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Version finale

39e législature, 2e session
(23 février 2011 au 1 août 2012)

Le jeudi 19 janvier 2012 - Vol. 42 N° 59

Consultation générale et auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-huit minutes)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes qui sont présentes dans la salle de bien vouloir s'assurer d'éteindre la sonnerie de votre téléphone cellulaire.

Alors, je vous rappelle que le mandat de la Commission des institutions est de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Non, Mme la Présidente, il n'y a pas de remplacement.

La Présidente (Mme Vallée): Parfait. Alors, bon matin. Aujourd'hui, nous allons entendre les représentations de la commission des droits de la personne et de la jeunesse. Nous allons également entendre les représentants de l'Ordre des arpenteurs-géomètres et Mme Louise Lalonde. Après la pause du dîner, nous entendrons le programme de prévention et règlement des différends de l'Université de Sherbrooke, le cabinet Ménard, Martin, avocats, l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, et finalement nous conclurons notre journée avec les membres du Barreau de Laval.

Auditions (suite)

Alors, sans plus tarder, nous allons débuter les auditions. M. Cousineau, je vous salue. Bienvenue en commission parlementaire. Je vous invite à nous présenter les membres, les personnes qui vous accompagnent ce matin. Vous allez, par la suite, disposer de 15 minutes pour nous faire part de vos représentations. Par la suite, il y aura deux blocs d'échange avec le ministre, deux blocs de 10 minutes; deux blocs de 10 minutes avec les membres de l'opposition. Alors, on tient à garder le temps, et je vous ferai des petits signes lorsqu'on arrivera près de l'échéance. Alors, sans plus tarder, je vous laisse la parole.

Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

M. Cousineau (Gaétan): Alors, merci beaucoup. Je suis accompagné de M. Daniel Carpentier, directeur adjoint à la recherche, et Mes Bernard et Pedneault, qui sont conseillères juridiques à la commission. Alors, merci de nous avoir invités.

Comme vous le savez, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, instituée en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec, a reçu le mandat d'assurer la promotion et le respect de l'ensemble des droits reconnus dans la charte. C'est ainsi que la commission procède à l'examen des textes législatifs afin d'en vérifier la conformité aux principes contenus dans la charte et, selon le cas, faire des recommandations. Alors, c'est ainsi que nous sommes heureux de participer aux travaux de cette commission consacrés à l'étude de l'avant-projet de la loi instituant le nouveau Code de procédure civile.

**(9 h 40)**

D'entrée de jeu, soulignons que nous souscrivons aux objectifs de cet avant-projet de loi. Nous souhaitons, nous aussi, rappeler l'importance d'assurer l'accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile. La commission remarque avec satisfaction l'introduction d'une disposition préliminaire à l'avant-projet de loi en vertu de laquelle les principes de justice civile doivent s'harmoniser avec la charte pour régir la procédure applicable, et ce, tant dans le cadre des modes privés de prévention et de règlement des différends que devant les tribunaux. La lecture de l'avant-projet de loi nous a permis de constater que de nombreux articles y font effectivement référence implicitement ou explicitement.

Certaines dispositions de l'avant-projet de loi soulèvent toutefois notre inquiétude, et nous nous attarderons principalement à celles-ci. Dans un premier temps, nous souhaitons apporter notre réflexion au débat quant à la mise en oeuvre des principes de la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends, puis nous nous attarderons plus particulièrement à certaines dispositions de l'avant-projet qui, à notre avis, devraient être amendées.

La philosophie qui a guidé la réforme du Code de procédure civile apparaît dans la disposition préliminaire de l'avant-projet. La commission retient plus particulièrement que le code vise à permettre le règlement des différends interpersonnels, collectifs ou sociétaux par des procédés de justice civile adéquats, efficients, empreints d'esprit de justice. Il favorise également la participation des personnes parties à un différend dans la prévention et le règlement de celui-ci et vise à assurer l'accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l'application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure, l'exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d'équilibre ainsi que le respect des personnes qui apportent leur concours à la justice. La commission souscrit à de tels objectifs.

Nous nous inquiétons toutefois -- excusez-moi -- des moyens associés à cette mise en valeur, pour reprendre les termes du ministère de la Justice, des modes privés et volontaires de prévention et de règlement des différends. Rappelons que la mise en oeuvre de ceux-ci doit, dans les faits, garantir le droit à l'égalité de chacun et chacune dans l'accessibilité à la justice.

À ce propos, nous sommes heureux de constater qu'en ce qui a trait à la médiation la participation à un tel processus n'emporte pas la renonciation au droit d'agir en justice et qu'une partie peut en tout temps et sans être tenue de dévoiler ses motifs se retirer du processus ou y mettre fin. De plus, le médiateur qui constate un déséquilibre important entre les parties est tenu de le dénoncer et de préciser avec elles les mesures prises pour atténuer ou contrôler cette inégalité.

La commission note également avec intérêt l'obligation de respect des droits et libertés et autres règles d'ordre public imposée en vertu de l'article 5 de l'avant-projet. Elle remarque également avec satisfaction qu'aucune modification n'est prévue à l'article 2639 du Code civil du Québec. Ainsi, le différend portant sur l'état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres questions qui intéressent l'ordre public ne pourra être soumis à l'arbitrage.

Nous sommes également satisfaits de l'article 412 remplaçant 815.5 du Code de procédure qui offre certaines garanties procédurales en matière familiale, garanties que nous jugeons impératives. La commission, toutefois, s'inquiète grandement du fait que l'avant-projet de loi ne prévoie pas étendre les garanties de cette nature à tous les modes de prévention et de règlement des différends.

C'est là l'essentiel de notre message. Il faut, à notre avis, aborder avec prudence la souplesse associée à la mise en valeur des modes privés de prévention et de règlement des différends. Le seul critère du libre choix est, selon nous, insuffisant pour protéger les droits fondamentaux des personnes en situation de vulnérabilité. Ainsi, l'approche consensuelle préconisée ne pourra véritablement être qualifiée comme telle que si l'on tient compte de certains facteurs socioéconomiques susceptibles de compromettre l'équilibre des parties. On le sait, cet équilibre peut être compromis à un point tel que l'accès à la justice en pleine égalité de l'une d'elles peut n'être plus garanti, pourtant rien ne nous permet de constater que cette prise en compte a été faite dans l'avant-projet de loi. Bien que le recours à un mode privé de prévention ou de règlement des conflits suppose sur papier le consentement mutuel des parties, l'accord de certaines d'entre elles peut être teinté par une situation d'inégalité, de dépendance, de violence, de pressions sociales ou d'oppression. À défaut de mécanismes de détection appropriés de ces situations, la souplesse peut accentuer la situation de déséquilibre qui existe entre les parties. Cela est d'autant plus préoccupant que ces situations touchent certains groupes de personnes en fonction de leur condition sociale, de leur âge, de leur origine ethnique ou nationale, de leur handicap ou de leur sexe, et il s'agit là, dans tous ces cas, de motifs de discrimination, interdite en vertu de la charte. De plus, les valeurs intrinsèques des modes alternatifs de résolution de conflits, telles que leurs faibles coûts et leur plus grande accessibilité, constituent ou peuvent constituer un facteur d'attraction pour les personnes en situation de vulnérabilité, et cela peut ajouter au déséquilibre.

Les tribunaux l'ont maintes fois souligné, le principe d'égalité formelle n'est plus le seul à entrer en ligne de compte dans l'analyse de la législation en cause. La seule approche volontariste ne suffit pas, on doit également considérer tant le contexte social dans lequel s'inscrit cette législation que les effets discriminatoires qui peuvent en découler. La prise en compte des facteurs socioéconomiques relativise l'argument du libre choix et démontre la nécessité de fournir un encadrement adéquat. Ainsi, l'État québécois a l'obligation de veiller à ce que les rapports des parties impliquées dans un processus de prévention ou de règlement d'un différend soient égalitaires. La commission recommande l'instauration de mécanismes d'accompagnement et de soutien appropriés pour les personnes qui s'engagent dans un processus privé de prévention ou de règlement de conflits afin de pallier les situations d'inégalité qui pourraient compromettre le réel accès à la justice. À titre d'exemple, pensons à la formation, à l'accréditation qui devraient être obligatoires pour les tiers arbitres impliqués dans les processus de prévention et de règlement de conflits comme pour les médiateurs impliqués en matière familiale, à une loi encadrant ces pratiques, à des services d'accompagnement accessibles et adéquats, aux pouvoirs des tribunaux relatifs à l'homologation des ententes. Nous recommandons également que les règles relatives à l'aide juridique soient adaptées aux nouvelles options procédurales éventuellement mises en place.

À la lumière de ces considérations, la commission s'interroge par ailleurs sur l'utilisation du terme «doivent» au troisième alinéa de l'article 1 du projet de loi. En effet, il y est écrit que «les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s'adresser aux tribunaux». Rappelons-le, la Loi d'interprétation commande que, chaque fois qu'il est inscrit qu'une chose doit être faite, l'obligation de l'accomplir est absolue. Le troisième alinéa de l'article 1, tel qu'il est actuellement formulé, crée donc une obligation absolue aux parties de considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s'adresser aux tribunaux. À notre avis, l'imposition de cette étape préliminaire est susceptible d'entrer en contradiction avec le premier alinéa de l'article 23 de la charte qui garantit à toute personne le droit en pleine égalité à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et de ses obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Certaines questions se posent d'une telle obligation: Comment et par qui seront encadrés ces processus de prévention et de règlement des différends de façon à garantir le respect des droits de chacun, incluant les personnes les plus vulnérables, et d'autant plus lorsqu'ils se déroulent dans un contexte privé? Comment pourra-t-on évaluer que les parties ont réellement respecté cette obligation et qu'adviendrait-il si elles y contrevenaient?

Les modes alternatifs de résolution de conflits étant fondés sur la prise en charge du processus par les parties elles-mêmes, on peut douter de l'efficacité qu'aurait un tel processus si les parties étaient, par exemple, contraintes de tenter l'exercice. Cela ne mènerait-il pas à allonger les délais et les coûts, contrairement aux objectifs que vise justement la réforme en cours?

Aucune procédure ou mode de règlement des conflits ne devrait constituer une fin en soi. Il ne s'agit que de moyens dont on dispose pour faire apparaître le droit et non pour y faire obstacle. Nous sommes d'avis que l'on devrait plutôt offrir à chacun la possibilité d'évaluer au cas par cas la volonté et la capacité des parties de s'engager dans l'un ou l'autre des processus envisageables.

Nous commenterons maintenant brièvement quatre articles. L'article 27 prévoit les différentes formalités que doit respecter le ministre de la Justice qui souhaite modifier une règle de procédure ou en adopter une nouvelle afin de procéder à un avant-projet pilote. La commission est satisfaite de cette obligation imposée au ministre de considérer les effets du projet visé par cette disposition sur les droits de la personne. Considérant le mandat et l'expertise de la commission en cette matière, nous suggérons que cet article précise que le ministre doit également prendre avis de la Commission des droits dans les cas où de tels effets seraient effectivement constatés.

**(9 h 50)**

La commission, rappelons, a pour mission de veiller au respect des droits et libertés de la personne. Pour ce faire, nous avons la responsabilité de relever les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la charte et faire au gouvernement les recommandations appropriées. L'examen critique de la législation et de la réglementation à la lumière de la charte étant de notre responsabilité, l'avis que peut prendre le ministre de la Justice en vertu de l'article 27 fait non seulement partie de notre mandat, mais il devient nécessaire lorsque le projet de règlement en question touche les droits et libertés de la personne. Par conséquent, l'article 27 de l'avant-projet de loi devrait être amendé de façon à en tenir compte.

Au chapitre de la preuve par expertise, l'article 238 prévoit qu'un tribunal peut empêcher la tenue de l'examen physique, mental ou psychosocial par un expert ou en modifier les conditions s'il l'estime approprié pour assurer le droit à l'intégrité et au respect de la personne contactée. C'est cette notion de droit au respect qu'on trouve au premier alinéa de l'article 238 qui attire notre attention. L'examen médical dont il est ici question peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances, toutefois il est également susceptible de porter atteinte au droit à l'intégrité de la personne visée de même qu'à son droit à la sauvegarde de sa dignité et son droit au respect de sa vie privée, trois droits fondamentaux garantis en vertu de la charte. La commission a d'ailleurs déjà souligné que le fait même de procéder à l'examen d'une personne est une atteinte à l'intégrité de celle-ci, ce que reconnaît le Code civil du Québec aux articles 10 et 11.

Nous sommes satisfaits de constater qu'un tribunal pourrait, sur demande, empêcher la tenue de l'examen ou en modifier les conditions. Nous nous interrogeons toutefois sur la pertinence de fonder une telle intervention du tribunal sur la notion de droit au respect de la personne concernée. Qu'est-ce que c'est que le droit au respect de la personne et sur quels fondements juridiques repose-t-il? Ne devrait-on pas plutôt référer au droit à la sauvegarde de la dignité ou encore au droit au respect de la vie privée, respectivement garantis par les articles 4 et 5 de la charte? Un des principes de rédaction des lois prescrit que la même idée doit être exprimée dans les mêmes termes. Mais quelle distinction ou nuance introduit ici le droit au respect de la personne par rapport aux droits fondamentaux susceptibles d'être en jeu? La commission recommande de reformuler cette disposition de façon à référer aux droits et libertés déjà reconnus par la charte plutôt qu'au droit au respect de la personne.

Le nouveau Code de procédure civile reprendrait en bonne partie les règles qui existent actuellement en matière d'audition des mineurs. Des dispositions particulières sont introduites lorsque la demande porte sur l'intégrité, l'état ou la capacité d'une personne, en vertu des articles 388 et 389.

Si certaines des mesures qui y sont proposées nous apparaissent intéressantes, la commission déplore toutefois que l'on envisage d'exclure dans leur champ d'application les mineurs âgés de moins de 14 ans. L'article 34 du Code civil du Québec reconnaît à tout enfant le droit d'être entendu par le tribunal, si son âge et son discernement le permettent, dans les cas où la demande met en jeu son intérêt, et ce, même lorsqu'il n'est pas partie au procès. Or, l'article 388 restreindrait ce droit pour les enfants âgés de moins de 14 ans.

Le droit de l'enfant d'être entendu, y compris dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, a été consacré par la Convention relative aux droits de l'enfant, à son article 12. Le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a enjoint les États en termes très clairs de ne pas adopter, que ce soit en droit ou en pratique, des limites d'âge de nature à restreindre le droit de l'enfant d'être entendu. Le comité a de plus insisté sur le fait que la capacité de l'enfant d'exprimer son opinion, entre autres devant une instance judiciaire, doit être déterminée au cas par cas, au moyen d'une évaluation individuelle.

Les règles de procédure ne doivent pas nier à l'enfant le droit d'être entendu directement par le tribunal si son âge et son discernement le permettent. Il s'agit d'un droit fondamental reconnu tant par le droit québécois que par le droit international. Par conséquent, la commission recommande que l'article 388 soit amendé afin de ne pas prévoir de limite d'âge.

Enfin, notre dernier commentaire porte sur l'article 720. Cet article vise plus particulièrement la saisie sur la personne du débiteur prévue au livre VII de l'avant-projet de loi relatif à l'exécution des jugements. Ainsi, l'huissier qui est convaincu que le débiteur a sur lui des biens de valeur peut être autorisé par le tribunal à procéder à une telle saisie.

La commission tient à rappeler que l'article 24.1 de la charte québécoise offre une garantie à l'encontre de toute fouille abusive maintes fois confirmée par la jurisprudence. À la lumière de l'interprétation qu'on doit donner à cette disposition de la charte, il ne suffit pas que la fouille soit faite, et je cite, «de manière à limiter l'atteinte aux droits et libertés du saisi», tel que prévu par l'article 720. Il faut plutôt référer aux exigences minimales en la matière formulées par la Cour suprême dès 1984 dans l'arrêt Hunter c. Southam, c'est-à-dire...

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, M. Cousineau, on est déjà rendus à...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Vallée): Oui, d'accord. Alors, sur consentement du ministre, vous pouvez poursuivre.

M. Cousineau (Gaétan): O.K. Alors, très rapidement. Donc, je répète les principes de cet arrêt: l'obtention d'une autorisation législative, l'existence de motifs raisonnables et le fait que la fouille elle-même soit effectuée de façon non abusive. Alors, ce que nous recommandons, en bout de ligne, c'est que les garanties procédurales doivent faire en sorte que le déroulement matériel de la fouille soit fait de façon non abusive, et nous recommandons que le libellé de l'article 720 soit revu de façon à respecter les exigences minimales relatives à l'article 24.1 de la charte. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Merci beaucoup, M. Cousineau. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Fournier: Merci, Mme la Présidente. Alors, mes salutations aux représentants de la commission, pour qui j'ai le plus grand respect. On a l'occasion de se le dire lorsque nous nous rencontrons, toujours avec plaisir, et je sais que l'avenir nous annonce d'autres rencontres. Alors, ce sera bien agréable, comme d'habitude.

Il y a quelques sujets, je dirais, d'ordre de libellé, là, j'y reviendrai peut-être dans le deuxième volet d'intervention. D'une façon générale, je veux juste vous dire ceci: Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites. C'est un avant-projet de loi pour lequel tous ceux qui viennent faire des commentaires en ont parfois de fond, parfois des libellés qui peuvent soulever des interprétations. Par exemple, quand vous parlez de l'article 27, «droits des personnes», «droits de la personne», alors ça ne voulait pas nécessairement dire la même chose. Par contre, vous soulevez un élément qui, je crois, pourrait être inclus lorsqu'il est question de projet pilote, on y reviendra peut-être dans le deuxième bloc, là. Je veux juste vous dire que, de façon générale, ce ne sont pas là des oppositions. Je n'ai pas senti non plus que, dans les groupes qui venaient, il y avait là des matières à grande opposition.

Par contre, sur le premier thème, bien là, évidemment, c'est beaucoup d'autre chose. Je ne veux pas rentrer dans la philosophie complète, mais on souhaite... D'ailleurs, il y a des gens qui ont noté que c'était dans le livre I, la prévention et le règlement des différends, qu'on voulait... Il y en a qui appellent ça essayer d'insuffler une nouvelle culture, d'autres me disent qu'elle existe déjà. Enfin, je n'ai pas senti qu'il y a grand monde qui sont tout à fait contre. En fait, les gens sont assez pour qu'on puisse développer -- vous-mêmes, d'ailleurs -- qu'on puisse mettre de l'avant des mécanismes différents, certains disent, qui amènent le justiciable à y participer, à contrôler un peu plus son destin, puis tout ça. Et là je ne veux pas éviter de... Pour être très franc, là, toute mesure qui m'amènerait à couper les jambes de ce qu'on essaie de lancer puis qui prenne son envol, couper les ailes, devrais-je dire, pour prendre son envol, ça ne me tente pas. Je vous le dis comme ça me vient, là. Je ne veux pas avoir l'air «party pooper», mais c'est un peu ça.

On ne les oblige pas à le faire. On demande aux parties de le considérer, et même là vous trouvez que c'est trop. Il y a du monde qui pourrait dire: Vous devriez l'obliger, et, quand ils gardaient la discussion sur «obliger», on arrivait tout de suite sur un concept fondamental de ce type de règlement là, c'est que les parties le veulent, que les parties y participent volontairement. Alors, ça, c'est le premier élément. On ne peut pas obliger qu'ils le fassent.

**(10 heures)**

Maintenant, si on n'oblige pas de le considérer, on n'a comme rien fait du tout, là. Là, on l'enlève puis on enlève le livre au complet, on n'a plus de disposition, je veux dire, aussi bien d'oublier ça puis de rester dans le mode traditionnel. Vous dites: Bon, oui, j'aime ça, mais j'ai peur, pour certains, qu'ils soient en déséquilibre, qu'ils n'aient pas toutes les capacités à poser les bons diagnostics, prendre les bons... donner un consentement éclairé. Bon, parlons... Juste pour revenir sur deux articles, 616, 619, deux, dans 616 il y a les obligations -- et 619, deux, aussi -- les obligations du médiateur, son travail est encadré. Je ne parle pas juste de l'éthique ici, je parle des dispositions mêmes du code qui le guident et qui visent à s'assurer qu'il n'y ait pas de partie qui soit lésée à l'égard, dans le fond, de leur participation non volontaire sans s'en rendre compte. C'est un peu de ça dont on parle, parce que, sinon, on ne peut pas non plus tout décider pour tout le monde sous prétexte qu'il y a des gens qui ont accordé leur volonté sans savoir qu'ils auraient dû ne pas l'accorder. Je n'ai pas de difficulté à suivre la logique que certains pourraient être entraînés à leur corps défendant, mais justement, pour y arriver, il y a eu des dispositions qui ont été prévues pour éviter que cela ne se fasse.

Je comprends de votre présentation que ce n'est pas suffisant, que 616 et 619 n'est pas suffisant: «Le médiateur a l'obligation d'agir équitablement à l'égard des parties. Il veille à ce que chacune d'elles puisse faire valoir son point de vue et il ne doit tolérer aucune intimidation ou manipulation de la part d'une partie.

«S'il constate un déséquilibre important entre les parties, il le dénonce et précise avec elles les mesures pour atténuer ou contrôler cette inégalité. S'il considère qu'un projet d'entente est susceptible de causer un différend futur ou un préjudice sérieux à l'une des parties, il les invite à remédier à la situation...»

À 619, deux: «Le médiateur peut également mettre fin à la médiation s'il est convaincu que le processus est voué à l'échec ou susceptible de causer un préjudice sérieux à une partie s'il se poursuit.»

Est-ce qu'il n'y a pas là des mesures qui, à la face de la commission, diraient: Le professionnalisme et les règles qui sont prévues permettent d'éviter le contexte qu'on... Puis je ne veux pas vous arracher un consentement à ça, hein, c'est le cas de le dire, mais il faut trouver un moyen, et le moyen ne pourra pas être celui que vous me proposez, on laisse faire le règlement des différends, parce que, sinon, le chemin que vous me proposez, c'est de laisser tomber ou sinon de créer une mécanique totalement impossible à mettre sur pied, c'est-à-dire créer un corps constitué, prendre des juges spécialistes de ça, de la médiation, puis que ce soit un juge ou d'autres, là, puis dire: On va les payer puis on va vous assurer de suivre tout ça, mais là on n'y arrive pas, là. Il faut aussi rester dans le contexte d'une société où on n'a pas tous les moyens de mettre tout le monde au service de l'État, là.

M. Cousineau (Gaétan): On n'est pas contre le fait qu'il y ait cette possibilité d'offrir et de considérer d'autres moyens que d'aller au tribunal. Ça, on... Donc, c'est le «doit», qu'ils doivent considérer. Comment on doit l'interpréter? Jusqu'où est l'obligation? Comment on va vérifier si la personne a considéré ou n'a pas considéré? Ce n'est pas clair, et l'encadrement... Puis on a donné des exemples dans notre texte, par exemple, au niveau de la médiation, parce qu'on se retrouve dans un processus privé de prévention ou de règlement de conflits. Alors là, c'est là que les cadres manquent. Et les articles que vous citez -- puis je vais laisser Mme Pedneault en discuter, donner un peu la réponse -- je peux vous donner, par exemple, que la commission, elle, régulièrement, les gens qui viennent devant elle et qui font plainte -- et ils sont nombreux -- ce sont tous des gens ou presque tous des gens dans des groupes très vulnérables, et on a dû mettre en place plein de moyens de s'assurer de l'équilibre des forces. Et on offre la médiation volontaire chez nous, mais, quand on fait la médiation, on dit: Notre médiation, elle est souvent différente de ce qui se fait ailleurs. Elle n'est pas une médiation où on va négocier entre les parties la charte, parce qu'il y a toujours un employeur puissant avec les moyens versus un employé qui a été renvoyé et qui n'a pas les moyens de se défendre. Alors donc, on assure l'équilibre des forces, donc on a tout encadré par une médiation surveillée qui assure ça.

Alors, c'est un peu ce qu'on recherche là-dedans. C'est ça qui a inquiété les membres de la commission quand ils ont discuté du projet de loi avec nous, qui inquiétait beaucoup, donc toutes ces... Et justement c'est pour ça qu'on vous ramenait aux motifs d'âge, sexe, minorité, handicap. Tous ces groupes plus vulnérables que l'article 10 protège par la charte, comment on va les protéger dans ces processus-là?

Pour revenir aux articles...

Mme Pedneault (Evelyne): Simplement pour compléter, on ne propose absolument pas de laisser faire les règlements alternatifs des différends ou de prévention des différends. Au contraire, c'est une pratique qu'on intègre, là, dans les pratiques de la commission de plus en plus.

Lorsque vous référez, par contre, aux articles 616 et suivants, ce qui nous inquiète, nous, c'est que ça ne réfère qu'aux médiateurs. Ce qui nous inquiète dans l'avant-projet de loi... Les pratiques de médiation au Québec, telles qu'elles sont instaurées jusqu'à maintenant, les bilans sont satisfaisants, on trouve que c'est des pratiques très intéressantes. On a trouvé très intéressante la présentation, hier, de l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec. On n'est absolument pas contre. Seulement, ce qui nous inquiète, nous, c'est l'ouverture de ces pratiques-là qui nous semble tous azimuts au chapitre premier de l'avant-projet de loi.

Lorsqu'on lit, par exemple, au deuxième alinéa de l'article 1: «Les parties peuvent aussi recourir à tout autre mode qui leur convient et qu'elles considèrent adéquat, qu'il emprunte ou non aux modes indiqués», c'est cette ouverture-là qui n'est absolument pas encadrée jusqu'à... en tout cas qui ne nous semble pas... où aucun encadrement n'est prévu qui nous inquiète, et on s'interroge là-dessus. Lorsque vous inscrivez juste après que les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement des différends, cette obligation de considérer là fait reposer le fardeau sur des parties qui...

Nous, on est en contact souvent avec des parties qui sont vulnérables. Hier, l'Institut de la médiation et de l'arbitrage du Québec vous disait qu'une condition première d'une médiation réussie ou d'un mode alternatif de règlement des conflits réussi, c'est le volontariat; nous, on dit que tout aussi fondamental est l'équilibre entre les parties, et c'est ce qui nous inquiète aujourd'hui lorsqu'on voit que, sans encadrement, les parties vont pouvoir avoir recours à tout autre mode indiqué. Et c'est par des exemples relativement simples qu'on pourrait, il me semble, pallier à cette ouverture-là tous azimuts qui nous semble dangereuse, qu'on pense, par exemple, à des formations à l'accréditation, à de l'information à la population en général, à des séances d'information tel qu'il existe présentement en médiation familiale, à l'obligation qui est faite en vertu de la Loi sur le divorce, l'obligation qui est faite aux avocats et non aux parties, donc aux personnes informées et qui sont là pour outiller les gens, de les informer sur les modes, les autres modes que les modes judiciaires traditionnels.

Donc, nous, ce qu'on dit, c'est qu'au lieu de faire reposer le fardeau sur des personnes qui souvent sont en situation de déséquilibre, souvent peuvent être vulnérables on vous dit que c'est vous qui avez le fardeau de créer cet encadrement-là pour créer l'équilibre entre les parties, condition première à la médiation ou à tout autre mode.

M. Fournier: On est...

La Présidente (Mme Vallée): Malheureusement, le temps qui nous est alloué est terminé.

M. Fournier: Ah oui?

La Présidente (Mme Vallée): Alors, je dois céder la parole à Mme la députée de Joliette, mais vous aurez la chance d'avoir un autre bloc d'échange de 10 minutes.

M. Fournier: C'est gentil.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bien, merci beaucoup. Merci de votre présentation bien étoffée. Effectivement, je pense que c'est une considération importante, celle que vous apportez de faire la nuance entre le médiateur, pour lequel il y a vraiment un encadrement précis aux articles auxquels faisait référence le ministre, par rapport à d'autres professionnels qui viennent faire de la conciliation ou d'autres formes de mode alternatif de règlement. Donc, il y a certainement matière là à réflexion. Dans votre mémoire, vous en parlez d'ailleurs, là, parce que vous semblez dire qu'il faudrait qu'il y ait un encadrement plus important pour s'assurer de l'équilibre des parties.

En même temps, vous êtes conscients que beaucoup viennent nous dire qu'il faut une grande, grande souplesse et que justement la beauté de ces modes de règlement, c'est précisément de s'accorder aux besoins, à la situation particulière des parties et de laisser la plus grande souplesse. Donc, c'est certain qu'il y a une différence dans le discours.

Quand vous dites que c'est le rôle de l'État de venir s'assurer de l'équilibre puis vous parlez de séances d'information, puis tout ça, concrètement, comment vous voyez ça? Vous voyez ça aussi, je dirais, précis que ce qui existe en matière, par exemple, de médiation familiale, avec des séances obligatoires, puis tout ça? Et ma question, c'est de savoir: Ça, au-delà du mérite de l'information et de la promotion des modes de règlement des différends, en quoi ça vient assurer un meilleur équilibre entre les parties?

**(10 h 10)**

M. Cousineau (Gaétan): L'information, déjà, aide à l'équilibre, l'encadrement aide à l'équilibre. Il y a des gens qui peuvent se protéger puis ils en ont les moyens, puis les inviter à considérer une autre façon de régler le conflit avant de passer au tribunal, c'est une bonne chose quand vous êtes en équilibre, mais, quand vous êtes en déséquilibre, juste le fait d'être en déséquilibre, vous n'avez pas les moyens peut-être même d'aller devant le tribunal et de continuer votre débat. Donc, il faut assurer l'équilibre des forces, et l'information quant à tes droits, quant à la légitimité de ce que tu prétends, toute cette information, sûrement, va aider. Et il y a de beaux exemples dans la médiation familiale, c'est pour ça qu'on l'a citée comme exemple.

Et, face aux médiateurs, qui ont un cadre, c'est les autres moyens qui ne sont pas encadrés. Alors, beaucoup de personnes pourraient se dire: Voici, moi, je vous offre un mode alternatif, j'ai de la formation ou de l'information dans tel domaine d'activité de la vie et je peux vous aider à trouver des solutions intéressantes à votre conflit. Il n'y a pas d'encadrement, alors tout le monde peut s'improviser... et les gens peuvent tomber dans des situations de déséquilibre et d'être désavantagés là-dedans. Alors, c'est pour ça qu'on rappelle un peu la nécessité d'encadrer.

Alors, vous parlez de souplesse. Oui, on n'est pas contre la souplesse, mais, là aussi, il faut prévenir. Et, pour les gens qui ne sont pas vulnérables, il n'y a pas de danger. Pour les gens qui sont très vulnérables... Et, nous, on en voit beaucoup, il y en a dans beaucoup de groupes. Ça peut être à cause de votre âge, ça peut être à cause de vote situation financière, vos conditions sociales, ça peut être à cause de votre handicap. Et ce sont ces gens-là qu'on côtoie à tous les jours, nous, et, écoutez, c'est par milliers, là, c'est par dizaines de milliers de gens qui viennent tout le temps chez nous. On les voit en déséquilibre, on les voit dans cet état de déséquilibre, et, nous, il y a la charte pour les protéger, et c'est nous qui assurons cet équilibre.

Alors, il faut trouver un moyen d'assurer cet équilibre, c'est ce qu'on recherche pour ces gens-là. Alors, si la commission ne vient pas vous le dire, écoutez, on ne ferait pas notre travail. C'est notre quotidien, c'est ces gens-là qu'on voit.

Mme Hivon: Mais évidemment, comme vous le dites aussi, vous-mêmes, la commission, avez mis de l'avant un programme, je pense, assez ambitieux de médiation, et on est dans des domaines où vous êtes constamment avec des personnes vulnérables. Donc, c'est faisable, même si au départ il n'y a pas d'équilibre évident entre les parties parce qu'on est toujours face à une personne qui a une vulnérabilité importante, d'y arriver. Donc, j'imagine que, dans d'autres domaines que la protection des droits, c'est ces situations-là aussi avec un certain encadrement.

Mais je retiens vraiment votre mention sur le fait qu'il faut penser aux autres que les médiateurs, bien entendu, mais j'aimerais avoir des exemples concrets, parce qu'en matière, évidemment, familiale on le voit bien, mais il y a un régime qui est quand même assez bien établi.

M. Cousineau (Gaétan): Nos médiateurs, premièrement, on les a formés très spécifiquement à ce type de médiation que l'on fait. Nous, on ne négocie pas la charte, et c'est clair avec les gens, donc déjà ça vient équilibrer bien des choses. On a une formation très particulière, d'ailleurs, qui... On vient souvent s'inspirer chez nous de notre modèle de médiation. Même de ce côté-là, notre médiation, elle est toujours volontaire, elle n'est pas obligatoire, et les gens peuvent s'y retirer ou y revenir à une autre étape du traitement de l'enquête. Mais, pour d'autres modèles, d'autres exemples...

M. Carpentier (Daniel): Dans le fond, c'est qu'il n'y a pas de... on doit, je pense... Pour ceux à qui on va confier la possibilité de trancher les différends, d'aider à régler les différends des parties, s'ils n'ont aucun encadrement, c'est là qu'est le problème. Alors, il ne s'agit peut-être pas de monter un système très complexe et étatique, mais il est de la responsabilité de l'État de ne pas favoriser à outrance et à... Et là, nous, ce qu'on lit dans l'avant-projet, d'obliger les parties à considérer une avenue avant de s'adresser à un tribunal et de permettre à ce que n'importe quel professionnel qui n'a aucun encadrement se propose comme une solution pour régler les conflits entre des parties civiles et... ça peut mener, selon nous, à des situations où les gens en situation de vulnérabilité... et là qu'elle ne soit qu'économique. On pense à des personnes qui ont un problème contractuel avec une grande entreprise et on va mettre la pression; les gens n'ont pas les moyens de s'adresser à un cabinet d'avocats, et etc., donc ils vont y aller. S'il n'y a aucune règle d'encadrement du règlement du différend, quel sera le résultat? Ça va peut-être être rapide, mais...

M. Cousineau (Gaétan): On a proposé aussi, si vous me permettez, un pouvoir du tribunal de jeter un regard sur l'entente qui peut survenir et, là aussi, peut-être d'assurer un équilibre.

Mme Hivon: O.K., merci. L'article 5 de l'avant-projet -- vous y faites référence -- dit que «les parties peuvent prévenir ou régler leur différend en faisant appel à des normes et des critères autres que ceux du droit, sous réserve du respect qu'elles doivent aux droits et libertés de la personne». Selon votre compréhension, quels peuvent être ces normes et ces critères autres que ceux du droit? Comment vous réagissez globalement à cet article-là? Est-ce que c'est des normes religieuses, des normes...

M. Carpentier (Daniel): S'il y a une chose qu'on a remarquée, c'est «sous réserve du respect de la charte et des règles de l'ordre public». On l'a déjà considéré il y a quelques années, puisqu'il y a eu un débat, dans une province voisine, sur les arbitrages sur la base de règles religieuses, et, à cet égard, l'article 5 est satisfaisant puisqu'il comporte ce garde-fou, cette barrière où on peut choisir peut-être des règles de droit autres que peut-être les règles... Bon, je pense qu'on peut choisir l'application peut-être d'une loi, possiblement, dans le cadre d'une conciliation, ou d'appliquer des règles, on ne sait pas, qui peuvent prévaloir peut-être dans certains domaines spécialisés, je ne sais pas. Je comprends. S'il y a une ouverture, il y a une souplesse. Mais il faut garantir le respect de l'ordre public et le respect des principes de la charte dans le choix de ces modèles-là. Donc, pour nous, il y aurait une garantie là qu'on ne puisse pas référer à des règles de droit de type religieux.

Mme Hivon: O.K. Puis peut-être pour le...

Mme Pedneault (Evelyne): ...au-delà des différentes règles qui peuvent prévaloir entre les parties, cet article-là est satisfaisant sur papier, mais, dans les faits, s'il n'y a pas des mesures qui sont prises d'accompagnement et de prévention des déséquilibres, que l'article 5 soit là...

Mme Hivon: ...dernière question pour le bloc. Vous êtes les premiers en tout cas qu'on rencontre à parler de ça. Vous parlez justement, peut-être si on veut donner une impulsion aux modes de règlement des différends et qu'ils deviennent une partie beaucoup plus importante de la justice, de l'idée qu'ils puissent être couverts par l'aide juridique, parce qu'à la page 7 de votre mémoire vous dites: Et qu'en sera-t-il des règles relatives à l'aide juridique offerte dans le cadre de tels processus? Parce qu'il faut y avoir accès, puis évidemment il y a des coûts.

Est-ce que vous avez fait une réflexion à savoir un peu dans quel contexte on pourrait peut-être devoir élargir l'accès à l'aide juridique pour que ces modes-là soient considérés?

M. Cousineau (Gaétan): Par exemple, les gens qui viennent devant la Commission des droits n'ont pas accès à l'aide juridique. Alors, souvent, la partie qui est mise en cause a souvent ses moyens d'avoir son avocat, ils sont représentés par avocat. Il y a quelques organismes qui viennent soutenir, certains sans coût, plusieurs avec un coût minime mais important pour certaines personnes vulnérables, et la commission, par contre, avec son service, ses conseillers juridiques et son appui par son contentieux, va faire ce rôle qui...

Alors, pour les gens les plus vulnérables, oui, l'aide juridique peut venir les assister à rétablir l'équilibre recherché, lorsque vous êtes dans un groupe plus vulnérable. Alors, nous, on attire l'attention là-dessus. On n'en a pas discuté plus long pour voir quel pourrait être ce type de programme ou cette façon de faire dans les détails, ce n'était pas à nous à le faire, mais on souligne l'importance de voir s'il y a là un autre moyen pour pallier au déséquilibre dans certains cas.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, je vais céder maintenant la parole au ministre pour un autre bloc d'intervention de 10 minutes.

**(10 h 20)**

M. Fournier: Merci beaucoup. D'abord... Puis tantôt, en disant que... lorsque vous m'interpelliez, nous interpelliez pour dire qu'il ne faudrait pas avoir une obligation de considérer, je l'ai qualifié comme, quant à moi, considérant qu'on n'avait plus beaucoup de poignées pour favoriser de façon un peu plus forte qu'aujourd'hui ces modes-là. Je continue de le croire. Je ne veux pas dire que vous êtes contre ces modes-là, c'est juste qu'il faut que je trouve... Si je n'ai plus cette poignée-là pour favoriser, je vais vous en demander une. Alors, réfléchissez, là, vous ne m'en avez pas donné. Vous m'en enlevez une, alors j'aimerais ça que vous m'en donniez un petit peu. Je veux favoriser ce type de règlement, alors, si on m'enlève des façons d'y arriver, eh bien, je m'attends à ce que vous m'en donniez aussi pour que ça marche, parce que, sinon, on perd tout l'esprit de l'ensemble de l'oeuvre. Alors, c'est comme... je comprends que vous pouvez me dire que vous êtes pour, mais en même temps vous m'enlevez de l'élan.

Ceci étant, vous m'avez donné une réponse qui était un peu différente de celle que j'avais cru comprendre, et peut-être que, là, je garde encore de l'enthousiasme à l'égard du projet. Vous savez comment je vous respecte, alors ça me fait mal quand vous m'enlevez de l'énergie. Vous me dites: De la formation, de l'information, une sensibilisation non seulement à l'égard des avocats, ou des médiateurs, ou de ceux qui oeuvrent dans ce domaine-là... Vous dites: Ça, l'État -- ce que j'ai compris -- vous devez, avec ce Code de procédure, avoir un plan d'action, d'accompagnement qui va non seulement aller à l'égard de la magistrature, des avocats, de ceux qui oeuvrent traditionnellement et ceux qui oeuvrent dans les nouvelles façons de faire, mais, chez nos concitoyens, chez eux, hein, et la population en général, il doit y avoir un partage de ces nouvelles façons de faire pour que les gens soient conscients qu'il y a aussi ces méthodes-là, qu'ils soient conscients que, lorsqu'ils le font, il y a aussi des... il y a des périls et qu'il y a donc des mesures à prendre pour éviter que ça se fasse.

Là, quand on est là, on n'est pas en train de changer le libellé d'une disposition, et puis, jusqu'à un certain point, je suis capable de continuer d'avoir mon obligation de considérer. C'est simplement que, lorsque les gens considèrent le recours, ils en soient le mieux informés possible. Alors, je ne disconviens pas. Donc là, je dirais, on peut se rejoindre, parce que je pense qu'il y a effectivement des efforts pédagogiques à être faits à tous égards, chez tous les intervenants. Alors, ça, là-dessus, je comprendrais. Puis je garde mon obligation de considérer, encore une fois.

Sachant en plus que le médiateur, celui qui a le rôle d'intervenir... et, ma foi, les gens peuvent choisir, dans les modes, d'aller recourir vers celui qui a des obligations bien définies qui s'étendent à plus que médiateur mais, bon, qui sont nommés comme ça, peut-être qu'on peut élargir le concept, donner que ça s'applique à tous ceux qui font oeuvre dans ce domaine, qu'on les appelle médiateurs ou pas, pour que ce soit plus clair, bien que je pense que ce soit le but, mais on pourrait être plus clair. Mais, déjà là, j'ai de l'information, j'ai de la formation. Je sais que celui ou celle qui sert d'aidant à ce qu'il y ait un règlement hors des circuits traditionnels de justice... qu'il a des obligations très fortes. Je veux dire, 616, 619, deux, ce n'est pas rien, c'est très fort. Alors, peut-être qu'un libellé pour «tous ceux qui oeuvrent devraient faire ça», ça nous aide aussi.

Puis j'ajoute un troisième niveau qui... Et là on tombe direct dans votre jardin. Puis je ne veux pas vous mettre du monde dans votre jardin de plus, vous en avez déjà assez. Mais, si d'aventure quelqu'un a subi, subi, je le dis, une entente parce qu'il y aurait vice de consentement, bien parfois c'est chez vous qu'il va pour dire: Aïe! -- parce que vous parlez de votre clientèle, là -- pour constater ça, et donc le législateur a prévu, accompagnant ce nouveau Code de procédure, la formation, des libellés chez les médiateurs, il a prévu une institution qui est vous, qui vient servir de protection accrue, si on veut.

Alors, si je les ajoute tous ensemble, me permettez-vous de garder mon obligation de considérer?

M. Cousineau (Gaétan): Bien, déjà, la poignée que vous parliez que vous voulez conserver -- puis je ne veux pas vous faire de la peine, M. le ministre -- c'est important qu'elle soit accompagnée et que, si on ouvre cette porte, c'est une porte qui est sécuritaire pour tous. Et c'est dans ce sens-là qu'on vous apportait ces bémols et ces considérations.

Il y a peut-être chez nous qu'ils pourraient venir, mais vous voyez le défi d'une commission d'aller démontrer qu'il y a une entente négociée pour éviter un conflit, un procès, qu'il fallait prouver la discrimination. C'est un grand défi, là, que de venir considérer une plainte. Bon, on est capables d'en relever, des défis. Ça en sera un autre, mais c'est un grand défi.

Il y a peut-être d'autres ajouts à ce que vous dites en plus des suggestions qu'on fait. Il y a peut-être le tribunal lui-même qui pourrait regarder, dans des cas de déséquilibre, si l'entente signée n'est pas viciée par un vice de consentement ou une problématique quelconque dans certains cas, pour les cas les plus vulnérables. On demande de considérer ou regarder cet aspect-là et peut-être aussi un certain accompagnement pour ceux... avec l'aide juridique dont on parlait tantôt.

Alors donc, on essaie d'amener d'autres moyens pour assurer... Et, oui, on comprend très bien l'importance de considérer d'autres moyens alternatifs. On le fait chez nous et, nous aussi, on se pose les questions parce que c'est volontaire. Alors, actuellement chez nous, là, je vous dirais, c'est un sur trois, 35 % de nos gens qui le considèrent, puis on a beaucoup de succès ensuite parce que c'est volontaire. Il y a une commission qui l'impose, et ils n'ont pas beaucoup plus de succès parce qu'ils l'ont imposé à tous. Ils se retrouvent, dans certains cas, avec à peu près le même nombre de dossiers résolus par ça, alors... Mais on voit des fois que le fruit n'est pas mûr. Il est mûr plus tard, puis là les gens acceptent finalement la médiation, après qu'on s'est mis à enquêter, surtout quand le mis en cause s'aperçoit que la preuve commence à peser fort contre sa prétention. Alors, voilà, c'est un peu où on en est là-dedans.

M. Fournier: Mais la proposition est plus proche de votre commission que de l'autre parce que justement il n'y a pas d'obligation à le faire. Pour la même raison, pour toutes les raisons qui ont été dites -- vous avez fait référence aux témoignages d'hier -- c'est la même chose. Je ne veux pas recommencer ça.

Vous me parlez des difficultés qu'il y a pour votre commission face à certains cas; imaginez aussi la nôtre. Je ne peux pas présumer que tous ceux qui entrent en discussion à l'égard d'un litige sont toujours en position de déséquilibre, sont toujours en position où leur consentement est vicié, je veux dire, honnêtement on recommence la société au complet, là, ça ne peut pas être ça. Il y a une difficulté, vous la voyez, hein, on ne peut pas faire ça. Je comprends qu'il y a des cas comme ça, c'est pour ça qu'on prévoit des dispositions.

Je vais rajouter une contrainte. On est jeudi. Mardi, il y a un groupe qui est venu, spécialiste de l'arbitrage commercial international. Parce que, là, vous avez dit «le tribunal». Bien, le tribunal, pour commencer, il n'est pas toujours là, hein, des fois le monde s'entendent. Là, je ne suis pas sûr qu'on veut mettre quelqu'un dans les culottes de tout le monde pour s'assurer que tout le monde qui s'est entendu avant de voir un médiateur ou qui que ce soit, ils se sont entendus, là, deux voisins en déséquilibre économique se sont entendus. Il y en a peut-être un qui s'est fait avoir, mais on va-tu installer tout un système pour s'assurer que... Tu sais, vous le savez, qu'on ne peut pas faire ça. Le PRD, tel qu'on le voit, n'amène pas toujours à aller dans le tribunal. En fait, il évite même d'aller devant le tribunal, parce que l'objectif, c'est de ne pas aller au tribunal puis de s'entendre autrement. Bon. Alors là, quand vous me parlez du tribunal, je dis: Lequel? Le tribunal qui est interpellé parce que quelqu'un invoque qu'il y a eu vice de consentement, ça, c'est d'autre chose qui est déjà prévu, dans le fond, parce que ça fait partie de nos règles générales. Alors, quand vous avez dit le mot «tribunal», tout de suite m'est venu le témoignage de mardi, où on me dit: Écoutez, nous autres, pour jouer le jeu de l'arbitrage... Il parle au ministre de la Justice puis il dit: Pour aller dans un mode privé de règlement pour lequel nous allons assumer les frais... Je peux vous dire que, collectivement, nous, on assume les frais parfois de deux grandes compagnies qui déduisent les coûts sur leurs rapports d'impôt de ce qu'ils mettent, puis c'est vous puis moi qui paient pour tout le système, là. Ça fait que, quand deux grandes compagnies disent: Nous autres, on va avoir un régime privé puis on va s'entendre, je trouve ça le fun. Je vous le dis comme ça, là, ce n'est pas parce que... S'ils veulent s'entendre, c'est tant mieux. Mais ils viennent nous voir puis ils nous disent: Faites que ça marche, par exemple, mettez-leur pas d'embûche. Si vous nous dites qu'on peut faire un arbitrage, mais on peut aller devant le tribunal tout de suite après pour le défaire, ça ne marche pas.

Alors, vous comprenez bien que je suis en train de chercher des moyens pour qu'on puisse éviter les cas de déséquilibre. Il y a des dispositions, je pense qu'on peut peut-être voir comment on peut les retravailler, mais donc la conclusion, c'est que vous avez un problème, et votre travail, c'est de nous en alerter. Moi, je vous donne tellement de crédibilité que j'essaie de régler votre problème, mais je pense qu'on va avoir besoin d'aide encore, alors on essaiera de voir avec vous dans les jours, les semaines à venir...

M. Cousineau (Gaétan): ...on ne le voyait pas entre deux compagnies privées qui ont les moyens, là. On le voyait entre une grande compagnie, justement, puis son client ou son employé qui est renvoyé, ça, oui.

M. Fournier: C'est très bien, c'est très bien, mais, en réglant cela, on peut causer un problème ailleurs, et je ne veux pas le causer, alors... puis je sais bien que vous non plus, parce que, si on veut penser à l'intérêt de tout le monde, on ne veut pas non plus que la ligne au palais de justice soit à telle longueur que vous allez avoir encore beaucoup plus de monde qui allez être chez vous, là, on va être en ligne chez vous.

Alors, je veux juste... je veux revenir sur quelques autres points que vous avez dits, s'il me reste...

