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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mercredi 25 mars 1998 - Vol. 35 N° 112

Audition du Protecteur du citoyen dans le cadre de l'examen de son rapport annuel 1996-1997


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Table des matières

Journal des débats


(Neuf heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mesdames, messieurs, si vous voulez bien prendre place, nous allons débuter nos travaux. Je rappelle le mandat de la commission qui est d'entendre le Protecteur du citoyen dans le cadre de l'étude de son rapport annuel pour les années 1996-1997.

M. le secrétaire, est-ce que vous pourriez nous annoncer les remplacements, s'il vous plaît?

Le Secrétaire: M. le Président, M. Ciaccia (Mont-Royal) est remplacé par Mme Bélanger (Mégantic-Compton) et M. Mulcair (Chomedey) par M. Williams (Nelligan).

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien, merci. Alors, nous disposons d'une période d'environ trois heures pour entendre le Protecteur du citoyen. Mesdames et messieurs, est-ce que vous avez des remarques préliminaires à faire avant que nous entendions Me Jacoby? Oui, madame.


Remarques préliminaires

Mme Bélanger: Quelques mots seulement. Je voudrais tout simplement saluer cordialement Me Jacoby ainsi que ses collaborateurs et lui exprimer à quel point notre formation politique apprécie la qualité de son travail, la pertinence de ses rapports, en particulier son rapport annuel. Même si aujourd'hui nous sommes réunis pour étudier le rapport 1996-1997 du Protecteur du citoyen, il ne faut pas oublier que le Protecteur du citoyen, tout au long de l'année, donne ses avis sur diverses politiques gouvernementales, analyse et conseille les parlementaires dans le cadre de l'étude de divers projets de loi. À cet égard, je tiens à le remercier et à le féliciter pour la qualité de son travail.

Ceci étant dit, je pense que mes remarques s'arrêteront là afin de laisser un maximum de temps à mes collègues pour qu'ils puissent poser des questions à Me Jacoby concernant leurs dossiers respectifs en tant que porte-parole de l'opposition, et je suis persuadée que les collègues ministériels ont aussi des questions à poser, mais je voudrais réitérer l'importance toute spéciale que prennent les interventions du Protecteur du citoyen dans l'actuel contexte politique et budgétaire. J'espère que les échanges que nous aurons aujourd'hui seront bénéfiques pour tous les parlementaires. Merci.

(9 h 40)

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Mme la députée de Mégantic-Compton. Y a-t-il d'autres demandes d'intervention à l'étape des remarques préliminaires?

M. Paquin: Peut-être simplement souhaiter la bienvenue, au nom de la formation politique du groupe parlementaire qui forme le gouvernement, à M. le Protecteur du citoyen et également aux personnes qui l'accompagnent; et peut-être passer plutôt au vif du sujet.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien. Merci, M. le député de Saint-Jean. Me Jacoby, mesdames, bienvenue à la commission des institutions. Nous faisons aujourd'hui un exercice biannuel puisque, au moment de la parution du rapport, nous avons le privilège de vous recevoir pour une brève présentation de votre rapport annuel, et à cette étape-ci de l'année, comme il est la coutume, la commission des institutions bénéficie d'une rencontre plus longue et plus substantielle où nous pouvons avec vous examiner plus en détail le rapport que vous nous soumettez et que vous soumettez d'abord à l'Assemblée nationale du Québec. Alors, bienvenue.

Me Jacoby, j'aimerais, pour les fins de l'enregistrement de nos débats, que vous puissiez aussi identifier les dames qui vous accompagnent. Alors, bienvenue. À vous la parole.


Exposé du Protecteur du citoyen


M. Daniel Jacoby

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. Alors, je suis bien accompagné. À ma gauche, Me Frances Hudon Szigeti, qui est directrice générale des enquêtes, et, à ma droite, Me Lucie Lavoie, qui est directrice des communications, de la recherche et du développement au bureau du Protecteur du citoyen.

Alors, je remercie la commission d'entendre le Protecteur du citoyen sur son rapport annuel. Je dois dire, cependant – et ce n'est la faute de personne – que c'est un rapport qui clôturait au 1er avril 1997, mais on essaiera de l'actualiser parce qu'il y a des dossiers qui sont encore sur les rails.

D'abord, je vais vous donner quelques statistiques. L'année 1996-1997 a été une année particulièrement chargée pour le bureau du Protecteur du citoyen parce que nous avons, cette année-là, battu des records, si j'ose m'exprimer ainsi, en termes de demandes de la part des citoyens, que ce soient des plaintes ou que ce soient des réclamations ou des demandes d'information.

Nous avons, l'année dernière, eu près de 28 333 demandes. Simplement pour vous dire que ce fut une année record et que ça s'explique en très grande partie par un grand nombre de plaintes quant à l'application du nouveau régime d'assurance-médicaments notamment. Cette année – j'ai fait sortir les chiffres jusqu'à la mi-février – si la tendance se maintient, on va se situer à un peu moins de 28 000 plaintes, ce qui, d'une certaine manière, est encourageant.

Pour ce qui est des plaintes que les citoyens formulent chez nous, des réclamations, règle générale, on peut dire que 30 % des réclamations sont fondées, après enquête. Ça veut dire qu'une fois sur trois, en moyenne, les citoyens ont raison de se plaindre. Et ça met en cause, d'une certaine manière, un certain préjugé qui veut – qui voudrait, en tout cas – laisser croire que les citoyens sont des personnes qui se plaignent inutilement ou encore – des mots que j'ai entendus – des chialeux. Il y en a, bien sûr, mais les gens sont assez responsables. La population est assez responsable.

Parmi les principaux motifs de préjudice, il y a eu, cette année, comme un revirement, en ce sens que c'est presque le quart des plaintes, après enquête, qui ont été trouvées fondées, suite à des décisions déraisonnables ou inéquitables. C'est la première fois qu'on a en tête de peloton les décisions inéquitables et déraisonnables. 23 % des plaintes fondées visaient des difficultés d'accès aux services gouvernementaux; 16 % d'entre elles visaient des délais déraisonnables, des délais indus; et 9 % visaient des décisions soit illégales, soit de l'abus de pouvoir; et, enfin, 6 %, de la négligence.

Comme à tous les ans, plus de 80 % des réclamations ont mis en cause sept ministères et organismes du gouvernement, notamment la Sécurité du revenu, avec 26,7 % des réclamations; la Sécurité publique, avec 13,2 %; le Revenu, avec 11,2 %; la CSST, avec 9,2 %; la Société de l'assurance automobile du Québec, avec 7,7 %; la Régie de l'assurance-maladie, avec 6,2 %; et le ministère de l'Éducation, en particulier le programme d'aide financière, avec 6,1 % de l'ensemble des réclamations.

Par ailleurs, ayant une compétence limitée en vertu de la loi de 1968, nous avons dû refuser d'enquêter dans près de 3 000 dossiers qui visaient des organismes du gouvernement où le personnel n'est pas fonctionnaire, qui visaient également les municipalités, les décisions des municipalités, qui visaient le réseau de la santé et des services sociaux ainsi que le réseau de l'éducation.

Ce que je peux constater, c'est que, sur trois ans, le nombre de refus d'enquêter ne fait que croître. En trois ans, ça a augmenté de 34,5 %. Et je peux vous dire que, dans le domaine santé et services sociaux, où nous n'avons pas compétence, il y a une augmentation très forte. J'ai fait sortir les chiffres jusqu'au mois de mars, jusqu'à hier, et, cette année, nous avons dû refuser d'enquêter dans plus de 900 dossiers parce que nous n'avons pas compétence sur les institutions.

Il faut se rappeler que la Loi du Protecteur du citoyen est ainsi faite qu'elle est unique au monde en ce sens que la compétence est déterminée par la qualité ou le statut de l'employé visé. S'il s'agit d'un fonctionnaire régi par la Loi sur la fonction publique, nous avons compétence, mais s'il s'agit d'un employé public, c'est-à-dire un employé qui est un employé de l'État mais qui n'a pas le statut de fonctionnaire, nous n'avons pas compétence. C'est ce qui explique que nous n'avons pas compétence dans les établissements du réseau de la santé, au niveau des régies régionales, au niveau des commissions scolaires et au niveau de certains organismes du gouvernement comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, comme Hydro-Québec et toutes les sociétés d'État où les employés ne sont pas des fonctionnaires.

Je peux vous dire aussi que, pour l'année 1996-1997, les recommandations du Protecteur du citoyen ou de ses collaborateurs et collaboratrices ont été suivies dans 83 % des cas. Et ça a été une chute considérable, parce que généralement le taux de succès ou le taux d'acceptation des recommandations par les ministères et organismes se situe traditionnellement, depuis quelques années, autour de 95 %, et l'année précédente à ce rapport à 96 %. Donc, il y a eu un écart, ce qui veut dire que nous n'avons pas eu l'écoute quant à nos recommandations dans 17 % des cas, ce qui m'apparaît une situation susceptible de nous interroger sur la collaboration de certaines administrations.

(9 h 50)

Toujours pour cette année, il y a 61 ministères et organismes qui ont été mis en cause par les citoyens. Par ailleurs, je peux vous dire, comme je le fais tous les ans depuis trois ans, que j'allume des feux de circulation rouges, verts ou jaunes selon la proportion ou le taux de plaintes fondées dans les ministères et organismes. Ainsi, je considère que quand une administration connaît 50 % et plus de plaintes fondées, je considère que la situation est extrêmement grave. Ça veut dire une plainte sur deux. On parle bien de plaintes fondées, qui est un indicateur, et ça suppose que l'enquête a été complétée.

Alors, il y a eu quelques ministères et organismes qui ont franchi le seuil du 50 %, notamment l'Inspecteur général des institutions financières qui avait un taux de plaintes fondées de 86 %; la Régie de l'assurance-maladie du Québec a un taux de plaintes fondées de 76 %; la CARRA à 55 %; et le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration... il faut dire que, comme ce ministère regroupe plusieurs administrations et plusieurs organismes, la poche de plaintes fondées, ça s'est situé particulièrement au niveau de toute la problématique des contrats de parrainage aux immigrants et au niveau de la Direction de l'état civil. Alors donc, ces quatre organismes, pour cette année-là, ont franchi le cap de 50 % de plaintes fondées.

Ce que j'appelle le feu orange, ce sont les ministères et organismes où le taux de plaintes fondées est de 30 % à 49 %, et nous avons eu à ce niveau-là le ministère du Revenu, le ministère des Transports, le ministère de la Justice, la Régie du logement, la Commission des normes du travail et le ministère de l'Éducation.

Enfin, le feu jaune est allumé pour les ministères et organismes où la proportion de plaintes fondées est de 15 % à 29 %, et ça comprenait la Société d'habitation du Québec, la CSST, le Curateur public, le ministère de la Sécurité publique, le ministère de l'Environnement et de la Faune, la Santé et les Services sociaux, la Régie des rentes du Québec, la Société de l'assurance automobile du Québec, l'Agriculture, Pêcheries et l'Alimentation et la Commission québécoise des libérations conditionnelles.

Ce sont des chiffres. Maintenant, je pourrais peut-être vous résumer certaines tendances ou certaines observations que j'ai pu faire au cours de cette année... que nous avons pu faire comme équipe, et une chose qu'on peut déceler – je ne peux pas dire que c'était une tendance en 1996-1997, mais ça commence à en être une grosse en 1997-1998 – on réalise que la culture organisationnelle des administrations est en train de se modifier en ce sens qu'on exerce, quand on a un pouvoir de discrétion, on l'exerce d'une manière de plus en plus étroite, et évidemment avec le résultat net que, même si le texte de loi ou le guide utilisé par les fonctionnaires, normalement, aurait donné raison au citoyen dans le cadre d'une réclamation, d'une prestation et ainsi de suite, la tendance qui s'instaurerait dans l'administration, c'est d'interpréter le plus strictement possible. Ça s'explique, bien sûr, en partie par le fait – et je dirais que c'est un réflexe un peu naturel même si ce n'est pas acceptable – qu'il y ait, bien sûr, les impacts des compressions budgétaires. En soi, impacts des compressions budgétaires, on peut tous s'entendre là-dessus, c'est là et ça a des effets. Mais ce qui doit être mis en cause, ce sont les effets pervers des compressions budgétaires, quand un fonctionnaire se sent comme investi d'une mission de resserrer l'application ou l'interprétation d'une loi.

Ce que l'on constatait aussi en 1996-1997 et qui se poursuit cette année, c'est qu'un certain nombre de fonctionnaires ne traitent plus les citoyens avec les égards qui leur sont dus, tel que c'est reconnu dans les codes d'éthique et dans la Loi sur la fonction publique. Et ça se comprend aussi, sans se justifier, et ce sont les effets pernicieux. Il faut penser que, avec la réduction du personnel dans les services gouvernementaux, ça se traduit – puisqu'on n'abolit pas les programmes, règle générale – par une augmentation de la charge de travail des fonctionnaires, un volume considérable de dossiers, et c'est ce qu'on appelle «l'enrichissement des tâches». Sauf qu'un des effets pervers de ça, c'est qu'ils ont beaucoup de dossiers à traiter. Dans certains cas, ça va jusqu'au double de la charge normale. Et, évidemment, quand il s'agit de discuter avec les citoyens, bien, disons que les conversations deviennent de plus en plus courtes.

Et ceci, autre effet pervers, ça se traduit, donc, par des problèmes de communication. Alors, moi, depuis que j'exerce cette fonction, j'ai pu constater qu'à l'origine des plaintes ou des réclamations ou de l'insatisfaction des citoyens, dans 50 % des cas, à l'origine, c'est un problème de communication ou un problème d'information déficiente. Ça, c'est en période régulière. Il est évident qu'à partir du moment où les services publics subissent des pressions à la baisse, avec une charge de travail qui augmente, il est évident que les problèmes de communication et les problèmes d'information sont accrus et ont un impact pernicieux.

Ce n'est pas une situation, je dois dire, qui est propre au Québec, parce que j'ai l'occasion, comme Protecteur du citoyen, de rencontrer des collègues ombudsmans au Canada et ailleurs, et je peux vous dire que partout on vit ce phénomène-là d'effets pernicieux. Cependant, ce que j'ai pu constater, c'est que dans certains États certains gouvernements prennent les moyens pour faire en sorte que ces effets pernicieux n'aient pas lieu, mais ce n'est pas simple.

Ce que je peux vous dire aussi, c'est que je continue à croire, parce que je le notais dans mon rapport, le déséquilibre entre les services publics et les citoyens, règle générale, devrait être compensé par des normes, certaines normes d'éthique ou des normes de comportement, par des règles et ainsi de suite, qui feraient en sorte que l'ensemble de la fonction publique, je dirais même de tous les employés publics de l'État, soient astreints à certaines obligations, par exemple de ne pas rendre de décision arbitraire, d'avoir des normes qui soient encadrées par des critères et des paramètres, et ainsi de suite, d'être un peu plus à l'écoute des citoyens.

Et je suis content de dire que la Loi sur la justice administrative qui va entrer en vigueur bientôt, le 1er avril, a dans ses premières dispositions quelques articles qui vont imposer des devoirs à l'ensemble de l'administration. Et je pense que c'est un gros plus.

Mais, comme d'habitude, je pense que tout le monde en est bien conscient, entre le discours législatif et la norme et l'intégration dans les politiques et dans les moeurs de la fonction publique, ça va prendre un certain temps. Et la question que je me pose, entre autres choses, c'est le manque de structure, d'une certaine manière, à l'interne de l'appareil gouvernemental pour encadrer la mise en oeuvre de ces politiques-là.

C'est sûr que c'est une Loi sur la justice administrative, une loi qui a été pilotée par le ministre de la Justice, mais cette loi sera d'application générale et va s'appliquer à l'ensemble des fonctionnaires et des employés publics, les fonctionnaires. Or, il n'y aura pas de structure à l'interne pour essayer de voir comment ça va être intégré. Et ma crainte, parce que ça s'est déjà fait... Je me rappelle, il y a bien des années, lorsque le Conseil du trésor avait, dans les années quatre-vingt-dix, adopté une politique pour l'amélioration de la qualité des services, que cette politique était bien correcte sur papier, était remplie d'espoir pour les citoyens et pour le comportement des fonctionnaires, mais personne n'a assuré le suivi. Donc, c'est une simple mise en garde que je fais.

(10 heures)

Alors, je peux dire que, avec cette loi-là, les fonctionnaires vont avoir des obligations qu'on ne retrouve pas dans la Loi de la fonction publique et qui font partie de l'équité procédurale. Notamment, avant de dire non à quelqu'un, il va falloir communiquer avec la personne, et ça va devenir une obligation, et ainsi de suite. Cependant, je pense que ça ne suffira pas dans le contexte actuel. Je pense qu'il va falloir aller un peu plus loin pour établir un meilleur équilibre dans les rapports entre les citoyens et la population.

