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Version finale

39e législature, 2e session
(23 février 2011 au 1 août 2012)

Le mardi 15 mars 2011 - Vol. 42 N° 1

Étude détaillée du projet de loi n° 94 - Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements


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Table des matières

Remarques préliminaires

Motion proposant de tenir des consultations particulières

Étude détaillée

Autres intervenants

 
M. Michel Pigeon, président suppléant
Mme Stéphanie Vallée, présidente suppléante
M. Daniel Bernard
M. Michel Matte
M. Norbert Morin
M. Vincent Auclair

Journal des débats

(Dix heures quatre minutes)

Le Président (M. Pigeon): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones portables. Le mandat de la commission est de procéder à l'étude détaillée du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Chevarie (Îles-de-la-Madeleine) est remplacé par M. Morin (Montmagny-L'Islet); M. Sklavounos (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Pigeon (Charlesbourg); Mme Beaudoin (Mirabel) est remplacée par Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve); M. Drainville (Marie-Victorin) est remplacé par M. Cloutier (Lac-Saint-Jean); et Mme Hivon (Joliette), par M. Kotto (Bourget).

Remarques préliminaires

Le Président (M. Pigeon): Merci. Nous débuterons avec les remarques préliminaires. Mme la ministre, vous disposez d'un maximum de 20 minutes pour vos remarques préliminaires.

Mme Kathleen Weil

Mme Weil: Merci, M. le Président. Alors, le projet de loi n° 94, intitulé Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements publics, en est aujourd'hui à l'étape de son étude détaillée par la Commission des institutions.

Ce projet de loi, que j'ai présenté devant l'Assemblée nationale le 24 mars 2010 en tant que ministre de la Justice et dont le principe a été adopté le 15 février dernier, vise à baliser le traitement des demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans les services publics, que ce soit pour les demandes provenant d'employés ou provenant de citoyens utilisant ces services. Ce projet de loi permet ainsi aux employés de l'État et aux citoyens et citoyennes de mieux comprendre la notion d'accommodement et de mieux évaluer les circonstances pouvant y donner ouverture.

Le champ d'application du projet de loi s'étend à l'ensemble de l'Administration gouvernementale et aux établissements publics des secteurs de la santé, de l'éducation et des services de garde. Il vise tant les membres du personnel de cette Administration ou de ces établissements publics que les usagers des services qui sont fournis par ces personnes.

Je souhaite rappeler, M. le Président, le contexte dans lequel le projet de loi n° 94 a été déposé. Certaines demandes d'accommodement ont suscité depuis quelques années des doutes sur les façons dont ces demandes étaient évaluées et accordées, remettant, malheureusement, parfois en question le principe même de l'accommodement. Le Barreau du Québec, devant cette commission, a d'ailleurs exprimé son inquiétude par rapport à cette situation et a rappelé que les accommodements raisonnables ne doivent pas être perçus comme une menace pour la société québécoise ou pour les personnes, mais plutôt comme l'incarnation de la primauté du droit. En effet, le Barreau a rappelé que les accommodements raisonnables permettent à la fois la protection et l'intégration de tous les citoyens sans égard, notamment, à leur langue, leur sexe, leur handicap, leur race, leur religion, leur origine nationale ou ethnique, leur orientation sexuelle, leurs convictions politiques ou leur âge. Le Barreau soulignait également qu'il s'agit ici du droit à l'égalité réelle et de la protection contre la discrimination dans une société libre et démocratique.

La mauvaise perception et compréhension de l'accommodement pourrait donc avoir comme conséquence une augmentation de la discrimination et de l'exclusion. Pour le gouvernement, il apparaissait donc nécessaire d'incorporer dans notre corpus législatif les balises développées par les tribunaux pour encadrer le traitement de ces demandes d'accommodement et leur donner toute leur légitimité et leur raison d'être.

M. le Président, sans entrer dans le détail du projet de loi -- nous aurons l'occasion de le faire au cours de nos travaux -- je voudrais, néanmoins, signaler que ce dernier établit les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé, soit le respect de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes, et le respect des principes qui découlent de cette charte, dont le principe de la neutralité religieuse de l'État, le corollaire de l'exercice de la liberté de religion et de l'égalité; l'admissibilité d'un accommodement, qui dépend de son caractère raisonnable, établi par l'absence de contraintes excessives, eu égard, entre autres, aux coûts qui s'y rattachent et à ses effets sur le bon fonctionnement du ministère, de l'organisme ou de l'établissement ou sur les droits d'autrui.

Le projet de loi affirme aussi qu'est d'application générale la pratique voulant qu'un membre du personnel de l'Administration gouvernementale ou d'un établissement et une personne à qui des services sont fournis par cette Administration ou cet établissement aient le visage découvert lors de la prestation des services. Lorsqu'un accommodement implique un aménagement à cette pratique, il doit être refusé si des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient.

Le projet de loi pourvoit également à la mise en oeuvre de ces dispositions en confiant la responsabilité de l'application de la loi au ministre de la Justice et en confiant à la plus haute autorité d'un ministère, d'un organisme ou d'un établissement la charge d'assurer le respect des prescriptions de la loi.

M. le Président, à l'occasion de l'adoption du principe du projet de loi, j'ai indiqué que j'étais disposée à en préciser ou clarifier les textes si cela s'avérait nécessaire pour permettre de rencontrer les objectifs qui sont poursuivis. Je suis toujours disposée à le faire dans la mesure, bien sûr, où ces précisions et clarifications se situent dans le prolongement du principe du projet de loi. J'entends, d'ailleurs, présenter moi-même certains amendements d'ordre technique lors de l'étude détaillée du projet de loi.

M. le Président, comme je l'ai indiqué à l'occasion de l'adoption de son principe, le projet de loi n° 94 prend le parti de l'accommodement comme étant celui qui correspond le mieux aux aspirations actuelles d'une société qui, à l'instar de la nôtre, s'inscrit dans le respect des droits fondamentaux des citoyennes et des citoyens qui la composent. C'est donc dans cette optique que j'invite aujourd'hui les membres de cette commission à procéder avec la plus grande collaboration à l'étude détaillée du projet de loi n° 94 qui s'amorce, et ce, pour le bénéfice de l'ensemble des citoyennes et citoyens du Québec. Voilà, M. le Président, les brèves remarques préliminaires qu'il m'apparaissait opportun de faire à ce moment-ci. Merci.

**(10 h 10)**

Le Président (M. Pigeon): Merci, Mme la ministre. J'invite maintenant Mme la députée de Rosemont, porte-parole de l'opposition officielle en matière de laïcité et de condition féminine, à faire ses remarques préliminaires. Vous disposez également d'un maximum de 20 minutes.

Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, je salue à mon tour tous les membres de la commission. Nos travaux recommencent ce matin. Alors, en effet, comme l'a dit la ministre, c'est au cours d'une conférence de presse organisée le 24 mars 2010 -- alors, ça fait à peu près exactement un an -- que le premier ministre, accompagné d'un certain nombre de ministres, a présenté le projet de loi n° 94 voulu -- et je le cite -- comme «un geste [...] déterminant pour clarifier la question des accommodements raisonnables et affirmer les valeurs québécoises». Depuis 2006, en effet, les accommodements dits raisonnables ont occupé à plusieurs reprises le devant de la scène médiatique et ont fait l'objet de débats souvent animés et parfois houleux au sein de la population québécoise.

Et, alors que la notion d'accommodement raisonnable concerne -- la ministre l'a dit aussi -- un nombre important de situations dans le milieu de travail quant au sexe, à un handicap, à une grossesse, à une pratique religieuse, ce sont presque exclusivement, sinon exclusivement les accommodements pour motifs religieux qui ont retenu l'attention de la population et des médias. Et on peut dire que ça continue, là, parce que, pendant la semaine dernière, donc, on a vu qu'à Saguenay le maire de Saguenay a décidé de porter en appel -- ce qui est son droit, tout à fait son droit -- de porter en appel un jugement du Tribunal des droits de la personne et que ça a suscité, en effet, beaucoup de commentaires, dont les miens, et donc on s'est répondus. Mais, quant à moi, comme je l'ai dit, je ne continuerai pas dans la surenchère d'attaques personnelles. Je regrette, en effet, que le maire Tremblay ait décidé de prendre cette attitude-là, alors que, je l'ai répété, la semaine dernière, quand il est venu ici devant nous, ça s'est passé de manière absolument courtoise de part et d'autre, même si, visiblement, on n'a pas la même opinion. Mais ce que ça me fait dire plus profondément, c'est qu'aussi longtemps qu'on n'aura pas, je dirais, le règlement le plus global possible de cette question des accommodements pour motifs religieux il y aura ce genre de poussée de fièvre, si je puis dire, ou même de crispation identitaire de part et d'autre.

À partir du moment où, dans la société québécoise, il y a eu ce cheminement -- depuis, disons, la Révolution tranquille, pour prendre quand même un moment historique charnière -- donc, qu'il y a eu ce cheminement vers la laïcité dans nos établissements de santé, dans nos établissements d'éducation, que tout ça s'est fait graduellement... Et ce chemin vers la sécularisation de notre société s'est fait, je dirais, sans trop de heurts, puisque l'Église catholique, qui était à ce moment-là assez, disons, présente, sinon omniprésente dans nos institutions, a accepté cette nouvelle situation, et, donc, les choses ont progressé comme il se doit dans une société démocratique, avec des débats, mais qui ont permis justement qu'il y a quelques années on en arrive ultimement à la déconfessionnalisation de notre système scolaire via, d'ailleurs, un amendement constitutionnel, parce que c'est ce que ça prenait, étant donné que nos écoles étaient soit protestantes soit catholiques, et maintenant elles sont soit anglophones soit francophones.

Et, donc, c'est le retour du religieux dans la sphère que j'appelle civique qui a provoqué ce que, moi, j'appelle des crispations identitaires de part et d'autre. Alors, en effet, au moment où je croyais que nous étions enfin tous des Québécois, voilà que certains veulent se redéfinir comme Canadiens français catholiques. Ce n'est pas, pour moi, une honte. Au contraire, ce sont mes propres racines à moi aussi, mais la grande nouveauté dans notre société avec Jean Lesage et puis avec cette équipe de la Révolution tranquille, qui s'est même prolongée sous l'Union nationale... à la grande surprise, finalement, de bien des électeurs que l'Union nationale de Daniel Johnson père a continué dans la même veine et qu'on s'est retrouvés à être, dans les années soixante, tous des Québécois, quelle que soit notre origine, et ne plus se diviser selon des cases ethniques, et de plutôt se rassembler dans une nation qui est plurielle, majoritairement francophone et puis qui est québécoise. Je pense que c'est un des grands acquis de tous nos débats sur ces questions d'identité nationale depuis 50 ans et qu'il ne faudrait pas l'oublier.

Alors, s'il y a à certains moments dans le cadre de ce retour du religieux dans la sphère civique... Et, moi, je veux être très claire, ce n'est pas être antireligieux que de dire que, dans la sphère civique, l'État et, quant à moi, ses agents doivent être neutres et afficher cette neutralité. Bon. Au contraire, la laïcité, je l'ai souvent dit, c'est la cohabitation du pluralisme religieux québécois. C'est la meilleure façon de faire en sorte que ce pluralisme religieux québécois cohabite et que le lien de cohésion sociale qui doit être le nôtre comme Québécois existe.

Alors, quand on voit ces résurgences, finalement, de ces crispations, donc, identitaires qui sont dues -- moi, je le dis comme je le pense, bien sûr -- au multiculturalisme canadien qui a été inclus dans la charte, que M. Trudeau a voulu puis qu'il a souhaité que le multiculturalisme devienne un élément fondateur de ce nouveau Canada qu'il était, donc, en train, lui, de construire à sa façon... Et à lui s'opposait, bien sûr, René Lévesque, entre autres. On se rappelle de ces oppositions entre M. Lévesque et M. Trudeau dans des conférences constitutionnelles qui sont restées des pièces d'anthologie dans notre histoire. Eh bien, cette notion et ces politiques du multiculturalisme -- c'est moins la notion elle-même que les politiques concrètes du multiculturalisme -- je pense qu'on les a trop intégrées, trop intériorisées et qu'on se retrouve, en effet, à des cas par cas, puis un coup à droite, un coup à gauche, un tribunal qui dit: Bien, ne dites plus la prière dans vos conseils municipaux. Moi, je crois qu'avant d'arriver à des exceptions, avant d'arriver... il faut une règle générale, une règle commune.

Et vous le savez très bien, je ne vous annonce rien ce matin, ce que je regrette le plus profondément par rapport à ce projet de loi là, c'est qu'il n'ait pas été précédé de ce que même la commission Bouchard-Taylor demandait il y a trois ans déjà, d'un livre vert ou d'un livre blanc, de telle sorte que l'on puisse discuter de façon très large. Gérard Bouchard est revenu, d'ailleurs, là-dessus depuis quelques jours, il va organiser un grand colloque avec l'Europe sur la notion, cette fois, d'interculturalisme. Si quelqu'un peut réussir, finalement, à la définir, je serai très contente, mais qui reste pour l'instant assez floue qu'il sent le besoin, avec le Conseil de l'Europe, d'organiser un vaste colloque au mois de mai à Montréal sur ces questions-là. Donc, moi, je vois ça comme l'incarnation même, ce cas par cas, du multiculturalisme canadien et du fait que la Charte canadienne des droits et libertés, ayant, donc, préséance au bout de la ligne... Mais déjà ce serait bien si on disait un certain nombre de choses concernant la charte québécoise -- et je vais y revenir -- dans la charte québécoise, au moins dans la nôtre, celle que l'on, je veux dire, contrôle, dans le sens que ce sont les législateurs québécois quand même qui ont la responsabilité d'amender ou non la charte québécoise des droits et libertés. Mais, en attendant, donc, ce qu'on voit, ce sont des tribunaux qui rendent des jugements qui, pour -- et je le reconnais -- une majorité franco-québécoise dans la population qui, si elle n'est plus catholique pratiquante, considère que ça fait partie de son histoire, et de ses racines, et de sa mémoire, et de sa culture, et de son patrimoine, et qui se pose une question très simple, à mon avis, c'est: Comment se fait-il -- je vous le dis sincèrement, là, je n'ai pas la langue de bois -- que l'on puisse, disons, enseigner, bon, et venir dans une école avec son kirpan, et qu'on ne puisse plus dire la prière dans un conseil municipal?

**(10 h 20)**

Il y a des gens qui se posent la question: Comment se fait-il qu'il y ait ce deux poids, deux mesures, qu'un signe religieux bien connu qui est celui du kirpan pour, je dirais, les Sikhs ultrareligieux... Parce que ce n'est pas l'ensemble de la communauté sikh qui pense que ce doit être comme ça. Puis on l'a vu ici, à l'Assemblée nationale, quand, devant venir devant nous, il y a quatre représentants, donc, de la communauté sikh qui ont préféré quitter parce qu'ils ne pouvaient pas conserver ce kirpan. Alors, comment la majorité peut-elle, la société d'accueil, disons, comprendre ce deux poids, deux mesures? Tombe un jugement du Tribunal des droits de la personne qui dit: Plus de prière et plus de signes religieux, donc, dans une municipalité comme celle de Saguenay, et, par ailleurs, comment peut-on accepter -- parce que la Cour suprême l'a dit, on n'a pas le choix -- le kirpan dans nos écoles? Et je donne cet exemple-là, il est simple, mais, moi, c'est ce que j'entends sur le terrain, les gens disent: Mais on ne comprend pas. Et, moi, je pense qu'il y aurait avantage, donc, à déterminer des règles générales, des règles communes concernant la laïcité de l'État, sa neutralité, de telle sorte qu'il y ait apparence d'équité entre tous les Québécois et puis d'égalité de traitement des droits, etc. Et, pour l'instant, ce n'est pas ça que les gens comprennent.

Et je vous donne un autre exemple. Et c'est pour ça que je trouve qu'on ne règle pas grand-chose dans ce projet de loi, et je vais revenir... On va présenter d'ailleurs, vous le savez, un certain nombre d'amendements au fur et à mesure de l'étude article par article. Mais il y avait, donc, dans un journal cette semaine de plus en plus de congés religieux accordés par la commission scolaire de Montréal. En deux ans, le nombre d'employés profitant de ces congés a bondi de 33 % à la commission scolaire de Montréal. Bon. La présidente de la commission scolaire de Montréal, Mme Diane De Courcy, est venue ici. Bien, elle était allée d'abord devant la commission Bouchard-Taylor et elle avait demandé de régler cette question de demandes de congés religieux. Pourquoi? Parce qu'il y a eu, par exemple, six professeurs de l'école secondaire Saint-Luc qui avaient dénoncé cette pratique-là dans une lettre aux médias parce que, bien sûr, les profs ont les congés de tout le monde qui sont inclus dans la convention collective, mais ils en demandent, des congés religieux supplémentaires, compte tenu, donc, de leur religion, et puis voilà, que ce soit pour le ramadan, ou pour le Yom Kippour, ou enfin pour un certain nombre de fêtes religieuses.

Je pense qu'il y a des solutions à ça qui peuvent être des congés, disons, flottants ou que chacun pourrait... Bon. Mais encore faut-il le dire, puis encore faut-il statuer sur ces questions de congés religieux dans nos écoles essentiellement à Montréal. Mais la présidente de la commission scolaire est venue s'en plaindre à nous ici: Réglez ça, donnez-nous des balises, donnez-nous directives, dites-le dans un projet de loi. Elle l'avait demandé à la commission Bouchard-Taylor, il n'y a pas eu de réponse. Ça fait trois ans, et la situation se détériore, 33 % de plus de demandes de congés religieux.

Alors, je reviens donc sur le projet de loi pour vous dire que je crois sincèrement que ce projet de loi ne répond pas à la situation, n'est pas à la hauteur du débat et à la hauteur, je dirais, des exigences de notre société pluraliste au moment où l'on se parle.

Et je voudrais terminer... il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Pigeon): Six minutes.

Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien. Je voudrais terminer en disant quelque chose qui, pour moi, qui est fondamental, que ce débat sur les accommodements religieux n'est pas un débat mettant en scène les Québécois, disons, dits de souche, qui sont là depuis longtemps versus les nouveaux Québécois ou les nouveaux arrivants, mais, sincèrement, je crois que l'inaction du gouvernement dans le dossier a entraîné une certaine dérive qui a permis à plusieurs de le penser. Ce débat n'a, dans les faits, rien à voir avec les nouveaux arrivants ou avec l'immigration. Ce débat met plutôt en scène les tenants de la laïcité en général et, je dirais, les ultrareligieux ou les intégristes dans chacune des communautés religieuses.

Chez les laïcs, on retrouve des Québécois, bien sûr, dits de souche, bien sûr, des immigrants et des personnes de toutes les confessions. Et, d'ailleurs, on l'a vu, on l'a entendu pendant les auditions, plusieurs des tenants de la laïcité qui ont fait entendre leurs voix ici même, en commission parlementaire, et au Québec en général au cours des dernières années sont issus de l'immigration. Ils sont parfois très revendicateurs sur les principes d'une stricte neutralité religieuse de l'État. Donc, chacune des communautés est traversée, en quelque sorte, la majorité comme les minorités, par divers courants plus ou moins laïques. Il n'y a pas de monolithisme dans aucune des communautés.

Je réitère que la commission Bouchard-Taylor n'a pas calmé les inquiétudes de la population à l'égard des accommodements religieux et, donc, je crois que c'est le refus d'agir de la part du gouvernement qui alimente certains préjugés à l'endroit des nouveaux arrivants. Une vaste majorité d'entre eux, des 50 000 qui arrivent chaque année au Québec ne demandent qu'à s'intégrer et à participer pleinement au développement du Québec. Puis la vraie question, c'est l'intégration par le travail pour eux. Alors, avec toutes les difficultés qu'on sait et qu'on connaît de reconnaissance des diplômes, de reconnaissance des qualifications, la vraie question pour eux, c'est celle-là alors que le débat sur les accommodements raisonnables pour motifs religieux rejaillit, malheureusement, sur l'ensemble des immigrants, ce qui est, bien sûr, injuste.

Il importe donc -- et je terminerai là-dessus, M. le Président -- au gouvernement du Québec et à l'Assemblée nationale de définir clairement la nature de l'accommodement raisonnable pour motifs religieux, de la neutralité religieuse de l'État et de la laïcité inclusive, qui est donc celle que je souhaite personnellement, qui évitera le règlement au cas par cas et la discrimination de telle ou telle catégorie de la population. Et, en cela, M. le Président, le projet de loi n° 94 est trop vague, n'est pas suffisamment large sur de nombreux points et ne répond, à notre avis, absolument pas, donc, aux exigences de la société québécoise en 2011. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Pigeon): Merci. Est-ce qu'il y a d'autres membres qui souhaitent faire des remarques préliminaires?

Mme Poirier: ...une motion, M. le Président.

Le Président (M. Pigeon): Alors, si vous le voulez bien, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, on va d'abord traiter la question des remarques préliminaires et, ensuite, passer aux motions. Alors, est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui souhaitent faire des remarques préliminaires? Alors donc, nous allons passer aux motions préliminaires. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Motion proposant de tenir
des consultations particulières

Mme Poirier: Merci, M. le Président. Alors, j'aimerais déposer la motion suivante. Alors, il est proposé:

«Qu'en vertu de l'article 2.44 de nos règles de procédure la Commission des institutions tienne, avant d'entreprendre l'étude détaillée du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, des consultations particulières quant à tous les articles dudit projet de loi; et

«Qu'à cette fin elle entende la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec et le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire.»

**(10 h 30)**

Le Président (M. Pigeon): Alors, merci, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve. Votre motion est recevable, et nous allons en débattre. Alors, j'imagine que vous voulez prendre la parole.

Mme Poirier: Est-ce que vous la distribuez avant ou on prend la parole tout de suite, là? C'est comme vous voulez. Peut-être, le temps de faire les photocopies pour que l'ensemble des membres de la commission puissent l'avoir sous les yeux?

Le Président (M. Pigeon): Alors, voulez-vous prendre quelques instants pour présenter...

Mme Poirier: Ah! je peux vous la présenter, effectivement.

Le Président (M. Pigeon): Je pense que ce serait la meilleure chose.

Mme Poirier: Mais je pense que, d'habitude, on fait les photocopies avant, puis on la présente après. C'est comme vous voulez.

Le Président (M. Pigeon): On peut, si vous le voulez, suspendre quelques instants juste pour s'assurer qu'on procède correctement. Alors, on va suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 31)

 

(Reprise à 10 h 34)

Le Président (M. Pigeon): ...reprenons nos travaux et nous allons procéder, donc, comme le prévoit le règlement, c'est-à-dire Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, qui présente la motion, a 30 minutes. Ensuite, il y aura un 30 minutes pour la ministre et un 30 minutes pour une autre personne de l'opposition, et toutes les autres personnes ont chacune 10 minutes. Et, ensuite, nous mettrons la motion aux voix. Alors, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, la parole est à vous.

Mme Carole Poirier

Mme Poirier: Merci, M. le Président. Alors, cette motion que nous présentons ce matin vient, dans le fond, donner suite à la revendication, entre autres, du Barreau du Québec, qui ne comprenait pas la limitation de la portée du projet de loi à l'effet que le projet de loi ne s'applique pas aux municipalités du Québec.

