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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le jeudi 4 juin 1998 - Vol. 35 N° 133

Consultations particulières sur la déclaration de Calgary


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. Marcel Landry, président
M. Jacques Brassard
M. Jean-Marc Fournier
M. Mario Dumont
M. Camille Laurin
Mme Jocelyne Caron
M. Gilles Baril
M. Joseph Facal

Journal des débats


(Onze heures treize minutes)

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Nous allons débuter nos travaux. Je rappelle le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et tenir des audiences sur la déclaration de Calgary, notamment en ce qui a trait à la future entente-cadre sur l'union sociale, et ce, en regard des droits et compétences de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec et des revendications historiques de ces derniers.

M. le secrétaire, pourriez-vous nous annoncer les remplacements?

Le Secrétaire: Oui. Mme Houda-Pepin (La Pinière) est remplacée par M. Fournier (Châteauguay).

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien. Merci. Alors, je rappelle l'ordre du jour. Ce matin, nous débutons nos audiences avec M. Henri Brun. Ensuite, à 12 heures, nous recevrons M. Guy Lachapelle. Nous suspendrons les travaux à 13 heures. À 16 heures, nous reprenons les travaux avec M. Jean-François Gaudreault-DesBiens et, à 17 heures, nous recevons M. Réjean Pelletier. Nous ajournerons nos travaux à 18 heures.

Maintenant, compte tenu que les travaux en Chambre ont dépassé la période initialement prévue et que nous devions débuter à 11 heures, est-ce que vous consentez à ce que nous puissions poursuivre et reprendre les 14 minutes que nous avons perdues, en fait, au début de nos travaux?

M. Fournier: M. le Président, dans la mesure où la commission – puis ce n'est pas une obligation de résultat que je lui impute – tente de rejoindre les gens qui sont prévus pour 16 heures et 17 heures pour les faire venir selon l'horaire d'hier, en fait, un horaire qui colle un peu plus à la réalité de nos travaux à l'Assemblée nationale, à 15 heures et 16 heures plutôt qu'à 16 heures et 17 heures, si la commission et le Secrétariat consentent à tenter de les rejoindre – il est possible qu'ils soient dans la région, il y a un congrès du Barreau – alors, ce serait, je pense, utile de suivre l'horaire. Dans ce cas-là, je n'ai aucune difficulté de donner consentement pour le 15 minutes.


Auditions

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Ça va? Alors, on va faire les démarches, M. le député de Châteauguay, pour tenter de devancer les deux présentations de cet après-midi d'une heure respectivement chacune. Alors, j'inviterais maintenant M. Henri Brun.

M. Brun, bienvenue à la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, à la suite de laquelle présentation nous serons heureux d'échanger avec vous.


M. Henri Brun

M. Brun (Henri): Merci. Alors, M. le Président, Mmes, MM. les députés, d'abord, je dois vous dire que le document qui vous a été transmis, probablement, relativement à ma présentation est bien ce qu'il dit, c'est-à-dire qu'il s'agit de quelques notes sur, et non pas d'un mémoire comme on m'avait invité à le faire. Je n'avais pas la possibilité de faire un vrai mémoire. C'est donc un plan. C'est un plan qui devrait nous aider à se suivre les uns les autres.

Je dois dire, en deuxième lieu, que le juriste que je suis n'est pas nécessairement très confortable d'avoir à apporter des commentaires ou des appréciations sur un texte qui n'est pas juridique, un texte qui est une déclaration politique d'intention. Et je suis, de ce côté-là, bien heureux de voir que des non-juristes, des sociologues, politologues, historiens, vont être appelés, vont venir se prononcer, enfin, faire des commentaires sur cette déclaration.

Ça veut donc dire que – je pense qu'il ne devrait pas y avoir de débat là-dessus – je prends bel et bien pour acquis que la déclaration de Calgary, c'est cela, c'est-à-dire que c'est une déclaration politique d'intention et rien d'autre, et qu'il n'y a donc pas lieu de prendre pour acquis que c'est un document définitif, qu'il n'y a pas lieu, vraisemblablement, de le prendre non plus au pied de la lettre; c'est ainsi que je le prends.

Mais je le prends aussi comme étant un geste qui a une signification, qui n'est pas un geste sans objet, qui n'est pas un geste gratuit. Et cet objet, je suppose, j'espère de ne pas me tromper là-dessus, c'est d'indiquer au Québec la direction que devrait prendre la fédération canadienne dans les prochaines années, selon les premiers ministres des neuf provinces anglophones qui ont signé cette déclaration, ça devrait être indicatif de cela.

Alors, pour ma part, à partir de données juridiques – c'est mon domaine – j'ai cherché à voir quelle peut être cette direction quant à l'évolution de la fédération canadienne, cette direction indiquée par la déclaration de Calgary, à quel genre d'évolution constitutionnelle est-on convié ou, si vous voulez, autrement dit, quel est le message de la déclaration de Calgary quant à l'avenir du Québec dans la fédération canadienne?

Ma conclusion – et j'y reviendrai à la fin, bien sûr – dès maintenant, c'est que la déclaration de Calgary nous éclaire très peu – c'est un peu un euphémisme, c'est dit de façon retenue – la déclaration de Calgary nous éclaire très peu quant à cette direction que devrait prendre la fédération canadienne, selon les premiers ministres des provinces anglaises.

Au mieux, la déclaration de Calgary nous indique un peu l'inconnu, n'indique rien du tout ou, au pire, à certains chapitres, elle indique la mauvaise – entre guillemets – direction ou, en tout cas, pas tellement celle qu'il serait souhaitable de prendre pour le Québec. Et cela parce que – et je m'expliquerai là-dessus – ce document, cette déclaration, demeure un document éthéré, qui est très peu incarné dans la réalité, en tout cas dans son texte, dans sa teneur, dans son verbatim. C'est un texte qui est passablement ambigu, aussi, et enfin, c'est un texte qui est très incomplet.

(11 h 20)

Alors, je suis parvenu à cette conclusion en naviguant à travers le texte, en le lisant à plusieurs reprises – on peut le faire, le texte n'est pas tellement long – mais je vais aujourd'hui m'arrêter sur certains points en particulier. Et mon premier arrêt – c'est peut-être un peu surprenant – c'est le préambule de cette déclaration, parce que la déclaration de Calgary comprend un préambule qui est relativement élaboré, qui comprend cinq alinéas. En réalité, le préambule est aussi long que la déclaration, si on y regarde de près. Donc, on devrait avoir là des indications, normalement, de ce qu'indique la déclaration de Calgary. Normalement, un préambule nous indique les circonstances concrètes dans lesquelles se situe un texte, nous indique quel est le remède, avant le remède, quel est le problème, quel est le mal auquel on veut remédier et ensuite nous donne des indications générales quant au genre de remède qui devrait remédier, corriger ce mal.

Or, sur ces trois points, je dois dire que, à mon avis, le préambule de la déclaration n'a aucune signification. Il ne nous éclaire aucunement sur la raison d'être de cette déclaration et sur la finalité de l'exercice. On se demande pourquoi – après avoir lu ce préambule – pourquoi neuf premiers ministres se sont réunis, ont délibéré et ont fait cette déclaration. Le préambule emploie des mots qui sont neutres. On parle de renforcer la fédération, de la consolider, de l'améliorer, de la renouveler, et tout ça, mais à aucun moment on nous indique pourquoi et comment, en aucune manière. Est-ce qu'on doit aller dans un sens davantage centralisateur ou décentralisateur? Est-ce qu'on doit aller vers une asymétrie quelconque? On n'a aucune indication de cette nature.

Alors, plus particulièrement, rien ne permet, à partir de ce préambule, de constater que ses auteurs ont été mus par une question québécoise à laquelle il serait indiqué de répondre en donnant à la fédération canadienne, dans les prochaines années, une orientation particulière. On se garde là de toute espèce de constatation, même des faits les plus évidents, du fait que, dans cette fédération, il y a une province française et neuf provinces anglaises, qu'il s'agit là d'une réalité dont on devrait tenir compte dans un réaménagement des choses.

Donc, à partir du préambule, donc à partir de ce qui est explicite quant aux intentions – un préambule est là pour expliciter les intentions au-delà du dispositif qui suit – on a affaire à un texte qui est, à mon avis, particulièrement pusillanime. Volontairement ou non, on occulte la réalité, on n'en parle pas.

Mon deuxième arrêt dans la déclaration, c'est le paragraphe 2 de la déclaration, c'est-à-dire la clause d'égalité des provinces. Le paragraphe 1 sur l'égalité des individus ne m'inspire pas de commentaires en ce qui regarde ce qui nous concerne ici. Le paragraphe 2 sur l'égalité des provinces: La question que soulève l'énoncé de ce principe est de savoir de quelle égalité on parle ici. Le concept d'égalité en droit – c'est mon domaine – n'est pas un concept univoque. Est-ce qu'on parle d'égalité réelle, d'égalité factuelle ou est-ce qu'on parle d'égalité juridique, d'égalité formelle ou normative? Selon la Cour suprême du Canada, l'égalité, comme droit fondamental, c'est l'égalité réelle. Et la Cour suprême du Canada nous précise que cette égalité réelle se réalise souvent grâce à des normes juridiques différentes, grâce à des régimes juridiques différents. C'est par la différence juridique qu'on réalise l'égalité. Et, à l'inverse, elle nous dit aussi, la Cour suprême du Canada, qu'un même régime juridique, une seule et même norme appliquée à tous, engendre la discrimination, engendre l'inégalité. La Cour suprême, dans un arrêt récent, en avril 1998, a même reconnu que l'égalité dans certains cas exigeait que l'État intervienne afin d'établir un statut particulier à l'endroit de certains groupes, étant donné leur vulnérabilité.

Bien. Alors, la question c'est de savoir de quoi il est question au paragraphe 2. Est-ce que c'est de cette égalité réelle ou d'une égalité formelle? La réponse, je pense, n'est pas évidente. Le texte est équivoque à ce sujet-là. Si on se réfère un petit peu plus loin dans le texte, au paragraphe 5, par exemple, et qu'on y voit l'énoncé du fait que la société québécoise a un caractère unique, on peut penser que c'est d'égalité réelle dont il s'agit au paragraphe 2. Mais rien n'est moins sûr. Mais on peut très bien parler du caractère unique comme d'une constatation de fait dont on n'aura pas à tenir compte au plan juridique ensuite.

Et, justement, la formulation même de la clause de l'égalité du paragraphe 2 est troublante à cet égard-là ou, en tout cas, va dans le sens contraire. On dit que toutes les provinces sont égales malgré les caractéristiques propres à chacune, donc, elles sont égales peu importent les caractéristiques propres à chacun. Pour voir la différence, je pense qu'il est intéressant de contraster cette formulation avec celle de l'accord de Charlottetown, par exemple, où l'on disait que les provinces sont égales dans le respect de leur diversité. À l'inverse, on disait là que c'était une égalité qui doit tenir compte de la diversité, qui doit tenir compte des dissemblances, des différences entre les provinces, alors qu'ici on semble indiquer que c'est l'égalité malgré des différences.

Bon, est-ce que c'est de la mauvaise rédaction, une rédaction malhabile? Je ne le sais pas, mais une chose est certaine, c'est qu'il y a là ambiguïté et ambiguïté fondamentale. C'est tout à fait crucial comme question pour le Québec, il me semble, et il faudrait que cela soit précisé, et précisé dans un sens bien particulier. Il faudrait que le Canada dise clairement que ce dont il s'agit ici, lorsqu'il parle d'égalité des provinces, c'est d'égalité réelle, factuelle, et non pas d'une égalité juridique normative. À défaut de quoi, à la limite, il faudrait que soit supprimée toute allusion à cette question d'égalité des provinces, parce que, dans la situation actuelle des choses, déjà, la Cour suprême du Canada, dans une certaine mesure, tient compte de la spécificité québécoise, tient compte dans sa jurisprudence que le Québec est dans une situation particulière. Or, si on énonce un principe d'égalité formel ou ne serait-ce qu'un principe d'égalité ambigu, ça donne le signal à la Cour suprême qu'elle doit retraiter; enfin, ça pourrait être tout à fait contre-productif. Donc, à défaut d'être très précis à l'effet que l'on veut ici une égalité interprovinciale, une égalité entre les provinces qui soit réelle, concrète, qui tienne compte des différences factuelles, à défaut de cela, bien, il faudrait qu'on n'en parle pas du tout.

Par ailleurs, sur un plan plus formel, il faudrait aussi que soit indiqué, à un moment ou l'autre, ce qu'on entend faire d'une telle clause. Est-ce que c'est un principe qui devrait guider une réforme constitutionnelle, est-ce que c'est un principe d'interprétation? Si oui, qu'est-ce qu'on en fait? On le met dans la Constitution? en dehors? dans le préambule? etc. Toutes ces choses-là ont leur importance, et il faudrait que les précisions soient apportées à ce sujet.

Mon troisièmement arrêt dans la déclaration de Calgary, c'est le paragraphe 5, paragraphe qui porte sur le caractère unique de la société québécoise, entre autres; c'est sur cet aspect des choses que je vais m'arrêter. Ça veut donc dire que je n'ai rien à dire, de commentaires à faire sur le paragraphe 3, la clause qui porte sur la tolérance et la compassion sans pareilles, ou le paragraphe 4, sauf peut-être dire que j'ai un peu l'impression qu'au paragraphe 4 on évacue, encore une fois, l'idée de biculturalisme fondé sur l'existence de deux peuples originaires dans cette fédération au profit d'un multiculturalisme. Ce n'est pas très clair, mais j'ai l'impression que ce paragraphe 4 va dans ce sens; M. Ryan a souligné ça, et j'ai ce sentiment. On donne dans le sens d'un multiculturalisme déjà énoncé dans la Charte canadienne des droits, à l'article 27, et qui a donné lieu à une certaine jurisprudence de la Cour suprême.

(11 h 30)

Alors, je reviens à mon point 3, qui porte sur le paragraphe 5: le caractère unique de la société québécoise. Je dois dire, d'abord, qu'il est difficile pour les juristes, enfin, d'un point de vue juridique, de spéculer sur le sens, sur le poids de l'énoncé, en tenant compte des mots qui sont utilisés, d'abord parce que les notions qu'on utilise sont des notions nouvelles ou des notions qui ne sont pas consacrées en droit, qui n'ont pas de sens reconnu en droit. Par exemple, le mot «société» au lieu du mot «peuple» est un mot qui n'a pas de sens particulier en droit, du moins en droit constitutionnel. Le fait, donc, qu'on emploie le mot «société» plutôt que «peuple», ce qu'on fait dans le cas des autochtones au paragraphe précédent, bien, c'est un choix en faveur de l'inconnu. Il y a quelque chose dont on ne connaît pas le sens en droit.

De la même façon, on emploi le mot «unique», on parle de caractère unique maintenant plutôt que distinct, une société distincte, alors que le concept, la notion de distinction avait fait l'objet d'un certain consensus dans l'accord de Meech, et la notion de distinction est reconnue, elle a un certain sens en droit.

Mais ce pourquoi à mes yeux à moi la clause, le caractère unique est difficile à cerner d'un point de vue juridique, c'est surtout parce qu'on ne nous dit pas, on ne nous dit rien quant à savoir ce qu'on veut en faire. Et pour moi, c'est extrêmement important. Pour moi, personnellement, tout est là ou à peu près, au-delà des mots qu'on utilise.

Est-ce qu'il s'agit d'un principe qui devrait présider à une réforme du partage des compétences dans la fédération canadienne et qui pourrait conduire à un partage des pouvoirs qui serait asymétrique? Si c'est cela, fort bien, très bien, je pense que l'idée devrait être très bien accueillie; mais rien n'est moins sûr. Je pense qu'il s'agit plutôt – c'est la deuxième hypothèse – simplement d'un principe, ce qu'on met de l'avant, il s'agit d'un principe d'interprétation judiciaire, c'est-à-dire simplement d'un principe confié aux tribunaux et donc à la Cour suprême du Canada, en bout de ligne, dont les tribunaux, dont la Cour suprême peut se servir à son gré, à sa merci, si elle pense qu'il y a matière à interprétation. Bien, je pense que tel est le cas. Je pense qu'il s'agit d'un principe d'interprétation et rien de plus, comme c'était le cas dans Meech et dans Charlottetown d'ailleurs.

Moi, personnellement, je ne suis pas du tout convaincu qu'un principe d'interprétation soit à la hauteur de ce qu'on veut réparer, de ce qu'on veut arranger, si je saisis bien ce qu'il y a à réparer. Un principe d'interprétation pour remplacer ou pour refaire ce qui a été fait en 1982, ou rééquilibrer les choses, je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. Il faut quand même avoir à l'esprit qu'en 1982, dans le rapatriement de 1982, en adoptant une Charte canadienne des droits et libertés, on a opéré un transfert massif de pouvoirs vers une institution fédérale qui s'appelle la Cour suprême du Canada.

Alors, simplement maintenant lui confier un principe d'interprétation en espérant qu'elle tiendra compte de ce principe d'interprétation, je ne suis pas sûr que ce soit à la hauteur et je suis encore moins sûr que ce soit à la hauteur de ce qu'il faudrait arranger en termes de partage des compétences, parce que l'évolution du partage des compétences, dans un sens, c'est extrêmement centralisateur et précisément le fait de la Cour suprême du Canada depuis une vingtaine d'années.

De toute façon, prenons pour acquis qu'un principe d'interprétation a son intérêt, un certain intérêt. Je pense que l'intérêt, ici, est relatif, demeure relatif du fait qu'on ne fait aucune allusion à l'institution principale, la Cour suprême du Canada, qui va être appelée à appliquer cette clause d'interprétation, c'est-à-dire la Cour suprême du Canada. Dans Meech, au moins il y avait deux clauses parallèles portant sur la Cour suprême du Canada et qui donnaient un certain sens à la clause d'interprétation de société distincte. D'une part, on entrait dans la Constitution le principe que trois juges de la Cour suprême allaient devoir venir du Québec, du Barreau du Québec, et d'autre part, de façon plus importante, on prévoyait que les juges de la Cour suprême allaient venir, allaient devoir être nommés en vertu d'un processus fédéral-provincial, par une démarche conjointe fédérale-provinciale. Ici, on n'a rien de cela. Et moi, il me semble que même si on pense, ce sur quoi j'ai des doutes encore une fois, mais si on pense qu'une clause d'interprétation judiciaire est d'un intérêt réel pour le Québec, je pense que dans la mesure où on ne touche pas du tout à la Cour suprême du Canada cette réalité d'intérêt s'émousse sérieusement.

Bref, là-dessus, sur toute cette question de la reconnaissance du Québec comme ceci ou comme cela, il me semble que le problème est un problème d'institution, à savoir l'arbitre judiciaire, la Cour suprême du Canada, et non pas un problème de formulation. Personnellement, je trouve un petit peu affligeant tout ce débat autour de formulations. On joue avec des mots: société, spécial, unique, exotique, érotique, je ne sais trop! Mais il me semble que le vrai problème n'est pas là. Et, si on a à l'esprit une clause d'interprétation judiciaire, ce sur quoi il faut se pencher, c'est sur la réforme de ces institutions judiciaires, de la Cour suprême du Canada particulièrement, dans le contexte d'une fédération où l'arbitrage est approprié, où l'arbitrage n'est pas confié à une institution fédérale.

Quatrième point sur lequel je vais m'arrêter brièvement, c'est le paragraphe 6 de la déclaration de Calgary où l'on parle d'attribution de pouvoirs à une province. Évidemment, l'idée exprimée est intéressante puisque, si on fait allusion au fait que des pouvoirs puissent être attribués à une province – et j'ai bien souligné le mot «une» – c'est dire que l'on conçoit, que les auteurs de la déclaration, ici, conçoivent qu'eux et le Canada vraisemblablement sont prêts à admettre qu'il puisse y avoir dans la fédération canadienne une certaine asymétrie, qu'il n'est pas nécessaire que toutes les provinces, les 10 provinces, aient exactement les mêmes pouvoirs. Donc, bonne nouvelle de ce côté-là.

Mais je pense qu'il faudrait, pour que l'affirmation, l'énoncé du principe soit vraiment crédible, il serait nécessaire qu'en même temps on modifie la façon de modifier la Constitution, la formule d'amendement, ou, en tout cas, qu'on annonce une intention, une volonté que soit modifiée la façon d'amender la Constitution. Parce que ce qu'il faut savoir, c'est que, pour accorder des pouvoirs ne serait-ce qu'à une province ou à deux provinces, mais ne serait-ce qu'à une province, il faut procéder suivant la formule 7-50, c'est-à-dire qu'il faut l'accord du Sénat, de la Chambre des communes et de sept assemblées législatives provinciales représentant 50 % de la population du Canada. Alors, ce qui fait que c'est un des aspects de la camisole de force au plan de l'évolution constitutionnelle par amendement, en tout cas, c'est qu'il est à peu près impossible de faire la chose, c'est-à-dire de confier des pouvoirs à une province. Alors, il faudrait donc que ça s'accompagne d'une modification constitutionnelle dans ce sens-là.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Brun, si vous voulez accélérer, parce que vous avez déjà pris 22 minutes, et je sais que les gens veulent vous questionner.

M. Brun (Henri): Bien oui. Je m'excuse. Alors, je vais essayer d'aller vite pour terminer tout en m'excusant de ce que je n'ai pas trop pris soin de...

Le paragraphe 7, ce que j'appelle le «concert» fédéral-provincial, cette clause de la déclaration est en deux parties. Et la deuxième partie, qui porte sur les programmes sociaux, me semble être une reconnaissance, enfin, l'idée d'une reconnaissance – j'essaie de voir vers quoi on pointe, qu'est-ce qu'on nous annonce – l'idée d'une reconnaissance explicite du pouvoir fédéral de dépenser et d'édicter des normes nationales dans cette matière. J'ai l'impression que c'est simplement l'idée d'apporter un chapeau constitutionnel à l'entente-cadre sur l'union sociale.

Alors, bien sûr, pour le Québec, ça va en sens diamétralement opposé de ses désirs depuis longtemps exprimés, et il serait absolument nécessaire à cet égard-là que deux des éléments de Meech réapparaissent pour permettre que cela puisse exister pour les neuf autres provinces – les neuf provinces anglaises souhaitent cela – il faudrait absolument que le Québec puisse bénéficier des deux droits de retrait qui existaient dans Meech: le droit de retrait à l'encontre d'une modification constitutionnelle et le droit de retrait à l'encontre de programmes sociaux ou de programmes à frais partagés.

(11 h 40)

Ceci m'amène à ma conclusion que j'annonçais dès le départ, donc ce caractère éthéré de la déclaration, le fait qu'on ne fasse aucune espèce d'allusion au fait que, si on s'adonne à cet exercice, si ses neuf auteurs se sont adonnés à cet exercice, c'est parce qu'il y avait une question québécoise, parce qu'il y avait une partie importante de la population québécoise qui n'est plus satisfaite de l'état de la fédération, que ce soit en raison de 1982, du transfert massif de pouvoirs en 1982, ou que ce soit en raison de l'évolution du partage des compétences, en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada; ambiguë parce que, sur des points cruciaux, la déclaration n'est pas claire sur certains points importants; enfin, incomplète en ce sens que la déclaration ne touche qu'à une des neuf conditions de l'accord du lac Meech. Je dis bien les neuf conditions parce qu'on a toujours parlé des cinq conditions de Meech, mais enfin, les cinq conditions de Meech étaient au nombre de neuf. Dans la déclaration de Calgary, il y a seulement la clause de caractère distinct qui porte sur un de ces sujets. Les neuf autres sujets sont laissés pour compte.

Alors, de ce contexte-là, il est difficile pour moi de conclure que, de par son contenu en tout cas, cette déclaration est un pas dans la direction du Québec, que c'est un geste annonciateur de modifications juridiques accommodantes pour le Québec, de par le contenu. Peut-être que d'un point de vue politique – d'un point de vue non juridique mais plutôt politique – on peut dire que le geste en lui-même, peu importe son contenu, a un sens symbolique. Il peut aussi y avoir un certain intérêt, comme l'a dit quelqu'un hier, on nous met la main sur l'épaule gentiment, peut-être. Mais, d'un point de vue juridique, relativement au contenu, je pense qu'il est bien difficile de voir un pas significatif dans la direction du Québec.

Je vous remercie. Je m'excuse de mes quelques minutes de dépassement.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Brun. J'inviterais maintenant M. le ministre. Compte tenu du temps qui nous est imparti, je vais partager également entre le gouvernement et l'opposition le temps qu'il nous reste.

M. Brassard: Merci, M. le Président. D'abord, merci, M. Brun, d'avoir accepté l'invitation de la commission de venir échanger avec nous sur la déclaration de Calgary.

Vous êtes le premier des témoins à nous parler du préambule de la déclaration de Calgary. Je pense que ce n'est pas sans intérêt, parce que ça nous permet, en tout cas ça me permet de mettre en relief le dernier paragraphe du préambule qui est très significatif, je pense, et où l'on fait justement directement référence au processus qui est en cours présentement et qui vise à aboutir à la conclusion et à la signature d'un accord-cadre, d'une entente-cadre sur l'union sociale, puisque, dans le quatrième paragraphe du préambule, on dit: «Les premiers ministres et les dirigeants territoriaux ont rendu publique une déclaration portant sur la refonte des politiques sociales – donc, on y fait directement allusion – et cette déclaration expose les modalités de collaboration avec le gouvernement fédéral dans les sphères des soins de santé et des programmes sociaux.»

Quand on relie cela à l'article 7 de la déclaration, je pense qu'on se doit de conclure, à ce moment-là, qu'il y a, dans la déclaration de Calgary, une reconnaissance explicite de la part des neuf premiers ministres du Canada anglais, et maintenant de huit Parlements, du rôle et des responsabilités du gouvernement fédéral en matière de programmes sociaux, en matière de santé, en matière de ce qu'on appelle maintenant l'union sociale.

Quand le député de Châteauguay brandit ce texte portant sur la refonte des politiques sociales, y donnant publiquement son adhésion, ça constitue un virage tout à fait historique parce qu'il n'y a aucun gouvernement du Québec, jusqu'à maintenant, aucun gouvernement du Québec, y compris les gouvernements libéraux, qui a reconnu de façon explicite que le gouvernement fédéral avait un rôle à jouer et des responsabilités et une fonction à assumer en matière de programmes sociaux, en matière de santé.

Je ne vous dis pas que le gouvernement fédéral n'est pas présent dans ces secteurs-là. Oui, il l'est. Il l'est depuis un bon bout de temps. Puis, il l'est, on sait comment. Ça s'est produit par le recours au pouvoir fédéral de dépenser, en utilisant les ressources de la fiscalité. Le gouvernement fédéral est très présent dans ces secteurs-là et continue de l'être.

D'ailleurs, l'apparition de surplus budgétaires à Ottawa lui donne l'occasion de multiplier de nouveau les interventions et les politiques en matière sociale, en matière de santé, d'éducation. Donc, je pense qu'il est important de mettre en lumière cette reconnaissance. Vous l'avez d'ailleurs signalé, cette reconnaissance explicite que le gouvernement fédéral a désormais un rôle à jouer, reconnu, en matière de santé, en matière de programmes sociaux, en matière d'éducation. Et on peut conclure que les premiers ministres du Canada anglais souhaitent que cette reconnaissance puisse éventuellement devenir une reconnaissance constitutionnelle.

Donc, on sait maintenant où le Parti libéral du Québec loge à cet égard. Il adhère maintenant, c'est ce que le député de Châteauguay nous dit – M. Charest aussi, probablement – il adhère au fait que le gouvernement fédéral joue un rôle en matière de santé et de programmes sociaux et que ce rôle-là soit reconnu explicitement et constitutionnellement, ce que, encore une fois, aucun gouvernement au Québec n'a jamais fait.

