(Neuf heures quarante-cinq minutes)
La Présidente (Mme Thériault): Puisque nous avons le quorum, nous allons débuter les travaux de la commission. Donc, je déclare la séance ouverte. Et j'aimerais rappeler le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et de tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. Mme Papineau (Prévost) est remplacée par M. Bédard (Chicoutimi).
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, aujourd'hui, nous avons un ordre du jour très chargé. Nous allons rencontrer le Regroupement des conciliatrices et des conciliateurs de la CLP. Ensuite, nous aurons le Conseil des tribunaux administratifs canadiens, qui sera suivi de la Centrale des syndicats du Québec. Cet après-midi, nous entendrons l'Assemblée des travailleurs et des travailleuses accidentés(es) du Québec, qui sera suivie de l'Ordre des psychologues du Québec et de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec.
Auditions
Donc, je demanderais à Mme Michelle Doucet de nous présenter les gens qui l'accompagnent. Vous êtes familière avec nos travaux, Mme Doucet?
Regroupement des conciliatrices et conciliateurs
de la Commission des lésions professionnelles (CLP)
Mme Doucet (Michelle): Je vais vous présenter Line Corriveau, qui va vous présenter le mémoire...
La Présidente (Mme Thériault): D'accord.
Mme Doucet (Michelle): ...et Carl Lessard, qui est également conciliateur.
La Présidente (Mme Thériault): Qui est conciliateur. D'accord. Donc, vous avez 20 minutes pour nous faire votre présentation, et ce sera suivi d'un échange avec les parlementaires.
Mme Corriveau (Line): Parfait. Merci beaucoup. Alors, Mme la Présidente, M. le ministre, mesdames, messieurs, nous sommes heureux de nous présenter en commission parlementaire aujourd'hui pour exprimer notre point de vue sur cette importante réforme que représente le projet de loi n° 35. Simplement pour vous situer, le Regroupement des conciliateurs et conciliatrices de la CLP regroupe les 53 conciliatrices et conciliateurs qui oeuvrent actuellement à la CLP qui est, rappelons-le, un tribunal spécialisé en santé et sécurité au travail.
Vous aurez compris, à la lecture de notre mémoire, que nos commentaires ne porteront que sur les dispositions du projet de loi qui traitent directement ou indirectement de la conciliation qui sera offerte au nouveau tribunal. Je dois dire que, lorsqu'ils ont pris connaissance du projet de loi, les conciliateurs ont eu une réaction de surprise, surprise parce que le texte proposé ne reflète pas réellement le discours présenté lors du projet de loi, du moins en ce qui concerne la conciliation, et ceci dit évidemment avec tout le respect qu'il se doit.
Premièrement, on citait comme modèle la conciliation qui se faisait à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et qui se fait toujours à la CLP, laquelle est encadrée par les dispositions de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, la LATMP. Or, le projet de loi ne s'inspire aucunement des dispositions de la LATMP mais reprend presque textuellement les dispositions de l'actuelle Loi sur la justice administrative qui gouvernent la conciliation qui se fait au TAQ.
Deuxièmement, l'accessibilité au service de conciliation était, nous semble-t-il, un élément fort important de la réforme. Nous sommes donc étonnés de constater que l'article 119.6 limite l'offre de la conciliation au seul dossier d'indemnité et de prestation.
Troisièmement, on mettait l'emphase sur la qualité des services qui seraient offerts aux justiciables. Or, dans les dispositions les plus importantes, le projet de loi ne prévoit même pas que les séances de conciliation seront tenues par les conciliateurs, qui sont, selon nous, les seules personnes possédant à l'heure actuelle les qualités et les compétences requises pour faire cet emploi.
Quatrièmement, on justifiait en partie la réforme par le fait que la conciliation permettrait une réduction des délais. Nous croyons au contraire que, si le membre décideur est autorisé à faire de la conciliation au début de son audience et qu'il n'est pas autorisé à entendre la cause en cas d'échec de la conciliation, cela aura plutôt comme effet de prolonger les délais.
Cinquièmement, le projet de loi voulait faire en sorte que la conciliation soit un processus simple, souple et facilement compris des justiciables. Il s'avère, au contraire, selon nous, que la conciliation au nouveau tribunal risque d'être fort complexe et difficile à comprendre, puisqu'elle sera sous l'autorité de plusieurs personnes différentes qui ne tireront peut-être pas toutes dans le même sens.
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(9 h 50)
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Bon, ceci dit, nous croyons tout de même que les intentions du ministre sont sincères et qu'il ne peut faire autrement que souhaiter la réussite du nouveau service de conciliation. C'est pourquoi l'essentiel de notre mémoire porte sur les améliorations à apporter au projet de loi afin qu'il reflète réellement le but recherché, tout ceci évidemment afin d'assurer le plus possible le succès du nouveau tribunal, car nous ne sommes pas sans réaliser que la conciliation en aura lourd sur les épaules. En fait, le succès du nouveau tribunal repose en grande partie sur l'efficacité de la conciliation. C'est pourquoi il est si important de mettre en place des conditions propices à l'atteinte de ce succès. Si j'osais, je dirais qu'il faut mettre en place des conditions gagnantes, mais je m'en abstiendrai. Chose certaine, il ne faut surtout pas improviser sur un tel sujet.
Nous ferons donc un résumé de certains points que nous avons étudiés dans notre mémoire. En raison du temps qui nous est alloué, vous comprendrez toutefois que nous ne pouvons malheureusement aborder toutes les questions que nous avons analysées. Nous traiterons donc seulement les points qui nous apparaissent les plus importants.
Alors, le premier point est l'importance d'avoir un service de conciliation unique. Si vous vous référez aux articles 119.6 et 120 du projet de loi, vous verrez que de nombreuses personnes auront le pouvoir d'offrir la conciliation. On y retrouve le président du tribunal, les vice-présidents des différentes sections, les membres désignés par l'un d'eux et le membre appelé à siéger dans une affaire également. Cette façon de faire nous apparaît problématique, d'autant plus que nous saisissons mal l'utilité d'une telle complexité. D'ailleurs, de façon concrète, qu'est-ce que ça signifie réellement, le pouvoir d'offrir la conciliation? Est-ce que ça signifie que toutes les personnes qui ont ce pouvoir ont, par le fait même, le pouvoir d'organiser le service comme elles le veulent? Si ces personnes n'ont pas toutes la même conception de la conciliation, est-ce que ça signifie qu'il risque d'y avoir des méthodes et des orientations différentes d'une section à l'autre? Comment pourrons-nous assurer la cohérence et l'uniformité de ce service si autant de personnes peuvent en être responsables? Par ailleurs, est-ce qu'il faut comprendre que chacun des vice-présidents des sections sera responsable de la formation de ses conciliateurs? Pour toutes ces raisons, nous considérons que la conciliation devrait relever d'une seule et même personne, en l'occurrence le président du tribunal, qui pourra évidemment déléguer son pouvoir au besoin.
Deuxième point majeur pour nous, c'est l'exclusivité de la fonction du conciliateur. Alors, toujours aux articles 119.6 et 120, si je me réfère à 119.6 plus précisément, on peut voir que les séances de conciliation pourront être tenues par un membre, un expert ou un membre du personnel. Quant à l'article 120, il prévoit que le président du tribunal, les vice-présidents de chacune des sections, les membres désignés par l'un d'eux et les membres appelés à siéger dans une affaire peuvent tous présider une séance de conciliation ou permettre la tenue d'une telle séance par un membre du personnel.
Ce qui étonne le plus du libellé de ces articles, c'est l'absence totale du mot «conciliateur». Nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'un oubli et qu'il sera facilement corrigé. Mais on demande plus. En effet, nous, non seulement nous croyons que les conciliateurs doivent être clairement habilités par la loi à faire la conciliation, mais nous sommes d'avis qu'ils devraient le faire, et ce, de façon exclusive. Il s'agit d'ailleurs de la pratique actuelle de la CLP à laquelle tous les intervenants ont adhéré et qui n'a jamais été remise en question. Selon nous, l'exclusivité de la fonction de conciliateur constitue pour le nouveau tribunal un gage de qualité, d'efficacité, d'impartialité et d'indépendance. Si le législateur veut réellement un modèle de conciliation qui se rapproche du modèle de la CLP, il faudrait minimalement que cette particularité demeure.
Les raisons qui nous poussent à croire que la fonction de conciliateur devrait appartenir au conciliateur de façon exclusive sont basées sur une étude exhaustive de la littérature de même que sur un rapport d'enquête du Conseil de la justice administrative, que nous avons d'ailleurs joint à notre mémoire. Sans les mentionner toutes, disons que les raisons les plus importantes sont les suivantes.
Alors, première raison, être un bon conciliateur relève souvent de l'art et exige des compétences professionnelles de même que des qualités personnelles qui n'appartiennent pas à tous et chacun. Certaines personnes, même avec la meilleure volonté du monde, ne posséderont jamais les qualités personnelles nécessaires. Quoi qu'il en soit, comment peut-on, d'une part, reconnaître que la conciliation constitue un art et exiger que les conciliateurs possèdent les compétences requises pour l'emploi, entre autres une aptitude pour la communication et les relations humaines, et, d'autre part, permettre à une personne qui n'a pas démontré posséder ces qualités et cette expertise d'assumer le rôle de conciliateur?
Deuxième raison, la conciliation qui se fera au nouveau tribunal impliquera le simple citoyen. Ce dernier est souvent non représenté, peu habitué aux tribunaux, démuni et fort émotif face à son dossier. Cette problématique se distingue de ce qui peut se faire dans d'autres tribunaux, comme la Cour d'appel, où le juge médiateur se trouve devant des parties qui sont presque à 100 % représentées. De plus, ces représentants sont obligatoirement des avocats. Alors, l'interaction entre un juge médiateur et un avocat chevronné est fort différente de l'interaction entre un conciliateur et un simple citoyen. C'est pourquoi les qualités de communication recherchées chez un conciliateur sont encore plus importantes dans un tribunal administratif comme le TRAQ que dans n'importe quel autre tribunal. De plus, une telle relation d'aide demande beaucoup plus de temps que ce que le membre décideur ne sera en mesure d'offrir en raison de la charge de son rôle d'audience.
Troisième raison, pour s'assurer de la qualité de son service de conciliation, le nouveau tribunal devrait offrir à toutes les personnes qui ne sont pas des conciliateurs une formation adéquate. Cette formation représente un investissement considérable de temps, d'argent et d'énergie. Nous n'avons rien vu dans la présente réforme qui prévoyait un tel investissement.
Quatrième raison, le fait de permettre au décideur de faire de la conciliation peut causer beaucoup d'ambiguïté et de confusion chez le justiciable. En effet, le justiciable qui se présente devant un juge est non seulement intimidé, mais aussi fort impressionné par le rôle de ce dernier. Il est par ailleurs dans un état de stress important et n'est pas en mesure de comprendre facilement ce qui se passe, par exemple lorsque le juge se transforme subitement en conciliateur, d'autant plus que le juge tiendra fort probablement sa séance de conciliation dans sa salle d'audience. Donc, la coupure entre les deux processus ne sera pas évidente, et le justiciable risque de croire qu'il est en quelque sorte forcé de régler son dossier, sinon le juge pourrait en tenir compte dans sa décision.
Cinquième raison, le fait de conserver l'exclusivité de la fonction de conciliateur aidera à maintenir l'étanchéité qui doit nécessairement exister entre la conciliation et l'adjudication. Les parties doivent en effet être totalement convaincues que les discussions qui se tiennent au niveau de la conciliation ne seront jamais portées à la connaissance de ceux et celles qui doivent rendre les décisions.
Sixième et dernière raison ? et, après, j'espère que j'aurai réussi à vous convaincre ? comme nous l'avons dit au début, le membre décideur qui procédera à une conciliation ne pourra pas entendre la cause en cas d'échec de la conciliation. C'est ce que prévoit l'article 121.2. C'est tout à fait logique, mais ça risque d'entraîner des délais additionnels. Le dossier devra, dans ce cas, être transféré à un autre décideur qui, vraisemblablement, ne sera pas prêt à procéder, puisqu'il n'aura pas pris connaissance du dossier. Il y aura donc remise de l'audience et addition de nouveaux délais, ce qui est d'autant plus inacceptable que les parties étaient accompagnées de leurs témoins et experts et prêtes à procéder.
Sans compter qu'il y a également un effet pervers à cet article 121.2. En effet, il serait très facile pour une partie, voyant devant qui elle doit plaider, de demander au décideur de transformer l'audience en séance de conciliation. Elle n'aurait alors qu'à faire échouer la conciliation pour s'assurer qu'elle n'aura jamais à procéder en audience devant ce décideur. Évidemment, cette tactique risque d'être principalement utilisée lorsque l'autre partie n'est pas représentée ou peu familière avec le tribunal, donc plus susceptible de se faire manipuler de la sorte.
Le troisième aspect qui nous importait portait également sur le rôle des organismes. Le projet de loi prévoit qu'en certaines circonstances les organismes administratifs seront obligés de participer à la conciliation. Alors, même si notre premier réflexe était de penser que la conciliation est beaucoup plus efficace lorsqu'elle est librement acceptée par les parties, notre réflexion nous a portés à être d'accord avec cette nouvelle obligation. Nous savons tous que notre système légal actuel est en pleine transformation. Tous les auteurs, les chercheurs et les praticiens reconnaissent la place importante que la conciliation sera appelée à jouer dans les prochaines années. Il est donc normal que le législateur ne reste pas muet devant cette évolution et qu'il mette en place les moyens nécessaires pour la soutenir. L'obligation de participer à la conciliation nous semble donc une bonne initiative pour encourager les organismes administratifs à prendre cette nouvelle voie. Cependant, nous sommes d'avis qu'il n'y a pas lieu d'imposer cette obligation à la CSST, puisqu'elle a déjà franchi ce pas et qu'elle participe à la conciliation depuis de nombreuses années. L'obliger à y participer n'apporterait rien de plus, sinon une perte de temps pour toutes les parties impliquées.
Le quatrième aspect qui nous importait porte sur l'entérinement des accords. L'article 124 du projet de loi prévoit que l'accord doit être entériné pour être exécutoire, mais ne prévoit aucun critère d'entérinement. Cette lacune pourrait devenir problématique, par exemple, si les membres décidaient de déterminer leurs propres critères d'entérinement et refusaient d'entériner les accords pour des motifs qui pourraient, à la limite, être totalement discrétionnaires ou arbitraires. Pour cette raison, nous demandons d'ajouter au texte de loi le critère de conformité à la loi, qui apparaît d'ailleurs à l'article 429.46 de la LATMP et qui ne cause aucun problème.
Finalement, dernier point qui nous importe, c'est le caractère confidentiel de la fonction de conciliateur et notre obligation d'impartialité et d'indépendance. Il est de connaissance publique qu'un conciliateur est tenu de préserver la confidentialité de ce qui se passe en conciliation, qu'il doit être perçu comme une personne neutre, indépendante et impartiale et qu'il ne doit surtout pas se retrouver en situation de conflit d'intérêts ou d'apparence de conflit d'intérêts. Ces beaux principes sont faciles à énoncer. Encore faut-il s'assurer qu'ils soient réellement et légalement reconnus si l'on veut qu'ils aient une application concrète. Par exemple, que servirait un code de déontologie qui stipulerait que le conciliateur ne doit pas se trouver en conflit d'intérêts si le législateur, en acceptant qu'il soit syndiqué, le place dans une situation d'apparence de conflit d'intérêts.
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(10 heures)
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Nous avons d'ailleurs signalé dans notre mémoire quelques situations problématiques et nous aimerions en ajouter une autre qui a été soulevée hier, lors des travaux de cette commission parlementaire. En effet, les personnes qui représentent le ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale sont ni plus ni moins que nos confrères syndiqués avec le même syndicat que le nôtre et faisant partie de notre corps d'emploi, qui est celui d'agent de recherche et de planification socioéconomique. Nous ne pourrons faire autrement que de soulever ce fait aux justiciables et nous croyons que ceux-ci auront raison de se méfier et d'avoir des doutes quant à notre indépendance face aux organismes administratifs.
Évidemment, le fait d'être syndiqués ne posera pas de problème dans tous les dossiers, mais nous avons démontré dans notre mémoire que les situations problématiques sont réelles et que, même si on ne peut pas toujours parler de réels conflits d'intérêts, ces situations placeront le conciliateur dans une position très peu confortable. Lorsque les parties, même à tort, seront agacées par le fait que le conciliateur soit syndiqué, elles ne demanderont pas sa récusation, elles ne demanderont pas non plus un autre conciliateur, puisqu'ils seront tous syndiqués, elles se retireront tout simplement du processus de conciliation ou, au mieux, elles continueront la conciliation mais seront incapables de faire totalement confiance au conciliateur, ce qui est essentiel pour nous et pour la réussite de la conciliation. D'ailleurs, le législateur a déjà reconnu ce problème, et c'est pourquoi il a prévu que les conciliateurs du ministère du Travail, entre autres, occupent un emploi à caractère confidentiel au sens de l'article 11, troisième alinéa, du Code du travail et qu'ils ne peuvent donc être syndiqués. Les conciliateurs de notre regroupement demandent à être traités de la même façon, et ce, dans le meilleur intérêt de la justice. C'étaient nos commentaires, Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, Mme Corriveau. Donc, nous allons débuter les échanges avec le ministre. M. le ministre.
M. Bellemare: Alors, merci beaucoup, Mme Corriveau, Mme Doucet aussi, M. Lessard, et tous les conciliateurs, conciliatrices que je reconnais au loin, Mme Chevarie, M. Blouin, particulièrement, alors bienvenue à la Commission des institutions et félicitations pour ce mémoire très attendu sur la conciliation. Et vous avez tout à fait raison quand vous dites que la réforme repose en bonne partie, ou le succès de la réforme repose en bonne partie sur notre capacité de réussir en conciliation. C'est indéniable et c'est une approche que nous entendons privilégier au plus haut point, bien sûr. Et vos conseils, vos recommandations à cet égard sont étudiées très attentivement chez nous.
Et je commencerai par la conciliation TAQ, la conciliation CLP. Il y a de la conciliation à la CLP. Et c'est un fleuron de notre organisation des services publics au Québec, la CLP est toujours citée en exemple quand vient le temps de parler de conciliation. C'est en grande partie grâce aux efforts que les conciliatrices, conciliateurs ont consacré au développement de la conciliation à la CLP et à la CALP, hein, au début des années quatre-vingt-dix. Vous avez de l'avance en termes de succès de conciliation et, quand on vous compare aux autres services, vous êtes toujours en tête de file.
Au TAQ, c'est un peu plus difficile, c'est un peu plus ardu. Les statistiques le démontrent clairement. Et tous ceux qui ont eu à faire de la conciliation au TAQ et à la CLP voient très bien et très rapidement que c'est un peu plus difficile au Tribunal administratif, dans tous les secteurs, assurance auto, victimes d'actes criminels, Régie des rentes, c'est loin d'être la même chose et c'est relié en bonne partie à l'ouverture des organismes, à mon avis.
La CSST a fait des efforts colossaux depuis 15 ans pour s'ouvrir à la réalité de la conciliation, et ça donne des résultats, hein. On ne peut pas faire autrement que de féliciter la CSST pour avoir concouru dans bien des cas aux efforts de conciliation ou à tout le moins pour avoir laissé les parties s'entendre même en son absence, dans bien des cas.
Il y a un problème ailleurs. Les autres organismes n'ont pas montré la meilleure ouverture, traditionnellement, à la conciliation. Et je pense qu'il faut attribuer une bonne partie des succès de conciliation aux efforts des conciliateurs. Mais, quand on pense qu'il faut rattraper du retard dans les autres divisions, dans l'assurance auto notamment, il faut essayer de trouver des stratégies pour les développer, ces autres secteurs-là. Et, moi, j'en ai fait de la conciliation personnellement, au TAQ, avec des juges administratifs qui font de la conciliation là-bas, en matière d'assurance auto notamment, et je dois vous dire que j'ai toujours perçu le fait que la conciliation était dirigée par un juge administratif comme étant quelque chose de positif. On a l'impression que ça met de la pression sur l'organisme. L'organisme, qui est habitué d'envoyer un plaideur pour agir devant un juge administratif pour plaider, se retrouve devant un juge administratif pour régler, et ça donne de l'étoffe à la démarche, et j'ai toujours eu l'impression que ça favorisait les règlements.
Vous nous dites que vous ne voyez pas d'un bon oeil que le juge administratif ou que des juges administratifs fassent de la conciliation. Parce que c'est ce qu'on a préservé dans le projet de loi, dans toutes les autres divisions qui relèvent actuellement du TAQ. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est un plus, sans exclure que des conciliateurs, comme vous, puissent faire de la conciliation au TAQ, qu'on puisse permettre aux juges administratifs également d'en faire, peut-être dans une amorce de développement de la conciliation auprès des autres organismes? Vous ne pensez pas que c'est un plus que des juges administratifs puissent présider des séances de conciliation en présence d'organismes qui se sont montrés malheureusement plus ou moins fermés à la conciliation depuis quelques années?
Mme Corriveau (Line): Votre question est intéressante et elle est en même temps complexe à répondre, et il y a plusieurs éléments. Évidemment, je ne suis pas une spécialiste de la conciliation qui se fait au TAQ, je ne sais pas comment elle se passe, mais ce que j'en sais, c'est que ce n'est jamais cité comme étant un modèle de réussite. Alors, si vous me dites que ça donne de l'étoffe à la démarche, le fait de procéder en conciliation devant un juge administratif, et que, d'un autre côté, on réalise que les résultats sont plus ou moins impressionnants, bien là je me questionne sur l'ampleur de cette étoffe-là. Mais enfin... Ça, c'est ma première réaction.
Deuxième réaction, si le juge administratif a vraiment les qualités pour faire la conciliation, écoutez, je ne peux pas m'opposer, mais ça pourrait être des cas d'exception, à la limite. Sauf que le projet de loi actuel, de la façon dont il est rédigé, ce n'est pas fait en fonction d'une exception à la règle, ça en fait une procédure courante et normale de procéder devant le juge. Alors, en raison de tous les autres inconvénients qui par ailleurs sont présents, est-ce que ça fait le poids? Est-ce que les avantages qu'on pourrait en retirer sont plus importants que les inconvénients qui peuvent en être causés? Ma lecture à moi, c'est qu'il y a plus d'inconvénients que d'avantages. Mais je peux être dans l'erreur.
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(10 h 10)
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M. Bellemare: Ce que je vous disais, c'est qu'il faut essayer de trouver des stratégies et mettre dans la loi... prévoir les mécanismes qui vont nous permettre d'ouvrir la conciliation dans les secteurs autres que la CSST. À la CSST, on a un taux de conciliation de 12 000 cas sur 22 000 qui se règlent à la CLP suite à une initiative de conciliation. Ce n'est pas la même chose ailleurs. Il y a un problème de culture, manifestement. Il y a des organismes qui vont devoir comprendre qu'il faut faire preuve d'autocritique, qu'il faut faire preuve d'ouverture dans les dialogues avec le citoyen. Puis on a tout un chantier à développer de ce côté-là.
Et les conciliateurs ou en tout cas les juges administratifs au Tribunal administratif actuellement qui font de la conciliation ont été choisis manifestement parce qu'ils obtiennent, dans les circonstances, de bons résultats. Le problème est que les organismes souvent refusent de concilier, en assurance automobile notamment, jusqu'à tout récemment ? j'espère que ça a changé parce que j'ai essayé d'envoyer les messages en conséquence ? jusqu'à tout récemment, refusaient de concilier avec des accidentés qui n'étaient pas représentés. À mon avis, c'est inacceptable. Et, bien souvent, paradoxalement, on peut... l'État peut s'entendre avec des citoyens non représentés et... Ça ne se faisait pas. À l'IVAC, jusqu'à tout récemment, il n'y avait pas de conciliation. 400 victimes d'actes criminels sur le rôle du Tribunal administratif du Québec qui n'ont aucun service de conciliation ? ça n'a pas de bon sens ? parce que l'IVAC refusait d'ouvrir le dialogue. Maintenant, c'est fait. Mais il faut comprendre que c'est très embryonnaire.
Et les juges administratifs qui font de la conciliation, à ma connaissance, en tout cas ceux que j'ai connus dans les expériences que j'ai vécues, font de la conciliation, ils ne font que ça, ils ne siègent plus. Et je crois que, pour prendre ce virage important, les juges administratifs qui ont une propension particulière au dialogue, à la conciliation, à l'ouverture peuvent jouer un rôle important pour sensibiliser les organismes à la nécessité de faire de la conciliation. Mais on a un travail de rattrapage important à faire. Mais ce n'est pas exclu que les conciliateurs jouent le rôle le plus important dans toute cette opération.
Mais il y a effectivement des différences très importantes dans les deux tribunaux. Et, à mon avis, la fusion des deux tribunaux d'appel, la CLP et le TAQ, aura un effet positif sur la conciliation parce que, dans cet éventuel tribunal fusionné, le volet lésions professionnelles va prendre les deux tiers du volume, et ça ne pourra pas faire autrement que d'avoir un effet positif sur les autres divisions parce que la section lésions professionnelles est nettement majoritaire dans l'ensemble du volume de ce tribunal-là. Mais ce n'est pas exclu que les conciliateurs jouent le rôle le plus important. On va avoir besoin de vous autres au premier chef, c'est bien certain.
Vous avez parlé de modifier la loi pour faire en sorte qu'on ajoute l'expression «conformité à la loi», un accord conforme à la loi. Vous ne pensez pas que ça peut limiter? Parce que je sais qu'en conciliation à la CLP, il y a toutes sortes de deals qui se font, et vous avez fait preuve d'énormément de créativité au fil des années, et il y a beaucoup de deals qui se font, d'ententes, de transactions, on trouve toutes sortes de moyens pour essayer d'en arriver à une solution. C'est très bien. Et, dans certains cas, les ententes qui sont faites globalement, un dans l'autre, ne sont pas nécessairement tout à fait conformes au litige qui a pris place, là. Des fois, on va essayer de concilier en réglant même des litiges qui pourraient éventuellement survenir. «Conformément à la loi», vous ne pensez pas que c'est restrictif et que ça pourrait empêcher certaines transactions d'être conclues?
Mme Corriveau (Line): Bien, je ne vois pas comment parce que, actuellement, on a ce critère-là dans notre loi, et ça ne nous a jamais empêchés de conclure des transactions.
M. Bellemare: Non, mais je prends... Par exemple, imaginez que vous avez un litige qui porte sur une relation causale entre une lésion et un accident, puis, en même temps, bien, vous voyez d'un bon oeil l'hypothèse que cette personne-là, étant maintenant admissible, puisse être intégrée dans un plan de réadaptation, qu'il y ait des mesures de réadaptation qui soient prises. Ça n'a rien à voir avec l'objet du litige, mais une mesure de réadaptation x pourrait permettre de régler l'ensemble du dossier à la satisfaction du citoyen. Ce n'est pas nécessairement conforme à la loi, mais ça peut être convenu comme entente.
Mme Corriveau (Line): ...la loi, selon la définition qui a été donnée par la jurisprudence. Parce qu'il faut comprendre... Et là je ne sais pas si on a le temps de passer à travers toute cette question, parce que c'est une question, encore une fois, qui est assez complexe, mais il faut comprendre que, lorsque les parties veulent déborder le cadre de l'appel qui est devant la CLP et qu'ils veulent régler des points qui ne font pas partie, donc, du dossier que le commissaire a à décider, on inclut ces points-là dans un document qu'on appelle Transaction. Et cette façon de faire là, elle est inévitable. Il faut comprendre que les conciliateurs ne font pas des transactions pour le plaisir de faire des transactions, ou par caprice, ou par désir de cacher des choses. On fait des transactions parce qu'on ne peut pas faire autrement à cause des considérations légales. La loi...
Et ce serait la même chose si le critère de conformité à la loi n'y était pas, parce que, avant 1998, le critère de conformité à la loi n'était pas dans la LATMP, donc on a oeuvré pendant... de 1990 à 1998, sans le critère de conformité à la loi, mais les commissaires n'avaient pas plus compétence pour entériner ce qui débordait l'objet du litige. Donc, que le critère y soit ou n'y soit pas, au niveau de l'entérinement de ces transactions, ne change absolument rien. J'ai perdu un peu le fil.
Mme Doucet (Michelle): Mais, juste pour continuer, rajouter, quand même, c'est vrai, on déborde les litiges parce qu'il faut régler l'ensemble de toutes les problématiques au niveau... qui touchent... qui pourraient empêcher de régler les litiges. La transaction, c'est juste une autre façon. Il y a la part au niveau de la LATMP et la transaction, qui est un document tout à fait légal qui relève du Code civil. Et le rôle du conciliateur est là aussi pour voir à la légalité, hein. C'est un membre du tribunal, donc il voit à la légalité de ce contrat tout à fait légal. Il doit expliquer les conséquences, il doit vérifier que le consentement est libre, etc. Donc... Et, quand la CSST est dans le dossier, cette transaction-là, elle est versée dans le dossier du travailleur. Donc, le conseil d'administration, le Vérificateur général peuvent voir... C'est juste que le monde pense que c'est... on veut cacher. On ne veut rien cacher. Et il y a des transactions qui sont d'ordre privé entre le travailleur et l'employeur, qui sont des parties strictement privées qui règlent des griefs, qui règlent des choses, qui ne concernent strictement personne d'autre que l'employeur et le travailleur.
M. Bellemare: Bien, je ne suis pas fermé du tout à l'idée qu'on l'introduise dans la loi.
La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Chicoutimi, on s'en va de votre côté.
M. Bédard: Oui. Merci, Mme la Présidente. Alors, merci à vous trois et à ceux et celles qui vous accompagnent. Alors, pour continuer un peu sur cette même... Évidemment, on va parler de conciliation, ce serait difficile de parler d'autre chose. Pour bien comprendre, ce que vous dites finalement relativement à la conformité à la loi, ce que je comprends, c'est que, même s'il n'était pas indiqué, comme c'était le cas auparavant, l'organisme public, lui, il dit: Écoutez, on ne peut pas conclure des ententes autrement, surtout une loi d'ordre public, qui ne seraient pas conforme à la loi, ne nous plaçons pas nous-mêmes dans une situation où on ne serait pas conformes à la loi. Alors, ce que vous dites finalement: Ajoutons-le dans tous les cas, de toute façon, ça ne pourra pas faire autrement qu'être conforme à la loi.
Mme Corriveau (Line): Ça ne pourrait pas, en effet. Mais c'est une bonne indication pour les parties, qui pourraient d'ailleurs se poser des questions sur le fait que soudainement cette condition disparaisse de la loi. Je ne sais pas comment...
M. Bédard: Au niveau du type d'entente qui peut être envisagé.
Mme Corriveau (Line): Bien là le message...
M. Bédard: Est difficile.
Mme Corriveau (Line): ...est difficilement perceptible, oui.
M. Bédard: Oui, effectivement. Sur le fait d'entériner par le... bien anciennement, par le commissaire, est-ce que vous trouvez effectivement... Et là je veux bien comprendre, je ne suis pas trop sûr. Est-ce que vous trouvez que c'est une procédure qui est nécessaire, utile et qu'il faut conserver?
Mme Corriveau (Line): Le fait de faire entériner les accords?
M. Bédard: Oui.
Mme Corriveau (Line): On ne s'est pas penchés sur cette question-là à l'intérieur de notre comité, mais c'est une question qu'on s'est posée depuis les tout débuts, en 1990. Et je ne sais pas si je peux répondre de façon personnelle, peut-être, étant donné que...
M. Bédard: Oui. Non, non, je vais prendre votre expérience.
Mme Corriveau (Line): ...ce n'est pas dans notre mémoire, là.
M. Bédard: Vous en avez beaucoup plus que moi, là-dedans.
Mme Corriveau (Line): Moi, je me sens très confortable avec l'idée que les commissaires entérinent les accords que nous faisons. En premier lieu, évidemment, c'est à nous à juger de la conformité à la loi des accords que les parties veulent conclure. Mais ça nous donne une certaine distance aussi face aux parties qui pourraient parfois demander des choses avec lesquelles nous sommes plus ou moins à l'aise. Alors, ça nous laisse un niveau détaché de nous qui prendra la décision finale, et ça ne compromettra pas la relation future que, nous, nous avons avec les parties. Je ne sais pas si vous comprenez bien ce que je veux dire.
M. Bédard: Oui. Puis, en général, ce garde-fou se fait à l'avantage de qui, indépendamment, là?
Mme Corriveau (Line): Le garde-fou de l'entérinement par le commissaire...
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(10 h 20)
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M. Bédard: Oui, de l'entérinement, oui.
Mme Corriveau (Line): ...se fait à l'avantage de qui?
M. Bédard: Oui.
Mme Corriveau (Line): Bien, je vous dirais, à l'avantage du régime au grand complet, de tout le monde.
M. Bédard: Donc, c'est sûrement une procédure qui, dans tous les cas... Mais vous, dans votre pratique, c'est ça, elle vous sert comme vous le dites, au niveau... comme garde-fou. Mais est-ce qu'il y a d'autres avantages à faire entériner ou ne pas entériner ces ententes-là?
Mme Corriveau (Line): Bien, si les accords n'étaient pas entérinés, évidemment... Il faut comprendre qu'un accord, au sens de la LATMP actuellement, c'est un accord qui fait en sorte de modifier ou d'infirmer une décision déjà rendue par l'organisme administratif. Alors, si on veut infirmer la décision initiale déjà rendue, on ne peut pas le faire autrement que par une décision du tribunal. Alors, s'il n'y a pas d'entérinement d'un accord, il n'y a pas de décision finale du tribunal, et il n'y a rien qui est exécutoire, et l'organisme ne serait pas tenu d'appliquer, là, l'accord des parties. Alors, obligatoirement, il faut qu'il en sorte une décision du tribunal.
M. Bédard: Parfait. Autre élément que vous dites, et je ne veux pas vous paraphraser, mais, sur l'aspect de la conciliation, vous dites finalement: Écoutez, on ne peut pas s'improviser conciliateur, il y a des qualités humaines et professionnelles qui font en sorte qu'on peut être un bon ou un mauvais. Vous donnez même l'exemple de conciliateurs décideurs, celui de la réviseure, là, qui peut amener à des problématiques et qui amenait des recommandations particulières aussi. Donc, vous mettez en garde un peu le ministre sur le... évidemment de limiter cette façon de faire à ceux et celles qui ont la compétence et la reconnaissance.
Sur le membre décideur, vous n'êtes pas les seuls évidemment à émettre de grandes réserves. Je vous dirais, aux problématiques que vous mentionnez peuvent s'ajouter aussi celle, entre vous et moi, de la pression sur la personne. À partir du moment où le décideur décide qu'il devient un conciliateur, la conséquence pour l'individu de ne pas s'entendre à cette étape-là, elle peut être importante, même en termes monétaires, en termes de délais aussi, mais en termes monétaires. Si, cette journée-là, il avait assigné des gens ou, lui-même, il est représenté par quelqu'un, tu recommences à zéro, ça a quand même un impact, hein, en termes...
Mme Corriveau (Line): Oui, c'est ce qu'on expliquait par l'idée de la prolongation de délais. Évidemment, lorsque ça échoue et que le dossier doit être entendu par une autre personne, tout le monde y perd; en premier, les justiciables, qui ont perdu temps et argent dans la préparation de leur cause.
Mme Doucet (Michelle): Je veux juste compléter. D'ailleurs, dans notre mémoire, où c'est une décision du Conseil de la justice administrative suite à une plainte d'un décideur qui, bon...
