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Version finale

36e législature, 2e session
(22 mars 2001 au 12 mars 2003)

Le mercredi 12 février 2003 - Vol. 37 N° 111

Consultation générale sur le document intitulé Entente de principe d'ordre général entre les premières nations de Mamuitun et de Nutashkuan et le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre! s'il vous plaît.

La commission des institutions se réunit ce matin pour la huitième journée concernant la consultation générale, donc poursuivre les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur l'Entente de principe d'ordre général entre les premières nations de Mamuitun et de Nutashkuan et le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada.

Est-ce qu'il y a des remplacements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Dion (Saint-Hyacinthe) est remplacé par M. Duguay (Duplessis); Mme Leduc (Mille-Îles) par M. Laprise (Roberval); Mme Lamquin-Éthier (Bourassa) par M. Kelly (Jacques-Cartier); M. Pelletier (Chapleau) par M. Brodeur (Shefford); et M. Dumont (Rivière-du-Loup) par M. Corriveau (Saguenay).

Le Président (M. Lachance): Merci. Alors, je souhaite la bienvenue à toutes les personnes qui sont présentes dans cette salle et les autres qui, à distance, suivent nos travaux. Et j'indique immédiatement aux personnes qui auraient un téléphone cellulaire ouvert de bien vouloir le fermer pendant la séance, s'il vous plaît.

Cet avant-midi, nous aurons tour à tour M. Bruno Cloutier, par la suite Mme Marlène Côté, et nous terminerons nos travaux cet avant-midi par des membres de la famille McKenzie.

Auditions (suite)

Alors, sans plus tarder, j'invite M. Bruno Cloutier à nous faire part de ses commentaires par rapport à ces auditions publiques. Et je vous indique, M. Cloutier, que vous avez une présentation de 10 minutes, et, par la suite, on pourra entreprendre les échanges avec les parlementaires. Bienvenue.

M. Bruno Cloutier

M. Cloutier (Bruno): Merci, M. le Président. Bonjour à tous. Alors, ici, ça été écrit à Saint-Hermas le 2 janvier 2003. C'est sous forme de correspondance. Voici notre mémoire adressé et transmis tel que prescrit sous forme de correspondance, puisque le temps nous est compté et craignons en manquer avant le 10 janvier 2003. Il se veut donc un excellent résumé de nos opinions concernant le sujet mentionné en objet, ayant peu de moyens financiers, cette fois, pour soumettre nos opinions, pour soumettre quelques volumineux mémoires en référence en 50 copies. Qu'il plaise à cette commission en notre confiance de recevoir le contenu en la forme actuelle, c'est-à-dire sans index, sommaire exécutif ni notes explicatives.

La présente s'adresse donc, à travers les travaux de l'Assemblée nationale, par le biais de la présente commission des institutions, directement aux Innus, mais aussi aux autres nations présentes en territoire québécois ainsi qu'aux autres instances mentionnées dans nos exemples comparatifs. Ce mémoire appartient donc à notre histoire. Il s'adresse à tous ceux près d'une frontière qui voudront bien y voir quelques communs intérêts et opinions et suite en soi, puisque cette histoire est un peu la vôtre, elle aussi ainsi exprimée en cette parenthèse résiduelle.

À qui de droit et à ceux qui le revendiquent et à tous ceux qui regardent de l'autre côté d'une frontière avec respect. C'est d'abord avec fraîcheur que vous devrez, en première lecture, aborder en ces pages ce mémoire. Une seconde lecture sera peut-être appropriée car nos mots sont pesés en ce sujet riche en symboles. Quant au rayonnement de notre groupe très sélect d'entités très distinctes, nous devons mentionner que trois cinquièmes d'entre eux n'ont pas l'âge légal pour voter. On peut situer, si l'exercice y est imposé, ces porte-parole agissant comme représentants en titre et donc travailleurs autonomes d'un groupe symboliquement sous tutelle jusqu'à ce que tous les membres puissent prendre, à parts égales, toutes leurs responsabilités à titre de citoyens. Donc, en soi, continuer la démarche? Nous voulons y croire, mais aller encore plus loin et plus loin que nous.

La cosignataire représentant donc l'élément interrogateur ou, par analogie, opposant donc un questionnement constant et en continu sur le bien-fondé d'une approche peu orthodoxe de transmettre nos opinions en des mémoires, la pertinence de sa pondération n'augmente que la portée du rayonnement du groupe dans un écosystème commun. Sa signature est d'or.

Le porte-parole a pour mandat de lire et d'interpréter au mieux de sa connaissance et d'y tenter certains échanges. La seule défense actuelle pour un travailleur autonome est sa rigueur et son intégrité. Où la parole est d'or en des ententes, la confiance est secondaire, car il y a toujours une première chance à donner ou à recevoir avant qu'elle ne s'installe. Le professionnalisme et le temps se chargeront donc de renforcer des liens de confiance établis un jour passé. Notez que les opinions personnelles du ou des porte-parole peuvent cependant varier à l'instar de tout porte-parole officiel et officiellement engagé, soit comme employé ou en des ententes contractuelles. Opinions personnelles qui peuvent varier de celui du groupe dans un contexte d'échanges verbaux improvisés, car la nature humaine est ce qu'elle est. Ces mêmes opinions peuvent tout aussi bien être confirmées également. Cependant, comme dans tout bon regroupement, il y aura peut-être un jour un mouton noir, épices de la vie, qui resurgira dans un futur plutôt éloigné pour l'instant. Aujourd'hui, c'est du cinq sur cinq. Un autre débat pourrait produire du quatre sur cinq et même du un sur cinq, et c'est à suivre.

À petite échelle cependant, mais ce que nous voulons démontrer n'est rien que vous ne sachiez déjà: que la force est dans l'union, le respect est dans la concertation, le dialogue. Tout groupe trouvera sa voix pour s'épanouir, mais qu'il est autrement plus difficile de s'entendre avec 5 000, 50 000 ou 7 millions de personnes. La démocratie est une chose, la loi de l'offre et de la demande en est une autre. Le gouffre entre les deux est grand et tout petit en même temps pour certains. Si le pouvoir et l'ambition régissent le premier, c'est l'argent qui régit le second. L'un dans l'autre, et si le communisme n'a jamais vraiment réellement existé, le capitalisme, politique et compagnie ne sont pas peut-être pas non plus un cocktail idéal pour soutenir des idéaux de paix et d'équilibre. La compétition est féroce. Les textes légaux encadrants favorisent toujours un nivellement les «plus-mieux» vont vers le bas et les «plus-pires» vont vers le haut. La froidure des mots y est constante.

n (9 h 40) n

Nous n'avons pas de solution. Nous n'avons pas de réponse et, tout au plus, de nombreuses questions. Si un souffle de liberté a tout de suite imprégné les habitants de ce nouveau monde, ce même souffle est toujours aujourd'hui vivant dans nos veines, à l'origine, une bien grande terre où semblait-il y avoir tant de place pour tous à y vivre en paix. C'est donc aussi en fuyant les cadres rigides instaurés dans les Vieux-Pays que ce souffle de liberté fut redécouvert par nos anciens. À partir du moment où alliance stratégique fut requise de part et d'autre pour évoluer dans un système donné, et c'est là que ça se gâte, et la plupart du temps, et aux dépens d'un autre tout le temps.

La frontière a longtemps été le seul endroit pour les nouveaux libres dans bien des cas. Les sans-le-sous et les pleins-d'espoir y trouvaient une place pour vivre pleinement. Cette entente, ou spécialement le document en question aujourd'hui étudié, est tributaire d'un certain héritage, qu'on le veuille ou non. Pour tous les autres qui vivaient libres et qui vivent encore au-dessus de toute notion de frontière, de lignes tracées, nous aimerions entendre leurs voix. Comprenons-nous bien, nous ne voulons pas philosopher avec vous aujourd'hui trop longtemps mais, quoiqu'il en soit, si ce bout de papier qu'est cette entente peut vous redonner force et courage, tant mieux. Et nul doute qu'il constitue un pas résolument dans la bonne direction, depuis 1960, en matière d'entente de nation à nation dans le système actuel.

Il est cependant prétentieux d'une nation de permettre à une autre de vivre Innu Aitun, puisque ce droit existe depuis des temps immémoriaux et il existera toujours, même sans papier. Nous saluons feu M. Lévesque pour sa vision avant-gardiste en 1983 et 1985. Nous enseignerons également à nos enfants la «nuit des longs couteaux» puisque Je me souviens de 1976... en une victoire à travers des yeux d'enfants dans un monde de grands, et concrètement pour l'environnement depuis lors et dès 1978, par les prémisses de la Loi et règlements du Québec, au chapitre Q-2, en des actions en évolution par vision.

À la première lecture de l'entente et à l'étude de ces cartes, nous aimerions vous mettre en garde contre toutes les étapes requises pour vous constituer démocratiquement, tel que prescrit, versus les nouveaux pouvoirs qui vous seront conférés, ainsi que l'injustice qu'une minorité de personnes peut causer à la majorité qui ne connaîtrait ni ne participerait activement au débat. Les honoraires de procureurs et avocats vous surprendront; l'expérience en Alaska en est la preuve lorsqu'il s'agit de faire appel à eux. L'ignorance est donc omniprésente.

Puisque l'aspect frontalier semble définir liberté sur une terre ronde et bleue, bien connue de tous, nous y aborderons principalement ce thème de frontalité concernant le sujet mentionné en objet. Nous devons d'abord revendiquer par requête le droit de participer et d'être entendu sur tout aspect concernant un territoire sans y avoir juridiction si un tant soit peu le sujet nous concerne. Dans notre cas, donc revendiquons le droit et le pouvoir d'agir sur ce qui se passe dans une MRC voisinant notre frontière municipale à 3,2 km de notre demeure. Nous revendiquons la liberté des outardes mais tout autant celle des baleines. Lois privées ont peut-être diminué ces droits, et c'est à suivre.

Nous répondons donc à l'appel de l'Assemblée nationale aujourd'hui sur le sujet en objet par intérêt de longue date, puisqu'au moins un cinquième des membres de notre groupe a connu la nation crie en 1980, en personne et même avant la mise en eau de la centrale LG 3 ou c'est-à-dire lorsqu'il était encore possible de contourner à pied le barrage par l'aval et par l'amont.

La barrière de la langue ayant été reconnue à l'époque par cette personne âgée de 10 ans, bilingue est-il devenu depuis et toujours curieux, cependant, est-il resté. Les Montagnais et les Hurons furent longtemps des peuples reconnus dans notre entourage puisque le français y favorisait des échanges plus faciles à comprendre. Après trois mois consécutifs en région de Tuktoyaktuk, en 1990, c'est cependant en 1994 que nos chemins ont croisé celui des Mohawks de Kanesatake. En invités sur Assenhenson ou le rang du Milieu et dans notre bulle, nous devons le mentionner. En toute tranquillité et ensuite pour contredire mauvaises langues et commérages, et pour nous-mêmes finalement, nous y avons trouvé ce que nous voulions. Notre plus bel accomplissement pendant ces deux années fut cependant la naissance du troisième membre de notre groupe. Jamais nous ne prétendrons avoir été parmi ce peuple fier ni même encore près d'eux si ce n'est que physiquement. Tout au plus, nous les avons effleurés de notre passage et la montagne Bleue est toujours à portée de Renting Deer encore aujourd'hui, par le sud-est, près d'une berge préhistorique.

Parce que le parcours de nos parents a croisé aussi très tôt la Côte-Nord et le chemin des Inuits du Nunavik plus tard et beaucoup plus récemment, parce que notre famille élargie a des ramifications de la Gaspésie en Abitibi en longeant les cours d'eau, parce que de père en fils, il nous est enseigné encore aujourd'hui de parfaire nos connaissances et de pondérer tout jugement hâtif au sujet des Inuits et aussi, donc, des autres nations, mais aussi pour maintes autres raisons. Nous vous souhaitons, par cette Entente de principe aujourd'hui étudiée, tout le bonheur qu'il est possible d'avoir à travers un texte de loi. Si, depuis au moins 1960, cette Entente constitue une étape positive dans la bonne direction, elle n'en demeure pas moins encore bien plus que théorique, ô combien concrète pour vous sur le papier, et ce, sur les cartes géographiques également pour ceux qui s'y sentiront exclus.

Le Président (M. Lachance): Je vous prie de conclure, s'il vous plaît. Dix minutes, ça passe vite, hein.

M. Cloutier (Bruno): Oui! Je croyais que j'avais 20 minutes. Je pensais, avec sept pages, que j'étais bien. L'arrêt 6... Bon, écoutez...

Parce que nous pourrions écrire encore pendant des heures, mais que le temps nous est compté, et puisque ce mémoire s'adresse aussi aux 10 autres premières nations, et spécialement à ceux inscrits sans nation dans les statistiques, nous proclamons donc une 12e nation, celle des laissés-pour-compte, en mémoire des mystiques Panis du passé, des Louis Riel exclus et Cajuns de l'an 2000. Nous revendiquons pour nous et nos enfants, ainsi que pour eux, le droit d'y être inscrits symboliquement. Nous revendiquons même ce droit pour des populations riveraines de sites d'enfouissement dans un rayon de, minimum, 3,2 km et dans un rayon compris de 10 km. Nous revendiquons reconnaissance à tous ceux qui vivent et vivront problématique de frontières par exclusion. Nous attendons donc des statistiques mises à jour et documents de réflexion pertinents.

Pour conclure, la 12e nation du Québec sera donc la nôtre par adoption. Aucun territoire ne devra jamais y être rattaché si ce n'est que la totalité en son intégrité. Elle sera donc gardienne de la paix et, nous l'espérons, source intarissable d'énergie en son rayonnement. Elle sera libre et ne sera assujettie à aucun tracé théorique de frontières répertoriées sur de nouvelles cartes. La 12e nation n'empêche pas une 13e et une autre d'être un jour reconnues par des ententes de principes telles celle qui vous concerne aujourd'hui. La 12e nation symbolisera toujours, dans le coeur de notre groupe très sélect, la liberté dans l'esprit pour nos héritiers. Elle laissera une trace de notre passage, car nous ne sommes entièrement du côté de personne, parce que personne n'est entièrement du nôtre. La richesse réside sûrement dans le partage. Laissez, s'il vous plaît, symboliquement la 12e nation naître avant de l'étouffer davantage, et ce, d'une façon unanime et avec la naïveté des enfants. C'est peut-être eux, en elle, qui sauveront tous les autres.

Veuillez agréer, amis sans frontières, l'expression de nos sentiments les plus sincères. C'est signé: M. Bruno Cloutier, Chantal Charron ainsi que Rose-des-Vents, ici présente, Desneiges et Noé. Nous sommes une famille.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Cloutier. Alors, nous allons amorcer cette période d'échanges avec M. le ministre responsable des Affaires autochtones. M. le ministre.

M. Trudel: Merci. Merci, M. Cloutier, d'abord d'avoir pris le temps de répondre à l'appel public lancé par l'Assemblée nationale autour de ce projet d'Entente de principe avec la nation innue, d'avoir pris le temps de réfléchir et de nous faire part de vos réflexions. Merci aussi pour le déplacement, de vous rendre physiquement dans la capitale et à l'Assemblée nationale pour, aussi, contribuer à réaliser une démonstration de l'accessibilité. Ce n'est pas parfait, loin de là. On souhaiterait souvent être beaucoup plus proche, dans ce cas-ci, du quartier Saint-Jérusalem de Mirabel que, peut-être, de la capitale nationale, mais il y a là aussi un témoignage vivant pour la population de l'importance de l'ouverture des institutions démocratiques. Merci aussi de nous amener notre plus jeune témoignante, Rose-des-Vents, pour qui vous plaidez en quelque sorte d'une façon inhabituelle dans ces lieux-ci, mais combien rafraîchissante.

n (9 h 50) n

M. Cloutier, vous avez donc, d'évidence, une expérience de cohabitation, de partage avec d'autres nations, qu'elles soient crie, Inuit, les Mohawks. Ne nous transportons pas sur le terrain juridique. D'ailleurs, vous le mentionnez, vous n'avez pas cette prétention. De votre vécu de cohabitation avec des membres d'une autre nation, est-ce que vous croyez que deux cultures différentes peuvent en arriver à réellement cohabiter sur un même territoire et à avoir une reconnaissance, une mutualité qui peut amener le développement des individus et de ces deux nations sur un même territoire?

M. Cloutier (Bruno): Oui, oui, j'y crois, je l'espère également. Dans certains exemples, ça fonctionne bien; dans d'autres, c'est en cour. Là où nous, on a des craintes, c'est lorsque c'est les documents légaux, l'aspect légal de tout ça, lorsque ça rentre dans le quotidien des gens, c'est mal perçu. Alors, à ce niveau-là... À ce niveau-là, même au niveau des comités et des commissions, il faut vraiment être impliqué et participer toujours et encore, et être à l'écoute. L'information ne vient pas seulement des journaux, elle vient d'un peu partout, mais si on manque une commission, si on manque un comité, on peut manquer beaucoup de choses, dont la possibilité de s'exprimer.

Nous, ce qu'on pense, c'est qu'il faudrait trouver des moyens, d'autres moyens. Aujourd'hui, mon coeur, devant vous, il bat la chamade. J'ai de la misère à peut-être m'exprimer, mais il y a aussi d'autres moyens que les citoyens ont pour s'exprimer. Maintenant, même s'ils sont utilisés, les gens pensent que, des fois, l'écoute n'est pas là. Alors, si on est ici aujourd'hui, c'est parce qu'on croit vraiment que le déplacement et puis le travail qu'on a fait, c'est pour vous apporter des lumières sur... C'est un exemple. Moi, je suis ici, mais il y en a peut-être 1 000 autres que, même s'ils seraient inscrits, se seraient désistés parce qu'il a beaucoup de pression. C'est une salle qui est pleine d'histoire.

Oui, je crois que les nations peuvent cohabiter. Ça fonctionne en ce moment. Il y a des choses à améliorer. Il y a surtout beaucoup de discussions, de concertation, mais il faut apprendre des autres aussi. Donc, avant de poser un jugement, il faut vraiment connaître les personnes ou les peuples, la culture. Ils ont des façons souvent différentes de nous de vivre. Je dis «nous», je me considère comme Québécois, mais nous aussi, même à Saint-Hermas, dans notre village, on est un peu différents des autres. Donc, c'est en acceptant les autres qu'on se fait accepter. À partir du moment où est-ce que nous, on considère qu'on accepte les autres, on exige quand même la même chose et la réciproque. C'est un peu ça là qui tourne autour.

M. Trudel: Si votre coeur bat la chamade devant un peu le décor, l'environnement, certainement que plusieurs parlementaires, dont je suis, parfois, on envie aussi la chaise dans laquelle vous êtes assis et parfois, on aurait peut-être envie d'être davantage à Saint-Damase pour davantage de participation, parce que les cadres que nous nous sommes donnés en démocratie, dans cette démocratie québécoise, c'est... personne ne peut dire: On est à la perfection. Et le fait d'être avec ses compatriotes sur le territoire, c'est toujours la meilleure façon d'en arriver à vivre l'expérience des autres et la traduire dans un cadre organisé.

Et je reviens sur cette ligne que vous avez énoncée que la démocratie est une chose, la loi de l'offre et de la demande est une autre chose. Premièrement, que ces choses sont bien dites. Est-ce que vous ? et je ne vous demande pas évidemment de recette parfaite ? mais comment faire pour être mieux démocratiquement dans l'expérience que nous sommes en train de vivre collectivement? Vous louez, vous louez la vision avant-gardiste de M. Lévesque en 1983 avec l'Assemblée nationale, la reconnaissance des 15 principes puis, subséquemment, les nations. Je dis, soit que tout le Québec reconnaisse là, toute la société reconnaisse là.

Maintenant, ensemble avec une autre nation, on tente de faire des pas supplémentaires. Comment davantage de démocratie, de discours directs, de dialogues, en parler, pour en arriver à une entente qui soit davantage socialement partagée, selon vous?

M. Cloutier (Bruno): Les ententes ou l'entente, spécialement étudiée aujourd'hui, réfère aussi à des cartes géographiques. Ça réfère aussi à des tracés, des frontières. Si cette entente-là, si elle doit fonctionner, il doit y avoir une concertation, peut-être pas à Québec, mais au niveau des frontières comme telles. C'est les gens qui vivent près de la frontière ou de la nouvelle frontière qui sera déterminée par le Nitassinan. Je suis sûr et certain, pour avoir lu quelques transcriptions de cette rencontre, la semaine passée, je crois, il y a des blancs qui ont des territoires de trappe depuis père en fils. Donc, eux, si une loi les empêche de donner leur opinion ou les empêche de continuer ce qu'ils veulent faire par amour, une loi privée, nous ? si je peux citer un exemple ? à Saint-Hermas, à 3,2 kilomètres de notre maison, il y a un site d'enfouissement. Il y a deux ans, le site d'enfouissement était sur Mirabel. Depuis la loi privée 225-2000, le transfert du territoire s'est fait de Mirabel vers Lachute. Donc, nous, même si on est riverain du site, on n'a plus rien à dire. On ne peut pas voter. On ne fait pas partie de la même MRC. Donc, si, d'un côté, il y a une Nitassinan et à côté il y a une MRC et puis qu'il n'y a pas de concertation, ça ne marchera pas. C'est sûr.

M. Trudel: Un mot, parce que le temps doit se terminer. Comment devrait-on faire pour avoir davantage d'amérindiennité dans la tête de Rose-des-Vents? Comment on va faire cela pour qu'il y ait davantage ? comme disait notre nordologue québécois, Louis-Edmond Hamelin, davantage de nord dans le sud, dans son discours ? comment davantage d'amérindiennité dans la tête de Rose-des-Vents?

M. Cloutier (Bruno): Rose-des-Vents, mais...

M. Trudel: Et dans son coeur probablement.

M. Cloutier (Bruno): Rose-des-Vents, à sept ans, a déjà beaucoup de... je ne dirais pas de vécu, mais parce que, nous, on se considère ouvert, on a beaucoup, on a des discussions ouvertes. Même lorsqu'on

croit que c'est trop compliqué pour eux, on en discute. Et puis, pour eux, c'est de connaître... je pense que, pour les parents, c'est de connaître et de respecter les autres nationalités en les connaissant, en leur transmettant notre savoir mais aussi notre respect. Eux vont pouvoir continuer dans ça, dans cette direction, pour aller chercher d'autres informations, d'autres informations, d'autres idées, d'autres connaissances, faire des rencontres avec les différents peuples. C'est une option. La lecture en est... sont d'autres. Comment peut-on faire, nous, comme parents, pour donner plus à nos enfants? On peut leur montrer le chemin et c'est tout.

Le Président (M. Lachance): Je vous remercie, c'est tout le temps dont nous disposions.

M. Trudel: ...il y a notre collègue, ici, de l'opposition. Mais, merci. Vous direz merci aussi à Mme Charron.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Jacques-Cartier et porte-parole de l'opposition officielle. Vous savez, 10 minutes, ça passe très vite. Moi, simplement, j'ai la responsabilité de partager le temps. Alors veuillez vous gouverner en conséquence en adulte responsable, mes amis. M. le député de Jacques-Cartier.

n (10 heures) n

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. Je laisserai le temps à la fin pour mon collègue de Frontenac. À mon tour, bienvenue à M. Cloutier et à Rose-des-Vents, bienvenue parmi nous. Je pense, comme j'ai dit hier, il y avait un autre citoyen qui a pris le temps de venir ici, et je pense qu'il faut toujours respecter ça, parce qu'un des constats qu'on a vus dans les médias, c'était le sentiment que les citoyens n'ont pas eu leur mot à dire sur cette entente qui va affecter l'avenir de notre société. Ce n'est pas une entente pour quelques mois, c'est vraiment quelque chose qui va changer nos comportements à long terme. Alors je pense qu'on a tout intérêt de prendre le temps d'écouter des voix des citoyens.

Dans la foulée de la question du ministre, est-ce que l'école peut faire mieux pour nos enfants, en considérant les relations entre les autochtones et le reste de la société québécoise? Est-ce qu'on peut davantage insister que nos enseignants... Le Syndicat des enseignants était ici hier, et nous avons proposé que, peut-être, avec un petit peu d'imagination, on peut mieux connaître nos voisins autochtones, et notamment dans nos écoles primaires et secondaires. Est-ce que ça, c'est quelque chose qui pourrait être utile?

M. Cloutier (Bruno): Je crois que c'est déjà quelque chose qui est en place. Pour nous, on a une petite école, cette année, je crois qu'il y a 65 élèves d'inscrits à cette petite école primaire. Et, pour exemple, l'année passée, le thème principal pour l'année était les nations autochtones. Et puis d'ailleurs, cet automne, les gens ont planté des mâts totémiques devant l'école. Cette année, je crois que c'est la nation africaine qui est discutée. Donc, au niveau primaire, c'est sûr qu'ils ne peuvent pas tout toucher. Là où l'année passée ils ont touché à la nation autochtone, ils n'ont plus... ce n'est que par survol.

On pourrait peut-être aller plus loin, oui. Les écoles pourraient peut-être, dans des échanges, aller sur les territoires, à des endroits où, en activités parascolaires, il y aurait un échange plus social. On a lu des livres. C'étaient des livres... des histoires d'enfants, c'était une Innue de La Romaine qui racontait cette histoire. À la télévision, il y a quelques reportages qui nous racontent un peu leur façon de vivre, puisque les Mohawks de Kanesatake sont relativement près d'une grande ville. À La Romaine, c'est différent, ils sont plus isolés. Leur façon de vivre est différente aussi, ça se rapproche peut-être plus de leur façon traditionnelle de vivre. Nous, ce qu'on dit, c'est: il ne faut pas perdre ces sentiments-là.

Par contre, la loi ou l'entente va exiger d'eux qu'ils se regroupent, qu'ils se constituent démocratiquement, qu'ils fassent partie de comités, de commissions. Puis c'est à ce niveau-là que nous, on trouve que c'est souvent ardu, c'est souvent difficile d'être capables de s'exprimer. Si on ne connaît pas la réglementation, si on ne connaît pas toute la mécanique qui est tout autour de ça, c'est seulement quelques personnes qui vont pouvoir diriger et contrôler la majorité. C'est ce qu'on ne veut pas. Donc, on suggère et on veut que les gens participent. Maintenant, un tant soit peu, si... Pour nous, c'est un bel exemple aujourd'hui, on avait à peu près pour 20 minutes dans notre mémoire à s'exprimer, on est limités à 10 minutes, on comprend. On comprend maintenant mieux. On ne connaît pas tous le règlements par contre.

Au niveau des écoles, pour revenir à ça, oui, la porte est ouverte, mais je dois dire qu'à notre école à Saint-Damase il y a trois enseignants, et ça fonctionne extrêmement bien.

M. Kelley: Merci beaucoup et merci aussi pour le rappel que la réalité autochtone, il y en a plusieurs au Québec, et d'être à Kanesatake, ça, c'est une réalité qui... Quand on est chez les Inuits à Salluit, ça, c'est une réalité qui est complètement différente. Et peut-être parce que vous avez quelquefois, dans votre mémoire, contesté les mots «sec» ou «la langue froide» qu'il faut utiliser pour établir les règles du jeu... mais, moi, je ne suis pas avocat, mais il faut essayer d'être clairs dans nos projets de loi. Le fait qu'on n'est pas toujours clairs... La preuve est qu'on est appelés à amender ou modifier nos lois, session après session, pour corriger des choses que nous avons pensé qui étaient claires au...

Alors, pour le citoyen, comment est-ce qu'on peut mieux... après avoir eu notre langage sec de législateur, comment est-ce qu'on peut mieux vulgariser tout ça ou mettre des outils de communication? Même l'entente qu'on regarde, c'est très difficile de faire la lecture de l'entente, s'il en est, même pour un spécialiste, c'est assez complexe. Mais, pour un citoyen qui arrive, qui a vu dans les manchettes les questions sur l'Approche commune, comment est-ce qu'on peut mieux aider le monde à comprendre ces textes qui sont... Vous savez, l'entente de principe, c'est loin de la poésie, ça. Alors, comment est-ce qu'on peut mieux expliquer ou donner des outils d'information pour mieux informer les citoyens?

M. Cloutier (Bruno): En fait d'entente ou de loi, de texte, il n'y a jamais de problème à partir du moment où... c'est-à-dire les problèmes se créent à partir du moment où est-ce qu'il y a une tentative d'interprétation. Nous, ce qu'on dit par rapport à la loi de l'offre et la demande versus la politique, c'est qu'avec une loi fraîchement déposée tout est beau. C'est à partir du moment où est-ce qu'une compagnie privée, donc qui, elle, est gérée par la loi de l'offre et la demande de produire au maximum à moindre coût, donc il y a des salaires aussi qui sont au minimum versus un profit maximal... À partir du moment où est-ce qu'une compagnie privée conteste certaines choses, c'est là que ça commence, la plupart du temps, les frais d'avocat. Alors, si d'entrée de jeu les compagnies ne chercheraient pas à avoir plus, peut-être qu'il y aurait plus de temps pour les politiciens d'expliquer une autre... l'envers de la médaille, puisque un projet de loi, on peut interpréter d'une façon négative ou d'une façon positive. Il y a des choses qui peuvent être sorties de l'entente de principe, des choses positives, là. C'est définitif. Je ne m'en rappelle par coeur ? je l'ai lue deux fois, l'entente.

Par contre, c'est ce qu'on dit, le fait que souvent des grosse compagnies, avec beaucoup de moyens, contestent fait que le simple citoyen, lui, n'a plus rien a dire, parce qu'il ne peut pas s'exprimer, parce qu'il a de la difficulté à s'exprimer ou parce qu'il n'a pas les moyens de s'exprimer. Alors, se battre, souvent, un citoyen, contre même une régie intermunicipale, c'est souvent David contre Goliath. Et puis qu'est-ce qu'on peut faire, bien, c'est toujours se battre pour connaître la vérité. C'est de se battre pour un équilibre, je pense. Et puis, si les textes de lois cherchent à trouver cet équilibre-là, notre opinion c'est que ça demeure quand même assez froid. Par contre, les textes de lois accompagnés peut-être de documents de réflexion qui pourraient expliquer les possibilités, ça nous apparaît des alternatives pour mieux comprendre.

M. Kelley: En terminant, merci beaucoup pour deux rappels, sur le fait que, aller devant les tribunaux, c'est toujours une voie qui est très dispendieuse, et souvent c'est les personnes qui ont des moyens, qui ont accès aux frais d'avocats supérieurs, qui peuvent être patients. Et on est toujours mieux d'essayer de s'asseoir à côté d'une table pour trouver une solution. Et, l'autre, c'est le rôle des élus, des politiciens, que, après avoir adopté nos ententes et après avoir adopté nos lois, c'est notre responsabilité à nous d'aller sur le terrain expliquer le fruit de nos débats ici, à l'Assemblée nationale, à la population. Alors, merci beaucoup pour ces deux commentaires.

Le Président (M. Lachance): Alors, merci, M. Cloutier, pour votre présence ici en compagnie de cette jolie jeune fille qui vous accompagne. Alors, merci pour votre participation aux travaux de cette commission.

M. Cloutier (Bruno): Je voudrais peut-être juste rajouter une petite phrase aux gens, aux Innus qui vont sur les territoires de trappe. Aujourd'hui, ils sont peut-être là justement, ils ne sont pas ici par intérêt, parce que leur intérêt est là-bas. Je leur dis: Lâchez pas. Peut-être que d'autres, peut-être que leurs enfants vont être ici un jour, devant une commission, à notre place. Il faut vraiment qu'ils s'entraînent, là-dessus, à les entraîner à participer au débat. Je vous remercie.

n (10 h 10) n

Le Président (M. Lachance): Alors, j'invite immédiatement Mme Marlène Côté à prendre place à la table.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Lachance): Alors, Mme Côté, s'il vous plaît. Bonjour, Mme Côté, bienvenue à cette commission. Vous étiez attentive à ce qui se passait, alors vous connaissez les règles du jeu.

Mme Côté (Marlène): Oui.

Le Président (M. Lachance): Dix minutes.

Mme Côté (Marlène): Ce n'est pas beaucoup.

Le Président (M. Lachance): Ce n'est pas beaucoup.

Mme Marlène Côté

Mme Côté (Marlène): Je vais être obligée de lire assez rapidement.

L'Approche commune... ou unilatérale. La problématique. Les Innus constituent une richesse humaine et culturelle pour le Québec et le Canada. Leur histoire et leur culture s'enracinent dans des valeurs profondes et essentielles: la solidarité, le sens de la famille, le respect. Les communautés blanches gagneraient beaucoup à connaître ce peuple simple et attachant et à se laisser inspirer par le mode de vie amérindien, particulièrement en ce qui a trait aux relations humaines et aux rapports à l'environnement.

Il faut aussi souligner que les Blancs, même s'ils ont joué historiquement le rôle de colonisateurs et ont provoqué un choc culturel néfaste pour la culture amérindienne, ont aussi beaucoup apporté à celle-ci, ayant le souci d'assurer le bien-être de ce peuple, si bien que c'est probablement la minorité la mieux traitée au monde. La preuve en est que tout Blanc souhaiterait avoir du sang indien, de manière à obtenir la fameuse carte qui donne accès à plusieurs droits et privilèges réservés à cette nation. Cependant, Amérindiens et Blancs ont une vision négative l'un de l'autre et ont de multiples reproches à s'adresser. Les deux communautés se considèrent victimes d'injustices.

En résumé, les Amérindiens évoquent le vol et le viol de leur territoire par le passé; le peu d'espace qui leur reste; le non-respect de l'environnement et de leur milieu de vie de la part de nos exploitants des ressources naturelles; l'imposition de notre mode de vie; l'imposition de notre langue et de notre culture; d'avoir ainsi entraîné de graves problèmes sociaux: alcool, drogue, haut taux de suicide parmi les leurs ainsi qu'un état de santé précaire; la prise en charge obligatoire de l'éducation de leurs enfants par le passé, leur éloignement dans les pensionnats tenus par les Blancs en vue de les assimiler; la dépendance économique dans laquelle ils sont tombés; le mépris dont ils ont à souffrir du fait de cette dépendance.

À partir de ces reproches, on peut comprendre les demandes des Amérindiens dans l'Approche commune. L'autonomie gouvernementale pourra sans doute leur fournir les moyens de prendre leur destinée en main et de développer leur économie en fonction de leurs valeurs et en respectant leur mode de vie. Cela devrait faciliter l'intégration de leur communauté dans ce type de développement qui devrait leur ressembler et les respecter davantage. De plus, aspect très important, le renforcement de leur identité propre devrait les aider à faire face aux graves problèmes sociaux auxquels ils ont à faire face.

Les Blancs, quant à eux, se sentent exploités par un système discriminatoire qui favorise les autochtones. On n'a qu'à écouter les lignes ouvertes à la radio pour constater une frustration croissante devant le fait que le gouvernement semble négocier à sens unique, c'est-à-dire qu'il donne, cède mais sans apparemment rien demander en retour pour amener un rapport plus égalitaire entre les deux nations. On sent clairement la colère monter à mesure que le discours sur les droits des Innus se fait plus radical et revendicateur.

En résumé, on semble se plaindre des éléments suivants: que les communautés amérindiennes reçoivent proportionnellement plus d'argent de l'État que les Blancs; du fait de la prise en charge excessive des dépenses des Innus par des programmes fédéraux et provinciaux, qui de plus risquent de se chevaucher et de se dédoubler; d'un apparemment manque de cohérence et de contrôle des budgets alloués aux réserves dû à une multiplicité de programmes de toutes sortes; de surprotection, paiement de maisons sur les réserves par exemple; d'un gaspillage des fonds et des biens fournis, exemple les motoneiges qui seraient remplacées plutôt que réparées, des maisons non entretenues, etc. ? ça, ce sont les Blancs qui se plaignent de ça ? d'avoir droit à des privilèges fiscaux, entre autres exemption de taxes et d'impôts sur le revenu sur les réserves et, par conséquent, de ne pas participer équitablement au financement des infrastructures sociales, économiques et politiques du pays; du fait que les Amérindiens ne sont pas soumis aux mêmes règles de chasse et pêche que les Blancs et que certains en profitent pour chasser et pêcher abusivement à des fins commerciales dans des périodes prohibées de reproduction, mettant ainsi en danger l'équilibre écologique, et qu'ils puissent le faire impunément, les conseils de bande ne voulant pas intervenir; le haut taux de gens vivant de l'aide sociale, problème bien compréhensible lorsqu'on considère l'éloignement des deux cultures; de revendications incessantes devant les tribunaux et en utilisant la presse internationale comme moyen de pression. Voilà ce que les Blancs reprochent.

