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Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le mardi 15 octobre 1991 - Vol. 31 N° 53

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé


Journal des débats

 

(Quinze heures trente-cinq minutes)

La Présidente (Mme Bélanger): À l'ordre, s'il vous plait! Je déclare la séance de la commission des institutions ouverte. Le mandat de la commission pour cette séance est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé. Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Bourdon (Pointe-aux-Trembles) remplace Mme Harel (Hochelaga-Maisonneuve) et M. Gauvin (Montmagny-L'Islet) remplacera M. Dauphin (Marquette).

La Présidente (Mme Bélanger): Merci. Alors, je vais faire la lecture de l'ordre du jour. À partir de maintenant, la commission entame ses travaux par les déclarations d'ouverture, et ce, pour une durée d'une heure, c'est-à-dire 30 minutes du côté ministériel et 30 minutes du côté de l'Opposition; à 16 h 30, nous entendrons les représentants de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et l'ACEF-Centre; à 17 h 30 suivra Équifax Canada inc.; à 18 h 30, la commission suspendra ses travaux jusqu'à 20 heures; à 20 heures, les travaux reprendront avec le Barreau du Québec; à 21 heures sera entendue la Confédération des syndicats nationaux; à 22 heures, la commission ajournera ses travaux. Est-ce que cet ordre du jour est adopté?

Une voix: Adopté.

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, M. le ministre de la Justice, pour les remarques préliminaires.

Déclarations d'ouverture M. Gil Rémillard

M. Rémillard: Merci, Mme la Présidente. Mon collègue, le ministre des Communications, mes collègues membres de cette commission parlementaire, M. le représentant de l'Opposition officielle, mesdames, messieurs qui êtes avec nous cet après-midi pour l'ouverture de cette commission parlementaire, nous sommes réunis ici aujourd'hui pour amorcer le début des travaux de cette commission tant attendue sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé.

Avant que nous commencions à entendre les représentants des organismes qui ont accepté de venir nous faire part de leurs commentaires sur le sujet, permettez-moi d'effectuer un bref retour en arrière, Mme la Présidente. Le sujet qui retient donc notre attention aujourd'hui, soit le respect de la vie privée, est depuis longtemps au coeur de plusieurs débats. Les méthodes de plus en plus sophistiquées reliées à la technologie informatique, permettant d'accumuler des quantités importantes de données sur les personnes, ainsi que leurs formes de traitement élaborées suscitent chez les citoyens et les citoyennes une inquiétude croissante à l'égard de l'atteinte à leur vie privée. Ces instruments utiles à notre société moderne posent de nouveaux enjeux en ce qui a trait aux droits et libertés dans une société démocratique. L'alarme a sonné face à la prolifération des banques de données qui s'implantent de plus en plus dans des secteurs tels que le logement, le travail, les finances, le domaine médical et bien d'autres.

Ces percées scientifiques ont évidemment été conçues et réalisées dans des buts fort louables. Toutefois, à l'instar d'autres développements technologiques dont les écueils sociaux étaient imperceptibles lors de leur implantation, la progression socialement incontrôlée de l'informatisation des renseignements personnels sur des individus ainsi que le raffinement constant de leur traitement et de leur usage peuvent être générateurs de préjudices de divers ordres pour les personnes qui en font l'objet.

Au Québec, la préoccupation gouvernementale de protéger la vie privée a déjà une histoire. Pensons, notamment, à cette loi fondamentale qu'est la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui est venue consacrer le principe de la protection de l'intégrité de la personne et de celle de la vie privée. Quelques années plus tard, une commission d'étude était constituée et je me permettrai, Mme la Présidente, de citer un extrait du rapport de la commission Paré, ne serait-ce que pour souligner son caractère d'actualité: "Le nombre des informations qui peuvent être exigées des citoyens peut et doit être limité, écrivait-on alors. Leur pertinence doit être démontrée et l'usage qu'on en fait doit être justifié. " Ceci est encore vrai, évidemment, aujourd'hui. Élargissant son mandat, la commission Paré traite rapidement de la possibilité d'étendre le régime au secteur privé, non sans évoquer, cependant, qu'il est normal, et je cite, "qu'un gouvernement exige des organismes publics de respecter un idéal sans imposer nécessairement les mêmes règles au reste de la société. " Fin de la citation.

Le rapport Paré proposait donc l'adoption, par l'Assemblée nationale, d'une loi portant à la fois sur l'accès aux documents publics et sur la protection des données. Le rapport de la commission Paré a fait, à l'époque, l'objet d'un large consensus dans la société québécoise. Il a trouvé écho à l'Assemblée nationale qui, en 1982, adoptait, à l'unanimité, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Par la suite, plusieurs démarches furent entreprises par le gouvernement. Pensons à l'étude commandée par le ministère de la Justice au Groupe de recherche informatique et droit, de l'UQAM, le GRID, et à la production de son rapport intitulé "L'identité piratée". Pensons également au dépôt d'un projet de loi modifiant le Code civil au chapitre du respect de la réputation et de la vie privée et, enfin, au rapport du comité interministériel sur la protection de la vie privée intitulé "Vie privée: zone à accès restreint", pour en arriver, en avril dernier, à confier à la commission des institutions le mandat de procéder à cette consultation, mandat qui vise à se pencher sur la situation entourant la constitution des fichiers de renseignements personnels, leur mise à jour, leur utilisation et leur transformation, à examiner les diverses solutions qui peuvent être envisagées de façon complémentaire aux mesures prévues dans le projet de loi 125, ce projet de réforme du Code civil du Québec, et à formuler des commentaires sur les recommandations du rapport "Vie privée: zone à accès restreint".

C'est ainsi, Mme la Présidente, que nous nous retrouvons ici, aujourd'hui, pour établir la portée concrète du droit à la vie privée reconnu à l'article 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

À la lecture des mémoires, j'ai constaté que le respect de la vie privée suscite plusieurs interrogations. Tout d'abord, la signification du concept d'intimité à l'âge de la révolution de l'information; quelques limitations et quelles limitations les Québécois sont-ils prêts à accepter relativement à la préservation de leur intimité afin de faciliter ou d'accélérer le processus d'obtention de certains biens ou services? Y a-t-il des bastions de la vie privée que le législateur se doit de rendre imprenables? L'imposition d'un cadre juridique précis est-elle susceptible d'effets négatifs indésirables en regard de la compétitivité des entreprises québécoises ou, au contraire, son absence est-elle appelée à nuire aux entreprises québécoises sur le plan international? Voilà autant de questions pertinentes en ce domaine en regard desquelles cette commission sollicite votre collaboration pour y apporter des réponses.

Quelques mots maintenant sur la situation juridique actuelle de la protection des renseignements personnels au Québec. La Charte des droits et libertés de la personne reconnaît donc, en son article 5, que toute personne a droit au respect de sa vie privée. La Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels se charge d'assurer la protection de l'information personnelle détenue par le secteur public. Le Code civil du Québec dont l'étude article par article se poursuit depuis plusieurs semaines assurera, quant à lui, par le biais des articles 35 à 41, le respect d'un certain nombre de principes fondamentaux en matière de protection de la vie privée. Enfin, quelques lois sectorielles prescrivent également des obligations spécifiques à un certain nombre de détenteurs d'informations à caractère personnel; à titre d'exemple, la Loi sur la protection du consommateur en ce qui concerne les agents d'information.

Mais ces dispositions législatives suffisent-elles à assurer un régime juridique adéquat en la matière ou le gouvernement du Québec doit-ii aller plus loin sur ce plan pour régir l'utilisation de l'information à caractère personnel dans le secteur privé? D'autres formes d'interventions seraient-elles suffisantes ou même préférables? Je crois que non, Mme la Présidente. Les dispositions législatives actuelles ne suffisent pas. Le respect de la vie privée doit être mieux protégé. Reste à déterminer comment.

Je vous invite donc à nous faire part de vos réflexions et recommandations sur l'ensemble de ces questions afin que nous puissions ensemble établir adéquatement les paramètres de la protection de la vie privée au Québec relativement aux renseignements à caractère personnel détenus dans le secteur privé.

Je ne veux présumer des conclusions qui se dégageront de cette consultation. Cependant, je puis vous dire que cette question, comme ministre de la Justice, me préoccupe grandement. Avec mon collègue, le ministre des Communications, j'entends apporter la plus grande attention aux travaux de cette commission pour que le gouvernement puisse agir le plus adéquatement et le plus rapidement possible.

Mme la Présidente, il est évident que nous sommes dans un sujet qui nous permet de nous élever au-dessus de toute partisanerie politique. Je suis convaincu que chaque membre de cette commission n'a qu'un objectif, celui que nous puissions le plus adéquatement possible et le plus efficacement possible protéger la vie privée dans un monde qui est sous l'effet du développement technologique, mais qui est aussi conscient de plus en plus de la vulnérabilité de la vie privée. Je vous remercie, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre de la Justice. M. le ministre des Communications.

M. Lawrence Cannon M. Cannon: Merci, Mme la Présidente. M. le

ministre de la Justice, M. le député de Pointe-aux-Trembles, mes collègues du côté ministériel, mesdames et messieurs, j'aimerais d'abord exprimer combien je suis heureux d'être présent aujourd'hui à titre de membre de cette commission des institutions. Vous savez que cette consultation générale sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé m'intéresse au plus haut point. La première raison de cet intérêt me vient de mes responsabilités de ministre des Communications et, à ce titre, chargé de l'application de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

C'est sans doute pour cette raison que les ministres des Communications qui se sont succédé ont, tour à tour, été amenés à s'intéresser de près à la protection des renseignements personnels et, par ricochet, au champ plus large de la protection de la vie privée. Cet intérêt s'est d'ailleurs manifesté dans le passé de manières diverses. Par exemple, le ministère des Communications a participé aux travaux du comité interministériel sur la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé dont les recommandations, énoncées dans le rapport intitulé "Vie privée: zone à accès restreint", sont au coeur du sujet qui préoccupe la présente commission.

Par ailleurs, en 1988, la commission de la culture, chargée d'examiner la mise en oeuvre de cette même loi, avait fait de l'extension des principes de protection des renseignements personnels inscrits dans celle-ci sa recommandation principale, tant les mémoires soumis alors et les problèmes qu'ils soulevaient avaient démontré la nécessité d'une protection juridique comparable au secteur public.

Par la suite, lors de l'examen par cette même commission parlementaire du projet de loi 62, Loi modifiant la Loi sur l'accès, plusieurs intervenants sont venus réclamer que la protection des renseignements personnels inscrite dans cette loi soit étendue au secteur privé. J'ai d'ailleurs donné suite à un engagement ministériel pris lors de cette commission parlementaire en créant le Groupe de travail sur la commercialisation des banques de données des organismes publics. Celui-ci a été chargé de proposer une politique qui concilierait les impératifs de protection des renseignements personnels avec ceux de l'accès et la diffusion des banques de données des organismes publics.

Ce groupe de travail m'a remis son rapport en février 1991. L'un des grands principes, dit ce rapport, sur lequel doit reposer la politique de commercialisation des banques de données des organismes publics, est d'avoir un secteur privé encadré. Il devient nécessaire, dit ce même rapport, d'examiner sans délai les meilleurs moyens de rendre applicable au secteur privé un régime de protection des renseignements person- nels, qu'ils se trouvent dans le secteur public ou dans le secteur privé.

La deuxième raison principale de mon intérêt à participer à cette commission est, bien sûr, inscrite dans la Loi sur le ministère des Communications, eu égard au vaste domaine des technologies de l'information et des télécommunications, et mon collègue y a référé tantôt. Comme vous le savez, les télécommunications sont aujourd'hui au coeur d'une société moderne où la circulation de l'information devient l'élément stratégique par excellence de son développement. Or, permettez-moi cette comparaison: de la même manière qu'elle doit gérer ses réseaux d'aqueduc et de distribution d'énergie pour assurer son développement économique et la qualité de vie de ses citoyens, une société moderne doit maîtriser le développement de ces réseaux pour permettre aux informations de circuler.

C'est dans cet esprit qu'au printemps de 1991, à ma demande, la Régie des télécommunications émettait un avis sur la protection de la vie privée dans le domaine des télécommunications au Québec. Cet organisme a examiné plusieurs domaines du champ des télécommunications où il peut avoir atteinte potentielle ou réelle au droit à la vie privée.

J'aimerais rappeler brièvement, pour le bénéfice des membres de cette commission, deux des conclusions importantes de cet avis pour la Régie. Il y a lieu de continuer la mise en place des mesures réglementaires et de technologies nouvelles favorisant un degré croissant de confidentialité dans les télécommunications et, malgré l'absence de cas de divulgation abusive, il faudrait accroître les mesures de protection de données nominatives sur les usagers des services de télécommunications par le renforcement des procédures et codes d'éthique internes des entreprises et par l'application de certaines des recommandations du rapport "Vie privée: zone à accès restreint" et de plusieurs des principes du rapport au ministre des Communications du Québec du Groupe de travail sur la commercialisation des banques de données des organismes publics.

Nul doute que ces conclusions auxquelles est arrivée la Régie des télécommunications feront l'objet de discussions lors des auditions de la présente commission parlementaire qui s'ouvre aujourd'hui, et vous conviendrez avec moi, j'en suis sûr, que les résultats de tous ces exercices pourront d'ailleurs servir à enrichir le débat que nous amorçons et auquel je me sens particulièrement lié comme conseiller principal du gouvernement en matière de communications. C'est à ce titre d'ailleurs que je participerai aux travaux de la présente commission et aux autres travaux que mon collègue, le ministre de la Justice, qui pilote ce dossier, jugera nécessaire de réaliser suite à cette commission parlementaire. Le débat que nous inaugurons aujourd'hui est fondamental. Il

concerne l'ensemble de notre société. C'est un débat comparable à celui qui, en 1982, a abouti à l'adoption à l'unanimité par l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Certes, la question des renseignements personnels détenus par les entreprises privées est différente sur plusieurs aspects du secteur public. La commission Paré, qui avait proposé l'adoption du projet de loi 65, l'avait elle-même constaté. Pour elle, la question était plus vaste et plus floue à la fois. Il lui apparaissait même douteux que toutes les normes régissant les fichiers des organismes publics puissent être appliquées au secteur privé. Toutefois, au niveau des principes, le débat est le même et, en conséquence, il devrait être animé du même esprit de justice et de non-partisanerie.

Je souhaite enfin que les travaux de cette commission puissent nous apporter tout l'éclairage nécessaire à une compréhension juste du problème et faire en sorte que nous trouvions des pistes d'action adéquates. Soyez certains que j'y contribuerai. Merci de votre attention.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre des Communications. M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Michel Bourdon

M. Bourdon: Mme la Présidente, invités, la présente consultation porte sur une question fort préoccupante, soit celle de la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé. Au coeur de cette consultation, un document intitulé "Vie privée: zone à accès restreint", qui présente une synthèse énonçant les grandes lignes d'un rapport préparé par un comité interministériel qui fut formé sous les auspices du ministre de la Justice. Ce comité est composé de représentants des ministères de la Justice, des Communications, de l'Industrie et du Commerce, de l'Enseignement supérieur et de la Science, des Affaires internationales, de la Commission des droits de la personne, de l'Office de la protection du consommateur et de la Commission d'accès à l'information. Ce rapport remis au ministre de la Justice à la fin de l'année 1988, il y a trois ans, concerne spécifiquement la protection de la vie privée eu égard aux banques privées de données personnelles.

Avant de livrer nos propres commentaires sur ce document, rappelons d'abord brièvement quelques éléments du contexte dans lequel se situe l'actuelle consultation. En juin 1982, il y a neuf ans, le gouvernement du Québec adoptait la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Tel qu'en témoigne son titre, cette loi venait encadrer législativement l'accès aux documents des organismes publics, protégeant ainsi les renseignements personnels dans le secteur public.

En janvier 1984, dans le cadre des travaux entourant la réforme du Code civil, le ministre de la Justice faisait part de son intention de créer un comité interministériel chargé de recommander des mesures législatives relativement à la protection de la vie privée. Ce comité ne vit le jour qu'en mars 1987, puisque, entretemps, un groupe de recherche, le GRID, Groupe de recherche informatique et droit, du Département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal, devait, dans le cadre d'une vaste étude sur les bases de données à caractère personnel constituées par le secteur privé québécois, fournir les données sociojuridiques nécessaires à leurs délibérations. Complétée à l'été 1986, l'étude en question fut l'objet d'un livre intitulé "L'identité piratée". Dans ce livre, les auteurs font en outre ressortir la nécessité d'une intervention publique dans le secteur privé, sous la forme de normes générales inspirées de celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, et d'une législation spécifique consacrant les droits des citoyens, c'est-à-dire leur information, leur consentement, la contestation des données, le traitement des données, la divulgation des données et autres sujets connexes, et s'assurant la promotion des droits démocratiques, la maîtrise sociale de l'informatisation, le contrôle des développements technologiques et surtout un débat public. Le groupe de recherche préconisait, de plus, la mise en oeuvre de ces normes par un organisme public spécialisé dont le rôle consisterait à offrir une expertise, à faire respecter la loi et à assurer la coordination des efforts d'autoréglementation des secteurs privés.

Les diverses recommandations du groupe de recherche furent d'ailleurs présentées à l'hiver 1988 devant la commission parlementaire de la culture lors d'une consultation générale. Cette consultation faisait suite à la parution, en octobre 1987, du rapport de la Commission d'accès à l'information sur la mise en oeuvre de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Cette loi a ceci de particulier, Mme la Présidente, qu'elle doit faire l'objet d'une évaluation quinquennale, comme d'autres lois d'ailleurs, visant à mesurer l'opportunité de son maintien et, le cas échéant, de sa révision. Dans ce rapport intitulé, et je cite, "Une vie mieux respectée, un citoyen mieux informé", fin de la citation, on pouvait lire ce qui suit: "Pour éviter que l'accumulation des données ne donne lieu à des abus gênants et pour s'assurer que l'État garde le contrôle de ces vastes opérations, une réflexion plus approfondie s'impose, ces prochaines années, sur les besoins réels de l'État et sur les usages inquiétants que fait le secteur privé de la masse d'informations nominatives qu'il

possède sur les individus." Fin de la citation.

Dans son rapport intitulé "La vie privée, un droit sacré", faisant suite à la consultation générale, la commission de cette Assemblée allait, pour sa part, beaucoup plus loin. En effet, faisant écho à la majorité des intervenants entendus lors de la consultation, la commission parlementaire recommandait formellement, et je cite, "d'étendre à certains secteurs prioritaires de l'entreprise privée, comme les agences de crédit, les assurances et les banques, les principes de protection de renseignements personnels". Fin de la citation. (16 heures)

La réflexion des parlementaires membres de la commission nous apprenait, par ailleurs, que cette question qui préoccupe l'ensemble des pays industrialisés faisait l'objet d'accords internationaux. Elle soulignait également les efforts de nombreux pays européens, comme la France, qui ont adopté des législations pour protéger les renseignements personnels sur les fiches informatiques, que ceux-ci, les renseignements, soient détenus par un organisme public ou privé. La commission réclamait de plus la mise en vigueur immédiate du chapitre de la loi 20 portant sur le droit des personnes, des successions et des biens, adoptée en avril 1987, il y a plus de quatre ans, chapitre intitulé, et je cite, "Du respect de la réputation et de la vie privée", fin de la citation, qui n'a jamais été mis en application, le gouvernement voulant mettre en oeuvre l'ensemble des lois d'un seul coup. Et je voudrais souligner, Mme la Présidente, que, dans la réforme du Code civil, on a maintenant l'intention de s'interroger sur ce texte-là, datant de 1987, et donc on est en train de le réétudier. Mais ça fait quatre ans qu'il n'est pas promulgué, donc c'est une disposition de la loi qui va être repensée avant même d'avoir été mise en application. Ce chapitre est d'ailleurs repris dans son entier dans le projet de loi 125 actuellement à l'étude.

Revenons en mars 1987. Était donc constitué un comité interministériel chargé de prendre connaissance de l'étude effectuée par le groupe de recherche dans une perspective gouvernementale et d'en dégager les aspects pertinents pour les ministères et les organismes concernés. On donnait également le mandat de prendre position sur les recommandations proposées et d'en élaborer d'autres au besoin, de consulter les milieux concernés, de produire un rapport et, finalement, d'élaborer un avant-projet de loi si jugé opportun. Le document "Vie privée: zone à accès restreint", qui sert aux fins de la présente consultation, offre une synthèse des réflexions de ce comité interministériel. On y propose les éléments d'une politique législative basée essentiellement sur les recommandations du groupe de recherche puisque le Comité entérine largement lesdites recommandations. La recommandation d'ensemble est à l'effet que le gou- vernement intervienne afin de régir le secteur privé à l'intérieur des limites de la compétence du Québec. Les autres recommandations du Comité se rapportent, notamment, au droit des personnes d'être informées des renseignements détenus à leur sujet et de leur usage, de consentir à la cueillette de tels renseignements et à leur divulgation, d'avoir divers recours et même de participer à la mise en oeuvre d'une éventuelle législation, notamment par des tables sectorielles. Le Comité interministériel suggère néammoins quelques variantes importantes au rapport du groupe de recherche telles que l'élargissement du mandat de la Commission d'accès à l'information en lieu et place de la création d'un nouvel organisme.

À ce stade-ci, notre propos ne consistera pas à apprécier chacune des recommandations formulées par le Comité interministériel. De manière générale et à l'instance de la majorité des groupes qui viendront exprimer leur point de vue, nous convenons de l'urgence et de la nécessité d'agir en matière de protection de la vie privée. En effet, tel que l'a si bien fait ressortir le Comité interministériel, nous assistons depuis quelques années à une prolifération sans précédent des banques de données qui contiennent essentiellement des renseignements personnels et très souvent confidentiels sur les citoyennes et citoyens du Québec, de même qu'à l'interconnexion de ces banques donnant des résultats tout à fait inédits. De quelques exemples dont j'ai pris connaissance récemment, par exemple dans le film de l'ONF, qui porte sur une personne qui fait l'objet d'un comité de sélection dans une entreprise, et le film s'intitule "Joseph K; l'homme numéroté", on voit qu'on peut remonter jusqu'à 25 ans en arrière dans la vie de la personne en question, qu'on trouve un dossier judiciaire accumulé au Mexique à une époque, son dossier médical à l'égard d'une demande d'assurance. Donc, des deux côtés de cette commission, quand on dit qu'il y a urgence d'agir et nécessité d'agir, je pense que c'est parce qu'il y a des problèmes réels et concrets.

Récemment, on m'informait d'étudiants d'un cégep qui avaient échoué à leur examen d'informatique - et c'est plutôt paradoxal que ce soit un examen d'informatique - qui ont été approchés par une institution privée donnant des cours d'informatique, laquelle avait sans doute été avisée par informatique de leur faiblesse en informatique. Il y a également une aînée que je connais bien, ma mère, qui est allée, à une époque, trois fois à un hôpital de Montréal pour un incident cardiaque, qui était heureusement sans gravité, et qui recevait le lendemain matin, chaque fois - et ça l'a très émue - un appel d'une entreprise qui lui proposait des préarrangements funéraires, et c'est courant qu'on voit ça. Et à l'hôpital - là, je parle d'une personne qui était alertée quant à sa santé - il est courant qu'une jeune Québécoise ou une Québé-

coise, point, oublions "jeune", qui accouche reçoive, après, des paniers, du savon, des couches, toutes sortes de choses qui annoncent une intense sollicitation. Il doit y avoir quelqu'un quelque part qui se charge de colliger ces données-là, et je pense qu'il est important de légiférer pour contrôler, d'une certaine façon, ce qu'il est possible de faire à cet égard-là.

Les intrusions dans la vie privée sont de plusieurs ordres. À Montréal, par exemple, la ville de Montréal a adopté un règlement contrôlant la distribution de circulaires chez les gens parce que, quand on est absent, parce qu'on est à Québec, entre autres, ça renseigne qu'on n'est pas là, entre autres. En plus, on peut trouver que les circulaires des épiceries sont affligeantes à la longue, et la ville de Montréal a adopté un règlement disant que, si on met un collant, on est exempté des circulaires. En passant, j'ai appris récemment que je ne recevais pas le journal, distribué gratuitement, de mon quartier parce que la firme qui le distribue distribue aussi des circulaires et que, quand on affiche qu'on ne veut pas les circulaires, bien, on n'a pas le journal, ce qui est une façon de passer à côté du règlement et de faire une intrusion dans la vie privée qui est sans doute la forme la moins grave que je soulignais, d'être affligé d'une publicité à n'en plus savoir consommer.

La progression sans contrôle social de l'informatique, des renseignements nominatifs et l'automatisation des décisions concernant les personnes peuvent causer à celles-ci de multiples préjudices. Il est impératif d'assurer dans les plus brefs délais un juste équilibre entre les principes de la libre circulation de l'information et le respect de la vie privée des personnes. À cet égard, Mme la Présidente, c'est sûr que, par exemple, une institution financière qui prête a le droit à des informations de nature financière sur le comportement de la personne qui emprunte. Mais là où il faut fixer la limite, c'est quand ça dépasse ces renseignements que l'institution a le droit d'avoir et que ça fait une intrusion dans la vie privée.

La situation actuelle est intolérable et commande une action prompte. À cet égard, nous déplorons la lenteur du gouvernement à agir dans ce dossier. En effet, le gouvernement aurait pu saisir l'occasion de légiférer en la matière lorsqu'il a présenté, en mai 1990, le projet de loi 62 qui s'intitulait Loi modifiant la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et d'autres dispositions législatives, tel que le dénonçait à l'époque mon collègue, le député de Gouin. Le ministre de la Justice disposait, depuis la fin de 1988, soit trois ans, du rapport du Comité interministériel. On aurait pu, dans le cadre de la loi que je viens de mentionner, élargir le champ d'application de la loi au secteur privé et procéder à des consultations à ce moment-là. Le ministre s'est contenté de remettre à plus tard et, bien qu'il reconnaissait lui-même récemment la nécessité d'agir avec célérité dans le dossier, il suggérait encore il y a quelques jours à peine de remettre à plus tard la tenue de la présente consultation. À cet égard, Mme la Présidente, je voudrais souligner que 32 organismes ont soumis des mémoires et qu'il n'y a des dates de fixées pour n'en entendre que 6: 2 cet après-midi, 2 ce soir et 2 le 23 au soir.

En octobre 1988, au moment de la prise en considération du rapport de la commission de la culture, l'ex-député de Taillon, M. Claude Filion, disait ceci, et je cite: "Si la législation ne contient pas d'élément d'amorce sérieuse d'un élargissement à une partie du secteur privé des principes contenus dans la loi sur l'accès à l'information dans le secteur public, j'aurai l'impression d'avoir manqué le bateau. Le gouvernement ne devra pas reculer sur cette presque obligation qui est la sienne de faire évoluer dans le bon sens la loi sur l'accès à l'information." Fin de la citation.

À cet égard, Mme la Présidente, je voudrais, en terminant, vous avouer mon inquiétude à la lecture du Devoir de ce matin et des déclarations du ministre des Communications. On dit dans cet article: Le ministre "recherchera - et là on cite le ministre - 'le consensus le plus large possible', fin de la citation, et ne proposera aucune loi avec laquelle l'industrie serait inconfortable." À cet égard, Mme la Présidente, c'est difficile de dire aux organismes: Faites donc des suggestions avec lesquelles l'industrie serait confortable. Parce que le ministre va loin, il dit: "...aucune loi avec laquelle l'industrie serait inconfortable."

Je sais que l'industrie, quand on parie de bureaux de crédit, ou qu'on parle d'institutions financières, ou qu'on parle d'entreprises d'assurances, a des intérêts légitimes à avoir des informations qu'il est normal et légitime d'avoir. Mais moi, ce qui me rend inconfortable, c'est les intrusions dans la vie privée des gens, et je pense qu'à cet égard-là on ne peut pas dire que l'industrie aurait un droit de veto sur la base qu'elle ne serait pas confortable avec une loi. Bien sûr que la loi devrait être faite pour être facile d'application, mais la loi devrait trancher sur les droits des citoyens qui sont concernés par les échanges. Et les échanges, Mme la Présidente, ils sont nombreux et de tout ordre.

Le film de l'Office national du film nous le fait voir. Qu'on s'arrête juste à un développement récent de la technologie qui est la carte de paiement. Bien, par la carte de paiement, on en est à la facture d'épicerie. Donc, on peut savoir, par le détail, ce qu'une personne mange, à quelle fréquence. Et dans le film, on voit qu'on fait même des relations entre la nature de l'orientation sexuelle du quartier où se trouvait le dépanneur où la personne a fait l'achat... Donc,

ça part bien. Et le film a un grand mérite, c'est qu'on voit des gens très décents et très corrects, finalement, dans le film, qui se servent d'informations. La pédagogie du film, c'est de nous dire qu'il y en a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'informations disponibles et que ça peut servir à plusieurs fins.