On le sait, M. le Président -- et plusieurs jugements l'ont reconnu dans le passé -- les municipalités sont des créatures de l'État. La Constitution de 1867, 1982 ont reconnu les municipalités comme des créatures de l'État, des jugements même de la Cour suprême. Rappelons-nous le jugement qui avait eu lieu dans le cadre des fusions municipales, qui avait reconnu le gouvernement pouvant décider de l'orientation quant aux municipalités. Alors, il y a une incompréhension de notre part à l'effet de voir que l'article 3, entre autres, du projet de loi, qui vient déterminer quels sont les établissements... Et je vous en ferais une courte lecture, M. le Président.

Alors, l'article 3 du présent projet de loi vient nous dire: «Sont des établissements au sens de la présente loi: 1° les commissions scolaires...» Alors, en partant, on vient reconnaître dans le projet de loi que cette loi-là va s'appliquer à l'ensemble de ceux qui procurent des services d'éducation au Québec. Elle vient s'appliquer aussi au Comité de gestion de la taxe scolaire de l'île de Montréal, alors ceux qui nous envoient notre compte de taxes à Montréal, ainsi qu'aux établissements agréés aux fins de subventions en vertu de la Loi sur l'enseignement privé, donc l'ensemble des écoles privées du Québec; les institutions dont le régime d'enseignement est l'objet d'une entente internationale au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales; les collèges d'enseignement... donc les cégeps sont soumis à la loi, et les collèges d'enseignement tant général que professionnel; les établissements universitaires, donc nos universités seront soumises à cette loi-là, et les... mentionnés aux paragraphes... et, dans le fond, les établissements d'enseignement de niveau universitaire.

Et vous savez sûrement, M. le Président, qu'il y a eu plusieurs dossiers rapportés dans les médias à l'effet que plusieurs demandes d'accommodement raisonnable avaient été faites dans le milieu universitaire. On a vu des demandes faites pour des salles de prière dans les universités. On a vu des demandes faites aussi concernant des locaux destinés principalement à la communauté musulmane pour avoir accès à... pour pouvoir se laver les pieds parce que c'est une pratique religieuse, parce que ça se faisait dans le corridor au grand dam de d'autres. Et les universités n'ayant pas de balises, puisque le gouvernement n'ayant pas encore établi de balises, eh bien on vient les encadrer ici par le projet de loi en leur donnant une forme de ligne de conduite. Alors, dans le fond, l'ensemble du monde de l'éducation subventionné par le gouvernement du Québec sera soumis à ce projet de loi là.

Ensuite, les agences de la santé et des services sociaux ainsi que les établissements publics et privés conventionnés visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux, les ressources intermédiaires. On en parle peu dans ce temps-ci, là, de ce sujet-là, les ressources intermédiaires. Eh bien, ça, c'est toutes nos ressources pour personnes âgées et personnes en perte d'autonomie, elles seront soumises... ces établissements-là seront soumis à cette loi-là. Les ressources de type familial. Alors, que l'on parle de lieux d'hébergement pour des personnes en santé mentale, personnes handicapées, seront soumis aussi. Les résidences privées d'hébergement. Alors, quand on confie nos aînés dans une résidence privée d'hébergement, ils seront soumis aussi à cette loi-là. Ainsi que les personnes morales et les groupes d'approvisionnement en commun visés par l'article 383 de cette même loi là, ce qui n'est pas peu, M. le Président, ainsi que le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James institué en vertu de la loi sur les services sociaux pour les autochtones cris.

Alors, on vient de voir dans ce paragraphe-là... on vient inclure le monde de la santé subventionné par Québec qui, dans le fond, est couvert... En tout cas, on l'espère, qu'il est tout couvert. Quand on va arriver à l'article 3, on pourra voir si l'ensemble du monde de la santé est couvert. Mais le but est de s'assurer que ce projet de loi là s'applique en entier sur tout ce qui est subventionné par le gouvernement du Québec en matière de santé.

Troisième alinéa, on parle maintenant des centres de la petite enfance, nos CPE, où il manque toujours des places, on s'en rappellera. Les garderies. Alors, quand on parle des garderies, on parle des à but lucratif dans ce cas-ci. Les bureaux coordonnateurs de garde en milieu familial, ceux qui régissent la garde en milieu familial ainsi que les personnes... Alors, les gens qui ont un service de garde à domicile, alors les personnes reconnues à titre de responsable de service de garde en milieu familial. Et on se rappellera que ce sont des travailleurs autonomes qu'on vient soumettre à la loi ici, des travailleuses, pour la majorité, autonomes qui seront soumises à cette loi-là et qui viennent être encadrées. Alors, on vient voir un autre volet, l'ensemble des services de garde subventionnés du Québec, qui devient soumis à la loi du projet de loi n° 94.

**(10 h 40)**

Alors, de là notre étonnement, M. le Président, de là notre étonnement que les municipalités ne sont pas incluses dans le projet de loi n° 94. Elles sont des créatures de l'État, tout comme le sont les hôpitaux, comme le sont les écoles, comme le sont les universités. Elles sont des créatures de l'État, l'État peut en disposer comme il veut. On peut fusionner, annexer une municipalité. On peut lui donner des pouvoirs, lui retirer des pouvoirs, à la municipalité. Et ce que ça vient faire, la loi, c'est qu'elle ne vient pas s'appliquer aux municipalités, ce qui est, à notre avis, vraiment un oubli, probablement. On le met sur le compte de l'oubli de la part du gouvernement.

Mais je vous rappellerai qu'en plus on n'a même pas entendu les représentants des municipalités. Et la liste que l'on soumet aujourd'hui, qui est la Fédération québécoise des municipalités, qui regroupe, je vous rappellerais, environ 600 municipalités au Québec qui sont les petites municipalités... Alors, on se rappellera un cas, le cas que tout le monde a entendu parler, qui s'appelle Hérouxville, alors le cas d'Hérouxville qui avait adopté un code de vie. Faute d'avoir de balises, les municipalités doivent se donner elles-mêmes des balises. On peut être ou ne pas être d'accord avec le code de vie d'Hérouxville. Ce n'est pas l'objet de cela aujourd'hui, mais les municipalités ne sont pas venues s'exprimer ici, en commission, pour nous dire comment elles voient l'application des accommodements raisonnables, comment elles voient l'application de cette loi-là, quel impact ça aurait pu avoir dans les municipalités. Et probablement qu'ils auraient souhaité justement avoir des balises, mais on ne les a pas entendus. Alors, Fédération québécoise des municipalités, c'est quand même une association municipale assez importante.

L'Union des municipalités, alors là on parle des grandes villes, alors, qui regroupent environ 500 municipalités. Alors, la majorité des grandes villes sont à l'Union des municipalités, sauf Québec et Montréal qui ne sont plus maintenant à l'Union des municipalités depuis quelques années suite à toutes sortes d'événements. Mais je pense que l'Union des municipalités est, en général, M. le Président, invitée à toutes les commissions parlementaires, puisqu'ils sont les représentants des élus municipaux de toutes les villes, de toutes les grandes villes, et particulièrement des milieux urbains, milieux urbains où... Où vont les immigrants quand ils arrivent au Québec? Bien, ils vont dans les milieux urbains. Et où sont les demandes d'accommodement raisonnable actuellement? Bien, on le voit, c'est dans la banlieue nord de Montréal, dans la banlieue sud de Montréal et à Montréal particulièrement. Ces gens-là, on ne les a pas entendus, on ne les a pas du tout entendus.

On demande que la ville de Montréal soit invitée parce que la ville de Montréal fait face à plusieurs dynamiques d'accommodement, et je reviendrai sur quelques cas qui ont déjà été l'objet de reportages dans les journaux. La ville de Laval, on a vu des reportages dernièrement faisant la démonstration d'une anglicisation à Laval, mais aussi d'un fort taux, un fort taux d'immigrants qui passent de Montréal à Laval pour, après ça, aller vers la couronne nord. Alors, la ville de Laval a sûrement quelque chose à dire là-dessus. La ville de Longueuil, qui vit le même phénomène que Laval dans le sens inverse. La ville de Québec, qui connaît moins un fort taux d'immigration mais qui aurait sûrement quelque chose à dire en ce sens-là. Ainsi que le ministère des Affaires municipales parce que c'est le ministère des Affaires municipales qui régit l'ensemble, c'est l'agent pour le gouvernement représentatif des municipalités.

Alors, je pense que cette motion-là, M. le Président, est tout à fait recevable, comme vous l'avez dit, mais elle est tout à fait souhaitable. Je pense que, pour avoir un éclairage juste... Oui, nous avons entendu des dizaines et des dizaines de groupes qui sont venus s'exprimer ici, on a entendu tous les points de vue différents dans une variété de points de vue, mais on n'a pas entendu parler des villes, on n'a pas entendu parler les villes avec les situations qu'elles vivent. Et le fait que... n'ayant pas de balises par le gouvernement, il n'y a pas de balises non plus dans les municipalités, et elles sont livrées à elles-mêmes, chacune pour elle-même, et elles doivent faire face au fur et à mesure des situations qui arrivent dans leur propre ville à l'effet de dire: Mais qu'est-ce que je fais avec ça?

La seule référence que l'on a, c'est la commission des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne, puisqu'il n'y a pas d'autre... Il y a la charte québécoise, mais on le voit bien, tous les jugements s'appuient sur la Charte canadienne, qui vient nous imposer, entre autres, dans son article 1 la suprématie de Dieu, je vous le rappellerai M. le Président, et qui vient aussi nous imposer le fait que la liberté de croyance passe par-dessus l'égalité entre les hommes et les femmes. Alors, les municipalités font face à ces règles-là, et c'est avec ces règles-là qu'elles doivent, au jour le jour, gérer l'ensemble des demandes qu'elles reçoivent. Alors, il serait intéressant, M. le Président... et je souhaite que le gouvernement acquiesce à cette motion pour qu'on puisse mieux définir l'application de ce projet de loi là.

Alors, M. le Président, des exemples, des exemples frappants, je reviendrai avec le cas d'Hérouxville, par exemple. Hérouxville a un citoyen préoccupé par des situations qu'il a vécues personnellement sans sa vie lorsqu'il était à l'étranger, il a vu des pratiques qui, pour lui, sont inacceptables, revient dans sa ville, propose un code de vie -- comme j'ai dit, je ne qualifierai pas le code de vie -- il propose un code de vie qui a été adopté dans sa municipalité. N'ayant pas de balises, il n'y a personne qui peut lui dire: Vous pouvez ou ne pouvez faire cela. Il n'y en a pas, d'encadrement, actuellement au Québec là-dessus, puisqu'on n'a jamais eu cette discussion générale là, M. le Président. Nous n'avons jamais eu cette discussion ouverte à savoir quel type de vivre-ensemble nous voulons au Québec, et c'est de ça qu'il s'agit, M. le Président.

Alors, le cas d'Hérouxville est un cas patent, a été largement documenté, médiatisé, et a donné lieu après... Entre autres, on a vu la commission Bouchard-Taylor. La commission Bouchard-Taylor a reçu, entre autres, des gens des municipalités. Et la commission Bouchard-Taylor faisait même la recommandation que les policiers devraient être soumis. Les policiers relèvent de qui? On ne parle pas juste ceux de la Sûreté du Québec, on parle des policiers municipaux. Si on veut assujettir les policiers municipaux, il faut bien entendre leurs patrons, qui sont les villes, qui sont les élus municipaux. Alors, il y a une espèce de contresens à ne pas entendre les municipalités quand Bouchard-Taylor vient nous dire, entre autres, les juges, la direction de l'Assemblée nationale et les policiers. Et je suis persuadée que Bouchard-Taylor ne parlait pas que ceux de la Sûreté du Québec, ils parlaient des policiers en général. Alors, on ne peut pas assujettir les policiers sans entendre ceux qui paient leurs salaires, qui sont les municipalités en tant que telles. Alors, déjà en partant, il y a là un problème.

On a vu aussi d'autres situations, M. le Président, et je ne nous rappellerais un jugement en Alberta qui a lieu à cause d'une communauté qui, dans ses règles, ne peut se faire photographier. Alors, imaginez, demain matin, que, pour avoir accès à votre carte Accès Montréal ou votre passe d'autobus, qui sont des cartes émises par les municipalités... Eh bien, votre communauté dit: Non, nous, on n'a pas le droit de se faire photographier. Eh bien, malheureusement, le projet de loi qui est ici, devant nous, qui dit que, pour des mesures de sécurité et de communication... Dans le fond, il vient encadrer la photo sur la carte d'assurance maladie, par exemple, ou le permis de conduire, eh bien ça ne s'applique pas aux municipalités. Ça veut dire que quelqu'un pourrait dire: Je ne mettrai pas ma photo sur ma passe d'autobus. Je ne mettrai pas ma photo sur la carte Accès Montréal ou Accès Québec, je ne sais pas comment elle s'appelle, celle de Québec, mais sur tout titre ou toute carte de privilège que les municipalités émettent ou qu'un de leurs agents émet.

Alors, il y a là une aberration, M. le Président. On exige la photo sur le permis de conduire, on l'exige sur la carte d'assurance maladie, mais ces gens-là pourraient demander, comme ils l'ont fait en Alberta, de ne pas se soumettre à la réglementation, puisque, pour une question de liberté de croyance... Et on revient, encore là, à la Charte canadienne, on revient, là encore, à cette fameuse charte de 1982 -- on se rappellera qu'on l'a toujours dans la gorge -- alors, cette fameuse charte de 1982 qui, dans le fond, vient nous dire que c'est la liberté de croyance avant nos règles. Avant nos règles de société, c'est la liberté de croyance. Alors, ça, c'est inquiétant, M. le Président, c'est très, très, très inquiétant.

**(10 h 50)**

En plus de cela, on a vu des cas comme la baignade dans les piscines municipales. Une communauté qui décide que les jeunes filles ne peuvent se baigner en même temps que les garçons, il me semble qu'on a passé cette évolution-là, là, dans notre société, là. Dans nos piscines municipales, intérieures, extérieures, là, il n'y a pas une journée garçons puis il n'y a pas une journée filles, puis il n'y a pas une plage horaire filles, puis il n'y a pas une plage horaire garçons, il y a des plages horaires qu'on appelle la baignade libre. La baignade libre, ça veut dire: Tout le monde peut y aller. On peut y aller en famille, on peut y aller seul, on peut y aller en couple, c'est la baignade libre. Ce n'est pas en fonction de notre sexe, c'est en fonction du fait qu'on veut aller se baigner, point. Eh bien, il y a des communautés, M. le Président, qui ont exigé, entre autres, que les municipalités puissent offrir des plages horaires seulement filles parce que les garçons ne doivent pas voir les jeunes filles en maillot de bain. Moi, je ne comprends plus, là, je ne sais pas dans quel siècle on est rendus, mais ces gens-là font ces demandes-là.

Les municipalités, quelles sont les balises qui les encadrent pour accéder ou refuser ces demandes-là? Aucune. Aucune, aucune, aucune, et malheureusement, malheureusement, M. le Président, le projet de loi, qui fait en sorte de ne pas soumettre les municipalités à l'encadrement de ce qui est devant nous, bien, fait en sorte qu'on passe encore sous le tapis l'application de mesures vers les municipalités.

Un autre sujet, M. le Président... Il me reste combien de temps, M. le Président? Je veux être sûre de passer tout ce que j'ai.

Le Président (M. Pigeon): Il vous reste 12 min 30 s.

Mme Poirier: Excellent. Excellent. Alors, autre sujet, M. le Président, on se rappellera tout le débat qu'on a eu, entre autres, dans les matchs de soccer, des jeunes filles ou des jeunes garçons qui voulaient porter un signe religieux, le voile, dans bien des cas, le hidjab, qui voulaient porter le hidjab durant la pratique de sport. Alors, qui a été pris? Un, les fédérations sportives, qui, elles non plus, ne sont pas soumises à cette réglementation-là, mais en plus les municipalités, qui encadrent, M. le Président, la pratique des sports dans nos municipalités. Alors, dans les municipalités, la mise à la disposition des terrains sportifs et l'organisation des équipes sportives sont faites par l'encadrement des municipalités. Si les municipalités ne sont pas soumises à la loi, encore là le port de signes religieux présent dans cette loi-là ne s'applique pas. On vient encore d'ouvrir une brèche à des débats, des débats, des débats sans fin, on ne vient pas fermer la porte à l'ensemble des revendications qu'on voit présentement sur le terrain.

Alors, le port de signes dans les sports, on en a vu quelques exemples. On en a vu, entre autres, au soccer, on en a vu aussi dans d'autres pratiques qui étaient l'escrime, par exemple, dans des centres de loisirs. Alors, dans un centre de loisirs qui est sous la gouverne municipale -- on le sait que les centres de loisirs sont financés par les municipalités -- eh bien, le centre de loisirs, qui est dirigé par une association probablement, dans la majorité des cas, à but non lucratif, eh bien, se retourne vers son partenaire, qui est la ville de Montréal, par exemple, la ville de Québec, la ville de Sherbrooke, et dit à la municipalité: Je fais quoi, moi, si un jeune se présente ici et souhaite porter son turban pour faire de l'escrime? Qu'est-ce que je fais, moi, avec une jeune fille qui veut porter son hidjab? Qu'est-ce que je fais avec une jeune fille qui veut porter son niqab pour faire telle discipline sportive? Ce n'est pas dans nos pratiques, ce n'est pas dans nos façons de faire. Bien, malheureusement, M. le Président, la municipalité ne pourra rien faire, puisqu'elle n'est pas soumise... Elle devra s'en remettre à la Commission des droits de la personne encore une fois, et, encore une fois, on le voit bien, ça va être du cas par cas. Du cas par cas, M. le Président. Et là ça va être du cas par cas par personne, par municipalité, par région administrative, par MRC, et là, là, regardez, on est partis.

Pourquoi, pourquoi le gouvernement n'accepte pas de se donner un débat, un débat large, un débat qui va faire en sorte qu'on définisse justement ces règles de société? Le Québec est une société d'accueil, le Québec est une société fière de son immigration, et je pense que le fait de ne pas entendre les municipalités, qui sont des partenaires principaux... Je me rappelle encore, là, les mots du premier ministre disant qu'il avait signé une entente historique en matière fiscale avec les municipalités. Je peux vous dire qu'à toutes les fois qu'on en signe une, c'est toujours une histoire historique, c'est toujours comme ça à toutes les fois. Mais les municipalités sont des partenaires principaux, et, je le répète, là, les municipalités sont des créatures de l'État, là. C'est dans la Constitution, elles sont soumises à ce que le gouvernement veut bien en faire. Le gouvernement lui donne des pouvoirs, lui donne des responsabilités, lui impose les champs de taxation, encadre totalement la municipalité. Laisser libres les municipalités dans ce cas-là... Et, dans un sens, je ne dirais pas que c'est de les laisser libres, c'est même les laisser avec rien, sans filet. Eh bien, on vient de les soumettre encore une fois à la Commission des droits de la personne, commission, qui, on le voit bien dans ses décisions, a pris des décisions qui respectent un document, un document, M. le Président, la Charte canadienne. Ça ne respecte que ce document-là qui dit que la liberté de croyance passe par-dessus tout, passe par-dessus l'égalité des hommes et des femmes. Il faut se le rappeler.

Au Québec, nous croyons -- et je pense que c'est assez unanime -- nous croyons que l'égalité hommes-femmes... On a eu un groupe qui est venu nous dire que c'était dangereux, mais nous croyons en majorité que l'égalité hommes-femmes...

Une voix: ...

Mme Poirier: L'égalité hommes-femmes, on se rappellera, c'est un groupe... je pense, si je me rappelle bien, c'est la fédération canadienne musulmane qui est venue nous dire ça, qui sont venus nous dire que venir mettre l'égalité hommes-femmes au-dessus des libertés de croyance était dangereux, M. le Président. Je me rappelle bien de cela, ça m'avait bien surprise d'entendre ça. Alors, si les municipalités, dans le fond, qui relèvent de cette même Constitution et qui dit que ces municipalités-là sont sous la gouverne du gouvernement du Québec... Eh bien, écoutez, il n'y a pas de balises, il n'y a pas d'encadrement, il n'y a rien.

Et je terminerai, M. le Président, avec un cas qui, pour le vivre au jour le jour, pour le vivre de façon régulière... Je vous parlerais d'Outremont, Outremont, M. le Président, où on a une communauté juive présente à Outremont qui, au fil des années, a demandé des accommodements, a demandé des façons de faire qui, dans la majorité des cas, n'ont pas nécessairement posé de problèmes, mais qui, dans d'autres cas, en ont posé. On se rappellera les vitres givrées de la communauté juive du YMCA. On se rappellera les stationnements illégaux -- et ce n'est toujours pas réglé, M. le Président -- stationnements d'autobus à travers les rues et qui... des autobus qui fonctionnent nuit et jour pour s'assurer que l'air climatisé fonctionne bien dans ces autobus-là et qui sont stationnés dans des rues où le stationnement est interdit. Des mesures de stationnement privilégié qu'on a données à la communauté juive parce que, entre le vendredi soir et le samedi, ils ne peuvent déplacer leurs autos. Des mesures que la ville d'Outremont -- parce que c'est la ville d'Outremont -- a acquiescé parce qu'elle n'avait pas de balises, elle ne savait pas si elle pouvait ou ne pouvait pas. Et, encore aujourd'hui, il y a plein de dossiers devant l'arrondissement, devant le conseil d'arrondissement, qui font l'objet de toutes sortes de discussions parce qu'encore là il n'y en a pas, de balises, il n'y a rien qui vient encadrer ce qu'on appelle les accommodements pour les motifs religieux.

Alors, M. le Président... D'ailleurs, je vous rappelle un des épisodes à Outremont, l'érou, qui est un fil... Je vois votre...

Une voix: Érouv.

**(11 heures)**

Mme Poirier: L'érouv, qui est un fil qui vient encadrer un périmètre pour lequel la communauté juive ne peut dépasser, là, selon certaines journées. Alors, il y a des fils suspendus à Montréal qu'on ne sait pas pourquoi et il y a des gens qui se posent la question: Qu'est-ce qu'ils font là, ces fils-là? Est-ce que quelqu'un a dit oui ou non? Non, les fils sont apparus. Alors, M. le Président, j'aimerais ça voir, dans la ville de Québec, dans Sillery, des fils apparaître, moi, comme ça, je ne suis pas sûre que ça se passerait comme ça. Je ne suis pas sûre que ça se passerait comme ça. Il y aurait des discussions au conseil municipal, ça, vous pouvez être sûrs de ça.

Alors, M. le Président, devant l'ensemble de ces préoccupations que nous avons, devant l'ensemble des préoccupations que nous avons dans le cadre de l'application de ce projet de loi sur les municipalités, il est, à notre avis, important, important, M. le Président, de s'assurer que le projet de loi n° 94... Et je rappelle son nom, là, le projet de loi n° 94 qui dit que c'est la Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale. Eh bien, je vous rappellerai que l'Administration gouvernementale, c'est aussi l'administration municipale, M. le Président. Et ne pas avoir inclus à l'article 3 l'application de cette loi-là aux municipalités est, à mon avis, juste une erreur, juste une erreur, et ce que nous demandons aujourd'hui, M. le Président, c'est de s'assurer que l'application de la loi se fasse versus les municipalités. Je vous le rappelle, M. le Président, les municipalités sont des créatures de l'État selon la Constitution, et, à notre avis, il faut absolument... Et, l'article 244, on se rappelle qu'avant d'entreprendre l'étude détaillée, dont nous sommes à cette étape-ci, la commission peut décider de tenir des consultations particulières.