Ma question porte sur la clause 6 qui permet une dévolution de pouvoirs. Vous l'avez tout à l'heure évoquée. Ça exige, pour que ça puisse être mis en oeuvre, ça exige un amendement constitutionnel. Mais, d'une façon plus précise, est-ce que ça n'exige pas un amendement de la formule d'amendement elle-même, une modification de la formule d'amendement elle-même? Ce qui veut dire, à ce moment-là, que c'est l'unanimité qui est requise puisque, pour modifier la formule d'amendement, il faut l'unanimité. Donc, c'est peut-être encore plus compliqué que ce que vous affirmiez tout à l'heure.

Pour qu'on puisse envisager qu'une province – une province – puisse se voir attribuer une nouvelle compétence ou un nouveau pouvoir, d'abord, il faut que le fédéral accepte, forcément. D'abord, il faut qu'il y consente. Mais en plus, constitutionnellement, ça veut dire une modification de la Constitution et, de façon plus particulière, ça veut dire – vous me corrigerez si j'ai tort – une modification de la formule d'amendement. Donc, ça veut dire exigence d'unanimité.

M. Brun (Henri): Oui. C'est juste. Je n'ai pas fait allusion, tout à l'heure, à la façon de modifier la formule d'amendement. Il reste que, dans l'état actuel des choses, pour que des pouvoirs soient accordés à une province, il faut un amendement constitutionnel suivant ce qu'on appelle la formule résiduelle, la formule 7-50, comme je le disais tout à l'heure, ce qui rend la démarche très improbable, très difficile à réaliser.

Alors, pour que l'idée qu'il puisse y avoir possiblement ce genre de manoeuvre, que des pouvoirs puissent être confiés à une province, il faudrait, à toutes fins pratiques, de facto, qu'on modifie la formule d'amendement à ce chapitre-là pour faire en sorte que ça puisse se faire de façon bilatérale, par exemple, et non pas multilatérale – 7-50 – que ça puisse se faire par un accord fédéral-provincial, par exemple.

C'est ce qu'on retrouvait dans Meech au sujet de l'immigration. On prévoyait que des ententes constitutionnelles en matière d'immigration allaient pouvoir devenir constitutionnelles comme résultat d'une démarche bilatérale. Donc, on modifiait, sur ce sujet précis de l'immigration, la façon d'amender la Constitution. Mais ici, évidemment, on n'a rien de tel. On ne parle de rien de ça.

(11 h 50)

Et tout ce que je dis, donc, c'est que, pour que soit vraiment crédible, l'idée que des pouvoirs soient accordés à une province et non pas à toutes, il faudrait modifier la façon de modifier la Constitution et cela – effectivement, je ne m'étais pas jusque là tout à l'heure – exigerait une démarche à l'unanimité, parce que c'est prévu dans la Loi constitutionnelle de 1982, à l'article 41, que la façon de modifier la Constitution ne peut se modifier qu'à l'unanimité du Sénat, la Chambre des communes et toutes les assemblées législatives de toutes les provinces.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Merci, M. le Président. Bonjour, Me Brun. Peut-être un petit rappel sur hier. Nous avons M. Laforest qui est venu nous voir hier et qui nous a parlé d'impérialisme du fédéral et, ce matin, en lisant les journaux, je voyais l'article dans Le Devoir sur Jean-François Lisée qui suscite la grogne: «Plusieurs ministres reprochent au conseiller d'outrepasser ses prérogatives.» Des ministres attribuent à Jean-François Lisée les maladresses politiques récentes de Lucien Bouchard – du premier ministre, excusez-moi – et je me suis dis que, comme le ministre qui est devant nous est visé par cet article, peut-être trouvait-il, hier, lorsque M. Laforest nous parlait d'impérialisme du fédéral, peut-être, lui-même ne sentait-il pas l'impérialisme du bunker autour de son action.

Par ailleurs, parlant de maladresse dont il est question dans cet article sur Jean-François Lisée, il y a Chantal Hébert qui remet les pendules à l'heure pas mal au niveau du dernier virage que le Parti québécois, le Bloc québécois et le député de Rivière-du-Loup – je ne dis pas l'ADQ parce que ce n'est pas l'ADQ – le député de Rivière-du-Loup avec le PQ et le Bloc dans le nouveau copinage avec le Reform et, quand on parle de danger de ces nouvelles positions dont le ministre faisait état tantôt, Chantal Hébert rappelle bien l'abandon de la francophonie canadienne que le gouvernement du Parti québécois avec le député de Rivière-du-Loup s'apprêtent à faire. Et puis, il y a aussi le pouvoir de l'union fédérale sur les normes nationales que maintenant le ministre des Affaires internationales appuie, sur les institutions financières aussi.

Une voix: ...

M. Fournier: Parlant de virage, je vais revenir tantôt sur ce que le ministre qui impute à l'opposition des positions à l'égard de l'union sociale, sur laquelle on va revenir parce que vous en parlez, Me Brun, concernant le préambule et l'union sociale, lorsqu'on lui sert la même médecine, il n'apprécie guère. Peut-être que, pour l'avenir, il saura être un peu plus juste dans les propos qu'il aura.

Revenons à vous, Me Brun. Je me souviens du jour où vous vous êtes présenté à la commission de l'étude des offres; je n'étais pas autour de la table mais j'étais dans les parages. C'était avant Charlottetown, vous savez, les deux commissions qui avaient suivi Bélanger-Campeau. C'était le 10 octobre. Quand j'ai su que vous étiez sur la liste et que vous veniez, je me suis rappelé cette présentation. Je me souvenais de l'entrée en matière que vous aviez faite. C'était quelques jours, vous vous souvenez, il y avait un article dans Le Soleil qui paraissait avec une photo de vous avec Claude Morin. Vous étiez allés faire une présentation devant l'association péquiste de ce comté-là et vous étiez outré qu'il y ait eu une photo dans le journal parce que, disiez-vous, vous rencontriez les gens de tous les partis. Puis, il y avait une photo, puis c'était un petit peu avant d'arriver.

J'ai fait sortir le transcript de l'époque. D'entrée de jeu, vous dites à l'époque: «Je remercie la commission aussi d'une façon générale de m'avoir invité, ça m'honore. En fait, peut-être même que je devrais vous remercier d'avoir maintenu l'invitation malgré un certain reportage dans Le Soleil lundi qui ne m'a pas rendu heureux du tout, qui a faussé un peu – disiez-vous – une réalité. À ce moment-là, j'étais allé simplement répondre à des questions juridiques auprès de membres d'un parti comme je l'avais déjà fait antérieurement auprès des membres d'un autre parti. Donc, je crois que l'impression qui était donnée par ce reportage était fausse.»

Et je pense que c'est important, lorsqu'un témoin se présente ici, que les impressions soient les bonnes. Et on me souffle de l'autre côté que ce n'est pas un témoin, c'est un expert. Je pense que c'est important, les impressions, lorsqu'on a affaire à des témoins experts. C'est pour ça que vous allez me permettre, en tout respect, de quand même souligner votre appartenance au groupe qui s'appelle Des intellectuels pour la souveraineté, comme témoin expert. Comme témoin expert vous êtes aussi un des co-auteurs, avec Jean-François Lisée, de qui je parlais, de la Déclaration de souveraineté, du Grand Théâtre de Québec, même un donateur du Parti québécois.

Et, comme je parlais Des intellectuels pour la souveraineté, il est toujours bon de rappeler... Ça ne vous vise pas du tout, mais ça vise le ministre, à qui j'ai déjà posé la question aux crédits il y a deux mois ou trois mois, je lui demandais pourquoi il avait envoyé ou donné 5 000 $ de discrétionnaire à IPSO, aux Intellectuels pour la souveraineté. Je n'ai pas eu de réponse, puis ce n'est pas le but de ma question pour vous, aujourd'hui, mais simplement de rappeler les impressions. Vous aviez raison, c'est important de préciser qui on est quand on vient à une commission. Et, soit dit en passant, je ne remets pas du tout en question le fait que vous soyez dans IPSO ou que vous ayez écrit cette Déclaration, mais c'est important, comme vous l'aviez fait en 1991, de rappeler ce contexte à l'égard, comme le disait ma collègue de Pointe-aux-Trembles, du témoignage d'un témoin expert.

Vous parlez du préambule de Calgary. J'imagine que vous faites référence – c'est ma première question, d'entrée de jeu, je vais vous montrer le document – vous faites référence... Moi, ce qui est marqué «communiqué»... Parce que je sais que le ministre a lu un passage, tantôt, puis je l'ai retrouvé là-dedans, alors je me suis dit: C'est peut-être de ça dont il est question: «Accord des premiers ministres pour consulter la population canadienne sur l'unité, communiqué», puis ça commence, «Calgary, 14 septembre 1997...» C'est bien de ce document-là dont on parle?

M. Brun (Henri): Oui, je crois bien.

M. Fournier: Très bien, merci. Seulement pour qu'on se comprenne, parce que là le communiqué est devenu un préambule. Je pense que là aussi c'est important de rappeler que c'était un communiqué. À mon avis, en tout respect pour votre opinion, j'ai l'impression qu'on a plus affaire à un communiqué, puisque c'est ça qui est marqué, qu'à un préambule d'un texte qui pourrait être juridique.

Et vous parlez, donc, de ce communiqué. Le ministre a cité un passage pour dire, je parle du pouvoir de dépenser, et qui dit qu'on a fait tout un virage. Simplement pour vous rappeler que, dans les discussion – puisque le communiqué fait état des discussions que tiennent les provinces actuellement – dans ce communiqué, il est donc question des discussions qui sont tenues et, parmi ces discussions-là, les provinces envisagent notamment le droit de retrait avec indemnisation inconditionnelle suivant un modèle un peu du type Meech. C'est ce qui est prévu dans des documents avec lesquels les provinces travaillent présentement pour élaborer une nouvelle union sociale en encadrant le pouvoir fédéral de dépenser.

Ce qui est dans ce document-là est une position que le ministre a lui-même qualifiée, il y a à peine – ce n'était pas hier, c'est avant-hier – à peine deux jours, il disait que, oui, c'est vrai, il y a un libellé qui est sur la table à propos de l'encadrement du pouvoir de dépenser et il dit: «Un libellé qui semble faire l'affaire d'un bon nombre de provinces et qui se rapproche, je l'ai dit, de la position... qui est très proche – alors il précise, là – qui est très proche de la position historique du Québec en cette matière.»

Ce matin, à travers vous, il essaie de dire que le Parti libéral du Québec, reprenant ses propos, fait tout un virage. Alors, je pense qu'on vire ensemble; si c'est un virage, on s'accompagne. Le seul problème, c'est que, moi, je dénonce le fait que le ministre ne travaille pas avec les provinces pour qu'on puisse avoir une force de frappe pour convaincre le fédéral, pour faire un contrepoids. Et c'est ce que je dénonce depuis le tout début.

Ça me ramène à la conclusion de votre texte. Je vais m'arrêter simplement sur le qualificatif de votre conclusion – on pourrait faire le tour mais on n'aura pas le temps – celui où vous la qualifiez d'incomplète «en ce qu'elle ignore – dites-vous – complètement huit des neuf points de l'accord du lac Meech et en ce qu'elle ne touche mot du partage des compétences que pour sembler – que pour sembler! – avaliser le pouvoir fédéral de dépenser et de normer en matière de programmes sociaux».

(12 heures)

Est-ce que, ensemble, on ne pourrait pas convenir au moins d'une chose, c'est que le texte de Calgary, le communiqué et les principes qui l'accompagnent, ne participent pas d'une même démarche que celle que l'on a pu connaître soit à l'époque de Meech ou même à l'époque de Charlottetown? C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de faire un projet global et que, en conséquence, lorsqu'on regarde cette déclaration arriver et qu'on regarde tout ce qui s'est passé autour...

Bon, je prends toujours le même exemple, en 1997 – pour ne prendre que l'année où ça s'est produit – il y a eu une entente sur la main-d'oeuvre, il y a eu l'approfondissement de l'union économique à St. Andrews au mois d'août. Voilà deux chantiers différents qui ne sont pas contenus bien sûr dans Calgary mais qui se passent à ce moment-là. Il y a un amendement constitutionnel; il est toujours bon de le rappeler – on ne peut le passer sous silence, c'est assez important, un amendement constitutionnel, ça montre que, oui, c'est possible d'avoir des amendements constitutionnels – sur les commissions scolaires linguistiques. C'est dans ce cadre-là qu'intervient cette déclaration de Calgary.

Et bien sûr aussi depuis deux ans... Ça a commencé à Terre-Neuve en 1995, un peu avant le référendum, la discussion sur l'union sociale, comment les provinces pouvaient, tout en travaillant de concert avec le gouvernement fédéral, reprendre leurs billes, avoir le contrôle de leur destinée, s'assurer que les solutions seraient adaptées à leur situation. Travailler de concert dans un système fédéral, ce n'est pas incorrect. Quand on est pour la séparation, on ne veut pas travailler de concert, je le comprends, mais on le dit comme ça. Mais, quand on regarde comment les provinces ont avancé à l'égard du pouvoir fédéral de dépenser, peut-être qu'on apprend des choses sur ce que signifie le «de concert».

Alors, ma question, c'est la suivante: Est-ce qu'on ne peut pas convenir ensemble qu'on ne procède pas en ce moment du même genre de démarche qu'il y avait du temps de Meech ou de Charlottetown, et que maintenant, ce sont des chantiers beaucoup plus éclatés, je dirais, à gauche et à droite, mais que les avancées se font là et que, pour avoir une opinion complète, il faudrait tenir compte de l'ensemble de ces chantiers-là?

M. Brun (Henri): Je ne sais pas s'il faut construire une courtepointe... Ce n'est pas ce qu'on m'a demandé. On m'a demandé de faire des commentaires sur un certain document qui s'appelle la déclaration de Calgary. J'ai dit d'emblée, au départ, j'ai exprimé même l'idée que le juriste n'est pas tout à fait à l'aise, n'est pas 100 % à l'aise de faire des commentaires sur un texte qui n'est pas de nature juridique, qui n'est pas une loi, un règlement, un jugement. Donc, j'admets très bien qu'il s'agit d'une déclaration et rien d'autre que ça, comme je l'ai dit, d'une déclaration politique d'intention. J'ai même précisé que c'était là un document qu'il ne fallait pas vraisemblablement prendre au pied de la lettre, un document qui pouvait être appelé à évoluer, soit en tant que document, mais que le geste lui-même puisse avoir des suites.

En tant que juriste, je pense qu'on est... Je laisserai mes collègues juristes s'exprimer pour eux-mêmes, mais je pense que le juriste peut quand même tirer certaines lignes de force d'un document à l'aide de matériel juridique pour tenter de voir – même si ça ne peut avoir le degré de précision, relatif d'ailleurs, que pourrait avoir une opinion sur un projet de loi – mais tenter de voir ce que nous annonce cette déclaration politique d'intention.

Si on la prend telle qu'elle est, avec son environnement immédiat, c'est difficile d'aller ramasser – je ne suis pas un journaliste – à gauche et à droite tout ce que ces neuf premiers ministres ont pu dire en marge, à côté. Je me rappelle, par exemple, que M. Harris a ridiculisé un peu cette déclaration-là dont il était un des auteurs. Mais ça, ça ne me concerne pas tellement.

Moi, j'ai regardé le texte et j'en ai tiré les conclusions avec mon éclairage juridique. Si on prend ce texte à son mérite, au mérite de son contenu, il apparaît nous indiquer la direction x plutôt que la direction y. Cette direction x nous convient en tant que Québécois ou ne nous convient pas. Mais les choses peuvent changer, peuvent évoluer, et des choses non convenables, non acceptables peuvent le devenir. Voilà.

M. Fournier: Donc, ce que vous me dites, c'est que dans l'étude que vous avez faite...

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay, vous avez déjà dépassé votre temps. J'invite le député de... Vous savez, votre préambule était disons un peu long, alors...

M. Fournier: M. le Président, je m'excuse, mais vos commentaires ne sont pas tellement adaptés à notre règlement, pour dire le moins. Le ministre a eu des commentaires aussi très longs; je ne vous ai pas entendu faire cette remarque. J'ai le droit, durant ma période, de faire...

M. Brassard: Je suis votre mauvais exemple.

M. Fournier: J'ai le droit, M. le Président, de faire les remarques, lorsque je pose mes questions... À moins que vous me disiez que je n'ai pas le droit.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Je ne dis pas que vous n'avez pas le droit. Je soulignais la longueur de votre préambule compte tenu qu'il durait dix minutes et demie.

M. Fournier: En vertu de quel droit ou de quel principe vous pouvez vous permettre ce genre de commentaire?

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay, je vous souligne qu'en commission parlementaire, lorsqu'on fait venir des gens pour les interroger, il faut en profiter pour les interroger. Je ne vous conteste pas le droit de faire la longueur de préambule, mais je tenais à souligner qu'évidemment, si vous aviez d'autres questions à poser, il aurait fallu qu'elles soient plus rapides.

M. Fournier: Oui, je dois juste vous rappeler que j'ai voté avec le député de Rivière-du-Loup contre cette commission qui occulte tout ce qui se passe dans la Santé.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Dumont: Alors, merci, M. le Président. D'abord, je voudrais, moi, au contraire, remercier le député de Châteauguay pour sa contribution aux travaux de notre commission. Autour d'une revue de presse tout à l'heure – ce matin, j'avais un déjeuner de travail, j'avais raté la revue de presse de Salut, bonjour! – je pense que sa contribution a été fort généreuse à ce point de vue là.

Juste sur son interprétation, par contre, de la revue de presse et de l'intérêt que des gens au Québec, entre autres les gens de mon parti, portent à ce qui se passe avec l'opposition officielle à Ottawa, c'est qu'on voit là de facto, par écrit, des propositions qui ne sont pas parfaites, mais qui sont ce qui se rapproche le plus du rapport Allaire. C'est sûr qu'au Parti libéral, quand il y a des choses qui se rapprochent du rapport Allaire, c'est dur de les comparer, parce qu'il n'en reste pas plusieurs copies. Puis celles qui restent, je pense qu'il en reste une enveloppée dans le papier noir pour garder la machine à café égale, mais je pense que, dans les filières de la bibliothèque, il n'en reste pas plusieurs copies.

Et je veux enchaîner avec ma question parce que, hier, sur la question de l'égalité des provinces, ou avant-hier, je pense, il y a un autre juriste qui nous a dit que l'égalité des provinces n'était pas nécessairement un concept si grave que ça en termes d'interprétation dans la mesure où ce n'est pas une égalité. Et là, vous, vous avez des termes plus précis pour... Vous qualifiez l'égalité entre, je ne sais pas, normative... Je n'ai pas les termes exacts, mais... Et ce qu'il nous disait en même temps, c'est: Un transfert de pouvoir législatif peut, en ce sens-là, être beaucoup plus significatif pour le Québec que toutes les clauses interprétatives – société unique, distincte, peuple – pour exprimer justement la distinction de la société québécoise dans le concret.

Mais, si on extensionne ça avec un projet de loi qui semble aller de l'avant, un projet de loi qui, lui, irait vraiment dans le concret sur des transferts au niveau des compétences législatives, mais qui inclurait quelque part dans son préambule l'idée de l'égalité des provinces, en termes d'interprétation, en termes de droit – je pense que c'est là-dessus qu'on veut vous entendre – ce seraient quoi les valeurs relatives de ça, à votre avis?

M. Brun (Henri): Je pense qu'effectivement une clause d'égalité des provinces peut ne pas être catastrophique, peut même, à la limite, être bienvenue pour le Québec. Ça dépend essentiellement du sens qu'on lui donne. S'il s'agit – c'est les mots de la Cour suprême du Canada – d'égalité réelle, d'égalité incarnée dans les faits, d'une égalité qui tient compte des différences sur le terrain, bien, ça peut être tout simplement bénéfique. Si, à l'inverse, c'est une égalité juridique ou normative ou formelle, à ce moment-là c'est complètement inacceptable pour le Québec. Ça revient à dire qu'il n'existe rien de tel dans la fédération canadienne que l'existence d'une province française et de neuf provinces anglaises et de tout ce qui se rattache à cette constatation de base.

Et le problème, c'est que la déclaration de Calgary, là-dessus, ne nous rassure pas. Il n'y a pas d'indication claire et évidente, et tout ce que je me suis employé à faire, c'est d'appeler ou de mentionner la nécessité d'une clarification à cet égard-là parce que, en bref, c'est un peu comme je le dis dans mon texte, le principe d'égalité des provinces peut signifier carrément une chose ou son contraire dépendant du sens qu'on lui donne.

Et encore une fois, il n'y a rien de rassurant si on remonte à 1981, l'époque où est née, je pense, cette idée d'égalité des provinces, parce que la question de l'idée d'égalité des provinces n'a pas toujours existé dans la fédération canadienne, loin de là. Le grand principe d'égalité dans la fédération canadienne, c'est un principe d'égalité entre le fédéral et les provinces. Ça, c'est le principe d'égalité qui avait été dégagé par le Comité judiciaire du Conseil privé dans sa jurisprudence: le fédéral n'était pas supérieur aux provinces et vice-versa. Mais, depuis que le Comité judiciaire n'est plus le tribunal de dernière instance, que c'est la Cour suprême, bien, c'est une idée qui a disparu, et elle a été remplacée maintenant par ce qui est complètement différent: l'idée d'une égalité entre les provinces.

(12 h 10)

Et quand ça a été exprimé, je pense, pour la première fois, dans des discussions entre les premiers ministres du Canada, on disait bien qu'il s'agissait d'égalité juridique, donc d'égalité normative, d'égalité formelle. Ça n'a pas eu de suites à ce moment-là. Dans Charlottetown, on ne le précise pas tout à fait clairement, mais on dit quand même que c'est une égalité qui tient compte des différences ou des spécificités provinciales.

Alors, moi, tout ce que je souhaiterais, c'est qu'on dise, qu'on nous fasse savoir qu'il s'agit bien de cela, qu'il s'agit bien d'un objectif d'égalité réelle, qu'on emploie les mots clairs pour le dire, ce qui n'est pas si compliqué, et auquel cas une clause d'égalité pourrait avoir un sens tout à fait recevable pour le Québec, effectivement.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Bourget.

M. Laurin: M. le Président. Merci, M. Brun, pour votre présence. Pour ma part, je reconnais la qualité de votre expertise juridique et constitutionnelle et je ne tenterai pas de la discréditer par des propos qui se situent complètement en dehors de ce champ.

Donc, je crois qu'il faut accorder extrêmement d'attention à votre conclusion que cette déclaration de Calgary est éthérée, ambiguë et incomplète, enfin, parce qu'elle est à des années-lumière des demandes historiques du Québec, alors que la déclaration de Calgary se voulait une réponse à ces demandes du Québec. Je pense qu'on doit conclure qu'elle a manqué le pas et que la direction qu'elle prend, comme vous le disiez, au mieux est inconnue et au pire, ça va dans le mauvais sens, dans le sens contraire à ce que la population du Québec attendait.

Lors de la première journée des audiences, un autre expert que vous connaissez bien, Jacques Frémont, nous disait que, depuis l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour suprême a rendu plusieurs jugements qui ont eu pour effet de renforcer les pouvoirs de l'État fédéral, à tel point qu'il craignait qu'on n'assiste dans les faits à une municipalisation des provinces. Par ailleurs, dans votre conclusion, sur laquelle vous n'avez pas eu le temps véritablement d'épiloguer, vous dites que vous constatez, vous aussi, une évolution extrêmement centralisatrice du partage des compétences depuis 20 ans sous l'égide de la Cour suprême du Canada.

Ma question, c'est: Est-ce que vous avez fait des analyses, des études à ce sujet? Il semble que vous y référiez dans votre conclusion. Et, si oui, quel est le sens ou quelles sont les conclusions des études ou des analyses que vous avez pu faire à cet égard?

M. Brun (Henri): Oui. Je dois dire mon accord... Je ne l'ai pas entendue, j'ai vu seulement un reportage dans les journaux de la présentation de mon collègue Frémont. Je dois dire que, telle que je l'ai vue là, je suis entièrement d'accord avec ce qu'il a dit. Il existe – et je pense que cette chose est tout à fait indéniable – une jurisprudence de la Cour suprême du Canada depuis un certain nombre d'années – 15 à 20 ans, en tout cas – qui va dans un sens extrêmement centralisateur. M. Jacques Frémont parlait d'une municipalisation des provinces. Moi, j'emploie plutôt une autre expression, elle se trouve à la toute fin de mon texte. Je parle d'un Canada de plus en plus unitaire et de moins en moins fédératif.

Je pense qu'on est de moins en moins dans une fédération, parce que l'essentiel d'une fédération, c'est cette égalité à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, l'égalité de statut juridique entre le pouvoir fédéral et le pouvoir provincial. Et de plus en plus, de moins en moins, c'est le cas, le fédéral joue le violon et les provinces dansent. Il y a vraiment une hiérarchisation. M. Bourassa parlait de fédéralisme dominateur, dans ses mots très réservés, mais en fait, je pense que tout ça nous amène à constater que c'est de moins en moins fédératif et de plus en plus unitaire, en ce sens en tout cas que le fédéral a maintenant les moyens, grâce à cette jurisprudence de la Cour suprême, d'avoir le dernier mot en toutes matières. Il n'existe plus un vrai partage des compétences lorsque le fédéral a les moyens, en vertu de tel, tel principe élaboré, développé, ou ressuscité par la Cour suprême du Canada, d'avoir le dernier mot en toutes matières et, s'il ne le fait pas dans certains cas, c'est tout simplement parce qu'il se retient pour des raisons purement politiques. Juridiquement, il aurait les moyens de faire à peu près n'importe quoi.

Vous me demandiez aussi si l'étude avait été faite. Personnellement, oui, j'ai travaillé le sujet, pas de façon immédiatement récente, j'ai fait un travail pour le Barreau, une certaine année, qui a été présenté au congrès du Barreau, le congrès équivalent à celui qui commence aujourd'hui, et j'ai aussi participé à une étude du gouvernement du Québec, du SAIC, du Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, qui a donné lieu à un rapport considérable. Je pense bien que c'est ce qu'il y a de plus élaboré, développé, documenté qui a été fait là-dessus, un rapport d'à peu près 250 pages qui a été fait sous le gouvernement antérieur, en 1991, et qui tirait ces conclusions-là de façon claire et nette.

Bien sûr, je pourrais en dire plus, citer tel ou tel arrêt qui a consacré tel ou tel principe centralisateur. Je pourrai y revenir s'il y a lieu, mais...

M. Laurin: J'espère, M. le Président, qu'on pourra prendre connaissance de ce rapport.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci. Alors, M. Brun, je tiens à vous remercier au nom des membres de la commission des institutions. J'inviterais maintenant M. Guy Lachapelle. J'aimerais aussi, avant qu'on entreprenne la prochaine présentation, vous soulignez qu'il y a eu une inversion dans les présentations, cet après-midi, de sorte que M. Réjean Pelletier sera ici à 15 heures. Alors, la commission reprendrait ses travaux à 15 heures et non à 16 heures.

M. Lachapelle, bonjour et bienvenue à la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes. Alors, deux minutes avant la fin de votre présentation, je vais vous le souligner. Alors, si vous n'avez pas eu le temps de compléter vous pourrez peut-être profiter des questions aussi pour compléter votre exposé, parce que je sais qu'il est quand même substantiel.


M. Guy Lachapelle

M. Lachapelle (Guy): M. le Président de la commission, membres de la commission, mesdames et messieurs, je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir invité à vous adresser la parole aujourd'hui. Tout document de nature constitutionnelle ou quasi constitutionnelle qui pourrait modifier ou affecter le développement social, culturel, politique ou économique du Québec mérite une discussion publique.