La Présidente (Mme Vallée): Il vous reste deux secondes.

M. Fournier: Deux secondes pour vous dire que j'apprécie, nous allons regarder chacun des points. Plusieurs, il y a des modifications qui sont bien correctes, là. Pour le 14 ans, peut-être qu'on ne s'est pas compris, mais on tiendra compte de certains... de plusieurs des recommandations que vous avez faites. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, Mme la Présidente. Alors, M. le ministre, on va reprendre où vous avez laissé, on va passer aux autres articles qui sont discutés dans le mémoire. Peut-être que les commentaires que nous aurons seront instructifs pour tout le monde.

L'article 720, vous prétendez que la rédaction actuelle serait contraire aux instructions de la cour et pourrait même être considérée comme inconstitutionnelle dans la formulation actuelle. Par contre, vous ne nous suggérez pas un nouveau libellé, mais du même souffle vous dites d'être plus précis.

Est-ce que, tel que libellé, vous pensez que la cour ne pourrait pas reprendre quand même le test de Hunter, qui semble être celui qui est applicable au moment où on se parle? Est-ce qu'il faut absolument revoir la formulation actuelle?

**(10 h 30)**

M. Cousineau (Gaétan): On nous demande souvent de suggérer un libellé; on le fait le moins souvent possible. Dans ce cas-là, on ne le fait pas, mais on vous rappelle justement les exigences minimales qui ont été formulées par la Cour suprême dès 1984. On rappelle l'importance de 24.1 de la charte québécoise, qui offre une garantie à l'encontre de toute fouille abusive, et on voit que l'article 720 avait diminué, à notre avis, le test minimal pour ça, alors donc on rappelle l'obtention, là, de... Hunter c. Southam, là, c'est l'obtention d'une autorisation législative ou judiciaire préalable à la saisie sans quoi la fouille est présumée abusive, l'existence de motifs raisonnables pour l'obtention d'une telle autorisation, et là l'article 720, c'est l'huissier qui est convaincu que le débiteur aurait sur lui des biens de valeur -- alors, est-ce que c'est suffisant? -- et le fait que la fouille elle-même soit effectuée de façon non abusive, donc il y a la façon dont la fouille est faite aussi. Alors, c'est un peu les grands principes qu'on rappelle. On a des spécialistes qui pourraient peut-être ajouter, si c'est nécessaire.

M. Cloutier: L'article prévoit quand même une autorisation du tribunal, puis, par définition, l'autorisation du tribunal devra, elle, être raisonnable et respecter les critères actuels, il me semble.

Mme Pedneault (Evelyne): En fait, l'article, on n'a pas de libellé, et je ne pense pas que ce soit à nous nécessairement d'en proposer un, mais l'article 720, tel qu'il est libellé, il nous semble qu'il peut permettre ce qui pourrait ressembler à une partie de pêche. Les critères jurisprudentiels sont plus serrés que la seule conviction, et, même en prévoyant une autorisation judiciaire qui effectivement devra référer au test de Hunter, il nous semble qu'il faut que le caractère raisonnable de cette autorisation-là soit démontré. Et d'introduire le critère d'une conviction d'huissier dans un libellé d'article à ce sujet-là nous semble insuffisant, trop faible, d'autant plus qu'on parle ici d'une fouille qui est particulièrement intrusive. On parle ici d'atteinte à l'intégrité physique, d'atteinte potentielle à l'intégrité physique. Donc, il faut aussi référer au critère de proportionnalité, puis il nous semble qu'il y aurait un meilleur libellé, là, à...

M. Cloutier: Bien, écoutez, si je reprends le résumé de la formulation que vous puisez, je crois, d'Yves Paradis puis de Benoît Lauzon, l'obtention d'une autorisation législative, tel que libellé à l'article 720, on la prévoit, l'existence de motifs raisonnables pour l'obtention d'une telle autorisation, à mon avis, ça va demeurer applicable, puis ensuite, le fait que la fouille elle-même soit effectuée de façon non abusive, il me semble que ce critère-là peut être conciliable avec le fait qu'il procède à la fouille et à la saisie de manière à limiter les atteintes aux droits et libertés du saisi.

En tout cas, vous, vous êtes convaincus qu'il y a là une incompatibilité avec le test applicable actuel. Il me semble que ça ne saute pas aux yeux.

M. Cousineau (Gaétan): Ça ne saute pas aux yeux? Ça a sauté à nos yeux. Alors, je ne sais pas si on ne réussit pas à vous convaincre, mais, pour nous, il y avait un risque, et c'est à nous à attirer l'attention là-dessus. Et l'article 24.1, justement, c'est parce que c'est un droit fondamental, hein, qui garantit à l'encontre de toute fouille abusive, puis ça, ça a été maintes fois confirmé.

Donc, on rappelait ce droit-là et on s'est dit: Il y a peut-être une façon de libeller pour rendre plus serrées, plus conformes à la charte ces règles-là, et c'est notre mandat, la commission, de souligner et faire des recommandations en ce sens. Les législateurs, on vous demande de réfléchir un peu plus à cette rédaction. Et vous nous dites que c'est satisfaisant; nous, on vous dit...

M. Cloutier: Et nous apprécions grandement vos éclaircissements, mais mon objectif, c'est de voir jusqu'à quel point cette ambiguïté nécessite d'être corrigée, et c'est l'objet des questions que je vous pose présentement.

Je souhaite également vous entendre peut-être sur l'expert unique. Je comprends que ça ne fait pas partie du mémoire que vous nous avez soumis, mais je me demandais quand même si vous aviez... Vous avez peut-être suivi nos travaux durant les deux dernières journées, puis une des questions qui a été soulevée, c'est celle du fait qu'on pourrait invoquer la possibilité de ne pas avoir accès à une défense pleine et entière si le juge devait imposer par le critère de proportionnalité l'obligation d'avoir un expert commun. Je ne sais pas si vous avez une réflexion à ce sujet-là. Peut-être que non, mais je voulais au moins vous poser la question.

M. Cousineau (Gaétan): Je peux vous dire que les membres de la commission... Vous savez que la commission est composée d'un président et deux vice-présidents nommés par l'Assemblée nationale, un vote aux deux tiers, et des membres à temps partiel. Alors, quand on considère, nous, on soumet nos mémoires, nos avis aux membres, ces discussions-là n'ont pas lieu chez les membres, alors je ne peux pas vous donner une opinion des membres. Je ne sais pas si nos conseillers juridiques, en regard de ça... s'ils ont vu des choses ou s'ils ont des considérations à vous apporter. Nous, on n'en a pas traité.

Mme Bernard (Claire): Écoutez, on a suivi les débats. Dans ce cas-là, ça ne nous a pas sauté aux yeux parce qu'on n'a pas vu que c'était un principe, mais on comprend tout à fait que les gens ont proposé des critères pour resserrer, et effectivement on est pour des règles qui permettent de donner accès à ce que leur cause soit entendue. Donc, on serait effectivement en faveur qu'il y ait des éclaircissements, mais, pour nous, ça ne semblait pas d'emblée puisque ce n'était pas un principe d'emblée, une règle d'expert unique, contrairement à ce qui avait pu être vécu dans des expériences autres.

M. Cloutier: Bien. Je vous amène sur d'autres sujets, j'en conviens, mais, comme on a invoqué le libellé de l'article 11... Il y a une exclusion qui est prévue à l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne. L'association des avocats des médias nous a proposé de reformuler l'article... bien c'est-à-dire la proposition qui est faite à l'article 11 pour qu'elle soit conforme au Code de procédure d'avant, parce que le libellé actuel serait contraire à celui qui a été formulé par la Cour suprême. Je me demandais si vous aviez aussi, sur cet enjeu-là, peut-être une recommandation à nous faire, parce que c'est l'article 23 de la charte québécoise qui était invoqué.

M. Cousineau (Gaétan): Moi, personnellement, je n'ai pas aperçu cet aspect, puis on a discuté beaucoup des présentations précédentes et des questions qui ont été soulevées. On n'en a pas discuté ensemble du tout, et là il faudrait connaître mieux la problématique telle que vous nous l'apportez et peut-être se pencher plus sérieusement avant de vous donner une opinion là-dessus. Si vous le désirez, on pourrait peut-être se pencher là-dessus et regarder la question, mais, pour le moment, je doute fort qu'on oserait même commencer à répondre un début de réponse à cela, là.

M. Cloutier: Alors, c'est très bien, mais il y a une association qui a plaidé que le libellé actuel empêcherait le test de la proportionnalité, qu'il soit pleinement pris en compte. Peut-être que ça pourrait être un enjeu pour vous, je vous le soumets, peut-être que non. Si jamais ça devait être le cas, n'hésitez pas à nous soumettre vos réflexions, puis je suis sûr que la...

M. Cousineau (Gaétan): ...regard puis voir ce que... On va regarder.

M. Cloutier: Je vous remercie. Ça va pour moi.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette, pour 1 min 30 s.

Mme Hivon: Oui, merci beaucoup, Mme la Présidente. Vous soulevez une question intéressante avec la question de l'ordonnance de l'examen, évidemment que quelqu'un ne peut pas se soumettre, en vertu des règles du Code civil, à une procédure qui va à l'encontre de son consentement. Dans la pratique actuelle, en ce moment, est-ce que c'est quelque chose qui peut arriver quand vous parlez... Là, je n'ai pas l'article devant moi parce que je pensais que mon collègue prendrait tout le temps, que je n'aurais pas le temps de poser ma question, mais, quand vous faites référence au fait précisément qu'il faut faire attention pour que le tribunal ne puisse pas venir imposer, par exemple, un examen psychiatrique dans certains cas, qui pourrait venir à l'encontre du droit, évidemment, nécessaire au consentement à tout examen ou soin, est-ce qu'il y a déjà ce type de problème là en ce moment? Est-ce que des fois on voit des situations où on a tendance à ordonner pour des fins d'expertise ou de cette manière-là pour consolider la preuve?

M. Cousineau (Gaétan): Bien, tout, tout récemment, les regroupements des gens de santé mentale sont venus nous interpeller sur plein de sujets, entre autres sur celui-là, et on est justement en train de relire et revoir tout ce qu'ils ont mentionné pour voir comment on répond. Et il y a même une plainte qui a été déposée à la commission récemment, sur laquelle on doit se pencher. Alors, je ne sais pas si, de ce côté-là, vous pouvez...

M. Carpentier (Daniel): Non, c'est-à-dire notre commentaire était... je le qualifierais de plus technique par rapport à cet article-là. Il y a effectivement des préoccupations par rapport à ce qui peut être imposé comme examen, et là c'est juste qu'on amène un nouveau critère dans le projet de code et qui, selon nous, ne réfère pas au droit existant, là, on emploie une expression qui n'est pas habituelle. Alors, on se dit: L'habilité justement des gens, comme dans d'autres situations, à plaider, dire: Si on a employé un nouveau terme, donc c'est ça que ça signifie, ça nous laisse dans une situation peut-être d'incertitude juridique, et c'est par rapport à ça qu'on réagit.

La Présidente (Mme Vallée): Et, sur ce, malheureusement on a épuisé tout le temps que nous avions. Alors, mesdames messieurs, je vous remercie infiniment d'avoir participé aux travaux de la commission.

J'invite maintenant les représentants de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec à bien vouloir venir prendre place. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 40)

 

(Reprise à 10 h 44)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, nous allons reprendre. Nous allons maintenant entendre l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec. M. Côté, Mme Massé, merci d'être présents. Alors, vous disposez de 15 minutes pour faire votre présentation, et par la suite, comme vous avez pu le constater, il y aura des périodes d'échange avec l'opposition et avec le gouvernement.

Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec (OAGQ)

M. Côté (Michel): Merci, Mme la Présidente. Bonjour, M. le ministre. Bonjour, Mmes, MM. les députés. Bonjour, mesdames messieurs. Je me présente: Michel Côté, chargé d'affaires professionnelles à l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec.

L'Ordre des arpenteurs-géomètres est un ordre professionnel à exercice exclusif qui a été créé en 1974 et qui est régi par le Code des professions. Je rappelle que l'ordre est issu de la Corporation des arpenteurs-géomètres du Québec qui a été constituée en 1882, donc on fête cette année 130 ans de l'existence du regroupement des arpenteurs-géomètres. L'ordre regroupe 1 000 membres qui exercent sur le territoire québécois, là, autant dans le domaine des terres de l'État que sur le territoire privé. La mission de l'ordre consiste d'abord à assurer la protection du public et plus spécifiquement par rapport au droit foncier, donc l'ordre a le devoir de prendre les moyens pour s'assurer le respect des standards les plus élevés de qualité et d'intégrité pour ceux qui pratiquent cette profession. La mission consiste également à assurer un sain développement de la profession pour que les services rendus par les arpenteurs soient adaptés à l'évolution de la société québécoise.

Je suis accompagné de Mme Nathalie Massé, qui a d'abord oeuvré en pratique privée comme arpenteur-géomètre durant une quinzaine d'années, de 1986 à 2001. Depuis cette date, elle est arpenteur-géomètre au sein de la fonction publique québécoise, actuellement au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs et plus spécifiquement pour la délimitation du domaine hydrique de l'État. En parallèle, elle enseigne depuis... elle est chargée de cours à l'Université Laval, au Département des sciences géomatiques, depuis 1998 et, depuis septembre 2008, elle poursuit une recherche doctorale, toujours à l'Université Laval, sur la gestion des risques dans l'utilisation des données cadastrales issues du cadastre du Québec. Son expertise professionnelle se concentre principalement sur le droit de l'arpentage, la délimitation de la propriété foncière, le bornage et les systèmes cadastraux.

Donc, Mme Massé va vous présenter, au nom de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec, les préoccupations et les questionnements de l'ordre par rapport aux éléments du Code de procédure civile qui sont en lien avec les opérations d'arpentage, mais j'aimerais mentionner que l'ordre souscrit pleinement à l'objectif de simplification du processus judiciaire, et donc c'est plus des éléments techniques qu'on a observés dans le nouveau Code de procédure civile.

Mme Massé (Nathalie): Alors, bonjour à tous. Je vais tenter... Premièrement, je ne lirai pas rien. C'est vraiment une présentation avec peut-être quelques petites hésitations, vous m'en excuserez. Je vais tenter de présenter en 15 minutes ce que j'enseigne aux étudiants en 45 heures, donc vous comprendrez qu'il va vous manquer quelques détails.

Avant de faire référence au mémoire qu'on vous a présenté -- on pourra y revenir peut-être pendant la période de questions -- j'aimerais, avant d'aborder chacune des dispositions législatives qui sont suggérées dans l'avant-projet de loi, vous présenter le contexte du bornage. Peut-être qu'en sachant un peu plus le contexte du bornage -- peut-être que vous le connaissez déjà très bien -- ce sera plus facile de parler des termes techniques qui sont utilisés dans les dispositions législatives suggérées.

Donc, lorsque l'on parle du bornage, souvent les gens imaginent les chicanes de voisins, les voisins qui ne s'endurent plus d'un côté à l'autre de la clôture, ils ne sont plus capables de se voir ni en personne ni en peinture, il y en a un qui sort, l'autre rentre, et c'est un contexte qui existe réellement. Oui, c'est vrai, il y a des chicanes de voisins qui malheureusement doivent se retrouver devant le tribunal, et, à ce moment-là, on utilise... et nous sommes très heureux, les arpenteurs-géomètres, de pouvoir être régis par le Code de procédure civile, et, à ce moment-là, nous pouvons se référer à un code, une procédure et, de cette manière-ci, on est certains qu'on permet à toutes les parties impliquées de suivre une procédure équitable et juste qui est reconnue par la loi.

Par ailleurs, actuellement, dans ce contexte très difficile entre les propriétaires qui ne s'entendent pas, certains propriétaires, là, je ne jugerai pas de leurs intentions, de leur mauvaise foi, de leur mauvaise volonté, mais vont faire peut-être exprès ou peut-être pas, par ignorance, mais ils vont faire perdurer ce litige-là soit en demandant des nouvelles requêtes ou en n'agissant pas du tout, en laissant... ne donnant aucune nouvelle ou... bon, pour toutes sortes de raisons. C'est, je crois, dans ces situations-là, des propriétaires qui aiment peut-être faire dépenser leurs voisins pour d'autres raisons que celle de la ligne.

**(10 h 50)**

Donc, ce contexte étant présenté, les arpenteurs-géomètres devront, selon le Code de procédure civile, faire un rapport de bornage. Donc, nous sommes actuellement dans la disposition de l'article 790 du code actuel, et, si on va dans les nouvelles dispositions, ça sera l'article 470. Donc, l'arpenteur-géomètre va dresser un rapport d'expertise qui va être présenté éventuellement aux parties, et c'est l'étape de délimitation, donc c'est-à-dire que l'on fait une analyse foncière, il n'y a aucune démarcation au terrain à ce moment-là. Il ne faut pas oublier qu'en matière de bornage, lorsque les arpenteurs-géomètres recommandent une ligne, ce ne sont pas eux qui l'imposent. La ligne qui est décidée, ce sont soit les propriétaires, par consentement, qui l'acceptent ou c'est le tribunal qui va l'ordonner. Donc, dans le rapport d'expertise qu'il prépare en vertu de l'article 790, il va présenter ses recommandations, et ce sont aux parties de décider si, oui ou non, elles acceptent ou elles contestent. C'est ce qu'on appelle le rapport d'expertise.

Si elles acceptent ou si elles n'acceptent pas et qu'elles contestent, il y aura une deuxième étape qui est la démarcation de la ligne. Donc, soit que les parties... Si elles ont accepté à travers un procès-verbal de bornage, nous allons matérialiser la ligne sur les lieux... ou c'est le tribunal qui va nous ordonner d'aller poser des repères... excusez-moi, des bornes, des bornes pour aller matérialiser cette ligne. C'est l'étape de démarcation.

Heureusement, comme l'a dit tout à l'heure le ministre, au Québec il n'y a pas juste des litiges, il y a également des gens qui s'entendent. Donc, il y a également le bornage sans formalité. Le contexte judiciaire que je viens de vous présenter, c'est le bornage avec formalités; il y a également le bornage sans formalité qui est prévu également au Code civil du Québec. Le bornage sans formalité, il est exécuté sans aucune... il n'est pas régi par le Code de procédure civile, les parties vont renoncer à ces formalités.

Dans quel contexte on peut réaliser un bornage sans formalité? Généralement, c'est lorsqu'un arpenteur-géomètre a été mandaté pour faire un autre travail, soit un certificat de localisation ou même un certificat de piquetage ou une implantation, et là il réalise que les titres de propriété ne sont pas très clairs, que, bon, c'est possible que les données cadastrales soient incohérentes de part et d'autre de la limite, et là l'arpenteur-géomètre, avec son devoir d'information et de conseil, il doit informer les propriétaires pour dire: Il y a un petit... il y a une incertitude dans vos titres de propriété, et là, vous, actuellement, vous interprétez peut-être la limite sur la clôture ou vous interprétez peut-être à l'endroit où vous entretenez la pelouse, mais actuellement, avec les titres de propriété, cette limite est incertaine, et, si je faisais des recherches supplémentaires, peut-être que la limite serait un mètre à gauche ou un mètre à droite. Alors, les propriétaires souvent, dans ces cas-là, disent: Non, pour nous, il n'y a aucun problème, la limite, elle est dans la clôture, ou: La limite est sur le trait d'asphalte, ou: Elle est à trois pieds de la maison. Quand l'arpenteur-géomètre est aux prises avec cette situation-là, il doit regarder d'abord si effectivement les titres de propriété sont flous, s'il y a une incertitude, et, devant cette incertitude, il va réaliser le bornage, premièrement, parce qu'il n'y a pas de transfert de propriété et, deuxièmement, parce qu'il vient bonifier les titres de propriété. Et, avec ce procès-verbal de bornage qui sera publié, eh bien là, la limite maintenant sera toujours... sera définitive et irrévocable et ce sera la limite jusqu'à la fin des temps pour ces deux immeubles contigus. Comme les parties renoncent aux formalités, le bornage est fait sans formalité, et il n'y a pas de rapport d'expertise. Il n'y a qu'un procès-verbal de bornage, puisqu'il fait suite à une analyse qui a déjà été faite dans le cadre d'un autre mandat.

Le bornage avec formalités ou le bornage sans formalité, donc, existent au sein du Code civil et ils partagent les dispositions législatives qu'on retrouve au Code civil ou à la Loi sur les arpenteurs-géomètres. Seul le bornage avec formalités est régi par le Code de procédure civile.

Au niveau du caractère du bornage, alors je viens de vous le présenter, il ne doit jamais opérer de transfert de propriété. Il est plutôt déclaratif, déclaratif du droit de propriété en ce sens que, lorsqu'il y a une incertitude sur la limite, le bornage vient bonifier le titre, et ainsi le titre est corrigé, bonifié, et c'est déclaratif de propriété.

Lorsque c'est translatif de propriété, le bornage sans formalité ne devrait jamais se réaliser, pour la simple raison qu'un arpenteur-géomètre ne peut pas opérer de transfert de propriété. Et, s'il est translatif de propriété devant le tribunal, nous remarquons depuis 2004, depuis le nouveau Code civil, que les juges vont régler les deux questions juridiques à travers le jugement en bornage: ils vont d'abord fixer la limite et ensuite ils vont déclarer le possesseur qui a prescrit propriétaire. Donc, l'acquisition du droit de propriété se fait à travers un contrat ou à travers un jugement et non pas à travers le procès-verbal de bornage.

Donc, oui, ça fait le tour de ce que je voulais vous présenter. Nous avons donc une certaine crainte lorsque vous parlez du caractère translatif du bornage dans le nouvel... dans l'avant-projet de loi, et là on se dit: Les changements qui sont apportés au Code civil touchent le bornage sans formalité, et là on vient dire que le bornage sera translatif. Alors, à ce moment-là, ça serait donc un nouveau mode d'acquisition, tel que prévu à l'article 916 du Code civil. Donc, on a quand même certaines craintes sur ce caractère translatif du bornage que vous proposez et on va y revenir avec les articles.

Donc, si on reprend les articles un par un, ce qui touche particulièrement le bornage, c'est les articles 468 à 474 de l'avant-projet, et il y a une nouvelle disposition... bien c'est-à-dire une disposition qui est reconduite, c'est le nouvel article 265. Alors, pour ceux qui veulent peut-être me suivre plus facilement, je vous invite, dans le mémoire, à aller au tableau comparatif. Donc, dans ma version, je suis aux pages 14 et 15, et, si vous allez un peu plus loin dans notre tableau comparatif, si vous allez à la page 18, alors vous avez le nouvel... l'avant-projet de loi, l'article 265. À notre sens... Nous sommes très heureux que ce soit reporté intégralement, étant donné que cette disposition fait en sorte que l'arpenteur-géomètre n'a pas à comparaître devant un tribunal pour déposer des documents authentiques, ce qui permet donc... ou ce qui évite à un propriétaire d'avoir à payer des frais, à débourser des frais pour cette présence au tribunal.

Alors, si je reviens maintenant au Code de procédure civile -- je vous fais travailler dans vos pages, nous sommes rendus à la page 14 et 15 -- donc on voit que plusieurs dispositions ont été reportées, mais, certaines, le vocabulaire utilisé n'est pas le même. Donc, si je vais à l'article 469 de l'avant-projet, on voit que nous sommes dans un bornage avec formalités, et là il peut être extrajudiciaire encore à cette étape-ci, et on retrouve les mêmes termes que dans l'article 789 du Code de procédure actuel et on dit qu'il fera un rapport. Où il y a une différence et où ça nous inquiète un peu, c'est qu'autrefois... non, c'est qu'aujourd'hui encore, puisque le projet de loi n'est pas encore adopté, nous agissons de la même manière qu'un expert et nous aimons ce statut puisque, un, il est reconnu par la doctrine, deux, par la jurisprudence et, trois, parce qu'il nous permet de nous prévaloir des dispositions législatives sur l'expertise. Donc, si vous enlevez ce statut d'expert, nous ne pourrons plus être régis par les dispositions législatives propres à l'expertise en général, et ça pourrait être plus difficile, à ce moment-là, d'opérer dans un contexte avec formalités où le litige est quand même plus présent.

Si on continue dans l'article 469, on remarque une nouveauté: l'arpenteur-géomètre va notifier une copie aux propriétaires et leur indiquer les effets de l'absence de contestation de ce rapport. Donc, nous, on est tout à fait d'accord avec ça, devoir d'information. Il y a une nouvelle disposition à l'effet du laxisme des propriétaires dans un article plus loin. Donc, l'arpenteur-géomètre devra informer effectivement les propriétaires que, s'ils ne réagissent pas à son rapport, dans 30 jours le rapport sera réputé accepté. Mais actuellement, si on lit les autres dispositions, l'arpenteur-géomètre pourra informer le propriétaire, mais il ne sera pas informé sur la mécanique à utiliser lorsque le rapport sera réputé accepté. Donc, on vous demanderait peut-être d'être plus bavards sur cette mécanique que l'arpenteur-géomètre devra utiliser lorsque le rapport sera réputé accepté.

Donc, ceci nous amène finalement à l'article... le nouvel article 470, où, là, le rapport de l'arpenteur-géomètre est entre les mains des propriétaires et que, si les propriétaires sont d'accord avec les recommandations de l'arpenteur, ils pourront publier au registre foncier le rapport. Là, on ne comprend pas, parce que nous sommes rendus... il n'y a pas eu de démarcation sur les lieux, il n'y a eu qu'une délimitation. Donc, on se demande pour quelle raison on pourrait publier ce rapport-là, d'autant plus qu'il est toujours question dans le Code civil, pour la publication, du procès-verbal de bornage, alors que, là, nous sommes plutôt en présence d'un rapport d'expertise. On dit: «...le rapport acquiert la même force exécutoire qu'un jugement du tribunal décidant de la ligne séparative des immeubles», et on dit... Ça, c'est si les parties sont d'accord. Nous, nous croyons que, si les parties sont d'accord, on devrait continuer à faire comme actuellement, c'est-à-dire aller matérialiser la ligne sur les lieux et faire le procès-verbal de bornage.

On dit plus loin dans les dispositions: «...à défaut d'agir dans ce délai, le rapport est réputé accepté», et c'est là notre problème, d'accord? Qu'est-ce qu'on fait après, maintenant qu'il est réputé accepté, si les parties n'ont pas réagi dans le 30 jours?

Nous comprenons que le 30 jours devient donc un délai de rigueur, ce qui n'est pas le cas actuellement. Et là, au bout de 30 jours, qu'est-ce qu'on va faire? On n'a pas de signature des parties, en fait on n'a pas de nouvelle des parties. Je m'imagine mal aller porter un rapport de bornage pour le faire publier. De toute façon, le registrateur va le refuser, étant donné qu'il n'y a ni ordonnance de la cour ni signature des parties. Donc, ça, c'est une petite question qu'on vous soulève.

La Présidente (Mme Vallée): Je dois malheureusement vous interrompre parce qu'on a épuisé le temps qui nous était imparti, alors... à moins qu'il y ait consentement du côté ministériel pour permettre de terminer la présentation.

**(11 heures)**

M. Fournier: Bien sûr.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Alors, continuez.

Mme Massé (Nathalie): ...il n'en reste vraiment plus long de toute façon. Donc, le nouvel article...

M. Fournier: J'ai 15 minutes pour faire 45 heures, alors je ne veux pas en manquer.

Mme Massé (Nathalie): Donc, le nouvel article 471, bon, là on est rendus devant le tribunal, les parties ne se sont pas entendues, on est rendus devant le tribunal, et là on dit, encore une fois: «Le jugement en bornage est translatif de propriété...» Donc là, je l'ai présenté tout à l'heure. Encore une fois, pour garder ce caractère déclaratif, on se demande s'il n'y a pas lieu de laisser qu'il est déclaratif et que... S'il y a prescription, au-delà de la limite il y a eu prescription, nous croyons que le juge devrait tout simplement faire comme ils le font actuellement, c'est-à-dire ordonner la position de la ligne et ensuite déclarer le possesseur propriétaire.

Vous indiquez également, dans cet article, qu'on doit notifier le ministre responsable du cadastre. Nous, on se pose des questions. On a cru que c'était en relation avec l'article 2996 du Code civil du Québec qui dit qu'une ligne bornée entraîne systématiquement la correction d'une limite cadastrale. C'est vrai, sauf qu'il faut lire les dispositions de l'article 2996 du Code civil avec les dispositions législatives de l'article 155 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, et là on réalise, à ce moment-là, que, l'article 2996, son deuxième alinéa qui demande la correction n'est pas applicable dans tout le territoire québécois mais seulement sur les territoires qui ont fait l'objet d'une rénovation cadastrale. Donc, on croit que ce n'est pas nécessaire d'aviser le ministre responsable du cadastre, puisqu'on ne sera pas nécessairement en territoire rénové. Et, si on est en partie de lot, que fera le cadastre... que fera le ministre avec cette notification?

Enfin, à l'article 474, vous proposez une répartition proportionnelle des frais. C'est effectivement ce que les juges font en ce moment. Donc, généralement, en matière de bornage, de démarcation, lorsqu'ils ordonnent la pose des bornes, ils font une répartition proportionnelle des frais, et nous comprenons que ça a un certain sens, là, étant donné qu'un propriétaire qui a beaucoup plus de propriété devrait assumer plus de frais. Par contre, si vous l'attribuez également au volet délimitatif, donc au moment de l'analyse globale, il y a lieu de se questionner sur la pertinence de faire une proportion pour les paiements d'honoraires.

Ensuite, si nous allons un peu plus loin, donc à l'article 777 qui change les termes de l'article 978 du Code civil, alors nous voyons à la toute fin qu'il est encore question de rapport de bornage qui est inscrit. À notre avis, comme l'article 978 englobe et le bornage sans formalité et le bornage avec formalités, nous croyons qu'on devrait parler du procès-verbal de bornage et non pas du rapport de bornage, puisque, dans le bornage sans formalité, il n'y a pas de rapport, et on ne devrait pas non plus parler de caractère translatif, puisque, dans le bornage sans formalité, il y a le danger de propriétaires qui veulent contourner la loi, faire des échanges de parcelles de terrain et officialiser le tout par bornage, auquel cas ils pourraient contourner les dispositions législatives en matière d'aménagement de territoire tel le zonage agricole, le lotissement et ils pourraient éviter également la fameuse taxe de bienvenue, parce qu'une municipalité ne sera pas en mesure de détecter cet échange de parcelles.

Enfin, je voudrais juste terminer -- ça ne sera pas très long -- pour vous dire que, le Code civil du Québec, on retrouve le terme «procès-verbal de bornage» dans plusieurs dispositions. Est-ce qu'il faudrait, à ce moment-là... Si on commence à parler de rapport de bornage, est-ce qu'il y aurait lieu de changer l'article 2814 qui parle de l'authenticité de l'acte en présentant le procès-verbal de bornage, 2989, celui pour la vérification de la qualité et la capacité des parties, et enfin 3009 pour la publicité des droits?

La Présidente (Mme Vallée): Merci beaucoup. Alors, je comprends qu'on va répartir ce quatre minutes-là également entre les deux, une généreuse offre de nos collègues de l'opposition officielle. Alors, M. le ministre, sans plus tarder.

M. Fournier: Merci beaucoup. Alors, merci de votre présentation. Il va rester quelques zones grises dans mes capacités de compréhension du bornage, là, mais néanmoins j'étais bien à l'écoute.

Je vais commencer par la première chose: je vous reconnais la capacité d'expert, personnellement, et je pense pouvoir dire que l'avenue qui est choisie avec l'avant-projet de loi est au même effet. C'est justement parce que la position qui est prise, c'est que nous vous reconnaissons cette capacité d'expert qu'on table un peu là-dessus pour essayer de rendre les choses un peu plus simples et donc de passer du déclaratif au translatif. Que cela pose à quelque égard... que cela complique, on peut essayer de trouver des manières de l'éviter, mais en même temps, si ça peut le simplifier, c'est un choix qui est fait jusqu'ici qu'on voudrait bien poursuivre. Alors, commençons par se dire ça. Maintenant, s'il y a des adaptations à faire dans le Code civil sur le procès-verbal parce que maintenant le rapport ferait l'ensemble, bien sûr que cela suivra.

Je vais essayer de comprendre. En ce moment, dans la vie de tous les jours, lorsque vous avez fait le procès-verbal et qu'il sert de base à jugement... Bien, à un moment donné, vous faites le... votre procès-verbal ne sert à rien, vous ne ferez pas un jugement pour déclarer le translatif, non?

Mme Massé (Nathalie): Non.

M. Fournier: Ah non, vous ne le déposez pas?

Mme Massé (Nathalie): C'est ça. Lorsque nous sommes devant le tribunal, nous n'avons pas fait de procès-verbal de bornage.

M. Fournier: Vous avez le rapport.

Mme Massé (Nathalie): Nous avons fait un rapport d'expertise, oui.

M. Fournier: D'accord. Vous avez fait le rapport; le jugement vous permet de faire le procès-verbal.

Mme Massé (Nathalie): Le jugement ordonne la pose des bornes.

M. Fournier: Qui est le procès-verbal.

Mme Massé (Nathalie): Qui est le procès-verbal, exactement.

M. Fournier: Excellent. Alors, le rapport, quand vous allez devant le juge, c'est appuyé d'un rapport, et là il constate, lui, le juge, le transfert de propriété.

Mme Massé (Nathalie): En fait, il ne constate pas le transfert de la propriété. En fait, il constate que la limite, telle que positionnée, elle est positionnée ainsi parce qu'il y a eu prescription.

M. Fournier: Dans le déclaratif et translatif, nous dirions que c'est le juge qui fait le translatif.

Mme Massé (Nathalie): En fait, ce qu'il fait... C'est ça.

M. Fournier: Si vous dites que votre rapport fait juste déclaratif, ça va prendre le juge, j'imagine, qui fait l'autre bout.

Mme Massé (Nathalie): Exactement, et c'est comme ça actuellement.

M. Fournier: Exactement. C'est de ça dont on parle, c'est de ça dont on parle.

Mme Massé (Nathalie): C'est comme ça actuellement. C'est ça, oui.

M. Fournier: Et, quand il fait cette transaction, ce translatif, quand il le fait, il le fait sur la base du rapport, j'imagine, là, bon.

Mme Massé (Nathalie): Oui.

M. Fournier: Puisque ce n'est plus le procès-verbal, c'est lors du rapport. Bon. Dans la vie de tous les jours, il arrive combien de fois que le rapport est contredit par le juge?

Mme Massé (Nathalie): Rarement, sauf s'il y a une contre-expertise qui dit qu'un arpenteur-géomètre a erré. Honnêtement, bon, dans les règles de l'expertise, là, évidemment, c'est que, si l'arpenteur-géomètre a erré, le juge, à ce moment-là, va lui dire qu'il a erré. Régulièrement, il est appuyé sur une contre-expertise qui dit, bon, que le premier a erré.

M. Fournier: Généralement.

Mme Massé (Nathalie): C'est ça. Sans ça, si l'arpenteur-géomètre n'a pas erré, sa limite va être entérinée par la cour.

M. Fournier: Bon. Donc, le rapport, dans beaucoup, beaucoup, beaucoup de cas, presque tous les cas...

Mme Massé (Nathalie): Je ne voudrais pas dire ça comme ça, mais oui.

M. Fournier: Non, non, je comprends. Non, mais je comprends. Mais, je veux dire, ce que je comprends, c'est que, dans la pratique de tous les jours -- je pense que c'est là-dessus que s'appuie la nouvelle version -- pour tous les cas où il n'y a pas de problème, pourquoi faudrait-il aller devant le juge pour pouvoir constater le rapport, alors que le rapport est reconnu par tout le monde? Pourquoi s'ajouter une étape de plus, puisque vous êtes des experts, vous l'avez dit tantôt? Bon. Alors, ça, c'est un des objectifs.

Maintenant, vous dites: Mais, dans la vie, faites attention, M. le ministre, parce que des fois le juge ne suit pas le rapport parce qu'il y a une contre-expertise. D'habitude, la contre-expertise, c'est le juge qui, de lui-même, la déclare ou c'est parce qu'une des parties dit: Moi, j'ai une contre-expertise?

Mme Massé (Nathalie): C'est une des parties qui dit: Moi, j'ai une contre-expertise.

M. Fournier: Dans le système qu'on veut mettre dans l'avenir, la partie peut encore faire ça?

Mme Massé (Nathalie): Oui.

M. Fournier: Bon.

Mme Massé (Nathalie): Mais j'aimerais juste ajouter qu'actuellement les parties peuvent si elles acceptent le rapport d'expertise de l'arpenteur-géomètre. Donc, actuellement, si vous allez aux dispositions de l'article... Bon, allez à l'article 470, vous allez avoir l'article 790. Alors, on dit: Si celles-ci n'acceptent pas les conclusions du rapport, l'une ou l'autre peut, par requête introductive d'instance, s'adresser à la cour. Mais, si elles acceptent, nous sommes heureux. Elles acceptent les conclusions, on ne va pas devant le tribunal. Nous faisons une nouvelle convention avec les parties, et les parties reconnaissent accepter le rapport d'expertise, ce qui est notre véhicule, notre mandat pour aller faire le procès-verbal de bornage.

Donc, actuellement ça existe déjà, et je vous dirais qu'il y a beaucoup de cas où c'est comme ça. Donc, ça commence d'une façon... avec formalités, par une mise en demeure, les propriétaires se sont mis d'accord sur le choix de l'arpenteur, se mettent d'accord éventuellement sur ses recommandations, et tout ça se fait d'une manière extrajudiciaire, en suivant les formalités, et on fait le procès-verbal.

**(11 h 10)**

M. Fournier: Sans m'empêtrer dans les cheminements les uns vers les autres, ce qui est prévu actuellement et ce qu'on voudrait pour l'avenir ne comporte pas de modification à l'égard de la protection des droits des uns et des autres, c'est juste que le chemin est un peu plus facile parfois. Vous me dites: Des fois, dans les faits, on le fait déjà, mais parfois non. Alors, on va à un chemin un peu plus vite où on n'a pas besoin du juge quand tout le monde y consent puis... Bon. Alors donc, la nouvelle mécanique, elle ne pose pas de problème, celle qu'on veut voir venir, qui fait en sorte que... Et là je reviendrai tantôt sur «procès-verbal» et «rapport», là, je veux bien, mais le chemin permet juste de comprendre qu'on peut, dans certains cas, pour ceux qui le faisaient encore, sauter l'étape du jugement. Bon. Alors donc, encore une fois, je trouve que la mécanique du nouveau Code de procédure proposé me semble correcte, puisque de toute façon...

Mme Massé (Nathalie): Je comprends les volontés du législateur à travers ça et je trouve qu'elles sont très, très positives, sauf que, lorsque l'on lit l'article, on voit «le rapport de l'arpenteur-géomètre», bon, ils peuvent, s'ils acceptent le rapport de l'arpenteur-géomètre, en demander l'inscription au registre foncier. On ne pourra pas faire ça directement parce que c'est un rapport d'expertise, ce n'est pas un rapport... on n'a pas le consentement écrit des parties pour aller vers le procès-verbal de bornage. Vous comprenez? C'est qu'on n'a pas le consentement écrit des parties.

M. Fournier: Mais si vous l'aviez?

Mme Massé (Nathalie): Bien, si nous l'avons, il ne faudrait pas publier le rapport de l'arpenteur, il faudrait publier un procès-verbal de bornage, puisqu'on doit aller poser des bornes.

M. Fournier: On verra sur «rapport», «procès-verbal». Honnêtement, si vous me demandez, moi, comment je me sens par rapport à vos 45 heures de cours, là, j'ai l'impression que vous avez un rapport, puis le procès-verbal, c'est le monde qui dit: On est d'accord. Alors, je...

Mme Massé (Nathalie): ...pas la même action sur le terrain.

M. Fournier: Non, je comprends que ce n'est pas la même action, mais franchement le coeur de ce que vous avez fait, ce n'est pas leur consentement, c'est la délimitation à l'intérieur d'un rapport, que vous allez dire qui n'est pas une démarcation, je veux bien, mais, moi puis mon voisin, là, on est un peu mêlés dans vos affaires, mais on pense que le coeur de votre ouvrage, c'est le rapport, ce n'est pas tellement de savoir si on était d'accord avec. Donc, ce qui est la substance de l'oeuvre que vous menez, ce n'est pas de constater le consentement, c'est de constater un consentement à l'égard d'une expertise que... vous n'êtes pas des experts de consentement, des expertises d'analyse de titre et de... Ça, c'est le rapport.

Alors, ce que le projet dit, c'est: Tu as un rapport, tu le soumets aux parties. Si pendant 30 jours ils ne disent rien, bien il y a un consentement de donné. Bon, s'il faut libeller qu'après 30 jours le consentement est présumé, ça, c'est d'autre chose, là. Ça se fait, ces choses-là. Mais, si effectivement, la matière, votre expertise, les gens sont d'accord, si vous voulez continuer d'appeler ça le procès-verbal parce qu'ils l'ont accepté, là... Mais le coeur, c'est le rapport. Au bout d'un délai, il est inscrit.

Je vais embarquer dans l'inscription maintenant, on est inscrits au registre. Donnez-moi des précisions. On va parler de la taxe de bienvenue parce qu'on connaît tous un peu ça, pas toujours du bon côté, mais c'est bien nécessaire. Est-ce que la ville n'est pas au courant à partir du moment où il y a une inscription au registre? Parce que j'imagine que, jusqu'à un certain moment donné, les taxes foncières sont établies sur des superficies des uns et des autres, j'imagine, là, je ne suis pas un spécialiste, et tout à coup on s'aperçoit qu'il y en a un qui a payé plus à l'autre, dans le fond. Est-ce qu'il y a un équilibre? Qu'est-ce qui arrive? La ville est au courant, est-ce qu'elle va considérer qu'il y a une taxe de bienvenue là-dessus? Est-ce qu'elle le sait, tout au moins?

Mme Massé (Nathalie): Les municipalités sont avisées des transactions. Au niveau du bornage, peut-être qu'elles sont avisées également, mais le bornage n'a jamais été un acte qui transférait des droits, donc elle ne pourra pas charger sa taxe.

M. Fournier: Attendez. Quand le juge reconnaissait le rapport et vous amenait à faire le procès-verbal -- je suis votre cours, là, hein? -- quand le juge faisait ça, est-ce qu'il faisait un transfert de propriété?

Mme Massé (Nathalie): S'il y a prescription, oui, et le jugement en prescription devra être inscrit au Bureau de publicité des droits. Ça sera deux inscriptions différentes: le jugement en prescription, et ensuite il y aura un procès-verbal de bornage qui sera inscrit.

M. Fournier: J'essayais de me souvenir de mes vieux concepts de prescription acquisitive, là, puis de me dire que c'est parce qu'il y a prescription qu'il reconnaît dans votre rapport telle délimitation et vous demande d'aller faire la démarcation. C'est parce qu'il reconnaît la prescription incluse à votre rapport, non? L'aspect de prescription, j'imagine...

Mme Massé (Nathalie): C'est que l'arpenteur-géomètre a constaté qu'il y avait eu prescription, oui.

M. Fournier: Il a constaté ça, ça fait... Donc, la question de la prescription n'est pas postérieure à votre procès-verbal ou à votre rapport, elle est incluse dans votre rapport, elle fait partie de votre expertise. C'est à partir de là qu'il constate qu'il y a prescription, et son jugement devient translatif de propriété. Si on n'a pas besoin d'attendre son jugement, sur la base de votre rapport dans lequel on parle de prescription, qui est consenti par les parties, nous sommes devant le même effet.

Je vous repose la question. Donc là, on est translatif de propriété après votre rapport, 30 jours après. Qu'est-ce qui arrive au niveau de la taxe de bienvenue, puisque c'est inscrit au registre?

Mme Massé (Nathalie): Bien, à ce moment-là, c'est qu'il va falloir apporter plusieurs changements parce que, là, s'il y a eu prescription, il faut que ce soit reconnu par un jugement, en vertu de l'article 2918.

M. Fournier: Mais si...

Mme Massé (Nathalie): C'est pour ça. C'est parce que, là, on ouvre la porte...

M. Fournier: Non, mais c'est parce que... Non, mais, si on change, on... Là, je suppose que vous allez dire que j'ai fini, hein?

La Présidente (Mme Vallée): Vous avez terminé, mais, si vous voulez faire des blocs de 20 minutes, là, compte tenu...

M. Fournier: ...juste finir là-dessus, là. Si on change, bien sûr, toute la machinerie va s'adapter, là. Alors, l'objectif ici, c'est que, les citoyens, ce soit moins compliqué. Si on leur dit: Le rapport, si vous y consentez, oubliez le juge, là, on va l'inscrire tout de suite, ça va avoir les mêmes effets -- on dit ça, là, «mêmes effets» -- alors forcément on ne retournera pas devant le juge, là. Oubliez les autres articles qui vont devoir s'y adapter.

Alors, je repose ma question. Je n'ai pas besoin de jugement. Vous l'inscrivez, O.K., puis vous avez le droit parce qu'il y aurait une disposition qui dit soit qu'il y a consentement ou le silence après 30 jours consent, O.K., c'est inscrit. Quelle est la mécanique entre ce registre et la ville? Comment je vous dirais...

Mme Massé (Nathalie): ...si on reconnaît qu'il y a eu une acquisition d'une parcelle...

M. Fournier: Dans votre rapport, vous avez parlé de la prescription. Bon.

Mme Massé (Nathalie): Dans notre rapport, c'est ça, sauf que, là, il va falloir s'adresser aux notaires, parce que je ne suis pas certaine que les notaires vont prendre ça avec... vont accueillir ça d'une façon favorable parce que les notaires sont les premiers à nous dire qu'on ne peut pas transiger, on ne peut pas faire d'acte translatif de propriété.

M. Fournier: Oui, parce que le code ne le permet pas aujourd'hui parce qu'il y a un jugement.

Mme Massé (Nathalie): Oui. Alors, c'est ça. Mais vous comprenez qu'il va falloir apporter plusieurs changements à plusieurs dispositions.

M. Fournier: Je vais me réserver un peu pour tantôt, là, puis on reviendra avec la Chambre des notaires éventuellement, je reviendrai...

La Présidente (Mme Vallée): Il va vous rester juste six minutes pour le prochain bloc.

M. Fournier: ...faire des forces.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci à vous deux. M. Côté, je vous dirais que, si on était devant le tribunal, je pense que vous avez amené une témoin qui, de par sa crédibilité, est très convaincante. Alors, il y a tout le temps le fond et la forme du témoin, mais on va quand même essayer de poser des questions.

En fait, je comprends l'intention qui est dans l'avant-projet, de simplifier les choses et aussi, j'imagine, de diminuer les coûts, la lourdeur un peu de tout le processus. Donc, évidemment, ce que je veux voir avec vous, c'est: Est-ce qu'à certains égards, notamment pour le bornage sans formalité ou celui qui se destinait à être avec formalités devant le tribunal mais qui réussit à se faire du consentement des parties, si je vous ai bien suivie... est-ce qu'on est en train de potentiellement complexifier, à certains égards, des choses qui peuvent se faire en ce moment sans formalité du fait de ce qu'on vient prévoir ou si, pour ce qui se fait simplement, les choses vont rester quand même assez simples?

Mme Massé (Nathalie): Tout ce qui se fait sans formalité, d'après moi, n'est pas affecté par les changements législatifs qui sont proposés, bon, sauf pour la terminologie qui est utilisée, là. Lorsque l'on dit, à l'article 978, que «le rapport de bornage est inscrit», bon, il n'y a pas de rapport de bornage dans un bornage sans formalité, bon... ou on est un petit peu plus mal à l'aise parce qu'historiquement le bornage n'a jamais été translatif. C'est que, là, on parle d'un bornage translatif. Mais on pourra toujours continuer à faire, je crois, des bornages sans formalité, c'est ça.

Mme Hivon: Puis l'écueil que vous voyez, c'est le fait qu'il soit translatif, bon, et vous dites: On ne peut pas, nous, comme arpenteurs, faire un acte qui soit translatif de propriété. J'imagine que tout le sens des changements, c'est que maintenant vous puissiez. Donc, quand vous affirmez: On ne peut pas le faire, c'est dans l'ordre des choses, compte tenu du partage des compétences entre les ordres.

Mme Massé (Nathalie): C'est ça. Là, il faudra voir, à ce moment-là, comment est-ce qu'on va... quels articles de loi il faudra changer. Et est-ce qu'il faudrait, à la limite, même revoir, c'est ça, les compétences et les actes exclusifs qui sont réservés à chacun des professionnels, là? Il faudra voir.