Eh bien, c'est l'objet de notre motion aujourd'hui, M. le Président, de faire en sorte que les groupes que nous avons soumis, qui est la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec et le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire, puissent être entendus afin de nous faire connaître leur opinion ainsi que l'ensemble de leurs préoccupations en lien avec l'application de ce projet de loi là dans leurs entités et, surtout, comment ils auront à gérer l'application de ces mesures-là dans leurs municipalités sans être soumis... Parce qu'il y aura jurisprudence de ce qui se fera dans le gouvernement, et la Commission des droits de la personne en tiendra compte, M. le Président. Alors, les municipalités seront soumises par la porte d'en arrière. Aussi bien de les inclure dans le projet de loi, ça viendrait régler le problème. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Pigeon): Merci, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve. Mme la ministre, souhaitez-vous prendre la parole?

Mme Kathleen Weil

Mme Weil: Oui. Ce sera très court. Évidemment, les consultations générales étaient ouvertes à tout le monde, les citoyens, les organismes et, donc, les différents établissements et institutions qui sont nommés ici, les villes. Il n'y en a pas un qui est venu se prononcer, mais la consultation a été très large. On a commencé -- il y a eu 60 personnes et groupes qui sont venus -- on a commencé au mois de mai pour terminer cet automne. Il y a eu 12 séances de consultation. On a eu néanmoins deux maires qui sont venus: M. André Drouin, le maire d'Hérouxville, mais qui n'est plus le maire d'Hérouxville, je pense, et il y a eu Jean Tremblay, évidemment, le maire de Saguenay, évidemment, qui est venu se prononcer.

Lorsqu'il faut... Et puis vous mentionnez le ministre des Affaires municipales. Évidemment, le ministre est membre du Conseil des ministres et, donc, membre du gouvernement, donc il adhère à ce projet de loi, qui n'inclut pas le palier municipal. Évidemment, c'est un palier gouvernemental distinct avec une certaine autonomie. Je n'ai pas vu non plus de déclaration de ces niveaux-là dans le grand débat public. Pourtant, il y a d'autres... le regroupement des commissions scolaires qui s'est prononcé, il y en a d'autres qui se sont prononcés dans les journaux. Je n'ai pas vu ces organismes se prononcer, à moins que je l'ai manqué.

Moi, je pense... Évidemment, donc, nous, le gouvernement, on n'a pas cru utile et bon à ce stade-ci... Évidemment, les villes pourront s'en inspirer. Le projet de loi vient inclure dans un cadre juridique les règles de la jurisprudence et rajoute quelques dimensions pour l'appareil gouvernemental. Ils pourront s'en inspirer pour encadrer, évidemment, les demandes qui sont dans leurs champs de compétence. Donc, c'est ma réponse, M. le Président. C'est que, s'ils avaient voulu se prononcer, ils auraient pu se prononcer. Nous, on n'a pas eu, même après l'échéancier pour inscrire ces demandes, on n'a pas eu, nous, d'appel de ces organismes pour dire: Ah! on aurait voulu se prononcer, pouvez-vous nous recevoir? On n'a vraiment pas eu d'indication de leur volonté de venir.

Le Président (M. Pigeon): Merci, Mme la ministre. Alors, Mme la députée de Rosemont, à votre tour pour 30 minutes si vous le souhaitez.

Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, pour appuyer la motion de ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, M. le Président, je pense que c'est extrêmement important que cette motion soit non seulement présentée, mais, espérons-le, adoptée et je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Alors, si l'on veut que la Commission des institutions, donc la nôtre, tienne, avant d'entreprendre l'étude détaillée du projet de loi n° 94 établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements... donc, qu'il y ait des consultations particulières quant à tous les articles dudit projet de loi et si l'on souhaite dans cette motion, si l'on demande que la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec et le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire soient entendus, c'est parce qu'en effet, comme le disait le Barreau lorsque le Barreau est venu devant nous, c'est une raison essentiellement de cohérence législative, M. le Président.

Le Barreau nous a dit: Il est difficile d'expliquer pourquoi les municipalités, pourtant assimilées à une branche du gouvernement... Ma collègue l'a dit, donc ce sont des créatures du gouvernement. D'ailleurs, elle a bien marqué qu'on pouvait fusionner, si on le souhaitait, les municipalités, ce qui a été fait en 2003. Donc, on se rappellera qu'en effet les municipalités sont des créatures du gouvernement et que le gouvernement peut, s'il le souhaite, donc enlever des pouvoirs, en redonner, ou fusionner, ou défusionner, etc. Alors, le Barreau nous disait, sur le plan de la cohérence législative, qu'il était étonnant que ces municipalités ne soient pas visées par le projet de loi, alors que des organismes infiniment plus décentralisés telles les garderies en milieu familial exploitées par des travailleurs et travailleuses autonomes y sont assujettis. Cette question-là nous interpelle particulièrement, comme le Barreau a pu le faire.

Et je crois, M. le Président, que l'on peut répondre à Mme la ministre que, si ces organismes ne se sont pas présentés devant nous, c'est justement parce qu'ils ne sont pas soumis. Alors, certaines d'entre elles, des municipalités, peut-être trop contentes de ne pas être soumises à ce projet de loi, ne sont pas venues devant nous. Mais je crois qu'elles auraient avantage à être soumises et qu'elles y trouveraient leur intérêt à long terme. Peut-être qu'à court terme il leur apparaît préférable, à certaines d'entre elles... Mais elles viendraient nous le dire, si elles étaient soumises au projet de loi, est-ce que c'est une bonne chose, est-ce que c'est une mauvaise chose, est-ce que c'est leur intérêt à court terme, à long terme, est-ce qu'en effet il n'y a pas une cohérence là qui serait utile.

Parce que les municipalités, en effet, font face à des situations que ma collègue a décrites, mais les municipalités ont d'énormes responsabilités, je dirais, comme étant en première ligne de toutes ces demandes, qu'elles viennent de nouveaux arrivants ou qu'elles viennent de Québécois qui sont là depuis 12 générations. Parce qu'on sait qu'il peut y avoir aussi les Témoins de Jéhovah ou beaucoup de groupes, parce qu'on parle toujours d'accommodements à caractère religieux. Très franchement, je ne vois pas que les autres accommodements créent vraiment dans notre société, en tout cas, des débats aussi émotifs puis aussi houleux que ceux qu'on connaît puis qui resurgissent régulièrement à la faveur d'un jugement ou à la faveur d'un incident, disons, qui est médiatisé.

Alors, je pense que c'est important, quand on parle de cohérence législative, que les municipalités, qui sont la première ligne, qui donnent des services de première ligne et qui sont spontanément saisies par des communautés... On parlait de la communauté juive tout à l'heure. Elle n'est pas tout à fait récente, ça doit bien faire 150 ans, sinon davantage qu'elle est présente. Mais il y a à l'intérieur de la communauté juive, qui est particulièrement bien intégrée, que je connais, que je fréquente en tant que communauté, il y a un regroupement, que je connais bien aussi parce que je vis au milieu de la communauté, donc, hassidique, il y a un groupement orthodoxe, qui se définit comme ça d'ailleurs lui-même, orthodoxe religieux.

**(11 h 10)**

Et je sais qu'en Israël même... J'ai rencontré récemment l'ancien ambassadeur d'Israël aux Nations unies et j'ai pu lui poser beaucoup de questions en lui disant: Bien, ici, au Québec, il y a des communautés à l'intérieur de la communauté juive, il y en a dans quelques localités, je pense à Boisbriand, donc, à Outremont, et je lui demandais comment ça se passe en Israël. Parce que ce n'est pas plus simple pour eux en Israël, dans l'ensemble de la nation finalement, de gérer ces communautés plus orthodoxes parce que souvent, d'ailleurs, elles ont des élus à la Knesset.

Et, comme ils ont -- peut-être que vous le savez -- un régime totalement proportionnel, totalement, c'est la proportionnelle intégrale en Israël, alors, si vous avez 2 % du vote, bien vous avez 2 % des députés à la Knesset, si vous en avez 5 %, c'est 5 %, etc., ce qui fait qu'il n'y a jamais de gouvernement majoritaire. En tout cas, ils n'ont pas vu ça depuis très, très longtemps, des gouvernements majoritaires, c'est à peu près impossible parce qu'il y a tellement de petits partis de toutes sortes, de l'extrême gauche à l'extrême droite et, par conséquent, qui... Les Juifs, donc, ultraorthodoxes en Israël ont un certain nombre de députés à la Knesset et puis, très souvent, ils font partie, comme actuellement d'ailleurs, du gouvernement, ce qui n'est pas simple de réconcilier, en effet, les valeurs et les intérêts parce que la communauté, comme je le disais, ici comme en Israël, mais dans la diaspora, est traversée par des courants qui sont, certains, très laïques puis d'autres, donc, extrêmement religieux.

Par conséquent, il est évident que toutes ces municipalités sur l'île de Montréal, mais, en effet, aussi dans les banlieues immédiates, que ce soit Laval, qui est une banlieue de Montréal... Je dis ça pour le député de Vimont, qui est ici et... C'était une boutade, M. le Président. Je le dis pour que ce soit clair, là.

Une voix: ...

Mme Beaudoin (Rosemont): Ah! très bien. Et c'est pour nos auditeurs nombreux, nos spectateurs, alors... Et, donc, il y a, je pense, un intérêt très important et très évident, de mon point de vue, à ce que ces municipalités, qui sont donc au premier rang, en première ligne de réponse à toutes sortes de demandes d'accommodement pour motifs religieux, qu'ils soient donc soumis à ce projet de loi n° 94 et, d'autre part, que nous entendions les principales villes impliquées et les deux organisations, en effet, les deux regroupements de municipalités. Parce qu'il y a un organisme qui est venu devant nous qui nous a fait remarquer que, sinon... Si le Barreau a parlé, lui, de cohérence, il y a un autre organisme, qui est le Mouvement laïque québécois, qui est venu nous dire que les citoyens, face à l'administration publique au sens large, seraient donc, les citoyens, soumis désormais ou confrontés à trois régimes en matière d'accommodements religieux, la Charte canadienne, évidemment, pour l'administration fédérale... Et puis pas seulement pour l'administration fédérale parce que, comme ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve le disait, les tribunaux, très souvent, vont prendre en compte non seulement la charte québécoise pour rendre jugement, mais la Charte canadienne, qui, en effet, indique et implique que le multiculturalisme est une valeur fondamentale.

Et, je vous le dis, je pense qu'on a trop intériorisé cette notion de multiculturalisme qui fait que c'est le cas par cas qui est la norme, la règle, alors, que, moi, je pense qu'il doit y avoir des règles communes et des exceptions via des accommodements à cette règle commune. Et c'est d'ailleurs, je pense... je peux me tromper, je ne suis pas juriste puis je ne veux surtout pas m'embarquer dans une discussion juridique, mais que la common law et le droit civil québécois, qui origine du droit français, sont bien différents à cet égard et que ce n'est pas les même règles, nécessairement, que l'on peut retrouver par rapport à ce cas par cas ou ces règles qui sont non pas des règles communes, mais des règles individuelles, alors que, là, pour moi, il me semble important que la Charte canadienne, qui régirait quand même un certain nombre de choses... Il y aurait la loi n° 94 pour tous les organismes qu'on a nommés, sauf les municipalités, et puis, bien, la charte québécoise des droits et libertés aussi pour l'administration municipale, alors que, tout ça, il serait plus simple, me semble-t-il, de faire en sorte que les municipalités soient soumises au même titre que l'Administration gouvernementale parce que, quand on parle de l'administration publique dans son ensemble, eh bien ça inclut les municipalités.

Alors, je pense, au même titre, donc, que le Barreau, que la ministre cite souvent, mais pour d'autres raisons... que, M. le Président, le Barreau a soumis, dans ce cas-ci en tout cas, un point extrêmement pertinent concernant la cohérence législative et qu'il y a d'autres organismes qui nous ont dit aussi que les municipalités devraient être l'objet de toute législation future, donc, et actuelle, la loi n° 94, le projet de loi n° 94 qui est devant nous aujourd'hui. C'est utile et nécessaire parce que, sinon, le problème devant lequel on se trouve justement, c'est de ne pas avoir de vraies balises, c'est de ne pas avoir de vraies règles communes, de vrais textes de référence, je dirais, auxquels chacun pourrait faire appel.

Et ça, ça me semblerait important parce que tout, à mon avis, part de là, tout origine de là. Les accommodements pour motifs religieux sont ceux qui posent des questions, en tout cas, à l'ensemble de la population. Tous les sondages nous l'ont dit depuis 2006. Malheureusement, la commission Bouchard-Taylor n'a pas réglé le problème, comme je le disais précédemment ce matin, mais elle avait fait, cette commission, une recommandation de bon sens qui était de demander au gouvernement de produire un livre vert avant toute chose plutôt que de procéder comme le gouvernement a choisi de le faire, et ce contre quoi même Gérard Bouchard, donc, s'est élevé encore récemment, puisqu'on a eu deux projets de loi.

Le projet de loi n° 16, qui était sur l'adaptation de l'Administration à la diversité québécoise, moi, je n'étais pas dans cette commission quand elle a discuté du projet de loi n° 16, mais il y a eu de longs débats, de longues discussions pour ensuite apprendre après le discours inaugural... Parce que, jusque-là, on posait des questions, M. le Président, on demandait: Bon, bien, est-ce que le projet de loi n° 16 va revenir devant les parlementaires? Et jamais je n'ai obtenu de réponse de l'actuelle ministre de l'Immigration ou de l'ancienne ministre de l'Immigration quand je posais ces questions-là. Mais là on l'a eue, la réponse par défaut, en quelque sorte, puisqu'après le discours inaugural le gouvernement a fait son choix dans les projets de loi qu'il voulait représenter, dont celui-ci, le projet de loi n° 94, mais là, pour vrai, le projet de loi n° 16 est mort au feuilleton. Bon.

Alors, la première réponse du gouvernement, il l'a retiré lui-même du feuilleton, ce qui veut dire que ça ne reviendra jamais. Donc, tout ce travail-là, qui n'est jamais inutile, M. le Président, parce qu'on discute, parce qu'on débat, parce qu'il y a des gens qui viennent devant nous, parce qu'on prend le pouls de la population... Mais, quand même, quand un projet de loi est présenté, en principe c'est pour être adopté, même si c'est sur division. Parce que, comme il y a une majorité gouvernementale et que c'est comme ça que notre système fonctionne, bien voilà. Mais là le projet de loi n° 16, disparu, là, pour vrai, là, disparu. Première réponse du gouvernement, donc elle s'est révélée même insatisfaisante pour le gouvernement, puisqu'il l'a retiré.

Là, on a le projet de loi n° 94, mais, à quelque part, en effet, il y a eu, de mon point de vue, trois années de perdues, alors qu'on aurait pu discuter à partir d'un document, d'un livre vert, ce qui existe parfaitement dans notre système parlementaire, livre vert. Ça aurait pu être un livre blanc, aller un peu plus loin, il y aurait eu des options, il y aurait eu... bon, et il y aurait eu une discussion beaucoup plus large, ce que souhaitent -- c'est ma conviction profonde, M. le Président -- les Québécois, un vrai débat, large, à la hauteur des enjeux. Et, moi, je vois ça comme un grand chantier pour l'ensemble des Québécois. Et on fait des sommets sur ceci, sur cela, sur toujours des sujets extrêmement importants, mais je crois qu'un sommet sur le vivre-ensemble ne serait pas inutile par les temps qui courent, et depuis au moins trois ans, sinon davantage.

**(11 h 20)**

Donc, on aurait gagné du temps si le gouvernement, immédiatement après la commission Bouchard-Taylor, avait produit, donc... aurait pris six mois, ça aurait été normal, pour produire un livre vert ou un livre blanc. Mais là on s'est retrouvé avec un premier projet de loi qui a été retiré et un deuxième projet de loi qui est devant nous, et, je l'ai dit, je l'ai répété, on a voté contre, là, au moment de l'adoption de principe, et il est bien évident que, s'il n'est pas amendé substantiellement, donc, comme on va tenter de le faire, M. le Président, qu'on n'aura pas d'autre choix, puisqu'on trouve que... Puis on commence en disant: Bien, il manque un gros morceau déjà dans l'application du projet, dans la portée même du projet. À qui ce projet s'adresse-t-il? Eh bien, ce sont les municipalités. Ce sont les municipalités parce que ça voudra dire que chaque municipalité... La ministre nous a dit: Bien, ils pourront s'en inspirer, de ce projet de loi. Mais ça veut dire que chaque municipalité pourra avoir son code, bon, on pourra aller d'Hérouxville à je ne sais quoi. Mais il me semble que, quand on parle d'accommodements pour motifs religieux, il faut que les municipalités soient incluses dans ce projet de loi là et qu'il y ait donc auditions particulières des deux organismes qui regroupent les municipalités du Québec, ainsi que des principales villes qui sont interpellées par cette question des accommodements pour motifs religieux.

Ma collègue disait que c'était probablement un oubli, mais la ministre nous a dit non dans sa réponse, que c'était donc voulu, qu'il y avait eu une décision visiblement. Peut-être que le gouvernement y a pensé, et y a réfléchi, et a conclu que non, mais, moi, je suis en désaccord, donc, avec cette décision du gouvernement de ne pas inclure les municipalités parce que, je le dis et le répète, les municipalités ont des responsabilités énormes en ce qui concerne l'attribution, la décision des accommodements pour motifs religieux, et, s'il n'y a pas de cohérence, si les municipalités ne sont pas impliquées et qu'on se retrouve avec toutes sortes de décisions contradictoires d'une municipalité à l'autre... C'est bien d'avoir inclus les commissions scolaires parce que, s'il y a des balises, que les commissions scolaires, nos écoles...

Moi, par exemple, j'ai dans ma circonscription une école qui s'appelle l'école Marguerite-De Lajemmerais, qui est une des deux écoles de la commission scolaire de Montréal -- je pense qu'il n'y en a qu'une autre -- pour filles seulement. Alors, c'est un choix que la commission scolaire a fait de conserver une école pour filles seulement et dans une commission scolaire, oui, publique. Et c'est intéressant parce que je suis allée la visiter et pour constater... Et puis on peut comprendre ça, là, qu'il puisse y avoir une diversité, bon, ce n'est pas qu'un reliquat de l'ancien temps. Parce que, dans l'ancien temps, il y avait les écoles de filles, à Jésus-Marie, ici, à Bellevue puis aux Ursulines, et puis il y avait les écoles de garçons, le collège des Jésuites, le séminaire, etc., Saint-Jean-Eudes. On trouvait ça plate un peu, on trouvait ça un peu bizarre de ne pas pouvoir... d'attendre d'aller à l'université -- Laval dans mon cas -- pour vivre le quotidien de... J'ai de l'air de l'ancien temps, là, j'ai de l'air du Moyen Âge parce que la mixité est devenue justement une valeur importante de notre société non seulement entre les filles et les garçons, mais entre toutes les classes sociales puis entre tous les Québécois de toutes les origines. De vivre ensemble... Il me semble que le métissage, ça commence par la mixité parce que, sans ça, ça ne fera pas des enfants forts.

Alors donc... Mais là il y a quelques écoles dans une commission scolaire qui... à Montréal, donc, une école de filles seulement, et je me suis rendu compte, en allant la visiter, qu'il y a des parents de certaines communautés, des parents de la majorité aussi franco-québécoise qui souhaitent que leurs filles aillent dans une école secondaire pour filles seulement. Sauf qu'il y a eu un problème parce qu'il y a le port de l'uniforme qui est obligatoire dans cette école-là. Vous savez que, moi, je ne suis pas totalement opposée, là. Je n'ai pas une idée dogmatique sur le sujet, qu'il faut absolument qu'il y ait un uniforme, mais pas contre, pas contre, en principe. Je ne suis pas contre, en principe, que l'on doive porter un uniforme, je pense que ça met un peu de formalité dans les choses, que ça évite certaines dérives, certains dérapages aussi, on s'habille correctement quand on va à l'école. Et peut-être, moi, qui crois à une certaine discipline, quand même, parce que je pense qu'on n'apprend pas dans la cacophonie, puis qu'on n'apprend pas sans se concentrer, c'est ma conviction profonde... Ça aussi, c'est archaïque sans aucun doute, mais je crois à ça. Mais on s'est mis à fournir le hidjab à l'effigie de l'école dans les pièces de vêtement disponibles, ça n'a pas de bon sens. Ça n'a pas de bon sens à sa face même.

Alors, on accommodait, donc, des jeunes filles avant même qu'elles aient formulé une demande en ce sens. Par conséquent, ce ne sera plus le cas. Je pense, la commission scolaire a bien compris. Donc, les écoles laissées à elles-mêmes peuvent avoir toutes sortes d'idées et qui ne sont pas nécessairement bonnes. Et, par conséquent, quand on a un projet de loi comme celui qui est devant nous, oui, il faut que les commissions scolaires et que nos écoles, par conséquent, soient soumises. Mais ça vaut autant, sinon davantage pour les municipalités.

Et je dois dire que je n'ai pas très bien compris, je ne sais pas si elle accepterait de me donner davantage de renseignements sur la décision du gouvernement d'exclure les municipalités de la portée du projet de loi n° 94. Et je crains beaucoup l'incohérence, en effet, l'incohérence de toutes les décisions qui vont être prises individuellement par les municipalités, qu'on va se retrouver avec des choses paradoxales, avec un tas de contradictions. Et, dans ce secteur-là, dans celui des accommodements pour motifs religieux, parce qu'essentiellement c'est de ça dont il est question... J'ai bien fait la distinction dans mes remarques préliminaires entre les autres types d'accommodement, qui, très franchement, donc, à ma connaissance, ne posent pas de réels problèmes... des accommodements pour motifs religieux, qui, eux, sont en cause dans notre société.

Alors, je crois qu'il faudrait absolument qu'on convainque le gouvernement... ce qu'on essaie de faire, là, depuis déjà pratiquement une heure, de convaincre le gouvernement de revenir sur sa décision, puisqu'elle a été prise en toute connaissance de cause et que la ministre nous a bien confirmé qu'il ne s'agissait pas d'un oubli, ce qu'on pouvait espérer, en effet, réparer cet oubli tous ensemble... Mais, d'après ce que j'en comprends, de la réponse brève qu'a donnée la ministre, que, M. le Président, ce n'est pas le cas et que la décision du gouvernement a été prise, donc, en toute connaissance de cause, a été bien réfléchie. Et je ne la comprends pas, M. le Président. Je ne la comprends pas encore parce que ça va donner... Il va y avoir des conséquences à cet oubli-là... à cette décision-là, plutôt, puisque ce n'est pas un oubli, mais à cette décision-là de la part du gouvernement, des conséquences. Comme le disait le Barreau du Québec devant nous, ici, en commission parlementaire, lors des auditions, il va y avoir incohérence législative et, comme nous le disaient d'autres groupes, il va y avoir, donc, des régimes juridiques différents en matière de liberté religieuse. Et, moi, ma crainte la plus fondamentale, c'est qu'en effet la liberté de religion ait préséance sur l'égalité hommes-femmes. Et ça, pour moi, c'est carrément inacceptable.

