pour ses concitoyens, et donc absence de signe religieux pendant les heures de travail?

M. Rioux (Alain) : L'impartialité de l'État implique l'impartialité de tous les employés de l'État.

M. Drainville : Y compris dans leur apparence?

M. Rioux (Alain) : De tous les employés de l'État, y compris… Oui, parce qu'un signe… On nous a parlé souvent de la barbe. J'écoutais madame hier, et puis elle me parlait des hommes qui portaient la barbe, je me disais : Qu'est-ce que ça serait si c'étaient les femmes qui la portaient, la barbe? Mais enfin toujours est-il que, pour ce qui est des signes en tant que tels, le signe n'est pas un organe naturel, c'est une fiction, c'est un symbole. Vous comprenez? Et un symbole, ça lance un message. Eh bien, je regrette, mais, je veux dire, lorsque vous êtes employé de l'État, vous êtes lié, comment dire, à être complètement impartial, à ne rien suggérer à personne. Vous êtes l'État en action. Lorsque je suis postier… Bon, évidemment, ce n'est pas le cas ici, au Québec, mais, lorsque je suis postier ou lorsque je suis enseignant, ou bien infirmier, ou bien ministre, ou bien quoi que ce soit, je suis à l'emploi de l'État. Et les fonds citoyens sont là pour garantir la délibération et ne sont pas là pour subventionner quelque forme d'appartenance religieuse, de prosélytisme, de propagande, tout ce que vous voudrez. L'État n'est pas là pour ça. C'est le rôle de la société politique.

M. Drainville : Oui, oui, oui. Mais qu'est-ce que vous répondez aux personnes, et il y en a certaines qui sont venues témoigner en cette commission déjà cette semaine, qui disent : Écoutez, vous ne pouvez pas me demander de retirer mon signe religieux parce que ça fait partie de mon identité profonde? Qu'est-ce que vous répondez à cet argument?

• (15 h 30) •

M. Rioux (Alain) : Bon. Bien, écoutez, travaillez ailleurs. Je vais vous donner un exemple… Bien, non, non, mais c'est cru, mais je vais vous donner un exemple : la prostitution. Les chrétiens, les musulmans et les Juifs, hein, on va rejeter la prostitution. Mais la prostitution, sous l'Empire romain, selon la religion romaine, la prostitution était un métier tout à fait acceptable. La prostitution, je veux dire, en Inde, dans certains villages, oui, que voulez-vous, il y a eu des reportages sur le sujet, la prostitution est quelque chose de tout à fait acceptable. Pour nous, c'est quelque chose d'horrible. Et puis on n'ira pas se… enfin, ce n'est pas le choix de carrière qu'on donnerait à nos enfants, vous comprenez? Bon, bien, c'est la même chose. Si, moi, je veux dire, ma foi fait en sorte que je considère que tel emploi ne correspond pas à ma volonté profonde… Je vous donne un autre exemple, peut-être un peu moins contraignant : Un médecin ne veut pas performer ou ne veut pas opérer… ne veut pas commettre un avortement, est-ce qu'on va le forcer?

M. Drainville : Bien, son code de déontologie lui permet de ne pas faire cet avortement. D'ailleurs, le projet de loi qui est devant nous prévoit justement le, comment dire… affirme le droit du médecin ou du pharmacien de se prévaloir de son code de déontologie au nom de ses convictions religieuses. C'est inscrit dans la loi, c'est l'article 12, là : «Les devoirs de neutralité et de réserve ne peuvent avoir pour effet d'empêcher l'application des règles déontologiques prévues par la loi permettant au médecin [ou] au pharmacien de ne pas recommander ou de ne pas fournir des services professionnels en raison de leurs convictions personnelles.» Et le Code de déontologie des médecins dit : «Le médecin doit informer son patient de ses convictions personnelles qui peuvent l'empêcher de lui recommander ou de lui fournir des services professionnels qui pourraient être appropriés, et l'aviser des conséquences possibles de l'absence de tels services professionnels.» Et le dernier bout est très important : «Le médecin doit alors offrir au patient de l'aider dans la recherche d'un autre médecin.» O.K., ça, c'est important. C'est essentiellement le même esprit pour les pharmaciens.

M. Rioux (Alain) : Mais c'est ça, donc le médecin, par exemple, qui ne veut pas commettre un avortement va aller travailler dans un autre secteur d'un hôpital. Le pharmacien qui ne veut pas vendre des préservatifs, disons que… on va prendre ça à l'extrême, il ne veut pas vendre des préservatifs, va travailler dans un autre domaine, au laboratoire ou ailleurs. Vous comprenez? Je pense que, si nos convictions profondes nous empêchent d'occuper un emploi, il n'y a rien qui nous force et l'État non plus. Il n'y a personne qui me force à, je veux dire, me présenter pour postuler pour un concours au gouvernement. Il n'y a personne qui me force pour travailler, je veux dire, où que ce soit, je veux dire, dans l'État, je peux travailler dans la société civile. Je ne suis pas lésé, vous comprenez? Comment je peux dire ça, donc? C'est la liberté dans sa plus grande manifestation. Tandis que… Oui.

M. Drainville : La liberté venant avec certaines responsabilités.

M. Rioux (Alain) : Bien, la liberté, évidemment, je veux dire, implique toujours notre restriction à celle de l'autre, évidemment. Et c'est d'ailleurs ce que l'impartialité de l'État demande, exige, c'est justement que l'État, justement, regarde la liberté des individus et dise : Moi, je ne dis rien, je ne dis pas «c'est bien», je ne dis pas «c'est mal». Je veux dire, hormis le fait qu'on pourrait supprimer cette liberté.

M. Drainville : Très bien. Il me reste un peu de temps, mais je vais le laisser à mes collègues de l'opposition, M. Rioux.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le ministre. Alors, maintenant je reconnais le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. M. Rioux, merci beaucoup. Merci beaucoup, M. Rioux. Je vais parler un peu plus fort pour que… Vous m'entendez bien, oui? Merci d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire, que nous avons tous lu, tous et toutes, et aujourd'hui de prendre le temps de venir répondre à nos questions.

Vous dites, dans votre mémoire, qu'il y aurait lieu… et vous l'avez mis en majuscules, «toute idéologie», donc les signes démontrant toute idéologie devraient être bannis. J'aimerais savoir : Pour vous, donc, que mettez-vous dans ce… au-delà des signes religieux, là, que l'on connaît tous, là, quels autres signes mettriez-vous à l'intérieur de cette interdiction? Parce qu'«idéologie» veut dire évidemment «croyance», «conviction», mais également «opinion».

M. Rioux (Alain) : Le sigle communiste avec la croix et le marteau… je ne sais pas, moi. Bien, enfin, je l'ai dit nommément, je veux dire, dans le, comment dire… le tchador à la croix, de l'insigne gai à l'étoile de David. Bon, je ne sais pas, moi, je veux dire, le sigle communiste, peu importe le sigle politique, le sigle de quelque idéologie que ce soit, parce que ce n'est pas le rôle de l'État de dire : Bien, moi, je suis pour ça, moi, je suis pour ça, je suis pour la diversité, puis je suis pour le communisme, puis je suis pour le christianisme, puis je suis pour… Vous comprenez? Ça deviendrait, comment dire, une purée imbuvable.

M. Tanguay : Vous avez parlé de la barbe un peu plus tôt. Donc, ça, la barbe, autrement dit, l'intégrité physique, vous n'y toucheriez pas?

M. Rioux (Alain) : Bien, c'est parce que, je veux dire, si on parle de barbe, c'est qu'on confond la chose avec le signe. C'est comme si je disais, en regardant le reflet de la lune dans l'eau, je disais : Bien, la lune, elle est dans le reflet, elle n'est pas dans le ciel. Vous comprenez? Je veux dire, je ne peux pas confondre le signe avec la chose. Alors, la chose qui est une barbe reste une barbe. Elle n'est pas le signe d'autre chose que le fait que je sois un homme. Que voulez-vous, là, là c'est la fin de… C'est sûr que ça symbolise quelque chose, là, mais ça fait plus que symboliser, là. C'est quelque chose de naturel, ça tombe dans la nature.

M. Tanguay : Et que feriez-vous, juste pour bien vous comprendre, comprendre la logique, concernant les papillotes d'un Juif hassidique, là, qui pendent le long des tempes?

M. Rioux (Alain) : Bien, s'il a des papillotes… S'il a des papillotes, il peut les garder.

M. Tanguay : …pas de signe. Ce n'est pas relié à sa religion.

M. Rioux (Alain) : Bien, qu'il ait des papillotes ou que ce soit un peu rasé, qu'il ait la coupe, comment dire… la coupe champignon ou pas, je veux dire, ça…

M. Tanguay : Pour vous, ce n'est pas un signe religieux.

M. Rioux (Alain) : Ce n'est pas un signe. Ce n'est tout simplement pas un signe. Ce n'est pas d'abord un signe. C'est un objet, c'est des cheveux. Un signe, c'est quelque chose qui est en dehors de la nature. C'est l'essence même du langage d'être… C'est la fonction symbolique de l'homme d'être en dehors de la nature et de dire les choses, de signifier l'absence d'une chose par un signe. C'est ça, je veux dire, un signe.

M. Tanguay : Un signe… Lorsqu'on regarde un signe, évidemment, puis je ne veux pas faire de débat de sémantique avec vous, mais on parle évidemment de quelque chose qui a une signification. Et, selon vous, toute la littérature… Et, toutes celles, tous ceux qui pourraient venir en témoigner aujourd'hui, que les papillotes, pour un Juif hassidique, ont une signification — c'est selon leur conception et leur conviction — une signification religieuse claire, vous, par contre, là-dessus, vous dites : Non, moi, je ne le considère pas comme un signe.

M. Rioux (Alain) : C'est parce que, dans le doute, on s'abstient, monsieur. Je veux dire, moi, je vois des cheveux. Dans le doute, je m'abstiens, lorsque je vois un signe qui n'est pas une chose. Lorsque je vois un signe, une croix, une kippa, ça, ça ne fait pas partie de mon corps, ce n'est pas une… je ne peux pas m'abstenir, là. Là, c'est évident. Mais, dans le doute, je m'abstiens et je dis : Bien, c'est une chose.

M. Tanguay : O.K. Et, pour vous — dernière question sur le sujet — pour vous, il y a un doute quant aux papillotes, pour le Juif hassidique, quant à la portée du signe.

M. Rioux (Alain) : Bien, je veux dire, qu'il ait ses boudins… Je veux dire, moi, si je me laisse pousser les cheveux, monsieur, je suis bouclé de nature, si je me laisse pousser les cheveux, je vais en avoir, des boudins, et pourtant, je veux dire, ça ne signifiera pas du tout que je suis Juif. Je ne suis pas Juif du tout, je suis très bien chrétien protestant et puis je n'ai pas du tout rien de commun avec les Juifs.

M. Tanguay : O.K. Vous parlez de la liberté qui est exprimée par le suffrage universel et, à raison, là, vous mettez une forte emphase sur l'importance de la démocratie. À quel niveau, diriez-vous, sur des sujets… Puis vous l'avez constaté comme tous, là, c'est un sujet qui est très délicat, qui est complexe, ce qui n'aide pas, et qui est très délicat également. Donc, il faut évidemment aller chercher le plus large consensus. C'est ce qu'on a entendu beaucoup, beaucoup jusqu'à maintenant dans cette commission. Vous, qu'en est-il, quant à l'expression démocratique, d'obtenir, sur des enjeux aussi «divisifs» et délicats, dans votre conception de la démocratie, le plus large consensus possible?

• (15 h 40) •

M. Rioux (Alain) : Je ne dirais pas : Dans ma conception de la démocratie, je dirais : Dans la conception de la démocratie. Je ne suis pas le seul à parler. Il faut revenir à Jean-Jacques Rousseau, il faut revenir à Montesquieu, il faut revenir à John Locke, il faut revenir aux auteurs fondamentaux, qui sont bien avant moi et dont je suis un très, très humble, très pâle reflet, très humble représentant.

La démocratie elle-même, foncièrement elle est quoi? Elle est le suffrage universel, le plus fondamentalement, parce que sinon, ce serait un club privé. Alors, on sait comment la démocratie est née en Angleterre, et, je veux dire, il n'y avait même pas 2 % du peuple anglais qui votait en 1688, et puis, à un moment donné, il y a eu une réforme en 1832, et puis ça a monté à 5 % de la population, puis, à un moment donné, on en est parvenu au suffrage universel. Ça a été un petit peu la même chose en France et dans les autres pays. Bon, au fond, la démocratie, telle qu'on la vit, telle qu'elle devrait être, c'est le contrat social, c'est le consentement de tout un chacun envers tout un chacun pour se reconnaître en tant que libres, en tant que libres et égaux.

Et on exprime cette reconnaissance-là comment ? En permettant à tout le monde de voter et de se constituer en peuple souverain et en citoyen. C'est ça, le mouvement fondateur constituant de qu'est-ce qu'une démocratie. Or, comme je vous ai dit tantôt, si le suffrage universel, sa plus grande... sa condition de possibilité, c'est la liberté du vote, et, si la liberté du vote est garantie par son caractère secret, alors, si on part du vote, et que le vote est secret, parce qu'on veut protéger la délibération, et que le caractère du citoyen, c'est d'être un délibérant, un participant à la délibération collective, bien, à ce moment-là, c'est tout l'appareil d'État qui doit être neutre et impartial, laïque.

M. Tanguay : Et, pour passer une telle législation extrêmement «divisive», avez-vous une opinion — peut-être pas — sur la qualité du consensus que l'on devrait normalement, comme législateurs responsables, obtenir?

M. Rioux (Alain) : Je ne comprends pas pourquoi ce sujet. Je vais vous dire, là : Hormis une certaine agitation médiatique, je vous avoue ma profonde désolation de penser qu'en 2014, après tout ce qu'on a vécu, ce sujet-là soit «divisif». Ça ne devrait pas être «divisif». Ça devrait être l'évidence. Il me semble qu'il y a eu un manque de pédagogie en quelque part. Pour moi, ça devrait être une évidence, une évidence que, si... Écoutez, c'est la consécution logique que je vous dis.

Moi, lorsque je m'en vais au bureau de vote, personne ne doit avoir de signe, personne ne doit me forcer de voter dans un sens, ni m'influencer ni même me forcer de voter dans un sens et dans un autre. C'est pour ça que le vote est secret. Parce qu'autrefois le vote était public, qu'on pouvait intimider les gens. Mais là c'est fini, ça, le vote est libre. Et, si c'est vrai pour le vote maintenant, bien, tous les citoyens devraient comprendre que, dans leur exercice citoyen, si c'est vrai que la neutralité de l'État, la neutralité même du monopole de la violence, du monopole légitime de la violence... Il faut bien le dire, c'est ça, l'État; l'armée, la police, au départ c'est ça. C'est ça qui fait l'unité. Que voulez-vous, c'est ça, l'État, le fondement même de l'État de droit. Mais, s'il doit être impartial et neutre, bien, à ce moment-là, ça doit s'appliquer à tout l'État au complet. Et je ne comprends pas que des citoyens qui exercent leur droit de vote ne comprennent pas ça. Ça fait depuis 1867 et même avant qu'on vote, et qu'on ne comprenne pas ça…

C'est comme quand on parle de concept d'égalité hommes-femmes, bien, la femme est devenue l'égale de l'homme. Elle était l'égale de l'homme, mais elle est devenue l'égale de l'homme le jour où on lui a permis de voter, en 1920, avec les suffragettes à Ottawa ou en Angleterre, en 1940 au Québec. La femme devenait l'égale de l'homme, c'est une citoyenne comme l'homme. Elle participe à la délibération collective comme l'homme. Elle est égale. Après ça, bien, je veux dire, au moment où est-ce qu'on a affirmé ça, après ça, bien, lentement, la femme a été éligible puis la femme a pu prendre sa place dans la société. Bien, vous voyez, comme lien, c'est important que l'État prenne des décisions pour pouvoir influencer d'une façon... pas influencer mais pour pouvoir permettre à la société civile d'aller chercher les implications les plus radicales de qu'est-ce que c'est que la démocratie, de qu'est-ce que c'est que le régime politique dans lequel on vit.