Un peu plus loin dans l'article du Devoir de ce matin, on dit: "Le ministre rejette a priori l'idée, soutenue notamment par la Commission d'accès à l'information et son président, M. Paul-André Comeau, de faire adopter dans les plus brefs délais une loi-cadre pour régir le secteur privé, comme celle qui existe pour le secteur public depuis 1982. Cette loi devrait regrouper de façon simple, claire et explicite les droits et les obligations autour desquels s'articulerait une protection efficace et respectueuse des renseignements personnels." Fin de la citation de l'article. S'il y a une donnée essentielle du débat qui est tranchée d'avance au gouvernement, qu'on nous le dise. S'il n'est pas question d'élargir le mandat de la Commission d'accès à l'information, eh bien, je trouve que les groupes qui, dans leur mémoire, en ont discuté en étant pour ou contre, peu importe, ont peut-être travaillé pour rien si le gouvernement sait déjà d'avance ce qu'il convient de faire à cet égard-là.

Et sur un mode plus léger, Mme la Présidente, je cite le ministre dans l'article qui dit, et je cite: "Je crois qu'il faut faire preuve d'une prudence de Sioux." Fin de la citation. Mme la Présidente, je ne sais pas si c'est parce que le ministre s'adressait au Devoir et qu'au début de septembre, dans le Devoir, il a eu à se décider vite sur ce qu'il voulait rapatrier, mais je pense qu'une prudence de Sioux, je trouve qu'on devrait avoir une prudence de Sioux à s'affairer à protéger la vie privée des gens. (16 h 15)

Le journal signale à la fin, Mme la Présidente, qu'il y a peu de séances de prévues pour entendre les 32 mémoires que des organismes responsables et représentatifs nous ont soumis. Et, à cet égard, notre position, c'est qu'on ne peut plus continuer de remettre à plus tard la solution du problème important qui est posé à cette commission. Dans ce sens-là, j'invite les deux ministres qui sont présents ici à convenir rapidement d'un calendrier qui fera qu'avant le 1er décembre on aura entendu les 32 organismes qui se sont donné la peine de nous soumettre des mémoires, suite à un ordre de la Chambre qui date du mois d'avril, qu'ils nous ont remis dans le délai, 32 mémoires, et de ne pas en entendre que 6 cette année et les autres l'année prochaine. Je pense qu'il faudrait qu'avant la fin de cette session on ait entendu tous les organismes qui ont à parler sur cette question importante, puis qu'on puisse faire le voeu que le gouvernement nous arrive avec un projet de loi à la session qui suivra, du printemps 1992, pour qu'à la question qui se pose depuis sept ans et que le gouvernement étudie depuis trois ans il en vienne à une solution qui rendra confortables les citoyens, pour ce qui est de la protection des renseignements à caractère privé qu'on détient sur eux.

En terminant, Mme la Présidente, je voudrais dire au ministre de la Justice, notamment, qu'il me semble, pour reprendre un vocabulaire emprunté à un autre débat, y avoir, à l'heure actuelle, une asymétrie entre les droits du citoyen quand il traite avec le privé et les droits de la même citoyenne ou du même citoyen quand il traite avec le gouvernement. Les renseignements que détient le secteur public... le secteur public s'est assujetti à des règles et il y a une commission qui voit à faire respecter ces règles-là, alors que, dans le secteur privé, il y a moins de droits et il y a une asymétrie de droits que le ministre, qui est toujours préoccupé d'avoir des choses géométriquement belles, nobles et correctes, voudra corriger par une législation.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Pointe-aux-Trembles. Je suppose que ce sont les représentants de la Fédération nationale des associations de consommateurs qui ont pris place à la table. Alors, je vais vous rappeler le temps alloué. Vous avez une période de 20 minutes pour faire votre exposé et suivra un échange de 20 minutes avec le côté ministériel et de 20 minutes avec l'Opposition. Alors, si votre temps...

M. Cannon: Mme la Présidente... La Présidente (Mme Bélanger): Oui.

M. Cannon: ...si vous me permettez, j'aimerais, puisque c'est à 16 h 30, si j'ai bien compris, l'audition des témoignages...

La Présidente (Mme Bélanger): Oui, il vous reste 12 minutes, M. le ministre, pour les remarques préliminaires.

M. Cannon: Oui, simplement pour reprendre quelques éléments qui ont été soulevés par le député de Pointe-aux-Trembles. Je ne veux pas rentrer dans le détail, mais, lorsque le député indique devant les membres de la commission que le gouvernement a délibérément omis de présenter une législation au printemps dernier alors qu'il en avait l'opportunité, je l'enjoins à retourner rencontrer son collègue de Gouin qui était, avec l'actuelle ministre des Affaires culturelles, à cette commission, et qui ont convenu de donner à Jean-Paul Gagné le soin d'examiner la commercialisation des banques de données et, avant même de poser des gestes dans ce cas-là, d'attendre le rapport. Alors, j'ai bien indiqué que le rapport, nous l'avons eu au printemps dernier et qu'il fallait l'analyser. En

même temps, je l'invite à voir ses autres collègues, puisque tout le monde savait que nous procédions à la réforme du Code civil, et mon collègue ici pourra élaborer davantage sur cette question-là.

Alors, je pense que, oui, la prudence s'impose lorsqu'on pose des gestes aussi importants que celui du secteur privé. Et lorsque, encore une fois, on parle de l'extension dans le secteur privé, on m'indique aujourd'hui qu'il aurait fallu que je dise immédiatement et prioritairement oui à l'adoption d'une loi-cadre. Mais, comme le député l'a mentionné, il a cité un article en disant: Voici, on va examiner les secteurs prioritaires. Et nous sommes précisément ici pour voir quels sont ces secteurs prioritaires. Donc, je ne me trouve pas en contradiction avec ce que j'ai mentionné ce matin. Au contraire, je suis ouvert, je suis prêt et je suis à l'écoute de ceux et celles qui, dans ces secteurs-là, ont des intérêts, et je ne veux pas me fermer à toute proposition, je ne veux pas me fermer aux interventions que j'entendrai cet après-midi. L'objectif d'une commission parlementaire, c'est précisément d'écouter les gens et l'objectif aussi, comme l'objectif de la loi de 1982, c'est d'aller chercher un consensus large et un consensus qui va refléter, justement, ce que nous voulons comme société. Dans ce sens, j'ai parlé de consensus, je ne vois pas de contradiction là-dedans, non plus. Je pense qu'ultimement, si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que nous voulons entendre ce que les gens ont à dire là-dessus. Je peux assurer mon collègue, le député de Pointe-aux-Trembles, de même que les autres personnes qui sont autour de la table, que nous sommes à l'écoute de ceux et celles qui viendront témoigner cet après-midi et dans les jours à venir, précisément de leur intérêt, de leurs inquiétudes, de leurs préoccupations et de leur vision, à savoir comment un gouvernement doit préparer une loi pour extensionner une protection à la vie privée dans le secteur privé. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre des Communications. M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Oui, Mme la Présidente, simplement pour bien mentionner que, dans la réforme du Code civil, la loi 125, nous avons des dispositions qui traitent, donc, du respect de la réputation et de la vie privée, qui ont déjà été adoptées dans le projet de loi 20 - c'est un avant-projet - qui n'ont jamais été mises en application parce qu'il y avait trop d'interrela-tion avec différentes autres sections du Code civil et que les mettre en application aurait signifié un manque de prudence pour le législateur qui doit s'assurer qu'il y a pleine concordance avec les différentes dispositions du Code civil. Maintenant, dans le Code civil, il s'agit de retrouver les principaux principes qui vont encadrer, ensuite, la réalité de la protection de la vie privée. Dans ce cadre-là, Mme la Présidente, nous travaillons présentement à la réforme du Code civil. Ce que nous pouvons recevoir comme information de cette commission sera, bien sûr, utile pour la commission sur la réforme du Code civil pour pouvoir établir les dispositions, que nous avons à confirmer dans la réforme du Code civil, dans leur juste perspective.

Mais pour nous, Mme la Présidente, je répète ce que j'ai dit tout à l'heure dans mes propos d'introduction, les différentes dispositions que nous retrouvons, soit dans la Charte québécoise des droits et libertés, soit dans cette réforme du Code civil, que nous aurons prochainement en 1993, soit dans d'autres lois aussi sectorielles, ne sont pas suffisantes pour assurer aux citoyens et aux citoyennes le respect de leur vie privée. Nous devons donc légiférer, c'est clair. De la façon dont nous devons légiférer. comment nous allons légiférer en fonction des différents champs que nous voulons toucher dans cette nouvelle législation, reste à déterminer la façon dont nous procéderons, et c'est en entendant les différents groupes qui nous ont présenté des mémoires et qui viendront en discuter avec nous que nous pourrons rechercher ce consensus dont mon collègue, le ministre des Communications, parlait tout à l'heure. Chercher un consensus, comme il l'a si bien expliqué dans l'entrevue de ce matin, c'est chercher un juste équilibre, comme nous le recherchons au niveau du Code civil, entre les intérêts qui, dans notre société - et il faut, évidemment, le réaliser - quelquefois peuvent être, à certains égards, en conflit.

Donc, par conséquent, il s'agit de trouver le juste équilibre, la donnée juste qui nous permettra, d'une part, d'assurer quand même un développement technologique qui nous permet quand même un mieux-vivre auquel nous tenons, mais, d'autre part, aussi le respect de la vie privée, parce que ça aussi, nous y tenons, et c'est une donnée essentielle d'une société qui veut vivre en liberté et en démocratie.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre de la Justice. M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Mme la Présidente, juste quelques observations. D'abord, aucun des deux ministres ne m'a rassuré sur une question qui m'apparaît importante: Allons-nous, d'ici Noël, entendre tous les organismes qui se sont donné la peine de déposer, dans les délais impartis, des mémoires sur la question qui est à l'étude? D'autre part, Mme la Présidente, reste posée la question pour ce qui est de la célérité concernant la loi 20, portant sur le droit des person nés, des successions et des biens, qui a été

adoptée en avril 1987, ça fait maintenant quatre ans et quelques mois. Et, à la fin de 1989, le ministre de la Justice, dans un banquet offert par la Ligue des droits et libertés - il doit sûrement s'en rappeler - avait promis de promulguer rapidement, bientôt, avant Noël... Le ministre parlait d'un cadeau de Noël à la Ligue des droits et libertés, on était à la fin de 1989. Le cadeau n'a pas été reçu, Mme la Présidente, et les gens sont déçus quand on leur promet un cadeau et qu'ils ne le reçoivent pas. Ça me préoccupe, la question d'entendre tous les organismes qui ont déposé des mémoires, Mme la Présidente, parce que, si on repousse ça à 1992, alors qu'il y a des gens qui se sont dépêchés de faire des mémoires cet été et de les soumettre dans le délai, on sait qu'après ça le travail législatif prend un certain temps, puis on peut craindre qu'on attende encore des années une loi dont on convient, des deux côtés ici, qu'elle est nécessaire, qu'elle est indispensable, qu'elle est requise.

Dans ce sens-là, je ne dis pas, Mme la Présidente, qu'il y a eu absence de célérité à la seule fin d'embêter mes vis-à-vis. C'est un peu ce que chantait Vigneault dans une de ses chansons... je veux plutôt rappeler, comme dans la chanson de Vigneault, aux deux ministres qui s'occupent de la question: "II n'y a plus de temps à perdre, il n'y a que du temps perdu." Donc, comme première mesure immédiate pour rassurer les groupes, ce serait de fixer des dates, Mme la Présidente, où on va entendre les 32 mémoires, pour qu'on puisse avoir une législation à la session du printemps prochain et je pense que c'est nécessaire, parce que, Mme la Présidente, et je terminerai là-dessus en posant une question, pourquoi avoir adopté une loi si, avant même de l'avoir promulguée, on est en train de la reconsidérer dans la réforme du Code civil? On n'est pas un Parlement-école, Mme la Présidente. Quand on adopte une loi, je pense que c'est pour qu'elle soit suivie d'effets, sinon, si on ne veut pas mettre en vigueur un projet de loi, il n'y a rien comme de ne pas déposer le projet de loi s'il n'est pas nécessaire. Mais le projet de loi 20, Mme la Présidente, je le souligne, est adopté depuis quatre ans par l'Assemblée nationale, mais il n'est pas en vigueur, il n'est pas promulgué par le gouvernement.

Donc, Mme la Présidente - je vois que le député de Berthier s'agite - je veux ramener à mon propos, c'est simple, ceci: La population pense que, des fois, les gouvernements, ou le Parlement, ou les parlementaires, ou la classe politique, appelons ça comme on voudra, on ne répond pas aux demandes de la population. Là, voilà un problème vrai, réel, vécu, ressenti. Il y a notamment 32 organismes qui nous ont soumis des mémoires; entendons-les, puis passons aux choses, puis adoptons une loi qui sera promulguée.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le député de Pointe-aux-Trembles. M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Oui, Mme la Présidente. Je crois qu'on s'entend tout le monde, et le député de Pointe-aux-Trembles l'a soulevé, pour dire que nous devons légiférer pour garantir une meilleure protection de la vie privée. C'est déjà beaucoup. On part de ce principe-là. La commission est convoquée, elle a été bien préparée, des gens y ont bien travaillé, ont fait un travail remarquable. Je veux souligner le très bon travail qui a été fait au ministère de la Justice, entre autres, à partir du rapport du groupe interministériel présidé par M. Legendre, et la relation avec le ministère des Communications, en particulier, et d'autres ministères, ce qui a fait que nous avons maintenant des outils extrêmement intéressants. Nous avons eu plusieurs mémoires qui nous ont été déposés, donc plusieurs groupes viendront témoigner devant nous, et d'autres personnes aussi et d'autres groupes, finalement, nous ont mentionné à quel point ils étaient intéressés par l'évolution de nos travaux. Moi, ce que je dis au député de Pointe-aux-Trembles, c'est ceci: Ne brusquons pas les choses. Je pense qu'on a à faire un travail extrêmement sérieux et pas facile. Comprenons bien que le travail que nous allons faire n'est pas facile. Il faut qu'on puisse trouver ce juste équilibre entre un développement technologique et un accès à ce développement technologique par les citoyens et, d'autre part, le respect de la vie privée, et ça ne sera pas facile, ça. Il y a des intérêts qui seront divergents, on le comprend fort bien, mais, d'autre part, recherchons ce consensus qu'il est nécessaire de rechercher en pareil cas. (16 h 30)

Maintenant, ne faisons pas aussi une législation qu'on sera obligés de recommencer dans un avenir tellement prochain parce qu'on aura manqué de vision. Il faut qu'on soit capables de voir les choses et qu'on ne légifère pas non plus à la vapeur. Alors, Mme la Présidente, c'est clair pour moi qu'il doit y avoir une législation. C'est clair que cette commission parlementaire sera la commission qui pourra déterminer les bases, les éléments, les sujets, les solutions aux questions que nous posions de part et d'autre, tout à l'heure, dans nos propos d'introduction. Nous devrons trouver des solutions à ces questions.

Mme la Présidente, ce que je dis au député de Pointe-aux-Trembles, c'est: Allons-y avec le maximum de célérité, oui, mais allons-y aussi en étant très conscient de l'importance de notre tâche et de sa difficulté. Ne brusquons rien. Nous sommes sur la bonne voie. Nous débutons aujourd'hui et ce n'est pas mon intention, comme ministre de la Justice, de brusquer quoi que ce soit, mais d'arriver, dans un avenir le plus prochain possible, à des résultats très concrets,

avec une loi, en accord avec mon collègue, le ministre des Communications, qui réponde vraiment à la situation et aux besoins des Québécoises et des Québécois. Mais ne brusquons pas les choses, Mme la Présidente, et soyons très conscients de la difficulté de notre tâche.

La Présidente (Mme Bélanger): Merci, M. le ministre des Communications. Alors, le temps alloué...

M. Rémillard: Non, le ministre de la Justice.

La Présidente (Mme Bélanger): Je m'excuse, M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: J'ai fait tellement de lapsus à votre égard, Mme la Présidente, que...

La Présidente (Mme Bélanger): Je vous remets le change.

M. Rémillard: ...je trouve que... Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Bélanger): Alors, le temps alloué aux remarques préliminaires étant écoulé, nous avons devant nous les représentants de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et ACEF-Centre. J'aimerais vous rappeler le temps alloué pour l'exposé et les échanges, soit 20 minutes pour votre exposé, 20 minutes du côté ministériel et 20 minutes du côté de l'Opposition. Évidemment, si vous prenez moins de temps à faire votre exposé, il y aura plus de temps pour le questionnement. Alors, je demanderais au porte-parole de l'organisme de bien vouloir s'identifier et d'identifier les personnes qui l'accompagnent.

Auditions

Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et ACEF-Centre

M. St-Amant (Jacques): Mme la Présidente, MM. les ministres, Mmes et MM. les députés, mesdames et messieurs, nous sommes heureux d'avoir été invités à vous faire part de nos préoccupations à l'égard de la protection de la vie privée. Il convient d'abord que nous nous présentions, effectivement. À ma gauche, M. Roger Beaudoin, de l'ACEF de Québec, et Mme Marie Vallée, de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec; à ma droite, Mme Louise Rozon, de l'Association coopérative d'économie familiale du Centre de Montréal, ACEF-Centre, et moi-même, Jacques St-Amant, de l'ACEF-Centre également.

Cette dernière organisation a été incorporée en 1983. Elle a succédé, dans sa région, à l'ACEF de Montréal et, donc, est tributaire d'une tradition qui existe depuis 1967. Il s'agit d'un organisme coopératif de défense et de promotion des droits des consommateurs qui n'est affilié à aucun autre mouvement.

Fondée en 1978, quant à elle, la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec compte actuellement huit membres, dont l'ACEF de Québec, qui sont voués à la promotion et à la défense des droits des consommateurs et qui sont disséminés sur tout le territoire du Québec. La Fédération est intervenue à diverses reprises dans le domaine des télécommunications, notamment en matière de télédistribution, mais aussi, entre autres, dans le cadre des audiences publiques relatives à la concurrence dans le domaine de la téléphonie interurbaine.

Lorsque, dans l'un de ses premiers romans, Mordecai Richler a voulu dépeindre un jeune homme particulièrement odieux mais naïf, il n'a pu trouver comportement plus infâme à lui prêter que l'utilisation abusive de renseignements personnels. D'une boîte téléphonique, en effet, Duddy Kravitz harcèle ses professeurs à un point tel que l'épouse de l'un d'eux en mourra. En 1991, bien sûr, on n'écrirait plus la même chose et ce jeune homme serait bien plus rusé. Il n'utiliserait pas lui-même ces numéros de téléphone; il les vendrait. C'est beaucoup plus payant.

L'obtention et l'utilisation abusive des renseignements personnels, l'invasion de la vie privée et les questions qui y sont liées suscitent des réflexions depuis plus d'un siècle. Déjà, en 1890, deux éminents juristes états-uniens publiaient un commentaire sur le droit à la vie privée. Dans les dernières années, l'évolution technologique et l'importance croissante des flux d'information ont aggravé le péril. De plus en plus, on constate une érosion de la vie privée des citoyens qui, même si elle prend des formes apparemment anodines, a des répercussions qui sont parfois étonnantes.

En 1984, par exemple, un honnête fabricant de crème glacée a vendu la liste des enfants qui avaient participé à un événement publicitaire, la liste où figurait aussi leur âge et leur adresse. L'acheteur? Le service de recrutement du Pentagone, qui s'en est servi ensuite pour contacter ces jeunes hommes lorsqu'ils ont atteint l'âge du service militaire. Comme quoi on ne sait pas à quoi va servir l'information qu'on diffuse.

Notre vie privée s'effiloche. Ceux qui témoigneront devant la commission brosseront le tableau complet de cette évolution et le défi qu'elle suscite. Pour notre part, nous vous décrirons principalement les difficultés associées à un problème bien précis: l'affichage incontrôlé des numéros de téléphone associés aux lignes utilisées par les appelants, tout en commentant également un certain nombre de pistes de solutions qui ont déjà été évoquées.

Ensemble, avec la Ligue des droits et

libertés, nous intervenons depuis bientôt deux ans devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada, le CRTC, et depuis peu devant les cours fédérales. Nous nous objectons à la commercialisation de dispositifs qui permettent l'affichage incontrôlé des numéros des lignes téléphoniques appelantes. Nous exprimons des réserves sérieuses à l'égard de tels services parce que la captation de ces renseignements personnels par des individus ou des entreprises menace la santé, la sécurité et la vie privée de milliers de citoyens et de citoyennes, parce qu'elle porte systématiquement atteinte au secret professionnel ou à des droits similaires et parce qu'elle permet la constitution de banques de données dont nul ne peut contrôler l'usage.

L'affichage des numéros de téléphone paraît banal, sinon bénéfique, à première vue. On constate pourtant déjà, après un an d'expérience au Québec, qu'il pose des problèmes considérables. Cette technologie fournit un exemple remarquable des effets de la perte de contrôle des citoyens et des citoyennes sur des informations qui, de plus en plus, les identifient et de la nécessité que soient établies des règles de droit claires et efficaces, qui assurent la protection des droits.

Nous vous rappelerons d'abord quelques-uns des problèmes concrets que cause actuellement l'affichage, avant de commenter brièvement les solutions qui devraient être mises en oeuvre. Et Mme Rozon va vous faire part de certains des problèmes que nous avons déjà constatés.

Le Président (M. Gauvin): Mme Rozon.

Mme Rozon (Louise): Oui. Merci, M. le Président. Alors, pour Illustrer brièvement l'histoire de ce nouveau service de gestion des appels, c'est donc en novembre 1989 que Bell Canada a logé auprès du CRTC une demande afin d'être autorisée à offrir un service de gestion des appels qui comporte quatre fonctions: l'afficheur, un dispositif qui permet à l'abonné de voir le numéro de téléphone de la ligne appelante; le mémorisateur, qui permet de mémoriser le numéro du dernier appel reçu ou logé; le dépisteur, qui permet, pour sa part, de dépister l'origine d'un appel importun ou obscène et, finalement, le sélecteur, qui permet d'acheminer au plus 12 numéros de téléphone à un message préenregistré. Alors, c'est au mois de juin 1990 que le CRTC a autorisé Bell Canada à commercialiser ce service tout en l'assortissant d'un mécanisme de blocage payant.

Le service est actuellement disponible dans les régions de Hull, Ottawa et Québec, depuis juin 1990, et dans les régions de Montréal et Toronto, depuis avril 1991. Donc, la personne qui désire que son numéro de téléphone ne soit pas affiché lors d'une communication téléphonique doit donc passer par la téléphoniste et doit débourser 0,75 $ à chaque fois. Seuls, actuelle- ment, les centres d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale bénéficient d'un blocage gratuit, mais elles doivent quand même passer par la téléphoniste. Donc, après un an d'implantation à peine, les plaintes commencent à se multiplier et on mesure de plus en plus les problèmes graves que peut causer l'affichage d'un banal numéro de téléphone sur un tout petit écran.

À commencer par les centres d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale qui font face actuellement à des problèmes concrets quant à l'application du service de blocage gratuit et quant à la protection de la santé et de la sécurité des personnes qui y cherchent refuge. Les femmes et surtout les enfants oublient de passer par la téléphoniste pour obtenir le blocage avant de faire un appel auprès d'un conjoint violent, par exemple; les intervenantes qui assurent la garde de nuit à partir de leur domicile ne jouissent pas de la protection de leur numéro et elles s'exposent, par conséquent, à des risques importants. Dès leur sortie du centre d'hébergement, les femmes ne peuvent plus jouir du blocage gratuit. Pourtant, leur sécurité, sinon leur vie, est encore en danger. On sait, en effet, à quel point il est facile de trouver une adresse à partir d'un numéro de téléphone.

D'autre part, des cliniques spécialisées, comme la Clinique de l'alternative, la Clinique des jeunes Saint-Denis à Montréal ou encore la Clinique des femmes de l'Outaouais, contactent régulièrement des patients dans le cadre de leurs activités. Une clinique de Québec qui nous a fait part de ses difficultés loge en moyenne de 1000 à 2000 appels par jour. Ces cliniques offrent notamment des services spécialisés d'avortement ou de dépistage des maladies transmises sexuellement et du SIDA. Si la personne appelée est absente, on ne laisse jamais de message. Il arrive maintenant, depuis l'existence du service de gestion des appels, qu'une autre personne rappelle les numéros captés. On répond alors: "Clinique Unetelle, bonjour, et le secret professionnel est violé.

Des parents ont ainsi appris que leurs jeunes avaient consulté les services d'une clinique spécialisée; des conjoints ont appris que leur compagne avait subi un avortement. Avec l'arrivée de ce nouveau service, les professionnels de la santé ne sont plus en mesure, malgré eux, d'assurer la confidentialité de la relation professionnelle. Jusqu'à quel point mesure-t-on qu'est-ce qui peut se produire dans un domicile ou dans un milieu de travail si on apprend ainsi que Marie ou Albert est en relation avec un psychiatre, une criminaliste, un centre de désintoxication ou encore avec des conseillers budgétaires?

Dans le même ordre d'idées, des CLSC intervenant auprès des victimes de violence conjugale ont signalé à la Fédération des CLSC

un nombre croissant d'incidents. Des individus identifient le numéro du CLSC et retournent l'appel en insistant pour connaître la raison de l'appel. Alors, l'afficheur peut précipiter l'agression qu'on voulait justement éviter. D'autre part, plusieurs professionnels ont perdu la confidentialité de leur numéro de téléphone après avoir logé des appels à partir de leur domicile, et ce, dans l'exercice de leurs fonctions. On a ainsi reçu des plaintes de médecins, de travailleurs sociaux, de psychologues, de professeurs et d'intervenants auprès d'ex-psychiatrisés, qui sont maintenant susceptibles d'être rappelés à tout moment par un patient. Des gens qui paient pour un numéro confidentiel ont également porté plainte; avec l'afficheur, ils perdent graduellement les avantages reliés à ce service. Si on évalue qu'une personne loge chaque semaine une dizaine d'appels en préférant ne pas s'identifier, il faut maintenant débourser plus de 450 $ par année en frais de blocage.

Par conséquent, les fonctions afficheur et mémorisateur posent de sérieux problèmes quant à la protection de la vie privée. Ces dispositifs d'identification de la ligne appelante menacent en effet gravement la santé et la sécurité de certaines personnes, mais aussi la préservation du secret professionnel. Plus largement, ils provoquent une perte de contrôle de l'individu sur un renseignement personnel et précieux. Nous avons demandé, jusqu'à présent, que l'implantation de ces fonctions soit assortie d'un mécanisme de blocage gratuit et facile d'accès. Le mécanisme actuel est en effet incommode et beaucoup trop coûteux. Le blocage est essentiel; on perd autrement complètement le contrôle sur la circulation des renseignements personnels. Des modes de blocage sont déjà offerts en Europe, en Californie, au Nevada et en Caroline du Nord notamment. Dans l'État de Pennsylvanie, l'afficheur a été jugé inconstitutionnel, ce qui a, pour l'instant, réglé la difficulté.

Récemment, Bell Canada est revenue à la charge. La compagnie demande au CRTC l'autorisation d'offrir un service afficheur au bénéfice des grandes entreprises utilisant des réseaux Centrex. De toute évidence, on vise le marché de la captation et de l'utilisation des données à des fins commerciales. Il nous a toujours paru clair que l'afficheur serait avant tout utile aux entreprises désireuses de cibler plus précisément leur clientèle. Il est en effet possible de capter un numéro de téléphone et de le coupler avec une banque de données. Chaque appel ainsi engraisse un peu plus la banque de données et permet de constituer un portrait du consommateur qui est fort utile à l'entreprise qui veut vendre ses produits et ses services. Cette pratique est déjà courante aux États-Unis, comme en témoignent les coupures de journaux jointes à l'appendice 4 de notre mémoire.

Au Québec, l'implantation d'une fonction afficheur au bénéfice des entreprises abonnées au système Centrex leur permettrait de saisir des informations nominatives et de les utiliser à leur gré sans le consentement de l'abonné et sans même qu'il le sache, puisqu'on ne sait jamais, lorsqu'on communique avec une entreprise, si elle est ou non abonnée à l'afficheur.

Il faut cependant noter que les entreprises n'ont pas toutes attendu ces progrès techniques. Certaines chaînes de restaurants établissent déjà un profil informatisé de leur clientèle qui est structuré autour des numéros de téléphone qui sont requis par les préposés et qui permettent de tout savoir sur vos habitudes de consommation de pizza ou de poulet. (16 h 45)

Pour plusieurs entreprises et pour des spécialistes de marketing, l'association de renseignements nominatifs à l'expression d'un intérêt pour un produit ou un service constitue une mine d'or. D'ailleurs, une revue publiée par Bell Canada, Solutions, mentionnait, dans un article, à l'été 1991, et je cite: "L'affichage du numéro demandeur constituera un autre avantage pour toutes les compagnies qui pratiquent le télémarketing. Combinée avec la base de données de l'entreprise, cette fonction permettra à l'agent d'obtenir un profil complet du client dès qu'il répond à l'appel". Fin de la citation.

