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(Neuf heures quarante et une minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette séance de la commission des institutions est maintenant
ouverte. Je rappellerais notre mandat, qui est de procéder à des
consultations particulières et de tenir des auditions publiques dans le
cadre du mandat d'examen des orientations, des activités et de la
gestion de la Commission des droits de la personne.
Ce mandat, bien sûr, s'exerce en vertu de l'article 294 de notre
règlement. Cet article est issu de la réforme parlementaire et,
à cette étape-ci, j'en ferais lecture. Donc, l'article 294, sous
le chapitre Surveillance des organismes publics, se lit ainsi: "Chaque
commission examine annuellement les orientations, les activités et la
gestion d'au moins un organisme public soumis à son pouvoir de
surveillance. "Le choix des organismes se fait conformément à
l'article 149. À défaut d'accord..."
C'est le 17 juin 1986 - donc, cela fait plus d'un an - que cette
commission a choisi d'examiner, cette année, la Commission des droits de
la personne. Si le délai peut paraître long, en
vérité, il s'explique aisément par le fait que tes membres
de cette commission ont choisi de s'outiller, de s'informer et d'approfondir le
sujet avant de tenir des auditions publiques, de sorte que celles-ci puissent
être les plus productives et les plus fructueuses possible.
C'est de cette façon que, le 24 septembre 1986, cette commission
a entendu le président de la Commission des droits de la personne. En
janvier 1987, cette commission a déterminé les sujets
particuliers qui retiendront l'attention des membres de la commission. La
Commission des droits de la personne, en somme, si on examine l'ensemble de la
commission, c'est un sujet fort vaste, qui pourrait nous entraîner dans
toute une série de débats. Nous avons choisi de "focusser" sur
certains aspects particuliers du fonctionnement de la Commission des droits de
la personne, à savoir: sa structure et son fonctionnement, y compris le
règlement des litiges; le mandat, si on veut, le volet informatif, le
volet éducatif de la Commission des droits de la personne;
également, la présence régionale de la Commission des
droits de la personne. Dans le cadre de ce mandat, nous avons également
confié à certaines personnes le soin de nous assister. Me
Bédard, qui n'est plus avec nous, avait reçu le mandat de
préparer un document de base sur certains de ces volets. C'est en juin
1987, que le mandat avait été confié à la
recherchiste Me Bédard de préparer un projet de questionnaire qui
a été soumis à différents organismes et qui portait
sur les sujets retenus pour l'examen de la Commission des droits de la
personne. Au mois de juin 1987 et au mois d'août 1987 cette commission a
procédé au choix des organismes invités pour les auditions
publiques. À l'automne 1987, nous avons également retenu les
services de deux personnes que je voudrais présenter aux membres de
cette commission et également pour le bénéfice des
personnes qui sont présentes. Nous avons retenu les services de Me
Suzanne Langevin que je voudrais vous présenter et également
remercier pour le travail de soutien qu'elle a apporté aux membres de la
commission. Également la commission a retenu les services d'un
expert-conseil, Me William J. Atkinson, que je vous présente. Ces deux
personnes nous soutiendront tout au long de notre mandat qui ne se terminera
pas bien sûr avec les consultations particulières que nous
amorçons aujourd'hui et que nous allons terminer jeudi, mais qui se
poursuivra également par la formulation de recommandations, le cas
échéant, à l'Assemblée nationale.
Donc, sans plus tarder je voudrais tout de même vous faire part de
notre ordre du jour. D'abord, la Ligue des droits et libertés; ensuite,
ce sera Action-Travail des femmes. Nous reprendrons nos travaux cet
après-midi à 15 heures en entendant le Groupe d'aide et
d'information sur le harcèlement sexuel au travail de la région
de Montréal inc.; à 16 heures, l'Association du Québec
pour l'intégration sociale; à 17 heures, le Centre de
recherche-action sur les relations raciales; dans la soirée, l'Office
des droits des détenus et également, pour terminer notre
journée, l'Association pour les droits de la communauté gaie du
Québec.
Vous avez reçu, vous les membres de cette commission, l'horaire
modifié de nos travaux de la semaine. Vous connaissez donc nos horaires
pour mercredi et jeudi de cette semaine. Il y a eu entente entre chacun des
groupes pour certaines déclarations préliminaires. Je laisserai
maintenant la parole à M. le député de Marquette.
Remarques préliminaires
M. Claude
Dauphin
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. C'est avec
beaucoup d'intérêt et d'enthousiasme que j'entreprends aujourd'hui
avec mes collègues de la commission des institutions l'étude des
orientations, des activités et de la gestion de la Commission des droits
de la personne.
Dans l'exercice de son mandat de surveillance, la commission des
institutions aura l'occasion d'entendre et d'apprécier les commentaires
d'une douzaine de groupes et organismes. J'aimerais ici les remercier de nous
avoir fait connaître le fruit de leur réflexion dans les
excellents mémoires qui nous ont été
récemment adressés et de nous offrir encore leur collaboration
lors des prochaines journées d'audition.
J'aimerais aussi remercier la Commission des droits de la personne qui
s'est livrée le plus naturellement à cet examen et avec laquelle
nous avions déjà amorcé un franc dialogue l'année
dernière à l'occasion des travaux parlementaires. Ce mandat de
surveillance que s'est donné la commission des institutions revêt,
à mes yeux, une grande importance car je crois qu'après dix
années d'existence il est à propos que l'on s'arrête et que
l'on fasse le point pour, éventuellement, réévaluer le
mandat et le rôle de la Commission des droits de la personne dans notre
société,
Cette démarche permet aussi de s'interroger sur l'état des
droits au Québec et de profiter de l'expérience vécue par
les groupes que nous avons invités. Au cours de cet exercice, nous
aborderons quatre volets, soit les communications, l'éducation aux
droits de la personne, la présence régionale de la Commission des
droits de la personne ainsi que sa performance dans le règlement des
litiges.
On sait que la première fonction attribuée à la
commission par la Charte des droits et libertés de la personne est celle
de promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes qu'elle
énonce. À ce chapitre, certains groupes déplorent, dans
leur mémoire, le fait que la commission ne semble pas atteindre des
populations assez vastes. Les moyens matériels utilisés par la
commission dans la promotion des droits devraient, d'après eux, se
moderniser pour mieux rejoindre et sensibiliser les clientèles. Par
ailleurs, le corollaire d'une plus grande sensibilisation devient
inévitablement l'exercice de leurs droits par un plus grand nombre de
citoyens avec, comme conséquence, la nécessité de donner
une meilleure visibilité à la commission et, surtout, de la
rendre plus accessible.
La régionalisation des services de la commission apparaît
comme une façon de mieux combler ses besoins. Depuis près de deux
ans, la commission assure un service régional par le biais de quatre
bureaux situés en Abitibl-Témiscamingue, sur la Côte-Nord,
en Estrie et dans l'Outaouais.
La présence régionale de la commission semble, de
façon générale, être appréciée par les
groupes, car elle permet une évaluation constante des besoins des
régions. C'est sans doute au chapitre du règlement des litiges
que les groupes nous ont fait connaître dans leurs mémoires une
certaine déception à l'égard de la performance de la
commission et ce, à plusieurs niveaux.
En premier lieu, la question des délais a souvent
été soulevée. Entre le moment où une plainte est
portée et celui où la commission formule ses recommandations
s'écoule une période plus ou moins longue qui démotive les
plaignants et les décourage de continuer leurs démarches. Ces
délais minent ta crédibilité de la commission, car
plusieurs groupes les considèrent comme un déni de justice pour
les personnes victimes de discrimination. Dans le processus de règlement
du litige, la commission fait enquête et formule ses recommandations. Ce
processus a donc la valeur d'une tâche éducative puisqu'il ne vise
pas à condamner, mais à amener les parties à régler
leurs différends.
Cependant, deux aspects de cette procédure ont suscité de
sérieuses interrogations chez les groupes, soit la survenance de
situations possibles de conflits d'intérêts et la performance de
la commission devant les tribunaux de droit commun. En effet, certains
s'inquiètent du rôle de l'enquêteur-médiateur.
D'autres mettent en doute le double mandat confié à la commission
en matière d'accès à l'égalité, soit celui,
d'une part, de faire enquête dans les entreprises qui ont des pratiques
discriminatoires et, d'autre part, d'agir à titre de consultante dans
l'élaboration et l'implantation de programmes d'accès à
l'égalité dans ces mêmes entreprises.
Enfin, certains déplorent le fait que les décisions de la
commission ne soient pas exécutoires et vont même jusqu'à
proposer la création d'un tribunal administratif des droits de la
personne indépendant de la Commission des droits de la personne.
Voilà, M. le Président, en substance, les divers aspects
traités de manière très constructive par les groupes qui
nous ont soumis leurs mémoires. J'aimerais souligner, à nouveau,
le sérieux avec lequel tant la commission que les organismes que nous
avons invités se sont livrés à cet exercice.
La commission joue un rôle important dans la vie de notre
société. Elle assume le leadership dans l'élimination de
la discrimination et dans le développement d'un climat social serein
Aussi, en tant que membres de la commission des institutions, il nous fait
plaisir de participer à ce débat qui s'annonce des plus fructueux
Merci, M. le Président.
Le Président
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Marquette. À mon tour d'ajouter très
brièvement quelques commentaires. D'abord, comme je le mentionnais
tantôt, ce travail des parlementaires qui consiste à surveiller un
organisme s'inscrit, bien sûr, à l'intérieur de la
réforme parlementaire de 1984, mais s'inscrit aussi dans une
démarche très précise. Ce n'est pas simplement pour le
plaisir du travail que les membres de la commission, depuis un an, se sont
préparés et se préparent toujours à étudier
la Commission des droits de la personne. C'est un choix qui a été
fait par les parlementaires, qui sont les représentants du pouvoir
législatif, si l'on veut, et qui désirent exercer un certain
contrôle sur le pouvoir exécutif
L'an dernier, cette commission, que l'avais également l'honneur
de présider, avait choisi
l'Office de la protection du consommateur comme organisme à
étudier. Je dois signaler que les recommandations Issues de nos travaux
ont été, non pas en totalité, malheureusement mais en
bonne partie, suivies par les représentants du gouvernement. Nous n'en
attendons pas moins cette année en ce qui concerne la Commission des
droits de la personne.
Bien sûr, la commission représente un sujet plus vaste,
plus complexe, dirais-je, mais comme l'a bien souligné le
député de Marquette, après dix années de
fonctionnement, il est temps de se pencher avec le plus grand sérieux
sur la Commission des droits de la personne qui, inutile de le mentionner, joue
un rôle clé dans l'application de la Charte des droits et
libertés. À titre d'exemple, je lirai tout simplement l'article
66 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec
qui dit: "La commission doit promouvoir, par toutes mesures appropriées,
les principes contenus dans la présente charte, exercer les pouvoirs et
exécuter les devoirs prescrits par la présente charte." Ces
pouvoirs et devoirs sont extrêmement nombreux. Que l'on pense, par
exemple, à titre d'illustration, à tout le dossier des programmes
d'accès à l'égalité. Ce sont des dossiers d'avenir
qui font partie de la perspective immédiate du futur collectif au
Québec en termes de droits de la personne. Uniquement à titre
d'illustration, on peut imaginer la somme d'énergie et de
réflexion que nécessite le dossier d'application des programmes
d'accès à l'égalité.
Je dois signaler, à l'instar de mon collègue, après
avoir parcouru les mémoires présentés par les
différents organismes, que j'ai été non pas surpris mais
vraiment impressionné par la qualité de la réflexion des
organismes qui ont bien voulu se prêter à cet exercice de
surveillance et de contrôle avec nous. Les mémoires, bien
sûr, reflètent des opinions subjectives à partir du
vécu des différents organismes, mais tous les mémoires ont
été bâtis dans le sens d'une critique constructive de la
Commission des droits de la personne. Cette approche se marie d'autant plus
avec le travail que nous faisons ici à la commission, qui n'est d'aucune
façon un travail de destruction mais bien plutôt un travail de
construction positive pour les années à venir.
En ce sens, je me dois de souligner la collaboration de la Commission
des droits de la personne à cet égard. Je pense que tout le
personnel et la direction de la Commission des droits de la personne a fort
bien saisi le sens de notre démarche.
Il est presque 10 heures et, comme cette commission est
généralement ponctuelle, je termine là mes remarques
préliminaires en rappelant aux organismes les règles du jeu que
nous nous sommes fixées pour l'audition. La durée totale de
chacune des auditions est de 60 minutes. Une période d'environ 15
minutes est réservée pour la présentation du
mémoire qui nous est déjà parvenu, dont on a
déjà pris connaissance en tant que membres de la commis- sion.
Une période de 45 minutes est réservée pour des
échanges avec les membres de la commission. Pourquoi cette proportion de
trois contre un? Parce que, encore une fois, les membres de la commission sont
déjà sensibilisés non seulement à l'ensemble de la
problématique mais également au contenu du mémoire des
organismes qui viennent devant nous, d'où l'utilité de mettre
l'accent plutôt sur la période d'échanges, cette
période où nous pouvons confronter certaines opinions d'un
côté ou de l'autre de cette table comme en face de nous.
Ceci étant dit, je voudrais souhaiter la plus cordiale des
bienvenues aux représentants de la Ligue des droits et libertés.
Je dois vous dire qu'après en avoir discuté un peu avec notre
secrétaire, Me Lucie Giguère, que je voudrais également
remercier au nom des membres de la commission... C'est elle qui a vu, par
exemple, au contact avec l'ensemble des organismes. C'est elle qui a vu
à l'élaboration des ordres du jour. Donc, ce n'est pas un hasard
si la Ligue des droits et libertés est le premier organisme que nous
entendons dans le cadre de cette consultation particulière.
La Ligue des droits et libertés est un organisme non
gouvernemental qui regroupe des citoyens et citoyennes du Québec qui
sont engagés, on le sait, dans la défense des droits et
défense des droits et libertés depuis 1963, sauf erreur; cela
fait déjà presque 25 ans. J'espère qu'il y aura lieu,
à un moment donné, de souligner le 25e anniversaire de la Ligue
des droits et libertés. Je me souviens fort bien, jeune avocat, d'avoir
non seulement collaboré, mais également d'avoir fait appel aux
services de la Ligue des droits et libertés durant une période un
peu noire que nous avons vécue au Québec, autour des
années soixante-dix. (10 heures)
La Ligue des droits et libertés, je tiens à le souligner,
a joué un rôle important dans l'avènement de la Charte des
droits et libertés. Vous savez, les dirigeants politiques, bien
sûr, ont des orientations, des réflexions, des pensées,
mais les groupes de pression servent très souvent à
accélérer certaines démarches, à
accélérer certains travaux. Pour ma part, je crois que le travail
réalisé par la Ligue des droits et libertés a permis, au
Québec, de se doter de cette charte et peut-être de se la donner
avant que le déroulement des choses ne l'y amène. Peut-être
aurait-on dû attendre quelques années de plus, peut-être
n'aurait-on pas la même charte non plus, n'eût été le
rôle important de la Ligue des droits et libertés dans
l'avènement de la Charte québécoise des droits et
libertés. En parcourant votre mémoire, je n'ai été
d'aucune façon surpris d'apprendre que la Ligue des droits et
libertés a collaboré à plusieurs moments de son histoire
avec la Commission des droits de la personne elle-même sur plusieurs
dossiers, notamment le plus récent - il y en a peut-être d'autres
- celui du taxi à Montréal.
Je demanderais donc au porte-parole de là Ligue des droits et
libertés de bien vouloir s'identifier pour le bénéfice des
membres de la commission et également pour te bénéfice du
Journal des débats, qui transcrira l'ensemble de nos propos.
Auditions Ligue des droits et libertés
Mme Lamoureux (Jocelyne): M. le Président, chers membres
de la commission, il nous fait plaisir, à la Ligue des droits et
libertés, de participer à vos travaux. Je vous présente
mes collègues. D'abord. André Paradis, directeur
général de la Ligue des droits et libertés, Me Marc
Plamondon, conseiller de la ligue depuis de nombreuses années dans
plusieurs dossiers, moi-même, Jocelyne Lamoureux, Je suis membre du
conseil d'administration de la ligue et je remplace le président de la
ligue, Gérald McKenzie, qui est retenu dans le Grand-Nord par son
travail et qui regrette beaucoup de ne pouvoir être ici aujourd'hui.
Pour reprendre un peu ce que Me Filion disait, il y a des fondements
historiques importants aux liens qui unissent la Ligue des droits et
libertés et la Commission des droits de la personne. Effectivement,
dès 1972 - cela fait pas mal longtemps - la Ligue des droits de l'homme
de l'époque, qui était le nom de la Ligue des droits et
libertés, lançait une vaste opération de sensibilisation
et de consultation populaire sur la nécessité d'une charte
québécoise des droits. Au printemps 1973, il y avait eu diffusion
de 200 000 copies d'un dossier qui avait paru dans La Presse et dans
Le Devoir, et un encart dans Le Soleil, justement sur une
proposition de charte. Tout cela pour rappeler que, si la charte a vu le jour
et, évidemment, si la commission aussi a vu le jour, c'est à la
suite d'interrogations, de préoccupations, de pressions de groupes dans
le mouvement des droits et libertés dont la Ligue des droits de l'homme
de l'époque était un agent catalyseur.
Si on vient ici, aujourd'hui, c'est parce que l'on pense que la
Commission des droits de la personne est un organisme extrêmement
important dans notre société. C'est souvent le premier recours
des victimes de discrimination. Quelquefois, c'est le seul, surtout pour les
victimes isolées, et c'est en général celui qui se devrait
d'être le plus accessible. C'est aussi à la commission que revient
le rôle de porte-parole de la charte devant les tribunaux. Son action
sert à déterminer les balises du droit à
l'égalité au Québec et, en ce sens, c'est un organisme qui
nous est très cher. Si on participe, aujourd'hui, à la commission
parlementaire, c'est dans un esprit, un peu comme vous l'avez souligné,
de critique positive. Ce n'est pas dans un esprit de critique négative
ou simplement pour faire valoir nos revendications face à la commission,
mais c'est vraiment dans le but d'améliorer le fonctionnement. Depuis
1981, on s'est présenté à plusieurs reprises devant des
commissions parlementaires, soit au moment où on discutait de la charte,
au moment où on faisait des recommandations sur ta commission, toujours
pour obtenir des ressources accrues qui seraient nécessaires à
l'exercice des pouvoirs, à l'accélération du processus de
traitement des plaintes, à l'exercice de son rôle
d'éducation et d'information, à sa présence dans les
régions, face aux problèmes auxquels on faisait face dans ses
méthodes d'enquête. Donc, ce n'est pas la première fois
qu'on se présente pour discuter de la commission et, la plupart du
temps, on le fait dans un esprit de critique positive et c'est dans cet esprit
qu'on est venus, aujourd'hui.
Très brièvement, je vais présenter, pour amorcer la
discussion, les principales conclusions de notre rapport, simplement pour faire
un peu de rafraîchissement des esprits. Nous n'avions pas, quand on a
fait ce mémoire, l'intention de faire l'évaluation et le bilan
complet de l'ensemble des activités, des structures ou du fonctionnement
de la commission. Plus modestement, comme vous le voyez dans notre
mémoire, on s'est basé sur notre expérience, sur la
connaissance très précise et concrète qu'on avait de la
commission, pour identifier un certain nombre d'acquis et, surtout, parce que
je pense que c'est notre rôle, souligner un certain nombre de
problèmes et difficultés qui nous apparaissent importants, sinon
majeurs, face à la commission Je rappelle très brièvement
ces problèmes pour aller directement dans le sujet et mes
collègues compléteront avec un certain nombre
d'illustrations.
Tout d'abord, le problème qui concerne le mandat et les
procédures d'enquête de la commission. Des mesures ont
été prises depuis le temps, c'est sûr, notamment la mise en
application de nouvelles règles de procédure en 1986, mais les
problèmes qu'on identifie dans notre mémoire persistent toujours
et c'est pour cela qu'on a souligné le manque de transparence de la
commission, le fait que son fonctionnement, même après dix ans, ne
soit pas encore systématiquement régularisé. On a souvent
Insisté dans nos revendications pour expliquer que la rigueur et
l'équité dans le fonctionnement de cette commission ne signifient
pas pour nous qu'il devrait y avoir un manque de souplesse. On a toujours
exigé, et on continue de le faire, un peu plus de formalisme afin que
les règles du jeu soient connues de toutes les parties. Il nous
apparaît essentiel qu'il y ait un peu plus d'équité
procédurale
Deuxièmement, on a parlé dans notre mémoire du
pauvre bilan de l'application de la charte par les tribunaux. C'est
évident que cela n'est pas uniquement imputable à la Commission
des droits de la personne. Plusieurs facteurs sont en cause et Me Plamondon en
expliquera certains tantôt, notamment l'impact de l'entrée en
vigueur
de la charte canadienne qui elle a un statut constitutionnel. Pour nous
cela n excuse pas la CDP de son manque de stratégie judiciaire, ni son
manque de vigueur et d audace dans les recours devant les tribunaux, faisant en
sorte que les balises du droit à légalité au Québec
ne progressent pas comme elles le devraient. Les critères de preuve de
discrimination les interprétations restrictives de la charte, la
portée limitative de I'article 10 les interprétations
restrictives et les problèmes avec des notions absolument essentielles,
comme celle du handicap, ou celle de la condition sociale l'application de
principes civilistes systématiquement, la primauté très
grande de la liberté contractuelle et du droit de gérance ne se
règlent pas, évidemment uniquement par une intervention de la
commis sion.
Mais s'il y avait là-dessus une intervention énergique de
la commission, sûrement que les choses avanceraient. Donc on estime que
dans le domaine judiciaire la commission n'a pas vraiment pris ses
responsabilités D'ailleurs il y a plusieurs revues, comme le Canadian
Human Rights Reporter, qui soulignent que, de janvier 1987 à
septembre 1987, il n'y a pas de causes qui sont rapportées provenant de
la commission. Pour se renseigner, on a téléphoné à
la commission. Ils nous ont dit que, depuis, il y avait deux causes qui ont
finalement pu procéder. Cependant, c'est un bilan extrêmement
maigre et de toutes les commissions canadiennes de toutes les commissions
provinciales, dans ce domaine la Commission des droits de la personne est assez
peu représentative des progrès qui sont faits ailleurs.
C'est surtout en raison des pouvoirs et des moyens considérables
dont la commission dispose surtout si on les compare à ceux des
organismes comme la Ligue des droits et libertés par exemple que la
commission doit jouer et peut jouer - on est certain - un rôle majeur
dans la promotion des droits et libertés. II ny a pas de doute. Nous
voulons un renforcement de la commission et ce manque de rigueur et de
détermination dans les questions judiciaires on le voit aussi
malheureusement dans les pro grammes d'éducation qui d'après nous
ne sont pas assez développés On vous donne l'exemple dans notre
premier mémoire de la promesse qui avait été faite, de
l'engagement qui avait été pris de la part de la commission de
tenir une large campagne d'éducation-information sur la question du
racisme dans I'industrie du taxi et, justement, toute cette espèce
d'énorme effort qui avait été fait par la commission sur
certains points de vue dans ce dossier va d'après nous se terminer un
peu en queue de poisson s il n y a pas de resserrement qui est fait
Ces problèmes et ces lacunes qu'on a soulevés dans notre
mémoire minent de façon importante la crédibilité
de la commission une crédibilité qui selon son président
est extrême ment importante parce que cest un peu une
crédibilité qui dépend de son efficacité. Alors la
désaffection des groupes comme les nôtres face aux recours
à la Commission des droits de la personne risque de se maintenir ou de
s'accen tuer s'il ny a pas un resserrement. Plusieurs groupes vous n'êtes
pas sans le savoir souhaite raient que la commission soit plus audacieuse et
malheureusement hésitent de plus en plus à recommander la
commission comme le seul recours aux victimes de discrimination.
Pour revenir à la question de I'importance de cette commission
pour nous une commission crédible, vigoureuse a un rôle important
à jouer dans la société québécoise
particulièrement - Me Filion en a souligné l'importance - dans
les programmes d'accès à légalité mais aussi il y a
des dossiers extrêmement pertinents et importants de promotion des droits
et libertés qui vont nécessiter une intervention très
rigoureuse de la commission, comme celui du racisme de I accès à
I égalité et d autres événements qui se sont
produits dans la conjoncture récemment celui de la violence
policière.
Je termine en disant qu'on est prêts comme groupe de base, comme
organisme non gouver nemental à jouer notre rôle de mobilisation
des citoyens et des citoyennes de rôle critique aussi face à
certaines institutions. On est prêts et c'est ce quon fait à coeur
de jour par notre travail volontaire par notre implication
bénévole par notre implication systématique sur les
dossiers. On le fait mais en même temps on estime quon doit être
appuyés et aussi reconnus par les institutions.
On a souligné dans notre mémoire à quelques
reprises que les liens de la commission avec les groupes de base devraient se
raffermir et que des moyens de collaboration plus systématiques
devraient être mis en oeuvre. Surtout on aimerait bien que la commission
occasionnellement reconnaisse le rôle qu on peut jouer dans la
défense et la promotion des droits et libertés ce qui n est pas
toujours le cas. Ce n est pas le cas fréquemment dans des dossiers
conjoints qu on a avec la commission.
Tout cela pour dire que ce n est pas une situation catastrophique. Par
contre il y a suffisamment de problèmes avec cette commission des droits
pour qu on s aligne vers des redressements extrêmement urgents et
importants. Merci.
Le Président (M Filion): Je vous remercie Mme Lamoureux.
Me Plamondon.
M. Plamondon (Marc): Nous voulons sou mettre à la
commission le fait suivant: c est à dire placer notre réflexion
dans la perspective de I'histoire judiciaire de la charte depuis son adoption
de réfléchir sur le fonctionnement I'organisation de la
commission dans une espèce de bilan |urisprudentiel concernant la charte
québécoise. II faut quand même reconnaître d'abord,
le statut quasi constitutionnel de la charte québécoise
étant donné I'article 52 qui
donne une primauté à la charte à l'égard de
l'ensemble des lois.
Depuis dix ans, il n'y a pas eu une seule décision de la Cour
suprême concernant la charte québécoise; il y a eu quelques
décisions mineures de la Cour d'appel et aucune décision de fond
concernant l'application ou la portée de la charte
québécoise, contradictoirement aux grandes décisions
majeures qui ont changé, en quelque sorte, les fondements juridiques du
Canada depuis l'adoption de la charte constitutionnelle, soit depuis 1982. Il y
a eu, au total, 26 jugements de ta Cour suprême. Qu'on pense à
Hunter contre Southam sur les fouilles, les perquisitions abusives, Therens sur
la question du droit à l'avocat, Bindher et O'Malley sur la
liberté de religion, qui concernait également des chartes
provinciales, sur la liberté religieuse, l'obligation de l'employeur
d'accommoder; pensons à Bonnie Robichaud, par exempte, sur la
responsabilité de l'employeur en matière de discrimination au
travail.
Donc, toute une série de décisions majeures de la Cour
suprême qui ne concernent, en aucune manière, ta charte
québécoise, qui est pourtant, selon plusieurs juristes, une des
plus belles, des plus rigoureuses et des plus généreuses chartes
des droits et libertés. En ce sens-là, on considère que
c'est l'indice d'un problème majeur qui, comme Mme Lamoureux l'a
signalé, ne relève pas strictement ou exclusivement de la
commission. Des modifications des pouvoirs et des attributions, et des
modifications quant au fonctionnement et à {'organisation de la
commission pourraient contribuer au redressement que Mme Lamoureux a
invoqué. (10 h 15)
Certes, on peut renvoyer, de manière principale, les obstacles
rencontrés de la charte dans son application judiciaire à une
interprétation, par exemple, très restrictive des motifs de
discrimination, à un entêtement des tribunaux à
définir de manière très restrictive ces mêmes
motifs, au bénéfice, comme te disait Mme Lamoureux, de la
liberté contractuelle ou des principes de responsabilité civile
délictuelle en matière de droit civil. De telle manière,
à la limite, on peut dire que les tribunaux québécois ont
une attitude de vouloir échapper à l'objet même de la
charte.
On a vu également un entêtement jusqu'à une
décision de la Cour d'appel, à la fin de 1981, de vouloir exiger
une preuve d'intention de la part des plaignants en matière de
discrimination. L'ensemble des cours, que ce soit la Cour provinciale ou la
Cour supérieure, exigeaient une preuve d'intention, recherchaient une
définition de ta discrimination dans les dictionnaires, dans les
encyclopédies alors qu'elle se trouvait à l'article 10 de la
charte. Il a fallu que la Cour d'appel, par le juge Turgeon, rappelle
effectivement aux tribunaux inférieurs que la définition de la
discrimination était dans la charte et qu'elle n'exigeait pas une preuve
d'intention. Cela n'a évidemment pas nécessairement eu pour effet
de corriger ce réflexe civiliste de vouloir échapper en quelque
sorte à une loi générale garantissant l'exercice des
droits et libertés,
Ce bilan plutôt négatif nous suggère donc de donner
un coup de barre. Et, en ce sens, un des coups de barre possibles, bien
sûr, c'est d'améliorer le fonctionnement et la productivité
de la Commission des droits de la personne. On signale dans notre
mémoire, bien sûr, son renforcement quant à son contentieux
et à son courage judiciaire. On signale entre autres le fait qu'il n'y a
que trois avocates attachées de façon permanente à la
Commission des droits de la personne même s'il y a ouverture à des
contrats extérieurs. On pense qu'un contentieux renforcé et plus
courageux par une meilleure évaluation des dossiers et un meilleur
calibrage des stratégies judiciaires permettrait
précisément de corriger ce que nous venons d'évoquer. On
pense aussi qu'une meilleure stratégie permettrait davantage de soutenir
l'intervention des plaignants devant les tribunaux. Ce qui aurait aussi pour
effet, compte tenu du peu de succès, sur le plan judiciaire de la
commission, de relever aussi son niveau de crédibilité dans le
milieu judiciaire devant les tribunaux et également devant les groupes
qui interviennent sur les droits et libertés et qui s'éloignent,
en quelque sorte, de la procédure actuelle de la commission,
étant donné le peu de résultats obtenus.
Concernant les réceptions et les contrôles sur les
plaintes, signalons que les trois quarts des plaintes déposées
à la Commission des droits de la personne sont rejetées. Est-ce
qu'il y a une évaluation adéquate de ces procédures? On a
effectivement amélioré le système de réception des
plaintes, mais est-ce qu'il y a un service qui évalue ce haut taux de
refus et qui revient en quelque sorte sur les refus pour évaluer si ces
refus ne sont absolument pas justifiés? De même, il n'y a pas
actuellement de procédure d'appel à la suite du refus de la
réception d'une plainte. Dès ta réception d'une plainte,
peut-être faudrait-il, au premier chef, informer adéquatement le
plaignant sur l'ensemble de ses droits et de ses recours et des
procédures qui l'attendent à la Commission des droits de la
personne, surtout si elles sont appelées à se transformer et
à se modifier.