M. Tanguay : Vous avez dit, M. Rioux, deux choses qui ont attiré mon attention, la première, évidemment, le constat. Puis j'ai senti votre déception du fait que ce débat-là est très «divisif». Et vous avez dit : Il y a probablement... ou vous avez laissé entendre qu'il y avait peut-être un manque de pédagogie à quelque part. Qui, dans une société de droit, a une telle responsabilité pédagogique de faire ces recherches et de les communiquer?

M. Rioux (Alain) : Je pense que c'est... pour faire les recherches et communiquer la démocratie, je pense que c'est le devoir de l'État, parce que, là, à ce moment-là, l'État n'entérine pas une idéologie, il s'entérine lui-même. Il entérine la liberté même du citoyen, et c'est par le truchement des écoles, c'est par le truchement aussi des médias. Les médias ont une importance. Et, quand je dis «médias», c'est : télévision, radio, les livres, que sais-je, les journaux. Ce sont les médias et évidemment c'est l'école. En dehors de ça, je veux dire... Donc, on se pose la question : Comment il se fait que c'est quelque chose qui est supposément si «divisif»?

M. Tanguay : O.K. Je laisserais... Merci beaucoup, M. Rioux.

M. Rioux (Alain) : Je vous en prie.

M. Tanguay : Je ne sais pas si mes collègues ont... Merci.

Le Président (M. Ferland) : Alors, est-ce qu'il y a d'autres interventions du côté...

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Ah! il reste 2 min 30 s à peu près. Alors, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Vous savez, quand on parle de cette question de laïcité... Bonjour, M. Rioux. Merci d'être là.

M. Rioux (Alain) : Bonjour… Mme Weil?

Mme Weil : Weil, à la française, comme Simone.

M. Rioux (Alain) : Mais avec un W.

Mme Weil : Même si je ne suis pas Française. Vous savez, chaque État… C'est intéressant quand on compare les modèles de laïcité. La France, hein, les Québécois pensent que, ou certains qui prônent la laïcité, le modèle français… mais savez-vous qu'on arrête le trafic en France, à Paris, pour des prières? Et, moi, quand je suis allée en mission en France, ils m'ont dit : Bien, jamais, vous, au Canada, vous accepteriez ça, parce que vous avez des limites raisonnables. Nous, on n'est pas capables de gérer ça. On n'a pas de signe ostentatoire au sein du gouvernement, mais on n'a pas les mêmes règles que vous pour baliser les demandes. Et eux, ils trouvaient notre système très, très intéressant.

Alors, juste pour vous dire, aux États-Unis, des fois, il y a des États où la présence de la croix dans un ministère ou un bureau gouvernemental, ça peut être très problématique. Alors, on a eu l'exemple, il y a quelques années, d'un fonctionnaire fédéral, ici, à Montréal, qui ne voulait pas de décorations — hein, vous vous rappelez de ça? — qui a dit : Non, non, non, il n'y aura pas de décorations de Noël. Je ne sais pas si vous vous rappelez le tollé, les gens ont réagi : Mais qu'est-ce que c'est ça? C'est l'interprétation des uns et des autres.

Alors, hier — je voulais savoir ce que vous dites de ça — Michel Seymour nous a dit : On ne peut pas devancer la société et dire, bon : On efface le tableau, voici la nouvelle société québécoise, on vous la présente, il faut que le législateur, les élus soient à l'écoute, hein, l'écoute, qu'est-ce qui est acceptable, pas acceptable, et que l'évolution se fasse de cette façon, sinon on a ce genre de choc, de rupture, ce qu'on est en train de voir actuellement. Qu'est-ce que vous en dites, de ça?

M. Rioux (Alain) : Bien, écoutez, moi, je veux dire, je serais bien prêt à ce qu'il y ait un référendum sur la laïcité. Alors, on ne la devancera pas, la société, c'est elle qui va décider, c'est tout. Je veux dire, en, comment dire… En 1958, au lieu que Westmount nous impose la Constitution de 1982 — qui, soit dit en passant, est une constitution intéressante, mais ça a quand même été imposé — on aurait pu l'élire, cette constitution-là. En 1958, lorsque de Gaulle a fait passer la France de la Quatrième à la Cinquième République, c'est par quel truchement qu'on l'a fait? C'est par un référendum. Pourquoi on n'a pas fait la même chose, un référendum?

Le Président (M. Ferland) : M. Rioux, malheureusement, le temps du groupe de l'opposition étant terminé, je cède la parole à la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup. M. le Président. Merci, M. Rioux, pour votre mémoire. Je l'ai lu. Je ne suis pas très bonne en philosophie, mais ce que je comprends bien, c'est que vous êtes pour une laïcité de l'État, et ça, c'est évident. Mais vous dites : Il ne faut pas regarder ce qui a été fait avec le projet de loi ici. Il faudrait simplement reformuler et avoir un genre de déclaration qui soit beaucoup plus simple, hein?

Cela dit, vous écrivez, et moi, j'aimerais qu'on élabore sur cette reformulation, vous écrivez : «La province…» Dans cette reformulation, j'en prends juste un extrait à la dernière page, pour le bénéfice des téléspectateurs, vous écrivez : «La province de Québec ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ni aucune idéologie.» Alors, j'aimerais qu'on discute, qu'on parle, que vous me donniez plus de détails sur, justement, ces subventions. Qu'est-ce que vous en pensez…

M. Rioux (Alain) : Bien, des subventions à des écoles…

Mme Roy (Montarville) : …à quel égard, dans quelle mesure ça vous choque?

M. Rioux (Alain) : Des subventions à des écoles catholiques, à des écoles juives, à des écoles protestantes, à des écoles, je ne sais pas, islamistes, l'école… Vous comprenez, à un moment donné — je vous donne cet exemple-là, les déductions d'impôt pour le clergé, et tout ça — bien, je regrette, l'État est impartial. Si l'État est impartial, bien, ça n'existe pas.

Et je ne me prends pas nécessairement ou strictement le modèle français. Si le modèle français a pu m'inspirer, ce n'est pas le seul modèle qui m'a inspiré. Parce que souvenons-nous que Jaurès, lorsqu'il parlait de la laïcité, disait : On va envoyer obligatoirement tous les enfants à l'école publique laïque. Il n'y aura pas d'écoles publiques privées… je veux dire, pardon — publiques privées — il n'y aura pas d'écoles privées catholiques. Moi, ce n'est pas ce que je dis. Je dis : Oui, il peut y avoir des écoles privées catholiques, mais on ne les subventionnera pas. Tout le monde a la liberté… Les parents sont libres, selon les droits, de faire élever leurs enfants de la manière dont ils veulent.

Mme Roy (Montarville) : Alors, faisons de la philosophie. Si vous dites : On ne subventionne plus rien, là, qui touche la religion, qu'est-ce qu'on fait de tous les organismes caritatifs? Par exemple, si on prend la fondation du Cardinal Léger, tout ça… Parce que vous savez que ces organismes vivent beaucoup de subventions qui sont accordées par les députés, le gouvernement. On fait quoi avec tout ce qui est caritatif pour venir en aide et qui a une connotation religieuse, si vous voulez?

M. Rioux (Alain) : Pourquoi cet argent-là qui est donné au caritatif ne fait pas plutôt partie de la justice sociale puis de la solidarité sociale?

• (15 h 50) •

Mme Roy (Montarville) : Mais c'est une forme… Les organismes, c'est une forme de solidarité sociale, tous les organismes…

M. Rioux (Alain) : Oui, oui, mais c'est parce que, la solidarité sociale, on a décidé que c'était l'État. Parce que, justement — vous m'ouvrez la porte — si tout un chacun est un délibérant et participe à la délibération citoyenne, la première condition pour participer à la délibération citoyenne, c'est de vivre. Si quelqu'un est exclu involontairement du travail, on ne peut pas le laisser mourir. C'est la justice de reconnaître — la justice sociale — que cet individu-là a le droit de vivre.

Alors, au lieu de saupoudrer de l'argent à gauche et à droite sur des organisations soi-disant caritatives, donnons donc des budgets et puis des prestations normales aux gens qui en ont le plus besoin. Je pense que la députée de Gouin, elle-même, serait d'accord avec moi.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie beaucoup, M. Rioux.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, je cède la parole au député de Blainville.

M. Ratthé : Bonjour, M. Rioux.

M. Rioux (Alain) : Bonjour, M. Ratthé.

M. Ratthé : Je trouve que vous avez fait une belle démonstration concernant justement le suffrage universel, la neutralité de l'État en matière politique. Il y a des gens qui viennent nous dire, ici, qu'on ne peut pas comparer une neutralité religieuse puis une neutralité politique, et en disant : Non, non, ce n'est pas la même affaire. La neutralité politique, par exemple, dans l'affichage, on nous dit : Bien, on comprend qu'on ne peut pas avoir un fonctionnaire qui va s'afficher pour Québec solidaire, pour le PQ, pour les libéraux, mais ce n'est pas la même chose quand on parle de religion, parce que c'est intrinsèque à la personne. Je voudrais peut-être vous entendre un peu là-dessus.

M. Rioux (Alain) : Bien, intrinsèque à la personne… C'est parce qu'il faut revenir à nos classiques — les gens n'ont pas fait assez d''humanité, là, hélas! — le mot «religion» vient de «religare», c'est ce qui relie, dans le «religare», une lecture commune de la réalité, ça relie dans une lecture commune de la réalité. Si on veut regarder ça sous cet angle-là, même l'État est une religion. On lie la réalité d'une façon démocratique, d'une façon commune.

La science, le positivisme d'Auguste Comte qui dit : «Tout le réel est quantitatif, est quantifiable», on le sait aujourd'hui avec la mécanique quantique que ce n'est pas vrai, qu'à un moment donné le réel résiste à la quantification mathématique, mais, si on dit : Tout le réel est quantifiable, ça aussi, c'est une religion, c'est-à-dire une idéologie, une façon d'aborder le réel, de concevoir les choses. La pensée humaine — on n'est pas Dieu — la pensée humaine repose sur des postulats de base, et le postulat de base, c'est un acte de foi.

Alors, moi, qu'on me dise : Le politique, ce n'est pas la même chose que le religieux, bien, je regrette, cet argument-là, on a presque honte de pulvériser la pauvreté de ce genre d'argument là. Parce que, je regrette, la religion, je sais que c'est vertical, puis que la politique, c'est quand même plutôt horizontal, quoiqu'il ne faille pas faire de la politique à l'horizontale, et surtout pas de l'aplaventrisme. Mais la politique et la religion sont deux façons de lire le réel, différentes, mais c'est quand même deux façons de lire… c'est des lectures du réel. Alors, à ce titre-là, je veux dire, on ne doit pas influencer la lecture que j'ai décidé d'avoir plutôt qu'une autre lecture, c'est tout.

M. Ratthé : Merci, M. Rioux.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Et, la députée de Gouin m'ayant déjà signifié qu'elle n'avait pas de question ni d'intervention, alors je vous remercie, M. Rioux, pour le temps que vous avez pris pour venir répondre aux questions, présenter votre mémoire.

M. Rioux (Alain) : Je vous en prie.

Le Président (M. Ferland) : Sur ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe, l'Association féminine d'éducation et d'action sociale, de prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 54)

(Reprise à 15 h 58)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission va… la commission reprend ses travaux. Alors, maintenant, nous recevons les représentants de l'Association féminine d'éducation et d'action sociale. Je vous mentionne que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'une période d'échange. Et je vais vous demander de vous présenter, ainsi que la personne qui vous accompagne. Alors, allez-y.

Association féminine d'éducation
et d'action sociale (AFEAS)

Mme Duval (Céline) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les commissaires, bonjour. Alors, merci de nous entendre au cours de ces auditions publiques sur le projet de loi n° 60.

Je suis Céline Duval, présidente provinciale de l'AFEAS, Association féminine d'éducation et d'action sociale. Je suis accompagnée de Mme Paula Provencher, première vice-présidente provinciale.

• (16 heures) •

Organisme sans but lucratif fondé en 1966, l'AFEAS regroupe 10 000 Québécoises qui travaillent bénévolement dans 250 groupes locaux répartis dans 11 régions AFEAS, mais présents dans 15 régions administratives du Québec.

L'AFEAS est une organisation terrain. Sa structure démocratique favorise l'expression des points de vue de ses membres sur les enjeux sociaux et sur les orientations de leur organisation.

L'AFEAS vise l'autonomie sociale, politique et économique des femmes. Depuis sa fondation, l'AFEAS travaille sur d'importants enjeux pour les femmes et défend leurs intérêts au niveau parlementaire. L'égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la société demeure incontestablement sa priorité.

Nous sommes heureuses d'être ici, car il est important que les différentes voix féministes québécoises soient entendues. L'AFEAS est convaincue que les éléments du projet de loi n° 60 s'inscrivent parfaitement dans les valeurs qui font l'unanimité au Québec, soit la laïcité et la neutralité religieuse de l'État de même que l'égalité entre les femmes et les hommes.

Au fil des ans, bien avant le dépôt du projet de loi n° 60, les membres de l'AFEAS ont adopté plusieurs positions pour garantir la laïcité et la neutralité de l'État et encadrer les accommodements. Dans le but de conserver l'identité sociale et culturelle des Québécoises et des Québécois, l'AFEAS demande, en 2007, au gouvernement du Québec, une législation provinciale ferme qui permettrait la protection des droits et coutumes de notre collectivité, l'égalité entre les sexes et obligerait toutes les Québécoises et tous les Québécois à respecter ces principes. Car nous croyons que le principe d'égalité entre les femmes et les hommes est remis en question par des demandes d'accommodement de nature culturelle ou religieuse.

En 2009, l'AFEAS demande à la ministre de la Justice du Québec d'insérer dans la charte québécoise des droits et libertés de la personne une disposition, analogue à celle de la Charte canadienne des droits et libertés, affirmant que l'égalité entre les femmes et les hommes ne peut être compromise au nom de la liberté de religion et de culture. Une telle disposition devait, selon nous, permettre de guider les décisions juridiques futures en cas de conflit d'un droit impliquant l'égalité.

En 2010, lors de notre congrès annuel, nous avons fait de la laïcité un élément important de nos discussions. Ainsi, nous demandions que le Québec adopte une charte de la laïcité qui définisse les principes fondamentaux de la laïcité, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, de même qu'une loi et des règlements applicables à l'État et à l'ensemble de la société afin d'y enchâsser la laïcité de fait de l'État québécois, et ce, sans renier sa propre culture. Nous croyons que les dangers de dérive existent réellement et qu'il faut réagir avec un signal clair. Et c'est ce qu'est une charte. Seul le gouvernement peut rédiger un tel document et lui donner force.

Nous avions aussi demandé que l'État québécois, l'Administration gouvernementale — ministères, sociétés d'État, conseils — et ses établissements — institutions du réseau de la santé et des services sociaux, CPE et garderies, cours de justice, services de police, villes et municipalités, commissions scolaires, établissements d'éducation — affichent un caractère laïque et neutre et que ses employés, représentantes et représentants se comportent comme tel, c'est-à-dire une image laïque d'un État laïque. La laïcité et la neutralité de l'État doivent être personnifiées concrètement. Nous ne croyons pas que l'interdiction de signes religieux pour les fonctionnaires soit une exigence déraisonnable ou qu'elle porte atteinte aux libertés individuelles.

