(Neuf
heures quarante-cinq minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!
Ayant constaté le quorum, je déclare
la séance de la Commission des
institutions ouverte. Je demande à
toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission est
réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation
générale sur le projet de loi n° 60,
Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État
ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les
demandes d'accommodement.
Mme la secrétaire,
est-ce qu'il y a des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Ouimet (Fabre) est
remplacé par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) et M. Duchesneau
(Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, Mme la secrétaire. Alors, ce matin,
nous allons débuter par les remarques préliminaires, puis nous entendrons
M. Réjean Parent, M. Sam Haroun et M. Samuel Samson. Mais, juste
avant, compte tenu de l'heure à
laquelle nous débutons, parce que nous devions débuter à 9 h 30 et
terminer à 12 h 45, j'aurais besoin du consentement pour
terminer aux alentours de 13 heures. Alors, il y a consentement? Alors,
merci.
Remarques
préliminaires
Alors,
sans plus tarder, je cède la parole à M.
le ministre pour une durée maximum
d'environ 6 min 45 s, mais je vais être peut-être
tolérant pour quelques secondes de débordement mais pas trop. Allez-y, M. le
ministre.
M.
Bernard Drainville
M. Drainville :
M. le Président, chers collègues, je suis très heureux d'entamer avec vous
aujourd'hui cette première étape qui doit nous mener à l'adoption de la charte
des valeurs québécoises.
Les
débats des derniers mois ont montré qu'une forte proportion de Québécois
adhèrent aux grandes valeurs qui sont
à la base même du projet de loi n° 60. La valeur de l'égalité entre
les femmes et les hommes unit très fortement les Québécois. Bien qu'universel, ce principe d'égalité s'incarne de manière
unique au Québec en raison des luttes passées et de nos façons de concevoir les rapports entre les sexes. La neutralité
religieuse de l'État est aussi largement partagée par les Québécois. Un État neutre est une condition
d'égalité et de liberté : égalité des religions, des croyances et des
convictions de tous, liberté de conscience
et de religion pour tous. Enfin, le respect de notre patrimoine historique
rassemble également les Québécois, qui se refusent de renier leur
histoire, histoire qui s'est enrichie au fil du temps par l'arrivée de nouveaux
Québécois venus de tous les coins de la
planète. Ces valeurs sont notre moteur de développement. Elles définissent
ce que nous sommes et ce que nous voulons être à une époque où le Québec n'a
jamais été aussi fort de sa diversité.
On
ne le dira jamais assez, la diversité croissante de notre société constitue un
apport et une richesse indéniables pour
tout le Québec. Aujourd'hui, 12,6 % des Québécois sont nés à l'étranger.
Il s'agit d'un des niveaux les plus élevés au monde, comparable à celui des États-Unis ou de l'Allemagne et même
supérieur à celui du Royaume-Uni. Mais, au-delà de nos différences
individuelles, il faut trouver ce qui nous rassemble, ce qui nous unit. Telle
est notre responsabilité : tracer les
contours de notre identité commune à l'ère de la diversité, conjuguer identité
et diversité québécoises et le faire dans le respect, par une démarche démocratique
et transparente. Il faut d'abord définir ce qui constitue la fondation commune de notre société, de notre nation, pour
être capables d'inclure, d'intégrer les nouveaux Québécois. Ce projet de
loi s'adresse à toutes les Québécoises et à tous les Québécois, tous égaux en
droit, tous égaux tout court.
• (9 h 50) •
Les
détracteurs de la charte diront que l'interdiction du port de signes religieux
ostentatoires dans les institutions publiques va trop loin, que cette
interdiction n'est pas nécessaire. Or, c'est une partie essentielle et
incontournable du projet de loi. Pourquoi?
Parce qu'il faut incarner la laïcité. Parce que la laïcité vient avec des
devoirs et des responsabilités. Parce
que ce n'est pas suffisant de dire que l'État doit être neutre au nom du
respect de tous, qu'ils soient croyants ou non. Pour être crédible, il
faut que cette neutralité soit visible, apparente, concrète. Pour que cette
neutralité religieuse soit réelle, il faut qu'elle s'exprime à travers les
personnes. Si l'État est neutre, ses agents doivent l'être aussi.
Or, qu'on le veuille
ou non, les signes religieux ostentatoires transmettent un message religieux.
C'est ce qui nous fait dire que d'interdire
le port des signes religieux ostentatoires aux employés de l'État
pendant les heures de travail constitue une proposition juste, modérée,
équilibrée.
D'ailleurs, tous ceux qui sont en faveur d'une
interdiction plus restreinte pour les juges et les policiers, par exemple,
justifient une telle restriction au nom de la neutralité religieuse de l'État.
Ici même, à l'Assemblée
nationale, trois partis sur quatre sont en faveur d'une
forme ou d'une autre d'interdiction. Bref, le point de désaccord ne porte pas
tant sur le principe d'interdire ou non mais sur le champ d'application de
l'interdiction.
Il est important de le rappeler, ce projet de
loi n'empêchera absolument personne de pratiquer sa religion. Rien n'empêchera quelqu'un
d'arborer des signes religieux dans l'espace public en tout temps, sauf en ce
qui a trait à la règle du visage découvert lors de la prestation d'un service
de l'État. Si un employé de l'État considère que le port de signes religieux durant les heures de travail est plus important
que la neutralité religieuse de l'État et le respect de la loi, ce sera son choix. D'ailleurs,
si une personne refusait de retirer son signe religieux, elle confirmerait
qu'elle place sa religion au-dessus de tout le reste, au-dessus de
l'intérêt général, au-dessus de la loi.
Le gouvernement reconnaît que ce changement
pourrait s'avérer déchirant pour certaines personnes. C'est pourquoi nous
proposons des moyens pour qu'il se fasse humainement, dans le respect des
personnes.
Pour ce qui
est du Parti libéral, il n'y a guère d'espoir que la commission
parlementaire change sa position et celle de son chef, qui a déclaré qu'il faudrait lui passer sur le corps pour
faire adopter la charte. La Coalition
avenir Québec a fait preuve de plus
d'ouverture jusqu'à présent. Souhaitons que la commission parlementaire
l'incite à raffermir sa position afin de lui donner une plus grande
cohérence.
En conclusion, reconnaissons qu'il y avait lieu
de prendre la question des accommodements religieux et de la laïcité à bras-le-corps. En nous donnant des
balises, en affirmant certaines valeurs sacrées, en aménageant un espace
de neutralité religieuse au sein de l'État, nous voulons rassembler les Québécois
de toutes les origines et de toutes les confessions
et assurer ainsi plus d'harmonie, plus de cohésion sociale. Personne ne peut
accomplir ce travail à notre place. Je
souhaite que nous le fassions avec sérénité, dans le respect des opinions de
chacun; le ton sera aussi important que le fond.
Je suis convaincu que ce que nous réaliserons ensemble dans les prochaines
semaines marquera un jalon important dans l'histoire du Québec. Merci, M.
le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le ministre. J'invite maintenant M. le député de LaFontaine à faire
ses remarques préliminaires pour une durée maximale de
5 min 25 s. M. le député, la parole est à vous.
M. Marc Tanguay
M. Tanguay : Merci beaucoup, M.
le Président. Bon matin, chers collègues. Nous débutons aujourd'hui les
consultations sur le projet de charte du Parti québécois. La loi proposée
comporte essentiellement cinq éléments, les quatre
premiers recueillent un très large consensus. Nous pourrions faire avancer le
Québec sur ce qui nous unit, à savoir fixer
des balises aux accommodements afin qu'ils soient raisonnables, renforcer le
principe de l'égalité hommes-femmes, inscrire
la neutralité des institutions de l'État dans la charte québécoise des droits
et libertés et décréter que les services de l'État doivent être donnés
et reçus à visage découvert. Là est l'expression de la neutralité de l'État
québécois.
Depuis maintenant six mois, le Québec est divisé
sur un seul élément, un seul : l'interdiction pour tous les employés de l'État de porter des signes religieux.
Cette interdiction viole la liberté de conscience et de religion
protégée notamment par notre charte québécoise des droits.
Sur cette
division, le gouvernement péquiste fait de la stratégie électoraliste. Juillet,
août 2013, rappelons-nous, plusieurs
semaines de fuites ou ballon politique annoncent une limitation du port de
signes religieux. Une certaine division de la population débute, le
gouvernement va de l'avant.
Septembre 2013 : publication d'un document
de consultation qui fait consensus sur ses différents aspects, sauf sur l'interdiction des signes religieux pour
certaines catégories de fonctionnaires. Sur cette interdiction, la contestation est tellement forte dans toute la population
qu'il y a des dommages collatéraux pour le PQ, qu'il
suffise de mentionner Maria Mourani
qui se fait expulser du Bloc
québécois, Jacques Parizeau, Bernard
Landry et Lucien Bouchard qui expriment publiquement leur désaccord avec
cette interdiction.
7 novembre
2013 : dépôt du projet
de loi n° 60, la charte du
PQ. Le gouvernement péquiste augmente la division. Ce ne sont plus certaines catégories
de fonctionnaires qui se verraient interdire les signes religieux mais tous les
employés des domaines public et parapublic. Demain matin, ce seraient plus de
600 000 Québécoises et Québécois qui feraient face à l'interdiction. Ce n'est pas tout, le gouvernement ajoute
désormais à ce nombre les milliers d'employés d'entreprises contractant avec le gouvernement et les employés
de ceux qui reçoivent des subventions, rien de moins. Pour l'ancien
député du Bloc québécois l'abbé Raymond Gravel, et je le cite : «Moi, je
porte ma croix et je n'impose pas ma religion à personne.» Fin de la citation.
Les coprésidents de la commission portant leur nom, Gérard Bouchard et Charles Taylor, dénoncent vivement la fracture
sociale occasionnée par le PQ et déplorent cette atteinte à notre
liberté de conscience et de religion.
Le
8 novembre, le ministre péquiste qui est assis devant moi aujourd'hui
déclare, et je le cite : «…une fois adoptée, cette charte sera
source d'harmonie et de cohésion pour le Québec.» Fin de la citation.
Franchement, soyons sérieux!
La commission des droits de la personne et de la
jeunesse a dénoncé la charte du PQ parce qu'elle viole nos droits de liberté de
conscience et de religion. Cette même commission des droits affirme que ses
données d'enquête, et je la cite, «ne
rapportent aucune situation dans laquelle le port de signes religieux par un
employé de l'État aurait menacé le
principe de neutralité religieuse». Fin de la citation. D'autres groupes le confirment,
comme l'Association québécoise d'établissements
de santé et de services sociaux, de grandes municipalités, les universités. En
somme, le gouvernement péquiste ne
dispose d'aucune étude crédible appuyant ses choix d'interdire. Au contraire,
c'est l'opposé qui est démontré.
Face à tout cela, la CAQ a déjà indiqué qu'ils
sont prêts à négocier avec le PQ les catégories de citoyens qui subiraient
cette violation de leurs droits. La conséquence est stipulée dans le projet de
loi : Respectez l'interdit ou perdez votre emploi.
Au
Parti libéral du Québec, nous nous y opposons. We will not
trade off our liberties for votes or political calculations. We will protect our freedoms with all our might, because
we know the price that we paid to obtain them.
Par ailleurs, au PLQ, nous avons entrepris des travaux sur l'intégrisme
religieux. Là est la véritable préoccupation des Québécoises et des
Québécois. Le PQ a complètement laissé de côté cette question, et, pire, le
ministre en charge a reconnu que la charte ne propose rien pour lutter à
l'intégrisme des religieux… l'intégrisme religieux.
Les
250 heures et plus de commission parlementaire confirmeront qu'il y a une
très vive opposition à l'interdiction de porter des signes religieux.
Nous, du Parti libéral du Québec, nous croyons que la seule chose responsable à
faire, pour un gouvernement, est de mettre
de côté cette interdiction de porter des signes religieux. Pour nous, faire
avancer le Québec, c'est miser sur ce qui nous unit. Merci, M. le
Président.
Le Président (M.
Ferland) : Merci, M. le député de LaFontaine. Merci pour ces
remarques. Alors, j'invite maintenant Mme la
députée de Montarville à faire ses remarques préliminaires pour une durée
maximale de 1 min 20 s.
Mme Nathalie Roy
Mme Roy
(Montarville) : Bien, je serai brève. Bonjour, M.
le Président, M. le ministre, collègues du gouvernement
et de la première opposition et collègue indépendant. Alors, tous autant que
nous sommes, aujourd'hui, au cours des prochaines semaines et des prochains
mois, je souhaite fermement que nous fassions ces travaux dans le plus grand respect de chacun. Nous avons tous un devoir en
tant qu'élus, et ce devoir, ce n'est pas seulement d'écouter les
quelque 250, 270 intervenants qui passeront devant nous mais aussi de les
entendre. Et il y a une nuance à faire : écouter, c'est une chose, mais
entendre, c'en est une autre. Et j'espère, M. le ministre, que ça vous fera
cheminer, vous aussi.
À
la lumière de ce que nous entendrons, nous devrons donc en arriver à un compromis
pour enfin avoir une charte, mais une charte de la laïcité qui soit
responsable. Nous voulons donc une charte qui rassemble et non qui divise les Québécois,
parce que, il faut l'avouer, actuellement il y a une problématique à cet égard.
Je vous rappelle que la Coalition avenir Québec a
déjà proposé son propre projet de loi, cette charte sur la laïcité.
Plusieurs points sont en commun actuellement avec le p.l. n° 60.
Cependant, la nôtre est plus rassembleuse, plus équilibrée et plus applicable.
Je vous rappellerai qu'à ce sujet les trois anciens premiers ministres
Parizeau, Landry et Bouchard ont rejoint notre position, qui est semblable à
celle de Bouchard et Taylor, avec cependant une interdiction du port de signes
religieux également chez les enseignants du primaire et du secondaire.
Alors,
il faudra discuter pour en arriver à un compromis. Malheureusement, je sais que
le temps qui m'est imparti est très
court, ce que je trouve tout à fait regrettable. Même si la Coalition avenir
Québec représente 27 % des électeurs
au Québec, nous aurons quelques
minutes à peine pour répondre, poser des questions et que les intervenants y
répondent, ce que je déplore ici, mais
je ferai tout en mon possible…
• (10 heures) •
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci.
Mme Roy
(Montarville) :
…pour être la plus constructive possible, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme la députée. J'ai laissé
quand même déborder de quelques secondes parce que c'est important de…
Alors, maintenant… Merci pour ces remarques. Maintenant, j'invite le député de
Blainville à faire ses remarques préliminaires pour une durée de
1 min 20 s. Allez-y, M. le député.
M. Daniel Ratthé
M. Ratthé :
M. le Président, M. le ministre, chers collègues, très heureux, et je participe
avec beaucoup d'intérêt à cette commission parlementaire, commission
parlementaire qui évidemment sera regardée à la loupe par l'ensemble des
Québécoises et des Québécois. Et je pense qu'effectivement j'entendais déjà ce
matin et de façon correcte les trois partis déjà mentionner leurs positions, et
je pense que le travail aussi consiste à questionner. S'il y a 200 personnes qui viennent ici nous parler,
ont pris le temps de préparer un mémoire, c'est qu'on doit les entendre,
mais, plus que ça, on doit aussi mieux les
comprendre, prendre le temps d'écouter, d'apprécier leurs points de vue. Et
j'espère que tous autour de cette table
pourront, de cette façon, cheminer pour en arriver à un projet de loi qui fera,
je l'espère, le plus large consensus possible.
Le
travail que nous ferons ici sera sûrement un bon exemple de l'application de
cette loi. Si nous avons du mal entre
nous à nous entendre, si nous demeurons campés sur nos positions, si dès le
départ nous sautons aux conclusions, alors les mémoires qui auront été
déposés et les gens qui auront été entendus l'auront fait en vain, et j'ose
espérer, M. le Président, que ce ne sera pas le cas.
Auditions
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. le député,
pour ces remarques. Nous allons
maintenant débuter les auditions. J'invite donc M. Réjean Parent à
nous présenter son mémoire, pour un maximum d'environ 10 minutes. Suivront après 50 minutes, là, d'échange avec les
groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous, M. Parent.
M.
Réjean Parent
M. Parent
(Réjean) : Merci, M. le Président. Merci aussi aux députés pour
prendre le temps, finalement, d'entendre la
population. Il y a des remarques qui viennent d'être faites par rapport à la
sérénité puis au respect. Je pense que
ça va être important, dans les prochaines semaines, les prochains mois,
effectivement, d'être capables de ne pas juste ouvrir les oreilles, mais
d'être en mesure d'essayer d'évoluer, la société québécoise, ensemble.
Moi,
pour l'essentiel — puis je
vais plutôt survoler le mémoire puis, dans le cadre des questions, je pourrai
apporter des précisions par rapport à
l'écrit — je viens
tout simplement dire aux parlementaires : Pour moi, c'est un pas dans
la bonne direction. Les principes qui sont mis de l'avant dans le projet de loi
sont des principes qui sont généralement reconnus par la société québécoise
pour ce qui est de la neutralité de l'État, l'égalité hommes-femmes ou un
certain encadrement ou des balises aux
accommodements raisonnables. Quant à moi, cependant, les exigences qui sont
posées aux salariés de l'État m'apparaissent également des exigences très
raisonnables, très raisonnables. Et là on fait face à un débat qui, à mon avis, est utile. Certains ont
semblé… ont voulu nous faire croire que c'était inutile. Moi, c'est un
débat utile, c'est un débat légitime pour une société et c'est débat, quant à
moi, qui se fait dans un moment propice, parce qu'effectivement on n'est pas dans une phase de crise aiguë où le monde
veut se prendre… ou se déchirer la chemise sur le corps. Ça fait que
globalement, là, ça vous donne un peu le résumé de ma pensée.
Des
gens se posaient la question : Quelle est la motivation d'un ancien
président de centrale de venir exposer son point de vue? Je vous dirais que j'ai passé la majeure partie de ma vie
en éducation, ça fait que j'ai nécessairement traversé, je veux dire, le
vent de laïcisation du Québec, que ce soit jeune élève, étudiant, ou
universitaire, ou enseignant. Donc, j'ai toujours eu une sensibilité à ce
débat-là.
En
même temps, fort probablement que, si on n'avait pas essayé de nous faire
passer pour une gang de zouinzouins, puis de xénophobes, puis de
racistes, je serais allé de l'ordre de l'opinion à travers les différents
médias puis j'aurais exposé mon point de vue, sans plus, mais j'ai été
profondément choqué que certains essaient de nous faire passer pour ce qu'on n'est pas, puis comme si on était en
train de mener un débat qui est complètement illégitime, alors que c'est
un débat qui traverse plusieurs sociétés sur le globe terrestre. Ça fait que
c'est dans ce sens-là que vous trouverez ma motivation, celles et ceux qui se
demandent qu'est-ce que c'est qu'il vient faire, le citoyen Parent, dans le
débat.
J'ai
déjà marqué, d'entrée de jeu, mon accord avec le projet de loi, même si je
pense que, sur certains aspects, il gagnerait en cohérence si on règle
le problème spécifié, si on impose aux parlementaires la même règle qu'on veut imposer aux salariés, à savoir que, si ce n'est
pas bon pour pitou, ce n'est pas bon pour minou. Ça fait que, si on
demande aux salariés de ne pas avoir de signes, de ne pas porter de signes
religieux, je pense qu'ils devraient en faire autant pour les parlementaires.
Je suis d'accord avec
le député de LaFontaine, je ne pense pas que ce soit un projet de loi qui va
endiguer l'intégrisme religieux. Je pense
que ça méritera d'être complété dans une année future, au même titre que je
serais peut-être allé plus loin,
avoir été M. Drainville, et j'aurais touché à toute la question du
financement public d'établissements privés qui sont… finalement, leur
projet est fondé sur un projet religieux. Je veux dire, tant qu'à être laïque,
on ne le sera pas à moitié.
Mais
c'est dans ce sens-là que je dis que c'est un pas dans la bonne direction,
parce que le dossier de la laïcisation, il n'est pas né hier, il est né
avant-hier avec la Révolution tranquille. Ça a été des cheminements même… Puis
je me rappelle, dans les années 80,
l'ancien sous-ministre de l'Éducation disait : Ça va prendre 100 ans
avant de se retrouver avec des commissions scolaires puis avec des
écoles non confessionnelles au Québec. Finalement, on a été plus vite que le sous-ministre en question, mais on a pris les
bouchées doubles pour… et par étapes, et par étapes dans un contexte où
on a commencé par restructurer les
commissions scolaires sur une base linguistique, par la suite sur une base… Les
écoles, graduellement on a réduit
l'enseignement religieux. Et tout ça, ça ne s'est pas fait en opposition à des
nouveaux arrivants, là. Là, c'est la majorité qui, finalement, disait à
quelque part, là… quand je dis la majorité, qu'on accuse souvent de tyrannie,
qui elle-même disait : Bien là, il va falloir séparer notre religion de
l'État. Ça, ça…
Mais
en même temps, et là c'est là que je
dis que des fois les parlementaires sous-estiment les réactions
populaires, c'est qu'on a vu monter une
espèce de frustration dans les milieux. Tu sais, qui n'a pas entendu, parmi
vous, quelqu'un dire : Pendant
qu'on sort le crucifix des écoles, on est en train de rentrer les autres
religions dans les écoles? Je ne vous dis pas que je suis d'accord ou en désaccord avec ça. Moi, je pense que ça
traduit un malaise social, pas nécessairement une crise aiguë ou un
cancer qui fait en sorte qu'on doit faire une ablation mais en même temps une
nécessité de faire de la prévention. Et,
dans ce contexte-là, ce dossier qui est devant nous, c'est un dossier
préoccupant. C'est un dossier qui a amené
la commission Bouchard-Taylor, qui a amené des débats dans notre société, qui a
amené une ministre à apporter quelques projets de loi qui n'ont pas
trouvé aboutissement. Donc, ce n'est pas juste une préoccupation, quant à moi, des péquistes. Je pense que c'est une
préoccupation de l'ensemble des partis à l'Assemblée nationale, de trouver la
juste voie pour répondre aux préoccupations puis aux attentes de la population
québécoise.
Évidemment, vivre en
société, ça ne suppose pas seulement que des droits, ça suppose des
obligations. Vous savez, moi, ce que je
salue aujourd'hui, c'est que ce soit l'Assemblée nationale qui essaie de poser
les balises du vivre-ensemble. Là, je
sais, il y a sûrement des avocats parmi vous qui ne seront pas contents, là,
mais, moi, la démocratie des juges, ce n'est pas tellement la mienne. Un
jour, à un moment donné, il faut en arriver à la démocratie du peuple qui
s'incarne en vous. Ça fait que, qu'on arrive à avoir des décisions politiques
qui vont déterminer, je veux dire, sur quelle patinoire on patine, dans quelle
société on vit, c'est quoi qui est dans l'ordre du bien vivre-ensemble, il me semble que ça appartient à l'Assemblée nationale,
et, de ce côté-là, moi, je salue le débat qui a été ouvert par le
ministre.
• (10 h 10) •
Je l'ai dit précédemment, là : Ce qui m'a
justifié grandement de venir me faire entendre, c'est les attaques, le fait,
là, que c'est un projet nationaliste, ethnocentrique, xénophobe, raciste. Tu
sais, je pense que le moindrement si on sort de sa bulle puis on va partout dans le
monde c'est le genre de discussion, c'est le genre de débat, sauf de là à
dire qu'on demande des employés de l'État de
renoncer, qu'on est en train de faire deux classes, puis trois classes de
citoyens, tu sais, il faudrait se calmer le
pompon, là. Quant à moi, on parle… Puis c'est là que je reviens à l'exigence
raisonnable, même si je devance mon propos. C'est qu'on demande à des employés,
pendant leurs heures de travail, de faire devoir de réserve et de ne pas
afficher leur appartenance religieuse. On est dans des débats d'éthique, là, de
ce temps-là, là, les commissions, puis on
parle de corruption, puis on dit que l'apparence, c'est aussi important que la
réalité, ça fait qu'il me semble, dans un contexte… quand on parle de
neutralité, bien à quelque part il faut y aller aussi avec l'apparence.
Donc, moi, tu sais, on est loin d'avoir demandé
à des gens de renoncer à leur foi, puis à leur culte, puis à leur religion. Les trois principes, je n'y reviens pas,
je pense que tout le
monde est d'accord,
autour de cette table, avec ce que j'ai
entendu précédemment. Je viens de mentionner, quant à moi, que les exigences
sont raisonnables. Et faire en sorte de penser que ça ne s'incarnerait pas dans les personnels mais que ça ne va
être seulement que les bâtisses qui vont être neutres, il
me semble que c'est un peu une vue de l'esprit, là. À quelque part, je veux
dire, si l'État est neutre, les artisans de l'État doivent incarner cette
neutralité. Il n'y a personne dans cette salle qui rentrerait dans un établissement
scolaire, qui retrouverait… Là, j'hésite,
là, je ne sais pas si je vais prendre les croix de Mme de Santis ou je vais
prendre le hidjab musulman ou le
kippa juif. Prenez le signe que vous voudrez, mais, si la moitié ou les trois
quarts du personnel étaient… portaient… je m'en allais dire «affublés», ça aurait été
manquer de respect, mais portaient un signe religieux visible, bien on aurait de la misère à faire croire à une
population que l'école est neutre. Ça fait que n'attendons pas d'être rendus
là, parce que ça ne sera pas plus
simple. Statuons-le déjà dans des centres de petite enfance, la situation, où
il y a une majorité de personnels qui sont plutôt à porter des signes
ostentatoires. Et là, là, aïe, on va-tu être obligés de fermer le centre de petite enfance? Bien, moi, je pense qu'il y a
comme une logique. Là, je rejoins le ministre. L'exigence est
raisonnable. Elle demande quelque chose, finalement de fermer le couvert
pendant tes heures de travail. Et tu ne peux même pas, comme fonctionnaire de l'État… tu as un devoir de réserve pour ce qui
est de faire de l'action politique en dehors de tes heures de travail. Pour ce qui est de la religion,
tu pourras continuer d'essayer de convertir après tes heures de travail.
J'ai dit que
c'était un projet de loi qui se posait au bon moment. Si, pour aller dans le
sens… non, je ne veux pas dire aller dans le sens de Mme Marois, mais,
si effectivement il y a des pas qui doivent se commettre…
Le Président (M. Ferland) :
M. Parent, il reste une minute pour conclure.
M. Parent
(Réjean) : O.K., j'achevais.
S'il y a des pas qui doivent se commettre, tu sais, on dit : Bien, ça
devrait-u s'appliquer à tout ou est-ce qu'il faut y aller sectoriel? Y a-tu
certains employés qui pourraient… exclus ou inclus? Moi, j'ai tendance, en tout cas, plutôt à dire tout le monde, à ne pas y
aller d'exceptions, mais, si on veut y aller d'exceptions, je dirais, ma règle générale, c'est ceux qui ne sont pas
en contact avec la population. Tu sais, je comprends, quelqu'un qui est
dans son bureau, enfermé tout seul avec son écran… Mais, encore là, moi, j'ai
tendance à dire : Réglons le problème
maintenant puis appliquons à l'ensemble. Mais ça, regardez, je vais suivre le
débat. Moi aussi, je vais ouvrir mes oreilles puis je vais entendre au
cours des prochaines semaines. Et moi, je n'attache pas ça à l'identité
québécoise, n'en déplaise au ministre. Je pense que les choix qui sont en train
de se faire, ça va colorer notre ADN québécois, mais c'est des choix qui ont
été faits ou qui peuvent être faits par d'autres sociétés que le Québec.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Merci, M. Parent. Maintenant, nous allons débuter les échanges en
commençant par le groupe parlementaire formant le gouvernement. Je reconnais M.
le ministre pour une période de 22 min 40 s.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci beaucoup, M. Parent. Ce n'est pas un rôle facile que vous
avez, premier intervenant dans cette
commission, avec toute l'attention médiatique que ça… Je vois que vous n'avez
pas perdu vos anciens réflexes.
M. Parent (Réjean) : Je pensais que
j'avais perdu ça un peu, effectivement.
M. Drainville : Non, non, je
vous assure. C'est encore… C'est bien correct.
Je peux-tu
vous demander d'abord… Vous avez fait référence au fait que vous avez fait une bonne
partie de votre carrière dans le
domaine de l'éducation. Pouvez-vous nous faire des liens entre ce que vous avez
connu dans le monde de l'enseignement
et la nécessité du projet de loi n° 60? Vous avez parlé notamment du
fait… du problème que ça pourrait poser ou que ça posera, le jour où une
majorité ou une forte proportion, par exemple, d'enseignants dans une école porteront tous le même signe religieux, vous
dites : Ça va poser le problème de la neutralité religieuse de cette
école-là, mais est-ce que vous pouvez élargir un petit peu et nous dire,
de par l'expérience que vous avez eue, vous, dans le domaine de l'enseignement,
pourquoi ce projet-là, il est nécessaire?
M. Parent (Réjean) : Étant bien sûr
de comprendre, d'abord je n'ai pas dit que l'école ne serait pas neutre au sens
légal…
M. Drainville : Dans la
perception.
M. Parent (Réjean) : …mais, pour le citoyen, dans la perception, ne serait pas perçue comme
étant neutre. Moi, je pense que… Puis là, si je le regarde d'un point de
vue scolaire, on parle d'enseignantes, d'enseignants, de d'autres personnels aussi, mais je
vais parler plus particulièrement des enseignantes, des enseignants. Ce sont
des personnes… puis différentes décisions des tribunaux sont venues
statuer sur le devoir d'exemplarité des enseignantes, des enseignants, sur leur rôle d'autorité. Donc, dans un contexte
comme celui-là, je veux dire, pourquoi le projet de loi… Puis là on vise spécifiquement les enseignants,
là, tu sais, je n'exclus pas les autres secteurs, en tout cas je ne veux pas
m'enfermer dans une logique où on aurait
seulement que le monde de l'éducation, mais, à cause de ce devoir
d'exemplarité, à cause de ce rôle
d'autorité, d'influence chez les jeunes, bien il m'apparaît important que la
personne enseignante, que les personnels en éducation qui sont en contact avec les élèves fassent montre de
neutralité, apparaissent neutres, même s'ils ont leurs croyances et...
Tu sais, tout le monde, y compris le juge à qui on voudrait interdire un signe
religieux, il aura ses croyances intérieures, mais on s'attend à une grande
neutralité et apparence de neutralité, et c'est dans ce sens-là, je pense, que le projet de loi vient répondre, je
veux dire, spécifiquement, si on le regarde par rapport au monde de
l'éducation, à la nécessité d'exemplarité, à la nécessité d'autorité, donc de
faire montre de la plus grande neutralité possible.
M. Drainville :
Pourquoi c'est important, cette apparence de neutralité, pour un élève, par
exemple? Qu'est-ce que ça...
M. Parent
(Réjean) : Ah! Bien là...
M. Drainville :
Tu sais, il y a certaines personnes qui doutent de la légitimité ou de la
nécessité de cette mesure-là, qui disent : Ce n'est pas important, ça, là,
là, que la...
M. Parent
(Réjean) : Bien, moi, si je fais de la prospection, M. le ministre,
là — puis
là vraiment, là, on fait un peu de
prospective — déjà
dans le contexte scolaire actuel, je veux dire, où on retrouve... Puis là on ne
parle pas juste des élèves, on va parler des parents : Je ne veux
pas que ce soit Unetelle qui enseigne à mon enfant ou que ça soit Untel. Puis
là on va ajouter... Puis je pourrais appliquer le même raisonnement en santé
éventuellement, pas nécessairement généralisé
à tous les patients demain matin mais graduellement, où... Pour l'élève, un, je
veux dire, commencer à se poser la question :
Le jugement que le prof pose par rapport à moi-même, c'est-u en fonction de mon
groupe d'appartenance par rapport à
son groupe d'appartenance?, de donner des faux-fuyants à des adolescents… Tu
sais, c'est à l'infini, là, votre question, je veux dire, en termes
d'anticiper ce que ça peut avoir comme conséquences ou incidences, que ce soit chez les élèves, que ce soit chez les parents :
Je ne veux pas qu'elle soit... bien, je ne veux pas que mon enfant soit
dans telle classe. J'en entends, des choses comme ça. J'en ai entendu, des
éléments comme ceux-là.
C'est
pour ça que, jusqu'à un certain point, dans un contexte d'un Québec qui a voulu
se laïciser, issu de la... Moi, je suis un enfant de la Révolution
tranquille, où on a vu graduellement nos institutions se laïciser sur le plan
de l'éducation. Bien, c'était dans un contexte aussi d'éviter de mélanger les
genres. Puis on a même... L'école n'est plus aujourd'hui, là, fournisseur du
service de préparation aux sacrements puis extension de l'Église, mais elle ne
doit pas être l'extension d'aucune Église,
l'école. Et ça, c'est important de façon à ce que l'enfant, si on parle des
enfants, là, parce que c'est effectivement sur ceux-là que vous posiez
votre question, bien il pourra, je veux dire, s'ouvrir à l'ensemble des
cultures et faire ses choix quand il aura l'âge de raison.
M. Drainville :
Vous avez parlé… À un moment donné dans votre mémoire, vous dites... enfin,
vous évoquez une des hypothèses qui a été soulevée par certains, de
dire : Bon, bien on devrait appliquer la neutralité, y compris en matière de signes religieux, seulement à certaines
fonctions, à certains agents, puis on ne devrait pas le faire pour
d'autres, et vous dites essentiellement : Si l'État est laïque, il doit
l'être complètement, là. Je vais retrouver votre citation exacte. Vous dites : «L'État est neutre ou il ne l'est
pas», hein? Et vous dites : «…je suis convaincu de la pertinence d'éviter
un traitement à deux vitesses qui compliquerait l'application ou la mise en
oeuvre du projet de loi.» Dans le fond, vous dites : Ça devrait
s'appliquer à tous les agents de l'État, la neutralité, y compris en matière
d'apparence.
Et
là vous dites aussi : «Si le gros bon sens peut trouver son application
chez les personnels — vous
vouliez dire sans doute chez les personnes — en autorité, je crois
qu'il peut en être de même pour tous les autres visés par la loi.» En d'autres
mots, vous évoquiez… dans votre mémoire, vous disiez : Bon, bien, certains
ont dit : Peut-être ça devrait s'appliquer seulement aux personnes qui ont
un pouvoir contraignant, les policiers, les juges, et tout le reste, et vous
répondez vous-même à la question que vous soulevez en disant : Bien, si le
gros bon sens peut fonctionner pour ce qui est des juges, des policiers, et
tout le reste, il devrait pouvoir fonctionner pour toutes les personnes en
autorité.
M. Parent
(Réjean) : Oui. Moi, je vous dis, ma position...
M. Drainville :
Qu'est-ce qui vous rend si confiant que ça peut se faire puis que le gros bon
sens peut prévaloir?
• (10 h 20) •
M. Parent
(Réjean) : Moi, je pense, des fois on peut voir des difficultés où il
n'y en a pas pour essayer de se justifier,
dire : On ne devrait pas appliquer ou on ne devrait pas adopter tel ou tel
projet de loi parce que ça va devenir inapplicable. Fort probablement
que c'est le genre de raisonnement qui vient souvent dans... qui précède
l'adoption de projets de loi.
Moi, je… Puis là je
remonte un peu avant votre question, je dirais. Pourquoi j'ai ouvert sur cet
aspect-là? D'abord, je commence par dire : Quelque part, moi,
je crois que ça devrait s'appliquer à l'ensemble, dans un... mais je ne
crois pas non plus que ça doit être le fait de l'unanimité, d'adopter ce projet
de loi là. Ça, différemment un peu… C'est M. Ouimet qui parlait de la
députée Mourani, qui dit que ça devrait être l'unanimité qui adopte un tel
projet de loi. Dans un contexte comme celui-là...
Une
voix : …
M. Parent
(Réjean) : Pardon?
M. Drainville :
M. Tanguay.
M. Parent
(Réjean) : Ah, excusez. Je suis en train de...
M. Drainville :
C'est le député de LaFontaine.
Le Président (M.
Ferland) : Par leur titre et non leur nom, s'il vous plaît.
M. Parent (Réjean) : O.K. Merci de me rappeler à l'ordre, M. le Président. Donc, le député de LaFontaine
référait à Mme Mourani, ancienne députée du Bloc, et… — là,
je suis en train de perdre mon fil — et qui parlait qu'un tel projet de loi devrait être adopté unanimement.
Moi, je pense que se condamner à l'unanimité, c'est se condamner à ne
plus bouger. Ça fait que donc il faut avoir un consensus significatif. Ça, je
suis plus proche de cette voie-là.
Et, quand j'ouvre
dans mon mémoire sur cette portion-là, dire : Bien là, s'il faut
éventuellement que le gouvernement ouvre à
une application sectorielle, bien il m'apparaît qu'il y a des secteurs qui sont
incontournables. J'ai parlé entre
autres du monde de l'éducation, j'ai parlé du monde de la santé, des affaires
sociales, donc, plus tout ce qui est la grande fonction publique qui est
en contact avec la population, on devrait appliquer ces principes-là.
Et là, quand je fais
référence... il semble y avoir un certain... en tout cas, tout au moins,
plusieurs partis, puis il y a comme un aval
de plusieurs à l'effet de dire : Bien, c'est normal pour les juges, c'est
normal pour les policiers. Bien, moi,
je me dis, si un policier est capable de comprendre le gros bon sens, je
présume qu'un enseignant doit avoir autant de bon sens qu'un policier
puis une éducatrice en service de garde. Ça, si ça peut trouver application
chez les policiers, chez les gardiens de
prison ou chez les juges, je pense que le reste de la société québécoise n'est
pas plus crétine, est en mesure de s'appliquer les mêmes règles. C'était
ça, le sens du mémoire, M. le ministre.
M. Drainville :
Vous avez fait référence à certains commentaires qui ont été faits. Je ne vais
pas les répéter parce que ça nous heurte
toujours un peu, hein, effectivement, de subir ces commentaires-là, parce qu'on
sait qu'ils ne nous ressemblent pas, on sait qu'on n'est pas ça. Et vous
dites, au terme de cette énumération que vous avez faite : «Ces attaques
révélaient un radicalisme dont on ne pouvait affubler le projet de
loi n° 60.»
Quelles
sont les conséquences, selon vous, de ces exagérations dans les critiques du projet
de loi? Puis là je ne parle pas de
conséquence politique, ça, on va régler ça entre nous, là, mais je parlais
plutôt des conséquences sur la population. Quand la population
québécoise entend ça, c'est quoi, les conséquences, à votre avis?
M. Parent
(Réjean) : Là, c'est vraiment un avis personnel puis c'est un peu,
bon, pour avoir participé à quelques émissions puis avoir eu des discussions
avec quelques citoyens à travers le travail que je peux faire dans les médias. La tendance : ça radicalise d'un côté
comme de l'autre. À mon avis, là, mais, regardez, là, tu sais, si on me
parle que je n'ai pas fait d'étude, là,
scientifique et empirique, je vais vous donner raison. Là, c'est plus un senti
ou une impression. Ce que je vois,
c'est une radicalisation, parce que s'accuser de grands mots fait en sorte que
des gens se radicalisent, tant pour que contre. Et, à mon avis, ce n'est
pas la bonne voie.
Moi,
je pense que… j'en reviens à... Je dis : C'est un débat légitime. C'est un
débat que l'Assemblée nationale peut poser, peut s'interroger. Il y a eu
des tentatives, il y a eu des essais, il y a eu une commission Bouchard-Taylor,
et, bon, on n'a pas encore trouvé la voie.
Ça va vous appartenir, de trouver la voie. Mais, quand on nous traite de
xénophobes, quand on nous traite d'ethnocentristes, quand on nous traite de
racistes… Puis là ce n'est pas le Parti québécois qui est traité comme tel, c'est la société québécoise. Et moi, je suis un
citoyen québécois, et ça m'écoeure, et ça… Bien, ce n'est peut-être pas
correct de dire ça de même dans l'enceinte, mais ça ne me heurte pas un
peu — je
ne veux pas contredire le ministre — ça me heurte beaucoup, parce que c'est des
débats qui, quant à moi, sont sains, puis on a le droit de se poser ces questions-là. Et, s'il y a de
quoi, on est dans une société ouverte. Puis je suis capable de dire la même
chose à des gens qui sont très procharte,
qui disent : Bien là, en Arabie saoudite, là, il n'y en a pas,
d'accommodement raisonnable pour les
chrétiens. Bien, moi, je ne suis pas partisan non plus de faire l'Arabie
saoudite à l'envers au Québec. Tu sais, je pense que c'est un... on cherche un projet de loi qui va être équilibré,
qui va être respectueux des personnes et qui va être respectueux aussi
de notre identité, identité au sens, là, qui n'est pas une identité qui est
juste propre aux Québécois, il y a des États qui ont choisi de se construire
sur une base religieuse. Même la... Je veux dire, on a une constitution canadienne qui repose sur une monarchie
constitutionnelle fondée sur le droit divin. Peut-être que des fois ça vient
nous heurter, quand on est Québécois puis on
est plus républicain, mais moi, je pense
que l'effet de nous accuser de tous les maux, d'abord, un, ça fait
perdre de la crédibilité à ceux qui essaient de nous faire accroire qu'on n'a
pas le droit de se poser ces questions-là, mais en plus ça radicalise certaines
personnes qui seraient de gros bon sens.
M. Drainville :
Vous parlez, dans votre mémoire, de l'endiguement de l'intégrisme, j'ai bien
noté votre commentaire à ce sujet-là. Je suis sûr que vous m'avez entendu, ces
derniers jours, dire qu'à mon avis le projet de loi n° 60 contribue
fortement à lutter contre l'intégrisme de trois façons. J'ai parlé de trois
façons, il y en aurait
d'autres aussi sur lesquelles je pourrais élaborer.
Je disais, d'une
part : D'abord, les intégristes souhaitent avoir un État religieux, ils
souhaitent qu'il y ait une religion d'État. Ils souhaitent, en fait, qu'il n'y
ait qu'une seule vérité au sein du pays ou de la société. Nous, on dit, par la neutralité religieuse de l'État, qu'il faut accepter,
justement, toutes les vérités. Il faut accepter que chaque citoyen
a le droit d'avoir ses croyances, qu'elles soient religieuses ou pas, d'ailleurs. Donc, première chose, premier point : la neutralité
religieuse de notre projet de loi contre la volonté des intégristes d'imposer
leur religion à l'État.
J'ai
dit aussi que les intégristes ont la fâcheuse tendance de demander des
accommodements déraisonnables pour obtenir des précédents, pour obtenir
des exceptions qu'ils vont vouloir par la suite transformer en normes sociales,
et, en mettant des balises comme on le fait
par le projet de loi, on limite, donc on freine ces demandes
d'accommodement déraisonnables.
Et,
par ailleurs, j'ai aussi dit que notre volonté d'affirmer et d'assurer donc l'égalité
entre les femmes et les hommes, c'est
aussi un moyen de lutter contre l'intégrisme, parce que ce n'est pas tous
les courants intégristes qui vont nécessairement aussi loin dans cette
volonté-là, mais très souvent on note que, dans les courants intégristes, il y
a une volonté de lutter ou de… de nier,
dis-je bien, l'égalité entre les femmes et les hommes, et le projet de charte
affirme que l'égalité entre les femmes et les hommes est une valeur
incontournable, non négociable au Québec.
Alors,
j'aimerais vous poser la question : Si vous trouvez que le projet de loi n° 60 ne va pas
suffisamment loin dans la lutte contre l'intégrisme, qu'est-ce qui
devrait être fait de plus, à votre avis, pour endiguer l'intégrisme?
M. Parent
(Réjean) : D'abord, en vous entendant, moi, je pense… Quand je
dis : Il y a un pas dans la bonne direction, je pense qu'il y a des éléments
qui effectivement affichent clairement une volonté de l'État d'être neutre. Puis c'est un choix de société, tu sais. Le
Québec, ce ne sera pas le Maroc. Tu sais, le Maroc, le chef d'État, c'est le
roi qui à la fois est le chef de l'Église, puis on mêle les deux genres, puis
le Québec, bien, on va distinguer l'Église de l'État. Donc, dans ce sens-là, oui, effectivement, si vous le regardez comme un
obstacle à l'intégrisme religieux ou à la constitution d'un État
québécois qui serait sur une base religieuse, oui, ça…
Mais,
quand je dis… Moi, je regarde actuellement… Puis là on est dans un contexte où
il y a effectivement une certaine
montée de l'intégrisme religieux ailleurs dans le monde. Plus particulièrement,
on parle de l'islam; moi, je vous dirais
qu'il y a des intégristes qui sont autres qu'islamistes. Mais, dans le projet
de loi actuel, puis c'est là que je disais que c'est très équilibré puis très… c'est plutôt mollo, l'exigence qui est
faite, c'est celle qui est faite au personnel de l'État pendant les heures de travail. Quand vous vous
retrouvez dans le projet de loi par rapport à l'égalité hommes-femmes,
là il y a moins de moyens de mis en oeuvre. Ça fait que comment ça va se
traduire, ça? Tout le débat autour, je veux dire,
de la soumission des femmes voilées par rapport à leurs hommes dans l'islam,
là, ce n'est pas un débat qui est abordé par le projet de loi, là, tu
sais. Même on est loin d'être à la française, là. L'étudiante, l'étudiant dans
une école ou le patient, il va vouloir se présenter avec ses signes religieux
visibles, ce n'est pas remis en question.
Mais
c'est là que, quand je dis «l'endiguement de l'intégrisme», cette espèce de
montée, le financement, là… Puis là je ne veux pas embarquer dans
l'histoire internationale, comment, finalement… l'Arabie saoudite qui à tort se
déploie sur la planète pour subventionner,
financer des mosquées. Puis je ne pense pas que le Québec soit rendu là,
quoique, si vous parlez à certains musulmans,
ils vont vous dire : Oui, c'est presque rendu là. Moi, j'ai une
belle-soeur syrienne. Pour elle, je
veux dire… elle est très procharte puis elle dit : Ne regardez pas ça
juste avec vos yeux de Québécois, regardez ça avec vos yeux du monde. Ça
fait que c'est dans ce sens-là que les mesures spécifiques, comment est-ce qu'on place l'égalité hommes-femmes,
comment ça va se traduire, comment on... tu sais, même malgré que... Pas
malgré, je dirais, heureusement que les employés de l'État devront
afficher cette neutralité, mais il n'en demeure pas moins que, dans la société
québécoise, il va rester des questions en suspens par rapport à cet intégrisme
religieux là.
• (10 h 30) •
M. Drainville : Vous parlez des employés. Est-ce que
vous trouvez... Moi, je trouve ça assez fascinant : dans ce débat-là, je n'ai entendu personne remettre en question
le principe de la neutralité politique des fonctionnaires. Personne, à ma connaissance, n'a remis en question le principe de la
neutralité politique des fonctionnaires qui inclut
l'interdiction d'afficher ouvertement ses convictions politiques, donc qui
inclut l'interdiction de porter des signes politiques. À ma connaissance, tout
le monde au Québec, en tout cas qui a pris part à ce débat-là, est d'accord… ou
en tout cas il n'y a personne qui a émis de désaccord.
Donc,
de façon générale, je pense que…
ça, je suis sûr de le dire, là, je pense que je peux le dire, il y a un
consensus très fort sur la neutralité politique des fonctionnaires, y compris
l'interdiction d'afficher leurs convictions politiques. Et pourtant, quand on
arrive puis on dit : La neutralité religieuse devrait inclure aussi,
logiquement, l'interdiction d'afficher tes convictions religieuses, ah, là, les
gens disent : Ah non, là, ce n'est pas pareil, ce n'est pas pareil. La neutralité politique, ça, c'est correct.
L'interdiction des signes politiques, ça, c'est correct. La neutralité
religieuse, on est peut-être d'accord
sur le principe, mais il ne faut surtout pas interdire le droit à quelqu'un
d'afficher ses convictions religieuses.
Comment vous
expliquez, vous, cette espèce de contradiction?
M. Parent
(Réjean) : Bien, moi, bon, je pense que la politique est peut-être
affaire plus d'humains, alors que la religion est affaire de Dieu. Et la
tendance, je veux dire, à avoir des droits, là... On présente ça comme un droit
fondamental. Moi, bon, je n'ai pas la
prétention d'être un juriste. Je suis un citoyen, je l'ai dit tantôt. Dans mon
livre à moi, ce n'est pas un droit
fondamental que de pouvoir porter un signe religieux pendant ses heures de
travail. C'est un droit fondamental, par exemple, de pouvoir avoir sa
liberté de culte, de pouvoir pratiquer, d'avoir la foi qu'on veut, de pratiquer
sa religion selon les préceptes. Mais, encore là, sur les signes, tout ça,
c'est plutôt dans le vague que vague, ce qui
détermine la nécessité ou l'obligation. En tout cas, le Coran ne fait pas
obligation de porter tous ces signes-là. C'est plutôt un comportement
qui s'est développé dans le XXe siècle avec un caractère hégémonique, ce
qu'on appelait islam puissance.
Ça fait que donc... Mais pourquoi, là — parce
que je suis en train encore de m'éloigner — pourquoi la contradiction? C'est que souvent on a tendance…
ah, c'est religieux, aïe, ça, c'est fondamental, ça, c'est religieux,
alors que les droits
politiques, ce n'est pas nécessairement perçu avec la même fondamentalité, là,
tu sais : Regarde, tu es capable de te retenir de parler de
politique ou de ne pas t'afficher politiquement.
En même temps, vous me posez la question, là.
Regardez, posez la question à ceux qui n'y voient pas de contradiction. Moi, je n'ai pas de misère à ne pas
porter de signe religieux puis je n'ai pas de misère à ne pas afficher
mes allégeances politiques.
M.
Drainville : Parce
que, je vais vous dire, je trouve ça fascinant, parce que la liberté d'afficher
ses convictions politiques, c'est un droit qui relève de la liberté
d'expression, le droit d'afficher sa religion ou ses convictions religieuses
procède de la liberté de religion, et donc ceux qui sont contre... ceux qui
sont pour la neutralité politique, y compris
en matière de signes politiques, mais qui sont contre l'interdiction sur les
signes religieux qui découle, donc, de notre
conception de la neutralité religieuse, c'est comme si, dans le fond, ils
disaient : La liberté d'expression est moins importante que la
liberté de religion…
M. Parent (Réjean) : Ça peut...
M. Drainville : …parce qu'ils
disent : C'est correct de ne pas permettre à quelqu'un d'exprimer ses
opinions politiques sur les heures de
travail, mais ce n'est pas correct de lui interdire d'exprimer ses convictions
religieuses sur les heures de travail.
Alors, c'est
comme s'ils disaient : La liberté d'expression en matière politique est
moins importante que la liberté de religion.
Moi, je ne suis pas d'accord avec ça, moi, je pense que la liberté d'expression
est tout aussi importante que la liberté
de religion. Et donc, si la liberté d'expression peut s'accommoder d'une
neutralité politique pour les fonctionnaires, je vois très, très mal
pourquoi la neutralité religieuse ne pourrait pas s'accommoder d'une
interdiction d'afficher ses convictions religieuses pendant les heures de
travail quand tu es un agent du service public, du service public.
M. Parent
(Réjean) : Moi, je n'ai aucun problème avec ça, M. le ministre. C'est pour ça que, quand vous me posez la question, là… Moi, la liberté d'expression, je le sais
comme salarié de l'État parce que j'ai été salarié de l'État longuement dans ma vie, il y avait un encadrement à cette
liberté d'expression. Tu sais, on a mis beaucoup l'accent, avec les chartes, sur les droits pour perdre de
vue les obligations. Moi, je
pense qu'il faut trouver le juste équilibre entre les droits et les obligations,
et c'est pour ça que je qualifie vos exigences de raisonnables. Parce qu'on
parle souvent d'accommodements raisonnables; là, c'est les exigences qui sont
posées. Mais c'est au même titre vrai, je veux dire, par rapport à… dans l'exercice
de son travail, quand on confine notre expression. Je veux dire, il y a un certain devoir de réserve, il
y a une certaine éthique. C'est vrai
dans l'exercice de ses droits religieux, puis ça va être vrai dans l'ensemble
de nos droits.
Le Président (M. Ferland) :
M. Parent, c'est terminé pour ce bloc, la partie du gouvernement. Maintenant,
je reconnais le porte-parole de l'opposition officielle, le député de LaFontaine,
pour un temps de 18 minutes et des poussières, là.
M. Tanguay : Parfait. Merci
beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Parent. Bienvenue ce matin
en commission parlementaire. Merci d'avoir pris le temps de réfléchir sur la question,
d'avoir rédigé votre mémoire et de nous le présenter aujourd'hui.
J'aimerais
donc prendre la balle au bond et vous demander, là, de façon... selon votre
perception… Puis, je pense, c'est
important de bien établir, pour les gens qui nous écoutent à la maison, les
fondements, les postulats à partir desquels vous bâtissez votre
raisonnement et votre présentation — puis on vous en remercie.
Ma première question, j'aimerais savoir,
M. Parent… Vous vous souvenez, là, tout à l'heure j'ai cité, là, l'abbé Gravel qui disait : «Moi, je porte ma
croix et je n'impose pas ma religion à personne.» Est-ce que, selon vous,
il est concevable… Et je prendrai l'exemple
de porter la kippa pour un Juif. Est-ce que, selon vous, il est concevable
qu'une conviction religieuse puisse également inclure la conviction de porter
un signe et l'importance de porter un signe? Et prenons l'exemple du Juif avec la kippa. Est-ce que, selon vous, c'est
concevable comme postulat qu'effectivement, oui, dans sa conviction religieuse, sa religion, porter la kippa, c'est
important, et il doit le faire? Est-ce que vous reconnaissez ça?
M. Parent (Réjean) : Moi, pour la
personne pratiquante, qu'elle considère que c'est important, je peux
reconnaître qu'elle, elle trouve que c'est important pour elle. Si vous me
demandez autrement la question : Est-ce que
vous considérez que c'est un droit, pour la personne, qu'elle puisse porter sa
kippa, ou son hidjab, ou son turban, ou sa croix pendant ses heures de
travail?, moi, je dis non. Mais là, regarde, je comprends qu'elle y tienne beaucoup,
à son signe, mais je ne le transforme pas en
droit. Pour moi, ce n'est pas un droit fondamental. Ce n'est pas d'observance stricte, ce n'est pas… Ça peut être important
pour… Il y a bien des choses qui sont importantes
pour moi, il y a bien des choses sur lesquelles j'ai dû plier dans ma vie de travailleur. J'aurais voulu faire autrement, mais je vivais à l'intérieur d'un régime avec des normes.
J'avais des droits, mais j'avais des obligations. Et, si je n'avais pas été à l'aise avec ces
droits-là… Moi, je suis un pacifique; je ne suis pas allé travailler
dans une usine de chars d'assaut. Ça fait que, tu sais, c'est sûr aussi qu'il faut que tu trouves une certaine… une
conformité de tes valeurs avec les valeurs de l'entreprise. Bien, moi, à
votre question : Est-ce que c'est
important pour elle?, je peux vous dire : Oui, fort probablement que, pour
elle, c'est important. Mais maintenant, pour moi, est-ce que ça
constitue un droit fondamental au point que le législateur ne pourrait pas
légiférer?
M.
Tanguay : Est-ce que… Et juste pour bien comprendre votre
réponse, donc, pour vous, l'importance, oui, de la liberté de religion
n'inclut pas, dans les cas que l'on nomme, là, le port de signes religieux. Je
prenais l'exemple d'un Juif avec la kippa. Pour vous, la liberté de religion
n'inclut pas — puis
c'est important de le comprendre dès maintenant — l'obligation pour un croyant de porter un
tel signe religieux. Pour vous, il faut les dissocier, les deux, là.