Ce n'est un secret pour personne qu'il est maintenant assez facile d'obtenir une foule de renseignements sur un ménage à l'aide d'un simple numéro de téléphone. Infomedia une entreprise de Virginie, affirmait dès 1989 qu'elle pouvait établir le profil socio-économique précis d'un ménage au moyen de 28 caractéristiques. Aux États-Unis toujours, MetroNet a fiché 117 000 000 de personnes et offre un service en 48 heures, ce qui permet de coupler des adresses, des caractéristiques démographiques et autres à des numéros de téléphone captés par l'afficheur. On se prépare à l'assaut du marché canadien Enfin, Prospect Inc., une entreprise de Toronto, a emmagasiné sur support informatique les noms, adresses, numéros de téléphone, coordonnées spatiales, périodes de résidence, niveaux de revenu, langue, religion et taille de 7 900 000 des 8 500 000 ménages canadiens. Vous y êtes fort probablement fichés sans pouvoir y faire quoi que ce soit.

L'implantation de l'afficheur annonce l'évolution d'un système téléphonique où chacun aura son numéro de téléphone permanent et personnel, peu importe son lieu de résidence. Le ministère des Communications du Canada et de nombreuses entreprises de téléphonie et de matériel électronique se sont regroupés dans une société nommée Vision 2000, société qui vise à coordonner leurs efforts de recherche dans ce domaine. La technologie permettra à tout moment au réseau de localiser un abonné et de lui acheminer un appel où qu'il se trouve. Le numéro de téléphone deviendra ainsi, dans un proche avenir, un identifiant universel, d'où la richesse du service

afficheur pour les entreprises.

Dans ce contexte, nous jugeons qu'il est urgent de prévenir, d'intervenir avant que tous les choix n'aient été faits. Trop d'aspects de notre vie nous glissent déjà entre les mains. Alors, sans plus tarder, je laisse la parole à Marie Vallée qui va vous expliquer quelles sont les solutions que nous envisageons. Merci.

Le Président (M. Gauvin): Mme Vallée.

Mme Vallée (Marie): Merci, M. le Président. Alors, notre droit n'a jusqu'à présent pas tenté véritablement de baliser l'évolution technologique extrêmement rapide qui, pour l'instant, tend à lui échapper. Les choix technologiques du secteur privé n'ont, en tout cas, pas jusqu'à présent à recevoir l'aval parlementaire. La portée de l'article 5 de la Charte québécoise n'est, quant à elle, pas encore aussi précisément établie qu'on pourrait le souhaiter. De toute manière, il faudra sans doute se doter de mécanismes plus précis et mieux adaptés à la préservation du contrôle sur la dissémination des renseignements personnels.

Les dispositions générales du Code civil du Québec, si elles constituent la promesse d'une reconnaissance encore plus claire des composantes du droit à la vie privée, ne peuvent pas, en effet, suffire à elles seules à enrayer la propagation des renseignements personnels et la constitution de banques de données dans le secteur privé. On doit faire en sorte que les entreprises constituant des dossiers soient empêchées de la faire à l'insu des citoyens, et seule une loi régissant ce domaine permettra d'y parvenir.

Il n'y a pas que le droit qui est dépassé pour l'instant. Beaucoup de citoyens sont encore peu informés de l'ampleur du phénomène de la circulation des données qui les concernent ou n'en perçoivent pas toutes les conséquences. L'ampleur de la contestation à l'égard de l'afficheur aux États-Unis et la réaction des dizaines de milliers de personnes à l'annonce de la mise en marché des banques de données indiquent cependant que de plus en plus de citoyens et citoyennes veulent préserver leur vie privée en maintenant le contrôle sur la circulation des renseignements les concernant. Il faut tout probablement s'attendre à ce que cette préoccupation aille en croissant, à mesure que se multiplieront les cas d'invasion de la vie privée et d'usage indu des informations.

Nous croyons que l'État québécois doit intervenir et poursuivre deux grands ordres d'objectifs. Il doit faire en sorte que les citoyennes et les citoyens soient largement informés et assurer une mission d'information et d'éducation. Il nous apparaît de plus en plus évident que la seule manière de ralentir l'érosion de la sphère de la vie privée passe par une législation encadrant certains types d'activité. Cette législation devrait, entre autres, assurer que les citoyens soient informés de l'existence et de la finalité des fichiers où ils sont inscrits, qu'on ne peut inscrire, utiliser ou transférer des données relatives à une personne qu'avec son consentement et que le refus d'accorder un tel consentement ne peut porter préjudice à cette personne.

Les intervenantes souscrivent, par conséquent, aux recommandations formulées par le Comité interministériel sur la protection de la vie privée eu égard aux banques privées de données personnelles. La vie privée des gens doit demeurer une zone à accès restreint et on ne parviendra à ce résultat qu'en contrebalançant par une loi l'immense intérêt économique que suscite la manipulation des renseignements personnels.

À cet égard, deux commentaires. D'abord et à cause même de cet intérêt économique, on ne saurait présumer que les mécanismes d'autorégle-mentation porteront fruit si on n'assure pas un encadrement très serré de ce processus. Selon les informations dont nous disposons, les codes de conduite et autres processus d'autoréglementation dans le domaine des services financiers n'ont eu de succès que dans la mesure où les États concernés sont intervenus très activement dans leur conception et leur mise en oeuvre. Ensuite, l'existence des recours civils ordinaires ne suffira pas seule à éviter les atteintes à la vie privée et la récidive. Il s'agit, le plus souvent, de dommages non matériels et les tribunaux n'accorderont donc que des montants symboliques. Il importe, par conséquent, que toute législation relative à la protection de la vie privée crée des mécanismes administratifs ou pénaux tels que les détenteurs de banque privée de données personnelles gagneront financièrement à se conformer à la loi, plutôt que de risquer d'y déroger.

Nous recommandons donc que l'État québécois mette en oeuvre tous les moyens appropriés afin que les citoyens et citoyennes soient aussi bien informés que faire se peut des divers aspects de la problématique de la protection de la vie privée, en intervenant lui-même ou en soutenant l'intervention d'autres parties intéressées.

Les dispositions du projet de loi 125 instituant le Code civil du Québec, relatives à la protection de la vie privée, doivent être adoptées intégralement et les recommandations formulées par le Comité interministériel sur la protection de la vie privée eu égard aux banques privées de données personnelles devraient être mises en oeuvre dans le cadre d'une loi, et ce, le plus rapidement possible.

Nous vous avons parlé assez spécifiquement des problèmes reliés au service de gestion des appels. D'autres domaines posent également problème et Roger Beaudoin va faire une intervention sur ça.

Le Président (M. Gauvin): J'aimerais vous

rappeler qu'if ne reste que quelques minutes, mais il semblerait...

M. Beaudoin (Roger): Dans deux minutes, on a terminé.

Une voix: Quatre.

M. Beaudoin: Dans quatre minutes, on a terminé.

Le Président (M. Gauvin): Vous y allez. C'est ça. On vous reconnaît, M. Beaudoin.

M. Beaudoin: Merci beaucoup, M. le Président. Mmes et MM. les commissaires, très brièvement, comme vous le constatez, on a développé davantage la question de l'afficheur en termes de protection de la vie privée. On vous fait part aussi de nos préoccupations plus générales en ce qui concerne la protection de la vie privée, mais on voulait saisir l'occasion pour vous dire aussi que, comme association de consommateurs, on est très inquiets de la circulation des informations dans des domaines comme les assurances, les bureaux de crédit, les institutions financières. Sauf qu'on a pu prendre connaissance des travaux, entre autres du Service d'aide aux consommateurs, qui devrait être amené à vous présenter ses préoccupations, ses observations et recommandations.

Alors, on vous dit que nous, comme association, on est très intéressés et très inquiets dans ces domaines-là. Par contre, on vous laissera l'occasion de parler avec d'autres intervenants qui ont eu la chance de développer davantage leur expertise que nous là-dedans. On voulait simplement vous donner ce message-là, d'être très attentifs aux autres représentations de ce côté-là. Pour conclure, je vais laisser la parole à M. St-Amant.

Le Président (M. Gauvin): M. St-Amant

M. St-Amant: Oui. L'affichage des numéros de téléphone ne constitue donc qu'une petite partie de la dentelle que devient présentement notre vie privée. On se dirige à grands pas vers un monde où chacun aura en poche son téléphone identifié par un numéro personnel et propre à l'individu. Chacun pourra être rejoint en tout temps et chacun pourra être localisé précisément où qu'il soit. Il ne s'agit pas là de spéculation orwellienne. Plusieurs entreprises de télécommunications, Bell Canada y compris, testent présentement ces technologies et le téléphone n'est que l'un des nombreux modes de captation, de transmission et de traitement des renseignements personnels. Le numéro de téléphone lui-même n'est pas non plus le seul identifiant possible. On pense, par exemple, aux codes postaux.

Petit à petit, une logique, qu'il faut bien appeler technocratique, se concrétise, modifie concrètement nos modes de vie. Pour l'instant, cette logique semble se préoccuper assez peu de la protection de la vie privée. On préfère gérer des données. Un portrait statistique d'un groupe d'individus ou d'un individu - portrait qu'on constitue comme on veut et qui correspond plus ou moins à la réalité parce qu'on ne peut même pas le corriger - cela coûte moins cher que de traiter un tel portrait. Mais même les tenants du libéralisme le plus classique devraient se rebeller, me semble-t-il, devant une vision aussi froide, aussi impersonnelle, aussi déshumanisante. On ne peut pas surestimer l'importance de la vie privée des gens et du contrôle que tous doivent pouvoir exercer sur les renseignements qui les concernent. La vie privée des citoyens est indissociable de la dignité et de la liberté et, en définitive, comme le notait le ministre de la Justice, de la démocratie.

Dans les dernières années, la Cour suprême du Canada a plus d'une fois accordé la prééminence à la protection de la vie privée au nom, justement, de la dignité et de la liberté. En mars dernier, par exemple, la Cour a fait primer la protection de la vie privée d'un accusé acquitté d'un crime sur le droit d'accès d'un journaliste à des documents qui avaient été déposés au dossier du tribunal. Ça donne un peu une idée de l'importance qu'on doit accorder à la vie privée.

Si les citoyennes et les citoyens perdent le contrôle sur les renseignements qui les concernent, des pans entiers de leur vie seront à la merci de ceux qui détiennent ces informations. Leurs libertés s'en trouveront réduites: liberté d'action ou liberté d'expression. Des traits de leur vie privée pourront, à tout moment, être étalés ici ou là sans qu'on puisse s'y opposer, sans qu'on puisse le prévoir ni même savoir si ce qui est révélé est vrai ou non. L'usage de l'afficheur donne déjà, au Québec, des exemples de toutes ces atteintes à la dignité des personnes. Incapables de contrôler leur image et l'usage qui en est fait, fichés de toute part, exclus actuellement des débats sur le développement technologique, les citoyennes et les citoyens seraient aussi, de ce fait, exclus de tout pouvoir réel.

Nous ne sommes pas contre le progrès, contrairement à ce qu'on nous dit parfois. Au contraire, la technologie peut et doit servir et elle s'avère, dans bien des cas, extrêmement utile. Mais nous souhaitons aussi un progrès juridique. L'évolution technologique et des considérations financières ne font pas seules le progrès d'une société. On peut faire présentement des choix techniques qui préservent la vie privée alors que, concrètement, on fait le contraire présentement. On peut faire des choix sociaux qui assurent que les débats entourant ces questions soient faits ouvertement - et cette commission en est une occasion - et que les solutions retenues tiennent compte de tous les

intérêts en jeu, même de ceux qui s'expriment moins fréquemment ou moins lourdement. Nous souhaitons ardemment que les travaux de la commission donnent le coup d'envoi à la mise en oeuvre au Québec de solutions qui soient fondamentalement démocratiques et respectueuses des droits fondamentaux. Nous vous remercions de votre attention et nous vous encourageons dans vos délibérations.

Le Président (M. Gauvin): Merci, M. St-Amant et votre groupe. Et vous avez compris que le temps alloué qui reste à ces travaux va être réparti en périodes égales entre les représentants du côté ministériel comme du côté de l'Opposition. Je reconnais M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme Rozon, M. Beaudoin, Mme Vallée et Me St-Amant, je veux vous remercier d'avoir accepté de venir discuter avec nous de votre mémoire et de nous l'avoir présenté de si bonne façon, d'une façon particulièrement éloquente, en attirant notre attention sur des aspects importants de votre mémoire, un mémoire qui est très intéressant, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt. Vous nous permettez de commencer nos travaux d'une façon extrêmement profitable, je dois dire, pour cette commission, pour que nous ayons une bonne idée de la problématique que nous avons.

Je disais tout à l'heure que ce n'est pas facile, le sujet que nous abordons, et votre mémoire démontre fort bien que, justement, ce n'est pas facile parce que - vous le dites à plusieurs reprises - des intérêts peuvent être divergents. Et vous, dans vos recommandations, vous faites part de la façon dont vous voyez les choses, mais vous êtes très conscients aussi qu'il faut protéger quand même, au bénéfice des Québécois et des Québécoises, le développement technologique.

Moi, je retiens tout d'abord une première chose. C'est que vous me dites, comme ministre de la Justice, responsable du projet de loi 125 sur la réforme du Code civil, à la recommandation 2: "Les dispositions du projet de loi 125, instituant le Code civil du Québec, relatives à la protection de la vie privée devraient être adoptées intégralement." Donc, c'est une recommandation... Moi, je prends bonne note de cette recommandation-là que je considère, évidemment, très importante. (17 heures)

L'autre chose - et j'en reviens à la question que j'aimerais vous poser. Dans vos recommandations, aux pages 22 et suivantes de votre mémoire, vous insistez beaucoup sur le consentement du citoyen: "Le consentement du citoyen doit être obtenu avant que soit constitué un fichier le concernant", et: "Le consentement du citoyen doit être expressément accordé avant que des renseignements personnels ne puissent être transmis à toute personne autre qu'un préposé du maître de fichiers dans l'exercice de ses fonctions."

Ça m'apparaît intéressant comme principe, le consentement du citoyen. Mais je vous avoue que j'aimerais vous entendre pour savoir quelle pourrait être la forme de ce consentement. Comment ce consentement pourrait-il être exprimé par le citoyen pour qu'il puisse être vraiment effectif et qu'il puisse donner ouverture, donc, aux recommandations que vous faites?

Le Président (M. Gauvin): M. St-Amant.

M. St-Amant: Ces recommandations s'inspirent en grande part, évidemment, des lignes directrices proposées par l'OCDE en 1982. Si on se situe, pour simplifier, dans le cadre de transactions commerciales, parce que c'est surtout là, pas seulement là, mais surtout là que les problèmes se posent, il me paraît possible d'exiger des maîtres de fichiers, des gens qui constituent des fichiers qu'ils informent les gens qu'ils bâtissent des banques de données et qu'ils leur disent: Voici, nous allons prendre en note telle ou telle information, nous l'utiliserons de telle façon; y consentez-vous? Vous signez un contrat ou vous y consentez verbalement, et ça pose des problèmes de preuve.

Voilà, si on pense, par exemple, à tout le domaine du crédit ou des services financiers, où il y a systématiquement des contrats écrits, ça devient extrêmement facile. C'est notamment dans ces domaines-là que les problèmes de constitution de banques de données se manifestent présentement. Dans beaucoup d'autres cas aussi, je pense qu'il devrait être possible... Et là il y a d'abord, je crois, un effort d'éducation à faire parce que, comme on le mentionnait, les gens, en général, ne sont pas conscients actuellement de l'importance du phénomène de la constitution des banques de données. Là-dessus, je crois que le gouvernement comme les organismes peuvent faire des points importants en termes d'information. Il peut y avoir d'autres modes. Il me paraît pertinent de s'assurer que les consommateurs soient informés que des informations à leur égard sont saisies et conservées. C'est une obligation qui doit incomber aux maîtres de fichiers des entreprises.

Le Président (M. Gauvin): Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: Alors, simplement pour bien comprendre, donc il s'agirait que le citoyen s'exprime très clairement, dise: Oui. Moi, je suis d'accord pour l'information que je vous donne. Vous pouvez en disposer...

M. St-Amant: Ou non...

M. Rémillard: Oui ou non. Alors, donc...

M. St-Amant: ...parce que...

M. Rémillard: ...dans chaque acte susceptible de mettre en cause des renseignements concernant la vie privée.

M. St-Amant: Et ça se produit actuellement. Je pense, par exemple, aux contrats de prêt bancaire où, systématiquement, il y a une clause dans les contrats types des institutions financières où le consommateur, l'emprunteur autorise l'institution financière à consulter des bureaux de crédit, à transmettre des informations aux bureaux de crédit. Qu'est-ce qui empêcherait de modifier un petit peu cette clause-là pour augmenter les prérogatives du consommateur, pour limiter l'arbitraire absolu des entreprises, pour faire en sorte à tout le moins que la circulation des informations soit restreinte?

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Oui. J'aimerais peut-être vous poser une question, je pense, que je ne vois pas directement dans votre mémoire, qui m'arrive comme ça. Est-ce que vous avez réfléchi un petit peu sur cette possibilité, par exemple, de mettre une photo sur les permis de conduire?

M. St-Amant: Mon réflexe spontané de citoyen extrêmement soucieux de sa propre vie privée, c'est d'avoir des réserves sérieuses. Il peut sans doute y avoir des avantages à le faire et matière à débat, mais mon réflexe est négatif.

M. Rémillard: Est-ce que c'est la même chose pour les gens de votre groupe?

M. Beaudoin: Bien, écoutez. Moi, je travaille, entre autres, dans le domaine de la santé et des services professionnels. Évidemment, actuellement, à Rimouski, on est en train d'expérimenter une carte à mémoire dans le domaine de la santé et le ministre Marc-Yvan Côté a soulevé la question: Est-ce que la carte d'assurance-maladie, complétée d'une photographie, ne pourrait pas servir comme passe-partout, si on peut dire, dans le réseau de la santé et des services sociaux? Évidemment, à ce moment-là, ça pourrait devenir une carte d'identité, etc.

Je dirais que j'ai le même réflexe que M. St-Amant par rapport à ça. Ce peut être utile, mais, en même temps, il faut faire attention. Il ne faut pas oublier qu'actuellement, sur le permis de conduire, il y a quand même des indications écrites sur la personne la décrivant, ses yeux, sa hauteur, etc., et il faudrait bien analyser les avantages et les inconvénients. Dans beaucoup de pays d'Europe, entre autres, il y a historiquement une sorte de réticence très forte face à une carte d'identité de cet ordre-là, même si elle peut exister. Ici, il faudra en discuter sérieuse- ment. Mais, moi aussi, je partagerais, et plusieurs des membres bénévoles de notre association partageraient une réticence à aller dans ce sens là au départ. Mais il faudrait quand même Si jamais il y avait un projet dans ce sens-là, on pourrait toujours regarder le pour et le contre, mais au départ, réticence.

M. Rémillard: Oui, vous parlez de photo même sur une carte d'assurance-maladie, vous parlez de photo et je vous avoue que les craintes que vous manifestez, ça me touche aussi beaucoup comme tel. Il faudra regarder ça de plus près, mais, pour moi, je suis particulièrement sensible à cette question-là. Même s'il n'y avait pas de photo, il reste qu'on parle aussi de ces cartes qui permettraient de mettre en information sur les cartes votre bilan de santé ou bien une carte à puce, comme vous appelez. Alors, on me dit que c'est la carte à puce. Alors, une carte à puce, et vous pourriez l'avoir aussi en ce qui regarde le perm's de conduire où vous auriez vos infractions que vous auriez commises, etc. D'une part, les gens nous disent: Ça pourrait être très intéressant, très, très, très intéressant pour avoir encore une meilleure sécurité et un travail plus effectif, du côté médical, du côté de la sécurité routière. Mais, d'autre part, est-ce que ça ne soulève pas des problèmes quant au respect de la vie privée? Je pense que ce que vous nous dites, c'est: Attention, oui, ça soulève des problèmes.

M. St-Amant: Ce sont clairement d'autres exemples de cas où le citoyen ou la citoyenne perd le contrôle sur les informations qui le ou la concernent. Si on parle du dossier médical, par exemple, ça fait en sorte que tout intervenant dans le domaine médical pourrait possiblement prendre connaissance de l'ensemble du dossier, que ce soit pertinent pour ses fins ou non. J'ai des réserves sérieuses. Si, moi, je vais consulter un médecin parce que j'ai un petit bobo sur le bout du doigt, je ne tiens pas nécessairement à ce qu'il voit l'ensemble de mon dossier.

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre des Communications.

M. Cannon: Bien, voulez-vous faire l'alternance?

Le Président (M. Gauvin): J'avais le député d'Iberville qui...

M. Cannon: Bien, c'est-à-dire... Est-ce que vous voulez faire l'alternance? Si vous ne faites pas l'alternance, M. le Président, je vais y aller.

Le Président (M. Gauvin): Ah bien, écoutez, si l'alternance est demandée...

Une voix: Oui.

Le Président (M. Gauvin): ...nous allons faire l'alternance. Oui, elle est recommandée, souhaitée. M. le député de Pointe-aux-Trembles. Excusez.

M. Bourdon: M. le Président, je voudrais d'abord remercier les intervenants pour leur mémoire et leur dire que, notamment, les propos sur le téléphone m'ont fait réaliser une dimension des intrusions possibles dans la vie privée. Ce que j'entends par là, c'est qu'avant les changements technologiques des 10 ou 15 dernières années les sources de péril pour la vie privée, si on veut, on les situait du côté de la police, supposons, et du gouvernement qui pouvaient faire que... On en identifiait deux: On pouvait être suivi et notre téléphone pouvait être écouté. C'était ça et ça faisait des débats. A quelles conditions un corps policier avait-il le droit de faire de l'écoute?

Ce qui me frappe par rapport au téléphone, c'est que l'espionnage est maintenant à la disposition de tout le monde par les changements qui sont apportés. Vous donniez l'exemple, avec raison, d'une victime de violence conjugale dont la personne violente apprend instantanément à quel numéro elle se trouve et d'autres intrusions dans le secret professionnel, qui sont très considérables aussi. Est-ce qu'on peut tolérer que, par le numéro de téléphone, on apprenne que telle personne consulte en psychiatrie ou que telle personne consulte dans une clinique qui s'occupe de MTS, etc.?

Maintenant, la question que je vous pose d'emblée, c'est: Le Québec ayant peu de juridiction en matière de téléphonie... Il y en a une mais faible. Le ministre ne m'entend pas, mais, au début de septembre, il avait l'air de vouloir l'élargir. Là, je ne le sais plus. Mais est-ce que vous suggérez qu'une législation que cette Assemblée nationale ferait devrait s'appliquer à la petite partie de la téléphonie qui est de juridiction québécoise comme pour donner l'exemple dans l'espoir qu'au niveau fédéral quelque chose de semblable se fasse? En tout cas, c'est le sens de ma question. Même si le Québec réglemente une faible activité, une faible partie de l'activité téléphonique au Québec, quelques entreprises de juridiction provinciale, est-ce que ça, on devrait l'insérer dans notre législation pour la valeur exemplaire que ça pourrait quand même avoir? J'adresse ma question à...

M. St-Amant: II est toujours périlleux de s'avancer dans les méandres du droit constitutionnel canadien. Je serais tenté de dire toutefois, sous réserve des commentaires que feront des constitutionnalistes bien plus éminents que moi autour de cette table, qu'il devrait être possible que l'Assemblée nationale adopte une législation d'intérêt général sur la protection de la vie privée, qui est un droit civil, et que cette législation s'applique à tout ce qui se passe au Québec, de la même façon, par exemple, que les dispositions du Code civil s'appliquent aux banques. Il devrait donc être possible, me semble-t-il, de plaider qu'une législation québécoise sur la vie privée pourrait avoir des répercussions sur une entreprise ou sur des activités de juridiction fédérale. Il y a à tout le moins là, me semble-t-il, d'autres débats intéressants pour les constitutionnalistes.

M. Rémillard: Bravo! M. Bourdon: Maintenant... Des voix: Ha, ha, ha! M. Bourdon: ...la...

M. St-Amant: Je note ce bravo, M. le ministre.

Mme Rozon: Je devrais simplement rajouter...

Une voix: Oui.

Mme Rozon: ...que la Régie des télécommunications du Québec s'est d'ailleurs penchée sur la problématique de l'afficheur et que, finalement, la Régie a adopté les mêmes solutions que le CRTC. Alors, on a offert aux gens un blocage, mais payant, du numéro de téléphone. Alors, il aurait été très souhaitable que la Régie des télécommunications du Québec adopte une autre solution et qu'on tienne compte de l'intrusion dans la vie privée des gens quant à l'existence de ce nouveau service, d'autant plus qu'il sera, dans un avenir très proche, accessible aux entreprises, et là il n'y a aucune raison valable pour qu'on divulgue notre indentité lorsqu'on communique avec une entreprise pour s'informer d'un bien ou d'un service qu'elle vend.

M. Bourdon: À la recommandation 14, vous dites: 'Tout recours à des processus d'autorégle-mentation doit faire l'objet d'une attention constante de l'organisme étatique chargé de mettre en oeuvre la législation." J'ai deux questions, dans le fond. Est-ce à dire que vous pourriez convenir que l'autoréglementation peut suffire en matière de protection de la vie privée? Et, deuxièmement, l'organisme étatique, est-ce que, selon vous, ça pourrait être la Commission d'accès à l'information ou bien si vous pensez qu'il devrait y avoir un organisme spécifiquement destiné à s'occuper de cette question?

M. St-Amant: J'aborderai d'abord, si vous le permettez, la seconde question pour dire que je pense que nous n'avons pas d'idée précise. Il y a là une foule de débats que nous ne sommes pas en mesure de faire, où ne sommes pas en mesure

de prendre une position éclairée là-dessus. Il me paraîtrait logique a priori qu'un organisme comme la Commission d'accès à l'information élargisse son mandat ou qu'on confie le mandat à quelqu'un d'autre, à la condition expresse, dans tous les cas, que les ressources suffisantes soient accordées à cet organisme-là.

Quant à votre première question à l'égard des processus d'autoréglementation, depuis deux ans, l'ACEF-Centre, entre autres, d'autres organismes que vous entendrez, notamment le Service d'aide aux consommateurs de Shawinigan, ont eu l'occasion de se mêler de près ou de loin à une tentative qui a été faite au niveau fédéral d'en venir à un code d'autoréglementation des institutions financières dans le domaine des systèmes de transfert électronique de fonds, les guichets automatiques, par exemple, les cartes de débit.

Ce processus d'élaboration d'une norme autoréglementaire ne semble pas terminé, mais, jusqu'à maintenant, nous avons été - je serai gentil - extrêmement inquiets de l'évolution que ça a pris. On a nettement eu le sentiment jusqu'à maintenant, à tout le moins, que les institutions financières faisaient, à toutes fins pratiques, du blocage systématique. Elles ne convenaient du contenu d'un code que dans la mesure où il ne changeait absolument rien à l'état du droit actuel.

On a procédé, il y a quelques semaines, à une évaluation rapide du projet de code qui circule actuellement. Il y a peut-être 5 lignes en 10 pages qui donnent plus de droits aux consommateurs que le droit commun, que la Loi sur la protection du consommateur, le Code civil et les autres législations. Donc, ça, ça a été, jusqu'à maintenant, un exercice peu efficace où les consommateurs ou leurs représentants ont eu très peu de poids, sinon aucun.

J'ai eu l'occasion, l'an dernier, de discuter avec un spécialiste britannique de ces questions-là, qui s'intéressait notamment à l'expérience, en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans le domaine, justement, des services de transfert électronique de fonds et qui me disait: Oui, dans ces deux États-là, ça semble prometteur. Il y a des choses intéressantes parce que, dans les deux cas, il y a des organismes gouvernementaux qui suivent très activement ce qui se passe, qui interviennent, qui sont intervenus très activement dans l'élaboration des normes, qui ont assuré un équilibre. Jusqu'à maintenant, je ne pense pas que l'expérience nous permette de dire que le simple fait de dire à l'industrie: Vous allez vous autoréglementer, va mener à des résultats intéressants. (17 h 15)

Je consultais encore récemment le code type que l'Association des banquiers canadiens a rédigé dans le domaine, justement, de la confidentialité dans le domaine bancaire et c'est un merveilleux fromage de gruyère. C'est rédigé en termes tellement larges - et si vous voulez, on pourra faire l'exercice de jeter un coup d'oeil sur les principales dispositions - qu'à toutes fins pratiques le consommateur ouvre toute grande sa vie privée et laisse aux institutions financières le pouvoir de faire ce qui leur semble.

Ce que nous disons essentiellement, c'est que, si l'État devait opter en partie pour des processus d'autoréglementation, je ne crois pas qu'il puisse se permettre de s'en laver les mains. Il va devoir assurer un suivi constant, rigoureux, systématique.

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre des Communications.