Nous voulions aussi que toutes les Québécoises et les Québécois aient l'obligation, dans la sphère publique, de se conformer aux lois, codes et règlements du Québec, incluant ceux portant sur la laïcité de l'État et les demandes d'accommodement. Nous sommes tout à fait en accord avec le chapitre V du projet de loi, soit celui sur les critères d'évaluation des demandes d'accommodement, spécialement parce que le principe d'égalité entre les femmes et les hommes y est inclus.

De plus, nous voulions que soient interdits les vêtements, accessoires ou signes jugés dangereux : armes blanches, vêtements non appropriés à la pratique de certains sports, ou pouvant entraîner… pardon, entraver le mode d'identification usuel des personnes, notamment en cachant les traits du visage : cagoules, voiles intégraux, niqabs, etc. — nous parlons ici de la sphère publique — et notamment pour recevoir ou dispenser un service, pour voter ou pour obtenir des cartes d'identification.

Finalement, il est impératif que le Québec, avant d'accepter d'offrir le statut d'immigrante ou d'immigrant à une personne qui désire s'installer au Québec pour y vivre, s'assure que cette personne et ses proches connaissent bien sa spécificité et ses valeurs : État laïque, langue française, égalité entre les femmes et les hommes, ses lois et ses règlements et s'engagent à les respecter. Un Québec interculturel avec une culture majoritaire et des minorités ethnoculturelles où le principe d'égalité entre les femmes et les hommes sont incontournables. Il est essentiel que ce message soit compris par ceux et celles qui souhaitent s'installer ici.

En conclusion, les Québécoises et les Québécois partagent des valeurs communes, une identité unique. Les membres de l'AFEAS privilégient un message clair : Le Québec est un État laïque de langue française où les femmes et les hommes sont égaux. Au Québec, les femmes et les hommes vivent ensemble et bénéficient des mêmes droits et libertés. Ils sont autonomes et participent également à la vie collective. Il est essentiel que ce message soit transmis et compris par les immigrantes et les immigrants qui souhaitent s'installer ici. Pour faire un choix éclairé, ils doivent bien comprendre le sens de ce message et s'engager à respecter notre culture de même que nos lois et règlements. Nous sommes persuadés que le Québec est capable de s'élever au-dessus de toute partisanerie pour adopter des règles qui favorisent le mieux- vivre ensemble.

Reste-t-il du temps, M. le Président, pour expliquer comment nous en sommes venues à prendre ces positions?

Le Président (M. Ferland) : Une minute environ.

Mme Duval (Céline) : Bon. Alors, ça pourra faire partie de questions, si ça vous intéresse.

Le Président (M. Ferland) : Je suis convaincu que vous aurez des questions. Allez-y.

Mme Duval (Céline) : Alors, avant de répondre à vos questions, je dois quand même vous informer qu'en aucun cas nous ne pouvons exprimer notre opinion personnelle, ni Mme Provencher ni moi, nous devons nous en tenir aux positions de nos membres.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, Mme Duval. Merci, Mme Provencher. Maintenant, nous allons à la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Merci beaucoup. Bienvenue parmi nous.

Mme Duval (Céline) : Merci.

M. Drainville : Bien content de vous voir. Merci beaucoup pour votre mémoire. Écoutez, il y a vraiment beaucoup de questions que j'ai le goût de vous poser. D'abord, on va y aller rapidement, là, tiens, avec une citation. Page 20, vous dites : «Une éducatrice, même si elle est très aimante et compétente — hein, une éducatrice même si elle est très aimante et compétente — n'a pas de prise sur de tels messages — les messages qui émanent du voile, si je vous comprends bien. Donc, elle n'a pas de prise sur de tels messages, sur les messages qui émanent du voile — [et qui sont] reçus par les enfants, consciemment ou inconsciemment.» Est-ce que vous pouvez élaborer un petit peu là-dessus, s'il vous plaît?

Mme Duval (Céline) : Je vous donnerais un exemple que j'ai vu cet été avec ma petite fille, puis ça reflète ça. On était au zoo à Granby, puis elle a vu une dame qui n'allait pas se baigner parce qu'elle, en plus du voile, elle avait tout le grand vêtement. Alors, elle m'a dit : Grand-maman, pourquoi la dame, elle ne se baigne pas? J'ai donné une réponse logique : Elle n'a pas de maillot de bain. Ça passait, jusqu'à ce qu'elle me dise : Mais est-ce que ça coûte cher, grand-maman, un maillot de bain? Alors, sa question est : Si la dame n'en a pas, c'est peut-être qu'elle n'a pas les moyens de s'en acheter. Elle, elle ne voit pas, à quatre ans et demi, la nuance, ou l'interdit, ou cet aspect-là. Bien, ça peut être variable.

Et là les petits enfants sont allés dans l'eau, puis la dame a dû avancer dans l'eau pour aller récupérer les enfants. Mais là, grand-maman, est-ce qu'elle a pensé d'apporter des vêtements de rechange? Elle va tout mouiller l'auto quand elle va embarquer. Alors, voyez-vous ce qu'un enfant voit, ce n'est pas ce que nous, on voit. Ce n'est pas ça que j'ai vu, moi. Moi, j'ai vu quelque chose qui était comme injuste : Monsieur pouvait aller se baigner, mais madame devait rester à l'extérieur. Mais ce n'est pas ça qu'elle a vu. Alors, ce qu'un enfant voit et perçoit, c'est difficile de le juger puis de l'analyser.

M. Drainville : Je vais me faire l'avocat du diable, O.K., parce que, là…

Mme Duval (Céline) : O.K. Allez-y.

• (16 h 10) •

M. Drainville : …je ne vais vraiment pas prêcher pour mon clocher, je vous le dis tout de suite, là. Mais vous répondez quoi à celui ou à celle qui va vous dire : Mais c'est très bien, c'est très bien, ça, qu'on voie une dame qui porte un vêtement, puis tout ça, parce que ça vous donne l'occasion, justement, de faire de la pédagogie sur les nouvelles religions, par exemple, les nouvelles moeurs et coutumes qui…

Une voix : Bonne idée.

M. Drainville : …qui nous rejoignent en même temps que nous arrivent des nouveaux Québécois de tous les coins du monde, et donc habituons-nous? On est dans une société où il y a de plus en plus de diversité, et donc ce n'est pas grave, ça, que vous soyez obligée d'expliquer à votre petite fille, lui donner toutes ces réponses-là. Qu'est-ce que vous répondez à cet argument-là? Parce que c'est un argument qu'on entend parfois.

Mme Duval (Céline) : C'est parfait parce qu'elle a posé la question puis elle en a parlé. Mais l'enfant qui n'en pose pas, de question, qu'est-ce qu'il a compris, je ne le sais pas. Puis je ne peux pas intervenir davantage dans sa question, dans son évolution ou dans sa compréhension.

M. Drainville : Et dans sa conscience, dans sa prise de conscience.

Mme Duval (Céline) : Bien non! Tant que ce n'est pas verbalisé, on ne sait pas ce qu'il y a dans la tête de chacun, là.

M. Drainville : Là, vous rejoignez, je ne sais pas si vous l'avez entendu… enfin, vous rejoignez, oui, le témoignage de Michelle Blanc, qu'on a entendue hier. Je ne sais pas si vous l'avez entendu?

Mme Duval (Céline) : Oui.

M. Drainville : Dans son mémoire, elle reproduisait, dans le fond, une sorte de dialogue imaginaire. Alors, je cite le mémoire, donc, de Michelle Blanc : «Je lis aussi et j'entends dire que ces femmes sont très dévouées — en parlant d'éducatrices ou d'enseignantes — et qu'au grand jamais elles ne feraient [du] prosélytisme. Je veux bien le croire. J'en suis même convaincue — donc je suis convaincue de leur bonne foi.» Mais en même temps je me dis — alors là je paraphrase un peu — qu'elles n'ont peut-être pas ce qu'il faut — alors citation — «pour désamorcer l'inévitable session de questionnement répétitif des enfants à l'âge du pourquoi. Elles se feront inévitablement demander — par l'enfant, à l'enseignante ou à l'éducatrice : Pourquoi tu portes un foulard? Pourquoi ma maman ne porte pas de foulard, elle? Est-ce que tu me le prêtes, ton foulard? Pourquoi les hommes ne portent pas de foulard, eux? [...]Puis l'inévitable pourquoi, maman, tu ne portes pas le foulard comme ma gentille gardienne? Maman, je veux porter un foulard, moi aussi.»

Mme Duval (Céline) : Oui, j'ai entendu ça hier.

M. Drainville : Est-ce que vous trouvez que ça… Trouvez-vous qu'elle exagère?

Mme Duval (Céline) : Dans le sens où l'enfant le verbalise, on peut lui répondre, comme vous avez dit tout à l'heure. Mais, qu'est-ce que chacun des enfants comprend, voit et perçoit, on ne le sait pas tant qu'il ne le verbalise pas.

M. Drainville : Et donc, pour vous, c'est… Vous avez fait une réflexion. Tout à l'heure, vous nous avez interpellés en disant : Si vous voulez savoir comment on en est arrivés à cette position-là, vous n'aurez qu'à me poser la question. Alors, je vous la pose…

Mme Duval (Céline) : C'est Mme Provencher qui répond.

M. Drainville : Oui. Je vous la pose, mais en même temps j'aimerais ça… Au-delà de la procédure, parce que vous vous décrivez, vous-mêmes, comme une organisation de terrain — c'est une expression que j'aime beaucoup, moi — parlez-nous, au-delà de la procédure, là, comment vous avez consulté les gens, et tout ça… Allez assez vite là-dessus parce que, moi, ce qui m'intéresse, c'est surtout de savoir comment vous avez… comment ce débat-là a fait réagir vos membres, comment ça les touche.

Mme Provencher(Paula) : D'accord. Alors, mesdames messieurs, bonjour. Alors, ça a commencé bien avant le dépôt du projet de loi n° 60. Depuis 2007, les réactions ont commencé, parce que, lors du congrès du mois d'août, il y a eu un dépôt, sur le plancher du congrès, d'une proposition qui demandait d'avoir une législation provinciale ferme au niveau des accommodements. Alors, déjà à ce moment-là, ça se discutait dans les AFEAS locales — on en a autour de 250. Donc, la discussion était commencée, et, pour qu'elles en arrivent à déposer le document, la proposition, c'est que déjà elles étaient sensibles à tous les accommodements raisonnables qui étaient demandés et des fois jugés déraisonnables par elles.

Alors, on a commencé comme ça, la discussion s'est ouverte. Et, à partir de là, on a mis sur pied des formations, si vous voulez, des sujets d'étude qui étaient, dont un, au nom de la foi, là, qui parlait des religions, jusqu'où on peut aller au nom de la foi. Peut-on mélanger religion et la conduite de toute une société? La liberté de religion doit-elle s'exercer sur le dos des femmes? On avait un autre sujet d'étude qui était au niveau de l'égalité, femmes d'ici et d'ailleurs. Alors, aucun pays dans le monde n'a réussi à éliminer l'inégalité entre les hommes et les femmes. Qu'à cela ne tienne, prenons conscience du chemin qu'il reste à faire. Donc, quand on dit que tout est acquis, il reste toujours des choses à faire.

Après ça, on a mis sur pied une activité de formation qui s'appelait Femmes et diversité religieuse, et on a fait le tour des 11 régions puis les 250 AFEAS locales, et on a rejoint tout près de 3 000 membres, qui ont participé à cette formation-là, pour éveiller notre esprit critique sur des enjeux concernant les informations véhiculées par les médias, touchant l'égalité hommes-femmes. C'est toujours notre cheval de bataille, l'AFEAS, c'est l'égalité entre les hommes et les femmes, l'égalité, premièrement, des femmes, l'avancement de la condition féminine. Ça, c'est en 2007-2008.

Après ça, en 2009, bien, ça a été inscrit au cahier de congrès sous le critère Débat de société, égalité hommes-femmes, la charte québécoise des droits et libertés. Alors, on demandait, là, de façon spécifique, que soit inscrit dans nos valeurs québécoises l'égalité femmes-hommes et que ça soit au-dessus même des libertés religieuses et culturelles. Chacune des personnes, individuellement, peut avoir la foi, avoir des convictions religieuses, il faut toutes les respecter, mais l'égalité hommes-femmes — ou femmes-hommes, si on veut, comme on dit souvent, nous autres, plus souvent, femmes-hommes — alors, est au-dessus de ça.

Et, 2009-2010, bien là, la décision du C.A. provincial a été de mettre la laïcité au coeur des débats du congrès d'août 2010. Alors, on a procédé à la rédaction d'un dossier par Mme Hélène Cornellier, qui est agente de communications. Et, en mai 2010, dans toutes les régions du Québec où il y a des AFEAS, elles ont étudié les propositions en assemblée générale régionale. Et ensuite, après qu'elles ont donné leur assentiment, bien, on l'a apporté au congrès provincial du mois d'août 2010, c'était inscrit au cahier de congrès, toujours sous le critère Débat de société, et il y avait cinq propositions — vous les avez à la fin de notre mémoire — qui touchaient la laïcité au Québec. Et ça a été adopté de façon majoritaire. C'est certain, il y a 10 000 membres dans l'AFEAS, c'est comme une population d'une ville, hein, c'est comme tout le monde au Québec, il y a des pour et il y a des contre. Il y a eu un débat lors du congrès, et puis ça a été voté de façon majoritaire. Il y a eu une proposition qui a fait l'unanimité sur les cinq, et c'est le fait de l'égalité hommes-femmes. Ça, c'était unanime, mais les autres ont été votées de façon majoritaire.

 Alors, c'est comme ça que la procédure s'est inscrite, la réflexion s'est faite. Alors, déjà en 2010, on avait déjà fait le tour du Québec, si on veut, avec cette question-là au niveau de la laïcité. On avait fait une étude et on disait aussi que c'était mieux de prévenir que de... tu sais, d'être en prévention au lieu d'être en réaction, pour éviter des dérives, éviter des choses. Si, déjà, on établit des règles claires puis on informe les immigrants, immigrantes, avant de venir ici, comment ça se passe au Québec, quelles sont les valeurs qui sont primordiales pour nous, bien… C'est mieux de les prévenir qu'après essayer de réagir, après qu'il se passe des choses qu'on aime moins, puis il faut faire des lois.

Si on est assis ici aujourd'hui, autour de la table, ou bien donc qu'on discute à la grandeur du Québec, c'est signe que ce n'est pas réalisé, ce n'est pas inscrit quelque part dans une loi, puisqu'on en discute. Sinon, c'est... Souvent, les gens, ils disent : On l'a, l'égalité, au Québec; la laïcité, elle est là. Mais, si elle est là, puis on a l'égalité, puis c'est acquis, pourquoi on craint de l'inscrire dans une loi? Allons-y, ça va être écrit puis ça va être clair et net.

M. Drainville : D'ailleurs, oui, je trouvais ça très intéressant, à la page 5, quand vous disiez, dans votre mémoire, et je cite : «Malgré ce qu'en disent certaines personnes, [des] dangers de dérive existent réellement, et il faut réagir maintenant. Attendre n'est pas une option!» Hein, c'est essentiellement ce que vous venez de déclarer.

Mme Provencher (Paula) : C'est ça que je suis en train de dire, oui, exactement.