On va avoir le temps, bien sûr, de revenir sur cette question-là de droits qui s'opposent à un moment donné et sur lesquels il faut trancher. C'est les tribunaux, pour l'instant, qui le font à notre place. Je souhaiterais que ce soient les parlementaires, les législateurs qui en décident. Alors, M. le Président, je fais appel à nouveau, en terminant, à la ministre, et au gouvernement, et aux parlementaires, donc, de la majorité gouvernementale pour que les municipalités soient soumises à ce projet de loi n° 94 et pour que, comme le demande notre motion en vertu de l'article 244, qu'un certain nombre de groupes soient entendus en auditions particulières pour connaître leur sentiment sur cette question-là. Et, s'ils ne sont pas venus, je vous le répète, c'est parce qu'ils ne sont pas soumis. Alors, si on veut les soumettre, ce que je souhaite, eh bien entendons-les, la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec ainsi que le ministère des Affaires municipales. Merci, M. le Président.

**(11 h 30)**

Le Président (M. Pigeon): Merci, Mme la députée de Rosemont. Est-ce qu'il y a d'autres personnes qui souhaitent prendre la parole sur la motion préliminaire?

Une voix: ...

Le Président (M. Pigeon): Alors, M. le député de Bourget, la parole est à vous pour 10 minutes.

M. Maka Kotto

M. Kotto: Merci, M. le Président. Je tiens, tout d'abord, à vous saluer. C'est la première fois que nous travaillons ensemble autour de ce projet de loi très préoccupant.

M. le Président, si j'affirmais publiquement que la sphère municipale n'est pas concernée par la question brûlante des pratiques d'accommodement raisonnable pour motifs religieux, je crois que les gens seront nombreux à me rire au nez, surtout à titre d'immigrant, aller sur la place publique et affirmer une telle chose dans le contexte actuel, contexte qui n'est pas sans rappeler ce qui se passe dans ce dossier depuis 2006 avec les crises, les tensions récurrentes qui sont étalées à travers les médias, la presse écrite, la radio, la télévision, les lignes ouvertes. Ce sont des citoyens qui s'expriment à travers tous ces médias pour signifier leur malaise, leurs agacements, dénoncer ce qu'ils considèrent comme des formes de défiance quand, dans la sphère civique, des signes -- pour ne pas dire des signes ostentatoires -- religieux viennent heurter leurs valeurs, leurs croyances.

M. le Président, le bon sens et l'intelligence des finalités nous obligent à une probité intellectuelle qui nous amène à penser qu'il est impératif de prendre en considération ce que dit le Barreau quand il évoque la question de la cohérence législative, à savoir que ne pas appliquer ce projet de loi à la sphère municipale serait une erreur. Et j'en appelle à l'humilité et à la sagesse de la ministre à cet effet parce que tout projet de loi est perfectible, et l'exercice dans lequel nous nous sommes engagés depuis ce matin, à 10 heures, doit prêter à cela.

On le disait tantôt, les municipalités sont les créatures de l'État et se trouvent paradoxalement en marge de l'application de cette loi si adoptée en son état anémique actuel. La ministre dit que l'exclusion des municipalités relativement à ce projet de loi n'est pas un oubli. J'ai été très étonné de l'entendre dire cela et je me questionne. Pas seulement en tant que législateur, mais en tant que simple citoyen. Considérant les attentes de la population relativement à la réponse que sous-tendaient les recommandations de la commission Taylor-Bouchard, je me pose des questions.

Nous sommes à mille lieux de répondre aux attentes des citoyens relativement à cette question brûlante. Ce n'est pas un oubli selon la ministre. Alors, partant de là, pour ma part, nous flirtons avec une aberration qui n'a pas encore une épithète à la hauteur de sa signification. Je poserai une question, et la ministre répondra probablement si elle le veut bien: Qu'est-ce que la sphère municipale? C'est tout, sauf le fédéral. La sphère fédérale est extrêmement loin des citoyens. J'en parle parce que j'ai l'expérience des deux. La sphère fédérale n'est pas dans une relation, disons, entre guillemets, intime avec le citoyen, elle est très loin de cette relation privilégiée que le citoyen a avec le municipal. Cette même relation, elle n'est pas celle qu'on retrouve dans sa relation avec le gouvernement du Québec. La sphère municipale est la plus étroite. C'est la première ligne, comme le disait la députée de Rosemont. C'est le lien de prédilection du défoulement citoyen, contrairement à ce que nous vivons à l'Assemblée nationale. M. le Président, si vous avez le temps, enfin, de faire un tour... Je pense que vous êtes de la région, assistez à un conseil municipal à Québec un soir pour voir comment ça se passe. Je pense que ce serait un cauchemar pour les ministres de voir des citoyens venir leur poser des questions directement en Chambre.

Nous avons entre nous, disons, des normes à respecter dans l'interaction quand vient le moment de demander des comptes au gouvernement, mais je vois ici et là, à travers les municipalités, lors des conseils de ville, les élus, tout en respectant les citoyens, pester quand des questions deviennent très difficiles à gérer. Et je ne serais pas étonné que, si -- hypothèse d'école -- le projet de loi avait intégré la sphère municipale, que celle-ci se soit manifestée pour venir massivement exprimer leurs voix. Mais, à leur décharge, je dirais qu'il était du devoir de la ministre, il appartenait à la ministre, dans la conception même, dans la phase embryonnaire de son projet de loi, d'étendre ses consultations à ce niveau-là. Pourquoi je reviens là-dessus? Parce que c'est l'entité qui incarne la relation la plus intime avec les citoyens, c'est le réceptacle des préoccupations et des frustrations particulières des citoyens.

Alors, je réitérerais l'idée que la ministre doit avoir l'humilité nécessaire, donc la sagesse, d'accueillir positivement la motion de notre collègue d'Hochelaga, motion qui propose, en vertu de l'article 244 de nos règles de procédure, que la Commission des institutions tienne, avant d'entreprendre l'étude détaillée du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, des consultations particulières quant à tous les articles dudit projet de loi et qu'à cette fin elle entende la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec, le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire.

**(11 h 40)**

Le Président (M. Pigeon): M. le député...

M. Kotto: J'allais terminer. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Pigeon): Je vous remercie, M. le député de Bourget. Est-ce qu'il y a d'autres personnes qui souhaitent prendre la parole sur la motion préliminaire?

Une voix: ...

Le Président (M. Pigeon): M. le député de Lac-Saint-Jean, la parole est à vous.

M. Alexandre Cloutier

M. Cloutier: Je vous remercie, M. le Président. D'abord, vous remercier de nous recevoir dans votre commission pour... Je ne suis pas si nouveau, dans le fond, à ces débats-là parce que certains d'entre vous m'avez vu lors, entre autres, du projet de loi qui est venu modifier la charte québécoise des droits et libertés, qui était un amendement à ce moment-là, il faut le rappeler, qui venait réitérer l'égalité entre les hommes et les femmes, et, inévitablement, ce projet de loi là s'inscrivait aussi dans le contexte, comme on le sait, des accommodements raisonnables.

J'ai aussi eu la chance, M. le Président... Puis, je pense, c'est important que je vous l'explique pour ne pas que ça vous donne trop l'impression que j'arrive ici, à cette commission, sans la préparation nécessaire, vous dire aussi que j'ai beaucoup travaillé sur le projet de loi n° 391, projet de loi qui, à mon avis, venait contribuer de façon extrêmement significative et très positive au débat de la société québécoise avec une approche qui, à mon sens, était une approche modérée, une approche d'une clause interprétative de la charte des droits de la personne.

M. le Président, je suis aussi député de Lac-Saint-Jean, et, encore ce matin, à la radio, on pouvait entendre le maire de Saguenay, n'est-ce pas... À l'émission de Radio X, le matin, on reprenait à nouveau tout le débat en ce qui a trait à la présence du crucifix de même qu'à celui de la prière qui est tenue en début de conseil. Alors, vous me voyez venir, M. le Président, vous comprendrez que le débat fait rage de façon féroce, il faut le dire, au Saguenay--Lac-Saint-Jean. Il faut dire que le maire Tremblay a sa façon à lui de susciter l'intérêt, on va le dire comme ça. Mais tout ça pour vous dire que ça pose la question dans un contexte plus général qui est celle de l'application du droit aux municipalités au Québec, et c'est dans cet esprit-là que ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve a déposé un amendement ce matin au projet de loi... pardon, une motion dans laquelle on demande que les municipalités soient entendues.

Puis, à mon avis, bon, première des... ça pose toutes sortes de problèmes. D'abord, qu'on ait exclu volontairement... Enfin, la ministre, je crois qu'elle nous l'a déjà dit, là, que c'est un choix qui a été fait par le gouvernement du Québec d'exclure l'application des municipalités à la loi québécoise. Ah! bien là, M. le Président, moi, comme juriste et particulièrement comme constitutionnaliste, ça me pose un sérieux problème parce que, là, ça amène une situation juridique tout à fait intéressante au point de vue de l'analyse du droit, mais certainement incongrue pour son application.

Là, je vous explique rapidement pourquoi. Comment peut-on donner une indication de l'application ou de l'interprétation qu'on fait du droit à l'égalité? Parce que les accommodements raisonnables, on le dit au deuxième alinéa de l'article premier que ce n'est rien d'autre qu'une interprétation juridique, les accommodements raisonnables, alors comment peut-on, d'un côté, prétendre donner une orientation à ce que c'est, aux accommodements raisonnables, quelles sont les limites qui doivent être données aux accommodements raisonnables, donc interpréter un article et dans la Constitution canadienne et dans la constitution québécoise ou dans la charte québécoise, qui a une valeur quasi constitutionnelle, comme vous savez, M. le Président... alors, comment peut-on donner une indication dans l'interprétation d'un article qui a une valeur quasi constitutionnelle dans le cas du Québec et, ensuite, exclure les municipalités, qui, elles, sont soumises à la charte québécoise des droits et libertés, de l'application de la loi? Alors là, M. le Président, on crée un régime d'exception qui est tout à fait fascinant. C'est comme si on venait dire par une loi qu'on peut exclure l'application que font nos tribunaux du droit à l'égalité ou doit l'interpréter de façon différente lorsque ce sera les municipalités parce que la loi vient exclure les municipalités.

Je suis convaincu que ce n'était pas ça, l'intention du gouvernement. En fait, je ne comprends pas qu'est-ce qui pourrait justifier que les municipalités se verraient appliquer une interprétation différente des autres institutions publiques, d'autant plus qu'il s'agit d'une interprétation d'une disposition constitutionnelle dans le cas de la Charte canadienne et quasi constitutionnelle dans le cas de la charte québécoise. Alors là, M. le Président, on arrive à... Alors là, c'est un nouvel univers juridique. Je ne vous dit pas qu'un étudiant de maîtrise ou un étudiant de doctorat ne trouvera pas la question complètement fascinante et essaiera, j'imagine, de s'y retrouver, dans cette nouvelle ambiguïté juridique, mais, très sincèrement, je serais curieux d'entendre nos spécialistes là-dessus, qu'ils viennent s'exprimer. Puis je pense que ça vaudrait le coup d'entendre qu'est-ce que nos Henri Brun, nos Eugénie Brouillet, nos grands constitutionnalistes québécois ont à dire de cette exclusion, M. le Président, des municipalités du Québec.

Et là, en plus, je vous rappelle, M. le Président, que, dans notre projet de loi à nous, le projet de loi n° 391, on avait prévu des valeurs historiques. Est-ce que ça veut dire, M. le Président... Puis on le lisait encore ce matin, là, je ne me souviens pas du nom de la municipalité qui a décidé -- dans le bout de la Gaspésie, là -- qui a décidé de revenir à la prière, hein, ils ont annoncé ça. Ils avaient enlevé en 2009 la prière au conseil, puis là ils annonçaient ce matin, là, qu'on retournait à la prière dans le bout de la Gaspésie, M. le Président. Et là je vois mon téléphone vibrer, habituellement c'est mes conseillers qui m'envoient la réponse de la municipalité. Alors, je prends le temps de regarder, mais là je me trompe, malheureusement, pour cette fois-là. Mais enfin...

Une voix: ...

M. Cloutier: Ça aurait pu aussi. C'est plutôt les couches ces temps-ci.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cloutier: Excusez-moi, M. le Président. Alors, je faisais référence à cette municipalité qui, ce matin, annonçait, bon, un retour en arrière. Est-ce qu'on peut appeler ça un retour en arrière? Certainement un changement de direction dans, justement, l'application qu'on souhaitait faire des accommodements raisonnables. Alors là, on a une décision du Tribunal des droits de la personne qui nous dit qu'on est en violation de la charte, on a un maire qui conteste la décision, on a d'autres municipalités qui viennent en appui.

Puis, moi, je me souviens très bien, M. le Président, en campagne électorale, en 2007, il y avait un maire d'une municipalité qui était candidat à l'ADQ. Je ne vois pas de gens de l'ADQ qui sont là avec nous ce matin, mais il y avait un candidat adéquiste qui était maire d'une municipalité, municipalité de Saint-Nazaire, et lui avait promis qu'il y aurait un code d'éthique qui serait adopté dans sa municipalité... pas un code d'éthique, un code de conduite, un code d'accommodements raisonnables qui... Lui, en compagnie de ses conseillers municipaux, déciderait de quelle manière on appliquerait les accommodements raisonnables dans la municipalité dans la municipalité de Saint-Nazaire. Alors, vous comprendrez, M. le Président, que, bon, de façon générale, dans le comté de Lac-Saint-Jean, il faut chercher longtemps avant de trouver des problèmes réels, mais il n'en demeure pas moins qu'eux avaient décidé de proposer cette orientation-là.

**(11 h 50)**

Ce que j'essaie de vous illustrer, M. le Président, c'est que le risque d'y aller municipalité par municipalité va, de toute évidence, amener une disparité dans l'application du droit, ce qui est un non-sens, d'autant plus que les accommodements raisonnables, ce n'est rien d'autre qu'une expression juridique de nature constitutionnelle dans le cas de la Charte canadienne et quasi constitutionnelle dans la charte québécoise qui est une interprétation du droit, et cette interprétation du droit par nos tribunaux ne peut certainement pas venir s'appliquer au gré du vent en fonction des municipalités.

Alors, je pense que ma collègue a visé juste lorsqu'elle demande à cette commission d'entendre les municipalités, qu'ils viennent s'exprimer ici. Puis, même le gouvernement, ça donnerait la chance au gouvernement peut-être de rectifier le tir ou, à la limite, de nous convaincre, de se justifier. Mais, à ce stade-ci, M. le Président, vous comprendrez qu'on en doute énormément et qu'on ne comprend pas... on comprend très mal, en fait, comment on peut en arriver à une application du droit qui se fait comme ça, d'autant plus que le gouvernement a quand même pris la peine, il faut le dire, de définir, là, le cadre dans lequel devait s'appliquer la loi. Puis là je ne relirai pas cet article, j'imagine que ça a déjà été fait par mes collègues. Mais ce qu'on sait, c'est que n'apparaissent pas dans cet article les municipalités. Donc, on a volontairement exclu l'application du projet de loi n° 94 aux municipalités, ce qui amène, M. le Président, à mon sens, un non-sens juridique. Puis, sincèrement, je pense que ça vaudrait vraiment la peine de non seulement entendre les municipalités, mais en plus de donner peut-être la chance à nos experts de nous démêler dans tout ça parce que, sincèrement, à sa face même, à sa lecture même, M. le Président, on va créer une application, je vous dirais, en fonction de la géographie -- parce que ça va être ça -- en fonction de la géographie des municipalités.

Le Président (M. Pigeon): ...

M. Cloutier: Bien, merci, M. le Président. J'aurais continué encore longtemps, mais on va arrêter là.

Le Président (M. Pigeon): J'en suis convaincu, mais les règles doivent s'appliquer. Je vous remercie, M. le député de Lac-Saint-Jean, de votre intervention. Est-ce qu'il y a d'autres personnes qui souhaitent prendre la parole? Alors, nous allons donc mettre aux voix...

Une voix: ...

Le Président (M. Pigeon): Oui, Mme la députée de Rosemont, avec plaisir.

Mise aux voix

Alors, nous allons mettre aux voix la motion préliminaire de Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve. Alors, je vais la relire, il est proposé: «Qu'en vertu de l'article 244 de nos règles de procédure la Commission des institutions tienne, avant d'entreprendre l'étude détaillée du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, des consultations particulières quant à tous les articles dudit projet de loi; et

«Qu'à cette fin elle entende la Fédération québécoise des municipalités, l'Union des municipalités du Québec, la ville de Montréal, la ville de Laval, la ville de Longueuil, la ville de Québec, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire.»

Alors, Mme la secrétaire, pour le vote nominal.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve)?

Mme Poirier: Pour.

La Secrétaire: Mme Beaudoin (Rosemont)?

Mme Beaudoin (Rosemont): Pour.

La Secrétaire: M. Kotto (Bourget)?

M. Kotto: Pour.

La Secrétaire: M. Cloutier (Lac-Saint-Jean)?

M. Cloutier: Pour.

La Secrétaire: Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce)?

Mme Weil: Contre.

La Secrétaire: M. Bernard (Rouyn-Noranda-- Témiscamingue)?

M. Bernard: Contre.

La Secrétaire: M. Matte (Portneuf)?

M. Matte: Contre.

La Secrétaire: M. Morin (Montmagny-L'Islet)?

M. Morin: Contre.

La Secrétaire: M. Auclair (Vimont)?

M. Auclair: Contre.

La Secrétaire: M. Pigeon (Charlesbourg)?

Le Président (M. Pigeon): Je m'abstiens.

La Secrétaire: Alors, 4 pour, 5 contre et 1 abstention.

Étude détaillée

Le Président (M. Pigeon): Alors, la motion est rejetée, et nous allons maintenant prendre en considération l'article 1. Mme la ministre, la parole est à vous pour la lecture de l'article 1. Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Juste avant, je voudrais demander à ce qu'on étudie, donc, les articles paragraphe par paragraphe, alinéa par alinéa. C'est convenu, ça? Oui?

Le Président (M. Pigeon): Je prends note de votre demande, Mme la députée de Rosemont.

Mme Weil: ...ils sont un tout, ils ne sont pas complexes, hein, les articles.

Le Président (M. Pigeon): Alors...

Des voix: ...

Le Président (M. Pigeon): Alors, nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 55)

 

(Reprise à 11 h 56)

Le Président (M. Pigeon): Nous reprenons nos débats. Il nous reste quelques minutes avant midi. Alors, Mme la députée de Rosemont, nous avons pris acte de votre demande, et je vais donc demander à Mme la ministre de procéder à la lecture de l'article 1.

Mme Weil: Alors, il y a un amendement, M. le Président, qu'on propose à l'article 1. Alors, on dépose l'amendement.

Le Président (M. Pigeon): Alors, voulez-vous, tout d'abord, peut-être, Mme la ministre, faire la lecture de l'article 1 et, ensuite, de l'amendement?

Mme Weil: Est-ce qu'on pourrait ajourner?

M. Bernard: Étant donné l'heure, M. le Président, si vous me permettez, je proposerais qu'on ajourne pour reprendre correctement à notre retour cet après-midi.

Le Président (M. Pigeon): Alors, à la demande unanime, je pense, des membres de la commission, nous allons ajourner sine die.

(Suspension de la séance à 11 h 57)

 

(Reprise à 16 h 5)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires. Alors, le mandat de la commission est de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.

Alors, on m'indique que nous en étions rendus à la prise en considération de l'article 1. Alors, Mme la ministre, je vous cède la parole afin de procéder à la lecture dudit article.

Mme Weil: Je vais vous demander peut-être une clarification. Ce matin, lorsqu'on s'est quittés... Voulez-vous que je commence par lire l'amendement -- on a un amendement -- ou l'article même dans la procédure?

La Présidente (Mme Vallée): Si vous avez un amendement, je vous propose de lire votre amendement et lire l'article par la suite.

Mme Weil: Avec l'amendement?

La Présidente (Mme Vallée): Je comprends qu'il y aura...

Mme Weil: Ou vous préférez l'article?

La Présidente (Mme Vallée): Lire l'article, pardon, l'amendement par la suite. Je comprends qu'il y a également d'autres amendements qui seront déposés par la suite.

Mme Weil: D'accord, l'article. Bon, l'ancien, c'est ça, hein, l'ancien? Ça, c'est... «La présente loi a pour objet d'établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé en faveur d'un membre du personnel de l'Administration gouvernementale ou d'un établissement ou en faveur d'une personne à qui des services sont fournis par cette Administration ou cet établissement.

«Constitue un accommodement l'aménagement, dicté par le droit à l'égalité, d'une norme ou d'une pratique d'application générale fait en vue d'accorder un traitement différent à une personne qui, autrement, subirait des effets préjudiciables en raison de l'application de cette norme ou de cette pratique.»

Est-ce que je peux commencer avec les commentaires ou, ensuite, l'amendement?

La Présidente (Mme Vallée): Vous avez votre amendement?

Mme Weil: Oui. Alors, l'amendement serait: À l'article 1 du projet de loi, insérer dans le deuxième alinéa...

Mme Poirier: Ce matin, on avait parlé de procéder par alinéa. Puisque l'amendement est dans le deuxième alinéa, nous avons un amendement au premier alinéa.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Bien, en fait, ce que je proposerais, c'est que la ministre puisse lire l'article dans son intégralité, déposer l'amendement. Par la suite, nous ferons l'étude alinéa par alinéa, tel que vous l'avez demandé ce matin, et vous pourrez, à ce moment-là, déposer votre amendement. Mme la ministre.

Mme Weil: D'accord. Alors, je vais commencer avec les commentaires pour l'article en général puis peut-être, ensuite, expliquer les modifications proposées. Donc, cet article traite de l'objet général de la loi proposée et de la notion d'accommodement qui la sous-tend.

Le premier alinéa de l'article concerne l'objet de la loi. Comme l'indique d'ailleurs son titre, celle-ci vise essentiellement à fournir certains paramètres permettant de mieux évaluer les circonstances pouvant donner ou non ouverture à des accommodements soit en faveur des membres du personnel de l'Administration gouvernementale ou de certains établissements publics, soit en faveur des usagers de services fournis par le personnel de cette Administration ou de ces établissements.

Le deuxième alinéa de l'article participe étroitement à cet objet général de la loi en définissant clairement, d'entrée de jeu, la notion d'accommodement qui est au coeur des dispositions envisagées. La définition juridique de la notion d'accommodement que donne l'article est conforme à celle qui, au fil des ans, a été développée par la jurisprudence et la doctrine, notamment dans l'application des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne.

La définition de l'accommodement que donne l'article permettra aux intéressés, agents publics ou usagers de services publics, de bien faire la distinction entre, d'une part, les situations nécessitant de véritables accommodements parce que les aménagements demandés visent à éviter ou à corriger un état de discrimination et, d'autre part, les situations où l'état de discrimination est absent et où l'aménagement envisagé ne constitue, au mieux, qu'une simple mesure d'ajustement volontaire dictée par le souci d'autrui.

Les services publics visés par la loi proposée couvrent les services donnés ou reçus au sein des diverses composantes de l'Administration gouvernementale ou des établissements publics que définissent respectivement les articles 2 et 3 de la loi.

J'ai combien de temps? Parce que j'ai beaucoup d'explications que je voudrais donner, parce que c'est un article important qui... Est-ce qu'il y a une...

n(16 h 10)**

La Présidente (Mme Vallée): Vous avez 20 minutes par alinéa, donc vous avez 40 minutes.