M. Cannon: Merci, M. le Président. Mme Rozon, M. Beaudoin, M. St-Amant, Mme Vallée, ça me fait plaisir de vous retrouver parce que je sais qu'on a eu déjà l'opportunité de discuter de cette chose-là. Je suis particulièrement heureux de constater que, d'emblée, on discute immédiatement de télécommunications. Ça nous rapproche, je pense, du vif du sujet. On a, lorsque nous avons eu l'occasion de se voir, discuté d'un certain nombre de choses qui sont aujourd'hui contenues dans votre rapport, dont vous avez fait la lecture, de même qu'un certain nombre de recommandations. Je vous avoue que la question du SGA, c'est-à-dire de l'affichage numérique, est une chose qui m'avait préoccupé un peu. Si je résume votre pensée, vous me dites et vous dites à mes collègues, cet après-midi: Ce qui est essentiel, c'est d'abord de restreindre, mais aussi de s'assurer que le blocage soit gratuit. Est-ce que je résume bien votre pensée?

M. St-Amant: Effectivement, c'est une question d'accessibilité tout simplement. On évoquait tantôt le cas d'une clinique médicale qui loge de 1000 à 2000 appels par jour. Même si on prend pour acquis qu'il n'y a que 10 % de ces appels où il devrait y avoir un blocage pour protéger la vie privée, si on extrapole, on arrive à un montant d'à peu près 15 000 $ par année en frais. C'est un peu cher, là, et c'est le ministère de la Santé, au bout de la ligne, qui va écoper.

M. Cannon: Ça, j'en conviens. Est-ce qu'on peut poser la question dans le sens différent en disant que, dans l'hypothèse d'une option de blocage gratuit, on devrait protéger un droit pour l'abonné appelé de refuser tout appel pour lequel l'affichage du numéro est bloqué par l'abonné appelant?

M. St-Amant: De un, actuellement, c'est techniquement possible. De deux, concrètement, toute personne qui a un répondeur téléphonique sait pertinemment qu'elle peut être chez elle et faire un filtrage, écouter et dire: Non, ça c'est un créancier, je ne veux pas lui parler, ou: Ça,

c'est mon député, je veux lui parler. Le filtrage est possible et facile et serait tout à fait pensable...

M. Cannon: Je tiens à vous indiquer tout de suite que, d'ailleurs, les propos que nous tenons ici, cet après-midi, sont enregistrés.

M. St-Amant: Nous le savions, M. le ministre.

Des voix: Ha,ha, ha!

M. Cannon: Donc, avec consentement.

M. St-Amant: Et nous sommes disposés à y consentir dans la mesure où c'est dans l'intérêt public.

M. Cannon: C'est bien.

M. St-Amant: Mais il y a même actuellement des entreprises de téléphonie, aux États-Unis - et je pense notamment à Pacific Telesis en Californie - qui ont opté pour un discours qui est fort intéressant et qui dit justement: Nous offrons un service de blocage gratuit. Vous, abonné à l'afficheur, ça vous donne une information de plus. Vous savez, par exemple, que l'appelant ne veut pas s'identifier. Donc, vous êtes libre de répondre ou non. On ne reviendra pas sur le caractère fallacieux de l'afficheur au départ. On pourrait faire un autre débat là-dessus. Mais oui, c'est une perspective qui est possible.

M. Cannon: O. K. Juste comme dernière question, pouvez-vous m'expliquer votre position face à l'utilisation d'une carte de crédit pour le paiement automatique des appels réalisés dans une cabine? Parce que je pense que vous l'avez évoqué dans votre dossier?

M. St-Amant: C'est un exemple qu'on mentionne et qui nous a frappé quand on a vu cette découpure dans le Journal de Montréal. C'est encore un cas où, pour poser un geste de consommation - c'est un geste tout à fait courant - en utilisant une carte de crédit, on diffuse des informations sur son compte. On fait en sorte que plein de gens vont savoir que j'ai appelé X tel jour, telle heure, alors qu'il est parfaitement possible d'avoir tous les avantages que peut procurer une carte de crédit sans avoir cet inconvénient.

Je pense, à cet égard, à l'expérience en France et en Grande-Bretagne, où on peut se procurer une carte d'appel qui est anonyme et qui permet à tout moment de faire un appel. On n'a qu'à insérer sa carte dans l'appareil. Quand on mentionnait que des choix technologiques sont possibles, mais qu'ils sont faits actuellement dans le but de favoriser la propagation d'informations qui ne sont utilisées que par certains, c'est un peu ça qu'on voulait dire. Il est tout à fait possible de faire des choix techniques, d'offrir des services qui sont tout aussi innovateurs, qui sont tout aussi efficaces, mais qui protègent intégralement la vie privée.

M. Cannon: O. K. Merci.

Le Président (M. Gauvin): Mme la députée de Terrobonne exprimait le désir de vous interroger.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Je suis très heureuse de voir que les premiers groupes qu'on entend aujourd'hui, ce sont deux groupes de consommateurs: la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et l'ACEF-Centre. Parce que, lors de ma première étude des crédits sur la protection du consommateur, en juin 1990, j'avais interrogé le ministre de la Justice, responsable de la protection du consommateur, sur plusieurs de ces sujets qui inquiétaient les consommateurs. Si le ministre des Communications s'inquiète que certaines industries puissent se sentir inconfortables devant un projet de loi qui pourrait encadrer la protection de la vie privée, je pense que les consommateurs, comme tels, se sentent très inconfortables, eux, depuis de nombreuses années, devant les nombreuses intrusions qui sont faites dans leur vie privée.

Votre mémoire, comme à l'habitude, est très clair, donne des exemples précis et a apporté une dimension extrêmement éclairante sur la confidentialité, principalement dans le domaine de la santé. Ce sont des questions qui avaient été abordées lors de l'étude du projet de loi 120 sur la santé. Vous nous démontrez très bien que, sans législation, simplement avec un afficheur, on peut contrevenir à toute cette partie confidentialité là qu'on voulait protéger par des projets de loi. On a eu ce problème-là dans différents projets de loi. Je pense aussi au projet de loi 102 sur l'instruction publique, où le ministre donnait accès à des renseignements nominatifs.

Je souhaite que ces audiences qui sont commencées... On nous annonce que seulement 6 audiences sont prévues à date sur 32 mémoires. Je souhaite vraiment que ce ne sera pas une occasion uniquement pour gagner du temps, mais qu'on va s'enligner très rapidement vers une véritable législation.

Très rapidement, dans vos recommandations, vous nous dites au point 2 qu'on devrait adopter intégralement les dispositions qui étaient prévues au projet de loi 125. Est-ce que vous auriez souhaité que d'autres dispositions qui n'y apparaissent pas soient ajoutées? Je reviendrai avec une autre question par la suite.

M. St-Amant: Je pense qu'on pourrait faire un vaste débat là-dessus. Si on prend en compte

le fait que le Code civil s'applique à toutes les relations entre les individus, je pense qu'il pourrait devenir extrêmement difficile d'insérer dans le Code des dispositions plus onéreuses, plus lourdes que ce qui existe déjà. Si, à chaque fois que je contacte Mme Rozon ou que je prends en note son nouveau numéro de téléphone, je dois l'informer que je constitue un fichier sur elle, je pense que ça deviendra ingérable. En ce sens-là, non. Je pense que les dispositions proposées actuellement constituent un minimum nécessaire mais acceptable.

Mme Caron: Merci. Je sais que vous êtes des spécialistes puisque vous travaillez continuellement au quotidien avec les consommateurs au niveau de l'information. Vous avez soulevé, dans votre mémoire - et c'est un fait important - le fait que, souvent, les consommateurs ne savent pas à quel point on utilise ces données qui sont enregistrées un peu partout et que ça contrevient vraiment à leur vie privée. Est-ce que vous avez des moyens concrets que vous nous proposez pour informer plus adéquatement les consommateurs?

Le Président (M. Gauvin): M. St-Amant ou quelqu'un d'autre veut y répondre?

M. St-Amant: Je voulais voir si mes collègues avaient des...

Le Président (M. Gauvin): M. Beaudoin.

M. Beaudoin: Bien, moi, disons que j'irais d'une couple d'hypothèses, là. C'est que, d'abord, quand les organismes ou les entreprises doivent formuler, c'est-à-dire construire un fichier pour un individu, déjà, qu'il y ait la nécessité d'informer cette personne-là d'une façon claire et pas dans des petits termes, là, écrits tout petits, etc., je pense que c'est une chose.

Deuxièmement, il faudrait vraiment qu'il y ait un effort de fait, même au niveau du gouvernement, au niveau de l'État, pour vraiment produire une campagne d'information pas mal en profondeur de l'ensemble de la population au niveau de qu'est-ce que c'est cette question-là de protection de la vie privée et tout ça. D'autre part, dans certains cas, ça prendra même la forme, encore là, d'une communication directe entre l'entreprise et le consommateur du style... carrément une lettre l'avisant qu'il y a telle chose qui existe et même l'informant du contenu du fichier informatique. Bon, en bref... Mais aussi, effectivement, peut-être que des associations de consommateurs pourraient davantage développer le volet éducation, formation dans ce volet-là. On le fait déjà et je vais vous donner un petit exemple tout de suite. Mais je dois dire que les associations de consommateurs, depuis déjà un bon nombre d'années, travaillent beaucoup avec des bénévoles, avec des gens au niveau de la permanence. Mais on manque de plus en plus de moyens, compte tenu du développement des dossiers et des dossiers de plus en plus complexes, finalement, qu'on manie.

Pour prendre un exemple, il nous arrive assez souvent, à l'ACEF de Québec, de faire des espèces de sessions de formation brèves, d'environ trois heures, au niveau de la gestion de budget personnel, soit de jeunes personnes, soit de gens malheureusement dans des comités de reclassement, des choses comme ça. On leur apprend souvent le b a ba de qu'est-ce que c'est la gestion du budget. On n'a pas fait d'enquêtes statistiques, mais c'est quand même surprenant de constater que, très souvent, une personne sur 15 dans les groupes qu'on rencontre sait clairement qu'elle a un dossier dans un bureau de crédit ou encore, évidemment, d'autres personnes le savent, mais parce qu'elles ont eu un problème avec le crédit.

Alors, il y a vraiment du travail à faire très important et ce n'est pas suffisant d'adopter des législations. Il faut vraiment développer l'éducation à la formation du public. Là-dessus, je ne sais pas si mes collègues veulent en rajouter.

Mme Rozon: Parce que par la voie des médias, c'est le médium qui permet de rejoindre un nombre considérable de gens, ne serait-ce que sur l'existence même de ces fichiers-là. Que les gens sachent qu'il y a des entreprises qui détiennent des informations sur eux et, tout dépendant de la législation qui sera adoptée, si les gens ont un droit d'accès à ces fichiers-là, bien, il faut au départ qu'ils soient informés de leur existence et les médias peuvent être un bon moyen.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Hull.

M. St-Amant: Si vous me permettez...

Le Président (M. Gauvin): Oui, M St-Amant.

M. St-Amant: ...juste un petit détail à ajouter. C'est un souvenir qui me revient. Je me souviens d'avoir vu, à un moment donné, une pochette d'information qui avait été préparée, en France, par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui était remarquable de clarté et qui contenait plein d'informations. Il y a sûrement, dans des pistes comme ça, des choses à explorer, que la Commisison d'accès à l'information ou tout autre organisme pourrait envisager d'examiner.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Hull.

M. LeSage: Merci, M. le Président. Si vous

le permettez, M. le Président, j'aimerais connaître l'opinion des intervenants, aujourd'hui, surtout en ce qui concerne l'affichage numérique. Lorsque ce système a été instauré et rendu disponible, entre autres dans la région de l'Outaouais, moi, j'y voyais, par exemple, une efficacité pour résoudre le problème des appels obscènes ou des appels non désirés. J'aimerais connaître votre point de vue là-dessus.

L'autre qui me préoccupe encore plus, lorsque vous parlez du blocage, c'est le système téléphonique 911. Je reviens encore à la région de l'Outaouais, alors qu'on s'apprête à instaurer un système de 911, comme ça existe ailleurs aux États-Unis et en Ontario. Dans l'Outaouais, le système qui sera instauré est une console reliée à plusieurs services de sécurité publique parce qu'il y a plusieurs municipalités qui seront impliquées dans ce système. Le système fera en sorte que, dépendamment du numéro de téléphone d'où on appelle, les services pourront déterminer de quel secteur l'appel provient et l'acheminer plus facilement et plus rapidement au service d'incendie ou au service de police concerné, et eux autres pourront savoir aussi de quel secteur ça provient. Est-ce que vous reconnaissez le bien-fondé de ces deux systèmes-là?

M. St-Amant: Sans aucune difficulté. Il est clair, au niveau des systèmes 911, que c'est extrêmement utile. On n'a aucun problème avec ça. Dans les deux cas, les deux volets de votre question reviennent, dans le fond, à la même chose, et c'est à la nature même du blocage du numéro de téléphone, il est techniquement tout à fait possible - et ça se fait présentement, aux États-Unis entre autres - de faire en sorte que le blocage soit effectué en ce qui a trait à l'afficheur comme tel, mais pas au système 911. Donc, à ce niveau-là, il n'y a pas de problème. Le système informatique de l'entreprise de téléphonie fait lui-même le tri, dans le fond, dans les cas où il faut bloquer ou pas.

Quant aux appels importuns, aux appels obscènes, ce que Bell Canada et les autres entreprises de téléphonie ne disent pas toujours beaucoup, c'est qu'en même temps que l'afficheur, elles commercialisent un service qu'elles appellent le dépisteur, service qui est expressément conçu pour permettre le dépistage de la source des appels importuns. C'est un service qui ne peut pas être bloqué et qui fonctionne de la façon suivante. Si vous êtes abonné à ce service et que vous recevez un appel importun, vous raccrochez et vous composez immédiatement un code sur votre appareil. À ce moment-là, le numéro de téléphone de l'appelant importun est saisi par le système informatique de la compagnie de téléphone et transmis aux forces de l'ordre. Ça a d'immenses avantages parce que, si vous ne captez le numéro de téléphone que sur un petit écran, de un, vous pouvez vous tromper à la lecture. Deux, c'est votre témoignage contre celui de l'abonné à ce numéro de téléphone là si ça se retrouve devant un tribunal. La force probante est modérément convaincante, alors que, si on utilise le dépisteur, comme le numéro de téléphone de l'appelant est saisi par le système, on n'a pas ce problème-là. L'information est claire, nette, probante et ça a l'immense avantage que des informations à caractère privé ne se répandent pas sans aucune contrôle dans la nature. Donc, l'usage du dépisteur permet d'obtenir au même coût tous les avantages que donne l'afficheur sans les inconvénients.

Le Président (M. Gauvin): Je vous remercie, M. St-Amant. Je vais reconnaître le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Vous avez mentionné qu'il y a peut-être une personne sur 15 qui demande son dossier de crédit, par exemple. On va entendre tout à l'heure Équifax, là, et, dans leur autoréglementation, il y a de prévu qu'une personne peut consulter son dossier de crédit. J'en parle à l'aise, je suis dans les 14 personnes sur 15 qui n'ont jamais eu la curiosité de faire sortir leur dossier de crédit. Et je vous pose la question. Vous parlez d'information pour que les gens prennent conscience de ce qui les concerne et qui circule, et une des sources, c'est ces dossiers de crédit. Est-ce que vous auriez des suggestions à faire, d'une façon facile, pour que les personnes aient leur dossier de crédit? Est-ce qu'il est imaginable, par exemple, de le donner à tout le monde, que ce ne soit pas une démarche qu'un citoyen doive faire pour lire son dossier de crédit? Je vous pose la question. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on reçoit de l'information à s'en rendre fou, par la poste, entre autres, et par distribution-maison. Pourquoi celle-là ne nous serait-elle pas comme donnée d'emblée pour qu'on sache ce qui circule à notre sujet? Deux questions, donc celle-là et l'autre c'est: Si je demande mon dossier de crédit à un bureau de crédit et que, par hypothèse, je fais faire un ajout - et les corrections, apparemment, ce n'est pas simple à obtenir - est-ce à dire que, s'il y a 204 bureaux de crédit, il faudra que je le demande 204 fois, mon dossier de crédit, pour faire possiblement 150 corrections? Parce qu'il n'y a rien qui me dit que tous les bureaux de crédit ont la même information me concernant.

Le Président (M. Gauvin): Brièvement, M. St-Amant, parce que le temps est presque écoulé; brièvement pour la réponse. M. Beaudoin.

M. Beaudoin: Écoutez, au fond, ma réponse, c'est que je n'ai pas la réponse. Je connais moins ce dossier-là. Je ne sais pas si mes camarades pourraient éclairer M. Bourdon là-dessus.

M. St-Amant: La piste que propose M.

Bourdon peut être intéressante. Ce qui peut s'envisager aussi et qui devrait toujours se faire, c'est que, lorsqu'une personne, une institution financière, par exemple, prend une décision sur la base d'un dossier de crédit, elle devrait révéler à la personne les informations qu'elle utilise pour rendre une décision. Ça me paraît assez fondamental.

M. Bourdon: Je trouve ça très bon dans le sens que, si une institution financière sait des choses me concernant, j'ai le droit de savoir ce qu'elle sait; qu'elle m'en donne une copie.

M. St-Amant: J'aimerais juste apporter une précision, si vous me permettez, très brièvement.

Le Président (M. Gauvin): M. St-Amant, oui.

M. St-Amant: Je parlais tantôt du projet de code de conduite de l'Association des banquiers canadiens. Il est fort intéressant de constater que ce projet de code là suggère aux banques d'informer le consommateur des informations qu'elles transmettent une première fois aux bureaux de crédit, mais ne leur fait absolument pas obligation, au contraire, d'informer le consommateur des corrections qu'elles apportent de temps à autre. Je ne comprends pas la logique qui a pu inspirer les rédacteurs de ce code, en toute déférence.

Le Président (M. Gauvin): Merci, M. St-Amant. M. le ministre des Communications, vous voulez ajouter, même si le temps est presque écoulé?

M. Cannon: Oui. Bien, c'est-à-dire... Vous m'avez dit, M. le Président, que le temps est écoulé, alors je me permets de remercier les intervenants qui sont venus témoigner cet après-midi devant la commission, les remercier pour l'attention qu'ils prêtent à cette chose. Et je suis convaincu qu'au moment de la rédaction de ce projet de loi, et bien sûr au moment du dépôt du projet de loi, on saura à nouveau se consulter mutuellement. En vous remerciant.

M. St-Amant: Nous en serons ravis, M. le ministre.

Le Président (M. Gauvin): Merci, monsieur. J'aimerais, à ce moment-ci, étant donné que le temps est écoulé, remercier les représentants de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec et de l'ACEF-Centre. Je vous remercie.

Nous allons inviter le groupe d'Équifax à prendre place et, pour leur permettre de prendre place, on va suspendre les travaux quelques secondes.

(Suspension de la séance à 17 h 35)

(Reprise à 17 h 36)

Le Président (M. Gauvin): J'inviterais Équifax à prendre place, comme je le mentionnais, pour qu'on puisse reprendre nos travaux. Et j'invite les membres de la commission aussi à prendre place. Le groupe Équifax Canada inc. représenté par M. Jean-Claude Chartrand. président. Donc, je vous inviterais, M. Chartrand à nous présenter vos collaborateurs.

Équifax Canada inc.

M. Edwards (Martin J.): Si vous me permettez, je suis le conseiller juridique d'Équifax Canada inc., Martin J. Edwards, du bureau Lavery, de Billy. Les représentants et porte-parole d'Équifax aujourd'hui sont M. Jean-Claude Chartrand, président et chef de la direction, et M. Michel Globensky, à mon extrême droite, vice-président adjoint aux relations publiques. Équifax a présenté un mémoire écrit et entend aujourd'hui vous livrer des commentaires complémentaires, et n'entend pas revenir en détail sur tous (es aspects de ce mémoire-là. Puisque ce n'est pas le conseiller juridique que vous désirez entendre, je vais céder immédiatement la parole à M. Chartrand.

Le Président (M. Gauvin): M. Chartrand, on vous écoute pour la présentation.

M. Chartrand (Jean-Claude): Merci, M. le Président. Tout d'abord, nous voulons remercier les membres de la commission de nous avoir invités à participer à ces travaux de consultation dans le cadre de cette consultation portant sur la protection de la vie privée. Et nous tenons à féliciter les ministères de la Justice et des Communications d'avoir pris une telle initiative.

Équifax Canada est le chef de file dans l'industrie de l'information d'affaires au Canada. Depuis plusieurs années, nous sommes au service de milliers d'entreprises québécoises et canadiennes. Nous employons plus de 1500 personnes, dont quelque 700 ici, au Québec. Les services que nous offrons permettent à des centaines de milliers de consommateurs d'obtenir du crédit pour acheter les biens dont ils ont besoin, d'assurer leur vie ou propriétés, d'améliorer leur profession ou emploi. Nos clients incluent des banques, compagnies d'assurances, manufacturiers, agences gouvernementales, utilités publiques, enfin les firmes spécialisées dans le domaine des services financiers qui sont devenues si importantes dans l'économie canadienne au cours des ans.

Équifax est membre de l'Association des bureaux de crédit du Québec et du Canada, de l'Association des directeurs de crédit du Canada et de l'Association internationale de crédit. Je crois qu'il serait utile, M. le Président, de jeter un bref regard sur l'environnement économique

du Québec et du Canada. Nous savons que l'économie mondiale, et particulièrement celle du Canada et du Québec, est profondément différente aujourd'hui d'il y a 20 ans. Les forces globales de notre économie, la compétition, la technologie innovatrice et l'information en général ont transformé et continuent de transformer le monde dans lequel nous vivons. Ces changements apportent avec eux une société de consommation qui est en constante évolution.

La disponibilité de l'information et les capacités qui sont rendues possibles par la nouvelle technologie sont dramatiques. Alors que nous faisons des efforts considérables pour assurer la compétitivité du Québec dans l'économie canadienne et nord-américaine, les nouvelles dynamiques du marché mondial créent des divergences de marché chez nous. Les nouveaux produits et services prolifèrent et, en même temps, les choix pour les consommateurs. Le consommateur moyen devient, lui, de plus en plus éduqué et connaît les choix et les droits qui lui sont disponibles. L'industrie de l'information doit aussi reconnaître ces changements démographiques de façon à améliorer les communications et les transactions entre acheteurs et vendeurs.

Le crédit est important dans notre société de consommation et nous croyons que les bureaux de crédit et agences d'information de crédit jouent un rôle important dans la dissémination de renseignements pertinents à l'obtention de crédit. Il est donc impérieux que les partenaires du sytème puissent offir une information précise et efficace sans mettre en péril le droit à la vie privée des consommateurs.

Équifax n'hésite pas à affirmer, M. le Président, qu'elle a toujours respecté les législations québécoises en matière de protection du consommateur et d'accès à l'information. D'ailleurs, notre réputation auprès de l'Office de la protection du consommateur est très enviable.

Il est généralement accepté que le monde des affaires a droit à des jugements bien informés lorsque vient le moment de prendre des décisions en matière de crédit, assurances ou emploi. Toutefois, ce droit n'est pas absolu et doit s'exercer en fonction des intérêts raisonnables des individus de protéger leur vie privée et s'assurer que les informations recueillies sur eux sont exactes, sont gardées confidentielles et qu'un mécanisme de correction existe.

L'objectif premier des lois existantes dans leur sens le plus large est d'offrir un équilibre entre les intérêts des consommateurs et du milieu des affaires. Nous croyons que la législation actuelle réussit à maintenir cet équilibre; à preuve, les milliers de transactions qui se font à tous les jours et le nombre à peu près inexistant de plaintes enregistrées à l'Office de la protection du consommateur. La combinaison des lois et pratiques que l'industrie s'est imposée a permis à la société de consommation de prospérer d'une façon efficace; c'est-à-dire que les décisions se font rapidement, équitablement et à des prix raisonnables. Mais tout aussi efficace qu'elle puisse être, nous reconnaissons qu'il y a toujours matière à amélioration et nous sommes prêts à oeuvrer avec les parties intéressées de façon à identifier et corriger les failles qui existent, car, en plus du respect des lois, le public consommateur veut et s'attend à ce que les compagnies mettent sur pied des pratiques et des codes d'éthique volontaires visant a assurer la cueillette et la gestion de l'information.

Équifax s'est imposée des règles très strictes de confidentialité et de professionnalisme dans le traitement de l'information. Les procédures mises sur pied voient à la sécurité de l'accès à l'information, au respect du droit des consommateurs de prendre connaissance et de réviser leur dossier, également à la revérification de toute information contestée par le consommateur et au respect intégral du code de déontologie de l'Association des bureaux de crédit du Québec et du Canada.

Bien que nous soyons disposés à travailler avec d'autres organismes afin d'assurer l'efficacité des lois existantes, nous nous opposerons à des propositions faites au nom des droits et du maintien de la vie privée des consommateurs qui ne serviraient vraiment pas leurs intérêts et qui, de fait, détruiraient l'équilibre entre les droits des consommateurs et le besoin d'effectuer des transactions d'affaires éclairées.

Équifax accepte les responsabilités qui lui incombent dans le traitement de l'information factuelle, la première étant envers la personne faisant une demande pour un bénéfice quelconque; la deuxième, à l'entreprise impliquée dans une transaction d'affaires, et, la troisième, à la population en général. En conséquence, nos objectifs peuvent à l'occasion être différents de ceux de nos clients d'affaires ou du milieu gouvernemental que nous desservons. Dans le passé, nous avons, lorsqu'il est devenu nécessaire, avisé les institutions prêteuses, compagnies d'assurances ou autres des procédures et politiques devant, selon nous, être observées afin de protéger le droit des consommateurs et nous continuerons de le faire.

Pour bien appuyer nos politiques, nous attirons votre attention, M. le Président, sur le rapport qu'Équifax a parrainé l'an passé - je parle d'Equifax U.S. - qui s'intitule 'The Equifax Report on Consumers in the Information Age". Pour ce faire, nous avions retenu les services du Dr Allan Westin, de l'Université de Columbia, qui est une sommité nord-américaine dans le domaine de la vie privée. Le Dr Westin a souvent collaboré avec des experts canadiens oeuvrant dans le même domaine. Bien que ce rapport soit le reflet de la situation aux États-Unis, nous devons ajouter que nous avons demandé au Dr Westin et à la firme Louis Harris de mener une minienquête ici, au Canada; ce qu'ils ont fait. Les résultats reflétèrent assez fidèlement les résul-

tats du rapport américain. Le rapport canadien n'a pas été publié car le nombre de personnes qui avaient été interviewées était insuffisant pour en faire la publication.

Finalement, permettez-moi d'ajouter que nos propres procédures de vérifications internes incluent les systèmes informatiques, la qualité et l'exactitude du traitement de l'information et la formation de notre personnel sur tout ce qui se rattache à la confidentialité des informations et au respect des droits des consommateurs. Avec votre permission, M. le Président, j'aimerais demander à M. Globensky d'élaborer sur les politiques et les procédures en place, veillant à assurer une gestion efficace sur l'information.

Le Président (M. Gauvin): M. Globensky, en vous rappelant que l'ensemble de votre présentation devrait se regrouper normalement à l'intérieur de 20 minutes. On y va.

M. Globensky (Michel C): Merci, M. le Président. La division du service d'information de crédit d'Équifax opère un réseau de 31 bureaux de crédit au Canada; 8 de ces bureaux nous appartiennent. Les 23 autres bureaux appartiennent à des entreprises indépendantes avec qui nous avons des ententes de services. Nous n'avons qu'un fichier, une banque de données qui couvre tout le Canada. Dans la province de Québec, nous desservons la clientèle de deux bureaux, soit un à Montréal et un à Chicoutimi. Le bureau de Montréal nous appartient et le bureau de Chicoutimi appartient à un affilié à notre réseau.

Dans la province de Québec, nous répondons quotidiennement à au-delà de 10 000 interrogations de la part de clients de notre réseau. La très grande majorité de ces accès se font par des postes informatiques reliés à notre banque de données. Comme M. Chartrand vous l'a expliqué, le client du bureau de crédit peut être une institution financière, une compagnie émettrice de cartes de crédit, un magasin à rayons, un professionnel, une utilité publique, un ministère, bref toute entreprise ayant satisfait à notre critère, à savoir un besoin sérieux et légitime d'informations facilitant la prise de décisions d'affaires mieux éclairées.

Le bureau de crédit est une coopérative d'informations de crédit. Cette coopérative est alimentée en grande partie par ses membres de façon systématique. Les renseignements ainsi reçus sont triés et inscrits à la fiche du consommateur concerné et sont disponibles à ses membres sur demande. La fiche de crédit typique contient ou peut contenir ce qui suit: les principales coordonnées du consommateur - nom, adresse, âge, emploi - toutes les demandes de renseignements que nous avons reçues à son sujet, les expériences de comptes fournies par les membres témoignant de la façon dont le sujet s'acquitte de ses obligations, des renseignements d'archives publiques des cours civiles au niveau des jugements rendus - inscription au depôi volontaire, faillite. Le bureau de crédit ne compile aucune donnée relative à la race, à la religion, à l'état de santé, à l'appartenance politique, aux habitudes personnelles du consom mateur. Nous n'inscrivons pas non plus les détails des achats de biens ou de services qui ont fait l'objet de financement.