• (16 h 20) •

M. Drainville : Juste attirer votre attention sur un autre passage de votre mémoire où vous parlez de la jurisprudence qui évolue. Vous répondez, en fait, à l'argument de ceux qui disent : Cette charte — la nôtre, là, celle que nous discutons — elle est condamnée à l'illégalité, à l'inconstitutionnalité, blablabla, là, bon. Alors là, vous dites, je vous cite : «Aujourd'hui, certains affirment que le caractère laïque proposé pour les institutions québécoises enfreint la liberté des religions et ne passera pas le test de la Cour suprême du Canada. Or, la jurisprudence évolue.» Et là vous donnez des jugements récents qui démontrent qu'effectivement la liberté de religion, telle qu'interprétée par la Cour suprême, a été, disons, mise ou soupesée en la mettant en relation avec d'autres valeurs, comme l'égalité hommes-femmes, si bien que, dans un certain nombre de jugements, elle n'avait plus nécessairement préséance sur tout le reste. On a commencé, dans un certain nombre de jugements, comment dire, à donner un poids relatif à la liberté de religion en rapport à d'autres principes et d'autres valeurs, comme l'égalité hommes-femmes ou le critère de sécurité dans le cas des utérites. Alors, comment vous réagissez, vous, quand vous entendez dire que c'est écrit dans le ciel que cette charte va être déclarée inconstitutionnelle?

Mme Duval (Céline) : Ce n'est pas écrit dans le ciel, puisqu'on a des preuves que la jurisprudence évolue. Donc, si on arrive bien préparés puis qu'on a tous les bons arguments, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire, puis, de toute façon, il y a une clause dérogatoire. À la toute limite, si on n'arrive pas à le faire de la façon qu'on veut, on peut quand même le faire en utilisant la clause «nonobstant». On a un moyen de le faire. Si ce n'est pas le moyen qu'on choisit le premier, il y a le deuxième, qui est la clause «nonobstant». Donc, c'est possible.

M. Drainville : Sur la... Voulez-vous rajouter quelque chose, Mme Provencher?

Mme Provencher (Paula) : Non, non. Je lui fais penser, elle a des exemples, là, au niveau de la cour, de la charte, là.

Mme Duval (Céline) : Oui, ça va.

M. Drainville : Oui, c'est ça.

Mme Provencher (Paula) : Tu avais des exemples concrets, là, des gens qui ont passé à la cour. À un moment donné, il y en a eu, des questions, là, des gens qui voulaient être exemptés, là, dans les cours... Quand ils ont ôté les cours religieux dans les écoles, il y en a eu, des jurisprudences, à un moment donné, qui ont dit que ça n'enlevait pas le droit de pratiquer une religion, même s'il n'y avait plus de cours de religion dans les écoles, là. Ça fait qu'on voit que la cour... quand il arrive des jugements...

M. Drainville : La position que vous avez prise sur la charte, là, le vote...

Mme Duval (Céline) : Le vote comme tel...

M. Drainville : Oui. Le vote comme tel, il a eu lieu quand?

Mme Duval (Céline) : Il n'y en a pas eu, parce que notre congrès a eu lieu au mois d'août. Au mois d'août 2013, ce qu'on a fait, c'est qu'on voulait s'assurer que nos membres étaient toujours informés de tout ça, on a tenu un atelier où Mme Michèle Sirois, que vous avez entendue tout à l'heure, a donné une conférence. La première partie était Qu'est-ce que la laïcité? La deuxième partie était Comment la désécularisation s'est faite au Québec pour qu'on en arrive à avoir un État laïque. Et ensuite elle a présenté les positions de l'AFEAS aux membres qui étaient là. Parce que, vous avez vu, ça s'est échelonné de 2007...

M. Drainville : Sur plusieurs années, oui.

Mme Duval (Céline) : ...à 2010, alors peut-être que certaines de nos membres n'étaient pas au congrès en 2007 ou en 2009. C'était pour raviver tout ça. Personne n'a demandé à voter contre ça, ou à ramener, ou à réétudier. Au contraire, Mme Sirois a été invitée dans de nombreuses AFEAS locales pour aller donner cette conférence, et les gens ont invité la population à venir comprendre qu'est-ce que c'est, la laïcité, comment ça s'est fait au Québec puis qu'est-ce que l'AFEAS demande. Donc, on a fait un travail terrain à partir de nos positions, avec l'aide de Mme Sirois, qui, soit dit en passant, est membre AFEAS.

M. Drainville : Alors, à certains égards... Vous ne le dites pas comme ça, parce que vous vous gardez une petite gêne, par modestie, mais, quand j'entendais la séquence tout à l'heure, là, 2007, 2009, et tout le reste, vous seriez peut-être tentées de dire que la charte, c'est la conclusion logique ou l'aboutissement d'un travail que vous, vous faites dans vos rangs depuis plusieurs années.

Mme Duval (Céline) : Ce n'est pas moi qui le dis. Merci de le souligner.

M. Drainville : C'est ça.

Mme Provencher (Paula) : On a fait un travail terrain de longue haleine, parce que les membres ont commencé… et le fait... Quand elles ont déposé, en 2010, une proposition sur le plancher du congrès, ça a forcé la discussion de toutes les déléguées présentes. Et puis cette proposition-là a trouvé l'assentiment, et après ça on a continué à la travailler. Mais, quand vous dites : Est-ce que vous avez consulté vos membres au sujet du projet de loi n° 60?, bien, vous l'avez déposé le 10 septembre, et notre congrès a eu lieu la troisième semaine du mois d'août. Alors, on ne l'avait pas entre les mains, vous ne l'aviez pas déposé encore, ça fait qu'on ne pouvait pas... On peut toujours les consulter à l'interne, comme ça, mais on l'avait présenté au congrès, puis...

M. Drainville : Mais, pour une organisation terrain comme la vôtre, quand on ne prend pas la bonne position, habituellement le téléphone sonne, puis on s'en aperçoit, les membres réagissent puis ils disent : Là, là, je ne suis pas d'accord du tout avec...

Mme Duval (Céline) : Non. On a...

M. Drainville : Comment ça a réagi, justement? Vous avez pris position. Est-ce que vous...

Mme Duval (Céline) : On a effectivement quelques membres qui ont réagi au fait que nous avions, comme conseil exécutif, dit qu'on était favorables à la charte, et certaines personnes ont communiqué pour demander sur quoi on se basait pour avoir dit ça, peut-être des femmes qui n'étaient pas au congrès et qui n'avaient pas pris conscience, là, de l'évolution de tout ça, et, après explication, tout le monde était d'accord. Alors, on n'a pas eu de controverse ou d'élément… des questions, des questionnements, puis, après réponse, ça a bien été.

M. Drainville : Puis, le débat qu'on a eu depuis le mois de septembre, grosso modo, là, dans sa partie, disons, plus intensive, il y a eu quand même beaucoup d'arguments qui ont été mis sur la table, de part et d'autre du débat, est-ce qu'il y a certains arguments des personnes contre la charte qui vous ont ébranlées, ou est-ce que vous êtes aussi convaincues que vous l'étiez?

Mme Provencher (Paula) : Oui. Quand on dit… Je peux revenir, là, pour… Je vais répondre aussi à votre question, mais, quand on dit qu'on ne les a pas consultées, je me souviens qu'on a eu des conseils d'administration depuis ce temps-là. On n'a pas eu d'autre congrès depuis le mois d'août, mais ça fait deux conseils d'administration qu'on a. Donc, à ce moment-là, on en a discuté, là, de notre assentiment, le fait qu'on donnait notre aval, notre consentement à dire : Le projet de loi n° 60…

Et puis c'est sûr que c'est au niveau des signes ostentatoires, là. Peut-être, l'inquiétude des femmes était qu'on ne veut pas faire perdre le travail à d'autres femmes, hein, tu sais, c'est ça, l'inquiétude aussi qu'il y avait. Mais, comme il y a une période… On dit, là, dans la loi, là, qu'il va y avoir une période de transition, il va y avoir un dialogue d'établi. Comme en discute déjà dans le moment, toutes les personnes qui sont concernées, qui se sentent concernées par cette partie-là, là, du projet de loi, suivent les débats sûrement pour voir… ils ont déjà amorcé une réflexion. Et, quand le projet de loi, s'il est adopté tel quel, ou amendé, ou bonifié, on ne sait pas, au fil d'arrivée, s'il va être voté de façon intégrale, le projet de loi, ou s'il y aura des changements, quels qu'ils soient, mais, à ce moment-là, après qu'il va être voté, les gens vont avoir une période de temps, selon ce qu'on lit, là, de dialogue, en tout cas de transition…

M. Drainville : Oui. Non, vous avez raison.

Mme Provencher (Paula) : …pour se faire une idée avant de… À ce moment-là, c'est sûr qu'il y a des personnes qui vont avoir des choix à faire, dire : Bon, bien là, moi, je me conforme à ce qui a été voté selon la loi ou… Ça donne le temps de se chercher un autre travail. En tout cas, c'est ce qu'on a discuté ensemble. Parce que c'était l'inquiétude des gens de ne pas faire perdre l'emploi aux femmes, mais, d'un autre côté, ils tenaient quand même à ce que, le principe de base, l'égalité femmes-hommes, rien ne vienne entraver ça. Et, s'il y a des signes religieux ostentatoires ou des choses de même contraires à ces valeurs-là, on maintient notre position à l'effet d'appuyer la présentation du projet de loi n° 60 tel qu'il est présenté dans le moment.

Le Président (M. Ferland) : Mme Provencher, le temps imparti à la partie ministérielle étant terminé, je dois me diriger vers la partie d'opposition officielle. Le député de LaFontaine.

• (16 h 30) •

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Mmes Duval et Provencher, merci beaucoup pour votre présence aujourd'hui. Merci d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire, et de nous le présenter aujourd'hui, et de répondre à nos questions. C'est réellement apprécié.

Je ne vous poserai pas de question sur l'aspect juridique, l'aspect constitutionnel. Vous avez vu comme tout le monde aujourd'hui, là, La Presse, on voyait : La charte taillée en pièces par le Barreau, et je citais le titre de La Presse. Vous avez vu la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui a également taillé en pièces le projet de loi. Je ne vous parlerai pas de l'aspect juridique. J'aimerais revenir sur votre préoccupation que vous avez exprimée, de certains de vos membres, quant à la gradation des sanctions et l'article 14, peu importe le numéro, le principe qui est dans le projet de loi, qui est l'article 14, qui fait en sorte qu'ultimement une femme ou un homme perdrait son emploi. Vous avez… Et ma question est sur votre réception… ou les commentaires que vous auriez sur la position de la Fédération des femmes du Québec. Vous le savez mieux que moi, mais, peut-être pour les gens à la maison, la Fédération des femmes du Québec, qui représente, qui regroupe 185 organisations de partout au Québec, un réseau très, très bien implanté, plus les membres individuels, plus de 650, la Fédération des femmes du Québec émettait un communiqué de presse le lendemain du dépôt de la charte du PQ, le 8 novembre, et je vais vous en faire une citation, puis j'aimerais que vous me disiez comment vous avez reçu ça, vous, dans le mouvement.

Je cite le communiqué de presse de la FFQ : «Le gouvernement persiste et signe en affirmant que ce projet de loi vise à préserver l'égalité entre les femmes et les hommes. Or, un bon projet féministe fait avancer le droit de toutes les femmes à l'égalité sans créer l'exclusion de certaines d'entre elles.» Et là on cite la présidente, Alexa Conradi : «"En interdisant le port de signes religieux par toutes personnes au service de l'État québécois, le principal employeur des femmes au Québec, le gouvernement officialise la discrimination au nom des — et mettre entre guillemets — 'valeurs québécoises', affirme Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec."» J'aimerais — et ce sera ma question, je vais laisser mes collègues poursuivre avec d'autres questions — savoir, vous, cette préoccupation-là, qui a eu des échos également dans votre organisation, là, comment vous la recevez, cette vive préoccupation là.

Mme Duval (Céline) : L'égalité entre les hommes et les femmes, c'est incontournable. On ne peut pas passer à côté, on ne peut pas dévier, c'est ça, la norme. Maintenant, que certaines femmes, de par le port de signes religieux, puissent éventuellement, comme vous l'avez dit, être exclues d'un poste ou d'un travail, c'est une réflexion qu'on a faite, ce matin, ensemble. On disait : Moi, j'ai une soeur religieuse qui a eu beaucoup de difficultés à se départir de son costume religieux quand ça a été le temps, dans les années 60. Elle en a beaucoup souffert. Elle a souffert d'insécurité, de peur, de culpabilité, d'inquiétude, de ne plus convenir aux normes de sa communauté, de... bon, tout ça. Toute cette souffrance-là, ce serait la même pour une personne qui voudrait retirer son voile ou son signe religieux. Mais toute cette souffrance-là est complètement inutile le jour où on dit : Il n'y en a pas, de signe religieux. S'il n'y en a pas, tu n'as pas à l'enlever. Si tu n'en portes pas, de signe religieux, on ne t'obligera pas de l'enlever.

Donc, en écrivant une charte, en écrivant un règlement, c'est sûr qu'il y a une période de transition, qu'il y a une période de passage qui va être difficile. Mais, une fois que le principe est établi puis qu'on sait que c'est comme ça, on n'aura plus cette difficulté, ou cette douleur, ou ce déchirement entre ma foi, ma conviction profonde, et mon travail.

M. Tanguay : Dernière question, là, réellement, avant de céder la parole à mes collègues. Dans les regroupements de femmes, la fédération, le vôtre, le fait qu'il y ait cette division, quand même, assez profonde... on la voit dans la société, mais on la voit également au sein des regroupements de femmes féministes pour le droit des femmes. Et, tous, nous en sommes tous, évidemment, pour la défense, évidemment, de l'égalité femmes-hommes. Comment recevez-vous aujourd'hui cette division profonde là dans le mouvement féministe?

Mme Duval (Céline) : C'est juste le reflet de la société. Vous êtes, ici, des reflets de la société. Vous n'êtes pas tous du même avis, vous ne voyez pas tous la chose de la même façon et vous êtes tous là à en discuter. Pourquoi ça ne pourrait pas être la même chose du côté des organisations féministes?

Mme Provencher (Paula) : Puis on n'est pas divisées, dans le sens aussi complètement à l'opposée. Que certaines membres manifestent des inquiétudes, on les respecte, parce que c'est normal, avant d'adopter un projet de loi, de donner notre assentiment à quelque chose, de se questionner puis de dire : C'est quoi, les impacts? Et puis c'est un... Dans le fond, les femmes, c'est avoir un sens des responsabilités de dire que, quand je donne mon accord avec ça, au côté de ça il va y avoir telle conséquence, et puis d'y penser ensemble, puis de s'en parler. Je pense que c'est signe… puis c'est signe que l'AFEAS est un mouvement démocratique, que les femmes peuvent s'exprimer autour de la table, dire leurs inquiétudes. Et c'est à nous de voir à ce qu'on ne porte pas préjudice aux femmes, ce n'est pas ça qu'on veut, on veut l'égalité. Puis, au moment où est-ce que c'est que la loi va être adoptée puis qu'on en discute, là, c'est le moment...

Le pire, dans la société, là, je dirais, c'est le moment où est-ce que c'est que ça fait le plus mal, parce que, là, les gens... Le processus de décision est enclenché pour les personnes qui sont déjà en emploi puis qui vont être visées par cette loi-là. Les futurs employés, bien, les règles vont être claires, elles vont être établies. C'est pour ceux et celles qui sont en poste, mais, je pense, déjà, ils ont amorcé leur réflexion, puis, au bout du compte, au bout du chemin, ils vont avoir une réflexion à faire.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Maintenant, la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois. Allez-y.