À tort ou à raison, voici une liste de reproches mutuels les plus fréquents que les deux parties s'adressent. Il y a probablement dans ces jugements de l'exagération et de la généralisation. L'autonomie gouvernementale peut certainement représenter la solution pour que ce peuple ait des outils pour prendre en main son développement et se recréer une image positive. Cependant, pour être bilatérale, l'entente devrait venir répondre aux frustrations et revendications des deux parties. Or, ce n'est pas le cas. Même si elle promet d'être très positive à certains égards, renforcement de l'identité innue, spécialement chez les jeunes, taux d'emploi, contrôle de la chasse et de la pêche, etc., l'entente laisse beaucoup de doutes chez les Blancs quant à des aspects essentiels de leurs inquiétudes.

Les problèmes non réglés par l'entente. Le gouvernement a négocié unilatéralement avec les Innus, excluant les communautés blanches. L'entente ne tient compte que des intérêts reliés aux exploitants de ces territoires: entreprises. Or, les terres publiques appartiennent à tous, elles sont un bien collectif, et, à ce titre, nous en sommes tous propriétaires. Lorsque ces territoires sont cédés, il faut s'assurer qu'on s'accorde sur ce nouveau partage. Les Innus ont droit à leur territoire propre, mais les Blancs aussi. Les forêts, mines, lacs et rivières sont aussi le patrimoine de tous les Québécois et, à ce titre, on doit les protéger de la surexploitation et également en assurer un libre accès suffisant et raisonnable pour qui veut aller se ressourcer dans la nature. Cela implique qu'une partie des territoires près des agglomérations doivent rester accessibles et libres de toute appropriation par un groupe donné.

Par le passé, les Amérindiens se sont sentis comme dans des ghettos, coincés dans des réserves. Il est tout à fait légitime qu'ils revendiquent des territoires. Cependant, il faut éviter d'inverser la situation et de placer à leur tour les Blancs dans des ghettos. Tous désirent pouvoir disposer de grands territoires à proximité, de manière à être accessibles pour les fins de semaine et les vacances. Il ne faudrait pas que les Blancs en viennent à devoir quêter une faveur ou payer pour aller prendre une marche dans la forêt, aller à la pêche ou à la chasse près de chez eux. Donc, les communautés blanches devraient être consultées et respectées quant aux territoires qu'elles occupent présentement pour ce qui est de la cession de territoires appelés Innu Assi.

Même si les Blancs sont prêts à reconnaître des territoires plus importants en superficie que ce qui existe maintenant ? je crois que tout le monde s'accorde là-dessus ? l'entente proposée est extrêmement disproportionnée quant à la part de territoire réclamée appelée Nitassinan. Rappelons que les nations amérindiennes du Québec, comprenant 10 nations plus les Inuits, totalisent 77 850 personnes en 2000 ? j'ai pris les chiffres dans les choses du gouvernement ? ce qui représente 1 % de la population totale du Québec. De ce chiffre, 14 492 sont Montagnais. De plus, l'Approche commune ne touche que quatre villages sur neuf, représentant moins de 10 000 personnes. Or, l'entente cède des droits et des redevances sur... bon, là, j'ai écrit le tiers du territoire québécois, j'avais pris les chiffres au Point, mais c'est sûrement 25, 30 % du territoire québécois.

À ce petit groupe de personnes, comment expliquer que cette nation ait besoin d'autant de superficie et de ressources pour s'autogérer et assumer son autonomie économique? Comment peut-on prétendre, au nom de l'égalité, à une telle part de notre patrimoine collectif? Sans compter que les Montagnais ne sont pas tous représentés dans cette entente et que les autres villages vont, à partir de celle-ci, revendiquer également une part de territoire. Sans compter également qu'il y a les Abénakis, les Algonquins, les Attikameks, les Hurons-Wendat, les Malécites, les Micmacs et les Mohawks qui peuvent négocier aussi.

Je vais sauter un paragraphe qui me semble moins important.

L'article 2,7, paragraphes b, c et d m'apparaissent très inquiétants, en particulier le 2,7 b. Il semble annoncer que les Innus vont accéder à des revenus mais continueront à avoir accès à tous les programmes existants au fédéral et au provincial et donc que nous allons continuer à assumer leurs dépenses.

Le paragraphe b: «Rien dans l'accord n'affectera la capacité des Innus de participer aux programmes du Canada et du Québec d'application générale et aux programmes du Canada et du Québec destinés aux peuples autochtones et d'en tirer avantage; la part des redevances provenant du Québec, qui ne sera cependant pas prise en compte dans l'évaluation des revenus autonomes, aux fins de transferts fédéraux.» Il me reste deux minutes?

Bon. La question que l'on pose: L'argent généré par les nombreuses et généreuses nouvelles sources de revenus des Innus visant à leur permettre l'autonomie financière va-t-il mettre fin aux programmes fédéraux et provinciaux existants, qui paient pour tout et interviennent dans à peu près tout? Les payeurs de taxes blancs se demandent s'ils vont payer en double.

Les Innus requièrent l'autonomie gouvernementale. Qui dit autonomie dit prise en charge. L'Approche commune prévoit donner les moyens aux autochtones de prendre en charge leur économie. Par contre, elle reste vague en ce qui a trait à la prise en charge de leurs dépenses. Le régime fiscal innu, à mesure qu'il s'instaurera, assurera-t-il un retour vers Québec et Ottawa pour le partage des dépenses encourues pour les services fournis et les infrastructures communes? On parle de la santé, de l'éducation, des routes, etc.

n (10 h 20) n

L'Approche commune, si elle devient une entente authentiquement bilatérale, pourrait être tout à fait extraordinaire pour nos deux peuples. Nous avons tout à gagner ? je vais essayer de conclure.

Alors, telle que rédigée, la pseudo Approche commune, que l'on devrait plutôt qualifier d'approche unilatérale, a créé des remous parmi les populations blanches, car elle ne tient compte que des intérêts d'un seul groupe. Si elle est signée telle qu'elle, elle promet d'augmenter les tensions entre les deux communautés du fait du sentiment d'injustice vécu par les Blancs. Elle n'est certes pas de nature à faire disparaître les critiques sur les privilèges dont jouissent déjà les autochtones. Enfin, ne risque-t-elle pas d'instaurer au Canada deux catégories de citoyens: les privilégiés et les autres, les citoyens de première classe ayant droits et privilèges et les citoyens de deuxième classe ayant des devoirs et responsabilités?

Je crois au principe de l'autonomie gouvernementale pour les nations qui étaient là bien avant nous. Cependant, je souhaite un meilleur équilibre dans l'attribution des territoires et des ressources ainsi que des coûts et dépenses entre la nation blanche et la nation autochtone. J'ai raccourci mais voilà l'essentiel.

M. Lachance: Merci, Mme Côté, pour votre présentation. Nous allons maintenant aborder cette période d'échange avec M. le ministre responsables des Affaires autochtones. M. le ministre.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Mme Côté, bienvenue en commission parlementaire à la capitale nationale, à l'Assemblée nationale, puisque cette commission est une commission de l'Assemblée nationale et qu'il est important d'y retrouver l'opinion, la réflexion, les réflexions de citoyennes, telle vous, pour nous éclairer, nous aider à davantage comprendre lorsqu'on se dirige vers une entente, un traité. La définition même des attributs d'un traité, c'est de conclure pour de la paix dans le respect et davantage de relations qui vont nous mener à davantage de développement, le cas échéant, ici pour la nation québécoise et la nation innue, alors d'où l'importance d'écouter des citoyennes comme vous sur les résultats escomptés.

Mme Côté, on a de la difficulté parfois à réconcilier certaines réflexions ou dimensions, jugements de valeur de certains groupes de nos compatriotes. Je trouve que votre mémoire, il reflète bien cela, les valeurs, préjugés ou mythes qui sont véhiculés de part et d'autre. Mais comment se fait-il que, comme vous le dites, tant de citoyens voudraient détenir les droits et les privilèges des nations autochtones et comment se fait-il que ces privilèges et ces droits perçus ? vous parlez de deux classes de citoyens ? cela a amené à un niveau assez élevé de détresse individuelle et sociale? Comment réconcilier ça, des privilèges puis des droits qui seraient excessifs? tout serait fourni? Et vous reflétez, je pense, ce qu'on entend dans beaucoup de strates de la population. Mais comment se fait-il que tant de privilèges et tant de droits supplémentaires aient amené à un niveau de détresse au plan individuel et au plan collectif d'un tel niveau dans les communautés de la nation innue?

Mme Côté (Marlène): Il est vrai qu'il y a eu un choc de cultures et que la nation amérindienne a été fortement heurtée au contact de notre culture, hein? Et je ne nie pas les dégâts, au niveau social, qu'ils ont subis. Toutefois, ce n'est pas une question de... ce n'est pas parce qu'ils manquent d'argent. Il faudrait peut-être se poser la question. Parce qu'il y a quand même beaucoup de ressources financières fournies et il faudrait se poser la question sur, peut-être, la sage utilisation de ces ressources-là.

Mais ce qu'on vise ? je ne peux pas tout régler les problèmes ? mais ce que l'Approche commune vient apporter, moi, je ne... C'est des nations que j'apprécie beaucoup et que je trouve qu'elles sont d'une grande richesse, mais l'Approche commune... et puis, moi, je trouvais que ça allait quand même passablement bien entre les deux nations. Mais l'Approche commune vise à amener une cohabitation harmonieuse entre les deux nations, et elle fait exactement le contraire. Et M. Chevrette conclut en disant: «Les perceptions d'iniquité sapent littéralement l'acceptabilité sociale sur laquelle doit s'appuyer cette négociation». Alors, on ne peut que constater que les perceptions que nous en avons ? et nous ne sommes peut-être pas tous dans l'erreur, la population du Québec ? ce ne sont pas seulement des préjugés. Moi, je me considère comme quelqu'un d'ouvert, mais, aussitôt que tu remets en question ce qui touche une minorité, tu passes pour quelqu'un de raciste, alors que je pense que le projet de loi est raciste. Il est absolument centré sur l'ethnicité, et ça met trop d'accent là-dessus. Hein, avoir peur, je ne sais pas, on est en train de...

Alors, moi, je considère que le Québec, c'est en train de tellement brimer... Vous savez, 30 % du territoire à 0,2 ou 0,3 dixième de 1 % de la population, c'est quand même énorme, les redevances, ce n'est pas le territoire qui leur appartient au complet. Mais, moi, je parle... ce qui me choque plutôt, là, c'est la grande partie, le Nitassinan. Alors, je ne pense pas qu'ils ont besoin d'autant grand. Nous allons créer une aristocratie autochtone, des gens beaucoup plus avantagés, beaucoup plus riches, beaucoup plus prospères, beaucoup plus puissants que les Blancs. Vous allez créer deux classes sociales: une classe de Blancs puis une classe de superprivilégiés. Déjà, on leur reproche leur carte autochtone qui leur donne certains avantages, hein, que je ne conteste pas.

Je ne conteste pas le bien-fondé des avantages que les autochtones ont déjà, mais le problème, il fallait le régler, pas l'amplifier, et là on l'amplifie, et de un. Et de deux, nous créons une autre structure et nous oublions d'enlever l'ancienne, de prévoir la disparition de l'autre. Alors, les ministères qui existent, est-ce qu'ils vont disparaître? Là, on dit, dans l'article 2.7, qu'ils vont garder accès à tous les programmes, fédéral et provincial. Alors, c'est quoi, l'affaire? On remet tout en double. Déjà, le fédéral et le provincial se dédoublent et se chevauchent certainement ? ça aurait été intéressant d'avoir une étude là-dessus. Et là, en plus, on va rajouter une autre structure. Alors, ça manque de logique, ça manque de cohérence. On dirait qu'on est tellement riches qu'on peut se permettre de faire des choses comme ça. Ça signifie aussi des taxes et des impôts pour les citoyens du Québec.

Alors, moi, je m'adresse... en tant que citoyen, on veut avoir accès au territoire et on voudrait un territoire quand même avec une certaine intégrité territoriale. On est prêts à céder, mais ça me semble exagéré. Et aussi, comme payeurs de taxes, on veut être gérés. Et, moi, ça me semble assez aberrant, cette entente-là, hein, qui ne tient pas compte de la disparition des programmes existants.

M. Trudel: Est-ce qu'il est juste, donc, de conclure, en termes de jugement de valeur, que ce qui à tout le moins est perçu comme davantage de droits et beaucoup de privilèges pour les nations autochtones, ça n'a pas donné de bons résultats, puisque ça a généré de la pauvreté, de la détresse, de la déficience économique et...

Mme Côté (Marlène): Certainement. Ce n'était pas la solution. Et il y a beaucoup de détresse et il y a quelque chose d'important à faire. Et, moi, je trouve ça extraordinaire qu'il y ait un projet où on va leur donner du pouvoir et de l'autonomie, ils vont pouvoir retrouver de la dignité et du contrôle sur leur destinée. Moi, je suis en faveur. Seulement, ils ont des ministères et ils ont des négociateurs, et ils ont eu le temps de se préparer une entente qui est carrément disproportionnée à leurs besoins et qui est trop... qui est exagérée, hein, et qui crée une grande iniquité entre le peuple blanc et le peuple amérindien. Mais je suis en faveur d'une solution qui passe par ça, hein?

M. Trudel: Bien, c'est parce qu'on a toujours une... En tout cas, l'impression première, c'est à entendre parfois qu'il y aurait tant de droits supplémentaires et tant de privilèges, on dit: Mais ça doit avoir généré de la prospérité, de la vitalité et un niveau de vie absolument reluisants, puisque nous envions ces droits et ces privilèges.

Mme Côté (Marlène): ...il y a peut-être beaucoup de gaspillage, parce que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'argent, c'est parce que l'argent, ce n'était pas la solution à tout. Puis on a toujours réglé tous les problèmes avec ça puis on a fait du mieux qu'on peut. Mais une culture blessée, c'est très, très difficile, hein? C'est des problèmes qui se règlent à long terme.

n (10 h 30) n

M. Trudel: Et je partage entièrement l'aboutissement de votre raisonnement. L'autonomie, la prise en charge, la responsabilisation ont toujours été, dans les nations, partout dans l'histoire humaine, le facteur déterminant davantage pour les nations et pour les individus qui sont membres de ces nations. L'autonomie gouvernementale, la prise en charge, la responsabilisation, ce vers quoi veut se diriger l'entente de principe et éventuellement le traité, ça répond à un principe assez universel. La prise en charge, la responsabilisation, ça conduit au développement.

Mme Côté (Marlène): Là, on donne leurs droits et qu'est-ce qu'ils vont avoir comme revenu, mais on ne précise aucunement, dans l'Approche commune, quelles vont être leurs responsabilités, et leur prise en charge, et leur partage. C'est à sens unique, là, c'est ça, le problème; il n'y a rien de précisé pour le reste.

M. Trudel: Bien là, évidemment, il faudrait se lancer dans chacune des dimensions du projet d'entente de principe, mais lorsqu'on parle de prise en charge, il y aura aussi de la détermination de quels aspects ils veulent prioriser et déterminer, en termes de prise en charge. L'organisation collective sur le territoire va devenir la responsabilité de la communauté, de la nation.

On peut faire un certain parallèle ? il n'est pas parfait parce qu'il n'est pas complet ? avec un territoire municipal. On n'a pas les mêmes règles de communauté humaine dans une municipalité ou avec une autre. On a un cadre général, on a des responsabilités, des façons, des responsabilités particulières que l'on occupe. Ici, on aurait toutes les responsabilités, y compris ? ...

Le Président (M. Lachance): En conclusion, M. le ministre.

M. Trudel: ...oui, c'est vrai ? y compris celle de se taxer, de s'imposer pour occuper ces responsabilités.

Je veux juste ajouter, parce que le temps file rapidement, sur...

Mme Côté (Marlène): Il faudrait peut-être que ce soit écrit.

M. Trudel: ...sur la question des programmes, là, juste apporter une précision, là. Il y a effectivement une disposition dans le projet d'entente de principe ? je vous y réfère, vous pourrez la parcourir ? à 3.3.20: «Rien dans le Traité n'empêche une première nation ainsi que les Innus qui en font partie de participer aux programmes des gouvernements du Québec et du Canada ? vous l'avez cité ? destinés spécialement aux autochtones et d'en bénéficier, sauf dans le cas où le Traité en dispose autrement. Il en va de même à l'égard des programmes généraux des gouvernements.» Dès le moment où on se sera entendus, où il sera déterminé lesquelles responsabilités particulières, ça va exclure la continuité de la participation des programmes au niveau du Québec et du Canada.

Mme Côté (Marlène): ...précisé dans l'Approche comment ça va se passer et que ça va disparaître, parce que là on se prépare à un double paiement, paiement en double, et ils sont très d'affaire, hein, ces nations-là, ils sont très bien conseillés et ils ont beaucoup le sens des affaires, et je ne crois pas qu'ils vont décider d'eux-mêmes de sacrifier des gros budgets qui rentrent facilement. Alors, moi, j'aimerais que l'entente... que ceux qui me représentent, mes gouvernants, songent et mettent par écrit aussi des garanties à ce niveau-là, parce que les taxes, on les paie, alors pour ne pas payer en double.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, je veux dire bienvenue à Mme Côté, pour votre contribution. Et en lisant votre mémoire, peut-être le premier constat, c'est: peut-être le gouvernement n'a pas bien expliqué pourquoi on fait qu'est-ce qu'on est en train de faire, et je pense que... Parce que les éléments, ici, vous avez bien décrit la problématique, c'est quoi, les doléances, des deux côtés, mais on est interpellé par les cours, et par le passé, et par l'héritage de la Loi sur les Indiens, de faire quelque chose. De dire que le statu quo est acceptable, je pense qu'on ne peut pas dire ça. À cause de décisions des tribunaux, il y a certaines règles du jeu. Pour les chasseurs, par exemple, on a vu plusieurs associations de chasseurs, trappeurs, etc., qui sont venus nous dire: Les règles du jeu ne sont pas claires. Alors, il faut préciser c'est quoi, les droits ancestraux, ça veut dire quoi exactement, pratico-pratique, pour nos agents de la faune qui sont dans la forêt, ils appliquent quels règlements. Alors, je pense que la preuve a été faite ici qu'il faut faire quelque chose.

Et je comprends, au niveau philosophique, votre appui à la notion qu'on est tous égaux, et même le maire de votre ville est venu pour témoigner de cette esprit, hier. Mais je dois composer également avec un passé qui a créé une Loi sur les Indiens. Alors, de dire que c'est l'entente qui a créé deux catégories de citoyens, avec tout le respect... Ça, c'est la réalité d'aujourd'hui, et nous devrons composer avec un passé où il existe ces nations et les membres de ces nations que les cours, l'ONU, beaucoup d'autres instances ont dit qu'ils ont des droits qui sont différents que mes droits, vos droits.

Alors, dans ce contexte, peut-être, la vision négative, les problèmes que vous avez décrits, est-ce que le gouvernement aurait dû faire une meilleure mise en contexte, meilleure explication à la population? On fait ça, parce qu'on est d'une certaine façon obligé de clarifier l'état de droit, on est obligé de faire certaines règles de jeu pour les choses pratico-pratique: chasse, pêche sont des choses qui sont très importantes; au niveau économique, l'exploitation de nos forêts, comment faire ça, comment s'assurer la conservation? Tous ces enjeux sont en place, et, moi, je pense qu'il y a un défaut au départ, préalable: qu'on n'a pas bien expliqué le pourquoi il faut une entente. Et peut-être le gouvernement peut mieux renseigner ou mieux...

Mme Côté (Marlène): C'est très difficile, d'obtenir l'entente. Les gens ont dû commencer par se chicaner pour réussir à avoir accès à l'approche globale, vous vous souvenez, hein? Alors, déjà en partant, c'est certain qu'il y a un problème d'information.

Moi, je vais considérer qu'ils sont traités de façon égale, même s'ils ont un territoire beaucoup plus grand proportionnellement, parce que ça fait partie de leur mode de vie, hein? Je ne veux pas être réductrice là-dessus, je ne dis pas de ne pas leur donner des grands territoires, mais je trouve que c'est exagéré. Et je pense qu'ils ont des moyens disproportionnés à nous, comme groupes de pression blancs non structurés, pour faire des demandes, et qu'à ce moment là on voit les résultats dans l'Approche commune. Eux autres ont des ministères depuis des années, avec des spécialistes qu'ils engagent et l'accès à des juristes, et ils se sont concoctés des demandes territoriales parfaitement disproportionnées. Quand tu représentes 0,2 de 1 % de la population et que tu vas chercher des droits sur 45 % du territoire, si on met les 10 nations... toutes les nations, les neuf nations, lorsqu'ils vont avoir fini de négocier, on trouve que c'est disproportionné.

Et il y a un sentiment d'iniquité, Et ça ne manque pas d'informations, parce que les informations, on est obligé de les chercher comme on peut, hein? Heureusement qu'il y a eu quelques articles qui nous ont mis la puce à l'oreille, et j'ai décidé d'aller aux sources. Il manque d'informations, mais, quand on est informé, on constate de l'iniquité, et c'est parce que c'est inéquitable quant aux moyens de présenter chacun... Les deux parties ne sont pas également représentées. Ils sont une minorité, mais ils ont beaucoup de moyens de par le fait qu'ils ont des ministères, et de par le fait qu'ils ont des budgets pour ça, et de par le fait que ça les concerne directement.

Alors, c'est sûr qu'ils ont défendu leur territoire, ils ont des excellents négociateurs. Mais nos négociateurs blancs, là, excusez-moi, là, mais ça fait dur d'avoir négocié ça, hein, moi, à mon avis, là. Parce que, moi, comme citoyenne, là, du Québec, de devoir payer des redevances sur 45 % du territoire, lorsque les neuf vont avoir obtenu qu'est-ce qu'ils veulent... ou ces quatre là, c'est déjà plus de 25 %, je trouve ça beaucoup. Je ne pense pas qu'ils ont besoin d'autant, et c'est ça qu'on ne comprend pas.

M. Kelley: Mais je pense qu'il faut voir aussi qu'on est en train de corriger les dommages du passé, parce qu'on a pris les décisions sans les consulter, on n'a pas respecté leurs droits, dans le passé, alors aujourd'hui, entre autres, on est en train de corriger le tir. On a construit les barrages au profit de l'ensemble de la société, sans les consulter, on a dit: Tassez-vous, parce qu'on arrive avec nos bulldozers et tout le reste, on va construire. Alors, ça, ça fait partie... Et un droit, c'est un droit et ce n'est pas une question de nombre de personnes. Les droits existent, que nous devrons composer avec un passé où il y a revendication territoriale, qui est reconnue comme légitime. Vingt-trois ans après, je pense qu'on a tout intérêt d'arriver à une solution, et c'est ça qu'on est en train de chercher.

Et quand vous avez dit «le tiers de la province», l'Innu Assi; c'est vraiment l'Innu Assi, où ils sont chez eux, si vous voulez. Et, ça, c'est quoi? 3 000 km² sur 1,6 million...

Mme Côté (Marlène): ...Nitassinan.

M. Kelley: ...alors, c'est petit. Nitassinan? Ils ont trois choses, sur Nitassinan: c'est question de redevance, que je pense qui est tout à fait légitime, qui va solutionner le problème du financement des gouvernements autochtones; alors, ça, c'est intéressant; ils ont le droit d'être consultés sur le développement forestier, minier et hydroélectrique; je pense que c'est tout à fait légitime, comme bons partenaires, qu'ils seraient consultés; et on va mieux encadrer le droit de chasse et pêche, qui, pour le moment, était limité, il faut le dire. Et, selon la Cour suprême, le droit de chasse et pêche...

Mme Côté (Marlène): Ça, c'est les avantages.

M. Kelley: Alors, ça, c'est les choses qu'on veut baliser sur Nitassinan. Mais ce n'est pas qu'on a donné Nitassinan au complet. On a juste à défini les territoires pour clarifier les règles du jeu dans ces trois catégories-là. Alors, je pense que ce n'est pas trop généreux, je pense que c'est juste...

Mme Côté (Marlène): 3 % qui peut augmenter.

M. Kelley: ...ça donne suite aux décisions de la Cour suprême.

n (10 h 40) n

Mme Côté (Marlène): Mais il y a déjà 300 quelque chose millions de donnés, hein, pour compensation pour le passé. Il y a 3 % de redevances qui sont sujettes à augmenter, plus des compensations, plus on s'en va dans des négociations puis des tribunaux encore, là, en prévisibilité, parce qu'ils vont avoir le droit, pour tout ce qu'ils vont être privés, là, de demander des compensations. Alors, on ne vient pas de régler le cas des tribunaux, là, on s'engage dans une nouvelle ère de négociations devant les tribunaux. Ce n'est même pas clair, c'est très ouvert, de leur côté, hein, «sujet à compensations». Moi, je trouve ça trop, beaucoup trop généreux, et je pense que c'est nous autres qui vont payer, au bout du compte, et je trouve qu'on crée deux catégories de citoyens.

Le Président (M. Lachance): C'est un discours que nous avons entendu hier avec ville de Saguenay. Est-ce qu'il y a d'autres remarques? Non? Ça va? Alors, merci beaucoup, Mme Côté, d'être venue nous exprimer votre opinion ici, à l'Assemblée nationale. Merci.

Alors, j'invite maintenant, les représentants de la famille McKenzie, pour la suite de nos travaux cet avant-midi, à bien vouloir prendre place à la table des témoins.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Lachance): Alors, bienvenue à cette commission. Et, au préalable, je voudrais quand même indiquer que, compte tenu que dans votre mémoire vous faites mention de procédures judiciaires intentées pour la reconnaissance de certains titres et de droits autochtones personnels et usufructuaires sur une partie du territoire de la nation innue, je voudrais tout simplement vous mettre en garde sur les propos qui pourraient être tenus et qui pourraient avoir pour effet de porter préjudice à qui que ce soit. Simplement une mise en garde amicale sur cette cause devant les tribunaux au civil.

Alors, écoutez, je vous souhaite la bienvenue et j'invite le porte-parole à bien vouloir s'identifier ainsi que les personnes qui l'accompagnent.

Famille McKenzie

Mme Sioui Trudel (Hélène): M. le ministre, bonjour. Merci de nous avoir invités. Mon nom est Hélène Trudel, je suis accompagnée de M. George McKenzie et de Mme Philomène McKenzie. Tel qu'il appert dans notre mémoire, la famille McKenzie réclame une reconnaissance de ses droits ancestraux, non seulement en tant que membres de la nation innue, mais aussi en tant qu'individus ayant des droits individuels, c'est-à-dire continuer à occuper leur territoire et le droit d'y exercer leurs droits ancestraux. Cet exercice des droits ancestraux sur leur territoire, comme le dira Mme McKenzie, c'est beaucoup plus que l'exercice d'un mode de vie traditionnel, c'est une question d'identité, c'est une question d'existence de l'être innu. Aujourd'hui comme hier, cette question se retrouve au centre de l'enjeu du développement économique du Québec. Aujourd'hui comme hier, elle représente un choc entre deux cultures.

Mme Philomène McKenzie est une mère de clan, une sage. Comme ses ancêtres, elle continue d'entretenir le lien qui la rattache à son territoire ancestral. Elle transmet ses connaissances non seulement à ses nombreux descendants, mais aussi à d'autres membres de la nation innue. Je tiens à vous souligner que son témoignage est donc extrêmement important. Il est regrettable qu'aucun service de traduction simultanée ne soit accessible pour que le peuple québécois puisse vraiment comprendre l'enjeu. Ceci est également malheureux, puisque cette commission parlementaire s'adresse aussi bien au peuple québécois qu'au peuple innu.

Pour sa part, M. George McKenzie nous parlera de l'enjeu de l'impact qu'aurait une entente basée sur l'Approche commune.

Ne pas être capable d'exercer un droit pour un temps indéfini, c'est le réduire au symbolisme. Ce serait, par exemple, avoir le droit de parole sans avoir le droit de s'exprimer. La position de la famille McKenzie est claire, toute entente quelle qu'elle soit ne peut porter atteinte à ses droits qu'elle cherche à faire reconnaître par des procédures judiciaires qui sont toujours actives.

Alors, je cède la parole à Mme McKenzie, et ses propos seront traduits par son fils George McKenzie.

Le Président (M. Lachance): Merci.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Premièrement, elle vous salue aujourd'hui, et vous souhaite le bonjour, puis tout ça. Puis, elle veut vous raconter aussi son histoire, où est-ce qu'elle se dit un expert dans le domaine du mode de vie des Innus. Elle se dit savant, expert en ce qui a trait au mode de vie des Innus.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Elle veut vous dire aujourd'hui que c'est une femme innue qui est née à l'intérieur des terres, sans hôpital. Elle est née à l'intérieur des terres au moment où ils étaient le gouvernement lui-même. Ils s'autogouvernaient, à l'époque où est-ce qu'elle est née, à l'intérieur des terres, ils se disaient gouvernement. Son père, c'était le gouvernement. Il n'y avait pas encore d'hôpital et toutes ces choses-là qu'on voit ici aujourd'hui, là.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Je vais vous rappeler seulement, à l'époque où nous nous gouvernions à l'intérieur des terres, il n'y avait aucune ingérence, il n'y avait personne. Ils n'avaient pas vus de blancs aucun non-autochtone dans la région. Ils s'autogouvernaient. On était en paix. Mais, elle dit qu'elle va continuer à promouvoir cette façon de vivre qui est la nôtre, qui est le mode de vie des Innus: la chasse, la trappe, la pêche.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Elle dit: Autant que vous avez des connaissances dans votre domaine, niveau politique, environnemental, moi aussi je suis un expert en la matière en ce qui concerne l'environnement, tout ce qui émane de l'environnement. Elle se dit expert: Autant que, vous, vous l'êtes, moi aussi je suis un expert en la matière, puis que ça ne changera sa vision, elle va continuer à vivre de cette façon-là puis elle s'est dit que personne ne va empêcher la famille McKenzie et ses petits-enfants de continuer à vivre le mode traditionnel des Innus.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Elle dit: Je suis ici pour protéger, préserver les droits ainsi que le titre pour des générations à venir. C'est pour ça qu'elle est ici, présentement, en train de vous raconter un peu son histoire, son histoire de vie. Mais, elle est ici vraiment pour protéger puis préserver la continuité de l'exercice du droit ancestral puis ainsi protéger aussi le titre «Indien».

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

n (10 h 50) n

McKenzie (George): Elle dit qu'elle est incapable d'accepter l'Approche commune puis, aujourd'hui, l'entente de principe qu'on parle ici, aujourd'hui. Elle est incapable. Elle ne se voit pas à l'intérieur de ça, de ce document-là, puis que...

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

McKenzie (George): Puis que, par le passé, Mme McKenzie a participé à maintes reprises à des manifestations pour préserver ses droits puis protéger ses droits par la lutte non violente, qui est la manifestation. On l'a vue à différents niveaux, par exemple dans la lutte des vols à basse altitude sur le Nitassinan, le SM3, où elle a été emprisonnée pour avoir manifesté ses droits; ils l'ont emprisonnée pour deux jours. Elle dit qu'elle a fait pratiquement tous les recours possibles à l'intérieur de l'État québécois ? on va dire que c'est un État, parce que vous semblez aller dans ce sens-là. Mais elle a déjà pris tous les recours possibles pour préserver ses droits: elle a manifesté, elle a fait de la politique, elle a tout fait, jusqu'au moment de la signature de SM3, du barrage SM3, où elle a été emprisonnée pour avoir pratiqué ses coutumes, ses traditions à l'intérieur du développement Hydro-Québec sur SM3. Elle était en plein milieu du chemin d'accès qui menait au barrage puis, quand ils sont arrivés là, les gens qui travaillent pour SM3, sur la route d'accès, ils ont été embarqués par la Sûreté du Québec puis ils les ont emprisonnés.

Depuis, elle se dit... Elle a utilisé tous les recours possibles à l'intérieur du Québec, puis maintenant le dernier recours qui reste, qui est le recours le moins violent, qu'elle dit. Parce que, dans le passé, dans les manifestations, ces choses-là, on parle d'affrontement puis de confrontation; il y a un gros risque là. Mais elle s'est dit prête à se battre, à continuer sa lutte pour la reconnaissance de ses droits, la protection puis le respect de ses droits via les tribunaux, qui est la lutte la moins violente, d'après nous. Parce que, si on continue dans le sens de la lutte politique, bien, on sait très bien que la lutte politique engendre aussi l'affrontement puis la confrontation.

Nous, on ne veut pas utiliser cette voie-là qui est politique, qui risque d'envenimer les deux sociétés puis qu'on engendre la violence à travers ça. Mais, par contre, ce qui est malheureux, c'est que des ministres comme Chevrette, M. Trudel, qui parlent d'affrontement puis de confrontation, qui épeurent des aînés de chez nous puis qu'on doit négocier sous la pression d'affrontements puis de confrontation, quand on est dans un État de droit. C'est malheureux à dire. Nous autres, on ne peut pas embarquer dans une approche comme telle en essayant de nous faire peur, que, si on ne signe pas une entente, on va aboutir à de l'affrontement puis de la confrontation. C'est malheureux que ça se dise ici, dans un État de droit qui est l'État de droit canadien.

Je ne pense pas que... Peut-être ma mère a peur de l'affrontement, mais ma génération n'a pas peur. On sait qu'on est dans un État de droit, on sait que le gouvernement canadien va intervenir, s'il y a des émeutes. On a vécu des émeutes, dans SM3. Des gens qui ont été pro-développement, dans le développement hydroélectrique de la rivière Sainte-Marguerite, sont venus manifester chez nous: 500 non-autochtones qui sont rentrés à l'intérieur de la communauté. On a vu c'est quoi la pression puis le quasi affrontement. Mais on espère que l'État canadien, qui est l'État de droit, ne permette pas qu'il y ait un affrontement puis une confrontation, comme on dit souvent, ici. Je vous ai regardés toute la semaine, puis ça s'est dit. Vous parlez d'affrontement tout le long, sachant qu'on est dans un État de droit.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

M. McKenzie (George): Elle raconte au moment où ils vivaient à l'intérieur des terres, au moment où ils se gouvernaient, où ils prenaient leurs médicaments à l'intérieur des terres, où ils prenaient leur survie à l'intérieur des terres, toutes ces choses qui émanent, qui proviennent de l'environnement. La langue, les médicaments, beaucoup de nos coutumes et traditions viennent de l'environnement. Puis, elle, elle veut continuer à préserver ce mode de vie là en tant que peuple, aussi, et en tant que... Finalement, on pourrait en conclure que ce qu'elle vient de dire, elle revendique, à l'intérieur de cette action juridique là, si on peut mettre en relief le droit à l'existence du peuple innu, à travers cette lutte-là on peut mettre en relief la revendication en tant que peuple, en tant que droit à l'existence, le droit à l'existence qui comprend le droit à la langue, le droit à la culture, le droit à la spiritualité, le droit aux ressources.