Mme Weil: D'accord. Ce ne sera pas 20 minutes. O.K. D'accord. Je vais prendre le temps parce que c'est important pour la transcription. Suivant le sens qui leur est usuellement donné, les normes susceptibles de faire l'objet d'accommodements en application de la loi proposée s'entendent des règles qui émanent d'une ou plusieurs personnes faisant autorité et auxquelles les membres d'un groupe donné doivent se référer pour agir ou qui s'imposent à eux dans leurs actions.

Quant aux pratiques, elles font référence à des manières habituelles d'agir, à des comportements habituels observés naturellement par les membres d'un groupe dans un lieu donné. Les normes ou pratiques d'application générale sont donc ces règles ou comportements normalement observés dans un certain milieu. Elles visent, par exemple, dans le cas des normes, les règles issues de directives ou de politiques, par exemple code vestimentaire, règles sur l'aménagement du temps de travail ou quant au lieu d'exécution du travail, interdiction d'animaux dans certains lieux, etc. Dans le cas des pratiques, celles-ci pourraient viser le respect d'un certain décorum ou de certaines tenues vestimentaires dans certains endroits ou encore l'observation des usages dans l'aménagement de lieux de travail ou dans l'équipement qui est fourni.

La mention dans la définition d'accommodement donnée par l'article de l'exigence que l'aménagement demandé soit dicté par le droit à l'égalité constitue une référence directe aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment à l'article 10 de cette charte relatif au droit à l'égalité dans la reconnaissance et l'exercice des droits et libertés.

Peut-être pour la relire pour la transcription, donc l'article 10: «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

«Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.»

En raison de cette mention, une norme ou une pratique d'application générale ne pourrait donc faire l'objet d'accommodement que si elle est discriminatoire à l'égard du demandeur, c'est-à-dire si elle a pour effet de détruire ou de compromettre son droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'un des motifs prévus à l'article 10 de cette charte. Autrement, l'application de la norme ou de la pratique en cause ne créera pas d'obligation.

Les demandes d'accommodement impliquent le plus souvent une situation de discrimination fondée sur le handicap, l'âge, la grossesse ou la religion. La jurisprudence a également reconnu l'obligation d'accommodement dans les cas d'atteinte à la liberté de religion garantie par l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. Le texte de cet article est le suivant: «Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.»

En fait, un état de discrimination fondée sur la religion visé par l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne constituera bien souvent une atteinte à la liberté de religion, protégée par l'article 3 de cette même charte. Ça va? Merci beaucoup, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, sur le premier paragraphe de l'article 1, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Alors, merci, Mme la Présidente. Alors, j'aimerais déposer un amendement afin de modifier dans son premier alinéa par l'insertion, après le mot «conditions», du mot «minimales».

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce qu'une copie de cet amendement a été déposée?

Mme Poirier: Non. On vous les donne là.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, est-ce que vous pourriez expliquer l'amendement, le temps qu'on fasse les copies et...

Mme Poirier: ...quand les gens vont l'avoir en main. Est-ce que vous préférez...

La Présidente (Mme Vallée): Bien, alors, ce que je pourrais peut-être suggérer, si vous avez des amendements, on pourrait peut-être prendre un petit peu les devants. Parce que, si on fait ça à chaque amendement, ça risque d'être très long, et je propose qu'on puisse peut-être distribuer les amendements ou obtenir des copies à l'avance.

Mme Poirier: ...malheureusement.

La Présidente (Mme Vallée): Bien, à ce moment-là, j'aimerais qu'on puisse procéder tout de suite aux explications sur votre amendement.

Mme Poirier: Alors, l'amendement qui est proposé, Mme la Présidente, vient préciser... Tel que le texte le précise, on le voit bien que le texte nous dit que «la présente loi a pour objet d'établir les conditions dans lesquelles», mais ça ne précise pas quel type de conditions. Est-ce que ce sont des conditions maximales, minimales? Et la définition du Petit Robert, «qui constitue un minimum», des «conditions minimales», alors ça vient préciser le mot «conditions».

Le projet de loi, selon l'argumentaire du gouvernement, vise à «établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé», et nous sommes d'avis qu'il est plus que nécessaire de qualifier la nature de ces conditions. Pour nous, il s'agit d'établir que ce sont des conditions minimales pour accorder un accommodement, et non l'ensemble des conditions à l'encadrement de cet accommodement. Il en va de la responsabilité des législateurs que nous sommes d'encadrer les conditions, les exigences à rencontrer pour qu'un accommodement puisse être accordé. Alors, c'est mon premier petit bloc d'explication. Si vous voulez que je continue, je peux continuer, mais c'est l'explication, là, de l'amendement proposé.

La Présidente (Mme Vallée): Alors...

Mme Poirier: Je peux continuer...

La Présidente (Mme Vallée): Sur l'amendement?

Mme Poirier: Oui. Alors, écoutez, je pense que le but de cet amendement-là est très simple, on veut venir préciser dans le projet de loi le fait qu'il devra y avoir des conditions minimales pour que le projet de loi puisse être en application. Ces conditions minimales là, Mme la Présidente -- excusez, là, je fais le transfert monsieur, madame -- Mme la Présidente, le but est simplement que l'on veut que le gouvernement puisse nous dire quelles sont ces conditions, et on n'a pas la... à l'effet actuellement de savoir dans quelles conditions va s'appliquer ce projet de loi là.

D'ailleurs, le projet de loi, Mme la Présidente, ce qu'il vient dire finalement, c'est que c'est un projet de loi qui vient dire aux membres du personnel de l'administration publique, gouvernementale ou d'un établissement... Malheureusement, on a vu ce matin le refus de la partie gouvernementale, que ça ne s'applique pas aux municipalités, à l'effet que les personnes à qui des services vont être offerts et fournis par l'Administration ou dans les établissements, que ces personnes-là aient le visage découvert lors de la prestation de services. Finalement, c'est ça que ça veut dire, le projet de loi, là, au final, là, tous les articles, c'est à ça que ça veut dire. Et, nous, ce qu'on prétend, c'est qu'il faut indiquer qu'il devra y avoir des conditions minimales pour qu'une intervention soit faite afin qu'on puisse ne pas le faire sans que ces conditions-là minimales soient présentes. Et ça, Mme la Présidente, pour nous, c'est absolument important, et j'espère que notre amendement sera accueilli favorablement.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, sur l'amendement, est-ce qu'il y a d'autres commentaires? Mme la ministre.

**(16 h 20)**

Mme Weil: J'aurai des commentaires, c'est qu'il y a un principe en législation, c'est que chaque mot doit avoir une portée et un sens, et souvent, en rajoutant des adjectifs, on vient diluer même le mot fort de la phrase. Et, dans ce contexte-là, «conditions» est le mot essentiel, et j'ai vraiment beaucoup de misère à comprendre la portée de «minimales» ou «maximales», et comment ça pourrait être interprété, et comment ça peut même éclairer le décideur.

Évidemment, je l'ai expliqué souvent en commission lorsqu'on a fait les consultations, c'est que chaque ministère et organisme aura des directives qui devront venir refléter le projet de loi, et, donc, les balises qui sont dans le projet de loi vont être éclairées à ce moment-là. Et l'important de ce projet de loi, c'est un projet de loi cadre qui vient dire et donner un niveau de confort aux décideurs qu'il y a, en fait, ce qui est raisonnable et pas raisonnable. C'est que pas tout accommodement est nécessairement raisonnable parce qu'on dit que c'est un accommodement, pas parce qu'il y a toute situation de liberté de religion. Et, souvent, ce qu'on constatait, surtout avec tous ces cas à la SAAQ et d'autres organismes de ce genre, RAMQ surtout, bon, surtout ces instances-là, c'était un certain malaise par rapport à des demandes qui, à leur point de vue et le point de vue de beaucoup de personnes, pouvaient toucher à d'autres droits, dont l'égalité hommes-femmes.

Donc, l'importance de ce projet de loi, c'était vraiment d'amener un niveau de confort par rapport à ce cadre juridique, que, finalement, nous, on... le gouvernement dit... Et, si, finalement, le projet de loi est adopté, c'est qu'il y ait un cadre juridique. Par la suite, les directives de tous ces ministères, parce qu'ils sont tous... Et tous ces organismes ont des missions différentes, les situations vont être différentes, et qu'est-ce qui constitue une contrainte excessive va varier.

Ma crainte avec un rajout d'un adjectif, c'est que ça pourrait aller dans le sens contraire même, je pense, de l'intention de l'opposition. C'est-à-dire je pense que l'intention de l'opposition, c'est aussi de clarifier les balises et de s'assurer qu'on trace une ligne et qu'on soit capable... et que les décideurs, finalement, lorsqu'ils auront à prendre ces décisions, ils auront leurs directives éventuellement. Mais tout le monde est d'accord, si c'est raisonnable, il y a des contraintes excessives si ça touche l'organisation du travail, si ça touche à nos droits, par exemple l'égalité hommes-femmes, si c'est des coûts excessifs. Et c'est «notamment», hein, c'est des exemples notamment. Mais chaque organisation aura ses situations particulières. Alors, ma crainte avec le mot... Il faudrait vraiment que j'y réfléchisse un peu plus, mais je sais qu'il y a des principes de législation qui font que chaque mot a son sens. Il faut être sûr qu'on ne vient pas créer plus de confusion. Parce que, là, les gens vont se dire: O.K. Est-ce que c'est des conditions minimales? Est-ce que c'est des conditions maximales? Quand est-ce que je sais que je suis dans une situation de conditions minimales? Et, moi, ma crainte, ce serait que ça viendrait créer plus de confusion éventuellement dans la tête de la personne qui doit gérer ces demandes d'accommodement.

La Présidente (Mme Vallée): Oui, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Écoutez, à la lumière des réponses de la ministre, ce que j'en comprends, c'est que la ministre nous annonce qu'il y aura des directives qui seront définies après l'adoption du projet de loi, mais des directives différentes selon les ministères. Alors là, vous m'inquiétez encore plus parce que, là, encore là, les conditions minimales ont encore plus lieu d'être parce que, s'il n'y a pas une balise de base, là les excès vont aller dans tous les sens. Alors, qu'il y ait des directives différentes de l'application de cette loi-là, encore là, là, je suis encore plus inquiète, Mme la Présidente, parce que, si, dans le ministère, par exemple... Reprenons les cas qu'on a vus, le ministère de la RAMQ qui décide de laisser la personne en place parce que, pour eux, ça ne pose pas une contrainte excessive parce que l'application de la contrainte excessive, à ce moment-là, pourrait être variable selon la directive, alors là, là, on s'en va vers, vraiment, des écarts d'application entre les ministères. Alors, ça, je trouve ça très, très, très inquiétant, Mme la Présidente, parce que les directives...

Et là je me rapporte à la même discussion qu'on a eue au projet de loi n° 16. Je reviens, là, j'ai l'impression de revenir un an en arrière et de revenir au projet de loi n° 16 lorsqu'on a entendu les gens de la SAAQ et de la RAMQ venir nous expliquer l'application qu'ils avaient faite, faute de balises, parce qu'il n'y en avait pas. Aujourd'hui, ce que la ministre vient nous dire, c'est qu'il y aurait des directives différentes selon les ministères. On vient de le voir, on en a une, directive religieuse, dans les milieux de garde présentement, elle fait à peu près l'unanimité contre elle pour tous les bords. Donc, ça veut dire que cette directive-là, ce serait une directive pour les garderies, il y aurait une autre directive pour le milieu hospitalier, une autre directive... sans avoir des conditions minimales, sans avoir un corpus minimal dans lequel il y a une harmonisation de la volonté gouvernementale de savoir vers où on s'en va avec ça. Alors, ça veut dire que, pour chacun des ministères, ça pourrait aller au cas par cas. Regardez, on ferme les livres puis on laisse la Commission des droits de la personne continuer. Et c'est ça qu'elle fait, du cas par cas. On n'a pas besoin d'un projet de loi pour faire du cas par cas, on a la Commission des droits de la personne qui le fait déjà. Alors, moi, juste à cette étape-ci, là, ça, ça m'inquiète.

Deuxièmement, la ministre nous dit à quelles conditions. Bien, je lui pose justement la question: Quelles sont les conditions minimales? Quelles sont les conditions, si elles ne sont pas minimales, quelles sont-elles, ces conditions-là qu'elle énonce ici en disant d'«établir les conditions»? Alors, il faut que la ministre vienne nous préciser quelles sont ces conditions-là. Nous, on lui propose qu'il y en ait des minimales, donc on voudrait qu'il y ait au moins un corpus de base, en tout cas une balise de base qui vient encadrer l'action gouvernementale. Si la ministre nous dit: Non, pas de conditions minimales ni maximales, bien, qu'elle nous précise quelles sont les conditions présentement qu'elle souhaite définir. Et, encore là, elle s'exprime en disant: Une variable en lien avec les contraintes excessives. Alors, si «contraintes excessives» est devenu plus, moins, petit, grand... Contrainte excessive, c'est une contrainte excessive. C'est clair, la jurisprudence est claire, et il n'y a pas de variable à la contrainte excessive en tant que telle. Donc, dans les conditions que la ministre nous précise à l'article 1, j'aimerais qu'elle nous précise, là, quelles sont ces conditions, quelle est la base, là, sur quoi on s'appuie pour nous parler de conditions. Merci.

Mme Weil: Moi, je pense que la députée confond «conditions» et «modalités». Alors, les conditions sont à l'article 4. Les modalités, évidemment, c'est chaque organisme, ça, c'est normal. Quand on a des projets de loi, les organismes qui doivent implanter la loi ont des modalités puis, bon, ils vont établir les conditions. Et je pense qu'elle a apporté justement l'argument qui vient contrer le rajout du mot «minimales», parce que ça va justement rendre beaucoup moins clair.

Alors, les conditions, on va en discuter à l'article 4. Je ne sais pas si vous voulez, tout de suite, en discuter parce qu'on parle exactement des conditions afférentes aux accommodements. Alors, il faut bien comprendre comment les droits sont protégés par les chartes de droits et libertés, il faut bien comprendre comment la primauté du droit fonctionne. Alors, ça tient compte de la charte, ça tient compte de la jurisprudence, ça tient compte du droit. Évidemment, dans toute situation, toute loi, lorsqu'elle est appliquée entre des citoyens qui sont en conflit... Si les citoyens sont en conflit avec les gouvernements, il y a les tribunaux, et, dans une société démocratique, c'est normal. On ne voudrait pas avoir une situation où il n'y aurait plus d'arbitrage devant les tribunaux. Et ça, c'est la nature même de l'application des lois. Alors, le gouvernement n'est pas arbitre dans chaque situation de conflit, il ne l'est pas lorsqu'il y a des demandes d'accommodement, les conditions... Mais on en viendra à l'article 4, je pense qu'il faut faire attention peut-être pas de s'avancer trop, trop.

Alors, moi, pour l'instant, le mot «minimales» m'inquiète parce que je pense que ça va créer plus de confusion pour les gens qui auront à décider. Parce que les conditions sont très claires, c'est la contrainte excessive, c'est le non-respect d'autres droits qui sont protégés par la charte, notamment l'égalité hommes-femmes, c'est les coûts excessifs, et donc, évidemment, il y a des contraintes particulières dans chaque situation.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Rosemont.

**(16 h 30)**

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, Mme la Présidente. Alors, je pense que, là, où on diverge aussi d'opinion avec la ministre et avec le gouvernement, c'est que c'est bien sûr que c'est vrai que, dans une société démocratique, il y a la séparation des pouvoirs et puis qu'il y a des tribunaux qui tranchent un certain nombre de choses, mais je crois quand même qu'il en va de la responsabilité des législateurs que nous sommes de dire les choses que l'on veut vraiment. Parce qu'un des problèmes que l'on a avec ce projet de loi, dès le départ, on l'avait dit, la députée de Joliette et moi-même, dans une première conférence de presse suite à la vôtre et à celle du premier ministre, c'est qu'on ne voyait pas vraiment l'intérêt de ce projet de loi, puisqu'il ne fait que consigner la jurisprudence actuelle et qu'il n'apporte, dans un sens, qu'une, je dirais, nouveauté, et c'est l'article 6, sur lequel on aura bien du temps dans bien longtemps pour discuter. Mais un des problèmes que ça nous pose, c'est que ce n'est rien de neuf.

C'est vrai que le Barreau est venu dire: Ça fait oeuvre pédagogique, c'est vrai. Mais le Barreau n'a pas dit: Oh! voilà une grande avancée dans la pensée originale des législateurs et du gouvernement. La plupart des gens, d'ailleurs, sont venus nous dire: Bien, voilà un projet de loi qui, en effet, n'apporte pas grand-chose, si ce n'est l'article 6, qui peut être très discutable, et on en discutera en temps et lieu. Alors, la responsabilité des législateurs, ça concerne justement ces conditions, les exigences à rencontrer pour qu'un accommodement puisse être accordé, et, moi, je pense, en tout cas, que l'on doit aller le plus loin possible, le plus précisément possible dans le projet de loi si on veut, au bout de la ligne, il ait un sens. Parce que, pour l'instant, on le cherche vraiment, ce sens, sauf celui, comme j'ai dit, de consigner, bon, la jurisprudence qui n'apporte rien de nouveau et qui nous laisse, nous, comme vous le savez, beaucoup, beaucoup, beaucoup sur notre appétit par rapport à la réalité de la situation au Québec, à tel point qu'on va donc essayer, bien évidemment avec vous, de l'améliorer pour qu'au bout de la ligne on ait l'impression que, justement, les législateurs disent des choses, des choses fortes, dont les tribunaux ensuite.

Vous savez, ou bien c'est le gouvernement des juges ou bien c'est le gouvernement des législateurs et puis des élus du peuple. Et je sais qu'il y a un équilibre dans toute société, je veux dire, à trouver, mais je me rappelle très, très bien qu'en 1900... j'accompagnais M. Lévesque, là, dans la fameuse conférence qui avait justement mené à la nouvelle Constitution canadienne, qui nous a été imposée, puisque ni vous ni nous ne l'avons adoptée... On fait tous semblant qu'on est régis par cette Constitution de 1982, mais jamais n'y a-t-il eu adoption par l'Assemblée nationale ou par quelque gouvernement que ce soit, puis il y en a plusieurs qui se sont succédé depuis 1982. Mais je me rappelle très, très bien, dans cette fameuse conférence constitutionnelle, ce dont on a discuté avec M. Trudeau, qui, lui, voulait le gouvernement des juges. Il y avait des premiers ministres d'autres provinces qui s'inquiétaient. Je me souviens surtout d'Allan Blakeney, qui était le premier ministre néodémocrate de la Saskatchewan, qui était très opposé, lui aussi, à ça jusqu'à temps que M. Chrétien, qui était, lui, le ministre de la Justice puis qui était, disons, l'exécutant des oeuvres de M. Trudeau, avait réussi, vous le savez très bien, dans la fameuse «nuit des longs couteaux», à convaincre le restant du Canada d'isoler le premier ministre du Québec, René Lévesque, et de faire en sorte que M. Lévesque revienne au Québec en s'étant fait imposer, donc, cette fameuse nouvelle Constitution.

Mais, un, je vous le dis, des arguments fondamentaux de ceux, qui, dans un premier temps... Puis il y en avait beaucoup, là, hein, parce qu'il y a eu ce renvoi à la cour à l'époque. Nous, notre avocat, au gouvernement du Québec, c'était Yves Pratte, qui est décédé maintenant, mais il y avait eu tout un débat juridique, et puis, dans le fond, ce qui avait été dit, c'est que... par la Cour suprême, c'est qu'il fallait qu'il y ait un nombre suffisant de provinces qui soient d'accord, etc. Alors, M. Trudeau et M. Chrétien se sont arrangés finalement, dans cette «nuit des longs couteaux», pour isoler M. Lévesque et faire en sorte que la nouvelle Constitution soit adoptée.

Mais un des thèmes de ces débats qu'on a eus à Ottawa à l'époque où j'étais présente, c'était: Est-ce que ce sera le gouvernement des juges, oui ou non? Bien, nous y sommes, en quelque sorte. Et, moi, ça me désole parce que je pense que cette séparation des pouvoirs, bien sûr, elle doit exister entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, mais il faut que ce soient les législateurs qui décident et puis que, bien sûr, que les tribunaux interprètent. Mais, si on leur laisse, je veux dire, une latitude totale, et que, finalement, c'est eux qui font la loi, et que ce ne sont plus les législateurs qui font la loi, bien, moi, ça m'inquiète en régime démocratique. J'avoue très franchement que je ne me suis pas fait élire pour en arriver là ni à la Constitution de 1982, que vous n'avez pas, je vous rappelle, tous ceux qui sont là devant nous, signée, pas plus que nous. Alors, elle existe, mais on ne l'a jamais adoptée, cette Constitution-là. Puis une des raisons... Il y en a plusieurs, il y avait énormément de raisons pour lesquelles on n'était pas d'accord, et une des choses, c'était que ça menait à ça, la Constitution de 1982. Alors, elle ne doit pas être bien bonne parce que ça fait combien de temps, là, 1992, 2002, on est rendu... ça fait pratiquement 30 ans que cette Constitution a été adoptée puis qu'elle nous a été imposée, puis qu'on ne l'a jamais reconnue formellement au Québec, nous, à l'Assemblée nationale. Alors, je vous le dis franchement, je crois que ce projet de loi ne va pas dans le bon sens à cet égard comme à bien d'autres.

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce qu'il y a d'autres commentaires, je vous rappelle, sur l'amendement au premier paragraphe de l'article 1? Parce qu'on s'est égaré un petit peu, mais c'était sur l'amendement. Est-ce qu'il y a d'autres commentaires? Est-ce qu'on est prêt à passer aux voix? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Bien, écoutez, Mme la Présidente, je n'ai pas eu de réponse de la part de la ministre, à part de me dire que les modalités seraient définies à l'article 4. Encore là -- et je reprends le commentaire de ma collègue -- la Charte canadienne vient toujours encadrer, malgré nos désirs collectifs, la charte québécoise, et, bien, c'est même une de vos réponses, si je me rappelle bien, à l'effet qu'on ne pouvait pas superposer les droits. Parce que je me rappelle bien, Mme la ministre, à l'époque, vous nous aviez même répondu qu'on ne pouvait pas superposer les libertés religieuses à l'égalité des hommes et des femmes, et on a un problème.

Alors, si l'établissement des conditions n'est pas clair, eh bien les conditions, ça va être celles de la Charte canadienne qu'on va avoir parce que les jugements... Et, comme disait ma collègue, ce sont les tribunaux qui décident. Les jugements, à venir jusqu'à aujourd'hui... Et je vous rappellerais le jugement Amselem, qui a justement fait en sorte que ce soit la Cour suprême qui est venue même s'introduire dans une relation de divorce entre un homme et une femme, et c'est encore la liberté de religion qui a dicté les règles de notre vivre-ensemble.

Alors, moi, j'aimerais ça que la ministre puisse nous expliquer comment elle entend définir les conditions. Elle nous parle de conditions dans le projet de loi, moi, j'aimerais qu'elle puisse nous définir quelles sont ces conditions-là, quelle est sa lecture. Et, puisqu'elle nous dit qu'il y aura des directives, je comprends que ça viendra par règlement. Est-ce qu'elle peut nous préciser? Est-ce que ce sera un règlement, ce sont des directives que les ministères vont se doter eux-mêmes? J'aimerais comprendre la mécanique, là, qui va arriver après, puisqu'on parle de conditions qu'on ne connaît pas, de directives qu'on ne sait pas qui va les adopter. Est-ce que c'est un décret gouvernemental? Comment ça va fonctionner? Alors, c'est là-dessus, Mme la Présidente, que j'aimerais avoir des réponses, s'il vous plaît, de la part de la ministre.

