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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le mardi 24 août 1999 - Vol. 36 N° 27

Consultations particulières sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Déclarations d'ouverture

Auditions


Autres intervenants
M. Roger Bertrand, président
M. Marc Boulianne, président suppléant
M. Henri-François Gautrin
M. Normand Jutras
M. Robert Middlemiss
M. Jacques Côté
M. Jacques Dupuis
*M. Michel Paré, ACQ
*M. Jean-Guy Cloutier, idem
*M. Pierre Hamel, idem
*M. François Morissette, idem
*M. Denis Dubois, idem
*Mme Johanne Desrochers, AICQ
*M. Pierre Patry, idem
*M. Pierre Shoiry, idem
*Mme Johanne Gauthier, OIFQ
*M. Bernard Godbout, idem
*M. Gérald A. Ponton, AMEQ
*M. Pierre Huot, idem
*M. Claude Cossette, idem
*Mme Francine Mercure, idem
*M. Alain Lallier, Fédération des cégeps
*M. Christian Raymond, idem
*M. René Desmarais, Ordre des chimistes du Québec
*M. Martial Boivin, idem
*M. Jacques Leclerc, CRISP
*Mme Francine Thomas, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Neuf heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bienvenue aux membres de la commission. La commission donc est réunie afin de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Ouimet (Marquette) est remplacé par M. Middlemiss (Pontiac) et M. Pelletier (Chapleau) par M. Bergman (D'Arcy-McGee).

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, je rappelle les principaux éléments de l'ordre du jour. Nous procéderons tout d'abord aux déclarations d'ouverture, Mme la ministre de même que le porte-parole de l'opposition officielle auront chacun une période d'au plus 15 minutes pour ce faire, et nous procéderons ensuite aux auditions, selon l'ordre qui a été convenu. Ce matin, nous rencontrerons l'Association de la construction du Québec, à 10 heures, l'Association des ingénieurs-conseils du Québec et, enfin, l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec.


Déclarations d'ouverture

Alors, sans plus de préambule, j'inviterais Mme la ministre à bien vouloir nous adresser la parole pour la déclaration d'ouverture. Mme la ministre.


Mme Linda Goupil

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, permettez-moi, dans un premier temps, étant donné que c'est la première commission en ce début de saison, de souhaiter la bienvenue d'abord à tous les députés de chaque côté – c'est la première que nous recommençons – ainsi qu'à tous ceux et celles qui sont dans la salle. Ça confirme l'importance de cet avant-projet de loi sur les ingénieurs et c'est avec grand intérêt que nous allons passer plus de cinq jours, dans le cadre de cette commission, pour entendre les gens qui sont le plus spécialisés dans ce domaine.

Alors, M. le Président, je vais vous présenter également les gens qui vont nous accompagner tout au long de cette commission, parce que je n'ai pas la prétention à moi seule de connaître et d'avoir une expertise à la fine pointe dans ce domaine. Cependant, il y a des gens qui, depuis de nombreuses années, y travaillent. Alors, il y a, à mes côtés, M. Samson, qui est le président de l'Office des professions, qui m'accompagne. Il y a également – je vais prendre le nom de toutes les personnes pour ne pas en oublier – M. Pascal Renaud, qui est avocat, qui travaille... qui est juste ici – monsieur, si vous voulez peut-être juste vous identifier pour que les gens puissent vous rencontrer. Il y a également Me Sylvie de Grandmont, qui est la vice-présidente à l'Office des professions, M. Guy Giguère, qui est agent, qui est juste ici. Il y a également Me Dorothée-Anne Bourque. Et il y a également Mme Nathalie Chouinard, qui est avocate, qui travaille au cabinet.

Alors, M. le Président, les travaux que nous entreprenons sont fort importants. Il s'agit d'adapter au Québec contemporain les règles de tout un pan de notre activité économique et professionnelle. La mise à jour de la Loi sur les ingénieurs nous touche tous et toutes à un titre ou à un autre. L'activité des ingénieurs est présente, voire déterminante, dans nombre de secteurs tels que l'industrie de la construction, de la métallurgie, des papetières, des travaux publics, et ce, tous dans le secteur public, parapublic ou privé. En révisant la loi qui détermine le domaine d'activité de la profession, on touche à une part considérable du domaine économique, industriel et professionnel du Québec qui concerne non seulement les 40 000 ingénieurs, mais aussi plusieurs autres professions et une multitude d'agents socioéconomiques les plus divers. Il est donc avisé de comprendre l'intérêt du Conseil du patronat, des syndicats, des employés et des écoles face au présent exercice. La durée des travaux de cette commission, le nombre des intervenants invités et des mémoires reçus témoignent de tout cela.

Voilà quelques années, l'Ordre des ingénieurs a pris l'initiative d'un réexamen de sa loi constitutive. Ce réexamen lui a permis de concevoir un projet de législation qu'il a déposé auprès du ministre responsable de l'application des lois professionnelles de l'époque. Le gouvernement a alors décidé de prêter toute l'attention qui convenait à cette demande de l'Ordre et a transmis ce projet à l'Office des professions pour avis et recommandations. En 1998, l'Office remettait au ministre ses conclusions et recommandations qu'on peut résumer ainsi.

Une révision de la Loi sur les ingénieurs s'impose. L'ampleur de la révision projetée est telle que les études d'impact économique et les travaux menés par l'Ordre, en collaboration avec l'Office, ne pouvaient épuiser les questions que soulève le projet. De plus, la question touche presque tous les secteurs économiques. Par conséquent, il est opportun, nous disait l'Office, de procéder à une consultation la plus large possible et, à cette fin, de soumettre le projet à une commission parlementaire.

Ces recommandations, l'Office les a faites après de nombreuses consultations de ministères et d'organismes. Il a été saisi de nombreux points de vue, parfois divergents, comme on pourra sans doute le constater au cours des quatre jours d'auditions. L'expression de ces points de vue de même que les questions qui subsistent ont amené un consensus sur la nécessité d'un texte public destiné à permettre un large débat. Le gouvernement a voulu favoriser un tel débat et, à cette fin, a choisi la voie d'un avant-projet de loi suivi d'une commission parlementaire.

(9 h 40)

Avec les travaux qui débutent aujourd'hui, mon but est le suivant. À titre de ministre responsable de l'application des lois professionnelles, je viens chercher de l'information. Je veux être à l'écoute des personnes, des groupes et des institutions qui, au Québec, sont concernés par tels ou tels aspects, ce qui est évoqué dans l'avant-projet de loi. Il convient donc de bien comprendre ce que nous ferons ici: écouter et dégager ensemble les bénéfices et les difficultés que nous pouvons attendre de la révision de la Loi sur les ingénieurs. Rappelons-nous toutefois que le gouvernement et cette Assemblée n'entendent pas se déterminer sur la base d'intérêts particuliers. Encore une fois, l'ampleur de ce qui est en cause fait que l'État doit se soucier de la dynamique et de l'équilibre à tous égards de plusieurs secteurs de l'économie du Québec.

En nous livrant leurs avis et commentaires, les intervenants qui se succéderont devant cette commission auront l'occasion de s'exprimer sur une situation qui doit en effet être regardée dans son ensemble. Si nous ne comptons négliger aucune des opinions que nous entendrons, nous devrons, pour nos propres conclusions, tenir compte en synthèse des enjeux et des effets d'ensemble de ce projet. Adoptant pour nous-mêmes une attitude de grande ouverture, nous inviterons donc les personnes ou groupes qui s'adresseront à cette commission à situer autant que possible leur analyse et leurs propos dans une perspective large, sous l'éclairage de l'intérêt du public comme tel, sans se limiter aux intérêts sectoriels si légitimes soient-ils.

Notre objectif sera plus concrètement d'examiner selon leur pertinence les propositions de l'avant-projet en regard de la situation réelle de l'activité liée au génie dans l'industrie ou dans les autres secteurs de l'économie. Cela nous amènera à nous intéresser aux actes posés par les ingénieurs d'abord en tenant compte de la compétence nécessaire pour les accomplir et ensuite en distinguant, d'une part, les actes qui sont liés à l'efficacité, à la commodité, aux traditions industrielles ou au manque de ressources et, d'autre part, ceux qui, par-delà ces critères, doivent être réservés en raison de la nécessité avérée de protéger le public.

Nous aurons plus particulièrement encore à prendre la mesure des difficultés qui s'attachent au partage des responsabilités dans le domaine du génie. À cette fin, nous aurons, par exemple, à voir quelles seraient les personnes dont la formation et la qualification, quoique différentes de celles des ingénieurs, leur permettent de poser des actes de la nature de ceux actuellement réservés aux ingénieurs. La commission cherchera ainsi à en savoir le plus possible sur l'effet probable des mesures proposées sur les services offerts aux personnes physiques ou morales lorsqu'elles recourent aux services professionnels des ingénieurs et incidemment sur l'organisation du travail.

Évaluer ces questions nécessite bien sûr que nous recueillions des exemples de préjudices que pourrait subir le public si certains actes professionnels revendiqués par les ingénieurs étaient posés par d'autres personnes n'ayant pas leur qualification. Au-delà des justifications qui pourraient être invoquées pour réserver tel ou tel acte sur la base d'un risque de préjudice pour le public, il faut rappeler que le fait, pour l'État, pour le législateur, de réserver des actes en exclusivité à un groupe de professionnels n'est pas anodin. Ce qui est réservé aux uns est par le fait même interdit aux autres. Une telle restriction doit être solidement et raisonnablement fondée, compte tenu de tous les paramètres disponibles pour juger de la situation. Nous devons être conscients, par exemple, du fait que le domaine en question est en grande évolution, que la formation de nos professionnels québécois est de plus en plus complète, tant dans la profession d'ingénieur comme dans d'autres, au niveau universitaire comme au niveau technique. Ainsi, il serait imprudent de cristalliser à l'excès des activités professionnelles que l'évolution rapide des techniques, des marchés et de la formation rendrait dépassées avant longtemps.

Par ailleurs, ceux qui recourent à ce type de services sont de plus en plus informés sur les sciences, techniques et connaissances nécessaires pour livrer les prestations dont ils ont besoin. On peut ainsi penser que les usagers devraient pouvoir choisir parmi les professionnels compétents et, lorsque c'est possible, ceux ou celles qui correspondent le mieux à leurs besoins. Nous entendons donc analyser la question de l'exclusivité des actes professionnels à la lumière de ce qu'il est nécessaire et suffisant de réserver, et ce, pour garantir la sécurité du public et mériter sa confiance, sur la base des compétences disponibles dans les professions du domaine.

En bref, nous ne négligerons rien pour protéger le public et pour imposer des exigences de compétence ou d'encadrement à cette fin, mais nous garderons aussi à l'esprit qu'il ne faut pas affaiblir la capacité concurrentielle de nos entreprises québécoises dont les réalisations sur les marchés internationaux font notre grande fierté. Il faut donc concilier ces intérêts qui ne s'opposent pas nécessairement, puisque la qualité des produits est un gage de réussite. Il faudra donc faire preuve d'équilibre, de souplesse et d'ouverture.

En terminant, j'aimerais préciser que notre commission n'a pas principalement pour objet d'analyser le sens ou la portée juridique des articles ou des termes de l'avant-projet de loi; cela est de l'ordre des méthodes ou des moyens. Après ce que nous aurons dégagé des grands enjeux sociaux et des principes, le temps sera venu de formuler dans le détail et dans un autre cadre des articles de loi. Comme vous le voyez, j'appelle à une participation ouverte et entière sur les questions qui engagent toute une profession, tout un secteur économique et, bien sûr, la sécurité du public. Le nombre, la qualité et la pertinence des témoignages que nous entendrons auront un effet direct sur les résultats de cette révision fort importante.

Avec ces remarques, vous connaissez nos attentes comme gouvernement et vous êtes en mesure de constater notre volonté d'agir en pleine connaissance de cause. Il n'en tient qu'à ceux et à celles qui s'exprimeront de participer de façon déterminante à l'évolution d'une profession, sinon de plusieurs. Rien ne nous empêche de tracer ici ensemble le profil, les nouveaux contours d'un secteur qui soit à la pointe du développement économique et scientifique du Québec et qui montre l'exemple de ce que le Québec sait faire lorsqu'il entreprend d'allier la performance économique et organisationnelle avec un idéal élevé et réaffirmé de l'intérêt du public. En plaçant à ce niveau nos objectifs, mesdames et messieurs, je suis certaine de faire un pari que tous voudront gagner avec moi.

M. le Président, j'aimerais, avant que nous ne commencions, ajouter ceci: que toutes les personnes qui seront entendues ici dans cette commission, pour nous, c'est un privilège, parce que, lorsque j'ai fait la lecture de tous les gens qui avaient présenté les mémoires... nous sommes privilégiés, M. le Président, et je pense que nous allons ressortir grandis et, je suis certaine, avec une meilleure compréhension de ce que signifie tout ce secteur de notre économie québécoise.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, Mme la ministre. Nous en venons maintenant aux déclarations d'ouverture du porte-parole de l'opposition officielle et député de D'Arcy-McGee.


M. Lawrence S. Bergman

M. Bergman: Merci, M. le Président. Les membres de la commission des institutions ont été convoqués ici aujourd'hui afin de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives, a draft bill entitled An Act to amend the Engineers Act and other legislative provisions. Nous devrions avoir le plaisir d'accueillir devant nous différents groupes et organisations qui ont préparé et déposé leurs mémoires sur cet avant-projet de loi et avec lesquels nous aurons, j'en suis certain, d'intéressantes discussions.

Au nom de mes collègues de l'opposition libérale, j'aimerais remercier ces diverses organisations, incluant ceux qui ne pourront malheureusement pas se présenter devant nous, pour le travail remarquable qu'elles ont effectué et pour leur contribution à l'avancement et au développement de notre système professionnel. Des consultations telles que celles-ci nous permettent d'augmenter la qualité du travail de l'Assemblée nationale.

Il faut savoir que la loi créant l'Ordre des ingénieurs ne date pas d'hier et qu'elle remonte à aussi loin que 1920. Les derniers changements majeurs qu'elle a connus sont survenus en 1959. Dans les années soixante-dix, des modifications ont été apportées à la loi régissant les ingénieurs dans le but de rendre celle-ci conforme aux dispositions du Code des professions. C'est en effet en 1973 qu'un ministre du gouvernement libéral a proposé un ensemble législatif qui allait doter le Québec de règles, d'institutions propres à protéger le public dans le domaine professionnel. Je suis fier de vous dire que ce ministre était l'ancien premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa. On a alors confié à des professionnels constitués en ordre le mandat de maintenir les conditions essentielles de cette protection du public, à savoir le contrôle de la compétence des professionnels, la vérification de leur pratique, l'élaboration et l'application du Code qui fixerait les règles fondamentales de comportement et, enfin, les dispositifs d'enquête et de discipline permettant aux ordres professionnels de sanctionner les manquements de leurs membres.

(9 h 50)

Nous avons un des meilleurs systèmes professionnels au monde. Ce système, composé de partenaires importants tels que le Conseil des professionnels et l'Office des professions du Québec, a fait ses preuves et a servi d'exemple à nos voisins à travers le Canada et les États-Unis. Nous avons un système professionnel de qualité et nous pouvons être fiers qu'il se soit donné comme mission principale d'assurer, comme chaque ordre professionnel, le respect de son mandat de protection du public. Cependant, nous devons également nous souvenir que notre société évolue, qu'il en résulte de nouvelles conditions sociales et économiques et que même une loi aussi complexe soit-elle, en l'occurrence notre Code des professions, doit être amendée de temps à autre. J'aimerais rappeler au gouvernement que, à la suite d'une étude approfondie de notre système professionnel par l'Office des professions, le gouvernement avait lui-même fait l'annonce, au mois de mai 1998, qu'il devait entreprendre des consultations dans le but de proposer à la population du Québec une vaste réforme du Code des professions. Depuis cette annonce faite par le ministre de l'époque, rien ne s'est passé. Je vous dirai d'ailleurs que plusieurs mémoires qui ont été déposés dans le cadre de l'étude de l'avant-projet de loi qui est devant nous font mention de cette situation.

Le Code des professions réglemente des professions dites d'exercice exclusif et des professions à titre réservé. Compte tenu de l'importance des actes posés face à la protection du public, l'Ordre des ingénieurs appartient à la catégorie des professions détenant un droit d'exercice exclusif pour ses membres, un droit régi par les dispositions de la Loi sur les ingénieurs à laquelle l'avant-projet de loi qui est devant nous veut apporter certains changements.

Il est important de reconnaître que les progrès technologiques survenus depuis les dernières modifications majeures, en 1959, à la Loi sur les ingénieurs sont énormes. Pensons seulement aux nombreux domaines d'activité et spécialités qui n'existaient pas même à ce moment-là, au nouvel outil d'informatique et à la véritable révolution technologique. Les ingénieurs vivent et travaillent maintenant dans un environnement complètement et totalement différent de celui de 1953, 1959 ou 1973. Bien qu'une mise en forme de la Loi des ingénieurs s'impose, il faut cependant s'assurer que la description des actes réservés aux ingénieurs correspondra vraiment à l'exercice de la profession d'ingénieur au Québec.

Nous devons également nous assurer, lorsque nous en viendrons à définir les actes exclusifs aux ingénieurs, que nous avons pris en considération les autres professionnels, regroupements et organisations oeuvrant dans notre société et qui jouent un rôle important et substantiel. Nous devons trouver le juste équilibre où notre mission de protection du public trouvera son apogée, cette protection du public qui, elle non plus, n'est pas facile à cerner. Elle peut indirectement nous amener à nous pencher sur des concepts tels que la concurrence, la mécanisation des services, le coût des services et de la main-d'oeuvre, l'effet sur l'organisation du travail dans nos entreprises et nos industries.

Nous devons aussi accorder une attention toute spéciale au champ de pratique des ingénieurs décrit dans l'avant-projet de loi et être certains qu'il accorde à l'Ordre des ingénieurs un pouvoir de contrôle et de surveillance suffisant de ses membres et qu'il permettra à la population de bénéficier des avantages de cette interrelation entre l'Ordre et ses membres.

Nous aurons également devant nous des organisations, des regroupements et d'autres ordres professionnels qui viendront émettre certaines réserves à cet avant-projet de loi qui, nous devons le souligner, est un avant-projet de loi visant la Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs. Nous devons également porter une sérieuse attention aux préoccupations exprimées par ces groupes et examiner leurs préoccupations et les propositions très minutieusement.

L'économie moderne de globalisation des marchés, la compétition, le libre-échange sont tous des facteurs qui prônent l'existence des équipes multidisciplinaires. Plusieurs mémoires nous parlent de cette préoccupation, de l'élimination des équipes multidisciplinaires. Il faudra donc nous pencher sur ces questions afin de savoir si ces inquiétudes sont justifiées et comment les qualifier.

Après le Sommet sur l'économie tenu le 6 novembre 1996, le gouvernement a passé le décret 1326-96 concernant les règles relatives à l'allégement des normes de nature législative ou réglementaire. Le but de ce décret est de s'assurer que l'adoption des normes législatives ne cause pas d'inconvénients qui peuvent avoir un effet néfaste sur la compétition des entreprises dans le secteur touché.

Plusieurs intervenants se plaignent des coûts à court, moyen et long terme de cet avant-projet de loi. On doit aussi se pencher sur cette question.

Je termine, M. le Président, en vous disant que le seul but recherché par les membres de l'opposition libérale siégeant à cette commission sera de travailler de concert avec tous les participants afin de parvenir aux meilleurs résultats possible dans l'intérêt et la protection du public, des membres des ordres des ingénieurs, des membres composant tous les autres ordres professionnels et des divers groupes et organisations directement et indirectement concernés. Merci, M. le Président.


Auditions

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. le porte-parole de l'opposition officielle et député de D'Arcy-McGee. Est-ce qu'il y a d'autres interventions de la part des membres? Sinon, j'inviterais les membres de l'Association de la construction à bien vouloir prendre place, et je crois que c'est déjà fait, tout en se rappelant que nous aurons une heure consacrée à votre organisme, à l'Association: 20 minutes seront allouées pour la présentation de l'Association de la construction du Québec, 20 minutes par la suite seront réservées aux ministériels et 20 minutes à l'opposition au niveau des échanges. Alors, j'inviterais donc M. le président, Jean-Guy Cloutier, à bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent.


Association de la construction du Québec (ACQ)

M. Paré (Michel): Si vous permettez, M. le Président. Merci. Mme la ministre, distingués membres de la commission parlementaire. Alors, mon nom est Michel Paré, je suis le vice-président exécutif de l'Association de la construction du Québec. Les gens qui m'accompagnent sont: à ma droite, Me Pierre Hamel, le directeur des Affaires juridiques et gouvernementales à l'ACQ; à mon extrême gauche, M. Denis Dubois, qui est le directeur des Services aux membres, pour l'ACQ, dont la formation est de technologue professionnel, et Me François Morissette, qui est chef de service aux Affaires juridiques et gouvernementales; et, à côté de moi, M. Jean-Guy Cloutier, qui est un entrepreneur général et qui est le président de l'Association de la construction du Québec.

Alors, vous avez déjà reçu le mémoire de l'ACQ il y a tout près d'un an. La présentation de l'ACQ va varier quelque peu de la présentation du mémoire, mais le contenu est sensiblement le même. Alors, si vous me permettez, je demanderais au président de l'ACQ de faire une courte présentation sur l'organisation qu'on représente et, par la suite, Me Pierre Hamel fera la présentation du mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le président.

M. Cloutier (Jean-Guy): M. le Président, Mme la ministre, mesdames, messieurs. L'Association de la construction du Québec est une organisation professionnelle qui se soucie de l'intérêt et de la protection du public. De fait, l'ACQ regroupe des milliers d'entreprises qui oeuvrent dans tous les secteurs de l'industrie de la construction: résidentiel, industriel, institutionnel/commercial, génie civil et voirie. Ces entreprises peuvent profiter des services qu'elle leur offre à travers le Québec via son réseau de 12 associations affiliées régionales. L'ACQ est également l'agent négociateur patronal unique pour tous les employeurs oeuvrant dans les secteurs institutionnel/commercial et industriel. Conséquemment, l'ACQ voit à la négociation, l'interprétation et l'application des conventions collectives de ces deux secteurs.

L'ACQ représente aussi les intérêts de plus de 10 000 entreprises de construction qui embauchent plus de 65 000 salariés de la construction et qui génèrent plus de 65 % des heures travaillées et rapportées à la Commission de la construction du Québec. Ses membres réalisent plus de 80 % de tous les travaux de construction au Québec, pour une somme globale de plus de 14 000 000 000 $ annuellement – données de 1996.

Dans le domaine de l'habitation, l'ACQ a développé une vaste expertise et opère, depuis près de 20 années, six plans de garantie, soit Maisons neuves, Condominiums, Locatifs, Rénovation, ServicExpert, de même qu'Usinées. Ces plans de garantie sont gérés par une filiale de l'ACQ qui s'appelle Plans de garantie ACQ inc.

De plus, le 5 octobre 1998, la compagnie La Garantie Habitation du Québec inc., autre filiale de l'ACQ, a été reconnue comme administrateur par la Régie du bâtiment du Québec, conformément au Règlement sur le plan de garantie de bâtiments résidentiels neufs, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1999.

Depuis plus de 30 ans, l'ACQ est une partie contractante et représente des employeurs visés par le Décret de la menuiserie métallique de la région de Montréal, le Décret du marbre et le Décret des produits de béton. C'est donc à ce titre que l'Association de la construction du Québec vient vous faire ses représentations ce matin à l'égard de l'avant-projet de loi modifiant la Loi des ingénieurs.

Sur ce, je laisse la parole à Me Pierre Hamel qui fera un condensé du mémoire.

M. Hamel (Pierre): Alors, merci. Mme la ministre, M. le Président, distingués membres de la commission. Notre présentation va se faire, ce matin, en trois étapes. Nous allons traiter de la question de la protection du public, dans un premier temps. Nous ne pouvons non plus passer sous silence une étude un peu plus détaillée des modifications législatives qui sont proposées. Et, finalement, nous traiterons des questions économiques qu'engendre l'adoption ou l'étude de l'avant-projet de loi.

(10 heures)

L'avant-projet de loi est censé être dicté par le besoin de moderniser la Loi des ingénieurs et d'assurer la protection du public. Selon nous, d'entrée de jeu, nous pouvons vous dire que l'avant-projet de loi ne répond ni à l'un ni à l'autre des besoins évoqués. Nous sommes d'avis que l'avant-projet de loi a pour effet de confier aux ingénieurs une partie importante des activités actuellement exercées par les entrepreneurs sans que quoi que ce soit n'autorise ou ne justifie une intervention aussi agressive dans le giron des activités des entrepreneurs. L'entrepreneur est bien encadré pour voir à la protection du public. Un bref rappel s'impose ici afin de comprendre les fonctions de l'entrepreneur et ses réelles responsabilités.

D'abord, il faut se rappeler qu'en vertu de notre droit civil l'entrepreneur est considéré comme un expert en construction et, partant, assume les responsabilités qui découlent d'un tel statut. Au chapitre du contrat d'entreprise, le nouveau Code civil reconnaît cette expertise en laissant à l'entrepreneur le libre choix des moyens d'exécution, en faisant de l'obligation de l'entrepreneur une obligation de résultat dont il ne pourra se dégager en prouvant la force majeure, en conservant la responsabilité de l'entrepreneur face au propriétaire lorsque l'entrepreneur donne des contrats en sous-traitance, en imposant à l'entrepreneur le même fardeau qui repose sur les épaules des professionnels, architectes et ingénieurs, en cas de ruine partielle ou totale du bâtiment – d'ailleurs, en 1994, lors de la réforme du Code civil, le législateur a prolongé cette présomption de responsabilité aux sous-entrepreneurs – et finalement, en imposant à l'entrepreneur le même fardeau qui repose sur les épaules des professionnels au niveau des malfaçons durant l'année qui suit la réception de l'ouvrage. Il s'agit ici ni plus ni moins que d'une reconnaissance d'experts en construction consacrée par le législateur il y a à peine un peu plus de cinq ans. Cette codification est le reflet des principes énoncés à maintes reprises par nos tribunaux, dont la Cour suprême du Canada qui a reconnu le statut d'expert en construction à l'entrepreneur.

Il faut prendre en considération également les lois du marché. Combien de fois retrouve-t-on une clause d'exclusion de responsabilité en faveur du propriétaire et de ses mandataires professionnels dans le cadre du contrat d'entreprise? Plus le contrat est important, plus l'exclusion de responsabilité est étendue. Ce n'est que tout récemment que les tribunaux ont permis la révision judiciaire de telles clauses. Cependant, entre-temps, les entrepreneurs ont dû se développer dans un cadre de responsabilité strict et un cadre contractuel particulièrement rigide. Ces régimes de responsabilité mis en place par le législateur n'avaient et n'ont toujours qu'un seul objectif: la protection du public.

Mais il y a plus. Ne devient pas entrepreneur qui veut. L'entrepreneur, pour exercer, doit détenir l'une des plus ou moins 90 sous-catégories de licence émises par la Régie du bâtiment, organisme qui a pour mandat premier la protection du public. Pour l'obtenir, il doit se qualifier au niveau de la sécurité, au niveau de la gestion et au niveau technique, en passant les examens appropriés pour l'une ou l'autre des sous-catégories. Il doit annuellement rencontrer les tests de solvabilité imposés par la Régie. L'entrepreneur a également l'obligation légale d'embaucher de la main-d'oeuvre qualifiée, en vertu de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction.

Les apprentis doivent travailler sous la supervision d'un compagnon. Par exemple, un mécanicien d'ascenseur apprenti doit travailler 10 000 heures avant de pouvoir penser même passer l'examen pour devenir compagnon dans son domaine. L'entrepreneur qui ne respecte pas la loi et embauche des salariés sans carte de compétence peut voir sa licence restreinte ou simplement révoquée. Encore là, ces mesures visent, en bout de piste, l'objectif de la sécurité du public. De plus, dans le cadre de l'exécution même des travaux, l'entrepreneur est tenu de respecter le Code de sécurité pour les travaux de construction, et ce, sous l'étroite supervision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. C'est donc dire qu'en 1999 le public est déjà protégé par un régime de responsabilité modernisé en 1994, par les lois du marché, les agences de régulation telles que la Régie du bâtiment du Québec, la Commission de la construction du Québec et la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Mais ça va encore plus loin. Afin d'être certain de la qualité du travail des entrepreneurs, ils doivent faire un pas de plus, c'est-à-dire maintenant adhérer à une norme de qualité internationale, la norme ISO. De plus en plus, les grands donneurs d'ouvrage exigent cette norme. Il n'y a qu'à penser à Hydro-Québec, au ministère des Transports, Société immobilière du Québec, Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal puis aux municipalités qui peuvent l'exiger dans le cadre d'un processus de préqualification.

Voilà le portrait de l'entrepreneur de l'an 2000, simplement au niveau de la protection du public. Et je passe les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur et celle de l'environnement. Vous savez, la liste est très, très longue dans l'industrie de la construction. Le public n'a pas besoin de protection supplémentaire. S'il en est, une déréglementation s'impose. Le conflit Québec-Ontario qui traîne en longueur est un des exemples de déréglementation nécessaire. Nous soumettons donc à la commission que le public n'a pas besoin de réglementation supplémentaire pour être protégé. Il est urgent de ne rien faire dans ce domaine pour l'industrie de la construction.

Ceci étant dit, nous vous invitons à prendre connaissance de certaines dispositions de l'avant-projet de loi. Comme vous avez pu le constater à la lecture du mémoire, l'une des inquiétudes de notre association, c'est l'élargissement du champ exclusif de la profession. Cet élargissement n'est ni requis ni nécessaire.

D'abord, j'invite la commission à prendre connaissance de la définition d'«entrepreneur» dans la Loi sur le bâtiment reproduite aux pages 7 et 8 de notre mémoire. La définition va comme suit – à la page 7 donc: «La catégorie d'entrepreneur général comprend tout entrepreneur dont l'activité principale consiste à organiser, à coordonner, à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, des travaux de construction compris dans les sous-catégories de la catégorie d'entrepreneur général ou à faire ou à présenter des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le but d'exécuter ou de faire exécuter, en tout ou en partie, de tels travaux.

«La catégorie d'entrepreneur spécialisé comprend tout entrepreneur dont l'activité principale consiste à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, des travaux de construction compris dans les sous-catégories de la catégorie d'entrepreneur spécialisé ou à faire ou à présenter des soumissions, personnellement ou par personne interposée, dans le but d'exécuter ou faire exécuter de tels travaux.»

La Loi actuelle sur les ingénieurs reconnaît le droit aux ingénieurs d'avoir un champ de pratique exclusif, mais elle le fait dans le respect de tous les intervenants. L'article 5i de la loi actuelle, article dont on demande l'abrogation, prévoit que «Rien dans la présente loi ne doit:

«i) empêcher une personne d'exécuter ou surveiller des travaux à titre de propriétaire, d'entrepreneur, de surintendant, de contremaître ou d'inspecteur, quand ces travaux sont exécutés sous l'autorité d'un ingénieur.» Et cet article 5i correspond également à la définition qu'on a pu vous lire tantôt sur la Loi sur les ingénieurs.

(10 h 10)

Cependant, il en va tout autrement de l'avant-projet de loi qui est devant nous. Les articles 2b et 2c ouvrent le débat en faisant des actes du ressort exclusif de l'ingénieur, l'attestation de la conformité aux normes reconnues et la surveillance de l'exécution et la conception de directives de surveillance et de directives d'inspection. Il s'agit là d'une intrusion dans le champ d'activité de l'entrepreneur dont il se verrait maintenant privé.

Comme nous l'avons souligné dans notre mémoire, une étape de supervision supplémentaire s'avérerait inutile et coûteuse. De plus, elle irait à l'encontre des demandes du marché qui souhaite moins de supervision immédiate, d'où la préqualification via la norme ISO.

D'autre part, l'avant-projet de loi fait une incursion spectaculaire dans le domaine du droit civil. Et je réfère la commission à l'article 4.1 de l'avant-projet de loi, que je vous lis:

«L'entrepreneur chargé de travaux afférents à un ouvrage, le propriétaire de cet ouvrage et toute personne chargée d'agir pour le compte de l'un ou l'autre d'entre eux peut surveiller l'exécution de ces travaux si les conditions suivantes sont respectées:

«1° les travaux sont exécutés à partir de plans ou rapports de conception, devis et cahiers des charges authentifiés par un ingénieur;

«2° la surveillance est faite en stricte conformité avec des directives écrites de surveillance élaborées par un ingénieur et authentifiées par lui;

«3° toute modification aux plans, devis, cahiers des charges et toute substitution de matériaux prescrits sont approuvées par écrit par un ingénieur.»

On est très loin de la notion d'autorité qui apparaît actuellement à l'alinéa i de l'article 5 de la loi actuelle. Mais, non satisfait de cette ingérence, l'avant-projet de loi va encore plus loin en proposant l'adoption de l'article 11 et en laissant entre les mains de l'Ordre des ingénieurs du Québec le droit de régimenter les personnes morales. L'article 11 se lit comme suit: Le Bureau peut, par règlement – et on entend le Bureau de l'Ordre des ingénieurs du Québec – détermine, on le sait, à quelles conditions une personne morale peut être autorisée à réaliser des projets comportant à la fois des services d'ingénierie, de l'approvisionnement et de la construction, ou de la gestion de construction, et prescrire les conditions et les modalités de la délivrance d'une telle autorisation. Ils deviendront Dieu et maître en matière d'émission d'autorisation.

Or, le type de travaux visés à l'article 11c, c'est tous les projets qui émergent au Canada et au Québec. C'est le Bureau de l'Ordre des ingénieurs qui déterminerait quelle entreprise pourrait être autorisée à faire les travaux. C'est absolument inacceptable. Le projet de loi également introduit des notions imprécises telles que le bien-être des personnes ou enfin l'intégrité des biens. Il est question également d'ouvrages temporaires, de coffrages, qui doivent être exécutés sous la surveillance des ingénieurs; nouveaux éléments dans l'industrie de la construction. Une autre intrusion à augmenter les coûts d'un projet et son administration.

Finalement, l'avant-projet de loi nous révèle la structure des amendes à l'article 22.1. On fait état d'une amende de 600 $ à 6 000 $ pour un individu et de 5 000 $ à 50 000 $ pour une entreprise. C'est donc dire que, si une entreprise n'obtient pas l'autorisation écrite d'un ingénieur pour faire une modification à un plan, elle peut se voir contrainte non seulement aux relations contractuelles qui existent entre elle et le propriétaire, mais également à l'exercice illégal de la charge d'ingénieur et se voir imposer une amende maximale de 50 000 $. La structure des amendes dépasse l'entendement. L'Ordre des ingénieurs du Québec a plus de pouvoir que la Régie du bâtiment et une arme plus puissante que le Code criminel.

Parlons maintenant de l'impact économique. L'un des facteurs importants contribuant au développement du travail au noir, c'est la réglementation. L'État, en multipliant les dispositions à caractère pénal, accroît la rigidité et la bureaucratie, constituant d'autres motifs pour travailler en dehors des règles légales. Ces principes sont des énoncés apparaissant au document de consultation préparé pour le Sommet sur l'industrie de la construction, dès 1993. L'industrie de la construction, c'est un géant fragilisé par la réglementation. C'est de loin l'industrie la plus réglementée. Elle se relève des modifications à la Loi sur les relations de travail, changement majeur dans l'industrie de la construction; elle se relève d'une période économique particulièrement difficile. Elle demeure bien vivante et peut enfin, après avoir négocié à deux reprises des conventions collectives satisfaisantes, bénéficier d'une certaine paix industrielle dans un contexte économique favorable et reprendre des millions d'heures à travailler perdues au fil des ans.

Dans ce contexte, l'avant-projet de loi constitue non seulement un irritant mais, dans une certaine mesure, un frein. Pourquoi intervenir à ce stade-ci, alors que la protection du public n'est pas en jeu et demeure bien assurée? Surréglementer notre industrie, qui souhaite, comme l'ensemble du Québec, un allégement réglementaire alors que les enjeux et les impacts économiques véritables ne sont pas tous étudiés ou même connus?

Déjà, l'industrie se prend en main. La disparition du décret et la mise en place de conventions collectives pour chacun des secteurs en est un exemple; le règlement sur les plans de garantie obligatoires pour les maisons neuves en est un autre exemple; l'annonce du transfert d'une partie de la qualification professionnelle à la Corporation des maîtres électriciens du Québec et à la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec est un autre exemple; la création des mutuelles de prévention en matière de santé et sécurité au travail en est un autre exemple.

Les ingénieurs sont présents sur toutes les tribunes importantes, que ce soit pour le Code national du bâtiment et sa révision, pour le Code de sécurité pour les travaux de construction, les normes ACNOR, les bureaux des normes du Québec, les codes d'électricité, de plomberie, de protection incendie. C'est en continuant à être présente sur ces tribunes que la profession se modernisera, s'actualisera et répondra aux vrais besoins de la population québécoise.

La loi, nous dit-on, est archaïque. Cependant, comme le prévoient certaines dispositions dont on demande l'abrogation – et j'y reviens – l'exercice de la profession doit se faire sans empêcher une personne d'exécuter ou de surveiller des travaux à titre de propriétaire, d'entrepreneur, de surintendant, de contremaître ou d'inspecteur, quand ces travaux sont exécutés sous l'autorité d'un ingénieur. C'est pourquoi l'ACQ recommande de ne pas donner suite à ce projet de loi et, sinon, d'adopter les recommandations qui apparaissent au mémoire. Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, je remercie nos invités pour leur présentation. Nous passerons à la période d'échanges, à ce moment-ci. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Oui. Est-ce que la ministre... Alors, j'aimerais remercier l'Association de la construction du Québec pour sa présentation, et permettez-moi de vous demander quelques questions.

À la page 9 de votre mémoire, vous indiquez que, par l'article 2b de l'avant-projet, c'est votre impression que les entrepreneurs qui ont des conseillers en santé et sécurité au travail doivent embaucher des ingénieurs et remercier ces conseillers en santé. J'aimerais que vous expliquiez cette phrase. Et aussi, est-ce que vous avez examiné les suggestions pour un amendement à l'article 2b proposées par Hydro-Québec et où Hydro-Québec suggère, en relation avec l'article 2b, qu'on élimine les mots «ou d'exploitation», les derniers deux mots de 2b, et qu'on les remplace par «ou lorsque le fonctionnement ou l'exploitation de l'ouvrage a une incidence directe et immédiate sur la santé et la sécurité des personnes aux normes reconnues de fonctionnement ou d'exploitation»? Est-ce que vous pouvez nous donner vos pensées sur cette suggestion d'Hydro-Québec, en relation avec vos commentaires sur l'article 2b de l'avant-projet de loi?

(10 h 20)

M. Morissette (François): Merci. François Morissette. Ce que je peux vous mentionner concernant votre question, c'est que l'ACQ considère que, de la façon actuelle dont l'article 2b est rédigé, il semble vouloir donner la juridiction exclusive aux ingénieurs, tout le côté de la santé et sécurité au travail. Et, si vous regardez le code de sécurité des travaux de construction, il y a beaucoup, à l'intérieur de ça, de normes, toutes des questions qui visent soit, comme on le mentionne au début, des sciences exactes au niveau des mathématiques, de la chimie, des choses comme ça, qui feraient en sorte que ça tomberait sous la juridiction exclusive des ingénieurs. Et donc toutes les associations patronales, les organismes en santé et sécurité au travail, qui seraient obligés de respecter ces dispositions-là, qui ont des spécialistes en santé et sécurité au travail qui ne sont pas nécessairement des ingénieurs, devraient à ce moment-là remplacer ces personnes-là. On créerait probablement davantage, parce que ces gens-là seraient remerciés, donc on pourrait créer du chômage sans avoir de garantie que les personnes qui vont prendre la place de ces personnes d'expérience en santé et sécurité au travail seraient en mesure de faire le travail qui est très bien fait à l'heure actuelle.

M. Bergman: Vous avez fait référence dans votre présentation à l'article 4.1, la surveillance des travaux. Est-ce que vous avez pris en considération qu'il y a une Loi sur les ingénieurs qui existe au présent moment? Dans l'article 3 de cette loi, le paragraphe c se lit comme suit: «inspecter ou surveiller les travaux.» Alors, il n'y a pas un changement dans l'avant-projet de loi pour la surveillance des travaux par l'ingénieur de la loi existante. L'article 3 commence comme suit: «L'exercice de la profession d'ingénieur consiste à faire, pour le compte d'autrui, l'un ou l'autre des actes suivants, lorsque ceux-ci se rapportent aux travaux de l'article 2.» Et le paragraphe c: «inspecter ou surveiller les travaux.» Ce n'est pas vraiment un échange qui est suggéré par l'avant-projet de loi.

M. Hamel (Pierre): Si vous permettez, pour répondre à votre question. L'article 3 de la loi actuelle doit se lire en même temps que l'article 5 qui, lui, dit très bien: L'article 3, c'est un champ de pratique exclusif, sauf que ça ne doit pas interdire aux entrepreneurs, aux contremaîtres, aux inspecteurs de faire leur travail au terme de la loi.

Ce que la nouvelle loi vient faire, elle vient dire: Non seulement l'inspection deviendra du ressort exclusif mais, en plus, on demande aux ingénieurs de préparer les directives d'inspection par écrit – et il y a un coût à ça – et ces directives d'inspection doivent être non seulement par écrit, strictement suivies. Ça, c'est un élément qui est majeur dans le projet de loi. Et ça va plus loin que ça parce que, en matière municipale, par exemple, plusieurs municipalités engagent des ingénieurs-conseils pour se faire faire des devis. Les associations de construction ont demandé à maintes reprises de faire un devis normalisé pour éviter d'avoir des problèmes ou des modifications d'un document à l'autre. Et souvent on se retrouve, pour un travail similaire, avec des devis différents parce qu'ils ont été conçus par des firmes différentes.

C'est donc dire qu'on peut entrevoir la possibilité d'avoir des directives d'inspection différentes selon la firme qui les préparera. Et l'expertise des entrepreneurs en construction, c'est leur capacité de coordonner, de gérer, d'inspecter ces travaux-là et de donner une plus-value intéressante à l'immeuble. C'est ça, l'expertise des entrepreneurs, c'est leur libre arbitre de la façon dont ils devront exécuter ces travaux-là. Or, si, en plus de leur donner des plans et devis et des clauses contractuelles extrêmement sévères, on leur dicte quoi faire, bien il ne reste plus rien qu'à tenir le marteau, c'est tout. Et c'est très important pour eux, c'est cette façon-là qui leur permet de se démarquer: les projets clé en main. Tous ces éléments-là sont très importants pour la survie de l'industrie de la construction. Or, le génie mettrait la main basse sur cette industrie-là.