Je n'ai pas à vous dire ça, c'est quoi, le droit à l'existence, vous le revendiquez en tant que peuple québécois aujourd'hui, dans cette commission, le droit à l'existence du peuple québécois. Mais nous aussi, on veut exister, nous autres, dans le futur aussi, en tant que peuple, pas en tant que minorité visible, en tant que peuple, comme vous. Vous avez le droit, parallèlement à la nôtre, vous avez le droit d'être un peuple, mais nous autres aussi, on a le droit d'être un peuple aussi. C'est ce qu'elle raconte. Elle veut continuer à promouvoir la langue, la culture, tout son savoir. C'est une sage-femme aussi, en même temps, cette femme-là, c'est une mère de clan, c'est une porteuse de la sagesse innue. Elle est devant vous, elle veut continuer à préserver ces droits-là, ce mode de vie là qui la tient à coeur, parce que ses médicaments sont là, ses vêtements proviennent de là, sa langue vient de là, tout provient de l'environnement.

Aujourd'hui, elle vient vous dire que je pense qu'il n'y a pas grand-chose à négocier en ce qui a trait à son territoire. La partie du territoire qu'on revendique, qui est le lac Manitou, la rivière Manitou, vous le connaissez très bien, il a fait l'objet à maintes reprises de développement du gouvernement Québec. Les premières violations de l'exercice de nos droits, elles remontent à 30 ans, quand le gouvernement du Québec a accordé un bail au pourvoyeur qui est là, par la suite, des villégiatures. Après ça, on a eu des mines, la fameuse mine à découvert du lac Volant, qui couvre le territoire de la famille Mckenzie. Après ça, on a eu les fameuses minicentrales, qui étaient le site potentiellement élevé pour une minicentrale, la rivière Manitou. Puis, prochainement, bien, on attend le développement forestier via l'arpenteuse de la pruche, que vous appelez si bien.

On sait qu'est-ce qui s'en vient. On a fait face à plusieurs développements; à maintes reprises les baux puis les villégiateurs, les pourvoyeurs, on s'est fait violer souvent, jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, on va sur le territoire du lac Manitou: on n'a pas le droit d'être là, le pourvoyeur, il ne veut pas qu'on soit là. On n'a pas le droit.

Le Président (M. Lachance): Je m'excuse. M. McKenzie, je m'excuse de vous interrompre, mais je dois vous dire que le temps qui était déjà imparti tire à sa fin.

M. McKenzie (George): O.K.

Mme McKenzie (Philomène): (S'exprime dans sa langue)

n (11 heures) n

M. McKenzie (George): Elle raconte un peu les mauvaises... les moments les plus durs de sa vie dans le bois, quand il a commencé à y avoir des agents de conservation. Elle devait cacher sa nourriture, faire un trou dans la terre pour cacher, pour ne pas qu'elle se fasse saisir sa viande, pour sa survie, son poisson. Au moment où elle s'est fait arrêter par des agents de la faune, elle raconte la famine qu'elle a dû vivre avec ses parents. Il y a deux jours, quand on est venu ici, c'était la journée de la mort de son père qui se remémore à l'intérieur des terres. Il est mort de faim, le bonhomme, son père, à l'intérieur des terres. Mais elle dit qu'elle a tellement aimé ça, ce mode de vie là, puis elle veut le conserver puis elle veut continuer à vivre de cette façon-là. C'est qu'elle vient vous dire ici. Je pense qu'elle a vécu...

Le choc a été dur. Le choc a été dur, le choc culturel, le choc, on appellera ça de différentes façons, le contact européen, le choc culturel, on a vu plusieurs mots, l'impact. Mais l'impact a été dur pour cette madame-là. Elle a vécu de la tente aux maisons.

Mais, si je regarde, moi, mon impact européen à moi, moi, je suis un survivant des pensionnats indiens. Vous le savez, la Commission royale sur les peuples autochtones, ils ont compensé pour 350 millions pour les sévices moraux, physiques, sexuels qu'il y a eu dans les pensionnats. Bien, moi, j'en suis un survivant de ça. Je suis à la recherche de mon identité, mon authenticité qui va m'amener jusqu'à la reconnaissance du titre. C'est là que ça va terminer mon... Je vais avoir atteint mon identité au moment où on va me reconnaître un titre puis des droits ancestraux. Ça tend vers là, mon processus de guérison, suite aux sévices que j'ai vécus dans les pensionnats amérindiens.

Le Président (M. Lachance): Je dois vous interrompre. Merci. Nous allons poursuivre, mais avec les échanges de chaque côté avec les parlementaires. Merci, madame, merci, monsieur. Et M. le ministre responsable des Affaires autochtones va amorcer cette période d'échange.

M. Trudel: Merci à la famille McKenzie. Bienvenue en commission parlementaire. Me Trudel aussi, bienvenue en commission parlementaire. Il s'agit évidemment d'un angle autre de ce que nous avons entendu, en particulier ce matin. C'est la richesse d'ailleurs de ces commissions d'essayer d'appréhender la réalité à partir des yeux, du vécu de l'âme de ceux et celles qui vivent sur le territoire ou qui sont impliqués dans les projets, les projets de bonne entente que nous pensons être de bon aloi en termes de poursuite pour en arriver à un traité, traité qui appelle la paix, le respect et la capacité de se développer et de développer tous ses potentiels sur son territoire.

Ici, nous sommes d'évidence dans une façon autre de voir les choses, puisqu'il s'agit de revendication titre «aborigène» et droits et même compensation sur la base famille, sur la base d'une famille. C'est ce que vous nous avez véhiculé. Peut-être d'abord une question à Me Trudel: Est-ce que, vous, en intentant des procédures judiciaires pour la reconnaissance de droits individuels ou, ici, de famille, est-ce que vous reconnaissez, de cette façon-là, la pleine autorité des tribunaux, des tribunaux de droit commun de la société actuelle, au Québec ou au Canada, pour trancher au niveau de la reconnaissance? Et on reviendra sur la question de l'exercice des droits.

Mme Sioui Trudel (Hélène): C'est une bonne question, une question... Finalement, c'est sûr que dans un État de droit ? et je pratique en droit ? c'est sûr qu'il y a une reconnaissance par les tribunaux, et c'est la raison pour laquelle on a entrepris cette procédure. Et cette procédure est intéressante, dans le fond, parce qu'il s'agit de droits d'individus qu'ils invoquent. Ils invoquent le titre pour exercer leurs droits ancestraux. Ce n'est pas nouveau. Les droits d'individus, ça existe. C'est même reconnu par la législation, la Loi sur les Indiens, qui est... Je vous reporte à l'article 18.2 de la Loi sur les Indiens qui prévoit, là, que l'Indien particulier, qui a la possession des terres, doit être pris en considération, alors... Puis il y a toutes sortes d'ouvertures. Il y a la décision du juge Louis Tannenbaum en 1997 qui reconnaît qu'il y a des éléments individuels. Alors, c'est très sérieux. C'est nouveau, peut-être que les gens commencent à l'invoquer, parce qu'on invoque toujours le côté collectif, mais il y a des individus et ils ont des droits.

M. Trudel: Une autre question avant de passer à mon collègue de Roberval qui a aussi une question ? le président m'informe de cela. Je vais tenter aussi de suivre la règle de prudence du président.

Advenant la conclusion d'un traité avec la nation innue, vous sentirez-vous liés par les éléments de ce traité qui forcément ? vous venez de l'évoquer ? quelques dimensions vont être conclues avec des collectivités et une nation, la nation innue, telle que reconnue par l'Assemblée nationale en 1985?

Mme Sioui Trudel (Hélène): C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. C'est pour vous dire que cette entente doit prendre en considération des droits qui sont invoqués devant les tribunaux. Et c'est en plein... C'est pour ça qu'on est ici, pour vous souligner que les droits des individus, de la famille McKenzie, sur leur territoire sont sujets à la reconnaissance des tribunaux. Alors, il faut que l'entente prenne en considération cet aspect.

M. Trudel: Très bien. M. et Mme McKenzie... Bien, là, il ne restera pas beaucoup de temps si je pose une autre question, là.

Le Président (M. Lachance): Vous pouvez y aller rapidement, M. le ministre.

M. Trudel: M. McKenzie, et pour Mme McKenzie qui a traversé beaucoup, disons, d'intempéries quant à son vécu sur le territoire, sur son territoire, devrions-nous, M. McKenzie et Mme McKenzie, cesser les activités de développement sur le territoire en attendant que tout soit clair? Vous vous souvenez, par exemple, de la décision prise par le gouvernement de M. Parizeau quand on était dans le nord du Québec avec la nation crie pour LG 3, on a décidé de tout arrêter tant que nous n'ayons pas une entente de développement. Devrions-nous cesser toute espèce de développement de quelque nature que ce soit sur le territoire pendant que nous discutons d'une entente qui devrait nous conduire, nous l'espérons tous, vers un traité?

M. McKenzie (George): Je suis membre de la bande de Uashat-Maliotenam, membre aussi peut-être des descendants des gens de la rivière Moisie, comme des anthropologues le soulignent dans leurs études. Je pense que, si je regarde... moi-même, j'étais un élu de conseil de bande à Sept-Îles. J'ai représenté, j'ai été le représentant responsable de la négociation territoriale globale. Je me suis assis et j'étais là au moment où on a déposé la fameuse Approche commune qui émanait directement du gouvernement du Québec et non des parties. Ce n'est pas un document qui a été élaboré par toutes les parties, ça vient du gouvernement du Québec, l'Approche commune.

n (11 h 10) n

Mais, pour répondre à votre question concernant «devrions-nous développer pendant?», bien, je pense que, Sept-Îles, il est clair, au départ, il y a 20 ans, quand on a commencé à négocier, notre territoire était à peu près à 90 000 km² environ pour Uashat-Maliotenam. Au début de la négociation. Aujourd'hui, si on le regarde, il y a eu tellement de développement sur ce territoire-là, il nous reste peut-être à peine 5 % du territoire qui est non touché. Les territoires, et c'est vraiment spécifique à Uashat, il y a eu vraiment beaucoup de développement entre Schefferville et Sept-Îles où nous chassons, nous. Du développement, moi, ce que j'appelle du morcellement de territoire pendant la négo. On est en train de morceler le territoire à coups de développement forestier, minier. J'ai regardé dernièrement les quanta déposés de mon conseil à l'époque, en 1996, on était encore à la table de Mamuitun. Les fameux parcs innus, patrimoine innu. Si on regarde la circonscription du territoire, ça ne peut plus être un parc innu, Unifôret est là, vous lui avez accordé un CAAF. Notre parc innu, il est dévasté. C'est ça que ça fait. Il faut refaire l'exercice des quanta territoriaux, nous, si on revient à la table. Le territoire, il a été tellement dévasté en termes de foresterie, d'aluminerie. On a des mines où on ne voit pas ailleurs dans d'autres communautés, par exemple Mingan ou Natashquan. Il n'y a pas eu de développement dans leur territoire à eux. Mais, nous autres, Sept-Îles, il ne nous reste plus grand chose et je pense qu'il faut arrêter l'invasion. C'est à coup de vols à basse altitude, à coup de mines, à coup de... Ils n'ont pas vécu ça, les autres communautés composantes de la nation innue, mais Uashat... Je pense qu'il faut cesser, ça n'a pas de bon sens. On ne peut pas continuer à morceler le territoire pendant la négo comme ça. Je pense que ça s'en vient dangereux puis, je pense que, nous autres, on ne peut plus accepter ces choses-là. Puis, c'est pour ça que, peut-être, on commence à envisager un peu la voie des tribunaux parce que, à un niveau politique, ça continue.

On est sur un lieu de parole politique, ici. Tu sais, on dit ce qu'on a à dire ici, on fait de l'affirmation politique, Mme McKenzie et moi. Mais, on vient affirmer nos droits comme on le fait devant les tribunaux. Mais je pense qu'il faut cesser le développement économique des gouvernements parce qu'ils ont violé, affecté l'exercice des droits des Innus, en gros. Je pense qu'il faut regarder ça aussi là. Il faut qu'on ait des ressources nous autres aussi à la fin. Peut-être pas 3 %, comme on dit si bien, 3 %... On a fait le calcul vite. 3 %, je pense que la plupart des chefs innus n'ont pas accepté ça. Je pense que... Puis, on se pose la question d'où est-ce qu'elle vient cette équation-là? Comment vous avez fait pour calculer à 3 % des redevances des ressources naturelles? On ne sait pas d'où ça vient. Il y a beaucoup de choses qui se produisent pendant la négo. On est en train de nous éteindre. On est en train de... Il y a beaucoup de gens qui viennent de Schefferville, de chez nous, qui sont des parentés, des liens étroits qui sont venus vous dire: Ça fait 25 ans qu'ils crient pour le 2.14, rien n'a bougé à un niveau politique. Nous autres, on ne veut pas. La famille McKenzie ne veut pas se faire pogner sur le fait accompli.

Le Président (M. Lachance): Merci. Je dois céder la parole au député de Roberval. M. le député.

M. Laprise: Merci beaucoup, M. le Président. «Kuei, kuei», la famille McKenzie.

Je pense que vous avez parlé tout à l'heure de la reconnaissance des droits puis, ensuite de ça, également ce que c'est que vous avez vécu comme lutte pour garder votre droit de survie. Je pense que nous autres aussi, les Blancs, on l'a vécu. Je pense que vivre sa survie, ça a été de toutes les générations. Mais, je ne sais pas si vous êtes d'accord que, aujourd'hui, vivre et survivre, ce n'est pas avec les mêmes moyens qu'on avait voilà 50 ans. Moi, mon père n'a pas vécu comme moi. Moi, je n'ai pas vécu comme mon père. Mes enfants ne vivront comme moi mais ils sont obligés de lutter pour vivre aussi, mais pas avec les mêmes moyens que mon père avait, que moi j'avais. Et mes petits-enfants, ça va être sûrement différent.

Je vois Mme Sioui, qui est ici, aujourd'hui bien instruite. Et, moi, je peux vous dire que j'ai été pensionnaire aussi puis, si je n'avais pas été pensionnaire, je ne serais pas ici aujourd'hui, là, tu sais. Ça m'a... C'est sûr, ça a apporté des sacrifices à mes parents, des sacrifices à moi aussi mais il reste que ça fait partie de l'évolution des peuples, de tous les peuples.

Et je crois que les autochtones, comme les autres et les enfants autochtones d'aujourd'hui ne vivront pas de la même façon que leurs droits ancestraux. Ils ont encore des droits ancestraux mais ils ne les vivront pas de la même façon que nos ancêtres les ont vécus. Et vous êtes sans doute conscient de ça. Et vous apportez les mêmes objections qu'on entend aujourd'hui depuis le début de la session. Il y en a un qui dit: Vous nous enlevez tout. Puis, l'autre dit: Vous nous enlevez tout également.

Est-ce que, sur ce grand territoire-là, avec les droits ancestraux de chacun, est-ce qu'on est capable de vivre en paix dans la... tout en développant le Québec, le développement de vos territoires et les nôtre également?

M. McKenzie (George): Nous autres, c'est ce qu'on a essayé de faire avec les pourvoyeurs que vous avez accordés au lac Manitou, pourvoyeur. On a essayé de coexister harmonieusement avec lui. Mais, il semblait que le pourvoyeur, à l'intérieur des terres, il disait qu'on était en train de déranger son business. Quand, nous autres, il nous dérangeait, c'est notre droit à l'existence, de subsistance. C'est malheureux. Mais, si on regarde initiativement ? moi, je me rappelle j'avais 15 ans à l'époque où ça a commencé, les négociations, tout de suite après la grande recherche du Conseil Atikamekw ? il y avait des pourparlers, il y avait des chefs qui venaient chez nous, puis qui disaient: Allez voir le gouvernement s'il nous reconnaît nos territoires puis nos droits. C'était ça, le mandat qu'il y avait au tout départ. On est rendu que... Si on regarde aujourd'hui où est-ce qu'on en est rendu, on est en train de nous dépouiller de notre statut distinctif, puis en tant que peuple autochtone. Puis en tant que, aussi, on nous dépouille de notre autodétermination. Parce que, si on regarde votre document de l'Approche commune, on est en train de se faire dépouiller. J'entendais un ministre bloquiste dernièrement dire que, si on signe l'Entente, on va nous réduire à un pou de chagrin. Bien, nous autres, on est en train de nous dénuder de nos poux, je pense, avec votre Approche commune.

Le Président (M. Lachance): Merci. Je vais maintenant permettre au porte-parole de l'opposition officielle et député de Jacques-Cartier de poursuivre les échanges. M. le député.

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, bienvenue à Mme McKenzie, M. McKenzie, Me Trudel pour votre contribution aujourd'hui. Peut-être commencer avec une nuance. M. McKenzie, vous avez parlé que, pendant la commission, on a parlé beaucoup de l'affrontement. Moi, je dirais le contraire. Moi, j'ai trouvé qu'on avait des divergences d'opinions qui étaient exprimées par des groupes qui viennent d'origines très différentes: les associations de chasse, pêche, trappe, les municipalités, les syndicats, les conseils de développement, les représentants des nations innues, etc. Alors, une grande divergence d'opinions, mais on n'a pas parlé d'affrontement. Et vraiment, qu'est-ce qu'on a dit? On a comme deux choix, soit recours aux tribunaux... On peut toujours, comme élu, prendre ? pour moi ? la voie facile et dire: On a trois niveaux de cours, et ça peut prendre des années, et même votre propre dossier à vous, sept ans après, on n'est pas plus avancé. Alors, je pense que ça témoigne quand même que la voie des cours est limitée. Alors, qu'est-ce qu'on a dit plutôt? Qu'on va essayer de s'asseoir autour d'une table et régler ces choses, parce que même votre exemple de pourvoirie, je pense, il est bon, que, dans l'absence de règles claires, les uns accusent l'autre de ne pas respecter leurs droits. Alors, on est dans une situation où tout le monde est brimé, les règles du jeu ne sont pas très claires. Alors, je comprends, et vous avez évoqué aussi dans vos commentaires l'importance de la culture, l'importance de la langue, le financement, et ils sont tous des éléments qu'on trouve dans l'Approche commune.

Alors, c'est quoi, selon vous, les problèmes principaux avec l'Approche commune? C'est quoi? Parce que j'essaie de voir si ce n'est pas par cette voie-là, on peut fermer la shop un autre 20 ans, attendre qu'un tribunal ou un autre tribunal va se pencher. Mais je pense que, tôt ou tard, un jour, c'est aux élus, aux représentants d'essayer, dans une manière efficace, d'arriver avec une entente où les règles du jeu soit pour la chasse et pêche, soit sur la protection de l'environnement vont être connues et claires pour tout le monde. Et, si ce n'est pas l'Approche commune, qu'est-ce que vous proposerez?

M. McKenzie (George): Moi, je pense, si on regarde un peu le processus de négociations, si on regarde l'Approche commune, comment qu'elle est arrivée sur la table, je pense qu'elle vient directement, comme je vous l'ai dit, du gouvernement du Québec. Pour nous, en tout cas, en ce qui a trait à Mme McKenzie puis la famille McKenzie ? parce que c'est la mère de clan chez nous ? je ne parlerai pas pour elle, peut-être, mais, quand même, elle, c'est sûr que l'Approche commune, ça ne lui fait pas son affaire. C'est une reconnaissance formelle qu'elle veut avoir devant les tribunaux, puis elle vient vous dire, comme on a dit, que cette entente-là ne nous lie pas, parce qu'on n'a jamais consenti à ça.

n (11 h 20) n

Par contre, aussi, si on regarde la politique de revendications territoriales, nous autres, à la cour, les avocats du fédéral nous disent, quand ils parlent des négociations: Nous autres, le fédéral, on veut négocier avec la nation avec tout son territoire. Mais Chevrette, quand il est arrivé avec Louis Bernard, il voulait négocier bande par bande, secteur par secteur. C'est là, au moment où ça ne fait pas notre affaire au niveau du processus de négociations, on dit à ce moment-là que la négociation n'est pas de bonne foi, parce qu'on a deux approches: une approche qui est fédérale, la nation avec son territoire, puis le Québec arrive: Moi, je suis prêt à négocier bande par bande, secteur par secteur, comme ils l'ont fait dans Natashquan quand vous avez signé la scierie puis la foresterie qui va avec. Je pense que Mamuitun, avec quatre composantes de la nation innue, ce n'est pas la nation. On est en train, je pense, de violer les règles de jeu concernant les principes de négociations qu'on a établis, au tout départ, dans la négociation, dans l'entente-cadre. Vingt ans plus tard, M. Chevrette arrive avec Louis Bernard, c'est un autre processus, d'autres principes de négociations qui n'ont pas été discutés entre les parties qui sont à la table. Ça a été unilatéralement du gouvernement du Québec. Approche commune, c'est quand Louis Bernard est venu avec ça. Je ne le sais pas s'il est venu dans le même esprit que la fusion des villes, des municipalités chez vous, mais je dois vous dire qu'ici, nous autres, on n'est pas des municipalités, on est des composantes d'une nation. Je pense que l'exercice de Louis Bernard, ce n'est pas le même exercice que la fusion des villes dans la province de Québec. Il essaie de faire la même chose. Je pense que, moi, là, on est loin de faire une fusion des... On n'est pas des villes ni des municipalités, on est des composantes de la nation. On est une nation qui est divisée, mais on est loin d'être des municipalités. Je pense que la formule Chevrette-Bernard, je pense qu'il faudrait revoir ça un peu. C'est dans cet aspect-là que je vous réponds, monsieur.

M. Kelley: Je comprends mais, par contre, il n'y aura jamais un traité parfait ou une entente parfaite. Ça, n'existe pas. C'est toujours basé sur un compromis. J'ai quatre communautés... parce que je comprends fort bien. L'idéal, un traité pour la nation innue. Je pense qu'il n'y a personne qui peut contester ça comme but ultime de la démarche. J'accepte ça à 100 %. Mais, je regarde 23 ans après, il y a quatre communautés qui ont manifesté un certain intérêt pour aller de l'avant maintenant. Les trois autres, qui sont venues de l'est de La Romaine, etc., avaient des bémols. Le contexte de Scherfferville?Matimekosh fort complexe à cause des chevauchements avec la Convention de la Baie James et votre situation, à vous, au Uashat-Maliotenam où c'est compliqué aussi.

Alors, est-ce que je dis aux quatre: On va tout suspendre tant et aussi longtemps que les neuf ne sont pas à la table qui, à mon avis, peu prendre un autre 23 ans? Ou est-ce que je commence... Je pose la question. Je partage entièrement votre perspective dans le meilleur des mondes tout comme les Cris où les neuf communautés cries sont partenaire dans la Convention de la Baie James, les 14 villages nordiques inuits sont les partenaires dans la Convention de la Baie James dans l'idéal. Mais est-ce que je risque d'attendre un autre 25 ans et les enjeux que vous avez décrits comme la protection culturelle, la protection de la langue, la protection de l'environnement, comment on va financer, comment on va dédommager les nations innues? On va tout mettre ça en suspens d'un autre 25 ans? Moi, j'aime les choses qui sont pratiques. Moi, je pense, sur l'ensemble du leadership, à la fois innue et leadership Québec et le leadership canadien, il y a une obligation de résultat. Je pense que les citoyens disent: «Enough is enough.» 23 ans après je pense que les enjeux sont là. Je pense qu'on a fait la preuve que le statu quo n'est pas une option. Alors, il faut nous donner des résultats. Et, si j'accepte votre processus, que je comprends, ma crainte, c'est: Ça va être un autre 25 ans et vous serez l'aîné la prochaine fois qu'on va tenir une commission parlementaire ici.

M. McKenzie (George): Je vais vous répondre. Au moment où j'étais conseiller responsable de la négociation territoriale pour Uashat-Maliotenam, on avait développé... nous, ce qu'on a vu, quand Louis Bernard est arrivé avec l'Approche commune, on se sentait imposer un modèle de traité à la Nisga'a, le dernier traité. Mais on se disait que les peuples autochtones qui sont en négociation peuvent bénéficier du travail déjà accompli à travers le Canada en matière de traité contemporain. Nous, on avait choisi... Le gouvernement du Québec est arrivé, nous a imposé un modèle de traité qui est l'Approche commune, mais, nous autres, Uashat, quand j'étais là, représentant, on était en train de développer un modèle de traité qu'on avait regardé à l'intérieur de l'État canadien, celui qui allait répondre réellement aux perspectives des Innus d'Uashat, puis on l'avait trouvé, on l'avait développé. Au moment où on a voulu le déposer à la table de négociations, on nous a dit: Non, c'est celle-là que vous devez prendre. On vous impose un modèle qui est l'Approche commune aujourd'hui, qui est similaire à l'entente Nisga'a où le modèle de certitude nous pose de sérieux problèmes. On parlait, il y a quelques jours, du fameux rapport des juristes de la table centrale de négociations, tu sais, qu'il y avait extinction avant 1982, puis après 1982, on nous arrive avec une nouvelle notion de certitude qui est la renonciation à nos droits. Vous ne pouvez plus éteindre nos droits mais vous nous demandez de renoncer à nos droits en échange, en contrepartie de valeurs. Tu sais, l'effet est le même pour nous.

Il y a beaucoup de choses... on nous impose, comme je disais, des modèles de traité. On nous imposé... puis à l'époque où j'étais responsable de la négociation territoriale pour Uashat-Maliotenam, je n'avais jamais mis la notion de négocier de côté. On a toujours été prêt à discuter, à avancer le processus de négociations. Mais, au moment où nous impose un modèle, là ça vient... ça frappe dur, avec une notion de certitude, comme il était là au début. Je pense qu'on ne peut pas faire comme les Nisga'a, renoncer à nos droits puis... on ne peut pas faire ça. Du moins, la famille McKenzie est loin de renoncer à ses droits. On vise la reconnaissance de ces droits-là puis la protection et le respect de ces droits-là. Je pense qu'à l'époque il n'y avait pas d'ouverture. Chevrette, il nous a imposé son Approche commune: C'est ça ou rien.

Où elle est, l'ouverture d'esprit de négocier puis de discuter d'autres modèles de traité qu'il y a à travers le Canada que la bande d'Uashat peut prendre comme modèle puis le développer jusqu'à ce que cela ressemble à lui, dans ses perspectives réelles des Innus d'Uashat? Je pense qu'il n'y a pas juste le traité de Nisga'a comme modèle, puis il n'y a pas juste la Convention de la Baie James, il y en a d'autres. On a déjà signé plusieurs traités, on a travaillé là-dessus. Ici, au Québec, ça ne semble pas être le cas. On nous impose un modèle, c'est ce que je dois dire ici, moi.

M. Kelley: Juste en terminant, M. le Président, comme représentant de quatre villes fusionnées, je comprends fort bien c'est quoi, d'être devant le fait accompli par M. Bernard. Alors, merci beaucoup.

Le Président (M. Lachance): Alors, merci beaucoup, M. George McKenzie, Mme Philomène McKenzie et Mme Hélène Sioui Trudel, pour votre participation aux travaux de cette commission. Merci.

Et, là-dessus, je suspends les travaux jusqu'à 14 h 30 cet après-midi. 14 h 30.

(Suspension de la séance à 11 h 28)

 

(Reprise à 14 h 36)

Le Président (M. Gautrin): Avancez, chers amis. Merci. Alors, la commission reprend ses travaux.

Et nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur l'Entente de principe d'ordre général entre les premières nations de Mamuitun et Nutashkuan et le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada.

Nous allons écouter M. Charest, Paul Charest, à 14 h 30 ? c'est vous, M. Charest? ? avec plaisir. On a une heure pour écouter votre témoignage, partagée de la manière suivante: 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, 20 minutes pour les questions venant de députés ministériels et 20 minutes pour les questions en provenance des députés représentants l'opposition officielle.

Sentez-vous à l'aise. Le décor a l'air un peu impressionnant, mais on est ici strictement pour entendre les citoyens et c'est pour ça qu'on est heureux de vous accueillir ici.

Alors, M. Charest, vous avez 20 minutes pour nous présenter votre mémoire.

M. Paul Charest

M. Charest (Paul): Merci, M. le Président. M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, j'ai intitulé mon mémoire Du nomadisme à l'Approche commune: un projet social pour les Innus.

D'abord, laissez-moi vous présenter les raisons pour lesquelles je suis devant vous aujourd'hui. Je suis professeur d'anthropologie à l'Université Laval depuis 33 ans, dans ma 34e année, et, à ce titre, depuis de nombreuses années, je donne des cours dans le cadre d'un programme d'Études autochtones que nous avons à l'Université Laval, les cours Anthropologie des Amérindiens, aussi Autochtones contemporains et Développement économique autochtone. Je donne aussi, au niveau gradué et sous-gradué, un cours d'anthropologie appliquée qui est pour former, disons, les jeunes anthropologues à travailler dans différents milieux, dont le milieu autochtone.

J'ai surtout été impliqué dans le processus de négociations des Innus avec le Conseil Attikamek-Montagnais, entre 1976 et 1990. J'ai été conseiller scientifique et directeur de recherche pour le Conseil et j'ai été celui qui a supervisé sur le plan scientifique l'étude sur l'occupation et l'utilisation du territoire, qu'on appelle la grande recherche ? on y a fait référence ce matin et à d'autres occasions ? qui a délimité l'ensemble des territoires utilisés et occupés à la période contemporaine par les Innus.

Je fais aussi partie du GETIC, groupe de recherche de l'Université Laval, qui se spécialise dans les études autochtones, d'abord dans le nord et maintenant aussi dans différents continents et dans différents pays. Donc, le GETIC regroupe une douzaine de professeurs-chercheurs, de nombreux professeurs associés, quelques dizaines d'étudiants qui travaillent essentiellement sur des questions autochtones. Donc, nous avons acquis une très grande expertise que nous partageons lors de différents colloques, congrès, échanges, séminaires, bon, échanges informels aussi entre nous, donc. Et, de même, mes connaissances, mes interventions bénéficient aussi de ces échanges entre collègues. Mais je ne suis pas ici au nom du GETIC, même si le GETIC était invité: je suis ici en mon nom personnel et en vertu de l'expérience que je vous ai mentionnée tout à l'heure.

n (14 h 40) n

Donc, dans mon mémoire, j'ai deux grandes parties, mais l'objectif du mémoire, c'est de voir avec vous comment les Innus en sont venus à s'engager dans une entente basée sur une approche, l'Approche commune. Et je voudrais parler de deux sujets: d'abord, quels ont été les changements structurels qu'ont connus les Innus et, d'autre part, comment, à travers l'Approche commune, ils pensent à obtenir certains objectifs qu'ils avaient au tout début de la négociation, il y a quelque 23 ans, comme on vient de mentionner, à plusieurs reprises.

Dans une perspective évolutionniste, comme je le mentionne dans l'introduction de mon mémoire, qui est ancrée plus ou moins profondément dans notre façon de penser, les ancêtres des actuels Innus étaient des malheureux primitifs auxquels nous avons apporté les bienfaits de la civilisation, qui n'avaient rien de mieux à faire que de devenir comme nous, c'est-à-dire de s'assimiler. Mais les Innus eux-mêmes ont toujours pensé autrement, ils ont voulu conserver leur identité et ont résisté de différentes façons à l'assimilation tout en adoptant et en adaptant certaines composantes des cultures européennes avec lesquelles ils sont entrés en contact, en particulier la technologie et la culture matérielle.

Toutefois, au fur et à mesure que les contacts se sont multipliés et prolongés, que des structures politiques nouvelles ont été imposées aux Innus comme aux autres groupes autochtones, les structures sociales propres à ces groupes ont été transformées, de gré ou de force, tout en conservant de nombreux éléments et valeurs propres aux groupes de chasseurs nomades.

La déstructuration n'a jamais été complète et la restructuration imposée n'a jamais non plus donné des résultats intéressants. En conséquence, la nécessité de mettre en place de nouvelles structures répondant aux besoins des actuels Innus de redéfinir leur rapport avec l'ensemble des Québécois et des Canadiens s'impose plus que jamais. C'est ce à quoi veulent parvenir les Innus depuis le début de leurs négociations globales entreprises il y a plus de 20 ans maintenant. Quelles étaient les anciennes structures sociales des groupes innus, comment se sont-elles transformées dans le contexte de ce qu'on appelle souvent le colonialisme interne et quelles sont les nouvelles structures que veulent mettre en place les Innus par l'Approche commune? Voilà les différents points que j'aborderai dans la suite de mon mémoire.

Donc, dans le premier point, comme vous avez pu le voir à la lecture, je parle... je décris de façon très, très synthétique les structures traditionnelles des communautés innues ? on les appelait les bandes aussi, on les qualifie souvent de sociétés communautaires ? au moment du contact. Et là, il y a toute une série de caractéristiques; je ne vous en donnerai pas l'énumération, mais c'est sûr que les Innus faisaient partie de sociétés de bande, donc de sociétés nomades, de sociétés dont la mobilité territoriale était fondamentale: mobilité saisonnière, mobilité annuelle, interannuelle. Ils exploitaient une variété de gibiers ? terrestre, aquatique, etc. ? et la famille ou le groupe multifamilial ou la bande locale étaient les unités de base structurelles de ces groupes-là. Et évidemment, la parenté était aussi au centre des rapports sociaux.

Bon, je vais sauter un certain nombre de caractéristiques. Bon, ils avaient leur propre mécanisme de règlement des conflits, entre autres de façon orale ou par fission des groupes, et, au niveau des valeurs, les valeurs, là ? comme on a mentionné ce matin dans le témoigne de Mme McKenzie, de Uashat ? des valeurs d'entraide et de partage étaient au centre de l'idéologie et assuraient la redistribution des ressources et des produits de la chasse et de la pêche, en fonction des besoins.

Donc, en résumé, les bandes innues constituaient de véritables sociétés complètes, autonomes et entièrement responsables. Mais, avec le contact, suite aux contacts avec les Européens ? on a mentionné ce matin un choc culturel ? il y a eu des transformations importantes au niveau de structures qui se sont réalisées. Donc, il y a eu des facteurs de ces transformations-là et il y a eu, donc, des étapes dans la transformation pour en venir à la longue à la situation actuelle.

Donc, dans le deuxième chapitre de mon mémoire, je fais référence aux transformations structurelles qu'ont connues les groupes innus et en particulier aux facteurs de transformation. Je ne vais que les énumérer avec vous: donc la traite des fourrures ? donc ça a été, bien sûr, un contact avec l'économie d'échanges à longue portée, sur des grandes distances aussi; l'évangélisation et le rôle des missionnaires; les épidémies qui, bien sûr, ont diminué, disons, la démographie de ces groupes-là de façon souvent importante; l'exploitation forestière, plus récemment, et la colonisation agricole au Saguenay?Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord; les aménagements hydroélectriques ? là on arrive au XXe siècle; et, surtout, je voudrais souligner les rôles législatif et administratif du gouvernement fédéral, entre autres par la Loi sur les Indiens, le ministère des Affaires indiennes, le système des réserves et ainsi de suite, et aussi le rôle législatif et administratif du gouvernement du Québec qui, par sa juridiction sur les terres, les ressources, a favorisé aussi l'envahissement des terres innues et l'exploitation des ressources de celles-ci. Et c'est pour ça que, encore aujourd'hui, comme on a vu dans une série d'audiences ici, les Innus, par des témoignages, ont fait part d'un certain ressentiment à la dépossession, ce qu'ils appellent la dépossession territoriale, qui a été favorisée par des législations ou des règlements du gouvernement du Québec.

Donc, la combinaison de ces différents facteurs là dans le temps et les différentes interventions et de nombreux effets déstructurants sur les divers groupes innus et un processus de changement structurel a été caractérisée par le passage d'abord de la bande locale, autonome, communautaire, à la bande du poste de traite et, ensuite de ça, à la bande administrative du ministère des Affaires indiennes. On peut dire que c'est la structure qui existe encore aujourd'hui parce qu'elle est reliée maintenant par des autochtones qui occupent eux-mêmes les postes dans ces structures-là.