M. Parent (Réjean) : Répétez votre
question pour être sûr.
M. Tanguay : Aussi
fondamentale que soit la reconnaissance de la liberté de religion, selon vous,
ça n'inclut pas l'obligation de porter un signe?
• (10 h 40) •
M. Parent (Réjean) : Bien, moi, je ne pense pas que ça inclut
l'obligation de porter un signe dans les heures de travail, là. Tu sais, ça va jusque-là, là.
Regardez, la liberté de religion, c'est de pouvoir choisir sa religion, c'est
de pouvoir la pratiquer selon les
préceptes de la religion. Qu'on veuille l'afficher, moi, je… puis qu'on veuille
faire du prosélytisme, je suis capable de reconnaître qu'un chrétien
veuille en convertir d'autres, comme un islamiste, ou tout ça, mais je ramène toujours ça dans le cadre du projet qui
nous est soumis, l'exigence qui est posée est à travers les heures de
travail. Peut-être que ça aurait été plus
compliqué dans un contexte… j'aurais plus de réserves si vous me disiez :
Aïe, c'est-u normal, je veux dire, il
a fini son travail puis encore là, tu sais, sa croix, il faut qu'il la laisse
rangée ou… Ce n'est pas ça qui est
dans le projet de loi. Ça fait que
c'est pour ça que, je pense, j'en suis… Je suis capable de comprendre les
émotions du monde, mais, leurs émotions, est-ce que ça doit gouverner le Québec?
Ça, c'est une autre paire de manches.
M. Tanguay : Est-ce
que, M. Parent, vous mettez... Parce que,
vous savez, à partir du moment où on est citoyen québécois, qu'on a
18 ans, on peut voter aux élections, puis dans notre vie on vote des fois…
à part celles et ceux qui sont militants,
mais même là, comme militants, il y
en a qui ont changé de parti. Alors,
dans la vie typique, évidemment, il y
a la partisanerie, on peut voter
libéral, on peut voter Parti
québécois, il y a des
gens qui vont... Est-ce que vous mettriez la partisanerie au même pied
qu'une conviction, sur le même piédestal qu'une conviction religieuse? Est-ce
que l'importance de la partisanerie est égale à une conviction religieuse,
selon votre conception?
M. Parent
(Réjean) : Même si on peut
changer de religion aussi dans la vie, hein? On parle de partisanerie parce
qu'on peut changer de parti, mais y compris... on a vu des chrétiens se
convertir à d'autres religions comme d'autres religions se convertir à la
chrétienté, donc...
Mais est-ce que
je mets ça sur le... Personnellement… Bien, c'est parce que,
là, vous parlez de partisanerie politique versus la religion. Non.
Sûrement que, là, il y a un piège que je ne vois pas encore, mais je vais le
voir au fur et à mesure, là.
M. Tanguay : Non, non, mais
je... Non, non, il n'y a pas de piège, là. On jase, là, M. Parent, on
jase. Il n'y a pas de piège.
M. Parent (Réjean) : Ah! Bien,
regardez, si on jase pour jaser...
M. Tanguay : Donc, vous
dites, vous ne mettez pas ça sur le même pied. La partisanerie politique et une
conviction religieuse — c'est
important, là — vous
dites non.
Pourquoi vous dites non pour la… ce n'est pas
sur la même importance dans les deux cas?
M. Parent
(Réjean) : Bien, moi, je
pense que... Regardez, moi, je ne
suis pas un religieux, là, je suis athée, mais je pense qu'une personne
qui a fait son choix spirituel à travers l'observance d'une religion ou d'une
autre ça doit être quelque chose d'assez majeur ou important pour elle. Je
présume que tu changes moins facilement de religion que tu changes de parti
politique. Ça fait que... Mais là...
M. Tanguay : Et, dans le
fond, vous faites écho au vieil adage : La politique, ce n'est pas une
religion. Je me rappelle, moi, je me suis fait... j'ai déjà entendu ça souvent,
hein : La politique, ce n'est pas une religion. Et je pense que vous
faites écho à ce vieil...
M. Parent (Réjean) : Mon grand-père
puis le curé de la paroisse, en Gaspésie, eux autres en avaient fait une
religion puis...
M. Tanguay :
Ils en avaient fait une religion, puis certains diront que d'autres aujourd'hui
en font une religion.
M. Parent
(Réjean) : L'enfer était
rouge, puis le ciel était bleu, là. Mais, rendu à notre âge, c'est moins vrai,
là.
M. Tanguay :
O.K. Alors, juste pour conclure sur cet aspect-là, évidemment, on se rend
compte que, lorsqu'on veut limiter la
partisanerie, l'expression... On vient de conclure que la politique, ce n'est
pas une religion. Lorsque l'on veut
limiter l'expression d'une partisanerie, ce n'est pas sur le même piédestal que
lorsque l'on veut interdire un signe religieux
qui participe d'un sens que l'on donne à sa vie. On ne donne pas un sens à sa
vie en étant libéral, ou péquiste, ou caquiste, on donne un sens à sa
vie par la religion. Et certains auront la conviction qu'ils doivent porter un
signe, pas toutes les
religions mais certaines religions, et certaines personnes même dans toutes les
religions auront l'occasion de dire : Bien, moi, je dois porter ce
signe-là. Alors, je pense que c'est important de faire cette distinction-là.
M. Parent, vous avez eu l'occasion de lire
les commentaires des anciens premiers ministres, Jacques Parizeau qui disait précisément, sur l'interdiction de
porter des signes religieux, qu'elle devait davantage préciser les balises,
ce sur quoi, vous l'avez bien dit dans votre mémoire… ce sur quoi tout le monde
s'entend, préciser les balises quant aux accommodements. Et il concluait :
Au fond des choses, pourquoi diable est-ce qu'on veut légiférer là-dessus? Fin
de la citation. Ça, c'était Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et…
Que
pensez-vous de ces sorties qui ne sont pas anodines d'anciens premiers ministres du Parti québécois qui sont contre cette proposition
d'interdire les signes religieux chez un grand groupe de Québécoises et
Québécois?
M. Parent (Réjean) : Si vous me
permettez, avant de tomber dans cette question-là, je vais revenir un peu sur
la partisanerie et la religion.
M. Tanguay : Oui.
M. Parent (Réjean) : Si je suis
votre raisonnement puis que c'est encore plus fondamental, la religion, ça doit être vrai pour toutes les communautés. Et, dans
un contexte comme celui-là, ça doit être encore plus vrai qu'il faut interdire les signes religieux visibles pendant
les heures de travail pour refléter l'État laïque ou l'État neutre, parce
que c'est encore plus sensible.
Mais, ceci dit, regardez, vous allez avoir
250 autres heures pour pouvoir échanger sur la question. Moi, je respecte les propos des ex-premiers ministres
comme je respecte votre propos, comme je respecte les propos du ministre
Drainville. Je suis en désaccord. Moi, je
pense que les options, les choix qui ont été faits par M. Parizeau,
M. Bouchard... Bon, M. Landry, je
ne sais pas exactement, parce que, dépendant de la journée que tu lui parles,
il a comme tendance à dire : Peut-être j'ai parlé trop vite ou... Mais,
bon, mettons que M. Bouchard, M. Duceppe, à qui j'ai parlé parce que
lui aussi a fait une déclaration, puis vous ne l'avez pas mentionné, et…
M. Tanguay : Il y en a plusieurs,
hein?
M. Parent (Réjean) : Bien, il y en a
plusieurs, bien oui, puis c'est…
M. Tanguay : Pourquoi il y en
a plusieurs comme ça?
M. Parent
(Réjean) : Mais c'est tant
mieux, c'est tant mieux. Non, mais ça donne d'abord, un, un grand
signe, je veux dire, que, même si on peut avoir une même partisanerie politique,
on peut avoir des opinions différentes sur des sujets. Ça fait que ça…
M. Tanguay : …pas une
religion.
M. Parent (Réjean) : Hein?
M. Tanguay : Ce qui n'est pas
une religion.
M. Parent
(Réjean) : Bien, oui, oui.
Puis ça, j'espère que ça s'applique dans tous les partis du Québec,
hein?
M. Tanguay : Tout à fait. La
réflexion, exactement.
M. Parent (Réjean) : Vous avez bien
compris, bon, vous avez bien compris. Moi…
M. Tanguay : Des fois, on voit une fausse
unanimité, hein, c'est important de réfléchir. Mais je vous… Excusez-moi,
je vous ai coupé.
M. Parent
(Réjean) : Il n'y a pas de
problème, M. le député de LaFontaine. Mais, où je voulais en arriver,
moi, je pense… Puis là, regardez, pour ne
pas… comme je n'ai pas parlé avec M. Parizeau puis avec M. Bouchard,
là, je vais me garder une petite
réserve. Moi, je pense qu'ils sont profondément en accord avec la vision
gouvernementale. Cependant, je pense qu'ils trouvent que ça va trop
vite. Et moi, je suis plutôt du genre à penser qu'ils ne vont pas assez vite.
Ça fait que
vous voyez que, dans une société, il peut y avoir différentes façons de
constater et de regarder. Moi, je serais allé plus loin que le projet
que le ministre a mis de l'avant, mais je suis capable de respecter son projet.
Fort probablement… Puis ce que j'ai essayé
de décortiquer, là, c'est vraiment, là… et là vous avez raison de le dire,
c'est une impression. Moi, mon
impression, c'est que, pour eux autres, là — un peu ce que vous mettez de l'avant — commençons
par planter les clous qui sont facilement
plantables, puis on verra plus tard. Moi, j'ai tendance à dire :
Occupons-en-nous maintenant parce que ça va devenir encore plus complexe
plus tard.
M. Tanguay :
Dernière question, M. Parent, en ce qui me concerne, parce que je veux
céder, M. le Président, la parole à mes collègues qui auront des
questions. Selon vous, est-il tout à fait possible… Et, je pense, vous, comme ancien président, là, d'un syndicat, il faut déjà le
reconnaître, que des personnes vont perdre leur emploi à cause de cette
interdiction-là. Est-ce que vous, vous n'êtes pas de ceux qui se mettraient la
tête dans le sable en diminuant ça? Reconnaissez-vous effectivement le risque
qu'il y a des gens qui vont perdre leur emploi avec ça?
M. Parent
(Réjean) : D'abord, un, je
présume que la présidente qui m'a succédé à la Centrale des syndicats du
Québec un jour viendra témoigner devant cette commission puis pourra répondre
de façon spécifique. Je pense qu'ils ont annoncé… ils ont affiché leurs
couleurs.
Mais, si vous
demandez au citoyen Parent, moi, ce que je vais vous dire, c'est que, dans le
monde du travail, comme salariés, on est soumis à différentes normes, à
différentes obligations. On a des droits contractuels, mais on a aussi des obligations, et on peut être licenciable,
congédiable pour différentes raisons. Et, dans un… Moi, j'ai compris que
ça pouvait être une raison invoquée. Mais,
tu sais, la contrepartie, c'est que, si je ne suis pas d'accord avec une norme
ou avec une loi, je fais comme je veux.
Bien, je suis convaincu que vous-même, vous ne seriez pas d'accord pour
dire : Bien, on va semer
l'anarchie un peu partout, hein? Pour avoir déjà discuté avec l'ex-chef ou le
premier ministre, le prédécesseur de l'actuel ministre, dans le conflit
étudiant il avait hâte de sortir de l'anarchie.
Moi, je pense
que, dans une société, c'est normal qu'à un moment donné il s'édicte des normes
puis qu'on apprenne à vivre avec. Tu sais, moi, je suis conscient, là,
que, si quelqu'un se présente une demi-heure en retard au travail tous les
matins, il risque d'être congédié.
M. Tanguay : …M. le
Président, je vais laisser la parole à mes collègues.
Le Président (M. Ferland) :
Je reconnais la députée de… Bourassa-Sauvé, je crois.
Mme de Santis :
Merci beaucoup, M. le Président. Combien de minutes il me…
Le Président (M. Ferland) :
Il reste environ six minutes.
Mme de Santis :
O.K., très courte, une question. D'après le projet de loi, on parle de signes
religieux ostentatoires, et on dit
aussi qu'on va laisser au gouvernement de déterminer c'est quoi, un signe
ostentatoire. Dans votre mémoire…
M. Parent (Réjean) : Votre croix était
passablement ostentatoire.
Mme de Santis :
Exact. Dans votre mémoire, vous avez remarqué que nous ne retrouvons aucune
référence spécifique à une religion à
l'intérieur de ce projet de loi. Comme vous avez dit, je suis rentrée dans
l'Assemblée nationale avec une croix ostentatoire, mais le jour avant je
suis rentrée avec une croix qui n'était pas ostentatoire. En tant que
chrétienne, je peux porter une petite croix et je peux porter une croix que
tout le monde va remarquer. Si je suis un homme
juif, je porte une kippa, la kippa peut être ostentatoire si mes cheveux sont
blancs et la kippa est noire, mais… Si mes cheveux sont blancs et la
kippa est noire, c'est ostentatoire.
Comment on
porte un voile qui n'est pas ostentatoire? Comment on porte un turban qui n'est
pas ostentatoire? Est-ce qu'il n'y a pas là une certaine discrimination?
Quand j'ai
porté la croix ostentatoire, ce que je voulais indiquer, c'est que moi, j'ai le
choix de porter quelque chose qui est beaucoup moins visible, mais, si
j'étais d'une autre appartenance religieuse, ça serait très visible. Quelle est
votre opinion là-dessus?
• (10 h 50) •
M. Parent
(Réjean) : Bien, c'est sûr que je pourrais porter un
scapulaire sous ma chemise puis j'aurais mon signe religieux non
visible. Je pense, quand on parle de, justement, ostentatoire… Moi, j'ai
préféré utiliser l'expression «visible».
Moi, je fais plutôt confiance au bon jugement de l'homme de la rue. Tu sais, dans le fond, le principe en arrière de ça, c'est faire preuve de neutralité,
incarner la neutralité. Bien, effectivement, dans un contexte comme celui-là, à
savoir, là, il va-tu falloir mesurer la
hauteur de la croix ou du scapulaire, ou, le foulard, c'est-u un foulard
islamiste ou c'est un foulard de dame coquette, tu sais… Mais à quelque
part il me semble que la règle, c'est : Tu n'affiches pas tes
appartenances religieuses.
Ça fait que
c'est sûr qu'il y a des gens qui pourraient peut-être essayer de
contourner. Moi, je ne vois pas ça comme discriminant, je vois ça tout
simplement, regarde, pendant les heures de travail, faire preuve d'abstention
d'affichage, devoir de réserve. Bon, je
comprends que la politique n'est pas une religion, mais essaie de faire
comme avec la politique. Puis, dans ce sens-là, moi, je ne suis pas tant
dans l'ostentatoire puis… je suis plus : Est-ce que vous avez apparence de
neutralité? Là, aujourd'hui, il me semble… Mais peut-être que je me trompe totalement,
parce que je ne vous vois pas d'assez près.
Mme de Santis :
Merci. Je laisse la parole à mon collègue.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je reconnais le député de Lotbinière-Frontenac. M. le député.
M.
Lessard : Merci beaucoup. Merci, M. Parent. J'ai peu de temps, donc je vais poser la
question directement. Dans votre
mémoire, vous ne prévoyez pas de problème de… peut-être vous prévoyez même peut-être
que la concrétisation peut être
laborieuse, donc l'application. Dessus les principes, on s'entend, là, la
neutralité de l'État, l'égalité hommes-femmes, à visage
découvert, etc. Je regarde, les deux unions municipales actuellement,
aujourd'hui, au Québec, sont incapables de
se faire une idée sur le projet de
loi, sur son application. Je m'en vais payer mes taxes.
Vous dites «la neutralité». Je
m'en vais payer mes taxes, j'arrive au
service au comptoir, la personne a une croix. Écoute, ça coûte
1 195 $. Ça coûte 1 195 $.
Que la personne ait une kippa, un foulard, etc., une petite croix, vous, vous
trouvez que ça influence le 1 195 $, dans votre application,
parce que vous dites : La perception, c'est ça?
M. Parent
(Réjean) : Vous êtes ancien maire. Vous devez savoir où ça a été
influencé, la taxe, là.
M.
Lessard : Oui. Je fais affaire avec la… Je vous donne une
série d'exemples parce que… Le citoyen ordinaire s'en va à l'école. Ça veut dire que le concierge… Le concierge, lui,
peut-il porter sa croix? Le service de bibliothèque, service de
technicien, bon, il n'est pas en relation d'influence. Parce qu'on traite de la
question de qui qui est en autorité. Là,
vous parlez souvent des enseignants, mais, le service de technicien en
laboratoire, je ne le sais pas, tout le personnel qui gravite alentour.
Parce
que, là, le ministre l'étend à tout le monde. Exemple : la Société
d'habitation, qui donne du logement social, on vient de convertir une
église à Thetford Mines, une ancienne église. Il y avait une croix après le
bâtiment, ils ont dit : On l'arrache-tu ou pas? Le curé est venu bénir.
Ils ont reçu une subvention. Alors, tout le monde qui sont à la Société d'habitation,
qu'ils soient en relation ou pas avec le citoyen, la journée qu'ils le
deviennent, en relation…
Alors,
comment le citoyen va finir par comprendre notre affaire? Parce qu'il y a un
débat entre eux autres : Qui qui va
le porter, qui qui ne va pas le porter? Sincèrement, est-ce qu'il y a un
problème d'application, sincèrement, dans ce que le ministre présente
actuellement?
M. Parent (Réjean) : Bien, moi, je pense que ça risque d'en créer un la journée où on veut
faire des exclusions, bon, où on établit une règle générale, c'est tout
le monde avec des exclusions, ou on établit spécifiquement telle ou telle
personne, mais qu'on créé deux régimes, et là ça va être : Pourquoi Untel,
pourquoi pas Untel? Moi, j'ai plutôt tendance à dire tout le monde, puis à un
moment donné ça va faire partie des moeurs puis de la société québécoise.
Mais maintenant, là,
quand vous dites, monsieur… — je m'en allais dire «M. Lessard» — M. le
député de Lotbinière : Est-ce que ça n'aurait pas une incidence?, fort probablement
qu'il peut y avoir des citoyens qui, parce que vous portez…
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. Parent. C'est le temps
qui nous était imparti pour le parti de l'opposition officielle.
M. Parent
(Réjean) : Ah! Bien, ça aurait été un plaisir de vous répondre. À la
prochaine.
Le
Président (M. Ferland) : Maintenant, je reconnais la
porte-parole du deuxième groupe d'opposition officielle, la députée de
Montarville, pour un temps de 4 min 30 s à peu près.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Parent. Merci pour votre
mémoire.
D'abord,
d'entrée de jeu, j'aimerais préciser quelque chose pour les téléspectateurs qui
nous écoutent. J'aimerais spécifier
que le deuxième groupe d'opposition, la CAQ, on veut interdire le port de
signes religieux chez les enseignants du primaire et du secondaire de même que chez les directions d'école. Et je
vous dis ça parce que vous avez passé votre vie en éducation, vous
connaissez ce domaine-là. Et vous êtes aussi un négociateur, un syndicaliste,
un négociateur, et c'est à cet égard-là que
j'aimerais vous entendre, parce que vous conviendrez avec moi que, lorsqu'on
négocie pour arriver à une entente, si on veut vraiment une entente, il
faut faire des compromis en quelque part.
À
la lumière de ce que vous savez jusqu'à présent des débats, de tout ce qu'on a
entendu, lu, les propos du ministre, selon
vous, est-ce que le ministre, le gouvernement est prêt à faire des compromis et
veut faire des compromis pour avoir une entente? Puis là je parle au
négociateur, là, qui sait comment ça fonctionne.
M. Parent (Réjean) : Bien, moi, si j'étais le ministre négociateur, je me serais comporté
comme il se comporte jusqu'à présent : faire preuve de fermeté au
point de départ mais me garder des cartes pour éventuellement, la nuit des longs couteaux, faire les affaires qui
pourraient rejoindre, je dirais, à la fois sa base puis rejoindre la base de
vos partis, là. C'est vous qui me posez la question.
Donc,
moi, je pense qu'un négociateur n'est pas obligé de mettre toutes ses cartes
sur la table au point de départ. Comme on dit dans notre jargon, il
n'est pas obligé de se déshabiller tout de suite. Et, moi, c'est ce que je
comprends actuellement, c'est qu'il ne se
déshabille pas, il place les éléments qui sont importants, et, si j'étais le
chef négociateur dans ce dossier-là,
j'aurais adopté passablement cette attitude-là, là, de bien... comme vous le
faites vous-même pour aller à nos endroits, parce que la même question
va se poser. Si j'étais à votre place, je ferais un peu comme vous faites,
c'est de la saine négociation. Mais
éventuellement vous allez entendre plusieurs heures d'audience, puis
éventuellement il y a des bonnes idées qui vont sortir à gauche et à
droite puis vous allez essayer de trouver le chemin commun. Je vous le souhaite, je nous le souhaite comme société
québécoise parce que c'est un dossier qui, de toute façon, s'il ne trouve
pas aboutissement maintenant, il va être dans l'air. Chez nous, dans le
Bas-du-Fleuve, on dirait : C'est comme un feu de tourbière. Ce n'est pas parce qu'on ne le voit pas qu'il n'est pas en
train de ravager, ça fait qu'on est mieux de s'en occuper.
Mme Roy
(Montarville) :
Cela dit, vous avez dit quelque chose d'autre avec lequel je suis d'accord.
Vous avez dit : Quant à moi, un signe ostensible, ostentatoire, je
n'aurais pas dit ça, je les aurais interdits. Je suis d'accord avec vous, c'est notre position. D'ailleurs, nous, ce que
nous disons, c'est : Nous devons interdire le port de signes religieux, point. Parce que, dans le
pratico-pratique, dans le monde de l'éducation, comment allez-vous voir
l'application, la vérification des signes
religieux ostentatoires? Comment ça va se faire, dans les faits, d'aller
vérifier si la croix que porte l'enseignante, elle est légale ou elle
est illégale? Est-elle trop grande? Est-elle trop petite? Comment vous allez
voir l'application de ça?
M. Parent
(Réjean) : Moi, je pense que
vous répétez ce que je mentionnais à Mme de Santis. À un moment donné, là, regarde, la règle étant la règle, un coup
qu'elle est établie clairement, bien, vit avec la règle. Puis moi, je pense
que c'est plus facile de dire :
Regarde, fais montre de discrétion, porte-z-en pas. C'est pendant les heures de
travail. C'est pour ça que moi, je
reviens souvent, là, à exigence raisonnable. Est-ce démesuré? On n'a pas
demandé à personne de renoncer à sa foi puis on ne leur demande pas de
ne pas en parler en dehors des heures de travail, ils peuvent même continuer,
je veux dire, de tenter de convertir ou de
faire du prosélytisme en dehors des heures de travail, mais, à l'intérieur des
heures de travail, regarde, exerce un devoir de réserve.
Mme Roy
(Montarville) : Donc, si on revient à l'application de la
loi, savoir ce qui est ostentatoire ou non, pour vous, ce n'est pas
suffisamment clair, il faudrait être plus clair pour que ce soit applicable à
cet égard-là.
M. Parent
(Réjean) : Moi, je pense...
Regardez, pour vous avoir vu dans vos démonstrations avec votre règle,
là, moi, je pense que vous avez bien raison, je vais vous rejoindre sur ce
point-là, là. Tu sais, soyons clairs, c'est pas de signe, puis merci, bonsoir, ou… pas de signe ou, comme je le disais
tantôt, si tu as un scapulaire sous la chemise, s'il n'est pas apparent…
Moi, c'est pour ça que j'ai utilisé le mot «visible».
Mme Roy
(Montarville) :
À l'intérieur de la chemise, on ne le voit pas.
M. Parent (Réjean) : C'est ça. Bien
là...
Mme Roy
(Montarville) : Bien, M. Parent, j'ai même dit à
M. Drainville dans certaines entrevues, je ne sais pas s'il les a
entendues, mais : Vous vous compliquez la vie, M. le ministre.
Simplifiez-vous la tâche en interdisant le port de signes religieux, point.
Cela dit, il me reste à peine quelques secondes,
je pense.
Le Président (M. Ferland) :
C'est tout le temps qui était imparti, Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. Parent.
Le Président (M. Ferland) :
Maintenant, je reconnais le député de Blainville pour un temps de 4 min 30 s
environ. M. le député.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Parent. Merci pour le dépôt de votre
mémoire. Je veux revenir sur un paragraphe dans lequel vous nous dites
qu'on semble esquiver certains points. Et je ne voudrais surtout pas qu'on les
esquive ce matin, vous êtes là avec nous.
Alors, vous nous parlez évidemment…
Parce que, souvent, ce qui heurte les citoyennes, les citoyens, peu
importe la religion, c'est lorsqu'on s'en
prend peut-être un peu plus personnel à leurs propres convictions ou que
l'application de la loi va les toucher de façon un petit peu plus
personnelle. Et c'est là que l'émotivité, je vais dire, entre en compte et
qu'on sent des réactions, d'où...
M. Parent (Réjean) : Surtout quand
c'est religieux.
• (11 heures) •
M. Ratthé : Oui, surtout
quand c'est religieux, d'où souvent la tendance à vouloir faire des exceptions.
Vous nous dites carrément : On a esquivé
certains… «…à cause de contraintes réglementaires ou politiques à court terme, n'aborde pas ou esquive certaines
questions épineuses…» Bon, vous
parlez du crucifix dans l'enceinte
de l'Assemblée nationale, le port de signes religieux ostentatoires par les
élus et le financement public des institutions privées sur un projet de loi… religieux. J'aimerais vous entendre un peu plus là-dessus,
parce que vous l'avez mentionné à quelques reprises,
mais, quant à vous, il faudrait que le projet de loi aille aussi loin que ça,
là, quand je parle surtout des institutions privées fondées sur la religion.
M. Parent
(Réjean) : Bien, c'est parce qu'à partir du moment où on met un
financement public à des institutions privées que leur projet éducatif…
Là, je parlais… C'est sûr que, dans mon livre, c'étaient principalement, là,
nos reliquats de la Révolution tranquille, le compromis fait avec l'Église à
l'époque, où on a conservé des écoles privées, cours classique, fondées sur un projet religieux qui aujourd'hui
continuent de vivre, financées et fondées sur un projet religieux. Ou ils renoncent à leur projet religieux
puis ils recevront le financement, là. Moi, je n'ai pas voulu ouvrir le
débat sur le financement ou pas des… mais, tu sais, à quelque part il y a comme
une rigueur à y avoir.
Mais en même
temps je vous dirais que, tout en disant que ces éléments-là ne sont pas là, je
vous rappellerai, on est parti… Dans la déconfessionnalisation du
système scolaire, on a commencé par déconfessionnaliser les commissions scolaires, mis sur une base linguistique, les écoles
demeuraient confessionnelles. Après ça, là, on a commencé à faire disparaître les cours d'enseignement religieux au
primaire, graduellement, puis au secondaire, ça s'est fait sur l'espace d'une quinzaine d'années. Ça fait que c'est dans
ce sens-là que moi, je suis capable de comprendre qu'il y a des choses
que, tu sais, ça aurait peut-être été trop
fort d'y arriver d'un seul coup, mais je vous donne une indication, finalement,
c'est une feuille de route pour les prochaines années.
M. Ratthé :
De par votre expérience syndicale, vous l'avez brièvement abordé aussi tout à
l'heure, on parlait... en fait on
peut encore entendre, on sous-entend que peut-être des gens pourraient perdre
leur emploi. Ça revient toujours à la même chose, en disant : On veut…
Tantôt, on mentionnait le fait qu'on pourrait peut-être enlever les croix sur
les édifices; le projet de loi ne va jamais jusque-là.
Il y a des
centrales syndicales qui ont déjà mentionné qu'elles seraient dans… même si
elles sont en accord avec la charte,
elles seraient dans l'obligation de défendre un employé qui se verrait, par
exemple, victime de certaines mesures qui auraient été prises. Vous
sembliez dire, mais je veux être certain, que, dans votre cas… Et je sais que
vous parlez pour vous-même.
Est-ce qu'un syndicat aurait, selon
vous, cette obligation-là? D'un côté, il est d'accord avec la charte, mais, de l'autre côté, il semble dire : Bien,
s'il y a une pénalité, s'il y a une sentence quelconque ou du moins… on
devra défendre nos employés.
M. Parent
(Réjean) : Moi, je ne veux
pas parler pour les centrales syndicales. Ils vont venir le faire. Ils vont
le dire, comment ils se prononcent par rapport à la charte. J'ai lu à travers
les médias, là, les positions qui sont prises, puis ça leur appartient, puis
ils viendront en témoigner.
Maintenant,
si on parle de régime de relations de travail, dans un cadre de relations de
travail, dans un régime, on est soumis à un code, on est soumis à des
obligations contractuelles. Le syndicat a une obligation de défense pleine et entière en vertu du Code du travail, mais pleine et entière, ça ne veut pas dire une défense aveugle, puis
il appartient… Je veux dire, quand tu fais l'appréciation, l'évaluation
d'un dossier, bien c'est sûr qu'au cours des dernières années des plaintes en vertu de 47, pour mauvaise
représentation, ont rendu les organisations syndicales plus chatouilleuses, mais, à
sa face même, si le salarié dit :
Moi, les normes, la loi, le règlement m'imposent que, et je ne veux rien savoir, puis il
fait le bras d'honneur, à un moment donné, tu ne peux pas demander à ton
syndicat de défendre l'indéfendable si toi-même, tu te poses dans une situation d'irrégularité. Mais là, si on est dans l'ordre
strict du droit, comment les centrales veulent naviguer avec ça, les
syndicats, tout ça, ça leur appartient à eux autres.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Merci, M. Parent. Merci pour votre présentation.
Alors, je
vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de
prendre place. On va suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 11 h 4)
(Reprise à 11 h 7)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la commission va reprendre ses travaux. Maintenant, nous recevons M. Sam Haroun. Alors, M. Haroun, vous
disposez d'un temps de 10 minutes pour présenter votre mémoire,
suivra ensuite une période d'échange. Alors, à vous la parole.
M. Sam Haroun
M. Haroun (Sam) : Merci, M. le
Président. M. le Président, Mmes, MM. les députés, la charte des valeurs répond à une attente. Depuis les années 80,
le Québec est confronté à des manifestations d'intégrisme de la part
d'individus de toutes religions qui croient que la souveraineté de Dieu est
supérieure à la souveraineté des institutions humaines. Or, dans une démocratie, seul le peuple est souverain et seul le
Parlement est le dépositaire de cette souveraineté. Pour la première
fois au Québec et au Canada, un gouvernement propose une politique traitant des
rapports entre l'État et la religion. Cette
politique a l'avantage d'être globale et cohérente, et c'est tout à l'honneur
du gouvernement d'ouvrir le débat à l'ensemble de l'opinion publique.
La charte, donc, répond à une attente. Mal,
hélas! Son approche frontale heurte l'esprit libéral et pragmatique nord-américain. Son intitulé et son abrupte
logique hérissent les sensibilités d'une partie importante de nos
compatriotes. Qu'il nous soit permis de
rappeler que tout ce qui touche à la religion relève de croyances et de
perceptions, de représentations et de symboles. Un mot mal placé, une
phrase mal tournée, et très vite les esprits s'échauffent, les débats s'emballent, et fusent les invectives et
les excommunications. Sujet délicat, la religion, qui nécessite, pour
éviter de fâcheux malentendus, une approche consensuelle de la part des
législateurs et du politique.
Je m'emploierai, durant le temps qui m'est
imparti, à dire tout le bien que je pense de ce projet de charte. Et sur le fond j'adhère tout à fait aux principes qui
l'inspirent, mais aussi je ne manquerai pas d'exposer respectueusement
et en toute franchise les défauts de la cuirasse.
• (11 h 10) •
C'est une loi
nécessaire. Il est nécessaire de donner force de loi à l'idée de séparation de
l'État et de la religion pour bien montrer que seule l'Assemblée
nationale est habilitée à légiférer en matière d'institutions, ni Dieu ni
diable. Cette vision des choses est entrée dans nos
moeurs et dans notre conception de l'État, mais on ne la trouve nulle part, ni
dans nos lois ni dans nos chartes, ni au Québec ni au Canada. Il y a donc une
inadéquation, d'une part, entre les réalités
et les mentalités acquises à la séparation de l'État et de la religion et,
d'autre part, l'absence totale de cette séparation dans l'arsenal
juridique et constitutionnel de l'État. Or, il est nécessaire, face à
l'apparition des îlots d'intégrisme et à l'irritation que ceux-ci suscitent
dans la société, de clarifier les choses. Dans ce sens, le projet de charte
fait oeuvre utile et oeuvre pionnière au Québec et au Canada.
Il faut
dire que, depuis la loi des
«rectories» de 1852, il n'y a
plus de religion officielle au Canada, puisque
l'Église d'Angleterre fut désétablie,
«disestablished». Toutefois, cela n'empêche pas les accommodements religieux d'introduire dans l'État
des pratiques et des usages de religion d'État. Nous nous retrouvons en situation
de porte-à-faux. Il n'y a pas de religion d'État,
mais, à cause des accommodements, la religion est dans l'État.
L'inscription de la séparation de l'État et de la religion dans la charte
québécoise des droits et des libertés est d'autant plus nécessaire que la
jurisprudence issue de la loi des
«rectories», jurisprudence canadienne, est insuffisante pour prémunir l'État
contre les intrusions du sacré. Elle est également nécessaire pour
contrebalancer la reconnaissance de la suprématie de Dieu dans le préambule de
la Constitution du Canada qui crée une
confusion entre la supposée suprématie de Dieu et la primauté effective du
droit, car le droit est inhérent à l'espèce
humaine et ne saurait aucunement être subordonné à une autre entité, fût-elle
surnaturelle.
Sur le registre des accommodements religieux, à
l'origine du malaise dans notre société, il devient urgent de sortir du flou artistique dans lequel nous
évoluons depuis quelque temps : accommoder par ci, accommoder par là.
Entre nous soit dit, Dieu n'est pas accommodable, on n'accommode pas Dieu comme
on accommode les restes d'un repas. À trop
mêler Dieu à toutes les sauces, on ne réussit qu'à altérer le sens de Dieu pour
ceux qui y croient et à altérer le goût de la bonne cuisine.
Quand quelqu'un nous dit : Dieu m'ordonne
de faire ceci ou cela, et du même souffle il s'abrite derrière la liberté de religion pour accomplir la volonté de
Dieu sur terre, il y a maldonne, car la liberté qu'il brandit est une
liberté factice, puisqu'elle fait appel à une entité surnaturelle, Dieu,
immatérielle, insaisissable, irresponsable. Devant quel Parlement Dieu est-il responsable? Dans une démocratie fondée sur le
droit, liberté n'est pas licence mais exigence, mais responsabilité,
mais civisme. Il ne faut pas que les libertés qui nous sont reconnues servent
de prétexte à esquiver les responsabilités qui nous incombent. Qu'on arrête
d'invoquer Dieu à tort et à travers. Dieu n'est ni un slogan ni un produit de
marketing.
Malheureusement,
la charte des valeurs pèche par son approche frontale et son caractère
catégorique. En un mot, elle n'appelle pas le consensus. Et d'abord
l'intitulé. La Charte de la langue française, c'est simple, c'est clair, c'est
beau. La Charte des droits et libertés du Québec, c'est simple, c'est clair,
c'est beau. La Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité
religieuse de l'État ainsi que l'égalité des femmes et des hommes et encadrant
les demandes d'accommodement, c'est long,
c'est lourd, compliqué, encombrant et indigeste. Qui trop embrasse mal étreint,
selon la vieille sagesse. Pour parler
prosaïquement, on a trop chargé la barque, avec en prime un pléonasme — laïcité et neutralité religieuse, c'est la même chose — une redondance — l'égalité des femmes et des hommes est dans
toutes les chartes et dans tous les codes de loi — et
une contradiction — laïcité
et accommodements ne font pas bon ménage. En matière de religion, les mots
comptent. La clarté et la précision s'imposent.
Au lieu de
cet intitulé filandreux, pourquoi pas «loi n° 60 sur la séparation de
l'État et de la religion»? C'est clair comme
de l'eau de roche et simple comme bonjour. Pourquoi «charte des valeurs»? Ne
trouve-t-on pas qu'elle fait double emploi
avec l'actuelle Charte des droits et des libertés du Québec? Celle-ci répond
parfaitement à la définition d'une charte puisqu'elle énonce des
principes irréfutables, ne prétend à aucune controverse.
Quant au
vocable «laïcité», je le dis avec regret, mais je le dis avec certitude, le mot
«laïcité» a mauvaise presse en Amérique
du Nord. La laïcité est associée, en Amérique du Nord, aux pires excès de la
Révolution française et à la lutte terrible
entre la République et l'Église durant le XIXe siècle. Sa traduction courante en anglais est «secularism» — et parfois on ajoute «French secularism», ce qui
n'aide pas — souvent
synonyme de société sans Dieu, ce qui, en Amérique du Nord,
est une atteinte à la sacro-sainte liberté de religion, inscrite dans les
mythes fondamentaux du continent. Quitte à
me répéter, et à mon corps défendant, il vaut mieux éviter d'employer ce mot et
employer plutôt «séparation de l'État et de la religion», qui en est la
traduction politique et institutionnelle et qui reflète mieux l'esprit libéral
et pragmatique de nos institutions.
Dans un autre ordre d'idées, s'abstenir de
porter des signes religieux par les agents de la fonction publique et
parapublique est conséquent avec le principe de la séparation de l'État et de
la religion, mais j'aimerais insister sur un point : ou bien tous les
agents de l'État ont le droit de porter des signes religieux ou nul n'a le
droit de porter des signes religieux. Au
moins, le principe d'égalité est préservé. L'idée selon laquelle on interdirait
aux seuls juges et policiers le port des signes religieux est doublement
discriminatoire, il y a discrimination évidente... Oui?
Le Président (M. Ferland) : ...une
minute pour conclure.
M. Haroun (Sam) : C'est tout?
Le Président (M. Ferland) :
Oui.
M. Haroun (Sam) : Oh, mon Dieu! Il y
a discrimination administrative évidente… Bien, je vais faire la conclusion,
alors. Je peux aller à la conclusion?
Le consensus existe, il est sous nos yeux depuis
plusieurs années. Il était sous les yeux de la commission Bouchard-Taylor,
puisque le mandat de celle-ci était de baser ses recommandations sur trois
principes : la primauté de la langue française, l'égalité hommes-femmes et la séparation de
l'État et de la religion. La loi qui a créé la commission
Bouchard-Taylor comprenait ces trois principes, et cette loi a été adoptée à l'unanimité
par l'Assemblée nationale, elle a été accueillie favorablement par l'opinion
publique. Construisons sur ce que nous avons et qui est consensuel, c'est-à-dire sur le principe de la séparation de
l'État et de la religion, et nous verrons ensuite les modalités
d'application.
Moi, je m'arrête puisque...
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Haroun.
Nous allons maintenant débuter la période d'échange. Alors, M. le
ministre, la parole est à vous.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Bonjour, M. Haroun. Merci pour votre présentation.
Je veux juste
être bien sûr, là, d'avoir saisi votre pensée. Si je vous comprends bien, vous
êtes d'accord, vous, avec l'interdiction de porter un signe religieux
pour un agent de l'État.
M. Haroun (Sam) : Oui.
M. Drainville : Et vous
n'avez aucune réserve là-dessus?
M. Haroun (Sam) : Non, pas du tout.
Mais… Et là j'ai été, pardonnez-moi, interrompu. Ce que je voulais dire, c'est que l'idée d'interdire aux seuls juges
et policiers sous prétexte qu'ils détiendraient une autorité, n'est-ce
pas, est une fausse bonne idée, parce que le
critère choisi, le critère d'autorité, est tout à fait subjectif. Il n'est dans
aucune loi, il n'a aucune assise
juridique. Si... Et, pire que ça, on est en train de privilégier la notion
d'autorité qui n'existe dans aucune des lois au détriment du principe d'égalité qui est un des fondements de
notre démocratie. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et je préfère, moi
qui suis pour que les fonctionnaires s'abstiennent — je préfère le mot
«s'abstenir» qu'«interdire», n'est-ce
pas? — s'abstiennent
de porter... Je préfère qu'ils aient le droit de le faire, mais tous qu'ils
aient le droit de le faire ou tous
qu'ils n'aient pas le droit de le faire. Au moins, le principe d'égalité est
préservé, alors qu'avec la formule Bouchard-Taylor,
juges, et policiers, et gardiens de prison, ni le principe de laïcité n'est
respecté ni le principe d'égalité n'est respecté. Voilà.
M.
Drainville :
Pourquoi? Pourquoi le principe d'égalité n'est-il pas respecté avec la formule
Bouchard-Taylor?
M. Haroun
(Sam) : Bien, parce qu'il y
a des agents de l'État qui ont un droit que d'autres n'ont pas. Et il y a
un autre argument aussi : il y a une forme moins manifeste mais aussi réelle
de discrimination. Nous constatons que la majorité
des juges et des policiers sont des hommes et que la majorité des membres des
corps… des personnels infirmier et enseignant
sont des femmes. Dois-je comprendre que les postes majoritairement occupés par
les hommes ont plus d'autorité que les postes occupés majoritairement
par les femmes? C'est une question que je pose.
• (11 h 20) •
M.
Drainville : Et pourquoi, à votre avis, la neutralité
religieuse de l'État passe-t-elle par l'interdiction des signes
religieux ostentatoires? C'est quoi, les conséquences, selon vous, de… Quelles
sont les conséquences, selon vous, qu'un agent de l'État porte un signe
religieux ostentatoire?
M. Haroun
(Sam) : C'est exactement
pour les mêmes raisons que pour la neutralité politique. C'est pour
cela que je suis plutôt favorable à ce qu'on
modifie les articles 10 et 11 de la Loi sur la fonction publique qui parlent de neutralité politique des fonctionnaires et
d'ajouter juste «neutralité politique et religieuse».
Pourquoi
est-ce important? Parce que, quand un citoyen ou un usager s'adresse à un
service public, le service, il doit pouvoir s'identifier au service
public. Par conséquent, que l'usager ou le citoyen soit de quelconque religion,
ou athée, ou etc., il faut qu'il puisse
s'identifier. Quand nous avons enlevé les crucifix dans les écoles, j'étais enseignant, je suis enseignant retraité, et c'était une bonne
mesure pas parce qu'on a envie d'enlever le crucifix mais parce que nous
avions en face de nous des enfants qui venaient de toutes les religions et de…
Comme ça, ils pourront s'identifier à l'école,
c'est leur école. S'il y a une croix ou si le professeur porte une croix ou
autre chose, eh bien, il pourrait y avoir un malaise. C'est ça, la
neutralité politique.
Et, quand on
dit que la neutralité religieuse demandée est contraire à la liberté de
religion, j'aimerais, s'il vous plaît, mettre une nuance. Ce n'est pas
une atteinte à la liberté de religion comme ce n'est pas une atteinte à la…
C'est une limitation de la liberté
d'expression religieuse. Ce n'est pas une atteinte à la liberté de religion;
c'est une limitation — ce qui est tout à fait normal — à la
liberté d'expression religieuse. Quand il y a, par exemple, discrimination à
l'égard d'un fonctionnaire pour des motifs religieux, là il y a atteinte à la
liberté de religion. Voilà.
M.
Drainville : Je veux
aller un peu plus loin sur la question du port des signes religieux. Vous
parlez donc de l'importance que le
citoyen puisse s'identifier au service public à travers la personne qui donne
ce service public. Pourquoi est-ce qu'il ne s'identifierait pas au
service public si la personne portait un signe religieux?
M. Haroun (Sam) : Pas seulement avec
la personne mais avec tout le décorum, n'est-ce pas? Pourquoi il ne
s'identifierait pas? Bien, je vous donne un exemple, et l'exemple est vice
versa aussi.
Il y a des
athées qui considèrent que les croyants sont des superstitieux bornés et
stupides. Il y a des croyants qui considèrent que les athées sont des
gens sans foi ni loi, puisqu'ils sont sans foi. C'est une pensée.
Imaginez qu'un athée
arrive puis il a en face de lui plusieurs signes religieux. Il va être mal à
l'aise, n'est-ce pas, ce n'est pas lui. Il
dit : Qu'est-ce que je viens faire ici? Pourquoi est-ce qu'ils mettent
leurs signes religieux? À l'inverse, si
un croyant vient dans un service public et il trouve en face de lui un
athée — c'est
son droit — il met
un bandeau ici «Je suis athée» — c'est la liberté de conscience, n'est-ce
pas, qui concerne les croyants et les incroyants — il sera également mal à l'aise. Il va
dire : Mais pourquoi est-ce qu'il met ce bandeau-là, «Je suis athée»?
Il y a, si
vous voulez, une distorsion, une inadéquation. Que font les signes religieux
dans le milieu de travail? On vient
ici pour travailler, pour servir les gens, je ne vois pas la… Comme pour le… Si
un fédéraliste vient dans un service public puis il a en face de lui un
souverainiste qui porte un signe ostentatoire ou un signe disant qu'il… bien il
y a un malaise qui va se faire, et c'est tout.
C'est une
limitation à la liberté d'expression. Ce n'est pas une atteinte à la liberté de
religion, et c'est très important de
le dire. Tout principe, liberté ou égalité est limité par la loi. Le travail de
la loi, c'est de définir et de limiter les droits, parce que sinon c'est
le laisser-faire, laisser-aller. Alors, je dis que la neutralité religieuse,
c'est la même chose que la neutralité politique. C'est une limitation à la
liberté d'expression politique ou religieuse.
M.
Drainville : Il y a une phrase dans votre mémoire
que j'ai particulièrement appréciée, c'est celle où vous dites, je
cite : «On se tromperait gravement si l'on confondait la liberté avec le
laisser-faire et le laisser-aller.» Vous venez d'évoquer ça. Fin de citation.
Quelles ont été justement les conséquences de ce
laisser-faire et de ce laisser-aller ces dernières années?
M. Haroun
(Sam) : J'en ai parlé au
début, quand j'ai parlé des accommodements religieux. Nous sommes dans
un flou artistique, n'est-ce pas? On ne sait pas, n'est-ce pas, ça dépend. Il y
a des gens qui disent : Il faut étudier ça cas par cas. Or, cas par cas, tous les deux, trois mois on a un mélodrame ou
un psychodrame, n'est-ce pas, parce qu'il y a ceci et cela. Personne ne sait ce qu'il faut faire, ni les
directeurs d'école, ni les directeurs de services publics, ni… Personne
ne sait, il n'y a rien. Alors, on vit, n'est-ce pas, dans ce flou-là, et puis
il y a… Attention, il n'y a pas de crise, n'est-ce pas, ce n'est pas la fin du
monde. Mais il y a un malaise, et, ce malaise, il faut le résorber, c'est tout,
il faut le dissiper.
M.
Drainville : Par
ailleurs, vous dites dans votre mémoire qu'il est nécessaire de clarifier la
laïcité de l'État, notamment avec l'apparition d'îlots d'intégrisme et
de l'irritation que cela suscite dans la société. Expliquez-nous comment
l'affirmation de la laïcité vient répondre aux intégrismes.
M. Haroun
(Sam) : Elle envoie le
message que les manifestations d'intégrisme ou de religion s'arrêtent là
où l'État commence. L'État doit être neutre. C'est ça, la laïcité. C'est ça, la
séparation de l'État et de la religion.
Au départ,
n'est-ce pas, au XVIIIe siècle, quand est apparue l'idée de séparation de
l'État et de la religion, c'est parce
qu'il y avait de plus en plus une diversité de religions dans une société. Il y
avait les catholiques, puis ensuite il y a eu les protestants, il y
avait des Juifs en Europe. Alors, les penseurs, les philosophes ont dit :
Il faut que l'État soit libre de toute ingérence du religieux dans les affaires
publiques pour que le protestant, le chrétien, le catholique, le Juif et toutes
les… et l'athée aussi se retrouvent dans cet État, s'identifient avec cet État.
Je reprends
l'exemple des enfants dans les écoles publiques. Il fallait les enlever… Non
seulement je n'ai rien contre le crucifix, je suis catholique, moi-même,
donc ce n'est pas pour ça, mais c'est pour les enfants que j'avais en face de moi. C'était pour eux, leur classe, leur
école. Ils n'avaient pas besoin de savoir : Pourquoi il y a une croix ici?
Puis ils vont chez leurs parents : Il y a une croix. C'est quoi, la croix?
C'est catholique, ce n'est pas catholique, ainsi de suite. Donc, il y a une
identification de l'usager, du citoyen avec le service public.
M. Drainville : Ça fait déjà
deux reprises que vous faites référence à votre expérience dans le domaine de
l'enseignement. Juste avant que je continue avec mes questions, pouvez-vous
nous résumer un peu votre parcours? Parce
que vous avez visiblement réfléchi beaucoup à ces questions-là. Parlez-nous un
peu de vous, là. Ne prenez pas trop de temps, mais juste pour situer
peut-être les gens qui nous écoutent, là, qu'ils sachent un peu à qui ils ont
affaire, là.
M. Haroun
(Sam) : J'ai été enseignant
pendant 29 ans dans une commission scolaire anglophone, j'ai
enseigné en français. Et puis j'ai pris ma retraite il y a quelques années et
j'ai écrit un livre sur la laïcité au Québec qui est intitulé L'État n'est pas soluble dans l'eau bénite. Et puis j'ai écrit plusieurs articles et des… La
question m'intéresse beaucoup.
M.
Drainville : Et vous
êtes un Québécois de quelle origine? Ça fait combien d'années que vous êtes au
Québec?
M. Haroun (Sam) : Depuis 1975.
M. Drainville : Et vous êtes
un Québécois de quelle origine?
M. Haroun (Sam) : Libanaise.
M. Drainville : Alors, ça
m'amène à vous poser la question. Certaines personnes ont dit ou en tout cas
ont laissé croire que tous les néo-Québécois
ou à peu près tous les néo-Québécois étaient tous dans le camp opposé à la
charte. Votre présence parmi nous fait la démonstration que ce n'est évidemment
pas le cas. Vous qui vivez donc au Québec depuis, donc, 40 ans, c'est ça,
est-ce que vous ne pensez pas que le débat sur la charte, ça pourrait devenir
un bon moyen pour démontrer justement la variété des
points de vue chez les néo-Québécois et que ce n'est pas un bloc monolithique
notamment sur la question de la charte, qu'il y a effectivement différents
courants? Qu'est-ce que vous en pensez?
• (11 h 30) •
M. Haroun
(Sam) : Je suis tout
à fait d'accord avec vous, il n'y a
pas de bloc monolithique, et c'est là où je suis en désaccord avec les
tenants du multicuralisme ou de l'interculturalisme qui disent : Il y a le
bloc canadien-français, il y a le bloc anglophone, puis il y a
ce qu'ils appellent les minorités ethnoculturelles. Mais la ligne de
séparation, la ligne de fraction
entre les différents points de vue est une ligne politique et non pas
ethnoculturelle, c'est-à-dire qu'à l'intérieur, parmi les Libanais… Je n'aime pas parler de communauté libanaise ou
de... parce que ça fait du multiculturalisme. Parmi les Libanais que je connais, il y
en a qui sont pour et il y en a
qui sont contre. Parmi des Français que je connais, il y en a qui sont pour, il y en a qui sont
contre, et ainsi de suite. Et, parmi les Québécois francophones, il y en a qui
sont pour, il y en a qui sont contre. Parmi les anglophones, il y en a qui sont
pour et qui sont contre.
Alors, peut-être
qu'il y a des majorités qui se dessinent, mais il n'y a pas de bloc
monolithique ethnoculturel ou ethnolinguistique, ça n'existe pas. Et la
ligne de division est politique, c'est-à-dire qu'il y a des Québécois qui sont
pour la laïcité comme il y a des Libanais qui sont pour la laïcité, comme il y
a... et ainsi de suite. Ou contre.
M.
Drainville : Bien sûr. Sur les accommodements raisonnables, vous
considérez qu'ils sont incompatibles avec la séparation de l'État et des
religions, car ils serviraient, selon vous, à introduire des pratiques
religieuses dans les pratiques de l'État. Est-ce que
vous pouvez nous donner des exemples de demandes d'accommodements religieux
qui sont, à votre avis, incompatibles avec la laïcité et nous dire en quoi ils
sont incompatibles avec la laïcité?
M. Haroun
(Sam) : Parce qu'ils introduisent dans l'État, n'est-ce
pas, des pratiques et des usages. Par exemple, le port de signes religieux,
ça, c'est un. Par exemple, on veut des lieux de prière, on veut des...
Alors, pour
les journées de congé, par exemple, pour les journées de congé religieux, c'est
intéressant, par exemple, ce qui se passe. On ne sait pas ce qui se passe. Il y a à peu près
une douzaine de fêtes statutaires au Québec, n'est-ce
pas? Statutaires, c'est-à-dire tout le monde les prend : Noël, Pâques, jour... fête
nationale, fête du Canada, etc. Et ce qui est normal, ce qui est tout
à fait justifiable : il y a un bill fédéral qui dit que les uniates, les
Grecs orthodoxes et les Juifs ont droit à un
jour de congé supplémentaire pour leur fête particulière à eux, les orthodoxes,
les Juifs et les uniates, ce qui est
très bien. Mais évidemment nous avons d'autres religions aujourd'hui qui se trouvent au Québec, et alors là chacun se débrouille comme il
peut, etc.
Je
suggérerais, par exemple, que l'Assemblée
nationale accorde une journée mobile,
n'est-ce pas, de congé à tous les Québécois, qui serait appelée la journée de la liberté de
conscience, et chacun choisira sa journée. Ça existe déjà dans certaines conventions collectives.
M. Parent qui était là juste avant sait très bien que, dans les
conventions collectives des enseignants, par
exemple, il y a une journée qu'on appelle «journée affaires personnelles». Et
qu'est-ce qu'il y a de plus personnel que la religion? Alors, si je veux
prendre ma journée tel jour, bien je la prends.
On oublie une
chose très importante. Quand on parle de liberté de religion, on oublie les
athées et les agnostiques, qui sont, eux, des citoyens à part entière.
Donc, on devrait tenir compte également des athées et des agnostiques.
Voilà. Voilà
d'autres exemples d'accommodement. Et je ne veux pas, n'est-ce pas… Il ne faut
pas qu'il y ait une inclusion de ces pratiques religieuses dans le
fonctionnement de l'État, dans le service public. C'est ça. C'est tout.
M. Drainville : Il me reste
quelques minutes seulement. Je veux reciter le point de départ, si je ne
m'abuse, oui, de votre mémoire parce que je l'ai trouvé... j'ai trouvé que
c'était très bien écrit. Je vous ai trouvé éloquent, M. Haroun. Alors, je le cite : «La charte des valeurs répond à
une attente. Depuis les années 80 et la montée des intégrismes religieux, la démocratie québécoise, comme
d'autres démocraties occidentales, est confrontée à des manifestations et
à des comportements issus d'individus ou de groupes d'individus qui croient que
la souveraineté de Dieu est au-dessus de la
souveraineté des institutions humaines, ce qui est incompatible avec l'exigence
citoyenne et l'esprit laïque. Pour la première fois au Québec — et au
Canada — un
gouvernement propose une politique...»