Le problème le plus substantiel posé dans notre
mémoire, et probablement dans tous les mémoires, porte sur les
procédures d'enquête et de médiation. La recommandation la
plus majeure que nous avons, probablement comme d'autres intervenants, est
celle de modifier le processus d'enquête et de médiation et, en
particulier, de distinguer les procédures d'enquête des
procédures de médiation, de créer un service distinct de
médiation. Actuellement, l'enquêteuse de la commission, lorsque la
plainte a été reçue, peut se substituer à tout
moment, changer de chapeau et devenir une médiatrice à la demande
de l'une ou l'autre des parties. Alors, on se transforme, à ce moment,
en comité de médiation et, si la
médiation bloque, ne parvient pas à un compromis, on
retourne dans un processus d'enquête avec la même personne qui a
entendu des preuves, qui, peut-être, ne seront pas soumises lors de
l'enquête. Comment pourra-t-elte oublier, en quelque sorte, les preuves
ou les arguments qui lui ont été soumis en médiation dans
un processus d'enquête qui va suivre par la suite et qui peut ensuite se
retrouver suspendu pour une nouvelle séance de médiation? On
pense que cette situation est, à proprement parler, aberrante et qu'il
est central que les enquêteurs gagnent en indépendance et qu'un
service de médiation distinct soit organisé.
Concernant les processus de médiation, il ne faudrait pas
comprendre ces services de médiation comme des services de
compromission. Une évaluation récente indique que les
règlements... Évidemment, dans les règlements des litiges,
les personnes mises en cause ne reconnaissent pas qu'elles ont
discriminé. On achète la paix comme dans la vieille tradition du
droit civil. On achète ta paix entre les parties et on met fin au
litige. On ne reconnaît absolument pas la discrimination. Non seulement
c'est cela, mais, sur le plan financier des dommages et Intérêts,
discriminer coûte environ 200 $ au Québec, en moyenne. Cela ne
coûte pas cher, la discrimination au Québec, quel que soit la
matière ou te motif de discrimination. On peut dire, sans risquer
d'offusquer la commission, qu'une telle situation est un encouragement à
la discrimination et, en quelque sorte, on échappe à l'objet de
la charte et à l'intention du législateur, qui avait pour
principe, en 1976, d'encourager le droit à l'égalité.
Vous avez déjà soumis la question des délais trop
longs. Dans la mesure où les délais se raccourcissent, dans la
mesure où les plaignants font de moins en moins appel à la
commission - c'est une question centrale - passer par la commission ne devrait
plus être un obstacle, mais un moyen plus rapide et un support
privilégié pour des personnes qui se croient discriminées
et qui ont droit constitutionnellement ou quasi constitutionnellement à
l'égalité dans notre société.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Plamondon, Mme
Lamoureux. M. Paradis, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Paradis (André): Non, je vais me contenter d'intervenir
en réponse à des questions éventuellement.
Le Président (M. Filion): D'accord. Je vous remercie.
J'inviterais maintenant M. le député de Marquette à
amorcer les échanges avec nos invités.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Tout d'abord,
j'aimerais remercier M. Paradis, Mme
Lamoureux et Me Plamondon, de la Ligue des droits et libertés,
pour leur présentation. Vous avez dit, Mme Lamoureux, au tout
début, et Me Plamondon a renchéri sur l'aspect judiciaire, que la
commission n'est pas équipée ou n'a peut-être pas le
désir ou la volonté de soumettre des cas particuliers devant les
tribunaux. Plusieurs intervenants, tout comme vous d'ailleurs, ont
suggéré plus de dents, c'est-à-dire que la commission a
actuellement un pouvoir de recommandation ou peut s'adresser aux tribunaux,
mais la commission comme telle n'a pas de pouvoir exécutoire ou n'a pas
de pouvoir coer-citif. J'aimerais que vous indiquiez aux membres de la
commission ce que la ligue souhaiterait concrètement comme pouvoirs
additionnels qui seraient attribués à la Commission des droits de
la personne pour, justement, en arriver à des solutions plus
concrètes des cas de discrimination que nous vivons actuellement au
Québec.
Mme Lamoureux: Je pourrais commencer et Me Plamondon poursuivra.
Très rapidement, la question du pouvoir exécutoire de la
commission est souvent mise de l'avant. Je voudrais tout de suite dire
qu'à la Ligue des droits et libertés nous n'avons pas de position
arrêtée là-dessus parce que c'est quelque chose de
très complexe et où il faudrait avoir un débat vraiment
plus en profondeur.
On se dit que, pour le moment, ce n'est pas la solution. En termes de
pouvoir, c'est surtout plus d'audace qu'on voudrait pour la commission que plus
de pouvoirs pour le moment C'est-à-dire qu'à l'intérieur
même du cadre qu'elle possède actuellement il est possible de
faire beaucoup plus et beaucoup mieux, ne serait-ce que de voir
systématiquement à quel point il y a des modifications qui sont
nécessaires à la charte. Cette charte a été
tellement belle que, maintenant, il faut vraiment bouger des montagnes pour
pouvoir y toucher. Or, cette charte pose des problèmes actuellement
qu'on a soulevés dans notre mémoire. Donc, si la commission
jouait son rôle d'organisme administratif qui a à administrer une
charte et si elle voyait des problèmes à administrer cette charte
et faisait des interventions publiques auprès de l'Assemblée
nationale pour qu'il y ait des modifications, déjà cela ferait
avancer les dossiers.
Donc, ce n'est pas, à notre avis, de donner
systématiquement plus de pouvoirs exécutoires à la
commission elle-même comme cadre, mais qu'elle s'acquitte de ses
fonctions de surveillance de façon plus précise.
M. Plamondon: On a réfléchi à quelques
reprises sur la création d'un tribunal administratif des droits de la
personne au Québec. On sait que la plupart des provinces ont
effectivement des "Boards", des tribunaux administratifs, parallèlement
aux commissions, qui ont des mandats similaires à celui de la Commission
des droits de la personne. Les rencontres que nous avons eues avec un certain
nombre de représen-
tants des groupes similaires au nôtre dans les provinces anglaises
nous indiquent, en fait, qu'on nous envie beaucoup d'avoir maintenu un
accès aux tribunaux de droit commun en matière de discrimination.
On commence à s'interroger précisément dans ces provinces
sur une justice à rabais concernant les droits fondamentaux, les droits
et libertés, les droits à l'égalité dans les
procédures d'un tribunal administratif, c'est-à-dire que c'est un
risque important de créer un tribunal administratif qui aurait pour
mandat de recevoir toutes les causes en matière de discrimination et de
droit à l'égalité. On pourrait évoquer ici quelques
problèmes qui peuvent être soulevés.
On a indiqué tout à l'heure que la tradition civiliste,
qui marque à ta fois tous les avocats québécois et les
juges, de surcroît, a posé beaucoup de problèmes. Il n'est
pas dit qu'un tribunal administratif serait apparemment susceptible d'avoir
plus de sensibilité aux questions des droits à
l'égalité ou des droits fondamentaux si les règles de
nomination des juges ne sont pas modifiées. Si, par exemple, les juges
des tribunaux administratifs ne sont pas plus sensibles... On n'a pas plus de
garantie qu'un juge d'un tribunal administratif sera plus sensible qu'un juge
de la Cour supérieure ou de la Cour provinciale en matière de
droits civils ou de droits et libertés.
On dit souvent que les tribunaux administratifs ont des
procédures simplifiées et, en ce sens, donnent plus d'ouverture
à l'égard des justiciables. On dit aussi, des mêmes
tribunaux, lorsque les procédures sont simplifiées, que c'est une
justice à rabais où les règles de procédure sont
incertaines, inéquitables. On dit également que c'est une
accessibilité plus grande à la justice, mais, en même
temps, est-ce que ce n'est pas réduire la portée des droits et
libertés que de renvoyer la question du droit à
l'égalité à des tribunaux administratifs dits
inférieurs?
On dit aussi qu'un tribunal administratif, d'un certain point de vue,
cela peut augmenter la productivité des tribunaux, c'est-à-dire
qu'il entend un plus grand nombre de causes, qu'il devient, en quelque sorte,
plus habilité ou plus professionnel dans la production des
décisions concernant un certain nombre de domaines. On peut penser
à celui du travail. Est-ce que ce serait vrai de le dire en
matière de droits et libertés si, par ailleurs, compte tenu du
système actuel, on perd également des droits d'appel? On sait
qu'à moins d'un excès de juridiction le tribunal administratif va
connaître de manière exclusive les plaintes en matière de
discrimination et de droits à l'égalité et. donc, c'est la
perte de droits d'appel. Habituellement, lorsqu'on crée une instance
administrative, le tribunal administratif connaît d'une manière
exclusive les matières auxquelles on lu! a attribué juridiction
et, donc, c'est la perte de droits d'appel, soit à la Cour d'appel, soit
à la Cour suprême, en sauf en matière de perte de
juridiction.
Donc, je ne pense pas qu'on doit voir la solution d'un tribunal
administratif comme une solution miracle aux problèmes soulevés
dans nos mémoires comme dans d'autres mémoires,
c'est-à-dire de voir là comme une solution magique aux
problèmes à la fois d'une application plus rigoureuse de la
charte, d'un approfondissement des sensibilités judiciaires et de la
population à l'égard des droits.
Je pense que ce choix-là doit être fait avec beaucoup de
prudence, surtout quand on se fait dire, après plus de dix ans
d'existence - en Saskatchewan, depuis 30 ans - des tribunaux administratifs,
qu'ils sont loin de garantir l'accès à
l'égalité.
Le Président (M. Filion): Merci beaucoup. (10 h 30)
M. Dauphin: Autrement dit, si nous faisons l'envie des provinces
anglophones, des autres provinces canadiennes, vous seriez d'avis
qu'effectivement nous devrions conserver ce que nous avons actuellement, mais
tout en étant plus vigoureux avec ce que nous avons. J'aurais une
sous-question. Dans les provinces canadiennes, dans les "Boards" comme vous les
appelez, comme sanction à la discrimination, est-ce une amende de 200 $
également là-bas? À votre connaissance, quels sont les
sanctions ou jugements ou ordonnances qui peuvent être imposés
à l'égard des discriminations?
M. Plamondon: On sait que c'est largement supérieur, mais
ce ne sont certainement pas les pénalités que l'on peut retrouver
aux États-Unis en matière de violation constitutionnelle des
droits. On sait que c'est déjà de beaucoup supérieur
à ce qui se paie au Québec en matière de discrimination.
Cependant, je n'ai pas d'étude sous la main là-dessus. Il y a une
commissaire avec qui j'ai eu des discussions à la Commission des droits
de la personne, qui me disait, dans un cas qu'ils avaient réglé:
Ton client recevrait 800 $ au Canada anglais; ici, ce serait un montant de 200
$; aux États-Unis, ce seraient 500 000 S.
Effectivement, il n'y a pas encore le même décalage. Il y a
un décalage important entre le Canada et les États-Unis, mais il
y a un décalage supplémentaire entre le Canada anglais et le
Québec. On pense que le montant de 200 $ n'est pas une incitation
à cesser la discrimination, quel que soit le motif.
M. Dauphin: M. le Président, je crois que vous avez une
question sur le même sujet.
Le Président (M. Filion): C'est sur le même sujet.
Me Plamondon. Je pense qu'au chapitre des pénalités, ensemble,
vous avez bien circonscrit le problème. Quand on se retrouve au palais
de justice de Montréal, à la salle 3.12, il demeure qu'entre deux
causes de braconnage, une conduite
sans permis de conduire et une cause de discrimination de 200 $, en
quelques mots, lorsqu'on observe l'ensemble de nos tribunaux de droit commun,
il ne faudrait pas se surprendre que les pénalités demeurent
à un niveau relativement bas par rapport à ce qui se fait au
chapitre d'un tribunal administratif spécialisé.
Mais là n'est pas mon propos. Dans I'hypo thèse d'un
tribunal administratif, vous avez souligné tout le problème de la
justice à rabais, des règles de procédure, des
règles de preuve de tout le secteur de la problématique de
l'indépendance et de l'impartialité des juges. Je ne sais pas, Me
Plamondon, si vous avez eu l'occasion de feuilleter récemment le rapport
de la commission Ouellette, qui a fait le tour du jardin de la justice
administrative au Québec. Bien sûr, ce n'est qu'un rapport. II
reste à voir ce qu'en diront les dirigeants politiques. Mais je dois
vous dire qu'en interrogeant le ministre de la Justice, la semaine
dernière ou il y a une dizaine de jours, il m'a confirmé qu'un
projet de loi serait déposé au printemps sur le regroupement des
tribunaux administratifs et toute la problématique de la justice
administrative.
Advenant le cas où une bonne partie des recommandations du
rapport Ouellette devaient trouver leur consécration dans un texte de
projet de loi, est-ce que ces modifications pourraient changer un petit peu les
réserves de prudence que vous dicte votre expérience ce matin? En
quelques mots, dans un cadre nouveau ou la justice administrative, les
tribunaux administratifs seraient cadrés de façon nouvelle,
est-ce que vous pourriez modifier un petit peu ce que vous nous dites ce matin
en ce qui concerne vos réserves qui sont, encore une fois en bonne
partie bien fondées concernant cette justice à rabais, qu'on ne
voudrait pas voir appliquer dans un secteur aussi fondamental que les droits et
libertés de la personne?
M. Plamondon: Je suis tenté de vous dire que j'aimerais
peut être changer de rôle et vous dire qu'en bon politicien, je
n'aimerais pas répondre à une question hypothétique. Peut
être serait-il préférable d'attendre et de voir C'est ce
que nous disons L'évaluation que l'on a de la situation à ce jour
nous indique que le choix de s'engager dans la création d'un nouveau
tribunal administratif en matière de droit à
l'égalité serait peut-être un peu rapide. Sans
médire sur le rapport Ouellette, on pense que ce n'est peut être
pas la création d'un tribunal qui va, de manière substantielle,
changer la situation pour l'heure, compte tenu des problèmes qu'on a
d'abord à régler pour voir si cela ne serait pas susceptible de
changer la situation actuelle. Peut être que les solutions qui sont mises
de l'avant aujourd'hui seraient suffisantes et préserveraient en quelque
sorte tous les recours des citoyens devant les tribunaux de droit commun et
permettraient à ceux-ci d'être aussi efficaces qu'un tribunal
administratif sur le plan judiciaire
Pourquoi créer une instance de plus quand finalement, on pourrait
améliorer celle qui existe déjà?
Le Président (M. Filion): M le député de
Chapleau M. le député de Beauharnois.
M. Kehoe: Dans votre mémoire vous avez parlé des
délais avant que les causes soient entendues. Pour régler le
problème que prévoyez vous? Est ce que c'est une question de
nommer d'autres commissaires, plus d enquêteurs plus de personnel ou si
c'est le tribunal, un "Board", comme vous dites? Qu'est ce que vous
prônez concrètement pour régler le problème?
M. Plamondon: Je pense qu'il y a plusieurs raisons qui engendrent
les délais. Les délais de préenquête d abord, de
réception de la plainte d évaluation de la plainte pour voir si
elle est recevable. Selon les matières que le fonctionnaire
reçoit, il a le choix entre six questionnaires à envoyer à
la personne. Tout cela se fait par courrier. Les questionnaires sont longs et
complexes. Dans beaucoup de cas, si les gens prennent trois mois pour
répondre à un questionnaire que la commission leur envoie.
Ensuite, ce questionnaire est évalué et copie est envoyée
au mis en cause qui lui même va prendre quelques mois pour
répondre à un autre questionnaire sur la même question.
Déjà - imaginez - il y a quelques mois de passes juste pour
savoir si la plainte est recevable.
M Kehoe: Donc, la nomination de nouveaux commissaires ne
réglerait pas grand chose. Vous dites que c'est la procédure de
préenquête qui est très lourde actuellement pour
connaître le bien fondé de la question soumise. C'est là le
problème initial, cela commence là.
M. Plamondon: Cela commence effectivement là. Le
deuxième problème qui est soulevé et qui je vous l'ai
signalé est majeur, c'est la con fusion des rôles et des mandats
à I'intérieur des processus d'enquête c'est-à dire
qu'une façon de retarder une cause dans une enquête de la
commission, c'est de demander trois fois la médiation et de s'engager
dans des processus de discussion pour voir s'il n'y a pas moyen de
régler à l'amiable. Je voudrais d'ailleurs signaler au
président que les 200 $ en question ce n'est pas devant les tribunaux
que cela se passe mais dans les processus de médiation on règle
finale ment autour de 200 $ en moyenne. Donc le fait que dans un processus
d'enquête on puisse à tout moment, à la demande de I'une ou
I'autre des parties se transformer en instance de médiation ralentit
considérablement la sanction de la question en litige En ce sens, cela
n'aide pas à raccourcir les délais.
M. Kehoe: La procédure pour formuler les plaintes que vous
avez décrite, sort de répondre
à des questions très complexes, très longues cela
prend beaucoup de temps, ainsi de suite. Est-ce que vous prévoyez
beaucoup de difficultés à reformuler cette procédure?
Est-ce une chose très difficile ou si, a votre avis, c'est une chose qui
peut se faire assez facilement?
M. Plamondon: Nous, on pense qu un organisme peut effectivement
modifier et faire une préenquête moins administrative et plus
inquisitive. Par exemple, quand on dit que les deux tiers des plaintes sont
rejetés, on se demande si ce n'est pas aussi la procédure
écrite, complexe qui rebute en quelque sorte les plaignants et qui ne
leur donne pas un moyen facile d'expliquer ce qu'ils ont vécu et de
faire sanctionner rapidement si la plainte est recevable ou non. Nous pensons
nous sans introduire des dimensions quasi policières au processus de
préenquête, qu'il pourrait y avoir une préenquête de
type plus inquisitif, c'est-à-dire qu'on a au départ un
préjugé favorable au plaignant et on se rend rapidement chez le
mis en cause pour connaître sa version au même titre qu'un policier
pourrait le faire. II reçoit une plainte, va voir le plaignant, prend
quelques, notes et ensuite va voir le mis en cause pour voir si, effectivement,
la plainte apparaît, prima facie, fondée.
M. Kehoe: nécessairement plus d un critère II ny a
pas assez de personnel actuellement C'est là le problème, au
fond.
M. Paradis (André): C'est possible que cela prenne plus
d'enquêteurs, mais il est difficile d'évaluer ce besoin à
I'heure actuelle compte tenu des problèmes au niveau de la
procédure d'enquête. Si on règle les problèmes au
niveau de la procédure d enquête, cela va peut être
permettre de voir un peu mieux si effectivement il y a un besoin
supplémentaire d'enquêteurs s'il y a un besoin de plus d
enquêteurs pour s oc cuper du traitement des plaintes.
M. Kehoe: Une dernière question à ce sujet.
Connaissez-vous la procédure dans les autres provinces? Est-elle
similaire? Est-elle différente? Est-ce mieux organisé? Est-ce
mieux structuré ou est-ce plus simple? Qu'est-ce qui se passe en Ontario
spécifiquement, par exemple?
M. Plamondon: À ma connaissance, en Ontario, il y a une
préenquête de type inquisitoire, c est à-dire...
M. Kehoe: Par des enquêteurs de la commission
M. Plamondon: C'est cela. Ainsi on sait mieux, on sait
très rapidement s'il s'agit par exemple, d'une plainte frivole ou de
quelqu'un qui cherche à nuire ce qui serait un abus de droit dans ce
sens là il y a une préenquête plus Inquisitoire. À
la limite, on pourrait faire également une enquête inquisitoire.
Ce n est pas le choix qu'on a fait mais la préenquête elle
pourrait être plus rigoureuse plus systématique et beaucoup plus
rapide.
M. Kehoe: Est-ce que vous dites que, dans I'ensemble,
actuellement, le fardeau de prouver le bien fondé de ses
allégations revient au plaignant.
M. Plamondon: Tout à fait.
M. Kehoe: Et il le fait toujours par écrit.
M. Plamondon: Oui.
M. Kehoe: C'est très lourd, I'aspect administratif pour
déposer une plainte actuellement.
M. Plamondon: Bien, nous le croyons aussi. C'est la même
chose pour les plaignants, les citoyens qui sont violés dans leurs
droits, ils n'ont pas à remplir un long formulaire de trois pages pour
savoir s'ils veulent faire une plainte pour vol ou pour d'autres motifs. La
police se rend sur les lieux et fait un rapport. Actuellement, ce sont des
procédures extrêmement complexes pour le citoyen ordinaire.
Le President (M. Filion): Pour I'information des membres de la
commission et du député de Chapleau tel quon l'avait
demandé à l'une de nos dernières réunions, nos
experts en soutien nous ont produit des études comparatives avec la
commission canadienne des droits la commission ontarienne des droits et
également la commission des droits et libertés de la Saskatchewan
Si une copie ne vous a pas été distribuée je suis
convaincu qu on pourrait vous en remettre des copies additionnelles.
Je vais maintenant reconnaître M le député de
Beauharnois.
M. Marcil: Dans la même ligne de pensée que mon
collègue de Chapleau. Vous semblez, je ne dirais pas mettre en doute I
impartialité des enquêteurs comme tels, mais vous parlez du manque
d'uniformité des procédures ce qui fait en sorte que les deux
tiers des plaintes sont rejetés automatiquement. Aussi je trouve
surprenant quon parle également du choix des plaintes quon retient pour
enquête ou pour procéder à une enquête. Vous avancez
quasiment que cest fait de façon très arbitraire et qu'il n y a
aucune procédure préétablie à I'avance et aucun
critère nécessairement uniforme sur lequel on peut évaluer
chacune des plaintes J'aimerais que vous développiez davantage cet
aspect cette dimension.
M. Plamondon: Notre intention et notre propos, ce n est pas de
mettre en cause I hon nêteté des enquêteurs. Les
enquêteurs sont placés dans des conflits de rôles. Le
problème
est surtout là. C'est comme si un juge de la Cour
supérieure descendait de son tribunal, allait rencontrer les parties
dans le bureau à côté pour négocier un
règlement hors cour, revenait s'asseoir par la suite après avoir
entendu la preuve en dehors du tribunal, sans la présence de toutes les
parties, même peut-être sans la présence des parties
elles-mêmes avec les avocats, et revenait siéger parce qu'il n'y a
pas eu d'entente. On place les enquêteurs exactement dans une situation
de conflit d'intérêts. C'est cela qui est problématique. Ce
n'est pas l'intégrité, ni la compétence actuelle des
enquêteurs qui sont en place à la commission, mais les conflits de
rôles dans lesquels on les place, ce à quoi il faut mettre fin.
(10 h 45)
Deuxièmement, le problème de l'aboutissement du
résultat de l'enquête est peut-être en question. À la
suite de l'enquête, il y a un rapport qui est fait à l'ensemble
des commissaires réunis en instance, qui ont le privilège de
recevoir le bilan en quelque sorte de l'enquêteur à la suite de
son enquête et ses conclusions de retenir ou non la plainte comme
étant fondée. Il se trouve que du point de vue judiciaire ou
quasi Judiciaire, même sur le plan de l'équité
administrative, il n'est pas évident que cette façon de
fonctionner est tout à fait correcte, parce que les commissaires n'ont
entendu aucun témoin, n'ont pas entendu la preuve. Ce que leur rapporte
l'enquêteur est du oui-dire de la manière la plus rigoureuse, la
plus absolue. Ils se prononcent, en quelque sorte, sur la base des
recommandations de l'enquêteur, sur la recevabilité finale de la
plainte, si elle est fondée ou non. On se demande sous cet
aspect-là aussi s'il n'y a pas des problèmes clés dans la
mesure où aucun des commissaires n'a participé à
l'enquête et ils ont à se prononcer pour savoir si elle est
fondée.
Je comprends qu'habituellement on va suivre l'avis de l'enquêteur,
mais encore là il y a quelque chose qui ne convient pas. II y a des
personnes qui jouent le mauvais rôle à un moment donné. En
plus de cela, quels sont les critères qui conduisent en quelque sorte
les commissaires à retenir ou à ne pas retenir les plaintes? En
ce sens, on ignore aussi les règles de procédure des commissaires
réunis en instance pour juger au fond et finalement s'ils retiendront la
cause du plaignant ou non, d'autant que j'ai vu dans un certain nombre de
dossiers que les commissaires peuvent conclure que la plainte est fondée
et recommander une médiation. Une autre étape de médiation
va suivre au lieu de s'engager dans des procédures judiciaires
finalement.
Il y a à la fois des éléments obscurs en ce qui
concerne les commissaires et des conflits de rôles, sinon des conflits
d'équité. En conséquence, je ne pense pas qu'on peut
renvoyer à des problèmes d'honnêteté ou
d'intégrité des personnels toute une série de confusions
quant à des rôles qu'ils peuvent exercer dans la procé-
dure.
Le Président (M. Filion): Cela va, M le
député de Beauharnois? M. le député de
Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui. À la page 6, il est écrit: "Les
rapports entre la commission et la ligue sont donc nombreux et à divers
niveaux et ce, pratiquement depuis la création de la commission. Ces
rapports ont toujours été marqués, pour ce qui est de la
ligue, à la fois par une réelle volonté de collaboration
et une nécessaire vigilance, un recul critique. Cette double attitude
nous apparaît essentielle pour qu'un organisme gouvernemental comme la
commission remplisse le rôle qui est le sien et contribue positivement
à la défense et à la promotion des droits et
libertés". Par contre, vous dites que, de façon
générale, les organismes n'ont pas - et c'est plus loin - senti
de véritables efforts de concertation et de collaboration de la part de
la commission envers eux, même si ça figurait parmi le mandat pour
l'année 1986-1987. Vous suggérez une rencontre annuelle entre la
commission et les organismes voués à la défense des droits
et libertés comme la vôtre.
Comment la commission - c'est la question que je vous pose - fait-elle
pour ne pas sentir le besoin d'avoir effectivement une rencontre avec les ONG,
c'est-à-dire les organismes non gouvernementaux, dont on reconnaît
l'importance à tous les autres niveaux, que ce soit dans le domaine de
la santé, de l'habitation, de la consommation?
M. Paradis (André): Je suppose que c'est une question
à laquelle M Lachapelle et les autres représentants de la
commission pourront répondre jeudi, je crois, mais c'est un fait. Il y a
beaucoup de liens ad hoc entre les organismes comme la Ligue des droits et
libertés et d'autres organismes volontaires de défense des droits
et la commission. C'est souvent les organismes qui provoquent ces liens dans le
sens qu'on contacte la commission on veut leur proposer d'intervenir, on veut
les presser d'intervenir, on veut leur demander des informations, on veut leur
proposer des collaborations. Mais, on ne sent pas vraiment... L'attitude est
toujours correcte, les rapports individuels, je dirais, que ce soient des
commissaires ou des employés de la commission, ou des cadres de la
commission, l'attitude est toujours correcte et ça va, mais on ne sent
pas vraiment au niveau de la direction de la commission, si on peut dire, une
ouverture réelle aux groupes. Cela vient peut-être du fait que le
deuxième aspect de notre rôle, qui est non seulement d'appuyer
l'action d'un organisme comme la commission, mais de la critiquer, n'est pas
toujours bien reçu. Je pense qu'il a des groupes - il y en a qui vont
pouvoir en témoigner cette semaine - qui se sentent un peu
bloqués à la commission parce que, dans le passé,
parfois, ils ont proféré des critiques importantes de
certains aspects du fonctionnement de la commission.
Or, on pense qu'il y a d'abord un problème d'attitude. Je pense
que la commission pourrait, comme cela a été souligné,
reconnaître davantage la contribution des organismes quand il y a des
dossiers communs. Je ne dis pas cela simplement pour la Ligue des droits et
libertés, j'ai entendu des représentants d'autres organismes
faire les mêmes commentaires à différentes reprises. Alors,
un changement d'attitude d'abord et puis, peut-être, pour faire pendant
à ce changement d'attitude, un mécanisme. Nous suggérons,
éventuellement, une rencontre annuelle avec des représentants
d'organismes. Cela pourrait se tenir, en alternance, à Montréal
et, à d'autres moments dans les régions. Ce serait important que
la commission puisse nous saisir plus directement du bilan de son travail, de
ses perspectives pour l'année qui vient et qu'on puisse commenter et,
finalement, développer une relation un petit peu plus
systématique, un peu plus organisée avec la commission. Cela nous
permettrait, je pense, de connaître les commissaires. Très souvent
- c'est une critique que l'on fait dans notre rapport - on apprend la
nomination d'un nouveau commissaire; cela tombe un petit peu des nues. J'avoue
que j'ai été tout à fait surpris par la nomination de la
nouvelle présidente de la commission; je n'avais jamais entendu parler
de cette dame auparavant. On n'a jamais l'occasion de rencontrer l'ensemble des
commissaires, ne serait-ce qu'une fois. C'est pourtant nos répondants,
si on veut, du côté institutionnel, du côté
paragouvernemental.
Alors, il y a sûrement une nécessité de revoir cela.
La commission, en 1986, s'était fixé comme une des
priorités, la septième, je crois, de raffermir ses liens avec les
groupes. C'était l'année du dixième anniversaire de la
charte. Or, il n'y a eu aucune initiative, de quelque sorte que ce soit, qui a
été prise pour associer les groupes - la Ligue des droits et
libertés, entre autres, qui a joué un rôle important dans
l'avènement de la charte - ne serait-ce que d'une façon ou d'une
autre, avec la célébration du dixième anniversaire de ta
charte. Je pense qu'il y a là un problème d'attitude et de
mécanisme; le problème est sûrement d'abord un
problème d'attitude.
Mme Lamoureux: Je pourrais peut-être rajouter,
très...
Le Président (M. Fillon): Oui, Mme Lamoureux.
Mme Lamoureux: Excusez-moi. Je pourrais peut-être rajouter,
très brièvement, que ce n'est pas un problème qui est
propre à la commission. Je pense que l'interface entre les
systèmes publics quels qu'ils soient et la mouvance communautaire ou la
mouvance des mouvements qui travaillent dans différents domaines est
toujours très problématique au Québec. Elle l'est dans le
domaine de la santé et des services sociaux et dans le domaine de
l'éducation. C'est toujours très difficile, donc ce n'est pas un
problème propre à la commission. SI on voulait bien
reconnaître, un jour, que tout ce qui est issu des initiatives des
citoyens fait partie justement de cette citoyenneté démocratique
qu'on doit encourager et avec laquelle on doit travailler, à ce
moment-là, peut-être qu'effectivement iI y aurait moins de
rapports de forces, finalement, et il y aurait plus de collaboration et de
partenariat vraiment équitable.