M. Bédard: Avait...
Mme Doucet (Michelle): C'est parce que ce n'est pas toujours facile de passer d'un rôle à l'autre, etc. Et il faut savoir aussi que les conciliateurs, on est régis par un code de déontologie qui est différent que d'un code face à un décideur. La personne, le membre qui va jouer le rôle de conciliateur, quel code de déontologie qui va s'appliquer à lui? Y a-tu une immunité? Y est-u lié à la confidentialité des conciliateurs? Je pense que c'est... Ça devient une situation très délicate pour les membres, même s'ils ont les qualifications personnelles, de jouer le rôle de conciliateurs. Ils sont régis par quoi, quel code, etc.? C'est très important, là.
M. Bédard: Il y en a plusieurs qui pourraient s'improviser, dans le sens...
Mme Doucet (Michelle): Ils peuvent s'improviser, mais il faut avoir... On a un code de déontologie. C'est quand on doit arrêter une conciliation, hein? Un décideur n'a pas à voir si la personne est capable de donner son libre consentement. Un conciliateur doit le faire, si la personne juge que son consentement est... en tout cas, il ne comprend pas les choses. Il arrête la conciliation, il ne peut pas aller plus loin. Un décideur ne fera pas ça, il va faire... il n'est pas lié à aucun code, à ce moment-là.
M. Bédard: D'où l'importance d'avoir cette...
Mme Doucet (Michelle): Il va se plaindre à qui, comment?
M. Bédard: ...cette protection.
Mme Doucet (Michelle): C'est très difficile.
M. Bédard: O.K. Avez-vous regardé aussi tout l'aspect de la reconsidération, des pouvoirs quand même assez larges de la reconsidération? Certains groupes sont venus nous faire part de la problématique que cela pourrait entraîner à l'administration d'avoir un pouvoir quand même assez large dans le temps, là, et même presque illimité dans le temps de pouvoir reconsidérer, pas de pouvoir réviser mais reconsidérer s'il y a des faits nouveaux, des éléments... Est-ce que vous pensez, vous, que, dans votre travail de conciliateur, cela pourrait avoir des impacts négatifs sur une conciliation éventuelle?
Mme Corriveau (Line): On n'a pas étudié...
M. Bédard: Avez-vous étudié ces dispositions-là sur la reconsidération?
Mme Corriveau (Line): ...la question en profondeur, non.
M. Bédard: Non? Qui donne des pouvoirs élargis... pas des pouvoirs élargis, mais dans le temps de reconsidérer advenant des faits nouveaux...
Mme Corriveau (Line): Non. Si on avait traité de toutes les dispositions qui pouvaient avoir une influence sur notre travail de conciliateurs, j'imagine qu'on serait encore à la table à dessin. Mais cet aspect-là n'a pas fait l'objet d'une étude, non.
M. Bédard: O.K. Dernière chose, plus techniquement, vous demandez votre attachement au tribunal. C'est cela, si j'ai bien compris? Au niveau des conciliateurs?
Mme Corriveau (Line): On demande notre attachement à?
M. Bédard: Au Tribunal administratif. Quel est votre... J'ai ici, là, le...
Mme Corriveau (Line): Ah, le transfert de conciliateurs, oui.
M. Bédard: Le transfert, oui.
Mme Corriveau (Line): Oui. Bien, c'est parce que ça ne paraît pas de façon très, très claire dans le projet de loi que les conciliateurs actuellement à l'emploi de la CLP...
M. Bédard: Oui, exact.
Mme Corriveau (Line): ...vont être transférés au nouveau tribunal.
M. Bédard: Et vous dites actuellement que les dispositions ne sont pas assez claires et vous voudriez que ce soit plus clair pour que vous soyez...
Mme Corriveau (Line): Bien, oui.
M. Bédard: ...vous soyez sûrs de traverser?
Mme Corriveau (Line): On pense que ce serait une bonne idée.
M. Bédard: Et vous n'avez pas de doute là-dessus, là, vous? Quant à la nécessité, vous n'avez pas de doute, du moins.
Mme Corriveau (Line): Quant à la nécessité, on n'a aucun doute.
M. Bédard: Alors, je vous remercie, je n'ai pas d'autre question. Merci.
Mme Corriveau (Line): Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Et j'ai le député de Marguerite-D'Youville qui m'a demandé la parole.
M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. Alors, bienvenue, M. Lessard, Mme Corriveau, Mme Doucet. Le ministre me glissait à l'oreille, Mme Corriveau, que vous êtes un auteur d'un livre sur les notions d'accident de travail. Et, comme vous savez qu'on a un vaste auditoire qui nous écoute, on pourrait en profiter pour dire qu'il semble que ce soit un livre utile dans toute bonne bibliothèque de praticien.
Mme Corriveau (Line): Vous êtes très gentil. Mais, pour être honnête, je dirais aux acheteurs potentiels que le livre n'est pas mis à jour et qu'il date déjà de 1990 ou 1991.
M. Moreau: Alors donc, c'est un ouvrage de référence à prendre avec réserve.
Mme Corriveau (Line): C'est ça.
M. Moreau: C'est bien. Non, mais c'est toujours bon. Écoutez, je voulais vous entretenir évidemment, moi aussi, de la conciliation. Il y a des éléments que vous avez soulignés. D'abord, je pense que vous avez suivi les travaux de la commission, et les membres de la commission ont été à un moment donné un peu surpris d'entendre un professeur d'université, je pense que c'est Mme Lippel, qui est venue nous dire que la conciliation était une étape traumatisante pour le justiciable. Vous êtes des experts de la conciliation, vous en faites de façon fréquente. Première question: Comment réagissez-vous à cet énoncé-là?
Mme Corriveau (Line): Bien, je dois dire que Me Lippel, avec son énoncé, m'a moi-même traumatisée. Elle m'a traumatisée et elle m'a également surprise beaucoup. C'est dommage parce que j'aurais aimé voir l'étude sur laquelle elle fondait son assertion et je ne l'ai pas. Ce que j'ai eu, par contre, c'est une étude préliminaire, et je ne le sais pas si l'étude a été complétée.
Mais son étude préliminaire portait sur une rencontre qu'elle avait eue avec 14 personnes. Alors, est-ce que c'est un échantillonnage malheureux qui a fait en sorte qu'il y a deux de ces personnes-là qui ont émis un commentaire? Évidemment, sur le nombre de dossiers qu'on a traités, il est possible qu'une personne se soit sentie mal à l'aise pendant une conciliation, là. Je ne peux pas nier. Mais, en tirer une conclusion générale pour dire que c'est un processus traumatisant, moi, ça me semble être un peu vite comme conclusion.
Et ça va à l'encontre entre autres de nos sondages auprès de notre clientèle. Nous, on fait des sondages pour voir la perception des gens, et ça n'allait pas dans ce sens-là. Et ça ne va pas dans le sens non plus de tous les commentaires qu'on reçoit régulièrement des représentants des parties elles-mêmes et de notre propre constatation dans nos dossiers. Au nombre de dossiers qu'on a réglés, juste les trois ici, personnellement, je serais très étonnée qu'un travailleur qui ait quitté ma salle de conciliation soit sorti traumatisé. Mais je ne veux pas faire un cas personnel de choses, mais je suis à peu près certaine que c'est la même chose pour tout le monde.
M. Moreau: Bon, je vous remercie. Et ce serait un commentaire...
Mme Corriveau (Line): Est-ce que... Peut-être que quelqu'un voudrait ajouter.
M. Moreau: Oui, oui. Je vous en prie.
M. Lessard (Carl): Simplement pour compléter, bien, également aussi j'étais un peu traumatisé par cette question-là. J'étais rassuré par les propos du Protecteur du citoyen qui sont venus témoigner chez vous, quelques jours après. Et ils ont répondu à cette question-là, je pense, que vous leur avez posée. Et je pense qu'ils nous ont rassurés également sur cette question-là, notamment par le fait que, à leur connaissance... Puis le Protecteur du citoyen est un peu le dernier rempart pour le citoyen qui est en situation de conflit perpétuel peut-être devant... face à des organismes. Et le Protecteur du citoyen en tout cas n'a pas soulevé cette question-là, n'a pas rapporté cette question-là, bien au contraire.
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(10 h 30)
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M. Moreau: Non. Je trouve que le lien que vous faites est intéressant, mais il me semblait important pour la commission de l'entendre de gens qui d'abord avez une excellente réputation au niveau des chiffres et des résultats que la commission a. À l'égard du succès de la conciliation au niveau de la CLP, je pense que c'était important de vous poser la question pour dissiper cet aspect-là.
Il y a trois éléments que vous avez soulevés dans votre mémoire, là, où vous parlez du caractère exclusif du conciliateur par opposition à utiliser les juges administratifs pour faire de la conciliation, et je me demandais si ? j'essaie de cheminer avec vous ? si on ne pourrait pas trouver une réponse aux arguments 4, 5 et 6 que vous avez soulevés, où vous dites, bon: Ça crée une ambiguïté... 4, c'était: Ça crée une ambiguïté chez le juriste parce que le juge, au départ, intimide parce qu'il a une position d'autorité, et, de le voir se transformer en conciliateur, il y a un caractère intimidant qui peut être un obstacle à une bonne conciliation. Ça, c'était 4. Vous me direz si j'ai fait erreur. 5, vous parlez de l'étanchéité nécessaire entre le décideur et le conciliateur. Et 6, c'était le caractère... le délai que pouvait imposer le fait qu'un juge commence à entendre une cause, se transforme en conciliateur, que, par tactique, on en fasse un échec volontaire, ce qui obligerait un autre décideur et, donc, une question de délai.
Si on maintien l'idée que les juges puissent faire de la conciliation mais qu'on modifie la Loi sur la justice administrative pour faire en sorte que ce ne soit pas le juge saisi d'une affaire qui puisse se transformer en conciliateur, mais que le juge qui n'est pas saisi de l'affaire, un juge ou un membre du tribunal qui n'est pas saisi de l'affaire puisse faire une conciliation dans la mesure où il n'agira jamais comme décideur dans cette question-là, est-ce que ça ne serait pas une réponse à ces arguments-là?
Et, d'autre part, je pense que c'est Mme Doucet qui soulevait ça en disant: Bien là il y a une ambiguïté au niveau des codes de déontologie. À la Cour d'appel, il y a de la conciliation, et cette conciliation-là est faite par les juges. Alors, le juge qui ne serait pas entendu à être décideur dans une cause et qui ne serait que conciliateur obéirait au code de déontologie inhérent au conciliateur. Est-ce que ça, cette modification-là, ne serait pas de nature à répondre aux arguments que vous avez soulevés ou au questionnement que vous avez soulevé?
La Présidente (Mme Thériault): Il vous reste une minute pour répondre à la question du député.
M. Moreau: Je m'excuse, c'est de ma faute.
Mme Corriveau (Line): Bien, moi, je pense que c'est une piste qui est intéressante, mais le plus important, je pense, c'est d'empêcher les juges de se transformer en conciliateurs au début d'une audience. Ça, c'est le pire des scénarios pour nous. Qu'on demande... Évidemment, s'il y a certains juges administratifs qui en font actuellement, qui le font bien et que c'est apprécié, on ne veut pas les empêcher d'en faire, mais, dans ces circonstances-là, on aimerait que ces gens-là, bien, soient ni plus ni moins considérés comme des conciliateurs. Et, quant à leurs conditions de travail, ça pourrait être réglé par une disposition transitoire ou au autrement, mais au moins ils agiraient et auraient les mêmes obligations que les conciliateurs face aux parties. Je ne sais pas si ça répond.
M. Moreau: Oui. Je pense que Mme Doucet souhaite ajouter...
Mme Doucet (Michelle): Juste au niveau de la Cour d'appel, notre Code de procédure civile prévoit justement l'immunité pour les juges qui font de la conciliation parce que c'est tout à fait un autre rôle, et c'est prévu, ce qui n'est pas du tout, du tout... Donc, en libérant le membre de ses fonctions pour agir à titre de conciliateur, comme ces membres-là le font continuellement, à ce moment-là, ça devient clair qu'ils agissent à titre de conciliateurs, ils sont régis par le code de déonto, les règles de pratique et... Pour les gens, ça va être très clair, à ce moment-là.
M. Moreau: Alors, cette piste de solution là, ce serait de nature à...
M. Lessard (Carl): J'ajouterais un dernier élément, peut-être, de réponse.
Une voix: Oui, je vous en prie.
M. Lessard (Carl): Du moins, dans la section des lésions professionnelles, où actuellement cette pratique-là n'est pas en vigueur et où ça fonctionne très, très bien, on n'en verrait pas la nécessité d'étendre cette façon de procéder là dans cette section-là. Alors, s'il faut la vivre de façon transitoire dans d'autres sections, avec d'autres sections du tribunal, je pense que, dans le cadre qu'on vous donne ou en tout cas de ce qu'on discute, c'est faisable, c'est possible, c'est réalisable.
La Présidente (Mme Thériault): Merci pour ces précisions. Je vais maintenant retourner la parole au porte-parole de l'opposition officielle, M. le député de Chicoutimi.
M. Bédard: Seulement une petite précision. Effectivement, on a eu Me Lippel qui est venue nous faire part du caractère traumatisant de la conciliation. J'aimerais peut-être avoir, si c'est possible... Vous parliez que vous faites des sondages, évidemment anonymes, j'imagine, auprès de votre clientèle. Est-ce que ce serait possible que les membres de la commission puissent bénéficier des résultats?
Mme Corriveau (Line): Je pourrais m'informer et obtenir...
M. Bédard: Si c'est possible.
Mme Corriveau (Line): Oui.
M. Bédard: C'est simplement cette demande que je souhaitais faire. Merci.
Mme Corriveau (Line): O.K.
La Présidente (Mme Thériault): Ça vous va? Donc, ceci met fin à cette période d'échange. Merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.
Nous allons suspendre la séance pour quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 10 h 35)
(Reprise à 10 h 40)
Conseil des tribunaux
administratifs canadiens (CTAC)
La Présidente (Mme Thériault): Nous allons reprendre les travaux de la commission. Et nous accueillons le Conseil des tribunaux administratifs canadiens. Si vous voulez vous présenter.
Mme Juteau (Michèle): Bonjour. Mon nom, c'est Michèle Juteau, je suis présidente du Conseil des tribunaux administratifs canadiens et je suis aussi commissaire à la Commission des lésions professionnelles. Je suis accompagnée de M. Luc Harvey, qui est régisseur à la Régie du logement et qui siège sur le conseil d'administration du Conseil des tribunaux administratifs canadiens, qu'on appelle le CTAC aussi. Alors, peut-être que je vais dire CTAC, là, lors de ma présentation, alors ça désigne le conseil.
Alors, j'aimerais remercier les membres de la Commission des institutions de nous inviter à vous adresser la parole et vous présenter une perspective canadienne de la justice administrative. Alors, les commentaires qu'on vous présente reflètent l'expérience des différents tribunaux administratifs canadiens. M. Harvey et moi, on cumule 40 ans d'expérience dans le domaine de la justice administrative dans différents secteurs, là. Je vous les énumère rapidement: relations de travail, logement, administration municipale, éducation puis régimes d'indemnisation. Alors, on a, dans notre pratique de tous les jours, vu plusieurs systèmes, plusieurs régimes, et nos collègues canadiens, bien sûr, chacun dans leur province, nous ont alimentés de leur expérience aussi. Je dois vous dire, avant de commencer notre présentation, que le Québec fait l'envie... le régime, au Québec, fait l'envie ? actuel ? fait l'envie de nos collègues canadiens. Quand on parle de notre réalité, quand je parle de ma réalité à la Commission des lésions professionnelles, quand Mme Laverdière, qui est membre du conseil d'administration du CTAC, parle de ce qui se passe au Tribunal administratif, ils sont toujours étonnés de voir comment la justice administrative est structurée au Québec. Et, quand le ministre de la Justice est venu nous adresser la parole au dernier congrès, au mois de juin dernier, et qu'il a annoncé la réforme qu'il proposait, ils ont été encore plus surpris de l'avancement des institutions administratives, des institutions qui rendent la justice administrative au Québec, et particulièrement des tribunaux d'appel. Alors, c'est avec cette perspective-là qu'on fait les commentaires aujourd'hui.
Notre présentation va porter sur cinq points: la durée des mandats; la sélection des membres; l'aspect de la déontologie; l'évaluation des membres; et le pouvoir d'action des représentants. Alors, je vais céder la parole à mon collègue, M. Harvey, qui va vous entretenir sur la durée, la sélection et l'évaluation, et je prendrai la parole sur les deux autres points, pour conclure par la suite.
M. Harvey (Luc): Alors, bonjour. Alors, concernant la nomination des membres du Tribunal des recours administratifs du Québec durant bonne conduite, vous comprenez que d'emblée le CTAC appuie cette nouvelle disposition. Elle donne aux citoyens la garantie que leurs différends avec l'administration gouvernementale seront traités en toute indépendance. Et vous savez que l'indépendance judiciaire...
Et je prends à témoin l'honorable ministre de la Justice qui a participé à de nombreuses reprises à nos colloques. Entre autres, à toutes les deux années, il y a un colloque international qui est organisé. Et vous comprenez que le Canada, et en particulier le Québec, fait oeuvre de pionnier, comme le disait Mme Juteau, en matière d'indépendance judiciaire. Et c'est un thème, l'indépendance judiciaire, qui est récurrent à chacun de nos congrès. Et, lors du congrès de Québec, en 2001, l'honorable juge L'Heureux-Dubé, de la Cour suprême, était conférencière invitée et elle a insisté beaucoup sur ce besoin d'émancipation des tribunaux administratifs devant le pouvoir politique, et je pense que vous en êtes tous conscients. Alors, en gros, elle disait que chaque juge doit être protégé des pressions indues, et il faut accroître la perception d'indépendance. Elle plaidait ça devant nous, et d'emblée tout le monde était acheteur. Les principes fondamentaux reconnaissent que, sans l'indépendance, la magistrature n'a pas de pouvoir pour défendre les droits et les libertés.
Alors, nous pensons que le même principe, également, de la nomination pour bonne conduite devrait être étendu aux membres des autres organismes exerçant des fonctions juridictionnelles, particulièrement ceux qui sont actuellement assujettis à la Loi sur la justice administrative ? en fait, l'ancienne loi ? soit la Régie du logement ? et je suis moins objectif quand je parle de cet élément-là ? et également la Commission des relations de travail. Le législateur favorise ainsi une justice administrative de meilleure qualité. L'offre d'une perspective de carrière au sein des tribunaux est susceptible d'attirer des candidats compétents, et c'est ce qui est important également. Elle agit aussi comme facteur de rétention des décideurs d'expérience.
À ce sujet, j'aimerais vous citer un passage du président... Le président du Tribunal d'appel en matière de lésions professionnelles, l'équivalent de notre CLP en Ontario, M. Strachan, dans son dernier rapport d'étape, disait ceci: «Si la qualité de la justice administrative doit conserver son niveau d'excellence, des moyens doivent être trouvés pour s'assurer que les individus qualifiés et compétents conservent leur place dans ce système. Aucun chef de la direction chevronné ne concevra un plan d'affaire mettant automatiquement fin à l'emploi de ses employés les plus compétents, les plus qualifiés et les plus expérimentés, après six ans ou neuf ans de collaboration. Un dirigeant avisé doit chercher, au contraire, à retenir les services des individus de qualité par le biais d'encouragements variés reliés à son emploi.» Ainsi, ça traduit la préoccupation de notre organisme et de l'ensemble de nos membres quant à cette notion de nomination jusqu'à bonne conduite.
Par ailleurs, le mandat durant bonne conduite accentue également l'impact dans le processus de sélection des membres, et je pense que c'est un facteur important. Considérant qu'un membre de votre nouveau tribunal que vous vous apprêtez à créer est nommé durant bonne conduite, nous soumettons qu'il est essentiel que le processus de sélection soit transparent, crédible et rigoureux. Il doit se fonder sur le mérite des candidatures et être mené par des personnes d'expérience en matière de justice administrative.
Relativement au volet évaluation des membres, le projet de loi n° 35 attribue au président du nouveau tribunal la responsabilité d'évaluer périodiquement les connaissances, les habiletés, les attitudes et le comportement des membres dans l'exercice de leurs fonctions et leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal. Il prévoit que les règles d'évaluation seront établies par un règlement du gouvernement.
Le CTAC reconnaît la pertinence d'évaluer les membres des tribunaux administratifs lorsque cette évaluation sert à des fins formatives. Cet exercice doit favoriser autant le développement des membres que celui du tribunal. Il contribue à l'atteinte des objectifs de compétence, de qualité, d'accessibilité et de célérité, qui sont les principes à la base même de la justice administrative et de l'établissement des tribunaux administratifs.
Par contre, la CTAC soumet certaines observations. Les premières sont motivées par notre préoccupation de respecter les garanties d'indépendance et d'impartialité et les secondes par un souci de saine gestion et d'efficacité. Relativement à l'évaluation versus les garanties d'indépendance et d'impartialité, suivant l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, toute personne a le droit à une audition impartiale de sa cause par un tribunal indépendant. Le citoyen doit avoir la confiance que le membre décide suivant la règle de droit et d'après la preuve, en dehors de toute ingérence externe. Conséquemment, le processus d'évaluation doit respecter, voire préserver l'autonomie décisionnelle du membre.
Ainsi, le CTAC s'interroge sur la perception qui pourrait découler du fait que le gouvernement fixe les règles d'évaluation. Certains y voient une menace à une garantie d'indépendance des membres. Relativement à l'évaluation, à l'efficacité et à la saine gestion, le CTAC se questionne sur la nécessité de développer des normes réglementaires d'évaluation. Les éléments énumérés au paragraphe 3.1 de l'article 75 ne sont-ils pas suffisants pour orienter le président du TRAQ? La rigidité des règles édictées par règlement convient-elle à cet exercice? D'autres moyens plus souples pourraient être envisagés pour favoriser une évaluation efficace, comme la sensibilisation et la formation des évaluateurs.
Par ailleurs, l'expérience enseigne que l'évaluation des membres est un exercice qui requiert beaucoup de temps, un haut niveau d'habileté et une grande rigueur. Réalistement, considérant le nombre de membres en poste, afin d'assurer le succès d'une démarche d'évaluation de cette ampleur, il est essentiel que les dirigeants du TRAQ manifestent un intérêt continu et une ouverture d'esprit vis-à-vis des membres. Il faut éviter que le processus engendre la méfiance et la confusion. Aussi, nous suggérons que cet aspect soit considéré lors de la sélection des membres appelés à occuper des charges administratives au sein du tribunal. Je cède la parole à ma collègue relativement aux problèmes déontologiques. Merci.
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(10 h 50)
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Mme Juteau (Michèle): Alors, je vais vous parler de la déontologie, ce qu'on retient des changements qui sont introduits. Il y a des règles de déontologie qui sont introduites dans le projet de loi et aussi on abolit le Conseil de la justice administrative et on prévoit une nouvelle façon de traiter les plaintes déontologiques. Alors, nos remarques s'adressent à ces deux aspects-là, les règles de déontologie et le processus de traitement des plaintes déontologiques.
Alors, quant aux règles de déontologie, on a une remarque, on soulève le fait que généralement on donne aux pairs, à une assemblée de pairs, le mandat d'établir les règles déontologiques. Alors, on vous soumet que, dans ce cas-ci, il serait peut-être intéressant de regarder la possibilité que ce soit l'assemblée des membres du nouveau tribunal qui établisse... adopte un code de déontologie soumis à l'approbation du gouvernement, plutôt que la consultation des membres et par la suite l'adoption du code par le gouvernement.
Quant à l'abolition du Conseil de la justice administrative... Je vais vous dire que j'ai travaillé pendant trois ans au Conseil de la justice administrative. J'ai travaillé avec M. McCutcheon à la mise en place de ce conseil-là, alors j'ai un petit peu une connaissance de... ? un peu ? je pense que j'ai une bonne connaissance de la déontologie en matière de justice administrative quand on parle de juge administratif d'un tribunal d'appel. C'est un domaine qui est fort complexe parce que la déontologie sert à mettre fin au mandat d'un membre, sert à sanctionner un membre et sert à le destituer. Par une plainte déontologique, on destitue le membre, et c'est encore le cas dans le projet qui est proposé, dans le projet de loi n° 35.
Alors, il faut... C'est délicat, ça met en... La déontologie fait partie... appuie l'indépendance du décideur, donc fait partie de l'indépendance. Et je pense qu'il est nécessaire qu'il y ait un forum permanent qui porte le mandat de la déontologie, et qui apporte une vision, et qui développe une expertise en matière de déontologie. Il faut éviter qu'il y ait de l'incohérence et que des comités ad hoc rendent des décisions qui ne soient pas réconciliables.
Alors, c'est important, la déontologie, c'est ce qui va servir à bâtir la confiance des citoyens, pas juste les gens qui se présentent devant le tribunal, mais la société aussi. La justice administrative, c'est un atout pour la société. Alors, c'est une valeur qui est importante pour la société de savoir qu'il y a des tribunaux qui sont indépendants, qui rendent justice. C'est important pour les gens qui vont travailler, pour les employeurs, pour les gens dans le domaine de l'environnement de savoir que, s'il y a un problème, il va être réglé par un tribunal indépendant et qu'on ne pourra par utiliser la déontologie comme moyen d'influencer les gens qui décident. Donc, un forum indépendant. D'ailleurs, dans l'affaire Valente et dans l'affaire Ruffo, la Cour suprême a réaffirmé ce principe-là d'indépendance du forum déontologique.
L'autre aspect, c'est un forum autonome, un forum qui se détache du président ou de la gestion du tribunal. Je vais vous dresser un portrait de ce qu'on voit dans le rôle du président du nouveau tribunal que vous proposez. Alors, c'est un président qui a un premier devoir de faire respecter la déontologie, donc il peut porter lui-même une plainte. Lui, il peut constater qu'un des membres a une conduite qui n'est pas déontologique. Il pourrait porter une plainte. Il est aussi la personne qui a la responsabilité d'évaluer le membre, alors il va porter un jugement sur la compétence, sur la façon dont le membre se comporte dans le tribunal. Il peut être appelé à témoigner devant un comité d'enquête. Il peut aussi être... La qualité de sa gestion peut être aussi questionnée par le comité d'enquête. Alors, on voit ici que, s'il est en plus celui qui gère le processus d'examen des plaintes et le processus qui mène au comité d'enquête, on le place dans une situation qui pourrait... qui est conflictuelle, et, dans certains cas, il pourrait être juge et partie. Alors, c'est pour ça qu'on trouve qu'un forum qui soit indépendant du tribunal et indépendant de l'administration gouvernementale reste pertinent en matière de déontologie, d'autant plus que la recommandation de cette institution-là amène la destitution du membre. Donc, l'indépendance et l'autonomie du forum amènent, là, bâtissent la confiance du public, pas juste vis-à-vis des membres, mais par rapport au public. Quand on adresse la plainte, on veut avoir un forum indépendant qui décide. Donc, les gens sont plus enclins à lui accorder une confiance quand c'est un processus interne.
En matière de... Ma dernière remarque concerne le pouvoir d'exclure des représentants, et, dans ce sens-là, je veux vous faire part de l'expérience canadienne. On a entendu des... En tout cas, j'ai lu, là, dans la transcription des débats, certaines personnes qui étaient réticentes à l'existence d'un tel pouvoir. Je peux vous dire qu'au Canada ça existe, il y a des juridictions qui ont ce pouvoir-là dans les lois. Et celles qui ne l'ont pas, il y en a qui l'ont exercé malgré que le pouvoir n'est pas là. Et, dans un arrêt récent ? je pense que c'est un arrêt qui n'a pas deux ans, là ? de la Cour fédérale, dont la référence est dans notre texte, la Cour fédérale a utilisé les principes de justice naturelle pour confirmer l'exclusion d'un représentant que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait ordonnée. Et, dans ce contexte-là, ils avaient ordonné l'exclusion, pas pour un dossier, mais pour l'ensemble des dossiers, pour ce représentant-là, de se présenter devant la Commission. On a aussi des dispositions ? elles sont indiquées dans le mémoire, là ? en Ontario et en Colombie-Britannique. Alors, c'est des règles qui existent ailleurs et qui sont utilisées de façon exceptionnelle, bien sûr, mais qui peuvent être utilisées quand on a un représentant qui manifeste de l'incompétence ou qui agit d'une manière trompeuse.
Alors, à titre de conclusion, je vais revenir, là, sur encore l'indépendance. Je pense que c'est fondamental pour la société québécoise qu'on ait des tribunaux administratifs d'appel qui soient indépendants. La justice administrative, c'est très important pour les citoyens. Ces tribunaux administratifs là rendent des décisions. Les tribunaux administratifs rendent des décisions en matière de logement, en matière d'indemnisation, en matière d'environnement et en matière de fiscalité municipale. C'est des décisions qui sont au coeur de la vie des citoyens. Et, quand les citoyens s'adressent à ces tribunaux-là, ils veulent avoir la garantie que la personne qui les entend va rendre une décision en toute impartialité, sans ingérence, ils veulent avoir les mêmes garanties que quand ils adressent leurs litiges privés devant une cour de justice. Alors, je vous dis que le projet qui est là, pour nous, il est porteur d'avenir, je pense qu'il rehausse la valeur de la justice administrative, et le Conseil des tribunaux administratifs canadiens appuie ces changements-là.
La dernière remarque va s'adresser au... En tout cas, on souligne le fait que le législateur met en place un système qui nous amène à l'excellence, mais il faut aussi penser que, sans moyens, les changements que le législateur impose, sans les moyens, le temps pour faire bien les choses, les changements que le législateur impose peuvent rester lettre morte, peuvent ne donner que peu de résultats. Alors, il faut accompagner la volonté du législateur aussi de moyens pour réussir les choses, c'est très important. Et, que ce soit au niveau de la formation... La formation, c'est souvent la première chose qu'on met de côté quand on a des problèmes budgétaires. Mais imaginez, là, quand on aura dans la loi l'obligation de maintenir nos compétences, comment la formation va être importante et, quand on va avoir des organismes régionalisés, comment des forums d'échange entre les membres vont être importants pour maintenir la cohérence, pour maintenir le haut niveau de qualité des décisions et de la façon dont le tribunal va agir avec les gens qui se présentent devant lui. Je vais laisser la dernière remarque à mon collègue.
M. Harvey (Luc): Merci. Alors, écoutez...
La Présidente (Mme Thériault): Vous avez 30 secondes pour faire votre remarque.
M. Harvey (Luc): En 30 secondes? J'en prends 22, il n'y a pas de problème.
La Présidente (Mme Thériault): Merci.
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(11 heures)
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M. Harvey (Luc): Alors, simplement pour vous rappeler qu'on a parlé de l'arrêt Valente puis on a pris connaissance un peu des mémoires, entre autres le mémoire du Barreau, et le bâtonnier Gagnon reprenait justement ces principes dégagés dans l'arrêt Valente, à l'effet que l'indépendance, l'impartialité, en fait, sont des remparts qui assurent une crédibilité pour le justiciable lorsqu'il s'adresse aux tribunaux administratifs. Alors, pour nous, c'est fondamental. Et ce qui est inscrit dans le projet de loi, ici, relativement à la nomination des membres, c'est quelque chose qui est très important. Vous faites oeuvre de pionniers. Le législateur québécois, dans sa tradition de droit civil, a toujours fait oeuvre de prisonnier... ? de prisonnier, je m'excuse ? de pionnier dans la réalisation de ses objectifs en matière de justice administrative. Vous impressionnez les autres provinces... ? c'est-à-dire, les autres provinces... ? les autres membres des tribunaux des autres provinces et du gouvernement fédéral lorsqu'ils voient ce qui se dessine, ce qui existe déjà et ce qui se dessine. Alors, vous êtes dans la bonne voie, on vous encourage à tenir compte de nos commentaires. Et ça nous a fait plaisir, on vous remercie.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, Mme Juneau. Merci, M. Harvey. Donc, sans plus tarder... Me Juneau, pardon.
Une voix: ...
La Présidente (Mme Thériault): Juteau, désolée. Sans plus tarder, je vais passer la parole au ministre de la Justice.
M. Bellemare: Alors, bienvenue, Me Juteau, Me Harvey. Pour ces remarques du Conseil canadien... qui regroupe combien de membres, en passant?
Mme Juteau (Michèle): Ça fait plus de 450 membres qui viennent des territoires, des provinces et du fédéral, alors une vision assez globale, là, du Canada tout entier.
M. Bellemare: O.K. Et l'ai eu l'occasion à quelques reprises de réaliser jusqu'à quel point les collègues de l'extérieur du Québec, de l'Ontario notamment, étaient curieux de voir ce qui se passait au Québec, et en même temps intéressés, et dans bien des cas ravis de voir que le Québec faisait oeuvre de pionnier. Mon prédécesseur, le ministre Bégin, avait fait un travail colossal en matière de justice administrative de 1994 à 1996. Le TAQ a été une belle initiative, mais je pense qu'il faut continuer de travailler dans la bonne voie. Et une des idées maîtresses du projet de loi n° 35, c'est de régionaliser la justice administrative, de favoriser l'accès à la justice administrative en région.
Nous avons, au Québec, la Commission des lésions professionnelles qui a fait un travail impressionnant pour régionaliser ses greffes. Vous êtes vous-même commissaire de la CLP à Chicoutimi et vous êtes en mesure, au quotidien, de réaliser jusqu'à quel point les Saguenéens sont contents de pouvoir transiger avec un greffe régional. Et j'imagine que mon collègue député de Chicoutimi, porte-parole de l'opposition en matière de justice, le réalise aussi, il est très ouvert au volet de la régionalisation. Et c'est tout à fait compréhensible, je pense que c'est dans l'intérêt de tous les partis, de tous les Québécois. Il faut régionaliser le TAQ, à mon avis, et ça urge, ça fait longtemps qu'on en parle. Les victimes de la route, les victimes d'actes criminels, les bénéficiaires de l'aide sociale, de régimes de rentes sont encore aujourd'hui entendus par des juges administratifs qui voyagent au Québec, qui sillonnent les différentes régions du Québec, mais qui relèvent de Montréal et de Québec, ce qui, à mon avis, n'est pas acceptable 28 ans après la mise sur pied de la Commission des affaires sociales. Je crois que c'est une avancée du projet de loi n° 35 et je crois qu'on va être en mesure de réaliser cette grande opération de régionalisation.
Maintenant, il y a des groupes qui craignent la fusion des deux tribunaux, et ma lecture à moi est que, si on ne peut pas fusionner les deux tribunaux, on ne pourra pas régionaliser. C'est un peu malheureux de le dire, là, mais la régionalisation va se faire dans la mesure où on peut fusionner, parce que je ne crois pas qu'on soit en mesure d'ouvrir, au Québec, dans toutes les régions, des greffes individualisés du TAQ avec des bâtisses à construire, des locaux à... Bon. Alors, construisons à partir de ce qui est déjà bien fait et bien amorcé, donc la CLP. Donc, fusion rime avec régionalisation, à mon avis.
Avez-vous des craintes, vous, quant à la fusion? Certains groupes nous disent: Bien, il faut préserver les acquis, surtout au niveau de la CLP, ça va bien, on va... avoir le TAQ. Comme si le TAQ était une créature qu'il ne fallait absolument pas approcher, alors que le TAQ a de très belles réalisations à son actif aussi. Mais avez-vous des craintes, vous, quant à la fusion des deux tribunaux administratifs d'importance au Québec?
Mme Juteau (Michèle): Personnellement, moi, je n'ai pas de crainte. Je vais vous parler de la régionalisation, puis je vais revenir là-dessus, puis je vais demander à mon collègue d'ajouter. Au niveau de la régionalisation, on a discuté de ça au Conseil canadien, et il y avait des gens qui étaient pour, il y a des... Par exemple, la Commission du statut de réfugié, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, là, ils ont des bureaux de Vancouver à Halifax, c'est le plus gros tribunal au Canada, provinces toutes confondues, là. Ils ont des bureaux régionaux, et ça fonctionne bien. Ils ont une façon de faire qui... Le nouveau président, M. Fleury, a pris des moyens pour favoriser la cohérence des décisions, et tout ça, alors...