M. Paré (Michel): Si vous me permettez, en complémentaire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Allez-y, M. Paré.

M. Paré (Michel): Alors, la lecture que l'on fait du projet de loi, c'est une étendue, on élargit l'intervention des ingénieurs à plusieurs niveaux dans le domaine de la gestion d'entreprises de construction, dans le domaine de la santé et sécurité, dans le domaine de la surveillance des travaux, où c'est fait par des surintendants, dans le domaine de l'estimation, et la lecture que l'on fait sur l'élargissement de l'intervention de la profession d'ingénieur, c'est la même lecture que l'on fait que l'analyse économique qui a été remise à l'Office des professions dans laquelle on dit que les amendements à la loi doivent avoir en priorité l'effet de mieux définir les actes exclusifs et les champs d'intervention, et non de les étendre. Or, on pense que, dans l'avant-projet de loi qu'on a présentement, on les étend. Les industries visées, c'est dans le rapport de l'ADEQ déposé à l'Office des professions, on dit également que les industries visées par les amendements ne sont pas responsables des problèmes soulevés par la loi et ne devraient pas en faire les frais. L'on pense que l'industrie de la construction, les entreprises de construction vont faire les frais de l'élargissement, de l'étendue des pouvoirs des ingénieurs.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la ministre.

Mme Goupil: J'ai écouté Me Hamel avec... Vous avez présenté le dossier avec éloquence et beaucoup de conviction, et c'est passionnant. Cependant, j'aurais à vous poser la question suivante – et ce que monsieur à côté a apporté comme élément complémentaire. Quand vous dites: L'objectif, c'est de mieux définir et non pas de les étendre. Actuellement, comment un intendant ou un gérant de chantier, qui n'est pas ingénieur, fait la surveillance ou l'autorité de son chantier? Comment il fait ça?

M. Paré (Michel): Oui, le président de l'ACQ, qui est un entrepreneur général.

M. Cloutier (Jean-Guy): Mme la ministre, l'expertise dans la construction au Québec, vous l'avez noté tout à l'heure, où on reflète sur le plan international notre expertise d'entrepreneur, c'est à l'intérieur de l'entreprise qu'on monte nos gérants de projet et c'est à l'intérieur de l'entreprise qu'on forme nos gens. C'est certain que ces gens-là n'ont pas tous des titres d'ingénieur; la plupart ont des titres de technologues, en principe. Ces gens-là travaillent aux chantiers.

L'expertise d'exécution d'un chantier et l'expertise de création ou de design, ce n'est pas la même. L'expertise d'exécution avec la main-d'oeuvre, l'expertise de relations humaines avec nos gens, c'est ça qui fait l'équipe d'une surintendance de chantier ou d'un gérant de chantier, l'expertise de collaboration avec les sous-traitants, l'expertise de collaboration avec les acheteurs, les fournisseurs de matériaux. La connaissance des matériaux de base, c'est ça qui fait l'expertise finale d'un chantier, c'est ça qui fait la qualité d'un chantier. Peu importe l'entrepreneur que ce soit, si on envoie sur un chantier un individu qui n'a pas l'expertise de base, qui n'a pas touché au chantier, qui n'a pas eu cette relation avec l'ensemble de la main-d'oeuvre québécoise, ces choses-là, c'est sûr que ça ne donne pas une exécution, que ça ne donne pas une qualité, que ça ne donne pas une protection parfaite.

Et l'expertise de nos gérants de chantier avec les ingénieurs... On ne dénigre pas l'ensemble des ingénieurs, on dit que les ingénieurs ont leur place dans le système et ces choses-là, mais leur expertise de collaboration avec les ingénieurs, de savoir-faire de nos gérants de chantier... Et quand on parle de l'expertise de construction, il ne faut pas oublier que nos surintendants de chantier, nos gérants de chantier, ils passent 50, 60 heures par semaine sur nos chantiers. C'est là qu'on la crée, l'expertise. Ils ont les connaissances, ils ont été formés au point de vue technique et ces choses-là, ils ont suivi des cours de rattrapage, ils ont suivi des cours de mise à jour depuis des années. Donc, ces gens-là ont l'expertise. Il y a une collaboration excellence avec nos ingénieurs mais, la différence, c'est qu'ils sont sur les chantiers, ils exécutent. C'est ça qui fait la différence. C'est bien beau de concevoir, mais je pense que la qualité puis la protection du public, c'est l'exécution de l'ensemble du système de la construction.

Mme Goupil: Mais, actuellement, si on regarde la loi telle qu'elle existe versus celle qui est proposée – la lecture que vous en avez faite tout à l'heure – la loi ne dit pas que ça doit être fait sous la surveillance d'ingénieurs?

M. Hamel (Pierre): Sous l'autorité.

Mme Goupil: D'accord.

M. Hamel (Pierre): La loi actuellement fait référence à l'autorité, et même la surveillance, sauf toujours... Et je reviens encore à l'item 5 qui est vraiment la notion qui dit: «Rien dans la présente loi ne doit:

«empêcher une personne d'exécuter ou surveiller des travaux à titre de propriétaire, d'entrepreneur, de surintendant, de contremaître ou d'inspecteur, quand ces travaux sont exécutés sous l'autorité d'un ingénieur.»

Or, l'autorité d'un ingénieur, ce n'est pas la surveillance des travaux, ce n'est pas l'inspection des travaux, ce n'est pas la mise en place de normes de surveillance et de normes d'inspection, ce n'est pas l'obtention de documents écrits authentifiés par un ingénieur, c'est sous l'autorité. C'est plus large, c'est plus souple et c'est dans ce contexte-là que s'est développée l'industrie de la construction, ce n'est pas dans un contexte d'obtention d'autorisations et de certificats à n'en plus finir en matière d'inspection.

(10 h 30)

C'est déjà difficile pour un entrepreneur d'obtenir une autorisation écrite d'un architecte ou d'un ingénieur dans le cadre de l'exécution d'un contrat à cause de la rapidité des événements, à cause de la façon dont ça fonctionne. Qu'en serait-il maintenant? On serait toujours en infraction tout simplement parce que le contrat prévoit qu'un amendement au plan peut se faire verbalement sur place. Généralement, les travaux se font, les amendements se font. Il y a une poutre qui est là, elle doit être modifiée, c'est important. Or, ça, ça devient un frein au niveau du Code civil, au niveau des ententes contractuelles. C'est-à-dire qu'on pourrait s'entendre contractuellement de faire une modification au plan, en vertu du Code civil, mais techniquement on commettrait une infraction, ici, à la nouvelle Loi sur les ingénieurs. On devrait laisser ça tel que c'est actuellement. Ce n'est pas là le problème, au niveau des ingénieurs, on en est convaincus.

Mme Goupil: Mais, actuellement, si on lit l'article 3c de la loi actuelle, telle qu'elle existe...

M. Hamel (Pierre): La loi actuelle.

Mme Goupil: Oui, la loi actuelle.

M. Hamel (Pierre): Oui.

Mme Goupil: Alors, lorsqu'il y a une modification qui doit être faite, comme vous venez de le mentionner, est-ce à dire qu'il n'y a aucune possibilité pour qu'un ingénieur puisse intervenir?

M. Hamel (Pierre): Au contraire. Ce n'est pas ça que dit l'article 3. L'article 3 actuel, vous entendez, là?

Mme Goupil: Oui.

M. Hamel (Pierre): Moi, je le lis: «L'exercice de la profession d'ingénieur consiste à faire, pour le compte d'autrui, l'un ou l'autre des actes suivants, lorsque ceux-ci se rapportent aux travaux de l'article 2:

«a) donner des consultations et des avis;

«b) faire des mesurages, des tracés, préparer des rapports, calculs, études, dessins, plans, devis, cahiers des charges – c'est ce qu'ils font actuellement, c'est l'industrie;

«c) inspecter ou surveiller les travaux.» Dans certains cas, ils sont engagés pour faire les devis, dans d'autres cas pour faire les devis et faire la surveillance des travaux, tout dépendant de l'ampleur des travaux et du budget du propriétaire.

Cependant, l'article 3 actuellement se lit toujours en fonction de l'article 5 qui dit: «Rien dans la présente loi ne doit empêcher une personne d'exécuter ou surveiller des travaux à titre de propriétaire, d'entrepreneur, de surintendant...» On respecte les architectes, on respecte les entrepreneurs et on respecte l'homme de métier. On dit: «Rien dans la loi actuelle ne restreint l'exercice normal de son art ou de son métier par le simple artisan ou par l'ouvrier expert.»

L'ingénieur fera les calculs, fera les mesurages, préparera tous les éléments. L'expertise de l'ingénieur est requise dans les plans et devis, est requise volontairement dans le code de sécurité. Dans certains cas, on dit... Lorsqu'il y a une situation ambiguë, on demande l'avis d'un ingénieur. C'est prévu. Le marché reconnaît l'expertise des ingénieurs. Ce que le marché refuse, c'est l'ingérence des ingénieurs dans nos entreprises. On veut être des collaborateurs, on ne veut pas être dictés par les ingénieurs. Les ingénieurs sont nécessaires, essentiels, incontournables dans l'industrie de la construction, mais pas dans nos entreprises, pas à côté de notre surintendant que ça fait 35 ans qu'il fonctionne bien.

Écoutez, on a construit ici – c'était l'ancienne loi – le pont de la Confédération. Tout le système intérieur de Montréal, toute la ville intérieure, le métro, les centres commerciaux, ça a tout été fait dans la loi actuelle qui est beaucoup plus souple et beaucoup plus large. On a des belles réalisations ici. On n'est pas toujours en situation d'effondrement.

Mme Goupil: Me Hamel, est-ce à dire que vous iriez jusqu'à retirer de l'exercice soit de la surveillance ou sous l'autorité de la surveillance les ingénieurs?

M. Hamel (Pierre): Non. Nous, ce qu'on veut, c'est un statu quo à tout le moins à ce niveau-là ou, s'il y a une modification, Mme la ministre...

Mme Goupil: Excusez-moi, mais je voudrais bien comprendre.

M. Hamel (Pierre): Oui.

Mme Goupil: Quand vous dites «statu quo», c'est parce que, actuellement, l'interprétation que vous donnez de la loi actuelle fait en sorte que ce n'est pas de l'exclusivité de l'ingénieur, soit la surveillance, ou sous l'autorité.

M. Hamel (Pierre): C'est-à-dire que la lecture que je fais de la loi actuelle prévoit qu'il est du ressort de l'ingénieur la surveillance et l'inspection.

Mme Goupil: Dans quel sens?

M. Hamel (Pierre): Dans le sens... Quand vous m'avez référé à l'article 3, on dit: «L'exercice de la profession d'ingénieur consiste à faire, pour le compte d'autrui, l'un ou l'autre des actes suivants...», c'est-à-dire «inspecter ou surveiller les travaux». O.K. Cependant, dans la loi, il y a une stipulation qui protège les autres intervenants de l'industrie de la construction, ce que n'a pas l'avant-projet de loi. Et c'est ça, ce pouvoir de surveillance là en matière de génie, pour les exécutions de travaux de génie, se fait par un ingénieur. Cependant, l'exécution, la surveillance et l'inspection de l'exécution, ça se fait actuellement par un entrepreneur.

Mme Goupil: Est-ce que vous pourriez me donner un exemple concret pour qu'on puisse visualiser dans quels cas vous avez recours finalement à l'autorité d'un ingénieur dans le cadre de la surveillance?

M. Dubois (Denis): Mme la ministre, si vous me permettez. Il y a deux choses là, puis je crois que, vous et Me Hamel, vous êtes en train de parler de deux choses différentes. Lorsqu'il y a la préparation des plans et devis dans un projet de construction, il est normal que les professionnels fassent un certain contrôle de qualité et de s'assurer, pour le propriétaire, que l'exécution est conforme et reflète les attentes du propriétaire, donc le respect des plans et devis, et ainsi de suite, aux différentes étapes. À l'article 3c, ma compréhension est que c'est de ça qu'on parle.

Maintenant, lorsque arrive la surveillance des travaux lors de la réalisation pour le compte soit du propriétaire qui déciderait, en plus de la surveillance de l'ingénieur, d'avoir ses propres délégués sur place pour faire la surveillance des travaux, ou le cas que, nous, on soulève ici, c'est de la surveillance de l'exécution pour les fins de l'entrepreneur, de contrôle de ses propres travaux... alors, dans un cas, les ingénieurs, et à juste titre, et je ne crois pas qu'il y ait personne qui le conteste... qu'il y ait une surveillance sur les lieux. Présentement, avec le projet de loi, c'est qu'on éliminerait les autres intervenants de pouvoir faire une surveillance des travaux ou une inspection des travaux pour leurs propres fins à eux.

Je vais vous donner un exemple, vous en vouliez un. Lors de mise en place de béton, par exemple, de façon générale toute firme qui fait une conception d'une structure de béton, lors de mise en place de béton, va avoir des inspecteurs. Alors, la firme d'ingénierie va déléguer sur place un ingénieur, un technologue, un technicien qui vont prendre des tests de béton, vont surveiller l'affaissement du béton, la mise en place de l'acier, si tout est conforme aux plans et devis avant qu'on procède. Mais l'entrepreneur aussi, lui, s'assure de ça, avant que ça procède; il a donc ses propres surveillants, ses propres contrôles, ses propres mesures, ce qu'il ne pourrait plus faire avec des personnes non ingénieures avec le nouveau projet de loi.

Mme Goupil: Alors, l'interprétation, c'est que, tel que l'avant-projet est, ça serait exclusivement les ingénieurs qui feraient ce travail-là.

M. Dubois (Denis): Voilà.

Mme Goupil: C'est la lecture que vous en avez.

M. Hamel (Pierre): Pardon. Le projet de loi est peut-être un petit peu plus pernicieux que ça. Je vais vous dire comment. C'est-à-dire qu'effectivement il a raison, mais ça va plus loin. Si on prend l'article 11 du projet de loi – je ne veux pas vous confondre, là... si vous permettez. Il y a un endroit dans le projet de loi où il est fait mention que le travail qui est exclusivement réservé à l'ingénieur peut être exécuté par quelqu'un d'autre si ce quelqu'un d'autre là est sous la surveillance et – et – l'autorité de l'ingénieur – et l'autorité de l'ingénieur – et la responsabilité, je dirais même, de l'ingénieur. C'est donc dire que, dans la mesure où je désire faire exécuter des travaux qui sont maintenant dévolus aux ingénieurs, ils peuvent être exécutés par quelqu'un d'autre, mais ce quelqu'un d'autre là doit être sous la responsabilité d'un ingénieur. Et juridiquement, si l'entrepreneur exécute des travaux, ça veut dire que l'ingénieur devra être engagé par l'entrepreneur, et c'est l'entrepreneur qui va assumer finalement cette responsabilité d'ingénieur. Donc, on doit pratiquement embaucher des ingénieurs si on veut faire faire le travail par des technologues. C'est ni plus ni moins ça que dit le projet de loi. Alors, ça va beaucoup plus loin. Ça s'ingère au niveau des autorisations dans les entreprises, au niveau de l'embauche du personnel et au niveau des travaux eux-mêmes.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, j'informe les membres qu'il reste environ six minutes aux ministériels et 12 minutes à l'opposition officielle et que, dans l'ordre, le député de Verdun, le député de Drummond, de D'Arcy-McGee, de Dubuc et de Pontiac avaient demandé la parole. M. le député de Verdun.

(10 h 40)

M. Gautrin: Merci, M. le Président. J'aurais trois questions à vous poser. J'ai compris votre exposé, donc je vais être relativement précis et pointilleux.

Première question. À la page 22, vous arrivez à une recommandation: «Que soient retirées du projet de loi sur les ingénieurs les dispositions visant à réserver aux ingénieurs les actes professionnels concernant la conception, la certification, l'inspection et la supervision d'ouvrage.» Est-ce que vous maintiendriez cette recommandation si le sens d'«ouvrage» avait changé, tel que vous demandez qu'il soit changé à la page 6 de votre mémoire? Il est clair que... là, je comprends que ça, c'est lié évidemment au concept d'«ouvrage», que vous trouvez très vaste, mais, si on avait un concept d'«ouvrage» qui était quand même un peu plus restrictif, est-ce que vous maintiendriez cette recommandation? Première question. Je vais vous les donner toutes les trois, mes questions, ça va? pendant que vous réfléchissez à la réponse.

Deuxième élément. Vous demandez que soit réinstauré l'article 5i de la loi actuelle. L'article 5, vous vous rappelez, c'est: «Rien n'empêche dans cette loi de», et 5i disait: «empêcher une personne d'exécuter ou surveiller des travaux sous l'autorité d'un ingénieur», et vous demandez qu'il soit légèrement modifié. Vous connaissez – et ce n'est pas votre groupe, c'est l'Association des technologues, qui sont aussi couverts par l'article 5 – il y a eu un jugement, je pense que c'est le jugement du juge Trudel, où ils ont voulu se prévaloir de l'article 5a pour pouvoir justifier l'exercice de leur profession, par les technologues, et le juge a eu tendance à dire que l'article 5 n'avait pas primauté sur les articles 2 ou 3 de l'actuelle loi, c'est-à-dire que l'exclusivité de la profession de l'ingénieur primait sur les exclusions prévues à l'article 5. Je ne sais pas si vous connaissez le jugement Trudel, je pourrais peut-être vous le faire parvenir, le cas échéant. Est-ce que vous avez des expériences, vous, où vous avez utilisé l'article 5i actuellement pour vous permettre d'agir? Et est-ce que vous avez déjà eu des conflits avec l'Ordre des ingénieurs sur l'application de 5i? Y a-t-il eu une jurisprudence dans ce sens-là?

Et ma troisième question, c'est: Est-ce que, avec le nouveau projet de loi, une personne comme Hervé Pomerleau, qui est membre, je pense, de votre Association, aurait pu lancer sa compagnie?

M. Hamel (Pierre): Je m'excuse, j'ai mal entendu la dernière question.

M. Gautrin: Alors, ma dernière question, et je connais la réponse...

M. Hamel (Pierre): Ah bon!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gautrin: Est-ce que quelqu'un comme Hervé Pomerleau, si l'avant-projet de loi devenait la loi, pourrait lancer la compagnie qu'il a lancée et qui est actuellement présente à peu près partout dans le domaine de la construction?

M. Hamel (Pierre): Alors, au niveau de la restriction de notion d'«ouvrage», O.K., sans aller dans le détail, ce que je pourrais préciser, c'est que, comme l'a mentionné Me Paré, ce qui est important ici, c'est de moderniser la loi en fonction des nouvelles technologies et, partant, une restriction de la notion d'«ouvrage» nécessite donc une précision. Et c'est ce que le rapport recommande également: Précisez exactement quels sont les actes, mais ne les élargissez pas. Alors, ce qu'on vous mentionne, c'est que, nous, ce qu'on veut, c'est: Oui, les ingénieurs doivent être présents, oui, ils doivent soutenir toutes les industries; la formation des ingénieurs, c'est une formation qui est importante; cependant, elle doit être strictement précisée et non pas élargie afin de prévoir l'imprévisible.

Concernant le jugement et l'article 5i, malgré mes 17 ans de pratique en pratique privée dans le domaine de la construction, je n'ai jamais eu vent de problèmes relatifs à l'exercice de la profession d'ingénieur dans le cadre de supervision de travaux, en aucun temps, pour aucun chantier.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

Une voix: Il y a une troisième question, M. le Président...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Je m'excuse.

Une voix: ...et il y aura une troisième réponse.

M. Hamel (Pierre): Quant à la question n° 3...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, qui est l'auteur de la troisième réponse? Oui, M. le président.

M. Cloutier (Jean-Guy): Cher monsieur, je vais donner la troisième réponse. Je n'oserai pas me prononcer sur la firme Pomerleau, parce que je la connais très bien et que ce n'est pas dans mon statut de le faire, mais je peux vous dire qu'à l'heure actuelle, si le projet de loi est élargi de la façon de ce projet de loi, il y aura une foule d'entreprises au Québec qui seront en difficulté, parce qu'il faut compter que plus ou moins 60 % à 80 % de nos entreprises au Québec, que ce soit aussi dans l'industriel/commercial et institutionnel, sont des petites entreprises; donc, elles n'ont pas structuré de cette façon-là. On a élevé la compétence dans l'industrie de la construction au Québec d'une façon sommaire par rapport à l'éducation, par rapport à notre formation de base, et, à partir de là, si on amende cette loi-là et qu'on élargit ce cadre-là, il y a une foule de petites entreprises qui seront en difficulté et il y aura des entreprises moyennes aussi. Parce que notre expertise n'est pas nécessairement juste en ingénierie, notre expertise est en savoir-faire, et, à partir de là, si on crée une brèche dans cette expertise-là, on va avoir une industrie de la construction au Québec en difficulté pour les prochaines années.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui, merci, M. le Président. Je veux revenir sur la notion d'inspection et de surveillance des travaux qu'on retrouve à l'article 3 de la Loi sur les ingénieurs, la loi actuelle. Effectivement, comme vous l'avez mentionné tantôt, l'article 5i dit que ça n'empêche pas, par exemple, un entrepreneur de faire la surveillance de travaux, mais il y a toujours la fin de la phrase qui est bien importante, qui dit «quand ces travaux sont exécutés sous l'autorité d'un ingénieur». Tantôt, vous nous avez dit qu'il n'y avait pas de jurisprudence sur cette notion-là, d'autorité. Parce que, moi, ça m'apparaît très large quand quelqu'un doit faire des travaux sous l'autorité de quelqu'un d'autre. Vous, vous sembliez tantôt l'interpréter restrictivement. Moi, au contraire, je suis porté à interpréter ça de façon plutôt large. Alors, ma question, c'est de savoir: Est-ce qu'il y a de la jurisprudence là-dessus?

Et ma deuxième question, puis j'aurai par la suite une autre question dans un tout autre domaine. Vous, je comprends que, dans vos demandes, vous voulez faire disparaître cette notion de travaux exécutés sous l'autorité d'un ingénieur, parce que, à la page 23 de votre mémoire, vous dites: «ne pas abréger l'alinéa i de l'article 5 en ajoutant "porter atteinte aux droits dont jouissent les entrepreneurs en construction détenteurs d'une licence délivrée en vertu de la Loi sur le bâtiment"». Et quand on regarde cette définition-là, d'entrepreneur, il n'y a pas cette notion d'être sous l'autorité d'un ingénieur ou sous la surveillance d'un ingénieur. Alors, je comprends que même vous, l'Association de la construction du Québec, votre demande, c'est de faire disparaître cette notion de surveillance des travaux sous l'autorité d'un ingénieur.

M. Hamel (Pierre): Merci de poser la question. C'est une précision extrêmement importante. La réponse est non. Ce n'est pas le désir de l'Association de la construction du Québec de modifier les règles et les usages actuels. L'autorité est beaucoup plus vaste. Vous me parliez d'interprétation restrictive, je ne sais pas s'il y a de la jurisprudence actuellement sur l'interprétation de l'article 5i. Ce que je peux vous dire cependant, c'est qu'on interprète largement, l'autorité peut englober bien des éléments, dans la mesure où on fait des plans et devis, où il y a un... peut-être même une inspection sommaire ou un contrôle de qualité sommaire peut constituer l'autorité. Et ça, c'est souple. Et ça, c'est dans ce contexte-là que s'exécutent depuis centaine d'années des travaux de construction et que s'est développée l'industrie de la construction.

Ce qu'on ne veut pas, c'est rétrécir le champ d'activité de l'entrepreneur et l'encarcaner dans des directives écrites qui apparaissent à l'avant-projet de loi, des directives écrites et des directives qui ont trait à l'inspection et même à la surveillance. D'où l'importance, pour ne pas se faire réattaquer encore à d'autres niveaux, d'ajouter dans la nouvelle loi la notion de privilège en vertu de la Loi sur le bâtiment. C'est juste le contexte. Mais on ne veut pas du tout dire: Bien, écoutez, les entrepreneurs, on n'a plus besoin des ingénieurs. Ce n'est vraiment pas l'objet de notre discours aujourd'hui. Mais pas dans le contexte où l'avant-projet de loi est présenté. Est-ce que ça répond à votre question?

M. Jutras: Bien, je veux être certain que je vous comprends bien. Est-ce que vous êtes d'accord de maintenir la notion qu'on retrouve à l'article 5i, à savoir que des travaux de surveillance exécutés par un entrepreneur doivent être faits sous l'autorité d'un ingénieur? Ça, est-ce que vous êtes d'accord avec ça? Parce que, à mon avis, votre conclusion contredit ça.

M. Hamel (Pierre): Bon. Alors, moi, ce que je vous dis, c'est qu'on est d'accord avec ça si elle demeure dans le contexte actuel. Il ne faudrait pas utiliser ce concept-là et le dénaturer dans un autre concept et venir dire: Écoutez, l'Association, vous avez donné votre aval à ça. Ce n'est pas ça. Ça va?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il reste une minute à peine du côté ministériel et Mme la ministre souhaitait pouvoir intervenir, avec votre accord.

Mme Goupil: Parce que c'est en continuité avec la question de mon collègue. Quel est l'usage, quels sont les us et coutumes actuellement? Parce que, pour moi, là, c'est flou un peu, ça, là.

M. Hamel (Pierre): Peut-être que M. le président...

M. Cloutier (Jean-Guy): Les coutumes actuellement...

Mme Goupil: Puis le but... Excusez-moi.

(10 h 50)

M. Cloutier (Jean-Guy): ...dans l'ensemble de l'industrie, les ingénieurs exécutent le concept, exécutent les plans, et c'est l'entrepreneur qui exécute la mise en place de chantiers, et c'est l'entrepreneur qui est responsable de son exécution de A à Z. C'est l'entrepreneur qui est responsable de faire sa conception d'exécution et il n'a pas à la soumettre à l'ingénieur à l'heure actuelle, sa conception d'exécution. Et ça varie d'une entreprise à une autre. Et comme on l'a dit tout à l'heure, c'est que la performance de l'entreprise, si une entreprise est plus performante, ou une autre, c'est la conception de l'exécution de l'entreprise elle-même. On ne peut pas la copier. Il n'y a pas, à peu près pas de pareilles. C'est sûr qu'il y a des grands travaux qui s'exécutent, grosso modo, d'une façon à peu près similaire. Mais l'ensemble des travaux dans la construction, c'est les entreprises elles-mêmes qui font la conception de l'ouvrage, de l'exécution.

Mme Goupil: O.K.

M. Cloutier (Jean-Guy): Et, à l'heure actuelle, l'ingénieur fait la conception de l'ouvrage au point de vue technique, au point de vue performance, au point de vue code, et ces choses-là. Mais c'est la responsabilité de l'entrepreneur de l'exécuter avec sa conception, lui, pour donner un ouvrage fini, comme l'ingénieur l'a décrit dans son devis technique. Mais c'est la responsabilité de l'entrepreneur de faire sa conception de l'exécution. Et on n'a pas à la soumettre, parce que c'est en vase fermé, c'est nos expertises d'entreprise qui nous permettent d'être concurrents.

Mme Goupil: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, M. le député de Pontiac.

M. Middlemiss: Merci, M. le Président. Vous avez indiqué tantôt que la sécurité du consommateur, de tout le monde, est garantie en premier par les exécuteurs, les membres de la CCQ, les gens qui ont leur carte de compétence, l'exécuteur du travail, que ce soit l'électricien, le plombier. Vous avez dit que les entrepreneurs, c'est des professionnels. Eux, c'est des professionnels. Parce qu'ils sont professionnels, ils garantissent aussi que la sécurité des gens va être prise en compte. Dans tout ça, le rôle de l'ingénieur, c'est quoi, d'après vous, pour assurer la sécurité des gens? Et pas basé sur le coût, là. Tantôt, j'ai entendu vous dire que le coût... on avait des inspections, que c'était fait par l'entrepreneur à cause des coûts. Donc, je pense que, si on parle de sécurité, ce n'est pas une affaire de coût.

M. Hamel (Pierre): Moi, si vous permettez, je vous dirai ceci. C'est qu'essentiellement le rôle de l'ingénieur, selon nous, c'est de concevoir, avec les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques, des ouvrages qui sont conformes aux règles de l'art au niveau de la conception et du dessin. L'exécution doit demeurer l'apanage d'un entrepreneur général qui est habitué de le faire dans un système très serré de régulation et de responsabilisation. Il va sans dire que la plupart des entrepreneurs, lorsqu'ils vont réaliser un projet d'importance, lorsqu'ils vont réaliser un projet d'envergure, vont s'associer avec des ingénieurs. Ce sont des experts. Les entrepreneurs sont des experts en exécution. Les ingénieurs sont des experts en conception. Il faut bien comprendre que la loi actuelle du marché et les systèmes de responsabilité font déjà que l'entrepreneur qui travaille dans l'industrie de la construction va utiliser à maintes reprises les services d'un ingénieur.

Ce qu'on vient vous dire, c'est: Actuellement, on travaille déjà en partenaires, on travaille déjà en collaboration; ne nous imposez pas des ingénieurs dans nos entreprises ni dans nos méthodes. Il est certain que la protection du public appelle, pour un entrepreneur général, l'utilisation d'experts en conception s'il veut réussir sa réalisation. Mais permettez au marché de déterminer jusqu'à quel point et dans quelles circonstances c'est nécessaire pour l'entrepreneur. Et, s'il y a des cas qui sont absolument, épouvantablement flagrants en termes de protection du public, intervenez, mais pas via la loi sur l'Ordre des ingénieurs du Québec. Intervenez via des lois qui visent la protection du public, comme le fait actuellement la Régie du bâtiment avec les installations au gaz, la Commission de la santé et de la sécurité du travail qui a un règlement sur le code de sécurité dans le domaine de la construction. Pas via une loi professionnelle, via une loi qui traite de la sécurité du public. Parce que la sécurité du public, ce n'est pas l'affaire des ingénieurs, c'est l'affaire des ingénieurs, des architectes, des entrepreneurs, du propriétaire, de vous et moi. C'est ça, la sécurité du public.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, il nous resterait le temps pour une dernière brève question. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Dans la page 24 de votre mémoire, vous faites une recommandation en relation avec l'article 1.1 pour modification des références «300 m² ou 600 m²», pour remplacer ces références par les mots «conformément au Code national du bâtiment». Est-ce que vous pouvez expliquer à la commission votre raisonnement pour cette suggestion?

M. Paré (Michel): Monsieur, à l'extrême droite.

M. Dubois (Denis): Bien, c'est qu'on s'en remet tout simplement à la définition qui est prévue au Code national du bâtiment, où l'aire est définie, là, où les questions d'intervention des différentes sections qui relèvent des ingénieurs... où ce n'est pas nécessaire que ce soient des ingénieurs qui voient à la préparation des plans et devis. Alors, on s'en remet tout simplement à ce qui est déjà prévu au Code national du bâtiment, qui a été conçu, le Code, de toute façon, avec une grande présence d'ingénieurs.

Vous savez, tous les codes de construction, que ce soient les codes de plomberie, d'électricité, le Code de protection des incendies, le Code national du bâtiment, il y a une présence, en très grand nombre, d'ingénieurs sur ces comités-là, avec d'autres experts de l'industrie, et ces codes-là sont confectionnés, sont révisés, sont mis à jour à peu près à tous les cinq ans, et la majorité du travail qui est reflété par ces codes-là est le travail des ingénieurs. Alors, nous, ce qu'on fait, c'est d'en faire tout simplement l'application. C'est ce que sont les normes reconnues, généralement reconnues dans l'industrie.

M. Bergman: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, j'aimerais, au nom des membres de la commission, au nom de la ministre, du porte-parole de l'opposition officielle, remercier les membres de l'Association de la construction du Québec pour leur présentation et les réponses aux questions également. Et j'inviterais les représentants de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec à bien vouloir s'avancer et à prendre place afin de procéder à leur présentation.

D'ici à ce que les personnes s'installent, je rappellerai que le temps alloué pour la présentation est de 20 minutes.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): S'il vous plaît! J'aimerais inviter les membres de la commission à bien vouloir reprendre leurs places, s'il vous plaît, nous allons amorcer la prochaine étape. Constatant que Mme la vice-présidente, Johanne Desrochers, est à peu près prête, de même que les personnes qui l'accompagnent, je vous inviterais donc à bien vouloir regagner vos places. On sait que le temps nous est compté, et l'horloge, malheureusement, fuit.

(11 heures)

Très bien. Alors, j'aimerais, au nom des membres de la commission, souhaiter la plus chaleureuse bienvenue aux représentants...

Des voix: ...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît! ...aux représentants de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec. Je demanderais à Mme Desrochers, vice-présidente exécutive, de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent.


Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ)

Mme Desrochers (Johanne): Merci, M. le Président. Alors, les personnes qui m'accompagnent sont, à ma gauche, M. Pierre Patry, ancien président de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec et actuel administrateur pour le Québec à l'Association des ingénieurs-conseils du Canada, et, à ma droite, M. Pierre Shoiry, président ex officio et responsable du comité de liaison du dossier avec l'Ordre des ingénieurs du Québec pour l'AICQ.

Alors, Mme la ministre, M. le Président, Mmes, MM. les députés, avant de débuter, j'aimerais tout d'abord vous dire quelques mots sur l'Association des ingénieurs-conseils du Québec. Elle représente depuis plus de 25 ans la quasi-totalité des entreprises de génie-conseil au Québec. Au total, elle regroupe 145 sociétés réparties dans près de 225 bureaux à travers le Québec. Ces entreprises emploient ensemble environ 10 000 personnes, soit 90 % de la main-d'oeuvre dans ce secteur d'activité.

Le génie-conseil a le privilège d'être associé de près au développement du Québec depuis des décennies. Il a été et continue d'être un promoteur actif du développement de notre économie et l'agent de nombreuses réalisations qui contribuent chaque jour un peu plus à l'amélioration de notre qualité de vie. Ces entreprises sont donc à même de témoigner à quel point le champ de pratique de la profession d'ingénieur s'est complexifié. La plupart des firmes sont aujourd'hui des entreprises multidisciplinaires employant toute une gamme de professionnels autres que des ingénieurs. Cette complémentarité de disciplines est devenue une règle du jeu essentielle, de nos jours.

L'industrie du génie-conseil québécois est également reconnue internationalement et très active sur les marchés étrangers. Son histoire est riche de grandes réalisations et ses dirigeants ont su constituer une banque d'expertises auxquelles les agents de développement d'ici et d'ailleurs peuvent faire appel avec confiance lorsque le besoin se fait sentir.

Cela dit, l'industrie du génie-conseil vit aussi des heures difficiles. Le marché québécois s'est beaucoup rétréci, au cours des dernières années, et les marchés étrangers sont beaucoup plus coûteux à exploiter, de telle sorte que le niveau d'activité général, au Québec, et la rentabilité du secteur sont relativement faibles, et ce, depuis plusieurs années consécutives.

Une fois le contexte fait, nous sommes devant vous aujourd'hui pour vous présenter évidemment notre point de vue sur la révision de la Loi sur les ingénieurs. Nous sommes d'avis que certains des principes qui sont à l'origine de l'avant-projet de loi sont fort valables, alors que d'autres sont très contestables. Sur certains points, l'avant-projet de loi va trop loin et ne met pas de l'avant le genre d'approche réglementaire qui convient au monde d'aujourd'hui.

Pour nous, une législation et une réglementation trop contraignantes nuiraient directement à la vitalité du génie-conseil québécois. Plusieurs des dispositions de l'avant-projet de loi touchent, en pratique, presque exclusivement les entreprises de génie-conseil. Il ne faut pas placer ces firmes dans un univers de contrôle sans véritable objet qui compromettrait la capacité de leurs gestionnaires de les diriger avec tout le dynamisme souhaitable.

Est-il nécessaire de rappeler que l'industrie du génie-conseil canadienne occupe le quatrième rang dans le monde pour la valeur de ses exportations et que le Québec compte pour la moitié de ce chiffre d'affaires? Les firmes d'ici se mesurent tous les jours aux grandes firmes américaines, européennes et asiatiques. La dernière chose dont elles ont besoin est d'un cadre réglementaire encore plus contraignant que celui qui prévaut actuellement, déjà assez imposant.

Concrètement, c'est surtout à l'article 11 et ses différents alinéas auquel nous faisons référence. Cet article assujettit les personnes morales offrant des services d'ingénierie au Code des professions. Il définit en outre les pouvoirs de réglementation de l'Ordre des ingénieurs à leur endroit.

Nous souhaitons d'abord vous exprimer notre désaccord avec l'idée de soumettre les personnes morales au Code des professions et nous estimons déraisonnable la façon dont l'avant-projet de loi suggère de le faire dans ses modalités. Il n'existe aucun besoin, dans notre esprit, pour ajouter un régime de responsabilité additionnel par-dessus ceux qui existent déjà. Premièrement, c'est exagéré eu égard aux problèmes qu'on cherche à résoudre, deuxièmement, c'est à contre-courant par rapport aux besoins des firmes pour un environnement réglementaire plus souple et, finalement, plus important, c'est inutile.

En effet, il faut se rappeler que les ingénieurs et les firmes sont déjà responsables de leurs actes. Chaque ingénieur est responsable de ses actes sur le plan professionnel, et les firmes ont une responsabilité civile complète vis-à-vis des mandats qu'elles réalisent. On est en droit de se demander en quoi l'assujettissement des firmes au Code des professions peut bien ajouter de substantiel à la protection du public. En outre, les assureurs contribuent directement au maintien de la qualité des expertises en resserrant toujours davantage les règles pour l'obtention des couvertures nécessaires à l'exploitation d'une firme.

L'assujettissement des entreprises au Code des professions nous apparaît donc comme une mesure superflue, puisqu'il existe déjà un imposant régime de responsabilité, tant sur le plan individuel que corporatif. En outre, nous craignons fort que ce genre de nouveau contrôle se traduise, en pratique, par des excès bureaucratiques qui obligeraient les firmes à consacrer des ressources à des dépenses non productives qui seraient mieux investies dans le développement des compétences et des marchés.

Enfin, il n'y a pas seulement les contrôles réglementaires qui font foi de la compétence des firmes mais également d'autres contraintes imposées par le marché. L'exemple qui nous vient en tête est que la plupart des entreprises de notre secteur doivent désormais détenir et maintenir des accréditations – ISO, par exemple – pour pouvoir obtenir des contrats de la plupart des grands donneurs d'ouvrages, sans compter toutes les préqualifications nécessaires. S'ajoute à cela un certain nombre d'accréditations par secteur de spécialité. Le génie-conseil québécois investit chaque année des millions de dollars pour se conformer à ces exigences.

Jetons maintenant un regard sur les modalités proposées pour l'assujettissement des firmes au Code des professions. Débutons par les alinéas 11a.i et 11a.ii de l'avant-projet de loi. Alors, ces dispositions accordent à l'Ordre le pouvoir de réglementer la dénomination sociale et les objets de la personne morale désirant être autorisée à offrir des services de génie.

Pour nous, ce genre de prérogative ne devrait pas relever du tout du mandat de l'Ordre. En outre, elle pourrait causer des problèmes réels aux firmes qui offrent des services conseils variés, dont l'ingénierie n'est qu'une partie. Il est inconcevable de légiférer comme si les firmes étaient confinées à la seule offre de services d'ingénierie, de nos jours. Le monde n'étant plus cloisonné comme il l'était, une telle mesure nous semble anachronique, dans les circonstances. En outre, il existe déjà des règles en matière de dénomination des personnes morales, notamment celles imposées par la Loi sur la publicité, les lois régissant les corporations et le Code civil du Québec. Les articles 11a.i et 11a.ii devraient donc être supprimés.

Toujours a l'article 11a, mais, cette fois, au sous-alinéa iii, il nous paraît, pour des raisons semblables, tout à fait abusif d'exiger que le dirigeant principal et chef des opérations d'une entreprise offrant des services en génie soit nécessairement un ingénieur membre de l'OIQ. Encore une fois, la plupart des firmes d'aujourd'hui offrent plusieurs services dans plusieurs disciplines. En outre, elles ont atteint une complexité telle que la direction de leurs opérations est parfois confiée préférablement à des gestionnaires de formation plutôt qu'à des ingénieurs. Par conséquent, cet alinéa devrait aussi être supprimé ou, à tout le moins, substantiellement modifié. L'Ordre des ingénieurs suggère d'ailleurs que cette disposition s'applique à la direction technique des services d'ingénierie plutôt qu'à la direction administrative, et nous partageons entièrement cette opinion.

Nos prochains commentaires concernent les articles 11.6 et 11.7. L'article 11.6 est celui qui prévoit les peines applicables contre un ingénieur qui contrevient au Code des professions. Nous estimons inappropriées les peines automatiques prévues à cet article, en particulier la peine de 1 000 $ par jour. Pour nous, les peines imposées doivent être conformes aux principes généraux de droit pénal et de justice naturelle qui veulent qu'une sanction soit proportionnelle à la gravité de l'infraction.

(11 h 10)

L'article 11.7 pose, quant à lui, plusieurs problèmes très importants. Cet article établit à cinq ans ferme la durée de l'inhabilité d'un administrateur reconnu coupable d'une infraction au Code des professions à siéger sur le conseil d'administration d'une entreprise offrant des services de génie. Il s'agit d'une disposition beaucoup trop sévère. Ici comme ailleurs, la durée de l'inhabilité devrait varier selon la nature et l'importance de l'infraction et ne pas être automatiquement de cinq ans.

L'article 11.7, de son côté, interdit aussi à un ingénieur fautif de pouvoir maintenir sa qualité d'actionnaire de l'entreprise. Cette disposition nous semble injustifiée. Déjà, le nouveau régime de responsabilité des administrateurs prévu aux lois régissant les corporations de même que dans le Code civil du Québec fait obstacle à toute tentative d'influence ou de contrôle de la part d'un actionnaire coupable d'une infraction visée à l'article 116 du Code des professions ou à la Loi sur les ingénieurs. Il n'y a aucun besoin d'en rajouter.

Le même article 11.7 va même plus loin, car, en théorie, il prévoit que l'OIQ peut et même doit retirer à tous les administrateurs et dirigeants ayant consenti ou participé à l'accomplissement d'une infraction au Code des professions le droit d'être actionnaire ou dirigeant d'une entreprise offrant des services en génie. Notre interprétation de cette disposition est qu'elle pourrait potentiellement se traduire par une décapitation complète de la haute direction d'une firme, en bout de ligne. Elle équivaut potentiellement à donner à l'Ordre un droit de vie ou de mort, ni plus ni moins, sur les entreprises de génie-conseil. Un tel pouvoir est évidemment abusif. Dans les entreprises, c'est le conseil d'administration qui assume ultimement la responsabilité civile des ouvrages réalisés par la firme. En cas de litige, les corporations doivent pouvoir disposer de tous les recours auxquels elles ont droit, et il n'est pas acceptable qu'elles se voient ainsi menacées par de possibles décisions sans appel de l'Ordre des ingénieurs.