Donc, je parle aussi de ces différentes transformations structurelles, je les caractérise rapidement. Je vais simplement vous les énoncer pour passer au coeur de mon mémoire. Donc, les principales transformations structurelles qu'ont connues les Innus, au même titre que les autres groupes amérindiens du Québec et du Canada, sont les suivantes: la création des réserves, le mise en place des conseils de bande, la sédentarisation graduelle des groupes de chasse, l'instauration des réserves à castors ? ça, c'est particulier au Québec ? la scolarisation obligatoire avec les pensionnats comme instrument privilégié d'éducation et de transmission des connaissances ? on en a parlé lors de la première séance, on en a parlé aussi ce matin. Donc, voilà brièvement dit... mais, dans mon mémoire, j'ai quelques paragraphes expliquant chacune de ces transformations structurelles. De toute façon aussi, c'est revenu à plusieurs reprises tout au courant des débats de la commission.

Donc, si on veut dresser un bilan de ces transformations structurelles qu'ont connues les Innus, on peut le faire de la façon suivante ? je le fais au point 2.6 de mon mémoire: à travers leur histoire ancienne mais surtout plus récente, soit dans la seconde partie du XIXe siècle et du XXe siècle, les communautés innues ont donc connu des changements structurels majeurs le plus souvent imposés de l'extérieur et qui les ont menés dans une situation peu désirable dont ils veulent se sortir depuis de nombreuses années déjà. Dans un contexte de rapport politique inégalitaire propre au colonialisme interne, caractérisé par la Loi sur les Indiens, la mise en réserve et l'administration des conseils de bande sous supervision du ministère des Affaires indiennes, ils ont été rendus irresponsables ? et j'appuie là sur le mot «irresponsables» ? de leurs propres affaires et acculés à la dépendance. À long terme et après quelques générations de cette situation, ils se sont retrouvés dans une situation d'anomie, de perte identitaire et de graves problèmes sociaux affectant en particulier les jeunes générations qui ont perdu confiance en l'avenir. Les taux de suicide effarants ? mais ça, ça a été mentionné à plusieurs reprises ? relevés dans certaines communautés innues, dont celle de Mashteuiatsh et de Betsiamites, sont les indicateurs les plus frappants de cette situation que les Innus veulent renverser par leur projet social contenu dans l'Approche commune.

Donc, je passe à la principale partie et dernière partie de mon mémoire, M. le Président. Ce que j'ai essayé de faire, c'est de mettre en relation, disons, les objectifs qu'avaient les Innus au début de la négociation et comment ils ont pu en réaliser une partie par un compromis à l'intérieur de l'entente de l'Approche commune. Donc, je fais référence aux débuts du Conseil Atikamekw, en 1976, à la création qui réunissait le Conseil Attikamek-Montagnais, deux nations qui se sont réunies pour amorcer éventuellement, suite à la Baie James, des négociations avec les gouvernements pour régler le contentieux territorial. Et, en 1979, en mai 1979, le Conseil Attikamek-Montagnais a déposé un énoncé de revendications au gouvernement fédéral, qui contenait dans sa conclusion 11 principes donnant les grandes orientations qu'on voulait donner, que les Innus voulaient donner à leurs négociations, les Innus et les Attikameks à l'époque.

Et j'ai résumé, dans mon mémoire, ces 11 grands principes, ce n'est pas 15, mais peut-être que le gouvernement du Québec en a ajouté quelques-uns ? c'est venu un petit peu plus tard, en 1983 ? mais les 11 principes, je les résume de la façon suivante: d'abord, le droit à disposer de soi en tant que peuple distinct et autonome; la reconnaissance des droits de souveraineté sur les territoires ancestraux; la non-extinction des droits ancestraux; des dédommagements pour les développements passés; un droit de veto sur les nouveaux développements tant que les droits ancestraux n'auront pas été reconnus; le contrôle de l'exploitation des terres et des ressources; la préférence accordée au développement des ressources renouvelables; l'utilisation des revenus tirés de l'exploitation des ressources pour s'assurer un développement économique, social et culturel viable; la prise en main de tous les aspects du développement; l'orientation du développement en fonction des valeurs traditionnelles et en harmonie avec le milieu naturel et social; finalement, l'établissement de rapports égalitaires avec les gouvernements et l'ensemble des citoyens.

Donc, on sait ? et ça a déjà été mentionné ? qu'en 1982 la Constitution canadienne reconnaissait les droits ancestraux issus de traités, et j'ai mentionné déjà la reconnaissance, par le Conseil des ministres, de 15 principes. On reconnaissait, disons, les droits, un certain nombre de droits aux autochtones, entre autres le droit à se développer, les droits culturels et ainsi de suite.

n (14 h 50) n

Donc, je vais m'attarder dans la dernière partie du mémoire, comme je le disais, à mettre en parallèle les objectifs et ce qu'on peut retrouver comme contenu général dans l'entente de principe. Donc, le premier point majeur qui m'apparaît par rapport à l'ancienne politique fédérale concernant les revendications territoriales globales, c'est la reconnaissance des droits aboriginaux, au lieu de l'extinction. Pendant 20 ans au moins, je sais de l'intérieur que beaucoup de nations à travers le Canada ont combattu ce principe d'extinction, et ça a pris beaucoup de temps au gouvernement fédéral, et ça m'a beaucoup, même, surpris que le gouvernement fédéral accepte finalement que dans une entente il n'y ait plus le principe d'extinction des droits. Mais, déjà en 1995, le juge Hamilton, qui avait présidé une commission justement pour enquêter sur la politique d'extinction des droits, avait écrit ceci: «Une des caractéristiques essentielles de cette nouvelle façon de voir est la reconnaissance des droits ancestraux. À long terme, cette reconnaissance assurera aux peuples autochtones le respect qu'elles ? là, il y a une erreur, d'accord? ? méritent et confirmera la place qu'elles occupent dans l'histoire du Canada. La reconnaissance des droits ancestraux dans un traité ne doit pas inquiéter les autres Canadiens, étant donné que le document confirmera également l'engagement solennel de la nation autochtone et du gouvernement de respecter les droits existants de chaque partie, tels que définis dans le traité.»

Un deuxième aspect majeur de l'entente ? ou du projet d'entente, plutôt ? c'est celui du contrôle des territoires et des ressources et des revenus à en tirer. Donc, dans le chapitre IV, le régime territorial reconnaît des droits de pleine propriété sur Innu Assi en particulier. Donc, le système des réserves se trouve aboli, tel que stipulé à l'article 4.4. Ça a déjà été mentionné à quelques reprises. Il y a aussi des superficies de terre quand même très limitées. Il y en a qui trouvent que c'est exagéré. Pour constituer une assise territoriale et de ressources, je crois que c'est relativement limité, les Innu Assi. Mais, sur ces terres-là comme sur les Nitassinan, les Innus reconnaissent maintenant la souveraineté du Québec. Donc, je considère que c'est un compromis majeur qu'ont fait les Innus par rapport à leur objectif de souveraineté sur les terres ancestrales.

Je vais passer sur d'autres avantages d'autres clauses mentionnées dans l'entente de principe: un pourcentage non pas sur les rentes sur les ressources, mais sur les rentes que le gouvernement obtient des ressources. Donc, c'est divisé par deux ou par quatre, là, donc, c'est loin d'être des rentes très, très faramineuses, comme on a pu le laisser entendre: c'est quelques millions pour l'ensemble des Innus.

Je passe rapidement sur ce point-là sur lequel on a beaucoup insisté tout au long des audiences pour passer à la pratique des activités traditionnelles qui sont reconnues, dont les droits des Innus sont reconnus dans le chapitre V à travers l'appellation Innu Aitun. Donc, il s'agit d'un autre élément majeur du projet social des Innus, qui vise à conserver des pratiques culturelles et des valeurs au coeur même de leur identité malgré le fait que la dimension économique des activités ait perdu beaucoup d'ampleur en raison de la situation périclitante des marchés des fourrures. Par contre, l'aspect alimentaire de ces activités garde toujours sa raison d'être à la fois pour des raisons culturelles, économiques et de saine nutrition.

Un autre point que j'aborde dans mon mémoire, M. le Président, ça concerne le développement économique, social, culturel et ainsi de suite, donc le développement global, comme je l'appelle dans mes mémoires. Donc, si le projet social des Innus accorde beaucoup d'importance au développement économique, ce n'est pas uniquement par sa connotation intrinsèque, mais parce qu'il apparaît comme une condition sine qua non pour assurer un développement global des communautés à tous les niveaux de leur réalité, c'est-à-dire social, culturel, politique et ainsi de suite, comme je le mentionnais. Il vise aussi à sortir les communautés innues de la situation économique précaire dans laquelle elles se retrouvent depuis les tout débuts de leur existence par des mesures appropriées en termes de revenus individuels et collectifs, de développement des activités économiques et de l'emploi, de projets de développement locaux de création d'entreprises et ainsi de suite. Donc, il y a plusieurs chapitres dans l'entente, quatre chapitres, qui traitent d'arrangements financiers, de financement, de fiscalité, développement socioéconomique, etc.

Il y a des montants qui sont mentionnés qu'on a trouvés très importants, dans les centaines de millions. Mais ce qui n'est pas mentionné, c'est la base de ces calculs, même s'il a été dit ? mais en dehors de l'entente ? que c'est l'entente de la Baie-James qui a fourni, disons, le ratio du calcul de ces retombées, ces redevances puis ces compensations. Mais ce que je ne sais pas, c'est l'adéquation entre ces montants-là et les besoins ? si le calcul a été fait ? parce qu'il est prévu qu'il y a des montants supplémentaires qui continueront à être ajoutés pour assurer des services et ainsi de suite, comme le fait actuellement le ministère des Affaires indiennes. Moi, ma crainte, si on continue à avoir... si les Amérindiens continuent à avoir un lien de dépendance fiduciaire, là, vis-à-vis du gouvernement fédéral, c'est qu'ils ne puissent pas atteindre l'autonomie la plus complète possible, là, au plan financier, qui serait un objectif et qui était l'objectif à atteindre.

Le Président (M. Gautrin): M. Charest, je suis chargé de veiller au temps, et si vous pouviez arriver à votre conclusion, parce qu'il nous reste peu de temps.

M. Charest (Paul): D'accord. Bon, dans un cinquième point, je parle de souveraineté et d'autonomie des gouvernements locaux. On en a parlé tout au long de la commission; je vais sauter cette partie-là. Bon, entre autres, on souligne les nouveaux pouvoirs législatifs, exécutifs, judiciaires qu'auraient les conseils de bande et qu'ils auraient sûrement une plus grande autonomie. Un peu une de mes craintes, c'est de voir la multiplication de gouvernements locaux sans qu'il y ait un gouvernement suprarégional où la nation innue, etc., qui permettrait, disons, d'harmoniser ? on l'a déjà mentionné ? l'ensemble de ces gouvernements-là et d'avoir un message un peu unique, là, vis-à-vis des non-autochtones qui voudraient, disons, travailler ou aller ou avoir des activités ou des relations d'affaires avec les gouvernements amérindiens.

Ma conclusion, je vais la résumer en lisant un paragraphe. Donc, dans la conclusion, je fais un petit bilan de ce que je viens de dire, mais je vais terminer en lisant ce dernier paragraphe: Toutefois, autonomie ne veut pas dire isolement et les Innus auront besoin de la collaboration des citoyens du Québec, et en particulier de leurs voisins des régions du Saguenay?Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, pour réaliser leur projet social. L'entente de principe qu'ils ont signée constitue, en fait, un nouveau pacte social qu'ils proposent à l'ensemble des Québécois, et plus particulièrement aux résidents des deux régions susmentionnées, pour que ce projet soit réalisé conjointement et non pas imposé.

Nous avons vu précédemment que les Innus ont renoncé à certaines de leurs revendications préliminaires identifiées dans leur énoncé de revendications déposé en 1979. La mise en oeuvre de l'entente affectera aussi certaines personnes, groupes ou organisations non autochtones à l'intérieur des Innu Assi ou d'un Nitassinan. Le projet d'entente n'étant pas nécessairement parfait ni complet, à cette étape-ci des négociations, il y aura certainement des ajustements à faire et surtout des précisions à apporter pour que l'entente finale apparaisse davantage acceptable sinon à tous, du moins à la très grande majorité des Innus, des résidents des régions concernées et des citoyens du Québec.

Toute négociation est un compromis, et je crois sincèrement que, dans ses grandes orientations, l'entente de principe découlant de l'Approche commune constitue un nouveau contrat social et représente un compromis honorable pour tous, permettant aux Innus de prendre en main leur destinée. Voilà, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Nous allons commencer la période d'échange, et je passerai la parole au ministre et député de Rouyn-Noranda?Témiscamingue. M. le ministre.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Souhaiter la bienvenue au professeur Charest. Merci beaucoup d'avoir pris ce temps personnel, cette période de réflexion, pour nous soumettre vos réflexions et également nous informer davantage sur les pas historiques, les pas historiques qui ont été franchis par les communautés de la nation innue, pour expliquer et mieux comprendre les fondements de pourquoi rechercher un projet d'entente et sur quels fondements devons-nous appuyer notre travail pour en arriver à un traité de paix, de respect et de développement avec ces nations. Alors, merci.

Votre connaissance, votre connaissance pratique aussi... On le voit, dans votre carrière vous avez travaillé de très près avec Attikameks et Montagnais, les Innus et les Attikameks. Alors, ça nous fait faire des progrès non seulement dans la connaissance, mais dans la compréhension de pourquoi chercher à atteindre ces objectifs qui, finalement, ne sont pas énormément différents, sinon point différents, de ce que recherchent les nations de la terre: la capacité d'assumer pleinement leurs responsabilités et surtout, et surtout, de prendre des dispositions afin de contrôler, de maîtriser et de dessiner l'avenir pour assurer la pérennité de la nation et son développement, le développement des individus aussi qui composent cette nation.

n(15 heures)n

M. Charest, professeur Charest, comme anthropologue ? et vous nous en fixez un certain nombre de balises ? vous connaissez donc probablement, j'imagine, assez par coeur en quelque sorte ces écoles de pensée qui se sont manifestées depuis que nous discutons de ce projet d'entente de principe davantage publiquement. Les tenants de certaines thèses, se fondant sur la non-capacité de faire la démonstration de l'occupation continue du territoire, en arrivent à la conclusion que, donc, il n'y a pas à travailler sur la reconnaissance et sur la définition des règles pour l'exercice de droits ancestraux.

On voit d'évidence que vous n'êtes pas de cette école de pensée, mais j'aimerais que vous nous en ajoutiez davantage au niveau de l'argumentation du point de vue anthropologique et de votre connaissance que vous avez non seulement de la nation, mais du droit en cette question et des écoles de pensée en histoire. Est-ce que la démonstration de l'occupation continue du territoire est, pour vous, une condition sine qua non? Et, deuxièmement, quant à cette occupation, quelle est votre position à vous, comme anthropologue, comme scientifique, dans cette question?

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): M. le ministre, vous m'engagez sur un sujet qui prendrait énormément de temps à débattre, et j'avais voulu l'éviter justement dans mon mémoire. J'ai songé avec différentes possibilités de mémoires et c'en était une, possibilité, mais je me suis dit qu'on n'en sortirait vraisemblablement pas. Et, en quelques minutes, c'est bien difficile de faire le tour de la question.

Même si je ne suis pas historien, j'ai lu une grande partie des documents sur lesquels se fondent des historiens pour dire que les Innus seraient disparus ou auraient été déplacés et qu'en conséquence ils n'auraient plus de droits aboriginaux, en tout cas plus de droits territoriaux. Et j'ai même écrit dans les journaux à ce sujet-là, j'ai même répondu dans des revues scientifiques à des thèses dans ce sens-là. Et on a voulu opposer les historiens et les anthropologues, mais il y a beaucoup d'historiens aussi qui ne tiennent pas, disons, le même discours que certains historiens.

J'ai lu, donc, les travaux de M. Bouchard, j'ai lu aussi les travaux de M. Dawson, plus récemment, et je n'arrive pas aux mêmes conclusions. C'est relativement peu différent de ce qu'avait fait Raynald Parent, dans les années soixante-dix, travaillant pour le gouvernement. Et on reprend à peu près les mêmes données, mais, des fois, avec des conclusions différentes. Raynald Parent n'est jamais allé aux conclusions qu'ont tirées M. Bouchard et M. Dawson. Donc, il y a des contradictions certainement entre les historiens eux-mêmes sur l'interprétation des sources.

Et c'est ça, je pense, qui est le fondement des thèses négationnistes, disparitionnistes ou déplacementistes, comme on pourrait les appeler, c'est l'approche que l'on a vis-à-vis les documents. Et on peut les interpréter dans le sens... Ce n'est pas absolu, les sources écrites, là, tout n'est pas là, là. D'abord, les Innus ne sont pas là-dedans, là, c'est une vision extérieure aux Innus qui est véhiculée par des témoignage à certaines périodes, par certaines personnes qui étaient là, qui étaient près, qui étaient loin. Ils n'étaient pas partout, ils n'ont pas tout vu. Donc, on peut se poser beaucoup de questions sur la valeur de toutes les sources qui sont citées.

Moi, j'ai toujours cru, à travers les documents, qu'il y a eu une occupation, une utilisation continue par un ensemble de groupes appelés Montagnais, un groupe social et culturel qui s'étendait sur des grandes superficies. Même s'il y a eu des avatars, localement, il y a toujours une continuité d'occupation-utilisation du territoire, malgré la présence de la traite des fourrures, des missionnaires et surtout des épidémies qui ont fait des ravages, comme partout dans l'Amérique du Nord d'ailleurs. Tous les groupes amérindiens ont subi les même... comment on appelait ça, là? pas un génocide, mais le même effondrement démographique. Donc, ce n'est pas particulier aux Innus. Et si on faisait l'histoire des Cris, on arriverait peut-être à ça, mais on ne remet pas en question l'Entente de la Baie James.

Donc, selon moi, il existe aujourd'hui un ensemble de communautés qui partagent une langue commune et qui ont des traditions culturelles communes depuis des générations et des siècles, et c'est de ça dont on va partir, pas essayer de reconstituer de façon négative certaines périodes de l'histoire pour essayer à tout prix... Je pense que ça veut dire qu'on ne veut pas avoir de rapports sociaux équitables avec les Innus, ça veut dire qu'on veut les balancer par-dessus bord de différentes façons, utiliser tous les arguments. Donc, c'est plutôt cette orientation, que je trouve très négativiste, là, que je n'accepte pas.

Et moi, ayant travaillé avec les Innus, je ne m'en suis jamais caché, j'ai toujours eu comme perspective de participer, par mon expertise, à construire de meilleures relations entre les Québécois et les Innus. C'est dans ce sens-là que pendant 14 ans j'ai été directement associé au Conseil Attikamek-Montagnais. On m'en fait reproche, mais moi, je trouve que je suis proactif et je suis positif. On peut adopter des attitudes différentes qui vont mener probablement à des conclusions ou à des façons de voir nos rapports différentes.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Trudel: En tout cas, vous déclarez votre intérêt ouvertement et vous ne le regrettez pas.

M. Charest (Paul): Non, pas du tout, au contraire.

M. Trudel: Au contraire.

M. Charest (Paul): Ça fait partie de notre tâche, à l'université, aussi, d'être présents dans le milieu où on vit.

M. Trudel: Tout à fait, tout à fait. La liberté académique et le volet service à la collectivité: c'est d'abord à partir de ses connaissances, et du contact avec son domaine de spécialité, et les gens qui sont concernés, que la fonction universitaire s'exerce. Surtout, sur cette question de l'occupation, vous nous indiquez, dans l'évolution des structures sociales des groupes, des chasseurs nomades innus, que la résolution des conflits internes par le mécanisme de fission ou de séparation du groupe est une caractéristique qui est souvent observée. Est-ce que ce n'est pas cela qui aurait pu alimenter la thèse de la discontinuité de l'occupation? Est-ce que c'est un élément sur lequel on peut fonder la vision des continuistes et des discontinuistes en termes d'occupation du territoire, vu cette pratique au niveau des structures sociales des groupes de chasseurs nomades innus?

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): C'est un élément, M. le ministre, mais je ne dirais pas que c'est nécessairement un élément majeur. Ça se joint plutôt au niveau des groupes multifamiliaux. C'est-à-dire qu'on pouvait avoir quelques familles, trois quatre, cinq, six familles vivant ensemble au moins une partie de l'année et se séparant une autre partie de l'année. Et c'est sûr que, comme dans n'importe quelle société, les Innus n'étaient pas plus parfaits que les autres sociétés, il y avait des conflits qu'on essayait de résoudre par le consensus, donc c'était aussi une approche. Mais quand ça ne pouvait pas se résoudre, la solution généralement c'était de se séparer, d'éclater, et on s'en allait dans d'autres parties du territoire où on avait des parents.

Mais est-ce que ça peut expliquer que des parties importantes du territoire ont été moins occupées à certains moments donnés? Je dirais, ce n'est pas, je pense, le facteur principal. Comme l'adoption est un facteur aussi de regroupement des groupes... même, on peut adopter des individus ou des groupes de d'autres nations, de d'autres ethnies, de d'autres territoires éloignés. Donc, il y aurait différents mécanismes pour établir à un moment donné un équilibre entre les ressources du territoire et la base démographique. Donc, c'est de cette façon-là qu'on pouvait se scinder, aussi parce qu'il manquait de ressources; ça, c'est un autre facteur.

Et ça a été mentionné aussi des fois qu'il était arrivé à certaines périodes qu'il semblerait avoir eu surexploitation des ressources fauniques, soit le castor ou soit l'original, et à ce moment-là, ça fait partie des mécanismes temporaires, on s'éloigne de ces régions-là pendant un temps, on laisse ça en jachère, on laisse reposer le sol, comme les paysans laissaient reposer la terre pendant un certain nombre d'années, avant qu'on ait de l'engrais chimique tel qu'on l'a aujourd'hui. Donc, il y avait des périodes de temps où on laissait en jachère des parties de territoire, quittes à revenir plus tard. C'est dans ce sens-là qu'il faut voir des stratégies inscrites dans les structures adaptatives de ces populations-là qui consistent à se déplacer régulièrement sur différentes parties du territoire.

Les rapports de parenté, aussi, sont d'autres raisons qui sont mentionnées, par exemple, par José Mailhot, entre autres. Si on a des parents quelque part, pour une raison ou pour une autre, si notre territoire a brûlé, par exemple, parce que les feux de forêts jouent un rôle aussi, un rôle écologique important, donc à ce moment-là on pouvait aller pendant un certain temps chez des parents dont le territoire n'avait pas été touché, et puis, quand notre territoire se reconstituait sur le plan végétal et animal, bien, on y revenait.

Donc, c'est dans ce sens-là, quand on parle des structures du nomadisme, il faut voir ça différemment d'un agriculteur, là, qui a une terre, un lopin de terre, et ainsi de suite, et qu'il y a une rotation, mais sur une période courte, là. Ça peut être à très long terme: un feu de forêt, ça peut prendre 15, 20, 25 ans, certainement, avant que la végétation se reconstitue, et, comme ça pouvait se faire sur des grands espaces, ça peut être des facteurs aussi qui expliquent des déplacements sur des territoires.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

n(15 h 10)n

M. Trudel: Il ne faut pas passer à côté d'une question qui nous interpelle. Vous mentionnez dans votre mémoire ? et à la lumière de votre expérience, vous étiez là au début des négociations, vous nous avez relaté ces faits ? vous nous dites que la nation innue a fait d'énormes concessions et que la résultante, telle qu'elle vous apparaît, là, que vous avez pu la lire, ça vous apparaît donc comme ce qu'est une négociation, le résultat d'un compromis, d'une façon assez étonnante parce qu'on l'a entendu moins souvent en tout cas. Vous avez même certaines craintes sur: est-ce que ce sera suffisant pour assumer l'autonomie, la responsabilité et le développement de la nation.

Mais, je veux revenir là-dessus, vous nous dites: La nation innue a fait beaucoup de concessions dans la détermination de l'exercice du titre «aborigène» mais surtout des droits ancestraux. Donnez-nous quelques illustrations de ces faits, M. le professeur Charest, des concessions qui auraient été faites. Parce que, je le répète, j'essaie de poser ma question à des fins pédagogiques. Encore ce midi, je faisais des entrevue et une des croyances, en tout cas, une des croyances véhiculées, c'est: On a tout donné. On a même entendu hier, ici, en commission parlementaire: Vous ne négociez pas, vous donnez tout. M. le professeur, aidez-nous.

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): M. le ministre, bien sûr, il y a une ambiguïté sur la question de la nation, vous le savez et ça a été mentionné ici, bon, quand on parle de nation à nation. Et on sait que c'est quatre communautés à l'intérieur de la nation innue qui en sont venues à une entente, là, basée sur l'Approche commune. Et s'il n'y a pas unanimité justement dans la démarche, à l'intérieur de la nation, c'est parce qu'il y a des conceptions différentes, là, dans l'aboutissement des objectifs, etc., et, entre autres, sur cette question de la souveraineté sur les terres ancestrales, donc sur la reconnaissance absolue du titre aboriginal. Et, ce matin, on vous le disait, donc le témoignage de la famille McKenzie, c'est ça, c'est: on veut une reconnaissance, nous, nos droits ? ils n'ont pas dit «souveraineté» mais je pense que ça équivalait à ça.

Donc, une des raisons pour lesquelles il y a eu une... je ne dirais pas une scission, mais des démarches différentes, parallèles, qui sont en cours ou qui ne sont pas en cours, dans certains cas, pour la revendication territoriale, c'est qu'on avait des conceptions différentes sur les objectifs, ou sur les compromis à faire sur les objectifs. Parce que je vous ai mentionné que la question de la souveraineté sur les terres était un objectif, au départ. Donc, évidemment, on se définit des idéaux puis, à la négociation, bien, on est obligé d'aller un petit peu en dessous des idéaux. Mais, dans ce cas, ici, bon, peut-être la souveraineté. On reconnaît, disons, la souveraineté québécoise sur le territoire et non pas la souveraineté innue, en tout cas c'est comme ça que je l'entends, sur Innu Assi et sur le Nitassinan. Alors, quand il y en a qui disent que, bien, non, ils auront tout le territoire du Nitassinan, bien, je pense qu'on n'a pas la même lecture.

Et j'ai de la misère à comprendre, pourtant c'est très, très clair dans les textes, j'ai de la misère à comprendre qu'il y a des gens qui véhiculent cette idée-là que les Innus auront tout le Nitassinan, alors que ce qu'on leur reconnaît, le Nitassinan, c'est ce qu'ils ont déjà, de façon pratique, la pratique des activités traditionnelles, entre autres, et qui, bon... Pour le moment, il y a un modus vivendi qui fait que les règles du Québec ne s'appliquent pas. Il y a 20 ans, on les appliquait et on arrêtait les Innus; maintenant, on ne les arrête plus, il y a un progrès de ce côté-là. Mais la situation ne peut peut-être pas perdurer, là, avec peut-être la multiplication, là, des chasseurs autochtones et non autochtones sur le territoire. Donc, je dirais, cette espèce de renonciation à la souveraineté ou la reconnaissance de droits absolus sur l'ensemble du territoire, par les groupes qui ont voulu négocier, est une des principales caractéristiques, je crois, de l'entente.

En ce qui concerne la pratique des activités traditionnelles, c'est un objectif recherché qui, à mon sens, semble être assuré par l'entente. Il y avait même, aussi, dans les principes de négociation, on demandait un moratoire sur tout développement. Et cette idée de moratoire aussi a été abandonnée en cours de route. Lors des négociations préliminaires... Je ne sais pas si vous le savez, il y a eu deux ententes préliminaires, entende cadre et entente sur les mesures sur les mesures provisoires, et dans l'entente sur les mesures provisoires le Conseil Attikamek-Montagnais. renonçait à un droit de veto mais acceptait de participer à des consultations, des négociations sur la réalisation de projets. Ce qui a fait que le Québec a pu poursuivre, là, des projets comme SM3, par exemple, sur les territoires. Mais, ça, encore là, au niveau local, il y a des individus, des familles qui n'ont jamais accepté que des développements se fassent, là, on le mentionnait ce matin, on mentionnait un moratoire qu'on demande, là, sur les développement à la rivière Manitou.

Donc, ces idées-là persistent chez certains groupes encore, alors que d'autres ont accepté d'être plus pragmatiques, si vous voulez, et de négocier, disons, sur des bases avec lesquelles on pouvait s'entendre avec les gouvernements.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. M. le député de Duplessis.

M. Duguay: Alors, merci beaucoup, M. le Président. Très rapidement, bon, je sais que le ministre a couvert certains volets et notamment sur ce que les gens disaient, qu'on avait trop donné aux autochtones, ils étaient privilégiés et tout ça. Mais, moi, j'aurais aimé vous entendre juste sur un petit volet, les redevances. Ce matin, il y a des gens qui sont passés également, ils disaient que même le 3 % c'était trop. Et il faut quand même se placer dans un contexte où le gouvernement du Québec perçoit 100 % des redevances et, sur 100 %, bien, là il en verse 3 %, mettons, aux communautés. Donc, qu'il verse sous forme de redevances ou bien qu'il verse directement, moi, je pense qu'on en sort gagnant malgré tout, là. Mais j'aimerais ça vous entendre un petit peu là-dessus.

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): Oui. Bien, je ne suis pas un économiste mais, sur toute la question des rentes sur les ressources, et si on regardait en Australie ce qu'ont eu les aborigènes australiens, dans le cas des «land council», c'est pas mal plus généreux. Ils ont un pourcentage sur la production minière, par exemple, c'est surtout les mines, là, de différentes natures, ça peut être des mines d'or, de diamants, des mines de fer aussi. Donc, ils ont des sommes considérables qui leur viennent directement des compagnies qui exploitent sur les territoires. Et c'est négocié avant coup.

Ici, on est au deuxième niveau: le gouvernement retire, bah... pas des royautés mais en tout cas des redevances sous forme de permis, etc., puis c'est une partie, c'est la rente de la rente, si vous voulez, donc c'est une faible partie de la valeur des ressources. Et, par rapport à l'ensemble des ressources du territoire, qui sont considérables, ressources minières et forestières, je trouve que c'est une petite portion. Et donc, s'il n'y avait pas eu des compensations pour des dommages passés, par exemple, exploitations hydroélectriques ou autres, minières, ça ne donnerait pas une base très, très importante pour assurer, disons, un gouvernement autochtone. Et, même là, je ne le sais pas si la... Bien, moi, je considère que la base n'est pas suffisante, parce que ça va être les intérêts de cette somme-là, ce ne sera pas ces 400 millions-là qu'on va utiliser d'un coup, mais les intérêts de ça, ça va donner quelques millions ou quelques dizaines de millions pour assurer les gouvernements amérindiens.

Donc, on dit que c'est trop pour les Indiens ou ce n'est pas assez pour les non-autochtones; moi, je pense légitime que des gens des régions aussi aient des revenus de l'exploitation des ressources aussi. Bon, on peut dire qu'ils l'ont à travers les services du gouvernement, et il a été même dit que le gouvernement en fournit plus qu'il en reçoit des régions. C'est possible. Je crois aussi, je pense que c'est des calculs qui ont été faits et qui sont vérifiés et vérifiables. Donc...

Le Président (M. Gautrin): Il reste peu de temps, mais mon collègue de Roberval n'a pas abusé du temps; si on a consensus, on pourrait peut-être accorder une minute ou deux au collègue de Roberval?

M. Laprise: ...M. le Président. À la page 15, vous parlez d'un projet de loi qu'il y a en Colombie-Britannique, qui donne... une loi fédérale qui a unifié les deux lois, la loi indienne et la loi canadienne, ils ont harmonisé ces deux projets de loi. Ça veut dire à ce moment-là que les gens, les mêmes personnes, répondent aux mêmes lois? Est-ce que c'est ça, l'esprit de ce projet de loi là?

M. Charest (Paul): Là, vous me surprenez, M. le député.

M. Laprise: À la page 15, au quatrième paragraphe.

M. Charest (Paul): La page 15.

M. Laprise: Pensiez-vous qu'on ne vous suivait pas dans votre projet, hein? Vous pensiez qu'on le lisait pas avec vous? Ha, ha, ha!

M. Charest (Paul): Non, je ne trouve pas ça dans mon mémoire, monsieur. Je regrette, M. le député, mais je ne crois pas avoir mentionné cet élément-là.

Le Président (M. Gautrin): Alors, M. le député de Roberval, le temps que vous cherchez la référence exacte...

M. Charest (Paul): Parce qu'à la page 15, j'ai trois paragraphes.

M. Laprise: Oui. à la page 15? 1, 2, 3 ,4.

M. Charest (Paul): À la page 15, je parle de développement économique et social.

Le Président (M. Gautrin): Alors, vous n'avez peut-être pas la même pagination.

M. Laprise: Peut-être pas la même...

Le Président (M. Gautrin): Est-ce que vous pouvez vérifier, quitte à ce qu'on revienne tout à l'heure?

M. Charest (Paul): Effectivement, M. le Président, j'ai changé la pagination un peu.

Le Président (M. Gautrin): Ah! bon. Alors, si vous voulez, on pourra revenir, M. le député de Roberval. M. le député de Jacques-Cartier et porte-parole de l'opposition officielle en la matière.

M. Charest (Paul): Ah! O.K. ...la bande Sechelt peut-être?

M. Laprise: C'est bien ça.

Le Président (M. Gautrin): Ah, excusez! Il a trouvé.

M. Charest (Paul): O.K.

Le Président (M. Gautrin): Alors, M. Charest, brièvement parce que le temps s'écoule. Oui.

n(15 h 20)n

M. Charest (Paul): O.K. Bon. Dans le cas de la bande Sechelt de Colombie-Britannique, c'est un cas particulier qui relève d'une loi particulière où, bon, la bande Sechelt est devenue autonome, indépendante de la Loi sur les Indiens, et a sa propre constitution. Et à ce moment-là, donc, elle peut adopter les lois d'un autre. C'est pour ça que je dis que probablement que les Innus aussi pourront avoir, dans la constitution, une harmonisation entre les lois innues et les lois canadiennes ou québécoises...

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie.

M. Charest (Paul): ...dans 69 à partir d'un cas particulier.

Le Président (M. Gautrin): Merci. M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, j'aimerais dire bienvenue au professeur Charest. Et merci infiniment de venir partager votre expertise avec les membres de la commission. Je pense que vous avez une vaste expérience dans le domaine, et c'est très utile pour nous autres.

Peut-être que je vais commencer avec une question, parce que, à cause des médias, on a l'impression que, ça, c'est un dossier qui a commencé dans l'été de 2002, et je pense que vous avez bien dit dans vos premières pages qu'on parle d'un processus que... personnellement, vous êtes impliqué depuis 1976 ou dans cette période. Et vous avez fait référence à une période, de 1981 à 1983, où il y avait la grande recherche, alors pouvez-vous juste expliquer un petit peu davantage c'était quoi, la grande recherche, et le lien entre cette recherche et toutes les revendications territoriales que les Innus ont menées à l'époque?

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): Quand même, M. le député de Jacques-Cartier, ça pourrait être un peu long. Mais je vais essayer de résumer. Donc, la politique de négociation territoriale globale du gouvernement fédéral exige des groupes qu'ils démontrent... à l'époque ? on devrait se mettre au passé ? exigeait qu'ils démontrent la continuité de l'occupation et l'utilisation du territoire jusqu'à aujourd'hui, et c'est dans ce sens-là. Le gouvernement fédéral avait déjà accepté une preuve générale que les Innus étaient là ? les Montagnais, à l'époque ? et les Attikameks étaient là depuis les contacts. Mais ce qui chicotait, c'était l'étendue des territoires jusqu'à la période récente. Est-ce que les Innus et les Attikameks continuaient encore à occuper des territoires ancestraux? Quelle était l'étendue de cette occupation-utilisation du territoire? Donc, c'était le sens de la démonstration qui était demandée, à l'époque. Ça a changé depuis, à cause des jugements de cour, mais, à l'époque, c'est...