La Présidente (Mme Vallée): ...

Mme Weil: Oui, Mme la Présidente. Je pense qu'il faut vraiment clarifier. Bon, alors, les conditions, c'est l'article 4, l'article 5, l'article 6. Je ne comprends pas la question de la députée: Quelles autres conditions? Il y a respect de la charte, notamment égalité hommes-femmes; article 5, le caractère raisonnable de l'accommodement, absence de contraintes et tout ce qui est défini dans l'article 5; et, ensuite, l'article 6, que le visage découvert est pour des raisons... on parle de raisons de sécurité, de communication, d'identification. Ma question, c'est: Quelles autres conditions, est-ce que l'opposition voit? Est-ce qu'elle confond «circonstances particulières» avec «conditions»? Ça, c'est les conditions. Ça, c'est les conditions.

Pour revenir à la Charte canadienne, la charte québécoise, la charte québécoise, j'ai eu l'occasion de le lire, donc l'article 3, hein: «Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.» Ça, c'est une liberté garantie par notre charte.

L'article 10: «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle[, etc.], la religion, les convictions politiques, la langue...» Bon, ça, c'est la charte québécoise. Elle s'applique en tout temps au Québec. On ne va pas se soustraire à la charte québécoise, et les arbitres, ces droits...

**(16 h 40)**

Et on ne vient pas toucher très souvent aux chartes. On a rajouté dans les considérants, on a rajouté, il y a quelques années: «Considérant que le respect de la dignité de l'être humain, l'égalité entre les femmes et les hommes...» Bon, ça, ça a été un rajout. Il y a eu 50.1: «Les droits et libertés énoncés dans la présente charte sont garantis également aux femmes et aux hommes.» Et je pense que le député disait qu'il a fait partie de ça. Donc, le législateur, l'Assemblée, à ce moment-là, voulait rehausser et s'assurer qu'on tienne toujours compte de ça. Donc, ça, c'est quelque chose... Les chartes restent presque immuables. Je veux dire, c'est rare qu'on vienne toucher aux chartes de droits et libertés.

Alors, je n'ai vraiment pas suivi la discussion tantôt sur la Constitution canadienne, là. On a cette charte, on pourrait juste avoir cette charte et on aurait à faire des accommodements. Et des décisions d'accommodement ont été prises, et, tout le développement de la jurisprudence, la charte québécoise est toujours, toujours citée. C'est des libertés fondamentales, c'est des droits fondamentaux, on ne change pas ça tous les jours. Donc, c'est pour ça que c'est un sujet, oui, complexe. Et c'est sûr que le domaine des accommodements est un domaine complexe, mais c'est aussi -- et, nous, on le souligne -- c'est un exercice tout à fait louable, valable et légitime dans une société libre et démocratique.

Maintenant, l'important, c'est qu'on amène un cadre juridique pour avoir des balises claires. Et c'est ça, l'intention de ce projet de loi. Le projet de loi ne réinvente pas le monde, c'est sûr, c'est un projet de loi assez pragmatique. Et il y en a qui sont venus dire qu'ils voudraient qu'on aille beaucoup plus loin, l'opposition a parlé, bon, d'autres propositions possiblement. Mais, lorsqu'on amène un projet de loi, la primauté du droit est toujours un principe fondamental, on ne peut pas faire un projet de loi qui va contrer les chartes, ou contrer les lois, ou contrer la jurisprudence. Comme je l'ai dit, on ne serait pas, l'État qu'on est, responsable si on faisait ça, surtout si on le faisait consciemment, là, si on savait très bien que notre projet de loi était inconstitutionnel ou même contre notre propre charte. Donc, ce projet de loi vient fournir un cadre juridique, donc, avec les conditions que j'ai nommées qui sont aux articles 4, 5 et 6, et, ensuite, on pourra parler des modalités.

Donc, pour revenir, je pense que ma question, c'est: Quelles autres conditions est-ce que l'opposition... Et pas mélanger avec situations particulières pour qu'on fasse du cas par cas, là, on n'est pas là pour faire du cas par cas. Le législateur ne peut pas faire de cas par cas, ce serait une invasion totale de l'espace entre le citoyen... Et ce ne serait pas utile, et ce serait... Donc, c'est pour ça qu'éventuellement... et ça viendra plus tard dans l'article 7, où on aura l'occasion de parler de modalités.

Donc, pour revenir à «conditions minimales», c'est toutes des conditions importantes, les conditions qui sont nommées là, qui reflètent le droit, la jurisprudence, les chartes, et donc je ne vois vraiment pas -- comment dire -- l'avantage. Au contraire, je pense que, si on rajoute un adjectif, on vient diluer le sens même du mot «conditions», qui est un mot fort en soi.

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce qu'il y a d'autres interventions sur l'amendement, je rappelle, l'amendement au premier paragraphe de l'article 1 déposé par Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve?

M. Cloutier: Oui, Mme la Présidente. Mais vous comprendrez que l'amendement s'inscrit quand même dans l'article premier, puis l'article premier vise l'objet de la loi. Alors, un peu comme la ministre vient de nous inviter à exprimer, dans le fond, les conditions minimales, quelle autre condition, on aurait pu, par exemple, inscrire? Je vais d'abord y aller de quelques commentaires sur le fond. La ministre nous dit: On a déjà modifié la charte québécoise des droits et libertés. Vrai. La ministre nous dit: Il existe la charte québécoise des droits et libertés, il existe la Charte canadienne des droits et libertés, et on doit inscrire notre projet de loi dans le contexte des textes constitutionnels existants. C'est vrai aussi.

Mais je rappelle à la ministre que nous sommes les législateurs et que, par conséquent, nous avons aussi le loisir... Et le gouvernement du Québec a choisi, au lieu de modifier la charte québécoise des droits et libertés, a choisi volontairement -- et ça, c'est un choix législatif qui a été fait -- de procéder plutôt par des modifications législatives. Donc, en agissant de la sorte, le gouvernement du Québec va soumettre sa loi à la rigueur de nos textes constitutionnels.

Nous, ce qu'on aurait plutôt suggéré au gouvernement, c'est de dire: Bon, alors, nous avons la capacité de modifier la charte québécoise des droits et libertés, et étant le législateur, et même donnant suite au rapport de la Commission des droits de la personne... Parce qu'on vous n'êtes certainement pas sans savoir que la Commission des droits de la personne demande que soit revue dans sa totalité -- et une mise à jour profonde -- la Charte des droits et libertés. On avait eu à ce moment-là un débat, lors du projet de loi n° 94. Si ma mémoire est bonne, le projet de loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes, c'était aussi le projet de loi n° 94.

Une voix: ...

M. Cloutier: Oui. On me dit: Oui, c'est bien ça. À ce moment-là, on avait reçu le président de la Commission des droits de la personne et qui était venu nous déposer son rapport...

Une voix: ...

M. Cloutier: 63. Oui, vous avez tout à fait raison, c'était le projet de loi n° 63. À ce moment-là, il était venu, il avait invité les parlementaires à donner suite à son rapport et à y ajouter d'autres mesures législatives. Et, dans cet esprit-là, nous, l'opposition officielle, on avait pris la balle au bond et on avait proposé d'autres modifications à la Charte des droits et libertés, et c'est toujours cette même position là qu'on pense qui est appropriée.

La ministre nous dit: On ne doit pas faire de cas par cas. Le problème, Mme la Présidente, c'est qu'inévitablement ce que les Québécois attendent de nous, c'est qu'ils aient un guide, c'est qu'à partir de règles ils soient capables de savoir sur quel pied danser. Or, le problème avec le projet de loi, puis c'est pour ça que le mot... Pardon, l'adjectif «minimales» doit être ajouté, Mme la Présidente, parce que le projet de loi ne fait rien d'autre que codifier l'état du droit. Et là aussi c'est un choix qu'a fait le gouvernement du Québec, si ce n'est la modification apportée à l'article 6, puis on y reviendra un peu plus tard.

Mais l'article 4, l'article 5, l'article 7, l'article 8, etc., ne fait rien d'autre, Mme la Présidente, que codifier le statu quo, et c'est dans cet esprit-là qu'à notre avis, outre l'effet pédagogique du projet de loi, qui vient redire ce que les tribunaux ont dit à différentes occasions, est venu établir un cadre d'application des accommodements raisonnables. Mais ce que je vous dis, Mme la Présidente, c'est que le projet de loi ne fait rien d'autre qu'établir des conditions minimales. Et encore que nous sommes très généreux parce qu'ici on parle des conditions minimales, alors qu'on aurait pu parler de la condition minimale, puisqu'il s'agit qu'un seul article. Et, comme un seul article a été ajouté au débat tel qu'établi par les tribunaux, bien je vois difficilement comment on ne peut prétendre autre chose qu'une disposition ou des conditions minimales.

Ce qu'on aurait souhaité, Mme la Présidente, du gouvernement du Québec, c'est une modification à la Charte des droits et libertés, la Charte des droits et libertés, qui a une valeur supralégislative. Supralégislative, ce que ça veut dire, Mme la Présidente, c'est que, s'il y avait une disposition, une décision prise par un agent gouvernemental ou même par un nouveau règlement du gouvernement du Québec qui serait à l'encontre de ces nouvelles dispositions de la Charte des droits et libertés du Québec, bien ces dispositions-là auraient été déclarées inconstitutionnelles.

Puis ça montre en même temps, Mme la Présidente, il faut le dire, les limites du fédéralisme canadien parce qu'on voit à quel point on est menottés, Mme la Présidente. Parce que c'est vrai que le législateur a pris la décision de modifier un texte de loi, aurait pu décider de modifier la charte québécoise, mais ne pouvait pas, malheureusement, modifier la Charte canadienne des droits et libertés. Alors, là ce sera intéressant de voir comment les tribunaux réagiront, même à ce fameux article 6, là, où le gouvernement du Québec demande que les services soient donnés à visage découvert. Il y aura sans doute à ce moment-là une interprétation qui devra être faite en vertu de la Charte canadienne, Mme la Présidente.

Mais ce que ça m'amène à vous dire, c'est que c'est important pour les gens qui nous écoutent qu'ils comprennent que, même si le gouvernement du Québec voulait régler toute la question des accommodements raisonnables, il reste pris, il reste limité parce que nous ne pouvons pas modifier la Charte canadienne des droits et libertés comme nous souhaitons le faire avec la charte québécoise. Alors, si le Parti québécois était au gouvernement, Mme la Présidente, nous modifierions la charte québécoise des droits et libertés pour y inclure la valeur du droit à l'égalité, la primauté du français, la laïcité des institutions publiques et de même que, Mme la Présidente, du... tout ça, en fonction du patrimoine historique du Québec. Mais ce que j'essaie de vous dire, c'est que, si on voulait faire la même chose dans la Charte canadienne, bien, malheureusement, on ne pourrait pas le faire. Alors là, là il y aura, comme c'est le cas dans d'autres situations, une disparité entre la charte québécoise et la Charte canadienne.

Mais tout ça pour vous dire que, comme le gouvernement du Québec ne vient pas présenter ce qui devait devenir sa réponse aux accommodements raisonnables outre la question du visage découvert pour les services publics, bien c'est vraiment dans cet esprit-là qu'on dit qu'il s'agit de conditions, hein, minimales. Et encore qu'on est généreux parce que, comme il y a un seul article qui ajoute au débat, tout le reste ne fait que codifier. C'est ce que le Barreau a dit, c'est ce qu'à peu près tous les juristes, là, qui se sont fait entendre ont dit, essentiellement il n'y a pas grand-chose.

**(16 h 50)**

Bon, le Conseil du statut de la femme nous dit que, là, là, on aurait une quelque manière, là, par l'article 4, donné une certaine primauté à l'égalité entre les hommes et les femmes. Mme la Présidente, avec respect, si c'était l'opposition officielle qui l'avait formulé, on l'aurait dit clairement, hein? Si c'est ça qu'on voulait dire, bien pourquoi on ne l'écrit pas clairement dans cet article 4, où, en plus, on inscrit un «notamment»? Et le «notamment», comme on le sait, bien ça ouvre la porte à d'autres... Alors, s'il y a autre chose que l'égalité entre les hommes et les femmes puis le principe de neutralité religieuse, je voudrais bien que la ministre nous dise de quoi il s'agit.

Mais ce que j'essaie de vous dire, Mme la Présidente, c'est qu'il y a très peu de choses dans le projet de loi. D'abord, il y a très peu d'articles. Non seulement on n'a pas modifié la charte québécoise des droits et libertés, mais en plus on a choisi de codifier l'état actuel du droit, si ce n'est que pour ajouter un nouvel élément qui est celui de l'obligation d'être à visage découvert lorsqu'on donne ou qu'on demande à avoir accès aux services publics. Alors, c'est le minimum, Mme la Présidente, qu'on demande.

Déjà qu'on est généreux parce que, si on voulait être plus conforme, «la présente loi a pour objet d'établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé en faveur d'un membre du personnel de l'Administration gouvernementale»... À mon avis, à mon humble avis, Mme la Présidente, si on voulait être plus rigoureux, le gouvernement aurait dû écrire que la présente loi a pour objet d'obliger un membre du personnel de l'Administration gouvernementale, d'un établissement à qui des services sont fournis par cette Administration ou cet établissement d'avoir le visage découvert parce que c'est ça, dans le fond, que le gouvernement du Québec nous a proposé. Parce que tout le reste, tout le reste -- puis vous le savez très bien, vous êtes une juriste de grande qualité -- ce n'est rien d'autre que l'état du droit tel que l'interprétation des tribunaux nous a obligés à suivre, peut-être parce que le législateur n'a pas lui-même pris ses responsabilités, peut-être parce qu'effectivement on a laissé les tribunaux décider eux-mêmes de la façon dont devaient s'exprimer les accommodements raisonnables.

Et peut-être qu'en quelque part ça faisait l'affaire des parlementaires aussi de laisser cette lourde tâche aux tribunaux, mais, maintenant, la population québécoise se tourne vers nous et nous demande de prendre nos responsabilités et de définir la façon dont s'expriment les accommodements raisonnables. Et, à notre avis, on n'est pas allé assez loin, on n'est pas allé assez clairement et on aurait dû procéder par une modification de la charte québécoise des droits et libertés. Alors, Mme la Présidente, vous comprendrez que, dans le meilleur des scénarios, il faut parler de conditions minimales, et, encore là, je nous trouve assez généreux.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. D'autres interventions sur l'amendement à l'article 1, au paragraphe 1° de l'article 1? Mme la ministre.

Mme Weil: Oui. Alors, j'ai eu l'occasion, d'entrée de jeu, de rappeler un peu les circonstances dans lesquelles on a amené ce projet de loi, et je répète le titre: Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. L'objectif n'était pas de redéfinir la neutralité religieuse de l'État, la séparation, c'est des faits. Ça, c'est un état de droit, état de fait qui existe au Québec depuis très, très longtemps. L'idée, c'était -- et l'intention et l'objectif de ce projet de loi -- de répondre à une problématique très, très particulière. C'était, d'une part, des décideurs qui se sentaient souvent en conflit -- on peut le dire, en conflit -- par rapport à des décisions qu'ils devaient prendre parce qu'ils n'étaient pas dans une zone de confort pour arbitrer entre les demandes. Et c'est vrai, la députée de Rosemont l'a mentionné ce matin, c'est souvent, tout récemment, sur des questions de liberté de religion et que, dans l'univers actuellement ou dans le monde entier, il y a des nombres records de migrants, de gens qui bougent, et il se pourrait que cette question devienne de plus en plus importante. On voit en Europe ce débat quotidiennement, des articles dans tous les sens qui débattent de ces questions, et nous, ici, au Québec aussi, on doit traiter de ces questions-là.

Donc, l'idée, c'était vraiment... C'est un projet de loi qui est quand même assez pragmatique aussi, ce n'était pas de réécrire la Charte des droits et libertés, mais, basé sur la Charte des droits et libertés et le concept de primauté du droit puis toutes les lois et les droits qu'on connaît et dont tout le monde bénéficie ici, au Québec, c'est d'amener un projet de loi qui va aider les décideurs, d'une part, lorsqu'ils auront à prendre ces décisions, donc un cadre juridique éventuellement pour prendre leurs décisions, donc des balises où on dit aux décideurs: Il est correct de tracer une ligne, c'est tout à fait correct. Vous n'êtes pas fermés d'esprit, vous n'êtes pas contre la liberté de religion si vous prenez cette décision. Il est normal, dans certaines circonstances, que, oui, vous allez juger que c'est des contraintes excessives, et, oui, en fait, l'égalité hommes-femmes dans cette situation, elle est brimée. Les coûts, oui, c'est des coûts excessifs pour votre organisation, il est tout à fait correct de ne pas accommoder dans ce sens-là. Donc, ça, c'est pour les instances décisionnelles qui doivent toujours prendre des décisions. Par ailleurs, c'est le citoyen, le citoyen et la citoyenne. qui va mieux comprendre le concept d'accommodement. Et là j'ai cité le Barreau. Je ne sais pas si le député était là ce matin lorsque j'ai cité le Barreau, mais je pense que c'est important de le répéter. C'est sûr qu'ils ont mentionné cette notion de pédagogie, mais dans le sens de venir valider, rendre légitime dans la tête de tout le monde les droits qui sont protégés dans la charte, et que, si on remet en question la notion d'accommodement, c'est presque qu'il faudrait réinventer le mot. Parce que l'exercice est un exercice démocratique qui respecte les droits des uns et des autres, mais c'est surtout de faire comprendre aux gens qu'il y a des limites. Et on le sait très bien, dans les chartes de droits et libertés, il y a des limites. Il y a des limites raisonnables lorsqu'on atteint ce point de rupture où ça devient déraisonnable.

Donc, je vais citer le Barreau puis je vais revenir à cette notion de condition. Alors, le Barreau, dans un communiqué de presse, qui a dit qu'il «appuie toute initiative qui vise à mettre en oeuvre le droit à l'égalité dans la société québécoise et qui, à l'instar du projet de loi n° 94 intitulé Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, reconnaît de manière explicite l'obligation de prévoir des accommodements sans contraintes excessives -- alors, ils le répètent, hein, cette notion de contraintes excessives -- dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. "Un accommodement raisonnable constitue un moyen de mise en oeuvre du droit à l'égalité et non une atteinte à la primauté du droit", a déclaré...» Donc, c'était le bâtonnier de l'époque, Me Pierre Chagnon.

Et il conclut que «le Barreau rappelle donc que les accommodements raisonnables ne doivent pas être perçus comme une menace pour la société québécoise ou pour les personnes, mais plutôt comme l'incarnation de la primauté du droit parce qu'ils constituent, justement, un outil de protection et d'intégration pour tous les citoyens sans égard, notamment -- vous connaissez la liste -- à leur langue, leur sexe, leur handicap, leur race, leur religion, leur origine nationale ou ethnique, leur orientation sexuelle, leur conviction politique ou leur âge. Il s'agit ici du droit à l'égalité réelle et de la protection contre la discrimination dans une société libre et démocratique [...] "les accommodements raisonnables sont partie intégrante dans la mise en oeuvre du droit à l'égalité prévu par la Charte des droits et libertés de la personne. Ce ne sont pas de simples règles d'administration publique."»

Donc, dans notre loi, à l'article 4 et à l'article 5, vous avez les conditions, les conditions sont là: respect de la charte, d'une part, et le caractère raisonnable. Le caractère raisonnable, c'est la condition, il n'y en a pas d'autre. Et je ne sais pas ce que l'opposition avait en tête en parlant d'autres parce que les conditions, c'est vraiment ça en vertu de la loi, de la jurisprudence, c'est donc le respect de la charte et le caractère raisonnable, hein, et le caractère raisonnable. Donc, en sous-texte, évidemment, c'est les contraintes excessives eu égard... Et on parle notamment... Bon, alors donc, c'est les deux éléments. Alors, «conditions minimales», soudainement, on se dirait: Bien, c'est quoi, ça, «conditions minimales»? Il y a d'autres conditions? Il y a ces deux conditions, c'est le respect de la charte et le caractère raisonnable. Et on va regarder le caractère raisonnable eu égard aux coûts, donc, et l'organisation du travail, bon, etc. Donc, c'est à l'article 5 que c'est défini, cette contrainte excessive eu égard aux coûts et ses effets sur le bon fonctionnement du ministère ou de l'établissement ou sur les droits d'autrui. Alors, on ne peut pas, nous, ici, en tant que législateur, réinventer le droit.

M. Cloutier: ...

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean.

**(17 heures)**

M. Cloutier: Bien, je suis très content, Mme la Présidente, de ce que vient de dire la ministre parce que je pense qu'on se rapproche. C'est exactement ce qu'on dit, que 4... Puisque vous dites que vous ne pouvez pas réécrire le droit, alors devons-nous comprendre qu'à l'article 4 et 5 vous ne faites que réécrire de façon législative plutôt que jurisprudentielle une règle de droit déjà applicable devant les tribunaux? Est-ce qu'on est d'accord là-dessus pour les articles 4 et 5?

Mme Weil: Tout à fait. L'intention, ce n'était pas de réinventer le droit -- et on ne pourrait pas, hein, on ne peut pas -- c'était d'amener des balises claires pour qu'il y ait une bonne compréhension de tous. Parce qu'il faut se reporter en arrière, dans le contexte où il y avait vraiment quotidiennement -- puis on en a parlé -- une grande confusion, grande... Et la confusion demeure, hein, la confusion demeure par rapport à même la valeur de la charte.

Moi, en tant qu'élue, je suis préoccupée par ce débat où on remet en question des droits fondamentaux, des libertés fondamentales qui sont garantis par nos chartes. Et je pense que, la charte québécoise, on est très fiers de cette charte, et je ne pense pas que c'est dans notre intérêt en tant que société que les gens puissent avoir un doute par rapport à la valeur de cette charte. Donc, c'est évident que le projet de loi a un objectif très précis. Comme je l'ai dit, ce n'était pas de réécrire la charte québécoise des droits et libertés, c'était de pouvoir avoir un cadre juridique pour amener des balises. Alors là, c'est sûr -- et on en parlera plus tard dans la loi -- chaque organisme... il y a déjà des organismes qui ont des règles par rapport aux accommodements raisonnables, il y a beaucoup d'organismes. Et, d'ailleurs, dans le secteur privé, de plus en plus aussi, mais ils ont la possibilité d'appeler la Commission des droits de la personne pour avoir de l'éclairage parce qu'il y a toujours des circonstances particulières, et les gens ont toujours besoin d'être rassurés. Quand ils prennent des décisions où ils touchent à quelque chose d'aussi fondamental et sensible que les libertés qui sont protégées par la charte, ils ont besoin d'un éclairage, et, nous, le législateur, on viendrait dire: Voici le cadre et voici les conditions dans lesquelles vous pouvez accepter ou refuser un accommodement.