En résumé, donc, nous nous opposons avec vigueur au principe de soumettre les personnes morales au Code des professions et nous estimons, en plus, que les modalités contenues dans le projet de loi sous cette rubrique sont d'une conception très malheureuse.

Abordons maintenant les questions de la définition des actes réservés proposée à l'article 2 ainsi que la description du champ de compétence proposée à l'article 3 de l'avant-projet. Ces changements ont pour but de corriger le fait que la définition du champ de compétence des ingénieurs, telle qu'elle existe dans la loi actuelle, ne reflète plus du tout l'ensemble des domaines dans lesquels ils pratiquent réellement. Vouloir rétablir cette situation est normal et souhaitable. Ce changement fera en sorte que des ingénieurs actuellement exclus de l'application de la Loi sur les ingénieurs et de l'encadrement de l'Ordre des ingénieurs le seraient désormais au même titre que ceux qui le sont déjà. En soi, cet objectif nous paraît difficilement contestable, quel que soit le domaine où l'ingénieur pratique.

À nos yeux, le système professionnel québécois ne doit pas porter de jugement de valeur sur l'opportunité de soumettre ou non certains ingénieurs à l'encadrement de l'Ordre, mais plutôt assurer que tous, sans exception, exercent leur profession en sachant qu'ils engagent leur responsabilité professionnelle et individuelle où qu'ils soient. C'est de loin la meilleure façon de stimuler chez eux des comportements responsables et une compétence maximale. C'est aussi le fondement même du système professionnel québécois, système qui véhicule des valeurs profondes auxquelles tous les professionnels devraient être associés.

Plusieurs vous diront que les entreprises qui emploient des ingénieurs portent aussi, sur le plan civil, une responsabilité à l'égard des ouvrages qu'elles réalisent et des produits qu'elles fabriquent. C'est exact. Il en est d'ailleurs ainsi pour les firmes de génie-conseil, qui ont, elles aussi, des responsabilités civiles à l'égard des ouvrages qu'elles réalisent. Mais nos firmes vivent déjà depuis longtemps avec le double régime de responsabilité et connaissent les côtés positifs du système professionnel.

Il est par conséquent souhaitable, à nos yeux, que tous les ingénieurs soient soumis aux mêmes règles de déontologie. Il est bon de se rappeler que le rôle de l'ingénieur en société est de porter la plus haute responsabilité en matière de sécurité des ouvrages. Lui réserver les actes les plus importants, en termes d'impact sur la sécurité du public, donc les plus engageants sur le plan de la responsabilité, est normal et même nécessaire, puisqu'il a reçu une formation qui en fait la personne la plus apte à porter un jugement sur les situations complexes.

Nous estimons que les craintes exprimées au sujet des articles 2 et 3 sont exagérées et que la très grande majorité des grandes entreprises seront en mesure de démontrer facilement leur conformité à ces nouvelles exigences. Mais il se peut aussi, et ça serait un progrès, que des ouvrages réalisés auparavant sans la supervision d'un ingénieur, alors qu'ils auraient dû l'être, seront désormais mieux contrôlés. Dans l'ensemble, donc, nous souscrivons, sur cette question, au contenu de l'avant-projet de loi.

Cela dit, nous partageons aussi l'opinion de l'Ordre à l'effet que l'expression «sciences exactes», à l'article 2, est très englobante et qu'elle gagnerait à être modifiée, remplacée par l'expression «sciences de l'ingénierie» afin de préciser et de restreindre la portée potentielle de la définition des actes réservés aux ingénieurs.

Soyez assurés que nous serons également très attentifs aux suggestions et aux recommandations qui pourraient vous être faites par d'autres groupes pour rendre l'avant-projet de loi plus acceptable en fonction de leurs préoccupations respectives. Mais nous serions aussi amèrement déçus si la situation devait rester inchangée, car il faut que la Loi sur les ingénieurs reflète la réalité d'aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention, et nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, madame. Alors, nous amorçons la période d'échange. Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, Mme Desrochers, je vous remercie de nous avoir résumé les éléments de réflexion concernant trois points que j'ai retenus particulièrement. D'abord, on m'a informée que vous souhaitiez obtenir l'exclusivité de la direction technique d'une équipe d'ingénieurs. J'aimerais savoir la raison pour laquelle vous le souhaitez et, finalement, quelle problématique cela soulève actuellement sur le terrain concrètement.

Également, vous avez exprimé que vous ne souhaitiez pas soumettre les personnes morales au Code. Alors, j'aimerais que vous puissiez nous dire comment vous allez vous assurer ou, à tout le moins, réglementer l'exercice des activités de l'ingénierie lorsqu'elles sont faites au nom seul d'une personne morale.

Mme Desrochers (Johanne): Au nom seul d'une personne morale?

Mme Goupil: Oui.

Mme Desrochers (Johanne): O.K. Merci. Je demanderais peut-être, pour votre première question, donc au niveau de l'exclusivité de la direction technique par un ingénieur, à M. Pierre Patry de répondre à cette question.

M. Patry (Pierre): En fait, j'ai un peu de difficultés à répondre à votre question. Notre mémoire ne traite pas, en fait, de cet aspect-là.

Une voix: ...la question.

M. Patry (Pierre): Oui.

Mme Goupil: Vous ne comprenez pas la question?

M. Patry (Pierre): Non, je ne comprends pas la question. Peut-être la répéter, là.

Mme Goupil: Je fais référence à la page 12 de votre mémoire et aussi, suite aux demandes...

Mme Desrochers (Johanne): C'est ça. Ce que je viens de mentionner, c'est lorsqu'on fait référence à la direction d'une équipe d'ingénieurs qui devrait, elle, être absolument réservée à un ingénieur et non à la direction de la firme.

M. Patry (Pierre): Ah! O.K. D'accord. En fait, le domaine du génie-conseil a évolué sensiblement, depuis quelques années. Et la résultante de ça, c'est que les firmes sont maintenant multidisciplinaires. Il y a donc, dans les firmes, des biologistes, des chimistes, des spécialistes en environnement, des géographes, et ainsi de suite, et les firmes compétitionnent effectivement, à travers le monde, avec des compétiteurs américains, asiatiques ou européens qui ont également le même genre de panoplie d'experts chez eux. La résultante de ça, c'est que la gestion des boîtes maintenant est souvent confiée à des gestionnaires, des administrateurs.

Et ce qu'on dit, nous autres, c'est que, en pratique, dans nos boîtes au Québec, il est possible qu'une boîte décide, par exemple, d'avoir un président de boîte qui n'est pas un ingénieur parce qu'elle veut plutôt avoir un administrateur. Mais nous recommandons que la direction des opérations techniques, elle, soit assumée par un ingénieur et non pas nécessairement par la présidence de la boîte.

(11 h 20)

Mme Desrochers (Johanne): À l'heure actuelle, dans la pratique, c'est exactement ce qui se passe. Les opérations reliées au génie sont toujours dirigées par un ingénieur, à moins d'exception. Mais c'est ce qui se passe, parce que c'est le seul finalement habilité à vraiment pouvoir juger, à porter un jugement sur les services rendus. On a parlé abondamment de surveillance, tout à l'heure. Dans une firme, lorsque les ingénieurs réalisent la conception et que les techniciens participent à ça, en bout de ligne, il y a une personne responsable de ce qui est conçu. Et cette personne-là, et pour comprendre et pour s'assurer que la conception est adéquate, se doit d'être un ingénieur. Ça, je pense que ce serait comme demander – je ne sais pas, peu importe la profession – à l'ingénieur de surveiller les travaux de médecins, les réalisations des médecins ou les équipes de médecins. Alors, lorsqu'on revient à cet aspect-là dans l'entreprise, c'est pour ça que l'on pense que ça devrait être dirigé par un ingénieur.

M. Patry (Pierre): Juste pour renchérir, Mme la ministre, sur la question, le volet financier, par exemple, est un élément fort important maintenant dans la gestion des boîtes. Les firmes canadiennes, québécoises qui veulent compétitionner à l'étranger doivent avoir des monteurs financiers. Alors, ce volet-là prend beaucoup d'importance dans les boîtes de génie-conseil québécoises. Donc, dans certains cas, les firmes préfèrent avoir un administrateur, un monteur financier, plutôt qu'une personne technique pour gérer la boîte, au niveau administratif.

Mme Goupil: Et ce que ça amène comme problématique, j'imagine, c'est que, pour des questions de coût, parfois on peut modifier peut-être certaines façons de faire de l'ingénierie. C'est pour ça que vous souhaitez que ça soit vraiment quelqu'un qui soit ingénieur qui puisse s'assurer de la direction de cela?

M. Patry (Pierre): Ah! il est essentiel que tout le volet technique soit dirigé par un ingénieur.

Mme Goupil: O.K.

Une voix: ...ajouter quelque chose?

Mme Goupil: Peut-être juste, si vous me permettez aussi, et que je ne voudrais pas oublier, là... Vous avez tout à l'heure proposé que l'on modifie par le terme «sciences de l'ingénierie» pour définir l'expression. J'aimerais ça que vous puissiez nous dire d'abord pour quelle raison puis en quoi cette formulation-là serait plus concrète par rapport à la réalité de l'ingénierie.

Mme Desrochers (Johanne): Je pense que l'Ordre des ingénieurs pourra élaborer...

Mme Goupil: Sur ce sujet? O.K.

Mme Desrochers (Johanne): ...sur cette question parce que c'est une de leurs recommandations. Mais on a pensé, et probablement à juste titre, que l'expression «sciences exactes» pouvait effectivement peut-être être trop englobante, qu'au cours des ans ça peut devenir sujet à être interprété... Parce que la définition de «sciences exactes», c'est probablement plus large que les sciences de l'ingénierie, en ce sens des spécialités du génie. Donc, c'est dans ce sens-là que ce serait plus adéquat, probablement, plus précis.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Shoiry, en complément de réponse sur la question précédente?

M. Shoiry (Pierre): C'est une question de... En entreprise, ce qu'on dit, c'est que les services d'ingénierie, tout ce qui a trait aux techniques, ça devrait relever d'un ingénieur. Donc, la direction des équipes techniques devrait relever des ingénieurs et non pas d'administrateurs ou autres. Tout simplement.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Oui, ma question...

M. Shoiry (Pierre): Il y avait un autre volet à la question de Mme la ministre, sur les personnes morales.

Mme Goupil: Morales, oui.

M. Shoiry (Pierre): Qu'est-ce que vous vouliez savoir?

Mme Goupil: En fait, comment l'Ordre pourrait... Parce que ce que j'ai cru comprendre, c'est qu'on voulait finalement que la personne morale ne soit pas soumise au Code. Alors, comment l'Ordre va pouvoir réglementer l'exercice lorsque les activités de génie vont être au nom seul d'une personne morale?

M. Shoiry (Pierre): Actuellement, beaucoup d'activités d'ingénierie se font sous le nom seul d'une personne morale. Et, par la loi actuelle, avec la responsabilité individuelle, les firmes sont couvertes, oui, et la protection du public est assurée.

Mme Desrochers (Johanne): Parce que chaque ingénieur a une responsabilité personnelle.

Mme Goupil: O.K.

M. Patry (Pierre): Actuellement, l'ingénieur seul a la responsabilité des professionnels et la firme a la responsabilité civile.

Mme Goupil: O.K.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): C'était l'objet de ma question. Je voulais que vous me donniez des détails sur la responsabilité. Présentement, chaque ingénieur a une responsabilité professionnelle, et c'est l'Ordre qui veille à ce que chaque ingénieur détienne sa propre police d'assurance. Et, advenant le cas, par exemple, où une personne morale fait faillite et qu'il y a une action contre cette personne morale là, j'imagine que le demandeur peut poursuivre les ingénieurs qui étaient actionnaires. Personnellement, cette personne morale là...

Une voix: ...

M. Côté (Dubuc): C'est bien ça?

M. Patry (Pierre): Absolument.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond, vous aviez également une question?

M. Jutras: Oui. Moi, c'est sur l'article 11.7. Je vous rejoins quand vous dites que... Bon. À l'article 11.7, on dit que l'inhabilité d'une personne «vaut pour une période de 5 ans à compter de la date de la déclaration de culpabilité». Vous dites, dans votre mémoire: Bien, ça devrait dépendre de la gravité de l'offense. Puis je pense que c'est logique. En tout cas, on verra comment on va réagir par rapport à ça.

Mais là où je m'interroge, c'est quand vous dites que le libellé de l'article 11.7 laisse entendre qu'une firme de génie-conseil accusée d'un manquement quelconque au Code des professions serait à toutes fins utiles bâillonnée dans l'exercice de son droit de faire des affaires et qu'elle serait contrainte de fermer ses portes.

Il me semble que l'article 11.7 ne dit pas ça. On dit que, si une personne morale est déclarée coupable d'une infraction à l'article 116, à ce moment-là, c'est l'ingénieur concerné qui serait déclaré inhabile. Mais on dit: «...nul ingénieur qui a prescrit ou autorisé l'accomplissement de l'infraction ou y a consenti...» Bon. C'est lui que ça vise. Alors, c'est pour ça que j'essaie de comprendre votre argument, là.

M. Patry (Pierre): Mais continuez: «...ou y a consenti ou participé comme administrateur ou dirigeant...» Donc, tout administrateur et dirigeant de nos boîtes, selon l'interprétation qu'on en fait là, y aurait consenti directement ou indirectement. Donc, en fait, tous les administrateurs et tous les dirigeants de nos boîtes devraient démissionner. Conséquemment, on ferme nos portes.

Mme Desrochers (Johanne): Maintenant, M. le député, il est évident que ce n'est sûrement pas l'intention du législateur, là.

M. Jutras: Non, sûrement pas.

Mme Desrochers (Johanne): Alors, c'est simplement, ici, probablement, de voir à modifier le libellé. Ça devient important parce que, si on voulait effectivement le lire et l'interpréter très abusivement, c'est à ça que ça conduit finalement. Mais il est certain que ce n'est ni de l'intention du législateur ni d'ailleurs de l'intention de l'Ordre de vouloir une telle clause.

M. Jutras: Je comprends. Vous vous appuyez sur la notion de participation. Alors, ça pourrait être un ingénieur qui a participé à ça, comme vous le dites, indirectement et...

M. Patry (Pierre): C'est l'interprétation de notre conseil légal, ça.

M. Jutras: Oui.

M. Patry (Pierre): Maintenant, comme le dit Mme Desrochers, on sait que ce n'est pas l'intention du législateur, là. On soulève simplement un drapeau, on dit: Coudon! il y a quelque chose qui ne fonctionne pas ici. Parce que, pour une infraction mineure, en fait, on ferme une boîte, selon cette interprétation-là.

M. Jutras: Oui, je comprends. Maintenant, est-ce que je peux poser une autre question, M. le Président? Vous n'en avez pas beaucoup parlé dans votre présentation verbale, mais, par contre, dans votre mémoire, vous parlez de la question de la déréglementation quant à la rémunération des firmes d'ingénieurs-conseils et vous suggérez, avec un point d'interrogation, qu'il faudrait peut-être envisager un plancher de rémunération minimal.

Alors, ma question, c'est de savoir comment ça se vit présentement, en pratique, cette déréglementation-là. Je comprends que ça doit entraîner effectivement des guerres de prix. Mais, nous, on peut se poser la question: Est-ce que ce n'est pas à l'avantage des clients? Par contre, je comprends que vous voulez vivre et bien vivre, et ça, c'est tout à fait normal. Alors, est-ce que vraiment il y a des problèmes, en pratique?

Mme Desrochers (Johanne): Il y a certains problèmes, en pratique. Je vais laisser le privilège à M. Shoiry de vous donner un début de réponse, et on pourra compléter par la suite.

M. Shoiry (Pierre): Je pense que – en peu de temps – c'est un débat qui est majeur dans notre industrie. Vous en avez sans doute entendu parler dans les dernières années. Comment qu'on peut faire le parallèle entre ce débat-là et la Loi sur les ingénieurs? Je pense qu'il ne faut pas banaliser le travail de l'ingénieur, qu'il soit l'ingénieur-conseil ou l'ingénieur en pratique manufacturière ou autre. On a tendance à peut-être trop banaliser, un peu, le rôle de l'ingénieur-conseil.

(11 h 30)

Et vous parlez de guerres de prix, etc. Le travail d'ingénieur, c'est un travail d'optimisation, de conception, d'augmenter la productivité, de trouver les meilleurs qualité-coûts, de faire une analyse de valeur. C'est ce travail-là de l'ingénieur. Alors, lorsqu'on s'en va sur une simple base de coûts, de prix, à ce moment-là, on ne reconnaît pas cette valeur ajoutée de l'ingénieur. Et, dans le débat, cette semaine, je pense que vous allez entendre parler de ça aussi, quand on parle d'entreprises qui, le fait d'engager un ingénieur, vont diminuer leur compétitivité ou leur productivité. Moi, je veux dire, c'est le contraire. Je me dis: C'est quoi, le message qu'on envoie aux jeunes qui veulent être ingénieurs en leur disant: Il y a un problème là... je veux dire, vous allez nuire aux compagnies, vous allez nuire à l'industrie. Ce n'est pas ça. Je veux dire, une société, à la base, c'est des ingénieurs.

Alors, tout le débat plus large de notre industrie génie-conseil, quand on parle de rémunération, on touche au même débat, dans le fond, c'est qu'on ne reconnaît pas la valeur ajoutée d'un ingénieur dans un projet, dans une conception, quand on parle de son rôle dans la société, de la sécurité du public, etc. Et c'est un rôle que l'on porte. Quand on parle de la responsabilité professionnelle, on parle de... Là, à l'article 11.7, on dit qu'au niveau des personnes morales, c'est déjà très bien couvert, ça: quand l'ingénieur signe un plan, il prend une responsabilité professionnelle. Et, nous, on trouve que ce régime-là de responsabilité individuelle doit s'appliquer à tous, puis c'est ça qui est majeur.

Au niveau de la rémunération, on ne pouvait pas s'empêcher d'en parler un peu dans notre mémoire parce que c'est aussi... Comment peut-on, d'un côté, assurer la protection publique quand on demande à l'ingénieur d'y aller au plus bas prix? Je veux dire, ça ne fonctionne pas. Dans la vie, vous savez très bien que le service qu'on reçoit est fonction du revenu qu'on a. On est des entreprises. Nous, on représente une industrie de services. On doit être profitable pour poursuivre notre croissance, on doit être profitable pour continuer à développer dans nos ressources. Alors, c'est pour ça que la mention a été faite dans le mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la ministre.

Mme Goupil: M. le Président, merci. Ce matin, on a entendu l'Association de la construction du Québec nous parler abondamment de la surveillance des travaux, et tout ça, puis, dans leurs termes, je ne me souviens pas lequel a dit: La conception de la surveillance, c'est nous qui le faisons. J'aimerais savoir concrètement comment une firme d'ingénieurs, aujourd'hui... D'abord, est-ce qu'elle inspecte les travaux? Et, si oui, dans quels cas? Si non, bien...

Mme Desrochers (Johanne): Avant que Pierre... je vois que Pierre veut faire part de sa pratique. Quand vous mentionnez... ils parlaient effectivement de conception et de surveillance, je me passais justement la remarque qu'ils utilisaient des termes qui pouvaient être un petit peu mélangeants, parce qu'ils parlaient de conception d'exécution, alors que, lorsqu'on parle de conception au niveau de l'ingénierie, on parle vraiment de la conception des ouvrages, et, dans leur mémoire, donc ils parlent de conception d'exécution, et là c'est le comment on va réaliser cet ouvrage-là qui a été conçu par l'ingénieur. Donc, il faut faire la distinction, elle est importante, je pense.

Mme Goupil: Oui, mais, en vertu de l'article 3c actuellement, on parle dans quel cas les ingénieurs surveillent ou inspectent en vertu de la loi actuelle.

Mme Desrochers (Johanne): Oui, oui, oui, tout à fait.

Mme Goupil: Comment ça se fait?

Mme Desrochers (Johanne): Je vais laisser Pierre répondre au niveau de cette pratique-là, donc, actuelle.

M. Patry (Pierre): La pratique actuelle, en fait, c'est relativement simple, c'est que le propriétaire embauche un professionnel, un ingénieur, pour s'assurer à ce que le produit qu'il veut avoir est bien conçu et que l'exécution au chantier correspond à la conception qu'il a acceptée. Alors, le rôle de l'ingénieur-conseil ou de l'architecte est de s'assurer à ce que l'exécution au chantier soit conforme à la conception, aux plans et devis.

Mme Goupil: Comment ça se fait? Comment vous vous assurez de cela?

M. Patry (Pierre): Comment ça se fait? En pratique, c'est que nous envoyons au chantier un ingénieur ou des techniciens ou technologues qui relèvent de l'ingénieur vérifier sur place à ce que les barres d'acier d'armatures sont selon la conception, selon les plans et devis, à ce que les poutres soient bien construites, à ce que le pont, la bâtisse, toutes les composantes qui sont prévues sur les plans soient en place au chantier. Alors, c'est une inspection visuelle avec des rapports à l'appui pour s'assurer que ça soit réellement en fonction des plans et devis qui sont faits. Tandis que l'entrepreneur, lui, doit voir à la méthodologie de construction, c'est sa prérogative à lui, ça. Et il n'est évidemment pas de l'intention de l'Ordre ou de – je ne veux pas parler pour l'Ordre, là – l'Association des ingénieurs-conseils de se prévaloir de ce privilège-là. La méthodologie de construction est la prérogative de l'entrepreneur. Alors, nous pensons, nous, qu'il a tout intérêt à avoir des ingénieurs au sein de sa boîte pour s'assurer de l'efficacité de son opération.

Une voix: Ils prennent la responsabilité aussi.

M. Patry (Pierre): Évidemment, il a ses responsabilités également. L'entrepreneur est responsable de sa construction, mais l'ingénieur est également responsable, lui, de voir à ce que la surveillance soit faite pour assurer la conformité à la conception.

Mme Goupil: Mais la marge, là? Vous savez, je comprends, on utilise des termes qui sont très techniques, puis je comprends, on doit les utiliser. Mais, en même temps, quand j'entends ce matin les gens qui viennent et qui disent: Finalement, pour nous, on n'en a pas besoin, c'est nous qui le faisons, puis, vous, vous me dites qu'actuellement vous respectez la loi telle qu'elle existe actuellement, dans le cadre, lorsqu'on a besoin d'avoir un ingénieur. Ce qui ne semble pas évident, c'est dans quels cas on en a besoin puis dans quels cas on n'en a pas besoin. Parce qu'on parlait des us et coutumes tels qu'ils existent actuellement. Qu'est-ce qui existe actuellement?

M. Shoiry (Pierre): Si on revient à ça, tel qu'il existe actuellement, on est à l'an 2000, puis, aujourd'hui, les clients veulent d'autre chose que ce qui se faisait avant.

Mme Goupil: Oui.

M. Shoiry (Pierre): Dans beaucoup de cas, on parle de projets clé en main, les gens en ont parlé tout à l'heure, on parle de différents modes de réalisation, de livraison de projets. Ce qui est important, c'est qu'il y ait une responsabilité professionnelle qui soit assumée quelque part dans la chaîne. Puis, si l'entrepreneur veut être un exécutant tout simplement et ne veut prendre aucune responsabilité, alors, ça sera sa décision à lui. Mais je pense que, pour la réalisation d'un projet, il doit y avoir un ingénieur quelque part qui prend une responsabilité. Puis, si l'entrepreneur a des idées de conception, puis un fabricant a des idées de conception, qu'il ait recours à un ingénieur chez lui à l'interne ou à l'extérieur, mais qu'il y ait quelqu'un qui porte le chapeau, qui prenne la responsabilité. Ce n'est pas toujours à l'industrie du génie-conseil à assumer toutes les responsabilités professionnelles sur tous les ouvrages qui se font. On l'assume déjà très bien avec responsabilité. Mais il y a des réalités tout autres aujourd'hui et il faut s'adapter. Les marchés sont plus larges qu'ils l'étaient avant. D'ailleurs, la loi a été modifiée au cours des années pour inclure d'autres applications et, aujourd'hui, je pense que c'est normal qu'on élargisse le champ et qu'on assujettisse les gens qui veulent travailler dans ces domaines-là, avec des domaines de technologie, avec des domaines où ils ont une responsabilité envers le public, à prendre des dispositions. Et l'ingénieur, c'est la personne qui a fait la formation pour remplir ce rôle-là.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Shoiry. Alors, nous allons passer à la partie de la période d'échanges réservée à l'opposition. M. le député de D'Arcy-McGee et porte-parole de l'opposition.

M. Bergman: Merci, M. le Président. En retournant à l'article 11, M. Shoiry, vous venez de mentionner la responsabilité professionnelle dans la chaîne, quelque part. Mais, dans votre mémoire, à la page 5, vous dites que «nos législateurs sont appelés à relever le défi du juste équilibre entre une volonté déclarée de déréglementation et le devoir de protéger l'intérêt du public». Mais, en regard de la protection du public, à la page 8 de votre mémoire, vous dites: «Il nous apparaît difficilement justifiable que le Bureau de l'Ordre puisse, par règlement, ajouter des conditions supplémentaires à l'égard du caractère distinctif.» Et vous continuez, à la même page, en disant que «l'Association des ingénieurs-conseils du Québec craint que, tel que rédigé, cet article 11 ne donne au Bureau de l'Ordre un pouvoir arbitraire et discrétionnaire de réglementation».

(11 h 40)

La question. L'État a donné des responsabilités pour la protection du public au système professionnel tel quel. Si, nous, comme société, nous sommes prêts à donner ces responsabilités pour la protection du public au privé, est-ce qu'on diminue cette protection du public? Est-ce qu'il y aurait des conflits d'intérêts entre vraiment la protection du public ou vraiment le privé? Est-ce qu'on va manquer ce juste équilibre auquel vous faites mention à la page 5 de votre mémoire?

M. Shoiry (Pierre): Ce qu'on dit, c'est que la loi, dans sa formule actuelle... On pratique en pratique privée actuellement. On est d'accord. La situation actuelle fait en sorte que des entreprises, que vous connaissez, dans le domaine du génie-conseil oeuvrent comme personnes morales actuellement, et le système assure la protection du public avec la responsabilité individuelle qui s'applique à tous en plus des autres recours. Alors, ce qu'on dit, c'est: De créer une autre accréditation, supplémentaire, au bureau d'ingénierie-conseil, nous, ça va à l'encontre du marché... actuellement, la façon dont le marché se présente à l'échelle mondiale. C'est tout à fait à l'encontre de ça. Alors, la responsabilité professionnelle, pour nous, elle est assurée, et le mandat de l'Ordre est rempli dans la situation actuelle. Et créer une réglementation supplémentaire, à notre point de vue, n'est pas nécessaire et ne modifie pas de façon significative la situation actuelle.

M. Patry (Pierre): Est-ce que je peux rajouter à la réponse de M. Shoiry? M. le député, pratico-pratique, assujettir les personnes morales au Code des professions signifierait que l'Ordre aurait à émettre un permis de pratique, lequel permis de pratique... dans le fond, ça prendrait une structure importante pour contrôler de quelle façon on va émettre les permis de pratique aux différentes boîtes en fonction des différentes disciplines exercées, et ainsi de suite. Et ceci impliquerait une structure excessivement coûteuse et lourde à soutenir par les firmes de génie-conseil québécoises qui seraient les seules firmes au Canada à avoir une telle structure. En fait, d'autres provinces ont songé à ça. L'Ontario a songé à ça; ils se sont retirés de cet aspect-là. Et nous considérons, nous, après avoir regardé ça très sérieusement à l'Association... à notre conseil d'administration, on en a débattu, du principe du droit de pratique et des coûts inhérents et conséquents à ça, pour arriver à la conclusion que, actuellement – on revient à notre même rengaine – les firmes sont responsables au niveau du Code civil et l'ingénieur est responsable au niveau de la responsabilité professionnelle. Donc, d'ajouter un autre carcan serait tout simplement ajouter une lourdeur administrative et coûteuse aux firmes de génie-conseil qui nous rendrait moins compétitifs sur le plan québécois, canadien et international.

Mme Desrochers (Johanne): Est-ce que ça répond à votre question, monsieur?

M. Bergman: Pas vraiment, car il semble que vous suggérez un système professionnel à deux vitesses, et cette question que... Nous, comme société, on a conféré cette responsabilité à notre État, et l'État a conféré la responsabilité à notre système professionnel, l'Office des professions, en vertu du Code des professions. Et il me semble que vous suggérez qu'on ait un système à deux vitesses et que l'État, par l'entremise du Code des professions et l'Office des professions, n'aurait pas la surveillance de nos professionnels qui oeuvrent en vertu des personnes morales. Il n'y aurait pas une surveillance des personnes morales qui, en fait, seraient des professionnels. Qu'ils soient une personne morale ou individuelle, ils seront des professionnels. Et, nous, comme société, on va manquer cette surveillance.

M. Shoiry (Pierre): Si je peux juste ajouter, M. le député. Actuellement, les firmes, les personnes morales sont couvertes. On a des assurances-responsabilité professionnelle de nos firmes. C'est déjà couvert, ça. Une firme comme la mienne ou celle... on a des assurances-responsabilité professionnelle justement pour veiller à ce que vous dites. Nous, ce qu'on favorise à l'Association des ingénieurs-conseils, c'est plutôt de ne pas avoir une autre réglementation pour caractériser les compétences des firmes, mais, plutôt, que le gouvernement ou les donneurs d'ouvrage, publics ou privés, aient par préqualification et préqualifient les gens qui sont capables de démontrer les compétences, et puis qu'on fasse des efforts pour non pas ouvrir tous les domaines à tout le monde, mais qu'on fasse démontrer aux firmes leur capacité à réaliser tel type ou tel type d'ouvrage.

Mme Desrochers (Johanne): Au lieu d'alourdir, oui, c'est ça.

M. Bergman: Actuellement – avec grand respect, un commentaire – notre système professionnel, c'est plus large que la question de l'assurance de nos membres. Avec grand respect.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Moi, j'ai deux questions, si vous voulez, qui sont de deux natures différentes. L'une va toucher l'article 2, vos commentaires sur l'article 2, et l'autre va toucher un commentaire que vous n'avez pas fait dans votre présentation, mais qui est inclus dans votre document, c'est-à-dire l'article 19.

Sur l'article 2, vous avez réaffirmé votre appui au principe qu'un ingénieur doit être celui qui supervise une équipe d'ingénieurs pour la conception et la gestion d'un ouvrage. Et les exemples que vous avez donnés sont tout à fait pertinents. Vous utilisez essentiellement les ouvrages de nature civile ou métallurgique. La réalité du projet de loi étant un concept d'ouvrage dans un paquet d'autres secteurs où sont présents les ingénieurs, mais où les ingénieurs ne sont pas seuls présents, je pense à l'informatique, je parle de la chimie, je pourrais parler de l'environnement, etc., qu'est-ce qui justifie, lorsque vous avez une équipe multidisciplinaire qui implique bien sûr des ingénieurs, mais aussi des informaticiens, des chimistes, des physiciens, voire des psychologues, que ça soit l'ingénieur qui soit celui qui est responsable de l'équipe et non pas éventuellement l'informaticien, le biologiste, etc.? Ça, c'est ma première question.

Ma deuxième question. Vous plaidez en faveur de la réinclusion de l'article 19 dans la loi. Pour ceux qui ne le savent pas, l'article 19, c'est celui qui permet à l'Ordre de donner des permis temporaires d'exercice. Pourriez-vous bien m'expliquer pourquoi vous avez besoin de cet article 19 dans la réalité de votre pratique? Essentiellement, j'imagine que c'est pour faire venir des ingénieurs de l'étranger et de pouvoir travailler ici, au Québec. J'ai l'impression que c'est ça. Pourriez-vous me donner des exemples pourquoi vous avez besoin de l'article 19, ce qui est inclus dans votre mémoire? C'est mes deux questions, qui sont de nature bien différente, vous comprenez.

Mme Desrochers (Johanne): Merci. D'abord, je ne suis pas ingénieur, moi, alors je commence à l'envers; je vais me démarquer, sans suivre l'ordre. Pour répondre à votre question sur l'article 19, au niveau des permis temporaires, il faut savoir que ça fait référence beaucoup à une question de réciprocité, au fond. De ne pas avoir cette réglementation-là, qu'est-ce que ça signifie? Est-ce que ça signifie que tout ingénieur peut effectivement entrer ou il ne peut pas entrer? La réponse n'est peut-être pas connue. Mais, lorsqu'on a des permis temporaires, lorsqu'on va travailler à l'extérieur, on est tenus, nous, d'en obtenir. Et, s'il n'y a pas mobilité entre – là, on parle évidemment à l'extérieur du Canada au niveau...

M. Gautrin: Autrement dit, si un ingénieur d'un de vos groupes travaille en Chine, il a un permis temporaire. Donc, vous voulez, par réciprocité, que quelqu'un, un Américain puisse avoir un permis temporaire pour travailler ici, au Canada. C'est ça, la base de...

Une voix: C'est ça.

Mme Desrochers (Johanne): Oui.

M. Gautrin: Merci.

Mme Desrochers (Johanne): O.K.? Pour ce qui est de l'article 2, déjà, à l'heure actuelle, dans les entreprises, lorsqu'il y a une équipe multidisciplinaire, si cette équipe multidisciplinaire là est reliée aux travaux, aux ouvrages de génie, aux services de génie, c'est un ingénieur qui sera en charge, et c'est ce qu'on recommande.

M. Gautrin: Je comprends bien. Mais comprenez bien que le concept de génie est dans la loi très restrictif. Il devient très large...

Mme Desrochers (Johanne): Oui.

M. Gautrin: ...avec la nouvelle loi. Donc, je comprends bien que, si, à l'heure actuelle... dans un concept de génie actuel, c'est bien sûr que ça soit sous l'autorité d'un ingénieur. Maintenant, le champ de pratique qui a été défini est beaucoup plus large dans la nouvelle loi.

Mme Desrochers (Johanne): Oui. Mais, quand je vous parle de la pratique actuelle, je fais référence à la pratique et non pas nécessairement à ce qui est écrit, restrictif, là, c'est-à-dire que, lorsqu'on parle des ouvrages de génie, en tout cas à l'Association, puis lorsqu'on parle de génie-conseil, ce n'est pas réservé aux ouvrages civils ou de mécanique électrique. Déjà, on est dans le génie environnemental ou on est dans le génie informatique.

M. Gautrin: Il n'y a jamais un biologiste qui est responsable d'une équipe dans ce cas-là? Il n'y a jamais un informaticien qui est responsable d'une équipe?

Mme Desrochers (Johanne): J'allais poursuivre tout à l'heure en disant: Si une entreprise offrant des services multidisciplinaires, comme c'est le cas pour certaines, si elle est plus impliquée, je ne sais pas, moi, dans de la formation technique, ce n'est pas nécessairement un ingénieur qui est en charge, même si c'est à l'intérieur d'une entreprise de génie. Même chose pour certains services au niveau de l'environnement. Il peut arriver que, selon le type de services qu'on rend, parce qu'on s'est diversifié, parce que... Bon. Mais il y a, par contre, des services, des ouvrages qui sont définis par les entreprises comme relevant... Lorsqu'il y a une responsabilité, là, professionnelle individuelle de reliée à des travaux, c'est clair, ça relève du génie, que ce soit environnemental, informatique, etc. À ce moment-là, ce sera un ingénieur qui sera en charge de l'équipe, même si elle est multidisciplinaire. Je pense que, Pierre, tu voulais ajouter...

Une voix: C'est un peu dans ce sens-là...

Mme Desrochers (Johanne): C'est complet? Est-ce que ça répond à votre...

M. Gautrin: Ça répond à ma question. Enfin, je...

Mme Desrochers (Johanne): Ce n'est pas la réponse que vous vouliez entendre?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gautrin: Non, ce n'est pas la réponse... parce que je pourrais débattre avec vous...

Mme Desrochers (Johanne): Ah! d'accord.

M. Gautrin: ...et vous donner des exemples qui contredisent ce que vous me dites. Enfin, je ne voudrais pas faire un débat ici.

Mme Desrochers (Johanne): Ah! bien... Non, mais ça reflète tout à fait la réalité d'aujourd'hui.

M. Gautrin: C'est-à-dire, j'ai des exemples à l'heure actuelle de groupes qui sont justement multidisciplinaires dans lesquels agissent des ingénieurs et qui ne sont pas nécessairement dirigés par des ingénieurs.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Laurent.

Mme Desrochers (Johanne): Tout à fait.

M. Dupuis: Dans le domaine plus particulier de la construction, j'essaie de réconcilier – et je veux savoir si c'est réconciliable – les représentations que j'ai entendues ce matin de la part de l'Association de la construction du Québec et les représentations que j'ai lues de la part de l'Ordre des ingénieurs et que j'ai entendues de votre part.

(11 h 50)

Moi, je peux me tromper, mais j'ai compris que ce que l'Association de la construction du Québec est venue dire essentiellement ce matin, c'est: Nous voudrions conserver la gérance des projets, des chantiers – excusez-moi, des chantiers – nous n'avons pas objection à ce que les ingénieurs fassent la conception et nous n'avons pas objection non plus à ce que les ingénieurs viennent superviser le fait de savoir si les travaux sont conformes à la conception que nous en avons faite; mais nous voulons conserver la gérance des chantiers parce qu'à l'intérieur des chantiers entrent un certain nombre d'autres gens qualifiés qui doivent venir exercer leur profession.

D'abord, moi, j'ai l'impression que j'ai compris ça et que j'ai bien compris ça. Je peux me tromper, humblement. Quand on est dans l'opposition, il faut toujours être un petit peu plus humble que lorsqu'on est au gouvernement. Alors donc, c'est ce que j'ai compris des représentations de l'Association de la construction, et, si c'est ça que j'ai compris, est-ce que vous avez des objections à ça?

M. Shoiry (Pierre): Mais, la façon dont je comprends ça, ça voudrait dire que, dans l'industrie de la construction actuellement, il n'y a pas d'ingénieurs qui travaillent dans l'industrie...

M. Dupuis: Non, non, non. Moi, j'ai compris qu'ils veulent garder la gérance des chantiers de construction parce que interviennent dans les chantiers un certain nombre de gens qualifiés qui ne sont pas nécessairement des ingénieurs. Mais j'ai compris qu'ils admettaient d'emblée que les ingénieurs font la conception et que l'ingénieur a absolument non seulement le droit, mais la responsabilité et que le public est en droit de s'attendre à ce que les ingénieurs aillent vérifier sur les chantiers si la conception qu'ils ont faite se reflète dans les travaux. Ça, j'ai compris qu'il n'y avait pas de problème avec ça de la part de l'Association de la construction. Mais êtes-vous d'accord avec le fait que... ou avez-vous un problème avec l'idée que les propriétaires et que les constructeurs continuent – «constructeurs» au sens large du terme – à assumer la gérance des chantiers?

Une voix: ...

M. Dupuis: Non. O.K.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: En référence à l'article 4.4 – vous y faites référence dans votre mémoire, c'est à la page 12 – une personne qui est préposée de l'exploitant d'une entreprise et qui doit faire une décision, est-ce que c'est la personne ou le concepteur d'ouvrage qui fait cette décision? Et pouvez-vous expliquer à la commission pourquoi vous êtes de l'opinion que toutes les conditions doivent s'appliquer au lieu d'une des conditions? Ce n'est pas clair dans votre mémoire, et j'apprécierais si vous pouviez expliquer aux membres de la commission pourquoi vous êtes de cette opinion.

Mme Desrochers (Johanne): M. Patry va répondre à ça.

M. Patry (Pierre): Ici, on fait référence au personnel des municipalités. En fait, fréquemment... Une personne qui est préposée de l'exploitation d'une usine d'épuration, ainsi de suite, ou des travaux publics... on parle de répondre à une des conditions suivantes: «l'acte découle de plans conçus par un ingénieur; l'ouvrage se compose exclusivement d'éléments normalisés et répétitifs; l'acte est vérifié par un ingénieur et est approuvé par lui.» On considère que les trois conditions doivent être requises en totalité.

M. Bergman: Pourquoi?

M. Patry (Pierre): Pourquoi? Parce que ce sont des éléments, dans le fond, qui font en sorte que... Les conditions nous semblent essentielles pour que la personne puisse répondre adéquatement à ses fonctions puis prendre la décision qui s'impose dans son travail. On parle de conception de plans, on parle de normalisation d'éléments, puis on parle que l'acte est vérifié par un ingénieur. Alors, c'est un sujet d'ailleurs qui avait été discuté avec l'Ordre des ingénieurs, ça, et eux considéraient que c'était important, ça.

M. Bergman: Et qui est la personne mentionnée dans le premier alinéa de l'article? Est-ce que c'est la personne ou le concepteur d'ouvrage?

M. Patry (Pierre): La personne qui est mentionnée à l'article 4.4?

M. Bergman: Oui.

M. Patry (Pierre): C'est l'employé municipal, ça.

M. Bergman: Ce n'est pas le concepteur de l'ouvrage?

M. Patry (Pierre): Non.

M. Bergman: Une dernière question.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, allez-y.

M. Bergman: En relation avec l'émission des permis de construction, vous avez suggéré que les plans d'ingénieur doivent être soumis pour avoir les permis de construction, en relation avec l'avant-projet de loi. Est-ce que vous pouvez nous dire les bénéfices d'avoir les plans d'ingénierie soumis avec les applications pour des permis et pourquoi vous êtes d'accord?

Une voix: Je n'ai pas bien compris la question.

Mme Desrochers (Johanne): O.K. Ça fait référence à la section VI.

Une voix: O.K.

Mme Desrochers (Johanne): Le pourquoi de notre recommandation à l'effet que les plans soient soumis avec la demande de permis de construction d'un ouvrage de génie?

M. Bergman: La page 12 de votre rapport.

Mme Desrochers (Johanne): Cette recommandation-là rejoint d'autres éléments qui tendent à assurer encore là une meilleure sécurité pour le public au niveau des ouvrages. Les permis de construction qui, pour certains ouvrages, pourraient être émis sans qu'il y ait eu... Si on allait dans le sens de ce qu'on a entendu d'ailleurs, on se demande s'il y a toujours une conception des plans, etc. On considère que la responsabilité dont on parlait tout à l'heure, qu'il y ait une personne responsable quelque part, un ingénieur, donc une personne habilitée à être responsable au niveau de la conception, c'est une façon, si on veut, de s'assurer que ce soit respecté. Alors, c'était dans cette optique-là.