Bon, je vais arrêter là parce qu'on va dire que je me pète les bretelles, mais j'aimerais ça que vous
élaboriez un peu sur le point de
départ, sur cette tension entre la souveraineté de Dieu et la souveraineté des institutions humaines. Je ne sais
pas si vous m'avez entendu dans les remarques préliminaires que j'ai faites,
mais je disais : Si un employé de l'État considère
que le port de signes religieux durant les heures de travail est plus important
que la neutralité religieuse de l'État et le respect de la loi, ce sera
son choix. Et je dis : D'ailleurs, si une personne refusait de retirer son
signe religieux, elle confirmerait qu'elle
place sa religion au-dessus de tout
le reste, au-dessus de l'intérêt général, au-dessus de la loi. Ça
rejoint un peu l'idée de ce que vous exprimez ici dans l'ouverture de votre
mémoire. J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu là-dessus. Il nous
reste, quoi, deux minutes à peu près?
Le Président (M. Ferland) :
Trois minutes facile, oui.
M. Drainville : Trois
minutes. Alors, vous avez trois minutes pour étendre un peu votre réflexion,
là.
M. Haroun
(Sam) : Oui. Dans le sens… Et je me répète : Ce n'est pas une
atteinte à liberté de religion de demander
aux fonctionnaires de ne pas porter de signes religieux. C'est une limitation
de la liberté d'expression religieuse, comme la neutralité politique
aussi. Tout principe, liberté ou égalité a des limites, il n'y a pas de… Ce
n'est pas illimité, les privilèges ne sont pas illimités. Je ne fais pas ce que
je veux, personne ne fait ce qu'on veut. Toute liberté qui n'est pas accompagnée de responsabilités ne
vaut pas, elle ne sert à rien parce que c'est l'anarchie qui va… chacun
va faire ce qu'il veut.
Si
vous permettez, il y a un texte de la Cour suprême des États-Unis qui est
intéressant, qui dit : Il ne faut pas que les croyances religieuses soient supérieures… «to the
laws of the land», aux lois fondamentales, et en effet qui permettrait à
chaque citoyen de devenir une loi par
lui-même. Il ne faut pas que chacun fasse ce qu'il veut. Ma liberté de
conscience est illimitée, mais, quand elle rencontre d'autres consciences, elle
n'est plus illimitée, elle est limitée par la rencontre d'autres libertés de conscience. C'est ça, l'importance de la limitation
des principes de liberté et d'égalité. D'ailleurs, les chartes, toutes les chartes de droits dans le
monde commencent par le principe suivant : Les êtres humains sont libres
et égaux en droits, n'est-ce pas, en droits, c'est-à-dire les principes sont
limités par la loi. Voilà.
M. Drainville :
Très bien. Merci beaucoup de votre contribution, c'est très apprécié. Et est-ce
que je peux vous demander combien de temps vous avez mis à préparer ce mémoire,
juste par curiosité? Il me reste une minute, je pense, là.
Le Président (M.
Ferland) : Deux minutes.
M. Haroun
(Sam) : Bien, c'est-à-dire, ça m'a pris une journée, mais c'est parce
que j'avais déjà des notes accumulées, j'avais déjà écrit des articles
là-dessus.
M. Drainville :
Et, en quelques mots, l'importance de cette commission à vos yeux…
M. Haroun
(Sam) : Elle est très importante.
M. Drainville :
…l'importance de notre mandat, là, comme élus, là, comme parlementaires?
M. Haroun
(Sam) : Oui, c'est très important. Et je suis très sensible à la,
comment dirais-je… au processus parlementaire. Je trouve qu'il est très ouvert,
qu'il permet à tous les citoyens de pouvoir se présenter. C'est très bien, et
je vous en remercie.
M. Drainville :
C'est nous qui vous remercions.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. le ministre.
Maintenant, je reconnais le député de LaFontaine, du parti de
l'opposition officielle. Alors, à vous la parole, M. le député.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. M. Haroun,
merci pour votre temps ce matin. Merci d'avoir pris le temps de rédiger
le mémoire, et de nous en faire la présentation aujourd'hui, et de répondre à
nos questions.
Il
est intéressant de noter également que vous êtes tout en nuances, ce qui
malheureusement, dans le débat politique, quand on a sept secondes, on ne peut pas faire dans la nuance comme on
peut le faire ce matin avec vous. Et j'aimerais d'abord, tout dans cette nuance, vous poser une question et clarifier un
point. Je crois avoir bien compris, mais j'aimerais vous donner
l'occasion de le réitérer. Est-ce que je dois comprendre que, dans le contexte
actuel, si d'aventure le projet de loi
n° 60… Et on parle entre autres de l'interdiction… Ce qui fait écueil, là,
la crise, c'est sur l'interdiction de port de signes religieux. Si
d'aventure il était reconnu que ça allait contre la charte québécoise et la
charte canadienne, vous suggérez, à ce moment-là, d'utiliser la clause
«nonobstant», n'est-ce pas?
• (11 h 40) •
M. Haroun
(Sam) : Je vais vous répondre. Si le… Parce qu'il faut faire la
différence entre le principe de la séparation
de l'État et de la religion et l'interdiction de signes religieux, qui est une
modalité d'application du principe. Il y a une différence entre les
deux.
Le
principe est fondamental, il n'est pas négociable. Si le principe de la
séparation de l'État et de la religion est invalidé par la Cour suprême
du Canada, à ce moment-là, oui, je demanderai le… je saisirai la clause
«nonobstant», n'est-ce pas, parce que c'est un principe fondamental.
Pour la modalité
d'application, je réfléchirais par deux fois. Pourquoi? Parce que le principe
de la séparation est un principe qui est consensuel, c'est-à-dire toute
l'Assemblée nationale est d'accord là-dessus, puisque vous avez voté là-dessus.
M. Tanguay :
Tout à fait, tout à fait.
M. Haroun (Sam) : La modalité d'application, c'est-à-dire l'interdiction, il n'y a pas de
consensus, et recourir à la clause
dérogatoire quand il n'y a pas un consensus derrière est risqué, et c'est
aventureux. Donc, je ferais la nuance, encore une fois, entre le
principe et la modalité d'application.
Si
vous permettez, quand M. Bourassa a eu recours à la clause dérogatoire
pour la loi 178, n'est-ce pas, l'affichage linguistique, il avait derrière lui… et il y a d'ailleurs une modalité
d'application, mais il avait derrière lui toute l'Assemblée nationale,
sauf les quatre députés anglophones, je crois. Alors, il était… Et il avait non
seulement le consensus parlementaire, mais il avait le consensus populaire,
l'opinion publique était d'accord avec lui.
Donc, il faut être prudents, n'est-ce pas? Je me
répète, la prudence est de rigueur dans bien, bien séparer ce qui est principe
de ce qui est modalité, utiliser les mots qu'il faut, les phrases qu'il faut,
et ainsi de suite.
M. Tanguay :
C'est extrêmement important, M. Haroun, la distinction que vous venez de
faire là, et extrêmement éclairant.
Vous distinguez bien, évidemment, ce qui fait un très large consensus,
l'unanimité, vous l'avez bien noté, de la séparation de l'Église et de l'État, très clairement, versus une
modalité d'application qui est l'article 5 et l'article 18 du projet de loi n° 60, de dire :
Bien, nous, on pense que, pour appliquer ça, bien, tiens, tiens, on pense qu'il
faut interdire tous les signes
religieux à tout le monde, public, parapublic. Demain matin, c'est plus de
600 000 Québécoises et Québécois. Sur ça, vous dites : Si d'aventure cette modalité-là ne respecte pas la
charte québécoise et canadienne… Et corrigez-moi si j'ai tort, mais vous
dites : À ce moment-là, n'y allez pas avec la clause dérogatoire,
contrairement à ce que dit l'ancien ministre
de la Justice, M. Bégin, Paul Bégin, qui dit, lui : Bien, il faudrait
l'avoir déjà. Pour lui, il y a déjà une contradiction entre les deux, il
propose qu'il y ait déjà une clause dérogatoire dans le projet de loi, mais
vous, clairement, vous n'iriez pas là. Vous
dites que c'est important sur le… même sur le fondement on s'entend, on va de
l'avant. Sur la modalité d'application, l'interdiction, n'y allez pas.
Expliquez-moi,
M. Haroun, s'il vous plaît, pourquoi c'est si fondamental et important. Et
vous le dites bien dans votre mémoire, vous le dites, la nécessité d'une
approche consensuelle. Le consensus nécessaire, on ne le répétera jamais assez.
Pourquoi c'est si fondamental dans une société démocratique, cela?
M. Haroun (Sam) : D'abord parce
qu'on parle de religion. Juste… Revenons un tout petit peu en arrière. Il y a eu une fuite dans les journaux : Le
gouvernement lance une charte. Vous vous rappelez? Personne n'avait lu la
charte, personne ne savait ce qu'il y avait
dedans, et puis c'était déjà comme s'il y a eu un lâché d'éléphants dans un
magasin de porcelaine, n'est-ce pas? Tout le
monde est sorti, n'est-ce pas? C'est malheureux, M. Drainville a été
traité de Poutine, et quelqu'un d'autre… Enfin, bref. Donc…
Une voix : …
M. Haroun (Sam) : Non, vous n'êtes
pas M. Poutine.
Le Président (M. Ferland) :
…rappeler qu'on nomme les parlementaires par leur titre et non par la poutine, s'il
vous plaît. Alors…
M. Haroun (Sam) : Pardonnez-moi, M.
le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, monsieur.
M. Haroun
(Sam) : La religion, c'est quelque chose de très sensible, donc il
faut bien choisir ses mots, il faut bien choisir ce qui peut rassembler
le maximum de personnes autour d'une idée-force. Vous dire franchement, je
n'aime pas trop l'idée des compromis, parce que, les compromis, on prend un peu
d'ici, un peu de là. C'est qu'on va faire un costume
avec des retailles de tissu mal assorties, n'est-ce pas? Mais une
idée-force, la séparation de l'Église et de l'État, de la religion et de
l'État, ça fait consensus. Allons-y, on l'inscrit dans la Charte des droits et
des libertés.
Pour les
modalités, d'abord, on a le temps, c'est-à-dire on a quelques semaines ou
quelques mois, on a le temps. S'il y
a quelque chose qui accroche, n'est-ce pas, s'il y a quelque chose qui
accroche, on peut demander à la Commission des droits de la personne du
Québec un avis, attention, sur la base du principe de la séparation de l'État
et de la religion, n'est-ce pas, parce que
maintenant il n'y a pas ce principe de l'État et de la religion. Sur la base de
ce principe, demandons, quand il y a quelque chose qui accroche, à la
Commission des droits de la personne, et puis on aura quelque chose de
consensuel.
Par exemple,
je vous dis franchement, je ne suis pas sûr que la… S'il y a la séparation de
l'État et de la religion dans la
charte, je ne suis pas sûr que l'interdiction du port des signes religieux par
les fonctionnaires soit rejetée comme ceci par la Cour suprême du Canada. Parce que que nous disent les juges? Les
juges disent : Écoutez, nous, nous travaillons, les juges, sur les
textes que nous avons. Or, il n'y a pas de séparation de l'État et de la
religion dans aucun texte de loi, ni provincial ni fédéral. C'est quand même
important.
Alors, les
juges, eux, ils disent : Nous, nous travaillons sur la charte canadienne
et sur les lois provinciales. Alors, à partir du moment où nous
inscrivons ceci dans la charte québécoise, l'État québécois sera plus renforcé
pour aller devant les cours de justice.
M. Tanguay :
Et, pour reprendre votre logique, qui est très limpide, seriez-vous d'accord
qu'il serait sain, comme on l'a
proposé, de scinder le débat, que l'on s'entende sur le fondement, la
séparation de l'Église et de l'État, que tous les Québécoises et
Québécois veulent, et le respect de cela, et de faire avancer le Québec sur ça?
Seriez-vous d'accord avec une telle approche
qui dirait : Bien, écoutez, sur ce qui fait très, très large consensus,
séparons, scindons le projet de loi, et allons cibler davantage, et faisons
avancer le Québec déjà sur ce qui fait consensus?
M. Haroun (Sam) : Oui, je suis... De
procéder par consensus, c'est-à-dire par étapes consensuelles.
Juste pour
le... parce que je n'ai pas eu le temps de le dire, je serais d'avis — et je l'ai dit dans le mémoire — que
de laisser les municipalités déterminer sur le plan des signes religieux
seulement, hein, de laisser les municipalités déterminer elles-mêmes leurs
politiques en la matière. Les municipalités sont des entités démocratiques tout
à fait légitimes, elles ont leurs budgets,
elles ont une autonomie budgétaire, politique, administrative, bien que de
juridiction provinciale, bien sûr, mais leur laisser déterminer cette
politique-là est une marque de reconnaissance démocratique. Et j'insiste là-dessus. Peut-être qu'elles vont
choisir comme l'État provincial, mais, enfin, qu'elles décident elles-mêmes,
parce que la municipalité est une démocratie de proximité.
M. Tanguay :
Et, juste pour terminer sur ce point, on a déjà vu plusieurs municipalités
d'ores et déjà annoncer que, si c'est
fait tout en bloc et imposé, bien elles contesteront devant les tribunaux, ce
qui serait évidemment très malheureux.
J'aimerais,
M. Haroun, revenir... Et j'ai eu l'occasion de lire votre livre, L'État
n'est pas soluble dans l'eau bénite. Et vous faites mention dans votre mémoire, en page 2… Vous
dites : La charte, hélas… «Son approche frontale heurte l'esprit libéral et pragmatique nord-américain.»
Et je vais vous citer, à la page 34 de votre livre, le court extrait
suivant. Vous écriviez, je pense que c'est en 2007, de mémoire…
M. Haroun (Sam) : 2008, oui.
M. Tanguay : Pardon?
M. Haroun (Sam) : 2008.
• (11 h 50) •
M. Tanguay :
2008. Vous exprimiez ce qui suit : «Il existe donc deux façons d'envisager
la laïcité qui correspondent à des
mentalités et des évolutions historiques différentes : l'une, américaine,
ouverte à des manifestations individuelles
de religiosité; l'autre, française, intransigeante sur la neutralité des
institutions publiques. À cet égard, le Québec constitue un cas
d'exception.» Fin de la citation.
Avec, M.
Haroun, votre présentation toute en nuances, en subtilité, êtes-vous d'accord
avec moi qu'il est important de ne pas faire de copier-coller, si vous
me permettez l'expression, de ne pas dire : Bien, voyez-vous, nous, il y a
eu une immigration qui est venue de la France historiquement, vous voyez tout
ce qui s'est fait en France, et une immigration
qui date d'avant 1789, qui date d'avant 1830, qui est la colonisation du Nord
de l'Afrique, versus la situation de
l'évolution du Québec? Alors,
j'aimerais vous entendre étayer davantage sur l'importance de conserver cette évolution historique
là. Autrement dit, à l'argument : Les Français ont fait ça; nous, on n'est
pas plus fous, on reprend le même texte et on applique la même laïcité, ça ne
tient pas la route et c'est extrêmement réducteur et dangereux. J'aimerais vous
entendre là-dessus.
M. Haroun
(Sam) : Et c'est pour cela
que je dis qu'il ne faut pas utiliser le mot «laïcité». Je le dis avec
regret parce que je suis acquis au principe de la laïcité, et surtout à la
laïcité à la française, puisque mon éducation s'est faite dans des écoles au système
français.
La question
de la laïcité à la française, c'est que c'est le résultat d'une longue lutte
entre la République et l'Église en France au XIXe siècle, et elle
en porte encore les stigmates. L'idée de laïcité, qui est très française, est
issue des idéaux de la Révolution française. Elle en exprime la modernité, à
l'époque, mais également les excès et les horreurs.
Aujourd'hui,
la laïcité, en France, fait consensus.
Il y a quelques frictions, mais elle
fait consensus. L'ensemble de
la population, l'ensemble des corps constitués de l'État sont d'accord là-dessus.
Mais est-ce qu'on peut importer un consensus? C'est ça, la question.
Personnellement, je ne crois pas, à moins qu'on déplace le Québec
vers l'Europe, n'est-ce pas? Nous vivons dans un contexte nord-américain
qui a connu une autre évolution. Et le quatrième… le dernier chapitre de mon
livre, où je prends position, il est
intitulé La réponse de Jefferson, que je considère comme l'un des plus
grands législateurs, n'est-ce pas, non seulement américains, mais du monde entier. Lui, il a...
C'est lui qui le premier a mis le principe de la séparation de l'État
et de la religion dans une constitution, dans une constitution dans le monde
entier. Dans le premier amendement de la Constitution américaine, il a
mis ce principe, parce qu'il a dit : Il faut absolument que les gens
comprennent. Parce qu'il savait que la
religiosité des Américains était telle qu'ils risquaient, n'est-ce pas, de
vouloir introduire des pratiques religieuses dans l'État.
Et j'étais donc pour la laïcité à la française,
que je comparais aux jardins de Versailles, elle a la beauté et la brutalité des figures de géométrie, mais, vu le
contexte nord-américain, les réalités, les sensibilités et les
susceptibilités, cette idée fondatrice de l'Amérique
du Nord qui est la liberté de religion à tout prix, la liberté, la liberté, la
liberté, on doit absolument nuancer cette laïcité à la française qui
m'inspire, n'est-ce pas, c'est elle qui m'inspire, la laïcité à la française,
mais appliquée au Québec elle serait trop abrupte. Voilà.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. Haroun. M. le Président, je vais laisser mon collègue poser une
question. Merci beaucoup, M. Haroun. Très apprécié.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Allez-y.
Mme Weil : Oui, merci. Merci,
M. le Président. M. Haroun, c'est vraiment très, très, très intéressant de vous
entendre. Un peu comme vous, j'ai une éducation mixte, à la française aussi,
donc la Révolution française, le modèle de laïcité français, je le connais bien,
mais des origines autres, anglophones, père américain, etc. Donc, je vois dans
votre discussion tous ces courants qui sont ici, au Québec, qui fait en sorte
que c'est, oui, un débat fascinant.
C'est un débat
fascinant, et ça fait plusieurs années qu'on est dans ce débat. Et ce que je
vois depuis plusieurs années, il y a les tenants de cette laïcité qu'on appelle
stricte et les tenants de cette laïcité ouverte, beaucoup parce qu'il y avait le désir de donner un espace de
liberté aux différentes religions qui se trouvaient ici, sur le sol
québécois, depuis
plusieurs centaines d'années. Et donc, avec une diversité de plus en plus
accrue, cette nécessité de trouver, comment dire, des compromis et le
vivre-ensemble, un vivre-ensemble qui est sain et quelle est la place de la
religion dans ce vivre-ensemble, là est toute la question.
Vous avez dit, donc, que la laïcité a mauvaise
presse — et
je suis d'accord avec vous — à
cause, justement, de ces différentes perceptions de la laïcité, ceux qui
rejettent le modèle français et ceux qui le prônent, mais vous dites que... mais moi, je vous dirais que c'est les
accommodements qui ont peut-être plus mauvaise presse qu'autre chose. La neutralité religieuse de l'État,
la séparation de l'État et des Églises, c'est bien acquis comme concept.
Jusqu'où on doit le traduire? Et c'est là où j'aimerais vous entendre, parce
que, moi, la compréhension que j'ai toujours eue, en parlant avec des juristes notamment, des juristes du gouvernement du Québec mais aussi des constitutionnalistes, c'est que
le port de signes religieux ne faisait jamais
partie… ne mettait pas en péril, si vous voulez, la neutralité de l'État
en autant que le fonctionnaire faisait preuve de neutralité dans ses
fonctions. Moi, j'ai eu l'occasion... Il y a très peu de personnes qui portent
des signes religieux dans l'État gouvernemental. Il y a eu une personne au ministère
de la Justice, qui est informaticienne, qui
portait le voile — elle
m'a donné un service impeccable, supercompétente, etc. — et
au ministère de l'Immigration. Je n'ai jamais vu de kippa, jamais vu de
turban.
Donc, dans un premier
temps, j'aimerais vous demander : Quel est le problème, le malaise? Vous
parlez d'un malaise au Québec,
hein, c'est le mot que vous avez utilisé. Quel est le besoin urgent de changer
le statu quo? Le statu quo qu'on
connaît actuellement, qu'est-ce
qui fait en sorte qu'on doit changer le statu quo et qui cause la réaction
qu'on est en train d'observer, notamment à Montréal, dans les grandes institutions
de santé, d'éducation et autres?
M. Haroun
(Sam) : Tout simplement parce qu'on ne sait pas. Chaque fois qu'il y a
quelque chose qui se présente, c'est
immédiatement le psychodrame, il y a des articles dans les journaux : Ah
oui, les uns sont pour, les autres sont
contre. C'est un... On ne sait pas, on est dans l'incertitude. Et je suis
d'accord avec vous que les accommodements nous insupportent au
superlatif, mais il faut trouver la direction, il faut trouver...
Le Président (M.
Ferland) : …c'est tout le temps qui était à la disposition
du... Alors, je reconnais la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le
Président. Merci, M. Haroun, pour votre mémoire. C'est une discussion qui est très intéressante, qui
s'élève même à un niveau... On est dans le droit, on est dans le
philosophique.
J'aimerais
vous poser une question. Bien, en fait, d'abord, avant de vous poser cette
question-là, avec tout le respect que
j'ai pour vous, j'aimerais soulever un point que vous avez mentionné. Dans
votre présentation, vous dites que ce serait faire une discrimination de choisir des employés sur la base de la
position d'autorité, vous dites que c'est discriminatoire et que c'est
sans assise juridique. Alors, avec tout le respect que j'ai pour vous, en tant
que juriste, et il y en a plusieurs ici — et également vous avez sûrement des notions
de droit, pour dire ce que vous dites — nous, nous considérons qu'au
contraire il y a des notions juridiques, il y a des assises juridiques. Il y a
le Code criminel canadien qui fait, entre autres, de la position d'autorité,
lorsqu'un crime est commis, une circonstance aggravante lorsque ce sera le
moment d'édicter la sentence, d'imposer une sentence. Alors, ce n'est pas, pour
nous, un simple motif de tracer une ligne, mais, pour nous, la position
d'autorité est importante et se situe dans les assises juridiques, parce que
nous voulons interdire le port de signes religieux aux gens en position
d'autorité.
Cela
dit, dans votre mémoire, à la page 8, vous nous dites : «Autant il
nous faut saluer le gouvernement pour la décision prise de prendre en
charge le dossier concernant les rapports entre l'État et la religion, autant
il nous faut le mettre en garde contre le zèle et l'impatience de la tentation
idéologique.» Alors, pourriez-vous préciser votre pensée à cet égard-là, nous
parler un peu de cette conclusion?
• (12 heures) •
M. Haroun
(Sam) : Donc, je salue le gouvernement parce qu'il a eu le courage de
prendre une décision et d'ouvrir le débat, mais je crains, n'est-ce pas, qu'il
y ait une polarisation, que chacun reste sur ses positions et que ça devienne dogmatique, alors : Moi, j'ai
raison; non, toi, tu as tort, et ainsi de suite. Il ne s'agit pas d'avoir
raison. Dans ce débat, qui est unique jusqu'ici au Canada, n'est-ce pas,
pas seulement au Québec mais dans le reste du Canada, il ne s'agit pas d'avoir raison, il s'agit de trouver
une solution, et c'est là où chacun doit mettre de sa bonne volonté et
surtout assouplir les rouages, n'est-ce pas,
de l'esprit. Je crains beaucoup
la polarisation et le fait de se réfugier derrière un dogme :
Voilà, c'est comme ça et puis ce n'est rien d'autre. Voilà ce que je veux dire
par le zèle et l'impatience dogmatique ou idéologique.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, vous craignez la politisation du débat au-delà du bien de la collectivité
québécoise.
M. Haroun
(Sam) : C'est la polarisation du débat, n'est-ce pas?
Mme
Roy
(Montarville) : Oui, mais je vous demandais si vous craigniez la politisation du débat,
qu'on en fasse des enjeux politiques ou de la partisanerie.
M. Haroun
(Sam) : Ah! Bien, pour ça, je ne… Je reste dans le domaine des idées,
n'est-ce pas? Tout ce qui est élection, ça ne m'intéresse pas beaucoup.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais vous craignez cette polarisation…
M. Haroun (Sam) :
La polarisation, oui.
Mme Roy
(Montarville) :
…et vous nous disiez d'ailleurs avoir été témoin de cette division tous
azimuts, finalement.
M. Haroun
(Sam) : Bien oui, bien sûr,
mais ce n'est pas difficile. Vous lisez les journaux, vous lisez les…
vous regardez la télévision. Les jours pairs, on a les tenants de la laïcité;
les jours impairs, les tenants de l'autre laïcité, et ainsi de suite.
Et d'ailleurs
une des raisons pour lesquelles je ne veux pas qu'on utilise le mot «laïcité»,
c'est parce que, si vous dites
«laïcité», il y en a 15 qui vont dire «laïcité ouverte», d'autres qui vont
dire «laïcité intrusive», d'autres, «exclusive», etc. Alors, oublions ça. «Séparation de l'État et de la
religion», c'est la même chose que «laïcité», mais au moins il n'y aura
pas d'ouverte ni de fermée.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment pour vos précisions. Merci, monsieur.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la députée. Je reconnais maintenant le député de Blainville.
À vous la parole.
M. Ratthé : …M. Haroun. Fort intéressant. Vous nous
dites qu'il faut absolument un consensus sur les principes du projet de loi et que l'application, c'est là où parfois, là, on a certaines difficultés,
que ça ne prend pas nécessairement un consensus.
Et je vous pose la question, je
reviens un peu à la question sur les municipalités. On a déjà la situation que vous dites, on devrait
laisser aux municipalités le choix d'appliquer à leur façon la loi. Si on veut
respecter le principe, à mon sens, il faut que l'application aussi ait un sens.
Vous nous parlez d'introduction de pratiques religieuses dans la politique,
qu'il faut éviter cela. Ne croyez-vous pas que, si on laisse les municipalités
décider de l'application de la loi, on ne va pas effectivement se
retrouver avec, dans certaines régions du Québec… où les principes ne seront
pas tout à fait respectés, où on va avoir
des interprétations, on va faire en sorte… Puis on l'a vu, on l'a vu dans
certaines municipalités où il y a eu des contestations par rapport à la
prière, par rapport au crucifix, par rapport à plein de pratiques religieuses
qui ont été introduites dans la politique, qu'elles soient de niveau provincial
ou municipal.
Alors, j'ai
du mal à comprendre votre recommandation puisque vous nous demandez un consensus
sur le principe, mais souvent on va
obtenir le consensus sur le principe dans la façon dont on va
appliquer cette loi-là. Alors, j'aimerais que vous m'expliquiez davantage,
là, la…
M. Haroun
(Sam) : C'est juste pour les
signes religieux, hein, c'est juste pour ça que je dirais aux municipalités
de choisir, parce que les municipalités… enfin, les maires et les conseils
municipaux connaissent leurs administrés, connaissent leurs
fonctionnaires. Je souhaiterais qu'ils déterminent une politique en fonction du
principe de la séparation de l'État et de la
religion, mais pourquoi ne pas laisser un temps de respiration démocratique ?
Pourquoi faut-il qu'il y ait le tout
État envahissant, tatillon, n'est-ce pas, qui veut tout régler? Laissons
aux municipalités, qui sont des entités tout à fait légitimes, n'est-ce
pas… Un maire dans sa ville est aussi légitime qu'un premier ministre dans son
État. Alors, ce n'est pas grave, moi, à mon
sens, je ne trouve pas de problème si, par exemple, Montréal décide que, bon…
telle, telle option — pour
les signes religieux seulement, hein, pour les signes religieux — et
Saguenay, une autre option, si les gens le veulent comme ça. C'est uniquement
dans le cadre de leur fonction publique.
M. Ratthé :
Je reviens sur l'exemple que vous nous avez donné parce que je comprends ce que
vous nous dites, vous pourriez dire : Bon, bien, à Montréal, c'est
beaucoup plus… il y a un plus grand nombre, différentes ethnies, au Saguenay—Lac-Saint-Jean
il y en a peut-être moins, dans d'autres régions… bon, il y a des
concentrations, moins de concentration. Par
contre, vous nous avez dit tout à l'heure que le port de signes religieux
faisait en sorte que la personne qui va réclamer un service pourrait se
sentir mal à l'aise, peu importe qu'elle soit athée ou… et vice versa. Alors,
est-ce qu'en faisant la recommandation que
vous faites vous laissez encore la porte ouverte à ce malaise, justement à
dire… Et moi, je pense que ça peut
peut-être laisser la porte ouverte aussi à des recours juridiques, parce que,
dans une municipalité, un employé va peut-être se sentir bafoué dans ses
droits parce que la municipalité d'à côté lui accorderait un droit qu'il n'a
pas dans sa municipalité. Alors, c'est pour ça que je trouve ça un peu ambigu,
là.
M. Haroun
(Sam) : Vous avez raison de
mettre le doigt… Moi, je souhaiterais
évidemment que les municipalités suivent l'État, n'est-ce pas, qu'il y ait interdiction,
n'est-ce pas, des signes religieux, mais là je veux que les municipalités
soient reconnues comme entités démocratiques, qu'elles soient… Elles ont une
certaine autonomie budgétaire, administrative,
politique. Et pourquoi pas leur donner juste cette petite ouverture, n'est-ce
pas? Peut-être. Pourquoi pas?
M. Ratthé : Dernière question
si j'ai le temps, M. le Président.
Le Président (M. Ferland) :
30 secondes, rapidement, le temps de…
M. Ratthé : Vous avez été enseignant. Je pense
que vous dites : Il faut appliquer ça à l'école primaire,
secondaire.
M. Haroun (Sam) : Tout, tout, tout.
M.
Ratthé : Centres de la petite enfance, vous êtes d'accord aussi
avec ça?
M. Haroun
(Sam) : Tout. Fonction publique et parapublique.
M. Ratthé :
Incluant les centres de la petite enfance?
M. Haroun (Sam) : Public, public.
M. Ratthé :
Parfait. Merci, monsieur.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, M. le député. Merci, M. Haroun.
Alors, je vais
suspendre quelques instants et demander aux parlementaires de ne pas trop
s'éloigner parce qu'on va recommencer assez rapidement,
on a déjà accumulé un
petit peu de retard, alors… pour
permettre au prochain groupe également de prendre place.
(Suspension de la séance à 12
h 6)
(Reprise à 12 h 9)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant,
nous recevons M. Samuel Samson.
Alors, je vous cède la parole, M. Samson, pour une période de
10 minutes pour votre présentation, ensuite la période d'échange. À
vous la parole.
M. Samuel Samson
M. Samson (Samuel) : Alors, bonjour, M. le
Président. Mmes, MM. les députés. Donc, ça me fait immensément
plaisir d'être avec vous aujourd'hui.
Donc, dans un premier
temps, je vais me présenter brièvement, là, pour que vous sachiez qui je suis.
Donc, mon nom, c'est Samuel Samson. J'ai
20 ans, je suis présentement étudiant. Je viens de terminer mon collégial,
je m'apprête à rentrer à l'université. Et puis, il y a à peu près de
cela un an et demi, deux ans, j'ai écrit un essai sur l'identité de l'Amérique française en faisant énormément de
recherches, en me déplaçant dans les différentes communautés aussi du
Canada puis des États-Unis qui ont une identité, là, canadienne-française ou
différents peuples issus de la Nouvelle-France,
ce qui m'a amené à donner des
conférences puis à fonder progressivement
un mouvement pour une fraternité entre ces
différentes communautés là. Puis, dans un autre ordre d'idées, présentement…
j'ai récemment poursuivi des recherches en collaboration avec plusieurs
personnalités issues de différentes religions sur les points en commun entre
les… le tronc commun entre les différentes religions, entre les différentes
spiritualités. Et puis, bien, depuis l'âge de six ans à peu près, je suis
passionné de politique. Donc, je me sentais préoccupé par les enjeux auxquels
la charte touchait.
• (12 h 10) •
Donc, d'abord, il y a
trois éléments, trois angles fondamentaux sur lesquels s'articule mon mémoire,
bien c'est-à-dire qu'il faut prendre en compte, selon moi, là, pour une charte
des valeurs.
Donc,
la première des choses, c'est que les recherches en anthropologie puis en
sociologie dans les dernières années ont permis… dans le dernier siècle,
c'est-à-dire, ont permis de déterminer que la formation des sociétés humaines était instinctive chez l'humain en raison du
processus de socialisation qui permet aux humains d'apprendre. On
retrouve certaines fonctions qui sont
récurrentes dans toutes les sociétés, dont la fonction religieuse. Maintenant,
c'est l'isolement qui a fait en sorte
qu'il y ait différentes manifestations culturelles, mais souvent on peut penser
que ces religions-là reprennent les mêmes fondements mais s'adaptent de
façon différente. Maintenant, étant donné… avec la mondialisation puis avec la
révolution technologique, il y a lieu de croire que toutes ces différences
culturelles là vont tendre à s'atténuer, ce qui pourrait avoir comme effet
positif, entre autres, de diminuer le nombre de guerres, accessoirement.
Donc,
deuxièmement, je pense que, malgré ce fait, l'importance de l'identité demeure
fondamentale pour chaque individu pour qu'il puisse se développer puis
s'accomplir. Sans savoir qui l'on est, je pense, c'est difficile de faire quoi que ce soit, et puis cette identité-là est
fortement liée à la culture. Or, on remarque que, dans toutes les sociétés,
les cultures, à la base, se forment toujours
d'un pilier ou d'un axe linguistique mais aussi d'un axe puis d'un pilier
religieux. Maintenant, ça ne veut pas dire que tout le monde est croyant, que
tout le monde… Ça n'a pas vraiment rapport à la théologie ou aux croyances individuelles mais plutôt aux valeurs, un
système culturel, aux valeurs d'un système culturel qui va être très
influencé par la religion ou l'histoire religieuse de l'endroit en particulier.
Donc, troisièmement,
les recherches que je vous disais que je poursuivais présentement et récemment
sur la spiritualité m'amènent à penser que la spiritualité et non pas les
religions en tant que telles… puis il y a des façons… il y a des athées qui peuvent vivre une spiritualité, mais la
spiritualité en tant que telle, ça demeure essentiel au développement de
l'être humain puis à son équilibre mental, psychologique, à sa santé, bref.
Donc, maintenant,
l'identité puis la culture québécoises reposent évidemment, comme dans
n'importe quelle autre culture, sur deux
piliers, sur deux piliers. Donc, c'est certain que la langue française est un
aspect important, mais le catholicisme,
en tant qu'institution culturelle et non pas nécessairement religieuse ou
théologique, a influencé et influence encore aujourd'hui à travers les
valeurs communes des Québécois autres que l'égalité hommes-femmes, que la
primauté de la langue française puis que la neutralité religieuse de l'État,
continue à influencer.
Donc,
maintenant, c'est aussi intéressant de constater que l'adhésion au
catholicisme, en 2001, était encore plus marquée que la francophonie en
tant que langue maternelle. Donc, 83,4 % des Québécois se déclaraient
catholiques, malgré que les taux de pratique
religieuse soient très bas, alors qu'on avait 79,6 % de francophones.
Aujourd'hui, les taux sont de 78,1 % de francophones et de
82,2 % de chrétiens. Donc, on voit, on observe qu'au niveau de
l'affirmation identitaire ça demeure important.
Maintenant,
l'intégrisme. D'une façon générale, l'intégrisme, c'est un phénomène qui est
plutôt psychologique. Donc, ça se
retrouve dans toutes les religions, pas seulement dans l'islam, comme plusieurs
ont tendance à le penser, mais ça existe
dans le christianisme, dans l'hindouisme mais aussi dans tous les mouvements
idéologiques. Donc, peut-être que vous avez déjà été témoins, mais en
politique aussi ça existe, l'intégrisme.
Dans l'islam, maintenant, il y a un nouveau type
d'intégrisme qui existe depuis à peu près 100 ans et qui se distingue de l'intégrisme musulman qui a pu
toujours exister, là, chez une frange peut-être négligeable de la
population musulmane, puis c'est l'intégrisme islamiste, qui, lui, n'est pas le
fruit, en tant que tel, des propos véhiculés par le Coran mais plutôt d'une conjecture historique. Donc, c'est certain que le colonialisme européen
n'a pas aidé, d'autant plus que,
pendant à peu près un millénaire, l'islam a été un des pôles
principaux dans le monde au niveau du développement technologique, de la
science et de la philosophie.
Maintenant,
je pense que c'est important de considérer les modèles ailleurs dans le monde.
Voyez-vous, moi, je suis d'accord avec le fait qu'on veuille établir un
cadre pour l'intégration des immigrants, pour le développement du Québec sur la base de valeurs communes. Je suis
d'accord, comme je le disais tout à l'heure, avec la primauté de la
langue française qui… Par contre, je pense
qu'on devrait opter pour une nouvelle stratégie un peu moins restrictive puis
un peu plus offensive ou en allant… en promouvant la langue plutôt qu'en
défendant la langue des autres.
Après,
l'égalité hommes-femmes, pour les gens de ma génération, ce n'est même pas une
valeur, c'est un fondement, parce qu'une valeur, c'est quand même
quelque chose de relatif, quelque chose de subjectif. L'égalité hommes-femmes,
c'est absolument fondamental.
Puis,
maintenant, la neutralité religieuse de l'État aussi, mais il y a plusieurs
façons de vivre la neutralité religieuse de l'État. La neutralité religieuse de l'État, ça veut dire que l'État
n'est pas soumis à des dogmes religieux. Maintenant, ça ne veut pas dire que l'État doit nier le fait que
les religions existent, le fait que la spiritualité, également, fasse partie
du développement humain.
Et puis à cet effet, dans mon mémoire, j'ai
relevé 14 modèles différents, là, soit de laïcité ou d'affirmation
identitaire à travers la religion. Dans ces modèles, la France m'apparaît comme
étant le plus grand échec, étant donné qu'autant
au niveau de l'affirmation identitaire des Français on remarque certains
problèmes, au niveau de l'intégration des immigrants ça n'apparaît pas
non plus concluant. Puis, enfin, ça amène un nouvel intégrisme. L'intégrisme
laïque, en France, est une réalité de plus en plus soutenue. Je pense qu'un
modèle comme le modèle italien serait peut-être plus à propos au Québec, mais c'est certain que, la laïcité, quand on
développe un modèle de laïcité, il faut tenir compte du contexte
historique puis de la conjecture historique de l'endroit où on veut l'établir.
Donc, maintenant, il y a aussi un point que
j'aimerais soulever, qui m'apparaît important, c'est la culture populaire du Québec. Ici, au Québec, on peut
compter maintenant sur une culture qui rayonne partout dans le monde
puis des artistes qui font notre fierté. On remarque que la culture populaire,
donc traditionnelle, si vous voulez, qui est davantage…
qui est plus marquée en milieu rural, de plus en plus elle est en régression.
Donc, comme disait l'écrivain Jacques
de Lacretelle, la ville a une figure, la campagne a une âme, puis je pense
que le projet de charte présentement, tel que proposé, en écartant le
fait religieux, pourrait nuire éventuellement à cette culture populaire là.
Donc, moi, je
ne pense pas que la charte, telle que proposée, permette de répondre aux
objectifs du gouvernement, parce qu'on
remarque que ça n'a pas apporté de cohésion sociale mais plutôt de la division.
Je pense qu'éventuellement, si l'on reconnaissait l'identité réelle du
Québec, oui, en reconnaissant les trois valeurs qui sont proposées par la
charte, mais aussi en reconnaissant : Peut-être qu'il y a eu un apport
historique du catholicisme puis… ça permettrait aux Québécois de mieux accepter
l'immigration, parce que je constate personnellement que ce n'est pas le cas de
tous les Québécois. Donc, c'est un peu un résumé de mon mémoire.
Le Président (M. Ferland) :
Merci. Merci, M. Samson, pour votre présentation. Maintenant, nous allons
procéder à la période d'échange, et la parole est à vous, M. le ministre.
M. Drainville : Oui, merci,
M. le Président. Merci pour votre mémoire.
Dans votre
mémoire, vous dites… en tout cas vous souhaitez en quelque sorte accorder, si
je vous comprends bien, une sorte de statut privilégié à l'Église
catholique.
• (12 h 20) •
M. Samson
(Samuel) : Non, je ne
souhaite pas un statut privilégié, c'est-à-dire peut-être un peu de
reconnaître l'apport historique. C'est-à-dire, le système de valeurs, au
Québec, ce n'est pas vrai de dire qu'il se limite à la primauté de la langue
française, à l'égalité entre les hommes puis les femmes puis à la neutralité
religieuse de l'État. L'État peut très bien
être neutre, ne pas se laisser influencer par l'institution de l'Église
d'aujourd'hui mais toutefois en reconnaissant
que culturellement le système de valeurs, par exemple l'amour de son prochain,
l'esprit coopératif, tout ça, c'est hérité du catholicisme. Parce que
présentement la charte, comme elle est, étant donné qu'elle est inspirée du
modèle français, elle laisse la porte ouverte à certains abus qui pourraient
être commis.
Par exemple, en France, présentement, il y a
certains mouvements qui souhaiteraient qu'on enlève des Pyrénées les
croix de repère parce que ces croix-là… Je sais que c'est anecdotique, mais
c'est de plus en plus marqué. Ou sinon le ministre de l'Éducation nationale en
France disait récemment : On a laissé l'autorité morale et spirituelle à
l'Église catholique,
donc il faut remplacer ça. Il faut avant tout inventer une religion
républicaine. Cette religion républicaine qui doit accompagner la
révolution matérielle mais qui est la révolution spirituelle, c'est la laïcité.
La République, pour s'établir, a besoin de former sa propre religion : la laïcité.
Moi, ce que je dis, ce n'est pas qu'on laisse le
Québec… Tout le monde est contre, je veux dire, personne ne souhaite retourner
à la période d'avant la Révolution tranquille où l'État était aux mains de
l'Église, mais c'est de reconnaître que
culturellement l'Église a apporté une contribution exceptionnelle puis que nos
valeurs sont influencées… les valeurs tangibles sont influencées par le
catholicisme.
M. Drainville : Oui. Vous
avez lu le projet de loi, n'est-ce pas?
M. Samson (Samuel) : Oui.
M.
Drainville : Oui.
Alors, vous aurez remarqué qu'à l'article 1 on dit : «Un organisme public
doit, dans le cadre de sa mission,
faire preuve de neutralité en matière religieuse et refléter le caractère
laïque de l'État tout en tenant compte, le cas échéant, des éléments
emblématiques [et] toponymiques du patrimoine culturel du Québec qui témoignent
de son parcours historique.» C'est ce qui
m'a amené à dire que les croix comme la croix du Mont-Royal, les croix du
chemin, les références aux saints dans le paysage québécois allaient être
protégées avec la charte.
M. Samson (Samuel) : Mais…
M. Drainville : Est-ce que
c'est un élément de la charte dont vous vous réjouissez?
M. Samson
(Samuel) : Bien, absolument.
C'est certain que c'est positif. Malgré tout, je vous dirais qu'il y a
un aspect positif du modèle de laïcité
française. Ça a été qu'en nationalisant les biens de l'Église, en France, puis
en laissant la gestion des biens
immobiliers, par exemple, des églises aux conseils de fabrique ça a permis de
protéger le patrimoine matériel français, par exemple les églises, les
monastères, etc. Puis présentement, au Québec, même si on reconnaît, bon, la toponymie, tout ça, si on regarde au
niveau du patrimoine religieux bâti, il n'y a rien qui permet de protéger à
long terme ou d'assurer la pérennité du
patrimoine religieux matériel. Puis, au niveau du patrimoine religieux
immatériel, ce qui a le plus influencé la société, le système culturel
puis le système de valeurs, eh bien, on ne retrouve rien pour protéger ça ou
pour maintenir.
M.
Drainville : Par
ailleurs, vous aurez remarqué qu'à l'article 41 du projet de loi nous
amendons l'article 9.1 de la Charte des droits et libertés du
Québec pour y ajouter ceci : «Ils — les droits et libertés — s'exercent
également dans le respect des valeurs que constituent l'égalité entre les
femmes et les hommes, la primauté du français ainsi que la séparation des religions et de l'État, la
neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci, tout en tenant compte
des éléments emblématiques ou toponymiques
du patrimoine culturel du Québec qui témoignent de son parcours
historique.» Donc, je voulais juste
m'assurer, pour les gens qui nous suivent, là, que… Ça se retrouve en fait…
Cette référence, donc, au patrimoine culturel, aux éléments
emblématiques et toponymiques se retrouve à deux endroits dans le projet de
loi.
Donc, ce que
je comprends, c'est que c'est un pas dans la bonne direction. Dans votre
esprit, c'est un pas dans la bonne direction. C'est bien ça?
M. Samson (Samuel) : Oui, mais en
même temps il faut comprendre qu'une culture, ça ne se limite pas à un patrimoine bâti, à de l'architecture ou à des
noms. Par exemple, si on regarde, il y a des civilisations qui ont
profondément marqué l'humanité. On parle… Si on pense aux Sumériens, si on
pense aux Grecs, si on pense aux Romains, encore aujourd'hui il y a plusieurs bâtiments, des temples, il y a des voies
romaines, il y a toutes sortes d'éléments du paysage qui rappellent cet
héritage. Mais je pense que l'héritage le plus important de ces
civilisations-là se témoigne davantage au
niveau, par exemple de nos systèmes politiques, de notre système juridique, de
notre façon de penser, de la philosophie. Puis cet héritage-là culturel, par exemple, du catholicisme au Québec,
comme je vous dis, il se présente davantage… il est davantage dans notre façon de penser, dans la
façon de vivre, dans nos valeurs, dans la façon dont les parents peuvent
élever leurs enfants, plutôt que dans le patrimoine bâti en tant que tel.
M.
Drainville : Bon. Par
ailleurs, vous faites une affirmation dans votre mémoire, à la page 50. Je
vais vous la citer, si vous me le
permettez. Vous dites : «L'adoption de la charte pourrait sceller le sort
définitif de la majeure partie de la culture et de l'identité
populaires, du folklore et du terroir québécois, plusieurs signes précurseurs
pointant déjà en ce sens sur le terrain, puisqu'il est prévisible que les
rapports entre les paroisses, terreaux et coeurs communautaires des milieux ruraux et de beaucoup de milieux et tissus
urbains et des pouvoirs publics, en particulier des municipalités,
cesseront et que plusieurs traditions
d'esprit religieux et maintenues dans l'espace public mais aussi privé
cesseront par ailleurs...»
Est-ce que je
peux vous demander sur quoi vous vous appuyez, sur quelles observations
empiriques vous vous appuyez pour faire une telle affirmation?
M. Samson (Samuel) : Oui. Bien,
évidemment, je n'ai pas eu les moyens techniques de produire une étude scientifique strictement sur le sujet. Malgré
cela, notamment quand je me suis promené puis j'ai fait mes recherches
pour mon essai sur l'Amérique française, puis aussi par les observations que
j'ai faites en me rendant dans de nombreuses municipalités, en m'impliquant ou
en discutant des fois avec des gens qui venaient de différentes régions en
milieu rural, on se rend compte — puis
j'aimerais ça l'expliciter, parce que, c'est sûr, ça peut être difficile à
comprendre un peu — que souvent encore aujourd'hui, le coeur
d'un village, ça peut être l'église. Même si les gens ne se rendent plus
à l'église nécessairement à toutes les semaines, l'organisation de la vie
communautaire passe souvent par la paroisse.
Ce n'est pas
nécessairement... Ça ne se limite pas, évidemment, aux messes mais des fois à
certains organismes communautaires, puis ça arrive dans de nombreuses
paroisses que l'essentiel des traditions… évidemment, pas nécessairement les
festivals, mais par exemple on prend la cueillette de l'eau de Pâques, on prend
des fois la Saint-Jean-Baptiste, même, dans
de nombreuses petites municipalités, ou sinon... Bon, il y a de nombreuses
traditions comme ça qui sont issues
du religieux, qui ont une signification symbolique aujourd'hui, puis en milieu
rural ça arrive souvent encore
aujourd'hui que les municipalités collaborent avec les paroisses pour
l'organisation de ça. Il y a encore aujourd'hui beaucoup de messes du
Saint-Esprit, donc au début de la nouvelle année le maire se rend, il souhaite
la bonne année aux gens, bon, des fois dans
les messes de Saint-Jean-Baptiste aussi. Il y a, par exemple, un rassemblement
de skidoos, de motoneiges. Il peut y avoir une messe commémorative, il y
a des processions, il y a… tout à l'heure je disais la cueillette de l'eau de Pâques. Il y a beaucoup de traditions comme ça.
J'en ai recensé, j'ai essayé de façon la plus exhaustive possible de les recenser dans mon essai — évidemment, il y en a… elles sont très
nombreuses, donc je ne pourrais pas toutes vous les citer de
mémoire — mais
qui…
M. Drainville : Vous en avez
recensé combien?
M. Samson
(Samuel) : Comme je vous
dis, de mémoire je ne pourrais pas vous dire, mais plusieurs dizaines,
là, je ne pense pas en avoir une centaine
mais plusieurs dizaines qui dépendent, d'une certaine façon, d'une certaine
association.
Maintenant,
est-ce que les pouvoirs publics sont influencés par la religion? Non. Ce qui
passe au conseil municipal, dans les
conseils municipaux ne sont pas… ça ne passe pas sur le bureau du curé de la
paroisse avant, là. Les pouvoirs publics sont affranchis de l'influence
religieuse mais collaborent parfois comme partenaires avec les paroisses pour
le bien de la communauté.
M. Drainville : O.K.
M. Samson
(Samuel) : Et je pense…
D'ailleurs, je veux le préciser, je pense que l'affirmation de la
neutralité religieuse de l'État est absolument
fondamentale pour assurer, oui, une cohésion sociale mais aussi, à long terme,
pour être certains qu'il n'y ait pas d'influence justement de cette nature-là
qui pourrait arriver, là.
• (12 h 30) •
M. Drainville : Très bien.
Vous faites référence également… Dans votre mémoire, à la page 57, vous
dites : «L'Assemblée nationale pourrait
[...] s'inspirer de la décision prise par la ville de Québec en 2002 et
déplacer le crucifix à droite ou à
gauche du trône du président de l'Assemblée nationale…» Bon, j'imagine que vous
avez suivi nos débats. Dans le projet de loi, nous, on fait référence au
fait que c'est à l'Assemblée nationale et plus particulièrement au Bureau de
l'Assemblée nationale que pourrait être discutée la présence des symboles
religieux au sein, donc, de l'institution parlementaire, au sein de l'Assemblée
nationale. Ce que nous avons dit comme gouvernement — là,
c'est la partie gouvernementale qui
s'exprime — nous, ce
que nous avons dit, c'est qu'une fois que la charte est adoptée, donc une
fois que le cadre de neutralité religieuse
de l'État a été voté, nous, comme parti politique, comme formation politique,
nous serions disposés à soumettre au Bureau
de l'Assemblée nationale l'idée que le crucifix soit déplacé de l'endroit où il
est, c'est-à-dire au-dessus de la tête du président, à un autre endroit dans le
parlement, un endroit qui serait public, qui serait accessible et qui rendrait
justice à la valeur patrimoniale du crucifix. Donc, on vote le cadre de
neutralité religieuse et, par la suite, pour
bien marquer la neutralité de l'État et des institutions publiques de l'État,
on proposerait donc aux autres partis
politiques de déplacer le crucifix de l'endroit où il est, donc du salon bleu
où sont votées les lois à un autre endroit du parlement. Ce serait
public, très accessible, puis il y aurait probablement une plaque qui
expliquerait l'histoire de ce crucifix, etc.
Est-ce que ça vous semble un scénario
souhaitable? Est-ce que c'est un scénario qui vous semble acceptable?
M. Samson
(Samuel) : Bien, moi, je vous
dirais : Bien oui, c'est acceptable dans l'absolu. Ce n'est pas nécessairement, personnellement, la
position que je privilégie. Par contre...
M. Drainville : ...la
position que vous privilégieriez?
M. Samson (Samuel) : Bon, la
position que je privilégie, ce serait que le crucifix soit décroché du trône du
président mais qu'il garde quand même
sa place dans... Parce que, bon, c'est certain que, symboliquement, le lieu
où il est placé, c'est vraiment au centre puis ça domine l'Assemblée.
Puis un peu comme à la ville de Québec, ce qu'ils ont fait en 2002, c'est qu'ils ont enlevé le crucifix du trône du président,
mais ils l'ont quand même gardé aux côtés d'autres symboles importants...
M. Drainville : …salle du
conseil.
M. Samson
(Samuel) : …dans la salle du
conseil. Ils l'ont mis, dans le fond, à ma droite, donc à votre gauche puis… donc, le crucifix, au même titre qu'ils ont
conservé, par exemple, les armoiries de la Nouvelle-France,
certains tableaux de personnages illustres.
Donc, moi, ce que je dis,
c'est qu'à un moment donné, un symbole, ça a la valeur qu'on lui donne. Puis, par
exemple, si on prend le drapeau du Québec, la croix blanche, à l'origine,
signifiait l'appartenance au catholicisme; la couleur blanche, à l'Église
catholique; la couleur bleue, à la Vierge Marie; les fleurs de lis, au
royalisme français, qui eux-mêmes ont
adopté, la maison de Bourbon… les Capétiens ont adopté ce symbole-là par
appartenance à la Vierge Marie. Donc,
si on regarde le drapeau du Québec, au niveau symbolique, à l'origine, c'est un
symbole très religieux. Maintenant, la signification qu'on lui donne
aujourd'hui, que la population puis que les membres de l'Assemblée nationale
lui donnent, c'est davantage un symbole
identitaire qui est affranchi d'influence religieuse puis de la signification
religieuse.
Donc, le
crucifix, moi, je pense que ce serait important que l'Assemblée nationale
clarifie ce qu'il signifie en tant que… plutôt, c'est-à-dire, que
l'Assemblée nationale clarifie ce que le crucifix représente pour en faire
davantage un symbole historique plutôt qu'un
symbole religieux, puis à cet égard-là je pense que… au même titre que, par
exemple, le drapeau ici… pas le drapeau, le
tableau Le Conseil souverain ou, dans l'autre chambre, le tableau Le
débat des langues, ça rappelle des moments importants de
l'histoire du Québec, même si on sait qu'aujourd'hui, par exemple, le système politique ne fonctionne plus en un conseil
souverain puis que la question des langues, de la langue de l'Assemblée
nationale, d'usage à l'Assemblée nationale, est tranchée.
M.
Drainville : À la
page 9 et 10 de votre mémoire, vous faites référence au fait que l'État
québécois, et je cite, est un État
«de nature canadienne-française» voué à, toujours entre guillemets, «la défense
et [...] la promotion spécifique des valeurs,
de la culture et des intérêts de la majorité canadienne-française». Moi, je
dois vous admettre que ce n'est pas une conception de l'État québécois
que je partage, je vous le dis en tout respect. Moi, je suis plutôt de ceux qui
pensent que l'État québécois, s'il doit
défendre sa population, il doit défendre toute sa population, tous les
Québécois, c'est-à-dire tous ceux et celles qui vivent sur le territoire
québécois, peu importe qu'ils soient d'origine canadienne-française, vietnamienne, haïtienne, maghrébine, asiatique,
latino. Moi, dans mon esprit à moi, ça ne fait absolument aucune
différence. Qu'un Québécois soit de souche, de 10e génération ou de
première, c'est l'égalité, quant à moi. Et donc j'aimerais que vous m'expliquiez… Mais là je vous vois hocher
du… opiner du bonnet. Donc, vous n'êtes pas en opposition à cette
conception de ce qu'est un Québécois?