À ce moment-là, c'est surtout... C'est difficile parce
qu'on n'a pas les mêmes ressources, on n'a pas le même prestige
extérieur, disons, et on se trouve à être dans un rapport
de forces. Par contre, on a une très grande expertise du terrain aussi,
une très longue habitude de la lutte pour les droits et libertés
Alors, c'est un peu notre expertise qu'on aimerait voir reconnue et
soulignée occasionnellement.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lamoureux. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Je veux vous dire, Mme Lamoureux, que le prestige
ne vient pas du titre mais des actions. À ce niveau-là, vous
êtes bien positionné. Vous êtes sur Champlain, près
d'Ontario; dans le dossier des assistés sociaux, je pense que vous avez
atteint votre prestige. Je vous en félicite et surtout je vous en
remercie.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de
Saint-Jacques. Je vais reconnaître maintenant M. le député
de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Thuringer: Vous avez mentionné que ce n'est pas juste
une question de pouvoirs, que, si la commission exécute son mandat un
peu plus rigoureusement, il ne sera pas nécessaire d'apporter tellement
de changements. Est-ce que vous avez des suggestions plus concrètes sur
le type d'intervention? En augmentant les pénalités, qui sont en
moyenne de 200 $, c'est une éducation négative, si on peut dire.
Avez-vous des suggestions concrètes sur l'éducation positive
comme, par exemple, dans les commissions scolaires ou des choses comme
cela?
M. Paradis (André): Sur le rôle d'éducation
de la commission, en particulier vis-à-vis du milieu scolaire, il y a eu
des initiatives très intéressantes et très positives qui
ont été prises par la commission. Par exemple, on
considère que le colloque sur l'éducation aux droits fondamentaux
au secondaire qui s'est tenu il y a quelques années a été
vraiment un précédent. Cela a réuni
énormément d'intervenants du milieu scolaire et des organismes de
défense des droits Cela a
sûrement eu un effet stimulateur dans les milieux d'enseignement.
Par ailleurs, on pense que la Commission des droits de la personne pourrait
faire plus. C'est évident. Elle peut être davantage sur le
terrain. C'est une critique qu'on entend même au sein de la Commission
des droits de la personne.
Les autres secteurs ou les autres divisions de la commission vont
souvent faire le commentaire qu'il y a du beau travail qui s'est fait en
éducation, par exemple la conception de guides. Il y a une
deuxième version de leur guide pour les professeurs, le guide pour
l'éducation aux droits, qui est en voie d'être
complétée actuellement. Selon ce que nous en connaissons, c'est
du très bon travail, mais il faudrait que cela ait une présence
sur le terrain qui soit plus grande. Par exemple, la Commission des droits de
la personne reçoit beaucoup de plaintes qui ont trait à la
situation dans les milieux de travail. Peut-être que la fonction
d'éducation de la Commission des droits de la personne devrait se jouer
aussi davantage dans ces milieux. Il y a quelqu'un qui s'occupe beaucoup des
droits humains qui, dans une conférence, disait, il y a quelques
années, que, dans les milieux de travail, c'est souvent le Moyen
Âge qui continue à exister en matière de respect des droits
et libertés. Ce n'est pas accidentel si la Commission des droits de la
personne reçoit un si grand nombre de plaintes de la part de
travailleurs ou d'employés, de gens qui sont dans les milieux de
travail. Le pendant de cela serait peut-être le travail
d'éducation.
C'est sûr que ta portée du travail d'éducation de la
Commission des droits de la personne ne sera grande et effective que si elle
reçoit l'appui des autres corps publics. Je pense au ministère de
l'Éducation qui a un rôle déterminant à ce moment,
c'est-à-dire dans l'établissement du curriculum. Il y a d'autres
organismes, comme les commissions scolaires. C'est un fait connu, par exemple,
que la Commission des droits de la personne ne peut pas entrer à la
Commission des écoles catholiques de Montréal. Ce n'est pas
reçu, l'éducation aux droits, de la façon dont la
commission le reçoit. N'est pas non plus nécessairement acquise
la collaboration du ministre de l'Éducation. Je ne suis pas au fait des
dernières négociations, mais ce n'est pas nécessairement
acquis. Et pourtant ce serait essentiel en ce qui concerne l'éducation,
par exemple, dans les milieux scolaires. Alors, il y a des initiatives
intéressantes. Le travail devrait se faire davantage sur le terrain,
mais cela va prendre l'appui des autres corps publics, parce que sans cela la
commission ne pourra pénétrer ces milieux.
La portée du travail éducatif de la commission sera
beaucoup plus grande aussi si elle se fait autour de dossiers
d'actualité parmi ceux sur lesquels la commission intervient. C'est une
grande déception que nous avons et plusieurs organismes aussi.
L'enquête publique sur le racisme dans le taxi à Montréal,
c'était comme une première. Ce type d'enquête ne
s'était jamais fait. La tenue de l'enquête elle-même avait
une valeur éducative. Elle a fait ressortir qu'un
phénomène de racisme s'était développé dans
l'industrie du taxi et que c'était quelque chose d'inacceptable. On a
mis cela en lumière. Cela a été très positif, mais
il fallait continuer ce travail. La Commission des droits de la personne avait
promis une grande campagne d'information et d'éducation sur le racisme
dans l'industrie du taxi. Finalement, cela s'est réduit à peu de
chose. Il y a eu la distribution de 5000 dépliants sur le nouveau
règlement du transport par taxi Le travail d'éducation s'est
arrêté là. Je dois dire que nous avons
détaillé dans notre mémoire assez longuement la question
de l'intervention de la commission sur le racisme dans l'industrie du taxi.
Cela nous semblait que cela illustrait assez bien à la fois les points
forts et les points faibles de la Commission des droits de la personne. Les
points forts, c'est qu'elle a un pouvoir d'enquête et qu'elle l'a
utilisé. Par ce simple fait, cela commence à sensibiliser la
propulation. Elle a agi pour faire sanctionner les actes racistes par les
tribunaux. Cela aussi montre que l'on ne peut pas impunément se livrer
à des actes racistes. Mais il aurait fallu poursuivre avec vigueur et
détermination et je pense que cela, on ne l'a pas fait. (11 heures)
Ces jours-ci, il est beaucoup question de racisme. Je pense que le
cabinet doit se pencher aujourd'hui sur la question du type d'enquête
à tenir. Il a été soulevé que peut-être la
Commission des droits de la personne fera enquête Je dois vous dire que
j'ai un "mixed feeling" au sujet de l'intervention de la commission
là-dedans, si on se fie au précédent de l'industrie du
taxi, c'est-à-dire que, pour l'industrie du taxi, on a retrouvé
les problèmes typiques de la commission: des délais très
longs, l'enquête a duré deux ans. On a eu les mêmes
problèmes de confusion au niveau du rôle de la commission:
enquêteur, médiateur, et, finalement, ce sont les mêmes
personnes qui changent de chapeau. On fait des promesses de grandes campagnes
d'éducation et celles-ci n'ont pas lieu. On a eu une critique
plutôt mitigée des corps publics là-dedans. C'est seulement
sous la pression des organismes non gouvernementaux que la commission a
critiqué, a mis le doigt un peu plus sur des problèmes qui
existaient à la commission de transport de la communauté urbaine.
Celle-ci avait continué à accorder un contrat à la Co-op
de l'Est qui avait été trouvée coupable d'actes de
racisme. Par la suite, elle a même donné un contrat à une
autre compagnie de taxi qui, elle, avait dit que l'un des problèmes pour
lesquels elle ne pouvait pas entrer en compétition avec la Co-op de
l'Est, c'est qu'elle avait trop de chauffeurs noirs. Alors, on avait
partagé le contrat entre les deux, on avait comme cautionné le
racisme dans une deuxième compagnie.
Cela allait même plus loin que cela. Lors de
l'enquête sur le taxi, lors des auditions, il y avait eu de
très nombreux témoignages sur les manifestations de racisme par
ta police à l'endroit des chauffeurs de taxi. Dans le rapport final de
la commission, pratiquement tous ces témoignages avaient
été gommés, c'est-à-dire avaient été
en grande partie atténués, presque effacés. Plus que cela,
dans ses recommandations pour solutionner le problème du racisme dans le
taxi, la commission avait proposé que la police joue un rôle
important et même crucial. Quand nous avons vu cela, cela nous a tout
à fait effarés. D'une part, des témoignages nombreux au
moment des auditions montrent qu'il y a manifestation importante de racisme par
la police; la commission gomme cela dans son rapport. Elle va même,
d'autre part, proposer un rôle très important pour la police dans
la solution de ce problème de racisme. Vous comprendrez que, quand on
parle d'une enquête publique de la commission sur le racisme dans les
corps poli-ciers au Québec, on a un certain nombre de
réserves.
M. Plamondon: Pour terminer, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Je crois comprendre qu'il y a
d'autres inscriptions autour de la table. Y a-t-il consentement pour que nous
débordions légèrement l'enveloppe de temps qui
était prévue? Cela va. Me Plamondon, vous vouliez ajouter quelque
chose aux remarques de M. Paradis.
M. Plamondon: Au bénéfice du député
de Notre-Dame-de-Grâce, il y a peut-être une solution
concrète concernant le processus de médiation. Si on
établissait au départ que la médiation doit être
demandée par les deux parties, cela ne pourrait pas être
utilisé pour retarder les délais, parce que cela suppose que les
deux parties sont consentantes, Cela suppose aussi que le médiateur ou
la médiatrice n'est pas la même personne que celle qui fait
l'enquête, comme cela suppose qu'il y a certains paramètres dans
les directives de la commission pour dire qu'en bas d'un certain seuil on ne
peut pas favoriser un règlement. Il y a des paramètres qui sont
indiqués au médiateur pour dire qu'en bas d'un certain seuil la
discrimination ne se règle pas.
D'autre part, en fin de compte, il faudrait également indiquer,
quitte à faire un règlement en bonne et due forme, qu'un
règlement à la suite d'une médiation doit se faire sur la
base de la reconnaissance de la discrimination, non pas d'acheter la paix ou
d'acheter la discrimination. Il faut que le mis en cause, pour pouvoir
régler avant la fin de l'enquête dans un processus de
médiation, le reconnaisse, exactement comme on le fait en matière
de mesures volontaires pour les jeunes contrevenants, à qui on dit que,
pour échapper au processus de judiciarisation, il faut d'abord qu'ils se
reconnaissent coupables de l'acte dont ils sont accusés. Après
cela, ils peuvent faire des travaux communautaires, faire des
réparations, aller réparer la vitre du dépanneur ou quoi
que ce soit, mais il faut qu'ils reconnaissent leur acte criminel. Pourquoi ne
ferait-on pas la même chose en matière de droits et
libertés? Pour régler hors cour en matière de droits et
libertés, il faut dire qu'on a fait la discrimination et qu'on s'en
excuse. Peut-être qu'à ce moment-là les 200 $ pourraient
être légitimés, parce qu'en fait on s'est d'abord reconnu
coupable en matière de discrimination.
Le Président (M. Filion): Je vais maintenant
reconnaître, M. le député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Oui, c'est justement ce point-là que |e voulais
soulever, M. le Président, ayant moi-même eu l'occasion de faire
appel aux services de la Commission des droits de la personne, il y a
maintenant plusieurs années. Elle avait reconnu que la Communauté
urbaine de Québec avait usé de discrimination à mon
égard en m'empêchant de participer et de fonder une association de
cadres supérieurs. Cela avait suivi son cours, l'enquête, etc., et
cela avait fait un certain bruit à ce moment-là. Je
m'étais retrouvé dans une situation en ce qui concerne la
médiation où j'étais - je m'imagine ce que cela peut
être pour d'autres personnes ayant moi-même un certain nombre de
moyens, étant avocat, ayant une certaine expérience, étant
normalement capable de me défendre - coincé, parce que je faisais
face à la Communauté urbaine de Québec, qui est une
immense machine, et que j'avais été démis de mes
fonctions. Je n'avais donc plus de salaire. J'avais une famille, j'avais une
maison, j'avais des obligations et c'était devenu un affrontement dans
lequel je me voyais à longue échéance
nécessairement perdant, étant donné que c'était
rendu au point où, pour pouvoir faire exécuter la décision
de la Commission des droits de la personne, il fallait procéder par
injonction Les tribunaux entraient en ligne de compte et, là, on se
retrouvait avec des possibilités d'appel, On m'avait laissé
entendre à cette époque-là de ne pas me faire d'illusions,
que cela se rendrait aussi loin que cela le devrait.
Dans les circonstances, j'ai été pratiquement
coincé, devant accepter - enfin, j'ai été obligé
d'accepter - un règlement. Dans les circonstances, je l'ai
accepté les yeux ouverts, mais les yeux ouverts et en même temps
les bras tordus. Se faire tordre un bras, cela n'empêche pas de s'ouvrir
les yeux. On nous tord toujours le bras qui ne nous empêche pas de signer
l'entente, évidemment!
Des voix: Ha! Ha!
M. Doyon: Après, il y a eu des articles dans les journaux,
dans lesquels on a soulevé un peu le semblant
d'illégalité, car je semblais avoir renoncé à mon
droit qui était fondamental,
c'est-à-dire de m'associer avec - d'autres collègues et de
fonder une association pour défendre des objectifs qui étalent
légitimes. Mais j'étais coincé là-dedans et je me
demande si vous avez réfléchi à cela. L'article qui avait
paru dans Le Devoir disait que c'était un peu de la nature d'une
entente qui allait contre l'ordre public. Je pense qu'on pourrait argumenter et
je me demande comment les tribunaux réagiraient si quelqu'un allait
plaider après coup que l'entente qu'il a signée est non valable -
parce que, moi, j'avais renoncé à tous les recours qui
m'étaient offerts à ce moment-là - dans ce sens qu'elle
est contre l'ordre public, parce qu'elle va à rencontre d'une loi qui
est une loi fondamentale, c'est-à-dire la Charte des droits et
libertés de la personne. La signature de cette entente pourrait
être non valide et laisserait la porte ouverte à d'autres
procédures judiciaires.
Je me demande si vous avez déjà regardé ce
côté-là des choses, parce que, moi, je suis encore dans les
limbes à ce sujet-là. Ayant eu l'occasion de vivre des
événements qui ont été difficiles, je compare ma
situation avec celles - comme je le disais - d'autres personnes qui sont
peut-être plus démunies que je ne l'étais, et je me dis: On
fait quoi dans une situation comme cela? Je ne sais pas si vous avez des
solutions ou si vous avez envisagé ces questions.
M. Plamondon: Bien, c'est que vous soulevez tout le
problème du consentement à la signature d'un contrat. Si vous
êtes en bonne santé mentale lors de la signature de votre contrat,
même si vous avez le bras tordu, vous y trouvez également des
intérêts pécuniaires. C'est ce que les juges de la Cour
supérieure sont susceptibles de nous dire.
Vous avez finalement renoncé à un droit. On peut toujours
renoncer à nos droits, y compris nos droits constitutionnels. Cela, ce
n'est pas contre l'ordre public de renoncer à son droit. Dans l'affaire
des visites à domicile en matière d'aide sociale, le juge conclut
qu'effectivement, si elles sont faites avec le consentement, ce ne sont pas des
fouilles ou des perquisitions.
Autrement dit, vous pouvez renoncer à un droit constitutionnel et
le laisser fouiller votre domicile. Si votre consentement est valide, vous
soulevez le problème du consentement.
J'aurais trouvé Intéressant, cependant, si vous aviez fait
le test vous-même, étant avocat, de voir si votre entente hors
cour faite un bras dans le dos était valide sur le plan quasi
constitutionnel.
M. Doyon: Enfin, la question reste...
M. Plamondon: C'est une très belle question juridique, en
tout cas.
M. Doyon: Oui. La question reste non résolue et demeure
intéressante, cependant.
M. Plamondon: Mais peut-être que, selon l'hypothèse
soulevée tout à l'heure, si, au moins sur le fond, la
communauté urbaine avait reconnu avoir fait de la discrimination,
l'humiliation serait considérablement moins grande. En fait, elle s'en
tire... Évidemment, ce ne sont pas les administrateurs qui paient de
leur poche, ce sont tous les citoyens qui paient pour régler hors cour
et favoriser des administrateurs qui ont violé des droits, mais qui ne
reconnaîtront jamais ce fait-là.
Effectivement, si la médiation ne pouvait se conclure qu'à
la condition que le mis en cause reconnaisse avoir discriminé, les
règlements se feraient peut-être différemment.
M. Doyon: Oui. parce que, très souvent, l'organisme ou la
personne mise en cause ne reconnaît même pas la juridiction de la
commission. Alors, on est loin de l'acceptation de la décision,
c'est-à-dire de la décision qui les blâmerait pour
discrimination. Très souvent, la juridiction ou la compétence de
la commission est même remise en cause en disant que cela ne les regarde
pas, que c'est de la régie interne et on trouve encore toutes sortes de
raisons. Il y en a au moins 50 000 qu'on peut invoquer, évidemment. Mais
on n'invoque jamais les raisons qui font que la base de la décision qui
a causé la discrimination est précisément la
discrimination. On invoque plutôt toutes sortes d'autres arguments, comme
on peut l'avoir fait dans mon cas. En tout cas, cela m'éclaire. Je vous
remercie beaucoup.
Le Président (M. Filion): Peut-être en terminant,
parce que, comme vous le voyez, le temps est réduit. Étant
donné la qualité et l'aspect quantitatif de votre mémoire,
nous n'avons pas traité ensemble - j'aurais aimé le faire
personnellement - de la présence régionale des bureaux de la
Commission des droits de la personne, sauf que j'ai bien lu vos commentaires
à ce sujet. J'ai également noté dans l'intervention de M.
Paradis une référence au problème de la nomination des
commissaires. Soyez assuré que nous ne sommes pas sourds à vos
remarques, même si nous n'en traitons pas ici aujourd'hui;
également, en ce qui concerne le volet éducatif et informatif de
la Commission des droits de la personne. En terminant, j'aurais quand
même une question pour Me Plamondon.
Dans le but de bien saisir le mémoire, vous dites que la
commission a un rôle de promotion que lui donne la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec elle-même. La commission
a également un rôle d'enquête. On ne peut pas y
échapper. Elle a un rôle de médiation, comme vous le
souligniez à juste titre, qui intervient à différents
moments. Mais elle a aussi un rôle - permettez-moi l'expression entre
guillemets, car je ne suis pas un spécialiste du
droit administratif - d"adjudication", en ce qu'elle décide s'il
y a eu ou non violation d'un des droits reconnus par la charte. Ce rôle
déclaratoire, si l'on veut, entraîne des recommandations qui, si
elles ne sont pas suivies, peuvent déboucher dans des procédures
judi-cfaires. Vous avez noté le conflit entre le rôle
d'enquête et le rôle de médiation surtout. J'ai noté
tes suggestions contenues dans votre mémoire en ce qui concerne les
délais, la nature même de l'enquête, etc. Mais je ne
retrouve pas - en tout cas, je vous demande de m'éclairer - à
l'intérieur de votre mémoire de solution à cette confusion
des rôles, surtout à partir du moment où l'on
écarte, avec toutes les réserves que vous aviez mises autant dans
votre document que lorsque vous l'avez fait verbalement ce matin, la
création d'un tribunal spécialisé.
Je reviens sur cet aspect non pas pour réduire les autres parties
de votre document et de vos interventions, mais uniquement pour l'information
des membres de la commission. J'apprécierais si, en quelques minutes,
vous pouviez m'éclairer sur ce problème.
M. Plamondon: J'aimerais dire qu'il y a deux moments où il
y a une adjudication de la part de la commission.
Le Président (M. Filion): SI c'est recevable.
M. Plamondon: La première est d'abord de savoir si la
plainte est recevable.
Le Président (M. Filion): D'accord. (11 h 15)
M. Plamondon: Évidemment, si elle ne la juge pas
recevable, c'est le cas de plus des deux tiers, il y a déjà un
problème. La deuxième est, bien sûr, au moment de la
réception de la recommandation de l'enquêteur au niveau des
commissaires et de la recommandation qui pourrait s'ensuivre. Au contraire, il
me semble, en tout cas, qu'il y a un certain nombre de solutions
concrètes qui sont suggérées. Si on écarte
provisoirement, au bénéfice d'améliorer le fonctionnement
de la commission, de voir si cela serait opportun de créer un tribunal
spécialisé, il y a une recommandation très claire de
séparer les rôles d'enquêteur et de médiateur. Cela
nous apparaît central et même capital. Si, déjà
à cette étape-là, on réglait cette dimension en
séparant et en établissant des critères, des règles
de procédure quant à la médiation, entre autres, celles
que j'ai déjà signalées et sur lesquelles je ne reviendrai
pas, si on réglait les conflits de rôles et les conflits
d'intérêts qui sont susceptibles d'apparaître et qui
apparaissent effectivement dans le processus d'enquête, ce serait
déjà énorme. Qu'on améliore de façon
radicale le service de réception des plaintes, qu'on allège et
qu'on facilite la réception des plaintes de la part des plaignants, et
non pas qu'on crée des obstacles à la réception;
déjà, on améliorerait de 50 % les résultats
susceptibles d'être évalués à une autre
période, en tout cas Déjà, ces deux éléments
de solution ajoutés à la création d'un certain nombre de
bureaux régionaux pour que l'égalité régionale soit
établie et à la nomination des commissaires, cela
représente un certain nombre de solutions qui peuvent apporter des
changements profonds, quitte à réévaluer, peut-être
pas dans dix ans, mais dans cinq ans, la portée des solutions que vous
aurez proposées.
Le Président (M. Filion): C'est bien. A cette
étape-ci de nos travaux, je voudrais encore une fois remercier nos
invités - on l'a ressenti, je pense, du côté de nos
invités - de la qualité de la réflexion qu'ils ont
réussi à coucher sur papier en ce qui concerne notre mandat. Nul
doute que leur participation à nos travaux sera un élément
très important de notre propre réflexion qui viendra par la suite
et, ultimement, de nos propres recommandations. Donc, au nom de tous les
membres de cette commission, Je voudrais vous remercier une dernière
fois de vous être déplacés.
Mme Lamoureux: Nous voulons aussi vous remercier de votre accueil
chaleureux.
Le Président (M. Filion): C'est notre travail, madame.
Mme Lamoureux: C'est du bon travail. Merci.
Le Président (M. Filion): Merci.
Donc, sans plus tarder, je voudrais inviter les représentants du
groupe Action-travail des femmes à bien vouloir prendre place à
la table des invités. Je reconnais Mme Elizabeth Novak - c'est bien
cela? - permanente...
Action-Travail des femmes
Mme Novak (Elizabeth): D'Action-travail des femmes.
Le Président (M. Filion): ...d'Action-Travail des
femmes.
Mme Novak: Est-ce que j'ai besoin de m'occuper du micro? Ah! Il
s'allume automatiquement.
Le Président (M. Filion): Tout se fait automatiquement. Le
monsieur que vous voyez derrière le pupitre contrôle les
microphones. Alors, soyez bien à l'aise. Une période de 15 ou 20
minutes vous est réservée, si vous désirez l'utiliser,
pour nous faire part des grandes lignes du mémoire qui nous a
été remis et dont les membres de cette commission ont
déjà pris connaissance, à la suite de quoi il y a une
période de questions et réponses avec les membres.
Mme Novak: D'accord. Alors, je vais juste prendre un verre d'eau,
si vous permettez.
Le Président (M. Filion): Je vous en prie.
Mme Novak: Bon. Je vais commencer par présenter
brièvement notre organisme et les liens que nous avons eus et que nous
continuons d'avoir avec la Commission des droits de la personne, ce qui, en
fait, sous-tend nos commentaires dans le mémoire.
Notre organisme compte actuellement plus de 700 membres et existe depuis
1976 dans le but d'aider les femmes à la recherche d'un emploi et de
favoriser leur accès à l'égalité dans le domaine du
travail.
Nous avons examiné les besoins des femmes, ce qui nous a
portées à mettre l'accent sur les emplois non traditionnels et
les emplois non traditionnels non spécialisés qui offrent des
salaires décents et une sécurité d'emploi.
Cette orientation nous a menées à constater que certains
employeurs appliquaient des critères d'embauche discriminatoires qui
avaient pour effet d'exclure les femmes des emplois traditionnellement
réservés aux hommes. Autrement dit, ils exerçaient de la
discrimination systémique. Pour contrer ces pratiques illégales,
on a dû entreprendre des poursuites judiciaires contre des employeurs
pour que les femmes puissent obtenir le respect de leur droit à
l'égalité face au travail qui était reconnu dans la
loi.
Vous êtes peut-être au courant qu'en 1979 Action-Travail des
femmes a déposé la célèbre plainte de
discrimination systémique contre le CN. Cela a abouti, en 1984, à
l'imposition d'un programme d'accès à l'égalité qui
a été aussi entériné par une décision de la
Cour suprême dernièrement, en juin 1987, qui maintient la
décision de la commission. Aussi, en même temps que cette plainte
suivait son cours, on a dû déposer un certain nombre de plaintes
auprès de la Commission des droits de la personne du Québec,
parce que c'était contre des entreprises sous juridiction
provinciale.
De plus, notre organisme est intervenu à plusieurs reprises
auprès des commissions parlementaires pour réclamer des
amendements à la Charte des droits et libertés de la personne
permettant l'imposition de programmes d'accès à
l'égalité efficaces. Des modifications ont été
apportées à la charte au cours des cinq ou six dernières
années, il reste, cependant, que la commision demeure l'organisme
chargé de l'application de cette loi, d'où l'importance pour nous
d'examiner et de vous faire part de notre expérience avec la commission,
parce que c'est elle qui a le mandat d'appliquer cette loi.
On vous remercie de nous avoir donné l'occasion de
présenter notre mémoire. On profite de cette occasion pour
attirer votre attention sur les nombreuses interventions que nous avons faites
directement auprès de la commission et aussi dans les médias, au
cours des dernières années, et également pour vous
éclairer sur les situations conflictuelles dans lesquelles la commission
se trouve actuellement à cause de la charte elle-même.
Je vais commencer par les situations conflictuelles. Comme l'a dit la
Ligue des droits et libertés, le rôle d'enquêteur et de
médiateur a un effet conflictuel. Vous savez que la loi confie
l'application de la Charte des droits et libertés de la personne
à la commission. Une des fonctions de la commission, c'est de
réaliser les mandats qui sont précisés dans la loi,
notamment celui de recevoir des plaintes de discrimination et de faire
enquête. Dans le cadre de l'enquête, la loi précise que la
commission doit tenter une médiation entre les parties, soit la partie
plaignante et la partie mise en cause. Cependant, la loi ne fait aucune
distinction entre l'étape de la médiation et celle de
l'enquête proprement dite. De plus, la loi ne prévoit pas de
mécanisme pour distinguer une étape de l'autre.
Dans les faits, la commission intègre le processus de
médiation à celui de l'enquête et assigne un ou deux
enquêteurs qui ont chacun le double rôle d'enquêteur
médiateur pour traiter chaque plainte de discrimination. Cette
façon de procéder crée une ambiguïté au niveau
du cheminement de la plainte, au niveau du rôle de l'enquêteur ou
de l'enquêtrice dans le dossier et aussi place l'enquêteur dans une
situation conflictuelle face aux parties. Finalement, elle retarde
indûment une plainte et c'est une des causes, aussi, qui fait que les
enquêtes traînent. On voulait juste souligner ici que,
dernièrement, c'est-à-dire le 7 octobre 1987, Action-Travail des
femmes a déposé une plainte de discrimination systémique
contre la STCUM à Montréal, qui avait adopté comme
critère d'embauche le fait de posséder une expérience sur
véhicule commercial. Tout le long de la plainte, la correspondance entre
Action-Travail des femmes, la Commission des droits de la personne, la
commission, Action-Travail des femmes et la STCUM, on nous dit, on nous
rappelle qu'il est possible de régler cette plainte en tout temps. Ils
nous disent cela. C'est comme une formule type qu'on retrouve dans chaque
lettre.
Sauf que ce qui arrive, c'est que, dans les faits, les audiences
viennent de commencer et on n'a jamais obtenu de liste d'ancienneté
encore. C'est ça qu'on demandait, on voulait connaître les statuts
des chauffeurs embauchés pour alimenter le dossier pour l'enquête.
On voulait avoir les listes d'embauche. À l'heure actuelle, rien n'a
été fait à ce moment-ci. C'est-à-dire que la raison
pour laquelle je soulève cet exemple, c'est que la commission a peur
d'agir comme enquêteur et d'exiger des documents, d'exiger de les obtenir
pour qu'on puisse les consulter en fonction des auditions. En même temps,
elle veut être très polie. Elle agit comme médiateur. On
peut régler. C'est juste, en tout cas à titre d'exemple concret,
notre expérience par rapport à l'intégration de ce double
rôle. Le
but de la médiation est très distinct de celui de
l'enquête. L'un vise à amener les parties à régler
leurs différends et à conclure une entente, tandis que l'autre a
pour objectif de cueillir des éléments de preuve pour
établir le bien-fondé d'une plainte.
Alors, afin d'assurer un traitement efficace et rapide des plaintes de
discrimination par la Commission des droits de la personne, Action-Travail des
femmes recommande que la Charte des droits et libertés de la personne
soit modifiée de façon à séparer clairement la
procédure d'enquête de celle de la médiation et à
libérer l'enquêteur du rôle de médiateur. Je vais
vous donner un exemple: dans la loi canadienne sur les droits de la personne,
à l'article 37.2, on dit dans fa loi même que, pour une plainte
fondée, les fonctions d'enquêteur et de conciliateur sont
incompatibles. La loi canadienne reconnaît que l'intégration de
ces deux rôles est incompatible. Je voulais juste vous le souligner comme
référence.
Il y a aussi une autre situation conflictuelle. C'est le service de
consultant auprès des entreprises désireuses de mettre sur pied
volontairement un programme d'accès à l'égalité.
C'est un nouveau service que la commission donne. Depuis le 1er septembre 1986,
date d'entrée en vigueur des règlements sur les programmes
d'accès à l'égalité, la Commission des droits de la
personne peut traiter des plaintes de discrimination systémique pouvant
mener à l'Imposition par les tribunaux des programmes d'accès
à l'égalité dans les entreprises trouvées coupables
de discrimination. La Commission des droits de la personne a donc un rôle
important à jouer pour l'avancement de l'accès à
l'égalité pour les femmes, quelle que soit leur origine ethnique,
qui subissent depuis longtemps la discrimination sur le plan du travail.
