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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Dauphin): Si vous permettez, nous allons
débuter. Le quorum étant constaté, je déclare donc
la séance de la commission des institutions ouverte, qui a pour mandat
de procéder à une consultation générale et de tenir
des a uditions publiques sur l'Accord de libre-échange
nord-américain. Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire: Oui. M. Fradet (Vimont) est remplacé
par Mme Dionne (Kamouraska-Témiscouata) et M. Claveau (Ungava) est
remplacé par M. Léonard (Labelle).
Auditions
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Alors, je vous
fais lecture de l'ordre du jour d'aujourd'hui. Pour débuter, nous aurons
le Conseil du patronat et, ensuite, l'Association des manufacturiers du
Québec. Cet après-midi, nous aurons la Chambre de commerce du
Québec et, ensuite, le Regroupement d'entreprises sidérurgiques
du Québec. Ce soir, nous aurons Gaz Métropolitain et, finalement,
Me Pierre Ratelle, avocat. Est-ce que l'ordre du jour est adopté?
Des voix: Adopté. M. Ciaccia: Adopté.
Le Président (M. Dauphin): Adopté. Donc, c'est avec
plaisir que nous recevons ce matin le Conseil du patronat. Je reconnais
immédiatement, évidemment, le président du Conseil du
patronat, M. Ghislain Dufour, qui est un habitué de nos commissions
parlementaires, qui a siégé notamment à la commission
Bélanger-Cam-peau avec plusieurs parlementaires ici présents.
J'aimerais immédiatement lui demander de nous présenter les
personnes qui l'accompagnent...
M. Ciaccia: Un personnage historique. Des voix: Ha, ha,
ha!
Le Président (M. Dauphin): Un personnage historique,
effectivement... et de procéder à son exposé d'une
durée d'environ 20 minutes. Ensuite, on procédera à une
période de libres échanges entre les parlementaires et
vous-même pour une quarantaine de minutes. Alors, M. Dufour, bienvenue
à nos travaux.
Conseil du patronat du Québec (CPQ)
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Je croyais
qu'il était maintenant interdit, dans cette salle, de parler de dossier
constitutionnel. Je vous présente mes collègues. À ma
gauche, M. Raymond Bréard, qui est vice-président exécutif
de l'Association du camionnage du Québec; à ma toute droite, M.
Jacques Garon, qui est directeur de la recherche socio-économique au
Conseil du patronat; et, à sa propre droite, M. Marc Osborne, qui est
directeur adjoint, médias et relations gouvernementales, chez General
Motors.
Alors, M. le Président, Mmes et MM. les parlementaires, le
Conseil du patronat remercie votre commission de lui permettre d'exprimer son
opinion sur l'ALENA. Disons, d'entrée de jeu, qu'il était dans
l'intérêt du Canada de se joindre à l'initiative
américano-mexicaine visant à conclure un éventuel accord
bilatéral de libre-échange, car un tel accord aurait pu diminuer
la portée de l'Accord de libre-échange canado-américain en
conférant aux États-Unis un avantage concurrentiel marqué
en termes d'accès aux marchés nationaux canadien et mexicain. Par
ailleurs, il était non seulement important pour le Canada de
préserver les acquis de l'ALE, voire même d'en améliorer
certaines dispositions, mais également de profiter du potentiel non
négligeable du marché mexicain même si, actuellement, il
faut le dire, les exportations et les importations québécoises du
Mexique ne représentent qu'une petite proportion de l'ensemble de notre
commerce international.
Afin de porter un jugement sur l'ALENA, à savoir si les objectifs
que recherchaient le Canada et le Québec en particulier ont
été atteints, nous analysons notamment, dans notre
mémoire, ce qui a été maintenu dans l'ALENA
comparativement à l'ALE, ce qui a été
amélioré comparativement à l'ALE, les secteurs
particuliers du textile, des vêtements et de l'automobile, les
débouchés commerciaux des industries québécoises au
Mexique et, finalement, ce qu'on appelle les questions non commerciales commes
les salaires et l'environnement.
Voyons d'abord, parmi d'autres, deux éléments positifs qui
ont été maintenus dans l'ALENA comparativement à l'ALE. Du
point de vue du Canada et du Québec, l'une des conditions à la
conclusion de l'ALENA était le maintien du statut spécial de
l'agriculture de même que des acquis en termes d'outils d'intervention
dans le secteur agricole comme la gestion de l'offre, Fassurance-stabilisation
des revenus et le crédit agricole. Or, toutes les conditions
posées par le Canada et le Québec ont été
respectées dans le domaine de l'agriculture et, qui plus est,
l'agriculture québécoise bénéficiera de
l'élimination des barrières non tarifaires qui freinent les
échanges avec le Mexique.
Deuxièmement, au cours des débats sur le
libre-échange CanadaÉtats-Unis en 1988, les opposants
à l'ALE s'entêtaient à prétendre que cet accord
détruirait la culture canadienne et québécoise, minerait
nos programmes sociaux, signerait l'arrêt de mort des programmes de
gestion de l'offre dans les domaines de la volaille, des oeufs et des produits
laitiers, comme exemples, et pourrait même, vous vous rappelez,
détourner nos réserves d'eau vers les États-Unis. Quatre
ans après l'entrée en vigueur de l'ALE, non seulement ces
allégations se sont-elles révélées sans fondement,
mais elles ont également montré ce qu'elles étaient
vraiment: des tactiques d'opposition à l'ALE employées pour des
motifs politiques sans aucun fondement réel. Le gouvernement canadien a
donc de nouveau explicitement demandé et obtenu que les industries
culturelles et les services sociaux, y compris les services de santé,
soient exclus de l'ALENA, tout comme ils l'étaient de l'ALE.
Voyons maintenant ce qui a été amélioré dans
l'ALENA comparativement à ce qu'on a déjà avec l'ALE. Il y
a eu plusieurs améliorations. Par exemple, les dispositions de l'ALE en
ce qui a trait au commerce des produits énergétiques sont
reprises dans l'ALENA et certaines améliorations y ont été
apportées, notamment en ce qui concerne les mesures de
réglementation.
Deuxièmement, non seulement les dispositions de l'ALE concernant
les investissements demeurent inchangées dans l'ALENA et s'appliquent
donc également au Mexique, mais trois autres dispositions ont
été ajoutées, dont la définition de
l'investissement, qui est plus large parce qu'elle inclut maintenant toute
forme de propriété ou de participation, ainsi que
l'impossibilité pour les pays signataires de l'ALENA d'imposer ce qu'on
appelle des prescriptions de résultats déterminées
à n'importe quel investissement effectué sur leur territoire. On
peut dire également qu'un nouveau mécanisme
détaillé de règlement des différends a
été instauré en matière d'investissement,
comprenant maintenant le recours à l'arbitrage obligatoire. Le Canada
conserve donc son droit de regard strict sur les acquisitions
stratégiques des Américains ou des Mexicains.
Troisièmement, l'ALE ne comporte pas la disposition concernant la
propriété intellectuelle. Par contre, l'ALENA impose
d'importantes obligations dans ce domaine. Ainsi, chaque pays devra
protéger adéquatement les droits de propriété
intellectuelle sur la base du traitement national. De plus, les pays
signataires prendront des engagements spécifiques concernant les droits
d'auteur, notamment les brevets, les marques de fabrique, etc. L'ALENA permet
ainsi au gouvernement canadien de réaliser son engagement visant
à normaliser et ça, c'est important parce que c'est un
secteur névralgique au Québec les dispositions applicables
aux licences dans le secteur pharmaceutique et, là-dessus, tous
devraient vraiment s'en réjouir.
Autre élément, procédures de règlement des
différends. Force est de constater que, malheureusement, depuis
l'entrée en vigueur de l'ALE, il y a eu une pous- sée de
représailles américaines contre certaines industries canadiennes.
Là, on peut se rappeler le porc, le bois d'oeuvre, l'acier, le
magnésium, la bière, et il y en a eu d'autres également.
Dans ces circonstances, le Canada était déterminé à
profiter des négociations de l'ALENA pour contrer
l'unilatéralisme américain. À cet égard, l'ALENA
apporte des améliorations au mécanisme de règlement des
différends que comporte l'ALE. Outre la création de la Commission
du commerce qui remplace la Commission mixte du commerce
canado-américain et qui pourra utiliser la médiation, la
conciliation ou d'autres moyens pour régler les différends,
l'ALENA instaure cette procédure qu'on appelle procédure des
groupes spéciaux au cas où un pays ne voudrait pas se plier aux
décisions de la Commission. Ces groupes spéciaux constituent une
garantie supplémentaire, quant à nous, que l'application des lois
américaines et mexicaines ne viendra pas contrecarrer les recours
prévus par l'ALENA. (10 h 20)
Transports terrestres. L'inclusion du transport terrestre parmi les
services couverts par l'ALENA est une amélioration importante
comparativement à l'ALE dont ce secteur avait été exclu.
Les camionneurs canadiens, représentés ici par mon
collègue Bréard, pourront s'organiser plus efficacement pour,
notamment, leurs déplacements transfrontaliers. Ces derniers pourront
transporter des marchandises aux États-Unis, par exemple, faire un
chargement de marchandises aux États-Unis et les livrer au Mexique. Et,
au retour, ils pourront maintenant livrer des marchandises mexicaines aux
États-Unis et au Canada. La libéralisation complète du
transport terrestre s'effectuera sur une période de six ans.
Au niveau des services financiers, les engagements sur les services
financiers que le Canada et les États-Unis ont pris l'un envers l'autre
au terme de l'ALE sont incorporés dans l'ALENA et sont positifs. Il est
ainsi évident que l'ouverture du marché mexicain des services
financiers dans le cadre de l'ALENA permettra aux institutions
financières canadiennes de profiter de nouvelles occasions
d'affaires.
Finalement, l'examen des questions de droits antidumping et de droits
compensateurs. Rappelons au départ que l'ALENA reprend ici le
mécanisme qui a été instauré par l'ALE. Ce qui est
nouveau, c'est la possibilité pour les exportateurs canadiens, dans
leurs différends avec le Mexique comme avec les États-Unis,
d'avoir accès, on l'a dit tout à l'heure, à une
procédure d'examen par groupes spéciaux composés de cinq
personnes ayant les compétences professionnelles requises plutôt
que de se soumettre à la révision judiciaire interne. Le
mécanisme de règlement des différends sur des questions de
droits antidumping et de droits compensateurs a donc été
amélioré, a été renforcé. Toutefois, et
c'est une réserve importante, à la lumière des
événements récents dans le contexte de l'ALE, il nous
apparaît regrettable qu'une définition commune des subventions
n'ait pas été négociée afin de limiter les
recours
arbitraires aux droits compensateurs. Le Canada a obtenu le maintien et
le renforcement des mécanismes d'arbitrage au prix d'une renonciation
à une définition commune de la subvention, bien que, dans le
cadre de l'ALE, les États-Unis et le Canada aient convenu d'une
période de négociation de cinq à sept ans pour s'entendre
sur une telle définition. On s'en remet maintenant au contexte
multilatéral du GATT, M. le Président, ce qui, pour nous,
constitue un recul regrettable.
Parlons maintenant, rapidement, du cas du textile, des vêtements
et de l'automobile. Dans le cas du textile, les trois pays élimineront,
immédiatement ou sur une période maximale de 10 ans, leurs droits
de douane sur les textiles et les vêtements qui sont fabriqués en
Amérique du Nord et qui satisfont aux règles d'origine de
l'ALENA. Il semble, cependant, que les règles d'origine prévues
par l'ALENA soient plus exigeantes que celles de l'ALE. Mais ces mesures, plus
limitatives pour les manufacturiers canadiens que celles de l'ALE, devraient
être compensées, selon ce que nous dit, notamment, l'Institut des
manufacturiers du vêtement du Québec, par une diminution des
tarifs appliqués par le gouvernement canadien sur les importations de
certains produits; on pense au coton, à la rayonne, au nylon, au
polyester. Cette diminution devrait permettre aux importateurs canadiens de
payer des taux qui se rapprochent de ceux payés par les importateurs
américains pour les mêmes produits. Quant aux entreprises de
textile, je ne sais pas si elles viendront vous faire un témoignage
devant la commission, M. le Président, j'espère que oui; parce
qu'on fait toujours passer le secteur du textile comme s'opposant à
l'ALENA, j'ai une lettre de leur part disant que non, au contraire, ils
considèrent que l'ALENA est dans le meilleur intérêt de
l'industrie à long terme.
Produits automobiles et investissements. L'ALENA éliminera,
finalement, sur une période de 10 ans, dans la zone de
libre-échange, les obstacles au commerce des automobiles, des camions,
des autocars et des pièces automobiles originaires de l'Amérique
du Nord. Et, ici, on a une position tout à fait contraire à celle
qui vous a été véhiculée hier par le
représentant des Travailleurs unis de l'automobile à
l'égard de cette situation. Elle est positive pour le Québec, et
on pourra en témoigner tout à l'heure avec le représentant
de General Motors.
Perspectives ouvertes par l'ALENA pour les industries
québécoises. Alors, on peut regarder rapidement ce que ça
nous donne, dans le fond. Alors, regardons les produits forestiers. C'est une
industrie, la pâte de bois et de papier, qui est la plus grande
exportatrice au Québec. Or, on s'attend à ce que la demande
mexicaine de pâte de bois s'accroisse de 50 % au cours des 10 prochaines
années.
La réduction des droits de douane dans le domaine du
matériel et des services de transport favorisera les fabricants
québécois de matériel ferroviaire et d'équipement
de transport urbain, d'aéronefs et de pièces d'aéronefs,
et on est fort dans ces domaines-là.
Le niveau de vie des Mexicains s'améliorant, les marchés
mexicains s'ouvriront davantage aux produits canadiens comme le porc et les
aliments transformés, ouverture dont l'industrie
québécoise bénéficiera.
L'augmentation de la demande mexicaine dans le domaine de la
télécommunication devrait créer des
débouchés pour les entreprises québécoises. On
s'attend à une croissance de 42 % du marché mexicain de la
télécommunication d'ici l'an 2000.
Il s'agit là d'autant de secteurs où le Québec
possède des avantages comparatifs, et, pour peu que ces industries
soient concurrentielles, évidemment, par rapport à celles des
États-Unis, le marché mexicain devrait offrir d'excellentes
perspectives à nos exportateurs. La question, d'ailleurs, à se
poser, M. le Président, c'est: Le Canada et le Québec peuvent-ils
rejeter les avantages d'une plus grande libéralisation des
échanges commerciaux avec le Mexique qui reposent sur le potentiel de
croissance d'un marché de 85 000 000 d'habitants?
J'aimerais aborder rapidement maintenant, M. le Président, les
fameuses questions non commerciales: les bas salaires et l'environnement.
L'argument selon lequel la volonté des pays industrialisés
d'accroître les échanges commerciaux avec les pays moins
développés c'est le cas pour le Mexique fera
baisser les salaires aux États-Unis et au Canada est, quant à
nous, un argument fallacieux. Selon nous, l'industrialisation des pays moins
développés devrait faire augmenter et non pas diminuer les
salaires moyens dans des pays comme les États-Unis et le Canada. Etant
donné les très grandes différences entre les pays moins
développés et les pays industrialisés au chapitre de la
production par travailleur, on aurait pu s'attendre à ce que le
déplacement de la main-d'oeuvre mondiale vers les pays moins
développés réduise la productivité de la
main-d'oeuvre dans le monde. Or, c'est carrément le contraire qui s'est
produit, la productivité de la main-d'oeuvre mondiale ayant
augmenté en raison principalement des accroissements importants de la
production par travailleur aussi bien dans les pays moins
développés que dans les pays développés.
L'autre objection, c'est celle de la tendance à
l'égalisation des salaires à travers le monde. Évidemment,
vue toujours au plus bas commun dénominateur, elle ne s'est pas traduite
par une diminution des salaires dans les pays développés, mais
par une augmentation des salaires dans les pays moins développés,
et on vous donne l'exemple: en 1987, le taux de rémunération dans
le secteur de la fabrication en Corée correspondait à 15 % du
taux de salaire au Canada, alors qu'il n'était que de 7 % en 1975. Cette
convergence est attribuable à la croissance rapide des salaires
réels en Corée et non à une diminution des salaires au
Canada. Cette tendance va probablement se maintenir au cours des prochaines
années.
Regardons maintenant, rapidement, l'environnement. L'ALENA contient un
engagement ferme envers le développement durable ainsi que la protection
de
l'environnement et le respect des normes environnementales. L'ALENA
reconnaît, par exemple, à chaque pays le droit de maintenir des
normes environnementales plus strictes que celles recommandées par les
organisations internationales. L'Accord stipule également que les trois
pays ne devraient pas assouplir leurs normes en matière de santé,
de sécurité ou d'environnement dans le but d'attirer des
investissements.
Aux critiques des dispositions de l'Accord en cette matière,
rappelons simplement que Sedesol, l'Agence mexicaine de l'environnement, a vu
son budget augmenter de 3 700 000 $ en 1989 à 68 200 000 $ en 1992. Plus
de 1000 usines ont été fermées au cours de la
dernière année, dont un bon nombre de façon permanente, en
particulier la raffinerie de pétrole la plus importante du Mexique dont
le chiffre d'affaires était de 50 000 000 $ et qui embauchait 5000
personnes, parce que, justement, on ne rencontrait pas les normes
environnementales du pays. Ça, on oublie de citer ce genre d'exemple
là.
Au mois de mars 1992, les entreprises les plus polluantes des plus
grands centres urbains ont reçu instruction de se conformer dans un
délai de 18 mois à de nouvelles normes d'émission de
polluants dans l'air, sous peine de devoir fermer leurs portes ou de
déménager. De plus, avant d'implanter toute nouvelle usine, on
doit procéder à une étude environnementale
complète, et l'entreprise doit démontrer comment elle se
conformera aux nouvelles dispositions environnementales avant de commencer ses
opérations. Il y a donc lieu de croire que d'ici quelques années
ce n'est pas parfait, là, mais d'ici quelques années
il y aura autant d'intérêt pour le dossier de
l'environnement au Mexique que c'est le cas pour le Canada et le Québec
actuellement.
En synthèse et conclusion, M. le Président. En vertu de
l'ALENA, le Mexique éliminera presque toutes ses licences d'importation
et tous ses droits de douane dont certains immédiatement et le reste au
cours d'une période de transition. Presque tous les secteurs de
l'économie mexicaine seront ouverts aux entreprises canadiennes, y
compris certains qui leur étaient jusqu'ici inaccessibles comme, je le
répète, les automobiles et les pièces d'automobile, les
services financiers, le camionnage, l'énergie, les pêches et
d'autres. (10 h 30)
Le Canada a notamment réussi à faire adopter des
règles d'origine plus claires et plus précises, à
améliorer le mécanisme de consultation et de règlement des
différends en matière d'administration douanière et
à réduire les pouvoirs de rétorsion dont disposent les
États-Unis, quoiqu'il soit regrettable, et on a insisté pour le
dire tout à l'heure, que l'on ait sacrifié la poursuite des
discussions sur la définition même d'une subvention. Ces gains ont
été obtenus dans le cadre d'un accord qui permet au Canada de
maintenir les mesures de sauvegarde du Pacte de l'automobile et de continuer
à contingenter les importations de produits avicoles et laitiers pour
soutenir le régime de gestion de l'offre. De plus, comme le fait
déjà l'ALE, cet accord exclut les indus- tries culturelles et
laisse au gouvernement sa liberté d'action dans le domaine des services
sociaux.
Par ailleurs, les écarts grands, on doit le dire, qui
séparent les États-Unis, le Canada et le Mexique au chapitre des
coûts de main-d'oeuvre et du développement technologique ont
suscité des controverses et des craintes qui ne sont pas
nécessairement non justifiées. Notre réponse à ces
préoccupations est claire: si les bas coûts de main-d'oeuvre au
Mexique avaient été, à ce jour, un avantage concurrentiel
marqué, il y a longtemps qu'on aurait été envahis par les
produits mexicains, ce qui n'est tout simplement pas le cas.
Quant au commerce international du Québec avec le Mexique, il est
encore marginal et ne touche que quelques secteurs. Cependant, le potentiel de
croissance du Mexique n'est pas négligeable, et un meilleur accès
au marché mexicain offrira des débouchés
intéressants à certaines industries
québécoises.
Le Mexique détient la clé de la croissance de
l'hémisphère. Les promesses de l'ALENA ne seront
réalisées que si ce pays parvient, par la croissance, à se
dépouiller de son statut de pays en voie de développement.
À cet égard, les perspectives paraissent favorables: les
performances industrielles et commerciales du Mexique ont été
carrément remarquables au cours des cinq dernières
années.
Je termine en disant, M. le Président, que l'ALENA nous
apparaît positif pour le Canada et le Québec, et nous croyons
qu'il est dans le meilleur intérêt des Canadiens et des
Québécois de l'appuyer.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. Dufour, pour
votre exposé très intéressant. Je vais maintenant demander
au ministre des Affaires internationales de débuter la période
d'échanges. M. le ministre.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je veux remercier M.
Dufour pour sa présentation et aussi le Conseil du patronat. J'ai
apprécié votre mémoire qui fait le tour des principaux
éléments de l'ALENA. Je crois que ça démontre que
ce n'est ni un miracle économique assuré pour les entreprises, le
fait qu'on signe cette entente, et ce n'est ni une catastrophe
économique qui a été prédite par beaucoup d'autres
et ceux qui s'opposaient à l'entente de libre-échange avec les
États-Unis. Alors, je pense que ça souligne qu'il faut donc
prendre les bonnes mesures de conséquences et s'adapter aux nouveaux
défis que ça représente.
Quelques brèves questions. Sur les investissements, quelle est
votre position? Croyez-vous que l'ALENA améliore la capacité du
Québec d'attirer les investissements?
M. Dufour (Ghislain): Je vais demander à notre chef
économiste, M. Garon, de répondre à cette question des
investissements.
Le Président (M- Dauphin): M. Garon.
M. Garon (Jacques): M. le Président, en réponse
à la question du ministre, on pourrait dire qu'il est peut-être un
petit peu tôt pour juger si, dans le contexte de la continentalisation de
l'économie qui sera en vigueur, on l'espère, le 1er janvier de
l'année prochaine, le Québec sera en meilleure position
d'améliorer les investissements. Par contre, ce qu'on peut dire, et
ça, c'est des nouvelles qui nous ont été
communiquées récemment, c'est que, depuis l'entrée en
vigueur du traité de libre-échange canado-américain, les
investissements directs étrangers au Canada ont augmenté d'une
façon considérable de 1989 à 1991 par rapport aux
années antérieures au traité de libre-échange
canado-américain, malgré le fait qu'il y ait eu récession.
Et quand on parle d'investissements, M. le Président, je pense qu'on
parle d'investissements directs et non pas les investissements de portefeuille,
c'est-à-dire les investissements dans la machinerie et
l'équipement, les investissements qui génèrent de la
création d'emplois au Canada et au Québec.
Ces chiffres qui nous ont été transmis par Investissements
Canada montrent qu'il y a eu plus de 16 000 000 000 $ d'investissements directs
étrangers, dont au moins 65 % à 70 % en provenance des
États-Unis vers le Canada, et nous présumons, parce que,
là, on n'a pas les chiffres, qu'évidemment le Québec en a
bénéficié aussi, parce que nous n'avons pas les chiffres
sur un plan régional. Mais, tout de même, ça montre que
depuis et ce n'est peut-être pas une coïncidence
l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange les
investisseurs étrangers ont tout de même accueilli très
favorablement les possibilités offertes par le Canada, et je suis, pour
ma part, certain que le Québec en a aussi
bénéficié.
Le Président (M. Dauphin): Merci. M. le ministre.
M. Ciaccia: Vous avez parlé dans votre mémoire des
produits de l'automobile et d'investissements. Il y a plusieurs mémoires
qui nous ont vraiment fait un portrait «catastrophe» pour le
Québec dans ce secteur. Vous dites que les dispositions sont positives.
Est-ce que vous pourriez élaborer sur ce sujet un peu?
M. Dufour (Ghislain): Oui, c'est une critique très forte
qui est faite contre l'entente, qu'on exagère l'importance dans un
certain nombre de secteurs, dont celui de l'automobile, et vous avez entendu
hier une certaine critique. Alors, je vais demander au représentant
Osborne, de General Motors, de vous donner quelques chiffres, en quoi c'est
avantageux pour le Québec, l'ALENA. Marc.
Le Président (M. Dauphin): M. Osborne.
M. Osborne (Marc): Oui, M. le Président. Je vais
faire un bref rappel historique. On prend le Pacte de l'automobile qui a
été créé en 1965. Suite à ça, GM
créait trois usines au Canada, dont l'usine de Bois-briand. Ça a
permis de rationaliser l'industrie canadienne à ce moment-là, et
aussi de devenir la septième plus grande industrie automobile au monde,
et, finalement, de mettre des bases au Québec avec l'usine de
Boisbriand. Cet accès-là au marché nord-américain a
toujours été très important. À partir de 1965, on
pouvait importer des pièces tout partout à travers le monde puis
utiliser ces composantes-là, les mettre dans les automobiles canadiennes
et, ensuite, les exporter sans frais de douane aux États-Unis et les
vendre au Canada. On n'a jamais pu avoir accès au marché mexicain
en produits finis vu le décret, les contenus de valeur ajoutée et
les frais de douane. D'ailleurs, avec le décret de 1989, mexicain,
même si on rencontre la valeur ajoutée et le décret, on est
quand même frappés des frais de douane. Alors, si on regarde les
échanges commerciaux de l'an passé, on a vendu à peu
près pour 90 000 000 $ de biens au Mexique dans l'industrie automobile,
et le Mexique a réussi à exporter 1 900 000 000 $. Alors, il y a
une balance très défavorable envers le Canada dans l'industrie
automobile.
En ouvrant le marché mexicain, ça nous ouvre un
marché qui va croître à un rythme de 6 % annuellement, et
on croit que, vers 2004, l'industrie automobile mexicaine équivaudra, en
termes d'unités vendues, à l'industrie canadienne. Alors, c'est
un grand potentiel pour les monteurs, une usine comme Boisbriand qui va pouvoir
aller exporter des véhicules au Mexique beaucoup, beaucoup plus
facilement, à cause du décret qui va venir s'amoindrir sur une
base de 10 ans, que ce n'est le cas présentement.
Je peux vous rappeler aussi qu'on peut importer... on retrouve des
voitures fabriquées au Mexique sur le marché canadien à
des frais de douane qui sont très peu, mais le contraire
présentement est très difficile à créer ou à
faire.
Le Président (M. Dauphin): Merci. M. le ministre.
M. Ciaccia: Je vous remercie. Dans le secteur du camionnage, vous
avez mentionné des avantages. Dans l'entente du libre-échange
avec les Américains, ça avait été exclu, puis,
évidemment, il y avait des restrictions quant au... Est-ce que vous
pourriez élaborer juste un peu sur les avantages? Qu'est-ce que
ça représente pour notre industrie du camionnage au
Québec?
M. Dufour (Ghislain): On a choisi deux secteurs, entre autres,
parce qu'on en a énuméré toute une série tout
à l'heure, dont les institutions financières. C'est très
important ce qui va se passer au Mexique avec nos institutions
financières, mais aussi dans le camionnage qui est un service. Je vais
demander à Raymond Bréard, qui est le v.-p. de l'Association du
camionnage, de nous dire en quoi.
Le Président (M. Dauphin): M. Bréard.
M. Bréard (Raymond): Oui. Ce que ça a donné,
c'est que, d'abord, auparavant le marché mexicain nous était
presque inaccessible parce qu'on n'avait pas de relations commerciales avec les
entreprises mexicaines. Maintenant, depuis l'Accord de libre-échange, on
a eu des rencontres assez régulières avec les entreprises de
camionnage du Mexique, et ça permet au Québec d'aller chercher un
marché qui était, jusque-là, inaccessible. D'ailleurs,
ça nous a fait remarquer que les statistiques officielles des
gouvernements sur le commerce Québec-Mexique ne reflètent pas
nécessairement la vraie réalité. II y a un peu plus de
biens qui se transigent entre les deux pays que ne le démontrent les
statistiques, parce qu'on a découvert que des produits
québécois étaient vendus au Mexique par
l'intermédiaire de courtiers américains. Alors, nous, on vend aux
États-Unis et, quand on va au Mexique, on découvre qu'on a des
produits qui se vendent là-bas, mais on ne les a jamais vendus aux
Mexicains; nous, on les a vendus aux Américains qui les ont revendus aux
Mexicains. Ce que ça fait maintenant, c'est qu'on est capables d'aller
faire le transport directement avec les Mexicains. Avant, on livrait aux
États-Unis et on revenait. Maintenant, on est capables d'aller au
Mexique, d'échanger avec les Mexicains et de ramener de la cargaison.
Disons que ça a un potentiel énorme pour les entreprises
québécoises. (10 h 40)
M. Ciaccia: Je vous remercie. On n'a pas beaucoup de temps, puis
je voudrais en laisser, du temps, à mes collègues. Juste une
autre question. Sur les salaires, les bas salaires, votre argument, et je crois
que ça avait été démontré même par
d'autres intervenants, est que ça ne baissera pas les salaires ici.
Ça, c'est votre argument, de dire que l'ALENA peut avoir cette
conséquence, et vous avez montré comment ça va
plutôt à la hausse dans d'autres pays. Mais la crainte est que des
sociétés, des entreprises québécoises vont
déménager une partie de leurs opérations ou toutes leurs
opérations au Mexique parce qu'il y a des bas salaires au Mexique.
Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur cette crainte de plusieurs
groupes?
Le Président (M. Dauphin): M. Dufour.
M. Dufour (Ghislain): Ceux qui affirment ou qui expriment cette
crainte-là, que toutes nos entreprises vont déménager
là-bas, je pense qu'ils grossissent le problème. On vient
d'entendre, tout à l'heure, un représentant de GM dire qu'ils
pourraient peut-être installer un plan là-bas, mais il n'est
sûrement pas question de déménager la fabrication des
Camaro au Mexique.
La question des salaires, vous l'exprimez bien. Ce n'est pas vrai qu'il
y a un transfert de faibles salaires des pays en voie de développement
vers les pays plus riches. Au contraire, ça a tendance, comme on
l'exprime avec la Corée comme exemple, à monter les salaires de
tout le monde. Ce qui nous est souvent allégué, c'est que, comme
les Mexicains ont un salaire plus bas, ils vont inonder le Québec et le
Canada de leurs produits, les fabriquant à un salaire beaucoup plus bas.
Là-dessus, on n'a qu'une réponse, c'est celle du Conference Board
qui est très crédible et qui dit ceci: En 1989, c'était
vrai que les salaires canadiens étaient 7,5 fois plus
élevés que ceux d'un travailleur mexicain, 17,43 $ contre 2,31 $
pour le second. Mais deuxième partie de la phrase importante
le taux de productivité du premier était six fois et demie
plus élevé que celui du second. Donc, c'est vrai que les salaires
sont bons, mais ils n'ont pas de productivité. Et si on ajoute à
ça la gestion qui est plus faible, l'absence de capitaux, l'absence de
vraies institutions financières, bien, à ce moment-là, il
n'y a aucun avantage salaire. Donc, ça, c'est les deux arguments au
niveau du salaire.
Vous allez un petit peu plus loin en disant: Nos entreprises, demain,
s'en vont là-bas. Mais elles s'en vont là avec une certaine
productivité, par ailleurs; même si les salaires sont plus bas,
elles s'en vont là avec une certaine productivité. Mais il faut
aussi reconnaître que, pour faire en sorte qu'éventuellement les
Mexicains achètent nos produits il va falloir augmenter leur niveau de
vie, parce que, si on les laisse à 2,31 $, on ne leur vendra pas
beaucoup d'aéronefs. Alors, il va falloir grimper leur salaire et, une
des façons de le faire, c'est justement d'installer un certain nombre
d'usines de notre cru là-bas, avec nos méthodes de production,
notre technologie, etc., qui vont automatiquement augmenter leurs salaires et
faire en sorte qu'ils vont, pour nous, devenir des bons consommateurs.
M. Ciaccia: Je vous remercie. Quelle serait votre position quant
à la possibilité que d'autres pays accèdent à
l'ALENA? Parce qu'il y a une clause dans l'ALENA, à savoir qu'ils ont
besoin de l'accord unanime de chaque pays. Et on parle beaucoup de l'ouverture
en Amérique latine. Est-ce que vous avez...
M. Dufour (Ghislain): Oui, on est très au fait du fait que
les États-Unis, notamment, parlent déjà du Chili. Eux
autres, ils sont très intéressés par le Chili comme
éventuel associé et partenaire économique. On n'est pas
rendus là, M. le Président, pour une raison qui est très
simple. On n'a pas vécu encore les aléas possibles. Ça ne
roulera pas tout le temps sur quatre roues. Il va y avoir des problèmes.
Pour l'instant, nous, essayons de vivre celui-là, il n'est même
pas signé, avant d'en ajouter d'autres. Alors, on peut se donner une
période, un moratoire de vécu de ces ententes-là. Il y a
des nouveaux mécanismes, par exemple, d'arbitrage des différends,
des fameux groupes spéciaux dont on parlait. Comme il n'y a pas la
définition de subvention, aussi, on va continuer dans les chicanes
probablement. Alors, pour l'instant, on n'est pas, en principe, contre, mais il
faudrait sûrement regarder le vécu de tout ça avant d'aller
plus loin. Par ailleurs, si vous, les conducteurs
de ces dossiers-là, nous faites une proposition d'analyser
éventuellement, à partir d'un document de travail qui viendrait
de vous, la possibilité d'inclure le Chili ou d'autres pays, on va le
faire avec plaisir. Mais, pour l'instant, nous, on n'a pas fait cette
recherche-là.
M. Ciaccia: Vous avez mentionné les subventions, vous en
avez parlé dans votre présentation. La question de subvention a
été abordée après l'entente du libre-échange
avec les États-Unis, mais on s'est aperçu que leur position et la
nôtre étaient complètement à l'opposé l'une
de l'autre, et, pour eux, c'était presque une question
idéologique, la question de subvention. C'est pour ça que nous,
on a dit: Bien, écoutez, si on ne peut pas s'entendre avec les
Américains, parce qu'ils semblent prendre une position de «do as I
say, not as I do»... Parce qu'ils en font, des subventions, mais ils ne
veulent pas en entendre parler. C'est pour cette raison qu'on a pris la
position: On va établir ça au GATT et, la définition de
«subvention» au GATT, ça va s'appliquer aux
États-Unis. Parce qu'on a trouvé que c'était impossible de
négocier. C'est parce que vous exprimez une certaine réserve,
mais il faut avoir la... Tu sais, il faut s'entendre avec nos voisins, puis on
ne pouvait pas.
M. Dufour (Ghislain): Je vais demander à M. Garon
d'ajouter à ce que je vais dire. On sait que la majorité des
grands problèmes qu'on a rencontrés, justement, avec les
États-Unis et je comprends les positions tout à fait
divergentes du Canada et des États-Unis sur la définition de
«subvention»... Mais on sait que, dans le cas, par exemple, du
magnésium avec Norsk Hydro, ça a été une question
de définition de «subvention», bon, le coût de
l'électricité. Même chose dans le cas de la potasse. Alors,
ça crée un certain nombre de problèmes, mais on aurait
pensé qu'on pouvait aller plus loin. Alors, Jacques.
M. Garon (Jacques): Oui, M. le Président. Le
Président (M. Dauphin): M. Garon.
M. Garon (Jacques): En réponse au ministre, je pense que
c'est une question clé qui va déterminer la façon dont les
lobbyistes, qui sont très forts aux États-Unis, vont continuer
à persévérer dans ce qu'on a vécu au cours des
trois dernières années. Et, malheureusement, on ne sait pas trop
ce qui va se passer avec les négociations du GATT, parce que, là,
c'est un petit peu au point mort. On espère que ça va aboutir,
mais, dans le contexte où ça traîne en longueur puis que
ça n'aboutit pas, on se retrouve tout de même à la merci
des grandes industries américaines qui vont faire le lobby pour leur
propre secteur. Et dans ce contexte, malgré l'arbitrage qui nous est
proposé, qui est tout de même une certaine amélioration,
nous ne sommes pas convaincus que ça ne va pas se reproduire tant et
aussi longtemps que la question des négociations du GATT ne sera pas
réglée.
M. Ciaccia: Heureusement qu'on a le règlement des
différends, la structure de règlement des différends, et
la capacité de négocier avec le «Department of
Commerce». Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci.
M. Dufour (Ghislain): Si vous me permettez un ajout. Vous
illustrez bien, M. le ministre, que nos problèmes, dans le fond, ne sont
pas des problèmes avec l'ALENA, ce sont des problèmes avec les
États-Unis.
M. Ciaccia: Ha, ha, ha! Oui. Vous avez raison.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ciaccia: Bon point, bon point.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre. Alors,
il reste quatre minutes dans votre enveloppe de temps. Maintenant, je vais
reconnaître l'Opposition officielle en la personne du
député de Bertrand.
M. Beaulne: Merci, M. le Président. Votre mémoire
soulève certaines questions. Bien sûr, on s'attendait
déjà à certaines conclusions, mais, quand même, vous
soulevez des points intéressants qui se rattachent beaucoup plus, je
dirais, à la problématique avec les États-Unis, comme vous
venez de le mentionner, qu'à l'ajout du Mexique. Et je pense,
effectivement, que ce qui ressort jusqu'ici de cette commission, c'est que les
points ou les préoccupations que font ressortir les intervenants se
rattachent beaucoup plus à l'application plus ou moins boiteuse du
premier traité, c'est-à-dire celui avec les États-Unis,
plutôt qu'à l'ajout du Mexique ou, éventuellement, d'autres
pays.
J'aimerais revenir sur deux questions qu'a posées le ministre.
Premièrement, en matière d'investissements, vous avez cité
des chiffres, mais quel est l'impact véritable de l'Accord de
libre-échange sur l'augmentation de ces investissements-là par
rapport à des phénomènes comme, par exemple, le
phénomène des immigrants investisseurs de Hong-Kong que le
Québec a fait un effort particulier pour attirer, d'une part, et d'autre
part, d'autres investissements majeurs, en particulier certaines alumineries
qui sont venues s'installer ici, indépendamment des conclusions de
l'Accord de libre-échange?
M. Dufour (Ghislain): Personnellement, je ne pourrais pas faire
la division entre ce qui est imputable à ce que vous venez de dire et
qui est important dans l'attrait, les investisseurs de Hong-Kong ont beaucoup
d'argent. Je ne sais pas si, Jacques, tu peux.
M. Garon (Jacques): Oui. M. le Président, juste pour
ajouter une question. D'abord, c'est très difficile
d'avoir des statistiques précises sur la régionalisation
des 16 000 000 000 $ dont parle Investissement Canada, parce qu'il faut se
rappeler que tout ce qui est en bas de 150 000 000 $ n'a pas besoin de rentrer
à travers Investissement Canada. (10 h 50)
Deuxièmement, c'est vrai qu'il y a eu des investissements du
Sud-Est asiatique qui n'ont rien à voir avec le traité de
l'Accord de libre-échange canado-amé-ricain ou même, comme
vous l'avez mentionné, l'attrait de certaines industries au
Québec. Cependant, quand on regarde le total pour les investissements,
il y en a quand même 65 % à 70 % qui nous viennent des
États-Unis. Alors, on présume que, tout de même, ça
a dû avoir un impact positif en regard, au moins, des investisseurs
américains, parce que c'est de ceux-là qu'on parle dans le
contexte de l'accord canado-américain, ce qui n'empêche pas et
vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a d'autres investisseurs
étrangers qui, eux aussi, sont venus s'installer au Canada et au
Québec.
Le Président (M. Dauphin): M. le député.
M. Beaulne: Je posais la question, parce que c'est facile de
faire dire n'importe quoi aux chiffres, et je pense que, quand on veut
évaluer l'impact d'une mesure particulière, il faut être en
mesure de décortiquer les chiffres dans la mesure du possible. D'autre
part, vous dites que ça a eu un impact positif. On peut également
dire que ça n'a pas eu d'impact négatif. Alors, il y a
différentes façons de percevoir la réalité.
Ma deuxième question s'adresse au représentant de
l'industrie du camionnage. Vous avez mentionné que l'entrée du
Mexique profiterait à l'industrie du camionnage québécois.
Effectivement, théoriquement, et je dis bien
«théoriquement», sur papier, en supposant que cette entente
favorise l'accroissement des échanges entre le Canada... entre le
Québec et le Mexique, en particulier... Effectivement, sur papier, tout
du moins, ça ouvre certaines portes à l'industrie du camionnage
québécois. Par contre, dans la réalité, j'aimerais
que vous nous parliez un peu de votre position concurrentielle par rapport
à l'industrie du camionnage américain. Qu'est-ce qui vous permet
de dire que, dans l'application de l'ALENA, l'industrie du camionnage
québécois pourra concurrencer, effectivement, celle du camionnage
américain, même si, effectivement, en théorie, elle a
accès au marché mexicain? Je dis ça parce qu'une grande
partie, sinon la plus grande partie des échanges entre le Mexique et le
Québec se fait par transport ferroviaire ou par camion.