Finalement, parce que c'est vous qui êtes intéressés comme représentants de la population, vous dire que nous avons eu à traiter ce que j'appellerais de grands dossiers, grands pas seulement à cause des pages qu'ils comportent ou des caractères d'imprimerie, mais aussi parce qu'ils touchaient des sujets très importants.

On se rappellera que, à votre demande en 1996, nous avions fait un rapport que nous vous avions déposé en janvier 1997 sur toute la problématique des orphelins de Duplessis. Il y a eu également des rapports, dont on a parlé, sur toute la problématique des contribuables qui avaient souscrit des investissements dans le domaine de la recherche et du développement.

Il y a eu également, il n'y a pas très longtemps, un rapport du Protecteur du citoyen sur la situation de la protection des droits de la personne au niveau de la curatelle publique. Ce rapport, qui date du mois de novembre dernier, va être suivi très bientôt, dans deux semaines ou trois, d'un autre volet non plus sur la question de la protection des droits de la personne, mais sur l'administration des biens par la curatelle publique. Et d'autres dossiers. Je vous remercie.


Discussion générale

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, merci, Me Jacoby. Est-ce qu'il y a des membres... M. le député de Frontenac.


Conditions d'exercice de la désinstitutionnalisation

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Alors, je voudrais à mon tour saluer M. le Protecteur du citoyen et ses collaboratrices qui l'accompagnent, et d'autres de ses collaborateurs et collaboratrices qui ne sont peut-être pas assis ou à sa gauche ou à sa droite et qui sont ici avec nous ce matin.

Évidemment, le Protecteur, Me Jacoby, a décrit de façon très globale les responsabilités extrêmement importantes, à titre de Protecteur du citoyen, qu'il a dans une société démocratique comme la nôtre. Le Protecteur du citoyen a un rôle particulièrement important à jouer dans un contexte de compressions de moyens de toutes sortes que l'on vit depuis quelques années; des compressions budgétaires pures et simples comme... Et, conséquemment à des compressions budgétaires, des compressions d'effectifs. Vous y avez fait allusion tout à l'heure.

J'ai l'intention, avec vous, M. le Protecteur du citoyen, d'aborder deux questions qui seront, j'en suis convaincu, reprises par mes collègues. Je voudrais m'entretenir avec vous du phénomène de la désinstitutionnalisation. Vous savez qu'on vit chez nous, dans le comté de Frontenac, une situation absolument désolante au niveau de la désins. Je parle évidemment de l'hôpital Saint-Julien, que vous avez eu l'occasion de visiter. Vous avez rencontré les administrateurs en compagnie de Mme la curatrice au cours des dernières semaines.

Saint-Julien, ça nous amène évidemment à parler de votre mise en garde; la mise en garde que vous avez adressée au ministère de la Santé, à son ministre, au gouvernement du Québec, en novembre dernier, lorsque vous avez – et j'ai le rapport sous les yeux ici – traité des droits de la personne inapte, en regard des responsabilités de la curatelle publique, mais également de l'État, du gouvernement. Vous avez un rapport, Me Jacoby, qui contient évidemment plein de commentaires pertinents, plein de mises en garde, mais particulièrement 43 recommandations très précises.

Je voudrais dans un premier temps vous entendre répéter, expliciter votre constat du processus de désinstitutionnalisation qu'on vit partout au Québec au moment où on se parle. Évidemment, le processus de désinstitutionnalisation est en marche au Québec depuis un certain nombre d'années. Vous avez fait des mises en garde au gouvernement en disant essentiellement – puis je ne veux pas vous interpréter, alors je vais référer à la page 48 de votre rapport, que j'ai sous les yeux: «Que le ministre de la Santé et des Services sociaux – alors, le Protecteur du citoyen recommande – s'organise pour suspendre temporairement la désinstitutionnalisation des personnes psychiatrisées jusqu'à ce qu'il se soit assuré – on parle du ministre de la Santé – de la suffisance et de la compétence des ressources alternatives dans la communauté.»

Dans un premier temps, Me Jacoby, j'aimerais que vous me donniez votre avis, votre opinion, avec vos collaboratrices, sur le phénomène de la désins. Quelles sont les balises, quels sont les critères qui doivent guider ceux et celles qui ont à se pencher sur la possibilité de ramener dans la communauté un déficient intellectuel ou un citoyen affecté de problèmes en santé mentale? Quelles sont les balises qui doivent guider ceux et celles qui ont à évaluer et à recommander ou non le retour dans la communauté? C'est ce qu'on appelle la désins.

Je voudrais vous entendre, dans un premier temps, là-dessus: Quels sont les critères qui doivent guider l'évaluation des citoyens dont on parle?

M. Jacoby (Daniel): Je pense que, au départ, il faut admettre que la désinstitutionnalisation est en soi une politique excellente, parce qu'on sait trop bien que l'hébergement des personnes... la vie en milieu fermé ne leur permet pas toujours de se développer. Donc, qu'il y ait un certain nombre de personnes qui soient atteintes de déficience intellectuelle, qui aient un handicap de santé mentale ou qui soient des handicapés multiples, il est certain que c'est une politique, en soi, qui est bonne.

Cependant, ce qu'il faut constater aussi, c'est que ce n'est pas la première fois qu'on fait de la désinstitutionnalisation. Il y en a eu déjà il y a une quinzaine d'années, et ce qu'on a pu constater, c'est que dans certains endroits ça a été un véritable, je dirais, fiasco. En ce sens que ça suppose que, quand on permet aux personnes de se développer et de vivre plus normalement dans la communauté, encore faut-il qu'il y ait des ressources qui soient là, des ressources compétentes, des ressources spécialisées qui font en sorte que ces personnes-là puissent obtenir ou se faire accompagner dans l'obtention de services sanitaires, voire de services sociaux. Alors, à partir du moment où, à l'occasion de la désinstitutionnalisation, on ne met pas les argents nécessaires pour permettre l'instauration de ressources efficaces et compétentes et en nombre suffisant, il est évident qu'il y a une bonne partie de la population désinstitutionnalisée qui devient triplement victime.

Et ça a été reconnu dans plusieurs études. On sait très bien que... Par exemple, je lisais il n'y a pas très longtemps le rapport du Comité sur la santé mentale qui explique le phénomène de la désins et qui dit que, malheureusement, le constat qu'ils en font, c'est que les personnes laissées à elles-mêmes développent un taux de criminalité très élevé, ont des problèmes de polytoxicomanie; également, elles se retrouvent dans ce que, moi, j'appelle ou ce que nous appelons «le syndrome de la porte tournante», c'est-à-dire ces personnes qui se retrouvent en prison, sortent de prison parce qu'on n'est pas équipé pour le faire, qui se retrouvent dans la rue, qui se font arrêter, qui ont des problèmes, des pathologies, qui vont à l'hôpital mais leur cas n'est jamais suffisamment grave pour les garder en institution, et ainsi de suite. Ce sont des gens qui sont triplement victimes, tant sur le plan financier, sur le plan de leur condition mentale et aussi sur le plan, je dirais, de l'ensemble des facteurs dégradants de la société, d'une certaine manière, par le biais, notamment, de l'incarcération injustifiée.

(10 h 10)

Il faut bien penser que dans nos établissements de détention les chiffres montrent que 30 % de la population – je parle des établissements québécois, je ne parle pas des pénitenciers, je n'ai pas de données là-dessus – a des problèmes d'ordre mental. Or, ça, c'est un phénomène réel et, en grande partie – je dis bien «en grande partie», je ne dis pas «complètement» – c'est occasionné par les effets pernicieux de la désinstitutionnalisation. Donc, mise en garde. Les études ont montré, ces 20 dernières années, qu'il était souhaitable que les gens sortent; et il fallait, cependant, compenser par des ressources communautaires, des ressources alternatives et compétentes.

Par ailleurs, une autre mise en garde, c'est qu'on ne peut pas sortir tout le monde. On ne peut pas sortir tout le monde parce qu'il y a des personnes qui sont ce que l'on appelle des cas extrêmement lourds. J'ai eu l'occasion, nous avons eu l'occasion, l'équipe, de voir un certain nombre de ces cas lourds qui, dans notre esprit, ne pourront jamais faire l'objet d'une désinstitutionnalisation. Donc, on doit penser que... L'impression que j'ai, là, on est en train de finaliser un rapport de suivi de cette visite-là...

M. Lefebvre: Vous parlez de Saint-Julien, là?

M. Jacoby (Daniel): De Saint-Julien. Je prends l'exemple de Saint-Julien qui est un bel exemple de ce dont on parle. Il y a certainement, je dirais, 20 % de la population qui ne pourra pas être désinstitutionnalisée. Ce sont des cas lourds.

Maintenant, ce qui m'inquiète toujours quand on parle de désinstitutionnalisation, c'est la manière dont les choses se font. Et je pense que les choses ne se font pas tout à fait correctement.

Il est certain que le ministère de la Santé, dans sa politique sur la santé mentale, a annoncé qu'il visait la fermeture d'à peu près 50 % des lits dans les établissements psychiatriques. Nous avons, au Québec, quelque chose comme 6 000 places en psychiatrie. Ça devrait être réduit autour de 3 000. Bon. Ça s'inscrit très bien sur un plan d'application d'une politique de désins. Sauf que j'ai l'impression que cette réforme, qui en soi est très bonne, comme toute réforme qui peut être très bonne en soi, est un peu teintée aussi par l'autre effort qui est celui de réduire les déficits gouvernementaux. Et on ne sait plus, à un moment donné, où sont les objectifs. Est-ce que les administrateurs, est-ce que les régies régionales, est-ce que les établissements... que cherchent-ils? Quels sont leurs objectifs clairs et apparents? Est-ce que c'est opérer une désinstitutionnalisation de manière efficiente et efficace et respectueuse de la personne? Ou est-ce que c'est d'abord et avant tout trouver des moyens pour aider à la réduction du déficit?

Et, dans le domaine de la désins, je peux vous dire que c'est royalement mêlé, d'après ce que je pense, d'après ce que je peux voir. Mais ce n'est pas propre à la désins. Il y a beaucoup de confusion dans les objectifs, les principes et les politiques, à cause des contraintes, tout simplement.

Ce qui veut dire aussi que les choses se font d'une façon que je considère un peu inefficiente, en ce sens que, par exemple, on annonce la fermeture d'un établissement sans avoir même évalué d'une manière intelligente le profil des personnes qui sont hébergées. On dit: On ferme, mais on n'a pas fait d'évaluation systématique de chacun des usagers, ou autrefois des bénéficiaires, enfin, des citoyens et citoyennes, et non pas des clients, qui sont hébergés en institution.

Dans le cas de Saint-Julien, et je trouve que c'est un bel exemple où on peut faire une pathologie extraordinaire sur le processus décisionnel, c'est qu'il y a deux comités d'experts qui se prononcent et qui se contredisent. Finalement, le ministre responsable décide de la fermeture, et ainsi de suite, mais on ne sait pas pourquoi, tout simplement, avec les comités contradictoires et tout ce qui s'est passé par la suite.

Je trouve que, en plus, dans le phénomène de la désins, il y a un processus décisionnel qui est très discutable. Enfin, derrière tout ça, il faut bien penser que nous avons à faire avec les citoyens les plus vulnérables de notre société, que ces citoyens sont des sans-parole. Quelques-uns peuvent parler, mais ils ont des difficultés d'élocution. Il y a, dans les régions, des mécanismes d'aide et d'accompagnement, des ONG, qui s'occupent de ces personnes-là, ou qui aimeraient bien s'en occuper mais qui ne réussissent pas non plus à faire leur travail, selon la Loi sur la santé et les services sociaux, parce qu'il y a parfois des poches de résistance à l'intérieur des établissements. On n'accepte pas toujours qu'un ONG vienne mettre son nez dans un établissement psychiatrique. Il y a eu plusieurs cas comme ça au Québec. On n'accepte même pas le rôle qui est dévolu en vertu de la loi à ces mécanismes d'aide et d'accompagnement.

Alors, ce que je veux dire derrière tout ça, c'est qu'on a une population des plus vulnérables de notre société, avec des mécanismes pensés et conçus dans une loi pour pouvoir être leur porte-parole. Nous avons des comités de bénéficiaires. Il y en a qui existent, il y en a qui n'existent pas, il y en a qui sont bidons, et ainsi de suite. Et donc, je me dis, en bout de ligne, qui protège ces gens-là d'une manière efficace? Selon moi, ce doit être avant tout le ministère de la Santé et des Services sociaux. Et c'est sa responsabilité première de faire en sorte que les personnes qui sont déjà exclues de par leur condition ou leur état physique ou mental ne voient pas leur exclusion s'aggraver parce que les outils mis en place ne sont pas là, parce que les principes ou les objectifs ne sont pas clairs, ou des choses comme ça. Sur ce, je voudrais aussi céder la parole à Lucie Lavoie qui aurait quelque chose à ajouter.

Mme Lavoie (Lucie): Je pense que lorsqu'on parle de désinstitutionnalisation, jusqu'à un certain point c'est un faux débat. On confond les objectifs et les moyens. Parler d'institutionnalisation ou parler de vie dans la communauté, finalement c'est différents moyens pour donner aux gens les services auxquels ils ont droit. Je pense que c'est de ça qu'il faut se rappeler. Il faut se rappeler que ça se situe quand même dans l'axe des droits fondamentaux qui sont reconnus par des pactes internationaux et qu'on retrouve dans notre charte et qu'on retrouve dans nos lois nationales et particulièrement, évidemment, dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

Mais qu'est-ce que viennent nous dire, finalement, tous ces textes-là? C'est que les gens ont droit, toute personne a le droit de se retrouver dans un milieu qui est le plus naturel possible, et que ce soit en institution ou que ce soit dans la communauté. Mais elle a le droit aussi aux services dont elle a besoin. Et on ne parle jamais des besoins. On parle de la désinstitutionnalisation comme si c'était une fin en soi, comme si c'était une fin qu'il fallait quantifier et dire: Voici, ça nous prend tel nombre de personnes. Et ça devient maintenant un peu, comme on voit d'ailleurs dans bien des compressions budgétaires, un objectif en soi et sans tenir compte, finalement, des besoins des personnes.

Lorsqu'on souligne, dans le rapport que nous avons produit sur le Curateur public, qu'on demande de suspendre la désinstitutionnalisation tant qu'on n'aura pas mis en place tous les moyens alternatifs autour, finalement c'est ce qu'on veut dire. Que l'on prenne les moyens les mieux adaptés pour répondre aux besoins des personnes. Que, pour plusieurs d'entre elles, ce soit par un retour à la communauté, tant mieux, tant mieux si ça se fait dans un milieu le plus naturel possible. Mais il faut penser que parmi ces personnes-là il y a des personnes qui sont polyhandicapées, et il y en a plusieurs de ça, qui ont des handicaps physiques, qui ont des handicaps intellectuels et qui, en plus, souffrent de maladie mentale. Alors, ces gens-là ont quand même droit... D'abord, il me semble qu'un des droits les plus fondamentaux qui existent chez nous, c'est quand même le droit au secours, le droit à la vie. Et ça, il ne faudrait quand même pas déraper et bifurquer des objectifs et confondre moyens et objectifs.


Rapport concernant l'hôpital Saint-Julien

M. Lefebvre: Me Jacoby, j'ai une question très courte, dans un premier temps. Quand prévoyez-vous que le rapport Saint-Julien sera complété, et de quelle façon allez-vous le rendre public, et que contiendra ce rapport-là? Autrement dit, de quoi vous allez parler dans le rapport Saint-Julien? De l'ensemble de la question? De ce que vous avez constaté? Des recommandations? Du processus en marche au niveau de la régie, processus que vous avez qualifié d'incohérent à date? Quels sont les éléments que vous entendez traiter dans ce rapport-là?

(10 h 20)

Et, après qu'on aura disposé de Saint-Julien, j'aimerais que vous résumiez peut-être la recommandation que vous faites de suspendre temporairement la désins. Est-ce que, dans le contexte actuel, vous croyez être entendu et écouté par le ministère de la Santé? Parce que, quand vous dites: Il faut suspendre, c'est que vous concluez qu'on ne met pas les budgets nécessaires pour mettre en place les alternatives. C'est pour ça que vous demandez de suspendre la désins, la désinstitutionnalisation partout au Québec, parce que les alternatives pour recevoir les déficients intellectuels dans la communauté, les ressources ne sont pas en place. Puis vous n'avez, j'imagine, comme nous, aucun indice que ça s'en vient, les ressources alternatives.

Alors j'aimerais que vous traitiez de ces deux éléments-là: contenu du rapport Saint-Julien et jusqu'à quand il faut suspendre la désins, et est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'on ne vous écoute pas du tout, au niveau du ministre de la Santé puis de son équipe?