M. Patry (Pierre): On parle de permis de construction d'un ouvrage de génie ici.

Mme Desrochers (Johanne): C'est ça.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Le temps est malheureusement écoulé, mais nous aurions, avec le consentement, peut-être une dernière brève question par le député de Pontiac.

M. Middlemiss: Merci, M. le Président. C'est certain que, étant l'Association des ingénieurs-conseils, c'est vous, vos membres qui sont ceux qui font la conception, qui font affaires avec les propriétaires. Est-ce que, en pratique, il y a des contrats que vous prenez ou des travaux que vous prenez où vous faites seulement de l'exécution, vous ne faites pas la surveillance des travaux? Et dans quelles circonstances? Et quelles sont les raisons principales? Est-ce que c'est une affaire de coût?

Mme Desrochers (Johanne): De la part du propriétaire.

M. Patry (Pierre): Il peut arriver... Tu veux que je réponde?

Mme Desrochers (Johanne): Oui, oui.

M. Patry (Pierre): Il peut arriver effectivement que le propriétaire confie un mandat à une firme de génie-conseil pour faire la conception seulement et que la surveillance soit effectuée par ses propres effectifs qui ont une expertise là-dedans. Donc, il a un ingénieur au sein soit d'une municipalité, ou d'une compagnie privée, ou encore d'une commission scolaire, par exemple. Oui, il peut arriver qu'une firme de génie-conseil soit retenue uniquement pour les plans et devis, la conception.

Mme Desrochers (Johanne): Mais la surveillance est faite par un ingénieur ultimement, éventuellement.

M. Middlemiss: Et comment vous partagez-vous cette responsabilité de voir si c'est bien exécuté selon vos plans ou non? Est-ce que ça crée des problèmes de responsabilité?

M. Patry (Pierre): C'est une question pertinente.

M. Middlemiss: Oui.

M. Patry (Pierre): Effectivement, c'est souvent un sujet de litige. Si, effectivement, l'exécution au chantier n'a pas été faite conformément aux plans et devis et que l'ingénieur n'a pas été retenu pour faire la surveillance, il n'est pas responsable. Mais, si, par contre, l'ingénieur a mis les pieds au chantier une seule fois, il est responsable. C'est aussi simple que ça, là. Donc, si on n'a pas de mandat de surveillance, si le propriétaire juge que ce n'est pas pertinent de nous donner un mandat de surveillance parce qu'il veut s'occuper de cette responsabilité-là lui-même, qu'il en assume la responsabilité. Évidemment, il faut prouver que... Supposons qu'il y a un effondrement d'une dalle parce qu'il n'y a pas eu une surveillance adéquate, l'exécution n'a pas été faite adéquatement, il faut le démontrer, ça.

(12 heures)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Malheureusement, il ne me reste comme temps que ce qu'il faut pour vous remercier très sincèrement, donc les membres et les représentants de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec. Au nom des membres de la commission, de la ministre, du porte-parole de l'opposition, merci encore une fois. Et je demanderais aux représentants de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec de bien vouloir s'avancer et prendre place pour leur présentation.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, avec votre collaboration... J'inviterais les députés à bien vouloir prendre leur place, nous allons réamorcer nos travaux. Donc, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons donc réamorcer nos travaux avec les représentants de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, représenté par Mme Johanne Gauthier, présidente-directrice générale, que j'inviterais également à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et à y aller de sa présentation pour un temps alloué maximum de 20 minutes.


Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ)

Mme Gauthier (Johanne): Oui. Je vous remercie, M. le Président. Alors, Mme la ministre, M. le critique de l'opposition, Mmes et MM. les membres de la commission, M. le Président, je vous remercie infiniment de nous avoir donné l'opportunité aujourd'hui de venir vous exposer le point de vue de l'Ordre des ingénieurs forestiers. Je suis accompagnée de Mme Suzanne Bareil, qui est secrétaire de l'Ordre, et de Me Bernard Godbout, qui est notre aviseur légal.

Alors, une petite présentation rapide sur notre organisation. L'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec a été constitué en 1921 et regroupe plus de 2 000 membres, à l'heure actuelle, répartis dans à peu près toutes les régions au Québec. Aux termes de notre Loi sur les ingénieurs forestiers et du Code des professions, les membres de l'Ordre bénéficient d'un champ de pratique exclusif en matière de génie forestier. Par la formation et la compétence des ingénieurs, ils sont des intervenants privilégiés dans le domaine de la gestion, de la protection, de l'aménagement et du développement durable du patrimoine forestier québécois.

L'Ordre suit avec attention l'évolution du système professionnel depuis plusieurs années. Ainsi, au cours des quelques dernières années, on a participé activement à différents exercices qui devaient mener à une réforme en profondeur du système professionnel. Puis, occasionnellement, des modifications ponctuelles importantes sont apportées au système professionnel, qui nous interpellent également. C'est le cas aujourd'hui avec l'avant-projet de loi qui s'intitule Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et d'autres dispositions législatives.

À ce stade-ci du processus de consultation, nous croyons évidemment que l'opinion de l'Ordre des ingénieurs forestiers mérite d'être considérée, puisque, dans sa forme actuelle, l'avant-projet de loi, à notre sens, aura des impacts significatifs sur la pratique du génie forestier. Les avis et les commentaires qui sont exprimés dans notre mémoire visent à enrichir la réflexion et à favoriser la poursuite de la cohabitation harmonieuse qui a toujours caractérisé les professions d'ingénieur et d'ingénieur forestier. Et ça porte particulièrement sur le champ de pratique de nos deux professions.

Quelques mots d'abord sur ce que font les ingénieurs forestiers. On occupe un champ de pratique exclusif, comme je vous le disais. On assure ainsi au public québécois une mise en valeur éclairée des ressources du milieu forestier. L'accès à l'exercice de la profession d'ingénieur passe par un processus de reconnaissance établi. Il faut être diplômé en sciences forestières, en génie forestier d'une université canadienne reconnue, et, au Québec, c'est seulement l'Université Laval qui offre ce programme-là, qui est d'une durée de quatre ans. En plus, les diplômés doivent faire un stage de 32 semaines en milieu de travail, supervisés par un autre professionnel ingénieur forestier.

Alors, les 2 000 ingénieurs forestiers sont répartis dans plusieurs régions au Québec. On les retrouve principalement à l'emploi de la fonction publique, de l'industrie forestière, mais également au sein de toutes sortes d'organisations qui représentent notamment les propriétaires de boisés privés, dans les bureaux de consultants également. Et d'autres oeuvrent à l'enseignement, à la recherche, dans diverses associations, gouvernements, fédéral, municipaux, ainsi que des organismes internationaux.

La pratique professionnelle des ingénieurs forestiers se regroupe en quatre grands domaines d'activité qu'on vous a décrits dans le mémoire – je les passe très rapidement, là – en fait, la connaissance de la forêt, qui vise à bien aménager puis à bien protéger les forêts; la protection et l'utilisation rationnelle des ressources forestières; l'aménagement de la forêt, qu'on peut aussi qualifier d'environnement forestier; et la transformation du bois en produits utilitaires, qu'on appelle communément également le génie du bois.

Alors, comme vous pouvez le constater, l'ingénieur forestier n'exerce pas seulement en milieu forestier mais également en usine, à la conception de machines et d'équipements forestiers, dans les parcs, en milieu urbain, périurbain, en recherche-développement, etc.

Alors, les commentaires généraux sur l'avant-projet de loi, dans un premier temps. Les professions d'ingénieur forestier et d'ingénieur ont toujours su se côtoyer de façon très harmonieuse et complémentaire, dans le respect de leurs compétences respectives. Le présent mémoire souligne les aspects de l'avant-projet de loi qui, à notre sens, devraient être considérés afin de poursuivre dans cette voie. On comprend très bien d'ailleurs le désir de l'Ordre des ingénieurs du Québec de mettre à jour sa loi, compte tenu de l'évolution constante des connaissances et des technologies et, donc, de l'évolution de la pratique professionnelle. On a d'ailleurs nous-mêmes les mêmes intentions depuis plus d'une dizaine d'années.

Alors, l'Ordre voit donc une certaine contradiction dans le fait que la révision de la Loi sur les ingénieurs va de l'avant alors que l'Office des professions du Québec et le gouvernement annonçaient une réforme imminente et en profondeur du système professionnel et que ces raisons-là ont motivé la mise en veilleuse de notre propre révision de projet de loi qui est sur les planches à dessin depuis plusieurs années, comme je vous le disais.

Alors, on a proposé à l'Office des modifications à notre loi au début des années quatre-vingt. Ça a alors été mis une première fois en veilleuse, puisque l'Office des professions avait entrepris une étude sur l'ensemble des professions du secteur génie et de l'aménagement. Depuis, on a à de nombreuses reprises révisé le travail puis demandé sans succès à l'Office de poursuivre l'étude de notre projet de loi sur les ingénieurs forestiers. Et il nous semblait alors que la mise en attente du dossier reposait principalement sur le fait que la réforme du système professionnel devait avoir lieu avant l'étude de modifications de lois professionnelles particulières.

On a d'ailleurs assisté à la réforme du Code des professions 1992-1994. Et votre prédécesseur, Mme la ministre, M. Ménard, nous avait annoncé une réforme en profondeur du système professionnel dans son ensemble au printemps dernier, il y a un an, en fait. Alors, on est un peu surpris de constater l'empressement à modifier la Loi sur les ingénieurs, alors que les autres professions n'ont pu faire cheminer leurs modifications, et ce, depuis plusieurs années.

Plusieurs des modifications qui sont prévues dans l'avant-projet de loi ne peuvent pas, à notre avis, être traitées individuellement. C'est le cas notamment des dispositions relatives à la description des actes réservés et du champ de pratique ainsi que celles concernant l'exercice de la profession par une personne morale. On est d'avis qu'il serait plutôt opportun de profiter de cette occasion pour revoir en profondeur le secteur du génie et de l'aménagement dans son ensemble.

Cependant, l'Ordre constate que l'avant-projet de loi est très englobant, d'autant plus que le champ de pratique qui y est décrit, à notre avis, est quelque peu imprécis. Dans sa forme actuelle, le texte laisse croire que l'ingénieur doit obligatoirement être présent dans une multitude de nouveaux domaines. Nous vous expliquerons plus en détail les points spécifiques. J'arrive aux commentaires plus spécifiques qui concernent entre autres l'article 2, qui parle des actes réservés à l'ingénieur lorsqu'ils sont effectués sur des objets qui sont décrits à l'article 3. Ça fait qu'il faut faire le parallèle entre les deux articles, là.

Nous nous questionnons sur le sens de l'application qu'on doit donner à l'expression «sciences exactes», d'abord; il en a été question tantôt. Dans tous les cas, on croit qu'on devrait s'assurer qu'elle ne vise pas les sciences du génie forestier. L'actuelle rédaction de l'avant-projet de loi nous apparaît donner ouverture à l'application de toutes les sciences, y compris celle du génie forestier. Nous croyons qu'une rédaction moins généreuse ou une restriction spécifique par rapport aux sciences du génie forestier serait souhaitable, donc.

(12 h 10)

L'article 2.2. Notre compréhension, c'est que la conception qui est définie dans l'avant-projet de loi va bien au-delà des actes antérieurement retenus par l'article 3b de la loi actuelle. Entre autres actes nouveaux pouvant avoir une incidence sur ceux réservés à l'ingénieur forestier, notons l'analyse des impacts, les manuels de mise en service, d'exploitation, les procédures d'essai de logiciels, l'attestation de la conformité aux normes pertinentes de fonctionnement ou d'exploitation.

Permettre l'augmentation et la diversification des actes des ingénieurs sans qu'un pareil réajustement se fasse à l'égard des ingénieurs forestiers pourrait conférer un monopole de compétence aux ingénieurs à l'égard de ces actes. Si des nouveaux actes sont associés à des champs d'exercice plus larges et plus envahissants par rapport à ceux dévolus à l'ingénieur forestier, l'exercice des activités professionnelles de ce dernier pourrait s'en trouver d'autant plus marginalisé, voire même peut-être figé dans le temps, ce qui priverait les ingénieurs forestiers d'une évolution normale de l'exercice de leur profession qu'on a voulu mettre à jour par notre projet de loi, également, qui a été déposé il y a quelques années.

On doit également signaler que l'article 1 de l'avant-projet de loi définit un procédé industriel comme une suite d'opérations ordonnées en vue de parvenir à un résultat pratique dans le cadre d'activités d'assainissement ou de restauration de l'environnement, de transformation de ressources naturelles. Ce champ d'exercice des actes réservés à l'ingénieur met en cause la transformation des ressources naturelles, l'assainissement et la restauration de l'environnement et peut donc a priori empiéter sur celui de l'ingénieur forestier. Alors, Mme la ministre, il importe de se rappeler qu'on a une partie importante de notre membership qui exerce en industrie forestière, particulièrement en récolte, en aménagement et dans la transformation, donc, en usine.

L'article 3 de l'avant-projet de loi précise le champ d'exercice de l'ingénieur beaucoup plus généreusement, lui permettant d'accéder à des domaines nouveaux, partiellement occupés ou convoités par les ingénieurs forestiers dans le projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs forestiers dont je vous parlais tantôt – d'ailleurs, qu'on avait mis en annexe de notre mémoire. Alors, une analyse sommaire des nouveaux champs convoités par les ingénieurs nous permet de constater qu'ils concernent plus particulièrement les ressources naturelles, l'environnement, les nouvelles formes d'énergie et les télécommunications. L'expansion des actes de l'ingénieur, associée à des champs d'exercice plus vastes et nouveaux, peut marginaliser l'évolution naturelle de l'exercice des activités professionnelles de l'ingénieur forestier.

Enfin, certains des champs décrits dans l'avant-projet de loi interfèrent ou peuvent poser des problèmes d'interprétation par rapport à la juridiction actuelle des ingénieurs forestiers. Notre étude, dans le mémoire, s'est limitée aux actes pouvant avoir une plus grande incidence sur le champ d'exercice exclusif à l'ingénieur forestier. On s'est par ailleurs attardé principalement aux sous-paragraphes 1° de même que 3° à 9° du paragraphe d du deuxième alinéa de l'article 3. Voilà.

Je n'irai pas dans tous les détails, je vais vous parler simplement de certaines inquiétudes. Je pense que le mémoire est assez détaillé sur chacun des articles. Alors, il est à noter que le nouveau champ d'exercice exclusif doit être analysé à la lumière de deux restrictions que l'Ordre des ingénieurs propose, faites en considération du champ de pratique exclusif – ce que nous apprécions d'ailleurs énormément – mais qui nous semblent insuffisantes pour bien assurer l'intégrité de la pratique des ingénieurs forestiers.

Alors, les deux limitations. La première, article 3, deuxième alinéa, d, 7°, qui se lit: «à la prospection, à l'exploitation ou au traitement des ressources naturelles autres que forestières, notamment dans les mines», etc. Dans notre langage, on utilise le terme, nous, «transformation des ressources», mais on comprend que c'est la même chose qui est visée, ici. Cette disposition reconnaît donc la compétence exclusive des ingénieurs forestiers sur l'exploitation et le traitement des ressources forestières. Comme vous l'avez vu en détail dans l'analyse dans le mémoire, cette réserve ne vaut qu'à l'égard, à notre avis, de cet élément du champ d'exercice de l'ingénieur. Les autres éléments du champ d'exercice doivent donc être étudiés en considérant qu'une telle exception ne prévaudrait pas.

Un deuxième tempérament à l'exclusivité du champ d'exercice de l'ingénieur apparaît à l'article 26.1 de l'avant-projet de loi. Il reconnaît, cette fois, une juridiction commune aux ingénieurs et aux ingénieurs forestiers à l'égard de certains travaux de génie. Cet article ne reconnaît la juridiction commune des ingénieurs et des ingénieurs forestiers qu'à l'égard de travaux de génie en milieu forestier. Or, la profession d'ingénieur forestier ne s'exerce pas nécessairement qu'en milieu forestier, comme je vous le disais tantôt, et le terme «milieu forestier» nous apparaît peut-être restreindre un peu le champ d'exercice des ingénieurs forestiers, car on semble vouloir limiter tout cela à la forêt.

En milieu forestier, on parle surtout de traitement sylvicole, de récolte forestière. On se demande qu'est-ce qui arrive avec le transport et la transformation des bois, pour lesquels les ingénieurs forestiers reçoivent une formation particulière à l'Université Laval que même un certain nombre d'étudiants en génie viennent prendre. Alors, on reconnaît et on apprécie la préoccupation de l'Ordre des ingénieurs, qui a voulu montrer à notre égard... mais on la considère pour le moment insuffisante. Nous souhaitons donc que le tout soit clarifié.

Enfin, on doit signaler que l'article 5c de la loi actuelle est abrogé par l'avant-projet de loi, alors qu'un tel article est maintenu pour plusieurs autres professions. Et cet article-là prévoit que – et je lis, là, je cite – «rien dans la présente loi ne doit priver les membres de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec du droit de se servir du titre d'ingénieur forestier et d'exercer leur profession dans le domaine qui leur est réservé par une loi de la législature».

Lorsqu'on lit l'article 26.1 et qu'on le compare à 5c, qui est actuellement dans la loi en vigueur, on comprend qu'ils sont fort différents. Les ingénieurs ne font plus aucune référence à notre loi et à notre champ d'exercice tel que défini dans notre loi, mais ils décrivent des exceptions à même leur loi, sans faire une référence directe à l'exercice de notre profession. Si jamais il y a un problème d'interprétation entre les deux lois, on peut se demander, Mme la ministre: À quelle loi va-t-on donner la préséance? Il est donc primordial, à notre avis, de restaurer l'article 5c de la Loi des ingénieurs. Ceci respecterait beaucoup mieux notre champ d'exercice tel que décrit dans notre loi actuelle.

Le temps avance assez vite, alors, je vais aller rapidement à l'étude un petit peu plus détaillée de certains points du champ de pratique, alors, l'article 3, deuxième alinéa, paragraphe d, qui concerne les ouvrages.

Premièrement. La production, la transformation, le transport, le stockage, la distribution, la consommation, l'utilisation efficace et la récupération de toute forme d'énergie. Puisque le bois et les ressources forestières sont des formes d'énergie, nous croyons que ce nouveau champ empiète quelque peu et que ça mériterait d'être clarifié.

Cinquièmement. On parle de services municipaux utilitaires ou récréatifs, notamment dans les parcs. Compte tenu de la possible difficulté d'interprétation, encore une fois, on pense qu'il serait opportun de revoir cette clause interprétative pour ne pas exclure les ingénieurs forestiers du domaine des parcs urbains, les parcs forestiers urbains, par exemple.

Et le septième paragraphe, qui concerne l'exploitation ou le traitement des ressources naturelles autres que forestières. On vous a déjà parlé de nos réserves, puisqu'il semble que ça serait seulement à cet aliéna qu'on ferait une restriction pour les ressources forestières.

À huitièmement, la protection et la restauration, l'amélioration de l'environnement. L'avant-projet de loi fait de tout ouvrage, système ou procédé servant à la protection, à la restauration ou à l'amélioration de l'environnement, notamment qu'il y ait des incidences sur la protection de la vie, de la santé, du bien-être, de la sécurité, un champ d'exercice exclusif à l'ingénieur. Alors, les exemples font légion où l'ingénieur forestier, par l'exercice de sa profession, restaure, protège ou améliore l'environnement forestier. La protection des écosystèmes forestiers par la lutte aux insectes, maladies et autres fléaux fait partie du domaine de compétence des forestiers. Et, par ailleurs, comment est-ce qu'on peut qualifier le reboisement artificiel de parterres de coupe non régénérés ou insuffisamment régénérés en essences désirables que par le vocable de restauration ou d'amélioration de l'environnement?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Est-ce que je peux vous inviter à conclure, Mme la présidente?

(12 h 20)

Mme Gauthier (Johanne): Oui, j'y arrivais. Alors, on pense qu'il serait pertinent de modifier le texte de certains de ces paragraphes-là.

En conclusion. Notre étude nous amène à conclure que, dans la rédaction actuelle, il peut y avoir des incidences majeures sur les actes réservés aux ingénieurs forestiers. La révision de la Loi des ingénieurs ne peut se faire hors contexte d'une révision générale du secteur du génie et de l'aménagement. Procéder autrement risquerait de créer des anomalies eu égard aux principes actuels qui gouvernent le système professionnel, soit la protection du public et l'autonomie professionnelle.

Minimalement, l'avant-projet de loi pourrait réduire ces impacts négatifs sur le champ de pratique des ingénieurs forestiers en recourant à des clauses d'exclusion de la compétence des ingénieurs sur les champs relatifs aux forêts, aux ressources forestières, aux bois et à l'application des sciences forestières.

Comme vous le voyez, Mme la ministre, ce n'est pas simple de définir un champ d'exercice. Ce qui nous fait dire qu'il faudrait donc une étude globale à laquelle seraient associées des équipes de gens dans la pratique pour bien cerner toutes les possibilités.

En bref, le message que je souhaite laisser aujourd'hui aux membres de la commission se veut constructif. Le texte de loi proposé, à notre avis, n'est pas clair et pourrait amener des difficultés d'interprétation. On aurait intérêt à revoir ce texte en précisant la portée, quand on parle de champs d'exercice qui sont régis par des lois et des tribunaux, et vous connaissez bien les conséquences en cas de litige.

La pratique des ingénieurs forestiers se situe dans le grand champ du génie et de l'aménagement, et on est très ouverts à s'asseoir et à discuter de ce secteur globalement. On pense qu'on doit prendre le temps de bien définir et de bien réfléchir à la question, ce qui est bien différent de renvoyer tout cela aux calendes grecques, ce qui n'est pas du tout l'objet de notre présentation aujourd'hui. On pense qu'il faudrait plutôt profiter de l'occasion pour compléter une étude globale, comme je le disais. Et on a déjà, on pense, des bons outils de travail en main. On a un projet de loi qui est à l'étude aujourd'hui. Nous, on s'est penchés également sur notre champ d'exercice. Dans le cadre de la révision du système professionnel qui s'était amorcée il y a quelques années, on a fait beaucoup de travail dans ce sens-là. Merci de votre attention.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci, Mme la présidente. Alors, avec Mme la ministre, on amorce maintenant la période d'échanges.

Mme Goupil: Alors, Mme Gauthier, je vous remercie beaucoup pour la présentation et les commentaires que vous nous avez présentés. D'emblée, je voudrais vous rassurer en vous disant qu'il n'est nullement de notre intention, de par cet avant-projet, de vouloir restreindre le champ d'exercice des ingénieurs forestiers.

Je voudrais également vous rassurer aussi en vous disant que... Parce que vous avez soulevé l'incohérence des démarches qui avaient été faites jusqu'à maintenant. Je pourrais vous dire avec grand respect que c'est tout à fait dans la continuité des gestes qui ont été posés. Parce que, considérant le nombre important de mémoires qui ont été présentés, considérant la qualité des interventions des différents secteurs qui touchent de près l'ingénierie, vous comprendrez que l'exercice que nous faisons aujourd'hui est dans la continuité des travaux qui ont été effectués. Et vous avez raison de dire que d'abord, dans un premier temps – et je l'ai dit d'emblée dès le début de mes remarques préliminaires – le premier jet qui a été fait a été fait en partenariat avec les ingénieurs parce que effectivement le champ de pratique a une grande couverture, et ce qui nous amène forcément... lorsque l'on travaille avec cette loi-là, ça a un impact et une incidence sur un grand secteur.

Et ceci m'amènerait tout simplement à vous dire que, pour ce qui est des éléments qui ont été soumis de votre part, ils vont être analysés. Et, justement, le but de l'exercice, c'est de s'assurer que l'on ait une compréhension commune et, lorsque ça crée un problème dans un secteur précis, que les experts dans ce secteur-là viennent, comme vous le faites aujourd'hui, nous exprimer leur compréhension du projet de loi. J'aimerais vous poser la question suivante, en terminant: Est-ce qu'actuellement vous avez des problèmes avec l'Ordre des ingénieurs pour pouvoir respecter vos champs d'exercice chacun?

Mme Gauthier (Johanne): Dans la pratique actuelle, avec les deux lois qui sont présentement en vigueur, non, il n'y a pas de... On a toujours réussi, je pense, à bien se côtoyer, puis la pratique s'est modelée un peu à l'expertise qui s'est développée de part et d'autre puis à l'occupation des champs de pratique que chacun a développés.

Mme Goupil: Alors, soyez assurés que le texte, tel qu'il est présenté... Nous souhaitons vraiment que cette harmonie-là puisse continuer, mais en y trouvant les...

Mme Gauthier (Johanne): J'apprécie... Je pense qu'on comprend aussi que l'Ordre des ingénieurs a un peu cette même intention là.

Mme Goupil: Oui.

Mme Gauthier (Johanne): Je pense que notre but, ce matin, c'est de vous exposer que, dans l'interprétation de ce qui est écrit là, il pourrait y avoir des difficultés. Puis, quand on a des difficultés d'interprétation, c'est souvent aux niveaux judiciaire et légal qu'on les règle.

Mme Goupil: Oui, tout à fait. J'aurais une dernière question.

Mme Gauthier (Johanne): Oui.

Mme Goupil: Lorsqu'on parle des sciences exactes, est-ce que le génie forestier est une science exacte?

Mme Gauthier (Johanne): «Science exacte», pour nous, d'ailleurs je vous l'ai dit dans le mémoire...

Mme Goupil: Oui.

Mme Gauthier (Johanne): ...c'est un peu une nouvelle expression. Dans nos secteurs d'activité, on parle en général de sciences appliquées, qui comportent deux grands volets: l'expérimentation d'abord et l'application par la suite. Alors, la science du génie forestier est considérée, pas nécessairement comme une science exacte, quand on est en milieu forestier, parce qu'on travaille beaucoup avec des plans de sondage, mais on arrive avec des précisions quand même assez intéressantes, mais, quand on tombe en usine, on peut voir que... Je l'imaginerais comme une science exacte, sauf que c'est une expression qui, jusqu'à maintenant, n'a pas été consacrée et que je pense qu'il faudrait qu'on puisse appliquer puis qu'on puisse bien comprendre, là. Nous, dans notre jargon, on parle de «sciences appliquées», on a d'ailleurs un Bac en sciences appliquées, l'université nous décerne des bacs en sciences appliquées dans tous les secteurs du génie. Alors, je pense que ça, ça mériterait d'être bien campé.

Mme Goupil: O.K. Merci.

Mme Gauthier (Johanne): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Dans vos commentaires, Mme Gauthier, sur l'avant-projet de loi, à la page 7, lorsque je lisais, ce matin, j'ai souligné le troisième paragraphe, et tout à l'heure vous l'avez lu d'une façon intégrale, et je me pose certaines questions. J'aimerais ça avoir des précisions puis élaborer sur ça. Alors, vous dites que l'avant-projet de loi est très englobant, le champ de pratique est imprécis. Vous mentionnez aussi que l'ingénieur doit être présent dans une multitude de nouveaux domaines sans toutefois démontrer que la protection du public l'exige. Est-ce que vous pouvez élaborer et nous donner des exemples concrets à ce chapitre-là et préciser, s'il vous plaît?

Mme Gauthier (Johanne): Bien, on en a donné plusieurs dans le mémoire, à partir de la page 13, où on s'est questionné un petit peu sur certains champs d'activité qui, à l'heure actuelle, n'étaient pas nécessairement occupés par des ingénieurs ou qui ne sont pas nécessairement régis encore par les lois professionnelles et pour lesquels... Bon. Dans certains cas, ce sont des ingénieurs forestiers, mais j'imagine que, dans d'autres cas, il y a d'autres professions qui sont présentes.

Un exemple, le problème envisagé avec l'élargissement du champ exclusif de l'ingénieur à tout ouvrage, transport ou circulation des biens ou des personnes. Puis ça, ça fait référence à l'article 3, paragraphe d, 4°, qui traite du transport ou de la circulation des personnes ou des biens. Alors, on pense que le problème qui est envisagé avec l'élargissement du champ exclusif de l'ingénieur dans tout ouvrage de transport ou de circulation des biens, c'est qu'il puisse être habilité à concevoir, par exemple, une débusqueuse à pneus haute flottaison – je vous donne un exemple, là – sans avoir recours à la compétence d'un ingénieur forestier, qui, lui, a une expertise au niveau du sol, de la compaction des sols, et tout ça. Alors, c'est un peu dans cette...

On comprend qu'il y a des restrictions qui sont mises dans la loi, mais qu'à l'interprétation éventuellement, si tout ça ne se fait pas dans une suite logique et que tout ça ne se fait pas de façon plus globale avec les autres professions du secteur génie et de l'aménagement, il pourrait y avoir des difficultés, puisque c'est vraiment la première révision à être mise de l'avant.

M. Boulianne: Parce que, habituellement, ce qu'on voit, c'est qu'on trouve qu'on n'a pas assez de domaines d'intervention. Alors, vous semblez dire que, vous, vous en avez trop ou... Je ne sais si je comprends mal ou...

Mme Gauthier (Johanne): Non. En fait, ce qu'on dit, c'est que, de la manière dont le projet de loi des ingénieurs est proposé, ça semble être très vaste comme champs d'activité, et certains de ces champs d'activité là qui sont convoités par les ingénieurs pourraient peut-être empiéter de quelque façon que ce soit sur les compétences des ingénieurs forestiers. Et ce qu'on souhaite, dans le fond, c'est que ça, ça soit tout simplement précisé, qu'on s'entende sur les domaines d'activité et que certaines restrictions soient précisées pour faciliter la compréhension des domaines d'expertise de chacune des deux professions.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Drummond.

(12 h 30)

M. Jutras: Oui. Madame, moi, je trouve votre mémoire particulièrement intéressant parce qu'il nous montre comment, avec l'avancement de la science puis l'avancement des technologies, à un moment donné, on se retrouve, dans la loi, avec des zones sombres, des zones grises. Alors, je trouve ça bien intéressant. Et vous nous donniez plusieurs exemples de cela, et ça nous montre qu'effectivement il faut clarifier des choses, ne serait-ce que pour s'adapter à l'année 1999. Puis ce qu'on perçoit dans votre mémoire aussi, ce que vous nous dites, c'est que l'Ordre des ingénieurs finalement, avec la proposition qu'ils font, ce qu'on retrouve dans l'avant-projet de loi... Vous nous dites: Bien, là, ils s'en viennent dans notre champ, là, ils s'en viennent dans nos plate-bandes. C'est ça qu'on sent. Et, par ailleurs, ce que vous proposez comme solution, vous dites: Bien, on pourrait reconduire l'article 5c qui dit que vous avez le droit de pratiquer comme ingénieur forestier, etc. Est-ce que vous ne pensez pas même qu'il faudrait aller plus loin que ça et même réviser la Loi sur les ingénieurs forestiers puis qu'on précise la juridiction des ingénieurs forestiers par rapport à la Loi sur les ingénieurs? Parce que vous nous disiez tantôt que vous avez toujours bien vécu avec l'Ordre des ingénieurs...

Mme Gauthier (Johanne): Absolument.

M. Jutras: ...mais dans votre mémoire, on voit plusieurs difficultés...

Mme Gauthier (Johanne): Potentielles.

M. Jutras: ...qui sont latentes là...

Mme Gauthier (Johanne): C'est ça.

M. Jutras: ...qui sont tout à fait latentes puis qui peuvent créer de sérieux problèmes.

Mme Gauthier (Johanne): Je pense que vous faites référence à un point très important: ça fait depuis plusieurs années qu'on a un projet de loi qui est sur la table, la planche à dessin, et puis, pour les raisons que j'invoquais lors de mon introduction, qui a été mis en veilleuse parce qu'il y a eu des réformes, il y a eu des changements au niveau du Code des professions, des réformes du système professionnel, des études qui ont été entreprises, et finalement notre projet de loi n'a jamais eu vraiment... est tombé probablement entre deux eaux. Et c'est un petit peu le message qu'on veut vous laisser ce matin, c'est qu'effectivement on n'est pas du tout contre le fait que les ingénieurs veuillent réviser leur loi; au contraire, on les comprend, on est un peu dans la même situation, on a des lois qui datent de plusieurs années. La pratique a évolué, il y a des nouveaux champs d'expertise, puis ça se passe dans tous les domaines, c'est normal, alors qu'on est encore à travailler avec des lois qui datent des années, quoi, quarante, la nôtre? Incorporation en 1921 mais...

M. Godbout (Bernard): De 1949.

Mme Gauthier (Johanne): Ça fait que, bon, vous comprenez, je pense que tout le monde a un peu le souhait de mettre à jour, de rajeunir tous ces champs d'expertise professionnelle, effectivement.

M. Jutras: Mais quand vous donnez des exemples, comme vous donniez l'exemple dans le domaine de l'énergie, puis vous dites: Bien, nous, on est déjà là, jusqu'à un certain point, dans le domaine de l'énergie; la même chose quant aux ressources naturelles; la même chose quant à l'environnement. Qu'est-ce que vous proposez à ce moment-là? Dites-vous que ça devrait être une juridiction commune des ingénieurs et des ingénieurs forestiers ou vous dites que, non, certains domaines, ça devrait plutôt être de la juridiction exclusive des ingénieurs forestiers et que les ingénieurs, non, ils n'ont pas affaire dans ce domaine-là?

Mme Gauthier (Johanne): Il y a plusieurs endroits où on propose, en fait, d'avoir une juridiction commune. On en a déjà, on en a dans le secteur du génie du bois, on a déjà une juridiction commune et, dans les nouveaux secteurs... Dans le fond, ce dont on parle, c'est des interprétations potentielles. On vous disait: Dans l'application actuelle, il n'y a pas vraiment de problème. Mais de la manière dont on lit ça puis de la manière dont on voit notre profession évoluer, la profession des ingénieurs, puis les nouveaux champs d'expertise en environnement – bon, on parle de certification – c'est tous des nouveaux domaines d'activité qui ne sont pas régis à l'heure actuelle par nos lois constitutives. Et nous aussi, on se rend compte qu'il va falloir rajeunir notre loi.

Eh oui, bon, pour répondre à votre question, oui, on voudrait aller dans ce sens-là. Les problèmes qu'on soulève ici sont plus de nature spéculative, dans une éventuelle application de cette nouvelle loi là. Il y a plusieurs endroits que c'est des juridictions communes, on pense, qui pourraient être...

M. Jutras: Et, dans certains cas... C'est parce que vous dites: Oui, on veut aller dans ce sens-là. Moi, je vous ai proposé deux alternatives. J'ai dit: Voulez-vous davantage de juridictions communes ou vous voulez davantage de juridictions exclusives? Vous dites: On veut aller dans ce sens-là. Dans lequel des deux?

Mme Gauthier (Johanne): Il y a des endroits où on veut aller plus dans la juridiction exclusive puis il y en a d'autres où on est bien conscient qu'on n'a pas le monopole du savoir puis que ça va dans des juridictions communes.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Madame, tout en reconnaissant la vision d'avenir de votre mémoire, parce qu'il y a quand même certains paragraphes qui sont très, très intéressants, je décèle quand même certaines craintes pour certains actes précis. Vous ne croyez pas que l'article 26.1 de l'avant-projet de loi soit suffisant pour contrer vos interrogations?

Mme Gauthier (Johanne): On ne pense pas qu'il soit suffisant, il n'est pas aussi clair que l'article 5c qu'il y avait anciennement, qu'il y a dans la loi actuelle. Laissez-moi le retrouver, là.

M. Godbout (Bernard): Page 15.

Mme Gauthier (Johanne): Page 15? Merci.

M. Côté (Dubuc): Qu'est-ce que vous proposeriez comme modification?

Mme Gauthier (Johanne): Ici, on parle des actes relatifs à des travaux de génie en milieu forestier et, en fait, ce qu'on a voulu faire ressortir, je pense, dans notre mémoire, c'est que la pratique du génie forestier ne s'exerce pas seulement en milieu forestier mais qu'il y a d'autres domaines d'activité, notamment au niveau du génie du bois, puisqu'il y a un cours complet de quatre ans qui se donne à l'Université Laval en génie du bois et qui porte plus sur la transformation qui est donc en usine, qui vise l'utilisation optimale du matériau bois. C'est une spécialité et ça ouvre la porte à l'Ordre des ingénieurs forestiers. Alors, ça, c'est un domaine d'activité, là, qui n'est pas en milieu forestier.

M. Côté (Dubuc): Est-ce que vous touchez à la géomatique également?

Mme Gauthier (Johanne): Oui.

M. Côté (Dubuc): Merci.

Mme Gauthier (Johanne): Géomatique en foresterie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Oui. Merci pour votre mémoire. Et encore, pour revenir au point que vous avez mentionné dans vos commentaires généraux et sur lequel la ministre a fait un commentaire en contradiction entre cet avant-projet de loi et que le gouvernement va de l'avant avec l'avant-projet de loi en même temps qu'il y a la prévision de la révision du Code des professions, la grande étude qui a été faite, l'annonce qui a été faite par le ministre du temps, est-ce que vous êtes d'opinion qu'après avoir fait l'étude qu'on a faite de cet avant-projet de loi le gouvernement doit suspendre cette étude et qu'il doit retourner pour compléter la grande révision qu'ils ont promise, la grande étude qu'ils ont promise du Code des professions, en conformité avec l'annonce qui a été faite?

La ministre parle de continuité, mais je comprends mal comment c'est un élément de continuité de prendre une partie des anciennes lois pour les réviser. Est-ce que ce serait plus logique d'étudier le Code des professions en totalité? Je suis reconnaissant que c'est une grande étude qui prendra beaucoup de temps, mais est-ce que ce serait plus efficace au lieu d'avoir des études en partie?

Mme Gauthier (Johanne): En fait, nous, on pense que, concurremment à ce qui se passe présentement, on devrait regarder tout le secteur du génie de l'aménagement puisque ça a des incidences sur les ingénieurs forestiers mais également sur les autres professions qui sont dans le secteur du génie de l'aménagement: on pense aux architectes, aux arpenteurs géomètres, aux agronomes, bon, tout le monde. Il y en a plusieurs qui sont touchés par ce projet-là. Puis, d'ailleurs, vous allez en entendre dans les prochains jours.

Alors, je pense qu'il faudrait voir ça dans une étude, peut-être pas nécessairement globale de tout le système professionnel, parce qu'on sait à quelles difficultés on s'expose quand on s'embarque là-dedans, mais, par contre, dans le secteur du génie de l'aménagement, il y aurait certainement lieu de regarder ça dans son ensemble.

Oui. Alors, Me Godbout.

M. Godbout (Bernard): Peut-être un complément d'information, M. le député, si vous le permettez. C'est que, comme Mme Gauthier le disait, l'intervention de l'Ordre ne vise pas à faire reporter aux calendes grecques l'étude de ce texte législatif. Nous sommes à une étude d'avant-projet de loi – ça, c'est important – on n'en est pas encore au projet de loi. Mais ce que l'on dit, c'est qu'il y a des outils actuellement qui sont présents et qui pourraient permettre d'accélérer le processus tout en s'en allant tranquillement vers un projet de loi sans brimer la démarche de l'Ordre des ingénieurs, et je vous en donne. L'avant-projet de loi parle de deux grands thèmes: le champ d'exercice de l'ingénieur ainsi que toute la préoccupation de l'exercice sous forme corporative.

(12 h 40)

Bon. On sait qu'il existe actuellement des études sur la question des champs d'exercice. Je fais référence à l'Office des professions qui a une étude déjà qui date de la fin des années quatre-vingt sur les champs d'exercice des secteurs du génie et de l'aménagement. Donc, c'est un point de départ. Ça fait un certain temps que tout ça se travaille. Donc, le travail n'est pas à reprendre à zéro. Comme Mme la ministre le disait tout à l'heure, c'est dans la continuité. Toute la question de l'exercice sous forme corporative, écoutez, moi, je pense que ça fait déjà peut-être facilement un 10 à 12 ans, si ce n'est pas 15, qu'on en parle, qu'il y a des travaux de faits et qu'il y a une mauvaise compréhension dans le monde professionnel actuellement de ce qu'est l'exercice sous forme corporative. On mélange facilement la compagnie de gestion avec la compagnie d'exercice professionnel, et avec tous les impacts que ça a sur le plan fiscal. Donc, ça, il y a du matériel encore de prêt.

Donc, le message que l'Ordre des ingénieurs forestiers vient vous donner ce matin, c'est de dire: Ne bloquez pas, ne mettez pas les freins. Ce n'est pas ça. Mais allons voir ce que nous avons là, faisons le tour de ce que nous avons et on est capable... Cet avant-projet de loi est peut-être l'opportunité de faire avancer peut-être un petit peu en accéléré ce dossier-là.

M. Bergman: Une autre question. Mme Gauthier, vous avez mentionné que vos membres sont répartis partout au Québec et qu'on retrouve vos membres à l'emploi de la fonction publique québécoise et de l'industrie forestière. Je suis toujours intéressé à la question autonomie et indépendance des ingénieurs salariés, la question dont on parle: que dans la loi on doit avoir le respect de l'autonomie et de l'indépendance des ingénieurs qui travaillent à salaire et qui exercent leur profession d'ingénieur et que les employeurs doivent respecter ces contraintes d'autonomie et d'indépendance. Est-ce que vous pouvez me dire si c'est un problème parmi vos membres d'exercer leur profession d'une manière autonome et indépendante même s'ils sont salariés et qu'ils travaillent dans une industrie ou dans la fonction publique?

Mme Gauthier (Johanne): Vous savez, les membres de l'Ordre, comme tous les membres de tous les ordres professionnels, sont soumis à un code de déontologie qui est assez strict et qui est assez spécifique sur la question. De plus, il y a eu récemment un jugement du Tribunal des professions qui vient appuyer justement le fait que les professionnels... en fait, il y a préséance de leur code de déontologie sur les directives des employeurs. Alors, on travaille beaucoup dans le sens de donner cette information-là à nos membres. Effectivement, il y en a plusieurs qui sont salariés. Mais je pense que l'encadrement professionnel, le Code des professions, la Loi des ingénieurs, nos règlements, font en sorte qu'ils connaissent leurs obligations, leurs devoirs, et qu'ils exercent leur profession avec toute l'expertise et la qualité professionnelle qui se doit.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Moi, j'ai deux questions. Je vais poser ma première. Vous avez bien parlé des rapports entre votre Ordre et l'Ordre des ingénieurs, je vais y revenir dans ma deuxième question, mais ma première question va toucher les rapports entre votre Ordre et celui des technologues. Il existe un champ qui est commun, c'est le technicien en transformation du bois qui fait partie actuellement de l'Ordre des technologues, et vous m'avez bien dit aussi que les ingénieurs forestiers sont, bien sûr, perdus dans la forêt, mais ils travaillent aussi en transformation et en usine. Alors, à la pratique actuellement, quel a été le rapport entre ces deux ordres? Est-ce qu'il y a eu des conflits, des non-conflits? Quelle est la situation actuellement entre l'Ordre des ingénieurs forestiers et celui des technologues, dans évidemment le domaine bien particulier de transformation du bois?