Tel que déjà mentionné, l'accès du client au bureau de crédit se doit d'être justifié par un besoin sérieux et légitime. Le client s'engage par écrit à respecter la confidentialité des renseignements ainsi obtenus. Notre personnel, dès l'embauche et de façon périodique par après, s'engage par écrit à respecter et à protéger la confidentialité des renseignements auxquels il peut avoir accès. Tant pour un client que pour un employé, l'accès au fichier exige la connaissance d'un protocole d'accès particulier au demandeur. Nos systèmes internes de surveillance nous permettent de vérifier tous les accès au fichier et aux fiches individuelles. Le consommateur a droit d'accès à sa fiche de crédit, a le droit de contester, de faire vérifier et corriger, s'il y a lieu, toute information qui s'y trouve. Si, après vérification, une divergence d'opinion subsiste entre la source d'information et le consommateur, ce dernier peut faire inscrire sa version des faits à la fiche. Toute modification faite à la fiche est communiquée à un client qui a déjà obtenu l'information. En moyenne, 2300 consommateurs québécois, à tous les mois, communiquent avec le bureau de crédit pour avoir accès à leur fiche de crédit.

Équtfax a créé, en 1990, un office des relations avec les consommateurs. Je suis responsable de ce poste et je me rapporte directement à M. Chartrand, chef de la direction. Mon mandat est de favoriser et de faciliter les communications avec les consommateurs et de veiller à ce que nos pratiques soient conformes à notre politique qui veut que toute personne est en droit de s'attendre à ce que sa demande de crédit, de protection d'assurances, d'emploi ou en liaison avec tout autre avantage soit examinée selon ses mérites. Toute personne cherchant à se qualifier pour une transaction doit être traitée de façon respectueuse et équitable. Toute personne est en droit de connaître les renseignements qui ont été divulgués à son sujet afin d'en assurer l'exactitude, de les corriger ou de les commenter si nécessaire. Toute personne a droit à la protection de sa vie privée par la conserva tion sécuritaire et la diffusion prudente des renseignements la concernant.

M. Chartrand a référé tantôt au code de déontologie auquel nous souscrivons dans l'Association des bureaux de crédit du Canada qui parle en titre, brièvement, de compiler linforma-tion financière, de donner l'information seulement à des personnes autorisées, de donner aux individus le droit de consulter leur propre

dossier, de garder en dossier l'information exacte, de transiger de façon efficace et rapidement, de garder l'information appropriée et d'observer les lois du pays. Nous croyons que, dans ce contexte-là, nous nous rapprochons de très près des lignes directrices de l'OCDE qui, en fin de compte, exige une compatibilité à tout le moins avec les pratiques européennes.

Sur ce, je voudrais redonner la parole à M. Chartrand, anticipant le plaisir de répondre à des questions concernant l'aperçu que je vous ai donné sur nos activités. Merci.

Le Président (M. Gauvin): M. Chartrand, est-ce que vous continuez l'exposé?

M. Chartrand: Je vais terminer, M. le Président, tout simplement pour vous rappeler peut-être que nous sommes tous d'accord pour dire que nous vivons dans une société complexe, interreliée et technologiquement plus sophistiquée. Ce fait suscite un certain degré de trépidation car il peut créer des complications venant d'un peu partout. L'industrie de l'information et sûrement Équifax vont continuer à faire face aux nouveaux défis tout en tentant d'atteindre le plus grand niveau de transparence, et ce, à tous les échelons.

Nous croyons que la concertation de tous les intervenants, et particulièrement les principaux intéressés, soit les consommateurs, sera une force positive dans la recherche d'une efficacité accrue. Nous tenons à vous remercier et, encore une fois, M. le Président, il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre des Communications, des questions?

M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Je voudrais féliciter les gens d'Équifax pour nous avoir présenté, à l'occasion de cette consultation générale, leur point de vue et les remercier, bien sûr, de se prêter a ce questionnement.

Vous avez mentionné, M. Chartrand, l'obligation d'exactitude. Vous en avez parlé tout à l'heure dans l'espèce de code de confidentialité qui existe chez vous. La question que je me pose: Est-ce que, finalement, c'est au consommateur de s'occuper d'aller consulter sa fiche? Pour reprendre un peu la question que mon collègue posait tout à l'heure à l'autre organisme, est-ce que c'est le consommateur qui est chargé, lui, d'aller chercher l'information plutôt qu'obtenir l'information de la part d'Équifax?

M. Chartrand: De notre part, il n'y a pas de communication entre Équifax et le consommateur, la communication se fait par le biais de l'institution financière. En fait, le client, chez nous, c'est la maison de crédit, c'est l'institution financière, c'est la banque qui, elle, vient chez nous pour obtenir une information. Si, à la suite de l'information qui est fournie, l'application pour un prêt, une carte de crédit ou une autre transaction n'est pas acceptée, j'assume que l'institution financière avertit le consommateur en question d'aller s'informer auprès du bureau de crédit ou, en fait, lui dit que c'est l'information qui lui a été fournie par Équifax ou le bureau de crédit et lui donne le numéro de téléphone, l'adresse d'Équifax à Montréal ou ailleurs pour aller s'informer. D'ailleurs, c'est une pratique qui fait partie de la loi américaine qui oblige les institutions, à ce moment-là, à avertir par lettre du refus d'une application et à les diriger vers le bureau de crédit où l'information a été obtenue.

M. Cannon: Donc, dans le clair, d'une façon très précise, l'odieux repose sur les épaules du consommateur. Autrement dit, si je me faisais refuser, à une institution bancaire ou à une agence de crédit, une marge de crédit ou un prêt et si je ne poussais pas la chose un petit peu plus loin, c'est-à-dire à savoir du banquier ou de l'agent prêteur les raisons de ce refus, dans la mesure où, évidemment, j'ai un dossier de crédit qui est négatif, je ne pourrais pas savoir si une entreprise comme la vôtre détient des renseignements confidentiels sur ma personne en ce qui concerne ma réputation de crédit.

M. Chartrand: II faut faire attention un peu, M. le ministre. Quand, nous, on donne l'information à l'institution financière, on n'est pas au courant, on n'est pas en mesure de dire si oui ou non l'application va être acceptée. Alors, évidemment, on ne connaît pas et on ne sait pas à ce moment-là qu'il va éventuellement y avoir un refus. Moi, je peux vous dire que l'institution financière, bien sûr, lorsqu'elle refuse une application de crédit, elle est en mesure tout de même de retourner vers le consommateur, de l'avertir de la décision de l'institution financière et on l'encourage, en fait, à dire au consommateur les raisons du refus, soit l'information qui a été reçue du bureau de crédit, et d'aller consulter son dossier de crédit, si la personne veut bien le faire, bien sûr.

M. Cannon: Mais au moment où on se parle, M. Chartrand, autre que de présumer que vous détenez des renseignements sur mon fichier personnel financier, je peux faire cette présomption, mais je ne peux pas la faire avec certitude tant et aussi longtemps que je n'aurai pas été chez vous ou par l'entremise d'une institution bancaire pour connaître la nature des informations.

M. Chartrand: C'est exact.

M. Cannon: Ce qui m'amène à vous poser la question suivante: Que faites-vous dans le cas de renseignements qui sont erronés où, effective-

ment, il y a des inexactitudes? Que se produit-il à ce moment-là? Est-ce que c'est toujours aux soins du consommateur de rectifier ou de corriger cette chose-là avant d'aller voir le banquier pour le prêt, etc.?

M. Chartrand: Lorsque le consommateur est informé de renseignements qui existent au bureau de crédit, ou s'il y a refus, ou même, en fait, dans les cas où il n'y a pas de refus, bien sûr, le consommateur a le droit de se présenter au bureau de crédit, de prendre connaissance des informations et de faire les corrections ou de donner sa version des faits sur la raison de l'information soit erronée ou incomplète. Nous, à ce moment-là, on a l'obligation de faire les corrections nécessaires s'il y a lieu.

M. Cannon: Pouniez-vous simplement, pour les fins du débat, nous expliquer comment, d'une façon très précise, ça peut fonctionner ça? J'arrive chez vous et je dis: Bref, je voudrais consulter mon dossier. Vous me faites sortir ce dossier et... Je vous laisse continuer. J'aimerais savoir, en termes de procédure, comment ça fonctionne.

M. Chartrand: Alors, on fait sortir le dossier et on en fait la révision complète avec le consommateur qui est présent devant la personne qui fait l'entrevue avec le consommateur et qui prend note, à ce moment-là, des remarques du consommateur et qui prend note également des informations du consommateur à l'effet que peut-être certains détails sont incomplets et, si tel est le cas, on procède immédiatement à une revérification de l'information.

M. Cannon: À rectifier. Il se produit quoi si le consommateur est à Saint-Pacôme, dans le comté de Kamouraska, ou à Gaspé? Comment est-ce qu'il procède là...

M. Chartrand: II peut communiquer...

M. Cannon: ...s'il ne vient pas à Québec, ou à Montréal, ou à Chicoutimi?

M. Chartrand: Michel, il y a des...

M. Globensky: Nous avons des lignes téléphoniques sans frais à travers la province. Pour ce qui est des entrevues avec les consommateurs, elles sont possibles à Chicoutimi, à Québec et à Montréal. Le consommateur qui est en région éloignée peut communiquer avec nous par téléphone et nous prenons les moyens nécessaires afin de nous assurer qu'il s'agit bien de la bonne personne avant de discuter les renseignements.

Je voudrais peut-être rajouter un point sur votre question de tantôt. Nos clients, évidemment, la dernière chose qu'ils veulent faire, c'est de refuser un consommateur; ils veulent faire des affaires. Souvent, un gros pourcentage de consommateurs qui se présentent chez nous ou qui communiquent avec nous n'ont pas été refusés, mais le marchand, l'institution finan cière, la banque leur a dit: II y a quelque chose dans ton dossier de crédit, et, bon, ils en discutent. Finalement, le banquier ou l'institution financière, le commerçant accepte le crédit, mais, suite à la discussion, le consommateur communique avec chez nous afin de clarifier certains points. Alors, ça se fait beaucoup de cette façon-là.

M. Cannon: Peut-être une dernière question avant de céder la parole au porte-parole de l'Opposition pour qu'on puisse se garder un peu de temps de ce côté-ci. Vous avez mentionne qu'aux États-Unis et en Ontario vos activités étaient assujetties à une loi. Êtes-vous en mesure de me dire si les services que vous rendez aux entreprises, aux États-Unis et en Ontario, coûtent plus cher qu'ici ou moins cher?

M. Chartrand: Oui, évidemment, si on parle des États-Unis, la loi qui est existante là-bas, c'est le "Fair Credit Reporting Act". Si vous voulez pariez du coût de l'information, évidemment, il y a toutes sortes de facteurs qui entrent en ligne de compte. (18 heures)

M. Cannon: Ça, je comprends. Mais est-ce que, finalement, c'est majoré parce que vous êtes assujettis à une loi là-bas, aux États-Unis ou en Ontario, ou est-ce que c'est des coûts qui sont pas mal de base, partout pareils?

M. Chartrand: En fait, les coûts et les services au Québec sont les mêmes qu'en Ontario et dans les autres provinces.

M. Cannon: Merci.

M. Chartrand: D'ailleurs, les critères... On a parlé tout à l'heure de critères de purge de l'information et tout le restant. Même si, au Québec, il n'existe rien, en fait, les critères de purge qui sont en pratique en Ontario sont adoptés ici, au Québec.

M. Cannon: Merci.

Le Président (M. Gauvin): Merci, M Char trand. Je reconnais M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: M. le Président, je voudrais remercier nos interlocuteurs de leur mémoire. Ils font le tour de la question d'une façon très cohérente. Une question qui me venait à l'esprit. Vous dites que vous recevez 2300 demandes de consommateurs par mois pour consulter leur fiche de crédit. Est-ce que vous pourriez nous dire sur

combien de consommateurs vous avez des fiches de crédit? Et est-ce que vous avez connaissance de quel pourcentage d'entre eux l'ont déjà demandée? Ça représente quel pourcentage des consommateurs?

M. Globensky: Écoutez, on peut dire que toute personne qui a déjà fait des affaires à crédit normalement est fichée chez nous. En chiffres purs, combien de fiches de crédit nous avons sur la population québécoise? On a probablement des fiches sur 90 % peut-être de la population adulte, je veux dire. Maintenant, j'ai mentionné que 2300 consommateurs à tous les mois, et ce depuis des années et des années, communiquent avec nous, soit par téléphone ou en personne, pour avoir l'information; par écrit aussi.

M. Bourdon: Je prends le pourcentage que vous donnez, 90 % de la population adulte, mettons 4 500 000 fiches, par hypothèse. Ça veut dire que, par année, il y en a 30 000 qui demandent à voir leur fiche de crédit.

M. Globensky: C'est ça.

M. Bourdon: Dans vos activités, vous dites que vous avez des services d'information de crédit, des services de recouvrement et des services d'information d'assurances. De quels renseignements avez-vous besoin pour vos services de recouvrement et de quelle façon vous vous les procurez?

M. Globensky: Les services de recouvrement nous fournissent l'information sur les comptes qu'ils reçoivent, à percevoir, parce que ça devient de l'information de crédit valable aux autres clients. Les services de recouvrement ont un besoin sérieux et légitime d'information pour faciliter leur travail vers le recouvrement d'une créance. Alors, ils s'adressent à nous pour avoir peut-être l'adresse à jour du consommateur, son emploi, etc., qui va les aider dans la perception du compte.

M. Bourdon: Est-ce que les services de recouvrement vous demandent parfois de retracer une personne qui serait partie sans laisser d'adresse, mettons?

M. Globensky: Non, ils ont leur propre service de dépistage.

M. Bourdon: O.K. Les services d'information d'assurances, c'est quoi, par exemple?

M. Chartrand: Si on a voulu dire ça, c'est tout simplement qu'il y a une division chez nous qui fournit des renseignements principalement aux compagnies d'assurances au moment de l'évaluation d'un risque d'assurances. Que ce soit l'inspection d'une propriété, que ce soit pour l'assurance-vie ou accident, maladie, automobile. Il s'agit de fournir des renseignements qui vont aider la compagnie d'assurances dans l'évaluation du risque et dans la souscription du risque. Essentiellement, c'est la division des services d'information d'assurances.

M. Bourdon: Maintenant, dans le travail que vous effectuez, par exemple en matière d'assurances, est-ce que vous avez accès à des données médicales sur la personne?

M. Chartrand: Venant d'où, monsieur? Venant de quel endroit?

M. Bourdon: Je l'ignore, je vous pose la question. Vous donnez des informations à des firmes d'assurances à qui, par exemple, on demande de souscrire à une assurance-vie. Donc, on peut penser que l'assureur s'interroge sur l'état de santé de la personne qui veut s'assurer.

M. Chartrand: Dans le cours d'une enquête comme celle que vous mentionnez, on fait l'entrevue avec l'"applicant". Et, bien sûr, à ce moment-là, si I'"applicant" nous fournit des informations sur ses antécédents médicaux, cette information-là va être donnée à la compagnie d'assurances qui nous a demandé l'enquête. Mais ça se fait à partir de l'entrevue avec I'"applicant" lui-même.

M. Bourdon: Est-ce que ('"applicant", comme vous le dites, rencontre un médecin que vous désignez ou s'il vient vous rencontrer?

M. Chartrand: On ne parte pas d'examen médical, on parle simplement de maladies passées. On parle d'histoire médicale, quand on fait l'entrevue, et on lui demande à ce moment-là s'il a eu des maladies dans le passé et, si ¦'"applicant" nous fournit l'information, on ne fait tout simplement que la transmettre à la compagnie d'assurances. Il n'est pas question, à ce moment-là, d'arranger un examen médical avec un médecin.

M. Bourdon: Dans les dossiers de crédit, est-ce que vous avez accès aux jugements de cour qui peuvent toucher une personne et de quelle manière y avez-vous accès?

M. Chartrand: Les informations sur les archives publiques, les jugements et les choses comme ça nous sont accessibles et on les obtient régulièrement, systématiquement.

M. Bourdon: Quand vous dites "systématiquement", est-ce à dire que c'est une relation d'ordinateur à ordinateur?

M. Chartrand: Non, pas tout à fait. Ça se

rapproche peut-être. Ça nous provient par le biais de bandes magnétiques.

M. Bourdon: Et est-ce que vous avez des moyens pratiques de vérifier que les jugements dont on parle sont pertinents au crédit de la personne?

M. Chartrand: Évidemment, lorsque l'on fournit un renseignement sur un jugement, par exemple, et si on ne connaît pas la disposition du jugement, on fait une notation au dossier à l'effet qu'on ne connaît pas la disposition du jugement.

M. Bourdon: Mais, par exemple, le maire d'une municipalité qui est mis en cause dans une procédure judiciaire, il est mis en cause parce que c'est lui qui représente la municipalité. Trouvez-vous normal que ça se retrouve dans son dossier de crédit, qu'il est mis en cause?

M. Chartrand: Vous voulez dire qu'il est mis en cause par le biais ou, en fait, à cause d'un problème de municipalité?

M. Bourdon: II y a une personne qui requiert, qui va en justice contre une autre, admettons, et qui met en cause la municipalité parce que la municipalité a le titre, ou a vendu le terrain, ou... en tout cas, il est mis en cause. Il n'est pas défendeur, il est mis en cause parce que, comme maire de la ville, c'est lui qui répond de la ville. Est-ce qu'il est normal que ça, ça se retrouve dans son dossier de crédit?

M. Chartrand: II se peut que, dans la circonstance que vous expliquez, l'exemple que vous donnez, cette information-là soit mise au dossier. C'est possible. Je ne sais pas si, effectivement, ça pourrait se produire dans le cas que vous décrivez. Je suppose que c'est une possibilité.

M. Bourdon: Est-ce que quelqu'un chez vous vérifie si le jugement de cour dont on parle est pertinent au crédit de la personne?

M. Chartrand: L'institution financière qui reçoit l'information, bien sûr, va juger de la pertinence de l'information. Nous, on reçoit l'information concernant un jugement sur une personne. On fournit l'information. Si on ne connaît pas la disposition de l'action légale, on l'indique sur le dossier. L'institution prêteuse, que ce soit la banque ou la maison de crédit, qui reçoit l'information, on assume que cette maison-là va vérifier avec la personne en disant, à ce moment-là: On nous a fourni une information à cet effet. Est-ce qu'on pourrait avoir plus de détails?

Il faut bien préciser que, nous, en fait, on reçoit l'information. C'est bien sûr qu'on vou- drait bien que les jugements et toutes les informations concernant les jugements soient à jour et qu'elles soient aussi récentes qu'hier, et on voudrait bien avoir la disposition de tous les jugements et de toutes les actions légales qui ont été pris. Malheureusement, ce n'est probablement pas possible; d'abord, l'information n'est pas disponible. Alors, nous, évidemment, on donne l'information; on la donne sous une certaine réserve en disant, à ce moment-là, que la disposition n'est pas connue. Et si on nous demande de faire une vérification plus poussée, mais, bien sûr, à ce moment-là, on va le faire.

M. Bourdon: Je vais vous donner un exemple; et je ne veux pas allonger. À un moment donné, moi, j'essayais de louer quelque chose - il y a 15 ans - et on m'a répondu que la chose que je voulais louer, on pourrait me la vendre parce qu'il n'y avait pas de problème avec mon crédit mais que, pour ce qui était de louer, il y avait un problème avec mon crédit. Alors, j'ai dit: Quel est-il? De quelle nature est ce problème? On m'a dit: II y a 8 ans, vous avez été condamné à la Cour des petites créances a 120 $ contre votre propriétaire, sur telle rue a Montréal. Je vous dis le contenu du jugement. C'est que, lui, il disait que la toilette ne datait pas de la bâtisse, qu'elle était neuve et que je l'avais endommagée. Il m'a poursuivi pour 120 $; son beau-frère a témoigné que la toilette qu'il avait remplacée - il était plombier, son beau-frère - était neuve. J'ai été condamné à payer 120 $. Mais je me posais la question.

Je n'ai pas vu ma fiche de crédit et je ne suis toujours pas allé vous voir; je vais finir par y aller. Je m'interrogeais sur la pertinence dans le sens que je n'avais pas refusé de payer, je n'étais pas un mauvais créancier. C'est que je disais: Votre toilette datait de 75 ans, il était temps de la remplacer, elle était brisée. Le propriétaire, en l'occurrence, disait: Elle est toute neuve, cette toilette-là, et je vais vous poursuivre aux petites créances. Puis je lui ai payé ses 20 $ qu'il avait déposés aux petites créances et les 120 $ pour sa mosus de toilette qui était fort ancienne.

Mais, en tout cas, je pars de cette anecdote-là pour dire ceci: si le commerçant qui voulait me louer quelque chose ne me l'avait pas dit, moi, j'aurais pu passer ma vie à ignorer que la cause célèbre de la toilette versus le propriétaire de la maison était dans vos dossiers. Dans vos dossiers... Je ne sais pas si c'est Équifax qui avait le dossier, mais ce que j'entends par là, c'est que... Puis, je ne vous prête pas de mauvaise foi en l'occurrence. Ce que vous dites, c'est que vous n'exercez pas un jugement fin sur le dossier de crédit que vous avez. Vous le fournissez, mettons, à un commerçant ou à une institution financière qui doit, elle, exercer son jugement.

M. Chartrand: Qui doit exercer son jugement d'abord. Et, pour revenir à l'exemple que vous avez donné, on n'obtient pas l'information de la Cour des petites créances. Et, deuxièmement, huit ans, c'est trop long. Selon les règles de purge que l'on a, en fait, après huit ans, l'information aurait été détruite automatiquement.

M. Bourdon: Je vais vérifier avant la prochaine séance.

M. Chartrand: Mais, pour en revenir à votre information, vous avez raison jusqu'à un certain point. C'est sûr que, nous, ce que l'on fait, c'est qu'on donne l'information qui existe à l'institution financière; on pense, à ce moment-là, que l'institution financière va aller vous voir, vous dire qu'il y a quelque chose au dossier qui dit que vous avez eu un problème de toilette et qu'effectivement vous devriez peut-être le corriger. À ce moment-là, évidemment, peut-être que la correction va se faire ou bien l'institution financière va vous dire: Bien, pourquoi est-ce que tu ne vas pas au bureau de crédit et que tu ne vérifies pas cette information-là?

Le Président (M. Gauvin): Oui, M. le... J'avais le député d'Iberville qui voulait poser une question, mais... Oui, M. le ministre.

M. Cannon: Juste une observation là-dessus. Ça m'apparait quand même intéressant qu'on puisse poursuivre un peu dans cette optique-là parce que ça signifie que, finalement, lorsqu'il y a une relation de location, dans le cas que le député a mentionné, il serait refusé, puisqu'il n'y a personne qui a vérifié la teneur de cette disposition ou de la condamnation aux petites créances. On a dit: Ahl bref, Bourdon a un problème avec son ancien propriétaire. Donc, par conséquent, propriétaire-locataire: difficultés. Il ne doit pas payer son loyer. Alors, location, il n'est pas bon là-dedans. Je pense que c'est important qu'on le souligne.

Le Président (M. Gauvin): M. le député d'Iberville.

M. Lafrance: Oui. Merci, M. le Président. Avant d'en arriver à ma question, vous venez de susciter une curiosité pour moi, c'est cette question de règle de purge. Quelle est cette règle de purge? Pour combien de temps gardez-vous l'information, qu'elle soit bonne ou mauvaise, sur un individu? Et est-ce que cette information-là comprend le crédit pour les cartes de crédit? Par exemple, comme moi, si j'utilise ma carte de crédit Master Card pour mettre de l'essence, est-ce que vous êtes en mesure de colliger de l'information dans ce domaine-là aussi?

M. Chartrand: L'information concernant votre expérience de crédit, c'est-à-dire la façon dont vous vous acquittez de vos obligations sur les prêts ou les cartes de crédit que vous détenez, cette information est mise à jour à peu près à tous les 30 jours, ce qui veut dire qu'on reçoit des bandes magnétiques a peu près à tous les 30 jours des institutions financières qui nous donnent de l'information à date concernant justement votre façon de vous acquitter de vos obligations dans ce sens-là.

Quant à l'information ou aux règles de purge, on s'est inspirés largement de la législation ontarienne, qui est la loi 101, qui donne, en fait, toutes sortes de détails, à savoir quelle est la durée où telle ou telle information doit être gardée et, par la suite, purgée. Si on a affaire à un jugement, on nous dit une période de 7 ans; quand on a affaire à une faillite, on nous dit 7 ans à partir de la disposition de la faillite; dans le cas d'une deuxième faillite, 14 ans. (18 h 15)

En fait, il y a toutes sortes de détails qui sont reliés à des informations bien spécifiques, à des détails qui sont bien spécifiques. Ici, au Québec, comme ailleurs, en fait, ce que l'on a fait, c'est qu'on s'est réglés, on s'est bâti à l'intérieur du système des règles de purge qui suivent à peu près la législation la plus contraignante ici, au Canada. On s'est inspirés de celle qui était la plus contraignante et on a bâti, à l'intérieur du système informatisé, les règles de purge en conséquence.

M. Lafrance: Merci. J'aimerais maintenant me référer à la page 6 de votre mémoire. Le deuxième paragraphe dit: "La clientèle d'Équifax est constituée d'entreprises sérieuses ayant démontré un besoin légitime d'information afin de faciliter des décisions d'affaires." Vous continuez en disant: "De plus, par la signature de la convention de services, dont le texte est reproduit à l'annexe C, tous les clients reconnaissent et acceptent les contraintes entourant l'accès, l'utilisation et la divulgation des renseignements." J'ai lu votre annexe C, qui est la convention de services et, dans l'avant-dernier paragraphe, vous dites: "Nous certifions que les rapports sur les consommateurs, tels que définis par les lois applicables, ne seront demandés que lorsqu'ils devront servir pour déterminer l'éligibilité d'un consommateur a obtenir ou prolonger un service de crédit, le recouvrement d'un compte, l'assurance, l'émission de permis pour fins d'emploi ou pour toute autre raison, pourvu qu'il s'agisse d'une transaction d'affaires légitime impliquant le consommateur."

Une transaction d'affaires légitime. J'aimerais connaître votre définition d'une "transaction d'affaires légitime" et, de façon plus précise, j'aimerais savoir si ça inclut les compagnies qui se spécialisent dans le marketing direct, c'est-à-dire qu'à partir d'informations elles peuvent faire des listes cibles de consommateurs et, après, solliciter, voire même accaparer le public

en général.

M. Chartrand: La réponse est très courte, c'est non. On ne fait pas de liste d'informations, on n'en vend pas. On ne vend pas d'informations en masse.

M. Lafrance: Non, mais est-ce que vous pouvez transmettre de l'information à une firme qui en fait, elle?

M. Chartrand: On ne le fait pas, ça ne fait pas partie de nos affaires.

M. Lafrance: Non? Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Gauvin): Pour revenir avec la règle de l'alternance, M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Oui. Dans une de vos publications récentes, en octobre 1990, vous dites qu'"à compter de cette année, il n'y aura plus de frontière entre le Canada et les États-Unis, en autant qu'Équifax est concernée". Est-ce que ça comporte des contraintes, pour l'échange d'informations avec les États-Unis, du même ordre que celles qui vont exister avec l'OCDE - on en est conscients - du fait qu'il y aura une législation européenne sur l'échange d'informations?

M. Chartrand: Ce qu'on veut dire dans cet article-là, c'est que, dans un avenir prochain, il va y avoir une espèce de transparence dans l'accès à l'information, aussi bien américaine que canadienne, ce qui veut dire, à ce moment-là, qu'un client américain qui a un besoin d'informations sur un citoyen ou un consommateur québécois ou canadien peut les obtenir aussi bien des États-Unis que du Canada. Il va y avoir une transparence dans les banques de données. Ceci étant dit, par exemple, l'information va être gardée ici, au Canada, et les clients qui vont se prévaloir de ces services-là devront, à ce moment-là, respecter les règles qui sont en place, aussi bien au Québec qu'au Canada.

M. Bourdon: Est-ce que, dans le cadre de vos opérations, vous vous adressez aux banques et aux autres institutions financières pour savoir combien une personne a d'argent à son compte, par exemple, ou à ses comptes dans l'institution?

M. Chartrand: Ça peut arriver, cette chose-là. En fait, si on nous demandait une enquête qui pourrait être poussée sur la situation financière d'un consommateur dans le cadre d'une transaction très importante, ça pourrait peut-être arriver. Mais, effectivement, premièrement, la banque ne nous donnerait probablement pas l'information - d'ailleurs, ne nous donnerait pas l'information - et, deuxièmement, le dossier de crédit d'un individu ne contient pas cette information-là. Il contient, en fart, des informations sur le... En fait, c'est une espèce de profil d'endettement, à savoir comment le consommateur s'acquitte de ses obligations financières, les prêts, les cartes de crédit, les achats d'auto, des choses comme ça.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Merci, M. le Président. Je suis en train de comparer un peu le mémoire présenté par votre organisme et celui qui est venu juste avant vous autres. Je note qu'il y a une nette différence, bien sûr, entre les deux. Je pense que les conclusions, le contenu... Et je pense que durant tout le temps qu'on va entendre des mémoires ici, dans les prochains jours et les prochaines semaines, on va avoir à composer avec ça, les différents points de vue, et c'est ça le but de toute la procédure ici.