M. Jacoby (Daniel): Bon, sur votre première question: Que sera ce rapport et quand sera-t-il produit? D'abord, je dois vous dire, ça va être un rapport assez court, parce que je pense qu'on ne va pas refaire l'historique de tout ça, c'est bien connu. Et dans ce rapport on mettra en relief que, d'une part, il y a en première ligne un ombudsman spécialisé qui s'appelle le Curateur public et qui représente à peu près 90 % de la clientèle de Saint-Ferdinand; deuxièmement, il faut penser que je n'ai pas compétence sur la régie régionale. Et les mises en garde que je peux faire à la régie, ils peuvent en faire ce qu'ils veulent. Je n'ai pas compétence.

Tout ce que je peux faire, je peux le faire de deux façons: soit par l'intermédiaire de la curatelle publique, sur laquelle j'ai compétence, soit par le biais du ministère de la Santé et des Services sociaux et du ministre, sur les politiques du ministère, sur lesquelles j'ai compétence. Bon. D'ici deux semaines, un rapport sera rendu public sur nos observations et nos recommandations, mais en prenant en compte que le Curateur public, disons, est véritablement la personne qui doit être très près de tout ça. On sait que la curatelle publique souffre de déficiences énormes, mais, dans Saint-Ferdinand, ce que j'ai pu constater à date, c'est que les ressources sont mises par la curatelle publique pour s'assurer que le processus soit correct. Je dois dire ça.


Recommandation de suspendre la désinstitutionnalisation

Par ailleurs, sur la question plus générale de savoir si nos recommandations sont entendues ou écoutées, je dois vous dire qu'il y a des ministères ou organismes au gouvernement qui font peu de cas de l'existence d'institutions démocratiques comme celles du Protecteur du citoyen ou la Commission des droits de la personne. Et, en l'occurrence, je pourrais citer deux ministères: le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de l'Éducation. J'ai fait une relance la semaine dernière au ministère de la Santé et des Services sociaux sur chacune des recommandations qui s'adressaient au ministère, dans le rapport sur la curatelle, et j'attends de voir ce qu'on va me répondre. Mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

M. Lefebvre: Combien de temps devrait durer la suspension de la désins?

M. Jacoby (Daniel): Je pense que, c'est-à-dire, qu'on prenne les décisions, qu'on les planifie, qu'on opérationalise les décisions, c'est ça que j'appellerais une suspension. Je veux dire, il ne faut pas tout geler dans le ciment. Il faut dire que, bon, on veut désinstitutionnaliser telle ou telle institution, il faut que ça soit planifié de manière stratégique et de manière opérationnelle, avec toutes les phases que ça comporte. Tant que les évaluations n'auront pas été faites, dans un premier temps, et, deuxièmement, tant qu'on n'est pas assuré que les ressources sont en région, on ne doit pas procéder à la désinstitutionnalisation. En d'autres termes, on ne doit pas prendre les patients, les lancer sur la piste et leur dire: Bien, écoutez, il va se produire des choses; c'est sûr qu'il y aura des organismes qui vont s'occuper de vous. Alors, c'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre «moratoire» ou «suspension de la désins».

Dans le fond, ce que je dis clairement – c'est parce que j'utilisais ce mot pour mieux faire comprendre – c'est que ça se fasse de manière intelligente, sérieuse, suivant une planification, des objectifs bien précis, et s'assurer que ces personnes vont se retrouver dans des conditions normales, en communauté, avec possibilité d'obtenir les services dont ils ont besoin.


Mandat et compétence du Protecteur du citoyen en matière de santé

M. Lefebvre: Le ministre de la Santé, vous l'avez indiqué tout à l'heure, tout comme la ministre de l'Éducation, ne vous écoute pas, Me Jacoby. Vous êtes entendu mais pas écouté. Vous n'êtes probablement même pas lu. Je suis absolument convaincu que le ministre Rochon n'a jamais lu la moindre de vos suggestions ou recommandations. Si le ministre de la Santé n'entend même pas ceux et celles qui peuvent s'exprimer sur la place publique ou encore par l'entremise de leur député à l'Assemblée nationale, si plein de citoyens au Québec en sont rendus à recourir à leur député pour pouvoir recevoir des soins de santé, pour pouvoir subir des opérations qu'ils ont le droit de requérir, qui sont urgentes, imaginez-vous, Me Jacoby, comment le ministre de la Santé peut être indifférent aux sans-voix, à ceux et celles que vous avez décrits tout à l'heure comme étant les plus démunis de notre société. On en retrouve 542 à l'hôpital Saint-Julien.

Quand on connaît l'approche du ministre de la Santé quant à sa vision du virage ambulatoire, qui s'est strictement limité à date à des compressions budgétaires, quand on sait à quel point il n'hésite pas à agresser ceux et celles qui lui font face au Québec, j'ai peu d'espoir, Me Jacoby, que vous soyez plus écouté au cours des prochaines semaines que vous l'avez été au cours des dernières années, surtout – et je me répète, et je conclus là-dessus – lorsqu'on parle de ceux qui ne peuvent s'exprimer que par la curatelle publique.

Alors, je vous pose la question suivante: Est-ce que vous avez à l'esprit d'autres façons d'intervenir que celles que vous avez utilisées à date? Est-ce que vous croyez avoir la possibilité d'intervenir autrement si vous arrivez à la conclusion que le ministre ne vous écoute pas, que des clientèles extrêmement faibles ne sont pas protégées comme elles devraient l'être? Qu'est-ce que vous allez faire, Me Jacoby?

M. Jacoby (Daniel): D'abord, je dois laisser le temps au ministre de me répondre; c'est la moindre des choses.

M. Lefebvre: Mais il ne vous a pas répondu à date. Ça fait des années que ça dure.

M. Jacoby (Daniel): Oui, mais c'est parce que quand on a publié... Il faut dire à la décharge des autorités et de tout le monde que lorsque nous avons publié le rapport sur la curatelle publique, l'an dernier, nous avions envoyé une version préliminaire au Curateur public pour avoir ses commentaires, et aussi au ministère. Mais je dois admettre que le délai fut court pour tout le monde. Néanmoins, on a eu beaucoup de réactions de la part de la curatelle publique. On n'en a pas eu du ministère.

Alors, la semaine dernière, j'ai pris la décision d'assurer le suivi du dossier pour la dizaine de recommandations qui s'adressent au ministre. Et je m'attends à avoir une réponse, j'imagine, d'ici trois ou quatre semaines. Parce que c'est sûr que la nature des propositions qui sont faites là-dessus nécessite une réflexion et un certain temps pour répondre.

Dans l'hypothèse où les réponses ne viendraient pas ou dans l'hypothèse où elles ne seraient pas satisfaisantes, bien, la Loi sur le Protecteur ne donne pas tellement de moyens sinon que d'avoir recours à l'opinion publique ou faire un rapport spécial à l'Assemblée nationale.

(10 h 30)

Puisque l'on parle de ça, je voudrais peut-être qu'on réfléchisse ensemble à une difficulté qui est le fait de la situation tout à fait paradoxale de la protection du citoyen en matière de santé et services sociaux, quand on parle des usagers ou des clients ou des citoyens qui font affaire avec le réseau.

En d'autres termes, le Protecteur du citoyen a compétence sur tous les ministères et tous les organismes du gouvernement régis par la Loi sur la fonction publique. Donc, on peut intervenir sur des décisions du ministre, et nous intervenons à l'occasion sur des politiques adoptées par le ministère qui s'appliquent au réseau. Tout ceci fait partie de notre compétence.

Par contre, si on tombe au niveau du réseau, qu'il s'agisse des établissements ou des régies, qui sont des corporations, je n'ai plus compétence, je ne peux rien faire. Et c'est une situation qui est propre au Québec, cette espèce de dichotomie de protection du citoyen. C'est sûr qu'il n'y a pas que le Protecteur du citoyen comme institution de défense et de promotion des droits. Il y a aussi la Commission des droits de la personne, mais elle a aussi ses contraintes, elle a ses limites. Il y a aussi, bien sûr, des ONG, des organismes communautaires, il y a des sociétés caritatives, il y a tout ça, mais, si je me place du point de vue du citoyen, et croyez que je ne suis pas en train de vous vendre une extension de juridiction, mais c'est une situation unique au monde, ce qui se passe au Québec en termes de compétence, d'absence de compétence sur les établissements de la santé.

Dans les provinces canadiennes, il y a beaucoup de provinces où l'ombudsman a compétence. Il y a quatre provinces canadiennes où l'ombudsman a compétence sur les établissements du réseau de la santé, et quand il n'y a pas compétence, il y a des espèces d'ombudsmans spécialisés, dans certaines provinces. À l'échelle mondiale, les ombudsmans ont aussi compétence sur l'ensemble des réseaux décentralisés.

Donc, si on parle de ça, on parle de moyens. Les moyens, enfin, de la loi sont limités. Si j'avais la possibilité de faire enquête au niveau des prises de décision, par exemple, des régies régionales ou des prises de décision d'un établissement, d'un conseil d'administration, il est évident que je serais en mesure de faire comme dans le reste: essayer de donner l'heure juste, un éclairage le plus impartial et le plus neutre possible. Ça m'est impossible de le faire. Pour le faire, il faudrait que je prenne les procédures judiciaires en utilisant des subpoenas, en considérant que les établissements sont des témoins au sens de la Loi des commissions d'enquête, ce qui nous emmène dans un dédale de procédures et de judiciarisation qui n'en finirait plus.

Donc, je crois que ça répond à votre question. Nous avons des moyens limités, d'autant plus limités que notre compétence n'est pas complète dans le domaine du réseau de la santé et des services sociaux.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Bélanger: Juste une petite question sur ce que Me Jacoby vient de dire. Est-ce que, Me Jacoby, vous avez fait une demande formelle au ministère de la Justice, au ministre de la Justice, évidemment, pour amender la loi qui régit votre compétence, ou si vous déplorez le fait que vous n'avez pas les compétences, c'est-à-dire que vous n'avez pas les autorités sur certains ministères mais que, par contre, vous en parlez mais vous n'avez pas fait de demande spéciale pour arriver à changer la loi?

M. Jacoby (Daniel): C'est-à-dire que je radote annuellement dans mon rapport annuel où je dis toujours que je pense que les usagers ou les citoyens qui font affaire aux services de santé devraient pouvoir ultimement recourir au Protecteur du citoyen. Cependant, il y a radoter puis radoter. Il y a aussi le fait qu'il faut se rappeler qu'il y a huit ans la commission des institutions a fait un rapport presque unanime sur la question et qui proposait que la compétence soit donnée soit au Protecteur du citoyen soit à un autre type d'ombudsman indépendant et neutre.

Bon. Ce que je peux vous dire, c'est que, actuellement, à l'occasion des commentaires que nous préparons sur le projet de loi n° 404 qui modifie la Loi sur les services de santé et les services sociaux, où on touche les modifications au régime de traitement de plaintes du réseau, nous allons, là, formellement justifier, expliquer et demander que compétence soit donnée au Protecteur du citoyen, qui d'ailleurs s'inscrit – et c'est ça que je trouve un peu paradoxal... Les comités mis sur pied par le ministère depuis des années, on en parle depuis 1987, 1988, disent tous, tous sans exception, y compris le dernier comité qui a remis son rapport, un comité du ministère de la Santé, après avoir consulté tout le monde, disent tous que, à tout le moins, le Protecteur du citoyen devrait avoir compétence non pas sur l'ensemble des problématiques du réseau, mais sur les personnes les plus vulnérables.

C'est ce qu'on dit dans des rapport tout à fait récents, le rapport Bussières, aussi, sur les personnes âgées, l'on dit dans tous ces rapports que le Protecteur du citoyen devrait avoir compétence sur les personnes en perte d'autonomie, les personnes âgées, sur les déficients intellectuels et sur les personnes qui éprouvent des problèmes d'ordre mental. C'est dit en toutes lettres. Or, le projet de loi qui a été déposé se limite à apporter des aménagements tout à fait mineurs qui ne changeront pas grand-chose au régime qui, selon moi, est un régime qui ne peut pas être efficace.

Alors donc, à l'occasion du mémoire que nous allons déposer à la commission des affaires sociales dans les prochains jours, on va expliquer pourquoi et on va expliquer surtout une chose, c'est qu'il s'est passé des choses, avec la reconfiguration du réseau, avec le virage ambulatoire et avec la nouvelle phase de désins, les conditions ne seront plus jamais les mêmes, parce qu'un des objectifs du virage ambulatoire, c'est de faire en sorte notamment que les personnes deviennent autonomes le plus rapidement possible; mais elles ont besoin d'aide. Et les services ne seront plus dispensés dans les lieux dits publics. Ils vont être dispensés par des organisations de différents types, y compris des organisations privées, à cause de la désins et à cause des coupures.

Alors là, les personnes les plus vulnérables de la société ne sauront plus où se vouer, ou même les personnes qui représentent les personnes les plus vulnérables. À qui va-t-on se plaindre? Le système actuel de traitement de plaintes dans le réseau de la santé est complètement, comme dirait un philosophe, obsolète, désuet à cause des changements récents de la réalité. Il était bon en 1991, 1993, enfin c'était un test que l'on faisait, puis ça n'a pas donné toujours les résultats escomptés, mais là il faut vraiment le revoir au complet à cause des impacts de la reconfiguration et du virage ambulatoire et de la désins.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Mille-Îles.


Implantation d'une carte d'identité universelle

Mme Leduc: Oui, bonjour. Ça me fait plaisir de vous entendre ce matin, M. Jacoby et vos collègues. Vous dites que ça fait huit ans que vous radotez, mais il ne faut pas désespérer, parce que souvent c'est la ténacité qui amène les changements. Alors, il faut continuer dans le sens où vous allez. Pour avoir travaillé souvent dans des dossiers, particulièrement de condition féminine, on a radoté longtemps, mais on finit par aboutir à quelque chose quand on est persévérant. Alors, dans ce sens-là, je vous encouragerais à continuer vos représentations.

Maintenant, je voudrais aborder avec vous un peu un sujet qui pour moi est comme d'actualité, c'est la question de la carte d'identité, compte tenu que la commission des institutions traitait hier, dans le cadre de la réforme de la liste électorale permanente, de l'utilité d'une carte d'électeur ou non. Je vois dans votre rapport que vous êtes d'accord avec la création d'une carte d'identité universelle, maintenant à certaines conditions et en lui imposant certaines limites, dans le sens qu'elle ne doit pas être obligatoire. Ce que je comprends – j'imagine, mais je vérifie quand même – quand vous dites qu'elle ne doit pas être obligatoire, le citoyen ne doit pas être tenu de la produire, mais il ne doit pas non plus être tenu de l'avoir, j'imagine. C'est dans ce sens-là que vous dites «obligatoire», qu'il ne doit pas être tenu de l'avoir.

À ce moment-là, moi, ma réflexion me portait à croire et dire: Bien oui, on parle de carte d'électeur. Est-ce que la carte de citoyen, qui ne comporterait pas de numéro d'identification, contrairement aux cartes d'assurance-maladie ou au permis de conduire, ne pourrait pas servir de carte d'électeur? Si elle n'est pas obligatoire, moi, ce que je voudrais que vous élaboriez, c'est: Comment peut-on utiliser une carte de citoyen sans être tenu de la produire à tout moment sur la rue, sur demande de policier, si le citoyen n'est pas tenu... si elle n'est pas universelle, finalement?

(10 h 40)

À quelles fins peut-elle servir, dans le sens de quand on parle qu'on voudrait donner une identification dans un moment précis où on pourrait exiger, par exemple, pour l'identification de l'électeur, cette carte-là, mais qu'il n'est pas tenu de la produire à tout moment?

Et c'est sûr que je comprends vos réticences et les réticences des personnes qui ne souhaitent pas une carte, nécessairement, de citoyen ou une carte universelle de citoyen, en disant que, évidemment, il y a la confidentialité des renseignements – je me disais qu'avec pas de numéro ça peut éliminer ça – et il y a aussi le fait que ça peut amener à un certain État plus policé que celui que nous connaissons actuellement ici, au Québec.

Pourtant, certains pays ont une carte depuis longtemps, que ce soit la France, la Suisse, l'Allemagne ou d'autres, je ne les énumérerai pas. Et sûrement, pour vous faire une idée, vous avez eu accès à des données. Est-ce que, dans des États qui ont opté pour une carte universelle, dans des pays, on constate – ça fait quand même assez longtemps – que la confidentialité des renseignements est moins respectée qu'elle ne le serait ici, ou que ce sont des États qui sont plus policés et où la liberté des citoyens est réduite considérablement, par rapport aux objectifs qu'on poursuivrait pour une carte d'identité? J'aimerais vous entendre là-dessus.