D'ailleurs, je vous dirais, même ce concept-là n'avait pas été nécessairement bien compris par les gens, qu'on accepte ou on refuse, et que, des fois, il faut refuser, ce n'est pas tous les accommodements qui sont automatiquement admissibles. Ce n'était pas nécessairement bien compris. Donc, l'intention de ce projet de loi, c'était... Et c'est pour ça, c'est vrai, c'est un projet de loi qui est quand même assez simple, mais qui a fait couler beaucoup d'encre parce que c'est des sujets sensibles. C'est des sujets sensibles, on le sait. Moi, je le sais parce que j'ai dû faire beaucoup d'entrevues bien au-delà de nos frontières du Québec et je peux vous dire que c'est un sujet très, très sensible. Et je pense qu'il faut l'amener sur un terrain qui est raisonnable aussi, où, évidemment, l'objectif du législateur, c'était de venir encadrer ces décisions, et je le répète, pour donner un éclairage, un éclairage à la personne qui devra trancher, devra souvent trancher ces questions, mais, maintenant, le décideur aura des balises.

Et, vous l'avez souligné, c'est vrai que l'article 6 est un peu plus précis. Et, l'article 6, on aura l'occasion d'en parler, mais là aussi qui amène quelque chose de nouveau dans un projet de loi où on dit que, pour des raisons de sécurité, d'identification et de communication... Ça, c'est quand même assez nouveau qu'on le dise de cette façon, mais ça ne veut pas dire que les autres articles, ce n'est pas aussi nouveau, dans le sens qu'on l'inclut cette fois-ci dans un projet de loi qui tisse large dans toute l'administration publique et que toute cette administration publique et tous les décideurs qui auront à prendre des décisions auront donc des balises qui vont reprendre les principes du projet de loi.

La Présidente (Mme Vallée): ...d'autres commentaires sur l'amendement?

M. Cloutier: Oui. Merci, Mme la Présidente. Non, mais c'est extrêmement fascinant, la discussion qu'on a, Mme la Présidente, parce que c'est une vraie discussion sur le fond des choses. La ministre nous dit que la nouveauté, c'est d'inscrire dans un texte législatif des règles de droit existantes, et, là-dessus, on est tout à fait d'accord avec elle. C'est exactement pour ça que notre première réaction, ça a été de dire: On légifère l'état du droit actuel dans le cadre d'un texte législatif. Et, là-dessus, on est vraiment d'accord, mais, là où on a une divergence profonde avec le gouvernement, c'est que, nous, on voulait modifier la charte québécoise des droits et libertés, et c'est là qu'il y a une divergence d'opinions sur la façon dont le gouvernement du Québec devrait répondre à cette problématique que sont les accommodements raisonnables. C'est extrêmement important, Mme la Présidente, parce que la compréhension, la lunette sous laquelle on analyse ce que le gouvernement fait, pour le gouvernement ça semble être beaucoup d'avoir repris le droit et de l'avoir mis dans un texte législatif. C'est ce que la ministre nous dit. Et, dans cet esprit-là, puisque, pour le gouvernement, c'est déjà beaucoup d'avoir pris des règles de la jurisprudence pour les mettre dans le texte de la loi, bien on ne veut pas mettre «conditions minimales» parce que, pour eux, c'est déjà beaucoup d'avoir fait ça.

Nous, ce qu'on vous dit, c'est que c'est trop peu. C'est trop peu parce que ce qu'on est venu faire, c'est réaffirmer ce qui existait déjà. Et ce qui existait déjà, à notre avis, a prouvé sa défaillance, son incompréhension, d'où la nécessité d'avoir des règles plus claires. Et c'est pour ça que, outre l'article 6, sur lequel on semble être d'accord aussi, où la ministre nous dit: C'est vrai qu'on a été un peu plus précis là, bien, là aussi, on est d'accord pour dire qu'effectivement on pense que, là, il y a un ajout à la jurisprudence actuelle et, dans cet esprit-là, on est prêts à concéder que, là, il y a un minimum de nouveauté. Et c'est pour ça qu'on parle de conditions minimales parce que, pour nous, la seule chose qui est nouvelle, c'est cette disposition de l'article 6, le reste n'est que reprise de l'état actuel du droit.

Mme la Présidente, si on regarde le débat de façon plus générale, ce que j'essaie de comprendre, c'est qu'à partir de ce projet de loi là les administrateurs essaieront de définir des balises, là, je comprends qu'il y aura un guide en fonction des ministères qui... Mais sincèrement, là, bonne chance. Moi, en fait, ma conviction, Mme la Présidente, c'est que, si le gouvernement du Québec s'entête à vouloir adopter ce projet de loi là, nous nous retrouvons, au même titre que j'avais dit... Et c'était la ministre de la Condition féminine qui pilotait le projet de loi n° 63, et on avait dit que nous nous retrouverions à nouveau en commission parlementaire. Parce que, pour nous, d'amender la charte québécoise pour y inclure l'égalité entre les hommes et les femmes, nous avons dit d'emblée: Nous sommes tous d'accord. Pour nous, ça existait déjà parce que ça avait été interprété par les tribunaux en vertu du droit à l'égalité, mais, bon, on s'est dit: Bon, pourquoi pas, hein? Mais on disait que ce n'était pas suffisant, puis nous nous reverrons parce que ça ne sera pas suffisant pour répondre à la problématique des accommodements raisonnables, et il y aura d'autres cas qui se présenteront. La preuve, c'est que nous nous sommes vite retrouvés à nouveau avec un projet de loi déposé par la ministre de l'Immigration, après ça, celui-là, le projet de loi n° 94.

La prédiction que je vous fais, c'est que, si on s'entête à vouloir aller de l'avant avec un projet législatif avec lequel il y a si peu de balises claires, je suis profondément convaincu que nous nous retrouverons à nouveau en commission parlementaire, d'où la raison qui nous amène à proposer l'amendement sur l'objet de la loi où on dit que c'est vraiment des conditions minimales, Mme la Présidente, puis c'est dans cet esprit-là qu'on dépose l'amendement.

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce qu'il y a d'autres commentaires ou est-ce qu'on est prêt pour la mise aux voix de l'amendement sur l'article 1? M. le député de Bourget.

**(17 h 10)**

M. Kotto: Mme la Présidente, j'ai quelques considérations générales sur les conditions minimales. L'objet de ce projet de loi est d'établir les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, la ministre l'a rappelé tout à l'heure. On parle bien d'établir des balises. Or, les balises, dans l'esprit, disons, des personnes douées de jugement, sont claires, et sont nettes, et sont précises. Elles sont, par essence même, ce qui guide avec précision. Et c'est parce qu'elles sont, jusqu'à date, imprécises que nous nous enfargeons collectivement dans la logique du cas par cas et que nous faisons occasionnellement face à des dérives antinomiques à l'idéal du vivre-ensemble, que nous chérissons tous, d'où l'impératif pour nous, de notre perspective des choses, de qualifier la nature de ces conditions. Il s'agit donc, en effet -- ma collègue d'Hochelaga l'a dit -- d'établir ce que sont les conditions minimales pour accorder un accommodement, et non l'ensemble des conditions à l'encadrement de cet accommodement-là. Il est de notre responsabilité d'encadrer ces conditions, et dans l'objectif de voir à ce qu'un accommodement puisse être accordé.

J'ai des questionnements. J'écoute les échanges depuis tout à l'heure et je me pose la question de savoir quels sont les facteurs occultes qui braquent la ministre quant à cette demande minimale. Est-ce que ce sont les chartes? La charte québécoise, si c'en est un, un des facteurs, nous sommes, disons, à même de l'amender pour aller vers le sens de cette précision de conditions minimales. Si c'est la Charte canadienne qui braque la ministre, quel aveu d'impuissance, quel aveu de soumission, quel aveu de démission, de retrait!

Pour notre part, à l'évidence, il n'y a pas eu... Et, à la décharge de la ministre, je comprends très bien que l'exercice dont elle a hérité après l'abandon du projet de loi n° 16 en est un abracadabrantesque et qui, probablement, l'ennuie au plus profond d'elle, mais nous sommes là pour tendre la main pour évoluer dans un sens constructif, pas pour, disons, l'empêcher de conclure positivement relativement à cette patate chaude, disons-le. Vous le disiez, Mme la ministre, c'est un sujet sensible, et il faut beaucoup de courage politique pour aller de l'avant, il faut de la colonne. Et, n'eût été des ambivalences, des ambiguïtés dans lesquelles votre gouvernement nage depuis avec ces questions-là, je pense que ce dossier serait derrière nous.

M. Bouchard l'a évoqué récemment dans une entrevue au journal La Presse, c'est une erreur de ne pas avoir été plus en avant en considérant les recommandations, notamment l'exercice qui aurait abouti à une charte de la laïcité et qui nous aurait permis collectivement, disons, d'avancer visière levée avec force et dignité. C'est un amendement insignifiant qu'on met de l'avant, et je n'arrive pas à comprendre pourquoi il ne serait pas impossible de signifier des conditions minimales à l'instar -- et on le disait tout à l'heure -- de ce qui se fait à l'article 6. J'aimerais entendre la ministre sur ces questions, sur qu'est-ce qui... Je reviens à la question de base: Quels sont ces facteurs occultes qui la braquent, qui l'empêchent de composer avec cette petite demande?

La Présidente (Mme Vallée): Mme la ministre.

Mme Weil: La réponse est assez courte, ce n'est pas très occulte, c'est de faire de la bonne législation. Ce n'est pas occulte du tout. Et les mots ont un sens, il y a un juriste de l'autre côté qui comprend ça. Moi, je vois déjà les problèmes si on rajoute le mot «minimales», ça va créer beaucoup de confusion. Le mot «conditions» est un mot qui est très fort, alors je crains qu'en effet de rajouter ce mot-là va avoir l'effet contraire de ce que vous, je pense, que vous souhaitez, c'est des balises claires. Alors, les conditions sont déjà édictées dans ce projet de loi. Quand vous dites «conditions minimales», il y a comme un étendu, possiblement, de conditions, alors que les conditions, c'est la raisonnabilité et c'est le respect de la charte. Éventuellement, les différents organismes devront, à la lumière des circonstances, ou de la nature des services qu'ils rendent, ou de l'activité qu'ils mènent, que ces organismes mènent... évidemment, les balises vont être clarifiées. On parle de modalités éventuellement, on aura l'occasion...

Donc, je vous dirais, mon seul souci, et c'est vraiment le souci des juristes qui m'accompagnent... Il faut savoir qu'il y a beaucoup de juristes qui sont derrière tous les projets de loi qui ont vraiment le souci des mots. Et chaque mot doit avoir un sens et ne pas avoir d'effet pervers et dénaturer, finalement, le projet de loi, et je suis convaincue que l'impact du rajout de ce mot, c'est justement de venir créer beaucoup, beaucoup de confusion par rapport à ces balises, qui doivent être claires. Donc, il n'y a rien d'occulte, c'est vraiment ma responsabilité. C'est ma responsabilité de bien gérer ce dossier et d'amener à bon port éventuellement l'adoption de ce projet de loi.

Donc, tout amendement qui serait proposé qui va aller dans le sens du projet de loi et de clarifier, évidemment je serai ouverte à ça. Mais, dès que je vois que l'amendement va dans le sens contraire, automatiquement il sera inadmissible pour moi, qui représente le gouvernement, mais avec l'aide de juristes. On le comprend, ce n'est pas juste moi, de façon arbitraire, qui vous dis que ce mot-là me préoccupe. C'est peut-être la formation. Je regarde le député de Saint-Jean, on a une formation. Vous l'avez aussi, vous avez cette formation des mots, et l'appréciation des mots, et chaque mot a son sens. Alors, c'est ma réponse.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean. Je voudrais simplement vous aviser qu'il vous reste un petit peu moins que cinq minutes, vous avez jasé beaucoup.

M. Cloutier: Très bien, Mme la Présidente. Et je trouve ça extrêmement intéressant, la discussion qu'on a, mais, la ministre, ça fait plusieurs fois qu'elle nous pose la question: De quelles conditions parlez-vous? Est-ce qu'il existe d'autres conditions? Alors, la réponse à ça, c'est: Oui, il peut exister toute une autre série de conditions. Par exemple, le gouvernement du Québec aurait pu décider d'ajouter... non seulement d'y aller de façon législative, mais, en plus, d'apporter des amendements à la charte québécoise des droits et libertés. Alors, est-ce que vous partagez, comme moi, cette analyse, que le gouvernement du Québec aurait pu aussi décider de modifier la charte québécoise en plus des mesures législatives? C'est un exemple, à mon avis, de d'autres conditions qu'on aurait pu apporter.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la ministre.

**(17 h 20)**

Mme Weil: Oui. Ça, ce n'est pas une condition de l'accommodement raisonnable et de l'exercice. On est vraiment dans quelque chose de très précis, c'est quand est-ce qu'un accommodement peut être accordé ou pas accordé. Pour le grand débat sur la laïcité, et la nature de la laïcité, puis une charte de la laïcité, c'est un autre débat de société.

Mais, pour l'objectif de ce projet de loi, c'était, oui, de venir clarifier pour les citoyens et les citoyennes du Québec qui ne lisent pas la jurisprudence quotidiennement. Certains, peut-être. Mais, pour la plupart des gens, ils n'ont pas vraiment une notion de ce que veut dire tout ça, puis, bon, ils lisent ça dans les journaux, ils entendent des choses, et ça crée -- comment dire -- dans un sens, ça crée une distance entre le citoyen, et sa charte, et ses tribunaux, et c'est ça qui, en bout de ligne, peut devenir malsain. Et, donc, c'est cet effort... ça peut vous sembler très simple comme objectif, mais cet effort de vouloir, dans un sens, simplifier, rendre accessibles ces concepts, les mettre dans un projet de loi, d'une part, cet objectif-là, et, par ailleurs, de venir encadrer éventuellement toutes les balises aux accommodements.

Donc, les conditions, je reviens à... Pour répondre précisément au député de...

M. Cloutier: Lac-Saint-Jean.

Mme Weil: ...Lac-Saint-Jean, c'est vraiment, précisément, les conditions, c'est respect de la charte et la raisonnabilité. C'est sûr que, lorsqu'on parle de contrainte excessive... Je ne sais pas, c'est peut-être là, c'est peut-être dans «contrainte excessive» que la volonté de l'opposition était éventuellement de voir... parce que c'est là qu'on dit «entre autres, aux coûts». Il y a le «entre autres» lorsqu'on de contrainte excessive. En tout cas, je mets ça sur la table, c'est peut-être...

M. Cloutier: Oui. Bien, il n'y a pas que la charte de la laïcité. Bon, d'abord, on pourrait avoir un débat, là, sur la charte de la laïcité à savoir si l'endroit dans lequel on devrait l'inscrire, c'est la charte québécoise ou plutôt dans une constitution du Québec. Ça, on serait ouverts au débat.

Mais, lorsqu'on parle d'amendements à la charte québécoise, j'imagine que la ministre a sûrement eu le loisir de lire notre projet de loi n° 391. Bon, le projet de loi n° 391 venait modifier une clause interprétative... en fait, était une clause interprétative qui venait s'insérer dans la section des clauses interprétatives de la charte québécoise. Et, à notre avis, un amendement à la charte québécoise aurait aussi eu l'avantage d'amener une modification à l'état du droit et à la jurisprudence. Alors, nous, plutôt que de réaffirmer l'état du droit actuel, on aurait modifié les règles de droit applicables pour y inclure des valeurs, et non pas des droits, des valeurs qui sont partagées avec votre gouvernement, j'en suis convaincu, l'égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité des institutions publiques, primauté du français. Là, où il y a une divergence majeure, c'est lorsque vient le temps de donner une valeur à ces valeurs -- une valeur juridique, on s'entend -- et c'est là qu'il y a une divergence d'opinions majeure.

Alors, lorsque le gouvernement nous demande: Quelle autre condition on aurait pu amener? Il y en a toute une série d'autres conditions, incluant la modification de l'état du droit actuel. Le gouvernement a décidé de légiférer l'état de la situation tel qu'il était au moment où le projet de loi a été écrit. Nous, on aurait plutôt modifié l'état du droit actuel. Et ça, c'est une distinction qui est majeure parce qu'à notre avis les Québécois nous demandent non seulement de clarifier la situation, mais aussi de répondre à leurs attentes. Et on est persuadés qu'avec les valeurs qu'on avait identifiées on aurait répondu à ces attentes-là, et aussi on innovait, on se dotait d'un modèle québécois avec des valeurs québécoises qui sont convaincues et unanimes entre nous. Maintenant, où il y a une divergence d'opinions, c'est la valeur juridique qu'on est prêts à donner à ces valeurs constitutionnelles. D'ailleurs, c'est un projet de loi qui n'a pas été contesté par les constitutionnalistes, que tout le monde a gardé... je dirais, a apprécié la nouveauté, et, à mon avis, ces conditions-là auraient pu apporter un souffle nouveau au débat québécois.

Alors, je reviens toujours à l'amendement, lorsqu'on parle de conditions minimales, à mon avis je continue de croire que c'est bel et bien le cas parce que, de l'aveu même de la ministre, les articles, sauf une seule disposition, viennent rien d'autre que réaffirmer l'état de la situation actuelle.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Sur cet amendement, ça met fin à votre temps d'intervention. Par contre, est-ce qu'il y a d'autres interventions sur l'amendement ou est-ce qu'on est prêt à la mise aux voix?

Une voix: Vote nominal.

La Présidente (Mme Vallée): Vote nominal, d'accord. Nous allons procéder. Alors, sur l'amendement à l'article 1, nous allons procéder au vote nominal.

La Secrétaire: Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve)?

Mme Poirier: Pour.

La Secrétaire: Mme Beaudoin (Rosemont)?

Mme Beaudoin (Rosemont): Pour.

La Secrétaire: M. Cloutier (Lac-Saint-Jean)?

M. Cloutier: Pour.

La Secrétaire: M. Kotto (Bourget)?

M. Kotto: Pour.

La Secrétaire: Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce)?

Mme Weil: Contre.

La Secrétaire: M. Bernard (Rouyn-Noranda-- Témiscamingue)?

M. Bernard: Contre.

La Secrétaire: M. Matte (Portneuf)?

M. Matte: Contre.

La Secrétaire: M. Morin (Montmagny-L'Islet)?

M. Morin: Contre.

La Secrétaire: M. Auclair (Vimont)?

M. Auclair: Contre.

La Secrétaire: Mme Vallée (Gatineau)?

La Présidente (Mme Vallée): Contre.

Une voix: Elle a le droit.

La Secrétaire: 4 pour, 6 contre. C'est rejeté.

Une voix: J'aurais un autre amendement.

La Présidente (Mme Vallée): Sur le paragraphe un de l'article 1?

Une voix: Oui.

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce que vous avez copie de l'amendement pour que nous puissions tous en prendre connaissance?

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Alors, l'article 1 est modifié dans son premier alinéa par l'insertion, après le mot «accommodement», des mots «pour des motifs religieux».

La Présidente (Mme Vallée): Alors, Mme la députée de Rosemont, si vous voulez bien commencer à donner vos explications, le temps que nous procédons à la photocopie de l'amendement et à la distribution.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Alors, je pense que, si on veut, je dirais, appeler un chat un chat et puis être clair et précis sur ce qu'on veut dire... Parce que, si on regarde la chronologie puis l'historique, pourquoi ce projet de loi a été déposé, eh bien il est clair -- d'ailleurs, on vient de le dire longuement, les uns et les autres -- qu'il y a l'article 6 qui apporte quelque chose d'un peu nouveau que les autres articles... Ça concerne, grosso modo, la reprise du droit existant, et, donc, par conséquent, ce qui pose problème -- et on l'a dit, donc, longuement aussi ce matin dans nos remarques préliminaires de ce côté-ci de la table -- ce ne sont pas les accommodements pour grossesse, ou pour le travail, ou pour les handicaps en particulier parce qu'on sait que toute cette question des accommodements raisonnables est venue par des demandes, justement, très raisonnables de personnes handicapées, et, par conséquent, ce ne sont pas ces types d'accommodement que la population du Québec questionne.

Et le fait que l'article 6 est le seul article un peu nouveau, c'est parce qu'il y a eu un incident en particulier qui concernait une jeune femme, une jeune Québécoise d'origine égyptienne qui prenait des cours de français et, donc, qui portait son niqab ou sa burqa pendant ses cours de français, ce qui est devenu, à un moment donné, impossible à accepter de la part, donc, non pas des enseignants, qui étaient, je pense, très mal à l'aise avec la situation, mais de la part même des fonctionnaires et de la ministre de l'Immigration qui ont dû, et les fonctionnaires et la ministre elle-même, s'immiscer dans ce dossier-là pour faire en sorte que cette jeune femme, si elle ne souhaitait pas, si elle ne voulait pas, ce qui a été le cas, enlever son niqab et sa burqa, donc, continuer à suivre des cours de français... C'est donc très, très clairement relié dans le temps et dans l'histoire, donc, de ce dossier et de ce projet de loi, ce projet de loi a vu le jour, et ça été très clair dans les déclarations, d'ailleurs, et du premier ministre et des ministres qui accompagnaient le premier ministre, et depuis, aussi, c'était cet incident-là en particulier qui avait amené le gouvernement... Or, le niqab et la burqa, peut-être qu'il y a certains imams ou certains interprètes du Coran qui diraient: Ce n'est pas un signe religieux, mais celle qui le porte, le porte parce qu'elle pense, et qu'elle croit, et qu'elle souhaite, d'ailleurs, que ce soit reconnu comme tel, comme un signe religieux.

Donc, ce dont on parle, dans le fond, ici, très clairement, dans ce projet de loi, ça ne concerne pas tous les types d'accommodement raisonnable, ça concerne un type d'accommodement raisonnable qui pose problème, en effet, dans la population et qui pose problème, je crois, à beaucoup de monde, en tout cas, à une majorité, ce sont les accommodements, donc, pour motifs religieux. Voilà la raison pour laquelle je veux que l'on précise, je souhaite que l'on précise dans le projet de loi de quoi l'on parle précisément.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Mme la ministre.

**(17 h 30)**

Mme Weil: Évidemment, bon, on sait que... Attendez, excusez-moi. Il y a plusieurs motifs, hein, qui sont invoqués pour les accommodements. Ça peut être pour un handicap, la grossesse, des raisons autres. La religion, évidemment, c'est assez fréquent aussi qu'il y ait des demandes d'accommodement basées sur la religion. Mais, évidemment, l'utilité du projet de loi, c'est de pouvoir... L'âge, aussi, il se pourrait qu'on en voie plus aussi au fil du temps. Évidemment, l'utilité du projet de loi, c'est que ça va s'appliquer pour toutes les demandes d'accommodement raisonnable. Alors, ça va s'appliquer autant pour les instances qui concernent la religion, et l'effet pervers d'avoir une série de règles sur l'accommodement raisonnable autour de la religion ferait en sorte qu'on aurait deux courants, potentiellement, de jurisprudence qui pourraient éventuellement être contradictoires, alors qu'il faut amener la notion d'accommodement toujours sur la raisonnabilité et le respect de la charte. Et, donc, c'est des principes de base, il y a une cohérence dans la jurisprudence qui se développe.