Mme Weil : Oui. Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être ici. On s'est vues en 2010. Votre position était légèrement différente en 2010. Vous n'étiez pas, si je me souviens bien, sur les signes religieux, vous étiez sur le comportement, à l'époque. Mais en tout cas ce n'est pas important, on est là, en 2014.

Je vais revenir sur cette question, parce qu'honnêtement cette question d'emploi, il y a un cri du coeur, et je ne sais pas si vous l'entendez comme nous, on l'entend comme élus. Nous, on a des appels, on a des femmes qui sont très inquiètes. On a eu l'organisme COR qui est venu, qui disent que les femmes sont en détresse actuellement, les enfants sont en détresse, les maris sont en détresse. Parce que les maris sont très, très heureux que leurs femmes travaillent, et beaucoup sont très fiers que leurs femmes travaillent pour le gouvernement du Québec. Il y en a quelques-unes… j'ai eu des femmes que j'ai côtoyées, en tant que ministre, qui portaient le voile, supercompétentes, je n'ai jamais senti de… Pour moi, là, le signe religieux, ce n'était pas… Je ne porte pas jugement sur le signe religieux, ce n'est pas mon rôle de porter jugement. Et, en fait, il y a beaucoup d'entre nous… surtout à Montréal, on a grandi avec la diversité. Moi, j'ai grandi avec la diversité. C'est sûr qu'il n'y avait pas nécessairement des voiles quand j'ai grandi. Mais je n'étais pas loin d'Outremont, il y avait des Juifs hassidiques. Les enfants s'habituent à la diversité. Puis mes parents m'en parlaient, de la diversité, puis ils m'expliquaient les religions. Mais je n'ai pas grandi dans un milieu religieux, donc je n'ai pas senti, donc, cette problématique-là. Surtout, ce que j'ai vu, c'est des cerveaux, des gens superintelligents, qui viennent de partout, qui portent quelque signe que ce soit.

Et j'ai parlé avec un prof — puis je voudrais vous entendre de ça — de l'UQAM, qui m'a dit… il a une grande inquiétude parce qu'il a des étudiantes et des étudiants qui portent des signes religieux, qui viennent d'ailleurs, et là, à cause du projet de loi n° 60, eux… et ils travaillent comme chercheurs pour ces profs, et, parce que le financement qui… vient de l'institution, ils ne pourront plus engager ces étudiants-là, qui sont par ailleurs brillants, hein, c'est des gens comme ça. Alors, je voudrais vous entendre sur cet impact discriminatoire. Et on peut dire : Ah! les juristes, les avocats, si tu veux… La règle de droit et les chartes de droit sont là pour s'assurer qu'on vit en harmonie, hein? Il y a cet élément-là, puis les juges vont prendre ça très sérieusement, l'impact des mesures. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus.

Et ma deuxième question : Sachant qu'il n'y a pas de consensus, vous l'avez remarqué, comment est-ce qu'on peut progresser? Est-ce que vous serez d'accord qu'on aille sur le… Des gros morceaux, on est tous d'accord : déclarer la neutralité et la laïcité de l'État, séparation de l'État des églises, l'égalité hommes-femmes, et des accommodements, qu'est-ce qui est raisonnable, pas raisonnable. Sur tout ça, on avancerait beaucoup. Seriez-vous d'accord qu'on essaie de trouver donc une voie de passage pour progresser au moins sur ces éléments qui font consensus?

Mme Duval (Céline) : C'est exactement ce qu'il y avait dans notre conclusion. Quand on dit que nous croyons effectivement que… dans ce que j'ai présenté comme conclusion, excusez-moi, c'est que nous croyons effectivement que le Québec est capable de s'élever au-dessus de toute partisanerie pour adopter des règles qui favorisent le mieux-vivre ensemble. Si on est capable de s'élever au-dessus de la partisanerie, ça veut dire qu'on est capable de discuter, de comprendre, de parler, d'évoluer, et qu'au moment où on va écrire le document il ne sera peut-être pas un consensus à 100 % mais un consensus à 99 %, et que globalement la société va l'admettre.

À l'AFEAS, on est, la majorité, des mamans, on a toutes établi déjà, dans nos familles, des règles de conduite, puis on sait que c'est bien plus facile à gérer quand les règles sont claires puis que tout le monde les comprend. Alors, comme on est un organisme d'éducation, on pense qu'il faut passer par une éducation, puis il faut que les règles soient bien définies, puis, une fois que les gens vont les comprendre, vont avoir compris le bien-fondé de chacune de ces lois-là, ce sera beaucoup plus facile de les admettre dans leur vie puis de continuer.

• (16 h 40) •

Mme Provencher (Paula) : C'est certain qu'au bout du compte, si jamais… Je l'ai dit tout à l'heure, si jamais qu'il y a la loi, là, il va y avoir une discussion; il y a 250 mémoires de déposés. Je l'ai dit, si, au fil d'arrivée, il y a des amendements à la loi, je ne sais pas, une bonification, un changement, nous, on va la soumettre à nos membres et puis on va se conformer aussi à la loi, là. On n'est pas en réaction et contre tout ce que c'est qui se discute, mais nous, on présente la position de nos membres, c'est ça qu'elles ont décidé. Puis, en 2013, au congrès, quand on a l'a amenée, il n'y a eu aucune réaction pour dire : Non, ce n'est plus ça qu'on veut, on va changer. Ils maintiennent le cap sur ces propositions-là, qui ressemblent en tous points à ce qui a été présenté dans le projet de loi n° 60. Alors, nous, on va de l'avant.

Puis, c'est certain, comme je le dis, on est dans le moment peut-être le plus difficile, parce qu'on en discute, puis ça remue bien des passions, puis même à l'intérieur de nos familles. On peut arriver… Les gens ne pensent pas tous pareil, puis c'est normal. Mais par contre c'est un débat qui est sain, dans une société, de dire : Bon, bien, on s'établit des règles. Puis, si on est rendu à vouloir avoir un projet de loi, moi, je dis : C'est qu'en quelque part il y avait des choses qui n'étaient pas claires.

Et graduellement, même si l'AFEAS… c'est quand même des femmes du milieu… partout au Québec, dans 250 endroits différents, dans 11 régions. Si elles pensent comme ça, majoritairement, puis qu'elles amènent cette proposition-là de dire : Être balisés, les accommodements raisonnables, puis toute l'identité, là, égalité hommes-femmes, puis avertissez les immigrants, immigrantes avant qu'ils viennent s'installer ici… Mais, pour les avertir de quelque chose, il faut qu'il y ait une règle claire, il faut qu'il y ait une loi. Là, on va dire : Voici, vous voulez venir vous établir ici, bien, les valeurs, ici, au Québec, c'est comme ça. C'est de même que ça se passe. Les femmes sont égales à l'homme, puis la primauté du français, puis tout ce qui est inscrit, là, dans le projet de loi. On s'en va avec ça, là. C'est avec ça qu'on fonctionne dans le moment. Et, comme c'est un mouvement démocratique, soyez assurés que, s'il y a autre chose qui revient, on va les consulter. S'il y a des changements majeurs, on va les consulter. Il y a des moyens de consulter assez rapidement maintenant.

Le Président (M. Ferland) : Alors, à peine 20 secondes, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme de Santis : Merci, M. le Président. Merci. Je voulais souligner que, dans notre charte des droits de la personne, on n'a pas seulement, dans le préambule, une référence à l'égalité femmes-hommes, mais on l'a également à l'article 50.1, où on dit que les droits et libertés sont garantis également aux hommes et aux femmes. Et donc ça, c'est très important. Si on veut vraiment atteindre l'égalité entre hommes-femmes, est-ce qu'il ne faut pas aller au-delà de cette charte? Parce que je ne vois pas comment cette charte, vraiment, ajoute… ou nous donne un moyen d'atteindre cet objectif.

Le Président (M. Ferland) : Alors…

Mme de Santis : Quelle est votre opinion?

Le Président (M. Ferland) : J'ai même laissé déborder un petit peu…

Mme Duval (Céline) : Il faut travailler concrètement sur le terrain pour que cela advienne.

Le Président (M. Ferland) : Excusez-moi, le temps est écoulé, donc, je… Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, Mmes Duval, Provencher. Je suis contente de vous voir. L'AFEAS — peut-être, les téléspectateurs, certains, l'ignorent — ça fait des décennies et des décennies que vous travaillez à la promotion des droits de la femme. Vous avez fait avancer les droits de la femme, la protection de ses droits, et je vous salue pour ce travail-là. Parce que ça fait des décennies, là, et c'est important de le souligner.

Et je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites, dans votre mémoire, à la page 6, et vous venez de le mentionner à ma collègue de la première opposition : «…nous sommes persuadées que le Québec est capable de s'élever au-dessus de toute partisanerie pour adopter [les] règles qui s'inscrivent dans ces principes afin de bien encadrer le mieux-vivre...» Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et, tout comme vous, l'égalité femmes-hommes, au Québec, il n'y a rien de plus important. Et je vous lève mon chapeau pour le travail que vous faites.

Dans cette optique-là… Et là on va s'amuser à se poser des questions. Vous venez de le dire, l'AFEAS, beaucoup de mamans, la majorité de vos membres sont des mères. Dans cette optique aussi où c'est très difficile d'arriver… et même au sein de l'organisation, d'arriver à un consensus puis que tout le monde pense la même chose, c'est très difficile, à cet égard-ci, devant un projet de loi semblable. Selon vous, quel est le secteur d'activité au Québec, secteur d'activité de l'État, là, qui est le plus important et qui ferait davantage que les autres la promotion de l'égalité hommes-femmes? Parce qu'on sait que le projet de loi n° 14 touche à tout, dans toutes les directions, public, parapublic. Et les secteurs, juste pour vous les remettre en mémoire, il y a l'éducation, le municipal, la santé, le parapublic. Alors, selon vous, lequel ferait le plus la promotion hommes-femmes ou pourrait vraiment nous faire entrer dans la tête que c'est la base, au Québec, le plus important?

Mme Duval (Céline) : J'aurais de la misère à vous le dire là, maintenant, tout de suite, parce que, présentement, l'AFEAS tient une grande tournée au Québec. On a tenu, là… On aura tenu, en fin mars, 75 ateliers un peu partout au Québec, toutes les régions administratives. Et on demande justement aux gens : Dites-nous ce qu'il faudrait faire, notamment en emploi, dans la famille et au niveau de l'engagement social et politique, pour que l'égalité soit vraiment installée au Québec, là, pour que ce soit vrai dans les faits. J'ai des résultats partiels, là, si je peux dire, puisqu'on a commencé en mars 2013 à faire cette tournée, et ce que je peux vous dire, ce qui ressort, c'est beaucoup, beaucoup de développer, chez les gens en général, mais chez les femmes en particulier, cette capacité à négocier pour avoir une meilleure condition de travail, à négocier pour obtenir de meilleures situations — les femmes n'ont pas l'habitude de négocier — beaucoup au niveau de l'éducation aussi, permettre plus d'ouverture à l'éducation, puis en faisant attention de mélanger, justement, que les gars aillent davantage dans les métiers traditionnellement féminins, que les filles continuent d'aller dans les métiers plus masculins. Puis on sait que le domaine de la construction, là, bien là, c'est nul, nul, là. Il n'y a rien, là, pour les filles dans ce domaine-là, là. Ça, c'est un domaine qu'il faut vraiment que les filles puissent investir, parce qu'il y a de l'argent, là.

Mme Provencher (Paula) : ...

Mme Roy (Montarville) : Ah! Oui? Vous voulez répondre? Allez-y.

Mme Provencher (Paula) : ...à travers ce qu'elle dit, on voit que c'était dans le milieu travail puis le milieu de l'éducation. La tournée, là, le rapport n'est pas final, mais, quand on dit l'égalité hommes-femmes, bien, c'était que les hommes aussi soient égaux aux femmes, là. C'est maintenir l'égalité, là, dans les deux sens, là, tu sais? Alors, cette tournée-là qui a été faite — puis le rapport va arriver sous peu... Puis, quand vous disiez, tout à l'heure : Ça fait des années que l'AFEAS travaille, oui, ça fait 47 ans, ça va faire 48 ans en septembre, donc, que l'AFEAS étudie des dossiers. Et c'est toujours des positions sérieuses et bien étoffées. Puis les femmes réfléchissent beaucoup avant de dire... d'avancer d'un pas, là. Alors, soyez assurés que, si elles avancent dans ce domaine-là, c'est parce que c'est vraiment réfléchi.

Mme Roy (Montarville) : Merci infiniment.

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme Provencher. Sur ce, je vais aller au député de Blainville.

M. Ratthé : Bonjour, mesdames. Je lisais, comme tout le monde, avec intérêt ce que vous nous avez déposé puis je voulais clarifier un point avec vous. À la page 17, vous dites : «Une personne qui travaille dans la fonction publique doit savoir qu'un tel emploi comporte l'acceptation de certaines restrictions. Si ces restrictions ne lui conviennent pas, elle peut toujours chercher un autre type d'emploi.» Et, un peu plus loin, dans votre conclusion, vous nous dites : «Aucune employée actuelle ne devrait perdre son emploi parce qu'elle refuse de retirer son voile», et ça m'a fait penser... Je ne sais pas si vous avez entendu M. Michel Gauthier ce matin, ancien chef du Bloc, du Parti québécois, M. Gauthier disait — et, je me demandais, peut-être que ça rejoint votre pensée : Il devrait y avoir comme des acquis pour les gens qui sont déjà là, puis donner une période de transition pour faire en sorte... O.K., et que toute nouvelle personne qui se joindrait à partir d'une date x, cette personne-là ne pourrait pas, effectivement, arborer un signe ostentatoire. Et, en lisant ça, je me suis dit : Tiens, vous rejoignez peut-être cette position-là.

Mme Duval (Céline) : Actuellement, les gens qui sont là, en poste, quand elles ont été engagées, ces femmes, ou ces hommes, ces gens qui ont des signes, il n'y avait pas de contrainte dans ce sens-là. Alors, leur faire perdre leur emploi là, maintenant, tout d'un coup, un beau matin, ça n'a pas vraiment de sens, là. Il faut avoir un temps de réflexion, d'étude, d'analyse, puis que chacune des personnes puisse avoir le temps de jauger : Est-ce que je garde mon emploi bien payé et que j'accepte de me départir, pendant mes heures de travail, de ce que je considère comme très important aussi dans ma vie? Mais il faudra que les gens puissent juger, analyser, et c'est là qu'elles auront un choix.

M. Ratthé : Donc, à la fin de ce temps d'intégration ou de réflexion, peu importe le nombre d'années, là, si on parle d'un an ou deux, vous dites : Le choix devrait quand même se faire et que... Et vous abondez un peu dans le sens de M. Gauthier, de dire : Bien, par exemple, tout nouvel employé devrait immédiatement se conformer.

Mais, brièvement, je vois que vous êtes dans l'ensemble assez d'accord avec le projet. D'ailleurs, vous avez une longue expérience en termes... Est-ce qu'il y a quelque chose auquel vous avez pensé pour bonifier, pour modifier, pour amender le projet de loi?

Mme Duval (Céline) : Bien, nous, on n'avait pas le mot «ostentatoire», ça fait que, là, ça règle le problème de la grosseur, de la hauteur, de l'épaisseur, de la largeur...

M. Ratthé : ...dans votre cas, c'est : pas de signe du tout?

Mme Duval (Céline) : Oui. C'est ça. On n'avait pas l'adjectif «ostentatoire» en 2010. Je ne sais pas, le mot n'était peut-être pas rendu dans notre vocabulaire. On ne l'a pas utilisé puis on ne l'a pas ramené en 2013, puisqu'on n'a pas retravaillé le dossier.