Et vous disiez, évidemment... c'était une consultation préliminaire, à la commission de la culture, et qu'une consultation finale du Protecteur du citoyen par la commission... vous auriez un document plus élaboré. C'est ce que vous dites ici. Est-ce que l'état de vos réflexions est avancé dans ce sens-là? Est-ce que vous pouvez nous en faire part?

M. Jacoby (Daniel): La question qui se pose en matière d'identification, il y a deux questions qui se posent. Peut-on actuellement s'identifier par des voies normales? Si oui, il n'y a pas de problème. Sinon, il y a un problème qu'il faut corriger.

Moi, je ne veux pas poser ça en termes de philosophie, d'approche de dire que, par exemple, dans les pays... Particulièrement les pays qui ont connu les guerres ont des régimes de cartes d'identité universelles obligatoires. Ce n'est pas le propre de la culture nord-américaine. Mais je ne veux pas entrer dans ces débats de savoir si c'est une plus ou moins grande entrave à la liberté.

Ce que je constate, c'est que, au Québec comme partout au Canada, il y a bien des façons de s'identifier. Il y a un certain nombre de cartes qui sont produites, certifiées par l'État, et qui identifient la personne. Il y a une foule d'instruments aussi. Il y a le passeport, pour ceux qui en ont un, il y a le certificat de citoyenneté, il y a la carte d'assurance-maladie, la carte-soleil, il y a le permis de conduire. Dans l'ensemble, les gens qui le veulent bien peuvent s'identifier. Mais il y a des problèmes. Il y a deux ordres de problèmes. C'est que, par exemple, il y a une interdiction qui s'attache à la carte-soleil et au permis de conduire, interdiction qui fait en sorte que personne ne peut l'exiger pour des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été produites. Et ça, c'est tout à fait correct.

Mais, d'un autre côté, les citoyens sont libres de l'utiliser ou pas. Par exemple, quand on passe ici, à la sécurité de l'Assemblée nationale, on ne nous demande pas nommément ces cartes-là, mais, cependant, la tendance, ça va être de sortir sa carte-soleil pour avoir la date de naissance et ainsi de suite.

Il y a un danger que ces cartes-là, qui sont reliées à des fichiers, évidemment... Les dangers sont là. Il y a des citoyens qui considèrent, qui partent du principe qu'ils n'ont rien à cacher et que l'immixtion de leur vie privée, ça ne les dérange pas du tout. C'est une façon de voir les choses, puis il faut respecter cette opinion. D'autres qui disent: Moi, je ne peux pas prendre le risque d'exhiber une pièce d'identité avec un code qui permettrait d'aller fouiller dans les banques de données gouvernementales.

Donc, il faut trouver des solutions, en termes d'identité. Et la position finale que nous avons prise dans un deuxième rapport, c'est de dire: Pour ceux ou celles qui ne veulent pas utiliser leurs pièces d'identité qui sont sur le marché, si j'ose dire, que l'on crée, comme cela s'est fait dans plusieurs États américains et dans certaines provinces canadiennes, une carte d'identité qui ne soit pas reliée à des fichiers mais qui soit officielle et qui contiendrait un certain nombre de données pour permettre l'identification de la personne ponctuellement, ne serait-ce que lors d'élection ou des choses comme ça.

Alors, notre position, c'est de dire: A-t-on besoin d'une carte universelle et obligatoire? Ma réponse, c'est non. Même si c'est faisable, je considère que ça ne répond pas à un besoin et ce n'est pas souhaitable non plus, avec les dangers que ça pourrait apporter éventuellement, enfin, toujours ce qu'on décrit, le spectre du grand frère, et des choses comme ça. Je ne veux pas tomber dans la paranoïa de la fiction non plus, mais on sait très bien que parfois la réalité dépasse la fiction. On a des beaux exemples à l'occasion à travers l'Amérique du Nord.

Moi, je dis: Ayons une approche tout à fait empirique, pratique. Il y a des gens qui ne veulent pas les utiliser, les cartes qu'ils ont actuellement, puis qui n'ont pas de passeport, bien, qu'on leur donne la possibilité d'en avoir une. Mais une carte d'identité qui ne soit pas reliée à une banque en aucune manière. Alors, ça, c'est notre position définitive, à laquelle vous référiez par rapport au premier mémoire.

Mme Leduc: Oui. En tout cas, je pense que c'est une solution qui pourrait finalement résoudre la finalité, pourquoi on souhaite voir identifier les gens, et laisser les gens libres, finalement, respecter la liberté des gens d'avoir ou non ce type de carte. Je vous remercie.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Mégantic-Compton. Mme la députée de Bourassa.


Protection du citoyen lors de réformes

Mme Lamquin-Éthier: Merci beaucoup, M. le Président. Je ne sais pas si on doit parler d'insensibilité ou de surdité dans le cas de la désinstitutionnalisation.

J'aimerais revenir sur le commentaire que vous formulez aux pages 47 et 48 de votre rapport, le Curateur public et les droits de la personne, Sainte-Foy, 21 novembre 1997. Et, si vous me permettez, j'aimerais évoquer que récemment on retrouvait, alors qu'on était en train de discuter dans le cadre du projet de loi n° 404, donc, la mise en place d'une structure qui est le bureau régional, BRMG, je ne sais pas trop quoi, on était en train d'en discuter puis on retrouvait déjà, sur la première page de La Presse , le bureau en question, et on tenait pour avéré que ce serait la réponse aux problèmes d'accessibilité ou de qualité des soins que vivent les citoyens.

On a aussi intégré, dans le document de consultation de la régie régionale, des sujets qui étaient actuellement en consultation, toujours dans le cadre... Et vous dites à peu près ça aussi, à la page 47, vous dites: «Le ministère de la Santé et des Services sociaux était, au printemps dernier, en consultation sur les moyens à mettre en oeuvre pour réussir la nouvelle désinstitutionnalisation. Pourtant, les médias rapportaient que le centre hospitalier Douglas, qui avait fermé 40 lits, était déjà en phase de désinstitutionnalisation. Les consultations ne sont pas terminées. Les services ne sont pas instaurés, mais on désinstitutionnalise.»

Pour la personne qui a toute raison, qui ne peut pas être contraire à la vertu, tant pour le virage ambulatoire en termes d'objectif, tant pour le maintien à domicile, tant pour la désinstitutionnalisation, la personne qui a besoin de services, si on lui fait miroiter qu'on veut améliorer sa situation, elle ne peut pas être contre ça. Mais vous avez aussi dit que, dans les faits, si on n'écoute pas, si on ne met pas en place, on ne donne pas les ressources, on ne s'assure pas d'abord des besoins et des moyens... Mais «c'est-u» réaliste de dire ça aux gens à l'heure actuelle? Pensez-vous que la pression économique va être la plus forte? Est-ce que c'est vraiment l'intérêt de la personne qui va pouvoir avoir le dessus?

(10 h 50)

M. Jacoby (Daniel): Oui, c'est toujours une question, vous savez, d'équilibre. Autant on doit partager l'objectif d'assainir les finances publiques, autant on doit faire en sorte que les réformes qui sont occasionnées par cette contrainte-là ou qui sont indépendantes de cette contrainte soient respectueuses de la personne. Et ca, c'est tout le problème, dans des périodes troubles comme celle-là que nous vivons, où il faut sabrer, d'une certaine manière, dans le panier de services, et ainsi de suite.

Alors, je ne suis pas en mesure de sortir ma boule de cristal – je ne l'ai pas apportée avec moi – et de vous dire qu'est-ce qui va primer. Mais je pense que ce qui doit primer, c'est l'intérêt des personnes, et d'autant plus que ce sont des personnes vulnérables. Et je pense que tout doit être mis en oeuvre, pas seulement au niveau régional, pour que les organismes ou les porte-parole de ces personnes démunies soient entendus. Il faut tout mettre en oeuvre aussi pour que, au ministère de la Santé lui-même, il y ait une équipe que j'appellerais «la compassion», peut-être créer un nouveau service «compassion».

Parce que je dois dire que les réformes du ministère de la Santé... Je ne juge pas de leur pertinence. Ce que je dis, c'est que tout est chiffré. Le langage est un langage de chiffres qui souvent vient masquer ou évacuer la réalité des personnes qui font l'objet de ces réformes. Alors, moi, ce que je dis, c'est que notre institution, comme Protecteur du citoyen, malgré notre compétence limitée, la curatelle publique, si elle réussit à avoir suffisamment de ressources dans un délai raisonnable – ce qui ne semble pas être le cas, malgré les 30 postes qui ont été accordés – je pense qu'il va falloir, dans le fond, quant à ces clientèles très vulnérables, il va falloir développer beaucoup plus de concertation entre les organismes publics de défense des droits et les organismes privés de défense des droits.

Donc, je vous dis que le grand défi, c'est d'être capables de faire des réformes qui ne compromettent pas ou qui n'aggravent pas la condition d'exclusion des personnes qui sont déjà exclues de par leur état physique ou mental.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Prévost.


Comptabilisation du nombre de plaintes

Mme Papineau: Bonjour, Me Jacoby. Je voudrais juste revenir au début de votre intervention, quand vous avez parlé du nombre de plaintes. Pour moi, c'est la première fois que j'ai l'honneur de vous entendre. Vous avez parlé de 28 333, j'imagine que ce sont et des demandes d'information, des réclamations et des plaintes. C'est ça?

M. Jacoby (Daniel): C'est ça.

Mme Papineau: Voilà. Alors, je me réfère au graphique 3 du volume que vous nous avez transmis. Sur ces 28 000... Là, j'ai 27 000, mais j'imagine que c'est le même montant. Moi, je veux aller surtout aux plaintes fondées, qui sont de 2 359. Quand vous nous avez donné les pourcentages des ministères, tantôt, comme ceux de plus de 50 %, est-ce que c'est par rapport aux plaintes fondées?

M. Jacoby (Daniel): Toujours.

Mme Papineau: Toujours. Donc, c'est parce que, moi, j'ai sauté quand vous avez parlé de pourcentages. Je trouvais ça très élevé. Sauf que, et je vous dis que, ne serait-ce qu'une seule plainte, on veut qu'elle soit traitée, mais quand vous avez parlé de 23 %, par exemple, les 23 % représentent combien de plaintes? J'aurais aimé avoir des chiffres autres que du pourcentage.

M. Jacoby (Daniel): Là, il faut travailler avec deux tableaux. Si vous prenez le tableau 5... D'abord, je dois vous dire que, sur une année, si je prends l'année 1996-1997 qui fait l'objet de ce rapport, cette année-là commence le 1er avril 1996 et se termine le 31 mars 1997. Dans cette année-là, il y a des plaintes qui sont entrées l'année précédente mais qui n'ont pas été traitées l'année précédente et qui vont être traitées en 1996-1997. Par ailleurs, il y a des plaintes qui entrent dans cette année-là. Pour certaines, elles sont traitées, pour d'autres, elles ne seront pas traitées. Donc, à la fin de l'année, elles peuvent être reportées dans le rapport 1997-1998. Alors, quand nous disons que nous avons 28 000 demandes de consultation ou réclamations, ça n'a pas de lien direct avec le nombre d'enquêtes complétées dans une année.

Je veux vous dire aussi que, moi, j'ai deux indicateurs – je dis bien «des indicateurs», ce ne sont pas des preuves – qui permettent de se poser des questions. Un, il y a le nombre de plaintes qui sont adressées par rapport à un organisme et l'évolution sur trois ans; ça baisse, ça monte. Le nombre de plaintes est un indicateur, mais ce n'est pas un indicateur parfait. Parce que, si je prends, par exemple, le domaine de l'aide sociale, la sécurité du revenu, alors qu'il y a quelque chose comme 10 000 000 à 12 000 000 de décisions qui sont prises dans une année, parce qu'à chaque mois il y a un état qui est envoyé, on doit vérifier l'admissibilité à l'aide sociale, il est évident que, si on reçoit 4 000, 5 000, 6 000 réclamations ou demandes d'information à la Sécurité du revenu, c'est tout à fait normal. Il se prend 13 000 000 de décisions dans l'année. Alors, c'est un indicateur qui est loin d'être parfait.

L'autre indicateur, c'est de dire: sur un nombre suffisant d'enquêtes complétées, est-ce qu'on peut porter un jugement? Le tableau auquel on réfère pour ce qui est des plaintes fondées, qui est le tableau 5... D'abord, quand j'allume un feu rouge ou un feu jaune ou un feu vert, c'est toujours dans un ministère ou organisme où on a eu au moins 20 plaintes avec enquête. Alors donc, quand on dit, par exemple, je ne sais pas, que le ministère des Relations avec les citoyens a connu plus de 50 % de plaintes fondées, c'est sur un certain nombre de dossiers, mais, encore, ce sont des enquêtes terminées au 1er avril 1997.

Voyez-vous, le tableau 5, je m'en vais à, par exemple, Relations avec les citoyens et Immigration – le tableau 5, c'est celui qui se déplie – en haut, c'est les ministères, et je m'en vais à la 12e ligne et j'arrive à Relations avec les citoyens et Immigration. Ce qu'on voit ici, on a une première colonne qui dit: Plaintes non fondées, 32; Plaintes fondées, 35; Autres demandes – ça, il s'agit soit de l'information, de demandes de consultation ou encore des dossiers qui sont référés aux instances appropriées – en traitement, ça, c'est les dossiers pour lesquels l'enquête n'est pas complétée, pour un total de 209. Alors, quand nous disons que le ministère des Relations avec les citoyens a connu, pour l'année passée, par rapport notamment à deux de ses programmes, plus de 50 % de plaintes, c'est seulement la combinaison des deux premières colonnes. Ça veut dire sur un total de 67 enquêtes qui ont été complétées, où on a porté un jugement sur le bien-fondé ou le mal-fondé de la plainte du citoyen. Et, comme vous le voyez ici, il y a eu 35 plaintes fondées, par rapport à 32 qui ne l'étaient pas. Donc, ça excède le 50 %.

Et dans le rapport, le prochain rapport qui va terminer l'année au 31 mars, les plaintes en traitement que vous voyez à Relations avec les citoyens, les 83, j'imagine que la plupart des enquêtes ont été complétées en cours d'année et donc apparaîtront comme étant fondées ou pas dans nos prochaines statistiques.

Mme Papineau: O.K, ça va. Je vous remercie beaucoup.

Mme Bélanger: Alors, M. le Président...

(11 heures)

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci. Mme la députée de Mégantic-Compton.


Utilisation des boîtes vocales

Mme Bélanger: ...dans les plaintes fondées et non fondées, je ne sais pas si on s'adresse au Protecteur du citoyen, mais, au bureau de comté, on a beaucoup de plaintes concernant les boîtes vocales, la fameuse technologie qui est en progression dans les ministères. Alors, on se plaint, que ce soit la RAMQ, que ce soit la Régie des rentes, que ça soit la SAAQ.

Les citoyens se disent confrontés à une boîte vocale qui dit: Si vous voulez avoir des informations en français, pesez sur le 1, si vous voulez avoir des informations en anglais, pesez sur le 2. Et, avant d'avoir le temps de peser sur les pitons, on nous énumère une panoplie de services, puis on n'a même pas le temps de comprendre ce qu'on veut au juste, là, parce que ça va tellement vite qu'on ne peut pas avoir l'information.

Et, pour avoir appelé de temps en temps au Protecteur du citoyen, je sais que vous n'avez pas de boîte vocale – pas encore, et j'espère que vous n'en aurez pas. Alors, est-ce qu'on peut constater, avec ce système-là, que les services gouvernementaux sont déshumanisés et que, au lieu d'investir des millions et des millions dans la haute technologie, on ne devrait pas plutôt investir dans les ressources humaines?

M. Jacoby (Daniel): Lorsque, au début de la séance, j'indiquais qu'en 1996-1997 23 % des plaintes fondées concernaient des difficultés d'accès aux services gouvernementaux, ça touchait principalement l'usage des messageries vocales. Et, sur cet aspect-là, il faut se rappeler que, il y a deux ans, nous avons déjà dénoncé... et nous avons même sorti une politique en 10 points. Parce que, moi, ma prétention: on ne peut pas être contre le progrès.

Mais, d'un autre côté, il ne faut pas mettre un outil qui n'en soit pas un à la disposition des citoyens. Ce qui fait qu'il existe des boîtes vocales que j'appellerais intelligentes, en ce sens qu'on n'est pas obligé de passer à travers tout l'éventail d'informations pour pouvoir parler à quelqu'un. Ça existe.

Nous avons des critères, et ces critères-là sont suivis dans quelques ministères et organismes, parce que ces critères ont été acceptés par la Direction des télécommunications du Conseil du trésor, qui agit comme conseil auprès des ministères pour l'instauration de ces fameuses boîtes parlantes. Mais on ne peut pas l'imposer, ce qui fait que, par exemple, je sais que, par rapport à nous, il y a des ministères ou organismes qui se sont adressés à nous, qui ont vérifié, qui ont adapté...