On est venu ici - ce n'est pas la première fois qu'Action-Travail
des femmes se présente en commission parlementaire - en octobre 1985 au
moment où on discutait de l'adoption des règlements sur les
programmes d'accès à l'égalité en vertu de la
charte. Et, dans le mémoire, on a clairement démontré que
l'imposition par les tribunaux des programmes d'accès à
l'égalité aux États-Unis a incité les employeurs
à mettre sur pied des programmes d'accès à
l'égalité efficaces, de façon volontaire. Donc, il a fallu
le poids d'une décision, d'une ordonnance judiciaire. (11 h 30)
Cependant, la commission a établi, dernièrement, un
service de consultation pour les entreprises intéressées à
mettre sur pied volontairement des programmes d'accès à
l'égalité. Ce nouveau service, prévu par l'article 86.2,
deuxième paragraphe de la charte, crée une situation de conflit
d'intérêts pour la commission par rapport à son service
d'enquête. En effet, les conséquences négatives de ce
conflit d'intérêts commencent déjà à se
manifester pour ce qui est du traitement des plaintes de discrimination.
À titre d'exemple, plusieurs femmes qui ont postulé. en 1985 et
1986, pour l'emploi de chauffeur d'autobus à la Société de
transport de la Communauté urbaine de Montréal, la STCUM, et qui
ont été refusées à cause du critère
d'embauche discriminatoire exigeant une expérience sur un
véhicule commercial, se sont adressées à - la Commission
des droits de la personne avant de faire appel à Action-Travail des
femmes.
Le service d'accueil de la commission a refusé de prendre leur
plainte sous prétexte que la STCUM mettait sur pied un programme
d'accès à l'égalité volontairement, en
collaboration avec la commission. Nous avons téléphoné
nous-mêmes. Action-Travail des femmes, à la commission pour
vérifier. On nous a référées au service d'accueil.
Au service d'accueil, on nous a dit: Écoutez, demander une
expérience sur véhicule commercial n'est pas discriminatoire
parce que c'est un critère qu'on exige autant des hommes et des femmes.
Donc, déjà, ces gens n'ont pas compris l'effet discriminatoire,
le fait d'exclusion de ce critère. En plus de cela, le service d'accueil
nous a dit: Mais, de toute façon, cela ne se peut pas que la
société de transport discrimine parce qu'elle est en train de
mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité en
collaboration avec nous. Alors, ce sont aux femmes et à nous qu'on a
dit... Finalement, on a dû s'adresser à la Direction du service
des enquêtes pour que le service d'accueil, qui reçoit les
plaintes, soit informé sur ce qu'est la discrimination systémique
et pour qu'aucune plainte ne soit refusée sous prétexte que
l'entreprise collabore avec la commission pour l'implantation d'un programme
d'accès à l'égalité.
C'est vrai qu'on a réussi à faire supprimer ce
critère avec des pressions publiques, mais, éventuellement, on a
quand même dû déposer une plainte à la Commission des
droits de la personne du Québec. On s'est dirigées directement
auprès de la direction de la commission pour être bien certaines
que notre plainte serait retenue. À l'heure actuelle, l'enquête
est en cours.
Le conflit d'intérêts de la Commission des droits de la
personne devient encore plus évident lorsqu'elle tente de rassurer le
public, entre autres les employeurs, en affirmant qu'elle a l'intention de
maintenir sa nouvelle fonction de consultant distincte de sa fonction
d'enquêteur. Selon la responsable du service de consultation de la
Commission des droits de la personne, Mme Louise Caron-Hardy, jamais,
souligne-t-elle avec énergie, les dossiers traités par nos
conseillers ne servent de dossiers d'enquête à la commission. On
comprend pourquoi ils disent cela. C'est un article qui a paru dans la
Gazette des femmes, en mai-juin 1987. Ce que veut dire une telle
déclaration, c'est que, lorsque la commission pénètre dans
une entreprise pour l'aider à mettre sur pied un programme
d'accès à l'égalité volontairement, il y a une
collaboration assez étroite avec l'entreprise. Si elle constate qu'il y
a effectivement des pratiques discriminatoires à
l'intérieur de cette boîte ou de cette compagnie -
peut-être que les employés ne sont pas au courant que c'est une
discrimination systémique - le service des enquêtes de la
Commission des droits de la personne ne pourrait pas intervenir pour redresser
la situation particulièrement auprès des personnes
lésées dans leurs droits. Nous, nous trouvons cela tout à
fait Inacceptable et les rôles d'enquêteur et de consultant tout
à fait Incompatibles.
En conséquence, la Commission des droits de la personne devient
donc de moins en moins capable d'agir de façon efficace, voire
d'Intervenir, dans certains cas, pour enquêter sur des dossiers de
discrimination. Conséquemment, les femmes, entre autres, qui subissent
de la discrimination se verront de plus en plus obligées d'entreprendre
une action judiciaire directement devant les tribunaux bien qu'une telle action
soit très coûteuse.
Action-travail des femmes a tenté de démontrer
l'Importance de maintenir distinct le recours juridique prévu par la
Charte des droits et libertés de la personne. D'autres mesures visent
plutôt à augmenter les possibilités d'emplois pour les
femmes et les minorités visibles dont la moitié sont des femmes,
par exemple, les programmes d'accès à l'égalité
volontaires ou l'obligation contractuelle. On vous souligne te dossier
d'obligation contractuelle, aujourd'hui, parce que c'est un dossier qui est
présentement à l'étude et qu'on a l'intention de confier
une part des responsabilités et du contrôle de l'obligation
contractuelle à la Commission des droits de la personne. La Commission
des droits de la personne, qui a déjà un mandat de nature
juridique pour veiller à l'application de la loi antidiscriminatoire
québécoise, ne peut, en même temps, agir comme consultant
auprès des entreprises sans se trouver en conflit
d'intérêts.
C'est pourquoi Action-Travail des femmes recommande que le
législateur supprime l'alinéa 2 de l'article 86.2 de la Charte
des droits et libertés de la personne afin que la commission puisse
consacrer toutes ses ressources à son mandat d'enquête. On sait
fort bien que les employeurs ont les moyens de se payer des services de
consultants au besoin alors que les personnes discriminées ne les ont
pas. Bien évidemment, nous demandons également qu'aucun mandat
supplémentaire ne soit confié à la Commission des droits
de la personne tel le contrôle ou la surveillance de l'obligation
contractuelle.
Bref, c'est que la commission déjà est
éparpillée, elle est en situation de conflit
d'intérêts. On trouverait cela dangereux de lui donner plus de
responsabilités et plus de pouvoirs à ce stade.
Le Président (M. Filion): Madame, est-ce que je pourrais
me permettre? Je vous suis bien dans votre mémoire. Je pourrais
peut-être vous conseiller, en ce qui concerne la partie qui vient, de
synthétiser pour nous permettre plus de temps pour échanger avec
vous.
Mme Novak: Je peux aller très vite. Cela fait dix ans que
je travaille avec la commission.
Le Président (M. Filion): D'accord.
Mme Novak: C'est le côté de la situation
conflictuelle en ce qui concerne les problèmes de fonctionnement qui,
selon nous, découle aussi du fait des conflits dans lesquels elle se
trouve ou dans laquelle la met la charte. On va regarder notre
expérience par rapport au fonctionnement. Dernièrement, les
articles qui touchent les programmes d'accès à
l'égalité ont été mis en vigueur. La Commission des
droits de la personne a dû, par l'un de ses mandats, définir un
peu ce qu'est un programme d'accès à l'égalité
conforme à la charte et qui est prévu dans l'article 86.1 de la
Charte des droits et libertés. Ce que nous vouions vous souligner,
aujourd'hui, c'est que la Commission des droits de la personne a émis
des directives et insiste pour que ses directives soient suivies à la
lettre par les entreprises qui veulent mettre sur pied des programmes
d'accès à l'égalité volontairement. Ces directives
ont à peu près quatre ou cinq pages, mais on [oint à ces
directives un document d'environ six pouces d'épaisseur qu'on donne ou
qu'on prévoit donner aux entreprises pour leur expliquer comment mettre
sur pied un programme d'accès à l'égalité, On leur
dit qu'il faut faire des analyses d'effectifs, des recherches, le bassin, etc.,
de façon très précise sur l'ensemble du fonctionnement de
leur entreprise, ce qui paraît à tout employeur comme un processus
très lourd qui peut durer d'un à trois ans et même plus,
parfois. Les dix entreprises qui mettent sur pied volontairement des programmes
d'accès à l'égalité, qui ont reçu une
subvention du Secrétariat à la Condition féminine de 50
000 $ dans ce but, ont signé une entente et cette entente prévoit
au moins un à deux ans de recherches préliminaires avant
l'implantation d'un programme d'accès à l'égalité.
On dit, dans l'entente, qu'on veut que le programme d'accès à
l'égalité soit conforme à la charte.
Nous soulevons cette question parce qu'il nous semble qu'un programme
d'accès à l'égalité peut être implanté
par secteurs d'entreprise, c'est-à-dire par étapes et par
secteurs à l'intérieur de l'entreprise. Ce qui permettrait de
corriger rapidement la discrimination systémique flagrante sans
bouleverser tout le système d'emploi de l'entreprise.
À titre d'exemple, on voulait vous dire qu'il a fallu
qu'Action-Travail des femmes mette beaucoup de pression sur la
municipalité, la ville de Montréal, pour qu'elle
accélère son processus d'analyse en vue d'implanter un programme
d'accès à l'égalité. Finalement, on a gagné
notre point selon lequel il était possible d'accélérer
ce
processus d'analyse et d'implanter un programme d'accès à
l'égalité par étapes et par secteurs. Nous voulons que la
commission précise cette possibilité dans les lignes directrices,
qu'elle réduise son gros volume et aussi qu'elle permette à
l'employeur de voir que ce n'est pas si compliqué que cela d'implanter
un programme d'accès à l'égalité. On a l'impression
que la commission a tendance à vouloir alourdir tout ce processus pour
que les entreprises soient obligées de la consulter alors que l'article
de la charte, qui prévoit que les entreprises devraient consulter la
commission, ne sont pas en vigueur. Elle s'organise pour que, dans les faits,
dans l'application, cet article s'applique.
Aussi, pour ce qui est du respect des règles de Justice
naturelles, Action-Travail des femmes est Intervenu auprès de la
commission il y a environ cinq ans, et nous avons formé une coalition
qu'on appelait la Coalition des droits de la personne, qui regroupait plusieurs
organismes: la Ligue des droits et libertés, le Groupe d'aide et
d'information contre le harcèlement sexuel et plusieurs organismes qui
avaient fait affaire avec fa commission au chapitre du service des
enquêtes. Nos expériences démontraient que la commission ne
respectait pas, pour ses enquêtes, les principes de justice naturelle et
on a revendiqué qu'elle adopte des règles de procédure
pour faire en sorte qu'elle respecte l'article 23 de la Charte des droits et
libertés, qui touche toute la question de respect des règles de
justice naturelle.
On constate, aujourd'hui, que les règles de procédure
Interne sont toujours en dérogation de l'article 23 de la Charte des
droits et libertés. Je vais résumer. Les règles de
procédure donnent une latitude discrétionnaire à
l'enquêteur pour décider qui peut être aux audiences, si les
auditions vont être publiques ou s'il va y avoir une enquête
Inquisitoire derrière porte close, qui peut assister aux visites des
lieux de travail faites par la commission. (11 h 45)
Dernièrement, Action-Travail des femmes avait demandé,
dans un cas de discrimination, de visiter les lieux de travail des plaignantes
parce que c'était un cas où le fonctionnement de l'entreprise,
les règles... En tout cas, il y avait de la discrimination, mais
l'employeur utilisait le fonctionnement de l'entreprise pour justifier sa
discrimination et on voulait voir exactement ce qui se passait sur la ligne de
production.
Alors, la commission a demandé au mis en cause le droit de
visiter l'entreprise. Le mis en cause a dit: Oui, je vous donne la permission,
mais je ne veux pas que la partie plaignante, soit Action-Travail des femmes,
assiste à cette visite d'usine. L'enquêtrice a
décidé tout de même de faire l'enquête d'usine et de
nous exclure.
Naturellement, on a riposté contre cet agissement en invoquant
qu'un principe de justice naturelle a été violé et on nous
a répondu en citant une jurisprudence, soit celle de l'Association des
infirmières noires du Québec versus Jean-Claude Charbonneau et la
Commission des droits de la personne. Il y avait eu un bref d'évocation
dans lequel... On dit que tel double mandat... Dans cette cause-là, on
accusait l'enquêteur d'avoir violé... d'avoir été
biaisé dans la façon qu'il a mené l'enquête. Dans
cette décision-là, on dit que te double mandat ou, plutôt,
tel mandat à double volet, c'est-à-dire enquêteur et
médiateur, oblige celui qui est Investi à entreprendre des
démarches qui échappent aux règles plus strictes
exigées en matière de débats judiciaires et quasi
judiciaires.
Autrement dit, cette jurisprudence que la commission nous envoie vient
nous réitérer que le double rôle d'enquêteur et de
médiateur permet à la commission de violer les principes de
justice naturelle - elle nous répond à cela - et justifie
également le fait que notre exclusion était dans le cadre d'une
préenquête. Cela ne faisait pas partie de l'enquête
proprement dite. C'est la réponse qu'on nous a donnée.
Un autre problème, c'est le fait que les enquêteurs et les
enquêtrices ne sont pas formés suffisamment pour traiter des
plaintes de discrimination, tant directe que systémique. Action-Travail
des femmes a déposé, cette année, cinq plaintes de
discrimination systémique jusqu'à maintenant. Nous sommes
l'organisme expert au Québec en matière de discrimination
systémique. Nous sommes obligées de diriger la commission
étape par étape, de lui dire comment l'enquête sera
menée. On a d'abord les grands questionnaires qu'on nous envoie quand on
dépose une plainte. On ne se sert plus de ces questionnaires. On va
directement au but. On cite clairement en quoi les pratiques d'un employeur
sont discriminatoires. On invoque la jurisprudence qui met le fardeau de la
preuve sur l'employeur pour qu'il démontre que ses exigences
discriminatoires sont nécessaires pour faire le travail. On
précise les documents à obtenir.
Comme je l'ai mentionné au début, on n'a même pas
encore obtenu les documents de la STCUM que nous avons demandés à
la commission, au chapitre des listes d'ancienneté et des statuts des
employés embauchés comme chauffeurs d'autobus. Ces documents font
partie de tous les documents d'enquête nécessaires pour
établir une preuve ou pour bâtir une cause. On est
déjà au mois d'avril et on n'a encore rien obtenu. Non seulement
devons-nous lui dire de quels documents nous avons besoin, mais on doit aussi
lui pousser dans le dos pour les obtenir.
Finalement, on a dû faire enlever un enquêteur qui a
été assigné à l'un de nos dossiers qui comportait
autant la discrimination directe que systémique. L'enquêteur en
question n'était pas habilité à traiter de l'aspect
systémique du dossier. Il voulait faire uniquement une plainte sur
l'aspect de la discrimination directe ou individuelle, ce qui est plus flagrant
II voulait confier l'aspect systémique à un autre
enquêteur pour en faire une deuxième enquête. Il nous
parlait comme si c'était quelque chose qu'il nous fallait accepter.
C'est ainsi. Nous avons fortement contesté le fait que l'enquêteur
prévoyait deux enquêtes pour une même plainte. Finalement,
nous voulions avoir un enquêteur compétent capable de traiter des
deux aspects de la plainte simultanément. La plupart des plaintes de
discrimination systémique comportent les deux aspects de discrimination
à l'intérieur même de la plainte systémique et
directe.
Nous vous demandons, aujourd'hui, de vous assurer que la commission
donne une formation adéquate à tous ses enquêteurs et
enquêtrices. C'est tout pour le moment.
En résumé, on constate, comme je l'ai dit tout à
l'heure, qu'il y a un éparpillement à la commission. Elle a une
surcharge de mandats. II y a un éparpillement des énergies. La
charte les met dans des situations de conflits d'intérêts. Nous,
on voit que le mandat prioritaire de la commission, c'est le service des
enquêtes et que tous ses autres mandats - information, service des
contentieux - doivent alimenter la priorité, c'est-à-dire le
service des enquêtes. C'est son rôle principal et on n'accepterait
pas que ce rôle sott encore élargi. C'est tout.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Novak.
J'inviterais maintenant M le député de Sainte-Marie
à prendre la parole.
M. Laporte: Premièrement, je tiens à remercier
Action-Travail des femmes pour le mémoire présenté et,
surtout, pour la présentation faite par Mme Novak. À la lecture
du document, je pense qu'on peut constater le travail que vous avez
effectué depuis 1976. Et surtout, la décision que vous avez prise
de diriger votre orientation et l'ensemble de vos énergies plus
particulièrement contre la discrimination systémique fait que
vous cheminez plus facilement à l'intérieur des dossiers.
On a pu aussi dans ce document avoir une bonne idée de ce qu'est
l'organisme et des propositions, à la fois d'ordre général
et très particulier, dont votre organisme nous fait part ce matin. Au
début de votre texte, vous dites qu'il y a 700 membres qui font partie
de votre organisme. J'aimerais, pour le bénéfice des membres de
la commission, savoir si ce sont des membres corporatifs ou individuels et s'il
existe - un peu comme vous l'indiquiez tantôt en disant que vous
étiez l'organisme spécialiste de ces questions au Québec -
une forme de représentation régionale à l'intérieur
de cela.
Mme Novak: Les 700 membres, ce sont des femmes qui viennent
à nos séances d'information, attirées par la
publicité et aussi par d'autres personnes militantes qui appuient nos
actions. Ce sont tous des membres individuels dont la majorité sont des
usagères, des femmes à la recherche d'un emploi.
M. Laporte: II ressort principalement de votre document, ce que
je pourrais appeler personnellement, trois axes d'intervention de la
commission. Le premier, une sensibilisation plus poussée avec le
programme d'accès à l'égalité, le second, qui se
trouve être un rôle d'enquêteur et l'autre, un rôle de
médiateur. Vous sembliez privilégier, par une des propositions
que vous énoncez dans votre document, la fonction d'enquêteur.
J'aimerais vous demander: Est-ce que ce serait au détriment des deux
autres axes? Est-ce que le fait de privilégier cette forme - ce qu'on
pourrait appeler la judiciansation de la commission - ferait en sorte que cela
amènerait la commission à se départir ou à se
délester des deux autres fonctions que je viens
d'énumérer?
Mme Novak: Je vais essayer de voir si j'ai bien compris la
question. Vous voulez que je précise pourquoi nous voulons distinguer,
que le rôle d'enquêteur et de médiateur soit
séparé. Vous voyez cette distinction comme une judiciarisation du
processus. Est-ce que c'est cela?
M. Laporte: C'est cela. II est ressorti trois axes le programme
d'accès à l'égalité et les rôles de la
commission que vous faites ressortir dans votre document les enquêtes et
la mediation. Vous énumérez, entre autres, à la page 12,
cette forme que vous préconisez, cette forme de judiciarisatlon des
fonctions de la commission Je veux voir avec vous, justement. Un programme
d'accès à l'égalité, qui est de la
responsabilité de la commission, m'apparaît aussi fortement
important, important quant à la mentalité et au redressement,
comme vous l'avez souligné a plusieurs reprises de l'action du CN, de la
STCUM et d autres, à savoir, à tout le moins à plus long
terme, que cela redresse une situation qui était défaillante au
début.
Mme Novak: Parfois, on s'apitoie sur le sort des enquêteurs
à la commission. C'est peut être une caricature que je fais
maintenant, mais le double rôle d'enquêteur et de médiateur
les place parfois dans une situation de conflit d'intérêts en
cours d'enquête. On a vécu l'expérience dans la cause du
CN, avec la Commission canadienne des droits de la personne. À la suite
du dépôt d'une plainte, une personne a été
nommée qui avait strictement pour mandat de faire l'enquête du
dossier, d'aller cueillir les éléments de preuve, et c'est tout,
de faire un rapport là dessus et de formuler des recommandations.
Ensuite, ce dossier est transféré, c'est-à-dire qu'il y a
une recommandation, et la prochaine étape, c'est celle de la
médiation qui n'est pas faite par la même personne Quand c'est
fait par la même personne, surtout en cours de route comme l'a
présenté la ligue, cela crée toute une
ambiguïté, cela crée toute une incertitude. À un
moment donné, l'enquêteur apparaît comme il le
devrait, neutre, en essayant de concilier et, à un autre moment,
il apparaît comme l'enquêteur et il est l'ennemi. Il remplit les
deux rôles de broche à foin, finalement. C'est pour donner
à l'enquêteur un mandat clair, pour qu'il puisse travailler et
aller à fond sans être poigné par ce double rôle,
pour qu'il puisse mener son enquête. C'est pour ça qu'on veut
qu'une séparation soit faite. C'est simplement, pour nous, une
démarche logique qui semble beaucoup plus efficace que celle qu'on a
à l'heure actuelle.
M. La porte: Est-ce que vous auriez un peu, dans cette optique...
Au chapitre de votre Intégration, vous collaborez beaucoup, vous
apportez beaucoup d'éléments, pourrais-je dire, à la
Commission des droits de la personne; vous semblez fonctionner avec cette
commission. J'aimerais essayer de regarder avec vous comment vous pouvez
percevoir, sous forme de suggestion, l'intégration du travail que vous
faites actuellement en fonction, peut-être, de nouvelles directions qu'on
pourrait donner à la Commission des droits de la personne. Vous
indiquiez tantôt que vous aviez développé une expertise sur
la discrimination systémique. Comment pourriez-vous percevoir votre
rôle, votre action par rapport à un mandat qui serait plus
orienté - c'est un exemple que je donne, une hypothèse - vers des
enquêtes par la Commission des droits de la personne? Comment
verriez-vous votre intégration, le type de relations de votre organisme
avec la Commission des droits de la personne? (12 heures)
Mme Novak: Disons que nous voyons que la commission a un
rôle très important à jouer pour l'évolution de
l'accès à l'égalité dans la société
québécoise pour traiter les plaintes de discrimination, entre
autres, les plaintes de discrimination systémique. C'est elle qui a le
pouvoir de faire enquête sur ces plaintes et de les acheminer contre les
entreprises pour obtenir l'imposition d'un programme d'accès à
l'égalité contre un employeur trouvé coupable. La
commission est une force pour nous, elle Joue un rôle très
important qui a un impact, comme on a vu avec la cause du CN, sur les autres
entreprises qui, à la suite de décisions rendues par les
tribunaux et de l'imposition d'un programme d'accès à
l'égalité, commencent à implanter volontairement des
programmes d'accès à l'égalité qui ont de
l'allure.
Notre collaboration consiste à surveiller le marché du
travail, nous voulons que les femmes aient accès à plus d'emplois
sur le marché du travail et qu'elles ne soient pas confrontées
à l'obstacle de la discrimination. Nous fournissons les plaintes sur la
discrimination à la commission et nous voulons qu'elle soit efficace.
Notre rôle, c'est de lui fournir les dossiers, de bien les monter, de
laisser l'enquête poursuivre son cours, d'y participer et d'y amener
notre expertise en cours de route aussi, c'est sûr.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Laporte: Si on essayait de percevoir - parce que j'essaie
toujours de regarder aussi l'élément d'efficacité - le
rôle de médiation et de le concevoir dans un rôle de
conciliation. On parle souvent de trois étapes en droit du travailla
conciliation, la médiation et l'enquête aussi, c'est à peu
près du même genre que cela. À ce moment-là, la
commission pourrait-elle être moins prise à partie dans son
rôle de conciliation, cela ne l'empêchant pas de tenir son
rôle d'enquêteur?
Mme Novak: Si une autre personne ou la médiation faisait
partie d'une autre étape, je présume que cela fonctionnerait
comme à la commission canadienne aussi, c'est-à-dire que le
médiateur ou la médiatrice consulte les deux parties pour arriver
à une entente et qu'Action-Travail des femmes ferait partie d'une des
parties, puisque la charte nous permet de déposer une plainte au nom
d'Individus à la commission. Nous serions partie intégrale comme
la partie mise en cause et nous participerions à la médiation au
même titre que l'autre partie pour arriver à une entente
satisfaisante, Comme, par exemple, pour la STCUM, dans le dossier qui est en
cours actuellement, les femmes demandent des arrérages de salaire
à partir de la date où elles auraient dû être
embauchées si ce n'était du critère discriminatoire, elles
demandent aussi l'implantation d'un programme d'accès à
l'égalité et une rétroactivité d'ancienneté
et d'autres dommages. Pour régler leurs plaintes, il va falloir
négocier. Il est sûr que nous travaillons en collaboration avec
les plaignantes pour qu'elles obtiennent au maximum ce qu'elles demandent.
M. Laporte: Vous avez dit et souligné aussi dans votre
document - un peu comme vous venez de le mentionner que votre travail de
collaboration avec la commission se veut "désalimenté" la
majorité du temps. D'un autre côté, vous avez
souligné - et je comprends difficilement comment cela peut parvenir
à cet élément - la dualité ou à tout le
moins l'espèce de conflit qui existe entre la commission et le
non-respect, ne serait-ce que par la commission, de la charte sur ne serait-ce
que l'entente ou l'audition des parties prenantes aux auditions. Vous avez
soumis cela dans votre document: pour ce qui est de la visite de l'entreprise,
à titre d'exemple, vous n'avez pas pu être l'une des parties
invitées à regarder ou à suivre la commission dans ces
démêlés. On en arrive peut-être à cet
élément que je soulignais au début, comment voyez-vous
votre travail de collaboration? J'imagine que votre suggestion vient du fait
que, à partir de votre expertise, à partir des
éléments dont vous faites le suivi dans le dossier et dont vous
alimentez la commission, la commission pourrait
utiliser des organismes comme vous et comme d'autres pour en faire une
partie intégrante de tout le processus, que ce soit d enquête ou
autres, à la commission. C'est ce que j ai bien saisi quand vous avez
énuméré cela.
Mme Novak: La seule façon dont je pense pouvoir
répondre à votre préoccupation cest qu Action-Travail des
femmes était un des groupes initiateurs de la Coalition des droits de la
personne, c'est-à-dire que cest un regroupement de groupes qui s'est
adressé à la direction de la commission pour lui expliquer et lui
faire état des problèmes qu'on voit dans le domaine de la
pratique comme telle, dans le domaine du service des enquêtes et lui
faire des recommandations très concrètes.
C'est de cette façon-là qu'on collabore,
c'est-à-dire que je pense que notre responsabilité en tant
qu'organisme, cest de faire part à la commission des problèmes
qu'on rencontre, qu'on constate et de lui demander de faire des changements ou,
sinon, d'utiliser les mécanismes qui existent dans notre
société pour que cela change. Une de ces mécanismes, cest
le fait quon vienne. Ici aujourd'hui vous présenter notre
mémoire.
En ce qui concerne la collaboration, on n'a pas I'énergie, les
ressources ou le temps de se promener main dans la main avec la commission dans
les dossiers. Nous, on voit son rôle principal comme un rôle
d'enquêteur dans les dossiers de discrimination et on met tout l'accent
là-dessus. C'est ce qui fait avancer les dossiers et la situation des
femmes. C'est ce qui fait que les femmes ont de plus en plus d emplois sur le
marché du travail. On constate également par I'expérience
américaine, que c'est cette voie qui fait en sorte que cela
débouche ailleurs et on met l'accent là-dessus.
M Laporte: Une dernière question. M le
Président.
Le Président (M. Filion): Oui, M le député
de Sainte-Marie.
Mme Novak: Est ce que j 'ai répondu?
M. Laporte: Oui. Mais, à partir du moment ou on
accentuerait le travail de la commission sur les enquêtes, qui aurait la
responsabilités des programmes d'accessibilité à l'emploi?
Est-ce que vous voulez une autre...
Mme Novak: Vous voulez savoir quel département s occupe du
service des enquêtes en ce qui concerne les programmes d'accès
à I égalité? C'est cela que vous demandez?
M. Laporte: Non cela répond à mon inter rogation.
Autrement dit le rôle principal, comme vous le soulignez, de la
Commission des droits de la personne pour vous, c est son rôle d en-
quêteur.
Mme Novak: Cest cela. Et tous les autres services le contentieux
le centre de documenta tion, I'information et la sensibilisation tout cela cest
pour renforcer et agir pour alimenter son rôle principal qui est
d'enquêter dans les dossiers ou de promouvoir l'égalité On
pourrait le voir d une autre façon.
M. Laporte: Je vous remercie
Le Président (M. Filion): J'ai bien noté votre
plaidoyer Mme Novak, en faveur de ce que j'appellerais un partenariat
d'occasion entre Action-Travail des femmes et la Commission des droits de la
personne, à savoir que pour vous Action-Travail des femmes a
développé une expertise, notamment, dans le secteur des
programmes d accès à l'égalité et de la
discrimination systémique ou par systèmes et vous croyez pouvoir
ainsi si l'on veut nourrir les réflexions les actions et les
orientations de la Commission des droits de la personne dans le respect des
responsabilités de chacun des deux organismes qui ont une vocation et un
rôle tout à fart différents.
Je voudrais revenir - sans négliger les autres parties de votre
mémoire - sur les programmes d accès à
I'égalité. Vous soulevez en particulier, deux choses. D'abord
vous dites: La commission envoie des consultants auprès des entreprises
qui en font la demande. On sait que les programmes d'accès à
l'égalité datent de peut être 18 mois ou un an ou quelque
chose de semblable Ils sont quand même assez récents au
Québec à cause de I'entrée en vigueur des dispositions
concernant les programmes d accès à I'égalité. Vous
dites également dans votre mémoire. Cette présence de
consultants auprès de corporations crée un certain type de
conflit lorsque des plaintes peuvent être acheminées à la
commission. Vous parlez de situations de conflits d'intérêts et
vous dites que le service d enquête ne pourrait pas intervenir si le
service de consultation découvre des pratiques d'emploi discriminatoires
envers les femmes dans une entreprise. Quand vous dites cela est ce que cest
une expérience concrète que vous avez vécue?
Mme Novak: C'est ce qu'affirme la commission elle même dans
tous ses documents. Comme je vous l'ai dit elle dit partout que le service de
consultation et le service d enquête sont distincts. J'ai ici, comme je
vous l'ai dit dans La Gazette des femmes - si vous voulez je peux vous
en donner un exemplaire - une entrevue avec la personne responsable du secteur
des programmes d'accès à l'égalité. On lui demande:
Comment fonctionnez-vous? Elle répond: Comment fait-on pour changer des
habitudes vieilles comme le monde? II y a des spécialistes pour cela des
entreprises privées de consultation
ou encore la Commission des droits de la personne, où Louise
Caron-Hardy dirige un service de 18 personnes. Autrement dit, ils se
substituent tout de suite aux compagnies privées de consultants. Je
continue: Ils mettent 17 personnes de leurs ressources pour faire ce travail.