**(11 h 20)**

M. Côté (Michel): Si je peux me permettre un commentaire, la position de l'ordre n'est pas d'être contre ces changements-là, loin de là. Si on peut simplifier, si on peut rendre le translatif plus simple, si on peut amener les gens à faire plus de bornage... C'est définitivement la meilleure façon, aujourd'hui, de délimiter des propriétés, et, si on peut simplifier ce processus-là, on est tout à fait d'accord.

Les questions qu'on soulevait, c'était par rapport à l'actuel, où on a une distinction entre un rapport de bornage, un procès-verbal de bornage, et ça se positionne à différentes étapes du processus, donc, puis par rapport aussi... comme Mme Massé l'a expliqué, par rapport à toute la notion de bornage avec formalités, sans formalité, judiciaire et non judiciaire. Donc, c'est un petit peu ça qu'on soulevait comme... C'étaient beaucoup plus des questions que de dire: On n'est pas d'accord avec l'essence du projet, là, définitivement pas. Si on peut améliorer le translatif puis favoriser l'opération de bornage dans tous les cas, tous les types de bornage, l'ordre est favorable à ces changements-là.

Mme Massé (Nathalie): Puis la grosse... Il y a quand même... Vous savez, une propriété, généralement on en achète une ou deux dans notre vie, les gens tiennent beaucoup à leurs propriétés. Et, le bornage, en l'absence de consentement écrit des parties sur le fait qu'elles acceptent notre rapport d'expertise, s'il est réputé accepté, l'arpenteur-géomètre devra se transporter sur les lieux et poser des bornes, et, voyez-vous, moi, je pense que ça pourrait être pris comme un acte... En tout cas, de la part, là, d'un propriétaire qui n'a peut-être pas tout compris le contenu du rapport d'expertise, qui n'a pas agi dans les 30 jours, je me demande jusqu'à quel point ce n'est pas un geste de violence, pour lui, et d'agressivité, de voir un arpenteur-géomètre qui débarque sur son terrain et qui pose les bornes. Il y a tout cet aspect-là aussi, là, qu'il faut avoir derrière, en arrière comme idée, là, parce que ce n'est pas seulement un rapport, là, c'est également des gestes sur le terrain. Si je ne reconnais pas la prescription pour quelqu'un parce que ça ne fait pas 10 ans qu'il a installé une clôture et que je m'en vais poser des bornes cinq pieds, six pieds à l'intérieur de sa clôture ou que je passe à travers son garage... Est-ce que vous pouvez concevoir qu'on se transporte chez des gens et qu'on va poser des gestes sans que la personne nous ait donné son consentement?

Comme l'a dit M. Côté, ce n'est pas parce qu'on va à l'encontre des nouvelles dispositions. On aimerait comprendre comment on va appliquer dans le réel cette disposition.

Mme Hivon: Vous dites dans votre mémoire... Bien, peut-être avant de venir à ça, à l'heure actuelle, l'article 790, lorsque les parties se sont entendues sur le droit au bornage, sur le choix... bon, donc l'entente, lorsqu'il y a entente... C'est parce que vous nous parlez des risques quand les choses sont moins formalisées par rapport, par exemple, à la taxe de bienvenue, qu'il pourrait y avoir une certaine forme de camouflage ou, bon, tout ça. Dans l'état actuel des choses, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui peut arriver aussi quand il y a une entente puis qu'on procède sans formalité?

Mme Massé (Nathalie): Normalement, l'arpenteur-géomètre devrait toujours valider s'il y a un transfert, et, si l'arpenteur-géomètre pratique selon les règles de l'art, s'il y a un transfert, il doit aviser les propriétaires qu'ils doivent faire un contrat. Par la suite, s'ils veulent toujours borner cette nouvelle limite qui naît après le contrat, il doit le faire. D'ailleurs, s'il ne le fait pas, il pourrait avoir une poursuite parce qu'il a opéré un transfert de propriété en camouflant le tout dans un bornage. Ça ne devrait pas jamais se faire. Autrement dit, lorsque la limite, elle est claire, elle est précise et que les personnes veulent changer la configuration du terrain, elles doivent faire un contrat. Si elles veulent par la suite borner la ligne, elles la bornent, mais ce n'est pas via un bornage qu'elles pourront changer la configuration d'un secteur qui est très, très... très certain et très clair.

Mme Hivon: Puis là rappelez-moi pourquoi le risque est plus grand avec l'avant-projet que, là, ces obligations-là soient moins respectées.

Mme Massé (Nathalie): C'est qu'on dit tout simplement, dans le cadre de l'article 978: Le procès-verbal doit être publié. C'est tout.

Là, on dit: Le procès-verbal est translatif de propriété. Il devient donc un nouveau mode d'acquisition. Jamais, dans le Code civil, vous n'allez trouver que le bornage est un acte d'acquisition. Il n'est pas défini à 916, il n'est pas...

Mme Hivon: Parce que ce n'est plus la publication mais le procès-verbal en lui-même. C'est pour cette raison-là précise.

Mme Massé (Nathalie): Oui, c'est ça. On dit que c'est translatif de propriété.

Mme Hivon: O.K. Je vais mijoter ça, moi aussi, pour le deuxième bloc. On fait un cours accéléré, là.

Je veux juste savoir: Dans votre mémoire, vous dites qu'en ce moment... C'est parce que je pense que tout ça, c'est vraiment... on a tous les mêmes intentions. Vous, vous semblez les partager. Donc, c'est la simplification, parce que, j'imagine, quand il faut aller au contrat pour dire: C'est bien beau, mais ce n'est pas translatif, donc là c'est le jugement ou le contrat qui va faire que c'est translatif, bien il y a des coûts associés à ça, il y a des délais, il y a donc une complexité. Le but, c'est d'éviter...

Mme Massé (Nathalie): Bien, généralement, quand toutes les parties sont d'accord, je ne vous dirais pas qu'il y a des délais. Les délais qui sont lourds, en bornage, c'est lorsqu'il n'y a vraiment pas d'entente et qu'on est devant un tribunal. C'est lourd et c'est vrai que ça peut être pénible dans certains cas.

Mme Hivon: ...les coûts.

Mme Massé (Nathalie): Et en plus il y a beaucoup de bornages qui ne se terminent jamais parce qu'on doit actuellement avoir une requête en homologation, et, quand on est rendu à 25 000 $, 30 000 $, 50 000 $ pour un litige, les gens ne vont pas en requête en délimitation. D'ailleurs, j'avais oublié de le dire, c'est un point positif également, donc, au moins, maintenant on pourra... tout bornage sera complété. Ça, c'est un point très positif.

Par contre... Tout ça, c'était pour en venir à quoi donc au début? C'était pour le fait... Ah oui! C'est ça. Les transactions comme telles, lorsque les gens sont d'accord, ce n'est pas long, ce n'est pas vraiment long.

Mme Hivon: Oui. Pas les délais mais les coûts ou la formalité supplémentaire d'avoir le contrat.

Mme Massé (Nathalie): Bien, c'est sûr que c'est un contrat notarié...

Mme Hivon: Oui, c'est ça, c'est ça.

Mme Massé (Nathalie): ...avec une publication.

Mme Hivon: O.K. C'est ça. Vous dites dans votre mémoire qu'en ce moment il y a des irritants, donc dans l'actuelle procédure, qui causent de ces délais, tout ça. Est-ce que vous estimez qu'avec le cadre qui est à peu près proposé, là -- je comprends vos remarques -- on vient contrer la plupart des irritants ou est-ce qu'il y a des éléments qui demeurent? Selon vous, est-ce qu'il y a des choses qui devraient aller un peu plus loin pour éviter justement les irritants dont vous parlez à l'heure actuelle?

Mme Massé (Nathalie): Bon, c'est sûr que, lorsqu'on va avoir un petit peu plus de détails sur la mécanique lorsque le rapport est réputé accepté, on va pouvoir mieux comprendre, mais actuellement c'est sûr que les irritants, c'est tout ce qui concerne les signatures des parties et le fameux jugement en homologation lorsqu'on a terminé. Les bornes sont posées sur les lieux, le procès-verbal attend sur un bureau au greffe de la cour, et là il n'y a plus de suite. Alors, ça, ce sont les irritants majeurs, dans le bornage judiciaire, pour le jugement en homologation.

Pour l'extrajudiciaire, des fois, c'est les signatures des parties qui sont difficiles à obtenir. Donc, il y a quelqu'un qui est plus ou moins content de la tournure des événements, il ne veut pas signer, donc là on est obligés, encore une fois, de se transporter devant un juge pour demander d'homologuer le...

Donc, le fait que ce soit maintenant un délai de rigueur, le 30 jours, je crois que c'est très avantageux parce qu'au moins on va mettre fin à ces bornages qui ne se complètent jamais, mais c'est de comprendre comment la mécanique va être faite, là.

Il y a autre chose aussi. Vous savez, ce n'est pas tous les gens qui comprennent un plan et un rapport, hein? La plupart des gens, ça prend une présence sur le terrain pour comprendre. Donc, quand on dit: Dans le 30 jours, le rapport est réputé exact, on ne s'est pas transporté sur les lieux pour montrer à la personne où était la ligne. Il y a cette étape-là qui est la présence réelle de l'arpenteur sur les lieux, là, qui peut être peut-être aussi à considérer dans le contexte de loi.

La Présidente (Mme Vallée): En fait, il ne reste plus de temps pour l'échange, mais, si vous voulez procéder de la même façon qu'on l'a fait pour le côté ministériel, libre à vous, là.

Mme Hivon: Peut-être une dernière question. Sur la question de la publication, vous disiez tout à l'heure que deux actes devaient être publiés.

Mme Massé (Nathalie): ...c'est le jugement qui est publié parce qu'il reconnaît la prescription et c'est le procès-verbal de bornage.

Mme Hivon: Et là, dans la nouvelle proposition, vous dites: On ne le sait pas...

Mme Massé (Nathalie): Bien, on ne le sait pas, c'est ça.

Mme Hivon: ...parce qu'on dit que c'est le rapport qui est publié. Selon vous, ça, ça ne fonctionne pas parce qu'il n'y a pas les signatures?

Mme Massé (Nathalie): Bien, c'est-à-dire que...

Mme Hivon: En fait, ce n'est pas le rapport. Ça devrait toujours être le procès-verbal, à moins que ces deux éléments-là se fondent en un seul d'une manière qui resterait à voir, mais il y aurait une seule publication.

Mme Massé (Nathalie): Oui.

Mme Hivon: Donc, ça aussi, ça diminue les coûts.

Mme Massé (Nathalie): Actuellement, cependant -- mais ça, il faudra revoir, comme le dit M. le ministre -- le registrateur refuse d'inscrire tout procès-verbal qui n'a pas de signature des propriétaires ou qui n'est pas ordonné par la cour. Actuellement, le registrateur, en vertu de la loi sur la publication, refuse de publier un procès-verbal de bornage qui n'est pas signé ou ordonné par la cour et homologué.

Mme Hivon: C'est ça, mais en ce moment c'est le procès-verbal qui est publié. Pour être publié, il doit être signé.

Là, tel que proposé dans l'avant-projet, ce serait le rapport. Pour vous, vous dites: Ça ne fonctionne pas parce que...

Mme Massé (Nathalie): Il n'y en a pas toujours.

Mme Hivon: ...dans l'état des lieux, c'est le procès-verbal. Évidemment, le législateur peut décider que c'est le rapport, mais, pour vous, il y a comme un écart parce qu'il n'est pas, bon, attesté, tout ça. Donc là, il n'est pas signé, il n'a pas cette reconnaissance-là parce que c'est comme le fond des choses et non pas l'acte plus solennel, c'est un peu ça.

Mme Massé (Nathalie): Oui. Puis, le rapport de bornage, il n'y a pas eu de pose de bornes.

Mme Hivon: Oui. Donc, il manque une étape dans l'ensemble de l'oeuvre. D'accord.

Je veux juste peut-être avant... parce que vous semblez avoir beaucoup de commentaires, là, mais j'imagine qu'il y a eu... Est-ce qu'il y a eu des échanges, oui, avec les arpenteurs-géomètres? Oui? Donc, c'est ce qu'il reste de litigieux que vous venez nous présenter aujourd'hui, mais ce n'est pas la... vous avez quand même été associés à la démarche des nouvelles dispositions.

**(11 h 30)**

M. Côté (Michel): Je répète encore: L'ordre, oui, on a un comité qui a travaillé à préparer le mémoire, donc on a consulté plusieurs membres...

Mme Hivon: ...avec le ministère.

M. Côté (Michel): Avec le ministère? S'il y a eu des échanges avec le ministère?

Mme Hivon: Oui, avant, pour l'élaborer.

M. Côté (Michel): Pas dans la préparation du mémoire, donc c'est pour ça qu'on...

Mme Hivon: Non, dans les dispositions, dans le travail, parce qu'on sait que c'est un travail de longue haleine, le ministère...

M. Côté (Michel): Je ne pense pas, je ne pense pas.

Mme Hivon: Non? O.K., O.K.

M. Côté (Michel): Alors, c'est vraiment l'objectif de l'ordre aujourd'hui de présenter des éléments puis d'offrir notre participation à l'élaboration du projet de loi.

Mme Hivon: Merci.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, M. le ministre.

M. Fournier: Oui, bien peut-être juste sur la dernière question, là, j'ai fait une petite vérification. Comme vous savez, ce n'est comme pas d'hier que la question se pose, et il paraît que dans le comité, en 2002, les contacts avaient été faits, et c'est la suite des relations ministère et arpenteurs à cette époque-là, avec des libellés qui donnent ceci aujourd'hui. On est rendus là pour...

Maintenant, c'est une partie de l'ensemble de l'oeuvre. Première question factuelle, je sais que je n'ai pas beaucoup de temps: Dans l'ensemble de l'oeuvre, dossiers simples ou ceux qu'on voit le plus souvent, rapport, procès-verbal, j'ai compris que le procès-verbal, c'est, dans le fond, votre capacité d'aller faire le marquage sur le terrain.

Mme Massé (Nathalie): Exact.

M. Fournier: Moi, c'est chez moi, ça me concerne. C'est la proportion des coûts que ça me coûte entre le rapport puis aller mettre le piquet.

Vous me chargez combien? Dans votre facture, au total, il y en a combien qui relève du piquet puis combien qui relève du rapport?

Mme Massé (Nathalie): Ce sont deux factures distinctes, généralement.

M. Fournier: Oui, mais additionnez-les puis donnez-moi...

Mme Massé (Nathalie): Je vous dirais que ce qui est vraiment plus dispendieux, c'est le rapport d'expertise.

M. Fournier: J'imagine, j'imagine.

Mme Massé (Nathalie): Oui. Le procès-verbal de bornage ne fait que... C'est technique, là, je vais poser sur le terrain une ligne qui a été étudiée.

M. Fournier: Mais j'ai compris que c'était dangereux.

Mme Massé (Nathalie): Bien, c'est dangereux surtout si tout le monde n'est pas informé.

M. Fournier: Bien là, c'est ma deuxième question, c'est sur l'autre sujet, parce que ce qui m'a intéressé dans ce que vous avez dit, c'est le caractère très pratique de la chose. Là, on n'a pas à s'empêtrer à savoir quelle est la loi actuelle, la prochaine, quelle correction il faut faire, c'est la vraie vie, là. Ça, ça m'intéresse particulièrement. Et j'ai décodé que c'était peut-être pour ça que vous aviez une certaine frilosité à la présomption de consentement après 30 jours, parce que, durant le 30 jours, si vous avez obtenu le consentement, d'aller poser les piquets est beaucoup moins menaçant parce que les personnes y étaient. Puis ce qui vous inquiète donc, malgré que vous aimez le 30 jours, là -- mais peut-être vous ne l'aimez pas tant que ça -- c'est qu'on puisse se dire qu'il y a une présomption. Mais, vous, quand vous y arrivez, là, qu'on fusionne ensemble rapport et procès-verbal, qu'on voit la vie avec un autre cadre puis qu'on n'essaie pas d'avoir deux fuseaux horaires en même temps, là, tout ça est bien, bien faisable, je pense que la proposition est bien, bien faisable, mais, dans la vraie vie... Puis je comprends qu'il faut parler aux notaires, tout ça, ça va. Mais, dans la vraie vie, vous, vous dites: Moi, là, quand je vais aller faire... je veux bien dire que c'est la loi qui m'amène chez le monsieur ou chez la madame, mais, s'ils n'ont pas consenti, ça se peut qu'ils soient pas mal surpris que je mette mon poteau là.

Mme Massé (Nathalie): Oui. Et ça se peut qu'on soit obligés maintenant d'aller faire... Puis là on est dans... c'est peut-être exagéré, là, mais, bon, est-ce qu'il faudra être accompagnés des policiers pour aller poser des bornes? Des fois, il faut être accompagnés des policiers pour faire des relevés. Est-ce qu'il faudra... Ça fait qu'il y a tout ce volet-là. Mais on s'entend que ce n'est pas 99 % des cas, là.

M. Fournier: Oui, je comprends, je comprends. Non, mais il faut éviter quand même que, dans le 1 % qui reste, vous soyez dans le trouble, là. On ne gagnera pas plus s'il faut amener l'auto de police, ça va coûter de l'argent pareil.

Si... Puis là je vous dis «si», puis ce n'est pas une obligation, là, je veux juste réfléchir. Si la mécanique se limitait à lorsque vous avez obtenu le consentement et qu'on puisse suivre tout le processus simplifié, quitte à ce qu'on réfléchisse à nouveau qu'est-ce qui arrive quand vous ne l'avez pas obtenu, y a-tu une deuxième tentative, je ne sais pas trop, là, je n'ai pas de solution, mais est-ce que je règle un peu votre problème si on simplifie... Mais vous êtes... Vous, là, quand vous agissez, là, vous avez un consentement. Vous l'avez matérialisé, le consentement. Vous savez qu'il existe, le consentement. Ce n'est pas présumé comme consentement, il n'est pas parti en Floride pendant six mois, puis vous avez eu un 30 jours qui est arrivé là-dedans. Ça, est-ce que ça règle votre problème? Oubliez les concepts, là, parce qu'il faut les réécrire, je comprends bien, là.

Mme Massé (Nathalie): C'est ça, je pense que oui... ou encore si, au bout de 30 jours, on avait carrément tout de suite... Est-ce que c'est possible, dans une procédure simple, d'avoir une ordonnance du tribunal? Le 30 jours est passé. L'arpenteur, au bout de 30 jours, adresse une requête directement au tribunal et...

M. Fournier: Je veux juste vous dire que vous allez avoir besoin de la police pareil, là.

Mme Massé (Nathalie): Au moins, on a une ordonnance.

M. Fournier: Au moins, ce n'est pas vous.

Mme Massé (Nathalie): Non, non. Non, au moins on a une ordonnance. Sans ça, on n'a rien. On n'a rien, notre rapport est réputé.

M. Fournier: Mais vous avez... Je vais terminer là-dessus: Vous avez le titre d'expert.

Mme Massé (Nathalie): Oui. J'espère que... Oui. Comme ça, donc, on peut comprendre que vous allez réécrire les mots.

M. Fournier: Non, mais c'est parce que, voyez-vous, dans la technique que vous me proposez, je comprends que vous pouvez toujours dire: Regarde, j'ai un jugement, ce n'est pas de ma faute, ce n'est pas de ma faute, j'ai un jugement, mais vous faites payer pour un jugement inutile parce que le jugement est basé sur votre rapport, fusionné à procès-verbal, décrivant qu'il n'y a pas eu de consentement... En tout cas, peu importe, là, mais ce que vous me dites, là, moi, je trouve juste que c'est une étape de plus, alors je ne suis pas sûr que j'ai besoin de celle-là.

Mais je veux que vous vous sentiez à l'aise. Alors, quand il y a un consentement, la procédure simplifiée fonctionne. On a un petit bout de problème sur un 30 jours où il n'y a pas eu de consentement, alors peut-être qu'on peut imaginer, là, qu'est-ce qui arrive si on ne l'a pas. Tantôt, vous m'avez expliqué: 30 jours, c'est le fun parce qu'on court après des consentements, des fois les gens ne nous les donnent pas. Alors, est-ce qu'il y a une deuxième étape qui permettra d'être assuré qu'on a fait toutes les tentatives et que, finalement, non seulement il est présumé, mais, dans le fond, il a été... les gens ont évité de le donner, sachant qu'ils étaient obligés de le donner? En tout cas, on va essayer de trouver des solutions, là, mais ça, c'est la problématique que je comprends de ce que vous me dites, et je conclus que toute l'argumentation que vous avez faite est basée sur la tranquillité d'esprit que vous pouvez avoir comme experts à exercer votre marquage.

Mme Massé (Nathalie): Bien, peut-être pas la tranquillité d'esprit, peut-être plus la protection du citoyen, donc ne pas débarquer chez lui alors qu'il n'a pas donné son consentement, là. Je verrais plus pour la protection du citoyen que pour ma protection de conscience, disons.

M. Fournier: Mais c'est parce que dans tous les cas aujourd'hui, là... Prenons la vie de tous les jours. On n'adopte pas ça, on n'adopte pas le... on reste avec les procédures actuelles. Il y a un jugement qui devient translatif. Ça vous a donné quoi, quand vous allez marquer, que le jugement soit là, si le citoyen n'a pas participé, il n'a pas donné de consentement, il est juste en maudit contre tout le système? Quand vous y allez, vous avez quoi de plus dans le système d'aujourd'hui par rapport à ce qui va s'en venir en termes de protection du climat autant pour le citoyen que pour vous, là, tranquillité d'esprit pour tout le monde? Qu'est-ce que vous avez de plus?

Mme Massé (Nathalie): Peut-être que c'est aussi dangereux physiquement d'aller poser les bornes, mais au moins je peux compléter mon travail parce que j'ai un jugement qui me permet de publier un procès-verbal. Là, si je n'ai pas de jugement et que je n'ai pas la signature des parties, je vois mal comment je vais faire.

M. Fournier: Si la loi vous donne le pouvoir du juge...

Mme Massé (Nathalie): Si la loi le donne, c'est ça. Mais c'est vraiment un changement assez important, là.

M. Fournier: Évidemment, mais on veut faire ça aussi. Il faut que ce soit important pour que ça marche, pour que ça donne des résultats.

Mme Massé (Nathalie): C'est ça.

M. Fournier: Si ce n'est pas important, il n'y a pas de résultat. Donc, on va voir. Puis donc je comprends que ça peut fonctionner, mais il faut juste penser aux petits bouts où il n'y a pas de consentement.

Mme Massé (Nathalie): C'est ça. Et...

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. On a vraiment épuisé... même dépassé encore une fois.

M. Fournier: ...plus intelligent que ce matin, quand je me suis levé, alors quand même...

La Présidente (Mme Vallée): Je ne commenterai pas. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Est-ce que je résume correctement si je dis que l'Ordre des arpenteurs-géomètres est d'accord avec les objectifs, les intentions mais que, dans les moyens, il y a de sérieux écueils et que, pour vous, il y a des écarts qui font que, pratico-pratique, ce qui est proposé ne pourrait pas fonctionner, même s'il y avait un changement, admettons?

Je pense qu'il y a deux gros éléments. Il y a l'aspect translatif de propriété qui est un petit peu une révolution pour vous parce que ce n'est pas ça traditionnellement. Vous acceptez ça, mais vous dites: Il faut que les mesures concrètes suivent et s'assurer qu'il n'y a pas d'écueil si on fait ce changement-là qui est très important, il faut que ça suive, et ça a beaucoup plus de ramifications que peut-être ce qui a été envisagé dans l'avant-projet.

M. Côté (Michel): Votre compréhension est bonne. L'objectif est de faciliter l'opération de bornage. Vous l'avez mentionné en introduction mardi matin, il y a des éléments plus techniques; ça fait partie des éléments plus techniques. C'est vraiment dans la mécanique de l'application et puis, comme Mme Massé l'a expliqué, les liens avec le Code civil actuel où, là, on voyait des éléments qui auraient à être modifiés pour pouvoir l'opérationnaliser dans le Code de procédure civile.

Mais définitivement, oui, on n'a pas d'objection à la notion de translation ou de translatif au niveau de la propriété. C'est dans comment on va l'appliquer pour rendre l'opération de bornage jusqu'à la fin de l'opération.

Mme Hivon: Parfait. Et, puisqu'on vous a et que je comprends que vous n'avez pas eu l'occasion d'échanger avant avec les gens du ministère, tantôt vous avez mentionné... il y aurait vraiment d'autres... il y aurait des articles du Code civil autres que celui ou ceux qui sont déjà prévus dans l'avant-projet de loi qui, selon vous, sont touchés directement par les modifications qui seraient proposées et qui, à l'heure actuelle, sont oubliés dans l'avant-projet. Vous en avez mentionné un tantôt, 23...

Une voix: ...

**(11 h 40)**

Mme Hivon: Oui. Bien, en tout cas, je pense que ce serait peut-être utile aussi de nous les mentionner ou de... pour faire l'examen le plus exhaustif possible.

Et, finalement, est-ce qu'il y a des endroits qui pourraient être un modèle un peu pour un régime...

Mme Massé (Nathalie): C'est ce que j'allais vous dire.

Mme Hivon: Non? En droit comparé...

Mme Massé (Nathalie): C'est ce que j'allais vous dire: Si le bornage devient translatif de propriété, bien nous serons les premiers, en tout cas à ma connaissance.

Mme Hivon: Donc, c'est...

Mme Massé (Nathalie): À ma connaissance. Et là je n'ai pas regardé tous les codes civils sur la planète, là, mais, à ma connaissance, nous serions les premiers.

Mme Hivon: O.K. Donc, de ce que vous connaissez, il n'y a rien, il n'y a aucun précédent. O.K.

Mme Massé (Nathalie): En fait, le bornage est vieux, on en parle dans la Bible, et il a toujours été déclaratif de propriété, il n'a jamais été translatif. Mais le changement...

Mme Hivon: Que de révolutions! Que de révolutions insoupçonnées! Bon. Alors, bien, merci beaucoup, c'était une présentation très enrichissante. Des fois, on se demande... on a des grandes questions, mais vous avez vraiment bien éclairé, je dirais, jusque dans les détails, alors merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Alors...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Vallée): M. le ministre, oui.

M. Fournier: ...de vous dire que les gens de notre équipe, bien sûr, vous contacteront ou les gens que vous désirez pour essayer de trouver les bonnes solutions. On ne veut pas remettre en question la Bible, mais qui sait? La théorie de l'évolution peut aussi s'appliquer en ces matières.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, M. Côté, Mme Massé, merci infiniment de votre présence et de votre participation aux travaux de la Commission des institutions. Je vous souhaite un bon retour.

Je vais maintenant demander à Mme Louise Lalonde de bien vouloir s'avancer. Nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 42)

 

(Reprise à 11 h 43)

La Présidente (Mme Vallée): Nous allons reprendre nos travaux. Alors, je souhaite la bienvenue à Mme Louise Lalonde. Bienvenue à l'Assemblée nationale, bienvenue devant la Commission des institutions, Mme Lalonde. Vous bénéficiez... Vous disposez de 15 minutes pour faire votre présentation.

Mme Louise Lalonde

Mme Lalonde (Louise): Alors, merci, Mme la Présidente. M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Permettez-moi d'abord, évidemment, de remercier la commission de cette invitation et de l'occasion qui m'est donnée, comme professeure et aussi comme citoyenne, de faire part de mes réflexions sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile.

Je me présente fort brièvement. Alors, je suis professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke et, durant les années 2001 à 2008, j'ai travaillé, à la demande de la magistrature et de l'INM, en collaboration avec des collègues de Sherbrooke... j'ai passé et consacré une partie de mon temps à la réflexion et à la conception de programmes de formation à la CRA, donc, pour les juges du Québec, cela incluant des juges de la Cour du Québec, de la Cour supérieure et de la Cour d'appel. Je me suis toujours intéressée tout particulièrement au rôle des juges et aux rapports que la CRA entretient avec le droit; aujourd'hui, je m'intéresse plus encore aux enjeux législatifs que posent ces nouvelles pratiques de gouvernance et de justice participative. J'ai été aussi directrice des programmes de PRD de l'Université de Sherbrooke des années 2001 à 2008. Alors, voilà.

Permettez-moi d'abord de saluer la formule de l'avant-projet, M. le ministre. C'est un choix extrêmement judicieux puisqu'il s'inscrit justement dans une perspective de justice participative et, cette fois-ci, au niveau de l'énonciation même des normes. Ce choix élargit la réflexion et démontre l'ouverture du législateur à entendre et à évaluer des positions qui pourront peut-être parfois être divergentes. Ça traduit un souci, certes, de répondre aux meilleurs intérêts de la justice. De fait, la transformation de la justice représente un enjeu démocratique majeur, notamment en termes d'accessibilité, et la participation intègre justement cette vision de l'accessibilité.

La vision globale de la justice proposée par l'avant-projet, intégrant à la fois une justice civile privée et une justice civile publique, est extrêmement intéressante. Elle s'inscrit par ailleurs dans une tendance très contemporaine de favoriser la réappropriation par les citoyens de la justice.

Par ailleurs, je dois dire qu'un certain nombre de conditions y sont toutefois associées. En fait, ce virage vers une culture judiciaire participative que nous saluons tous présuppose aussi un virage dans la manière de concevoir la loi et, plus largement, la normativité juridique. La norme juridique devrait revêtir, en conséquence, une forme plus processuelle, plus réflexive et viser des objectifs à la fois promotionnels et pédagogiques. Mes travaux actuels avec le Pr Stéphane Bernatchez, de l'Université de Sherbrooke, vont en ce sens. C'est donc dans cette perspective que je souhaite partager mes réflexions issues de mon expertise.

Ma présentation se limitera malheureusement ou heureusement, c'est selon, à la conférence de règlement à l'amiable, compte tenu du temps alloué et de l'importance qu'elle représente pour la justice publique. Je trouve, bien honnêtement, que nous parlons trop peu de la CRA, alors que le rapport d'activité de la Cour supérieure de juin 2010 nous rappelait que son taux de fréquentation avait doublé au cours des six dernières années et que, pour les seules années 2008 et 2009, plus de 1 100 dossiers en ont fait l'objet. Et nous ne sommes là qu'à la Cour supérieure. Nous savons tous qu'elle est aussi offerte en Cour du Québec de même qu'en Cour d'appel.

Mais pourquoi, pourquoi parlons-nous si tant peu de la CRA? Il semble que son encadrement soit laissé à la pratique. Or, la CRA n'est pas une pratique privée. Elle doit être connue des citoyens et clairement accessible, elle fait partie d'un processus de justice participative. J'exposerai donc trois grands principes qui doivent, selon moi, guider son encadrement législatif. En fait, la spécificité de la CRA dessine à elle seule la clarification de son encadrement législatif. Il importe, dans un premier temps, de saisir donc cette spécificité.

La CRA est un mécanisme de règlement des conflits intégré à la justice civile étatique. Elle est donc institutionnelle. Elle est offerte et présidée par des juges officiers de justice qui ont aussi, rappelons-le-nous, une fonction décisionnelle. Du fait de son caractère public et qu'elle soit offerte par des juges découlent des préoccupations toutes particulières. Je survolerai donc trois de ces enjeux que j'ai traduits par trois principes, lesquels sont les suivants: dans un premier temps, la nécessité, me semble-t-il, d'une distinction claire entre l'offre de justice de la CRA et l'offre de justice traditionnelle; dans un second temps, la nécessité de l'uniformisation du processus de la CRA; puis, dans un troisième temps, la clarification du rôle des juges et du rapport au droit entretenu par le processus.

Principe par principe. Le premier: nécessité de la distinction de la CRA. Permettez-moi un fort bref rappel de la nature de l'une et l'autre des offres de justice qui dessine en fait cette nécessité. La traditionnelle -- on est presque dans... et voilà, dans la salade -- la traditionnelle offre une décision rendue par un juge expert à l'art du droit au départ de la normativité juridique et, nous le savons, ensuite d'un procès régi par des règles de preuve et de procédure. La nouvelle -- je ne sais pas comment l'appeler, appelons-la la médiative ou la médiatoire, c'est selon -- n'offre pas de décision émanant d'un tiers. Elle constitue en la recherche d'une solution construite par les parties à leur différend non pas au départ du droit -- et c'est là qu'il est important de le saisir -- mais de leur conception des diverses normativités pouvant construire ce conflit, par un processus dans lequel cette fois-ci le juge, non plus expert du droit, devient expert d'un processus.

**(11 h 50)**

J'oserais dire: Par nature, l'une et l'autre apparaissent quasi opposées. Cela soulève un enjeu fondamental du passage vers une justice participative. Cet enjeu est l'enjeu de la délégation. Tout le système de justice, tel que nous le connaissons, est fondé sur la délégation, délégation du pouvoir au juge et au droit de rendre justice. La justice participative, médiative ou la CRA présupposent la réappropriation par les parties de leurs différends au départ de leurs valeurs, de leurs intérêts, etc. Alors que l'une est décisionnelle, l'autre est consensuelle. Et d'ailleurs je vous écoutais hier avec M. Bériault, M. le ministre, et on pourra reparler des attentes de votre voisin, cela m'intéresserait grandement.

Donc, il est impératif de ne pas confondre les deux processus, ni dans la loi ni dans la pratique. Or, de mon point de vue, l'avant-projet pose peu ou pas cette distinction fondamentale entre les deux processus.

Second principe, celui de la nécessité d'une uniformisation du processus. Nous le savons tous, la justice traditionnelle est une justice dont le processus est uniforme, clairement réglé par des règles de preuve et de procédure qui encadrent cette offre de justice. Il serait impensable pour tout juriste que chaque juge décide des règles applicables au fond et à la forme. Il en va de l'égalité des citoyens devant la loi que tous reçoivent la même offre de justice.

Avec égards, je crois qu'en CRA le même principe devrait s'appliquer. Comment peut-on penser qu'une offre de justice publique puisse, dans son processus et dans son rapport au droit, être laissée à la discrétion d'un juge? Certes, les juges reçoivent des formations, la plupart connaissent et adhèrent au processus, mais c'est le citoyen qui doit savoir aussi. Or, n'oublions pas que la connaissance et l'éducation sont aussi des modes d'accès à la justice. Les enjeux sont importants. Les enjeux sont ceux d'éviter l'arbitraire de la pratique et de maintenir la crédibilité du processus -- il ne faudrait pas se retrouver dans une pratique où une CRA existe par juge -- s'assurer aussi que le citoyen puisse comprendre cette pratique, son déroulement, le rôle du juge ainsi que le sien. Il en va, là aussi, me semble-t-il, d'une condition de l'accessibilité.

Or, avec respect, M. le ministre, l'article 160 laisse la place à une grande diversité de pratiques parce qu'il n'énonce pas le processus. Plus encore, l'avant-projet permet, d'une certaine façon, qu'une évaluation des prétentions et positions des parties soit faite -- je vous réfère à l'article 158. Je crois que le ministre devrait garder dans sa mire ce principe fondamental de l'égalité du traitement, égalité qui doit se traduire au niveau du processus.

Dernier enjeu, dernier principe découlant des deux précédents: la clarification du rôle des juges et du rapport au droit entretenu par le processus. Ici, je suis toujours très étonnée de voir la méconnaissance, me semble-t-il, du contenu d'une CRA, et de son potentiel, et aussi de ses possibles. Le problème avec la CRA comme avec la médiation, et Me Bériault hier, de l'IMAQ, l'a un peu traité, c'est qu'en fait on peut intégrer une CRA sans rien changer du tout à l'offre de justice. Ce n'est pas parce qu'on intègre une CRA, qu'on assoit un juge avec des parties dans une salle qu'en bout de piste on va aller chercher une solution construite par les parties. La CRA peut offrir la même justice que la justice traditionnelle, cette fois-ci, par ailleurs, hors du cadre de la garantie procédurale. L'avantage est là. C'est une situation communicationnelle intéressante où le citoyen, au lieu de se faire imposer un jugement, aura l'impression de consentir, mais là n'est pas l'objet d'une CRA. On risque donc un effritement du système de justice si le droit est dit dans une CRA et si le juge, d'une manière ou d'une autre, décide dans cette séance, de là cette critique qui s'élève et qu'on entend souvent de la justice compromissoire, de la négociation sur le droit -- et j'écoutais les gens de la commission, ce matin, parler, Commission des droits de la personne -- dans une vision compromissoire de la médiation.

Tout cela n'est pas, de mon point de vue, la médiation. Donc, il importe que soit bien clarifié le rôle du juge et son rapport au droit et clairement édicté que le juge n'a pas de pouvoir décisionnel et qu'il a l'obligation de ne pas dire le droit. Et, entre parenthèses, vous le savez comme moi, M. le ministre, dire le droit, pour un juge, ce n'est parfois que baisser la tête, donc toutes les manières d'opiner qui peuvent exister dans une CRA doivent être, de mon point de vue, clairement réglementées pour éviter, encore une fois, diverses postures d'intervention, dont l'évaluation.

Autre problème sous-jacent de ce troisième principe, celui d'une nécessité, selon moi, de clarifier les notions. On parle tant de différend, de conflit, de litige. L'avant-code, l'avant-projet parle, à son article 610, clairement de différend lorsqu'il parle de médiation privée. De la même manière, lorsqu'on parle de la CRA à la Cour d'appel, dans 378, on parle aussi de différend.

Évitons le terme «litige». Pourquoi? Parce que les litiges, nous le savons, nous, les juristes, sont la traduction juridique d'un conflit, ils ne considèrent que les faits qualifiables juridiquement. Et mon argument est le suivant: si nous souhaitons une réappropriation de la justice par les citoyens de leurs problèmes, comme les citoyens ne sont pas experts du droit, les citoyens ne se réapproprient pas leurs litiges. Ce qu'ils se réapproprient, c'est toujours leurs conflits, leurs différends. C'est nous, juristes, qui traduisons en des termes juridiques leurs problèmes. Donc, une réelle réappropriation par les citoyens de leurs problèmes quémande, me semble-t-il, pour plus de clarté, que le terme utilisé soit le terme «différend».

En bref, voilà pour ces trois grands principes. Donc, j'ai suggéré un certain nombre de modifications qui essentiellement peuvent se traduire ainsi. D'abord, l'ajout au livre I. Ce livre I est extraordinaire parce qu'il met en place d'entrée de jeu l'esprit du code, l'esprit de sa transformation. Il me semble qu'on devrait aussi y intégrer un nouveau titre II qui serait celui du titre de la conférence de règlement à l'amiable, parce que le problème, c'est qu'elle est en ce moment considérée, dans l'économie générale du code, comme une simple mission de conciliation et qu'on retrouve cela à l'article 157 et par la suite aux articles suivants, mais rien n'indique au citoyen, quand il ouvre son code, qu'il peut avoir autre chose des juges que la justice traditionnelle. Et j'ai été extrêmement étonnée de voir que, par rapport à l'ancien article 151.16 du Code de procédure actuel, on était allé rajouter le terme «litige» dans le libellé de l'article 158. Donc, il me semble qu'on fait pire un peu. Donc, est-ce qu'il y a des pressions vers une réglementation du litige? Je n'en sais rien.

En terminant, je citerai la juge Louise Otis que je considère être la mère de la CRA au Québec, lorsqu'elle était alors juge de la Cour d'appel, qui disait: «En définitive, ce que nous sommes en train de réaliser, au Québec, c'est une synthèse des normativités en présentant au sujet de droit une nouvelle offre de justice.» Or, si la CRA est une nouvelle offre de justice et que l'ancienne ou la traditionnelle, c'est selon, était fondée sur la décision et le droit, il apparaît clairement que l'on doit se distancer de ce qui caractérisait cette ancienne, à savoir la décision et le droit. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Vallée): Merci beaucoup, Mme Lalonde. Alors, la parole est maintenant au ministre pour une période d'échange de 10 minutes.

M. Fournier: Oui. Merci beaucoup, Mme Lalonde. Je peux vous dire que vous nous avez sortis du bornage, c'est le moins qu'on puisse dire, et puis...

Mme Lalonde (Louise): ...

M. Fournier: Oui, mais on prend le dossier vraiment à un autre niveau, et c'est là où... Puis, si vous permettez, je vais même sortir de la mécanique et de la plomberie de l'affaire, là. Entre la traditionnelle et la crémeuse, vous ne l'avez pas dit, mais c'est...

Mme Lalonde (Louise): ...

**(12 heures)**

M. Fournier: Vous n'avez pas osé. Nous, on ose. Entre les deux, parlez avec l'enthousiasme que vous avez, parlez à mon voisin. Vous l'avez connu, vous avez commencé à le connaître hier. Parlez-lui de ce que sont et la traditionnelle et l'autre, et la nouvelle ou celle qui l'implique un peu plus. Vous allez me dire que ça peut relever de moi d'en parler aussi, mais je voudrais utiliser vos propos à l'avenir puis je voudrais vous faire parler plus là-dessus, en n'oubliant jamais que, même si elle est participative, elle se vit, cette justice, dans un environnement où il existe par ailleurs un encadrement légal. Et donc essayez de me mettre un peu les limites de tout cela, parce que je ne suis pas si convaincu qu'elles sont tout à fait différentes. Comme dans les deux salades, le chou se retrouve, si je peux continuer votre analogie peut-être boiteuse. Mais, juste pour qu'on puisse commencer cette pédagogie-là entre les deux qui... à vous écouter, j'avais l'impression que vous me les opposiez plus que moi-même je ne les vois opposées. Alors, peut-être que c'est vous qui avez raison, mais dites-moi comment elles sont si opposées, parce que je... D'ailleurs, juste quand vous l'amenez dans le cadre de changer de livre, vraiment c'est une distanciation. On est presque en train... Je vais exagérer vos propos pour vous faire réagir puis que vous me donniez quelque chose: J'ai presque l'impression qu'il y avait deux codes. Je ne suis pas convaincu que je veux avoir deux codes. Je suis convaincu que je veux une justice qui va... Comme dans la vie de tous les jours, les gens n'utilisent pas tous les droits de la règle de droit et parfois acceptent volontairement de ne pas exercer un droit qu'ils ont. On n'est pas obligé de tout faire ce qu'on peut faire par la loi. Parfois, on n'a pas les capacités économiques. Enfin, peu importe, vous voyez ce que je veux dire. Allez plus loin là-dedans.

Mme Lalonde (Louise): Effectivement, je pense qu'un des problèmes que nous avons, et c'est pour ça que j'ai parlé de la question, du problème qu'on n'en parlait pas, de la CRA, là, donc de l'autre, c'est parce que souvent on a cette impression qu'elle est très collée aussi sur le système de justice civile traditionnel du fait que ce soit le juge, et que ce soient les parties, et que ce soit au palais de la justice. C'est pour ça qu'avant que nous construisions, bâtissions ces formations pour la magistrature -- et là je remonte au tout début, avec la juge Otis dans les années 2001 -- un certain nombre de questions avait été alors posées, dont celle du rapport au droit, parce que, nous le savons, le juge est d'abord un expert du droit, ce qui a de grandes conséquences, j'oserais dire, pour le citoyen, parce que, lorsqu'il se présente devant lui, ses attentes sont celles que le juge lui dise le droit, bon, et un des risques que moi et d'autres amenions à ce moment-là dans les discussions était ce risque que le droit soit dit hors de l'enceinte du tribunal, ce qui m'apparaît un risque extrêmement grave et important parce que, selon nos règles démocratiques, au niveau du judiciaire, un juge ne dit pas le droit comme on opine aux quatre vents, un juge dit le droit par suite d'une enquête, et d'une audition, et de règles de preuve. Nous sommes juristes et nous savons tous que nous pouvons, dans notre esprit, opiner, mais une distinction s'impose pour ce qui est de dire le droit.

Donc, une des questions fondamentales que, moi, j'avais notamment posée était celle de dire: Oui, mais, dans la mesure où un juge dit le droit, son autorité morale est telle qu'on peut penser que beaucoup de gens vont s'incliner devant pareille opinion, même si elle est dite en CRA, et, ce faisant, on arrive devant un processus, entre guillemets -- et les critiques s'élevaient à cet égard -- de petite justice. C'est donc dire: Bien, moi, je ne peux pas me payer le grand procès, dans une perspective de l'accès, donc je vais aller chercher une petite opinion comme ça, puis on va avancer. Et tous les gens qui réfléchissaient à cette question se disaient: Non, non, non, ce n'est pas ça, ce n'est pas ça qu'on est en train de mettre en place. On est en train de mettre en place une autre offre de justice, de là l'idée d'une autre offre de justice qui n'est pas celle dans laquelle le juge va s'asseoir, va nous écouter un peu puis va faire comme tous les juristes font, c'est-à-dire reconstruire et se réapproprier dans l'ordre du droit le problème des parties. Si c'est ça, bien on n'a pas besoin de le faire, ça s'appelle de la petite justice, ça. De là donc cette importance de bien distinguer les fonctions.

Et là nous nous sommes dit: Mais pourquoi alors des juges? Les juges sont des experts du droit et, nous le savons, dans de nombreuses autres juridictions les juges se contentent de dire le droit, et ce sont des médiateurs privés qui font le travail, le parquet référant aux médiateurs privés. Et c'est là l'intérêt de revenir au voisin d'hier avec lequel vous avez parlé avec Me Bériault, parce que le voisin d'hier, j'ajouterais à ce qu'a dit Me Bériault, ce n'est pas ce qu'il veut, de la collaboration. On n'est pas rendus là comme société. On n'est pas rendus à vouloir un modèle collaboratif, on tend vers... Mais on est rendus à quelque chose, par exemple. Ce à quoi nous sommes rendus, me semble-t-il, c'est à dire: Je ne veux plus que l'autre décide pour moi, je veux me réapproprier mes problèmes. Et c'est pour ça que je vous dis que le passage de la justice traditionnelle à la justice crémeuse, hein, est celui de la réappropriation du pouvoir par le citoyen et que l'offre de justice collaborative peut répondre en partie, en partie à ce besoin de réappropriation.

Donc, votre voisin, je vous écoutais hier et je riais. Je me suis dit: Si je peux lui dire, je vais lui dire. Ce qu'il dit, ce n'est pas: Je veux collaborer. Il dit: Je veux décider moi-même. C'est ça qu'il dit, le voisin, maintenant: Je veux décider moi-même. Et c'est dans la perspective de décider soi-même que la justice participative s'inscrit.

Donc, pour revenir au juge, parce que le pont est là, l'intérêt du juge, hein, c'est le paradoxe, celui de: Bien que je veux décider moi-même... Et ce que l'observatoire, par exemple, sur la justice nous dit, c'est ça: Je veux décider moi-même, mais mon Dieu que c'est bon que le juge accepte, hein? Moi, je le dis, quand je le dis à mes étudiants, de la façon suivante: Vous voulez être autonomes, mais, quand papa est d'accord, c'est le fun, il y a un assentiment quand même. Il ne veut pas, il ne veut pas, je m'en fous, je suis capable de faire sans, mais, quand il veut, il y a ce plus. Et il y a là une symbolique d'attachée à l'oeuvre du juge, au fait que la médiation par le juge, elle ait des lettres de noblesse que la médiation privée n'a pas dans ce paradoxe-là de la décision, mais c'est un enjeu aussi fondamental et dangereux, celui justement qu'on donne au juge ce rôle de décideur et de dire le droit aussi dans ce processus.

Donc, pour ma part, en CRA, le juge a une fonction symbolique dans l'oeuvre de la justice qui est importante, hein? Les juges vont vous le dire, il y aura moins de chicanes devant le juge qu'il y en aura en médiation privée, etc. Il y a une oeuvre symbolique.

Par ailleurs, il est extrêmement tentant pour l'un et l'autre de glisser dans l'expertise qu'est le droit et, ce faisant, de remettre un peu en cause notre système. Moi, je disais toujours aux juges: Qu'adviendrait-il si la médiation échouait et que cette opinion que vous avez donnée comme ça, le nez un peu levé parce qu'il n'y a pas eu d'enquête et l'audition était contredite par le tribunal...

Donc, on voit tout de suite que, si on croit à l'autre système de justice, si on croit à la justice traditionnelle, on ne peut pas mettre de crème dans la vinaigrette. Voilà pourquoi l'un et l'autre doivent être distingués, donc, et c'est ça qui n'est jamais, me semble-t-il, suffisamment fait. On a toujours l'impression justement... Et c'est là le grand danger. J'arrive au tribunal, donc je suis dans la même enceinte. Et, les juges, la médiation comme la CRA peut permettre -- et ça, je pense que ce n'est jamais clairement compris -- exactement le même type de justice. Le citoyen normal va appeler ça le tordage de bras, va appeler ça de convaincre l'autre par les arguments de la force. Un médiateur n'amène... peut aussi avoir une pratique évaluative, c'est-à-dire qu'il va s'asseoir puis qu'il va dire: Bien, moi, je vous conseille ça. Ça existe, ces pratiques-là, en médiation. Donc, c'est pour ça qu'il faut arrêter de mettre dans la même sauce -- décidément on tourne en rond -- et d'en faire une grande salade toutes les pratiques de médiation, parce qu'il existe plusieurs types de médiation. Ça va de l'évaluative qui est quasi un arbitrage privé jusqu'à la médiation dans laquelle le médiateur ne fait qu'agir au niveau communicationnel. Donc, où est-ce qu'on se situe dans le privé, ça, pour moi, ça appartient au privé, mais où est-ce qu'on se situe dans le public, ça, ça appartient au législateur parce que c'est une offre de justice publique et qu'on ne peut pas, je pense, comme juriste, et encore moins comme législateur, laisser la pratique décider d'elle-même de ce que sera le contenu de la CRA. Et les juges ont bien connu et connaissent bien cette formation-là, mais, au-delà de ça, il importe que ceux qui suivront la reconnaissent aussi et il importe surtout pour moi que les citoyens sachent vers quoi ils s'en vont quand ils s'en vont dans cette pratique-là.