Mais, spécifiquement en ce qui vous concerne... Je pense que le ministre de la Justice a mentionné a l'autre groupe qui était ici avant vous le consentement des citoyens. C'est revenu à plusieurs reprises durant la présentation du mémoire de ce groupe-là. Si je comprends bien vos principes, votre mémoire, il n'y a aucune place pour le consentement du citoyen avant que vous ne procédiez à donner des informations. "C'est-y" ça?

M. Chartrand: II n'existe rien dans la Loi sur la protection du consommateur à cet effet-là. Disons que, dans la pratique des choses, la grande majorité des institutions financières obtiennent le consentement, l'autorisation au bas de l'application avant de venir au bureau de crédit. D'ailleurs, dans les autres provinces, la majorité des autres provinces - certainement en Ontario, en tout cas - le consentement est nécessaire et, ici nous, si effectivement ça n'existe pas, il faut bien préciser quand même que les bureaux de crédit sont régis par la Loi sur la protection du consommateur. Ce n'est pas une question de dire qu'il n'existe pas de loi qui régit les bureaux de crédit. La Loi sur la protection du consommateur, en fait, existe et il y a une section à ce moment-là qui s'adresse aux bureaux de crédit. Mais, effectivement, le consentement pour donner de l'information n'existe pas dans cette loi-là. Mais, moi, je peux vous dire que, dans la pratique des choses, le consentement est obtenu dans à peu près toutes les transactions d'affaires.

M. Kehoe: Une chose. Votre conclusion, votre recommandation principale, c'est le statu quo, si je comprends bien. Vous n'avez pas besoin d'une législation quelconque pour protéger le consommateur; c'est plutôt par le régime d'autoréglementation. C'est ça? La différence.

c'est que la conclusion générale, "the overall conclusion", de votre groupe est complètement opposée à celle du groupe qui était immédiatement avant vous. Malgré que le groupe qui est venu avant vous ait dit qu'une des recommandations, c'est l'autoréglementation, le régime d'autoréglementation. Mais vous autres, si je comprends bien, c'est votre seule option, vous n'êtes pas en faveur d'une législation quelconque et vous préconisez le régime d'autoréglementation. C'est ça?

M. Chartrand: On préconise, bien sûr, à ce moment-là, l'autoréglementation; principalement l'autoréglementation. On se base sur l'expérience passée. On se base, à ce moment-là, sur ce qu'Équifax, en tout cas, a fait depuis de nombreuses années. On se base sur les pratiques qui sont courantes. On se base sur le nombre de plaintes qui ont été enregistrées à l'Office de la protection du consommateur. On se base, bien sûr, sur la législation actuelle qui s'appelle la Loi sur la protection du consommateur. Qu'on veuille bien l'élargir, qu'on veuille bien la rendre un peu plus sévère, qu'on veuille Inscrire le consentement et qu'on veuille confirmer certaines règles directrices de l'OCDE à l'intérieur de la législation présente, je pense que c'est ce à quoi on référait tout à l'heure quand on disait qu'on était prêts à collaborer et qu'on était prêts à améliorer les failles qui existent. C'est un peu notre position. On pense, à ce moment-là, que les codes de déontologie, on pense que l'autoréglementation peut nous donner les résultats escomptés compte tenu, bien sûr, qu'il existe déjà des lois, comme la Loi sur la protection du consommateur. On parle, bien sûr, de l'avant-projet 125, qui est la révision du Code civil. Et si ça se fait, cette chose-là, bien sûr qu'à ce moment-là on voudra bien collaborer avec les intervenants. Mais on pense effectivement que l'autoréglementation devrait jouer un rôle assez important dans tout ce processus.

M. Kehoe: Dans votre système, dans votre régime d'autoréglementation, est-ce que vous prévoyez des sanctions ou des pénalités, des amendes, des contraventions aux règlements internes pour les employés de votre compagnie? Qu'est-ce que c'est la sanction pour ça?

M. Chartrand: Une sanction qui est assez sévère et qui s'appelle le congédiement, bien sûr. Oui, ça existe. Quand on parle de politique interne, ce n'est pas des farces qu'on fait. En fait, quand on fait affaire avec l'information concernant un consommateur, si nous on veut continuer à faire affaire dans le genre d'affaires où on est, si on n'en a pas effectivement, de critères internes, on ne continuera pas longtemps. Si on existe depuis 1927 ici, au Québec, si on a le nombre d'employés que nous avons, si on a le nombre de transactions qu'on reçoit à tous les jours et si le nombre de plaintes qui sont enregistrées à l'Office de la protection du consommateur est à peu près inexistant, c'est qu'à un moment donné le code interne que l'on a, le code de déontologie et les politiques internes que nous avons, moi, je peux vous dire qu'ils sont assez sévères et qu'ils sont appliqués d'une façon absolument religieuse.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Pointe-aux-Trembles. M. le ministre, excusez.

M. Cannon: Peut-être pour poursuivre un peu, tout à l'heure, on a parlé de la circulation des renseignements de crédit. Dites-moi, est-ce que votre entreprise recueille d'autres types de renseignements? Tout à l'heure, le député de Pointe-aux-Trembles a fait état de décisions qui pouvaient toucher nos tribunaux qui sont incorporées à cela. À votre connaissance, est-ce qu'il y a d'autres types de renseignements qui peuvent apparaître sur ce fichier-là?

M. Chartrand: Si vous pariez d'un fichier de crédit, non. En fait, les informations qui apparaissent au fichier de crédit, ce sont les jugements, les archives, les informations qui proviennent d'archives publiques, les informations qui nous sont données par les institutions prêteuses, à savoir la façon dont vous vous acquittez de vos obligations, et les demandes qu'on a reçues sur votre compte depuis un certain temps. C'est tout ce que le dossier de crédit ou la fiche de crédit contient.

M. Cannon: Est-ce que vous possédez ou avez en votre possession d'autres types de fichiers autres que les fichiers dits de crédit?

M. Chartrand: J'ai mentionné tout à l'heure au député de Pointe-aux-Trembles effectivement le service d'information pour les compagnies d'assurances. Bien sûr, on parie d'un autre fichier qui contient des informations qui peuvent être la vérification d'un emploi, l'inspection d'une propriété pour des fins d'assurances. Cette information-là est tenue dans un fichier qui est tout à fait différent, qui est tout autre.

M. Cannon: Quelles sont les règles qui gouvernent la conduite de ce fichier-là? Autrement dit...

M. Chartrand: Les règles sont beaucoup plus sévères. On ne peut pas se permettre de garder toute l'information. Quand on parie de l'inspection d'une propriété, entre autres, après trois mois, l'information est complètement inutile. En fait, on détruit l'information.

M. Cannon: Par exemple, si je suis un entrepreneur et que je désire engager mon collègue de Pointe-aux-Trembles ou un autre

député, je peux faire appel à vos services pour avoir une appréciation sur n'importe qui ici, dans cette pièce? Je me sers d'exemples. Mais je peux faire appel à vos services?

M. Chartrand: Exact.

M. Cannon: Vous puisez ces renseignements-là de quelle façon? Comment allez-vous chercher ces renseignements-là?

M. Chartrand: Auprès des anciens employeurs, auprès des références qui sont données par la compagnie qui demande l'information, auprès des institutions scolaires, si on parle à ce moment-là de quelqu'un qui est relativement jeune, obtenir le dossier d'éducation, si tel est requis effectivement.

M. Cannon: Autres que les institutions de crédit ou des personnes plus directement touchées, est-ce qu'il y a d'autres personnes qui peuvent directement consulter les fichiers ou les dossiers de consommateurs?

M. Chartrand: Me Edwards m'a soufflé à l'oreille qu'effectivement ceux qui peuvent, les compagnies qui peuvent obtenir des renseignements chez nous, M. le ministre, sont des clients chez nous. Vous ne pouvez pas venir chez nous demain et demander un rapport d'emploi sur M. Bourdon, entre autres. Il faut à ce moment-là que vous soyez clients chez nous et que vous ayez démontré, hors de tout doute, que vous avez un besoin pour de telles informations, que vous êtes un employeur et qu'effectivement vous avez un besoin pour obtenir les renseignements parce que vous faites l'embauche de personnes.

M. Cannon: Autrement dit, M. Edwards, qui est avocat de profession, pourrait lui, par l'entremise de son bureau, avoir une relation contractuelle avec votre entreprise et, au besoin, M. Edwards, sans qu'il soit obligé d'identifier à chaque fois les raisons de son intervention, puisqu'il y a contrat entre son bureau et le vôtre, peut faire appel sur plusieurs dossiers en passant par mon dossier de crédit et celui de la situation médicale de mon collègue de Pointe-aux-Trembles. Est-ce que, hypothétiquement, ça pourrait se produire?

M. Chartrand: Hypothétiquement, oui, je suppose.

M. Cannon: O.K.

M. Chartrand: II faudrait se poser des questions à savoir pourquoi il y aurait un besoin pour de l'information médicale.

M. Cannon: Bien, c'est la question. Est-ce que d'une façon précise, M. Chartrand...

M. Chartrand: Oui.

M. Cannon: ...la firme d'avocats qui...

M. Chartrand: Lorsque l'entente contractuelle...

M. Cannon: Oui.

M. Chartrand: ...survient entre le bureau de Me Edwards et nous...

M. Cannon: Oui.

M. Chartrand: ...en fait, on s'entend à ce moment-là sur le genre de services qu'ils vont utiliser et rien d'autre.

Le Président (M. Gauvin): J'aimerais vous rappeler que la...

M. Cannon: Peut-être une dernière question, M. le Président: En quoi la loi américaine est-elle plus contraignante ou est-elle contraignante? Je ne dirai pas "plus", parce que je ne la connais pas nécessairement, mais, en Ontario, comment ça fonctionne ça?

M. Chartrand: D'abord, il existe une loi en Ontario, qui s'appelle le "Consumer Reporting Act", qui donne toute une série de détails, bien sûr, qui, en fait, explique l'information qui doit être rapportée et l'information qui ne doit pas être rapportée, qui donne des informations sur les critères de purge et qui donne, en fait, une série de directives sur ce qu'on doit faire et ne pas faire comme "consumer reporting agency".

M. Cannon: Alors, ça limite l'action, ça limite la portée de l'action, c'est ce que vous dites là?

M. Chartrand: Ça limite la portée de l'action, exactement. Et, moi, je vous dis encore une fois, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, qu'en l'absence d'informations ici, en fait on s'inspire et on s'est toujours inspirés de la loi ontarienne.

Le Président (M. Gauvin): Le temps qui était alloué au côté ministériel est écoulé, mais le député de Vimont insisterait pour une question. Vous permettez?

M. Bourdon: Consentement.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Vimont.

M. Fradet: Vous êtes bien gentil, M le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Je suis toujours comme ça.

M. Fradet: Juste une petite question en commençant. Si vous avez un dossier sur 90 % de la population active, si on veut, du Québec, donc vous avez un dossier sur moi. Possible, 90 % des chances. Si, demain matin, j'appelle chez vous et...

M. Chartrand: Probablement; probable et non possible.

M. Fradet:... que je demande d'avoir mon dossier, est-ce que c'est possible?

M. Chartrand: Si vous téléphonez, on va vous demander de vous identifier et on va s'assurer à ce moment-là que vous êtes bien la personne que vous dites que vous êtes. Il est possible qu'on vous donne l'information au téléphone, si on s'est bien assurés effectivement qui vous êtes; autrement, on va vous demander de vous présenter au bureau et on va s'assurer à ce moment-là que... C'est une question de confidentialité et de sécurité.

M. Fradet: Deuxièmement, vous avez parlé de consentement. Je veux bien croire que, quand on fait une demande de carte de crédit, on signe un petit papier de consentement à la banque. Est-ce que, de un, pour la banque - admettons que je fais affaire avec la Banque Laurentien-ne - ça c'est un consentement à vie, ça veut dire qu'à chaque fois, après ça, que j'ai consenti une fois pour quelque chose, elle pourrait aller chercher les informations à vie ou si, à chaque fois, il faut signer une nouvelle formule de consentement pour que la banque ou l'institution prêteuse puisse demander un renseignement?

M. Chartrand: En autant que je sache, chaque fois que vous faites une transaction avec la Banque Laurentienne, si ce n'est pas la continuation de la même transaction, vous devez à ce moment-là donner un nouveau consentement.

M. Fradet: O. K. Est-ce que c'est le même consentement écrit que vous exigez de la part de l'entreprise sur tous les différents fichiers que vous avez, que ce soit en santé, pour les assurances ou pour l'emploi? Moi, si, demain matin, je postule pour un travail, on me demande de signer une formule de consentement pour vous demander des renseignements?

M. Chartrand: Exact.

M. Fradet: Dans le cas contraire, jamais vous ne donnez de renseignements à des entreprises?

M. Chartrand: L'entente contractuelle que l'on a avec l'entreprise qui fait affaire chez nous dit bien, à ce moment-là, que le consentement a été obtenu.

M. Fradet: C'est-à-dire que...

Le Président (M. Gauvin): Merci, M. Chartrand.

M. Fradet: Juste une petite question. Le Président (M. Gauvin): Brièvement.

M. Fradet: Brièvement. Dans tous les fichiers que vous avez, à chaque fois qu'une entreprise vous demande un renseignement, cette entreprise-là a demandé le consentement au consommateur?

M. Chartrand: D'après l'entente contractuelle, oui.

M. Fradet: O. K.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: M. Chartrand, vous nous avez dit tout à l'heure que vous ne donniez pas des renseignements à tout un chacun, à n'importe qui qui vous le demande, mais qu'à des clients. Vous avez combien de clients au Québec?

M. Chartrand: C'est dur à dire, évidemment, si on considère que la Banque Royale est un client, M. Bourdon. J'ai demandé à quelqu'un de me dire combien on avait de clients. Je pense qu'on en a 3000 au Québec...

M. Bourdon: O. K.

M. Chartrand:... mais, si on les regarde en termes de numéro de compte et de place d'affaires, il y en a peut-être 13 000.

M. Bourdon: O. K.

Le Président (M. Gauvin): Je vous remercie. Le temps qui nous était alloué pour entendre votre groupe, M. Chartrand, est écoulé. M. le ministre, oui.

M. Cannon: Si vous me permettez, M. le Président, de me joindre à vous et de remercier les gens d'avoir bien voulu se déplacer, d'être venus nous rencontrer et de nous avoir fait part de leur expérience. Alors, merci.

M. Chartrand: Si vous avez besoin d'autres renseignements, on est à votre disposition.

M. Cannon: Merci.

Le Président (M. Gauvin): J'aimerais, au nom de cette commission et des membres de cette commission, remercier votre groupe, M. Chartrand, d'Équifax Canada inc.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures, ce soir.

(Suspension de la séance à 18 h 36)

(Reprise à 20 h 15)

Le Président (M. Gauvin): Une minute d'attention!

La commission des institutions reprend ses travaux. Comme prévu, nous allons entendre les représentants du Barreau du Québec pour 20 minutes de présentation.

Une voix: On vous souhaite la bienvenue. M. Sauvé (Marc): Bonjour.

Le Président (M. Gauvin): Donc, les représentants sont représentés ici par Me Marc Sauvé, du Service de recherche et de législation. M. Sauvé.

M. Sauvé: Oui.

Le Président (M. Gauvin): Est-ce que c'est vous qui faites la présentation au nom de votre groupe?

M. Sauvé: Eh bien, je suis persuadé que vous êtes étonnés devant notre nombreuse délégation. Je m'attendais à être accompagné ici de personnes peut-être un peu plus spécialisées dans le domaine, qui auraient pu répondre plus efficacement aux éventuelles questions. Je m'attends, d'une minute à l'autre, je l'espère, que Me Atkinson vienne se joindre à moi. Si vous n'avez pas d'objection, quand même...

Le Président (M. Gauvin): Oui. M. Cannon: Me Sauvé? M. Sauvé: Oui.

Le Président (M. Gauvin): On peut vous faire une proposition... Oui?

M. Cannon: Est-ce que vous préférez reporter, peut-être, votre présentation à 21 heures afin qu'on puisse entendre l'autre groupe qui doit passer après vous?

M. Sauvé: Je pense que ce serait probablement opportun parce qu'il devait me rejoindre. Alors, il faudrait peut-être retarder ça à un peu plus tard.

Le Président (M. Gauvin): O.K. Si vous voulez vous retirer, M. Sauvé, on vous rappellera un peu plus tard.

M. Sauvé: Oui.

Le Président (M. Gauvin): On va inviter les représentants de la CSN, la Confédération des syndicats nationaux, à prendre place, s'il vous plaît. On s'excuse de ce chambardement d'horaire pour vous autres.

Mme Lamontagne (Céline): Ça fait un peu moins de temps pour relire ses notes, c'est tout.

Le Président (M. Gauvin): C'est ça. Mais je pense que la période de questions va peut-être vous permettre de réviser ça. Donc, comme je le mentionnais, la CSN est ici représentée par Mme Céline Lamontagne, vice-présidente. Vous allez nous présenter votre collaboratrice, Mme Lamontagne...

Mme Lamontagne: Oui.

Le Président (M. Gauvin): ...et vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire, ou à peu près, selon le consentement des membres de la commission.

Confédération des syndicats nationaux

Mme Lamontagne: Alors, bonsoir. Je vous remercie de nous avoir invitée à présenter notre mémoire dans cette, paraît-il, courte séance de la commission parlementaire. Je vais vous présenter immédiatement la personne qui m'accompagne. C'est Me Anne Pineau, qui est conseillère syndicale à la CSN et qui a travaillé sur la rédaction et la recherche de notre mémoire.

D'entrée de jeu, d'abord, je voudrais rappeler, comme vous avez pu le constater, que notre mémoire aborde particulièrement la question de la protection de la vie privée dans les relations du travail. C'est notre terrain spécialisé, si on veut. Mais, je voudrais rappeler aussi que ce n'est pas, à la CSN, une préoccupation nouvelle que la protection de la vie privée. On a participé, avec d'autres organismes, à la rédaction de "Georgette et Gérard", que vous avez reçu, je pense, membres de la commission, et, en tant que membre de la Ligue des droits et libertés, on intervient à plusieurs reprises sur des questions de protection des droits. Je voudrais aussi rappeler qu'on a, parmi nos membres, des personnes qui ont à traiter des données dites personnelles, entre autres dans les compagnies d'assurances, les caisses populaires, etc.

Avant d'aborder chacun des points tels qu'ils ont été présentés dans le rapport interministériel, peut-être trois considérations générales. D'abord, à l'instar d'autres groupes, nous sommes d'accord pour dire qu'il y a urgence d'une législation protégeant les droits des personnes et les droits à la vie privée dans le secteur privé. Par ailleurs, un aspect qu'on n'a

pas tellement développé dans notre mémoire, c'est qu'on considère que les éventuelles mesures législatives qui toucheraient les employeurs dans la protection de la vie privée des employés devraient s'appliquer aussi aux employeurs du secteur public.

Un autre aspect d'ordre général, c'est que, dans le rapport interministériel, on a aussi trouvé qu'il y avait un grand intérêt à tout le chapitre qui aborde la maîtrise sociale de l'informatique et de la technologie. On est d'accord avec le fait qu'il doit y avoir une action dans le but de préserver les droits et libertés et que la technologie et l'informatique doivent viser à améliorer la qualité de la vie quotidienne et la vie démocratique. On appuie les mesures qui sont proposées là, en termes de formation et d'éducation, pour que les informaticiens aient une conscience sociale. On est d'accord aussi, de façon générale, pour que la future législation donne des droits aux personnes physiques et des obligations aux personnes morales.

Dans les recommandations d'ensemble, on pense que l'encadrement législatif devrait viser la cueillette de l'information, le traitement et la diffusion et que la loi devrait être, évidemment, d'ordre public. On pense que les trois types de mesures législatives qui sont suggérées, à savoir d'améliorer le Code civil ou la Charte et, ensuite, qu'il y ait une loi d'ensemble d'intérêt général et des règlements de type sectoriel... on acquiesce aussi à ce cadre-là, à ce cadre législatif là.

Par ailleurs, au niveau des grands principes ou des normes générales relatives à la protection de la vie privée, elles devraient être énoncées, selon nous, soit dans la Charte des droits ou au Code civil pour faire en sorte qu'il ne puisse être porté atteinte à ces principes que dans la mesure où ce serait défini par les lois et règlements. Et, très concrètement, à cet égard, les mesures proposées aux articles 35 et 36 du projet de loi 125 pourraient s'avérer insuffisantes pour parer à certaines pratiques d'évasion et de surveillance ayant cours à l'heure actuelle, du moins en matière d'emploi.

Donc, on estime qu'il faudrait ajouter dans ces articles les aspects suivants: l'interdiction de la fouille d'une personne de même que celle de ses biens; le fait d'exiger d'un individu qu'il se soumette à un examen médical ou à un test de dépistage; le fait de soumettre une personne à une surveillance électronique ou à une filature; le fait d'exiger d'un individu qu'il se soumette à un test de polygraphe, hypnose, prise d'empreintes digitales, prise de photo d'identification; le fait de fixer des contraintes à une personne dans le choix du lieu de sa résidence. On dit que, s'il y a des atteintes qui doivent être permises, elles pourraient être permises dans le cadre de lois et dans le cadre d'exceptions qui seraient négociées aux tables sectorielles.

Sur la partie 3 du rapport, le droit à l'information, nous, on pense que le point le plus névralgique est la collecte de données parce que c'est là qu'est le point important du processus. Si on se réfère au rapport du GRID, c'est justement ce point-là que les employeurs ne veulent pas négocier. Il est dit textuellement que "les employeurs sont positifs à l'égard d'une intervention législative, à condition qu'elle ne porte pas sur la participation d'un employé à son dossier". On pense que c'est donc au niveau de la collecte des données qu'il y a un point majeur parce que, nous, on voit des écueils.

Et on arrive à l'autre point qui est le droit au consentement. Il y a beaucoup de mesures qui sont proposées, qui s'appuient sur le droit au consentement, mais, nous, on est inquiets de se fonder juste sur le droit au consentement parce qu'il y a un déséquilibre, veux veux pas, entre, par exemple, une compagnie d'assurances et la personne qui veut avoir une assurance, entre un employeur et son employé et aussi, ce qui nous... Il y a un déséquilibre, si on veut, ou un rapport de force inégal qui fait en sorte que le droit au consentement ne peut pas être la panacée pour régler tous les problèmes de respect des renseignements d'ordre privé.

On cite aussi dans notre mémoire des aspects juridiques qui font en sorte que, par exemple, quand quelqu'un veut avoir un emploi et qu'il accepte de se soumettre à des tests, soit de dépistage de drogues ou différents tests, même si c'est sous la pression qu'il veut un emploi, juridiquement, ce n'est pas une atteinte - en tout cas, ce qu'on peut en lire - au droit au consentement. Donc, le droit au consentement a plusieurs faiblesses pour la personne isolée face à un organisateur, une entreprise ou une compagnie, quand tu veux un logement, quand tu veux une carte de crédit, quand tu veux un prêt à la banque.

Nous, on pense qu'il faut prévenir ce problème-là à la source en faisant un encadrement beaucoup plus serré dans la cueillette des données, à savoir qu'il faut que, quand on cueille les données, elles soient limitées, finalement, à ce qui est vraiment nécessaire pour obtenir ce qu'on veut obtenir, donc que la cueillette des données soit resserrée dans ce sens-là.

L'autre aspect, toujours dans le point 4, quant au flux transfrontaliers des renseignements, nous, on pense que la loi devrait permettre au gouvernement d'interdire les transmissions de données hors Québec lorsque les droits des personnes ne peuvent être garantis. Par ailleurs, on pense que, pour que notre législation ait prise, il serait intéressant qu'il y ait des normes qui se fassent au niveau des autres provinces et au niveau fédéral; mais, je veux être claire sur la question, on ne veut pas que les normes fédérales soient au-dessus des normes des provinces. On veut qu'il y ait comme une homogénéité; ce serait souhaitable pour que notre

législation ait une portée en dehors de nos frontières.

Sur la question du changement de finalité dans la cueillette de renseignements, nous croyons que tout changement de finalité devrait être autorisé par l'organisme chargé de voir à l'application de la loi. La base du principe qu'on défend est évidente: on veut que les renseignements qui sont recueillis ne soient utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été recueillis et non pas pour d'autres fins.

L'autre point, le cinquième point abordé par le rapport, c'est le droit de contester. D'abord, on veut que les recours soient simples, rapides et peu coûteux et qu'ils se fassent auprès d'un tribunal administratif plutôt que d'un tribunal de droit commun. Par ailleurs, on pense qu'il doit y avoir des recours pénaux qui comportent des amendes substantielles. D'autre part, on regrette, dans la question du droit de contester, qu'on ait mis de côté la proposition faite par le GRID, qui est le droit de blocage. On pense que c'est un mécanisme qui peut permettre de couvrir et de prévenir les dommages qui sont faits aux individus et, en plus, de peut-être régler plus rapidement un problème que si ce droit n'existait pas.

Sur la question des droits collectifs, nous, on souscrit aux grands souhaits qui sont faits dans le rapport, au voeu de participer des groupes et du public, que les organismes participent aux débats, aux décisions sur l'orientation, le développement, le contrôle de l'information sur les personnes. Ceci dit, sauf les mesures qui sont prévues pour la participation du public à la commission et la participation d'organismes représentatifs aux tables sectorielles, l'ensemble des autres propositions et des voeux de participation semble très, très flou et il y a peu de propositions concrètes à cet effet.

Sur la partie de la mise en oeuvre, je viens de le dire et je le répète, si on veut que cette loi-là ou, éventuellement, ce cadre législatif ait une portée accessible pour l'ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec, on pense qu'on ne doit pas renvoyer l'application de la loi aux tribunaux civils. Donc, à notre avis, il faut confier le rôle d'adjudication à un tribunal spécialisé. Alors, par exemple, concrètement, la Commission d'accès à l'information pourrait avoir cette tâche-là, d'être une forme de tribunal pour entendre les problèmes et en juger. On pourrait créer un office qui, lui, aurait le rôle d'effectuer l'ensemble des tâches que le rapport interministériel donne à la commission, à savoir les tâches de promotion des droits, d'éducation du public, d'élaboration et de surveillance de l'application des normes, de tamisage des plaintes et d'exercice du rôle de conciliateur et de poursuivant. On pense qu'il peut y avoir des conflits si c'est le même organisme qui, à la fois, agit comme tribunal et a comme mandat de faire de l'éducation, d'orienter, de coordonner les tables sec- torielles et de proposer de la réglementation au gouvernement. Alors, on pense qu'il faut que ça soit deux organismes différents. C'est sûr que ça peut poser un autre type de problème, c'est la multiplication des tribunaux administratifs, mais c'est un autre débat. Mais, la préoccupation qu'on a, c'est de rendre accessibles les droits qui seraient enchâssés dans une loi. (20 h 30)

Sur l'aspect de la création des tables sectorielles ayant pour mission d'élaborer une réglementation adaptée au milieu, on est d'accord avec cette proposition-là et elle nous semble valable. Par ailleurs, il y a deux remarques qu'on ferait ou deux suggestions qu'on ferait à ce niveau-ci. Premièrement, sur la réglementation qui serait faite à ces tables sectorielles, le mécanisme de réglementation apparaît très flou. Alors, est-ce que les tables sectorielles vont faire des réglementations et, par la suite, ça va passer par le processus connu de tous les règlements, à savoir la prépublication, et avoir force de loi, d'une certaine façon, ou force de règlement, ou si c'est juste des normes qu'on va établir à ces tables? Ce n'est pas clair dans les recommandations qui sont faites par le Comité interministériel. Nous, on est pour que les règlements qui se font à ces tables-là aient force de règlements, donc passent à travers le processus prévu pour les autres réglementations.

Deuxièmement, comme ce sont des tables sectorielles - et, par exemple, nous, normalement, on serait partie à la table sectorielle qui regroupe les employeurs et les représentants des travailleuses et des travailleurs - il demeure que, sur les autres tables sectorielles, comme la consommation, il y a là un intérêt public. Alors, on demande aussi que les réglementations qui se font fassent l'objet de débat public, soient connues du public parce que ça a un intérêt social pour tout le monde, même si c'est des sujets très spécifiques à chacune des tables sectorielles.

L'autre aspect, sur la maîtrise sociale, globalement, la façon dont on aborde cette question-là, j'en ai parlé au tout début, ça nous semble intéressant. Ensuite, l'aspect particulier qui touche plus les salariés des entreprises, à savoir que la commission Incite les entreprises à consulter les employés, nous, on pense que c'est valable comme souhait, mais on pense qu'il faut plus que de l'incitation. Il faut qu'il y ait une obligation d'information et de consultation de la part des entreprises, qu'elles informent les travailleuses et les travailleurs et leur organisation syndicale, s'il y a lieu, surtout quand on fait des changements qui pourraient avoir des répercussions sur les dossiers nominatifs des salariés d'une entreprise.

En terminant, je pourrais vous dire aussi qu'on souhaite, donc, qu'il y art une législation, qu'on est intéressés aussi à participer à la table sectorielle qui nous concerne et, par ailleurs,

qu'on souhaite aussi qu'il y ait éventuellement une autre commission s'il y avait législation sur la question. Je vous remercie.