Mais d'autres ont peur de l'isolement. Moi, je suis à la Commission des lésions professionnelles depuis deux ans et, quand j'ai accepté d'être en poste à Chicoutimi, j'avais cette crainte-là de l'isolement, je me disais: On est deux et demi ? je ne vous dirai pas c'est qui, la demie ? on est deux et demi en poste à Chicoutimi, et puis, j'avais peur, hein, parce qu'on ne siège pas à toutes les semaines et puis on ne se voit pas régulièrement. Mais, moi, j'ai ma responsabilité de décideur de garder mes compétences à jour et d'être en contact avec mes collègues puis j'ai constaté qu'on peut être isolé aussi dans le même édifice, entre le 14 et le 21. Ce n'est pas parce qu'on est dans le même édifice qu'on ne sera pas isolé. Alors, je pense que ça part d'abord du décideur et par la suite il faut que l'institution nous donne les moyens de partager nos connaissances, d'avoir accès aux connaissances, puis ça, avec l'informatique, ça se fait bien, c'est possible de le faire.
L'autre aspect de le régionalisation, ce que je constate, c'est que c'est sûr que ça favorise le rapprochement avec les gens de la région, hein? Quand, moi, j'ai les avocats qui viennent devant moi, je les vois... c'est les mêmes gens, on a une façon de fonctionner, ils me connaissent, je les connais. Sans que ce soit, là, de la promiscuité, il y a... le respect s'établit, la crédibilité s'établit, et ça va bien, le fonctionnement.
Quant à la fusion, bon, certains pensent qu'il peut y avoir une perte de spécialisation, puis des craintes, là, quant à l'intervention de la Cour supérieure, quel sera le critère d'intervention de la Cour supérieure, puis tout ça. Je pense, ça va être important d'être attentif aux aspects de spécialisation du tribunal, de maintenir ces aspects-là, mais, moi, je vois la... personnellement, je trouve ça intéressant qu'on étende la compétence, ça ouvre nos horizons de décideurs, là. Les problèmes que ça pourrait poser au niveau juridique quant à l'absence de spécialisation, je pense qu'il faudra que le législateur soit attentif de garder cet élément-là dans le projet... de garder, là, des dispositions qui vont assurer la spécialisation des différentes sections.
M. Harvey (Luc): Quelques commentaires, si vous permettez. Au niveau de la régionalisation, il va sans dire que, étant moi-même membre de la Régie du logement, vous comprenez qu'on a des bureaux partout dans la province et qu'on vit quotidiennement cet élément. Il est important parce que, lorsqu'on parle de justice administrative, on parle d'accessibilité. Et, parmi les facteurs qui peuvent se joindre à l'accessibilité, il faut comprendre que l'intérêt pour le justiciable d'être entendu dans son milieu, c'est primordial. Déjà, le processus qui tend à se judiciariser impressionne en soi, alors le fait qu'on puisse le faire à Chicoutimi, qu'on puisse le faire à Rouyn-Noranda, qu'on puisse le faire à Val-d'Or, c'est important. Les gens se sentent chez eux et en sécurité, et c'est un facteur qui permet de rendre une bonne justice, à mon avis.
En ce qui concerne la question de M. le ministre à l'effet: Est-ce que vous êtes pour ou contre le regroupement? ce n'est pas une opinion personnelle, c'est une opinion de groupe, je ne pense pas de me tromper que le regroupement peut être favorisant, à mon avis, parce qu'on a... Au fil des 25 dernières années, le développement des tribunaux administratifs, on se rendait compte qu'à chaque fois qu'il y avait une législation importante on créait un organisme. Alors, il y a eu une multiplication des organismes quasi judiciaires, au fil des ans, et ça a fait en sorte que, par exemple... J'ai toujours en tête qu'au début de ma pratique, il y a 20 quelques années, il y avait la Commission des affaires sociales qui entendait les questions de lésions professionnelles. On a pris ces éléments-là, on les a envoyés à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. De là, on les envoyait à la Commission des lésions professionnelles, et maintenant on va les envoyer au TRAQ. Mais ce qui est intéressant, c'est de voir qu'on récupère, depuis la création du TAQ, des juridictions qui appartenaient à différents tribunaux pour essayer de centraliser. Alors, à mon avis, la tendance est intéressante, d'autant plus que la rareté des ressources fait en sorte que c'est peut-être inévitable également.
M. Bellemare: Merci.
La Présidente (Mme Thériault): M. le député de l'Acadie.
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(11 h 10)
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M. Bordeleau: Merci, Mme la Présidente. Écoutez, je voudrais profiter de votre perspective, au fond, canadienne pour revenir un peu sur... En introduction, vous avez parlé, vous avez mentionné que le Québec faisait l'envie de... et à la fin aussi, dans votre conclusion. J'aimerais peut-être que vous nous donniez peut-être un peu plus d'information étant donné, là, la comparaison que vous pouvez faire avec ce qui existe ailleurs et en prenant pour acquis, là, les réformes qui sont envisagées dans le projet de loi n° 35. Sur quels aspects, disons, plus particuliers les gens envient le système qu'on a ici? Globalement, vous nous avez dit que c'était ça, la réalité. Mais quels sont les aspects du système de justice administrative qui, comparativement à ce qui existe ailleurs, dans d'autres provinces, justifient l'envie à laquelle vous avez fait référence?
Mme Juteau (Michèle): Dans les autres provinces, les tribunaux sont très, très morcelés, là, sont... Comme le disait M. Harvey, il y a une fonction de l'État, un tribunal. Les membres, dans les tribunaux, ont des mandats, des fois, de deux, trois ans et sont souvent... il arrive à l'occasion qu'ils ne soient pas renouvelés, là, à la fin de leur mandat. Donc, ce que le président du tribunal, du Workers' Compensation Appeal Tribunal en Ontario disait, leur problème, c'est de retenir l'expertise. Alors, ils investissent dans l'expertise, ils reçoivent des nouveaux membres, et des nouveaux membres sont nommés, ils arrivent en poste, et là il y a un processus de formation qui est enclenché. Et, après trois ans, ces gens-là ne sont pas renouvelés, et on recommence. Et imaginez, pour un tribunal, le poids que cela implique, là, de garder l'expertise de leurs décideurs. Et, dans la loi... avec l'adoption de la Loi sur la justice administrative, il y a eu un processus qui a été mis en place et pour la sélection et pour le renouvellement des membres, et on a mis de côté l'arbitraire, là. Alors, c'est ces aspects-là qui principalement font l'envie, là, de nos collègues canadiens. Et beaucoup de membres sont à temps partiel dans beaucoup de provinces parce que les volumes ne sont pas énormes, ce sont des petits tribunaux. Alors, c'est ces aspects-là, il y a... Eux investissent énormément dans la formation de leurs nouveaux membres de façon perpétuelle et continuelle.
Au Québec, on a l'article 23 de la charte qui dresse la toile de fond. Vous avez une décision de la Cour suprême qui a été rendue par rapport à la Régie des permis d'alcool où on a affirmé, là, que cette institution-là devait être indépendante et devait agir de manière impartiale, et dans un... basé sur l'article 23. Le jugement de la Cour suprême est fondé sur les dispositions de l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Un cas similaire a été présenté à la Cour suprême, l'affaire Ocean Port, dans un cas de la Colombie-Britannique, des faits similaires. Et la Cour suprême a dit que, sans le rempart de l'article 23, on ne peut pas imposer ces... on ne peut pas utiliser ces garanties-là pour la Régie des permis d'alcool de la Colombie-Britannique. Donc, les institutions, les membres des institutions, les présidents de ces institutions-là de la justice administrative nous envient. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
M. Bordeleau: Oui. Bien, peut-être juste une autre petite question. Vous avez fait référence, au début, madame, à un des éléments que les gens enviaient qui était les tribunaux d'appel. Est-ce que vous pouvez nous donner plus d'information à ce niveau-là?
Mme Juteau (Michèle): Le Conseil des tribunaux administratifs canadiens regroupe des gens en provenance d'«administrative tribunals». En anglais, on a la notion de «courts», qui sont nos tribunaux judiciaires ici, et des «administrative tribunals», ce sont les organismes de l'État qui rendent des décisions individuelles. Alors, dans ça, on a des organismes de régulation et des organismes d'appel, des tribunaux d'appel. Alors, si on prend, par exemple, la Régie des permis d'alcool, c'est un organisme de régulation, c'est un tribunal administratif qui rend des décisions concernant les permis en matière d'alcool, en matière de jeu, et le TAQ est le tribunal d'appel. Alors, le TAQ a une fonction juridictionnelle, alors que la Régie des permis d'alcool a une fonction administrative. C'est lui qui régularise l'industrie, qui agit comme régulateur de l'industrie. Le TAQ agit comme tribunal d'appel, examine les décisions rendues par la Régie des permis d'alcool et s'assure que la règle de droit que... dans une démocratie, le législateur adopte des lois, et les tribunaux s'assurent que les gens qui sont chargés d'appliquer ces lois-là le font correctement. Préserver la règle de droit, préserver les règles que la société québécoise s'est données, c'est ce que fait le TAQ par rapport à ce que fait la Régie des permis d'alcool.
M. Bordeleau: ...différent dans les autres provinces canadiennes?
Mme Juteau (Michèle): Dans les autres provinces, il y a des tribunaux d'appel et il y a des tribunaux de régulation aussi, de la même façon. Mais aujourd'hui le projet de loi sur la justice administrative, la création du TRAQ, quand on parle de la CLP, quand on parle du TAQ, on parle de tribunaux administratifs d'appel qui exercent des fonctions juridictionnelles, qui fonctionnent à l'image, de la même façon que les cours de justice, respectent des règles de procédure et enquêtent, et ils sont similaires aux tribunaux judiciaires.
Nous, on dit souvent: On est comme des Mini-Wheats un peu. On a le côté judiciaire, mais, en même temps, on doit être convivial, on doit agir de manière accessible, avoir un langage qui est adéquat. Donc, on a à la fois... on doit à la fois s'assurer du respect de la règle de droit, mais, dans la façon de faire les choses, on le fait d'une façon plus conviviale que ce que les cours de justice vont faire. On espère être plus accessibles, plus près des gens, plus près des gens qu'on sert.
M. Bordeleau: Merci.
Mme Juteau (Michèle): J'ai été claire, monsieur?
M. Bordeleau: Oui, ça va. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député. Donc, nous allons du côté de l'opposition officielle. La parole est au député de Chicoutimi.
M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, Me Juteau, Me Harvey, merci encore de votre présentation, de vos bons mots. Je vais profiter du temps que vous êtes là pour pousser un peu plus loin. Entre autres, un des aspects, vous dites, bon, que vous avez écouté les membres de la commission relativement à un des aspects plus techniques mais qui a quand même son importance, qui est celui du pouvoir d'exclure un représentant, qui est quand même peu banal, je vous dirais, que je trouve personnellement quand même assez particulier, bien qu'il semble exister sous d'autres façons avec une décision de la Cour fédérale qui est... qui témoigne... je n'ai pas lu la décision, mais qui semble dire qu'il y a un pouvoir inhérent des cours.
Et là je ne veux pas aller plus loin sur cette question, mais, par contre, une des choses me semblent intéressantes, c'est au niveau de la Colombie-Britannique. On nous dit que... Vous nous dites qu'il y a des règles de conduite qui sont édictées par le tribunal au niveau des règles qui doivent être suivies pour être jugé comme représentant. Et ces règles ont été créées de la propre initiative du tribunal ou elles ont été proposées par la loi qui constitue le tribunal?
Mme Juteau (Michèle): C'est de la propre initiative du tribunal, oui.
M. Bédard: Autrement dit, actuellement vous pourriez établir ces propres règles, vous le dites, sans même de disposition de cette... qu'on retrouve. Alors, et pourquoi ces règles n'existent pas, d'abord, actuellement?
Mme Juteau (Michèle): Je ne pourrais pas vous répondre pourquoi. Je vais répondre à votre question de la façon suivante. En matière... Quand on regarde... Puis je vais regarder la jurisprudence de mon tribunal. Il existe des décisions en matière de conflit d'intérêts, par exemple, où les gens soulèvent que le représentant de la partie adverse a déjà agi dans le dossier mais pour l'autre partie. Et, dans ce cas-là, après enquête ? parce que ce n'est pas un pouvoir qu'on exerce d'une manière arbitraire, là, hein, c'est un pouvoir qui s'exerce de façon judiciaire, c'est-à-dire au terme d'une enquête où les gens ont l'occasion de se faire entendre ? alors, au terme de l'enquête, au terme de l'examen de la question, le tribunal ? chez nous, c'est les commissaires ? après avoir reçu l'avis des membres, peut décider qu'un représentant est en conflit d'intérêts et qu'il n'a pas la qualité d'agir parce que, de lui permettre d'agir, ce serait de discréditer l'image de la justice.
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(11 h 20)
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Alors, quand on agit, à l'heure actuelle, on le fait sur cette base-là, en se demandant tout le temps si le maintien de la personne en poste... discrédite-t-elle l'image, l'intégrité de la justice administrative, du processus devant le tribunal. On a aussi un devoir de préserver le droit des parties. Alors, sans intervenir dans la relation que la personne, la partie a avec son représentant, on doit agir de manière à préserver le droit des parties. Alors, mais, à mon sens, là, il y a eu une décision ancienne où, dans un cas d'incompétence, il y avait eu des mesures de prises, mais ce n'est pas aussi clair, là, que ça. Mais, en matière de conflit d'intérêts, ça se fait.
M. Bédard: Oui. Bien là c'est plus clair, effectivement et... Non, c'est pour ça que je regarde, vous savez, on a... Plusieurs y sont allés de suggestions...
Mme Juteau (Michèle): C'est ce qu'on a voulu vous mettre dans le mémoire, des éléments qui existent déjà, qui peuvent vous inspirer dans vos travaux. C'est plus une...
M. Bédard: Mais parce que celle de la Colombie-Britannique, je la trouvais intéressante. Par contre...
Mme Juteau (Michèle): Bien, quand on lit le code de conduite de la Colombie-Britannique, il y a des choses qui disent: Bon, vous devez respecter le personnel, vous devez... mais il y a une disposition qui porte sur la compétence en audience, sur la façon dont la personne agit en audience et sur sa... ? comment je pourrais... ? sa droiture vis-à-vis du tribunal, hein? Si jamais il agit de manière à tromper le tribunal, il pourrait être...
M. Bédard: Exclu.
Mme Juteau (Michèle): Parce qu'il y a la compétence, mais il y a aussi la droiture que les gens ont dans leurs relations avec le tribunal. Alors, s'ils agissent de manière à tromper, dans le code, c'est indiqué qu'on pourra restreindre ou... Et puis il y a une vastitude dans le pouvoir, on dit: Restreindre l'intervention ou l'interdire.
M. Bédard: Parce qu'il est ... C'est ça, il est de votre pouvoir, je vous dirais, de réglementer, pas évidemment la relation client et représentant, là, mais vous pouvez réglementer de votre simple pouvoir, là, et sans disposition les relations entre vous et ceux qui sont devant vous, mais aussi ceux qui les représentent, donc... Et là je me demande: Est-ce qu'il ne serait pas plutôt préférable de laisser aux membres, même s'ils ne l'ont pas fait jusqu'à maintenant, mais peut-être que ce serait une bonne chose qu'eux-mêmes établissent des règles de comportement, des règles de conduite pour les représentants qui se présentent devant eux, d'autant plus que ces gens-là, c'est d'autant plus important qu'ils ne sont même... Il y a des règles que vous connaissez même devant les tribunaux judiciaires. Alors, il est important... Et, comme ces gens-là ne sont pas régis par des codes de déontologie ? pas tous, du moins ? il est important d'avoir ces règles-là. Donc, est-ce ce ne serait pas préférable de laisser le soin au tribunal de déterminer lui-même ses règles de conduite, comme on l'a fait en Colombie-Britannique?
Mme Juteau (Michèle): Je vais vous répondre par une question, puis mon collègue Harvey voudrait commenter. Est-ce que... Des fois, d'inscrire quelque chose pour que tout le monde en ait la connaissance, là, d'inscrire que, si on a tel comportement, il pourrait y avoir telle conséquence, que ce soit inscrit dans la loi, des fois, ça peut aider, là, ça pourrait aider peut-être. Vous avez à regarder: Est-ce que de l'écrire, ce n'est pas une façon claire d'indiquer la volonté du législateur? Et là c'est votre décision de le mettre ou de ne pas le mettre. Mais, quand on l'écrit, vous indiquez aux représentants qui ne sont pas membres du Barreau que leur comportement pourrait être questionné. Et il ne faut pas oublier que ces gens-là, là, la «common law», les règles de «common law»... peut-être qu'ils ne sont pas au fait, là, de tout le droit coutumier qu'on appelle la «common law». Moi, je vous soumets ça pour votre réflexion, comme les autres éléments qu'on a dans notre mémoire. Luc.
M. Bédard: Merci.
M. Harvey (Luc): La question qui me vient, Me Bédard, suite à votre interrogation, c'est, dans le cas d'incompétence manifeste d'un membre, si le problème vient du justiciable ou de l'administré qui porte plainte face au président. Dans le régime actuel, j'imagine qu'on traiterait le dossier en déontologie via le Conseil de la justice administrative.
(Consultation)
M. Harvey (Luc): On parle de représentant... O.K., représentant non... O.K. Je m'excuse. Alors, je confonds. Je m'excuse. Alors, je confonds, c'est le représentant non-avocat. O.K. On ne parle pas des... O.K. On ne parle pas des membres. Ça va, je m'excuse.
M. Bédard: Lui, l'individu, de toute façon, dans tous les cas, il va être... bien, il va se sentir floué. Et, vous savez, là...
Mme Juteau (Michèle): C'est très délicat, vous avez raison.
M. Bédard: Oui, effectivement. C'est pour ça qu'il faut agir, moi, je pense. Mais il faut trouver une façon d'empêcher que ceux qui causent des torts pas... évidemment, si c'était seulement au tribunal, ce serait une chose, mais qui en causent surtout à leurs clients... aux justiciables se retrouvent encore sur...
Mme Juteau (Michèle): Dans l'affaire Rezaei, là, c'est un... En matière d'immigration, dans la section du statut de réfugié, on n'a pas besoin d'être avocat pour intervenir.
M. Bédard: Oui, c'est ce que j'ai vu.
Mme Juteau (Michèle): Et vous comprenez que les gens qui revendiquent un statut de réfugié, c'est une clientèle assez vulnérable et souvent ils ne parlent pas anglais puis ils ne parlent pas français. Et cette personne-là agissait de manière frauduleuse. Je pense qu'il avait fait l'objet de plaintes pénales, là.
M. Bédard: C'était le cas extrême.
Mme Juteau (Michèle): C'était le cas extrême, là. Et on lui a signifié qu'on voulait questionner la qualité de son... la qualité de ses interventions devant la commission. Le président a chargé une formation d'entendre ce monsieur-là sur son statut de représentant. Et il y a eu un débat ouvert, public, une audition, et la décision a été rendue d'une façon motivée, expliquant pourquoi, sur quelle base juridique on se basait pour exclure cette personne-là, et cette démarche-là a été confirmée par la Cour fédérale, et il n'y avait pas de disposition... Mais, vous voyez, là, on a mis toutes les garanties en place. Puis je pense que c'est un cas qui avait fait les manchettes des journaux, là, c'était un cas de fraude, là. Monsieur avait une attitude frauduleuse et poursuivait ses démarches devant... poursuivait, continuait de représenter des clients, des gens qui revendiquaient le statut de réfugié.
M. Bédard: Merci. Alors, on va continuer notre réflexion là-dessus. Sur la régionalisation, en passant, comme je le disais au ministre, d'ailleurs, d'entrée de jeu, là, évidemment, nous prêchons en territoire, je vous dirais, très, très fertile, en terre très fertile, donc. Et votre exemple semble bon quant au maintien des compétences, mais aussi au partage des connaissances avec... et, j'imagine aussi, à ce que vous dites, en matière de formation et en matière de responsabilité du décideur d'assumer lui-même ce... Donc, ce qui n'empêche d'aucune façon, effectivement, cette régionalisation, d'étendre cette régionalisation finalement aux autres sections du Tribunal administratif, et je tiens à vous en remercier.
Vous avez un commentaire où vous dites: Il faut ? à une réponse du ministre ? il faut maintenir les aspects de la spécialisation. Qu'est-ce que vous pensez... Quels sont les aspects les plus importants qui symbolisent la spécialisation du Tribunal administratif, selon vous?
Mme Juteau (Michèle): Ah, mon Dieu! c'est une vaste question. Mais ça touche les matières dont ils ont à disposer, là, c'est certain. La façon de le maintenir, les moyens qu'on doit prendre pour le maintenir... Je vais vous donner mon exemple, moi, mon exemple. Dans ma... Au tribunal, chez nous, nous, on traite de questions médicales, hein, quotidiennement. Moi, je n'ai pas de diplôme en médecine, j'ai fait... j'ai un diplôme en droit et quelques... un petit diplôme en gestion, mais... Et, quand j'ai... Il y a un assesseur qui est en poste, et je vous dirais que c'est quelqu'un qui est très, très important pour moi dans ma pratique de tous les jours. Alors, ça, c'est une façon de maintenir la spécialisation.
M. Bédard: Merci. Sur l'aspect d'indépendance, on a des plaideurs qui sont venus nous voir. Et vous comprendrez que je ne veux pas vous mettre mal, soyez bien à l'aise...
Mme Juteau (Michèle): Allez-y.
M. Bédard: Voilà. Alors, ils disent: Oui, c'est un bon pas, le... Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui sont... même, je vous dirais, presque... sinon la totalité des mémoires sont en faveur du maintien selon la bonne conduite des membres du Tribunal administratif. Et, de ces gens-là, plusieurs nous ont dit: Écoutez, donc, si vous arrivez avec ce souci d'indépendance, allez jusqu'au bout, donc éliminez l'article 60, qui prévoit que «le fonctionnaire nommé membre du tribunal cesse d'être assujetti à la Loi sur la fonction publique pour tout ce qui concerne sa fonction[...]; il est, pour la durée de son mandat et dans le but d'accomplir les devoirs de sa fonction, en congé sans solde total». Il y en a qui disent: Écoutez, là, si c'est selon la bonne conduite, cette disposition-là n'a plus de raison d'être, alors faites disparaître cette disposition. Quelle est votre position par rapport à ces représentations?
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(11 h 30)
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Mme Juteau (Michèle): On n'a pas, au Conseil canadien, eu de discussion là-dessus. Vous parlez à un fonctionnaire en congé sans solde de la fonction publique.
M. Bédard: Exactement, mais je ne veux pas vous mettre mal non plus.
Mme Juteau (Michèle): Vous le saviez, hein? Vous le saviez.
M. Bédard: Évidemment, et je veux qu'on demeure, disons, dans le débat du côté intellectuel. Mais, comme on défend cet aspect-là... Et je trouvais ça intéressant que les plaideurs... et c'est plus des plaideurs qui sont venus nous voir: Écoutez, nous, on est contents que le décideur soit indépendant. Et, si on a une clause qui dit qu'il peut sortir puis retourner... Écoutez, là, on est indépendant ou on ne l'est pas, là. Ça n'existe pas pour d'autres. Alors, pourquoi ne pas enlever cette disposition-là? Alors, je vous la pose le plus candidement possible.
M. Harvey (Luc): J'ai peut-être un élément de réponse, enfin ce n'est pas suite à la consultation de notre organisme, c'est simplement personnel.
M. Bédard: Non, non, effectivement.
M. Harvey (Luc): Écoutez, c'est évident qu'on parle de choses qui ne sont pas la préoccupation de la majorité de nos membres, vous le comprenez. Quand on dit qu'on fait oeuvre de pionniers au Québec en matière de justice administrative, ce n'est pas ce qui se passe ailleurs.
Mais, pour l'exemple que vous développez, bien, il est bien évident que ce... on a toujours... Le juge administratif se sert de cette notion d'indépendance totale et d'impartialité pour améliorer sa condition, il va sans dire. Alors, le fait qu'on nomme des gens de façon inamovible jusqu'à bonne conduite, bien, c'est garant d'une certaine sécurité. Alors, est-ce qu'on doit maintenant maintenir un palier pour des gens qui, en carrière, ont fait le choix d'abandonner la fonction publique pour aller du côté des tribunaux administratifs? Est-ce qu'il est nécessaire de maintenir cette double sécurité? Je n'en sais rien. Ça ne vise pas... Moi, je n'ai pas cette double sécurité, je suis vraiment un juge administratif qui a fait le choix de devenir juge administratif sans autre filet de sécurité, si vous me passez l'expression. Mais enfin, ce serait... C'est sûr que plus on en a, mieux on est. Mais le fait qu'on ait déjà une nomination jusqu'à bonne conduite, à moins qu'on pense à l'abolition éventuelle du tribunal, qui serait la solution extrême pour voir disparaître sa sécurité, là, je ne vois pas pourquoi on maintiendrait ce lien-là. Enfin, il faut se comparer aussi, là.
Mme Juteau (Michèle): L'autre aspect, c'est: Quand on devient juge de la Cour du Québec, est-ce qu'on maintient notre droit de retour à la fonction publique? J'ai des doutes qu'on le fasse, hein?
M. Bédard: Moi aussi.
Mme Juteau (Michèle): Alors, je ferais...
M. Bédard: Bien que toute comparaison, évidemment... Mais c'est que de... effectivement ça me semble particulier de conserver... Je vous dis, au point de vue raisonnement en termes d'indépendance, là, moi aussi. Et c'étaient quelques plaideurs, on me dit... Les évaluateurs agréés aussi nous ont fait ces représentations-là. Alors là je me suis dit, bon, effectivement, si on va plus loin dans le processus, oui, c'est assez... c'est assez particulier. Alors, je voulais avoir votre opinion, d'autant plus... Je n'en ai pas déduit que vous étiez issue de la fonction publique mais presque. Alors, c'était plus à titre personnel que je vous le demandais et ce n'était pas pour vous mettre mal là-dessus.
Mme Juteau (Michèle): Ah! je ne suis pas mal, du tout.
M. Bédard: Parfait. Sur le processus de nomination, évidemment vous dites: Le pendant de cette nomination selon bonne conduite amène évidemment une rigueur beaucoup plus grande quant au processus de nomination des membres du Tribunal administratif. Et vous êtes quand même... vous faites part, là, de... vous dites simplement que le processus de sélection doit être transparent, crédible et rigoureux. Vous savez qu'actuellement il existe un processus de nomination que vous avez, j'imagine... bien, pas que j'imagine, que vous avez passé avec succès et qui a évolué dans le temps. Actuellement, il y a une procédure actuelle qui existe. Est-ce que vous la trouvez suffisante? Est-ce que vous pensez qu'il faut aller plus loin dans le processus? Quel est finalement un processus, bien, idéal?
M. Harvey (Luc): Écoutez, le processus actuel est un processus qui assure théoriquement des critères de compétence et d'objectivité dans le choix des décideurs. Maintenant, est-ce qu'il est nécessaire d'aller encore plus loin et d'imaginer une formule qui serait encore plus étanche? Écoutez, actuellement, on pense que c'est satisfaisant, ce qui existe. Alors, est-ce qu'on doit calquer sur ce qui existe actuellement? Je pense que déjà on ne doit pas aller en bas de ce qui existe actuellement. Maintenant, si on veut améliorer, il y a toujours place à amélioration. Mais je pense qu'actuellement le système est garant que tous les... tous ceux qui sont intéressés par l'adjudication en matière de justice administrative peuvent présenter leur candidature. Et la sélection est faite de façon rigoureuse, via des concours organisés en collaboration avec l'École nationale d'administration publique au niveau théorique, et par la suite il y a une entrevue où on retrouve des membres du gouvernement, de la législature, et, bon, bien, c'est quand même quelque chose qui est garant d'une certaine... non seulement mais d'une objectivité certaine. Alors, il faut au moins maintenir ça, sinon améliorer et aller dans le sens encore plus pointu. Mais je pense que ce qui se fait, c'est bien actuellement.
Mme Juteau (Michèle): Moi, je suis la dernière arrivée dans mon tribunal. Je suis la jeune recrue.
M. Bédard: Oui, recrue.
Mme Juteau (Michèle): Même si j'ai du millage, là. J'ai été recrutée à l'issue d'un processus qui était... Si je me souviens bien, il y a eu cinq étapes. Alors, il y a eu un examen d'analyse, on nous faisait faire une analyse. On a eu un examen qui évaluait notre capacité de... j'étais pour dire de dealer, là, de jouer avec plusieurs priorités en même temps, qu'on appelle le «in basket». Alors, c'est un examen où on nous met en mise en situation et, avec un ensemble de priorités, il faut gérer avec ça. Alors, ça fait appel aussi... dans notre travail de commissaire, de juge administratif, on a souvent à affronter plusieurs priorités en même temps. On avait aussi la capacité de travailler en équipe qui était évaluée. Et par la suite on a eu ? capacité d'analyse, travail en équipe ? connaissances, et l'examen était très, très pointu, là, sur les connaissances, qu'on a passé. Moi, comme ça fait presque 20 ans que j'étais dans ce domaine-là, à ce moment-là, bien, ça a été facile pour moi de répondre. Et par la suite, il y avait une entrevue pour vérifier nos habilités, nos valeurs, vérifier nos valeurs par rapport... Puis c'est important, là, parce que, même si on peut être savant, être très savant, avoir une bonne capacité d'analyse, être capable de gérer plusieurs priorités, je pense que les valeurs qu'on véhicule dans notre travail sont super importantes parce que c'est avec ça qu'on travaille dans nos relations avec les citoyens. Alors, je trouvais que... Ça a été ça, là, au terme de la sélection.
Est-ce que ça devrait être ça tout le temps? Je pense que je laisse ça à l'appréciation des gens. Je pense que ça dépend du besoin, de ce qu'on veut. J'imagine que quelqu'un qui travaille en évaluation foncière, ce n'est pas la même chose que quelqu'un qui travaille en matière de lésions professionnelles. Nous, on a à travailler avec des membres... Moi, je siège avec des membres issus des associations syndicales, issus des associations patronales, qui ne sont pas décideurs, avec qui je dois travailler tous les jours. Donc, il y a des habilités aussi là-dedans à développer.
Donc, je ne pense pas qu'on puisse établir dans la loi ou dans un règlement tout le processus en disant: C'est ça. Je pense qu'il faut laisser une certaine souplesse. Mais les gens qui vont gérer ce processus-là, il faut qu'ils connaissent ça, il faut qu'ils sachent c'est quoi, leur objectif, et qu'ils le fassent de manière rigoureuse, parce que, une fois que quelqu'un va être nommé, vous voyez que c'est pour bonne conduite, alors on veut... Je pense que tout le monde, les citoyens, les tribunaux, les collègues veulent qu'on recrute des gens compétents, prêts à faire la tâche, parce que la tâche, c'est jour après jour, hein, il y a un volume, et on doit mettre l'épaule à la roue.
M. Bédard: Merci.
M. Harvey (Luc): Un bref commentaire, si vous permettez.
La Présidente (Mme Thériault): Je vais vous permettre 30 secondes de commentaires parce que le temps est écoulé. Il reste quelques minutes du côté ministériel.
M. Harvey (Luc): Oui. Tout simplement, le processus de sélection m'amène à une réflexion sur le processus de renouvellement. Le fait que les gens soient nommés en vertu de... sur le nouveau tribunal de façon inamovible, ça les écarte du processus actuel de renouvellement et de la procédure qui est incluse dans le processus de renouvellement. C'est un irritant chez les juges administratifs, vous le comprendrez, qu'après cinq ans, 10 ans, 15 ans, parfois même 20 ans ou 25 ans de présence dans un tribunal, de revenir à tous les cinq ans pour voir évaluer sa compétence. Alors, cet irritant disparaîtrait nécessairement avec la nomination pour bon comportement. Et c'est pour ça qu'on demande d'aller peut-être plus loin dans d'autres juridictions pour l'appliquer à d'autres membres, également juges administratifs. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je redonne la parole au ministre de la Justice. Il reste quatre minutes au parti ministériel.
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(11 h 40)
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M. Bellemare: Simplement, concernant le Conseil de la justice administrative, vous avez soulevé un point qui a été soulevé par plusieurs personnes, 10, 15 groupes qui sont venus ici et qui ont souhaité le maintien du conseil ou d'une formule similaire. On a abordé aussi la possibilité que le Conseil de la magistrature puisse assumer ces responsabilités-là en termes déontologiques. Et je tiens à vous rassurer quant au fait que le conseil... le maintien d'un conseil de justice administrative format réduit quant à ces fonctions déontologiques seulement m'apparaît être une bonne idée. M. McCutcheon était très convaincant lorsqu'il s'est présenté devant nous, en nous présentant l'idée d'un conseil réduit tant en ce qui concerne son format ? le nombre de décideurs, le nombre de membres du Conseil ? en ce qui concerne ses missions fondamentales, mais en maintenant une instance permanente de déontologie qui garantirait le maintien d'une tradition déontologique en matière de justice administrative. Alors, je tenais à le préciser parce que je crois que c'est un point important, et ça va encore une fois dans le sens de l'indépendance et de la qualité de la justice administrative, les aspects déontologiques étant tout à fait incontournables.
Mme Juteau (Michèle): C'est une sage décision que le Conseil des tribunaux administratifs va accueillir avec plaisir. Vous savez que, au Québec, on est le seul organisme, on est la seule juridiction où il y a un conseil en matière de déontologie, et ça aussi, nos collègues canadiens voient ça comme un aspect novateur et envient cette mesure-là, oui.
La Présidente (Mme Thériault): Donc, je vous remercie. Ceci met fin à nos échanges. Nous allons suspendre pour quelques instants. Et j'inviterais le prochain groupe à s'installer.
(Suspension de la séance à 11 h 42)
(Reprise à 11 h 46)
La Présidente (Mme Thériault): Nous reprendrons donc nos travaux. Et j'inviterais la Centrale des syndicats du Québec, avec son président, M. Réjean Parent, à nous présenter les personnes qui l'accompagnent avant de nous faire la présentation de son mémoire. M. Parent.
Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
M. Parent (Réjean): Bonjour, Mme la Présidente. Donc, à ma gauche, Pierre Séguin, deuxième vice-président à la centrale, responsable politique du dossier santé et sécurité au travail, et vous comprendrez pourquoi c'est le responsable santé et sécurité au travail qui est présent à mes côtés, dans le sens où on a concentré notre mémoire exclusivement sur la CLP puis son intégration, son incorporation au Tribunal administratif; et, à ma droite, Nicole Lepage, conseillère syndicale à la centrale et responsable du dossier SST. Je ferai une introduction, et ce sera principalement M. Séguin qui fera la présentation du mémoire.
En termes de contexte, d'abord, un, je veux saluer le fait qu'on ait une commission parlementaire qui prenne un certain temps et qu'on puisse avoir le temps d'exposer, je dirais, d'abondance le point de vue de l'organisation. Je dirais qu'il aurait été souhaitable que d'autres ministres suivent l'exemple du ministre de la Justice et en fassent autant avec leurs projets de loi avant les Fêtes, et ça aurait peut-être permis une meilleure compréhension des intérêts des uns et des autres.