M. Samson
(Samuel) : Absolument pas,
M. Drainville. Sur certains éléments de la charte, ma position n'est
pas nécessairement la même que le Parti québécois, mais par contre là-dessus on
se rejoint totalement. Je suis…
M. Drainville : …comment vous
conciliez ça avec votre affirmation à l'effet que l'État québécois est un État
de nature canadienne-française qui est voué à la défense et la promotion
spécifique des valeurs, de la culture et des intérêts de la majorité
canadienne-française?
M. Samson
(Samuel) : Donc, dans le
fond, ce que je dis d'abord dans l'ensemble de ce chapitre-là où que, je
pense, c'est la définition des intentions,
en fait que je mets en contexte mon mémoire dans le cadre du projet de charte,
ce que je dis, ce n'est pas tant que
moi, je pense que l'État québécois doit être voué à la défense des intérêts de
la majorité d'origine canadienne-française mais plutôt qu'historiquement
c'est ce qui s'est, dans les faits, passé. Moi, en ce qui me concerne, je suis une personne… je me considère
comme un citoyen du monde. Je suis persuadé que nous formons tous une grande famille humaine puis je pense que, dans
cette mesure-là, les gouvernements doivent défendre l'intérêt de chacun
puis ne doivent pas seulement concilier l'intérêt de la majorité.
Par contre,
historiquement, le Québec, la vallée du Saint-Laurent, c'est un foyer
historique, le premier foyer de peuplement du Canada français, et puis
les gouvernements québécois ont souvent agi dans l'intérêt de la majorité canadienne-française. Si on regarde, par exemple,
le fait… la charte sur la langue française, ce n'est pas nécessairement…
Si on était en Colombie-Britannique, ça n'aurait peut-être pas eu lieu. Vous
comprenez? Mais ce que je dis, c'est qu'historiquement l'Assemblée nationale a
défendu les intérêts d'une majorité canadienne-française, mais je ne dis pas
que c'est ce que je souhaite nécessairement.
M.
Drainville : Bien.
Par ailleurs, à la page 31, vous observez que la primauté de la langue
française, l'égalité entre les femmes
et les hommes ainsi que la neutralité religieuse de l'État ne sont pas des
valeurs exclusives au Québec. Je suis tout à fait d'accord avec vous,
mais ce n'est pas parce qu'elles sont universelles qu'il ne faut pas affirmer
qu'elles sont québécoises, et le fait
d'affirmer que certaines valeurs sont québécoises contribue à les rendre
universelles. Parce qu'il y a des
personnes qui m'ont un peu critiqué en disant : Bien, vous ne devriez pas
qualifier ces valeurs de québécoises, puisque ce sont des valeurs
universelles. Alors, c'est un peu la réponse que je viens de vous donner à
cette critique-là. Moi, ma réponse à ça, ça
a été de dire : Bien, écoutez, de dire que l'égalité hommes-femmes, par
exemple, c'est une valeur québécoise,
ça n'enlève rien à son caractère universel, mais c'est une façon de dire que
c'est une valeur qui est fondamentale pour la société québécoise, pour
la nation québécoise, et qu'elle est aussi… — et c'est en ce sens-là qu'elle est également québécoise, pas seulement
universelle — elle est
marquée, cette valeur d'égalité hommes-femmes, par, je dirais, une dimension sociologique, là. Elle transporte avec
elle les luttes que les femmes ont menées, par exemple, pour le droit de vote, l'obtention du droit de
vote en 1940 sous Godbout, puis les grandes luttes qui ont été faites par
le mouvement féministe dans les
années 60, 70, 80 pour l'avortement. Donc, c'est en ce sens-là que
l'égalité hommes-femmes, comme valeur
universelle, est également une valeur québécoise, parce qu'elle est colorée
par, comment dire, la trajectoire historique qu'elle a suivie ici, au
Québec, dans la société québécoise.
Et je vous entendais
dire qu'à votre avis la charte n'est pas… contrairement au gouvernement, à ce
que dit le gouvernement, disiez-vous, ou
quelque chose comme ça, la charte n'apporte pas de cohésion sociale. Je voulais
juste vous dire
que la charte, actuellement, elle est source d'un grand débat au sein de la
société québécoise. La conviction que j'ai exprimée, c'est qu'au terme de ce débat, une fois que la charte aura été
votée, adoptée, avec le temps elle va produire de l'harmonie et de la
cohésion sociale, parce que, bien, d'abord elle va prévenir certaines des
frictions qu'on a connues à cause de toutes
ces histoires d'accommodements religieux déraisonnables qui ont eu lieu ces
dernières années, mais je pense
surtout qu'avec le temps, un peu comme c'est arrivé avec la loi 101, elle va
s'installer, elle va devenir de plus en plus consensuelle. La société
québécoise va réaliser que c'est le bon choix qu'elle a fait de s'assurer de
cette neutralité religieuse, de prendre les moyens pour l'installer, donc, au
sein de nos institutions publiques, et donc, avec le temps, elle va devenir une source de cohésion sociale et
de rassemblement. C'est ça, le… C'est le sens de la déclaration, je
dirais, que j'ai faite autour de cette idée de cohésion sociale. Est-ce que
vous me suivez?
• (12 h 40) •
M. Samson (Samuel) : Oui, je vous suis. Puis, comme je vous disais tout à l'heure, au début
de mon intervention, je suis pleinement en accord avec le fait qu'on
décide d'affirmer ces trois valeurs-là. La seule chose que je dis, c'est que l'une des intentions qui sont visées par
l'adoption d'une charte, éventuellement, c'est un peu en réponse avec le
malaise qui est palpable, là, depuis plusieurs années au sein de la société
québécoise, où, bon, il y a certains Québécois qui craignent d'être assimilés ou, sinon, d'être envahis. Ce n'est pas ma
crainte personnelle, mais, comme je vous dis, c'est la crainte de plusieurs
personnes au Québec.
Et
puis, dans les faits, ces trois valeurs-là, on les ressent, elles sont déjà
effectives. Donc, je ne vois pas… Si on se limite à ces trois valeurs-là, je pense que c'est un peu incomplet. Je ne sais pas si vous me suivez, mais, par exemple, la primauté de la langue française, ça fait plusieurs décennies déjà
qu'elle est affirmée à travers plusieurs lois, essentiellement, évidemment,
la loi 101, la charte sur la langue française. Puis après, l'égalité
hommes-femmes, j'espère du fond du coeur que
c'est une valeur qui fait l'unanimité au Québec. Puis finalement, la neutralité religieuse de l'État, je pense que ça fait plusieurs
décennies... Je ne pense pas qu'il y ait aucun membre de l'Assemblée nationale
ici qui soit influencé personnellement, qui
se fasse téléphoner par un imam ou un évêque pour lui dire quoi faire, là.
Donc, dans les faits, ces trois valeurs-là sont déjà palpables, sont
déjà tangibles au Québec.
Par contre... Oui?
M. Drainville :
Oui, excusez-moi. C'est parce qu'il me reste une minute, puis j'aimerais ça
vous poser une ultime question.
Il
y a déjà un débat qui commence à faire surface autour de cette reconnaissance,
donc, du français, de la primauté du français. Certains disent : On
aimerait mieux que ce soit le français, langue commune.
Est-ce que vous, vous
avez une préférence? Entre «primauté du français» et «français, langue
commune», qu'est-ce que vous préféreriez?
M. Samson (Samuel) : Bien, personnellement, je préfère «français, langue commune», parce que
les différentes langues, c'est relatif. La langue, c'est inhérent à la
pensée de quelqu'un. Donc, quand on parle bien une langue, on pense dans cette langue-là. Puis, si on dit qu'une
langue vaut plus qu'une autre, bien ça s'en vient un peu une intrusion
dans la liberté de pensée des gens.
M. Drainville :
Et rapidement je veux juste vous dire que...
Le Président (M.
Ferland) : En 10 secondes et…
M. Drainville : Oui, très, très vite. Je veux juste vous
dire : Article 11 et article 19 du projet de loi
reconnaissent que les patients qui ont des
besoins spirituels ont droit à ces services spirituels et que ceux et celles
qui leur donnent… que ce soit un prêtre, un rabbin, un imam, il peut
continuer à porter son signe religieux. Je voulais juste que vous soyez
conscient, parce que la question de la spiritualité, elle est importante dans
votre mémoire, et je...
M. Samson
(Samuel) : Oui. Puis c'est certain qu'au niveau...
Le
Président (M. Ferland) : Merci beaucoup. Merci. C'est tout le temps qui était imparti.
Alors, je reconnais maintenant le député de LaFontaine.
M.
Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Samson, d'avoir pris le temps de réfléchir,
d'écrire un mémoire de 58 pages qui est réellement étayé, étoffé. Vous
faites une étude et une analyse, également, comparée : le Québec versus d'autres régions du globe, le Canada
versus la France, les États-Unis et beaucoup d'autres pays, entre autres européens.
Alors, félicitations! Merci beaucoup pour le temps, d'avoir pris le temps de
rédiger ce mémoire, d'y avoir réfléchi et, aujourd'hui, pour votre présence
ici, en Chambre.
On
a parlé... Vous avez discuté à l'instant avec le ministre, entre autres, d'un
élément que vous mettez dans votre mémoire
et qui se retrouve dans le projet de loi, qui parle de la langue française, qui
traite de la langue française au Québec. Et on entend souvent parler… ou
c'est-à-dire qu'on entend souvent cet argument à l'effet que le débat de la
Charte de la langue française à l'époque,
lorsqu'elle a été introduite, en 1977, est tout à fait comparable et similaire
au débat que nous avons aujourd'hui,
et, chose certaine, lorsque l'on fait une analyse minimalement rigoureuse des
deux situations, on voit que ce n'est clairement pas le cas.
Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion ce
matin d'entendre mes remarques préliminaires, où l'on voyait les différentes
étapes qui nous ont menés, le 7 novembre dernier, au dépôt du projet de
loi n° 60, la charte des valeurs du PQ. Et avant cela il y avait eu… avant septembre
2013 il y avait eu des essais, des ballons politiques. On ne sait
toujours pas où en est la source, hein,
peut-être qu'il y a enquête présentement au sein du cabinet du ministre pour
savoir qui a coulé ces informations-là pendant cinq, six semaines, mais,
chose certaine, ça collait tout à fait à ce qui allait être, par la suite, le
contenu du document de consultation.
Alors, il y a
fort consensus sur neutralité de l'État, visage découvert, balises aux
accommodements, mais cependant, tant
dans la période ballon d'essai politique, interdiction des signes religieux
pour les fonctionnaires que dans la période document de consultation, septembre, octobre, il y a toujours un fort
consensus, mais il y avait toujours là un renforcement, je vous dirais, de l'interdiction de port de
signes religieux. Et, le 7 novembre dernier, dépôt du projet de loi
n° 60, la charte du Parti
québécois. Fort consensus — et vous êtes le troisième, ce matin, d'une longue liste que l'on
entendra, et c'est important de vous
entendre — où, là,
on voit que ce qui fait écueil, c'est l'interdiction de port de signes
religieux; plus uniquement, malheureusement, parce qu'il y a eu une
évolution mais pas dans le bon sens du Parti québécois, une évolution vers
l'élargissement de l'interdiction de port de signes religieux qui était au
départ sur certaines catégories, dans le
document de contestation... — contestation, voyez-vous, je traduis bien
l'état d'esprit sur ce point — le document de… — quel
lapsus! — pas
de contestation, de consultation, document de consultation que certaines
catégories de fonctionnaire allaient être
touchées, mais le projet de loi n° 60 dit : Écoutez, finalement,
beaucoup plus que ça, là — la division est là, là — alors public, parapublic, les employés des
contractants avec l'État et les employés de celles et ceux qui sont subventionnés. Lorsque l'on compare
aujourd'hui… Et, d'entrée de jeu, nous sommes au début d'une commission
parlementaire, le ministre a clairement indiqué qu'il n'a pas l'intention de
reculer sur l'interdiction de port de signes religieux,
pas uniquement pour public, parapublic, les 600 000 et plus que dénonce la
Commission des droits de la personne, mais
également pour les cocontractants et les subventionnés. Donc, le ministre,
là-dessus, à terme, malheureusement, ne bougera pas, il y aura toujours cette interdiction sur ce qui divise le
Québec. On peut certes… évidemment avoir un débat et essayer de bonifier les autres aspects qui font
très large consensus, mais on se rapporte toujours à cet élément de division
là.
Quand on fait l'argument… Et vous allez
l'entendre, M. Samson, et vous en avez glissé mot un peu plus tôt, que, vous savez, à l'époque, entre autres, les
libéraux étaient contre la loi 101, aujourd'hui les libéraux sont contre
la charte : Vous allez voir, ce
sera un document qui sera, à terme, harmonieux, si d'aventure il est adopté.
Et, à cet effet-là, l'on réfère à l'opposition libérale comme ayant été
non justifiée à l'époque.
Il faut se
rappeler évidemment, et vous en faites état dans votre mémoire, qu'il y a eu
quatre étapes, essentiellement, qui
nous ont menés aujourd'hui à la Charte de la langue française. Le ministre en
charge des Institutions démocratiques,
responsable des Institutions démocratiques dit qu'aujourd'hui tout le monde
trouve que la Charte de la langue française, c'est excellent, c'est un
bel équilibre. Mais il fait l'économie et il oublie de dire qu'il y a eu quoi?
Il y a eu quatre étapes nécessaires. Dépôt
du livre blanc par Camille Laurin, première étape. Deuxième étape : dépôt
d'un projet de loi 1 sur la Charte de la langue française. Troisième
étape : dépôt de la loi 101, parce qu'entre la loi 1 et la loi 101 il y a eu une commission
parlementaire, plus de 235 personnes avaient été entendues, et il y avait
eu par la suite des modifications fondamentales. 34 éléments
avaient été modifiés. Je peux vous dire que, de mémoire, 60 amendements avaient été faits entre le projet de loi 1
puis le projet de loi 101. Adoption de la loi 101. Et par la suite il
y a eu un nécessaire rééquilibrage par les tribunaux, quatrième étape.
Alors, le
consensus sur la Charte de la langue française aujourd'hui n'est pas comparable
à la mouture livre blanc, projet de loi 1, projet de loi 101
et évidemment le nécessaire rééquilibrage. En vertu de quoi? En vertu de nos
chartes des droits et libertés, donc cette
Charte de la langue française, aujourd'hui, qui fait presque l'unanimité et
qu'à l'époque nous avions eu, députés libéraux, raison de décrier parce
qu'il y avait eu une stratégie politique derrière ça.
Nous avons aujourd'hui, M. Samson, accès
aux documents internes, à l'intérieur du cabinet du ministre de René Lévesque... du cabinet Lévesque à l'époque,
où on voyait qu'il y avait une vive dissension, clause Québec, clause Canada, on allait faire perdre des droits à quelle
catégorie d'enfant pour aller à l'école, et ainsi de suite. Et, chose
certaine… Je vais vous donner l'exemple où…
Et on retrouve ça dans la biographie de René Lévesque, L'espoir et le
chagrin de Pierre Godin,
tome III, au niveau de l'interdiction qui avait été incluse sciemment par
Claude… Camille Laurin à l'époque, l'interdiction
d'avoir autre chose qu'unilingue français pour nos cours de justice notamment
et pour les lois du Québec. Ça allait
de façon frontale contre l'article 133 de la charte, de la Constitution
canadienne, mais à l'interne on peut lire, selon les documents retrouvés 25 ans par après… on
pouvait lire ce qui suit : «Durant la rédaction du livre blanc, Camille
Laurin s'est entêté malgré les avis des
juristes du Conseil exécutif qui le mettaient en garde contre le caractère
inconstitutionnel de la mesure. Des
années plus tard, il expliquera qu'il pratiquait l'aveuglement volontaire à des
fins politico-pédagogiques.» Là, nous
étions entre la troisième et la quatrième étape. Le projet de loi 101 qui
interdisait, dans les cours de justice, de parler autre chose que le
français, unilingue français, et également dans notre Assemblée nationale, il
avait inclus ça. Il y avait eu des avis juridiques qui lui disaient : Tu
ne peux pas faire ça, on a les minutes des conseils des ministres à l'époque, il y avait une vive division là-dessus,
et évidemment arriva ce qui devait arriver : six mois avant le
référendum, décembre 1979, décision de la Cour suprême. Les juristes de l'État
l'avaient dit à Camille Laurin, tout le monde au Parti québécois était au
courant.
Les études
juridiques qu'on demande aujourd'hui par rapport à : Est-ce que
l'interdiction mur à mur de port de signe
religieux… est-ce que ça tient la route par rapport à notre charte québécoise
des droits et la charte canadienne?, bien ces études juridiques là,
elles existent. On n'en aura pas accès.
• (12 h 50) •
Je reviens parce
qu'on veut faire une analogie entre l'adoption et notre opposition libérale,
qui est tout aussi responsable que la Charte
de la langue française à l'époque où étaient livre blanc, loi 1, loi 101
et avant les ajustements par nos
tribunaux, c'est la même opposition libérale responsable. Et force est de
constater que, les documents, nous en avons eu accès. Et la première citation, c'est à la page 177 du livre de
Pierre Godin. Et la dernière citation que je vais vous faire, pages 286, 287 : «En effet, le gouvernement
québécois s'est entêté à rayer l'anglais des tribunaux et du Parlement, faisant
fi de l'article 133 de la Constitution canadienne qui impose les deux
langues à Québec et à Ottawa. Le juge Duchesne ne pouvait que conclure à la
nullité totale du chapitre consacré à la langue de la justice et la
législation. La politique du pire adoptée
par le Dr Laurin pour faire oeuvre pédagogique et faire avancer
l'idéologie du PQ, assurait-il, trouvait ici son Waterloo.» Ici, c'est
Pierre Godin, évidemment, que tout le monde connaît comme biographe de René
Lévesque.
Il y a
eu par la suite — mettons-nous
dans le contexte historique, et c'est extrêmement intéressant — le
projet de loi 82. 13 décembre
1979, deux ans après, la Cour suprême dit ce que Laurin, ce que les péquistes
savaient : C'est illégal, vous
ne pouvez pas faire ça. À sa face même, ils le savaient, se sont réservés de le
dire, ne l'ont pas dit. Ils faisaient de l'aveuglement volontaire, on
vient de le lire par Pierre Godin. Ils faisaient de l'aveuglement volontaire,
ils voulaient créer une situation de
conflit. Il a dû y avoir une loi au Parlement. Et gardons en tête,
M. Samson, ce que savait Laurin le 13 décembre 1979, lorsqu'il
prit la parole pour dénoncer ce à quoi il s'attendait, parce qu'il le savait,
ses propres juristes lui avaient dit, mais il dénonça, M. le Président, et je
le cite, Camille Laurin, dans les galées, 13 décembre, page 4465 : «M. le Président, le jeudi
13 décembre 1979 restera marqué d'une pierre noire dans l'histoire du
Québec.» Il se disait, je cite, «désabusé, triste, humilié». «Un jour sombre,
un jour de deuil, un moment tragique de son histoire collective où elle aura dû accepter cette humiliation suprême, courber
la tête sous un diktat qui lui rappelle sa situation de conquise et
boire jusqu'à la lie cette potion amère au goût de cendres.» Fin de la
citation. Camille Laurin savait que la
décision de la Cour suprême… C'étaient ses propres juristes, les propres
juristes de l'État québécois qui lui avaient dit : Ça ne tient pas
la route, ça va contre… Mais il y avait là un calcul politique.
On demande aujourd'hui
d'avoir les mêmes études. La Commission des droits de la personne, M. Samson,
la Commission des droits de la personne a clairement dit… C'est un organisme
indépendant depuis la fondation de la charte
québécoise des droits et libertés. La Commission
des droits de la personne, de façon indépendante, avec des juristes, des femmes et des hommes hautement qualifiés, ils
sont venus dire que ce que propose le Parti
québécois, ça ne tient pas la
route, ça va directement à l'encontre de notre charte québécoise et de la
charte canadienne. Et, en ce sens-là, il existe des avis juridiques, mais force est de constater qu'aujourd'hui, après
les avoir demandés à plusieurs reprises, jamais nous n'en aurons copie,
parce qu'ici, évidemment, le gouvernement semble avoir, à toutes fins
pratiques — qu'il
nous les demande, sinon — semble
avoir un agenda politique de confrontation.
Pour
revenir sur l'aspect… Alors, pour conclure là-dessus, à toutes les fois,
M. Samson, qu'on vous prêtera ou que l'on vous fera l'argument de dire : Bien, voyez-vous, les libéraux,
à l'époque, la loi 101, ils étaient contre, aujourd'hui ils sont contre la charte, c'est les mêmes
libéraux qui étaient… La loi 101 d'aujourd'hui, encore
une fois, rappelez-vous les
quatre étapes. Elle a évolué, évolution qu'on ne retrouve pas. Même, on a eu la
confirmation, avant les 270 heures qui sont
devant nous, là, on a eu la confirmation du ministre : Les avis
juridiques, vous ne les aurez pas, on ne changera pas sur les signes, on va continuer de les interdire, et,
si d'aventure il y a une contestation judiciaire, bien il y aura
contestation judiciaire. Mais, pendant ce temps-là, il y a des hommes et des
femmes qui vivent cette division-là, et on en a des témoignages comme députés,
des hommes et des femmes qui ne veulent pas perdre leur emploi parce qu'ils ont
une conviction religieuse. Et nous,
libéraux, nous aurons toujours cette même approche là, M. Samson, d'avoir une
approche pour respecter les droits et
libertés puis faire avancer le Québec, probablement un libéral ferait avancer
le Québec sur ce qui fait consensus : les accommodements pour
qu'ils soient raisonnables, neutralité de l'État et faire en sorte que les
services soient donnés et rendus visage découvert, égalité hommes-femmes, c'est
très important.
Et
je conclurai, M. le Président, là-dessus, sur un deuxième aspect que vous avez
abordé avec le ministre. Vous, vous
dites clairement, le crucifix, que vous voulez le garder à l'Assemblée
nationale; le ministre a dit que, bien, il y aurait un processus
là-dessus. Deux citations du ministre pour éclairer sa réponse qu'il vous a
faite. La première, je le cite… Les deux,
là, je les tire de sa conférence de presse du 7 novembre 2013 dernier. Le
ministre, et je le cite, sur enlever le crucifix au salon bleu il disait : «On veut vraiment que, sur la
question du crucifix, la décision soit prise d'une façon qui soit la plus consensuelle possible.» Fin de la citation. Alors, on voit déjà là
deux poids, deux mesures : la plus consensuelle possible pour le
crucifix, mais, pour ce qui est de reste, là, il ne bougera pas. Et, contrairement
à ce qu'entre autres M. Haroun, un peu plus tôt, est venu nous dire, sur
des questions extrêmement divisives et fondamentales il faut un minimum de consensus,
il faut le plus large consensus.
Et également,
dernière citation de la même conférence de presse du 7 novembre dernier, je
cite le ministre : «Le jour où cette discussion aura lieu[...], le Parti
québécois sera favorable au déplacement du crucifix du salon bleu vers un autre
endroit.» Fin de la citation. Alors, on va appeler les choses par leur
nom : le Parti québécois a d'ores et déjà fait son lit, le crucifix va sortir du salon
bleu. Et c'est ce qui a été affirmé par le ministre lui-même
le 7 novembre.
Alors, une fois que
j'ai tout dit ça, M. Samson, j'aimerais, s'il vous plaît, maintenant
donner l'opportunité à mon collègue
d'y aller avec une question, mais, je
pense, c'était important de remettre
tout ça… Et je le sais, que, du
côté de la banquette ministérielle, ça ne fait pas leur affaire, ce qui vient d'être dit, mais
savez-vous quoi? On va prendre le temps. Comme opposition responsable, on a fait nos devoirs, on a lu ce qui
s'est passé à l'époque. On aura l'occasion pas de faire du filibuster, de faire des représentations
qui sont importantes et d'arrêter de laisser dire des faux-fuyants, comme
par exemple : La politique, c'est une
religion, puis un macaron du PQ, c'est comparable à une kippa. Non, ce n'est
pas la même chose, de un. Et, de
deux, bien, la loi 101 ils étaient contre, la charte du PQ ils sont contre
aujourd'hui, non, ce n'est pas la même chose. Peut-être que le pattern
est le même, peut-être que le chemin stratégique emprunté est le même. On voit
clair puis on va le dénoncer.
M. le Président,
j'aimerais que vous reconnaissiez mon collègue.
Le Président (M. Ferland) :
Oui, certainement. Donc, vous n'aviez pas de question, c'était un commentaire.
Alors, M. le député de Lotbinière-Frontenac, je crois.
M.
Lessard : Oui, merci. Dans la foulée de mon collègue de
LaFontaine, donc, M. Samson, bonjour. Merci d'avoir présenté un mémoire. J'ai vu que vous avez fait
déjà un essai. J'aimerais en avoir une copie, si c'était possible, pour…
parce que vous avez fait un peu le tour du Québec, des régions, ce que
j'entends.
Je comprends que, dans votre parcours — puis
j'aimerais ça entendre aussi la réponse — donc, dans les municipalités du Québec, plus de la moitié des
municipalités du Québec s'appellent «saint» quelque chose : Saint-Narcisse,
Saint-Patrice, Saint-Apollinaire. Le ministre essaie de nous rassurer en
disant : Écoutez, on ne touchera pas à ça, là, ça, c'est tout devenu patrimonial. Si tu envoies des enfants à l'école,
pas à l'école… Même l'école est devenue «saint»... Nous autres, c'était Paul-VI. Donc, ça aussi, ça
ne change pas. Si tu rentres à l'école Paul-VI, inquiète-toi pas, il n'y
a personne qui va essayer de te contraindre
d'apprendre quelque chose d'une religion. Si j'étais malade, j'allais à
l'hôpital Saint-Joseph, donc, Saint-Joseph va rester Saint-Joseph. Quand je
vais rentrer là, inquiète-toi pas, tu ne vas pas avoir personne qui va te
contraindre à apprendre une religion, tu ne vas rien que te faire soigner ta
maladie, etc.
Vous avez
dit : Les chemins de croix, les chemins de croix, toutes les croix. Moi,
en tout cas, en montant ici dans Lotbinière,
j'en ai rencontré au moins 10 à côté d'un cimetière. Le ministre dit : Ça,
ça ne changera pas, inquiétez-vous pas. Ça ne veut plus rien dire, ça ne veut pas exprimer la religion. Les
saintes vierges dans les églises, dans les villes, alors, dans la ville,
moi, à l'hôtel de ville, bon, il y a un sacré-coeur, il y a une sainte vierge,
il y a une croix, ça, inquiétez-vous pas, ça, ça va rester là.
Mais finalement il dit : Finalement, si
quelqu'un, par exemple, dans l'hôtel de ville devait porter une croix, ou une
kippa, ou... celui-là, lui, il est en train de te convaincre certainement, là.
Même si tu étais à la municipalité de Saint-Patrice,
dans l'hôtel de ville qui a une sainte vierge, attention, c'est plutôt la
personne qui va te charger ton compte de taxes qui, elle, est en train
de te convaincre de devenir catholique. Puis là, la bénédiction, le maire va à
toutes les bénédictions, le maire va à tous les événements religieux, le maire
demande la bénédiction des lieux.
Alors, vous
ne pensez pas que ça va changer? Au fil du temps, là, qui essaie de convaincre
qui? Le ministre dit : Tout le monde devra enlever tout signe parce
que ça n'a pas de bon sens, puis là il y a aura des accommodements,
c'est-à-dire on verra, dépendamment des religions, si on est capables de
diminuer le signe. Est-ce que la croix va être plus petite? Le kippa, lui, il peut-u rétrécir, le kippa? Je ne le sais
pas. Donc, est-ce que ces signes-là peuvent être réductibles au point que ça ne paraisse plus? Je pose même la
question au ministre à travers vous. Pensez-vous que, dans les régions
du Québec, ça peut changer des pratiques, le
fait que la loi est tellement dure, qu'il n'y a plus personne qui dit :
Bien, moi, ces affaires-là, je n'y vais plus, donc le maire ne va plus
se promener dans ces événements-là?
M. Samson (Samuel) : Oui, bien c'est
exactement ce à quoi je faisais référence, là, tout à l'heure, quand M. Drainville... bien, c'est entre autres ce
à quoi je faisais référence quand M. Drainville me citait puis que je
disais que, par exemple, en milieu rural, entre autres, des fois il peut
y avoir une certaine collaboration, ou les paroisses peuvent être le coeur
communautaire, puis que ça pouvait être menacé. C'est exactement ce à quoi je
faisais référence.
Puis aussi c'est certain, j'ajouterais, au
niveau des signes religieux, que, bon, pour nous, ça peut être difficile à
comprendre, parce qu'on vit dans une...
• (13 heures) •
Le Président (M. Ferland) :
C'est tout le temps, malheureusement, qui est à la disposition du parti de
l'opposition officielle. Maintenant, je reconnais la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président.
M. Samson, d'abord, merci d'être là. Merci pour votre mémoire, qui
est très étoffé, qui est intéressant. Je suis surtout heureuse de constater
qu'il y a des jeunes qui s'intéressent à la
politique et qui s'intéressent au débat sur la charte, c'est un débat qui est
important pour la société. Alors, c'est
rafraîchissant. Et vous avez dit quelque chose, et la journaliste en moi n'a
pas pu s'empêcher de prendre des notes. Vous avez dit : L'égalité hommes-femmes n'est pas une valeur, pour
les gens de ma génération, mais plutôt un fondement, c'est fondamental. Je trouve que c'est une très
belle phrase, et ça rejoint totalement notre position, alors je suis tout à
fait d'accord avec vous quand vous dites ça.
Et c'est beau de voir ça chez cette nouvelle génération qui s'en vient derrière
nous.
Maintenant, si on parle plus précisément de la
charte de la laïcité, vous avez dit, lors de votre exposé, que le modèle
italien était plus adapté que le modèle français au Québec. Alors, j'aimerais
savoir pourquoi. Pouvez-vous élaborer là-dessus?
M. Samson
(Samuel) : Oui. Bien,
écoutez, c'est simple. En France, on oublie souvent… C'est certain qu'on
est d'origine française. Maintenant, depuis
le traité de Paris, en France, il y a eu quatre révolutions, deux empires, deux
restaurations monarchiques, cinq constitutions républicaines, trois guerres
internationales sur le territoire, donc c'est
certain que la réalité en France est différente d'au Québec. Puis, étant donné
que pendant longtemps, en France, l'ordre public a tenu sur l'alliance entre la noblesse puis l'Église, le
gouvernement a voulu se prémunir de l'influence de l'Église. Maintenant,
au Québec, en 2014, même si l'Église a un apport exceptionnel dans notre
culture, je ne pense pas que le gouvernement ait besoin, là, concrètement de se
protéger de l'influence du clergé.
Si on regarde
le portrait sociodémographique du Québec, l'identité religieuse demeure très
importante, contrairement, entre autres, à la France, où il y a moins
de… il y a entre 30 % et 50 % de la population qui est catholique. Au Québec, on parle d'à peu près le
même pourcentage de personnes qui sont francophones. Et puis, de par cet
apport exceptionnel, le modèle italien où l'État est laïque, l'État italien
n'est pas soumis à aucune loi religieuse, n'est pas soumis… Même si le Vatican occupe une place importante, l'État
italien est vraiment neutre sur le plan religieux. Par contre, l'État italien, tout en reconnaissant la
laïcité… Je vais vous trouver ce qu'ils reconnaissent, l'État italien, ça
ne sera pas trop long. Mais bref, en tout cas, je vais vous le résumer :
L'État italien reconnaît que les principes et les valeurs du
catholicisme font partie du patrimoine italien. C'est ce qu'ils reconnaissent.
Et, dans les faits, ça se traduit par une tolérance, entre autres, aux
manifestations religieuses.
Moi, je pense
qu'au Québec, présentement, si on reconnaît l'apport du catholicisme… Parce
que, les Québécois, ce que beaucoup ont peur, c'est qu'ils perdent leur
identité. Il semble que le français est menacé, mais en réalité c'est peut-être dû à un manque de fierté de la langue
plutôt qu'à un manque de mesures, et puis il semble que l'héritage
religieux, leurs valeurs sont menacées. Mais moi, je pense que, si on dit, si
on reconnaît que, oui, ces valeurs-là font partie du patrimoine du Québec, du patrimoine vivant du Québec aussi, bien ça va
être beaucoup plus facile d'accepter les autres, d'accepter les valeurs des autres, d'accepter les traditions des autres,
d'accepter les croyances des autres, plutôt que de vouloir encore
limiter les croyances des autres.
C'est un peu la même chose qui s'est passée avec
le français. Bon, après 30, 40 ans de lois linguistiques, le français demeure menacé aujourd'hui. Moi, je pense
que ça tient davantage à la fierté des gens, parce qu'on leur dit… le message qu'on leur envoie, c'est : Le
français, c'est une langue… c'est faible, le français, c'est une langue qui est
menacée. Donc, les gens n'ont pas de fierté
à parler français. Nous, à notre école, au secondaire, on apprenait
l'étymologie de la langue. Par
contre, on avait aussi… Je ne pense pas que ce soit le fait d'apprendre
d'autres langues, par exemple l'anglais, qui menace le français. C'est
plutôt, comme je vous dis, le fait… le peu de fierté que les Québécois de souche
ont. Et puis, à cet égard-là, c'est un peu
la même chose au niveau identitaire. Je pense que, si on reconnaît quelle est
notre identité, puis, oui, en Italie, par exemple, on reconnaît que le
catholicisme, historiquement, ça fait partie de leur identité, bien, à ce
moment-là, c'est beaucoup plus facile de s'assumer puis d'accepter les autres.
Mme Roy
(Montarville) : Je vous remercie infiniment, puisque, dans
le projet de loi que nous avons déposé sur la charte de la laïcité, nous
voulons également préserver notre patrimoine culturel, historique et religieux,
alors je vous rejoins là-dessus. Je vous remercie beaucoup.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Alors,
sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à…
Une voix : …
Le Président (M. Ferland) :
Oh! Le député… Excusez, aïe, j'oubliais le député de Blainville! Allez-y, M. le
député, excusez-moi.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Samson, merci du travail que vous avez fait, du
mémoire que vous avez déposé, très étoffé, effectivement. Puis j'aurais
souhaité avoir tout le temps que les libéraux ont perdu à vous faire un discours partisan pour pouvoir échanger avec vous.
Écoutez, monsieur… Je trouve d'ailleurs… je suis un peu mal à l'aise parce que
je trouve que c'est une certaine forme de manque de respect. On vous a fait un
beau… Vous avez eu une belle preuve, là, de comment on peut politiser un
débat alors qu'on était là pour vous entendre.
Écoutez,
je vais être rapide parce que j'ai peu de temps. Dans votre avant-propos, vous
soulignez l'initiative du gouvernement de déposer un tel projet de loi
et, dans votre conclusion, vous vous questionnez sur la nécessité d'un tel projet
de loi. Même, à la limite… Je ne veux
pas vous mettre dans l'embarras, mais je me demandais : Est-ce
qu'il y a là une contradiction ou est-ce que
ce questionnement vient du fait que… Par la suite, vous nous donnez plusieurs
recommandations parce qu'il vous semble incomplet, parce que… Pour quelle
raison vous…
M. Samson
(Samuel) : Oui. Bien, comme
je vous dis, comme je l'ai dit tout à l'heure, les principes fondateurs du… les trois principales valeurs, j'y adhère,
puis, je pense, ce sont, oui, des valeurs communes, puis tous les
Québécois y croient, puis ça peut être une bonne idée de les reconnaître.
Aussi, ce que
je dis : Dans les modèles ailleurs dans le monde, on voit qu'il y a
différents modèles qui existent ailleurs. Ça peut être dans un contexte
d'intégration, dans le contexte où l'on veut poser un cadre. Ça peut être…
Je trouve que
c'est une bonne initiative, de proposer une charte de même. Par contre, comme
je le développe dans le… pour
plusieurs raisons, là, sur plusieurs aspects, je trouve que c'est incomplet.
Puis je trouve que, d'une part, ça ne permet pas d'affirmer l'identité
des Québécois, ça ne permet pas de préserver l'identité des Québécois, et,
d'autre part, ça ne permet pas non plus de…
Je trouve ça discutable au niveau du traitement des immigrants puis des
communautés culturelles.
M. Ratthé :
Ce que vous nous proposez, là, comme… En fait, j'allais dire : Ce qu'il
manque, selon vous, est-ce qu'on ne
le retrouve pas ailleurs, dans d'autres lois du Québec, par exemple la Charte
de la langue française, d'autres endroits? Est-ce que vous sentez que
c'est incomplet aussi un peu partout dans la législation du Québec ou…
M. Samson (Samuel) : Bien,
c'est-à-dire, ça dépend. Si on prend… Vous venez de me parler de la langue française. Au niveau de la langue française, ce
que je propose, ce n'est pas tant des initiatives législatives que peut-être
plus au niveau des politiques internes.
Donc,
présentement… Moi, comme je le disais tantôt, je suis francophone, je suis
francophile. Par contre, je pense que
le problème du français au Québec tient davantage aux Québécois de langue
française qu'aux autres communautés linguistiques, autres communautés
culturelles. Si on prend, par exemple, la minorité syro-libanaise en Égypte que je cite dans mon mémoire, malgré qu'ils
forment une fraction de la population, malgré qu'ils sont dans un
univers, dans un océan arabe, que c'est une langue
religieuse en plus, eh bien, ils vont non seulement mieux parler le français
que beaucoup d'entre nous, mais ils vont avoir… ils vont parler aussi d'autres
langues.
Donc, je pense, ça tient davantage à l'amour de
la langue. Puis cet amour-là, il s'apprend, il se développe en ayant une bonne conscience du rayonnement de la
langue puis en connaissant bien la langue, puis ça, ça passe par des cours d'étymologie puis un enseignement décent du
français. Moi, de la troisième année du primaire jusqu'à la cinquième secondaire, puis j'étais dans une des premières
écoles qui se classent, là, au ministère de l'Éducation, à la fin du…
aux examens, là, ministériels, on parle pratiquement juste des participes
passés, de l'accord des participes passés avec les verbes avoir et être. Ce n'est pas très motivant dans l'apprentissage
d'une langue, et je pense que le français est beaucoup plus riche, là,
donc…
M. Ratthé : Encore un peu de
temps?
Le Président (M. Ferland) :
Une minute, oui.
M. Ratthé : Vous avez
beaucoup parlé de l'importance des pratiques religieuses qui se font un peu
partout au Québec, dans différents… Est-ce que vous croyez que dans sa forme
actuelle le projet de loi pourrait mettre en danger ou en péril…
M. Samson (Samuel) : Oui.
M. Ratthé : C'est ce que vous
croyez?
M. Samson
(Samuel) : C'est absolument
ce que je pense, parce que, quand je parlais de signes précurseurs — parce que je parle de signes
précurseurs qui laissent envisager ça — sur le terrain c'est
littéralement certains organisateurs d'événement,
certains... même des maires avec qui j'ai eu l'occasion de discuter qui ont
soit d'ores et déjà abandonné des pratiques ou qui se préparent à les
abandonner.
M. Ratthé : O.K. Merci
beaucoup, M. Samson.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. le député. Merci, M. Samson, pour votre mémoire.
Alors, sur
ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures. Et je
vous demande de… Les gens qui veulent laisser leurs documents, la salle
sera sécurisée. Alors, bon appétit!
(Suspension de la séance à 13 h 9)
(Reprise à 14
h 7)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! La commission
reprend ses travaux. Cet après-midi, nous entendrons les représentants
de la Société d'histoire de Charlevoix, de l'Organisme de communication pour
l'ouverture et le rapprochement interculturel, le COR, et Mme Sylvie
Bergeron, et M. René Tinawi.
J'invite donc les représentants de la Société d'histoire
de Charlevoix à nous présenter leur mémoire, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes. Et je vous
demanderais, pour l'exercice, de vous présenter, vous nommer, ainsi que
la personne qui vous accompagne.
Société d'histoire de
Charlevoix
M. Gauthier (Serge) : Oui, bonjour.
Alors, Serge Gauthier, président de la Société d'histoire de Charlevoix.
M. Harvey
(Christian) : Christian Harvey. Je suis
directeur de la Société d'histoire de Charlevoix.
M.
Gauthier (Serge) : Alors,
notre mémoire s'appelle Pour une charte des valeurs québécoises
dans le contexte régional du Québec — Le
cas de Charlevoix. On commence
avec un petit exergue : «Si quelque
chose avait été différent ou
autrement, ce n'aurait plus été ce Montréal qu'il aimait, qu'il possédait dans
son ventre ou dans celui [...] qui étaient venus ici. [...]et tout autour de
lui, venant de toutes les rues avoisinantes, il y avait des étranges étrangers — car, pour lui, ils étaient étranges et étrangers — [...] dans ce Montréal lui devenant de plus en plus étranger...» C'est
un extrait d'un conte légendaire, j'y reviendrai tout à l'heure.
Pour tout dire, s'il est fréquent que la question
de l'intégration des communautés culturelles au Québec fasse l'objet de
discussions sur la place publique, il paraît bien plus rare de parler aussi
ouvertement de la réception ou de la
réaction des Québécois dits de souche face à cette immigration importante,
prenant une place nouvelle et désormais très significative au sein de
notre société. Bien vite, toute analyse semble freinée, à ce sujet, par une
certaine frilosité où les termes de «repli
sur soi» ou même de «racisme» apparaissent sans que cela soit vraiment
justifié. Une société établie
sur une histoire de quatre siècles a-t-elle le droit de mettre de l'avant ses
valeurs propres et son héritage face à une réalité culturelle plus présente?
Nous pensons clairement que oui.
L'extrait
cité plus haut, tiré d'un conte légendaire, comme je le disais, peut apparaître
quelque peu maladroit dans sa formulation directe, et, bien sûr, c'est
un peu naïf. Pourtant, il est aussi le reflet d'un fait social indéniable vécu
par beaucoup de Québécois qu'on appelle de souche et notamment en provenance de
diverses régions du Québec face à un Montréal multiculturel de plus en plus
étranger à la grande majorité des Québécois. Et ça aussi, c'est respectable.
• (14 h 10) •
Le présent mémoire
n'a pas pour but d'approfondir cette question, vous le comprendrez bien. Nous la jugeons
néanmoins importante, et il convient donc de la soumettre éventuellement à de
hautes autorités, qui, j'imagine, ne vont
pas l'écarter. Nous sommes plutôt une société d'histoire régionale, la Société
d'histoire de Charlevoix, un centre de recherche
aussi qui cherche sur l'histoire et le patrimoine de notre région, et nous
provenons d'une région du Québec
très enracinée sur le plan historique, peuplée de manière sédentaire depuis
1675 — j'insiste
quand même, 1675 — qui
se nomme Charlevoix, évidemment en l'honneur de l'historien jésuite
Pierre-François de Charlevoix, depuis 1855 nous portons ce nom, et il était auteur de l'Histoire de la
Nouvelle-France. Charlevoix est donc un lieu d'héritage, de conservation
séculaire, d'une part, de l'identité
québécoise, d'une réalité historique à ne pas oublier, d'une collectivité qui
ne sait pas mourir, comme l'exprimait
l'écrivain Louis Hémon. En fait, une société qui a tellement fait pour
simplement continuer d'exister qu'il faudrait bien l'écouter. Et voilà
ce dont nous voulons vous parler à travers les mots bien vivants de ce modeste
mémoire.
Premier point : histoire et religion. S'il
est un élément indéniable, c'est bien le côtoiement de l'histoire du Québec avec la religion catholique. Nul historien
ou même observateur ne saurait contredire ce fait. En ce contexte, nous
sommes d'accord avec le projet de loi n° 60 en son chapitre I,
article 1, où il est exprimé toute l'importance pour l'État de prendre en compte, le cas échéant, «des
éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec
qui témoignent de son parcours historique». Cela est significatif pour nous,
mais, en tout état de cause, il est encore plus important pour nous que
l'héritage historique du Québec soit enfin dégagé de la religion catholique
dont nos ancêtres ont tout fait pour se
sortir alors qu'elle les contraignait souvent. En ce sens, les nominations
toponymiques ou références emblématiques à caractère religieux, si elles
conservent leur pertinence historique pour le passé, ne devraient toutefois plus apparaître dans l'avenir. Il faudra, à ce
chapitre, être forts vigilants et ne plus permettre d'exception.
C'est que
l'effort pour sortir… Et ça, c'est un point très important pour nous. L'effort
pour sortir du religieux, dans notre histoire, a été plus exigeant qu'on
ne semble le dire trop souvent. Trop d'historiens — nous n'en nommerons aucun — passent ce fait sous silence et presque sous
prétexte qu'un retrait du clergé s'est fait en douceur au moment de la Révolution tranquille, dans les années 60. Rien
n'est moins vrai. Dans une région comme Charlevoix, les enfants ayant
étudié dans les écoles publiques dans les années 60, 70 l'ont encore fait
sous la direction de religieux, de religieuses et même en présence de ces
derniers, qui étaient moins significatifs peut-être. De fait, par exemple — et
ça, c'est un fait dans notre histoire récente — dans les années 70,
l'hôpital de Baie-Saint-Paul était encore sous la direction de religieuses. Les
commissions scolaires ont été confessionnelles jusqu'à tout récemment. Les
livres d'histoire même récents ont été
écrits par d'anciens religieux ou encore bien ancrés dans cette tradition
chrétienne; tout en la rejetant parfois, mais, sur le fond, elle était là encore. Donc, nous voulons plutôt dire
que, si le retrait de l'Église catholique au Québec s'est fait sans
esclandre notable, et ça, c'est bien, l'institution religieuse n'a pas été sans
tenir fermement à des acquis longuement
maintenus, et ce, sans raison nécessairement probante. C'est que le mélange
religion-État est un amalgame complexe, et il n'est pas si simple de
s'en délester.
Au Québec, en cette deuxième décennie de l'an
2000, tout particulièrement avec ce projet de loi n° 60 et cette charte de
la laïcité et de la neutralité religieuse, nous entrons dans un processus qui
sera, on l'espère, final et qui est significatif, qui est essentiel. Il ne faut
pas reculer. C'est un long cheminement vers la laïcité de l'État québécois et
ça ne peut pas être remis en question, en cause nécessairement parce qu'il
arrive de nouvelles religions, que l'on peut bien accueillir et qui sont au
sein de notre société, mais évidemment il faut respecter les valeurs établies historiquement ici. À notre avis, par une
réglementation juste et mesurée, la charte proposée par le gouvernement du
Québec vient plutôt assurer une continuité du cheminement profond du peuple
québécois au chapitre de la laïcité. Pour nous, il n'y a ici aucune atteinte au droit de pratiquer une religion. Il y a
plutôt simplement une proclamation nécessaire d'une neutralité
religieuse de l'État québécois qu'il faut maintenant préserver à tout prix.
Des valeurs
québécoises à affirmer. C'est le deuxième point, pour nous, très, très
important aussi. Nous pensons qu'en
tout lieu, au Québec, les valeurs de la laïcité, de la neutralité religieuse
doivent s'appliquer, et tout particulièrement celle de l'égalité hommes-femmes. Comme résidents d'une région québécoise, et c'est une grande inquiétude pour
nous, nous ne voulons pas nous retrouver avec une région de Montréal
complètement différente sur le plan socioculturel du reste du Québec, en particulier dans le cas de l'image donnée par
les employés de l'État dans la prestation des services. À notre avis, cette étrangeté de Montréal
alors qui se produirait, qui pourrait être perçue et qu'on perçoit déjà par rapport au reste du Québec, ne pourrait
que s'accentuer sans l'adoption de l'actuel projet de loi n° 60. Cela
serait dommageable tant pour le milieu montréalais que pour le reste du Québec.
Prônons-nous
pour autant un Québec unitaire sur le plan culturel? Bien sûr
que non, l'apport des communautés culturelles
est riche et essentiel. Cependant, pour le mieux-être du Québec
actuel, il est absolument nécessaire de mieux baliser les accommodements afin
de singulariser les valeurs communes régissant le fonctionnement de notre
société.
Aucun des éléments actuellement compris dans le projet
de loi n° 60 ne devrait donc être retranché. Nous pensons que les signes
religieux ostentatoires ne doivent pas être présents dans l'Administration et
dans les divers services publics et que la
règle doit être la même pour tous les employés de l'État.
On entend souvent «les gens qui sont cachés
derrière leurs bureaux». Moi, j'aimerais savoir comment on peut régler ça. Est-ce qu'ils sont bien cachés, ils sont un peu
cachés? Est-ce qu'ils sortent de temps en temps? Alors, voyez-vous,
dès qu'on fait une règle, eh bien, il faut l'appliquer. Et le risque d'une règle, c'est qu'elle soit
diffuse, confuse, et je pense qu'il ne faut pas. Donc, c'est une base
essentielle.
Le projet de loi n° 60
est-il utile même en région? Absolument, pour circonscrire un vécu commun pour
des communautés culturelles nouvelles qui
s'établissent désormais en plus grand nombre partout dans nos régions, et on
est contents de les accueillir; aussi pour
qu'il soit clair, avec les mêmes règles, qu'elles s'appliquent partout, particulièrement
à Montréal où la question est déjà cruciale. Les mouvements religieux cherchant
à empêcher la mise en oeuvre de ce projet de
loi nous semblent faire un mouvement
à l'envers du cheminement historique et culturel du Québec contemporain, il ne faudrait pas
permettre cela.
En conclusion, M. le Président, si j'ai encore
quelques minutes...
Le Président (M. Ferland) :
…secondes.
M.
Gauthier (Serge) : Un Québec
de la laïcité et de la neutralité religieuse à affirmer partout. Le résident
d'une région québécoise a-t-il le droit de se reconnaître comme étant chez lui
sur l'île de Montréal? Assurément. Et voilà la nécessité actuelle du projet de
loi n° 60. Il ne faut pas reculer là-dessus. Ce projet de loi
constitue une affirmation précieuse en ce domaine, et nous voulons et nous
souhaitons qu'il soit adopté.
Ce n'est pas
un geste de fermeture mais d'ouverture, d'inclusion. Moi, j'en ai côtoyé beaucoup,
des immigrants, dans ma vie. Mon
beau-frère est un Laotien, nous le côtoyons depuis 30 ans, et au jour de
l'An il a mangé de la tourtière de Charlevoix avec nous autres. Alors
donc, on est très accueillants, on l'est depuis longtemps.
Le Président (M. Ferland) : Malheureusement,
monsieur, c'est tout le temps...
M. Gauthier (Serge) : Alors donc, je
pense...
Le Président (M. Ferland) :
M. Gauthier, excusez.
M. Gauthier (Serge) : Est-ce que
vous me permettez ma dernière phrase?
Le Président (M. Ferland) :
Non, le 10 minutes… Je dois respecter le temps, malheureusement.
M. Gauthier (Serge) : Elle venait de
Laure Gaudreault, notre syndicaliste, là.
Une voix : …
Le Président (M. Ferland) :
On va le prendre sur le temps du ministre, j'ai la... Allez-y.
M.
Gauthier (Serge) : Alors
donc, je cite Laure Gaudreault, une grande syndicaliste qui a défendu — qui vient de Charlevoix — les
règles… l'égalité hommes-femmes. Elle disait : Le passé, c'est important,
mais on s'est arraché le coeur à le changer. Alors, faisons donc que l'héritage
de laïcité que Laure Gaudreault, de Charlevoix… et d'ailleurs aussi et tous les
gens qui se sont battus pour ça, on le protège.
Le Président (M. Ferland) : Alors,
merci, M. Gauthier. Alors, je cède maintenant la parole, pour la période
d'échange, à M. le ministre.
M. Drainville : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci, M. Gauthier, et bienvenue parmi nous.
D'abord,
j'aimerais... On va faire ça un peu en entonnoir, si vous me permettez. Je
regarde l'une des premières phrases que vous utilisez dans votre
mémoire. Quand vous dites... Quand vous parlez d'un Montréal multiculturel de plus en plus étranger, ça peut nous sembler...
quand on le lit comme ça, quand on vous entend le dire, on peut
percevoir ça comme si le Montréal multiculturel était un peu menaçant, et par
ailleurs... Bien, c'est parce que vous dites «de plus en plus étranger», alors
ça peut sembler menaçant pour vous que ce Montréal multiculturel. Mais en même
temps vous ajoutez… plus tard dans votre mémoire, vous dites : «L'apport
des communautés culturelles est riche et [il est] essentiel.» Donc, c'est clair, pour vous, que le fait que le Québec
accueille des gens d'ailleurs, que le Québec soit une société qui se
nourrit de néo-Québécois venus de tous les coins du monde, c'est, pour vous,
une richesse, mais en même temps, quand on regarde l'une de ces phrases, ça
semble un peu menaçant également pour vous.
M. Gauthier (Serge) : C'est un peu
provocant, hein?
• (14 h 20) •
M. Drainville : Alors,
comment vous conciliez les deux?
M. Gauthier (Serge) : C'est qu'en
fait…
M. Drainville : À la fois
vous dites : L'immigration est une richesse qui est essentielle, mais en
même temps vous semblez dire : C'est un peu menaçant.
M. Gauthier
(Serge) : C'est que le conte, évidemment, a pour objectif de faire
réfléchir un petit peu et d'en mettre un petit peu, dans le sens que je pense que tous les gens qui vivent dans les régions,
on l'entend souvent : À Montréal, c'est
différent, à Montréal, c'est un peu autre chose. Et moi, je me dis : On a
beaucoup fait attention à la façon dont les
immigrants étaient acceptés ici, dont on les recevait… Et c'est très important,
je vous l'ai dit tout à l'heure. Moi, en 1985, on a reçu ce monsieur laotien là qui nous a beaucoup dérangés,
c'était étrange pour nous, mais, à partir de ça, à partir de cette notion-là, je me dis : Le fait que
nous, les Québécois, on soit un peu dérangés, qu'on soit un peu surpris — le
personnage du conte légendaire, il est surpris de cette chose-là — ça
aussi, c'est à recevoir. Ça aussi, c'est à respecter.
Et ce n'est pas vrai que vis-à-vis de toute réalité autre on est tout de suite
accueillant, qu'on est tout de suite content, qu'on est tout de suite
fier. On a une période d'adaptation. Et je demanderais, moi, que les Québécois
de souche aient le droit aussi d'avoir ce
sentiment-là sans se sentir xénophobes, sans se faire accuser de ceci ou cela,
et par la suite, bien sûr, accueillir, et on les accueille avec grand
plaisir.
Donc, retenons que le
côté du conte est un peu provocant et que, d'autre part, ça nous permet de
prendre en considération ce qu'on n'entend pas beaucoup dans les médias
actuellement, que finalement les gens, les Québécois de souche ont raison aussi parfois d'être surpris. Et moi, quand
j'entends ça autour de moi, je ne me sens pas scandalisé, je me dis : C'est vrai que c'est surprenant. Et
on apprend à vivre. Et, depuis 30 ans, on a appris beaucoup, et on va apprendre
encore dans l'avenir. Mais n'ayons pas peur, quand même, de vivre notre
sentiment, et de le recevoir comme tel, et surtout
de s'assurer que les règles et la loi nous permettent de vivre ça
merveilleusement et bien, le mieux possible, en tout cas, parce que plus il y a des lois qui sont
claires — et je le
sais pour côtoyer des immigrants — plus ils sont contents, en général,
et plus ils sont... C'est clair pour eux, et ils le reçoivent bien, ça.
M. Drainville :
Vous dites : Plus ils sont contents que les règles soient claires?