Donc, ce qu'on a voulu faire, c'est de mettre sur pied un projet de recherche dans toutes les communautés attikameks et innues avec les occupants du territoire, les chasseurs, les trappeurs et ainsi de suite, les familles, les hommes et les femmes. Donc, au moins 1 500 personnes qui ont été interviewées, enregistrées, qui ont, à partir d'une méthode que j'appellerais la méthode d'échantillonnage d'années passées sur le territoire, contrairement à la méthode de cartes biographiques qui avait été utilisée dans d'autres contextes, chez les Inuits des Territoires du Nord-Ouest en particulier, qui consiste à indiquer partout où sont allés...

Chez les Inuits, bon, l'espace était moins divisé en territoires familiaux, donc ils allaient davantage un peu partout. Mais, chez les Montagnais, en particulier à cause des réserves à castors, on savait que les gens allaient généralement dans les mêmes territoires, donc on ne considérait pas utile de voir où ils étaient allés toute leur vie, mais qu'est-ce qu'ils faisaient, qu'est-ce qu'ils ont fait toute leur vie sur leur territoire. Donc, à ce moment-là, on a documenté les trajets pour aller sur le territoire, les campements annuels, saisonniers où ils allaient régulièrement, les lieux de rencontre, les activités qu'ils avaient, les ressources fauniques qu'ils exploitaient, la composition des groupes, les rapports de parenté qu'ils avaient, etc., les sites culturels, aussi, les endroits où il y avait des cérémonies particulières ou encore des sépultures et ainsi de suite. Donc, c'est tout ça qu'on a voulu documenter dans ce qui a été appelé la «grande recherche».

Et, à partir de là, en superposant tous ces trajets des individus sur plusieurs périodes de leur vie quand même, donc quand ils étaient jeunes, plus âgés et ainsi de suite, et par périodes de temps, en superposant toutes ces données-là on a pu avoir l'étendue générale du territoire occupé et utilisé au Xxe siècle, donc, et non pas historique. Il n'y avait pas eu de recherche historique en profondeur, même si on pouvait remonter au XIXe siècle, aussi, avec les documents historiques, facilement. Ça a été fait, donc, sur la période dite contemporaine du territoire, et à ce moment-là, donc... D'où est issue la carte générale du Nitassinan, qui comprend d'ailleurs une partie au Labrador, qui comprend aussi une partie sur le golfe Saint-Laurent, parce qu'on allait pêcher ou chasser à l'île d'Anticosti, par exemple. Donc, en gros et de façon très, très succincte, c'est ce qu'on a voulu faire à travers l'étude d'occupation-utilisation du territoire, appelée «la grande recherche», là, un peu par tout le monde.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Et c'est à partir de cette grande recherche et d'autres travaux d'anthropologues, je regarde la série des classifications, les structures sociales des groupes et des chasseurs nomades innus, où vous avez fait une série de constats sur la vie au moins précontact où au moment du contact avec les Européens, les groupes de famille, la fluidité, la flexibilité dans la composition de ces groupes. Je veux juste... je pense que c'est important de mettre, pas la preuve, mais c'est quoi les recherches qui ont soutenu ces genres d'observation, parce qu'on est dans un contexte où on a des livres qui circulent avec des titres comme Le dernier Montagnais, que les Montagnais n'existent même pas. Alors, je pense c'est important quand même de mettre en évidence, pour supporter les observations dans votre mémoire, c'est basé à la fois de cette grande recherche, si j'ai bien compris, et d'autres activités d'anthropologues ou...

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): Oui, M. le député. Donc, si on veut, on a comme procédé peut-être à rebours. On a commencé par l'occupation contemporaine, on voyait bien que tout le monde sait... Et le gouvernement fédéral le savait aussi, par ses propres recherches, parce que le gouvernement fédéral, vous le savez, fait vérifier toutes les revendications, les énoncés de revendication pour voir s'il y a une preuve suffisante pour étayer les droits aboriginaux réclamés.

Donc, il y a aussi d'autres études scientifiques qui avaient été faites, auparavant, par un anthropologue qui s'appelle Speck et qui lui-même a fait des cartes des territoires non seulement même des Innus, des Montagnais, mais des groupes voisins, même chez les Cris et ainsi de suite, il y a eu d'autres anthropologues aussi chez les Attikameks, et ces gens-là ont travaillé au début du XIXe siècle, ils pouvaient remonter jusque dans les années 1850. Donc, il y a des recherches de nature scientifique basées sur des entrevues avec des gens qui ont fait des témoignages oraux de ce que, eux, ont connu, de ce que leurs pères ont connu, des fois peut-être leurs grands-pères, et, comme ça, on peut remonter au XIXe siècle.

Maintenant, la jonction entre la période de contact et cette période-là est basée sur des documents de personnes qui n'étaient pas des observateurs scientifiques, qui étaient des missionnaires, des explorateurs, des traiteurs et ainsi de suite, et qui ont fait des observations qui ont une certaine valeur mais qui n'étaient pas des observations de nature scientifique, où on essayait par exemple, comme l'a fait Speck, de vouloir voir sur l'ensemble du territoire quelle était la distribution des différentes bandes et, à l'intérieur des différents territoires de bande, même, la distribution des territoires de famille. Il l'a fait pour le Lac-Saint-Jean, il l'a fait pour la Côte-Nord. Donc, ça, c'est des études basées sur des méthodologies avec des cartographies et ainsi de suite, disons, qu'on peut considérer comme scientifiques.

Maintenant, des témoignages des Européens qui sont faits au hasard des rencontres, des circulations sur le territoire, ils ont une valeur, mais les groupes qui étaient mentionnés, souvent, on se trompait sur l'appellation de ces groupes-là ou, à un moment donné, le terme changeait. Donc, il y a tous ces facteurs-là qui font que ces témoignages-là historiques n'ont pas la même valeur scientifique que les témoignages qui ont été faits par des anthropologues ou autres, mais surtout des anthropologues, qui ont travaillé sur la période la plus récente, là, les 150 dernières années, disons.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Sur un autre ordre d'idée, on cherche... J'ai bien compris l'échange que vous avez eu avec le ministre sur la notion de «on a tout donné», c'était comme... Et on a écouté ça, je pense qu'il y a un témoin ce matin, encore, qui... c'était comme bar ouvert. Et je pense que vous avez bien indiqué les 11 principes, le point de départ, au moment de la création du CAM, qu'il y avait les attentes. Je pense qu'il faut souligner l'insistance d'avoir la reconnaissance plutôt que l'extinction de droits. Dans ça, les Innus étaient à l'avant-garde parce que, après l'enquête royale sur le peuple autochtone et le rapport Hamilton, ça, c'est les idées qui sont maintenant beaucoup plus au courant; mais, à la fin des années soixante-dix, c'était avant-gardiste. Je pense qu'il y a un petit peu de... d'être assez tenace.

n(15 h 30)n

Mais on cherche au niveau de la participation réelle, au niveau de la cogestion, ce sont les idées qui sont dans l'air. Et, je vois, vous faites référence à une étude, une thèse, un doctorat, que Thierry Rodon a fait, qui dit qu'il y a des expériences canadiennes qui ne sont pas très heureuses au niveau de comment est-ce qu'on peut mettre en place une cogestion ou une participation réelle qui est efficace. Pouvez-vous expliquer ça davantage? Vous faites allusion à une expérience avec la gestion du parc de Mingan aussi, est-ce que les... Les leçons à tirer de ces expériences.

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): Bon, je ne peux pas parler à la place de Thierry Rodon, qui a suivi d'ailleurs ces audiences un temps et qui est impliqué, justement, dans le projet de la Moisie, là. Donc, il serait mieux placé que moi parce que lui a étudié ça davantage en profondeur, donc je prends... ? c'est de seconde source, là, d'une certaine façon ? mais il a étudié différents programmes de cogestion, surtout de ressources fauniques, dans l'Ouest canadien, dans l'Arctique, et il a constaté que dans certains cas les Indiens ou les Inuits pouvaient avoir effectivement une participation réelle à des décisions concernant la gestion des ressources; dans d'autres cas, c'étaient plutôt des comités d'information, donc. Ça s'appelait cogestion, mais, dans la réalité, ils étaient minoritaires, on ne tenait pas compte de leur opinion. Il y a tout ce débat: est-ce que c'est les scientifiques, les biologistes qui ont la vérité concernant les troupeaux de caribous ou si c'est les Inuits et les Indiens qui chassent ces troupeaux-là, qui, des fois, connaissent peut-être mieux les comportements réels? Donc, c'était toute l'idée d'incorporer aussi, dans la gestion, des connaissances scientifiques, là ? je les appelle «scientifiques» ? donc, des Amérindiens.

Donc, dans certains cas, ça a marché, dans d'autres cas, moins. Dans ce cas-ci, on ne parle pas de cogestion, mais on parle de comités conjoints ou de partenariat. Est-ce que ce sera de la cogestion? Mais c'est quand même symptomatique. On parle de participation réelle; ça veut dire que, dans le passé, ils ont connu des expériences où on leur disait: vous allez participer, mais, dans la réalité, les structures ne permettaient pas une véritable participation. Et c'est le cas du parc de la Minganie, la réserve du parc de la Minganie, parce que ce n'est pas encore un parc. Et les Innus siégeaient sur un comité qui était supposé être un comité de gestion, mais où ils étaient minoritaires, et ce n'était pas véritablement un comité décisionnel. Alors, tout ce qu'ils avaient proposé, par exemple, pour poursuivre les activités traditionnelles ou encore pour avoir leur propre centre d'interprétation n'a jamais été tenu en compte. Donc, c'est pour ça qu'ils se sont retirés de ce comité-là.

Donc, je pense que l'idée de dire, de parler de participation réelle, c'est fondé sur des expériences comme ça où, dans le fond, ce qui était prévu de façon générale: vous allez participer à la gestion, mais, dans la réalité, il n'y avait pas les structures ni les mécanismes paritaires, par exemple, permettant une réelle cogestion; peut-être avec des mécanismes de règlement de conflits aussi, si on ne s'entend pas, bien, il peut y avoir une espèce d'arbitrage qui peut se faire. Mais une véritable participation, c'est paritaire, moi, à mon sens, là.

M. Kelley: Alors, merci pour ces...

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Juste en conclusion parce que, je sais, le temps file. Il y a une couple d'autres commentaires que je veux juste souligner parce que je pense qu'ils sont importants, à la fois votre insistance sur la patience au niveau du financement, que tout ça n'arrivera pas dans 24 heures, qu'on est en train de mettre en place la fondation d'un système de fiscalité qui pourrait un jour commencer parce que, je pense, tout le monde est de l'avis qu'une véritable autonomie gouvernementale présuppose une certaine autonomie financière. Et si c'est toujours à subvention, ça va toujours compromettre l'autonomie réelle d'un gouvernement, peu importe le niveau, peu importe... Alors, ça, c'est un point très important.

Mais vous avez fait un autre commentaire ? sur l'ancienne pagination, c'est à la toute fin de cette page 6, dans vos commentaires sur les réserves ? et vous avez dit que «réserve est devenue à la fois un refuge, mais également un ghetto». Et j'ai trouvé ça très intéressant comme commentaire parce que tout le monde dit: Bah! juste à effacer tout ça, on n'a plus besoin de ces genres d'enclaves. Par contre, au niveau de la conservation de la culture et de la langue, une certaine concentration est importante aussi parce que dispersés dans le grand ensemble de la population québécoise, ça va être beaucoup plus difficile de maintenir la langue innue et tout le reste. Alors, j'ai trouvé que c'était un autre commentaire que... À la fois ghetto, à la fois refuge, le double rôle que les réserves jouent, c'est un autre commentaire intéressant.

M. Charest (Paul): Vous voulez que je commente sur ça?

Le Président (M. Gautrin): M. Charest.

M. Charest (Paul): Vous voulez que je commente sur ça, M. le ministre? Je préférerais commenter sur la question de la fiscalité que vous avez abordée parce que je donne un exemple concret qu'on ne connaît pas beaucoup, mais moi, je travaille depuis 34 ans, 37 ans maintenant, sur l'ensemble de la Côte-Nord. J'ai visité tous les villages de la Côte-Nord, j'ai publié une soixante d'ouvrages, de textes sur la Côte-Nord ? je pense bien connaître la situation ? et, sur la Basse-Côte-Nord, dans les années soixante ? 1964, je pense ? on a créé la municipalité de la Côte-Nord-du-Saint-Laurent, une seule municipalité, et qui n'avait pas de base fiscale, d'ailleurs. Une partie, d'ailleurs, dépend toujours du ministère des Affaires municipales, mais il y a maintenant des villages indépendant. Mais il n'y avait pas de base fiscale parce qu'il n'y avait pas de taxes d'affaires puis il n'y avait pas de taxes foncières, et, quand on a voulu instaurer ça pour donner une assiette fiscale aux municipalités, il y a eu énormément de résistance et ça a pris... ça s'est échelonné sur une quinzaine d'années, sinon 20 ans, pour installer ça dans la municipalité de la Côte-Nord-du-Saint-Laurent et dans les municipalités qui ont hérité une partie d territoire. Suite à la scission, maintenant il y a quatre municipalités sur la Basse-Côte-Nord ou cinq, peut-être cinq maintenant.

Donc, je pense que, pour les Innus, ça va être la même difficulté. Je pense qu'il va falloir que... Ça va prendre du temps à instaurer un régime de fiscalité. Il y a des oppositions, d'ailleurs, à l'intérieur des communautés. Il ne faut pas se le cacher: il y a des oppositions. Il y en a qui considèrent ça comme un droit ancestral, de ne pas payer de taxes, d'impôts et ainsi de suite. Donc, ce ne sera pas facile, à même des revenus qui sont limités aussi. Bon, est-ce que le... Le sujet est de savoir aussi: est-ce que cette taxation sera réservée uniquement aux gouvernements autochtones ou est-ce que ? on l'a soulevé ? est-ce qu'il y aura une part qui ira aussi aux autres gouvernements qui financeront les autochtones? Ça, c'est des discussions aussi, je pense, à avoir sur un comité de la fiscalité, je ne sais pas. Ça, les modalités, évidemment, on peut montrer de l'imagination et c'est à déterminer. Mais c'est sûr que, pour la fiscalité autochtone, il faut prévoir que ça va prendre une longue période de temps pour instaurer l'idée qu'il faut contribuer à financer son propre gouvernement et avoir, à ce moment-là, un plus grand intérêt sur la façon dont l'argent qu'on a investi là-dedans est dépensé. Actuellement, quand ça vient de l'extérieur totalement, bien, on peut laisser la gestion aux autres tant qu'on en a et ainsi de suite.

Donc, quand on parle de responsabilisation, je pense que c'est un mécanisme là tout à fait pertinent, prévu dans l'entente, et on lance tellement la pierre aux autochtones de ne pas payer de taxes ou d'impôts, etc., mais beaucoup considèrent ça comme étant un droit de compensation pour les terres et les ressources qu'ils ont perdus. Donc, cette idée-là est très, très ancrée chez beaucoup, beaucoup d'Innus et d'autres autochtones en particulier. Donc, ça, peut-être que les Québécois ne le savent pas, mais c'est considéré comme un dû, cette non-taxation: compensation pour la dépossession et pour les difficultés économiques que connaissent encore aujourd'hui la très grande majorité des communautés amérindiennes.

Le Président (M. Gautrin): J'ai une question au nom de ma formation politique aussi: dans votre conclusion, vous concluez, à la page 18, en disant: «Toute autonomie ne veut pas dire isolement, et les Innus auront besoin de la collaboration des citoyens du Québec et en particulier de leurs voisins des régions du Saguenay?Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord.» Est-ce que vous voyez une forme d'opportunité de formaliser en quelque sorte ces rapports entre... les rapports, la nouvelle structure qu'on est en train de créer et la table des préfets, par exemple, ou les structures qui existent déjà au Saguenay?Lac-Saint-Jean, au niveau local?

M. Charest (Paul): Vous voulez dire de façon permanente, M. le Président, et non pas de façon temporaire?

Le Président (M. Gautrin): Oui, je pense... Est-ce que c'est ça que vous avez en tête, à l'heure actuelle?

M. Charest (Paul): Je vous dirais franchement: Je ne me suis pas penché sur les modalités. Donc, je le voyais au niveau informel, d'abord, là...

Le Président (M. Gautrin): Bien sûr.

M. Charest (Paul): ...et au niveau formel, comme je le mentionnais aussi, entre les différents gouvernements innus. Moi, je vois une espèce de structure de relation. La même chose aussi avec les organisations.

Est-ce que ce seront les MRC? Possiblement. Maintenant, on réclame que les communautés Innu Assi fassent partie des MRC. Si je me souviens bien, quand les MRC ont été créées, on les a exclues. Donc, je ne sais pas comment a été prise la décision de les exclure, mais ce qui fait qu'on avait des projets de développement territorial dans les MRC qui ne tenaient pas compte de la présence des Innus. Donc, des relations entre les communautés innues et les MRC, entre autres, ou les municipalités locales, mais qui sont représentées dans les MRC, je pense que c'est une structure à penser. Maintenant, est-ce que c'est la meilleure? Je ne le sais pas.

n(15 h 40)n

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Alors, au nom de la commission, je tiens à vous remercier de votre témoignage.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Gautrin): Et je demanderais maintenant à M. Camil Girard, s'il est dans la salle, de bien vouloir se présenter devant nous. On va peut-être laisser la chance aux gens pour pouvoir saluer...

Alors, M. Girard, est-ce que vous êtes... Ah! M. Girard, je vais vous laisser le temps de vous installer. Alors, M. Girard, ça me fait plaisir d'abord de vous souhaiter la bienvenue dans cette commission. Puisque vous suivez nos travaux un peu depuis quelque temps, vous savez que vous aller avoir une heure qui va être accordée pour la discussion de votre mémoire. Cette heure est partagée en 20 minutes pour votre présentation, 20 minutes pour les questions des députés ministériels et 20 minutes pour les questions des députés de l'opposition officielle. On n'est pas trop rigides ici. On essaie d'être assez souples, le plus qu'on peut, mais on est quand même tenus à respecter quand même un calendrier et un horaire, et c'est ma charge de les faire respecter.

Alors, M. Girard, vous avez la parole. Peut-être, vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent et qu'on puisse aller de l'avant avec votre mémoire.

M. Camil Girard

M. Girard (Camil): Oui. Alors, mesdames, messieurs, bon après-midi. Je suis content de participer avec vous à cette brève réflexion que je vais faire sur une approche plus d'histoire politique sur l'occupation et la présence des premières nations sur le territoire. Je vous présente Mathieu D'Avignon, qui est un étudiant gradué qui travaille sur les oeuvres de Champlain, et ? on prépare la relève, comme vous voyez ? et je suis Camil Girard, je suis docteur en histoire de la Sorbonne. Je suis un spécialiste en histoire politique. Je suis professeur-chercheur à l'Université du Québec à Chicoutimi et associé à l'INRS-Culture et Société où j'ai travaillé avec Fernand Dumont sur le vaste projet des histoires régionales. J'ai rédigé avec Normand Perron l'Histoire du Saguenay?Lac-Saint-Jean qui a été, à la fin des années quatre-vingt, un des premiers grands ouvrages qui a fixé le modèle d'écriture qui a servi par la suite, et ça fait à peu près 25 ans que je travaille, donc, dans le domaine de l'histoire. Je suis diplômé de l'Université Western, London, Ontario. J'ai appris un peu d'anglais, il y a déjà longtemps. J'ai été associé aussi aux travaux de la Commission royale sur les peuples autochtones, de 1993 à 1995. J'ai publié un rapport dont j'ai distribué quelques copies à certains membres. J'ai travaillé aussi, moi, beaucoup sur le récit de vie, des témoignages oraux, avant de travailler sur les questions plus d'histoire, donc d'une histoire qui part du présent et des situations actuelles contemporaines. Parce que, avant de dire: Est-ce que les Montagnais existent ou n'existent pas... Lorsque, en 1985, j'ai commencé à travailler sur la question, je ne me suis pas posé la question, hein. Les premières nations étant reconnues, alors je pars du présent puis, ensuite, je revois mon passé. Je reconnais mon passé, et je le confirme et je l'affirme. C'est pour ça que, moi, la question de... On pourra y revenir.

Donc, j'intitule mon mémoire: L'Approche commune, un projet qui s'inscrit dans l'histoire des alliances entre les Innus ? Montagnais ? et les couronnes, de 1603 à nos jours. C'est évident que j'ai posé quelques piquets sur le temps très long, parce qu'on couvre quatre siècles d'histoire. On peut affirmer que trois grandes périodes caractérisent l'histoire des relations entre les Innus et les couronnes française et anglaise au cours de leur histoire commune. La première s'échelonne de 1603 à 1842 et est marquée par des rapports de respect mutuel où la souveraineté de chacun est assumée. À partir des années 1840, avec la création du Canada uni, on peut dire que la souveraineté autochtone est usurpée. Les gouvernements ouvrent la région à la propriété privée mais sans entente préalable avec les Montagnais. Les Montagnais vont souvent protester là-dessus, mais jamais le gouvernement n'entendra les revendications des Montagnais à l'époque. Et c'est pour ça que je pense, moi, qu'aujourd'hui on répare des oublis qui ont été faits sous le Canada uni, au niveau de la consultation, la participation au processus politique de la grande nation innue. Et, depuis 1982, donc, les droits ancestraux des premières nations sont reconnus dans la Constitution du Canada. Ce qui pose le problème de la reconnaissance, c'est aussi qu'il faut réviser l'histoire, revoir notre histoire à la lumière du présent, pas en s'enfermant dans une histoire de ghetto, parce que l'histoire aussi, on peut s'en servir en disant: c'est un ghetto. On s'enferme dans une histoire qui est fixée pour l'éternité. L'histoire, c'est un champ qui doit se revoir perpétuellement à la lumière du présent.

Donc, si on révise un petit peu la souveraineté partagée, le 27 mai 1603 ? on devrait célébrer, d'ailleurs, cette année quatre siècles d'alliances, de rencontres interculturelles, près de Tadoussac, à la pointe Saint-Mathieu où on célébrera cette année ? Samuel de Champlain et François Gravé Du Pont qui est le commandant en chef, et Anadabijou grand chef montagnais vont jeter les bases des alliances franco-indiennes lors de célébrations protocolaires. Ils rencontrent le 9 juin les Montagnais et leurs alliés, les Algonguins, et le chef Tessouat ainsi que les Etchemins, et ces nations-là font partie de la coalition laurentienne qui a éliminé, si vous voulez, ou qui cherche à éliminer, en alliance avec les Français, les Iroquois de la vallée du Saint-Laurent.

L'analyse du compte rendu de cette rencontre historique apporte certaines précisions sur le fonctionnement des relations diplomatiques entre la France et les Montagnais et nous renseigne sur les motifs de l'alliance conclue à pointe Saint-Mathieu. Mentionnons d'abord que les Français sont accueillis par les Montagnais avec respect et déférence. Champlain précise que Gravé Du Pont et lui-même s'ajustent à la coutume du pays. Les premiers à prendre la parole sont des sauvages qui avaient été amenés en France par Chauvin en 1602 et qui eurent l'occasion de rencontrer le roi Henri IV. Les Montagnais permettent à certains de leurs proches de se rendre en France, ce qui témoigne d'un geste conforme aux alliances dans les cultures autochtones de l'époque. De plus, lors du festin, en fumant, en laissant leurs hôtes parler à tour de rôle, les Français participent au protocole alors que le grand chef Anadabijou dirige les célébrations.

Champlain affirme dans son ouvrage... son ouvrage célèbre qui s'intitule Les Sauvages, qui décrit pendant toute l'année 1603 les rencontres nombreuses qu'il va y avoir avec diverses nations, et il jette les bases d'une alliance avec les nations autochtones et il est seul avec son fusil, donc il compose. Et il construit une diplomatie intelligente pour jeter, sur la base européenne, une alliance avec les communautés. Et les autochtones l'ont accueilli. Champlain affirme dans son texte que la France poursuivait trois objectifs, à savoir: qu'elle leur veut du bien, qu'elle désire peupler leur terre et faire la paix avec leurs ennemis. Au besoin, elle pourra les aider à vaincre leurs ennemis. Et, pour les Montagnais, cette alliance leur permet de devenir des alliés privilégiés des Français dans le commerce des fourrures. Ils en viendront même à dominer pour un temps la coalition anti-iroquoise tout en limitant l'accès des Français aux nations situées à l'intérieur de leur territoire ancestral qui est constitué autour du Domaine du roi.

Et en 1603, l'année 1603, on se rappellera que la Cour suprême du Canada a précisé, dans les jugements Adams et Côté ? il met ça en préjudice ? que l'année 1603 constituait une date charnière pour établir l'occupation par les nations autochtones de territoires au moment de l'arrivée des Français. Et dans Adams-Côté il y a un volet iroquoiien, mais il y a aussi les Algonquins qui font partie de la coalition laurentienne.

Quelques semaines après le retour de Champlain en France, cependant, outre le rapport de son ouvrage, ce qui est aussi très important dans l'alliance de 1603, c'est que le roi Henri IV, au retour de Champlain, va modifier la commission générale sur le nouveau territoire ? et les documents dont je parle sont déposés en pièces dans mon rapport ? et il précise dans la commission du 8 novembre 1603 qu'il faut «traiter et contracter à méme effet paix, alliance & confédération, bonne amitié, correspondance & communication avec lesdits peuples & leurs Princes, ou autres ayans pouvoir & commandement sur eux: Entretenir, garder et soigneusement observer les traités ? soigneusement observer des traités ? & alliances dont vous conviëdrés avec eux: pourveu qu'ils y satisfacent de leur part».

Et, à la suite de cette première alliance, la création du Domaine du roi en 1652 pour la région du Saguenay?Lac-Saint-Jean est importante parce que, à partir de 1652, la couronne française, ce qui sera continué sous la couronne anglaise, va créer le Domaine du roi. Et sur l'ensemble du territoire qui va de l'Île-aux-Coudres jusqu'à Sept-Îles et à l'intérieur des terres, jusqu'à la Conquête, entre la Compagnie de la Baie d'Hudson et la France, un territoire plus ou moins délimité, et à partir de la Conquête les frontières du Domaine du roi vont dépasser jusque dans le territoire de la Convention de la Baie James actuel. Et c'est peu ou prou le territoire du Domaine du roi où, de 1652 jusqu'en 1842, les Montagnais, avec la couronne, autour d'une structure de commerce, vivent en relative autonomie, souveraineté, où les nomades, sur ce territoire-là, qui exploitent leur territoire ancestral aux fins de participer au commerce.

n(15 h 50)n

Lors de la Conquête, cependant, il va y avoir un doute pour savoir: Est-ce qu'on ouvre le territoire du Domaine du roi au commerce libre? Et, après plusieurs tergiversations ? et on pourra y revenir, sur cette question-là, si vous y voyez le besoin ? parce que de 1652 à 1842 on peut dire que les Anglais ont continué le même mode de gestion du territoire du Domaine du roi que les Français sauf que, au lieu d'être le Domaine du roi, ça devient «the King's Posts». Au lieu que les agents des postes soient des Français, c'étaient des anglophones, mais c'est la même structure. Et Murray va, à la suite de plusieurs inquiétudes et tout ça, dire, en venir à la conclusion que les terres du Domaine du roi n'ont jamais été cédées au roi de France ni achetées par lui ou par Sa Majesté britannique. Par conséquent, les terres du Domaine du roi sont en pratique ? donc, toutes les terres qui vont de la baie James jusqu'à partie de la province de Québec, hein ? sont en pratique réservées à titre de territoire de chasse des sauvages, que ceux-ci protègent jalousement dès qu'il y a la moindre apparence d'empiétement.

À l'ouverture de la région à la colonisation, en 1840, il y a plusieurs enquêtes pour ouvrir les territoires au peuplement. Au Saguenay, il y aura deux enquêtes en 1822 et 1829. Jamais les Montagnais ne seront consultés là-dedans. Dans le Bas-Canada et dans le Haut-Canada de cette période-là, il y aura six enquêtes qui traiteront de questions autochtones. Dans plusieurs de ces enquêtes, on consultera les autochtones, des Iroquois qui viennent témoigner, des Algonquins, jamais les Montagnais. Et, de 1844 à 1867, il y aura beaucoup de protestations de Montagnais. Les députés de l'époque, dont le député Laterrière qui est responsable du comté, McLeod et compagnie vont protester, dire: Il faut régulariser la question avant d'ouvrir le territoire à la propriété privée, à la colonisation des euroquébécois, canadiens ? appelons-les comme on le voudra.

Donc, avec l'ouverture de la région à la propriété privée, à partir des années quarante, les Montagnais vont protester à plusieurs reprises contre le fait que leur terres ancestrales sont vendues sans leur accord. Jusque là, le peuplement du Domaine du roi et des «King's Posts» par la population blanche n'a jamais été autorisé par les couronnes sauf quelques petits coins le long des côtes, quelques seigneuries, à l'exception des postes de traite.

Et, à titre d'exemple, je vous soumets un protêt que les Montagnais du Lac-Saint-Jean ont déposé le 16 juillet 1851 qui confirme que les premières nations innues n'ont jamais... n'ont pas cédé leurs terres à la couronne, cette dernière ne les ayant pas achetées non plus.

Ils protestent en 1851, donc, on dit... en affirmant que «les dites terres sont la propriété des dits Sauvages Montagnais depuis un temps immémorial que de tous temps le territoire sur lesquels se trouvent situées ces terres a été leur propriété & leur possession, leur servant de résidence & comme terrains de chasse seul moyen d'existence pour eux & leurs familles; que le gouvernement ne peut sans être en contravention à toutes les lois existantes, vendre leurs terres sans avoir transigé préalablement avec eux pour leurs droits de possession & de propriété». Et c'est ce qu'on fait aujourd'hui: on répare des choses qui n'ont jamais été faites parce que les hommes politiques de l'époque ne l'ont pas fait. Il faut essayer de régulariser ça 160 ans plus tard, 150 ans plus tard.

Et, à l'époque, ce qui est quand même intéressant, c'est que le protêt... On demande aussi au gouvernement, dans le même protêt: Si vous avez des preuves que nous avons cédé nos terres, sortez-nous votre papier, sortez-nous un papier. Donc, je pense qu'il y a aussi une entrée, à ce moment-là, dans la modernité. Et même les autochtones, lorsqu'il vont déposer un protêt, lorsqu'ils écrivent, on n'est déjà plus dans l'alliance de 1603. Donc, obligés d'écrire, commencer à entrer, même dans le respect de sa culture, sur du texte écrit.

Et les Montagnais donc ? on pourra y revenir si vous le voulez ? donc, l'ouverture du Domaine du roi au peuplement non autochtone et à la propriété privée vers 1840 incite les Innus à affirmer leurs droits sur leurs terres. L'occupation de la région, donc, pour légitime qu'elle était à l'époque, s'est-elle faite en toute légalité? De notre point de vue, la réponse est claire, c'est non. La couronne n'a jamais réglé la question des terres des autochtones de la première nation innue, et ces derniers estiment avoir des droits inaliénables sur leurs terres. Pour mon volet historique...

La dernière partie que je ferai à titre plus de citoyen, parce que c'est des choses que vous savez quand même assez bien, donc le premier traité moderne, avant d'arriver à mes propositions: la Convention de la Baie James, donc, va être le premier traité qui oblige à régulariser, à mettre sur papier puis à se donner des normes importantes. Sur la période contemporaine, moi, j'attirerai votre attention sur peut-être deux petits points, c'est que la Constitution canadienne de 1982 reconnaît et confirme, et reconnaître, pour moi, c'est réapprendre à connaître, et confirmer, c'est affirmer avec vigueur. Je pense que les Cours suprêmes, les juges, c'est ça, le deuxième point qui est important, c'est qu'ils nous l'ont confirmé avec vigueur. Quand un sauf-conduit devient un traité, bien, ça veut dire, tu sais: ou vous faites l'histoire ou on la fait pour vous autres. Puis les juges et les avocats, lorsqu'ils font l'histoire, bien, en bon Québécois, je dirais qu'ils tournent les coins ronds. Mais c'est un signe qu'ils nous disent: Apprenez à revoir, à revisiter votre histoire. Faites votre histoire vous-mêmes, sinon on va la faire pour vous autres.

Et la Constitution référant explicitement à la Proclamation royale ? ça, c'est important ? et précisant que les autochtones sont les Indiens, les Inuits et les Métis, tels qu'ils sont reconnus par la Loi du Canada. Donc, aujourd'hui, les nations, les autochtones, ils sont là, ils sont reconnus, puis il y a neuf nations. Alors, il faut partir de là avant de dire qu'ils n'existent plus: ils sont là. Tu as neuf nations qui sont reconnues par le Québec depuis 1985, puis on se questionne sur le fait de dire: Bien, êtes-vous là? Vous n'êtes pas là. Bien, le Québec, si on reconnaît que les nations sont là, elles sont là. Donc, on ne doit plus se poser... Et c'est pour ça que, moi, je pense qu'il y a des évidences là sur un plan... Si ça fait 15 ans que le Québec reconnaît que les premières nations sont là, on ne devrait même jamais se poser la question sur le fait qu'ils ne sont pas là, sauf quand on est en procès puis en cour dans lesquels on peut chercher toutes sortes de prétextes pour dire: Bien, ils ne sont pas là. Ils sont là. Puis là, tu apparais, tu disparais, puis, à un moment donné, le lapin change puis on devient tous des autochtones.

L'Assemblée nationale, donc, en 1985, a reconnu les premières nations du Québec, mais je pense, moi aussi ? il faut rappeler ? que les Cris, les Montagnais, sont les... et les Montagnais et les Attikameks ont contribué beaucoup à fixer la politique autochtone au Québec, et on l'oublie souvent et on ne le rappelle pas assez, et ma présence dans ces travaux ici, depuis une quinzaine de jours, m'a montré que le Parti libéral comme le Parti québécois ont été les artisans de la politique autochtone qu'on a tous construite ensemble depuis 25 ans, et ce n'est pas vrai qu'on a tout raté depuis 25 ans. Ce n'est pas vrai que le Québec a tout raté depuis 25 ans sur la question autochtone. Regardons, avec les Cris, la «Paix des Braves», et on récolte, dans le fond aussi, 25 ans de travail difficile, repris sans cesse mais de partenariat. O.K. Et je pense qu'il faut rappeler souvent que les Montagnais puis les Attikameks ont participé beaucoup à définir la politique contemporaine.

Le 28 juillet 2000, les Nations unies ont créé une nouvelle instance et le Forum permanent sur les peuples autochtones, organisme doté d'un pouvoir de recommandation au conseil économique qui relève de l'Assemblée générale. Et je vous rappellerai que l'ONU prévoit, en 2004, essayer d'organiser une conférence internationale mondiale sur les premières nations autochtones. Alors, à titre d'information.

Et le 7 décembre 2000, le gouvernement a adopté la Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et prérogatives du peuple québécois et de l'État québécois, l'État du Québec, et au chapitre IV on précise que l'État du Québec reconnaît les droits existants ancestraux ou issus des traités des nations autochtones du Québec. Le Québec s'engage de plus à promouvoir l'établissement et le maintien de relations harmonieuses. Donc, moi, j'étais surpris de voir que cette loi-là reconnaissait la loi de 1982. Donc, on reconnaît, on reconnaît, on reconnaît, puis on pose la question à savoir: Tu n'existe pas. Moi, sur un plan symbolique là et, comme historien, j'aime à voir des choses à partir du présent, pas juste du passé.

n(16 heures)n

Donc, l'Approche commune 2002 avec les chefs des parties, Rémy Kurtness, Louis Bernard et André Maltais, qui ont signé une entente, et dans le cadre, donc, plus particulier de cette entente historique et novatrice, tout en étant dans le prolongement, si vous voulez, de Nisga'a, de Nunavut et ainsi de suite, nous proposons que, dans le prolongement d'une histoire commune de partage et de respect mutuel sur les terres ancestrales de la première nation innue, dans un contexte de reconnaissance internationale des peuples autochtones, à la lumière des nombreux jugements de la Cour suprême du Canada et en concordance avec les objectifs d'affirmation du Québec de la reconnaissance des premières nations de l'État du Québec, 1985, 7 décembre 2000, que le gouvernement agisse avec diligence afin de signer un traité de nation à nation avec la première nation innue.