**(12 h 10)**

Vous le savez, nous ne sommes que des avocats. Et combien de fois nous sommes interpellés pour opiner dans la vraie vie? J'imagine que d'être un ministre, ça doit être une horreur à cet égard. Bien, imaginez quand les parties, pour la première fois, ont un juge devant eux, comment ils ne vont pas tirer et presque... justement pour qu'il opine. Alors, c'est pour éviter ce risque de l'opinion et du glissement dans la décision.

Et, quand je parle aussi... Puis je voudrais terminer sur le caractère décisionnel. Plus je suis en autorité, dans une société, et plus il ne me suffit que de lever le sourcil pour opiner, hein? Donc, ce non-verbal est extrêmement intéressant. Là, vous, vous me regardez, mais, si vous étiez tourné vers Mme Hivon, je sentirais quelque chose, moi, comme interlocuteur, alors...

M. Fournier: Mme Hivon aussi, j'imagine.

Mme Lalonde (Louise): Oui, c'est ça. Donc, je pense qu'il faut sensibiliser les gens au rôle du juge, et c'est pourquoi je suis beaucoup plus permissive, j'oserais dire, en médiation privée, parce que, là, on n'est pas dans une offre de justice publique. Alors, moi, tout mon mémoire avait cet objet de sensibiliser le législateur au fait que nous sommes devant une offre publique de gestion et que, cette offre publique de gestion, il y a des choix à faire pour qu'elle soit justement extrêmement distincte de l'autre, sinon elle deviendra la petite salade par rapport à la grande.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Mme Lalonde. Alors, je vais maintenant céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup, Mme Lalonde. C'est un exposé fort intéressant, et il se situe à un niveau très différent, avec une bonne dose de philosophie, mais vous atterrissez aussi avec des propositions concrètes. C'est ce que j'apprécie aussi de l'exercice.

Premier élément... En fait, j'ai plein de questions. La première, le ministre y a fait allusion tantôt, il a dit qu'il a pratiquement le sentiment que vous voudriez deux codes, et, moi, je veux explorer ça, toute la question... Surtout au début de votre mémoire, vous parlez de toute l'interaction entre la justice privée et la justice publique. Du fait que la CRA se situe dans un contexte de justice publique, l'encadrement doit être celui de la justice publique.

Est-ce que vous estimez que le tout doit être intégré dans un seul instrument? C'est ce que je crois, mais, vu que le ministre posait la question, je veux être bien claire. Et est-ce que le véhicule qui est le Code de procédure civile porte le bon nom? Ils vont me trouver drôle, là, parce que... mais, moi, à la lumière...

Mme Lalonde (Louise): ...entendue la poser, j'étais certaine, oui.

Mme Hivon: C'est ça. Ça fait qu'à la lumière de ce que je lis de plus en plus je me dis: Si on veut donner le véritable essor, si le tout veut être bien intégré, est-ce qu'on ne devrait plus parler de procédure?

Mme Lalonde (Louise): D'abord, pour la première question, c'est le plus bel instrument et c'est le plus bel instrument global pour aussi nous permettre de faire cette gradation à laquelle référait le ministre mais à laquelle, moi, j'ajoute une marche, finalement, plus claire, c'est-à-dire que le livre I devrait commencer par un titre I qui est la médiation privée, un titre II qui est la justice médiative offerte par le juge puis un titre III qui serait alors la justice litigieuse, si j'ose dire. Donc, non, au contraire. Pour moi, ces instruments-là sont là. C'est juste qu'à ce moment...

Et ça, c'est très nébuleux, cette question de la mission de conciliation. Cet article-là m'a un peu effrayée parce que la mission de conciliation... où vous dites que finalement la CRA entre dans la mission de conciliation du juge. Moi, jamais... Je n'ai pas mémoire des noms, là, des... 157, je pense, 158. Alors, cette question-là, c'est justement pour en sortir que ce titre II apparaît nécessaire, parce que, la mission de conciliation, les juges s'en servent beaucoup, et c'est correct. Ils s'en servent sur le banc, hein? Donc, si on veut être hermétique dans le rapport au droit... On est tellement collés dessus, le rapport au droit, hein, le litige est cristallisé. Quand les gens de l'IMAQ disaient hier: Bien, plus tu es avant, moins tu es cristallisé, effectivement, donc, plus tu es cristallisé dans ton litige et plus il faut être vraiment d'une prudence extrême pour ne pas tomber là-dedans. Donc, oui, la première réponse, oui.

La deuxième, j'aime beaucoup ça, cette idée d'enlever le terme «procédure» puis d'en faire un code de la justice civile, sauf que, là, je trouve qu'il faudrait trouver -- puis je n'y ai pas réfléchi -- un terme alternatif au mot «code», parce que «code» réfère aussi à une structure formelle. Donc, je ne sais pas. N'appelons pas ça une charte, par exemple, ce serait peut-être trop...

Mme Hivon: Oui, O.K. Deuxième élément, bon, alors, si je vous suis correctement, ce que vous nous proposez pour la conférence de règlement à l'amiable, c'est de dire: Les deux rôles sont tellement différents, du juge, faisons-en vraiment des titres clairement distincts, des fonctions distinctes. Et, puisqu'en plus on est dans le domaine de la justice publique quand on est dans la conférence, dans la CRA, encadrons-la plus substantiellement, notamment pour différencier les deux rôles mais aussi pour qu'on soit dans une justice plus uniforme et cohérente, parce qu'on est dans la justice publique et que donc le citoyen, quand il s'adresse à l'État pour avoir sa justice publique, devrait être en droit d'avoir les mêmes garanties ou l'accès au même processus que son voisin.

Mme Lalonde (Louise): Exactement.

Mme Hivon: O.K.

Mme Lalonde (Louise): Et ça, c'est très grave parce qu'il n'y a pas, puisqu'une diversité est possible, d'uniformité de la pratique. Il faut aller sur le terrain -- et, nous, comme professeurs, sommes parfois sur le terrain, hein? -- pour voir la diversité possible des pratiques, donc. Et ça, je pense que, dans une justice publique comme dans tout ce qui est public, c'est peu acceptable.

Mme Hivon: O.K. Hier, on a eu... Vous semblez avoir écouté nos travaux, je ne sais pas si vous avez écouté Me Huppé. Donc, lui, il est venu nous dire... Vous, j'imagine que vous êtes favorable au rôle du juge comme conciliateur et son rôle en matière de conférence de règlement à l'amiable, parce que Me Huppé, lui, estimait qu'en donnant ce rôle-là, même s'il est potentiellement bien défini, on peut procéder à l'érosion de la primauté du droit. Vous semblez un peu être dans la même logique, c'est-à-dire en disant que, si les rôles sont confondus, il y a ce risque-là que le juge, qui est vu comme celui qui dit le droit, pourrait, du simple fait qu'il opine, avoir un impact qui n'est pas nécessairement souhaitable, mais en même temps je conçois que vous estimez que ce rôle-là du juge est important. Donc, je veux bien comprendre si, pour vous, on évite tous les risques à partir du moment où on distingue bien les deux ou si le juge même, son rôle même dans la CRA ou en matière de conciliation devrait être revu et qu'on devrait plutôt laisser ça à la médiation privée.

Mme Lalonde (Louise): Écoutez, c'est une grande question qui demande beaucoup de nuances, d'abord distinguer avec ce que je pense que Me Huppé disait, c'est-à-dire cette question de l'érosion du droit parce qu'il y a des juges qui pratiquent des CRA, donc ça ne fera pas jurisprudence, puis le droit va être en manque d'une jurisprudence. Peut-être un peu plus dans ce sens-là jurisprudentiel de l'effritement, non?

Mme Hivon: En fait, il y avait deux éléments à son opposition au rôle du juge. Il y a le fait que... Du fait qu'un juge, de par sa fonction première -- lui, il plaidait pour une hiérarchisation -- est celui qui dit le droit, un peu dans la même optique où vous dites: Dès qu'il opine, du fait de son autorité très importante, bien en fait il va se retrouver dans une drôle de situation par rapport au droit, parce qu'on sait qu'il y a d'autres considérations qui peuvent entrer en compte...

Mme Lalonde (Louise): Il faut avoir, par rapport à ça... En tout cas, moi, j'adopte, par rapport à ça, une posture un peu sociologique laquelle j'ai fait part tantôt au ministre, à savoir de dire que, oui, le rôle premier du juge, pour moi, c'est dire le droit, puis c'est, pour moi, quand il est sur le banc. Je pense que, pour un certain nombre d'années que je ne pourrai quantifier, les citoyens se tourneront vers un juge pour aussi des raisons de l'ordre plus symbolique, c'est-à-dire d'aller chercher cette grande force qu'est la justice en permettant aussi une réappropriation.

Donc, je ne pense pas du tout qu'on est dans un mécanisme d'effritement du droit et je pense qu'au contraire on va faire en sorte d'affûter le droit, c'est-à-dire qu'on utilise le système de justice traditionnel -- on y revient toujours -- pour des véritables questions de droit dans nos sociétés puis qu'on réussisse peut-être plus à gérer autrement nos conflits. C'est, je pense... Mais le droit aura toujours sa grande place, puis ça sera toujours la grande porte.

Pour ce qui est de la seconde question qui s'infère, qui est celle de dire: Est-ce que vous pensez que les juges sont les mieux placés pour... moi, je rêve d'une société où les gens ne s'adresseront plus ni aux juges d'une manière ou d'une autre parce qu'on aura réussi à coopérer assez ensemble, puis à se comprendre, puis à se rendre compte d'autre chose. Ceci dit, je trouve ça intéressant, pour encore la même raison sociologique, que ce soient des juges qui, à ce moment de notre histoire, fassent cette fonction-là, étant entendu qu'on peut penser que, quand des gens ont passé une fois devant une CRA, la prochaine fois ils vont peut-être aller en privé, puis qu'on va inculquer... Parce qu'hier le ministre s'informait des façons d'inculquer cette culture non encore avenue, pour ce qui me concerne, de la coopération. Bien, c'est l'expérience souvent des citoyens qui, une fois passés dans une CRA, la prochaine fois vont aller peut-être en médiation privée, sauvant par là les frais de requête.

Donc, je pense que le système n'a pas été réfléchi, au départ, nécessairement dans tous ses... -- bien, comme toutes les transformations, hein, on réfléchit souvent un peu par la suite -- mais que c'est bien, au Québec, que les choses soient ce qu'elles sont. Par ailleurs, c'est des choses qui vont probablement se transformer, mais c'est conditionnel, pour moi, puis c'est pour ça que je commençais mon mémoire comme ça, c'est conditionnel au fait qu'on ne mélange pas l'un et l'autre, parce que, sinon, on s'en va vraiment dans des processus arbitraires, dans des processus... Vous savez, le meilleur des arguments... Je ne sais pas si vous avez déjà fait de la médiation, mais un des meilleurs arguments, quand on est juriste, pour convaincre l'autre, c'est le droit. Donc, quand je veux essayer de tasser un peu l'autre partie puis que je pense que le meilleur intérêt, c'est le droit parce que... bien c'est cet usage-là, et c'est pour ça qu'en médiation on travaille toujours à bien distinguer les types de pratique. Donc, c'est dans ce sens-là. Il y a donc des conditions.

**(12 h 20)**

Mme Hivon: Puis c'est une question qui me vient: Plus on va formaliser ou encadrer, par exemple, la CRA, est-ce que, pour le citoyen... Parce qu'on sait que le citoyen, vous l'avez bien illustré tantôt avec votre exemple de l'enfant par rapport au parent, il veut décider, mais, si le juge est d'accord avec ce qu'il veut, c'est encore mieux, et c'est pourquoi beaucoup expliquent que c'est si important ou enfin si prisé pour un bon nombre de citoyens d'avoir leur conférence mais devant un juge plutôt qu'en médiation privée. Si on vient formaliser beaucoup, encadrer beaucoup, faire en sorte que c'est pratiquement l'usage que ça soit inscrit dans le processus global, donc une cohérence d'action, est-ce qu'on ne peut pas craindre que les gens vont vraiment vouloir favoriser ça au détriment de la médiation privée, alors -- vous le dites vous-même, je pense que c'est notre objectif aussi -- que les gens en viennent à un point tel à vouloir décider de leurs règlements qu'ils s'absentent complètement, qu'ils mettent complètement de côté et le juge et le tribunal?

Mme Lalonde (Louise): Bien, d'abord, je ne pense pas qu'on formaliserait. Il s'agit d'ajouter, somme toute, là, de transposer les mêmes articles qui sont applicables en médiation privée, donc, au lieu d'aller évaluer des positions puis des litiges, d'aller faire en sorte... l'article général, là, qui est applicable à la médiation privée. Donc, il n'y a pas une plus grande formalisation.

Je pense que ce qu'il est important de voir, c'est que, dans le temps, les gens, ils ne vont pas dire: Ah, je préfère aller devant un juge, parce qu'il y a quand même des coûts associés, ne serait-ce que par la requête introductive d'instance. Donc, la culture, elle ne va pas moins s'intégrer parce qu'on encadre le processus. Au contraire, on va le faire connaître. Et d'entrée de jeu j'expliquais que la connaissance puis l'éducation, ce sont des pivots de la justice participative, et en ce moment, quand on lit l'avant-projet de loi puis qu'on est un citoyen qui ne connaît pas la CRA, on ne sait pas pantoute ce que c'est. On sait que c'est un juge qui va décider avec nous autres -- déjà en partant c'est un peu illusoire, là, entendons-le -- de ce que sera le processus.

Mes suggestions ne changent pas la pratique. C'est ça qu'ils font, les juges, en ce moment. Ils ont un processus. Je réfère à un article de la juge Courteau, à un autre de la juge Otis dans mon mémoire. Donc, la pratique par cinq étapes, elle existe, là, ce n'est pas quelque chose qui n'existe pas. Ce que je dis, c'est que les citoyens doivent, eux aussi, la connaître, cette pratique-là et, en second temps, s'assurer qu'elle perdure et qu'on ne se retrouve pas... Parce que n'oublions pas que le législateur intervient peu ou pas, parfois, dans l'enceinte de justice, on connaît les principes de séparation des pouvoirs, etc., mais la justice rendue sous sa forme traditionnelle, il faut se le rappeler, est publique. Elle est publique. Une CRA, ça se passe dans une petite salle, hors les garanties procédurales du droit. Et l'encadrement ici n'est que celui qui traduira de toute façon ce qui est aussi leur pratique, mais l'objectif en est un d'accessibilité. Puis connaître, c'est comprendre, puis ça, c'est important.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Mme Lalonde. Alors, M. le ministre, pour un dernier bloc de huit minutes.

M. Fournier: Oui. Je vais profiter de l'expertise que vous avez auprès de la magistrature qui a à travailler avec ces règles, dans le fond qui les a élaborées, hein, puis qui les a appliquées. Quand vous souhaitez uniformiser, est-ce que vous en parlez pour le citoyen ou vous en parlez pour les juges, pour qu'ils s'y sentent plus à l'aise? Est-ce que vous croyez que cela est utile pour eux? Je ne parle pas des juges à venir, je parle des juges qui sont déjà là. J'aurais un instinct qui est sûrement mal fondé à l'effet que tous les juges n'ont pas le même enthousiasme à s'embarquer dans cette autre forme nouvelle, appelons-la ainsi, de justice où le citoyen a un peu plus une place et, lorsque vous m'interpellez ou nous interpellez pour clarifier son rôle... En fait, les trois points que vous avez sont interreliés les uns avec les autres, là, mais, dans le fond, quand vous dites: Clarifions le rôle, c'est bon, le citoyen va le savoir. Ayons une pratique uniforme, c'est bon, le citoyen va savoir à quoi il s'attend. Expliquons quels sont les uns et les autres, c'est bon, le citoyen va savoir quelles sont les offres de services devant lui. J'aurais l'impression que ce serait... et fondé sur rien, mais, vous qui avez l'expertise, est-ce que ce ne serait pas bon... Pour ceux qui ont à le faire, j'aurais un petit instinct que tous n'ont pas le même enthousiasme, et certains pourraient la qualifier, au sein même de la magistrature, de petite justice.

Mme Lalonde (Louise): La première étape de ma réponse sera de vous sourire.

M. Fournier: Et donc je comprendrai le non-verbal.

Mme Lalonde (Louise): Bien, c'est certain. C'est certain, hein, puis ne parlons pas seulement des juges. Comme dans toute nouvelle pratique, parce que c'est une pratique nouvelle, là, 10 ans. On a des fonctions traditionnelles puis on a une fonction nouvelle. Bon. Alors, au travers de ça, il y a des juges qui ont décidé de ne pas en faire, puis il y a des juges qui ont décidé d'en faire, puis il y a des juges qui ont décidé d'en faire, tu sais.

Donc, c'est aussi ça que je dis, bien sûr, quand je parle d'uniformiser puis de donner un cadre parce que c'est une justice publique. Quand on enseigne, nous, dans les programmes de prévention et règlement des différends, des modèles de médiation, bien on dit aux gens: Vous êtes en pratique privée. Moi, je dis toujours: Ce qui est important, c'est de dire ce qu'on fait. Ça, c'est important pour que les gens fassent un choix éclairé par rapport à ce que sera notre pratique.

Maintenant, pour moi, la donne est entièrement différente, et vous l'avez très bien saisi, M. le ministre, quand on parle d'une pratique publique. C'est ça que je dis quand je parle aussi d'uniformisation. Je dis qu'il y a tellement un risque que les choses soient différentes qu'il faut les réfléchir puis être bien sûr qu'elles seront ce qu'on veut qu'elles soient, et le législateur doit se demander qu'est-ce qu'il veut que soit cette pratique en regard de la traditionnelle. Et, s'il veut qu'elle soit ça, mais si elle est déjà ça, bien tant mieux, ça sera pour aider les citoyens. Puis, si elle ne l'est pas, bien ce sera peut-être un rappel à tous ces acteurs.

M. Fournier: Dans la pratique de tous les jours -- je vais me rapprocher de ça pour voir jusqu'à quel point il n'y a pas juste de déclarer des façons de faire -- pour bien les encadrer, il faut... Puis d'ailleurs d'autres l'ont dit. Vous avez parlé tantôt... vous avez fait référence au débat d'hier sur comment cette culture dont tout le monde parle est déjà présente ou pas tout à fait là. Est-ce qu'il faut attendre justement qu'on ait passé 24 nouvelles étapes pour se dire: Tiens, tiens, à un moment donné la culture a changé?

Je crois qu'un des vecteurs de changement... Bien, d'abord, le changement existe déjà, il n'est pas généralisé partout. Un des vecteurs de changement, c'est notamment lorsqu'on parle du rôle du juge dans cette justice nouvelle. J'aurais tendance à croire qu'il y a lieu de leur donner à tous le goût d'y aller et que...

À votre avis, est-ce qu'on peut constater qu'il y a une large part des juges aujourd'hui qui y sont déjà ou une part plus petite? Juste une évaluation, puis ce n'est pas un examen, là, juste une évaluation, à votre avis à vous, de ce qui nous sépare d'un enthousiasme partagé, généralisé dans la magistrature actuelle à cette nouvelle forme de justice. Est-ce qu'il y a une certaine réticence? De façon générale, là, ce n'est pas...

**(12 h 30)**

Mme Lalonde (Louise): C'est sûr que je ne peux pas vous répondre directement, mais je vous dirai indirectement la même chose qu'on peut constater dans le reste de la société et chez nos étudiants. Les étudiants dans une faculté de droit sont souvent là avec ce mythe de l'avocat plaideur, bon, etc., la veuve et l'orphelin, et je pense que, de plus en plus, ils voient le droit comme un outil, un outil de pacification qui peut être utilisé de diverses façons. Et c'est souvent en vieillissant aussi qu'on troque la toge pour la médiation, bon, il y a certains facteurs à considérer.

Je ne pense pas que c'est l'unanimité nulle part pour ça. Je pense qu'il y a des gens qui toutefois, et ça peut être dangereux, l'évaluent uniquement sur son efficacité. Ça marche, c'est bon. Moi, je trouve ça extraordinaire que quelque chose marche, mais l'efficacité, ce n'est pas le seul idéal de la justice, hein, donc... Et il y en a qui ont adhéré totalement. Je suis maintenant beaucoup plus loin du mode de la magistrature que je l'ai déjà été parce que je suis dans autre chose maintenant, plus vers la gouvernance. Mais je pense que vous allez retrouver là un échantillon de tout ce qui se retrouve dans la société à cet égard et qu'aussi pour ça c'est important que ces choix-là soient des choix non pas individuels mais collectifs. C'est important, ce qui se passe là, et on ne peut pas autrement le voir comme on le fait pour l'autre justice par la Cour d'appel, par... autrement. Donc, c'est ce que le citoyen vit, là, avec le juge, d'autant l'importance que la philosophie de ce système-là ne soit pas laissée à ce que tout un chacun en pense mais bien réfléchie collectivement, et la loi m'apparaît le plus grand outil pour le faire, bien sûr.

M. Fournier: J'entends bien qu'il y a une valeur pédagogique et franchement pas juste à l'égard du citoyen, franchement à l'égard de ceux qui ont à participer. Bon. Puis on ne parlera pas des modes privés. La CRA, je crois que, sans qu'on le dise trop, trop, qu'il y ait un certain formalisme qui rend les gens à l'aise de s'y intégrer va être un incitatif à la faire, on va multiplier, et, dans le fond, en vous parlant on se parle tous, là, les messages vont de tous les côtés. Vous avez compris que, si on est capables d'aller peut-être plus en détail, comme vous le soulevez, on risque d'attirer des juges qui ne veulent pas y aller en ce moment à en faire, d'où peut-être le plus grand moyen de pédagogie. Si on se dit... Comme vous dites, quelqu'un qui serait dans sa jeune vie adulte ou fin de l'adolescence et qui a encore besoin de savoir que sa décision par lui-même peut être un peu entérinée ou appuyée, plus il y en a qui vivront cette étape-là rapidement, plus on pourra... peut-être, peut-être, parce que, là...

Une voix: ...

M. Fournier: Si on a du temps, on pourrait parler ensuite de ce que ça représente, se gouverner par soi-même sans avoir l'appui des autres. Il reste toujours qu'il y a soit un conflit soit un litige, peu importe dans quel horizon on est, mais il y a un problème en tout cas, ça, c'est sûr, et parfois ça prend l'intervention de quelqu'un d'autre pour... même si on veut bien le faire nous-mêmes.

Mais donc je retiens de votre participation que les trois points que vous soulevez -- à mon avis, qui ne sont pas d'une complexité énorme à inclure de façon un peu plus fine -- est probablement le geste le plus fort pour amener notamment les juges à embarquer dans ce mode-là qui ne va pas contre eux.

Maintenant, si j'avais quelques secondes de plus...

La Présidente (Mme Vallée): Vous n'en avez...

M. Fournier: Plus?

La Présidente (Mme Vallée): ...plus, depuis quelques secondes.

M. Fournier: Ah bon! Alors, tout ça pour vous dire merci beaucoup de votre participation, ce fut très intéressant.

Mme Lalonde (Louise): Ce fut un plaisir pour moi, merci beaucoup.

M. Fournier: Je pense que je vais aller me réinscrire à vos cours dans une prochaine vie.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette, il vous reste un dernier bloc... M. le député de Lac-Saint-Jean, un dernier bloc de huit minutes.

M. Cloutier: Très bien. Merci, Mme la Présidente. Alors, nous serons deux à suivre ces cours, M. le ministre, parce que je disais à ma collègue que j'ai obtenu mon barreau en 2002 et je n'ai pas mémoire d'avoir eu une formation sur les formes alternatives de règlement des conflits. Et pourtant ça ne fait pas si longtemps que j'étais sur les bancs d'école, et même que j'ai poursuivi ensuite mes études longuement et je ne suis pas du tout familier. Et j'imagine que, si un juriste comme moi -- qui a quand même pris ses distances de l'exercice du droit mais quand même -- est peu connaissant, ça me donne une bonne impression de la population en général, et d'où l'importance, je pense, d'avoir des règles qui permettent justement une compréhension claire du choix que peut justement choisir un citoyen qui a à décider qu'est-ce qui est le mieux pour lui.

Vous avez dit, tout à l'heure, que vos étudiants... Est-ce que je dois comprendre que les étudiants sont particulièrement intéressés à ces façons alternatives ou au contraire ils sont plutôt dans l'application plus, je dirais...

Mme Lalonde (Louise): Moi, je ne sais pas, je pense que c'est un peu la même logique que le voisin du ministre, à savoir qu'on est dans une société où la réappropriation à tous les niveaux est fondamentale, donc se gouverner soi-même, et que, par cette perspective-là, on peut enrôler, j'oserais dire, un certain nombre de gens. C'est sûr que, quand on rentre à la fac de droit, c'est rarement pour faire de la médiation, à moins d'avoir plus une perspective notariale, j'oserais dire, où, déjà là, il n'y a plus... Mais, pour des gens qui se dirigent vers le Barreau, on a tous cette envie. Moi, j'ai été plaideur pendant 13 ans avec grand plaisir, et, bon, le litige a ses plaisirs aussi.

Mais je pense qu'avec égards, ma génération, on pensait différemment des jeunes qui rentrent aujourd'hui. Moi, je les vois beaucoup plus ouverts que nous ne l'étions à l'égard de la nécessité... D'abord, ils sont souvent plus que nous ne l'étions il y a 30 ans face à la diversité dans leur propre vie, hein, ils vivent dans des diversités, dans une interculturalité qu'on ne connaissait, nous, presque pas. Donc, ils ont une ouverture à la différence, règle générale, et ça, ça appelle peut-être plus une posture de compromis que, nous, on a atteinte en grisonnant, finalement. Bon.

M. Cloutier: Est-ce qu'il y a des raisons financières aussi qui pourraient expliquer une certaine réticence des avocats ou des membres du Barreau à se tourner vers...

Mme Lalonde (Louise): Bien, c'est difficile pour moi de faire des hypothèses. C'est sûr qu'il y a eu, je pense, ces rumeurs-là, hein, qui ont très certainement circulé que c'est... mais, vous savez, une perspective de coopération, c'est une perspective qu'on construit à long terme, et je pense que c'est aussi une autre culture de faire du droit que de le faire dans un droit coopératif, c'est sûr.

M. Cloutier: Je vous remercie pour vos propos éclairants. Puis il me semble qu'il y a des liens à faire aussi avec la présentation qui nous a été faite hier soir, en fin de journée, par M. Miller, là, Me Miller qui est un ancien chef de contentieux, qui nous invitait à opérer ce virage vers davantage de coopération.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette, il vous reste quatre minutes.

Mme Hivon: Oui, bon, alors deux questions un peu plus pointues. Je vais les poser les deux en même temps, comme ça vous aurez le loisir de répondre. Si jamais il reste un peu de temps, on pourra aborder d'autre chose, mais ça m'étonnerait.

La première, c'est l'obligation qui est faite de considérer le recours. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est assez encadré pour que cette obligation-là ait un sens? Première question.

Et, la deuxième, j'aimerais vous entendre sur l'article 5, donc sur le fait que le législateur écrit noir sur blanc «des normes autres que celles du droit», parce que vous parlez aussi de l'importance en médiation, et pourquoi on trouve notre autorité, c'est aussi parce qu'on se réfère au droit, et peut-être aussi les risques qui peuvent être associés à ça. Donc, mes deux questions.

Mme Lalonde (Louise): Bon, d'abord, donc, sur la question des normes et critères, je commence par l'article 5 parce que, ça, j'étais tellement heureuse de voir cet article-là parce que, dans les fondements théoriques de la médiation, on essaie d'embrasser une pluralité, une pluralité de normes. Donc, le passage de la justice du droit, dans l'ordre du décisionnel, à la justice réappropriée présuppose aussi de concevoir la construction d'un conflit au départ de quelque chose d'autre que la normativité juridique, donc de là cette idée des normes entendues largement. Donc, les normes entendues largement, ça peut être, dans le commerce, d'aller intégrer les normes ISO plutôt que le Code civil. Ça peut être des normes techniques, ça peut être des normes sociales. Ça peut être aussi... Et le langage qu'on utilise souvent dans notre domaine, c'est les valeurs et intérêts, les besoins des parties donc qui sont les valeurs.

C'est un système normatif, hein? Donc, c'est ça, cette grande idée d'aller chercher tout cadre régulateur autre que juste le droit. Et ce n'est jamais exclusif du droit, hein, il faut bien comprendre. C'est juste qu'on utilise cet espace plus large de la normativité donc qui laisse plus de place à l'autonomie des personnes que le droit ne peut le faire.

Moi, je... Quand on est avocat, vous le savez, on reçoit des gens pour une première entrevue puis on fait une espèce de liste, hein, qu'on divise en deux: d'un côté, les faits qu'on va garder, qui seront les faits juridiquement qualifiables, puis, de l'autre côté, on tasse ça puis on l'écoute en se disant: Bon, j'attends mon fait. Bon. Bien, la médiation permet d'entrevoir les deux colonnes, et c'est souvent l'essentiel du conflit qui est dans les deux colonnes, parce que ce qui est au départ de ces mécanismes-là et de leur intérêt, c'est bien souvent l'insuffisance du droit, l'insuffisance du droit à permettre d'embrasser la complexité des rapports humains, et c'est ce niveau d'appréhension global qu'on peut aller chercher dans une approche de médiation et qu'on ne peut pas aller chercher par rapport au litige. Voilà.

Mme Hivon: Et la deuxième, sur l'obligation de considérer?

Mme Lalonde (Louise): Considérer? Bien, je considère que je suis en accord avec le ministre là-dessus totalement. Et toutefois j'aimais bien cette idée hier -- je reviens à l'IMAQ -- de Me Bériault de l'associer, comme en Australie, là, d'une espèce de déclaration. Encore là, on ne peut pas pousser trop loin non plus là-dessus parce qu'on vient, ce faisant, de dénaturer ce qu'est la chose. Et il y avait par ailleurs, il y a plusieurs années, la déclaration obligatoire de l'avocat, là, qu'on avait avisé les parties; bon, on le sait, que c'était tous une formalité qui était remplie souvent sur le coin de la table.

Donc, c'est sûr que ça peut aider, mais je pense que c'est en amont que le travail va se faire. Le législateur lance un grand signal, mais il ne faut pas... il faut humblement être législateur, hein, il ne faut pas penser que la loi à elle seule a ce pouvoir de sa propre effectivité. Ce qui rend effectif le droit, c'est son appropriation par les parties et non pas son énonciation normative, donc il faut s'arranger pour faire en sorte que ce soit connu.

La Présidente (Mme Vallée): Bien, merci beaucoup, Mme Lalonde. Sur ce, je tiens à vous remercier d'avoir participé aux travaux de la commission. Je vous souhaite un bon retour.

Et, compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 40)

 

(Reprise à 14 h 5)

Le Président (M. Drainville): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demanderais à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la... éteindre, dis-je bien, la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Alors, nous allons poursuivre sans plus tarder les auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile. Nous avons comme invité ce matin M. Jean-François Roberge, du programme de prévention et règlement des différends de l'Université de Sherbrooke. M. Roberge, bienvenue parmi nous. Alors, vous aurez 15 minutes pour faire votre exposé, et par la suite suivra une période d'échange. À vous la parole.

Programmes de prévention et règlement des différends,
Université de Sherbrooke (PRD-US)

M. Roberge (Jean-François): Merci beaucoup. Alors, bonjour à tous. Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui. Je tiens à vous remercier de me donner l'opportunité de participer à cette commission parlementaire au nom des programmes de prévention et règlement des différends de l'Université de Sherbrooke. C'est un projet que nous avons, nous, accueilli avec enthousiasme, et c'est aujourd'hui un moment privilégié pour moi pour vous partager nos impressions sur ce projet.

Peut-être vous parler d'abord des programmes de PRD. Nous existons depuis 1999, et, pour faire le lien avec la présentation de ma collègue Louise Lalonde un peu plus tôt, j'ai pris la relève de Louise Lalonde à la Direction des programmes de PRD en 2008, mais nous travaillons ensemble depuis déjà 10 ans. Les programmes de PRD existent donc depuis 1999. Ils sont constitués d'une maîtrise professionnelle multidisciplinaire et de programmes sur mesure de formation continue. On a, depuis, formé environ 1 000 professionnels... 1 000 personnes, en fait, parmi les professionnels multidisciplinaires canadiens, les procureurs et légistes du ministère de la Justice du Québec, certains tribunaux administratifs et, en collaboration avec l'Institut national de la magistrature du Canada, nous avons également formé la magistrature québécoise, canadienne ainsi que celle de plusieurs autres pays, qui sont soit venus en stage ici, au Québec, ou nous nous sommes déplacés pour les accompagner dans leurs démarches pour instaurer les modes de prévention et règlement des différends dans leurs systèmes judiciaires. Nous avons également formé des médiateurs et des arbitres civils et commerciaux dans plusieurs pays, notamment en Afrique de l'Ouest.

Les réalisations font de nous une référence incontournable dans le monde francophone en matière de PRD, et c'est vraiment un plaisir pour moi d'être avec vous aujourd'hui. J'ai moi-même agi comme expert-conseil aussi à l'Institut national de la magistrature pour la première phase de la réforme du Code de procédure civile. J'avais eu la chance de pouvoir développer des programmes de formation pour la magistrature québécoise, Cour du Québec, Cour supérieure. Donc, c'est un beau moment aujourd'hui en continuité avec ce long processus qui mûrit depuis plusieurs années.

Alors, pourquoi avons-nous demandé aujourd'hui d'être entendus? Bien, c'est pour appuyer l'avant-projet de loi. Essentiellement, c'est pour ça. Nous croyons qu'il y a plusieurs initiatives dans ce projet qui vont nous permettre de relever... en tout cas de faire des pas importants pour relever le défi de l'accès à la justice, parce que, pour nous, c'est l'enjeu essentiel, l'accès à la justice, et notre approche, c'est de regarder l'avant-projet de loi avec les yeux du justiciable. C'est vraiment l'approche qu'on a choisie et c'est l'approche que je vais utiliser... que je vais, enfin, utiliser ou aborder aujourd'hui. Qu'est-ce que le citoyen trouve dans le nouveau Code de procédure civile? Qu'est-ce qu'il trouve pour améliorer l'accès à la justice? Est-ce que l'offre de justice de l'avant-projet de loi se rapproche des perceptions et des attentes de justice du citoyen? Parce que, pour nous, le défi de l'accès à la justice, c'est ça, c'est de travailler sur une offre de justice qui va vraiment combler le fossé entre les perceptions et les attentes de justice du justiciable, coller en quelque sorte cette offre aux attentes et aux perceptions de justice du justiciable, du citoyen. Et est-ce que l'offre de justice que propose l'avant-projet de loi rapproche, comble ce fossé? C'est la question qu'on s'est posée, et, à notre avis, la réponse, c'est oui. À notre avis, l'avant-projet de loi propose une justice plus simple, plus rapide et économique et, je souligne, à visage humain également, et la dimension humaine, pour nous, est fort importante parce que le potentiel, entre autres, des modes des PRD se retrouve notamment dans cette possibilité d'adapter la justice, l'offre de justice au visage humain du citoyen.

Alors, pourquoi, selon nous, l'avant-projet de loi est un pas important pour relever le défi de l'accès à la justice? Pour nous, l'avant-projet de loi présente une vision en trois dimensions de l'accès à la justice, la première dimension étant l'accès à une information juridique, la deuxième dimension étant l'accès aux tribunaux et la troisième étant l'accès à une forme de justice participative qui implique davantage le citoyen dans la définition de l'offre de justice. Je vous réfère, par rapport à cela, pour notre définition de l'accès à la justice et notre définition des trois dimensions de l'accès à la justice, dans le mémoire. À la page 6 et à la page 8, vous retrouvez l'information pertinente et vous retrouvez également des figures, c'est-à-dire un graphique qui représente notre pensée.

**(14 h 10)**

Cette vision en trois dimensions, c'est l'aboutissement de plus de 10 ans de réflexion, comme vous l'avez si bien souligné depuis le début de cette commission, menée par divers groupes de travail, de nombreuses consultations auprès de la magistrature, du Barreau du Québec, de la Chambre des notaires, des huissiers, de tous les intervenants, en fait, de la société civile, et cette vision en trois dimensions, pour nous, c'est vraiment une suite logique et cohérente de la première phase de la réforme du Code de procédure civile qui est en vigueur depuis 2003, donc ça s'insère vraiment dans cette tradition civiliste et c'est vraiment une suite qui est parfaitement logique et cohérente. Et ça s'insère également dans un courant canadien et européen, parce que ce qui se passe ici a des échos ailleurs, et forcément, qu'on le veuille ou non, on s'influence mutuellement, parce que la problématique du défi de l'accès à la justice, elle n'existe pas juste ici, elle existe partout.

Le mémoire fait une analyse de chacune de ces trois dimensions de l'accès à la justice: Quelles sont les avancées de l'avant-projet de loi? Pourquoi ces avancées contribuent-elles à améliorer le défi de l'accès à la justice? Quelles sont les recommandations pour aller même plus loin vers... et favoriser une accessibilité, une célérité et une qualité à la justice? Je n'en ferai pas l'exposé ici, mais je vous rappelle... Je vous réfère au mémoire à cet égard, mais je serai très heureux, tout à l'heure, de répondre à toutes vos questions en lien avec toutes les avancées, les recommandations que nous suggérons dans le mémoire.

Mais revenons à l'essentiel, et c'est vraiment le message que j'aimerais qu'il soit retenu de ma présentation, c'est: Qu'est-ce que le citoyen voit dans l'avant-projet de loi quand il le regarde?

Premièrement, il voit une disposition préliminaire qui influence l'esprit du code par des principes directeurs, et ces principes directeurs, ce sont des principes de prévention, de respect, de responsabilisation, de collaboration, d'équilibre et de proportionnalité. Selon moi, davantage qu'un code plus technique, sur la technique juridique, il voit un code vraiment de justice civile.

Deuxièmement, le citoyen voit dès l'article 1 du code que la justice civile privée lui appartient, qu'il peut agir seul ou en collaboration avec son avocat pour régler son différend à l'amiable par une solution qui est réellement adaptée à sa réalité. Le citoyen voit donc qu'il peut participer pour obtenir une justice, il peut participer pleinement pour obtenir justice.

Troisièmement, le citoyen qui choisit la justice civile publique plutôt que la justice civile privée, comme je le mentionnais dans mon deuxième point, donc ce citoyen qui choisit la justice civile publique voit que tous, c'est-à-dire tous les acteurs, que ce soient les parties, les avocats, les juges, tous les intervenants dans le processus judiciaire... donc il voit que tous sont encouragés à coopérer en partenariat pour réduire les coûts et les délais du processus judiciaire avant la décision qui tranchera le différend. Le justiciable comprend donc que chacun des acteurs est soucieux de sa responsabilité sociale de favoriser l'accès à la justice.

Ça nous amène à deux questions fondamentales: Est-ce que cette nouvelle culture juridique -- parce qu'on parle d'une nouvelle culture juridique ici -- peut donner confiance aux citoyens dans le système judiciaire? Première question fondamentale. Deuxième: Est-ce que le citoyen sent qu'il se rapproche de la justice telle qu'il la perçoit et en fonction de ses attentes par rapport à la justice? Pour nous, pour les programmes de PRD, la réponse, c'est oui, et c'est pourquoi l'avant-projet de loi est un pas important pour relever le défi de l'accès à la justice.

Ce fut une courte présentation, et je suis maintenant ouvert à écouter et à répondre à toutes vos questions en lien avec celle-ci. Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. Roberge. M. le ministre.

M. Fournier: Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): Bonjour, M. le ministre.

M. Fournier: Bonjour, M. Roberge. Merci d'être avec nous. Merci de votre présentation, de votre mémoire. Je trouve toujours... on y trouve, dans ce genre de présentation, l'énergie de continuer. Et, même si plusieurs groupes, à juste titre, viennent nous indiquer qu'il y a des bonifications à apporter, au moins, quand on sait de la part de ceux... -- et vous n'êtes pas le seul, là -- de la part de ceux qui s'y connaissent que les sillons ont été bien tracés, bien on se dit: Au moins, on est sur le bon chemin.

On pourra peut-être parler de culture tantôt, mais j'aimerais ça vous entendre sur un point qui m'interpelle, parce que je respecte énormément le travail de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, et ils sont venus, ce matin, nous parler de la situation des personnes plus vulnérables et que, lorsqu'on regarde la justice participative... Je décode de leur interprétation que tous ne sont pas égaux dans les aptitudes à participer. Et, sans vouloir jouer à l'opposition entre eux et le code, et tout ca, il reste qu'ils soulèvent cette difficulté-là et nous suggèrent, entre autres, parmi une des pistes, de retirer l'obligation pour les parties, avant de judiciariser, de considérer une justice participative, puis franchement je leur ai dit, là, je ne m'en suis pas caché, là, c'est à peu près le seul levier qu'on a pour essayer de passer à une autre étape, parce qu'on n'a pas voulu puis personne ne veut, là... Puis ma question n'est pas là-dessus. Je me doute bien que vous ne souhaitez pas que ce soit une obligation, parce que, dans cette justice participative, on n'est pas forcés, on veut.

Peut-être vous n'avez pas pu assister à leur présentation, mais comment voyez-vous ce défi pour les gens qui sont plus vulnérables, peut-être plus facilement manipulables, de participer à cette justice? Et bien franchement je vais exagérer, là, puis le président de la commission dira peut-être que j'exagère, mais il m'a semblé que, si je regarde cette clientèle-là, soit que je mets toutes les balises pour éviter qu'ils soient pénalisés, mais auquel cas j'ai comme enfargé tout le reste du groupe... Est-ce qu'il y a des moyens de considérer... Je répondais en disant que, dans le code, il y a déjà des responsabilités de nos médiateurs, il y a toujours la théorie que, si quelqu'un a eu un consentement vicié, ça peut être corrigé, bon, tout ça, là. Mais, dans vos réflexions là-dessus depuis plusieurs années, comment vous voyez la place de ceux qui peuvent être entraînés, surtout si tant est que cette culture prenait un essor tel que même mon voisin en entendrait parler? Comment vous voyez ce problème-là chez ceux qui sont les plus vulnérables?

M. Roberge (Jean-François): La vulnérabilité est un enjeu, à mon avis, qu'il faut sérieusement considérer. Maintenant, je ne vois pas l'article 1 et 7, en fait ce qui amène l'obligation de considérer les modes de PRD comme étant forcément une renonciation à des droits chez ces personnes vulnérables qui, en utilisant ces modes-là, verraient... renonceraient forcément à leurs droits parce qu'ils ont un caractère vulnérable qui ne leur permet pas d'avoir accès, en tout cas d'être conscients... ou encore ils vont utiliser un... ils vont s'embarquer dans un processus qui ferait en sorte qu'ils ne retireront pas une solution qui va vraiment être à leur avantage.

Moi, je pense que ces deux articles sont essentiels. Pour le citoyen ordinaire, c'est essentiel pour amener les gens à considérer autre chose et c'est... Alors, pour le citoyen ordinaire, pour moi, la question ne se pose pas. Le citoyen désire participer pleinement, et on lui offre l'opportunité avec ces articles. Si jamais il choisit la médiation, à ce moment-là il y a même des articles plus loin, article 607 et suivants, qui précisent vraiment donc, entre autres, le rôle du médiateur et son rôle pour préserver les... Si jamais il réalise un déséquilibre de pouvoirs, à ce moment-là il doit intervenir. Donc, c'est prévu au code, et je dois dire que c'est dans la formation des médiateurs de toute manière, ils sont particulièrement sensibilisés à ça dès leurs premières heures de cours. On ne veut pas que la médiation devienne, en quelque sorte, une négociation des droits où les gens renoncent sans... et donc obtiennent une solution qui ne serait pas juste, en quelque sorte.

Pour les personnes vulnérables, je sens l'enjeu. Par ailleurs, je sens que ces personnes veulent également... ont des attentes et une perception de la justice aussi. Et comment amener l'offre de justice? Comment cette offre de justice là peut tenir compte de leur vulnérabilité pour aussi aller chercher leurs attentes et leurs perceptions de la justice? Je n'ai pas de solution précise par rapport à ça, malheureusement. Je sens l'enjeu. Je sais que, si ces personnes s'engagent dans un processus de médiation, le tiers prendra en considération cette vulnérabilité, forcément. Je pense qu'on ne peut pas retirer à ces personnes la possibilité de trouver une solution adaptée à leur réalité.

Maintenant, le «adapté à leur réalité», je comprends que la vulnérabilité se situe là, O.K., mais ces personnes sont des citoyens comme les autres qui ont des attentes par rapport à la justice, et, si on leur permet de s'impliquer... Et là la question, c'est: Est-ce qu'elles sont réellement capables de s'impliquer et est-ce qu'elles ont besoin d'aide, en quelque sorte, pour s'impliquer? Cette question-là doit être travaillée, je l'avoue, et votre question est parfaitement pertinente pour ça, mais ces personnes-là ont le même désir, ont le même besoin, alors je ne vois pas comment on pourrait leur retirer, en quelque sorte, cette opportunité-là de participer pleinement à la... en tout cas participer pleinement à l'offre de justice qui va correspondre à leurs besoins et à leurs attentes.

**(14 h 20)**

M. Fournier: On parle d'une culture à développer ou qui est déjà en émergence, là, c'est toujours compliqué de savoir on est rendus où dans un processus. Je crois personnellement qu'on n'est pas rendus très loin. Je pense qu'il y a des décideurs, il y a des juges, il y a certains avocats, il y a des experts qui se sont donné beaucoup la peine de voir ce qui se faisait ailleurs. Comment on pouvait scruter, je ne suis pas convaincu que ça a percolé très profondément auprès de nos concitoyens. Pourtant, il y a différentes personnes qui sont venues devant nous, certaines pour dire qu'on était presque à la remorque, et je vous écoute dire que, dans le fond, on vient répondre à des attentes, que ce soit... D'ailleurs, je pense que le réflexe de la Commission des droits est un peu, à mon avis, un reflet du fait que ce n'est pas si profondément ancré que les attentes de la justice, bien que je croie que c'est vers... Je suis persuadé que c'est vers ça qu'il faut tendre, mais il y a encore un grand, grand effort pour partager qu'il y a d'autres options de justice et que d'autres options de justice sont peut-être même préférables. Mais chacun les choisit, là, quand même.

Dites-moi si j'erre quand je dis que, dans la population, la justice, en ce moment, ils n'envisagent pas que, pour avoir justice, ils doivent y mettre de leur part, qu'ils doivent y donner une certaine concession. Je ne suis pas convaincu que les gens soient là. Je ne suis pas convaincu que, dans le quotidien des gens, ils perçoivent que le problème juridique peut être un des éléments d'un conflit de personnalités ou d'un conflit beaucoup plus large, parce que toute la logique, toute la rhétorique autour de... Je vais prendre l'exemple qui nous a été offert plus tôt, qui était très intéressant, de l'avocat qui fait ses deux colonnes, les éléments juridiques importants à une cause et tout le reste qui serait peut-être de l'ordre plus social, et que régler un conflit, c'est régler les deux colonnes, alors que l'ordre juridique s'intéresse plus à une des colonnes. Je trouvais que c'était une belle image, mais je ne suis pas convaincu que nos concitoyens voient l'autre colonne et qu'ils sont en attente d'un règlement complet. Alors, si on part de là et si... admettons que j'ai raison, je peux avoir tort, mais admettons que j'ai raison, qu'est-ce qu'on a comme efforts à déployer pour leur faire voir que le problème juridique est peut-être un élément, celui qu'on voit d'un conflit beaucoup plus large et que, pour le régler, le conflit plus large, c'est là qu'intervient la justice participative parce que l'autre ordre ne peut pas? Enfin, je ne sais pas, c'est un peu compliqué, ce que je dis.