Le Président (M. Dauphin): M. Bréard.
M. Bréard: Oui, la question, elle est très,
très opportune, parce que le véritable problème, comme
disait M. Dufour, notre véritable problème, c'est avec les
Américains, en dehors de l'Accord de libre-échange
nord-américain. On a un problème de compétitivité
avec les transporteurs américains qui, quoiqu'il en soit, aurait
été le même depuis la période de
déréglementation et, sans escamoter les problèmes qu'on a
avec les Américains, on a eu des rencontres régulières
avec les transporteurs américains et les transporteurs mexicains. Il y a
même eu une convention ici, à Québec. La troisième
conférence sur l'Accord de libre-échange nord-américain
sur le transport s'est faite à Québec. Ça a
amélioré notre position concurrentielle et, en termes
réels, après six missions commerciales où on s'est
rencontrés, les employeurs des trois pays, on a commencé à
augmenter des échanges. Il y a des transporteurs du Québec, de
Thetford Mines, de Québec, de Montréal, qui font des trajets sur
le Mexique qu'ils ne faisaient pas avant. Le potentiel est encore
considérable, bien que là, comme ça commence, on n'a pas
réussi à équilibrer les voyages, parce qu'on a des voyages
du Mexique vers le Québec, mais on n'a pas toujours les voyages du
Québec vers le Mexique en même temps, alors ça cause des
petits problèmes. Mais le potentiel, il est là, parce que, avant,
tout ça, c'était exclusivement l'apanage des transporteurs
américains. Maintenant, on est capables d'y aller directement, passer
des accords commerciaux entre les transporteurs mexicains et
québécois, mais, comme vous dites, ça n'escamote pas le
problème que l'on a, et ce n'est pas avec les Mexicains, c'est avec les
Américains, et ça, c'est un problème de concurrence, un
problème de choix de société, un problème aussi
qu'on a... Ce n'est pas l'Accord de libre-échange nord-américain,
au contraire. L'Accord de libre-échange nord-américain nous
permet d'aller chercher un marché supplémentaire très
réel.
M. Beaulne: Oui. Ça m'amène, justement, à ma
troisième question qui concerne l'accès garanti au marché
américain. Vous soulevez, dans votre mémoire, le fait que, par
rapport à l'association de libre-échange américain,
l'ALENA représente un recul, en particulier au chapitre de la
définition des subventions. Je pense que c'est un chapitre absolument
important, parce que, lorsqu'on a fait le débat sur le
libre-échange avec les États-Unis, les arguments favorables
à l'entente qui avaient été avancés par ceux qui
appuyaient l'entente étaient à l'effet que ça nous
offrirait un marché, ça nous garantirait un accès au
marché américain, dans la mesure du possible, sans entrave.
L'application concrète a montré qu'il n'en était pas
toujours de même au chapitre, en particulier, de l'application des
surtaxes et des lois antidumping. Étant donné que vous
reconnaissez vous-mêmes, comme l'ont fait d'ailleurs d'autres
intervenants ici, qu'il s'agit là d'un recul par rapport à
l'association de libre-échange avec les États-Unis, comment
conciliez-vous l'appui ou l'argument qui avait été invoqué
de la garantie d'accès au marché américain avec le recul
que représente l'entente actuelle?
Le Président (M. Dauphin): M. Dufour.
M. Dufour (Ghislain): Vous utilisez le mot «recul».
Pour nous, ce n'est pas un recul, c'est qu'on aurait voulu profiter de cette
négociation pour en arriver à une meilleure définition de
la subvention. Il n'y a pas eu d'entente pour les raisons qui étaient
expliquées par le ministre tout à l'heure. Alors, tout ça
est laissé en plan, et on s'en reportera probablement,
éventuellement, à la définition du GATT. Et on ne sait pas
trop où ça nous amène.
Mais il ne faut pas oublier, M. le député de Bertrand,
qu'au moment où se signe le traité de libre-échange avec
les États-Unis il y a à peu près 600 projets de loi au
Congrès, dans à peu près tous les secteurs, où on
risque de se faire maganer drôlement. On a connu des problèmes, on
les a identifiés tout à l'heure, et il y en a probablement
d'autres, la potasse, le magnésium, le bois d'oeuvre qui est important
pour le Québec, mais on en a peut-être réglé 550.
Parce que ce n'était pas drôle quand on négociait; dans
à peu près tous les secteurs, nous autres, on était
bloqués de partout avec ces projets protectionnistes américains.
Alors, ça a amélioré très nettement la situation
par rapport à avant 1988. Mais on aurait souhaité une meilleure
définition de «subvention», je ne vous le cache pas, mais
pas en termes de recul, dans le sens qu'on aurait souhaité une
amélioration à la définition. Je pense aussi que la notion
de subvention, M. le député, est importante dans le camionnage.
Tu voulais ajouter là-dessus?
Une voix: Non.
M. Dufour (Ghislain): Non? O.K.
Le Président (M. Dauphin): M. le député.
M. Beaulne: Non, je conviens avec vous qu'effectivement
d'ailleurs, c'est l'argument qui a été invoqué dans les
quatre dernières années concernant le libre-échange avec
les États-Unis il y avait un potentiel de recours à des
mesures protectionnistes aux États-Unis, sauf que, quand on regarde
l'application concrète, ce qu'on avait perçu, nous, au Canada et
au Québec, et, entre autres, ce que percevaient bon nombre
d'entrepreneurs québécois et canadiens, lorsqu'on a signé
l'entente de libre-échange, c'est que les choses, les difficultés
s'estomperaient pas mal plus vite. On a remarqué que les
Américains étaient pas mal plus vite sur la gâchette que
nos entrepreneurs lorsqu'il s'agit de recourir aux tribunaux pour invoquer
toutes sortes de droits compensatoires ou de lois antidumping. Hier, on a eu
l'occasion de poser la question à un intervenant qui est venu ici, M.
Pettigrew, et il suggérait que nos entreprises canadiennes et
québécoises soient aussi rapides que les Américains pour
faire valoir leurs droits en cette matière. Qu'est-ce que vous en
pensez?
M. Dufour (Ghislain): Tout à fait d'accord, et nos
gouvernements aussi. On a souvent chicané le fédéral de ne
pas être allé assez vite dans un certain nombre de dossiers. On a
embarqué derrière le gouvernement du Québec, je pense,
à un moment donné, qui a reproché au gouvernement
d'Ottawa... je ne me rappelle pas dans quel dossier, mais il y en a eu deux de
suite, et on a dit: Ça n'a pas de sens, allez-y. Je vous donne
parfaitement raison. Maintenant, les entrepreneurs québécois
n'ont pas nécessairement la même culture face à ce genre de
dossier là que peuvent avoir certains entrepreneurs américains.
C'est toujours un petit peu plus long.
M. Beaulne: Mais pensez-vous qu'il y aurait lieu, compte tenu du
fait qu'on s'entend tous sur cette observation-là, ne pensez-vous pas
qu'il y aurait moyen, et quels seraient les moyens qui pourraient être
utilisés pour sensibiliser les entrepreneurs canadiens et
québécois à recourir aux mêmes méthodes,
puisque... De toute façon, vous avez peut-être eu vent de la
récente étude de l'Institut CD. Howe, qui montrait que les
États-Unis, à eux seuls, étaient responsables de 58 % des
recours devant ies tribunaux au cours des 10 dernières années.
(11 heures)
M. Bréard: Je vous donne deux exemples. Juste dans le
camionnage, parce qu'on est venu ici même, à la commission sur la
fiscalité et le financement des services publics, les Américains,
par exemple, pour des choses indirectes, on a déréglementé
le transport, on a fait l'Accord de libre-échange, mais le gouvernement
n'a pas Changé sa fiscalité. La fiscalité, pour les
entreprises québécoises, elle repose sur le critère de
résidence. Or, nous, ça nous coûte 2835 $ pour immatriculer
un véhicule routier; les Américains, ça leur coûte
1000 $, et ils nous chargent toutes sortes d'autres permis. Le Québec ne
l'a pas fait. Notre mémoire à la commission parlementaire sur la
fiscalité est très, très clair. Il faut équilibrer
les charges fiscales et, ça, c'est le gouvernement du Québec qui
peut le faire. On n'a pas à être gêné de le faire; il
faut ajuster notre fiscalité en fonction des mouvements de circulation.
en deuxième lieu, les américains imposent un contrôle
routier extrêmement sévère aux frontières. donc,
vous ne pouvez pas circuler aux états-unis si vous n'êtes pas
conforme à 100 % à leurs lois et à leurs
règlements. ce n'est pas pour rien qu'on a demandé à m. le
député qui a travaillé avec michel charbon-neau
là-dessus, il est bien au fait qu'on ait un contrôle
routier aussi efficace que les américains en ont un. par exemple, un
chauffeur américain peut entrer au canada même s'il a un casier
judiciaire. c'est impossible pour un chauffeur canadien d'entrer aux
états-unis s'il a un casier judiciaire. alors, pourquoi, nous, on laisse
n'importe qui entrer sur notre territoire? ils peuvent circuler sans
problème, ils ne paient rien alors que, nous, quand on va aux
états-unis, il faut tout payer, en plus. on a des accords de
réciprocité sur l'immatriculation, mais rien d'autre. en plus, il
faut être conforme à
100 % parce que leur contrôle routier est pas mal plus efficace
que le nôtre, et on a des...
M. Beaulne: Qu'est-ce qui a été fait, de la part du
gouvernement, pour répondre à vos préoccupations?
M. Bréard: Ils ont quand même fait des
progrès remarquables. Avec la loi 108, on a donné à la
Société de l'assurance automobile le contrôle routier.
Évidemment, c'est une tâche qui est colossale, mais ce qui a
été fait, même si c'est assez important, ce n'est rien
comparé à ce qu'il reste à faire, parce qu'il en reste pas
mal à faire.
Le contrôle de nos frontières, par exemple, à cause
de la structure fédérale, on a Douanes et accise Canada qui
s'occupe des douanes, et le contrôle routier, qui doit être
après, ce n'est pas la même chose aux États-Unis. Aux
États-Unis, tout est vérifié par le douanier. Si vous
n'avez pas vos permis, vous n'entrez pas. Vous ne pouvez même pas
discuter. Retournez, arrangez-vous, puis c'est comme ça.
Cependant, le problème de la fiscalité, il n'y a rien qui
a été fait, du côté de la fiscalité. Et,
c'est ce qu'on a déposé en commission parlementaire.
M. Dufour (Ghislain): Jacques, tu veux ajouter quelque chose?
M. Garon (jacques): oui, deux petites observations. d'abord, en
réponse à votre question, j'ai dit tout à l'heure que
c'était près de 65 % d'investissements directs américains.
en réalité, revoyons le chiffre, c'est 84 %. la deuxième
question à laquelle je voulais répondre, c'est sur ce
problème de subvention qui est très, très important. mais
c'est une épée de damoclès! parce qu'on a toujours
prétendu, au canada, que, s'il y avait une chose à laquelle on ne
voulait pas toucher, c'est les industries culturelles, c'est les subventions
que l'on accorde indirectement à l'agriculture et à toutes sortes
d'autres dossiers qui touchent la souveraineté d'un pays. or, ni le
canada ni le québec ne veulent vraiment rentrer dans ce dossier, pas
plus que les américains, et c'est pourquoi on s'est retrouvé avec
le statu quo, à mon avis, ce qui est dommage.
M. Beaulne: M. le Président, je laisserais à mes
collègues...
Le Président (M. Dauphin): D'accord. Il vous reste environ
cinq minutes dans votre enveloppe. Je vais reconnaître, respectant
l'alternance, M. le député de Montmagny-L'Islet.
M. Gauvin: Merci, M. le Président. Ma première
question s'adresserait à M. Bréard, dans le domaine du transport.
Est-ce que vous avez pu faire l'évaluation du volume d'affaires qui
pourrait se faire par nos transporteurs québécois, étant
donné qu'on aurait, dorénavant, une entrée au Mexique, en
développement et volume d'affaires, à partir du Québec? Je
parle du volume d'affaires possible à partir des États-Unis, pour
nos transporteurs québécois. Ça va être possible
aussi, ça, dans nos échanges.
M. Bréard: À partir du Mexique ou à partir
des États-Unis?
M. Gauvin: À partir des États-Unis. Un chargement
aux États-Unis, vers le Mexique, va être possible?
M. Bréard: Oui.
M. Gauvin: Donc, c'est un volume d'affaires additionnel pour les
transporteurs québécois qui sont déjà
implantés au niveau de leurs relations avec les Américains.
M. Bréard: Oui. Le seul problème qu'il nous reste
à résoudre... Parce que, là, on a la Loi sur le cabotage
et on a bien dit, dans l'Accord de libre-échange, qu'on garde les
dispositions sur le cabotage parce qu'on ne veut pas se faire envahir par les
Américains. Là, le seul problème qu'il y a, c'est de
balancer nos voyages parce que, en théorie, il n'y a pas trop de
problèmes. En pratique, c'est grand, les États-Unis, entre la
frontière canadienne et la frontière mexicaine; il y a de la
distance. Alors, on n'est pas toujours capable d'équilibrer nos voyages
parfaitement à cause, justement, de l'ampleur de la distance qui existe
entre les deux frontières, parce qu'on ne peut pas faire deux points
à l'intérieur des États-Unis. On ne peut pas, par exemple,
en livrer un à Dallas, venant du Mexique, et en prendre un de Dallas
à un autre point et, après ça, remonter au Canada. Alors,
ce petit bout-là, dans le milieu, il commence à être pesant
dans la capacité de balancer les voyages. Mais on a beaucoup de
progrès. On n'est pas capable de déterminer avec précision
quel va être le volume, mais on est en train de le faire. À cause
des changements structurels importants, l'ampleur est considérable. Mais
on a beaucoup plus de voyages Québec-Mexique actuellement qu'il n'y en
avait avant. Avant, il n'y en avait pas; maintenant, il y en a pas mal plus.
Mais, comme je vous le dis, le problème qu'on a: ils vont nous appeler
pour 25 voyages Mexique-Québec un voyage, un côté
mais on n'a pas, en même temps, les mêmes 25 voyages pour
balancer le retour, ça fait que ça crée des
problèmes.
M. Gauvin: Vous avez raison, mais toujours dans le même
domaine, vous avez fait allusion tantôt à la commission, au
comité qui avait été formé, où le
député de Saint-Jean et moi-même...
M. Bréard: Oui.
M. Gauvin: ...avons siégé. Il y a des tentatives
qui ont été faites par le Québec que je
considère énormes pour tenter de rétablir ou de
permettre aux transporteurs québécois d'être plus
compétitifs en tentant de mieux contrôler les étrangers sur
notre territoire. Mais vous avez réalisé qu'on a tenté de
faire appliquer certaines règles qui avaient été reconnues
par la Commission des transports et le ministère des Transports.
Ça n'a pas été vraiment... Nous n'avons pas eu la
collaboration du gouvernement canadien, soit au niveau des douanes, soit au
niveau de l'application de leur propre réglementation parce que, quand
nos Américains se sont sentis frustrés par la nouvelle
réglementation qu'on tentait de faire appliquer par les nouveaux
contrôleurs routiers, ils ont réagi à Ottawa pour nous
demander d'être plus réalistes, pendant que nous, transporteurs
québécois, ça fait très longtemps qu'on est
conscients que nous sommes réalistes quand nous allons sur le territoire
américain et vous en savez quelque chose, évidemment.
Donc, il y a encore des choses à corriger à ce
niveau-là.
M. Bréard: Et surtout avec le niveau
fédéral.
M. Gauvin: Oui. Bien, évidemment, ce n'est peut-être
pas... En tout cas, on ne réglera pas tous nos problèmes, mais on
a réalisé depuis deux ans que nous n'avions pas eu la
collaboration souhaitée à ce niveau-là, parce qu'on avait
préparé une réglementation qui aurait pu corriger
certaines choses, qui n'est pas facile d'application.
M. Bréard: Juste une...
Le Président (M. Dauphin): II vous reste 30 secondes. Je
ne sais pas si M. le ministre veut garder les 30 secondes pour la fin. Non?
Ça va.
M. Gauvin: O.K. Ma question...
Le Président (M. Dauphin): Un commentaire.
M. Gauvin: Oui, un commentaire, peut-être à M.
Dufour. Je pense que vous l'avez un peu mentionné tantôt: dans la
région que je représente, il y a un industriel, qui s'est fait
connaître dans le meuble tabulaire, qui s'est installé,
après avoir pris un marché aux États-Unis, une ligne de
production aux États-Unis. Et il a développé graduellement
au Mexique, donc, il a aussi installé une ligne de production il y a une
couple d'années, au Mexique, pour réaliser, après coup...
Et là les travailleurs de ma région ont crié après
le député: Nous sommes en train de perdre 75 emplois, 100
emplois, et c'est un crime. Mais cette même entreprise a
réalisé, finalement, en produisant au Mexique, qu'il y avait des
problèmes de qualité et de productivité. Et,
récemment, elle est revenue produire au Québec pour alimenter un
marché qui est particulier dans le Sud des États-Unis, qui est
probablement... Je pense que c'est un marché qui était trop de
haut de gamme pour les Mexicains en attendant que les Mexicains, eux autres,
développent des besoins ou la capacité d'acheter ce
produit-là. Donc, la preuve est en train de se faire, dans ma
région, qu'on n'a pas nécessairement à s'inquiéter
de certaines entreprises qui pourraient aller produire au Mexique. Ce n'est pas
aussi facile que ça d'aller produire au Mexique et de rester
compétitif, c'est-à-dire de prendre ce produit-là, de le
ramener ici et de reprendre une partie de notre marché
nord-américain.
M. Dufour (Ghislain): Quoiqu'il faudra quand même accepter
qu'on ait de l'expertise canadienne et québécoise qui se pointe
au Mexique pour augmenter leur niveau de vie. Je ne pense peut-être pas
à votre fabricant de meubles, là, mais je pense aux firmes
d'ingénierie, par exemple. Il va falloir qu'elles aillent là-bas
et qu'elles relèvent le niveau de vie pour qu'ils puissent acheter nos
produits, éventuellement.
M. Gauvin: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci. Mme la
députée de Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. En fait, devant cette
commission, je crois bien ne pas me tromper en disant que, des groupes qui s'y
succèdent, aucun n'affiche, en principe, un rejet. Il y a une sorte de
caractère irréversible de l'interpénétration des
marchés. En fait, la grande question, c'est de savoir comment on peut
mieux tirer notre épingle du jeu et comment on doit devenir proactif. En
lisant le mémoire du Conseil du patronat, l'impression qu'on en a, c'est
que, d'une certaine façon, tout va bien, et il faut continuer à
ce que ça aille aussi bien. Et ce n'est pas nécessairement,
évidemment, le sentiment qu'en ont nos concitoyens. Ça ne veut
pas dire pour autant qu'ils rejettent l'Accord, mais ils ont le sentiment que,
si ça va bien, qu'est-ce que ça serait si ça allait mal,
étant donné qu'ils n'ont pas l'impression, bon... (11 h 10)
alors, ceci dit, moi, je me demandais, m. dufour... tantôt, m. garon a
parlé des investissements, en fait des investissements qui ont
augmenté, là, substantiellement. par ailleurs, on se rend compte
que, s'ils ont augmenté au canada, ils ont boudé le
québec, parce que les dernières prévisions
d'investissements, de statistique canada, sont quand même
inquiétantes, extrêmement inquiétantes. et quand on regarde
les investissements totaux et privés, bien, pour la troisième
année consécutive, ils sont en diminution. ce n'est pas peu. en
fait, on parle d'une diminution de 10 % des investissements totaux et de
près de 25 % des investissements privés. et ce n'est pas
seulement, dit-on, la fin des grands projets dans le secteur de l'aluminium et
de l'automobile. on regarde les investissements dans la
machinerie et l'outillage et on se rend compte qu'il y a comme un
problème. Alors, comment on va faire face, finalement, à des
marchés de plus en plus concurrentiels avec moins d'investissements?
M. Dufour (Ghislain): Je voudrais d'abord, au niveau de l'image
de notre mémoire, vous dire simplement ceci: Dans un débat public
et vous en faites tous les matins il faut prendre position. Ou on
est pour ou on est contre. Alors, là, on a dit que, nous, on
réagissait de façon positive, sans y faire toutes les nuances
qu'on pourrait y faire. Parce que c'est bien sûr que ce n'est pas le
Pérou, sauf qu'on donne une image à la population que, pour nous,
c'est une bonne entente.
Ceci dit, là, évidemment, vous ramenez le débat
à une question de Québec-Ontario. C'est vrai que les
prévisions pour la prochaine année, en termes d'investissements,
sont inférieures à ce qui est prévu en Ontario. Donc, il y
aurait eu une part des investissements dont on parle plus grande à
l'extérieur du Québec, mais je pense que ce n'est pas le
rôle de cette commission d'en analyser les raisons. Il y en a plusieurs,
vous les connaissez aussi bien que moi. Mais je voudrais en donner une qui est
purement technique: au niveau des pâtes et papiers, par exemple, on a
constaté qu'ils vont investir en Ontario et qu'ils n'investissent pas
ici. Bien, non. Ici, on fait la mise à pied, on a des problèmes
énormes avec certaines lois sur la qualité de l'environnement.
Tout l'argent, dans le fond, qui est investi là-dedans n'est pas investi
dans le développement. Alors, il y a une période transitoire de
deux, trois ans où cette industrie-là, notamment, ne fera pas de
l'investissement appelons-le de développement mais va
surtout essayer de s'ajuster à certaines politiques gouvernementales. si
on prenait chacun des secteurs comme ça mais, là, je ne
suis pas prêt à le faire il y a un paquet de raisons. mais
on est tous d'accord, par ailleurs, pour dire que c'est malheureux qu'on n'ait
que 0,05 %, je pense, ou 0,5 % de progression par rapport à l'ontario
qui en a 6 %, d'autant plus que, quand on constate ce qui se passe en ontario
actuellement, ça ne s'explique pas.
Mme Harel: D'autant plus...
M. Dufour (Ghislain): On n'a pas un gouvernement qui a une
tendance bien grosse à attirer les investissements, actuellement, en
Ontario, alors...
Mme Harel: vous donnez l'exemple de l'industrie des pâtes
et papiers. effectivement, au niveau des dépenses en machinerie et
équipement, les prévisions sont à l'effet qu'il y aurait
61 % d'investissements en ontario contre 9 %, évidemment, au
québec, seulement.
En regard des négociations parallèles que le
président américain a annoncées en matière
d'environnement et de travail, qui devraient, à la hausse, finalement,
j'imagine, amener à une sorte de relèvement... Je ne sais pas si
vous avez pris connaissance de cette étude réalisée par le
ministère de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu,
une comparaison Québec-Mexique où on voit que, sur le plan
juridique, au regard de tout ce qu'on peut imaginer comme lois du travail, que
ce soit sur le salaire minimum, que ce soit sur des avantages sociaux, nommez
n'importe laquelle de ces conditions de travail, et vous allez voir que, sur
papier, le Mexique est bien en avance sur nous; en d'autres termes, que le
Mexique a signé à peu près tout ce qu'il pouvait y avoir
d'ententes au niveau du Bureau international du travail, sauf que ce n'est pas
appliqué, évidemment. Ils ont même une garantie de retour
à l'emploi, un congé de formation qui, je crois, est encore en
discussion dans notre société, et, enfin, bien d'autres choses.
Et on se rend compte que ce n'est pas là où le bât blesse.
Si on entreprend, sur le plan légal, des négociations, j'ai
l'impression que, eux, ils sont prêts à signer pas mal beaucoup de
choses. Mais, la question, c'est de savoir comment tout ça va être
appliqué dans la réalité.
M. Dufour (Ghislain): Bon. Alors, au départ, j'ai eu peur
qu'on n'ait pas la même étude, parce que nous...
Mme Harel: C'est celle qui s'intitule «Salaires et
relations du travail dans un contexte de libre-échange
nord-américain».
M. Dufour (Ghislain): Et, nous, on a fait un dossier CPQ pour nos
membres à partir de cette étude-là. Et, justement, on
découvre dans l'étude que les conditions de travail au Mexique
sont bien supérieures aux nôtres.
Mme Harel: Sur papier. Ha, ha, ha!
M. Dufour (Ghislain): Oui, mais, en tout cas... Quand on parle du
congé de maternité, par exemple, c'est beaucoup supérieur
au nôtre, les congés annuels payés, tout. Bon, on s'entend
au moins là-dessus. L'application est une autre chose mais, tant et
aussi longtemps qu'ils vont demeurer seuls et entre eux pour gérer leurs
propres conditions, ça va se perpétuer. Mais le jour où il
y aura une concurrence qui sera à l'interne, où, là, il y
aura des entreprises américaines, des entreprises
québécoises, des travailleurs canadiens et des travailleurs
québécois qui vont s'en aller là-bas, qui vont faire
appliquer ce genre de législation qui... Aujourd'hui, c'est vrai, ce
n'est pas tricoté trop dur, mais les conditions sont là.
Une voix: Mais on voit où ça mène aussi.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci beaucoup.
Malheureusement, c'est tout le temps qui nous
était alloué. Alors, au nom de tous les membres de la
commission des institutions, nous désirons vous remercier, M. Dufour et
votre équipe, d'avoir accepté notre invitation. On vous souhaite
un bon retour. Et je demanderais à l'Association des manufacturiers du
Québec de s'avancer à la table des invités. (11 h 20)
M. le ministre de l'Industrie et du Commerce, à l'ordre, s'il
vous plaît!
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Tremblay (Outremont): Excusez-moi, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): C'est avec plaisir que nous
accueillons maintenant l'Association des manufacturiers du Québec,
représentée par son vice-président et directeur
général, M. Richard Le Hir, qui est accompagné, si vous me
permettez, de M. Éric Hubar Meunier, qui est directeur de la recherche
et analyse. Alors, bienvenue, messieurs. Nous avons une période d'une
heure qui nous est permise, c'est-à-dire un tiers, un tiers, un tiers;
environ 20 minutes pour l'exposé et 40 minutes d'échanges entre
vous-mêmes et les membres de la commission. Bienvenue, et
procédez.
Association des manufacturiers du Québec
(AMQ)
M. Le Hir (Richard): Merci, M. le Président. L'Association
des manufacturiers du Québec remercie la commission parlementaire des
institutions pour l'occasion qu'elle lui fournit d'exposer son point de vue
dans le dossier du libre-échange nord-américain. L'Association
des manufacturiers du Québec est une division autonome de l'Association
des manufacturiers canadiens et elle regroupe plusieurs centaines d'industriels
dont les activités représentent à peu près 65 %
à 70 % du PIB manufacturier au Québec.
Pour ces manufacturiers, il ne fait aucun doute que la conclusion
d'ententes de libre-échange avec nos partenaires nord-américains
constitue un développement majeur qu'ils appuient dans une très
forte majorité, même s'ils auraient souhaité que l'encre
ait le temps de sécher sur l'entente qui venait d'être conclue
avec les États-Unis et qu'on ait le temps de procéder aux
ajustements nécessaires à notre base industrielle et au recyclage
et au redéploiement de notre main-d'oeuvre avant d'étendre
l'entente au Mexique.
À cet égard, les manufacturiers déplorent que le
gouvernement fédéral n'ait pas encore donné suite aux
engagements qu'il avait pris au moment de la signature de l'entente avec les
États-Unis. On se souviendra que, outre de faciliter la restructuration
industrielle et la formation de la main-d'oeuvre, le gouvernement
fédéral avait endossé les conclusions du défunt
Conseil économique du Canada selon lequel, pour que le Canada tire
avantageusement son épingle du jeu du libre-échange, il suffisait
que le dollar se maintienne dans une fourchette moyenne de 0,78 $ à 0,81
$ au cours des 10 ans pendant lesquels l'intégration économique
CanadaÉtats-Unis s'effectuerait et qu'au cours de la même
période les taux d'intérêt réels se situent à
3 % et que la croissance moyenne du PIB se situe à au moins 3 %.
Or, depuis l'entrée en vigueur du traité de
libre-échange avec les États-Unis, il est évident que la
performance de l'économie canadienne s'est écartée
très sensiblement du scénario privilégié et
annoncé comme allant de soi par le gouvernement fédéral.
Et, malgré cette erreur importante, l'entente de libre-échange
s'est révélée bénéfique pour le Canada,
selon la conclusion d'une étude très complète rendue
publique l'automne dernier par l'Institut CD. Howe.
En ce qui concerne plus particulièrement l'Accord de
libre-échange nord-américain qui vient d'être conclu entre
le Canada, les États-Unis et le Mexique, l'objectif central que
poursuivaient les manufacturiers dans les négociations qui ont
mené à cet accord était d'obtenir une amélioration
substantielle de notre accès au marché américain et de
sécuriser encore davantage cet accès. Les manufacturiers doivent
pouvoir entrevoir le potentiel de croissance que leur offre un marché
plus important pour justifier les investissements considérables qu'ils
doivent effectuer dans les technologies de production avancées pour
demeurer à la fine pointe de leur industrie.
À cet égard, l'élimination des tarifs constituait
un facteur déterminant dans le degré d'accès qu'on pouvait
avoir au marché américain. Dès le départ, on visait
l'élimination totale des tarifs, et c'est l'entente conclue qui nous
donne, à cet égard, pleine satisfaction dans la mesure où
cette élimination s'effectue sur des périodes suffisamment
longues. La communauté manufacturière perçoit cette
évolution dans le droit fil de la tendance établie par
près de 40 ans de négociations au sein du GATT. On
reconnaît que la présence des barrières tarifaires a
contribué à l'inefficacité de notre secteur manufacturier
et que l'élimination graduelle des tarifs constitue une étape
nécessaire dans le redressement de notre capacité
concurrentielle. On notera cependant que, même si les tarifs canadiens
sont généralement supérieurs aux tarifs américains,
l'élimination des tarifs américains nous garantira un meilleur
accès au marché américain et nous procurera un avantage
comparatif sur nos concurrents des autres pays.
Il faut toutefois noter que l'élimination graduelle des tarifs
sur une période de 10 ans ne constitue pas à elle seule une
incitation pour les manufacturiers à rationaliser leurs
opérations et, conséquemment, à rechercher une
amélioration de leur productivité. Il ne faut donc pas, comme on
le fait trop souvent dans certains médias, y voir une conséquence
directe des fermetures d'usines et des pertes d'emplois. En fait, le secteur
manufacturier a été en ajustement constant depuis les 40
dernières années. L'examen des statistiques de 1965 à 1985
démontre que, dans chaque secteur industriel, les manufac-
turiers ont amélioré leur capacité d'exporter, tout
en procédant aux rationalisations rendues nécessaires par leur
mauvaise performance dans les créneaux où ils n'étaient
plus compétitifs. Ces ajustements ont nécessairement des
répercussions sur les niveaux d'emploi dans le secteur
manufacturier.
Parmi les facteurs qui contribuent à ces répercussions,
notons les écarts brusques que peuvent connaître les taux de
change dans certains marchés qui peuvent atteindre jusqu'à
50 % sur des périodes de 12 à 24 mois les changements
technologiques rapides, une modification importante des goûts des
consommateurs et le jeu des cycles économiques. Sur ce point, l'impact
de la récession de 1981 et de 1982 sur les niveaux d'emploi dans le
secteur manufacturier a été, on s'en souviendra, très
considérable. À côté de cela, l'impact d'une
réduction graduelle des tarifs semble bien peu de chose.
En fait, autant la théorie économique que
l'expérience vécue tendent à démontrer que le
processus d'élimination des tarifs contribue justement à
augmenter le revenu disponible du consommateur qui, dès lors, est en
mesure d'augmenter sa demande, ce qui entraîne une augmentation de la
production, de l'investissement et de l'emploi. Nos entreprises
manufacturières et notre main-d'oeuvre, dans le passé, ont fait
preuve d'une plus grande faculté d'adaptation qu'on ne veut bien leur en
donner le crédit. Et il est essentiel de comprendre que les
retombées potentielles d'une augmentation des exportations nous
fournissent à la fois un incitatif à et les moyens de poursuivre
la restructuration de notre économie. pour clore cette section, il
serait bon de rappeler que les manufacturiers dépendent de plus en plus
des exportations. en 1980, au canada, nous exportions 25 % de toute notre
production. pour 1992, ce chiffre aura grimpé jusqu'à 45 %. la
progression des exportations des manufacturiers du québec se situe dans
cette tendance. depuis 1989, le taux effectif des tarifs éliminés
sur les importations de produits américains, tel qu'il s'exprime en
proportion de la valeur totale des importations, est passé de 3,8 %
à 3,5 %, soit une diminution de 0,5 %... sur la période de 1987
à 1991, le dollar canadien a connu une appréciation de 21 %, ce
qui représente un impact 40 fois supérieur à l'impact de
l'élimination des tarifs sur les produits américains
importés au canada. la valeur accrue du dollar canadien a aussi eu pour
effet de réduire la valeur des ventes en dollars canadiens de nos
exportations vers les états-unis. en d'autres termes, il s'est agi d'une
taxe qui a de loin surpassé les retombées de l'élimination
des tarifs prévue en vertu de l'accord de libre-échange.
Non seulement les manufacturiers souhaitaient-ils, comme nous venons de
le voir, un meilleur accès au marché américain, mais
encore demandaient-ils que cet accès soit sécurisé. Pour y
arriver, nous ne demandions pas, parce que cette demande aurait
été irréaliste, d'obtenir une exemption réciproque
à nos règles de réparation en matière de commerce
international. En fait, la clé de l'accès réciproque
à nos marchés se trouve dans le dispositif de règlement
des conflits qui nous assure une meilleure gestion des relations commerciales
entre les partenaires. Ce dispositif prévoit la mise sur pied de
comités bilatéraux qui rendraient des décisions liant les
parties en cas de conflit sur les termes de l'entente ou sur l'application des
règles régissant les relations commerciales de chaque pays. Cette
mesure s'appliquera particulièrement dans les cas d'imposition de tarifs
antidumping et de droits compensatoires. Grâce à celle-ci, nous
serons à l'abri de l'application unilatérale des lois
américaines et des machinations politiques auxquelles ces jeux peuvent
donner lieu. C'est un résultat qui nous a semblé hors d'atteinte
jusqu'à la dernière minute des négociations. La
portée de cette mesure est très grande et prévoit l'examen
des circonstances permettant de déterminer si les autorités de
l'un ou l'autre des pays ont pris une décision qui ne serait pas
conforme à ses lois et à ses règlements ou qui ne serait
pas conforme à l'esprit de ses lois, à ses pratiques
administratives ou à ses précédents judiciaires.
Cependant, même si nous n'avons pas obtenu des règles
nouvelles comme nous le souhaitions, nous avons réussi à obtenir
un engagement à procéder à la définition de
nouvelles règles, sur une période de cinq à sept ans, en
vertu desquelles nous disposerons d'un droit d'appel limité sur des
questions de fond seulement. Cela constitue un progrès dans la mesure
où les États-Unis accorderont désormais à un autre
pays le droit d'intervenir dans l'application de leurs règles de
réparation et cela ouvre la porte à de nouvelles règles
formulées et appliquées conjointement. On se trouve ainsi
à remettre entre les mains des comités bilatéraux
d'experts le soin de procéder au règlement des conflits
commerciaux plutôt que de les laisser à la merci des tribunaux et
des avocats. Nous espérons aussi que cela contribuera à contenir
les excès capricieux et trop souvent politiques de leur
système.
Un autre des avantages reliés à la mise en oeuvre de
l'ALENA sera de faire figurer dans la législation américaine une
reconnaissance spécifique des relations commerciales entre les pays.
Cette reconnaissance devrait permettre d'éliminer les cas où le
Canada se retrouverait inclus par mégarde dans des actions qui visent
d'autres pays. Enfin, on appréciera le risque que l'on aurait couru
à ne pas avoir son mot à dire dans l'application des lois
commerciales américaines. On se serait alors retrouvé à
devoir constamment livrer bataille sur leur terrain au moment même
où les tendances protectionnistes américaines se trouvent
exacerbées par les déficits combinés du budget et de la
balance commerciale et par la menace qu'ils font peser sur la suprématie
économique des États-Unis. Historiquement, ces tendances
s'accélèrent lorsque l'économie ralentit et que le
chômage augmente.
Au chapitre des mesures transitoires qui pourraient être
nécessaires pour favoriser l'adaptation de notre économie,
l'Accord n'impose aucune nouvelle
contrainte. En fait, il y a même une disposition spéciale
qui permet la limitation de certaines importations qui nous causeraient un
préjudice grave durant la période de transition. Pour notre part,
quoique nous estimions qu'un nouvel environnement commercial pourra s'instaurer
au cours de la prochaine décennie, nous sommes parfaitement conscients
des défis réels qu'il imposera aux manufacturiers et aux
travailleurs. Il incombera donc au gouvernement d'adopter des politiques qui
auront pour effet de nous permettre d'améliorer notre
compétitivité. De plus, de façon à obtenir
l'adhésion la plus large possible à l'Accord, notamment
auprès des patrons de PME et des travailleurs, le gouvernement du
Québec devrait se montrer particulièrement insistant
auprès du gouvernement fédéral pour qu'il annonce
clairement quels seront les politiques et les programmes qu'il mettra en oeuvre
pour faciliter la transition, en plus de lui offrir sa collaboration la plus
entière pour en faciliter l'application. (11 h 30)
Au chapitre des marchés publics, il faut savoir que le Canada
recherchait un meilleur accès aux États-Unis, mais que les
négociations n'ont pas permis de déblocage dans ce domaine. On a
pu noter une légère augmentation des occasions d'affaires, mais
le seul gain important que nous ayons pu obtenir se présente sous la
forme d'un engagement à poursuivre les négociations une fois que
l'Accord sera entré en vigueur. Vu l'importance de l'activité des
gouvernements dans notre économie, qui fait de ceux-ci les plus grands
acheteurs de biens, il faudra revenir à la charge sur ce point dans
l'avenir.
Même si l'on peut constater que les modifications tarifaires et
non tarifaires prévues dans cet accord auront une portée
très large, il n'en reste pas moins que certains secteurs industriels
sont plus particulièrement visés. C'est notamment le cas pour les
secteurs de l'agriculture et de la transformation alimentaire. En effet,
l'élimination graduelle de tous les tarifs et le maintien des
mécanismes de contrôle de l'offre créeront de nouvelles
conditions. Certains secteurs s'en tireront avantageusement comme, par exemple,
les industries de la viande rouge et du sucre. Pour l'industrie des boissons
alcooliques, les résultats sont plus mitigés. L'industrie
brassicole est exemptée, et les distilleurs obtiennent un meilleur
accès à un marché dans lequel ils obtiennent
déjà de beaux succès. Pour ce qui est des viticulteurs, la
situation est moins favorable en raison du rythme assez rapide auquel on
retirera la protection tarifaire, et cela laisse présager des
difficultés dans cette industrie.
En ce qui concerne les manufacturiers de produits alimentaires, ceux-ci
verront l'élimination, sur une période de 10 ans, des tarifs et
des restrictions commerciales. On notera cependant que le maintien des
mécanismes de contrôle de l'offre se traduira par l'obligation
pour nos manufacturiers de supporter des coûts d'intrants plus
élevés que ça n'est le cas pour leurs concurrents
américains, tout en devant livrer la concurrence sur un marché
ouvert. Cette industrie devra donc faire face à des problèmes
réels. Quoique les négociateurs canadiens aient la conviction que
l'Accord contient des mécanismes adéquats pour faire face
à cette situation, il n'en reste pas moins que l'industrie de la
transformation alimentaire devra obtenir des changements à nos
politiques agricoles pour éviter d'être décimée par
des facteurs échappant à son contrôle.
Dans l'industrie automobile, malgré quelques changements sur les
tarifs et l'introduction de nouvelles règles d'origine plus
contraignantes, le Canada a réussi à maintenir les protections
qui existaient pour la production canadienne. Les négociateurs de
l'Accord sont convaincus que les conditions sont maintenant réunies pour
une croissance importante, à la fois dans les niveaux de production et
les niveaux d'emploi. Nous estimons, pour notre part, que ces perspectives ne
se matérialiseront que dans la mesure où le Canada
réussira à maintenir vis-à-vis des États-Unis et du
Mexique un environnement très compétitif. Cependant,
l'introduction dans l'Accord d'une disposition exigeant 50 % de contenu
nord-américain sur la base des coûts de fabrication constitue un
avantage pour la plupart des grands manufacturiers de pièces
automobiles, alors que les plus petits entretiennent certaines
inquiétudes.
Dans le secteur du vêtement, la situation est plus complexe. Au
cours des dernières années, il y a eu une amélioration
significative de la capacité concurrentielle de notre industrie, surtout
grâce au recours à des tissus provenant des quatre coins du monde.