Comprenez-vous ce que je dis au sujet des ressources? Mais nos services sont
gratuits. Nous avons 17 dossiers actifs dont 4 ou 5 entreprises du secteur
privé. Nous conseillons également nos collègues de la
commission qui effectuent des enquêtes à la suite d'une plainte de
discrimination. Cela irait. Mais, jamais, souligne-t-elle avec énergie,
les dossiers traités par nos conseillers ne servent de dossiers
d'enquête à la commission.
J'ai même une lettre du président de la Commission des
droits de la personne qui nous confirme le fait que le service de consultation
n'interférerait pas avec le service d'enquête. Je cite M.
Lachapelle: "Je vous réitère que la direction des enquêtes
est tout à fait indépendante des programmes d'accès
à l'égalité et qu'elle a mission d'enquêter
même si un programme d'accès à l'égalité est
en cours." Cela, c'est à la suite de nos pressions lorsqu'on est
allé directement à la direction pour insister pour qu'elle
accepte notre plainte même si elle était en train de consulter un
employeur. Donc, II dit qu'il est faux de prétendre qu'on est en conflit
d'intérêts. Toutefois... Je ne sais pas si c'est dans cette
lettre-ci...
Le Président (M. Filion): Ce que vous alliez ajouter,
peut-être, c'est: Toutefois, la matière recueillie par le
service...
Mme Novak: Ah!
Le Président (M. Filion): ...de consultation ne sera pas
transmise au service des enquêtes. C'est cela?
Mme Novak: Pardon?
Le Président (M. Filion): Toutefois, les matières
ou informations recueillies par te service de consultation ne seraient pas
transmises au service des enquêtes.
Mme Novak: Cela, c'est sûr et c'est dans une autre
lettre...
Le Président (M. Filion): C'est dans une autre
lettre...
Mme Novak: ...datée du 22 juin.
Le Président (M. Filion): ...que vous cherchiez...
Mme Novak: Oui.
Le Président (M. Filion): Bon. Je pense qu'on peut
arrêter là. À la page 7 de votre mémoire, si je vous
lis bien, vous dites le contraire: "Autrement dit, si la commission constate au
niveau de son service de consultation qu'une entreprise a des pratiques ou
politiques d'emploi discriminatoires envers les femmes, le service
d'enquête ne pourra pas intervenir. Ainsi, la commission nierait aux
femmes discriminées le droit à une compensation monétaire
pour l'injustice subie de la part de cet employeur."
Si je comprends bien, vous voudriez que le service de consultation qui
est délégué en vertu de la loi, en vertu de la charte,
auprès d'une entreprise, puisse transmettre des éléments
d'enquête au service des enquêtes pour qu'une enquête et
qu'un redressement aient lieu. (12 h 15)
Mme Novak: Non.
Le Président (M. Filion): Non?
Mme Novak: Ce qu'on veut, c'est que ce service soit
supprimé complètement et que toutes les ressources
affectées à ce service, qui est tout à fait Inutile,
soient données au service des enquêtes. C'est ce qu'on veut.
Le Président (M. Filion): D'accord. À ce moment,
rapidement, êtes-vous consciente des problèmes
éprouvés par les entreprises désireuses de mettre sur pied
un programme d'accès à l'égalité dans un contexte
où, il faut quand même, je pense, l'avouer, les ressources ne sont
pas légion au Québec? La commission elle-même a pris un
certain nombre de mois pour arriver à bâtir ce service de
consultation qui est prêté, dans un cadre presque gracieux et
préventif, si l'on veut, à des entreprises qui ont l'objectif,
qui ont la volonté, mais qui n'ont pas la connaissance que, par exemple,
vous, vous avez ou que la commission a pu développer au fil des
années. Je pense que c'était peut-être un peu cela, le
problème.
Mme Novak: Comment pourrais-je répondre à cela?
D'une part, l'expertise pour l'implantation d'un programme d'accès
à l'égalité, cela s'acquiert. Toutes les firmes de
consultants privées, il y en a déjà qui existent à
l'heure actuelle, ont déjà cette expertise; d'accord? La
commission peut émettre des informations, des documents, une assistance
à titre d'information, mais pas à titre de consultation.
Là, ce genre de collaboration de consultant pour les entreprises
privées la met en situation de conflit d'intérêts par
rapport à son rôle d'enquêteur dans les mêmes
entreprises. D'accord?
Le Président (M. Filion): D'où votre recommandation
de supprimer le deuxième paragraphe de l'article 86 2...
Mme Novak: Absolument.
Le Président (M. Filion): La commission ne devrait pas
fournir son assistance pour l'implantation de programmes d'accès
à l'égalité.
Mme Novak: Non.
Le Président (M. Filion): Je pense que je saisis bien la
portée de votre mémoire. Simplement une dernière question,
toujours sur les programmes d'accès à l'égalité.
J'ai été frappé par votre argumentation, à savoir
qu'un programme d'accès à l'égalité devrait pouvoir
s'implanter par secteurs de l'entreprise, notamment, pour corriger les
injustices les plus criantes, etc. Est-ce votre expérience - c'est ce
que je dois comprendre - qu'actuellement ce n'est pas le cas et que les
directives - parce que vous le mentionnez dans votre mémoire - publiques
devraient être plus claires pour permettre l'implantation d'un programme
de redressement ou d'un programme d'accès à
l'égalité dans un secteur? Est-ce votre expérience
qu'actuellement plusieurs entreprises ne corrigent pas certaines situations
à l'intérieur d'une partie de leur entreprise parce que,
justement, elles vivent sous l'impression que l'ensemble doit être
corrigé d'un seul coup?
Mme Novak: Oui, c'est assurément notre expérience.
C'est notre expérience avec, entre autres, les entreprises qui ont
obtenu une subvention de 50 000 $ du gouvernement pour implanter volontairement
un programme d'accès à l'égalité, qui ont
signé un protocole d'entente qui les engage pour deux ans à faire
des analyses d'effectifs en vue d'implanter un programme d'accès
à l'égalité. Entre-temps, ces entreprises ont des
pratiques de discrimination. Une, entre autres, contre laquelle on a
déposé une plainte, c'est Gaz métropolitain qui a des
pratiques de discrimination flagrantes pour certains postes, les postes de
préposés aux services. Mais elle ne touche à rien sous
prétexte qu'elle est en train d'implanter un programme d'accès
à l'égalité. Elle continue de discriminer. D'accord? Elle
émet la crainte que, si votre programme d'accès à
l'égalité n'est pas conforme à la charte, vous allez
être accusé de discrimination à rebours. Donc, les
employeurs préfèrent continuer de discriminer maintenant que de
réparer tout de suite les choses qui sont évidentes.
On a eu aussi une expérience avec la ville de Montréal, la
municipalité, où, en mars 1987, on annonce l'Implantation d'un
programme d'accès à l'égalité dans les
municipalités. Mais il faut d'abord faire une analyse des effectifs et
une étude et on prévoit l'implantation d'un programme dans un an.
Entre-temps, on sait que, dans quelques mois, ces gens vont embaucher 300
à 500 personnes pour des postes temporaires d'auxiliaires cols bleus
à 14 $ l'heure et qu'ils demandent d'écrire et lire en
français, de parler et de compter. Les critères d'embauche sont
discriminatoires, mais ils ne veulent toucher à rien parce qu'ils sont
en train de regarder la possibilité d'implanter un programme
d'accès à l'égalité. Alors, ce sont les directives
de la commission qui donnent cette impression, qu'il faut faire une analyse
détaillée de tout son système d'embauche. Finalement, on a
dû faire pression - je vous assure qu'on a mobilisé toute la ville
de Montréal, que toutes les femmes ont mobilisé les femmes de
leurs quartiers - pour qu'ils accélèrent leurs analyses pour un
poste en particulier. C'est notre expérience.
Le Président (M. Filion): Voilà une observation
que, quant à moi, j'ignorais, mais qui, je pense, est très
à propos. Il y a sûrement là matière à
préoccupation. En deux mots, on voudrait construire Paris ou Rome - je
ne me souviens pas du proverbe - en une seule journée, alors que,
pendant ce temps-là, on est en train d'oublier ou de fermer les yeux sur
une partie de la réalité et...
Mme Novak: ...nos besoins.
Le Président (M. Filion): ...surtout, dans le cas que vous
mentionnez, s'il y a de l'embauche qui se fait... Effectivement, je suis au
courant, pour d'autres raisons, qu'il y a une embauche importante qui va se
faire à la ville de Montréal dans les semaines et les mois qui
viennent.
Là-dessus, Mme Novak, c'est le temps que nous vous avions
réservé, et même un peu plus, pour discuter avec vous. Je
voudrais, encore une fois, vous remercier de vous être
déplacée, d'avoir pris la peine de nous sensibiliser à
cette expérience concrète que vous avez vécue dans ce
secteur qui est un peu abstrait et, parfois, difficile à saisir pour
beaucoup de personnes. Nul doute que l'expérience que vous nous avez
livrée ce matin sera très utile pour les membres de cette
commission. Je vous remercie.
Nos travaux sont suspendus jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 22)
(Reprise à 15 h 25)
Le Président (M. Filion): Cette séance de la
commission des institutions nous permettra de poursuivre, en vertu de l'article
294 de notre règlement, notre mandat de surveillance de la Commission
des droits de la personne. Je prends note que les représentantes du
Groupe d'aide et d'information sur le harcèlement sexuel au travail de
la région de Montréal inc., ont déjà pris place
à la table des invités. Je leur souhaite la plus cordiale des
bienvenues.
J'aimerais attirer l'attention des membres qui sont présents - en
fait, ce n'est pas à eux que ma remarque s'adresse, mais plutôt
aux absents - étant donné que nous sommes en auditions, en
consultations particulières, et que
nous avons des invités. Celui qui vous parle n'a peut-être
pas fa meilleure des réputations en fait de ponctualité, mais,
lorsqu'il s'agit de consultations particulières impliquant des
invités, je me fais un devoir d'être présent au moment
fixé pour la reprise de nos travaux. Peut-être pourrions-nous tous
ensemble aviser nos collègues absents. En ce qui concerne le
député de Saint-Jacques, je tiens à vous signaler qu'il
est en train de prendre la parole de l'autre côté, au salon bleu,
sur un projet de loi. C'est ce qui explique son absence temporaire. Donc, je
demanderais aux représentantes du groupe d'aide de bien vouloir
s'identifier.
Mme Saint-Martin (Isabelle): Bonjour, je m'appelle Isabelle
Saint-Martin. Je suis responsable du service de l'information pour le Groupe
d'aide et d'Information sur le harcèlement sexuel au travail.
Mme Montigny (Odette): Mon nom est
Odette Montigny. Je travaille au service des plaintes du Groupe d'aide
et d'information sur le harcèlement sexuel au travail.
Le Président (M. Filion): Bienvenue, Mmes Saint-Martin et
Montigny. Sans plus tarder, je vous invite donc à présenter le
sommaire de votre mémoire. Votre mémoire a déjà
été remis aux membres de cette commission qui en ont pris
connaissance.
Groupe d'aide et d'information
sur le harcèlement sexuel au travail
de la région de Montréal inc.
Mme Saint-Martin: J'aimerais vous remercier de l'occasion que
vous nous offrez aujourd'hui de faire une analyse critique du fonctionnement de
la Commission des droits de la personne. Nous allons commencer par une
brève introduction de notre organisme. Nous travaillons à la
problématique du harcèlement sexuel au travail depuis 1980. Nous
avons commencé comme comité d'action à Au bas de
l'échelle, qui est un organisme qui défend le droit des
non-syndiqués. À cause de l'importance que prenait la
problématique, nous nous sommes séparées et sommes
Incorporées depuis 1983 comme organisme sans but lucratif et organisme
de charité. J'aimerais vous faire noter que nous sommes le seul
organisme au Québec qui travaille uniquement à ta
problématique du harcèlement sexuel au travail et que nous
offrons nos services sur appel un peu partout dans la province, malgré
le fait que la plupart de nos services sont concentrés dans la
région de Montréal. Nous offrons deux services, un service de
plaintes qui offre de l'appui moral et de l'aide technique aux femmes qui sont
victimes de harcèlement sexuel au travail et un service d'Information
qui donne des sessions d'information et de formation dans un but de
prévention.
Depuis 1981, nous avons piloté environ 50 dossiers à la
Commission des droits de la personne du Québec, ce qui représente
environ 30 % de nos dossiers. Des 50 dossiers que nous avons menés,
aucune recommandation ne nous a paru satisfaisante. Nous avons collaboré
une fois avec la Commission des droits de la personne en tant que membres du
comité de planification du séminaire sur le harcèlement
racial qui a été parrainé par le Centre de
recherche-action sur les relations raciales qui va présenter son
mémoire plus tard aujourd'hui.
Comme vous l'avez vu dans notre mémoire, nous avons
présenté 24 recommandations, Évidemment, on n'aura pas le
temps, aujourd'hui, de s'étendre sur chacune; donc, on va essayer de
limiter nos commentaires aux recommandations les plus importantes afin que vous
puissiez nous adresser des questions plus tard. Peut-être que Mme
Montigny pourra répondre aux questions ayant trait au service des
plaintes et, moi-même, à celles ayant trait au service de
l'information.
Aux questions 6 et 7, vous nous avez demandé de nous prononcer
sur le mandat d'Information de la commission. Selon nous, la Commission des
droits de la personne ne nous envoie pas assez d'information ni sur ses
services, ni sur son fonctionnement. Nous croyons que, pour bien remplir son
mandat d'information, la commission devrait rendre accessibles et diffuser
davantage de renseignements sur son fonctionnement, sur le travail
effectué et sur ses recommandations. C'est ainsi que nous recommandons
que les rapports d'enquête, les recommandations des commissaires et les
règlements à l'amiable soient accessibles au public. Ainsi, une
personne qui dépose une plainte à la commission et qui consulte
ces documents pourrait évaluer ses chances d'avoir gain de cause,
pourrait se préparer une défense pleine et entière, aurait
moins besoin d'avocats et d'avocates et pourrait davantage quantifier les
dommages qu'elle a subis
De plus, nous recommandons que le public ait accès aux directives
internes de la commission, notamment lorsque celles-ci portent sur des
questions de politiques d'Interprétation de la charte, par exemple les
critères de recevabilité d'une plainte, l'évaluation de
certaines preuves, etc. Ainsi, les gens qui se sentent lésés par
ces politiques auraient quelque chose de tangible auquel ils pourraient se
rattacher. Ces politiques d'interprétation de la charte se doivent
d'être claires, précises et accessibles au public.
Quant au mandat d'éducation, nous ne croyons pas que la
commission exerce pleinement ce rôle. Selon nous, le rôle
d'éducation de la commission est primordial et nous souhaiterions voir
celle-ci exercer son rôle de promotion des droits plus activement, plus
visiblement et plus largement qu'elle ne le fait présentement.
Entre autres, nous recommandons que la commission fasse du travail sur
le terrain en se rendant dans divers milieux de travail pour
sensibiliser les travailleurs et tes travailleuses. Selon le rapport
annuel de la Commission des droits de la personne de 1986, plus de 70 % des
plaintes de discrimination émanent du domaine du travail. C'est donc
important que la commission concentre ses efforts non seulement pour expliquer
aux employeurs leurs responsabilités, mais aussi et surtout pour
expliquer aux employés leurs droits.
Finalement, lorsque la commission fait des interventions auprès
de la population, elle devrait présenter de façon claire et
précise tes divers rôles qu'elle joue. Premièrement, celui
de défenderesse des droits lorsqu'elle exerce son mandat
d'éducation, de recherche, de consultation auprès du gouvernement
ou lorsqu'elle porte un dossier devant les cours de droit commun.
Deuxièmement, celui de juge lorsqu'elle remplit son mandat de recevoir,
d'enquêter et de se prononcer sur le bien-fondé des plaintes.
Cette nuance, très importante selon nous, n'est pas du tout claire, ni
dans les interventions de la commission, ni dans la tête de la population
en général.
Vous nous avez demandé de nous prononcer, aux questions nos 15 et
16, sur la partialité de la commission. Il aurait été
facile de supposer que la commission démontrerait une certaine
clémence, une certaine ouverture d'esprit, voire même un certain
parti pris à l'égard des femmes à être ou à
avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail.
Tel n'est pas le cas. L'article 10 in fine de la charte énonce,
en effet, qu'il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou
préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce
droit."
Vu cet énoncé clair, nous ne pouvons que nous Interroger
sur les raisons qui poussent la commission à rechercher l'intention
discriminatoire. En effet, dans certaines recommandations, la commission a fait
appel à toutes sortes d'arguments pour refuser d'admettre le
harcèlement sexuel. Ainsi, dans un dossier, le mis en cause n'a,
semble-t-il, pas commis de harcèlement sexuel puisqu'il avouait
être en amour avec la plaignante. Dans un autre dossier d'enquête,
des propos offensants à connotation sexuelle sont excusés parce
que prononcés sous le coup de la colère. Le port de chandails sur
lesquels étaient apposées des photos pornographiques est aussi
excusé, parce que les mis-en-cause ne paradaient pas directement autour
de la plaignante.
Ces exemples sont de belles démonstrations de la recherche
d'intention discriminatoire. En agissant de la sorte, la commission ne fait, au
fond, que prendre directement parti pour les mis-en-cause. C'est ainsi que nous
recommandons que la commission cesse de rechercher l'intention discriminatoire
et se contente de constater les effets de ta discrimination. De plus, nous
recommandons que la commission révise sa façon d'administrer la
preuve en lui donnant un cadre plus souple et plus innovateur.
Nous considérons, par ailleurs, que la
Commission des droits de la personne du Québec est un organisme
mal structuré ce qui explique, en partie, son problème de
partialité. Les enquêteurs de la commission se voient confier,
comme vous l'avez entendu ce matin, plusieurs tâches différentes:
premièrement, celle d'enquêteurs; deuxièmement, celle de
médiateurs ou de médiatrices; troisièmement, celle
d'être responsables de l'administration de la preuve lors des auditions.
Si une personne préside des auditions après avoir agi comme
enquêtrice, on peut s'interroger beaucoup sur cette façon de
procéder, dans la même mesure où l'on pourrait s'interroger
sur le fait qu'un policier qui a enquêté sur un crime porte
ensuite le chapeau de juge, au procès.
Afin d'assurer un maximum de crédibilité aux
enquêtes de la commission et afin que justice ou apparence de justice
soit rendue, il est urgent de départager tes différents
rôles joués par les enquêteurs. C'est ainsi que nous
recommandons que ta commission confie à trois personnes distinctes ces
trois tâches, séparant ainsi les fonctions de médiatrice,
d'enquêtrice et de présidente d'auditions. C'est pourquoi nous
recommandons la mise sur pied d'un service de médiation
spécialisé qui ne ferait que de la médiation. Nous
recommandons aussi qu'une tierce personne, nommée à
l'extérieur de la commission, soit responsable de l'administration de la
preuve, c'est-à-dire préside les auditions. Cet article est,
d'ailleurs, déjà prévu dans la charte et pourrait
être facilement applicable.
Deuxièmement, au sujet de la structure, ce sont les commissaires
qui font les recommandations sans qu'ils ou elles aient Jamais rencontré
les témoins. Nous estimons que ce procédé est contraire
aux règles de la justice naturelle. Pour ces raisons, nous recommandons
que les parties doivent avoir, minimalement, le loisir de faire des
représentations, tant en personne que par écrit, auprès
des commissaires.
Finalement, nous trouvons fort regrettable qu'il n'y ait pas de
mécanisme d'appel à la commission. Même dans les cas
où de graves erreurs de droit sont commises, il n'y a pas d'appel
interne possible. C'est pourquoi nous recommandons que les commissaires
limitent leurs recommandations aux appels qui leur seraient soumis, tout en
entendant les parties avant de se prononcer. Ainsi, la personne choisie
à l'extérieur de la commission, c'est-à-dire le juge des
faits, rendrait donc la recommandation suivant les auditions tandis que les
commissaires entendraient les appels. Les appels porteraient sur les
recommandations à la suite des auditions, mais ils porteraient aussi sur
la recevabilité, un autre problème de filtration dont vous avez
entendu parler ce matin.
En ce qui a trait aux pouvoirs de la commission, nous considérons
qu'effectivement la commission est un organisme qui a beaucoup de pouvoirs.
Cependant, nous croyons qu'elle exerce mal certains d'entre eux, diminuant, de
ce fait,
la portée de la charte.
Permettez-nous de commenter deux des pouvoirs. Premièrement, le
pouvoir de coopérer avec les autres groupes de promotion des droits de
la personne, c'est-à-dire l'article 67f) de la charte. Nous ne pouvons
que le commenter en nous basant sur notre expérience personnelle de la
problématique du harcèlement sexuel au travail. Selon nous, la
collaboration est quelque peu restreinte. Nous croyons que c'est à cause
des critiques répétées que nous avons émises sur le
fonctionnement de la commission. Nous regrettons cet état de fait et
continuons à être ouvertes à la collaboration avec la
commission comme nous t'avons fait tors du séminaire sur le
harcèlement racial en milieu de travail.
Si on peut se le permettre, j'aimerais vous donner trois exemples de
manque de collaboration de la part de la commission. Premièrement, comme
vous êtes au courant, les organismes voués à la
défense des droits peuvent déposer une plainte de
harcèlement ou de discrimination en leur propre nom, remplaçant
ainsi la femme qui est victime de discrimination ou qui est victime de
harcèlement. C'est un pouvoir donné en vertu de l'article 70 de
la charte. C'est un pouvoir dont nous nous servons assez
régulièrement, comme je t'ai déjà dit.
Cet été, un nouveau débat nous a opposées
à la commission dans la mesure où une enquê-trice a
refusé qu'on représente le groupe, c'est-à-dire qu'une de
nos travailleuses représente le groupe et qu'elle représente une
plaignante dans un dossier de harcèlement sexuel. Elle disait que
c'était un rôle qui était limité aux avocats et
avocates. Selon nous, c'est une mauvaise Interprétation de la charte.
L'article 70 donne le droit aux organismes de déposer des plaintes. SI
la commission interprétait l'article 67f) de façon
libérale, nous devrions avoir le droit de continuer de faire des
représentations pour défendre la collectivité et les
individus qui sont victimes de harcèlement.
Un deuxième exemple au sujet de la coopération: la semaine
dernière, il y avait une conférence pancanadienne pour les
intervenants et intervenantes en matière de harcèlement sexuel au
travail dans les milieux universitaires et cégépiens. C'est une
conférence qui a été organisée par le Comité
de la condition féminine de l'Université Concordia et dont
nous-mêmes, le YWCA et l'Université Concordia, étions les
marraines.
À notre arrivée à la conférence, on
aperçoit sur la table de documentation la dernière prise de
position de la Commission des droits de la personne dans le dossier du
harcèlement. On savait que la commission était en train de
préparer cette prise de position. Cela faisait deux mois que nous avions
demandé au secrétaire de la commission de nous faire parvenir la
décision. Une fois qu'elle fût prise, il ne nous a pas
avisées. C'était une prise de position du 9 octobre, je pense. Et
puis, on ne savait même pas que ce document existait. Nous sommes le seul
groupe au Québec qui travaille sur le harcèlement sexuel au
travail. Je trouve qu'il aurait été naturel qu'il nous envoie
cela de son propre chef et qu'on n'apprenne pas, de façon
détournée, l'existence d'un document comme celui-là.
Troisième exempte: une anecdote. On reçoit au bureau la
publication de la Commission des droits de la personne, qui s'appelle Le forum
des droits et libertés. Le numéro de septembre invite le public
à se prononcer sur le harcèlement sexuel au travail. Et, quand on
téléphone pour dire: Vous voulez une consultation publique, mais
pourquoi ne pas nous avoir consultées? on nous dit: Bien, la
consultation est déjà finie. C'est déjà parti chez
l'imprimeur. Nous avons décidé de consulter les comités de
condition féminine dans les syndicats. Et puis, on ne peut pas consulter
tout le monde. On trouve que ce n'est pas vraiment une bonne excuse Les
syndicats représentent les travailleurs et les travailleuses qui sont
touchés par le harcèlement sexuel mais, nous sommes la seule voix
au Québec qui représente les non-syndiqués. On trouve que,
si la commission prenait son devoir de coopération au sérieux,
c'est elle qui devrait venir nous chercher et aller chercher tous les autres
organismes, comme nous-mêmes.
Finalement, un dernier mot au sujet de l'éducation. En ce qui a
trait à la problématique du harcèlement sexuel au travail,
nous recommandons que le travail d'éducation commence à
l'intérieur même de la commission. Nous vous donnons un exemple.
Lors d'une allocution devant les membres des comités locaux de la
condition féminine de la FNEEQ (la Fédération nationale
des enseignants et enseignantes du Québec) réunis à la fin
de mai 1987 et où j'étais présente, un représentant
du service d'Information de la commission a tenu des propos très
équivoques. Il qualifia le harcèlement sexuel au travail de
"matière alambiquée", puisque plusieurs femmes pouvaient se
servir d'une plainte de harcèlement sexuel pour faire du chantage ou
pour porter atteinte, à tort ou à raison, à la
réputation d'un homme. Il affirma que les enquêteurs
n'étaient pas très à l'aise avec ce sujet car ce
n'était pas la même chose que les autres plaintes. De plus, il
affirma que le problème avec les plaintes de harcèlement sexuel
était tout à fait particulier, ne s'appliquant pas aux plaintes
de harcèlement racial, ni aux plaintes de harcèlement ou de
discrimination fondées sur d'autres motifs.
C'est avec stupéfaction et indignation que les femmes
présentes accueillirent ces propos sexistes venant de la bouche d'un
agent d'information de la commission même. Ces propos discriminatoires
sont fondés sur des stéréotypes: les femmes sont
vengeresses, jalouses, provocatrices, conspiratrices et portent sans cesse de
fausses accusations De plus, ce problème de désinformation n'est
pas unique. Nous croyons que, malheureusement, cette attitude traduit trop
bien un des courants de pensée à la commission. Nous
n'avons qu'à songer à certains enquêteurs qui recherchent
sort l'intention, soit la provocation de la plaignante; à certains
agents ou agentes de recevabilité qui tentent de minimiser l'Importance
du harcèlement sexuel subi ou, encore, à certaines
recommandations des commissaires qui excusent les actes discriminatoires
dès mis-en-cause.
C'est ainsi que nous recommandons que la commission poursuive et
approfondisse sa réflexion sur ta problématique du
harcèlement sexuel au travail et qu'elle entreprenne un programme
d'éducation auprès de ses propres employés. Des attitudes
discriminatoires ne devraient pas avoir place à la Commission des droits
de la personne du Québec. Certains droits fondamentaux sont clairement
protégés par la charte; y porter atteinte de quelque façon
que ce soit est illicite. Il n'y a pas de forme de discrimination qui est plus
ou moins légitime qu'une autre. (15 h 45)
Finalement, nous signalons que la définition
opérationnelle du harcèlement sexuel de la commission est trop
restrictive. Nous recommandons donc que la commission se dote d'une
définition large et exhaustive afin que toutes les personnes qui lui
demandent d'enquêter sachent ce qui est considéré comme
constituant du harcèlement sexuel. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): C'est moi qui vous remercie. M.
le député de Chapleau.
M. Kehoe: Merci, M. le Président. Je tiens à
remercier les représentantes du Groupe d'aide et d'information sur le
harcèlement sexuel au travail de la région de Montréal
inc., pour le mémoire qu'elles ont présenté. Le
sérieux de votre mémoire, avec ses 24 recommandations,
dénote que vous avez consacré beaucoup de temps à
étudier le problème et à faire des recommandations. Je
trouve que l'analyse et les recommandations que vous avez faites, à
partir de la page 12, concernant le cheminement d'un dossier et les points
faibles de la loi actuellement, les six points que vous avez soulevés,
sont très à propos. Je pense que les membres de la commission
devraient certainement considérer la position que vous avez prise sur
chacun de ces dossiers.
Prenons comme exemple, au numéro 5, la crédibilité
des témoins sans les avoir jamais rencontrés." Juste à
cela, je ne vois pas comment les commissaires pourraient vraiment rendre un
jugement ou un verdict quelconque sans auparavant avoir entendu ou vu comment
les témoins se comportent devant eux. Au numéro 6, vous trouvez
"regrettable qu'il n'y ait pas de mécanisme d'appel" et, finalement,
vous venez conclure à une restructuration complète, à la
page 15 de votre mémoire où il y a 3 points majeurs que vous
recommandez, impliquant un changement assez radical.
Premièrement, vous parlez de "retenir les services des
enquêteurs ou enquêtrices uniquement à des fins
d'enquête proprement dite." Une deuxième personne sera choisie par
la suite à l'extérieur du personnel régulier de la
commission "pour procéder aux auditions et administrer la preuve
recueillie par une autre personne qu'elle-même." Finalement, vous dites
que les commissaires devraient siéger seulement et uniquement pour les
fins d'appel. Dans l'ensemble de ces trois recommandations, c'est un changement
assez radical de la structure actuelle. Pour chacune des recommandations que
vous faites, est-ce que cela prend un nouveau personnel? Que ce soit pour le
n°1, le n°2, quand vous parlez de retenir les services
d'enquêteurs et d'enquêtrices ou d'une deuxième personne,
que faites-vous avec le personnel actuel?
Mme Saint-Martin: Nous n'avons rien contre les personnes qui sont
à la Commission des droits de la personne, sauf que l'analyse de
certaines est discriminatoire. En majorité, ces gens sont de bonne
volonté, mais ils sont malheureusement pris dans une structure qui fait
qu'on est insatisfaites des résultats qu'on obtient à la
commission. Il n'est pas question de renouveler le personnel au complet. Les
enquêteurs, enquêtrices qui sont là peuvent continuer leur
tâche principale qui est d'enquêter. Mettre sur pied un service de
médiation qui serait séparé de celui-là, ce serait
une nouvelle addition de personnel et mettre quelqu'un de l'extérieur en
charge de la présidence des auditions, cela, c'est aussi quelqu'un de
l'extérieur, mais on ne veut pas complètement changer le
personnel. Ce n'est pas un problème de personnel, c'est un
problème de structure.
M. Kehoe: Quand vous parlez de personnel de l'extérieur,
est-ce que vous voulez parler de personnes qui ne sont pas dans le
régime actuel?
Mme Saint-Martin: Oui.
M. Kehoe: Ce seraient de nouvelles personnes qui seraient
engagées?
Mme Saint-Martin: Oui.
M. Kehoe: En ce qui concerne la recommandation que les
commissaires siègent seulement pour entendre des appels, ce serait un
changement radical avec ce qui existe actuellement. Non seulement il n'y a pas
d'appels actuellement, mais ce serait la seule fonction des commissaires qui
sont là. Après que les enquêteurs auront fait une
enquête, après qu'ils auront rendu un jugement ou une
décision quelconque, vous dites que les commissaires devront être
saisis du dossier.