M. Roberge (Jean-François): Je saisis parfaitement, et c'est drôle parce que ce que vous me dites me ramène à ma première journée ou ma première semaine, disons ça comme ça, en tant que stagiaire. Je vais vous dire pourquoi.

J'ai commencé donc ma carrière comme stagiaire à la Commission des normes du travail, et on m'a demandé assez rapidement, parce qu'on nous implique rapidement dans les dossiers, de contacter les citoyens qui soit ont été congédiés avec la prétention que c'était illégal ou encore ne se sont pas fait verser des sommes que l'employeur aurait dues en vertu de la Loi sur les normes du travail. Donc, moi, mon premier appel à un de ces clients, je l'ai appelé, je lui ai dit: Bonjour. Pouvez-vous m'expliquer votre problème, ce qui se passe dans votre situation? Je vais éventuellement vous représenter ou préparer un dossier pour que quelqu'un aille vous représenter devant un tribunal. Et, sur une heure de discussion avec la personne, j'avais mes deux colonnes, ma colonne de faits pertinents en droit et ma colonne «autres», que je n'étais pas capable de nommer à l'époque. Et, dans ma colonne «faits pertinents en droit», j'avais à peu près 20 % d'information; dans ma colonne «autres», 80 %. Et, à la toute fin de ça, le citoyen m'a dit: Je vous remercie vraiment, j'ai senti que vous m'avez vraiment écouté parfaitement et pleinement comme je le souhaitais, et pourtant, moi, je ne ressortais qu'avec 20 % de faits pertinents. Et là je me suis posé la question: Qu'est-ce qu'on fait avec l'autre 80 %? Parce que ce que j'allais lui dire, la déception qu'il allait avoir, c'est que je devais lui dire: Très bien, maintenant je ne m'intéresse qu'à ceci, ceci, ceci, et tout le reste, ce n'est pas pertinent pour vous défendre devant un tribunal parce que le tribunal n'en tiendra pas compte. Et c'est là que la déception venait ou viendrait, en fait, était venue si je le lui avais mentionné. Je me suis réservé cela, mais en ma tête je me suis dit: Ce 80 %, qu'est-ce qu'on en fait et qu'est-ce qu'on en fera dans le futur? Et on était en 1998.

J'ai choisi de quitter donc la pratique pour aller vers les modes de prévention et règlement des différends, dont le programme 1999, première année, et là j'ai compris ce qu'on pouvait faire avec le 80 %. Les modes de PRD comme la négociation, la médiation, l'arbitrage peut-être en une certaine... en une moindre mesure, mais certainement la négociation et la médiation permettaient d'aller chercher ce 80 %, et je me suis dit: La justice, un jour, changera parce que les citoyens demanderont que la justice soit le 100 % ou s'intéresse davantage au 80 % qu'au 20 %, et, moi, je veux être prêt quand ça sera le cas.

1999, j'embarque donc dans ce programme. Tout à coup, 2001, les juges réfléchissent à implanter éventuellement quelque chose de nouveau, les conférences de règlement à l'amiable où on va se permettre d'aller chercher une partie du 80 %, d'où l'importance, comme le soulignait ma collègue Louise Lalonde ce matin, de ne pas limiter la conférence de règlement à l'amiable aux litiges mais bien aux différends en première instance comme c'est déjà prévu en deuxième instance à l'article qui prévoit la CRA en deuxième instance.

Alors, ce 80 % là, depuis, moi, toute ma carrière, je travaille dans ce 80 % pour perfectionner les modes, amener les gens à aller chercher ce qui les intéresse vraiment. Puis ce qui les intéresse vraiment, c'est le 100 %. Et, dans le 100 %, ce qui est le plus prédominant, à mon avis, c'est le 80 %.

Maintenant, qu'est-ce que le système de justice leur offre? Le système de justice leur offre de s'intéresser aux litiges, aux faits pertinents en droit. Le système de justice leur offre depuis 2003 la conférence de règlement à l'amiable qui permet d'aller chercher en partie la question du conflit, et le système privé, la justice civile privée, offre la médiation depuis au moins le milieu des années 90, où on a eu un projet pilote qui s'est finalement terminé en 1999 pour tranquillement laisser place à la conférence de règlement à l'amiable. Mais donc l'offre pour aller chercher le 80 % existe dans le privé.

Maintenant, il y a eu de la résistance, parce que les citoyens n'ont pas encore peut-être adopté le réflexe d'aller vers le privé pour régler le différend et s'intéresser au 80 %, mais, même s'ils n'ont pas ce réflexe encore complet vers le privé, l'intérêt demeure. L'intérêt de mon client en 1998, je suis convaincu qu'il s'est maintenu, parce que je peux vous dire que c'était le premier client, la première personne à qui j'ai parlé, mais il y en a eu d'autres. Et, après un certain temps, j'ai quitté pour autre chose, pour aller justement répondre à ces attentes-là.

Et je peux dire que le milieu professionnel change. Je regarde, on a tous reçu ça, les membres du Barreau, Les avocats de pratique privée en 2021, qui est très bien fait, une étude sérieuse qui projette en quelque sorte le rôle de l'avocat en 2021, et on y lit, entre autres, l'importance de la justice participative. Et ça, ça vient tout juste d'être déposé, en fait, 2011, juin 2011. En 2008, une étude socioéconomique auprès des avocats, un sondage réalisé auprès des avocats amenait la justice participative comme étant la voie d'avenir privilégiée. Près de 40 % des avocats, membres du Barreau ayant répondu à l'étude considèrent qu'il s'agit de la voie d'avenir privilégiée. Et ces avocats le considèrent pourquoi? Parce que je crois que la demande vient. Ils la sentent, la demande, ils la sentent. Et les juges aussi sentent qu'ils ont un pouvoir mais que leur pouvoir est limité et ils aimeraient faire plus, à mon avis, pour permettre l'accès à la justice.

Le Président (M. Drainville): M. Roberge...

M. Roberge (Jean-François): Qu'est-ce qu'on peut leur permettre, qu'est-ce qu'on peut faire pour ça, pour les aider? L'avant-projet de loi est un bel exemple.

Le Président (M. Drainville): Ça tombe bien que vous concluiez parce que le bloc de 12 minutes s'est étiré un petit peu. On va donc aller du côté de l'opposition officielle, on reviendra à la partie gouvernementale tout à l'heure. Mme la députée de Joliette.

**(14 h 30)**

Mme Hivon: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue. Merci beaucoup d'être ici. J'ai lu avec intérêt votre mémoire avec vos graphiques et l'intégration des différents éléments, surtout que vous plaidez pour cette culture intégrative. Et justement vous dites que, bon, c'est essentiel, c'est à la base, là, de votre proposition, mais vous dites qu'il y a bien sûr des aspects plus controversés, mais vous n'élaborez pas beaucoup, puis je voulais juste savoir qu'est-ce que vous voulez... à quoi vous faites référence quand vous parlez des aspects plus controversés?

M. Roberge (Jean-François): Alors, pour moi, le milieu juridique en général valorise une culture distributive de règlement des différends. Pour l'illustrer, prenons deux idées opposées. C'est dans le mémoire, il y a une dimension sur la différence entre la culture intégrative de règlement des différends et la culture distributive de règlement des différends. En général, le milieu juridique favorise une culture distributive. Qu'est-ce qui l'illustre? Imaginez deux idées opposées. Comment est-ce qu'on va réussir à résoudre le différend entre deux idées opposées? Ce sera en fonction du mérite de l'une ou de l'autre, et éventuellement celle qui a le plus de mérite l'emportera, ou encore on aura un compromis qu'on va diviser entre... celle qui a le plus de mérite aura la plus grande partie du pourcentage, disons 70 %, et l'autre aura 30 %. C'est la façon de négocier traditionnelle. Un règlement hors cour se négocie en général de cette manière, c'est-à-dire qu'on explore d'un côté comme de l'autre la preuve et on évalue la force de la preuve. Donc, ce sont des idées opposées, on a des prétentions opposées au départ, et là on a des arguments pour faire valoir notre idée par rapport à l'autre et éventuellement on arrivera à une entente de règlement à l'amiable qui sera un compromis en faveur du rapport de force. Ça, c'est la culture distributive.

Ce qui est controversé, c'est d'amener une nouvelle culture de règlement des différends, que je nomme la culture intégrative, parce que ça demande de changer les mentalités. Ça demande de changer les mentalités dans la négociation notamment hors cour. Mais, pour ça, même si ça pourrait demeurer une idée intéressante parce que la différence, c'est qu'on résout les... on a les mêmes idées opposées, la tension entre les idées opposées. Comment la résout-on cette fois-ci? On essaie de travailler pour trouver une nouvelle idée, créer une nouvelle idée rassembleuse plutôt que de valoriser en quelque sorte le rapport de force ou de faire jouer le rapport de force.

C'est décrit dans le mémoire. La forme de négociation qui vient avec ça, distributive ou intégrative, il y a également une définition dans le mémoire. J'ai également écrit un livre qui a paru en août dernier, qui s'appelle La justice participative -- Changer le milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends. En ce sens, même si l'idée... L'idée peut demeurer intéressante, alléchante, mais qu'est-ce qu'on en fait concrètement pour la rendre réaliste, réalisable? Moi, je suggère 12 compétences, 12 outils concrets, plusieurs exemples. À mon avis, c'est simplement une question de croyances. Est-ce qu'on croit qu'on peut négocier autrement en faveur du citoyen? Et quels sont les outils pour y parvenir, les compétences qu'on doit créer et les outils pour y parvenir? Moi, je fais une suggestion sur 400 pages par rapport à cela.

Donc, l'information existe, et je dois dire que j'ai commencé à l'intégrer dans mon enseignement au baccalauréat en droit. Dans la formation des juristes, on a un cours d'introduction aux modes de PRD, et je leur enseigne ces compétences et ces outils. Et on le fait aussi à la maîtrise en prévention et règlement des différends. On a une quarantaine de professionnels multidisciplinaires, on leur enseigne les compétences de la négociation intégrative et les outils de la négociation intégrative pour que ces gens-là fassent une différence dans leurs milieux de travail ensuite. Et on a formé plus de 500 professionnels au fil du temps comme ça.

Donc, à mon avis, ce qui est controversé, c'est d'amener les gens vers une nouvelle façon de faire qui est une nouvelle conception du règlement des différends, qui est une conception intégrative, et ce que je trouve merveilleux, c'est que l'avant-projet de loi ouvre des portes vers cela. Et je pense que ça, si on n'avait pas un avant-projet de loi comme ça qui ouvrait ces portes, ce serait encore plus difficile de faire changer le milieu juridique. Je dois dire que, moi, quand je leur propose une culture intégrative et qu'on me dit: Oui, mais la pratique ne fait pas ça en ce moment, je peux leur dire: La pratique ne le fait pas en ce moment, mais elle pourrait le faire plus tard. On a ce qu'il faut dans l'avant-projet de loi pour ouvrir des portes vers ça, je peux interpréter plusieurs des dispositions de l'avant-projet de loi comme étant une porte ouverte à une culture intégrative qui... Et, cette culture intégrative, je sais que la présentation de l'IMAQ hier parlait de la quatrième Table ronde sur la justice participative. On cherchait à mettre la justice participative de l'avant et justement on a discuté, cette journée-là, des compétences et des outils.

Donc, moi, ce qui est controversé, pour moi, c'est d'amener les gens à changer en quelque sorte leur conception du règlement des différends et leur façon de négocier les règlements hors cour, entre autres, et éventuellement les problèmes qui pourraient en survenir, c'est-à-dire que, pour être honnête, si on interprète certaines dispositions dans le sens intégratif, il y en a qui pourraient dire que l'autre partie n'a pas... ou l'autre avocat n'a pas tenté de négocier de façon intégrative, et le code ouvre la porte à cette façon intégrative de négocier. Donc, on pourrait en quelque sorte, je ne sais pas si c'est possible, mais considérer poursuivre sur la base que l'autre n'a pas négocié de bonne foi dans une vision intégrative, en quelque sorte.

Ça, c'est l'aspect controversé, mais, voyez-vous, l'inverse se plaide aussi, on peut dire que les dispositions du code amènent à une culture distributive aussi. La porte est ouverte des deux côtés, et c'est peut-être la réalité de la pratique. La pratique, c'est que certains dossiers ou certaines personnes sont plus à l'aise avec une forme de négociation, d'autres sont plus à l'aise avec une autre forme de négociation, et on s'adapte en fonction des dossiers et en fonction de ce qu'on est capable de faire, parce qu'il n'y a rien de pire... Je pense que, comme le soulignait ma collègue ce matin, nommer ce que l'on fait, c'est ce qu'il y a de plus important. Évidemment, il faut être capable de le faire, là, mais, de nommer, si on n'est pas capable de nommer ce que l'on fait, on peut proposer quelque chose qui finalement décevra parce qu'on propose mer et monde, on propose un visage humain, alors qu'en vérité on applique un visage juridique plus traditionnel, pour reprendre ce qui s'est dit ce matin.

Mme Hivon: À la page 18 de votre mémoire, vous revenez sur l'article 1 et vous dites que vous recommandez, là, particulièrement le maintien de l'obligation des parties de tenter de régler leurs litiges en ayant recours aux modes de PRD. Évidemment, vous savez que, dans le libellé, ce n'est pas «tenter de», c'est «considérer le recours», hein? Il y a quand même une nuance. Alors, est-ce que le libellé qui est là est le bon libellé et est-ce qu'il est suffisant?

M. Roberge (Jean-François): Le libellé, oui, moi, je le... Moi, il me convient. C'est le bon.

Est-ce que c'est suffisant? On pourrait peut-être faire plus, mais je pense que c'est un premier pas qui déjà amène les gens ailleurs. En fait, c'est toujours l'équilibre entre amener les gens vers autre chose et les forcer, en quelque sorte, vers autre chose. Je pense que la porte est ouverte. Je pense que c'est très facile de respecter cette obligation-là, à mon avis, sans que ce soit... sans remuer le système ou sans complication. Maintenant, est-ce qu'on pourrait aller plus loin?

Mme Hivon: ...vous dites «tenter», mais en fait «considérer» ne veut pas dire «tenter», d'où ma nuance, puis c'est pour ça que je me permets de vous amener là-dessus, parce que, pour plusieurs, il y a justement cette distinction-là. Mais en même temps, exactement comme vous le dites, il y a un point d'équilibre à trouver, parce qu'on ne peut pas forcer la main si on veut avoir des résultats, et tout ça. Mais jusqu'où on va? Où on le trouve? Parce que, pour plusieurs, ce n'est pas assez, puis, pour d'autres, il faut faire attention à ne pas forcer trop. Donc, tu sais, c'est pour ça que je vous demande ça, il y a différentes propositions. En tout cas, si vous avez des réflexions là-dessus, ça va nous intéresser.

M. Roberge (Jean-François): Oui. Écoutez, je peux peut-être en faire... j'ai une réflexion en particulier qui pourrait peut-être vous intéresser. À mon avis, «considérer», ça veut dire poser des questions au citoyen, O.K., ou le citoyen considère lui-même, ou encore... Là, je me mets dans la position de l'avocat qui a un client devant lui. À mon avis, l'avocat devrait explorer le niveau de participation désiré par le client, à mon avis, le client peut... et choisir un mode dans la justice civile privée qui va être adapté au niveau de participation que le client requiert.

Maintenant, ces niveaux de participation, on peut les diviser par variables, là, si on veut. Moi, j'ai une proposition dans le livre, à la compétence n° 2. En fait, selon moi, le niveau de participation va varier en fonction, entre autres, du degré auquel le client désire être impliqué directement dans la négociation, O.K., ou dans la tentative de règlement de son différend. Le niveau d'implication varie aussi en fonction de la contextualisation des motivations, c'est comme ça que j'appelle ça.

Mais, en fait, si on reprend l'article 5, à quel degré la... qu'est-ce qui est important pour la personne et qu'est-ce qu'elle veut mettre dans le mode, quelle norme, ou quel cadre normatif, ou quel cadre de référence elle désire qui soit inclus dans le mode de... Par exemple, est-ce qu'elle veut que certaines valeurs soient là? Est-ce qu'elle veut que les normes administratives ou des normes morales fassent partie de la discussion? Ça, c'est un choix aussi. Donc, il y a une question de désir, qu'est-ce qu'elle désire là.

Et voilà en gros, là. Je pourrais peut-être m'arrêter là, mais il y a plus d'informations, évidemment, ailleurs. Je vous dirai que donc cette considération-là, c'est d'explorer avec le client quel niveau de participation désire-t-il pour choisir le mode de PRD approprié. On sait que, par exemple, l'arbitrage, pour prendre cet exemple-là, l'arbitrage va être davantage axé sur le litige, la médiation, davantage sur le conflit, et le conflit permet de recourir à davantage de normes. Donc, voilà.

Le Président (M. Drainville): Encore deux minutes.

**(14 h 40)**

Mme Hivon: Parfait. Ce matin, vous étiez là, Pre Lalonde suggérait qu'il y ait un titre, tout de suite après le premier, vraiment consacré à la conférence de règlement à l'amiable pour la situer bien clairement. Est-ce que vous partagez cet avis-là?

M. Roberge (Jean-François): Moi, je pense que l'objectif... je partage l'objectif de la Pre Lalonde à l'effet que le citoyen doit se retrouver dans le processus, et le fait de commencer avec les sept premiers articles du code, comme je le disais, si on regarde le code de la perspective du citoyen, il voit la disposition préliminaire, des principes directeurs qui le mettent en confiance en quelque sorte, il voit les sept premiers articles du code qui lui sont consacrés, où il peut réellement pleinement participer à l'oeuvre de justice, et là, ensuite de ça, à l'article 8, il voit la justice civile publique, bon, alors peut-être que... et où il y a un partenariat, là, donc il y a vraiment des améliorations par rapport à ça que je souligne, que nous appuyons.

Maintenant, qu'est-ce qui devrait venir après les sept premiers articles du code dans cette logique-là du citoyen qui essaie de, lui-même, participer à l'offre de justice? Peut-être que c'est effectivement de ramener les dispositions où, lui, il est impliqué réellement. Les parties, évidemment, conservent la maîtrise de leurs dossiers, mais on sait qu'en pratique c'est l'avocat qui, en quelque sorte, le représente dans le processus judiciaire, s'il ne se représente pas seul. Donc, est-ce qu'on ne devrait pas plutôt ramener le livre VII sur la médiation et l'arbitrage au livre II pour poursuivre cette logique-là? Est-ce qu'on devrait amener les articles de la conférence de règlement à l'amiable, qui sont aussi dans cette logique où le citoyen peut réellement s'impliquer dans l'offre de justice, plus tôt? Moi, je suis ouvert à ça.

Je comprends qu'il y a une question de logique. Je comprends aussi que, quand on amorce des changements qui peuvent être aussi importants, on doit... il y a une question d'équilibre, encore une fois, avec les réalités aussi du milieu. Je comprends ça parfaitement. Maintenant, il est certain que, dans un monde idéal, moi, le huitième article porterait... serait la continuité, la continuité de la logique qui existe dans les sept premiers articles, c'est-à-dire qu'est-ce que le citoyen fait à l'article 8, qu'est-ce qu'il peut faire s'il ne choisit pas la justice privée, qu'est-ce qui, dans la justice publique, le concerne, où il peut réellement s'impliquer. Voilà.

Le Président (M. Drainville): Ça va être pour le prochain tour, Mme la députée de Joliette. M. le ministre.

M. Fournier: Oui, merci beaucoup. Je n'en dirai pas très long, mais il y a effectivement une question de logique puis probablement une grande question de préoccupations du milieu. C'est une belle expression que vous avez utilisée, que ceux à qui elle s'applique comprennent, j'en suis persuadé. Mais, si on veut que ça avance, il faut que tout le monde y adhère, et, pour les amener à adhérer, il ne faut pas les effrayer, ils doivent s'y reconnaître. Et je sais parce que, bien que ça fasse 10 ans, il restait quelques résidus où on pouvait y mettre une certaine empreinte, et j'étais invité à cette empreinte à cet égard-là, et la réflexion était... enfin, le critère de réflexion pour prendre une décision, c'était justement de se dire: Pur, c'est bien, mais pur seul, ça ne fait pas grand-chose. Si on veut agrandir la tente, si on veut que tout le monde s'y sente à l'aise, il faut... C'est là où c'est peut-être de l'arbitrage, ça aussi, là, à un moment donné il faut que tout le monde s'y retrouve à quelque part. Et d'autres choix peuvent être faits, mais ceci explique cela. Je trouvais que l'expression «préoccupations du milieu» disait ce que ça avait à dire.

Je voudrais faire un petit bout sur «tenter» et «considérer». Tenter, c'est déjà faire. Tenter, c'est déjà... relativisons, là, mais c'est déjà une obligation d'embarquer dans le véhicule. Je dirais que considérer, c'est comme la première étape de tenter, puis on arrête là puis on dit: Tenter, comment on tente? Tenter, la première chose, c'est d'abord: On tente quoi? Donc, on considère, on envisage, on voit de quoi on parle. Je crois que... Enfin, ce qu'on essaie de mettre ici sur la table, c'est l'offre de services, considérer avec les parties, des gens qui ne se connaissent pas nécessairement. Le monde, aujourd'hui, ils ne sont pas tous sur le Canal de l'Assemblée pour suivre nos délibérations. Ils se sont levés ce matin, ils sont partis travailler, ils vont revenir ce soir, les enfants, puis tout ça. Je ne suis pas sûr que notre taux de pénétration télévisuel est très, très grand, alors il faut bien que quelqu'un puisse le leur dire, là, et considérer, c'est ça. C'est déjà la première étape. Et je pense que, si on poussait un peu plus loin, on serait plus dans «obliger», et là on va échapper beaucoup de monde, enfin je pense.

M. Roberge (Jean-François): Pour la question de «considérer» et «tenter», là, je reviens là-dessus, pour moi, je pense que ce qui est important, c'est que les parties se parlent. À mon avis, il est important que les parties se parlent. Donc, pour moi, ça, c'est tenter, si les parties se parlent, et on devrait amener les parties à se parler.

Combien de conflits perdurent parce que les parties ne se sont pas parlé ou ne se parlent plus? Moi, j'ai aussi une formation en psychologie, j'enseigne l'escalade cognitive ou les biais cognitifs qui, au fil du temps, se créent chez les gens, et arrive un moment où il y a un bris de communication et, pour désamorcer l'escalade du conflit, en quelque sorte, il faut revenir à la communication, forcément.

Alors, pour moi, se parler, c'est tenter, O.K., et je pense que les parties devraient se parler. Si les parties ne se sont pas parlé d'une façon ou d'une autre, O.K., elles peuvent avoir considéré, elles, individuellement, mais tenter, pour moi, c'est ce qui va peut-être, éventuellement désamorcer le conflit. Autrement, l'escalade va continuer de se faire, s'il n'y a pas interaction et communication sur une possibilité de régler dans un cadre de justice civile privée, à mon avis. Et, en ce sens, puis peut-être ça fera un lien avec la question de vulnérabilité au départ, je peux vous dire que la façon dont les articles sont rédigés, le fait qu'on doive s'intéresser aux intérêts des autres, qu'on doive faire des propositions -- entre autres, je pense à l'article 607, où on doit réfléchir aux intérêts de l'autre et donc en quelque sorte se mettre un peu dans les souliers de l'autre, où l'on doit faire une proposition qui va considérer les intérêts de l'autre -- fait en sorte qu'on ne peut pas agir de manière unilatérale où on essaie d'imposer notre rapport de force, surtout s'il y a une question de vulnérabilité. Vraiment, on doit penser à l'autre quand on négocie et quand on tente le règlement à l'amiable. Par conséquent, la question de la vulnérabilité, les articles permettent... en tout cas, moi, je trouve, orientent la négociation d'une manière qui oblige en quelque sorte les deux parties à tenir compte de cette vulnérabilité-là, à mon avis.

M. Fournier: Oui, bien on est revenus sur l'aspect de la vulnérabilité, merci. Mais, pour revenir sur le sujet de tenter, considérer et de communiquer, là aussi on peut se poser des questions sur ce que ça veut dire, mais, bon, le propre des avant-projets, c'est de pouvoir émettre d'autres idées puis après ça partir avec puis voir qu'est-ce qu'on peut faire avec ça, parce que, s'il fallait dire qu'il importe -- je n'en disconviens pas, remarquez bien -- que les parties doivent amorcer un minimum de dialogue ou être capables d'envisager l'autre dans des conflits qui sont à forte dose d'émotivité, il y a quelqu'un qui va se demander: Communiquer, c'est combien de temps, ça?, parce que ce n'est pas nécessairement au premier contact qu'on désamorce. Et là est-ce que c'est communiquer pour viser de désamorcer? Et auquel cas, encore une fois, je ne sais pas jusqu'à... C'est tout ça, la limite de l'intensité qu'on demande. Enfin, honnêtement, je n'en dis pas plus parce que je crois qu'on est arrivés à la bonne mesure.

M. Roberge (Jean-François): Oui, peut-être. Je pense que communiquer, dans l'objectif d'un règlement à l'amiable, hein, c'est peut-être là où on amène les parties à mettre l'emphase sur les possibilités de régler de manière précoce, en quelque sorte, le différend.

M. Fournier: ...le peu de temps qu'il me reste.

M. Roberge (Jean-François): ...à mon avis, ça va contribuer, cette prévention. Je le souligne parce que la prévention, c'est vraiment fondamental, à mon avis. Et c'est une dimension de l'avant-projet de loi qui pourrait peut-être aussi être davantage poussée, mais la question de la prévention est fondamentale, à mon avis. Si je fais le parallèle avec le système de santé, par exemple le curatif par rapport au préventif, l'énergie qu'on va mettre dans le préventif va effectivement avoir un impact sur le curatif, puis l'argent ou les ressources qui sont mises dans le curatif, à mon avis, bien, pourraient être différents s'il y en avait davantage dans le préventif. C'est vraiment... Et faire de la prévention, en justice, je pense que c'est essentiel. Le défi de l'accès à la justice, à mon avis, cette dimension préventive là est essentielle pour qu'on y arrive.

M. Fournier: Un aparté en justice civile ou pénale, j'en parlerai la semaine prochaine.

Le Président (M. Drainville): Il reste à peu près une minute, M. le ministre.

M. Fournier: En une minute, êtes-vous capable de me faire une image d'intégrative par rapport à distributive? Là, vous parlez à mon voisin, d'accord, puis là expliquez-lui c'est quoi, de la justice intégrative. Qu'est-ce qu'il faut qu'il fasse pour embarquer là-dedans?

**(14 h 50)**

M. Roberge (Jean-François): Bien, première des choses, il faut que les parties tentent un règlement à l'amiable, je pense, parce qu'à partir du moment où on va mettre le dossier dans les mains de quelqu'un d'autre ce quelqu'un d'autre là va le prendre et faire son travail professionnel. Si on va voir un avocat, l'avocat va le prendre et faire son travail professionnel, actuellement, là, avant l'avant-projet de loi, là, davantage vers le litige, transformer le conflit, finalement, en litige. Donc, c'est de prendre les tensions opposées puis de voir qu'est-ce qui, entre les deux, a le plus de mérite. Si c'est un problème de clôture entre les deux voisins, qu'est-ce qui a le plus de mérite, O.K. -- puis là on va revenir aux questions de bornage de ce matin -- et là, finalement, qui a le plus raison? Est-ce qu'il y a une question de prescription? Et là toutes les conditions de la prescription: À partir de quand on a su que la clôture était au bon endroit ou non? Et ça, ça va être vraiment le distributif, ce qu'on... classique.

L'intégrative va nécessiter une communication et une tentative de règlement sur la base de ce qui est réellement important pour les gens. O.K., il va falloir que les gens communiquent qu'est-ce qui est réellement important pour eux. Donc, c'est quoi, le 80 % qui ne sera pas considéré dans le système judiciaire, là? Qu'est-ce qui est important pour toi? Pourquoi, la clôture, c'est important aujourd'hui qu'elle soit déplacée? Qu'est-ce qui est sous-jacent à ça? Quels sont les intérêts derrière ça?

On sait que la majorité des chicanes de clôtures ne sont pas dues à une question légale, sont dues à autre chose. Des voisins ont des interactions fréquentes, ils se sont dit des choses, il s'est passé des choses, il y a eu... Bref, le conflit a escaladé au fil du temps, et, à mon avis, la culture intégrative débute avec ça, faire un bon diagnostic de ce 80 % que les juristes, malheureusement, développons avec la pratique mais n'avons pas les outils concrets pour... Nous n'avons pas été formés pour ça, comme tel, mais l'expérience de vie fait en sorte qu'on est capables de le faire. C'est la première compétence de l'outil. Et je dois dire qu'à la Table ronde sur la justice participative, oui, il y avait des gens de la magistrature, du Barreau, il y avait une quarantaine de personnes; cette compétence était la plus importante, le diagnostic des motivations réelles des parties au conflit. Première chose.

Deuxième compétence ou deuxième...

Le Président (M. Drainville): En résumé, là, s'il vous plaît.

M. Roberge (Jean-François): Il y en a 12, donc je ne me rendrai pas là. Tout à fait. Écoutez, en résumé...

Des voix: ...

Le Président (M. Drainville): Disons en 30 secondes. Pouvez-vous juste nous aligner les... Une minute, tiens. Pouvez-vous compléter votre réponse en une minute?

M. Roberge (Jean-François): Oui. Tout à fait, tout à fait. Donc, la première des choses, c'est le diagnostic des motivations, qui est très, très important. Alors, il faut vraiment écouter ce qui est réellement important pour les parties. L'article 5 permet justement d'explorer ces motivations et de les tenir en compte dans le règlement à l'amiable, donc choisir, ensuite de ça, un mode approprié qui pourra être la médiation, la négociation, peu importe. Et éventuellement, donc, il faudrait que la négociation comme telle entre les parties tienne réellement compte de ces intérêts-là puis que la proposition soit mutuellement satisfaisante.

Dans le 30 secondes que je vous donne... qu'il me reste, là, je vous dirais que c'est davantage tenter de trouver, par exemple dépasser le conflit pour revenir sur la question de l'amitié, sur la question du fait qu'on a une relation de voisinage puis travailler sur la relation de voisinage ou sur la relation d'amitié plutôt que de travailler sur les positions distinctes et conflictuelles.

Une voix: Transformer en positif.

M. Roberge (Jean-François): C'est la vision. La nouvelle vision, là, c'est là qu'on la retrouve. Résoudre les positions opposées, la tension entre les idées opposées par quoi? Par une nouvelle idée rassembleuse qui est la relation de voisinage, qui est la relation d'amitié ou qui peut être la relation d'affaires aussi. Si on avait remplacé votre voisin par des actionnaires dans une entreprise, vous avez une relation d'affaires à poursuivre puis une réputation pour l'organisation.

Le Président (M. Drainville): Et je vous remercie. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Vous avez évoqué la prévention, puis je partage cette préoccupation-là. On a vu en santé comment, depuis plusieurs années, on met l'accent sur l'importance de la prévention, puis tout ça, puis je pense qu'en justice il y a énormément à faire de sensibilisation et d'éducation. Puis je pense que, dans une approche globale qui devrait être celle qui nous anime, il y a la prévention, il y a les modes qui font en sorte qu'on ne se rend pas jusqu'à la Cadillac qui est le tribunal, puis on a la même chose en santé. On a la prévention, puis après on a notre médecin de famille ou le CLSC, puis après on a l'hôpital, quand on est, normalement, mal pris, mais des fois, je pense, en justice comme en santé, on se ramasse avec la Cadillac ou on se ramasse à l'hôpital alors que ce n'est pas là qu'on devrait être mais qu'on est comme dépourvus.

Avec l'outil qu'on a devant nous, est-ce qu'on est capables de mettre plus l'accent sur la prévention dans un outil qui s'appelle le Code de procédure civile ou si, selon vous, ça passe par des éléments autres d'éducation, de sensibilisation, d'autres moyens?

M. Roberge (Jean-François): Bien, je pense que l'accès à la justice commande une action globale, à mon avis, là, et je pense, entre autres, que ceux qui doivent faire partie, ce sont les avocats, entre autres, qui doivent développer cette dimension de prévention dans leur pratique, à mon avis. Et ils peuvent le faire, à mon avis, ça fait même partie de leur mandat. Et je crois même que récemment, avec le Code des professions... Enfin, je crois que le Barreau a un point par rapport à ça, l'importance de la prévention éventuellement pour... Dans le rôle de l'avocat, ça s'en vient, là. Et je dois dire que, dans la façon dont... le renforcement des pouvoirs du tribunal, entre autres, et dans la manière dont l'avant-projet de loi est fait, je trouve que ce partenariat dans la prévention, en quelque sorte, pour prévenir l'escalade des coûts et des délais, il existe. O.K.?

Alors, sur la deuxième dimension, pour l'accès au système judiciaire, à mon avis, entre autres avec l'article 144 sur le protocole préjudiciaire, je trouve ça intéressant, moi, cette dimension du protocole préjudiciaire. Si on pouvait davantage le développer, je pense qu'on agirait en prévention, très certainement. Alors, ça, on le retrouve certainement. Je sais, moi, que, pour la première dimension, qui est l'accès à l'information juridique, on doit... à mon avis, des organismes comme par exemple Éducaloi font un excellent travail en ce sens. Je pense que les... Et d'ailleurs j'ai une étude qui sera complétée ce printemps avec Éducaloi, on est là-dessus, là, pour tenter d'aller chercher l'importance pour les citoyens de l'accès à la justice puis quelle dimension est présente, là.

Donc, enfin, il y a de la prévention qui peut être faite dans l'information juridique, et, dans la justice participative, bien la prévention peut se faire dans la troisième dimension de l'accès à la justice, pour la justice participative. La prévention peut se faire comment? Bien, elle peut se faire par la tentative, dans mon cas, de tenter de régler un règlement à l'amiable, comme on en parlait un peu plus tôt. Donc, à mon avis, il y a de la prévention dans les trois dimensions de l'accès à la justice: information juridique, accès aux tribunaux et justice participative.

Mme Hivon: O.K. Des questions plus pointues, moins philosophiques. Ce matin, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est venue nous dire que, justement, du fait de leur préoccupation pour les personnes plus vulnérables, elle s'inquiétait parce que, dans le chapitre sur le déroulement de la médiation, l'article 616, les obligations du médiateur sont prévues, là, notamment de s'assurer de l'équilibre puis, bon, tout ça, mais que cela ne s'appliquait qu'au médiateur, et bien sûr que les modes de PRD touchent la conciliation, touchent d'autres formes, donc, de règlement, et que, selon eux, il serait souhaitable d'étendre ça à l'ensemble des personnes qui peuvent être appelées à faire des PRD. Est-ce que vous partagez leur souci?

M. Roberge (Jean-François): Bien, première des choses, je pense que c'est particulièrement bien choisi de le mettre en médiation, parce que la médiation est un processus informel, en quelque sorte, et qu'on assure certaines balises, là, plus formelles par rapport au processus de médiation.

En arbitrage, vous savez, la procédure est assez différente, mais, je pense, chacun des modes de PRD... Les modes de PRD, on parle de médiation et d'arbitrage principalement, mais c'est un continuum, en fait, avec des modes hybrides, comme vous le savez, comme vous le soulignez. À mon avis, on devrait ajouter cette dimension à certains autres modes de PRD. Pour les autres modes de PRD, je ne suis pas certain que... Enfin, est-ce que ce serait réellement adapté? C'est à voir. Mais, si je pense, par exemple, à l'arbitrage, la question peut-être serait différente, là, surtout... dépendamment de la procédure qui est choisie par les parties puis...

Mme Hivon: Une autre question. Hier, on est venu nous parler de la transaction notariée -- on est dans tout autre chose -- mais à la suite donc de l'entente. Donc, on peut être face à une entente à la suite d'une médiation, on peut être suite au choix par les parties d'aller plus loin, d'avoir une transaction.

De par votre expérience, qu'est-ce que les parties choisissent à la fin? Ils s'entendent, ils sont heureux. Est-ce qu'ils veulent une certitude juridique supplémentaire? S'il y a un essor considérable, à la faveur de ce nouveau code, des modes autres, est-ce que ça pourrait devenir plus important d'accoler une certitude juridique plus grande?

M. Roberge (Jean-François): Moi, la réponse, ce serait non. Je ne suis pas sûr que c'est nécessaire de le faire.

Maintenant, c'est nécessaire que l'option existe, par ailleurs. Moi, je pense que, si la médiation ou la négociation s'est faite de manière intégrative notamment, l'homologation ne sera pas nécessaire parce que l'accord sera respecté. Parce que c'est ça, l'objectif, en fait, hein? Donc, moi, je pense que, si c'est fait de manière intégrative, où les gens ont travaillé ensemble pour arriver à une solution dans une... où ils ont dépassé leurs tensions opposées dans une idée rassembleuse, je ne vois pas l'intérêt... Bien, je vois l'intérêt que l'option existe, mais je ne vois pas la nécessité de l'homologuer.

Maintenant, si ça a été fait de façon distributive, où il y a eu un rapport de force très inégal entre les parties, et qu'il y a une partie qui a imposé, en quelque sorte, sa vision sur l'autre, et qu'on a un 90-10, peut-être que la personne va trouver les moyens nécessaires pour ne pas respecter l'entente, là. Vous savez, il faut que la personne ait la volonté et la capacité de mettre en action l'entente, et, si le rapport de force a été tel que la personne a, en quelque sorte, plié les genoux, la personne n'aura peut-être pas la volonté d'exécuter l'entente, même si l'entente existe. En ce cas, l'option est nécessaire pour l'homologation. Mais, de mon expérience, la majorité des cas, si la négociation, ou la médiation, ou le mode de PRD a été bien fait et a vraiment tenu en compte les intérêts des deux parties, comme le demande... comme le propose le code, je ne pense pas que ce soit nécessaire, non.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Lac-Saint-Jean.

**(15 heures)**

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Je me questionne à savoir, dans la culture plus intégrative, comment on mesure un bon ou un mauvais règlement. J'imagine que c'est à la discrétion de la partie, puisqu'on fait abstraction du... On ne fait pas abstraction, mais, puisque je comprends que la règle de droit est un élément parmi d'autres dans la prise en considération, c'est au bon jugement des deux parties qui en viennent à un règlement satisfaisant, peu importe si... à la règle de droit ou à la probabilité de succès devant un tribunal de justice.

M. Roberge (Jean-François): Oui. Puisque vous faites référence à la culture intégrative, moi, je propose... je pense qu'il y a des critères de succès. C'est une autre compétence du livre ou un autre outil, mais, à mon avis, il y a sept critères de succès pour évaluer le succès, là, d'une entente, et, sur la question juridique, un de ces critères-là a trait à l'équité. J'espère ne pas trop ouvrir la porte trop grand par rapport à ça, mais, à mon avis, le succès va passer nécessairement parce que les parties vont trouver qu'il y a une certaine... il y a une équité dans le différend. Parfois, l'équité va passer par le droit; d'autres fois, ça va passer par d'autres critères. Et, en ce sens-là, oui, c'est possible d'évaluer le succès, et le succès est multifactoriel, donc le droit est parmi un de ces critères-là. La question de l'équité, là, on pourrait concevoir l'équité comme étant le droit ou l'équité comme étant autre chose aussi, et, dans la mesure où c'est la justice civile privée, les parties peuvent choisir de s'entendre vraiment, comme l'article 5 le prévoit, sur des normes autres en quelque sorte, dans le respect, évidemment, de l'ordre public.

M. Cloutier: On nous a plaidé que ce type d'approche pouvait effriter le concept de la primauté du droit. Je ne sais pas si vous avez entendu, là.

M. Roberge (Jean-François): Voyez-vous, moi, je pense que c'est simplement... il faut reconnaître la réalité, et la réalité, c'est que plus de 90 %... Vous avez des chiffres, 90 %. On parle de 95 %, 97 % même en Ontario, Warren Winkler, le juge en chef, mentionnait ça. Donc, plus de 90 %, très certainement, des dossiers se règlent autrement que par une décision en droit. C'est ça, la réalité. Par conséquent, on ne fait que reconnaître la réalité. C'est que finalement la justice... -- parce que, moi, je parle plus de justice que de droit dans ce cas-là, là -- la justice s'opère, même si le droit, en quelque sorte... Et on ne va pas contre l'ordre public, hein? La dimension, c'est la question de l'ordre public. Si ça allait à l'encontre de l'ordre public, là je serais parfaitement d'accord, mais, dans la mesure où on ne va pas sur ce terrain-là, moi, je ne vois pas le problème. Je pense que c'est simplement reconnaître la réalité telle qu'elle existe.

Le Président (M. Drainville): Et c'est là-dessus que nous allons terminer cet échange. M. Roberge, on vous remercie beaucoup d'avoir participé à cette consultation.

On suspend quelques instants, le temps de permettre aux représentants de Ménard, Martin, avocats de s'approcher. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 3)

 

(Reprise à 15 h 4)

Le Président (M. Drainville): Alors, on va reprendre nos travaux, et je vais céder sans plus tarder la parole à un avocat que j'ai connu dans une autre vie, lorsque j'étais animateur de La part des choses, Me Jean-Pierre Ménard, qui était un invité régulier de l'émission. Il est accompagné de Me Jean-François... Leroux, dis-je bien, et de Me Marie-Ève Martineau. À vous la parole, Me Ménard.

Ménard, Martin, avocats

M. Ménard (Jean-Pierre): Alors, bonjour, M. le Président. Bonjour, M. le ministre, Mmes, MM. les députés. D'abord, c'est avec plaisir, évidemment, qu'on se présente ici, puis je pense qu'il est de notre devoir de citoyen... Quand une société a un débat de ce genre, de cette ampleur de changement de règles, je pense que c'est important que tous ceux qui vivent, qui ont à vivre ces règles-là puissent apporter leur contribution. Alors, en toute modestie, c'est le sens de notre contribution aujourd'hui.

Essentiellement, un code de procédure civile, bien, évidemment ça a un sens d'abord et avant tout pour le justiciable, pour le citoyen justiciable. On peut débattre de façon très généreuse de ces règles-là, mais, à la fin de la journée, ce qu'il est important de savoir, c'est: Pour le citoyen justiciable qui est devant le tribunal, qu'est-ce que ça donne, qu'est-ce que ça apporte? Est-ce qu'on va améliorer son sort? Est-ce qu'on va régler un certain nombre de difficultés? Est-ce qu'on va lui permettre d'avoir effectivement justice? Alors, on va donc débattre de ces choses-là.

Avant de vous exposer un peu notre critique du projet de loi, peut-être vous parler un petit peu plus de pourquoi on est ici et ce qu'on fait, parce que ça va inspirer beaucoup les remarques qu'on va vous faire. Alors, essentiellement, donc, notre cabinet est un cabinet qui se spécialise dans le domaine de la santé. Essentiellement, c'est que, nous, ce qui est particulier, c'est qu'on ne représente d'abord que les justiciables, on représente M. et Mme Tout-le-monde. On ne défend pas de compagnie d'assurance, on ne défend pas d'institution de santé. On défend dans tous les cas le citoyen. Notre cabinet fait un petit peu plus de la moitié de toutes les poursuites de la province dans le domaine de la responsabilité médicale. Et, à côté de ça, on fait toutes sortes de litiges reliés au domaine de la santé, que ce soient des choses qui touchent autant l'accès, la continuité des services, le choix de l'établissement, etc., et ce qu'on fait donc à grande échelle en responsabilité médicale nous donne aussi le moyen de s'occuper d'autres clientèles qui ont de la misère dans le domaine de la santé, essentiellement ce qu'on appelle des clientèles vulnérables. Donc, on fait beaucoup de choses qui impliquent les litiges relatifs à l'état mental des personnes, donc les litiges relatifs à la garde en établissement, l'intégrité physique, les régimes de protection. On en fait à tous les jours de ces choses-là aussi.

Par ailleurs, dans le domaine de la responsabilité médicale, évidemment, on représente le citoyen contre qui? Contre, effectivement, l'État, l'État qui assure le système de santé, donc tout ce qui touche l'aspect institutionnel, et évidemment les assureurs des professionnels, dont un que vous entendu hier, l'Association canadienne de protection médicale, qui représente 90 % des médecins, mais qui sont autant l'assureur que l'État, des organismes qui ont des moyens puissants face à des justiciables qui sont M. et Mme Tout-le-monde. Et notre pratique, nous, elle n'aurait pas de sens si M. et Mme Grand-Public ne peuvent pas faire affaire avec nous, donc d'où la démarche absolument... l'obsession quotidienne qu'on a par rapport à tout ce qui touche l'accessibilité au système judiciaire. Nous, cette pratique-là, on l'a orientée socialement à faire la promotion d'un certain nombre d'objectifs sociaux, à savoir la promotion, donc, de l'accessibilité des soins, la qualité des soins et la sécurité des soins et la défense des clientèles vulnérables, mais tout ça n'a de sens que si tout ce monde-là peuvent avoir accès au système judiciaire.

Alors donc, ce que je vais vous présenter va tenir compte effectivement de toute cette démarche-là. Moi, en 32 ans, on a traité un petit peu plus de 6 000 dossiers au bureau, alors donc je vais m'inspirer beaucoup de cette expérience-là pour voir un peu, ces règles-là, qu'est-ce que ça peut donner finalement pour le justiciable.

Vous avez notre mémoire. Évidemment, je ne reviendrai pas au texte du mémoire mais simplement peut-être vous donner quelques idées. On a parlé évidemment de... traité de la question de l'accessibilité, du protocole préjudiciaire et des litiges reliés à la garde, l'intégrité et la capacité des personnes. Je vais commencer par ce dernier point là parce que ça, ça touche les clientèles vulnérables. Puis j'ai regardé l'ensemble des présentations, c'est-à-dire des gens qui s'annonçaient pour présenter devant la commission, et il n'y a pas beaucoup de gens qui adressent ces questions-là, alors j'ai pensé peut-être commencer par ça aussi, parce qu'il y a des éléments importants, je pense, à signaler là-dessus. Alors, ça apparaît aux pages 30 et suivantes de notre mémoire. Je vais le passer rapidement.

Comme je vous dis, donc, nous, à tous les jours on représente ces personnes-là. Il n'y a pas une journée qu'on ne fait pas une, deux, trois, quatre histoires de garde, d'autorisation de traitement, ce genre de chose là, depuis des années, et on a eu l'occasion donc de vivre sur le terrain effectivement comment ça marche actuellement puis qu'est-ce qui ne fonctionne pas là-dedans. J'ai le bénéfice aussi d'être membre du comité sur la santé mentale du Barreau du Québec qui a fait des recommandations voilà une couple d'années, en 2010, c'est-à-dire, par rapport à tout le traitement des personnes dans le système judiciaire, mais c'est clair que nos recommandations sont en lien avec ça aussi mais vont dans le même sens aussi.

**(15 h 10)**

Premier problème majeur, quant à moi, puis il faut absolument qu'on regarde bien ça: l'article 38 crée une double juridiction -- ici de la Cour supérieure et de la Cour du Québec -- en matière de garde et d'autorisation de traitement. Là, on dénature, on défait complètement tout le régime qu'on a actuellement, parce qu'actuellement, la garde, c'est la Cour du Québec; l'autorisation de traitement, c'est la Cour supérieure. Si on veut donner à la Cour supérieure des pouvoirs en matière de garde, il va falloir qu'on change l'économie de la loi complètement, parce que les personnes qui sont placées sous garde le sont en vertu d'une loi particulière qui est la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, qui leur donne toute une série de droits particuliers lorsque la Cour du Québec émet une ordonnance, avec le pouvoir d'aller faire une demande de révision au TAQ, le cas échéant, au Tribunal administratif du Québec. Là, si c'est la Cour supérieure qui rend résolution en matière de garde, le recours au TAQ, manifestement, n'existe plus. Le statut des personnes ne sera pas le même, quant à moi.

Alors, c'est clair que, là, il y a un problème majeur d'alignement. Puis ça, je vous le dis, là, on n'est pas dans un débat ni philosophique, ni social, ni rien, là. C'est vraiment une incongruité juridique, là, il va falloir qu'on réécrive certaines dispositions du Code civil et certaines dispositions de la loi particulière qui régit la garde en matière de santé mentale. Alors, il y a un problème dans ce genre-là, je le souligne à la page 30.

Par ailleurs, au niveau de la représentation, bien, écoutez, le comité du Barreau avait fortement recommandé qu'on développe la représentation par avocat dans ce type de litige là. Je me permets encore d'insister là-dessus. C'est plate à dire, puis on ne s'envoie pas aucun mérite là-dedans, mais on fait toute une différence quand les gens sont représentés par avocat dans ces litiges-là, autant sur la garde... et surtout ceux sur l'intégrité physique, parce que les litiges relatifs à l'intégrité physique, là, on est dans le trou noir de la psychiatrie, puis je vous invite à me poser des questions là-dessus pour discuter de la profondeur du trou. On est vraiment dans des situations extrêmement abusives pour les gens, il faut vraiment qu'on revoie tout ce processus-là. Très peu de gens sont représentés par avocat dans les litiges, avec des conséquences considérables pour elles, alors je pense qu'il faut qu'on travaille ces choses-là.