M. Ratthé : Donc, dans votre esprit, ce serait : pas de signe du tout, peu importe la grosseur du signe.

Mme Duval (Céline) : Voilà.

M. Ratthé : S'il y avait un amendement peut-être à faire ou une correction, ce serait peut-être plus, dans votre esprit, dans...

Mme Duval (Céline) : On ne l'a pas, là, nous, on ne l'a pas. L'adjectif «ostentatoire» n'est pas là dans notre dossier.

• (16 h 50) •

Mme Provencher (Paula) : Mais, vous savez, enlever un signe religieux, ça ne veut pas dire enlever la religion à l'intérieur. Prenez l'abbé Raymond Gravel, quand il était député au fédéral, il n'allait pas là avec sa soutane, sa chasuble, puis son étole, puis sa barrette. Puis il est resté prêtre pareil. Quand il revenait chez lui, il exerçait sa prêtrise. Le temps qu'il a été député, il n'était pas… de lui-même. Il n'est pas arrivé là vêtu de son vêtement religieux. Ça ne l'a pas empêché d'être prêtre dans son âme, dans son coeur. La preuve, il est revenu à temps plein à la pratique de sa prêtrise. Donc, ça n'enlève pas la foi des gens, ça.

Alors, si une personne s'en va travailler et puis qu'elle entre au bureau travailler, qu'elle enlève son voile, son chapeau de façon… peu importe le signe religieux qu'il aura, ou la croix, peu importe, ça n'enlèvera pas la religion, ça. C'est comme les convictions au niveau d'un parti politique. Tu t'en vas travailler pour l'État. Même si tu ne parles pas de quel parti politique tu es militant ou militante, ça ne t'empêche pas, quand tu sors de là, d'aller mettre ta croix où c'est que tu veux puis de travailler pour le parti politique que tu veux. Puis, en sortant, l'employé, s'il veut arrêter à la synagogue ou au temple, à la mosquée, à l'église, il peut aller partout, là. Ça n'enlève pas la religion à l'intérieur du coeur.

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, Mme Provencher, nous allons aller à la députée de Gouin.

M. Ratthé : Merci, mesdames.

Le Président (M. Ferland) : Alors, Mme la députée.

Mme David : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Bien, d'abord, on se connaît depuis bien longtemps. Et on sait qu'on peut être féministe et avoir des opinions différentes. C'est la beauté du mouvement, justement. Ce qui me permet de vous dire, avec un petit sourire, que, cette formation que vous souhaitez pour les personnes qui veulent immigrer chez nous et que vous voulez que les personnes comprennent des règles claires, qu'il y a des règles claires, moi, je la donnerais à un certain nombre de Québécois de souche aussi, hein? Parce qu'il y a quand même certains problèmes qui perdurent au Québec, dans la vie quotidienne, dans les rapports entre les hommes et les femmes. Donc, je ne ferais pas, tu sais, tout le temps cette distinction entre les gens, bon, qui vivent ici depuis longtemps, qui sont peut-être nés ici puis les gens qui arrivent, parce qu'il n'y a pas toujours tant de différences que ça.

Mais je veux évidemment, moi aussi, vous amener sur la question de l'emploi. Vous faites le parallèle entre neutralité politique, neutralité religieuse. Ça s'est fait beaucoup aujourd'hui, d'ailleurs. Je vous soumets quand même que, quand on parle de la neutralité politique, là, on parle de la fonction publique. La fonction publique, c'est autour de 80 000 à 90 000 personnes directement à l'emploi de l'État dans des ministères. Mais ce que le projet de loi propose, c'est que le devoir de neutralité religieuse, entendu comme interdiction des signes religieux, là, s'applique à à peu près 600 000 emplois, c'est de ça qu'on parle, là, et plus que ça si on y ajoute les emplois d'entreprises qui ont des contrats avec l'État. Vous ne trouvez pas que c'est quand même un obstacle à l'autonomie économique des femmes, qui vous est chère, d'empêcher un certain nombre de femmes d'avoir accès à tous ces emplois, là, c'est quand même considérable, alors qu'on sait que l'autonomie économique des femmes, c'est souvent justement un des chemins de leur libération?

Mme Duval (Céline) : C'est vrai que l'économie… l'autonomie économique des femmes, c'est un chemin vers la libération. Ça, c'est un fait. On a lu aussi puis on a vu que plusieurs femmes sont scolarisées puis voudraient avoir un emploi mais qu'elles ont cette inéquité ou cette… je ne sais pas trop comment on appelle ça, cette ambivalence entre j'ai mon bon emploi ou je garde mon signe religieux. C'est là qu'est le gros problème, là. C'est un gros dilemme parce qu'on a entre ma conviction religieuse, qui est un élément, puis ma conviction de participer à la société du Québec, de m'inclure dans le pays, de m'inclure comme personne aidant à l'évolution du Québec. Mais il faut mettre les deux ensemble.

Mme David : Vous savez bien que je suis d'accord avec l'idée de mettre les deux ensemble. Mais, justement, moi, je voudrais mettre les deux ensemble. Je voudrais qu'on ne condamne pas ces femmes-là à ce dilemme qui est, pour elles, extrêmement déchirant, vous l'avez bien décrit d'ailleurs. Et je me dis que, si on devait en arriver là, ça veut dire qu'il y aurait des raisons qu'on appellerait urgentes, essentielles, fondamentales pour dire : Vraiment, là, l'État québécois ne sera pas laïque si certains ou certaines de ses employés portent des signes religieux. Et moi, je ne suis pas encore convaincue de ça.

Le Président (M. Ferland) : Mme la députée, malheureusement, c'est le temps qui était imparti pour… Et, moi, ça me permet de vous remercier sincèrement, Mme Duval et Mme Provencher, pour la préparation de votre mémoire et votre présentation. Alors, merci beaucoup.

Sur ce, je vais suspendre quelques instants afin de permettre au prochain intervenant, M. Claude Pineault, de prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 55)

(Reprise à 16 h 57)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Je demande aux gens de reprendre leurs sièges, s'il vous plaît. Maintenant, nous allons recevoir M. Claude Pineault pour sa présentation, en vous mentionnant que vous disposez d'un délai de 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, suivi de l'échange. Et je vous demanderais peut-être de présenter les personnes qui vous accompagnent. Alors, M. Pineault, la parole est à vous.

M. Claude Pineault

M. Pineault (Claude) : Oui, merci de nous permettre de donner notre point de vue. Je suis accompagné de mon épouse, Geneviève Caron, et d'une de mes filles, Manon Pineault.

Le Président (M. Ferland) : À vous la parole, oui.

M. Pineault (Claude) : Oui, je vous présente mon mémoire. Je désire présenter moi-même mon mémoire à la commission. Je ne suis pas un expert, comme certains semblent se définir, mais je suis capable de faire mon choix personnellement.

J'ai visité plusieurs pays où il y a différentes religions telles que protestante, orthodoxe, surtout musulmane, exemple le Maroc, la Turquie et la Tunisie.

Au Maroc, à Tanger, j'étais dans un souk à choisir des souvenirs. On me fouille du côté droit. Je croyais que c'était mon épouse, mais on me fouille aussi du côté gauche. Je regarde : je vois deux personnes avec des cagoules sur la tête. Je les ai repoussées, et elles se sont sauvées. Qui était sous ces déguisements, des femmes, des hommes? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est qu'il est impensable de permettre à des personnes de se promener au Québec, dans les rues, les endroits publics, enfin nulle part sauf dans les résidences ou les endroits privés, avec de tels déguisements.

En Turquie, à la fête du sacrifice, dans la région de l'Anatolie, j'ai vu des milliers de brebis et autres animaux arriver par camion pour la fête du sacrifice. Le lendemain, j'ai vu le sang de ces bêtes couler dans les rues.

À Istanbul, belle ville, mais les minarets répartis un peu partout dans la ville, où les muezzins ou crieurs font entendre leurs sirènes, leurs chants plusieurs fois jour et nuit, c'est très dérangeant.

• (17 heures) •

Il y a environ 20 ans, je me promenais seul dans les rues de Montréal et j'étais en sécurité. Mais plus maintenant, car les gangs de rue ont pris le contrôle. Et là certains organismes et dirigeants de parti politique, dans le but de se faire élire ou réélire, sont prêts à nous faire reculer de 1 000 ans en arrière, ou plus, avec des guerres de religion.

En Turquie, j'ai visité des tunnels à la Ben Laden, des troglodytes, des maisons creusées dans la pierre et des églises aussi creusées dans la pierre, pour se protéger des autres religions. C'est ce recul que même nos anciens dirigeants veulent nous faire accepter. Je suis convaincu que ces derniers, lorsqu'ils ont visité ces pays, ils sont restés dans les grandes villes. Je ne peux comprendre que la charte sur la laïcité, ce sera plutôt une charte sur la religion. La religion, ça, ça doit se passer dans les églises, les temples, dans le privé, car c'est personnel. Si vous êtes obligés de faire des compromis inacceptables, laissez tomber cette charte ou faites-en un enjeu électoral. Est-il possible que la secte du Temple solaire soit de retour parmi nous?

Si une personne avec une cagoule a le droit de se promener en public et même de voter aux élections, pourquoi moi, je n'aurais pas le même droit? Car je suis un métis ou, si vous aimez mieux, un autochtone. Et, si on recule dans le temps, nos ancêtres — et moi aussi — on portait une gaine à la hanche — un poignard, si vous voulez — un mouchoir au cou, et nous pouvions relever ce mouchoir à la hauteur des yeux quand nécessaire. Aujourd'hui, un métis ou un autochtone doit prouver ses origines pour avoir des droits au Québec et au Canada. Pourquoi cela n'est pas nécessaire pour les personnes venues d'ailleurs?

Certains se plaignent qu'il y a du racisme au Québec. Eh bien, oui, c'est vrai qu'il y en a, mais il provient des groupes qui viennent s'établir au Québec, après plusieurs années refusent de s'intégrer, nos coutumes, notre langue, et même demandent à ce que ce soit nous qui vivent suivant leurs coutumes.

Si je vais me faire soigner par une personne supposée d'être un médecin, féminin ou masculin, portant un niqab et que moi aussi, j'en porte un, qui sera sous les déguisements? Vous voyez l'aberration, le ridicule que certains politiciens veulent nous faire vivre au Québec? Je demande à la population du Québec de remettre à leur place les politiciens qui ont perdu le sens des responsabilités qui leur incombe. Et, même vous, du Parti québécois, permettre le port du niqab en déguisement dans les rues, c'est inacceptable, car qui sera sous ce déguisement, encore une fois?

Présentement, le 11 décembre 2013, vous pouvez consulter la radio internationale de Radio-Canada, un reportage sur le centrafricain, où il y a eu des lynchages, des pillages, appels à la haine entre chrétiens et musulmans. Aussi, le ministère canadien des Affaires étrangères demande aux Canadiens d'éviter les voyages en République centrafricaine. Aussi, en Europe, il y a des problèmes avec les religions, la France, l'Allemagne, enfin pratiquement tous les pays. C'est cela que nos dirigeants veulent nous laisser en héritage, à nos enfants et à nos petits-enfants? Moi pas.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Pineault, pour votre présentation. Maintenant, nous allons passer à la période d'échange. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Alors, merci, M. Pineault, mesdames. M. Pineault, j'ai peur de vous décevoir, parce que, dans le fond, si je comprends bien votre intervention, vous souhaiteriez qu'on interdise le voile intégral dans la rue, hein, le voile intégral étant le voile qui couvre le visage, hein, que ce soit le niqab, la burqa, et vous savez qu'on ne va pas jusque-là dans le projet de loi. Le projet de loi, ce qu'on fait, c'est qu'on reste à l'intérieur des institutions publiques, donc les grands services publics, la fonction publique, et on ne va pas aussi loin que les Français. Les Français, eux, sont allés jusqu'à l'interdiction du voile intégral dans la rue. Nous, ce n'est pas le choix que nous avons fait. Et ce choix-là, le choix qu'on a fait… Puis moi, je n'essaierai pas de vous convaincre. Vous nous avez présenté votre vision des choses. Moi, je vais essayer de vous expliquer la mienne, la nôtre, sans vouloir vous convaincre. Je veux juste qu'on se parle puis qu'on se comprenne.

Nous, on a décidé, donc, de… On s'est dit : Bien, il est temps qu'on affirme la neutralité, il est temps qu'on affirme la laïcité parce que c'est un bon moyen de dire à tout le monde : Vous êtes tous égaux, on est tous égaux ici, au Québec. Peu importe le choix qu'on fait, religieux, pas religieux, peu importe la religion qu'on choisit, on est tous égaux. Et on s'est dit : La meilleure façon d'assurer ça, dans une société où on est de plus en plus différents… Parce que vous avez raison de dire que l'immigration, c'est une réalité dans notre société québécoise, c'est une réalité, l'immigration, il ne faut pas se fermer les yeux. Alors, on est une société, donc, qui a accueilli beaucoup de gens venus d'ailleurs. On pense que c'est une richesse. Et ces gens-là, ils arrivent avec leurs pratiques, avec leurs coutumes, avec leurs religions. Donc, on est une société de plus en plus différente sur le plan individuel, là, parce qu'on vient de toutes sortes de coins du monde. On s'est dit : Bon, bien, on va mettre en place, on va voter l'idée que l'État, il est neutre, l'État, il n'est pas plus pour une religion ou pour une autre. Alors, il faut qu'il soit neutre pour assurer justement la même liberté à tout le monde. Vous pouvez faire le choix que vous voulez, on va vous respecter également. Et notre façon, comme État, comme société, de dire on vous respecte tous également, c'est : L'État est neutre, l'État ne favorise pas plus l'un que l'autre, pas plus une religion que l'autre.

Et on s'est dit : Pour que ça ait une valeur, cette neutralité-là, il faut qu'elle soit visible, il faut que les personnes qui travaillent dans l'État ne puissent pas afficher leurs convictions, pendant les heures de travail, là, ne puissent pas dire : Ah! bien, moi, j'ai une préférence pour telle religion plutôt que telle autre puis je peux le montrer. On s'est dit non, on va dire : Écoutez, pendant les heures de travail, parce que vous devez respecter tout le monde également, puis on veut envoyer ce message d'égalité puis de respect pour tous, on va donc demander aux personnes de garder pour elles leurs convictions religieuses, de la même façon qu'on leur demande de garder pour elles leurs convictions politiques. Donc, pas de signe, pas de signe. Il n'y a déjà pas de signe politique, on rajoute : pas de signe religieux.

Puis on s'est dit : Bon, c'est vrai que, ces dernières années, il y a eu des demandes d'accommodement. Il y en a certaines, franchement, qui allaient trop loin. On va mettre en place des règles pour faire en sorte justement qu'on soit capables de départager les demandes d'accommodement qui sont raisonnables de celles qui ne le sont pas. Parce qu'on ne veut pas que certaines demandes nous fassent reculer sur des choses importantes, comme l'égalité hommes-femmes.

Dans votre intervention, vous soulevez la question des élections. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais, depuis 2007, quand tu vas voter, tu es obligé de montrer ton visage. Le saviez-vous, ça?