M. Gauthier (Serge) : Oui. Très souvent, les gens qui arrivent ici, ils sont contents de
recevoir nos règles, ils sont contents de recevoir ce qu'on pense et ce
qu'on veut. Alors donc, dans la mesure... Et c'est ça qui est le plus grand risque, dans le projet de loi, c'est qu'à un
moment donné il y ait beaucoup d'accommodements. Et d'ailleurs c'est
fait pour les accommodements dits raisonnables. Donc, il faut, à un moment
donné, qu'il y ait des accommodements et il faut qu'il n'y en ait plus aussi à un moment donné, qu'on dise : Bon,
c'est ça. Et la mesure où c'est raisonnable, quand on dit : C'est ça, c'est comme toute loi, hein, et le
risque est toujours de dire : On enlève un petit morceau, on enlève ci, on
tasse un peu un bureau, puis là ce n'est
plus visé. Bon, il faut avoir des choix. Et je pense que, les immigrants, en
général, moi, ce que j'ai vu, si ces
choses-là sont bien clarifiées, pour la majorité ils vont se sentir à l'aise et
ils vont se sentir accueillis. Ils vont recevoir quelque chose de clair.
M. Drainville :
Et donc, dans votre... Donc, dans le fond, ce que vous dites, c'est que le
contrat social entre la société d'accueil et ceux et celles que nous
accueillons — et
qui sont une richesse, comme vous le dites vous-même — ce
contrat-là aurait intérêt à être clarifié, et c'est un peu ce que fait le
projet de loi n° 60. Est-ce que je vous comprends bien?
M. Gauthier
(Serge) : Absolument. Et c'est ce que fait le projet de loi.
M. Drainville :
Oui, je vous comprends bien? Je vous comprends bien, oui?
M. Gauthier (Serge) : Oui, vous me comprenez très bien. Et c'est pour ça qu'on ne pense pas,
nous, qu'il faut reculer, là, sur ce que vous avez proposé, c'est bien
important de le conserver. Et tout recul là-dessus amène... Et je crois, moi, que, pour la majorité des gens qui
arrivent ici, ça devient de plus en plus insécurisant. Plus on ajoute de
reculs, plus on ajoute de, bon… Il faut
avoir... Et c'est comme ça dans toute loi, hein? Si vous dites : Vous
pouvez traverser un peu sur la
lumière rouge et vous pouvez... de tel côté vous êtes correct... Non, vous ne
pouvez pas traverser sur la lumière rouge.
Bon,
à un moment donné, une société équilibrée et juste arrive à dire : Bon,
l'accommodement qu'on retient, c'est celui-là.
Et nous, on trouve que ce que vous proposez est bien, très bien, et ce n'est
pas du tout, pas du tout si radical que ça, c'est quelque chose qui se
vivrait. Mais évidemment, quand on le vit avant, bon, là on a plein d'appréhensions.
Quand on le vit après… Probablement que dans quelques années on n'aura pas les
mêmes appréhensions qu'on a maintenant. J'en suis… On est sûrs de ça, nous.
M. Drainville :
Et pourquoi ça vous inquiète autant, qu'il y ait une dilution ou qu'il y ait
une forme de recul sur la charte?
Parce que ça revient beaucoup dans ce que vous dites. Vous dites : Il ne
faut pas reculer, il faut tenir la position. Est-ce que vous avez des
inquiétudes là-dessus?
M. Gauthier
(Serge) : Oui. On voit les... Souvent, les médias, d'ailleurs, vont
beaucoup là-dessus, comme si ce qui était proposé là-dedans était radical,
hein? Nous, on ne le voit pas comme ça, je pense que c'est loin d'être radical. C'est quelque chose qui est équilibré,
qui a déjà été bien réfléchi, selon ce qu'on pense, nous. Alors donc, un recul le moindrement sur ce qui est déjà quand même
assez modéré, selon ce qu'on peut voir et… à mon avis, donc,
amènerait possiblement une difficulté d'application. Et, dans toute démarche,
bien, soit on l'applique, soit on ne l'applique pas. Il y a un seuil où on peut
l'appliquer; il y a un seuil où on l'appliquerait, puis ça ne donnerait pas
grand-chose, en fin de compte, on pourrait
rester comme on est là. Dans la mesure où on a un certain vague, un certain
flou, pourquoi faire une charte? Pourquoi faire un projet de loi et une
loi, hein? Restons comme on est là et on sera dans le flou. Mais ce n'est pas
ça que les gens veulent, ce n'est pas ça qu'on ressent.
M. Drainville : Vous sentez
ça autour de vous, vous, hein?
M. Gauthier
(Serge) : Absolument.
M. Drainville : Les gens que
vous côtoyez dans votre… dans le Charlevoix que vous aimez tant, vous sentez
qu'ils veulent que cette charte-là soit adoptée, ils veulent des règles plus
claires en matière d'accommodement, ils veulent que l'égalité hommes-femmes
devienne une sorte de valeur non négociable? Vous sentez ça autour de vous?
M.
Gauthier (Serge) : Oui,
parce que… Mais je ne dis pas que le projet… C'est des choses que les gens se
parlent beaucoup tous les jours, là, hein? Nous, on n'en a pas beaucoup,
d'immigration, dans Charlevoix, compte tenu de notre contexte économique, mais,
dans les faits, je me dis, même… Et on l'a regardé dans notre analyse. Si un
jour il n'y a pas ces accommodements-là qui
sont bien faits, ça pourra être plus difficile. Le jour où les gens, bon, vont
dire : À un moment donné, là, la coupe déborde… Ça ne déborde pas, mais il
ne faudrait pas qu'à un moment donné les gens se sentent mal à l'aise.
Et moi, je
regrette, mais les gens autour de moi qui vont à Montréal et qui reviennent
dans Charlevoix, ils disent, bon : On trouve que c'est différent,
hein, on trouve que c'est surprenant, on trouve que c'est un peu étrange. Et
donc on le reçoit, ça.
Mais là,
actuellement, ça peut être quelque chose de bien bénin, mais peut-être que par
contre le problème s'est soulevé. Il
y a eu une commission Bouchard-Taylor là-dessus, donc il y avait un problème.
Faisons donc que solidairement on
arrive à une mesure équilibrée et qu'on se tienne pour un bout de temps, pour
un bon moment, et ça réglera la question.
M.
Drainville : Vous
dites : Ils reviennent de Montréal et ils trouvent ça différent, hein,
c'est le mot que vous utilisez. Mais
le «différent», le mot «différent» peut être un différent positif, ça peut être
différent positif. Ce que je sens dans
le propos que vous tenez, c'est que, quand ils disent : C'est différent,
ce n'est pas une différence qui est tout à fait positive pour eux.
Est-ce que je me trompe? Non?
M. Gauthier
(Serge) : La différence est
toujours… À mon avis, c'est positif, une différence. Mais je
l'expliquais tout à l'heure. Je regardais : 1675 pour le peuplement
sédentaire — là,
on ne compte pas les Amérindiens, les autochtones — c'est une bonne date. C'est ancien, ça,
hein? Ça, c'est un héritage. C'est pour ça qu'on a voulu être là, la
société d'histoire, parce que ça, c'est quelque chose, et ça, on y tient. Ça,
c'est à nous.
Et, quand on
arrive pour avoir un service, je veux dire, par exemple, dans l'État, c'est
intéressant et nécessaire que partout au Québec ça se ressemble et que,
si moi, j'ai besoin d'un service à Montréal, je ne me sente pas dans un autre contexte que… Et je pense qu'on doit ça à
nos ancêtres, on doit ça à cet héritage-là. J'évoquais tout à l'heure
Laure Gaudreault, qui est une femme extraordinaire, hein, qui s'est battue pour
l'égalité hommes-femmes, hein? Elle se faisait
dire : Tu es une vieille fille, hein, par l'Église catholique, et puis tu
n'as pas le droit de parler, hein? Bon, elle avait lutté pour ça. Un
acquis historique, ça.
Alors donc,
il faudrait que partout au Québec, dans l'Outaouais, à Montréal, en Abitibi, en
tout lieu où on va, dans les services gouvernementaux, on se sente chez
nous. Et on est… C'est important. Il y a la différence, mais pas non plus la
confusion.
• (14 h 30) •
M. Harvey
(Christian) : Peut-être également
un commentaire. Beaucoup de ce qu'on entend, c'est le cheminement historique
du Québec du point de vue de la laïcité. On n'en parle souvent, de ce
niveau-là, et cette étrangeté-là qui est perçue est liée surtout à ce
cheminement difficile par rapport à la laïcité, à la place également de
l'Église catholique.
Alors, la laïcité
n'a pas été donnée, et, les gens qui ont vécu, souvent, dans le milieu
catholique assez refermé des années
avant 1960, alors c'est quelque chose de très… Ça a été une lutte importante pour les Québécois,
souvent, dans les régions, le phénomène
de la laïcité, alors c'est un… Souvent, lorsqu'on perçoit les accommodements, alors, le cheminement de la société québécoise dans son ensemble, alors
la laïcité, lorsqu'il est perçu dans des décisions qu'elles vont à
l'encontre de cette valeur-là, alors on trouve ça quand même assez difficile,
au niveau des régions. Alors, souvent, la phrase qu'on entend, c'est : On
a eu beaucoup de difficultés de se sortir de l'Église catholique, de sa… bon,
je ne dirai pas «sa domination», de sa place
très présente. Alors, disons que les gens québécois sont beaucoup moins enclins
à accepter une religion, peu importe son origine, qui vient, d'une
certaine façon, changer le rapport hommes-femmes, par exemple, qu'on parle
assez souvent.
Alors, la laïcité, j'allais dire, au niveau
des régions, ce n'est pas seulement une crainte de Montréal, c'est vraiment
une volonté… c'est un changement de mentalité même des Québécois qui s'est fait
dans les 40 dernières années par rapport à la laïcité. Alors, c'est quelque
chose qu'on s'est battus très, très vivement, alors on parle beaucoup, dans le mémoire, que ça a été très difficile de se sortir
de ça, et je dirais que beaucoup… les Québécois en région, ils disent souvent : On a
eu beaucoup de misère à se sortir de cette emprise-là, l'Église catholique, et
on cherche par tous les moyens à avoir une société
laïque où une Église ou d'autres religions ne viendront pas interférer sur les
droits acquis dans le passé. Alors, je pense, c'est très important au
niveau de la pensée.
M.
Drainville : Dans le
fond, ce n'est évidemment
pas dans les mêmes mots, mais, quand je disais ce matin, au moment de… Lorsque nous avons commencé nos
travaux, quand je disais que l'un de nos défis, notre responsabilité comme commission, c'est de
conjuguer identité et diversité québécoises, dans le fond, c'est un peu ce que
vous venez nous dire. Il faut s'assurer de
préserver l'espèce de fondation commune que nous avons déjà, qui est le fruit
d'un cheminement historique, mais en même temps il faut le faire en le
conjuguant, en conjuguant ce cheminement-là avec l'apport des gens qui viennent
d'ailleurs, et essayer de faire en sorte que tout le monde s'y retrouve,
que tout le monde se retrouve autour d'un certain nombre de
repères communs. Parce que moi, je vous dirais, une des grandes difficultés, je
dirais, dans la construction de cette
charte-là, c'est qu'il fallait justement trouver un bon point d'équilibre, il
fallait trouver le bon point d'équilibre entre, justement, respect des
libertés individuelles, affirmation des valeurs communes. Puis vous aurez remarqué — enfin, vous l'avez remarqué, parce que vous
en parlez abondamment dans votre mémoire — on a voulu également garder un espace pour le patrimoine historique, pour la
protection, justement, des éléments emblématiques, des éléments toponymiques. Alors,
pour reprendre l'exemple du député de Frontenac-Lotbinière ou
Lotbinière-Frontenac tout à l'heure, cette reconnaissance, donc, des
éléments toponymiques et emblématiques va faire en sorte justement qu'on va pouvoir garder le nom des hôpitaux qui
commencent par «saint» ou qui ont une référence religieuse ou encore le
nom des villages, et tout ça. Pour nous, c'était très important, dans la
construction du projet de loi, de s'assurer justement que ça s'inscrivait dans
une trajectoire historique, et ça faisait partie, je vous dirais, de l'espèce
d'équilibre qu'on essayait d'atteindre avec ce projet de loi là.
D'ailleurs,
dans votre mémoire, vous vous réjouissez donc de cette reconnaissance des
éléments emblématiques et toponymiques du patrimoine culturel. Est-ce
vous pourriez nous donner des exemples, dans le fond, tirés, donc, de votre
région, de Charlevoix, des exemples de symboles qui correspondent à cette
définition d'élément emblématique, d'élément toponymique?
M.
Gauthier (Serge) : C'est
certain que, l'héritage catholique, évidemment, nous… Ce n'est pas les
historiens qui vont vous dire ça. On ne va
pas le gommer, on ne va pas l'effacer, on ne va pas dire demain matin : Ça
n'a pas existé, là. Et ça, c'est
important de le préserver. Je pense que tout le monde s'entend pour dire que ce
serait vraiment idiot de, demain matin, commencer à enlever tous les
noms de saint et tous les noms de… Quoique, pour les hôpitaux, ça s'est fait progressivement. Les écoles aussi, je pense, hein,
tranquillement. Donc, ça, c'est des phénomènes qui se feront progressivement, avec le temps, et qui feront que,
dans plusieurs années, ces noms-là auront moins, peut-être, de portée ou
de sens pour les gens. Ce sera à eux à voir. D'ici là, il n'y a pas à forcer
là-dessus.
Nous, ce
qu'on a voulu, et, je pense, Christian l'a bien dit, on voulait aussi montrer
qu'il y a un héritage de la laïcité, hein,
qu'il n'y a pas juste un héritage du religieux. Il y a un héritage de la
laïcité, de gens qui, eux, ont fait moins parler d'eux dans les livres d'histoire, parce que souvent les livres
d'histoire étaient écrits par des religieux. Et ça existe aussi, ça, et,
cet héritage-là de la laïcité, on doit aussi le recevoir. Et maintenant il est
là, là, et c'est sur ça qu'on doit… Donc, dans l'avenir — c'est
pour ça, on a mis une note là-dessus — il est bien entendu que, là,
ce serait à faire très attention de réutiliser
un discours religieux quelconque pour des nominations, pour des… on a plein de
choses, plein de noms, plein de héros qu'on peut utiliser qui ne sont
pas nécessairement liés à des situations religieuses, pour que la neutralité,
évidemment, et la laïcité soient affirmées aussi dans ça.
M. Drainville : Donnez-nous
des exemples de ces nouvelles appellations qui sont le produit du processus de
laïcisation, justement, des 50 dernières années.
M. Gauthier (Serge) : Je l'ai
soumis, par exemple, à une municipalité, bon, on a voulu faire un comité de toponymie. Bien, on a leur a soumis une série de
noms de personnages plus récents qui ont des faits historiques
importants, des femmes en particulier, hein,
qui ont été beaucoup cachées dans… Je parle de Laure Gaudreault. Je
l'utilise à dessein parce qu'elle était vraiment dans l'esprit d'une certaine laïcité,
d'un certain engagement de relations hommes-femmes. Bon, elle a déjà
une montagne. Mais donc on en a beaucoup, de noms qui justement ont été
négligés — je
parle de la toponymie, là — et
il s'agit de demander à des historiens, et, dans toutes les régions du Québec, les sociétés
d'histoire vont vous soumettre des listes très, très précises et ils vont vous…
Et je pense que c'est dans ce sens-là qu'il faut aller. Et on peut utiliser
aussi, dans la région de Montréal, les noms de gens de communautés ethniques
aussi. Pourquoi pas, hein? Je ne suis pas… On n'est pas du tout fermés à ça.
Ça, ça n'existe pas beaucoup non plus.
M. Drainville : Au contraire,
oui, justement. Je suis d'accord avec vous. Il faut que de plus en plus cette
diversité qui est de plus en plus une réalité au sein de la société québécoise
soit reconnue, justement, on s'entend tout à fait là-dessus.
Il me reste deux minutes?
Le Président (M. Ferland) :
Deux minutes à peu près, oui.
M.
Drainville :
Dites-moi, votre décision de venir déposer ce mémoire devant la commission,
parlez-nous un petit peu du processus qui vous a amenés là, parce que ça
prend quand même un… ce n'est pas évident, là, surtout cette première journée. Vous arrivez, vous débarquez,
vous voyez l'attention médiatique, et tout ça. Pourquoi vous avez senti
que c'était important pour vous, comme société d'histoire, de vous positionner
dans ce dossier-là?
M.
Gauthier (Serge) : En fait,
il y a des moments, dans un peuple, où il y a des choses qui sont très
importantes, et, je pense, quand on en a discuté, pour nous, c'était un moment,
ça. Je me rappelle de la loi 101, moi, et puis je suis quand même assez vieux pour m'en rappeler, et je
retrouvais dans ce débat-là beaucoup de choses qui étaient proches de ce
qu'on vit maintenant, là, parce que souvent les gens disent… J'entendais encore
ce matin je ne me souviens plus qui, mais
qui disait, bon : On est 100 % derrière la loi 101. Mais, en
1977, là, les gens n'étaient pas 100 % derrière la loi 101, hein, il y avait beaucoup d'opposition. Il y avait
beaucoup des arguments qui ressemblaient à peu près à ce qu'on entend maintenant : Pas
respectable au niveau de la loi, ça va être contesté. Bon, ça l'a été, mais
c'est des moments importants. Et cette
affirmation-là, en toute bonne foi et en tout respect des autres, de la foi des
autres, de ce que les autres sont, est un moment de dire, comme collectivité… Et nous, les sociétés d'histoire, de
Charlevoix ou d'ailleurs, si on n'est pas là, là, dans ces moments-là,
de dire : Ce qu'on a comme bagage, hein, bien c'est précieux, on
l'affirme… Et on reçoit l'héritage de la
laïcité. On conçoit une espèce de contrat de société qui fait que maintenant on
fonctionnera très bien et on pourra avoir des repères précis. Puis ils ne seront pas parfaits, il n'y a aucun
repère qui est précis, qui est parfait pour toujours, mais au moins on
l'a fait.
Alors, nous, on avait le goût de participer à
ça, mais je ne vous dis pas que c'était facile. Christian et moi, depuis une semaine, on est nerveux. Ce n'est pas
notre domaine, de venir ici parler de ça, mais c'est important, pour
nous, de témoigner. On fait une société
d'histoire. Moi, ça fait 30 ans que je m'occupe de la Société d'histoire
de Charlevoix. Alors, c'est pour, justement… Et, quand on entend
beaucoup parler des communautés, oui, c'est très bien. Parlons aussi de nous,
c'est important. Je veux dire, nous, on voulait parler un peu…
Le Président (M. Ferland) :
Merci. Merci, M. Gauthier.
M. Gauthier (Serge) : …aussi de
comment nous, on se sentait, et comment nous, on vivait ça…
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci.
M. Gauthier (Serge) : …et comment
nous, on voulait être une… clairement une majorité…
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. Gauthier. C'est tout le temps qui est…
Une voix : …
Le
Président (M. Ferland) : Eh oui. Ou je ne parle pas assez fort,
M. le ministre, ça doit être ça. Alors, maintenant, je reconnais le
député de LaFontaine. On va parler un peu plus fort, tiens. Allez-y.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Bien, d'abord, merci beaucoup,
M. Gauthier et M. Harvey, je pense,
M. Gauthier à ma gauche et M. Harvey à droite. Merci beaucoup d'être
ici présents aujourd'hui, c'est important de vous entendre. Merci d'avoir pris le temps de préparer le mémoire, de
nous l'avoir acheminé — on l'a lu avec intérêt — et de répondre à nos
questions aujourd'hui.
J'aurais essentiellement deux questions et je
laisserai mes collègues compléter, là, et vous poser d'autres questions. J'aimerais vous référer… Parce
qu'évidemment, dans ce débat-là, vous parlez, vous en avez brièvement
fait mention, de… Évidemment, vous reprenez
une citation où on parle de l'étrangeté, donc, mais vous l'appliquez à
Montréal. Et vous avez fait la distinction, le droit de se reconnaître comme
étant chez soi, et vous faites une... et vous dites que la différence n'est pas
nécessairement négative, elle peut être positive.
Est-ce que vous voyez dans la différence des
aspects négatifs ou elle est exclusivement positive?
M. Gauthier (Serge) : Non. Non, mais
on voit dans la situation actuelle, depuis quelques années, des choses qui
pourraient devenir négatives…
M. Tanguay : Comme quoi?
M. Gauthier (Serge) : …et, à un
moment donné, donc, les éléments qui permettent de baliser empêchent ça et peuvent assurer que ce soit moins risqué à ce
niveau-là. Et c'est ça que… Le risque, dans le fond, ce serait que
l'étrangeté s'exacerbe, ce serait ça, et, je pense, il faut éviter ça.
M. Tanguay : …comment elle
s'exacerberait?
• (14 h 40) •
M.
Gauthier (Serge) : Je pense
qu'on est déjà un peu dedans, là, hein, dans le sens qu'à un moment
donné on pourrait arriver dans un
milieu quelconque du Québec sans se sentir, par exemple, au Québec,
hein? Et ça, je pense que, tant qu'on a une majorité, qu'on a… Et, quand on est
ici, à l'Assemblée nationale, on le sent très fort historiquement, là, puis c'est important de préserver ça. Et
les petits détails amènent des grands, et à un moment donné on ne sera
pas capables de s'entendre sur des
détails très petits. Parce que, dans le fond, toute la discussion autour de la
charte, ce n'est pas des si grands
enjeux que ça, hein, c'est des enjeux qui sont au quotidien. Si ça, ça pose
problème, beaucoup de choses pourront suivre, et il y a un
risque là pour Montréal en particulier.
M. Tanguay : Et je veux juste
vous permettre d'étayer, parce que vous dites : On le sent déjà, qu'il y a
un problème. Je ne veux pas vous mettre des
mots dans la bouche, là, mais j'essaie de vous paraphraser. En quoi vous
voyez un problème? Il est où, le problème, présentement, qu'on essaie de régler
par la charte?
M. Gauthier (Serge) : Problème, je ne sais pas, mais enfin sentiment. On le disait un peu
tout à l'heure. Moi, j'entends
souvent les gens qui reviennent de Montréal, je vous le dis, puis ils
disent : Bon, je ne sais pas, on a trouvé que c'était
changé, que ça ne ressemblait plus, qu'il y avait quelque chose de… Et souvent
c'est le mot «différent» qu'on entend, hein?
M.
Tanguay : Et… Parce que c'est important parce que toute votre
argumentation et votre mémoire est basé sur cette perception.
Pouvez-vous nous aider à définir le socle de cette perception-là? Parce que ça…
M. Gauthier (Serge) : Le risque, ce serait que Montréal devienne une grande exception. C'est
ça qui est le risque. Et, par rapport
à la charte, c'est très important. Dans le fond, à partir du moment où il
commence à y avoir des exceptions pour Montréal et à plein, bon, et
qu'ailleurs au Québec… Nous, on sait bien que ça se posera moins, hein? Donc,
les questions vont être là, et il n'y aura
pas de problème. À Montréal, il y aura des grandes exceptions partout. Bon,
est-ce que… Nous autres, on a
réfléchi là-dessus et on dit : Non, il ne faut pas qu'il y ait ce type de…
Et, dans le dossier de la charte, c'est là, c'est présent, et je pense
que c'est un moment de le faire et de le faire bien…
M. Tanguay :
Parlant de…
M. Gauthier
(Serge) : …pas à moitié.
M. Tanguay :
Pardon?
M. Gauthier
(Serge) : Pas à moitié.
M. Tanguay :
M. Gauthier, parlant de… et M. Harvey également, si vous voulez,
parlant de Montréal et d'immigration, je
vais vous soumettre la citation de Maria Mourani, qui parlait, et je la
cite : «C'est sûr que je…» Et elle parlait de sa croix : «C'est sûr que je me sentirais brimée si on
me demandait de l'enlever. Ce n'est pas juste un symbole de ma religion.
Pour moi, porter une croix, ça me protège tous les jours.» Fin de la citation.
Ça, c'est l'ancienne députée du Bloc
québécois Maria Mourani qui le disait, qui allait de cette citation le
12 septembre dernier. Pour elle, c'est profond. C'est sa croix,
c'est sa croyance.
Y reconnaissez-vous
là… Puis je ne veux pas mal vous interpréter. Vous avez dit : Dans le
fond, ce n'est pas grand-chose, mais
néanmoins y reconnaissez-vous là que, oui, dans le fond, pour bien des gens,
dont Maria Mourani, sa croix — tantôt j'ai cité l'abbé
Gravel, l'ancien député du Bloc aussi — il y a quelque chose là de
fondamental pour ces gens-là?
M. Harvey (Christian) : C'est parce que peut-être cette étrangeté-là est
liée justement à une société, la société québécoise, qui a vécu une
sécularisation active dans les 40 dernières années, et il y a comme une
confrontation avec une diversité qu'on
pourrait dire religieuse qui est accentuée à Montréal. Alors, c'est un peu ça,
l'étrangeté derrière ça.
Et
là on parle évidemment de la charte et de la neutralité de l'État. Alors, c'est
un peu à ce niveau-là que l'étrangeté apparaît,
parce qu'évidemment il y a comme à un moment donné, ce qu'on pourrait dire, une
situation paradoxale. Alors, vous avez une société qui défend l'égalité
hommes-femmes et vous défendez des libertés religieuses qui peuvent potentiellement… disons, les différentes
religions, avoir un rapport différent sur cette question-là. Alors, vous avez
un cas d'une société sécularisée qui fait de
la laïcité une partie de son identité et vous arrivez dans un cas précis, par
exemple dans la gestion d'organisme public,
où on fait une hiérarchisation du droit religieux qui met en péril justement
cette égalité hommes-femmes. Alors, c'est un peu ça, le problème.
M. Gauthier
(Serge) : Peut-être vous dire que Mme Mourani, là, sa religion,
personne ne l'empêche de la pratiquer.
Qu'elle ait… on est contents. Toutes les religions, au Québec, sont bien
reçues, puis les gens peuvent les… Et la charte n'empêche personne de
pratiquer sa religion. La charte, elle dit : Dans la prestation des
services de l'État, il n'y aura pas de religion ou de signes qui vont
s'appliquer.
Et,
vous savez, j'aimerais vous le demander, ça. Dans la neutralité, là, comment
est-ce qu'on peut afficher une neutralité, une laïcité avec des signes
religieux qui sont trop ostentatoires? Comment est-ce qu'on peut faire ça? Et là-dessus, là, le problème reste. Et l'État dit
une chose, et on afficherait de façon… derrière un bureau à côté — je vous l'ai dit tout à l'heure — une autre chose, hein? Je pense qu'il faut
qu'une règle soit totale, et c'est juste ça. Tous les signes religieux,
tout ce que les gens veulent, Mme la
députée qui avait une grande croix,
là, qui avait l'air très belle, bon, alors elle a le droit, elle a le droit de l'avoir. La loi… La charte ne parle pas
de ça, hein, la charte n'empêche pas Mme Mourani de pratiquer sa
religion. Il ne faut pas tout mêler.
M.
Tanguay : Et vous
avez dit un peu plus tôt… Et, M. Gauthier, vous avez dit : Compte tenu de notre contexte économique, nous n'avons pas beaucoup
d'immigration. Que vouliez-vous dire par là?
M. Gauthier (Serge) : C'est qu'évidemment… Ça, je pense, c'est une vérité bien simple, là.
Dans un contexte où Charlevoix a à peu près… combien de… Je ne veux pas
nuire au comté de Mme Marois, là, mais on a beaucoup de chômage. Alors,
ça, je sais que, et pour en parler à des immigrants… Parce que, comme je vous
dis, j'en ai dans ma famille, moi, et ils ne
sont pas portés à venir ici pour être soit à l'assurance chômage et sur l'aide
sociale. Alors donc, ce n'est pas une région qu'ils vont privilégier en
premier, Charlevoix, parce qu'il y a un contexte économique, emploi saisonnier, emploi… Bon, enfin, c'est ça. Et donc
ils vont aller à Montréal, ils vont aller à Québec. C'est normal aussi,
et je trouve qu'ils font très bien.
M.
Tanguay : Et ça, autrement dit, vous n'en êtes pas satisfaits,
vous en êtes insatisfaits. Vous aimeriez avoir davantage de nouveaux
arrivants dans la région.
M.
Gauthier (Serge) : Oui, il y
en a beaucoup. D'ailleurs, même dans l'industrie touristique de Charlevoix,
là, on en reçoit. Et si vous saviez comment est-ce que les gens accueillent
bien, par exemple, les Mexicains, les Latino-Américains
qui viennent au Manoir Richelieu l'été, là, c'est remarquable! Et ça s'insère
bien, hein, et puis les gens sont contents, les patrons en redemandent.
M. Tanguay : Donc, ce serait
bon pour l'économie, et on le souhaite.
M. Gauthier (Serge) : On en a besoin
parce qu'on a une population vieillissante.
M. Tanguay :
Alors, il s'agit de savoir comment les attirer puis comment convaincre qu'ils
vont être bienvenus.
Je vais
laisser, M. le Président — nouveau président — la chance à mon collègue de Frontenac de
poursuivre. Merci.
Le Président (M. Leclair) :
Alors, à vous la parole, M. le député.
M.
Lessard : Merci,
merci. Bonjour à la Société d'histoire de Charlevoix, M. Gauthier et
M. Harvey.
On entend souvent dans les régions : Bon,
on est ouverts à l'immigration, mais, quand ils viendront, ils feront comme
nous autres. Est-ce que vous entendez ça dans Charlevoix?
M. Gauthier (Serge) : …un peu… Je
n'ai pas entendu, je m'excuse.
M.
Lessard :
On entend souvent dans les régions : On est une société d'accueil, c'est
bien parfait, mais, quand ils viendront — en parlant des
immigrants — ils
feront comme nous autres. Est-ce que c'est ça que vous voulez dire à travers
votre mémoire?
M.
Gauthier (Serge) : Non. Je
ne sais pas si vous entendez ça dans votre comté, mais nous, on ne l'entend
pas.
M.
Lessard : Parfait.
Je vous dis que j'entends ça.
M.
Gauthier (Serge) : Et puis,
les gens, ce n'est pas qu'ils veulent faire… Mais, vous savez, moi, je suis
dans ma maison; vous aussi, vous avez une maison, là. Bien, si quelqu'un entre
puis veut tout changer, bien je vais lui dire : Un instant! C'est un peu
dans ce sens-là.
On a un bon
réflexe paysan de dire : Bien, on est contents de recevoir tout le monde,
hein? Et Gabrielle Roy, qui était une villégiatrice dans Charlevoix,
elle disait : Claude Bouchard, le premier habitant sédentaire de
Charlevoix, il recevait tout le monde, mais
c'était une cabane de bois qu'il avait. Ce n'était pas bien, bien riche, mais
il recevait tout le monde puis les accueillait. Mais, si les gens
disaient : Bien, mon Dieu, ta cabane de bois, elle ne me plaît pas, là, bien il disait : Va peut-être habiter
ailleurs ou va voir ailleurs. Je pense que dans votre comté c'est comme ça aussi,
hein?
M.
Lessard : C'est ça.
Donc, ils feront comme on fait. Puis c'est des cabanes de bois qu'on a, donc…
Je comprends ça.
M.
Gauthier (Serge) : Oui,
c'est ça, hein? À l'époque, Claude Bouchard, c'est ce qu'il avait, une cabane
en bois.
M.
Lessard :
Est-ce que vous êtes inquiets des concessions qui ont été faites sur le plan
des droits et libertés? Est-ce que vous êtes inquiets sur le plan des
concessions qui ont pu être faites sur les droits et libertés?
M. Gauthier (Serge) : Sur les?
M.
Lessard :
Les droits et libertés. Est-ce que vous trouvez que… Vous avez dit : Il y
a trop de concessions qui ont été faites, on est en train de perdre
notre couleur comme Québécois.
M. Gauthier (Serge) : La Charte des
droits et libertés, elle a été votée au Québec, là, ici même, là, la charte
québécoise, alors donc je ne pense pas…
M.
Lessard : Je vous
pose la question. Oui ou non? Oui ou non?
M.
Gauthier (Serge) : Puis
nous, on n'est pas des juristes, mais on ne voit pas un bien gros problème dans
cette charte-là à ce niveau-là, là. Peut-être qu'il y a des gens qui en voient,
là, mais nous, on n'en avait pas vu.
M.
Lessard :
D'accord. Donc, vous ne trouvez pas qu'il y a trop de concessions. O.K. Donc,
j'essaie de faire une petite question-réponse…
M.
Gauthier (Serge) : Et, s'il y en avait, on aurait été inquiets.
M.
Lessard :
D'accord. Donc, vous trouvez qu'il n'y en a pas trop, de concessions.
Est-ce
que vous êtes inquiets de la diversité culturelle? Donc, l'immigration dans…
J'écoute Le temps d'une paix, de ce temps-ici, ça passe à
la TV beaucoup, là, alors…
M. Gauthier
(Serge) : Je vous l'ai dit. Moi, chez nous…
M.
Lessard : …et c'étaient surtout des Blancs francophones,
catholiques, de ce que je peux voir, si l'histoire est bien rapportée. Mais est-ce que vous trouvez que
la diversité… ça vous inquiète de voir arriver des personnes de
différentes origines, de différentes couleurs et de différentes confessions?
M. Gauthier
(Serge) : Je vous ai dit tout à l'heure que mon beau-frère laotien, il
avait mangé de la tourtière de Charlevoix au
mois de janvier, au jour de l'An, là, puis il aime ça. Il y avait un peu
d'orignal dedans, c'était excellent. Puis on est très contents de
l'accueillir, on l'accueille depuis 35 ans.
M.
Lessard :
Oui, oui. Non, mais je vous dis : En général…
M. Gauthier
(Serge) : On n'a pas d'inquiétude.
• (14 h 50) •
M.
Lessard :
Quand vous allez à Montréal, qu'est-ce que vous trouvez qui a trop changé par
rapport à ce qui est à Charlevoix? Est-ce que vous trouvez que le visage
culturel est venu teinter la couleur des personnes qui vivent à Montréal, c'est
ça qui vous inquiète? Est-ce qu'il y a un choc culturel quand vous voyez qu'il
y a plus d'Indiens, Maghrébins, différentes communautés, libanaise, autres,
etc., qui achètent, mangent différemment, se comportent différemment? Est-ce que ça, ça vous inquiète ou… Parce que le projet de
loi essaie de régler quelque chose, là, puis vous dites à mots couverts là-dedans : Il y a
quelque chose qui a changé dans nos régions, on veut conserver ce qu'on est,
le «nous», se sentir chez nous, une
majorité. Majorité de… vous ne le dites pas, mais j'aimerais ça vous entendre
pour voir si…
Le
projet de loi, il dit quand même que, dans… Là, la fonction publique, il y en
aura, des signes religieux, hein, parce
que le ministre dit : Il y en aura, tu pourras en porter, puis on balisera
quelle grosseur il a. Puis là on verra, avec le turban, comment il va
arranger ça, si tout ça, c'est ostentatoire au complet, mais il y en aura
encore. Juste pour vous laisser repartir avec ça, il y en aura encore.
Alors,
est-ce que, ça, vous dites : Je suis d'accord
avec la loi, je suis d'accord qu'on reste une majorité, qu'on se sente
chez nous? Définissez-moi ça, je la comprends mal un peu.
M. Gauthier
(Serge) : J'aimerais, moi… Est-ce que vous, vous trouvez que c'est important
de dire qu'on est fiers d'être Québécois?
Alors, oui, moi, je trouve que c'est important. Et ça, ça n'enlève rien à aucune communauté
qui arriverait ici. Et, tant que l'équilibre est fait, hein, bien on a un bon…
On a une belle société actuellement. On l'a, ça. Alors, mon Dieu, donnons-nous une chance de continuer ça. Et nous,
personnellement, on pense que la charte, elle ne va pas changer ça,
qu'elle ne va pas empêcher les immigrants de venir ici, qu'elle ne va pas
permettre quoi que ce soit à ce niveau-là, qu'elle ne va pas créer de problèmes sociaux
particuliers une fois qu'elle va être bien comprise et bien acceptée. Et
on est contents de recevoir les… Et, s'il en vient… Et il en vient dans notre
région, qui est pratiquement 100 % francophone, et on est contents.
Il y a des fois où on
aimerait bien aussi pouvoir dire sans aucune gêne qu'on est fiers de notre
héritage, qu'on est fiers de ce que nos
ancêtres nous ont donné et que ça, ça ne se monnaie pas à tout venant. Des
fois, dans votre parti, on a l'impression de ça, que ça se monnaie à
tout venant. Moi, je pense que c'est inquiétant, ça. Ça, c'est une chose qui
m'inquiète plus.
Mais,
pour le reste, là, non, j'enlève tout sentiment de racisme. D'ailleurs,
on l'a mis, «repli de soi». On accueille les gens. Et je vous le dis,
moi, pour avoir côtoyé depuis 35 ans : Si les règles sont claires, la
majorité des gens qui viennent ici vont trouver ça bien.
Le Président (M.
Ferland) : La députée de Bourassa-Sauvé, pour à peine
trois minutes. Allez-y.
Mme de Santis :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Gauthier et
M. Harvey. Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'on a toujours besoin d'une période
d'adaptation. Que ce soit le nouvel arrivant ou la communauté de souche,
il faut qu'on s'habitue un à l'autre.
Je veux parler d'une situation
qui existe dans… C'est dans la ville qui fait partie du comté que je
représente, Bourassa-Sauvé, c'est à Montréal-Nord,
il y a un hôpital qui s'appelle Marie-Clarac. Marie-Clarac a été fondé en
1965 par les Soeurs de Charité de Sainte-Marie, et à ce jour les soeurs sont
toujours là. Aujourd'hui, le directeur général, c'est une fonction qui est
assumée par soeur Pierre Anne, et il y a un directeur adjoint qui est
Dr Guy Legros.
Le
nombre de personnes qui veulent rentrer dans cet hôpital, la liste est longue,
parce qu'il y a beaucoup de gens qui trouvent
que le niveau de service qui est offert dans cet hôpital est d'une qualité
qu'on ne retrouve pas nécessairement ailleurs. Maintenant, quand je
regarde le projet de loi qui ne permettrait plus à ces bonnes soeurs de diriger
cet hôpital ou de travailler à l'intérieur
de cet hôpital, parce qu'elles assument un rôle qui va au-delà de simplement
s'occuper de la spiritualité des personnes,
je me demande : Est-ce qu'on fait vraiment une bonne chose? Les gens, les
personnes qui veulent rentrer dans cet hôpital ne sont pas seulement
catholiques, il y a toutes les religions. Alors, j'attends votre...
M. Gauthier
(Serge) : Elles ont quel âge, vos religieuses?
Mme de Santis :
Oh, il y en a de 40, 50, 60 ans.
M.
Gauthier (Serge) :
47 ans? Bien, en fait, en général, moi, j'ai vu... Parce que je parlais
tout à l'heure d'un hôpital à
Baie-Saint-Paul. Ça se posera de moins en moins dans l'avenir, là. Quand on
dit… Des communautés religieuses qui
vont pouvoir continuer à entretenir ou à maintenir des hôpitaux, bien ça sera
de plus en plus rare, même pratiquement inexistant. Je sais que notre
communauté qu'on a dans la région, ils ont 80, 82 ans de moyenne d'âge.
Alors donc, je pense qu'il y a une... Puis
ça, je pense que la charte le prévoit aussi, il y a des périodes d'adaptation.
Et je crois que, pour les hôpitaux gérés par des religieux, religieuses,
disons que sans être... Puis ils ont fait un bel héritage historique, ça,
on peut le dire, là. Dans quelques années,
ça ne se posera vraiment pas. Alors donc, moi, je ne ferais pas tout un plat
là-dessus. Et je suis sûr que l'hôpital est bien tenu.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci beaucoup. Malheureusement, c'était le temps qui était à votre
disposition. Je reconnais la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs.
M. Gauthier et M. Harvey, voilà. D'abord, merci pour votre
présentation, pour votre mémoire. Ce n'est pas facile, passer à la caméra comme
ça et exprimer...
Une voix : Surtout pas les premiers.
Mme Roy
(Montarville) :
...exprimer ses émotions et ses états d'âme par rapport à la charte. C'est un
sujet très délicat.
Vous
dites : Il faut qu'il y ait des règles, des règles claires quant aux
accommodements religieux. Ça, je suis tout à fait d'accord avec vous, ça
nous prend ces balises pour les accommodements religieux.
Par ailleurs, vous nous disiez aussi qu'il
n'y a pas beaucoup
d'immigration dans le coin de Charlevoix, cette belle grande région. J'aimerais qu'on parle des accommodements religieux puis que vous puissiez nous faire part de
l'expérience que vous avez peut-être — et je mets «peut-être» entre
parenthèses — vécue.
Est-ce que vous vous souvenez des épisodes
d'accommodements religieux mais déraisonnables, vous savez, ceux dont on entend
souvent parler? Y en a-t-il eu dans Charlevoix? Est-ce que ça a meublé
votre quotidien ou non? En avez-vous, de mémoire?
M.
Gauthier (Serge) : En fait,
ce n'est pas tellement là qu'est la question. Moi, je dirais… Bien, vous me
diriez… Même il n'y en aurait eu aucun, je
me dis : Il faut préciser justement au cas où il y en aurait. Et on pense
qu'il va y en avoir, parce que, même
si on a parlé tout à l'heure du chômage, notre économie, quand même, se
développe, et il y en aura, des immigrants, et il y en a. Et ce n'est
pas parce que vous arrivez à une région où il y a moins d'immigration que vous devez dire : Bien là, c'est moins
grave, eux, ils n'ont pas à le vivre. On le vivra à un moment donné. Et on
le sent à l'échelle du Québec, et, quand on aura à le vivre, bien on aimerait
avoir les mêmes règles qu'ailleurs, comme Montréal
les aura et comme... Et, à partir du moment où il y a des exceptions, à partir
du moment où ça dure longtemps, les exceptions, ou qu'on dit : On
ne veut pas respecter la loi, avant même que la loi soit adoptée, bien ça nous
inquiète. Et ça, ça nous inquiète dans Charlevoix, mais ça nous inquiète
ailleurs aussi.
Mme Roy
(Montarville) :
Je suis d'accord avec vous. Il faut encadrer les accommodements religieux, on
s'entend là-dessus.
Maintenant, dans votre mémoire, quand vous
dites : «Le résident d'une région québécoise a-t-il le droit de se reconnaître comme étant encore chez lui sur l'île
de Montréal?», je voudrais savoir : Vous, personnellement, quand
vous allez à Montréal, est-ce que vous vous reconnaissez encore comme
Québécois?
M.
Gauthier (Serge) : Ah,
absolument, oui. Mais, vous savez, historiquement, Montréal, pour les
francophones, ça a été... Je faisais une
conférence justement là-dessus il y a quelques années et puis j'avais apporté
la liste des noms de maires de
Montréal, et c'étaient, au XIXe siècle, seulement des anglophones ou
presque, hein? Alors donc, il y a eu un gain, Montréal. Montréal n'est
pas un acquis pour la communauté francophone, il y a eu un travail, il y a eu
une volonté.
Il y a eu
plein de gens qui sont venus des régions, hein? Moi, je pourrais vous raconter…
Combien de gens de Charlevoix qui ont
été travailler à Montréal, qui ont construit Montréal? Et après ça il y a eu
une majorité francophone à Montréal,
et on le sait et c'est un fait social et historique, ce n'est pas acquis, ce ne
sera jamais acquis dans le contexte de l'Amérique du Nord. Et nous, on
croit que c'est important que, quand on sera à Montréal, comme gens des régions
ou d'ailleurs, on sente toujours qu'on est une majorité francophone. Ça, c'est
important.
Mme Roy
(Montarville) :
J'ai pris quelques notes, et là je vais vous citer en tant que société
d'histoire, vous avez dit : On a eu de la misère à sortir de l'Église
catholique, donc il ne faut pas reprendre le même scénario avec une autre
religion. Laquelle?
M.
Gauthier (Serge) : Toutes.
Il n'y en a pas une qui est plus... Et même les groupes religieux nouveaux, les
sectes, les... on ne doit pas redonner prise à ça, c'est important. Parce que,
si on revient encore à ma syndicaliste, elle en a subi, des contrecoups de ça.
Nous, on en a subi aussi. Moi, je ne suis pas si vieux, j'en ai subi, hein?
Bon, l'accès à l'éducation, quand on était d'une famille
pauvre de région, ce n'était pas évident, hein, quand c'étaient des religieux. C'étaient des contextes... Et, si on n'avait pas
une personne, une famille qui était bien vue ou qui était... bon, et tout
le... Alors, c'était lourd, l'héritage religieux catholique.
Et, tout au
long de l'histoire, il y a eu des gens qui ont lutté contre ça aussi. On les
oublie souvent, hein, mais ils sont là.
Et, pour eux aussi, j'y tiens beaucoup, parce que maintenant, depuis la
Révolution tranquille, on a pris cet avantage-là de... Et maintenant…
Et, bon, les gens qui y croient, à leur religion, c'est bien important, mais
imposer une religion au niveau de l'État, c'est toujours dangereux. Et, si vous
faites de l'histoire, vous voyez partout que c'est dangereux.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. Gauthier. C'était tout le temps qui était à la disposition de la
députée de Montarville. Je reconnais maintenant le député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Gauthier,
M. Harvey, bonjour. Pour revenir
brièvement… Parce que, sur l'aspect
étrangeté, vous dites : Les gens reviennent dans notre région, sont allés
à Montréal, trouvent que c'est un peu étrange,
ça a changé, ils ne se reconnaissent peut-être pas. À moins que je me trompe,
la charte, en tant que tel, ne viendra pas
beaucoup changer le visage de Montréal. Vous avez, tout à l'heure, mentionné
que c'est important pour quiconque va se
rendre en Abitibi, dans l'Outaouais d'avoir les services de l'État sous une
forme de neutralité, mais ça me surprenait de vous entendre le dire,
parce que la charte — et
même vous l'avez dit — n'empêche
pas les gens de pratiquer leur religion, n'empêche pas... Moi, j'ai travaillé à
Outremont. Je ne pense pas que la charte va faire en sorte que les Juifs
hassidiques vont changer d'attitude, de pratiques, d'apparence.
Alors, je me
demandais si ce commentaire-là que vous faisiez sur l'étrangeté ou le fait que
Montréal ait pu changer aux yeux des
gens qui demeurent en région ne vient pas du fait, justement, qu'ils ne sont
pas exposés souvent à l'immigration
au quotidien, j'allais dire, plus au quotidien des Québécois d'origine
ethnique, parce que, si les attentes des gens des régions sont celles
que la charte va faire en sorte que Montréal va changer comme en apparence,
d'après moi, ils vont être fortement déçus.
• (15 heures) •
M.
Gauthier (Serge) : Je suis
d'accord avec vous. Et, dans le fond, la charte, c'est si peu de chose, hein?
Vous le dites vous-même, là, ce n'est pas
si… ça ne changera pas le visage de Montréal. Et imaginez les réactions qu'il
y a, là, imaginez. Alors, ça, moi, je pense, c'est ça qui m'inquiète le
plus. Je me dis : Quand on arrive dans une chose qui est proposée, quand
même assez… vous le dites vous-même,
pas si changement que ça, pas si grande que ça, et que, face à ça, on a
autant de retours qui sont énormes, imaginez… Je ne sais pas. Alors donc, je me
dis : Gagnons donc ça, hein, ce serait déjà ça. Si on réussit à s'entendre
là-dessus, bien, mon Dieu, ça sera peut-être…
Et je ne
pense pas que… Peut-être qu'on peut se sentir… Et c'est normal aussi,
hein, les régions sont différentes. Moi, je vais en Gaspésie puis je
trouve ça différent de Charlevoix aussi. C'est des francophones. Mais, dans
l'ensemble, si une proposition aussi, quand même, modérée que la charte ne
réussit pas à faire l'unité à Montréal ou ailleurs au Québec, imaginez la
suite.
M. Ratthé :
Oui, je vous entends bien. Cependant, je pense que peut-être, à la lumière de
ce que vous dites mais de ce que moi, j'ai vu — je ne
vais pas parler pour mes collègues, mais j'entendais un peu les commentaires de
mes collègues — on n'a pas l'impression… On avait beaucoup
l'impression, en tout cas, en lisant votre mémoire, que, pour vous, cette charte-là venait protéger en quelque
sorte, entre guillemets, là, un héritage depuis longtemps puis que cette
charte-là allait faire en sorte peut-être de prolonger cette protection-là,
surtout avec le parallèle que vous faisiez avec le changement qui a été fait à
Montréal ou la différence qui était à Montréal.
M. Gauthier (Serge) : Pour
l'héritage de laïcité, qui est le point principal, oui, la charte est très
importante là-dessus et elle protège cet
héritage de laïcité là. Et je crois que, si les Québécois ne le faisaient pas,
ils feraient une erreur, parce qu'on a lutté beaucoup pour l'obtenir.
Et, à partir du moment où on commence à le perdre ou qu'on pourrait le perdre… Je ne sais pas si on risque de le perdre,
mais je pense que oui, moi. Et donc c'est important, c'est important que
ce petit pas là se fasse et que… pour nos ancêtres qui ont lutté pour la
laïcité, même pour ceux qui ont amené la religion autrefois. On est allés vers la laïcité depuis les dernières années. Le
retour vers ce qui était… n'importe quelle religion qui prendrait une influence quelconque ou qui ne le
prendrait pas, ce serait quelque chose, à mon avis, qu'il faudrait
éviter et que la charte nous permettrait, à mon avis et à l'avis des gens qui
ont discuté avec nous, d'éviter.
M. Ratthé : Merci,
M. Gauthier.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Merci, M. Gauthier. Merci, M. Harvey.
Alors, je vais suspendre quelques instants afin
de permettre au prochain groupe de prendre place.
(Suspension de la séance à 15 h 3)
(Reprise à 15 h 5)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la commission va reprendre ses travaux. Nous recevons maintenant l'Organisme de communication pour l'ouverture et
le rapprochement interculturel. Alors, je vais vous demander de vous présenter ainsi que la personne qui vous accompagne, en vous
mentionnant que vous avez un gros 10 minutes pour votre présentation de
mémoire, et après ce sera l'échange avec les parlementaires. La parole est à
vous.
Organisme de
communication pour l'ouverture
et le rapprochement interculturel (COR)
Mme Laouni (Samira) : Samira Laouni.
Je suis la fondatrice-présidente du COR, Communication pour l'ouverture et le
rapprochement interculturel.
Mme Provencher (Marie-Andrée) :
Marie-Andrée Provencher. Je suis la secrétaire du COR et je suis une
enseignante en francisation d'adultes.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Allez-y.
Mme Laouni (Samira) : Donc, bonjour,
M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés. Merci de nous
recevoir.
Le COR est un
organisme de communication pour l'ouverture et le rapprochement interculturel.
Nous essayons sur le terrain à tous les jours de rapprocher les nouveaux
Québécois des anciens.
Permettez-nous
d'abord de nous situer par rapport à ce débat qui a commencé à la fin du mois
d'août dernier. Nous sommes
complètement en faveur de la primauté du français — nous trouvons que c'est essentiel — de l'égalité femmes-hommes, c'est
indiscutable pour nous, et du parachèvement de la laïcisation qui a déjà
commencé au Québec il y a très longtemps.
Nous estimons aussi qu'il faut à tout prix établir des balises claires et très
concrètes pour les demandes d'accommodement
religieux — et je
dis bien «religieux» — donc ne plus accepter de demande farfelue. Je vais vous
donner quelques exemples ici par les
exemples farfelus : un enfant qui ne doit pas écouter de la musique en
garderie, ou un étudiant qui refuserait, comme le cas de la semaine
dernière, de faire un travail en groupe avec un sexe autre que le sien, ou
encore la charia qui prévaudrait sur la loi québécoise ou canadienne. C'est
hors de question, tout simplement.
Mais
laissez-nous aussi vous dire notre position, qui ne va pas, peut-être, tous
vous plaire… et toutes, mais nous refusons absolument, fermement et
catégoriquement qu'on interdise à quelqu'un de porter ce qu'il considère faire partie de sa foi et puis de son identité — parce que c'en est une, c'est une
identité — pour
avoir accès à un emploi. Choisir entre l'expression de son identité et
son travail, c'est un choix très odieux, à notre sens. Aucune étude, aucun
indice même ne démontre que les
fonctionnaires qui portent un signe religieux ne font pas leur travail en toute
neutralité. Nous n'avons eu, à date, aucune étude pour prouver cela.
Ce n'est vraiment pas la même chose qu'un signe
d'allégeance politique, parce qu'on en a entendu parler beaucoup, beaucoup, beaucoup par les politiciens, politiciennes et aussi
dans les médias. D'abord, aucun membre d'un parti politique ne se croit obligé de porter un signe,
alors que certains Juifs, certains musulmans, certains sikhs, et j'en
passe, considèrent que l'observance d'un code vestimentaire est intimement liée
à son identité, à sa foi, à sa croyance, à sa conscience.
Le leur interdire, c'est violer leur liberté de conscience, et nous sommes dans
un pays démocratique. Aussi, ici, au
Québec, en 2014, heureusement ce sont les partis politiques qui prennent le
pouvoir, vraiment heureusement, pas les groupes religieux. Bien sûr que le fonctionnaire ne peut pas afficher son
choix politique, puisqu'il doit servir le gouvernement. Quel que soit le
parti en place, les fonctionnaires des différents ministères, ils sont là, que
ce soit le gouvernement du PQ, que ce soient les libéraux, que ce soit la CAQ,
que ce soit le parti Québec solidaire. N'importe quel parti, ils sont obligés
de le servir.
Certains prétendent que c'est un privilège, de
travailler pour l'État. Ce n'est certainement pas un privilège, de travailler, c'est un droit. Ce n'est
certainement pas un privilège, d'accéder à la fonction publique, pour le
candidat le plus compétent, parce que
de toute manière n'accède pas qui veut à la fonction publique, il faut passer
des tests, des examens, des concours
d'accès avant d'être accepté. Travailler pour l'État devrait-il être réservé à
des personnes déjà privilégiées? J'aimerais bien une réponse par rapport
à ça.
Si le
gouvernement se met à discriminer ses fonctionnaires selon leur tenue
vestimentaire, nous sommes certains que l'employeur du secteur privé se
sentira libre de faire de même. Ça sera très facile pour lui.
• (15 h 10) •
Nous ne sommes pas là pour vous demander
d'adopter ou de ne pas adopter, M. le Président, la charte. Nous sommes surtout là pour vous demander d'anticiper
des mesures concrètes, préparer l'après-charte ou ledit après-projet de
loi qui sera adopté. C'est surtout pour ça
que nous sommes là, pour réparer les cassures déjà ressenties dans notre
société. Le fossé creusé a atteint une profondeur telle qu'il sera difficile,
voire impossible, avec toute la volonté du monde, de le combler. Comment peut-on ensemble, tous ensemble reconstruire des ponts
de confiance? Comment peut-on convaincre les jeunes dont les parents sont issus d'une immigration plus ou moins
ancienne qu'ils sont bel et bien des vrais Québécois, avec tous les droits et toutes les obligations que
cela comporte? Comment faire pour leur redonner ou redorer la fierté de notre québécitude? Comment faire pour ramener la
quiétude et la sécurité mentale et parfois physique à certaines femmes
qui n'osent plus à l'heure actuelle, aujourd'hui, sortir dans les rues de
Québec, Montréal, Sherbrooke, Trois-Rivières, et j'en passe — et
bientôt à Charlevoix, je pense — sans avoir des appréhensions de se faire
cracher dessus ou de se faire tirer le foulard de la tête?