Mme Saint-Martin: Oui.
M. Kehoe: Et changer maintenant les fonctions qu'ils occupent, ce
serait une question d'information, d'éducation. Ce qu'ils font
actuellement serait changé complètement. Leur rôle actuel
serait complètement changé.
Mme Saint-Martin: C'est parce que, présentement, c'est eux
et elles qui font des recommandations, sauf que c'est sur l'étude d'un
dossier qui vient des enquêteurs et des enquêtri-ces. C'est fait,
si on ose le dire, un peu comme une ligne de production. Ils ne rencontrent
personne. Ils décident sur plusieurs dossiers à la même
réunion. En fait, on pense que ce qu'ils font, c'est qu'ils
entérinent les décisions prises par les enquêteurs et
enquêtrices sans jamais avoir vu les parties.
Mme Montigny: Est-ce que je peux ajouter quelque chose? Je pense
qu'il n'est pas question, dans notre recommandation, de changer
complètement le rôle des commissaires et de les garder strictement
à des fins d'appel. Je pense que toutes les autres tâches
accomplies par les commissaires - je pense, entre autres, à l'adoption
de politiques - ce sont des tâches, dans l'éducation et
l'information, qui pourraient, évidemment, être laissées
aux commissaires. Là où on change la tâche des
commissaires, c'est uniquement dans le traitement des plaintes. On fait part
d'une constatation qu'on trouve à tout le moins aberrante du fait que
les commissaires ont à juger de la crédibilité de
témoins qu'ils n'ont jamais rencontrés. On dit qu'une
façon de résoudre ce problème, c'est de nommer à la
commission un juge des faits. Une autre constatation aberrante ou, à
tout le moins, décevante, c'est qu'il n'y a pas d'appel à la
commission. Et une façon de trouver un processus d'appel à la
commission sans, justement, tout chambarder, c'est de donner ce pouvoir aux
commissaires.
M. Kehoe: Si je comprends bien ce que vous prônez, c'est
qu'il y ait des enquêteurs qui fassent uniquement des enquêtes, les
autres présenteront les résultats de leurs Investigations
à une deuxième personne et cette personne rendra une
décision quelconque. À la suite de cette décision, c'est
seulement à ce stade que les commissaires seront saisis du dossier, soit
après que les deux autres étapes auront été
complétées.
Mme Saint-Martin: Oui.
M. Kehoe: Les autres réviseront, s'il y a lieu, les
décisions prises par la deuxième personne dont vous parlez dans
votre mémoire.
Mme Montigny: Si je peux ajouter ceci, il y a quelque chose d'un
petit peu décevant à la commission concernant les enquêtes.
C'est que, dans la charte, les enquêteurs et enquêtrices de la
commission ont les pouvoirs des commissaires- enquêteurs. Cependant, dans
les dossiers que nous avons pilotés, les enquêtes de la commission
se résument généralement à un échange
préliminaire d'information entre les parties. On se dit qu'étant
donné que les enquêteurs ont des pouvoirs plus grands il serait,
ma foi, fort intéressant qu'ils les exercent étant donné
que, dans les causes de harcèlement sexuel au travail, la preuve est
extrêmement difficile à aller chercher. C'est souvent difficile de
prouver le harcèlement sexuel au travail à moins d'avoir les
outils pour aller chercher les éléments de preuve. Alors, il
serait intéressant que les enquêteurs et enquêtrices de la
commission aient ces pouvoirs. Mais, étant donné qu'à ce
moment-là ces personnes recueillent la preuve, elles sont partiales et
ne peuvent donc plus être juges des faits. C'est pour cela qu'on
recommande la nomination d'une personne de l'extérieur pour s'occuper de
l'administration de la preuve lors des auditions.
M. Kehoe: Quand vous faîtes ces recommandations, est-ce que
ce serait seulement dans le domaine du harcèlement sexuel ou si c'est
une fonction complète de la commission?
Mme Saint-Martin: Nous parlons seulement du harcèlement
sexuel parce que c'est notre expérience. Mais je pense qu'il faut faire
des changements majeurs à la Commission des droits de la personne. On ne
peut pas changer cela juste pour un motif de discrimination Je pense qu'il faut
le changer pour tous les motifs de discrimination
M. Kehoe: D'accord.
Le Président (M. Filion): Merci, M le député
de Chapleau. Peut-être quelques questions à mon tour.
D'abord, effectivement, je voudrais, à l'instar du
député de Chapleau, vous féliciter pour le travail que
vous nous présentez. Il y a là énormément
d'énergie, ne serait-ce qu'à bien formuler et à bien
cerner l'ensemble des recommandations. Il y en a quand même 30...
Mme Saint-Martin: 24.
Le Président (M. Filion): Environ 30. Il s'agit d'un
travail à partir de l'expérience que vous avez vécue avec
la Commission des droits de la personne, On va, peut-être, être
tentés, autour de cette table, de dire: Pour beaucoup d'organismes -
vous êtes juste notre troisième - il y a certaines tendances qui
semblent vouloir se dessiner, en ce qui concerne la confusion des rôles,
etc. - vous m'en avez glissé un mot tantôt - également, en
ce qui concerne la collaboration, ce que j'appelais ce matin, le partenariat
occasionnel entre la Commission des droits de la personne et les organismes
qui, comme le vôtre, oeuvrent dans des
secteurs particuliers des droits et libertés.
Je voudrais poser quelques questions sur ce que j'appellerais la
circulation de l'information. Au début de votre mémoire, vous
faites allusion au fait qu'il est difficile d'obtenir les données
pertinentes pour vous permettre de conseiller adéquatement une personne
qui viendrait vous consulter; difficile également de prendre
connaissance des directives internes de la commission qui pourraient vous
éclairer. Écoutez, pour ma part, cela ne fait même pas deux
ans que je m'intéresse beaucoup à ce dossier de la Commission des
droits de la personne. Il y a deux outils privilégiés. Un
m'apparaît être le rapport annuel de fa commission. Vous en faites
mention. Vous dites que ce rapport devrait être, en somme, plus
détaillé ou standardisé. J'aimerais que vous explicitiez
votre pensée là-dessus, étant donné que, en ce qui
concerne les rapports annuels - nous en recevons beaucoup, ici, à
l'Assemblée nationale - celui de la Commission des droits de la personne
ne m'apparaît ni pire ni meilleur que les autres. Il m'apparaît,
grosso modo, en tout cas, répondre aux normes générales
des rapports annuels qui sont soumis aux parlementaires. Mais, peut-être,
est-ce insuffisant.
Également, il y a le bulletin - vous l'avez mentionné -
Le forum des droits et libertés. On pourra me corriger, mais, je
pense que les décisions de la comission sont publiées dans...
Une voix: Une nouvelle publication.
Le Président (M. Filion): Pardon? Une nouvelle
publication, toute récente, où l'on peut consulter un recueil des
décisions de la Commission des droits de la personne. En ce qui concerne
les directives internes, j'apprécierais que vous puissiez expliciter
votre pensée là-dessus. En deux mots, en ce qui concerne la
circulation de l'information proprement dite, j'apprécierais que vous
puissiez me fournir un peu plus de détails sur votre expérience
concrète.
Mme Saint-Martin: Sien. Je vais commencer avec le rapport annuel,
comme vous le dites. On aurait dû vous apporter des rapports annuels
d'autres Commissions des droits de la personne, dans le Canada. Je pense que
vous verriez qu'il y a des différences sensibles entre la qualité
et les détails donnés. Un autre problème, c'est que,
chaque année, il semble que les tableaux changent un peu. Alors, pour
nous, qui essayons de voir des tendances, c'est très difficile.
Par exemple - si je me souviens bien, c'est le rapport annuel de 1986 -
dans le tableau qui dénombre les recommandations et dans quelle
direction elles ont été jugées, il n'y a même pas
une classification qui dit: Plaintes acceptées. C'est mis dans les
autres ou c'est mis... Si tu veux savoir combien de personnes ont gagné
des dossiers à la Commission des droits de la per- sonne, tu ne peux pas
le savoir en regardant le rapport annuel. Et, chaque année, les
classifications changent. Pour nous, c'est une des seules sources d'information
qu'on a, étant donné que tout le reste n'est pas accessible. Les
directives internes ne sont pas accessibles. Des recher-chistes, qui sont
allés à la commission, se font dire que toute l'information
publique se retrouve dans les rapports annuels. C'est juste de cela que vous
avez besoin.
Mais, pour nous, ce n'est pas suffisant. On a besoin de plus de
détails. On aimerait, entre autres, savoir comment le budget de la
commission fonctionne afin de savoir comment leurs priorités sont
reflétées dans le budget. Je ne me souviens plus de la question
sur le forum. J'ai juste écrit... (16 heures)
Le Président (M. Filion): Non, mais le forum,
évidemment, met le "focus" sur certains sujets selon les
priorités données à la commission. On fait le tour de
certains sujets. Je suis d'accord avec vous, ce n'est quand même pas un
vaste réservoir d'information.
Mme Saint-Martin: Non, mais...
Le Président (M. Filion): C'est, quand même, assez
limité.
Mme Saint-Martin: Oui. C'est, quand même, une base. Vu que
rien d'autre ne nous garde à jour sur ce qui se passe, cela demeure une
publication très utile, je pense.
Le Président (M. Filion): II y avait les directives
internes.
Mme Saint-Martin: Oui, des directives internes, justement. J'ai
fait mention de la prise de position de la commission, des commissaires, sur le
harcèlement. Cette prise de position nous avait été
promise et elle ne nous a pas été envoyée. Même si
on ne nous l'avait pas promise, il me semble que la commission devrait faire
connaître ses prises de position importantes sur de telles
matières et pas seulement à nous. La prise de position touchait
aussi le harcèlement racial et différents genres de
harcèlement en milieu de travail. Il me semble que la commission
devrait, de son propre chef, faire circuler de l'information qui, pour nous,
est très importante. Quand vous déposez une plainte à la
commission, l'autre problème, c'est que des décisions de la
commission ne sont pas accessibles. Oui, maintenant, il y en a quelques-unes
qui seront publiées dans le recueil de jurisprudence, mais ce n'est pas
suffisant. Nous aimerions essayer de dégager des tendances sur tous les
dossiers de harcèlement sexuel qu'elle a jugés. Nous avons de
l'expérience dans le domaine. Imaginez une personne qui dépose
une plainte de son propre chef et qui se rend là. Tout ce qu'elle se
fait dire, c'est: Oui, votre plainte est recevable ou
non, elle n'est pas recevable. Une fois que la plainte est recevable, II
n'y a rien pour l'aider à définir le problème, à
mettre des paroles sur les problèmes qu'elle a vécus, à
avoir des barèmes pour savoir comment déterminer les dommages
qu'elle a subis. On pense que tous les règlements à l'amiable,
toutes les recommandations de la commission et toutes les prises de position
qui expliquent les critères de recevabilité devraient être
accessibles au public.
Je peux vous donner quelques exemples des problèmes de
recevabilité en matière de harcèlement sexuel au travail.
Une femme s'est présentée au bureau dernièrement, qui
avait été virée de bord par la commission disant: II n'y a
pas matière à une plainte de harcèlement sexuel au travail
parce que le harcèlement a eu lieu pendant que tu étais
allée dîner avec ton patron; alors, ce n'est pas du
harcèlement sexuel. C'est un critère complètement
arbitraire et faux, comme le démontre toute la jurisprudence. Cette
personne serait retournée chez elle et elle aurait tout laissé
tomber si elle n'avait pas téléphoné à Gazette
Probe. Gazette Probe nous a téléphoné et on lui a dit:
Reviens, on va déposer une plainte et la plainte a été
acceptée.
Il y a le cas qui m'a été raconté, la semaine
dernière, d'une femme qui disait que la fille de son ami, une jeune
femme de dix-sept ans, qui avait un emploi d'été temporaire, a eu
des relations avec son patron. Elle y a été contrainte parce
qu'elle pensait perdre son emploi si elle ne le faisait pas. Après avoir
couché avec lui, il l'a mise à pied. Elle est allée
à ta Commission des droits de la personne, à Québec, pour
déposer une plainte. On lui a dit que ce n'était pas du
harcèlement sexuel vu qu'elle avait couché avec lui. C'est tout
à fait faux; en termes de jurisprudence, il y a ce qu'on appelle le
consentement vicié. Elle était sous la contrainte, forcée
de faire cela.
Il y a plein d'exemples semblables qu'on peut vous donner. Au stade de
la recevabilité, parce que les décisions ne sont pas
accessibles... Quelqu'un comme elle aurait facilement pu examiner d'autres
décisions et dire: Écoutez, vous ne pouvez pas me le refuser,
vous avez déjà enquêté sur un problème
exactement pareil au mien.
Le Président (M. Filion): Dans le cas que vous venez de
nous relater, est-ce que votre organisme, à ce moment-là, a eu
l'occasion d'intervenir dans le dossier? Est-ce que la commission...
Mme Saint-Martin: J'ai rencontré la femme qui m'a
raconté l'histoire, la semaine dernière.
Le Président (M. Filion): C'est tout récent.
Mme Saint-Martin: Oui. Je lui ai dit de contacter la jeune fille.
Qu'elle vienne nous voir, on va déposer une plainte et elle sera
acceptée. Ils vont enquêter.
Le Président (M. Filion): Je dois partager votre avis,
très rapidement. En matière de harcèlement, c'est
difficile d'imaginer plus. Et le plus devrait comprendre le moins, il me
semble.
Mme Saint-Martin: II y a plein de critères comme
ceux-là sur la recevabilité d'une plainte II est clair que les
agents et les agentes de recevabilité ont des politiques internes sur ce
qu'est une vraie plainte, sur ce qu'est une plainte de discrimination et sur
les critères qui font qu'on rejette la discrimination basée sur
la condition sociale. On sait que, systématiquement, la commission
refuse d'enquêter sur certains genres de dossiers. Si ces politiques
étaient publiques, on pourrait, au moins, avoir quelque chose de
tangible à quoi se référer et qu'on pourrait
contester.
Le Président (M. Filion): Bref, il y a un problème
d'attitude qu'il n'est pas facile de cerner, mais que laissent entrevoir
certains passages de votre mémoire. Il y a aussi un problème de
définitions que vous soulevez bien Vous recommandez plutôt
l'adoption de la définition canadienne, si on veut - passez-moi
l'expression - du harcèlement sexuel.
Mme Saint-Martin: Si je peux juste spécifier, ce n'est pas
qu'on recommande l'adoption de la même définition que la
Commission canadienne des droits de la personne. Nous la citons comme un
exemple de définition qui énumère beaucoup plus les
différentes manifestations de harcèlement sexuel. Une personne
à la maison, qui a des problèmes, peut lire cela et peut se
situer. Si une définition est trop large, les femmes ont beaucoup de mal
à voir sur quel comportement la commission va enquêter et quel
comportement elle n'enquêtera pas.
Le Président (M. Filion): Je vous le soumets: Ce n'est pas
une matière qui est différente; là-dessus, on se rejoint
facilement. Peut-être que ma formation d'avocat prime, mais, quand il
s'agit de la preuve, si je prends la définition employée par la
Commission des droits de la personne, qui avait, d'ailleurs, fait l'objet d'une
étude, on définit, entre autres - ce que je dis n'est pas
limitatif - le harcèlement sexuel comme étant "des commentaires
à connotation sexuelle, des contacts ou des regards
répétés et non désirés qu'une femme
considère comme offensants". Je me demande pourquoi on dit "une femme";
on devrait dire une personne dans la définition de la Commission des
droits de la personne. Le harcèlement sexuel, sauf erreur, fonctionne
des deux côtés.
Mme Saint-Martin: Oui.
Le Président (M. Filion): Je me souviens même
d'avoir pris connaissance d'un cas; je pense que c'était aux
États-Unis, peut-être que c'était plus près de chez
nous. Bref, on dit "qu'une femme considère comme offensants et qui
l'incommodent dans son travail".
Dans la définition de la Commission canadienne des droits de la
personne, on dit: Les invitations ou des requêtes importunes, qu'elles
soient implicites ou explicites, ou de l'intimidation, des regards
concupiscents ou d'autres gestes, etc. Vous allez, quand même, admettre
que la preuve de ces éléments n'est pas facile. Je ne veux pas
dire qu'elle est impossible, je dis qu'elle n'est pas facile. Et je vous
rejoins vraiment profondément quand vous dites: Au moins, on aimerait
voir les tendances dégagées depuis dix ans à la Commission
des droits de la personne et voir dans quelle direction on s'achemine, quelle
orientation prend ta commission. SI je vous comprends bien, c'est un des griefs
que vous formulez de ne pas savoir dans quelle direction on va dans une
matière où les preuves ne sont pas toujours faciles. Elles
peuvent l'être dans certains cas, mais elles peuvent ne pas l'être,
à cause de différentes circonstances. Est-ce que je vous rejoins
bien en disant que vous aimeriez avoir plus de "input" de la commission pour
pouvoir dégager ces tendances, pour pouvoir travailler dans le sens des
tendances qui auront été dégagées par la
jurisprudence de la commission?
Mme Montmigny: C'est tout à fait cela. D'ailleurs, il y a
deux ans, des étudiantes avaient été embauchées par
le groupe dans le cadre d'un projet d'été et avaient
demandé d'avoir accès à toutes les recommandations de ta
Commission des droits de la personne, aux rapports d'enquêtrices et aux
règlements hors cour pour essayer de voir quel genre
d'éléments de preuve étaient retenus par la commission.
Cela, évidemment, dans le but d'aider les femmes qui se
présenteront à nous dans l'avenir à se préparer une
défense pleine et entière et à aller recueillir tous les
éléments. C'est la première des choses. Oui, nous
aimerions avoir plus de "input" pour reprendre vos termes.
Deuxièmement, c'est aussi dans cette optique qu'on demande que
les enquêteurs de la commission fassent véritablement des
enquêtes sur le terrain et aident les femmes aux prises avec des
problèmes de harcèlement sexuel à aller recueillir des
éléments de preuve. Je pense au fait similaire: avec certains
outils, ne serait-ce que la liste des anciennes employées, il est
possible, quand on en a les moyens, de rappeler les anciennes travailleuses et
de voir si elles n'auraient pas vécu, elles aussi, une situation
s'apparentant à du harcèlement sexuel. Mais, pour faire ce genre
d'enquête, on a besoin d'outils. Je pense que les enquêteurs de la
commission pourraient facilement monter ce genre de dossiers.
Mme Saint-Martin: Si je peux rajouter quelque chose, quand vous
dites que la preuve peut être difficile à faire dans un cas de
harcèlement sexuel, c'est surtout parce que, la plupart du temps, il n'y
a pas de témoin. Alors, tout repose sur la crédibilité des
témoins, ce qui rend encore plus loufoque le fait que les commissaires
vont faire une recommandation sans avoir rencontré les témoins.
Quand on sait que, très souvent, dans les causes de harcèlement,
tout repose sur la crédibilité des témoins, cela ne se
peut pas qu'ils n'aient jamais rencontré les témoins. Comme vous
le dites, il n'y a pas une forme de harcèlement ou de discrimination
plus licite qu'une autre; elles sont toutes illicites. Ce n'est pas parce que
la preuve est plus difficile à faire qu'on ne devrait pas porter autant
d'attention à un dossier qu'à un autre.
Si je peux me permettre de le dire, nous avons parfois l'impression que
la commission a très peur de se faire poursuivre pour diffamation ou
libelle de la part des harceleurs; alors elle essaie vraiment de faire
très attention, elle exige quasiment un niveau de preuve hors de tout
doute raisonnable, ce qui est un niveau de preuve criminelle, comme vous le
savez, et toutes les formes de discrimination sont censées être
adjugées sur une prépondérance de preuve. Sur
prépondérance de preuve, nous croyons quand même que la
commission devrait être là pour défendre les
intérêts des femmes et elle pourrait les défendre si elle
avait uniquement le rôle d'enquêtrice Elle ne peut pas
défendre ces femmes si, ensuite, elle est juge des faits.
Le Président (M. Filion): En ce qui concerne la confusion
des rôles que vous venez tout juste d'évoquer - je pense que vous
étiez ici, en tout cas, pour une partie ce matin - je crois qu'on peut
d'ores et déjà prédire que c'est une tendance lourde qui
se dégage de nos consultations Je vais laisser la parole à M le
député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Évidemment,
à mon tour, j'aimerais vous remercier non seulement pour la
préparation de votre mémoire, mais pour votre
présentation. Comme nous l'avons dit ce matin, effectivement, le but de
tout cet exercice, en respectant une des dispositions de notre règlement
et en entendant des groupes concernés, c'est d'en faire une critique
positive. À la lecture de votre mémoire, vous en faites une
critique que j'appelle positive.
Concernant - vous n'êtes pas le seul groupe, d'ailleurs; la
plupart des groupes, je pense, l'ont mentionné dans leur mémoire
- le manque de coopération ou de collaboration de la Commission des
droits de la personne relativement aux organismes, comme le vôtre,
reliés à la défense des droits et libertés de la
personne, est-ce qu'à votre connaissance c'est depuis le début de
l'existence de la commission qu'il n'y a aucune coopération ou si c'est
de tendance plus
récente? À votre connaissance, est-ce que, dans le
passé, votre organisme ou un autre ont eu de bonnes expériences?
A partir de ce qu'on peut lire comme membres de la commission, il n'y en a
jamais eu, finalement, de coopération ou de collaboration. Je ne sais
pas si vous pouvez nous éclairer là-dessus. (16 h 15)
Mme Saint-Martin: En effet, il n'y a jamais eu beaucoup de
coopération entre la commission et tes organismes dits voués
à la défense des droits, peut-être parce que les groupes ne
se sont pas gênés pour critiquer la commission. Mme Novak,
d'Action-Travail des femmes, a fait référence à la
Coalition des droits de la personne, qui a été mise sur pied en
1981 ou en 1982, si je me souviens bien. À ce moment-là, on s'est
retrouvés plusieurs groupes ensemble et on a dénoncé la
lenteur des procédures, les délais énormes qu'il y avait
à la commission, ce qui donnait à peu près, en moyenne,
trois ans pour un dossier. Je pense que ceci a un peu cristallisé la
position des groupes et aussi ta position de la commission. Elle a pris
vraiment un recul et c'est nous qui devons courir après pour avoir des
bribes d'information plutôt que ce soit elle qui entreprenne vraiment son
mandat de coopération.
M. Dauphin: Vous disiez, au tout début de votre
présentation, que, depuis 1981, vous avez transmis ou ouvert 50 dossiers
et que seulement deux dossiers se sont rendus jusqu'au bout.
Mme Saint-Martin: J'ai dit cela, j'essaie seulement de
trouver...Oui, page 7.
M. Dauphin: Au tout début, oui.
Mme Saint-Martin: C'est cela, il n'y en a que deux qui ont
été jugés fondés et sont présentement
renvoyés pour médiation et, alors, on ne peut pas dire, dans ces
deux cas, si on est satisfaites du règlement.
M. Dauphin: Mais les 48 autres ont été jugés
non recevables ou...
Mme Saint-Martin: Pour un certain nombre...
M. Dauphin: Un désistement.
Mme Saint-Martin: ... il y a eu des désistements, iI y en
a quelques-uns qui se sont réglés à l'amiable; quinze ont
été jugés non fondés, c'est quand même, je
pense, la grande tendance.
M. Dauphin: D'accord.
Mme Saint-Martin: Et j'ajouterais non seulement les dossiers que
le groupe d'aide pilote, mais aussi les dossiers de harcèlement sexuel
en général, à la commission, sont très mal
reçus.
M. Dauphin: D'accord, merci.
Le Président (M. Filion): Toujours dans le même
sommaire statistique de la page 7 de votre mémoire, grosso modo, un a
été refusé à cause de l'absence de juridiction;
dans 22 cas, it y a eu ou un règlement hors cour ou un
désistement; dans 15 cas, cela a été jugé non
fondé; 5 cas sont toujours en instance; 2 ont été
jugés fondés. Dans les deux cas qui ont été
jugés fondés, donc, il y a eu des recommandations et ces
recommandations ont été respectées, ont été
suivies?
Mme Montigny: Dans les deux cas où les dossiers ont
été jugés fondés, ces dossiers ont
été transmis au service de médiation pour
médiation.
Le Président (M. Filion): D'accord.
Mme Saint-Martin: Et, alors, ils sont encore pendants comme
tels.
Le Président (M. Filion): Dernière question
peut-être, à moins que quelqu'un d'autre ne veuille intervenir.
C'est un peu dans le même esprit. Nulle part, dans votre mémoire,
on ne retrouve de doléances en ce qui concerne le caractère non
exécutoire des recommandations de la commission dans des cas où
une violation à l'un des droits reconnus par la charte aurait
été constatée. Est-ce que je dois comprendre, de votre
silence là-dessus, que votre organisme se déclare un peu
satisfait, finalement, de la situation actuelle en ce qui concerne le
caractère non exécutoire des recommandations de la
commission?
Mme Saint-Martin: Je ne peux pas dire qu'on est satisfaites, mais
je peux dire qu'on ne veut pas que ses décisions deviennent
exécutoires dans la mesure où je trouve que les preuves qu'elle a
faites à ce jour font qu'elle ne mérite pas, malheureusement,..
C'est un grand mot. Pour nous ce ne serait pas un pas en avant que cela
devienne un tribunal. Il y a, quand même, eu deux décisions
importantes des tribunaux civils dans des causes de harcèlement sexuel.
Dans un dossier, il y a eu un règlement de 3000 $, des dommages
alloués de 3000 $, dans un autre, de 5000 $. C'est, quand même,
beaucoup comparé à toutes les autres décisions qu'on
connaît à la Commission des droits de la personne et on pense
qu'il y a plus de chances qu'il y ait des innovations et des décisions
positives qui viennent des tribunaux civils qu'il n'y en a de la Commission des
droits de la personne.
Le Président (M. Filion): Le jugement du juge Mailhot, si
ma mémoire est bonne, qui
remonte déjà à cinq ou six ans, avait
déclenché une prise de conscience.
Mme Saint-Martin: Oui.
Le Président (M. Filion): Alors, espérons-le, cela
avait déclenché une prise de conscience. Donc, votre jugement est
sévère sur la commission. Les tribunaux civils, les tribunaux
ordinaires semblent, selon ce que vous nous dites, beaucoup plus aptes à
effectuer des redressements de situations.
Mme Saint-Martin: Mais on ne veux, quand même, pas
complètement dénigrer la commission. On pense qu'elle fait un
travail qui est important en recherche, en éducation, en information et
on pense que ce volet-là de la commission doit rester très
important. D'ailleurs, je pense qu'elle ne pourrait pas vraiment garder ce
rôle si elle devenait un tribunal. Pour nous, le groupe, c'est aussi
important d'apporter de l'aide aux femmes qui ont des problèmes de
harcèlement sexuel que de faire de l'éducation. On met autant
d'énergie dans un domaine que dans l'autre, parce que je pense que c'est
plus avec la promotion des droits et avec l'éducation qu'on va faire
changer les mentalités. Je pense que la commission doit vraiment
concentrer beaucoup d'efforts dans ce domaine-là.
Le Président (M. Filion): Mme Montigny et Mme
Saint-Martin, je voudrais vous remercier encore une fois de vous être
déplacées. On l'oublie, mais les organismes comme les
vôtres ne sont pas très choyés financièrement et il
y a des dépenses qu! sont rattachées à leurs
déplacements. Alors donc, encore une fois, nos remerciements.
Mme Saint-Martin: Merci.
Le Président (M. Filion): Sans ajournement, j'inviterais
les représentantes de l'Association du Québec pour
l'intégration sociale à bien vouloir prendre place à la
table des invités.
Association du Québec pour l'intégration
sociale
Le Président (M. Filion): Bonjour, mesdames. Pour le
bénéfice des membres de la commission mais aussi pour le
Journal des débats, qui ne sait pas, quand vous parlez, qui vous
êtes, je vous demanderais de bien vouloir vous identifier d'abord.
Mme Gérard (Madeleine): Mon nom est Madeleine
Gérard. Je suis présidente de l'Association du Québec pour
l'intégration sociale.
Mme Gilbert (Françoise): Françoise Gilbert,
directrice générale de l'Association du Québec pour
l'intégration sociale et de l'Institut québécois de la
déficience mentale.
Mme Robitaille-Rousseau {Monique): Monique Robitaille-Rousseau,
parent et membre du conseil d'administration de l'association.
Le Président (M. Filion): D'accord. Mme Gérard, Mme
Gilbert et Mme Robitaille-Rousseau, bienvenue. Encore une fois, je pense que
vous connaissez un peu les cadres de notre intervention comme parlementaires
dans ce dossier fort important de la Commission des droits de la personne. Or,
votre mémoire - c'est le mémoire 12M, pour le
bénéfice des membres de la commission - fait déjà
partie de nos dossiers. Je vous Inviterais à bien en présenter un
sommaire, à la suite de quoi nous pourrons discuter ensemble.
Mme Gérard: L'Association du Québec pour
l'Intégration sociale existe depuis maintenant 36 ans, et pendant cette
période, a changé quatre fois de nom, au fur et à mesure
de l'évolution des mentalités et des perceptions. Ce qu'elle n'a
pas changé, c'est son intérêt pour les personnes vivant
avec une déficience intellectuelle et son rôle d'agent de
changement afin d'assurer à ces personnes le plein respect de leurs
droits incluant le droit de vivre dans la communauté, d'accéder
à des services comme n'importe quel autre citoyen et de jouer dans la
collectivité québécoise les rôles sociaux
valorisés et valorisants.
L'association du Québec a cru bon de se faire entendre devant
cette commission sur les orientations, les activités et la gestion de la
Commission des droits de la personne du Québec, car cet organisme
revêt une importance particulière pour les personnes ayant une
déficience intellectuelle, souvent victimes d'une "culture de la
tolérance" cautionnant les atteintes à leurs droits.
Nos contacts réguliers avec la Commission des droits de la
personne nous ont permis de constater certaines lacunes qui entravent son
efficacité et, en participant à cette réflexion, nous
souhaitons contribuer à une réorganisation structurelle et
fonctionnelle qui donnerait à la Commission des droits de la personne la
possibilité d'être véritablement un organisme de premier
plan dans la sauvegarde de nos droits fondamentaux.
Considérant que le questionnaire fourni par le secrétariat
des commissions était destiné à faciliter les travaux de
cette commission, nous avons tenté d'en suivre le tracé dans la
rédaction de notre mémoire, ce qui explique l'apparence parfois
décousue de ce texte. Par ailleurs, nous n'avons pas eu le temps
d'effectuer une analyse en profondeur de tous les aspects de la Commission des
droits de la personne. Nous vous livrons donc, en toute simplicité, les
réflexions de l'expérience.