Toutefois, cette façon de procéder pose de sérieuses
difficultés quand vient le temps de définir des règles
d'origine et de prévoir le niveau du contenu nord-américain. Cela
pourrait avoir comme conséquence des changements aux politiques en
vigueur dans chacun de ces pays.
En ce qui concerne le secteur des services, nous avons noté que
les négociateurs canadiens ont réussi à limiter la
capacité des États-Unis à augmenter les restrictions. On
remarquera au passage la disposition portant sur l'entrée temporaire aux
fins d'y conduire des affaires. Nos manufacturiers avaient eu à se
plaindre dans le passé des limitations et des délais qu'on
imposait au personnel qu'on envoyait aux États-Unis pour assurer le
service ou l'entretien du matériel canadien acheté par des
clients américains. On comprendra que peu d'entreprises soient
disposées à acheter des équipements complexes et
sophistiqués si le service après-vente n'est peu ou pas
disponible. Et comme ce sont ces équipements à haute valeur
ajoutée que nous devons viser à vendre de plus en plus, il est
important d'avoir allégé les contraintes à la circulation
du personnel de service.
Le secteur de l'énergie. Il s'agit d'un point très
sensible pour la plupart des Canadiens. En raison de l'abondance de nos
ressources énergétiques telles que
l'hydroélectricité, le gaz et l'uranium, nombreux sont ceux qui
nous reconnaissent un avantage stratégique important. Le Canada et le
Québec font déjà d'importantes exportations vers les
États-Unis, et il y a tout lieu
de penser que ces exportations iront en augmentant avec la conclusion de
cet accord. Depuis les chocs pétroliers des années soixante-dix,
on entretient chez nous des préoccupations relativement à la
sécurité de nos approvisionnements, et ces préoccupations
trouvent leur écho dans cet accord qui reconnaît notre droit de
suivre des politiques de conservation.
L'Accord étend aux États-Unis un engagement
déjà pris envers l'Agence internationale pour l'énergie,
selon lequel les deux parties partageront proportionnellement dans toute chute
des approvisionnements. Cet engagement ne nous prive cependant pas du droit de
déterminer ce qui constitue une période de pénurie et de
prendre les mesures appropriées aux circonstances. Il veut simplement
dire que nous ne pouvons faire de discrimination à rencontre des
États-Unis dans la restriction des approvisionnements. Cependant, il ne
revient pas à accorder aux États-Unis un droit illimité ou
invariable à nos approvisionnements en énergie. Notre avantage
stratégique ne s'en trouve pas non plus affecté dans la mesure
où le Canada vend déjà depuis longtemps ses ressources
énergétiques aux États-Unis sans que cela ne lui ait nui.
En fait, s'il y a un aspect positif à souligner, c'est bien que la
levée des restrictions américaines nous permettra de vendre plus
d'énergie aux États-Unis, ce qui ne peut que nous être
bénéfique. La sécurisation de l'approvisionnement des
États-Unis aura aussi pour effet de faciliter le financement du
développement de réserves additionnelles d'énergie au
Canada, ce qui, de toute façon, améliorera la
sécurité de nos approvisionnements à long terme.
En ce qui concerne maintenant les investissements, les dispositions de
l'Accord portant sur les investissements vont donner force de loi à
certaines politiques actuelles du gouvernement fédéral. On
continue de maintenir hors du cadre de l'Accord les industries culturelles et
l'édition. On réaffirme la propriété canadienne sur
d'excellentes entreprises du secteur de l'énergie.
L'élévation proposée du seuil à partir duquel les
investissements deviennent sujets à examen a pour effet
d'éliminer, à toutes fins pratiques, tout examen sur la plus
grande majorité des investissements dans la PME. On sait que les milieux
d'affaires au Canada et au Québec ont, à plusieurs reprises,
souligné l'importance des investissements, et le gouvernement
fédéral s'est engagé à maintenir sa politique
actuelle d'ouverture très large aux investisseurs étrangers.
En examinant maintenant le marché, l'analyse historique de la
libéralisation des échanges démontre hors de tout doute
qu'elle s'accompagne de retombées avantageuses au niveau des volumes de
production qui se trouvent à augmenter, des prix qui se trouvent
à baisser et, sur une longue période, au niveau des salaires qui
se trouvent à augmenter. Ce disant, nous ne cherchons d'aucune
façon à minimiser les coûts d'adaptation, autant pour les
entreprises que pour les travailleurs. Il faut cependant reconnaître que
ce processus d'adaptation est engagé depuis plusieurs décennies
et qu'il peut être géré.
L'argument principal des opposants à l'Accord est que, pour se
gagner un meilleur accès au marché américain, le Canada
doit accepter toute une série de contraintes dont l'effet est de
resserrer encore davantage les liens économiques Nord-Sud. C'est, en
gros, le marché que nous devons accepter, et un bon nombre des opposants
à l'Accord, notamment à l'extérieur du Québec, le
trouvent inacceptable parce que, craignent-ils, il aura pour effet de miner
l'axe Est-Ouest dans lequel l'économie canadienne s'est
développée, de déplacer une proportion importante de
l'activité de production vers le Sud et de compromettre la
liberté des Canadiens de gérer leurs affaires et de demeurer une
société distincte.
Pour répondre à cet argument, notons tout d'abord que le
Canada, tout comme les États-Unis, d'ailleurs, s'est bel et bien
engagé à ne pas créer sur son marché des conditions
qui l'avantageraient ou qui l'assureraient d'une forme quelconque de traitement
préférentiel. Les parties se sont mutuellement engagées
à se consulter et à appliquer au jeu économique des
règles équitables. Cela aura comme conséquence que nous
devrons davantage compter sur notre capacité concurrentielle et nos
avantages comparatifs. Toute la question est de savoir si ces contraintes sont
acceptables. Sur le strict plan philosophique, l'AMQ répond oui à
cette question dans la mesure où l'Accord nous astreint à la
discipline du marché, dépolitise les décisions
économiques et supprime les interventions que l'on considère
généralement contre-productives et dicriminatoires. De plus, les
faits démontrent que notre industrie manufacturière s'est
relativement bien comportée consécutivement aux diverses rondes
d'élimination des tarifs effectuées dans le cadre du GATT, sans
que la souveraineté du pays ne s'en trouve de quelque façon
affectée. Notons enfin que nos politiques et programmes les plus
sensibles sur le plan politique politiques sociales, culturelles,
régionales et gestion de l'offre dans le secteur agricole se
situent hors du cadre de l'Accord, conformément à ce qui semble
faire l'objet d'un très large et très rare
consensus à travers tout le pays.
Il est cependant essentiel de comprendre que l'Accord à lui seul
est loin de régler tous nos problèmes. Nous avons souligné
l'importance et les défis de restructuration auxquels les entreprises et
les travailleurs de l'industrie manufacturière canadienne et
québécoise sont confrontés. Nous savons également
que nos chances d'arriver à prospérer dans le nouvel ordre
économique mondial vont dépendre très directement de notre
capacité d'ajuster nos valeurs de société aux nouvelles
valeurs de production qui, on le sait, sont très exigeantes. Nous savons
que notre succès dépendra dans une très large mesure de la
capacité que nous aurons de démocratiser les valeurs d'excellence
qui sont à la base de la concurrence dans une économie mondiale
ouverte. Mais cela ne suffira pas. Il faut aussi reconnaître que nos
partenaires dans l'Accord souhaitent réussir et prospérer au
moins autant que nous, et qu'ils vont utiliser toutes
les ressources du système pour y parvenir. Il nous incombe donc
d'en faire autant, de nous départir de toute naïveté et
d'envisager l'Accord et toute la législation commerciale comme des
instruments qu'on peut utiliser à la fois sur le plan offensif pour
conquérir de nouveaux marchés, sur le plan défensif pour
éviter de se faire enlever des positions que l'on occupe
déjà ou pour se donner du levier pour renforcer nos positions
offensives.
Dans le concret, il est important de réaliser que nos partenaires
commerciaux n'hésitent pas à se servir de leurs lois, de leur
réglementation ou de leur système politique pour consolider leur
propre position dans le marché, et ce, d'une manière que nous
savons être parfois très agressive. Nous sommes familiers avec les
cas d'imposition de droits compensatoires qui ont défrayé la
manchette, mais il y a aussi lieu de s'inquiéter de pratiques dont
l'effet est très insidieux et qui affectent la détermination de
nos manufacturiers à conquérir de nouveaux marchés en
multipliant devant eux des obstacles de nature bureaucratique comme le
contrôle systématique des manifestes aux postes de douane, la
modification constante des exigences réglementaires, la substitution de
formulaires, l'application tatillonne de règlements obscurs, etc. Les
Américains ne font là qu'appliquer leur système. Il faut
cependant être très conscient que ce système
pénalise lourdement nos entreprises qui n'ont souvent pas la surface de
leurs concurrents américains et qui ne sont pas en mesure d'investir,
sauf au risque de leur rentabilité, le temps et les ressources
nécessaires pour composer avec ces situations, ce qui revient à
constater l'existence de barrières virtuelles au développement de
nos échanges avec les États-Unis. (11 h 40)
II est donc essentiel pour le gouvernement du Québec de
s'entendre avec le gouvernement fédéral sur des contrôles
douaniers plus stricts et une application rigoureuse des lois et
règlements des deux ordres de gouvernement aux importations en
provenance des États-Unis. De plus, le gouvernement du Mexique doit se
préoccuper de l'existence aux États-Unis de pratiques
protectionnistes dont l'effet est de bloquer l'accès sur certains
marchés aux biens fabriqués chez nous en faisant ressortir le
caractère bilatéral des échanges. Quand on voit, par
exemple, une municipalité comme Old Orchard stipuler, dans ses appels
d'offres pour l'achat de camions à incendie, qu'ils doivent avoir
été fabriqués aux États-Unis, il ne faut pas
hésiter à souligner aux administrateurs de cette ville l'apport
des touristes québécois à son économie et le
caractère inamical de leur décision d'écarter de leur
considération des biens fabriqués au Québec. Quand on
habite à côté d'un géant et qu'on est petit, il faut
hausser la voix pour se faire entendre.
En conclusion, les problèmes réels que nous venons de
souligner ne suffisent pourtant pas à altérer notre ferme
conviction que l'Accord de libre-échange nord-américain constitue
un développement favorable qui va forcer nos manufacturiers à
devenir compétitifs, ce qui, en bout de piste, est la meilleure
assurance de notre sécurité économique. Il s'agit
cependant d'un important défi à relever, mais dont l'ampleur se
trouve toute relativisée face à l'ampleur des problèmes
que connaîtrait notre économie si elle s'appuyait sur des usines
inefficaces, protégées par des tarifs. Tout retard dans
l'adaptation ne ferait qu'empirer une situation qui est déjà bien
difficile.
Si l'on considère maintenant l'acquis important que
représente un accès plus large et plus sûr au marché
américain, il y a lieu de se montrer très satisfait et optimiste
pour l'avenir de nos relations commerciales avec les États-Unis. Nous
n'avons évidemment pas obtenu tout ce que nous aurions souhaité
dans cet accord, mais il n'en reste pas moins qu'il constitue un pas important
dans la bonne direction et qu'il contient des engagements fermes à
résoudre les questions restées en suspens. Il constitue, en
outre, un pilier de stabilité dans un environnement teinté par la
dérive protectionniste. Il offre aussi d'importantes perspectives
d'amélioration de notre niveau de vie, tout en nous assurant des prix
plus bas et un élargissement de l'éventail de nos choix dans les
achats que nous faisons.
Il est également important de comprendre que le rejet de cet
accord aurait pour effet de réduire substantiellement
l'intérêt qu'il y aurait à investir au Canada et au
Québec. Nous assisterions, en outre, à un accroissement du nombre
des actions directes de représailles contre nos exportations ou nous
subirions, de façon indirecte, les représailles prises contre
d'autres pays, sans le bénéfice des mesures que prévoit
l'Accord pour protéger nos intérêts.
L'Association des manufacturiers du Québec a donc l'intention de
travailler activement avec toutes les parties intéressées, et
notamment le gouvernement fédéral et le gouvernement du
Québec, pour mettre en place toutes les mesures nécessaires qui
accroîtront la capacité de notre économie de concurrencer
dans ce nouvel environnement. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. Le Hir, pour
votre exposé. Nous débutons maintenant la période
d'échanges en reconnaissant derechef, en premier lieu, M. le ministre
des Affaires internationales.
M. Ciaccia: Merci. Je veux remercier l'Association des
manufacturiers du Québec et M. Le Hir pour votre mémoire et la
présentation de votre mémoire. Vous parlez, à la page 2,
de certaines politiques fédérales qui avaient été
endossées quand l'entente du libre-échange avait
été signée. Je voudrais venir aux mesures d'adaptation
parce que, dans votre mémoire, vous ne parlez pas de mesures
d'adaptation en termes précis. Présentement, on a un
comité interministériel qui révise la stratégie
d'adaptation du Québec pour tenir compte de l'ALENA. Il y a eu certains
programmes qui existaient au niveau fédéral et au niveau du
gouvernement du
Québec, mais il faut cependant noter qu'un grand nombre
d'importations mexicaines entrent déjà en franchise de droits au
Canada. Est-ce que l'Association des manufacturiers a pris une position au
sujet des mesures d'adaptation en réaction à l'entente du
libre-échange nord-américain?
M. Le Hir: Je ne suis pas certain de bien saisir le sens de votre
question, là.
M. Ciaccia: Bien. Beaucoup d'intervenants nous arrivent et nous
suggèrent qu'il nous faut des mesures d'adaptation pour les entreprises,
pour les travailleurs. Je me demande si c'est un sujet qui vous
préoccupe...
M. Le Hir: Absolument!
M. Ciaccia: ...et avez-vous une idée du genre de mesures
qui seraient nécessaires? Est-ce que vous pouvez nous faire des
propositions? Quelle importance attachez-vous aux mesures d'adaptation pour
l'ALENA?
M. Le Hir: Écoutez, on adapte... Il faut regarder l'ALENA
pas juste dans l'optique de l'élargissement au Mexique mais
également de la situation qui prévaut déjà avec les
États-Unis. Dans ce sens-là, on souligne simplement le fait que
le gouvernement fédéral, au moment de la conclusion de l'entente
du libre-échange, avait indiqué qu'il procéderait à
l'introduction de mesures pour favoriser, justement, l'adaptation des
entreprises et des travailleurs. Le résultat, pour l'instant, n'est pas
très éloquent c'est le moins qu'on puisse dire et
il y a, finalement, des problèmes dans plusieurs secteurs,
problèmes qui sont exacerbés par la récession
économique qu'on traverse. Mais il n'en reste pas moins que, pour
être capables d'être concurrentielles, les entreprises doivent,
à l'heure actuelle, faire face à des réalités
nouvelles, que ce soit au plan de la technologie, des transferts de
technologie, que ce soit au plan de leur capitalisation, que ce soit au plan de
la formation de leur main-d'oeuvre. Et je pourrais continuer cette
liste-là. Et ce n'est pas particulier à un secteur. C'est
vraiment presque généralisé.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Ciaccia: Mais vous n'avez pas de proposition précise
à faire au sujet de la nouvelle entente.
M. Le Hir: Non, pas spécifiquement au sujet de la nouvelle
entente. C'est déjà des propositions qu'on a faites dans un cadre
non vertical mais plutôt horizontal.
M. Ciaccia: Dans votre mémoire, vous parlez abondamment de
l'accès au marché américain. Je ne vous blâme pas,
parce qu'on fait 60 fois plus d'affaires avec...
M. Le Hir: Les États-Unis.
M. Ciaccia: ...les États-Unis qu'on n'en fait avec le
Mexique. Mais vous parlez très peu de l'accès au marché
mexicain. Est-ce que ça veut dire que les membres de votre association
ne trouvent pas que le marché mexicain soit attrayant?
M. Le Hir: Écoutez, c'est un marché... Il faut
regarder simplement la réalité des chiffres. Vous l'avez
souligné, on commerce 60 fois plus avec les États-Unis qu'on ne
le fait avec le Mexique. Et, pour l'instant, le marché mexicain demeure
encore un marché qu'on connaît mal et un marché qui, selon
les standards des autres marchés qu'on a été
habitués à développer, n'offre pas, pour l'instant, les
plus grandes promesses. Il n'y a pas de doute, cependant, que tous nos membres
sont conscients de l'impact qu'a la conclusion de l'entente de
libre-échange nord-américain sur le développement que va
connaître le marché mexicain. Et il n'y a pas de doute que cet
intérêt existe, mais ce n'est pas un intérêt qui est
nécessairement pour le très court terme; c'est plus un
intérêt pour le moyen et le long terme.
M. Ciaccia: À la page 22 de votre mémoire, vous
mentionnez la possibilité d'utiliser la législation commerciale
canadienne pour éviter de se faire enlever des parts de marché.
C'est l'équivalent des droits compensateurs que les Américains
imposent?
M. Le Hir: Pas nécessairement. C'est...
M. Ciaccia: Est-ce que vous pourriez élaborer un peu?
M. Le Hir: Oui.
M. Ciaccia: Est-ce que ce sont les gouvernements qui devraient
agir ou est-ce que ce sont les entreprises qui devraient utiliser la
législation existante?
M. Le Hir: Bien, il y a un peu des deux, mais ce qu'on vise
surtout, dans ce cas-ci, c'est moins l'utilisation de la législation
antidumping que l'application de toutes les lois et tous les règlements
applicables, notamment au niveau du contrôle des douanes. Nos membres,
eux, se font harceler systématiquement, et ce, surtout depuis quelques
mois, à leur passage aux douanes américaines. Et il faut
constater que les chargements sont contrôlés
systématiquement à leur arrivée aux États-Unis,
alors qu'au Canada, lorsqu'un chargement entre, le contrôle est moins
systématique. Les informations qu'on a, c'est qu'on contrôlerait
en moyenne un chargement sur sept au Canada, alors qu'aux États-Unis on
les contrôle tous systématiquement.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup.
M. Ciaccia: On va vérifier ça, parce que, si c'est
vraiment de même, c'est vraiment une guerre commerciale. S'ils font
ça systématiquement... C'est ça qu'on nous dit,
mais...
M. Le Hir: C'est l'information qu'on a.
M. Ciaccia: On va vérifier cette information pour voir ce
qu'on peut faire en termes de représentation.
M. Le Hir: Je peux vous donner encore le cas d'un manufacturier
de bonbons, Trebor, à Sherbrooke, qui, récemment, a vu ses
chargements coincés aux douanes pour des contrôles tatillons
incroyables. Et son compétiteur entre au Canada avec un
étiquetage unilin-gue. Alors, ça vous donne une idée de la
mauvaise application de nos lois et règlements au niveau des
importations et d'une surapplication de leurs lois et règlements au
niveau de nos exportations.
M. Ciaccia: Mon collègue aurait une question à
poser sur ce sujet-là, spécifiquement.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Montmagny-L'Islet, sur le même sujet.
M. Ciaccia: Sur le même sujet.
Le Président (M. Dauphin): M. le député. (11
h 50)
M. Gauvin: Oui, évidemment, sur pratiquement le même
sujet. Vous avez parlé dans votre mémoire des marchés
publics, dont vous mentionnez qu'il serait souhaitable d'obtenir une
libéralisation plus importante à ce niveau-là. Qu'est-ce
que vous entendez par «nos marchés publics au
Québec»? Il faudrait toujours se rappeler que les
États-Unis ont tenté d'avoir une certaine réserve à
ce niveau-là.
M. Le Hir: Écoutez, quand on parle des marchés
publics, ce sont les marchés de l'État et des organismes qui sont
soumis à un contrôle de l'État. Alors, c'est au niveau des
approvisionnements pour les ministères, les agences gouvernementales.
C'est ce genre de choses là qu'on vise.
M. Gauvin: Toujours en souhaitant avoir une certaine
réciprocité avec les États-Unis?
M. Le Hir: Ah! mais, c'est évident.
M. Gauvin: Donc, nous avons un débat à faire
à ce niveau-là avec eux autres.
M. Le Hir: Absolument!
M. Gauvin: Êtes-vous confiant qu'au niveau canadien on est
en mesure de le faire?
M. Le Hir: Je pense qu'il y a quand même des
expériences dans le passé qui démontrent qu'on ne s'est
pas trop mal tiré d'affaire. Il y a, dans le cadre des industries de la
défense qui existent depuis plusieurs années des
ententes qui prévoient l'approvisionnement par les États-Unis
auprès de compagnies canadiennes et québécoises et, dans
ce contexte-là, on n'a pas trop à se plaindre.
M. Gauvin: Un peu dans le même ordre d'idées que M.
le ministre, tantôt. Vous disiez, à un moment donné, dans
votre rapport, à la page 5, souhaiter la réduction... Vous dites
que la réduction graduelle des tarifs a peu d'importance. Qu'est-ce que
vous souhaitez comme impact, comme autres dispositions, comme impact au niveau
des emplois à cette occasion-là?
M. Le Hir: Écoutez, je pense que ce qu'on met en relief,
c'est qu'on a tout à fait tort, en certains milieux, de penser que la
réduction des tarifs graduelle, telle qu'elle s'est produite, a eu un
impact déterminant. En fait, on le voit simplement à faire le
calcul. L'impact de la réévaluation du dollar a été
de près de 40 fois supérieure. Alors, je veux dire, c'est
dérisoire d'invoquer l'existence du libre-échange pour expliquer
la détérioration de la situation qui s'est produite dans le
secteur manufacturier. Le vrai problème, c'est au niveau des politiques
monétaires de la Banque du Canada.
M. Gauvin: Tantôt, avec le groupe qui vous a
précédé, j'ai fait allusion à une expérience
qui est vécue par une entreprise de mon comté, et j'ai envie de
la reprendre avec vous, parce que ça touche un peu ce niveau-là.
Je parlais d'une entreprise de meubles tabulaires qui développait un
marché aux États-Unis, s'est installée pour produire aux
États-Unis de façon parallèle et a réalisé
qu'il y avait aussi un marché au Mexique et, finalement, y est
entrée. Donc, ils avaient une certaine vision. Ils sont entrés au
Mexique pour produire et, moi, dans ma région, finalement, ça a
inquiété les travailleurs. Ils voyaient des pertes d'emplois, il
y a deux ou trois ans, pour réaliser récemment que leur
production mexicaine n'était pas en mesure de... D'abord, la
productivité n'était pas là, même s'ils essayaient
d'appliquer les mêmes techniques, parce que ce n'était pas tout
à fait encore accepté. M. le ministre de l'Industrie et du
Commerce nous l'a mentionné encore tantôt. Il mentionnait que les
Mexicains vont devoir s'ouvrir à notre technologie et à nos
pratiques au niveau de la productivité. Cette même entreprise
là a réalisé finalement qu'il y avait avantage à
revenir pour produire au Québec et a réembauché
peut-être 60, 70 employés récemment, à cause de la
productivité et de la qualité, toujours en espérant que le
marché mexicain pourrait se développer ou que les Mexicains, leur
niveau de vie pourrait leur permettre d'acheter des produits de plus haute
gamme. Donc, dans ma région, s'il y avait de l'inquiétude il y a
deux ou trois ans au niveau du libre-échange, il y en a
moins aujourd'hui.
M. Le Hir: Bien, oui.
M. Gauvin: Est-ce que vous avez de l'historique qui peut
ressembler à ça dans d'autres régions?
M. Le Hir: Absolument! Je suis d'abord familier avec le cas que
vous mentionnez là, et mon collègue a quelques statistiques sur
la comparaison qu'on a pu faire, quand on calcule l'ensemble des facteurs, sur
la différence quant à l'avantage qui peut présentement
exister entre le Canada et le Mexique au plan des salaires.
M. Hubar Meunier (Éric): Au plan des salaires, ce qu'on a
pu calculer, c'est tout simplement que, quand on considère le taux de
productivité, comme on l'a souvent mentionné, et également
ce que représentent les salaires dans les coûts d'opération
des compagnies, en tout et partout, toutes choses étant égales,
il n'y avait que 1 $ à 0,80 $ c'est à peu près la
valeur à laquelle il se transige en ce moment soit un avantage en
faveur du Mexique de 4 %. C'est ce que ça représente à peu
près, globalement, en chiffres. Or, quand on regarde cet avantage de 4 %
et qu'on regarde, par exemple, ce qui va arriver au niveau des coûts de
transport, au niveau de l'accès aux capitaux, au niveau de la
main-d'oeuvre bien formée, au niveau des institutions, etc., on se rend
compte que ce n'est certainement pas un avantage de 4 % au niveau des salaires
qui nous rend non concurrentiels.
M. Le Hir: J'aimerais ajouter là-dessus que, lorsqu'on
regarde la compétitivité qu'on peut avoir, il faut regarder
l'ensemble des facteurs qui contribuent à cette
compétitivité-là et ne pas s'arrêter uniquement au
cas des salaires. Et lorsqu'on examine l'ensemble des facteurs, bien, on va
entrer en compte la formation de la main-d'oeuvre, l'expérience qu'elle
peut avoir, la qualité des infrastructures qui permettent à
l'entreprise d'opérer, son accès à des services bancaires,
financiers complets, bref, tout un ensemble qui va, finalement, venir
pondérer les chiffres qu'on obtient par le seul examen des salaires.
M. Gauvin: Croyez-vous une petite question que les
Mexicains sont prêts, suite à l'expérience que je viens de
mentionner, à accueillir aussi facilement la technologie, nos
technologies canadiennes, ou peut-être américaines dans bien des
cas, et nos formules de production?
M. Le Hir: Écoutez, ils le font déjà. Il y a
déjà des grands groupes industriels multinationaux
installés au Mexique, et qui ont réussi à implanter au
Mexique leurs méthodes de production. Je ne vois pas pourquoi les
Mexicains seraient plus particulièrement rébarbatifs à nos
méthodes de production à nous.
M. Gauvin: Non, évidemment. C'est un peu les mêmes
que les Américains.
M. Le Hir: Bien, voilà. M. Gauvin: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Maintenant, M.
le député de Bertrand.
M. Beaulne: Merci, M. le Président. Votre mémoire,
finalement, porte beaucoup plus sur la suite de l'association de
libre-échange avec les États-Unis qu'avec l'ajout du Mexique.
Effectivement, je pense que ça rejoint la préoccupation de la
plupart des intervenants, et ce qui ressort, au fond, des
délibérations de la commission, ici, c'est que la
préoccupation de nos gens est beaucoup plus axée sur la
façon de tirer le meilleur profit de l'Accord avec les États-Unis
plutôt que sur des préoccupations majeures concernant l'extension
de cet accord-là au Mexique ou à d'autres pays
éventuellement.
Vous avez fait un long exposé sur l'accès, justement, au
marché américain en invoquant toutes sortes de
considérations que, de façon générale, on partage.
Mais il ne ressort pas clairement, à mes yeux en tout cas... Quelle est
votre conclusion là-dessus? Tout à l'heure, le Conseil du
patronat remarquez, de façon très prudentea
souligné un certain recul par rapport au traité avec les
États-Unis concernant la définition de «subvention»,
et vous faites un exposé assez complet un peu dans le même sens,
mais sans aboutir nécessairement à la conclusion. Quel est
véritablement votre diagnostic, en date d'aujourd'hui, par rapport
à l'accès au marché américain, qui constituait,
finalement, la plus belle promesse qu'on faisait miroiter à nos gens
lors des discussions du premier Accord de libre-échange?
M. Le Hir: Écoutez, je pense que, simplement l'examen de
la progression des exportations canadiennes vers les États-Unis depuis
la conclusion de l'entente de libre-échange, malgré la hausse du
dollar qu'on a eu l'occasion de déplorer à plusieurs reprises,
est tout de même un témoignage assez éloquent des gains
qu'on a pu effectuer au niveau de l'accès. C'est sûr que, comme
d'autres, on aurait préféré que la question des
subventions soit éclaircie, mais on réalise fort bien que l'ALENA
n'était peut-être pas le meilleur forum pour que cette
question-là puisse être éclaircie et que, de toute
façon, elle faisait l'objet de discussions multilatérales
beaucoup plus englobantes dans le cadre des négociations du GATT. Alors,
on l'a reportée tout simplement parce qu'on sait qu'elle va être
traitée à un autre niveau et que ça ne sert à rien
de s'empêtrer à jouer dans les définitions quand on sait
qu'elles risquent d'être modifiées rapidement à un autre
niveau, par une autre instance.
M. Beaulne: Oui, je suis d'accord avec vous que les exportations
canadiennes et québécoises ont augmenté aux
États-Unis, sauf que c'est un peu une conclusion générale,
dans le sens: Jusqu'à quel point est-ce attribuable à
l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises, au
développement de réseaux de distribution plus efficaces, à
une présence plus articulée sur le marché
américain, ou si c'est le résultat de la signature de l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis? En d'autres mots, accord ou
pas accord, quelle est l'influence conjoncturelle de l'augmentation de ces
exportations-là et même l'amélioration de la
compétitivité de nos entreprises par rapport au fait d'avoir
signé un traité de libre-échange avec les
États-Unis dont l'application laisse encore beaucoup à
désirer, comme vous l'avez vous-même soulevé? (12
heures)
M. Le Hir: Écoutez, je pense que votre question contient
en elle les germes de la réponse. Malgré tous les
problèmes qu'on a connus et qu'on décrit, il reste quand
même que la progression des exportations depuis l'entrée en
vigueur de l'entente du libre-échange a été plus forte que
pendant les périodes antérieures et, malgré le fait qu'on
soit en récession, que l'économie américaine ait
été en récession et qu'on ait eu un dollar
particulièrement élevé, alors, c'est une conclusion
à laquelle on parvient par élimination, si vous voulez, parce
qu'il n'y a pas d'autres facteurs pour expliquer cette progression que
l'entrée en vigueur de l'entente de libre-échange.
M. Beaulne: À la page 23 de votre mémoire, vous
faites allusion à toutes sortes d'obstacles de nature bureaucratique qui
s'appliquent aux États-Unis. Ni l'Accord de libre-échange avec
les États-Unis, ni l'ALENA ne viennent modifier ces pratiques à
l'heure actuelle. Est-ce que vous y voyez une façon «à
l'américaine» d'introduire des barrières non tarifaires du
style japonais?
M. Le Hir: Écoutez, je pense qu'il faudrait surtout se
garder de penser que les Américains sont les seuls à pratiquer ce
genre d'exercice là. Pour ceux d'entre vous qui peuvent peut-être
se rappeler un cas qui s'est produit il y a quelques années en Europe,
la France, à un moment donné, était
particulièrement choquée à l'endroit du Japon pour une
pratique d'exportation systématique vers la France de matériel
audiovisuel, alors que la France avait encore des espoirs dans ce
domaine-là. Pour créer des obstacles à l'importation en
France, on a décidé un jour que toute l'importation se ferait par
un seul port d'entrée, et celui-là dans le milieu de la France,
à Angers, où il n'y a pas un douanier en vue. Et alors, pendant
quelques mois, tout a été bloqué, jusqu'à ce que
les Japonais réalisent qu'ils avaient avantage à s'imposer un
contingentement volontaire.
Ces mesures sont monnaie courante dans une économie ouverte et,
contrairement à ce que l'on peut penser, une économie ouverte, ce
n'est pas une économie dans laquelle on fait ce que l'on veut; il faut
respecter les règles. Ce qu'il faut réaliser, c'est qu'à
partir du moment où l'économie s'ouvre le respect des
règles devient encore plus critique à la réussite
commerciale des pays.
M. Beaulne: Je suis d'accord avec vous. Sauf que je suis
persuadé qu'un bon nombre de vos membres pensent que ce genre de
dispositions qui, en fait, sont des irritants importants dans le commerce de
nos entreprises, en particulier, peut-être, des PME aussi avec les
États-Unis, qu'en signant le traité, l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis ou avec le Mexique ce genre
d'obstacles va disparaître. Or, je pense que...
M. Le Hir: Non, je pense que, là, vous faites erreur. On
ne se fait aucune espèce d'illusion. On n'a jamais pensé que
l'entente de libre-échange était un moyen pour nous de ne plus
avoir à respecter les lois et règlements des pays avec lesquels
on faisait affaire.
M. Beaulne: Non, ce n'est pas tout à fait le sens de mon
intervention. Moi, ce que je disais, c'est qu'il y en a qui s'imaginent qu'en
signant l'Accord de libre-échange le genre d'obstacles auxquels vous
faites allusion va s'estomper.
M. Le Hir: Non. On n'a jamais cru ça.
M. Beaulne: Donc, ce que vous dites, c'est que le...
M. Le Hir: Ce que l'entente de libre-échange devait faire,
c'était de créer ce qu'on appelle un «level plain
field» pour tout le monde. Et, dans ce sens-là, je pense qu'on a
atteint les objectifs qu'on recherchait. Maintenant, ça n'empêche
pas les pays comme le Québec, par exemple, d'appliquer ses lois et
règlements sur l'étiquetage ou bien sa loi linguistique sur
l'importation de matériel, des jouets ou quoi que ce soit. Et il ne faut
pas penser que ça serait ça. On ne l'a jamais pensé, nous,
en tout cas.
M. Beaulne: Non, mais je pense que c'est important de le
clarifier, parce que, par rapport surtout aux promesses qui avaient
été faites lors de la négociation du premier accord avec
les États-Unis, où on s'était mis dans l'esprit que tous
les obstacles ou que la majorité des obstacles disparaîtraient du
fait qu'on avait signé un traité, qu'on aurait un accès au
marché américain de beaucoup facilité.
M. Le Hir: Et c'est le cas.
M. Beaulne: C'est vrai sur papier, c'est vrai en partie, mais il
a beaucoup...
M. Le Hir: C'est plus que sur papier, il y a des chiffres qui
sont là pour le montrer.
M. Beaulne: Oui, mais il y a beaucoup de dispositions qui ne vont
pas dans l'esprit de l'entente.
M. Le Hir: Écoutez, on souligne que, ces choses-là,
c'est la règle normale du jeu. Il faut qu'on développe, nous
aussi, une capacité de réagir, et c'est ça qu'on dit,
qu'il faut développer une capacité défensive.
M. Beaulne: Qu'est-ce que vous entendez par «une
capacité défensive»?
M. Le Hir: Les Américains utilisent leur
législation à bon escient et de façon très
efficace, à nous d'en faire autant.
M. Beaulne: Bien, en fait, c'est une remarque qui a
été faite par plusieurs intervenants à ce
niveau-là.
J'aimerais terminer, peut-être, en cédant la parole
à ma collègue pour discuter un peu des mesures de transition.
Vous avez mentionné l'importance de ces mesures-là mais ça
serait peut-être intéressant de savoir quelle est la
priorité que vous accordez aux différentes mesures, parce qu'il y
en a d'ordre fiscal, de formation de la main-d'oeuvre, ainsi de suite.
Mme Harel: Ah! merci. M. le Président...
Le Président (M. Dauphin): Mme la
députée...
Mme Harel: Merci.
Le Président (M. Dauphin): ...il vous reste neuf
minutes.
Mme Harel: Très bien. M. Le Hir, vous parlez, dans votre
mémoire, des barrières virtuelles. En vous écoutant
répondre à mon collègue, je me rends compte que pour le
Québec l'étiquetage en français peut devenir, finalement,
une bonne façon d'introduire des dispositifs qui, pour un certain temps
du moins, peuvent faciliter les choses pour nos propres producteurs. C'est ce
que je dois comprendre.
M. Le Hir: Ha, ha, ha! Il faut être prudent, là.
Mme Harel: Ha, ha, ha!
M. Le Hir: On a des lois et règlements qui sont en vigueur
et on est tout à fait justifiés de les faire respecter. On ne dit
rien d'autre.
Mme Harel: Dans votre mémoire, vous dites, à la
page 21: «Notons enfin que nos politiques et programmes les plus
sensibles sur le plan politique politiques sociales, culturelles,
régionales et gestion de l'offre dans le secteur agricole se
situent hors du cadre de l'Accord conformément à ce qui semble
faire l'objet d'un très large et très rare
consensus à travers tout le pays.» en lisant cela, je me demandais
si vous aviez une opinion sur cette idée qui est très
répandue que le régime d'assurance-chômage est de plus en
plus harmonisé avec le régime en vigueur aux états-unis,
et que c'est ce qui expliquerait en partie les récentes modifications
introduites et qui sont actuellement discutées à la chambre des
communes. on sait que, chez les américains, le niveau de prestations est
de 50 % et on voit maintenant celui du régime canadien qui va diminuer
de 60 % à 57 %; est-ce qu'il faut envisager qu'il y aura harmonisation
à la baisse à ce niveau-là? chez les américains, je
crois, à l'exception de cinq états seulement, il n'y a pas non
plus de prestations lors des départs volontaires; on voit introduire ces
mesures-là dans les nouvelles modifications. est-ce qu'il n'y a pas
là un effet?
M. Le Hir: Non, on ne pense pas du tout qu'il y ait un tel effet.
En fait, pour nous, la seule façon d'expliquer ce qui se produit au
niveau du resserrement des contrôles pour l'assurance-chômage,
c'est fonction d'une conjoncture et ça tient au fait, essentiellement,
que les coûts du système sont en train de littéralement
exploser en raison d'une mauvaise conjoncture. Et ça n'est pas
relié, sauf peut-être très marginalement, et encore je dis
ça sous toutes réserves, à l'existence d'une entente de
libre-échange avec les États-Unis.
Mme Harel: Vous savez, par ailleurs, qu'il y a plusieurs
études réalisées à ce propos-là. J'ai en
main celle qui a été faite par le Service des affaires
institutionnelles de la ville de Montréal et qui s'intitule
«Réforme de l'assurance-chômage», une analyse du
projet de loi C-13, qui impute, en fait, à la libéralisation des
échanges, un glissement de certains programmes, y compris celui de
l'assurance-chômage vers ce qui est en vigueur chez nos voisins
américains. (12 h 10)
Quoi qu'il en soit, à l'égard de l'adaptation de la
main-d'oeuvre, est-ce que l'Association des manufacturiers canadiens a un point
de vue sur le fait que ce qui a été mis en place par les
gouvernements, particulièrement par le gouvernement du Québec, et
qui est dans le sens d'un crédit d'impôt à la formation
dans les entreprises, qui ne semble pas donner, qui ne semble pas remplir les
objectifs qui lui étaient assignés... Je constate que pour
l'année qui vient de s'écouler, plutôt que les 100 000 000
$ prévus, c'est 30 000 000 $ qui ont été
dépensés, c'est-à-dire le tiers. Il y a deux ans,
plutôt que les 100 000 000 $, c'était le quart. Il y a une
légère progression, on le voit, mais c'est essentiellement la
grande entreprise qui en bénéficie, quatre fois plus que la PME.
Évidemment, ces mesures-là, finalement, n'ont pas l'air de donner
les résultats escomptés.
On sait que dans les études réalisées, soit dans
le
rapport de Grandpré, préalablement au traité en
1987-1988, il y avait plutôt un choix en faveur d'un fonds de formation
professionnelle financé directement et alloué directement
à cela. Est-ce que votre opinion a changé là-dessus?
M. Le Hir: Écoutez, je pense que là, si on allait
trop loin dans cette direction-là, on risquerait de changer le
débat complètement. Mais quand même, rapidement, je vais
vous dire ceci: Effectivement, on pense que nous, du point de vue des mesures
de réadaptation de la main-d'oeuvre, il y a des efforts
considérables à faire. Cependant, en ce qui concerne ces efforts
de réadaptation, il faut bien comprendre que leur portée est
limitée par la conjoncture économique et que, bien qu'on ait,
comme vous le soulignez, introduit un crédit d'impôt à la
formation, ce crédit-là ne semble pas remporter tout le
succès qu'il mériterait dans une conjoncture meilleure, et qu'il
obtiendrait certainement dans une conjoncture meilleure. Il ne faudrait pas
nécessairement en conclure pour autant que ce type de mesures n'est pas
la bonne approche à privilégier. Ce n'est pas parce que
l'économie va mal à l'heure actuelle qu'il faut jeter tout ce
qu'il peut y avoir de positif; on considère, nous, que le crédit
d'impôt à la formation est un élément très
positif qu'on souhaiterait développer et qu'on souhaiterait voir
améliorer. Mais il faut quand même être réaliste et
se dire que, dans une conjoncture comme celle qu'on traverse, ce n'est pas les
professeurs qu'on fait venir en premier quand le feu est pris à la
maison.
Mme Harel: Mais justement, quand l'économie va mal, comme
vous dites là, je reprends vos propos, quand on est en période de
récession, c'est habituellement justement à ce moment-là
qu'il faut investir massivement comme société; c'est ce que font,
en tout cas, nos concurrents qui sont mieux équipés. Dans tous
les pays où on peut raisonnablement se comparer, ils mettent le paquet
dans des périodes de récession, justement...
M. Le Hir: Oui.
Mme Harel: ...pour relever le niveau de formation et de
qualification et...
M. Le Hir: Oui mais...
Mme Harel: ...c'est l'inverse que l'on fait ici.