Le Président (M. Lafrance): Merci, Mme Lamontagne, pour toutes ces précisions. Nous allons maintenant passer à la période des questions, en procédant par alternance pour le reste du temps. J'inviterais M. le ministre des Communications, s'il vous plaît.

M. Cannon: Oui, merci, M. le Président. À mon tour, bienvenue à cette commission, Mme Lamontagne, Mme Pineau. Ça me fait plaisir d'échanger avec vous sur cette question. J'ai noté, dans votre mémoire, que vous avez retenu un certain nombre de choses, notamment qu'on puisse aller de l'avant avec la nouvelle loi au niveau du Code civil, que celle-ci, qui contient le droit au consentement, le droit à l'information et le droit de contestation doit effectivement être élaborée un petit peu plus et que, dans la loi que nous souhaitons mettre de l'avant, il y a nécessité d'avoir sanctions et recours. Vous avez aussi... et je voudrais notamment poser ma question sur cette chose-là. Dans votre mémoire, vous dites regretter que la recommandation du GRID de créer un office chargé d'administrer le nouveau régime ait été écartée. Est-ce que j'ai bien saisi? Vous avez parlé d'un dédoublement qui serait effectivement nécessaire dans ce cas-là? Pourriez-vous élaborer davantage? Je pense que vous avez parlé de la CAI, d'une part, comme étant un organisme qui peut effectivement faire la job, mais que, d'un autre côté, en cas de recours ou de litige, il y aurait obligation d'avoir un office?

Mme Lamontagne: Non, c'est un peu le contraire. Mais, de toute façon, le principe n'est pas: C'est quoi l'Office, c'est quoi la Commission? Premièrement, nous, on souhaite que, d'une part, il y ait un recours qui soit accessible aux citoyennes et aux citoyens, donc un recours simple, sans nécessiter, par exemple, de représentation par un membre du Barreau, etc. Donc, ce recours-là ne peut s'exercer que devant un tribunal administratif. Alors, premier principe, première proposition.

Deuxièmement, on dit: Pour ce faire, est-ce que la Commission d'accès à l'information peut remplir les deux mandats? Le rapport interministériel lui confie une série de tâches qui sont importantes dans la mesure où, entre autres, on parie de promotion, d'éducation au droit, de coordination de tables sectorielles, de recommandation, de réglementation au gouvernement. Donc, une série de tâches importantes. Nous, on pense que c'est inconciliable avec le fait d'être un tribunal comme tel, d'entendre les citoyens. Alors, on dit: II faut deux organismes. L'un qui fait office de tribunal et un autre qui fait office d'organisme de promotion. L'exemple qui est le plus simple, c'est la Commission des droits de la personne qui, il y a très peu de temps, faisait office non pas de tribunal, mais entendait les plaintes et acheminait devant les tribunaux civils, s'il y en avait, les poursuites. On a constaté que, dans la pratique, il était souhaitable de créer un tribunal indépendant de la Commission pour entendre les recours des personnes lésées. Alors, c'est un peu la même proposition qu'on fait dans le cas de l'accès à l'information.

M. Cannon: Vous êtes sans doute au courant du fait que la Commission d'accès à l'information a commencé, depuis quelques mois maintenant, sous la direction de M. Comeau, à procéder à la médiation des différends qu'il pourrait y avoir afin, bien sûr, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, de ne pas alourdir d'une façon, je dirais, superflue ou d'une façon trop lourde la structure déjà en place. Est-ce que vous prévoyez un mécanisme de médiation qui pourrait servir de recours, ultimement, et qui pourrait, justement, donner lieu au règlement de différends?

Mme Lamontagne: On n'a pas fait toutes les étapes d'un recours d'un citoyen, sauf que je peux vous dire qu'en principe, oui, on est d'accord qu'il y ait un mécanisme de médiation avant que le cas ou le problème ne se ramasse devant les tribunaux. Alors, ça pourrait être, dans un premier temps, l'office ou l'organisme - on ne parlera pas d'office ni de commission - l'organisme chargé de la promotion, chargé de l'éducation, qui pourrait recevoir les plaintes, regarder si ces plaintes-là sont justifiées par rapport aux lois et aux règlements qu'il administre, tenter une première démarche de conciliation et, après ça, s'il n'y a pas de règlement ou si le différend existe toujours, là, il pourrait y avoir un recours plus formel, mais encore un recours allégé, devant un tribunal administratif. Le fait de vouloir deux organismes... On n'est pas contre le fait qu'il y ait des étapes de médiation et de conciliation. Je ne sais pas si Anne...

Mme Pineau (Anne): Effectivement, on considère, par exemple, que le rôle de poursuivant qu'on entend donner, qu'on voudrait peut-être donner à la Commission se concilie mal, par ailleurs, avec un rôle d'adjudicateur. Le rôle, ici, d'éventuel participant à l'élaboration de règles ne se concilie peut-être pas très bien avec un futur rôle d'adjudication. C'est pour ça que, plutôt que de risquer de recréer un peu la situation conflictuelle qui était vécue à l'époque par la Commission des droits et qui avait amené plusieurs groupes à demander la création d'un tribunal des droits, plutôt que de la récréer ici, on voudrait prévoir à l'avance que toute la charge de la promotion des droits, l'aspect médiation, le tamisage de plaintes et l'élaboration

des règles aux tables sectorielles soient confiés à un organisme distinct, laissant à la Commission d'accès le soin d'agir comme adjudicateur éventuel.

M. Cannon: O.K. Peut-être une dernière question. À votre connaissance, est-ce qu'il y a un secteur de l'entreprise privée où une intervention gouvernementale serait plus prioritaire ou plus urgente qu'un autre? Autrement dit, est-ce que, selon vous, on devrait procéder par le secteur des institutions financières? Est-ce qu'on devrait procéder par l'ensemble des secteurs de services, l'entreprise manufacturière? Quelle devrait normalement être la priorité? Quel est le secteur qui, d'après vous, est le plus urgent pour le législateur? Comment procéderiez-vous?

Mme Pineau: Évidemment, on pense que le secteur de l'emploi est un secteur important, mais, évidemment, toute la question des agences de renseignement, c'est sans doute le secteur qui est le plus névralgique parce que ces organismes-là font quand même, justement, le commerce des renseignements.

Mme Lamontagne: C'est sûr que, de notre point de vue, si je pose la question à mes membres, ils vont dire: Le travail. Sauf que, si on regarde la question d'un point de vue plus large, je pense que je suis d'accord avec Anne que le secteur des entreprises d'information, c'est vraiment... Il y a beaucoup de problèmes dans ce secteur-là.

M. Cannon: Alors il faut mieux cibler notre intérêt et notre attention sur les entreprises qui font la commercialisation ou qui ont déjà en leur possession des renseignements. Merci.

Mme Pineau: Ceci dit, l'ensemble des autres secteurs qui ont été définis et pour lesquels on proposait, dans le rapport du Comité, des tables sectorielles nous semblent ici...

M. Cannon: Oui, c'est ça, exact.

Mme Pineau: ...des lieux d'intervention importants et...

Mme Lamontage: Idéalement, toutes les tables sectorielles devraient fonctionner parallèlement.

M. Cannon: Disons qu'on est des praticiens idéaux.

Mme Lamontagne: Ha, ha, ha! C'est ça. M. Cannon: Merci.

Le Président (M. Lafrance): Merci. J'aimerais maintenant reconnaître M. le député de

Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: Oui. Vous parlez de la nécessité de ne pas donner au même organisme la mission de promotion des droits, d'élaboration et de surveillance des normes, d'éducation, de tamisage des plaintes, de conciliation et même de poursuivant, avec le tribunal administratif qui statuerait quand il y aurait des plaintes en vertu de la loi qu'on serait amenés à faire. Notre idée n'est pas faite sur la façon dont ça devrait se faire. On va entendre les mémoires, si on a une possibilité bientôt, tous les mémoires. Mais, je reprends votre exemple de la fin de ce chapitre-là où vous dites: "Un tel office serait en quelque sorte à la Commission d'accès à l'information ce que la Commission des droits est au Tribunal des droits." Et je vous pose la question hypothétique comme ça: Est-ce que ça serait envisageable que la Commission d'accès à l'information fasse la promotion et les autres tâches et que, justement, le Tribunal des droits entende les recours quand il y en aurait, puisqu'on parle ici du droit à la vie privée qu'on considérait comme un droit parmi d'autres?

Mme Pineau: Je ne pense pas que ce soit exclu. Cependant, il faut bien considérer aussi le fait qu'à l'heure actuelle l'adjudicateur, à tout le moins au niveau des organismes publics, c'est quand même la Commission d'accès à l'information. Dans la mesure où on veut créer un équivalent dans le secteur privé, il faudrait qu'il y ait un seul adjudicateur dans ces matières-là, à notre sens. À l'heure actuelle, au public, c'est la Commission d'accès à l'information.

M. Bourdon: Maintenant, quant aux tables sectorielles, est-ce que vous auriez une idée du délai dans lequel ça doit s'inscrire? C'est juste dans l'hypothèse pure, absolue que je formule que, des fois, un gouvernement peut trouver urgent de surseoir. Il y a un politicien de la Troisième République, en France, qui disait: II y a peu de problèmes que l'absence de décision du gouvernement ne finit pas par régler. Pour éviter ces écueils possibles là, voyez-vous des délais dans la mise sur pied et l'aboutissement des travaux des tables sectorielles dont vous retenez le principe? (20 h 45)

Mme Lamontagne: Oui, je voudrais juste ajouter une petite chose, si vous permettez, sur la question du Tribunal des droits. Si on veut lui donner un mandat supplémentaire, il faudrait lui donner les ressources pour être capable d'appliquer ce mandat-là parce que, même à l'heure actuelle, à ce que j'en sais, il y a déjà un problème de capacité d'absorber vraiment l'application de la Charte et la mission qu'on lui avait donnée, liée à la Commission des droits.

Sur les délais, eh bien, j'avoue qu'on n'a pas refait le calendrier parlementaire, sauf que

ce qu'on souhaite, comme je l'ai dit au début, c'est qu'il y ait législation, donc que les amendements au Code civil soient en vigueur le plus rapidement possible, comme d'autres l'ont demandé aussi; deuxièmement, qu'il y ait une législation d'ordre général - je ne sais pas si c'est pour cette session-là ou la session après Noël - et, à notre avis, à partir de ce moment-là, les tables sectorielles devraient fonctionner. Donc, ça devrait se faire dans l'année, dans les débuts de 1992. Mais, encore là, on n'a pas refait le calendrier en détail.

M. Bourdon: J'ai une autre question. Est-ce que vous croyez à la pertinence de l'autorégle-mentation? Parce que, dans bon nombre de mémoires, ce qui revient, c'est l'idée de ne pas légiférer et de laisser chaque secteur s'autorégle-menter. Est-ce que vous croyez que c'est une piste de solution?

Mme Lamontagne: Je pourrais vous dire que c'est mieux que rien, mais peut-être que, dans la pratique, ça ne serait pas très, très efficace. D'abord, première chose, comme je le disais, on est d'accord que chaque secteur regarde ensemble une future réglementation, sauf que ça a des incidences secteur par secteur pour l'ensemble des citoyens. Alors,' ça ne doit pas non plus se faire juste en vase clos.

Deuxièmement, je ne sais pas ce qu'est la valeur de normes d'éthique ou de normes de code d'éthique qui ne seraient pas dans un règlement pour des compagnies telles que American Express, etc. Est-ce qu'elles vont se donner ces normes-là, suivre ces normes-là? SI on regarde au niveau des relations du travail, si ce n'est pas inscrit dans une réglementation, oui, peut-être que certains employeurs vont suivre des normes qu'ils se seraient données, mais, quand je vois les autres lois du travail, comment elles sont appliquées - et c'est des lois - je crains que ce ne soient plus des voeux pieux que ça ne change réellement les pratiques et les mentalités.

M. Bourdon: Est-ce que je vous comprends bien, en comprenant que vous dites: Aux tables sectorielles, on pourrait associer les milieux en cause à la préparation d'une réglementation les concernant, mais, en bout de course, le gouvernement promulgue cette réglementation et quelqu'un qui se plaint qu'elle n'est pas appliquée peut porter plainte et peut exercer un recours?

Mme Lamontagne: Comme les autres règlements qu'on connaît... Oui. Vas-y.

Mme Pineau: Je voudrais peut-être ajouter qu'on ne veut pas non plus que le débat ne se tienne qu'aux tables sectorielles, en ce sens que, suite à l'élaboration d'une réglementation à une table sectorielle, on tient à ce que le règlement puisse être soumis à un débat public, de sorte que d'autres organismes... Par exemple, nous, on ne serait pas à la table sectorielle sur les institutions financières, mais on peut avoir des choses à dire par rapport à ça, de la même façon que la Commission des droits peut avoir des choses à dire sur une réglementation en matière d'emploi. Il faut que ces règlements, en plus d'avoir force de loi, soient aussi soumis au débat public, large, et ne demeurent pas seulement l'attribution des tables sectorielles.

M. Bourdon: J'aurais deux questions. Les dispositions actuelles du Code civil, qui n'ont pas été promulguées depuis quatre ans, est-ce qu'elles vous apparaissent suffisantes? Je veux dire, est-ce que le texte vous apparaît approprié, correct et, d'autre part, est-ce que ça, d'après vous, ça serait assez, ça plus, disons, une mesure d'autoréglementation? Autrement dit, est-ce que vous tenez à une législation précise sur le sujet qui est sur la table?

Mme Pineau: Nous, on tient à une législation précise, ça, ça ne fait pas de doute. On est d'accord avec les dispositions du Code civil adoptées en 1987 mais non encore promulguées. On profite de l'occasion et on trouve important qu'à ça soient ajoutés d'autres types d'atteintes à la vie privée qui, pour nous, sont prioritaires, à tout le moins dans le domaine de l'emploi, mais ça prend, en plus, un cadre légal et aussi des mécanismes faciles d'accès aux individus pour faire reconnaître les atteintes dont ils sont victimes.

M. Bourdon: Si je comprends bien, à l'égard des dispositions du Code civil, vous trouvez ça approprié mais pas suffisant. Vous proposez des ajouts.

Mme Pineau: C'est ça. On a spécifié quelques ajouts, une liste d'ajouts dans notre mémoire...

M. Bourdon: Oui, une liste.

Mme Pineau: ...qui touchaient surtout des problèmes qu'on rencontre dans les milieux de travail, mais ailleurs aussi.

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme Lamontagne et Me Pineau, il me fait plaisir, comme ministre de la Justice, de vous accueillir à cette commission. Mme Lamontagne, je voudrais aussi profiter de l'occasion pour vous remercier d'avoir été aussi membre du groupe de travail interministériel. Vous avez apporté une contribution qui a été fort appréciée. Je vous en remercie.

Vous nous avez présenté les grandes lignes

de votre mémoire et avez répondu aux questions de mes collègues de la commission; je voudrais préciser certains points. Je vais peut-être continuer en fonction des questions que vient de vous poser le député de Pointe-aux-Trembles sur ce qui existe déjà. Donc, dans le projet de loi 125 concernant la réforme du Code civil, aux articles 35 et 36, on parle du respect de la vie privée. Alors, vous écrivez dans votre mémoire, à la page 3: "Ainsi, les mesures proposées dans le projet de loi 125 au chapitre du respect de la réputation et de la vie privée constituent certes un net progrès, mais pourraient s'avérer insuffisantes à parer certaines pratiques" Et ensuite, à la page 4, vous énumérez un, deux, trois, quatre, cinq sujets qui, vous nous dites, devraient être compris dans l'énumération qu'on trouve déjà dans 35 et 36.

Je me pose des questions parce que... Je me demande s'il serait sage d'ajouter ces sujets que vous nous proposez, d'une part parce que, vous le dites vous-mêmes à la page 5 de votre mémoire, déjà, à la Charte des droits et dans d'autres parties du Code civil, ces sujets-là sont traités. C'est le cas, par exemple, pour la fouille d'une personne de même que pour celle de ses biens ou pour l'écoute électronique qu'on pourrait voir là. Et, dans ce cas-là, vous savez que la seule façon d'aller à rencontre de ces droits, ce n'est pas par une simple loi, parce que, là, selon le Code civil, vous avez ce droit qui est garanti pour respecter votre vie privée et, s'il y a une loi qui dit que vous pouvez aller à l'en-contre du respect de la vie privée, par le fait même, la protection n'existe plus. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais c'est absolu. Alors que, dans la Charte des droits, il faut en plus que cette loi qui va à rencontre de la vie privée soit jugée raisonnable et acceptable dans une société libre et démocratique et, du côté québécois, dans une formulation quelque peu semblable.

Donc, du côté de la Charte des droits, vous avez plus de protection que si vous ne le mettiez au niveau du Code civil, et c'est voulu de par les différents droits qu'on propose. Mais, en plus, dans les deux derniers sujets que vous nous proposez, vous dites, comme sujet que vous aimeriez voir garanti, le fait d'exiger d'un individu qu'il se soumette à un test de polygra-phe, détecteur de mensonge - on a vu, aux Etats-Unis, dans un exemple fort, fort récent, qui s'est terminé à la fin de l'après-midi, qu'on a utilisé le détecteur de mensonge - à une séance d'hypnose ou à une prise d'empreintes digitales ou de photo d'identification. Est-ce que ça voudrait dire que vous accepteriez qu'une loi oblige quelqu'un à se soumettre au détecteur de mensonges, que vous accepteriez qu'une loi force quelqu'un à se soumettre à une séance d'hypnose? Les empreintes digitales, c'est autre chose. La photo d'identification, c'est autre chose. Mais ça me fait réfléchir beaucoup.

Et, en plus, est-ce que vous accepteriez qu'on fixe des contraintes à une personne dans le choix du lieu de sa résidence, étant donné la liberté de circulation? Je ne dis pas quelqu'un, par exemple, qui doit résider près de son travail et qui fart donc une convention avec son employeur de venir demeurer près de son travail. Alors, je m'interrogeais sur ces éléments que vous aimeriez qu'on incorpore à l'article 36 de la réforme du Code civil. Ma question est celle-ci: Croyez-vous vraiment que ce serait mieux protéger la vie privée d'ajouter ces sujets-là que de ne les laisser comme ils sont présentement, à la Charte des droits et libertés?

Le Président (M. Gauvin): Me Pineau.

Mme Pineau: La situation actuelle à laquelle on fait face dans les relations du travail, par exemple en matière de fouille, malgré toutes les protections dont on serait en droit de bénéficier en vertu de la Charte - les articles 1, 5, 24.1, l'article 19 - malgré toutes ces protections-là, à l'heure actuelle, la plupart des arbitres s'entendent pour permettre les fouilles à la sortie de l'usine, sur la base que ça fait partie des droits de gérance de l'employeur, de son droit de vérifier si, par exemple, les employés ne se rendent pas coupables de vol. Et les protections complètes devant les tribunaux d'arbitrage de l'ordre de la Charte s'avèrent, pour le moment, insuffisantes à parer des pratiques de l'ordre de celles qu'on énumère et qu'on voudrait voir ajouter.

Pour les examens médicaux, c'est la même chose. En général, les arbitres vont chercher dans les conventions en quoi il y a une interdiction de procéder à un examen médical, au lieu de voir dans la Charte une interdiction en soi de procéder à l'examen médical. C'est pourquoi on trouve important que ces atteintes-là à la vie privée s'ajoutent à celles déjà énumérées et que, comme le prévoit l'article 35, nulle atteinte ne puisse être portée à la vie privée sans que la loi l'autorise, donc qu'on puisse exiger de l'employeur qu'il ait un fondement légal, soit à sa demande d'examen médical, par exemple, comme c'est le cas dans la Loi sur les accidents du travail, soit lorsqu'il veut procéder à une fouille ou lorsqu'il veut procéder à un test de détecteur de mensonge. Il ne s'agit pas pour nous, évidemment, d'exiger une loi qui permette le détecteur de mensonge, mais d'empêcher tout employeur, sur une base purement conventionnelle ou sur la base d'un règlement d'entreprise, de porter une telle atteinte sans qu'on puisse lui opposer une interdiction légale et une prohibition légale claire.

M. Rémillard: Mais, si on prend votre exemple de la fouille des employés à la sortie de l'usine, qu'est-ce qui vous empêcherait de contester une telle fouille en vertu de la Charte

québécoise ou de la Charte canadienne, et même de faire une plainte à la Commission des droits - parce que c'est plus facile d'accès que la Charte canadienne, où c'est un peu difficile -qui va faire enquête? Vous l'avez mentionné tout à l'heure aussi, le rôle de la Commission. À ce moment-là, le tribunal, si ça va au Tribunal des droits - comme vous le savez, il existe maintenant un tribunal des droits - va avoir une certaine discrétion qui va probablement l'amener à discerner s'il y a abus ou pas. Ne croyez-vous pas que c'est une meilleure protection que de simplement se référer à la valeur absolue d'une loi, se référer à la discrétion du tribunal qui peut apprécier la situation?

Mme Pineau: À l'heure actuelle, évidemment, on en mène, des batailles. Mais, comme je vous l'ai dit, au niveau des arbitrages de griefs, souvent, les arbitres, dans la mesure où il existe une pratique passée dans l'entreprise, vont considérer qu'il est possible pour l'employeur de procéder à de telles fouilles. Par ailleurs, le recours systématique à des instances comme le Tribunal des droits ou à l'arbitrage de griefs n'est pas toujours possible. Qu'on pense, par exemple - et ça, c'est important aussi - à tout le champ des travailleurs et travailleuses qui ne sont pas représentés par un syndicat, à l'heure actuelle, et qui, éventuellement, sont soumis à ces pratiques-là sans avoir les ressources d'un syndicat pour mener la bataille concernant la fouille dont ils sont victimes à la sortie de l'entreprise, ou l'examen psychiatrique que l'employeur les oblige à passer. C'est dans ce sens-là qu'on trouve que la ressource de pouvoir dire: Voici, la loi prohibe de telles atteintes à la vie privée, sauf si vous pouvez vous autoriser d'une disposition de la loi; montrez-nous dans quelle loi, vous avez le droit de procéder à une fouille ou en vertu de quelle loi vous vous autorisez pour exiger un examen médical... (21 heures)

M. Rémillard: J'essaie de comprendre votre raisonnement. Je le suis, mais ce que j'aimerais vous dire, c'est que, même si vous le contestez en fonction d'une loi qui existe, vaut mieux essayer de pouvoir se référer au tribunal pour voir si ce n'est pas abusif. Parce qu'une loi qui permettrait la fouille d'employés à la sortie d'usine, vous ne pourriez pas vous référer à cette loi-là et dire: Bien d'accord, on n'a plus rien à faire. La Charte des droits est là. Et cette fouille peut être abusive quand même, jugée par le tribunal abusive quand même. Alors, c'est pour ça que je ne vois pas, pour ma part, je vous avoue, la nécessité d'inclure ces sujets-là. J'ai l'impression qu'ils sont encore mieux protégés s'ils ne sont pas compris dans la liste de 36 et laissés où ils sont en très grande partie, en fonction de la Charte.

Le Président (M. Gauvin): Mme Lamontagne.

Mme Lamontagne: Si je comprends bien votre problème, M. le ministre, c'est que vous dites: En allongeant la liste, on ouvre la porte à ce qu'il y ait d'autres règlements ou d'autres lois qui fassent des exceptions à cette liste, alors que, comme, dans la Charte des droits, le droit est beaucoup plus général mais qu'il est là, on est mieux de se défendre par rapport à la Charte.

M. Rémillard: Plus la discrétion, si vous me permettez, plus la référence à la discrétion du tribunal...

Mme Lamontagne: Oui.

M. Rémillard: ...soit par des concepts d'abusif, de rationalité, tous ces concepts-là qui permettent au tribunal de vérifier si ça se fait correctement.

Mme Lamontagne: Sauf que, concrètement... En tout cas, on peut y réfléchir à nouveau, sauf qu'il y a toutes sortes de problèmes. Si on prend les choix de lieu de sa résidence, dans beaucoup de municipalités, c'est une réglementation qui oblige les employés de la municipalité à résider dans la municipalité qui les emploie. Il y a eu des arbitrages sur cette question-là et ça n'a pas été toujours en notre faveur. Oui, est-ce que c'est abusif d'exiger ça? Peut-être qu'il faudrait aller le défendre devant la Charte, mais c'est un recours aussi qui est assez long et complexe. On parle même de fouille en quittant le milieu de travail. Moi, j'ai vu un cas où, pour signer une convention collective, l'employeur voulait qu'il y ait un comité ou voulait que le syndicat signe une entente pour qu'il y ait des tests de dépistage arbitraires, au choix de l'employeur, à l'entrée de l'usine, le matin, au cas où il y aurait des personnes qui soient en état d'ébriété. C'était assez serré et c'était en cas de convention collective. On peut peut-être réfléchir où c'est mieux de prévoir ces droits, mais il y a un problème réel dans les milieux de travail sur la question des fouilles, sur la question des tests de dépistage, sur la question de contraintes qui nous semblent abusives en vertu des droits et des libertés des salariés qui travaillent.

Le Président (M. Gauvin): Merci, Mme Lamontagne. Mme la député de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Sur le même sujet. Je pense que vous nous dites que, malgré la Charte canadienne des droits et libertés qui devrait assurer cette protection, malgré le fait que vous vous retrouviez devant des tribunaux, vous n'avez pas gain de cause quand même. Vous croyez que, si on ajoutait des précisions dans l'article 36 du Code civil, le tribunal serait peut-être davantage favorable, ce serait plus facile pour défendre vos causes,

en tout cas.

Mme Pineau: Oui, ou ça pourrait quand même éviter le recours aux tribunaux en ce sens qu'on pourrait s'appuyer sur un texte qui est clair et qui ne laisse pas tellement le choix à l'employeur.

Mme Caron: Vous avez aussi parlé, dans votre mémoire, du droit de consentement. Il m'avait semblé constater, dans d'autres mémoires, que ce droit pouvait être, d'une certaine manière, suffisant. Vous nous arrivez avec la donnée contraire, à savoir que, même si la personne consent, ce n'est pas suffisant, qu'il faudrait que les critères soient beaucoup plus serrés, qu'on devrait davantage limiter au niveau de la cueillette des données. J'aimerais vous entendre davantage là-dessus et que vous donniez des précisions sur les données qu'on devrait pouvoir recueillir. Vous voulez limiter jusqu'à quel point?

Mme Lamontagne: Sur la limite du droit de consentement, il me semble que c'est assez évident qu'il y aurait déséquilibre de force entre... Je l'ai dit tout à l'heure, si, moi, je veux avoir une assurance-vie, bien, je vais être prête à signer pour qu'ils puissent aller voir mon dossier médical parce que, si je ne signe pas, je n'aurai pas d'assurance-vie. Ce n'est pas très compliqué. Si je veux demander un prêt à la caisse populaire, si je ne signe pas certains papiers, je n'aurai pas de prêt, ou pour une hypothèque, etc. La situation est d'autant plus dramatique quand on touche à un droit majeur qui est le droit au travail. Quand les personnes veulent des emplois, bon, elles vont en faire, des tests de dépistage; elles vont en faire, des examens médicaux. Elles vont raconter leur vie. Elles vont dire si elles ont eu un avortement ou deux avortements, etc. Ça peut aller jusque-là.

Alors, nous, on dit: Oui, le droit au consentement. C'est évident qu'il faut conserver ce droit-là, mais il faut aussi tenter de régler le problème à la source et ne pas permettre à n'importe qui de cueillir n'importe quelle information. Si je prends l'exemple de l'emploi, si je cherche un emploi dans n'importe quel secteur, peu importe que mon employeur sache si j'ai eu un avortement ou combien de maris j'ai eus, etc., ça n'a aucune pertinence pour le travail. Donc, que celui qui cueille les renseignements ne puisse pas cueillir ce type de renseignements quand ce n'est pas pertinent pour les formules que je remplis. C'est plus important de connaître ma compétence professionnelle que ma vie personnelle, quand je postule un emploi, etc., dans tous les autres cas. Donc, oui, le droit au consentement doit demeurer, mais on doit resserrer les obligations pour ceux qui ramassent les renseignements.

Le Président (M. Gauvin): Oui, Mme Pineau.

Mme Pineau: J'aimerais ajouter qu'une autre des raisons qui nous amènent à cette conclusion-là, c'est aussi que, dans l'état actuel des choses, je pense que, pour beaucoup de personnes, protéger sa vie privée, c'est avoir quelque chose à cacher. À l'heure actuelle, je pense qu'il n'y a pas vraiment d'habitude de protection de la vie privée. Les gens sont un peu mal à l'aise. Ils vont préférer souvent répondre pour montrer qu'ils sont des gens honnêtes, à qui on peut faire confiance.

Ça aussi, ça nous amène à préférer une restriction au niveau des données qui peuvent être recueillies, et ça, c'est un domaine qu'on renverrait probablement au niveau du contenu de ce qui doit être, de ce qui peut être demandé, ce qu'il est absolument nécessaire de demander pour pouvoir fonctionner. Ça devrait être envoyé aux tables sectorielles, selon nous, cette question-là.