Le cadre de discussion sur l'unité canadienne, mieux connu sous le nom générique de déclaration de Calgary, proposé par les premiers ministres des provinces canadiennes en septembre 1997, constitue un énoncé de principes qui pourraient avoir des implications constitutionnelles importantes sur l'avenir politique du Québec. Si le gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces du Canada anglais et le gouvernement du Québec décidaient que ce document constitue le préambule ou le fondement d'une clause interprétative à un projet de modifications constitutionnelles, les conséquences pourraient être désastreuses pour le Québec. Ce serait une négation des positions traditionnelles du Québec en matière constitutionnelle.

Il faut également se demander, à la lecture de cette déclaration, si le Canada peut devenir une véritable démocratie d'accommodation ou de gouvernance partagée, c'est-à-dire un système de gouvernement capable de répondre aux besoins des citoyens du Québec et du Canada sans que l'on ait à opter pour des politiques standardisées ou uniformisantes.

Notre approche n'est pas celle, comme celle de mon collègue Henri Brun, d'un juriste, mais d'un politologue qui cherche à travers des modèles de gouverne politique à géométrie variable comment les besoins et les demandes des citoyens peuvent être mieux servis. Que l'on soit fédéraliste ou souverainiste, il y va de la responsabilité des gouvernements de proposer les ajustements nécessaires afin de favoriser la libre participation des citoyens à la vie démocratique. Ma profonde conviction est que le gouvernement du Québec devrait dès maintenant s'investir afin de préparer un cadre de référence définissant les éléments politiques et juridiques pouvant entourer un nouveau partenariat Québec-Canada.

(12 h 20)

Je prendrai donc les quelques minutes qui me sont allouées pour vous exposer mes inquiétudes quant au cadre de discussion proposé par les premiers ministres du Canada anglais. Avant d'aborder de front les sept articles de la déclaration, je voudrais discuter des principes qui sous-tendent ce document.

Trois principes sont énoncés dans l'entente: l'égalité des citoyens et des provinces, la diversité culturelle du Canada et la responsabilité du gouvernement fédéral dans la mise en place de normes nationales. Un quatrième principe doit désormais s'ajouter suite à l'adoption par la Colombie-Britannique d'une version élargie de la déclaration: c'est le principe de la subsidiarité. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a voulu annexer à la déclaration trois éléments importants: un, que les normes nationales en matière de santé soient établies conjointement par le gouvernement fédéral et les provinces; deux, que le montant de transferts fédéraux aux provinces en matière de santé, d'éducation et d'aide sociale soit calculé par habitant; et trois, que les provinces disposent de plus de pouvoirs, notamment dans le domaine des pêches.

Il faut bien souligner que le gouvernement de la Colombie-Britannique a eu l'impression que, derrière la déclaration de Calgary, se cachaient d'autres desseins qui pourraient à long terme miner les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces. Le Canada vit des conflits sur le partage des pouvoirs depuis longtemps, et l'attitude de la Colombie-Britannique démontre bien qu'il faut être méfiant quant aux conséquences d'un appui aux principes de Calgary.

La lecture de la déclaration doit aussi se faire dans le contexte plus global de la continentalisation et de la mondialisation de nos économies. Depuis la signature du traité de libre-échange nord-américain, il faut reconnaître qu'il devient impérieux pour les gouvernements de jouir d'une plus grande autonomie. Ils doivent faire preuve d'ouverture et de coopération et favoriser la mise en place de mécanismes de décisions internes qui soient à la fois flexibles et respectueux des demandes particulières des économies régionales et subnationales. De plus, et c'est là un des constats de nos recherches, ce sont les nations ayant des identités fortes qui sont et seront les plus aptes à répondre aux défis de la mondialisation. Le Québec a, de ce point de vue, toutes les ressources politiques et humaines pour être un acteur de premier plan.

De ce corollaire découle notre diagnostic: ce n'est pas en voulant occulter des identités régionales et nationales au Canada, à travers un processus de «nation-building» du type de Calgary, que le gouvernement fédéral pourra réduire son déficit démocratique et proposer des solutions traduisant davantage les préoccupations des citoyens et des citoyennes du Québec et des provinces canadiennes.

Article 1. Bien que la grande majorité des citoyennes et des citoyennes soient sans doute d'accord avec ce principe, il faut bien souligner que l'objectif ici est de faire en sorte que les droits individuels aient primauté sur les droits collectifs. Pour vous en convaincre, je vous signalerais qu'un groupe de pression du Canada anglais écrivait que l'objectif de l'article 1 était le suivant, et je cite: «L'égalité des citoyens devant la loi veut rassurer ceux et celles pour qui la notion de droits collectifs provoque des craintes profondes et qui misent plutôt sur la Charte canadienne des droits et libertés.» Pour les Québécois et les Québécoises, la Charte canadienne des droits et libertés ne peut et ne doit pas être interprétée sans référence à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Dans le jugement Oakes de 1986, le juge en chef Dickson affirmait que «les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société». Dans un jugement récent, Thompson-Southam de la semaine dernière, le juge Antonio Lamer affirmait: «La Charte ne doit pas être un obstacle au progrès social et démocratique.»

Ce sont ces principes que nous aurions aimé voir inscrits dans la déclaration de Calgary car nous craignons, surtout à la lumière de quelques jugements récents, que la démocratie québécoise et les valeurs de participation des citoyens et des groupes au processus politique et démocratique ne soient menacées par l'arbitraire d'une Charte qui ne vise qu'à promouvoir les droits individuels.

Il faut donc s'interroger sur le sens véritable que les premiers ministres du Canada anglais ont voulu donner à l'idée de l'égalité de tous les citoyens et citoyennes. Dans les faits, nous savons tous que les citoyens ne sont pas nécessairement égaux. La vie démocratique a toujours été au coeur des préoccupations du gouvernement du Québec, et l'égalité politique des citoyens demeure un objectif louable. La loi québécoise sur le financement des partis politiques risque à tout moment d'être remise en cause par une Charte qui n'est pas le reflet de nos valeurs démocratiques. La Charte constitue une menace à la culture politique du Québec.

L'article 2. L'égalité de statut des provinces est un concept vague et inopérant. Le Canada est une fédération à géométrie variable. Le Québec et certaines provinces canadiennes continuent de chercher des outils afin d'élaborer des stratégies et de développer des formes de gestion leur permettant d'atteindre leurs objectifs politiques. Ce postulat signifie que le Québec et les provinces canadiennes évaluent régulièrement les avantages et désavantages de leur participation à l'intérieur du système fédéral canadien. Lorsque les pertes sont plus élevées que les gains, elles peuvent alors considérer diverses options pour exprimer leur dissidence. La Constitution canadienne propose divers moyens permettant aux provinces de pouvoir exercer leur plein contrôle. Parmi ceux-ci, notons la formule de l'«opting out», le retrait de certains programmes ou l'utilisation de la clause dérogatoire. D'autres alternatives, comme la sécession, sont envisageables lorsque des inégalités flagrantes ou le non-respect de la parole donnée deviennent des outils d'une politique déloyale.

L'asymétrie des pouvoirs au Canada existe depuis toujours puisqu'en matière de partage de compétences législatives, de politiques linguistiques ou de procédures d'amendement constitutionnel, toutes les provinces n'ont pas les mêmes prérogatives. Même si l'égalité des provinces devient le moteur du fédéralisme canadien, il faudrait alors se demander quelles seront les implications pour le Québec. Assisterons-nous à une plus grande centralisation ou décentralisation des pouvoirs? Les provinces auront-elles toujours la prérogative de pouvoir se retirer de certains programmes fédéraux et de recevoir en retour une compensation monétaire équivalente au coût de ces programmes?

Si l'objectif premier de la déclaration de Calgary est de réduire les conflits entre les gouvernements fédéral et provinciaux en matière de partage des pouvoirs, nous croyons que l'approche privilégiée par les premiers ministres minimise l'importance des changements institutionnels et des coûts associés au maintien du statut quo politique. En plaçant toutes les provinces sur un pied d'égalité, le Québec risque de perdre plusieurs acquis. Il faut se rappeler que la commission Bélanger-Campeau avait insisté sur le fait que, si le Québec devenait une province parmi d'autres, les conséquences pourraient être irréparables.

L'article 3. Les rédacteurs de la déclaration de Calgary n'y vont pas de main morte pour affirmer que le Canada est le plus beau pays du monde de par sa diversité, sa tolérance et sa compassion. D'un point de vue empirique, il faudrait certainement valider ces concepts tout comme il est plutôt de bon aloi d'utiliser des superlatifs comme «sans pareilles dans le monde». L'aspect normatif du texte fait en sorte que l'on doit se demander s'il s'agit d'une description de la réalité ou plutôt d'un idéal à atteindre. Cet énoncé traduit bien l'objectif de ses auteurs dans la mesure où il ne peut être compris qu'à travers le prisme de la construction d'une identité pan-canadienne.

Mais ce qui est beaucoup plus problématique, c'est la notion d'égalité des chances. Comment faut-il la définir? Dans la Constitution canadienne de 1982, ce principe se retrouve dans les articles touchant la péréquation et les inégalités régionales. L'article 36(1) stipule clairement «que les gouvernements fédéral et provinciaux s'engagent à: (a) promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans leur recherche de leur bien-être; (b) favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances; (c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.» L'article 36(2) affirme de plus que le gouvernement fédéral prend «l'engagement – et je cite – de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner au gouvernement provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables».

Dans les systèmes de type fédéral, le pouvoir de taxation représente l'élément central qui permet le financement des différents programmes socioéconomiques proposés par les gouvernements. Depuis 1957, les gouvernements fédéral et provinciaux ont d'ailleurs délibérément cherché à développer une formule de péréquation qui tienne compte des revenus de chacune des provinces afin d'assurer une meilleure redistribution de la richesse entre les provinces riches et les provinces pauvres. Il faut toutefois observer que l'écart entre provinces riches et pauvres est aussi élevé aujourd'hui qu'il y a 40 ans et que les inégalités de revenus entre citoyens et citoyennes demeurent inacceptables.

Si nous interprétons cet aspect de la déclaration à la lumière de l'article 36 de la Constitution, il faut probablement conclure que l'égalité des chances proposée serait en fait une justification du gouvernement fédéral d'intervenir dans tout domaine dont l'objectif est de promouvoir l'égalité des chances. La question fondamentale qui se pose alors est de savoir si le système de gouvernement proposé représente la forme optimale de gouvernance qui permettra aux Québécois et Québécoises de jouir d'une plus grande égalité des chances.

Dans l'État multiculturel canadien actuel, il est difficile d'affirmer que tous les citoyens et citoyennes ont la même égalité des chances. Les francophones du Québec, les Acadiens et les Franco-canadiens ont de manière générale moins d'opportunité que les Canadiens anglais. Pour un Québécois ou une Québécoise, le choix d'immigrer ne représente pas une alternative viable. Aucune des autres provinces ne peut offrir aux Québécois et Québécoises francophones un milieu de vie garantissant la plénitude de leur culture. Il n'existe guère à l'extérieur du Québec d'institutions permettant aux francophones de pouvoir avoir la même liberté, les mêmes droits que ceux décrits à l'article 1 de la Charte. De ce simple point de vue, les provinces ne sont ni semblables ni égales, aucune ne pouvant garantir aux Québécois et Québécoises francophones les mêmes services qu'au Québec.

Si le système de péréquation canadien représente, comme certains l'affirment, l'un des éléments fondamentaux de la fédération, il est surprenant de constater que l'article 3 de la déclaration de Calgary ne l'affirme pas plus clairement. Qui aura la responsabilité première de favoriser cette égalité des chances? Comment s'articulera-t-elle au niveau des relations fiscales fédérales-provinciales? Ce sont là des questions fondamentales qui demeurent en flanc.

L'article 4. Le Canada est, dans la déclaration de Calgary, un pays multiculturel et ethnolinguistique plutôt de binational. Si les peuples autochtones ont une identité propre, le peuple québécois et les communautés francophones et acadienne n'ont aucune existence réelle. Depuis 1982, tous les gouvernements du Québec ont réclamé ou souscrit au principe de la reconnaissance de l'existence du peuple québécois comme préalable essentiel à l'accord du Québec et à sa participation à une nouvelle dynamique constitutionnelle. Sans cette reconnaissance explicite, tout discours demeure vain.

(12 h 30)

Pour maintenir son État central, le système fédéral utilise depuis toujours les groupes minoritaires. Faut-il s'étonner que les francophones hors Québec, les autochtones et les anglophones du Québec soient toujours les plus méfiants à l'endroit des gouvernements provinciaux? Comme si, dans un État décentralisé, les gouvernements des provinces seraient incapables de traiter leurs minorités de manière adéquate. C'est aussi faire peu de cas de la générosité des Québécois et Québécoises. C'est une insulte à nos institutions parlementaires et démocratiques.

Dans le cas des francophones hors Québec, il ne fait aucun doute que les provinces du Canada anglais n'ont jamais été réceptives à leurs revendications, alors que plusieurs d'entre elles refusent encore aujourd'hui d'offrir des services dans les deux langues officielles. Nous partageons tout à fait les appréhensions de la Fédération des communautés francophones et acadienne qui affirmait en février dernier que la déclaration de Calgary constituait un recul important pour les communautés francophones hors Québec. Le président de l'Association proposait d'ailleurs de remplacer «le dynamisme des langues française et anglaise» par «les communautés francophones et acadienne du Canada et leur dynamisme».

Rappelez-vous que l'Assemblée nationale du Québec a voté, le 23 juin 1987, que la dualité linguistique constitue une caractéristique fondamentale du Canada, caractéristique que le Parlement et les législatures ont le rôle de protéger. L'article 4 de la déclaration de Calgary est, en ce sens, une menace aux fondements même de la fédération canadienne, à la survie de la francophonie pancanadienne mais, plus important encore, à la reconnaissance du peuple québécois et de l'identité québécoise.

L'article 5. L'article 5 pose également de nombreuses difficultés. Tout d'abord, il y a une erreur de taille. Il faut parler de l'«Assemblée nationale» et non pas de l'«assemblée législative». La connaissance des premiers ministres du Canada anglais et du système parlementaire québécois est plutôt déconcertante.

Le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec sera de protéger le caractère unique de la société québécoise et d'en favoriser l'épanouissement. On a choisi le mot «protéger» plutôt que «promouvoir» ou «développer» parce qu'il se retrouve à l'article 27 de la Charte en ce qui concerne le caractère multiculturel du Canada. Le mot «promouvoir» s'inscrit davantage dans la loi sur les langues officielles et fait référence au caractère bilingue du Canada. Ce changement de sens signifie clairement un abandon du bilinguisme au profit du multilinguisme.

L'expression «caractère unique» qui décrit le Québec n'est pas meilleure que celle de «société distincte». Je ne m'attarderai pas très longtemps sur cette autre coquille vide qui n'a d'autre effet que de marginaliser la société québécoise. En fait, tant que l'on ne reconnaîtra pas que les Québécois et les Québécoises forment une nation, toute autre expression prêtera toujours à interprétation. Robert Bourassa a déjà proposé le terme de «communauté nationale distincte», mais le fédéral l'avait rejeté à cause du mot «nationale». Cela en dit long sur les perceptions du gouvernement fédéral de la société québécoise.

Il n'est pas sans intérêt de noter que ce caractère unique du Québec n'a de valeur que dans le respect de la diversité canadienne. En d'autres termes, le caractère unique du Québec n'est qu'un élément de la soupe culturelle canadienne. Claude Ryan n'écrivait-il pas, en octobre dernier, et je cite: «Nous devons reconnaître que le Québec n'est pas une province comme les autres. En raison de sa langue et de sa culture de la grande majorité de sa population, le Québec se perçoit comme un peuple ou, si on préfère, comme formant une société distincte ou comme une nation, au sens sociologique du terme.» Le peuple québécois est. Seulement des faussaires de l'esprit peuvent nier cette réalité historique et politique.

Article 6. Cet article est étonnant. Tout d'abord, on affirme qu'il y aura peut-être un jour une ronde de négociations constitutionnelles. En fait, il faut peut-être croire le premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, qui affirmait, le 26 mars dernier, que 80 % des problèmes d'unité nationale peuvent être résolus sans changer un iota à la Constitution. Quant au ministre Stéphane Dion, il a affirmé que le gouvernement fédéral n'avait encore pris aucune décision à savoir si le caractère unique du Québec serait constitutionnalisé.

À Ottawa, on parle de créer peut-être un comité consultatif ou que le Parlement fédéral adopte une résolution d'appui à l'entente de Calgary, et ce, bien sûr, avant les prochaines élections au Québec. En d'autres termes, on a demandé au Canada anglais de signer un chèque en blanc, on voudrait que le Québec fasse de même et on veut tenir les Québécois et Québécoises en otage avant la prochaine échéance électorale.

Le Canada, pour survivre, a certainement besoin d'une nouvelle forme de gouverne. Certains ont parlé d'un fédéralisme niché, c'est-à-dire d'un mécanisme constitutionnel qui nous permet de transférer certains pouvoirs au niveau où ils nous affectent plus directement, là où nous vivons notre existence quotidienne dans nos communautés immédiates. La question fondamentale qu'il faut se poser est comment l'allocation des ressources entre les gouvernements fédéral et provinciaux peut être organisée compte tenu des spécificités propres des régions et de leurs structures économique et politique?

Pour qu'un système de type fédéral puisse évoluer, il faut que chaque niveau de gouvernement soit en mesure de développer ses propres politiques et que l'équilibre politique entre les diverses composantes soit maintenu. Nous croyons que la déclaration de Calgary n'a pas pour objectif la création d'un système fédéral efficient, mais qu'elle constitue à plus d'un égard la négation de la capacité effective du Québec et des provinces de proposer des programmes originaux.

En ce qui concerne les pouvoirs des provinces, il serait ici trop long d'énumérer l'ensemble des pouvoirs que le Québec estime de sa compétence et qu'il revendique depuis des décennies afin d'assurer la plénitude de la culture québécoise et le développement économique du Québec. Mais comme les provinces seront toutes égales, selon l'entente de Calgary, elles devront sans doute avoir les mêmes pouvoirs. Qui décidera des pouvoirs que les provinces auront ou n'auront pas? Il serait opportun de discuter dès maintenant du partage des pouvoirs réels entre le gouvernement fédéral, le Québec et les provinces. La Colombie-Britannique a déjà choisi cette voie. Est-ce que tous les pouvoirs du gouvernement fédéral seront aussi accessibles aux provinces? Tant qu'aucune réponse adéquate ne sera donnée à cette question, le Québec ne peut accepter l'entente de Calgary.

Finalement, l'article 7 est un bijou de dits et de non-dits. Trois questions devraient être posées aux auteurs de ce verset. Le régime fédéral décrit est-il centralisé ou décentralisé? L'union sociale proposée modifie-t-elle le partage des pouvoirs? Comment le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral sera-t-il limité?

Première question: Le Canada est-il un régime centralisé ou décentralisé? Deux modèles s'opposent lorsque l'on parle de fédéralisme fiscal: un premier qui affirme que seuls les gouvernements qui sont les plus proches des citoyens peuvent le mieux comprendre leurs besoins; le second suggère au contraire que, sans une certaine centralisation des pouvoirs, les inégalités régionales ne feront que croître. On peut certes opter politiquement pour l'un ou l'autre des modèles mais, pour l'analyste des politiques, la réponse se situe plutôt entre les deux, certains pouvoirs devant être confiés aux autorités fédérales, d'autres aux gouvernements des provinces ou aux municipalités. Il est donc difficile de démontrer empiriquement que l'un ou l'autre de ces modèles permet des résultats satisfaisants suivant des critères d'efficience et d'efficacité. Toutefois, l'avenir semble davantage se situer au sein des gouvernements qui sont capables de faire preuve d'innovation et de développer une démocratie d'accommodation à la fois centralisée et décentralisée.

S'il y a une caractéristique de l'évolution du fédéralisme fiscal au Canada qui nous semble évidente, c'est que durant les périodes de croissance économique le gouvernement fédéral est plus enclin à intervenir directement dans la gestion des programmes de santé et d'éducation des provinces. Toutefois, lorsqu'il y a crise économique, son manque à gagner fait en sorte qu'il a tendance à refiler certaines dépenses au Québec et aux provinces. Les aléas de l'économie modulent les responsabilités des gouvernements.

Mais la déclaration de Calgary ne va pas assez loin. Pour faire suite aux promesses référendaires du premier ministre du Canada, le document devrait affirmer qu'une fédération décentralisée a plus de chances de succès qu'une fédération centralisée, tout en favorisant davantage le développement économique des régions. Tout d'abord, un tel système peut mieux répondre aux demandes des citoyens puisque le Québec et les gouvernements provinciaux savent souvent mieux quelles sont les préférences et besoins de leurs citoyens et des entreprises. Deuxièmement, la décentralisation des pouvoirs peut favoriser une plus grande efficience des programmes.

Troisièmement, le Québec et les gouvernements provinciaux sont dans une meilleure position pour évaluer le coût réel des divers programmes et pour établir un réseau plus solide d'institutions permettant de répondre aux demandes des citoyens. Finalement, on peut également insister sur la très grande capacité d'innovation et l'originalité des solutions développées par le Québec et les provinces dans tous les domaines d'activité gouvernementale.

Deuxième question, l'union sociale modifiera-t-elle le partage des pouvoirs?

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Lachapelle, je m'excuse, vous avez déjà pris 20 minutes. Alors, si vous voulez resserrer un peu dans le temps.

M. Lachapelle (Guy): J'avais presque conclu.

Si la Colombie-Britannique désire que les normes nationales en matière de santé soient établies conjointement entre le gouvernement fédéral et les provinces, c'est qu'elle estime qu'il s'agit d'un champ de juridiction provinciale.

La question centrale qui se pose dans la déclaration de Calgary est de savoir si le gouvernement fédéral, en établissant des normes pancanadiennes, peut refuser d'assumer les obligations financières qui s'y rattachent. Le gouvernement fédéral peut-il légitimement et politiquement exiger du Québec et des provinces certains comportements fiscaux et politiques? Poser ces questions, c'est se questionner autant à propos des sous-entendus de la déclaration de Calgary que sur le fonctionnement du fédéralisme canadien.

Finalement, sur le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. La théorie politique canadienne suggère que le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral représente son outil privilégié pour s'infiltrer dans des secteurs de juridiction provinciale. Ce seul fait est la preuve que la Constitution canadienne demeure ambiguë, une situation qui fait certes l'affaire des dirigeants fédéraux mais qui explique aussi pourquoi plusieurs conflits fédéral-provinciaux continuent d'alimenter les débats.

Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral doit être absolument balisé. C'est ce qu'écrivait Gil Rémillard en 1986, et je cite: «Le fait que le gouvernement fédéral puisse dépenser comme il entend des sommes d'argent dans tous les domaines, qu'ils soient de sa compétence ou non, est devenu intolérable. Il s'agit là, pour l'ensemble des provinces, d'une épée de Damoclès sur toute politique planifiée de leur développement tant social que culturel ou économique. Il apparaît de plus en plus nécessaire que l'on assujettisse l'exercice du pouvoir de dépenser à l'approbation des provinces. Cela contribuerait grandement à bonifier le fonctionnement du gouvernement fédéral.»

En transférant au Québec et au gouvernement des provinces le coût de plusieurs programmes, le gouvernement fédéral a provoqué une crise importante des finances publiques au point où le statu quo n'existe plus réellement au Canada. L'idée d'établir des normes pancanadiennes nous semble désuète alors que les besoins réels des citoyens diffèrent de plus en plus tant au Québec que dans les régions canadiennes. Les fondements de la fédération canadienne s'érodent jour après jour au détriment d'une vision strictement comptable de la réalité sociale. Malheureusement, ce sont les citoyens et citoyennes du Québec et des provinces canadiennes qui en souffrent.

(12 h 40)

En conclusion, la déclaration de Calgary démontre clairement, à notre avis, que le Canada anglais a toutes les difficultés du monde à devenir une véritable démocratie d'accommodation, à comprendre les demandes traditionnelles du Québec. Pour y arriver, il faudrait que le gouvernement fédéral et les provinces canadiennes reconnaissent et acceptent que le Québec a des intérêts divergents, que les politiques fiscales, monétaires et sociales peuvent être régionalisées, que les administrations régionales ont un rôle de premier plan à jouer dans le développement économique et que la centralisation politique n'est pas le gage d'un meilleur avenir. Cela signifie également que le gouvernement fédéral devra être capable de proposer des réformes majeures de ses institutions et qu'une véritable volonté de changement s'installe.

L'incapacité du fédéralisme exécutif, tel qu'il se pratique aujourd'hui au Canada, à reconnaître le principe de subsidiarité, c'est-à-dire la volonté de transférer aux provinces des pouvoirs dans des champs où elles peuvent répondre de manière efficace aux demandes des citoyens, nous oblige à nous questionner sur l'efficacité réelle des institutions fédérales canadiennes. Le Québec pourrait, en ce sens, suivre l'exemple de la Colombie-Britannique et ajouter ses propres demandes à l'entente de Calgary. Mais cela serait une perte de temps car le fossé est trop grand.

La déclaration de Calgary représente pour le Québec moins que Meech. Son approche minimaliste démontre clairement que la classe politique canadienne préfère opter pour le vide constitutionnel plutôt que pour des changements substantiels. Les promesses faites aux Québécois et Québécoises, lors du référendum de 1995, pour un partage plus équilibré des pouvoirs, ont disparu aussi vite que ceux et celles qui sont venus nous dire qu'ils nous aimaient.

Il n'y aura pas de décentralisation des pouvoirs ni de renouvellement de la Constitution canadienne. Le Québec aurait tout avantage à définir immédiatement son propre cadre de référence afin de baliser ses futures relations avec le Canada et les Amériques. L'entente de Calgary, pour moi, n'est tout simplement qu'un psaume en sept versets qui fait partie de la litanie constitutionnelle canadienne. Les Québécois et Québécoises doivent être libres de leur choix. Merci beaucoup.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Lachapelle. Alors M. le ministre.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais vous remercier, d'abord, M. Lachapelle, d'avoir répondu à l'invitation de la commission. Votre témoignage, évidemment, s'ajoute à d'autres, entre autres celui de M. Brun, qui vous a précédé, mais également je pense à celui de M. Frémont. Hier, aussi, ceux de M. Laforest, de M. Dufour. Tous ces témoignages mis ensemble nous donnent un portrait de la réalité du régime, évidemment, qui n'est pas très réjouissant.

M. Laforest parlait d'une impasse, parlait même de pourrissement quant à l'évolution du régime fédéral. On utilisait même aussi l'expression de dimension impériale du régime. Et, quand on conjugue ensemble également – M. Brun y faisait allusion – la jurisprudence de la Cour suprême depuis 15, 20 ans, disait-il, à l'utilisation également du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral qui est sans balises, qui n'est pas encadré, tout cela mis ensemble nous porte à conclure, comme vous le faites, évidemment, qu'on est en face d'un régime mû, je dirais, par une dynamique manifestement et fortement centralisatrice, ce qui finit au bout du compte par lui enlever, lui supprimer son caractère fédéral.