Je pense à la Régie des rentes. L'an passé, ils ont testé leur nouveau système de messagerie en fonction de nos 10 critères, et ils répondent aux 10 critères. Alors, là, il n'y a pas de problème. C'est sûr qu'on ne peut pas toujours parler à quelqu'un. Mais le problème, c'est qu'un des problèmes de cette messagerie vocale, c'est aussi qu'il se peut très bien qu'on puisse avoir accès pour parler à quelqu'un tout de suite, dès le départ, en appuyant sur le 9. Mais, si la ligne est toujours engagée, s'il est impossible de rejoindre quelqu'un, bien, ça ne sert absolument à rien.

Mme Bélanger: Me Jacoby, mais, par contre, quand on commence à énumérer la panoplie de services avant de nous dire: Si vous voulez avoir un contact avec une personne quelconque, appuyez sur le... Vous dites le 9, mais souvent c'est sur le 0. Puis là ils nous disent: Veuillez, s'il vous plaît, attendre. Quand quelqu'un sera disponible, on viendra. Puis là vous êtes 20 minutes au bout de la ligne à attendre, puis il y a de la musique, puis il y a d'autres informations qu'on nous donne. Mais, par contre, la personne âgée qui veut avoir une information quelconque, c'est impossible.

M. Jacoby (Daniel): C'est impossible. Je sais, ces systèmes ne sont pas adaptés pour les personnes en perte d'autonomie, les personnes âgées, et tout ça. Et je pense qu'il y a un problème très, très sérieux.

Maintenant, je dois vous dire que, quand je parle d'information déficiente dans l'appareil gouvernemental, c'est aussi dans ces appareils-là, parce que, faites des tests, des fois on ne vous le dit pas, on va vous le dire très loin à la fin des messages: Si vous voulez parler à quelqu'un, appuyez sur le 0. Mais appuyez donc sur le 0 dès le début, puis vous aurez la surprise parfois d'aller directement à un préposé. Mais, ça, on ne vous le dit pas, parce qu'on présume que vous êtes intéressé à entendre toute cette information puis que votre questionnement, ça sera par rapport à l'information générale qu'on vous donne.

Mme Bélanger: Mais, nous, maintenant, on le sait, puis je pèse sur le 0 tout de suite. Je n'attends pas après, là, «si vous voulez des informations en français, pesez sur le 1». Moi, je pèse sur le 0.

M. Jacoby (Daniel): C'est ça. Maintenant, je dois vous dire que nous savons très bien que quand les gens téléphonent dans les ministères et organismes, dans 80 % des cas, les gens ne téléphonent pas pour avoir des informations générales sur un programme. Ils téléphonent parce qu'ils veulent savoir où en est dans leur dossier ou comment présenter leur réclamation, des choses comme ça. Alors, toute cette information générale ne sert à rien. Elle est là mais ne sert à rien pour 80 % des gens.

Cependant, pour répondre, pour poursuivre dans le sens de votre questionnement, je dois dire qu'il n'y a pas seulement un problème de technologie. On peut avoir une technologie intelligente, comme il y a des boîtes vocales, maintenant, intelligentes, mais on aura beau avoir les boîtes vocales les plus intelligentes, si on manque de personnel...

Mme Bélanger: Contact humain.

M. Jacoby (Daniel): ...pour répondre au téléphone, on n'est pas plus avancé.

Je vais vous donner un bel exemple. Dans le dernier rapport annuel: Inspecteur général des institutions financières, plus de 80 % de plaintes fondées, 86 %. Les principaux problèmes à l'Inspecteur général, ça a été quoi? Ça a été la difficulté d'accès, parce qu'il n'y avait pas suffisamment de lignes puis pas suffisamment de préposés. Ça a pris deux ans, et là c'est réglé. Ça a pris deux ans. C'est réglé depuis quelques mois, depuis septembre. Qu'est-ce qui s'est passé? On a ajouté des lignes, mais on a remis du monde. Et voilà! Et là on n'a plus de problème avec... on n'a plus aucune plainte chez l'Inspecteur général.

Alors donc, technologie, c'est une chose, et puis les ressources humaines, c'est autre chose. Alors, ce ne sont pas que des problèmes d'accès à des gadgets technologiques.

Mme Bélanger: Merci.


Plaintes liées à l'évaluation médicale

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Je vais me donner la parole, puisque je m'étais inscrit. Ha, ha, ha!

Alors, Me Jacoby, il y a plusieurs aspects, moi, que je voulais aborder. Vous faites référence, d'ailleurs, à un certain nombre de cas dans votre rapport annuel, en regard de la CSST, de la Régie des rentes, on pourrait dire aussi de la Société de l'assurance automobile, et je dois vous dire aussi que, comme député d'une région, entre autres, éloignée aussi, on a souvent affaire à des citoyens aux prises avec ces organismes, ou ces sociétés, ou ces régies-là.

Parlons d'abord de la CSST. On reçoit régulièrement à nos bureaux, et je pense que c'est probablement le cas de mes collègues ici aussi, des gens où on découvre que, bon, il y a un médecin traitant, il y a un spécialiste auquel il est référé et, souvent, des spécialistes qui sont, dans leur milieu, souvent plus largement reconnus, et là c'est l'espèce de guérilla, j'appellerais, qui se pose pour ces victimes-là, soit des victimes d'accidents d'automobile ou des victimes d'accidents de travail ou de maladies professionnelles.

On a parfois des cas pathétiques, parce qu'il y a parfois des cas sur lesquels on travaille depuis trois, quatre ans, avec eux. Et même, dans certains cas, j'ai fait l'exercice, moi, de tenter une démarche auprès du Protecteur du citoyen. Malheureusement, on leur a dit qu'on ne pouvait pas nécessairement intervenir.

Est-ce qu'il y a un moyen, dans ces cas-là, Me Jacoby? En tout cas, moi, je n'ai pas la compétence ni le pouvoir d'arbitrer des décisions ou des chicanes entre professionnels de la santé. Mais, souvent et généralement, ces cas laborieux là et ces cas qui m'apparaissent carrément déraisonnables, quels sont les moyens... En tout cas, dans certains cas, j'ai référé ces gens-là, moi, au Protecteur du citoyen et, en quelque sorte, le Protecteur du citoyen leur dit: Bon, on ne peut pas intervenir.

C'est quoi, le pouvoir que vous avez, en quelque sorte, dans des cas où des gens d'un même ordre professionnel font en quelque sorte le yo-yo avec des victimes de maladies ou d'accidents?

M. Jacoby (Daniel): Bien, je dois dire que notre pouvoir est relativement limité, parce qu'il faut bien penser que, dans le contentieux des lésions professionnelles, il existe différents recours. Il y a des recours de type administratif, les bureaux de révision, la Commission d'appel, et notre loi ne nous donne pas toute la marge de manoeuvre quand il y a des recours à la disposition du citoyen.

Je vais laisser la parole à Me France Hudon qui pourra un peu expliquer de manière très précise les situations et les contraintes par rapport à ce type de clientèle que l'on traîne très longtemps.

(11 h 10)

Mme Hudon Szigeti (Frances): Une portion importante des citoyens qui ont des problèmes est effectivement en matière d'évaluation médicale. On se retrouve, comme vous avez pu le constater, avec les experts ou les médecins traitants d'un côté et les experts de l'employeur – il ne faut pas les oublier – et ceux de la Commission, dans certains cas.

Une des principales problématiques aussi, c'est que les rapports médicaux, les expertises médicales sont souvent pas très précises, en termes de relation; et, dans ce cas-là, si on a la possibilité, nous, de demander des précisions, lorsque tu te retrouves devant vraiment deux commentaires médicaux contradictoires, on n'a pas le choix que de laisser les tribunaux trancher. Alors, la plupart de ces cas-là sont référés à la CALP, maintenant qui va être la nouvelle Commission des lésions professionnelles. C'est vraiment une bataille d'experts à un moment donné. Mais ce qui est le plus grave, c'est qu'une portion importante des gens n'ont pas les moyens de se payer un expert médical et, bien souvent, finalement ont comme preuve médicale une preuve d'un médecin généraliste qui, lui, fait face à une batterie de médecins spécialistes provenant, disons, de l'employeur, par exemple.

Alors, malheureusement, il vient un moment donné où on n'a plus le moyen de contredire les expertises médicales, parce que ce n'est pas notre travail.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Non, sauf qu'on a des gens qui, à l'évidence, ont des problèmes de santé et se retrouvent en quelque sorte hors circuit et sans trop de moyens. C'est souvent aussi, suite à ça, toute la panoplie des problèmes socioéconomiques qui se posent pour ces victimes-là, et il y a des cas qui sont très pathétiques là-dedans.

Mme Hudon Szigeti (Frances): C'est une question qu'on est en train de regarder, et on a d'ailleurs fait certains commentaires à cet effet-là dans les autres rapports médicaux. C'est qu'il y a une portion importante de la population qui n'ont pas justement les moyens, et encore plus dans le contexte de l'appauvrissement de la population.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Comme député, je n'ai pas à vous dire, en fait, sur quoi votre rapport doit porter, mais il me semble que, par rapport à ces problématiques-là, il y a des éléments, en tout cas, qui nous posent des questions comme élus, nous, dans nos milieux, et sur lesquels on est en quelque sorte pratiquement aussi démunis que les victimes. On peut bien faire des représentations, questionner, lorsque les citoyens qui viennent nous voir, de toute façon, nous donnent des procurations, des autorisations... Mais il y a, face à ces situations-là, des gens qui vont invoquer à un moment donné un problème congénital que personne n'a connu, par exemple au niveau des problèmes de colonne vertébrale, ou des choses comme ça. En tout cas, comme député, moi, je n'ai pas la compétence de questionner le bien-fondé, d'invoquer toujours la congénitalité. Mais il me semble qu'on a peut-être, en termes de processus, des choses à rappeler là-dessus.

Il y avait d'autres éléments aussi. Je regarde au niveau de la Régie des rentes. On vit aussi parfois des problèmes de gens qui sont devenus inaptes au travail, des gens, par exemple, sévèrement cardiaques, mais, pour toutes sortes de raisons, on ne leur reconnaît pas en quelque sorte cette invalidité-là, alors qu'on a, là-dessus aussi, des avis de médecins qui nous disent: Il ne peut pas physiquement travailler, le handicap est trop sévère. Et que ce n'est pas reconnu.

Moi, je m'interroge toujours: Comment peut-on et comment, avec vous, peut-on s'arranger pour faire avoir justice à ces gens-là, en quelque sorte, la reconnaissance de leurs droits?

M. Jacoby (Daniel): Oui. Je dois vous dire que c'est une problématique générale dans tout mécanisme, soit de compensation ou les mécanismes d'indemnités, de rentes et toutes ces choses-là, parce qu'il y a toujours la question médicale qui prend le dessus. Qu'il s'agisse des rentes pour invalidité de la Régie des rentes, qu'il s'agisse des victimes d'accidents du travail ou des victimes d'accidents de la route, c'est une problématique qu'on retrouve partout. Moi, je pense qu'il y a un certain déséquilibre des forces qui est accentué par le fait que ces gens qui sont là, ils perdent tout, et ça va jusqu'à perdre, dans certains cas... Tout! Quand je vous parle de tout, c'est la vie familiale, tout. Il y a un problème majeur.

Je dois vous dire que, là-dessus, on est très préoccupés. Je dois vous dire que, d'un côté, nous avons enclenché une étude systémique sur la SAAQ, par rapport à différents problèmes que rencontrent les victimes d'accidents de la route. Mon intention, également, en cours d'année, dès que les disponibilités nous le permettront, c'est de regarder toute la problématique à la CSST et à la Régie des rentes. Il y a aussi – ce qui s'est ajouté – les restrictions qui ont été apportées à l'aide juridique. Il y a tout un ensemble de facteurs qui aggravent les situations actuellement.

Alors, moi, pour le moment, je ne peux pas vous en dire plus, mais il est certain que ces questions vont être étudiées par nous en cours d'année parce que c'est une problématique. Quand on parle d'exclusion de personnes vulnérables, voici des situations – et sans vouloir porter de jugement sur le fond d'un dossier – qui n'ont pas de sens, parce que le temps joue toujours contre le monde d'une manière ou d'une autre. Alors, on va, sous ces angles-là, regarder ça de manière globale, et je pense que ça va répondre à... On est déjà intervenus l'an dernier, lorsqu'il y a eu la loi n° 79, sur toute la question de l'arbitrage médical. Mais enfin, notre intervention était sur le projet de loi comme tel, mais on va aller plus loin que ça.


Amélioration des communications avec les citoyens

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Un dernier élément sur lequel je voulais revenir: dans votre présentation, vous avez évoqué tout à l'heure, d'une part, l'interprétation peut-être de plus en plus stricte de règles ou de règlements ou de lois, au niveau de l'administration de ces lois-là à l'égard des citoyens, et, d'autre part, un certain nombre de problèmes de communication. Mme la députée de Mégantic-Compton a particulièrement mis l'accent sur les problèmes de communication électronique, ou les moyens électroniques de communication, qui posent problème à certaines clientèles. Mais, moi, il y a l'autre dimension, qui est peut-être... Et vous avez évoqué en quelque sorte des aspects liés peut-être aux structures, au niveau des services aux citoyens. Moi, je me demande si, en quelque sorte, les problèmes que vous évoquez au niveau de la communication entre les citoyens et l'appareil public, c'est tant un problème de structures qu'un problème de formation.

Je m'explique là-dessus. On va voir des gens qui sont, dans beaucoup de domaines – et c'est de plus en plus le cas, que ce soit dans le secteur public ou privé ou partout – on va miser souvent sur la formation très pointue des gens en regard d'un emploi, et, à côté de cette dimension-là, dans le travail à exécuter, il y a des relations à des citoyens, à des clientèles, à des usagers et usagères qui sont des relations qui sont forcément importantes. Souvent, les gens n'ont malheureusement pas tout l'encadrement ou la formation liés aux relations interpersonnelles. Est-ce qu'il n'y a pas là un travail, je pense, important à faire, lorsqu'on parle d'amélioration des relations de l'ensemble des services publics avec les citoyens, cette dimension-là de la formation?

Je sais que, dans les années soixante-dix, un certain accent était mis là-dessus, que ce soit dans la fonction publique ou dans les organismes parapublics ou péripublics. Il me semble qu'on a mis, au cours des dernières décennies, moins l'accent là-dessus, sur cette dimension-là de la relation avec les citoyens, la question de la interpersonnelle. Et est-ce qu'il n'y a pas, en quelque sorte, là, le moyen d'améliorer, justement, cette approche aux citoyens?

(11 h 20)

M. Jacoby (Daniel): Bien, c'est un des éléments que je soulève à l'occasion, la relation entre le citoyen et le fonctionnaire. La compétence ne suffit pas, il faut être capable de transiger. Mais, le problème c'est que... Bien sûr qu'il se donne de la formation – comment répondre à des clients, particulièrement comment répondre à des clientèles difficiles, parce qu'il y a des clientèles difficiles – je sais que chez nous, régulièrement, nous avons de la formation sur comment aborder des clients difficiles. Et c'est des cours qui sont très, très, très prisés, chez nous, et qui donnent de très bons résultats. Mais, vous savez, le problème, c'est un problème qui est très général, qui n'est pas un problème propre aux services publics, qui est un problème qu'on retrouve dans le privé. Régulièrement, on se fait bardasser dans le privé. Des fois, je me dis que, même, dans le public, c'est souvent mieux.

Mais je pense que, bien sûr, il y a ça, mais il y a aussi l'autre fait. C'est que souvent les fonctionnaires qui sont derrière le comptoir, qui donnent le service de première ligne, n'ont pas ce qu'il faut pour leur permettre d'exercer leur jugement. En d'autres termes, les directives, souvent, sont tellement ténues qu'ils n'ont pas le choix que de dire non ou de dire oui. On laisse très peu à l'imagination. On a deux types de services au comptoir. Dans certains cas, on en donne trop, la discrétion n'est pas balisée, donc ça peut donner lieu à des abus; dans d'autres cas, on enfirouâpe le fonctionnaire dans un livre de recettes puis, en dehors du livre, point de salut pour le citoyen.

Alors, c'est un ensemble de problématiques. Il y a la problématique, donc, du pouvoir discrétionnaire, il y a aussi le problème du classement des fonctionnaires. Moi, je peux constater, par exemple, si je prends l'exemple de la curatelle publique, sur lequel nous sommes actuellement, qu'il n'y a pas suffisamment... les responsables clients sont de niveau technicien – et ce n'est pas péjoratif, quand je dis ça – et ils ne sont pas encadrés par personne. Or, souventefois, les besoins qu'a la population quand ils s'adressent à la curatelle publique, ils exigent une intervention de nature professionnelle et non pas simplement un service un peu mécanique, et ainsi de suite. Alors, les situations varient selon les ministères, les organismes.