C'est sûr que ça évolue. C'est normal, la société évolue. Et c'est normal qu'aujourd'hui... On est quelle date? Le 15 mars. Bientôt, Saint-Patrick, jeudi. Le 15 mars 2011, on a une photographie de la société, mais la société évolue, et les chartes sont là aussi comme sorte d'ancres qui font en sorte qu'on puisse évoluer avec ces protections de liberté et de droits et, surtout dans ce cas-là, de droit à l'égalité. Donc, on voudrait, évidemment, des balises qui vont s'appliquer à l'exercice d'accommodement raisonnable et de s'assurer qu'on n'ait pas une jurisprudence qui va se développer qui va créer plus de chaos que le contraire, plus de clarté par rapport aux règles qui vont baliser les demandes d'accommodement.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Merci, Mme la Présidente. Avant de continuer sur, strictement, l'amendement, je voudrais simplement revenir sur une chose qu'a dite la ministre tout à l'heure parlant des juristes de l'État, en disant: C'est formidable, ils sont très, très précis dans leurs formulations, et puis, bon, oui, absolument. Mais je veux justement lui dire, j'ai été ministre pendant huit ans et demi. C'est sûr, je n'étais pas dans deux ministères, la Culture et puis les Relations internationales, où on déposait beaucoup de projets de loi. Mais ce que je veux dire, c'est que les juristes s'ajustent à la volonté politique -- en tout cas, c'est comme ça que je conçois les choses quand on est ministre -- et non pas l'inverse. Alors, quand on veut, on peut. Et, quand on veut dire des choses... Je me souviens très bien, il y avait Jean Samson, Jean K. Samson, qui était au ministère des Relations internationales et au ministère des Affaires intergouvernementales, qui était un constitutionnaliste, on avait beaucoup ces débats-là, tu sais, parce que c'est sûr que les juristes, souvent ils vont commencer par nous dire: Bien là, vous savez, ça, ce n'est pas possible. Et je crois qu'on ne peut pas seulement dire: Bon, bien, les juristes nous disent que. Je pense qu'il faut savoir, comme ministre, ce que l'on souhaite, ce que l'on veut, et, très souvent, les juristes vont être très créatifs pour nous permettre d'arriver à l'objectif que l'on souhaite.

Alors, d'ailleurs, ça nous fait plaisir de revoir les juristes de l'État, on ne les a pas vus pendant quelques jours. Ils n'étaient pas là, ils étaient en grève, peut-être. Mais ça nous fait plaisir de les revoir à cette table avec nous.

Pour revenir, donc, à cet amendement, je veux quand même insister sur le fait que les véritables questions qui se posent, c'est concernant, donc, les accommodements pour motifs religieux parce que c'est, en effet, assez particulier que... La charte des droits, l'article 10, je suis très, très sensible à ça, très consciente de tout ce que la charte énonce à cet égard. Mais ce qui pose problème, dans le fond... Vous me dites: Peut-être qu'il y aura des problèmes sur d'autres sujets, sur d'autres items. Par exemple, vous dites l'âge. Alors, je ne sais pas, peut-être. Mais ce qui, actuellement, et ce que... ce dont votre projet parle, dans le fond, c'est à ça que je veux revenir. Sinon, vous ne faites -- et vous l'avez reconnu vous même tout à l'heure -- grosso modo, que reprendre ce qui existe déjà.

Ce qui n'existe pas déjà, c'est donc l'article 6, et l'article 6 touche un accommodement pour motifs religieux. C'est de ça dont le projet de loi parle parce que, sinon, le projet de loi, très franchement -- c'est ce qu'on avait dit dès le départ -- n'aurait pas vu le jour, serait inutile. Et la preuve en est que le projet de loi a été déposé par le gouvernement suite à un incident, que j'ai relaté tout à l'heure, très précis et très pointu, en quelque sorte, et puis ce type d'incident risquant de se répéter, et là le gouvernement, comme l'opposition, a bien senti que la population n'était pas prête à accepter ce qui s'était passé dans cette classe de francisation et a cru devoir intervenir. D'ailleurs, je me souviens que, dès le lendemain de cet incident, ma collègue, d'ailleurs, d'Hochelaga-Maisonneuve était intervenue dans les médias. C'était pendant la relâche l'année dernière, je me souviens très bien, la relâche parlementaire, enfin, pendant qu'on travaille dans nos comtés, pendant ces semaines-là, et que la ministre, la vice-première ministre a été la première à dire: Eh bien, oui, on va intervenir.

Donc c'est tellement relié, il y a tellement une relation de cause à effet entre ce qui s'est passé dans cette classe de francisation et le projet de loi que, dans le fond, ce que je dis... Et c'est mon combat personnel contre la langue de bois. Pas contre la langue juridique, mais contre la langue de bois. C'est une partie de mon combat, je pense qu'il faut dire les choses, ce projet de loi n'aurait pas vu le jour s'il n'avait pas été question d'un accommodement pour motifs religieux parce que les autres articles -- et vous le reconnaissez vous-même -- sont une reprise de la jurisprudence du droit actuel.

Nous, on dit: Si on avait fait un projet de loi -- et on le fera peut-être un jour, en effet, s'il y a alternance au pouvoir -- on modifiera l'état du droit actuel, on modifiera les règles de droit applicables aux accommodements raisonnables. Mais, pour l'instant, ce que le gouvernement a choisi de faire, c'est le statu quo, en quelque sorte, sauf pour un article qui justifie le dépôt de ce projet de loi, et toutes les audiences, et les auditions, et puis, enfin, tout le travail qu'on a fait depuis pratiquement un an, parce que ça fait pas loin d'un an, je pense, que le projet de loi a été déposé, c'est l'article 6 et ça concerne un accommodement pour motifs religieux.

On peut bien tourner autour du pot puis dire... mais le niqab et la burqa, ce sont des signes religieux portés, je vous fais remarquer, seulement par des femmes. En cela, ils sont donc sexistes. Ils sont donc sexistes, puisqu'il n'y a que des femmes, je n'ai pas vu d'hommes. Parce que j'ai toujours prétendu que, si les hommes portaient la burqa ou le niqab, ça ferait longtemps qu'il n'y en aurait plus parce qu'ils se seraient débarrassés de ce niqab ou de cette burqa, ils n'auraient pas supporté cette idée d'être enfermés. Mais, voilà, c'est sexiste, au moins sexiste, sans aller plus loin dans la définition. Mais c'est objectivement sexiste, puisque ce n'est porté que par des femmes, Bon.

Alors, par conséquent, je crois qu'il faut dire les choses telles qu'elles sont. Et, par conséquent, cet amendement pour des motifs religieux, je crois qu'il précise et il dit la vérité, finalement, la vérité. Sinon, ce sont les tribunaux, puis la jurisprudence des tribunaux, puis ce que la Commission des droits de la personne, bon, etc., ont dit. Il est sûr que c'est pour des motifs religieux et pour un accommodement très particulier, très spécifique, pour motifs religieux que ce projet de loi a vu le jour. Comment pourrait-on soutenir le contraire, Mme la Présidente? Alors, par conséquent, je vous soumets mon amendement.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Mme la députée de Rosemont. Mme la ministre, des commentaires?

Mme Weil: Peut-être laisser continuer puis...

**(17 h 40)**

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Est-ce qu'il y a d'autres commentaires sur l'amendement déposé par Mme la députée de Rosemont au paragraphe un de l'article 1? M. le député de Bourget.

M. Kotto: Merci, Mme la Présidente. En rebond à ce que vient de dire ma collègue de Rosemont, je dirais que ce projet de loi est un sophisme en soi, en ce sens qu'on veut nous faire croire qu'il porte sur des balises encadrant les demandes d'accommodement par l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. Entre nous, je crois qu'il faut avoir le courage de nommer les choses telles qu'elles sont. Il ne s'agit pas ici d'accommodements raisonnables au sens conventionnel, il s'agit précisément d'accommodements religieux. Autrement dit, il s'agit d'encadrer les dérogations religieuses dans la sphère civique. Si courage et transparence politique il y avait, le projet de loi n° 94, en son titre, aurait été Loi établissant les balises encadrant le port de la burqa et du niqab dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. Là, on est clair, et je pense qu'on aurait perdu moins de temps déjà par le passé si on avançait visière levée sur cette question-là. Et, ma collègue de Rosemont l'a dit, ça nous aurait donné une indication plus transparente à l'effet que l'approche était sexiste, voire discriminatoire, et je pense qu'on aurait perdu très peu de temps autour de cela.

Ma question à la ministre, c'est de savoir pourquoi n'avons-nous pas eu le courage d'affirmer le fond de l'exercice que nous avons entrepris après l'abandon du projet de loi n° 16.

La Présidente (Mme Vallée): D'autres commentaires sur l'amendement proposé?

M. Auclair: Juste avant...

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Vimont.

M. Auclair: ...intervention pour mon collègue, et avec tout respect. Les discussions vont bien, tout ça, juste faire attention un petit peu dans la présentation des questions parce qu'on... ça présente une certaine intention et ça pourrait laisser entendre que vous dénotez une certaine mauvaise intention de la part de la ministre, et je veux juste rectifier. Je sais que ce n'est pas votre intention, mais, dans la façon que c'est formulé des fois, juste faire un petit peu attention, cher collègue. Merci.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Bourget.

M. Kotto: Mme la Présidente, je suis un homme de lettres et je pèse mes mots. J'ai usé du terme «sophisme» parce que nous avons sur la table un projet de loi qui ne dit pas son nom, et la sémantique utilisée pour nous le faire avaler et pour, disons, nous convaincre de le soutenir ne correspond en rien au fondement qui nous a été exposé. Le but, franchement, était d'encadrer un incident, un seul incident qui tournait autour du cas de cette jeune femme pour laquelle un ministre a été obligé d'intervenir parce que l'établissement scolaire où elle prenait ses cours de français, si ma mémoire est bonne, n'arrivait pas à prendre une décision claire. Il a fallu l'intervention d'un ministre ou d'une ministre, je ne me souviens plus très bien. Et pourquoi ne pas dire clairement... Parce qu'on est très loin, on est à mille lieux de ce qu'aurait dû inspirer le rapport Taylor-Bouchard. C'est ce qu'on attendait du gouvernement, mais M. Bouchard lui-même, je le disais tout à l'heure, déplorait le fait que le gouvernement n'ait pas répondu à ses recommandations. Je ne prête pas d'intentions, je lis la réalité, je ne me fais pas remplir, point final.

La Présidente (Mme Vallée): Ça va pour vos interventions, M. le député de Bourget? M. le député de Vimont

M. Auclair: Je respecte énormément l'opinion de mon collègue, mais juste les derniers commentaires donnent raison, malheureusement, à mon intervention de base. Et je sais que c'est un homme de lettres, et c'est un homme que je respecte énormément, et je peux comprendre qu'on n'est pas en accord avec la présentation ou les explications de base, mais j'aimerais quand même qu'on fasse juste attention un petit peu. Et, malgré les... surtout, les dernières... vos conclusions me donnent raison dans mon intervention préalable. Donc, c'est juste ça que je voulais faire, chers collègues.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, écoutez, de part et d'autre, simplement faire attention de ne pas imputer de motifs de chaque côté de la table. Comme ça, nos travaux vont se dérouler de façon beaucoup plus saine. Je sens qu'on aura plusieurs heures à passer ensemble, autant que ce soient des moments agréables. Ceci étant dit... Et j'aimerais clore cet incident, M. le député de Bourget, pour permettre... ou cet élément pour permettre de revenir à nos moutons, et revenir à l'amendement présenté par votre collègue, et pouvoir, par la suite, procéder à une autre étape. M. le député de Bourget, oui.

M. Kotto: J'ai posé une question à la ministre à la fin de mon propos, mais je n'ai pas eu de réponse. Pourquoi ne pas avoir nommé ce projet de loi en phase avec l'incident qui l'a initié, qui l'a inspiré? Parce que ce projet de loi n'a rien à voir, contrairement à ce que la plupart des gens à l'extérieur pensent... n'est pas une réponse aux crises engendrées par les problèmes de gestion des accommodements raisonnables au sens général. Et ce n'est pas un projet de loi qui porte sur les accommodements raisonnables au sens conventionnel parce que les cas, disons, en lien avec les handicapés, par exemple, sont déjà encadrés. Il est clair -- et, quand on sait lire, ça saute aux yeux -- que l'objectif était de cibler un cas précis. Et ce que le public, jusqu'à date, retient, c'est que le gouvernement fait son travail pour répondre aux crises entourant la pratique des accommodements raisonnables. C'est pour cela que je parlais de sophisme.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Bourget, tout simplement vous rappeler que nous sommes actuellement à l'étude d'un amendement et...

M. Kotto: J'entends bien, mais je n'ai pas eu ma réponse.

La Présidente (Mme Vallée): ...et, au niveau de l'amendement, on y va de commentaires, il ne s'agit pas nécessairement d'un exercice de questions-réponses. Alors, si la ministre souhaite intervenir, elle intervient. Si elle ne souhaite pas intervenir, elle n'a pas à le faire, le temps étant imputé au parti de l'opposition pour la présentation des arguments derrière l'amendement proposé. Alors, j'ai compris que Mme la ministre ne souhaitait tout simplement pas intervenir. Par contre, s'il y a des interventions du côté du gouvernement, je sens qu'on nous fera signe.

Ceci étant dit, j'aimerais qu'on puisse revenir à l'étude de l'amendement proposé par Mme la députée de Rosemont. Alors, voilà. Est-ce qu'il y a... M. le député de Vimont.

M. Auclair: Je voudrais rassurer mon collègue que je voulais... Loin de nous, et je suis sûr que c'était loin de l'intention de Mme la ministre de, entre guillemets, le remplir. Donc, c'est juste sur cet élément-là que je voulais terminer.

M. Kotto: Ce n'est pas ce que j'ai dit.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Alors, Mme la ministre, vous souhaitez intervenir?

**(17 h 50)**

Mme Weil: Oui. Donc, j'ai eu l'occasion de regarder les derniers chiffres de demandes qui sont adressées à la Commission des droits de la personne, 54 % des cas -- ça, c'est 2009-2010 -- c'est pour la religion, mais 30 % pour les handicaps. Donc, c'est sûr que, si on amène un projet de loi... Puis je répète le nom du projet de loi, c'est Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. C'est évident qu'il y avait des circonstances, mais je vous dirais que ça a duré beaucoup plus longtemps que l'événement qui a été soulevé, mais ça faisait déjà un certain temps qu'il y avait des cas qui ont été médiatisés. On se souviendra du cas à la SAAQ, je pense que c'était à l'automne. En fait, je pense que c'était au mois de septembre, donc ça faisait un certain temps qu'il y avait ces cas-là.

Et, par ailleurs, un projet de loi, les règles... Et je reviens essentiellement à l'argument que j'ai présenté tantôt, c'est que c'est un projet de loi qui vient inclure dans notre corps législatif les règles autour des accommodements raisonnables. Donc, il pourra être utilisé aussi pour des cas de handicaps et aussi des cas qui sont pour l'orientation sexuelle. Vous allez sur le site de la Commission des droits de la personne, vous allez voir, il y a plusieurs demandes. Donc, les règles qu'on amène, de raisonnabilité et de respect de la charte, vont s'appliquer à tous ces cas.

Mais on n'a aucun problème, en tant que gouvernement, de parler des situations, évidemment, de liberté de religion ou de l'exercice de liberté de religion, des accommodements qui devront s'appliquer. Éventuellement, les directives ou, au-delà des directives, les guides qui pourront être adoptés, il y aurait des exemples qui pourraient être donnés pour éclairer. C'est souvent ce qu'on voit, d'ailleurs, si on regarde les guides de différents organismes qui doivent prendre des décisions d'accommodement, ils vont donner des exemples concrets. Mais ce ne sera pas limité à l'exercice de la liberté de religion, ce serait vraiment toutes sortes de types de demandes autour des accommodements raisonnables. Donc, si on fait un projet de loi sur les accommodements raisonnables, évidemment on veut des règles et des balises qui vont s'appliquer à toutes sortes de demandes qui sont faites.

Et je répète le danger, le danger d'avoir deux courants de jurisprudence qui, si on avait deux projets... Si on avait un projet de loi strictement pour les accommodements basés sur l'exercice de la liberté de religion ou le droit à l'égalité en vertu de l'article 10 et la jurisprudence qui règle le reste, ce serait incohérent, ce ne serait pas une façon de procéder. Alors, on parle d'accommodements raisonnables, ça touche tous les types de demandes qui sont faites en vertu de l'article 10 de la charte.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Mme la ministre. Est-ce qu'il y a d'autres interventions sur l'amendement? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Merci, Mme la Présidente. Alors, l'amendement que propose ma collègue de Rosemont m'apparaît dans la logique, justement, des propos que la ministre a tenus précédemment avec mon collègue du Lac-Saint-Jean. La ministre a reconnu que le projet de loi, dont elle nous rappelle le titre, qui vient établir les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, donc c'est un projet de loi qui vient reconnaître ce qui existe déjà -- et elle nous l'a confirmé -- ce qui existe déjà au niveau des accommodements raisonnables. La façon de les appliquer, elle est déjà très bien décrite. Et je viens de relire le document de la Commission des droits de la personne qui reprend la jurisprudence, qui reprend les définitions de l'accommodement raisonnable, tout ça est déjà écrit, tout ça existe déjà, la jurisprudence s'applique, et le projet de loi ne vient que la codifier dans une loi. Mais ça, tout le monde nous l'a dit, le Barreau nous l'a dit, et à peu près tous les groupes juridiques nous l'ont dit.

Le fait nouveau de ce projet de loi là, il faut bien se le dire, c'est l'accommodement raisonnable pour motifs religieux parce que c'est de ça qu'on parle. Si Naïma n'avait pas refusé d'enlever son voile, on ne serait pas là aujourd'hui. On serait peut-être dans une commission qui était, à l'époque, Loi favorisant l'action de l'Administration à l'égard de la diversité culturelle, qui était la précédente, qui était le projet de loi n° 16. Et ce projet de loi n° 16, je vous rappellerai, a perdu du lustre, pour vraiment dire l'expression, lorsque la SAAQ s'est présentée devant nous et est venue nous expliquer comment ça se passait, et comment ils avaient interprété la façon de faire. Parce qu'il n'y en avait pas, de balises, donc ils se sont donné des balises et ils sont venus nous dire... Excusez, j'ai dit la SAAQ, c'est la RAMQ. Alors, ils sont venus nous dire comment ils l'avait appliquée. Et, lors de l'audition, je me rappelle très bien avoir interpellé le président de la RAMQ et lui dire: Comment ça se passe chez vous? Qu'est-ce que vous faites lorsqu'une femme portant un voile intégral se présente à vos bureaux et demande un service? Et il a dit: Bien, on attend qu'il y ait une femme de disponible.

Ça, c'était l'accommodement raisonnable de la RAMQ, c'était la façon de faire. Et, d'ailleurs, le jugement de la Commission des droits de la personne... Parce qu'il y a eu pas un jugement, excusez-moi, une directive, un avis sur la directive de la part... et on vient faire l'analyse, justement, de cette pratique à l'effet que la RAMQ accommodait les femmes voilées qui demandaient d'être servies par une femme. Alors, on en trouvait une, et c'est celle-là qui répondait aux questions de la personne, plus particulièrement lors de la prise de photo. On se rappellera, prise de photo pour notre carte d'assurance maladie, il faut qu'on se dévoile, c'est bien le minimum. Et, fort heureusement, on n'a pas eu besoin de faire ce débat-là, comme je le rappelais ce matin, comme il s'est fait en Alberta avec la communauté huttérite, où on refuse de se faire photographier parce que, lorsqu'on est huttérite, on ne se fait pas photographier. Fort heureusement, ces femmes-là n'ont pas demandé cet accommodement, elles ont plutôt demandé que ce soit une femme qui les photographie, et la RAMQ a acquiescé à ces demandes-là.

Et, quand je parlais au tout début, aujourd'hui, de conditions minimales, Mme la ministre, on peut revenir à ça, ce n'est pas juste des modalités. Est-ce que, dans notre société, on peut exiger le sexe du fonctionnaire qui va nous servir en fonction de nos croyances religieuses? Et c'est de ça qu'il s'agit. À la SAAQ, lorsque le Juif hassidique a demandé que ce soit un homme qui lui fasse passer son permis de conduire, c'est une croyance religieuse. Il ne peut se retrouver dans un lieu clos avec une personne d'un autre sexe, c'est un motif religieux. Et le projet de loi qu'on étudie aujourd'hui, il n'est là que pour venir contrer un motif religieux. Parce que Naïma, lorsqu'elle s'affiche dans son cours de français au cégep de Saint-Laurent, elle s'affiche avec un signe religieux, avec un niqab. Et le niqab est un signe religieux. Il peut même être interprété de différentes façons, et je vais vous lire un petit court texte, Mme la Présidente, court texte écrit par notre vice-présidente de l'Assemblée nationale, Fatima Houda-Pépin...

Mme Beaudoin (Rosemont): Excellent texte.

Mme Poirier: ...qui a été publié dans La Presse le 15 janvier 1994. Alors, c'est avant qu'elle ne soit vice-présidente de l'Assemblée. Et elle nous donne un cours, et vraiment un cours historique sur l'histoire du voile. Et, je vais vous dire, c'est très intéressant parce que ça vient nous faire comprendre qu'est-ce qui se passe dans cette histoire du voile là, et ça vient faire la démonstration que, le projet de loi, ce qu'il vient faire, c'est encadrer un motif religieux d'accommodement raisonnable. C'est ce qu'il vient faire, le projet de loi, exclusivement. Il vient recodifier ce qui existe, donc il ne vient rien changer de ça. Mais il vient ajouter à l'article 6 une chose, que, pour un motif religieux, des femmes qui portent un voile intégral, eh bien elles ne pourront pas recevoir de services publics.

Alors, je vous lis le petit texte... je vous lis seulement qu'un petit bout du texte de Fatima Houda-Pepin. Elle dit que «des gestes éminemment symboliques ont contribué -- parce qu'on se rappellera que c'est dès 1929, là, qu'il y a eu toute une politique, mais c'est... -- à faire tomber le voile des musulmanes.» Parce qu'elles l'ont déjà perdu, hein, je vous le rappelle. «La politique de laïcisation amorcée en Turquie, dans les années vingt, ont mené à l'abolition de la polygamie -- ça, c'est un sujet dont il va falloir se reparler à un moment donné ici, là -- et à la réforme du code vestimentaire.» Parce qu'ils en parlent beaucoup en Colombie-Britannique, de la polygamie. D'ailleurs, «en 1932, "Miss Turquie" a été "Miss Monde"». On ne se l'imagine pas en burqa, hein, ça, c'est assez évident. Cependant, il n'est «pas étonnant que l'une des principales mesures adoptées par la République islamique de l'ayatollah Khomeiny en 1979 fut la "tchadorisation" massive et généralisée des Iraniennes. Depuis, la campagne du foulard "dit islamique" bat son plein.»

Et c'est de ça qu'on parle, c'est ce qui est arrivé, là. Naïma, qui porte son voile, elle est de cette génération, depuis 1979, qui a été, je vais dire, revoilée depuis cet avènement-là. Et le projet de loi qu'on a devant nous, Mme la Présidente, eh bien, vient confirmer que c'était pour des motifs religieux que ce projet de loi-là a été émis par le gouvernement. Je poursuivrai lors de notre prochaine séance.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la député d'Hochelaga-Maisonneuve, simplement souligner que cet article a été rédigé par notre collègue la députée de La Pinière, et ne pas utiliser le nom. Simplement un petit détail.

Mme Poirier: Je m'excuse...

La Présidente (Mme Vallée): Alors, sur ce, chers collègues, nous ajournerons nos travaux sine die. Merci.

(Fin de la séance à 18 heures)

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