Évidemment, on se présente dans un contexte, et c'est, je dirais, avec un degré d'ouverture, mais un degré d'ouverture aussi qui porte ses appréhensions. Je dirais que l'ensemble des lois... bien, pas l'ensemble, je dirais qu'une bonne partie du menu législatif d'avant les Fêtes correspond à des attaques sévères contre le mouvement syndical, contre les travailleuses, contre les travailleurs, entraînant des pertes de droits, à notre avis, majeures. Donc, c'est sûr que c'est avec cette lunette-là qu'on a apprécié le projet de loi du ministre en ce qui a trait à la CLP, dans un contexte où on ne dit pas non à des améliorations, à des bonifications, cependant, toujours avec l'appréhension que certaines réformes ou certaines modifications, certaines propositions ont pour effet de continuer sur la même lancée et de venir brimer les droits des travailleuses et des travailleurs soit par certaines confusions dans la loi, soit par des délais qui s'ajoutent, des contraintes supplémentaires, des ambiguïtés, et c'est dans ce cadre-là que notre mémoire a été construit, de façon à préserver les droits des travailleuses et des travailleurs et en espérant qu'on va s'éloigner du menu législatif qui, définitivement, ne correspondait pas aux aspirations sociales des salariés avant les Fêtes.
M. Séguin (Pierre): Mme la Présidente, bonjour, M. le ministre, bonjour, MM. et Mmes les députés, bonjour et bon matin. La Centrale des syndicats du Québec remercie la Commission des institutions de l'inviter à exprimer son opinion à l'égard du projet de loi n° 35. J'aimerais, en débutant, vous spécifier que la Centrale des syndicats du Québec représente tout près de 170 000 membres et que ces personnes exercent leur profession dans différentes sphères d'activité, éducation, santé et services sociaux, loisir, culture, au niveau communautaire et au niveau des communications. De façon plus spécifique, nous parlons, au niveau de l'éducation, bien sûr, du personnel enseignant, du personnel professionnel et de soutien et, en ce qui a trait au niveau du secteur santé et services sociaux, du personnel infirmier, du personnel de soutien, des éducatrices et des éducateurs, sans oublier... Je m'en voudrais bien sûr de passer sous silence le fait que nous avons également en nos rangs des membres de l'Association des retraités de l'éducation et qui ont contribué grandement à l'essor de notre organisation.
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(11 h 50)
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Mme la Présidente, les membres de la Centrale des syndicats du Québec sont bénéficiaires du régime québécois de santé et sécurité du travail et donc intéressés aux modifications apportées au projet de loi n° 35. Aujourd'hui... Excusez-moi, un instant, s'il vous plaît... Pardon. Donc, l'intérêt est d'autant plus manifesté chez nos membres dû au fait que nous représentons des personnes qui sont souvent, plus souvent qu'autrement aux prises avec des lésions professionnelles à caractère psychologique, malheureusement en augmentation constante chez nos membres.
Ces modifications, Mme la Présidente, les modifications qui sont apportées aujourd'hui font en sorte que nous souhaitons intervenir en nous limitant de façon plus spécifique aux dispositions du projet de loi concernant les lésions professionnelles. De façon plus spécifique, nous aborderons les questions de l'intégration de la Commission des lésions professionnelles au Tribunal des recours administratifs, le paritarisme, les recours en matière de lésions professionnelles, les délais de contestation, la conciliation, l'indépendance des juges administratifs, le soutien à la représentation des travailleurs et des travailleuses. Donc, c'est un projet que nous allons vous présenter à la fin du document.
Tout d'abord, en débutant avec l'intégration de la Commission des lésions professionnelles au Tribunal des recours administratifs, nous souhaitons vous exprimer, Mme la Présidente, que, par le passé, la Centrale des syndicats du Québec, lorsqu'elle s'était présentée, en 1997, à l'audition du projet de loi n° 79, nous étions en accord avec la proposition de mettre en place la Commission des lésions professionnelles. Aujourd'hui, forts de l'expérience passée, nous sommes toujours convaincus qu'il existe des motifs valables pour maintenir ce choix-là et nous considérons l'expérience vécue concernant, entre autres, la composition du tribunal, sur la conciliation, sur les délais et sur la perception que les individus ont eue au cours des expériences qu'ils ont vécues fort positive. Et nous avons vraiment l'impression que l'ensemble des activités qui ont eu cours au niveau de la Commission des lésions professionnelles ont fait en sorte que l'ensemble des intervenants ont trouvé satisfaction. Malgré qu'il peut y avoir quand même certaines interrogations à l'égard du fonctionnement de la CLP, nous maintenons notre position à l'effet que la CLP demeure ce qu'elle est. Nous sommes convaincus que le fait que la Commission des lésions professionnelles a démontré quand même, à travers les années, un fonctionnement qui permettait à certaines personnes de trouver solutions à leurs difficultés fait en sorte et milite pour le fait que la Commission des lésions professionnelles doit aujourd'hui demeurer ce qu'elle est.
La Centrale des syndicats du Québec considère aussi que le caractère tripartite du régime d'indemnisation des victimes de lésions professionnelles milite également en faveur du maintien de la CLP. Comme vous le savez, les autres tribunaux au niveau administratif règlent en général des rapports qui sont bipartites. Au niveau de la CLP, tout le monde est fort conscient qu'il s'agit là d'un régime tripartite et que, dans ces circonstances, c'est l'État qui régit les rapports entre la victime, l'employeur et la CSST, et nous considérons que cela est un élément important pour faire en sorte que la CLP demeure ce qu'elle est. De plus, la CLP est davantage mieux équipée, nous croyons, pour être capable de gérer les inéquités qui peuvent exister dans cette réalité-là, tripartite, et nous souhaitons que vous reteniez la possibilité de maintenir la Commission des lésions professionnelles.
Au niveau du paritarisme, là également, nous étions, il y a quelques années, en 1997, en faveur de cette position-là et aujourd'hui nous maintenons également la même réflexion. Qui plus est, nous considérons que la proposition qui est faite par le projet de loi n° 35 de ne restreindre, dans une certaine mesure, la participation des membres syndicaux et patronaux qu'à des moments très spécifiques de tout le processus de la Commission des lésions professionnelles nous fait poser question parce que bien sûr les membres paritaires de la Commission des lésions professionnelles n'ont pas nécessairement un droit de décision par rapport à toute la démarche qui est la leur au sein de la Commission, mais ils sont là nonobstant pour être en mesure de sensibiliser et d'offrir des opinions, de partager des opinions avec le commissaire. Et, dans ce contexte-là, nous croyons qu'il est préférable de maintenir le paritarisme sur une base totale plutôt que d'aller dans un contexte où on pourrait se retrouver avec la présence des membres paritaires qu'à des moments très spécifiques de toute la démarche de la CLP, ce qui aurait pour effet, selon nous, d'atténuer, dans une certaine mesure, et, voire même, de mettre en péril les droits des personnes qui ont à se présenter devant la CLP.
Au niveau de la mobilité à l'intérieur du Tribunal des recours administratifs du Québec que vous proposez, en ce qui nous concerne, nous ne croyons pas qu'il soit approprié de permettre cette mobilité-là aux commissaires affectés aux tribunaux des recours administratifs du Québec. Nous considérons que le fait qu'un commissaire soit attitré... Parce que, au moment où on se parle, les commissaires comme tels n'ont pas cette mobilité-là, et ce qui a pour effet de s'assurer que, lorsqu'ils sont présents au niveau de la Commission des lésions professionnelles, ils y sont en fonction de leur compétence et de leur spécificité. À partir du moment où... au niveau de la proposition que vous faites d'avoir trois secteurs et qu'il pourrait y avoir une affectation des membres dans un ou plusieurs secteurs, nous craignons qu'il y ait une distorsion, si vous voulez, dans la capacité que les personnes pourraient avoir de siéger au niveau de la Commission des lésions professionnelles, et ce qui aurait pour effet d'atténuer encore une fois les droits des personnes. Lorsque la spécificité d'un commissaire au niveau, par exemple, du travail et ses connaissances sont bien arrêtées, nous nous interrogeons sur la possibilité que cette même personne pourrait avoir de juger des situations dans le secteur économique, par exemple. Donc, pour ces raisons, nous considérons qu'il est important que la mobilité ne soit pas retenue et que les personnes siègent de façon spécifique à la CLP. Donc, en conséquence, la CSQ est en désaccord avec la mobilité des juges et propose le maintien de l'actuelle spécialisation des commissaires à la CLP.
En ce qui a trait aux recours en matière de lésions professionnelles, nous recommandons que la révision administrative soit maintenue dans sa forme actuelle. Les éléments qui militent en cette faveur sont à l'effet que... et ce, même si que 15 % à 20 % des décisions qui sont rendues peuvent être modifiées par la Commission des lésions professionnelles au niveau de la révision administrative, nous considérons que les décisions qui sont rendues permettent entre autres de s'assurer, le cas échéant, d'une meilleure compréhension du litige en cause, parce que, plus souvent qu'autrement, lorsque les décisions sont rendues, les représentants autant que les personnes qui sont impliquées dans le processus de la CLP en arrivent à avoir une connaissance plus adéquate et plus spécifique de tous les éléments qui sont liés à leur cause et aident à ce moment-là à la fois les personnes qui ont à se présenter à la CLP et leurs représentants à bien cerner les tenants et les aboutissants de cette cause-là.
En même temps, vous remarquerez que nous avons introduit à ce niveau-là quelques questions qui sont intervenues au cours de notre réflexion, et je vous ferai grâce nécessairement de la lecture, mais vous pourrez prendre connaissance ? et je suis sûr que vous l'avez fait ? de ces questions-là. Et ces questions-là soulèvent, selon nous, le fait qu'il pourrait y avoir un vide juridique à l'intérieur du projet de loi, et ça aurait pour effet... nous pensons que, à cet égard-là, il pourrait y avoir une fois encore des droits qui pourraient être annihilés et les personnes en paieraient le prix. Donc, la CSQ recommande que la révision administrative soit maintenue dans sa forme actuelle.
Les délais de contestation à la CLP. Nous pensons que, effectivement, d'accroître le délai à 90 jours, pour nous, est un avantage, car le 45 jours antérieur ne laissait pas, selon nous, le temps suffisant aux personnes pour être capables de procéder comme il se doit. Et, dans ces circonstances-là, l'allongement du délai, nous sommes d'avis également, par rapport à ce que Mme Lippel notait dans son mémoire, qu'un délai trop court souvent pouvait faire en sorte que les gens étaient susceptibles d'aller très rapidement à la CLP, de déposer le début d'une procédure auprès de la CLP. Allonger le délai à 90 jours, nous croyons que cela serait une chose utile et aurait pour effet entre autres de minimiser les recours à la CLP. Donc, dans ces circonstances, nous recommandons et nous appuyons que le délai de 90 jours soit attribué.
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(12 heures)
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Au niveau de la conciliation, la conciliation, au moment où on se parle, elle est facultative, et le projet de loi a pour effet, selon nous, d'amener un caractère obligatoire par rapport à tout le volet de la conciliation. Nous ne pouvons pas bien sûr être en accord avec cette réalité-là, car, dû au fait qu'elle est présentement facultative, ça permet néanmoins aux personnes d'être capables de s'assurer de leur volonté de participer à un volet de la conciliation. De plus, la conciliation doit être menée par les gens qui sont bien préparés et formés pour le faire, donc les conciliateurs et les conciliatrices. Et il ne doit pas y avoir de caractère obligatoire parce que, la majeure partie du temps, même pour des personnes qui pourraient être éventuellement accompagnées au niveau de la conciliation, il peut y avoir des pressions indues qui pourraient être faites à l'intérieur de ce processus-là, qui auraient pour effet de faire en sorte que les personnes qui sont représentées ou non représentées, et surtout peut-être pour les personnes qui pourraient être non représentées, d'avoir à abdiquer par rapport à la démarche, compte tenu des pressions qui pourraient être réalisées au niveau de la conciliation comme telle. Donc, nous pensons que ces dispositions-là risquent d'être préjudiciables aux travailleurs ou aux travailleuses, surtout celles qui ne sont pas représentées, comme on le disait tantôt.
Donc, nous sommes d'opinion de maintenir la conciliation telle qu'elle existe actuellement en matière de lésions professionnelles, donc sur une base volontaire, et qu'elle soit effectuée par des spécialistes, en l'occurrence des conciliateurs et des conciliatrices. Donc, la CSQ demande de maintenir la conciliation telle qu'elle existe actuellement.
Au niveau du hors délai, à la page 10, il y a là possibilité, selon l'article 429.19 et l'article 106, d'apporter une modification aux définitions qui étaient assujetties au hors délai. Au moment où on se parle, les personnes pouvaient tenter d'expliquer ou de faire comprendre à la commission, par des motifs, d'expliquer leurs raisons, et ces motifs étaient contenus... étaient analysés sur une base raisonnable. Donc, les personnes avaient quand même la capacité, pour être capables de faire surseoir à un délai, d'expliquer le fait qu'elles soient passées hors délai en utilisant des motifs raisonnables.
La proposition qui est faite par le projet de loi n° 35 fait en sorte que ? et c'est au niveau sémantique bien sûr que cela se passe ? les gens, dorénavant, devront être capables de supporter leur prétention en ayant à l'esprit que les arguments doivent être sérieux et légitimes. Nous pensons que ce glissement sémantique là fait en sorte que les personnes pourraient se retrouver une fois encore dans des situations où elles ne pourraient pas avoir la possibilité de gagner leur cause lorsque... ? pour des motifs raisonnables, antérieurement, ça se faisait; à l'heure actuelle, c'est comme ça ? et que, par les modifications qui sont proposées à l'article 106, elles puissent être incapables de soutenir leur prétention, car les motifs sérieux et légitimes pourraient faire l'objet d'une interprétation telle qu'il n'y aurait presque pas d'avenues pour les personnes. Donc, nous avons quand même des réticences par rapport à ça et nous ne souhaitons pas que ces modifications-là soient apportées.
Par contre, en termes de durée maximale, le délai ne peut se prolonger au niveau des 90 jours, là aussi, il y a quand même certaines réserves par rapport à cette réalité-là. Donc, voilà, quant à la limite du délai de 90 jours prévue au deuxième alinéa de l'article 106, nous ne pouvons pas non plus y souscrire. C'est ce que je disais tantôt. Donc, la CSQ demande que les dispositions de l'article 429 de la présente loi ne soient pas abrogées et continuent d'avoir plein effet.
Dans les autres éléments retenus, nous avions laissé... nous avions écrit que l'exclusion des représentants, pour nous, représentait également une situation face à laquelle nous avions certaines réserves. À l'article 103, lorsqu'il est stipulé que «le tribunal peut exclure de l'instance le représentant d'une partie qui n'est pas avocat, s'il estime qu'il n'a pas la compétence requise ou n'exécute pas de façon raisonnable les devoirs de cette tâche», vous comprendrez que nous souhaitons que les gens soient représentés par des gens compétents, là n'est pas la question, mais nous sommes persuadés que la capacité de représenter des personnes au niveau de la Commission des lésions professionnelles n'est pas l'apanage que de personnes qui sont avocats ou avocates. Nous pensons qu'il y a effectivement des individus qui sont en mesure de réaliser la représentation de façon adéquate et professionnelle sans nécessairement que nous soyons obligés d'avoir recours au personnel des avocats et des avocates. Donc, la CSQ n'est pas d'accord avec cette proposition d'exclusion telle qu'elle est formulée présentement.
À l'égard du fait qu'un membre paritaire puisse agir à titre de représentant du tribunal, notre position à cet effet est que, effectivement, nous appuyons le fait qu'une personne qui est membre paritaire ne soit pas à la fois... pas au même moment bien sûr, mais ne soit pas éventuellement représentant devant un tribunal, et nous n'avons vraiment aucune difficulté à appuyer cette revendication-là au niveau du projet de loi.
Au niveau de la nomination des membres du TRAQ durant bonne conduite, à cet égard-là également, nous considérons qu'il s'agit là d'une bonne chose, car le fait que les personnes soient nommées à vie, dans une certaine mesure, fait en sorte qu'ils n'ont plus cette épée de Damoclès là d'un mandat de cinq ans et ils n'ont pas nécessairement non plus la capacité, lorsque la fin du mandat se présente à l'horizon, d'être influencés de quelque façon que ce soit dans les décisions qu'ils doivent prendre. Nous pensons que le fait qu'ils soient nommés là... Il faut bien sûr s'assurer que les personnes que l'on nomme aient les compétences et les capacités pour bien assumer leurs fonctions professionnelles. Mais nous optons pour le fait qu'il n'y ait pas de mandat de cinq ans et, donc, nous appuyons la nomination durant bonne conduite.
Maintenant, nous arrivons au soutien financier et à la représentation des travailleurs et des travailleuses. Dans ce contexte, nous voulons effectivement s'assurer que les personnes aient la possibilité, lorsqu'elles se présentent à la Commission des lésions professionnelles ou ailleurs, d'avoir effectivement les moyens nécessaires, d'avoir une représentation juste et équitable. Au moment où on se parle, force est de constater qu'il arrive plus souvent qu'autrement que des personnes se présentent en Commission des lésions professionnelles et, compte tenu de l'iniquité qui existe présentement dans la relation tripartite, si je peux m'exprimer ainsi, ce n'est pas toujours équitable, dans la perspective où des personnes n'ont pas nécessairement toujours les moyens de s'associer à des experts, par exemple, ne serait-ce qu'au niveau de l'évaluation médicale, et on sait très bien que cela coûte relativement cher. Donc, les employeurs ont souvent plus de moyens que les tierces personnes qui se présentent devant la Commission. Et nous aimerions qu'il y ait un fonds dédié qui soit mis en place pour être capable de venir en aide aux personnes et de supporter les personnes dans leurs démarches au niveau de la Commission des lésions professionnelles.
La Présidente (Mme Thériault): Et je vous demanderais de conclure à l'intérieur de 30 secondes, puisque le temps qui vous était alloué est déjà...
M. Séguin (Pierre): Donc, en conclusion, Mme la Présidente, nous demandons le maintien de la révision administrative telle qu'elle existe présentement. Nous voulons que la conciliation demeure facultative et qu'elle soit conduite par des conciliatrices et des conciliateurs. Enfin, la Centrale des syndicats du Québec recommande la création d'un soutien à la représentation pour solutionner le problème de l'inégalité de représentation des travailleuses et des travailleurs victimes de lésions professionnelles. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Thériault): Merci pour votre présentation. Et, sans plus tarder, je passe la parole au ministre de la Justice.
M. Bellemare: Merci beaucoup, Mme Lepage, MM. Séguin et Parent. M. le président, bienvenue devant la commission, et merci pour cet intérêt marqué pour le projet de loi n° 35 et vos critiques constructives, bien sûr, que je m'empresserai d'analyser relativement notamment à la question de l'intégration de la CLP au TAQ.
Comme vous le savez, au Québec, plusieurs rapports d'étude ont recommandé la fusion des deux tribunaux, je parle notamment du rapport Gobeil, en 1985, le rapport Ouellette, en 1987 aussi, auquel le mouvement syndical avait été associé. Il y avait beaucoup, beaucoup de partenaires sociaux qui avaient été impliqués dans l'étude du professeur Ouellette, en 1987, un an et demi d'étude, de travail, pour conclure à la nécessité de rationaliser nos tribunaux administratifs au Québec par le biais d'un tribunal unifié. Un peu plus tard, il y a eu le rapport Garant, en 1994, qui a servi de plateforme au ministre Bégin, à l'époque, pour élaborer le projet de loi n° 130 qui, lui aussi, recommandait un tribunal unifié au Québec en matière d'indemnisation notamment. Et le projet de loi n° 130 a fait un bon bout. Il y a eu, vous l'avez souligné tantôt, la création de la CLP, en 1998, qui est venue un peu faire échec au projet de loi n° 130. Mais les représentations qui avaient été soumises à l'époque au ministre Rioux relativement au projet de loi n° 79 étaient assez largement contre la création de la CLP. Je sais que la CEQ, à l'époque, était favorable à la création de la CLP, mais il y a eu beaucoup de gens qui s'étaient affichés contre la création d'un tribunal autonome en matière d'accidents de travail, et on voit que ça laisse encore des traces aujourd'hui parce que, parmi les gens qui sont venus nous présenter leur point de vue à la commission, beaucoup, beaucoup de gens souhaitent la fusion et l'intégration.
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(12 h 10)
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Évidemment, il y a des craintes quant à certains aspects, comme la possibilité qu'un juge administratif puisse transiter d'une section à l'autre, mais, de façon générale, ce que je perçois des opinions qui ont été émises ici est que les gens voient d'un bon oeil la possibilité qu'on puisse rationaliser et qu'on puisse unifier les tribunaux administratifs, intégrer la CLP.
Vous dites, dans votre mémoire, enfin, vous utilisez des termes qui laissent croire que la CLP disparaîtrait. Ce n'est pas du tout notre intention. Ce qu'on veut, nous, c'est faire en sorte qu'on ait au Québec un tribunal unifié mais qui permettrait à chaque section d'être relativement autonome. Et d'ailleurs la plupart des gens qui se sont adressés à la commission ont souhaité que les spécificités soient conservées. La section des lésions professionnelles, tel qu'on l'a prévu, prévoit une forme de paritarisme. Je l'ai dit et je le redis, toutes les hypothèses sont sur la table, et à mon avis la création d'un tribunal unifié peut fort bien permettre à la formule paritaire de survivre intégralement telle qu'elle est actuellement. La question n'est pas de faire disparaître les spécificités. On peut prévoir des modes de nomination distincts selon les sections, on peut prévoir des compositions de banc distinctes selon les sections, on peut prévoir des modes de représentation distincts selon les sections, tout en assurant la création d'un tribunal unifié.
Et une des raisons majeures pour prévoir l'intégration de ces tribunaux est la régionalisation. C'est sûr qu'on peut penser à une forme de régionalisation en créant des greffes régionaux avec des ententes dans chaque région, les loyers, les effectifs, la photocopie, là, bon. Mais il est bien évident qu'il est hautement souhaitable, pour assurer la régionalisation, de faire en sorte que le greffe actuel de la CLP puisse être développé à la faveur d'autres juridictions, comme l'assurance automobile, la Régie des rentes et l'évaluation foncière.
Mais j'irai tout de suite à la question des transferts de juges administratifs. Je le sais, la FTQ a émis des réserves aussi relativement à la possibilité de fusionner. Mais, quand on entend les juges administratifs, la Conférence des juges administratifs est favorable à ce qu'il y ait des transits d'une division à l'autre. L'Association des juges administratifs du TAQ est favorable également. L'Association des commissaires de la CLP, on verra la semaine prochaine, mais j'ai toutes les raisons de croire qu'ils sont favorables aussi. Le Conseil canadien tantôt nous disait également que c'était une bonne chose. Alors, en autant qu'on assure une certaine formation d'appoint quand c'est nécessaire et qu'on s'assure qu'il n'y a pas des transferts d'une division complètement étrangère... Par exemple, vous citez l'exemple dans votre mémoire de la division immobilière ou économique à la section lésions professionnelles. Moi, quand je pense à des possibilités qu'il y ait des transferts latéraux dans l'intérêt de chacune des sections, quand c'est le cas, je pense surtout à la section des affaires sociales et à la section lésions professionnelles, où il y a des similitudes évidentes.
Alors, quand on parle aux juges administratifs, ils sont favorables. Quand on parle aux avocats ou aux représentants qui, sur le terrain, représentent des citoyens, eux sont familiers avec la SAAQ, la Régie des rentes, la CSST, parce que, dans les bureaux d'avocats, dans les bureaux des associations qui touchent à toutes ces clientèles-là, bien, le matin, c'est un accidenté du travail puis, l'après-midi, c'est une victime de la route, alors ils sont proches de l'ensemble de ces clientèles-là, ils sont favorables également à ce qu'il y ait une fusion puis à ce qu'il y ait des transferts. Quand on parle aux médecins, c'est la même chose. Le Collège des médecins est favorable. Le Dr Bouvier hier nous dit: Moi, écoutez, entendre une cause d'assurance auto, ou de régime de rentes, ou d'accident de travail, je me sens tout à fait à l'aise de le faire.
Alors, est-ce que vous ne pensez pas que, dans la mesure où on garantirait, par exemple ? hypothèse ? que les transferts possibles d'une division à l'autre, lorsqu'il y a des besoins particuliers qui doivent être respectés dans la section accidents de travail ou assurance automobile, qu'on pourrait permettre qu'il y ait des transferts, avec une formation d'appoint, lorsque les besoins le justifient, de la section des affaires sociales à la section des lésions professionnelles?
Tu sais, on peut le restreindre dans la loi tout en conservant la spécificité propre à chacune des sections. Mais, de là à dire que la fusion de ces deux tribunaux-là compromet la spécificité, j'ai de la misère avec ça et ça m'apparaît être un raisonnement qui va à l'encontre de tout ce que les penseurs, chercheurs et les praticiens nous ont dit depuis le début de cette commission-là, depuis le 13 janvier. Et là vous arrivez avec une attitude qui est une attitude de protection du secteur des lésions professionnelles. Je suis d'accord avec ça, mais est-ce que l'attitude de protection fait obstacle à tout prix et à toute condition à ce qu'il y ait une réunion de l'ensemble des juridictions?
M. Parent (Réjean): Je pense que ce que vous avancez, M. le ministre, en termes d'atténuer ou tout au moins de rassurer certaines craintes qu'on a, je ne dis pas que c'est des pas qui sont dans une mauvaise direction, mais, à notre avis, quand vous référez à des accords, je pourrais le prendre sur un autre angle. À ma connaissance, les quatre centrales syndicales du Québec, si on y allait par nos praticiens, un par un, qui seraient venus déposer en commission parlementaire, les firmes de procureurs avec lesquelles on fait affaire, on pourrait en additionner un puis un autre qui viendraient porter le message à l'effet qu'il est préférable de conserver la CLP à l'extérieur du Tribunal des recours administratifs. Donc, c'est cette espèce de contrepoids.
Vous dire, à ma connaissance, qu'autant le mouvement patronal que le mouvement syndical, que ce soit au niveau du conseil d'administration de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou au niveau du Conseil consultatif de la main-d'oeuvre, ils vont tous dans la même direction: une commission indépendante du Tribunal des recours administratifs, sous le couvert du ministère du Travail, donc avec une perspective, je dirais, d'attacher les relations de travail au dossier de santé et sécurité en matière de lésions professionnelles. Donc, dans ce sens-là, je pense que, je ne sais pas, là, l'importance du contrepoids, je pense que les quatre centrales doivent représenter autour de 1 million et quart de travailleuses et travailleurs au Québec et, dans ce sens-là, en tout cas, j'ose croire que ça représente un certain poids dans votre esprit. Et, dans ce contexte-là, vous dire qu'il nous apparaît important...
Puis là je vais faire un autre lien, puis évidemment je sais qu'il y a beaucoup d'avocats en face de moi, mais, quand je mentionnais d'entrée de jeu des appréhensions qu'on a de perte de droits ou d'alourdir le fardeau, dans un contexte de tribunal administratif, on appréhende une plus grande judiciarisation avec une imputation plus grande. Quand on parle de l'exclusion des représentants, on craint un dérapage ou un virage, une pression de plus en plus grande pour que ce soient des avocates, des avocats qui représentent les salariés, et donc ajoutant un poids en termes financiers sur des personnes qui ne sont pas toujours syndiquées, qui ne sont pas toujours en mesure d'essuyer ces coûts-là, alors qu'on est dans un contexte où, par une commission qui est spécialisée, qui se développe une expertise et sous le couvert du ministère du Travail, il nous apparaît plus possible de concilier les différents intérêts et de tenter d'apporter des solutions aux problèmes des travailleuses et des travailleurs qui auraient des accidents de travail ou qui souffriraient de lésions professionnelles. Donc, c'est un peu sous cet angle-là.
Mais vous dire que... chose certaine, j'entends du ministre qu'il est très sensible à la spécialisation. Et s'assurer que l'expertise ne se perde pas, ça, on reçoit ça positivement. On pense que, compte tenu d'un consensus patronal-syndical ? puis habituellement on en trouve moins de ça ? mais là, je veux dire, un consensus, deux organes du gouvernement, là, où on retrouve un consensus, pas à majorité séparée et nuancée, consensuelle, je pense que ça doit valoir tous les individus qui viennent pointer pour donner leur point de vue. Et je pense que c'est un point de vue représentatif d'une large couche de fond de la société québécoise.
M. Bellemare: Concernant la proposition que vous avancez à l'effet qu'il y a un large consensus, en fait, on a entendu la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec nous dire qu'ils maintenaient leur position de 1997 à l'effet qu'ils étaient en désaccord avec le paritarisme. Nous avons entendu également l'Association de la construction du Québec qui est contre le paritarisme, l'APCHQ qui est contre le paritarisme. Ils sont... c'est quand même 22 000 employeurs de la construction qui sont contre le paritarisme. Alors, je comprends qu'il y a des divisions dans le monde syndical et dans le monde patronal aussi, mais vous avez raison sur le fait que la FTQ, la CSD et la CSQ sont favorables au paritarisme puis au maintien de la formule actuelle. Je pense qu'il y a peut-être un certain lien entre les deux, parce que dans l'esprit, j'imagine, des centrales syndicales, le fait de garder la CLP distincte va préserver certaines spécificités, dont le paritarisme.
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(12 h 20)
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Vous m'avez parlé également du Conseil... du CCTMO tantôt qui a émis un avis hier, mais il y a... On a reçu une lettre, avant-hier, de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, de M. Fahey, qui nous dit qu'il est d'accord avec le fait qu'on requestionne le paritarisme dans tous les secteurs et qu'on regarde si effectivement c'est nécessaire que le paritarisme survive dans tous les secteurs. Mais, quoi qu'il en soit, à mon avis, on peut aborder les problèmes de façon distincte.
Mais je vous dirai simplement que, quand on parle à des gens qui connaissent très bien le secteur santé et sécurité... Les centrales syndicales le connaissent bien manifestement. Ils siègent au conseil d'administration de la CSST, ils sont intéressés au secteur santé et sécurité. Eux veulent protéger le caractère santé et sécurité et l'indépendance du secteur lésions professionnelles, intégré ou pas. Mais, quand on parle à des gens qui connaissent tous les secteurs, et je parle des médecins, je parle des juges administratifs, je parle des associations qui, pour certaines, représentent des travailleurs accidentés ainsi que des accidentés de la route, des victimes d'actes criminels et toutes les autres clientèles, ils sont favorables à l'intégration.
Alors, c'est pour ça que je vous dis qu'il y a comme un réflexe, à mon avis, de protection d'un secteur et de crainte que la fusion fasse perdre toute la spécificité, tous les avantages. À mon avis, cette crainte-là n'est pas fondée. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas moyen de prévoir un certain nombre de mécanismes pour assurer la spécificité de la section des lésions professionnelles et de faire en sorte qu'elle survive au plan de l'étanchéité du financement notamment, de sa formule de banc, mais je suis quand même étonné de constater que ceux et celles qui ont l'habitude de transiter d'un secteur à l'autre, qui connaissent toutes les sections, qui connaissent aussi bien le TAQ, et qui vivent avec le TAQ comme avec la CLP, sont favorables à la fusion, ils n'en voient pas de problèmes, eux autres, comme les trois rapports d'étude dont j'ai parlé en début de présentation, tantôt.
En ce qui concerne le paritarisme, vous l'avez souligné à juste titre, le projet de loi n° 35 maintient le paritarisme dans certains cas, comme pour la lésion professionnelle initiale. Peu importe ce qu'il adviendra du paritarisme, qu'il soit maintenu intégralement, modifié ou qu'il disparaisse, parce que tout est sur la table... Il y a des groupes qui nous ont demandé que ça disparaisse et qui sont assez nombreux, en passant. Mais, peu importe la formule, est-ce que la CSQ désigne des membres syndicaux au sein des bancs paritaires?
M. Parent (Réjean): Au moment où on se parle? Oui.
M. Bellemare: Quel pourcentage?
M. Parent (Réjean): 2 %.
M. Bellemare: 2 %. La FTQ, 60 %; la CSN, 30 %; la CSD... CEQ, à peu près le 10 % qu'il reste. La FIIQ ne désigne pas de représentants syndicaux. Est-ce que vous ne trouveriez pas plus normal de voir que la FIIQ puisse en désigner? Parce que c'est une fédération syndicale qui est tout aussi honorable que les autres, d'autant plus qu'elle regroupe des infirmiers et infirmières, ce qui n'est pas rien, dans un contexte de paritarisme, sur un tribunal médicolégal. Mais est-ce que vous ne pensez pas qu'on devrait augmenter la proportion de la CSQ? 2 %, il me semble que ce n'est pas beaucoup, compte tenu du membership que vous avez.
M. Parent (Réjean): Écoutez, vous posez... Je pense que, par rapport à la proposition que vous avez sur la table, on s'éloigne du sujet. Mais, si vous demandez si on doit augmenter le paritarisme ou le pourcentage de la CSQ, si on doit réviser la participation de la CSQ au niveau du conseil d'administration de la CSST, si on devrait y avoir une place, plusieurs questions comme celles-là, on pourrait avoir un entretien pour faire une plus grande place à la centrale, comme ouvrir des opportunités à d'autres organisations. Je pense que c'est un débat intéressant. Je ne suis pas sûr qu'il fait partie de votre proposition. Mais, si effectivement il y a de quoi dans le projet de loi sur cet aspect-là, ce serait un plaisir de vous faire un mémoire sur la question. Au moment où on se parle, je pense qu'on s'éloigne du sujet.
Vous nous parlez d'intégrer la CLP aux tribunaux des recours administratifs. On vous dit: On pense qu'on devrait conserver ça à côté, on devrait maintenir le paritarisme. Maintenant, si on veut interroger: Est-ce qu'on a la bonne proportion? Est-ce qu'il devrait y avoir des proportions différentes? Comment est-ce qu'on peut optimiser, maximiser? C'est des questions intéressantes, et je dirais qu'effectivement ça pourrait être très intéressant d'avoir une plus grande place dans le paritarisme, mais je pense que ce n'est pas ce qui est en débat, en tout cas ce n'est pas ce que vous avez soulevé comme débat, de par votre projet.
M. Bellemare: Non. Mais, quand c'est le ministre qui soulève la question, c'est peut-être plus important d'essayer de trouver une réponse.
M. Parent (Réjean): C'est une question intéressante, M. le ministre, c'est une question intéressante.
M. Bellemare: Peut-être pas à matin, mais dans les jours qui viennent. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je me tourne du côté de l'opposition officielle, et la parole est au député de Chicoutimi.
M. Bédard: Vous n'avez pas besoin de vous tourner, Mme la Présidente. Alors, à vous trois, merci, merci d'être venus, de nous faire part de vos commentaires et de vos craintes par rapport à la disparition de l'aspect paritaire ou de son amoindrissement, je vous dirais. Et plusieurs, évidemment, des centrales sont venues. Et en même temps je comprends votre message. Écoutez, là, on ne peut pas demander à chacun des plaideurs de la CSQ, de la CLP, de la FTQ et de la CSN de venir vous dire à quel point ils trouvent ça bon. Quand on vient ici, on vient représenter des dizaines, des centaines de plaideurs, d'intervenants qui vous disent: Maintenez-le. Donc... Et on a eu plusieurs plaidoyers en ce sens, effectivement. Et ce n'est pas le nombre, vous dites, il y a une question de pesanteur aussi. C'est ce que j'ai compris de vos représentations. Et c'est normal que chacun des gens qui se retrouvent devant elle ne viennent pas nous arguer sur les différents avantages qu'ils ont à plaider devant une instance qui est paritaire. Sur le côté paritaire, je pense que votre plaidoyer est écouté, entendu. Écoutez, nous nous verrons pour la suite.