Face à tout cela, vous dites en conclusion que le Québec aurait tout avantage à définir immédiatement – c'est vos dernières phrases – son propre cadre de référence. J'aimerais vous entendre là-dessus. Parce que, évidemment, c'est votre conclusion, c'est votre dernière phrase, vous n'avez pas élaboré là-dessus. Est-ce que vous pourriez préciser davantage ce que vous entendez par «définir son propre cadre de référence» pour ce qui est du Québec? Est-ce que, par exemple, la reconnaissance formelle du peuple québécois et son droit de disposer librement de son avenir politique devraient figurer ou apparaître dans ce cadre de référence que le Québec devrait se donner? J'aimerais que vous soyez plus explicite. Parce que disons que c'est une idée nouvelle jusqu'à maintenant, là, au cours des délibérations de la commission, et j'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Lachapelle (Guy): Je vous ai déjà donné quelques pistes dans mon texte sur l'idée d'un cadre de référence. J'ai parlé de partenariat au point de départ. Il y a déjà des formules de partenariat qui peuvent être envisageables, qui peuvent être présentées par le gouvernement à partir d'un certain nombre de principes.

Un premier principe, c'est de reconnaître ou de définir notre perception de l'État canadien dans son cadre actuel, de définir en même temps ce que sont, je dirais, les revendications traditionnelles, mais aussi d'aller plus loin, de présenter des options, des alternatives. L'idée essentielle du partenariat ne peut s'exprimer que dans une forme d'association Québec-Canada qui pourrait prendre une forme, je dirais, variable selon les intérêts de chacun des partis politiques.

Étant donné que votre gouvernement prône la souveraineté, ça pourrait très bien se faire dans un cadre de partenariat Québec-Canada; en d'autres termes, bonifier votre offre que vous avez faite lors du dernier référendum, l'améliorer et voir par la suite quels seraient les termes de référence qu'on pourrait discuter.

L'exemple de la Colombie-Britannique me semble intéressant. Il ouvre une porte. C'est une brèche à l'entente de Calgary. En anglais, M. Dion a dit que ce n'était pas très inquiétant; en français, il était inquiet. Donc, il y a des éléments, je pense, qu'il faut préciser. Le principe de subsidiarité qu'on applique maintenant signifie-t-il que le Québec peut se retirer? Il y a un certain nombre de questions qui seraient à poser.

Pour aller directement à votre question, je dirais que finalement il s'agit de trouver vraiment un partenariat, reprendre peut-être des éléments de l'union Québec-Canada proposée en 1980, reprendre l'ensemble des propositions qui ont été faites, je dirais, depuis 30 ans, et laisser deux options, comme la commission Bélanger-Campeau, une option qui serait la souveraineté, et l'option fédéraliste, et voir jusqu'où on pourrait discuter sur les principes fondamentaux. Mais la deuxième partie n'est pas du ressort, à court terme, dans l'espace politique actuel.

M. Brassard: Sauf que, quand vous évoquez les deux options qu'on retrouve dans le rapport de la commission Bélanger-Campeau, commission dont j'étais membre, il faut bien noter qu'il s'agit, oui, d'une part, de l'accession du Québec à la souveraineté. Également, l'autre option qui, elle, était fédéraliste, il faut bien noter que ça consistait en un projet de renouvellement en profondeur du régime fédéral. C'était ça, l'autre option. Ce n'était pas d'accepter le régime fédéral tel qu'il est, tel qu'il fonctionne et tel que vous l'avez décrit et que d'autres avant vous, qui sont venus ici en commission, l'ont décrit, c'est-à-dire un régime qui est devenu pratiquement soit un État pratiquement unitaire, comme le disait tantôt M. Brun, soit un régime à propension impériale, comme le signalait M. Laforest hier. L'option qu'on retrouve dans le rapport de la commission Bélanger-Campeau, c'est un projet de renouvellement en profondeur du régime fédéral dont M. Rémillard, que vous citez dans votre texte – très belle citation d'ailleurs – était un adepte.

Ma question est très simple. Je ne pense pas que ce projet-là, ou l'une de ces options qu'on retrouve dans la commission Bélanger-Campeau, se retrouve ni dans la déclaration de Calgary ni dans le comportement et les stratégies mises en oeuvre par l'État fédéral actuellement.

(12 h 50)

M. Lachapelle (Guy): Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il s'agit de développer notre propre stratégie et non pas d'attendre que des documents nous tombent sur la tête au fur et à mesure. Je pense qu'il faut être plus pragmatiques, qu'il faut être plus ouverts, qu'il faut regarder des alternatives. Et si on parle de partenariat Québec-Canada, il y a toute une série de modalités qui doivent être revues. En particulier dans les secteurs de compétence partagée, il y aurait des éléments... Est-ce qu'on parle d'une représentativité? Et là je vais plus loin que les deux propositions. Est-ce que la représentativité sur des tribunaux, je dirais, de nature essentiellement économique, par exemple, serait paritaire ou non paritaire? Est-ce qu'il y aurait certains pouvoirs qui pourraient être gérés conjointement par des organismes non parlementaires ou autres? Il faut faire un effort dans ce sens pour regarder comment restructurer l'État canadien, parce qu'il est clair que, dans la structure actuelle, et Calgary le démontre clairement, il n'y a aucun élément de changement institutionnel dans cette entente.

Donc, n'attendons pas, et moi, ça a toujours été ma... Proposons des choses qui seront un bond pour le Québec. Ce n'est pas une proposition à faire au Canada anglais. L'ancienne entente de partenariat était d'abord une façon de répondre au Canada anglais et non pas d'assumer nos propres responsabilités, je dirais. On a voulu faire plaisir au Canada anglais en disant qu'on avait certains éléments d'intérêt, mais je doute de plus en plus qu'à part le partenariat économique il y aura un partenariat politique. Donc, l'entente-cadre, pour moi, serait essentiellement de nature économique et n'irait pas beaucoup plus loin sur le plan politique.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Lachapelle. Sans faire la revue de presse d'aujourd'hui mais celle du 20 juin 1997, puisque vous vous êtes laissés, le ministre et vous, sur cette lancée du partenariat, peut-être juste le temps de rappeler que le premier ministre disait, à l'époque, il y a un an, qu'il fallait mettre plus de chair sur le squelette du partenariat – j'ai l'impression qu'il vous écoutait à l'époque – il faut se préparer à répondre à des questions plus précises sur ce programme, et il disait: C'est certainement quelque chose qui va occuper la vie du Parti québécois au cours de la prochaine année, a affirmé le premier ministre qui entrevoit des débats intéressants à l'interne.

Et j'ai utilisé cette déclaration-là assez régulièrement, en Chambre, lors de la réplique à la déclaration ministérielle, lors du débat sur la motion, justement pour rappeler que ce genre de débats, qui sont de l'ordre de la partisanerie, bien sûr, c'est la position partisane d'un parti, c'était vu pour se faire à l'interne, ça se faisait à l'interne. Et là on choisit de prendre une commission des institutions parlementaire pour faire un travail partisan qui devait se faire à l'interne. Juste pour rappeler non seulement que le débat ne s'est pas fait comme il avait été promis, mais ça, c'est leur affaire, mais qu'il y avait une compréhension qui était... et nous on continue à penser ça, qu'il devait se faire à l'interne.

Ce qui m'a intéressé beaucoup – il y a beaucoup de choses qui m'ont intéressé – et particulièrement dans le contexte actuel – et ce n'est pas pour rien que j'ai cité certains articles ce matin – c'est le passage que vous faites sur l'article 4. Je vais citer simplement cette phrase-là: «Nous partageons – c'est vous – tout à fait les appréhensions de la Fédération des communautés francophones et acadienne qui affirmait, en février dernier, que la Déclaration de Calgary constituait un recul important pour les communautés francophones hors Québec. Le président de la FCFA proposait, d'ailleurs, de remplacer "le dynamisme des langues françaises et anglaises" par les "communautés francophones acadiennes du Canada et leur dynamisme".»

La première chose que je veux vous dire, je pense que c'était en novembre dernier, je suis allé à une activité des Franco-Albertains, c'était après Calgary, et je disais qu'il fallait absolument remettre la notion du «dynamisme des communautés«, puis la proposition vient à l'inverse, «les communautés et leur dynamisme» ou «le dynamisme des communautés». Mais je dois vous dire que j'ai toujours cru que l'ensemble des Québécois partageaient un désir de maintenir une force francophone au Canada et de la francophonie canadienne et je pense qu'il y a là des bonifications qui devraient être apportées dans les libellés.

Cependant, en même temps que vous partagez les appréhensions de la Fédération, j'imagine que, si vous alliez reparler aux gens de la Fédération et si vous leur demandiez comment ils réagissent à l'énorme virage que vient de prendre le premier ministre du Parti québécois ainsi que le député de Rivière-du-Loup, d'ailleurs, qui souhaite avec le Parti québécois que ce soient les provinces qui soient responsables notamment de la langue, ce qui faisait dire, et je cite ce court passage de Chantal Hébert ce matin: «Le premier emploi de ministre fédéral du premier ministre actuel, M. Bouchard, celui de secrétaire d'État, n'existerait plus – s'il fallait adopter cette politique. Le Parti réformiste donnerait aux provinces la responsabilité exclusive de la langue et de la culture. Cela signifie qu'Ottawa ne se mêlerait plus, comme M. Bouchard l'a fait et comme il l'a prôné tout au long de sa carrière fédérale, d'épauler les minorités francophones hors Québec, ni non plus d'assurer à travers Radio-Canada ou d'autres institutions culturelles un minimum de rayonnement du français dans le reste du Canada.» J'ajouterais RDI, notamment, qui est à Radio-Canada, qui est un moyen qui permet à la francophonie canadienne de prendre des nouvelles d'elle-même et nous, au Québec, comme francophones, de réaliser notre appartenance canadienne, en même temps qu'être Québécois et, pour plusieurs d'entre nous, de se sentir aussi Canadiens, de se sentir aussi membres à part entière de la famille francophone canadienne.

Je veux donc vous poser cette première question face à ce choix que font le Parti québécois, le Bloc québécois, et le député de Rivière-du-Loup, à l'abandon de la francophonie canadienne et à la lecture que je fais de votre texte, des appréhensions que vous partagez avec la fédération, je vous pose la question: Comment réagissez-vous à ce virage sur l'acceptation par le PQ de la politique du Reform Party?

M. Lachapelle (Guy): Tout d'abord, je ne suis pas certain que votre diagnostic, je le partage. Je pense que, pour avoir assisté à une réunion du premier sommet des francophones hors Québec, ici, à Québec, il y a deux ans, c'était la première fois que je voyais des parlementaires discuter avec des parlementaires et surtout des représentants des autres communautés et, encore récemment, je pense qu'il y a eu des efforts importants faits avec la communauté francophone hors Québec.

Deuxième point d'analyse. La francophonie, pour moi, n'est pas la francophonie uniquement canadienne. Elle est nord-américaine de plus en plus. Ce serait se borner de penser qu'il y a simplement des francophones dans le reste du Canada. Il y a une communauté importante aux États-Unis qui est encore très vivante. On appelle ça des programmes «Heritage» où le français est en promotion. Je vous signalerais aussi que Los Angeles présentement utilise la Charte des droits québécoise comme modèle à cause qu'il n'y aurait aucun groupe majoritaire à Los Angeles d'ici la fin de ce siècle. Donc, je vois la relation privilégiée avec les francophones. Le Québec doit être un pilier, et il l'a été, il doit continuer de l'être et c'est à lui d'assumer ce rôle.

Je ne crois pas, contrairement aux francophones hors Québec, que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans la promotion de la francophonie. Quand je vois, pour avoir évalué le programme des langues officielles au Canada, que beaucoup de sommes d'argent ont été drainées des francophones hors Québec pour un groupe qui s'appelle Alliance Québec, je me pose de sérieuses questions sur vraiment les objectifs de ce programme. Je pense que le Québec pourrait tout à fait assumer cette responsabilité, développer ce rôle. Et je pense que, même au niveau des institutions culturelles, plus le Québec sera fort, mieux ce sera pour les francophones hors Québec.

Mon diagnostic, et je pense que les données démographiques sont assez claires, et je pense surtout en termes – et c'était mon point – de services offerts, M. Gourdeau nous l'a rappelé souvent que les services diminuent, et c'est tout à fait en adéquation avec les sommes d'argent consenties.

M. Fournier: Je comprends bien les diminutions. Je trouve bizarre qu'on s'offusque de la diminution et qu'on ne fasse pas cas de l'abandon, qu'on souhaite l'abandon de la responsabilité. Qu'on dise: Ah! Les services du fédéral baissent, c'est effrayant. Donc, nous, ce qu'on veut, c'est qu'il n'y en ait plus du tout. Je dois avouer que j'ai un petit peu de difficulté avec ça.

M. Lachapelle (Guy): Je ne pense pas que c'est ce que j'ai dit.

M. Fournier: Moi, c'est un peu ce que j'ai compris. Ce que je comprends aussi c'est que le mouvement est beaucoup plus profond. Comme membre d'IPSO...

M. Lachapelle (Guy): Fondateur.

M. Fournier: Comme membre du Comité de relations internationales du Parti québécois, vous êtes en accord, donc, avec ce virage que le Parti québécois vient de faire face à ça, notamment avec ce que le premier ministre actuel disait, il n'y a pourtant pas si longtemps, quand il disait, en 1988, on ne parle pas d'un autre siècle: Ce serait terrible de donner un veto aux provinces hors Québec. C'est le sens même de l'histoire du pays. Il ne fallait pas qu'on abandonne les francophones totalement impuissants entre les mains des pouvoirs provinciaux.

(13 heures)

Je notais tantôt justement que non seulement les... Puis il y a une question de contribution financière pour le soutien, le développement des écoles. Puis, il ne faut pas se le cacher, il y a des endroits, comme en Colombie-Britannique, où c'est excessivement difficile pour les francophones là-bas. Par ailleurs, en Alberta, bien qu'il faille toujours se battre et lutter, il y a un optimisme qui existe, qui est vraiment frappant pour quiconque les rencontre et s'en aperçoit. Ça, je pense qu'il faut continuer... Bon, c'est notre vision à nous. Je comprends qu'on n'est pas obligés de la partager là, mais moi, je pense que si on veut être du côté de la francophonie, du fait français – comme on dit souvent – en terre d'Amérique, on doit essayer de maximiser les ressources plutôt que de les voir tomber, de les voir abandonnées.

Je parlais tantôt de RDI. On fait toujours référence à Radio-Canada, à l'ONF, à des institutions qui datent. Dans le cas de RDI, c'est plus récent et ça donne tout un lien qui nous rapproche. Ça ne nous enlève pas nos identités et nos appartenances premières. Ça rajoute, ça complémente notre identité. Et, dans ce sens-là, moi, en regardant votre rapport, je dois vous dire que je partage les appréhensions que vous avez en termes de libellé. Bien que ce soit une déclaration qui n'est pas un texte juridique, ça m'a effectivement frappé quand j'ai lu ce passage-là, en me disant: Les langues elles-mêmes ne sont pas dynamiques. Ce sont les communautés. Et, quand on les connaît, on sait que c'est leur dynamisme qui a fait en sorte qu'elles continuent et qu'elles puissent se développer.

Mais, au-delà de ça, de faire le saut de dire... on partage leurs appréhensions, ce qui veut dire qu'il faudrait que le texte prévoie que ces communautés-là existent au Canada, qu'elles existent d'un océan à l'autre et qu'après ça on dise: Comment vous trouvez ça, la proposition du Reform à l'effet qu'il n'y aura plus d'aide du fédéral là-dessus, que le gouvernement fédéral, on va le déresponsabiliser à cet égard qui est pourtant un trait constitutif du Canada? Je dois avouer que je ne vous suis pas, là. J'ai même un gros problème. Probablement que c'est nos idéologies de départ qui nous font faire ce choix. J'ai une grosse, grosse difficulté.

Je ne sais pas si je peux prendre quelques minutes. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire sur ce que je vous ai dit. Dans le fond, je ne sais pas s'il y avait une question.

M. Lachapelle (Guy): Je vous dirais simplement que, il n'y a pas si longtemps, on a dit qu'il existait un peuple acadien. On oublie maintenant qu'il y a des peuples québécois et c'est quelqu'un de votre parti qui a déjà dit ça, je pense.

M. Fournier: Oui.

M. Lachapelle (Guy): Donc, il faudrait peut-être l'inscrire.

M. Fournier: Et moi, pour être bien franc, je voulais vous parler de M. Dufour qui est venu hier. Parlons-en un petit peu. J'avais aussi un autre petit texte. Je ne sais pas où il est. J'avais la première page du site du premier ministre. M. Dufour disait, dans La rupture tranquille , il rappelait ceci: «Alors que des appellations comme nation ou même peuple suscitent des réserves chez certains Québécois, il faut être de mauvaise foi pour nier que les Québécois constituent à tout le moins une société distincte. Utilisée, développée, enrichie, cette notion sèche et froide sera davantage porteuse de pouvoirs politiques pour le Québec que les appellations plus émotivement valorisantes de peuple ou de nation, non seulement dans le contexte canadien, mais aussi sur le plan international.»

Il y a tout un débat qui existe autour de l'utilisation des mots société ou peuple. Par exemple, pour quiconque cherche un peu, on peut bien, de façon, je dirais, impériale, décider que tout le monde est québécois au Québec. Mais, quand on leur demande: Te sens-tu comme ça? Moi, je dois vous avouer que c'est ce qui m'intéresse. D'abord, laisser les gens libres de leur identité plutôt que de leur imposer. Le terme «société» fait plus englobant. On n'a qu'à le tester avec tout le monde au Québec. On le voit. À telle enseigne que la première page du site du premier ministre actuel ne parle pas du Québec comme étant un peuple. Elle parle du Québec comme étant une société. Alors, personnellement, moi, je me sens du peuple et de la société. Ça ne me dérange pas. Sauf que est-ce qu'on peut se plaindre que, là, ce n'est pas reconnu comme peuple alors que les documents mêmes du gouvernement qui en parlent, ils parlent de société, la société étant peut-être l'expression pour la nation civique et quelque chose de plus englobant? Est-ce que c'est si grave que ça? En termes constitutionnels.

M. Lachapelle (Guy): Je pense que oui. Parce qu'on est dans un débat constitutionnel. Sur un plan sociologique, on peut bien discuter du mot «société» pendant longtemps. Mais, dans la réalité constitutionnelle, alors qu'on évalue, si vous regardez le libellé du texte de Calgary, on parle de trois notions: une notion de peuple dans le cas des autochtones; une société civile pour le Québec, pas très clairement définie, dans un contexte multiculturel; et, de l'autre côté, une égalité face à certains individus qui pourraient avoir certains pouvoirs ou qui auraient un statut particulier à l'intérieur de la société. Donc, il faudrait définir votre mot «société» aussi et lui donner un peu...

M. Fournier: De chair.

M. Lachapelle (Guy): De chair et de jus.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Fournier: Juste pour dire que «les peuples autochtones», ça ne fait pas très englobant. Si c'était le peuple, englobant les peuples, on pourrait en discuter.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Dumont: Oui, merci, M. le Président. Je veux revenir sur une question sur laquelle le député de Châteauguay revient souvent concernant l'exclusivité des pouvoirs du Québec en matière linguistique. Dans le rapport Allaire qui a été voté – je ne sais pas s'il était présent au congrès mais, en tout cas, s'il l'était, il a omis d'exprimer sa vive dissidence – il était très clair: «Le Québec exercera également sa pleine souveraineté dans les secteurs non spécifiquement énumérés dans la Constitution canadienne.» Et là, dans l'énumération qui suit, il y a un tiret qui dit: «Langue». Et, dans le texte, un peu plus tôt, qui précédait la résolution, on adressait la question qui préoccupe le député de Châteauguay: «Il est clair également que le Québec a un rôle à jouer dans la défense du fait français en Amérique, plus particulièrement en ce qui a trait aux droits légitimes des communautés francophones hors Québec. Peu importe le scénario constitutionnel retenu, le gouvernement du Québec devra les assurer de son support et de son appui, et elles devront pouvoir compter sur une ouverture à une collaboration spéciale de la part du gouvernement du Québec.»

Alors, je suis un peu surpris que sa dissidence de l'époque ait été aussi peu entendue. Non, je comprends que le programme a été changé depuis ce temps-là, a été dilué, effacé, oublié, autant qu'on peut, mais il reste qu'à l'époque, au moment où ça a été voté, il y a eu des congrès. Non, mais il y a eu véritablement des congrès, des assemblées où les micros étaient là, et la dissidence du député de Châteauguay, à mon avis en tout cas, n'a pas été entendue. Peut-être que c'est ma mémoire qui fait défaut.

Ma question va porter cependant sur un autre point. Parce que vous êtes très, très sévère à l'endroit de Calgary, vous n'êtes pas le seul, vous êtes peut-être un des plus sévères. Par contre, contrairement à la plupart des intervenants qui nous disent, qui constatent que sept, huit ans après Bélanger-Campeau, le Québec, à l'heure où on se parle, a cette proposition-là qui est sur la table et qui ne mène pas loin, on n'a pas tellement d'options susceptibles de livrer des résultats, et la plupart des intervenants nous disent: Il faut sortir des sentiers battus. La plupart des intervenants arrivent à la conclusion qu'avec ce qui est – au gouvernement, ou même dans l'opposition officielle – sur la table, il n'y a pas de résultats à attendre dans les prochaines années mieux que ceux des 30 dernières années.

Bon, dans votre conclusion, vous nous dites: Il faut préparer ni plus ni moins un nouveau cadre. Les Québécois et Québécoises doivent être libres de leur choix. On peut se demander: Est-ce que vous nous canalisez discrètement vers une seule option qui serait la répétition d'un référendum? Si oui, ma question, ça va être: Comme politologue, quels sont les événements? Mon interprétation des événements, c'est qu'entre 1980 et 1995 les modifications d'opinions qui se sont opérées au Québec se sont opérées sur la base de l'échec de Meech, d'une série de constatations qui ont fait que, par dizaines de milliers, par centaines de milliers, des Québécois ont évolué dans leur pensée sur l'avenir du Québec.

Alors, si vous nous dites qu'il faut retourner dans un référendum dans l'immédiat, vous allez devoir me dire, entre octobre 1995 et l'année prochaine ou dans deux ans, quels sont les grands tournants historiques, les grands renversements qui justifieraient qu'on reprenne l'exercice, qu'on reconsulte les Québécois sur quelque chose de semblable ou la même chose? Et, si vous me dites que ce n'est pas ça qu'il faut faire, bien j'aimerais vous entendre: Est-ce que vous pensez qu'il faut sortir des ornières qui ont été des échecs jusqu'à maintenant? Est-ce que vous pensez qu'il y a d'autres façons de procéder que le Québec devrait mettre de l'avant pour essayer de gagner quelque chose en termes d'autonomie? Parce qu'à date notre score, notre feuille est blanche, notre score en termes de gain d'autonomie, en 30 ans de fédéralistes qui ont essayé de renouveler, de souverainistes qui ont essayé de faire des référendums, le score net en bas de la feuille, c'est zéro.

M. Lachapelle (Guy): Je vous dirais d'abord, ce n'est pas l'échéance électorale ou référendaire qui est importante, dans le sens que c'est important pour valider en tout cas un résultat d'un processus de discussion. J'ai plusieurs exemples en tête. J'ai l'exemple de l'Afrique du Sud qui a modifié sa Constitution, en demandant aux citoyens d'y participer de façon efficace, et demandé e que vous pensez des modifications. J'ai l'exemple aussi de la réunification des deux Allemagne en tête, le traité d'union économique, politique et sociale, qui est un traité d'intégration, mais qui était... Et j'ai surtout en tête le traité de libre-échange nord-américain qui, pour moi, a modifié carrément nos identités. Pour répondre à M. Fournier un peu plus tard, je lui dirai que l'identité québécoise n'est plus québécoise et canadienne, elle est québécoise et nord-américaine depuis longtemps, et même que le nord-américain, quand on le pose dans les sondages, est plus haut que canadien. Donc, ça, c'est un autre élément important. Nos relations ne sont plus Québec-Canada, elle sont aussi Québec-États-Unis, avec les Amériques. Il y a toute cette dimension-là qu'il faut évaluer.

(13 h 10)

Quand je parle d'une entente-cadre, je parle d'une entente-cadre qui pourrait être remise à jour à partir de ce nouveau contexte qui est important. Il faut en tenir compte. Il faut en tenir compte dans les pouvoirs. Il faut en tenir compte dans nos discussions. La forme que ça pourrait prendre, ça pourrait être une commission parlementaire ou constitutionnelle sur les débats, sur ce que l'on veut dans ce type d'entente là, et le Québec ne serait pas le premier pays à le faire. Il y aurait plusieurs autres pays, pour donner des exemples, qui ont passé par ce genre de processus là. Et, si ça mène ultérieurement à un référendum sur la souveraineté, il serait peut-être temps qu'on définisse clairement quels sont... Certains diront: On sait quels sont les pouvoirs traditionnels du Québec, on les a déjà décrits amplement. Mais je pense que là ça demande beaucoup plus maintenant en termes de... Et on ne le fait pour répondre à quelqu'un, on le fait pour nous. On le fait pour clarifier ce qui me semble être l'essentiel des outils dont on a besoin pour notre développement économique, culturel et social.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, bonjour, M. Lachapelle. J'ai particulièrement apprécié le fait que vous analysiez vraiment chacun des articles, chacune des propositions et je trouve intéressant que, d'entrée de jeu, au tout début de votre texte, vous nous disiez que tout document qui pourrait affecter le développement du Québec mérite d'être discuté publiquement et que vous vous attardiez beaucoup sur l'importance des demandes et des besoins des citoyens et des citoyennes. Parce qu'effectivement tout document – et comme le rappelait tantôt M. Brun, même une déclaration politique d'intention – a des conséquences sur les demandes et les besoins des citoyens. Et je pense que c'est le but de cette commission de faire connaître ces conséquences.

Il est particulièrement curieux d'ailleurs qu'un parti politique qui est l'opposition officielle au Québec refuse de s'exprimer publiquement sur un document qui pourrait affecter le développement des Québécois et Québécoises. D'ailleurs, on peut peut-être souligner que, pour la première fois après deux jours et demi de débats ici, nous avons entendu le représentant du Parti libéral, le député de Châteauguay, nous dire un premier mot sur le contenu de la déclaration de Calgary. Il nous a dit tantôt qu'il préférerait remplacer «le dynamisme des langues française et anglaise» par une référence aux communautés, ce que disait d'ailleurs M. Claude Ryan. C'est la première fois qu'il s'exprimait vraiment sur le texte lui-même, et je ne sais pas s'il aurait voulu que ça soit exprimé dans les mêmes termes que son nouveau chef, M. Jean Charest, qui, lui, nous a dit que nous avons conservé la langue française grâce aux communautés anglophones. Ça aurait peut-être pu être écrit comme ça dans le texte de la déclaration de Calgary – ça, on ne le sait pas encore – mais disons que, pour la première fois, il nous a dit ce qu'il pensait au niveau d'une phrase du texte.

Vous avez clairement démontré qu'on désire, dans ce document de Calgary, donner une primauté aux droits individuels par rapport aux droits collectifs, et ça aussi, c'est lié par rapport à cette dualité linguistique qu'on ne retrouve pas. Vous rejoignez à cet égard-là, évidemment, M. Ryan qui en a parlé, mais aussi le professeur Simon Langlois qui nous dit que finalement, dans la déclaration, on ne reconnaît pas la réalité francophone. On ne reconnaît pas la réalité nationale des Québécois non plus. Toute la notion de peuple, on ne retrouve pas ça dans ce document-là. On insiste beaucoup sur la société multiculturelle, les peuples autochtones. On parle beaucoup de l'égalité entre les individus et les provinces, mais pas de l'égalité au niveau des peuples fondateurs. On ne retrouve pas cette notion-là.