Le droit à l'information, on a des progrès là-dessus. Le droit à la révision, à la page 34, au point 3.4.1, il y a une faute dans notre texte, là. On fait référence au droit à la révision de l'article 398; c'est «l'article 319» qu'il faudrait lire et non pas «398». Au moins une première avancée, mais il faut la pousser plus loin, encore ici surtout en matière d'intégrité physique, parce que ça existe pour la garde, ça existe pour les régimes de protection, mais ça n'existe pas pour l'intégrité physique, qui est de loin le plus lourd de conséquences. Il faudrait vraiment qu'on revoie toutes ces choses-là aussi.

Donc, de façon générale, il y a un peu de progrès du côté des personnes vulnérables, mais il faut... Puis là je parle de choses très, très, très concrètes, pas de grands débats philosophiques sur la justice participative, et tout ça, là, parce que les personnes vulnérables, elles ne débattent pas leur droit d'accès au système judiciaire en termes de: Ai-je le droit de participer, d'avoir accès à la justice participative, là? Dans la vraie vie, c'est des débats qu'ils ne font pas, les gens. Ils sont pris avec une requête pour garde, une requête pour se faire traiter contre leur gré, privés de leur liberté, etc., puis on ne fait pas de grand débat sur la participation, il faut qu'on se débatte contre ces choses-là. Donc, sur le plan concret, là, il faut qu'on travaille à régler ces choses-là.

Par ailleurs, si on parle de façon plus générale de la question de l'accessibilité -- on revient au reste de notre présentation, quant à moi -- alors donc essentiellement, pour nous, là, l'accès à la justice, comme vous dites, c'est une question qui est majeure, mais c'est une question qui ne doit pas se résumer juste à une question de délai ou de coût. Le meilleur exemple, c'est la réforme de 2003 où on avait prévu, là, des échéanciers puis on a modifié la procédure. Bien, écoutez, ça, là, ça a eu un impact considérable pour les justiciables, puis, voici, quelle mauvaise réforme sous l'angle de l'accès à la justice! Pourquoi? Parce que ce qu'on a fait en 2003, on a comprimé la procédure. On ne l'a pas simplifiée, on a dit: Vous ferez tout ce que vous faisiez avant, mais faites-le dans un délai plus serré. Conséquence pratique pour le genre de cause qu'on a: nous, c'est des causes qui sont complexes, dans toutes nos causes il y a des experts, il y a des dossiers médicaux à avoir, il y a des interrogatoires, c'est compliqué, puis là on dit: Dorénavant, faites tout ça en six mois. Ça a fait monter en flèche, on a vu un boom épouvantable d'accroissement des coûts qui fait que tout de suite, rapidement, un paquet de monde nous ont dit: Écoutez, on n'est plus capables de continuer, plus capables d'aller de l'avant là-dedans, ça... Bon. Puis on passait notre temps, nous, à faire des requêtes en prolongation de délai. Puis, avec la partie adverse, pas moyen de parler du mérite d'un dossier, c'était: Il faut absolument qu'on rencontre notre 180 jours. On ne faisait rien que ça à peu près aussi. Bon.

Ça, ça a eu un effet, par ailleurs, extraordinairement intéressant: ça nous a amenés à développer les protocoles préjudiciaires. On est la seule expérience durable, actuellement au Québec, de protocole préjudiciaire. Ça nous a obligés, avec les procureurs de l'Association canadienne de protection médicale qui... C'est le bureau de McCarthy Tétrault qui les représente à Montréal. On avait tellement de difficultés avec les nouvelles règles de procédure civile qu'on s'est dit: Il faut qu'on fasse d'autre chose, il faut qu'on trouve un moyen de gérer ça, parce que, de part et d'autre, on voyait nos coûts monter. Puis, écoutez, ce n'était pas un problème juste pour le justiciable, c'était un problème même pour nos adversaires, même s'ils avaient des moyens plus considérables que nous. Mais on s'est dit: Il faut absolument qu'on fasse de quoi pour régler ça.

Donc, on a mis en place ce protocole-là inspiré effectivement des «practitioner protocols» d'Angleterre, on l'a adapté. On a mis dans notre mémoire une annexe où vous avez le protocole qu'on utilise de façon assez standard aussi. Alors, depuis 2003, on l'utilise avec un succès réel, O.K.? Je ne vous cacherai pas que ça a été... On a été capables... D'abord, pour mes clients, ça a amené une baisse de coûts, ça a amené une simplification des difficultés, puis il y a aussi peut-être le caractère privé de ça où il y a eu un certain intérêt aussi. Quand je fais une cause, par exemple, de quelqu'un qui s'est fait enlever la prostate par erreur, bien la personne ne tient pas à ce que ce soit dans le journal de Saint-Hyacinthe, ou de Joliette, ou dans LeJournal de Montréal: M. Untel a été victime d'erreur médicale, il s'est fait enlever la prostate. Alors, cela, avec cette justice privée là, on a été capables... Je prends un exemple un peu caricatural mais réel, un vrai, là, où, la justice privée, on a une certaine... un intérêt aussi.

Alors, on a donc développé ça. On a plus d'une centaine de causes maintenant, depuis 2003. Malheureusement, on n'a pas pu le développer avec les institutions de santé parce que, de façon bizarre, étonnante, l'AQESSS, qui représente les établissements de santé, s'est fait dire: Écoutez, ça ne serait pas conforme à la loi, là, on instaure des procédures civiles, puis il faut que vous marchiez dans les procédures civiles. Alors, voyez-vous, la justice privée, l'État, jusqu'à maintenant, n'a pas ouvert la porte à ça. Alors, dès qu'il y a un hôpital dans le décor, on ne peut pas procéder par ça.

Alors, on a donc développé ça. Ça, ça a permis d'améliorer l'accessibilité, on l'a développé.

Ce qui est malheureux, par ailleurs, c'est qu'actuellement -- puis le code, d'ailleurs, le projet de code ne répond pas à ça -- il n'y a aucun arrimage qui est annoncé entre la justice privée puis la justice publique. Exemple: on fait tout notre protocole, puis là, à la fin, on ne s'entend pas sur combien, on aimerait ça avoir accès à une CRA, on ne peut pas y avoir accès parce qu'on n'est pas dans le système. Alors donc, il faut qu'on ouvre un dossier à la cour, qu'on fasse toutes les procédures jusqu'à l'inscription de la cause, et après ça on appelle la Cour supérieure puis on dit: On voudrait avoir une CRA. Là, on vient de dépenser de l'argent, du temps, et tout ça, puis ça ne nous a pas donné grand-chose, finalement, de faire ce processus-là.

Par ailleurs, s'il y a des difficultés, une série de difficultés qui arrivent en cours de route, difficile, il faut vraiment qu'on fasse preuve, ça, d'imagination pour les régler. Ça serait souvent utile d'avoir accès au système judiciaire de façon ponctuelle, même en justice privée. Aux pages 18, 19 et 20 de notre mémoire, on propose toute une série de règles pour arrimer un petit peu mieux la justice privée au système judiciaire, puis je pense que ça aiderait, ça favoriserait la justice privée.

Je n'en parle pas dans le mémoire, mais je vais juste... parce que tout à l'heure on parlait un peu du débat de l'accès des personnes vulnérables à la justice privée puis si on devait considérer ça avant aussi, et tout ça. Pensons à quelque chose: la justice privée, actuellement, là, elle coûte quelque chose, donc ça veut dire que les gens démunis n'y ont pas accès ou très peu accès. O.K.? L'aide juridique ne donne rien pour ça, ne reconnaît pas ces mécanismes-là. L'aide juridique nous donne des mandats de temps en temps, uniquement s'il y a un litige, puis évidemment, dans un cas de réclamation d'argent, c'est uniquement si le litige judiciaire est perdu, alors, pour être payé par l'aide juridique même minimalement dans un de ces... Si j'ai fait une cause par protocole préjudiciaire, si je veux être payé, il faut que je judiciarise, puis là je me désiste, puis là je vais être payé par l'aide juridique. C'est une aberration. Alors, si on veut ouvrir la porte à de la justice privée aux gens plus démunis, on devra ouvrir l'esprit de l'aide juridique aussi par rapport à ces choses-là aussi puis le voir un peu dans ce contexte-là.

Les experts. Alors, nous, dans 100 % de nos causes, il nous faut des experts. La question de l'expert unique, je vais vous le dire avec respect, là, on fait fausse route si on pense que, demain matin, voici la baguette magique, le tribunal va nommer un expert, dans tous les cas ça va régler ça. En responsabilité professionnelle, c'est une mauvaise recette, c'est une mauvaise idée et c'est de la pensée magique pour plusieurs raisons.

Puis comprenez bien, moi, là, j'ai l'obsession des coûts, il faut que ça coûte toujours le moins cher. Si ce cheminement-là permettrait des économies pour mes clients, tant mieux, mais là on va augmenter encore les coûts, parce que ce qui est proposé au niveau de la procédure civile, là, puis on le cite à plusieurs reprises dans notre mémoire, on va alourdir les coûts, alourdir le temps des avocats. On a cité l'exemple du protocole d'instance. Il y a un paquet d'affaires là-dedans qui sont tout à fait inutiles, puis ça traduit une grande méfiance des avocats, ça, comme si on n'est pas capables de travailler, pas capables de s'entendre avec la partie adverse. On a le juge tout le temps.

Tantôt, j'écoutais Mme Hivon qui parlait de l'hôpital. Bien là, la procédure civile, là, on va passer notre temps à l'hôpital universitaire. Dès qu'il se passe de quoi, le juge, le juge, le juge. Savez-vous qu'est-ce que ça implique? On parle, par exemple, des interrogatoires. S'il faut plus de deux heures ou plus de cinq heures, dépendant de la valeur de l'action: permission du juge. Savez-vous combien ça coûte, aller chercher une permission d'un juge? Il faut parler avec la partie adverse, d'abord convenir qu'on va dépasser plus qu'une heure. Donc, on parle avec nos confrères. Après ça, on fait notre requête, il faut rédiger quelque chose. Il faut la présenter à la cour, il faut aller à la cour. Il faut attendre, il faut l'expliquer au juge. Comprenez-vous? Ça fait qu'en bas de 500 000 $ par requête, pour interroger une heure de plus, ça vaut-u la peine? C'est quoi, cette idée-là de...

Bon, on veut... Là, c'est une justice de tutelle qu'on a actuellement. C'est beaucoup trop lourd. Ça dénature le rôle des avocats, ça nous traite... Écoutez, je me sens infantilisé, quand je vois ça, parce qu'on règle plein, plein, plein d'histoires avec nos adversaires sans avoir besoin de parler au juge trois fois par jour aussi. Et de cette manière-là, écoutez, les conflits, là, on ne les génère pas. Contrairement à ce que tout le monde pense, on les règle. Moi, je passe ma vie à régler des litiges. On n'en crée pas. Le monde nous arrive avec des litiges déjà existants, puis on les règle comme ça.

Donc, pour revenir à la question de l'expert unique, l'expert unique, comme je vous dis, il y a beaucoup de pensée magique là-dedans, des coûts importants pour les demandeurs aussi, parce que, surtout avec les règles qu'on veut imposer pour l'expert, là, écoutez, honnêtement, là, les règles du rapport d'expertise, elles contredisent tous les principes de l'article 16 du projet de code, là, O.K.? Alors là, ce qu'on veut faire en sorte, c'est que l'expert soit le moins entendu possible, on paie le moins. Les rapports qu'on veut ici introduire par l'expert, là, moi, j'en... on en fait des fois, des rapports comme ça qui sont tellement détaillés, là, ça, c'est des rapports qui coûtent 6 000 $, 7 000 $, 8 000 $, 10 000 $, 12 000 $ à faire. J'en ai des comme ça, moi, des rapports de 70 pages où le juge, à la limite, peut essayer de comprendre. Mais la moyenne des rapports d'expertise, ce n'est pas ça du tout, c'est deux, trois, quatre pages, avec des limites plus... C'est ça.

Alors donc, on impose ici, donc, des frais. Puis l'expert unique, s'il est payé par les deux parties, moi, de toute façon, pour être capable de conseiller mon client par rapport à un expert unique, il faut de toute façon que je retienne mon propre expert pour être capable de vérifier si cet expert-là a bien fait son travail.

Puis n'oublions pas que le gros des médecins sont réticents, sont hésitants à agir en demande contre un de leurs collègues. Le tribunal, il va les pêcher où, ces experts-là, aussi? Moi, en 30 ans, on a réussi à se bâtir un réseau de toutes les manières possibles et avec beaucoup, beaucoup de temps et d'investissement...

**(15 h 20)**

Le Président (M. Drainville): Me Ménard, si on était en ondes, ce serait terminé, alors faisons comme... Et savez-vous quoi? On n'est peut-être pas en ondes sur un grand réseau, mais on est en ondes sur le Canal de l'Assemblée nationale, et donc il y a quand même pas mal de gens qui nous écoutent, et qui vous ont écouté, et là qui vont écouter présumément M. le ministre.

M. Fournier: Présumément, présumément.

Le Président (M. Drainville): Bien, écoutez...

M. Fournier: Je n'oserais pas le présumer trop fort. Merci, M. le Président. Merci, Me Ménard et ceux qui vous accompagnent. On ne peut pas nier l'expertise que vous avez, ça, c'est une chose qui est sûre, et on vous écoute avec attention à tout ce que vous nous avez dit. C'était très intéressant. Je ne connaissais pas l'origine de l'intérêt pour le protocole préjudiciaire, pour être franc, c'est drôle de la façon dont vous nous le décrivez, qui est venu... dans le fond, qui est allé dans le même sens que la volonté du changement mais pour une raison inverse, si je comprends bien. C'est assez compliqué de la façon que je le dis, mais c'est assez particulier et ça fonctionne. Alors donc, ça, c'est le petit bout où on peut dire: Les parties sont effectivement capables de s'entendre et n'ont pas toujours besoin d'aller à l'hôpital universitaire demander l'autorisation du juge.

Par contre, il arrive, dans notre système de santé -- ce n'est pas à vous que je vais le dire -- que nous avons besoin des hôpitaux universitaires. Donc, il peut arriver que les parties ne s'entendent pas et qu'elles doivent y aller, et je ne pense pas que l'économie de la modification vise à ce que vous y alliez toujours, mais il y a un pari, basé sur l'expérience que vous avez, que vous vous y entendez assez régulièrement. Donc, je pense que ce n'est pas dans l'absolu qu'il faut tout le voir. Je n'ai pas écouté tout ce que vous dites dans l'absolu non plus.

Par contre, vous avez dit des choses, puis je pense qu'il faut relativiser tout ça, mais je vous ai écouté sur l'interrogatoire, je vous ai écouté sur l'expertise. Dans mes notes, j'ai un bout du rapport d'évaluation de 2002 sur la réforme du Code de procédure civile. J'aimerais vous en lire un tout petit bout, alors... et ça avait été discuté en Commission des institutions en février 2008 ici, à l'Assemblée, et je cite: «Le premier constat, sur lequel tous les groupes consultés sont unanimes, c'est que l'expertise en matière civile et commerciale constitue, avec les interrogatoires préalables, et même davantage, la principale source de délai et de coûts élevés des actions en justice. Les expertises sont nombreuses, et les rapports d'expert tardent à être produits et portent sur des objets qui sont parfois en bonne [part] inutiles pour trancher les véritables questions en litige.»

Évidemment, puis vous avez entendu tous les autres témoignages, nous ne parlons pas que de la méthode traditionnelle, il y a toute l'ouverture à l'entente entre les parties, il y a des modes de règlement autres que traditionnels où les parties s'impliquent, tout ça. Puis je ne disconviens pas que, comme vous le disiez -- on en parlera peut-être tantôt -- il y a des parties qui ont plus de misère à participer à ça, dû à leur état.

Ceci étant, si nous cherchons à favoriser à nos concitoyens l'accès à un juge qui tranchera dans la méthode traditionnelle, il faut, à un moment donné, qu'il ait les moyens de le faire et que ça ne soit pas indu comme délai. Je suis persuadé que vous participez à ça. Je vous entends et je crois que, lorsqu'on veut... Laissons de côté l'expert unique, on y reviendra tantôt. On a déjà eu des éclaircissements, alors j'y reviendrai. Mais, sur les interrogatoires, je pense que les gens -- puis on en a déjà beaucoup parlé -- ils sont collés à la pratique. La pratique répond un peu à ça, ça amène les parties à se dire: Bien, il faut aussi être proportionnel dans la façon dont on fait nos choses.

Si on ne met pas ce genre de règle là, comment je vais circonscrire les délais et les coûts? Et on ne le fait pas pour avoir une justice de moindre qualité, le...

M. Ménard (Jean-Pierre): ...M. le ministre, pardon -- M. le juge-commissaire à go! Alors, regardez, d'abord je pense qu'il faut... on part d'un extrême puis on s'en va à l'autre. O.K.? Oui, il y a des interrogatoires, puis je ne sais pas combien de fois il y en a que je trouve beaucoup trop longs, inutiles aussi, bon, mais là on s'en va à l'autre extrême où, là, on a des très courtes durées d'interrogatoire puis on dit: Dès qu'on dépasse ça, il faut aller voir le juge.

Bon, un, il serait-u possible que les parties puissent s'entendre un petit peu puis qu'à défaut d'entente entre les parties sur la durée des interrogatoires ou la pertinence des interrogatoires là on saisisse le juge? Là, on impose une règle qui est un absolu. Moi, je pense, écoutez, je n'ai rien... puis je vais être clair ici, là: Je ne viens pas vous défendre le statu quo, pas du tout. Le statu quo, il ne rend pas... il compromet beaucoup l'accès à la justice actuellement. Puis je vous dirais qu'avec le projet qu'on a là, si la réforme de 2003 a généré le protocole préjudiciaire, ce code-là, si jamais il était appliqué tel quel, nous rajouterait encore au moins 100 raisons de plus de procéder par voie alternative ou par voie... à l'intérieur du système, parce qu'il alourdit beaucoup, beaucoup, beaucoup le travail des avocats, les coûts pour les clients à toutes les étapes. Bon.

Alors, moi, ce que je vous dis, c'est pour la question des interrogatoires. Si on veut prendre juste ça, on pourrait-u dire: Bien, les parties déterminent les interrogatoires puis, en cas de difficulté quant à la durée, la pertinence et au nombre, ils peuvent demander au juge de décider, et non pas nous traiter comme des enfants puis dire: Dès que vous dépassez deux heures, il faut avoir l'autorisation du juge? Moi, je ne veux pas dépenser 1 000 $ pour faire une heure d'interrogatoire de plus ou deux heures de plus, surtout que, quand ça m'apparaît très, très, très pertinent, c'est quoi, l'idée, si je sais d'avance même que le juge, il veut juste faire du «rubber-stamping», il va... tu sais, parce que l'évidence est là, là? Tu sais, quelqu'un, je ne sais pas, moi, a consulté un médecin, il y a eu 38 consultations, bien c'est évident qu'en deux heures je ne peux pas couvrir les 38 consultations s'il y en a 15 qui sont pertinentes là-dedans... ou, s'il y a une opération qui s'étale sur un protocole opératoire de six pages parce qu'il y a eu quatre complications pendant... bien c'est technique, il faut regarder ça. Bon.

Alors, c'est quoi, l'intérêt de nous imposer une règle aussi impérative que ça. Moi, je pense qu'il serait plus correct... Tu sais, parce qu'on dit: Les parties sont maîtres de leurs dossiers, puis là on dit: Non, non, vous n'êtes pas maîtres parce que, si vous voulez dépasser deux heures, vous demandez la permission du juge. Il faut que vous fassiez ci, il faut que vous rédigiez ça. Bon, écoutez, là, je pense qu'à quelque part il y a un rééquilibrage à faire, on dit le principe puis on passe le reste du code à le dénier. Les expertises, même principe.

M. Fournier: Je vais revenir là-dessus. Puis on échange, alors ce n'est pas grave. Il n'y a aucune volonté de prendre les gens pour des enfants et de vouloir les accompagner, de vouloir avoir la tutelle du juge. Puis j'entends très bien ce que vous dites. De toute façon, si les parties s'en vont voir le juge puis s'entendent, je comprends bien la conclusion qui va arriver. J'entends ce que vous dites.

Par contre, s'il y a des modifications qui sont proposées dans ce sens-là, corrigez-moi si je me trompe, mais c'est parce que c'est appuyé sur le fait qu'il semble bien que ça prend quelqu'un pour venir assurer la proportionnalité, parce que ça n'a pas l'air réel. Je ne suis pas dans le palais de justice, vous y êtes, mais je vous donne une occasion de me dire que c'est injustifié d'apporter ce genre de mesure pour donner à un juge un rôle de s'assurer que tout est proportionnel, dites-moi: Ce n'est pas nécessaire, on est tous des grands puis on le fait bien. Mais tout le monde et tous les écrits que j'ai vus étaient plutôt dans le sens contraire. Je suis ouvert à avoir une autre position, là.

M. Ménard (Jean-Pierre): Écoutez, je comprends bien ça. Ce que je vous dis là-dessus, O.K., c'est qu'on est dans un système adversairiel. O.K.? Moi, si mon adversaire veut interroger mes clients et quatre autres personnes, puis je pense que ce n'est pas pertinent, moi, j'ai le devoir de protéger mes clients. Puis je connais la règle du Code de procédure sur la proportionnalité. Bien, moi, là, je peux m'adresser au juge puis dire: Regardez, c'est abusif. Mais, si mon confrère m'expose pourquoi ce serait important qu'il interroge mon client puis les quatre autres, peut-être que ça a bien du bon sens. Ce n'est pas parce qu'il dit: Je veux faire cinq interrogatoires que d'emblée c'est bon ou pas bon, il y a une rationnelle, puis, comme avocats, on peut comprendre ça. Puis, si, moi, j'ai des intérêts opposés à mon adversaire, si je ne veux pas qu'il interroge mes cinq clients, je vais aller voir le juge, mais qu'on me laisse la possibilité de juger et non pas d'aller devant le juge obligatoirement. Peut-être qu'il a mille et une bonnes raisons d'interroger cinq personnes dans ce dossier-là, parce que c'est un dossier qui s'y prête, puis là on va aller perdre, en plus de ça, x heures ou une journée à aller à la cour pour ça.

Alors, moi, je pense que, plutôt qu'avoir une règle aussi impérative, parce que c'est rempli de règles impératives, là, ça serait-u possible qu'on atténue, on adoucisse un petit peu ça pour dire: En cas de désaccord ou de mésentente entre les parties, le juge pourra trancher, et non pas: Les deux parties, même si elles sont d'accord, allez voir le juge? C'est ça qui ne marche pas. Moi, c'est là-dessus que j'en ai. O.K.?

Mme Vallée: ...possible, Me Ménard -- je coupe dans le formalisme -- de prévoir à l'avance, que ce soit au niveau de l'entente sur le déroulement de l'instance, où on prévoit déjà un peu la durée des interrogatoires, de prévoir... au lieu d'avoir un article qui permet... ou qui exige la permission du juge, plutôt de le mettre dans l'entente sur le déroulement de l'instance: Il y aura un interrogatoire de tant, et le juge aura, lors de la présentation, parce qu'il doit de toute façon se pencher là-dessus, l'opportunité de déterminer le caractère raisonnable ou déraisonnable de la demande en fonction des parties, du montant en litige, et tout ça? Est-ce que ça pourrait être une solution?

**(15 h 30)**

M. Ménard (Jean-Pierre): Je pense que c'est même déjà prévu comme ça à 144, si je l'ai bien lu, bon, on dit... -- attends un peu, ne bougez pas -- pour les interrogatoires, là, c'est ça, parce qu'écoutez, moi, je n'ai aucun problème à ce que ça se fasse comme ça. Si le juge, il juge que, bien... Parce que, regardez bien, en fin de compte il y aurait deux systèmes de vérification, l'avocat lui-même... Puis, écoutez, moi, que mes clients se fassent interroger à tour de bras puis inutilement, je n'ai aucun intérêt à permettre ça puis je ne laisserai pas faire mes adversaires là-dedans. Écoutez, il est déjà arrivé, dans le passé, qu'on a eu des débats là-dessus. Puis un interrogatoire qui se prolonge indûment, un instant, là, à un moment donné on s'en mêle, on dit: Bon, bien là, O.K., on s'en va où avec ça, là?, O.K., puis on intervient. C'est le rôle d'un avocat, ça, O.K.? Bon, je ne vous dis pas que... bien, écoutez, la «malpractice» légale existe aussi, là, mais, hormis ça, là, le travail ordinaire d'un avocat moyen, c'est de dire: Bien, ça, ça a du bon sens; ça, ça n'en a pas. S'il pousse fort, il pousse... Bon. Mais qu'on n'ait seulement que les avocats qui conviennent dans le protocole, puis que le juge qui révise le protocole dise: Ça m'apparaît excessif, là, ou abusif... Bon.

Puis, écoutez, nous, on vit dans le monde de la disproportion. Moi, j'affronte l'État ou les assureurs des médecins tout le temps, c'est comme ça tout le temps au niveau des moyens. C'est toujours disproportionné, c'est toujours... Bon. On la vit à tous les jours, la disproportion, puis on tente d'essayer de la reproportionner, alors on ne laissera pas faire personne. Puis, tu sais, c'est le rôle d'un avocat moyen, je vous le dis, là, je ne me prête pas aucun talent là-dedans.

Mais, si le juge, en plus... Écoutez, moi, je serais à l'aise avec votre suggestion aussi, qui m'apparaissait... C'est que le juge peut intervenir s'il considère qu'il y a des modalités dans le protocole qui ne respectent pas la règle de proportionnalité -- moi, je verrais bien ça -- si le juge, il voit, par exemple, un interrogatoire au préalable, cinq jours.

Le Président (M. Drainville): On va s'arrêter là puis on va aller à l'opposition officielle. Merci.

Mme Hivon: Oui, merci, M. le Président. Merci, Me Ménard. Merci à vous trois d'être ici. C'est un mémoire que j'ai trouvé très intéressant parce qu'il est aussi très varié, donc vous avez des considérations sur des enjeux très larges de justice participative, protocole préjudiciaire, avec votre expérience, puis vous arrivez dans le détail. Donc, merci beaucoup de votre éclairage.

Pour poursuivre peut-être un peu, est-ce que vous reconnaissez quand même de manière générale que le protocole d'instance... le rôle, je dirais, plus interventionniste du juge pour s'assurer en quelque sorte de l'absence de dérapage? Je pense que c'est un petit peu ça, l'idée, parce qu'il y a une méfiance, je dirais, généralisée chez le justiciable, le citoyen ordinaire qui n'est pas encore aux prises ou qui a peur d'être aux prises avec un problème juridique, qu'il va complètement perdre le contrôle sur son affaire. Et, oui, il y a des avocats dans le dossier, mais il y a toute une panoplie de mesures plus traditionnelles, et c'est peut-être difficile de changer les réflexes. Vous-même, je pense que vous en faites mention quand vous parlez du protocole préjudiciaire. Donc, est-ce que vous reconnaissez quand même de manière générale que, le juge, un rôle plus interventionniste peut être positif?

M. Ménard (Jean-Pierre): Moi, je pense que oui, mais peut-être qu'il faut le mettre à la bonne place. Moi, il y a une place où je trouve qu'on aurait dû mettre le juge de façon centrale, puis il ne l'est pas du tout, puis l'expérience me montre que c'est là qu'il faudrait qu'il soit: les conférences préparatoires. Parce que, là, on parle beaucoup des conférences de gestion d'instance, puis tout ça, c'est magnifique, mais les conférences préparatoires, là, j'ai assisté à je ne sais pas combien puis je vais le dire avec un immense respect pour la magistrature, c'est une perte de temps radicale, règle générale. O.K.? En conférence préparatoire, c'est là que le juge devrait regarder avec les avocats... D'abord, un, il devrait plonger dans le dossier, ce qui est rarement le cas, et, lors des conférences préparatoires, le juge devrait avoir lu, par exemple, les rapports d'expertise de chaque côté, avoir vu les pièces, les interrogatoires.

Et puis là, en conférence préparatoire, pourquoi est-ce qu'on ne travaille pas... Parce que j'en ai fait une couple de bonnes avec des... puis c'est pour ça que j'ai gardé cette idée-là. Ça se fait. J'en ai fait peut-être... remarquez que je n'ai rien que 32 ans de pratique, j'en ai fait au moins deux comme ça, O.K., en 32 ans, mais ça se fait où le juge prend le dossier puis il dit: Bon là, j'ai lu vos rapports d'expertise. Bon là, le juge parle: Bon, puis vous, votre rapport, votre expert, là, telle affaire, là, je ne vois pas c'est quoi, l'intérêt de débattre de ça devant moi, là, ça ne m'apparaît pas pertinent. Ça, ce n'est pas vraiment en litige, puis là il y a quatre pages de son rapport que c'est juste là-dessus. Ça ne m'apparaît pas essentiel, cette question-là, pour moi. Bon. Puis il parle à mon adversaire: Bon, vous, votre expert, c'est bizarre, il est très silencieux sur cet aspect-là qui est central dans le litige. Qu'est-ce qu'il a à dire là-dessus? Puis tout ça, blablabla, bon, puis ça va comme ça: Puis vous, par exemple, bon, bien, écoutez, vous, votre expert dit: Il y a 17 % d'incapacité. Vous, il y en a 12 %. 14 %, ça va-tu à tout le monde? O.K.? Et non pas mettre deux experts dans la boîte qui vont venir témoigner, un qui va témoigner pendant une heure pourquoi c'est 17 % d'incapacité, puis l'autre, pendant une heure pourquoi c'est 12 %. Comprenez-vous l'idée, là? C'est là.

Puis j'ai relu encore juste avant de venir ici, tout à l'heure. Je me suis dit: Ça se pourrait-u que j'aie mal lu, que j'aie oublié des articles ou que j'aie un manque de photocopie sur les conférences préparatoires? Bien non. Il y a un article. Écoutez, ce n'est pas assez, là. C'est là. À la conférence préparatoire, c'est là que le juge, il a tout le dossier. Au stade de la requête, il ne l'a pas, le dossier. Il n'a pas les expertises, il n'a pas les pièces, il n'a rien. Au stade des interrogatoires, là les deux avocats connaissent bien leur dossier, connaissent tout, tout, tout du dossier. Là, on devrait travailler quelle sorte de procès on va faire puis on peut-u s'aligner pour autre chose que vers un procès, O.K., parce que le juge, il devrait être capable là. Puis j'ai toujours imploré les juges, je l'ai dit plusieurs fois à la haute magistrature: Bien, écoutez, on pourrait-u faire un petit peu plus lors des conférences préparatoires? Moi, je serais bien, bien «willing» de faire avancer mon dossier, puis on est capables de circonscrire des questions une, deux, trois, régler de la preuve. Tu sais, les débats sur l'admissibilité des pièces, puis tout ça, on règle ça en conférence préparatoire, c'est fini, là. Les expertises, on a ciblé le témoignage des experts, deux questions. Pas huit, deux. O.K.? Bon. Puis tel jour, c'est tel expert; tel autre jour... Tu sais. Bon. Et ça, je pense qu'on pourrait faire beaucoup là-dessus.

Moi, je n'ai rien contre le fait qu'on mêle plus le juge. Je pense que c'est à beaucoup d'égards souhaitable, quand les parties ont des difficultés, O.K., peut-être qu'on ait un accès plus facile au juge. L'accès de routine que le juge voit tout, tout, tout, là, je vous dis, là, on va peut-être dans un extrême qui est lourd, puis ça va... regarde, je suis pas sûr que le système judiciaire a la capacité de répondre à cette demande-là, mais au moins sur demande. Puis que le juge soit plus interventionniste, d'accord, mais mettons-le à la bonne place, mettons-le au stade de la conférence préparatoire. C'est le premier moment où le juge a tout le dossier devant lui, celui qui a à entendre le procès ou pas.

Par ailleurs, à Québec, c'est le juge qui fait la conférence préparatoire qui entend le procès. Ça, c'est excellent. Ailleurs, ça ne se fait pas, alors... Mais ça, c'est excellent parce que, là, le juge, là, il est obligé de plonger dans son dossier. Quand il va en conférence préparatoire, bon, si, à l'évidence, il pense que ça ne devrait peut-être pas se plaider, il y a des messages forts qui se passent aussi. Il y a du travail utile qui se fait là. Alors, moi, c'est mon expérience, mais elle peut être bien différente de celle de d'autres.

Mme Hivon: Merci. L'autre élément d'intérêt que je voulais aborder avec vous, c'est l'arrimage entre la justice privée et la justice publique. Il y en a peu qui nous en ont parlé jusqu'à maintenant. Je comprends que, du fait de votre expérience avec le protocole préjudiciaire, vous avez peut-être un regard privilégié sur comment ça pourrait s'arrimer très concrètement. Vous faites certaines propositions, donc, de pouvoir s'insérer dans le processus, vous l'exposiez tout à l'heure.

De manière générale, parce que vous en parlez aussi au début, quand vous parlez généralement de l'obligation qui est faite aux parties de considérer les modes de PRD, comment on... C'est parce qu'il y en a, en même temps, qui viennent nous dire que, bon, tout ça, ce qui se passe en amont doit être vraiment teinté de volontariat, et tout ça, et que, si on met des mesures plus incitatives, est-ce qu'on va le faire juste pour la forme, dans le fond, de pouvoir peut-être bénéficier d'autre chose ou d'un «fast track» éventuellement, et donc de nuire aux objectifs premiers? Donc, je voulais vous entendre là-dessus peut-être globalement puis aussi par rapport plus précisément à votre expérience avec le protocole préjudiciaire.

M. Ménard (Jean-Pierre): Vous savez, c'est que, nous, quand on présente le protocole préjudiciaire, on dit à nos clients: Regardez, vous avez deux chemins, vous avez le protocole préjudiciaire puis vous avez la voie judiciaire habituelle, parce que j'ai des clients qui choisissent la voie judiciaire habituelle, O.K., ce n'est pas tout le monde... On ne dit pas à tout le monde: C'est le protocole. Il faut le consentement des clients puis bien exposer les pour et les contre puis les pour et les contre de l'autre scénario aussi. Il y a des clients qui d'emblée vont choisir le protocole préjudiciaire puis d'autres qui d'emblée vont choisir la voie judiciaire habituelle. Bon.

Alors, ce qu'on fait, c'est qu'on regarde les coûts, les délais. Alors, le protocole préjudiciaire, effectivement, il prend un tout petit peu plus de temps, on se donne un échéancier un tout petit peu plus long, pas beaucoup mais un petit peu plus long, mais on n'a pas de requête en prolongation, on n'ouvre pas de dossier à la cour, pas de frais de timbre judiciaire, donc pas de frais de requête en prolongation. On est capables d'arrondir, donc c'est la même chose au niveau des frais aussi. Puis on le fait de façon très conviviale aussi, alors ça crée un climat qui est moins, je vous dirais... moins adversairiel. Puis ça protège aussi plus la vie privée des gens, on le dit aux gens. Il y a des gens, par exemple, qui vont souhaiter que d'emblée leur dossier ait un caractère public, puis on dit: Là, allez vers la voie judiciaire, tout simplement, aussi.

Alors, on expose les coûts. Bon, évidemment, au niveau de l'arrimage, le problème, c'est qu'on parle aux gens des coûts du protocole préjudiciaire, mais il faut qu'on leur dise: Si ça ne marche pas, après vous allez devoir encourir les coûts qu'on voulait éviter, parce que, là, il faut payer le timbre judiciaire, il faut ouvrir le dossier à la cour, il faut payer les frais d'inscription, puis on va se rajouter un petit peu de délai à la fin aussi. Autrement dit, ça prend à peu près peut-être deux, trois, quatre mois, lorsqu'on ouvre le dossier à la cour, pour tout inscrire, tout déposer, que le dossier soit complet de part et d'autre, là. Même si on a tout fait, il faut respecter les délais de la cour, puis on n'aura pas de réponse de la cour en termes de convocation sur le rôle provisoire avant quelques mois. Bon. Alors, ça, il y a des questions de coût, puis il faut les dire aussi.

Alors, ce qui arrive, c'est que, nous, ce qu'on souhaiterait, c'est qu'au niveau de l'arrimage... Il serait-u possible, d'abord, soit de réduire les coûts de l'arrimage ou de réduire les délais d'arrimage aussi? Parce que, quand je rentre dans le système judiciaire, moi, je n'ai aucun... je ne bénéficie pas du fait que j'ai tout fait, mon dossier est déjà complet aussi, c'est ça.

Puis par ailleurs aussi c'est que des fois, quand on rentre dans le système judiciaire, par exemple, l'hypothèse, c'est parce qu'on ne s'est pas entendus juste sur le coin de... O.K.? Bon. Mais là je me génère encore plusieurs semaines, plusieurs mois, imaginez encore un paquet de coûts. Il serait-u possible que j'aie un arrimage un petit peu moins dur avec le système judiciaire si tout ce que je veux, là, c'est une CRA? Ou encore, si, dans mon dossier, il restait des difficultés, comme par exemple des objections non tranchées, des débats sur l'admissibilité de certaines pièces, puis là si on était capables de faire régler ça -- puis on n'a pas réussi à les régler entre nous -- si on était capables de les faire régler, peut-être qu'on serait capables d'éviter de judiciariser.

**(15 h 40)**

Alors, moi, c'est ça, je voudrais qu'il y ait la possibilité qu'on puisse s'arrimer ici et là ou à un moment précis pour nous encourager à faire ça. Là, ce qui nous encourage à faire ça, c'est la lourdeur du système actuel, puis, avec le protocole, ça va être encore plus encourageant pour nous de procéder par protocole préjudiciaire. Mais, par ailleurs, lorsqu'on est condamnés à aller dans le système judiciaire parce qu'on n'a pas le choix d'y aller, bien, je pense qu'il y aurait peut-être moyen de simplifier un peu les choses aussi, tu sais, parce que le protocole préjudiciaire aussi, c'est ce que nos adversaires aussi ont comme règles... ça fait partie des conditions, il y a des renonciations à la prescription, alors ça nous permet aussi de travailler plus... avec un petit peu moins de contraintes aussi. Alors, c'est des choses qui sont à considérer, mais je pense qu'on peut faire un meilleur arrimage. Puis ça peut prendre plusieurs formes, là, aux pages 18, 19 et 20 j'ai signalé toutes sortes de choses qu'on pourrait faire.

Mme Hivon: J'ai vu les critères que vous exposez aussi pour le protocole préjudiciaire, là, c'est assez impressionnant. Donc, peut-être, du fait de votre expertise, qu'on pourra en bénéficier dans le détail. Mais justement, là-dessus, ça semble quand même une pratique très, très peu répandue. Vous êtes un avocat. Beaucoup nous disent que, pour changer la culture, il faut faire beaucoup d'éducation et pas juste auprès des citoyens mais auprès des avocats beaucoup.

Comment on peut amener les avocats, dont vous êtes, à adopter des modes comme ça quand vous nous dites que l'AQESSS, qui représente les institutions publiques, ne veut pas parce qu'elle, elle se dit publique? Peut-être qu'on va lui donner une impulsion avec l'avant-projet de loi, mais comment on fait pour changer? Vous, vous y avez réussi avec McCarthy Tétrault, qui représente la compagnie d'assurance. Comment on fait?

M. Ménard (Jean-Pierre): Bien...

Le Président (M. Drainville): Alors, Me Ménard, je veux juste préciser que la réponse que vous allez donner sera amputée sur la deuxième enveloppe de l'opposition.

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est beau. Alors, écoutez, oui, l'éducation, c'est fondamental, mais savoir que ça se peut, que ça donne du succès, parce qu'au dernier congrès du Barreau où j'étais il y avait un atelier sur la réforme à venir, puis on m'a invité à prendre la parole comme ça pour parler de ce que... On a dit: Le prochain code va prévoir le protocole préjudiciaire, donc on a ici Me Ménard, il va venir vous en parler, bon, comme ça. Mais, écoutez, il y a beaucoup de positif à dire là-dessus, puis je pense qu'il faut travailler à vendre ça aussi, là. Ça a de l'intérêt pour le justiciable, puis on se place toujours du point de vue du justiciable. Puis, nous, comme avocats, c'est notre seul angle finalement aussi: Est-ce que nos clients peuvent avoir justice par ce biais-là? Oui.

Puis, écoutez, il y a l'éducation, mais, si c'est par ailleurs dans le code, si c'est bien arrimé dans le code, je pense que ça se vend, là, tu sais. On a la formation continue obligatoire des avocats, puis j'ai l'impression que le Barreau va exiger que tous les avocats retournent sur les bancs d'école avec le nouveau Code de procédure civile, un peu comme on a fait pour le Code civil. Bien, pourquoi ne pas prévoir des choses là-dessus aussi?

Alors, je pense qu'il y a toutes sortes de moyens, mais je suis d'accord avec vous que, l'éducation, il faut travailler à s'ouvrir. Nous, les avocats, trop souvent on a une approche qui est trop traditionnelle, qui est trop fermée par rapport à ça, puis on dit: C'est le statu quo. Non. Il faut évoluer, puis il faut qu'on évolue vers un système qui rejoint le citoyen et non pas forcer le citoyen à s'adapter au système.

Le Président (M. Drainville): Merci, Mme la députée de Joliette. M. le ministre.

M. Fournier: Je vais prendre à la volée les discussions sur le protocole préjudiciaire, mais après ça on va parler des experts. Toute petite question: Puisque vous représentez des gens qui peuvent avoir été victimes, là, de fautes médicales, est-ce que, lorsque vous discutez, la question de la prescription est un élément problématique ou pas du tout problématique quand vous faites ces discussions-là avec l'assurance?

M. Ménard (Jean-Pierre): Pour le protocole préjudiciaire, bien, écoutez, il fait toujours partie des règles, puis il n'y a pas de difficulté là-dessus. Si je prends l'hypothèse que j'ai un cas de... Par exemple, la personne est décédée le 15 janvier 2008, bon, ma prescription, donc, c'est le 15 janvier 2011. Les gens viennent me voir au mois de novembre 2010, puis là il semble y avoir un... parce qu'on fait toujours évaluer les causes par des experts avant. Alors là, j'ai matière à poursuivre, je vais appeler mon adversaire: Regarde, on s'échange un projet. Puis je dis: Regarde, ça tombe le 15 janvier, c'est-à-dire que le 15 janvier 2011 ma prescription est acquise. On peut-u s'entendre que vous renoncez à la prescription pour six mois ou un an, peu importe le temps? Et ça, ça ne pose jamais de difficulté, par expérience.

M. Fournier: Et donc, selon vous, il n'y a pas nécessité de prévoir quelque chose sur la suspension de prescription?

M. Ménard (Jean-Pierre): Bien, écoutez, je pense que ça pourrait être utile, je vous dirais, pour des fins pédagogiques, parce que, là, on parle d'éducation, puis, le projet de loi, ce serait bien qu'il y ait quelques dispositions pédagogiques. Comme il y a des énoncés de principe, il y a des énoncés philosophiques, c'est important alors qu'il y ait quelques articles pédagogiques pour dire aux avocats: Oui, vous pouvez le faire. Faites-le, là, ça se fait.

M. Fournier: Il me semblait qu'il y avait... Bien, pour des fins pédagogiques dans votre cas peut-être parce que ça marche, mais peut-être que, dans d'autres cas, ça marche moins. Mais c'est certainement une façon de protéger une période de temps pour qu'on se donne toutes les chances d'y arriver, parce que, sinon, si une partie dit: Bien, j'aime autant profiter de mon argument, puis, si tu n'y arrives pas, bien je gagne par la...

M. Ménard (Jean-Pierre): Non, c'est ça. Écoutez, moi je pense que ça vaudrait la peine de le mettre, O.K.? Alors, écoutez... Puis ça pourrait peut-être même aller jusqu'à: La décision de confirmer de recourir au protocole préjudiciaire peut emporter renonciation de prescription, comme l'ouverture d'une... comme le dépôt d'une procédure ou peu importe. Ça peut être... Au commencement d'un recours collectif, on a des dispositions comme ça aussi qui interrompent la prescription, qui la suspendent.

M. Fournier: Ce dont vous bénéficiez en ce moment, c'est plus de l'ordre de la suspension de la prescription, c'est-à-dire que ce n'est pas la renonciation totale au temps écoulé.

M. Ménard (Jean-Pierre): Non, c'est limité, c'est une renonciation. Oui, bien, ça a l'effet d'une suspension aussi pour une durée déterminée, le temps de faire le protocole, c'est ça. Alors, c'est utile pour ça.

M. Fournier: O.K. Évidemment, je pensais mal, mes intuitions étaient mauvaises parce que, lorsqu'on parlait de l'expert unique, j'aurais eu tendance -- je ne le pense plus -- j'aurais eu tendance à penser que l'expert unique aurait été avantageux pour ceux qui en sont victimes, les individus qui sont... par rapport justement à l'assureur, qui est beaucoup plus imposant, qui a tous les moyens, toutes les expertises et qui a fait le tour de tous les experts possibles. J'avais comme une intuition que c'était une mesure d'équilibre, mais j'ai compris que ce n'est pas le cas du tout, d'autant que vous m'avez dit qu'avant même d'appeler l'autre vous êtes déjà en train de vérifier le fondement du recours, et tout ça, donc vous êtes obligés même, si je comprends bien, de lancer une certaine forme d'expertise. Alors, dites-moi qu'est-ce qu'on doit faire avec l'expertise commune.

M. Ménard (Jean-Pierre): Avec respect pour l'expert unique, je pense que c'est pertinent pour d'autres aspects, d'autres sortes de litige que la responsabilité professionnelle, parce qu'en responsabilité, là, regardez, nous, on reçoit en moyenne, des fois, des journées, là, 20, 25 appels par jour de nouveaux clients. Bon, moi, quand j'ai vu le projet sur l'expert unique, je me suis dit, premier réflexe que j'ai eu: C'est bon, ça, on va arrêter de faire le travail qu'on fait. Tout le monde m'appelle, O.K.: J'ai été victime, mon médecin m'a mal traité, j'ai eu ci, j'ai eu ça. On dépose la poursuite. On demande au tribunal: Nommez-nous un expert unique. Le tribunal va vous dire si vous avez une cause, si vous n'en avez pas, puis, moi, je vais collecter quand ça va bien aller, puis, quand ça ne va pas, je vais dire: Bien, écoutez, il n'y avait rien. O.K.? Bon. Mais on n'est pas dans la réalité.

La réalité est la suivante, O.K.? Nous, d'abord, dans 100 % des dossiers, avant de recommander à des gens de poursuivre, on les fait évaluer pour voir si les gens ont une cause ou pas, O.K., parce qu'autrement, là, on inonderait le système judiciaire. Alors, on fait une première sélection par téléphone. Si à l'évidence les gens... Tu sais, quelqu'un nous appelle, nous dit: Écoutez, j'ai été opéré voilà quatre ans, c'est parfait, c'est prescrit, ne venez même pas nous voir. Bon. Alors, on convoque un certain nombre de personnes, mais je vous dirais qu'une majorité de gens qu'on voit qui a priori, au téléphone, en apparence ont l'air à avoir une bonne histoire, lorsqu'on la fait évaluer par des experts... Parce qu'on fait venir les gens, on fait venir leurs dossiers médicaux, on soumet ça à des experts qui sont prêts à venir témoigner en cour contre leurs collègues, là, puis qui nous disent est-ce que c'est conforme aux règles de l'art ou pas puis, sinon, est-ce que c'est causal. Bien, je vous dirais qu'au moins 50 %, 55 % des causes qu'on présélectionne, là, parce que par téléphone on fait une grosse sélection, bien, encore là, il n'y a pas matière à poursuivre. Alors donc, on évite aux gens, évidemment, de s'engager dans plus de frais.

Mais autrement que ça, si je ne fais pas ça, O.K., si je me dis: Pour le justiciable, c'est bon, l'expert unique, ça, je vous dirais que c'est peut-être concevable pour l'avocat qui n'est pas capable de se trouver d'expert nulle part, qui ne connaît pas ce domaine-là, O.K., puis qui va dire au citoyen: Ah, tu n'as pas été bien traité, on va poursuivre, puis le juge va nommer un expert, puis il te dira si tu as une cause ou si tu n'en as pas, mais ce n'est pas la bonne... ce n'est pas comme ça qu'on fait ces causes-là parce que, pour se rendre jusqu'à l'expert unique nommé par le tribunal, là, le client, le justiciable va devoir dépenser plusieurs milliers de dollars, parce qu'il faut au moins que l'avocat monte minimalement son dossier, obtienne au moins les dossiers médicaux, rédige une procédure, il y aura peut-être des interrogatoires.