M. Le Hir: ...encore une fois, comparons les comparables,
là. Les expériences auxquelles vous faites allusion dans des pays
européens sont des expériences qui se réalisent sans
aucune difficulté dans des récessions à caractère
cyclique, comme celles qu'on a connues depuis la guerre. Mais, quand vous avez
une récession comme celle qu'on traverse à l'heure actuelle, qui
se prolonge, bien, il ne faut pas s'attendre à ce que, au bout de la
troisième ou de la quatrième année, quand les entreprises
ont encore peine à garder leur souffle, elles vont être capables
de soutenir des mesures de ce type-là.
Mme Harel: D'autant plus, si je comprends bien, M. Le Hir, que
ces mesures supposent des liquidités de la part des entreprises. Parce
que, dans le cas, par exemple, des PME qui voudraient participer au programme
de crédits d'impôt à la formation en entreprise, il faut
d'abord qu'elles fassent le déboursé et qu'elles attendent. Et
puis, quand elles ont l'expérience des délais simplement pour se
faire rembourser la TPS ou la TVQ, vous comprenez qu'elles ne sont pas vraiment
très enthousiastes à l'idée d'attendre les
remboursements.
M. Le Hir: Là-dessus, je partage votre point de vue; j'y
ajouterai même un autre facteur que vous avez oublié d'ajouter.
L'entreprise, à l'heure actuelle, qui dégraisse continuellement,
qui s'assure qu'elle n'a jamais plus de main-d'oeuvre que ce dont elle a
strictement besoin pour opérer, elle n'a plus de marge de manoeuvre pour
dégager des effectifs et investir dans la formation; non seulement
investir en argent, mais investir en temps.
Mme Harel: Vous disiez dans...
Le Président (M. Dauphin): II vous reste une minute, Mme
la députée.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Dans votre
mémoire, vous dites vouloir soutenir de façon active un
renforcement quant aux mesures d'adaptation pour les travailleurs et les
entreprises. Est-ce qu'à ce moment-là il ne faut pas
réexaminer toute la question de l'assu-rance-chômage, par exemple,
qui est devenue le fonds par lequel le gouvernement fédéral a
décidé de faire de la formation professionnelle? Parce que,
finalement, il y en a une taxe indirecte à l'entreprise, c'est la
cotisation qui est versée à l'assurance-chômage et qui
vient de plus en plus... À 63 %, la formation professionnelle, au
Québec, elle est financée par la caisse
d'assurance-chômage.
M. Le Hir: Écoutez, là-dessus...
Mme Harel: Mais c'est finalement les entreprises qui performent
qui financent l'assurance-chômage pour une partie des travailleurs qui
sont mis à pied dans l'entreprise qui ne résiste pas.
M. Le Hir: Là-dessus, on a eu l'occasion de faire
connaître notre point de vue très clairement. On a
participé au front commun qui s'est créé entre le
gouvernement du Québec, tous les partenaires sociaux, pour la
création d'un guichet unique. On estime que, la voie de l'avenir, c'est
des mesures actives. On estime qu'au
chapitre des mesures actives c'est le gouvernement du Québec qui
a juridiction pour agir et on trouve dépassé, à l'heure
actuelle, le mode d'intervention du gouvernement fédéral avec ses
mesures de soutien du revenu par la voie de l'assurance-chômage.
Mme Harel: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
députée.
M. le ministre, pour le mot de la fin.
M. Ciaccia: M. le Président, merci. Je voudrais vous
remercier, M. Le Hir, pour votre mémoire, votre présentation, et
je voudrais encourager les membres de votre association à prendre un
plus grand intérêt dans le marché mexicain. Je crois que
nous avons identifié plusieurs facteurs où il y a des expertises
au Québec, où il y a des besoins au Mexique, et nous avons
même développé un plan d'action pour encourager et aider
nos entreprises à percer le marché mexicain on a
déjà celles qui sont présentes et
spécialement au niveau des PME. C'est un intérêt
particulier que nous avons à encourager les PME. On a déjà
l'appui des caisses Desjardins, en termes d'information, en termes d'appui, de
support et d'aide, et je suis prêt à travailler avec votre
association, voir ce qu'on peut faire pour accroître les exportations de
nos biens et de nos services et, dans votre cas, des biens au Mexique.
M. Le Hir: Écoutez, M. le ministre, je serais
extrêmement désolé que vous pensiez qu'on n'a pas
d'intérêt pour le marché mexicain, et je m'excuse si c'est
la conclusion que vous tirez de notre présentation, ce n'est pas le cas
du tout. En fait, nous avons été peut-être parmi les
premiers à développer des liens avec les représentants
mexicains à Montréal et nous avons organisé toutes sortes
de séminaires depuis deux ans, à l'intention de nos membres, avec
les Mexicains, pour justement développer des rapports de la nature de
ceux que vous décrivez, et on est prêts à le faire encore
plus. Cependant, il faut quand même, dans la proportion des choses,
réaliser que c'est encore petit.
M. Ciaccia: Oui. Le marché avec les États-Unis,
évidemment, c'est encore notre plus grand client, 75 % de nos
exportations vont vers les États-Unis, mais j'apprécie le fait
que vous vouliez travailler avec nous; puis, nous aussi on veut travailler avec
vous pour tirer avantage de ce nouveau marché. Merci.
M. Le Hir: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre.
Alors, au nom de tous les membres de la commission, nous remercions
l'Association des manufacturiers du Québec, son vice-président et
le directeur de la re- cherche. Merci et bon retour.
Nous suspendons nos travaux jusqu'après les affaires
courantes.
(Suspension de la séance à 12 h 18)
(Reprise à 15 h 34)
Le Président (M. Dauphin): La commission des institutions
reprend ses travaux. C'est avec plaisir que nous recevons cet après-midi
la Chambre de commerce du Québec. Nous aimerions leur souhaiter la
bienvenue à nos travaux, les remercier, par la même occasion,
d'avoir accepté notre invitation. Elle est représentée par
M. Yvon Marcoux, qui est président de la Chambre de commerce. Je vais
lui demander de nous présenter les personnes qui l'accompagnent; ensuite
de cela, de procéder à son exposé d'une durée
d'environ 20 minutes, puisque nous avons une période d'une heure entre
nous: 20 minutes de présentation et 40 minutes d'échanges entre
les parlementaires et vous-mêmes. Alors, bienvenue, M. Marcoux, et
à vous la parole.
Chambre de commerce du Québec
M. Marcoux (Yvon): Merci, M. le Président. MM. les
ministres, distingués membres de la commission, je vais vous
présenter les deux personnes qui m'accompagnent. À ma gauche, Mme
Lise Lachapelle, qui est associée principale de Strategico et
également présidente du comité de la Chambre sur la
libéralisation des échanges, et, à ma droite, M. Claude
Descôteaux, qui est vice-président exécutif de la Chambre
de commerce du Québec.
La Chambre de commerce du Québec, au nom de ses 220 chambres
locales affiliées à travers tout le territoire et de ses 5000
membres corporatifs, est heureuse de répondre à l'invitation de
présenter un mémoire sur l'Accord de libre-échange avec le
Mexique.
Il y a plusieurs années que la Chambre de commerce du
Québec s'intéresse à cette question et, dès 1985,
la Chambre a réalisé un sondage auprès de ses membres afin
de connaître leur opinion sur le libre-échange avec les
États-Unis et, ensuite, faisait connaître son appui à ce
projet de traité avec nos voisins du Sud.
En 1987 et 1988, d'ailleurs, à ce moment-là, la Chambre
avait présenté des mémoires devant des commissions
parlementaires pour exprimer son point de vue et pour appuyer le projet de
traité de libre-échange avec les États-Unis. Enfin, disons
que le développement du commerce international, dont le
libre-échange, pour nous, est un volet important, l'éducation, la
formation et les finances publiques sont là des axes de
développement du programme de la Chambre pour les années qui
viennent, en termes de priorités pour le développement
économique du Québec. Donc, l'appui de la Chambre à
l'ouverture des marchés et au traité de libre-échange
date de 1985 et a été constant.
Maintenant, avant d'aborder l'ALENA en soi, ce que nous voulons nous
demander, notre évaluation: Est-ce que le projet de traité de
libre-échange avec les États-Unis a été
bénéfique pour le Canada, pour le Québec et pour ses
entreprises? Je pense qu'il est important d'en faire une évaluation pour
projeter, peut-être de façon plus opportune, plus réaliste,
une évaluation de l'ALENA. Il ne s'agit pas, évidemment, d'en
faire un examen détaillé, mais on peut, après quatre ans,
faire un bilan sommaire qui indique les tendances ou les orientations de fond
quant à l'impact du traité de libre-échange avec les
États-Unis. Il est important d'en faire état, car des groupes
tentent de faire porter, sans distinction, au traité de
libre-échange tout l'odieux des effets pervers de la récession
que nous avons connue au Canada et, notamment, les pertes d'emplois. Et,
lorsqu'on lit, par exemple, que peu après l'entrée en vigueur du
traité de libre-échange le Québec est entré dans
une récession dont les effets négatifs prendront du temps
à se résorber, je pense que c'est tout à fait
exagéré. Si on parle de la Californie, par exemple, qui a une
population à peu près comme celle du Canada, vous savez, le
nombre de pertes d'emplois au cours des dernières années a
été considérablement plus important. Donc, il faut, je
pense, recorriger la perception à cet égard-là.
d'ailleurs, vous êtes au courant, l'étude du cd. howe institute,
qui a été publiée en octobre 1992, nous indique que les
exportations de produits canadiens vers les etats-unis, et notamment dans les
secteurs qui ont été libéralisés, ont
augmenté de façon notable et beaucoup plus que l'exportation vers
l'europe; avec le japon, il y a eu une diminution. donc, malgré une
croissance plus lente aux états-unis, malgré aussi une
augmentation de la valeur de notre devise par rapport à la devise
américaine, les exportations de produits canadiens vers les
états-unis ont augmenté de 4 %, alors que nos importations
augmentaient de 0,3 %. vers l'europe, l'augmentation a été de
moins de 1 %; vers le japon, comme je le mentionnais, il y a eu une chute. pour
ce qui est des produits à valeur ajoutée, dans le produit
fabriqué, l'augmentation a été de 34 % entre 1989 et 1991,
alors que les exportations de produits provenant des ressources naturelles ont
augmenté, quant à elles, de 7,5 %. il y a des secteurs qui ont
été privilégiés. si on parle des communications,
des instruments de précision, c'est dans ces secteurs à valeur
ajoutée que les augmentations ont été les plus
considérables. donc, ces données nous démontrent que le
traité de libre-échange a donné, dans l'ensemble, des
résultats fort positifs pour nos entreprises. d'ailleurs, une
étude récente, qui a été publiée, je pense,
soit cette semaine ou la semaine dernière, par statistique canada,
confirmait les mêmes tendances. et la part du marché
américain détenue par le canada, disait-on, a augmenté
entre les trois premières années de la décennie et les
trois dernières années de la décennie; elle est
passée, je pense, de 6 % à 9 %. dans une autre étude,
également, qui avait été préparée par
Strategico, on indiquait que les exportations globables à destination
des États-Unis avaient augmenté de 15 % au cours des trois
premiers trimestres de l'année 1992. (15 h 40) en conclusion, le
marché américain constitue, malgré une croissance
économique qui a été plus que modeste là-bas et la
forte appréciation de notre dollar, comme je le mentionnais, un
marché qui a été, pour nos entreprises canadiennes,
extrêmement positif. nous avons parlé beaucoup, évidemment,
des mécanismes de règlement des différends, et on a fait
état des pratiques commerciales déloyales de la part des
américains. il est vrai qu'il y a eu, en tout cas, une recrudescence de
protectionnisme aux états-unis, et peut-être que la campagne
électorale n'a pas été étrangère à
ça, mais, si le mécanisme qui a été mis en place
par le traité n'est pas parfait, il fonctionne relativement bien et,
jusqu'à maintenant, en tout cas, à l'avantage du canada.
rappelons que sept des douze mesures américaines qui ont
été contestées par le canada, entre 1989 et 1991, ont
été tranchées en sa faveur dans des décisions,
d'ailleurs, qui étaient généralement unanimes. donc, ce
n'est pas parfait, mais nous pensons que, globalement, le canada a
été bien servi par le système des groupes binationaux dans
le cadre des règlements des différends. il faut aussi rappeler
que les litiges entre les états-unis et le canada représentent
à peu près 6 % ou 1 % quand même seulement des
échanges totaux entre les deux partenaires.
Maintenant, en ce qui a trait à l'ALENA, il était
important, selon nous, que le Canada soit présent aux discussions, comme
il l'a fait, afin de ne pas perdre ce que nous avons gagné avec le
marché américain, parce que les absents ont toujours tort. On
peut en voir des exemples, notamment, la Grande-Bretagne, qui a
été assise sur la clôture pendant plusieurs années
avant, finalement, de décider de joindre la Communauté
économique européenne.
Il est vrai, il faut le reconnaître, que la valeur des
exportations du Canada, et notamment du Québec vers le Mexique, n'est
pas très élevée. Les exportations, récemment, sont
de l'ordre de 90 000 000 $; les importations, peut-être de 450 000 000 $
ou 500 000 000 $. Donc, ce n'est pas d'une très grande dimension, mais
je pense que, fondamentalement, l'ALENA et la négociation qui a
été faite assurent le Canada et le Québec de
l'accès d'abord à notre marché premier qui est celui des
États-Unis. Rappelons, par exemple, que les États-Unis et le
Mexique, avec le Canada, représentent à peu près un
produit intérieur brut total de 7000 milliards de dollars ou sept
«trilliards», je ne sais pas comment... alors que l'Europe
représente la moitié. Alors, je pense que c'est une question de
dimension, quand même, ça démontre l'importance du
marché nord-américain.
Deuxièmement, avec le Mexique, bien que notre commerce ne soit
pas, évidemment, comme je le men-
tionnais, très, très élevé, nous croyons
qu'il y a beaucoup de potentiel à développer. Il y a des secteurs
où, à notre avis, les entreprises auront des
débouchés additionnels, des débouchés commerciaux
qui leur seront très profitables, et notamment avec le Mexique.
Notamment, on parle de la télécommunication, des logiciels, de la
manutention des matériaux, des produits agroalimentaires, des produits
forestiers, des services environnementaux, des équipements
d'exploitation, du contrôle des procédés, des services
spécialisés d'ingénierie et des produits de
consommation.
Dans l'ALENA, tel que le projet de traité a été
négocié, nous avons protégé les acquis que nous
avions obtenus dans le cadre du traité du libre-échange avec les
Etats-Unis. En fait, nous avons préservé les mesures dans le
secteur des industries culturelles, le mécanisme d'offre et de la
demande dans les produits agricoles, les services sociaux et le pacte de
l'automobile. De plus, on a élargi et renforcé certains aspects
qui étaient contenus déjà ou non dans le traité de
libre-échange avec les États-Unis. On a précisé les
règles d'origine, toute la question des remises et des droits de douane,
ou ce qu'on appelle les «drawback», un accès, bien que pas
très développé mais, quand même, facilité
dans le secteur des services financiers, et également un accès,
une ouverture du côté des marchés publics. Donc, ce sont
des opportunités de développement qui, à notre avis, vont
profiter à nos entreprises et, notamment, aux entreprises dans des
secteurs d'avenir.
Un point qui a été l'objet de beaucoup de discussions, et
qui l'est encore, est celui des bas salaires que l'on retrouve dans le
marché du Mexique. Ce que nous croyons, c'est que c'est un avantage dont
il ne faut pas exagérer l'effet. En effet, les salaires ne
représentent qu'un facteur parmi d'autres dans le choix de l'emplacement
d'une entreprise et, également, dans les coûts de production. La
compétitivité des entreprises québécoises repose
sur bien d'autres choses que les coûts seulement de main-d'oeuvre. Il y a
d'autres atouts importants et peut-être que certains sont plus
importants, comme les connaissances en gestion, l'accès aux capitaux,
une main-d'oeuvre hautement qualifiée qui, espérons-le,
continuera d'être qualifiée davantage, compétente, une
technologie et des services de qualité, des coûts de transport
modérés et un milieu économique stable. d'ailleurs,
différentes études ont examiné ce point-là. une
étude américaine récente, qui a été reprise
par le conference board du canada, démontrait que, si le taux horaire
moyen d'un travailleur canadien était beaucoup plus élevé
que celui d'un travailleur mexicain, le taux de productivité du premier
était également beaucoup plus élevé, à peu
près dans la même proportion, que celui du second. une
étude, d'ailleurs, du ministère de l'industrie, du commerce et de
la technologie du québec souligne que les tarifs douaniers du canada,
qui se situaient quand même à près de 11 % en 1987, pour
les 20 % des importations canadiennes en provenance du mexique qui n'entraient
pas en franchise de droits, et je cite: «...n'ont jamais constitué
une véritable barrière aux exportations mexicaines et ne pourront
empêcher le Mexique d'accroître ses exportations au Canada.»
D'ailleurs, si ce n'est pas le Mexique, ce sera forcément un autre pays,
que ce soit la Chine, le Brésil, Taiwan, qui gagnera des parts de
marché qui sont destinées à échapper aux
entreprises québécoises et canadiennes. Donc, l'avantage que
confère au Mexique une main-d'oeuvre à bon marché,
évidemment, pour nous, c'est un avantage qu'il ne faut pas
exagérer.
Il y a, bien sûr, certains effets sectoriels qui peuvent
être un peu plus négatifs. Il y en a, à notre avis, qui
sont très positifs; nous avons mentionné tantôt des
secteurs desquels nous croyons que les entreprises pourront
bénéficier. On a parlé beaucoup du domaine du textile et
du vêtement. Si on l'examine, même dans le cadre du traité
de libre-échange avec les États-Unis les exportations en
matière de textile et de vêtement se sont accrues au cours des
dernières années. Même l'Institut canadien du textile,
globalement, avec les contingentements, les exportations contingentées
qu'il y a, avec les provisions qu'il y a dans l'ALENA, se dit favorable au
traité, dans le fond, globalement, et pense que ça pourra
continuer de promouvoir non seulement la fabrication, mais surtout les
exportations dans le domaine du textile et du vêtement.
Donc, ce que nous disons comme organisme et représentants de nos
membres, c'est que, globalement, nous sommes favorables et nous appuyons
l'Accord de libre-échange nord-américain. Il est bien sûr
que ça ne réglera pas tous les problèmes, ce n'est pas une
panacée pour nos entreprises, mais nous croyons que cette ouverture est
de nature à donner un coup de pouce assez fort aux entreprises qui
choisiront de compétitionner librement sur ce marché de 360 000
000 de consommateurs.
Il ne faut pas sous-estimer, évidemment, la concurrence que
pourront livrer de toute façon au Québec certaines entreprises
mexicaines, dans certains types de produits, et notamment ceux qui sont
fabriqués dans ce qu'on appelle une «maquiladora». Il faudra
donc qu'il y ait dans certains secteurs certaines mesures d'adaptation, et nos
entreprises devront s'adapter et faire oeuvre d'innovation. Il faudra
être plus exigeant encore et davantage sur la formation, sur l'adaptation
de la main-d'oeuvre, le développement de synergie locale. Et, dans ce
cadre-là, les grappes industrielles prennent toute leur
signification.
On a également souligné que, bien qu'excellent, le plan
d'action Québec-Mexique, qui a été rendu public par le
ministre des Affaires internationales du Québec, en novembre 1992, ne
s'adresse peut-être pas tout à fait au cinquième objectif
que disait poursuivre le gouvernement face à l'accord trilatéral
et qui s'énonce comme suit, et je cite: «S'adapter à la
concurrence accrue des produits mexicains sur le marché canadien et sur
le marché québécois». En effet, le plan d'action
vise essentiellement les activités des entrepreneurs
québécois sur
le marché mexicain. Il tient très peu compte de la
présence potentielle d'entrepreneurs mexicains sur le marché
québécois. Donc, la Chambre est d'avis que c'est quand même
un sujet qu'il faudra peut-être examiner de façon un peu plus
approfondie. (15 h 50)
Si nous réitérons l'appui à l'Accord de
libre-échange, c'est parce que nous croyons qu'il y a un potentiel
intéressant. Il est bien sûr que, lorsqu'on regarde, par exemple,
le revenu per capita au Mexique, ce n'est pas très élevé.
Mais si on considère que le Mexique peut croître, avoir une
croissance annuelle de 7 % par année, comme il l'énonçait,
eh bien, ça veut dire, ça, au cours des prochaines années,
8 000 000 de consommateurs additionnels dont les revenus se compareront
à ceux des Américains ou des Canadiens de classe moyenne sur le
marché mexicain au cours des 10 prochaines années, et c'est un
potentiel de croissance, donc, pour nos entreprises à nous, ici, qui est
considérable.
Il faut également ajouter que la perspective de l'extension de ce
marché à l'échelle de l'hémisphère et un
accès mieux assuré au marché américain, grâce
aux améliorations apportées aux modalités d'application du
traité de libre-échange, avantageront aussi celles de nos
entreprises qui recourront aux nouvelles règles du jeu en
Amérique du Nord, et bientôt dans l'hémisphère
américain, non seulement en Amérique du Nord, mais en
Amérique du Sud.
Plus que jamais, nous croyons que nos entreprises n'ont rien à
craindre de l'élargissement au Mexique de l'accord
canado-américain, convaincus également que, malgré
certaines lacunes, malgré certaines imperfections, cette nouvelle
entente à l'échelle de l'Amérique du Nord, et
bientôt étendue de façon plus grande, se
révélera bénéfique pour les entreprises qui auront
su se préparer à ce nouvel environnement.
Bref, globalement, et avec certaines réserves que nous avons
manifestées, la Chambre de commerce du Québec appuie l'Accord de
libre-échange nord-américain, l'ALENA, qu'elle considère
bon pour l'économie du Québec et souhaitable pour l'expansion des
entreprises. Nous souhaitons évidemment que cet accord soit
entériné pour entrer en vigueur, tel que prévu, au 1er
janvier 1994.
M. le Président, j'ai terminé mes remarques, je pense,
à l'intérieur du temps qui nous était alloué, ce
qui permettra d'avoir des questions et de susciter, peut-être, une
discussion, ce qui est un peu plus intéressant, peut-être, qu'un
monologue.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. Marcoux,
pour votre présentation, au contraire, intéressante.
Effectivement, vous avez respecté le temps qui vous était
dévolu. Alors, débutons la période de libres
éhanges avec M. le ministre des Affaires internationales.
M. Ciaccia: Je remercie la Chambre de com- merce du
Québec, et M. Marcoux, de sa contribution aux travaux de cette
commission parlementaire. Je me permets d'ajouter que déjà,
depuis 1985, votre organisme a participé activement aux débats
entourant le libre-échange. Votre présent mémoire, je
crois, reflète vraiment la qualité de votre engagement dans ce
débat. Votre mémoire est bien articulé et s'appuie sur de
nombreux faits statistiques et économiques qui, peut-être,
devraient être rendus publics et véhiculés un peu plus dans
certains milieux qui ne semblent pas être au courant de beaucoup de ce
que vous nous avez dit, en termes de chiffres sur le commerce avec les
États-Unis, tous les aspects des salaires, des conditions de travail, et
tout le reste. Je pense que ça serait très utile pour tous les
intervenants dans le secteur d'avoir un peu plus d'information telle que vous
nous la donnez.
J'avais juste quelques questions. Je sais qu'on n'a pas beaucoup de
temps, là, j'aurais quelques points à préciser sur votre
mémoire. Quand vous parlez du plan d'action et que vous dites que le
plan d'action vise les entreprises ici et ne tient pas compte de la
présence des entrepreneurs mexicains sur le marché
québécois... Non, mais, premièrement, je prends les
critiques d'une façon constructive; comprenons-nous. Je ne prends pas
ça comme une critique, que vous n'êtes pas satisfaits, ou que
vous... Un des buts de la commission, c'est d'avoir des recommandations pour
améliorer ce qu'on fait; autrement, on n'aurait pas besoin de la
commission.
Premièrement, il y a un volet dans le plan d'action qui est pour
les acheteurs, l'accueil des acheteurs, le programme APEX. Le programme APEX,
c'est pour nos entreprises qui vont au Mexique, mais il y a aussi l'aspect des
acheteurs mexicains qui viennent ici. Est-ce que vous pourriez élaborer
un peu plus, voir la relation entre les acheteurs et la présence
mexicaine au Québec, et notre volonté d'augmenter les
exportations et la présence québécoise au Mexique? Je
serais intéressé d'en savoir plus.
M. Marcoux: Alors, si vous le permettez, j'ai des collaborateurs
ici qui ont travaillé avec moi sur ce mémoire-là. Je vais
demander peut-être à Mme Lachapelle de fournir certains
commentaires à cet égard.
Le Président (M. Dauphin): Mme Lachapelle.
Mme Lachapelle (Lise): merci. en fait, quand on regardait le plan
d'action, il y a un commentaire qui nous revenait assez souvent, c'est
qu'effectivement il y a de l'aide qui est donnée aux entreprises, entre
autres, pour aller explorer les marchés là-bas, mais on regardait
un peu l'autre côté de cette même médaille,
même au-delà du programme des acheteurs mexicains qu'on fait venir
ici. il reste quand même que le québec, et je pense que vous
l'avez dit vous-même dans votre présentation l'autre jour, est son
meilleur client, se vendant à lui-même à peu près 60
% de ce qu'il produit, en expor-
tant 20 % au reste du canada, 20 % à l'étranger.
Il reste que le Québec, à ce moment-là, va devoir
aussi faire face à cette compétition mexicaine. Nous, on se dit
que ces entrepreneurs mexicains sont ces mêmes gens qui, chez eux, sont
aidés comme vous aidez nos exportateurs à aller là-bas, et
on se demande s'il n'y a pas effectivement un rôle aussi d'information
vis-à-vis de ça pour un peu expliquer aux gens d'affaires d'ici
à quel genre de compétition ils pourraient être
acculés, si vous voulez, de la part des entreprises mexicaines. On pense
que ça ferait un bon complément à tout ce qui est fait de
l'autre côté.
M. Ciaccia: On va prendre bonne note de votre recommandation et
on va voir comment on peut améliorer notre plan d'action. Ça se
trouverait, ça, dans l'élément d'information à nos
entrepreneurs ici.
Mme Lachapelle: Oui, tout à fait.
M. Ciaccia: On veut donner des informations, mais peut-être
que cet aspect-là, c'est quelque chose de plus qu'on pourrait faire.
Vous mentionnez aussi ou suggérez, à la page 25, de
s'attaquer à la question de l'adaptation des entreprises de secteurs
plus vulnérables par des études conjointes visant certaines
mesures transitoires de support. Est-ce que vous avez une idée plus
précise de ces mesures que vous envisagez?
Mme Lachapelle: En fait, c'étaient surtout des mesures
encore au niveau de l'information, c'est-à-dire qu'on a utilisé
«mesures transitoires» assez largement parce que, au départ,
on pensait, effectivement, aux informations dont je viens de vous parler pour
que ces compagnies soient mieux en mesure, elles-mêmes, en fait, de
développer plus d'efficacité et de bien asseoir leurs assises sur
le marché ici, et c'était aussi du côté de la
formation de la main-d'oeuvre. Il y a beaucoup de gens... Par exemple, je
rencontrais des gens de l'industrie du vêtement, la semaine
dernière, qui me disaient: Dans le fond, nous, on n'a pas peur de
l'Accord de libre-échange, de l'ALENA, parce que, si on arrive quand
même à une meilleure formation de main-d'oeuvre, un des
présidents des compagnies me disait qu'il arriverait tout à fait
à produire des biens aussi peu chers que certains qui peuvent être
produits, par exemple, au Mexique en ce moment, mais qu'il lui manque encore
une formation de main-d'oeuvre qui a été trop traditionnelle
en tout cas, à son dire à lui, puis, bon, il faut que je
le croie, il gagne sa vie dans ce secteur-là qui a
été un peu trop traditionnelle dans certains de ces
secteurs-là. Alors, c'est un peu à ça qu'on pensait aussi,
et aussi à des adaptations au niveau du marketing parce que, encore
là, souvent, la notion de marketing est uniquement rattachée aux
marchés d'exportation, alors qu'il y a quand même une notion de
marketing qui peut être rattachée à l'identification de
niches et au fait de combattre, si vous voulez, les compétiteurs mais
aussi sur son propre marché.
M. Ciaccia: Alors, si je vous comprends bien... Dans le domaine
des vêtements les textiles, c'est un autre aspect qui semble avoir
été accepté par cette industrie on reçoit
différents sons de cloches, dépendam-ment à qui on parle.
Si je vous comprends bien, votre position est que, dans les conditions qui ont
été négociées dans l'ALENA, on a maintenu et
même élargi, parce qu'on a augmenté les contingentements,
l'accès au marché américain. Alors, ceci devrait permettre
à nos industries d'avoir accès au marché, mais vous
mentionnez qu'il y a certaines mesures d'adaptation, d'aide qui pourraient
être mises en place pour les aider à tirer avantage de l'entente.
Alors, ce n'est pas les conditions de l'entente qui vous préoccupent, ce
sont les autres mesures qui devraient être prises pour aider cette
industrie. (16 heures)
Mme Lachapelle: Oui, oui. Eux estiment qu'ils pourraient exporter
encore plus aux États-Unis s'ils étaient un peu mieux
préparés de cette façon-là. Alors, c'est tout
à fait la même conclusion que vous. Ils pensent qu'ils pourraient
être encore plus actifs sur le marché américain si leur
personnel était encore un peu mieux préparé.
M. Ciaccia: Nous avons le ministre de l'Industrie et du Commerce
qui sûrement va prendre bonne note de vos recommandations pour
l'industrie du vêtement.
Juste une autre question avant de... J'aurais une autre question,
là. Vous avez parlé du règlement des différends.
Moi aussi, je crois que c'est un pas, c'est une structure que nous avons
obtenue dans l'ALE qui est vraiment extraordinaire. Quand on pense que le
Congrès américain a décidé d'être lié
par un tribunal supranational, je pense que ça a été
vraiment un aspect très, très important pour nous. C'était
temporaire dans l'ALE, c'est maintenant rendu permanent. Beaucoup de gens aussi
ont dit que ça pourrait être amélioré, que ça
pourrait fonctionner mieux, mais le principe, je crois, a protégé
nos industries. Vous avez donné des statistiques à cet effet,
mais, l'autre côté de la médaille, c'est que les
Américains imposent des droits compensateurs. Plusieurs intervenants ont
suggéré que peut-être, de notre côté, on ne
réagissait pas assez et que, nous aussi, nos entreprises devraient
être plus agressives en termes de plaintes au Canada, au Québec,
sur les pratiques de certaines entreprises américaines. Est-ce que vous
avez eu l'occasion d'étudier ce problème ou est-ce que ça
a été porté à votre attention? Et qu'en
pensez-vous?
Mme Lachapelle: Ça a été porté
souvent à notre attention. Je dois dire que, la plupart du temps, la
façon dont ça a été abordé, c'était
plus dans le sens d'essayer de les empêcher de le faire que de se venger
parce que, finalement, le tort est fait. Quand les Américains impo-
sent des droits compensateurs sur l'industrie du bois d'oeuvre ou, en ce
moment, sur l'acier, c'est un grand problème pour ces
industries-là et le fait que, dans deux semaines, je ne sais pas, moi,
l'industrie de la framboise aille se plaindre et puis demander des droits
compensateurs, ça ne rétablirait pas la situation. C'est
malheureux, mais c'est comme ça.
Par contre, ce qui continue de nous inquiéter dans le
système de règlement des différends, c'est la chose
suivante. Vous avez tout à fait raison, c'était, je pense, la
première fois, au moment de l'ALE, que les États-Unis acceptaient
qu'il y ait un tribunal supranational comme ça qui prenne des
décisions. Malheureusement, parce que c'était la première
fois, ils se sont un peu prémunis et ils ont mis là-dedans un
dispositif qui est le comité pour contestation extraordinaire. Or, ce
comité-là, puis je me permettrais peut-être de vous citer
dans quelles conditions il devait être, au départ,
utilisé... On disait: Dans le cas fort improbable où il y aurait
conflit d'intérêts ou grave déni de justice, l'un ou
l'autre gouvernement pourrait demander qu'un comité pour contestation
extraordinaire se penche sur la question. Or, malheureusement, nos amis
américains se servent de ça un peu comme ils se servent souvent
de leur système de justice.
Bon, ils y vont, là, carrément. C'est un peu ça qui
est dommage parce que, si on avait arrêté au groupe de travail
spécial, au fameux tribunal binational, qu'on appelle, je pense que,
là, ce serait très bien. Ce qui nous inquiète un peu,
c'est que, dans l'ALENA, on semble prendre pour acquis que, maintenant, ce
comité sera carrément permanent. Alors, est-ce qu'on admet aussi
que, chaque fois qu'il y aura un différend, qu'il y aura un groupe
spécial qui prendra une décision, cette décision-là
pourra être carrément «challengée» par les
Américains? Ça nous cause des problèmes parce que non
seulement ce qui était fait au niveau des groupes de travail, c'est
long, je veux dire, il y a un processus et vous le connaissez aussi bien que
nous, mais qui est censé se faire en dedans d'un an... Or, ça n'a
pas été le cas. Les Américains ont utilisé toutes
les tactiques possibles et imaginables pour s'en sortir: des gens qui se
retirent du tribunal, des documents qui ne sont pas prêts. Alors, si on
ajoute à toute cette période-là encore une autre
période d'incertitude, on pense que, dans certains cas, ça va
être très onéreux pour les sociétés.
M. Ciaccia: Oui. On s'est plaint, dans plusieurs... dans un cas
particulier, ils avaient utilisé ce processus extraordinaire comme un
droit d'appel, mais ce n'était pas l'intention...
Mme Lachapelle: Exactement, alors que ce n'était pas du
tout l'intention.
M. Ciaccia: À moins qu'on ne pense que le comité,
peut-être, le but est de faire de la médiation plutôt que
de... On va voir, peut-être, dans les pratiques.
Mme Lachapelle: Mais ce n'était pas ça, comme vous
savez, parce que, dans l'ALE, on considérait que le comité
spécial... Je peux encore vous reciter le texte. On dit: «Si le
groupe spécial devait conclure que la loi avait été bien
appliquée, l'affaire serait considérée comme close»
alors que, maintenant, on a l'air de considérer ça comme une
étape et puis, plus il y a d'étapes dans le processus
décisionnel, plus ça coûte cher aux entreprises.
M. Ciaccia: Vous avez raison. Et au gouvernement aussi...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ciaccia: ...parce que, souvent, c'est nous qui... Souvent...
Pardon?
M. Léonard: ...un gouvernement, ça aiderait.
M. Ciaccia: Eh bien, si on n'avait pas eu... Pour votre
information... On ne veut pas faire un débat constitutionnel, mais si on
n'avait pas eu la force du gouvernement canadien qui fait 212 000 000 000 $ de
chiffre d'affaires entre le Canada et les États-Unis, on n'aurait pas
été capable de négocier le cas du magnésium.
Québec seul, 7 000 000, on n'aurait pas eu cette force-là, mais,
ça, on ne veut pas vous... On n'est pas dans le forum constitutionnel,
mais de temps en temps ça déborde et il faut dire la
vérité de ce côté-ci aussi. Alors, je vous remercie
beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci, M. le ministre.
Nous allons maintenant passer du côté de l'Opposition officielle
avec M. le député de Bertrand.
M. Beaulne: Merci, M. le ministre. D'abord, il me fait toujours
plaisir d'accueillir, à l'Assemblée nationale, un de mes
concitoyens.
M. Marcoux: Merci, M. le député.
M. Beaulne: Et profiter de l'occasion pour souligner que votre
rapport est un rapport équilibré. Au fond, ce que vous dites,
c'est que l'extension de l'association de libre-échange au Mexique, ce
n'est pas en soi la poule aux oeufs d'or, mais ce n'est pas non plus
l'apocalypse et que différentes mesures d'adaptation et
différentes réflexions doivent être posées.
Ma première question s'adresserait peut-être plus à
Mme Lachapelle puisqu'elle a soulevé certaines interrogations concernant
les politiques mexicaines. Est-ce qu'à votre connaissance il existe un
plan mexicain d'action? Le ministre a parlé tout à l'heure de son
plan d'action Québec-Mexique, mais, à votre connaissance, est-ce
qu'il existe un plan d'action Mexique-Canada dans le contexte de l'ALENA et, si
oui, en avez-vous pris connaissance?
Mme Lachapelle: Je sais qu'il existe un plan. En fait, je faisais
part, il y a quelques instants, au sous-ministre du commerce international,
justement, que, ce matin, je recevais des mains mêmes de SECOFI, qui, en
fait, est l'organisme mexicain qui s'occupe des exportations, un compte rendu
non seulement des négociations, mais aussi une description de ce que les
Mexicains entendent faire. Maintenant, j'ai reçu la version canadienne,
si vous voulez, mais on me dit qu'il existe une version mexicaine,
c'est-à-dire une version qui est destinée, à ce
moment-là, aux industries mexicaines et, celle-là, je ne l'ai pas
vue.
M. Beaulne: Oui. Je vous remercie. J'aimerais, même si ce
n'est pas... enfin, si les procédures ne le prévoient pas, je
serais intrigué de savoir si le ministère des Affaires
internationales a en sa possession ce document auquel vous faites allusion, qui
pourrait s'avérer fort intéressant et qui, normalement, aurait
dû être communiqué à nos entreprises et aux
intervenants qui s'intéressent à la question et qui ont
préparé des mémoires pour cette commission.
Mme Lachapelle: Si je peux me permettre, le ministère a
déjà préparé ce genre de documents qui ont
circulé et les entreprises les ont entre les mains en ce moment.
M. Beaulne: Non, non. Je parle du plan mexicain auquel vous
faites allusion. L'avez-vous, vous, ce plan-là?
Mme Lachapelle: Non, non. Ce matin, c'est de l'information qu'on
a reçue sur l'Accord, mais le plan mexicain comme tel, comme je vous le
mentionnais il y a deux minutes, ça, je ne l'ai pas vu. Je ne sais pas
s'il existe. Ils en parlent, mais je ne l'ai pas vu encore.
M. Beaulne: Est-ce que le ministère l'a? (16 h 10)
M. Ciaccia: II y a un plan d'action Mexico-Canada avec un volet
Québec, mais nous ne l'avons pas encore reçu. Ils nous ont
avisés qu'il est en préparation. Alors, quand il sera
complété et qu'ils nous en donneront copie, ça nous fera
plaisir de le communiquer à nos entreprises.
M. Beaulne: D'accord. Parce que ce serait intéressant de
voir comment eux envisagent les retombées par rapport au Canada et au
Québec. Ceci étant dit, votre mémoire, comme d'ailleurs
plusieurs autres intervenants, y compris le Conseil du patronat du
Québec et l'Association des manufacturiers, se penche,
évidemment, sur la question du règlement des différends.
Vous mentionnez... Vous semblez relativement satisfaits des mécanismes
qui existent. Vous donnez à titre d'exemple le fait que, sur 12
contestations, on en a gagné 7. Sauf que plusieurs intervenants qui sont
venus ici considèrent que ce n'est pas à la lumière du
nombre des cas gagnés qu'il faut envisager l'efficacité de ces
mécanismes-là, mais plutôt par rapport aux délais
qui sont prévus ou que ça prend pour obtenir des décisions
finales, et les incidences que ces délais peuvent avoir sur la part de
marché, d'une part, de nos entreprises et, d'autre part, sur les
coûts parfois prohibitifs que ça engendre.
Il y a également le fait qu'on a souvent tendance à penser
que le recours presque systématique des Américains aux tribunaux,
en invoquant les mesures antidumping, constitue ou peut constituer une sorte de
barrière non tarifaire, finalement. Le ministre a fait allusion, tout
à l'heure, à un manque de... c'est-à-dire non pas à
un manque, mais, disons, à un réflexe qui reste à
développer chez nos propres gens de recourir à ce que leur permet
la législation canadienne et québécoise, et je pense que
ça a été souligné, effectivement. Mais j'aimerais
entendre vos commentaires sur cet aspect du règlement des
différends. Outre le fait qu'on ait gagné 7 fois sur 12,
trouvez-vous que c'est normal que des droits compensatoires puissent être
imposés avant que les tribunaux ne se prononcent sur le
bien-fondé des litiges?
Mme Lachapelle: Écoutez, vous me demandez de me prononcer
sur la loi américaine. La loi américaine, elle est ce qu'elle
est. Je peux bien vous dire que je ne trouve pas ça normal. Je ne trouve
certainement pas ça équitable, mais c'est la loi
américaine. Ce que l'Accord de libre-échange nous a permis de
faire justement, c'est de porter ces décisions, qui, avant l'Accord de
libre-échange, étaient unilatérales, au moins de les
porter devant un tribunal qui, lui, peut y regarder d'une façon un peu
plus équitable.
Quand on dit 7 cas sur 12, effectivement, ce n'est pas une question de
compter les cas, il reste qu'on a gagné les principaux cas. Et un peu
dans le sens de ce que vous dites, ce qui nous ennuie un peu, c'est que les
Américains continuent d'utiliser, en fait, ces remèdes-là.