M. Pineault (Claude) : Oui, très bien.

M. Drainville : Bon. Alors, le Directeur général des élections, à un moment donné, il y a eu une controverse, tout ça, puis il a dit : Bon, bien, très bien, quand on va voter, il faut montrer son visage. Nous autres, dans le projet de loi, on considère effectivement que le principe du visage à découvert, c'est un principe fondamental, alors on dit : Pour toutes les personnes qui travaillent dans l'État, elles doivent avoir le visage à découvert. Et, les personnes qui demandent un service, un peu comme la personne qui va voter, bien, dans ce cas-ci, on élargit ça pour dire : La personne qui va demander un service à l'hôpital, qui veut se faire soigner à l'hôpital, la personne qui va dans un cours universitaire, par exemple, peu importe le service que tu demandes, il faut que tu acceptes de montrer ton visage. Donc, ça, j'imagine que vous devez être d'accord avec ça, hein? L'idée du visage à découvert, ça, c'est quelque chose…

M. Pineault (Claude) : On verra.

• (17 h 10) •

M. Drainville : On verra? O.K. Bon. L'autre chose que je voulais vous dire, c'est au sujet… Quand vous parlez des groupes, là, qui ne s'intègrent pas à nos coutumes, moi, je dois vous dire… puis je ne sais pas si on va être d'accord là-dessus, M. Pineault, mais moi, j'ai la conviction profonde que la vaste majorité des gens qui viennent nous rejoindre, là, les nouveaux Québécois, là, ils s'intègrent très bien à la société québécoise. Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi là-dessus, mais moi, je vous le dis, là, j'en ai la conviction profonde. La vaste majorité des personnes qui viennent au Québec, là, ils s'intègrent très bien.

Je suis d'accord avec vous que, parfois, il y en a qui demandent des accommodements, par exemple, qui vont trop loin. Et l'un des objectifs de la charte, c'est justement de clarifier la situation, de dire : Bien là, il y a des lignes, là, claires qu'on veut mettre en place, là, au-delà desquelles on n'est pas prêts à aller, nous, comme société d'accueil, là, on n'est pas prêts à aller au-delà. Puis, il y a eu des demandes qui ont été faites, par le passé, qui allaient clairement trop loin. Alors là, il faut, à un moment donné, délimiter un peu le carré de sable, là, puis de dire : Bien, voici les règles claires qu'on veut mettre en place. Mais je dois…

Au-delà de ces demandes d'accommodement, là, qui ont été faites, qui sont clairement déraisonnables, moi, je pense, j'ai la conviction profonde que la vaste majorité des gens qui sont arrivés au Québec, qui se sont installés au Québec… Puis, vous savez, on accueille des nouveaux arrivants, nous autres, là, depuis qu'on existe, là. D'abord, les Premières Nations étaient ici avant même que les Blancs arrivent. Puis, une fois que les Français se sont installés, bien là, on était dans une société très homogène pendant un bon bout de temps. Les Britanniques, après la Conquête, il y en a plusieurs qui sont restés, des Britanniques, des Écossais, des Anglais. Par la suite, la communauté juive s'est installée très rapidement au Québec, très rapidement. Les Irlandais sont arrivés autour de 1840, 1850, la Grande Famine, tout ça. Notre histoire, c'est une histoire où on accueille des gens d'ailleurs tout le temps. Dépendamment des époques, il y a toujours des nouveaux citoyens qui viennent nous rejoindre.

Puis regardez ce que ça a donné après 400 ans, là, moi, je trouve qu'on est une belle société, la société québécoise, on est une société démocratique, très accueillante. On a une belle économie, ça pourrait aller mieux, mais, somme toute, tu sais, on a une économie qui est très diversifiée. Le principe de la justice sociale est très important. Les inéquités, les inégalités au Québec sont les plus faibles dans les Amériques. Puis ça, cette société-là, on l'a construite avec des Québécois d'origine française, mais on l'a construite avec des Québécois d'origine anglaise, écossaise, juive, irlandaise, italienne, grecque, vietnamienne, haïtienne, latino, maghrébine. Puis je trouve que ce n'est pas pire. Le mélange, je pense que c'est plutôt réussi. Puis, dans le fond, c'est pour assurer que ça continue à bien se passer, que l'harmonie continue pour l'avenir qu'on met en place cette charte-là pour clarifier les règles, pour préciser des grandes valeurs qui sont non négociables, pour assurer justement le respect de tous et toutes.

Puis je ne voudrais pas… puis, encore une fois, je respecte votre point de vue, mais je ne voudrais pas qu'on envoie un message où on dit : Celui ou celle qui vient d'ailleurs est d'abord une menace. Je ne suis pas d'accord avec ça, M. Pineault. Celui ou celle qui vient d'ailleurs, je pense que c'est, d'abord et avant tout, une richesse, c'est un plus, c'est un plus pour le Québec, je suis convaincu de ça. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas que les règles ne soient pas claires. Puis les règles, elles ne sont pas assez claires présentement, ça, c'est clair, ça, tu sais.

M. Pineault (Claude) : …même pour ceux qui viennent d'ailleurs, ce n'est pas ce que je voulais dire. Par contre, ceux qui viennent d'ailleurs, s'ils ne s'intègrent pas… si vous me permettez…

M. Drainville : …j'ai assez parlé, là.

M. Pineault (Claude) : …comme je vous dis, j'ai été dans plusieurs régions, des pays, puis je suis loin d'être fort en langue, puis encore moins en français, puis je peux vous dire qu'avec des cassettes Berlitz je suis allé faire des voyages 15 jours, trois semaines, puis je réussissais à me débrouiller avec les langues des autres, autant le turc que le grec, ou ces choses-là. Je ne parle pas couramment, mais, pour être capable de se demander de la nourriture, demander son chemin, s'acheter des billets de train ou d'autobus, bon, j'étais capable de me débrouiller en pratiquant à peu près trois semaines, un mois avant. Puis, des gens qui sont ici, moi, puis que je vois à Montréal, je comprends qu'ils sont un peu comme dans des ghettos, mais ils arrivent, tu leur parles, ils ne sont pas capables de te répondre.

Moi, j'avais un fils qui demeurait à Montréal-Nord. Là, il y avait des petits commerces, là, des petites épiceries où on allait s'acheter des choses. Tout d'un coup, il est arrivé une vague d'immigrants… puis je n'ai rien contre ça, mais j'ai arrivé pour aller m'acheter des choses bien simples, puis ils n'étaient plus capables de me répondre. Ça a venu, moi, que ça me fatigue un peu. Peut-être qu'aujourd'hui ils sont bien intégrés, je ne peux pas dire ce que je ne sais pas, mais je ne suis pas tellement crédule quand même. Parce que, moi, chez nous… Quand vous dites «égalité», ou des choses comme ça, ou «justice», moi, chez nous, on avait six enfants, puis je ne disais pas : Toi, tu es plus fin que l'autre, ou ainsi de suite, là. Bon. Ça fait que permettez-moi une figure de style, si vous… en tout cas. J'ai travaillé jusqu'à l'année passée, j'ai pris ma retraite, je travaillais dans le logement, hein, les locations de logement. On n'avait pas le droit aux animaux dans les logements, c'était très clair. On ne pouvait pas arriver puis dire : Toi, si tu as un chien ou un chat blanc, tu as le droit, puis l'autre, s'il est noir, tu n'as pas le droit. Mais, de la manière que vous orientez ça, oui, au niveau du gouvernement, ils n'auront pas le droit à se camoufler au complet, mais par contre ils vont aller embarrasser les rues de Montréal avec ça. J'en ai, des enfants, à Montréal, puis des petits-enfants puis des arrière-petits-enfants, je ne suis pas intéressé que ça se rende là.

Vous dites que ce n'est pas une loi pour une année, mais, non, c'est supposé d'être pour des décennies, bien, moi, je trouve qu'on la commence mal.

M. Drainville : …on ne va pas assez loin, c'est ça?

M. Pineault (Claude) : Exact.

M. Drainville : Oui. Mais, vous savez, quand on dépose un projet de loi, M. Pineault, on fait des choix, puis nous, on a fait notre choix. On y a réfléchi, hein, on a réfléchi à toutes les situations, là, puis on s'est dit : Le principe qu'il faut défendre, c'est le principe de la neutralité de l'État, c'est-à-dire… L'«État», c'est un grand mot. Parfois, les gens me disent : L«'État», qu'est-ce que tu veux dire, l'«État»? Des fois, je leur dis : Bien, dans le fond, c'est le gouvernement. «Le gouvernement», déjà c'est plus clair. Mais je leur dis : Regarde, là, les hôpitaux, les écoles, tu paies pour ça, ça, c'est l'État, ça. La police, c'est l'État, tu paies pour ça, c'est l'État. Tout ce qui est financé, dans le fond, par les fonds publics, c'est l'État. Bon. Alors, qui représente l'État? Les policiers, les juges, les enseignantes, les éducatrices, les fonctionnaires, les professeurs dans les universités, bon, etc.

Puis moi, je trouve que ça se défend bien, l'idée… Puis il y en a qui m'ont reproché de faire simple, là, mais moi, des fois, je donnais l'image de l'État comme une espèce de table autour de laquelle on est tous réunis, citoyens québécois, tous égaux, c'est la grande table autour de laquelle on est réunis. Et il n'y a pas de préférence pour l'un ou pour l'autre, c'est : tout le monde est égal autour de la table. Puis il faut s'entendre. Et, à un moment donné, oui, on est tous différents, mais, comme on est tous assis autour de la même table, comme on fait tous partie de la même société, à un moment donné il faut toujours bien décider qu'est-ce qui fait qu'on est ensemble. Bon.

Puis, bien, l'État, c'est cet espace à l'intérieur duquel on est supposés cohabiter, tout le monde, égaux, être capables de se parler, de se comprendre, pas toujours d'être d'accord mais être capables de se parler, de se comprendre au-delà de : Je suis-tu un Tremblay, je suis-tu un… Je vais vous donner un autre exemple. Moi, j'ai trois enfants. J'en ai eu deux bios, le troisième, on l'a adopté. On l'a adopté de Corée. Bon. Alors, un jour, mon fils, mon dernier, il me dit… puis il commençait à se poser des questions; les enfants adoptés, parfois au niveau de l'identité, ce n'est pas évident. Alors, à un moment donné, il n'y a pas tellement longtemps de ça, il commence à me dire… On avait une discussion, tu sais, avec les deux plus vieux, lui, il était là, est encore assez jeune, puis là, à un moment donné, il prend la parole, Mathis, et puis il me dit, il dit : Moi, papa, je ne suis pas un Québécois, je suis un Coréen. Je dis : Wow! «Time out». Là, j'ai dit : Non, Mathis, non. Je dis : Ton frère puis ta soeur, c'est des Québécois d'origine française puis toi, tu es un Québécois d'origine coréenne. Mais on est tous des Québécois autour de la table. Ah! Bon.

Là, je ne vous dis pas que ça a réglé le problème, là, mais ce que j'essaie de vous montrer à travers ça, c'est que le principe qu'on a mis dans la loi, c'est un principe qui vise à unir. Puis, oui, ça fait tout un débat autour des signes religieux. Mais le but sincère de notre mesure, c'est vraiment d'essayer d'unir autour de grands principes puis de grandes valeurs. Puis moi, je suis convaincu, puis là-dessus l'avenir dira si j'ai raison ou pas, si on a raison ou pas, mais je suis convaincu qu'en bout de ligne, si on se donne cette charte-là, dans une couple d'années d'ici, on va s'en féliciter, parce qu'on va se dire : On a bien fait de clarifier les choses, d'affirmer un certain nombre de principes puis de valeurs, parce que, de cette affirmation-là, de ce choix-là, ce choix-là, puis cette affirmation-là, a produit plus de cohésion puis plus de bonne entente. Ça fait que peut-être qu'on ne va pas assez loin pour vous, mais je vous dirais : Ce sur quoi on construit, ce que l'on propose, je suis pas mal sûr que, dans une couple d'années d'ici, si on se revoit, vous allez dire : Finalement, c'était une bonne affaire, ce que vous avez proposé.

M. Pineault (Claude) : Je ne suis aucunement raciste. Dans mes voyages, comme je l'ai dit, on se mêlait au groupe, on essayait de parler puis, vu que j'ai joué un peu, pas mal dans la politique, que ce soit en Grèce ou ailleurs, demander leurs vues au niveau de leur gouvernement, ou ainsi de suite, ça m'intéressait. Puis j'ai des amis chez nous, Roumanie, justement, ou de d'autres places, puis je suis bien ami, mais je peux leur parler parce qu'ils parlent la même langue que moi.

M. Drainville : Oui. Ça, c'est une bonne affaire, ça.

• (17 h 20) •

M. Pineault (Claude) : Mais j'aimerais, si vous me permettez, au niveau justement des races, ou quelque chose de même, j'aimerais que Manon intervienne, parce qu'elle, elle a eu plus affaire que moi là-dedans, quand même, là.

Mme Pineault (Manon) : Bonjour. Je vais faire la lecture de qu'est-ce que moi, je pense de ce dossier-là. Je veux souligner les valeurs, les règlements pour notre peuple québécois.

M. Drainville : Je veux juste vous dire, madame : Il ne faut pas que vous soyez frustrée, il reste deux minutes à mon temps de parole. Ça fait qu'il vous reste deux minutes pour lire.

Mme Pineault (Manon) : Oh! Bon, mettons, vite fait, à un moment donné, ma fille...

M. Lessard : ...l'autoriser à l'entendre au complet, par exemple.

Le Président (M. Ferland) : Vous en avez pour combien de temps? Parce qu'eux, ils ont 16 minutes, là.

Mme Pineault (Manon) : Cinq minutes, pas plus.

Le Président (M. Ferland) : O.K., allez-y. Donc, ça sera pris sur le temps du parti de l'opposition officielle.

Mme Pineault (Manon) : Merci. O.K. Alors, nos enfants que nous devons protéger de bien... de grands accommodements. Nous sommes un peuple libre, comme vous disiez tout à l'heure, que nous soyons femmes, hommes, enfants. Chacun de nous est libre de devenir ce que nous voulons. Nous nous imposons des règles, des valeurs et du respect. Chaque famille impose leurs règles. Les institutions, villages, villes, provinces, peu importe, ont toutes leurs valeurs, et on les respecte. Partout dans le monde, il y a des règles. Je répète, les valeurs... que ce soit la vitesse sur la route, on doit la respecter. Il y a des règlements dans les écoles, on doit les respecter. Alors, nous sommes une province accueillante, ouverte d'esprit, et nous avons la liberté de se respecter, quel qu'on soit.

Nous ne sommes pas racistes. Nous voulons vous intégrer dans nos familles, dans nos écoles, municipalités, encore une fois etc., de la même façon que nous le faisons pour les autres immigrants. Je reçois chez moi des amis, qu'ils soient Haïtiens, Africains ou Européens. Nous sommes un peuple curieux de connaître leurs origines, la façon qu'ils vivaient avant et de quelle façon ils s'intègrent dans notre province.

Moi, ce que je trouve, au niveau des musulmans, je trouve qu'ils refusent de côtoyer et de respecter nos règles. Ils demandent d'avoir leurs écoles, leurs églises, et nous n'avons aucun problème vis-à-vis cela. Mais ils veulent qu'on soit obligés à respecter les règles de leur pays. Chez nous, on refuse que nos enfants se promènent avec un couteau, on refuse que les femmes soient battues, on refuse l'esclavagisme. On refuse que nos enfants et même nous, les adultes, dans les églises, on ait une tuque, un chapeau, une calotte. On doit respecter les règles que... Bon. C'est partout. Dans les sports, il y a des règlements. Il faut les suivre tels quels. Ma fille a joué au soccer, une année, il y a une de ses petites compagnes, elle a un piercing. Alors, l'arbitre lui dit : Tu ne peux pas garder ton piercing, tu dois l'enlever. Elle ne voulait pas l'enlever. Elle n'a pas joué. C'était son choix à elle. Sauf qu'au soccer il y a un règlement : Il n'y a pas de bijou, il n'y a pas de piercing, il n'y a rien de ça.