Mme Gilbert: Je vais continuer en vous présentant le
mémoire. Si je me fie aux personnes qui nous ont
précédés, je pense qu'on ne sera pas les premiers à
arriver sans trop de fleurs face à la Commission des droits de la
personne, mais nous espérons que cette démarche sera
considérée comme positive.
Nous avons fait appel, en tant qu'association, à plusieurs
reprises à la Commission des droits de la personne du Québec au
cours des trois dernières années, particulièrement dans
des dossiers qui sont reliés aux centres institutionnels en
déficience intellectuelle et à l'intégration scolaire. Si
on considère la personne qui présente une déficience
intellectuelle, je pense qu'on peut dire, hors de tout doute, que c'est une
personne qui aura peut-être plus que toute autre à faire face,
tout au long de sa vie, à des situations de discrimination ou
d'exploitation. En partant du simple droit à la vie, si on
considère que très souvent nous nous trouvons devant des
décisions de non-traitement pour des bébés nés avec
une déficience évidente, comme le syndrome de Down ou d'autres
syndromes, le droit à un milieu de vie naturel, le droit
d'évoluer dans sa famille naturelle, le droit d'aller à la
garderie avec les autres enfants, le droit d'aller en milieu scolaire avec les
autres enfants, le droit d'avoir un travail valable,
rémunéré, valorisant, comme le droit aussi d'avoir un
hébergement dans la communauté et d'évoluer tant dans les
loisirs que, pour autre chose dans un milieu communautaire. Ces personnes
seraient donc les plus susceptibles de recourir à la Commission des
droits de la personne lorsqu'elles pensent avoir été
fésées dans leurs droits. Dans la réalité que nous
vivons, ces recours sont peu fréquents et nous essaierons de
démontrer graduellement pourquoi, à l'intérieur de ce
mémoire.
Depuis les trois dernières années, en tant qu'organisme,
nous avons déposé une seule plainte officielle à la
Commission des droits de la personne, ce qui est très peu. Il s'agissait
à l'époque - je pense que certains d'entre vous s'en souviennent
- d'un jeune homme qui avait été trouvé dans un
état comateux au Centre hospitalier de Rivière-des-Prairies. Il
avait été battu presque à mort. À la suite de notre
intervention, la commission a décidé de se pencher sur ce
dossier. Mais ce chiffre-là n'est pas significatif du fait que
régulièrement nous informons la commission de certaines
situations et que la commission, occasionnellement, use de son pouvoir
d'enquête et démarre les dossiers de sa propre Initiative.
Si nous considérons d'autres cas, comme celui de Julie Legault,
dans le dossier de l'intégration scolaire, nous avons soutenu les
parents qui ont eux-mêmes fait la démarche devant la Commission
des droits de la personne, et d'autres parents ont suivi l'exemple des Legault
avec notre soutien pour demander le concours de la CDP.
Nous avons aussi demandé une aide à la rédaction
d'une demande d'enquête, ce qui n'est pas une demande d'enquête.
Dans le cas des centres institutionnels, et plus particulièrement des
centres privés à but lucratif, la commission nous a refusé
l'aide à fa rédaction des enquêtes parce qu'avant
même que cette demande d'enquête ne soit officiellement
rédigée, la commission avait déjà pris position en
alléguant que ce type d'enquête n'était pas dans son
mandat. Il aurait peut-être fallu attendre de rédiger
officiellement la demande, de voir son contenu avant de décider de sa
recevabilité. Le Comité des bénéficiaires du
Pavillon Saint-Théophile, qui est un centre privé à but
lucratif, a redemandé enquête à la commission et
l'enquête est actuellement en cours, mais nous avions demandé ce
type d'enquête il y a déjà deux ans.
Enfin, actuellement, nous essayons de sensibiliser la commission
à la discrimination systémique dont sont victimes les
élèves ayant une déficience intellectuelle dans le milieu
scolaire, ce qui n'est pas habituellement le genre d'actions qu'entreprend la
CDP.
Si on parle de programmes de promotion et de défense des droits
et libertés de la personne, nous n'avons pas collaboré avec la
commission à ce type de programmes, mais nous avons
régulièrement sensibilisé la commission à toutes
les situations existantes; entre autres, dans le dossier du Centre hospitalier
de Rivière-des-Prairies, nos procureurs ont travaillé un peu en
commun et nous avons inclus, à l'intérieur d'une très
grosse recherche sur les droits, le mémoire de la Commission des droits
de la personne. il est très rare que l'on reçoive des documents
d'information sur les services et le fonctionnement de la commission La
question qu'il faut maintenant se poser, par nos contacts fréquents,
est-ce qu'on ne nous considère pas comme suffisamment Informés et
suffisamment pressants? Est-ce qu'on n'est pas un peu les cornacs de la
commission qui piquent l'animal pour avancer? (16 h 30)
Ce que nous voudrions savoir, c'est si la commission a
déjà déposé une interprétation de son mandat
pour approbation par le ministre responsable C'est quelque chose qui se fait
régulièrement dans le cadre de nouvelles lois. Les responsables
chargés d'appliquer ces lois établissent une
interprétation de la loi et demandent finalement aux instances: Est-ce
que j'ai bien compris? Est-ce que mon mandat est clair? Est-ce que c'est bien
cela? Ce que l'on considère et ce que l'on remarque, c'est que la
commission aura généralement une interprétation beaucoup
trop restrictive de son mandat.
Quant au rôle d'éducation aux droits de la CDP, ce
rôle est incontestable. Elle devrait diffuser beaucoup plus largement les
conclusions de ses enquêtes, prendre position fermement et publiquement
contre certaines pratiques discriminatoires et passer
régulièrement dans les
médias un ou deux exemples d'actions ou d'attitudes contraires
à la charte. Cependant, et ceci est notre avis en tant qu'organisme de
promotion et de défense des droits, ce n'est pas souhaitable que la CDP
récupère ce rôle et l'étatise. Il ne faut pas
constituer un frein au dynamisme naturel des communautés. La commission,
à cet égard, devrait s'imposer le rôle de soutenir les
organismes du milieu dans toutes leurs actions de promotion et de
défense des droits, ce soutien pouvant être sous forme de conseils
ou de services.
En région - notre association est en fait une
fédération qui regroupe 50 associations dans tout le
Québec, donc, nos membres sont corporatifs - je dirais que, dans la
majeure partie de nos associations locales, que ce soit à Gaspé,
à Rimouski ou au Témiscamingue, les gens ignorent la Commission
des droits de la personne. Ils en ont entendu parler, mais ils ignorent comment
et quand y faire appel. Nous nous donnons ce devoir d'informer nos membres
quant à l'existence et aux possibilités de la commission.
Aucune des causes que nous suivons n'a été portée
devant les tribunaux. Dans notre seule demande officielle dont je vous parlais
tout à l'heure, nous n'avons eu aucun rapport d'enquête. Les
médias s'en sont emparé. Le Curateur public a
décidé de faire une enquête maison. Les résultats de
cette enquête, c'est qu'il n'y avait pas évidence que le jeune
homme en question pouvait avoir été attaqué par un
employé. La conclusion disait que, presque hors de tout doute,
c'était un autre bénéficiaire qui l'aurait attaqué.
À la suite de cela, la commission n'a plus eu accès au dossier,
pas plus que nous. On s'est vu retirer le droit à toute information
concernant le jeune homme en question. Deux ans après les
événements, nous ignorons ce qu'il est devenu et où il
est. Nous n'avons absolument aucun mandat ni aucune autorisation pour aller
voir ce dossier.
De notre côté, on considère comme inacceptable qu'un
organisme comme la Curatelle publique, qui a été
créée pour la protection des adultes vulnérables parmi les
plus vulnérables, ne collabore pas avec la commission lorsque cette
dernière s'attache à essayer de faire la preuve qu'une
discrimination ou une exploitation a été commise à
l'égard d'une de ces personnes extrêmement vulnérables.
C'est un des sérieux problèmes de fonctionnement et de structure
de la commission.
Si l'on revient au dossier de Julie Legault, le délai avant
recommandation a été d'une année scolaire. Une
année scolaire, pour un enfant, c'est un prix très lourd à
payer, si l'on considère surtout que la perte d'une année
scolaire, dans certains dossiers, est motif à poursuite devant les
tribunaux. Ce dossier s'est réglé par médiation
après enquête. On a été bien heureux que le dossier
se règle par médiation parce qu'il aurait suffi à la
commission scolaire de reprendre le processus de classement de l'enfant et tous
les efforts, tant les nôtres que ceux des parents et de la commission,
auraient été parfaitement inutiles. C'est pourquoi, devant une
prise de position aussi faible, de plus en plus, les parents passent par-dessus
la CDP pour s'adresser directement aux tribunaux supérieurs.
Dans le dossier du Centre hospitalier de Rivière-des-Prairies, la
commission a produit un mémoire que nous avons Jugé excellent.
Pour une fois, nous avons vu des recommandations solides, sérieuses, un
mémoire étayé, des conclusions claires, exprimées
fermement. Ces conclusions ont été reprises par l'enquête
Shadley. Et, bien sûr, la tutelle n'a pas été
accordée au centre hospitalier. Tous les organismes qui avaient
déposé un mémoire, qui avaient participé à
l'enquête ont fait connaître leurs réactions. La commission
n'a rien dit. Le "chien de garde" de la charte n'a même pas
grondé.
Par la suite, comme je vous le disais tout à l'heure, la
commission a refusé d'enquêter dans d'autres milieux
d'hébergement, alléguant que cela ne faisait pas partie de son
mandat. Nous ne mettons cependant pas en cause l'impartialité de la
commission. Ceci n'est pas l'objet de notre présentation d'aujourd'hui.
Mais ce que nous déplorons, c'est que cette impartialité ne soit
pas avant-gardiste. La CDP évolue dans un contexte socio-culturel, dans
un système, et juge d'une discrimination possible en fonction des
systèmes établis. Et nous croyons, dans le cas des personnes
ayant des déficiences intellectuelles, qu'il faudrait aller beaucoup
plus loin. Il faudrait approfondir et faire preuve de beaucoup de vigilance et
d'esprit d'interprétation, pour reconnaître à quel moment
c'est le système lui-même qui devient discriminatoire et ne plus
juger de la discrimination d'une personne en fonction d'un système qui
discrimine systématiquement un groupe d'individus.
Si l'on considère que la Charte des droits et libertés de
la personne est une loi première où s'enchâsse l'ensemble
de nos droits fondamentaux, nous devons malheureusement constater que
l'organisme chargé de la faire respecter est l'un des plus faibles que
l'on connaisse. Si l'on considère les tribunaux mineurs - on en a
donné quelques exemples: le Tribunal d'expropriation, le Bureau de
révision de l'évaluation locative, la Régie du logement,
la Commission des normes du travail et beaucoup d'autres - ils interviennent
dans des délais relativement courts et sont décisionnels.
Lorsqu'il s'agit de défendre des droits fondamentaux, qui ont une
importance vitale pour les personnes handicapées, les délais sont
très longs, pour aboutir, en bout de ligne, à une simple
recommandation assujettie à la bonne volonté de la partie
incriminée. Si la recommandation n'est pas suivie, il faut
obligatoirement aller devant les tribunaux supérieurs et, quant à
cette décision d'aller ou non devant les tribunaux supérieurs,
c'est comme pour les décisions d'enquête. Ces interventions sont
sélectives et entraînent d'autres délais.
La Commission des droits de la personne n'a aucun pouvoir de coercition
et ses recommandations ne sont pas exécutoires. Nous croyons que la
commission a été conçue comme un tribunal administratif
qui serait plus souple, plus rapide, plus près des personnes et des
problèmes, qu'un tribunal supérieur. Ceci ne se concrétise
pas dans les faits. La Commission des droits de la personnes est un organisme
lent et lourd, embourbé dans ses propres structures, qui a une
conception restrictive de son mandat.
Quant à être plus proche du peuple et de ses
problèmes, cela ne nous paraît pas non plus évident. Les
nominations au conseil d'administration de la commission sont politiques et
aucune des personnes en place n'est connue dans le milieu des organismes de
promotion et de défense des droits pour avoir fait des actions dans ce
sens. Nous ne disons pas: Elles ne l'ont pas fait. Nous ne disons pas: Elles
sont incompétentes. Pas du tout. Nous ne les connaissons pas, c'est
tout.
Nous devons cependant, ici, inscrire une parenthèse, qui est la
différence entre les décideurs et les exécuteurs. Si nous
ne connaissons pas les premiers, nous avons pu cependant apprécier
à maintes reprises le dévouement et la compétence de
certains enquêteurs et d'autres membres du personnel. Ces personnes nous
paraissent accessibles et disponibles, prêtes à nous apporter leur
aide en tout temps. Et, lorsqu'on dit cela, on parle à titre
d'organisme. Il est évident que si l'Association du Québec pour
l'intégration sociale fait appel à la commission, dans un
délai relativement court, nous sommes recontactés. Cela ne semble
pas aussi évident pour les parents isolés, les gens de la base,
qui, eux, semblent avoir plus de difficultés à entrer en contact
avec la commission. Mais, de ce côté-là, certaines
pratiques nous semblent encore, pour le moins, manquer de logique. Ainsi, par
notre travail dans le milieu des personnes handicapées, nous connaissons
la complexité et l'aspect multiforme de certains dossiers. Il faut
parfois des mois, voire des années, pour s'imprégner de toutes
les composantes d'une problématique. Or, ce qui se passe, c'est que
lorsqu'un enquêteur semble tout à fait à l'aise à
l'intérieur d'un dossier particulier qui demande des années
d'études et d'analyses, si l'on revient avec un dossier qui est
semblable ou qui s'inscrit dans la même problématique, on a toutes
les chances de voir un autre enquêteur travailler à ce dossier et
on recommence à zéro: on refait toute l'étude et toute
l'analyse. Cela ne veut pas dire que les enquêteurs de la commission
doivent être surspécialisés. Au contraire, il est
très sain que ces personnes puissent "naviguer" tout à fait
à leur aise parmi les articles de la charte. Mais, dans des dossiers
particulièrement problématiques et à composantes
multiples, il serait parfois préférable de ne pas recommencer
à zéro avec une personne nouvelle.
Par ailleurs, nous avons cru remarquer que ce n'est pas la personne qui
entend la cause qui écrit la recommandation. C'est comme si un juge,
après audience, demandait à un autre juge de prendre position et
d'écrire son verdict à partir des éléments qu'il
aurait retenus. Que cette personne prenne conseil auprès d'autres
personnes, c'est une sage décision, nous le faisons nous-mêmes
avant de nous prononcer sur bien des choses. Mais, dans une audience, l'esprit
des témoignages est aussi important que les paroles et la personne qui a
entendu la cause peut s'être imprégnée de cet esprit alors
que personne d'autre ne peut l'avoir fait. Elle seule est donc apte à
rédiger les recommandations qui s'imposent.
Enfin, pour clore le chapitre des intervenants directs, nous devons
souligner que ces personnes nous paraissent surchargées. Nous nous
sommes posé la question suivante- Combien y a-t-il d'enquêteurs
à la CDP? Nous n'avons pas la réponse. Par expérience,
nous situons leur nombre entre 16 et 18. Nous sommes très loin de
beaucoup d'autres petits organismes comme le Bureau de révision de
l'évaluation locative du Québec qui a 38 procureurs à
temps plein et qui traite des milliers de dossiers par année Est-ce
qu'il est plus important que les citoyens paient leurs taxes et que les
municipalités reçoivent leur dû que de s'assurer que chaque
citoyen ait le même respect de ses droits?
Revenons maintenant à ce tribunal administratif qu'est la
commission et à sa position soi-disant plus proche des vrais
problèmes des personnes discriminées et/ou exploitées.
Dans le cas des personnes ayant une déficience Intellectuelle - nous les
connaissons, nous travaillons avec elles depuis assez longtemps - la
très grande majorité des adultes bénéficie de
l'aide sociale. S'il s'agit d'un enfant, l'un ou l'autre des parents,
très généralement la mère encore, ne travaille pas
afin d'assurer une permanence auprès de l'enfant handicapé. Donc,
règle générale, les personnes, comme les familles, sont
sans moyen. C'est à elles que revient la charge de payer un avocat pour
les représenter devant la commission, mais elles n'en ont tout
simplement pas les moyens. On demande donc aux enquêteurs d'entendre la
cause en toute impartialité, tout en assurant la défense de la
partie requérante. Ce sont deux rôles tout à fait
contradictoires et avec lesquels il leur est bien difficile de composer.
Lorsqu'une personne se fait agresser, dans la rue ou ailleurs, et
qu'elle porte plainte, un avocat de la couronne fait valoir ses droits et exige
réparation. Nous, de l'Association du Québec pour
l'Intégration sociale, considérons que la discrimination
constitue une agression d'une rare violence. Si l'on parle en termes
d'agression physique, ces agressions peuvent être temporaires, elles
peuvent être sanctionnées par les tribunaux, on peut en obtenir
réparation et on peut s'en remettre. Ce n'est pas qu'on cautionne les
agressions physiques, mais, quand il
s'agit de discrimination, surtout lorsque cette discrimination fait
partie d'un système assez subtil, cette discrimination, cette violence
poursuit une personne toute sa vie et menace son bien-être physique,
matériel et moral pratiquement chaque jour de sa vie. Nous savons
combien ces personnes sont susceptibles de faire face à cette forme de
discrimination, mais trop souvent, elles ne sont pas au courant de leurs
droits, elles sont tout à fait impuissantes à les faire valoir
par elles-mêmes et dans l'impossibilité totale de payer un avocat
pour les représenter. Comment, dans une telle situation,
pourraient-elles faire appel à la Commission des droits de ta personne
et que fait la commission pour permettre à ces personnes
extrêmement démunies de se prévaloir de la charte au
même titre que tout autre citoyen? Si l'on demande aux enquêteurs
de jouer à la fois le rôle de juge et d'avocat, la commission va
se retrouver avec un sérieux problème d'image et de
crédibilité, et c'est déjà arrivé.
Un autre point faible de la commission est son impuissance à
imposer des mesures temporaires. Dans le dossier de l'intégration
scolaire, par exemple, une ou deux années scolaires sont un tribut
beaucoup trop lourd pour un enfant. Pendant que les adultes discutent et
essaient de trouver une solution, l'enfant perd des années
irrécupérables. La Commission des droits de la personne ne
dispose d'aucun département pour traiter les urgences. Un comité
devrait pouvoir se pencher sur les premiers paramètres d'un dossier et
disposer du pouvoir d'imposer ce qui paraît, à première
vue, la solution la moins discriminante jusqu'aux recommandations de
l'enquête ou au jugement final, s'il y a recours devant les tribunaux
supérieurs. (16 h 45)
Dans la cause des personnes ayant des déficiences
intellectuelles, le "temps approche" éducatif est un facteur clé
dans le développement et l'adaption. Des coupures importantes dans ce
duo peuvent signifier des gains en comportements adaptatifs,
irrémédiablement compromis.
Cette carence de pouvoir de la commission, qui est assortie
régulièrement de trop de compromis dans les recommandations et la
médiation, permet - et c'est un danger que nous considérons comme
extrême - une consolidation des forces contraires. La
contre-argumentation prend beaucoup de vigueur. Les recommandations de la
commission n'ont pas force de loi, on le sait, on les ignore. La commission
n'impressionne plus et elle est assez faible pour qu'on ait envie de lui tenir
tête.
Une simple corporation professionnelle a le pouvoir d'obtenir une
radiation temporaire d'un de ses membres avant jugement et la grande gardienne
de nos droits fondamentaux n'a aucun pouvoir d'imposer quoi que ce soit
à qui que ce soit avant jugement par les tribunaux supérieurs.
Mieux encore - et c'est un exemple vécu - le Tribunal du travail peut
ordonner le réengage- ment d'un employé congédié
pour atteinte grave aux droits des bénéficiaires d'une
institution, même après constat de cette atteinte, et la
commission est impuissante. Un employé, dans un centre institutionnel,
est reconnu coupable d'avoir, par trois fois, agressé violemment trois
bénéficiaires différents. L'administration de
l'établissement congédie l'employé en question, le
Tribunal du travail reprend le dossier, ordonne la réintégration
de l'employé parce que le chômage dans la région est un
fléau. La commission ne peut rien faire. Elle ne bouge pas. Il y aurait
peut-être lieu de remettre sérieusement en question nos
priorités sociales.
Ce qu'on a voulu faire en vous présentant cela, ce n'est pas "une
diatribe contre la Commission des droits de la personne, même si cela en
a l'apparence. Cette faiblesse est loin d'être imputable strictement
à son modèle organisationnel. Son mandat même comporte de
sérieuses lacunes. Ainsi, l'article 69 de la charte limite le champ
d'intervention de la commission aux articles 10 à 19 et au premier
alinéa de l'article 48. Or, si certains de ces articles apportent une
précision particulière sur certains types de discrimination - on
pense en particulier à l'hébergement, au travail, etc. - ils
laissent dans l'ombre de nombreuses autres pratiques discriminatoires allant
à l'encontre des droits reconnus dans l'ensemble de la charte. Nul autre
organisme n'étant mandaté en complémentarité de la
Commission des droits de la personne, il faut alors se référer,
pour l'appel, à l'article 10, très général et
susceptible d'être interprété de façon subjective.
De ce fait, il existe de toute évidence des problèmes de
perception interne à la commission quant à ses rôle et
mandat.
Ces articles visent également "toute personne" aux prises avec
une situation qu'elle croit être discriminatoire. Cela ne semble pas,
à première vue, donner droit de regard à la commission
dans des dossiers où il y a présomption de discrimination
systémique. Cela aussi laisse une place énorme à
l'interprétation subjective.
Enfin, certains mots employés dans la charte peuvent
refléter un éventail encore plus large d'interprétations.
Ainsi, le mot "avis" contenu à l'article 11. Qu'est-ce qu'un "avis"?
Pour l'ensemble des gens - et, c'est l'interprétation
générale de la commission - cela semble aller dans le sens d'une
affiche, affiche qui serait apposée dans un endroit public, sur une
maison ou autre. Mais si un journaliste ou un conférencier donne son
avis, cela devient de la libre expression, et cette liberté est
également garantie par la charte. Où finit la liberté
d'expression et où commence l'incitation à la discrimination?
Comme nous vous l'avons dit tout à l'heure, la discrimination est une
forme grave de violence. Or, nos lois prévoient que la liberté
d'expression peut être limitée dans les cas d'incitation à
la violence. Pourquoi la liberté d'expression ne serait-elle pas
limitée de la
même façon, dans des cas d'incitation à la
discrimination? Quand on voit un article comme celui qui mentionnait "des fous
lâchés lousses dans les rues" - ce n'est qu'un extrait, iI y en
avait beaucoup d'autres semblables - est-ce qu'on peut dire qu'il s'agit de
l'avis d'un journaliste ou d'un article, ou d'un réquisitoire portant
discrimination? Nous sommes conscients des frontières mouvantes d'une
telle définition. Il n'est pas facile de mettre une ligne droite. Du
moins, quand il y a évidence de ce type de discrimination et de
réquisitoire, la commission devrait intervenir. Elle est d'ailleurs
intervenue dans ce dossier, mais, au bout du compte, c'est le Conseil de presse
du Québec qui a porté le blâme sur le journaliste.
La Commission des droits de la personne du Québec est-elle un
tribunal? Si oui, c'est un tribunal de compromis. Elle fonctionne actuellement
comme un tribunal, avec représentation des parties par des avocats et
parfois des semaines d'audiences. Il faudrait alors qu'elle dispose, pour le
moins, de pouvoirs similaires à ceux de la commission
fédérale. Mais, si des raisons sérieuses amènent
à croire qu'elle doit conserver un rôle de médiation et de
recommandations, il faudra à tout prix qu'elle dynamise son processus
d'intervention.
La Commission des droits de la personne est pour nous un organisme de
toute première importance. Pour les personnes handicapées, elle
devrait être le recours par excellence pour faire valoir leurs droits.
Cependant, ces personnes y font rarement appel et préfèrent
s'adresser à l'Office des personnes handicapées du Québec.
Il y a donc vraiment lieu de repenser la définition de son mandat, de
ses structures et de son fonctionnement afin qu'elle puisse agir avec
rapidité et efficacité lorsque sont bafoués les droits
fondamentaux garantis par la charte.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier pour
cet exposé. Mme la députée de Groulx.
Mme Bleau: Bonjour, mesdames. Je vous remercie infiniment pour
votre mémoire. Vous avez à défendre des citoyens
spécialement désarmés, et la société, je
crois, doit vous en être reconnaissante.
Comme les autres organismes, vous regrettez le double rôle de juge
et d'avocat que remplissent les enquêteurs. Comment pourrait-on faire des
changements de ce côté-là? Qu'est-ce qu'on pourrait
apporter?
Mme Gilbert: Je pense que ce n'est pas à nous à
entrer en profondeur dans ce type de réflexion. Je crois que la
première réflexion qu'on devrait faire est la suivante: Est-ce
que la commission est un tribunal? C'est la question que nous posons à
la fin de notre mémoire. À ce moment-là, ou elle agit
comme un tribunal et, alors, on fournit à la personne, comme en Cour
supérieure, dans les cas d'atteinte à une personne, le moyen
d'assumer sa défense, ou c'est un organisme de recommandation,
d'évaluation d'un dossier, un organisme de soutien. Pourquoi pas un
organisme de soutien à un groupe, à un individu devant d'autres
organismes, d'autres tribunaux qui, eux, seront décisionnels? Il
faudrait creuser, approfondir la question du rôle, mais avant tout
délimiter si c'est un tribunal ou si ce n'en est pas un. Elle agit comme
un tribunal, elle n'a pas les pouvoirs d'un tribunal. Elle a un pouvoir de
recommandation. C'est très long avant d'obtenir cette recommandation et
on va devant les tribunaux, on revient.
Mme Bleau: En page 10, vous écrivez que l'aide juridique
joue peu ou pas de rôle dans ce domaine. Est-ce que vous pourriez
expliquer un peu mieux?
Mme Gilbert: Selon le mandat de l'aide juridique... Finalement,
cela aussi prêle à interprétation, mais il y aura
peut-être une autre commission parlementaire sur les services de l'aide
juridique. C'est qu'une personne qui est lésée dans ses droits,
mais des droits plus matériels, plus évidents, peut appeler
l'aide juridique pour la soutenir dans un dossier, mais non pas pour
poursuivre. S'il y a lieu pour une personne de croire qu'elle est victime d'une
discrimination, il faut qu'elle procède. Ce n'est pas la partie adverse
qui va partir le dossier de la discrimination. À ce moment-là,
dans le cadre des enquêtes de la Commission des droits de la personne,
l'aide juridique joue très peu. Sa présence n'est pas du tout
évidente, mais le type de dossier qui est présenté
à l'aide juridique donne aussi lieu à de
l'interprétation.
Mme Bleau: Est-ce que vous, comme groupement, pouvez faire appel
à l'aide juridique pour vous faire aider dans certains dossiers?
Mme Gilbert: Nous l'avons déjà fait, mais nous
sommes soumis, tout comme un individu, finalement, à démontrer
que nous avons été lésés d'une quelconque
façon et que nous assurons une défense. Nous ne pouvons pas
aller... D'ailleurs, on a un ensemble précis. Dans le dossier de
l'intégration scolaire, on est allé demander à l'aide
juridique d'essayer de voir, de faire un bilan général de ce qui
se passe au Québec, de soutenir des parents qui avaient fait appel
à nous et qui étaient complètement démunis. Nous
avons eu un refus de l'aide juridique dans ce dossier-là parce que nous
n'avons pas démontré que nous, nous avions été
attaqués, en quelque sorte, que nous avions besoin d'un type de
défense. Cela, c'est une interprétation. Dans un autre dossier,
nous n'étions pas plus attaqués et nous avons obtenu l'appui de
l'aide juridique. La définition des types de causes accessibles a l'aide
juridique est floue, aussi.
Mme Bleau: Quand on parle de l'intégration scolaire et que
vous nous dites qu'il y a de la discrimination systémique dont sont
victimes des élèves ayant une déficience intellectuelle,
quelle est cette discrimination qu'on retrouve dans les écoles? Est-ce
de la part des professeurs, de la part des autres élèves ou des
parents d'élèves? Ou retrouve-t-on cette discrimination?
Mme Gilbert: Je pense qu'on retrouve la même discrimination
- comment dirais je - qui se retrouve traditionnellement dans la
société, je veux parler des préjugés qu'on a
toujours eu face à ces personnes, la notion de "pas capables" qui est
rattachée aux handicaps et qui fait qu'on les exclut dès quon est
au courant du diagnostic. Alors, un enfant a besoin, pour apprendre, de
n'être pas exclu parce que le premier mécanisme c'est d'apprendre
par imitation et cela joue très fort. Pourtant, c'est lui qu'on exclut
le premier.
Mme Bleau: À ce moment-là, I'intégration
qu'on veut faire de cette classe d'enfants, à votre idée
croyez-vous que c'est encore bon? Est-ce toujours bon quon intègre les
enfants, avec quelque déficience que ce soit, au reste des enfants?
Est-ce que ce programme peut avoir des résultats, à la
longue?
Mme Robitaille-Rousseau: Je pense que cela va de soi et c'est en
train de faire ses preuves actuellement, il s'agit de voir comment les jeunes
handicapés intellectuels au Québec ont pu
bénéficier des services de stimulation précoce. On se rend
compte que, depuis la naissance de l'enfant, cela fonctionne dans tous les
milieux, qu'on parle de la garderie qu on parle des loisirs, qu'on parle de la
famille, d'abord, et c'est lorsque vous arrivez au milieu scolaire que les
parents voient réduites à néant leurs années d
investissement. Si on commence à exclure un enfant des bancs de
l'école, considérant le nombre d'années de
scolarité qu'il y a dans une vie, |e ne vois pas comment on va en
arriver à reconnaître pleinement les droits à ces citoyens
et comment ils pourront être intégrés socialement à
l'âge adulte quand on va les avoir exclus, qu'on va avoir pratique la
discrimination à leur égard depuis les bancs de
l'école.
Mme Bleau: Dans des cas vraiment pathétiques, est-ce que
la Commission des droits de la personne peut vous donner un coup de main? SI
vous lui présentez un dossier pour un enfant qui...
Mme Gilbert. On l'a fait dans le cas précis de Julie Legault.
Pour vous dire comment cela fonctionne, Julie avait été
classée dans une classe spéciale sur un faciès mongolien.