En fait, ils appellent ça leurs «fair trade laws», en
anglais. Et, moi, Dieu sait que je n'ai pas vraiment trouvé une
façon de traduire ça parce qu'à chaque fois que j'arrive
au mot «fair» j'arrive au mot «déloyal»
plutôt qu'au mot «loyal», quand j'essaie de voir comment ils
appliquent tout ça, là.
Ce qui nous inquiète, c'est qu'en mettant ce comité de
contestation extraordinaire, comme je vous dis, qui vient il y a les
décisions, il y a le groupe de travail, il y a le comité de
contestation extraordinaire en mettant tout ça bout à
bout, c'est très long. Je peux peut-être me permettre de faire des
suggestions parce qu'on y a pensé, nous, à cette
question-là. C'est qu'on ne voudrait pas que les Américains
continuent d'utiliser toujours ce système-là impunément.
Il y aurait peut-être moyen... Vous avez lu dans les journaux que les
trois pays s'apprêtent, en fait, à négocier des accords
parallèles, et, ça, c'est à la demande des
États-Unis. Donc, on se trouve à avoir un secteur où ils
sont demandeurs. Pourquoi est-ce que nous, de notre côté, on
ne serait pas demandeurs aussi, dans certains secteurs? Une suggestion
qu'on peut faire, c'est que plutôt que de laisser les Américains
utiliser ce système-là impunément, pourquoi est-ce qu'on
n'exige pas, au moment où ils font appel... Et, comme le mentionnait le
ministre Ciaccia tantôt, il ne devrait pas y avoir appel automatique. Ce
n'est pas comme ça. Ce n'est pas un tribunal d'appel, ce n'est pas comme
ça que ça a été conçu. Pour s'assurer qu'ils
ne le fassent pas, pourquoi est-ce qu'on n'exigerait pas, par exemple, que,
pendant cette période-là, on enlève les droits
compensateurs carrément? Sinon, ils prennent une décision...
M. Beaulne: Bien oui. C'est trop facile.
Mme Lachapelle: ...finale, il y a le groupe de travail et,
pendant tout ce temps-là, ils n'ont absolument aucune barrière
dans les roues pour aller jusqu'au bout et faire traîner ça le
plus longtemps possible. Maintenant, est-ce qu'on a, si vous voulez... Au
niveau négociation, est-ce qu'on est capables de faire un... dans ce
sens-là? Je l'ignore.
Un autre des problèmes qu'on pourrait peut-être
régler et c'est une autre de nos suggestions c'est que le
ministère d'État au Commerce américain, on dirait qu'ils
ne lisent pas leurs propres décisions. Je vais vous donner un exemple.
C'est-à-dire que ce qu'ils font, c'est qu'ils ne tiennent pas compte des
précédents. L'exemple typique, c'est l'exemple du porc. Dieu sait
que l'industrie du porc, ici, au Québec, en a souffert; elle compte pour
à peu près la moitié de l'industrie du porc canadienne.
Après avoir fait toute cette étude pour le porc, maintenant on
recommence pour le cochon vivant. C'est bien évident que, si on
s'était rendus dans tout le processus de production du porc vivant
jusqu'au porc frais et qu'on avait déterminé qu'il n'y aurait pas
de subvention, il n'y en aurait pas non plus pour le porc vivant. Alors, le
département d'État au Commerce, il ne lit pas ses propres
affaires. Il recommence pour le porc vivant. Alors, ce serait une autre
suggestion; de s'assurer que, quand ces organismes-là recommencent, ils
se lisent et comprennent qu'ils ont déjà pris une décision
dans ce secteur-là.
M. Beaulne: J'aime bien votre approche parce que, au lieu d'avoir
une vision complaisante de ce qu'on nous met sur la table, au fond, ce que vous
dites, c'est qu'il y a matière à amélioration et qu'il ne
faut pas trop vite jeter la serviette sans avoir au moins essayé, comme
vous le dites, dans le contexte des accords parallèles qui vont
être négociés, d'obtenir quelque chose d'un peu plus
ajusté à nos intérêts.
Ma deuxième question concerne la définition des
subventions. Le Conseil du patronat de même que l'Association des
manufacturiers considèrent que le fait d'avoir
délégué au GATT la définition de
«subvention» constitue, par rapport à l'intention qui avait
été manifestée lors des négociations du
traité bilatéral, une sorte de recul puisque c'est justement le
noeud de tout ce processus de contestation, faute de définition claire
et précise de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas.
Considérez-vous, vous aussi, que c'est, jusqu'à un certain point,
un recul par rapport à l'association de libre-échange?
Mme Lachapelle: Tout à fait. Parce que les
décisions du GATT, malheureusement, dans la plupart des cas, ne sont pas
exécutoires, c'est-à-dire qu'on permet à l'un ou l'autre
des pays de prendre des mesures de «retaliation», alors que, si on
avait poursuivi le chemin qui avait été tracé justement au
niveau de l'ALE, on aurait mis des balises alentour de certaines subventions.
On aurait dit: Celle-là, ce genre d'aide là, c'en est une;
celle-là, ce n'en est pas. Ce qui fait que l'application de la loi
américaine s'en serait trouvée d'autant circonscrite à des
secteurs, alors que, maintenant, elle n'a pas de frontières, c'est tous
azimuts. C'est comme ça et c'est effectivement assez malheureux.
Tout ça, je le dis en pensant qu'on est encore mieux avec ce
qu'on a qu'avec rien. On peut quand même contester. À chaque fois
qu'on a contesté, on a gagné. Nous, notre intervention
là-dedans n'est pas une intervention négative. Je ne voudrais pas
laisser les membres du comité sur cette notion-là. Mais on se dit
que ça se pourrait que ce soit perfectible et on dit: Pourquoi ne pas
essayer?
M. Beaulne: Effectivement, c'est la façon dont on
l'interprète également.
Vous avez également manifesté un intérêt
particulier pour la question de l'adaptation des secteurs les plus
vulnérables. Entre autres, je pense que vous avez en tête le
secteur de l'habillement puisque ça représente 60% de la
production canadienne et que c'est un des secteurs les plus importants de
Montréal. D'ailleurs, je pense qu'il faut rendre hommage aux
représentants de cette industrie-là qui sont venus devant la
commission et qui nous ont donné non seulement un nouvel
éclairage sur l'importance que ça représente dans
l'économie québécoise et montréalaise en
particulier, mais également une sorte de démystification de cette
entreprise-là qui n'est pas uniquement reléguée au statut
d'une entreprise d'un secteur industriel primaire qui utilise de la
main-d'oeuvre à bon marché. (16 h 20)
En fait, on nous a fait la démonstration qu'il y avait, dans ce
secteur, des industries qui utilisaient de plus en plus des innovations
technologiques intéressantes. Sauf que le contexte de l'ALENA, par
rapport à l'industrie de l'habillement, représente un recul,
entre autres en matière de ce qu'ils appellent la règle de la
triple origine et, également, en matière des contingents
tarifaires. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus et, surtout, vos
suggestions quant à la façon de protéger un peu plus cette
industrie-là. Surtout, je ne dis pas de maintenir des emplois et de
protéger les aspects les plus
dépassés de l'industrie, mais de favoriser celles qui se
spécialisent de plus en plus dans le domaine du haut de gamme et qui ont
recours de plus en plus aux mesures d'innovations technologiques.
Mme Lachapelle: Écoutez, au niveau de la règle de
la triple origine, c'est évident que, dans l'ALENA, bon, il faut que les
trois transformations soient faites dans le secteur nord-américain alors
que, dans l'ALE, il suffisait qu'il y en ait deux. Je pense que là, pour
le secteur vêtement... Les gens de l'industrie sont bien plus à
même de vous expliquer tout cela que moi, mais ce que j'en sais, ce
qu'ils m'ont confié à maintes reprises, c'est que, dans ce
cas-là, ce ne sera pas seulement, pour eux, une question d'adaptation
à l'ALENA. Ils insistent beaucoup, les gens du secteur vêtement,
pour que les tarifs actuels canadiens sur les textiles en provenance de pays
autres que les États-Unis et le Mexique, en fait, tout le reste des pays
d'importation, soient réduits au maximum, en fait, à zéro,
surtout pour les textiles qui ne sont pas produits au Canada. Pourquoi
ça? Parce qu'il y a une tendance, chez les fabricants de vêtements
ici, à cause de certaines des restrictions dans le passé,
à faire des vêtements, si vous voulez, qui sont faits de tissus
moins fins alors que, pour faire des vêtements de tissus fins, ces
gens-là sont obligés de s'approvisionner à
l'étranger. Or, les tendances, dernièrement, ce sont des
tendances aux tissus fins et ces tissus-là, souvent, ne sont pas
disponibles ici. Alors, il y a eu une première baisse des tarifs, le
ministère canadien du Revenu a annoncé une baisse de tarifs sur
les textiles et je pense que, ça aussi, c'est un côté, ce
serait des mesures, si vous voulez, complémentaires aux nouvelles
règles d'origine qui seront dans l'ALENA.
Le Président (M. Dauphin): M. le député.
M. Beaulne: Les intervenants ont également fait allusion,
ceux du vêtement en particulier, aux dispositions fiscales, certaines
dispositions fiscales qui les pénalisent et toute la
problématique de la taxation. Pensez-vous que ce serait une bonne
idée de revenir à un genre de TVQ modulée, comme ça
existait dans le temps, qui ferait en sorte que certains secteurs mous auraient
un taux de taxation inférieur au taux normal?
Mme Lachapelle: Je...
M. Beaulne: Peut-être un taux de zéro,
même?
Mme Lachapelle: Je professe mon ignorance dans ce
secteur-là. Je ne peux vraiment pas vous répondre.
M. Marcoux: Peut-être, M. le député,
simplement un commentaire là-dessus. Je crois que ce n'est
peut-être pas une mauvaise suggestion, mais je pense que, vous savez, il
faut faire attention à trop moduler. Je pense que... peut-être des
moyens on parlait tantôt de la formation qui sont, à
long terme, plus positifs que des mesures à court terme et notamment
reliées à la fiscalité. On sait que, déjà,
toute la TVQ et la TPS et tout ça, c'est fort compliqué pour les
entreprises. Plus il y a de disparités, à la fois dans les
modalités et dans l'application, plus c'est difficile pour les
entreprises. Ce n'est pas que ce ne soit pas quelque chose de souhaitable, mais
je regarderais ça avec beaucoup de circonspection.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. M. Beaulne:
Combien il nous reste de temps?
Le Président (M. Dauphin): II vous reste environ trois
minutes.
M. Beaulne: Bon, on va leur céder la parole puis mon
collègue...
M. Descôteaux (Claude): M. le Président... Le
Président (M. Dauphin): Oui.
M. Descôteaux: ...j'ajouterais un commentaire rapide en ce
qui concerne le vêtement. Il y a vraiment deux mondes du vêtement:
vous avez le vêtement bas de gamme et le vêtement de
qualité. Le vêtement bas de gamme, où on avait des dizaines
de milliers de travailleurs au Québec il en subsiste encore
beaucoup aujourd'hui a toujours constitué, depuis que je connais
ce secteur industriel, un grave problème parce qu'il était, par
définition, soumis aux assauts des pays à faibles coûts de
production. Ce sont les contingents canadiens qui, entre guillemets, ont
protégé plus qu'autrement cette industrie, mais ça a
nécessité des pèlerinages quasi annuels de la part du
Québec pour réussir à les maintenir en vie. Mais il est
évident que c'est un secteur qui va être soumis constamment
à des pressions ultimes, de sorte que ce secteur est voué
à une certaine réduction. Par contre, et c'est là qu'on
parle d'adaptation, dans les vêtements de qualité, haut de gamme,
grâce à une bonne technologie, une bonne gestion, une bonne
connaissance des matériaux, des tissus, des couleurs, du design, il y a
là des possibilités et on l'a démontré
de percer non seulement le marché américain, mais d'autres
marchés également. Alors, c'est là qu'on peut penser
à un transfert de connaissances en milieu textile vers des produits qui
sont de plus haute valeur ajoutée.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. Descôteaux.
Maintenant, M. le ministre des Affaires internationales.
M. Ciaccia: Je voudrais clarifier la question de règlement
des différends parce qu'il semble y avoir confusion autour de la table
ici. Premièrement, le méca-
nisme de règlement des différends n'a pas
été changé. Il a été amélioré.
Les consultations dont vous parliez, madame, et le comité, ce ne sont
pas les consultations sur un différend en particulier. On prévoit
qu'il va y avoir des consultations pour améliorer le mécanisme.
Alors, c'est de beaucoup différent. Ce n'est pas une consultation sur un
différend en particulier, c'est sur le mécanisme. Le
comité auquel vous faites référence... Il y a eu un
problème, au début, parce que les Américains ne voulaient
pas accepter le règlement des différends pour le Mexique parce
que les lois mexicaines... Le système de lois n'est pas le même
que celui des États-Unis et le nôtre. Alors, ce
comité-là a été formé pour examiner s'il y a
des changements aux lois. Mais ce n'est pas un comité qui vient en
opération après la décision. Les décisions sont
exécutoires dès que le binational les rend, sauf pour l'appel
extraordinaire. Mais il ne faut pas exagérer ça non plus parce
que, ça, ça a été utilisé deux fois. La
première fois, le comité extraordinaire a rejeté l'appel
des Américains. Il a dit: Écoute, ça ne s'applique pas.
Ça, c'était notre «contention». Il a dit:
Écoutez, ce n'est pas un appel. Maintenant, ils essaient encore de
l'utiliser dans le conflit sur le porc vivant. Et on va avoir, on
espère, la même décision, puis ça va vraiment fixer
une balise et un précédent pour tous les appels
extraordinaires.
Alors, je pense que, non seulement on l'a maintenu, mais on l'a
amélioré parce qu'on a renforcé la base institutionnelle
de la commission mixte, son rôle de médiateur. Il y a des
dispositions spéciales pour permettre l'examen
accéléré de toute allégation de mesure de
rétorsion excessive. Et, quand on parle de porc vivant et de porc
congelé, ce sont complètement deux produits différents. Le
porc vivant, la décision a été rendue puis il n'y a pas eu
d'autre plainte. Il y a ce qu'on considère un peu d'exagération
de leur part de continuer sur le porc congelé. Non, sur le porc vivant.
C'est sur le congelé que nous avons reçu la décision
finale. Les 10 000 000$...
Mme Lachapelle: C'est le vivant qu'on attend.
M. Ciaccia: ...ont été remboursés. Mais la
question que les droits compensateurs sont exécutoires
immédiatement, ça, c'est une loi qui a été
passée en 1896 aux États-Unis. Ils ne sont pas prêts
à l'amender. Alors, ce qu'il faut faire, nous, là... Parce que
c'est dans les 212 000 000 000 $. Et dans nos 27 000 000 000 $, pour 54 000 000
000 $ d'échanges, les conflits sont très minimes. Mais on a
amélioré le mécanisme de règlement des
différends et, pour éviter ce qui se passe avec le porc vivant,
je pense qu'on considère d'autres mesures à prendre pour ne pas
que ce soit répété.
Le Président (M. Dauphin): Très bien. M. le
député de Labelle, je vous reconnais.
M. Léonard: Merci, M. le Président. Bonjour madame,
messieurs. moi, comme j'ai juste deux minutes, je veux d'abord vous remercier
d'avoir attiré l'attention de la commission sur le fait qu'il faut
s'intéresser aux plans des autres d'envahissement de notre marché
aussi: les américains puis celui des mexicains. j'espère que le
ministre s'y intéresse drôlement puis qu'il a commencé
à avoir des renseignements là-dessus. quand on joue au hockey, si
on s'intéresse juste à l'offensive puis qu'on n'a pas de gardien
de buts ni de défenseur, on se fait compter dans ses propres buts. je
pense que c'est important d'avoir ça comme attitude aussi. puis, quand
je regarde juste l'évolution du commerce avec le mexique, les
exportations ont diminué de 41 %. vous dites, à la page 4: de 148
000 000$ à 88 000 000 $. les importations ont augmenté de 94 %:
elles sont passées de 226 000 000 $ à 440 000 000 $. ce n'est pas
rien. en termes de défensive offensive, ça nous renseigne assez
merci. (16 h 30)
Ceci étant dit, je n'ai rien contre plus de commerce avec le
Mexique. Ce qui me préoccuperait, cependant, c'est de voir ce qui arrive
avec les Américains. Donc, là-dessus, vous avez attiré
l'attention de la commission, et à juste titre. Mais je voudrais juste
aussi revenir sur cette question de règlement des différends et
de tout ce qui s'est passé. J'écoutais le ministre et j'avais
l'impression qu'il acceptait son rôle de geignard, plaignard, braillard,
quand les Américains font des plaintes et qu'après, finalement,
ça prend beaucoup de temps. La simplicité du mécanisme,
pour nous, de réaction lorsqu'il y a quelqu'un qui se plaint à la
commission ou qui dépose une demande, comme on a vu dans le bois, est-ce
que ça vous satisfait? J'ai toujours pensé que, si on
était à la table nous-mêmes, ça irait plus vite, ce
serait plus facile et on serait mieux servis par nous-mêmes. Ceci
étant dit, on n'est pas encore là. Ça viendra. Mais, dans
le contexte actuel, est-ce qu'il y aurait des améliorations à
apporter? On en a parlé beaucoup, je le sais, mais nous-mêmes, nos
propres mécanismes, est-ce qu'ils pourraient être plus simples et
plus efficaces? On pourrait réagir avec plus de «punch».
Mme Lachapelle: Je ne crois pas, sincèrement, parce que
tout ce mécanisme, si vous voulez, de plaintes qui est disponible aux
Américains selon leurs lois est disponible de la même façon
aux sociétés canadiennes, aussi, vis-à-vis la loi
canadienne. Je ne pense pas... En tout cas, je n'ai jamais entendu parler de
sociétés qui se soient rendues, qui aient développé
un dossier, en fait, et qui n'aient pas été défendues
à ce moment-là par le gouvernement canadien.
M. Léonard: Ça prend quand même des mois,
là. C'est six mois et plus, même des fois un an, à
établir la preuve. Est-ce que c'est dû au mécanisme
lui-même? Est-ce que c'est dû au dossier? Je comprends que le
dossier peut être plus ou moins complexe, mais...
Mme Lachapelle: C'est surtout dû à la
complexité des dossiers. Vraiment, en fait pour reprendre les
commentaires du ministre, tantôt il y a quand même beaucoup
à gagner, aussi, à montrer un front uni aux Américains,
qui sont les premiers à essayer de jouer les uns contre les autres non
seulement ici, mais dans d'autres pays de la Communauté, par exemple.
Ils sont très forts à faire ça. Je ne pense pas que c'est
de cette façon-là qu'on va gagner des batailles. Je pense qu'on
arrive à les gagner en étant solidaires et ça nous a bien
servis, en tout cas jusqu'à maintenant.
Le Président (M. Dauphin): Merci.
M. Léonard: Je comprends ça, mais on peut
être solidaires en étant les deux à table.
Le Président (M. Dauphin): Alors, l'enveloppe de
l'Opposition est épuisée. Il reste deux minutes à celle
des ministériels.
M. Ciaccia: M. le Président, juste pour clarifier un peu
des propos que le député de Labelle a dits. Je ne pense pas que
ce soit vraiment sérieux, ce qu'il vient de dire, qu'on doit identifier
et pas être seulement à l'offensive, mais à la
défensive. Comment pensez-vous qu'on a identifié les secteurs qui
sont importants, qui ont des besoins au Mexique et que nous avons ici? C'est en
faisant les analyses de ce qui se passe au Mexique, voyons! C'est
élémentaire, ça.
Deuxièmement, je ne pense pas que vous compreniez le
règlement des différends. Je vous inviterais à lire le
livre de votre président, M. Bernard Landry. Il va vous donner un cours,
là-dedans, sur le mécanisme des différends, comment
ça opère maintenant et comment ça opérait
avant.
M. Léonard: ...dossier que vous compreniez, celui des
Mohawks.
M. Ciaccia: Avant l'ALE, ils imposaient des droits et on n'avait
pas de recours. On n'accepte pas juste comme des plaignards. Vous n'êtes
pas au courant des travaux, des efforts et du succès qu'on a eu avec
l'ambassade canadienne dans le magnésium, où nous avons
sauvé la politique industrielle d'Hydro-Québec. On a fait
accepter par le Department of Commerce la politique de partage de risques de
tous les contrats d'Hydro-Québec qui affecte toutes les alumineries, qui
affecte Norsk Hydro.
Une voix: À l'intérieur.
M. Ciaccia: À l'intérieur. Alors, écoutez,
je pense que...
M. Léonard: II ne faut pas charrier.
M. Ciaccia: ...vous seriez mieux de vous informer de ce qui se
passe avant de faire des déclarations de même parce que je pense
que le monde va pouvoir vous prendre au sérieux.
Le Président (M. Dauphin): Messieurs, à l'ordre,
s'il vous plaît. Un seul intervenant. Avez-vous terminé, M. le
ministre?
M. Ciaccia: Eh bien, je pense que oui.
Le Président (M. Dauphin): Alors, M. Marcoux, pour le mot
de la fin.
M. Marcoux: M. le Président, merci. D'abord, je voudrais
vous dire que c'est certainement dans un esprit fort positif que nous avons
présenté le mémoire. Je pense que la discussion,
d'ailleurs, a été fort intéressante et instructive. En
résumé, la Chambre de commerce, évidemment, comme je le
mentionnais dans mon intervention du début, appuie l'ALENA. Si possible
et dans le cadre de certaines négociations, peut-être qu'ils vont
continuer certaines améliorations qui pourraient être
apportées. De toute façon, même avec certaines nuances,
nous sommes pour l'adoption de l'Accord et pour son entrée en vigueur le
1er janvier 1994. Je pense que c'est mieux d'avoir quelque chose qui n'est
peut-être pas l'idéal, mais que nous considérons comme
étant un bon instrument pour le développement de nos entreprises.
Non pas nécessairement à court terme. Je pense que, comme on a
dit, ce n'est pas une panacée. Ce ne sera pas apocalyptique. Nous
croyons qu'à moyen terme et à long terme c'est la voie qui est la
préférable pour le développement de nos entreprises.
Enfin, je voudrais simplement ajouter un mot et dire que, du
côté des entreprises, nous sommes très satisfaits,
également, de la collaboration reçue de la part du
ministère des Affaires internationales. Je pense qu'on a une très
bonne collaboration, beaucoup de réceptivité. Je pense que c'est
important parce qu'il y a des suggestions qu'on peut faire et qui, parfois,
peuvent également améliorer. Également, nous sommes
certainement, en tout cas de la part des entreprises, très satisfaits
des collaborations et de la réceptivité du travail qui est fait
par le ministère des Affaires internationales pour aider les
entreprises.
M. Ciaccia: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci beaucoup, M.
Marcoux, M. Descôteaux, Mme Lachapelle, au nom de la Chambre de commerce
du Québec, d'avoir accepté notre invitation. Je demanderais
maintenant aux représentants du Regroupement d'entreprises
sidérurgiques du Québec de s'avancer à la table des
invités.
(Suspension à 16 h 37)
(Reprise à 16 h 41)
Le Président (M. Dauphin): Nous recevons maintenant le
Regroupement d'entreprises sidérurgiques du Québec. Je reconnais,
au centre, M. LeBoutillier, qui est président et chef de la direction de
Sidbec-Dosco. Je vous demanderais de présenter les personnes qui vous
accompagnent et, ensuite, de procéder à votre exposé d'une
durée maximum de 20 minutes. Bienvenue, messieurs.
Regroupement d'entreprises sidérurgiques du
Québec
M. LeBoutillier (John): M. le Président, M. le ministre,
membres de la commission, m'accompagnent aujourd'hui, à ma gauche, M.
Tom Boluk, qui est directeur finances et administration de Stelco-McMaster
ltée, et, à ma droite, M. Gilbert Mercier, qui est
président des Aciers inoxydables Atlas, une division de Sammi Atlas. Au
nom de mes collègues et en mon nom, je vous remercie de nous donner
l'occasion de vous présenter la position du Regroupement d'entreprises
sidérurgiques du Québec au sujet de l'Accord de
libre-échange. Ce regroupement est formé des entreprises
suivantes: Aciers inoxydables Atlas, division de Sammi Atlas, Ivaco inc., QIT
Fer et Titane, Sidbec-Dosco et Stelco-McMaster.
La position de notre regroupement en ce qui concerne l'ALENA
reflète celle de l'industrie canadienne de l'acier. En effet, les
représentants de nos entreprises travaillent en étroite
collaboration avec différentes associations canadiennes de producteurs
et de distributeurs d'acier comme l'Association canadienne de producteurs
d'acier, l'Association de fabricants de pièces d'automobile du Canada,
le Conseil canadien du commerce et de l'emploi dans la sidérurgie,
l'Institut canadien des centres de services des produits métallurgiques
et, pour limiter la liste, l'Institut canadien de plomberie et de
chauffage.
En premier lieu, il est important de bien saisir quelle est la situation
actuelle dans le marché nord-américain de l'acier. L'industrie
sidérurgique du Canada, tout comme celle des États-Unis,
évolue dans un marché nord-américain unique et
intégré. En effet, l'acier traverse la frontière des deux
pays, d'un côté comme de l'autre, des centaines de fois par jour.
Il en va de même pour les produits bruts qui entrent dans la fabrication
de l'acier puisque les complexes sidérurgiques intégrés
des deux pays achètent leurs matières premières tant au
Canada qu'aux États-Unis et que les mini-usines s'approvisionnent en
ferraille dans un ou l'autre pays. C'est la même chose également
pour les produits manufacturés de l'acier. Des entreprises
sidérurgiques canadiennes et américaines investissent,
achètent et vendent leurs produits des deux côtés de la
frontière, ce qui est bénéfique pour les deux pays,
notamment au chapitre des retombées économiques et de la
protection des emplois.
La plupart des producteurs d'acier au Canada et aux États-Unis
sont membres de l'American Iron and Steel Institute, de la Steel Manufacturers
Association ou de l'American Wire Producers Association. Par ailleurs, les
employés des compagnies syndiqués au Canada et aux
États-Unis appartiennent presque tous au Syndicat des métallos
basé à Pittsburgh, en Pennsylvanie. les chiffres qui suivent
donnent une idée de l'envergure du marché
canado-américain. entre 1988, soit l'année
précédant l'entrée en vigueur de l'accord de
libre-échange, et 1991, les exportations d'acier des états-unis
vers le canada ont augmenté de près de 60 %. elles ont atteint
une valeur annuelle de 850 000 000 $. le marché canadien absorbe plus de
25 % de toutes les exportations d'acier des états-unis. les exportations
d'acier du canada vers les états-unis ont toujours
représenté une proportion significative du total des exportations
canadiennes. en 1991, elles étaient évaluées à
environ 1 500 000 000 $ et représentaient 60 % des exportations
canadiennes de l'acier. l'industrie sidérurgique canadienne importe
chaque année des états-unis pour 2 250 000 000 $ en biens et
services. en bref, le commerce de l'acier entre le canada et les
états-unis représente la plus importante relation du genre au
monde. de par son caractère unique, il doit être
différencié.
En ce qui concerne les échanges avec le Mexique, les exportations
d'acier de ce dernier aux États-Unis, pour les années 1989, 1990
et 1991, étaient de 231 000 000 $, 285 000 000 $ et 243 000 000 $
respectivement, alors que les États-Unis y exportaient, pour les
mêmes années, 395 000 000 $, 494 000 000 $ et 796 000 000 $. Les
échanges commerciaux dans le domaine de l'acier entre le Canada et le
Mexique sont peu élevés. Ils sont appelés à se
développer, à l'avenir.
Deux exemples d'intégration. Les deux exemples suivants montrent
que l'intégration est une réalité. Le secteur de
l'automobile, le plus important client de l'industrie de l'acier, fonctionne
dans le cadre d'un marché libre et intégré. Les achats des
trois plus grands fabricants d'automobiles en Amérique du Nord
s'effectuent à Détroit et l'acier est livré aussi bien au
Canada qu'aux États-Unis. L'acier acheté dans les deux pays est
envoyé aux usines d'estampillage du Canada ou des États-Unis. Il
en est de même pour les pièces utilisées dans les usines
d'assemblage. Le secteur de l'automobile évolue, depuis 1965, dans le
cadre du Pacte de l'auto, qui a été confirmé par l'Accord
de libre-échange et sera repris par l'ALENA. Un deuxième exemple
d'intégration. Les deux associations, canadienne et américaine,
de centres de services se préparent à fusionner, étant
donné qu'elles se considèrent dans un marché unique. (16 h
50)
En dépit de l'environnement de marché
intégré que je viens de décrire et de l'application de
l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, nous
avons dû faire face, au cours des derniers mois, à un
phénomène qui va à rencontre d'une telle
intégration. En juin 1992, les producteurs américains ont
déposé 84 plaintes de dumping et de droits compensateurs contre
21 pays, y compris le Canada, qui a été accusé de dumping
seulement. Le département américain du Commerce rendait sa
décision préliminaire le 26 janvier 1993, concernant les plaintes
de dumping. Le Canada a été pénalisé dans tous les
produits, soit les tôles fortes, les tôles laminées à
chaud, les tôles laminées à froid et les tôles
galvanisées. De son côté, le gouvernement canadien
annonçait ses décisions pour les tôles fortes et les
tôles laminées à chaud en janvier 1993, à la suite
des plaintes déposées plus tôt par les producteurs
canadiens. Des droits préliminaires de dumping ont été
imposés pour ces produits à plusieurs pays, dont les
États-Unis. Le Canada doit rendre ses décisions concernant les
tôles laminées à froid et les tôles
galvanisées au cours des mois d'avril et mai 1993.
Comme nous en avons fait part dans notre mémoire, nous sommes
favorables à la libéralisation du commerce mondial et à
l'entrée en vigueur de l'ALENA qui devraient permettre à
l'industrie québécoise et canadienne de l'acier de continuer sa
restructuration et ses investissements et de devenir plus productive et plus
concurrentielle dans un marché nord-américain de l'acier.
Cependant, nous constatons que les règles relatives aux
différends commerciaux en matière de dumping et de subvention
n'ont à peu près pas subi de changements depuis l'entrée
en vigueur de l'Accord de libre-échange. Les négociations
relatives au chapitre 19 de l'Accord de libre-échange concernant le
règlement des conflits commerciaux n'ont pas progressé et l'ALENA
apporte peu de modifications à ce chapitre.
L'industrie de l'acier au Québec et au Canada se trouve en
quelque sorte démunie, avec peu de moyens, pour contrecarrer l'action
protectionniste américaine que représente l'utilisation abusive
des lois antidumping contre les producteurs canadiens. Ce recours va à
l'encontre des objectifs visés par l'Accord de libre-échange,
lequel avait pour but non seulement d'éliminer les barrières
tarifaires, mais également d'avoir un processus simple et efficace pour
régler les conflits commerciaux afin de former un marché
nord-américain intégré.
Presque tous les pays qui ont signé des accords de
libre-échange, tels ceux de la Communauté économique
européenne, ont abandonné l'application des lois antidumping
entre les pays visés par l'accord. Dans l'historique même des
relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, on trouve des
précédents où le Canada a eu un traitement
différent de celui imposé aux autres pays étrangers. En
1984 et en 1989 par exemple, alors que les États-Unis imposaient
à plusieurs pays des limitations volontaires aux exportations, le Canada
avait été exclu. L'ALENA aura sûrement des
répercussions favorables pour le Québec et le Canada s'il
comporte des solutions justes et équitables en matière de
règles commerciales, de subventions et de dumping. Les règles
actuelles constituent un sérieux handicap pour l'industrie
sidérurgique et freine l'impact positif du libre-échange auquel
celle-ci s'attendait.
En conclusion, pour les raisons que nous venons d'évoquer, nous
insistons sur la nécessité de reconnaître le
caractère unique et intégré du marché
nord-américain de l'acier et de promouvoir auprès de
l'administration américaine un concept d'accord sectoriel de l'acier
avec ses règles commerciales communes en matière de subventions
et de dumping. Cet accord pourrait compléter l'ALENA. Nous demandons
également mais, ça, c'est une conclusion accessoire et
moins importante que la première que le Mexique adopte des normes
analogues à celles du Canada et des États-Unis en matière
d'environnement et de normes du travail.
Ça termine, M. le Président, la présentation. Nous
sommes à votre disposition pour échanger sur le sujet.
Le Président (M. Dauphin): D'accord. Merci beaucoup, M.
LeBoutillier, pour cette présentation au nom du Regroupement.
Reconnaissons maintenant le ministre des Affaires internationales pour
débuter la période d'échanges. M. le ministre.
M. Ciaccia: Je vous remercie beaucoup pour votre
présentation. Évidemment, vous avez des problèmes
très particuliers. On va voir comment on peut explorer, dans nos
discussions, certaines des recommandations que vous faites.
Premièrement, vous faites la recommandation que vous voulez un
accord sectoriel de l'acier, si je vous comprends bien. Nous sommes d'accord
avec vous. Nous appuyons cet effort. Je crois que le gouvernement
fédéral aussi est d'accord et il tente d'initier ou de discuter
un accord sectoriel avec les États-Unis. Dans la multiplication des
plaintes antidumping, parce qu'il y a eu des plaintes antidumping à
travers le monde, pas seulement aux États-Unis... Ça a
amené Mme Caria Hills à vouloir faire une étude pour les
réduire, mais, malheureusement, il y a eu une élection et Mme
Caria Hills n'est plus là. Dans l'accord sectoriel, est-ce que vous
vouliez inclure le Mexique? Est-ce que ce serait un accord sectoriel
trilatéral ou des accords bilatéraux?
M. LeBoutillier: Ce pourrait être bilatéral ou
trilatéral. Au niveau des associations de producteurs d'acier en
Amérique du Nord que j'ai mentionnées tout à l'heure, on a
eu, au cours de la dernière année, des discussions informelles
entre nous. Au niveau de l'Ame-rican Iron and Steel Institute, par exemple, on
retrouve un grand nombre d'entreprises sidérurgiques américaines,
six ou sept entreprises canadiennes et deux entreprises sidérurgiques
mexicaines. Les discussions que nous avons eues concernant un accord sectoriel
impliquaient également les Mexicains. Aux dernières nouvelles,
nos collègues mexicains continuent d'être intéressés
à un accord qui pourrait être trilatéral.
M. Ciaccia: Je vais essayer de comprendre cer-
tains chiffres que vous nous avez donnés. vous dites que les
états-unis... le marché canadien absorbe 25 % de la
totalité des exportations d'acier des états-unis. vous semblez
dire que c'est un montant considérable, évidemment. mais vous
dites aussi que l'industrie canadienne de l'acier importe chaque année
des états-unis pour 2 250 000 000 $ de biens et services. si le
gouvernement canadien a réagi quand les américains ont
imposé des droits compensateurs sur les importations aussi... mais je
voudrais que vous me parliez de ces 2 250 000 000 $. je ne veux pas être
simpliste, mais il me semble que, si ces 2 250 000 000 $ de biens que
l'industrie canadienne importe pouvaient être faits au canada,
peut-être que ça changerait beaucoup l'aspect de toute la
problématique. est-ce que vous pourriez me clarifier un peu la nature de
ces importations?
M. LeBoutillier: C'est effectivement un chiffre qui est important
et qui surprend. Chaque fois qu'on rencontre des sénateurs ou des
membres de l'administration américaine et on le fait souvent par
les temps qui courent c'est le genre de chiffre qui surprend. Qu'est-ce
que ça comporte? Ça comporte beaucoup d'achats de minerai de fer.
Les producteurs intégrés canadiens, Stelco, Dofasco et Algoma
je ne fais pas de distinction entre les entreprises
achètent beaucoup de minerai de fer dans les états du Michigan et
du Minnesota...
M. Ciaccia: qu'est-ce qui arriverait si... excusez-moi de vous
interrompre... de dire: écoutez, vous voulez imposer des droits sur
nous? mais, au lieu d'acheter de vous parce que je suis persuadé
que ce n'est pas les seuls fournisseurs de ces matériaux-là
on n'achètera pas de vous, on va acheter ailleurs. c'est vrai
que, nous, on va perdre nos exportations de 1 500 000 000 $ qui
représentent 60 % des exportations canadiennes, mais, en contrepartie,
tous les autres achats pourraient se faire ailleurs. sûrement, ça
doit faire partie de vos négociations avec eux. (17 heures)
M. LeBoutillier: Mon deuxième exemple aurait
été le charbon métallurgique et, là, les sources
d'approvisionnement autres...
M. Ciaccia: Sont limitées.
M. LeBoutillier: ...sont très limitées. Alors, on
parle essentiellement, dans les 2 250 000 000 $, de minerai de fer, de charbon
métallurgique, de ferraille et d'équipement.
M. Ciaccia: Maintenant, je présume que vous contestez, par
des procédures légales, des représentations, les
décisions qui ont été prises par le Department of
Commerce. Je pense qu'on vous a offert même, comme ministère, de
travailler avec vous, de vous assister. Est-ce que vous avez l'intention
d'utiliser le mécanisme des différends et est-ce que vous avez
l'intention de porter votre plainte au binational?
M. LeBoutillier: On va aller jusqu'au bout. On travaille en
étroite collaboration avec les officiers de votre ministère, ils
nous supportent dans toute la mesure du possible. Il faut comprendre que les
plaintes ont été portées uniquement sur les produits
plats, sur quatre produits qu'on pourrait définir par le terme
générique de tôle, et nous avons réagi comme
producteurs canadiens, les cinq producteurs canadiens de produits plats ont
réagi de la même façon sur les mêmes produits contre
toutes les importations qui entraient au Canada, donc les États-Unis.
Nous avons individuellement contesté, à Washington, toutes les
plaintes qui ont été portées contre nous, nous allons
continuer de le faire et nous allons nous rendre à la limite et, s'il le
faut, au tribunal binational.
M. Ciaccia: Mais que pensez-vous du mécanisme de
règlement des différends? Avez-vous une opinion sur ce
mécanisme?
M. LeBoutillier: Le mécanisme, on verra au bout de...
M. Ciaccia: Ça dépend si vous gagnez.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ciaccia: Ça dépend si vous gagnez.
M. LeBoutillier: On verra, au bout de l'exercice, si ça a
été valable ou pas. Dans le cas particulier de l'acier, ce qu'on
doit vivre depuis un an est extrêmement coûteux, d'une part
on fait vivre les avocats à Washington et ça crée
une incertitude au niveau de la relation commerciale entre le producteur
canadien et son client américain. La première analyse qui a
été faite par le département américain du Commerce
a été une analyse en fonction des marchés où ils
ont comparé des ventes d'acier au Canada avec des ventes d'acier par des
producteurs canadiens sur les marchés américains. Ça ne
les a pas tout à fait satisfaits. Les pourcentages qu'on nous a
attribués sont entre 0 et 10, à une exception près.
Maintenant, ce sont les coûts de production qui font l'objet d'une
analyse détaillée au cours des mois de mars et avril. Et comme
l'industrie sidérurgique a été dans une période de
marasme en 1991-1992, pas seulement au Canada mais également au sud de
la frontière, la période qui est sous étude, celle entre
le 1er janvier et le 30 juin 1992, il n'y a pas beaucoup d'entreprises
sidérurgiques en Amérique du Nord qui ont fait des profits.
Alors, la conclusion, on peut déjà la présumer.
M. Ciaccia: Mais, en parlant de l'ALENA, l'OCDE prévoit
que le Mexique ne sera pas en mesure
de répondre à la demande intérieure de produits de
l'acier, de sorte qu'on s'attend à une hausse sensible des importations
de l'acier. Avez-vous examiné la possibilité de profiter de ce
marché? Êtes-vous, d'ailleurs, déjà présents
sur le marché ? Et est-ce que l'ALENA pourrait faciliter l'accès
de vos produits au marché mexicain?
M. LeBoutillier: J'ai mentionné, dans mes commentaires
d'introduction, que le commerce de l'acier, au cours des dernières
années, entre le Canada et les États-Unis n'était pas
très élevé.
M. Ciaccia: Le Canada et les États-Unis ou le Canada et le
Mexique?
M. LeBoutillier: Le Canada et le Mexique, je m'excuse.
M. Ciaccia: O.K.
M. LeBoutillier: Les exportations canadiennes, en 1991,
étaient de l'ordre de 90 000 tonnes. Les importations du Mexique, au
cours des trois dernières années, ont varié entre 13 000
et 21 000 tonnes. Parlant au nom de Sidbec-Dosco uniquement, nous avons
récemment signé un accord avec un client mexicain, qui nous
laisse penser que c'est le début d'une association à long terme,
et on est en discussion avec d'autres clients du Mexique pour développer
une relation là aussi. Peut-être que mes collègues peuvent
commenter pour leurs entreprises, mais, nous, on y voit un potentiel de
développement, et l'ALENA, sinon sur le plan légal, du moins sur
le plan psychologique, environnement général, a été
favorable.