Je prends, par exemple, toute la question du parrainage en matière d'immigration. L'on sait que, particulièrement dans la région de Montréal, mais ailleurs aussi, il y a beaucoup de contrats de parrainage. Et ce que l'on découvre, c'est qu'il y a de la violence familiale qui fait en sorte que la personne, la femme, par exemple, qui avait fait venir son mari ou la personne qu'elle avait mariée ou la personne avec qui elle veut cohabiter, peu importe, il y a de la violence, et la marraine qui s'est engagée à rembourser le gouvernement pour l'aide sociale est obligée de rembourser malgré la violence pratiquée. On obtient maintenant, il y a une politique qui fait en sorte qu'on a adouci les choses. Mais, pour ça, dans ce domaine de la violence familiale, ça prend des fonctionnaires qui sont capables de déceler si oui ou non il y a de la violence dans tout ça. Ce n'est pas spontané, particulièrement chez les victimes de violence, de se livrer et de dire: J'ai fait l'objet d'une agression de la part de mon chum ou de mon mari. Ces choses-là.

Là, nous avons recommandé à l'Immigration de former du monde pour pouvoir détecter ce genre de situations. Ce qu'ils ont fait, et ainsi de suite. Ce que je veux vous dire, c'est qu'il n'y a pas de recette générale. Il faut prendre chaque service comme un cas d'espèce. Il n'y a pas deux services qui rendent les services à la population de la même manière.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci. Mme la députée de Bourassa.


Contrôle des ressources d'hébergement opérant sans permis

Mme Lamquin-Éthier: Merci, M. le Président. J'aimerais, si vous me le permettez, faire référence à la page 49 du rapport spécial, Le Curateur public et les droits de la personne inapte , Sainte-Foy, 21 novembre 1997, où vous dites que «tant le ministère de la Santé et des Services sociaux que l'ensemble des régies régionales ont maintes fois dû réagir aux dénonciations portées par un grand nombre de personnes intéressées et des groupes de pression eu égard aux résidences privées qui opèrent sans permis». Vous dites: «Manifestement, on n'est pas, pour le moment, disposé à agir et le tout traîne d'études en analyses et rapports.» Effectivement, c'est une problématique qui est importante. C'est un réseau qui est en pleine croissance. C'est un réseau, encore là, qui n'est pas balisé, normé, et beaucoup de personnes n'obtiennent pas la satisfaction de leurs besoins. Vous aviez recommandé que le ministère de la Santé et des Services sociaux adopte une politique de contrôle des ressources d'hébergement opérant sans permis. Est-ce qu'on a été sensible à cette recommandation? Est-ce qu'on l'a suivie? Où en est-on à cet égard?

M. Jacoby (Daniel): Alors, c'est comme pour l'autre recommandation sur la désins. Le rapport a été publié le 21 novembre. Il y a eu les Fêtes, et là j'ai relancé le ministère pour qu'on commente les différentes recommandations qui s'adressent directement au ministère de la Santé. Alors, ça fait partie de ces recommandations, et, comme je le disais tout à l'heure à votre collègue, je m'attends, d'ici trois semaines, un mois, à avoir des commentaires ou des premiers commentaires sur l'ensemble des recommandations que j'ai adressées au ministre.


Régime d'assurance-médicaments

Mme Lamquin-Éthier: Dans votre rapport soumis à l'Assemblée nationale, le 27e rapport, en ce qui a trait à la mise en place du régime d'assurance-médicaments, à la page 82, vous déplorez l'insensibilité de l'administration qui, à ce jour, ne s'est limitée qu'à établir l'étalement mensuel. Est-ce que vous considérez qu'il sera possible, compte tenu des recommandations que vous avez faites, d'en arriver à assurer à l'ensemble de la population du Québec un accès raisonnable et équitable aux médicaments requis par leur état? Ou est-ce que, dans les faits, des personnes vont encore être déchirées entre le choix d'un médicament, du loyer et des aliments ou d'autres dépenses?

(11 h 30)

M. Jacoby (Daniel): Bon, si on fait un bref historique, la loi est entrée en vigueur dès le mois d'août 1996 et touchait dans un premier temps les personnes âgées et touchait également les personnes sur la sécurité du revenu. Nous avions dit, à l'époque, qu'il y aurait des problèmes pour les personnes les plus démunies de la société, et nous avons demandé que des adoucissements soient apportés. Finalement, le ministre a modifié la loi l'an dernier pour faire en sorte que les paiements ou les versements soient mensuels plutôt que sur une base trimestrielle, ce qui, selon moi, règle une bonne partie des problèmes.

Cependant, ce que nous continuons à constater, c'est que ça ne réglera pas le problème de toutes les personnes démunies. On note une baisse de consommation qui varie de l'ordre de 28 % à 30 % dans certaines couches de la population. Nous sommes en contact, aussi, avec différents organismes régionaux qui actuellement essaient de faire la démonstration que les modifications ne règlent pas tous les problèmes. Il y a une étude qui a été, je crois, demandée par le ministre et confiée à l'Université McGill sur la question de la sous-consommation, et ainsi de suite. Alors, moi, ce que je peux vous dire à première vue avec l'expérience que nous avons et le type de plaintes que nous recevons, c'est qu'il faudra aller un peu plus loin pour des catégories de personnes très démunies, parce que ça peut vouloir dire des choix cruciaux entre la santé ou la maladie, quand on n'a pas les moyens. Ça a l'air de rien, un 10 $, un 15 $ pour des gens comme nous qui recevons un traitement à tous les 15 jours, et tout ça, mais, si je prends le cas d'une famille qui vit sur la sécurité du revenu, ou si je prends le cas d'une personne âgée qui a un supplément de revenu garanti partiel, quand on est rendu à la fin du mois, on sait très bien, l'expérience montre qu'on n'a plus d'argent après la troisième semaine. Et la dernière semaine, c'est terrible s'il faut à ce moment-là débourser de l'argent.

Alors, il y a vraiment, je pense, pas dans un esprit, je veux dire... dans un esprit de corriger un peu les excès de cette réforme-là par rapport à certains types de personnes démunies, je pense qu'il y aura lieu de revoir la situation. Et, à cet égard, je dois vous dire que nous attendons l'étude qui a été commandée à l'Université McGill sur la question de la sous-consommation pour certaines catégories de clientèle.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Frontenac.


Surpopulation dans les centres de détention et libérations hâtives

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Je voudrais aborder avec M. le Protecteur du citoyen le deuxième sujet que tout à l'heure j'avais à l'esprit, mais je ne l'avais pas indiqué; on a parlé de la désinstitutionnalisation. Je voudrais maintenant – et vous en avez parlé dans votre rapport, M. le Protecteur du citoyen – parler de la surpopulation carcérale, la liberté illégale, sujet extrêmement préoccupant, qui devrait être préoccupant pour le ministre de la Sécurité publique et son gouvernement. Ce n'est pas le cas. Moi, j'en parle depuis trois ans, et la seule réponse qu'a trouvée le ministre de la Sécurité publique hier, que je questionnais sur d'autres phénomènes de la surpopulation, c'était que je m'entêtais et avec lui et avec ses prédécesseurs à soulever cette question-là.

Il y a à tous les jours, partout au Québec, des condamnés à des peines de deux ans moins un jour – parce qu'on parle évidemment du réseau des centres de détention sous la responsabilité du gouvernement du Québec. Donc, ceux qui se retrouvent dans ces centres de détention là ont été condamnés à des peines inférieures à deux ans moins un jour. Il y a à tous les jours des ex-prisonniers... Ils sont ex-prisonniers parce qu'ils se retrouvent en liberté illégale, tous les jours. Et il y a plein de citoyens qui en côtoient, que ce soit dans nos grands centres, Montréal, Québec, des villes de moyenne taille, Sherbrooke, Drummondville. À tous les jours, il y a des citoyens qui côtoient ces gens en liberté illégale, sans même le savoir. Malheureusement, dans certains cas, il y en a qui en paient le prix.

J'ai soulevé, en décembre dernier, le cas absolument dramatique d'une dame de 57 ans qui s'est retrouvée face à face avec un de ces voyous qui était en liberté illégale, carrément en liberté illégale, un récidiviste notoire avec une feuille de route longue comme le bras de crimes de violence de toutes sortes, violence sur la personne, violence sur des femmes. Et voici que cette dame de 57 ans a été présumément – parce qu'il y a eu une accusation de portée, puis il y a la présomption d'innocence – violée par un récidiviste en liberté illégale.

Ça, c'est, quant à moi, le cas le plus révoltant qui ait été rendu public à date en regard du phénomène de la liberté illégale. Pourquoi il y a de la liberté illégale, et de plus en plus? Ça tient au phénomène des compressions, à l'élimination de six centres de détention, à moins de places dans nos centres de détention, nécessairement, à une augmentation de la violence, à une augmentation du crime violent au Québec. Et, parce qu'on a supprimé des places, on trouve toutes sortes de trucs pour essayer de maquiller la réalité de la surpopulation carcérale. Il y moins de places, il y a plus de prisonniers. Il y a évidemment un débordement, puis c'est ça qu'on appelle «la surpopulation carcérale».

Alors, on a trouvé le truc suivant, M. le Président, de placer dans des cellules bâties pour un prisonnier deux prisonniers. Mais ce qui est absolument fantastique, incroyable, scandaleux, c'est que le ministère de la Sécurité publique supprime des places; parce qu'il y a moins de places, on met deux prisonniers dans une même cellule... Là, on en est rendu à trois. On est rendu à trois, à Bordeaux. Il y a des prisonniers qui couchent sur des matelas de façon temporaire. Un, c'est carrément inhumain en regard des prisonniers eux-mêmes, qui ont des droits, ces gens-là – c'est l'Organisation des Nations unies, en 1948, qui a statué sur l'espace minimal auquel a droit un prisonnier – mais qui crée une tension épouvantable. Ce sont des phénomènes de violence que l'on met en place. Alors, on supprime des places; parce qu'on a moins de places, deux prisonniers par cellule. Et c'est ça qui devient incroyable, M. le Président, c'est qu'on invoque, après avoir placé deux prisonniers par cellule, des raisons humanitaires pour libérer avant le sixième de la peine plein de prisonniers à tous les jours.

On crée le problème en éliminant des places; on place deux prisonniers dans un même cellule; après ça, on invoque les causes humanitaires en disant: Ça n'a pas de bon sens, deux prisonniers par cellule, donc on va en libérer un. C'est incroyable! C'est absolument incroyable!

La population est moins alertée par cette situation inacceptable qu'on l'est dans le secteur de la santé, M. le Président. Pourquoi tous les Québécois sont préoccupés par l'effondrement de notre système de santé? C'est que tous les Québécois savent, pensent, comprennent qu'un jour ou l'autre ils auront besoin de soins de santé; à un certain âge pour certains, à un âge plus avancé pour d'autres. C'est pour ça que tous les Québécois sont extrêmement préoccupés. La population est très préoccupée par notre système de santé. On l'est moins par le phénomène de la surpopulation carcérale, par la liberté illégale parce qu'on se dit: Ça ne me regarde pas. On oublie cependant – je parle de la population en général – qu'à n'importe quel moment on peut se retrouver face à face avec un prisonnier en liberté illégale, avec tout ce que ça comporte de danger.

Cette situation-là que je viens de résumer assez rapidement a été dénoncée par plein d'intervenants, plein d'intervenants, qui dans certains cas ont eu le courage de le dire. Je pense à Richard Pelletier, ex – je dis bien «ex» – directeur du Centre de détention de Québec. Lui, ça lui a coûté son poste. Alors, en février 1997, il a lancé un cri d'alarme, que la prison de Québec suffoquait, qu'il y avait des sorties prématurées. Une sortie prématurée, c'est une sortie illégale.

Puis on parlait de libération illégale en regard de prisonniers condamnés pour des infractions graves: voies de fait, violence de toutes sortes, offense contre les biens. Contrairement aux ministres qui ont essayé de faire croire à la population et à leurs collègues – je pense au ministre Perreault puis au ministre «Kid Kodak» de la Justice, le député de Laval-des-Rapides, aujourd'hui ministre de la Justice – que c'était pour des billets d'infraction, pour des infractions mineures. C'est faux! La liberté illégale existe pour des cas très graves, des cas de récidive, des récidivistes violents. À tous les jours, il y a de ces gens-là qui se retrouvent en liberté illégale.

Richard Pelletier a dénoncé la situation; ça lui a coûté son poste. Il a été déplacé récemment. Il n'est plus directeur du centre de détention. Richard Pelletier avait été bâillonné l'an dernier. On a commencé par le bâillonner puis, après ça, on l'a déplacé. Il a quitté la direction du Centre de détention de Québec il y a un mois. Alors, ça, c'était en février, à quelque part. On a déplacé M. Pelletier parce qu'il avait dénoncé les risques croissants en prison. Bout de texte que j'ai sous les yeux.

Cette situation-là a été dénoncée également par le Syndicat des agents de la paix, qui ont dit de toutes sortes de façons, dans des lettres qu'on a adressées au ministre, dans des points de presse, dans des déclarations publiques... Je pense au président du Syndicat des agents de la paix, Réjean Lagarde, qui disait qu'à tous les jours, à cause de compressions budgétaires, il y a des prisonniers qui sont libérés illégalement. Ça ne dérange pas le gouvernement, ça. Ça ne dérange pas le premier ministre d'aucune façon, parce qu'il pense que ça ne se sait pas.

(11 h 40)

Il devrait écouter de temps en temps Gilles Proulx, puis il devrait écouter de temps en temps Claude Poirier. Non, non. Non, non, non. Ils dénoncent, ces gens-là, avec André Arthur et d'autres animateurs.

Des voix: ...

M. Lefebvre: Ah! Quand ils vont trop loin, ils vont trop loin, mais de temps en temps ils disent des choses qui sont vraies, ces gens-là. Ils dénoncent la liberté illégale, que les ministres tentent de maquiller avec la complicité des députés qui se ferment les yeux et qui n'en entendent pas parler, ou qui n'ont pas compris la situation, purement et simplement, M. le Président.

Les juges de la Cour d'appel ont dénoncé la situation. Les juges de la Cour d'appel, après que les juges de première instance de la Cour du Québec, le juge Dionne, entre autres, qui s'est retrouvé face à face avec un détenu condamné pour une infraction quelconque, qui avait été condamné deux jours avant à trois mois de prison... Condamné à trois mois de prison, deux jours plus tard, il se retrouve devant le juge pour une autre infraction. Le juge Dionne avait de la misère à en croire ses oreilles.

Les juges de la Cour d'appel ont dénoncé la situation. Et vous, M. le Protecteur du citoyen, vous dites dans votre rapport, à la page 47... et le Protecteur du citoyen n'est pas attaquable dans sa crédibilité, dans son objectivité. Ce n'est pas un animateur de radio, là, dont on pourrait à l'occasion craindre les excès.

De l'avis du Protecteur du citoyen, le cumul... Au cas où mes collègues d'en face, au cas où le ministre de la Sécurité publique, qui trouve normal qu'on retrouve trois prisonniers par cellule... Il dit: C'est normal. C'est temporaire. Ça se «peut-u»? C'est temporaire. Alors, parce que c'est temporaire, c'est acceptable, trois prisonniers par cellule, à Bordeaux, pour réaliser les compressions imposées par le ministre de la Sécurité publique, qui en même temps a aménagé une cellule ou une petite prison particulière pour le chef présumé des Hell's Angels accusé du meurtre de deux agents, deux gardiens de prison, dans la prison Tanguay, la prison des femmes à Montréal. Ça a coûté 1 000 000 $, une petite bagatelle de 1 000 000 $! Et, en même temps, on va éliminer, on s'apprête à éliminer un certain nombre de gardiens de prison, augmentant nécessairement et conséquemment la pression, l'inquiétude, la peur, dans certains cas.

Pas de problème! Tout ce qu'on souhaite, c'est que ça ne se sache pas. Tout ce que souhaite le ministre de la Sécurité publique qui, lui, obéit pas à peu près à Jean-Roch Boivin, conseiller du premier ministre en matière de police.

Vous voulez savoir où je veux arriver, là? À la recommandation 47, que vous n'aviez pas lue, justement. Je vois bien que vous n'aviez pas lu la recommandation 47, ou le commentaire, à la page 47, du Protecteur du citoyen. Voyez-vous, je savais que Mme la députée ne l'avait pas lue. Je le savais, parce qu'elle me demande où je veux en venir.

Le Protecteur du citoyen parle abondamment de la surpopulation carcérale et de la liberté illégale. Je le savais qu'elle ne l'avait pas lue, Mme la députée.

Une voix: Non, non, non!