Sous ce rapport, la question en cause est hautement politique et vise pour le Québec de reconnaître aux autres peuples ce qu'il désire qu'on lui reconnaisse sur le plan national et international. On peut aussi se surprendre que, dans l'Approche commune signée en juin 2002, aucune référence n'est faite aux lois du Québec de 2000, qui reconnaissent pourtant les nations autochtones du Québec ? peut-être des problèmes de négociation ou de stratégie, mais, en tout cas, moi, ça me surprenait.

Deuxièmement, que le gouvernement poursuive sur la voie de négociation et évite l'approche judiciaire, qui implique, à notre avis, un abus de fonds publics, où avocats et chercheurs s'affrontent sur des questions, où il faut trouver des bons, des méchants, des gagnants, des perdants.

Moi, je pense que c'est le temps de sortir... les avocats, il faut les garder mais pour préparer des bonnes ententes. Il faut sortir les avocats des débats historiques ainsi que les historiens puis les anthropologues. Puis ce n'est plus un débat d'historiens, c'est un enjeu politique. C'est un débat politique. Parce que, nous, en payant les avocats puis les historiens, on va pouvoir faire des débats sans fin. À un moment donné, il faut faire... L'histoire, c'est un discours commun. C'est un discours, c'est un consensus qu'il faut construire autour d'une entente commune. On peut aller rechercher dans chaque histoire plein de petites bribes, hein? dans nos propres histoires individuelles pour faire des choix de ce qu'on devient, construire notre identité. Donc...

La Présidente (Mme Mancuso): Dr Girard, je vais vous demander de conclure rapidement, vu que le temps est écoulé.

M. Girard (Camil): Oui, c'est beau. Que le gouvernement donc poursuive ce mode de négociation. Que le gouvernement du Québec évite de laisser donc à des tiers le soin de définir le titre «indien» ou les droits ancestraux sur le territoire du Québec. La dernière fois que des juges ont précisé une frontière au Québec, le Labrador a été créé. Que Québec persiste à dire que les frontières du Labrador n'existent pas, et, pourtant, depuis 1927, les juges en ont décidé autrement. Que par la signature du traité moderne, le gouvernement assure la levée de l'incertitude sur le territoire ancestral innu, qui représente, en passant, 26 % du territoire. C'est 400 000 km². C'est immense, là, hein? Tu calcules que 400 000 personnes, on devrait être capables de s'entendre sur un territoire aussi vaste même si c'est l'hiver, c'est la distance, c'est la solitude, c'est...

Et que le gouvernement donc accorde des droits sur les ressources aux premières nations, sans oublier que ces ressources-là aussi, pour les populations locales, c'est important. Et que les populations locales soient associées au processus. Moi, je pense que les MRC ont été oubliées dans le décor. Beaucoup. Les MRC m'apparaissent, moi, comme structures importantes.

Et qu'à cet égard des projets concrets de développement de la Basse-Côte-Nord, entre autres... Et on pourrait essayer de définir des projets communs globaux, comme, la Basse-Côte-Nord, essayer de bâtir un projet, construire une route, compléter la route, comme on a fait à la Confédération pour la Colombie-Britannique, de dire: Bien, dans les prochains 10 ans, cinq ans, six ans, avec les villages des communautés francophones, anglophones, sur la Basse-Côte-Nord, et innues, on va joindre ces populations-là au territoire québécois. Ça a pris 100 ans pour construire une route au Saguenay?Lac-Saint-Jean, j'espère que, sur la Basse-Côte-Nord, on va tous ensemble essayer... Et ça pourrait être des projets collectifs. Alors, je vous remercie, messieurs, dames.

La Présidente (Mme Mancuso): Merci, Dr Girard. M. le ministre.

M. Trudel: Merci, Mme la Présidente. M. Girard, et celui qui vous accompagne, votre étudiant gradué, il va falloir qu'il marque une note au bas des pages, lui, là, quand il va présenter sa thèse ou son mémoire d'études graduées, là.

M. Girard (Camil): Oui, je vous assure.

M. Trudel: Merci de cette présentation qui, à bien des égards... cette lecture de l'histoire nous réconcilie avec un bon nombre de choses qu'appelle la négociation d'une entente. Vous avez insisté sur l'utilisation du mot «commun». C'est la définition même, je dirais, l'attribut principal, premier de ce qu'est une entente: ça appelle de mettre en commun des ressources.

Et je dois vous dire aussi que c'est absolument intéressant de vous entendre, de prendre votre lunette, notre lunette collective, de la tourner complètement à l'opposé et, par exemple, sur l'occupation du territoire, de nous rappeler qu'on n'a jamais réglé, que la couronne n'a jamais réglé avec ceux et celles qui étaient là, les occupants du territoire.

Le professeur Charest, qui est venu immédiatement avant vous, dans une autre voie d'examen du processus qui nous interpelle, voyait le résultat de l'entente de principe, l'étape où nous sommes rendus, comme étant un résultat avec beaucoup de compromis et beaucoup de concessions. Alors, je comprends qu'à certains moments il ne faut pas tout remettre aux avocats, à certains autres moments, il ne faut pas non plus remettre tout le poids, la responsabilité aux historiens, mais vous avez aussi une responsabilité ? que vous exercez très bien, professeur Girard ? de nous éclairer davantage sur le résultat obtenu à cette étape-ci.

Est-ce que... Selon vous, la résultante actuelle au niveau des principes qui nous serviraient à négocier les ententes complémentaires pour définir plus précisément les règles qui vont présider à la réalisation, à l'exercice des droits ancestraux, est-ce que ça fait pour vous appel, compte tenu de l'histoire, aux compromis, à la concession des parties en cause?

M. Girard (Camil): Moi, je pense que c'est... La vie est une somme d'utopies, puis de compromis, puis d'ajustements, et, moi, je pense que l'entente qui est là, moi, elle m'apparaît bien écrite, serrée. Moi, j'ai fait beaucoup de conventions collectives puis je pense que c'est une bonne somme de compromis. C'est évident que ce qui reste à faire, il faut se rapprocher des communautés, il faut se rapprocher du local, hein, de ce qui se passe au quotidien pour ajuster les modalités des 19 principes, moi, je pense... qui sont soulevés dans le document de M. Chevrette. Là, il faut se rapprocher des communautés, il faut asseoir le monde ensemble puis dire: En fonction du cadre général qui est dans l'Approche commune, où tout le monde a fait des compromis... Tout le monde a fait des compromis. Puis je pense que le gouvernement du Québec a protégé ou a essayé... puis je pense qu'il a aussi, comme rôle de fiduciaire, de bonne foi, essayé de protéger tous les Québécois. Tous: Innus, premières nations, Chicoutimiens, tous. Et c'est un compromis honorable. Puis je suis sûr que les Montagnais dans ce dossier-là, lorsque les membres des autres nations ne sont pas avec eux, parce que Schefferville n'est pas avec eux, c'est difficile à vivre, ça. Ils sont obligés de... puis on va être obligé de ramener ces quatre communautés-là éventuellement. Alors, moi, je pense que c'est un compromis honorable.

Les principes qui sont dans le rapport Chevrette, il faut les écouter. Moi, je pense que ce qu'on a entendu depuis deux semaines, c'est que M. Chevrette a fait du bon travail de terrain. Il faut retourner dans les communautés, se rapprocher des pouvoirs de base locale, des gens qui vivent... Parce que, nous, dans les universités, on est dans nos chiffres, dans les livres, mais il faut retourner, quelque part, moi, je pense, au réel, au quotidien. Et on a juste à voir les témoignages des personnes, la conseillère de Sept-Îles, la semaine passée, qui nous a fait un super beau témoignage d'histoire, parce qu'elle nous a dit: Quelque part, dans l'histoire, il faut faire des choix, il faut établir les réalités. Et on a rencontré, on a entendu beaucoup de gens de bonne volonté, qui sont prêts. Sauf que c'est évident que l'entente a mal été expliquée, puis elle est surtout mal comprise dans plusieurs milieux. Bon. Mais, moi, je pense que les...

Moi, je vois le cadre et la politique comme étant assez bien campés, à ce point-ci, pour donner des résultats, si tant est qu'on commence à travailler avec la base: les MRC, les organismes locaux. Puis ça va être beaucoup de travail, mais, dans les régions, plus il y a de travail, mieux ce sera, il n'y a pas de problème.

n(16 h 10)n

M. Trudel: Bien sûr. Ça ne me fait pas peur, le gros ouvrage, le gros travail. Toujours à titre d'historien... j'espère qu'on aura quelques minutes pour parler au citoyen aussi, parce que c'est important, on n'est pas déconnectés de la réalité quotidienne. Bon. Il y a ces écoles de pensée... non pas qu'elles s'affrontent, parce que ce sont des positions intellectuelles auxquelles il faut s'intéresser puis il faut voir le fondement... Qu'on le veuille ou non, vous êtes davantage tourné vers l'avenir, et vous nous dites: Bon, un jour, il faut faire un choix, c'est politique, dans le sens du choix des valeurs à réaliser. Mais par ailleurs il y a aussi de ces fondements historiques qu'il faut prendre en considération lorsqu'il s'agit, par exemple, de la pratique de Innu Aitun, de certaines activités ancestrales.

J'aimerais ça vous entendre un peu sur une des thèses ou d'autres thèses historiques qui nous sont proposées sur... Quand il n'y a pas absolue démonstration de la continuité de l'occupation territoriale au niveau des activités, par exemple, eh bien, cela nie en quelque sorte, là ? j'espère ne pas caricaturer ? la réclamation ou la détermination de règles ou encore même l'exercice des droits ancestraux. Vous, là, de votre point de vue, de votre formation d'historien, comment évaluez-vous cette école de pensée?

M. Girard (Camil): D'abord, sur un plan historique, en dehors des procès puis des jugements, moi, je pense qu'il faut sur un plan historique l'interprétation commune qu'on connaît avant qu'on entre dans des procès. La continuité historique de l'occupation de chasseur-cueilleur de culture algique, associée à une ère culturelle, qu'on identifie aujourd'hui à neuf communautés au Québec, deux au Labrador, qui parlent une langue, c'est un grand marqueur des cultures, une langue commune, aujourd'hui, bien, c'est les Montagnais. Puis les Montagnais d'aujourd'hui, on ne peut pas leur demander de parler le montagnais de 1600. Champlain ne parle pas le même français que je parlais, hein? Les langues ont évolué. On ne peut pas demander aux Montagnais d'occuper chaque arbre, chaque rivière en continuité, alors que c'est des chasseurs-cueilleurs-collecteurs, alors que les Euro-Québécois ou Canadiens n'ont pas occupé en continu le territoire du Domaine du Roy jusqu'en 1840, hein? Le peuplement s'est fait. Et le Labrador, si on l'avait occupé, M. Trudel, croyez-vous qu'on l'aurait perdu?

M. Trudel: No.

M. Girard (Camil): Si on avait signé, avant d'entrer en Confédération, une entente avec les Innus du Québec, peut-être qu'on n'aurait pas perdu le Labrador. Alors, moi, c'est pour ça que je pense que la continuité, il faut l'occuper le territoire, mais ça, c'est sur un plan, moi, je pense, historique.

Poser la question au niveau du gouvernement, à mon avis, c'est entrer dans... Lorsqu'on entre dans un procès, O.K. ? et vous l'avez dit déjà à la radio ? c'est qu'on... Bon. Il faut que tu défendes une thèse. Et, comme moi, par exemple, je pourrais arriver: Est-ce que le traité de 1603 fonctionne? Bon, bien, je dirais: Mathieu, on va montrer que, tu sais, Champlain n'était pas vraiment le représentant; est-ce que c'était de Monts? est-ce que Champlain était un agent espagnol? puis il peut me faire un petit texte là-dessus. Puis qu'est-ce que ça va servir en cours de route? Sauf que, en cours de négos, hein, on peut laisser sortir les dossiers, habituellement qui valent ce qu'ils valent, pour désamorcer.

Ça s'inscrit... Est-ce que ça s'inscrit dans les véritables débats d'historiens? Moi, je vous avoue honnêtement: comme historien, je crois que ce n'est pas une question pertinente. À partir du moment où le Québec reconnaît qu'il y a 11 nations au Québec, ils existent, ils sont là, et je pars avec ça. Et je pense que l'historien, il faut qu'il parte du présent, sinon il s'enferme dans le passé. Sauf qu'avec les avocats, les juges, il faut faire des débats, et c'est évident que, là, bien, tu peux faire une prise. Si tu as besoin de défendre que Champlain... Pour le fait qu'il y ait un traité ou pas, bien là, on va faire du surplace puis on peut mettre un historien pour dire: Champlain est un agent espagnol, puis on ouvre des pistes. Qu'est-ce que ça vaut au niveau des grands débats de l'histoire contemporaine, des discours communs? À mon avis, c'est des études qui n'apportent pas beaucoup au niveau de l'historiographie contemporaine.

La Présidente (Mme Mancuso): M. le ministre, si vous n'avez pas d'autres questions, je vais céder la parole au...

M. Trudel: Ah, j'en aurais en masse, en masse, en masse, d'autres questions.

La Présidente (Mme Mancuso): Malheureusement, le temps est limité. Donc, je vais céder la parole...

M. Trudel: Ah! s'il restait quelques secondes ailleurs, oui, j'en aurais d'autres. Mais merci beaucoup de cet éclairage, M. le professeur Girard. Non seulement... Ça ne nous fait pas regretter l'université, mais ça nous donne de grandes envies que se poursuivent ici des débats de cette nature, aussi s'inspirant de la connaissance. C'est absolument sensationnel. Merci.

La Présidente (Mme Mancuso): M. le député de Duplessis.

M. Duguay: Oui. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, M. D'Avignon, bonjour, M. Girard. C'est avec plaisir, bien sûr, qu'on vous accueille. Et l'exposé que vous venez de nous faire nous permet d'aller vers le futur. Et bien sûr que vous avez abordé une question qui me touche de très près; quand vous parlez de la Basse-Côte, c'est des territoires que je représente. Et c'est sûr que la recommandation 6 que vous touchez là-dedans serait drôlement un projet rassembleur si on pouvait faire la route jusqu'à Blanc-Sablon. Comme ça, ça permettrait de faire un secteur qui est isolé du monde nord-côtier. Il y a quand même 450 km de parcours, et ils sont complètement isolés, là, autant les communautés autochtones que les communautés blanches.

J'aimerais juste vous soulever une petite question: Est-ce que, l'entente de principe qu'on a présentement, le gouvernement pourrait la signer telle quelle et, après ça, envisager le traité plus tard?

M. Girard (Camil): Moi, je pense qu'il en va de la responsabilité des politiciens actuels de toute l'Assemblée nationale de voter ce document pour donner un signe clair que de dire... On ne commence plus à dire, là: Ils sont-u là? Ils ne sont pas là. Aïe! Vous êtes là, puis on va être avec vous autres, puis on va bâtir ce Québec pour le futur. C'est par là qu'on s'en va. Puis, après ça, on réinterprète l'histoire, puis on regarde, puis on révise notre histoire pour se bâtir des lieux communs, un espace commun, des lieux communs, comme disait notre maître à penser à l'INRS, Fernand Dumont. Et c'est pour ça que, moi, oui, l'histoire; mais l'histoire comme prison, pas question.

Et dans toutes nos vies on doit faire des choix, et on peut bâtir le meilleur et le pire à partir de nos propres vies individuelles, comme on peut faire dans l'histoire. Et l'histoire, c'est faire des choix pour avancer. Puis, comme disait monsieur de Roberval, moi, je n'ai pas pu faire reprendre la ferme de mon grand-père, hein, puis j'aurais pu, puis j'aurais dû. Vu que j'ai fait seulement la moitié du projet que j'aurais pu faire, j'aurais pu être agriculteur, alors j'aurais pu faire de l'agriculture, j'ai enlevé l'«agri» puis je fais de la culture, puis je me reprojette dans mon monde.

Regardez le village de La Terrière, où Françoise Gauthier, justement... Nous, on a vécu la disparition de notre village. Pourquoi avons-nous pu nous en sortir? C'est parce qu'on avait un horizon. Donc, pour les autochtones, à mon avis, qui n'ont ni passé ni avenir, bien, le cul-de-sac, c'est ton ghetto, ton moi, suicide et tout. Donc, pour te donner de l'avenir, il faut que tu aies un passé. Et nous, c'est d'ouvrir le passé puis dire qu'on va aller réviser cette histoire commune. Puis, maintenant, allons de l'avant. C'est tout ce que je dis.

M. Duguay: Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Mancuso): Donc, je vais céder la parole au ministre.

M. Trudel: Ah! Merci beaucoup. Une autre période de temps. Alors, vous nous rappelez une chose, je veux absolument le noter: il arrive parfois, dans ces épisodes intenses, que... Vous avez absolument raison qu'on ne réfère pas, dans le projet d'entente de principe, à la décision de l'Assemblée nationale de 1985. Et la loi de 2000, la loi adoptée, sauf erreur de ma part, à l'unanimité, je pense, sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec, on reconnaît spécifiquement, au chapitre IV, les droits existants ancestraux et issus de traités des nations autochtones du Québec.

M. Girard (Camil): Et dans l'approche de 1982.

M. Trudel: Oui, tout à fait, tout à fait, et ça, ne serait-ce que cela. C'est beaucoup plus que cela, mais les travaux en commission parlementaire servent aussi à nous rappeler, dans ce contexte-là, les repères importants qu'il faut inscrire dans nos projets d'entente et éventuellement dans nos traités.

Vous nous avez rappelé à la toute fin que le territoire sur lequel va s'exercer les droits ancestraux, s'exerceraient les droits ancestraux, les pratiques, principalement chasse, pêche, piégeage, etc., de cette nature-là, il faut que cela se réalise dans des règles déterminées, et vous nous indiquez qu'il y a urgence de lever l'incertitude sur le territoire ancestral innu, sur le territoire national.

n(16 h 20)n

D'où tirez-vous ce sentiment d'urgence de la levée de l'incertitude? Parce que là aussi il y a une autre école de pensée qui tourne autour de: On s'est toujours bien entendu avec le voisin, localement; pourquoi on se ferait une entente puis un traité? Pourquoi on déterminerait des règles? On s'entend ben, on ne se chicane pas trop, trop. Certains disent, nous affirment cela puis c'est vrai, aussi. Alors, vous, vous dites: C'est important, parce que ça va nous amener à lever l'incertitude sur le territoire ancestral. Pourquoi ce sentiment d'une certaine urgence ou une urgence certaine vous habite-t-il à cet égard-là?

M. Girard (Camil): Sur un plan économique, il y a sûrement... Et déjà Calder nous a rappelé que, pour faire des développements, pour faire du partenariat, il faut s'entendre avec les premières nations. Alors, moi, déjà, ça, c'est une urgence, parce que ça existe depuis 30 ans, cette incertitude, là, O.K.? Puis ça l'ouvre d'autant sur le Domaine du roi que... si on embarque le tout dans le juridique, ça peut devenir très complexe, là, tu sais? Ça s'ajoute à Schefferville puis tu en rajoutes, tu en rajoutes sans fin. O.K.?

Mais, au-delà de cela, moi, je pense que l'urgence, c'est de nous obliger, nous les régionaux, nous les Saguenéens, les Jeannois, les Nord-Côtiers, c'est de nous obliger à nous ouvrir aux autres, à regarder les autres, à regarder que les Montagnais, M. Trudel, ils sont là et ils sont là pour rester et travailler avec nous sur cette terre Québec pour l'éternité. En tout cas, nous, on va disparaître... Et, moi, je pense que c'est un beau défi, puis ça va être de dire: On arrête de laisser ça dans les ententes de traités non signés puis on se donne un cadre général. Puis, si, dans le cadre général, bien, il y a des articles qui sont complètement... bien, j'espère qu'on va être assez intelligents, les trois parties, pour les ajuster.

Et, moi, je pense que le défi, il est au-delà de l'économie. C'est que, les populations, on va apprendre beaucoup qu'à développer les forêts, bien, on peut avoir divers modes de gestion des forêts. Regardez, les trois nations montagnaises, des Montagnais, Essipit et Betsiamites, sur les sites patrimoniaux, je me suis amusé un petit peu à regarder la carte, et les Montagnais de Mashteuiatsh ont privilégié des sites patrimoniaux autour de lacs, de rivières où tu vois que c'est le regroupement de familles qui est important. Donc, pour eux, ils ont choisi de déterminer les sites patrimoniaux autour de regroupement de familles. Betsiamites ont décidé, eux, de la vieille filière traditionnelle, les lacs, les rivières à saumon, donc d'avoir des lacs et des rivières patrimoniaux. C'est la même culture; deux stratégies différentes. Essipit, ils n'ont pas de territoires patrimoniaux puis ils vont affirmer leur culture là-dedans. Donc, dans la culture, il y a plein d'espace, il y a plein d'espace à créer puis à réinventer le monde et l'univers.

Les frontières. Les frontières... les gens parlent toujours de la frontière Nitassinan et tout. Lorsque les Montagnais se rencontrent, par exemple, dans le coin de l'Ashuapmushuan, où on parlait justement avec M. Émond, eh bien, la frontière dans la culture autochtone, dans le fond, c'est que, nous, une frontière, c'est une ligne, ça nous sépare; dans la culture autochtone, c'est le lieu de l'alliance, c'est le lieu de la rencontre, c'est le lieu des échanges, c'est le lieu des adoptions. Et, lorsque tu as fini la rencontre, eh bien, tu peux ramener des objets dans ton territoire, un enfant adopté, une femme, ainsi de suite, et, durant l'hiver, dans la solitude, dans la froidure et tout, tu intègres et tu insères cette personne-là dans ta culture. Donc, c'est merveilleux. Mais, moi, je pense que... et la frontière nous enseigne beaucoup, je veux dire, dans la culture autochtone, donc, c'est merveilleux de pouvoir découvrir que la frontière ce n'est pas juste une ligne qui sépare. Et, moi, je pense qu'on a tout à apprendre.

Et, pour les communautés régionales, réinventer le Québec du futur, c'est, oui, le développement économique, mais avec les populations locales. Puis je pense que les populations locales, de passer à travers ce passage obligé, hein, ce deuil obligé, de dire, bien: On n'est pas tout seuls, puis on a été accueillis, puis de les reconnaître tels qu'ils sont... Comme hier, lorsqu'on parlait, par exemple, de la Charte des droits sur le 15 puis le 25. Moi, c'était très clair: le 15, c'est la Charte des droits; le 25, c'est de dire: Oui, on est tous égaux, mais on est différents, puis on est intéressants souvent parce qu'on est différents, hein, Vigneault nous l'a bien enseigné. Et l'Approche commune réintègre les chartes des droits du Québec et du Canada, je crois.

Donc, moi, je lis ça comme citoyen plus ou moins averti, en me disant: On part de ça, mais il faut passer à travers le filet de la culture. Et le filet, selon les cultures, hein, doit être plus ou moins une prise, et, pour moi, c'est le droit ancestral qu'il faut définir autour d'un filet qui peut être maillé de manières différentes et où les autochtone doivent aussi adhérer à des principes d'égalité, de respect, mais dans nos différences.

La Présidente (Mme Mancuso): Merci, Dr Girard.

M. Trudel: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Mancuso): Donc, je cède la parole au député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup. À mon tour, bienvenue et merci, monsieur, pour partager votre expertise avec les membres de la commission. Et en premier lieu, le magnifique livre que vous nous avez donné hier, de voir jusqu'à quel point, cette entente, il y a des liens de coïncidence... Mais dans ce livre, on a un exposé sur Harry Kurtness, si j'ai bien compris, le père du négociateur en chef pour les Innus de Mashteuiatsh, et également de Jules Gauthier, le père de notre collègue de Jonquière. Alors, on a une histoire personnelle qui est également liée avec notre réflexion de la commission.

Je veux revenir... je comprends, Dr Girard, quand vous avez dit qu'avec la reconnaissance de l'Assemblée nationale, des 11 nations, la reconnaissance des droits ancestraux, la Constitution de 1982, tout est réglé. Mais nous autres, les élus, les politiciens, on est dans le vrai monde des perceptions, et la question de l'histoire, la question de la légitimité de revendications territoriales des Innus est questionnée. Veux veux pas, nous devrons composer avec ça, et ce n'est pas tout le monde, malheureusement, qui ont assisté à vos cours d'histoire à l'université ou d'autres professeurs qui sont également qualifiés dans notre société. Alors, est-ce qu'il y a un autre moyen ou un autre rôle que les historiens peuvent jouer dans le débat public? Parce que, veux veux pas...

Je pense qu'en fin de semaine, je n'ai pas lu ça au complet encore, mais un avocat de Montréal qui a travaillé longtemps pour Hydro-Québec, Georges Emery, a écrit une réflexion sur l'Approche commune, et il remet en question le lien entre la Proclamation royale de 1763 et les Montagnais en disant qu'il n'y avait pas de lien parce que ça ne les regarde pas. Alors, encore une fois, on prend un élément du passé, on va le mettre dans la place publique, ça va faire une manchette ou deux sur LCN ou RDI, et on est de retour dans un débat historique, veux veux pas, puis nous devrons composer avec, et le ministre demande à son staff d'aller fouiller dans le livre d'histoire pour voir qu'est-ce qu'on a «handy», à côté de la main, sur la Proclamation royale de 1763.

Alors, est-ce qu'il y a un autre façon que les historiens puissent participer? Parce que je demeure convaincu que, malgré les démarches... Et, je pense, le professeur Charest, qui vient de témoigner, a fait la preuve que ce n'est pas une démarche qui date d'hier, qu'il y avait beaucoup de travail qui était fait pour établir le bien-fondé de cette revendication territoriale. Mais, je pense, ce n'est pas assez, le message n'a pas encore passé à la population. Alors, est-ce qu'il y a un rôle accru pour les historiens pour expliquer le pourquoi de la démarche?

La Présidente (Mme Mancuso): M. Girard.

n(16 h 30)n

M. Girard (Camil): Je vous parlerai d'abord sur un plan historique, parce que, même lorsque M. Emery dit que la Proclamation ne s'applique pas aux Montagnais, je vous présente un texte de Murray, 1766, puis est-ce que le texte de 1766 s'inscrit en continuité de Murray ou pas, de la Proclamation ou pas? Parce que, si la Proclamation ne s'applique pas, ça veut dire que le texte doit être interprété sur le fait que les Montagnais sont totalement souverains. Donc, le territoire du Domaine du roi n'est pas couvert aucunement par la Proclamation, comprenant l'Île-aux-Coudres jusqu'à Sept-Îles. Bon. Alors, là, là-dessus, on peut s'obstiner, lorsqu'on va en procès, sans fin sur ces choses-là, de sorte que, moi, je pense, très honnêtement, l'historien doit se questionner en fonction d'enjeux globaux de son présent, et l'enjeu global... et c'est pour ça que, moi, je pense que, lorsqu'en droit ou en négociation on est obligé de faire des appels de pied pour ouvrir des portes d'interprétation, on fausse le jeu de l'histoire, à mon avis, on fausse quelque part le jeu de l'histoire.

Et, lorsque le juge de la Cour suprême dit qu'un sauf-conduit devient un traité, eh bien, je pense que, les historiens, on devient... on est mêlés aussi là. Tu sais, c'est mêlant. On se dit: Qu'est-ce qu'on fait avec ça? De sorte que, moi, je pense que ça montre jusqu'à un certain point que, oui, il y a du juridique, oui, on peut tirer l'histoire avec le juridique, hein, comme on pourrait arriver avec une belle décision qui dirait demain matin: Les Innus, sur un plan juridique, hein, vous n'existez pas, vous n'avez pas de droits ancestraux. Supposons qu'on a le parfait jugement auquel rêverait M. Emery, hein. Donc là, le gouvernement est dans une position pour dire: Bien, on abolit tout puis on met... mais on va être très généreux, on va négocier pareil.

Entre vous et moi, là, ça règle rien d'avoir une décision de cour qui est d'un sens ou de l'autre. Moi, je pense que, depuis 30 ans, en citoyen là, moi, je pense qu'on a sorti ce qu'on avait à sortir du juridique puis d'une histoire qu'on peut étirer au sens d'une histoire commune, sauf que l'histoire commune à réécrire, c'est les pages blanches qui ont été oubliées depuis quatre siècles puis qu'on essaie péniblement de rapailler. Donc, moi, je pense, l'ouvrage que l'historien peut faire, c'est de remettre un peu de sens, de continuité pour expliquer les pages blanches qui ont été oubliées. Il faut détruire les mythes de deux ghettos: la réserve et le ghetto que la population blanche s'est créé dans sa propre tête. Et il faut essayer de faire de l'éducation, de la formation dans nos communautés. Comme, nous, à l'université, dans les cégeps, on fait beaucoup de travail auprès des personnes âgées, auprès des jeunes, pour faire le débat et, moi, je pense que, pour l'avenir, les avocats pour écrire les textes et les historiens pour éclairer, former, former, éduquer... Et, nous, on en a fait beaucoup dans la région du Saguenay?Lac-Saint-Jean malgré ce qui peut paraître, mais on s'aperçoit qu'il a beaucoup de travail à faire. Et vous savez qu'au niveau de l'histoire des mentalités, c'est plus difficile. Ça va être plus difficile, ça va être plus long, mais il faut aller vers l'avenir.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup pour ces conseils. Et une des difficultés, c'est on a parlé d'un traité. Vous avez mentionné ça dans votre mémoire. On est devant un genre de processus qui demeure partiel dans le sens qu'il y a des communautés qui demeurent, pour le moment, à l'extérieur du processus, et on a vu notamment la problématique de Matimekush où il y a des chevauchements, et j'ai beaucoup aimé la façon que vous avez décrit les frontières. Nous autres, Européens, on aime ça, comme mettre ça sur une carte où c'est les douanes, et ça va diviser le monde. Et pour vous, c'est plutôt... c'est les lieux de rassemblement. C'est le côté de la rivière, autour d'un lac, ou c'est un lieu de rassemblement, pas uniquement entre les Montagnais, mais également, j'imagine dans le passé, entre les nations aussi. Et le Traité de Tadoussac de 1603, c'était un exemple d'un lieu de rassemblement où plusieurs nations ont été impliquées, si j'ai bien compris.

Alors, est-ce que ça, c'est un obstacle majeur, la situation à Matimekush, ou est-ce qu'il y a un autre moyen que peut-être nous pouvons regarder comment ces terres étaient partagées dans le passé qui peut nous guider pour arriver avec une entente qui peut inclure, entre autres, Matimekush qui est une des cinq communautés qui est, pour le moment, à l'extérieur du processus?

M. Girard (Camil): Moi, je trouve que c'est une belle question, parce qu'elle appelle toutes sortes de volets. C'est évident que, sur un...

Le Président (M. Gautrin): ...vous êtes là pour vous comprendre.

M. Girard (Camil): ...plan juridique... c'est fascinant, parce que les gens, au plan de la population, ils trouvent que l'Approche commune, c'est difficile. Alors, quand tu arrives à Matimekush, quand j'écoutais, les semaines dernières, je me suis dit: Mais, tu sais, c'est tout un défi, là. Alors, c'est la même chose que si, par exemple, le Domaine du roi, on définissait qu'il y a... tu sais, le titre est là. Moi, je pense que le titre est entier sur le Domaine du roi. La continuité ne s'applique pas sur le Domaine du roi donc, advenant que tu as un traité là-dessus, ça veut dire qu'il faut que tu ouvres la Convention de la Baie James et ainsi de suite.

Moi, je pense que ce serait plus sage de faire l'entente, l'Approche commune, avec les quatre communautés et d'ouvrir, de dire: Bien, toute communauté qui voudra se rattacher à cette entente-là, ça veut dire que c'est des acquis, comme on fait en convention collective. Quand l'Université du Québec à Montréal signe sa convention collective alors, M. Trudel, vous savez qu'à l'université de l'Abitibi, on est obligé de suivre, à Chicoutimi, la même chose. Alors, moi, je pense que les quatre communautés ayant...

Le Président (M. Gautrin): Pardon.

M. Girard (Camil): Pardon?

Le Président (M. Gautrin): Pas l'Université de Montréal.

M. Girard (Camil): O.K. Parce que vous êtes indépendant.

M. Trudel: Après, ils ont suivi.

Le Président (M. Gautrin): Non, non, pas du tout, on a précédé.

M. Trudel: Les chargés de cours, ça a commencé chez...

Le Président (M. Gautrin): On a toujours précédé.

M. Trudel: Les chargés de cours, ça a commencé chez nous. M. le professeur, vous avez raison.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Continuez.

M. Girard (Camil): Même, moi, je pense que fais plutôt un genre de clause remorque, O.K., dans laquelle... puis, c'est évident qu'avec... parce que, si on essaie de tout décortiquer, là, l'aspect juridique, moi, je pense qu'on va entrer dans un bordel de... Bon. Puis, lorsque l'entente aura prouvé, avec les quatre communautés, qu'on aura faite comme on... le résultat de l'entente et le résultat aussi de 25 ans de pratique de la Convention de la Baie James. Alors, moi, je pense qu'après quelques années, Matimekush, les communautés verront l'opportunité de voir et ils sauront toujours que c'est un acquis.

Comment on va régler l'arrimage de Matimekush avec la Convention sur le principe? Est-ce que ce sera une entente en fonction du titre? Là, c'est une autre problématique. Mais, moi, je pense que l'idée de dire avec tout le respect, et de le mettre même dans le traité final, à savoir que les quatre nations, ou les nations montagnaises qui manquent, avec toute la déférence et le respect qu'on leur doit, malgré... hein, seront toujours des membres à part entière d'un projet qu'on veut pour toute la communauté.

Et, moi, je pense que c'est l'arrimage comme ça, parce que, sur un plan juridique, ça devient, à mon avis, la tour de Babel, là, où on en a encore pour 30 ans. Sauf que, moi, je pense que Matimekush est un dossier très lourd. Et c'est, sur un plan externe, là ? moi, je ne suis pas si vieux que M. Charest ? c'est comme... tu as l'impression que, tu sais, le Québec puis le Canada ont signé avec les Cris, ensuite, tiens, on a oublié les Naskapis, puis, oups! on oublie les Innus. Alors, va pour l'histoire.

Alors, je dirais, M. Trudel, qu'on a mis une histoire très sélective dans le fait de dire que les Montagnais existent ou n'existent pas. La question ne se pose pas parce qu'ils sont là.

Le Président (M. Gautrin): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Et vous êtes un témoin assidu à nos travaux, et tout ça. Vous avez écouté les grandes divergences d'opinions. Je regarde votre recommandation n° 6, plutôt comme citoyen comme historien, que les populations locales soient associées au processus. Et vous avez votre expérience également pour les négociations des conventions collectives à l'université et c'est juste, si vous avez commencé de tirer des conclusions, comment mettre en place un processus plus inclusif mais qui demeure fonctionnel? Parce que ma crainte, c'est qu'on va établir quelque chose qui est trop grand et qui va être voué à l'échec dès le départ parce qu'à 350 on ne peut pas ? et je pense que c'était le message clair des représentants syndicaux hier, Mme Richard, M. Massé étaient assez clairs qu'il faut quand même un processus fonctionnel et, ici, c'est trop, trop de monde...

Mais, par contre, on a vu la diversité des opinions devant la commission: beaucoup d'expertise des gestionnaires des zecs jusqu'aux industries forestières, jusqu'à la trappe, la chasse, la pêche. En tout cas, on a reçu beaucoup de sagesse, beaucoup d'éléments pratico-pratiques qui sont intéressants. Comment est-ce que je peux incorporer tout ça dans un processus de négociations, mais garder toujours une certaine pression d'une obligation de résultat que, 23 ans après, toutes les études, tous les travaux? Je pense qu'il y a un pression sur l'ensemble du leadership des trois partis d'en arriver avec une certaine conclusion et de ne pas prendre un autre 25 ans.