Mme Gauthier (Johanne): Excusez, on se questionne sur la question de la spécialité des technologues en transformation du bois.

M. Gautrin: Parce que c'est la seule chose que j'ai pensé qui avait un champ commun avec le vôtre. Il y en a peut-être un autre.

Mme Gauthier (Johanne): Non, en fait.

M. Gautrin: Alors, j'ai mal perçu, je m'excuse.

Mme Gauthier (Johanne): Ah oui, ils sont plus que dans la transformation, ils sont en milieu forestier puis, entre l'ingénieur forestier et le technicien forestier, c'est une relation d'étroite collaboration. Il y a un devoir de supervision puis il y a tout un processus qui est associé à ça, mais il n'y a pas de... Je veux dire, il y a des discussions avec l'Ordre des technologues sur un certain nombre d'actes, mais dans la pratique au quotidien, il n'y a pas vraiment de problème.

M. Gautrin: Il n'y a pas eu de problème. Il n'y a pas eu de poursuite indue de votre part, de votre Ordre par rapport à l'autre Ordre et vice versa.

Mme Gauthier (Johanne): Non, non. Pas de...

M. Gautrin: Merci. Ça m'intéresse. C'est important, j'en prends note.

Mme Gauthier (Johanne): Pas au niveau légal.

M. Gautrin: Merci.

Mme Goupil: Excusez-moi, c'est une des rares. Ha, ha, ha!

Mme Gauthier (Johanne): Puis on pense que ça pourrait être réglé par l'étude du...

M. Gautrin: Je construis sur le positif et je ne construis pas sur le...

Mme Gauthier (Johanne): Si je peux me permettre un commentaire supplémentaire, on pense également que ça pourrait être réglé dans l'étude du secteur du génie de l'aménagement dans son entité globale.

M. Gautrin: O.K. Maintenant, je vais profiter que vous êtes là et que surtout votre conseiller juridique est là pour vous questionner sur une rédaction. Dans votre propre loi, lorsque vous avez voulu – et je fais référence à l'article 3 de votre propre loi – définir le champ commun avec les ingénieurs, vous avez utilisé la rédaction «nonobstant – et je fais attention sur les mots – ce qui précède, les membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec et de l'Ordre des ingénieurs forestiers auront une direction commune, etc.», ce qui permettait bien de dire que l'article 3 s'appliquait et avait préséance, en quelque sorte, sur ce qui était dans l'article 2.

Je reviens maintenant dans l'article 5 de la Loi sur les ingénieurs où – et vous voulez utiliser cet article 5 pour vous protégez puisque vous demandez que le paragraphe c de l'article 5 soit continué à être intégré – on utilise la rédaction «Rien dans la présente loi ne doit». Vous souhaitez qu'on y introduise: «priver les membres de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec du droit de se servir du titre d'ingénieur forestier et d'exercer leur profession dans le domaine qui leur est réservé dans une loi de la Législature.».

Ne pensez-vous pas qu'il serait plus clair, à ce moment-là, de dire: «Nonobstant ce qui précède – c'est-à-dire nonobstant les articles 2 et 3 – rien dans la présente loi ne doit priver les membres de l'Ordre des ingénieurs forestiers de...» Ça permettrait de clarifier bien la primauté de l'article 5 sur les articles 2 et 3. C'est le choix que vous aviez fait, vous, dans votre propre loi, lorsque vous parliez de l'article 3 par rapport à l'article 2. Est-ce que ce n'est pas une piste que vous nous auriez suggérée?

M. Godbout (Bernard): Est-ce que je peux répondre à ça?

Mme Gauthier (Johanne): Oui, je vais laisser Me Godbout répondre à ça, si vous le voulez bien.

M. Godbout (Bernard): Monsieur, je vais vous dire ceci: Pour faire de la rédaction législative et réglementaire et faire de la plaidoirie, je dois vous dire que la rédaction législative est possiblement ce qu'il y a de plus difficile à faire.

M. Gautrin: On le pratique depuis 10 ans.

M. Godbout (Bernard): C'est très difficile. Par contre, je dois vous dire... On n'a pas parlé de l'avant-projet de loi mais, même en lisant l'avant-projet de loi, il y a des choses qui peuvent sauter aux yeux et qui dénotent, là, la difficulté.

Par contre, le texte de l'article 5c, actuellement, à notre avis, il est suffisant. C'est une façon différente de le dire. C'est entendu qu'on n'utilise pas le «nonobstant», donc on n'a pas cette sécurité du «nonobstant» – appelons ça de même – mais on croit que le texte, tel qu'il est rédigé, est suffisant.

M. Gautrin: Vous me permettez? Je continue. Dans la pratique, vous vivez actuellement avec 5c, puisqu'il existe actuellement.

M. Godbout (Bernard): Oui.

M. Gautrin: Est-ce que vous avez des éléments de jurisprudence – j'ai posé la même question précédemment à vos prédécesseurs sur 5i – qui clarifient la préséance de 5c sur les articles 2 et 3?

Mme Gauthier (Johanne): Non, pas à notre connaissance, là.

M. Gautrin: Vous n'en avez pas. Est-ce que vous pourriez regarder si vous en avez eu dans le passé ou pas? Ça m'intéresserait beaucoup.

Mme Gauthier (Johanne): Oui, je prends ça en note.

M. Gautrin: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, oui, M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Oui. Dans l'article 9 de l'avant-projet de loi, en référence à l'article 24 de la loi, la dernière phrase indique que «l'ingénieur peut restreindre par écrit la validité de l'attestation de conformité à un territoire donné et pour une période déterminée». Pouvez-vous expliquer la dernière phrase de l'article 24 qui est mentionnée dans l'article 9 de l'avant-projet de loi qui donne à l'ingénieur le pouvoir de restreindre par écrit une attestation à un territoire donné?

M. Godbout (Bernard): Quelle est la question?

Mme Gauthier (Johanne): Bien, il veut qu'on donne une explication.

M. Bergman: Je voudrais savoir si vous avez des commentaires sur ce pouvoir de restreindre la validité d'un commentaire sur un territoire restreint.

M. Godbout (Bernard): Non.

(12 h 50)

Mme Gauthier (Johanne): On n'en a pas vraiment, non. On n'était pas sûr, là, de ce que ça voulait dire. Je ne peux pas répondre à cette question-là vraiment parce qu'on l'a regardé puis ça ne nous est pas apparu comme... Je veux dire, il n'y avait rien là-dedans... On n'était pas sûr de comprendre ce que ça voulait dire non plus, là.

M. Bergman: Ça va.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, s'il n'y a pas d'autres questions, il nous resterait à remercier très sincèrement les représentants de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec.

Avant de suspendre nos travaux, je rappelle que nous recevrons, à compter de 14 heures, l'Alliance des manufacturiers exportateurs du Québec. Alors, merci, encore une fois. La commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 51)

(Reprise à 14 h 8)

Le Président (M. Boulianne): Bonjour, tout le monde. La commission reprend ses travaux. Alors, je souhaite la bienvenue à l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec. Vous avez 20 minutes pour exposer votre point de vue. Alors, je demanderais à M. Ponton, le président-directeur général, de se présenter et de présenter son équipe.


Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec (AMEQ)

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les membres de la commission des institutions, bonjour.

Des voix: Bonjour.

M. Ponton (Gérald A.): Je me réjouis tout d'abord que l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec ait été conviée à prendre part aux auditions que tient la commission sur le projet de modernisation de la Loi sur les ingénieurs. L'Alliance est en effet le porte-parole de quelque 700 entreprises manufacturières au Québec dont certaines seront directement touchées par les modifications qu'on propose d'apporter à la Loi sur les ingénieurs. Par conséquent, il nous apparaît tout à fait pertinent et même essentiel de tenir des consultations sur ce projet.

Pour m'assister dans la présentation, je suis accompagné, à ma droite, de M. Claude Cossette, vice-président, Ressources humaines, du Groupe Cascades; à ma gauche, de M. Pierre Huot, directeur général, Ressources humaines, ingénierie, services corporatifs et opérations, Bombardier Aéronautique, et également représentant le groupe Bombardier pour les modules matériel de transport et véhicules récréatifs; de Me Francine Mercure, à la gauche de M. Huot, conseiller juridique de l'Alliance des manufacturiers; de même que de Mme Nancy Lauzon, directrice, Ressources humaines et Qualité, également de l'Alliance des manufacturiers.

(14 h 10)

D'entrée de jeu, je tiens à souligner que les membres de l'Alliance considèrent parfaitement légitime, M. le Président, qu'on veuille assurer la protection du public, mais – et la réserve est de taille – nous nous interrogeons très sérieusement sur le moyen proposé pour y parvenir, d'autant plus que la démonstration n'a pas été faite que la sécurité du public soit en péril. Bref, notre objectif n'est pas de minimiser les conséquences de certains accidents, mais plutôt de faire la lumière sur l'impact de ce projet sur les entreprises, dimension qui a, pour ainsi dire, été ignorée jusqu'ici.

En fait, il est pour le moins surprenant qu'on s'inquiète à ce point de la sécurité du public quand on sait que le syndic de l'Ordre traite 150 dossiers par année, dont à peine 10 à 12 constituent des dossiers où elle pourrait, la sécurité, être mise en cause. Rappelons que l'analyse du projet réalisée par l'Office des professions conclut fort justement, et je cite un extrait dudit rapport, qu'«on peut se demander si, à la marge, une loi plus précise, plus étendue, couvrant une plus large part des actes posés par les ingénieurs, permettrait de réduire davantage les accidents et les incidents». Fin de la citation. Comme l'ont souligné, certes, certains de nos membres, si la sécurité est véritablement en cause dans certaines circonstances, une meilleure information du public, M. le Président, pourrait, par exemple, être une avenue de solution tout aussi valable sinon davantage qu'une loi. L'Alliance déplore cependant que cette solution n'ait pas été examinée à fond et sous un oeil plus favorable au lieu d'être rejetée faute de valeur juridique.

Par ailleurs – et j'attire votre attention sur ce point – les entreprises, du moins à notre connaissance, ne s'estiment pas mal protégées et ne réclament pas du législateur qu'il intervienne à cet égard. Lorsque, dans leurs établissements, nos membres observent des lacunes qui mettent en cause la sécurité de leurs travailleurs, celle de leurs clients ou celle du grand public en général, ils trouvent la solution par eux-mêmes et font appel, le cas échéant, aux professionnels de leur choix et qui leur semblent les mieux qualifiés pour faire face à leurs responsabilités. Si les choix ou les solutions retenus sont inadéquats, nos membres en répondent eux-mêmes aux autorités compétentes.

Poursuivons le raisonnement, d'ailleurs fort bien illustré par l'actualité récente. Lorsqu'une catastrophe survient, par exemple un accident d'avion, qu'on est à même de déplorer, les premiers à être pointés du doigt sont la compagnie aérienne et le constructeur de l'appareil. Les ingénieurs, les concepteurs, les technologues, les techniciens ne seront pas les premiers appelés au banc des accusés. Dans la tradition des organisations et dans notre culture, c'est en effet l'entreprise qui est tenue responsable au premier chef et c'est à elle que reviendra le fardeau de faire la preuve que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour assurer la sécurité du public. Dans ce contexte, M. le Président, la démonstration n'est pas faite, loin de là, que l'élargissement du champ exclusif de compétence de l'ingénieur soit la solution universelle et qu'il faille nécessairement emprunter la voie législative. En outre, il nous apparaît abusif qu'au nom de la protection du public on tente de s'immiscer dans la gestion des entreprises privées et les quelques exemples qui suivent en feront la démonstration.

Je passerai donc rapidement en revue les principaux problèmes que pose l'avant-projet de loi pour les entreprises et leur compétitivité et sur lesquels nous avons formulé des commentaires plus élaborés dans notre mémoire.

En premier lieu, la description du champ exclusif de compétence de l'ingénieur fait référence, M. le Président, à la définition du terme «ouvrage», ce qui a pour conséquence d'étendre le champ exclusif des ingénieurs à des actes qui ne leur étaient pas réservés auparavant et, de ce fait, de faire fi de la réalité organisationnelle des entreprises où ces actes sont accomplis par des personnes ayant les compétences nécessaires pour ce faire, qu'elles appartiennent ou non à la profession d'ingénieur. C'est ainsi que, suivant le texte proposé, il serait dorénavant du ressort exclusif de l'ingénieur de vérifier la qualité technique d'un ouvrage, de donner un avis technique relativement à un ouvrage ou d'en attester la conformité aux normes reconnues de construction, de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation, ce qui est très large.

Un autre problème de taille tient au fait que l'article 3 de l'avant-projet de loi transforme en actes exclusifs des actes qui font jusqu'ici simplement partie de l'exercice de la profession d'ingénieur. Encore là, une telle orientation pourrait avoir un impact significatif sur l'organisation du travail dans certaines entreprises.

Les dispositions concernant la surveillance de l'exécution des travaux relatifs à un ouvrage viennent en totale contradiction avec les pratiques courantes dans les entreprises où la surveillance de travaux industriels est déléguée à du personnel en fonction de son expérience et de ses compétences et non pas en fonction de son appartenance à un ordre professionnel, M. le Président. Ainsi, elle peut fort bien être assurée par des techniciens d'expérience qui supervisent de jeunes ingénieurs.

Finalement, sans entrer dans les détails que les intéressés ont pu lire dans notre mémoire, les définitions de «bilan technologique», d'«établissement industriel de génie», de «procédé industriel» et de «système» sont également problématiques.

L'Alliance considère donc que les dispositions proposées auraient un effet préjudiciable non seulement sur la gestion des ressources humaines, mais également sur les coûts des entreprises et, par conséquent, sur leur compétitivité. Ajoutons qu'il s'agit là d'une ingérence pure et simple dans la gestion des entreprises.

En effet, en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, les modifications proposées auraient des effets très concrets sur l'embauche, la supervision, la promotion et l'organisation du travail dans les entreprises. Ainsi, le fait de devoir embaucher obligatoirement des ingénieurs pour assurer des fonctions de contrôle et de supervision des travaux ou encore des fonctions relevant essentiellement du génie d'application imposerait des contraintes à l'entreprise qui devrait ajuster ses critères d'embauche non plus en fonction d'impératifs d'optimisation de la productivité, mais en fonction d'obligations légales. Ce type de situation pourrait se présenter dans les papetières où des spécialistes des pâtes et papiers, non-membres de l'Ordre des ingénieurs, accomplissent actuellement des fonctions qui pourraient dorénavant être réservées aux membres de l'Ordre si l'avant-projet recevait l'aval de l'Assemblée nationale et du gouvernement. De même, dans le secteur de l'aéronautique, secteur en croissance, faut-il le rappeler, au Québec, des ingénieurs possédant une expertise particulière sont recrutés aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Bien qu'ils aient toutes les compétences et les qualifications requises, ces membres ne sont pas membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec nécessairement.

Est-ce à dire, Mmes et MM. les députés, que ces professionnels représentent un danger public? Et pourtant, au nom de la protection du public, les entreprises devront les licencier ou les rétrograder, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l'organisation du travail, le climat de travail et, finalement, la culture de l'entreprise. Au chapitre de la promotion, par exemple à des fonctions de supervision, comment l'entreprise pourra-t-elle écarter des ressources compétentes et expérimentées sur le seul critère de leur non-appartenance à l'Ordre des ingénieurs du Québec? Les membres de l'Ordre des ingénieurs seraient-ils seuls garants de la compétitivité et de l'efficacité des entreprises, M. le Président? En définitive, il ne fait aucun doute que de telles dispositions viennent inférer dans les droits de gérance traditionnellement reconnus aux employeurs et constituent une ingérence dans la gestion des entreprises.

Par ailleurs, pour certains de nos membres, l'application des modifications proposées entraînerait des coûts directs et indirects reliés, premièrement, au recrutement de nouvelles ressources obligatoirement membres de l'Ordre des ingénieurs, à l'intégration et à l'orientation de ces nouvelles ressources, à la rémunération globale des ingénieurs qui risque, dans beaucoup de cas, d'être supérieure à celle des techniciens présentement à notre emploi, à la formation des ingénieurs qui devront, dans certains cas, assumer dorénavant des tâches de surveillance, au licenciement possible de personnes en place qui ne répondraient plus aux exigences de la nouvelle loi.

Qu'en est-il maintenant de l'impact économique de ce projet? Il convient, M. le Président, tout d'abord de rappeler que le présent gouvernement a fait de l'allégement réglementaire et de la déréglementation un de ses chevaux de bataille. Pour concrétiser ses engagements, il a d'ailleurs créé le Secrétariat à la déréglementation et a adopté, le 6 novembre 1996, un décret qui précise notamment les exigences auxquelles doit satisfaire une étude d'impact, suivant une grille d'évaluation en six points. Conformément au processus d'adoption des projets de loi, l'Office des professions du Québec a donc effectué une étude d'impact du projet, laquelle a été soumise pour avis au Secrétariat à la déréglementation.

(14 h 20)

Or, le Secrétariat estime que la nécessité du projet de loi en vue d'une meilleure protection du public n'est pas démontrée, M. le Président. Tout au plus le document met-il en lumière le fait que la loi actuelle ne permette guère à l'Ordre des ingénieurs du Québec de faire respecter ses champs de compétence et de prendre des sanctions contre ses membres lorsque requis. Inutile d'ajouter que nous souscrivons à ces commentaires du Secrétariat, puisque non seulement cette analyse ne réussit pas à établir ni même à convaincre qui que ce soit de l'existence d'une problématique réelle, mais elle ne réussit pas davantage à évaluer quantitativement et qualitativement les effets et les coûts engendrés par les modifications proposées.

Les auteurs de l'analyse reprochent aux entreprises de n'avoir pas été en mesure de fournir une estimation des coûts reliés aux modifications législatives proposées. On ne peut qu'être étonnés, M. le Président, c'est le moins que l'on puisse dire, par une telle remarque. En effet, l'Alliance insiste sur le fait qu'il ne revient pas aux citoyens et aux clientèles de faire la démonstration de l'impact d'un projet de loi sur les entreprises, mais bien aux ministères et organismes qui sont les premiers responsables de l'allégement réglementaire et de la déréglementation.

L'Alliance considère également que l'analyse ne fait qu'effleurer la question des pratiques des principaux concurrents du Québec avec lesquels nous sommes en constante concurrence. Or, ce volet de l'analyse nous apparaît essentiel. Le fondement même de la politique du gouvernement en matière d'allégement réglementaire est en effet d'éviter d'imposer des charges réglementaires et administratives susceptibles de mettre en péril la croissance et la compétitivité et ainsi de favoriser la création d'emplois au Québec. Me permettrai-je de vous rappeler que les objectifs du Sommet de 1976. Bien que la situation de l'emploi se soit améliorée au Québec par rapport à la moyenne canadienne, on n'a pas encore réussi à atteindre et même à dépasser le taux de création d'emplois de la moyenne canadienne.

Dans la foulée, M. le Président, de ces engagements en matière d'allégement réglementaire, le gouvernement a également confié un mandat d'analyse et de réflexion au Groupe conseil sur l'allégement réglementaire présidé par M. Bernard Lemaire. Le groupe s'est notamment penché sur la réglementation du système professionnel québécois et a fait remarquer qu'une bonne partie des professionnels dans différentes disciplines travaillent pour le compte d'administrations publiques ou de grandes sociétés privées. Ces professionnels ont souvent le statut d'employés réguliers de sorte que l'employeur a pu observer leurs réalisations professionnelles. Dans ces conditions, le Groupe conseil voit mal comment un ordre professionnel peut mieux que l'employeur s'assurer de la qualité du travail de ces professionnels et déplore que le concept de la protection du public ne fasse aucune distinction entre les besoins des entreprises et ceux des individus qui recourent aux services des professionnels.

En ce qui concerne plus particulièrement le projet de modifications à la Loi sur les ingénieurs, le Groupe conseil a recommandé au gouvernement que soient retirées du projet de loi les dispositions visant à réserver aux ingénieurs les actes professionnels concernant la conception, la certification, l'inspection et la supervision d'un ouvrage. Cette recommandation rejoint tout à fait les préoccupations de nos membres et de l'Alliance des manufacturiers.

En conclusion, mesdames et messieurs, à la lumière de l'analyse très fouillée que nous avons effectuée et des documents que nous avons pu consulter, notamment l'analyse économique du projet d'amendement réalisé par l'Office des professions, l'avis du Secrétariat à la déréglementation, maintenant connu sous l'appellation «Secrétariat à l'allégement réglementaire», et de même que les observations et recommandations du rapport Lemaire, il apparaît évident pour l'Alliance des manufacturiers que les fondements mêmes du projet sont extrêmement fragiles, M. le Président.

Quant à l'argument de l'Ordre des ingénieurs selon lequel les modifications sont justifiées par l'évolution de la technologie et, par conséquent, de la pratique de l'ingénieur au cours des dernières années, il n'est à nos yeux nullement fondé, puisque la science et la technologie n'ont pas évolué que pour les ingénieurs, mais pour l'ensemble des professions à caractère scientifique. Un tel argument ignore aussi les changements apportés à l'organisation du travail en réponse justement à l'évolution des sciences et de la technologie dans différentes disciplines, de sorte que, pour répondre à des problèmes de plus en plus complexes, les entreprises doivent faire appel dans plusieurs cas à des équipes multidisciplinaires qui ne sont pas nécessairement supervisées par des membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec. Dans ces conditions, nos membres voient mal comment on pourrait être justifié d'étendre le champ de pratique exclusif des ingénieurs à des actes qui ne leur sont pas jusqu'ici réservés et dont les entreprises sont de toute façon juridiquement responsables.

Nous pensons avoir fait la démonstration honnêtement et éloquemment que le projet d'amendement à la Loi sur les ingénieurs imposerait de lourdes contraintes aux entreprises qui nuiraient à leur compétitivité et qu'il constitue une ingérence injustifiable dans leur gestion.

Par ailleurs, il y a consensus de tous les acteurs socioéconomiques sur la nécessité de promouvoir les programmes de formation professionnelle, notamment dans les domaines scientifique et technologique. Cet effort collectif, M. le Président, vise à réduire le chômage des jeunes en les orientant vers des filières de formation qui offrent de réelles perspectives sur le marché du travail. Or, ce n'est certes pas en faisant de certains actes une chasse gardée des membres de l'OIQ qu'on motivera les jeunes à s'engager dans des filières où leur avancement risque de se buter à ce qui ressemble fort au protectionnisme et au corporatisme, M. le Président.

En terminant, l'Alliance est d'avis que ce projet d'amendement fournit au gouvernement une excellente occasion d'avaliser les recommandations du Groupe conseil sur l'allégement réglementaire qu'il a lui-même constitué, à savoir réduire les effets nuisibles de la législation tout en protégeant le public et, en conséquence, distinguer les particuliers qui ont besoin de protection des entreprises dont la responsabilité civile est déjà très bien encadrée légalement. Ce que revendiquent les entreprises, M. le Président, c'est la simple possibilité de mettre la bonne ressource à la bonne place, de préserver la flexibilité de l'organisation du travail, bref de sauvegarder leur droit de gérance.

M. le Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention. Mes collègues et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.

Le Président (M. Boulianne): Alors, la commission vous remercie, M. Ponton, président-directeur général de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec. Alors, nous allons procéder à la période des questions. Mme la ministre, vous avez la parole.

Mme Goupil: M. le Président, de par les commentaires que je viens d'entendre, il est évident que nous pouvons confirmer d'emblée que ce n'est pas facile, le sujet que nous avons abordé ce matin dans le cadre de la commission. Ça explique également toute l'importance que tous ceux et celles qui sont touchés de près ou de loin par cet avant-projet de loi là puissent s'exprimer pour venir nous faire part des problématiques que cela soulève et d'un point de vue différent.

Ceci étant dit, considérant le fait que, M. Ponton, vous nous exprimez que cet avant-projet de loi là, finalement, devrait être retiré d'emblée, vous avez exprimé aussi que ce n'est pas une solution pour répondre aux problèmes que nous vivons sur le terrain. C'est bien ce que je retiens des propos.

Actuellement, à votre humble avis, est-ce que les actes qui sont couverts, tel que ça existe actuellement... Est-ce qu'on pourrait demeurer dans le statu quo? Est-ce que ça serait possible, selon vous, qu'on puisse ne pas aller de l'avant?

Le Président (M. Boulianne): M. Ponton.

M. Ponton (Gérald A.): Oui. Avant d'aller au fond de la question sur les remarques préliminaires, dans sa facture actuelle, nous, on est d'avis que l'avant-projet de loi actuel n'est pas acceptable principalement parce qu'il ne fait pas la distinction entre la protection des individus, des particuliers qui oeuvrent dans notre société comme citoyens et qui peuvent à l'occasion embaucher un ingénieur pour des services professionnels, et les entreprises dont la responsabilité juridique est très encadrée. On a relevé de moult exemples de législation, notamment dans les États américains, les États voisins, où les entreprises sont carrément exemptées de l'application de certaines dispositions de réglementation des ordres professionnels. On aurait souhaité, dans l'analyse d'impact, que ce volet-là soit approfondi, ce qui n'a pas été le cas, et je l'ai déploré dans ma présentation.

Moi, je vous dirais que, pour les entreprises, la façon dont la situation fonctionne actuellement – et je vais demander à M. Huot et à M. Cossette de compléter – rencontre l'aval des entreprises, puisque nous ne réclamons pas du législateur une intervention concernant l'organisation du travail dans nos entreprises. Alors, je ne sais pas, Pierre, si tu veux compléter?

Le Président (M. Boulianne): M. Huot, vous avez la parole.

M. Huot (Pierre): Oui. Ce qui est important lorsqu'on regarde l'avant-projet de loi proposé, c'est que, pour nous, les employeurs, du moins chez Bombardier, on puisse être en mesure de garder une flexibilité d'administration des ressources surtout lorsqu'on constate et lorsqu'on opère dans un marché international où, en fin de compte, les ressources n'ont pas de frontières. Bombardier a pris une décision, il y a de ça bientôt cinq ans environ, de concentrer ses activités de développement, plus particulièrement d'aéronautique, à Montréal. Je crois qu'il est important dans un contexte comme ça que tout projet de loi proposé puisse tenir compte de cette flexibilité-là spécialement lorsqu'on peut comparer des compétiteurs qui vont opérer dans d'autres pays, etc.

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président.

Le Président (M. Boulianne): Oui, M. Ponton.

(14 h 30)

M. Ponton (Gérald A.): Avec votre permission, je demanderais à M. Cossette de compléter du côté de la question de la ministre.

Le Président (M. Boulianne): M. Cossette, vous pouvez compléter.

M. Cossette (Claude): Oui, d'accord. Concernant l'industrie des pâtes et papiers, surtout Cascades, on a, dans l'évolution en tout cas au Québec, développé nos ressources, on a développé une expertise à l'interne. Je regarde une compagnie comme Cascades où on a des gens actuellement qui sont dans des postes clés, qui ont des 25, 30 ans d'expérience, qui ont une connaissance des procédés de pâtes et de machines, et puis ces gens-là, il faudrait les tasser et puis ne plus utiliser cette expertise-là; je pense qu'on commettrait une erreur. Et puis mon inquiétude, mon interrogation que j'ai eue face à ce projet de loi là... Au Québec, le développement régional, le développement du Québec, l'emploi se fait par les PME, et puis ma crainte, c'est qu'on va menotter les entrepreneurs et les gens qui ont de l'ingéniosité et qui ont de l'innovation. Je m'imaginais, en 1964, lorsque Bernard Lemaire a débuté, s'il y avait eu une telle loi, je ne suis pas sûr que Cascades existerait aujourd'hui. Je ne suis pas sûr de ça. Parce que Bernard a défait des machines, il a acheté des machines ailleurs, il les a transférées, il les a déménagées, il a rebâti avec une équipe, avec des jeunes qui étaient avec lui à l'époque, et ils ont mis en place dans différents domaines... on touche à différents secteurs de manufacture, on n'est pas rien que dans les pâtes et papiers, on est dans le plastique, dans la pâte mouillée, et ainsi de suite... Donc, ça m'inquiète, cette partie-là.

Ça fait que, pour nous, c'est sûr que ça a un impact majeur dans notre fonctionnement, dans l'embauche, parce qu'à chaque fois qu'on embauche quelqu'un on regarde la compétence, on regarde l'expertise de la personne et puis on regarde la personnalité: Est-ce que c'est un leader? Est-ce que c'est un futur directeur d'usine? Est-ce que c'est un futur superviseur? Bien, on greffe ces personnes-là à des gens qui sont déjà en place, qui ont une expertise pour les développer.

Le Président (M. Boulianne): Merci. Mme la ministre.

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président.

Le Président (M. Boulianne): Oui, un instant, M. Ponton. Est-ce que vous voulez...

M. Ponton (Gérald A.): En conclusion.

Le Président (M. Boulianne): En conclusion?

Mme Goupil: Allez-y. On est là pour vous entendre.

M. Ponton (Gérald A.): En conclusion à la question de la ministre.

Le Président (M. Boulianne): Alors, allez-y. On vous écoute.

M. Ponton (Gérald A.): Je vous ferais remarquer que la situation actuelle n'a pas empêché le Québec de se hisser parmi les grandes puissances mondiales en aéronautique, d'être la septième juridiction au monde en nombre de techniciens et d'ingénieurs en recherche et développement de toutes sortes et de tout ordre, et je ne pense pas qu'une législation contraignante comme celle qui est soumise à l'examen actuel pourrait donner de mêmes résultats.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup.

Mme Goupil: Je vous remercie, M. Ponton.

Le Président (M. Boulianne): Merci. M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. M. Ponton, dans votre mémoire, vous traitez d'une question dont il a déjà été question ce matin, entre autres la surveillance des travaux. Vous dites, à la page 11 de votre mémoire, qu'«on veut introduire par l'avant-projet de loi la notion de surveillance des travaux par un ingénieur». Puis vous dites: «Cela ne correspond pas à la réalité vécue dans les entreprises.» C'est bien possible que ça soit comme ça, et je pense d'ailleurs que c'est comme ça. Cependant, est-ce que vous ne pensez pas, à ce moment-là, que c'est tout simplement parce que la loi actuelle n'est pas appliquée? Parce que la loi actuelle, la Loi sur les ingénieurs, à l'article 5i, dit que... Ma loi ne doit pas être loin. L'article 5i dit: «Rien dans la présente loi ne doit: empêcher une personne d'exécuter ou surveiller des travaux à titre de propriétaire, d'entrepreneur, de surintendant, de contremaître ou d'inspecteur, quand ces travaux sont exécutés sous l'autorité d'un ingénieur.»

À la lumière de ce qui s'est dit ce matin, je me demande de plus en plus si ce n'est pas ce qui se passe. En fait, la loi n'est pas appliquée. Quand une loi n'est pas appliquée, ça, ça peut présenter bien des problèmes parce qu'il suffit qu'à un moment donné quelqu'un dise: Bien, dorénavant, la loi, on l'applique puis on porte des plaintes. Bien là, excusez l'expression, ça va être le bordel. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est un peu la situation présentement?

Le Président (M. Boulianne): M. Ponton.

M. Ponton (Gérald A.): M. le député, moi, je vous dirais que, si la loi n'est pas appliquée, c'est la preuve qu'on n'en a pas besoin. Aussi simplement que ça. Et je vous dirais même que l'entreprise sur le plan civil a ses propres barèmes de responsabilité. Ce qu'on revendique, M. le député, c'est le choix de déterminer lesquelles de nos ressources sont les plus aptes et compétentes pour superviser les travaux, s'assurer de la bonne exécution des travaux.

À titre d'exemple, que ce soit dans la fabrication des simulateurs de vol, dont Montréal est reconnue pour avoir une des meilleures entreprises au monde dans ce domaine-là, bien, cette entreprise-là revendique le choix de déterminer le professionnel qui, à son avis, est le plus compétent. Il peut venir du Japon, il peut venir de Russie, de l'Allemagne, de l'Angleterre. Elle veut être capable de le choisir, de l'installer aux commandes et de dire: Tu es responsable de valider. Et je ne vois pas comment cette culture de l'entreprise, qui a fait le succès de ces entreprises-là, est compatible avec l'approche que favorise l'Ordre des ingénieurs du Québec dans son avant-projet de loi.

Moi, je vous dirais le plus simplement du monde: Ce qui est important, c'est le résultat. Et je pense que les entreprises, de la façon dont elles sont structurées, encadrées et qu'elles fonctionnent, sont à même de déterminer les situations où elles ont elles-mêmes besoin d'un ingénieur pour superviser des travaux ou d'un autre professionnel pour réaliser des objectifs avec finalement les mêmes résultats. Parce que c'est elle, l'entreprise, qui est responsable. Et je ne pense pas qu'une certification de l'Ordre des ingénieurs ajoute quoi que ce soit à la responsabilité civile et professionnelle de l'entreprise. Je ne sais pas si Francine aurait des commentaires sur l'article du projet de loi.

Mme Mercure (Francine): Oui. J'aurais une précision justement en relation avec l'article 5i de la loi actuelle. En fait, effectivement, il précise que rien dans la présente loi ne peut empêcher une personne d'exécuter ou de surveiller des travaux. C'est ce qui est prévu actuellement. Maintenant, l'avant-projet de loi, tel que proposé, propose l'abrogation de cet article 5i, ce qui fait que le fait que des personnes puissent surveiller des travaux ne sera plus possible en vertu de la nouvelle proposition. C'est ce qui est proposé, on propose l'abrogation de l'alinéa i de l'article 5.

Ce qui est proposé en contrepartie, ce qu'on y ajoute, en fait, c'est l'article 2c qui prévoit d'inclure dans les actes exclusifs: «surveiller l'exécution des travaux afférents à un ouvrage, concevoir des directives de surveillance et des directives d'inspection.» Ce qui fait que ces actes-là seront dorénavant des actes exclusifs à l'exercice de la profession d'un ingénieur. Et, effectivement, ça ne répond pas du tout... Ce que les entreprises nous disent, c'est que ça ne répond pas du tout à la réalité organisationnelle des entreprises, c'est-à-dire que, dans les faits, dépendant évidemment du secteur d'activité économique des entreprises, la ressource compétente qui va effectuer la surveillance et l'exécution des travaux ne sera pas nécessairement un ingénieur. Et c'est ce qui est proposé par l'avant-projet de loi, que ce soit fait exclusivement par un ingénieur.

Le Président (M. Boulianne): Merci, Mme Mercure.

M. Jutras: C'est-à-dire que ce qui est proposé, on propose d'abroger l'article 5i, c'est vrai. Cependant, il y a de nouvelles dispositions dans l'avant-projet de loi, à l'article 4.1, qui ramènent la notion de surveillance, là.

Mme Mercure (Francine): Oui. Alors, sur cet article...

M. Jutras: Alors, ce n'est pas vrai que ça disparaît complètement. Mais cependant, moi, je reste quand même sur ce point-là. Vous avez raison, M. Ponton, quand vous dites: Bien, si la loi ne trouve pas son application dans la vie de tous les jours, on peut se poser la question: Bien, est-ce que ce n'est pas superflu que ce soit là? Par ailleurs, je comprends de votre discours que le statu quo vous satisfait.

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président.

Le Président (M. Boulianne): Oui, M. Ponton.

M. Ponton (Gérald A.): En autant que nous sommes concernés, oui. Encore une fois, nous ne sommes pas les seuls à le dire: le rapport du groupe-conseil de M. Lemaire est très clair, éloquent sur le sujet, il formule lui-même la même recommandation; les conclusions de l'étude de l'Office des professions s'interrogent sur la pertinence d'élargir l'étendue des actes réservés aux ingénieurs pour supposément adresser davantage la sécurité et la protection du public. Alors, on n'est pas les seuls. Il y a à peu près uniquement l'Ordre des ingénieurs qui pense que c'est une bonne approche. Alors, nous, on ne partage pas cette opinion-là. On a eu des discussions avec l'Ordre depuis au moins deux ans et on n'a pas encore changé d'avis, et on n'a pas l'intention non plus de changer d'avis.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Bien, il ne reste plus beaucoup de temps. Je vais demander à Mme la ministre, puis on reviendra, si on le peut. Alors, Mme la ministre.

Mme Goupil: Moi, je vous dirais, M. Ponton, avec tout le respect pour le rapport que vous nous présentez, que ça m'inquiète un peu quand j'entends que finalement une loi, on n'en a pas besoin, puis finalement on ne l'utilise pas et on ne la respecte pas. Alors, quelle garantie aurons-nous que d'autres lois, qui doivent également être respectées au niveau de la santé, au niveau de la sécurité au travail et tout ça... Quand vous dites: On n'en a pas besoin, ça m'inquiète, ça, là.

M. Ponton (Gérald A.): Moi, je vous dirais, Mme la ministre, que ce que j'ai donné dans ma réponse, ce n'est pas qu'on ne respecte pas la loi; au contraire, les entreprises respectent les lois au Québec. Sauf que la loi actuelle, dans la façon dont elle est rédigée, ne donne pas aux ingénieurs un acte exclusif dans l'exemple qui a été mentionné, et ça, on est d'accord avec ça parce qu'on s'estime capable, comme entreprise, de choisir les bons professionnels, incluant les ingénieurs dont nous avons besoin pour nous assurer de la bonne exécution des travaux à l'intérieur de l'entreprise.

(14 h 40)

Alors, il y a dans la loi actuelle une souplesse qu'on ne retrouve pas dans l'avant-projet de loi qu'on vous propose ou que le gouvernement propose. Et c'est là-dessus que, moi, je prétends que la situation actuelle rencontre les objectifs des entreprises, parce qu'on a la flexibilité d'engager un ingénieur ou non, dépendant des objectifs que l'on poursuit. Mais loin de moi l'idée de penser que les entreprises ne respectent pas les lois, bien au contraire, sauf que la façon dont la loi est faite actuellement, je pense qu'elle répond bien à une situation de fait où l'entreprise a la flexibilité de déterminer les cas où elle a besoin d'un ingénieur ou pas. Et c'est à ce niveau-là qu'on est satisfait de la loi actuelle, pas dans le fait qu'on n'applique pas une loi et qu'on transgresse une législation, Mme la ministre, bien au contraire.

Mme Goupil: C'est ça. O.K. Et lorsque vous parlez que l'entreprise doit avoir la liberté de choisir finalement avec quels partenaires elle veut faire affaire, vous tracez la ligne comment? Quels sont vos critères? Vous vous guidez sur quelle loi ou sur quel argument, sur quels critères pour dire: On a besoin d'un ingénieur ou on n'en a pas besoin, ou un technologue, ou tout autre? Comment vous faites pour tirer la ligne?

M. Ponton (Gérald A.): Je demanderais à mes collègues de répondre à cette question très, très technique. Sauf que je vous dirais qu'au-delà de la législation provinciale envisagée il y a des normes internationales qu'on doit respecter. Si vous voulez faire voler un avion ou certifier un moteur qui équipe les mêmes avions, vous avez beaucoup de normes fédérales, de Transport Canada, vous avez des normes américaines, de la FAA, et vous devez satisfaire des certifications mondiales. Alors, le consommateur n'est pas dépourvu de sécurité et ce volet-là de l'ensemble des activités est complètement absent des analyses d'impact qu'on aurait souhaitées beaucoup plus complètes face à l'avant-projet.

Mais je vais laisser à MM. Huot et Cossette le soin de répondre comment les entreprises font pour tracer la ligne.

Le Président (M. Boulianne): M. Huot, vous avez la parole.

M. Huot (Pierre): Lorsqu'on regarde de plus en plus les entreprises, que ça soit au Québec, au Canada, au États-Unis, au lieu de privilégier des descriptions de tâche formelles, elles vont faire appel beaucoup plus à des banques de compétences, vont faire appel beaucoup plus à des équipes multidisciplinaires. Et de plus en plus, lorsque vient le temps de développer des produits, diverses ressources de divers milieux – que ce soit au niveau de la qualité, que ce soit au niveau des méthodes de travail, que ce soit au niveau des méthodes d'assemblage – elles vont participer au développement.

Et récemment, je dirais au mois de juin, on a eu un grand succès avec le premier vol de notre avion 700, qui est maintenant allé faire des tests de certification à Wichita. Et lorsque je regarde le fonctionnement des équipes qui ont travaillé au-dessus de deux, trois ans à développer cet avion-là, ce sont vraiment des équipes multidisciplinaires.

Le Président (M. Boulianne): M. Cossette, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Cossette (Claude): Oui, s'il vous plaît. Je vais prendre un poste, par exemple, dans un procédé où on a un superviseur de production. Bien, la personne qui va être choisie pour faire ce rôle-là, ça peut être aussi bien un ingénieur, un technicien ou un employé qui a commencé à la base et qui a démontré des capacités d'apprentissage énormes et puis qui est un bon leader aussi au niveau des humains. Donc, on embauche, on choisit les personnes, on fait évoluer les gens selon le champ d'expertise qu'ils ont.

Dans le domaine des pâtes et papiers, le fait qu'il n'y a pas de formation d'ingénieur, par exemple, papetier – il y a des options maîtrise ou une troisième année, mais il n'existe pas d'ingénieurs papetiers – on embauche des ingénieurs, par exemple, en génie chimique pour le procédé ou des ingénieurs chimiques pour la qualité, on va embaucher des ingénieurs mécaniques au niveau des projets, on va embaucher des ingénieurs électriques au niveau des projets, mais on embauche les gens en fonction de leur champ d'expertise, pas parce qu'ils font partie de l'Ordre, ce n'est pas un critère, pour nous.

Le critère, c'est: Est-ce que c'est une personne qui a telle compétence, qui a tel profil de personnalité? Est-ce qu'on peut la développer, est-ce que ça va devenir un leader à l'intérieur de l'entreprise? On mise beaucoup sur les jeunes. Donc, le choix qu'on fait va au-delà de leur champ d'expertise ou d'apprentissage qu'ils ont eu au niveau de l'université et on les développe en les greffant à des personnes qui sont dans le champ actuellement, qui ont de l'expertise, puis ce n'est pas nécessairement des ingénieurs, ça peut être des gens, comme je le mentionnais tantôt, qui ont 25, 30 ans, 35 ans. On a un type qui a commencé avec Bernard, il a 35 ans d'expérience. Ce type-là, il avait 18 ans, il ne connaissait absolument rien de la mécanique. Bien, cette personne-là, aujourd'hui, rentre dans une usine, peut diagnostiquer un problème en écoutant un son. Ça fait qu'on n'apprend pas ça à l'école, on apprend ça dans le champ.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Vous avez une minute, Mme la ministre, pour conclure ou pour...