M. Lefebvre: De l'avis du Protecteur du citoyen, le cumul – la fermeture de six centres de détention, la réduction du personnel des centres, des compressions budgétaires, des changements de priorités et des pratiques administratives – risque de créer un dérapage du système carcéral au point de mettre en péril la sécurité du public.

Ce n'est pas l'opposition qui dit ça. Le Protecteur du citoyen a fait part au sous-ministre de la Sécurité publique de ses appréhensions.

La libération hâtive. «En effet, toutes les semaines, des centaines de personnes sont libérées illégalement, avant même d'avoir purgé le sixième de leur sentence, par manque d'espace dans les centres de détention.» C'est ce que je viens de décrire. C'est la situation que l'on vit à tous les jours. Le gouvernement viole ses propres lois, l'exécutif viole les lois votées par les membres de l'Assemblée nationale, par le pouvoir législatif.

M. le Protecteur du citoyen, est-ce que vous ne croyez pas, compte tenu de tous ceux et celles qui ont dénoncé la situation que vous dénoncez, vous, de façon très claire, sans réserve, dans votre rapport annuel, est-ce que vous ne croyez pas, compte tenu de la gravité de la situation, de l'urgence d'agir, de l'attitude sourde des trois ministres de la Sécurité publique qui sont en poste depuis 1994, le député de Laval-des-Rapides, le député Robert Perreault, député de...

Mme Bélanger: Mercier.

M. Lefebvre: ...le député de Mercier et le député actuel, le ministre de la Sécurité publique, le député d'Anjou... Et la situation va en s'aggravant. Il y a déjà des indications que dans le système carcéral, dans le réseau des centres de détention du Québec, il y aura des compressions additionnelles. Est-ce que vous ne croyez pas, M. le Protecteur du citoyen, qu'on devrait enquêter le système de façon publique par le biais d'une commission d'enquête publique? Bien, ça pourrait au moins éclairer mes collègues d'en face qui trouvent ça drôle.

Mme Leduc: ...n'importe quoi sur nos attitudes sans que...

M. Lefebvre: Ils trouvent ça drôle. Non, non, vous trouvez ça drôle.

Mme Leduc: Il n'y a personne qui a ri ici. M. le Président, j'en fais appel à vous. Est-ce qu'il peut interpréter nos attitudes, supposer qu'on n'a pas ri et supposer que je ris, parce que je n'ai pas ri?

M. Lefebvre: Oui, oui, absolument.

Mme Leduc: Alors, s'il vous plaît, tenez-vous-en à la vérité. C'est difficile pour vous, je le comprends.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Mille-Îles, un instant.

Mme Bélanger: C'est madame qui a ri.

Mme Leduc: Bon. Bien, il a dit: Les collègues d'en face.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Frontenac, il est interdit de prêter des intentions à quelque collègue que ce soit, et vous le savez. Depuis le temps que vous êtes en politique, cette...

M. Lefebvre: M. le Président, on ne fera pas un plat de tout ça. Qu'un député sourie pour des raisons que je peux ignorer, parce qu'il n'a pas saisi, parce qu'il n'a pas compris ou, je ne sais pas, ça peut être ça aussi.

Est-ce que, M. le Protecteur du citoyen, il n'y aurait pas lieu d'enquêter, de questionner la situation dans le système carcéral, compte tenu de la gravité qu'un tel état de fait peut représenter pour le public en général, pour les honnêtes citoyens et citoyennes du Québec qui payent des impôts, qui ont le droit d'être protégés, dans un premier temps, par le gouvernement qui ne fait pas son travail?

Et, essentiellement, toute cette situation-là tient, vous l'avez dit tout à l'heure, M. le Protecteur, lorsqu'on parlait du phénomène de la désinstitutionnalisation, strictement à des questions d'argent. Il y a des missions qui sont sous la responsabilité de l'État qui doivent en tout temps: la santé, l'éducation, la justice et la sécurité publique, la protection du citoyen... on peut les placer dans un ordre ou l'autre, quant à moi, elles sont toutes aussi importantes. La santé, l'éducation, la justice et la sécurité publique, la protection du citoyen, ce sont des missions qu'en aucune circonstance l'État ne doit abandonner ou abdiquer ne serait-ce que partiellement.

Il m'apparaît qu'il faut un débat public sur la situation en milieu carcéral, celle que je viens de décrire, celle dont vous parlez dans votre rapport à la page 47. Et, pourquoi pas, comme Mme la députée disait tout à l'heure... ce n'est pas écrit nulle part, je suggère une commission d'enquête, et elle disait: Une autre. Bien oui, bien oui, c'est un gouvernement qui était enfargé dans toutes sortes de situations, et la seule façon de dénouer l'impasse, comme on l'a fait avec l'enquête Poitras, c'est l'enquête publique. L'enquête publique Poitras, du juge Lawrence Poitras, est en train de nous révéler des situations que, moi – je travaillais dans le dossier quotidiennement – je n'aurais jamais soupçonnées.

Jamais, jamais, jamais on aurait pu imaginer un tel fouillis à la Sûreté du Québec et à la haute direction de la Sûreté du Québec s'il n'y avait pas eu une enquête publique. Oui, ça coûte cher, mais lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen, lorsqu'un gouvernement fait la sourde oreille à tous les intervenants et au Protecteur du citoyen, est-ce que, M. le Protecteur du citoyen, on n'en est pas arrivé à la situation où c'est la seule possibilité de dénouer l'impasse et qu'on sache ce qui se passe vraiment et ce qu'il faut faire?

Mme Bélanger: Voilà où il voulait en venir.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, Me Jacoby.

(11 h 50)

M. Jacoby (Daniel): Alors, je dois vous dire que la question de la sécurité du public est une question extrêmement sérieuse et grave. Il y a quelques mois, j'écrivais au ministre de la Sécurité publique en lui annonçant que je faisais une enquête globale sur la question. Et je disais au ministre, à l'époque – et je vais vous lire un passage – «Sans vouloir être alarmiste – je parlais de la sécurité du public – je crois que la situation risque de compromettre la sécurité publique. Si de mauvaises évaluations sont faites, si une erreur se glisse, des détenus qui constituent une menace pour la société peuvent être libérés bien avant terme sans possibilité de bénéficier de programmes de réinsertion sociale à l'intérieur du centre ou par des ressources alternatives. C'est dire que les risques de délinquance augmentent. En conclusion, écrivais-je, je considère que la situation est grave sous plusieurs angles et qu'il convient de regarder l'ensemble pour minimiser les risques et notamment développer le recours aux ressources alternatives. Je comprends que la situation budgétaire doit nécessairement entraîner des contraintes, mais encore faut-il, vous en conviendrez, en minimiser les effets préjudiciables avant que ne soit compromise la sécurité des détenus, du personnel et de la population. Rappelons que, lorsque des sentences imposées par les tribunaux aux citoyens qui enfreignent les lois ne sont pas respectées, c'est le principe démocratique de la primauté du droit et de l'égalité de tous devant la loi qui est battu en brèche.»

J'ai donc, il y a quelques mois, avisé le ministre de mon intention de faire une enquête, que nous appelons, dans notre jargon, au Protecteur du citoyen, systémique, devant l'augmentation des plaintes, et particulièrement l'augmentation des plaintes fondées, dans les grands centres de détention. En somme, nous allons toucher à tous les aspects de la vie carcérale. Il faut penser que – je peux vous dire tout de suite un peu un aperçu de ce qui s'en vient en termes de diagnostic, non pas en termes de recommandations, on est en train de travailler sur des recommandations – ce que nous constatons, c'est que les contraintes et les pressions sur les services carcéraux, notamment les pressions sur l'ensemble du personnel, à cause des réductions, font en sorte que le personnel n'est plus en mesure de respecter les lois et n'est plus en mesure de respecter ses propres directives. C'est une situation alarmante. Et nous allons en faire la démonstration.

Ça se traduit par des élargissements prématurés, des sanctions disciplinaires déguisées, des plans d'intervention qui ne sont pas suivis; et, derrière tout ça, il y a le problème de la surpopulation. Il faut dire que le problème de la surpopulation n'est pas un phénomène nouveau. Ça a existé dans les années 1980 et ça causait des problèmes. Mais à cela s'ajoutent le fait qu'il y a eu des changements radicaux au niveau de la population carcérale et aussi le fait qu'il y a eu la fermeture de six centres. Il y a eu des changements dans la clientèle de la population carcérale. Par exemple, on a le phénomène des gangs, aujourd'hui, qui transposent à l'intérieur des murs leurs règles de violence et de trafic de drogue. C'est un phénomène assez récent. Il y a le développement de la toxicomanie dans les centres de détention, drogues et alcool.

Il y a des études qui ont été effectuées à l'interne et qui montrent que 50 % des personnes sondées à l'intérieur des centres disent consommer plus de 15 consommations par semaine de un ou deux toxiques. Il y a une autre étude qui montre que dans les prisons 30 % de la population est atteinte de problème ou de handicap mental. Les conditions se détériorent, je dois l'admettre, de la manière suivante – on en voit les effets, la pathologie ou les symptômes – des transferts fréquents de détenus pour des raisons de ressources, des transferts massifs qui compromettent toujours la réinsertion sociale.

Il n'est plus possible de faire de la réinsertion sociale dans nos centres de détention. Il faut penser que dans nos centres de détention vous avez 60 000 personnes qui, bon an mal an, entrent et sortent, au Québec, avec un certain nombre de lits, de places, autour de 3 000. Il faut penser que la durée de séjour est de deux mois. Il faut penser qu'il y a à peine le quart des détenus qui font plus de trois mois.

Mais tout le virage qui a été amorcé il y a quelques années, il y a deux, trois ans, d'un côté, on s'est dit: On doit faire un virage pour favoriser la réinsertion sociale des détenus, et en même temps, bien sûr, on fermait certains centres de détention, misant sur le fait qu'on allait développer des ressources alternatives. Le problème qui se passe dans tout ça, c'est que l'intention était louable et bonne et souhaitable, et tout ce qu'on voudra, mais ne s'est pas opérationalisée. Alors, nous assistons à des problèmes énormes. Il y a eu des coupures au niveau des professionnels, par exemple. Des coupures au niveau des agents de maîtrise, des coupures qui font en sorte que la charge de travail de tout le monde a augmenté.

Savez-vous qu'on n'est plus capables, dans certains centres, de jour, de s'occuper de réinsertion sociale? On fait ça le soir quand on peut, quand on a le temps. Pas dans les meilleures conditions.

Alors, ce que je peux vous dire, c'est que je ne peux pas répondre à la question de savoir si une commission d'enquête publique pourrait régler le problème. Moi, ce que je vous dis comme Protecteur du citoyen, à partir des plaintes que j'ai reçues, à partir de nos concertations que nous faisons avec nos ONG qui s'occupent de la défense des droits des détenus, à partir de tout ça, nous avons observé des choses, et nous allons produire un rapport entre le 15 mai et le 15 juin – je ne peux pas vous donner la date précise – de cette année sur l'ensemble de la problématique. Et il y aura des recommandations très précises par rapport aux problématiques vécues par les services carcéraux.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Prévost.

Mme Papineau: Non, je voulais juste... Allez-y....

M. Lefebvre: Je voulais juste, avant, M. le président, c'est vous qui le décidez, c'est évident, j'allais dire: avant que Mme la députée de Prévost pose ses propres questions... Une enquête systémique, dans un premier temps, M. le Protecteur, vous avez déjà procédé à des enquêtes de ce type-là dans d'autres domaines d'activité que le système d'incarcération, est-ce que vous pouvez me dire si c'est le cas, que ce soit en matière de santé ou en toute autre matière, avez-vous déjà procédé à une enquête de ce type-là? Je parle de vous, là, pas nécessairement vos prédécesseurs, vous.

M. Jacoby (Daniel): Je vais vous dire une anecdote, c'est que, lorsque j'étais sous-ministre de la Justice, le Protecteur du citoyen de l'époque m'avait soumis un rapport, une grosse enquête systémique, et ma première réaction, c'était de dire: Mais de quoi se mêle-t-il?

M. Lefebvre: Et, sauf erreur, vous étiez... et lorsque vous vous êtes retrouvé Protecteur du citoyen, vous vous êtes retrouvé confronté à vos propres recommandations d'ex sous-ministre à la Justice, c'est la cas, hein?

M. Jacoby (Daniel): C'est ça, mais vous savez qu'après...

M. Lefebvre: Est-ce que vous les avez appliquées?

M. Jacoby (Daniel): Ce que j'ai fait, c'est que je suis retourné au ministère demander au sous-ministre, au ministre, de changer les décisions que j'avais prises.

M. Lefebvre: Ha, ha, ha!

M. Jacoby (Daniel): Parce que je les considérais, une fois rendu Protecteur du citoyen, un peu abusives. Et on m'a trouvé un peu paradoxal. On se demandait si je voulais m'imposer, mais pas du tout. J'ai fait changer, après coup, mes propres décisions.

M. Lefebvre: Alors, c'est quoi, une enquête systémique?

M. Jacoby (Daniel): Alors, une enquête systémique, c'est une enquête qui examine l'ensemble de ce que nous appelons un système, un régime. Vous avez, par exemple, le Vérificateur général qui fait ce genre d'enquête systémique dans le cadre de la bonne gouvernance et dans l'optimisation des ressources. Il regarde surtout, lui, l'efficience et moins l'efficacité.

Nous, nous partons du fait d'un ensemble de plaintes et nous regardons toute la problématique à partir des plaintes. Nous interrogeons les fonctionnaires. Nous avons la collaboration de la part des gens qui travaillent dans les centres de détention, ils sont très ouverts. Et donc, on va tout examiner.

Et, si on a déjà fait une enquête aussi globale que ça dans d'autres secteurs? Disons que c'est toujours plus restreint. Bon, on en a fait une avec succès dans la question des pensions alimentaires, mais c'est quand même assez pointu, l'application... Mais aussi globale, je pense que c'est vraiment d'une grande ampleur, ça. Alors, ce que je peux vous dire, c'est que...

(12 heures)

M. Lefebvre: Vous allez enquêter le système, mais est-ce que le volet des corrections à apporter est aussi important que la vérification elle-même du système, M. le Protecteur?

M. Jacoby (Daniel): Tout à fait. Pour chacune des problématiques que nous avons isolées, il y aura une recommandation...

M. Lefebvre: Ce n'est pas qu'un constat, autrement dit?

M. Jacoby (Daniel): Non, non, c'est une véritable enquête suivie d'un rapport avec des recommandations qui vont s'adresser aux autorités.

M. Lefebvre: Et dernière question, M. le Président, si vous le permettez. Évidemment, à titre de Protecteur du citoyen, vous n'avez pas besoin, évidemment, de l'autorisation du gouvernement et du pouvoir politique, sauf que j'imagine que vous souhaitez une collaboration; et si c'est le cas, de quelle façon cette collaboration-là peut-elle et devrait-elle s'exprimer?

M. Jacoby (Daniel): Alors, moi, je vais vous dire une chose, voici comment j'envisage la suite des événements. D'abord, dans un premier temps, je dois vous dire que, pour des raisons de fair-play, je vais transmettre une version préliminaire du rapport au ministre de la Sécurité publique et lui laisser quelques semaines pour en prendre connaissance et pouvoir réagir.

Ce que, ensuite, je souhaite... C'est parce que, si on n'en arrive pas là, il ne se fera rien, il faut reconnaître qu'il y a des problèmes. Je ne parle pas seulement des centres de détention, puis c'est toute l'histoire de l'administration, en tout cas, moi, depuis que je suis là, c'est comme ça que je vois les choses: tant que des autorités administratives ou autres ne reconnaissent pas l'existence d'un problème, il est impossible d'y apporter une correction. Ça, c'est une réalité culturelle dans toutes les administrations, que ce soit au Québec ou ailleurs.

Alors, je souhaite, parce que, bien, ça va être difficile de dire: Tout ceci n'est pas vrai, avec l'ampleur de l'étude que nous avons faite. Mais je pense que, moi, je me dis: Il va falloir que le ministère reconnaisse l'existence de problèmes. Maintenant, par la suite, ce que j'envisagerais, ça serait que mes collaborateurs et mes collaboratrices dans le dossier puissent s'asseoir avec les autorités administratives supérieures du ministère de la Sécurité publique pour examiner et de voir comment on peut élaborer un plan d'action – parce qu'on ne pourra pas régler le problème sur une année, c'est trop profond, c'est trop profond – pour, en tout cas, réduire. Je sais qu'on ne pourra pas, certainement pas, compte tenu des finances publiques, probablement pas tout faire ce que nous allons recommander, mais je pense qu'il y a des choses élémentaires qui devront être faites. Alors, c'est un peu comme ça que j'envisage les choses, et je n'ai pas pour le moment à présumer que j'aurai une mauvaise réception de notre rapport de la part des autorités du ministère.