M. Boluk (Tom): Au niveau de Stelco-McMaster Itée, comme
M. LeBoutillier l'a dit, le Mexique, pour nous autres, pour le moment, ce n'est
pas un gros marché. On est au Mexique, mais la participation est
très faible. On voit plutôt à long terme une croissance
vis-à-vis le Mexique. On commence à développer ce
marché-là. Dans le contexte de notre discussion aujourd'hui,
c'est plutôt le marché américain qui est plus important
pour la sidérurgie dans le moment. Le Mexique, on voit le marché
mexicain plus à long terme. On est là, comme je l'ai dit
tantôt, mais on est là avec une faible participation. Mais c'est
plutôt à long terme.
M. Mercier (Gilbert): Pour Aciers inoxydables Atlas, on vient
seulement de commencer, en 1992, à expédier un peu au Mexique via
nos propriétaires, qui est le groupe Sammi, qu'on appelle la division
Sammi de Mexico. C'est seulement quelques centaines de tonnes pour commencer
à ouvrir des marchés. Mais notre marché, c'est
plutôt le marché américain présentement. Puis, les
Mexicains, ils n'expédient pas d'acier inoxydable au Canada
présentement.
M. Ciaccia: Vous avez un marché très particulier,
un créneau très particulier.
M. Mercier: Oui.
M. Ciaccia: Mais les règles d'origine, parlons en termes
d'opportunité, les règles d'origine ont été
précisées dans l'ALENA, ont été changées un
peu par rapport à l'entente de libre-échange américain.
Est-ce qu'il y a des améliorations à ce chapitre pour les
produits de votre industrie? L'augmentation, par exemple, de la règle de
contenu nord-américain pour les produits de l'automobile aura-t-elle des
conséquences positives pour l'industrie québécoise et
canadienne de l'acier?
M. LeBoutillier: La réaction d'ensemble, la
réaction générale de l'industrie canadienne, comme mes
collègues l'ont mentionné, notre marché principal, c'est,
bien sûr, le marché américain, et ça va le demeurer.
Mais on est d'avis qu'avec l'industrialisation progressive du Mexique, avec le
développement de son industrie automobile, l'industrie des pièces
d'automobile, il y a un potentiel intéressant pour développer une
relation à long terme avec des clients mexicains.
M. Ciaccia: Les plaintes qui ont été prises par les
Américains, elles ont été prises vraiment sous l'ancienne
administration? Tout le travail? Peut-être, la date a été
après les élections, mais ça faisait... J'ai l'impression
que c'était une réponse à des représentations de
protectionnisme durant une campagne électorale et les
Républicains ont répondu de la façon qu'ils l'ont fait.
Est-ce que vous avez eu des indications que la nouvelle administration aurait
une autre approche moins dure pour vous ou est-ce que c'est trop tôt
encore pour faire cette évaluation? (17 h 10)
M. LeBoutillier: Je pense que c'est encore trop tôt pour
faire l'évaluation. Le seul commentaire qui a été fait par
la nouvelle administration américaine, c'est que les décisions
qui ont été rendues s'inscrivent dans la continuité de
décisions qui ont été prises sous l'ancienne
administration républicaine.
M. Ciaccia: Oui, parce qu'ils ont dit: Ce n'est pas une
indication... Ils ont précisé: Ce n'est pas une indication que
c'est notre politique.
M. LeBoutillier: Et dans nos rencontres privées, au cours
des dernières semaines, on nous dit la même chose, que la
politique de l'administration Clinton n'est pas encore connue, qu'il y a encore
des postes à combler au niveau du Department of Commerce et du United
States Trade Representative, et ça viendra.
M. Ciaccia: Merci pour le moment. C'est tout. Le
Président (M. Dauphin): Merci, M. le minis-
tre. Alors, en vertu de l'alternance, passons au député de
Bertrand.
M. Beaulne: Merci. Une, enfin, sinon la position, la proposition
principale de votre mémoire, c'est de constituer... de reconnaître
le marché américain de l'acier comme un marché
intégré. Qu'est-ce que vous entendez par un marché
intégré? Est-ce que c'est quelque chose du style Pacte de
l'automobile, par exemple? Et pensez-vous que cette conception de marché
intégré... Après que vous nous aurez donné un peu
la définition de ce que vous entendez par marché
intégré dans le domaine de l'acier, est-ce que, d'après
vous, ce serait compatible avec les dispositions actuelles à la fois de
l'Accord de libre-échange et de l'ALENA?
M. LeBoutillier: Nous, on préconise le marché
intégré pour les raisons que j'ai mentionnées tout
à l'heure. On situe l'industrie sidérurgique au centre; en amont
de notre industrie, le marché du minerai de fer et du charbon est un
marché complètement ouvert, complètement
intégré; en aval, au niveau de l'industrie automobile et le
principal client de l'industrie sidérurgique, on a un marché
intégré depuis 1965. Alors, dans le cas particulier de l'acier,
nous disons qu'on devrait avoir un marché ouvert, un marché
intégré. Le modèle du Pacte de l'automobile est un bon
modèle. Nous avons eu des discussions avec nos collègues
américains sur ce qui pourrait constituer un accord sectoriel de
l'acier. Et notre objectif, ce n'est pas de toucher aux lois de façon
générale, aux lois américaines sur le dumping ou sur les
droits compensateurs. Le ministre l'a mentionné tout à l'heure,
ce sont des vieilles lois et, si on veut commencer à jouer
là-dedans, nos chances de réussite ne sont pas très
élevées.
Dans les discussions que nous avons eues avec nos collègues
américains, nous avons soulevé, de part et d'autre... nous avons
dégagé, si vous voulez, quatre grands critères, ou quatre
grands facteurs, ou quatre éléments qui pourraient faire partie
d'un accord sectoriel. Le premier traiterait, évidemment, de l'aide
gouvernementale, des subventions sous toutes les formes qui seraient
prohibées, moyennant certaines exceptions pour la recherche et le
développement, par exemple, qui devraient être
balisées.
Un deuxième volet toucherait l'élimination des
barrières tarifaires et des barrières non tarifaires. Dans le cas
des barrières tarifaires, en vertu de l'Accord de libre-échange,
elles doivent être éliminées sur une période de 10
ans. Nous sommes déjà à la cinquième année,
alors la moitié de la réduction est déjà en
vigueur, et on pourrait, dès maintenant, éliminer le solde des
barrières tarifaires tout en attaquant les barrières non
tarifaires.
Le troisième volet, et c'est peut-être le plus important,
l'expression que j'ai dans le document ici, c'est «fair cross-border
price competition», où on aurait un marché
généralement ouvert, sauf s'il y avait des cas très nets
d'exagération. On parle de «surge» ou on parle de vente
à des prix qui seraient déraisonnables, excessivement bas, et,
dans des situations comme celle-là, l'un ou l'autre pays conserverait
tous ses droits en vertu des lois actuelles.
Le quatrième point considérerait le marché
cana-do-américain, ou CanadaÉtats-UnisMexique, comme
un marché intégré face aux importations
étrangères. Alors, quand on examine le volume des importations,
quand on examine le préjudice qui est causé, on pourrait le
regarder dans un contexte intégré de marché ouvert et non
pas sur une base strictement géographique, pays par pays.
Voilà, c'est quelques-uns des éléments qui sont
actuellement sur la table pour lesquels on ne reçoit pas un accueil
pressé de nos amis américains.
M. Beaulne: Est-ce que vous voyez un lien entre le fait de ne pas
recevoir un accueil pressé, comme vous dites, par rapport, entre autres,
au premier élément de vos quatre composantes, c'est-à-dire
une définition de ce qu'est une subvention acceptable dans le domaine de
l'acier... Comme vous le savez, par rapport à l'Accord de
libre-échange, où on avait envisagé s'entendre
bilatéralement dans un laps de temps raisonnable sur ce qu'était
une subvention acceptable ou non, tout le problème a été
refilé au GATT qui se penche sur cette question-là, et on a
relégué le règlement de cette question-là aux
ententes du GATT. Quand vous dites que le premier élément serait
une définition de ce que sont les subventions acceptables, voulez-vous
dire, en fait, que les ententes du GATT se signent ou non ou quel que soit le
temps que ça prenne pour signer les ententes du GATT... ce que vous
voulez, c'est qu'au fond on accélère dans le cas de l'acier,
qu'on en arrive à une défini-. tion bilatérale ou
trilatérale de «subvention», indépendamment du fait
que le GATT produise ou non un accord?
M. LeBoutillier: Vous savez, le GATT, on l'a attendu... Ça
fait quelques années qu'on l'attend, nous, de l'industrie
sidérurgique.
M. Beaulne: Oui, c'est ça. C'est pour ça que je
vous pose la question, par rapport au premier élément.
M. LeBoutillier: On a embarqué sur le train du GATT, et
les dernières nouvelles que l'on apprend, c'est qu'on en a encore pour
six mois, un an, un an et demi avant qu'on finalise les accords du GATT. Et,
dans les discussions que nous avons eues avec le gouvernement
fédéral au cours des dernières années, on a fait
valoir qu'à défaut d'un accord du GATT dans un délai
raisonnable il faudrait considérer quelque chose de particulier pour
l'acier. Et on en est là aujourd'hui. On ne peut pas se permettre
d'attendre six mois, un an, un an et demi pour un règlement
hypothétique des accords du GATT.
M. Beaulne: J'ai une deuxième question. Vous êtes le
seul intervenant devant la commission, qui est venu se présenter, qui
vive présentement une situation de droits compensatoires qui lui sont
imposés. Pouvez-vous nous donner une évaluation des coûts,
de ce que l'imposition par les Américains de droits compensatoires
contre votre industrie représente à l'heure actuelle, non
seulement en termes de coûts légaux, mais en termes de manque
à gagner par rapport à vos ventes ou par rapport à votre
part de marché que vous pourriez satisfaire aux États-Unis? (17 h
20)
M. LeBoutillier: En termes de coûts légaux, je me
suis fait dire récemment qu'il y a une entreprise sidérurgique
européenne parmi les plus importantes qui a une facture d'honoraires
légaux de ses avocats de Washington de 6 000 000 $. Dans le cas du
Canada, on ne s'échange pas ces chiffres-là entre nous, mais je
pense qu'au total des cinq producteurs ça pourrait se situer à
quelques millions de dollars d'honoraires légaux et autres consultants
à Washington.
En termes de perte de parts de marché, à une exception
près, à un produit près, celui des tôles fortes,
où les Américains ont imposé un tarif nettement plus
élevé que ce qui serait raisonnable, quelque chose comme 67 % ou
68 %, les droits de dumping, et vous avez parlé de droits compensateurs
dans le cas du Canada, ce sont des droits antidumping seulement qui
s'appliquent, il n'y a pas eu de poursuites au niveau des droits compensateurs
les droits se situent entre 0 % et 10 %; 10 %, c'est à peu
près la limite supérieure qu'une entreprise sidérurgique
peut accepter dans le contexte actuel, et continuer d'exporter aux
États-Unis. Alors, je dirais que les parts de marché, la perte de
parts de marché, jusqu'à maintenant, a été minime.
Le manque à gagner, bien sûr, il est là, et il faudrait
regarder la situation de chacun. Là encore, on ne s'échange pas
les données entre nous, mais le montant en jeu serait
considérable. Des droits de 2%, 3 %, 5 % ou 10%, sur les importations de
chaque producteur, on parle de montants importants.
M. Beaulne: Est-ce que cette situation-là a un effet
important sur les mises à pied ici, au Québec?
M. LeBoutillier: À Sidbec-Dosco, non. Je sais que
c'était le cas chez McMaster.
M. Boluk: Je ne pense pas que...
M. Mercier: On n'est pas poursuivis, mais...
M. LeBoutillier: Bon, jusqu'à maintenant, je pense que, de
façon générale, la réponse, c'est non.
M. Beaulne: Une troisième petite question. On a
découvert, il y a à peu près deux ans, près de
Fermont, un gisement de graphite qui, apparemment, serait d'une forte teneur.
Si je comprends bien, la production de graphite au Mexique est
protégée. Est-ce que vous pensez que ça peut avoir une
incidence sur les possibilités de développement de ce
gisement-là à Fermont?
M. Mercier: Dans toutes les industries de l'acier, on utilise le
graphite dans les électrodes. Normalement, on peut consommer de 8
à 10 livres par tonne d'électrodes pour faire de l'acier.
Présentement, il y a deux gros producteurs, c'est Great Lakes Carbon
ainsi que Union Carbide. Si c'est protégé au Mexique, ça
pourrait, oui. Oui.
M. Beaulne: Bon. Moi, c'est tout pour le moment.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le
député. Alors, il reste quatre minutes et demie aux
ministériels. M. le ministre.
M. Ciaccia: La question du GATT, le multilatéral, moi, je
ne pense pas que ça va être votre solution, parce que, même
s'il y a un accord multilatéral sur l'acier, ça n'empêchera
pas le 301 des États-Unis sur l'antidumping. Ils vont toujours
être capables d'appliquer cette loi-là, à moins qu'ils
n'aient une entente sur l'antidumping totale, complète, et, ça,
ce n'est pas dans l'immédiat. Alors, l'avenue d'avoir une entente avec
les Américains, même si c'est pour tout le marché
nord-américain, je pense que c'est la bonne avenue. Il y a deux aspects:
il y a l'aspect légal et il y a l'aspect, aussi, d'utiliser le
système américain pour arriver à ces changements. On l'a
fait, ça, avec le magnésium; on est allés sur l'aspect
légal. Il ne faut pas oublier, et il faut utiliser les recours, mais on
a aussi utilisé les questions de négociations, les questions de
représentations, faire le lien entre notre industrie et leurs besoins,
et tout le reste, inutile de vous dire ça. Et c'est de même qu'on
a réussi à protéger les alumineries, à
protéger la politique industrielle du Québec. La raison pour
laquelle je vous dis ça, c'est qu'on est prêts à travailler
avec vous et à mettre à votre disposition tout ce que nous
pouvons, l'expérience que nous avons eue et toutes les ressources que
nous avons. Ça, c'est le premier point que je voudrais faire avec
vous.
Deuxièmement, la question d'éliminer le seuil des
barrières tarifaires. Il existe un mécanisme dans l'entente de
libre-échange avec les États-Unis pour l'élimination
accélérée des tarifs. Mais il faut que l'industrie des
deux bords de la frontière soit d'accord. Est-ce que ça vous
aiderait, et qu'en pensent les Américains?
M. LeBoutillier: Nous, on est prêts à le faire, et
je pense que les Américains seraient ouverts à l'idée.
Mais c'est une des rares cartes qu'on a dans notre jeu. On ne voudrait pas le
faire de façon isolée. On est prêts à le faire dans
le cadre d'un règlement un peu plus global.
M. Ciaccia: D'un règlement global, oui.
M. LeBoutillier: Dans le cadre d'un accord sectoriel, tel que je
l'ai mentionné.
M. Ciaccia: Vous êtes présentement encore à
votre décision préliminaire et la décision finale du
Department of Commerce est prévue pour le mois de juin, si je comprends
bien.
M. LeBoutillier: La date qu'on nous indique actuellement, c'est
le 21 juin, pour la décision finale.
Le Président (M. Dauphin): En conclusion, M. le
ministre.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Écoutez, je
veux réitérer notre volonté de travailler avec vous. On
réalise que c'est un problème très sensible. On comprend
aussi le problème américain qu'ils ont avec le reste du monde. Ce
qu'on cherche à faire avec eux, c'est de dire: Écoutez, on veut
créer le marché nord-américain; on a des
intérêts; on est des alliés, pas des compétiteurs;
nos compétiteurs, c'est le Japon, l'Europe, d'autres pays, et c'est pour
ça qu'on fait l'ALENA. Parce que la pratique d'Hydro-Québec, par
exemple, sur les contrats à partage de risques, quand ils nous ont
attaqués, on a dit: Écoutez, Bonneville Power fait la même
chose; on s'est inspiré de vous. Et, là, on a réussi
à démontrer qu'on avait des intérêts communs. Je
suis d'accord avec vous que d'essayer de faire changer les lois... Faire
changer une loi de 1896 qui a été appliquée par toutes les
administrations depuis ce temps-là, spécialement dans le contexte
actuel, je pense qu'il faut l'oublier. Mais il y a d'autres moyens d'arriver
à vos objectifs, c'est d'essayer de créer ce marché. On
est disponible, on va essayer de vous aider et de travailler avec vous.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre. Je crois
qu'il y a une dernière question de la part du député de
Bertrand.
M. Beaulne: Oui. Est-ce que l'industrie américaine de la
sidérurgie est subventionnée, est hautement subventionnée?
Étant donné qu'ils invoquent... Est-ce qu'ils sont
subventionnés, eux, et de quelle façon?
M. LeBoutillier: Très fortement, mais de façon
moins visible qu'au Canada. Le système politique américain est
très différent du nôtre. Les subventions viennent au niveau
des États, au niveau des villes, au niveau des paroisses, des
comtés. Il y a quatre ou cinq ans, l'industrie sidérurgique
canadienne... l'Association canadienne des producteurs d'acier a
commandé une étude auprès d'un consultant qui avait comme
mandat d'examiner les subventions que trois ou quatre sidérurgies
américaines auraient pu obtenir au cours des dernières
années. La conclusion à laquelle arrivait le rapport en
extrapolant, c'est que l'industrie sidérurgique américaine avait
reçu des subventions de l'ordre de 30 000 000 000 $ au cours des 10 ou
15 années qui ont précédé. Alors, c'est
énorme. Mais n'allez pas leur dire qu'ils sont subventionnés
parce qu'ils vont crier à l'horreur.
M. Ciaccia: ...les Américains sont contre les
subventions.
M. Beaulne: Oui, c'est ça. Donc, si je comprends bien la
règle du jeu, ce n'est pas de ne pas subventionner, c'est de ne pas se
faire prendre à subventionner, de le faire de façon, comme vous
dites, moins visible. (17 h 30)
J'ai une autre question qui se greffe à celle-là.
Plusieurs intervenants nous ont dit que nos entreprises ici, au Canada,
n'avaient pas, dans leur culture de faire les affaires, un réflexe,
comme les entreprises américaines, d'avoir recours presque
automatiquement à à peu près n'importe quelle disposition
légale qu'elles pourraient invoquer en fonction des lois soit
provinciales ou fédérales. Comme il y a un gros volume
d'exportation d'acier américain au Canada, comme vous l'avez
souligné, est-ce que, vous, vous pourriez invoquer, en vertu des
dispositions canadiennes ou québécoises, des mesures de
représailles à l'endroit de la sidérurgie
américaine exportée au Canada?
M. LeBoutillier: Mais on l'a fait, on l'a fait en
représailles contre les actions qui ont été prises par les
Américains en juin dernier. Nous avons réagi contre les
mêmes produits, contre les importations en provenance de tous les pays
et, en particulier, contre les Américains. À cet égard, si
vous me demandez de commenter notre expérience de la dernière
année, on a eu une collaboration totale de Revenu Canada et du
gouvernement fédéral sur le sujet. Le travail exigé par
Revenu Canada, avant de loger une plainte, avant d'accepter une plainte, exige
beaucoup plus de profondeur que ce qu'exigent les autorités
américaines. Les Américains définissent l'apparence de
préjudice de façon assez rapide et assez facile.
M. Beaulne: En l'absence d'entente bilatérale ou
multilatérale par le GATT sur cet aspect qui est très crucial
pour votre entreprise, c'est-à-dire toute la question de subventions,
pensez-vous qu'on pourrait peut-être modifier nos lois, nous aussi, pour
permettre à nos gens de contester en fonction de l'apparence, comme le
font les Américains, plutôt que d'exiger qu'on ait des dossiers
plus poussés?
M. LeBoutillier: L'appréciation que je ferais de nos lois,
c'est qu'elles sont probablement suffisantes. Est-ce que d'autres industries
devraient en faire un usage plus fréquent? Ça, c'est une question
que chacun doit examiner. Nous, on ne voulait pas le faire et on l'a
dit à nos yis-à-vis américains: On n'attaquera pas
les premiers. Évidemment, quand on regarde le Canada et les
États-Unis, dans le cas de l'acier, on a un rapport de 1 à 8, 1
à 10...
M. Ciaccia: Ce n'est pas payant.
M. LeBoutillier: ...les producteurs canadiens n'ont pas
intérêt à attaquer.
M. Ciaccia: Ils n'ont pas d'intérêt.
M. LeBoutillier: Mais on leur a dit: Si vous attaquez, nous, on
va réagir immédiatement, et c'est ce qu'on a fait.
M. Ciaccia: Quand vous exportez plus que vous importez,
naturellement, attaquez, vous allez vous faire attaquer encore plus. Vous
n'êtes pas en position...
M. LeBoutillier: On n'est pas en position de force.
M. Ciaccia: ...c'est clair.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. M. Mercier, M.
LeBoutillier, M. Boluk, merci beaucoup d'avoir participé à nos
travaux au nom du Regroupement. On vous souhaite un bon retour.
La commission des institutions suspend ses travaux jusqu'à 20
heures.
(Suspension de la séance à 17 h 34)
(Reprise à 20 h 8)
Le Président (M. Dauphin): La commission des institutions
reprend ses travaux avec toujours, évidemment, le même mandat, qui
est de procéder à une consultation générale et de
tenir des auditions publiques sur l'Accord de libre-échange
nord-américain. C'est avec plaisir que, ce soir, nous recevons, pour
commencer, Gaz Métropolitain et, ensuite, Me Pierre Ratelle. Alors,
j'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants de Gaz
Métropolitain. À M. André Caillé, président,
qui est au centre, je demanderais, dans un premier temps, de nous
présenter les personnes qui l'accompagnent et, par après, de
procéder à son exposé d'une durée d'environ 20
minutes. Ensuite, il y aura une période d'échange pour 40 minutes
avec vous-mêmes. Alors, bienvenue et à vous la parole.
Gaz Métropolitain inc. (GMT)
M. Caillé (André): Merci, M. le Président.
Permettez-moi d'abord de remercier les membres de la commission et la
commission dans son entier pour l'invitation qu'elle a adressée à
Gaz Métropolitain de se faire entendre ici. Les personnes qui
m'accompagnent sont, à ma droite, Michel Gourdeau,
vice-président, Approvisionnement gazier et ventes grandes entreprises,
à Gaz Métropolitain, et, à ma gauche, M. Gilles
Tousi-gnant, conseiller exécutif, Développement industriel.
Gaz Métropolitain exploite un système
intégré de distribution de gaz naturel par voie de canalisation
souterraine. On dessert au Québec environ 150 000 clients
résidentiels et commerciaux de même que 227 clients industriels
répartis dans 203 municipalités québécoises. En
1992, nos ventes ont été de 192 000 000 000 de pieds cubes, et
ceci totalise, en chiffre d'affaires, 1 000 000 000 $. Notre entreprise
contrôlait un actif estimé, enfin, à 1 300 000 000 $. Gaz
Métropolitain emploie au Québec 1463 personnes. Les parts de la
société Gaz Métropolitain sont détenues à 11
% par le public et à 89 % par le groupe Noverco. (20 h 10)
Comme indiqué dans le mémoire transmis le 3 février
dernier aux membres de la commission, les activités gazières de
Gaz Métropolitain ne sont pas directement touchées par l'Accord
prévu de libre-échange nord-américain.
L'intérêt de Gaz Métropolitain dans cet Accord repose
essentiellement sur l'impact que cet Accord pourrait avoir sur la
clientèle industrielle que nous desservons, laquelle représente
60 % de nos ventes annuelles en volume. De plus, à plus long terme, GMI
doit prendre en considération l'effet de l'intégration du Mexique
à l'industrie gazière nord-américaine.
Les ventes au secteur manufacturier constituent, pour Gaz
Métropolitain, une activité fort importante. Ces ventes sont
directement touchées par les négociations entre le Canada, les
États-Unis et le Mexique. Les tableaux statistiques annexés au
mémoire permettent de dégager les informations suivantes.
Premièrement, le gaz naturel est utilisé par chacun des grands
groupes manufacturiers québécois. Deuxièmement, cinq
groupes manufacturiers regroupent à eux seuls 75 % des ventes
gazières industrielles. Les mêmes groupes représentent 70 %
des ventes ou de la consommation en énergie, quelle que soit la source.
Il s'agit des secteurs des métaux primaires, des papiers, des produits
pétroliers, des produits chimiques et des minéraux non
métalliques. Ils comptent, ces cinq groupes, pour un tiers de la valeur
des livraisons manufacturières québécoises en 1989.
Pour tenter de cerner l'impact futur de la libéralisation des
échanges sur nos ventes, nous avons établi des contacts avec une
cinquantaine de nos clients pour sonder leur point de vue. Il ne s'agit pas
là d'un sondage scientifique. L'exercice a consisté simplement
à contacter les représentants de nos clients et à leur
poser les questions suivantes. Premièrement, au moment de la signature,
votre entreprise était-elle favorable à l'Accord de
libre-échange CanadaÉtats-Unis? Deuxième question:
Depuis sa signature, diriez-vous que cet Accord s'est avéré
bénéfique pour vous? Troisième question: La ratification
prochaine de l'ALENA vous paraît-elle
souhaitable? Et donnez-nous vos commentaires si vous en avez.
Bien que Gaz Métropolitain n'ait aucunement l'intention de parler
pour ou au nom de ses clients, il a semblé néanmoins
intéressant d'effectuer l'exercice et, dans la mesure du possible, d'en
dégager certains traits communs. globalement, on peut conclure qu'un
certain nombre de nos grands clients, 52 % des entreprises contactées,
vivaient déjà dans un contexte de libre marché avant
même la signature de l'accord canadaétats-unis. pour ces
clients, la signature de l'accord était néanmoins souhaitable car
elle signifiait, d'une part, une baisse des coûts d'équipements et
des matières premières importés des états-unis avec
des droite de douane et, d'autre part, elle était surtout
désirée pour le message de libre circulation des biens qu'elle
sous-tendait. ces entreprises raisonnent en termes de marchés globaux.
elles sont favorables à l'abolition de toutes les barrières
douanières ou autres. elles favorisent l'élargissement de
l'accord pour y inclure le mexique. 52 % des entreprises contactées par
nous favorisent l'élargissement de l'accord pour inclure le mexique.
d'autres cliente majeurs, 40 % des cliente que nous avons contactés,
également favorables à une entente canadaétats-unis
au moment de sa signature, opéraient auparavant dans un contexte de
marchés protégés des deux côtés de la
frontière. ces entreprises, après quelques années
d'application de l'entente canada états-unis, sont toujours
favorables à celle-ci et ont même, dans certains cas,
augmenté leur volume d'exportation vers les états-unis.
toutefois, plusieurs d'entre elles, 50 %, souhaiteraient que l'accès au
marché américain soit plus ouvert et moins menaçant.
généralement, sans s'opposer à la venue du mexique, ces
entreprises auraient trouvé plus approprié d'assurer un
fonctionnement optimum de l'accord existant avant de l'élargir.
Finalement, certaines entreprises, 8 % des entreprises que nous avons
contactées, vivent difficilement l'abolition des barrières
protectionnistes. Conscientes de leurs faiblesses, plusieurs d'entre elles ont
entrepris des démarches pour consolider leur position, mais leur
situation reste très difficile. Il s'agit des entreprises dans les
secteurs des alimente, de la boisson et des contenante de verre.
Que ce soit en Europe ou en Asie, on assiste à de vastes
redéploiements des espaces économiques. Il est bien
évident que, dans un tel contexte de marché global, plusieurs de
nos entreprises se doivent d'avoir un accès assuré à de
vastes marchés pour demeurer compétitives. Malheureusement, de
tels redéploiements peuvent difficilement s'effectuer sans créer
des tensions parfois très fortes. L'introduction de clauses transitoires
et de sauvegarde dans les ententes vise précisément à
accorder une certaine marge de manoeuvre pour gérer ces tensions et
prendre des mesures correctrices.
Comme tout autre observateur, Gaz Métropolitain constate et
déplore le haut niveau de chômage actuel, tant au Québec
qu'au Canada. À notre avis toutefois, il serait erroné d'en faire
supporter le fardeau uniquement par l'Accord de libre-échange
CanadaÉtats-Unis. Il faut également regarder du
côté de la politique monétaire et, bien sûr, de la
récession que vit l'Amérique du Nord depuis deux ans.
Quelles que soient les causes de ce haut niveau de chômage, les
entreprises ne sauraient se tromper en mettant l'accent sur la formation et le
recyclage de la main-d'oeuvre. Lors de notre consultation, nous avons
noté que les entreprises qui jouissent d'une main-d'oeuvre
qualifiée et spécialisée ne craignent absolument pas
l'arrivée du Mexique et, même éventuellement
peut-être, l'arrivée de l'Amérique du Sud dans l'Accord
global.
Gaz Métropolitain considère qu'elle doit également
apporter sa contribution. Le gaz naturel étant présent dans les
activités de chacune des industries manufacturières, nous devons
viser à offrir nos services à des prix concurrentiels par rapport
à ceux pratiqués par les provinces et États voisins.
À date, les prix du gaz sont moins élevés au Québec
que dans les États voisins de la Nouvelle-Angleterre. Toutefois, on
observe toujours un écart qui joue en défaveur des entreprises
québécoises par rapport aux entreprises ontariennes, ceci,
malgré les efforts que nous avons faite pour corriger la situation. Avec
l'appui de la Régie du gaz naturel, Gaz Métropolitain continuera
à travailler à corriger cette situation, ce qui pourra se faire
sur une période de cinq ans.
Cet écart défavorable tient essentiellement au fait que le
réseau gazier de Gaz Métropolitain est actuellement
sous-utilisé par rapport à ce qui est observé chez les
réseaux voisins. Ce phénomène entraîne
forcément une répartition des frais fixes sur un volume moindre
et se traduit par des coûte unitaires de distribution plus
élevés. Une réduction des coûte du gaz pour
l'industrie manufacturière québécoise passe donc par une
part plus grande du gaz naturel dans le bilan énergétique
québécois. À cette fin, Gaz Métropolitain est
favorable à la signature de l'Accord de libre-échange
nord-américain qui devrait normalement entraîner une augmentation
des ventes de nos grands cliente industriels et, par conséquent, une
augmentation des ventes de Gaz Métropolitain.
Dans la même veine, Gaz Métropolitain est d'avis que le
gouvernement doit continuer à encourager HydroQuébec à
favoriser le développement de la cogénération dans son
parc de production. Comme nos voisins du Nord-Est des États-Unis le font
présentement, le développement de cette filière au
Québec permettrait à nos secteurs des pâtes et papiers et
de la pétrochimie de réduire leurs coûte
énergétiques grâce à la disponibilité de
vapeur à des prix plus compétitifs, de plus, le tout se
traduisant par une plus grande utilisation des infrastructures gazières
en place entraînant du même coup des tarifs plus bas pour
l'ensemble des clients industriels de Gaz Métropolitain.
M. le Président, depuis la soumission de notre mémoire
à votre commission, nous avons analysé les conséquences de
l'Accord sur l'approvisionnement en gaz en Amérique du Nord. Il
apparaît que, compte tenu de ses réserves, le Mexique peut devenir
un joueur majeur dans l'industrie gazière. En effet, les réserves
prouvées de gaz naturel mexicaines sont de quelque 72 trilliards de
pieds cubes. Au Canada, elles sont de 97 trilliards de pieds cubes. Quant aux
réserves potentielles, elles sont de plus de 20 trilliards de pieds
cubes au Mexique, comparé à 300 trilliards de pieds cubes au
Canada. Qui plus est, les coûts d'exploitation et de production sont
considérablement moindres au Mexique: 0,28 $US par 1000 pieds cubes au
Mexique, comparativement à 0,60 $ ou 0,70 $ à la fin des
années quatre-vingt au Canada. Il n'y a donc pas de doute que le Mexique
peut devenir un joueur dans l'industrie gazière. (20 h 20)
Pour le devenir, le Mexique doit, premièrement, disposer de
grandes réserves de gaz naturel «produisable» à bas
prix; c'est un fait, c'est déjà acquis. Deuxièmement, le
Mexique doit avoir à sa portée un marché dynamique et en
croissance; ce sera le cas, tant sur son marché intérieur que sur
le marché des États-Unis. Troisièmement, le Mexique doit
maintenir un environnement économique stable pour favoriser les
investissements et l'engagement des clients étrangers envers le gaz
naturel mexicain; l'ALENA concourra au maintien de ce type d'environnement.
Quatrièmement, le Mexique doit investir des grandes quantités de
capitaux; ces capitaux ne sont pas, en ce moment, disponibles.
Cinquièmement, le Mexique devra déréglementer, comme ce
fut le cas aux États-Unis et au Canada, son industrie du gaz naturel; ce
n'est pas le cas; en ce moment, l'industrie du gaz naturel au Mexique est
fortement réglementée.
Conséquemment, nous croyons que, dans un premier temps, durant
les cinq premières années de l'entente, le Mexique importera du
gaz naturel des États-Unis, de petites quantités de gaz naturel
des États-Unis, peut-être entre 200 000 000 000 et 300 000 000 000
de pieds cubes par année. Deuxièmement, on croit que, dans un
second temps, avant la fin des années quatre-vingt-dix, le commerce du
gaz naturel sera inversé, se dirigeant plutôt du Sud vers le Nord,
c'est-à-dire une situation où le Mexique deviendrait un
exportateur significatif de gaz naturel sur le marché
nord-américain, seulement dans un second temps, bien sûr,
après que les deux dernières conditions auront été
rencontrées, c'est-à-dire être capable de trouver des
capitaux importants pour faire les investissements qui sont requis et,
deuxièmement, après, quand on aura décidé de
déréglementer l'industrie, ce qui ne semble pas être le cas
dans l'immédiat, à tout le moins, parce que, dans une des annexes
de l'entente, il est dit spécifiquement et, ça,
c'était une demande du Mexique, de ce que je comprends que le
Mexique peut maintenir la ressource gaz naturel dans l'état où
elle se trouve du point de vue juridique, c'est- à-dire du point de vue
réglementaire. Troisièmement, dans les choses que nous croyons,
c'est que la venue du gaz mexicain aux États-Unis ne peut qu'exercer une
pression à la baisse sur le prix du gaz, le prix de la marchandise gaz,
dans le marché du gaz en Amérique du Nord.
Nous avions donc déjà une bonne raison d'être en
faveur de l'entente, parce que ça favorise les ventes de nos clients et,
par conséquent, les ventes de gaz naturel de Gaz Métropolitain.
Nous en avons maintenant une deuxième. Nous, au Québec,
étant des importateurs de gaz naturel, on ne peut pas faire autrement
que de se réjouir, d'être satisfaits, d'être
encouragés par le fait que le Mexique pourrait s'ajouter aux pays
exportateurs, créant par cela une pression à la baisse sur les
prix, ce qui nous permet de dire que les augures sont meilleurs, encore
meilleurs pour la fin de ce siècle et pour le début de l'autre
siècle, en ce qui concerne des prix bas pour le gaz naturel.
Merci, M. le Président, de votre attention.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M.
Caillé, pour cet exposé intéressant. Nous allons
maintenant débuter la période d'échanges en reconnaissant,
en premier lieu, le titulaire des Affaires internationales, le ministre. Alors,
M. le ministre, c'est à vous.
M. Ciaccia: Je veux remercier M. Caillé et sa
société pour leur mémoire. Je suis heureux de constater
l'appui de la société en commandite Gaz Métropolitain au
sujet de l'ALENA. Je crois que les éléments que vous avez
soulevés vont sûrement aider votre entreprise, non seulement votre
entreprise, mais vont contribuer à ce que vous puissiez, je crois, aider
les entreprises qui vont faire de l'exportation au Mexique et aux
États-Unis, en les rendant plus compétitives. C'est pour cette
raison que nous appuyons le principe de la cogénération. Vous
vous souviendrez, dans d'autres fonctions que j'avais, on parlait de la
cogénération, mais, à ce moment-là, il y avait une
question de prix. Maintenant, il y a eu plus de demande, et je crois que la
question de prix est un peu différente de ce qu'elle était il y a
quatre, cinq ans. Le gouvernement du Québec, je crois, non seulement
pour les affaires internationales, mais le gouvernement du Québec appuie
la cogénération. Il s'agit d'une mesure structurante qui
réduit à la fois le coût d'opération des entreprises
et le coût unitaire de desserte de votre société. Je pense
qu'Hydro-Québec prévoit déjà l'achat de 760 MW
auprès des producteurs privés d'ici 1996. C'est un chiffre assez
intéressant.
M. Caillé: Oui.
M. Ciaccia: Je pense que ça fait plusieurs années
que vous préconisez l'achat et le développement de la
cogénération.
Dans l'entente de libre-échange, en vertu de l'ALENA, il va
sûrement y avoir des opportunités pour
votre clientèle, comme vous l'avez souligné, d'exporter au
Mexique. Je voudrais savoir si l'entente de libre-échange avec les
États-Unis a eu un effet pour une entreprise comme la vôtre,
puisque vous êtes présents dans le marché du Nord-Est
américain, sur la distribution gazière via une de vos filiales?
Et, s'il y a eu un effet, est-ce que vous pouvez nous dire de quelle
façon?
M. Caillé: Oui. Déjà, l'entente
CanadaÉtats-Unis a eu un effet favorable dans le sens que certains
de nos clients produisent maintenant plus qu'auparavant, parce qu'ils ont
réussi à augmenter leurs ventes, plus spécialement,
évidemment, leurs ventes aux États-Unis. La conséquence
directe de ça sur une entreprise comme Gaz Métropolitain,
évidemment, c'est des ventes additionnelles de gaz naturel. Plusieurs de
ceux qu'on a contactés nous ont répondu dans ce sens-là.
Ceux qui étaient favorables, au point de départ, à
l'entente CanadaÉtats-Unis, nous disent maintenant, plusieurs
d'entre eux, qu'effectivement ça a donné les résultats
qu'ils prévoyaient, à savoir qu'ils ont réussi à
augmenter leurs ventes et, par voie de conséquence, à
nous-mêmes, nos ventes. On le constate, d'ailleurs, depuis le mois de
septembre. Évidemment, il y a possiblement là l'effet de la fin
de la récession puis surtout le début d'une reprise sensible ou
plus sensible aux États-Unis. Nos clients industriels consomment plus
que nous avions anticipé déjà cette année. Depuis
le mois de septembre, ça s'est, premièrement, stabilisé
puis, deuxièmement, maintenant, on voit une augmentation de la
consommation, et ça veut dire directement une augmentation de la
production manufacturière. C'est tout à fait direct.
M. Ciaccia: Mais vous parlez des entreprises ici, au
Québec. Mais est-ce que ça a eu un effet sur vos activités
dans le Nord-Est américain, outre-frontière?
M. Caillé: Pas directement. Mais, si on parle des effets
plus directs sur Gaz Métropolitain, tout ce contexte de la
mondialisation des marchés, le contexte de libre-échange entre le
Canada et les États-Unis, le contexte, maintenant, de
libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique,
ça a amené Gaz Métro, au cours des dernières
années, à s'intéresser à une intégration
plus grande de l'industrie québécoise du gaz, c'est-à-dire
essentiellement nous-mêmes et Gazifère de Hull, à
l'ensemble nord-américain. On ne veut plus être des joueurs
isolés, en bout de ligne, en bout de piste, à
l'extrémité est du réseau de TCPL. Ce à quoi nous
pensons, c'est de nous intégrer mieux avec les réseaux
nord-américains.
Un des projets que nous avons sur la table à dessin à ce
moment-ci, c'est la construction, avec d'autres, avec des partenaires
américains, d'un pipeline, d'un gazoduc rejoignant Montréal
à Portland et au nord de Boston. Quel est l'intérêt pour
Gaz Métropolitain? L'intérêt est le suivant, c'est qu'avec
la construction d'un tel pipeline on compléterait une boucle que les
Américains appellent le «North-Eastern Natural Gaz
Grid». En français, j'imagine qu'on devrait dire: La boucle du
Nord-Est de l'Amérique du Nord du gaz naturel. De sorte que Gaz
Métropolitain se trouverait, par la suite, riverain d'une boucle de
desserte du gaz naturel comme Toronto, comme New York, comme Boston, au
même degré, de la même façon, plutôt que, ce
que nous avons été jusqu'ici, simplement le dernier des
distributeurs à l'est d'un réseau rectiligne allant de 1'Alberta
jusqu'ici, la ville de Québec.
Ça, stratégiquement, je pense, pour l'avenir, c'est
très important. Ça veut dire une meilleure intégration de
Gaz Métropolitain, une meilleure intégration de l'industrie
gazière québécoise à l'industrie gazière
nord-américaine. Dans ce sens-là, oui, c'est l'effet de la
mondialisation des marchés et l'effet du libre-échange qui nous a
amenés, nous, et qui amène les Américains, incidemment,
les distributeurs dans la région de Boston, au nord de Boston, puis
entre nous et la région de Boston, à penser exactement de la
même façon que nous. Il y a des changements de mentalité
importants, et je pense que c'est pour le mieux, non seulement de Gaz
Métro, mais surtout pour l'ensemble de la clientèle de Gaz
Métropolitain.