Alors, avez-vous une suggestion comment je peux en arriver de faire la conception d'un processus plus inclusif mais performant quand même?

Le Président (M. Gautrin): M. Girard.

n(16 h 40)n

M. Girard (Camil): Oui. Moi, je pense que les MRC, il est très important de les impliquer. Bien choisir les personnes. O.K. Et les personnes qui seront sur ces comités-là, pas partisans de tel côté. Moi, je pense qu'il faut aller chercher des sages, O.K., puis des personnes qui ont une certaine vue puis qui ont des positions, oui, mais pas des positions, etc. Et c'est pour ça que, moi, je pense qu'il est si important de dire: Le cadre de l'Approche commune, ceux qui embarquent dans le dossier, il faut le respecter, c'est une loi de l'Assemblée nationale puis on part avec ça. Il faut que le cadre soit clair, il faut qu'il y ait un leadership qui soit donné par les trois partis, si possible à l'unanimité, pour dire: On part avec ça puis on s'essaie. Puis, si au bout de deux, trois ans, on foute le... on apprendra, comme Québécois, hein, on essaiera de faire autrement avec tous les Québécois que nous sommes.

Moi, je pense donc qu'il faut savoir choisir des personnes qui ont une certaine expérience, mettre à profit les syndicats qui ont une forte expérience, qui sont capables, à un moment donné, de départager ou le passé ou le présent. Non, non, non. On a des mandats, on a l'obligation de résultat et, moi, je vois les syndicats dans les communautés.

Troisième point, moi, je pense aussi essentiel, il faut que, dans tous nos débats publics, il faut que les Montagnais soient là. Il faut qu'ils soient avec nous, toujours là, comme ils sont là aujourd'hui. Et, moi, je pense que, être passé un mois pour discuter à l'Assemblée nationale des premières nations innues, bien, moi, je pense que, sur un plan historique, c'est déjà, je pense, un exercice important. Donc, s'assurer que, dans toutes les questions, comme par exemple lorsque je fais des formations dans mes cours, d'avoir quelqu'un de la communauté montagnaise. Puis je dis aux étudiants: Vous pouvez dire n'importe quoi mais pourvu que ce soit poli, avec respect et tout ce que tu veux dire en privé, il faut que tu puisses le dire aussi devant le Montagnais; assume-le. Et déjà, lorsqu'on est en présence de tout ça, donc se construire aussi un discours civilisé au lieu d'entrer toujours dans un discours qui est entre la citoyenneté puis, à un moment donné, où on s'en va vers des... pour déconstruire aussi, moi, je pense, tranquillement, puis se bâtir un discours citoyen, un discours civique, un discours proactif, puis un discours dans lequel on dit aux Montagnais: Vous êtes là. Nous sommes là et on bâtit le Québec. Mais, moi, je pense: MRC, des personnes, les syndicats. Moi, j'ai vu hier dans les prestations des syndicats, des gens qui peuvent travailler dans les usines et tout, puis qu'à un moment donné dans une équipe où il y a trop d'intellectualisation, trop de verbomotricité, on dit: Non, non, on a des objectifs puis on s'assit puis on parle des vraies affaires. Moi, je pense que ce serait à mettre à profit dans les unités locales, les coopératives aussi forestières puis s'assurer aussi que les Montagnais syndiqués, les syndicats dans leurs communautés, les coopérations puis que travailler ensemble... Les syndicats ont de l'expérience, on se chamaille pendant, puis après ça on sort, puis on travaille ensemble pendant les quatre années jusqu'aux prochaines chamailles. Et ça fait partie des jeux, hein, puis des rapports de force puis pour réapprendre à travailler sur des lieux communs.

Il y aura peut-être lieu aussi, moi, je pense, de commencer au niveau des projets, lorsqu'on dit des projets de partenariat, de commencer par des petites choses. Nous, on a travaillé beaucoup sur la mise en valeur de la Péribonka. Toute l'étude du territoire de la Péribonka avec une équipe pluridisciplinaire et, dans toutes nos réunions, dans notre comité de direction, il y avait un représentant de Mashteuiatsh qui est venu à toutes nos réunions. Alors, même les collègues qui avaient des inquiétudes, et tout ça, sauf qu'au début des trois ans du projet on avait des collègues qui étaient inquiets sur l'approche environnementaliste des Montagnais, et là c'est rendu que les professeurs sont plus environnementalistes que les Montagnais. Alors, des inquiétudes... Et on a appris beaucoup à se connaître, à découvrir une rivière superbe, les territoires ancestraux et le tout s'est fait, je veux dire, en système ouvert avec les Montagnais qui étaient avec nous dans les comités aussi d'échanges, de direction, avec des universitaires. Donc, on reconnaissait quelque part qu'il y a un savoir savant de la culture ancestrale autochtone et même nous, ça nous interpelle comme scientifiques. On s'aperçoit que l'histoire, le rapport au temps... nous, on a un temps linéaire, le temps des saisons, le temps... Comme Mme Siméon nous interviewait, à un moment donné, je me suis aperçu qu'elle parlait des printemps de sa vie en continuité. Alors, je lui demandais souvent lorsque je lui parlais: Oui mais à quel âge vous avez fait ça? Pour elle, ça... Non. Donc, sa vie, c'était l'histoire de tous les printemps, de toutes les saisons, dans une continuité, et des cultures autochtones, c'est des cultures de continuité. Le concept de discontinuité, ça n'existe pas. C'est une culture du cercle. C'est pour ça qu'à mon avis interpeller la culture autochtone dans la discontinuité, c'est un concept... en tout cas, je pense, s'il y avait une histoire autochtone, ça ne peut pas exister dans la culture autochtone parce que le cercle se reconstruit tout le temps.

Le Président (M. Gautrin): Dernière, rapidement, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Oui, oui, très rapidement. Juste merci beaucoup pour cet exemple du projet sur la rivière Péribonka, également sur la 138. J'ai eu l'occasion de rencontrer la Coasters Association qui sont les représentants des villages anglophones, Tabatière, Harrington Harbour, Blanc-Sablon, à St. Paul's River. Ils ont parlé longuement du projet de la 138. Un jour, les derniers 450 kilomètres vont être réalisés. Mais c'est un bel exemple et merci beaucoup pour le partage de votre expertise.

M. Girard (Camil): Je voudrais, juste avant de terminer...

Le Président (M. Gautrin): M. Girard.

M. Girard (Camil): I would like to thank Mr. Geoffrey... I think you do a great work and I'm very proud to have you as a great Quebecker.

Le Président (M. Gautrin): Merci. Merci, M. Girard.

Et je continuerais maintenant en demandant à M. Bouchard, Russel Bouchard, s'il veut bien venir se présenter. Bon.

(Changement d'organisme)

Alors, M. Bouchard, je vous souhaite la bienvenue à cette commission. Vous n'êtes pas sans connaître les règles de fonctionnement de la commission, à savoir que vous allez avoir une heure pour... on aura une heure pour discuter de votre mémoire, partagée de la façon suivante: 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, 20 minutes pour les questions provenant des députés ministériels et 20 minutes pour les questions provenant des députés de l'opposition officielle.

Malgré que le décor est un peu impressionnant, sentez-vous à l'aise ici pour vous exprimer le plus facilement et le plus clairement possible. On est absolument souple. L'important, c'est connaître le fond de votre pensée. Alors, M. Bouchard, quand vous aurez fini par avoir retrouvé votre mémoire.

Une voix: ...

Le Président (M. Gautrin): Ah! je vous laisse chercher dans votre valise. Prenez votre temps, écoutez, il n'y a pas... Alors, prenez votre temps pour vous installer tranquillement.

Une voix: La présidence est très libérale.

Le Président (M. Gautrin): La présidence est libérale en effet; c'est toujours un avantage. Un don. Est-ce que vous pouvez commencer?

M. Bouchard (Russel): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Gautrin): Alors, M. Bouchard, vous avez la parole.

M. Russel Bouchard

M. Bouchard (Russel): Merci beaucoup. Avant de commencer, M. le Président, j'avais, dans mon mémoire que j'ai envoyé dans les dates requises... j'avais écrit à la fin du mémoire, à la page 12, que chacune des recommandations qui étaient dans le mémoire était, allait être développée particulièrement dans un manifeste que j'allais déposer justement devant cette instance. Alors, c'est ce que je fais avec le résumé.

Le Président (M. Gautrin): M. le président, M. Bouchard, excusez-moi, c'est avec plaisir que nous recevons le dépôt que vous faites du manifeste que vous voulez bien déposer devant les membres de cette commission. Et je demanderai au secrétaire de bien vouloir nous en faire des photocopies, si c'est faisable. Vous l'avez déjà?

M. Bouchard (Russel): Oui, mais il faut dire, M. le Président, que le manifeste est un volume, aussi, là.

Le Président (M. Gautrin): Ah! bon.

M. Bouchard (Russel): Alors, c'est pour ça que je...

Le Président (M. Gautrin): Le manifeste est un volume, alors on en fait le dépôt. Est-ce que les parlementaires de l'opposition, on a eu accès à ce... Peut-être en donner une copie, parce que je comprends que les ministériels l'ont eu.

M. Bouchard (Russel): C'est pour ça que j'ai fait un résumé que j'ai joint.

Document déposé

Le Président (M. Gautrin): Je comprends. Alors, peut-être le résumé du volume, on pourrait peut-être le faire photocopier de manière que tous les parlementaires y aient accès. Alors, M. Bouchard, à vous.

n(16 h 50)n

M. Bouchard (Russel): M. le Président, M. le ministre, distingués membres de cette commission, gens du Saguenay, gens du Lac-Saint-Jean, gens de la Côte-Nord et tous ceux du pays intime, le 14 juillet 2000, les journaux nous apprenaient que le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et les représentants des quelque 4 567 descendants d'aborigènes regroupés dans la communauté de Mashteuiatsh s'étaient entendus sur les grandes lignes d'un traité sans tenir compte des droits, besoins et aspirations de l'autre segment de la communauté régionale qui partage pourtant ces mêmes territoires depuis des temps immémoriaux, confinant ainsi tout ce qui n'est pas innu au statut réducteur de locataires dans leur propre pays et de citoyens de seconde zone et faisant fi de leur droit de regard sur cette terre nourricière, de leur sentiment d'appartenance et de leurs rêves.

Qu'on le veuille ou non, qu'on soit pour ou contre, qu'on l'avoue ou pas, qu'on l'ignore bêtement ou qu'on s'en moque royalement, il reste que la signature ou le rejet de ce traité va déterminer si, oui ou non, tous les citoyens canadiens et québécois sont égaux devant la loi et devant l'État; si, oui ou non, dans la société qui se dessine sous ce nouveau diktat, l'égoïsme individuel et les passions tribales vont l'emporter sur l'esprit de fraternité; si, oui ou non, nous vivons dans une tyrannie qui hiérarchise ses citoyens selon leur qualité raciale; si, oui ou non, le Canada, qui a été l'un des plus farouches opposants au régime d'apartheid de l'Afrique du Sud, a laissé tomber la proie pour l'ombre en ce qui concerne sa propre morale, s'il a bradé ses principes fondateurs pour régler quelques problèmes domestiques.

Vous rendez-vous compte, M. le ministre ? vous rendez-vous compte, M. le ministre ? que le gouvernement du Québec, un gouvernement qu'on dit responsable, entre guillemets, dans notre système politique démocratique a confié le mandat suprême de décider de l'avenir éternel de ce qu'il a de plus sacré, 45 % du territoire québécois et les gens qui vivent dessus, à un entrepreneur privé, un homme d'affaires, M. Louis Bernard inc., qui a été investi par ce fait et par vos instances de toutes les prérogatives d'un roi? C'est ce que l'on appelle plus exactement, M. le ministre, un détournement d'État.

Imaginez, M. le ministre, un gouvernement responsable, entre guillemets, qui s'est déresponsabilisé de ses devoirs les plus sacrés envers le peuple du Québec et la mission qu'il a confiée à ses élus. En ce qui me concerne, il n'y aurait pas d'épithète assez dure pour qualifier cet effondrement de toute la députation québécoise qui s'est rangée derrière vous pour écraser la dissidence citoyenne et, cela faisant, éliminer les derniers noyaux de la résistance canadienne-française au Québec, rendant ainsi grâce à la prophétie de lord Durham, qui n'avait pas mis de temps à comprendre que ce serait l'élite canadienne-française qui allait sonner le glas des Canadiens français.

M. le ministre, voilà un projet de traité qui entend révulser la gestion politique, économique et écologique des territoires du Saguenay?Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, voilà un projet de traité où on entend créer deux qualités de citoyens sur la base de l'ethnicité et sur la foi des articles 25 et 35 de la Constitution canadienne qui interdit pourtant toute discrimination basée sur la race et l'ethnicité dans son article 1 et surtout dans son article 15.

Voilà un projet de traité où quelques citoyens se verront conséquemment accorder des droits et privilèges discriminatoires en vertu de leur origine ethnique et où les autres, totalement ignorés de l'entente, se verront réduits, toujours sur la foi de considérants ethniques, à l'état de citoyens de seconde zone. Et voilà, dans un moment si crucial de notre histoire, alors que ces deux régions directement impliquées sont engagées dans un processus de désintégration socioéconomique sans précédent, voilà, dis-je, qu'aucun député des territoires impliqués ? il manque celui de Chicoutimi, en passant, M. le Président, et il manque la députée de Jonquière, M. le Président, c'est leur territoire qu'ils sont supposés de défendre ici ? n'ait jugé bon ou n'ait eu le courage politique, cela s'entend, de s'opposer à ce projet d'entente inique en dépit des lourdes conséquences pour notre avenir collectif, de questionner et éprouver les tenants et aboutissants d'une telle dérive antidémocratique, de défendre les territoires qui leur sont confiés par le peuple, et de protéger leurs intérêts souverains qui passent inévitablement par le respect du principe fondamental de la représentativité populaire, de la responsabilité politique et de l'égalité des droits et des chances pour tous sans exclusion ni discrimination.

Décidément, je n'aurais pas cru devoir rappeler à ce pays, le Canada, qui fait l'envie de la plupart des peuples de la planète pour la qualité de son style de vie, pour l'importance qu'il accorde à la démocratie et pour la protection constitutionnelle qu'il donne, en apparence du moins, à la liberté et à l'égalité des droits et des chances de tous ses citoyens, que la liberté des individus est inséparable de la fraternité, que l'une et l'autre sont impossibles sans la justice qui est à toutes et à tous sans discrimination aucune et qu'elle, la liberté, est expressément menacée de mort si les Parlements provinciaux et fédéral, gardiens de la Constitution, s'appliquent à déjouer et à bafouer par astuce les règles et la morale qui la soutiennent. Il y a assurément, dans tout exercice du pouvoir pour le compte de ses ambitions, de celles d'un individu qu'on favorise ou d'un groupe qu'on protège sans tenir compte de l'intérêt collectif réel qui est la principale raison d'être de l'humanité, il y a, dis-je, une capitulation de la conscience, une porte ouverte à l'intolérance et une main tendue à la tyrannie.

M. le ministre, on ne peut être plus clair, M. le ministre. «Un État qui définirait essentiellement son action en fonction d'attributs ethniques ? écrivait au début de sa carrière politique, 1967, l'ex- premier ministre Trudeau ? aboutirait ? dit-il ? inévitablement au chauvinisme et à l'intolérance. L'État ? poursuit-il ? qu'il soit provincial, fédéral ou éventuellement supranational, doit rechercher le bien commun de l'ensemble de ses citoyens sans distinction de sexe, de couleur, de race, de croyance religieuse et d'origine ethnique.» Fin de la citation.

À mon avis, cette philosophie engageante d'un pays qui protège l'ensemble de ses citoyens de la tyrannie de l'État et qui tend à protéger le principe de l'universalité des droits et des chances pour tous ses membres individuels et collectifs est un héritage précieux qu'il nous faut protéger envers et contre tous, contre vents et marées et contre toute interprétation lénifiante, abusive, restrictive et exclusive des textes de la loi au profit d'un seul individu, d'un petit groupe ou d'une communauté ethnique quelconque sous quelque prétexte que ce soit. Par conséquent, un projet de traité national, comme celui de l'Approche commune, qui entend exclure une partie importante de ses membres ? 98 %, ce n'est pas banal, M. le Président et M. le ministre ? au profit d'une fratrie est une débauche sociétale, un signe de déchéance qui heurte de front l'esprit constitutionnel. Il ne peut conduire qu'à notre malheur et il doit être combattu jusqu'à ce qu'il remette à l'ordre du jour le seul vrai sens de la portion d'humanité qui l'a fait naître, l'entraide.

Quel espoir transcendant ? la question mérite encore une fois d'être posée ? peuvent encore porter une constitution, une société, un pays qui ne remplissent pas leur promesse envers la fraternité et qui trahit les idéaux de justice, d'égalité et de liberté qui les ont fait se développer à travers le sens commun? Comprenons qu'il ne s'agit pas ici de nier l'importance cruciale pour la communauté canadienne dans son ensemble, d'établir un traité équitable et un modus vivendi soucieux du respect des différences entre les communautés ethnoculturelles ilnues, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, bien que ces pourparlers se sont effectués dans des conditions critiquables et suspectes, derrière des portes closes et dans le mépris de la démocratie et de la transparence la plus élémentaire.

n(17 heures)n

Il ne s'agit pas non plus de nier la validité des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ni de nier les besoins spécifiques de la communauté ilnue ainsi que la nécessité, pour elle, de faire du rattrapage socioéconomique, de diriger les affaires qui la concerne en propre et de participer au développement économique régional, il s'agit plutôt de dénoncer son usage biaisé, de s'y objecter et de dénoncer le fait absolument inacceptable que les trois parties susnommées s'adonnent à ces pourparlers qui établissent des nouvelles règles du jeu socioéconomique et politique dans le mépris total des quelque 368 000 autres êtres humains, entre guillemets, vivant actuellement dans lesdits territoires impliqués; sans tenir compte des droits constitutionnels des autochtones canadiens-français ? j'ai bien dit «des autochtones canadiens-français» ? et des allochtones; sans tenir compte de leur amour pour cette terre sacrée où ils sont nés, où ils vivent par le fait d'histoire ou par choix et où ils entendent mourir; sans tenir compte de leur niveau de décadence démographique; sans tenir compte du recul socioéconomique et de l'écart sans cesse grandissant qu'ils subissent depuis les 30 dernières années par rapport aux ensembles québécois et canadien; sans tenir compte du haut taux du suicide qui les affecte tout autant et sans tenir compte du recul que ces collectivités accusent par rapport aux communautés ilnues vivant sur ces mêmes territoires, et en contravention ? il importe de le redire ? aux articles 1, 15, 27, 36 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans le contexte de cette même loi suprême, je réclame donc, pour moi-même, pour ma descendance et pour les 368 000 laissés-pour-compte des collectivités régionales du Saguenay?Lac-Saint-Jean?Côte-Nord, les mêmes reconnaissances, les mêmes protections, les mêmes privilèges et le même droit au bonheur en vertu de l'article 1 qui assure que les droits et libertés, et je cite, M. le ministre, «ne peuvent être restreints que par une règle de droit ? vous en avez parlé souvent, des règles de droit ? dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique»; en vertu de l'article 15 qui établit, et je cite, que «la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales»; en vertu de l'article 36.1 qui oblige les Parlements et les gouvernements provinciaux et fédéral à, et je cite, «promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être»; et en vertu de l'article 52.1 stipulant que, et je cite, «la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada» et qu'«elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle du droit».

M. le ministre, parce que l'exclusion est économiquement mauvaise, socialement corrosive et politiquement explosive, par esprit de justice qui doit atteindre tous les êtres humains, entre guillemets, donc les Ilnus, nous aussi, de ce pays, par respect pour mon sentiment d'appartenance à cette même terre qui est notre mère à tous, par amour pour mon pays, mon pays intime, pour ma patrie intime, pour le peuple auquel j'appartiens par le sang et par l'histoire, pour tous les oubliés de ce grand partage et parce que je suis sincèrement d'avis que le gouvernement du Québec, un gouvernement qui, curieusement, prône la souveraineté du Québec et le refus de reconnaître la Constitution de 1982, est en train de perdre sa pleine autonomie politique au profit d'une collectivité ethnoculturelle et d'un Parlement fédéral qui, en bout de piste, récupérera le pouvoir exclusif de légiférer sur l'ensemble du territoire de Nitassinan, je demande expressément par la présente à l'État du Québec et à l'État canadien, gardiens des valeurs constitutionnelles: un, l'arrêt des négociations actuelles, le rejet définitif du projet d'entente titré l'Approche commune et l'instauration immédiate d'un nouveau projet de traité dont le titre ? si vous n'avez pas d'idées, je vous en suggère un ? pourrait être Une approche vraiment commune, où seront invités à négocier quatre parties ? retenez-les bien, M. le ministre et M. le Président: un, le gouvernement du Canada, gardien de la Constitution; deux, le gouvernement du Québec, propriétaire en vertu de la constitution des terres; trois, les députés élus des Parlements fédéral et provincial représentant les populations autochtones canadiennes-françaises ? je le redis «autochtones canadiennes-françaises», M. le ministre ? et allochtones du Saguenay?Lac-Saint-Jean?Côte-Nord; et, quatre, les négociateurs des autochtones ilnus vivant sur les territoires directement impliqués.

La somme détaillée de mes 13 autres recommandations vous est communiquée dans mon dernier opuscule titré, et que j'ai remis tantôt, Le Saguenay?Lac-Saint-Jean (et la Côte-Nord) «Notre Terre à Nous Aussi», évidemment par allusion à Innu Assi, et sous-titré Manifeste pour une Approche ? vraiment ? commune. L'essentiel est dit pour l'heure. Merci de m'avoir permis de m'exprimer. Russel Bouchard, 12 février 2003.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie, M. Bouchard, et on va commencer la période d'échange. Dans l'ordre, le député de Rouyn-Noranda?Témiscamingue, et qui est ministre des Affaires autochtones, il va s'adresser à vous; ensuite, je pense que le député de Roberval a des questions; et le député de Duplessis aussi a des questions. Alors, M. le ministre.

M. Trudel: Merci de votre présentation, M. Bouchard. Le député de Chicoutimi et son collègue le député de Lac-Saint-Jean sont dans leur communauté intime aujourd'hui, comme vous dites, avec des ministres qui sont à énoncer un certain nombre de réalisations, en fait de projets à mettre en marche au Saguenay?Lac-Saint-Jean, et j'imagine que le motif pour la députée de Jonquière doit être de même nature. Ces députés ont toujours été présents ici lors des débats qui ont été réalisés en commission parlementaire.

M. Bouchard, c'est évident que votre approche, elle est, par rapport à un certain nombre de points de référence, le moins que l'on puisse dire, déconcertante. Et l'utilisation du mode pamphlétaire pour exprimer votre opinion, ce que vous avez appelé la résistance citoyenne ? c'est à votre honneur ? nous amène effectivement à un certain nombre de réflexions. Les morceaux sont coupés assez carrés, les coins sont tournés assez rond, et cela nous amène effectivement à des questionnements de fond sur l'interprétation ou la réinterprétation de l'histoire, parce que parfois on a comme l'impression de réentendre un des secrets de Fatima ? pauvre Canada! ? que ça va être la catastrophe, et puis que vous réinventez de façon moderne le secret de Fatima aux petites religieuses et que ça va être une catastrophe absolument incroyable.

M. Bouchard, j'ai été surpris de lire aussi... j'ai été surpris de lire dans vos répliques et vos ? je l'utilise parce que vous nous l'avez donné dans l'annexe de votre mémoire ? échanges avec Michel Vastel, du journal Le Soleil, singulièrement, où vous affirmez, bon, en réponse à la chronique de Vastel de novembre 2002... Vastel vous disait, et je vous cite dans votre lettre: Il n'y a pas de communauté autochtone au Saguenay mais de gros intérêts menacés... C'est Vastel qui parle: «Il n'y a pas de communauté autochtone au Saguenay mais de gros intérêts menacés par l'extension des droits de chasse et de pêche. Vous mettez ensemble un historien en mal de publicité, Russel Bouchard, un ancien maire de La Baie, Réjean Simard, qui a beaucoup d'amis dans les pourvoiries, un maire de la nouvelle ville de Saguenay, Jean Tremblay, qui fait flèche de tout bois pour emmerder le gouvernement et mousser sa propre carrière politique, et vous avez un cocktail explosif. Le détonateur, ce sont des animateurs de radio qui gonflent leurs cotes d'écoute à grands coups de gueule.»

Et vous, vous continuez en disant: «Cela étant dit ? et vous avez fait des commentaires entre les deux, là ? sachez qu'il n'y a pas de communauté autochtone au Saguenay?Lac-Saint-Jean ? je ne termine pas la phrase, mais je pourrais la terminer ? puisque l'Humanité avec un grand H a pris son pieu en Afrique et que le peuplement de l'Amérique tous azimuts est le fruit de plusieurs vagues migratoires successives; il n'y a pas de petits intérêts au Saguenay?Lac-Saint-Jean mais de gros intérêts promis à l'élite inuite par la multinationale Hydro-Québec, par les multinationales diamantifères qui râpent présentement la cime des monts Otish, une portion du futur Innu Assi de Mashteuiatsh, et par les multinationales de la forêt qui ont de bonnes assises à Mashteuiatsh et à Saint-Prime.»

Bien, deux questions: Est-ce que, pour vous, M. Bouchard, réellement, dans votre conception, il n'existe pas de communauté autochtone au Saguenay?Lac-Saint-Jean? Et par ailleurs, est-ce que tout ces projets, ces 23 dernières années de travaux, qui nous amènent à l'étape non pas finale d'un traité, mais d'ententes sur des principes pour se diriger éventuellement vers un traité, ce n'est rien qu'une question d'intérêts, cette affaire-là? C'est uniquement une question d'intérêts des uns, des autres, de multinationales, d'entreprises, de groupes? Est-ce que ça se résume à des intérêts?

n(17 h 10)n

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard.

M. Bouchard (Russel): Écoutez, M. le ministre... Pardon.

Le Président (M. Gautrin): Allez-y.

M. Bouchard (Russel): Ce n'est pas bien... Votre allusion à Fatima, écoutez, venant de votre part, je ne trouve pas ça fort, là. Mais, pour ce qui est de répondre à votre question, lorsque l'injustice ? vous lirez Montesquieu, si vous ne l'avez pas lu, vous lirez Hobbes, et bien d'autres ? lorsque l'injustice se manifeste dans une société à partir du prince ou d'un gouvernement, c'est uniquement pour répondre à des intérêts particuliers. Et, quand je parle d'intérêts particuliers, M. le ministre, je parle d'intérêts... ça peut être aussi bien corporatiste. Moi, ce que je parle, c'est de l'intérêt collectif. Réglez mon problème d'intérêt collectif, puis il n'y aura même plus de discussion ici.

Tout ce qui vient de problèmes dans votre Approche ? d'ailleurs, vous êtes arrivés à la dernière heure dans cette Approche-là ? tout ce qui vient de problèmes dans votre Approche... Puis remarquez le blitz de M. Chevrette qui a essayé de patcher celui-ci, une coupe de bois; celui-là, un sentier forestier; cet autre, un chalet. Ça, ce sont des privilèges maintenant, en vertu de votre entente, des privilèges individuels que vont nous donner ceux qui vont recevoir le titre «aborigène». Savez-vous pourquoi, M. le ministre?

J'ai l'impression qu'il vous en manque. Vous auriez dû lâcher le secret de Fatima, vous auriez dû tomber dans Hobbes ou dans Montesquieu, vous en sauriez beaucoup plus sur mon compte. L'intérêt collectif, c'est ce qui garantit des droits individuels. De la manière dont vous êtes partis, vous reconnaissez à 1,6 % de la population des droits, ce qui veut dire que ces droits-là, étant donné qu'ils ont le titre d'aborigène, donc le titre sur le territoire... Titre «aborigène», c'est lourd. Il l'a dit, M. Emery, hein, c'est lourd parce que c'est le titre de propriété du territoire puis de ce que c'est que tu as à faire. Ça veut dire que, si vous ne reconnaissez pas nos droits collectifs... Parce que vous avez parti une machine infernale, si vous ne reconnaissez pas nos droits collectifs, nous allons vivre dans une société de privilèges, nous, au Saguenay?Lac-Saint-Jean?Côte-Nord, les 98 %. Ça veut dire qu'à chaque fois qu'on va avoir un litige il va falloir qu'on demande la permission au 1,6 % des gens à qui vous avez accordé le titre «aborigène».

À partir de ce moment-là, il va falloir aller à l'intérieur de la Constitution et reconnaître la collectivité autochtone canadienne-française, M. le ministre, parce que ça existe dans l'article 35. Je pense que vous avez mal fait vos recherches. Nous existons, nous, les Canadiens français, comme des autochtones, en vertu de l'article 35, M. le ministre. Vous avez ouvert une machine puis vous ne savez pas où vous allez vous ramasser avec ça, d'autant plus que le droit autochtone est un droit qui est «the sky is the limit». On ne fait rien que commencer.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre.

M. Trudel: Bien, je pense que cela nous amène sur des nouveaux sentiers ? j'ai eu l'occasion de lire Montesquieu et De l'esprit des lois aussi quand nous avons fait le doctorat, aussi, en philosophie ? quand on se retrouve sur le terrain du réel, sur le terrain du commun, et il y a une partie de cela dans l'Approche commune. Et vous attribuez toute cette approche à une conception ethnique, la reconnaissance à partir de l'ethnicité. Est-ce que, pour vous, ces nations existent? Non pas sur la base de l'ethnicité, mais la définition d'une nation va beaucoup plus loin que cela et elle comporte un certain nombre d'attributs qui sont différents. Reconnaissez-vous l'existence de ces nations, on pourrait dire aussi de la nation québécoise, et qu'il doive, sur un même territoire national, y intervenir des ententes de cohabitation lorsque plusieurs nations sont sur ce territoire national là, des ententes de cohabitation harmonieuse?

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard.

M. Bouchard (Russel): M. le ministre, c'est une question fondamentale. Je l'ai dit tantôt: Oui, je reconnais qu'il y a des nations autochtones au Canada, mais je ne le vois pas tout à fait dans le même sens que vous. D'abord, vous donnez dans l'Approche commune sans aucune négociation. Je me demande ce qui s'est passé. Checkez l'arbitre, il y a quelqu'un qui nous a fessés dans le dos, là. Vous leur reconnaissez le titre «aborigène» sans qu'ils aient eu à se qualifier.

Le premier élément ? allez aux sources du rapatriement de la Constitution de 1982 ? que Pierre Elliott Trudeau... qui est le père, quand même, du rapatriement de la Constitution ? qu'on le déteste ou qu'on l'aime, ça n'a rien à voir, il préside à l'esprit du rapatriement de la Constitution. Il dit bien: On verra de quelle manière chaque communauté autochtone devra se qualifier.

Il y a un spectre à l'intérieur de tout ça, qu'on part de A à Z dans le jugement Delgamuukw, très bien expliqué, spectre niveau 1, niveau 2, niveau 3. De la manière dont vous avez fait ça dans l'Approche commune, vous leur avez donné le ciel en termes de titre «aborigène», parce qu'il n'est pas défini. Vous leur avez donné le titre du territoire, puis vous ne vous en apercevez pas, puis vous vous battez encore.

Pour ce qui est des droits ancestraux, le titre «aborigène» en étant un, mais le plus important, les droits ancestraux, M. le ministre, ne sont pas les mêmes pour tous, et ils doivent là aussi se qualifier. Qu'est-ce que vous avez fait dans votre Approche? qui était un bijou selon ce que j'ai entendu dire de certains maires du Lac-Saint-Jean ? puis vous aussi, vous êtes venu me planter au Saguenay en me disant que c'était un bijou. Bien, les droits ancestraux, il faut que ce soit calibré. Ils ont à se qualifier. Les communautés qui vivent évidemment de la pêche au saumon, comme dans le traité Delgamuukw, doivent se qualifier en vertu de cela. Les autres communautés qui vivent en fonction de la culture et de la civilisation du caribou doivent se classifier en fonction de cela, monsieur.

Au Saguenay?Lac-Saint-Jean, vous leur avez tout donné, et sur la Côte-Nord. Je vous donne un exemple à quel point vous avez dérapé en termes d'histoire ? j'ai écouté un historien tantôt qui disait à peu près n'importe quoi, là. Écoutez bien, là, j'ai un document officiel ici, là, Canada ? 1665 ou 1871 ? le Recensement du Canada. Après 1867, le gouvernement du Canada a décidé d'inventorier toutes les populations autochtones, parce que cela était important, évidemment. Alors, ils ont dressé une carte exhaustive, détaillée. Même les superficies sont notées. Un, vous avez des historiens qui vous ont fait une carte ? je l'ai ici, la carte originale de 1871 pour les Montagnais ? puis ça va jusqu'au Labrador. L'île d'Anticosti n'est pas dessus, monsieur. Vous leur avez donné l'île d'Anticosti.

Autre chose, des droits ancestraux, vous allez leur donner des droits de piégeage, alors que ça a été amené par les Blancs lorsqu'ils sont arrivés ici. Ces gens-là ont changé d'économie: ils sont passés dans une économie de survivance à une économie commerciale. Et il fallait... Ils devenaient un rapport dans la longue chaîne de la traite des fourrures. C'est une évidence.

Autre chose, vous êtes en train de leur acheter les bateaux sur le Saint-Laurent. Vous êtes en train ? je parle du gouvernement fédéral, entre autres, parce que ça lui appartient ? d'acheter des bateaux, des quotas de pêche. Tout le Saint-Laurent, ça va leur appartenir.

Il est bien marqué ici... D'abord, le territoire montagnais, là, les Ilnus, énervons-nous pas, ça a été créé en 1978, là. J'ai la lettre, quand ça a été créé politiquement. Même si le mot existait dans le dictionnaire, politiquement parlant, les Ilnus n'existaient pas. Il va falloir que, pour se qualifier ? M. le ministre, je vous parle, s'il vous plaît, c'est important ce que je vous dis ? pour se qualifier ? vous m'avez fait perdre mes choses...

Cela étant, les Montagnais, quand Champlain arrive ici... ? je l'ai, le livre de Champlain, là, puis je vais revenir à ça, vous allez voir comment est-ce que c'est intéressant, l'histoire, puis qu'on peut lui faire dire ce qu'on veut quand on veut lui faire dire n'importe quoi. La date butoir, c'est le 27 mai 1603. Quand Champlain arrive, là, il ne rencontre pas d'Ilnus. Trouvez-moi pas des Ilnus dans les livres d'histoire, vous ne trouverez pas ça. Si eux autres s'appelaient des êtres humains entre eux, pas de problème avec ça, mais, au point de vue politique, ce n'était pas une formation. Champlain est arrivé ici, il a rencontré qui? Des Algonquins, des Montagnais puis des Etchemins, qui sont devenus des Micmacs, et les Malécites.

n(17 h 20)n

Je vais vous dire mieux que ça, ça, c'est quand ils étaient avec un Anadabijou, sur la pointe Saint-Mathieu. Lorsqu'il est revenu, en 1632, de son voyage de France, il est venu pour mourir, il est mort le 25 décembre 1635. En 1633, en mai, 30 ans après la pointe aux Alouettes, il rencontre tous les chefs indiens, dont un dénommé Capitanal. Écoutez bien ce que Capitanal lui dit, c'est un Algonquin, c'est lui qui maîtrise le Saint-Maurice à la montée jusqu'à la baie James: «Quand tu viendras là-haut avec nous, tu trouveras la terre meilleure qu'ici, déclare-t-il. Tu feras au commencement une maison pour te loger ? donc, droit d'habitation, donc on vient de permettre d'utiliser le territoire ? puis tu feras une grande maison pour nous et alors nous ne serons plus des chiens qui couchent dehors. Tu sèmeras des blés, nous ferons comme toi et nous n'irons plus chercher notre vie dans les bois, nous ne serons plus errants et vagabonds. Tu nous dis que les pères vivront parmi nous et nous instruirons. Ce bonheur sera pour nos enfants.» Et de terminer, le chef Capitanal: «Quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne serons plus qu'un peuple.»