Mme Caron: Vous souhaiteriez donc qu'on trouve des critères très précis, style formulaire uniforme, de données qu'on peut demander. Ça m'apparaît bien clair, moi aussi, que la pression est très forte pour la personne qui veut obtenir un emploi, qui veut obtenir un prêt. C'est évident que ce n'est pas juste. C'est sûr qu'elle est prête à donner toutes les informations voulues; c'est normal, c'est des sujets vitaux pour elle. Donc, elle va être prête à donner n'importe quelle information pour obtenir ce qu'elle veut.

Donc, on pourrait, à ces tables-là, limiter les données et trouver exactement ce qui peut être demandé.

Mme Lamontagne: Bien, c'est peut-être fixer le cadre de ce qui peut être demandé selon le besoin. Si c'est un employeur, c'est lié à l'emploi, aux compétences, a la formation, je prends cet exemple-là. Moi, je ne crois pas, en tout cas sans avoir réfléchi plus, qu'il faille penser à des formulaires précis. Peut-être devrons-nous en arriver là. Il y a des baux types qui existent. Alors, peut-être pourrait-il y avoir des formulaires types pour quand tu fais une demande d'emploi. Déjà, même les formulaires de demande d'emploi doivent être revisés en fonction des droits et de la discrimination. Alors, peut-être qu'on peut en arriver là. Mais, minimalement, fixer un cadre de quel type de renseignement peut être cueilli par qui.

Mme Caron: Est-ce que vous ajouteriez, comme mesure, une campagne d'information? Parce que, même si on limite, au niveau des employeurs tout comme au niveau des employés, ce n'est pas évident que tout le monde va avoir cette connaissance et qu'on va continuer quand même à poser certaines questions. Est-ce que ce serait assorti d'une campagne d'information, comme semblaient le souhaiter les associations de consommateurs?

Mme Lamontagne: Oui. La promotion des droits et libertés, la promotion de la vie démocratique et de pouvoir avoir le respect de sa vie privée et la protection de sa vie privée, c'est un droit et un acquis dans une démocratie. Comme le disait Anne, tout à l'heure, refuser de donner un renseignement, d'abord, il faut être très, très déterminé pour faire ça. Deuxièmement, tout de suite, c'est comme créer le sentiment qu'on a quelque chose à cacher. Alors, c'est comme si, déjà, tu es coupable en partant si tu refuses de donner une information, même si c'est par respect pour toi-même, mais, déjà, il y a un sentiment de culpabilité qui se développe. Alors, oui, il faut faire une promotion que, protéger sa vie privée, c'est normal, correct. Une promotion des droits et libertés, oui.

Mme Caron: Est-ce que vous pensez que l'afficheur, au niveau des téléphones, pose problème à l'atteinte des droits de la vie privée?

Mme Lamontagne: On est intervenu avec la Ligue sur cette question-là. C'est sûr que si, moi, j'appelle chez Eaton pour demander un renseignement et qu'ils ont mon numéro, oui, ça pose un problème à l'atteinte de la vie privée. Ça peut entraîner, par exemple, le harcèlement de telle compagnie, ou la vente sous pression, etc. C'est sûr, oui.

Le Président (M. Gauvin): Étant donné que le temps du côté ministériel est épuisé, est-ce que j'aurais consentement pour permettre au député de Chapleau une petite question?

M. Kehoe: Seulement une courte question, M. le Président.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Dans votre troisième recommandation, vous dites que le Québec, dans cette loi, devrait interdire la transmission de données hors Québec lorsque les droits des personnes ne peuvent être garantis. Dans la plupart des autres provinces ou des États, aux États-Unis, lorsqu'on fait affaire, que les données sont transmises dans ces juridictions-là, si je comprends bien, le régime d'autoréglementation est en vogue. C'est plutôt ça que la législation... Comment, à ce moment-là, par cette recommandation, est-ce que vous interdisez toute transmission de données à ces juridictions-là, où il n'y a pas une législation semblable à la nôtre?

Mme Lamontagne: Ce n'est pas qu'il n'y ait pas une législation semblable, mais il faut avoir une garantie que dans les renseignements transmis, les droits de la personne sont respectés. On tait allusion, entre autres, dans un des textes...

Le problème se pose déjà entre la Communauté européenne et le Canada où, dans la Communauté européenne, il y a des législations beaucoup plus sévères. L'exemple qui nous était donné, c'est la transmission des listes de passagers des avions; alors qu'ici c'est permis, là-bas, en Allemagne, entre autres, ce n'est pas permis. Alors, là, déjà il y a eu des plaintes faites à ce sujet-là. Alors, nous, on ne dit pas que toutes les autres provinces doivent avoir les mêmes législations, mais il doit y avoir des garanties que les renseignements qui sont promulgués respectent les droits de la personne, sont confidentiels et sont traités correctement. Je ne sais pas si...

M. Kehoe: Étant donné le régime d'autoré-glementation dans les autres juridictions canadiennes, est-ce que ça sera suffisant pour protéger?

Mme Lamontagne: Je ferai les mêmes remarques que j'ai faites sur... L'autoréglementa-tion nous apparaît insuffisante, mais il faudrait voir dans le détail quel type de renseignement, dans quelle province, quelle sorte de règlement ils ont, pour que je puisse répondre avec précision à cette question. Globalement, je dirais que c'est insuffisant, le régime d'autoréglementation, mais il faudrait y voir plus dans le détail. Je ne sais pas si Anne...

Le Président (M. Gauvin): Est-ce qu'il y a d'autres questions de la part des membres de la commission?

Une voix: Non, ça va.

Le Président (M. Gauvin): Je pense que ça semble complet. À ce moment-ci, M. le ministre, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Cannon: Je voudrais simplement remercier Mme Lamontagne et Me Pineau d'être venues nous voir. J'espère qu'on aura le plaisir de se revoir.

Le Président (M. Gauvin): J'aimerais remercier les représentants de la Fédération des syndicats nationaux, justement, d'avoir participé à cette commission, au nom des membres de la commission...

Une voix: De la Confédération.

Le Président (M. Gauvin): Oui, la Confédération. Excusez-moi... d'avoir participé. Encore une fois, on s'excuse d'avoir un peu bouleversé l'horaire prévu. Nous vous remercions. On va suspendre temporairement, quelques secondes les travaux, pour permettre aux représentants du Barreau du Québec de prendre place.

(Suspension de la séance à 21 h 15)

(Reprise à 21 h 16)

Le Président (M. Gauvin): Nous reprenons nos travaux. À nouveau, nous souhaitons la bienvenue au représentant du Barreau du Québec, Me Marc Sauvé, que j'invite à faire la présentation au nom de son groupe. Vous avez 20 minutes à votre disposition.

Barreau du Québec

M. Sauvé: D'accord. Merci, M. le Président. Merci, MM., Mmes les membres de la commission. Alors, comme vous le savez, le Barreau a comme principal mandat celui de la protection du public. C'est donc à la lumière de ce mandat de protection du public qu'il faut interpréter notre démarche devant la commission. Le Barreau a cru prématuré de prendre position sur chacune et toutes les recommandations du Comité interministériel. Alors, on s'est plutôt limité ou arrêté sur des grandes orientations qui devraient guider le législateur dans la législation à venir. Je ne vous ferai pas l'injure de vous lire le texte. Sauf avis contraire, je pense que vous savez lire comme moi, même entre les lignes. Je vais essayer de vous faire une espèce de synthèse de ce document qui est déjà assez synthétique en lui-même.

Le comité du Barreau croit que le cadre législatif à venir sur le sujet devrait s'articuler comme suit. Il devrait, dans un premier temps, y avoir des normes générales concernant la protection de la vie privée. Ces normes-là pourraient très bien, selon l'avis du comité ou les membres du comité, être incorporées au Code civil. C'était l'avis majoritaire des membres du comité. Donc, des normes générales portant sur la protection de la vie privée, eu égard à l'utilisation de renseignements personnels, qui pourraient très bien être incorporées au Code civil. Dans un premier temps, donc, des normes générales.

Dans un deuxième temps, on pense évidemment qu'il doit y avoir une loi d'application. D'accord? Dans le Code civil, on ne voit pas la nécessité ou on ne trouverait pas ça approprié d'introduire les mécanismes d'application ou les recours, mais pour ce qui est de la loi d'application comme telle, on y retrouverait les recours aux infractions des normes générales qu'on jugerait opportun d'incorporer au Code civil. Donc, les recours aux infractions ainsi que leur modalité d'application pourraient très bien se retrouver dans une loi d'application.

En troisième lieu, il y aurait toute la question de la réglementation sectorielle. Alors, c'est de cette façon que le Barreau pense que devrait s'enligner la charpente législative et réglementaire concernant la protection de la vie privée eu égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur privé.

Alors, si je prends chacun de ces aspects-là, pour ce qui est des normes générales, elles existent dans le projet de loi 125; ce sont les articles 35 à 41. Les membres du comité som très satisfaits de ces dispositions-là. Par contre, il y aurait probablement lieu de les bonifier. On suggère, en particulier, des amendements à l'article 36 du Code civil. On dit: La vente de banques de données à des tiers sans le consentement des personnes fichées pourrait constituer une violation de la vie privée, telle que prévue à l'article 36 du Code civil projeté. Alors, c'est une disposition qu'on pourrait ajouter à l'article 36 du projet de loi 125.

Maintenant, évidemment, il pourrait y avoir d'autres normes. On souligne, en particulier, une difficulté en ce qui a trait à ce qu'on considère être le droit à l'information. Le droit à l'information, c'est intéressant. Ça suppose, par contre, que l'on connaît qui sont les détenteurs d'informations nominatives à notre sujet, et ça, ça pose évidemment tout un problème. On souligne ça a la page 6 de notre mémoire: En ce qui a trait aux droits à l'information et à la contestation, un problème de taille devra être solutionné. Pour faire respecter son droit à la vie privée et à sa réputation, il est évidemment nécessaire de connaître les personnes qui détiennent ces informations personnelles à notre sujet. Alors, de quelle façon peut-on connaître l'identité de ces personnes ou entreprises? Quels moyens avons-nous pour rectifier ou corriger des informations personnelles qui sont détenues à notre sujet si on ignore qui détient ces informations et quelles sont ces informations, justement? Alors, ça, c'est quand même une question importante, tout à fait pratique. C'est bien beau de parler de droit de rectifier les informations, de droit à l'information, mais il faut vraiment identifier les gens, justement, ou les entreprises, les intervenants qui détiennent ces informations-là. Alors, on disait, nous, en réponse à cela, que, pour des raisons d'efficacité et de faisabilité, on ne croit pas qu'un fichier général des fichiers constituerait une avenue praticable pour solutionner la question. Alors, on pense, nous, au contraire, que chaque entreprise importante ou de grande taille visée par la législation devrait avoir une personne responsable de la gestion des banques de données. Alors, sur demande, une personne fichée pourrait obtenir son dossier et prendre connaissance des informations qui y sont consignées Ces entreprises devraient aussi constituer un mécanisme interne d'examen des plaintes qui pourrait être utilisé avant de recourir à un intervenant extérieur. Par contre, ces obligations-là pourraient être onéreuses pour de petites entreprises. Alors, c'est dans ce cas-là qu'il faudrait favoriser le règlement des plaintes par secteur d'activité pour, justement, ces petites entreprises-là. C'est ce qui est mentionné à l'article 7. On mentionne aussi que, si un conflit intervenait entre une entreprise et un justiciable, la Commission d'accès à l'information pourrait avoir autorité pour soumettre la cause aux

tribunaux de droit commun, avec le consentement du justiciable. Ça aussi, c'est mentionné à la page 7.

Donc, dans un premier volet de la législation, il faudrait incorporer des normes générales dans le Code civil. Nous croyons que c'est un bon endroit pour y apposer ces normes générales. Dans un deuxième temps, on pense évidemment à une loi d'application. D'abord, on doit souligner évidemment qu'en l'absence de recours ou de sanctions précises seuls les recours généraux en responsabilité civile ou en injonction pourraient être intentés pour faire respecter les principes du Code civil. Alors, il faut donc une loi particulière pour prévoir des mécanismes de correction et de redressement ainsi que leur procédure d'application. Est-ce que cette loi d'application devrait être incorporée à la loi actuelle d'accès aux documents des organismes publics? Théoriquement, oui, mais, de l'avis des membres du comité, c'est une loi qui est déjà passablement complexe. C'est un joyeux micmac, cette législation. On pense que d'y ajouter d'autres dispositions pourrait la rendre à peu près incompréhensible. Alors, c'était là l'avis des membres de mon comité sur la protection de la vie privée.

Maintenant, en ce qui a trait à la réglementation sectorielle, on souscrit au principe d'autoréglementation sectorielle. De toute façon, l'autoréglementation, ça semble être plutôt à la mode, de ce temps-ci. Dans le secteur financier, par exemple, c'est mur à mur, l'autoréglementation des institutions financières. Ça ne veut pas dire que les institutions peuvent faire ce qu'elles veulent. On pense évidemment que le gouvernement doit chapeauter et surveiller tout ça. On pense surtout que cette réglementation-là doit avoir force obligatoire. Il ne doit pas s'agir simplement d'une directive ou d'un code de pratique qui n'aurait aucune force obligatoire. Finalement, on juge absolument essentiel que le public soit véritablement consulté avant la mise en vigueur de ces règlements puisqu'il est le premier concerné aussi dans l'élaboration de ces normes sectorielles.

C'est, en gros, l'orientation que le Barreau voudrait voir donner à cette législation à venir. On sera évidemment heureux de formuler des observations beaucoup plus détaillées sur le texte législatif qui sera éventuellement proposé.

Vous avez peut-être des questions à poser. Je vais essayer d'y répondre. Maintenant, n'étant pas un spécialiste dans ce domaine, si je ne puis y répondre, je vais quand même les prendre en note et acheminer les réponses éventuellement à la secrétaire de la commission.

Le Président (M. Gauvin): Prenant en considération ce que vous venez d'ajouter, on va demander à M. le ministre s'il aurait des questions à poser.

M. Cannon: Merci, M. le Président. Merci,

Me Sauvé, d'être là ce soir, merci de votre présentation. J'ai noté que, dans la présentation de votre document, vous insistez sur le fait que le Québec s'inspire des lignes directrices de l'Organisation de coopération et de développement économique concernant le flux transfrontalier des données à caractère personnel. D'ailleurs, vous relatez quelques éléments qui font en sorte que le Québec doit s'y conformer. Vous parlez aussi de la nécessité que la loi sur laquelle nous voulons travailler, la loi d'application, prévoie les recours et les sanctions. Le pouvoir de réglementation est donc nécessaire. Vous accordez à la Commission d'accès à l'information, à l'Office de la protection du consommateur et à la Commission des droits de la personne un intérêt légal. Après avoir entendu votre déclaration, je suis presque tenté de vous demander simplement si vous croyez que les législateurs devraient extensionner ou appliquer la loi de l'accès à l'information, celle que nous connaissons présentement dans le secteur public, et simplement l'extensionner au secteur privé.

M. Sauvé: D'abord, est-ce que ce serait suffisant d'extensionner la loi qui existe actuellement? Première question. En pratique, est-ce qu'on peut le faire? Est-ce qu'elle ne présente pas certaines difficultés? Les commentaires que j'ai eus dans mes comités étaient que cette loi était déjà très difficile d'application et que ce n'était peut-être pas le modèle à suivre pour ce qui est du secteur privé. Je pourrais m'en référer à des gens. Justement, Bill Atkinson, qui devait être ici ce soir, a une partie de sa clientèle dans ce secteur. Il aurait pu vous éclairer là-dessus. Moi, le son de cloche que j'ai eu là-dessus, c'est que cette législation n'est pas très claire. Je ne suis pas certain que ce soit le bon squelette sur lequel il faudrait mettre de la viande.

Le Président (M. Gauvin): M. le ministre.

M. Cannon: Peut-être une autre question. À la page 6, vous indiquez: "Un processus général d'attribution et de renouvellement de permis d'opération de banques de données - nous voilà justement toujours au chapitre de la loi d'application - nous apparaît ni nécessaire, ni efficace. Nous craignons que l'attribution d'un permis ne constitue qu'une justification à la non-intervention des pouvoirs publics. Une série de sanctions pénales ou amendes ou des dommages exemplaires constituerait probablement une meilleure approche." Et, plus loin, vous dites que "le mécanisme de permis pourrait cependant être envisagé pour des secteurs spécifiques". Vous partez donc du plus général au plus particulier et vous indiquez ici que... À titre d'exemple, vous parlez du secteur des agences de crédit ou de celui des compagnies d'assurances. Je présume donc que votre approche en serait une plus sectorielle. J'ai à vous poser la même question

que je posais, tout à l'heure, aux représentantes de la CSN, à savoir: Par quel secteur devons-nous commencer? Est-ce que, selon vous, le secteur prioritaire serait les agences de crédit, les compagnies d'assurances, bref les institutions financières ou est-ce que nous devrions envisager une portée encore plus étendue quant à la protection des renseignements? (21 h 30)

M. Sauvé: Je pense que ce qui ressortait de nos quelques réunions a ce sujet-là, c'était vraiment d'identifier les secteurs qui posent le plus de difficultés et c'étaient, justement, les agences de crédit et les compagnies d'assurances. C'était vraiment ça qui ressortait constamment de nos discussions. Non pas parce qu'il n'y a pas de problème ailleurs, mais ceux qui étaient le plus fréquemment décriés s'attachaient justement à ces institutions-là. Alors, la priorité semblait se diriger vers ça, oui.

M. Cannon: Vous avez également affirmé, dans votre mémoire, que la progression incontrôlée de l'informatisation des renseignements nominatifs et l'automatisation des décisions sur les individus peuvent être génératrices de préjudices pour les personnes qui en font l'objet. Pourriez-vous nous saisir de quelques exemples de ce que vous vouliez signifier par cela?

M. Sauvé: Bien, écoutez, il y a eu récemment, à notre télévision d'État, le film "Joseph K". Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le suivre.

M. Cannon: Oui, nous avons tous noté ça aujourd'hui.

M. Sauvé: Oui, j'imagine. Là-dedans, on voyait très clairement un individu qui était fiché, catalogué. Un employeur éventuel avait des informations sur lui et ces informations étaient de nature à lui faire perdre un droit, le droit à un travail, le droit d'accéder au marché du travail. L'individu en question n'avait aucun moyen, d'abord, de savoir de quelles informations il s'agissait, qui vraiment les détenait, qui était celui qui était en mesure de les vendre ou de les céder et quelles étaient ces informations pour pouvoir les redresser éventuellement ou les contester. Alors, c'est à ça qu'on fait allusion. On fait allusion à des informations qui peuvent faire perdre des droits ou préjudicier les individus, et ça, on trouve que c'est inadmissible dans une société démocratique. C'est pour ça que ça doit être dénoncé. C'est pour ça qu'il doit y avoir des législations concrètes pour redresser la situation.

M. Cannon: Si je mets de côté, Me Sauvé, ce témoignage que nous avons vu avec l'Office du film, à votre connaissance et à la connaissance des gens du Barreau, y a-t-il beaucoup de cas semblables au cas qui a été relaté?

M. Sauvé: II n'y a pas eu d'enquête de faite vraiment là-dessus. On peut soupçonner que oui, mais on ne peut pas appuyer ce qu'on vous dit sur des chiffres, sur des statistiques. Mais on peut très certainement penser que les employeurs font ce genre d'enquête là, forcément, et qu'effectivement il y a des individus qui subissent les contrecoups de ce commerce d'information. Malheureusement, on n'a pas de données statistiques à vous fournir à ce sujet-là, mais on pense que, dans le monde d'aujourd'hui, c'est tout à fait concevable que ce genre de choses là arrive fréquemment.

M. Cannon: O.K. D'accord, merci.

Le Président (M. Gauvin): M. le député de Pointe-aux-Trembles.

M. Bourdon: On parle du personnage du film qui ignore ce qu'on sait de lui. Moi aussi, ça m'a frappé. Le premier droit d'une citoyenne ou d'un citoyen, c'est sans doute de savoir ce que les autres savent de lui. Or, avant vous, il y a la firme Équifax qui a témoigné devant nous, un excellent témoignage, mais ce qui en est ressorti, c'est une donnée qu'on nous a apportée. C'est que, sur quelque chose comme 4 500 000 adultes fichés au plan du crédit, il y en a 2300 par mois qui demandent leur fiche de crédit et la loi de protection des consommateurs... Et la firme, dans son cas aussi, il y a une disposition qui va même au-delà de la loi, parce qu'on reconnaît à la personne le droit de faire corriger une information, ce qui est au-delà de ce que la loi prévoit. Est-ce que vous ne pensez pas qu'une législation éventuelle devrait permettre que les gens aient, d'une certaine façon, automatiquement accès à leur fiche de crédit, pour donner cet exemple-là, peut-être par l'intermédiaire de l'institution financière qui l'a obtenue et qui pourrait la transmettre au client que ça concerne? Est-ce que vous pensez que c'est une piste qui pourrait être explorée?

M. Sauvé: Écoutez, encore là, il faut regarder les impacts pratiques. En pratique, qu'est-ce que ça signifie? Est-ce que ça veut dire qu'il y a des tonnes de documents qui vont circuler à gauche et à droite et que n'importe qui va pouvoir faire n'importe quoi sur des documents? C'est délicat, cette question d'avoir accès à tous les documents. C'est beau de pouvoir le mettre dans un texte législatif, le droit à l'information, le droit d'avoir accès à certains documents, mais encore faut-il que ce soit praticable. C'est là qu'il faut réfléchir à des modalités d'application. Le droit, tout le monde peut en convenir, mais, en pratique, comment peut-on imaginer que ça puisse se faire facilement?

M. Bourdon: Un exemple que je pourrais vous donner: une personne demande un emprunt à une institution financière. Elle reçoit généralement après, en vertu de la loi de la protection du consommateur, une copie conforme du contrat qu'elle a signé et des conditions. Si l'institution financière a eu une fiche de crédit, elle pourrait la photocopier et la mettre avec. Je ne nie pas qu'il faille faire quelque chose de faisable, mais, quand je regarde ce que je n'ai pas demandé et que je reçois chez moi de tout ordre qui me renseigne sur le prix du poulet dans tous les supermarchés, je me dis qu'il y aurait moyen de trouver cette modalité-là. Parce que, sur les choses que je ne veux pas savoir, je vais vous dire, j'en reçois beaucoup.

M. Sauvé: Écoutez, c'est certain qu'on peut difficilement être contre ça, surtout si on arrive à trouver des modalités pratiques. La question, peut-être si on élargissait un peu, du droit à l'information pose évidemment tout le problème de savoir qui détient l'information. Imaginez un peu... En pratique, peut-on obliger toute personne qui détient des informations nominatives sur une autre personne à informer la personne visée? Ça n'a pas de bon sens. Que votre grand-mère ait les cheveux blancs ou gris, ça pourrait être une information nominative. Qu'est-ce qu'il va en faire? S'il fallait que tout le monde soit obligé d'en aviser les personnes visées, ça n'aurait pas de bon sens. C'est pour ça qu'on pense qu'édicter, dans la législation, de beaux principes, c'est intéressant, mais il faut toujours avoir à l'esprit les modalités d'application, le caractère pratique pour ne pas se tirer dans le pied inutilement et créer des litiges qui ne mènent à rien. Alors, avoir une approche plus pragmatique et non pas partir de principes qui, dans les faits, s'avèrent plus ou moins praticables.

M. Bourdon: À la fin de la page 5 de votre mémoire, au dernier paragraphe, vous dites: "On propose d'accorder à la Commission d'accès à l'information l'intérêt légal pour ester en justice au nom d'un justiciable en cas d'infraction aux articles 35 à 41 du Code civil projeté. Cet intérêt pour intervenir pourrait être étendu à d'autres organismes, comme par exemple l'Office de la protection du consommateur ou la Commission des droits de la personne. Ces organismes, sur réception d'une plainte, pourraient faire enquête et décider de poursuivre ou non. Ils devraient aussi, croyons-nous, pouvoir enquêter et poursuivre de leur propre initiative. "

Ne trouvez-vous pas que c'est un peu compliqué et que, s'il y avait trois organismes qui, de leur propre initiative, enquêtaient sur la même chose, on pourrait se retrouver avec une situation inutilement compliquée?

M. Sauvé: Très probablement qu'il y aurait confusion peut-être, éventuellement, des inter- venants. Ce qu'on voulait dire, c'est qu'il faudrait au moins qu'il y en ait un, mais un organisme qui puisse intervenir au nom de la population et pour son bénéfice. Au moins un. Effectivement, si on suit cette logique, l'abondance d'intervenants n'est peut-être pas appropriée.

Le Président (M. Gauvin): Merci, M. le député de Pointe-aux-Trembles. S'il n'y a pas d'autres questions, il nous resterait... Oui, excusez-moi, Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Oui, M. le Président. Dans votre mémoire, en page 4, vous proposez, vous aussi, tout comme les deux intervenantes précédentes, d'ajouter, à l'article 36 du Code civil qui est présentement étudié en sous-commission, "la vente de banques de données à des tiers sans le consentement des personnes fichées". Est-ce que vous croyez qu'il est nécessaire d'ajouter également ce que les intervenantes précédentes de la CSN nous ont proposé, au même article 36, c'est-à-dire la fouille d'une personne et le fait d'exiger qu'un individu se soumette à un examen médical? Est-ce que vous croyez que ce serait utile d'ajouter ça, en plus de votre proposition?

M. Sauvé: Écoutez, le Barreau du Québec a actuellement - d'ailleurs, si le ministre de la Justice était ici, il pourrait en témoigner lui-même - des négociations soutenues avec les légistes et le gouvernement sur la réforme du Code civil. Je peux difficilement répondre oui ou non sans faire référence aux personnes qui s'occupent de ça. Ce que je vais faire, c'est que je peux prendre en note cette question-là et puis vous acheminer la réponse éventuellement, à savoir si d'autres comités du Barreau, au sujet de la réforme du Code civil, ont jugé opportun de le faire. Mais ce serait délicat, pour moi, de...

Mme Caron: Je trouverais ça intéressant parce qu'à date on n'a pas eu de recommandations de ce type-là. Je suis membre de la sous-commission qui travaille sur la réforme du Code civil. L'entente qu'on a, c'est qu'on peut rouvrir n'importe quel article à n'importe quel moment. Je pense que ce serait peut-être intéressant que le Barreau se prononce sur cette proposition de la CSN d'ajouts à l'article 36.

M. Sauvé: Pouvez-vous juste, pour mes fins, en quelques mots, répéter la question, rapidement?

Mme Caron: Est-ce que vous croyez qu'il serait utile d'ajouter, en plus de la proposition que vous faites en page 4, à l'article 36, la fouille d'une personne, de même que celle de ses biens... Je pourrais peut-être vous donner une photocopie. Ce serait peut-être plus simple.

M. Sauvé: Absolument. Oui, d'accord.

Mme Caron: II y a quand même cinq points. M. Sauvé: Parfait.

Le Président (M. Gauvin): Est-ce qu'il y a d'autres questions du côté ministériel? M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: M. le Président. J'aimerais demander... Nécessairement, s'il y a une législation, s'il y a une loi adoptée, il va y avoir des contestations devant les tribunaux. Que ce soient des tribunaux de droit commun ou... C'est ça, ma question: Est-ce que vous pensez que le recours devrait être devant un tribunal administratif qui pourrait développer une certaine expertise dans ce domaine-là ou si les tribunaux de droit commun actuels pourraient entendre ces causes-là?

Le Président (M. Gauvin): M. Sauvé.

M. Sauvé: Oui...

Le Président (M. Gauvin): Me Sauvé.

M. Sauvé:... là-dessus, peut-être que la création de tribunaux administratifs... On pense qu'il y a déjà suffisamment de tribunaux administratifs et que d'ajouter de nouveaux organismes... Peut-être qu'il faudrait se débrouiller avec ce qui existe déjà. Je pense que ce serait plutôt ça, l'approche qui serait suivie, mais, à ma connaissance, à ma souvenance en tout cas, ce n'est pas une question sur laquelle on a réfléchi plus longtemps qu'il ne le faut. Je pense qu'on n'était pas très chaud à créer de nouveaux organismes par-dessus ceux qui existent déjà.

Le Président (M. Gauvin): Monsieur... Est-ce que, M. le ministre, vous avez des choses à ajouter en conclusion?

M. Cannon: Non. Sauf, en conclusion, remercier Me Sauvé d'avoir sauvé le Barreau, finalement...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cannon:... et d'avoir échangé avec nous.

Aussi, je note sa collaboration à nous fournir des renseignements supplémentaires si jamais le besoin se faisait sentir. Merci.

Le Président (M. Gauvin): Au nom de la commission, j'aimerais aussi vous remercier d'avoir présenté ce mémoire au nom de votre groupe, le Barreau du Québec. C'est ce qui met fin aux travaux de la commission des institutions. La commission ajourne ses travaux au mercredi 23 octobre, à 20 heures. Merci.

(Fin de la séance à 21 h 45)

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