Vous nous avez dit tantôt – et, c'est là-dessus que je veux vous questionner – que finalement – parce qu'il faut regarder les conséquences – en niant l'existence du peuple québécois et des communautés acadienne et francophones du reste du Canada, ça constitue une menace au fondement même de la fédération canadienne, une menace à la survie de la francophonie pancanadienne, mais aussi une menace évidemment pour la reconnaissance du peuple québécois. Donc, il y a un recul au niveau des francophones. Selon vous, quels seraient les reculs concrets – parce que c'est ça que vous nous avez ramené tantôt, les demandes et les besoins des citoyens – par rapport à toute cette ignorance, finalement, de la réalité francophone et aussi quelles conséquences par rapport à toute la question de l'égalité des provinces, donc de la primauté de l'égalité des provinces sur les réalités que nous avons?

M. Lachapelle (Guy): Bon, sur les reculs, on pourrait en mentionner plusieurs. J'ai mentionné, par exemple, les lois électorales, les lois sur le financement des partis. Pour moi, ça, c'est déjà un élément important. Je sens que, dans les prochaines rondes à la Cour suprême, on va vouloir faire... il y a des jugements qui s'en viennent. Par exemple, de dire qu'il n'y a pas de limite aux dépenses électorales. Le système s'américanise au Canada anglais de façon tellement rapide que j'aurais de la difficulté à comprendre que le gouvernement fédéral ne voudrait pas maintenir...

On l'a vu aussi à la Commission Lortie. Tout le monde était, au Canada anglais, contre une limite des dépenses électorales, malgré les intérêts que la Commission Lortie avait à cet égard-là. C'est un exemple. Sur le plan linguistique, je suis inquiet aussi dans la mesure, peut-être... Il y a quand même possibilité actuellement, évidemment, d'utiliser une clause dérogatoire, mais il ne faut pas que ça devienne non plus une habitude pour tous les gouvernements de l'utiliser pour différentes fins.

Pour moi, c'est toute la démocratie, je dirais, tous les éléments d'une démocratie, de laisser aux citoyens le droit en dernier recours par rapport à un fédéralisme exécutif de décider eux-mêmes via des référendums ou d'autres types de moyens de prendre des décisions, même au niveau local, sur un certain nombre... Je pourrais reprendre tous les débats sur... Je pense à plusieurs secteurs: transports, économie régionale, financement de programmes au niveau des régions.

L'autre exemple que j'ai surtout en tête au niveau administratif, ce sont toutes les ententes Québec-Canada, les ententes Canada-provinces qui se multiplient dans le paysage depuis à peu près certainement une dizaine d'années et que, là, on est en train, via ces genres d'ententes-là, de rentrer, plutôt que d'utiliser le pouvoir de dépenser indirectement, de signer des ententes et là, à partir de là, on dit: On a juridiction. Et là jusqu'où est-ce qu'on va? Et ça se fait à la pièce.

Est-ce que c'est une décentralisation effective comme certains disent ou d'autres? Ça m'inquiète, je vous dirai, à court terme. Et là, je pourrais vous en nommer plusieurs. Puis sur le plan linguistique, ça a été le cas. Il y a eu une entente Canada-Saskatchewan, par exemple. Qui doit quoi? Ce n'est plus le gouvernement fédéral simplement. Si c'était une entente Québec-Canada sur le plan linguistique, peut-être – M. Fournier y trouverait son compte – mais ce n'est pas le cas. Ça mine régulièrement ce qui était le partage des pouvoirs, essentiellement.

Et il y a une autre inquiétude que j'ai mise dans mon mémoire, que je n'ai pas eu le temps de discuter. M. Chrétien et quelques fonctionnaires à Ottawa ont même voulu, si vous vous souvenez bien, en 1980, contrôler le pouvoir d'emprunter des provinces. Après avoir voulu contrôler le pouvoir de dépenser, on va être rendu au pouvoir de taxation et au pouvoir d'emprunter. Et ça avait sorti dans un seul journal, le Globe and Mail , et l'objectif était, en tout cas, que ça pourrait avoir des incidences fiscales importantes.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, c'est le temps qui nous était imparti. Mesdames et messieurs, je veux vous remercier de votre participation et vous rappeler que nous allons reprendre nos travaux à 15 h 30 plutôt que 15 heures, 15 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 19)

(Reprise à 15 h 32)

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Si vous voulez prendre place, nous allons débuter nos travaux. Je rappelle le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la déclaration de Calgary, notamment en ce qui a trait à une future entente-cadre sur l'union sociale, et ce, en regard des droits et compétences de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec et des revendications historiques de ces derniers.

Cet après-midi, à l'ordre du jour, nous recevons M. Réjean Pelletier et, à 16 h 30, nous entendrons M. Jean-François Gaudreault-DesBiens.

Alors, bienvenue, M. Pelletier, il me fait plaisir de vous accueillir au nom de la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, à la suite de quoi nous échangerons avec vous. Bienvenue.


M. Réjean Pelletier

M. Pelletier (Réjean): Alors, merci, M. le Président. J'ai intitulé mon texte La déclaration de Calgary: un non-événement et j'explique, à la toute fin, pourquoi je considère ça comme un non-événement. Avant d'arriver là, quand même, je voudrais situer un peu le contexte général de cette déclaration de Calgary pour ensuite analyser quelques points plus particuliers: en premier lieu, le caractère unique du Québec; ensuite, la notion d'égalité des provinces; et troisièmement, la question de l'union sociale. Je conclurai, en dernière partie, sur ce que j'appelle, donc, ce non-événement.

D'abord, un simple rappel des événements pour situer un peu le contexte que vous connaissez très bien, je pense. Alors, tout simplement, c'est pour rappeler que, si le contexte immédiat, ici, de la déclaration de Calgary, c'est relié au résultat du référendum de 1995, il faut quand même remonter plus loin pour vraiment connaître le contexte réel, et je pense qu'il faut remonter au moins jusqu'à la loi de 1982 et au rapatriement, donc, de 1981-1982.

C'est à la suite de ça qu'on a demandé au Québec quelles étaient les conditions pour donner son adhésion à la loi de 1982. Une des conditions fixées, à l'époque, par le Parti libéral, en 1985, par la voix du ministre Gil Rémillard, c'était de reconnaître le Québec comme société distincte. Donc, dans l'accord du lac Meech qui a suivi, on reconnaissait effectivement le Québec comme société distincte mais aussi on encadrait quand même assez soigneusement le caractère distinct du Québec. Trois ans plus tard, c'était un échec et l'opposition, il faut bien le rappeler, s'était cristallisée surtout autour de la reconnaissance, justement, du Québec, comme société distincte.

Ensuite, à l'automne 1991, on relançait le débat constitutionnel, ou rouvrait à nouveau le dossier constitutionnel, et là ça a donné lieu à l'entente de Charlottetown. C'était la grande ronde Canada, et à nouveau on y reconnaissait le caractère distinct du Québec, mais c'était bien encadré, cette fois-ci encore, dans une clause Canada où on retrouvait huit grandes caractéristiques fondamentales. À nouveau, il y a eu bien des oppositions non seulement au Québec mais dans l'Ouest canadien, plus particulièrement à l'égard de la notion de société distincte.

Ceci fait que, par la suite, il y a eu un autre échec. Donc, rien n'était réglé – je dirais que rien n'est encore réglé à l'heure actuelle – mais on considérait qu'il fallait tourner la page sur le dossier constitutionnel sans avoir satisfait aux réclamations du Québec, sans avoir satisfait non plus aux réclamations de l'Ouest canadien, ni aux réclamations, évidemment, des peuples autochtones.

Les problèmes constitutionnels étaient toujours là, ils étaient toujours présents, mais on disait: Il y a d'autres priorités désormais. Mais on a bien vu que ces problèmes-là étaient quand même toujours dans l'air et on nous l'a rappelé, en quelque sorte, par l'élection fédérale d'octobre 1993, avec l'élection de 54 députés du Bloc québécois. Par la suite, le premier ministre libéral, Jean Chrétien, disait qu'au mieux on pourrait procéder à des ententes administratives mais qu'il n'était pas nécessaire de rouvrir à nouveau le dossier constitutionnel; et, de plus en plus, du côté fédéral, on adoptait une position assez rigide à l'égard du renouvellement du fédéralisme canadien. À nouveau, la réalité allait rattraper les politiciens fédéraux et provinciaux, ou canadiens dans leur ensemble: le référendum québécois du 30 octobre 1995 s'est soldé par une mince victoire du camp fédéraliste.

Tout ceci me faisait dire déjà, dans un autre texte, que la fédération canadienne était habituée quand même à vivre de crise en crise, elle n'en était pas à sa première crise, mais que, de plus en plus, on considérait que plutôt que de parler de crise il faudrait plutôt parler d'impasse. Évidemment, ça voulait dire, ici, que quand on veut solutionner une crise, ça implique d'en retracer les fondements et de s'y attaquer, c'est quelque chose de plus fondamental, alors que briser une impasse, c'est tout simplement essayer d'en faire sauter le verrou, en quelque sorte, afin de transformer une situation qui est jugée non favorable en une situation désormais plus favorable. Alors, vous voyez, on se promène en quelque sorte de crise en crise et de crise en impasse et d'impasse en crise, mais je dirais que, de toute façon, rien n'est encore réglé sur le plan du dossier constitutionnel à l'heure actuelle.

Qu'en est-il maintenant à l'égard du contenu de la déclaration de Calgary? Premier point auquel je veux m'arrêter ici, c'est le caractère unique du Québec. On n'a pas manqué de souligner évidemment le passage de l'expression «société distincte» qui a été remplacée par celle de «caractère unique de la société québécoise». Je dirais que globalement, quand même, on reconnaît à peu près la même chose du fait qu'on la définit de la même façon pratiquement que ce que l'on a retrouvé dans l'entente de Charlottetown. Mais, évidemment, il faut bien voir que, dans les réclamations traditionnelles du Québec... Bon, si on remonte plus loin, évidemment, le Québec parlait au départ d'un pacte entre deux nations conclu au moment de la Confédération; par la suite, on a parlé de la reconnaissance des deux peuples fondateurs pour essayer d'en arriver à une forme de reconnaissance de statut particulier pour le Québec; comme le statut particulier était rejeté, et tout ça, bien, on est passé à la notion de société distincte, et là on en est rendu maintenant à la notion de caractère unique.

(15 h 40)

Je rappellerais quand même que l'Assemblée nationale, en novembre 1981, adoptait une résolution dans laquelle on parlait des deux peuples qui ont fondé le Canada, qui devraient être reconnus comme étant foncièrement égaux, et que le Québec forme, à l'intérieur de l'ensemble fédéral canadien, une société distincte par la langue, la culture, les institutions, et que le Québec possède tous les attributs d'une communauté nationale distincte. Donc, évidemment, ici, on voit très bien qu'on demandait la reconnaissance à la fois de la dualité canadienne, de l'égalité des deux peuples fondateurs et du caractère distinctif du Québec.

Dans l'accord du lac Meech, je le rappelle, on retrouvait cette formule de la société distincte canadienne qui n'était pas, à ce moment-là, définie. On s'est interrogé, à l'époque: Est-ce qu'on devait définir ou non la société distincte? Certains disaient oui, il faudrait la définir; d'autres disaient non, mieux valait ne pas la définir. De toute façon, quoi qu'il en soit, les sondages, à l'époque, montrent bien que, si on a rejeté l'accord du lac Meech, c'est d'abord et avant tout parce qu'on rejetait la notion de société distincte à l'extérieur du Québec, ce n'est pas parce qu'on craignait une éventuelle balkanisation du Québec ou une décentralisation trop grande vers les provinces. Oui, ceci a pu jouer, mais ce n'était pas la raison première. Donc, c'était, ici, le rejet du caractère distinct du Québec.

Dans l'accord de Charlottetown, à nouveau, on retrouve ceci, mais là, c'est défini. Et je dirais que, quand on compare déclaration de Calgary et accord de Charlottetown, on retrouve la même définition, en quelque sorte. On définit le caractère unique de la société québécoise de la même façon qu'on l'avait défini dans l'accord de Charlottetown. Et on accorde à l'Assemblée législative et au gouvernement du Québec le rôle de protéger ce caractère unique et d'en favoriser l'épanouissement, ce que l'on retrouvait aussi assez largement dans l'accord de Charlottetown. Donc, de ce côté-là, je dirais qu'entre l'accord de Charlottetown et la déclaration de Calgary on retrouve la même définition de la société distincte et on retrouve le même rôle assigné, en quelque sorte, à l'Assemblée nationale du Québec et au gouvernement du Québec.

J'ajouterais par rapport à ceci que, dans les deux textes, la clause qui concerne le caractère unique de la société québécoise ou le caractère distinct du Québec est englobée dans un ensemble qui vient forcément en limiter la portée. Dans l'entente de Charlottetown, ça faisait partie de la clause Canada où on ajoutait à la société distincte l'égalité des personnes, l'égalité des provinces, la reconnaissance des communautés minoritaires de langue officielle, les droits des peuples autochtones, l'attachement à l'égalité raciale et ethnique dans une société multiculturelle.

Dans la déclaration de Calgary, on retrouve tous ces éléments-là aussi: l'égalité des personnes, l'égalité des provinces, le dynamisme des langues française et anglaise, les peuples autochtones, de même que le caractère multiculturel du Canada. Donc, dans l'un et l'autre texte, on retrouve, je dirais, le même type d'encadrement de la notion de société distincte, et je dirais que ceci vient en diluer éventuellement la portée devant les tribunaux.

Évidemment, la déclaration de Calgary n'est pas encore traduite en termes juridiques. Mais, si on se réfère à ce qu'on retrouvait dans l'accord de Charlottetown, je pense qu'on retrouve à peu près le même modèle, en quelque sorte, et la même dilution – si on me permet l'expression – de la portée de l'expression «société distincte» ou «caractère unique du Québec». En plus, dans la déclaration de Calgary, il faut bien voir qu'on fait référence, dans le même article ou au même point 5, à la diversité, à l'égalité et au caractère unique de la société québécoise. Donc, vous voyez que ça vient encore encadrer vraiment cette idée du caractère unique de la société québécoise.

Et je terminerais sur cet aspect-là en disant qu'entre les expressions «société distincte» et «caractère unique», il ne m'apparaît pas y avoir, quand même, de différence fondamentale. Une société distincte, ce n'est pas une société supérieure à une autre, ni inférieure à une autre, c'est une société, tout simplement, qui est différente d'une autre. Ce qui est unique, ça réfère à la fois à quelque chose qui a une certaine singularité et quelque chose de différent. Donc, vous voyez qu'entre les deux on peut dire que globalement, il n'y a pas, disons, de différence fondamentale entre ces deux expressions-là. Ce qui m'apparaît plus important, c'est la façon dont on encadre cette expression-là pour en diluer la portée.

Deuxième point, la notion d'égalité des provinces. Je dirais qu'une des formes justement d'encadrement de la notion de société distincte, c'est précisément cette notion d'égalité des provinces. Évidemment, il faut s'interroger ici. De quelle égalité s'agit-il? Je pense bien que c'est d'abord et avant tout d'une égalité juridico-politique à laquelle on fait référence. Lorsqu'il est question d'individus, ce type d'égalité est plus facile à mettre en oeuvre. On dit: La loi est la même pour tous. Elle touche tout le monde. Elle s'applique à tous de la même façon. Quoique, même lorsqu'on touche des individus, on peut dire que parfois il y a aussi des distinctions qu'on établit. Et je donne l'exemple de la Loi sur l'impôt. Dans les taux d'imposition, il y a des catégories de personnes. Évidemment, dans les mêmes catégories, les gens sont touchés de la même façon, mais il y a des taux d'imposition différents. Donc, vous voyez que la loi touche aussi, peut toucher les personnes de façon différente.

Alors, quand on parle de collectivité, le type d'égalité des provinces, est-ce que c'est la même égalité, c'est-à-dire la même chose pour tous? Évidemment, si c'est ce critère-là, un critère que j'ai emprunté à Sartori, «The same to all», exactement la même chose pour tous, ça voudrait dire une égalité-uniformité, exactement les mêmes pouvoirs pour chacune des provinces, il n'y a pas de distinction à établir entre les provinces, quelles qu'elles soient, pas de traitement spécial ou particulier pour une province. Donc, ça voudrait dire, ici, toutes les provinces, un peu, comme référence, comme pour une loi, tous les individus sont sur le même pied, ici, toutes les provinces seraient sur le même pied. Donc, l'idée d'une égalité-uniformité. Si c'est ça, évidemment, ça serait très difficile à accepter pour le Québec, puisque ça vient en contradiction flagrante avec la notion de société distincte. Ça voudrait dire qu'il faudrait prévoir autre chose, un autre type d'égalité en quelque sorte.

Cet autre type d'égalité, là aussi, on peut l'emprunter à Giovanni Sartori: «The same to same». Ça veut dire tout simplement, ici, qu'il y a des situations d'inégalité et que, si on veut introduire une plus grande égalité, il faut corriger ces situations d'inégalité. Je pense que ça peut s'appliquer, justement, à la situation québécoise, et surtout si on reconnaît ce caractère distinct du Québec, entre autres par sa langue, par sa culture, par son droit civil.

Il y a des situations d'inégalités linguistiques au Canada, par exemple. Alors, sur le plan juridique, si on veut cette égalité différenciée, en quelque sorte, si on me permet l'expression, je dirais que c'est déjà reconnu dans la Charte des droits. On reconnaît qu'il y a des programmes de promotion sociale. Donc, ça veut dire, ici, qu'on reconnaît qu'il y a des situations inégalitaires qu'il faut corriger pour en arriver à une plus grande égalité éventuellement. Si on transpose ça au niveau des provinces, je donne l'exemple de la langue française, il est très clair que, dans l'ensemble canadien, et ça, tous les recensements le montrent année après année, le français, à la fois comme langue maternelle et comme langue d'usage, est en déclin au Canada. Ça, c'est très clair. Si on remonte depuis 30, 40, 50 ans, il y a déclin du français au Canada et comme langue d'usage et comme langue maternelle aussi. On est en situation évidente d'inégalité linguistique ou d'inégalité culturelle aussi, on pourrait ajouter. Donc, il faudrait adopter le second critère, celui d'une égalité, en quelque sorte, proportionnée aux inégalités déjà existantes.

Alors, là, à ce moment-là, évidemment, si c'est ça qu'on entend dans la déclaration de Calgary par l'égalité des provinces, je pourrais m'y rallier, mais tout m'indique que ce n'est pas le cas, que c'est plutôt l'idée d'égalité-uniformité qui s'applique, qu'on voudrait reconnaître dans la déclaration de Calgary, auquel cas, évidemment, je pense qu'il faudrait s'opposer à cette notion d'égalité-uniformité. Mais par contre, je pourrais me rallier à une égalité proportionnée à des situations d'inégalité déjà existantes et, donc, il faut corriger ces inégalités-là.

Troisième point: L'union sociale. Alors, ici, je serai très bref. On souhaite que les gouvernements oeuvrent de concert, tout particulièrement en matière de prestations des programmes sociaux. Je dirais: Tel que c'est formulé, c'est un énoncé assez vertueux, plutôt vague, évidemment, dont les omissions et les silences sont peut-être plus importants que ce qui est dit, effectivement.

Alors, à ce niveau-là, je rappelle tout simplement... je fais référence à l'un de mes écrits récents où je proposais une forme de partenariat, tout simplement, qui serait basé d'abord sur trois grands principes: le principe de subsidiarité, le principe d'asymétrie et le principe de codécision, mais d'une véritable codécision, c'est-à-dire une véritable souveraineté partagée et non pas d'une codécision où l'un impose ses normes et l'autre est chargé de les mettre en application.

(15 h 50)

Alors, ce partenariat-là, il me semble, devrait s'appliquer à un double volet, si on veut vraiment parler de ce partenariat: un volet économique, on toucherait à des compétences fédérales, en grande majorité; et un volet social, on toucherait à des compétences provinciales, en grande majorité. Et ce partenariat pourrait être chapeauté, en quelque sorte, par un conseil de la fédération où siégeraient les premiers ministres ou les ministres impliqués. Et là, ce qui me semblerait être quelque chose de tout à fait nouveau, c'est qu'on pourrait à la fois établir des normes de codécision pour des sujets qui touchent les compétences fédérales et qui touchent les compétences provinciales et qu'en plus, dans le cas des compétences provinciales, évidemment, lorsqu'on toucherait à l'union sociale, il y aurait toujours possibilité aussi d'utiliser un droit de retrait. Ce que je préconisais, à ce moment-là, c'est qu'il y ait une formule, au départ, peut-être d'unanimité dans la codécision et idéalement, par la suite, une formule tout simplement de codécision à partir de cinq grandes régions canadiennes, dont le Québec, évidemment, formant une de ces grandes régions. Donc, chacune de ces cinq grandes régions aurait en quelque sorte un droit de veto à cet égard-là.

Tout simplement, ici, pour dire qu'une véritable codécision s'oppose à toute idée d'unilatéralisme. En ce sens-là, évidemment, ça veut dire que le fédéral doit renoncer à fixer unilatéralement les normes en matière sociale dans les programmes cofinancés et, si le gouvernement fédéral continue de fixer unilatéralement les normes, évidemment, il n'y a pas de codécision possible puisque les provinces, à ce moment-là, sont plutôt chargées de mettre ceci en application. Alors, en l'absence de telles précisions, je pense que le Québec doit être très prudent pour s'engager dans la voie de l'union sociale telle que définie dans Calgary; d'ailleurs, telle que non définie, je dirais, dans Calgary, puisqu'il n'y a aucune précision à cet égard-là.

Dernier point. Je concluais en disant que la déclaration de Calgary m'apparaissait comme un non-événement. Pourquoi? Ça traduit d'abord, ce non-événement, le fait que cette déclaration n'est pas connue de la population. Il y a un sondage Comquest–Léger & Léger qui a été publié en avril 1998 qui montrait que très peu de gens connaissaient vraiment la déclaration de Calgary. Et, quand on parlait de la déclaration même de Calgary, dans l'ensemble du Canada, c'est 33 % des Canadiens et des Canadiennes qui disaient qu'ils en avaient entendu parler. Et, au Québec, ça se situait à 34 %. Alors, même dans les provinces où on avait procédé à des consultations sur la déclaration de Calgary, on s'apercevait qu'on n'en avait pas vraiment entendu parler.

Bien plus, parmi les gens qui avaient entendu parler de la déclaration de Calgary – donc, les 33 % qui restaient dans l'ensemble canadien – 70 % d'entre eux n'avaient aucune idée du contenu; 17 % mentionnaient le caractère unique du Québec; 6 %, l'égalité de toutes les provinces. Donc, on peut dire que c'est un document dont un grand nombre de personnes n'ont pas entendu parler. Ou, si ces personnes-là en ont entendu parler, elles n'en connaissent pas vraiment le contenu.

Non-événement, également, en ce qui a trait à l'avenir. Dans le même sondage, lorsqu'on demandait aux gens: Est-ce que la déclaration de Calgary pourrait régler la question de l'unité nationale?, seulement 20 % des Canadiens hors Québec croyaient que c'était là une probabilité très forte ou plutôt forte, contre 55 % qui y voyaient une probabilité plutôt faible ou très faible. Au Québec, on était même plus pessimiste: 68 % des répondants considèrent cette probabilité plutôt ou très faible. Donc, à ce niveau-là, je dirais que, de l'avis même de ces répondants, la déclaration de Calgary ne viendra pas changer grand-chose.

Et enfin, non-événement par son contenu. L'union sociale, en l'absence de précisions supplémentaires, peut devenir un piège pour le Québec. Le caractère unique de la société québécoise a été encadré par d'autres considérations, il risque d'avoir une portée bien limitée comme éventuelle règle d'interprétation de la Constitution. Et, plus que ça, dans le même sondage, 42 % des répondants disaient, dans les provinces à majorité anglophone, qu'ils sont favorables à la reconnaissance, dans une loi, du caractère unique du Québec. Mais 46 % s'y opposaient et, au Québec même, 65 % des gens y étaient favorables et 24 % s'y opposaient.

Alors, en somme, globalement, et par la perception ou la réception qu'on en a eue, de cette déclaration de Calgary dans la population canadienne – y compris, même, au Québec – et dans le contenu, je dirais que, globalement, c'est un non-événement, c'est un «non-starter», comme on dit en anglais. Donc, ce n'est pas quelque chose qui devrait nous rallier au départ.

Alors, voilà, M. le Président. Je pense que je n'ai pas trop abusé de mon temps de parole.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Pelletier. M. le ministre.

M. Brassard: Merci, M. Pelletier. Merci d'être venu nous rencontrer pour nous faire part de votre point de vue et, ensuite, échanger avec vous.

C'est intéressant, ce que vous dites relativement à la reconnaissance du Québec parce que, si je vous ai bien compris, dans le fond, vous dites: Les vocables ont sans doute une certaine importance, mais ce qui importe davantage, c'est la portée de ces concepts. Alors, si je comprends bien, ce n'est pas nécessairement le passage du vocable «société distincte» au vocable «caractère unique» qui est plus important, c'est la dilution ou, finalement, je dirais, la réduction presque à néant de la portée. Et, dans la déclaration de Calgary, ce que vous nous dites, ce que vous dites à cette commission, au fond, c'est que c'est un concept et un vocable de nature purement symbolique, une coquille vide, comme vous dites d'ailleurs dans votre mémoire – une coquille vide, donc.

Déjà, dans Meech, la portée du concept de société distincte n'était pas si considérable que cela mais, enfin, on pouvait identifier une certaine portée. Dans Charlottetown, comme vous le mentionnez, cette portée-là du concept de société distincte a été considérablement diminuée, réduite. Et puis, non seulement on change le vocable dans la déclaration de Calgary, on passe à ce vocable nouveau de «caractère unique», mais, en ce qui a trait à la portée, finalement, on en arrive à une portée complètement disparue. Je pense que c'est ça, le sens de vos remarques relativement à la reconnaissance du Québec.

M. Pelletier (Réjean): Oui, oui. C'est-à-dire que je trouve. Lorsqu'on compare, par exemple, l'entente de Charlottetown où la notion de société distincte pour le Québec était encadrée dans une clause Canada, on voit qu'on retrouve le même type d'encadrement, au fond. Évidemment, ce n'est pas ici une traduction juridique, je le reconnais, mais on voit que, lorsqu'on lit les différents points, les différents articles de la déclaration de Calgary, on retrouve exactement les mêmes termes à d'autres points: l'égalité des personnes, l'égalité des provinces, le caractère multiculturel du Canada, les peuples autochtones. On retrouve ça et dans Charlottetown et dans la déclaration de Calgary. Donc, de ce côté-là, effectivement, je pense, sans qu'il y ait encore de traduction juridique là, que finalement on devrait retrouver, s'il y avait un texte juridique, le même type d'encadrement de la notion de société distincte.

Évidemment, je ne suis pas juriste, je ne sais pas comment les tribunaux vont interpréter, par exemple, une telle notion de société distincte qui est diluée à travers d'autres notions et dont il faut tenir compte: la reconnaissance des droits des peuples autochtones, les droits inhérents des autochtones, ensuite du caractère multiculturel du Canada, d'égalité des provinces. Donc, comment les tribunaux vont jouer avec tout ça lorsqu'ils vont interpréter une loi et qu'on voudra se servir justement de cette notion de société distincte ou de caractère unique du Québec?

Et ça, je pense que c'est voulu, il est bien clair, parce que, dans l'accord du lac Meech, comme je le disais tout à l'heure, l'élément fondamental de l'opposition à l'accord du lac Meech, c'est la notion de société distincte. Donc, c'est pour ça que par la suite on a voulu encore l'encadrer davantage pour dire: Voilà, on va la reconnaître, mais ça n'aura pas beaucoup de portée. On va diluer cette notion-là tout simplement. Je pense qu'on retrouve effectivement dans la déclaration de Calgary le même type d'encadrement que ce que l'on retrouvait dans l'accord de Charlottetown.