Nous savons qu'il s'agit de cas particuliers,
mais il n'y avait pas de telle anecdote dans le passé. Je suis là ça fait 15 ans, je n'ai pas vu autant que ce que je
vois aujourd'hui. Faites preuve d'imagination et demandez-vous comment
vous, vous vous sentiriez si vous étiez en butte à un tel harcèlement.
Le
repli identitaire canadien-français entraîne un repli identitaire d'autres
communautés, du moins celles visées par les propos d'exclusion que ce projet a suscités depuis le début. M. le
Président, charte ou pas charte, nous sommes devant le ministre des Institutions publiques et
démocratiques. Est-il démocratique de traiter des personnes comme des
citoyens de seconde zone? Est-il démocratique de faire porter aux membres de
certaines communautés culturelles le fardeau d'un désordre social que ce
gouvernement a engendré?
Nous
comprenons que certains ont peur que les religions reviennent en force, en
particulier des femmes qui ont vécu
de l'oppression ou qui ont vécu des massacres dans leur pays d'origine. Elles
veulent à tout prix importer leur sentiment d'horreur justifié, ce qui
risque de semer la peur et la paranoïa chez nous, au Québec, aujourd'hui.
Revenons à
ces Québécoises musulmanes ordinaires. Ces femmes sont généralement très
discrètes, il est rare que les
journalistes leur offrent un micro pour qu'elles s'expriment. Ce sont surtout
des Mme Tout-le-monde qui travaillent, étudient, élèvent leurs enfants, contribuent à la société, paient leurs
taxes et impôts. Ces personnes-là, ne sont-elles pas des citoyennes en
besoin d'une action réelle et concrète de la part du gouvernement, et surtout
urgente, ou la démocratie passe-t-elle par-dessus bord quand il s'agit de
l'autre?
Mais
savez-vous que j'ai besoin de percevoir l'autre dans toutes ses dimensions pour
me sentir moi-même, pour me reconnaître? J'ai besoin de cet autre-là.
Cependant, l'autre n'est pas appelé à devenir identique à moi et à porter un
foulard comme je le fais, et je dois le
respecter dans toute sa diversité. Quels que soient couleur de peau, origine,
sexe, orientation sexuelle, langue, religion ou pas religion, j'ai le
devoir de le respecter tel qu'il est, mais j'ai besoin de lui pour me
reconnaître ce que moi, je suis et d'être fière d'être ce que je suis.
Un gouvernement a le devoir de maintenir la
cohésion de sa société, alors que ce gouvernement a créé des divisions jamais encore observées au Québec. Nous
sommes prêts à apporter notre aide pour mettre un petit baume sur ces blessures, mais nous ne pouvons rien y faire
seuls. Je vous assure que nous essayons, mais nous n'y arrivons pas
seuls. Votre soutien, votre aide et votre engagement sont les seuls garants
d'un retour approximatif d'une quiétude loin d'être
certaine pour le moment. La cohésion sociale exige l'entraide de tous. Quand il
y a un séisme, tous les citoyens doivent
se serrer les coudes pour s'en sortir. Quels moyens pourrions-nous mettre en
oeuvre pour pallier la destruction des liens
et rétablir le dialogue qui n'existe plus? Parce qu'écouter, ce n'est pas
seulement ça — j'en ai
pour une seconde. Le gouvernement…
Le Président (M. Ferland) :
…une seconde exactement. Allez-y.
Mme Laouni
(Samira) : Le gouvernement
aurait dépensé 1,9 million pour promouvoir la charte. Dépensons au moins la même somme pour trois choses :
d'abord, mettre en place des formations populaires sous forme
d'émissions médiatiques télé ou Web et améliorer le cours d'éthique et culture
religieuse; deux, absolument instaurer une formation à l'interculturalisme des
gestionnaires de la fonction publique et parapublique — juges,
policiers, etc.; et, trois, aménager des espaces de dialogue sécuritaires et
inclusifs.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, madame...
Mme Laouni
(Samira) : M. le Président,
nous sommes convaincus que le respect et l'harmonie convoités pour le
Québec passeront inévitablement...
Le Président (M. Ferland) :
Merci, Mme Laouni. Je dois vous arrêter. J'ai étiré la seconde, vous en
êtes consciente, hein? Alors…
Mme Laouni (Samira) : Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Mais on a quand même un 50 minutes
d'échange pour vous permettre de reprendre la parole, bien sûr. Alors,
sur ce, je cède la parole à vous, M. le ministre.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Alors, merci pour votre présentation.
D'abord, je veux, juste avant de commencer,
souligner pour le bénéfice de la députée de Bourassa-Sauvé que l'Hôpital
Marie-Clarac, selon le site Internet de l'institution, est un hôpital privé
conventionné, et donc la charte ne s'applique pas à l'Hôpital Marie-Clarac. Juste
pour que ce soit bien clair.
Maintenant,
je veux enchaîner donc avec un certain nombre de questions sur des points que
vous avez soulevés. D'abord, sur la
question de la neutralité politique, là, j'ai bien compris ce que vous avez
dit, mais, vous savez, ce n'est pas parce
qu'une personne ne se sent pas obligée de porter un signe politique qu'elle
n'en a pas moins le droit de le porter, et la neutralité politique qui
est prévue pour la fonction publique dit précisément que la personne ne peut
pas porter de signe politique, qu'elle n'a
pas le droit de le faire pendant les heures de travail. Donc, qu'elle ne se
sente pas obligée de le faire, c'est
une chose, mais, à partir du moment où elle décide de travailler comme
fonctionnaire, elle accepte quand même cette restriction pendant ses
heures de travail et au nom de la neutralité politique. Donc, je ne voudrais
pas laisser passer une affirmation à l'effet que la liberté d'expression
politique serait moins importante que la liberté religieuse.
Par ailleurs,
j'aimerais ça que vous me disiez pourquoi ça vous apparaît si déraisonnable que l'État vous demande, dans
le cadre de votre service public, de renoncer pendant les heures de travail à
la possibilité d'afficher ouvertement votre
conviction religieuse. Est-ce que vous ne craignez pas — sous-question — est-ce que vous ne craignez pas qu'en refusant de vous abstenir d'afficher
vos convictions religieuses… Est-ce que vous ne craignez pas que les personnes qui vont faire affaire
avec vous — présumons
que vous travaillez dans le service public — est-ce
que vous ne craignez pas que le citoyen qui vous demande un service… Vous voyant afficher
ouvertement votre conviction
religieuse, est-ce que vous ne
craignez pas que cette personne-là puisse penser que le service que vous allez
lui rendre n'est pas d'une neutralité absolue?
En d'autres mots, est-ce que vous comprenez que... Parce que vous parlez
toujours... La perspective que vous prenez,
c'est toujours la perspective de l'employé, de la personne qui porte le signe
religieux, mais est-ce que vous pouvez également vous mettre à la place
du citoyen qui demande un service… un service public, dis-je, qui s'adresse à
un fonctionnaire ou qui confie ses enfants à
une enseignante ou une éducatrice et qui voit dans le signe religieux un
message religieux et donc une entorse au principe d'un service public neutre?
• (15 h 20) •
Mme Laouni (Samira) : Alors, je
comprends tout à fait votre question, M. le ministre. Juste pour vous dire que d'abord, jusqu'à maintenant, il n'y a eu
aucune preuve qui ait été faite en termes d'étude pour prouver que le
citoyen demandeur de service s'est heurté à
une quelconque problématique devant un fonctionnaire arborant un signe
religieux, de une. De deux, laissez-moi vous
dire que ce n'est pas un problème, de ne pas porter son signe religieux pendant
le travail. Ce n'est pas ça que je
veux dire. Je veux dire que demander à une personne d'enlever son signe
religieux le temps d'un travail, ça,
je trouve ça odieux parce que ça la met devant un choix déchirant : ou bien donc elle accepte de travailler et
de renoncer à son identité, ou bien donc
elle tient à son identité et elle perd son gagne-pain pour nourrir ses enfants
ou pour se nourrir soi-même. Et au nom de quoi? Au nom de l'égalité
femmes-hommes que nous chérissons tous et toutes. Et nous savons et vous le
savez très, très bien, M. le ministre, que l'égalité femmes-hommes ne peut pas
se concrétiser sans passer par l'autonomie
financière des femmes. Sans ça, il
n'y a aucune égalité, et qui n'est
même pas encore réelle dans les faits au jour où on se parle, aujourd'hui.
Les chiffres le prouvent.
M.
Drainville : Oui, mais est-ce que vous reconnaissez
qu'un citoyen ou une citoyenne qui voit un signe religieux, il perçoit
un message religieux? Est-ce que vous acceptez cette prémisse?
Mme Laouni
(Samira) : Il peut percevoir
un message religieux, mais justement c'est là où on vous dit... on vous donne les trois pistes de solution qu'on vous
propose, de faire des formations, des sensibilisations publiques,
justement. Parce que jusqu'à date il y a toujours eu des signes religieux au Québec,
ils n'étaient pas inexistants. C'est que juste maintenant ils deviennent un petit peu plus voyants, surtout dans la région de Montréal avec l'affluence de
l'immigration, c'est tout. Tout s'explique,
donc. Mais ils ont toujours existé, et il n'y a jamais
eu de problème. Pourquoi est-ce qu'il
y en aurait là, aujourd'hui, en 2014?
M. Drainville : Mais, si vous
reconnaissez qu'un citoyen puisse voir dans un signe religieux un message religieux, est-ce que vous reconnaissez, à ce moment-là, que ce citoyen puisse se sentir brimé dans sa liberté de
conscience?
Mme Laouni (Samira) : Il y aurait
certains citoyens qui se sentiraient brimés, mais comme il y aurait des citoyens qui se sentiraient brimés s'ils voyaient
un fonctionnaire avec du piercing, ou un fonctionnaire avec du tatouage,
ou un fonctionnaire laïciste aussi qui voudrait imposer sa laïcité en tant que
dogme pour tout le monde aussi. Et ça s'est produit
ici, dans la région de Québec, une enseignante qui a brimé un enfant de sept
ans en lui disant : Tu n'as pas le droit de parler d'aucun Dieu,
aucun Dieu n'existe. Et pourtant elle n'arborait aucun signe religieux, la
madame. Comment faire dans ces cas-là? Je vous retourne la question, M. le
ministre.
M. Drainville : Comment faire
dans quel cas?
Mme Laouni
(Samira) : Dans le cas où quelqu'un
qui n'arbore aucun signe mais qui a son influence, il met son influence
en place.
M. Drainville : Moi, je vous
dirais, dans le projet de charte, nous créons le devoir de neutralité
religieuse, nous créons le devoir de
réserve, et ce devoir de neutralité et de réserve, il s'applique tout aussi bien
pour les convictions religieuses que
pour les autres convictions du type de celle que vous soulevez. En d'autres
mots, une fois que la charte aura été
votée, il y aura un devoir qui s'appliquera aux agents de l'État,
et cet agent de l'État ne pourra pas faire la promotion de
quelque façon que ce soit d'une position de laïcité comme celle dont vous
parlez, ce ne sera pas davantage permis. Le
devoir de neutralité que nous créons avec la charte, il s'applique pour les
croyances religieuses mais, je dirais, également pour les non-croyances
religieuses du type laïcité, prolaïcité ou encore même proagnostique. Ça, c'est
ma réponse.
Maintenant, je vois dans votre mémoire, à la
page 4, que vous êtes ouverts… et je vous cite : «Nous sommes ouverts à un consensus sur cette interdiction…»
Vous parlez donc de l'interdiction du port des signes religieux. Alors,
vous dites : «Nous sommes ouverts à un consensus sur cette interdiction
pour les représentants de l'État qui détiennent un pouvoir de coercition», donc
pour les policiers, les juges, les agents de détention.
Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi c'est
acceptable pour vous, une interdiction de porter un signe religieux pour un policier, un juge et un gardien
de prison, et... Pourquoi ça l'est pour eux, en fait, et pourquoi ça ne
l'est pas pour les autres agents de l'État?
Mme Laouni (Samira) : Tout
simplement, la réponse est très simple : C'est l'uniforme. Il y a un
uniforme.
M. Drainville : O.K. Mais...
Mme
Laouni (Samira) : Tout simplement.
M. Drainville : Mais donc il s'agirait qu'un autre corps d'emploi
ait un uniforme pour que vous soyez d'accord pour qu'il y ait une
restriction en matière de signe religieux?
Mme Laouni
(Samira) : Peut-être qu'on finira, au Québec, par avoir tous un code vestimentaire
de Mao Tsé-Toung, et puis on se ressemblera tous et toutes, et puis là il
n'y aura plus de problème pour personne.
M. Drainville : O.K.
Mais le problème que vous soulevez, là, sur la question de l'identité, quand
vous dites : Moi, je ne peux pas renoncer à mon signe religieux
quand je suis sur les heures de travail parce que ça brime mon identité
profonde, cet argument-là, il ne s'applique pas pour une policière, par
exemple, ou pour une juge?
Mme Laouni
(Samira) : …pas d'être policière.
M. Drainville :
Non, je comprends. Je ne parle pas de vous spécifiquement, je parle de votre
position.
Mme Laouni (Samira) : Non, pas de moi, pour… Toutes les personnes qui tiennent à leurs
convictions, à leur liberté de
conscience ne choisiront pas ces métiers-là mais ne se verront pas non plus
fermer toutes les portes de tous les autres
métiers qui puissent exister et qui peuvent être des opportunités de part et
d'autre, des opportunités pour l'employeur que pour l'employé.
M. Drainville :
Vous comprenez qu'à partir du moment où vous acceptez qu'il y ait une forme de
restriction sur le port des signes religieux pour certains corps
d'emploi, pour certains agents de l'État, le débat ne porte plus sur le
principe de la restriction mais bien sur le champ d'application de la
restriction.
Mme Laouni (Samira) : Je suis consciente de ça, M.
le ministre. Nous, ce qu'on a voulu
vous démontrer, c'est que nous
croyons énormément à la cohésion sociale du Québec.
Comme je vous dis, ça fait 15 ans que je suis au Québec et ça fait
15 ans que je vois la détérioration du débat au Québec. Depuis le
11 septembre…
M. Drainville :
…15 ans que ça se détériore?
Mme Laouni
(Samira) : Ça fait depuis le 11 septembre 2001. Ensuite, il y a
eu l'épisode de l'ADQ avec Hérouxville,
ensuite il y a eu la commission Bouchard-Taylor, et puis il y a
le débat maintenant sur la charte. On a vu la dégradation se
faire.
Donc,
pour une cohésion sociale, nous sommes prêts à faire des concessions, parce que
c'est ça, la négociation, c'est ça.
C'est ça, la bonne citoyenneté. C'est de pouvoir écouter, mais pas seulement
écouter, c'est d'avoir de l'écoute active
et d'agir en conséquence par rapport à cette écoute active. Et, agir, on dit que, s'il
faut faire des concessions, nous serons prêts à en faire pour les représentants
qui sont en poste de coercition. Et on dit bien «coercition».
M. Drainville : Oui. Par
ailleurs, vous faites référence, dans
votre mémoire, à la situation dans le secteur de la santé. Vous êtes consciente du fait que le
principal syndicat des infirmières, la FIQ, a pris position pour la charte. Ils
ont pris position pour l'ensemble
de la charte, y compris pour l'interdiction de porter des signes religieux dans
l'ensemble du service public et parapublic, donc dans
les hôpitaux, etc.
Mme Laouni
(Samira) : Oui, j'en suis consciente.
M. Drainville : Et
elles se disent confrontées… enfin, une forte proportion d'infirmières se
disent confrontées fréquemment à des
demandes d'accommodement religieux, et plus du tiers d'entre elles répondent
que ce sont elles, en fait, elles
comme infirmières, elles comme membres des équipes de soins qui sont prises
pour régler ces cas d'accommodement. Et
je pense que c'est important de vous le souligner parce que, si je ne m'abuse,
vous faites référence, dans votre mémoire, aux directions d'établissement de santé qui disent qu'elles n'ont aucun
problème avec la question des accommodements ou la question du port des signes religieux, et j'aimerais vous souligner…
Lorsque Mme Régine Laurent, la présidente de la FIQ, a été confrontée aux chiffres de l'AQESSS,
l'Association québécoise des établissements de santé, donc l'association
des gestionnaires, Mme Laurent s'est fait demander : Mais comment ça se
fait que les gestionnaires d'hôpitaux disent
qu'ils n'en ont pas, de problème avec les accommodements, ils n'en ont pas, de
problème avec les signes, puis vous, vous prenez position pour la charte puis vous dites : On est, comme
infirmières, confrontées à des demandes d'accommodement? Elle a répondu : Ce n'est pas les
gestionnaires qui gèrent la majorité des accommodements. Juste pour vous dire
que, sur le terrain, les infirmières
notamment, parce que vous citez le cas du secteur de la santé, les infirmières,
elles, actuellement, en tout cas, sentent le besoin d'avoir une charte.
Mme Laouni (Samira) : Mais je pense qu'il y a une grande différence entre les signes religieux
et les accommodements dits religieux. C'est deux choses complètement
différentes, on s'entend bien.
Donc, quand madame…
j'ai oublié son nom, mais de l'AQESSS, quand elle a dit que 100 % des
répondants ne rencontrent pas de problème
significatif en ce qui a trait au port des signes religieux ostentatoires, ce
n'est pas ce que madame — j'ai du mal avec les noms — la
présidente de la fédération des…
M. Drainville :
Mme Laurent? La présidente de la FIQ?
Mme Laouni (Samira) : Non, des
infirmières.
M. Drainville : Mme Laurent.
Mme Laouni (Samira) : De la FIQ?
M. Drainville : Oui.
• (15 h 30) •
Mme Laouni
(Samira) : Ce n'est pas ce
que la présidente de la FIQ dit. Elle, elle parle des accommodements religieux. Et nous, de prime abord, dès qu'on a
commencé notre présentation, on vous a dit qu'on demande à ce que les accommodements religieux soient balisés, et on
réitère notre demande des balises pour les accommodements religieux. On ne veut plus entendre parler d'accommodements
farfelus. Et, pour ce faire, ça prend
une formation pour les gestionnaires, pour
qu'ils sachent et qu'elles sachent c'est quoi, une demande farfelue, et c'est
quoi, une réelle demande en ce sens-là.
M.
Drainville : Oui. Je
veux juste vous souligner que non seulement le principal syndicat des
infirmières a pris position pour la
charte, mais, lorsqu'ils ont consulté leurs membres, 65 % des personnes
consultées étaient d'avis que les signes
religieux visibles ne devraient pas être acceptés au travail. Donc, ce n'est
pas juste sur la question des accommodements que les infirmières se sont prononcées ou, enfin, que la FIQ s'est
prononcée, c'est également sur la question des signes religieux. Je
pense qu'il faut que je vous le… que je le porte à votre attention.
Mme Laouni
(Samira) : Je pense que nous
sommes déjà, au Québec, dans une grande pénurie de main-d'oeuvre, que ce soit dans le secteur de la santé, de
l'enseignement, de la garde des enfants, et je pense que ne pas profiter de
cette manne de main-d'oeuvre, ça serait
vraiment une très, très grosse erreur. Nous sommes déjà devant des problèmes de
listes d'attente incroyables dans divers domaines. Je ne sais pas comment, en
tant que gouvernement, vous allez faire pour réparer toutes ces listes
d'attente.
M.
Drainville : Je veux
juste vous dire par ailleurs que, sur la question des balises en matière
d'accommodement, lors de plusieurs
rencontres, pas seulement une rencontre mais plusieurs rencontres, il y a des
chercheurs mais également des entrepreneurs qui nous ont fait part du
fait qu'il y a des employeurs au Québec qui ne veulent pas embaucher des néo-Québécois, notamment des Québécois d'origine
nord-africaine, des Québécois d'origine maghrébine, parce qu'ils ne savent pas comment gérer les accommodements. Ils
nous le disent. Et notre prétention, si vous me permettez, c'est qu'en mettant en place des balises en matière
d'accommodement nous allons rassurer ces employeurs, parce qu'on leur
donne un guide d'emploi. Si jamais ils ont
une demande d'accommodement, ils vont savoir, dorénavant, comment le gérer,
alors qu'actuellement tout est flou, tout
est imprécis, le mieux qu'on peut faire, c'est de leur dire : Va lire un
jugement de la Cour suprême, ce qui
est parfaitement ridicule. Alors là, nous, avec la charte, on donne à
l'ensemble de la société québécoise un certain nombre de règles, de
balises, notamment aux employeurs du secteur privé, et donc, nous, ce que nous
disons, c'est que la charte va favoriser
l'embauche des néo-Québécois, va favoriser l'intégration des néo-Québécois au
marché de l'emploi parce qu'on va donner aux
employeurs, qui le demandent et qui le souhaitent, les fameuses balises qui
vont leur permettre éventuellement de gérer une demande d'accommodement.
Ça va les rassurer. Et, plutôt que de prendre le C.V. puis de le mettre au
panier, ce qui est épouvantable...
Parce qu'on s'entend. Vous et moi, on ne
s'entend pas sur... peut-être pas assez de... il y a un certain nombre de dossiers où on ne s'entend pas, mais je pense
qu'il y a un certain nombre de dossiers où on s'entend. Et un de ceux où
on s'entend, c'est le fait que les Québécois
d'origine maghrébine notamment sont sous-employés au Québec. Il y a une
perte épouvantable de talents et de compétences.
Et ce que je comprends, moi, c'est que l'une des raisons pour lesquelles
le taux de chômage est plus élevé chez les Québécois d'origine maghrébine,
c'est qu'il y a effectivement une réticence de la part de certains employeurs privés, qui, ne sachant pas comment gérer
une demande d'accommodement, prennent le C.V. qu'ils reçoivent et le mettent au panier. Et je pense que la charte peut
les rassurer et leur donner ce mode d'emploi qui va les amener, je le souhaite, à donner à certains
Québécois d'origine maghrébine une chance de venir travailler en
entreprise.
Mme Laouni
(Samira) : M. le ministre, je pense qu'on a été très clairs, sauf erreur de ma part, que… On a
dit qu'on était complètement en accord avec les balises des accommodements religieux. Et on a bien
dit «les accommodements religieux». Ça, on
est complètement d'accord avec vous là-dessus. On est d'accord
pour l'achèvement, le parachèvement de la laïcisation au Québec, on n'a
pas de problème par rapport à ça.
On est contre un seul aspect de la charte. Nous,
je pense qu'on a été comptabilisés parmi les personnes qui ont été pour la charte, parce qu'on est en partie avec la charte. On est juste contre l'interdiction des
signes religieux dans la fonction
publique et parapublique. Et nous considérons que le fait de l'interdire, par
un gouvernement, par un État, ça donne un signal de feu vert, de lumière verte pour tout
le secteur privé, pour qu'il fasse de même. Et nous sommes conscients
que les Québécois et Québécoises d'origine maghrébine souffrent d'un taux de
chômage de 30 %, M. le ministre. Voilà.
M. Drainville : …conscient de
ça. Il me reste juste une minute. Je veux juste vous dire en terminant, parce qu'il faut toujours s'assurer... À défaut de
s'entendre sur les idées ou sur les propositions, il faut au moins s'entendre
sur les faits. Je pense que c'est important
de réitérer, de rappeler, pour les gens qui nous écoutent, que les experts et les chiffres qui sont disponibles démontrent qu'il y a seulement
20 % des femmes québécoises de confession musulmane qui portent un signe religieux. Alors, il faut toujours… Parce
que parfois on entend le discours et on a l'impression que toutes les
femmes québécoises de confession musulmane portent un signe religieux. Il faut
rappeler que, selon les chiffres disponibles, c'est une sur cinq qui le porte.
Donc, il faut toujours dire qu'il y en a quatre sur cinq quand même qui ne
portent pas de signe religieux…
Mme Laouni (Samira) : Je suis…
M. Drainville : …et donc qui
ne seront pas éventuellement touchées ou concernées par la mesure sur les
restrictions, hein?
Mme Laouni
(Samira) : Oui, mais il
faut… Dans un pays démocratique, on pense au 1 % qui va être
touché. On ne pense pas à la majorité absolue, on pense à la minorité qui est
écrasée déjà.
M. Drainville : Oui, mais il
ne faut pas laisser entendre que ce sont toutes les femmes…
Mme Laouni (Samira) : Non, je n'ai
jamais laissé entendre ça, je n'ai jamais dit ça.
M. Drainville : Voilà. Très
bien, merci beaucoup
Mme Laouni (Samira) : Avec plaisir,
M. le ministre.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le ministre. Moi, je passe au député de LaFontaine, je vous cède la
parole maintenant.
M. Tanguay :
Merci, M. le Président. Merci beaucoup, Mme Laouni et Mme Provencher
également qui vous accompagne. Merci d'avoir pris le temps de déposer un
mémoire très étoffé, 23 — et
même plus — pages,
et le temps que vous nous accordez pour en faire la présentation et répondre à
nos questions.
Et, vous l'avez bien dit, il n'y a pas d'étude
qui démontre… Et là on vient de constater que le ministre nous sort un lapin de
son chapeau, une statistique : 20 % des femmes musulmanes
porteraient, selon ce qu'il… une étude, là — on verra la source, là — un signe religieux. Mais, si demain matin le
projet de loi est adopté, c'est 100 % de ces femmes qui n'en
porteraient plus, le lendemain matin.
Vous,
Mme Laouni, vous êtes une femme qui a une parole extrêmement importante.
Vous témoignez par votre passage
aujourd'hui du fait qu'une femme peut être tout à fait libre en tout, dans tous
les sens du terme, et porter un voile, porter le hidjab que vous portez
aujourd'hui. Est-ce que quelqu'un vous a imposé le port de ce voile?
Mme Laouni (Samira) : Je pense que
je ne serais pas là devant vous si quelqu'un m'obligeait à le porter.
M. Tanguay : Parfait. Donc,
une fois que l'on a établi cela…
Mme Laouni (Samira) : J'ai passé la
nuit chez moi hier soir.
M. Tanguay : Une fois que
l'on a établi cela, vous avez parlé de l'aspect extrêmement exclusif, et c'est
la conséquence directe. Vous avez lu comme
nous tous l'article 14 du projet de loi, et je le cite : Avant
l'imposition de toute mesure
disciplinaire par l'organisme, il y aura un dialogue. Toute mesure
disciplinaire, ça veut dire ultimement perdre sa job. Ce matin, Réjean Parent, ancien président d'un syndicat, a
dit : Ultimement, quand tu ne respectes pas les règles, tu perds ta
job. Alors, ça, c'est clairement établi.
Est-ce que,
si l'on vous exigeait, vous qui portez le voile, on vous exigeait
uniquement : Bien, voyez-vous, c'est seulement de 9 heures à 5 heures, enlevez-le donc… Est-ce que
vous seriez capable de vous faire violence et de l'enlever ou vous
n'auriez d'autre choix que de dire : Bien, je vais me chercher un emploi
ailleurs?
Mme Laouni (Samira) : C'est la
deuxième réponse, je me chercherais un emploi ailleurs.
M. Tanguay : Le ministre a
dit que la FIQ s'était prononcée, le syndicat des infirmiers et infirmières
s'était prononcé en faveur de la charte. Évidemment, je pense, vous conviendrez
avec moi, Mme Laouni, qu'il est important de souligner que c'est 60 % de leurs membres qui ont dit :
Nous sommes en faveur. Alors, la FIQ a vu une majorité, mais 40 % sont donc en défaveur, première chose.
Deuxième des choses : vous avez constaté comme nous que deux
syndicats d'hôpitaux majeurs au Québec — on parle CUSM et du
CHUM — se
sont prononcés et se sont dissociés de la FIQ suite à cela.
Vous, là, les
femmes que vous rencontrez, comment vivent-elles ce débat? Et encore une fois
vous l'avez bien dit… Le ministre a
consacré plusieurs minutes à louanger l'importance des balises aux accommodements
pour qu'ils soient raisonnables. Vous l'avez bien dit, il n'y a qu'un
seul élément. On va passer encore 250 heures sur cet élément-là, mais vous, là, dans votre quotidien, comment
vivent les femmes… Ce débat, comment elles le vivent? Pouvez-vous nous
expliquer ça dans vos mots?
Mme Laouni (Samira) : Alors, dans le quotidien, c'est des appels qui
parviennent de Mme Tout-le-monde, que je reçois chez moi. On me contacte
même via Facebook, par messages Facebook pour me dire… pour me
faire part des incidents qu'elles subissent, puis je n'ai autre chose que de
les rediriger vers la commission des droits de la personne et de la jeunesse, ou de leur dire de porter
plainte auprès de la police, ou de leur donner des coordonnées d'avocates
pour leur venir en aide, mais je suis démunie, je ne peux pas les aider.
Et puis moi-même, je
me trouve comme… avec toutes ces demandes-là et puis toutes ces doléances, je
me trouve… je me dis : Mon Dieu, on
n'est pas là pour ça! On est là pour avancer. On veut avancer, on ne veut pas
régresser. Je milite pour les droits de la femme, je suis une féministe née, et
je vois que c'est les femmes qui en subissent… qui en paient le prix davantage
et davantage, alors que le monsieur barbu, lui, il ne paie aucun prix. Donc, je
me demande : Elle est où, cette égalité qu'on chérit au Québec? Elle est
où, elle passe où? Donc, c'est ça.
Et vraiment il suffit
d'aller voir à la clinique psychiatrique de Jean-Talon, à Montréal, pour voir
le cas de personnes en détresse psychiatrique et psychologique, maintenant,
avec tout le débat. Il suffit de voir le nombre de divorces, on a un taux de divorce de 75 % dans les communautés immigrantes. Et on voit une forte
corrélation entre le taux de divorce et le chômage. Alors, si on veut
encore davantage envoyer ces gens au chômage, on sait à quoi s'attendre, c'est
tout.
• (15 h 40) •
M.
Tanguay : Dernière question avant de céder la parole à ma
collègue. Vous avez parlé — et j'aimerais que vous nous
le disiez, vous nous l'exprimiez, l'étayiez en vos mots et selon votre
expérience — de
l'importance centrale, pour une intégration dans tous les sens du terme,
d'avoir une intégration économique, autrement dit d'avoir un emploi, lorsque
l'on se sent comme étant partie active de la société parce que l'on participe,
on se réalise à l'emploi, on réalise notre potentiel
dans l'emploi, mais j'aimerais l'entendre dans vos propres mots, toute
l'importance qu'a… pour les hommes et pour les femmes aussi, d'une
intégration réussie qui passe par l'emploi.
Mme Laouni
(Samira) : Mais, vous savez, je pense que c'est tout à fait légitime.
Le travail, c'est un droit. Et on ne vient
pas là pour quémander, pour ceux et celles qui viennent... Parce qu'il y en a
aussi, des Québécois et des Québécoises de souche qui sont de confession
musulmane aussi et qui subissent aussi de plein fouet ce projet de loi, là, cette interdiction surtout des signes
religieux, notamment. Donc, l'emploi, pour nous, on l'a toujours, que ce soit
lors du projet de loi n° 94 avec
Mme Kathleen Weil, quand elle l'avait présenté, que ce soit lors de la
planification de l'immigration 2012‑2015, on a aussi présenté un autre
mémoire, et toujours, toujours, je dirais, notre cheval de bataille, c'est
l'emploi. On ne croit pas du tout à l'émancipation de la femme sans l'autonomie
financière de cette même femme.
M.
Tanguay : …dernier commentaire avant de céder la parole à ma
collègue, M. le Président. Il est important de rectifier les propos du
ministre lorsqu'il dit que le projet de charte du PQ… Et j'ai vu que ça vous a
fait réagir, Mme Laouni. Il dit :
On crée, avec cette charte du PQ, le devoir de neutralité. Il existe déjà, le
devoir de neutralité religieuse, et elle ne passe pas par une
interdiction mur-à-mur des signes, mais elle passe entre autres par
l'interdiction de faire du prosélytisme, autrement dit de trouver de nouveaux
adeptes. Et également la décision et l'application des mesures doivent être de
façon neutre, et aucunement ce projet de loi là ne le…
Je vais laisser ma
collègue, mesdames, compléter.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme
Weil : Oui, bonjour. Alors, à mon tour de vous souhaiter la
bienvenue. Évidemment, on a eu l'occasion, évidemment, il y a trois ans,
de parler d'exactement les mêmes enjeux, et, je me rappelle très bien, vous
étiez pour la neutralité religieuse de
l'État, vous étiez pour des balises, vous étiez pour l'égalité hommes-femmes et
vous étiez pour… et vous étiez un des
seuls groupes de la communauté musulmane qui acceptait cette notion de service
à visage découvert, qui était quand même une avancée importante à
l'époque, qu'on oublie maintenant, mais on était vraiment la première
juridiction à l'évoquer. Mais il y avait un blocage systématique à l'époque
parce que, je me rappelle bien, le Parti québécois n'acceptait pas le principe
d'accommodement, ils revenaient toujours sur : Ah, c'est toujours du cas
par cas. Là, ils semblent avoir évolué un
peu et accepté qu'inévitablement c'est du cas par cas. Ils voulaient la
hiérarchisation des droits; là, ils semblent avoir reculé sur la
hiérarchisation. Ils voulaient que l'égalité hommes-femmes prédomine, malgré
l'opinion des juristes et tout. Alors, je trouve ça intéressant de voir
l'évolution, du côté du Parti québécois.
Donc,
j'aimerais revenir sur… Ce matin, Réjean Parent nous dit : C'est bien
facile, entre 9 heures et 5 heures on enlève son signe, on enlève la kippa, et c'est bien facile de faire ça,
puis, bon, comme si on laisse son identité chez soi, hein, on ferme la porte de chez soi, on va au travail, on
laisse son identité. C'est comme ça que certains l'expliquent.
Pourriez-vous, en vos mots, expliquer la difficulté ou cet aspect identitaire
du port du signe religieux?
Mme Laouni (Samira) : C'est aussi simple que… Ça
fait partie de moi. C'est mélangé avec le moi, avec mon identité, ma
spiritualité, avec ma liberté de conscience, et je me trouverais brimée de
devoir choisir ou de travailler ou de ne pas travailler pour le garder. Pour
moi, ça…
Mme Weil :
Un droit fondamental pour vous.
Mme Laouni
(Samira) : C'est un droit fondamental.
Mme
Weil : Deuxième
question. Les gens qui veulent… qui voient la laïcité plus stricte s'exprimer
justement par l'interdiction de port de signes religieux donnent toujours
l'argument que ça envoie un message à celui en face de nous qu'on fait un genre
de prosélytisme. Quel est votre commentaire sur ça? Parce que, je vous dirais,
le noeud du problème, c'est vraiment
ça. Il y a deux visions là-dessus, ceux qui disent : Non,
le prosélytisme, c'est les paroles qu'on utilise, etc., ce n'est pas le
port de signes religieux. Est-ce que je pourrais vous entendre sur cette
question précise?
Mme Laouni
(Samira) : C'est sûr… Mais
je vais laisser à ma collègue aussi de répondre à cette question-là.
C'est sûr que, pour moi, le prosélytisme, c'est dans ce que vais dire et non
pas dans ce que je vais porter. C'est comment je vais essayer de convaincre la
personne que…
Mme Weil : …c'est l'opinion de la jurisprudence, des
tribunaux, de la Commission des droits de la personne, c'est ça.
Mme Laouni (Samira) : …que je
détiens la vérité absolue, que je ne détiens pas la vérité absolue. Mais
Marie-Andrée va répondre aussi.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
Mme
Provencher (Marie-Andrée) :
Bon, moi, je suis une Canadienne française d'autrefois, O.K., je
fais partie de l'ancienne génération, bon, et je comprends que, bon, le
choc de la différence, particulièrement pour les personnes plus âgées de ma gang, O.K.,
peut faire que la personne éprouve ce qui, dans le fond, est un préjugé,
puisque c'est en voyant le signe
religieux qu'elle ferait l'hypothèse que cette personne ne donnera pas, ne
donnerait pas le service de façon neutre, impartiale, compétente, etc. O.K.? Bon, écoutez, on ne peut pas, on ne doit pas faire des
règlements ou des lois en fonction de préjugés qui se répandent dans la population.
Bon, moi, il y a une partie de la population
que, paraît-il, aurait le préjugé, enfin l'opinion, tiens, l'opinion que le… oui, juste l'opinion, excusez, que le
foulard islamique, c'est un symbole d'oppression de la femme. Bien,
est-ce qu'on fait des lois en fonction des
opinions? Non. Est-ce qu'un préjugé, parce
qu'il deviendrait plus répandu, donnerait matière à faire de la réglementation?
Inventons un
autre préjugé, d'accord, pour sortir un petit peu, là... Bon, mettons le
préjugé que les fumeurs ou bien donc
les obèses sont des personnes dépourvues de volonté ou moins travailleuses.
Est-ce qu'on songerait à les exclure d'un type d'emploi quelconque?
• (15 h 50) •
Mme Weil : J'ai une autre
question qui est bien importante, j'ai une grande inquiétude. Il y a un
programme qui s'appelle PRIIME, c'est le
Programme d'aide à l'intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi.
On a créé ce programme en 2005. L'idée de ce
programme, c'est une subvention salariale pour les entreprises, les
employeurs qui engagent… Et les groupes sont
ciblés, c'est des minorités visibles du Maghreb notamment et des femmes
maghrébines notamment, pas d'interdiction de porter le voile.
Avec ce
programme-là, on a un taux de rétention de plus de 80 %. C'est un
programme qui fonctionne, qui a été créé
justement pour s'adresser au problème de chômage chez ces personnes-là. Moi
aussi, mon cheval de bataille, c'était l'emploi et c'est l'emploi, et,
notre gouvernement, c'était l'emploi.
Maintenant, ce programme serait visé maintenant
par le projet de loi n° 60. Ces employeurs ne pourraient plus engager ces femmes-là qu'on avait ciblées,
qui cherchent de l'emploi, qui cherchent la dignité humaine par
l'emploi, dont les enfants sont si fiers
parce que leur maman s'en va au travail le matin. Et moi, j'ai des femmes qui
m'appellent chez moi, et c'est ça qu'elles mentionnent, c'est le côté très
humain, c'est l'inquiétude de leurs enfants, leurs enfants qui leur disent : Maman, est-ce que tu seras
obligée de laisser ton travail? Qu'est-ce qu'il va t'arriver? Et vous avez
parlé des cicatrices à long terme.
Comment va-t-on… Vous avez dit : Il va falloir investir encore… moi, je
vous dis le triple, plus que ça pour réparer ça.
J'aimerais vous entendre sur si vous connaissez ce
programme PRIIME et cette question plus humaine du
drame humain causé par, évidemment,
l'inquiétude de toutes ces femmes qui devront quitter le marché de l'emploi. Et évidemment on en a vu d'autres qui portent le turban qui
disent qu'ils seront obligés de quitter, il y a un professionnel
de la santé à McGill qui dit qu'il serait obligé de quitter carrément le
Québec. Il y en a d'autres aussi.
Mme Laouni
(Samira) : Mais on l'a même
bien entendu lors d'une émission, je ne me rappelle pas de la date, mais à C'est pas trop tôt!, le matin, avec
Marie-France Bazzo, où il y a eu un reportage sur une famille dont la
maman porte le foulard et puis le fils
adolescent, puis il lui disait : Mais, maman, est-ce que tu vas perdre ton
emploi? Qu'est-ce qu'on va devenir? Parce qu'à l'écoute, à entendre
l'entrevue, ça veut dire que c'est une maman monoparentale et que c'est elle qui fait vivre ses enfants, et le petit était
déjà… C'est un jeune adolescent, 12 ans, et il était déjà stressé et
anxieux à l'idée que sa maman ne veuille pas enlever son foulard et
qu'elle soit obligée de quitter son emploi.
Comme je vous
dis, l'emploi, c'est la clé de tout, et la formation et la sensibilisation,
c'est vraiment ça qui favorise l'emploi. Parce que, les employeurs, oui,
je comprends qu'ils aient peur, et surtout dans un débat pareil. Ils ne sont pas seulement… Ils n'ont pas seulement peur, c'est
pire parce qu'ils ne savent plus. Est-ce qu'ils doivent embaucher en
attendant qu'un projet soit voté? Et après qu'est-ce qui va se passer? Est-ce
qu'ils vont investir pour embaucher du monde
qu'ils vont devoir mettre à la porte ou est-ce qu'ils n'embauchent pas et puis
ils n'ont pas de main-d'oeuvre? Donc, c'est vraiment problématique.
Mme
Weil : Merci beaucoup, merci beaucoup.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Il reste 30 secondes, peut-être le temps de dire
merci ou… Alors, sinon, je vais reconnaître la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président.
Bonjour, mesdames. Merci pour votre mémoire. D'abord, je suis heureuse
de l'entendre de votre bouche, que vous êtes d'accord avec les encadrements des
accommodements religieux; que vous êtes
d'accord aussi, l'interdiction du port de signe religieux pour certains
fonctionnaires. C'est un début, vous parlez de compromis qu'il y aura à
faire éventuellement.
Maintenant,
vous qui travaillez justement à Organisme de communication pour l'ouverture et
le rapprochement interculturel — c'est une question purement
hypothétique que je vais vous poser — dans l'éventualité où la
charte de la laïcité est adoptée, selon vous, vous qui connaissez les femmes
voilées, ces femmes qui travaillent, quel serait le pourcentage de femmes
voilées qui accepteraient de retirer le voile le temps de la journée de
travail? C'est très hypothétique…
Mme Laouni (Samira) : Je ne veux pas être alarmiste, mais je peux vous dire que, dans tout
mon entourage, il n'y en a pas une seule qui laisserait son foulard pour
aller travailler. C'est juste ça.
Mme Roy
(Montarville) :
Par ailleurs… Oui?
Mme Laouni
(Samira) : Mais il peut y en avoir, je ne sais pas, mais…
Mme
Roy
(Montarville) : C'est pour ça que je vous dis que
c'est hypothétique. Mais je voulais savoir parce qu'on a l'exemple en France où on disait… et c'est très
différent, ce qui se passe en France, mais on disait : Les jeunes
femmes n'iront plus à l'école, et finalement plusieurs ont enlevé le voile et
sont allées à l'école. Mais je ne veux pas faire d'autre parallèle.
Cela
dit, vous dites que vous craignez que le projet de loi n° 60 lance un
signal dans le secteur privé. Alors, vous avez lu la loi, vous l'avez étudiée. Si nous allons directement à
l'article 10 de ce projet de loi n° 60… Et, pour le
bénéfice des téléspectateurs, je vais en faire la lecture à partir du… le
milieu du paragraphe, là : «…un organisme public peut exiger de toute personne ou société avec laquelle
il conclut un contrat de service ou une entente de subvention de
respecter un ou plusieurs des devoirs et
obligations prévus aux chapitres II et III», c'est-à-dire, entre autres,
l'interdiction du port de signe religieux.
Pourriez-vous… Ce qui signifie si le gouvernement ou un organisme fait des
contrats avec des sous-traitants.
Donc
là, on est dans le secteur privé. Enfin, moi, c'est ce que j'en comprends,
d'autres juristes le comprennent ainsi. Mais, vous, comment
l'interprétez-vous, cet article-là?
Mme Laouni (Samira) : C'est exactement ça. Je ne sais pas, moi, le…
n'importe quelle entreprise qui travaillerait… Je vais prendre l'exemple
d'une société, par exemple, pharmaceutique qui vend des produits, des
médicaments au gouvernement, au ministère de
la Santé. Bien, elle sous-traite pour le gouvernement, donc cette entreprise-là
se verra obligée d'exiger de ses employés de se conformer à une tenue
vestimentaire dite neutre. Ça pose problème pour plusieurs entreprises
pharmaceutiques aujourd'hui à Montréal, et j'en connais pas mal. Ça va poser
énormément de problèmes.
Mme Roy
(Montarville) :
…ce que vous craignez?
Mme Laouni
(Samira) : Ah oui, tout à fait. Est-ce que tu veux rajouter pour les…
Mme Provencher (Marie-Andrée) : Bien, moi, je voudrais donner juste une petite
chose qui n'est pas… qui est reliée plus au débat qui se passe dans le
moment qu'aux conséquences directes et… Bon, moi, j'ai dit que j'aide des nouveaux arrivants à préparer les examens
professionnels de français, bon, ça
fait plus que huit ans que je fais ça à temps à peu près plein, bénévolement. O.K.? Alors, bon, l'année passée, du mois
d'août au mois… fin de décembre, bon, sur à peu près 120 étudiants
qui ont fait appel à moi, il y en avait à peu près la moitié ou un peu plus que
la moitié qui étaient soit d'origine
maghrébine ou égyptienne. Bon, cette année, dans la même période de temps, j'ai
eu deux demandes de Maghrébins et
deux demandes d'Égyptiennes. Bon, ils ne sont pas venus m'expliquer pourquoi
ils ne faisaient plus appel à moi, mais ça m'est difficile de ne pas
penser qu'ils se sentent désemparés par le débat, le… Bon. Ne perdez pas de vue
que…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme Provencher.
Excusez-moi, mais je vais céder la parole au député de Blainville, le
temps de la députée de Montarville étant écoulé. M. le député de Blainville.
M.
Ratthé : Bonjour, mesdames. Écoutez, je vous entendais tout à
l'heure dire : Il y a peut-être des choses qu'on va vous dire qui vont vous déplaire. Je vous dirais
qu'on n'est pas là pour que ça nous plaise ou que ça ne nous plaise pas,
mais moi, je dirais… je le disais ce matin,
je voulais comprendre. Et peut-être… Et je n'ai pas beaucoup de temps non
plus, mais, les questions que je vais poser, c'est plus, pour moi, sous forme
de compréhension.
Vous mentionniez,
puis j'en suis… et ça paraît chez vous que le voile que vous portez ou le
hidjab que vous portez n'est pas
obligatoire, vous le portez de façon volontaire. Est-ce qu'il y a des religions
qui obligent? Et est-ce qu'il y a des femmes qui sont obligées de le
porter?
Mme Laouni (Samira) : C'est une prescription religieuse. Et, quand on
chemine… Il y a plusieurs prescriptions dans la religion. Il n'y en a pas une seule, il y en a plusieurs. Mais,
quand on suit une religion, quand on y est, quand on chemine, parce que ce mot-là est beaucoup,
beaucoup utilisé, «cheminer», «cheminement», donc, lorsqu'on chemine
dans la spiritualité religieuse, on parvient des fois à choisir, à faire ce
choix.
J'ai ma soeur qui est
au Maroc et qui n'a pas fait ce choix-là, et pourtant c'est ma soeur, c'est
toujours ma soeur. Mais moi, je l'ai fait,
le choix, et je porte librement, librement de conscience mais spirituellement,
dans une certaine obligation spirituelle parce que j'y crois. Mais je ne
fais pas que Marie-Andrée y croie non plus, ça fait longtemps qu'on se connaît.
M.
Ratthé : Par pure conviction. Et, bon, on peut comprendre
pourquoi, vous l'expliquez bien, parce que, dans un de vos paragraphes, quand vous faites un parallèle
avec les signes politiques, vous dites : Il n'y a aucun parti
politique qui oblige à porter un signe, pas
plus qu'une religion, en fait. Puis peut-être le parallèle vous paraît boiteux,
mais je pourrais vous citer des
souverainistes très, très, très convaincus et des fédéralistes aussi très,
très, très convaincus qui, dans leurs propres convictions les plus
profondes auraient peut-être du mal à se plier à des règles auxquelles vous
avez, et je le comprends, de la difficulté à vous plier.
Mme Laouni
(Samira) : Ce n'est pas une spiritualité, c'est juste ça.
M. Ratthé :
Non, mais ce sont des convictions, ce sont des convictions.
Mme Laouni
(Samira) : On peut changer de parti.
M.
Ratthé : On peut… Et vous me faites un parallèle, mais
effectivement il y a des gens qui changent de religion. Moi, je ne suis pas là pour faire un jugement. Je
voulais juste comprendre s'il y avait une obligation, est-ce qu'il y
avait une religion qui obligeait quelqu'un,
et je comprends bien qu'il n'y en a pas vraiment mais que c'était par pure
conviction.
Mme Laouni
(Samira) : Il y a une prescription, il y a une prescription.
M.
Ratthé : O.K. Je trouve intéressant aussi de… et ma collègue de
Montarville l'a soulevé, puis je comprends que c'est difficile pour
vous, parce que vous nous indiquez : Bien, il n'y a pas d'études qui ont
été faites, il n'y a pas… Et ce que je
comprends aussi, c'est que, dans l'autre sens, pour l'instant, il n'y en a pas.
Puis ce n'est pas un blâme que je fais,
c'est qu'on a du mal à évaluer. Vous me dites : Bien, les gens qui sont
autour de moi, les gens que je connais — et là,
évidemment, c'est basé sur ce qu'on connaît — ne seraient pas prêts à
l'enlever, ce qui, forcément, ne veut pas dire qu'il n'y a pas un très grand nombre de personnes qui sont prêtes à
l'enlever. Alors, moi, ce que j'en déduis, c'est qu'il nous manque des
informations des deux côtés, parce que vous nous dites : Vous ne devriez
pas le faire parce que vous n'avez pas d'étude, mais vous n'avez pas plus
d'étude non plus pour venir dire les raisons pour lesquelles…
Mme Laouni (Samira) : Non, non, non. Justement, j'ai bien souligné que c'étaient les
personnes que je connais, mais, parmi ces personnes-là, il y a, par
exemple, un 200 femmes qui sont dans les milieux de garde qui ne seraient
pas prêtes à l'enlever…
M. Ratthé :
Qui ne seraient pas prêtes à l'enlever, oui, O.K.
Mme Laouni
(Samira) : …c'est un 200 femmes, parce que je connais beaucoup de
RG, les responsables de gestion…
M.
Ratthé : Oui. Et je ne le dis pas dans le but de vous mettre
mal à l'aise ou de dire que vous n'avez pas bien fait votre travail. Je dis juste qu'il semble que, des
deux côtés de la clôture, si vous voulez, des côtés… on n'a pas
l'information complète. C'est difficile pour
vous de nous dire : Bien, il y a tant de personnes qui travaillent dans
ces milieux-là, j'en connais 200,
c'est déjà un bon nombre. On n'a pas de données à savoir combien seraient
prêtes, un peu comme la députée de Montarville disait tantôt, à laisser…
et d'autres qui y tiendraient absolument, pas plus que, pour l'instant, on ne
semble avoir de données sur, à l'inverse, ce que vous mentionniez tantôt.
Mme Laouni
(Samira) : Parce que tout simplement nous sommes un organisme sans but
lucratif. On n'a aucune subvention, on n'a rien du tout, on n'a jamais rien
demandé.
M. Ratthé :
Comprenez bien que je ne vous blâme pas là-dessus, là.
Mme Laouni
(Samira) : Et puis nous avons nos travails, je suis maman de trois
enfants, et puis nous faisons notre bénévolat en tant que citoyennes parce
qu'on a une conscience citoyenne, c'est tout.
M. Ratthé :
Non, ce que je voulais simplement, c'est qu'on reconnaisse le fait, pas que
vous… ce n'est pas un blâme, mais qu'on reconnaisse le fait que ça n'existe
pas, là.
Le Président (M.
Ferland) : Merci, M. le député de Blainville. Alors, sur ce, je
remercie Mme Laouni et Mme Provencher pour votre mémoire, votre
présentation.
Je vais suspendre quelques instants pour
permettre au prochain groupe de prendre place.
(Suspension de la séance à 16 heures)
(Reprise à 16 h 3)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Maintenant,
nous allons entendre Mme Sylvie Bergeron, alors en vous mentionnant
que vous avez un 10 minutes de présentation et après la période d'échange.
Alors, la parole est à vous, Mme Bergeron.
Mme Sylvie Bergeron
Mme
Bergeron (Sylvie) : Bonjour.
Ça va être un petit concentré. J'ai décidé de… Bien, j'ai décidé… En
fait, ma démarche m'a amenée à considérer
plutôt le principe que votre perspective du cas par cas, et ceci m'a amenée à
constater que je pouvais arriver à la conclusion que je suis pour la
hiérarchisation des droits.
Je vais faire
un petit résumé très rapide, donc, mais je veux d'abord insister pour dire qu'il y a quand même un consensus global sur la
charte qui achoppe seulement sur un point, en fin de compte. Pourtant, en 2006,
avant 2006, unanimement les Québécois
étaient contre le port des signes ostentatoires. Avant 2006, non seulement il y avait
consensus québécois, mais très peu de signes religieux même sur la
rue. Et moi, je me suis demandé : Pourquoi cet afflux
soudain dans mon propre quartier? Après 2006,
il y a eu réellement une montée de la foi hassidique, si on peut dire. Donc,
évidemment, je pense que la décision de la Cour suprême concernant le kirpan a
joué dans cette fluctuation-là et favorisé la multiplication de demandes
d'accommodement. En même temps, bien, ça a ouvert la porte aussi, je crois, à
la crainte de l'intégrisme, mais là n'est pas le propos d'aujourd'hui, puisque
c'est l'affaire du ministre de la Sécurité.
J'ai fait
l'étude, donc, pour comprendre la situation dans ma perspective à moi. J'ai fait l'étude de
l'histoire du droit pour comprendre pourquoi
le religieux est en train de revenir en force sur le terrain dans la société québécoise
qui l'avait pourtant séparé de l'État, donc une sorte de psychanalyse du
droit jusqu'à sa source originelle, et j'ai découvert que l'art du droit avait complètement évacué
l'intuition comme pour devenir une pratique comptable, surtout depuis
200 ans, donc ça s'est fait
progressivement, et donc que le droit naturel qui protège cette même intuition
est constamment attaqué. Et à surveiller : la dernière tentative de
Stephen Harper concernant le projet C-4 qui va essayer d'évacuer davantage le
droit naturel qui fait partie de notre constituante en tant qu'identité
québécoise. Je m'explique ici.
Donc, le droit
coutumier anglo-saxon promeut la croyance religieuse et il a préséance sur le
droit romain de chez nous qui promeut l'intuition de notre nature
universelle. Et, lorsque les politiciens cessent de protéger l'homme en tant que ce qu'il est pour ne promouvoir que ses
croyances et coutumes, ils paralysent l'évolution vers d'autres
paradigmes.
Donc, par
l'enchâssement de la charte dans… puis je parle de la charte canadienne, la
jurisprudence canadienne a cristallisé
un droit oral, faisant de la liberté de religion une loi écrite qui a primauté
sur la défense de la nature universelle de l'homme. Et dans cette société, un, la liberté se joue toujours au
détriment de la femme, et, deux, c'est une très mauvaise idée d'avoir
emprisonné la mouvance sociale dans une loi qui nous fixe au Moyen Âge.
Le droit romain, rappelons-le, c'est le seul
droit de l'histoire à avoir éjecté de ses codes la religion et la coutume — ça, c'est notre droit. Il considère l'humain
comme étant conforme à la nature, donc il inclut l'intuition comme le
baromètre universel de la raison. Et ça, depuis 200 ans, ça a été évacué.
Donc,
l'herméneutique juridique, qui est la partie du droit qui fait appel à
l'intuition. Ça, c'est l'art du droit. Bien, depuis le
XVIIIe siècle, l'interprétation de l'intention du législateur a été
remplacée par un système de techniques, de procédures, de normes hiérarchisées
qui favorisent le droit coutumier puisque celui-ci est porteur de signes
extérieurs faciles à défendre par des technicités comptables. Ça, ça veut dire
que ce système-là actuel présente l'avantage de donner une valeur si précise à l'argument qu'elle paraît objective,
vraie et juste, même si elle heurte le sens commun. Cette pratique du droit est perçue par plusieurs comme
hautement intelligente. Dans les faits, on la préconise surtout parce
que ses arguments détachés de toute abstraction apparaissent plus vrais que
vrais et ont l'avantage de devenir absolument incontestables. C'est pratique
pour les avocats.