Vous soulevez d'autres éléments qui méritent aussi d'être soulignés, d'abord sur l'aspect de la conciliation, où vous appuyez le groupe qui était là presque avant vous, ou celui, plutôt, de ce matin ? je ne sais pas si vous étiez présents ? qui est le Regroupement des conciliateurs de la CLP et qui est venu dire effectivement que... Vous souhaitez que cette conciliation demeure dans les cadres actuels et que ce soient des spécialistes de la conciliation qui soient nommés, donc qui aient les compétences requises, qui aient les qualités requises. Et vous mettez en garde en même temps, comme eux l'ont fait et comme plusieurs autres l'ont fait aussi, de donner le pouvoir au tribunal de se substituer en conciliateur pendant l'audition. Quels désavantages vous voyez à changer la conciliation actuelle ou à l'ouvrir, comme c'est le cas actuellement dans le projet de loi?
Mme Lepage (Nicole): L'avantage qu'on voit, c'est que... Le désavantage qu'on voit, c'est qu'à un moment donné le président, le commissaire, le juge, là, éventuellement, le commissaire de la CLP peut dire: J'arrête, je fais de la conciliation maintenant et je reviens après. C'est qu'il peut avoir des opinions en tant que commissaire. Il fait de la conciliation, il a fait passer ses opinions puis il revient, après ça, prendre la décision; ça fait un mélange qui est plus ou moins heureux, puis on constate que c'est... On aimerait mieux que ça n'existe pas comme ça et que les conciliateurs fassent la conciliation comme actuellement et que les commissaires ou les juges éventuels fassent leurs...
M. Bédard: Effectivement, mais le problème aussi que ça peut causer, vous le savez. S'ils se transforment en conciliateurs, s'ils n'arrivent pas à concilier, c'est un autre qui va prendre le dossier. Alors, vous comprenez les impacts que ça peut avoir en termes de délais, en termes de coûts financiers pour la personne qu'ils représentent d'assigner à nouveau ces personnes, si elle a un représentant à payer, bien là de le payer encore...
Mme Lepage (Nicole): C'est ça, puis...
M. Bédard: ...et de recommencer la preuve finalement qui a peut-être été commencée. Donc, il y a une problématique. Vous soulevez aussi toute la question des délais... plutôt des dossiers hors délai. Encore là, vous n'êtes pas les seuls à le souligner, là, le fait de modifier les dispositions actuelles de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles concernant la possibilité de proroger... de prolonger le délai pour des motifs raisonnables. Vous dites: Actuellement, le fait, je vous dirais, d'amoindrir le... ou plutôt de le rendre plus difficilement rencontrable par le plaideur... celui des motifs sérieux et légitimes. Mais en même temps vous dites: Le ministre a fait une ouverture là-dessus, il a dit: Écoutez, oui, effectivement on peut garder le délai tel qu'il est mentionné, soit celui des motifs raisonnables. Mais vous dites aussi que le délai de 90 jours... il ne peut cependant prolonger ce délai au-delà de 90 jours. Vous dites que c'est un problème aussi quant au délai de 90 jours?
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(12 h 30)
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M. Parent (Réjean): C'est sûr que... Bien, d'abord, un, il faut saluer la... de ce côté-là, il y a une avancée positive de la part du ministre. Et je vous ramène à l'introduction que je faisais au point de départ: s'assurer finalement qu'une personne salariée ne soit pas privée de droits par un code de procédure, donc ce qui est donné d'une main, ne pas le retirer de l'autre côté en mettant un fardeau de preuve supplémentaire. Ce que j'ai entendu tantôt, en tout cas, il semble que nos arguments trouvent écho de la part du ministre. Et là c'est cette préoccupation. Pourquoi mettre un plafond, à partir du moment où on dit: Il y a un délai qui est déjà extensionné, on prolonge, on donne une chance supplémentaire à un salarié de pouvoir avoir une pleine connaissance de ses droits, une pleine connaissance de la situation avant de procéder? Et, bon, en sus, on disait: Bon, si, effectivement, il défonce le délai, il a la possibilité de pouvoir recourir et d'être excusé d'avoir dépassé le délai. Mais là on place un plafond de 90, on dit... De ce côté-là, pourquoi, à partir du moment où on offre d'une main... Je comprends que le ministre de la Justice ne veut pas se retrouver 18 ans après... Ça, je pense que ça fait du sens. Mais, dans la dynamique, pourquoi placer un plafond de 90 jours dans ce cadre-là? C'est là qu'on dit: Si on est généreux d'une main, pourquoi ne pas poursuivre avec l'autre main?
M. Bédard: Effectivement. Sur l'exclusion des représentants, vous avez... vous émettez des doutes, mais évidemment le but, à que j'ai compris... je ne prends pas la défense du ministre, mais effectivement le but n'est pas... Je dois quand même reconnaître que le but n'est pas d'exclure les représentants syndicaux, je tiens à vous le dire, aucunement, ou plutôt de faire en sorte que les... d'exclure tout autre représentant que les membres du Barreau, là. Au contraire, la volonté, tel qu'on tente de trouver une façon, là, si vous avez écouté le groupe avant, c'est d'éviter qu'il y ait des gens qui s'improvisent et qui, je vous dirais, par des manières ou par des façons qui sont assez douteuses, là, vont représenter des gens à perpétuité, mais... À perpétuité, je veux dire qu'ils vont recommencer, finalement, malgré le fait qu'ils font une mauvaise pratique, si on veut, entre guillemets, là, donc qu'ils représentent mal des individus. Donc, ces individus se trouvent, je vous dirais, brimés dans leur droit d'être bien représentés. Alors, ça ne vise surtout pas les représentants syndicaux.
Mais vous dites, en même temps, vous nous mettez quand même... vous allumez les lumières, de dire: Écoutez, il faut bien encadrer ce pouvoir s'il existait. Il ne faut pas qu'il conduise à l'arbitraire par rapport, entre autres, à vos membres. Parce que le Barreau, évidemment, ils ne peuvent pas, mais, pour les autres, il ne faudrait pas que ça mène à des... Il faut que ça reste l'exception, finalement. Est-ce que je comprends bien vos propos?
M. Séguin (Pierre): Il s'agit effectivement... Et nous vous remercions de ce que vous venez de nous dire, c'est... Si vous nous rassurez à l'effet que, effectivement, l'objectif ultime de cette volonté-là n'est pas d'exclure les représentants syndicaux, il n'était pas nécessairement si clair que cela à l'intérieur du projet de loi. Notre objectif n'est pas de... Pardon?
M. Bédard: Je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, vous n'êtes pas les seuls à l'avoir soulevé, là.
M. Séguin (Pierre): Notre objectif n'était pas nécessairement de s'assurer que notre recours était protégé, loin de là. Mais force est de constater que nous sommes très sensibles au fait que les gens qui sont représentés devant la Commission des lésions professionnelles le soient pas des gens compétents. Nous ne voulons pas d'aucune façon laisser insinuer que nous serions prêts à ce que puissent se poursuivre certaines pratiques, que nous n'avons pas nécessairement l'intention de nommer ici. Mais effectivement tout le monde est fort conscient qu'il y a, qu'il y a eu des représentations faites au niveau de la commission qui pouvaient laisser à désirer.
Ceci étant dit, ce à quoi nous voulons arriver, et nous souhaitons que votre attention soit portée à cet égard-là, c'est que nous ne voulons pas non plus qu'il ne soit que question de juristes en termes de représentation au niveau de la Commission des lésions professionnelles. Il y a d'autres personnes qui ont les compétences pour être capables de représenter les personnes au niveau de la commission, et c'est de cela qu'il s'agit.
M. Bédard: Merci.
M. Parent (Réjean): C'est important de se le préciser effectivement, là, que le projet de loi, il a un pouvoir discrétionnaire dans ce qu'on retrouve dans l'article. Puis l'appréhension qu'on a qu'on puisse évacuer éventuellement des conseillers syndicaux ou des conseillères syndicales qui ont développé une expertise en matière de santé et sécurité au travail... Je comprends qu'on veuille éviter, là... Je ne sais pas si ça va prendre un ordre professionnel pour les représentants de salariés au sein de la CLP ou d'un tribunal des recours administratifs, mais je pense que, en quelque part, il faut faire confiance aux personnes et s'assurer, là, que ce pouvoir-là soit très, très, très encadré s'il existe, parce que, effectivement, là, une tendance... Je comprends qu'il peut y avoir des tendances corporatistes, certaines fois.
M. Bédard: Fréquemment.
M. Parent (Réjean): Puis ceux qui adoptent les lois...
M. Bédard: Fréquemment.
M. Parent (Réjean): ...souvent...
M. Bédard: Sinon, continuellement.
M. Parent (Réjean): ...peuvent les nourrir, mais...
M. Bédard: Pour être à cette commission depuis près d'un an, là, je vous dirais, continuellement. Et effectivement. Mais votre crainte est la nôtre, est la mienne. Donc, trouver une façon... D'autant plus que tout à l'heure le groupe qui est venu avant vous nous a dit que ce pouvoir... il y aura un pouvoir inhérent à des cours, en vertu de la «common law», là, de dicter des règles qui empêchent finalement, là, des gens totalement incompétents de plaider devant eux, alors de les empêcher, par une procédure extraordinaire, là, d'être... Alors, peut-être que finalement il faudrait plutôt recommander aux tribunaux actuels, aux tribunaux administratifs de s'assurer de cette... d'édicter des règles de conduite, ou des choses comme ça. En tout cas, il y a différentes avenues qui sont regardées, mais je peux vous assurer que nous aurons la même précaution que vous que ce pouvoir ne devienne pas un pouvoir totalement... qu'il puisse être arbitraire et là amener... Même s'il est exercé de façon arbitraire, je comprends qu'il va être révisé, mais imaginez-vous les délais et les coûts que ça entraîne pour les gens qui se retrouveraient, là, mêlés à de telles procédures. Donc, c'est ce qu'il faut éviter.
Je tiens aussi à vous faire part que, quant au... Le ministre nous a dit tantôt que la mobilité des juges à l'intérieur du TAQ, là... Plusieurs effectivement sont venus nous dire que les... on peut regrouper ? et je comprends votre opinion sur le fait de regrouper ? mais, quant, je vous dirais, au fait que les juges pourraient être mobiles à l'intérieur des sections, il y a eu quand même plusieurs réserves qui ont été manifestées. Je pense, même l'APCHQ, la Commission de la construction ont manifesté des réserves quant à cette mobilité. Ils étaient d'accord effectivement pour maintenir... pour, je vous dirais, rassembler dans un même tribunal, mais, quant à la mobilité des différentes sections, ils disaient: Vous savez, le contexte légal des affaires sociales est bien différent que le contexte légal de la construction, par exemple. Et eux-mêmes proposaient plutôt qu'il y ait une section, à la limite, même pour la construction et de dire qu'on veut... Maintenez la spécificité des membres d'une section construction. Alors, c'est pour vous dire que, quand même, les témoignages ne sont pas, au contraire, très unanimes par rapport à ça. Les juges, par contre, sont en faveur, ceux qui sont venus, du moins, semblent être en faveur d'une telle mobilité, pour laquelle j'ai quand même des réticences.
Vous soulevez un point ? vous faites référence beaucoup au mémoire de Me Lippel, à deux occasions ? entre autres celui au niveau du soutien financier. Et vous avez dit un peu, là, abrégé là-dessus... Vous avez vu les représentations de Me Lippel quant aux désavantages structurels, au fait que les salariés, les individus en général se trouvent désavantagés devant le TAQ et face à l'État, devant la CLP, et c'est même devant les deux, à la limite, où il y aurait quand même un déséquilibre qui existerait. Et, vous, vous proposez la création effectivement d'un fonds pour venir en aide aux différents salariés. Et j'imagine que, dans votre cas, ça vous touche peu parce que les représentants syndicaux... Normalement, ceux qui sont syndiqués, en grande majorité, j'imagine, ont des délégués syndicaux qui vont les représenter devant les instances.
M. Parent (Réjean): Il faut aller plus loin que ça. Je veux dire, quand on parle en matière de santé et sécurité, quand on parle de recours ou d'appel ? évidemment, le ministre nous parlait des médecins tantôt, tous azimuts ? donc, quand on parle de médecins, on parle de coûts, de coûts importants. C'est sûr que les conseillers syndicaux qui représentent les membres chez nous, ça n'impute pas de coûts pour le salarié. Mais prenons certains... même dans la CSQ ? puis je suis convaincu que, dans les autres centrales, la même dynamique, la même problématique ? l'arsenal patronal qui s'impose avec des expertises médicales à 2 000 $, 3 000 $, 4 000 $, avec une vacation au tribunal ou à la commission du médecin spécialiste ou de deux médecins spécialistes, donc, assez rapidement, la facture monte, et habituellement, c'est mal fait, la société, mais les patrons ont plus d'argent que les salariés. Donc, c'est dans ce sens-là qu'on pense que le salarié devrait pouvoir être assisté et qu'il devrait pouvoir y avoir un fonds d'aide qui fait en sorte qu'il puisse se donner le même équipement, qu'il puisse avoir le même type d'expertise. C'est carrément... Ce n'est pas en termes des conseillers. Si on le regarde sur le plan syndical... Puis là je suis en dehors des personnes qui travaillent et qui ne sont pas syndiquées au Québec, là, qui subissent...
M. Bédard: Bien, c'est plus à eux que je pensais. Mais effectivement vous soulevez toute la question des expertises qui est importante, qui est même parfois la plus importante parce que tu paies pour l'expertise...
M. Parent (Réjean): Bien, c'est souvent le coeur. Puis je vous dirais que même des organisations syndicales n'ont pas toujours ? puis là je parle de syndicats locaux ? n'ont pas toujours tous les moyens que même la partie patronale peut avoir. Donc, dans ce sens-là, là, c'est vrai, ceux qui ne sont pas syndiqués sont encore plus démunis, et même des syndiqués le sont. Donc, dans ce sens-là, ça nous apparaît important, ce fonds d'aide là pour supporter les travailleuses et les travailleurs et qu'ils puissent avoir, je dirais, des armes égales par rapport aux employeurs.
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(12 h 40)
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M. Bédard: Certains plaideurs sont venus nous recommander l'adjudication des frais. Est-ce que vous pensez que ça pourrait être une possibilité, dans le sens que, si le salarié gagne sa cause, finalement qu'il se voie, là, finalement rembourser l'ensemble de ses frais...
Une voix: ...
M. Bédard: Expertise médicale, là. Quand je parle de frais, ce n'est pas frais de cour, là, évidemment, mais les frais... entre autres, ses frais d'expertise.
M. Séguin (Pierre): À première vue, je pense que cela n'est pas nécessairement un mal en soi, là. Bien sûr, vous comprendrez que, à l'information qui nous est transmise présentement, nous ne pouvons nécessairement y aller sur un front d'analyse, mais, si jamais une situation comme celle-là pouvait être envisageable, je pense qu'il n'y aurait pas là de matière à ce qu'il y ait de réaction négative de notre part. Mais encore faudrait-il avoir les tenants et les aboutissants de toute cette question-là, bien sûr.
M. Parent (Réjean): Ça ne donne pas au salarié, en partant, les moyens. Donc, c'est un moindre mal, au bout de la course, tant qu'à tout perdre. Mais je vous dirais que, idéalement, un fonds d'aide accessible au salarié lui permet dès le point de départ... Essayez d'imaginer, là, je vais mettre 2 000 $, 3 000 $, 4 000 $, 5 000 $, 6 000 $ et peut-être, si je gagne, je vais recevoir le 6 000 $, on va me le retourner, mais, si je perds, je vais en perdre 6 000 $. Ça fait que...
M. Bédard: Effectivement.
M. Parent (Réjean): Donc, le fonds d'aide nous apparaît comme la solution idéale. L'adjudication, c'est un débat de procureurs. Ça peut être en dernier recours. Mais je vous dirais que le meilleur chemin serait celui qu'on propose, pour donner vraiment des chances égales aux salariés et aux employeurs.
M. Bédard: Effectivement. Non, non, j'essaie de trouver les... Bon, il y a le mieux, je vais prendre la création d'un fonds, d'autant plus, comme vous le dites et comme l'a dit Me Lippel, ça semble être universel à l'extérieur du Québec, du moins, là, au Canada, alors... ou presque universel. Donc, effectivement, il est assez surprenant que ce type de fonds n'ait pas trouvé preneur ici. Et ce serait sûrement une avancée en termes d'équilibre des parties.
J'imagine, pour les mêmes raisons, vous êtes contre toute possibilité de tarification qu'il pourrait y avoir au niveau de l'accès à la justice administrative. Est-ce que ces tarifications existent actuellement? Est-ce qu'il y en a qui sont appliquées au niveau de l'accès à la justice? Est-ce qu'il existe une tarification au niveau de la CLP, des frais?
Mme Lepage (Nicole): Au niveau de la CLP, non, il n'y a pas de tarification actuellement. Il n'y a pas de tarification actuellement, mais...
M. Bédard: Et toute tarification possible vous semble un recul par rapport à l'accessibilité des tribunaux administratifs.
Mme Lepage (Nicole): Oui, oui. Effectivement.
M. Parent (Réjean): Il faut baisser les impôts.
M. Bédard: Pardon?
M. Parent (Réjean): Il faut baisser les impôts.
M. Bédard: Ha, ha, ha! Oui, vous savez, hein, ce serait un long sujet, effectivement. Non, mais parce que cette possibilité, si vous vous retrouvez regroupés, effectivement elle pourrait exister, celle du pouvoir de tarification quant à l'exercice de certains recours. Bien que parfois ça peut paraître minime, c'est un... en tout cas, en ce qui me concerne, j'ai la conviction que c'est un frein à l'utilisation de ces recours et que ça va même à l'encontre du principe de la justice administrative. On est d'accord là-dessus?
M. Séguin (Pierre): Vous répondez à votre propre question.
M. Bédard: ...effectivement. Ha, ha, ha!
Une voix: Vous avez donné la bonne réponse.
M. Bédard: Mais, quand je suis tout seul à le dire, vous savez, ça a un certain poids. Quand vous êtes une association, vous savez, le poids joue en votre faveur. Il ne joue pas du mien, surtout dans ce cas-ci. Alors, je vous remercie infiniment, là, de vous être présentés ici, en commission. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député. Il reste quatre minutes à nos échanges, et le député de Marguerite-D'Youville voulait faire une intervention.
M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. M. Parent, bonjour, ainsi que M. Séguin et Mme Lepage. Vous avez entendu, on a seulement quatre minutes. Il y a deux éléments que je voudrais faire comme commentaires. D'abord, à un commentaire qu'a fait Mme Lepage, là, sur la conciliation au TAQ, à l'heure actuelle, vous savez que l'article 121.2 empêche un juge qui commence à entendre une cause, qui se transforme en conciliateur, de redevenir juge. J'ai cru comprendre d'une remarque que vous pensiez que le juge pouvait se transformer en conciliateur et redevenir juge dans la même cause ou dans la cause où il a été conciliateur. L'article de la loi prévoit que c'est impossible.
Et la crainte qui nous est apportée à cet égard-là par les conciliateurs, ce n'est pas tellement le fait que le juge puisse redevenir un juge, parce que la loi le prévient, mais de dire que cette situation-là crée un délai additionnel, risque d'amener des gens à forcer l'échec de la conciliation et à faire en sorte finalement que le principe qui est bien dans la loi soit contourné par l'effet pervers d'une pression sur la conciliation puis, en plus de ça, sur les parties qui, eux, disent: Bien, écoutez, on a avantage à ce que la conciliation réussisse parce que ça va amener des délais additionnels et des coûts additionnels. Alors, je voulais simplement faire cette correction-là.
Sur le paritarisme également, j'ai, lors d'auditions antérieures de la commission, déposé un tableau qui indique le taux de succès pour les causes des travailleurs entre le régime de la CALP, où il n'y avait pas de paritarisme, et le régime de la CLP. Et simplement vous faire peut-être un commentaire sur le revers de la médaille, ces chiffres-là indiquent que le taux de succès des causes des travailleurs sous le régime de la CLP, qui est paritaire, a chuté de façon importante, là, de 42,1 % sous la CALP à 34,2 %. Je comprends que les chiffres seuls n'expliquent pas tout, mais à tout le moins ces chiffres-là n'indiquent pas que le paritarisme est un élément qui est nécessairement favorable au taux de succès des causes chez les travailleurs.
Et ma question, je vous la poserais non pas sur le paritarisme, mais sur votre position sur la révision administrative, où vous dites, dans vos chiffres, à la page 8, et c'est clair, que la décision n'est modifiée que dans 15 % à 20 % des cas, donc 75 %, 80 % des cas où la révision confirme la première décision qui a été rendue. Et on a entendu beaucoup de personnes nous dire que finalement c'était un découragement pour le travailleur, que de se faire dire non une fois, ce n'était pas drôle, mais de se faire dire non une deuxième fois, c'était encore moins drôle. Je suis un peu étonné de voir que, dans ce contexte-là, vous désirez voir maintenir la question de la révision administrative.
La Présidente (Mme Thériault): Il restera moins d'une minute pour répondre à la question du député.
M. Moreau: C'est de ma faute, je m'en excuse, ce n'était pas volontaire.
M. Parent (Réjean): Je pourrai répondre qu'on doit avoir la couenne plus dure que d'autres puis on se décourage moins vite. Et effectivement je pense que le député a donné une esquisse de réponse. Un, les chiffres n'expliquent pas tout. Les chiffres n'expliquent pas tout. Je pense que Nicole a mentionné d'entrée de jeu que, même dans la révision administrative, ça a le mérite, je dirais, de préciser, de clarifier, de cerner le litige.
Et, deux, vous dire que ce qui est amené à la CLP, puis en tenant compte du contexte relations de travail puis jouer sur les chiffres, ça fait que c'est des dossiers qui sont de plus en plus difficiles, des dossiers, là, plus corsés, qu'il y a beaucoup de travail, je dirais, de conciliation, de rapprochement, d'entente. Donc, de 1997 à aujourd'hui, je pense que cet aspect-là est moins visible par rapport aux chiffres que vous donnez, mais il doivent être pris en compte dans le traitement du dossier, à mon avis.
La Présidente (Mme Thériault): Donc, merci pour votre contribution à l'avancement des travaux de la Commission des institutions. Et nous allons suspendre la séance jusqu'à 14 heures, cet après-midi. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 48)
(Reprise à 14 h 43)
La Présidente (Mme Thériault): Puisque nous avons le quorum, nous allons poursuivre les travaux de la commission. Et j'aimerais rappeler le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.
Étant donné que nous avons une audience assez prononcée cet après-midi, je demanderai aux gens qui ont des téléphones cellulaires de bien vouloir les fermer, s'il vous plaît. Et, sans plus tarder, je vais demander au groupe de l'Assemblée des travailleurs et travailleuses accidentés(es) du Québec de se présenter. Mme Flibotte, la parole est à vous.
Assemblée des travailleurs et travailleuses
accidentés(es) du Québec (ATTAQ)
Mme Flibotte (Liane): Alors, merci, Mme la Présidente. Je suis Liane Flibotte, je suis présidente de l'ATTAQ et je suis accompagnée de M. Raymond Johnston, qui est salarié à la coordination du regroupement.
Alors, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, l'ATTAQ regroupe depuis 1981 des associations de victimes d'accidents et de maladies du travail, des victimes qui sont principalement non syndiquées et qui sont, comme vous pouvez le constater par leur présence, hautement intéressées par le projet de loi n° 35 parce qu'il présente de nombreux enjeux pour elles.
Nos commentaires sont fondés sur notre expérience bien sûr et vont se limiter à la question des lésions professionnelles. Nous tenons à dire d'entrée de jeu que, en matière de lésions professionnelles, le statu quo, tout autant insupportable qu'il soit actuellement, nous apparaît nettement préférable à ce qui est proposé dans le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement. Pour bien comprendre la critique de l'ATTAQ, il est important, je pense, de saisir les caractéristiques du régime d'indemnisation des lésions professionnelles.
Alors, contrairement à ce qu'on trouve généralement en droit administratif, le régime d'indemnisation des victimes d'accidents et de maladies du travail comporte non pas deux composantes, mais trois: bien sûr, l'administration, la CSST; et deux administrés, l'employeur et la victime. Toutes les combinaisons de relations sont possibles au sein de ce triangle-là, et c'est la raison pour laquelle, à l'ATTAQ, on appelle le triangle «le triangle des Bermudes» parce que c'est habituellement dans ce triangle-là que disparaissent nos droits.
On ne reviendra pas sur le déséquilibre des forces en présence quand un citoyen ou une citoyenne doit faire face à un organisme d'État. On va ajouter seulement que le déséquilibre est encore plus grand pour les membres de nos organisations qui doivent faire face à la CSST bien sûr, mais à leur employeur en plus, surtout qu'on sait que l'employeur et la CSST partagent habituellement un intérêt commun qui est celui de ne pas payer. Il ne devrait pas être nécessaire non plus de développer longtemps sur le fait que ces deux alliés, la CSST et l'employeur, disposent de moyens disproportionnés par rapport à ceux de la victime. Alors, les membres de nos organisations doivent livrer des batailles où le deux contre un est la règle et où, en plus, les armes sont du côté de l'équipe qui compte deux joueurs.
Une fois ces distinctions établies, les membres de la commission pourront mieux comprendre les critiques de l'ATTAQ à l'égard du projet de loi, puisque certaines propositions formulées par le ministre peuvent se défendre peut-être dans des rapports bilatéraux entre un administré et l'administration, mais sont difficiles d'application dans le domaine qui nous occupe et qui comporte des relations trilatérales.
M. Johnston (Raymond): Je voudrais m'attarder d'abord à la question de la reconsidération et vous préciser tout de suite que vous avez pu remarquer comme nous que plusieurs intervenants qui font même de la représentation devant la CLP et ailleurs confondent, ont tendance à confondre la reconsidération puis la révision. Imaginez-vous, pour les accidentés du travail qui bien sûr, en principe, connaissent moins la loi que des gens qui prétendent être capables de les représenter.
Je voudrais d'abord préciser que le projet de loi, tel qu'il est formulé, impose à la CSST de nous informer, en nous envoyant une décision défavorable, qu'on peut communiquer avec elle pour vérifier la possibilité de modifier la décision. Ça, ça a l'air bien, ça a l'air gentil, ça a l'air anodin, même sympathique, mais, dans le fond, quand on lit ça avec les dispositions sur la reconsidération puis qu'on lit ça avec les dispositions sur la révision, on a l'impression que c'est nous attirer dans un piège, la gueule du loup.
Actuellement, la reconsidération peut être faite par la CSST dans les 90 jours d'une décision pour corriger une erreur ou dans les 90 jours de la connaissance d'un fait nouveau pour réapprécier la décision à la lumière de ce fait nouveau là. Ce qu'on nous propose dans le projet de loi, c'est que la CSST puisse reconsidérer une décision tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas un recours de formé devant le TRAQ. Il n'y a pas de délai, il n'y a rien pour assurer la stabilité de la décision, puis en plus ça risque de provoquer trois effets abusifs.
Une décision qui n'est pas déjà contestée devant le TRAQ, donc qui ne sera pas contestée devant le TRAQ pourrait être reconsidérée n'importe quand. L'employeur pourrait essayer d'utiliser la reconsidération pour faire modifier une décision de la CSST un an, deux ans, trois ans après que le travailleur aura cru que ses droits sont enfin reconnus. Ça n'a pas de bon sens.
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(14 h 50)
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Deuxième effet abusif de cette disposition-là, compte tenu que le dépôt d'une contestation bloque maintenant la possibilité de reconsidération, ça veut dire qu'un fait nouveau qui serait découvert après le dépôt de la contestation ne pourrait jamais être considéré par la CSST pour fins de reconsidération avant que la cause soit entendue par le tribunal. Puis là, rendus devant le tribunal, on nous retournerait devant la CSST pour que la CSST reconsidère. Ça n'a pas de bons sens.
Troisième effet pervers, c'est l'utilisation que la CSST pourrait faire de ça. Un accidenté appelle à la CSST: Je viens de recevoir la décision négative, j'aimerais bien que la décision soit modifiée. L'agent dit: Pas de problème, monsieur, ou pas de problème, madame, ne dépose pas de contestation parce que je ne pourrai pas reconsidérer; si tu ne déposes pas de contestation, on va reconsidérer la décision, ça prend du temps, on va prendre notre temps. Finalement, l'accidenté risque de se faire piéger dans un processus où son délai de contestation va expirer, il va perdre ses droits puis il devra, devant le tribunal, assumer le fardeau de preuve nécessaire pour que sa requête puisse enfin être entendue, là, en invoquant des motifs, mais ça lui ajoute un fardeau de preuve.
Il faut voir dans le projet de loi... Puis, M. le ministre, vous avez assez d'expérience en matière de défense de victimes de lésions professionnelles pour savoir que la CSST, si on lui donne un pouvoir, c'est sûr qu'elle va l'utiliser et, si on ne lui interdit pas des pratiques, c'est sûr qu'elle va considérer que ces pratiques-là sont autorisées. Donc, il faut lire le projet de loi dans cette perspective-là, c'est ça qu'on vous demande de faire.
Sur la révision, maintenant, qui, elle, intervient en principe après que la contestation est déposée. Actuellement, on a accès à une révision, on peut demander une révision de toutes les décisions. C'est réalisé en pratique par du personnel de la Direction de la révision administrative, donc pas les mêmes personnes qui ont rendu une décision initiale. Mais cette instance-là est liée par les directives puis les politiques de la CSST, donc il n'y a pas vraiment un mécanisme indépendant. Et ça donne les résultats qu'on voit. Les chiffres qui sont publiés année après année nous tiennent toujours dans l'horizon de 10 %, 12 %, 13 % de décisions qui sont modifiées en révision administrative.
Vous avez raison, M. le ministre, quand vous dites que ça ne fonctionne pas, la révision administrative. Mais, une fois que vous avez dit ça, il nous semble que vous ne proposez pas le bon remède. La réforme que vous nous présentez nous retire le droit de demander une révision, mais elle maintient une révision discrétionnaire, une révision discrétionnaire qui peut s'opérer dans les 90 jours du dépôt de la contestation ou 180 jours s'il y a besoin d'une expertise médicale. Quatre points là-dessus, sur lesquels je voudrais revenir.
Un, la décision révisée, ce n'est pas toujours une décision modifiée. Par expérience, en révision administrative, 90 % des cas, maintien de la décision initiale. Si ça devient discrétionnaire en plus, il y a bien des chances que le volume de révisions qui entraînent des modifications en faveur des salariés ne soit pas beaucoup plus élevé. Donc, le travailleur qui aurait déposé une... pas une transaction, je m'excuse, qui aurait déposé une contestation, recevant une décision révisée, se devrait de confirmer le maintien de sa contestation, à défaut de quoi il serait réputé ou présumé, selon les termes, avoir abandonné son recours. Ça, ça ne passe pas, ni dans la formule réputée ni dans la formule présumée, parce que, dans un cas comme dans l'autre, même si c'est à des degrés différents, ça impose un fardeau de preuve supplémentaire à l'accidenté, puis on n'a pas besoin de se faire compliquer les choses.
Deuxièmement, ce n'est pas limpide, le statut de la décision révisée. Est-ce qu'elle pourrait être contestée? Par qui? Avec quels effets? Puis, si elle est contestée, est-ce qu'elle sera encore révisée? Quand est-ce qu'on sort de ce cercle-là?
Vous proposez que le délai de révision puisse être majoré à 180 jours pour aller chercher l'expertise médicale. Dans les faits, vous le savez bien, les accidentés n'ont pas accès aussi facilement que l'employeur ou la CSST à de l'expertise rapide, d'autant plus qu'ils n'ont souvent pas les moyens de se la payer, en plus. Donc, on risque de se retrouver en situation où une prolongation de délai en révision ferait en sorte que ou la CSST ou l'employeur pourrait facilement avoir accès à de l'expertise médicale supplémentaire, alors que, de notre côté, nous serions privés de la possibilité de le faire. À moins que l'intention, ce soit que la CSST dise: On va te la payer, ton expertise médicale, mais à la condition que tu acceptes que ce soit notre médecin, le médecin qu'on va te désigner qui va faire l'expertise. Là, on est encore piégés. Donc, cette dynamique-là est inquiétante.
Quatrième point que je veux signaler aussi, c'est que le projet de loi permet que la révision soit même effectuée par l'agent qui a rendu la décision initiale. Ce serait encore pire que ce qu'on connaît actuellement sous cet angle-là. Le bon remède, à notre avis, là, c'est une véritable instance de révision entre la CSST puis le tribunal de dernière instance, mais ça veut dire une instance de révision indépendante, qui n'est pas liée par les directives de la CSST puis qui a la possibilité d'entendre les parties. On a déjà vécu quelque chose qui pouvait s'apparenter un petit peu, même pas complètement à ça, avec les bureaux de révision paritaire, puis le taux de succès était raisonnable, on parle de quelque chose qui se rapprochait de 40 % avec un taux de contestation de ces décisions-là qui était quand même pas très élevé, dans pas plus que 30 % qui étaient contestées devant le tribunal. Nous, on pense que la preuve d'un palier intermédiaire, la preuve de la nécessité d'un palier intermédiaire, elle est faite, et il faut trouver le moyen de revenir à une forme de palier intermédiaire entre la CSST et le tribunal.
Mme Flibotte (Liane): Bon, maintenant qu'on a regardé les pouvoirs de la CSST, donc de l'organisme administratif, on aimerait discuter de quelques éléments qui sont relatifs au tribunal de dernière instance. Alors, la loi prévoit actuellement, le projet de loi prévoit que les litiges qui sont actuellement entendus par la CLP le seraient dorénavant par la section des lésions professionnelles du TRAQ dont le fonctionnement serait prévu non plus à la LATMP mais à la Loi sur la justice administrative. Alors, nous, on doit dire d'entrée de jeu que la fusion des deux tribunaux, chez nous, ça n'a pas soulevé de passion, ce n'était pas ce qui était fondamentalement problématique. Il y a certains...
L'aspect relatif au tribunal que les membres chez nous trouvaient même intéressant, notamment le délai de 90 jours pour loger un recours, le fait que le tribunal de dernière instance relève du ministère de la Justice, que le paritarisme soit quasiment totalement aboli, que les commissaires jouissent d'une plus grande indépendance, du moins théorique, avec les nominations selon bonne conduite, c'est des aspects qui nous apparaissent positifs et de nature à améliorer les choses. Cependant, ces avancées-là ne nous apparaissent pas suffisantes pour faire accepter le reste du fonctionnement du tribunal.
Alors, d'abord, du côté de la nomination des commissaires, le projet de loi prévoit que, pour être membre du TRAQ, les candidats et les candidates doivent posséder, en plus des qualités prévues à la loi, 10 ans d'expérience pertinente à l'exercice des fonctions du tribunal. Ça ne nous apparaît pas un critère suffisant. On pense qu'il faut que les gens possèdent une expérience pertinente de 10 ans à la fonction de la section à laquelle ils seront affectés. Aussi, le ministre propose que toutes les personnes qui sont actuellement commissaires à la CLP deviennent automatiquement membres du TRAQ et soient réputées avoir été nommées selon bonne conduite. Alors, vous comprendrez qu'en matière de lésions professionnelles c'est difficile pour nous d'admettre la nomination automatique des commissaires qui ont été nommés depuis 1998 quand certains ont été nommés en vertu de dispositions transitoires qui leur permettaient d'être nommés au tribunal sans nécessairement posséder les caractéristiques prévues à la LATMP.