Mme Goupil: Non, ça va aller.

Le Président (M. Boulianne): Ça va aller?

Mme Goupil: Je la garderai pour tout à l'heure.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Alors, je demanderais au critique de l'opposition officielle, le député de D'Arcy-McGee, de prendre la parole.

M. Bergman: Merci, M. le Président. M. Ponton, dans la question de la compétitivité des entreprises, il y a ceux qui disent que les actes exclusifs qui sont donnés maintenant par l'avant-projet aux ingénieurs et l'absence des exceptions réelles vont affecter certainement la compétitivité des entreprises et la création des emplois. Alors, j'aimerais avoir vos commentaires généraux sur ça. Mais aussi, il y a ceux qui disent que le champ de pratique des ingénieurs étant plus étendu que celui des Américains, par conséquent, l'application de la loi donnera un avantage concurrentiel à des entreprises dont les services techniques sont à l'extérieur du Québec. J'aimerais vos commentaires sur cette question et l'effet que l'avant-projet peut avoir sur les PME au Québec en leur imposant une vision complète de leurs opérations, les coûts additionnels, les charges réglementaires.

M. Ponton (Gérald A.): M. le député, sur la question de la compétitivité et des coûts, je vais demander – pas tout de suite, là – à M. Cossette de répondre à cette section-là de la question. Mais, concernant les avantages avec les juridictions concurrentes avec lesquelles le Québec est en concurrence – l'Ontario, les États-Unis – bon, prenez l'exemple, dans l'automobile, où, je ne sais pas, moi, ce qu'on appelle aux États-Unis un ingénieur dans un domaine, en développement d'un projet ou d'un procédé industriel, vient à Montréal, pour ne pas dire à Boisbriand – sans nommer l'entreprise, il y en a maintenant deux, là, une dans les camions, l'autre, dans les autos, ça fait qu'on garde l'anonymat, c'est très bien – pour travailler un projet de développement. Alors, cette personne-là, si elle n'est pas membre de l'Ordre des ingénieurs, va avoir des problèmes à réaliser le mandat que l'entreprise veut lui confier; simplement à cause de ça. Et ça, encore une fois, je pense que c'est mauvais pour favoriser le développement, puis la conception, puis les projets de développement au Québec. C'est ce que les entreprises nous disent.

Parce que les entreprises comparent avec les juridictions concurrentes où est-ce que c'est le plus simple, le plus facilitateur. Et honnêtement, si on a des contraintes qu'on ne retrouve pas chez notre concurrent... Et je vous ferais remarquer que, dans ce cas-là, on n'a pas de contraintes similaires dans les États américains parce que les entreprises – je vous l'ai indiqué – jouissent d'exemptions face aux lois applicables dans la plupart des juridictions américaines que, moi, je connais et qu'on a relevées en préparation de cette présentation, aujourd'hui. Alors, définitivement, au niveau de la conception, si c'est plus compliqué au Québec de faire de la conception, les entreprises vont la faire dans une juridiction où c'est moins compliqué.

En ce qui concerne l'impact sur les PME, bien, il est évident qu'au niveau des coûts, si une entreprise doit embaucher un ingénieur – souvent, c'est une bonne chose qu'une PME embauche un ingénieur – il faut que l'entreprise soit convaincue de la nécessité de l'embaucher pour faire une bonne équipe. Et quand on a une loi qui nous dit: Tu n'as pas d'autre choix que d'engager un ingénieur, si tu veux travailler avec une autre personne qui est dans ton entreprise, bien, ça va créer des contraintes pour l'ensemble de nos PME au Québec, et je ne pense pas que ça soit une bonne façon de favoriser. J'ai déjà entendu des représentants de l'Ordre dire: Ça va augmenter le nombre d'ingénieurs dans les PME. Moi, je ne suis pas convaincu qu'une loi va permettre aux PME d'embaucher plus d'ingénieurs. Au contraire, c'est plus par des programmes d'allégements fiscaux, de formation, que, à mon avis, l'intégration d'un plus grand nombre d'ingénieurs dans les entreprises – ce que je souhaite personnellement et comme président de l'Alliance des manufacturiers, soit dit en passant, parce que c'est des gens très compétents – c'est par des leviers fiscaux que cette intégration-là va se faire davantage que par une loi qui dit que tu n'as pas d'autre choix que de faire affaire avec un ingénieur, bien honnêtement et bien candidement.

Sur la question des coûts, bien, je vais demander à M. Cossette de répondre à ce volet-là, M. le député.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. Ponton. M. Cossette, vous avez la parole.

M. Cossette (Claude): Si vous le permettez, M. le Président, M. le député, le fait que demain on va présenter un mémoire pour Cascades, on va vous brosser à ce moment-là le portrait des coûts que ça va avoir, le coût et l'impact financier, sur Cascades au Québec. Je reporterais la question à demain, je ne veux pas parler de choses qui vont se discuter demain, si vous le permettez.

Le Président (M. Boulianne): Oui. Alors, c'est bien. Madame...

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président, il y aurait Me Mercure qui aurait peut-être un point à ajouter.

Le Président (M. Boulianne): Oui. Merci, M. Ponton. Mme Mercure.

(14 h 50)

Mme Mercure (Francine): Oui. Alors, c'est sur la question des juridictions concurrentes dont on a fait mention. Écoutez, la problématique essentielle en regard des juridictions concurrentes est reliée à l'exclusivité des fonctions, des actes posés par les ingénieurs. Et, en cela, vous me permettrez peut-être un petit peu de revenir sur la préoccupation de Mme la ministre à l'effet de se demander: Est-ce que le statu quo ou la solution actuelle est préférable à une modification ou aux modifications présentées par l'avant-projet de loi? Et cette question-là rejoint en ce sens que la problématique qu'on vit, tant sur les juridictions concurrentes que sur la question du statu quo, la problématique qui revient tout le temps, c'est la problématique de l'exclusivité des fonctions. Et c'est dans ce sens-là que les réponses se rejoignent.

La question qui est posée, à l'effet: Est-ce qu'on est mieux de vivre dans la situation actuelle ou de modifier le texte de loi?, on peut y répondre de cette façon-ci. Alors, les actes exclusifs qui sont réservés à la profession d'ingénieur dans le texte actuel de la loi sont décrits à l'article 3 de la loi. Ce que le mémoire de l'Ordre des ingénieurs vous soumet, c'est que ces actes-là, qui sont exclusifs, ne correspondent plus à la réalité de la pratique des ingénieurs et que la description qui y est faite est assez laconique et, bon, ne représente pas la pratique qui a évolué au cours des années.

Et là, ce qu'on nous dit, c'est: Est-ce qu'on est mieux de vivre avec ça ou de modifier le texte tel qu'il est proposé? À cela je vous répondrai qu'on part d'une situation où le texte de loi est peut-être soit très laconique et très peu descriptif, mais ce qu'on nous propose dans l'avant-projet de loi, c'est carrément, si vous me passez l'expression que j'ai entendue un petit peu avant, c'est de passer la charrue puis d'élargir à un niveau extrême la juridiction exclusive des ingénieurs. Et c'est là où le bât blesse, en fait.

La problématique relève du fait qu'on part d'une situation qui est peut-être peu descriptive à une situation qui est absolument très large, très inclusive et très exclusive. Et c'est là que se situe la problématique. Et c'est dans ce sens-là que le texte de loi tel qu'il est proposé actuellement n'est pas acceptable pour les entreprises. Pourquoi? Parce que la situation des sciences et de la technologie, comme on le mentionnait, n'a pas évolué seulement pour les ingénieurs mais pour l'ensemble des professions. Il est vrai que si le texte ne correspond plus à la réalité et que l'Ordre des ingénieurs travaille sur ce dossier-là depuis 10, 15 ans, c'est vrai, effectivement, qu'il y a probablement des améliorations à y apporter, mais je crois sincèrement qu'il va falloir remettre le travail sur le métier, en fait, pour revoir les actes qui sont exclusifs.

Et c'est là où ça revient à la question de M. le député sur la question des juridictions concurrentes. Et la problématique est reliée, comme je vous disais, tout simplement à l'article 2 qui définit des actes exclusifs qui, de droit nouveau... C'est un article qui est nouveau dans la loi, qui jamais ne décrit autant d'actes exclusifs dans la loi... qui n'étaient pas décrits dans la loi actuelle, donc un article de droit nouveau qui est extrêmement inclusif et qui a pour effet, à notre avis, d'empiéter, en fait, sur les actes professionnels qui peuvent être posés par d'autres professionnels de la science et de la technologie, qui a pour effet d'avoir un impact important sur l'organisation, l'embauche, l'impact au niveau de l'organisation du travail des entreprises. Donc, c'est un des impacts au niveau de l'organisation, l'impact aussi également au niveau des coûts dont on a parlé. Et on peut se questionner donc sur l'aspect des coûts et la compétitivité des entreprises aussi en regardant les juridictions concurrentes. J'y arrive.

Évidemment, ce n'était pas le mandat. Il n'y a pas dans le mémoire une analyse exhaustive des juridictions concurrentes, mais vous retrouvez nos remarques là-dessus aux pages 19 et 20 du mémoire où on dit, en fait, que, si on se compare avec les États américains, l'État de Caroline du Nord, mais plus près de nous, en tout cas, le Massachusetts, l'État de New York et du Vermont, qui prévoient, eux, des exceptions au champ de pratique exclusif. Il n'y a aucune exception dans le projet de loi tel que proposé, l'avant-projet de loi, qui prévoit des exclusions au champ de pratique exclusif des ingénieurs. Donc, si on compare à nos concurrents limitrophes américains, eux, ils en ont, des exceptions. Si on compare aussi à nos concurrents canadiens, l'Alberta et l'Ontario également prévoient des exceptions donc aux champ de pratique exclusif des ingénieurs. Alors, tout est là. La problématique est le champ exclusif, l'élargissement indu, à notre avis, du champ de pratique exclusif des ingénieurs.

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président, si vous permettez, il serait intéressant pour la suite des choses, en tous les cas, que l'étude d'impact soit complétée parce qu'il y a des trous béants, entre autres, sur les coûts. On vous dit que demain on va vous en brosser un tableau. Je pense que ça va beaucoup intéresser les membres de la commission des institutions, mais il y a aussi tout le volet de la concurrence des juridictions. Ce n'est pas facile parce qu'aux États-Unis, les ingénieurs qu'on invite au Canada, ils changent de nom quand ils rentent au Québec pour ne pas être en contradiction avec l'Ordre qui prévoit que le terme «ingénieur» au Québec est exclusif aux membres de l'Ordre. Il y a des situations, là, très, très conflictuelles. Et ce n'est pas simple et il n'y a pas d'équivalent dans le projet de loi qu'on a aujourd'hui en Amérique du Nord.

Le Président (M. Boulianne): Un instant, M. Ponton.

Mme Goupil: Si vous me permettez une précision, là, vous êtes en train de nous dire qu'actuellement il y a des gens qui vont changer de nom parce que la complexité ici, notre réglementation est à ce point... Est-ce que c'est ce que vous venez de dire?

M. Ponton (Gérald A.): Il y a des fonctions, Mme la ministre, qui ne portent pas le nom d'ingénieur pour ne pas créer... Aux États-Unis, ce n'est pas réglementé de la même façon que chez nous, au Québec. Et, quand ils viennent chez nous travailler, bien, on ne les appelle plus ingénieurs parce qu'ils ne sont pas... comme on ne peut pas appeler maître ou avocat quelqu'un qui n'est pas membre de l'ordre du Barreau du Québec. Alors, dans le domaine de l'ingénierie, il y a des fonctions où les titres ne sont pas les mêmes au Québec qu'aux États-Unis ou dans les provinces canadiennes parce qu'on n'a pas de législation équivalente à celle que l'on a actuellement avec l'Ordre des ingénieurs.

Mme Goupil: Lorsqu'on a un titre, habituellement il y a une formation qui est rattachée à tout cela. Est-ce que c'est le même type de formation?

M. Ponton (Gérald A.): Pas nécessairement.

Mme Goupil: Non.

M. Ponton (Gérald A.): C'est pour ça que je vous dis que j'aurais souhaité que l'étude d'impact soit beaucoup plus complète que ce qui a été réalisé jusqu'à maintenant, parce qu'une association patronale comme la nôtre n'a pas les moyens financiers pour produire tous les documents. Et, à mon avis, en tout cas, il appartient au ministère concerné d'effectuer les études d'impact les plus complètes pour justement évaluer la pertinence d'un projet de loi avant d'aller de l'avant. Et ça, malheureusement l'étude d'impact est très silencieuse sur ce sujet-là et sur la question des coûts.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. M. le député de D'Arcy-McGee, oui, continuez, s'il vous plaît.

M. Bergman: M. Ponton, il y a ceux qui disent que la gérance de la main-d'oeuvre est par tradition réservée aux employeurs et, avec le projet de loi, l'avant-projet de loi, l'employeur va manquer de souplesse, va manquer de mobilité des ressources humaines. Et il y en a d'autres qui disent que le projet de loi permet aux employeurs de maintenir cette gérance de main-d'oeuvre à cause des dispositions facilitantes, les articles 4 et 5. C'est quoi votre impression sur la question de main-d'oeuvre?

M. Ponton (Gérald A.): Définitivement, si le projet de loi devait recevoir l'aval de l'Assemblée nationale, il changerait le processus de fonctionnement dans les entreprises où des ingénieurs membres de l'Ordre se verraient reconnus des actes exclusifs. Et c'est là que le projet de loi cause problème chez les entreprises parce que, sans loi contraignante, M. le Président, M. le député, Mme la ministre, il y a des entreprises qui ont choisi d'embaucher uniquement des ingénieurs; et je pourrais vous en nommer, il y en a plusieurs. Il y en a d'autres qui préfèrent avoir une plus grande flexibilité parce que, la façon dont elles travaillent, avec des équipes multidisciplinaires, fait en sorte qu'elles ont des procédés de fonctionnement qui sont différents, où elles veulent choisir pas nécessairement un membre de l'Ordre des ingénieurs pour superviser des travaux ou réaliser un procédé industriel.

Et on pense qu'avec l'avant-projet de loi dans sa facture actuelle on va perdre la souplesse, la flexibilité de gérer nos procédés internes, l'allocation de nos ressources, comme l'entreprise souhaite le faire. Je vous ferai remarquer que les activités de l'entreprise sont très encadrées sur le plan juridique: 10.53 du Code civil. Je ne connais pas le nouveau numéro du nouveau code. L'entreprise est responsable de ce qu'elle produit. Il y a des procédés qui existent actuellement, il y a des normes internationales qui existent également, et la société n'est pas démunie face à certains produits qui sont utilisés par le public, que ça soit dans l'aéronautique, que ça soit dans les chemins de fer, dans les métros, que ça soit dans l'installation de réseaux d'aqueduc ou même de gaz naturel. Bon. Alors, ce choix-là que les entreprises font, il m'apparaît important de le respecter. Et c'est là-dessus qu'on trouve que le projet de loi manque essentiellement, c'est en réservant le caractère exclusif. Et on pense que des exceptions devraient être intégrées pour les entreprises.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. Ponton. M. le député de Verdun. M. le député de D'Arcy-McGee, vous avez terminé?

(15 heures)

M. Gautrin: Merci, M. le Président. D'emblée, je dois dire que je suis d'accord avec vous sur le principe qu'il faut assouplir toute réglementation et que souvent les réglementations sont un frein à la stratégie de développement économique.

J'aurais deux demandes à vous faire, et après j'aurai une question. La première demande: Si vous pouviez – malheureusement, on ne l'a pas fait de notre côté – nous transmettre les informations sur les textes de loi des États de Caroline du Nord, du Massachusetts, New York et Vermont, il me semble que ça serait important pour le travail de la commission. Je ne dis pas que vous vous substituez à faire pour nous le travail de législation comparée mais, à mon sens, la manière dont ils ont... Ce qui nous importe, vous comprenez, nous, on est des législateurs, ici, à un moment, on doit tomber sur un texte: comment ils ont réussi à exclure les entreprises de la portée d'une loi générale.

Deuxième demande, et, pour moi, elle est importante dans le débat que je fais: Est-ce que vous pourriez transmettre à la commission des exemples concrets d'équipes multidisciplinaires qui ont connu des succès – je sais qu'il y en a chez Bombardier, je les connais, mais j'aimerais... – qui sont dirigées par un non-ingénieur et qui impliquaient des ingénieurs à l'intérieur? Je pense que, pour le travail de la commission, ça serait important qu'on ait des exemples concrets, de dire: Ça s'est passé différemment à certains moments.

Mes questions, maintenant, sont de deux natures. Une fois que j'ai fait mes deux demandes – là, j'espère que je ne suis pas... – j'ai deux questions. Vous n'êtes pas intervenus du tout sur le maintien de l'article 19. L'article 19, c'est celui qui permet à l'Ordre des ingénieurs de donner des droits de pratique temporaires et qui permet donc à des entreprises comme Bombardier, par exemple, ou comme Cascades – parce que je vous prends tous les deux, vous êtes là, ici – de faire venir un professionnel d'Alberta, ou du Massachussetts, ou de Caroline, ou de je ne sais où et de pouvoir travailler en ayant ici un permis de pratique à condition temporaire. Il disparaît de la loi. Est-ce que c'est quelque chose qui ne vous pose pas de problème? Vous prédécesseurs, qui ont témoigné devant nous, qui étaient les représentants des ingénieurs-conseils, ont soulevé la difficulté que ça pouvait poser. Ça, c'est ma première question.

Ma deuxième question: Pour résoudre vos interrogations, un renforcement de l'article 5 qui exclurait en quelque sorte dans l'article 5 – et on pourrait même inclure les entreprises manufacturières dans l'article 5 – en disant: Nonobstant ce qui a été donné dans 2 et 3, dans l'article 5, rien n'empêche les dirigeants d'entreprise de pouvoir gérer leur entreprise, les informaticiens de faire leur travail, etc., est-ce que ça serait une piste qui serait intéressante à poursuivre pour les législateurs? Donc, deux demandes et deux questions.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député de Verdun. M. Ponton.

M. Ponton (Gérald A.): M. le Président, en ce qui concerne vos deux demandes documentaires, il va nous faire plaisir de vous les faire parvenir, et je pense que M. Huot...

M. Gautrin: C'est à la commission, je pense, hein?

M. Ponton (Gérald A.): À la commission, à la présidence. Et M. Huot va nous fournir des cas d'équipes multidisciplinaires de la nature de celles que vous indiquez. Et je crois comprendre que, du côté de Cascades, il va en être question demain également.

M. Gautrin: Parfait.

M. Ponton (Gérald A.): Alors, je pense que, là, vous allez avoir d'une entreprise des réponses très, très, très précises à votre question.

En ce qui concerne les autorisations temporaires, c'est bien évident que le fait qu'elles disparaissent du projet de loi, ça contribue à la problématique que l'Alliance dénonce principalement dans son mémoire, parce que, je vous dirais, il y a des conceptions de projets qui, malheureusement, au lieu de se faire au Québec, peuvent se faire dans d'autres juridictions parce que d'autres juridictions n'ont pas cette complication additionnelle qu'on retrouverait, et qu'on va retrouver dans l'avant-projet de loi, s'il est avalisé. Et les autres juridictions, comme je l'ai mentionné tantôt, ont prévu des exceptions pour les entreprises. Et je pense que, dans la mesure où le projet de loi pourrait prévoir des exceptions et que ça le bonifierait au point qu'il pourrait être acceptable à l'Alliance des manufacturiers... Parce que c'est le principal point.

Et je ne veux pas reprendre les propos de la ministre, au début, qui disait: Ce n'est pas une commission parlementaire où on examine article par article les projets, on regarde vraiment l'ensemble. Et, moi, je vous dirais que l'ensemble du projet, ça serait d'intégrer des exceptions pour les entreprises qui réalisent des procédés industriels et qui n'offrent pas, comme les ingénieurs, des services au public. Et, dans ce cadre-là, ce serait une approche, à nous, beaucoup plus structurante et intéressante que les autorisations temporaires du défunt article 19. Mais c'est bien évident que, sans exceptions que nous demandons et sans autorisations temporaires de pratiquer au Québec, le projet de loi va être négatif pour le développement des procédés industriels dans toutes nos usines dans la province de Québec.

M. Gautrin: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Boulianne): Merci. Alors, M. le député de Saint-Laurent, vous avez une minute.

M. Dupuis: Sur le même sujet, M. Ponton, j'ai compris que vous aviez eu des contacts avec l'Ordre des ingénieurs, j'ai compris que vous avez des discussions. Je suis persuadé d'ailleurs que vous essayez de trouver des terrains d'entente sur un certain nombre de sujets, je souhaite que vous y arriviez. Et, sur ce point-là précis des exceptions possibles qui pourraient être incluses dans la loi, est-ce que vous avez eu des discussions? Et, si oui, est-ce que je dois comprendre que votre présence aujourd'hui est, en fait, une indication qu'il y a eu une fin de non-recevoir de la part de l'Ordre des ingénieurs?

M. Ponton (Gérald A.): Avec l'Ordre, nous avons eu un groupe de travail qui s'est réuni pendant six mois, où on a bonifié certains éléments du projet, qui est devenu acceptable. Pour être très franc, certaines grandes entreprises au Québec sont surtout implantées dans le secteur des ressources naturelles. Mais on a essuyé une fin de non-recevoir de l'Ordre à une demande d'exception pour les entreprises. Et ça, ça explique en grande partie la raison pour laquelle on doit venir vous dire aujourd'hui que l'avant-projet de loi, dans sa facture actuelle, n'est pas acceptable pour les entreprises à l'Alliance des manufacturiers du Québec, qui, contrairement à l'importance des entreprises qui nous accompagnent aujourd'hui, Cascades et Bombardier, compte également au moins une grande majorité de PME mais qui ont en moyenne 40 à 50 employés et plus. Alors, il n'y a pas uniquement les grandes entreprises, à l'Alliance, il y a aussi énormément de PME. Et ce projet de loi là non plus, face aux PME, ne rencontre pas leur assentiment.

M. Dupuis: Je vais...

Le Président (M. Boulianne): Très rapidement, M. le député.

M. Dupuis: ...vous poser une question d'intérêt égoïste, comme député de Saint-Laurent. Est-ce que Bombardier est impliquée dans ces discussions-là avec l'Ordre des ingénieurs et est-ce que vous avez essuyé cette fin de non-recevoir?

Une voix: Nous avons toujours des discussions présentement avec l'Ordre des ingénieurs.

M. Dupuis: ...

Une voix: On pourrait être en mesure de commenter un petit peu plus tard là-dessus.

M. Dupuis: Donnez-moi des nouvelles.

Une voix: Ça va me faire plaisir.

M. Dupuis: Tenez-moi au courant.

Le Président (M. Boulianne): M. Ponton, je m'excuse, oui, je vais vous permettre de conclure tout à l'heure. Il restait une minute et demie à la ministre, si elle veut faire un commentaire sur ça. Il y avait une question, je pense. Puis, après ça, je vous permettrai de conclure, M. Ponton.

Mme Goupil: D'abord, M. le Président, vous savez, ça nous demande beaucoup d'attention, puis on suit ça avec beaucoup d'intérêt. Même si parfois on se parle, parce qu'on pose des questions, on suit avec beaucoup d'intérêt tous les propos que vous tenez, puis, en même temps, ça soulève des questions fort importantes.

Lorsque vous mentionnez que vous souhaiteriez que l'étude d'impact soit complétée pour les coûts, et tout ça, et que vous avez dit... Et je prends vos paroles, et ça, ça m'insécure au plus haut point lorsque vous dites que l'association des entreprises n'a pas les moyens financiers pour le faire, alors que finalement, nous, on les aurait. Vous connaissez, vous qui êtes un homme d'affaires aguerri, la situation financière, les moyens limités que nous avons, avec des intentions qui sont fort louables. Ceci étant dit, ça ne veut pas dire que c'est quelque chose qui ne soit pas possible, mais il reste quand même, je pense, qu'il faut remettre un peu les pendules à l'heure, en termes de capacité financière.

Ce qui m'amène aussi à vous dire que ma compréhension est à l'effet que l'entreprise voudrait avoir la liberté de pouvoir travailler avec les gens qui, de par les besoins de son entreprise, soient à même de la qualifier, mais en même temps, vous comprenez aussi qu'il y a un encadrement qui trace la ligne, et, lorsqu'il y a quelqu'un qui est membre d'un ordre professionnel, ça assure à la population une sécurité si, à un moment donné, il y a quelqu'un qui commet un geste ou qui pose un geste qui met en péril la sécurité du public. Alors, je vous demande à vous: Qu'est-ce que vous faites actuellement justement pour vous assurer que l'on respecte le sens même de la loi? Parce que, dans le texte de loi, tel qu'il existe actuellement – ça n'a pas été écrit pour rien – il y a quand même des balises. Alors, comment, vous, vous vous assurez que les travaux sont faits en respectant l'esprit de la loi puis tout en assurant la protection du public?

Le Président (M. Boulianne): Merci, Mme la ministre. Alors, M. Ponton, la réponse sera la conclusion.

M. Ponton (Gérald A.): Je vous dirais, Mme la ministre, que les entreprises sont responsables civilement et, dans beaucoup de cas, elles embauchent des ingénieurs. Mais il y a aussi des cas où elles évaluent qu'un autre spécialiste dans une autre discipline est le plus habilité à réaliser une modification au procédé industriel, avec lequel les ingénieurs sont appelés à collaborer et à participer. Alors, ça se fait en équipe multidisciplinaire. Ça peut être dans plusieurs pays à la fois. Et ça se fait souvent par nouveaux moyens de communication modernes, à distance. Mais ça ne veut pas dire, encore une fois, que les entreprises n'ont pas la conscience de réaliser des produits qui soient sécuritaires pour le public. Les entreprises font subir des tests à leurs produits, que ce soit dans l'aéronautique, le matériel de transport.

(15 h 10)

Mais le projet de loi va très loin, parce que, lorsqu'on parle du transport des personnes, à titre d'exemple, les patins à roues alignées, ça sert à transporter une personne, et on devrait obligatoirement embaucher un ingénieur pour ce type de produit. Les skis de fond, à titre d'exemple. Je prends des exemples un petit peu exagérés, là. C'est pour faire comprendre que le projet de loi, dans sa facture, va trop loin. Qu'il soit circonscrit à des ouvrages de nature route, pont, édifice, toit, comme M. Nicolet nous l'a dit dans son article, cette semaine, moi, je n'ai pas de problème avec ça. Au contraire, j'applaudis qu'une ville, par exemple, ne puisse pas faire réaliser un aréna sans, comme j'ai déjà entendu M. Nicolet le dire au bulletin de radio – il y a un toit qui était tombé à un endroit, l'hiver, parce que la résistance à la neige n'était pas adéquate – qu'un ingénieur soit obligé de certifier ce genre de spécification là...

M. Gautrin: Est-ce que le toit du Stade olympique...

Une voix: S'il vous plaît!

M. Gautrin: Le toit du Stade olympique était calculé par des ingénieurs?

M. Ponton (Gérald A.): Ça, je l'ai oublié, celui-là. Moi, je pensais à l'aréna en question. Et ça, je peux comprendre. Mais, dans le projet de loi, il y a un élément beaucoup plus large de droit nouveau, comme on l'a indiqué tantôt, qui, au niveau des entreprises, a des impacts majeurs. Et le projet ne distingue pas la protection des individus des besoins des entreprises. Et, honnêtement, Mme la ministre, les entreprises ont développé des moyens pour être capables de s'assurer que leurs produits soient conformes à des normes des plus haut standards pour satisfaire la sécurité du public. Je reviens...

Le Président (M. Boulianne): M. Ponton, je m'excuse.

M. Ponton (Gérald A.): ...en conclusion, M. le Président...

Le Président (M. Boulianne): C'est ça. Je vous demande de conclure parce qu'on a beaucoup d'autres...

M. Ponton (Gérald A.): ...aux remarques du député de Saint-Laurent, M. Dupuis. Je peux comprendre que Bombardier est dans son comté puis qu'il affectionne particulièrement l'entreprise, nous de même, mais il y a aussi de nombreuses autres entreprises au Québec. Et, dans le projet de loi, il y a une tentative d'exclusion pour le secteur aéronautique qui est là, et ça, nous, on ne pense pas que c'est la bonne façon de travailler. Parce qu'on va devoir en faire un pour le secteur des ressources naturelles, pour... Pourquoi le secteur de l'aéronautique puis pas les autres secteurs? Alors, nous, on pense honnêtement, Mme la ministre, qu'on devrait sérieusement envisager un procédé d'exemption des entreprises en vertu du projet de loi.

Le Président (M. Boulianne): Alors, M. Ponton...

M. Dupuis: Je veux simplement dire à M. Ponton...

Le Président (M. Boulianne): ... non, M. le député de Saint-Laurent, une fraction de seconde.

M. Dupuis: ...et à la commission qu'il n'y a pas que des entreprises en aéronautique dans Saint-Laurent.

M. Ponton (Gérald A.): Ça, c'est vrai.

Le Président (M. Boulianne): Alors, M. Ponton, Mme Mercure, Mme Lauzon, M. Huot et M. Cossette, la commission vous remercie. Je m'excuse, il y a d'autres personnes à entendre, d'autres mémoires. Alors, merci beaucoup de votre présence.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Boulianne): Alors, la commission suspend pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 15)

(Reprise à 15 h 20)

Le Président (M. Boulianne): Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons, pour cette période, la Fédération des cégeps. Alors, je demanderais à M. Alain Lallier, qui est le directeur général du cégep du Vieux-Montréal, de se présenter et de présenter son équipe. Alors, M. Lallier.


Fédération des cégeps

M. Lallier (Alain): Oui. Bonjour, Mme la ministre, M. le Président, Mmes, MM. les députés membres de la commission. J'aimerais vous présenter les personnes qui m'accompagnent. D'abord, Mme Dominique Arnaud, qui est conseillère à la Fédération des cégeps, et un professeur d'enseignement collégial et qui est aussi membre de l'Ordre des ingénieurs, M. Christian Raymond, qui enseigne au cégep dans le domaine du génie mécanique et de la maintenance industrielle. Et il a une caractéristique particulière, il a aussi un diplôme de formation professionnelle dans le même domaine. Il a un diplôme collégial et un diplôme aussi de l'Université de Montréal, de Polytechnique, et il forme depuis plusieurs années des technologues.

Au nom de la Fédération des cégeps et du réseau collégial, je vous remercie de nous avoir invités à donner notre avis sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi des ingénieurs. En octobre 1998, déjà, la Fédération des cégeps avait présenté ses commentaires à la commission sur l'avant-projet de loi et, à cette occasion, déjà, elle avait exprimé des réserves, les réserves de ses membres envers certaines modifications proposées à l'actuelle Loi sur les ingénieurs, celles qui touchent en particulier la question des actes réservés et des champs de pratique de l'ingénierie.

C'est avec les mêmes réserves que la Fédération des cégeps participe aujourd'hui aux nouvelles consultations sur l'avant-projet de loi. Elle le fait à titre de porte-parole des 48 cégeps du Québec qui forment depuis 30 ans maintenant des technologues dans de multiples domaines des sciences appliquées et, disons-le, à la satisfaction de tous et en particulier des entreprises et de l'industrie.

Selon la Fédération des cégeps, les modifications proposées à l'actuelle Loi des ingénieurs risqueraient d'entraîner des conséquences indésirables sur les fonctions exercées par les technologues formés par les cégeps et aussi des conséquences sur les programmes de formation technique, sur les entreprises, et, en fin de compte, sur le développement économique du Québec, comme en ont témoigné les gens des entreprises aujourd'hui.

En particulier, la nomenclature des actes devant être exclusivement réservés aux ingénieurs et la nouvelle définition des champs d'application de l'ingénierie nous apparaissent de nature à restreindre considérablement les fonctions et les responsabilités confiées jusqu'à présent aux technologues par les entreprises et par les services publics. Or, la Fédération et le réseau collégial estiment que ni la manière dont les technologues se sont acquittés jusqu'à présent de leurs tâches, ni la façon dont ils sont formés dans les cégeps, ni le degré de satisfaction des employeurs, ni finalement l'intérêt public ne justifient les changements demandés à la Loi des ingénieurs.

Dans un premier temps, j'aborderai avec vous la question de la formation des technologues et je traiterai, à ce sujet, de l'intérêt et de la sécurité du public. Ensuite, je vous parlerai de la façon dont les programmes techniques – et ce point est important – sont élaborés depuis un certain nombre d'années en fonction des besoins du marché du travail, des conséquences, ensuite, que le projet entraînerait sur les programmes et sur la promotion des sciences et des technologies auprès des jeunes. Avant de conclure, je traiterai brièvement des besoins des entreprises dans la nouvelle économie et de l'allégement réglementaire.

D'abord, j'aimerais qu'on se rappelle et vous parler de la formation des technologues en faisant un bref rappel historique sur l'histoire des cégeps. À la fin des années soixante-dix, les établissements d'enseignement supérieur que sont les cégeps ont pris le relais des écoles techniques – plusieurs s'en rappellent – et des instituts de technologie en offrant des programmes de formation technique qui rendent possible l'accès au marché du travail. Depuis, il y a eu des débats en commission parlementaire auxquels certains d'entre vous ont participé.

Depuis la réforme de l'enseignement collégial, en 1993, tous les programmes de la formation technique sont élaborés par compétences, ce qui garantit une meilleure adéquation entre les diplômes décernés et les exigences des emplois. Ce mot-là est revenu souvent, ce matin, on aura l'occasion d'y revenir plus en détail et de vous expliciter en quoi cette approche par compétences a un impact important dans la définition du champ de travail et d'exercice des technologues.

Quelque 100 000 technologues ont obtenu, au cours des 30 dernières années, un Diplôme d'études collégiales techniques. Ce diplôme leur donne des compétences nécessaires pour, entre autres, planifier, contrôler, fabriquer des prototypes, bâtir des systèmes, gérer des unités de travail, améliorer la productivité des systèmes, concevoir des procédés, tout en respectant les règles de la sécurité, de la santé et de l'hygiène.

Ces fonctions, toutes celles que je viens d'énumérer, requièrent un grand sens de l'autonomie professionnelle et sont d'un niveau certain et d'un haut niveau de responsabilité. Et tous les objectifs de formation des programmes techniques dans le domaine des sciences appliquées font foi des compétences exigées sur le marché du travail et acquises par les futurs technologues au cours de leur formation. J'aimerais vous donner quelques exemples, puisqu'on a essayé, ce matin, de préciser tout cela. C'était une des préoccupations, entre autres, de la ministre.

En construction aéronautique, on exigera des diplômés qu'ils soient capables de planifier les étapes de fabrication, d'assemblage et de contrôle de la qualité des propulseurs et des aéronefs.

En génie mécanique, ils devront être capables de fabriquer des prototypes, de préparer des cheminements critiques, de programmer et d'implanter des automates programmables et d'effectuer des tâches relatives au contrôle de la qualité.

En production manufacturière, il leur faudra prendre en charge un département de production, souvent, ou un ensemble de postes de travail et intervenir autant en gestion qu'en organisation.

En technologie des systèmes ordinés, ils apprennent à développer des logiciels, à installer, entretenir et modifier des systèmes informatisés et à construire aussi des prototypes.

En technique de maintenance industrielle, ils seront en mesure de planifier, d'estimer, de diriger et de réaliser l'installation de machines et de systèmes de production, et de concevoir, d'implanter et de gérer les méthodes et les procédés d'entretien.

Tout ce que je viens d'énumérer a été dûment accepté par les entreprises et par le ou la ministre de l'Éducation, à toutes les étapes du processus – j'y reviendrai – d'élaboration de programmes.

Actuellement, vous avez 52 programmes techniques qui mènent à un diplôme donnant l'ouverture à un permis de l'Ordre des technologues professionnels du Québec dans une spécialité qu'on appelle de génie. Ces programmes se retrouvent dans 11 grands domaines technologiques reliés spécifiquement à l'ingénierie. Il s'agit – j'en nomme quelques-uns – de la technologie aéronautique, des bâtiments, des travaux publics, de la chimie industrielle, du génie électrique, du génie mécanique, de l'informatique, de la métallurgie, des pâtes et papiers, et j'en passe.

Les technologues sont formés pour devenir des spécialistes de l'application technologique et de la résolution de problèmes technologiques. Ils sont à même de comprendre les innovations technologiques, de les appliquer, de les adapter aux besoins des entreprises, de l'industrie et des services publics. Ils collaborent avec les autres professionnels – et je souligne – en particulier avec les ingénieurs à la conception, à la mise en place des systèmes perfectionnés de production, à leur adaptation et à leur entretien en vue de les rendre plus fiables.

Respectueux de l'intérêt du public et de la sécurité des personnes, ils sont amenés à travailler de façon étroite – encore à souligner – avec les ingénieurs, surtout lorsqu'il s'agit d'appliquer une technologie innovatrice n'ayant pas déjà fait l'objet d'une norme. L'industrie manufacturière et plusieurs organisations et organismes gouvernementaux leur confient des fonctions de gestion de certaines opérations industrielles et d'entretien ou de gestion de projets.

Un des arguments les plus souvent évoqués en faveur d'une réglementation plus sévère des actes exclusifs est l'intérêt du public – on y est revenu souvent, et c'est dans la Loi des professions – et, par conséquent, sa sécurité, car on devine que l'asymétrie possible entre l'information que possède le professionnel et celle de son client ne permettrait pas à ce client de prendre des décisions éclairées.

Alors, à ce chapitre, les technologues sont, dans la très grande majorité des cas – et ça, c'est important de le souligner – des salariés d'entreprises et d'organismes publics qui possèdent leur propre mécanisme de contrôle et d'évaluation de la compétence de leurs employés et de la qualité de leurs services, et constituent donc en eux-mêmes des publics avisés. En outre, les technologues sont formés pour intervenir en toute sécurité dans les différents domaines d'application du génie.

Je signale, pour ceux qui sont familiers avec les organisations publiques, les grands organismes, que les syndicats sont très attentifs à ce qu'on appelle des plans de classification, où on délimite de façon très précise ce qu'un technicien, un ingénieur, un professionnel, un employé de soutien va faire, et c'est surveillé très étroitement à l'intérieur des établissements. J'aimerais vous donner quelques exemples.

(15 h 30)

En technique de transformation des matériaux composés, par exemple, ils doivent – les technologues – établir et faire respecter des règles d'usage favorisant la santé et la sécurité au travail, ainsi que des règles de protection de l'environnement.

En maintenance industrielle, élément important, il faut planifier, estimer, diriger ou réaliser l'installation, la mise en marche, l'entretien préventif, le dépannage et la réparation de machines et de systèmes de production conventionnels et automatisés, en respectant toujours les règles d'usage de la santé, de la sécurité et de l'hygiène industrielle. D'ailleurs, dans les entreprises, c'est un technologue qui est souvent responsable de la santé et sécurité et de l'application des règles.

En transformation des aliments, autre exemple, on insiste sur l'organisation des procédures garantissant la salubrité des lieux et sur l'application des règles de santé, de sécurité et d'hygiène.

Aucune étude ne vient d'ailleurs faire la preuve que les fonctions et les responsabilités assumées par les technologues depuis 30 ans maintenant constituent une menace pour la sécurité et l'intérêt du public et devraient faire l'objet des restrictions prévues par l'avant-projet. Il est d'ailleurs extrêmement révélateur que, soit dans les médias, ou soit dans nos établissements, ou soit dans les entreprises, on n'ait cumulé quoi que ce soit à cet égard. Tout au contraire, la satisfaction des employeurs, les taux de placement des diplômés de formation technique ainsi que la demande grandissante pour le personnel scientifique et technique, qui se traduit d'ailleurs actuellement par une pénurie dans beaucoup d'entreprises, indiquent que les diplômés de formation technique et les technologues rencontrent bien les standards de qualité exigés par le marché du travail, et les chiffres – j'en donne quelques-uns – en témoignent éloquemment.

Le taux de chômage des diplômés de la formation technique est de 7,1 % comparativement à 17 % chez les jeunes non diplômés de moins de 24 ans. Le taux de placement est de 100 % dans 17 programmes et de 90 % dans 66 programmes. Ces taux de placement se retrouvent dans beaucoup de techniques physiques conduisant à des tâches de technologue en électronique industrielle, en procédés métallurgiques, en construction aéronautique, en avionique, en mécanique du bâtiment, et j'en passe.

On compte actuellement 23 programmes en pénurie de diplômés au Québec. Plusieurs des programmes en pénurie se situent dans les champs d'application du génie. Il s'agit notamment des programmes de transport, de production manufacturée, de techniques papetières, de transformation des aliments, de transformation des matériaux composites et, bien sûr, des technologies de l'information, et j'en passe. Ces pénuries de diplômés signifient qu'il n'y a pas suffisamment de main-d'oeuvre technique et de technologues pour répondre aux besoins des entreprises, la demande étant supérieure à l'offre. Dans certains secteurs et en particulier dans celui des technologies de l'information, la demande de diplômés de niveau collégial a crû de 19,4 % depuis 1997 et elle est trois fois supérieure à l'offre, comme en témoigne la dernière étude de Montréal TechnoVision. Ce sont là des indices de l'adéquation entre les compétences acquises par les diplômés de la formation technique et les standards requis par les entreprises et les industries.

Les résultats d'un sondage qui a été mené par le ministère de l'Éducation, en 1997, auprès des employeurs indiquent que 95 % d'entre eux sont grandement satisfaits du travail des diplômés de la formation technique. Parmi les critères les plus souvent utilisés par les employeurs pour exprimer leur satisfaction, on retrouve des compétences relativement complexes: la capacité d'adaptation, la capacité de jugement, les connaissances des techniques de base, les connaissances des techniques spécialisées et aussi la capacité de création.

J'aimerais maintenant échanger avec vous sur comment on élabore maintenant les programmes techniques. Les fonctions remplies par les technologues et les tâches qu'ils exécutent correspondent aux standards de l'entreprise et de l'industrie et répondent également aux besoins en émergence, nombreux, puisque les programmes sont révisés et élaborés en fonction des prévisions de la main-d'oeuvre. Les programmes tiennent compte également des grandes tendances de la nouvelle économie et en particulier des nouvelles exigences de qualification comme la performance, les compétences techniques, la polyvalence, la capacité d'adaptation et de jugement dans les situations complexes, l'autonomie et le sens des responsabilités.