Ce qu'il veut dire? Nous avons là, M. le Président, M. le ministre, noir sur blanc, et quoi qu'en disent les historiens inféodés à la cause ilnue, par l'invitation du chef montagnais de Tadoussac Anadabijou et par celle du chef algonquin de Trois-Rivières, 30 ans plus tard, donc on reproduit le traité de 1603 ? vous n'avez pas vu un historien vous amener ça dans les livres, hein? Capitanal, un vrai programme de cohabitation ? la constitution d'un réseau d'alliances politiques, militaires et commerciales qui débouchent sur un programme de peuplement par le métissage, un métissage prometteur et très profond. Sans cette fusion ethnique, cette symbiose culturelle, nous n'aurions ni l'un ni l'autre, les Canadiens français, les Montagnais, les Algonquins ou les Ilnus, appelez-les comme vous voulez, nous n'aurions ni l'un ni l'autre survécu au choc des civilisations en train de s'opérer à ce moment-là.

Je reviens aux droits ancestraux. Vous êtes en train de leur donner le Saint-Laurent, la pêche sur le Saint-Laurent. C'est encore là une imposture historique. Voilà ce qui est dit, M. le ministre, M. le Président. Alors, vous leur donnez un territoire de 700 000 km² ou à peu près. Ici on nous dit que le territoire des Montagnais ? et nous sommes en 1871, ça a force de loi, ça, là, c'est le vrai territoire ? 295 000 km², ça comprend le Labrador ? avant qu'ils nous le volent. On enlève le Labrador, vous arrivez pour le territoire ilnu du Québec ? parce qu'ils s'appellent les Ilnus maintenant ? 245 000 km². Il y a toute une différence avec le 700 000 km² que vous nous avez rentré dans la gorge.

Autre chose. Vous leur donnez tous les droits de pêche. Il est bien dit dans le document officiel du gouvernement, écoutez bien: «Ces sauvages ne pêchent pas dans le Saguenay ni dans le Saint-Laurent.» Ils pêchaient à l'embouchure des rivières. Ils chassaient le phoque, ce n'est pas de la pêche, sur les banquises, parfois même le béluga, mais ils ne pêchaient pas. Vous êtes en train de leur donner le Saint-Laurent, M. le ministre. Continuez. Vous avez tout un dossier. C'est une imposture historique ce dossier-là, et il n'y a pas une justice qui se construit sur le mensonge. Un lambeau de vérité ne fera qu'un lambeau de justice, puis c'est exactement ce que vous parrainez, M. le ministre.

Le Président (M. Gautrin): M. le ministre, vous voulez... Vous avez d'autres questions?

M. Trudel: Est-ce que...

Le Président (M. Gautrin): Je vous rappellerais que vos collègues de Roberval et de Duplessis ont des questions.

M. Trudel: Oui. Ça fait... On comprend. On comprend que le temps restreint nous limite dans les débats, là.

Le Président (M. Gautrin): J'essaie d'être libéral.

M. Trudel: Et je pense qu'il y aurait... mais il faut laisser beaucoup d'occasions aux citoyens de s'exprimer. Reconnaissez-vous... Parce que vous avez employé plusieurs fois le verbe «vous accordez des droits». Ce projet d'entente n'accorde pas de droits. Il n'accorde pas de droits.

M. Bouchard (Russel): Il reconnaît...

M. Trudel: Il veut définir l'exercice de droits qui sont reconnus, même dans le projet de... pas dans le projet, mais dans la Constitution de 1982 ? qu'on n'a pas approuvée mais qui est là, à l'article 35. Quelle valeur donnez-vous à l'article 25 par ailleurs à l'égard...

M. Bouchard (Russel): Je la reconnais, je l'ai dit.

M. Trudel: Non, mais, écoutez, attendez un peu, là. Le fait que la présente chasse....

Le Président (M. Gautrin): Je suis là pour faire en sorte que chacun parle à chacun son tour. Alors, le ministre parle, et, après, je vais vous laisser tout le temps de parler, M. Bouchard.

M. Trudel:«Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés ? ancestraux, issus de traités ou autres ? des peuples autochtones du Canada, notamment aux droits ou libertés reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre 1963; aux droits ou libertés existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.»

Parce qu'il y a une réalité, vous la soulevez, et on peut être en désaccord, mais il faut quand même reconnaître que cette réalité-là existe: il y a des droits différents. Vous avez raison de l'évoquer. Vous ne la reconnaissez pas dans l'Approche. Vous prenez la première partie de l'approche Trudeau: Tous égaux avec les mêmes droits, mais, en même temps, en même temps, beaucoup oublient d'évoquer, donc l'article 35 ? pas vous, vous l'avez évoqué, 35 ? mais, à 25, nommément à la Charte, nommément à la Charte des droits et libertés individuels, que cela ne doit pas être limitatif pour l'exercice des droits.

Alors, qu'est-ce qu'on fait, monsieur? Qu'est-ce qu'on fait, M. Bouchard? L'évolution historique nous a amenés à reconnaître ces droits ancestraux. Est-ce qu'on laisse le free-for-all ou si on définit des règles d'exercice qui doivent, dans notre esprit, être compatibles avec ce que nous avons comme responsabilités et l'exercice des droits actuels, par exemple en termes de chasse, de pêche et de conservation? Que faire avec ces deux réalités qui existent et avec lesquelles nous devons composer et qui donnent comme résultante une approche commune?

M. Bouchard, je ne veux jamais que qui que ce soit, j'espère, ait la prétention de la perfection, mais l'obligation de résultat et d'entente pour l'occupation harmonieuse du territoire, ça, c'est aussi notre responsabilité.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard.

M. Bouchard (Russel): Merci, M. le Président. Je suis totalement en accord avec les droits que les communautés autochtones doivent avoir. Je le redis: Il y a une manière à faire que vous n'avez pas prise. Vous vous êtes garrochés là-dedans comme des béotiens. Vous êtes tombés dans un panneau, complètement. Là, vous êtes en train de prendre un engagement à perpétuité pour passer à la Cour suprême, parce que vous n'avez rien défini du tout, justement.

Puis je vais vous donner un exemple dans le jugement Delgamuukw. Ça fait trois mois, deux mois que vous en parlez du jugement Delgamuukw, je l'ai lu 20 fois, le jugement Delgamuukw. Qu'est-ce qu'il dit quand on veut se classer? Article 7, le juge en chef, d'abord il avait commencé par un territoire qui était aussi grand que le nôtre, il les a ramassés à 58 000 km², un. Deuxièmement, même s'il n'en parle pas, les peuples nomades, il leur a dit: Wo! les territoires où vous alliez chasser, là, c'est bien beau, là, mais on va limiter ça à l'endroit où vous vivez en permanence. Donc, les peuples nomades, en vertu du jugement Delgamuukw, M. le ministre, hum... je ne pense pas qu'ils seraient capables de se classer.

Autre chose, il y avait 71 maisons divisées en 133. Bon. Qu'est-ce que ça leur a pris pour être capables de se qualifier? Écoutez bien ça puis vous me direz si les Ilnus vont être capables de se rendre jusqu'à l'extrémité du spectre que vous leur avez donné sans qu'ils aient eu besoin de se qualifier. Un, numéro 7 ? là, je suis dans le jugement Delgamuukw, là, je ne parle pas en l'air ? un lieu de vie permanent, un. Donc, si on se rencontre avec les Ilnus, le côté nomade, là, commencez à en enlever pas mal. Le territoire des nomades, là, il ne serait pas reconnu en vertu des préséances de la jurisprudence de Delgamuukw. Là, on s'en irait à l'embouchure de la Métabetchouan. Pour les Innus de Mashteuiatsh, c'est bien de valeur, ils l'ont donnée, ils l'ont échangée avec la pointe de Péribonka en 1851. C'est eux autres mêmes qui l'ont demandée. S'il y a une place où ils n'ont plus de droits, c'est bien là. Alors, ils sont pognés dans le canton Ouiatchouan avec ce qui leur reste, c'est-à-dire Mashteuiatsh. Moyen problème.

Deuxièmement, chacune des 71 maisons, et le juge en a déclassé 12... Puis pourtant, là, la date d'arrivée des premiers Européens, là, nous sommes au XIXe siècle, eux autres, ils s'en vont au 27 mai 1603. Aïe! trouvez-la, la filialité. Deux, chaque maison a un mât totem. Bon. Icitte, c'est quoi? Il pourrait y avoir autre chose, mais c'est pour vous dire comment est-ce que la démarche est complexe.

Trois, chacune des maisons, on parle d'une cabane, on parle d'une structure clanique, un champ propre... parce que la mémoire orale est une manière de véhiculer l'histoire. Mais, attention, la mémoire orale n'est pas le seul élément, parce que dans le jugement Mitchell on dit bien maintenant: Mémoire orale, oui, en complément. Maintenant, ça prend des preuves.

n(17 h 30)n

Quatre, une danse propre à chacune des maisons. Cinq, une célébration spirituelle à chacune des maisons, propre. Une salle de célébration où se perpétue la mémoire par le récit théâtral de l'histoire.

Sept, chacune de ces célébrations se termine par des prises de décisions.

C'est un petit peu plus compliqué que qu'est-ce que c'est que vous nous avez dit depuis des années et des années, là. Là, vous avez toute une course à embûches. Je l'ai, le jugement Delgamuukw, faites-le venir, vous ne l'avez pas lu. Puis faites venir le jugement Mitchell, là; quand il parle des témoignages oraux, vous allez voir qu'il ne reste plus grand chose. Puis, il y a autre chose dans le jugement Mitchell, vous parlez des droits qui peuvent leur être donnés sans tenir compte de nous autres. Le jugement Mitchell dit une deuxième chose: Les Indiens maintenant, c'est statué, vous êtes des Canadiens. Bien sûr, on vous reconnaît, on vous reconnaît des éléments, mais vous êtes des Canadiens. Vous faites partie de la souveraineté canadienne.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard, je vais être obligé de vous arrêter et, si vous me permettez, je vais vous expliquer maintenant comment on veut fonctionner, parce que le temps file. Je pense que je ne pourrai pas couper la parole à mes collègues, alors je vais... déjà le temps imparti aux ministériels serait terminé. Je pense que, par déférence pour le député de Roberval et pour le député de Duplessis, avec l'accord de mes collègues de l'opposition, je vais leur laisser la chance de pouvoir poser une question, puisqu'ils sont directement concernés par le traité et par votre point de vue. Je leur demanderais quand même d'être relativement brefs et, vous, d'être relativement bref aussi et après, on passerait aux questions des députés de l'opposition officielle. Est-ce que ce fonctionnement serait agréable? Alors, M. le député de Roberval. M. le député de Roberval, comme convenu, pouvez-vous poser votre question, et après le député de Duplessis, et après je m'adresserai aux députés de l'opposition. M. le député de Roberval.

M. Laprise: Merci beaucoup, M. le Président. Je tiens à saluer M. Bouchard qui est un historien que je connais bien. D'ailleurs, c'est lui qui avait fait l'histoire de Saint-Félicien, en 1990, pour le 125e anniversaire.

Maintenant, moi, suite à ça, on peut dire, par exemple, que c'est le cas de le dire que même dans l'histoire, l'interprétation de l'histoire peut représenter le jour et la nuit selon les personnes qui l'interprète.

Maintenant, moi, je vous poserais la question suivante: Est-ce que, selon la Constitution de 1982, est-ce que la Constitution de 1982 aurait mis fin à tout ce qui s'était fait avant ou qui avait été reconnu avant? Et, comme deuxième question: En décembre 2000, le gouvernement québécois, le gouvernement du Québec, a voté une loi qui reconnaissait les droits fondamentaux et les prérogatives du peuple québécois et de l'État québécois et, à l'article 4, reconnaissait également les autochtones. Alors, est reconnue, la primauté de l'ensemble du peuple québécois par cette loi-là, en décembre, puis que je l'interprète à ma façon de l'interpréter.

Alors, est-ce que, à ce moment-là, ça reconnaît les droits et les prérogatives du peuple québécois, mais aussi les droits des autochtones, la nation autochtone au Québec? Est-ce qu'à ce moment-là reconnaissant les autochtones, ça enlève la reconnaissance du peuple québécois? D'après moi, non, dans la même loi.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard

M. Bouchard (Russel): Permettez?

Le Président (M. Gautrin): Bien sûr.

M. Bouchard (Russel): Qu'est-ce que c'est qu'un autochtone, selon vous, M. Laprise?

M. Laprise: Qu'est-ce que c'est qu'un autochtone?

M. Bouchard (Russel): Oui, parce que tout le fondement est là.

M. Laprise: Ah! c'est un être humain, comme tout le monde. C'est bien sûr avec...

M. Bouchard (Russel): C'est magnifique!

M. Laprise: ...qui a vécu avant nous autres et puis qui a été là peut-être avant que, nous autres, on arrive.

M. Bouchard (Russel): Je vais aller vite. Pierre Elliott Trudeau, en 1990, avant de mourir, a expliqué comment est-ce qu'il a construit l'article 35 et 25. Et, moi, je ne suis pas un juriste, je sais qu'une constitution, par exemple, c'est écrit pour le peuple. On a bien beau nous dire qu'il y a rien que les constitutionnalistes qui voient clair, là, le peuple est capable, quand il s'y donne. Et l'esprit d'une constitution fait la force de la lettre de la loi qu'il y a dedans. Écoutez, bien ce qu'a écrit M. Pierre Elliott Trudeau, en 1990, sur l'article 35, vous allez voir où je veux en venir:

«Si nous avions tenté d'identifier chacune des minorités vivant au Canada et de protéger toutes les caractéristiques qui en faisaient un groupe à part, nous aurions non seulement fait face à une tâche impossible, mais nous aurions à coup sûr précipité le démembrement du territoire. Ce danger eût été particulièrement grand dans le cas de collectivités qui eussent pu se réclamer d'une partie déterminée de ce territoire ? et vous vous rappelez quand M. Ghislain Lebel vous a dit "et notamment dans l'article 35, il y a quelque chose qui se passe là" là, bien, je vous l'explique ce que veut quoi le "notamment", qu'est-ce qu'il cache le "notamment" ? pu se réclamer d'une partie déterminée de ce territoire, par exemple, les Celtes en Nouvelle-Écosse, puisqu'ils étaient là avant la Proclamation royale de 1763, les Acadiens du Nouveau-Brunswick, puisqu'ils étaient là avant la Proclamation royale de 1763, les Canadiens français au Québec, les Indiens ? là, vous avez la suite de l'article 35 ? et les Inuits dans le Grand Nord.»

Et je termine. «C'est pourquoi ? M. le ministre, je réponds à votre article 25, j'attendais pour ne pas perdre mon temps ? les clauses 25 et 35 concernant les peuples autochtones ? et c'est toujours M. Trudeau qui parle ? comme d'ailleurs la clause 27 sur le multiculturalisme et, à plus forte raison, la clause 15 sur les minorités de toutes sortes évitent toute identification entre ces collectivités et un gouvernement en particulier.»

Vous avez tout un problème! Je vais vous le dire, le problème. Dans le jugement Delgamuukw, il y a trois manières d'accéder au titre «aborigène», il y a trois manières d'être reconnu dans ses droits ancestraux et de pouvoir avoir des gouvernements.

La première, on le sait, c'est de faire la preuve qu'on est les descendants des autochtones qui étaient là quand est arrivé le premier contact. Puis, pour les Ilnus, ce ne sera pas donné par ces 400 ans d'histoire.

Le deuxième élément, c'est d'avoir occupé le territoire de façon ininterrompue. Or, on sait très bien que, de 1700 à 1720, il n'y avait plus un autochtone au Saguenay?Lac-Saint-Jean. La preuve? Ils n'étaient même pas, en 1701, dans la signature de la Grande paix de Montréal. Il en manquait rien que deux: il manquait un chef montagnais et un chef des Hurons de Loretteville. Il y avait même des Sioux, il y avait 38 signatures des Sioux; il y en avait du Tennessee, du Kentucky qui sont venus signer. Ici, il n'y avait plus d'Indiens, monsieur. Alors, il y a 20 ans... Puis, en plus, il n'y avait tellement plus d'Indiens que les Abénakis sont partis de Trois-Rivières pour venir faire une razzia pour détruire tout ce qu'il y avait, ce qu'il restait de castors et d'orignaux!

Le Président (M. Gautrin): Oui.

M. Bouchard (Russel): Vous rendez-vous compte? Pardon.

Le Président (M. Gautrin): Mais je vous remercie, M. Bouchard, je pense que ça répond à la question du député de Roberval.

M. Bouchard (Russel): Mais je n'ai pas terminé, monsieur, j'avais trois raisons.

Le Président (M. Gautrin): Allez-y, faites votre troisième raison rapidement, et après je donnerai la parole au député de Duplessis.

M. Bouchard (Russel): La troisième raison, ce ne sera pas long, M. le Président, c'est qu'il faut qu'ils soient les seuls à revendiquer le titre d'autochtone. Or, en vertu de ce que je viens de vous lire dans l'article 35, étant donné que les Canadiens français sont dedans, nous sommes maintenant deux à revendiquer le titre autochtone. Démêlez-moi ça maintenant!

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. M. le député de Duplessis, brièvement, s'il vous plaît, parce que j'ai réellement dépassé le temps considérablement.

M. Duguay: Merci beaucoup, M. le Président, de votre générosité. M. Bouchard, bien sûr que, moi, j'aurais eu beaucoup de choses à dire. Cependant, quand vous avez parlé... Et vous prétendez avoir raison. Alors, ça ne veut pas nécessairement dire que tous les autres ont tort également. Moi, pour la communauté que je représente, pour votre information, vous le savez sûrement, mais j'ai quand même six communautés sur mon territoire, et il y en a une aussi de Naskapis au niveau de Kawawachikamach.

Alors, c'est sûr que ces communautés-là, pour moi, au niveau de la Côte-Nord, on a quand même fait le travail qui s'impose: on a consulté notre monde. Et, moi, j'ai participé à toutes les rencontres à titre de politicien. Et, quand vous faites référence aussi que les députés ne se sont pas opposés, c'est un dossier parmi tant d'autres, sur lequel on a à travailler en tant que législateur. Et, moi, je considère que je représente très bien ma communauté. Et, si je ne me suis pas opposé au projet en tant que tel, c'est qu'on allait dans la continuité de ce qui avait été adopté par l'Assemblée nationale, souvenez-vous, en 1985, lorsque le gouvernement du Parti québécois a adopté la motion, et c'était unanime. Et, à ce moment-là, je n'ai pas eu connaissance que vous êtes intervenu bien gros.

Alors, moi, dans ma question qui m'intéresse beaucoup, c'est que vous avez fait référence à un moment donné sur la situation. Vous connaissez ce qu'on vit sur le territoire. Ce n'est pas intéressant ce qu'on vit sur le territoire. Et là vous dites au gouvernement: Arrêtez les négociations actuelles, n'envisagez pas de traité. Là, vous arrivez avec une nouvelle formule.

Avec cette nouvelle formule-là, comment on pourrait trouver entre-temps une solution pour que les deux peuples puissent vivre en harmonie?

M. Bouchard (Russel): Je l'aime beaucoup, votre question M. le député.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard, brièvement, parce que le temps, vous savez...

M. Bouchard (Russel): Votre question, là, elle est fondamentale. Moi, je suis pour que les Ilnus se prennent en main comme ils le veulent. Je respecte ce qu'ils ont, ce qu'ils sont. Même de ça, j'ai... je fais partie de l'Alliance autochtone, je suis membre de l'Alliance autochtone. Ma mère est de descendance amérindienne, donc par le fait même, étant donné que j'ai la même mère, je suis de descendance amérindienne montagnaise, par les St-Onge et les McKenzie. C'est des gens que j'aime profondément parce qu'ils sont moi. Puis je me sens un peu eux aussi.

Le grand problème que nous avons dans cette entente-là en ce qui concerne les régions: tant qu'il n'y a pas de reconnaissance d'une collectivité en particulier, qu'elle représente 1 % ou 90 %, il n'y a pas de problème. Mais, le jour où vous reconnaissez une collectivité, vous êtes tenus de reconnaître le reste parce que vous venez de créer une situation de privilège. Puis je vais pouvoir finir la réponse avec M. Kelly qui va venir avec une question tantôt.

n(17 h 40)n

Le Président (M. Gautrin): Alors, merci. M. le député de Jacques-Cartier, au nom de l'opposition officielle.

M. Kelley: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, bienvenue à M. Bouchard. Premièrement, ma collègue la députée de Jonquière a assisté à l'ensemble. Aujourd'hui, il y avait une rencontre sur la santé qui est un autre enjeu qui est très important dans son comté. Mais je veux assurer M. Bouchard qu'elle a suivi de près les délibérations de cette commission, elle a amené les copies des documents que vous avez publiés dans votre région, les partager avec moi. Alors, elle est une députée qui a fait son travail pour bien représenter sa région.

Deuxièmement, aujourd'hui, comme historien, j'aime beaucoup les dates de naissance. C'est la date de naissance d'un des grands personnages nord-américain, Abraham Lincoln, il aurait 194 ans aujourd'hui. Et, en parlant de l'avenir des États-Unis après le déchirement de la guerre civile, dans un, peut-être, «State of the Union Address» qui était le plus reconnu dans l'histoire, il a dit quelque chose que, je pense, doit toujours nous animer, il a dit sa vision de l'avenir des États-Unis, mais je pense: «With charity for all and malice towards none». Alors, c'était un grand appel pour un pays où il y avait 750 000 morts, quelqu'un qui ne connaît pas qu'il était à un mois de la fin de ses jours, mais de faire un genre d'appel à la générosité. Et je pense, ça, c'est quelque chose qui est très important de rappeler qu'on est ici parce qu'on a des choses dans le passé qu'il faut corriger.

Et vous avez commencé votre mémoire en nous faisant prendre connaissance de votre droit de dissidence que, moi, je respecte, que tout le monde est obligé d'aimer cette entente de principe impossible. Alors, le droit de dissidence existe, mais vous continuez sur la page 6 de parler de ce beau monde, c'est-à-dire les membres de cette commission, des personnes «qui ont encouragé la tyrannie, l'obscurantisme, le mensonge, le préjugé, l'intolérance, et qui ont soutenu de tous leurs pouvoirs ces hurlements frénétiques et cette cabale indigne», etc. En anglais, on dit: It's the pot calling the kettle black. Vous êtes en train de faire la même chose que vous reprochez les autres à faire à votre égard.

Moi, je pense qu'il faut avoir un débat sur un ton civilisé. Il n'y a pas de mensonge ici. Peut-être les décisions qu'on est en train de faire sont erronées. L'histoire va nous faire la preuve, si jamais on arrive, parce qu'il faut rappeler, c'est une entente de principe. Il n'y a pas un droit dans toute l'entente. On veut établir une base pour une autre ronde de discussion, et c'est ça que je trouve un petit peu contradictoire dans votre présence aujourd'hui parce que vous avez dit à la fois: ça, ce n'est pas bon, il faut mettre ça dans la poubelle, et c'est vraiment une horreur, mais votre troisième recommandation, c'est ajouter une quatrième chaise aux tables de négociations. Alors, soit c'est vraiment pourri au complet, poubelle... Alors, dans cette circonstance, pourquoi une chaise à la table de négociations, vous ne croyez pas dans le processus? Mais, moi, je pense, en faisant la lecture des décisions de la Cour suprême, en faisant un regard sur notre histoire et notre passé, on est condamné de faire les négociations. Et, moi, je pense... ça ne veut pas dire que j'endosse chaque virgule, chaque mot dans l'entente mais, dans l'ensemble, si je regarde la table des matières, une entente moderne avec les autochtones, avec les Innus va comprendre les questions territoriales, les questions sur le financement, les questions sur la chasse et pêche, les questions sur une participation sur la protection de l'environnement. Tous ces éléments et les autres, la justice, la police sont les éléments qu'on va trouver à Nisga'a, sont les éléments qu'on va trouver l'entente au Yukon, sont les éléments qu'on va trouver dans la Convention de la Baie James, interprétés d'une façon différente, présentés d'une façon différente, mais c'est ça quand même.

Alors, on a une entente ici qui fixe certaines des balises, et, moi, je pense qu'on a... soit on dit rien, on va dire de nouveau: On va prendre une autre cause perdante, on va pitcher ça aux tribunaux, on va perdre de nouveau parce qu'il faut reconnaître que les gouvernements n'ont pas très bien fait devant les cours: Adams, Côté, Delgamuukw, Van der Peet, Calder. Un après l'autre. Et même M. Trudeau, avec tout le respect. Je connais très bien l'histoire de la Charte des droits parce que M. Trudeau a toujours dit qu'il donnait crédit à son professeur de droit à McGill, le doyen de la faculté de droit, F.R. Scott qui est le frère de ma grand-mère. Alors, nous avons parlé beaucoup d'«uncle Frank», chez nous. On connaît très bien à quel point il a tenu l'importance d'une charte des droits. Alors, c'est une connaissance intime chez nous, la Charte des droits. Mais je soumets avec tout le respect que, même M. Trudeau, suite à la décision Calder, entre autres, a dû mettre de l'eau dans son vin parce qu'il y a effectivement des droits autochtones. Ça existe.

Et, oui, on peut refaire l'histoire. On peut prétendre que la Loi sur les Indiens n'existe pas, mais on ne peut pas faire ça, la loi est là. Il y a deux catégories de citoyens: il y avait des citoyens qui avaient le droit de vote, il y avait d'autres citoyens qui n'avaient pas droit de vote; il y a les citoyens qui peuvent devenir les propriétaires de leur terrain et de leur maison, il y en a d'autres qui ne le sont pas. Alors, ça, c'est l'héritage. Ça, c'est le passé de la Loi sur les Indiens. Et comme beaucoup d'autres grands débats dans notre société, le constat est fait que la Loi sur les Indiens, il faut la remplacer, mais comment? On regarde le débat sur le Sénat, ça a pris combien d'années? Tout le monde constate que le Sénat canadien, c'est à repenser, mais comment? Il n'y a pas d'entente.

Alors, la Loi sur les Indiens, tranquillement pas vite, en commençant avec la Convention de la Baie James en passant par les Sechelt, en passant sur les Nisga'a, en passant sur les décisions prises au Yukon, on est en train de moderniser nos relations avec une autre catégorie, si vous voulez, de citoyens, mais c'est ça notre héritage et je dois composer avec ça. Je peux prétendre, un petit peu comme M. Trudeau a fait dans son livre blanc de 1969, que ces droits n'existent pas. Ça, c'était la prétention de M. Trudeau en 1969 dans son livre blanc, ça n'existe pas. Nous sommes allés à la Cour suprême, M. Trudeau a perdu. Calder a dit: Non, il y a des droits autochtones. Après ça, après plusieurs décisions, on a commencé à peaufiner c'est quoi. Mais le message le plus clair dans Delgamuukw, au bout de la ligne, ce n'est pas aux juges de trancher, c'est la responsabilité des élus.

Moi, je suis avec vous, M. Bouchard, que le processus à date laissait beaucoup à désirer et la preuve, et beaucoup des commentaires, des critiques, des choses que nous avons entendues depuis trois semaines, c'est parce qu'il y avait une exclusion. Ce soir, on est sur la même longueur d'ondes, il faut trouver une mécanique que le monde peut participer, mais il faut composer avec certaines réalités aussi. Et, je pense c'est ça que... il y a un droit autochtone, ça existe, et de suggérer, comme élu, que je vais dire: Ah, on va référer tout ça aux cours encore, quand je sais d'avance que nous allons perdre et que ça va prendre un autre 10 ans et que ça va nous coûter un autre 50 millions de dollars, moi, je dis, comme élu responsable: C'est mieux de dire qu'on va désigner les personnes à une table de négociations avec un certain processus, parce que, moi, je pense que c'est plus porteur d'avenir pour l'ensemble de la collectivité québécoise, pour tout le monde.

Alors, ça, c'est mon jugement politique. À chaque quatre ans, le monde va dire que: Ils ont raison, ils sont dans les patates et tout le reste. Mais, moi, je pense que c'est ça la voie qu'il faut tracer et, de toujours revenir que ça n'existe pas, il faut revenir devant les tribunaux, avec tout le respect... Je respecte votre dissidence, je respecte votre opinion, mais je veux juste dire que la nôtre ou la mienne est différente.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard.

M. Bouchard (Russel): Moi, vous me permettrez, M. Kelley, de vous répondre par une question. Est-ce que je peux vous poser une question?

Le Président (M. Gautrin): Vous l'adressez à la présidence, qui va la transférer à M. Kelley.

M. Bouchard (Russel): Est-ce que je peux, M. le Président? D'abord, avant de poser la question... est-ce que je peux?

Le Président (M. Gautrin): Bien, écoutez, posez votre question, et il n'est pas forcé de répondre, mais enfin vous êtes libre de votre temps. Je suis relativement libéral, vous avez remarqué, depuis le début de cette commission.

M. Bouchard (Russel): C'est vrai. Je vous remercie beaucoup.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bouchard (Russel): Vous êtes, M. Kelley, un très bel exemple de ce qu'on peut appeler «négocier à genoux puis finir une négociation sur le ventre». Vous me permettrez que, si vous étiez dans mon comté, vous n'auriez jamais mon vote. Cela dit, je vous pose la question, vous y répondrez si vous voulez.

Je vois que vous êtes dans une communauté culturelle. Je vois que vous êtes dans une communauté culturelle qui n'est pas la mienne, vous êtes dans un autre comté. Mettons-nous 100 Canadiens français qui réclament leur statut d'autochtone, 100 Canadiens français qui réclament leur statut d'autochtone. Avec tout ce qu'est-ce qu'on retrouve dans l'entente, mettez la même entente, puis faites-vous dire, comme on s'est fait dire, nous, au Saguenay?Lac-Saint-Jean et Côte-Nord par un négociateur en chef qui s'appelle Rémy Kurtness, qui est ici ? et c'est signé dans Le Soleil du 13-06-2002... Et là je vous dis ça, moi, là, c'est moi qui est Rémy Kurtness puis je vous dis ça, je suis dans votre comté, là, puis là vous allez nous reconnaître ça. Contrairement aux traités avec les autres nations, où on dresse la liste des compétences, nous partons avec toutes les compétences assorties d'une liste d'exceptions. Là, je viens de vous mettre dans une situation où le droit, c'est moi qui le possède, et vous êtes dans un état de privilège et vous aurez les droits que je vous donnerai si je veux vous les donner. C'est exactement ça que M. Kurtness a dit, c'est exactement ça, l'esprit de l'entente. Vous pensez qu'on va accepter ça? Faites ce que vous voulez, continuez à vous user les genoux ensemble puis à vous dire qu'une Cour suprême... Moi, là, je ne comprends pas votre affaire. Comment se fait-il que c'est rendu maintenant un crime d'aller dans une cour? Y a-tu quelque chose de plus civilisé qu'une cour de justice? Quand un gouvernement...

n(17 h 50)n

Le Président (M. Gautrin): Un Parlement.

M. Bouchard (Russel): ...puis quand un Parlement n'est pas capable de se tenir debout puis qu'il a dévié de sa fonction première, qui est le bien commun, bien on s'en va à la Cour suprême puis on demande de respecter nos droits. C'est exactement ce que je fais. Tenez-vous debout, puis on ne vous le demandera plus.

Le Président (M. Gautrin): Je vous remercie. Est-ce que vous avez d'autres questions, M. le député de Jacques-Cartier?

M. Kelley: Juste un dernier commentaire. Pour moi, ce n'est pas une question de «il n'y a pas de problème», on peut aller devant les cours. Ça, c'est quelque chose qu'on peut faire. Mais on est au moment maintenant de faire un jugement. On a un choix à faire comme élus, comme représentants du peuple. Moi, je peux dire, et souvent les politiciens sont même accusés de se cacher derrière les cours. Ah! Ça, c'est une patate chaude. Je ne veux pas le régler, c'est trop complexe. Heureusement, au Canada, je n'ai pas un, je n'ai pas deux, j'ai trois niveaux de tribunaux. Ça va prendre 10 ans! On va laisser ça au prochain député de Rouyn-Noranda, au prochain député de Saint-Jean, prochain député de Jacques-Cartier de régler tout ça. On peut faire ça.

Mais, moi, je regarde avec qu'est-ce que la Cour suprême a dit depuis 10 ans. Les signaux qui sont clairs qu'ils ont envoyés, c'est: Aux élus de prendre votre responsabilité. Moi, je pense que c'est responsable d'avoir une table de négociations. Je suis de votre avis qu'il faut mieux concevoir ça, qui est représentante de l'ensemble de la population concernée. Je rejoins votre discours sur ça à 100 milles à l'heure. Parce qu'il faut que, si c'est vraiment une approche commune, il faut trouver un terrain d'entente que, pour les chasseurs et pêcheurs concernés, pour les travailleurs forestiers qui sont concernés, il y aura leurs droits qui seront représentés aussi. Mais au bout de la ligne, la Cour est assez claire que nous devrons composer avec notre passé, nous devrons composer avec l'héritage de la Loi sur les Indiens qui, malheureusement, a créé différentes catégories de citoyens, il faut l'admettre. Et qu'est-ce qu'on peut faire pour faire l'arrimage et le respect? Un petit peu dans l'esprit d'Abraham Lincoln dont on fête son anniversaire aujourd'hui: «With charity towards all and malice towards none.» Je pense que c'est ça qu'il faut chercher et, moi, je pense que la table de négociations est mieux pour la société québécoise que de retourner et passer un autre 10 ans devant la Cour. Mais ça, c'est mon jugement politique.

Le Président (M. Gautrin): M. Bouchard, vous allez avoir le mot de la fin, parce qu'on arrive au terme de nos...

M. Bouchard (Russel): Vous avez parlé exactement dans le sens qu'a fait M. Chevrette. Vous avez parlé des territoires de trappe, territoires de chasse. Vous êtes avocat, je pense, qu'on me dit. Non?

M. Kelley: Historien.

M. Bouchard (Russel): Vous êtes historien? Bon, bien, c'est parfait! Bienvenue. Moi, je vous parle de droits collectifs. Les Ilnus, là, ils savent c'est quoi, un droit collectif. Ils savent que le droit collectif, le titre «aborigène», ça garantit tout le reste. Vous êtes en train de me parler des droits pour quelqu'un que sa ligne de trappe va croiser dans l'autre. Ça n'a rien à voir. Un droit individuel, ça ne vaut rien quand tu n'as pas de droits collectifs. Puis, si vous voulez qu'on s'entende, les Ilnus avec l'autre collectivité, il faut qu'on soit capable de se parler. Il n'y en a pas d'autre façon, puis je veux qu'on s'entende. Réglez le problème, mettez une quatrième chaise avec quelqu'un qui vient nous représenter, puis on va se parler. Puis vous allez voir que ce que vous avez créé, le miasme que vous avez créé, le racisme qui est en train de naître chez nous... J'entends des mots que je n'ai jamais entendus de ma vie puis que je ne répéterai pas ici. C'est par votre faute.

Il y a une manière de régler ça. Moi, je n'aime pas ça, je suis rendu que je ne vais même plus à Mashteuiatsh, alors que j'allais là, parce que, d'abord, un, j'ai peur pour ma sécurité puis, deuxièmement, il y a trop de monde qui m'en veut parce qu'ils n'ont pas compris ce que c'est que j'ai voulu dire. Je suis pour les droits qu'ils réclament, mais en autant que vous respectez les nôtres. Aïe!

Le Président (M. Gautrin): Je tiens à vous remercier, M. Bouchard, pour votre témoignage qui est éclairant pour la commission.

Sur ce, j'ajourne les travaux de cette commission au 18 février à 9 h 30, dans la salle Louis-Joseph-Papineau.

(Fin de la séance à 17 h 54)


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