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(15 heures)
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On a aussi des critiques importantes à formuler à l'égard de la mobilité du tribunal. On comprend que le ministre fait des ouvertures là-dessus. On pense qu'adopter comme principe la mobilité des membres du tribunal, ce n'est pas une option acceptable, ça irait à l'encontre de la spécialisation du tribunal. Et on considère que cet élément-là est intouchable si on veut garantir une justice digne de ce nom aux citoyens et aux citoyennes, et aux victimes de lésions professionnelles. Alors, on pense qu'il faut que chaque membre du TRAQ soit assigné à une section spécifique et on ne veut pas surtout de membres qui deviendraient semi-spécialistes ou généralistes. Et on a peur pour les gens qui sont en région éloignée, où le volume de contestations est peut-être moins élevé et on pourrait peut-être avoir tendance à nommer des membres, là, qui pourraient siéger dans plusieurs sections à la fois.
On comprend aussi que le ministre a fait des ouvertures sur la question des dispositions relatives à la prolongation de délai. On comprend que le motif raisonnable semble retenu. On trouve important que le ministre nous annonce aussi rapidement qu'il va lever la limite de 90 jours pendant laquelle le tribunal peut prolonger le délai.
Finalement, devant le tribunal, ce n'est pas très clair à ce moment-ci qui seront les parties. Il faut comprendre qu'en matière de lésions professionnelles actuellement la CSST n'est pas automatiquement partie devant le tribunal et, si elle souhaite l'être, elle doit envoyer un avis d'intervention au tribunal pour signifier son intention d'être partie. Alors, dans le projet de loi tel qu'il est libellé, il semble y avoir des dispositions qui nous disent que la CSST est partie à tous les recours, d'autres dispositions qui nous amènent à penser que peut-être que non. Alors, le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas limpide. Mais, nous, on veut s'assurer que le projet de loi ne va pas institutionnaliser des débats, des batailles, des luttes à deux contre un qui sont déjà trop nombreux et qu'on n'a pas envie de voir se généraliser.
Un aspect qu'on souhaite aborder peut-être un petit peu plus en profondeur, parce qu'on veut l'aborder avec vous du point de vue des victimes, c'est la question de la conciliation. Alors, on sait que le régime actuel permet la conciliation, que, si les parties y consentent, elles peuvent, avec l'aide d'un conciliateur ou d'une conciliatrice de la CLP, conclure un accord qui sera soumis à un commissaire qui, si l'accord est conforme à la loi, l'entérinera. Cet accord entériné deviendra la décision du tribunal et il liera toutes les parties. Et on rappelle que la CSST n'est pas systématiquement partie du côté de la conciliation.
La Présidente (Mme Thériault): Mme Flibotte, je m'excuse de vous interrompre, il vous reste un peu moins d'une minute pour votre conclusion, malheureusement.
Mme Flibotte (Liane): Alors, sur la question de la conciliation, parce qu'on pense que c'est important, il faut se rappeler que la LATMP, c'est une loi d'ordre public et que la CSST et la CLP sont des organismes publics chargés de l'application de cette loi-là, et la conciliation, telle qu'elle est pratiquée actuellement, pas à cause des dispositions mais à cause de la pratique, entraîne beaucoup de transactions, beaucoup de transactions qui entraînent des désistements de recours, et on pense que c'est important de questionner ça. Et j'insiste sur le fait que la conciliation, oui, contrairement à ce que certaines personnes peuvent dire, peut être particulièrement traumatisante pour les victimes, particulièrement pour celles qui ne sont pas représentées. Et on aura l'occasion sans doute, dans nos échanges, d'aller plus loin sur cette question-là. Je vous remercie.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, Mme Flibotte. Et, sans plus tarder, je vais passer la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.
M. Bellemare: Alors, merci, Mme Flibotte, M. Johnston, et félicitations pour votre assiduité. Vous avez assisté aux audiences, tout comme nous, depuis le 13 janvier. Vous avez été présent et présente à chacune des journées où les groupes ont été entendus, et je dois vous en féliciter. Certains ont, j'imagine, suivi les débats à la télévision, vous l'avez fait sur place, et c'est, à mon avis, une attitude qui doit être saluée, et vous devez être félicités pour votre assiduité à suivre les travaux de la commission. Et je voulais également souhaiter la bienvenue à votre équipe, votre vaste équipe, ceux qui vous accompagnent aujourd'hui et qui vous appuient manifestement.
Plusieurs questions ont été soulevées, et on voit que vous avez beaucoup d'expérience dans la pratique parce que vous soulevez des questions et vous avez des préoccupations très concrètes. J'essaierai de les aborder dans l'ordre. Vous parlez de la reconsidération, vous considérez que la reconsidération peut être utilisée par la CSST comme un piège, ou l'expectative, ou l'espoir de reconsidération. C'est un fait que, dans la pratique, très souvent les travailleurs estiment qu'ils doivent attendre ou, bon, on leur fait miroiter qu'il y aura une reconsidération, qu'il y aura une révision. Il ne faut pas que les travailleurs soient piégés par d'éventuelles promesses ou espoirs non tenus. Et, si je comprends bien, vous semblez considérer le processus de reconsidération, tel que décrit à l'article 365 de la loi actuelle, comme étant correct, donc une reconsidération limitée dans le temps, 90 jours. Si on modifiait le projet de loi n° 35 pour y introduire les mêmes critères de reconsidération que ceux qu'on retrouve à l'article 365, est-ce que ça ferait votre affaire?
Mme Flibotte (Liane): Ce serait nettement plus satisfaisant.
M. Bellemare: Concernant le pouvoir discrétionnaire de réviser, vous soulignez ? puis vous n'êtes pas les premiers à le faire ? que la révision n'est pas obligatoire, que la commission pourrait décider de ne pas réviser. Si on faisait en sorte qu'elle soit obligée de réviser, est-ce que ça irait dans le sens de vos préoccupations?
Mme Flibotte (Liane): Écoutez, pour nous, là, ce qui est problématique, avec ce qui est proposé en termes de révision, c'est que nous n'avons plus de droit, hein? On nous retire le droit de demander une révision. Alors, pour nous, ce qui est important, c'est que, si on veut réformer la justice administrative, on le fasse en accordant des droits aux citoyens, et on a un peu l'impression que ce qui nous est proposé dans le projet, tel qu'il se lit, c'est un peu le contraire. C'est comme si on nous retire des droits, on accorde des pouvoirs discrétionnaires à la CSST et, en plus, on nous impose une obligation supplémentaire. Alors là il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
Alors, on souhaite que la réforme de la justice administrative, quelque réforme que ce soit, se fasse toujours en mettant en place des droits pour les citoyens puis les citoyennes et, en plus, des droits clairs, des droits que les gens pourront exercer, hein, en sachant un peu le processus dans lequel ils se trouvent. Et je pense que ce qui nous est présenté à ce moment-ci, c'est quelque chose qui est de nature à entraîner beaucoup plus de confusion et de nature à entraîner la perte de droits pour les travailleurs puis les travailleuses, et je pense que c'est un des aspects du projet de loi qui méritent d'être corrigés sérieusement.
M. Bellemare: Mais est-ce qu'il y a une différence entre une décision qui n'est pas révisée parce que la CSST décide de maintenir sa position et une décision qui est révisée à la négative? Parce qu'il faut comprendre qu'on part d'une situation... La situation actuelle est inacceptable, le taux de révision très bas, tout le monde se plaint du processus de révision de la CSST, plusieurs en demandent l'abolition pure et simple. On cherche à améliorer le système, vous nous dites que ce qu'on propose n'est pas de nature à l'améliorer. Mais, au moins, si on prévoit que la CSST doit réviser sa décision, est-ce qu'on progresse, avec un délai maximal de 90 jours? Montréal, vous avez eu des délais de 15 mois, il y a quelques années, en révision, là. Le fait qu'on dise qu'au moins ils doivent réviser dans les 90 jours, ce n'est quand même pas un recul.
M. Johnston (Raymond): Non. Ce qu'on veut, là, soyons clairs, puis on l'a dit clairement tantôt, c'est un palier d'appel indépendant entre la décision de la CSST puis le recours au tribunal de la dernière instance. Bien sûr, il y a moyen d'encadrer ça par des délais. Mais là demandez-nous pas: Si j'arrondis tel coin qui ne va pas dans cette direction-là... demandez-nous pas si on va être d'accord avec ça. Notre position a été adoptée par l'assemblée générale de notre organisation, on n'a pas eu ça en notre nom personnel.
M. Bellemare: On avait des bureaux de révision paritaire autrefois et qui ont été un peu «upgradés» à la faveur de la CLP en 1998. Ce n'était pas notre décision, et je pense que vous étiez contre cette proposition-là à l'époque, j'étais contre aussi. Ce n'est pas ça qui a été adopté. On a vu la CLP naître le 1er avril 1998. On ne peut pas revenir au BRP d'antan; la CLP est là. On peut essayer de corriger certaines erreurs, mais des instances de révision véritablement indépendantes, il n'y en a jamais eu depuis 1919 à la CSST, là. Alors, qu'est-ce qu'on peut faire au-delà de la possibilité de prévoir, comme le suggérait un groupe d'avocats il n'y a pas si longtemps, de réintroduire l'équivalent de 358.4 qui garantit que la décision est prise par une direction administrative distincte de celle qui a pris la décision initiale?
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(15 h 10)
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M. Johnston (Raymond): Bien, il faudrait au moins, là, si vous voulez évoluer dans une direction comme celle-là, il faudrait au moins en plus s'assurer que les personnes qui vont agir dans ce service-là rendent des décisions sur la base de la loi et de la jurisprudence. Mais, écoutez, y a-tu moyen d'avoir un processus clair, plutôt que des choses emberlificotées, là, qui permettrait à l'accidenté de savoir, quand je reçois une décision négative, qu'est-ce que je fais, c'est quoi, le chemin, puis pas juste penser en fonction de: Est-ce que je peux réduire les délais en créant des obstacles? La grande difficulté avec le projet de loi, c'est qu'il a été probablement conçu avec l'intention légitime de réduire les délais, mais dans le fond son articulation fait en sorte qu'on multiplie les obstacles pour les accidentés.
M. Bellemare: Le délai de 90 jours pour une révision, peu importe le type de révision qu'on fait, c'est quand même... Vous êtes d'accord avec ça, qu'on impose un délai maximal de 90 jours à la CSST?
Mme Flibotte (Liane): Bien, en fait, c'est un peu ce qu'on dit dans notre mémoire. Je veux dire, si l'intention, c'est véritablement que l'organisme administratif révise sa décision et le fasse dans un certain délai, qu'on impose des obligations à l'administration. Mais là ce qu'on nous propose, c'est moins de droits pour nous, plus de pouvoirs pour l'administration, puis il y a une obligation pour nous. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Si ce qu'on veut, c'est mettre l'administration au pas et lui dire: Dorénavant, la révision se fera dans tel délai, bien, qu'on fasse ça. Mais qu'on ne vienne pas retirer des droits aux travailleuses et aux travailleurs et en plus leur imposer des obligations face à de nouveaux pouvoirs discrétionnaires de la commission.
M. Bellemare: Donc, l'obligation de réviser par une instance distincte de celle qui a pris la décision initiale, par un réviseur distinct de celui qui a pris la décision initiale, dans un délai de 90 jours.
Mme Flibotte (Liane): Et préférablement pas liée par les politiques internes de la commission.
M. Bellemare: Préférablement, effectivement. Pouvoir... Révision par un autre, O.K., j'avais noté ça. 10 ans à la section où ils sont affectés. Ça m'apparaît tout à fait correct d'exiger 10 ans d'expérience dans la section où ils vont oeuvrer. Les mécanismes de révision dont on a parlé tantôt, là, je suis d'accord avec ça, vous avez raison. Si on peut améliorer la procédure, la rendre plus limpide, on va le faire. Motif raisonnable, j'ai déjà dit que ça marchait. Le délai de 90 jours, j'avais l'impression que je l'avais déjà dit, sinon je le dis.
Et j'irai tout de suite à la question de la fusion des organismes et des transferts possibles d'une direction à l'autre. Vous êtes dans le secteur depuis des années, depuis le début des années quatre-vingt, je crois bien.
Mme Flibotte (Liane): L'ATTAQ est dans le secteur depuis le début des années quatre-vingt, oui.
M. Bellemare: Oui, vous aussi, Mme Flibotte, ça fait longtemps que vous êtes là-dedans. Et vous vous souvenez de la Commission des affaires sociales, qui avait été remplacée par la CALP. À l'époque, on avait une division d'assurance auto, régime de rentes, accidents de travail, et puis ce n'était pas si pire. On a remplacé ça par la CALP à un moment donné. La Commission des affaires sociales a fait son bout de chemin autrement. Mais qu'est-ce qu'il y a de si grave dans le fait qu'un commissaire ou qu'un juge administratif puisse être qualifié et compétent pour entendre des causes d'accidents de travail et aussi des causes d'assurance automobile, puisque ça s'est déjà fait et qu'on est dans le secteur du médicolégal? Et vous savez très bien, vous en voyez des accidentés de la route aussi. C'est quoi, le problème? Les médecins nous disent: On est à l'aise dans les deux secteurs. Les juges nous disent la même chose. Je suis porté à penser la même chose, avec l'expérience que j'ai dans le domaine. Expliquez-moi ça, c'est quoi, le problème.
Mme Flibotte (Liane): D'abord, je pense qu'il faut remettre quelques petites choses en perspective dans votre intervention. Il faut se rappeler que la CAS avait juridiction en matière de lésions professionnelles à l'époque de la LAT. On s'entendra que ce n'est pas du tout le régime d'indemnisation avec lequel nous sommes pris depuis 1985, loi beaucoup plus complexe. On se rappellera aussi que la CAS avait juridiction uniquement sur quelques questions, ce qui n'est plus le cas actuellement avec la LATMP. Alors, de comparer la CAS et se dire: Si ça fonctionnait à la CAS, il n'y a pas de problème, je pense que c'est un peu fausser le débat.
Sur la question de la mobilité, écoutez, ce qu'on vous dit, c'est qu'adopter la mobilité comme principe, sans encadrement, ça ne peut pas aller. On ne vous dit pas qu'il est impossible de trouver quelqu'un au Québec qui pourrait devenir membre du tribunal, qui aurait la compétence, hein, qui pourrait passer un concours et avoir la compétence pour siéger à la section des lésions professionnelles et aussi, parce que depuis 20 ans il a fait de l'assurance auto, qu'il puisse siéger à... Ce n'est pas ce qu'on vous dit. Ce qu'on vous dit, c'est: La mobilité comme principe, sans encadrement, sans mécanismes qui vont nous permettre d'avoir la garantie que les gens qui vont nous entendre vont être des décideurs spécialisés, hein, dans la loi qu'ils ont à appliquer, ça, ça ne va pas.
Alors, on a entendu ce matin certaines ouvertures à dire, la mobilité encadrée avec des critères, comment on verrait ça. On peut juste vous dire qu'il faudrait attendre de voir les critères, là. Mais ce qu'on vous dit, c'est qu'actuellement la mobilité sans encadrement très strict, ça ne va pas. Et je n'ai pas été rassurée, moi, en commission parlementaire, quand des juges administratifs nous ont dit: Bien, il faut vérifier si le membre se sent apte. Alors, on n'a pas envie d'être entendus par des gens qui se sentent compétents, on a envie d'être entendus par des gens qui le sont. Et ça, ça prend des mécanismes pour vérifier les compétences. Et on ne dit pas que ça ne se peut pas, quelqu'un qui pourrait avoir des compétences pour siéger dans plus d'une section. Ce qu'on vous dit, c'est: Il faut les nommer en fonction de cette compétence-là, et elle ne doit pas être prise pour acquis une fois qu'on est au tribunal. C'est seulement ce qu'on dit.
M. Johnston (Raymond): Je voudrais compléter cette réponse-là en ajoutant qu'avec la régionalisation du Tribunal administratif... des autres sections du tribunal, on pourrait aussi se retrouver dans la situation où les régions qui gagnent par la régionalisation pourraient éventuellement perdre au niveau de la spécialisation du tribunal parce qu'il n'est pas impossible que l'effet combiné de la mobilité entre les sections puis de la régionalisation, ça fasse en sorte qu'il y ait plus de semi-spécialistes ou de généralistes dans les régions que dans les grands centres. Puis, nous, on pense que les accidentés du travail, où qu'ils soient au Québec, ils ont le droit d'être entendus par des juges spécialisés.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il y a le député de Trois-Rivières qui veut faire une intervention.
M. Gabias: Merci, Mme la Présidente. Mme Flibotte et M. Johnston, merci de votre participation. Et je souligne également... je félicite tous les gens qui vous accompagnent. Vous avez, comme on l'a dit précédemment, comme le ministre l'a dit précédemment, assisté aux travaux et vous avez entendu plusieurs groupes donner leur opinion sur la question de paritarisme. Et, dans votre mémoire, vous en parlez. Évidemment, vous dites clairement que vous êtes pour l'abolition du paritarisme. Je comprends également que...
Parce que ce que je retiens des arguments pour et contre évidemment... Vous avez entendu des groupes syndicaux dire que ça assurait une certaine assistance aux personnes qui se trouvaient devant la CALP. Je comprends que les membres de votre groupe ont passé non seulement par un accident de travail, mais ont passé également par possiblement des auditions. J'aimerais ça que vous nous donniez votre motif profond, là, pour en venir à la conclusion finalement... J'imagine que vous n'êtes pas de cette opinion-là, que ça vient rassurer ni même aider les personnes qui se retrouvent devant un tribunal administratif. Alors, j'aimerais que peut-être que vous puissiez élaborer là-dessus.
M. Johnston (Raymond): Dans le meilleur des scénarios, M. le député, si la personne issue du mouvement syndical fait sa job de la façon la plus compétente et la plus vigilante possible puis que la personne issue du mouvement patronal fait la même chose, ça fait un match nul. Mais ce n'est pas toujours comme ça. On a déjà vu des assesseurs patronaux qui agissaient quasiment comme deuxième procureur patronal. Mais il faut aussi savoir que ces gens-là, bien sûr, ils peuvent apprécier la preuve qui est devant eux autres, peuvent peut-être poser des questions, mais ils ne peuvent pas compléter la preuve si la preuve est mal faite ou si la preuve est insuffisante. Ils ne peuvent pas compléter le dossier, ils ne peuvent pas produire d'expertise et ils ne peuvent rien ajouter à toutes fins pratiques, si ce n'est questionner sur des questions de détail. Nous, on pense que, si les travailleurs accidentés ont besoin de support, ce n'est pas dans le tribunal, c'est dans la représentation, le soutien à la représentation puis le soutien aux coûts d'expertise médicale. Si on veut être capable de rétablir un peu d'égalité entre les parties, c'est là que ça doit se faire. C'est la seule façon d'en sortir.
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(15 h 20)
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M. Gabias: Me dites-vous que la pensée de l'assesseur patronal tout comme de l'assesseur syndical, c'est beaucoup plus une pensée, je ne dirais pas de confrontation, mais de négociation, là, dans... qu'on connaît très bien dans le domaine des conventions collectives plutôt que d'une position de vouloir trancher en prenant strictement les faits et en fonction de ce que la loi peut prévoir comme bénéfices pour l'accidenté?
Une voix: ...
M. Gabias: ...c'est que ce n'est pas le même match. L'arbitre, lui, il arbitre et il décide en fonction vraiment des faits qu'il trouve devant lui, qu'il reçoit devant lui et de la loi, alors que les deux assesseurs sont dans un... avec d'autres règles, finalement.
M. Johnston (Raymond): Bien, ils ne sont pas...
Une voix: ...
M. Johnston (Raymond): Mais je pense qu'il ne faut pas présumer que ces gens-là agissent de mauvaise foi. Bon, ces gens-là, à partir de leur éclairage, peuvent tenter de mettre en relief certains éléments de la preuve ou de témoignage ou essayer de faire sortir un peu plus de jus pendant l'audition, mais c'est la limite de leur pouvoir d'intervention. Après ça, c'est la discussion en délibéré avec le juge administratif. Mais, comme je le disais tantôt, si les deux font leur job correctement, c'est un match nul. Donc, le support, à côté de nous, pas en avant.
M. Gabias: Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je vais passer la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice, le député de Chicoutimi.
M. Bédard: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, merci, M. Johnston, Mme Flibotte et surtout à tous ceux et celles qui vous accompagnent, les membres de votre association. D'abord, félicitations évidemment d'être ici, d'être ici vous deux, mais aussi d'être... que les gens prennent le temps de venir écouter vos représentations, pas pour leur fidélité par rapport, j'imagine, à ce qu'elles... à la recommandation du conseil d'administration ou de l'association, mais plus pour démontrer cette volonté de voir modifier la loi dans le sens, comme vous le disiez si bien, d'aller un peu plus loin vers la reconnaissance des droits dans le processus de prise de décision de la CSST et des instances supérieures. Je pense que cette présence sera sûrement utile, et elle est nécessaire, et elle renforce d'autant plus les arguments que vous présentez. Et je tiens aussi à vous féliciter du fait que vous ayez participé avec autant d'assiduité et de compétence. Maintenant, je peux le dire parce que je vous ai entendus aux délibérations que nous avons eues devant cette commission relativement au projet de loi.
Vous avez été très directs quant aux demandes que vous avez faites. Vous allez me permettre d'ailleurs de prendre acte de deux propositions qui rendent une partie de votre mémoire, pas inutile, mais plutôt encore plus utile, dans le sens que le ministre a donné suite aux éléments relativement à la reconsidération que vous avez bien fait ressortir. Alors, on peut tout de suite lui dire effectivement que nous sommes tout à fait, là, en faveur des modifications ou plutôt de, je vous dirais ? mais ce n'est pas un retour en arrière ? de faire en sorte que la reconsidération ne soit pas celle qui est prévue au projet de loi, mais celle qui était beaucoup plus encadrée auparavant. Et il a tout à fait notre accord et notre bénédiction ? si on peut bénir encore ? sur le 90 jours.
Mme Flibotte (Liane): ...bénir les pouvoirs de la commission, là, ça peut être assez hasardeux.
M. Bédard: Oui, c'est ça. Mais, quant au ministre, on ne sait jamais. Alors, sur le délai de 90 jours, effectivement, les motifs raisonnables, il y avait eu un positionnement du ministre. 90 jours, je n'étais pas sûr non plus. Il semble que ce soit le cas, et c'est un des éléments qui est bien abordé dans votre mémoire.
Il y a d'autres éléments que vous reprenez. Je vais tenter d'être assez rapide parce que le temps coule, là. D'abord, deux choses qui ont été reprises dans plusieurs mémoires, là, et qui est, selon moi et selon ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant, un recul des droits des salariés et des accidentés. Je dis salariés parce que je viens des relations de travail, mais je devrais dire plutôt des accidentés, des victimes.
La présomption quant à l'abandon du recours. Et, vous, vous dites très clairement: Ni réputé ni présumé. Et, dans les deux cas, et vous l'avez bien fait ressortir, là, dans les deux cas, c'est un recul quant aux droits des accidentés. Alors, j'aimerais bien que vous le fassiez ressortir, là, aux membres de cette commission.
M. Johnston (Raymond): Bien, «réputé»...
M. Bédard: C'est clair pour «réputé». Disons, allons-y sur «présumé».
M. Johnston (Raymond):
«Réputé», c'est assez clair qu'on est fait. «Présumé», on n'est pas fait complètement, mais ça nous impose un fardeau de preuve supplémentaire. Si jamais on finit par avoir accès au tribunal, il va falloir démontrer que, malgré cette présomption-là, on avait toujours l'intention de contester. Puis on n'a pas besoin de se faire rajouter des fardeaux de preuve supplémentaires, là, c'est déjà assez lourd comme ça.
M. Bédard: Tout à fait conscient. Et vous l'abordez dans votre mémoire, je vais tenter d'y venir, mais allons plus loin. Un des arguments qui a été invoqué était celui de lorsqu'il y avait finalement une révision à la satisfaction de l'accidenté, que finalement que le recours reste pendant devant l'instance du tribunal et que ce recours aurait pour effet finalement d'embourber les rôles du tribunal parce que l'accidenté aurait... serait plus difficile à rejoindre. C'est un des arguments qui nous a été évoqués. Quelle est votre réponse?
Mme Flibotte (Liane): Écoutez, je pense que, si on réforme la justice administrative au Québec, il faudrait le faire dans le sens d'encadrer l'action de l'administration, hein? Alors, habituellement, la justice administrative, c'est ce à quoi ça sert, hein, ne pas imposer des fardeaux insurmontables aux administrés. Il y a quelque chose de particulier dans cette présomption de désistement, c'est que, quand on loge un recours au tribunal, hein, ou à quelque instance que ce soit, on s'attend à ce que ce soit cette instance-là, hein, qui en dispose. Et là on se retrouve dans une situation où on conteste au tribunal, mais il faut confirmer à la commission notre contestation. Alors, une fois que le recours est logé devant une instance, quelle qu'elle soit, ce recours-là appartient à l'administré bien sûr, au travailleur et à la travailleuse et est géré en rapport avec l'organisme où il a été logé. Il y a quelque chose de complètement absurde dans le fait de loger un recours devant une instance et d'avoir à répondre à une autre.
Et j'ai entendu, pendant les échanges, le ministre dire: Il faut que le travailleur sache comment ça fonctionne, qu'il y a un tribunal d'appel qui peut sortir de l'administration pour faire respecter ses droits. Bien, évidemment, ce n'est pas en faisant ce... ce n'est pas en présentant ce genre de mesure là, où on conteste à un endroit, mais on continue de parler à l'administration sur la suite du recours, qu'on va clarifier les choses pour les accidentés. Alors, c'est un élément, là, qui est inacceptable pour nous. Quand on adresse une correspondance à quelqu'un, on souhaite que ce soit cette personne-là qui nous réponde.
M. Bédard: D'autant plus que certains sont venus nous dire que ce processus peut parfois être traumatisant... une raison mais qui amène des décisions défavorables, et souvent les gens veulent s'en extirper le plus possible, enfin arriver vraiment à ce que leur cause soit entendue et ne pas être pris finalement à rester embourbés dans le processus interne. Et, vous, vous concluez effectivement que cela est de nature à ramener finalement la personne et même la faire dépendre d'un processus interne qui n'a rien à voir avec la procédure qu'elle a entamée en appel. C'est ce que je comprends bien. Et, pour vous, vous n'y voyez aucun avantage, aucun pour les accidentés, la proposition actuelle quant au désistement.
Mme Flibotte (Liane): La proposition actuelle ne comporte aucun avantage pour les accidentés. Elle comporte cependant de sérieux inconvénients et risque de faire perdre des droits à plusieurs accidentés du travail au Québec.
M. Bédard: Merci. Vous avez abordé rapidement toute la question de la conciliation. Vous avez eu le temps de dire que c'était un exercice qui pouvait être traumatisant. Alors, vous avez eu peu de temps. Peut-être nous dire... Et vous en faites mention dans votre mémoire, là, que c'est un exercice, quand même, qui mérite un encadrement particulier ? c'est ce que j'ai compris ? et vous ne le retrouvez pas actuellement dans le projet de loi actuel.
Mme Flibotte (Liane): Les dispositions qui se trouvent actuellement dans la LATMP en matière de conciliation sont, du point de vue de l'ATTAQ, nettement supérieures à celles qui se trouvent à la Loi sur la justice administrative. Et, même avec ces dispositions-là qu'on retrouve à la LATMP, la conciliation pose des problèmes sérieux aux travailleuses et aux travailleurs, particulièrement les non-syndiqués et les non-représentés.
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(15 h 30)
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Alors, ce qu'on veut, c'est qu'on parte de dispositions qui sont peut-être plus intéressantes et qu'on tente de les bonifier de façon à encadrer le processus de conciliation pour s'assurer que, dans le cadre d'une réforme qui met la conciliation de l'avant quand même assez fortement, on s'assure que la conciliation soit faite dans le respect des droits des travailleuses et des travailleurs. Et on a assisté aux consultations, comme vous l'avez dit, on sait qu'il y a 49 % des dossiers à la CLP qui se règlent par conciliation. Ce chiffre-là est un peu répété ad nauseam, comme s'il suffisait à lui seul pour dire: La conciliation, c'est bon et ça marche. Il y a 70 % des dossiers qui sont fermés en conciliation, qui sont fermés par transaction, hein, c'est-à-dire qui sont fermés par désistement accompagné ou non de transaction.
La loi qui a été adoptée et qui a mis en place des mesures de conciliation, elle a été mise en place pour que les parties puissent, avec l'aide de personnes dont c'est la fonction exclusive, arriver à un accord, que cet accord-là soit soumis à un commissaire qui en vérifie la conformité avec la loi, qui l'entérine, si c'est le cas, et qui devient la décision finale du tribunal. Les transactions, ce n'est pas ça, hein. Et je vous rappelle qu'on est en ordre public, c'est une loi d'ordre public. On a deux organismes chargés d'appliquer une loi d'ordre public qui, quotidiennement, rédigent des transactions et les signent. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et on ne peut pas évaluer la conciliation à la CLP à sa seule performance du nombre de dossiers fermés. Il faut nous assurer que les dispositions qui sont là soient maintenues, hein, et qu'elles soient bonifiées de façon à interdire aux organismes publics que sont la CSST et la CLP de participer de quelque façon que ce soit à la rédaction et à la signature de transactions.
M. Bédard: Merci. Quant à la proposition de faire en sorte que le juge peut devenir conciliateur, que le juge... que le membre du tribunal, là, peut devenir conciliateur, j'ai lu dans votre mémoire que vous étiez totalement...
Mme Flibotte (Liane): Écoutez, ça représente une pression incroyable sur les travailleuses et les travailleurs. Alors, on parle, là, d'une dame qui se présente devant le tribunal, qui a son avocat avec elle, son témoin expert et, là, qui se fait entendre par un membre du tribunal, et le membre du tribunal décide, parce qu'il pense qu'il y a une ouverture, de changer de chapeau et de devenir conciliateur. Bien sûr, on nous rassurera, on dira: Oui, mais ce membre du tribunal là, là, si la conciliation ne marche pas, il n'entendra pas la cause par la suite. Je veux bien. Mais cette travailleuse-là, là, qui paie son avocat et qui paie son témoin expert, quand elle revient, elle, là, elle n'a plus les moyens d'avoir la preuve qu'elle avait amenée la première fois. Alors, ce n'est pas juste une question de délai. Bien sûr, ça entraîne un délai, ce n'est pas nécessairement souhaitable, mais le plus grave, c'est que cette personne-là, on est en train d'augmenter ses frais de représentation de façon astronomique. Alors, c'est important que la conciliation ne se fasse pas en audience... Oui, voilà.
M. Bédard: Parfait. Très, très clair.
M. Johnston (Raymond): Si vous permettez, je voudrais profiter de l'occasion pour ajouter un mot sur la perspective qu'ouvre le projet de loi à l'égard de la révision. Il semble que le projet de loi, tel qu'il est formulé, ouvre la perspective que la CSST puisse se transformer en conciliatrice entre elle puis l'accidenté. Ça, c'est le bout du bout. Soyons clairs, là, ne demandons pas à un organisme qui a rendu une décision de jouer à la conciliation entre cet organisme puis la personne qui est victime de cette décision-là. Ça n'a pas de bon sens. Il faut faire le ménage dans ce projet de loi là parce que ce bout-là, là, il est appuyé dans le projet de loi puis curieusement ça fait partie... c'est une revendication de la CSST. Donc, si on ne veut pas que la CSST joue ce jeu-là, il faut fermer les possibilités qu'elle puisse exercer ce rôle-là.
M. Bédard: Parfait. Ce que vous dites finalement, c'est ? et sans présumer de la mauvaise foi de personne, là ? de ne pas ajouter à la pression qui serait faite sur l'accidenté par le biais, entre guillemets, d'une conciliation d'une autre nature, là, donc qui serait faite à partir de la CSST. Alors, on va suivre cela avec beaucoup de précaution, je vous dirais, et d'attention.
Autre élément... Plusieurs éléments que vous abordez dans votre mémoire, je vais les aborder presque un après l'autre, là, mais vous commenterez ceux que vous souhaitez commenter. Et c'est parce que j'ai tout lu votre mémoire au complet, et effectivement il est très précis et fort bien fait.
Tout d'abord, évidemment, vous êtes contre la possibilité de tarification parce qu'il s'agit d'une atteinte à l'accessibilité. C'est ce que j'ai compris de votre mémoire à la fin. Vous l'aborderez... vous aborderez le point que vous voulez, parce que, vous savez, les minutes, ça passe vite. Que les décisions demeurent publiques, vous savez que vous n'êtes pas les seuls. Comme pour l'autre question, plusieurs sont venus mentionner la même chose. Ce n'est que pour... du moins, amoindrir le déséquilibre qui existe entre les forces en présence, que vous avez très bien fait ressortir.
Vous parlez aussi de délais de contestation plus longs, un peu l'argument qu'a repris Me Lippel à l'effet que l'augmentation des délais évidemment est en faveur de l'accidenté, donc on aurait avantage peut-être à prolonger même encore un peu plus loin. Et vous n'êtes pas les seuls, vous savez, encore hier, avant-hier, d'autres groupes sont venus dire cela aussi.
Et il y a aussi toute la question que vous avez abordée, par contre, celle-là, celle des remboursements des frais. Vous avez eu plusieurs choses qui ont été proposées. Le Barreau, le Jeune Barreau, je vous dirais, en bois brut ? ça me rappelle une chanson ? les jeunes avocats en bois brut qui sont venus recommander, avec beaucoup de verve et beaucoup d'assurance, l'assurance juridique. Par contre, vous, vous voyez... Bon, il y a eu d'autres... Plus tôt, encore ce matin, la CSQ, elle, y allait de commentaires beaucoup moins clairs par rapport à cette assurance qui peut prévaloir pour certains, mais, pour d'autres, qui n'est pas pensable, je vous dirais, comme réalité. Alors, quel est le moyen... Vous, vous y allez plus sur la question de soit rembourser les frais ou la création d'un fonds en particulier. Alors, je vous laisse aller sur ces différents sujets.
M. Johnston (Raymond): Sur la question des frais de représentation et d'expertise, notre approche privilégie l'instauration d'un régime de remboursement des frais de représentation et des frais d'expertise médicale pour les personnes qui sont, autrement, non représentées. Bon.
Ça ne veut pas dire qu'une personne qui prendrait l'assurance juridique qui est promue par le Barreau ferait un mauvais choix, mais c'est un choix qui n'est pas accessible à tout le monde. Il faut bien voir, là, que, pour avoir accès à ce régime-là, il faut avoir une assurance habitation, et la cohabitation de ces types d'assurances là, ça fait habituellement des factures assez élevées. Qu'on nous dise que juste ajouter le volet d'assurance juridique, ça représente juste tel montant, peut-être, mais, écoutez, il y a beaucoup d'accidentés du travail qui ne gagnent pas beaucoup avant d'avoir un accident de travail, puis ces gens-là, ils se retrouvent diminués physiquement, diminués moralement suite à un accident de travail. Il y en a même chaque année un certain nombre qui passent par des périodes suicidaires, quand ils ne se rendent pas jusqu'au bout.
Écoutez, il n'y a pas de solution autre, à notre point de vue, que d'instaurer un vrai régime de remboursement des frais de représentation et d'expertise. Puis il existe déjà des précédents. Dans la Loi sur l'assurance automobile du Québec, là, il y en a un régime de remboursement de frais d'expertise médicale là-dedans. Bon, ce n'est pas... ça n'a pas l'air à être mirobolant, d'après ce que j'ai entendu, mais peut-être qu'il y a moyen de faire quelque chose qui serait plus généreux et qui pourrait s'adresser aux accidentés puis peut-être à d'autres groupes de personnes aussi qui ont affaire dans les recours administratifs.