Un être
humain sans abstraction. Donc, si on évacue l'intuition, si on évacue l'aspect
abstrait de l'humain, bien ce n'est
plus un être humain. Donc, être déshumanisé, ce n'est pas être objectif. Ça,
c'est le... Le droit a évolué vers ce niveau de déshumanisation, et
c'est ce miroir qu'il nous envoie à nous en tant que collectivité. Donc, le
droit canadien ne défend plus des relations humaines mais leurs litiges
techniques. Ce droit technique est faussement neutre, pervertit la nature
humaine à travers des systèmes de procédure que nous devrions dorénavant mettre
en doute et contester.
J'en arrive
aux points techniques. On dénature un litige, par exemple, comme celui de Guy
Turcotte, où l'argumentaire repose
sur des procédures techniques plutôt que sur l'intention même du sujet. Donc,
on demande à des experts d'analyser si
l'antigel — on
connaît l'histoire — consommé
est la cause de la folie plutôt que de poser la question : Pourquoi il
l'a bu? L'intention du sujet est évacuée de
la question. Donc, ainsi, l'avocat n'a pas à travailler pour en démontrer la
mécanique psychologique, il ne travaille plus que pour son propre avancement.
De la même manière,
le voile, la kippa, le kirpan sont des points techniques apparemment
incontestables d'accommodement comme
argument comptable pour défendre la liberté de culte, mais le juge ne creuse
pas l'intention du croyant. Le droit
canadien ouvre grand la porte à l'intégrisme religieux. Les signes visibles
religieux ne sont pas accessoires, dans cette défaillance juridique, mais bien au
coeur de l'avancement de la garde fondamentaliste, au Canada, qui
utilise le droit coutumier pour faire valoir
sa conscience grégaire dans notre société moderne. Non pas que toutes les
femmes voilées soient à la solde des
extrémistes, mais elles constituent la façade innocente d'un trouble en germe.
Qu'elles le veuillent ou non, toutes les femmes voilées contribuent à
l'avancement de l'intégrisme religieux et à la régression de la liberté des
femmes.
Nous avons tout fait,
au Québec, pour nous affranchir du fondamentalisme religieux catholique. La
charte canadienne attire les autres religions et nous fait ainsi reculer au
Moyen Âge. Ces individus multiculturalisés sont porte-parole de l'intérêt
exclusif de leur communauté, sans égard pour le bien commun. C'est un retour
annoncé aux tensions tribales.
• (16 h 10) •
Le droit canadien
défend la fabrication de ces ghettos producteurs de tensions tribales avec pour
armes tout un attirail d'arguments
techniques. Nous ne sortirons pas du patriarcat, à moins de déverrouiller la
conscience intuitive enfouie dans nos
institutions. Le droit canadien
affirme ainsi le préjugé de la femme pécheresse et inférieure à
l'homme parce que, par défaut, le droit coutumier, issu du religieux
misogyne, enchâssé dans la Constitution, lui octroie le statut d'une loi. Trudeau a cristallisé sous forme de loi
le droit patriarcal de soumettre la femme. Le Québec, construit sur
le rapport égalitaire hommes-femmes, est heurté de plein fouet devant cette
décision surréaliste des rapports humains.
Donc,
la coutume sauvage et la femme. C'est pour ramener ça à un niveau plus
international, parce que nous ne sommes
pas seuls et isolés sur cette planète. La déclaration des droits de l'homme fut
proclamée sur la base des droits naturels et individuels. Présentement,
mondialement, au-dessus de nos têtes, des peuples et des États, des avocats et des juges se livrent une concurrence sans merci
des systèmes pour avoir hégémonie et influencer le monde. Ça veut dire que le droit romain, germanique et anglais sont en
train de se concurrencer pour savoir lequel des trois va gagner pour
influencer la psyché. C'est vous dire à quel point le droit influence
aujourd'hui la psyché des gens.
À l'avant-garde, le
plus prédateur, le droit anglais, a donc écrasé la prédominance du droit
naturel comme le fondement des droits
universels de l'homme. Il a réussi à imposer le droit coutumier et, du coup, a
permis aux intégristes d'ouvrir la porte mondialement à la pratique de
la coutume sauvage — ça,
c'est la faculté que les gens peuvent… l'imposition de la culture à laquelle
ils appartiennent, la religion — une rétrogradation mondiale pour la
femme. Le fondamentalisme religieux n'est pas abstrait, il livre une guerre.
Le fondamentalisme
nous envoie un signal face à notre propre perte de repères mystiques. Autant
que lui, le droit canadien a honni l'intuition et sa principale bénéficiaire,
la femme. Le droit coutumier nous empêche d'évoluer juridiquement vers une réalité sociale qui nous pousserait vers le
prochain paradigme parce qu'il protège la croyance avant l'intuition. La mouvance sociale ne peut pas
exister que par les coutumes, elle repose avant tout sur la nature
universelle de l'humain. Sans l'intuition, nous ne pouvons pas nous
reconnaître.
La classe politique
croit qu'elle ne peut pas changer les choses parce qu'elle ne sait plus comment
contester le pouvoir du tribunal, blindé par un arsenal de procédures
techniques qui offrent l'apparence d'une vérité absolue et incontestable. Les
portes de l'Occident sont grandes ouvertes au fondamentalisme, et les gonds
sont rouillés.
Alors,
pour une hiérarchisation des droits. Pour assouplir le droit et lui redonner
son sens humain sans lui voler la défense
des minorités, il saute aux yeux qu'il faille non plus hiérarchiser des normes
mais hiérarchiser les droits humains, la nature devant la coutume, et,
pour changer ça, on pourrait mettre en premier l'égalité des droits des hommes
et des femmes. Alors, les immigrants sont
aussi en droit de savoir que nous sommes issus de la tradition du droit romain
mettant en avant un humanisme universel
avant la religion et la coutume. Nous sommes ici en face d'un écart identitaire
profond entre droit français et droit
anglais, et ces droits sont irréconciliables à moins de les hiérarchiser. Cette
hiérarchisation serait salutaire non pas
seulement pour le Québec, mais pour tout appareil étatique soumis à la pression
du droit jurisprudentiel anglo-saxon.
Mondialement,
la société de droit a franchi ses limites. Au Canada, la Cour suprême
emprisonne tous les Canadiens dans une logique dépourvue d'humanité, et,
spécifiquement chez nous, devant un gouvernement fédéral qui cherche à imposer
son droit coutumier, qui cherche à concurrencer notre système de droit naturel,
Québec a l'obligation de préserver notre vision
du juste. Neuf personnes non élues ne peuvent pas dire à tout un peuple comment
se comporter.
Le
Président (M. Ferland) : Excusez, Mme Bergeron, je vais
être obligé de vous arrêter, mais il y a 50 minutes d'échange avec
les parlementaires.
Mme Bergeron
(Sylvie) : J'ai fini, j'ai fini.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, sur ce, je cède la parole à M. le ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Alors, bon, d'abord quelques… Bonjour,
Mme Bergeron. Content de vous voir. Je veux juste d'abord apporter
un certain nombre de précisions, là.
Pour
le bénéfice, d'abord, du député de LaFontaine, là, on vient tout juste de
repasser au travers de la Loi sur la fonction
publique, là. Les mots «neutralité politique» y apparaissent, mais le mot
«neutralité religieuse» n'y apparaît pas. Alors, je ne sais pas où vous
avez pris ça, M. le député, mais vous pourrez sans doute nous préciser ça. Et
peut-être qu'il fait référence à une interprétation du devoir d'impartialité,
M. le Président, tel que prévu dans le guide intitulé L'éthique dans la fonction publique québécoise, mais, si c'est le cas, c'est très bien, mais on
ne peut pas laisser entendre, M. le
Président, que la Loi sur la fonction publique prévoit déjà un devoir de
neutralité religieuse alors que ce n'est pas le cas. Le devoir de neutralité politique est prévu, mais le devoir de
neutralité religieuse n'apparaît nulle part dans la Loi sur la fonction
publique. Ça, c'est pour M. le député de LaFontaine.
Je voulais préciser également, parce
qu'on l'a entendu tout à l'heure, là, Mme Laouni qui parlait des
responsables des services de garde, qu'elle
devait les rassurer au sujet de la restriction en matière de port de signe
religieux… Je tiens à rappeler aux
membres de cette commission que la charte n'interdit pas le port de signe religieux pour les responsables
d'un service de garde. La seule restriction en matière de port de signe
religieux, pour les responsables en service
de garde, c'est le port... c'est l'obligation du visage à
découvert. Donc, je tiens à le rappeler, je pense que c'est important : La restriction en matière de
port de signe religieux, dans le milieu des garderies, s'applique aux CPE et
aux garderies privées subventionnées. Dans
le cas des responsables en service de
garde, c'est l'obligation du visage à découvert qui s'applique. Et voilà pour ce qui est des responsables en service... J'ai d'ailleurs
fait le message à Mme Laouni pour qu'elle rassure ces responsables
en service de garde, là, qui semblaient craindre de perdre la possibilité de
porter leur voile. Elles vont pouvoir continuer à porter le voile, en vertu de
la charte.
Par ailleurs, pour le
bénéfice de Mme la députée de Montarville… Vous avez posé une question au sujet
de l'article 10. Je tiens à dire que
l'article 10 ne vise absolument pas à demander à une compagnie pharmaceutique
d'interdire les signes religieux. Ce n'est
pas le cas, ce n'est pas prévu comme ça. Ce n'est pas prévu pour ça, et ce ne
sera pas le cas. L'article 10, c'est un article qui ne vise que les
lieux de travail lorsque le lieu de travail est l'État, donc il faut que la personne travaille à l'intérieur d'une institution publique. C'est prévu, par
exemple… L'article 10 qui
dit : «Lorsque les circonstances le justifient, notamment en raison
de la durée du contrat ou de l'entente, de sa nature ou [de son lieu] d'exécution, un organisme public peut exiger de
toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat de service
ou une entente de subvention de respecter un
ou plusieurs des devoirs et obligations prévus aux chapitres II et III», ça
vise notamment, Mme la députée de Montarville, ça vise notamment, par
exemple, les infirmières qui
proviennent des agences privées d'infirmières et qui vont travailler
dans un hôpital public. À ce moment-là, l'hôpital pourrait exiger de cette infirmière,
donc, qui provient d'une agence privée d'infirmières qu'elle respecte le même
code vestimentaire que les infirmières
régulières qui sont à l'emploi de l'hôpital. C'est un exemple. Ou l'autre
exemple qui est couvert par l'article 10, c'est, par exemple, ces firmes de services-conseils informatiques
qui viennent sur les étages des ministères s'occuper du parc informatique, par exemple. Alors, un ministère pourrait… Pour un
employé, par exemple, qui est sur le plancher d'un ministère
pendant six mois, disons, pour un contrat de six mois, bien le ministère
pourrait dire : Écoutez, comme vous venez travailler avec nos équipes de fonctionnaires et que nos équipes de
fonctionnaires doivent respecter un code vestimentaire, on vous demanderait de le respecter, vous, également.
Donc, je pense, c'est important de le préciser au fur et à mesure pour ne pas laisser courir des informations
qui seraient inexactes.
Alors,
Mme Bergeron, j'en reviens à vous. D'abord, vous ne vous... Sur la question
du voile, d'abord, j'ai lu et j'ai bien
entendu ce que vous avez dit, là, le lien que vous faites. Moi, je tiens à vous
dire que, sur la question du voile, ma position depuis le tout début
du débat, c'est de dire qu'il y a un débat sur le voile, que certaines le
portent sans doute parce qu'elles s'y
sentent obligées, notamment par leurs proches, mais il y a certainement aussi
des femmes qui le portent librement, et ce n'est pas à moi, comme
ministre, de commencer à dire : Telle femme qui porte le voile le porte
parce qu'elle se sent obligée, ou :
Telle autre femme le porte parce qu'elle exerce son libre choix, elle exerce sa
liberté de religion. Donc, je tenais à faire cette précision-là, on n'a
pas tout à fait la même lecture sur cette question-là.
Par contre...
Mme Bergeron (Sylvie) : Bien, c'est-à-dire que ce que je dis, c'est que
le droit aujourd'hui, parce qu'il ne traite plus l'aspect mystique de quoi que ce soit, bien ouvre la porte à livrer
des verdicts sur la base de tout ce qui est des preuves visibles. C'est
ce que j'essaie de dire. Cela dit, ça n'empêche personne de porter son signe
ostentatoire n'importe où.
M. Drainville :
O.K. Là, par contre, où je vous rejoins et je fais un lien direct entre... avec
l'intégrisme, en fait, c'est sur le port du
tchador. Ça, je vais vous dire, pour moi, le tchador, c'est très clairement un
symbole intégriste. Et d'ailleurs la députée de La Pinière est
d'accord avec nous là-dessus, elle l'a affirmé et réaffirmé.
Est-ce que vous, vous
considérez que le tchador est un symbole intégriste?
• (16 h 20) •
Mme Bergeron
(Sylvie) : Moi, je vous répète que, dans le fond, vous dites que c'est
intégriste parce que le tchador est un voile total, mais ça n'empêche pas que
l'intégrisme utilise le voile musulman, qui n'est pas du tout un symbole
religieux. Il peut l'utiliser pour faire de la propagande, et nous n'aurons
jamais de preuve, parce que, de la propagande, c'est ça, le jeu.
Alors, vous dites au
fond que, parce que vous voyez que le tchador est plus ostentatoire que le
voile, vous…
M. Drainville :
Ce que je dis, c'est que, sur le tchador, il y a un consensus. Il y a un
consensus.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Oui, mais, si vous…
M. Drainville : Sur le voile, il y a un bon débat, mais je
vous dirais que, sur le tchador, il n'y a pas grand monde qui dirait que
le tchador n'est pas un symbole d'intégrisme.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Oui, mais, si vous portez le jugement sur l'idée que, bon,
bien il y en a un qui est intégriste et l'autre ne l'est pas, ce n'est pas nécessairement
vrai, l'équation est fausse, parce que l'intégrisme… les intégristes utilisent
le voile, les musulmans, comme porte-étendard. Ce n'est pas un symbole banal,
c'est un drapeau, quelque part. Donc, on ne peut pas...
M. Drainville :
J'entends votre position. Je vous dis juste qu'on n'a pas nécessairement la même
position sur cette question-là très…
Mme
Bergeron (Sylvie) : Je n'en
ai pas, de position, je fais juste exprimer qu'on… Moi, je n'ai pas de
position, c'est vous qui allez en avoir une.
Je fais juste exprimer… On essaie de voir qu'est-ce qui peut nous aider à comprendre comment baliser la
propagande. Ça, c'est un problème beaucoup plus difficile à baliser que les
autres.
M. Drainville : Moi…
Mme
Bergeron (Sylvie) : C'est de
ça, dans le fond… C'est ça qui est un peu l'enjeu, je pense, sous-jacent.
C'est difficile, pour nous, de savoir. C'est difficile, pour nous, de faire
confiance dans cette situation-là.
M.
Drainville : Sur la
question de l'égalité hommes-femmes, bon, nous, on a décidé, dans la charte, de
faire du principe de l'égalité
hommes-femmes un critère non négociable, c'est-à-dire que, s'il y a une demande
d'accommodement qui est faite à l'avenir,
une demande d'accommodement religieux, et que cet accommodement-là remet en
question le principe de l'égalité
hommes-femmes, ce sera suffisant pour le refuser, pour refuser la demande
d'accommodement. Donc, on fait de l'égalité hommes-femmes une valeur non
négociable, dans le fond, hein?
Est-ce que c'est un aspect de la charte qui vous
plaît, ça, le fait que l'on dise : L'égalité hommes-femmes, au Québec, tu
ne peux pas passer à côté, c'est incontournable, c'est trop important pour nous
comme société, et donc une demande
d'accommodement qui est faite au nom d'une conviction religieuse ne peut pas
remettre en question cette égalité entre les hommes et les femmes?
Mme
Bergeron (Sylvie) : C'est
fondamental. C'est fondamental puis, dans l'axe que j'ai choisi, ça exprime
l'idée que l'homme et la femme sont d'abord
des êtres nus, nous ne sommes pas des êtres vêtus. Et donc, si on part
toujours du principe que, pour défendre une personne on la voit habillée, on
n'est pas en train de défendre l'humain en tant qu'essence intrinsèque. Je veux dire par là que… Je vous vois cligner de
l'oeil. Ce que je veux dire par là — je vais y aller doucement — c'est que… Je vais vous rhabiller ça, je
vais vous rhabiller ça. En fait, j'ai dit d'emblée que j'étais venue nous rappeler à l'ordre sur les principes de base.
On est une société consumériste, individualiste, égocentrique et on perd
nos principes. Et ce que je vois dans l'étude que j'ai faite par rapport même
au droit, le droit perd même ses principes, c'est-à-dire
qu'il n'arrive plus à défendre… Le droit romain est basé sur l'humain en tant
qu'être, donc il défend l'homme nu,
tandis que le droit coutumier défend l'homme vêtu, c'est la liberté de culte,
d'expression religieuse. C'est ce que j'essaie de dire. Et donc, dans la nature, si je peux essayer de rhabiller le
tout, dans la nature, le principe de création, la base, c'est l'aspect universel, c'est ce qui nous rassemble,
ce n'est pas ce qui nous divise, et, si on s'écarte trop puis qu'on
donne suprématie à l'individualisme, on va se trouver dans un capharnaüm de
règlements, de cas par cas où on va faire des dérapages.
Et la raison pourquoi, dans le fond, le droit a choisi de trouver un paquet de
règles pour essayer de régler le truc a,
en fin de compte, en même temps évacué l'aspect intuitif qui est directement
lié à l'essence de chaque individu, et c'est dans ce sens-là que je dis : Faisons attention au
cas par cas, parce que ça nous amène à finalement considérer
l'amoncellement des individus comme source
du droit plutôt que le principe de l'humain comme source du droit, qui est le
droit naturel.
Et je vous donne un exemple concret pour aider
M. Drainville à me comprendre.
Le Président (M. Ferland) :
…par leur titre, s'il vous plaît, Mme Bergeron.
Mme Bergeron (Sylvie) : Pardon?
Le Président (M. Ferland) :
Nommez les gens par leur titre et non par leur nom.
Mme Bergeron (Sylvie) : Ah, pardon.
Excusez, M. le ministre.
Le Président (M. Ferland) :
Il n'y a pas de problème. Allez-y, continuez.
Mme Bergeron (Sylvie) : J'étais
rendue intime, là. Dans le journal, il y avait un article sur l'opinion de... l'Hôpital général juif qui tirait du Nouveau
Testament quelque chose qui va comme suit : L'important n'est pas
les attributs de la personne qui
vient en aide à son prochain. Ça, c'est pour défendre l'idée qu'on peut avoir
un voile ou on peut avoir... Bon. Ça,
c'est dans le droit coutumier, on prend l'expression religieuse comme base.
Mais, dans le droit romain, c'est la personne elle-même, donc on ne va
pas empêcher quelqu'un de venir en aide à quelqu'un si elle est laide, si elle
est handicapée, si elle a un problème
mental ou… tu sais, c'est dans ce sens-là qu'on diverge complètement de vision. Et, nous, ça nous
heurte de plein fouet, les Québécois, quand la charte canadienne a préséance sur nos
droits romains, sur notre droit naturel puis notre vision de la justice.
C'est deux mondes complètement différents.
Et j'estime, dans ma lecture, que ce problème-là
est mondial, dans le sens que le droit... Quand je disais tantôt qu'il y a une concurrence des droits
mondialement, germanique, romain et anglais, je dis : Le droit anglais est
en train de gagner, et ça ne serait pas une bonne idée qu'on représente...
qu'on ait une vision de l'humain qui soit basée sur des coutumes plutôt que sur l'essence humaine elle-même. La constante, il y
a une constante dans la nature pour mesurer les choses. Comme le kilo à Paris, c'est le kilo qui est le gabarit de base
de tous les autres kilogrammes de la planète, bien l'être humain dans
son essence, c'est la définition même de nous en tant que race. Et, si le droit
est en train de trafiquer ça au détriment... c'est-à-dire pour faire profiter l'individualisme, on
s'écarte de nous-mêmes, et ça met l'humanité, même le sens de l'être humain en danger, l'intégrité
humaine est en danger. Et d'ailleurs c'est pour ça que je salue votre
courage d'avoir mis en place ce débat, parce que c'est l'intégrité humaine qui
est en jeu dans le débat.
Donc,
l'identité, là, ce n'est pas banal. L'identité doit précéder l'économie, parce
que, si tu n'as pas d'identité, si tu ne sais pas qui tu es, tu ne sais
pas ce que tu vas faire, ce que tu devrais faire puis tu es manipulable. Alors,
c'est très important de défendre l'intégrité, et j'estime que le droit coutumier
ne fait pas son travail et le droit romain devrait avoir préséance sur le droit
coutumier.
Là, je vois le…
M. Drainville : Bien,
Mme Bergeron, je pense que vous venez de nous résumer votre vision, hein?
Mme Bergeron (Sylvie) : Oui. Oui,
c'est ça.
M. Drainville : C'est ça,
hein?
Mme Bergeron (Sylvie) : Oui.
M. Drainville : Bien, je vous
remercie.
Le Président (M. Ferland) : Il
n'y a pas d'autre...
M.
Drainville : Il me reste un petit peu de temps, M. le Président. J'aurais dû commencer par ça ce matin, mais, comme on n'avait
pas...
Le Président (M. Ferland) :
Six minutes environ.
M.
Drainville : Oui, c'est ça. Comme ce matin on n'avait pas beaucoup
de temps pour les remarques
préliminaires, j'ai omis volontairement de
présenter l'équipe qui m'accompagne, et, je pense, ce serait la moindre
des choses que je les présente, d'abord pour que les gens qui sont
autour de nous sachent qui ils sont.
Alors, à ma droite, Julie-Maude Normandin, qui
travaille à mon cabinet, ici, Julie-Maude; à ma gauche, Jacques Gosselin, qui
est le sous-ministre au secrétariat. Je veux les saluer. Manuel Dionne et
Louise-Andrée Moisan également sont de mon cabinet et sont ici.
Je veux
également vous parler de l'équipe, la petite équipe du secrétariat qui a
beaucoup travaillé sur la charte et qui est ici également présente. Les légistes Francine Gauvin et Lorraine
Lapierre sont également avec nous, et les conseillers Pierre-Hughes
Vallée, Rachel Pominville. Et Reza Moradinejad est également membre de
l'équipe.
Alors, je
tenais à les saluer, M. le Président, parce que, comme vous le savez, on ne
fait pas ça tout seul, hein? Et le travail qu'on a fait sur le projet de
loi, ça a été un travail très rigoureux pendant, je dirais, grosso modo une
année, et certaines de ces personnes ont travaillé très fort là-dessus et vont
nous accompagner pendant tous les travaux de la commission. Ce sont elles notamment qui vont m'appuyer quand je serai à
court de réponses. Elles vont pouvoir me donner les informations
nécessaires pour pouvoir m'acquitter de mes responsabilités, mon cher M. le
Président.
Le Président (M. Ferland) :
Ça va sûrement arriver, M. le ministre, oui.
M. Drainville : Ça pourrait
arriver. Sur 250 présentations, ça pourrait arriver, M. le Président.
Alors, je me
disais que ce serait un bon moment pour le faire, puisque c'est la dernière
fois que je prends la parole aujourd'hui et que...
Le Président (M. Ferland) :
Non, il reste un autre groupe après.
M. Drainville : Il nous en
reste un?
Le Président (M. Ferland) :
Oui, il reste un autre groupe.
M. Drainville : Ah, bien
c'est merveilleux!
Le Président (M. Ferland) :
Mais ça sera fait, M. le ministre.
M.
Drainville : Alors,
je pourrai en rajouter, M. le Président, si vous le souhaitez, si vous le
souhaitez, au retour, lors de la prochaine période de questions, hein?
Ça vous va?
Le
Président (M. Ferland) : Définitivement. Et voilà. Ça va très
bien. Et, rassurez-vous, je vous ai toujours vu habillé, M. le ministre,
jamais autrement. Alors…
Des voix : Ha, ha, ha!
M. Drainville :
Oui. Ça...
Le Président (M. Ferland) :
J'ai peine à vous imaginer autrement.
M.
Drainville : Je... Oui, bien, écoutez, j'en suis... je suis
rassuré, je suis rassuré. Je suis rassuré que vous m'ayez toujours vu
habillé, M. le Président.
Le Président (M. Ferland) : Et
voilà, c'est ça. Alors, sur ce, M. le ministre, je reconnais le député de...
Mme Bergeron (Sylvie) : M. le
ministre, moi aussi, je vous ai toujours vu habillé.
Le Président (M. Ferland) : O.K.,
voilà. Merci, Mme Bergeron.
Des voix : Ha, ha, ha!
• (16 h 30) •
Le Président (M. Ferland) :
Alors, M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay : M. le
Président, quand on vous disait qu'il
s'agissait d'un sujet délicat, je
pense qu'on en a la preuve.
Le Président (M. Ferland) :
Et voilà.
M. Tanguay : Merci beaucoup, Mme Bergeron, pour le temps que vous avez mis.
Et ça, je vais le dire à toutes les personnes,
et sachez que parfois j'utiliserai — souvent,
même — les
mêmes mots, mais les remerciements n'en sont pas moins sincères, parce
que je le sais, que vous aviez comme tout le monde, comme nous tous, là, 56 000
autres choses à faire, mais vous avez dit : Je vais prendre le temps,
comme citoyenne, de m'asseoir, de réfléchir sur la question, de rédiger un mémoire qui est très complet,
25 pages, et aujourd'hui d'être disponible pour répondre à nos questions.
Alors, sachez que nous vous en remercions. Et ça, ça vient, j'en suis
convaincu, des 125 députés de l'Assemblée nationale. Donc, merci pour
votre temps.
Vous me
permettrez une légère digression, Mme Bergeron, juste pour donner peut-être
d'autres devoirs au ministre. Il vient de nous présenter son équipe qui
lui fournit de temps à autre les réponses à nos questions; je lui demanderais
peut-être de reconsidérer la réponse qu'il nous a donnée un peu plus tôt quant
à la présumée non-existence de la neutralité religieuse à l'heure actuelle dans
l'État. Il est important de soulever d'abord…
Une voix : …
M. Tanguay : Loi sur la
fonction publique, bien, M. le ministre, c'était mon troisième argument.
Allons-y tout de suite. Le ministre
dit : Pas dans l'État, mais, Loi sur la fonction publique,
l'article 10 de la loi — et j'y vais de mémoire — de la
Loi sur la fonction publique prévoit effectivement qu'il y a une neutralité
politique.
Par contre,
je vous invite à aller voir… Et M. le sous-ministre est en train de vous donner
le texte de la loi. Allez voir à
l'article 5. Allez lire ça, M. le ministre. M. le Président,
l'article 5 parle d'une impartialité. Et, l'impartialité,
l'article 5 se lit comme suit :
«Le fonctionnaire — ça
touche tout le monde — est tenu d'office d'être loyal et de porter allégeance à
l'autorité constituée.
«Il doit
exercer ses fonctions dans l'intérêt public, au mieux de sa compétence, avec
honnêteté et impartialité et il est tenu de traiter le public avec
égards et diligence.»
Alors,
impartialité, c'est ne pas avoir, selon les dictionnaires, de parti pris, qui
pourrait tantôt être politique, tantôt être religieux. Premier élément.
Deuxième élément, j'inviterais le ministre
peut-être à questionner également son sous-ministre. Lorsqu'on parle de la charte québécoise et de la charte
canadienne et que l'on dit que nul… — évidemment, les premiers visés par
les deux chartes, ce sont les États, les gouvernements — nul
ne peut être discriminé basé sur la religion, alors, si d'aventure un
fonctionnaire mettait sa religion devant dans la décision qu'il met en
application, bien il se trouverait à discriminer. Ça va à l'encontre des
articles 3 de la charte canadienne et 10 de la charte québécoise.
Également, je
vous invite à aller lire un excellent texte du constitutionnaliste José
Woehrling qui m'a enseigné, incidemment,
à l'Université de Montréal, professeur à la Faculté de droit, qui disait, dans
son texte publié en 2004… qui disait ceci, et je le cite : «…la
liberté de religion impose une obligation de neutralité à l'État en matière
religieuse, c'est-à-dire l'empêche de
privilégier ou de défavoriser une religion par rapport [à une autre].» Et j'en
passe et j'en passe. On pourrait parler de la Commission des droits de
la personne.
Alors, sur l'aspect, je le sais… Peut-être à
raison, peut-être que non, le ministre a une haute opinion de lui-même, mais il faut faire attention, là, avant moi
le déluge. Si d'aventure il y avait une entente avec la CAQ pour passer
cette loi-là, il ne créera pas de toutes pièces une obligation de neutralité
religieuse, elle existe déjà.
Alors, ceci dit, j'aimerais également, M. le
Président… Et je suis sûr qu'il va me le fournir, là, je n'ai pas de
présomption de mauvaise foi de sa part, mais je l'ai entendu citer une très
rare statistique où il a dit, un peu plus tôt : 20 % des femmes musulmanes portent le voile. Je suis sûr, là, qu'il
a une source à nous soumettre. Alors, en temps et lieu, vous pourrez peut-être nous la soumettre, et ça
viendra peut-être ajouter quelques statistiques, qui malheureusement,
dans le débat, fait extrêmement défaut.
Et, soit dit en passant, M. le
Président, si je peux me permettre, si on peut en même temps nous donner les
avis juridiques… Mais ça, j'aimerais les
avoir, mais, ça, je pense qu'on ne pourra pas les avoir en annexe de cette
statistique-là.
Le
Président (M. Ferland) : …qui s'appelle l'analyse détaillée
article par article. Alors, on aura l'occasion de poser ces
questions-là.
M. Tanguay :
Oui, effectivement. Merci beaucoup, M. le Président. Mme Bergeron, ceci
étant dit… Et j'invite le ministre, s'il a
d'autres réflexions là-dessus, à… J'aime ça, j'aime ça quand il me parle de
droit, parce qu'on va bien s'entendre, lui et moi. S'il a d'autres
arguments, je l'invite à renchérir et à revenir aujourd'hui, ou demain, ou au
courant des 270 prochaines heures.
Mme Bergeron,
vous parlez beaucoup, et je vous en remercie… vous parlez beaucoup de votre
analyse, qui se base beaucoup, je
dirais, sur la charte canadienne. Dans un premier temps, pouvez-vous nous dire
si vous avez fait la même analyse par
rapport à la charte québécoise des droits et libertés et… Et je vais vous
laisser répondre là-dessus, après ça j'aurai peut-être quelques autres
questions.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, Mme Bergeron, oui.
Mme Bergeron (Sylvie) : J'ai… C'est-à-dire que c'est vrai que je parle
beaucoup du droit canadien parce que finalement c'est lui qui heurte,
finalement, notre société. Comme je l'exprimais tout à l'heure, il y avait
consensus, avant 2006, québécois par rapport à la position de l'interdiction
des ports des signes religieux. Il y avait unanimité à l'époque contre le kirpan, même la commission était contre. Et finalement
la Cour suprême a donné son verdict, et moi, j'ai constaté
à la suite de ça, dans mon quartier, une prolifération de voiles. Bon, c'est ça.
Alors,
ce que je dis, dans le fond, c'est que la charte québécoise est basée sur le
droit naturel, donc elle a été conçue principalement pour défendre les minorités qui ne pouvaient pas
soit avoir du travail pour un handicap physique ou un problème de
maladie mentale qui les isolait ou quoi. Étant donné qu'on est une société de
droit qui avantage la majorité,
bien, en 1977, le Québec a choisi d'équilibrer tout ça par sa charte, et
la charte des droits québécoise est donc basée sur le droit naturel, alors que la charte des droits canadienne
est basée sur le droit coutumier. Et c'est là toujours qu'il y a un
heurt entre les deux sociétés. Et, comme je le disais tout à l'heure, ce sont deux visions qui sont irréconciliables, à moins qu'ensemble… — puis, quand je dis «ensemble», je veux dire avec
le Canada — à
moins qu'on s'entende pour hiérarchiser
les droits. C'est là que je trouve ça intéressant, parce
que ce serait une façon simple et
très courte de régler le différend
que nous rencontrons constamment et qui heurte nos valeurs québécoises.
Parce qu'il faut réaliser, dans tout ça, quand on
parle d'identité puis qu'on se fait demander, depuis le début de notre
exploration de souveraineté ou de nationalisme…
Parce que tout le
monde au Québec a
quand même l'instinct de protéger qui il est, je pense.
Peu importe notre allégeance politique,
on ne veut pas mourir. Et puis je
pense que c'est ça,
c'est que l'identité québécoise repose sur le droit naturel, c'est-à-dire sur la vision de l'homme étant conforme à la
nature. Et donc je reviens à mon image, l'homme nu. On est… C'est-à-dire que l'identité québécoise est basée sur
l'idée de défendre la nature universelle de l'homme, tandis que le droit coutumier, le droit canadien-anglais, est basé sur l'idée de défendre l'homme dans son expression. Voyez-vous qu'est-ce que je veux dire?
M.
Tanguay : Deux sous-questions. Puis je vous remercie. Deux
sous-questions juste avant de passer la parole à ma collègue de
Bourassa-Sauvé, des questions qui devraient normalement être assez rapides, ce
qui va lui permettre, à ma collègue, d'intervenir.
Est-ce
que, dans vos analyses, vos études, vous avez pu confirmer ce que d'autres
confirment également, c'est que la
protection de la liberté de conscience et de religion a une protection égale,
tant sous la charte canadienne que sous la charte québécoise? Est-ce
que…
Mme Bergeron
(Sylvie) : Légale? Présentement?
M. Tanguay :
Oui. Mais je ne veux pas vous… Si vous n'avez pas analysé cette question-là, je
ne veux pas vous forcer, là.
Mme Bergeron (Sylvie) : Non, je n'ai pas analysé ça. Moi, j'ai regardé,
dans le fond, les… Oui, c'est ça, je ne pourrai pas répondre.
M.
Tanguay : O.K. Parfait. Et dernière question réellement, je
veux laisser le temps à ma collègue d'intervenir également. Vous avez
mentionné l'adoption, en 1975, de la charte québécoise des droits et libertés,
qui s'est faite…
Mme Bergeron
(Sylvie) : 1977.
M. Tanguay :
1975, sous le gouvernement de Robert Bourassa. 1977, la Charte de la langue
française.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Ah! Excusez. Excusez, oui.
M. Tanguay :
Mais vous… C'est parce que je viens de le lire que j'ai la bonne date. C'est
tout, c'est juste pour ça. Et elle
avait été, à l'époque, adoptée unanimement, et vous dites qu'elle traduit,
selon votre analyse, là, le droit naturel.
Croyez-vous qu'aujourd'hui, lorsque
l'on vient, avec le projet de loi n° 60, la charte du Parti
québécois, amender de façon
fondamentale la charte québécoise, on devrait également prétendre, parce que ça
participe, selon votre analyse, du droit naturel, on devrait prétendre,
sinon à l'unanimité, à un très, très large consensus, sinon on se fait violence
par rapport à ça?
Mme Bergeron
(Sylvie) : Oui.
M. Tanguay :
Oui?
Mme Bergeron
(Sylvie) : Oui.
M. Tanguay :
Merci.
Le Président (M.
Ferland) : Merci, M. le député. Mme la députée de
Bourassa-Sauvé, allez-y.
Mme
de Santis : Merci, M. le Président. Faisant suite à
la question posée par mon collègue, est-ce que vous croyez que cette
unanimité existe?
Mme Bergeron
(Sylvie) : Elle peut exister, oui. C'est parce qu'avant 2006 elle
existait, puis tout à coup, en sept, huit ans…
Mme de Santis :
Je vous dis : Présentement, est-ce que ça existe?
Mme Bergeron
(Sylvie) : Bien, présentement, je pense qu'il y a beaucoup de boucane
qui empêche de voir qu'elle existe.
Mme de Santis :
O.K. J'aimerais seulement poser une question. C'est parce que votre mémoire est
assez différent, et j'essaie de comprendre.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Oui. Je voulais aller ailleurs.
• (16 h 40) •
Mme
de Santis : Vous dites : «Le droit romain exprime notre relation à notre nature
proprement humaine. C'est un droit
naturel.» Le droit romain reconnaissait les esclaves et reconnaissait qu'on
pouvait enlever les droits civils à certaines personnes à cause de leur
couleur ou à cause du fait qu'ils étaient des peuples conquis. Donc, à quel
point tout ça, c'est un droit naturel?
Mme Bergeron (Sylvie) : Si vous reculez… Bien, c'est-à-dire que l'idée de la nature, dans ça, c'est beaucoup plus par
rapport au principe, c'est-à-dire que considérer l'homme comme étant lié à la
nature, ça veut dire qu'il y a une universalité dans l'homme qui est basée sur
son intuition.
Cela
dit, la défense juridique de ce principe, elle n'est pas facile toujours
à appliquer non plus dans la vie de tous les jours, mais on est dans une société aussi différente de ce dont vous parlez, c'est-à-dire qu'on est dans une société de droit aujourd'hui qui fait en sorte que, comme je disais tantôt, on
a une charte des droits qui protège les minorités, ce qui n'était pas le
cas, probablement, dans l'antique romaine… dans la Rome antique.
Mme
de Santis :
Mais vous dites que cette Charte des droits et libertés n'est pas une charte à
laquelle on devrait répondre parce que…
Mme Bergeron (Sylvie) : Je vous dis que la Charte des droits et libertés,
qui protège les minorités, devrait quand même considérer sérieusement de
hiérarchiser les droits pour mettre les hommes et les femmes d'abord, en
primauté sur tout ce qui concerne les questions de coutumes, de religion et
d'expression religieuse.
Mme de Santis :
Merci.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, est-ce qu'il y a… Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce,
oui.
Mme Weil :
Oui. J'aimerais revenir…
Le Président (M.
Ferland) : Il reste quatre minutes, là.
Mme Weil :
Merci, M. le Président. Oui, bonjour. Bienvenue. J'aimerais revenir sur la
question d'égalité hommes-femmes, hiérarchisation, parce qu'il y a beaucoup de
confusion, je vous dirais, beaucoup d'impressions, beaucoup de mots qui sont
dits, mais je ne suis pas sûre si les gens s'entendent sur comment est-ce qu'on
atteint vraiment l'égalité
hommes-femmes. Il y a beaucoup de symbolisme aussi, on l'a vu avec le cas à
York, hein, l'incident — vous
avez suivi ça — à
l'Université de York, bon, qui vraiment, d'un point de vue symbolique, froisse.
Le mot est faible pour décrire la réaction de tout le monde, hein, c'est le
gros bon sens, cette ségrégation symbolique dont on parlait.
Est-ce
que vous, vous prônez… Vous parlez de hiérarchisation, hiérarchisation des
droits, notamment égalité hommes-femmes,
comme le font beaucoup de groupes, il y a beaucoup
de groupes qui venaient en commission
parlementaire depuis des années demander la hiérarchisation, même si on recule… Parce qu'il y a eu un amendement à la Charte des droits et libertés. Mais, les juristes,
la compréhension, c'est qu'un accommodement, de toute façon, ne peut
jamais être accordé s'il brime un autre droit, notamment l'égalité
hommes-femmes.
Mais qu'est-ce que
vous entendez par «hiérarchisation des droits»? Mais vraiment on va parler de
la charte québécoise des droits.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Bien, c'est difficile pour moi de répondre parce que je
n'ai pas les compétences nécessairement, là, mais, de par le point de vue que
j'ai abordé, je pense que c'est beaucoup plus facile pour la charte québécoise
de hiérarchiser la nature humaine… de hiérarchiser l'homme et la femme que la
charte canadienne. Mais j'abordais la
question de la charte canadienne parce que nécessairement il y a toujours un
conflit puis je ne sais pas comment on
peut résoudre le conflit pour faire en sorte que la hiérarchisation des droits
qui serait prônée par une charte québécoise ne soit jamais contestée,
parce que je pense que c'est fondamental. Puis non seulement c'est fondamental
pour nous, mais ce serait fondamental qu'ils prennent exemple sur nous, les
Canadiens.
Mme Weil :
Mais l'égalité hommes-femmes est enchâssée déjà dans la charte québécoise.
Mme Bergeron
(Sylvie) : …hiérarchisation.
Mme
Weil : Non, mais elle est enchâssée dans le sens qu'elle est
garantie. Elle est garantie en toutes circonstances.
Mme Bergeron
(Sylvie) : La charte des… De quelle charte vous parlez?
Mme Weil :
Québécoise.
Mme Bergeron
(Sylvie) : Québécoise. Oui, oui, oui.
Mme
Weil : La raison pour laquelle j'évoque tout ça, c'est qu'il y
a un enjeu important. Et je ne sais pas si vous avez suivi les cas en
2010, la SAAQ. C'est vraiment là où, je pense, la société québécoise a mis le
doigt sur le bobo concernant l'égalité hommes-femmes.
Mme Bergeron
(Sylvie) : …quel enjeu?
Mme
Weil : C'étaient des gens qui allaient au comptoir pour des
cours de conduite et qui demandaient d'être… pas d'être servis au
comptoir mais de ne pas avoir une femme comme conductrice ou prof parce que
leur religion empêchait. Il y avait eu une
demande de… C'était dans le contexte de la police, le SPVM à Outremont. Un juif
hassidique avait dit : Non, je ne veux pas être servi par une femme.
Mme Bergeron
(Sylvie) : …beaucoup de cas, il y a beaucoup de cas.
Mme Weil :
Et c'est là où on arrive dans le très concret, donc. Et là il a fallu vraiment
expliquer, puis la Commission des droits de
la personne a dû se prononcer sur ces causes-là. Et je vous parle de ça, là, parce
que je pense que c'est important de bien comprendre. Dans le quotidien, qu'est-ce
que c'est exactement, l'égalité hommes-femmes? Au-delà de
l'affirmation qui est déjà dans la Charte des droits et libertés, les
interprétations des uns et des autres, ça peut être très différent. Et,
dans l'opérationnalisation de l'égalité hommes-femmes, c'est d'avoir une bonne
compréhension qu'on ne peut pas...
Alors
là, la SAAQ a changé ses façons de faire. Honnêtement, ce n'est même pas
suite à une décision, c'est suite à la réaction du public, et dorénavant
ils disent : Bon, bien vous allez attendre votre tour, on ne va pas
chambarder l'horaire de travail. Parce que
l'idée des accommodements et d'avoir
des balises, c'est de donner un niveau d'assurance, de sécurité pour les
décideurs, c'est-à-dire que, non, je ne suis pas pour accepter cette demande,
c'est tout simplement inacceptable.
Mme Bergeron (Sylvie) : Je comprends votre point. Si je peux me
permettre, c'est que, là, on parle du cas par cas. Moi, je reviens au
principe, parce que le cas par cas, il est défendu par la loi, puis, la loi,
comme je disais tantôt, quand on est
prisonnier, parfois, d'une charte canadienne qui va à contresens de notre
propre sens commun, bien ça fait qu'on
n'a pas les verdicts qu'on voudrait entendre puis qu'ils heurtent effectivement
notre société, parce qu'on est une société égalitaire en droits,
particulièrement des hommes et des femmes. Et, si on aborde toujours la
question sur le sens extérieur, c'est-à-dire
sur l'aspect extérieur d'un cas, bon, bien les hommes ne serrent pas la main
aux femmes, les femmes ne se baignent
pas avec des hommes, tout ça, je pense que, si on passe seulement par la
loi — c'est un
petit peu ça, l'idée, là — si on passe seulement par la loi pour passer
le message, on ne pourra pas passer le message, parce que la loi a tendance à privilégier le cas par cas par des
règles, comme je disais tantôt, un système de procédures, de normes
techniques qui favorise souvent le symbole extérieur, peu importe le genre de
situation…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci pour le… C'est tout le
temps, j'ai même laissé déborder un peu. Alors, je cède la parole à la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci infiniment, M. le Président. Bonjour,
Mme Bergeron. Merci pour votre mémoire. Mais je vais me permettre également un petit commentaire du côté du
ministre, parce que tout à l'heure, M. le ministre, vous avez fait une mise au point au sujet de
l'article 10 du p.l. n° 60, votre loi. Alors, avec tout le respect
que j'ai pour vous, pour votre
fonction ministérielle, dans votre mise au point, vous avez… comme on dit, les
méchants avocats, vous avez erré en droit. Et là je m'explique :
votre article 10, il ratisse beaucoup plus large que ce que vous venez de
nous expliquer tout à l'heure en disant qu'il ne pouvait pas toucher une
compagnie pharmaceutique…
Le Président (M. Ferland) :
…demander de vous adresser à la présidence…
Mme Roy
(Montarville) :
Ah! Excusez-moi.
Le
Président (M. Ferland) : …parce qu'on est toujours en consultations, et je n'aimerais pas qu'on commence à se
pratiquer pour l'analyse détaillée article par article. Alors, il y a quelqu'un…
Mme Roy
(Montarville) :
C'est le manque d'expérience. J'aime
m'adresser aux gens à qui je parle, mais vous avez raison.
Le Président (M. Ferland) :
C'est ça. Allez-y, oui.
Mme Roy
(Montarville) :
De un, ce que je disais, c'est qu'il ratisse plus large que ce que vous nous
avez dit. Vous en faites ce qu'on appelle
une mauvaise lecture, notamment, un, en vertu de la loi sur l'interprétation
des lois et aussi en vertu du Code
civil. Le Code civil définit les contrats de services, et ces contrats sont
beaucoup plus nombreux que ce que vous sous-entendez. Vous nous avez
donné l'exemple des contrats avec les infirmières.
Alors, tout simplement, M. le Président, moi,
j'invite les journalistes qui sont ici à refaire une lecture de l'article 10 du p.l. n° 60, et ça va
beaucoup plus loin que ce que le ministre veut nous laisser entendre. Alors,
naturellement, il y aura des discussions à avoir sur cette loi qui ouvre la
porte ici au secteur privé.
Cela dit, on va retourner au mémoire.
Le Président (M. Ferland) :
…Mme Bergeron. Allez-y, oui.
Mme Roy
(Montarville) : Oui, c'est ça, il me reste un petit peu de
temps. Mme Bergeron, je suis curieuse. C'est assez original comme
présentation, ce que vous nous avez fait. J'aimerais savoir… Vous avez une
formation qui est vaste, dans différents horizons. Vous nous avez fait un petit
peu un avis juridique, ce que vous pensiez de notre droit.
Mme Bergeron (Sylvie) : …pas un avis
juridique, c'est plutôt… C'est presque philosophique, plutôt.
Mme Roy
(Montarville) :
Et vous…
Mme
Bergeron (Sylvie) : Je pose
des questions, en fait, j'interroge le système parce que je pense que la
société de droit, je le disais tantôt,
atteint des limites en ce moment. On ne peut plus… C'est comme si on faisait du
cas par cas la seule source du droit puis on a perdu le principe. C'est
dangereux.
Mme Roy
(Montarville) : Et maintenant j'aimerais savoir : La
fameuse charte, cette charte de la laïcité — on
va revenir sur ce sujet-là — pensez-vous
que la société québécoise, actuellement, en a besoin, que ce sera un outil, un
outil pour aider la société québécoise à se développer?
Mme Bergeron (Sylvie) : Oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Pour quel motif?
• (16 h 50) •
Mme
Bergeron (Sylvie) : Bien,
d'abord, comme le mentionnait la dame précédemment, c'est des balises. Je
pense que c'est très important que… Vous
savez, on est une société à majorité chrétienne, qu'on soit Anglais ou Français,
et puis on a une très grande tendance à se
culpabiliser et à présenter l'autre joue, et on ne prend pas beaucoup notre
place. Et ceci, c'est occidental,
comme problème, et je pense qu'on a besoin… Les gens, dans la vie de tous les
jours, sont démunis. C'est un problème récent dans notre société, cette
adaptation qu'on a à faire très rapidement à un très grand nombre de personnes différentes en codes, je dirais, donc en
identité juridique, et puis c'est difficile pour des gens qui ne se
posent pas ce genre de question.
Généralement, la population ne se pose pas ces questions-là parce qu'on n'a pas le temps de s'en occuper.
C'est difficile de comprendre, de savoir quoi faire, tout ça, puis c'est
difficile de se dire : Comment je peux me respecter? Comment je
peux faire de la place à l'autre sans dénigrer qui je suis? C'est la question.
Et je pense que, fondamentalement,
les immigrants ont un effort à faire d'altérité. On ne débarque pas en Occident avec sa religion comme ça, pour l'imposer
à un système qui défend la neutralité. Je pense que c'est irrespectueux.
Puis je pense que vous
avez la responsabilité, en tant que gouvernement, peu importe
lequel, de dire à la porte d'entrée aux immigrants sous quelle forme
juridique nous vivons, parce que ça constitue notre identité. Il ne faudrait
pas dénigrer l'idée que le juridique a une empreinte majeure sur la religion…
sur la...
Le Président (M.
Ferland) : Excusez-moi, Mme Bergeron. Je vais devoir céder
la parole au député de Blainville et…
Mme Bergeron
(Sylvie) : Vous m'avez volé du temps.
Le Président (M.
Ferland) : J'ai un rôle ingrat, hein, c'est… mais je l'assume
totalement. Alors, M. le député de Blainville.
M.
Ratthé : Bonjour,
Mme Bergeron. Mme Bergeron, je vais résumer très brièvement ce que
vous nous dites. Vous nous
dites : Écoutez, la défense de liberté de religion, primauté de
religion est beaucoup basée, dans notre droit, sur des... je vais appeler ça jurisprudence, droits acquis, ce
que vous appelez des arguments factuels, bon, j'ai le droit de porter
mon kirpan, je vais à l'école avec mon kirpan, etc., et vous nous dites :
Bien, ça devrait être d'ailleurs davantage basé sur l'humanisme, sur les êtres
humains.
Est-ce que,
selon vous, ce que vous nous dites aujourd'hui... Parce
que je voyais... On n'a pas beaucoup mentionné les commentaires en vrac
que vous avez faits à la fin, mais, dans vos commentaires en vrac, il y a quelques
pistes de solution, dont, la première, de — vous
en avez parlé brièvement, là — hiérarchiser
les droits. Est-ce que, selon vous, la charte, telle qu'elle est
formulée actuellement, permet justement d'envoyer ce message clair là aux
personnes qui viennent chez nous?
Puis
vous nous dites aussi — puis
je vais vous laisser parler par la suite — qu'on devrait informer les immigrants à
l'entrée. Alors, quels sont les moyens, selon vous, qu'on devrait concrètement
prendre? Et est-ce qu'ils sont bien formulés dans la charte, ces moyens-là?
Mme Bergeron
(Sylvie) : Ah, je ne sais pas si c'est juste une question de charte,
parce que, pour prendre la question de
l'intégration des immigrants, c'est que ce qu'on entend souvent, c'est qu'on
arrive dans deux jurisprudences, et, bon,
bien c'est sûr que ça n'effleure pas l'esprit de quelqu'un qui arrive en état
de survie, souvent, de s'interroger sur ces questions-là. Donc, c'est à
nous à faire le travail. Je pense que le gouvernement doit absolument appuyer…
Quand il va faire des promotions à l'extérieur, il doit vraiment appuyer sur
l'idée que nous sommes sous juridiction… droit romain et que notre conception de l'identité collective est basée sur le
droit naturel et non sur le droit religieux. Ça va éliminer beaucoup de
gens qui sont ici, qui sont arrivés ici avec l'illusion qu'on allait les
accepter tels qu'ils sont, avec tous leurs
symboles, et qui, de surcroît, s'imposent à nous, ce qui fait que c'est très
désagréable pour nous, là. Alors, c'est un peu ça, je pense, qu'est le
travail du gouvernement. Ce n'est pas le travail du peuple, parce que nous, on
subit, à ce moment-là, l'immigration, parce que c'est vous qui avez le contrôle
sur la valve.
Puis, à ce sujet, je
m'interroge absolument sur la capacité qu'on a de continuer d'accueillir des
immigrants. Présentement, je pense qu'il faudrait qu'on s'occupe de ceux qui
sont là, notre monde à nous autres, là. Ils sont là, ce monde-là. Il faudrait qu'ils fassent partie de nous puis qu'on s'entende
sur les bases. Puis je pense que, les 30 dernières années, ils sont tous arrivés très rapidement, on
n'a pas su quoi faire, le gouvernement n'a pas nécessairement envoyé des
bons signaux, et je pense qu'on doit... On est en train de corriger la
situation. Puis c'est sûr qu'il y a des dommages collatéraux, mais c'est qu'on ne peut pas aller à l'encontre de qui on
est sous prétexte que, là, tout à coup, il y a tout le monde qui est arrivé, puis qu'on leur donne le
droit d'être qui ils sont juste parce qu'ils paient des impôts. Je
m'excuse, mais l'identité, ce n'est pas une question d'impôt, ce n'est pas une
question d'économie, c'est une question existentielle profonde. Et, si on perd
notre profondeur, je me demande où est-ce qu'on va aller comme société. C'est
ça.
M.
Ratthé : Merci, Mme Bergeron. Je pense que vous venez
d'illustrer concrètement un peu, là, le travail très soigné que vous avez fait dans votre mémoire pour
nous faire bien comprendre de quoi il s'agissait. Et c'est sûrement un
mémoire qui apporte, en tout cas à mon sens, un éclairage différent et pour
lequel je vais sûrement encore relire de façon plus attentive. Merci. Au
revoir.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, M. le député. Merci,
Mme Bergeron, pour avoir pris le temps de présenter ce mémoire, de le
préparer. Merci beaucoup.
Alors, sur ce je vais
suspendre quelques moments pour permettre au prochain groupe de prendre place.
(Suspension de la séance à
16 h 55)
(Reprise à 16 h 57)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Nous
allons maintenant entendre le témoin,
M. René Tinawi, alors en vous mentionnant, encore une fois, que vous disposez de 10 minutes avant la
période d'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.
M.
René Tinawi
M. Tinawi (René) : M. le Président,
merci. Je vois que vous avez entre les mains un chronomètre d'une précision
atomique.
Le Président (M. Ferland) :
…le chronomètre, oui.
M. Tinawi
(René) : Alors, compte tenu
de l'heure tardive, j'ai coupé pas mal dans mon texte de façon à me
limiter aux 600 secondes qui me sont allouées.
Alors,
mesdames et messieurs, membres de la commission parlementaire sur le projet de
loi n° 60, tout d'abord j'aimerais vous remercier de bien
vouloir m'entendre concernant le mémoire que j'ai déposé, faisant l'historique
de la propagation du voile islamique. Arrivé au Québec il y a 47 ans,
ayant grandi en Égypte, je me suis senti interpellé concernant ce projet de loi. Mon objectif est de fournir humblement aux
membres de la commission ainsi qu'à la population québécoise l'heure
juste concernant les raisons de la propagation de ce voile islamique.
Je présume que vous avez lu mon texte, mais, si
ce n'est pas le cas, les quatre images qui l'accompagnent en disent long sur la
propagation de ce symbole durant les 20 dernières années. Par ailleurs,
toutes les lectures que j'ai effectuées sur
le sujet — et je ne
dis pas que c'était exhaustif — aucun sociologue, philosophe, universitaire
ou journaliste n'a abordé la question
du pourquoi de cette propagation plutôt récente, d'autant plus qu'il est clair
que le Coran n'exige pas le port du voile. En tant que scientifique, ma
formation m'oblige à essayer d'aller à la source du problème avant d'envisager
des solutions. La réponse, tel qu'élaboré dans mon mémoire concernant la
propagation du voile, c'est l'influence de
la confrérie des Frères musulmans pour propager l'islam politique, l'islam
intégriste, l'islam fanatique avec, bien sûr, des liens avec des
organismes terroristes. Cette confrérie des Frères musulmans est présente dans
plus de 70 pays à travers le monde et
elle a pour objectif la création d'un État théocratique, c'est-à-dire un État
où la loi civile et religieuse se confondent.