Ce qui est à souligner – et ça n'a pas toujours été le cas dans l'histoire des cégeps ou de l'histoire de l'éducation – c'est que les représentants du milieu du travail sont associés à toutes les étapes d'élaboration des programmes. En effet, ce qu'on appelle des comités sectoriels sont chargés d'élaborer et de mettre à jour des diagnostics sectoriels et des plans d'action à l'intention des entreprises et de la main-d'oeuvre de leur secteur, ils sont consultés tout au cours des différentes étapes du processus d'élaboration d'un programme de formation et, à la fin, processus quand même assez long mais qui associe toutes les personnes, il y a un comité national des programmes d'études professionnelles et techniques qui chapeaute tout le processus. C'est un comité décisionnel qui est chargé d'étudier les projets de programmes en fonction de leur pertinence et qui réunit 18 membres désignés dans toutes les sphères de l'activité économique et de l'éducation. Les entreprises y sont: Emploi-Québec, les trois ordres d'enseignement dont le niveau universitaire, des associations patronales et syndicales, et aussi, pour chacun des projets de nouveaux programmes, quand ça les touche directement, les ordres concernés sont consultés.

D'autre part, tous les programmes sont définis par compétences, et je pense que c'est important parce que c'est une nouvelle approche dont tout le monde n'a pas saisi l'impact: on détermine les compétences inhérentes à l'exercice d'une fonction de travail, ce qui sert ensuite à établir des objectifs et des standards à atteindre. Cette approche par compétences permet une correspondance beaucoup plus étroite des programmes aux exigences du marché du travail et permet aussi – et ça, c'est important – de définir, mais de façon beaucoup plus précise, le champ d'exercice et ce qu'on attend d'un technologue dans tel domaine donné. Plus que jamais, avec l'expérience que j'ai de plusieurs années dans les cégeps, les programmes n'ont jamais été définis avec autant de précision en définissant nettement ce qu'on attend des technologues et leur champ de pratique.

En se proposant d'accorder aux seuls ingénieurs le droit exclusif des actes rattachés à la conception, la certification, l'inspection et la supervision d'ouvrages dans tous les champs d'application du génie, l'avant-projet qui est à votre étude limiterait donc très sérieusement le droit de pratique des technologues qui se verraient confinés dans des rôles d'exécution et réduits à ne pas pouvoir exercer leur profession en toute autonomie. Et même si l'avant-projet de loi prévoit quelques mesures d'exception, les conditions sont si étroites qu'elles ne respecteraient pas les compétences et les habiletés acquises par les technologues, non plus que leur potentiel créatif. Les tâches qu'ils se verraient confier seraient normatives et répétitives, et leur élaboration, surveillance et vérification relèveraient des seuls ingénieurs. Alors que tous les professionnels, y compris les technologues, ont grandement contribué au développement et à la diversification des différents champs d'application du génie, l'avant-projet les ferait régresser à une situation où un grand nombre de leurs fonctions de supervision et de responsabilité leur seraient retirées au profit des seuls ingénieurs.

Si l'avant-projet était adopté, il faudrait en conséquence revoir les objectifs et les contenus des programmes techniques qui conduisent à un permis de l'Ordre des technologues et un certain nombre également de programmes universitaires, des passerelles étant déjà établis entre ces programmes. J'aimerais vous rappeler que la Fédération des cégeps est en accord avec les réserves qu'avait adressées à M. Robert Diamant, à l'époque président de l'Ordre des professions du Québec, Mme Marois. Mme Pauline Marois avait adressé une lettre – et j'aimerais vous la lire – à M. Diamant, le 28 janvier 1998. Elle disait: «La nouvelle définition des actes du ressort exclusif de l'ingénieur et de leurs domaines d'application pourrait, à la limite, contraindre la formation et restreindre l'exercice de nombreuses autres professions. Son adoption en l'état actuel pourrait entraîner des coûts importants tant pour l'éducation que pour l'entreprise. En effet, il pourrait en coûter près de 10 000 $ par programme, et ce, pour les 52 programmes d'études techniques conduisant à un diplôme donnant ouverture à un permis de l'Ordre des technologues du Québec. Il pourrait également y avoir des frais pour les programmes de formation universitaire.»

Il n'est pas non plus négligeable de rappeler que le Québec manque de personnel en science et en technologie, comme je l'ai dit tout à l'heure. Le Conseil de la science et de la technologie a déjà tiré la sonnette d'alarme à ce propos et recommandé de prendre tous les moyens pour inciter plus de jeunes à s'engager dans des études scientifiques et techniques et à y obtenir leur diplôme. À cet égard, le ministre d'État à l'Éducation et à la Jeunesse, M. François Legault, a repris à son compte ces recommandations du Conseil et il a instauré un certain nombre de mesures pour soutenir la réussite en science et technologie à l'enseignement supérieur. Il s'agit là – il ne faut pas le sous-estimer – d'une tâche impérative à laquelle on doit s'atteler d'urgence, comme d'ailleurs d'autres l'ont signalé, les grands partenaires du monde de l'éducation et des affaires.

(15 h 40)

Le Président (M. Boulianne): En conclusion, M. Lallier, s'il vous plaît.

M. Lallier (Alain): En conclusion, je vous dirais qu'à ce moment-ci, si on appliquait cet avant-projet de loi, on enverrait un message contradictoire aux jeunes qu'on invite depuis de nombreuses années à venir travailler à relever des défis importants comme technologues dans les entreprises, puisqu'on leur enverrait un message à l'effet qu'ils vont devenir à toutes fins pratiques assujettis à un contrôle et à des tâches qui ne sont pas du niveau aussi emballant qu'on leur avait laissé escompter et qui se pratiquent depuis de nombreuses années au Québec. En ce sens, on croit que le projet de loi est prématuré et qu'il faut le situer dans l'écologie plus globale d'une révision des actes et des champs d'action des différentes professions et qu'il faut faire très attention, en déplaçant les frontières, de ne pas venir briser une économie ou une écologie qui, comme vous l'avez dit, vous l'avez répété, est quand même assez délicate et fragile.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup, M. Lallier, directeur général du cégep du Vieux-Montréal. Alors, je demanderais à Mme la ministre de... Je lui donne la parole.

Mme Goupil: Merci, M. le Président. Alors, M. Lallier, je vous remercie de l'excellente présentation que vous avez faite d'un point de vue éducation. D'abord, vous avez souligné les bons résultats des politiques en éducation dans les secteurs techniques. Vous avez également exprimé que plus que jamais nous étions capables de former des gens en fonction des besoins et de la réalité du marché. Alors, on peut se réjouir de voir que parfois, bien que ça puisse paraître lourd, lorsque différentes personnes intervenant se mettent à travailler ensemble, ça donne des résultats extraordinaires, et nous avons intérêt à continuer à travailler ainsi.

Cependant, vous avez mentionné que, si on appliquait le texte de loi tel qu'il est proposé, on viendrait restreindre les fonctions actuelles des technologues. Est-ce que vous pourriez nous donner un exemple concret en quoi on viendrait réduire ce que les technologues font aujourd'hui?

M. Lallier (Alain): Je vais faire une réponse plus globale et j'inviterai l'enseignant, mon collègue à vous donner des exemples plus concrets. C'est qu'au fil des ans les technologues, surtout dans les petites et moyennes entreprises, se sont vu confier des tâches – et même Hydro-Québec pourra vous le dire; Cascades peut en témoigner, ils ont déjà commencé à le faire, et c'est revenu aujourd'hui – ils se sont vu confier des tâches importantes au niveau de la supervision de la gestion de projets, toujours, bien sûr, en collaboration avec les ingénieurs. Mais, compte tenu de leur expertise, compte tenu de leur formation, les entreprises et l'ensemble de l'évolution de l'économie appellent, et toutes les études le montrent à travers le monde... ce n'est pas un rabaissement des compétences et de la complexité des tâches, mais c'est un rehaussement, il y a un appel vers le haut; que les ingénieurs en fassent plus et que ça devienne plus complexe, mais aussi que les technologues assument plus de responsabilités. C'est la logique de l'organisation du travail telle qu'elle se développe à l'échelle de la planète. C'est un appel à ce que les ouvriers spécialisés assument plus de responsabilités en santé et sécurité et dans tous les domaines.

Alors, de définir de façon trop restrictive la tâche des technologues parce qu'on définit de façon trop extensive celle des ingénieurs, comme plusieurs l'ont répété devant vous, il y a là un risque de ne pas utiliser à son plein potentiel, d'abord assumé ce pour quoi ont été formés les technologues, qui satisfait actuellement les entreprises, il y a un risque de sous-utiliser des compétences qu'on a formées et qui coûtent très cher à former, dans la grande diversité de programmes qui ont été élaborés au Québec depuis de nombreuses années, et, à la rigueur, de sous-utiliser nos ressources rares et importantes que sont les ingénieurs en leur confiant des tâches qui relèvent de technologues. Donc, on serait perdant sur toute la ligne, et ça va à l'encontre de l'évolution de l'organisation du travail actuellement à l'échelle de tous les pays.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. Lallier. Mme la ministre.

Mme Goupil: Je suis tout à fait en accord avec ce que vous venez de mentionner. Mais, en même temps, comment fait-on pour tirer la ligne, à savoir qu'est-ce qui est fait actuellement et, si on appliquait la loi telle qu'elle existe, qu'ils ne pourraient plus faire?

M. Lallier (Alain): Alors, je vais inviter un ingénieur qui est enseignant, qui enseigne à des technologues, à tenter une réponse.

Le Président (M. Boulianne): Alors, M. Raymond, vous avez la parole.

M. Raymond (Christian): Un des secteurs intéressants, ce qui nous touche particulièrement, qui est une nouvelle technologie, c'est le technicien en maintenance industrielle. Bon, le technicien en maintenance industrielle, ce qu'on attend de lui, c'est de faire de l'installation, de la réparation, poser des diagnostics lorsqu'il y a panne. On arrive à des côtés qui commencent à être un petit peu plus ambigus, qui est la question de la modification, qui commence à tomber aussi dans le concept de conception. Ça fait que, déjà là, on arrive dans une espèce de zone grise qui fait que le technicien, si je me réfère à l'article 2... est-ce qu'il va être capable de continuer à opérer, à faire les jobs ou les tâches auxquelles il a été mandaté? Ce qu'on peut trouver dans la zone grise, c'est toute la question de la conception, les équipements, modification, tout ce qui est la protection du public, bon, en santé et sécurité au travail, la supervision, les calculs et les rôles de planification. Ça en est un bon exemple de technicien en maintenance industrielle qui se verrait confiné à des tâches qui sont beaucoup plus restreintes.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. Raymond. Mme la ministre.

Mme Goupil: En fait, est-ce qu'il serait possible que l'on puisse, dans le cadre d'un projet de loi, décrire ou définir cette zone grise là justement pour que... justement on rehausse vers en haut le travail qui est déjà fait, mais que, finalement, on s'assure en même temps que des gestes qui sont posés le sont en toute sécurité aussi? Parce que c'est toujours... Ce qui est blanc et noir, il n'y a pas de difficultés; c'est l'entre-deux, et l'entre-deux devient de plus en plus large tout dépendamment de l'interprétation qu'on donne à un article ou à une définition. Est-ce que vous pensez qu'il serait possible que l'on puisse définir assez clairement la compétence du technologue, où elle se termine versus celle d'un autre professionnel qui prend la relève?

Le Président (M. Boulianne): M. Lallier ou M. Raymond.

M. Lallier (Alain): Je vais tenter une réponse globale et j'aimerais qu'il complète. Ce que l'on constate, c'est qu'on connaît actuellement avec les nouvelles technologies, les technologies de l'information, un chambardement au niveau du travail de tout le monde. Les nouveaux logiciels, Internet, les nouvelles technologies, l'apparition de l'informatique dans à peu près toutes les formations viennent bousculer les pratiques habituelles. On est en pleine mutation. On est en pleine mouvance. Et, au moment où on est en pleine mouvance, de vouloir figer dans le béton des choses qui, dans cinq ans, auront complètement changé... Actuellement, la vie d'un logiciel, c'est deux ou trois ans; quelquefois, moins que ça. Et ces logiciels-là viennent changer la pratique et des ingénieurs et des technologues et le travail de tout le monde, de la secrétaire jusqu'au directeur général, en passant par tout le monde. Et, en ce sens-là, on peut définir.

Alors, là, l'autre réponse que je vous ferais, c'est qu'il y a beaucoup d'écrits officiels du ministère de l'Éducation dans les programmes par compétences, dans les plans de classification de chacun des établissements qui définissent de façon, mais très précise, la zone grise. Il y a moins de zone grise dans nos établissements qu'on ne le laisse croire de façon générale parce que les organisations, avec les syndicats, ont précisé de façon très précise qu'est-ce qu'un technicien faisait et qu'est-ce qu'un ingénieur faisait. Et dans la pratique des choses, et on peut en témoigner, il n'y a pas de problème, c'est-à-dire qu'on travaille en complémentarité. On n'a pas de plaintes dans les cégeps à l'effet que les technologues font une job d'ingénieur, et l'inverse, il n'y a pas de problématique majeure à cet égard, d'autant que nos formateurs sont des ingénieurs et qu'ils sont attentifs à ce que nos technologues soient respectueux de leur champ de juridiction.

Le Président (M. Boulianne): M. Raymond, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?

(15 h 50)

M. Raymond (Christian): Oui, juste une chose. On parlait donc du technicien en maintenance industrielle. J'ai des étudiants qui travaillent pour une firme de consultants en maintenance industrielle qui vendent le logiciel, qui font la formation aux ingénieurs dans certaines compagnies où c'est des ingénieurs qui sont les chargés de projet en maintenance. Je n'ai jamais eu aucune friction vis-à-vis le technologue et l'ingénieur. L'ingénieur, d'emblée, va prendre le technologue qui est là pour y apporter son savoir, son savoir-faire et son savoir-être.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Est-ce que ça va, Mme la ministre?

Mme Goupil: Oui. Merci.

Le Président (M. Boulianne): M. le député de Dubuc, vous avez la parole.

M. Côté (Dubuc): Oui, merci, M. le Président. Moi, je ne pense pas que ce soit l'intention du gouvernement de restreindre de quelque façon que ce soit les fonctions ou les compétences des technologues. Au contraire, je pense qu'on est tous d'accord pour que la formation professionnelle présentement soit valorisée. D'ailleurs, vous l'avez vous-même souligné tout à l'heure, le ministre de l'Éducation a des intentions dans ce sens-là également.

J'aurais deux questions. Une première question assez courte. J'aimerais que vous me donniez le nombre de technologues qui graduent chaque année au Québec. Ma deuxième question, c'est qu'en fonction justement des pouvoirs qui sont accordés aux technologues... vous dites à la page 3 de votre mémoire: «En Génie mécanique, en Production manufacturière, en Technologies des systèmes ordinés, en Technologie de maintenance industrielle.» Est-ce que l'avant-projet de loi qui est présenté présentement viendrait restreindre les définitions que vous donnez dans le paragraphe que j'ai mentionné? C'est-à-dire, est-ce que l'article 3, par exemple, de l'avant-projet de loi viendrait brimer... que les technologues ne pourraient plus fabriquer des prototypes, préparer des cheminements critiques, programmer, implanter des automates, etc.? J'aimerais que vous me donniez des exemples.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député. M. Lallier.

M. Lallier (Alain): Vous savez que, dans les 48 cégeps actuellement, le nombre d'étudiants en technique est à toutes fins pratiques, je crois, plus élevé qu'en formation préuniversitaire et qu'à la rigueur on refuse à chaque année beaucoup d'étudiants qui veulent venir étudier en technologie.

M. Gautrin: 55 % à peu près.

M. Lallier (Alain): C'est ça. Et actuellement, cette année, au moment où on se parle – ils viennent de commencer leur session dans la plupart des cégeps – ils sont 81 600 étudiants. Votre question est à l'effet: Combien on en diplôme par année? Le taux de diplomation, après une première inscription, est entre 52 % et 62 % au secteur technique, après un certain nombre d'années quand même. On tient compte là que, souvent, comme à l'université, plusieurs ont changé de programme. Donc, ils viennent faire baisser la moyenne. Je pourrais vous procurer, par contre, le nombre de diplômés. C'est plusieurs milliers. On vous parlait de 100 000 au cours des 30 dernières années.

Votre deuxième question est à l'effet: Si on appliquait les éléments de l'avant-projet, en quoi ce qu'on a énuméré comme tâches viendrait restreindre le champ de pratique des technologues? On est revenu ce matin souvent sur le concept d'ouvrage pour dire son ambiguïté et la difficulté d'en cerner exactement le sens. Plusieurs sont intervenus en ce sens-là. Ça, ça m'a frappé.

L'autre élément, on est revenu sur ce qu'on entendait par les sciences dites exactes – on utilise ce terme. À cet égard, les ingénieurs parlent plus souvent de sciences appliquées ou de baccalauréat en sciences appliquées. Nous, on parle de technologie en génie, donc on parle plus de génie appliqué ou de technique simplement. Selon la façon dont on va définir c'est quoi, un ouvrage, c'est quoi, le champ de juridiction: Qu'est-ce qui est du ressort exclusif et réservé aux ingénieurs? on aura par effet d'écho un impact sur tous les programmes. On pourrait être amené... Et la ministre de l'Éducation, Mme Marois, le disait elle-même à l'époque, il est évident qu'il y aura un effet de cascade. Ce qu'on réserve aux uns – on l'a dit ce matin – on l'exclut pour les autres, et on procédera par exclusion. Et là l'impact est majeur, les entreprises l'ont dit, ça vient bouleverser l'écologie des entreprises et de tous les programmes de niveau collégial. En plus, ça viendrait dévaloriser ce qu'on a travaillé pendant 30 ans à construire, et ça, ce serait très malheureux, très malheureux. On a travaillé à hausser le niveau de compétences technologiques dans plusieurs disciplines, on les a même créées, on a créé des dizaines de programmes au Québec pour répondre à des besoins qui nous étaient manifestés. Et on nous a dit: Donnez-leur telles tâches. On l'a fait. Et on reviendrait, parce qu'on définit un champ de juridiction et de travail d'un professionnel, remettre tout ça en question? C'est très problématique. Et dites-vous que, quand les gens vont réaliser cela, il y aura une levée de boucliers dans tous les milieux.

Le Président (M. Boulianne): O.K. Merci beaucoup, M. Lallier. M. le député de Verdun... de Drummond. Alors, vous avez trois minutes pour une question.

M. Jutras: Vous me confondez avec mon savant collègue.

Le Président (M. Boulianne): Je m'excuse. Allez, cher collègue.

M. Jutras: Ha, ha, ha!

Une voix: Vous auriez été battu aussi. Vous auriez été battu si vous aviez été dans Verdun.

M. Jutras: Oui, je le pense, oui. Ha, ha, ha!

Une voix: Merci.

Le Président (M. Boulianne): S'il vous plaît!

M. Jutras: Mais, dans Drummond, il aurait été battu, lui aussi. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Boulianne): Ne gaspillez pas vos minutes, M. le député. Allez-y.

M. Jutras: Vous nous dites que l'avant-projet de loi ne vous satisfait pas parce que le technologue en serait réduit à un rôle d'exécutant, et je pense que vous avez raison. Cependant, j'ai compris de vos propos que présentement votre cohabitation avec l'Ordre des ingénieurs est heureuse et qu'il n'y a pas de conflit, ça va bien, les champs de répartition de juridictions sont bien établis, puis ça opère bien, ça, là. Est-ce que je peux conclure ça de vos propos?

Une voix: Oui.

M. Jutras: Oui. Par contre, vous dites...

M. Lallier (Alain): Si vous permettez une nuance, je vous dirais que c'est sur le terrain. Peut-être qu'entre l'Ordre des technologues puis l'Ordre des ingénieurs, ils se disputent peut-être sur les nuances et sur les lois. Sur le terrain, dans nos cégeps, parce qu'on en a, des ingénieurs, on a des technologues, et plus que ça, on travaille de façon étroite, entre autres, avec l'École de technologie supérieure – j'en parle dans le mémoire – à élaborer des programmes... Comme vous le savez, les ingénieurs de l'École de technologie supérieure, rattachée à l'Université du Québec, doivent être technologues pour devenir ingénieurs. Alors, ça fait des années qu'ils ont acquis une réputation extrêmement importante comme étant à la fois des technologues qui travaillent dans les entreprises et qui sont aussi ingénieurs. C'est devenu une des écoles d'ingénieurs la plus importante au Québec, et, entre autres, parce qu'on a su conjuguer de façon très étroite et complémentaire, en termes de formation, la formation de technologue et d'ingénieur.

M. Jutras: Mais, dans la vraie vie, dans le champ, comme on dit, dans la pratique, je comprends que les deux ordres... les technologues et les ingénieurs cohabitent bien, ça va bien.

M. Lallier (Alain): Ils travaillent en complémentarité et, comme je vous l'ai dit, à l'expérience...

M. Jutras: Oui, puis il n'y a pas de plaintes...

M. Lallier (Alain): Non.

M. Jutras: ...qui se portent à tel Ordre contre tel autre, contre tel technologue ou contre tel ingénieur: Il est dans ma juridiction, il n'a pas le droit de faire ça. En pratique, de ce que je comprends, ce n'est pas le cas.

M. Lallier (Alain): Dans nos cégeps, dans les entreprises, et on a des contacts nombreux, on a des stagiaires en Alternance travail-études, ils sont nombreux, les entreprises siègent sur des comités de programmes dans nos établissements, et je dois vous dire que ça fait 20 ans que je suis à la direction de collèges, de deux collèges, et c'est un problème dont on ne nous a pas parlé, dans le champ comme tel.

M. Jutras: O.K. En terminant...

(16 heures)

Le Président (M. Boulianne): Très, très rapidement parce que le temps est écoulé.

M. Jutras: Oui, oui, je termine là-dessus. Alors, vous concluez en disant: Bien, il faudrait réviser le système de lois professionnelles. Mais est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt, à la lumière de ce que vous dites: Ne touchons pas à ça? Parce que, tu sais, il y a un proverbe qui dit: Ce qui n'est pas brisé, tu ne le répares pas. Alors, si ça fonctionne bien, pourquoi on ne laisserait pas ça comme ça?

M. Lallier (Alain): C'est ce qu'on vous recommande. C'est-à-dire que dans le contexte actuel, comme d'autres sont venus vous le dire, venir briser... Et je prends le mot «écologie». Quelquefois, on introduit une nouvelle plante, ou un nouvel arbre, ou un nouveau poisson dans un lac et on vient briser l'écologie. Alors, il vaut mieux s'abstenir dans ce temps-là si on n'est pas sûr qu'on ne viendra pas déranger ce qui actuellement va bien et où, je vous dis, il n'y a pas de problématiques majeures qui ont été soulevées au cours des dernières années. Je ne veux pas dire par cela – et vous l'avez souligné – qu'il ne faille pas, à la lumière des évolutions, revoir comment notre système professionnel, on peut l'adapter, mais de façon globale, mais – les entreprises vous l'ont dit – avec un souci de souplesse, d'adaptation, parce que ce qui est vrai aujourd'hui ne sera pas vrai demain en technologie. Ce que l'on voit aujourd'hui, je pense simplement aux développements dans les technologies de l'information et des télécommunications, les développements qui vont arriver au cours des prochains mois et prochaines années vont venir bouleverser, plus qu'on ne l'a jamais cru et vu et escompté, des tâches, des fonctions. Il y a même des fonctions qui vont disparaître, comme ça a déjà été le cas au cours des dernières années. Alors, vouloir figer à ce moment-ci quelque chose qui va être en mouvance et qui l'est déjà, bien, je pense qu'il faut le faire avec beaucoup de souplesse.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Alors, M. le chef... M. le député de D'Arcy-McGee, vous avez la parole.

M. Bergman: Merci, M. le Président.

M. Gautrin: Il n'est pas encore chef. Ha, ha, ha!

M. Bergman: Ha, ha, ha! Dans votre présentation, vous avez dit: L'avant-projet va forcer les employeurs à embaucher des ingénieurs pour superviser et prendre les responsabilités du travail actuellement exécuté de manière autonome par les technologues. Mais le projet de loi a des exceptions facilitantes, et je pense à l'article 4.2. Et Hydro-Québec a suggéré un ajout à 4.2, avec un paragraphe qui se lit: «Une personne qui est préposé de l'exploitant d'une entreprise peut attester de la conformité d'un ouvrage appartenant à cette dernière avec les normes techniques adoptées par l'exploitant pour cette entreprise, si ces normes ont été préalablement approuvées par un ingénieur et que l'acte est posé dans les circonstances qu'elle prévoit.» Alors, je me demande quel est l'effet des exceptions facilitantes qu'on voit dans le projet de loi. Et est-ce qu'il y a une manière pour sortir pour les technologues en employant les exceptions facilitantes?

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député de D'Arcy-McGee. M. Lallier.

M. Lallier (Alain): Je sais qu'il y a là une possibilité d'avoir des exceptions dans certains domaines donnés par rapport à certaines entreprises. Maintenant, le problème de l'interprétation des lois – et on en a eu des exemples ce matin – c'est: Qu'est-ce qui va prévaloir? Si, dans les articles 2 et 3, on définit de façon très précise ce que le champ de juridiction va exclure, il y a tout le problème des exceptions, on peut toujours par après avoir des exceptions. Mais, quand on est ultérieurement en conflit, bien, c'est souvent – on l'a dit ce matin – les tribunaux qui vont devoir arbitrer. Et partir d'abord de trucs qui sont très contraignants, de normes ou de définitions qui vont avoir pour effet d'exclure, après ça, les exceptions... Mais alors, comme je vous dis, les exceptions, combien, dans quel contexte, et tout? Ça devient extrêmement complexe d'avoir des articles de loi où on définit ces exceptions.

Le Président (M. Boulianne): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Bon. D'emblée je dois affirmer – on se connaît depuis assez longtemps – que je crois que j'ai toujours défendu que la vitalité de l'économie du Québec de demain se fera par ces personnes formées dans les cégeps techniques, qui font la base réellement de l'économie de demain. Et je l'ai défendu pas seulement ici, mais à peu près sur toutes les tribunes où j'ai eu la chance de m'exprimer. J'ai une demande, parce que vous ne pourrez pas me répondre ici, mais je vais vous la demander, je voudrais... si vous pouviez me l'envoyer après, et ensuite j'aurai une question.

Ma demande, voici. Vous connaissez bien les programmes de formation des technologues. Vous en avez formé. Vous connaissez bien les programmes de formation des technologues. Vous connaissez aussi bien sûr tout ce qui touche les formations universitaires. Vous connaissez les articulations qu'il y a entre vos programmes ou la non-articulation que vous souhaitez. Enfin, je ne voudrais pas refaire les débats qu'on a déjà faits dans d'autres commissions sur l'absence d'articulation qu'il y a entre les programmes universitaires et les programmes de formation technique.

Qu'est-ce qui, dans l'avant-projet de loi actuel, dans les actes réservés aux ingénieurs, est tel que la formation que vous donnez ne puisse pas être assumée par des technologues? Autrement dit, qu'est-ce qui, dans les actes réservés actuellement par les ingénieurs... Compte tenu que vous connaissez bien la formation de vos technologues, vous pouvez dire: Telle fonction ou telle fonction, nos gens que nous avons formés ne pourraient pas les assumer.

Je ne vous demande pas de me répondre, ici, aujourd'hui parce que ça vous demanderait peut-être une réflexion. Mais, pour la commission et du moins pour le membre de cette commission que je suis, j'aurais besoin que vous me disiez... Voici. L'avant-projet de loi, bien sûr, réserve des actes, et nous savons tous que les ingénieurs peuvent les faire. Mais peut-être que d'autres que les ingénieurs peuvent les faire, et en particulier, peut-être, certains de ces actes peuvent être faits par des technologues. Alors, moi, je ne sais pas, à l'heure actuelle, qui dans... Je connais bien la formation des ingénieurs, je connais aussi la formation des technologues. Mais, entre les deux, où se situe... Alors, si vous pouvez me répondre. D'après vous, les gens que nous avons formés pourraient assumer telle fonction. Vous l'avez dit déjà un peu, mais, moi, je voudrais un truc plus exhaustif: Ça, ils peuvent le faire, ça, ils ne peuvent pas le faire. C'est clair, ils ne peuvent pas le faire. Ça, ils ne pourraient pas le faire.

Pour nous, pour les membres de cette commission, et vous êtes probablement les meilleures personnes, puisque c'est vous qui les formez, à pouvoir nous répondre, je voudrais vous demander si vous pourriez donner ce travail-là à la commission. Pour moi, comme parlementaire et membre de cette commission, je ne sais pas pour les autres parlementaires, mais, moi, ça m'aiderait considérablement à pouvoir cheminer.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député de Verdun. M. Lallier.

M. Lallier (Alain): Je vous remercie de la demande. C'est un travail... Et je pense qu'il ne faut pas faire un travail en général. Les programmes sont définis de façon très précise.

M. Gautrin: Absolument, je les connais.

M. Lallier (Alain): Il y a un programme de maintenance industrielle, avec telles compétences. C'est plus facile de le faire au niveau des programmes d'enseignement collégial, actuellement, parce qu'on a fait un travail très précis de définition par compétences. Alors, ce que vous me demandez, je comprends bien, on va arrimer ce que le projet de loi définit comme tâche exclusive...

M. Gautrin: Les 52 programmes que vous avez.

M. Lallier (Alain): Oui.

M. Gautrin: Il y en a 52 programmes. Vous allez me dire...

M. Lallier (Alain): Des exemples concrets.

M. Gautrin: ...la personne qui est là, elle pourrait faire ça; ça, elle ne peut pas le faire, et qu'on ait une idée exactement, puisque que vous savez, vous, qu'est-ce que vous formez actuellement par vos gens. Et souvent, et je tiens à... les enseignants, rappelez-vous, les enseignants de vos programmes, très souvent, sont des ingénieurs.

M. Lallier (Alain): Oui, comme monsieur.

M. Gautrin: Ce sont des membres... Monsieur est là pour en témoigner, mais ce n'est pas le seul. Ça, c'était ma première demande. Moi, j'ai une question, une deuxième question.

M. Lallier (Alain): Alors, je ne vous promets pas ça pour demain, mais c'est un travail quand même, je...

M. Gautrin: Ah! Écoutez, bien sûr, non, non. Non, mais c'est une question que j'adresse à la Fédération...

M. Lallier (Alain): Oui, mais il fera plaisir à la Fédération... La Fédération va l'envoyer à la commission.

M. Gautrin: ...sachant que la Fédération a des ressources. Et vous comprenez bien que nous n'avons pas l'expertise que vous avez.

M. Lallier (Alain): Tout à fait.

M. Gautrin: Et vous pouvez, en faisant ça, éclairer la commission. Ma deuxième question va toucher un domaine que vous n'avez pas touché dans votre exposé et que je me serais attendu de voir aborder. Vous savez à quel point l'importance des unités de transfert technologique, à quel point les cégeps jouent actuellement un rôle; en région en particulier, il y en a un certain nombre avec des unités de transfert technologique. Les unités de transfert technologique impliquent bien sûr des professeurs des cégeps mais aussi... enfin, quelque soit qu'ils soient ingénieurs ou technologues. Est-ce que le projet de loi, tel qu'il est, risquerait de gêner le fonctionnement de ces unités de transfert technologique? Et ça pourrait m'inquiéter.

Vous savez le rôle... enfin, ce n'est pas à moi de vous expliquer. Je pourrais l'expliquer ici pour la commission, il y a peut-être des parlementaires qui le connaissent moins. Souvent, on a associé à des cégeps une unité qui est reliée au cégep et qui est un conseil en quelque sorte aux entreprises du coin, qui aide, qui fait du transfert technologique – vous savez à quel point le transfert technologique est important dans notre développement économique – qui est fait avec les employés du cégep sur lesquels... Vous ne demandez pas à la personne: Est-ce que vous êtes ingénieur, est-ce que vous êtes technologue, etc.? Vous dites: Bon, est-ce que vous pouvez travailler là-dedans en fonction de vos compétences? Est-ce qu'il y aurait un risque pour le développement des UTT dans l'avant-projet de loi? Et, moi, je vous dis, je suis un défenseur farouche de l'importance des unités de transfert technologique dans le développement économique du Québec.

M. Paquin: ...

M. Gautrin: Toi aussi. On est deux. Le député de Saint-Jean aussi est un allié dans cette question.

M. Lallier (Alain): Oui, alors, je pense que votre question est tout à fait pertinente, en ce sens qu'ils sont peu connus, mais ces centres de transfert technologique, il y en a à peu près partout au Québec, dans à peu près tous les grands secteurs industriels. Je pense à celui de La Pocatière, en particulier, où vous avez là... écoutez, je ne sais pas à combien ils sont rendus, mais peut-être... c'est plus gros qu'un centre de recherche de bien des universités, avec 25 ingénieurs, je ne sais pas combien de techniciens, un chiffre d'affaires qui... ils s'autofinancent, et tout. Et ils ont contribué, entre autres, matériel de transport de Bombardier à New York, et ils ont joué un rôle extrêmement...

M. Gautrin: Ils ont contribué à la vitalité de l'usine de La Pocatière de Bombardier.

M. Lallier (Alain): Voilà! Ils ont eu une contribution régionale, ils ont créé des entreprises. Et là il y a un noyau extrêmement important d'ingénieurs et de techniciens et de technologues mais qui font du développement, de la recherche et du transfert technologique dans les entreprises. Écoutez, il faudra voir. Et là je pense qu'il faut regarder très attentivement parce que, encore là, on sera en zone, je dirais, où il y a à la fois des ingénieurs qui font et de la recherche... Parce que là ce n'est pas juste du... c'est du transfert technologique, mais c'est vraiment de la recherche appliquée, du développement expérimental, au sens où on l'entend.

M. Gautrin: Je suis aussi un défenseur de la recherche dans les cégeps, vous le savez.

M. Lallier (Alain): Et ça a eu un impact économique majeur. Vous en avez à Trois-Rivières, en pâtes et papiers, en métallurgie, vous en avez dans à peu près...

M. Gautrin: À Saint-Hyacinthe, dans l'agronomie.

M. Lallier (Alain): Vous en avez à Saint-Hyacinthe dans le textile, et tout. Et ils sont à la fine pointe...

M. Gautrin: À Saint-Jérôme, dans les plastiques.

M. Lallier (Alain): Oui, en matériaux composites. Alors, ils sont à la fine pointe de la technologie, ils soutiennent les entreprises, ils en créent et ils sont souvent en avance dans bien des domaines pour être des conseils... Au fond, ils ont le rôle un peu de conseil aux entreprises en développement technologique.

M. Gautrin: Absolument.

(16 h 10)

M. Lallier (Alain): Ils ont un regroupement. Je vais leur demander qu'ils fassent l'analyse: En quoi le projet de loi aurait de l'impact sur leurs champs d'activités et en quoi ça viendrait perturber leur mode de fonctionnement?

M. Gautrin: Et vous pourrez nous le transmettre?

M. Lallier (Alain): Et je vais leur demander de vous faire parvenir...

M. Gautrin: Parfait.

M. Lallier (Alain): ...le résultat de leur analyse.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Boulianne): Étant donné qu'il n'y a pas d'autres questions, alors je demanderais à M. Lallier de conclure. Alors, vous avez deux minutes pour conclure.

M. Lallier (Alain): Bien. Je tiens à vous remercier pour l'audience que vous avez eue à nos propos. Je vous remercie pour vos questions, elles étaient tout à fait pertinentes. Nous sommes très conscients, depuis ce matin que nous avons participé à vos travaux, que nous entrons dans un monde où il y a beaucoup d'impondérables, un monde qui est en changement, en mutation. Ce que nous sommes venus porter comme propos, c'est qu'au Québec depuis 30 ans, on travaille d'arrache-pied à contribuer au développement technologique et on a formé 100 000 technologues qui y contribuent, et plusieurs entreprises vont venir vous le dire, chez Cascades dans tous les domaines, à Hydro-Québec, et ils vont venir eux-mêmes témoigner.

L'Ordre des technologues vous dira aussi en quoi ils contribuent au développement économique du Québec. Tout ce qu'on vous dit, nous, c'est: Attention, danger, parce qu'il y a un risque. On ne pense pas qu'il y ait de problèmes majeurs actuellement dans le mode de fonctionnement en complémentarité avec les ingénieurs. Mais il ne faudrait pas, par des mesures législatives, venir changer et perturber ce que j'ai appelé l'écologie relativement fragile. Je vous remercie beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Alors, Mme Arnaud, M. Lallier, M. Raymond, on vous remercie beaucoup.

Je demanderais à l'Ordre des chimistes de prendre place. On continue sans arrêt, s'il vous plaît. Merci beaucoup.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Boulianne): La commission, donc, continue ses travaux. Alors, nous recevons l'Ordre des chimistes. Alors, bienvenue à cette commission. Je demanderais à M. René Desmarais, vice-président, de se présenter et de présenter son équipe.


Ordre des chimistes du Québec

M. Desmarais (René): Merci, M. le Président. Mme la ministre, MM., Mmes les députés. Je me présente, je suis René Desmarais, vice-président de l'Ordre des chimistes du Québec et je suis accompagné cet après-midi par notre directeur général, M. Martial Boivin. Alors, nous remercions la commission de nous permettre de présenter notre mémoire sur l'avant-projet de loi.

Les entreprises industrielles et les entreprises d'utilité publique ont de tout temps fait appel aux chimistes et aux ingénieurs pour développer leurs procédés et effectuer leurs contrôles de qualité. Ceci justifie pourquoi l'Ordre des chimistes du Québec s'intéresse vivement à l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs et, après analyse, demande certains amendements à l'avant-projet de loi tel qu'il a été disposé.

Dans ce mémoire, l'Ordre des chimistes sera présenté, les activités professionnelles des chimistes et des ingénieurs seront analysées et les champs de pratiques respectifs seront précisés. Les modèles des statuts de certains professionnels qui travaillent avec les ingénieurs, tels que décrits dans l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs, seront analysés, et le modèle adopté pour le chimiste sera plus particulièrement étudié en regard des exigences du Code des professions et du marché du travail. Enfin, des remarques plus générales quant aux modalités d'application de l'avant-projet de loi sur les ingénieurs seront exposées.

Alors, nous formulons cinq recommandations que nous allons élaborer un peu plus loin. Je ne ferai pas la lecture, à ce stade-ci, de ces cinq modifications-là. De même, je ne ferai pas la lecture de la présentation de l'Ordre des chimistes, puisque, essentiellement, ça constitue la Loi des chimistes professionnels du Québec. Et je passerai directement à la page 7, aux activités professionnelles des ingénieurs et des chimistes dans les entreprises.

La Loi sur les chimistes professionnels et la description de la profession de chimiste permettent de tester les frontières existant entre les chimistes et les ingénieurs. La plupart des entreprises industrielles et des entreprises d'utilité publique font appel à des chimistes et à des ingénieurs dans la conduite de leurs opérations. Cette collaboration ne pose généralement pas de problème. Le chimiste, qui met au point de nouveaux procédés à l'échelle moléculaire, collabore avec l'ingénieur, qui les transpose à l'échelle de la production. Le chimiste fournit aussi les outils analytiques nécessaires pour établir le contrôle de la qualité dans les usines. Quel que soit le domaine d'application industrielle, le chimiste a sa place comme l'ingénieur dans ces entreprises.

On voit que le champ de pratique des chimistes est différent de celui des ingénieurs, comme la chimie diffère de l'ingénierie. On voit aussi que la chimie représente un champ de pratique très étendu, une caractéristique partagée également par l'ingénierie. En effet, la Loi sur les chimistes professionnels précise, dans son article 1, alinéa b, que l'«"exercice de la chimie professionnelle" signifie l'exercice moyennant rémunération de toute branche de la chimie, pure ou appliquée, y compris, sans restreindre la portée de ce qui précède, la chimie organique, inorganique, physique, métallurgique, biologique, clinique [...] ou physiques basés sur des méthodes connues dans le but de déterminer la qualité d'un produit ou de suivre un procédé de fabrication».

Les chimistes et les ingénieurs sont des collaborateurs traditionnels, dans l'industrie. D'ailleurs, ils ont organisé, aux cours des dernières années, par le biais de leurs ordres professionnels, des congrès communs touchant les aspects nouveaux de leurs professions respectives, notamment en environnement et en recyclage. Ils se sont engagés avec les avocats et les comptables dans la mise sur pied de services de vérification environnementale au sein de l'Association québécoise de vérification environnementale.

Il faut aussi remarquer, puisque l'avant-projet de loi sur les ingénieurs en fait la distinction, que la collaboration des chimistes et des ingénieurs ne se trouve pas seulement dans les entreprises industrielles, mais également dans les entreprises d'utilité publique, comme par exemple à l'usine d'épuration de la Communauté urbaine de Montréal ou au gouvernement du Québec, notamment au ministère de l'Environnement et de la Faune.

Lorsqu'on consulte la jurisprudence en pratique illégale et devant le Tribunal des professions, on constate que le conflit de champs de pratique entre chimistes et ingénieurs a été jusqu'à présent inexistant.

L'article 1 de l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs comporte l'usage extensif de définitions dont le recours vise à cerner le champ de pratique des ingénieurs, tel que défini aux articles 2 et 3. Les spécialistes de la rédaction législative recommandent un usage parcimonieux de ce procédé puisqu'en voulant tout définir on rend trop compliqué le texte législatif, qui devient extrêmement difficile à interpréter.

(16 h 20)

Les définitions sont marquées d'un caractère vague et imprécis et, donc, extrêmement large. Puisque les mots qu'elles définissent se retrouvent tous aux articles 2 et 3 de la loi, elles ont pour conséquence directe d'élargir considérablement le champ d'exercice de la profession d'ingénieur et d'empiéter sur les autres champs d'exercice, notamment celui des chimistes.

L'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs est donc susceptible de mettre en péril l'équilibre actuel entre les chimistes et les ingénieurs.

Définitions mises en cause dans la section I. «Bilan technologique». Les aspects chimiques du bilan qui relèvent de la responsabilité du chimiste sont inclus dans la définition.

«Établissement industriel de génie». Les laboratoires de chimie et la gestion des entrepôts de produits chimiques, qui relèvent de la responsabilité du chimiste, sont aussi inclus dans la définition.

«Ouvrage». Définition vague qui ne permet pas de définir ce qui est du ressort de l'ingénieur ou du chimiste.