Bon là, le juge nomme son expert unique. Là, si on suit, en plus de ça, les formalités que le projet de code veut imposer aux experts, je vous le dis, là, si on veut suivre les formalités, il faut que le rapport soit assez développé, assez précis, là, bon, O.K., pour ne plus qu'on ait besoin d'interroger l'expert ou presque plus, là. Là, on est rendus à 7 000 $, 8 000 $, 10 000 $, là. C'est beaucoup plus cher que de faire évaluer au préalable s'il y a matière à poursuivre ou pas puis avec beaucoup moins de sécurité pour le citoyen qu'il faut évidemment qu'il en paie la moitié, de ces choses-là, là, de tous ces frais-là.

**(15 h 50)**

Alors donc, moi, je ne serais pas capable de recommander à un client, de dire: On va laisser faire notre système d'expertise au préalable, là, allons vers l'expert unique, parce que ça risque de lui coûter plus cher que ce que ça lui coûterait, faire évaluer sa cause puis apprendre qu'il n'en a pas, O.K.? Puis, moi, vu que je fais ça, de toute façon, là, j'ai un expert dans le dossier, O.K.? Puis, si c'est favorable en plus, ça va m'aider d'abord, un, pour beaucoup mieux diriger ma cause, puis mes allégations vont être très, très bien ciblées, parce que c'est rare qu'un médecin manque tout, O.K.? Une cause, c'est rare qu'il n'y a pas eu le consentement, qu'il n'a pas été diagnostiqué, traité, suivi. D'habitude, la faute, c'est une place, ou l'autre, ou l'autre, bon, alors l'expertise, ça sert à déterminer ça puis à cibler la cause. C'est pour ça qu'on a un taux très élevé de règlement dans ces causes-là. Sauf que, là, je ne conçois pas de s'en aller où je n'ai pas de toute façon un expert parce que, même si j'ai un expert unique qui dit: Bon, moi, je pense que cette cause-là, elle a telle, ou telle, ou telle angulation... à moins que l'expert me donne raison de façon fabuleuse tout de suite, là, mais là, de l'autre bord, ça risque d'être contesté aussi. Puis, moi, si je veux contre-interroger cet expert-là, si je veux vérifier le sérieux de ce qu'il dit, ses qualifications, peu importe ce que ça peut être, je fais quoi? Il faut absolument que je parle à un de mes experts, qu'il me dise: Bien, regardez, ce qu'il vous dit là, là...

Puis aussi c'est qu'en matière de responsabilité professionnelle c'est important de comprendre ça aussi: les règles de l'art, ce n'est pas toujours une ligne. Il y a des visions des fois très différentes, dans le milieu médical, par rapport à ce que c'est, une faute, puis il y a encore plein de médecins qui pensent que, vu que leurs collègues font leur possible, ils ne peuvent pas commettre de faute, mais non... ou encore leurs collègues qui disent: Écoutez, ça, c'est mal fait, mais c'est le système qui est fait de même. Ce n'est pas la faute du médecin, il est coincé dans le système. J'entends ça souvent. Oui, mais ce n'est pas un argument pour dire qu'il y a une faute ou pas de faute ici, là. Comprenez-vous? Puis les médecins qui n'ont pas beaucoup de formation par rapport à ces notions-là qui sont des notions légales aussi...

Écoutez, honnêtement, je vais être honnête, je vais être bien franc là-dessus, là, si l'expert unique représenterait, pour le citoyen, pour le justiciable, un progrès, je viendrais vous bénir aujourd'hui puis je vous dirais: Quelle belle avancée pour le citoyen!

M. Fournier: Je l'aurais espéré, mais je vois que ça n'arrivera pas.

M. Ménard (Jean-Pierre): Bien, M. le ministre, malheureusement je ne suis pas capable de vous dire ça. Puis je vous dis ça avec la plus grande désolation parce que je me suis demandé, voir, si on ne pourrait pas juste être une cour de transit avec l'expert unique, puis ce n'est pas une bonne idée.

M. Fournier: ...vous y ayez renoncé. Alors, l'autre volet, parce que la règle n'est pas l'expert unique, bien que c'est tout à fait là, là, la règle qui est développée, c'est celle d'un expert par matière. Alors, comment vous vivez avec ça?

M. Ménard (Jean-Pierre): ...100 % d'accord. Il y a un progrès là parce que, je vais être honnête avec vous, écoutez, dans la grande majorité des dossiers, c'est rare que j'ai plus d'experts que mes adversaires, très rare, pour ne pas dire rarissime, O.K.? L'année passée, j'ai fait une cause d'obstétrique puis j'avais un expert; de l'autre bord, il y en avait trois pour les mêmes... Puis ça ne veut pas dire que c'est le nombre d'experts qui détermine qui va gagner, parce qu'on avait eu gain de cause dans notre procès qu'on a fait en 2011, mais c'est achalant parce que le juge va entendre une fois, deux fois, trois fois à quel point la partie défenderesse a bien fait son travail, puis ça prend un juge qui a de la couenne pour être capable, des fois, de départager ça. C'est beaucoup plus dur pour le justiciable.

Ça, M. le ministre, je vous suis 100 % là-dedans puis je pense que c'est la règle que, dans le projet de loi, là, ça, je vous dirais: Vendu! Dans ce cas-là, il y a un progrès.

Le Président (M. Drainville): On va s'arrêter là-dessus, M. le ministre. Ça va? Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Pour rester sur la fameuse question de l'expert unique, c'est ça, je pense qu'on est tous un peu mystifiés, parce que c'est tellement identifié globalement comme un frein, les expertises, le nombre d'expertises, comme une source de coûts importante pour le citoyen. Donc, c'est sûr que, là, depuis le début des auditions, on a entendu, sur cette question-là, essentiellement des représentants de professionnels, donc on comprend que la question est... Bon.

Moi, je veux quand même vous entendre sur deux choses. Tel que libellé en ce moment, c'est vraiment dans le cas où la règle de la proportionnalité l'obligerait. Est-ce que ça, ça peut être une voie de passage -- je comprends que vous avez sans doute réfléchi à la chose -- soit si on définissait mieux ce qu'on entend par «proportionnalité» dans ce contexte-là, si les critères étaient plus clairs?

Le deuxième élément, c'est: Pourquoi les gens qui sont dans d'autres domaines... Parce que vous semblez dire que, dans d'autres domaines, là, quand on n'est pas, peut-être, en responsabilité professionnelle, ça pourrait être une bonne idée. Pourquoi ça pourrait être une bonne idée et pourquoi ils ne viendraient pas nous plaider qu'en vices cachés les dommages peuvent être tellement importants que c'est la même chose pour avoir leur défense?

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est qu'en affaire... La proportionnalité, c'est lié aussi à la valeur du litige. Alors, ça, c'est un des critères, O.K., parce qu'évidemment, si on poursuit pour 35 000 $ de vices cachés, on va-tu avoir quatre experts? Bon là, je pense que, là, c'est un domaine qui se prête très, très bien à ça, O.K., mais... Alors donc, il y a des domaines où c'est sûrement beaucoup plus simple, puis sans exclure que, par ailleurs, ça puisse être malgré tout difficilement applicable aussi dans d'autres domaines, même en vices cachés aussi.

Bon, je ne vous cacherai pas, moi, que l'exemple le plus horrible de disproportion, parce que je l'ai vécu, c'est face au gouvernement, O.K.? J'ai fait une cause de vaccination devant le TAQ, pour une victime de vaccination, écoutez, puis le gouvernement ne finissait pas. On a commencé avec un expert de notre côté; ils en ont produit deux, trois. Là, j'ai demandé la permission d'en produire un deuxième; ils en ont produit encore un autre, deux autres. Puis là j'ai demandé la permission d'en produire un troisième; ils en ont produit encore. On était rendus quatre versus huit experts, O.K., le gouvernement avait huit experts contre moi. Là, ce que j'ai fait, c'est qu'au nom de la proportionnalité j'ai fait une requête pour obliger... pour demander qu'au nom de cette règle-là la partie défenderesse paie mes frais d'expert, et ça m'a été accordé à 85 %, O.K., bon, parce que, là, mes clients n'étaient plus capables. Moi, j'avais le citoyen, bon, puis j'avais l'État contre moi, parce que les assureurs font parfois des abus, mais je vous dirais que, moi, le défendeur le plus abusif que j'ai vu, jusqu'à maintenant, c'est l'État. C'est plate à dire, mais c'est ça. C'est mes impôts à moi.

Alors donc, écoutez, par rapport aux coûts, je peux vous dire une chose: Le coût des experts, on est obsédés par ça. On a développé toute une série de stratégies pour garder les coûts d'expert le plus bas possible, O.K.?

Puis le rapport d'expert, c'est un élément aussi. Le rapport d'expert, si on suit le code, là je n'ai plus le choix, là, il faut que j'ouvre les vannes. Je vous le dis, là, j'en ai, des experts qui me font des rapports comme ça, là, j'en ai au moins trois, là, trois gynécologues qui sont dans le même hôpital, puis ils ont une banque de littérature qui fait que, quand j'ai une histoire, je ne sais pas, moi, disons d'accouchement vaginal après césarienne, avec le rapport d'expertise qui vient je vais tout avoir la littérature sur l'AVAC, 30 pages, tout est là puis bien exposé, bon, ils me font ça, mais ce n'est jamais en bas d'un 6 000 $, 7 000 $, 8 000 $ de la «shot», là, O.K.? Bon, le gros des experts, dans les rapports d'expertise, me coûtent 1 000 $, 1 500 $, puis il faut que l'avocat les bride un petit peu, les experts. J'en ai un de temps en temps qui dépasse, là, tu sais, des fois je suis pogné pour prendre le grand expert à Toronto, parce que, bon, il y en a qui écrivent de la littérature là-dessus. Bon, lui, je suis obligé de négocier puis je négocie le tarif ontarien. Bon. Mais, dans la réalité, comme avocat, là, quand on comprend c'est quoi, le monde des experts, on est capables de les brider, puis, moi, l'expert qui me charge des prix de fou, non, ça marche pas, là. Un, on ne le prend plus, puis, deuxièmement, on négocie aussi. C'est des choses qui jouent parce que, dans la vraie vie, beaucoup de mes experts, moi, comprennent qu'ils agissent pour le citoyen puis ils me chargent même des fois... régulièrement en bas des tarifs suggérés par les différents groupes d'assurance.

Écoutez, c'est le rôle de l'avocat aussi de contrôler ses coûts, puis, moi, mon expert, je lui dis toujours: Écoutez, ce n'est pas «bar open», là, docteur, je vous donne... j'ai un budget de 1 500 $ pour votre expertise. Bon, c'est sûr que, si j'ai un dossier qui est ça d'épais, je vais... non, il va me dire, merci beaucoup, mais là, si on veut obliger les experts à travailler... tous les experts à faire des rapports comme ils sont là, moi, je perds 90 % de ma banque d'experts. Moi, mes experts, c'est tous des cliniciens ou à peu près tous qui font ça le soir, les fins de semaine. Bien là, si je leur dis: Écoutez, docteur, votre rapport, le juge ne le comprend pas, il n'est pas assez élaboré, il faudrait que vous en disiez un petit peu plus, puis un petit peu plus, puis un petit peu plus, je vais me faire dire: Écoutez, bien non, je n'ai pas le temps.

Alors, ça, c'est la réalité. C'est pour ça que j'ai lu ça puis, avec respect pour les gens qui l'ont écrit, je me suis dit: Coudon, y a-tu peut-être de la pensée magique là-dedans, là?, O.K., surtout qu'à l'article 16 on dit qu'il ne faut pas que le juge permette quoi que ce soit... qu'aucune question n'ait pas été débattue devant le tribunal. La question la plus importante en responsabilité professionnelle, je ne peux pas la débattre devant le tribunal, c'est le débat d'experts aussi. Puis on n'y va tellement pas souvent, en procès, qu'imposer ces règles-là, ça m'apparaît disproportionné, où, là, c'est le Code de procédure civile qui m'impose une disproportion.

Mme Hivon: Donc, dans les faits, vous rejetez complètement l'idée que le rapport écrit vaille comme témoignage?

Une voix: ...

Mme Hivon: Non, mais dans le sens... C'est parce que certains disent: Mais les parties peuvent s'entendre, mais j'imagine que ça va être très rare que, quand on se rend à procès... Parce que, si une partie laisse tomber, l'autre devrait laisser tomber, mais ça ne veut pas dire que ça va fonctionner comme ça.

M. Ménard (Jean-Pierre): Regardez bien, dans la vraie vie on s'entend souvent, par exemple, sur les dommages, des choses comme ça aussi. Bon. Puis, par ailleurs, à la conférence préparatoire, le juge, là, il a les deux rapports d'expertise. Pourquoi le juge, en conférence préparatoire, ne travaillerait pas pour réduire la marge de débat des experts? Ça ne se fait pas, ça ne se fait jamais à peu près, jamais en conférence préparatoire. C'est là que ça devrait se faire aussi, bon, c'est... Quant à moi, il y a plusieurs moyens.

Mme Hivon: ...la source des coûts, ce n'est pas de venir le faire témoigner puis... c'est peut-être parce qu'il vient...

M. Ménard (Jean-Pierre): Écoutez, non, non, il y a des coûts...

Mme Hivon: ...oui, parce qu'il vient témoigner sur ça de grand, alors que ça serait peut-être sur ça puis...

**(16 heures)**

M. Ménard (Jean-Pierre): Moi, le paradoxe que je vois, c'est qu'on se dit: Ah! C'est à cause des coûts d'expert qu'il faut qu'on travaille à réduire les coûts, mais le remède qu'on propose, quant à moi, il est pire que le mal, O.K., parce qu'avec ça, là, on est certain, certain, certain de faire monter les coûts d'expert. Certain, certain, certain. Puis, moi, en plus de ça, je vais perdre un certain nombre d'experts, puis mes clients vont en arracher pour payer ces frais d'expert là. Là, toute la mécanique qu'il y a ici, là...

Puis, écoutez, par expérience, là, les juges qui disent: Moi, le rapport d'expert, je suis capable de le lire puis je le comprends, ce n'est pas mon expérience mais pas du tout. Puis j'ai vu des rapports bien élaborés, puis on arrive en cour, puis le juge dit: Écoutez, je n'ai pas lu les rapports, O.K., ou encore le juge l'a lu puis manifestement il ne l'a pas compris. C'est important de comprendre ces choses-là aussi. Le juge qui a fait du droit municipal toute sa vie puis qui tombe dans une cause de -- pour prendre un terme spécifique -- cholécystectomie par voie de laparoscopie, une vésicule biliaire qu'on enlève puis on perfore l'intestin, c'est-à-dire on enlève le canal cholédoque, là, on s'est trompé de... bon, puis c'est écrit en termes techniques, cholécystectomie, laparoscopie, puis tout le kit, puis l'endoscopie, puis l'ERCP, puis tout ça, là, il va dire: Mon Dieu, c'est-u bien écrit! Mais tu as mal où quand tu as ça, là? O.K.? Bon.

Ça fait qu'écoutez, dans la vraie vie, là, l'histoire que... Bon, moi, j'ai vu des fois des juges dire: Écoutez, docteur, ne lisez pas votre rapport, je l'ai lu. C'est parfait, on ne lit pas le rapport dans la boîte des témoins. On va dire: Docteur, pourriez-vous expliquer d'abord la partie anatomique, expliquer ci, expliquer ça pour que le juge comprenne? Puis, moi, j'ai toujours comme politique, quand je plaide: M. le juge, est-ce que vous suivez bien? Avez-vous bien compris ce que le docteur vous explique? Êtes-vous à l'aise avec l'anatomie, la physiopathologie, la technique opératoire? Êtes-vous à l'aise avec tout ça? Non, le bistouri, quand il coupe, il... je vais sur le schéma puis, dans votre rapport, je n'ai pas compris. Bon. Là, on le sait. Mais, écoutez, là, moi, je ferais un pari que... Combien de juges sont capables de lire un rapport d'une opération comme ça puis me dire: Bon, moi, j'ai tout compris, il y a contravention aux règles de l'art? Puis j'ai vu combien de beaux rapports écrits qu'un expert n'est pas capable de se souvenir quand il est dans la boîte? Comprenez-vous? Ça fait qu'écoutez on enlève... on nous coupe les jambes avec ça, là.

Mme Hivon: Je comprends que vous plaidez depuis 32 ans, vous dites? Oui. Vous avez une petite expérience.

M. Ménard (Jean-Pierre): Ça ne me rajeunit pas, là, mais en tout cas.

Mme Hivon: Je veux vous amener sur un tout autre sujet, mais, vu que vous êtes le seul puis... bien, vous allez être probablement un des seuls à aborder ça, c'est la question, là, de l'intégrité quand... l'intégrité physique de la personne. Et donc, bon, vous, vous dites qu'il y a eu le rapport du Barreau en matière de santé mentale et donc qu'il devrait y avoir une représentation systématique par avocat, je comprends la logique. Vous faites état de chiffres qui... une étude, là, qui semble prouver que, dans les faits, ils se défendent... lorsqu'il n'y a pas d'avocat, ils perdent beaucoup plus souvent leur cause, je pense, dans un ratio de trois à un ou je ne sais pas quoi. Mais comment vous proposez que ça fonctionne, le système? Simplement par l'aide juridique, une désignation?

M. Ménard (Jean-Pierre): C'est un problème qui est complexe parce qu'actuellement, je vais être bien honnête avec vous, on fait beaucoup de ces litiges-là puis on a malheureusement très peu de compétition parce que ce n'est pas payant, l'aide juridique ne paie pas beaucoup ces choses-là, puis il n'y a pas beaucoup d'intérêt pour ça. Là, avec le Barreau, il y a une ouverture bien grande suite à ce rapport-là, on est en train de préparer un programme de formation pour les avocats, pour étendre l'offre de services, O.K., former les avocats comment représenter un patient psychiatrique, parce que, quand vous arrivez à la cour, puis votre patient dit: Non, vous n'êtes pas le vrai, ou encore: Non, vous, je ne vous ai pas parlé, ou encore votre client, à ce moment-là, a du mutisme, ne peut pas témoigner, O.K., bon, on fait quoi, là? O.K.? Alors, c'est des choses qu'il faut apprendre à faire aussi, puis il y a des manières de gérer ces choses-là, il faut que les avocats apprennent comment représenter ces patients-là. Puis c'est une pratique extrêmement intéressante, puis, en termes de droits fondamentaux, de droits de la personne, quelle belle pratique!

Alors, c'est clair que, ça, il y a une première chose là, mais, par ailleurs, ce qu'on demande dans notre mémoire minimalement, tout de suite, là, O.K., puis ça peut se faire sans grande difficulté, c'est qu'on importe dans le code la même disposition que dans la Loi sur la justice administrative, que le TAQ applique en matière de garde, parce qu'on fait des révisions de garde devant le TAQ, qui demande toujours aux gens... c'est-à-dire la loi fait obligation au TAQ de demander au justiciable: Est-ce que vous avez pu obtenir ou parler à un avocat? Bon. Puis là, si jamais, évidemment, c'est non, bien là c'est clair que le tribunal peut voir un peu les mesures qui peuvent être prises pour donner accès, parce qu'il y a des bureaux d'aide juridique qui ont des avocats qui sont disponibles pour aller faire ces choses-là. Dans quelques régions du Québec, il y a des avocats aussi qui font ça spontanément, puis ça, c'est toujours des causes où on nous appelle le soir pour le matin ou le matin pour l'après-midi, là, mais on est capables de faire ces choses-là. Mais c'est clair qu'il y a à développer des choses là-dessus. Il faut qu'on repense tout le régime juridique de la gestion des requêtes en intégrité, parce que les...

Le Président (M. Drainville): En conclusion, Me Ménard. En conclusion, s'il vous plaît.

M. Ménard (Jean-Pierre): En conclusion, bien c'est ça, écoutez, alors ça, c'est un élément, je pense, qui est important, puis c'est clair qu'au niveau du ministère de la Justice puis du Code civil il faut qu'on revoie ces procédures. On est dans le trou noir de la psychiatrie. Je pourrais vous envoyer un article que j'ai publié voilà pas tellement longtemps.

Alors donc, ceci étant dit, écoutez, je pense qu'il est important qu'on garde l'objectif d'accessibilité, mais je pense qu'il y a une certaine discordance entre ce discours-là du début du code puis toute la mécanique qu'on met en place après, parce qu'on impose des formalités qui vont alourdir les délais, alourdir les coûts, alourdir les formalités, puis je ne suis pas sûr que le justiciable va y gagner au bout de la ligne. Moi, comme je vous dis, au-delà du premier réflexe sur la question de l'expert unique dont j'ai fait part tantôt, qui est un peu fantaisiste, ce que je regarde, c'est que ce code-là va nous inciter davantage à aller en justice privée, parce qu'elle va devenir beaucoup plus coûteuse, cette justice-là, si on la garde comme elle est exposée ou décrite ici, ceci dit avec le plus grand respect. Merci de votre écoute.

Le Président (M. Drainville): Et merci d'avoir participé à ces discussions.

On suspend quelques instants pour permettre à nos prochains invités de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 5)

 

(Reprise à 16 h 8)

Le Président (M. Drainville): Alors, nous allons enchaîner sans plus tarder avec l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation, Me Guylaine Houle, Me Jean Legault, M. Stéphane Lachance et Me Jonathan Warren ou Warin. Warin, très bien. Alors, on va laisser la parole sans plus tarder à Mme Houle, j'imagine, et elle corrigera ma prononciation, s'il y a lieu. Allez-y, madame.

Association canadienne des professionnels de
l'insolvabilité et de la réorganisation (ACPIR)

Mme Houle (Guylaine): Merci. J'aimerais, en premier lieu, remercier la commission, là, du temps que vous nous accordez pour vous faire part, là, de nos commentaires concernant les modifications du Code de procédure civile. Je suis aujourd'hui accompagnée, à ma droite, de Stéphane Lachance, qui est un comptable agréé et syndic associé chez Demers Beaulne, et, à ma gauche, de Me Jean Legault, associé chez Lavery, de Billy. Et moi-même, Guylaine Houle, je suis avocate et syndic de faillite, associée chez Pierre Roy & Associés et, pour les deux prochaines années, présidente du conseil d'administration de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation.

**(16 h 10)**

Notre association représente près de 900 syndics au Canada et a approximativement 400 membres stagiaires. Nous sommes des professionnels qui, après avoir complété une formation de plus deux ans, avons obtenu une licence de syndic qui est octroyée par le Bureau du surintendant des faillites. Cette licence de syndic nous permet d'oeuvrer dans des dossiers d'insolvabilité personnelle et commerciale qui sont régis pas la Loi sur la faillite et la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Nos membres ont ou peuvent avoir les rôles suivants: ils peuvent être syndics dans un contexte de faillite, syndics en matière de proposition, séquestres, mandataires, contrôleurs ou conseillers en matière de redressement financier. Nos membres sont régis par un minimum de deux codes de déontologie, soit celui prévu aux règles de la Loi sur la faillite ainsi que celui prévu par les règles de l'association. En surcroît, comme plus de 75 % de nos membres détiennent un autre titre professionnel, ils sont également assujettis au code de déontologie de cet ordre professionnel.

Mon collègue, Stéphane Lachance, va vous entretenir sur certaines implications que les modifications prévues au Code de procédure civile pourraient avoir dans un contexte de dossier d'insolvabilité commerciale. Stéphane.

M. Lachance (Stéphane): Alors, premièrement, il est important de réaliser qu'un syndic ne peut agir que dans un contexte d'insolvabilité. Donc, dans les insolvabilités, vous pouvez avoir une réorganisation d'entreprise, une proposition, une faillite, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Ce qu'il faut comprendre: ce n'est pas nécessairement parce qu'on a un contexte d'insolvabilité qu'on a l'implication d'un syndic de faillite. Un créancier hypothécaire peut très bien décider de réaliser ses sûretés dans un contexte hors que l'insolvabilité, donc de l'utilisation de la loi fédérale, si ce n'est que pour éviter des préséances de certaines réclamations de la couronne et des employés, qui passent avant les réclamations de la banque, entre autres. Donc, c'est important de comprendre que, lorsqu'un syndic est appelé à travailler dans un contexte d'insolvabilité, un des devoirs qu'il a, c'est de prendre possession des actifs et ultimement désintéresser les créanciers hypothécaires.

Et là-dessus je vous amène lorsqu'on fait des réorganisations d'entreprise ou des propositions. De plus en plus, lorsqu'une société fait appel à la loi pour une proposition, elle est appelée à disposer de certains de ses actifs. Ça peut être une ligne de production, une usine pour un produit avec lequel les opérations n'étaient plus rentables.

Il faut comprendre que, lorsque le syndic vend cette unité-là, on ne vend pas que les biens. L'acquéreur n'est pas nécessairement intéressé à l'immeuble et à la machinerie, l'acquéreur est aussi intéressé au know-how de l'entreprise, et, quand vous dites know-how, ce sont les employés. Donc, le syndic est appelé, dans ces contextes-là, à ce que, moi, j'appelle... il est appelé à habiller la mariée, parce qu'elle est un peu moins belle qu'elle ne l'a déjà été. D'ailleurs, si elle était très belle, elle ne serait pas à vendre, mais elle peut être très intéressante pour un acheteur, et ça, c'est énormément de travail, ça prend normalement beaucoup de connaissances au niveau comptable pour être en mesure de faire ça. Il y a de l'information financière précise qui doit être donnée aux acheteurs, et malheureusement on ne se limite pas aux acheteurs qu'on retrouve ici, dans la province. C'est souvent des appels d'offres qui sont faits à travers le pays, même à travers le continent et parfois au niveau de l'Europe et de l'Orient, dépendant de la nature, là, de l'entreprise.

Donc, encore une fois, le syndic, seulement appelé à travailler dans un domaine, lorsqu'on fait appel à l'insolvabilité, donc la loi fédérale, et de retirer au syndic le droit de vendre... J'ai eu l'occasion d'écouter certaines des présentations qui ont été faites, certains des commentaires qui ont été faits par les panélistes. De retirer au syndic la possibilité de vendre un actif, malheureusement, selon moi, ça ne va pas diminuer les coûts, ça va faire augmenter les coûts parce que le syndic devra faire intervenir l'huissier, qui, lui, aura été appelé à vendre le bien, parce que, quand on vend dans un contexte de réorganisation, la loi fédérale oblige le syndic à faire un rapport à la cour. Ce sont les derniers amendements qu'il y a eu. Sans le rapport du syndic, la cour n'autorisera pas la vente.

Maintenant, si ce n'est pas le syndic qui peut vendre, à la limite, le problème que vous allez avoir au niveau de la magistrature, selon moi, vous pourriez vous retrouver où est-ce que des requêtes pour mettre une... pour qu'une compagnie se protège en vertu de la LACC, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ne soient systématiquement maintenant déposées à Toronto, pour éviter qu'un tiers ait à vendre les actifs, alors qu'autrement c'était le coordonnateur qui procédait puis qui avait l'autorisation de la cour de le faire. Donc, on enlève, au Québec, aux professionnels tant de l'insolvabilité que du droit, que des juges qui adorent patauger dans ces dossiers-là la possibilité de le faire parce qu'avec les modifications qu'on fait on implique d'autres intervenants qui n'ont pas à participer dans le reste du pays.

M. Legault (Jean): On me prête la parole? Alors, merci. Je vais aborder, moi, de façon un peu plus technique, il va sans dire, je suis avocat de formation et de pratique. Et, avant de parler de la réforme proposée, je pense qu'il faut regarder un peu ce que c'est, la vente sous contrôle de justice.

Il faut se rappeler qu'en 1994 le législateur a réorganisé le système des sûretés pour faire en sorte que quatre recours existent en faveur d'un créancier hypothécaire, et ces quatre recours-là donnent chacun beaucoup de latitude et beaucoup de discrétion aux créanciers garantis. Quelle est la philosophie derrière ce choix-là du législateur à l'époque? Je pense qu'essentiellement c'est qu'on retenait une chose: le débiteur avait volontairement donné un droit, consenti un droit en faveur du créancier en étant conscient des conséquences qu'un tel droit pouvait entraîner.

Deuxièmement, il faut prendre pour acquis qu'un créancier, bien qu'il ait de la discrétion dans l'exercice de ses recours, va toujours tenter de réaliser le meilleur prix sur un bien pour s'assurer du remboursement de sa créance. Cette philosophie-là, il faut en tenir compte. On remarque, au niveau des trois autres recours... Là, on parle de la vente sous contrôle de justice, mais, si on parlait de la prise en paiement, de la vente par le créancier, de la prise de contrôle pour fins d'administration, essentiellement on donne aux créanciers des pouvoirs importants qui agissent très souvent sans même l'intervention de la cour ou d'un tiers tribunal.

En ce qui concerne plus précisément la vente sous contrôle de justice, cette philosophie-là est encore aujourd'hui présente, c'est-à-dire qu'on laisse une large place au créancier quant à la façon d'exécuter sa garantie, mais -- et c'est là la beauté de cette procédure-là -- avec le contrôle du tribunal, et donc le tribunal est mis au fait avant l'intervention, ce qui rend un peu... ce qui rend l'intervention du créancier toujours sujette, malgré la flexibilité, à un contrôle ou un encadrement. Cette situation actuelle là fait en sorte qu'au niveau de la vente sous contrôle de justice les choses, à mon avis, ne vont pas du tout mal.

Les huissiers -- parce qu'on sait que les huissiers ont fait une présentation il y a deux jours -- favorisent littéralement une prise de contrôle unique de ce processus-là, alors qu'ils occupent déjà une sphère importante des ventes sous contrôle de justice auprès des créanciers. Ils agissent régulièrement pour les institutions financières. Ils ont une spécialisation qu'on voit plus dans certains types de dossier, notamment en matière résidentielle.

Les syndics, par ailleurs, occupent, eux aussi, une place en matière résidentielle mais très souvent aussi une place en matière commerciale. Évidemment, les dossiers en matière commerciale sont plus complexes. Ils demandent évidemment une intervention des fois plus ciblée, des marchés spécialisés, des biens de multiples natures, des biens meubles, des biens immeubles, des biens meubles et immeubles vendus dans le cours normal des affaires. Ce sont essentiellement des situations commerciales beaucoup plus complexes qu'une simple liquidation qui se fait lorsqu'il y a arrêt complet des opérations et littéralement une vente au meilleur preneur.

En fait, chaque cas est évalué par le créancier garanti dans le cadre de la flexibilité que le législateur lui a donnée depuis 1994, en fonction des besoins, en fonction des compétences exigées et en fonction de la pertinence de retenir une expertise plutôt qu'une autre. Et pourquoi on leur donne ça, c'est parce qu'on sait que le créancier garanti va toujours chercher à avoir le meilleur prix et dans les meilleures circonstances. Et, si ce n'est pas le cas, le tribunal est là pour intervenir.

C'est ça, la beauté du processus actuel. Rien ne démontre actuellement, à notre connaissance, l'existence d'une problématique là-dessus. Au contraire, je pense que la cour joue très bien son rôle d'intervention occasionnellement dans les dossiers pour, à l'occasion, exiger une mise à prix plus élevée, pour, à l'occasion, exiger un nouvel appel d'offres, pour, à l'occasion, exiger une autre forme, un autre mode de vente. Donc, la cour joue son rôle, actuellement.

La réforme proposée, elle, suggère plutôt de fusionner ce qu'on appelait la vente aux enchères ou la vente en justice avec la vente sous contrôle de justice et évidemment de donner aux huissiers l'exclusivité d'exécution de ces deux moyens. La réforme prévoit une large discrétion aux huissiers. Ils peuvent choisir le mode de vente, le prix, les modalités. Ils sont tenus de consulter, mais toute cette consultation-là, en ce qui me concerne, amène beaucoup plus d'incertitude puisqu'en fin de compte un tiers intéressé peut intervenir avant... ou c'est-à-dire pendant le processus de vente et il peut même le faire après, dans le cadre du projet de réforme. Donc, un tiers pourrait intervenir pour attaquer la vente après que la vente est faite.

**(16 h 20)**

Il y a un autre élément dans la réforme proposée qui, à mon avis, ne saute pas aux yeux, c'est la création d'un registre des exécutions. On lit le projet de loi et on se demande quel est l'objectif de ce registre, encore plus dans un contexte de vente sous contrôle de justice, j'ajouterais. Cette réforme-là, à notre avis, apporte certains problèmes de compatibilité et amène malheureusement, pour le projet, certaines critiques de la part des syndics.

Premièrement, la vente en justice et la vente sous contrôle de justice, ce sont deux réalités très différentes. Le premier, la vente en justice, implique essentiellement l'exécution d'un jugement en faveur d'un créancier. Ce créancier-là n'a aucun droit sur le bien qui va être saisi et vendu. Essentiellement, ce qu'on veut, c'est exécuter pour aller chercher des sous pour pouvoir payer un jugement. Le créancier a généralement peu d'expérience, ne connaît pas bien les biens visés, et il va de soi que l'expertise du huissier, dans un tel contexte, est fort utile.

La vente sous contrôle de justice, c'est un concept très différent de l'exécution d'un jugement, c'est l'exécution d'une sûreté. Vous faites face à des créanciers qui sont expérimentés, des créanciers sophistiqués qui ont des droits sur le bien visé, et en plus il connaît les moyens, il connaît les recours et il choisit ce qui lui donnera la meilleure réalisation dans les circonstances.

La réforme proposée, elle a pour effet d'enlever cette flexibilité-là au créancier garanti quant au choix que le législateur lui avait conféré en 1994 et qui fait en sorte que rien ne nous démontre à date que cette problématique... qu'il y a problématique.

Deuxièmement, si je me place maintenant dans la position d'un syndic, les syndics sont très souvent en amont du recours. Ils sont déjà là, ils ont déjà analysé la situation, ils ont déjà même tâté le terrain d'acheteurs potentiels, lorsqu'on exerce un recours de vente sous contrôle de justice en matière commerciale. Ils sont en amont. L'ajout d'un huissier n'ajoute rien d'utile et d'efficace à l'intervention que le syndic fait déjà.

Finalement, dans certains cas, bien malheureusement, l'expertise des huissiers n'est pas la réponse ni le moyen utile au cas à l'étude. Et je vous ai donné l'exemple d'une entreprise. Il y a fréquemment des entreprises en opération, puis ce sont souvent des grosses entreprises. Et ça, je ne le répéterai pas, vous l'avez entendu depuis deux jours -- parce que j'ai écouté la télé hier -- mais essentiellement il y a certains cas où malheureusement l'expertise des huissiers n'est pas, malheureusement, la réponse à la problématique qui est devant le créancier garanti.

Alors, en conclusion, cette exclusivité-là accordée aux huissiers ne tient pas compte des impératifs et de la réalité, et c'est ça, je pense, que nous devons vous souligner et qui fait en sorte que le statu quo devrait, à notre avis, demeurer.

Deuxième chose, qui est une critique quant à la méthode, c'est l'incertitude que la réforme proposée apporte. Premièrement, elle donne une large discrétion aux huissiers et permet un retour en arrière, c'est-à-dire qu'elle permet à des tiers d'intervenir s'il y a des malheureux. Alors, un intéressé peut attaquer le processus et il peut attaquer la vente elle-même. Donc, ça va assez loin, on vient attaquer ce qui est déjà fait.

On y voit effectivement un choix du législateur ici de mettre entre les mains du huissier beaucoup de discrétion, parce qu'avant il n'avait que la vente en justice, c'est-à-dire la vente aux enchères. Là, maintenant, on lui donne plusieurs moyens, ce qui est louable, je pense, dans une vente aux enchères, dans une vente en justice pour l'exécution d'un bien, je pense que c'est louable de donner ça, de donner une certaine discrétion, mais, dans un contexte de vente sous contrôle de justice, c'est totalement injustifiable et injustifié, ça crée beaucoup plus d'incertitude. Vous avez été, hier, beaucoup... On vous a rappelé hier essentiellement que le juge est là, hein, le processus est déjà contrôlé par une cour. Il n'y a plus lieu d'y avoir discrétion, à ce moment-là, et ça, c'est, à mon avis, un élément qui fait que, dans le cadre de la réforme, il faut faire attention. En voulant essentiellement joindre ces deux-là, malheureusement on crée plus d'incertitude dans le cadre de la vente sous contrôle de justice.

Finalement, je vais parler d'une chose... de deux choses. L'indépendance, je sais que les huissiers insistent beaucoup sur le fait qu'ils sont indépendants. Je pense que les syndics le sont tout autant puis je pense que la notion d'indépendance est une drôle de question qu'on avance ici.

Premièrement, la personne désignée est la personne proposée par le créancier, alors nécessairement un huissier a intérêt à être nommé par le créancier. Alors, il est en compétition, l'huissier, avec d'autres créanciers. Lorsqu'on nous amène ce concept d'indépendance là, je pense qu'on passe à côté de la track. Ce n'est pas vrai qu'un huissier est plus indépendant du simple fait qu'il est proposé par un créancier garanti, à mon avis. Alors, ça, cet élément-là doit être, à mon avis, mis de côté, cet argument-là que vous avez entendu.

Ensuite, au stade de l'état de collocation, l'huissier n'est pas plus indépendant. En fait, il n'y a rien qui nous démontre que n'importe qui qui va préparer l'état de collocation, qu'il soit huissier ou syndic, sera plus indépendant.

Le Président (M. Drainville): C'est malheureusement terminé. Peut-être pourrez-vous compléter dans l'une des questions qui vous sera posée.

M. Fournier: Je vais analyser un seul aspect, alors je vous laisse continuer.

M. Legault (Jean): Essentiellement, je tirais vers la fin. Alors, la question de l'indépendance, je pense, ne devrait pas être un argument devant vous pour changer le statu quo.

J'aimerais qu'on retienne aussi une chose: la perte de discrétion donnée au créancier quant au choix puis quant à la proposition qu'il peut faire au tribunal va amener... pourrait amener, je pense, un créancier garanti à s'éloigner de la vente sous contrôle de justice pour prendre un autre instrument qui est la vente par le séquestre, qui est une vente exécutée en vertu d'une loi fédérale, essentiellement. Moi, personnellement, qui est un civiliste de formation, et bien que je pratique en insolvabilité depuis plus de... presque 20 ans, je vous dis que j'ai toujours une réluctance, beaucoup de difficultés à accepter qu'on ne prenne pas nos recours hypothécaires, qui sont, à mon avis, des instruments qui ont été pensés en civiliste, qui ont été pensés dans un système de droit tout à fait... qui donnent une flexibilité. J'ai de la difficulté de penser qu'un créancier va vouloir maintenant utiliser d'autres moyens qui relèvent d'un autre gouvernement, d'un autre État, le fédéral, simplement parce qu'on aura perdu la flexibilité que les créanciers ont eue depuis 1994 d'exercer le recours et d'exercer le recours par l'intermédiaire très souvent, en matière commerciale, des syndics. Et rien ne nous démontre que ça pose problème. Et, lorsqu'on parlera de coûts, bien, il faudra toujours se poser la question, et c'est normal qu'en commercial ça coûte plus cher que pour une résidence. Et d'ailleurs les créanciers en sont tellement conscients que, dans plusieurs dossiers, les huissiers sont là et ils font bien leur travail, et, dans d'autres, les syndics sont là et ils font très bien leur travail.

C'était essentiellement ma présentation. Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci. M. le ministre.

M. Fournier: Oui, merci beaucoup. Écoutez, vous étiez à l'écoute, donc je vous en remercie au nom de l'ensemble des membres de la commission. On cherche toujours d'attirer le plus grand nombre d'auditeurs possible, et parfois on en perd, alors merci d'être là, je suis sûr qu'on en a gagné.

Écoutez, je vais analyser un seul aspect, parce que les syndics de faillite sont venus hier, puis vous avez entendu, vous avez tout nommé. Alors, honnêtement, on a recentré beaucoup tout le débat, on connaît vos arguments.

Il y a une chose que je veux profiter du débat pour en apprendre un peu plus. Le débiteur, un exemple simple, je n'irai pas dans des grandes compagnies, un exemple simple, alors il y a une créance, il reste 100 000 $ à payer, la maison vaut 500 000 $. Et puis, honnêtement, celui qui met en vente, il veut réaliser la créance, hein, c'est son mandat. Alors, la place du débiteur, vous avez écouté les huissiers, j'en suis persuadé aussi, là, qui donnaient l'exemple du débiteur qui en retire le plus possible, ce qui ne met pas... je ne remets pas la question de savoir... Lui aussi est identifié par un créancier, ça va. Mais, si on oublie la question de celui qui fait la vente, que je pense plus au débiteur, est-ce qu'on a tous les bons moyens pour s'assurer de réaliser... Parce que je vous entends bien dire: Son intérêt, c'est de réaliser la sûreté au maximum. Permettez-moi de penser que son intérêt, c'est de réaliser la sûreté à la hauteur de la créance. Est-ce que je me trompe quand je dis ça? Parce qu'il y a une différence entre réaliser la sûreté au maximum et réaliser la sûreté à la hauteur de la créance. Est-ce que je me trompe quand je dis ça?

M. Legault (Jean): Vous vous trompez. Mais on va y aller en deux étapes. Ma collègue va vous répondre en premier, puis je vous répondrai...

M. Fournier: Alors, dites-moi en quoi je me trompe.

M. Legault (Jean): ...avec respect, avec le plus grand respect.

Mme Houle (Guylaine): Avec le plus grand respect, on a plusieurs réponses à votre question, mais, dans les faits, il ne faut jamais perdre de vue que, nous, à titre de syndics, nous n'agissons que dans un contexte d'insolvabilité. Donc, si on procède... si heureusement, dans un dossier, on a un immeuble qui vaut 500 000 $ puis que la créance hypothécaire n'est que de 100 000 $, on va tous être très heureux. Et, pour les syndics, l'idée va être de vendre cet immeuble-là à 500 000 $, parce que, si le débiteur en question a eu recours à nos services, il est insolvable, donc il a peut-être cette créance hypothécaire là de 100 000 $, mais il a également probablement 1 million de dollars de marge de crédit et de carte de crédit, et, nous, notre travail, c'est de réaliser le maximum que nous pouvons pour pouvoir justement remettre à ces autres créanciers là un dividende, une distribution quelconque.

Donc, pour nous, dans un contexte d'insolvabilité... Puis, je vous le dis, moi, ça fait comme 25 ans que je fais de la faillite, et des immeubles avec 400 000 $ d'équité, j'en vois très, très, très rarement. Mais, dans un contexte où on aurait ce genre d'équité là, ça serait un dossier merveilleux pour les autres créanciers ordinaires non garantis, qui auraient évidemment à se partager cette somme-là.

**(16 h 30)**

M. Fournier: Mais évidemment vous avez compris que ma... Vous avez écouté les syndics de faillite hier. Donc, oublions la question qu'on est en faillite, O.K., ou prenons le cas... non, parce que vous pouvez exercer en toute matière, alors oublions ça. Mais revenons quand même sur ma question où je me trompe, là.

M. Legault (Jean): ...votre question, essentiellement...

M. Fournier: Ma question va être la suivante: Le créancier vous donne un mandat, pas le débiteur, le créancier vous donne un mandat. Il vous donne un mandat, et votre mandat, c'est de réaliser la sûreté, j'imagine, là, pour satisfaire la créance. Satisfaire la créance, ce n'est pas nécessairement réaliser la sûreté pour aller chercher le maximum de la réalisation. Je me trompe quand je dis ça?

M. Legault (Jean): Dans le sens suivant...

M. Fournier: Ah! Ça, c'est moins pire, là.

M. Legault (Jean): ...le mandat viendra d'abord de la cour, c'est-à-dire, premièrement, que le test de la cour a passé. Le créancier doit aller à la cour puis demander l'autorisation de vente sous contrôle de justice. Il est tenu de par les règles actuelles, au Code de procédure civile actuel, de produire la valeur municipale de l'immeuble, Il est tenu de produire également la valeur marchande et de convaincre la cour, d'informer et de justifier pourquoi il ne produirait pas un rapport d'évaluation de la valeur marchande, s'il ne le fait pas. Il doit ensuite convaincre la cour du prix, et pourquoi vendre à 100 000 $ si l'immeuble en vaut 500 000 $? Le tribunal contrôle cet aspect-là, et, croyez-moi, j'ai vu des cas où effectivement une pratique s'imposait à un certain moment donné. Un tribunal est arrivé un jour, a dit: C'est assez, c'est au minimum la valeur municipale, vous ne me convainquez pas pourquoi je vendrais ou j'autoriserais une vente à un prix inférieur. Alors, le mandat, il est donné par la cour, c'est-à-dire que le test de la cour est donné, est passé, et là, ensuite, on s'en va à la vente.

Il arrive des fois qu'un processus d'appel d'offres va être fait. Encore là, on va prendre un prix minimum puis on va mettre les parties dans le cadre d'une... dans une arène pour faire un appel d'offres.

La seule différence, que je vous dirais, c'est la vente aux enchères, parce que l'un des moyens de vendre sous contrôle de justice, c'est la vente aux enchères, mais là, encore là, c'est un marché. On fait des annonces, tout le monde se présente, on va mettre un prix qui va attirer les gens, mais le marché est là, en principe, et c'est ça, la volonté habituelle, c'est que la vente aux enchères puisse permettre de faire monter les enchères.

Mais le test est toujours... à tout le moins donne au marché l'occasion d'être présent et de maintenir, sinon la cour, elle est là pour le protéger, ce marché-là. Donc, ce n'est pas le créancier qui va dire au huissier, au syndic ou à un intervenant: Vends-moi ça 100 000 $. Alors, ça... Et le débiteur peut toujours intervenir à la cour, dire: M. le juge, ma maison vaut 500 000 $, puis je dois 100 000 $; je vous demande de me protéger. Et, croyez-moi, la cour, elle est sensible au débiteur, on est surpris des fois comment les cours sont très sensibles à la situation des débiteurs. En cas de délaissement, combien de fois j'ai vu des cas où les gens vont chercher du délai supplémentaire parce qu'ils ont besoin d'un délai pour sortir de la maison. Les cours, les tribunaux sont sensibles à ça. Donc, c'est là qu'on protège bien, je pense, le débiteur dans un contexte comme ça.

M. Fournier: ...en tout état de cause, en tout temps, bien qu'identifié par un créancier, il y a, avant quelque action que ce soit -- et là vous l'avez dit ça comme ça -- mandat donné, on peut dire «autorisation», mais en tout cas c'est une belle façon de démontrer que vous êtes à l'écart des créanciers -- j'ai vu la nuance, mais jouons votre jeu -- identifié par le créancier mais mandaté par la cour pour réaliser la sûreté dans un débat où le débiteur a pu intervenir pour dire que ce que vous mettiez sur la table n'était pas satisfaisant.

M. Legault (Jean): ...M. le ministre, c'est l'avantage actuellement et c'est la beauté de la vente sous contrôle de justice, parce que l'idée plus négative serait la vente par le créancier. Or, la loi prévoit déjà que le créancier est tenu de vendre à un prix commercialement raisonnable. Donc, si le créancier agit lui-même sans parler à personne, sans s'adresser aux tribunaux -- ça, c'est un des quatre recours -- il sera tenu sous peine, évidemment, de sa responsabilité. S'il vend à un prix qui n'est pas commercialement raisonnable, il vivra avec les conséquences.

M. Fournier: Dans la démarche pour obtenir le mandat de la cour, est-il déjà arrivé qu'un débiteur se plaigne, par exemple, que ce ne soit pas un huissier ou que ce soit un syndic ou se plaigne de celui qui s'en va faire la vente? Est-ce que c'est un débat qui se soulève ou pas du tout?

M. Legault (Jean): J'ai quelques années derrière la cravate, mais, non, je n'ai pas vu de cas de cette nature-là, non, pas quant à la personne désignée pour faire le travail. Souvent, d'ailleurs, la personne désignée va s'adjoindre l'aide d'un agent d'immeubles lorsqu'on parle d'une résidence, ou il va s'adjoindre l'aide d'un encanteur lorsqu'on parle d'équipements spécialisés, ou il va s'adjoindre l'aide, essentiellement, d'un professionnel du milieu ou qui a la connaissance.

M. Fournier: Ça sera ma dernière question, M. le Président: Et, dans votre expérience, lorsqu'il y a un débat qui se soulève lorsque vous allez chercher le mandat de la part du débiteur, à quoi on assiste comme questionnement, comme objections, comme conditions supplémentaires que les gens veulent, que le débiteur ou son représentant insiste pour avoir... ou s'il n'y en a jamais?