Mme Flibotte (Liane): Sur la question de la représentation, je pense que plusieurs avenues ont été proposées, je pense qu'elles méritent qu'on fasse un débat large sur ces avenues-là. Bon. Des gens ont amené ce qui existe en Ontario ou dans d'autres provinces avec les Office of the Workers' Advisor, un programme de remboursement. Je pense que ce qu'on veut, c'est un signal clair à l'effet que cette réforme de la justice administrative va être celle qui va mettre fin à l'injustice, à l'inégalité des forces en présence et qui va faire en sorte que nous soyons en mesure, parce que nous aurons les moyens, de faire respecter nos droits.
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(15 h 40)
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M. Bédard: J'aurais le goût de ne pas continuer, je pense que vous avez, là, la plus belle des conclusions. Et je peux vous assurer que, du moins personnellement... et je crois bien que le ministre a la même volonté de travailler dans ce sens-là, donc. Et d'où la raison pourquoi, à chaque fois, j'identifie ce qui est en faveur de l'accidenté et ce qui ne l'est pas. Donc, ça nous permettra, je pense, dans l'étude article par article, de voir quels sont les éléments qui méritent de s'y retrouver ou qui méritent d'être... ou qui doivent être améliorés. Donc, je vous remercie puis je vous invite à continuer, peut-être pas tous ceux qui vous accompagnent, à suivre les travaux ? ou à la maison ? mais vous deux, et à nous faire bénéficier de votre expertise et de vos commentaires. Merci encore.
M. Johnston (Raymond): J'espère que vous avez pris note aussi de notre position sur le pouvoir du tribunal d'exclure les représentants.
M. Bédard: Oui, aussi, effectivement. Mais vous pouvez y aller. Il vous reste quoi, il vous reste quelques secondes?
La Présidente (Mme Thériault): Il reste 30 secondes.
M. Bédard: 30 secondes. Allez-y.
La Présidente (Mme Thériault): Allez-y.
Mme Flibotte (Liane): L'intention de protéger les accidentés contre des mauvais représentants, on en est, les membres de nos organisations subissent d'être passés dans les griffes de certains d'entre eux. Il nous apparaît cependant que la possibilité pour un membre du tribunal d'exclure sur la base de l'incompétence, c'est un peu plus délicat, ça pourrait laisser place à des décisions arbitraires. On saurait admettre ça, mais, évidemment, on admet que la préoccupation est juste, et il faut juste trouver des façons qu'elle puisse se réaliser, mais avec des critères objectifs qui vont éviter l'arbitraire.
M. Bédard: Entièrement d'accord avec vous, et c'est cette recherche que nous poursuivons. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Et il reste deux minutes et demie à la partie ministérielle, et le député de Marguerite-D'Youville va essayer de poser une question courte qui appellera une réponse courte.
M. Moreau: Il a beaucoup de talent là-dedans. Oui, merci, Mme la Présidente. Mme Flibotte, M. Johnston, vous êtes ici depuis le début des travaux, vous avez noté que la commission était effectivement en mode écoute et qu'il y avait une excellente collaboration pour essayer justement d'aller dans le sens de la conclusion que vous suggériez et d'arriver à une réforme qui soit au bénéfice des administrés. Vous avez aussi noté sans doute ce matin l'ouverture dont a fait part le ministre en matière de conciliation. Parce qu'il y aura, suivant l'article 6 de la loi, trois sections: la section des affaires sociales, la section des lésions professionnelles et la section des affaires économiques. Et, en matière de conciliation, il a été mentionné qu'il était possible d'envisager le statu quo à l'égard de la conciliation dans la section des lésions professionnelles, suivant les dispositions de l'article 429.44 de la LATMP. Et je comprends que votre seule préoccupation à cet égard-là est de dire: Il faudrait avoir un encadrement pour éviter que l'administration se prête à des transactions. Parce que je comprends que ce système-là de conciliation prévu à la LATMP est quelque chose qui vous agrée largement.
Mme Flibotte (Liane): Je pense que ce qui est là nous apparaît une base plus intéressante. Il faut éviter effectivement les transactions en vertu du Code civil, dont ce n'est pas l'objectif, la conciliation. Il faut aussi s'assurer que les personnes non représentées vont avoir accès à des services conseils pour leur permettre de comprendre les conséquences présentes bien sûr des offres de règlement qui leur sont proposées, mais aussi les conséquences futures. Parce que vous savez qu'une lésion professionnelle, hein, ça peut être un dossier qui s'échelonne sur plusieurs années, et ce qu'on signe aujourd'hui peut avoir des effets dramatiques plus tard. Et il faut s'assurer que les gens à qui on fait des offres de règlement disposent de services conseils indépendants leur permettant de bien saisir les tenants et aboutissants présents et surtout futurs sur leurs droits.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ceci met fin aux échanges avec les parlementaires. Donc, Mme Flibotte et M. Johnston, merci beaucoup de votre contribution aux travaux de la commission. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de s'approcher. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 45)
(Reprise à 15 h 52)
La Présidente (Mme Thériault): ...poursuivre les travaux de la Commission des institutions. Donc, nous entendrons l'Ordre des psychologues du Québec, en les personnes de Mme Rose-Marie Charest, présidente, et Mme Édith Lorquet, conseillère juridique aux affaires externes. Donc, vous êtes familières avec nos règles. Vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire. La parole est à vous.
Ordre des psychologues du Québec
Mme Charest (Rose-Marie): Merci. Merci, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes, MM. les parlementaires. Nous vous remercions de nous accueillir aujourd'hui pour nous permettre de vous faire part d'une préoccupation de l'Ordre des psychologues qui n'est pas survenue suite aux modifications demandées dans le cadre du projet de loi n° 35, c'est plus une situation existante, et ici nous est donné une occasion de corriger ce qui doit être, on peut imaginer, une erreur historique. La situation est la suivante.
Les psychologues, malgré leurs compétences en santé mentale, ne font pas partie des gens qui peuvent siéger, hein. On dit: Un avocat, un notaire, un psychiatre et un travailleur social, ce qui exclut les psychologues. Pourtant, les psychologues peuvent siéger à la Commission d'examen pour les troubles mentaux. Ma courte recherche pour essayer de voir, dans l'histoire, qu'est-ce qui a pu entraîner ça, ne m'a pas donné de résultats autres que des rumeurs, là, donc je ne vous en ferai pas part.
Donc, on voudrait essayer de vous démontrer que, un, les psychologues ont les compétences dans ce domaine-là, que leurs compétences sont reconnues par la commission d'examen, que l'expertise des psychologues donc devrait être connue, être reconnue en matière de cure fermée. Pour vous illustrer ça très simplement, là, un comité va dans un hôpital et entend des personnes qui ont commis un acte criminel pour voir s'ils vont maintenir ou non la cure fermée ? je pense que ça ne s'appelle pas comme ça dans ce cas-là ? mais en tout cas s'ils vont... puis là le psychologue est là, puis il a le droit d'être là. Puis le quatrième, c'est quelqu'un qui n'a pas encore commis d'acte mais qu'on veut maintenir en cure fermée pour justement le protéger contre lui-même, et, dans ce cas-là, le psychologue ne peut pas siéger, il est obligé de se retirer puis on demande à un travailleur social d'y aller. Bon.
Donc, quelle est la compétence des psychologues? Bien sûr, les psychologues ont comme compétence l'évaluation des troubles mentaux. C'est principalement la psychologie qui a mené aux grilles d'analyse qui nous permettent d'évaluer les troubles mentaux pour ce qui est de la mesure en psychologie, mais aussi des outils statistiques et de méthodologie.
Ici, ce qui arrive, c'est qu'on demande à des professionnels compétents d'entendre un autre professionnel qui dit: Moi, j'ai l'impression que... ou mon évaluation m'amène à vous recommander telle chose. On demande à celui qui entend ça d'avoir la compétence de dire sur quoi repose cette opinion clinique là. Or, justement la formation universitaire des psychologues, c'est une formation qui porte beaucoup sur la méthodologie, sur l'évaluation, mais surtout sur cette différence qu'on doit faire en science entre une hypothèse, une impression et une certitude. Et, quand on connaît les conséquences d'une mauvaise décision d'un tribunal comme celui-là, on peut imaginer que, pour l'ensemble du public, il est très important que les personnes qui apprécient les recommandations aient une pensée très rigoureuse basée davantage sur des connaissances scientifiques que sur des impressions.
Alors, nous, à l'Ordre des psychologues, on s'assure, avant que les gens deviennent membres chez nous, on s'assure qu'ils aient ces compétences-là parce qu'on ne veut pas juste... on veut qu'ils soient capables d'évaluer le monde, on veut qu'ils soient capables de les traiter adéquatement aussi. Donc, tout psychologue au Québec a une formation en psychologie fondamentale sur l'affect, les cognitions, la pensée, la mémoire, la perception, la personnalité. Un psychologue aussi se caractérise par une compétence autant pour évaluer ce qui est normal que ce qui est pathologique. Et ça, ici, c'est important dans le dossier qui nous occupe parce que, si on voit des bobos partout, c'est un problème puis, si on ne les voit pas quand ils sont là, c'est un problème aussi.
La dangerosité, c'est quelque chose que tout psychologue, clinicien en tout cas, doit avoir la compétence d'évaluer parce qu'il y a ceux... Un grand nombre de nos membres travaillent quotidiennement dans les hôpitaux à évaluer des gens qui souffrent de problèmes de santé mentale graves, mais même ceux qui sont en pratique privée doivent être capables de détecter qui présente un risque de dangerosité et, dans le cas qui nous occupe ici, hein, qui n'est pas... La commission d'examen évalue la dangerosité pour autrui, mais, dans le cas qui nous occupe ici, c'est la dangerosité pour autrui et pour soi-même, c'est la seule différence entre les deux types de décisions. Or, évidemment un psychologue est habilité à évaluer le risque suicidaire en plus du risque homicidaire et devrait donc avoir toute la compétence pour siéger sur ce comité.
En conséquence, on ne demande pas que le psychologue remplace d'autres sur ce comité. Voilà nos recommandations. C'est que, à l'article 82.1, que les recours visés à l'article 22 sont instruits et décidés par une formation de trois membres composée d'un avocat ou notaire, d'un psychiatre, d'un travailleur social ou d'un psychologue. Autrement dit, on demande à ce que le psychologue puisse siéger s'il est là, hein. Et donc, en concordance, à la section des affaires sociales, au moins 10 membres doivent être médecins, dont au moins quatre psychiatres, au moins deux autres doivent être travailleurs sociaux, et au moins deux autres doivent être psychologues. C'est l'essentiel de ce qu'on avait à vous présenter.
La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup. Donc, sans plus tarder, je passe la parole au ministre de la Justice.
M. Bellemare: Alors, bienvenue, Mme Charest et Mme Lorquet, à la Commission des institutions, et félicitations pour ce mémoire. On avait hâte d'entendre l'Ordre des psychologues. Et, maintenant que c'est fait, je peux vous dire que je dois vous féliciter pour la qualité de vos revendications qui sont claires, limpides, précises, et plus encore, tellement précises que je crois que nous devrons les accepter toutes les deux, elles sont, à mon avis, fondées.
Et, si je comprends bien, la préoccupation de l'Ordre des psychologues, c'est de faire en sorte que la loi reconnaisse que la multidisciplinarité qui existe au tribunal tiendra compte de la présence certaine de psychologues dans ses rangs. C'est bien ça? Parce que vous agissez effectivement déjà beaucoup dans les sections reliées à l'incapacité psychique, et je sais qu'il y a parmi les membres à temps partiel, au Tribunal administratif du Québec, dans la section des affaires sociales, des psychologues déjà, mais la loi ne le garantit pas.
Alors, moi, en ce qui me concerne, pour ce qui est des deux demandes que vous formulez, je crois qu'elles sont fondées, et nous allons présenter des amendements lors de l'étude article par article pour faire en sorte que ces demandes-là soient acceptées.
Mme Charest (Rose-Marie): Merci beaucoup.
M. Bellemare: C'est terminé, en ce qui me concerne.
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(16 heures)
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La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Donc, je passe la parole maintenant au député de Chicoutimi.
M. Bédard: Il y a des beaux moments qu'on vit dans cette commission. Alors, je tiens à vous féliciter à mon tour évidemment de la précision de votre mémoire. Effectivement, il y a des moments de grâce, comme on dit. Alors, ça va en être un autre, effectivement. Donc, nous sommes aussi en faveur des recommandations que vous faites, alors, ce qui veut dire que... Trop fort ne casse pas, comme on dit. Alors, si les deux sont en faveur, à moins que l'ADQ nous manifeste sa désapprobation, on devrait... vous devriez trouver satisfaction après l'adoption du projet de loi.
Une voix: ...
M. Bédard: Le député de Rivière-du-Loup, pardon. J'ai dit ADQ?
La Présidente (Mme Thériault): Oui.
M. Bédard: Le député de Rivière-du-Loup. Excusez-moi.
La Présidente (Mme Thériault): Par le comté. Donc, ceci met fin aux échanges, à moins que vous n'ayez un commentaire.
Mme Charest (Rose-Marie): Oui.
La Présidente (Mme Thériault): Allez-y.
Mme Charest (Rose-Marie): Écoutez, on a pris connaissance du mémoire du Collège des médecins et on est inquiets du fait que le Collège des médecins dise qu'un médecin doit être nommé membre du tribunal lorsque le litige à l'origine d'un recours implique un diagnostic. Pour nous, ça, ce que ça signifie, c'est qu'il va toujours falloir un médecin membre du tribunal, parce que ça ne se peut pas, dans des cas de troubles de santé mentale de cette ampleur-là, qu'il n'y ait pas de diagnostic. Donc, il nous apparaîtrait plus sage de mettre ? parce que, effectivement, on reconnaît, là, la compétence des médecins en diagnostic ? de dire «lorsque le diagnostic doit être révisé» et non «lorsque ça implique un diagnostic», puisque ça implique toujours un diagnostic. On peut difficilement imaginer que quelqu'un souffre d'un trouble mental au point de se présenter devant ces commissions et qu'il n'y ait pas de diagnostic. S'il n'y en a pas, il faudra en faire un.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il y a le ministre qui voudrait rajouter quelque chose.
M. Bellemare: Concernant cette demande qui a été faite par le Collège des médecins, c'est le Dr Lamontagne, le président, qui en avait parlé, et je me souviens très bien lui avoir dit que, effectivement, si on prévoyait dans la loi que tout ce qui a trait au diagnostic doit faire l'objet de la présence obligatoire d'un médecin sur le banc, il allait y avoir des médecins partout. Et je lui avais demandé: Voulez-vous dire que c'est quant à la détermination d'un diagnostic? Ce qui est très différent, savoir... Je pense que l'exemple que je lui avais donné, c'est... les exemples, c'était de savoir si c'était une entorse ou une hernie ou encore si c'était une commotion ou une contusion. Quand c'est la détermination d'un diagnostic, ça prend un médecin, mais pas quand il y a un diagnostic qui est en cause. Alors, sur la question de la détermination du diagnostic, ça m'apparaissait fondé. C'est ce que j'avais dit. Ça répond à vos préoccupations?
Mme Charest (Rose-Marie): Tout à fait.
M. Bellemare: Parfait.
Mme Charest (Rose-Marie): Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci pour votre contribution à l'avancement des travaux de cette commission.
Nous allons suspendre quelques minutes pour laisser la place au groupe qui vous suit. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 3)
(Reprise à 16 h 5)
La Présidente (Mme Thériault): Nous allons donc poursuivre les travaux de la commission. Et je demanderai à l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec de se présenter.
Ordre des conseillers en ressources humaines et
en relations industrielles agréés du Québec (ORHRI)
Mme Fortier (Geneviève): Bonjour. Alors, merci, Mme la Présidente. Permettez-moi d'abord de vous présenter les personnes qui m'accompagnent. Alors, avec moi, deux professionnels qui côtoient régulièrement la CLP: à ma droite, Me Karl Jessop, conseiller en relations industrielles agréé et avocat spécialisé en droit du travail chez Cain, Lamarre, Casgrain, Wells; à ma gauche, M. Joël Ross, conseiller en relations industrielles agréé exerçant au sein de son propre cabinet-conseil et plaidant régulièrement devant la CLP, il a aussi travaillé au BRP et à la révision administrative de 1993 à 1998; M. Florent Francoeur, à l'extrême droite, président-directeur général de l'ordre; et, moi, Geneviève Fortier, présidente de l'ordre et, dans la vie de tous les jours, vice-présidente ressources humaines chez Reitmans Canada ltée.
Alors, Mme la Présidente, M. le ministre, Mmes, MM. les députés membres de la commission, je tiens à vous remercier de nous permettre aujourd'hui de présenter notre point de vue sur le projet de loi n° 35. Nous aborderons principalement trois aspects du projet de loi aujourd'hui qui méritent, à notre avis, réflexion: premièrement, la nécessité de préserver l'étanchéité de la section des lésions professionnelles; deuxièmement, l'importance d'y nommer des commissaires qui ont des compétences spécialisées dans le domaine; et, enfin, nous traiterons des ambiguïtés que nous avons relevées dans les dispositions sur les délais.
Afin de mieux vous situer, permettez-moi, dans un premier temps, de vous dire quelques mots sur l'ordre que je représente. Comme vous le savez, la mission de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec repose sur la protection du public. Ce n'est donc ni un organisme patronal ni un organisme syndical. En fait, nous sommes un regroupement professionnel consacré à l'avancement de la gestion des ressources humaines et relations industrielles, et ce, dans l'intérêt du public. Des professionnels, nous en regroupons près de 7 500, dont 6 300 sont agréés.
Nos conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés, communément appelés les CRHA et les CRIA, sont présents dans tous les milieux, les entreprises, les organismes gouvernementaux, les syndicats, les universités et les cabinets-conseils en la matière. Ils exercent leurs activités en santé et sécurité du travail, en relations du travail, en gestion des ressources humaines et en formation en entreprise. Leur rôle consiste à favoriser, dans une approche globale et intégrée, l'établissement de milieux de travail harmonieux et productifs. Les CRHA et les CRIA connaissent donc l'importance stratégique d'offrir des conditions de travail qui protègent la sécurité et l'intégrité des travailleurs tout en prenant en compte la productivité des entreprises. Ces éléments profitent à tous et contribuent au développement collectif.
C'est donc aujourd'hui par la lorgnette de ces praticiens que nous vous présentons nos réflexions sur les dispositions concernant les lésions professionnelles dans le projet de loi n° 35. Mentionnons d'emblée que nous sommes d'accord avec les objectifs poursuivis par le législateur dans sa réforme. Nous sommes d'avis qu'il en va de l'intérêt tant des travailleurs que des employeurs que les décisions en matière de lésions professionnelles soient rendues avec célérité. En fait, ici comme ailleurs, toutes les parties ont intérêt à obtenir une décision finale le plus rapidement possible.
Nous avons pris connaissance des prémisses qui ont conduit le législateur à regrouper la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif au sein du TRAQ. Sur cette question, il nous apparaît important de rappeler que la CLP a connu de grands succès depuis 1998. Nous avons là une organisation qui, bien que perfectible, nous en convenons, affiche de bonnes performances. Dans cette perspective, nous aurions donc préféré que la CLP demeure dans le giron du ministère du Travail, comme c'est le cas actuellement. Nous sommes d'avis que l'intérêt des parties est toujours mieux servi lorsque les questions touchant aux relations entre les employeurs et les travailleurs sont traitées au sein d'une entité qui possède bien la culture propre au monde du travail. Ceci vaut tout autant lorsqu'il s'agit des lésions professionnelles et de la santé et sécurité du travail. Aussi, à défaut de pouvoir conserver les structures actuelles, nous aimerions mettre en lumière des éléments indispensables pour préserver les acquis en matière de lésions professionnelles.
Plus particulièrement, nous craignons qu'il soit difficile d'atteindre l'efficacité recherchée si on permet la mobilité des commissaires entre les différentes sections du TRAQ. Même si le projet de loi prévoit la création d'une section spécialisée en lésions professionnelles, nous estimons nécessaire d'en préserver l'étanchéité tant au chapitre de la mobilité des commissaires que sur le plan du financement de ses activités. De telles garanties législatives sont indispensables pour préserver l'efficacité et la cohérence du tribunal, et ce, pour plusieurs raisons.
Premièrement, l'univers des relations du travail comporte plusieurs caractéristiques qui lui sont propres. Ce fait est d'ailleurs reconnu par plusieurs instances ainsi que par la législation. Mentionnons, entre autres, la Loi sur le Barreau, qui prévoit que seul un avocat peut représenter une personne devant un tribunal à l'exception des tribunaux spécialisés en relations du travail ou en santé et sécurité.
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(16 h 10)
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Ensuite, il existe un ensemble d'instances consacrées exclusivement au monde du travail. Pensons à la Commission des relations du travail, à la Commission de l'équité salariale ou encore à la Commission des normes du travail, pour ne nommer que celles-là. L'existence même de ces institutions vient marquer le fait que l'appréciation des questions liées aux relations entre les parties doit se faire dans un cadre où des compétences et des connaissances particulières sont présentes.
L'univers des lésions professionnelles n'échappe pas à cette réalité. Les lois qui font l'objet de la juridiction de la CLP traitent de sujets de droit particuliers. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles n'est pas simplement une loi de réparation, elle ne vise pas seulement à indemniser les travailleurs victimes d'accidents ou de maladies professionnelles. Elle touche à un ensemble d'éléments qui sont au coeur même de la relation d'emploi. Mentionnons à titre d'exemple le droit à la réintégration ou encore la protection contre les mesures de représailles, et j'en passe. En outre, le législateur demande à la CLP d'agir en situation d'urgence, que ce soit en matière de refus de travail, de retrait préventif ou de mesures correctives préventives.
Bref, à la lumière de ce qui précède, il nous apparaît indéniable que la loi couvre un ensemble de sujets qui sont liés à la gestion des ressources humaines et qui dépassent largement le cadre strict de l'indemnisation. Ce fait commande en soi que les instances et les commissaires affectés à l'examen de telles causes possèdent des connaissances distinctes, pratiques et pointues des milieux de travail. Sans cela, comment assurer l'équité et la cohérence dans les décisions rendues? Est-il nécessaire de rappeler que ces décisions ont des conséquences majeures sur les parties en cause?
Enfin, rappelons que la CLP comporte une autre particularité, elle est financée par les employeurs. Il importe donc que l'étanchéité économique soit aussi préservée dans la section des lésions professionnelles du TRAQ. Par souci d'équité, il ne serait pas opportun que les montants versés par les employeurs servent d'autres intérêts que ceux pour lesquels ils sont consentis.
Tout cela pour vous dire que, compte tenu du caractère distinct du monde du travail, il est impératif de préserver l'étanchéité de la section des lésions professionnelles du TRAQ. Si l'on souhaite garantir la crédibilité et la cohérence du tribunal, il faut l'imperméabiliser tant sur le plan du financement qu'au chapitre de la mobilité des commissaires.
Passons maintenant à la composition du TRAQ et aux compétences de ses membres. L'article 34 détermine que le banc est composé d'un seul membre qui doit être avocat ou notaire. À cet égard, permettez-nous de revenir à l'importance d'accorder un statut particulier à la section des lésions professionnelles. Je l'ai mentionné précédemment, mais je tiens à le répéter, l'instruction des causes en matière de lésions professionnelles commande une connaissance pratique des milieux de travail. Cette connaissance doit non seulement être liée au sujet particulier à l'étude, mais également aux conséquences des décisions rendues sur l'ensemble des milieux de travail concernés. L'ordre est d'avis que d'autres professionnels, dont ses membres évidemment, disposent des compétences requises en la matière. Le législateur reconnaît d'ailleurs ce fait en proposant, à l'article 127, de permettre à d'autres personnes que des avocats de plaider ou d'agir devant la section des lésions professionnelles du TRAQ.
Par ailleurs, un autre argument militant en faveur des compétences spécialisées que devraient avoir les membres du tribunal se trouve à l'article 47. On y mentionne, et je cite, que le membre du tribunal «doit, si la matière et les circonstances d'une affaire le permettent, offrir aux parties la tenue d'une séance de conciliation». Comment peut-on évaluer cela si on ne possède pas une expérience pratique, si l'on n'est pas imprégné de la connaissance pointue du terrain qui est nécessaire pour faire une telle analyse? Pour nous, c'est là un autre bon exemple qui montre l'importance d'établir les conditions requises pour préserver la crédibilité et la cohérence du tribunal. Pour ce faire, nous estimons que le critère qui devrait présider à la nomination des commissaires doit être lié à l'expertise spécialisée plutôt qu'au statut unique de juriste.
Un autre facteur militant en faveur de notre proposition concerne une partie du projet de loi qui, j'ai cru le remarquer, a soulevé les passions chez certains organismes qui se sont présentés devant vous, et j'ai nommé le paritarisme. Les intervenants sont venus vous le dire, le paritarisme fait partie intégrante de la culture des relations du travail. À la CLP, les assesseurs apportent leur soutien aux commissaires, ce qui profite à l'ensemble des parties à la faveur de la pertinence de la justice qui est rendue. Grâce au travail des assesseurs, le commissaire peut rendre une décision qui tient compte de tous les aspects d'une cause dont certains auraient pu lui échapper autrement.
Bien entendu, malgré ses avantages, le paritarisme comporte ses inconvénients, d'autres intervenants sont aussi venus vous le dire. La présence d'assesseurs peut engendrer une certaine lourdeur administrative, prolonger certaines audiences, créer certains conflits d'horaire, et le reste. Sur cette question, nous tenons à dire que, si le législateur décide de maintenir sa proposition telle quelle, son objectif d'efficacité ne sera atteignable qu'à une condition: il faut qu'il compense la perte d'expertise provoquée par le retrait des assesseurs. Comment le faire? En s'assurant que les membres de la section des lésions professionnelles du tribunal soient spécialisés dans le domaine. En d'autres termes, à défaut d'avoir un commissaire spécialiste des relations du travail, l'affaiblissement du paritarisme compromet davantage l'expertise en place et peut miner substantiellement les gains escomptés en efficacité.
Ceci m'amène à une autre particularité du monde du travail, la compétence des professionnels non juristes qui est reconnue par l'ensemble des acteurs. Nous en voulons pour première preuve que les parties elles-mêmes, pour l'essentiel de leurs négociations, nomment des personnes autres que des notaires ou des avocats pour les représenter, négocier, interpréter et appliquer les conventions collectives en vigueur. Les arbitres de griefs et de différends nommés en vertu du Code du travail ne sont pas tous juristes. Bref, dans le domaine des relations du travail, il est communément accepté que des non-juristes ont les compétences pour rendre des décisions. En outre, pour nous, la qualification exigée des commissaires devrait prioritairement contribuer à un juste équilibre dans le traitement des litiges. Sans prétendre être des grands spécialistes de la question, nous croyons quand même que la justice administrative se distingue du droit commun. Un tribunal administratif se distingue par sa spécialisation, il se démarque par son côté multidisciplinaire. Si une section du tribunal devait perdre sa spécialisation, il serait légitime de craindre que cela nous conduise à toute vitesse sur l'autoroute de la judiciarisation.
Sur ce point, ajoutons que tout objectif lié à la déjudiciarisation va de pair avec la nécessité d'apporter dans le traitement et l'analyse des litiges une vision qui n'est pas strictement juridique. Nous avons assisté au cours des dernières décennies à l'adoption de méthodes modernes de résolution des litiges, pensons notamment à la négociation raisonnée, à la médiation, à l'arbitrage ou à la conciliation. D'ailleurs, nous avons un credo, à l'ordre, et c'est le suivant: un règlement négocié vaut toujours mieux qu'un règlement imposé. Les conseillers en ressources humaines ou en relations industrielles agréés par l'ordre sont des pionniers dans le domaine. Ils possèdent une expertise reconnue des pratiques novatrices de résolution des différends. Or, si le législateur vise à accroître le nombre de litiges reliés en conciliation, il est souhaitable que des spécialistes qui ne sont pas nécessairement des juristes, mais qui ont des compétences reconnues en la matière, puissent être membres du tribunal.
Rappelons aussi qu'à travers le Code des professions le législateur a reconnu, depuis 1973, la compétence des professionnels des relations du travail. Qu'est-ce que cela signifie, en pratique? Eh bien, cela veut dire que nos 6 300 membres agréés sont des professionnels oeuvrant dans une même sphère d'activité, qu'ils ont choisi de se regrouper pour se doter d'un Code de déontologie, d'un syndic, d'un comité de discipline, d'un processus d'inspection professionnelle, d'une assurance responsabilité, obligatoire dans notre cas, et ainsi de suite. Nous sommes soucieux de l'efficacité et de la cohérence de l'application des lois du travail, particulièrement en ce qui concerne les lésions professionnelles.
Alors, tout simplement, la question que nous posons est la suivante: Pourquoi les professionnels qualifiés et qui possèdent l'expertise spécifique reconnue et nécessaire ne pourraient-ils pas accéder au poste de commissaire?
Voici maintenant un autre aspect du projet de loi que nous souhaitons aborder avec vous, la question des représentants. L'article 38 du projet de loi permet à une partie d'être représentée devant la section des lésions professionnelles par une personne de son choix à l'exception notamment d'un professionnel suspendu ou radié en vertu du Code des professions. Nous souscrivons à cette proposition du législateur. Cependant, là où nous émettons une réserve, c'est à l'article 39. On y permet au tribunal d'exclure de l'instance, et je cite, «le représentant d'une partie qui n'est pas avocat, s'il estime qu'il n'a pas la compétence requise ou n'exécute pas de façon responsable les devoirs de cette tâche».
Bien que nous puissions comprendre cette règle qui vise à protéger une partie et à policer le déroulement d'une audience devant le TRAQ, nous sommes d'avis qu'il ne relève pas de l'autorité du tribunal de déterminer qui doit représenter une partie. Nous estimons qu'un tribunal peut assurer le respect de son autorité par la règle de l'outrage au tribunal, tout simplement. Il ne lui appartient toutefois pas de juger de la compétence du représentant choisi par une partie. Pour ce faire ? et nous le rappelons humblement pour le bénéfice du public ? pour ce faire, il existe le Code des professions et les ordres professionnels. Comme vous le savez, ceux-ci ont pour mandat de juger de la capacité d'une personne à porter un titre professionnel. Ils doivent s'assurer que le comportement de cette personne est conforme à la déontologie professionnelle, incluant le fait de représenter de façon adéquate la partie qui a retenu ses services. En d'autres termes, l'article 39 représente, tel qu'il est libellé, une dérogation majeure au principe du système professionnel québécois. Le Code des professions prévoit des mécanismes rigoureux et complexes d'appréciation des compétences des professionnels inscrits. Or, comme présenté à l'article 39, le retrait d'un représentant se fait sans garantie procédurale.
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(16 h 20)
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Sur quelles bases et selon quels critères un représentant pourra-t-il être exclu? Qu'arrivera-t-il si un commissaire juge un représentant incompétent, alors qu'un autre le juge compétent? Qu'arrivera-t-il à la partie qui est représentée par le représentant que l'on exclut? Nous croyons que le remède proposé ici par le législateur comporte des effets secondaires trop importants par rapport au mal qu'il veut soigner. Pour nous, dans une optique de cohérence législative, l'appréciation de la compétence et des agissements d'un professionnel doit se faire par des pairs. Cela doit se faire dans un cadre strict imposé par le code de déontologie auquel le professionnel est assujetti et selon le processus rigoureux en vigueur au sein de l'ordre concerné. Pour ces raisons, nous pensons que le but visé par le législateur serait mieux atteint si la capacité de représenter une partie devant le TRAQ était limitée aux personnes membres d'un ordre professionnel.
Dernier aspect du projet de loi que nous souhaitons aborder avec vous aujourd'hui, la question des recours devant le TRAQ. Je vous avouerai que je ne suis pas une spécialiste des procédures ? mes collègues ici présents le seront sûrement plus que moi ? mais je tiens à vous faire part de certaines de nos préoccupations à l'égard des modifications proposées. Nous savons que l'objectif visé est en fait d'obtenir une décision finale le plus rapidement possible. Nous y souscrivons pleinement. Dans un premier temps, selon notre compréhension, le projet de loi n° 35 prolonge le délai d'appel à 90 jours. Ensuite, les dispositions visent à permettre à la CSST de réviser sa décision dans les 90 jours de la requête d'introduction devant le TRAQ. Dans un tel cas, suite à la révision, le requérant disposera d'un délai de 30 jours afin d'aviser s'il maintient sa contestation devant le TRAQ. Là-dessus, il nous apparaît y avoir une imprécision dans le projet de loi. Et je m'explique.
Advenant, par exemple, le cas où un requérant se désisterait de son recours suite à une révision de la CSST, l'autre partie pourrait se sentir lésée par la décision révisée. Elle pourrait donc désirer la contester devant le TRAQ. Qu'en est-il du statut de la décision rendue en révision? S'agit-il d'une décision finale ou non? Est-ce que l'autre partie peut la contester directement auprès du tribunal? Et si oui, est-ce que les recours devront être repris à la case départ? Est-ce que l'on devra alors reprendre tout le processus depuis le début, avec les délais qui s'y appliquent?
Pour clarifier cette imprécision, il serait peut-être souhaitable que les législateurs précisent qu'en de telles circonstances le processus d'appel qui a été amorcé avant la révision est maintenu. C'est-à-dire qu'à partir du moment où le requérant obtient la réponse de la révision, s'il décide de ne pas maintenir sa contestation, la partie intimée dispose d'un délai ? de 15 jours, à titre d'exemple ? pour décider si le processus d'appel doit être maintenu. Ceci permettrait d'éviter qu'un nouveau recours soit entrepris devant le TRAQ, évitant du même coup les délais qui lui sont imputables.
En conclusion, si le législateur veut atteindre les objectifs qu'il s'est fixés, nous croyons qu'il doit apporter quelques modifications à son projet de loi. Principalement, il est important qu'il consacre législativement l'imperméabilité de la section des lésions professionnelles concernant les commissaires. Sans cela, nous croyons qu'il mettrait en danger l'équité et la cohérence des décisions de cette section du tribunal.
Il en va de même au niveau du financement qui provient des employeurs et qui ne devrait pas servir à d'autres fins qu'à celles pour lesquelles il a été octroyé. Pour les mêmes motifs, nous estimons que le critère qui doit présider à la nomination des commissaires doit être celui de l'expertise spécialisée plutôt que celui du statut de juriste.
Il en va de même de l'appréciation de la qualité et des compétences d'un représentant, qui ne devraient pas être jugées différemment selon que le représentant est avocat ou non. Une même règle devrait s'appliquer à tous, une règle qui a fait ses preuves et qui est respectée dans tous les milieux, celle qui prévaut dans le système professionnel. L'appréciation des compétences d'un professionnel doit être soumise à des pairs.
Enfin, de notre côté, nous poursuivrons notre travail auprès de nos membres afin de contribuer à l'éducation de milieux de travail sains et productifs. Rappelant les succès qu'a connus la CLP depuis son établissement, nous souhaitons que les législateurs tiennent compte de nos recommandations afin d'éviter de miner ce qui, il importe de le souligner à nouveau, fonctionne bien actuellement. Nous vous remercions de votre attention.
La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup. Donc, je vais passer la parole immédiatement au ministre.
M. Bellemare: Merci beaucoup, Mme Fortier, merci à MM. Ross, Jessop et Francoeur, qui vous accompagnent, bienvenue à la Commission des institutions et félicitations pour votre mémoire et l'intérêt que vous portez au projet de loi n° 35 qui se veut être une démarche constructive. Et je comprends que vous avez présenté quelques propositions et j'en aurai... J'aurai quelques commentaires à formuler sur le paritarisme.
Vous nous parlez d'une expertise ajoutée par les membres, syndicale et patronale, au sein de la commission. C'est un terme, je pense, qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence. Parce qu'on en a parlé il y a quelques jours, et j'avais questionné un petit peu le responsable de la CSD là-dessus, en lui disant: Écoutez, dans l'hypothèse où le paritarisme est maintenu tel qu'il est ou qu'il est modifié mais que la formule subsiste, est-ce que vous ne pensez pas que, pour améliorer et rehausser l'image de la justice au Québec devant un tribunal paritaire, qu'on devrait imposer une compétence minimale aux gens qui siègent, représentant les associations syndicales et patronales?