M. Brassard: En fait, ce qu'on peut dire bien concrètement, c'est qu'on pourrait... Et je pense que c'est M. Frémont ou M. Laforest qui en parlait, il parlait de la motion, la fameuse motion adoptée par le Parlement, par la Chambre des communes relativement à la société distincte qui devait... C'est vrai que ce n'est pas un amendement constitutionnel, mais cette motion adoptée par la Chambre des communes devait inspirer, guider le gouvernement fédéral dans ses décisions, ses politiques, ses programmes qu'il mettait en oeuvre, particulièrement à l'égard du Québec. Et, depuis que cette motion-là a été adoptée, on le sait, on n'a qu'à passer en revue l'ensemble des décisions, des politiques, tout récemment la décision du gouvernement fédéral concernant les fameuses bourses du millénaire, et le constat est très clair, cette motion-là n'a eu aucun effet, aucune portée.

Alors, donc, on peut conclure de vos propos, au fond, que, si le caractère unique se retrouvait dans la Constitution, ce serait à peu près l'équivalent, en termes de portée, de la motion adoptée par la Chambre des communes sur les décisions et les politiques et les programmes du gouvernement fédéral depuis cette époque-là, c'est-à-dire nulle, tout à fait nulle.

(16 heures)

Maintenant, moi, je voudrais revenir sur le point 7 de la déclaration de Calgary. C'est cette disposition où l'on dit que «la population canadienne désire que ses gouvernements oeuvrent de concert – le député de Châteauguay aime beaucoup cette expression-là, «de concert», oui, concertation, etc. – tout particulièrement en matière de prestation des programmes sociaux.» Ça, c'est l'article 7. Et vous dites, dans votre mémoire, et je vous cite: «C'est un énoncé vertueux, vague à souhait, dont les omissions et les silences sont peut-être plus importants que ce qui est dit.» Et vous ajoutez qu'il faudrait absolument rejeter cette disposition pour se protéger d'un éventuel piège. J'aimerais que vous disiez à la commission quel est le piège que vous avez identifié et décelé dans l'article 7 de la déclaration.

M. Pelletier (Réjean): Un premier point, d'abord, que je voudrais souligner, c'est que, comme je l'indique et comme vous pouvez le constater aussi, effectivement on l'énonce d'une façon très générale et donc on ne sait pas quel sera le contenu exactement de cette union sociale. Ça, c'est le danger de se laisser piéger en disant: On accepte ceci mais on n'en connaît pas exactement le contenu. Par la suite, le contenu sera défini, et là le Québec pourrait se retrouver justement dans une situation difficile.

Le piège qu'il pourrait y avoir, effectivement, c'est celui qu'on a retrouvé jusqu'à maintenant à l'égard des programmes cofinancés. C'est-à-dire que, jusqu'à maintenant, ç'a été le fédéral qui a fixé les normes, qui les a imposées, en quelque sorte – et qu'on retrouve encore, par exemple, dans le domaine de la santé – des normes, donc, qui sont imposées même s'il y a des provinces... d'ailleurs pas seulement de Québec, jusqu'à maintenant, il y a des provinces comme l'Alberta ou d'autres provinces qui se sont opposées à ces normes-là. On les a rappelées à l'ordre et on a dit: Non, vous devez respecter ceci, si vous ne respectez pas, on vous coupe les vivres, tout simplement, vous aurez moins de financement venant du fédéral si vous ne respectez pas telle ou telle norme. Alors, le piège, je pense, c'est que ça continue de la même façon, c'est ça le danger. C'est pour ça que je disais: Une véritable codécision, c'est vraiment décider tous ensemble, ce n'est pas l'un décide et les autres mettent en application.

Alors, le piège ou le danger que je verrais, ça serait celui-là, c'est que le fédéral, en mettant sur pied de nouveaux programmes, impose ses normes et dise: Vous êtes chargés, ensuite, de la mise en application au niveau des provinces et vous recevrez du financement, évidemment, dans le respect des normes établies, mais établies unilatéralement. Alors là on est loin de la codécision, on est loin, même, d'une véritable forme de concertation et de partenariat, et tout ça. Parce qu'on peut avoir une concertation pour la forme, on peut réunir des gens puis ensuite dire: Bon, voilà, vous n'avez pas pu vous entendre, je vais établir mes normes et vous devrez les respecter par la suite. Disons que c'est en se basant un peu sur l'expérience passée qu'il peut y avoir ce danger. Comme l'union sociale n'est pas définie davantage, comme on ne connaît pas vraiment le contenu de tout ceci, comme on ne sait pas comment ça pourrait fonctionner, il y a danger que le Québec à nouveau puisse se faire piéger éventuellement.

Et je pense que c'est vrai que... Bon, évidemment, on pourrait dire: Il y a quand même eu une entente avec le Québec sur la formation de la main-d'oeuvre, par exemple. Oui, c'est vrai, c'était discuté depuis de très, très nombreuses années, depuis les années soixante, exactement – 1965, je pense – mais là aussi il faut voir un peu dans quelles conditions ç'a été négocié, qu'est-ce que le Québec a obtenu. Je pense qu'il a réussi à obtenir certaines choses, mais qu'on s'est empressé d'offrir aussi aux autres provinces, pour éviter tout caractère distinct, et que même dans certains cas on a corrigé ce qui avait déjà été conclu avec les autres provinces pour s'ajuster avec le Québec, pour dire: Tout le monde est sur le même pied d'égalité. Et d'ailleurs c'est pour ça aussi que je craignais que la notion d'égalité soit l'égalité-uniformité, toujours. D'ailleurs, il y a déjà un article dans la déclaration de Calgary disant: Si quelqu'un a quelque chose tout le monde va le recevoir.

Alors c'est pour ça que je trouve que ça devient difficile, dans tout ceci, de mettre ça ensemble, mettre les fils ensemble du caractère unique, de l'égalité des provinces et de l'union sociale. Comment ça se jouerait? Est-ce que le caractère unique du Québec pourrait jouer dans l'union sociale? Je n'en sais rien, on ne le dit pas. J'en doute par certains côtés, puisqu'on dit qu'aussi toutes les autres provinces devront recevoir exactement la même chose. Et là vous voyez que... Que veut dire le caractère unique du Québec, à ce moment-là? Et c'est pour ça que je trouve ça un peu curieux de définir, parfois, cette idée d'égalité des provinces en disant: Tout le monde va avoir la même chose, et tout ça. Mais, en même temps, il y a quand même une province qui est nettement différente, et on le dit qu'elle est différente. Elle est différente par sa langue, par sa culture, par son droit civil.

Alors, vous voyez, c'est contradictoire. On dit: Elle est différente, mais elle aura exactement la même chose que les autres. Mais évidemment, si les autres n'ont rien sous l'aspect de la langue et de la culture, le Québec n'aurait rien à ce moment-là, alors que précisément on dit que le Québec est différent par sa langue et sa culture. Je crains qu'au niveau social ça puisse être un peu la même chose.

En somme, c'est que ce qui s'impose vraiment, à l'heure actuelle, du moins dans les provinces à majorité anglophone, c'est l'idée d'égalité-uniformité, et donc, dans l'union sociale, ceci devrait jouer. Alors, c'est le danger ou le piège éventuel; je ne sais pas comment l'appeler exactement.

M. Brassard: Merci.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Pelletier. Vous parliez de sondages tantôt. Comme, je pense, tout le monde le dit, il faut toujours faire attention aux sondages, aux conclusions qu'on peut en tirer. Pour ma part, je pourrais vous dire qu'il y a eu un sondage TVA – ce n'est pas tellement scientifique – le 29 mai qui disait que les Québécois, entre Calgary ou la santé, quel type de commission voulaient-ils que leur gouvernement tienne? Il y en avait pour 75 % à la santé et puis 25 % sur Calgary. Alors, on peut faire dire n'importe quoi. Il y a eu un CROP qui a été tenu – ça, c'est scientifique – à la même période: 13 et 20 mai. La priorité des Québécois, dans une grande liste, le numéro un, c'était la santé qui revenait. Alors, statistiques pour statistiques, c'est toujours bon de rappeler que les vraies priorités des Québécois sont là où le gouvernement du Québec n'a pas décidé de tenir une consultation qui aurait informé, d'ailleurs, ce gouvernement de ce que pensent tous les intervenants dans le domaine de la santé, qui y ont goûté passablement ces dernières années.

Je prends votre texte, votre mémoire. Vous faites un simple rappel – premier point – vous faites un tour d'horizon, et à juste titre. Je pense que c'est important de faire une mise en contexte, de regarder comment des éléments comme Calgary ou d'autres s'inscrivent, ce qui se passe autour de ça, pour essayer de le comprendre. Je note que vous parlez notamment de l'élection du Bloc québécois en 1993; vous faites un tour d'horizon et vous en concluez: Voilà où nous en sommes à l'heure actuelle. J'ai noté que vous n'aviez pas constaté qu'il y avait eu une autre élection depuis celle de 1993 où, là, le Bloc québécois était passé à 38 % d'appuis au Québec, soit en bas de la barre du 40 % du référendum de 1980. Peut-être que c'est un élément à considérer.

Vous venez de parler de la main-d'oeuvre; voilà un élément à considérer. Un amendement sur les commissions scolaires linguistiques qui s'est produit fin décembre; voilà un élément à considérer. Je le rappelle souvent: à St. Andrews, l'été dernier, l'approfondissement de l'union économique, et qui avance, qui progresse pour le bénéfice des citoyens; je pense qu'il faut toujours, d'ailleurs, rappeler que tout ça doit se produire pour le bénéfice de quelqu'un. Il y a du monde qu'on représente, et c'est pour eux autres qu'il faut essayer d'aménager structures et esprit de collectivité, pour que tout le monde s'y sente à l'aise. Donc, il y a un certain nombre de choses qui se sont passées.

Je prends à la volée les derniers propos sur l'union sociale, et vous y parlez de piège et de danger, et puis on ne sait pas ce qu'il y a dedans et comment ça va se finir. Vous avez même parlé du caractère unique et puis de l'union sociale. En ce moment, le caractère unique du Québec à l'égard de l'union sociale, c'est que le seul gouvernement au Canada parmi les provinces – parce que c'est une grande discussion provinciale – qui ne fait pas entendre sa voix, c'est celui du Québec.

Alors, si vous voulez savoir si le caractère unique est dangereux pour l'union sociale, c'est le caractère unique du gouvernement du Parti québécois, qui refuse non seulement, depuis deux ans et demi maintenant, de participer à ces discussions avec les autres provinces, de créer un front commun, mais qui, en plus, ne tient aucune stratégie d'alliance. Vous avez parlé d'un certain nombre de provinces, tantôt, qui partageaient les visions du Québec. Aucune stratégie d'alliance. Moi, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je le répète, ça fait deux ans que je demande au ministre des relations intergouvernementales quels sont les ministres des autres provinces qui s'occupent du même secteur que lui qu'il a rencontrés. Bon, cette année, c'étaient l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, une fois, le même jour chacun, et l'année d'avant, c'était le Nouveau-Brunswick, une fois. Alors, en deux ans, avoir consacré deux journées à deux provinces, ça doit être nouveau parce que ce n'était pas dans les crédits, ça.

(16 h 10)

M. Brassard: Vendredi.

M. Fournier: Vendredi. Ah! on finit par arracher l'Alberta maintenant. Là on est rendu à trois. Bien, c'est le premier de cette année; peut-être que ce sera le seul cette année, pour l'année prochaine.

Mais, sur l'union sociale donc, je pense que ce qu'il est important de noter, un document parmi tant d'autres que les provinces ont sur la table en ce moment, c'est: Pour un renouvellement de l'union sociale canadienne , document de discussion, 29 avril 1997 – bon, ça roule depuis un bon bout de temps – dans lequel les provinces soumettent différents moyens notamment pour les règles d'indemnisation des provinces qui se prévalent de l'option de retrait. Alors, il y a celle de l'indemnisation inconditionnelle, celle de l'indemnisation conditionnelle avec un peu la formule qu'on connaît de Meech, en remettant dans le domaine compatible, mais en choisissant nos solutions propres.

Tout ça pour dire, introduction sur ce thème-là pour dire que, dans cette mise en contexte, il me semble manquer un certain nombre d'éléments – si vous me permettez, enfin, moi, que je vois différemment – qui m'amènent à identifier que le piège actuellement, ce n'est pas qu'il y ait une discussion sur l'union sociale et qu'on ne sache pas quelle est la conclusion... Évidemment, si on voit le piège dans tout débat où on pourrait avoir un progrès, mais on ne sait pas si on va s'y rendre, et le piège, c'est de dire: Bien, tout à coup qu'on ne se rend pas, donc on n'embarque pas, le piège, c'est qu'il n'y aura jamais de progrès parce qu'on ne veut jamais se rendre à la conclusion. C'est un train qui se rend dans la direction qu'on choisit, mais tout à coup qu'il ne se rend pas, donc je n'embarque pas. Là, tu es sûr de ne pas te rendre, c'est évident que tu ne te rendras pas. Mais, s'il est parti sur des rails qui s'en vont dans cette direction-là et qu'avec ta voix et ton influence tu bâtis une stratégie d'alliance pour t'y rendre, il y a plus de chances qu'on s'y rende.

Alors, à ce compte-là, il me semble que le piège dont vous parlez ne se retrouve pas dans Calgary, il ne se retrouve pas dans un bon nombre d'autres éléments de contexte, il se retrouve dans une politique d'absentéisme et d'abandon de la défense des intérêts du Québec que mène le gouvernement du Parti québécois.

Vous parlez – et je tiens à le noter parce que je dois vous avouer que je trouve ça très intéressant – à la page 13, du «Conseil de la fédération qui serait composé des premiers ministres provinciaux et fédéral ou, selon le cas, des ministres compétents». Je vous cite: «Peut-être faudrait-il, pour apprivoiser cette réforme, fonctionner au départ à l'unanimité[...]. Idéalement, il faudrait se donner d'autres règles dans un laps de temps assez court.» Vous préférez à cet égard une formule de consentement régional impliquant cinq régions canadiennes et vous avez repris ces propos ici.

Je dois vous avouer que ce sont des solutions et des pistes pour lesquelles on devrait avoir un gouvernement qui les prend sur son épaule et dit: Bien, ça, je vais essayer d'établir ça. Il y a un avancé, il y a un progrès pour les intérêts du Québec là-dedans. Ce qui est intéressant, quand j'ai lu ce texte-là, il m'est apparu tout de suite... Juste avant la réunion de Jasper, toujours dans le débat de l'union sociale, parce qu'on suit le dossier quand même depuis longtemps, moi, j'avais écrit un texte à l'époque, juste avant la rencontre des premier ministres de Jasper sur l'union sociale dans lequel, essentiellement, des propos à peu près identiques... D'ailleurs, nous l'avons repris dans notre programme, décembre 1996, je vous lis un court passage: «Cette approche progressive permettrait aux provinces d'apprivoiser – c'est drôle, on avait la même préoccupation – le processus décisionnel interprovincial et conduirait sans nul doute à des traités internes du type de l'Accord du commerce intérieur adopté en 1994. Le processus de décision – je cite toujours le document Reconnaissance et interdépendance – interprovincial peut suivre de nombreuses règles et celles-ci peuvent varier selon les sujets. Parmi celles-ci, on peut penser notamment à celle du veto régional adoptée récemment par le gouvernement fédéral pour certains amendements constitutionnels.» Je trouve qu'on voit là des pistes qui sont intéressantes si on a à coeur la défense des intérêts du Québec, et je pense ici aux citoyens du Québec.

À la page 11 – et là je vais vous parler en même temps de M. Dufour que nous avons reçu hier – vous terminez le paragraphe sur l'égalité des provinces, c'est un peu la conclusion: «Bref, reconnaître en même temps le caractère unique de la société québécoise et l'égalité des provinces me semble contradictoire, à moins de considérer l'égalité comme devant être proportionnée au degré d'inégalité existante. C'est plutôt la vision d'une égalité uniformisante qui s'impose à l'heure actuelle.»

Simplement vous citer un texte que M. Christian Dufour avait écrit dans Le défi québécois , page 161, pour parler justement de ce qui s'impose à l'heure actuelle. Il disait ceci, il faisait référence à 1988, c'est l'époque de Meech, jugement de la Cour suprême: «On eut une bonne démonstration de ce phénomène en décembre 1988, à l'occasion du jugement de la Cour suprême sur la loi 101. On décida alors que le Québec avait la possibilité d'imposer la nette prédominance du français à condition que l'on ne prohibe pas l'anglais. Peu de gens notèrent que ce jugement correspondait à l'esprit d'un accord du lac Meech ne faisant pourtant pas partie de la Constitution canadienne.»

Le point que je veux mentionner ici, c'est que la clause interprétative désirée par l'accord du lac Meech comme étant constitutionnelle, c'est-à-dire inchangeable, si on veut, à moins du consentement des acteurs du constituant, il y avait déjà cette clause interprétative qui servait de guide pour la Cour suprême et, à mon avis, c'était... Je pense que c'est M. Laforest qui parlait de clause qui servait à fédéraliser la Charte. Ce que Christian Dufour nous dit, c'est qu'elle sert déjà de guide interprétatif pour la Cour suprême, bien qu'elle ne soit pas encore dans la Constitution. Donc, moi, j'aurais plutôt tendance à regarder l'heure actuelle non pas comme étant une tendance uniformisante et non pas comme étant une égalité stricte – d'ailleurs, on parle d'égalité de statut dans le texte anglais; en français, ce n'est pas repris, je ne veux pas m'embarquer dans les mots non plus – mais j'aimerais ça vous entendre là-dessus, lorsqu'on regarde le jugement de la Cour suprême sur la loi 101, les propos de M. Dufour, est-ce qu'on peut considérer vraiment qu'à l'heure actuelle il n'y a que la tendance à l'égalité uniformisante?

M. Pelletier (Réjean): Ce que je voudrais souligner à cet égard-là, c'est que, lorsqu'on regarde sur un bon nombre d'années, en particulier depuis 1982, depuis la Charte des droits, quelles sont les valeurs qui s'imposent de plus en plus et qu'est-ce qui s'impose aussi, d'une façon générale, dans les autres provinces – parce que, ultimement, ça va dépendre aussi des autres provinces, pas seulement du Québec – donc, quand je regarde ça, je pense que la citation que j'ai apportée, venant de Kenneth McRoberts, sur les deux visions, je pense que ça s'impose de plus en plus. Et c'est ça que je crains, c'est-à-dire qu'il y ait toujours deux visions différentes, l'une fondée, par exemple, sur le bilinguisme canadien et le multiculturalisme, alors, vous voyez, disons, une certaine réforme des institutions nationales aussi, un certain renforcement des institutions nationales, et tout ça, donc, une vision, ici, pancanadienne qui englobe tous ces aspects-là du bilinguisme – pas du biculturalisme, mais du bilinguisme – du multiculturalisme, alors que, du côté du Québec en particulier, la vision est souvent différente, c'est la vision biculturelle, c'est la vision de l'asymétrie, alors que ces notions-là de dualité canadienne, mais dans le sens du biculturalisme et de l'asymétrie et des pouvoirs, ceci n'est pas acceptable, jusqu'à maintenant, dans les autres provinces canadiennes.

Et c'est pour ça que je crains qu'effectivement ce soit une vision qui s'impose – évidemment, la vision du plus fort – et que cette vision-là s'applique, devienne une sorte de rouleau compresseur tout simplement, donc, qu'elle s'applique partout, et le Québec devrait s'y plier éventuellement. Alors, c'est pour ça que je trouve, dans la réalité, que même si on dit qu'on reconnaît le caractère distinct du Québec ou le caractère unique du Québec, si on dit qu'il faut défendre, d'abord et avant tout, l'idée d'égalité des provinces, qui est un élément fondamental au Canada anglophone, comment concilier ça, comment concilier cet aspect? Parce qu'on définit quand même ce caractère unique en disant que ça tient à une langue différente, à une culture différente, à un droit civil différent. Et ensuite on dit: Oui, mais c'est l'égalité des provinces qui doit s'imposer.

Alors, c'est ça que je trouve contradictoire et, jusqu'à maintenant, on n'a pas vraiment réussi – je parle au niveau politique essentiellement – à concilier les deux.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député. Oui, vous pouvez terminer.

M. Pelletier (Réjean): C'est ça, le problème réel.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.

(16 h 20)

M. Dumont: Merci, M. le Président. D'abord, je remercie M. Pelletier pour sa collaboration à nos travaux.

Moi, la page qui m'intéresse le plus, c'est la page 12, parce que ma constatation, à cette étape-ci des travaux, c'est qu'il y a une relative unanimité quant à la déclaration de Calgary, puis surtout quant à sa capacité – c'est ça qui m'intéresse, moi – de régler d'une façon convenable le contentieux dans lequel le Québec est embourbé depuis quelques décennies.

Donc, à la page 12 et la page suivante, vous nous lancez un peu vos pistes. Ça rejoint ce qu'on a vu dans plusieurs autres mémoires. C'est un peu l'interprétation que je fais de votre proposition où vous nous dites: Des nouvelles formes de partenariat, aussi bien de nature confédérale que de type fédéral avec asymétrie et sur le principe de subsidiarité. Je ne veux pas vous interpréter; je veux plutôt vous entendre là-dessus, mais est-ce que vous n'êtes pas en train de nous dire qu'il faut sortir des ornières dans lesquelles on s'est empêtré? C'est-à-dire qu'on a présentement, comme options qui nous ont guidés surtout dans les dernières années, l'option de référendum, donc un gouvernement qui a fait un référendum, la population ne l'a pas appuyé, et là qui nous dit: Bien, moi, je refais un autre référendum le plus tôt possible, puis sans entre deux jouer véritablement le jeu du système, essayer d'en tirer le maximum. De l'autre côté, bien, on a une opposition officielle qui n'a pas vraiment de revendications précises, qui n'a pas vraiment de rapport de force à établir, puis qui n'a pas l'intention de le faire non plus.

Quand je lis, moi, puis qu'on me parle de partenariat de nature confédérale, qu'on me met en place des nouveaux principes, ce que je vois, c'est une espèce de cri d'alarme qui nous a été lancé, entre autres par plusieurs autres universitaires, à l'effet qu'il faut sortir des ornières. Il faut explorer des pistes différentes qui vont faire que, après des années d'échec, des années à se dire non à nous-mêmes ou à se faire dire non, on va finir par arriver, peut-être pas à un résultat qui va être complètement conforme à ce qu'on voudrait dans nos meilleurs rêves, mais au moins à un résultat, parce qu'à date, notre bilan en bas de la feuille, c'est zéro en termes de résultat, que ce soit par la voie des tentatives de réforme du fédéralisme ou par la voie des référendums de l'option souverainiste, le résultat net, c'est zéro.

M. Pelletier (Réjean): Oui, je suis d'accord que, pour le moment, ça n'a pas bougé, parce que je concluais justement que, après les grandes manoeuvres, en quelque sorte – l'accord du lac Meech, l'accord de Charlottetown – rien n'était réglé, puisque les deux ont échoué et qu'on en est là encore. C'est-à-dire, il n'y a pas eu vraiment de tentative de renouvellement du fédéralisme canadien depuis puisque ce qu'on a préconisé, d'abord et avant tout, du côté fédéral, avec l'élection de 1993 et après, ça a été tout simplement de mettre sur pied des ententes administratives et des ententes à la pièce. Donc, on pourrait essayer de bouger un peu, mais à la pièce tout simplement et, parfois, on s'est aperçu qu'on a bougé une fois, et ensuite ça ne change pas beaucoup. D'ailleurs, le même texte, je vous dirais, je le concluais en disant que, pour en arriver à de nouvelles choses, il faut le vouloir et que je percevais qu'il n'y avait pas une telle volonté à l'heure actuelle. Je pense qu'il n'y a pas de volonté de changement de la fédération canadienne. On craint beaucoup d'innover ou de changer.

Je dirais qu'on craint beaucoup, et c'est pour ça que... Bon, évidemment, ce sont, ici, des propositions. C'est une proposition, mais on craint beaucoup d'abord d'innover, pour deux raisons: en particulier, parce qu'on craint un autre échec, après les deux échecs de Meech et de Charlottetown, et surtout je dirais qu'au niveau des institutions politiques en général on est très conservateur. On est, depuis très longtemps, à la remorque de la Grande-Bretagne et on attend toujours que la Grande-Bretagne ait bougé pour faire quoi que ce soit, par exemple, sur la discipline de parti...

M. Dumont: Oui, mais avec ce qui...

M. Pelletier (Réjean): ...et tout ça, en Grande-Bretagne, c'est beaucoup plus libre que...

M. Dumont: ...se passe en Écosse, puis tout ça, la Grande-Bretagne prend des foulées d'avance assez spectaculaires sur nous autres, là.

M. Pelletier (Réjean): C'est ça, mais effectivement, sur le plan des institutions politiques, quand on regarde ça, nos institutions sont empruntées aux institutions britanniques, d'abord, sur le parlementarisme. On a créé le fédéralisme en s'inspirant des États-Unis. Mais on ne veut pas bouger beaucoup; on ne veut pas que ça change beaucoup et surtout, je dirais depuis quelques années, depuis les deux échecs, on voudrait que rien ne bouge. C'est un peu le syndrome «Maria Chapdelaine», donc, il faudrait que rien ne change, en quelque sorte.

Là, vous voyez qu'à ce niveau-là – c'est pour ça que je suis un peu désespéré – même s'il y a des propositions ou quoi que ce soit, je doute que ça puisse être vraiment mis en oeuvre, parce que les gens ont peur de s'y engager. Et surtout que de plus en plus – et là, je reprendrais ce que je disais tout à l'heure – compte tenu des nouvelles valeurs qui s'imposent et qui ne sont pas forcément les mêmes au Québec que dans le reste du Canada, le fossé risque de s'élargir plutôt que de se rétrécir. Et c'est pour ça que ça devient très difficile, ici.

Moi, je pense que, si on pensait en termes de partenariat, par exemple, il faudra en arriver à un véritable partenariat; que si on parle de codécision, il faut que ça soit une vraie codécision. Ce n'est pas une décision d'un côté, et ensuite, l'autre, vous appliquez. Ce n'est pas ça, codécider. Alors, c'est pour ça que...

Il faudrait reconnaître l'asymétrie, par exemple. C'est presque une hérésie, sur le plan constitutionnel, dans les autres provinces. Pourtant, ça existe déjà. Il y en a, de l'asymétrie, dans la Constitution de 1867. Ça a été reconnu, à l'époque. Ça existe, mais on a peur aujourd'hui, de retrouver ces formules-là et de faire état du principe de subsidiarité, et tout ça. Si on en faisait état, par exemple, le domaine social serait de compétence provinciale reconnue véritablement et avec des possibilités d'application différentes selon les provinces, d'asymétrie et tout. Mais on a peur d'innover, je pense. Et je doute que même cette formule-là de partenariat fédéral, de codécision, ça soit mis en application. Je suis pessimiste à cet égard-là.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Berthier.

M. Baril (Berthier): Merci, M. le Président. M. Pelletier, merci de votre exposé.

Je voudrais essayer, dans les quelques minutes, de situer Calgary en le plantant dans le décor historique, l'histoire de la marche du peuple québécois, particulièrement à travers ce siècle, en regardant par exemple les grands moments importants de notre histoire collective, en partant de Maître chez nous , par exemple, de l' Égalité ou indépendance de Daniel Johnson père – je fais une parenthèse entre le père puis le fils, parce que le fils s'est résigné à ne choisir, ni l'égalité, ni l'indépendance – Souveraineté culturelle de Robert Bourassa, Souveraineté-association de M. Lévesque, le rapport Allaire , qui a été un moment extrêmement important dans l'histoire politique du Québec, Souveraineté partenariat de M. Bouchard et de M. Dumont, ce que j'appellerais ici, les aspirations historiques et les revendications traditionnelles des Québécois et des Québécoises, qui ont été des moments importants, clés du cheminement politique du peuple québécois.