En gros, pour finir de qu'est-ce que je pense au niveau de ça, c'est qu'il y a des règles à suivre, bon, comme je l'ai déjà dit. Alors… Excusez, je me suis un peu perdue dans mes affaires. Il n'y a personne qui ne peut décider du jour au lendemain de changer quoi que ce soit pour sa petite personne. Nous devons respecter les lieux, que ce soit à l'école, église, hôtel, épicerie, casino, salle de cours. Il y a des règles partout. Alors, qu'est-ce que je demande, au niveau des musulmans, c'est de respecter nos lois, nos règles, nos valeurs et qu'ils se présentent à découvert, que l'on sache à qui nous avons affaire. Et cela est pour nos enfants, notre Québec que nos aïeuls se sont battus pour avoir un Québec libre. C'est ce que je pense de ça.

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme Pineault. Maintenant, il reste à peu près 14 minutes... 12, parce que vous avez 14 minutes.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci beaucoup pour le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire et venir nous le présenter aujourd'hui. Moi, je ne vous ferai pas, là, mon long laïus, parce que la parole, dans la commission parlementaire, est à vous. Et j'aimerais savoir : Est-ce qu'il y a des choses... Moi, j'aurais une question, mais ne vous limitez pas à la question que je vais vous poser, si vous avez d'autres choses, là. On a appris, heureusement, à la fin de l'intervention du ministre, que vous aviez une déclaration à faire. Je suis content qu'on l'ait pris sur notre temps.

Moi, j'aimerais savoir : Vous avez beaucoup voyagé, notamment M. Pineault — vous avez signé le mémoire — vous avez parlé, dans votre mémoire, des problèmes de religion en France. J'aimerais ça que vous nous en parliez. Qu'est-ce qu'en France vous avez constaté? Et ne vous limitez pas à ma question. Si vous avez d'autres déclarations à faire, faites-le, parce que, tantôt, ce sera terminé, vous allez retourner chez vous, puis je ne voudrais pas que vous disiez : Je n'ai pas eu le temps de dire ça, ça, ça. Alors, allez-y.

M. Pineault (Claude) : Non, il n'y a aucun problème, là. Quand je parle des problèmes en France, je ne dis pas que j'ai eu des problèmes en France. J'en ai eu un que c'est un problème que j'aurais pu avoir n'importe où ailleurs, avec, disons, j'imagine, un immigré; il pouvait avoir venu au monde là, je ne l'ai pas connu. Mais je parle de ce qu'on voit dans les journaux, ainsi de suite. Je vous ai parlé aussi du centrafricain, là, hein? Bon, je n'y ai pas été, là, mais par contre je sais que ça s'entretue pour les religions, hein, le musulman, le catholique, ou ainsi de suite. Bon. Ça fait que…

M. Drainville : Vous parlez de la République centrafricaine, là, hein? Vous parlez du pays.

M. Pineault (Claude) : La République centrafricaine.

M. Drainville : Oui. O.K.

M. Pineault (Claude) : Bon. Ça fait que, quand on voit ce qui passe dans ces endroits-là… Plus vous donnez de la permission, plus ils en prennent. J'ai bien aimé, moi, les interventions de la première journée, de M. Sam Haoun, là, puis l'autre, Tinawi, quelque chose de même, bon. Moi, là, quand j'ai parlé au début de mon mémoire puis je disais, là, que… Les spécialistes, je n'ai rien contre ça. J'ai été opéré pour le coeur, ça fait que, si ça n'aurait pas été un spécialiste, je n'aurais pas pris un bûcheron pour venir m'opérer pour le coeur. Bon. C'est un spécialiste, ça. Mais moi, je suis capable de penser puis de voir ce que j'ai vécu moi-même. Au niveau d'eux autres, Sam Haoun et l'autre, ils ont vécu dans ces affaires-là. C'est des gens origines de ça. Je trouve qu'on doit prendre des exemples de ça puis les approfondir. Pareil comme… C'est de valeur pour Mme Houda-Pepin, parce que, là, je crois… elle n'a pas un voile, là, mais elle a un voile pas spirituel, mais un voile politique, je dirais, tiens, parce que cette femme-là aurait bien des choses à dire aussi, je suis convaincu.

Le Président (M. Ferland) : M. le député.

M. Tanguay : Oui. Avez-vous d'autre chose, M. Pineault? Parce qu'il reste du temps puis je veux que vous ayez le temps, là, de… Allez-y au fond de votre pensée, puis je laisserai mes autres collègues des autres partis poser des questions plus spécifiques.

M. Pineault (Claude) : Oui, j'ai une chose… parce que, moi, c'est toujours l'histoire, là : arriver, puis nettoyer la fonction publique, puis prendre les gens qu'on ne veut pas avoir, puis les envoyer dans les villages, les rues, les villes, ainsi de suite. Je veux prendre un exemple qu'aujourd'hui… Plusieurs ont parlé, M. Gauthier, entre autres, de Denis Coderre…

11789 685 M. Tanguay : Non, non, non. Chut! Chut! Chut!

M. Pineault (Claude) : …tout le monde parlait de Denis Coderre.

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Non, mais on n'est pas en analyse détaillée, M. le ministre. Mais ce n'est pas des propos que je juge…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Oui, et voilà. Mais on est quand même prudents dans nos commentaires et nos interventions. Alors, je vais vous laisser continuer.

M. Pineault (Claude) : Bon.

Le Président (M. Ferland) : Il n'y aura pas de déportation au Québec là-dessus.

M. Pineault (Claude) : Non, non. Mais M. Coderre, là, bon, pas seulement lui… On a eu les élections à Montréal, tout le monde voulait donner des droits à tous ces gens-là de d'autres religions. Quoique ça ne me dérange pas qu'il y ait une autre religion, moi-même, je suis… ce qu'on disait anciennement, en tous les cas, je ne suis pas une grenouille de bénitier, je ne suis pas plus catholique qu'il le faut, mais disons qu'ils appelaient ça un catholique à gros grains. Bien, disons que c'est ça que je suis.

Mais, M. Coderre, quand il est allé en Afghanistan, ça a l'air qu'il avait une bonne suite pour le protéger. Je ne veux pas être méchant, mais, en Afghanistan, il y a eu 158 morts, hein, depuis 2000 — puis ça me fait de la peine, parce que moi, je n'aurais pas été intéressé à aller me faire tuer là — mais on arrive à Montréal, puis là il veut permettre… ça peut être des al-Qaida, ça peut être n'importe quoi. Administrer, c'est prévoir, il faut prévoir ces choses-là. Mais là M. Coderre, là, il veut avoir tout ce monde-là. Avec quoi il va se faire protéger. Il n'est plus en Afghanistan. Puis, en Afghanistan, comme je dis, là… Je suis certain qu'il y a eu trois, quatre fois plus de meurtres à Montréal, depuis l'an 2000, qu'il y a eu des morts en Afghanistan, de notre gang. C'est ça.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Pinault. Alors, je comprends qu'il n'y a plus de question du côté de l'opposition. Alors, je vais du côté de la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Monsieur et madame, bonjour. Merci de vous être déplacés, d'être venus ici. J'ai raté le début de votre intervention, puisque je devais aller faire un téléphone, alors je voudrais savoir : D'où venez-vous? De quelle ville, de quelle région? D'où venez-vous, de quelle ville, de quelle région? Où est-ce que vous vivez?

M. Pineault (Claude) : Je viens de Sacré-Coeur, sur la Côte-Nord.

Mme Roy (Montarville) : Vous êtes sur la Côte-Nord.

M. Pineault (Claude) : Oui.

• (17 h 30) •

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Vous nous avez fait part, dans votre mémoire… — je connais ça un peu, moi, j'étais à Rimouski, de l'autre côté — vous nous avez fait part, dans votre mémoire, des expériences que vous avez vécues à l'étranger, certaines expériences désagréables que vous avez personnellement vécues. J'aimerais savoir : Chez vous, dans votre entourage, sur la Côte-Nord, avec votre famille, les voisins et les amis, est-ce que vous avez été témoins d'événements regrettables que la charte aurait pu éviter, si elle était adoptée et en application?

M. Pineault (Claude) : C'est bien certain qu'à Sacré-Coeur, là, on n'est pas à Montréal. Mais je vais vous donner un exemple qu'une personne m'a dit un jour… C'est pour ça que, je veux dire… C'est bien beau de dire : Ah! bien, moi, ça ne me dérange pas. Il y en a un qui m'a dit, il dit : Moi, là… C'était au début, quand on travaillait au niveau de l'approche commune. Il m'a dit, il dit : Moi, quand même que le métro de Montréal serait inondé, ça ne me dérange pas, je ne le prends pas. Bon. Ça fait que c'est bien certain que moi, à Sacré-Coeur, je n'ai pas les mêmes problèmes qu'à Montréal.

Mme Roy (Montarville) : Donc, vous n'avez pas été témoin d'événements regrettables, par exemple, à cet égard-là, là, avec la religion.

M. Pineault (Claude) : À Sacré-Coeur, bien non.

Mme Roy (Montarville) : O.K. Parfait. C'est beau. Écoutez, je vous remercie infiniment de vous être déplacés. Madame n'a pas parlé. Je ne sais pas si madame voulait ajouter quelque chose.

Mme Caron (Geneviève) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Allez-y.

Mme Caron (Geneviève) : Moi, je suis allée au Maroc. Puis je ne sais pas s'il y en a d'entre vous qui sont allés dans une mosquée au Maroc? Non? Bon.

Mme Roy (Montarville) : Bien, pas moi.

Mme Caron (Geneviève) : Puis peut-être que, si vous ne poussez pas vos affaires assez loin, ça peut en venir là. Là, on a rentré… On est arrivés pour rentrer à la mosquée puis… Pour commencer, on a pris notre billet. Après ça, ils ont dit : Il faut que vous enleviez vos chaussures. Comment ça, enlever nos chaussures? Mais, avant d'arriver, on avait vu des hommes, des femmes avec un petit tapis roulé en dessous de leurs bras puis qui rentraient. En tous les cas, lui, il se décide, il dit : On se déchausse puis on y va, on va aller voir. Il dit : On est venus ici pour aller visiter puis on visite. On s'est déchaussés, on leur a donné nos chaussures, on a rentré, puis là… en tout cas c'était comme ici, un grand tapis, là, puis c'était grand. À un moment donné, j'ai dit : Que c'est qui se passe? Il y avait des hommes à quatre pattes à terre. Ben voyons, j'ai dit, voyons, qu'est-ce qu'ils font là! Là, la guide, elle dit : Ils prient. Voyons, j'ai dit, prier à quatre pattes à terre, sur des petits tapis! J'ai dit : C'est quoi, cette affaire-là? Mais là on continue à faire le tour, puis il y avait un grand rideau. Là, j'ai regardé, mais là c'étaient juste des hommes. En arrière du rideau, il y avait seulement que des femmes. Les femmes étaient à quatre pattes aussi, là, puis ils priaient. Mais moi, je suis restée marquée par ça, là, je n'en revenais pas. J'ai rembarqué dans l'autobus, puis j'ai dit : Ça se peut-u aller prier à quatre pattes sur un tapis?

M. Pineault (Claude) : Moi, je ne sais pas si j'ai encore un… Ça me fait penser à une chose, là, c'est que… Pour commencer, je veux dire que, les trois pays musulmans, si on peut les appeler de même, qu'on a visités, j'ai aimé ça énormément, parce que… surtout en Turquie, hein, le voyage, c'était au pays des mille et une nuits, je ne peux pas oublier ça, même si je parle des grottes…

Le Président (M. Ferland) : Sur ce, parce que le temps de la députée de Montarville est écoulé, je dois laisser la parole au député de Blainville.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Pineault, mesdames. M. Pineault, en lisant votre mémoire, j'ai senti une inquiétude. Je suis content que vous soyez venu parce que, si on a fait des consultations publiques, c'est qu'on voulait entendre le point de vue de tous et de toutes. Je ne vous dis pas que je suis entièrement d'accord avec ce que vous écrivez, surtout la section sur le racisme, en affirmant que ça vient plus des autres groupes. Mais, mon point de vue aujourd'hui, sur quoi je vais vous parler, je veux vous remercier d'être là, parce que je pense que ce que moi, j'ai pu comprendre, c'est que vous dites : On est inquiets de ce qui se passe, on craint que, parce qu'une certaine portion de la population immigrante… pas tous, parce que beaucoup d'entre elles nous apportent aussi les bienfaits de leurs cultures, se sont bien intégrées puis contribuent au Québec. Mais vous dites : Ça nous inquiète parce que des fois on nous demande de faire des changements vraiment profonds dans ce qu'on est habitués de faire, puis on ne voit pas pourquoi on devrait le faire. Et je l'ai entendu souvent. Les gens disent : C'est une peur, c'est une crainte; câline, là, comment ça se fait qu'ils s'en viennent ici, puis que là il faudrait tout changer nos habitudes? C'est un peu ce que vous nous disiez tantôt, puis c'est un peu ce que vous êtes venu nous traduire. Puis moi, je considère que ce que vous êtes venu nous dire, d'une certaine façon, c'est que ça reflète certaines pensées d'un certain nombre de personnes.

Partant de là, est-ce que vous pensez que le fait qu'on mette une charte, qu'on la vote puis qu'on essaie de trouver le meilleur compromis possible, est-ce que vous pensez que ça peut aider à changer, justement, les actions, peut-être, de certaines personnes qui viennent d'ailleurs? Puis est-ce qu'on ne devrait pas, justement, au lieu de les forcer à le faire aussi… j'allais dire, de faire un apprentissage, de les aider à nous comprendre puis à s'intégrer de meilleure façon? Alors, je voulais savoir si vous pensez au moins qu'on va dans la bonne direction avec ça.

M. Pineault (Claude) : Le seul problème que j'ai, c'est les religions. Je vous l'ai dit, les guerres, depuis que le monde existe, du moins s'ils ont conté la vérité, ça a toujours été des guerres de religion. Pour intégrer les personnes de toutes les races, moi, je n'ai aucun problème. Je vais vous donner un exemple. On n'a pas besoin de faire venir du monde d'ailleurs, j'ai des amis à Bersimis, j'en ai aux Escoumins, dans des réserves, bon. Surtout à Bersimis, disons qu'ils sont plus Indiens qu'aux Escoumins. Puis dans le temps que je travaillais sur la construction, j'avais trois Indiens qui travaillaient pour moi. Aucun problème. Seulement, leur manière de faire, leur manière de vivre, c'est certain que ce n'est pas les miennes. Je ne dirai pas un sacre, mais il y a du monde qui ont été travailler partout à la Baie-James puis là ils lâchent des sacres contre les Indiens, mais les Indiens, ils ont leurs coutumes, eux autres aussi, tout ça. Moi, je ne veux pas changer les coutumes de personne, sauf la religion. Je ne vois pas pourquoi… moi, je la fais chez nous. Ma femme ne sait pas de la manière que je fais ma religion, puis encore moins elle, c'est personnel. Mais pourquoi qu'il faudrait que les autres viennent s'extérioriser puis nous imposer des choses au niveau religieux? C'est là, moi, que j'accroche.

M. Ratthé : Je comprends bien votre point de vue et puis je vous remercie de l'avoir partagé, parce que je sais que vous n'êtes pas unique dans votre cas, puis ça va sûrement nous alimenter dans notre réflexion. Merci, mesdames, merci, monsieur.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Merci à M. Pineault, à Mme Caron et Mme Pineault pour votre présentation.

Alors, sur ce, je lève maintenant la séance. Et la commission ajourne ses travaux au vendredi 17 janvier, à 9 h 30, où elle poursuivra un autre mandat. Bonne fin de journée.

(Fin de la séance à 17 h 37)

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