M. Lefebvre: Les échéances de l'enquête, M. le Protecteur, c'est quoi?

M. Jacoby (Daniel): Alors, ce sera terminé...

M. Lefebvre: Parce qu'elle est en marche, votre enquête?

M. Jacoby (Daniel): Oui, c'est ça. Et elle va être... Là, on est au stade de la rédaction et des recommandations, entre le 15 mai et le 15 juin.

M. Lefebvre: Merci, M. le Protecteur. On me dit que vous l'aviez mentionné, je m'excuse.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Prévost.

Mme Papineau: Sur le même sujet que mon collègue de l'opposition, je pense que vous savez, Me Jacoby, qu'on est le deuxième pays en Amérique qui incarcère le plus, après les États-Unis, semble-t-il. Et je me demandais si, dans le rapport que vous avez fait, vous avez étudié ou évalué si effectivement on incarcère trop, au Québec?

Et ma deuxième question, ce serait: Vous avez dit tantôt que 30 % des détenus ont des problèmes d'ordre mental, et je me demandais si ces gens-là – je ne sais pas comment les statistiques ont été faites, ça ne devrait pas se retrouver ailleurs que dans une... – jusqu'à quel point ces gens-là sont malades? C'était ma deuxième question.

Et, quand vous dites qu'une durée de séjour de deux mois, et le quart des détenus feront plus ou moins trois mois, ou plus de trois mois...

M. Jacoby (Daniel): Plus de trois mois, trois mois et plus.

Mme Papineau: Est-ce que vous avez une moyenne des sentences données au Québec? Je vous en pose des questions, là! Ha, ha, ha!

M. Jacoby (Daniel): Sur la sentence donnée par le juge?

Mme Papineau: Oui, c'est ça. Parce que, si on donne, par exemple....

M. Jacoby (Daniel): Ça, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce point-là, mais je m'engage à obtenir l'information dans les prochains jours.

Mme Papineau: Parfait.

M. Jacoby (Daniel): Sur la première question que vous posez: Est-ce que nous avons réfléchi à la question de savoir si on incarcérait trop, au Québec – nous serions les deuxièmes après les États-Unis d'Amérique – non, je n'ai pas étudié ça. Mais ce que je peux vous dire, par exemple, c'est que l'incarcération... il y a moins d'incarcération dans certains pays pour la bonne raison qu'il y a beaucoup plus d'alternatives à l'incarcération.

Alors, quand on parle de l'Europe, bien, il y a des alternatives qui existent, qui sont implantées. Au Québec, on en a toujours eues, mais ça a été plus ou moins efficace. Avec les coupures budgétaires, disons que ça risque d'être compromis.

Alors, là-dessus, non, je n'ai pas étudié cette question particulière. Et je peux vous dire une chose, que, moi, je ne suis pas très impressionné par le fait de dire: Ah bien! Au Québec, on incarcère plus qu'en Ontario, ou des choses comme ça. Il y a tellement de facteurs sociologiques, territoriaux qui font en sorte qu'on peut se retrouver dans des situations tout à fait différentes d'une province à l'autre. Sur la... Oui?

Mme Papineau: Ce n'est pas tellement sur le fait que... Moi, en tout cas, je me questionne: Est-ce que, par exemple... Bon. Il y a une prison où je demeure, pas loin. Effectivement, on incarcère pour des billets non payés; on incarcère des gens... un bonhomme, par exemple, qui avait pris un verre de trop et a brisé une vitrine. Ces gens-là prennent la place de gens, justement, mon collègue disait tantôt, qui sont violents physiquement ou, en tout cas, avec des plus grosses...

Et c'est là-dessus que je voulais savoir: Est-ce qu'on incarcère trop une certaine... je parle, par exemple, des billets, par rapport à ceux qu'on devrait garder en prison? Est-ce qu'on est obligé de faire une rotation? Ça, est-ce que vous avez pu voir...

M. Jacoby (Daniel): Ce que, nous, on a pu constater, c'est qu'il faut faire attention avec toutes ces affirmations qui sont faites: On trouve plein de monde pour contraventions impayées. Règle générale, contraventions impayées, ils ne restent pas longtemps en dedans. Le problème, c'est qu'il y a une pression additionnelle actuellement due au fait qu'il y a eu fermeture de centres. Là, on ne peut même plus parler des... On trouve de tout dans les centres de détention. On a toute la gamme des infractions.

Il faut bien penser que les juges rendent des sentences et puis que c'est l'administration carcérale qui en décide de la manière dont elles sont exécutées. Ils ont les moyens administratifs pour faire sortir les gens au bout d'un sixième de leur sentence. Il y a un mécanisme d'absence temporaire. Ils ont tout ce qu'il faut. Mais ce qui arrive, un des grands problèmes... Parce que je pense qu'on pourrait discuter très longtemps. On aura toujours des cas à montrer: Qu'est-ce que cette personne-là fait en prison? C'est vrai! Mais la question, c'est que là on est rendu à un débordement global dans les services carcéraux provinciaux. Et je pense que c'est sous cet angle-là qu'il faudra regarder.

L'autre point que je voulais amener: le 30 % des personnes qui souffrent de problèmes mentaux dans les prisons. Il est certain que la prison n'est pas faite pour ce monde-là. Mais, vous savez, les effets tout à fait pernicieux de la polytoxicomanie, de la drogue... Et on va montrer dans le rapport qu'on va sortir, et des études qui ont été faites même par le ministère, une surconsommation de drogue qui fait en sorte qu'il y a de plus en plus de gens qui sont poqués dans les prisons. Mais plus que ça! La surconsommation de drogue, elle existe partout dans la rue. Donc, on en retrouve de plus en plus, du monde poqué, qui se retrouve de plus en plus dans les prisons. Il y a des itinérants qui ne sont pas des criminels mais qui, de temps à autre, on les ramasse pour méfait public, et puis il y a tous les autres.

La situation est très grave. J'entends donc soumettre mon rapport au ministre et, le cas échéant, si la commission des institutions décidait aussi d'entendre le Protecteur du citoyen sur cette problématique-là, ça me ferait plaisir de répondre à cette invitation.

Mme Papineau: Merci.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Sur le même sujet?

(12 h 10)

Mme Leduc: Sur le même sujet, concernant la population carcérale. Vous avez donné comme chiffre qu'il y avait 30 % de gens qui avaient des problèmes de santé mentale. Est-ce que vous pouvez nous brosser un peu un tableau du profil de la clientèle? Vous devez avoir ces données-là. Quelles sont ces personnes-là qui sont incarcérées? Est-ce qu'il y a un profil – je ne parle pas du profil psychologique de la personne – mais en nombre, en données, quelles sont les personnes qui sont incarcérées? Est-ce que vous avez une idée, dans le fond? Vous avez dit: Ceux qui souffrent de troubles mentaux ne devraient pas être là. Moi, je me référerais peut-être à un exemple que donnait mon collègue d'un récidiviste qui avait été libéré et finalement qui avait commis un acte de violence. S'il était récidiviste, est-ce qu'il est bien à la bonne place? Comment ça se fait qu'il soit encore dans une prison en moins de deux ans? J'avoue que je ne connais pas exactement le système, mais, normalement...

Des voix: Mais si c'est la sentence.

Mme Leduc: Oui, je comprends que c'est la sentence, mais est-ce que, dans le fond, la population qu'on vise dans votre rapport, est bien à la bonne place? Y aurait-il d'autres façons aussi de régler certains problèmes?

M. Jacoby (Daniel): Bien, pour moi, c'est certain qu'une personne qui éprouve des problèmes de santé mentale n'est pas à la bonne place en prison. Le profil dont vous parlez, je ne peux pas vous ventiler ou vous le donner. Mais ce que je vais faire, je vais vous remettre l'étude qui a été préparée il y a trois ans par le ministère de la Sécurité publique. Je vais vous le faire transmettre. Je pourrai la déposer à la commission, et là vous aurez vraiment une étude faite à l'interne par les autorités du ministère et qui montre et donne le profil de cette population-là.

Mme Leduc: Maintenant, je vais vous poser une question. Vous avez dit que cette étude-là avait été terminée il y a trois ans, donc avait été commencée... Est-ce que, d'après vous, les données vont être encore pertinentes, compte tenu de l'évolution des personnes qui sont incarcérées?

M. Jacoby (Daniel): Moi, je pense qu'elle est encore pertinente, et peut-être qu'il faudra ajouter au 30 %, mais la base demeure. Ce dont je me souviens, je peux vous dire qu'elle est encore très pertinente, parce que le problème des personnes qui sont atteintes de problèmes mentaux est un problème qui existe depuis fort longtemps. Il y a aussi le phénomène de la désins qui va avoir un effet direct sur la population carcérale. Alors, je pense qu'elle va être encore d'actualité. Alors, je vais vous la faire déposer au secrétariat de la commission.

Mme Leduc: D'accord.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Sur le même sujet aussi, M. le député de Frontenac, brièvement, s'il vous plaît, parce que Mme la députée de Bourassa veut intervenir.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président. Me Jacoby, tout à l'heure, vous avez donné presque intégralement lecture de la lettre que vous avez adressée à M. le ministre. Est-ce que vous pourriez la déposer à la commission, cette lettre-là? Elle est de quelle date?

M. Jacoby (Daniel): Elle est du mois de mars 1997.

M. Lefebvre: 1997. Vous n'avez pas eu de réponse? Est-ce que le ministre vous a répondu?

M. Jacoby (Daniel): Non, on n'a pas eu de réponse, mais il y a eu un changement de ministre. Nous avons adressé une lettre au nouveau ministre.

M. Lefebvre: Je vous trouve poli, M. le Protecteur du citoyen. Non, non, c'est correct. Est-ce qu'il y a eu un accusé de réception, au moins? Oui? Madame dit oui, à votre gauche.

M. Jacoby (Daniel): Pour la lettre du mois de mars?

M. Lefebvre: Oui.

M. Jacoby (Daniel): Non, mais nous sommes entrés en contact avec le nouveau ministre qui, lui, nous a répondu.

M. Lefebvre: Le nouveau ministre vous a répondu. Le nouveau ministre est plus poli que le prédécesseur. Ça, c'est moi que le dis, ce n'est pas vous, ça. Vous pouvez la déposer, M. le Protecteur du citoyen? Et est-ce qu'il y a une correspondance échangée avec M. le ministre, le député d'Anjou? Si oui, est-ce que vous pouvez la déposer? Si ça vous embarrasse, M. le Protecteur, vous me le dites. Si ça vous embarrasse de déposer cette correspondance-là, vous me le dites.

M. Jacoby (Daniel): Ça ne m'embarrasse pas. Nous avons une obligation de transparence dans la mesure où il ne s'agit pas de secrets d'État ou de renseignements confidentiels que l'on ne devrait pas divulguer.

M. Lefebvre: Merci, M. le Protecteur du citoyen.

M. Jacoby (Daniel): Je vais la déposer et je vais voir s'il y a d'autres échanges de correspondance.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien. Alors, Mme la députée de Bourassa.


Impact de la réforme du système de santé

Mme Lamquin-Éthier: M. le Président, merci. M. le Protecteur du citoyen, je suis heureuse que mon collègue ait attiré l'attention à la page 47 de votre 27e rapport. Je constate, à la lecture, je ne sais pas si on peut appeler ça une mise en garde ou, à tout événement... À peu de mots près, vous auriez pu effectivement faire la même mise en garde avant de faire des commentaires sous La santé et services sociaux, là, ou sous d'autres systèmes.

Vous dites que, de l'avis du Protecteur du citoyen, le cumul de la fermeture de six centres de détention – effectivement, il y a eu aussi des fermetures d'établissements dans le réseau – la réduction du personnel – vous savez qu'il y a eu des départs absolument incroyables, une expertise, d'ailleurs, qui n'a pas été comblée – des compressions budgétaires sans précédent, des changements de priorités et des pratiques administratives risquent de créer un dérapage du système carcéral...

Une voix: La même chose que tantôt.

Mme Lamquin-Éthier: ...au point de mettre en péril la sécurité... Je pense que, à quelques mots près, vous auriez pu effectivement remettre la même mise en garde avant de faire vos commentaires.

À toutes les semaines dans nos bureaux, il y a des citoyens – du pauvre monde – qui ont à passer à travers un réseau qui est complexe, qui est fragmenté, qui vont apprendre, de plus en plus, qu'ils vont payer pour les services qui étaient autrement assurés.

Encore hier, deux personnes âgées me rapportaient, une, qu'on venait de lui dire, pour la première fois, d'aller à l'hôpital, puis là le médecin lui disait que l'injection de cortisone qu'elle demandait – qu'elle a depuis un bon moment – bien, cette fois-là, elle était pour la payer. Une autre dame me rapportait qu'elle devait payer 45 $ pour une radiographie, alors qu'elle était à l'hôpital. Donc, les citoyens ont de plus en plus de surprises. On parle qu'il y a eu une détérioration de la qualité des soins. On parle qu'il y a une réduction. On parle de plus en plus de désassurance. On parle de plus en plus de privatisation.

Vous ne pensez pas, un peu, un petit peu comme les appréhensions que vous avez transmises au ministère de la Sécurité publique, que vous pourriez faire de même au ministre de la Santé? Est-ce qu'il pourrait y avoir... je ne sais pas si c'est une enquête systémique...

Mme Bélanger: Il ne l'écoute pas, le ministre de la Santé.

Mme Lamquin-Éthier: ...mais un autre moyen pour permettre à la population de venir expliquer concrètement comment elle les a vécus, les virages, comment elle a vécu les transformations, comment elle a subi les compressions? Parce qu'on ne le voit pas, ça.

M. Jacoby (Daniel): Bon, je pense que... Je dois vous dire que je ne fais des affirmations que lorsqu'elles reposent sur des constatations. Ce que je dis dans le rapport annuel concernant les services carcéraux, on le constatait à l'époque, et là on a poursuivi l'enquête et on va remettre le rapport.

Le Protecteur du citoyen se doit... ne peut pas se permettre de lancer des jugements sans être appuyé par des faits. Que l'on puisse transposer mutatis mutandis, comme dirait Bossuet, cette phrase pour les...

Mme Lamquin-Éthier: À quelque chose près...

M. Jacoby (Daniel): À quelque chose près, je veux dire, c'est possible qu'on le pense. Mais, moi, je ne suis pas en mesure de porter ce jugement, vu que je n'ai pas fait d'enquête et que ma compétence est extrêmement limitée.

Mme Lamquin-Éthier: Qui va le faire?

M. Jacoby (Daniel): Moi, tout ce que je vois, là, pour ce qui est de la santé, c'est comme tout le monde. Donc, j'écoute les nouvelles, et puis je regarde la télé, et puis je lis les journaux. Je n'ai pas une connaissance directe de ce qui se passe. Je l'apprends comme tout le monde, puis je l'apprends aussi à travers toutes les plaintes que les gens nous adressent à notre bureau, parce qu'on connaît la nature des plaintes, et pour lesquelles on ne peut pas enquêter; et puis, je l'apprends, comme ça. Alors, je ne pourrais pas à ce stade-ci, moi, porter un jugement qui soit tout à fait scientifique et impartial. Mais je peux vous dire que les aspects de la réforme que j'examine, que ce soit par l'entremise de la curatelle publique et de la protection des personnes inaptes, que ce soit à l'occasion de différents secteurs très précis, il est certain que je constate des problèmes.

Mme Lamquin-Éthier: Bien, oui.

M. Jacoby (Daniel): Mais je ne peux pas avoir... Moi, je peux bien, comme citoyen ordinaire, placoter avec vous, dire ça, mais, comme Protecteur, je ne peux pas porter ce grand jugement, sauf que, dans les secteurs qu'on a examinés, il est certain qu'il y a des problèmes.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, merci. Ça va? Alors, Me Jacoby, Mmes Hudon, Lavoie, au nom des membres de la commission des institutions, nous voulons vous remercier de cette présentation. Vous avez évoqué tout à l'heure la possibilité que vous offriez de rencontrer aussi, le cas échéant, les membres de la commission lorsque vous déposerez votre rapport d'enquête systémique sur le réseau carcéral.

(12 h 20)

Alors, nous saisissons cette opportunité, et j'espère que dans le courant de nos travaux, en juin, nous pourrons trouver le temps de nous rencontrer, sinon nous pourrons nous ménager un temps un peu plus tard dans la belle saison pour ce faire. Merci beaucoup.

M. Jacoby (Daniel): Excusez-moi, M. le Président, je voudrais faire une rectification.Tout à l'heure...

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Oui.

M. Jacoby (Daniel): ...par erreur – vous savez, quand on parle à travers son chapeau – nous avons eu un accusé de réception à la lettre en question, un accusé de réception d'un attaché politique.

M. Lefebvre: Merci.

Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, sur ce, nous ajournons nos travaux. Merci.

(Fin de la séance à 12 h 21)


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