On peut parler d'hier, mais on peut parler aussi de demain, essayer de situer cette déclaration par rapport aux nouveaux grands objectifs planétaires du XXIe siècle. Globalisation des marchés, par exemple. On voit apparaître, il est en train de naître actuellement une nouvelle communauté économique qu'on appelle le marché des Amériques. On voit apparaître de plus en plus l'Amérique des patries et des nations où se sent de plus en plus à l'aise le peuple québécois là-dedans.

Et on voit aussi que notre société, notre peuple va s'imprimer davantage dans ses rapports, dans des activités commerciales et culturelles beaucoup plus axées, en ce qui concerne l'avenir, dans l'axe Nord-Sud, par exemple, par rapport à Est-Ouest. Je donne un exemple: dans trois ans, le principal partenaire économique du Québec sera les États-Unis d'Amérique. Par rapport à ce qui s'est passé au siècle dernier, c'était plutôt des rapports Est-Ouest avec les autres provinces, par exemple.

Face à tout ça, là, face à ce nouveau vent de fraîcheur venu tout droit du village global qui a, en fin de compte, interpellé la société québécois, après 40 ans de l'extraordinaire slogan de Maître chez nous , on sent que le pays réel, au Québec, il est fait. C'est chose accomplie. Tout ce qui nous manque, c'est la reconnaissance juridique.

Alors moi, ce que je vous demande, très rapidement, par rapport à ce qui s'est passé – aspirations historiques – par rapport à ce qui s'en vient, comment peut fitter la déclaration de Calgary dans un tel contexte?

M. Pelletier (Réjean): Disons que, quand on regarde d'abord les revendications traditionnelles du Québec depuis le Maître chez nous , et tout ça, d'une façon générale, je pense qu'on peut les résumer en un mot: en arriver à une meilleure répartition des pouvoirs. Et ce que veut le Québec, c'est davantage de pouvoirs ou au moins une reconnaissance effective de ses pouvoirs, plutôt que tout autre type de réforme. Ça, c'est le premier élément.

(16 h 30)

Et ça, quel que soit le parti au pouvoir, je pense que ça a été une constante, c'est-à-dire, que ça prenne des vocables différents, ça a été une constante que l'idée de répartition des pouvoirs était l'élément fondamental si on voulait changer quelque chose dans la fédération canadienne. Évidemment, ça peut varier, certains peuvent réclamer tous les pouvoirs – comme du côté du Parti québécois – beaucoup plus de pouvoirs, d'autres moins, mais c'est quand même toujours cette idée de partage des pouvoirs qui était l'élément fondamental. Ça, je pense que c'est une réalité depuis les années soixante. Évidemment, c'était différent sous Duplessis et avant; là, c'était plus protéger ce que l'on avait déjà, se protéger contre les empiétements du fédéral. Donc, ceci peut rester encore, mais par la suite c'était quelque chose de plus, je dirais, plus actif, plus proactif, en disant: On veut plus de pouvoirs, on veut agir et avoir plus de compétences.

Dans ce contexte de globalisation des marchés, il est vrai, vous avez souligné que par exemple – et pour l'avenir, évidemment, ce sera un élément important – sur le plan économique chacune des provinces canadiennes, pratiquement, dont le Québec évidemment, a moins de relations économiques avec les autres provinces qu'avec les États-Unis, maintenant, ou avec d'autres pays, mais plus particulièrement avec les États-Unis. Et donc, vous voyez que ce qui était un des éléments de la fédération canadienne, c'est-à-dire l'union économique, le marché commun canadien, n'a plus la même signification aujourd'hui. C'est-à-dire que ce marché commun peut continuer d'exister, mais il y a d'autres marchés communs: celui avec les États-Unis, celui avec le Mexique, celui avec le Chili, éventuellement, celui avec l'ensemble des Amériques et, probablement, d'autres formes d'ententes avec les pays européens aussi ou avec l'Union européenne tout simplement.

Alors, vous voyez que de ce côté-là, effectivement, ça devient quelque chose de très différent par rapport à des situations antérieures. C'est-à-dire que ce qui était un élément important de la fédération canadienne, cette union économique, se pose différemment aujourd'hui du fait des relations économiques de plus en plus importantes du Québec et des autres provinces – l'Ontario en particulier – avec les États-Unis et le marché commun nord-américain.

J'ajouterais, par rapport à ça, quand même, un autre élément. Ce qui veut dire aussi que, ultimement, pour le Parti québécois, négocier le partenariat économique pourrait avoir peut-être moins d'impact, éventuellement. C'est-à-dire que est-ce que, lorsque l'Ontario aura beaucoup moins de relations avec le Québec, elle sera toujours intéressée à négocier coûte que coûte une forme de partenariat par la suite? Je ne le sais pas. Évidemment, tout dépend à quel moment ça pourrait se passer, ça. Mais on voit que, oui, c'est vrai que, sur le plan économique, il y a un déclin au niveau des échanges entre les provinces au profit d'autres pays, ça c'est très clair.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Pelletier, c'est tout le temps que nous avions. Je vous remercie de votre contribution à notre commission.

J'inviterais maintenant M. Jean-François Gaudreault-DesBiens à nous faire sa présentation. Alors, M. Gaudreault-DesBiens, bonjour et bienvenue à la commission des institutions. Vous avez 20 minutes pour la présentation de votre exposé, à la suite de quoi nous pourrons échanger avec vous.


M. Jean-François Gaudreault-DesBiens

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): D'accord. Merci, M. le Président. J'ai intitulé mon texte: De la déclaration de Calgary, de sa réception au Québec et de quelques pathologies du discours constitutionnel majoritaire dans notre société au caractère «unique» . En fait, bon, on sait que la commission a reçu le mandat de l'Assemblée nationale de tenir des auditions publiques sur la déclaration de Calgary, notamment en ce qui a trait à une future entente-cadre sur l'union sociale, et ce, en regard des droits et compétences de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec et des revendications historiques de ces derniers, mandat fort large qui permet à chaque intervenant de préciser lui-même l'angle sous lequel il entend aborder cette problématique, ce que je vais faire.

Et pour clarifier un peu l'angle, justement, sous lequel je vais aborder la problématique, je veux simplement vous dire quelle est la nature de mes recherches à la faculté de droit de l'Université McGill. Elles portent moins sur les réponses qui, d'un point de vue interne au droit, peuvent être données à des questions constitutionnelles précises que sur la manière dont on formule les questions ainsi que sur les postulats qui inspirent cet exercice de formulation. C'est ce qui fait que je m'intéresse à l'influence de variables traditionnellement considérées comme non juridiques ou extrinsèques au droit sur la pensée constitutionnelle et, notamment, la variable identitaire. C'est donc sous cet angle que je veux parler de la déclaration de Calgary, mais surtout de sa réception au Québec.

Je vais d'abord poser quelques paramètres intellectuels sur la problématique de la problématique en disant d'abord que tout discours, qu'il soit d'ordre constitutionnel ou non, s'appuie sur une série de postulats. En ce sens, les postulats sont inévitables. Toutefois, ils peuvent influer négativement sur l'appréhension des faits sociaux dans la mesure où, dès lors qu'ils sont érigés en évidence, en dogme, ils se trouvent placés hors du champ critique, au point même où on en vient à oublier qu'ils sont critiquables et qu'ils peuvent être contestés ou mis en cause. Les postulats en question sont vus comme des espèces de données objectives qui s'imposent urbi et orbi alors que, dans les faits, ce ne sont que des construits historiques. Leur impact est particulièrement important lorsqu'ils sont liés à l'affirmation d'une identité quelconque. Une mythologie identitaire se crée qui, elle aussi, en vient à être tenue pour donnée plutôt que construite. Il y a tout un processus de sacralisation qui se produit, et je vais aborder cette question dans ma présentation.

Cela dit, l'impact de ce que j'appelle les récits identitaires n'est pas négatif comme tel et Dieu sait si, au Québec et dans les débats constitutionnels, on parle de récits identitaires qui, souvent, s'affrontent. Mais il faut quand même reconnaître que ces récits peuvent devenir contreproductifs lorsqu'ils conditionnent en toute circonstance les réponses d'un groupe ou des membres de ce groupe aux interpellations de l'extérieur, des autres, interpellations du type déclaration de Calgary ou toute autre proposition de réforme constitutionnelle.

Donc, il me semble opportun, de façon générale, de débusquer les mythes qui font les discours constitutionnels, quelle que soit leur provenance, de les critiquer et, au besoin, de les déconstruire. En l'espèce, il me paraît important de s'interroger sur la nature et le contenu de la déclaration de Calgary, certes, mais aussi sur la manière dont la problématique concernant cette déclaration a été formulée devant cette commission.

Le message principal que je voudrais que vous reteniez, c'est que, quelle que soit notre option constitutionnelle, il importe, pour la suite du dialogue avec les autres, de questionner ce qui, dans notre propre discours, est susceptible de créer des blocages ou de faire avorter les dialogues. Alors, le dialogue peut très bien avoir lieu dans le cadre d'entreprises de renouvellement de la fédération canadienne, mais aussi, il peut avoir lieu dans le cadre de négociations entre états souverains à la suite de l'accession du Québec à l'indépendance.

Je vais m'attarder aux sources de blocage dans le discours québécois, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de sources de blocage dans le discours canadien majoritaire. On en parle souvent, mais ce ne sera pas mon propos aujourd'hui.

D'abord, quelques remarques sur la déclaration de Calgary. Je n'en ferai pas l'exégèse, d'autres l'ont faite avant moi. Et je ne veux pas en faire l'exégèse dans la mesure où cette déclaration n'a ni ne prétend avoir de valeur juridique. Je pense que c'est Jacques Frémont, si je me fie à ce que les journaux disaient, qui comparait la déclaration de Calgary à une carte postale. Je pense que c'est une description assez adéquate. Ce n'est pas autre chose, ça n'a pas de valeur juridique.

(16 h 40)

Cela dit, il importe de juger la déclaration de Calgary pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle n'est pas. Qu'est-ce que c'est que la déclaration de Calgary? C'est une déclaration qui pose quelques jalons d'un dialogue constitutionnel qui, peut-être, pourrait aboutir à autre chose, à une formalisation juridique. Donc, toute spéculation ou, enfin, tout commentaire sur les incidences juridiques de cette déclaration essentiellement politique ne relève que de la spéculation. Mais, évidemment, je vais quand même faire un peu de spéculation, comme tous les autres intervenants.

Bon, un mot sur l'article 5 qui traite du caractère unique de la société québécoise. Je suis assez d'accord avec ce que le professeur Pelletier a dit auparavant concernant le changement de terminologie de «société à caractère unique» à partir de «société distincte». Je ne crois pas que ça change grand-chose. Ça ne dit pas grand-chose non plus. Cela dit, la raison pour laquelle on ne peut plus parler de société distincte, c'est une raison qui tient à la perception qui s'est développée dans le reste du Canada quant à la signification de «distinct society». Et que ce soit fondé ou non, l'expression «distinct society» connote une idée de supériorité chez beaucoup de gens, ce qui la rend inacceptable d'un point de vue non québécois, point de vue, j'insiste, que les Québécois eux-mêmes doivent prendre en considération s'ils prétendent participer, de bonne foi, à un véritable dialogue.

Toujours sur l'article 5, évidemment parler d'une société à caractère unique, bien, c'est ne pas parler d'un peuple québécois. Et pour celles et ceux, nombreux, qui souhaiteraient que l'on reconnaisse l'existence de ce peuple, eh bien, il y a très loin de la coupe aux lèvres. Et en ce sens, si on avait à identifier un obstacle dans le discours canadien, c'est bien celui du déni identitaire qui est lié à une espèce de dynamique ou à une obsession symétrique, égalitariste, très formaliste, par opposition à une conception de l'égalité, à laquelle le professeur Pelletier faisait référence, qui est une égalité qu'en droit on appelle égalité concrète ou égalité substantielle.

Par ailleurs, il convient également de remarquer que la déclaration de Calgary ne mentionne nullement la portée de l'article 5 concernant le caractère unique du Québec, de la société québécoise, contrairement à l'accord du lac Meech qui en faisait un principe d'interprétation constitutionnelle.

Par ailleurs, sur l'article 7, la clause d'union sociale, qui me semble être la disposition la plus intéressante de la déclaration de Calgary – intéressante à plusieurs égards, parce qu'elle se veut très vertueuse, elle dit tout et pas grand-chose, sa signification me semble profondément indéterminée – bon, si je réponds directement à la question qu'a à étudier cette commission, est-ce que la clause d'union sociale mentionnée à l'article 7, une fois juridicisée, pourrait mener à des empiétements fédéraux sur les champs de compétence du Québec? C'est possible. On ne peut pas le nier.

Cela dit, la première phrase de l'article 7 situe la concertation fédérale-provinciale envisagée dans un contexte où le partage des compétences est assuré. Ce qui me fait dire que l'indétermination de l'article 7 et de la déclaration de Calgary en général permet à peu près toutes les interprétations. Et on va toujours trouver une phrase ou une portion de phrase qui va valider, qui va contribuer à valider cette interprétation-là.

S'il est un silence qui me paraît troublant, dans la déclaration de Calgary, c'est bien l'absence de toute mention à propos du pouvoir fédéral de dépenser. M. Brassard, tout à l'heure, a évoqué les bourses du millénaire, c'est un exemple d'actualité. Et on peut faire grief, à mon sens, aux auteurs de la déclaration de ne pas s'être attaqués de front à ce phénomène qui est probablement celui qui menace le plus sérieusement la dynamique fédérale canadienne. C'est un silence, donc, dont il faut tenir compte au moment d'évaluer la déclaration de Calgary.

Cela dit, quelle que soit l'interprétation ou les interprétations que l'on puisse donner à l'article 7, une question fondamentale demeure: l'idée que des normes nationales, en matière de prestation et de programmes sociaux, puissent être négociées et mises en oeuvre dans une fédération, est-elle nécessairement incompatible avec l'esprit du fédéralisme? À cette question, moi, je réponds par la négative. À moins de sombrer dans un fétichisme juridictionnel provincialiste, l'élaboration et la mise en oeuvre de normes nationales minimales, en certains domaines, me paraît non seulement importante mais nécessaire, au même titre que l'est la mise en oeuvre de telles normes au plan international. La question est donc de savoir comment ces normes sont élaborées et mises en oeuvre. Bon, question que la déclaration de Calgary laisse dans le vague.

Le grand défi d'une réforme fédérale, c'est essentiellement ceci: c'est comment mettre en oeuvre, comment élaborer des normes sans que cette élaboration-là, finalement, ce soit l'imposition par le fédéral de ces normes aux provinces, et la déclaration de Calgary est muette à cet égard-là. Donc, je n'ai pas grand-chose à rajouter sur la déclaration de Calgary sinon pour dire qu'il est difficile, pour un juriste, de se prononcer sur une déclaration essentiellement politique, d'autant que l'utilisation de critères juridiques, critères de précision notamment, ne mène nulle part; on parle de deux choses différentes.

Je voudrais donc parler plutôt de la réception de la déclaration de Calgary ou de tout autre projet de réforme constitutionnelle au Québec et des obstacles à cette réception. D'une part, j'ai évoqué l'idée d'un fétichisme juridictionnel dans le constitutionnalisme québécois, et ce fétichisme-là me paraît problématique. Il découle, à mon sens, de la représentation que l'on a donnée à l'État québécois, aux fonctions de l'État québécois depuis, grosso modo, la Révolution tranquille.

On sait qu'à partir de la Révolution tranquille l'affirmation nationale québécoise s'est réalisée en bonne partie à travers la constitution d'un État fort que l'on a investi de la mission de préserver l'identité de l'unique nation majoritairement française en Amérique. Et c'est à cette aulne que s'est inscrite l'action du gouvernement québécois, laquelle devait, dans la mesure du possible, s'efforcer de refléter, voire d'accentuer, la spécificité identitaire prescrite. De sorte que l'État québécois est devenu, en quelque sorte, le reposoir et le promoteur de cette identité particulière et qu'une adéquation a aussitôt été établie entre les intérêts des Québécois et le gouvernement du Québec. Et s'est développé en conséquence, dans la psyché juridique québécoise, le sentiment, encouragé autant par les souverainistes que par des fédéralistes, que le gouvernement fédéral était radicalement étranger aux intérêts des Québécois et qu'il ne pouvait jamais oeuvrer dans le sens de ces intérêts, ou pire, qu'il oeuvrait systématiquement ou malicieusement à l'encontre de ces intérêts. Malgré les très nombreuses bourdes d'Ottawa au fil des ans, cette théorie du complot perpétuel me paraît un peu grosse.

C'est donc avec tout ça en toile de fond qu'a émergé ce que j'appelle le fétichisme juridictionnel au Québec, qui se traduit, dans le concret, par une transformation des compétences constitutionnelles provinciales en vaches sacrées auxquelles on ne saurait toucher, même dans le cadre d'une réforme radicale et profonde du système. Dans le concret, ça signifie que le constitutionnalisme québécois est devenu purement centrifuge, en même temps que le constitutionnalisme canadien devenait souvent purement centripète. Alors, finalement, c'est les deux revers de la même médaille, et le résultat de ça, c'est que la dynamique fédérative a été, à toutes fins utiles, oubliée. Donc, si en droit constitutionnel strict une certaine rigueur, et un certain rigorisme même, a sa place lorsqu'il s'agit d'appréhender les conflits interjuridictionnels et les empiétements d'un ordre de gouvernement sur l'autre – et, à cet égard, la Cour suprême aurait intérêt, parfois, à se le faire rappeler – il en va autrement en matière de politique constitutionnelle, ce qu'a ressorti la déclaration de Calgary.

Il y a aussi, pour expliquer ce fétichisme juridictionnel, il faut mentionner que, dans la mesure où toute l'action du gouvernement du Québec a été présumée participer à l'entreprise de protection et de promotion de l'identité québécoise – dans le concret, lire ici francophone ou, anciennement, canadienne-française – il n'est pas étonnant que par osmose on en soit venu à défendre des compétences constitutionnelles qui n'ont à peu près aucun contenu ou impact identitaire comme s'il s'agissait de compétences portant sur des matières absolument fondamentales pour la préservation et la promotion de l'identité distincte du Québec. Cela a donné naissance à ce que Freud appelait le narcissisme des petites différences, par le truchement duquel la différence la plus anonyme du Québec se voit attribuer une charge identitaire absolument disproportionnée.

(16 h 50)

Évidemment, une telle démarche n'était pas neutre et n'est pas neutre. À mon sens, elle sert à conforter le statut victimal du Québec, cette espèce de cocon dans lequel autant des souverainistes que des fédéralistes se sont enfermés. Et, à mon sens, il serait opportun de réfléchir à ce genre de travers avant de rejeter en bloc et sans appel la déclaration de Calgary ou toute main tendue des autres simplement parce que ça peut mettre en question les droits et compétences de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec.

Quelques mots enfin sur les revendications traditionnelles ou historiques du Québec. Je ne décrirai pas ces revendications, je vais plutôt parler de la logique qui les inspire et qui peut se résumer essentiellement à ceci: on veut renforcer le statut du Québec dans une perspective fédéraliste au sein du Canada, évidemment dans une perspective souverainiste à l'extérieur du Canada. Bon, c'est parfaitement légitime de renforcer le statut du Québec. Là où toutefois on passe du légitime au pathologique, d'après moi, c'est lorsque l'on oppose de manière absolue et systématique le renforcement du Québec au sein du Canada, d'une part, et le renforcement de la fédération canadienne, d'autre part. En fait, ce que l'un gagne, l'autre le perd. Cette logique-là, qui est à l'oeuvre au Canada anglais notamment dans son obsession symétrique égalitariste, on la retrouve ici, également, au Québec. C'est une logique du tiers exclu qui pose un très sérieux problème à tout dialogue, à toute refondation de l'espace politique canadien, quelle que soit la forme de cette refondation.

Par ailleurs, toute cette approche trahit, selon moi, un processus de sacralisation des revendications historiques ou traditionnelles du Québec. Et je vais faire deux remarques sur cette question. D'une part, ce n'est pas parce que des revendications sont traditionnelles ou historiques qu'elles doivent échapper à la critique et à un examen périodique; d'autre part, ce processus de sacralisation témoigne d'un rapport que je considère troublant à l'histoire et à la tradition. De fait, si certaines revendications historiques ou traditionnelles du Québec peuvent toujours se justifier en 1998, il n'est pas assuré que toutes se justifient encore. Des revendications qui étaient parfaitement adaptées à l'époque de Menaud, maître-draveur ne sont pas nécessairement adaptées à l'époque, Mon Dieu! de Bran Van 3000, groupe alternatif montréalais auquel je réfère dans mon mémoire. Bon, c'est une image, mais une image vaut mille mots.

Il en découle donc que, sans nécessairement jeter aux orties les revendications historiques ou traditionnelles du Québec, il y a à tout le moins lieu de les soumettre à un examen critique périodique et rationnel plutôt que de les invoquer constamment comme s'il s'agissait d'un mantra. Et ce n'est pas un hasard si je parle ici de mantra tant l'invocation de ces revendications me paraît procéder trop souvent d'un rituel, d'une démarche de foi pure qui tourne à vide – oui, je conclus dans deux minutes. Donc, ça dénote un rapport à la tradition et à l'histoire qui me paraît troublant en ce sens qu'on donne une vocation normative à la mémoire et à un récit identitaire quelconque et que ça conditionne toute l'interprétation que l'on fait des gestes constitutionnels que les uns et les autres posent.

Je veux simplement mentionner qu'il est très dangereux de tomber dans le piège du déterminisme, de s'enfermer dans ce genre de carcan, particulièrement dans une société comme le Québec où la mémoire d'un groupe particulier, en l'occurrence les anciens Canadiens français, conditionne encore toute l'action de l'État et monopolise toute son imagination. Il en découle un déficit de légitimité auprès des autres groupes présents au Québec. Et ceci, à mon avis, pose un grave problème que tout gouvernement du Québec devrait tenter de résoudre, et ce, quoi qu'il advienne du Québec au plan constitutionnel.

Sur la déclaration de Calgary, je conclus ceci. Il ne s'agit que d'une ébauche de réforme, une déclaration sans valeur juridique, avec ses forces et ses faiblesses, ses dires et ses silences. Finalement, ça ne dit pas grand-chose, c'est tout à fait indéterminé, et on peut extrapoler très longuement sur le sens de tel ou tel paragraphe. Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un texte juridique, on ne saurait l'évaluer honnêtement en lui appliquant les exigences de précision que l'on applique généralement aux textes juridiques.

Troisièmement, une réforme constitutionnelle constructive ne peut se mettre en branle si le Québec continue de se retrancher passivement et acritiquement derrière ses vaches sacrées, auxquelles j'ai fait référence, ou s'il ne cesse de se cantonner dans son statut de victime institutionnelle. Et je dis que cela vaut même dans l'hypothèse de l'accession du Québec à l'indépendance. Les relations qui pourront être établies avec les partenaires éventuels peuvent être sérieusement minées à l'avance par ce genre d'approche. La déclaration de Calgary est un document imparfait, incomplet, incontestablement, qui cependant ne devrait pas être rejeté du revers de la main. Ce n'est qu'une pièce au dossier, mais c'est une pièce au dossier, néanmoins. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Gaudreault-DesBiens. M. le ministre.

M. Brassard: Oui. Je voudrais vous remercier, M. Gaudreault-DesBiens, pour votre participation aux travaux de cette commission. Vous êtes juriste?

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Oui.

M. Brassard: Quoique, à vous écouter, on croirait que vous êtes aussi psychanalyste. Ha, ha, ha!

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Bien, en fait, est-ce que je peux juste vous faire un petit commentaire? Je pense que le droit pur, en matière constitutionnelle, surtout au regard de la déclaration de Calgary, qui est un document à saveur... qui n'a pas de teneur juridique, me permettait d'aller de ce côté.

M. Brassard: Oui, oui, très bien. Ce n'est pas un reproche, remarquez, parce que, ma foi, ça nous permet de prendre connaissance et de prendre acte d'un regard tout à fait nouveau. Cependant, vous parlez de pathologie constitutionnaliste, de fétichisme également, fétichisme, je pense, identitaire, de mantra – donc, on passe de la psychanalyse au bouddhisme – de statut victimal du Québec. Je ne vous dis pas que c'est sans intérêt. Je pense que c'est un examen critique qui mérite d'être considéré, sans aucun doute. Mais est-ce que vous reconnaissez aussi que cette analyse que vous faites du Québec, de la société québécoise, aussi bien dans une perspective historique, quand vous parlez des revendications dites historiques du Québec – c'est à ce moment-là, je pense, que vous parlez de fétichisme – est-ce que vous reconnaissez que les mêmes analyses ou la même analyse vaut également pour l'autre société?

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Absolument.

M. Brassard: Parce que, quand je vois par exemple Mme Copps dépenser des dizaines de millions de dollars pour submerger le Canada d'unifoliés, je pense qu'on est en face d'une manifestation fétichiste tout à fait exemplaire, vous en conviendrez.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Tout à fait.

M. Brassard: Quand on constate, par exemple, l'obsession, au Canada, du principe de l'égalité des provinces, je pense que c'est presque pathologique aussi.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Tout à fait.

M. Brassard: On le retrouve je ne sais pas combien de fois dans la déclaration de Calgary. C'est presque une pathologie constitutionnelle aussi, également, mais de l'autre côté. Puis, mantra, bien, mantra pour mantra, moi, j'entends souvent le premier ministre, M. Chrétien, parler du plus meilleur pays du monde...

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Ha, ha, ha!

M. Brassard: ...je pense qu'on est en face d'un mantra évident aussi. Donc, vous reconnaissez que votre analyse, vous auriez pu aussi la faire pour l'autre société.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Ah bien, absolument! J'aimerais bien que l'on m'invite pour que je puisse la faire au Parlement fédéral. Est-ce que je peux faire un petit commentaire?

M. Brassard: Non, parce que je vais vous poser une question en même temps.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Oui, allez-y. C'est parce que vous parliez...

M. Brassard: Parce que, si vous pouviez faire cette analyse-là pour l'autre côté également, ça veut dire que... Là, M. Laforest, hier, parlait d'une impasse. Mais je pense que, à lire votre analyse, on peut parler de maladie, finalement. Les sociétés sont malades, puisque vous parlez de pathologies. Est-ce que, au fond, la guérison ne viendrait pas d'une reconnaissance mutuelle de l'existence de l'autre comme collectivité ou comme communauté nationale? Est-ce que ce ne serait pas le point de départ d'une guérison?

(17 heures)

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Écoutez, je pense que ce serait certainement un élément d'une guérison. Si vous permettez, je vais remonter le fil de votre intervention pour vous dire que, oui, j'aurais pu faire exactement le même exercice au sujet du constitutionnalisme canadien. Et, bon, on peut parler, justement, de l'obsession symétrique, on peut parler de mantra, vous avez référé au plus beau pays du monde, bien l'article 3 de la déclaration de Calgary, qui positivise, qui affirme que «la diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde», quelque part ça essaie de donner une existence positive à l'idée voulant que le Canada soit le plus meilleur pays du monde.

Évidemment, vous êtes peut-être un amateur de Voltaire et vous vous rappelez sans doute Candide où il y a un philosophe de l'optimisme qui dit, grosso modo... qui est capable de prouver par a + b = c que lui et Candide habitent dans le plus beau château du meilleur baron du monde, etc., etc., etc. Une déclaration comme ça, ça procède un peu de cet esprit-là, et à mon sens c'est un mantra qui est très présent et que l'on doit enfin identifier à défaut de le dénoncer. Mais on doit au moins l'identifier. Il y a autant sinon plus de sources de blocage dans le constitutionnalisme canadien que dans le constitutionnalisme québécois, à n'en pas douter.