M. Legault (Jean): Bien, moi, ce que j'ai constaté, c'était la mise à prix qui pouvait être, à l'occasion, contestée, mais encore là c'est rarissime, je ne vous le cacherai pas.

M. Fournier: Généralement, c'est une opération...

M. Legault (Jean): Oui, parce que très souvent on est au stade du... après le délaissement. Très souvent, il y a déjà délaissement. Le créancier a déjà possession simple mais néanmoins garde le bien, s'assure de le maintenir, paie les assurances, paie le chauffage pour ne pas que les tuyaux sautent en hiver. Donc, souvent, le débiteur, dans son processus mental, est déjà passé à autre chose, a abandonné le bien. C'est assez régulier, ça, ce qu'on voit.

M. Fournier: Merci.

M. Legault (Jean): Ça, on parle de particuliers. En matière commerciale, évidemment, le rôle est un petit peu différent, des cautionnements des représentants des entreprises font en sorte qu'ils sont généralement activement impliqués. Ils ont intérêt eux-mêmes à ce que le prix soit meilleur, donc ils participent activement à la recherche, collaborent avec les syndics activement à trouver la meilleure solution dans les circonstances. Ils en sont eux-mêmes gagnants en bout de ligne.

M. Fournier: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation. Quelques petites questions très techniques. Si vous m'avez écoutée hier -- on est toujours très heureux de voir qu'il y a des gens à l'écoute, comme le dit le ministre -- ça va avoir un effet un peu redondant, mais il y a des questions pour lesquelles vos collègues qui représentaient donc les syndics n'avaient pas des réponses précises. Puis ce n'est vraiment pas un piège, c'est pour situer un peu quand on n'est pas du domaine.

Vous diriez que la proportion, à peu près, des ventes qui sont faites par les huissiers versus plus les syndics, ça peut représenter quoi à l'heure actuelle? C'est trois questions très techniques, je vous les énumère, donc un peu la proportion, la proportion de votre travail comme syndics que ces ventes-là peuvent représenter puis peut-être la différence des honoraires, parce qu'effectivement votre formation est accrue, donc on est portés à penser que les coûts vont être plus importants pour le créancier s'il a recours à un syndic, donc peut-être nous dire un peu si cette différence-là est significative.

M. Lachance (Stéphane): Alors, pour répondre à votre question, comme on a soulevé dans notre présentation, le syndic ne peut agir que dans un contexte d'insolvabilité. Vous avez plusieurs huissiers qui opèrent dans des contextes où est-ce qu'on ne fait pas nécessairement face à l'insolvabilité, et, heureusement pour l'économie québécoise, il y a beaucoup plus de ces scénarios-là que des scénarios d'insolvabilité. Donc, dans un contexte d'insolvabilité, il y a autant au niveau personnel qu'au niveau commercial.

Au niveau personnel, si le syndic n'a pas d'intérêt dans l'immeuble, il va abandonner l'immeuble pour le bénéfice du créancier garanti, et ce dernier va compléter son recours hypothécaire en utilisant d'autres services que celui de syndic. S'il y a de l'équité pour la masse, comme faisait référence Guylaine plus tôt, s'il y a de l'équité pour la masse, le syndic va tout faire pour vendre l'immeuble, justement pour générer un dividende pour le bénéfice des créanciers. Donc, dans tous les cas où un actif représente de l'équité pour la masse, donc qu'il y a moins d'hypothèque grevant l'immeuble ou le bien que la dette... que la valeur du bien, dans tous les cas le syndic va être appelé à vendre le bien. Donc, je vous dirais que c'est systématique.

Au niveau commercial, il n'y a aucun dossier commercial qui n'a pas d'actif à être réalisé dedans, sauf si c'est ce qu'on appelle un dossier papier, autrement dit où est-ce que les opérations ont cessé il y a plusieurs mois ou plusieurs années, et soit un créancier ou un administrateur de la boîte décide de mettre la compagnie en faillite. Dans ce temps-là, il n'y a plus d'actif, il n'y en a aucun, mais autrement, dans tous les cas commerciaux, il y a soit des équipements qu'on va vouloir disposer ou, dans des dossiers qu'on constate dernièrement dans les journaux, où est-ce que c'est des plans complets qu'on tente de vendre, donc des usines qu'on tente de disposer au complet, incluant, comme je vous le signalais tantôt, avec le know-how, donc avec les employés qui viennent avec, parce que l'acheteur n'est pas nécessairement seulement intéressé à l'équipement, il veut que l'usine fonctionne le lendemain parce que lui a une connaissance, lui peut faire en sorte que les opérations vont être rentables. Donc, c'est systématiquement dans des dossiers commerciaux où est-ce qu'on est appelés, comme syndics, à procéder à la vente des biens.

Maintenant, est-ce qu'il y a nécessairement eu un recours hypothécaire de la part du créancier garanti? Pas nécessairement, mais, dans la plupart des cas, oui. Quand la compagnie arrive à cette étape-là, normalement, le créancier hypothécaire a au moins signifié ses préavis.

**(16 h 40)**

Mme Hivon: O.K. On va finir cette première... Tantôt, vous avez dit: Si un huissier intervient dans le dossier, ça va nécessairement faire augmenter les coûts, parce qu'il arrive après que le syndic soit déjà là. Donc, c'est comme une étape de plus, mais, dans le fond, ce qu'il fait, ça devrait quand même être fait par le syndic, si c'était le syndic qui le faisait, et il y aurait des honoraires chargés. Donc, j'essaie de comprendre pourquoi vous dites: Ça fait nécessairement augmenter les coûts.

M. Lachance (Stéphane): Parce qu'il y aura deux fois le travail qui devra être fait. Ultimement, c'est le syndic qui devra se rapporter à la cour. C'est dans les responsabilités, dans les devoirs et obligations du syndic en vertu de la loi fédérale, qui a préséance, malheureusement, sur les lois du Québec. Peut-être que la situation va changer d'ici quelques années, si le Québec prend d'autres options politiques, mais, en attendant, on est sujets à une loi fédérale, et le syndic doit faire rapport à la cour. Donc, il ne pourra pas seulement s'en remettre à ce qui a été fait par l'huissier, il va devoir justifier chacune des étapes qui a été faite. Il y a du doublon en faisant ça, il y a vraiment du doublon.

Mme Hivon: Et, si on suit votre logique, pourquoi il y aurait un intérêt pour certains créanciers à prendre un huissier, si c'est un doublon, puis ça augmente les coûts, puis...

M. Legault (Jean): ...résidentiel, il y a évidemment beaucoup d'avantages à limiter les coûts. Et tantôt vous avez posé une question pertinente sur les pourcentages. Je vous dirais qu'en matière résidentielle la majorité des ventes sous contrôle de justice sont faites par des huissiers, la très grande majorité. En matière commerciale, les ventes sous contrôle de justice sont majoritairement faites par les syndics, je pense. Ça, ça résulte essentiellement de ma pratique, cette affirmation-là, je n'ai pas de statistique, mais on les voit. Ils ont développé... Ils ont une capacité de se présenter pour aller signer l'acte chez le notaire et ils ont la capacité de préparer un état de collocation, quoique j'ai déjà vu une erreur majeure, expérience personnelle, d'un créancier garanti où un huissier a vendu une résidence pour personnes âgées sans colloquer, une banque qui avait une hypothèque de 1,9 million sur la résidence, et la banque a appris la vente seulement huit mois plus tard.

Donc, tu sais, les expertises sont là, mais des fois il y a des tâches un petit peu plus complexes, dans des dossiers un petit peu plus complexes, qui font que, lorsque le syndic est déjà là, il n'y a aucune raison que l'huissier vienne s'asseoir près de lui puis dise: Bon, maintenant, tu as fait du travail, merci, je vais signer l'acte de vente, je vais faire l'état de collocation puis je ne vous parle pas, d'autant que l'état de collocation, dans plusieurs cas, va être celui de la Loi sur la faillite, donc on change les ordres, alors il y a des règles différentes qui sont applicables. Cette expertise-là, il va de soi, je ne dis pas que les huissiers ne la connaissent pas, mais ils la connaissent certainement moins à fond que les gens... les syndics. C'est ça que je dis.

Mme Hivon: Peut-être pour être juste quand même, c'est une erreur, mais j'imagine qu'il n'y a personne qui est à l'abri, aucun ordre, d'erreurs professionnellement, juste pour ne pas...

M. Legault (Jean): Il n'y a personne qui est à l'abri, et je pense qu'il était de bonne foi, l'huissier qui a fait ça. Malheureusement, c'est une erreur. Ça arrive.

Mme Hivon: Vous avez abordé le point de l'intervention a posteriori des tiers, vous avez l'air à vous questionner beaucoup là-dessus. Est-ce que, si vous regardez un peu ailleurs, c'est quelque chose qui existe d'une manière similaire à ce qui est proposé dans l'avant-projet? Parce qu'à chaque fois qu'on a des commentaires où les gens ont l'air de dire: Ça sort d'où, c'est quoi, c'est vraiment négatif comme impact?, on essaie de voir s'il y a un pendant ou...

M. Legault (Jean): ...au contraire, sans être un praticien des provinces de common law, je sais que la... pour connaître plusieurs praticiens dans ces provinces-là, ils ont des processus extrêmement rapides et très rarement révisables, mais ça se limite là. Il est très difficile, dans un marché, d'intéresser les acheteurs et de les inviter à payer un prix extrêmement intéressant dans un contexte où on dit: Tu achètes, mais peut-être que dans deux semaines il y aura quelqu'un qui viendra cogner en disant: Tu n'as pas payé assez cher. C'est ça qui crée l'incertitude, qui n'est pas, à notre avis, efficace ni efficient pour les créanciers comme pour les débiteurs puis comme tout autre intervenant.

Alors, le marché en soi va être affecté, à notre avis. Et qu'est-ce qu'on... Et, dans un contexte de vente sous contrôle de justice, c'est pire, parce que la cour a déjà mis son étampe d'approbation. Dans une vente en justice, c'est peut-être différent, parce que le législateur voudrait faire un choix de laisser entre les mains beaucoup de choses, de discrétion au huissier, dans une vente en justice, en disant: Bien là, il y a des gens inexpérimentés, on va mettre ça entre les mains du huissier, puis là l'huissier va s'arranger avec ça. Mais, si quelqu'un n'est pas heureux, il reviendra, alors, moi, je vous dis que je pense que, dans une vente en justice, ça ne sera pas nécessairement extrêmement favorable, ça n'aidera pas à faire de meilleures ventes. Mais je ne suis pas ici pour parler de ça, je suis ici pour parler de la vente sous contrôle de justice, et ça, c'est absolument inutile de mettre ce processus-là dans un contexte où la cour a déjà mis son étampe d'approbation.

Mme Hivon: O.K., merci. Ça va, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): Ça va? Bien, on va vous remercier tous les trois de vous être... enfin, monsieur derrière, le quatrième, on vous remercie, vous aussi, d'avoir participé à ces discussions.

On va suspendre quelques instants pour permettre aux représentants du... du Barreau de Laval, dis-je bien, de s'approcher. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 45)

 

(Reprise à 16 h 47)

Le Président (M. Drainville): Alors, nous allons reprendre nos travaux. Alors, je souhaite la bienvenue à Me Jacques Trudeau, qui est le bâtonnier du Barreau de Laval et qui est accompagné de Me Francis Gervais. Votre présentation pour un maximum de 15 minutes, suivie d'un échange. Merci d'être ici. À vous la parole.

Barreau de Laval

M. Trudeau (Jacques): Merci de nous avoir invités. Est-ce que vous souhaitez que je reprenne le texte de ma lettre du 17 novembre? Puisque mon mémoire est particulièrement clair, je peux peut-être vous en...

Le Président (M. Drainville): Synthétiser, voilà.

M. Trudeau (Jacques): Synthétiser? D'accord.

Le Président (M. Drainville): Faites-en un résumé pour les gens qui nous écoutent et qui n'ont pas eu le bonheur de lire votre mémoire.

M. Trudeau (Jacques): Vous êtes bien aimable de le présenter de la sorte. Bon, voilà, ma préoccupation principale à l'origine de cette démarche est l'accessibilité à la justice, tout simplement, et j'ai cru que les travaux qui s'effectuaient présentement concernant le Code de procédure civile et la Loi sur les tribunaux justifiaient la démarche qui a été entreprise qui était celle du conseil du Barreau de Laval, qui se sentait interpellé par des particularités qui existent dans notre district, et j'ai suggéré... Excusez-moi. À l'occasion je vais enlever mes lunettes parce que, contrairement à d'autres, je les enlève pour lire au lieu de les mettre. Donc, nous nous sommes arrêtés à différentes solutions, et pourquoi ces solutions sont survenues, c'est qu'il y avait deux interrogations.

Ville de Laval est un district pris entre Montréal et Saint-Jérôme qui est le district de Terrebonne, c'est assez simple à saisir, et il y a, je dirais, des facilités particulières qui feraient que, pour Saint-Jérôme, au nord de la 640... au sud de la 640, excusez-moi, c'est quand même à proximité de Laval. Par exemple, des gens qui sont à Boisbriand ont un petit pont à traverser, sont rendus à Laval. Et, si je vous parle du nord de la 40, qui est la métropolitaine, tous les gens qui sont, par exemple, à ville Saint-Laurent ou Ahuntsic ont un petit pont à traverser -- qui plus est, le matin, à l'envers du trafic -- pour venir au palais de justice, au lieu de se rendre dans des palais plus éloignés. Ça, c'était l'aspect géographique de la situation.

Maintenant, il y a également une situation qui se veut, je dirais, un encombrement des rôles à Montréal -- je n'ai pas besoin de l'expliquer longtemps -- et à Saint-Jérôme, parce que nous avons vécu une situation, l'an dernier ou l'année précédente, où une juge coordonnatrice a voulu améliorer les délais et a demandé à Laval de recevoir certaines de ses causes pendant une période donnée, ce qui a d'ailleurs été fait, et ça a effectivement eu le résultat escompté. Bon.

**(16 h 50)**

Une fois ces données mises en place, nous nous sommes dit: Quelles sont les solutions potentielles?, et il est apparu, dans un premier temps, la question de la Loi sur les tribunaux qui permettait de placer des juridictions concurrentes. J'ai soulevé tantôt le nord de la 40 et le sud de la 640 qui sont géographiquement des endroits, des sites qui se prêteraient bien à cette façon de procéder, premièrement.

Deuxièmement... J'en ai plusieurs, options, mais je vous les lance toutes, parce que je me suis dit: Autant regarder toutes les possibilités. Je crois qu'il y avait l'article 39 du Code de procédure civile actuel qui permet, lorsqu'il y a absence d'un juge dans un district, où est-ce que le juge est empêché d'agir, qu'il y a des demandes prévues à certains articles qui peuvent être présentées à un juge d'un autre district. Cet article 39 pourrait peut-être être élargi pour permettre que plus de demandes soient entendues dans un autre district lorsque les circonstances le permettent.

Ensuite, il y avait l'article 75.0.1, qui se lit actuellement comme ceci: «Exceptionnellement et dans l'intérêt des parties, le juge en chef ou le juge qu'il désigne peut, à toute étape d'une instance, ordonner la tenue, dans un autre district, de l'instruction de la cause ou de l'audition d'une demande relative à l'exécution du jugement.» Et cet article-là, d'ailleurs, j'ai remarqué que, dans l'avant-projet de loi, il est déjà reproduit de façon identique à l'article 48. Cet article, si on enlevait le mot «exceptionnellement» et si on permettait à tout juge, dans un district, de prendre en considération la situation qui pourrait prévaloir, qu'on lui présenterait, il pourrait prendre une décision: Est-ce qu'on ne devrait pas l'entendre dans un autre district?

Bien sûr, je vous parle pour le district de Laval, parce que je vous assure que nous sommes entre deux et on a une situation qui s'y prêterait bien. Si vous me permettez, sans nommer de nom, j'ai en tête plusieurs causes. Il y en a une en particulier qui me frappe, où je connais une situation donnée qui se prêterait tellement bien à une situation... à un cas comme celui-là... C'est un cas comme celui-là qui se prêterait à la situation que je vous présente, excusez-moi. Imaginons -- je veux vous donner seulement certains morceaux de la situation -- un enfant qui a sept ans, qui est pris dans une guerre depuis quelques années. Cette guerre arrive à un apogée, évidemment on se déchire pour l'avoir entre les parents. Ses parents sont dans le district de Terrebonne. On vérifie le temps que ça va prendre parce que la guerre a pris une ampleur telle qu'on parle d'au moins trois jours. Ces trois journées, on les propose en 2014; à Laval, en 2012. Bien sûr que le dossier, c'est un dossier du district de Terrebonne. Je me dis: Où est-ce qu'il y a de l'accessibilité à la justice pour cet enfant qu'à quelque part dénouer cette impasse, ce serait important?

Et là je vous donne un exemple, j'en ai plusieurs. Celui-là m'a frappé parce qu'il est plus gros que les autres que j'aurais à vous apporter, mais combien de fois je constate qu'il y a des situations qui font qu'on doit attendre plus longtemps parce qu'on n'est pas dans le bon district ou qu'on ne nous permettrait pas d'aller dans un autre district?

Mais je veux mettre ça en relief pour vous dire que, dans certains dossiers, la réciprocité pourrait être vraie, parce qu'il peut se produire aussi qu'à Laval on soit pris, dans un domaine, dans une particularité, disons... Allons en droit civil. Je sais bien, par exemple, parce que j'ai fait sortir certaines données pour vérifier, que les Petites Créances à Saint-Jérôme, ça prend... excusez-moi, les causes de trois jours et plus, ça prend plus de trois ans pour être entendu, c'est affreusement long, alors qu'à Laval, les causes de trois jours et plus, après un an on est entendu, ce qui est fort intéressant. C'est ce qui m'a amené à penser qu'on peut offrir à ces districts de dire: Bien, écoutez, si, dans votre district, c'est plus rapide pour certaines sortes de cause, on pourrait faire appel à vous, et inversement. Donc, ce n'est pas pour... c'est uniquement tourné vers l'accessibilité à la justice, cette proposition qui est présentée.

Et je voulais mettre en relief l'article 4.2 du Code de procédure qui dit que «dans toute instance, les parties doivent s'assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnés à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige; le juge doit faire de même à l'égard des actes de procédure qu'il autorise ou ordonne». Évidemment, en lisant ce que le Code de procédure actuel édicte, je me dis: N'est-ce pas que la proposition que je vous transmets ou enfin les options de solution ne sont pas l'écho de cet article? Et est-ce qu'on ne rendrait pas service aux contribuables d'aller dans cette direction?

Donc, flexibilité, plus de flexibilité pour une plus grande accessibilité, ce serait le mot d'ordre de ma démarche. Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci beaucoup. M. le ministre.

M. Fournier: Merci beaucoup. Vous êtes sans doute conscient ou au courant, plus au courant que conscient qu'un de vos collègues qui occupe plus à Saint-Jérôme est venu nous voir mardi pour commenter votre mémoire. Malheureusement, la façon dont les rôles étaient faits, nous entendions la réplique avant d'entendre la présentation, mais on a fait l'exercice quand même, on a été capables de le faire.

M. Trudeau (Jacques): ...aujourd'hui qu'il était venu.

M. Fournier: Pardon?

M. Trudeau (Jacques): Je l'ai appris aujourd'hui, qu'il était venu.

M. Fournier: Arrêtez donc! Ah oui, c'est-u vrai?

M. Trudeau (Jacques): Oui.

M. Fournier: Ah bon! Je vous invite à regarder les «tapes», on a tout filmé ça, là. Vous regarderez ça.

Il y a une question que j'ai pour vous depuis ce jour-là: Dites-moi, comment se fait-il qu'à Laval vous ayez cette disponibilité de salles, de temps, de capacité d'accueil plus grande que dans Laurentides, par exemple? Et on me glissait qu'une des possibilités serait... -- puis c'est intéressant pour nous parce qu'avec l'avant-projet de loi on étudie notamment la question de l'expert commun -- on me dit qu'il est possible que, puisqu'il y avait un projet pilote à Laval sur l'expertise unique, tout le monde a fui pour ne pas être soumis à l'expertise unique. Évidemment, on sait bien que, si les règles s'appliquent partout, ça aurait peut-être des comportements différents, mais ça me donne quand même un signal du niveau d'adhésion à l'expertise unique.

Alors, je vous pose la question dans deux sens. Elle m'intéresse pour voir quel est votre aperçu du contexte du taux d'occupation de Laval. Vous y êtes; moi, je n'y suis pas. C'est plus facile pour vous de me le dire. Mais commentez donc en même temps sur ce qu'on me dit qui est une possibilité sur le niveau d'adhésion à l'expertise commune.

M. Trudeau (Jacques): Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, Me Francis Gervais, qui est avec moi, était justement le président de ce comité sur le projet pilote de l'arbitre unique et est certainement en mesure de répondre adéquatement.

M. Gervais (Francis): Merci, M. le ministre. Effectivement, lorsque le projet a été discuté au niveau du ministère, de la magistrature, le Barreau, le Barreau de Laval s'est offert de façon assez rapide à participer à ce projet. J'étais un de ceux qui étaient contre, et c'est clair, j'ai écrit un texte qui a été distribué, parce que le projet, à l'origine, était un projet qui se voulait l'expert unique dans toutes les circonstances. L'objet de ma présentation lorsque les gens sont venus, le juge en chef, les représentants du ministère, c'était de dire que l'expérience que j'ai eue comme bâtonnier du Québec m'a amené sur la scène internationale, et ensuite de ça j'ai été président de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et j'ai été en mesure... à même de suivre des démarches qui étaient faites à l'extérieur, où certains pays, dont l'Angleterre, suite au rapport de lord Woolf, avaient pris une distance un peu par rapport à la règle de l'absolutisme de l'expert unique, c'est-à-dire qu'on avait laissé dans les règles anglaises maintenant l'opportunité de s'adresser à un tribunal en disant: Ce dossier, pour les raisons x, y, z, ne devrait pas faire partie du programme. Il semblerait que mes arguments ont été suffisamment intéressants que notre programme a été changé en acceptant cette possibilité, et on m'a dit: Maintenant que tu as parlé, tu vas t'en occuper, et j'ai été nommé président du comité de suivi. C'est des choses qui arrivent. Malheureusement, c'est l'habitude. Je le sais maintenant: quand on parle, on se retrouve dans le champ.

J'ai vu le commentaire et, je dois vous dire, je suis membre du Barreau de Laval, je suis un des premiers bâtonniers qui ont créé le Barreau de Laval, donc depuis fort longtemps j'étais en étroite relation avec mes collègues de Saint-Jérôme et j'avais avec eux autres ce qu'on appelait un pacte de non-agression, c'est-à-dire qu'on ne va pas chercher votre territoire, ça, c'est clair, et vous ne venez pas chez nous. Ce n'est pas écrit nulle part, cherchez-le pas, vous ne le verrez pas, mais c'étaient des gentlemen's agreements, puis on s'est toujours bien entendus, d'où la démarche ici où on parle particulièrement de l'article 75 qui est au moment de l'instruction, alors donc ce qui est tout à fait différent, et c'est la raison pour laquelle j'y adhère.

Je reviens au dossier de l'expert unique. Malheureusement, le nombre de dossiers a diminué de façon drastique à Laval. Et nous avions un comité de suivi formé des juges, des avocats et des représentants du greffe, et ce qu'on nous disait, les représentants du greffe... Parce qu'on leur disait en commentaire: Les avocats de Laval ont décidé de ne pas venir, et ce n'était pas ça, la réponse qu'on avait. Le nombre de dossiers d'avocats extérieurs à Laval avait diminué. On rencontrait des gens à l'extérieur, et, comme président du comité, on m'appelait et on me disait: Tu sais, ce n'est pas une bonne chose que vous avez faite pour Laval. Nous autres, chez nous, on a décidé que, dans la prochaine année, on n'allait pas chez vous. Il y a des magistrats qui m'ont dit, évidemment sous le couvert de l'anonymat, parce que personne ne veut le dire de façon publique: Nos amis nous disent qu'à Montréal c'est le mot d'ordre. Bon, il n'y a jamais personne qui l'a mentionné. Statistiquement, les gens du greffe nous disaient qu'il y avait une réduction sensible.

Donc, il est évident que c'était un projet qui n'était pas nécessairement intéressant parce que, bon, les gens sont partis avec l'idée qu'il fallait ne pas le suivre, mais ce n'est pas vrai de dire que c'est uniquement les gens de Laval qui ont réduit, ce sont les gens qui ne sont pas venus chez nous non plus pendant cette période de temps là. Et ça a donné, malheureusement, un flop.

**(17 heures)**

M. Fournier: ...en lien avec le projet de l'expertise unique?

M. Gervais (Francis): Parce qu'à partir du moment où vous avez un dossier à inscrire dans le district de Laval, parce que les règles de 68 nous disent que... bon, les avocats qui avaient à prendre les dossiers, qu'ils soient de Laval ou qu'ils soient de l'extérieur, ont diminué l'habitude de prendre le dossier à Laval. Et, comme on sait que nos tribunaux ont juridiction à travers la province, c'est facile de se parler puis dire: Écoute, on va éviter Laval parce que, si tu veux avoir le dossier de l'expert... Si tu veux être pris avec le dossier de l'expert unique, on s'en va à Laval; si tu ne veux pas avoir le dossier de l'expert unique, bien, à ce moment-là, fais-moi pas de demande déclinatoire pour retourner dans un autre dossier.

Évidemment, il n'y a pas personne qui est sorti sur la place publique pour nous le dire. C'est toujours des qu'en-dira-t-on, du ouï-dire, des rumeurs, une personne qui, dans un cocktail, dit: Aïe, tu sais, le bureau chez nous... Je ne pourrais pas mettre de nom, mais je l'ai assez vécu puis je me le suis fait assez dire pour savoir que c'est ça. Mais ce que les gens du greffe nous disaient: de façon surprenante, en réduction de pourcentage, ceux qui avaient le moins réduit l'introduction de procédures à Laval étaient les avocats de Laval. C'est pour ça que, quand je vois le rapport de... Je l'ai lu, celui de Me Cliche, parce que je suis également membre du Barreau de Laurentides, donc j'ai plusieurs accès, j'ai encore plusieurs chapeaux, et ça me fâchait un petit peu de voir ça parce que j'y vois une attaque qui est faite relativement à une question de territorialité, ce qui n'est pas la volonté, dans le fond, parce que ce qu'on vise, du moins ce que j'étais prêt à appuyer, c'est de dire: Si, arrivé au moment du procès ou le temps de fixer le procès, il arrive des circonstances... Et ça, Me Trudeau l'a bien expliqué.

M. Fournier: Ça fait trois jours qu'on est dans le nouveau Code de procédure civile. On sait qu'il y a des litiges, qu'il y a des conflits, que parfois on peut aller plus loin dans la résolution d'un conflit en communiquant, on en a parlé encore aujourd'hui, alors je vous invite à communiquer et je ferai la même chose à l'autre barreau.

Mais ce projet pilote est terminé. Alors, qu'en est-il maintenant des mots d'ordre et du contexte? J'imagine que maintenant tout est revenu comme c'était avant.

M. Gervais (Francis): À peu près, je veux dire, dans les mêmes ordres de grandeur. Les réductions qui avaient été constatées ne sont plus là.

M. Fournier: Dans ce contexte-là... Parce que la présentation qu'on a eue de Laurentides était, entre autres, de dire qu'autant eux que vous étiez à peu près à des mêmes hauteurs d'occupation. Mais alors je vous pose la question pour voir, en termes de facilité, si c'est vraiment plus avantageux. Encore une fois, je sais que ce n'est pas votre argument, hein, votre argument n'est pas de dire: Je vise Laval ou je vise Laurentides. C'est un peu plus de dire: S'il appert qu'il y a une possibilité pour les parties -- et là je fais attention de ne pas dire «les avocats», les parties -- s'il y a un avantage pour les parties et statistiquement démontré, là, ou... Ça, c'est une autre chose, là, la mécanique, mais ce que vous souhaitez, c'est qu'il y ait flexibilité pour permettre de meilleurs délais, hein? C'est un peu comme l'option donnée pour une chirurgie qui pourrait se faire dans un autre hôpital si c'est plus rapide, si la partie le veut, hein?

M. Trudeau (Jacques: Exactement.

M. Fournier: C'est la même logique que vous souhaitez prendre.

M. Trudeau (Jacques): Oui.

M. Fournier: Mais avant d'aller dans la réflexion sur cette piste-là et sur les conséquences... Parce qu'il peut y en avoir, évidemment, là, en termes de machinerie à développer pour connaître tout l'état au Québec, savoir qui pourrait le faire le plus vite. Alors, peut-être que ça commence à être plus compliqué juste de faire ça. Une bonne idée, c'est une chose; la mettre en pratique, c'est d'autre chose. Ensuite, les effets sur le palais, bon, ça, c'est d'autre chose encore. Mais, à votre avis, en termes de situation maintenant que le projet pilote n'est plus là, que les mots d'ordre sont passés, est-ce que le taux d'activité à Laval a atteint un niveau qui fait en sorte que, même si on avait de la flexibilité, il n'y aurait pas beaucoup de résultats concrets?

M. Trudeau (Jacques): Je ne saurais pas vous dire s'il y a moins de divorces à Laval parce qu'on vit à Laval, mais on a un taux d'occupation qui n'est quand même pas exagéré, qui est moindre, semble-t-il, des deux palais qui sont à côté de nous, bon, et ça, ça fait que nos délais pour procéder sont beaucoup plus rapides. En trois, quatre mois, nous, on a une audition. Pour un dossier matrimonial, excusez-moi, j'en fais, et c'est l'endroit le plus sensible pour les contribuables, souvent, parce que les questions de cennes et piastres, de créanciers débiteurs, à part certains cas particuliers, se règlent, ce n'est souvent pas une question de vie ou de mort; quand il y a des enfants d'impliqués et des besoins nécessaires en matière matrimoniale, je trouve que c'est assez sensible et je m'aperçois que les longueurs font parfois dégénérer les dossiers. C'est un cas... c'est un secteur particulier qui me préoccupe.

Bon, ceci étant dit, vous me demandez si on est revenus à la normale. Que se passe-t-il? Je vous dis qu'on a encore des délais moindres de façon importante que les deux districts à côté de moi. Et, vous savez, j'ai écrit une lettre qui était... Quand j'ai écrit la lettre à la Commission des institutions, j'ai envoyé également une lettre à mes deux bâtonniers de chaque côté, et, cette lettre, je vous lis seulement un petit passage, je leur ai dit: «Aucune intention malveillante ne sous-tend cette démarche. Je suis flexible à réduire, en communion avec le Barreau du Québec, les demandes qui sont exprimées à la lettre jointe -- que j'avais envoyée à la commission -- afin que le Barreau du Québec ne parle que d'une seule voix.» Et j'ai souhaité une plus grande flexibilité au bénéfice des justiciables. J'en ai parlé ouvertement, je cherche l'harmonie. Je ne me chicane pas avec le bâtonnier et la bâtonnière à côté de moi, on se rencontre, on se serre la main. Je n'ai pas entendu, je n'ai pas vu comment il s'est présenté à vous ici. Moi, je ne cherche pas la guerre avec personne, j'essaie de penser aux justiciables. Je viens vous le présenter parce que je trouve que l'idée est bonne. J'essaie de comprendre pourquoi on ne rechercherait pas une solution intéressante en faveur des justiciables. Mon point de vue, il est juste axé là-dessus, et, comme je sais qu'à Laval nos disponibilités sont intéressantes, je le sais, qu'on peut agir plus rapidement dans leur bénéfice. Pourquoi ne pas en profiter, peu importe d'où ça vient? D'ailleurs, présentement c'est le cas, alors cherchons des solutions de flexibilité. C'est pour ça que je suis ici.

M. Fournier: D'abord pour vous dire qu'il n'y a pas lieu ici d'exacerber les conflits potentiels. N'en voyez pas. Vous avez une opinion, un de vos collègues est venu donner une autre opinion, et j'espère que vous allez pouvoir vous serrer la pince et communiquer chacun votre désir de faire avancer la chose pour les justiciables. Alors, je ne crois pas que la visite des uns et des autres ici devrait créer quelque friction. Je pense que personne ne le veut. L'autre bâtonnier et vous êtes deux personnes de bonne volonté, je suis persuadé que vous êtes capables d'arriver à des discussions intéressantes et convenables.

Dans tous les cas, il est possible de développer des perceptions. Peut-être que quelqu'un aurait pu comprendre de la présentation que tout cela pourrait entraîner une conséquence importante pour ceux qui, parce que Saint-Jérôme est plus près, veulent avoir tous les services que Saint-Jérôme a plutôt que de voir ses services diminués parce qu'une population importante serait allée ailleurs. Il y a une question de services à offrir, donc ce n'est pas méchant, je pense que c'était aussi une bonne préoccupation, mais, en discutant ensemble, vous allez arriver probablement à quelque chose de commun.

Ceci étant, je veux juste vous laisser sur une conclusion, qui n'est pas définitive parce que je ne suis pas convaincu que j'ai toutes les données, mais, de ce que je comprends de la situation, il n'y a pas un écart à ce point large qui ferait en sorte, que ce soit à Laval ou ailleurs, là... de disproportion à ce point importante pour... Si nous devions, pour donner suite à ça, mettre en place une mécanique statistique que nous ne possédons peut-être pas présentement, qui nous amènerait à pouvoir informer en temps réel où est le meilleur endroit pour quelques cas, il y a une question aussi de coût-bénéfice qu'il faudrait analyser. Je nous laisse réfléchir à cela. Je comprends l'idée que vous avez; encore faudrait-il qu'elle soit efficace.

Et évidemment, veillant aussi à l'administration de la justice, il faut s'assurer -- et ça, le bâtonnier de Laval... de Laurentides a raison de le dire -- que nous ayons des services qui puissent être offerts aussi en quantité et donc avoir un certain nombre de population. Quand on fait des territoires, il arrive toujours qu'il y a une zone grise. C'est vrai en justice, c'est vrai en santé, c'est vrai en éducation, c'est... Écoutez, dans l'ordre municipal, je ne vous parlerai pas de périodes de fusion et de défusion, alors...

**(17 h 10)**

M. Trudeau (Jacques): ...puis-je ajouter -- excusez-moi, madame -- puis-je ajouter ceci, deux éléments que vous avez soulevés dans mon esprit? Le premier, vous dire que plusieurs avocats des Basses-Laurentides sont absolument d'accord avec l'idée que je vous soumets, mais bien sûr il y a une dissension à travers tout ça, c'est un peu normal, mais ceux qui sont le plus près trouvent que c'est une très bonne idée. À Montréal, beaucoup d'appuis aussi qui trouvent que c'est une très bonne idée de pouvoir ouvrir.

Alors, quand je suis allé à 75.0.1, qui est le 48 que vous proposez, il m'est apparu que c'était la plus petite modification, la moins dérangeante, celle qui était la plus souple, voyez-vous, plaisante, pas trop pire. Je la voyais comme ça parce que c'est sûr que les juridictions concurrentes, c'est violent. Alors, je mets le mot où il est parce que c'est gros à faire, ça dérange, mais 75.0.1 a une flexibilité à donner à un juge qui va prendre la peine de comprendre la situation, qui va se dire: Logique, ça a du bon sens, c'est favorable dans un dossier comme celui-là, on rend service au justiciable, logique. Il y a un juge en avant pour prendre une décision, il y a deux avocats qui viennent le présenter puis qui font des remarques. Je trouve qu'ouvrir cette porte-là, c'est la bonne voie, c'est la bonne façon de le faire.

Si vous me dites aujourd'hui: On n'a pas de statistique, je vous dirai que j'en ai, moi, un certain nombre, de statistiques qui font que c'est épouvantable, dans certains dossiers, que ça continue d'être dans un district, mais là n'est pas mon point. Ce n'est pas vouloir enlever du travail ailleurs. C'est de permettre que, dans certains cas, quand les avocats se disent: Aïe, c'est trop loin en avant, peut-on rechercher une solution alternative?, on a cet article-là qui nous le permet. Bravo! C'est rien que ça que je vous demande, puis je trouve que c'était une minimodification.

M. Gervais (Francis): Si vous me permettez un commentaire additionnel, M. le ministre, je vous entendais dire «une mécanique de statistique que nous n'avons pas». Je voudrais quasiment aller à vous dire: Vous n'en avez pas besoin, quant à moi, dans cette forme de modification parce que ce n'est pas un automatisme qu'on demande, on demande la permission à un juge. Et, en enlevant le mot «exceptionnellement», ça lui donne l'opportunité, et ce juge coordonnateur va discuter avec son homologue et peut, à ce moment-là, plus facilement lui dire: Oui, j'ai de la place tel mois.

Entre autres, sachez qu'un dossier de longue durée, ce ne sont pas des juges des districts, mais ils viennent automatiquement de Montréal. Alors, que le juge responsable des longues durées dise à son juge: Au lieu d'aller t'asseoir à Saint-Jérôme pour les entendre, tu vas les entendre à Laval, ça serait l'application de l'article en enlevant le mot «exceptionnellement», et là tout le monde a recherché... Mais ce n'est pas un automatisme dans tous les dossiers, pour toutes les étapes. C'est pour les fins de l'audition. Enlever le mot «exceptionnellement», c'est de dire autrement ce qu'on vous mentionne. Donc, la statistique n'est peut-être pas nécessaire dans la mesure où on fait confiance à nos juges coordonnateurs, qui sont en mesure de se parler.

M. Fournier: Merci.

M. Trudeau (Jacques): ...avouez que c'est tentant.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Je vais maintenant céder la parole à...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette, vous disposez d'un bloc de 20 minutes.

Mme Hivon: On attend la réponse du ministre à la dernière intervention.

M. Fournier: Il y a certainement matière à réflexion.

Mme Hivon: Outre... Bon, bonjour. Bienvenue. Ça me fait plaisir de vous entendre. C'est toujours intéressant de voir des gens qui cherchent des solutions pour un meilleur accès. Il me semble que depuis... Là, il y a la question de l'expert unique qui effectivement semble être un facteur, puis vous semblez le confirmer. Mais est-ce que... De manière générale, ça a l'air d'être un palais de justice -- on peut le prendre de deux côtés -- où ça va bien, dans le sens que les délais en plusieurs matières semblent très bons. Pour d'autres, ils vont dire: Qu'est-ce qui explique que, pour des populations comparables, il y ait beaucoup moins d'activité judiciaire dans ces matières à Laval qu'ailleurs?

Comment vous expliquez un peu le fait que les délais soient moins longs dans telle matière, qu'il y ait moins, en quelque sorte, d'activité judiciaire à Laval pour une population à peu près équivalente au district? Est-ce que vous avez des explications? Parce que ça fait un bon nombre d'années que cette idée-là est véhiculée, là.

M. Gervais (Francis): Écoutez, pour avoir été des premiers dans le district, il faut connaître effectivement la façon dont le district de Laval est bâti. C'est probablement, et je pense que je ne me trompe pas, le seul district judiciaire qui, au Québec, ne contient qu'une ville, O.K., une MRC, une commission scolaire. Ça ne fait pas beaucoup de litiges administratifs, parce que c'est la même organisation, et surtout quand on sait que le conseil d'administration de la MRC, c'est le conseil municipal de la ville. Donc, même entre la MRC et la ville, ça n'amène pas des litiges comme on retrouve ailleurs.

Ville de Laval est particulièrement une ville où s'est développée effectivement l'industrie et le commerce mais pas nécessairement l'industrie et du commerce encore de premier plan. Ça s'en vient, c'est encore une jeune ville, mais c'est particulièrement, encore une fois, une ville où les gens vivent, alors donc on retrouve beaucoup de dossiers qui sont de nature familiale, des questions de protection de la jeunesse et peut-être un petit peu moins de commercial, parce qu'en plus, autre phénomène que l'on a vu avec le temps... Et ça, ce que je vous dis, c'est mon observation personnelle. Plusieurs des entreprises qui sont à Laval se sont en venues chez nous il y a quelques années, 10, 15, 20 ans, quand la ville s'est créée avec les parcs industriels. Malheureusement, c'étaient des entreprises qui venaient de l'extérieur, entre autres de Montréal, et qui avaient déjà toute leur organisation juridique, qui fait en sorte qu'ils ne se sont pas mêlés beaucoup avec les gens locaux et continuent à faire affaire avec leurs conseillers de longue date qui les ont toujours bien servis et qui sont peut-être un petit peu à l'extérieur. Alors, c'est ce qui a fait que, bon, il y a eu moins d'activité.

Je ne cache pas qu'à l'origine, quand le palais de justice a été créé, j'étais sur le comité de construction, et, sur le comité de construction, on a construit au troisième étage du palais de justice le bureau du directeur régional des services Laval-Laurentides-Lanaudière, mais il n'est jamais venu. Il est resté à Saint-Jérôme. Alors donc, le même argument qu'on vous donne en disant: Une fois que le directeur des services judiciaires régional est à un endroit, il y a d'autres services, bien, quand le palais de justice a été construit, il devait s'en venir à Laval. Il n'est pas venu.

Alors, tous ces éléments-là, j'imagine que les penseurs les avaient en tête lorsqu'ils ont créé le palais. Bon, la situation a changé avec le temps. Vous savez que la démographie faisait en sorte qu'à l'époque on prévoyait pas loin de 500 000 à 600 000 habitants à ville de Laval en l'an 2000 dans l'un des rapports qui a été fait. Bon, il est arrivé deux situations de crise, on les connaît. 1980, 1990, les difficultés immobilières font en sorte qu'il y a eu ralentissement. Alors, tout ça a fait que le palais de justice qui avait été pensé avec des façons de voir dans les années 80 et 90, bon, ça ne s'est pas matérialisé aussi rapidement. Ça s'en vient, ça augmente, mais c'est ce qui fait partie -- d'un observateur qui n'est qu'un observateur -- des pistes de solution.

Mme Hivon: Merci de tenter les explications, parce que vous êtes un acteur de premier plan. Donc, c'est ça qu'on tente d'avoir, des explications.

Deuxième question, c'est: Quand on parle d'accessibilité, il y a comme deux grands principes. Il y a, on pourrait dire, la microaccessibilité, le justiciable qui doit avoir accès dans un temps correct, les coûts, les délais, bon, tout ça, mais il y a aussi la question générale, puis à chaque fois qu'il est question de points de service et de palais de justice ça revient, l'idée d'avoir accès sur le territoire du Québec, dans un environnement donné, à des services de justice et de s'assurer que, du fait que cet accès est maintenu, bien, les services sont maintenus à moyen terme et à long terme. Donc, c'est sûr que c'est une préoccupation qui nous a été exposée par les gens du Barreau des Laurentides. Donc, comment vous conciliez ça un peu, je dirais, dans la proposition? Parce que, si on extensionne, si c'est bon pour un peu les districts concurrents qu'on pourrait avoir entre Laval puis, bon, Terrebonne, ça pourrait être bon dans d'autres régions aussi, donc cette réflexion-là pourrait se faire globalement, puis la préoccupation qui nous était exposée, c'était: Comment garantir qu'il n'y aura pas une réduction de services à moyen et long terme, si ça devient une pratique plus courante, et donc qu'une région donnée se voie un peu avec des services de justice de second ordre? Donc, qu'est-ce que vous répondez à ça?

**(17 h 20)**

M. Trudeau (Jacques): La question qui me passe à l'esprit, c'est que la magistrature devrait nous entendre, la proposition qu'on fait de modifier 75.0.1 devrait contourner cette difficulté, parce que, si on met en place des juridictions concurrentes, vous avez parfaitement raison de craindre potentiellement... C'est quelque chose que je n'avais pas regardé avant d'envoyer mes propositions, mais, à force d'en discuter avec tout le monde, je me dis que peut-être il y a quelque chose qui se passe à cet endroit. Mais, quant à 75.0.1, je ne le vois pas, parce qu'on s'adresse à un juge dans une situation spécifique donnée. Ce n'est pas à tout moment, dans n'importe quel dossier qu'on peut le faire. Il y a une demande, il y a une requête qui est présentée, dans laquelle on exprime les avantages de procéder dans un district qui est adjacent, et il faut qu'on nous dise oui. Il faut aussi que toutes les parties en tirent un avantage, c'est surtout ça qui est important, les avocats, évidemment, on s'arrange, mais que les parties en tirent un avantage et que peut-être, dans les cas... toute la famille en tire un avantage.

Ne croyez pas que c'est si fréquent. Cependant, dans certains dossiers pointus... Vous savez, un dossier matrimonial qui attend deux ans quand on veut juste partager les biens ou des actifs, ça va, on peut se rendre à deux puis à trois ans, parce que, les actifs, parfois, il y a une maison qu'on a donné l'usage exclusif, tout se paie, les hypothèques sont payées, les prêts se font, la garde ne pose pas problème, on peut attendre trois ans pour être entendu, pour finalement trancher des points litigieux mathématiques. Par contre, quand on parle de garde d'enfants, c'est plus compliqué. Si on parle aussi de nourrir ces enfants-là, c'est plus compliqué. Pourquoi attendre si longtemps?

C'est pour ça que j'en parle de cette façon, avec autant de ferveur, parce que je me dis: Dans certains cas donnés, est-ce qu'on ne devrait pas permettre de s'adresser au juge pour dire: Regardez, dans ce cas-ci, peut-on aller à côté, c'est rapide, ici on ne pourra pas le faire? Puis les juges coordonnateurs peuvent se parler. Si ça a déjà été fait à Saint-Jérôme, ils n'ont pas perdu. Ils l'ont fait pendant un an de temps chez nous, pourtant ils n'ont pas perdu leur clientèle, ils n'ont pas perdu leurs services, ils n'ont rien perdu. Je ne crois pas qu'ils vont perdre. Quand j'en parle de cette façon-là, je ne veux rien enlever à personne. De toute façon, je l'ai souligné au départ dans ma présentation, on est prêts à la réciprocité. Peut-être que, dans le temps, il viendra un moment où on devra demander d'aller... que notre clientèle voudra aller ailleurs, puis on sera obligés de comprendre que c'est dans l'intérêt des justiciables. Donc, le changement à 75.0.1, je ne vois pas en quoi il crée un péril pour les services de chacun des palais.

Mme Hivon: Puis, pour vous, donc, ça veut dire autorisation du tribunal et...

M. Trudeau (Jacques): ...nécessaire.

Mme Hivon: ...oui, et consentement... autorisation du tribunal tout court, pas nécessairement consentement des deux parties, mais c'est le tribunal qui vient juger.

M. Trudeau (Jacques): Bien, il y a une requête qui est présentée, c'est le tribunal qui décide.

Mme Hivon: C'est sûr que, s'il y a un consentement, le tribunal risque d'être plus enclin à l'octroyer, mais ce n'est pas une condition sine qua non, c'est vraiment entre les mains du tribunal.

M. Trudeau (Jacques): Exactement.

Mme Hivon: Merci beaucoup, ça répond à mes questions.

La Présidente (Mme Vallée): Alors...

M. Fournier: ...

La Présidente (Mme Vallée): M. le ministre, oui.

M. Fournier: ...question: Selon vous, il n'y a pas besoin d'avoir le consentement des deux parties? Une partie fait juste demander d'aller ailleurs, et le juge tranche, même si l'autre partie disait: Écoute, la règle, c'est dans le district du défendeur, puis on change ça?

M. Trudeau (Jacques): Je vais vous donner un exemple, je vais vous donner un exemple pourquoi je crois que ça doit se faire par requête. Évidemment, je reviens toujours à mon dossier matrimonial, excusez-moi, parce que je trouve que c'est un très bel exemple. Imaginons que l'une des deux parties aime sa situation, elle n'est pas favorable. J'espère que vous savez qu'il existe chez des parents parfois où on se sert des enfants contre l'autre parent. Vous avez déjà entendu cette idée, hein? Merci. Alors, je veux juste vous dire que, ça, si un parent décide que sa situation de contrôle qu'il a présentement fait son affaire, puis qu'on attend trois ou quatre ans pour procéder, M. le ministre, si une telle situation se présentait, la personne qui a le contrôle, ça l'arrange, elle, que ce soit entendu dans trois ans, tandis que celle qui se dit: Ça n'a pas de bon sens, ce qui arrive à mon enfant, elle voudrait peut-être que ce soit plus rapproché, de telle sorte qu'un juge qui prend connaissance de ce dossier et s'aperçoit qu'il y a peut-être de l'abus va permettre, pour le meilleur intérêt d'un enfant dans un dossier donné -- un ou des -- de poser des gestes plus rapides parce qu'il va avoir le loisir de le faire.

M. Fournier: Merci.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, Me Trudeau, Me Gervais, nous vous remercions pour votre participation aux travaux de cette commission. Je vous souhaite un bon retour.

Alors, la commission ayant épuisé l'ordre du jour, nous ajournons les travaux jusqu'à demain matin, 9 h 30. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 24)

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