• (17 heures) •
Quel lien avec la propagation du voile? Les
Frères musulmans sont très actifs dans les pays arabes, qui sont en majorité pauvres si on exclut les pays du
pétrole. Ils forment une organisation rigoureuse, hiérarchisée et efficace
qui s'appuie sur un réseau d'oeuvres
sociales, éducatives et médicales dans le but de dominer l'esprit des musulmans
avec un islam politique. Les bénéfices
émanant des oeuvres caritatives aident les populations à porter une oreille
très attentive aux prêches des imams pour le retour à un islam
intégriste. Cela veut dire le port obligatoire du voile pour les femmes et la
barbe pour les hommes, tout en renforçant l'inégalité entre les hommes et les
femmes.
Les
immigrants musulmans qui ont subi durant plusieurs années, dans leurs
pays d'origine, l'influence de ce retour à l'islam intégriste ne vont
pas mordre la main qui les a nourris physiquement ou mentalement. Ils
deviennent alors convaincus de ce que l'islam de la confrérie leur ont appris,
leur ont promis : L'islam est la solution.
Quoi faire? Premièrement, il faut se rappeler
l'esprit de la Charte des droits et libertés, qui, selon moi, n'avait pas pour but de placer l'individu au-dessus du
bien collectif de la société. Si cet esprit n'est plus au rendez-vous aujourd'hui, ne serait-il pas
temps de repenser ou reformuler cette charte pour que le bien collectif prime
sur le bien individuel?
Deuxièmement, la liberté d'expression religieuse — ça,
c'est l'article 2a de la charte des droits — inclut, selon la Cour
suprême, le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de
professer ouvertement des croyances religieuses — je dis bien
«professer», enfin la Cour suprême dit «professer» et non pas «parader» — sans
crainte d'empêchement ou de représailles. Cela veut-il dire que la liberté
religieuse n'a plus aucune limite?
Si on lit plus loin, toujours selon la Cour
suprême, la liberté de religion — et ça, c'est très important — la liberté de religion interdit l'imposition
d'exigences religieuses. Je me demande, dans ce cas, c'est une question
que je me pose… Je me demande, dans
ce cas, si l'interdiction d'imposer des exigences religieuses ne s'appliquerait
pas alors aux femmes musulmanes qui sont obligées de porter le voile,
c'est une question que je pose. De plus, cette imposition religieuse confirme
l'inégalité hommes-femmes et va à l'encontre de notre société.
Troisièmement, le débat actuel sur la laïcité
devrait aboutir à un choix de société qui devrait cheminer au-delà de la partisanerie. Je voudrais donc profiter
de ma présence devant vous, mesdames et messieurs, pour vous supplier de
laisser de côté la composante politique,
concernant cette charte de laïcité. Si l'Assemblée
nationale proposait une motion
qui serait votée à l'unanimité concernant l'application de la laïcité au Québec,
elle aurait un pouvoir moral bien plus important qu'une chicane devant les juges. Ces derniers ne
pourront pas ignorer la volonté d'un peuple exprimée clairement par la
voix de tous ses élus.
Je me permets, mesdames et messieurs, de vous
soumettre respectueusement le fond de ma pensée. Les signes religieux sont inacceptables en milieu de travail, que ce soit la
kippa, le turban ou le voile. Selon certains journalistes, plusieurs
personnes ont exprimé leur obligation de démissionner si la loi était
appliquée. De toute évidence, plusieurs de ces personnes, je pense, n'aiment pas leur
travail. Dans quelle société vivons-nous si la religion a préséance sur le
travail? Tout immigrant qui décide de s'installer
au Québec, c'est pour y travailler, améliorer ses conditions
de vie, et non pas pour jouir de vacances permanentes. Il doit donc s'adapter à
la société d'accueil, et non l'inverse. Si cet immigrant veut imposer
ses convictions religieuses, c'est quand même
curieux qu'il ait choisi le Québec plutôt que l'Arabie saoudite, le gardien de l'islam.
L'Assemblée nationale a déjà voté à l'unanimité, dans le passé, des motions
capitales pour le bien de la société québécoise. Les élus de l'Assemblée
nationale peuvent, en oubliant les calculs électoralistes, voter à l'unanimité
une motion déclarant l'importance d'avoir un milieu de travail ou académique où
la laïcité règne mur à mur.
En
conclusion, je pense personnellement que tous les signes ostentatoires en milieu de
travail ne sont pas des signes
religieux mais bel et bien des signes politiques qui reflètent, pour ceux qui
les portent, une certaine désinvolture à l'égard
des autres et qui se résume en un seul mot : l'outrecuidance. Je ne suis
pas contre la religion. Je suis tout à fait pour le port de signes religieux mais dans les
églises, les mosquées, les synagogues et les temples, mais pas au
travail. La religion est une affaire
personnelle, et parader avec un signe religieux dans les écoles, les universités
ou au travail ne démontre pas
nécessairement une piété ou une dévotion. Je vous remercie, mesdames et
messieurs, de votre attention.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. Tinawi. Maintenant, je cède la parole à M. le ministre pour la période d'échange.
M.
Drainville : Merci
beaucoup, M. Tinawi. Je
m'excuse, tout à l'heure j'ai eu un petit oubli. Je suis très
heureux, en fait, que nous terminions notre journée avec vous.
Vous êtes un ancien professeur de la
Polytechnique, n'est-ce pas?
M. Tinawi (René) : Oui, M. le
ministre.
M. Drainville : Durant plus
de 30 ans?
M. Tinawi (René) : 30 ans exactement.
M. Drainville : Donc, un
chercheur universitaire émérite. Est-ce que vous pouvez d'abord nous expliquer
pourquoi vous vous intéressez à toutes ces questions?
M. Tinawi
(René) : Bon, je l'ai dit,
que je me suis senti interpellé parce
que je pense que la laïcité est une
chose extrêmement importante. Ayant travaillé dans le milieu académique, je
trouve cela très important que le milieu académique soit un milieu neutre; que ce soient les
enseignants, que ce soient les écoles, les garderies ou l'université, qu'ils n'affichent absolument aucun signe religieux. Si on permet aux
professeurs d'afficher des signes religieux et on permet n'importe quoi
aux étudiants, de venir parader avec tous les signes religieux, quand ces
diplômés sont sur le marché du travail, si jamais il y a un travail qui ne
permet pas le port de signes religieux, il faut qu'on soit conséquent avec nous-mêmes.
Alors, il y a
plusieurs raisons. Il y a le fait que, comme je l'ai dit, les signes
religieux ne devraient pas être au travail ni à l'université ni dans les
écoles, c'est tout. Alors, c'est un peu mon expérience universitaire. Et, quand
j'étais professeur, j'étais aussi très
neutre vis-à-vis des étudiants que je dirigeais dans leurs thèses
concernant tout aspect religieux.
M. Drainville : Vous avez
vécu en Égypte, n'est-ce pas? Vous êtes originaire, je crois, d'Égypte.
M. Tinawi (René) : J'ai grandi en
Égypte, oui.
M. Drainville : Parlez-nous
un peu de la perception du voile comme symbole politique.
M. Tinawi (René) : Bon, ce qui est
arrivé, c'est que, dans mon mémoire, d'abord, vous avez des photos qui sont une
preuve...
M. Drainville : Oui,
expliquez-nous un peu ces photos, d'ailleurs, là, parce que sur le...
M. Tinawi
(René) : Bon, justement,
c'est là où la réponse à votre question intervient, M. le ministre. C'est
que, ces photos-là, quand on regarde l'année 1959 et l'année 1978 de la
faculté... le Département d'anglais de la Faculté des arts de l'Université du Caire, il n'y avait absolument aucune femme voilée, aucune, et la majorité des
gradués étaient des femmes. Quand on
passe à l'année 1995, il y a peut-être 70 % des femmes qui sont voilées.
Quand on va à l'année 2004, elles sont toutes voilées.
Alors, la
question que je me suis posée : Qu'est-ce qui est arrivé? Alors, ce qui
est arrivé, c'est, bien sûr, l'influence des Frères musulmans. Les
Frères musulmans, c'est une confrérie qui oeuvre en Égypte depuis 1928, et son
objectif est de faire de l'islam quelque
chose de très politique. Les imams qui enseignent la religion voulaient
absolument un retour à l'islam intégriste,
à l'islam fanatique, et même si ça va à l'encontre de ce qui est écrit dans le
Coran, le Coran n'oblige absolument aucune femme de porter le voile. Et
c'est pour cela que je me suis senti obligé de fournir quand même à cette noble
Assemblée au moins une certaine forme de preuve scientifique, pour ne pas dire
photographique, plutôt.
Alors, le fond de l'histoire, c'est la confrérie
des Frères musulmans. Ils sont présents un peu partout, dans 70 pays, et bien sûr ils ont une influence
énorme. Et ce qui est le plus dérangeant, c'est le lien avec certains
organismes terroristes. Voilà.
M.
Drainville : Mais
est-ce que la... Comment est-ce que vous décrireriez… décririez, dis-je bien,
la confrérie des Frères musulmans?
Est-ce que c'est d'abord et avant tout un mouvement religieux, un mouvement
politique, pour vous?
• (17 h 10) •
M. Tinawi
(René) : C'est d'abord et
avant tout un mouvement politique qui se cache derrière l'aspect
religieux. Alors, ils utilisent l'aspect religieux, et le mouvement est
politique.
Pourquoi
est-ce qu'il est politique? Parce qu'ils voulaient tout d'abord se débarrasser
de la présence britannique en Égypte. Ça, c'est pour commencer.
Deuxièmement, ils voulaient aussi remplacer le... eux, ils voulaient la
création d'un califat, ça veut dire un État théocratique
où le père spirituel de l'islam aurait les pouvoirs religieux, politiques et militaires. Donc, ça, c'est aussi leur objectif, et aussi un retour à l'islam intégriste qui
permettrait, à ce moment-là,
d'avoir un contrôle sur la situation au niveau de la population égyptienne.
Maintenant, la
manière dont ils ont réussi à faire ce cheminement-là par le biais de la
religion, c'est en s'occupant des oeuvres caritatives. Donc, là où le gouvernement
a échoué, au niveau des aides caritatives, au niveau des hôpitaux, au niveau social, les Frères musulmans étaient
omniprésents, bien sûr. Alors, c'est évident que les gens ont
porté une oreille très attentive aux imams qui prêchaient le retour à l'intégrisme,
et le port du voile pour les femmes, et tout ce qu'on a vécu ici, tout ce qu'on
voit ici.
M. Drainville :
Alors, essayons de voir maintenant comment votre analyse se décline, je vous
dirais, sur le plan de l'individu. Parce que,
dans le fond, ce que vous dites, c'est que le voile ou enfin
le fait qu'il s'est répandu de
plus en plus, notamment en Égypte, c'est sous une impulsion politique que c'est
arrivé, c'est sous l'impulsion, donc, de ce mouvement
politique qui se cache derrière le religieux, dites-vous,
qui est la confrérie des Frères musulmans. Donc, on comprend, je dirais,
l'explication, comment dire… l'historique que vous faites de cette évolution,
mais vous n'iriez certainement pas jusqu'à dire que toute femme qui porte le
voile est porteuse d'un message politique… ou est-ce que vous iriez jusque-là?
M. Tinawi (René) : Disons que, s'il y a eu un conditionnement pendant plusieurs
années, c'est évident que c'est difficile
pour ces femmes, pour certaines de ces femmes-là, de s'en défaire, de ce
conditionnement qui, bien sûr, les a conditionnées
à porter le voile. Et bien sûr il y a aussi des pressions énormes au niveau familial et
de la société. Donc, même s'il y a des femmes qui ne
voudraient pas le porter, il y a une obligation sociale et familiale qui fait
qu'elles n'ont pas de choix.
M. Drainville :
Pourquoi alors...
M. Tinawi
(René) : Alors, c'est pour cela qu'elles le portent. Parce que, si...
M. Drainville : Mais est-ce
qu'elles... Oui, je comprends, mais vous dites : Elles le portent, pour
certaines d'entre elles du moins, par obligation. Vous ne dites pas que
toutes les femmes qui portent le voile le portent par obligation.
M. Tinawi (René) : Non, je dis : Il y a certainement un faible pourcentage qui le portent par
conviction religieuse, mais la très grande majorité c'est pour des
raisons politiques.
Si
vous regardez les photos, il y a 50 ans le voile n'existait pas, ni en
Égypte, ni au Maroc, ni en Tunisie, sauf en Arabie saoudite, qui est le
gardien de l'islam. Alors, est-ce qu'on va dire, à ce moment-là, que toutes ces
femmes musulmanes qui habitaient dans ces pays-là il y a 50 ans étaient
des infidèles, étaient des femmes qui n'obéissaient pas à leur religion? Non, elles étaient des femmes normales, elles
étaient libérées de n'importe quel signe religieux, et c'est par la suite... Et c'est ça, la démonstration que j'essaie de faire, c'est qu'il y a eu un mouvement qui a forcé ces
femmes-là à couvrir leur tête. Et maintenant il y a plusieurs formes de couverture :
il y a le voile, il y a le niqab, il y a la burqa, il y a le tchador. Il y a
plein de variantes. Et, comme je l'ai dit dans mon mémoire, quand j'étais en
Égypte, il y avait beaucoup de femmes musulmanes que je connaissais. Je dirais,
non seulement les signes religieux n'existaient pas — et ce
n'est pas juste en Égypte — le
vocabulaire n'existait même pas, alors... Et c'était la même chose en Tunisie,
au Maroc. Dans tous ces pays, que j'ai pu visiter, pour travail ou autres, il
n'y avait pas de femme voilée. Il n'y en avait pas.
Alors, j'ai essayé de
comprendre pourquoi il y a eu soudainement cette mode, entre guillemets,
religieuse, et c'est pour cela que j'ai
entrepris cette recherche sur la base de lectures que j'ai faites, sur la base
de photographies que je vous
présente, sur la base de contacts avec beaucoup de gens. Et finalement j'ai aussi
distribué copie à certaines personnes, copie de mon mémoire, et j'ai
reçu énormément de réponses à l'effet que... Et le dénominateur commun
était : On a appris beaucoup
de choses, parce que la population locale n'était pas consciente de tout cet
historique-là. Elle vit avec le fait qu'on a au Québec maintenant une
communauté qui porte le voile, chose qu'il y a 20 ans, je pense que vous
êtes tous témoins, il y a 20 ou 25 ans, c'était rare de
rencontrer une femme qui était voilée, que ce soit au travail ou dans la
rue. Ce n'est plus le cas maintenant. Alors,
je me suis posé la question pourquoi et j'ai apporté une réponse. Elle n'est
peut-être pas la réponse idéale, mais
c'est une réponse basée sur mes lectures et ce que j'ai pu en déduire dans mon
mémoire, c'est tout.
M. Drainville :
Vous avez parlé du tchador. Qu'est-ce que vous en pensez, du tchador, vous?
M. Tinawi (René) : C'est inacceptable. Je ne pense pas qu'une femme, de son propre chef,
pourrait vouloir porter le tchador. Elle est certainement obligée de le
faire.
M. Drainville :
C'est pour ça qu'on dit que c'est un symbole intégriste. C'est que la part de
libre choix est…
M. Tinawi
(René) : Absolument. Bien, moi, tous les symboles religieux…
M. Drainville :
…est à toutes fins pratiques inexistante, selon vous et selon beaucoup d'autres
personnes.
M.
Tinawi (René) : Je suis
d'accord avec vous, M. le ministre, c'est un symbole intégriste qui n'est pas
très beau, mais aussi il y a d'autres symboles religieux qui, selon moi,
n'ont pas leur place au travail. Je dis bien au travail.
Maintenant,
je respecte la liberté des personnes religieuses de porter leurs symboles là où
elles veulent, à la maison, dans la rue, partout, mais pas au travail.
Je vous donne l'exemple : une vendeuse qui placotait dans un autobus en France — et,
bien sûr, on ne va pas importer l'expérience française au Québec, mais c'est
juste un exemple — une
vendeuse qui parlait avec le chauffeur
d'autobus, qui de toute évidence était d'origine maghrébine comme elle.
Arrivée à sa station où elle devait
descendre, elle enlève son foulard parce qu'elle va au travail. Elle finit son
travail, elle remet son foulard. Moi,
je trouve ça très bien. Je respecte cette femme-là parce qu'elle a ses
convictions, mais elle a le respect aussi des autres personnes qu'elle
sert comme vendeuse. Et c'est ça, ce qu'on devrait avoir. Que ce soit dans les
écoles, les universités, dans la fonction publique, n'importe où au travail,
pas de symbole religieux. C'est ça, mon message.
Maintenant,
si vous voulez comprendre l'historique du voile, qui est, bien sûr, la chose la
plus évidente pour nous tous depuis les 20 dernières années, je
vous invite à lire le texte que j'ai soumis, c'est tout.
M.
Drainville : Mais
comment… Alors, revenons donc à cette dynamique que vous décrivez en Égypte et
ailleurs. Comment est-ce qu'elle se
transpose au Québec? Est-ce que vous avez réfléchi à ça? Parce que vous
dites : Dans le fond, ce que j'ai observé et ce que je démontre
avec les photos, là, de l'évolution de la situation en Égypte… Ce que vous avez
dit, c'est que vous avez observé un peu la même évolution ici, au Québec. Ce
n'est pas nécessairement la même concordance de dates, là, mais l'espèce de
chronologie, d'évolution, la tendance, dans le fond, est la même. Alors, est-ce que vous pouvez nous décrire comment, à
votre avis, cette situation qui s'est produite dans le monde arabe ou
dans le monde arabo-musulman s'est-elle transposée au Québec?
M. Tinawi (René) : Écoutez, M. le
ministre, je ne suis pas un sociologue ni un philosophe.
M. Drainville : J'ai pris la
peine de le préciser. J'ai dit : Vous réfléchissez à ces questions.
M. Tinawi
(René) : Alors, si on
regarde l'immigration des pays arabes durant les 40 dernières années, il
n'y avait pas d'immigrant qui venait avec… Qu'il soit de n'importe quelle
religion, il n'y avait pas de signe religieux qui accompagnait l'immigrant. Ça,
c'est clair.
La nouvelle
vague d'immigrants qui vient de l'Afrique du Nord, et ça, c'est une politique
du gouvernement pour favoriser la
connaissance de la langue française, l'adaptation possible, rapide, etc., cette
nouvelle vague d'immigration, depuis
les 15, 20 dernières années, était accompagnée d'immigrants qui portaient
le voile. Et ce port de voile là, on le retrouvait dans le pays d'origine, et c'est pour ça qu'ils viennent
avec. Elles ont été… Ces femmes-là ont été conditionnées. Et d'ailleurs il y a certaines femmes plus âgées
qui ne portent pas le voile, mais il y a une tendance parmi les plus
jeunes de le porter parce qu'elles ont été conditionnées par le mouvement des
Frères musulmans, les imams, et tout le reste.
Donc, je vous
donne une explication que, je pense, reflète un peu l'immigration qui a eu lieu
à différentes phases. Il y a
50 ans, il y a 40 ans, ces immigrants qui venaient de pays arabes
s'adaptaient, selon moi, beaucoup plus facilement en oubliant tous les
signes religieux par rapport aux immigrants les plus récents, durant les
20 dernières années.
• (17 h 20) •
M. Drainville : Sur la question
générale, là, de l'interdiction du port des signes religieux dans les institutions
publiques, tout à l'heure il y a une dame
qui est venue nous présenter son mémoire, Mme Laouni, qui disait :
Écoutez, moi, le voile, là, d'abord c'est une prescription religieuse, et ça
fait partie de mon identité; ne me demandez surtout pas d'y renoncer. Et moi, je lui faisais valoir l'argument, de dire :
Écoutez, c'est très bien, vous nous donnez votre perspective, et c'est ce qu'on vous demande de faire, mais
est-ce que vous pouvez également vous mettre à la place du citoyen qui
s'adresse à vous, théoriquement, qui vous demande un service, et qui reçoit
votre message religieux, et qui considère que
ça le brime dans sa propre liberté de conscience? Vous nous demandez de
respecter votre liberté de religion, votre liberté de porter ce voile, mais concevez-vous que la personne qui vous
demande un service, qui s'adresse à vous, elle aussi a une liberté, sa
liberté de conscience, et qu'elle considère que cette liberté-là est brimée par
le message religieux que vous lui soumettez?
On est pas mal au coeur de l'affaire, là.
Qu'est-ce que vous répondez, vous? Comment vous réglez ça, cette tension-là, ce
débat-là? Quelle est la réponse que vous apportez à cette tension?
M. Tinawi (René) : Écoutez, la
première question que je poserais à cette dame : Pourquoi elle porte le
voile, puisque le Coran ne l'oblige pas? Alors, si le Coran ne l'oblige pas,
pourquoi le porter?
M.
Drainville : Elle a
dit que c'était une prescription religieuse. Je ne fais que rapporter ses
paroles. Je ne prends pas position, mais je vous rapporte ce qu'elle
nous a dit. C'est exactement le mot qu'elle a utilisé, «prescription
religieuse».
M. Tinawi
(René) : Je vous donne les
prescriptions du Coran, les cinq piliers de l'islam : croire en Dieu,
prier cinq fois par jour, faire la charité, faire le ramadan et, si on a les
moyens, faire le pèlerinage à La Mecque. Voici les prescriptions de
l'islam.
Alors, cette dame-là, si elle veut… Un peu comme
les chrétiens, il y a des chrétiens qui vont à la messe tous les jours, il y en a d'autres qui y vont une fois
par an, et il y en a d'autres qui n'y vont pas du tout. Alors, si elle a pris
une attitude extrême… Elle est en train de
nous dire : Ma religion est plus importante que le travail, ma religion a
préséance sur le
travail. Je m'excuse, moi, je suis un immigrant, mais je ne suis pas venu pour
prêcher une religion quelconque. Je suis venu pour travailler, pour apporter une contribution à cette société
accueillante et que j'aime beaucoup, et c'est pour ça que je me suis
adapté et que je suis très confortable dans ce que j'ai fait et que je continue
à faire.
Or, je trouve que, si on regarde un peu
l'historique de l'immigration au Québec, les Italiens, les Grecs, les Vietnamiens
et même les Haïtiens, qui sont une minorité visible, se sont adaptés, les
Latinos se sont adaptés. Aucun accommodement
n'a été demandé. Comment se fait-il maintenant qu'on a tous les jours des
accommodements possibles et imaginables
et aussi on a des aberrations comme on a vu la semaine dernière à l'Université
York, avec des étudiants qui prétendent
qu'ils ne peuvent pas être en compagnie de femmes, des étudiants en sociologie
en plus, avec des doyens qui n'ont aucun jugement, qui donnent raison à
l'étudiant? Moi, je lève mon chapeau à ce prof qui a mis et le doyen à sa place et forcé l'étudiant à revenir en cours.
Après tout, l'université, c'est un endroit où le savoir a préséance sur la
religion. On n'est pas au temps de Galilée,
parce qu'il a dit que la terre tourne autour du soleil il a été excommunié.
Bon, mais c'est ça, est-ce qu'on est en train de retourner à ce stade-là
où maintenant c'est la religion qui excommunie la science? Voyons donc, il y a
quand même des limites! Alors, c'est pour cela que je suis très... surtout en
milieu universitaire.
Je vous donne un courriel, M. le ministre. Non,
je vais laisser tomber, c'est trop flagrant.
M. Drainville : C'est trop
quoi?
M. Tinawi
(René) : Flagrant. Un
courriel que j'ai reçu de la part de quelqu'un qui exprimait sa grande
surprise lorsque certains étudiants dans une
université que je ne nommerai pas ont poussé des cris de joie lorsqu'il y a eu
la chute des deux tours à New York le 11 septembre. Alors, c'est
quand même un événement tragique mais qui se traduit aussi par quand même
quelque chose de... où la religion devient une expression politique.
M. Drainville : Il nous reste
deux minutes.
M. Tinawi (René) : Oui, monsieur.
M. Drainville : Pour ma part,
je veux dire. J'aimerais ça que vous nous disiez la responsabilité collective que nous avons comme parlementaires, comme élus de la population
québécoise. Vous avez deux minutes pour dire à quel point c'est
important, c'est urgent, je ne sais pas, mais je vous laisse deux minutes pour
que vous nous mettiez devant nos responsabilités.
M. Tinawi
(René) : Écoutez, vous, les
membres de cette noble Assemblée, vous avez une obligation de livrable
et, je vous le soumets en tout respect, vous êtes obligés de livrer quelque chose qui soit acceptable au niveau
de la laïcité, dans le sens que le travail, c'est sacré, sans
vouloir faire un jeu de mots, le travail est sacré pour tout le monde. Et, à ce moment-là,
vous devez trouver un mécanisme par lequel l'Assemblée nationale devrait
voter à l'unanimité quelque
chose qui, à ce moment-là, viendrait
renforcer la notion du travail, et, à
ce moment-là, toute question
d'accommodement devient inutile, il n'y a
plus d'accommodement. Si quelqu'un veut porter son signe religieux dans le centre
d'achats, dans la rue, en voiture, au cinéma, c'est très bien, c'est là
la liberté de religion, c'est là la liberté d'expression, c'est là la liberté
tout court, mais pas au travail.
M.
Drainville : O.K. Mais, si on ne peut pas avoir l'unanimité pour voter une interdiction sur le port des signes religieux,
vous considérez qu'on devrait y renoncer ou vous considérez qu'il faut aller de
l'avant?
M. Tinawi (René) : Non, il faut
aller de l'avant et il faut convaincre tout le monde du bien-fondé…
M. Drainville : Il faut
essayer de convaincre tout le monde.
M. Tinawi (René) : Essayer de
convaincre.
M. Drainville : Mais, si on
n'est pas capables de convaincre tout le monde, il faut aller de l'avant?
M. Tinawi (René) : Absolument. Je
suis d'accord avec vous, M. le ministre, il faut aller de l'avant. Écoutez,
vous prêchez à un converti, dans le sens que…
M. Drainville : Oui, je le
comprends, mais je sens un sentiment d'urgence dans vos propos. C'est comme… Est-ce que j'ai raison de penser que, pour vous,
il faut le faire maintenant, et ça devient important, ça devient urgent
de le faire maintenant? Il y a comme un… Est-ce que j'interprète ou est-ce que
je lis bien vos propos?
M. Tinawi
(René) : Si vous commencez
maintenant, et que ça va prendre du temps à régler la problématique, et qu'en bout de ligne on a une motion unanime de
l'Assemblée, alors prenez le temps qu'il faut. Mais, s'il n'y a absolument
aucune réception de la part de l'opposition, à ce moment-là, c'est un dialogue
de sourds, ça devient inacceptable. Comme je vous disais, M. le ministre, vous,
les membres…
Le Président (M. Ferland) :
Je dois malheureusement vous arrêter…
M.
Tinawi (René) : Je m'arrête.
Le Président (M.
Ferland) : …parce que je dois céder la parole au porte-parole
de l'opposition, le député de LaFontaine. La parole est à vous.
M.
Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup,
M. Tinawi, pour votre temps, le temps d'avoir préparé le mémoire, et de nous le présenter ici aujourd'hui, et
de répondre à nos questions. Votre expertise, votre expérience
personnelle est intéressante.
J'aimerais
savoir… En page 2 de votre mémoire, il y a quatre photographies de
l'Université du Caire, Faculté des arts, Département d'anglais. Est-ce
que c'est vous qui avez pris les photographies?
M. Tinawi
(René) : Non.
M. Tanguay :
Non?
M. Tinawi (René) : C'est sur le site Internet, et je cite la personne qui les a publiées
sur le site Internet. Moi, j'ai quitté l'Égypte en 1960.
M.
Tanguay : O.K. Et, sur certaines photos, on voit des femmes qui
portent un foulard sur la tête, le hidjab, qui portent le hidjab. Selon
vous, est-ce que le hidjab est de facto un signe d'oppression?
M. Tinawi
(René) : Absolument.
M.
Tanguay : C'est un signe d'oppression. Est-ce qu'il peut y
avoir des exceptions, des femmes qui le portent sans que ce soit un
signe d'oppression?
M. Tinawi
(René) : Par conviction religieuse, vous voulez dire?
M. Tanguay :
Oui. Conviction religieuse, identité.
M. Tinawi
(René) : Écoutez, ça pourrait exister, c'est possible que ça existe,
oui, des femmes qui le portent par conviction religieuse, mais à ce moment-là
je vous poserais, si vous permettez, M. le député : Où? Où? Si elles le portent au travail, ça, je m'excuse, là, je ne
serai jamais d'accord avec ça. Si c'est dans la rue, si c'est au cinéma, si
c'est n'importe où ailleurs, dans la mosquée, c'est l'endroit pour ça.
M. Tanguay :
Et, si c'était à l'université, est-ce que c'était l'endroit pour ça?
M. Tinawi
(René) : Non. Selon moi, personnellement : jamais.
M. Tanguay :
À quel endroit? Nulle part? Jamais?
M. Tinawi
(René) : Nulle part.
M. Tanguay :
À nulle part, jamais.
M. Tinawi
(René) : Ni le personnel ni les étudiants. C'est… Le savoir a
préséance sur la religion.
M.
Tanguay : Et donc ce serait comme en France et même plus, parce
qu'en France il y a une certaine liberté. Ce serait en aucun temps, en
aucun lieu, le port du voile.
• (17 h 30) •
M. Tinawi (René) : Écoutez, je pense qu'on ne peut pas… Il y a un monsieur qui, ce matin,
a dit : On ne peut pas importer une recette d'ailleurs. Il faut
s'inspirer d'une recette d'ailleurs et l'adapter au contexte québécois.
Alors, ce qui se
passe en France, c'est sûr, il faut que ça soit sur le radar québécois. Comment
on l'interprète, comment on l'ajuste ici,
c'est à vous autres, mesdames messieurs, de le faire, et, à ce moment-là, les
solutions seraient acceptables pour tout le monde. Mais, en France, les
étudiants laissent leur kippa à la porte de l'école et la reprennent après. Je
respecte ça à 100 %.
M.
Tanguay : Donc, on a déjà établi une première chose, c'est
qu'on ne peut pas faire, permettez-moi l'expression, du copier-coller,
ça se passe en France donc de facto on doit le faire au Québec. Il faut… Ce
qu'on a déjà analysé avec d'autres
intervenants : évidemment, y aller à son rythme, analyser la société,
société québécoise, canadienne, et ne pas importer, là, tout bêtement ce
qui se fait ailleurs. Donc, si je vous comprends bien, c'est ce que vous nous
dites. Il faut avancer, et tous ici, en cette Chambre, ne veulent pas voir une
prolifération de l'intégrisme, mais, quant aux législations, façons de faire,
ça relève de la société, au cas par cas, là, de la société, je veux dire. C'est
cela?
M. Tinawi (René) : Bon, c'est parce
que… Je vais vous… Si vous permettez, M. le député.
M.
Tanguay : Je vous en prie.
M. Tinawi (René) : Le Canada et le Québec, c'est un pays d'immigration. Or, l'Angleterre
et la France, c'étaient des pays
colonialistes, ils avaient des colonies, alors ce n'est pas des pays
d'immigration. Ce qui fait qu'avec les lectures que j'ai faites concernant ce travail que je vous ai déposé, après la
Deuxième Guerre mondiale, il y avait une destruction totale de l'Europe
et une pénurie de main-d'oeuvre phénoménale, et c'est là où l'Angleterre et la
France ont été puiser des ressources
humaines dans leurs colonies. Bon, la porte était grande ouverte, elle est
restée grande ouverte, et les problèmes étaient aussi de la même taille que la porte qui était grande ouverte.
C'est ça, ce qu'on voit en France et en Angleterre.
Le
Québec et le Canada, c'est un pays d'immigration, hein, ce n'est pas des pays
colonialistes. Que ce soient les États-Unis, le Canada, la
Nouvelle-Zélande, l'Australie, c'est des pays d'immigration. Alors, ce n'est
pas des pays qui avaient des anciennes
colonies, alors il y a quand même… vis-à-vis de l'immigrant qui choisit de
vivre là, il y a une obligation de respect par rapport à tous les
immigrants qui ont précédé et qui ont travaillé la terre, qui ont préparé le pays. Moi, je suis arrivé dans Montréal il y a
47 ans, une ville développée, un métro, tout ce que vous voulez, mais,
si mes aïeux étaient venus ici il y a
350 ans, ça aurait été une autre histoire pour eux. Alors, il faut
respecter ce travail qui a été fait.
M.
Tanguay : Vous dites : Le Canada et le Québec, un pays
d'immigrants. Vous êtes parfaitement au courant qu'il y avait l'entente Cullen-Couture, en 1991 il y a
eu l'entente sur l'immigration. Donc, le Québec est maître totalement de
son immigration, à l'exception des accords internationaux et pour ce qui est
des réfugiés politiques. Donc, le Québec sélectionne, va chercher ses
immigrants.
À
ce niveau-là, est-ce que vous avez une réflexion quant à la façon de faire du
Québec, quant aux critères utilisés? On parle beaucoup du critère
premier qui est l'expression française, parler français, et...
Une voix :
En français.
M.
Tanguay : En français, pardon. Et, en ce sens-là, avez-vous une
réflexion quant à la façon dont le Québec fait son immigration? Parce qu'encore une fois le Québec, province au sein du
Canada, mis à part les réfugiés politiques et le regroupement familial, a totalement compétence pour la sélection. Alors,
est-ce qu'il y a là des éléments de réflexion?
M. Tinawi (René) : Ma réflexion, c'est que, oui, le Québec a raison de choisir son
immigration, et il a parfaitement raison
de vouloir miser sur une population qui connaît déjà la langue et qui puisse
s'adapter. Mais, si, maintenant, entre la langue et la religion... entre
la langue et la société d'accueil il y a une barrière, il y a un mur qui est la
religion, cette intégration ne se fait pas.
M. Tanguay :
Et comment...
M. Tinawi
(René) : Je...
M. Tanguay :
Je vous en prie. Pardon.
M. Tinawi
(René) : Si vous permettez, j'aimerais vous citer le directeur des
Cahiers de l'Orient à Paris, M. Antoine
Sfeir, un grand spécialiste du Moyen-Orient — souvent, à Radio-Canada, on l'entend — qui s'alarmait de voir des intégristes. Et voilà ce qu'il dit :
«...érigent lentement mais sûrement une société en marge des communautés
nationales, qui rejette de facto l'intégration dans les pays d'accueil.»
Alors, pour répondre à votre question,
M. le ministre, si on a des Latinos qui sont ouverts à apprendre
le français en deux, trois ans et
s'intégrer, je préférerais ça à des immigrants qui, à cause de la barrière
religieuse, ne vont jamais
s'intégrer.
M. Tanguay :
Message très fort. Merci beaucoup.
M. Tinawi
(René) : Oui, monsieur. Ça me fait plaisir.
M.
Tanguay : J'aimerais…
Avant de céder la parole à mes collègues, rapidement, vous avez parlé d'un travail — prenez le temps qu'il faut — important d'aller chercher un plus large consensus. Je crois déceler… et corrigez-moi si j'ai
tort, mais honnêtement je crois déceler de votre part la nécessité que vous
nous souligner : Hâtez-vous lentement, mais allez chercher le plus large consensus
possible, la nécessité d'un consensus, si on ne parle pas de la quasi-unanimité, d'un très, très large consensus
sur de telles questions, qui autant, si elles nous étaient enfoncées dans
le fond de la gorge, seraient divisives,
autant que, si elles recueillent ce niveau élevé, oui, d'approbation et
d'acceptation… autant ce travail-là de longue haleine est nécessaire afin
d'avoir une cohésion sociale. Et, en bout de piste, c'est ce que l'on veut avoir, une cohésion sociale, et on
dit que les radicaux religieux attaquent cette cohésion sociale. Alors,
à l'inverse, avec un remède de cheval, on pourrait tuer le patient.
Est-ce qu'en voulant
imposer des éléments qui brisent cette cohésion sociale là on n'est pas en
train de faire justement une oeuvre qui,
comme on le constate au Québec sur l'interdiction, mériterait de peut-être
scinder le projet de loi, faire
avancer le Québec sur ce qui nous rassemble, et laisser de côté l'interdiction,
et poursuivre la discussion, d'aventure?
M. Tinawi
(René) : Écoutez, j'ai un
peu de difficultés à vous saisir concernant scinder le projet. À ce
moment-là, qu'est-ce que vous voulez dire au juste?
M. Tanguay : Je
voulais dire que, sur les balises pour que tout accommodement soit raisonnable,
tout le monde s'entend, visage découvert pour réception des services et
dispensation des services de l'État. Tout le monde s'entend également sur l'interdiction du prosélytisme, tout
le monde s'entend. Demain matin... Il y a uniquement, sur les cinq
éléments, un seul sur lequel nous passerons 270 heures, c'est
l'interdiction de signes religieux.
Le
message que je veux décoder chez vous, et corrigez-moi si j'ai tort :
l'importance de faire avancer le Québec et de continuer le débat mais de ne pas tenter d'imposer, d'imposer le
cinquième élément qui fait nettement division au Québec.
M. Tinawi
(René) : Écoutez, s'il y aura des balises pour les signes religieux,
pour les accommodements concernant les signes religieux...
M. Tanguay :
Oui, tout le monde s'entend.
M. Tinawi
(René) : ...ça, ça veut dire du travail à temps plein pour les
avocats. Ça veut dire que ça va être contesté. Ça va être un autre signe
religieux, ça va être un autre accommodement et un autre accommodement, et on
n'en finira plus.
C'est
pour cela que la question de laïcité et d'accommodement, c'est deux mots qui
sont incompatibles. Alors, ou on a
une laïcité, et à ce moment-là on n'a pas besoin d'accommodement, ou bien on
n'a pas de laïcité et on a une série d'accommodements.
Et on en a tous les jours. Les tribunaux, aujourd'hui, le kirpan est permis.
Demain, le turban est permis. Après-demain,
le voile est permis, le tchador est permis, tout est permis. Il y a des limites
aux accommodements qui… mais je pense qu'il n'y aura pas... ça ne finira
plus.
Alors,
c'est pour cela que je préfère qu'il y ait un vote ou bien une motion très
claire de la part de l'Assemblée nationale. Un message très fort à la
population, et aux employeurs, et aux universitaires serait de dire : Bon,
bien, écoutez, il faut respecter la loi, c'est tout. Et c'est ça que je
souhaite de tout coeur.
Le Président (M.
Ferland) : ...la députée de Notre-Dame-de-Grâce. La parole est
à vous.
Mme Weil :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Tinawi.
M. Tinawi
(René) : Bonjour, madame.
• (17 h 40) •
Mme
Weil : Peut-être, dans un premier temps, en défense de notre
immigration au Québec, il faut savoir que les immigrants sélectionnés… Et j'aimerais souligner les Maghrébins, c'est
parmi les plus scolarisés. Vous savez la pub de l'Ontario : On se fiche de ce que vous portez sur votre tête, on
s'intéresse à ce qu'il y a dans votre tête. Il y a vraiment une qualité.
Puis je vous dirais que la plupart — et c'est une étude de la
Commission des droits de la personne — de ces immigrants sélectionnés économique sont moins
religieux que les Québécois, c'est une donnée de la commission. Alors,
il faut faire attention de ne pas mettre
toute cette immigration à une image. C'est sûr que, par le regroupement
familial, qui est de juridiction
fédérale, il y en a peut-être d'autres qui viennent, mais... Et c'est une immigration qui est très
francophone. On l'a entendu aujourd'hui, le niveau de français. Les compétences
linguistiques, elles sont vraiment là. Donc, je pense qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Je sentais l'importance de le dire parce que j'ai eu à côtoyer beaucoup, beaucoup
de ces nouveaux arrivants, ils m'impressionnent tellement. Et je n'ai pas vu beaucoup,
beaucoup qui portent des signes religieux, dans
l'immigration sélectionnée.
Ceci
étant dit, on parle du voile, mais le médecin, le chirurgien cardiaque qui
travaille au Jewish ou à l'Institut de cardiologie, qui va opérer sur
votre coeur, là, puis il est brillant, c'est le meilleur, il porte la kippa, il
porte la kippa, ça fait plus de… ça fait des
générations qu'il est ici puis on ne lui a jamais dit qu'il ne pouvait
pas porter sa kippa, vous êtes en
train de dire que soudainement, du
jour au lendemain, au nom d'une laïcité, laïcité qu'on a décidée soudainement,
qui est une nouvelle réalité juridique… Soudainement, on décide. C'est une
nouvelle réalité juridique et qu'on ne connaît pas par ailleurs, hein? On a toujours eu la laïcité ouverte qui dit
qu'on ne fait pas de prosélytisme, mais on n'a jamais ici, au Québec et
au Canada, associé le port d'un signe religieux avec la non-laïcité, jamais. En
autant qu'on est neutre dans le travail qu'on fait…
Moi, j'ai eu des
médecins qui portent le voile. On n'a jamais parlé de religion, elles portaient
attention… Et excellentes et compétentes.
Jamais je n'ai été comme énervée par ça, pas du tout, à l'hôpital pour enfants,
au Children's.
J'ai
parlé avec des universités, l'Université du Québec, qui me disent… Ils ont des
étudiants brillants, certains qui portent
le voile, pas beaucoup, certaines qui font de la recherche, et là ils
s'inquiètent, les profs à l'Université du Québec s'inquiètent que soudainement, à cause du projet de loi, ces
personnes-là ne pourront plus faire de la recherche avec eux.
Alors,
tout ce que je vous dis, c'est qu'on… Bien, ce que j'essaie de vous dire, c'est
qu'il y a un critère important en droit
dans une société qui respecte la règle de droit : on est, et c'est les
mots clés, libre et démocratique. Ils ont un vrai sens. On ne peut pas
chambarder soudainement une société et dire : Voici les nouvelles règles,
là. Tout le monde, là, tout le monde, ça
fait peut-être des générations que vous connaissez d'autres règles, mais là on
décide qu'il y en aura d'autres au nom d'une laïcité qui n'a pas été
définie. Et, quand on parle aux juristes, ils disent : On s'entend sur la
neutralité religieuse de l'État, mais il n'y
a pas beaucoup de gens qui s'entendent sur le sens de «laïcité», d'où ces deux
expressions, laïcité fermée, laïcité ouverte,
ouverte qui ne met pas beaucoup d'accent sur le port de signes religieux. Et on
l'a entendu des témoins et on va entendre beaucoup, beaucoup de témoins
surtout dans le réseau de la santé, des professionnels, des gens brillants. Le plus important employeur, c'est
le réseau de la santé, à Montréal, et c'est là qu'on va voir beaucoup,
beaucoup de problèmes.
Alors, quand on parle de consensus, je
comprends ce que vous dites. Et évidemment, de vouloir effacer le
tableau, le tableau de notre histoire, et de refaire le tableau, c'est
séduisant, hein? Tout le monde est pareil, on aseptise le milieu puis on ne
verra plus de signe religieux, tout va être beau et parfait. Mais ce n'est pas
ça, la réalité humaine. On a une histoire de
diversité, de plusieurs religions qui se côtoient depuis longtemps.
L'immigration des années 50 et 60, on comprend, 40, qu'elle soit
catholique, hein, les Grecs, les Italiens, les Européens, et c'est à partir des
années 70 qu'on avait donc plus une
immigration de diversité, du Maghreb. Alors, quand on parle, à tout le moins…
Je ne pense pas qu'on va se
convaincre, mais à tout le moins d'avoir un débat qui soit… et une discussion.
Il y a beaucoup de gens qui demandaient une charte de la laïcité il n'y
a pas si longtemps. On semble avoir mis ça de côté, mais les gens veulent avoir
ce débat. Et ça, ça va beaucoup plus profondément que le port de signes
religieux, c'est sur le financement des écoles
religieuses, etc., il y a beaucoup d'autres choses qui sont comprises ou qui
pourraient être comprises dans un débat sur la laïcité. Là, on est
strictement sur le port de signes religieux. Alors, je…
Le Président (M.
Ferland) : Si vous voulez une réponse, il reste à peine
1 min 30 s.
Mme
Weil : Bien, la réponse, c'est : Est-ce que vous saisissez
le sérieux, le sérieux de venir ce que moi, j'appelle chambarder une
société qui avait une compréhension du vivre-ensemble? Et qu'est-ce que ça
prendrait pour l'amener là où vous pensez
qu'elle devrait amener ou peut-être quelque chose entre les deux? Est-ce que…
Ou vous pensez qu'on peut faire ça…
Vous avez parlé de consensus, vous avez parlé de débat. J'aimerais vous
entendre sur quel niveau de débat et quel…
Tu sais, je veux dire, est-ce qu'on fait ça du jour au lendemain ou est-ce
qu'il faut vraiment enclencher un débat? Parlons. Et parlons justement
du Juif qui porte la kippa, au lieu de toujours le voile.
M. Tinawi (René) : Bon, écoutez… D'abord, j'apprécie vos commentaires. La communauté juive
est intégrée ici depuis très
longtemps, alors je... Moi, je suis amateur de musique classique, je vais à
beaucoup de concerts pas seulement à Montréal, à travers le monde.
Klemperer, Solti, Barenboim, Levine, c'est tous des Juifs, j'ai beaucoup
d'admiration pour leur talent. Il n'y a
personne qui porte le voile... je m'excuse, la kippa. O.K.? Einstein ne portait
pas la kippa. Alors, s'il y a quelques chirurgiens, nonobstant leurs
compétences, qui veulent porter la kippa, moi, je me pose la question :
Pourquoi doit-il la porter à l'hôpital? De toute façon, on ne la verrait pas,
on ne la verrait pas, avec tout son attirail de chirurgien. Alors, écoutez,
c'est évident que...
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, je dois vous arrêter parce que… La
question était bonne, un peu longue mais bonne.
M. Tinawi
(René) : Vous avez la réponse…
Le Président (M.
Ferland) : …laisser quand même un peu de temps.
Une voix :
…
Le
Président (M. Ferland) : Non, non, mais il n'y a plus de temps,
là. Alors, juste vous rappeler quand même que, si vous voulez laisser du temps pour une réponse, juste considérer
ça. Quand c'est terminé, bien je dois vous arrêter. Alors, Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Tinawi. Merci. Merci pour
votre mémoire. C'est intéressant de voir ces
photos-là, des photos qui circulent d'ailleurs sur Internet, du Caire, en
Égypte, on voit l'apparition des voiles. Il y en a des similaires aussi,
sur les réseaux sociaux, de l'Iran, de l'Afghanistan, c'est le même processus
qu'on voit.
Vous avez dit — et là
je vais vous citer — durant
la présentation de votre mémoire, que vous croyez que les signes religieux sont des signes politiques. Alors,
selon vous, je vous pose la question, est-ce que tous les signes
religieux sont des signes politiques ou certains plus précisément?
M. Tinawi
(René) : Tous.
Mme Roy
(Montarville) :
Tous?
M. Tinawi
(René) : Tous, sans exception.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Vous disiez aussi que la forte majorité de ceux et celles qui les
portent le font pour des raisons politiques.
M. Tinawi
(René) : Oui.
Mme
Roy
(Montarville) : Est-ce que vous avez constaté que
c'est la même situation — et là à partir de votre expérience — la
même situation qui se vit ici, au Québec, qu'on les porte pour des raisons
politiques?
M.
Tinawi (René) : Écoutez,
c'est sûr que, si l'objectif est la propagation de l'islam parce que c'est la
solution, par rapport à certaines de ces
personnes-là, elles vont le porter pour des raisons non pas religieuses mais
politiques, comme vous le mentionnez et comme je l'ai mentionné aussi.
Alors, il y a une raison, la propagation, et c'est pour cela que ça ne m'étonne
pas de voir beaucoup de femmes le porter par obligation.
Alors, je vous cite... Je ne sais pas si vous
avez vu dans Le Devoir une lettre, la semaine dernière, de Mme Colette Provost. Colette Provost, elle
enseigne le français aux nouveaux immigrants, donc elle est en contact
avec les immigrants qui viennent d'arriver, et elle dit : «En général, les
femmes voilées ne choisissent pas de porter le voile. Il leur est imposé par le milieu familial. Ces femmes, voilées contre
leur gré, on ne les entend pas à la télévision, on ne les entendra jamais, car, si elles parlent, elles
seront amèrement punies.» Maintenant, c'est sûr, Mme Colette Provost a
eu la confiance de ces femmes-là, qui se
sont confiées à elle, et elle dit : «Le voile n'est pas une obligation
inscrite dans la religion musulmane,
pourtant il est incontournable chez les intégristes. Les hommes sont là [...]
surveillent, menacent, sévissent.»
Mme Roy
(Montarville) : Je comprends bien votre position. J'ai une
dernière question. J'ai un temps imparti, alors je vais y aller tout de
suite avec ma dernière question.
Alors, selon votre connaissance personnelle,
quel message est-ce que ça enverrait aux intégristes du monde, l'adoption d'une
charte de la laïcité ici, au Québec? Quel impact est-ce que ça aurait, selon
vous?
M. Tinawi (René) : Par rapport au
monde entier ou par rapport aux intégristes du monde?
Mme Roy
(Montarville) :
Aux intégristes du monde. Bien, du monde entier, enfin, ceux qui voudraient
peut-être venir au Québec. Quel message...
M. Tinawi (René) : Non, mais ce
n'est pas juste des intégristes.
Mme Roy
(Montarville) :
Autrement dit, quel effet, selon vous, ça aurait?
M. Tinawi (René) : Il n'y a pas
juste des intégristes qui viennent au Québec.
Mme Roy
(Montarville) :
Je suis d'accord, mais ma question, c'est : Selon vous, quel effet le
projet de loi sur la laïcité aurait sur ceux qui auraient des intentions qui ne
sont pas nécessairement pieuses?
• (17 h 50) •
M. Tinawi
(René) : Un effet très
bénéfique, parce que, si vraiment ces femmes... ce que Mme Provost dit et
ce que moi, je pense aussi, que, si ces
femmes-là pouvaient être libérées du carcan religieux, elles ne seraient
certainement pas obligées de porter le
voile, elles seraient plus libérées. Les
femmes qui disent qu'elles vont perdre leur emploi, etc., bien elles
n'auront pas à se poser ces questions-là. Elles seront libres de travailler là
où elles veulent et elles n'auront pas ce choix de faire entre l'obligation
sociale et familiale et le choix du travail.
Alors, pour
répondre à votre question, ce serait une excellente chose et ce serait vu
d'une façon très positive. Au moins, les gens, avant de venir, vont
dire : Un instant, là! Si je veux venir au Québec avec ma djellaba, ma
burqa, ma kippa et le turban par-dessus, je suis mieux d'y penser deux fois
avant de venir.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée de Montarville. Maintenant, je cède la parole au député de Blainville.
Allez-y, M. le député.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. M. Tinawi, merci de nous apporter… j'allais dire «votre
expertise».
M. Tinawi (René) : Expérience, pas
expertise.
M. Ratthé : …personnelle.
Votre expérience personnelle plutôt qu'expertise, expérience personnelle.
Vous avez
fait référence… Et ce n'est pas la première fois que je l'entends, je l'entends
aussi à l'extérieur. On parle souvent, par exemple, du voile, où on
vient dire : Ces femmes-là n'ont pas le choix, elles sont sous le joug,
entre guillemets, d'intégristes, leurs maris
ou... Est-ce qu'il y a autre chose qu'on devrait surveiller? Tantôt, vous
faisiez référence aux barbus. J'ai entendu je ne sais pas combien de
femmes qui me disent : Bien, c'est ça, nous, on va enlever nos voiles, mais les barbus, eux... Alors, je ne vais
pas jusqu'à dire qu'il faudrait interdire la barbe, là, ce n'est pas ce que
je dis, mais est-ce qu'il y a autre chose qu'il faudrait surveiller ou il
faudrait être à l'affût de pour éviter effectivement que... Parce que je sens
ça, on me l'a dit à plusieurs reprises, et vous l'avez mentionné tout à
l'heure.
M. Tinawi
(René) : Pierre le Grand, il
y a 300 ans, a défendu à tous les Russes d'avoir la barbe. Alors, il les
a forcés à se raser et s'habiller à
l'occidentale parce qu'il voulait rapprocher le peuple russe de l'Europe, et
ceux qui ne voulaient pas se raser, ils avaient une pénalité à payer.
Alors, je ne suis pas là pour donner des idées au ministre des Finances, mais
c'est juste pour vous dire que c'est vrai.
Mais, d'un
autre point de vue, si les femmes voilées sont, disons, très visibles et si
c'est un signe de port religieux, à ce moment-là, la loi, si elle est
passée, si elle est acceptée, s'il y a une neutralité religieuse, les hommes
n'auront pas de choix,
parce que c'est évident que la barbe des intégristes est reconnaissable. Ce
n'est pas une barbe esthétique comme M. Tout-le-monde, là, qui porterait
une barbe bien taillée, la barbe intégriste est très reconnaissable. À ce
moment-là, si les femmes se libèrent de leur
voile, elles vont forcer le mari à faire la même chose. Elles vont faire ce que
Pierre le Grand a fait, c'est tout.
M. Ratthé : Je pense que vous avez bien répondu, tout à l'heure, en disant : Oui, s'il y a la laïcité, si la charte de la
laïcité est appliquée, ça va envoyer un message à l'extérieur. Une dame,
tantôt, nous disait : Ça devrait même... on devrait aller plus loin dans l'immigration, dire, vraiment
expliquer clairement aux immigrants que la suprématie de la religion n'est pas ce qu'on accepte ici. Vous nous
avez également dit : Le message le plus fort qu'on pourrait
envoyer, ce serait une décision unanime de l'Assemblée nationale.
Est-ce que vous iriez jusqu'à dire — et je
pose la question pour avoir une réponse, non pas pour émettre une opinion de ma
part — qu'à
la limite, s'il fallait arriver à imposer non pas les principes, mais l'application
de la loi en imposant sur une échelle de
temps plus longue pour permettre aux gens justement de s'y habituer, peut-être
qu'ils sont là depuis très longtemps… Est-ce que, pour vous, c'est quelque
chose qui serait envisageable, de dire... ou est-ce qu'on le fait du
jour au lendemain ou est-ce qu'on dit : Bien, écoutez, il
y aura quand même une période
d'adaptation générale, pas simplement pour des milieux spécifiques, où
justement les gens qui sont ici depuis 20, 30 ans, qui portent la kippa,
puissent s'adapter? La kippa ou autre chose, évidemment.
M. Tinawi
(René) : C'est un excellent
commentaire, M. le député. Ma réponse serait : Si c'est vraiment
un laps de temps raisonnable et c'est fait avec sincérité et avec
conviction, les gens vont s'habituer à cette idée-là et vont finir par l'accepter. Tout dépend du ton. À ce
moment-là, si vous faites un travail où justement le bien-fondé est mis de
l'avant, la neutralité et la défense de
porter des signes religieux au travail tout en gardant la liberté ailleurs, et
vous avez un laps de temps de x mois
ou x années, et que ce soit vraiment sincère et non pas dans un but électoraliste… Et
ça, la population ne se trompe jamais.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci beaucoup, M. Tinawi. Alors, merci pour votre présentation.
Alors, sur ce, je lève maintenant la séance, et
la commission ajourne ses travaux au mercredi 15 janvier, 9 h 30.
Bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à 17 h 55)