Est-ce que la reconnaissance mutuelle peut mener à une guérison? J'aurais tendance à penser que oui. On peut penser à plusieurs formes de reconnaissance mutuelle. J'aurais tendance à penser que oui. Sauf qu'avant même de pouvoir penser à ce genre de reconnaissance là il faut s'assurer que les conditions pour qu'un dialogue constructif s'installe soient présentes. La modeste contribution que j'espère faire, c'est de dire: Regardez, il y a un certain nombre de pathologies de part et d'autre, posons-nous des questions sur la façon dont nous posons les problématiques, posons-nous des questions sur les postulats qui inspirent la façon dont nous posons ces problématiques-là. Et, en ce sens-là, l'exercice que je propose, c'est un exercice qui est radical, au sens étymologique du terme; il s'attache à la racine des discours constitutionnels.

Mais, oui, personnellement – vous me demandez ce que je souhaiterais – je souhaiterais une reconfiguration de l'espace politique canadien sur la base de la symétrie, et, en fait, je suis assez d'accord avec ce que le professeur Pelletier affirmait. Donc, ça suppose une reconnaissance mutuelle, oui. Cela étant dit, est-ce qu'on la retrouve dans la déclaration de Calgary? Timidement ou, enfin, pas vraiment. Ce n'est pas, selon moi, une raison pour jeter ça aux orties. C'est un élément au dossier, point à la ligne, ce n'est pas grand chose d'autre. Mais je ne pousserais pas des cris d'orfraie en disant: Ça ne vaut absolument rien, c'est épouvantable. C'est là, c'est une carte postale, comme disait le professeur Frémont, sans plus.

M. Brassard: Une carte de Noël, qu'il disait.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Une carte de Noël, pardon. Ça pourrait être une carte postale aussi.

M. Brassard: Aussi, aussi.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Alors, moi je ne déchire pas les cartes postales que je reçois.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Brassard: Il y en a qui les collectionnent, même.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Oui, bien ça, c'est vrai, c'est vrai. Malheureusement, on fait peut-être trop dans la collection, au Canada.

M. Brassard: Je vous remercie.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Merci, M. le ministre.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Oui, merci beaucoup. Bonjour, bienvenue. Juste pour rappeler – je ne veux pas m'attarder là-dessus – je voudrais qu'on regarde votre mémoire, mais c'est toujours quand on finit par se relancer puis se comparer puis se dire: Bien, l'autre, il «fait-u» ça comme ça?, et puis le plus beau pays du monde, et puis le drapeau, on en met partout. Alors, le ministre parle de ça. On a encore la chance d'avoir Me Brun qui était avec nous, je notais ce matin qu'il était corédacteur de la Déclaration de souveraineté du 6 septembre 1995, au Grand Théâtre de Québec, avec Jean-François Lisée, Gilles Vigneault. Dans le plus beau pays du monde et dans toutes les...

M. Brassard: C'est de notoriété publique.

M. Fournier: Qu'est-ce qui est de notoriété publique?

M. Brassard: La participation de M. Brun, ce n'est pas un secret.

M. Fournier: Oui, certain, il n'y a pas de problème, sans aucun doute. Et, dans cette déclaration-là, on y va et pas à peu près. Et puis, oui, correct, moi je n'ai pas de problème avec ça. Je dirais même qu'être positif, ça fait du bien, et que ne regarder que ce qui va mal peut jusqu'à un certain point nous faire perdre le vrai contexte. Il faut être capable de porter une analyse, me semble-t-il, qui est plus objective et qui dit: Bon, ça, oui, ça fonctionne, ça, non, ça ne fonctionne pas.

Personnellement, ça ne m'effraie pas que les gens soient positifs par rapport à leur identité, par exemple, et qu'ils puissent exprimer leur fierté, je ne pense pas qu'on doive s'en offusquer. Vous avez, dans votre mémoire, des passages que, malheureusement, la période très courte pour faire les présentations ne vous a pas permis de reprendre, notamment au niveau de l'identité, à la page 8. Vous dites ceci: «Aussi ce citoyen est-il porteur d'identités multiples, parfois contradictoires, qu'il paraît douteux de vouloir normaliser en fonction d'un modèle universellement applicable ou au profit d'une cause unique. Dans ce sens, d'où qu'elles proviennent et quelle que soit la cause qui les inspire, les entreprises de mutilation ou de réduction identitaire, sous prétexte de "normaliser" une condition identitaire donnée, devraient, selon moi – c'est vous qui parlez – susciter la méfiance plutôt que l'adhésion acritique[...]. On peut, à cet égard, regretter que la propension à la mutilation identitaire, c'est-à-dire la propension à inciter les individus et, par extension, les groupes dont ils sont membres, à faire fi de leur complexité identitaire et à "normaliser" leur situation en fonction d'un modèle unique – ne soyez que Québécois ou que Canadiens – imprègne autant le discours politique, et ce, au Québec comme ailleurs au Canada.»

Je suis tout à fait d'accord avec ce postulat. J'ajoute que j'y vois, quant à moi, une valeur qu'on doit redécouvrir, celle de laisser aux gens la liberté d'être ce qu'ils veulent être et d'identifier eux-mêmes leurs appartenances et de ne pas commencer à leur imposer une identité, une appartenance et ainsi d'amener l'exclusion. Parce que, forcément, imposer une identité à quelqu'un qui ne la choisit pas volontairement crée de l'exclusion.

Vous parlez de l'article 7. Je dois vous dire qu'on en a parlé abondamment, de l'article 7. Vous avez d'ailleurs mentionné, à propos de Calgary, que c'était une carte postale, une carte de Noël. Ce qui m'amène toujours – tous les témoins qui sont venus, c'est la même chose – à constater qu'ils n'ont pas ouvert tout leur courrier. Et je dis: Notamment, lorsqu'on lit le communiqué qui accompagne Calgary et qu'on fait état, là-dedans, des discussions que les provinces, notamment, ont entre elles à propos de l'union sociale, de l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser, de nouveaux modes de décider et de se concerter... Oui, concertation. Moi, je ne suis pas contre la concertation. Je pense que ce sont d'autres éléments qu'il faut amener sur la table. Il ne faut pas oublier de dire qu'il se passe du mouvement.

Vous dites: «Nulle part, à l'article 7, ne prévoit-on un mécanisme qui permettrait au gouvernement fédéral d'imposer des normes nationales.» Je vous annonce que d'autres ont dit le contraire. Vous, vous venez dire cela. C'est bon de pouvoir entendre différentes interprétations. Vous dites: «Il convient de rappeler, une fois de plus, que la phrase introductive de l'article 7 érige en principe cardinal le respect du partage fédératif des compétences. D'autre part, l'accent mis sur la coopération et la concertation semble au contraire indiquer un rejet du fédéralisme dominateur.»

Et je vais aller vite. Un peu plus loin, vous dites: «L'article 7 postule, probablement à raison, que les citoyens canadiens, dans lesquels les Québécois sont inclus pour les fins de la discussion – moi, je pense qu'il y en a une bonne majorité qui sont inclus, pas juste pour les fins de la discussion – souhaitent une plus grande concertation entre les deux ordres de gouvernement de manière à assurer le fonctionnement efficace de la fédération ainsi que des réponses non moins efficaces aux besoins individuels de ces citoyens.» Je pense que c'est le coeur de votre mémoire, à mon avis. Il faudrait se poser la question: Qu'est-ce que les gens veulent? Et, à partir de là, se demander comment on peut répondre à ce qu'ils souhaitent.

Je vous laisse là-dessus en vous demandant de nous parler un peu plus d'«unique» et «distinct», où vous êtes passé un peu vite. À mon avis, si on se demande ce que les gens veulent, moi, personnellement, je suis persuadé qu'ils sont pas mal tannés de la chicane et qu'ils souhaitent simplement que leur gouvernement à qui ils paient des taxes en nombre bien assez élevé, ils souhaitent que ça marche et, si on peut, comme gouvernant constituant, permettre de refléter ça, de travailler à ce que ça marche, à mon avis, on aura fait oeuvre utile. Alors, je vous laisse là-dessus et j'aimerais ça, aussi, vous entendre un peu sur «unique» et «distinct».

(17 h 10)

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Alors, vous avez soulevé quand même plusieurs points. Sur la différence entre «société distincte» et «société à caractère unique», très honnêtement, je pense, comme l'a mentionné et pour les raisons que le professeur Pelletier a mentionnées, quant à la définition qui est donnée et à la présence du mot «notamment» dans l'énoncé des caractéristiques distinctes ou, enfin, uniques du Québec, je ne crois pas que, dans le concret, la différence soit très, très sensible ou très importante.

Il y a deux choses sur lesquelles je veux insister. D'une part, j'ai mentionné tout à l'heure dans ma présentation que le mot «distinct society», au Canada, avait une connotation très, très négative parce qu'elle implique une idée de supériorité et que c'est essentiellement ça qui a motivé les premiers ministres provinciaux du reste du Canada à parler de société au caractère unique. Je n'y vois pas un refus viscéral de la distinction du Québec.

Quant à la clause... Je ne sais pas. Est-ce que vous voulez que je poursuive sur la question de la société distincte? C'est à votre guise. Bon. Ça ne dit pas grand-chose; enfin, ça essaie de définir les paramètres de ce qu'est l'unicité du Québec. Ça peut en satisfaire certains, comme d'autres peuvent se montrer moins satisfaits. Je regrette, personnellement, que l'on n'ait pas mentionné... et je crois que c'est M. Ryan, dans une intervention, qui avait regretté que la mention des institutions québécoises ne soit pas faite. Moi aussi, je le regrette. Et ça, je pense que ça devrait être peaufiné sans remettre en cause ou sans créer de remous au Canada, parce que ça ne remet pas en question l'identité canadienne. Bon, voilà, première chose.

Deuxième chose, en ce qui a trait à l'union sociale. La clause de l'union sociale, comme toute la déclaration de Calgary, du reste – et je l'ai mentionné – emploie des termes très, très vagues, c'est assez indéterminé, ce qui fait qu'à peu près toutes les opinions, toutes les interprétations à teneur juridique que l'on veut donner à ça peuvent être justifiées. Vous avez mentionné que je dis qu'on ne prévoit pas de mécanisme qui permettrait au gouvernement fédéral d'imposer les normes nationales; je le pense. On peut envisager que les rédacteurs ou les auteurs de la déclaration voulaient ou ne voulaient pas qu'un tel mécanisme soit mis en place, mais le texte de la déclaration, l'article 7, est tellement ouvert que les deux interprétations sont valables.

Cela étant dit, venant de gouvernements quand même assez provincialistes comme l'Alberta, comme les provinces de l'Ouest, je serais surpris qu'ils soient d'accord ou qu'ils consentent à laisser le fédéral exercer sans contrainte son pouvoir de dépenser dans les sphères de juridiction provinciale. Donc, en ce sens-là, le communiqué auquel vous avez fait référence indique quelque chose, il faut en tenir compte. Cependant, le texte de l'article 7 ne peut pas infirmer ou confirmer cette interprétation tant il est vague.

Vous avez mentionné, enfin, que les citoyens sont tannés des chicanes et qu'ils veulent que l'on passe à d'autres questions. Je suis assez d'accord et, dans mon mémoire, je parlais de l'importance de recentrer les débats constitutionnels autour du citoyen; pas un citoyen abstrait, pas le Québécois abstrait ou le Canadien abstrait, le citoyen situé, qui a diverses appartenances, qui a diverses solidarités. En ce sens, je plaidais en faveur d'un retour de la variable fonctionnalité dans le constitutionnalisme québécois. Évidemment, la variable fonctionnalité a été un peu mise au rancart dans la mesure où, au nom de la fonctionnalité, le gouvernement fédéral, notamment à l'ère Trudeau, s'est mis à empiéter, de n'importe quelle façon, allègrement, dans les champs de compétence provinciaux – ce qui a pratiquement mené le Canada à la faillite, mais c'est une autre question – ce qui fait que la variable fonctionnalité – ce qui est le mieux pour le citoyen concret, au-delà des questions purement identitaires – n'est plus très, très «fashionable» au Québec. Moi, je pense qu'on devrait commencer à en reparler et essayer de créer un équilibre entre la variable fonctionnalité et la variable identitaire.

Je précise évidemment que, lorsque les gouvernements québécois successifs, autant fédéralistes que souverainistes, ont semblé attacher une certaine importance à cette variable fonctionnalité, c'était lorsque essentiellement on jugeait qu'il était plus fonctionnel que le gouvernement du Québec exerce une compétence donnée. Bon. Moi, je pense que la fonctionnalité peut aller dans les deux sens. L'exercice par le gouvernement fédéral de la compétence x peut être très fonctionnel au regard des besoins du citoyen concret; même chose pour les gouvernements provinciaux. Et, en ce sens, ce n'est pas inutile de penser à des concepts comme celui de subsidiarité auquel le professeur Pelletier a fait référence tout à l'heure. Donc, voilà les commentaires, très, très rapidement, que je voulais rajouter.

Il y a une dernière chose. Vous avez parlé de l'article 3, enfin, des déclarations positives quant à l'identité. Moi, il y a une chose, par contre, qui me dérange. C'est vrai, c'est positif. Pourquoi pas? Pourquoi ne le ferait-on pas au regard du Canada comme on a pu le faire au regard du Québec dans la loi sur la déclaration de souveraineté qui a précédé le référendum? Sauf que, dans le cas de l'article 3, et ça, en ce sens, c'est un genre d'obstacle ou une source de blocage ou d'aveuglement volontaire, c'est lorsque l'on réfère à la tolérance. C'est vrai que le Canada est un pays tolérant. C'est vrai qu'au regard des valeurs qui sont mentionnées là, le Canada, dans la hiérarchie des pays, figure très, très bien. Cependant, je ne pense pas qu'il faille passer sous silence une certaine intolérance qui, à mon sens, a plus droit de cité au Canada anglais qu'elle en avait jusqu'à tout récemment.

Et dire qu'on est tolérant, ça peut nous empêcher de voir nos manifestations d'intolérance parfois. Mais cela dit, l'intolérance, on la retrouve ici, au Québec, également de la même façon. Il y a une radicalisation des discours, radicalisation qui, à mon sens, s'explique de plusieurs façons, mais qui risque de mener à des impasses, à des blocages graves; et ceci, tant dans l'optique d'un renouvellement de la fédération canadienne que dans l'optique de la négociation d'une entente de partenariat entre un Québec souverain et le reste du Canada. Et ça, il ne faut pas se le cacher.

Moi, des lendemains qui chantent à la suite du grand soir, je suis un peu sceptique par rapport à ça, là. Donc, voilà essentiellement ce que je veux dire, l'usage de la rhétorique de part et d'autre pour s'aveugler volontairement face à des phénomènes qui sont rampants ou croissants.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.

M. Dumont: Oui. Merci, M. le Président. Je vous remercie pour votre participation à nos travaux. Ma question s'enchaîne directement dans ce que vous venez de parler, parce que je n'ai plus vraiment d'autres questions. Je pense que vos propos sur la déclaration de Calgary sont assez clairs.

Mais vous parlez énormément, dans votre document, vous nous dites: Il faut sortir des ornières. Il faut effacer du tableau un paquet d'affaires qui ont été prises pour acquis de part et d'autre et qui, dans certains cas, remontent à relativement loin et qui peuvent devenir des blocages.

Mais vous venez tout juste de nous dire... Vous faites une sorte de psychologie collective un peu de ce qui peut amener des blocages au niveau constitutionnel. Mais je veux vous amener à parler – en tout cas à mon avis – de ce qui a été, depuis une couple d'années, probablement ou potentiellement la source de nouveaux «construits» – pour reprendre vos termes – qui, à mon avis, sont dangereux et qui, à mon avis, amènent la radicalisation, le plan B.

(17 h 20)

L'accréditation de la partition, par exemple, par un ministre fédéral comme Stéphane Dion, le ton général d'un ministre fédéral comme Stéphane Dion, un ton à peu près jamais utilisé dans l'historique, je dirais, de la fédération canadienne des relations, un ton absolument nouveau, le renvoi à la Cour suprême avec, encore là, l'utilisation du judiciaire, puis des personnages – je réfère encore à Stéphane Dion – qui sonnaient dangereux. Quand on les entendait parler de ça, puis l'énervement avec lequel ils parlaient de ces choses-là, je ne sais pas, moi, ça ne me paraissait pas sain, en termes de débat, ça ne me paraissait sûrement pas débloquer au bout de l'entonnoir sur des solutions à court ou moyen terme. Et, comme vous faites des constats sur des choses du passé, est-ce que ce qui est en train de se passer maintenant ne pourrait pas amener des blocages supplémentaires pour les années à venir? Est-ce qu'il n'y pas, en ce sens-là, de la part des acteurs politiques comme ceux-là, une responsabilité minimale par rapport au type de discours qu'ils sèment, parce qu'on risque d'en récolter des fruits?

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Oui. Je pense que les acteurs politiques ont une responsabilité très, très grande, responsabilité qu'ils n'assument pas présentement. Il y a l'idée d'un leadership moral qui me semble important. Et, en ce sens, accréditer ou enfin laisser supposer qu'on est prêt à accréditer à peu près n'importe quoi, c'est très problématique.

Et dans la mesure où on réduit le plan B à ça, c'est extrêmement problématique. Et il y a des moments où des acteurs politiques, et notamment les premiers acteurs politiques que sont les ministres et surtout les premiers ministres, où ces gens doivent laisser un peu de côté l'esprit partisan et s'élever pour dire: Bien voilà! Il y a peut-être des choses, dans notre société, qui sont inacceptables.

Je pense notamment à l'affaire Levine à Ottawa, récemment. Bon, c'est sûr qu'il y a beaucoup de Canadiens anglais qui ne sont pas très contents de ce qui se passe. Et, dans une certaine mesure, la rhétorique que l'on emploie au Québec a de quoi les mécontenter ou les heurter de front. Je pense qu'il faut faire attention nous-mêmes.

Cependant, sauf erreur, le premier ministre du Canada n'a jamais vraiment pris la défense de M. Levine en disant: Dans une société libre et démocratique, ce monsieur, qui est par ailleurs compétent, peut, enfin, a le droit, a la liberté de conscience, la liberté d'expression. Dans ce cas-là, c'est la liberté de conscience et de pensée. Parce que je pense que ça fait un bout de temps qu'il ne s'est pas nécessairement exprimé sur la question mais je pense que les politiciens, les acteurs politiques doivent faire preuve de leadership moral pour dire: Attention!, plutôt que de jeter de l'huile sur le feu ou de se taire lorsque d'autres jettent de l'huile. Et encore là, M. Dumont, je pense que ça vaut autant ici au Québec que dans le reste du Canada.

Oui, il y a d'autres sources de blocage, mais la raison pour laquelle je m'intéresse au discours et, plus particulièrement, au discours constitutionnel, c'est à cause de ça, parce que le discours porte en lui-même des germes de blocage. Évidemment, lorsqu'on tombe dans des rhétoriques qui sont volontairement ou sciemment incendiaires, bien, la responsabilité est d'autant plus grande de prendre conscience de ça puis d'agir, de dire: Écoutez, là! Un instant! Alors, voilà, oui, il y a un danger.

M. Dumont: Vous comprenez ma préoccupation, c'est qu'il y a assez de blocage sans qu'on fasse du reboisement en cette matière-là. C'était ça, le sens de mon propos.

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Non, mais c'est vrai. C'est pour ça que je pense qu'il faut se poser des questions sur les racines mêmes de nos discours puis la façon dont on appréhende les problématiques et aussi les autres. Le Canada anglais n'est pas un monolithe qui déteste, qui se lève la nuit pour détester les Québécois. Ce n'est pas ça. Malheureusement, c'est souvent l'image qu'on en donne.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Fabre.

M. Facal: Merci, M. le Président. Je voudrais vous poser une série de questions assez brèves pour que ce soit vous, plutôt que nous, qui occupiez la majorité du temps qu'il nous reste. Vous écrivez à la page 5: «S'il importe de dénoncer les blocages de nos partenaires constitutionnels et d'exiger des corrections, il importe tout autant de ne pas s'aveugler devant nos propres errements. Le "couteau sur la gorge" est en ce sens une stratégie douteuse, qui ne peut mener qu'à l'échec.»

Selon vous, quand vous parlez des «blocages de nos partenaires constitutionnels», quels sont ces blocages et quelles en sont les causes profondes?

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Bon, écoutez, je pourrais faire, sans doute, une liste, mais le premier blocage et le principal blocage, c'est, je pense, cette obsession de l'égalité formelle, l'égalité-uniformité à laquelle référait le professeur Pelletier. Pourquoi ce blocage? Je n'aime pas les explications monocausales, mais on peut identifier, quand même, certaines tendances lourdes. Il y a une grande part d'insécurité collective au Canada anglais. Bon, d'abord, l'identité québécoise s'est affirmée au fil des ans. C'est une identité assez forte malgré tout.

Les Canadiens-anglais, ils ont une identité aussi, ils ne sont pas que des Américains du Nord, je tiens à le préciser. Malgré tout, ils sont très très influencés par la culture américaine, donc, a priori, leur identité est peut-être un petit peu plus faible; peur d'être submergés culturellement par les Américains, donc, première source d'insécurité collective, confrontation continuelle avec le Québec, qui a une identité assez forte. Par ailleurs, l'accord de libre-échange, contre lequel une majorité de Canadiens anglais étaient opposés ou, à tout le moins, sceptiques, a renforcé cette identité-là. Et regardez à quel point les travaux, par exemple, du Conseil des Canadiens de Maude Barlow, tout ça, à quel point c'en est devenu presque une obsession, cette peur d'être submergés dans le grand «melting pot» américain. Bien, je pense que c'est une source d'insécurité collective, insécurité collective qui fait sentir ses conséquences à plusieurs égards, notamment dans la reconnaissance de l'autre, l'autre étant le Québec, l'autre étant les autochtones.

Parce que, bon, si le Québec a des problèmes à se faire reconnaître dans le giron constitutionnel canadien, les autochtones en parlent un peu plus, mais il y a toute la phase de culpabilité, là, autour de ça. Je ne suis pas sûr que, dans le concret, dans les actions concrètes, les autochtones vont se trouver nettement mieux lotis que le Québec. Donc, il y a cet élément-là, cette obsession de la symétrie, d'une égalité formelle, qui fait en sorte que tout ce qui est donné à l'un est perçu comme étant enlevé à l'autre. Ce n'est pas pour rien qu'ils ne veulent pas donner telle chose au Québec et ce n'est pas pour rien que, dans la déclaration de Calgary, il y a un article qui mentionne que, finalement, si une province se voit attribuer quelque chose, toutes les autres vont ou, enfin, peuvent l'avoir. Ça procède, à mon sens, de cette logique-là.

M. Facal: O.K. Vous dites, un petit peu plus loin, à la page 12: «De fait, si certaines revendications historiques ou traditionnelles du Québec peuvent toujours se justifier en 1998, il n'est pas assuré que toutes se justifient encore.» Je vous suis sur le fait qu'il faut faire un examen critique, périodique de ces revendications, mais pourriez-vous me donner un exemple concret d'une revendication traditionnelle ou historique du Québec qui vous apparaîtrait moins pertinente aujourd'hui que jadis?

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Je ne veux pas vous donner d'exemple concret pour une raison fort simple: je voulais simplement, en mentionnant ça... Parce que, dans le fond, les revendications historiques du Québec me semblent globalement bien fondées, sauf que c'est l'usage qu'on en fait. Quand je parlais de mantras, là, c'est d'abord et avant tout de ça. Bon, évidemment, je mentionne dans mon texte, vous l'avez vu, que je souhaiterais un retour de la variable fonctionnalité, alors que, me semble-t-il, la variable identitaire a vampirisé tout le débat. Je préférerais un meilleur équilibre. Cependant, je pense que les revendications historiques du Québec sont, pour la plupart, assez bien fondées. Mais ce qui me dérange, c'est que, dans le discours de plusieurs acteurs, on invoque ça de façon systématique, sans manifestement trop se poser de questions, simplement pour dire non. C'est ça qui me dérange.

M. Facal: O.K. Vous dites, un peu plus tôt, dans votre mémoire, à la page 5, que si, évidemment, les souverainistes revendiquent la reconnaissance des Québécois comme peuple, c'est, bien entendu, d'une part parce que pour eux l'existence de ce peuple est une donnée objective, mais aussi parce que les souverainistes ont compris – et vous avez parfaitement raison – que des conséquences politiques découlent de cette reconnaissance des Québécois comme peuple; en même temps, vous dites que le Canada s'est enfermé dans un déni identitaire, et je comprends parfaitement ce que vous voulez dire. Mais vous, pour vous, est-ce qu'il existe un peuple québécois?

(17 h 30)

M. Gaudreault-DesBiens (Jean-François): Je m'attendais, d'une certaine façon, à cette question, et probablement qu'il faudrait être là deux jours. Oui, je pense qu'il existe un peuple québécois, pour un tas de raisons, des raisons qui sont... et je précise: Quelle est la définition que l'on donne au mot «peuple»? Et tout ça, votre question, en fait, soulève toute la problématique du nationalisme, nationalisme civique versus nationalisme ethnique. Il faut bien voir que la majorité des citoyens du Québec se perçoivent comme faisant partie d'un peuple, je pense. Sauf erreur, le Parti libéral reconnaît cette donnée; le Parti québécois, évidemment. Et les sympathisants, enfin, la majorité des sympathisants du Parti libéral plus ceux du Parti québécois, ça fait une majorité de citoyens du Québec, ça.

Cependant, il faut bien voir les problèmes que ça suscite. Ma réaction en tant que nationaliste québécois, c'est de dire: Oui, on est un peuple. Sauf qu'il faut essayer de voir quelle est la définition que l'on donne à ce peuple-là et quels sont les référents culturels de ce peuple-là. Personnellement, et c'est là le grand dilemme, je pense, du nationalisme québécois, dilemme qui va continuer d'exister si jamais le Québec devient un État souverain, c'est la nécessité de faire en sorte que des non-Canadiens français se reconnaissent comme membres du peuple québécois. Et ça, c'est un travail qu'il est extrêmement important d'entreprendre. Donc, oui, à mon sens, il existe un peuple québécois, mais c'est une question qui est un peu piégée et dont les réponses ne peuvent être que circulaires.

Qu'est-ce que je voulais ajouter là-dessus? Il faut bien voir que justement les référents culturels que l'on associe au peuple québécois, ce sont d'abord et avant tout des référents ethniques, une mémoire des Canadiens français que l'on essaie de transformer mais, comme le disait un de mes collègues de McGill, jusqu'à maintenant c'est plus une exhortation de passer d'un nationalisme ethnique à un nationalisme civique qu'une réalité. Mais c'est un travail auquel, je pense, il faut s'attarder.

Et lorsque je parlais, un petit peu plus loin dans mon mémoire, de la nécessité de repenser le constitutionnalisme au Québec à la lumière de la nouvelle donne sociale au Québec et j'identifiais une dissonance entre le constitutionnalisme de Menaud, maître-draveur et celui de Bran Van 3000, eh bien, ce n'est pas par hasard. C'est parce qu'il y a un travail à faire. L'État du Québec, quel que soit son avenir, au sein du Canada ou à l'extérieur du Canada, a un déficit de légitimité par rapport aux non-Canadiens français qui sont sur le territoire du Québec, et il faut travailler là-dessus.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Gaudreault-DesBiens, je veux vous remercier de votre contribution à cette commission.

Mesdames, messieurs, nous allons suspendre nos travaux. Nous allons les ajourner même puisque nous ne siégeons pas en commission ce soir. Alors, je vous remercie de votre participation.

(Fin de la séance à 17 h 33)


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