M. Ciaccia: Oui, parce que ça avait toujours
été un problème quand vous étiez au bout du tuyau,
il y avait des restrictions...
M. Caillé: C'est ça. (20 h 30)
M. Ciaccia: ...ça vous causait certaines contraintes.
Maintenant, avec la situation que vous venez de décrire, vous
améliorez votre situation et vous évitez la contrainte
d'être le dernier au bout du tuyau de l'Alber-ta.
M. Caillé: Exactement.
M. Ciaccia: Vous avez mentionné que le Mexique se
réserve la prospection et l'exploitation du gaz naturel. Peut-être
que ça suit le fait que vous êtes impliqués maintenant dans
cette boucle du Nord-Est américain. C'est vrai qu'il y a des clauses
à cet effet-là, mais il existe aussi des clauses dites des
clauses d'exécution qui autorisent les entreprises d'État du
Mexique à négocier des clauses d'exécution de services par
lesquelles les entreprises étrangères pourraient participer
à l'exploitation du gaz et du pétrole mexicains. Est-ce que
ça pourrait ouvrir des possibilités pour votre
société? Il y aurait un intérêt pour vous?
M. Caillé: Oui, cela a un intérêt pour nous
et cela a un impact favorable, presque immédiat, lorsque ça va se
produire. Je comprends qu'en ce moment, au Mexique, il y a une
législation qui dit que toutes les ressources, qu'elles soient
pétrolières ou gazières, sont la propriété
de Pemex, la société d'État. Par contre,
deuxiè-
mement, il faut comprendre que ce sont les réserves, autant les
réserves prouvées que les réserves potentielles, qui sont
considérables; c'est du même ordre de grandeur que les
réserves canadiennes. Il faut comprendre aussi que les Mexicains ont
certainement un intérêt... Moi, en tout cas, je leur trouve un
intérêt dans le cadre de cette entente de faire en sorte que les
investissements puissent venir de l'étranger pour le
développement de leurs ressources gazières; j'ai lu ça
quelque part dans un document que j'avais à l'occasion d'une rencontre
aux États-Unis.
À partir du moment où le Mexique va décider de
mettre en marché ses réserves gazières, qu'il va prendre
les moyens pour que les capitaux, les investissements étrangers soient
disponibles, ça va se faire très rapidement parce que le
marché existe au Mexique et le marché existe pour le gaz mexicain
aux États-Unis. Au Mexique, d'abord, parce que vous savez que le Mexique
a des problèmes de pollution considérables, essentiellement parce
qu'ils utilisent des produits pétroliers qui contiennent beaucoup de
soufre, au-delà de 6 % de concentration en soufre, ce qui fait que des
villes comme Mexico ont de sérieux problèmes de pollution de
l'air. Alors, le remplacement, par exemple, dans le transport, de produits
chargés de soufre par du gaz naturel, qui incidemment contient 0 soufre,
changerait complètement la situation en ce qui concerne la pollution
dans la ville de Mexico. Bon, le marché intérieur pour le gaz
naturel mexicain est très grand.
Deuxièmement, ce n'est pas très loin. Ce n'est pas
très loin pour construire des pipelines allant du Mexique vers les
États-Unis; donc, apport de gaz naturel. D'ici 10 ans, on pense que,
dans un premier temps, ça va aller vers le Mexique, le gaz
américain vers le Mexique et, dans un second temps, le gaz mexicain vers
les États-Unis; renversement de la tendance. Il faut mettre 10 ans pour
que tout ça se fasse. On serait à 500 Bcf, au bout de 10 ans,
d'exportation du Mexique vers les États-Unis, et par la suite, en
supposant ce contexte de déréglementation, ça peut monter
beaucoup à cause que les réserves sont grandes et que ça
ne coûte pas cher de les produire. Résultat: impact sur Gaz
Métropolitain. Vous savez que maintenant on est pratiquement
interconnectés, Gaz Métropolitain, avec l'ensemble des
réseaux pipeliniers de l'Amérique du Nord. Il nous reste la
boucle à faire, on en parlait à l'instant. L'inévitable
qui va se produire, c'est une pression à la baisse sur les prix, ce qui
nous permet d'espérer, nous, Gaz Métropolitain, et surtout nos
clients, des meilleurs prix dans le futur pour le gaz naturel sur le volet
marchandise. Ça représente le tiers des coûts de nos
industries. Dans la facture gaz, la marchandise, ça représente le
tiers. Alors, c'est considérable.
M. Ciaccia: Est-ce que ça veut dire parce qu'il y a
des études qui démontrent que les coûts d'exploitation et
les coûts de production du Mexique sont beaucoup plus
élevés que des installations similaires à d'au- tres
endroits ces exploitations, vous pourriez vendre des
équipements?
M. Caillé: Non. Non, je ne pense pas que, nous, on
pourrait vendre de l'équipement, c'est de l'équipement de
production et d'exploration. On pourrait vendre de la connaissance, on a des
ingénieurs-conseils au Québec. Et pour cause, on vient de
terminer un développement de pipelines et de réseaux de
distribution. On a des ingénieurs-conseils au Québec qui sont
compétents et qui vont certainement parce que ça vient de
se produire au Québec se voir offrir la possibilité de
soumissionner sur des contrats pour construire ces pipelines et construire les
réseaux de distribution. Mais, pour nous, ce qu'on en sait au niveau des
prix pour découvrir et pour produire le gaz naturel au Mexique,
actuellement, c'est moins cher qu'au Canada. Ça leur coûte moins
cher qu'au Canada, pour toutes sortes de raisons, main-d'oeuvre et autres, mais
c'est moins cher et la ressource est plus facilement trouvable: on parle de
0,29 $US par millier de pieds cubes et, au Canada, de connaissance, pour la
même opération, ça nous coûte 0,70 $. Alors, du gaz
pas cher à découvrir, beaucoup de gaz qui atteint le
marché américain, ça signifie pour Gaz
Métropolitain: baisse du prix du gaz.
M. Ciaccia: Alors, si je comprends bien, vous nous dites que
votre société a été impliquée dans le
développement des gazotechnologies. Vous pourriez et vous avez un
intérêt à exporter ces...
M. Caillé: ...la connaissance. C'est ça.
M. Ciaccia: ...technologies, la connaissance au Mexique.
M. Caillé: Et nous faisons ça avec ceux avec qui on
a développé tout ça, notamment avec les
ingénieurs-conseils québécois.
M. Ciaccia: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Alternons
maintenant avec le représentant de l'Opposition officielle, M. le
député de Bertrand.
M. Beaulne: Merci. D'abord, je tiens à vous
féliciter pour la façon dont vous vous y êtes pris pour
présenter votre mémoire, dans le sens où je pense que
c'est tout à fait original d'être venus ici nous faire part, au
fond, d'une sorte de sondage que vous avez fait auprès de vos clients.
Si je comprends bien l'essentiel de votre présentation, vous êtes
favorables à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis
et avec celui du Mexique dans la mesure où vos clients peuvent en
bénéficier. Je pense qu'il est également tout à
fait indicatif que vous soyez parmi les derniers ou, enfin, à toutes
fins pratiques, F avant-dernier intervenant dans cette commission
parce que les points de vue que vous avez recueillis de la part de vos
clients reflètent, en fait, beaucoup des préoccupations de
même que des réflexions qui ont été soumises
à la commission, ici. Par exemple, lorsque vous dites qu'une grande
majorité des clients contactés est favorable à la
signature de l'Accord incluant le Mexique, sans toutefois y attacher une trop
grande importance, je pense qu'effectivement ça reflète les
mémoires qui nous ont été présentés, dans le
sens où la préoccupation principale qui a été
soulevée, c'est beaucoup plus en fonction d'améliorer
l'accès au marché américain plutôt que de se
préoccuper de ce que représente l'ajout du Mexique à
l'entente.
D'autre part, quand vous dites également que les clients qui
craignaient la signature de l'Accord avec les États-Unis ont vu leurs
appréhensions confirmées, du moins en partie, je pense que c'est
également vrai, dépendant des secteurs industriels, parce qu'il y
en a qui sont venus nous faire part de leurs appréhensions.
Ceci étant dit, lorsque vous dites que la signature d'un accord
élargi n'augure rien de bon pour une partie de votre clientèle
qui a manifesté certaines réticences face à l'Accord,
est-ce que vous pourriez élaborer un peu plus dans ce sens-là?
Quelles sont les réticences les plus importantes qui vous ont
été manifestées?
M. Caillé: Oui, ça vient de trois secteurs
industriels: la fabrication des contenants en verre, l'industrie alimentaire et
l'industrie de la bière. Alors, celles-là ont des
réticences à cause de ce qu'elles ont vécu, ce qui est
bien connu, ce qui a été publié dans la presse, les
informations qui ont été publiées dans la presse. Ce sont
les mêmes, enfin, qui expriment des réticences quant à ces
ententes internationales. Je ne pense pas que les réticences soient
spécifiquement par rapport au Mexique.
M. Beaulne: Non, ça, vous l'avez bien souligné.
M. Caillé: Spécifiquement par rapport à
l'entente sur le Mexique. Quant à ces entreprises-là, par
ailleurs, je pense qu'il n'y en a plus beaucoup pour ne pas reconnaître
que le mouvement vers la mondialisation, sinon la continentalisation des
marchés, dans un premier temps, est quelque chose d'irréversible,
parce que tous les États ont intérêt à faire en
sorte que leurs grands fabricants aient accès à des
marchés de grande taille; c'est la seule façon pour nos grandes
entreprises de demeurer compétitives. Pour Gaz Métropolitain,
évidemment, c'est à partir de ce moment-là que nous
épousons la même cause. (20 h 40)
Je dois dire et je reviens sur le point qui a été
évoqué à l'instant avec M. le ministre que nous,
Gaz Métropolitain, on a une raison importante, qui va avoir un effet
significatif, d'être favorables maintenant, encore plus favorables que
nos clients peut-être, et cette fois, avec une entente avec le Mexique,
c'est la question de la disponibilité sur le marché, de la venue
sur le marché de ressources gazières importantes à bas
prix. Étant des importateurs nous-mêmes, on pense que dans 10 ans,
dans 15 ans, suite à cette entente nord-américaine, il va y avoir
un prix pour le gaz naturel dans l'ensemble de l'Amérique du Nord, et
c'est une très bonne chose qu'il s'ajoute un nouveau producteur à
bas prix, pour nous, parce que ça veut dire que notre prix va être
plus bas et, finalement, nos prix étant plus bas, ça va rendre
nos industriels plus compétitifs. On est satisfaits de constater qu'au
Canada on va faire partie de cette entente-là, plutôt que d'avoir
été spectateurs à une entente qui aurait eu lieu entre les
États-Unis et le Mexique. Parce qu'on va en profiter, nous; c'est
très important pour Gaz Métropolitain et pour ses clients.
M. Beaulne: Vous dites que vous êtes un importateur net par
rapport à ce que peut représenter pour vous le Mexique. Quelle
est la ventilation de vos importations à l'heure actuelle, en termes de
provenance?
M. Caillé: c'est 95 % et plus de nos importations qui
proviennent du bassin sédimentaire canadien, c'est-à-dire de
l'alberta principalement, de la saskatchewan et quelque peu de la
colombie-britannique. il y a 5 % qui peuvent déjà venir des
états-unis. voyez-vous, vous devez voir l'industrie du gaz naturel comme
un ensemble de pipelines alimentés par des régions productrices,
des pipelines complètement interreliés où on peut entrer
le gaz à peu près à n'importe quel endroit et le sortir,
la même journée, à n'importe quel autre endroit. alors, un
ensemble de pipelines donc interreliés où des producteurs
albertains, des producteurs canadiens, des producteurs américains du
«mid continent», des producteurs américains du golfe du
mexique et des producteurs mexicains, dans le futur, injectent le gaz. à
nous de le retirer. plus il y en a, plus il y aura de producteurs qui vont
injecter du gaz, plus il va y avoir d'offres, meilleure sera notre position de
négociation, meilleur sera notre prix. que ce soit nous qui
négociions les prix ou que ce soient nos clients qui négocient
directement leurs prix, dans un contexte de déréglementation.
comme je vous l'ai dit, actuellement, le gaz au canada est une entreprise
déréglementée, nos clients peuvent négocier
directement leurs prix, mais c'est le même effet; ça a le
même effet sur eux que ça va avoir éventuellement sur
nous.
M. Beaulne: Est-ce que vos fournisseurs de l'Ouest canadien
partagent votre enthousiasme?
M. Caillé: Je n'en ai pas entendu parler. Je n'ai pas
entendu parler de réticences de leur part. Je pense qu'ils se confortent
actuellement dans l'idée que, un, le Mexique, Pemex, n'a pas les
capitaux qui sont requis pour faire le développement des ressources
gazières mexicaines, d'une part, et, deuxièmement, l'entreprise
mexicaine est toujours très réglementée, à savoir
que seul Pemex, finalement, peut être propriétaire de la
ressource gazière. Moi, personnellement, je pense que le Mexique
n'entre pas dans l'entente pour rien et que l'opportunité va se
présenter à elle comme elle se présenterait à
n'importe qui, comme elle s'est présentée au Canada de
déréglementer son industrie, d'attirer des entreprises
étrangères pour y investir et pour la produire, puis de la mettre
en marché. Ça ne se fera pas rapidement. Il y a une tradition au
Mexique. On sait quel rôle le Mexique a joué dans le marché
international du pétrole. Il y a une tradition socialiste qui veut qu'on
ait la mainmise sur la ressource pétrolière. Moi, de ce que j'en
lis et de ce que j'en comprends, je pense que c'est vrai que c'est ainsi
aujourd'hui, mais je pense aussi que ça va changer.
M. Beaulne: Vous avez parlé d'une sorte
d'intégration dans le Nord-Est américain de la distribution du
gaz naturel. Est-ce que vous avez en tête une intégration du
marché nord-américain du gaz naturel, un peu comme, au fond, sont
venus nous le proposer les représentants de l'industrie
sidérurgique cet après-midi?
M. Caillé: Avec cette globalisation du marché, il
va y avoir intégration à l'échelle nord-américaine
de l'industrie du gaz, comme il va y avoir inévitablement
intégration de l'industrie de l'électricité. Tous ces
réseaux sont interreliés. Il y a une
déréglementation de l'industrie de l'électricité
aux États-Unis, tous les producteurs peuvent produire et avoir
accès au réseau de transmission pour livrer de
l'électricité à un client. On peut produire au Vermont et
livrer à un client en Floride. Tout ça va se libéraliser
comme commerce, tout ça va se déréglementer. Et,
finalement, qu'est-ce que ça fait ça? En bout de piste, ça
fait une intégration de l'industrie de l'énergie à
l'ensemble des trois pays concernés.
M. Beaulne: Vous avez parlé...
M. Caillé: Ça va prendre un certain temps avant que
tout ça se produise.
M. Beaulne: Oui, oui, effectivement.
M. Caillé: Mais, en bout de piste, c'est ça qui va
arriver. Moi, je pense personnellement que c'est une bonne chose.
M. Beaulne: Beaucoup des points de vue que vous présentez
dans votre mémoire reflètent l'opinion de vos clients. En ce qui
concerne votre propre opinion à vous, en particulier sur toute la
question de l'accès au marché américain, qui
préoccupe beaucoup d'entreprises québécoises et
canadiennes, quelle est votre opinion à vous là-dessus?
Êtes-vous satisfaits des dispositions à la fois de l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis et de l'ALENA concernant
l'accès au marché américain pour nos entreprises?
M. Caillé: Concernant un peu les Américains, je
pense que ce n'est pas surprenant qu'ils aient le recours facile aux tribunaux.
Ça fait partie quasiment de la vie courante aux États-Unis
d'avoir recours aux tribunaux; tout le monde a recours aux tribunaux pour
toutes sortes de choses. Dans les premières années de
l'application de l'Accord de libre-échange, que ça se fasse d'une
façon aussi fréquente, aussi régulière, ce n'est
peut-être pas surprenant, mais que cette situation-là perdure
très longtemps, ça, je n'y crois pas non plus. Aux
États-Unis comme ailleurs, ils vont s'habituer à la situation, et
reconnaître que, voici, c'est le marché le marché,
maintenant, ce n'est pas seulement celui des États-Unis, c'est le
marché de l'Amérique du Nord et qu'on ne doit pas recourir
aux tribunaux à chaque querelle ou à chaque différend.
C'est ce que je pense.
Je ne suis pas expert, là, mais il y a possiblement des
changements ou des précisions à apporter aux règles
d'application des ententes. Mais qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas ces
précisions d'apportées, selon moi, avec le temps, les
Américains vont se comporter comme des grands garçons et vivre
à l'heure du libre-échange eux aussi, sans avoir recours aussi
souvent aux tribunaux ou aux démarches politiques, au lobbying
politique.
M. Beaulne: Ça va. Merci beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): M. l'adjoint parlementaire du
ministre des Affaires internationales, M. le député de
Sherbrooke, il reste sept minutes dans votre enveloppe.
M. Hamel: Merci, M. le Président. Bonsoir, M.
Caillé. À la fin de votre mémoire, votre
société prend une position très claire, elle se dit
«favorable à la signature de l'Accord de libre-échange
nord-américain qui, en favorisant un accroissement de la production et
de la clientèle, entraînera une augmentation des ventes de gaz et,
par voie de conséquence, se traduira par une baisse des coûts
unitaires de distribution du gaz naturel au Québec».
Cette prise de position, est-ce qu'elle fait suite à une
situation que vous avez constatée depuis la signature de l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis ou s'il s'agit plutôt
d'une analyse théorique?
M. Caillé: II s'agit des deux. Premièrement, nous
étions d'accord, puis nous avons encouragé, recommandé aux
gouvernements, notamment au gouvernement du Québec, lors d'une
consultation, d'appuyer l'Accord de libre-échange Canada et
États-Unis, en fonction des bénéfices qui étaient
escomptés pour nos grandes entreprises industrielles. On ne le regrette
pas aujourd'hui. On constate déjà que certaines d'entre elles,
après la récession aux États-Unis, avec le début de
reprise aux États-Unis, on voit de la reprise dans la fabrication au
Canada, puis on voit de la reprise, une augmentation au
niveau de nos ventes à nous, à Gaz Métropolitain.
Alors, c'est les deux. On était favorables, pour les raisons que j'ai
expliquées plus tôt, puis les faits nous donnent raison.
M. Hamel: Très bien. Dans votre sondage, aux pages 7 et 8,
certains de vos clients ont exprimé, évidemment, certaines
craintes quant aux bas coûts de l'énergie au Mexique, la
présence d'une main-d'oeuvre à bon marché, l'absence de
normes environnementales, mais ces mêmes répondants estiment ou
estimaient que l'action des forces du marché fera en sorte que les
coûts de l'énergie augmenteront pour s'aligner sur les prix
internationaux. Est-ce que votre société est en accord avec les
opinions de certains de ces clients qui estiment que les faibles coûts de
l'énergie observés actuellement au Mexique se
réajusteront, éventuellement, pour s'aligner sur les prix
internationaux?
M. Caillé: Les coûts de l'énergie, dans
l'ensemble des trois pays, vont évoluer pour finir par être un
prix pour le gaz naturel. Il nous reste juste à déterminer
combien d'années. Pour ça, il y a des choses qui sont des
héritages du passé qui doivent changer. Il y en avait des choses
comme celles-là au Canada et on a assisté, en 1985, au Canada,
avant même la signature de l'Accord, du reste, à la
déréglementation, comme pour s'y préparer. Un domaine
où on s'est préparé, c'est celui-là, celui du gaz
naturel. Je pense que la même chose va se produire au Mexique mais je
comprends aussi, enfin, j'imagine qu'au Mexique on a des contraintes politiques
comme on en a dans toutes les sociétés, et ce qui est souhaitable
une journée, ce n'est pas nécessairement réalisable la
même journée. Alors, ça pourrait prendre un certain temps,
mais on va voir tout ça se fusionner, ne devenir qu'un seul
marché de l'énergie. Que ce soit du gaz naturel, que ce soit de
l'électricité ou que ce soit des produits pétroliers;
ça va devenir un marché. Il pourra subsister des
différences régionales à cause de
phénomènes, de différences de coûts de transport,
etc., mais, essentiellement, un seul marché en ce qui concerne la
marchandise elle-même. (20 h 50)
Encore une fois, moi, je pense que c'est une bonne nouvelle. C'est une
bonne nouvelle pour les Québécois, pour les Canadiens, pour les
Mexicains aussi. Eh oui! Bien sûr, moi, je pense qu'au Mexique les
salaires vont avoir tendance à augmenter plus vite qu'ailleurs dans les
deux autres pays, c'est inévitable. Je pense qu'au Mexique on va avoir
tendance à l'introduction de réglementations environnementales
plus contraignantes par rapport à celles qu'ils ont aujourd'hui, plus
rapidement que ce à quoi on va assister aux États-Unis ou au
Canada ou au Québec.
M. Hamel: C'est-à-dire qu'ils l'ont
déjà.
M. Caillé: Ça veut dire, en pratique, pour moi,
selon nous, à partir du moment où on signe un accord comme
celui-là et qu'on accepte que les règles qui vont s'appliquer
chez nous... On va devoir évoluer avec nos règles pour qu'on se
rapproche des règles mutuellement adoptées par l'ensemble de la
communauté. On ne pourra pas agir avec des règles
différentes ici, au Québec, des règles aux
États-Unis. Parce que, ça, c'est très dangereux. Par
exemple, dans le cas de la cogénération, quand les
Américains font de la cogénération et offrent 0,06$
à 0,14 $US pour l'électricité produite à leurs
usines de pâtes et papiers et que, nous, on ne met pas en place un
programme semblable, eh bien, on prend des chances. On place notre industrie
des pâtes et papiers dans une situation de désavantages
distinctifs du point de vue énergétique. On n'est pas
habitué à ce langage-là au Québec, on a toujours
été habitué à un langage, en ce qui concerne
l'énergie, d'avantages distinctifs. Ça, il faut y faire
attention. On ne pourra pas vivre longtemps à l'écart de
l'ensemble, et on n'a pas le choix que de vivre avec l'ensemble, et avec des
règles qui sont soit les mêmes ou soit compatibles. Mais les
incompatibilités vont jouer à notre désavantage. Quand nos
règles sont incompatibles avec les leurs et qu'on persiste à
maintenir ces règles-là, ça va finir par jouer à
notre désavantage. La cohérence exige qu'on harmonise nos
politiques, nos règles, nos réglementations, etc. C'est vrai pour
les Mexicains et c'est vrai pour nous aussi.
M. Hamel: Merci. En passant, M. Caillé, je suis tout
à fait d'accord avec le projet de cogénération de
Windsor.
M. Caillé: Merci, M. le député. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Alors, après ces
remerciements, je reconnais maintenant M. le député de
Bertrand.
M. Beaulne: Moi, je tiens tout simplement à vous remercier
de nous avoir apporté un point de vue non seulement de votre entreprise,
mais celui de votre clientèle. Je pense que c'est un
précédent qui est intéressant au niveau de ce genre de
commission. Il est à souhaiter que d'autres grandes entreprises
d'utilité publique suivent votre exemple et viennent nous faire part,
également, du pouls qu'elles saisissent auprès de leurs
clientèles concernant des changements économiques profonds comme
ceux qui sont impliqués dans l'Accord de libre-échange avec les
États-Unis et le Mexique.
Alors, je tiens à vous remercier. Je trouve que c'est un
résumé qui reflète bien je vous le dis c'est
un sondage qui reflète bien les opinions qui nous ont été
transmises ici, à la commission. Et, dans ce sens, je pense qu'il est
très indicateur de la façon dont les entreprises
québécoises perçoivent l'ALENA.
M. Caillé: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le
député.
M. le ministre, pour le mot de la fin.
M. Ciaccia: Alors, je veux remercier M. Caillé pour sa
présentation et aussi pour le point de vue et le point que vous avez
fait en ce qui concerne l'interaction des pratiques commerciales d'autres
juridictions qui nous affectent. Je crois que ça prouve le point que nos
politiques internes doivent tenir compte des activités internationales
et des pratiques qui se font dans d'autres pays si on veut demeurer
compétitifs. Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre.
M. Caillé: Merci, M. le ministre.
Le Président (M. Dauphin): Alors, au nom de tous les
membres de la commission, M. Caillé, M. Gourdeau, M. Tousignant,
représentants de Gaz Métropolitain, merci d'avoir
participé à nos travaux et bon retour.
M. Caillé: Merci beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Je demanderais, maintenant,
à Me Pierre Ratelle de s'avancer à la barre, à la table
des invités.
Une voix: À la barre!
Mémoires déposés
Le Président (M. Dauphin): Alors, si vous me permettez,
juste avant d'accueillir notre prochain invité, j'ai deux
dépôts à faire, deux mémoires pour
dépôt seulement, celui de Gennaro Guerra, no 2M, et l'autre, de
l'Institut canadien des textiles, no 7M. Ces deux mémoires sont
déposés.
Nous accueillons maintenant Me Pierre Ratelle, avocat. Je vous
mentionne, Me Ratelle, que nous avons 30 minutes de prévues, donc, 10
minutes de présentation et 20 minutes d'échanges.
M. Pierre Ratelle
M. Ratelle (Pierre): Si j'excède un peu le temps, est-ce
que ça va poser des problèmes?
Le Président (M. Dauphin): Le problème que
ça peut causer, c'est que ça diminue le temps des parlementaires
pour vous poser des questions.
M. Ratelle: D'accord. Bonsoir. D'abord, j'aimerais
évidemment remercier les membres de la commission d'avoir accepté
d'entendre mon mémoire, puis, même si je suis le dernier
intervenant en cette commis- sion, je le prends comme un honneur.
Ceci étant dit, je pense que, pour faire une évaluation
complète de l'ALENA par rapport au Québec, il faut
nécessairement examiner son impact sur une question très
importante de cet Accord, c'est-à-dire la question des investissements
nord-américains. Et puis je pense que d'étudier cette
question-là est important pour deux raisons. La première raison,
c'est que les investissements nord-américains sont très
importants pour l'économie actuelle du Québec et, sans doute, les
investissements nord-américains le demeureront au cours des prochaines
années. (21 heures)
En 1992, par exemple, le flux d'investissements étrangers au
Québec, c'est-à-dire la création d'entreprises
québécoises ou l'acquisition du contrôle d'entreprises
québécoises par des résidents étrangers, a atteint
des centaines de millions de dollars. Ces investissements étrangers
provenaient en très grande partie des États-Unis, suivis de loin
par l'Europe et l'Asie. D'autre part, pour la même année, les
entreprises québécoises ont fait des investissements directs
à l'étranger qui ont totalisé aussi des centaines de
millions de dollars avec, comme principale terre de prédilection, les
États-Unis, suivis de loin par l'Europe et l'Asie. Les investissements
nord-américains sont donc très importants pour l'économie
du Québec.
La deuxième raison qui justifie que l'on se penche sur cette
question de l'impact de l'ALENA au Québec concernant les investissements
nord-américains, c'est tout simplement qu'elle est prévue dans
l'ALENA. En effet, dans l'ALENA, on retrouve des règles précises
qui régiront, dès l'année prochaine, les investissements
entre le Québec, les États-Unis et puis le Mexique. Donc, d'une
manière ou d'une autre, c'est-à-dire qu'on regarde sous l'angle
économique ou qu'on regarde sous l'angle juridique, l'ALENA touche donc
directement au coeur de la question des investissements
nord-américains.
Ceci dit, la question de l'impact de l'ALENA au Québec concernant
les investissements nord-américains recoupe en fait deux questions.
Première question: Est-ce que la capacité des entreprises
québécoises de faire des investissements en Amérique du
Nord restera la même, diminuera ou augmentera avec l'ALENA?
Deuxième question très importante: Est-ce que la capacité
du Québec d'attirer et de conserver sur son territoire les
investissements nord-américains, européens et asiatiques restera
la même, diminuera ou augmentera avec l'ALENA? En fait, ce sont mes
réponses à ces deux questions qui constituent l'objet de mon
mémoire.
Après avoir pris connaissance des dispositions de l'ALENA
concernant les investissements en Amérique du Nord, j'en suis venu
à une première réponse qui est que l'ALENA augmentera la
capacité des entreprises québécoises de faire des
investissements aux États-Unis et au Mexique.
Concernant les investissements d'entreprises que-
bécoises aux États-Unis, j'ai d'abord constaté que
les règles contenues dans l'Accord de libre-échange entre le
Canada et les États-Unis étaient reprises sous une forme ou une
autre dans l'ALENA. On y parle notamment de nonnes minimales de traitement, de
traitement national, de traitement de la nation la plus favorisée,
d'interdiction de certaines prescriptions de résultats, de transferts,
d'expropriation, d'indemnisation, de mécanisme de règlement des
différends, etc.
J'ai ensuite remarqué que l'ALENA améliorait certains
aspects de l'Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis
concernant les investissements en Amérique du Nord. C'est le cas, par
exemple, pour la question de la définition de l'investissement qui sera
plus large sous l'ALENA puisqu'elle inclut l'intérêt minoritaire
ainsi que les investissements dans les actions, les obligations et les biens
immobiliers. Sous l'ALENA, les entreprises québécoises qui
envisageront de faire des investissements aux États-Unis seront donc
soumises à des règles semblables et même parfois meilleures
à celles que l'on retrouve dans l'Accord de libre-échange
CanadaÉtats-Unis. L'impact sera pour le moins positif pour les
entreprises québécoises, puisque, depuis l'entrée en
vigueur de l'Accord de libre-échange CanadaÉtats-Unis en
1989, les investissements d'entreprises québécoises aux
États-Unis ont atteint des sommets.
Mais, là où l'impact de l'ALENA risque de se faire le plus
sentir sur la capacité des entreprises québécoises
d'investir en Amérique du Nord, c'est au Mexique. L'ALENA va faire
quatre choses très positives pour les entreprises
québécoises qui désireront investir au Mexique.
Premièrement, l'ALENA va rendre l'accès à ce pays plus
facile; deuxièmement, l'ALENA va leur octroyer un meilleur traitement
pour leurs investissements; troisièmement, l'ALENA va leur accorder une
meilleure protection de leurs investissements; puis, quatrièmement et
finalement, l'ALENA va leur offrir de nouvelles opportunités
d'investissements dans ce pays. Donc, on va voir un petit peu en détail
chacune de ces quatre choses positives.
Donc, la première chose positive que va faire l'ALENA pour les
entreprises québécoises qui voudront investir au Mexique, c'est
de leur rendre l'accès à ce pays plus facile. Pour vous donner un
premier exemple, on peut prendre la question du contrôle des entreprises
mexicaines par des entreprises québécoises. Vous savez
peut-être qu'au Mexique, actuellement, toute entreprise
québécoise qui veut prendre le contrôle d'une entreprise
mexicaine dont la propriété étrangère est
limitée à 49 % doit nécessairement se soumettre à
un examen de la Commission mexicaine de l'investissement étranger.
L'ALENA va améliorer le tableau en faisant en sorte que les entreprises
québécoises soient moins soumises à l'avenir à cet
examen. En effet, dès l'année prochaine, en 1994, la Commission
mexicaine de l'investissement étranger ne pourra plus examiner une telle
prise de contrôle si la valeur des actifs de l'entreprise mexicaine est
inférieure à 25 000 000 $US. Vous devez savoir que ce seuil sera
ensuite porté à 150 000 000 $US au bout de 10 ans. En clair,
l'ALENA va donc faire en sorte que les investissements d'entreprises
québécoises soient admis plus facilement au Mexique.
Mon deuxième exemple a trait au secteur réservé de
l'économie mexicaine. Vous savez peut-être que plusieurs de ces
secteurs sont réservés exclusivement aux Mexicains ou à
l'État mexicain et que, dans d'autres secteurs de l'économie
mexicaine, la propriété étrangère y est
limitée. Là encore, l'ALENA va améliorer le paysage en
faisant en sorte que les entreprises québécoises ne soient plus
soumises à ces restrictions dans une dizaine de secteurs
économiques, tels que les institutions financières, les
transports, la construction, les produits miniers, les
télécommunications, etc. Avec l'ALENA, les entreprises
québécoises pourront même détenir 100 % du
capital-actions de toute entreprise mexicaine qui oeuvre dans ces secteurs
d'activité économique.
Mon troisième et dernier exemple se rapporte à une
pratique courante du Mexique qui est d'imposer des conditions aux entreprises
québécoises avant d'accepter leurs investissements sur son
territoire. Ce peut être, par exemple, un niveau déterminé
d'exportation ou, encore, l'approvisionnement obligatoire auprès de
fournisseurs mexicains. L'ALENA va faciliter les choses aux entreprises
québécoises en interdisant au Mexique de leur imposer de telles
conditions.
Après un meilleur accès, les deuxième et
troisième choses positives que va faire l'ALENA pour les entreprises
québécoises qui envisageront d'investir au Mexique, ce sera de
leur offrir un meilleur traitement, mais aussi une meilleure protection pour
leurs investissements dans ce pays. Pour l'illustrer, je vais prendre comme
premier exemple la question du traitement des investissements
québécois. Vous savez peut-être qu'au Mexique,
présentement, les investissements québécois sont moins
bien traités, il faut le dire, que les investissements d'entreprises
mexicaines ou les investissements de certaines entreprises
étrangères. L'ALENA va changer la situation en prévoyant
que le Mexique devra accorder aux investisseurs et aux investissements
québécois ce qu'on appelle dans le jargon juridique «le
traitement national» et «le traitement de la nation la plus
favorisée». Simplement, ça signifie que les investissements
d'entreprises québécoises bénéficieront, avec
l'ALENA, du meilleur traitement jamais offert par le Mexique.
Mon deuxième exemple concerne l'expropriation des investissements
québécois. Là aussi, l'ALENA va améliorer les
choses pour les entreprises québécoises. L'ALENA prévoit,
en effet, que tout investissement d'entreprises québécoises ne
pourra plus être exproprié sur le territoire mexicain sans qu'une
compensation financière soit versée promptement par le Mexique et
qu'elle soit égale à la juste valeur marchande de
l'investissement en cause, ce qui est plus avantageux que ce qu'offre
actuellement la réglementation mexicaine.
Mon troisième et dernier exemple se rapporte à la question
du règlement des différends. Là encore,
l'ALENA va rendre la vie plus facile aux entreprises
québécoises. Avec l'ALENA, une entreprise
québécoise qui aura un conflit avec le Mexique concernant un
investissement n'aura plus comme seule possibilité, comme c'est le cas
actuellement, de devoir recourir soit au droit mexicain, soit aux tribunaux
mexicains. Avec l'ALENA, cette entreprise québécoise pourra
saisir un groupe spécial d'arbitres nommés en vertu de l'ALENA
dont la décision sera finale et qui jugeront, bien sûr, à
la lumière du droit mexicain, mais aussi à la lumière des
dispositions de l'ALENA et du droit international. Donc, en matière de
règlement des différends, les entreprises
québécoises qui investiront au Mexique pourront donc, avec
l'ALENA, mieux faire valoir leurs droits vis-à-vis de ce pays.
après un meilleur accès, un meilleur traitement et une meilleure
protection de leurs investissements, la quatrième et dernière
chose positive que va faire l'alena pour les entreprises
québécoises qui désireront investir au mexique, ce sera de
leur offrir des opportunités nouvelles d'investissements dans ce pays.
pour n'en nommer que quelques-unes, les institutions financières
quand je parle d'institutions financières, on pense, évidemment,
aux banques, aux maisons de valeurs mobilières et aux
sociétés d'assurances, etc. constitueront, à mon
avis, un bon secteur où investir au mexique. d'abord, on peut
prévoir que la modernisation de l'économie mexicaine impliquera
nécessairement le recours à des services perfectionnés
dans ce secteur. ensuite, avec une augmentation de leurs revenus, les mexicains
auront nécessairement un besoin pressant en services financiers. on n'a
qu'à penser aux prêts hypothécaires, commerciaux ou
à la consommation, aux services de cartes de crédit, etc. l'alena
offrira justement aux institutions financières québécoises
l'opportunité de pénétrer ce secteur en leur permettant
d'établir en propriété exclusive des institutions
financières au mexique. d'ailleurs, la banque de nouvelle-ecosse a
déjà vu cette opportunité d'investissement en
acquérant, le 29 août 1992, pour 90 000 000 $, 5 % du
capital-actions du quatrième plus important groupe financier mexicain.
(21 h 10)
Une autre opportunité d'investissement au Mexique se trouvera
dans le transport terrestre des marchandises. On peut penser qu'avec
l'entrée en vigueur de l'ALENA et de la hausse consécutive des
exportations et des importations mexicaines ce secteur le secteur du
camionnage, du transport prendra nécessairement de l'importance.
Les entreprises mexicaines de camionnage en particulier pourraient donc
constituer un bon investissement au Mexique.
Les télécommunications aussi seront un bon secteur
où investir au Mexique. Il y a même certains analystes qui
prévoient que le secteur mexicain des télécommunications
augmentera en moyenne de 12 % annuellement au cours des prochaines
années. Afin que les entreprises québécoises puissent en
profiter, l'ALENA a inclus une disposition précisant que les entreprises
québécoises pourront détenir, d'ici le 1er juillet 1995,
100 % d'une entreprise établie au mexique ou qui s'y établira et
qui oeuvre dans ce qu'on appelle, dans le jargon, «les services de
télécommunications améliorés ou à valeur
ajoutée», c'est-à-dire des services faisant appel à
des applications de traitement informatique qui permettent notamment aux
clients de consulter, en mode interactif, les informations stockées.
Je vais passer quelques exemples parce que, évidemment, le temps
court.
Le Président (M. Dauphin): Effectivement, c'est qu'il y a
déjà 13 minutes d'écoulées. On peut prendre pour
acquis que les députés ont lu votre mémoire. C'est pour
ça d'ailleurs qu'on vous laissait seulement 10 minutes. À moins
que vous préfériez continuer. C'est parce que ça diminue
le temps des questions.
M. Ratelle: D'accord. Si les mémoires sont lus, il n'y a
pas de problèmes.
Le Président (M. Dauphin): Parce que les mémoires
sont reçus bien avant. C'est pour ça d'ailleurs qu'on les
reçoit avant, en vertu de notre règlement. Alors, je vais
reconnaître maintenant M. le ministre des Affaires internationales.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je veux vous remercier
pour la présentation de votre mémoire. Il m'apparaît que
vous avez bien étudié le contenu de l'ALENA en matière
d'investissements, notamment en ce qui concerne les engagements
spécifiques du Mexique énoncés dans les annexes:
modifications des règles; propriétés
étrangères; nouveaux secteurs. Cependant, votre seconde
conclusion sur l'incapacité du Québec à concurrencer le
Mexique au chapitre des investissements...
M. Ratelle: Évidemment, j'ai lu votre article ce matin
dans La Presse.
M. Ciaccia: Ah oui! C'était bien, hein? Oui? Merci.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ciaccia: C'était fondé sur des arguments...
Évidemment, on n'a pas tous... On n'a pas le même point de vue,
mais, moi, je crois que vos arguments semblent pour le moins contestables et
sont basés sur une compréhension assez particulière, un
peu particulière de l'analyse économique.
Quand vous parlez de la main-d'oeuvre, par exemple, le salaire moyen au
Mexique est de sept fois inférieur à ce qu'il est au Canada.
Ça, immédiatement, le monde dit: Bien, c'est attrayant. Mais la
productivité est six fois et demie moins. Alors, il n'y a pas
tellement
d'avantages. Et quand on considère que le coût de la
main-d'oeuvre est seulement 18 % de tout le coût de l'investissement,
s'il y a 0,5 % d'avantages, je ne pense pas que ça peut être
l'élément majeur décisionnel pour aller s'installer au
Mexique.
Si votre analyse est exacte, comment expliquez-vous, par exemple, que
Petresa soit venue investir ici, à Bécancour? On a fait
l'annonce, 150 000 000 $. Eux autres, ils savent que l'ALENA va être
signé. Même qu'il est déjà signé; il faut
qu'il soit ratifié et mis en application. Alors, ils sont venus investir
150 000 000 $ au Québec de toute façon.
Comment expliquez-vous Marconi, qui est situé au Québec,
qui aurait pu investir additionnellement au Mexique pour d'autres
opérations? Ils ont décidé d'investir plus d'argent ici,
au Québec. Comment expliquez-vous ces deux investissements, parmi
d'autres?
Le Président (M. Dauphin): Me Ratelle.
M. Ratelle: Ce que je pense par rapport, par exemple, à
l'élément, si on veut, attrayant pour le Mexique du fait que sa
main-d'oeuvre est moins chère, d'accord? On sait que c'est un avantage
que la main-d'oeuvre soit moins chère. Ce que je pense, c'est que dans
les secteurs d'activité économique où la main-d'oeuvre
compte pour un fort pourcentage du coût de production, ce que je pense,
c'est que le Québec devrait subir des pertes. D'accord? Par contre, dans
les secteurs d'activité économique où le coût de la
main-d'oeuvre est moins une composante du coût de production, là
je pense que le Québec peut demeurer compétitif.