«Procédé industriel». Ici aussi, la définition ignore la partie du ressort du chimiste.

Les chimistes demandent l'ajout d'un article supplémentaire, soit le 1.2, qui se lirait comme suit: La présente loi ne s'applique pas à des travaux de chimie. En effet, les chimistes et les ingénieurs sont des professionnels à pratique exclusive, et les actes qui figurent dans leur lois respectives ne peuvent pas être partagés à moins qu'ils ne soient spécifiquement stipulés.

Dans la section II, l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur les ingénieurs évacue totalement la notion de multidisciplinarité mise de l'avant dans les discussions préliminaires. Les articles 2 et 3 incluent les actes appartenant au champ de pratique des chimistes, puisqu'ils reprennent les termes définis dans la section I et les attribuent uniquement aux ingénieurs. C'est ainsi qu'à l'article 2 les chimistes ne pourraient plus:

a) concevoir un ouvrage de chimie;

b) donner un avis technique ou en attester la conformité aux normes reconnues de fabrication dans le domaine de la chimie;

c) surveiller l'exécution des travaux afférents à un ouvrage de chimie, concevoir des directives de surveillance et des directives d'inspection dans le domaine de la chimie.

À l'article 2.1, le chimiste ne pourrait plus choisir à l'aide de données techniques pertinentes les options, les procédés et les systèmes applicables; analyser les risques et les impacts chimiques; préparer les manuels de mise en service, d'exploitation et de maintenance, les ordinogrammes, les spécifications et les procédures d'essais fonctionnels dans le domaine de la chimie; vérifier le concept technique, les cahiers de charges et les manuels, les authentifier et attester de leur conformité aux normes reconnues de fabrication, de fonctionnement ou d'exploitation dans le domaine de la chimie.

À l'article 2.2, nonobstant les accords passés à l'Association québécoise environnementale, le chimiste ne pourrait plus participer à la vérification du bilan technologique d'une entreprise.

À l'article 3d, le chimiste serait exclu de tout ouvrage servant:

«1° à la production, à la transformation, au transport, au stockage, à la distribution, à la consommation, à l'utilisation efficace ou à la récupération de toute forme d'énergie – c'est-à-dire qu'il serait exclu du champ de la pétrochimie, de la production d'éthanol par les biotechnologies, de la méthanogénèse, de la métallurgie, des piles chimiques, du carburant hydrogène, de l'énergie nucléaire, etc;

«2° à l'exploitation d'un établissement industriel ou d'un complexe industriel, notamment comme équipement ou outillage – comme l'équipement d'un laboratoire de chimie[...];

«5° à des services municipaux utilitaires et récréatifs – notamment ceux qui dépendent des méthodes chimiques; une énumération non exhaustive comprendrait les usines d'épuration, l'analyse des effluents dans les égouts, l'analyse de la qualité de l'air dans les villes et lors d'incendies susceptibles de répandre des BPC ou autres matières[...];

«6° à l'analyse, au traitement et à l'épuration des solides, des liquides ou des gaz ou [...] à la transformation, à l'entreposage, au recyclage ou à la disposition des déchets, rebuts ou résidus – il s'agit clairement, ici, d'un champ de pratique partagé avec les chimistes, comme en témoigne le congrès organisé en commun à Québec, en 1995, et d'où les chimistes deviendraient exclus[...];

«7° à la prospection, à l'exploitation ou au traitement des ressources naturelles autres que forestières, notamment dans les mines, les carrières et les champs pétrolifères ou de gaz – ce qui inclut les domaines traditionnels des chimistes, qui sont la géochimie et la pétrochimie;

«8° à la protection, à la dépollution, à la restauration ou à l'amélioration de l'environnement – ce qui revient à exclure les chimistes du domaine de l'environnement où leur expertise est indispensable[...];

«10° à des fins agricoles ou agroalimentaires – alors que les chimistes y jouent un rôle tout aussi indispensable.

«11° à la protection, à la surveillance, au contrôle et à la sécurité des autres ouvrages visés au présent article et opérant de façon automatique – ce n'est pas parce que des usines modernes deviennent complètement automatisées qu'elles ne nécessitent pas le contrôle de la chimie.»

Tous ces empiétements dans les champs de pratique des chimistes nécessitent impérativement l'ajout de l'article 1.2, tel que les chimistes le suggèrent.

Les articles 4 et 5 proposent des modalités d'interaction professionnelle avec des partenaires professionnels. Certains ne sont pas membres d'un ordre professionnel, comme l'entrepreneur, le préposé de l'exploitant, le sous-traitant, le personnel accrédité en aéronautique, le bactériologiste, le géologue, le physicien, le maître mécanicien en tuyauterie, le maître électricien, l'artisan et l'ouvrier expert. D'autres appartiennent à des ordres professionnels à titre réservé, comme le technologue. D'autres, enfin, appartiennent à des ordres professionnels à pratique exclusive, comme l'architecte, l'arpenteur-géomètre, l'urbaniste, l'agronome et le chimiste. Dans l'ensemble, le projet est orienté pour maintenir les relations avec les architectes et laisser un certain champ aux technologues.

Concernant les chimistes, à l'article 5, «rien dans la présente loi ne doit: e) empêcher les urbanistes agronomes et chimistes professionnels d'exercer leur profession dans le domaine qui leur est reconnu par une loi». Cette phraséologie laisse entendre que, si l'ingénieur ne peut empêcher le chimiste d'exercer sa profession, il existe cependant la possibilité que l'ingénieur partage son champ de pratique. Cependant, d'autres professionnels se voient reconnaître un meilleur respect de leur champ d'expertise, notamment les arpenteurs-géomètres. Les chimistes demandent donc un traitement équivalent. Alors, les chimistes demandent que l'article 5e soit modifié de la façon suivante en ce qui concerne spécifiquement les chimistes, soit: Porter atteinte au droit des chimistes dans le domaine que la loi leur attribue.

L'article 5f répète que «la présente loi ne doit pas empêcher une personne d'exercer la profession de chimiste, de bactériologiste, de géologue ou de physicien ou de faire un acte relatif à la recherche de minerai». Les membres de l'Ordre des chimistes du Québec soumis à la Loi sur les chimistes professionnels sont les seuls habilités à porter le titre de chimiste. Leur statut de pratique exclusive est différent de celui des bactériologistes, géologues et physiciens, qui ne possèdent pas de loi. Les chimistes sont déjà couverts par l'article 5e, en conséquence de quoi, les chimistes demandent que les mots «de chimiste» soient ôtés de l'article 5f.

Exigences relatives à une personne morale. À la section III de l'avant-projet de Loi sur les ingénieurs, l'article 11a stipule que «le Bureau peut, par règlement, déterminer les exigences auxquelles une personne morale doit satisfaire pour être autorisée à exercer la profession d'ingénieur...» L'Ordre des chimistes n'a pas procédé à une consultation de ses membres et n'est pas en mesure de se prononcer sur le bien-fondé de cet article. Cependant, un tel changement nécessiterait une étude préalable de faisabilité. L'Ordre des chimistes recommande à la commission d'agir avec discernement et prudence, considérant qu'aucune étude d'impact n'a été faite au sujet de l'article 11a et que les conséquences s'appliqueraient à plusieurs ordres.

Les modalités de l'application de l'avant-projet de loi sur les ingénieurs. Et ici, je m'excuse, il y a une erreur, c'est à la section V de l'article 22. Le pouvoir d'enquête est modifié quant à sa portée, du fait que le champ de pratique a été élargi. Il permettrait d'enquêter dans les laboratoires de chimie qui ne relèvent pas de la compétence des ingénieurs.

Dans les articles 24 et 25 de la section VI, la signature et le sceau de l'ingénieur deviendront obligatoires même si les ouvrages décrits aux articles 2 et 3 relèvent de la chimie. Pourtant, lors du règlement du ministère de l'Environnement et de la Faune concernant les attestations d'assainissement en milieu industriel, le gouvernement a reconnu que les signatures du chimiste étaient nécessaires pour les actes professionnels qui relevaient de son champ d'exercice.

(16 h 30)

Dans l'article 27 de l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs, le droit d'un chimiste de facturer une consultation concernant un ouvrage, un procédé industriel ou un système pourrait être interdit alors même qu'il couvrirait des actes de chimie. Dans tous les cas, afin de permettre l'exercice raisonnable de la profession de chimiste, une limite doit être imposée sur le champ d'exercice décrit à l'article 1 de l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur les ingénieurs. Les chimistes demandent donc que le champ d'exercice de l'ingénieur soit décrit en excluant les actes de chimie par l'ajout de l'article 1.2, tel que suggéré, ce qui permet la facturation et la signature des chimistes pour des actes relevant de leur compétence, conformément à leur code de déontologie et à la réglementation internationale Good Laboratory Practice.

Alors, voilà, M. le Président, qui complète la présentation de notre mémoire.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup, M. Desmarais, vice-président de l'Ordre des chimistes. Alors, nous allons procéder à la période de questions et de remarques. Alors, Mme la ministre, vous avez la parole.

Mme Goupil: Alors, M. le Président, je tiens à remercier M. Desmarais de nous avoir fait sa présentation. Mais je me permettrais de vous dire que je comprends difficilement votre intervention, en ce sens que, dans le texte de loi... vous estimez que l'avant-projet a pour effet d'empiéter sur les articles... Pourtant, on maintient les paragraphes e et f de l'article 5 avec l'avant-projet. Alors, je ne vois pas en quoi on vient empiéter sur votre champ de compétence.

Le Président (M. Boulianne): Merci, madame. M. Desmarais.

M. Desmarais (René): Alors, M. le Président, je vais m'en remettre à M. Boivin. Il s'agit de la définition de certains termes, au niveau d'«ouvrage», et des choses de cette nature. C'est au niveau de la définition de certains éléments que nous avons des objections. Je pense que M. Boivin peut vous éclairer à ce sujet-là.

Le Président (M. Boulianne): Alors, M. Martial Boivin, vous avez la parole.

M. Boivin (Martial): Merci. Il est vrai, Mme la ministre, qu'à l'article 5e on y spécifie que cette loi a pour but de ne pas empêcher les chimistes professionnels d'exercer leur profession. Mais, quand on regarde aussi les définitions utilisées, quand on regarde aussi les droits d'exercice exclusif que les ingénieurs s'imposent, ce que ça nous laisse entendre ou le questionnement que ça nous déclenche, c'est que ça ne facilite pas, ça ne favorise pas cette approche multidisciplinaire que l'on vit à tous les jours dans les entreprises. Donc, le fait d'exclure, de ne pas empêcher, au risque de me répéter, par ce qui est dit précédemment pour les définitions d'«ouvrage», de «bilan technologique» et autres, fait en sorte que, sur le terrain, ça viendrait rendre difficile justement cette cohabitation-là. Sans nécessairement l'empêcher, ça ne facilitera pas cette approche.

Mme Goupil: Vous me corrigerez si ma perception, elle est mauvaise, mais, lorsque l'on définit l'exercice de la chimie professionnelle à même votre Ordre, lorsqu'on y mentionne que l'exercice de la chimie professionnelle signifie l'exercice moyennant rémunération de toute branche de la chimie, à mon humble avis, ça comble tout ce qui peut toucher la chimie de près et de loin. Est-ce que je me trompe?

Le Président (M. Boulianne): Monsieur, oui, allez-y. M. Desmarais ou...

M. Desmarais (René): M. Boivin.

M. Boivin (Martial): C'est là où notre interprétation diffère, notamment de par les définitions. Quand on parle de «bilan technologique», quand on parle de «système», lesquels font intervenir notamment, selon notre compréhension, des notions de chimie, et quand on fait référence à l'exclusivité qui est indiquée ici, dans la section II, où «sont du ressort exclusif de l'ingénieur[...]: concevoir un ouvrage», étant donné qu'on ne précise pas que l'ouvrage... On se sent interpellé dans cette description-là. Nous, on pense qu'il y a certains ouvrages qui sont de nature chimique effectivement et qui en feraient ici une description tellement élargie que, dans la conception de l'ouvrage qui devient exclusivement un travail d'ingénieur, on se sent exclu de cette façon de faire, de la façon de faire de cette pratique.

Le Président (M. Boulianne): M. Desmarais veut rajouter quelque chose.

M. Desmarais (René): Seulement peut-être un petit éclaircissement, M. le Président. C'est que, souvent, on a tendance à voir le chimiste uniquement travailler en laboratoire. Or, en milieu industriel, ce n'est pas le cas. Comme les technologues l'ont exprimé tantôt, on est souvent appelés à intervenir au niveau de la production et on ne se retrouve pas uniquement en laboratoire, on se retrouve à tous les échelons de la production. Et c'est à ce niveau-là que nos préoccupations sont principalement exprimées.

Le Président (M. Boulianne): Mme la ministre.

Mme Goupil: Alors, si je comprends bien, c'est que finalement vous demandez que... Vous êtes en accord avec l'avant-projet de loi dans la mesure où on exclut... que vous fassiez partie d'une exclusion, tout le champ de la chimie.

M. Desmarais (René): C'est exact, M. le Président.

Mme Goupil: Merci.

Le Président (M. Boulianne): Monsieur, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?

M. Boivin (Martial): Oui.

Le Président (M. Boulianne): Allez-y.

M. Boivin (Martial): Qu'on ajoute cette exclusion ou qu'on précise davantage les définitions pour rassurer l'un et l'autre, à savoir qui doit faire quoi. Donc, ça serait une alternative possible aussi à l'exclusion totale.

Le Président (M. Boulianne): Mme la ministre, est-ce que ça répond?

Mme Goupil: Pour le moment, oui.

Le Président (M. Boulianne): Est-ce qu'il y avait autre chose?

Mme Goupil: Merci.

Le Président (M. Boulianne): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Ça serait simplement une précision que j'aimerais avoir. Lorsqu'on parle d'«ingénieur-chimiste», est-ce que c'est la même chose que «chimiste»?

M. Desmarais (René): C'est qu'on ne parle pas d'«ingénieur-chimiste», on parle d'«ingénieur chimique»; il y a une petite différence. Il existe en Europe des ingénieurs qui sont aussi des chimistes; on peut être ingénieur et chimiste. Mais on peut être ingénieur en procédés chimiques, c'est-à-dire qu'on travaille à ce moment-là avec des matériaux ou des choses comme ça. Mais un ingénieur chimique n'est pas un chimiste, c'est un ingénieur qui pratique, qui travaille avec des produits chimiques à ce moment-là.

M. Côté (Dubuc): Donc, ça n'existe pas; c'est soit ingénieur, soit chimiste.

M. Desmarais (René): Bien, ça existe... C'est ça. Ici, ça n'existe pas. Ça existe ailleurs. Ça existe en Europe, par exemple, où il y a des pratiques d'ingénieurs-chimistes, oui.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup. Oui, M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Merci, M. le Président. Vous avez dit que vous êtes d'accord avec le projet de loi si cette exception est faite pour les chimistes, et j'aimerais peut-être que vous fassiez des commentaires sur les discussions qu'on a eues cet après-midi avec d'autres groupes en relation avec les entreprises et la compétitivité des entreprises et l'effet du projet de loi. Il y a des personnes qui disent que les actes exclusifs décrits à l'article 2 et l'absence des exceptions vont affecter les entreprises, la création d'emplois. Et aussi, il y aurait un effet négatif sur les PME en leur imposant une révision complète de leurs opérations, les coûts additionnels avec les charges réglementaires additionnelles. Alors, vos membres travaillent dans l'industrie, dans l'entreprise, et ce serait très intéressant d'avoir votre point de vue sur ces commentaires qui ont été faits et vos observations.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député. Alors, M. Desmarais.

M. Desmarais (René): D'accord, M. le Président, je vous remercie. L'Ordre ne s'est pas penché... L'Ordre s'est limité, dans l'étude de l'avant-projet de loi, exclusivement aux éléments qui pouvaient créer un problème avec l'Ordre des chimistes. La raison pour laquelle on a limité notre intervention relève de deux points principaux: d'abord, parce que nous avons des ressources limitées pour faire ce genre de travail et, deuxièmement, parce qu'on travaillait aussi parallèlement à ça, c'est-à-dire qu'on était en attente de la révision de la loi sur les ordres professionnels dans son ensemble; il y a déjà plusieurs discussions qui se passent dans ce domaine-là depuis déjà plusieurs années. Alors, on a été sous l'impression qu'on aurait à intervenir à un autre niveau à ce moment-là. Quand la réforme de la loi sur les ordres professionnels serait remise en question, à ce moment-là on prévoyait élaborer davantage sur les impacts que ça pouvait avoir. Alors, malheureusement, on s'est limité uniquement à notre champ de pratique.

M. Bergman: Vous avez fait des références et commentaires sur l'article 27 et l'effet négatif sur votre Ordre d'émettre des factures pour les travaux que vous avez faits. Est-ce que vous pouvez expliquer les craintes que vous avez en relation avec l'article 27?

Le Président (M. Boulianne): Merci. Alors, M. Desmarais ou M. Boivin? Alors, M. Martial Boivin, allez-y.

M. Boivin (Martial): Je reviens un peu sur les définitions. Compte tenu qu'on élargit les définitions, compte tenu qu'on se donne des exclusivités, compte tenu qu'on a tenté de démontrer également que le chimiste collaborait dans certains travaux, certains projets, dans des équipes multidisciplinaires, avec l'ingénieur, appliqué tel quel et si l'Ordre des ingénieurs devait faire des inspections professionnelles pour savoir si quelqu'un empiète sur ses exclusivités, effectivement ça a pour effet d'élargir son champ, par conséquent. Donc, c'est en relation avec l'ensemble de notre perception des définitions et des exclusivités qu'on en arrive à la conclusion que, s'ils appliquent cela, nécessairement ils vont rencontrer un chimiste en milieu industriel qui va cohabiter sur certains procédés et puis ils auront à se poser certaines questions, à savoir: Est-ce que l'un exécute le mandat qu'il doit bien faire? Est-ce que l'autre est dans ses limites? C'est dans ce sens-là, M. le député, que nous apportons nos commentaires à l'article 27.

M. Bergman: Vous avez une recommandation de prudence à la commission en relation avec l'article 11.

M. Boivin (Martial): Oui.

(16 h 40)

M. Bergman: Je me demande si vous avez une opinion sur l'article et l'effet sur le système professionnel pour une surveillance des compagnies qui agissent dans ce domaine.

Le Président (M. Boulianne): M. Desmarais.

M. Desmarais (René): M. le Président, je pense que là on n'a pas a priori de réticence particulière à ce qu'éventuellement cette reconnaissance-là soit faite. La seule chose qu'on fait, c'est qu'on fait une mise en garde, parce que ça ne concerne pas uniquement l'Ordre des ingénieurs, ça concerne l'ensemble des ordres professionnels. Alors, on aimerait bien pouvoir y participer si jamais ça devait se faire.

Le Président (M. Boulianne): Ça va, monsieur?

M. Bergman: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Boulianne): Oui, une autre question, monsieur? Merci. M. le député de Verdun.

M. Gautrin: M. le Président, d'abord une petite question très, très générale et après je viendrai sur un détail... Est-ce que, et ce que le député de Dubuc avait soulevé comme question... Pour devenir membre de l'Ordre des chimistes, qu'est-ce qu'il faut? Est-ce qu'un diplômé en génie chimique peut devenir membre de l'Ordre des chimistes?

M. Desmarais (René): Non, M. le Président, un diplômé en génie chimique ne devient pas membre de l'Ordre des chimistes. Pour devenir membre de l'Ordre des chimistes, on doit satisfaire à certaines conditions qui sont très précises au niveau des cours qui doivent être suivis dans le domaine de la chimie. Alors, il y a des critères très spécifiques, il y a des universités reconnues et il y a des équivalences aussi pour ceux qui viennent de l'étranger. Mais il y a un certain nombre de cours dans différents domaines de la chimie qui doivent être suivis pour satisfaire aux exigences.

M. Gautrin: Bon. Permettez-moi de vous dire que ça serait peut-être bon de réfléchir sur cette question parce que entre les gens qui sont diplômés en génie chimique et les chimistes, pour connaître un petit peu la question, il n'y a pas grand différence, même au niveau des cours. Parce que la question que vous avez soulevée – maintenant je vais aller de votre côté – ce que vous soulevez dans votre document, si je comprends bien, c'est qu'un ingénieur qui est donc membre de l'Ordre des ingénieurs et qui est diplômé en génie mécanique ou en génie informatique, qui n'a eu qu'un seul cours de chimie, à moins que je ne me trompe, après le cégep, qui est un cours de chimie physique – après le cégep, je crois qu'il n'y en a qu'un dont la formation des gens en génie mécanique et en génie informatique, à moins que je ne trompe, mais il n'y en a pas beaucoup en tout cas – pourrait faire des évaluations, des bilans technologiques d'une entreprise qui oeuvre dans le domaine de la chimie, tandis qu'un chimiste ne pourrait pas? Est-ce que c'est bien la manière dont vous lisez la loi? C'est-à-dire, quelqu'un qui a eu un seul cours de chimie après le cégep pourrait faire une évaluation, un bilan technologique, parce qu'il est membre de l'Ordre, tandis que quelqu'un qui est chimiste ne pourrait pas le faire. Est-ce que c'est la manière dont vous lisez la loi?

M. Desmarais (René): C'est-à-dire que je ne peux pas présumer, M. le Président, de ce que l'Ordre des ingénieurs permettrait aux ingénieurs d'effectuer ou de ne pas effectuer parce que...

M. Gautrin: Non, mais la lecture de la loi...

M. Desmarais (René): ...j'imagine qu'il y a quand même certains contrôles. Mais, effectivement, c'est une des interprétations qui pourrait...

M. Gautrin: Si vous me permettez, monsieur. Actuellement, la lecture de la loi ne fait pas de distinction dans la loi, dans l'Ordre des ingénieurs, entre ingénieur diplômé en génie chimique, ou diplômé en génie informatique, ou diplômé en génie industriel. C'est tous des gens qui sont membres. Donc, on arrive, lorsqu'on s'implique réellement dans le domaine de la chimie et compte tenu de la formation qu'auront des gens, des ingénieurs qui sont formés en génie et qui ont, par exemple, la formation en génie informatique, ils n'auront eu absolument, je crois, et je ne suis même pas sûr qu'ils l'auront eu, qu'un seul cours de chimie après le cégep. C'est bien ce qu'est actuellement l'économie du projet de loi.

Le Président (M. Boulianne): M. Desmarais.

M. Gautrin: Je vous remercie, M. le Président, c'est assez concluant.

Le Président (M. Boulianne): Merci, M. le député de Verdun. M. le député, ça va? J'ai encore quelques minutes. Ça va aussi. Alors, je vous permettrais, M. Desmarais, de conclure.

M. Desmarais (René): Alors, en conclusion, M. le Président, nous aimerions, au nom de l'Ordre des chimistes du Québec, remercier la commission de nous avoir permis de présenter notre mémoire cet après-midi. Merci beaucoup.

Mme Goupil: ...

Le Président (M. Boulianne): Oui, Mme la ministre.

Mme Goupil: J'aimerais juste qu'on puisse apporter un petit peu... parce que j'ai comme l'impression qu'au niveau du Code de déontologie il y a quand même des mesures qui existent et peut-être nous en faire part un peu parce qu'il y a quand même... ça existe, et de la façon dont vous fonctionnez à votre Ordre avec le Code de déontologie... Comment ça fonctionne puis quelles sont les mesures que vous prenez pour vous assurer que, finalement, les gens qui font partie de votre Ordre font un travail pour lequel ils ont les compétences pour le faire?

Le Président (M. Boulianne): M. Desmarais.

M. Desmarais (René): M. le Président, il y a un processus qui est semblable à ceux qui existent dans les autres ordres professionnels, d'inspection professionnelle, qui nous permet de faire sur une base régulière des interventions ponctuelles dans le milieu et de rencontrer nos membres et de surveiller la nature des travaux qu'ils font. Vous avez raison, on a un Code de déontologie avec lequel on est appelé à travailler et on s'assure du respect de ces exigences-là. C'est la façon dont on contrôle le travail de nos membres. Dans le cas où il y aurait dérogation ou des choses comme ça, il peut y avoir des poursuites ou des recommandations pour amener des correctifs ou même, à la limite, suivre des cours qui leur permettent de parfaire leur formation.

Le Président (M. Boulianne): Ça va, Mme la ministre? Alors, M. Desmarais, M. Boivin, on vous remercie beaucoup.

Mme Goupil: Merci.

Le Président (M. Boulianne): Alors, la commission continue. Alors, nous allons entendre le Conseil des responsables de l'informatique du secteur public, je lui demanderais de se présenter à la table, ainsi qu'un représentant de la Fédération de l'informatique du Québec. Nous allons distribuer aussi le mémoire.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Boulianne): Alors, la commission souhaite la bienvenue au Conseil des responsables de l'informatique du secteur public et, je pense, au représentant de la Fédération de l'informatique du Québec. Alors, soyez les bienvenus. Nous vous donnons la parole pour présenter votre équipe.


Conseil des responsables de l'informatique du secteur public (CRISP)

M. Leclerc (Jacques): Merci beaucoup. Alors, je tiens à vous remercier de nous recevoir. Nous avons soumis un court rapport, un court mémoire à la commission, et notre exposé sera assez court. Il nous fera plaisir de répondre à toutes vos questions par la suite.

Je suis accompagné de deux dames, comme vous voyez: à ma droite, Francine Thomas, qui est directrice générale du Conseil des responsables de l'informatique du secteur public, appelé communément le CRISP, et, à ma gauche, Michèle Drouin, vice-présidente de la Fédération de l'informatique du Québec.

Des voix: Bonjour.

Le Président (M. Boulianne): Bonjour.

M. Leclerc (Jacques): Moi-même, je suis ici à titre de président d'une commission de gestion des ressources humaines en technologies de l'information au sein du gouvernement du Québec. C'est un groupe de travail formé par le CRISP, qui s'occupe principalement de gestion des ressources humaines dans le domaine de l'informatique.

Donc, présentation du Conseil des responsables de l'informatique. On regroupe une soixantaine de membres qui sont des directeurs de l'informatique au gouvernement du Québec. Dans chacun des ministères et organismes, vous avez un directeur de l'informatique; il peut porter un nom différent, dépendant des ministères, mais nous sommes une soixantaine, regroupés sous le Conseil, sous le terme CRISP. Nous sommes des employeurs à toutes fins pratiques des informaticiens, de quelque 5 000 informaticiens au gouvernement du Québec, permanents et occasionnels, professionnels, techniciens et opérateurs en informatique.

(16 h 50)

Nos commentaires vont se limiter à un aspect comme tel de la loi. Nous n'avons pas l'intention de discuter de l'ensemble du projet de loi qui ne nous concerne pas vraiment à toutes fins pratiques, sauf un article qui vise l'élargissement évidemment de l'exercice de la profession des ingénieurs qui couvrirait l'ensemble, je dirais, des fonctions informatiques. En fait, l'article qui nous préoccupe, c'est le point 3° du paragraphe d de l'article 3 qui dit notamment: «La profession d'ingénieur s'exerce également à l'égard des autres ouvrages», et, au point d, on dit: «tout autre ouvrage servant au traitement, à la conservation, à l'utilisation, à la transmission, à l'émission ou à la réception d'informations par des moyens électroniques, électromagnétiques, optiques ou autres moyens de même nature». Alors, pour nous, c'est le champ de compétence des informaticiens à toutes fins pratiques. Nous nous sommes permis de regarder la définition d'un informaticien dans Le Petit Robert et on dit que l'informatique, c'est la science de l'information, l'ensemble des techniques de la collecte, du tri, de la mise en mémoire, de la transmission et de l'utilisation des informations traitées automatiquement à l'aide de programmes – logiciel – mis en oeuvre sur ordinateurs.

Alors, la profession d'informaticien est une profession qui est très large, qui couvre un ensemble de disciplines. J'ai travaillé personnellement en gestion des ressources humaines pendant plusieurs années et je peux vous dire que c'est une profession qui... Porter le titre d'informaticien, je dirais que c'est... il y a des diplômés de différentes... vraiment des disciplines tout à fait différentes, tout à fait variées. C'est vraiment un domaine multidisciplinaire qui permet de faire évoluer davantage la profession. Donc, on retrouve des informaticiens dans le secteur de l'industrie, dans le commerce, dans les finances, dans la consultation informatique, dans les services, dans l'éducation, dans la santé et dans différents paliers gouvernementaux.

L'Association professionnelle des informaticiens et informaticiennes du Québec, l'APIIQ, regroupe 1 200 membres. La Fédération de l'informatique du Québec regroupe quelque 2 400 membres. C'est pour ça qu'on est représentés aussi par la FIQ ici, c'est qu'on est tous d'accord sur le fait que faire encadrer la profession d'informaticien par les ingénieurs cause certains problèmes, puis on va vous expliquer plus précisément pourquoi.

Au gouvernement du Québec, la classification comme telle... il existe une directive de classification qui dit qu'un informaticien, un analyste en informatique doit posséder une formation, un Bac en informatique ou toute autre discipline appropriée. Donc, on accepte dans cette profession-là des gens qui sont de discipline de l'informatique de gestion, des ingénieurs en informatique, même des gens qui n'ont pas une formation comme telle en informatique, mais qui ont acquis une certaine expérience en informatique qui fait qu'ils sont capables d'exercer une profession de professionnel ou de technicien en informatique.

Donc, cette formation-là est très diversifiée et donnée par plusieurs universités, plusieurs collèges. Nous avons des Baccalauréats en informatique pure, des Baccalauréats en mathématiques, des Baccalauréats en informatique de gestion. Plusieurs professionnels détiennent des mineures même en informatique offertes par des programmes connexes, en administration par exemple. Deux universités seulement offrent une formation en informatique de génie, alors que l'École polytechnique offre un Baccalauréat en génie informatique. Les deux disciplines sont très peu présentes dans la majorité des ministères et organismes du secteur public, et on retrouve ces profils surtout du côté des télécommunications.

En 1997, nous avions soumis... il y avait un avis sur l'opportunité de constituer un ordre professionnel d'informaticiens et informaticiennes par l'Office des professions; en fait, ça aurait regroupé quelque 6 500 diplômés en informatique. En comparaison, en génie informatique, on avait dénoté à ce moment-là 350 diplômés. Il nous apparaît donc excessif de vouloir privilégier une formation en génie au détriment d'autres formations tout aussi sinon plus pertinentes aux différents champs d'application de l'informatique et des technologies de l'information.

Vous savez qu'actuellement on parle dans les journaux de pénurie d'informaticiens. Nous croyons que le fait de faire encadrer nos informaticiens par des ingénieurs, ça ne réglerait pas le problème de pénurie, si ce n'est que ça pourrait accroître ce problème-là. On a des besoins de main-d'oeuvre dans l'industrie privée, aux États-Unis, au Canada, au Québec, qui sont très importants. Il y a un écart important entre l'offre et la demande d'informaticiens. Et le fait de réserver un certain type de tâches à des ingénieurs, ça priverait les informaticiens d'une évolution de carrière qu'ils ont connue et qu'il est tout à fait normal de connaître dans le contexte actuel d'une pénurie où on doit vraiment, je dirais, donner des responsabilités, donner des avantages pour attirer des compétences, notamment au gouvernement du Québec.

La reconnaissance de la profession d'informaticien. L'Office des professions, en 1997, a jugé qu'il n'était pas opportun de reconnaître un ordre professionnel aux informaticiens, et les arguments étaient: la difficulté d'imputer la responsabilité aux seuls informaticiens des différents types de préjudices ou dommages susceptibles d'être reliés à l'utilisation de l'informatique; l'existence de lois innovatrices au Québec relatives à la protection des renseignements personnels, y compris l'information sur support électronique, tant dans le secteur public que dans le secteur privé; et le risque d'étouffer un secteur en pleine croissance en encadrant et en cloisonnant un champ de travail reposant sur la multidisciplinarité. Donc, ça justifie davantage notre argumentation; le fait d'encadrer le travail des informaticiens par des ingénieurs, ça viendrait, je dirais, nuire au phénomène de multidisciplinarité du domaine de l'informatique.

En conclusion, nous croyons que, si on devait... pour assurer la santé et la sécurité, une meilleure protection du public, on pourrait créer un ordre d'informaticiens professionnels et nous serions certainement, avec les différentes fédérations, prêts à y collaborer. Mais ce qu'on demande, en fait, c'est le retrait pur et simple du point 3° du paragraphe d de l'article 3 qui nécessite un encadrement par un ingénieur de la profession des informaticiens. Voilà, à toutes fins pratiques.

Le Président (M. Boulianne): Oui. Je vous remercie beaucoup, M. Leclerc. Nous allons passer à une période d'échanges et de questions. Mme la ministre.

Mme Goupil: Merci, M. Leclerc. J'entendais, parce que je posais une question à Mme Chouinard... D'abord, je vous remercie beaucoup de la présentation que vous nous avez faite. Ma question, elle est simple: Est-ce que vous êtes régis par la Loi des ingénieurs telle qu'elle existe actuellement?

M. Leclerc (Jacques): À ma connaissance, je ne suis pas un spécialiste de la loi, je ne connais pas parfaitement la loi, mais je dirais que non, nous ne sommes pas régis par la loi, et rien ne s'applique... Nous développons des réseaux informatiques, nous installons des ordinateurs, nous développons des logiciels, et aucun ingénieur n'a à nous approuver dans nos différents travaux.

Mme Goupil: Alors, le fait que l'on inclue certains pans de l'informatique dans l'avant-projet de loi tel qu'il est présenté, pour vous, ça signifie un empiétement et une exclusivité qu'on voudrait se donner.

M. Leclerc (Jacques): Absolument.

Mme Goupil: C'est la lecture que vous en faites.

M. Leclerc (Jacques): Absolument.

Mme Goupil: D'accord.

Le Président (M. Boulianne): Merci, Mme la ministre. M. le critique de l'opposition officielle.

M. Bergman: Oui. Merci pour votre présentation. Comment est-ce que vous voyez la différence entre l'article 2 et l'article 3? Je pense que la clé de votre présentation, c'est entre ces deux articles. À l'article 2, c'est vraiment la partie exclusive, les actes réservés à l'ingénieur. L'article 3 décrit seulement le champ de pratique et le domaine de travail de l'ingénieur. Alors, moi, je n'accepte pas votre argument que, à cause du fait qu'il y a des éléments dans l'article 3 qui sont les mêmes que vos fonctions, il y ait un conflit, car l'article 3 peut être un champ partagé entre vous et les ingénieurs. Alors, moi, je vois mal où est votre problème, mais j'aimerais voir votre vision et votre interprétation de l'article 2 et de l'article 3 de l'avant-projet de loi.

M. Leclerc (Jacques): Ce qu'on comprend, nous...

Le Président (M. Boulianne): M. Leclerc, allez-y.

M. Leclerc (Jacques): Oui. Bien, je vais faire compléter par mes collègues, si elles veulent intervenir. Ce qu'on comprend, nous, c'est que le domaine de l'informatique serait encadré nécessairement... tous les gestes posés par un professionnel de l'informatique seraient encadrés, devraient être encadrés par un ingénieur. C'est ce qu'on comprend de la loi ou du projet de loi. Alors, c'est un peu ça qui nous cause problème, là.

(17 heures)

M. Bergman: Laissons-nous retourner un peu. Est-ce qu'il y a des éléments dans l'article 2 qui empiètent sur vos activités? Est-ce qu'il y a des éléments qui vous dérangent dans l'article 2? Car l'article 2 est l'article qui crée l'exclusivité. Alors, si vous n'avez pas un problème avec l'article 2, l'article 3, c'est seulement un partage des champs de pratique entre vous et les ingénieurs, plusieurs autres activités qui peuvent être partagées, dans l'article 3. Alors, moi, je vois mal votre problème si vous restez, vous vous plaignez sur les provisions de l'article 3.

Le Président (M. Boulianne): M. Leclerc ou Nme Thomas. Oui, allez-y.

Mme Thomas (Francine): À l'heure actuelle, tout ce qui concerne le bilan technologique pourrait aussi s'appliquer au domaine de l'informatique, tel que rédigé. Toutes les questions qui concernent l'évaluation des systèmes, l'évaluation des réseaux, ça fait partie du champ de compétence des informaticiens. Je voudrais ajouter aussi que, dans tout le domaine de l'informatique, à l'heure actuelle, M. Leclerc mentionnait que c'est multidisciplinaire, et toutes les tâches qui sont réalisées pour la conception, le développement, la mise en oeuvre et l'entretien de systèmes au gouvernement du Québec le sont par des équipes multidisciplinaires. Si on conçoit, par exemple, des interfaces personne-machine, bien sûr qu'il peut y avoir un ingénieur sur une équipe, mais il y a aussi un linguiste, il y a aussi quelqu'un en ergonomie, il peut y avoir quelqu'un qui est en psychologie et quelqu'un qui est en informatique, bien sûr. Donc, ce sont des équipes multidisciplinaires qui font l'ensemble de ces tâches-là, et ce sont aussi ces types d'équipe là qui vont faire le bilan technologique de l'application et qui vont faire l'évaluation de performance. Alors, dans ce sens-là, oui, l'article 2 pourrait s'appliquer aussi à notre profession.

Le Président (M. Boulianne): Merci beaucoup, madame. M. le député de D'Arcy-McGee et, après, M. le député de Verdun, ce sera votre tour.

M. Bergman: Est-ce que vous pouvez me dire quels paragraphes à l'article 2 peuvent empiéter sur vos fonctions?

Mme Thomas (Francine): Nous n'avons pas fait une analyse approfondie de tous les articles de loi, nous ne sommes pas des juristes ou des gens de droit. Ce qu'on voulait préserver dans ça, c'est le champ ouvert de la multidisciplinarité qui existe dans le domaine de l'informatique, qui a été reconnu par l'Office des professions, il y a deux ans, dans son avis d'opportunité pour la constitution d'un ordre professionnel, et qui est aussi reconnu dans au moins quatre provinces canadiennes à l'heure actuelle – je pense que ce sont des choses qui sont dites dans le mémoire que la Fédération de l'informatique du Québec vous a déposé et probablement aussi l'Association professionnelle des informaticiens et informaticiennes. Il y a au moins quatre provinces canadiennes, dont l'Ontario, qui ont reconnu un titre réservé aux informaticiens, ce qui n'est pas le cas au Québec, ça n'a pas été accepté, et c'est cette ouverture que l'on veut préserver.

Le Président (M. Boulianne): Est-ce que c'est dans le même ordre d'idées, M. le député de Verdun?

M. Gautrin: Oui.

Le Président (M. Boulianne): Oui. Alors, allez-y.

M. Gautrin: Je vais rentrer exactement sur le même ordre d'idées que mon collègue de D'Arcy-McGee et vous poser la question tel que, moi, j'aurais cru comprendre que vous auriez répondu.

La définition d'«ouvrage», qui se trouve donc au niveau 1 – d'accord? – parle bien sûr d'une oeuvre matérielle et de système. Or, si j'ai bien compris la jurisprudence jusqu'à maintenant, dans le concept d'oeuvre matérielle, le logiciel peut être considéré quand même comme une oeuvre matérielle tant qu'il a un support. Alors, si tant est que la définition d'«ouvrage» est une conception qui tient à une oeuvre matérielle incluse à l'intérieur de la définition d'«ouvrage», l'ensemble des logiciels, vous vous retrouvez donc à retourner dans l'article 2, madame, dans lequel on dit que concevoir un ouvrage fait partie donc du pouvoir exclusif de l'ingénieur. Dans ce cadre-là, à ce moment-là, la profession d'informaticien, et le principe même de la profession d'informaticien, est directement concernée par ce projet de loi, si tant est que la définition d'«ouvrage» inclut bien sûr la conception, la définition des logiciels et la définition – il n'y a pas seulement... et l'établissement des systèmes. Et par ce biais-là – je me permets, M. le député de D'Arcy-McGee de rentrer là – vous êtes directement concernés par le projet de loi, parce que la définition d'«ouvrage» peut inclure logiciels et la conception de systèmes et de réseaux informatiques et que l'article 2 limite aux ingénieurs simplement la conception des ouvrages. Est-ce que j'ai raison?

Mme Thomas (Francine): Tout à fait raison.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Boulianne): Est-ce que vous voulez ajouter dans le même ordre d'idées? Ça va? Dans le même ordre d'idées, M. le député de Dubuc, s'il vous plaît.

M. Côté (Dubuc): Alors, dans le même ordre d'idées, est-ce que je comprends qu'un programme qui évaluerait la structure d'une bâtisse, vous n'avez pas d'objection à ce que ce programme puisse être préparé avec la collaboration d'un ingénieur?

M. Leclerc (Jacques): Ce n'est pas dans notre champ de compétence. Donc, on n'a pas d'objection à ça, c'est sûr.

M. Côté (Dubuc): Voilà. Merci.

Le Président (M. Boulianne): Ça répond, M. le député de Dubuc?

M. Côté (Dubuc): Oui, très bien.

Le Président (M. Boulianne): Est-ce qu'il y en a qui ont d'autres questions? Ça va. Mme la ministre.

Mme Goupil: Juste souligner que c'est intéressant que vous nous ameniez ce point de vue là, cette perception-là, parce que, concrètement, sur le terrain, pour nous, ce n'est pas toujours évident de comprendre. Mais, de par la lecture que l'on en fait, vous avez, pas la crainte, mais ce que vous suscitez comme questionnement est pertinent de la façon dont c'est écrit, de cette façon-là. Je vous remercie.

Le Président (M. Boulianne): Alors, je peux vous donner une minute pour conclure, M. Leclerc.

M. Leclerc (Jacques): Je peux vous dire, rapidement, que l'évolution de la profession d'informaticien se fait au jour le jour puis ce n'est pas nécessairement sur les bancs d'école. Je peux vous dire qu'on prend des diplômés des collèges, des universités et on doit les former pendant des semaines, des mois et des années pour qu'ils deviennent compétents. Donc, ce qu'on veut, c'est que la profession continue d'évoluer pour faire en sorte qu'on suive le marché. Parce que, au Québec, on n'est pas nécessairement en avance en technologie de l'information et il faut se battre continuellement pour avoir des compétences et réussir à maintenir nos systèmes et à les faire évoluer. Alors, il ne faudrait pas qu'une loi, en fait, nous empêche d'évoluer en matière de technologie. C'est un peu nos craintes. C'est tout ce qu'on veut vous exposer.

Mme Goupil: Ce n'est pas le but recherché de la loi non plus.

Le Président (M. Boulianne): Très bien. Alors, Mme Drouin, Mme Thomas, M. Leclerc, la commission vous remercie. La commission aussi remercie les membres et ajourne ses travaux à demain matin, 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 7)


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