Parce qu'à l'heure actuelle il n'y en a pas de compétence minimale requise. Et, bien que vous parliez d'expertise dans votre mémoire, nous savons bien qu'il y a des membres syndicaux et patronaux qui siègent et qui n'ont pas une scolarité très élevée. Avec tout le respect que je leur dois, il m'apparaît que, si on imposait des standards de compétence, des minima de compétence, on rehausserait la qualité et l'image du tribunal. Et la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, qui s'est présentée ici, je crois que c'est le 14 janvier, nous disait être contre le paritarisme. Mais, en même temps, je leur demandais: Souhaiteriez-vous pouvoir nommer des gens, comme association syndicale? Ils nous disaient oui. Puis je me disais qu'au moins on aurait des standards plus élevés, puisqu'ils sont, par définition, diplômés au moins du collégial, au moins en technique infirmière. Et je posais également la question ce matin à la CSQ, qui, elle, représente des enseignants, en me disant que, si on augmentait le nombre d'enseignants qui représentent à titre d'assesseurs syndicaux, on aurait des standards, au moins, des minima universitaires. Avez-vous une opinion quant aux exigences minimales ? si vous avez une opinion là-dessus, bien sûr, là ? qu'on devrait exiger des représentants, tant syndicaux que patronaux, paritaires au sein de la CLP ou du TRAQ?
Mme Fortier (Geneviève): Bien, on n'a pas fait cette réflexion-là sur le niveau de compétence minimal qui devrait s'exercer, on a plutôt regardé cette problématique-là, je dirais, de façon générale. Puis on a regardé la notion de paritarisme aussi de manière générale, en se disant: C'est clair qu'actuellement si le projet de loi, dans le fond, conduisait à une situation où le commissaire et un avocat ou un notaire qui n'a pas nécessairement une expertise reliée au monde du travail... on se disait qu'il est clair que, à tout le moins, en ayant un assesseur patronal, un assesseur syndical, on s'assure qu'au moins l'ensemble des considérants relatifs au milieu du travail vont être pris en compte dans l'analyse de la situation. Donc, d'où, là, notre position de dire: Le paritarisme a fait ses preuves, il a servi et, dans une hypothèse comme celle-là, il servirait encore si on n'avait pas, dans le fond, au niveau des commissaires, quelqu'un qui a été exposé à ce genre de situation là.
Quant à la compétence minimale des assesseurs, non, on n'a pas de réponse claire par rapport à ça. Ce dont on peut vous parler, c'est de la compétence de nos membres. Et c'est clair que, par rapport à la compétence de nos membres, on a des exigences minimales, on a une formation académique minimale aussi. Alors, il est clair que, à ce compte-là, l'ordre offre des garanties minimales du point de vue de la compétence, du point de vue des exigences et du point de vue aussi du champ d'études dans lequel ils ont étudié.
M. Bellemare: Mais vous souhaitez qu'on renforcisse les exigences de compétences quant aux décideurs, vous souhaitez que les exigences de compétences des représentants soient rehaussées aussi, donc qu'ils soient membres d'un ordre professionnel, mais vous n'avez aucune exigence quant au minimum de compétences requis pour les membres syndicaux et patronaux. Parce qu'il faut comprendre qu'à l'heure actuelle il n'y en a pas, là. Alors, ils sont membres du tribunal, ils jouent d'influence auprès du commissaire pendant l'enquête, pendant le délibéré, ils ne sont pas décisionnels, mais ils ont un pouvoir quand même important, à telle enseigne qu'ils veulent le conserver intégralement, c'est donc un pouvoir important.
Est-ce que vous ne pensez pas qu'on devrait avoir un minimum d'exigences, je ne sais pas, moi, collégiales, universitaires? La seule exigence prévue à la loi actuellement est qu'ils soient recommandés par une association qui, elle, on le présume, fait les vérifications de compétences nécessaires. Mais il me semble que, quand on parle d'un tribunal administratif qui rend des décisions finales et sans appel qui ont un impact important sur le devenir des employeurs et des travailleurs, il me semble qu'on pourrait peut-être penser à exiger un minimum de compétences et de qualifications pour les membres, syndical et patronal. Vous ne pensez pas?
Mme Fortier (Geneviève): Je pense que l'ordre va toujours souscrire à la définition de compétences qui vont permettre aux gens d'apprécier correctement les dossiers qui se situent dans le cadre du monde du travail. Est-ce que ce sont uniquement les compétences d'un point de vue académique? On n'a pas fait cette réflexion-là. Il me semble que des compétences uniquement du point de vue académique sont limitatives. Parce qu'il faut aussi voir, et c'est là dans le fond la position qu'on défend dans notre mémoire, le monde du travail, c'est un monde qui a ses particularités. Alors, que quelqu'un ait fait un Bac en génie ne lui permettra pas nécessairement d'être en mesure d'apprécier correctement les enjeux qui sont reliés à un dossier de lésion professionnelle. Donc, c'est clair qu'on ne peut pas uniquement s'en remettre à des compétences de niveau académique, étant entendu qu'on pourrait fixer un seuil, mais il va falloir travailler sur une définition de compétences qui est liée à la notion des dossiers à être entendus, et d'où, là, on parle d'expertise spécialisée dans le monde du travail. Mais on supporte évidemment une position qui permettrait de définir des compétences.
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(16 h 30)
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M. Bellemare: Oui, c'est parce que la question est très délicate, c'est... Des gens spécialisés, puis on prend pour acquis qu'ils le sont, mais on a vu... Et M. Ross, qui est à votre gauche, qui bénéficie d'une expérience certaine autant en négociation qu'en représentation, j'ai eu l'occasion de travailler avec lui dans certaines causes, et il y a des dossiers où on se retrouve avec un membre syndical et patronal dans des cas de foresterie ou dans des cas... Je sais que M. Ross est familier avec la Beauce. Dans l'industrie de la couture, par exemple, on va avoir un représentant syndical qui vient de la construction et l'autre, patronal, qui vient des services, de l'industrie des services, et, de toute évidence, leur utilité n'est pas très en relation, leur expérience n'est pas très en relation et même, dans des cas, pas du tout avec le secteur dans lequel on est. Alors, on parle, là, d'améliorer l'expertise, d'améliorer la connaissance, la compétence du tribunal. Mais est-ce qu'on ne pourrait pas, par exemple, exiger que le membre, de par son expérience et ses origines, le membre syndical ou patronal, qu'il ait une expérience qui soit connexe aux litiges qu'ils sont appelés à étudier?
Mme Fortier (Geneviève): Absolument. Là, on supporte une position comme celle-là. Parce que je rappelle, dans notre mémoire, ce qu'on dit, c'est que le milieu du travail est un milieu en soi, il faut qu'on situe la lésion professionnelle dans ce contexte-là. Quand on parle d'expertise spécialisée, d'expérience pratique, c'est ce dont on parle. Donc, on dit: La personne qui est habituée d'entendre des litiges aux Transports n'est pas nécessairement la personne la plus appropriée pour évaluer le contexte d'une lésion professionnelle dans le cadre de la relation d'emploi. Alors, oui, si on allait vers l'établissement de compétences qui sont liées ou d'expériences liées à la pratique, dans le fond, qui entoure le dossier à entendre, l'ordre souscrirait à ça. Ceci étant dit, c'est assez difficile à gérer au niveau pratique, comment on peut implanter ça, mais... Peut-être, M. Ross, avez-vous...
M. Bellemare: Mais c'est l'intérêt de la justice qui est en cause.
Mme Fortier (Geneviève): Est-ce que vous voulez ajouter là-dessus, M. Ross?
M. Ross (Joël): Bien, en fait, je pense que c'est souhaitable qu'il y ait des règles, dans la perspective où le paritarisme est maintenu, je pense qu'il est souhaitable effectivement qu'il y ait des règles qui soient fixées pour la formation des gens sur le banc, autant patronal que syndical. Et je crois... et corrigez-moi si je fais erreur, mais déjà ils ont accès à certains documents au niveau de la CLP, ils ont accès à une certaine formation de base. Donc, j'imagine que, dans la perspective où on maintient toujours le paritarisme, qu'il est souhaitable qu'il y ait des règles de base pour que ces gens-là aient une formation.
Et, vous l'avez mentionné, M. le ministre, oui, je pense qu'il est souhaitable que les gens aient une bonne connaissance du milieu. Et, comme vous avez fait l'analogie entre la foresterie et la couture, je pense que, oui, si les gens ont une bonne connaissance du milieu de travail, ça peut, je pense, augmenter la connaissance aussi, les conseils qui sont donnés aux décideurs dans le dossier.
M. Bellemare: Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Et je cède la parole maintenant au député de Trois-Rivières.
M. Gabias: Merci. Madame, messieurs, merci de votre contribution. En continuant sur la question du paritarisme, je comprends que vous ? et tout votre mémoire le souligne, là ? vous apportez une contribution avec un oeil de relations de travail. C'est bien évident, là, votre formation vous amène à avoir cet oeil-là, j'imagine bien. Votre position là-dessus, je comprends que c'est... Vous qualifiez le paritarisme évidemment d'une certaine lourdeur et que ça peut ralentir, et non seulement ralentir, mais même des fois nuire à une décision plus équitable. Pouvez-vous préciser votre position là-dessus, à savoir est-ce qu'on doit continuer ou si on devrait clairement abolir le paritarisme?
Mme Fortier (Geneviève): Je pense que la façon la plus simple de le regarder, c'est de regarder le tribunal dans son ensemble. Alors, le premier élément qui nous préoccupe, c'est le commissaire qui est appelé à rendre la décision. Et je dirais que, dans l'éventualité où on conserve le projet de loi tel qu'il est libellé, où ce sont les avocats ou les notaires qui siègent comme commissaires, le paritarisme est nécessaire. Et il est nécessaire parce qu'il est nécessaire que les intérêts des parties, tant patronale que syndicale, soient représentés puis que la contribution globale du marché du travail soit prise en compte dans ces décisions-là.
Dans l'éventualité où, au niveau des commissaires, on élargirait la définition de qui peut être un commissaire à pouvoir inclure des gens qui sont... qui font partie d'un ordre professionnel comme le nôtre, qui ont cette compétence-là, qui ont cette formation-là, qui ont cette expérience pratico-pratique là, le paritarisme devient peut-être plus secondaire parce qu'on s'assure que, au niveau des gens qui rendent la décision, ils peuvent le faire de façon éclairée. Et c'est donc la préoccupation qu'on a dans l'autre éventualité où on aurait des commissaires qui ne sont qu'avocats ou notaires sans avoir une expérience pratique du monde du travail. À ce moment-là, on dit: Le paritarisme est nécessaire, il faut le maintenir. Alors, c'est notre position au niveau du paritarisme.
M. Gabias: Et vous pensez que les représentants ou les parties ne protègent pas cette relation-là ou cette notion-là? Vous pensez que nécessairement il devrait y avoir des assesseurs pour, comme vous dites, là, un peu protéger, là, le monde du travail? Est-ce que c'est ça que je dois comprendre?
Mme Fortier (Geneviève): On pense que, dans l'éventualité où... Et, si on regarde l'esprit actuel du projet de loi, qui est de dire, dans le fond: Les commissaires peuvent siéger sur différentes sections, on pense qu'au niveau notamment de la section des lésions professionnelles, si on se retrouve avec un commissaire qui n'a pas la compétence ou la connaissance du marché du travail comme telle, on pense que là, oui, la présence des assesseurs est nécessaire.
M. Gabias: Comment verriez-vous la possibilité, si les deux parties consentaient, qu'il y ait un banc paritaire? Par contre, si, de façon directe, là, c'était devant un seul, devant un arbitre ou un juge, là, peu importe le titre qu'il portera, mais que, dans la mesure où les deux parties souhaitent un banc paritaire, là, qu'il y ait un banc paritaire, comment vous voyez ça?
Mme Fortier (Geneviève): Il est sûr que, je dirais, le paritarisme optionnel est une option. Encore là, il faut toujours le regarder au niveau de l'application. Ce qu'on pense, c'est que l'objectif qui est recherché ici, c'est que ce soit efficace, que ce soit simple à gérer dans tous les cas. Alors, si à chaque fois il faut se poser la question: Est-ce que c'est optionnel? Est-ce que c'est paritaire?
M. Gabias: Mais si les deux parties le demandaient, tout simplement. C'est-à-dire que normalement c'est devant un arbitre seul, mais, dans la mesure où les parties le souhaitent puis le demandent, les deux, ce serait paritaire. Est-ce que ça ne rejoindrait pas votre préoccupation, à ce moment-là?
Mme Fortier (Geneviève): Bien, ça rejoint certainement la préoccupation de s'assurer que, dans le cas où le commissaire ne vient pas du monde du travail, qu'à tout le moins les parties soient représentées. Je vais demander à M. Ross d'ajouter sur cette question-là.
M. Jessop (Karl): Ça pourrait être intéressant ? excusez ? mais ça me semble causer un problème parce qu'il faut que les deux parties soient d'accord. Moi, l'expérience que j'ai, j'ai l'impression qu'il va toujours y avoir une partie qui va le demander. Alors, il va se créer un autre débat, là, à ce moment-là. Je ne pense pas... Ça, c'est un peu comme en arbitrage, quand on a la possibilité d'avoir des assesseurs, où on décide d'en avoir ou de ne pas en avoir. C'est très marginal, l'utilisation qui en est faite, en réalité, sauf dans certains secteurs particuliers où ça fait partie des us et coutumes.
M. Gabias: Est-ce que ça ne vient pas confirmer qu'à ce moment-là l'idée, c'est: dans la mesure où c'est optionnel, il n'est pas nécessaire qu'il y en ait tout le temps ou dans la majorité du temps? Dans la mesure où c'est optionnel, le fait... là, vous évoquez le fait qu'il n'y en a peut-être pas souvent, c'est peut-être justement... ça confirme le fait que ce n'est pas nécessaire d'en avoir, non?
M. Jessop (Karl): Oui. Je suis d'accord avec vous que ce n'est pas nécessaire d'en avoir. La question qui se pose, c'est qu'il y a des... à la lumière des mémoires qui ont été déposés, il y a des gens qui veulent maintenir ce système-là. Et, je pense, sans reprendre les propos de Mme Fortier, la position de la corporation, c'est de dire: Notre point de vue, ça ne vise pas tellement l'assesseur ou le paritarisme, ça vise la nomination des commissaires. C'est là où on a un questionnement. Le reste, ça devient incident.
M. Gabias: Mais j'ai bien compris ça, puis je ne cherche pas à vous torturer non plus, là, mais... Je comprends votre préoccupation, là, vous dites: Si le juge ou l'arbitre n'a pas nécessairement, je ne dirais pas les compétences, mais les connaissances, là, du milieu du travail ou de la dynamique, là, des relations de travail, pour vous, ça devient utile et même nécessaire qu'il y ait des assesseurs. Bon.
M. Jessop (Karl): Ça vient combler la lacune qu'on peut craindre au niveau du décideur.
M. Gabias: D'accord. Parfait. Et avec ce raisonnement-là... Et là on se retrouve dans une pensée de négociation, et il me semble que, dès ce moment-là, et l'employeur et le salarié vont tout de suite reconnaître la nécessité peut-être d'avoir ses assesseurs, et donc le fait que ce soit optionnel mais à la demande des deux, ça vient pallier au possible manque que vous soulignez, non?
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(16 h 40)
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Mme Fortier (Geneviève): Oui et non. Je pense qu'il faut revenir à la notion dont on discute aujourd'hui qui est la notion de lésions professionnelles. Parce que, là, dans le fond, on est en train de regarder, au niveau du moyen, comment on fait pour traiter de ces décisions-là ou de ces dossiers-là. Le dossier des lésions professionnelles, quand on le regarde du point de vue simple de l'indemnisation, ça peut paraître assez simple à regarder, mais il y a tout un ensemble d'éléments qui entourent, dans le fond, la notion de lésions professionnelles qu'il ne faut pas oublier. Qu'on pense aux mesures de représailles, qu'on pense aux congédiements injustifiés suite à un accident de travail, qu'on pense au retrait de la travailleuse enceinte, qu'on pense au droit de refus d'un travailleur qui craint pour sa santé et sécurité, qu'on pense aux obligations de... toutes ces notions-là sont entendues actuellement par la CLP. Et là ce qu'on parle, dans le fond, c'est de regrouper la CLP au sein du TRAQ et de faire en sorte, oui, qu'il y aurait une section des lésions professionnelles, mais où, dans le fond, on voudrait assigner les commissaires de façon plus large que ce qu'on voit actuellement au niveau de la CLP.
On a des inquiétudes par rapport à ça, et nos inquiétudes sont les suivantes, dans le fond. La première inquiétude, c'est de dire: On part d'une instance qui était spécialisée au niveau du marché du travail. Donc, la CLP faisait partie du giron du ministère du Travail. On la prend, on la sort de ce giron-là, on l'envoie dans un tribunal qui est beaucoup plus large. Et non seulement on l'envoie dans un tribunal qui est beaucoup plus large, mais on s'assure aussi que, au niveau des commissaires, dans le fond, on va gérer ça de façon beaucoup plus large que ce qu'on faisait jusqu'à maintenant.
Donc, on a des inquiétudes sur l'appréciation qui va se faire des dossiers de lésions professionnelles, et c'est ce qui fait que, a priori, ce qu'on souhaiterait voir, c'est qu'au niveau des commissaires on puisse élargir ce qui est prévu actuellement, qui est donc de dire: On y va avec les avocats ou avec les notaires. On pense que l'historique du marché du travail nous a démontré qu'il est possible d'avoir des décisions qui sont bien rendues, pas plus contestées, par des intervenants qui font partie de ce milieu-là. Et c'est là où, comme Me Jessop le disait, la notion de paritarisme devient secondaire après ça. À partir du moment où on assure que la décision qui est rendue par le commissaire se fait par des personnes qui ont, dans le fond, les compétences et la connaissance du monde du travail pour le faire, le paritarisme devient accessoire. Si on n'est pas capable d'assurer cette satisfaction-là au niveau de la nomination des commissaires, là, le paritarisme prend beaucoup plus d'importance que dans le premier cas.
M. Gabias: Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je cède la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice, le député de Chicoutimi.
M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci, Mme Fortier, M. Ross, M. Francoeur, Me Jessop. Mine de rien, votre mémoire touche au coeur, finalement, du projet de loi, je vous dirais, d'une de ses prémisses ? j'ai eu l'occasion d'entendre divers groupes qui sont venus, et vous venez de l'évoquer à plusieurs reprises encore dans vos dernières paroles ? et qui oppose, je vous dirais, certains groupes, soit celle, je vous dirais, de l'appartenance de cette Commission des lésions professionnelles... de l'ensemble... Est-ce qu'elle appartient, finalement, de par nature, au monde du travail ou elle appartient plutôt au monde de l'indemnisation? Et, en nombre, je vous dirais que... en nombre de mémoires, effectivement, il y a plus de gens qui sont venus nous dire que c'était du domaine de l'indemnisation parce qu'elle touchait... Et c'est pour ça que, quand je dis que vous touchez vraiment au coeur, c'est que ces gens-là, bon, viennent plaider finalement... C'est souvent en matière, évidemment, particulièrement d'indemnisation. Mais là vous faites appel à des concepts plus larges aussi et d'autres recours qui sont jugés ou décidés devant le tribunal qui, eux, appellent à des notions qui sont beaucoup près des... en tout cas, qui sont plus mêlées autour des relations de travail qu'au niveau de l'indemnisation.
Je ne pourrais pas vous dire, en termes de volume, qu'est-ce que ça représente, mais j'aurais tendance à vous dire que le volet indemnisation, selon ma perception ? et je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine ? semble plus élevé que le domaine qui est plus naturellement ou... disons, peut-être pas naturellement, mais plus près, parce que l'autre, on peut prétendre qu'il est naturel aussi, mais disons qu'il est plus près du domaine des relations de travail. Vous, aujourd'hui, très clairement, au-delà, là, de la possibilité d'être membre du tribunal, c'est que vous tentez de convaincre les membres de la commission que, effectivement, il s'agit clairement d'un domaine lié aux relations de travail.
Mme Fortier (Geneviève): Absolument. Et, moi, je vous dis, comme praticienne, je pratique dans une entreprise où il y a 11 000 employés à travers le Canada, alors des litiges, on en a un par jour ou à peu près, et pas parce que ce n'est pas une bonne entreprise, au contraire, mais c'est la nature même, dans le fond, de gérer une entreprise de cette envergure-là, et, si je regarde ma pratique quotidienne, de prendre un dossier d'accident du travail puis de le regarder uniquement sous l'angle de l'indemnisation, on ne fait jamais ça. Dans la pratique de tous les jours, là, quand il y a un accident de travail qui survient en entreprise, là, évidemment, il faut ouvrir un dossier auprès de la CSST, mais, après ça, il faut faire la gestion de ce dossier-là. Et, quand on fait la gestion de ce dossier-là, c'est là où on touche l'ensemble des autres aspects reliés au monde du travail. Et ce travailleur-là, une journée, il va falloir qu'il revienne en entreprise. Il va peut-être revenir en entreprise avec des limitations fonctionnelles. Il va peut-être pouvoir revenir en entreprise après très longtemps puis où on aura dû, dans le fond, le remplacer. Donc, il y a un ensemble de questions qui entourent la question des lésions professionnelles. Donc, en ce sens-là, il faut s'assurer que les dossiers des lésions professionnelles ne sont pas regardés uniquement du point de vue de l'indemnisation, mais bien dans leur contexte global.
Sur la question du volume, je vais m'en retourner vers M. Jessop qui va pouvoir vous répondre à ça. La proportion que l'indemnisation représente par rapport au reste, je n'en sais trop rien, mais, moi, je peux vous dire que, du point de vue pratico-pratique, la façon dont le projet de loi est rédigé actuellement, ça soulève beaucoup, beaucoup de questions sur toutes les autres questions qui sont actuellement entendues par la CLP dans le giron du ministère du Travail, qui vont, là, s'en aller dans un tribunal administratif très, très, très large qui n'aura pas cette notion-là d'employeur-employé.
Puis peut-être juste pour compléter avant qu'on s'en aille vers Me Jessop, quand on regarde un dossier d'indemnisation, on le regarde généralement dans une relation bipartite. Donc, il y a l'employé, ou la victime, si on est dans un cas d'accidenté automobile, et il y a l'État qui verse des prestations. Dans le cas d'un dossier de lésions professionnelles, on ne peut pas le regarder de façon bipartite, il faut le regarder de façon tripartite parce qu'il y a l'employé, il y a l'État qui verse la prestation, du point de vue de la CSST, et il y a l'employeur qui doit gérer cet employé-là puis ce dossier-là. Donc, ce n'est pas aussi simple, je pense, le volet lésions professionnelles, que d'autres situations qu'on peut rencontrer. Je me tourne vers vous pour la question du volume.
M. Jessop (Karl): Oui, mais, avant ça, j'ajouterais aussi que, en regard du monde syndiqué, il y a aussi le syndicat qui représente le salarié.
Alors, oui, pour revenir sur le volume, effectivement, ce qu'on appelle le volet réparation, là, décider si quelqu'un a une indemnité, quelle est l'indemnité, c'est la majorité du volume, mais il y a, en parallèle avec ça, toutes sortes d'autres considérations au niveau de la gestion quotidienne de l'entreprise qui ne se rendront peut-être pas nécessairement devant le commissaire lorsque naît le débat mais par la suite peuvent y arriver. Parce que souvent ce qu'on constate, c'est que ces dossiers-là, les gros dossiers ou les dossiers très problématiques en accident de travail, ils ont plusieurs volets. Il va y avoir des chicanes sur l'assignation temporaire qui est refusée, il va y avoir des contestations, il y a le retour au travail, il va y avoir le poste convenable plus tard. Et, pour les employeurs, tous ces volets-là ont un impact financier important parce qu'il y a un facteur de chargement. Si la personne n'est pas en assignation de travail ou en assignation temporaire, qu'elle est chez elle indemnisée par la CSST, il y a des conséquences monétaires importantes, ça influence les taux de cotisation, ça influence un paquet de choses.
Alors, ce n'est pas vrai, comme j'ai lu dans certains mémoires, que, dans le fond, c'est juste de l'indemnisation de type assurance. Ce n'est pas ça, la réalité. Puis ce n'est pas juste une victime qui a un préjudice et qui dit: Je dois être indemnisée. C'est aussi l'organisation du travail, et ça influence les collègues de travail. Qu'on pense à des réaffectations ou des remodelages des postes de travail, l'obligation d'accommodement de l'employeur, du syndicat par rapport à une personne handicapée qui reviendrait d'un accident de travail, ce n'est pas vrai que c'est... il y a d'autres personnes autour qui sont influencées par ça. Et il y a un volet particulier au monde des relations de travail et de la connaissance qui va avec qu'on ne peut pas écarter, et ça, ça évolue dépendant de l'évolution du dossier. Alors, la réalité est plus large que peut-être la question: Est-ce qu'il y a eu un accident de travail, oui ou non? Ou est-ce qu'il a mal dans le dos? Est-ce que ça fait trop longtemps qu'il est invalide? Oui, ça, quand on regarde ça, il y a un expert qui va dire: C'est trois mois; l'autre va dire: Il est guéri. Oui, il y a des dossiers comme ça, il y en a beaucoup, mais ça déborde cette réalité-là.
M. Bédard: Et, vous, advenant le cas où le ministre va de l'avant avec le projet de loi tel qu'il est conçu actuellement, ce que vous souhaitez, là, pour être sûr d'avoir bien compris, là, au niveau de la composition du tribunal, vous souhaitez qu'il y ait, à ce moment-là, un degré ou une assurance d'avoir une compétence nécessaire en matière de relations de travail. Là, pour bien comprendre votre recommandation là-dessus, elle est de quelle nature exactement?
Mme Fortier (Geneviève): Notre recommandation vise, dans un premier temps, à ce qu'au niveau de la nomination des commissaires on élargisse le cadre actuel du projet de loi qui prévoit que ce sera un avocat ou un notaire qui agira comme commissaire. Donc, ce qu'on souhaite, c'est que ce soit élargi à... La définition exacte de quelle forme ça pourrait prendre reste à déterminer. Ce qu'on est convaincu, c'est que, au niveau des membres de l'ordre, ils ont cette compétence-là, ils ont cette connaissance académique là, du point de vue de leur formation, pour être en mesure d'agir et de siéger comme commissaires. Alors, c'est, a priori, ce qu'on souhaiterait voir refléter pour la section des lésions professionnelles, j'entends, évidemment. Évidemment, on traite de la section des lésions professionnelles. Alors, ça, c'est ce qu'on cherche à obtenir a priori.
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(16 h 50)
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M. Bédard: Et l'autre pendant que vous souhaitez, c'est celui de l'étanchéité. Et là vous m'avez même parlé d'imperméabilité, ce qui est encore beaucoup plus... qui est un critère encore plus fort encore. Donc, dans tous les cas, qu'il n'y ait aucun passage. Autrement dit, comme vous faites ressortir, que même le caractère indemnitaire est encadré par une relation plus large, celle des relations de travail, et elle demande... Ce n'est pas l'application d'indemnités ou de dossiers médicaux, mais c'est plutôt l'application de lois différentes dans un cadre... entre des parties différentes qui demande justement une expertise qui est différente, que je comprends très bien.
Par contre, quand vous parlez d'imperméabilité, est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire que, selon certaines conditions et avec des obligations strictes de formation, de connaissances... Est-ce qu'on pourrait permettre, par exemple, à quelqu'un de la CLP qui, lui, a ces connaissances, qui aurait ces connaissances en matière de relations de travail d'aller justement dans d'autres sections du Tribunal administratif, et là on parle évidemment dans la conjoncture que le tribunal est regroupé, mais dans d'autres sections, entre autres au niveau des affaires sociales, dans des domaines qui traitent, eux, souvent strictement d'indemnisation? Et là je parle plus particulièrement de l'assurance automobile. Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose d'envisageable? Ce qui ferait en sorte que l'inverse ne serait par contre peut-être pas impossible, mais beaucoup plus difficile.
Mme Fortier (Geneviève): Je vous dirai, a priori, qu'on n'est probablement pas équipés pour bien évaluer cette situation-là par rapport aux autres instances qui siègent dans les autres sections qui seraient regroupées au sein du TRAQ. Et donc ce qui nous préoccupe, c'est vraiment la section des lésions professionnelles. Que cette section-là soit imperméable, pour nous, c'est sine qua non. Pour ce qui est de: Est-ce que nos membres pourraient siéger sur d'autres instances? je pense que c'est au législateur de l'évaluer, très humblement. On ne l'a pas regardé dans cette direction-là, on l'a plutôt regardé dans la direction des lésions professionnelles, qui est le sujet qui nous préoccupe.
M. Bédard: Parfait, merci. L'autre élément que vous abordez, c'est le statut de la décision révisée. Et plusieurs l'ont abordé. Je ne sais pas s'il me reste assez de temps pour l'aborder avec vous. Mais effectivement le statut de cette décision révisée me semble problématique à bien des égards, là, de quelle façon on peut, même au niveau de la computation du délai... Et même, je vous dirais, la première décision n'est pas favorable au salarié, la deuxième, la décision révisée par l'administration lui est favorable, mais, bon, s'il règle, elle va s'appliquer, s'il ne règle pas... s'il garde son recours, c'est quoi qui arrive finalement? Est-ce que c'est une pression sur lui de vouloir décider? Puis l'employeur fait quoi à partir de ce moment-là? C'est assez complexe et assez particulier. Donc, vous, ce que vous souhaitez, c'est qu'il y ait des délais pour la contestation de la décision révisée par l'employeur, par exemple. Mais quelle va être la vraie décision finalement qui va se retrouver devant le TAQ, selon vous? Quelle devrait être la décision qui devrait être contestée?
Mme Fortier (Geneviève): Bien, c'est la question qu'on soulève. Et la question qu'on soulève...
M. Bédard: O.K. Mais, vous, je vous demande votre avis parce que, moi, je n'ai pas encore trouvé réponse. Moi, il me semble que c'est la décision révisée, mais sauf que le processus n'est pas logique... Il ne peut pas arriver avec la décision révisée. En vrai, ça devrait être la décision de première instance qui devrait se retrouver devant le TAQ parce que c'est elle que j'ai contestée au moment où j'ai fait ma contestation, alors, et là je me dis... Et, vous, vous en pensez quoi?
Mme Fortier (Geneviève): Effectivement. Écoutez, on a discuté beaucoup, hein, de cette question-là avant de l'introduire au niveau du mémoire. Puis je vais probablement avoir besoin de mes alliés pour pouvoir compléter la réponse. Mais, essentiellement, là, ce qu'il faut regarder, c'est l'objectif qui est recherché. L'objectif qui est recherché, c'est de réduire les délais, et il faut absolument clarifier quelle est la décision finale dans le cadre de ce processus-là. Il y a une première décision qui est rendue par la CSST. Elle est, après ça, contestée par l'une ou l'autre des parties. Une fois qu'elle est contestée puis qu'elle est révisée, assumant que la CSST la révisera, est-ce que cette décision-là devient finale ou non? Si elle est finale, ça règle l'histoire. Si elle n'est pas finale, ce qu'on veut éviter, c'est de se retrouver à réouvrir le recours. Alors, d'où, là, la suggestion très simple qu'on fait, qui est de dire: Plutôt que le recours se réouvre complètement à 90 jours, donnons-nous... donnons un délai additionnel à la partie, dans le fond, qui n'a pas contesté la décision, mais qui reçoit la décision révisée pour pouvoir prendre une décision de: Est-ce que le processus continue devant le TRAQ ou pas? Alors, et ça, c'est... à notre avis, si on a bien compris les dispositions du projet de loi actuellement, cette situation-là, elle n'est pas réglée, là, il faut la régler.
M. Bédard: Mais vous comprendrez que le problème, c'est qu'on peut même se retrouver avec deux décisions contestées.
Mme Fortier (Geneviève): Absolument.
M. Bédard: Parce que, s'il y a une décision qui donne en partie raison au salarié, lui, il va se retrouver devant... lui, il va contester, elle va être partie, mais l'employeur, lui, il est content de la première, il va contester la décision révisée aussi, mais... Alors là le tribunal va avoir deux décisions devant lui, deux... Tu sais, c'est assez... J'ai de la misère moi-même à m'y retrouver. Et profitons de l'occasion qu'on a des avocats qui ont une bonne expérience, qui sont à bon tarif. Ha, ha, ha!
Mme Fortier (Geneviève): Oui, je vais demander à Me Jessop de compléter.
M. Jessop (Karl): C'est parce que, si on a une décision qui est révisée partiellement... Parce que c'est peut-être ce cas-là qui devrait être le cas. Si elle est révisée complètement, il y a certainement un des deux qui va être content. Mais je pense que l'approche qui serait à privilégier, c'est qu'on ne recommence pas une nouvelle procédure. Alors, si on prend un cas, on donne raison à l'employeur en disant: Ce n'est pas un accident de travail, et que c'est révisé et que ça devient un accident de travail, je pense qu'il devrait y avoir un délai x à la partie qui est défavorisée pour dire: Je vais vivre avec la décision ou je veux que ça continue. Parce que, normalement, une décision révisée, ça va être le même problème qui va être là, ce ne sera pas un nouveau problème. Donc, on ne crée pas un deuxième dossier, c'est les mêmes faits qui sont supposés être à la base. Mais, à mon sens, il faut que ce soit précisé.
M. Bédard: Ah oui, il faut que ce soit précisé, puis en même temps...
M. Jessop (Karl): Et ce qu'on veut éviter, c'est qu'on ferme un dossier pour en ouvrir un nouveau. Là, on repart les délais, là, je veux dire. Même pour l'employeur, plus vite c'est réglé, mieux c'est.
M. Bédard: Mieux c'est. Ah oui, effectivement, vous avez raison. Alors, c'est à revoir, effectivement. Donc, si vous avez, je dirais, des suggestions particulières, même en termes de rédaction, là, on va se faire un plaisir, encore une fois, à tarif réduit, de les accueillir. Merci.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député de Chicoutimi. Il y a le ministre qui voudrait intervenir encore. Il reste 1 min 30 s à la partie ministérielle.
M. Bellemare: Ce sera davantage une précision. Effectivement, la question de savoir qu'est-ce qu'il advient de la décision révisée partiellement, ou totalement, ou maintenue, peu importe, dans la mesure où il y a une autre partie qui est l'employeur ou le travailleur si c'est l'employeur qui a contesté... Actuellement, bien, la situation est simple. Si le travailleur conteste, la décision de révision administrative est insatisfaisante pour l'employeur, il peut en appeler directement à la CLP. On va prévoir un mécanisme qui va faire en sorte qu'on ne soit pas obligé de recommencer le processus et que, si l'instance est déjà amorcée par le travailleur et que la décision révisée le satisfait pleinement, mais que l'employeur n'est pas satisfait, il pourra poursuivre l'instance dans un délai de 30 jours, par exemple, et faire en sorte que l'affaire se règle définitivement devant le tribunal d'appel. Ça va ressembler à ça. On va trouver une solution avec le député de Chicoutimi.
La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Donc, M. Francoeur, Me Jessop, Mme Fortier, M. Ross, merci beaucoup pour votre contribution à l'avancement de nos travaux. Et, l'ordre du jour étant épuisé, j'ajourne les travaux au mardi 3 février 2004, à 9 h 30, dans cette même salle. Merci.
(Fin de la séance à 16 h 58)