C'est-à-dire plus, dans le coût de production, le coût de la
main-d'oeuvre est représentatif, plus le Québec risque de subir
des pertes, d'être moins attrayant que le Mexique. Par contre, dans
d'autres secteurs d'activité économique où c'est
plutôt, par exemple, la formation du personnel, de la main-d'oeuvre
qualifiée, le génie, la recherche et le développement,
là, je pense que le Québec peut être concurrentiel.
Si vous avez lu mon mémoire, je ne dis pas que ça va
être une perte complète, je ne prédis pas une catastrophe.
Mais ce que je pense, c'est que le Mexique dispose de certains atouts qui font
en sorte que peut-être le Québec va subir quelques pertes. C'est
ça que je pense.
M. Ciaccia: Même, pour prendre un autre exemple, le
coût de la main-d'oeuvre, en général, c'est 18 %. Mais dans
le vêtement, c'est encore moins, c'est 12%.
M. Ratelle: Oui. Mais comment vous pouvez expliquer que des
milliers d'entreprises étrangères de petite et de grande taille,
des multinationales aient choisi de s'installer au Mexique? Comment vous pouvez
expliquer ça?
M. Ciaccia: Ils l'ont fait avant l'ALENA. Ce n'est pas l'ALENA
qui cause ça. C'est ça, mon point.
M. Ratelle: Ce n'est pas l'ALENA? C'est vrai?
M. Ciaccia: Bien non! Ils sont allés avant. Les
«maquiladora» existaient avant. Alors, l'ALENA ne change aucunement
rien.
M. Ratelle: Bien, ce que change l'ALENA, puis c'est là
l'atout majeur pour le Mexique, c'est qu'avec l'ALENA le Mexique va avoir un
accès privilégié au marché américain. C'est
ça l'avantage pour le Mexique.
M. Ciaccia: Mais les «maquiladora», ils l'ont
déjà ce...
M. Ratelle: Oui, mais ça ne touche pas tous les secteurs
d'activité économique au Mexique. Ça touche, par exemple,
certaines formes de produits... Par exemple, si on parle des services qui sont
très importants dans l'économie mondiale, le secteur des services
n'est pas touché par les «maquiladora». Vous voyez?
M. Ciaccia: Non, mais, dans le secteur de services, vous parlez
d'une technologie, d'un entraînement qui est complètement... C'est
pour ça que les services financiers ont été... Je vais
vous donner d'autres chiffres. Peut-être que vous pourrez m'expliquer
ça aussi. En 1991, les investissements totaux au Québec, en
millions de dollars, étaient de 35 849 000 $.
M. Ratelle: Vous parlez d'investissements directs là.
M. Ciaccia: Dans le secteur primaire, je peux vous donner les
chiffres dans chaque secteur. Oui, oui, directs. Primaire: 1 400 000 000 $; les
manufacturiers: 7 000 000 000 $; la construction: 529 000 000 $. Dans le
secteur tertiaire, dans l'habitation, ça inclut tous ces secteurs.
C'était 35 000 000$. En 1991, le monde le savait que l'ALENA
était en négociation. Nous, on a commencé à appuyer
l'ALENA au mois d'août 1990.
Pour 1992, notre chiffre de 35 000 000 $ est presque le même. 34
700 000 $. Puis, ça, ça inclut les immobilisations et tout le
reste. Votre thèse n'est pas reflétée dans les chiffres,
dans les investissements actuels, en termes de Québec comme lieu pour
attirer des investissements sur le marché nord-américain.
M. Ratelle: Vous croyez... Je sais que vous ne le croyez pas...
Vous ne pensez pas que, le fait que le Mexique va faire partie de l'ALENA,
ça va créer des pertes pour le Québec en termes de
capacité d'attirer des investissements je sais, je connais votre
pensée, évidemment puis de les conserver? Vous ne pensez
pas qu'il va y avoir des pertes à cause de l'ALENA?
Vous ne pensez pas que le Mexique va devenir plus attrayant?
M. Ciaccia: Bien, j'espère que toute l'Amérique du
Nord va devenir plus attrayante avec l'ALENA.
M. Ratelle: Ça va être un fait. Oui, ça c'est
vrai, vous avez raison. C'est vrai que le continent nord-américain va
être plus attrayant avec l'ALENA, mais dans le cadre... Il y a trois
pays, les trois pays tiennent tous à attirer des investissements
étrangers sur leur territoire puis à les conserver. Vous ne
pensez pas que le Mexique va jouir d'un atout supplémentaire par rapport
au Québec du fait de sa participation à l'ALENA? (21 h 20)
M. Ciaccia: Je ne pense pas que le Mexique soit en
compétition avec le Québec, comme d'autres l'ont dit puis
comme... Le Mexique est en compétition avec la Chine, le Viêt-nam,
la Thaïlande parce que beaucoup de compagnies...
M. Ratelle: Mais je vous parle du territoire
nord-américain, je vous parle de l'Amérique du Nord.
M. Ciaccia: Oui, mais si ces compagnies, au lieu d'aller en
Thaïlande, au lieu d'aller au Viêt-nam, au lieu d'aller dans ces
pays-là, en Malaisie, vont au Mexique, ça va être bon pour
nous parce que ça va dire... Parce que celui qui va investir en
Thaïlande, il n'achète pas des produits québécois,
mais la compagnie qui va aller investir au Mexique au lieu d'aller en
Thaïlande va créer de la richesse au Mexique et ils vont acheter
des produits québécois qu'on va pouvoir leur vendre dans le
traité du libre-échange.
M. Ratelle: J'ai lu votre... Ce que vous dites, c'est dans le
fond ce que vous avez écrit dans La Presse. C'est vrai que
ça va avoir un aspect positif. Par exemple, c'est vrai que ça va
permettre au Mexique d'acheter, d'importer plus de biens
québécois; c'est vrai, mais, par contre, ça ne signifie
pas pour autant qu'il n'y aura pas de pertes d'investissements au Québec
à cause du Mexique, c'est ça que je pense. C'est vrai que vous
avez raison de dire que, si les investissements sont faits au Mexique,
ça va avoir un effet d'entraînement positif pour l'économie
au Mexique puis sur le continent nord-américain; donc, ça va
permettre aux exportateurs québécois de vendre plus facilement
leurs biens et leurs services au Mexique. C'est vrai, mais, à mon avis
évidemment, mon avis vaut ce qu'il vautje suis certain que,
l'ALENA, ça va avoir un effet catalytique sur la capacité du
Mexique d'attirer puis de conserver des investissements étrangers,
nord-américains, européens, asiatiques sur son territoire, et
puis ça, au détriment du Québec.
Je ne prédis pas une catastrophe. Vous avez énoncé
des chiffres, vous dites qu'il y a une constance au niveau de notre
capacité à attirer en millions de dollars des investissements
étrangers sur notre territoire, c'est vrai, mais, à mon avis...
Si le Mexique ne faisait pas partie de l'ALENA, peut-être qu'on pourrait
jouir d'investissements qui seraient faits sur notre territoire au lieu
d'être faits sur le territoire mexicain.
M. Ciaccia: De toute façon, je persiste à croire...
et cette croyance est basée sur des faits réels. Je vous ai
donné des exemples de compagnies qui sont venues investir ici, qui
auraient pu aller au Mexique, qui auraient pu aller au Texas. Elles sont venues
au Québec. Alors, je pense qu'avec l'ALENA nous avons augmenté
notre capacité d'attirer des investissements. De toute façon, je
respecte votre point de vue et je vous remercie pour votre
présentation.
M. Ratelle: Merci beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre.
M. le député de Bertrand.
M. Beaulne: D'abord, je tiens à vous féliciter
d'avoir pris le temps de faire la recherche qui vous a permis de venir vous
présenter ici, à la commission. Je pense qu'il est important que
l'Assemblée nationale favorise le point de vue des individus, des
Québécois et des Québécoises sur des sujets aussi
importants qui touchent leur vie quotidienne. Parce que, vous savez, ça
fait changement, par rapport à la kyrielle d'organismes qui font la
chaise musicale d'une commission à l'autre et dont on connaît les
points de vue avant même qu'ils se pointent à la barre des
témoins. Alors, dans ce sens-là, je vous remercie d'avoir pris le
temps de venir nous présenter votre point de vue. Et que l'on partage ou
non l'avis de ceux qui présentent leur vision sur un point en
particulier, je pense qu'ils méritent d'être respectés, et
votre avis vaut autant que ceux qui prêchent la bible du
libre-échange.
Ceci étant dit, j'aimerais vous poser quelques questions sur
certaines affirmations que vous faites. Vous dites que le Mexique peut devenir,
grâce à l'ALENA, un tremplin vers l'Amérique latine. Ne
pensez-vous pas que le Québec, dans le contexte de l'Accord de
libre-échange avec les États-Unis, peut devenir le tremplin vers
l'Amérique du Nord?
M. Ratelle: C'est vrai. C'est vrai.
M. Beaulne: Ma deuxième question se rattache à
votre autre affirmation que vous faites à la page 8 de votre rapport,
où vous dites que vous doutez que «le Québec ait
détenu assez d'influence au sein de la délégation
canadienne pour que les réglementations fédérale et
québécoise sur les investissements étrangers deviennent
plus attrayantes que celle du Mexique». Qu'est-ce qui vous fait dire que
vous pensez que la délégation québécoise n'a pas eu
toute l'influence qu'elle aurait pu avoir?
M. Ratelle: Mais, là, on rentre plus dans l'ordre de la
structure de la représentation du Canada au sein de conférences
internationales ou au sein, par exemple, de la capacité de
négocier des traités. Comme vous le savez, c'est le gouvernement
fédéral qui est habilité, en vertu de la Constitution,
à négocier des traités internationaux. Évidemment,
je connais l'existence de mécanismes qui font en sorte, par exemple, que
les provinces canadiennes, le Québec, notamment, sont consultées
en tout ce qui a trait à la politique commerciale internationale du
Canada, que ce soit au sein du GATT ou, par exemple, l'Accord de
libre-échange CanadaÉtats-Unis, l'ALENA, etc. Ce que je
pense, évidemment, c'est qu'en tant que province canadienne... Le
gouvernement fédéral doit prêter ses oreilles aux autres
provinces canadiennes aussi, qui ont parfois des intérêts
divergents, parfois convergents avec les intérêts du
Québec. C'est dans ce sens-là que je disais évidemment
que, concrètement, objectivement, le Québec est une province
canadienne comme les autres provinces canadiennes. C'est dans ce sens-là
que je le disais.
M. Beaulne: Est-ce dire que vous partagez le point de vue du
président de l'UPA, à savoir qu'il vaudrait mieux qu'on soit
assis nous-mêmes à la table des négociations plutôt
que de chuchoter nos intérêts dans les oreilles des
représentants fédéraux?
M. Ratelle: C'est une question délicate que vous me posez
là. C'est une question de points de vue. On n'est plus tellement dans
l'ordre juridique, on est plutôt dans l'ordre politique.
M. Beaulne: Bien oui, mais la question est là: Oui ou
non?
M. Ratelle: J'ai écrit un article sur le sujet il y a
quelques années où, évidemment... Si on regarde en termes
objectifs, c'est évident que, par exemple, si le Québec
était un État souverain, c'est lui qui aurait des
représentants à l'ONU, etc. Évidemment, son pouvoir de
négociation serait plus fort parce qu'il ferait simplement valoir
directement ses intérêts, sans passer par la voie du gouvernement
fédéral. C'est mon opinion.
M. Beaulne: Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le
député de Bertrand.
M. le ministre, pour le mot de la fin.
M. Ciaccia: Je veux remercier M. Ratelle pour avoir fait l'effort
de présenter le mémoire. Je pense que, les législateurs,
ça leur fait du bien d'avoir différents points de vue et une
certaine mise en garde en ce qui concerne certains points que vous avez
portés à notre attention. Alors, même si on ne le partage
pas, on vous remercie de nous l'avoir présenté. Merci.
M. Ratelle: Merci beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Alors, la
même chose, au nom de tous les membres de la commission, nous vous
remercions, Me Ratelle, d'avoir... Je sais que vous êtes descendu
spécialement de Floride, je crois, pour venir à nos travaux.
Merci beaucoup de votre participation et on vous souhaite un bon retour.
J'espère que vous ne retournez pas en Floride ce soir.
M. Ratelle: Non, non, non.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci beaucoup d'avoir
participé à notre commission.
M. Ratelle: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Si je me fie à mon ordre
du jour, je suis rendu à l'étape «Remarques finales».
Si M. le député de Bertrand est prêt, on est prêt
à reconnaître M. le député de Bertrand pour ses
remarques finales.
Remarques finales M. François Beaulne
M. Beaulne: Merci, M. le Président. Je tiens d'abord
à remercier tous les intervenants qui ont accepté l'invitation de
la commission de venir nous livrer leurs commentaires, réflexions et
suggestions concernant l'Accord de libre-échange nord-américain.
Je m'interroge toutefois sur le nombre limité de mémoires que
nous avons reçus par rapport à l'intérêt, sinon
à l'inquiétude, que l'Accord de libre-échange avec les
États-Unis puis son extension au Mexique soulèvent chez la
population. Nous n'avons entendu qu'une vingtaine de représentations
alors qu'il ne se passe pas une journée sans que l'on parle de
libre-échange sur la place publique et que bon nombre d'industriels, de
travailleurs ou d'investisseurs lui attribuent leur succès ou leurs
déboires. Est-ce par manque d'intérêt? Je ne le pense pas,
surtout à la lumière des craintes, préoccupations et
incertitudes qu'ont fait ressortir plusieurs représentants qui ont
participé à nos échanges. Je pense plutôt qu'il faut
y voir une sorte de résignation face à la complaisance et
à la désinvolture avec lesquelles le gouvernement du
Québec a piloté ce dossier auprès d'Ottawa.
Je rappellerai à cet effet que c'est à la demande du chef
de l'Opposition, M. Parizeau, que s'est tenue cette commission spéciale.
N'eût été de notre insistance pour tenir cette commission
dans les meilleurs délais, le gouvernement du Québec aurait sans
doute donné son aval à l'ALENA, en catimini, comme il l'a fait
d'ailleurs tout au long des négociations. Si les
intéressés se sont montrés si peu nombreux à la
barre des témoins, c'est probablement parce qu'ils pensent, ou bien que
les
jeux sont faits, ou bien que nous n'avons guère de poids pour
influencer les négociations, ou bien que le gouvernement du
Québec a déjà fait son lit en cette matière, et ce,
malgré toutes les représentations qu'on pourrait lui faire. Le
ministre a lui-même corroboré ses appréhensions par son
attitude quelque peu fataliste et résignée à l'endroit
particulièrement des représentants syndicaux et de ceux de
l'industrie du vêtement, principalement en regard de la recommandation
que des droits compensateurs ne puissent être imposés avant que
les tribunaux de règlement des différends aient tranché la
question en litige et en regard de la triple règle d'origine applicable
à l'industrie du vêtement et dont l'incompatibilité avec
l'article 24 du GATT n'est pas évidente. (21 h 30)
On aurait souhaité, de la part du ministre, non pas une attitude
défensive et presque démissionnaire face aux obstacles majeurs
que représentent sans aucun doute les négociations avec la
première puissance mondiale, mais plus de fermeté dans son
engagement à défendre les intérêts du Québec
auprès des parties concernées. Pour le moment, nous n'avons que
sa parole qu'il a fait de son mieux, puisque tout s'est transigé en
secret et que son propre ministère n'a publié son document de
consultation qu'après la date limite de remise des mémoires
à l'Assemblée nationale, comme l'a d'ailleurs souligné le
président de la CSD.
Il est ressorti de l'ensemble des mémoires qu'un consensus se
dégage autour des grands thèmes suivants: la
libéralisation des échanges en Amérique du Nord et
l'extension de l'association de libre-échange au Mexique est, en soi,
une bonne chose; il ne faut pas répéter l'erreur de l'application
de l'association de libre-échange, c'est-à-dire ne pas enclencher
des mesures de transition et d'adaptation adéquates; il faut que les
programmes incitatifs et de soutien fédéraux et
québécois soient cohérents et coordonnés; il faut
saisir l'occasion qu'offre le président Clinton d'ouvrir des
négociations parallèles en matière d'environnement et de
normes du travail pour obtenir certaines garanties et améliorations du
projet d'accord qui est sur la table.
Il ressort également de nos consultations qu'il ne faut pas faire
miroiter de faux espoirs à notre population, à savoir que le
libre-échange est la recette miracle à nos malaises
économiques et à nos faiblesses structurelles. Il ne faut surtout
pas que nos chefs d'entreprise s'imaginent qu'il suffit de ratifier l'ALENA
pour obtenir un accès garanti aux marchés américain et
mexicain.
Comme l'ont démontré éloquemment plusieurs
intervenants, les élans protectionnistes américains sont loin de
s'être résorbés et, dans certains cas, l'ALENA
représente même un recul par rapport à l'association de
libre-échange. Je pense, entre autres, au report de la définition
de «subvention acceptable» qu'on a refilée au GATT, à
la complexité des règles d'origine applicables à
l'industrie du vêtement et à la définition du contenu
nord-américain potentiellement préjudiciable à notre
industrie de l'automobile.
Une étude publiée dernièrement par l'Institut CD.
Howe démontre que, pour la décennie 1980-1990, les
États-Unis ont été les champions des droits
compensatoires, étant à l'origine de 58 % des cas. Durant cette
même période, le Mexique a été la principale cible
des Américains, mais le Canada n'y a pas échappé.
En fait, à eux seuls, le Canada et les États-Unis ont
entrepris presque la moitié des 1383 mesures protectionnistes
adoptées pendant cette période. Même avec l'entrée
en vigueur de l'association de libre-échange entre le Canada et les
États-Unis, des différends commerciaux subsistent en
matière de bois d'oeuvre, de porc, de magnésium, d'acier, de
saumon du Pacifique, du homard, du lait UHT le lait Grand Pré
de bière, de yogourt et de crème glacée. Quand on
sait que les surtaxes ou droits compensatoires s'appliquent avant que les
tribunaux n'aient tranché sur leur bien-fondé, il y a de quoi
s'interroger sur la propension de nos voisins du Sud à recourir aux
tribunaux à tout propos comme mesure protectionniste
déguisée.
À cet effet, plusieurs intervenants, dont les
représentants du Conseil du patronat du Québec et de
l'Association des manufacturiers du Québec, ont déploré
que nos manufacturiers n'aient davantage le réflexe de recourir à
la protection que leur donne la législation canadienne et
québécoise pour protéger leur part du marché local.
Il est également apparu qu'il y a lieu de s'inquiéter de
pratiques dont l'effet est très insidieux, qui entravent l'accès
au marché américain pour nos entrepreneurs et qui ne respectent
pas l'esprit de l'association de libre-échange. Je pense, entre autres,
aux obstacles de nature bureaucratique, tels le contrôle
systématique des manifestes aux postes de douane, la modification
constante des exigences réglementaires, la substitution de formulaires,
l'application tatillonne de règlements obscurs que les autorités
américaines se font un plaisir d'appliquer à l'endroit de nos
exportateurs. Il est donc essentiel pour le gouvernement du Québec de
s'entendre avec le gouvernement fédéral sur des contrôles
douaniers plus stricts et une application rigoureuse des lois et
règlements des deux ordres de gouvernement aux importations en
provenance des États-Unis.
Au chapitre des mesures de transition, nous avons retenu plusieurs
propositions intéressantes. Il semble toutefois qu'un consensus se
dégage sur la priorité à accorder aux programmes de
formation et de recyclage de la main-d'oeuvre. Il y a lieu, à cet
égard, de déplorer certaines initiatives du gouvernement
fédéral, tels la réduction de l'accessibilité et
des prestations à l'assu-rance-chômage, le remplacement des
prestations du Programme d'adaptation des travailleurs (PAT) par le Programme
d'aide aux travailleurs âgés (PATA), la réduction de
l'accessibilité au PATA ainsi que le statu quo dans le fouillis des
programmes fédéraux et provinciaux de main-d'oeuvre.
L'incohérence, voire même l'absence de coordination des deux
gouvernements en cette matière pénalisent à la fois les
travailleurs et les entreprises qui souhaitent profiter de l'association de
libre-échange et de l'ALENA.
Il est devenu clair, à travers les présentations qui nous
ont été faites, que les travailleurs et les entreprises
québécoises ne rêvent plus en couleur par rapport, d'une
part, aux bénéfices que promet, en théorie, la signature
de l'association de libre-échange et de l'ALENA et, d'autre part, les
obstacles réels à affronter pour tirer pleinement notre
épingle du jeu. L'encadrement des échanges qu'offrent sur papier
l'association de libre-échange et l'ALENA est en soi un pas dans la
bonne direction, mais il reste beaucoup de chemin à faire pour en faire
respecter l'esprit.
À cet égard, l'approche plutôt légaliste du
ministre m'apparaît fort imprudente. Tout au long de la commission, il
s'est évertué à répondre aux objections des
intervenants en se retranchant derrière des dispositions légales
de l'association de libre-échange et de l'ALENA comme garantie de
succès de leur application.
Or, comme l'ont souligné la plupart des intervenants,
l'application des dispositions de l'association de libre-échange a connu
certains ratés sur le terrain. Ce n'est pas parce que quelque chose est
inscrit dans un texte légal qu'il faut considérer que c'est chose
faite. Une étude comparative du ministère du Travail du
Québec d'octobre 1992 sur les normes de travail s'appli-quant au Mexique
et au Québec confirme que l'existence des lois et la reconnaissance
officielle de certains droits ne garantissent pas leur mise en application. Sur
papier, le Mexique a des normes de travail supérieures à celles
du Québec; en réalité, c'est l'inverse, d'où la
préoccupation des travailleurs américains et
québécois concernant l'harmonisation à la baisse des
normes du travail dans le cadre de l'ALENA.
À ceux qui s'interrogent sur les initiatives du gouvernement du
Québec pour faciliter l'accès du marché mexicain aux
entreprises québécoises, le ministre offre son plan d'action
Québec-Mexique. À la lumière du rapport très
critique du Vérificateur général du Québec de
novembre 1992, sur les activités du ministère des Affaires
internationales, qui souligne, et je cite, «que le ministère n'a
pas défini précisément sa clientèle, ne la consulte
pas toujours de façon structurée et n'a pas
déterminé la nature et l'étendue des services qu'il compte
offrir, qu'il n'a pas non plus établi une stratégie de
communication pour faire connaître ses services», on est en droit
de s'interroger sur l'efficacité qu'aura son programme
Québec-Mexique.
En conclusion, il ressort que les intervenants qui ont
témoigné devant la commission demandent au gouvernement du
Québec non pas de faire l'impossible, mais de faire son possible pour
défendre les intérêts du Québec dans les
négociations avec le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il est
du devoir de l'Opposition officielle de s'assurer que ce sera chose faite.
Ceci étant dit, M. le Président, permettez-moi, en
terminant, de souligner que j'ai personnellement beaucoup appris des
échanges que nous avons eus au cours de cette commission et je ne puis
que regretter qu'elle ait été de si courte durée.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. le
député de Bertrand, pour vos remarques finales. Maintenant, pour
les mêmes fins, je vais reconnaître M. le ministre des Affaires
internationales.
M. John Ciaccia
M. Ciaccia: Merci, M. le Président, chers collègues
de l'Assemblée nationale, les trois jours de discussions que nous venons
d'avoir sur l'Accord de libre-échange nord-américain ont
été extrêmement enrichissants, malgré la
dernière intervention. Je tiens à remercier tous ceux et celles
qui ont contribué à la réussite des travaux de cette
commission. J'ai été très impressionné par la
qualité des mémoires qui nous ont été soumis, ainsi
que par l'excellente tenue des débats. Je voudrais partager avec vous
quelques-unes des leçons que l'on peut tirer de nos échanges.
Premièrement, pour répondre au député de
Bertrand qui dit qu'on a fait ça en catimini, je voudrais lui dire que
c'est la troisième commission parlementaire sur le libre-échange;
il y en a eu deux sur le libre-échange avec les Américains; on a
publié cinq documents sur l'ALENA; on a consulté tous les
intervenants. Peut-être que c'est pour ça qu'ils ne sont pas tous
venus en commission, parce que tous ont été consultés, ils
nous ont dit ce qu'ils voulaient. On les a représentés, on a
obtenu pour eux ce qu'ils voulaient dans l'entente. Qu'est-ce que vous voulez
qu'ils viennent dire?
Alors, ceux qui sont venus, c'était pour approuver, pour dire: On
est d'accord. La Chambre de commerce était très heureuse des
services du ministère, malgré la citation du Vérificateur
général sur «la» clientèle. On n'a pas
«une» clientèle, on a «des» clientèles;
on n'a pas «un» programme de communication, on en a
«plusieurs». Ma clientèle aux États-Unis n'est pas la
même que celle de la France. Vous allez admettre ça, vous! C'est
pour ça que M. Parizeau est allé aux États-Unis et,
après ça, il est allé en France, deux différentes
clientèles!
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ciaccia: S'il y avait eu une clientèle, il serait
resté à Washington et il aurait envoyé ses lettres par fax
à Paris.
Alors, il faut examiner ce que les gens... On ne peut pas juste
répéter comme un perroquet ce qu'un autre va dire. Examinez et
voyez si c'est vrai ou non. Alors, on ne cesse de répéter partout
que la mondialisation des échanges est un phénomène
irréversible. Alors, on peut s'en réjouir, on peut le regretter,
mais on n'a pas le choix, il faut s'y adapter, et c'est dans cette perspective
que le gouvernement aborde l'ALENA. Je suis heureux de constater que les
patrons, comme les syndiqués, l'ont vu de même, c'est une
étape vers une
plus grande ouverture de l'économie québécoise sur
le monde.
C'est vrai, certains intervenants ont exprimé leurs craintes
à l'égard de ces bouleversements. Je comprends leurs
appréhensions, mais je crois qu'il ne faut pas exagérer. Chacun
s'entend pour dire que l'élargissement de la zone de
libre-échange au Mexique n'aura qu'un impact très modeste sur
l'économie du Québec. L'ALENA n'est pas une panacée, ce
n'est pas non plus et encore moins l'apocalypse. (21 h 40)
Ceci étant dit, c'est vrai qu'une main-d'oeuvre bien
formée est une condition essentielle si on veut que le Québec
soit en mesure de tirer profit de l'ouverture des marchés mondiaux, et
donc de l'ALENA. Mais je suis d'accord avec un des porte-parole de la coalition
lorsqu'il nous dit que l'ALENA n'exige pas de programme d'adaptation
spécifique, du moins en ce qui concerne la formation
professionnelle.
L'ALENA fait partie d'une dynamique dans laquelle le Québec a
choisi d'entrer il y a déjà quelques années. Or,
aujourd'hui, et cette commission nous en a donné la preuve, aucun groupe
ne s'oppose plus à la libéralisation des échanges. Chacun
à sa place et à sa façon peut contribuer à cet
élan que s'est donnée la société
québécoise.
Quand le député de Bertrand a dit que c'est grâce
aux efforts du chef de l'Opposition qu'on a cette commission, tu sais, c'est
facile d'attendre, d'avoir une lettre prête. Quand ils ont
annoncé, le 12 août, que les négociations étaient
terminées, le 13 août ils ont envoyé une lettre: Je veux
une commission parlementaire. Franchement! Pensez-vous qu'on n'aurait pas eu la
commission parlementaire si on n'avait pas reçu la lettre? On l'a eue
sur l'entente de libre-échange avec les Américains. Si vous
voulez prendre le crédit pour la commission, faites-le, on n'a pas
besoin de ça. Au moins, s'ils avaient attendu un mois sans qu'on ne dise
rien, mais le jour après! La lettre était déjà
prête, il a mis le 13 août et il a envoyé la lettre au
premier ministre. En tout cas. C'est juste au cas où vous ne le saviez
pas, s'il ne vous avait pas consulté, le chef de l'Opposition.
Le gouvernement n'a pas attendu l'ALENA pour établir des
politiques et mettre en place des programmes. Je vous ai donné quelques
exemples durant les travaux de la commission, laissez-moi vous rappeler
certains chiffres. Le paiement de transfert aux entreprises par les
ministères et les organismes du gouvernement ont
représenté plus de 960 000 000 $ en 1992-1993; le Fonds de
développement technologique, doté de 350 000 000 $ dont 70 000
000 $ ont déjà été accordés. J'ai
mentionné la Société Innovatech. Cette
société est dotée de 300 000 000 $ à investir d'ici
1997 dans le cadre du plan d'action du Grand Montréal. Le crédit
d'impôt pour les entreprises qui mettent en place des mesures de
formation a permis à 175 000 travailleurs d'en profiter en 1992. Et je
ne compte pas ici les programmes plus spécifiques du ministère de
l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, du ministère de
l'Industrie, du Commerce et de la Technologie, ni ceux du ministère des
Affaires internationales.
Quand vous critiquez le plan d'action Québec-Mexique, vous n'avez
pas entendu les éloges que nous avons reçus au sujet de ce plan?
Vous auriez dû être présents à la conférence
de presse que j'ai tenue pour lancer le plan. Il y avait 120 entreprises de
Montréal qui veulent utiliser le plan pour faire une percée au
Mexique avec tous les différents programmes que nous avons dans le plan
d'action.
Sans doute, tout n'est pas parfait, mais j'ai pris bonne note des
commentaires des intervenants et nous verrons à ce que les programmes
soient encore mieux adaptés là où c'est nécessaire.
Sans doute aussi, certains secteurs sont plus vulnérables que d'autres
à l'évolution de l'économie mondiale. Je pense tout
particulièrement au secteur du vêtement. Ce secteur n'est
probablement pas seul dans cette situation, mais illustre bien les pressions
qui s'exercent sur certains volets de notre économie.
Pour ce qui est des entreprises qui sont soumises à une
concurrence étrangère des plus vives, pas seulement à une
concurrence américaine ou à une concurrence mexicaine, elles sont
soumises à une concurrence mondiale, et la plupart d'entre elles ont
déjà fait des efforts considérables pour s'adapter au
point que les exportations de vêtements du Canada vers les
États-Unis sont passées de 169 000 000 $ en 1988 à 412 000
000 $ en 1992. Mais on doit continuer à les appuyer et j'en profite pour
souligner les efforts de la ville de Montréal en ce sens.
De son côté, pendant toute la négociation de
l'ALENA, le gouvernement du Québec a surveillé de très
près les intérêts de cette industrie. J'ai rencontré
plusieurs fois les représentants de cette industrie. J'ai fait
personnellement des représentations en leur faveur auprès du
ministre Michael Wilson. J'ai l'intention de continuer à faire valoir
les intérêts de l'industrie québécoise du
vêtement auprès du gouvernement fédéral.
Je comprends très bien, je le répète, que certains
milieux soient inquiets face aux défis que nous devons relever, mais je
le dis encore: Même s'il ne faut pas exagérer l'impact de l'ALENA,
le gouvernement fera sa part pour faciliter l'adaptation. En outre, nous nous
impliquerons dans la négociation des accords parallèles en
matière de conditions de travail et d'environnement. Nous
interviendrons, en effet, auprès du gouvernement
fédéral.
Et je voudrais répondre, faire le point au député
de Bertrand quand il a fait référence que c'est mieux
d'être assis à la table que de chuchoter en arrière. Si je
suis assis à la table, puis que je n'ai pas beaucoup de bagages, pas
beaucoup de fric, je ne suis pas aussi fort dans les négociations. Mais
quand celui qui est assis à la table représente 212 000 000 000 $
d'échanges avec les États-Unis, puis qu'il m'écoute quand
je lui chuchote dans l'oreille et que je lui dis «c'est de même
qu'il faut
que ça se fasse», ça c'est de la force. Ce n'est pas
d'être assis seul qui est important; être assis seul, on peut
être isolé. Pensez-vous que n'eût été qu'on
fasse partie de la Confédération, de la Fédération
canadienne, on aurait pu obtenir l'exclusion des industries culturelles?
Pensez-vous que Jack Valenti, en Californie, nous aurait permis de faire
ça? Non. Pensez-vous qu'on aurait pu obtenir l'exclusion, la protection
de la gestion de l'offre? Pensez-vous qu'on aurait pu régler le
problème du magnésium sans l'appui d'un pays comme le Canada qui
fait un chiffre d'affaires de 212 000 000 000 $? Et non seulement un chiffre
d'affaires, mais qui a une présence à l'international qui appuie
les États-Unis qui ont un rôle à jouer dans le monde
entier? Non. Puis je vais vous le dire et je vais vous le
répéter: Les intérêts du Québec sont mieux et
peuvent être mieux défendus à l'intérieur de la
Fédération canadienne. L'évolution des changements
internationaux porte à conclure que nos intérêts sont mieux
défendus à l'intérieur de la Fédération
canadienne. Ce sont des faits que j'apporte à votre attention. je vous
donne des exemples spécifiques. le magnésium. on a sauvé
la politique industrielle d'hydro-québec; on a sauvé les
alumineries qui produisent 14 % de l'aluminium mondial. et ceci, on l'a fait
pourquoi? parce qu'il y avait une force comme le canada qui s'est assise avec
nous et qui a dit: c'est de même que ça va se passer. et nous
avons une force à l'intérieur de la fédération
canadienne. ça ne me fait rien d'être assis en arrière si
le type qui est assis en avant va faire ce qu'on lui demande de faire en toute
honnêteté, rationalité. il représente nos
intérêts; c'est de même. et le développement à
l'international, tous les changements mondiaux le démontrent que c'est
de cette* faç'on que nous allons évoluer et défendre nos
intérêts.
M. le Président, j'ai noté plusieurs choses pendant cette
commission, la maturité des entrepreneurs qui sont venus nous dire que
ce ne sont pas des subventions qu'ils veulent, c'est des meilleures conditions
de travail. Ils veulent qu'on les laisse faire leurs affaires. Je l'ai dit
depuis le début de ces négociations, le gouvernement peut
faciliter les choses, notamment en négociant un bon accord, et je crois
que c'est ce que nous avons fait. Si on n'avait pas négocié un
bon accord, ça n'aurait pas été 19 intervenants qui
seraient venus ici, tous en faveur du libre-échange, la plupart qui
appuyaient l'Accord; le monde aurait attendu à la porte pour critiquer
l'Accord. La raison pour laquelle ils n'étaient pas ici en plus grand
nombre, c'est parce que après les consultations ils ont accepté
que c'est un bon accord, et une bonne partie d'eux sont venus le confirmer
ici.
M. le Président, ce soir, je suis rassuré, j'ai entendu
pendant ces trois jours dire que le Mexique était pour eux une
opportunité, pas une menace, qu'ils y faisaient déjà des
affaires et qu'ils voulaient en faire plus. L'attitude résolument
combative de l'UPA ne m'a pas échappé; je me réjouis
qu'elle soit toute dirigée vers la conquête des marchés
étrangers.
C'est bien beau de dire: On va être assis seul. Mais il
était bien content, M. Proulx, à Bruxelles, en 1990, dans le
GATT, quand le Canada a dit aux États-Unis, à la
Communauté européenne: On va protéger les quatre piliers
de la politique du Québec en matière d'agriculture. Ce
n'était pas une province ou un pays de 7 000 000 qui parlait,
c'était le Canada qui parlait ils écoutaient nos
représentations qui faisait les représentations et qui
représentait M. Proulx et l'UPA. Alors, je les félicite parce
qu'ils ont démontré du dynamisme comme nos agents
économiques. Je les félicite pour leur ambition et je salue leur
courage. Ils sont réalistes face à certains changements qui
auront lieu, évidemment, dans les relations, dans les activités
commerciales internationales. (21 h 50)
J'ai aussi noté l'intérêt des PME qui voudraient
être de la partie. J'ai compris qu'elles voulaient davantage
d'informations et un meilleur support pour faire des affaires au Mexique.
Pour ce qui est de l'information sur l'ALENA, j'ai retenu la demande de
l'Association des exportateurs de fournir un support à leurs membres; je
leur confirme qu'ils peuvent compter sur notre participation. Dans la
même veine, je crois qu'il faut aussi poursuivre la réflexion
autour d'une idée qui a été lancée lors de la
présentation du Mouvement Desjardins, c'est la possibilité
d'actions concertées en vue de faire connaître, à travers
le Québec, les avantages que les entreprises peuvent tirer de l'ALENA,
car cet Accord n'est pas fait seulement pour quelques grandes entreprises ou
pour un certain secteur installé autour de Québec ou de
Montréal, cet Accord esj pour tout le monde, pour toutes Jes
entreprises, des îles*de-la-Madeleine à l'Outaouais, de la Beauce
à l'Abitibi. La globalisation n'oublie personne, nous devons tous
vouloir en tirer parti.
Certes, on ne pénètre pas les marchés
étrangers n'importe comment, il faut du financement. Des entrepreneurs
nous ont fait part du manque de capitaux, de la nécessité de
procéder à de solides montages financiers si l'on voulait
conquérir des marchés importants. J'en prends bonne note, et nous
examinerons en détail cette question-là.
Je suis confiant, M. le Président, que les principales
associations regroupant les entreprises du Québec ont répondu
à notre invitation et sont venues faire la preuve de leur dynamisme, de
leur combativité.
À propos des investissements étrangers, vous savez combien
c'est vital pour le Québec. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons
créé récemment le Bureau des investissements
étrangers. Or, je voudrais souligner que c'est aussi en raison du
dynamisme de nos gens d'affaires et d'un accord comme l'ALENA que nous pouvons
intéresser les étrangers à venir investir et créer
des emplois au Québec. Ainsi, le Conseil du patronat nous a
indiqué que, dans son ensemble, le Canada a tiré 16 000 000 000 $
depuis la mise en vigueur de l'ALE.
En outre, M. le Président, je ne crois pas que ce
serait manquer de respect à l'égard de cette commission
que de rappeler qu'elle est une étape dans le débat public autour
de l'ALENA. J'ai déjà rendu publics deux documents sur l'ALENA;
j'ai lancé récemment un plan d'action; j'ai rencontré
à plusieurs reprises des groupes ou des industriels que l'ALENA
intéresse et parfois inquiète, et la consultation entre la
population et le gouvernement n'est donc pas seulement l'affaire de trois
jours, c'est un processus continu. Et je le rappelle, je suis disposé
à poursuivre le dialogue. Je réitère donc mes invitations
à la coalition et aux manufacturiers du vêtement qui ont
souhaité me rencontrer et, suite à cette invitation que j'ai
lancée à la coalition et aux manufacturiers du vêtement,
nous sommes déjà en contact avec la coalition M. Leblanc
de la CSN et nous sommes déjà à organiser une
rencontre prochainement pour discuter des points qui ont été
soulevés en commission.
Je remercie tous ceux et celles qui sont venus nous rencontrer et je
remercie mes collègues ministériels pour leur appui, pour leur
patience. Je remercie l'Opposition. Le travail continue. Je veux remercier
spécialement le personnel du ministère des Affaires
internationales et, plus particulièrement, le personnel de la Direction
de la politique commerciale.
À tous les intervenants je dis: Nous avons écouté.
Nous avons pris bonne note de vos suggestions. Le travail continue. Nous
comptons sur vous; vous devez compter sur nous, car c'est ensemble et dans un
effort collectif que nous ferons que chaque Québécois et chaque
Québécoise aura sa part de profits dans la libéralisation
des échanges.
Et encore merci à vous, M. le Président, pour le
déroulement des travaux de cette commission.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci beaucoup, M. le
ministre, pour vos remarques finales.
À mon tour, j'aimerais remercier le personnel de la commission,
notamment la secrétaire, Marie Tan-guay, qui malheureusement nous
quitte, elle a été mutée à une autre commission.
Alors, on aimerait la féliciter publiquement pour tout le travail
qu'elle a fait pour la commission des institutions. Oui.
M. Lafrance: M. le Président, j'aimerais peut-être
me faire le porte-parole de mes collègues, afin de vous exprimer le
plaisir que nous avons eu à participer à cette commission.
Peut-être dans l'optique d'approfondir le sujet et d'être plus
familier avec les moeurs et coutumes de nos amis mexicains, est-ce qu'on
pourrait recommander que cette commission puisse se déplacer au Mexique
pour aller étudier et approfondir justement le sujet? Si M. le ministre
veut bien nous l'offrir... Ha, ha, ha!
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Dauphin): Est-ce que vous voulez en faire
une proposition formelle?
M. Ciaccia: Nous allons examiner votre proposition avec
intérêt.
Le Président (M. Dauphin): Alors, en terminant, on
félicite encore Marie Tanguay pour son excellent travail à la
commission des institutions. Mme Beaure-gard et les gens, là, autant de
la messagerie que du «transcript», félicitations, merci
beaucoup.
La commission des institutions ayant accompli son mandat ajourne ses
travaux sine die.
(Fin de la séance à 21 h 55)