La psychologue qui a fait lévaluation - une évaluation qui
comportait douze pages, s'il vous plaît - a reconnu devant la commission
qu'elle avait aperçu I'enfant lors de sa rencontre avec un autre enfant,
lors de I'observation d un autre enfant qui était dans la même
classe. Après cinq minutes de croisement à l'intérieur de
la classe de Julie, elle a pondu un rapport de douze pages qui précisait
les caractéristiques d'un enfant mongolien, tel que la
société le perçoit encore sans tenir compte du fait que
Julie savait lire et écrire. On a jugé I'enfant sur son
faciès et sur son syndrome de Down, et c'est encore ce qui se passe trop
souvent. On a encore ici d'ailleurs, quelque chose quon vient de recevoir que
je peux vous montrer comme preuve telle ment c'est aberrant. Un enfant, dont
les parents ont refusé de l'entrer à l'école
spéciale en septembre, qui est à la maison avec des services
éducatifs à domicile parce que les parents refusaient la
ségrégation, vient de recevoir un bulletin scolaire signé
par tous ses professeurs avec des rendements, des résultats
satisfaisants insatisfaisants et autres. L'enfant n'a pas mis les pieds a I
école depuis le mois de septembre il a un bulletin. C'est ce que sont
les enfants ayant une déficience intellectuelle.
Mme Robitaille-Rousseau: Je pense qu'une des grandes
difficultés pour les parents d'enfants handicapés intellectuels,
cest que, chaque fois qu'ils font appel à la commission des droits les
parents sentent qu'ils doivent commencer par se battre avec la commission pour
quon accueille leur demande. Comme parents, on a souvent l'impression que la
commission est très mal à l'aise face à nos jeunes enfants
qui sont handicapés, comme si ce n'était pas possible qu on
reconnaisse une discrimination. C'est une discrimination qui est
généralisée, très souvent. C'est comme si cela
allait de soi, cela fait partie de la tolérance de la
société et ce ne peut pas être remis en question. (17
heures)
On a dé|à entendu quelqu'un de la commission soulever
comme exemple. On lui avait demandé une clarification et il avait dit
oui a l'exemple qu'on lui apportait. Si dans une institution nous logions une
plainte disant que les personnes étaient maltraitées cette
personne nous a répondu que, si elles étaient toutes
maltraitées, ce n'était pas discriminatoire. La bêtise
serait d'en battre seulement un sur la "gang". Cela serait un traitement
discriminatoire par rapport au milieu institutionnel. II y a beaucoup
d'agissements qui sont devenus des tolérances ce qui serait aberrant
devient tolerable On ne fait plus de... C'est un peu pour cela que les parents
doivent se battre. C'est comme si pour cet enfant là, on pouvait tout se
permettre au nom de sa protection et de son bien. On l'exclut toujours pour son
bien. Ce n'est jamais pour lui causer du tort mais dans la
réalité, par exemple, c'est ce que cela lui fait.
Mme Bleau: Dans vos recommandations quand vous dites que la
Commission des droits de
la personne devrait disposer de pouvoirs similaires à ceux de la
commission fédérale, quels sont spécifiquement ces
pouvoirs que vous aimeriez voir adoptés?
Mme Gilbert: On aimerait bien tous les connaître par coeur,
mais, après consultations avant de produire un mémoire comme
celui-là, on s'est demandé: Que font-ils au
fédéral? Les informations que l'on a sont que ta commission
fédérale a effectivement des pouvoirs que la commission du
Québec n'a pas. Maintenant, quels sont-ils dans le détail? On ne
peut pas vous le dire maintenant, mais la personne qui nous a parlé nous
a dit qu'il n'y avait même pas de comparaison possible. La commission
fédérale, elle, a de nombreux pouvoirs qui ne sont pas ceux de la
commission du Québec. On a l'intention d'aller plus loin, mais on n'en a
pas eu le temps parce qu'avant de produire le mémoire on a eu un
très court délai.
Mme Bleau: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Filion): Pour l'information des
députés autour de la table et pour celle de nos invités,
je me répète par rapport à ce que |'al dit ce matin, mais
une étude comparative a été faite du processus de
cheminement des plaintes à la Commission ontarienne des droits de la
personne, à la Commission canadienne des droits de la personne et,
également, à la Commission des droits de la personne de la
province de la Saskatchewan. Ce document-là a pu être
égaré. Si c'est le cas, des copies additionnelles peuvent vous
être transmises. Encore une fois, il est bien clair que la commission
canadienne fonctionne sur une base différente de celle de la commission
québécoise des droits, notamment à cause de l'existence
d'un tribunal, etc.
D'abord, une question à Mme Robitaille-Rousseau quant au dernier
exemple que vous donniez. Évidemment, Je pense qu'à la base on se
comprend très bien. Vous parlez de discrimination systémique
à l'égard de la clientèle que vous protégez le
plus, c'est-à-dire les déficients. C'est un problème qui
peut prendre une envergure toute particulière et tout à fait
spécifique. Mais, dans l'exemple que vous venez tout juste de nous
donner - je voudrais seulement être sûr de ne pas avoir raté
des mots - vous avez dit: Bon, c'est un ensemble d'enfants ou de personnes qui
pourraient être victimes de discrimination à cause de leur
déficience, et on vous a répondu... Vous avez dit: On m'a
répondu, ou quelque chose comme cela. Bien, c'est comme cela pour tout
le monde, et, s'il y avait un cas particulier qui était différent
des autres, nous interviendrions. Le "on" faisait référence
à qui exactement? Est-ce que c'est à la Commission des droits de
la personne? Non?
Mme Robitaille-Rousseau: Quand je vous ai donné l'exemple,
à savoir si on en battait seulement un...
Le Président (M. Filion): C'est cela.
Mme Robitaille-Rousseau: ...par rapport au fait qu'ils soient
tous battus? C'est dans le cadre de notre demande pour la rédaction
d'une demande d'enquête par rapport au milieu institutionnel. On nous a
dit...
Le Président (M. Filion): Le "on" étant qui,
là?
Mme Robitaille-Rousseau: Le "on", c'étaient des membres du
conseil d'administration de la commission des droits qu'on a
rencontrés.
Le Président (M. Filion): De la Commission...
Mme Robitaille-Rousseau: De la Commission des droits de la
personne. Quand on leur a fait clarifier la réponse qu'ils venaient de
nous faire, on l'a imagée comme ceci, en disant: Si on a bien compris,
vous nous dites que, si on les bat tous dans une Institution, il n'y a pas de
problème, ils ont tous le même traitement. Il n'y a personne qui a
un traitement discriminatoire par rapport à l'autre mais, si ]e n'en
bats qu'un et que les autres ne sont pas battus, là, je suis
discriminatoire envers celui-là. La personne nous a dit: Oui, c'est
vrai.
Le Président (M. Filion): D'où tout le sens du
plaidoyer qui est contenu dans votre mémoire. Cela m'a frappé.
À la première page, vous dites, lorsque vous parlez des personnes
ayant une déficience intellectuelle: "souvent victimes d'une "culture de
la tolérance" cautionnant les atteintes à leurs droits".
Également, un peu plus loin dans votre mémoire, on parle de
discrimination systémique. Quand on pense aux Institutions scolaires, le
problème que vous soulevez n'est sûrement pas facile, chose
certaine. Est-ce qu'il y a eu des discussions entre vous et la Commission des
droits de la personne sur ce sujet spécifique de la discrimination
systémique dans les institutions scolaires, en particulier pour les
personnes atteintes de déficience?
Mme Robitaille-Rousseau: II y a eu depuis très longtemps
de nombreuses démarches auprès de la commission. Bien sûr,
dans la vision actuelle de son mandat, la commission n'a accepté de se
pencher que sur des cas particuliers, du cas par cas, qu'après environ
deux ans d'aiguillonnage presque constant et surtout devant des faits de plus
en plus évidents. Plus ça va, plus il y a de parents qui
demandent ce même droit pour leurs enfants et bâtissent des
dossiers. On avait auparavant des preuves plutôt légères
parce que les parents ne s'étaient pas donné pour mandat d'aller
recueillir des données leur permettant d'étayer leurs dossiers.
De plus
en plus, les parents, appuyés, d'ailleurs, par des professionnels
et même des gens du réseau de l'éducation, se
bâtissent des dossiers sérieux, solides, et arrivent avec des
preuves flagrantes, évidentes de discrimination, comme dans le cas de
Julie Legault. Mais des exemples comme celui-là, il y en a bien
d'autres. On n'est pas pour vous donner tous les exemples ici. On a un
énorme dossier chez nous.
Avec l'aide de l'Office des personnes handicapées du
Québec, nous avons organisé une rencontre entre les deux
présidents, celui de l'Office des personnes handicapées du
Québec et celui de la Commission des droits de la personne. Cela a
abouti à une réflexion de la commission. On a rencontré
ensuite un membre de la commission pour lui parler de chacun des dossiers,
suivant nos connaissances et aussi de l'ensemble des dossiers. La commission se
penche, actuellement sur le dossier, mais jusqu'à quand va-t-elle se
pencher là-dessus? Jusqu'à temps de tomber dans le
précipice? On ne le sait pas. Cela fait longtemps et on attend avec
beaucoup d'espoir que la commission bouge dans le dossier.
Le Président (M. Filion): D'accord. Votre intervention
arrive fort à propos. Je tiens à signaler - ce n'est pas pour
faire des blâmes à qui que ce soit, ce sont des choix - que les
membres de cette commission avaient Invité l'Office des personnes
handicapées, on s'en souviendra, à venir témoigner devant
elle, mais, pour des raisons qui appartiennent à l'office et que nous ne
jugerons d'aucune façon, l'office a décliné notre offre.
Je pense, à ce moment-ci, que l'argumentation développée
dans votre mémoire est d'autant plus précieuse pour nous.
Vous soulevez la question des délais, avec plusieurs exemples
très fracassants, si j'ose dire. Vous mentionnez notamment que, s'il y a
une chicane entre un propriétaire et un locataire, ils peuvent aller
devant la Régie du logement et, pour 5 $, espérer avoir une
décision à l'intérieur d'un délai de quelques mois.
Je pourrais aussi mentionner l'Office de la protection du consommateur. Si
j'achète une marchandise à 1,25 $ et qu'elle a été
annoncée à 1,10 $, pour tes 0,15 $ de remboursement, cela peut
aller très rapidement: si j'ai l'annonce, on peut même
régler cela à la caisse ou ce sera une question de jours pour que
l'office intervienne. Vous mentionnez, évidemment, à partir de
certaines comparaisons, le fait que les délais de résolution et
de traitement des dossiers sont nettement trop étendus, compte tenu de
l'importance de l'attente qui, dans certains cas - et vous le soulevez avec
raison - peut être permanente même, c'est-à-dire qu'elle
peut s'étendre sur toute une vie. Dans le cas du système
d'éducation, cela peut représenter un retard d'une ou deux
années sur le plan scolaire.
Maintenant, je suis convaincu que vous réalisez aussi que les
délais s'expliquent en partie par le fait que la matière est plus
com- plexe, plus délicate, plus abstraite, même, dans certains
cas. Vous posez certaines questions dans votre mémoire: Où finit
la liberté d'expression et où commence l'incitation à la
discrimination? C'est plus difficile à régler que 5 $ de loyer,
bien que la réponse soit d'une importance capitale pour les gens
concernés. Vous ramenez aussi ce problème des délais
à la question des effectifs. Là-dessus, je vous suis
énormément Vous faites référence au Bureau de
révision de l'évaluation locative où on réussit
à traiter rapidement des milliers de cas. Est-ce que vous avez eu
à constater les conséquences de ce manque d'effectifs à la
Commission des droits de la personne dans des dossiers concrets?
Mme Gilbert: Oui, dans le dernier dossier jusqu'à ce jour,
celui de l'intégration scolaire Cela fait deux ans que nous avons
commencé les démarches. Cela fait à peu près trois
mois, au maximum - je n'ai pas les données exactes - qu'on a eu un "OK"
de la commission, non pas pour mener une enquête, mais pour se pencher
sur ce dossier. Cela a pris encore plusieurs semaines avant qu'on puisse
rencontrer une personne pour expliquer les dossiers, les déposer. Cela
fait déjà plusieurs semaines que cela est fait et on attend
encore. On est toujours obligé de relancer. Lorsqu'on a un dossier
devant la commission, on relance, on relance, on relance les gens parce que ce
n'est pas eux qui prennent le téléphone et qui nous appellent
pour nous dire: Votre dossier est rendu à tel ou tel stade. Les
enquêteurs eux-mêmes nous ont souligné à plusieurs
reprises qu'ils étaient complètement débordés. Je
pense que, lorsqu'on est aussi proche qu'on l'est de la commission, on se rend
compte que ce n'est pas une excuse qu'ils se donnent, ils sont effectivement
débordés.
Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière
question en ce qui me concerne dans la même veine que Mme la
députée de Groulx. En ce qui concerne les pouvoirs de coercition,
vous posez la question, je crois, à la fin de votre mémoire:
Est-ce que la commission est un tribunal ou pas? Qu'on s'enligne, qu'on nous le
dise, qu'on le sache. J'aimerais cela avoir votre opinion.
Mme Gilbert: Justement, on n'en a pas On s'est posé nous
aussi la question. On avoue que, dans certaines situations, on aimerait bien
que la commission soit décisionnelle. Dans d'autres cas, cela semble
moins évident. Avant d'adopter une prise de position qui n'aura pas
été plus approfondie par l'analyse de certains cas très
particuliers, ce qui serait mieux, je ne pense pas qu'actuellement on puisse
prendre fermement position, à savoir: Est-ce que la commission doit ou
ne doit pas être un tribunal? Ce qu'on sait, c'est qu'elle ne peut pas
être assise entre deux chaises. Elle ne peut pas être à
cheval sur la
clôture ou ce que vous voudrez. Si elle agit comme un tribunal,
qu'elle agisse comme un tribunal, et, si elle n'est pas un tribunal, qu'elle
n'agisse pas comme un tribunal. C'est très clair pour nous. Le reste de
la question? Il va falloir qu'on s'attelle à l'approfondir encore
davantage. Ce n'est peut-être pas évident que c'est la meilleure
chose de lui donner les pouvoirs d'un tribunal, mais II va falloir qu'on
l'étudié encore.
Le Président (M. Filion): Cela va. Je vous remercie. M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Une ou deux petites questions.
Premièrement, je veux vous remercier de votre participation
à nos travaux. Vous parlez dans votre mémoire du peu
d'information qui vous parvient de la Commission des droits de la personne. Je
présume que vous souhaiteriez - bien qu'on l'ait abordé un peu
tantôt, en parlant d'un nouveau document qui s'appelle Forum, je crois -
comme cela existe au ministère du Revenu, qu'il y ait des bulletins qui
puissent vous parvenir mensuellement sur l'interprétation de la charte
ou sur des décisions jurisprudentielles, si minimes soient-elles, quant
à l'interprétation de tel ou tel article en matière de
discrimination.
Vous faites état de la présence régionale. On n'a
pas eu l'occasion de l'aborder encore aujourd'hui, mais, effectivement, de la
discrimination, cela peut exister, non seulement à Montréal et
à Québec, mais également dans toutes les régions du
Québec, y inclus les quatre projets pilotes existant actuellement.
Le pouvoir coercitif, on vient de l'aborder. Vous parlez aussi des
commissaires nommés politiquement. On sait qu'ils sont nommés aux
deux tiers des membres de l'Assemblée nationale. En ce qui nous
concerne, au Québec, actuellement, les deux tiers des membres de
l'Assemblée nationale, cela ne peut être que le parti
ministériel, point, étant donné qu'il y a 21
députés de l'Opposition... 19, la semaine prochaine. Au
Nouveau-Brunswick, évidemment, lorsqu'on parle des deux tiers des
membres de l'Assemblée législative, on parle d'un parti. De toute
façon, je serais porté à être entièrement
d'accord, non seulement avec votre groupe, mais avec tous les groupes, que la
politique devrait faire un effort certain, pour s'assurer que les personnes
nommées soient très, très bien, non seulement
informées, mais compétentes dans les domaines relevant de ces
matières. Moi, en tout cas, comme adjoint au ministre de la Justice,
j'en prends bonne note pour l'avenir. Je ne dis pas que les personnes
actuellement ne sont pas compétentes, bien au contraire, sauf qu'on a
peut-être tendance, bien souvent, à se diriger strictement vers
des docteurs dans le domaine de l'enseignement; ce n'est peut-être pas
exclusif à ces personnes-là d'avoir une expertise dans le
domaine. Alors, c'est un peu un son de cloche que j'aimerais avoir de vous
plutôt qu'une question. J'aimerais avoir un souffle, à savoir si
vous êtes d'accord avec ce que je viens d'énumérer.
Mme Gilbert: II y avait beaucoup de choses dans votre
énumération. En règle générale, je pense
que.. Est-ce que vous avez des commentaires particuliers? Cela va? Alors,
règle générale, oui. En ce qui concerne les nominations au
conseil d'administration, je pense qu'on n'est pas très exigeants. Mais,
si l'on regarde la façon dont s'est faite la nomination du
président-directeur général de l'OPHQ l'année
dernière, je pense qu'on a tenu compte des avis et des groupes de
promotion, de la confédération des organismes de personnes
handicapées. Je pense que les groupes du milieu ont peut-être
à être un peu consultés. Je ne dis pas qu'ils soient
décisionnels et qu'eux mettent en place les gens... Il faudrait
s'assurer que les personnes qui travaillent à des dossiers aussi
imponants, aussi fondamentaux fassent la preuve qu'elles ont une connaissance
de ces dossiers-là et une implication au pian des droits, quels qu'ils
soient.
Le Président (M. Filion): D'accord. Alors, donc, il nous
reste à vous remercier d'avoir pris le temps de réfléchir,
d'en avoir discuté entre vous, peut-être avec vos membres, d'avoir
préparé ce mémoire, de nous l'avoir acheminé et de
vous être déplacés, aujourd'hui, pour vous livrer à
cet exercice tout à fait démocratique de consultation. Je dois
vous dire que, quant à moi - et je suis convaincu que c'est
partagé par les autres membres de cette commission - votre
mémoire m'a ouvert les yeux sur une dimension toute particulière,
qui est celle de la discrimination qui peut exister à l'égard
d'une clientèle déficiente intellectuellement. Je ne veux pas
dire par là que je n'étais pas conscient de son existence, mais
peut-être que je serai encore plus conscient des possibilités de
discrimination érigées en système dans notre
société. Et ça, c'est évidemment tout le but de la
charte, c'est tout le but de l'évolution que nous avons comme au
Québec. Je pense que c'est un domaine, en ce qui concerne l'avenir, que
c'est un problème sur lequel on devra se pencher. Et je suis convaincu,
quant à moi, que votre organisme continuera à le faire et
à faire valoir le point de vue de ces personnes. Donc, merci encore une
fois.
Mme Gilbert: Merci à vous tous. Bonsoir.
Le Président (M. Filion): On va suspendre les travaux deux
minutes pour laisser le temps è nos prochains invités, les
représentants du Centre de recherche-action sur les relations raciales,
que j'ai vus arriver tantôt parmi nous, de prendre place à la
table des invités, à l'avant, et, dans deux minutes, nous
recommencerons nos travaux.
(Suspension de la séance à 17 h 20)
(Reprise à 17 h 26)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
J'inviterais donc les représentants du Centre de recherche-action
sur les relations raciales à bien vouloir s'identifier. Je leur rappelle
que leur mémoire vous a déjà été
distribué sous la cote 6M.
Centre de recherche-action sur tes relations
raciales
M. Dortelus (Daniel): Bonsoir. Mon nom est Daniel Dortelus. Je
suis le secrétaire du CRARR. Je suis accompagné de M. Fo Niemi,
à ma droite, directeur général du CRARR, et, à ma
gauche, de M. Jonas Mas, animateur communautaire au CRARR.
Le Président (M. Filion): C'est bien. Je pense que vous
connaissez un peu nos règles du jeu. Une quinzaine de minutes vous sont
réservées pour la présentation sommaire de votre
mémoire. Par la suite, une période d'échanges de vues
d'environ 45 minutes aura lieu avec les parlementaires.
M. Dortelus: Merci. M. le Président, Mmes et MM. les
députés membres de la commission, c'est avec un grand plaisir et
beaucoup d'espoir que nous, du CRARR, avons soumis notre mémoire
concernant les orientations, les activités et la gestion de la
Commission des droits de la personne. Nous sommes heureux de pouvoir venir vous
faire la présentation de ce mémoire afin de clarifier certains
points, au besoin, et de répondre à vos questions.
Dans ce mémoire assez volumineux - il a une trentaine de pages -
il y a plusieurs points saillants. La façon dont nous comptons
procéder est la suivante. Le résumé portera surtout sur
les points saillants du mémoire, entre autres, le rôle
d'éducation de la commission, les règlements de litiges à
la commission, le processus de nomination des commissaires, la
représentativité et l'engagement des commissaires, les PAE -
programmes d'accès à l'égalité - et la
sous-représentativité des membres des minorités visibles
au sein du personnel de la Commission des droits de la personne du
Québec. Certains de ces points seront présentés par
moi-même et d'autres par Fo Niemi. Tout de suite, je cède la
parole à Fo, qui fera une introduction et qui parlera également
du rôle d'éducation de la commission.
M. Niemi (Fo): Premièrement, j'aimerais préciser
que le travail que nous faisons au CRARR est un travail de recherche et de
sensibilisation du public sur les questions de relations raciales et des droits
à l'égalité pour les minorités ethnoculturelles et
visibles ainsi que pour les autochtones en milieu urbain. C'est sur cette
question qu'on touche la discrimination basée sur la race, la couleur et
l'origine ethnique ou nationale.
Nous avons, depuis 1983, collaboré très étroitement
avec la Commission des droits de la personne dans des études assez
importantes, par exemple, celle portant sur les relations entre la police et
les minorités visibles à Montréal. Nous avons
développé une politique de harcèlement racial en milieu de
travail avec l'aide technique de la commission. Actuellement, nous
réalisons une grande étude sur les droits et la communauté
asiatique de Montréal, ce dont M. Jonas Mas pourra discuter plus
tard.
En outre, nous avons aussi tenu plusieurs conférences sur les
diverses questions de relations raciales et des droits de la personne, qu'elles
soient basées sur la charte canadienne ou sur la charte
québécoise. C'est avec ce genre de travail que nous avons pu
constater qu'il y a quelques sérieuses lacunes qui devraient être
corrigées immédiatement quant à l'éducation de la
commission. Nous avons constaté le manque de ressources
financières pour que la commission fasse un bon travail
d'éducation, de "out-reach" et de sensibilisation, surtout des
communautés protégées par la charte, mais qui ne
connaissent pas encore la charte. Il y a aussi la question de certaines
personnes responsables de l'éducation, mais qui manquent beaucoup
d'information et d'expérience concrète dans le domaine. Il y a un
peu trop de gens théoriques dans la botte. Pour cette raison, nous avons
fait la recommandation que la CDPQ devrait avoir une politique, une orientation
de dissémination d'informations plus efficace, plus adaptée
à l'ère technologique de la société d'information
que le Québec est devenu; aussi, la commission devrait avoir une
augmentation des ressources pour faire un meilleur travail d'éducation
et de sensibilisation.
Peut-être que la commission n'aurait pas tout le pouvoir ou toute
la possibilité de faire le travail. L'un des rôles que le
commission peut avoir, c'est d'encourager la création ou
l'établissement de structures comme des agents multiplicateurs dans les
Institutions publiques ou parapubliques qui veillent aussi aux questions des
droits de la personne au sein de ces institutions. On parle de la pratique du
faire-faire, page 7. C'est un moyen moins coûteux, beaucoup plus efficace
pour promouvoir les droits de la personne.
L'autre point qu'on préconise, c'est que la commission devrait
avoir la possibilité d'octroyer des contrats d'intervention, que ce soit
de recherche ou d'éducation des organismes communautaires, dans, par
exemple, les groupes de femmes, les minorités invisibles ou les
personnes handicapées, les groupes gais, ainsi de suite, qui connaissent
beaucoup mieux le milieu, leur milieu, et qui peuvent faire un travail beaucoup
plus efficace. C'est un autre moyen de mieux encourager la compréhension
de la charte, et le respect des droits de la personne dans ces milieux, au lieu
de centraliser toutes les activités
au sein de la CDPQ.
Il y a aussi la question de la présence régionale de la
CDPQ. Celle-ci souffre actuellement d'un grand problème de
visibilité et de présence concrète dans beaucoup de
domaines. Vous verrez que nous préconisons dans notre mémoire
que, oui, on appuie le principe de décentralisation, d'avoir des bureaux
partout dans la province de Québec, car la discrimination, la question
des droits et libertés affecte tous les secteurs de la
société québécoise. Par contre, on a une
restriction, c'est que la pratique de décentralisation, à la page
9, n'affecte pas l'efficacité de la commission, compte tenu de ses
ressources financières, humaines et techniques limitées.
Sur ce point, je passe la parole à mon collègue pour
parler des questions de litiges, le traitement des plaintes.
M. Dortelus: Sur le règlement des litiges à la
commission, il y a beaucoup à dire. Si vous remarquez, une bonne partie
du mémoire porte sur ce point. Je vais essayer d'être bref en
touchant tous les points essentiels. Le CRARR, comme a dit Fo Niemi, a fait une
étude sur le harcèlement racial en milieu de travail. En octobre
1986, cette recherche a été rendue publique et a
été suivie d'un séminaire où il y a avait beaucoup
d'intervenants, que ce soit du milieu du travail, syndical et patronal. II y
avait également beaucoup de groupes communautaires qui ont
assisté à ce séminaire. Lors de ce séminaire, le
CRARR s'est rendu compte - ou, du moins, cela a confirmé ce que beaucoup
d'organismes avec qui le CRARR collabore pensent - qu'il y a de sérieux
problèmes au plan du traitement des litiges à la commission.
Le CRARR a analysé le règlement des litiges à la
commission et a constaté les choses suivantes. Le législateur a
confié de grandes responsabilités à la commission. Aux
articles 65 et suivants de la charte, on voit l'étendue de ces
responsabilités-là. Je ne lirai pas les articles, je
présume que tout le monde les connaît. Également, en
matière d'enquête, le législateur a accordé à
la commission des pouvoirs assez suffisants qu'on retrouve aux articles 73 et
80 de la charte. Par contre, quand on en vient au pouvoir décisionnel,
le même législateur a doté la commission de bien peu de
pouvoirs. Il n'y a pas de tribunal indépendant pour traiter les
dossiers. Il a choisi de limiter le pouvoir de la commission à celui de
faire des recommandations, ce qui laisse la victime, lorsque la plainte est
fondée, à la merci de celui qui viole ses droits, parce que tout
ce que la commission peut faire, c'est de faire des recommandations.
L'expérience a démontré ce qui était à
prévoir: dans les cas où il y a violation
délibérée des droits par des individus, ils ne suivent pas
les recommandations de la commission.
Il y a d'autres problèmes que nous avons constatés
concernant le processus pour arriver à cette fameuse recommandation. Il
y a d'abord la réception de la plainte. Déjà, sur ce plan,
il y a des problèmes. Nous avons remarqué, selon l'agent de
recevabilité que le plaignant rencontre, que sa plainte peut être
bloquée dès l'étape de la recevabilité. Souvent,
les gens qui vont devant la commission ne sont pas représentés.
Souvent, il y a des recours qui sont bloqués dès ce stade de la
recevabilité.
Plus loin, en ce qui concerne l'enquête, il y a également
des problèmes. Le législateur a donné à la
commission le pouvoir et même le devoir de faire de la conciliation, de
la médiation et l'enquête. Malheureusement, à la
commission, ce même rôle est joué par la même personne
qui porte plusieurs chapeaux, ceux de médiateur, d'enquêteur et de
conciliateur. Finalement, cela aboutit à un rapport, rapport qui est
envoyé aux commissaires, commissaires qui n'ont jamais entendu les
plaignants et qui se basent sur le fameux rapport pour émettre des
recommandations. Tout ce processus prend environ deux ans. Deux ans plus tard,
le plaignant se retrouve avec des recommandations à la merci de celui
qui viole ses droits et, si les recommandations ne sont pas suivies, il faut
recommencer à zéro devant un tribunal de droit commun, un
tribunal civil.
Ce que nous avons remarqué, c'est qu'un tel processus ne garantit
pas un traitement impartial. Un tel processus est inefficace. On s'est rendu
compte que la majorité - cela, j'y reviendrai tantôt, lors de la
période de questions - des plaignants abandonnent leur plainte en cours
de route, soit sous forme de désistement, soit en acceptant un
règlement à la baisse pour en finir avec ce labyrinthe ou pour
sortir de ce processus, où, souvent, il ou elle devient l'accusé,
car la preuve directe en matière de discrimination est très
difficile à faire.
Des individus et des organismes n'ont plus confiance en la commission et
les victimes ou les plaignants, étant découragés, ne
s'adressent plus à la commission. Ceux qui enfreignent
délibérément les droits garantis par la charte, ce sont
eux qui ont beau jeu dans le système, car le mécanisme de
traitement des plaintes décourage les victimes plutôt que de
décourager les agresseurs des droits de la personne.
Par conséquent, afin d'assurer l'impartialité dans le
traitement des plaintes déposées devant la Commission des droits
de la personne, afin d'assurer l'accessibilité et l'efficacité
dans le mécanisme de traitement des plaintes déposées
devant la Commission des droits de la personne du Québec et, surtout,
afin d'assurer la défense et le respect réel des droits et
libertés garantis par la Charte des droits et libertés du
Québec, qui ne doit plus être seulement un énoncé de
principe, le CRARR a fait des recommandations. Entre autres, la
première, c'est que soit créé un tribunal administratif
genre "Board of Inquiry", qu'on retrouve dans toutes les autres provinces et
qu'on retrouve également à la Commission
canadienne des droits de la personne. À cette recommandation. II
y a d autres recommandations pour que les membres qui vont composer ce tribunal
aient une certaine expertise en matière de droits et libertés et
que le processus de sélection de ces membres ne soit pas celui qu'on
retrouve maintenant pour les commissaires, car on risque de se retrouver avec
pire que ce qu'on a.
Je reviendrai lors de la période de ques tions Je cède
encore la place à mon ami Fo.
M. Niemi: Si on voulait remettre en question le fonctionnement de
la CDPQ, il y a une question plus fondamentale. Ce sont les douze personnes qui
déterminent l'orientation et la direction de la CDPQ et, nous, au CRARR,
nous avons fréquemment remis en question non seulement le processus
actuel de nomination des commissaires dont vous êtes responsables mais
aussi le mérite et la compétence de plusieurs personnes. Par
exemple, nous parlons du cas concret d'une personne un commissaire soi-disant
professeur en droit, membre de la Commission des droits de la personne. Chaque
fois qu'il y a une tribune libre et publique, il déclare son opposition
publique et officielle aux pro grammes d'accès à
l'égalité. C'est comme nommer une femme réactionnaire au
Conseil du statut de la femme, pour dire: II faut que les femmes retournent
dans la cuisine.
Nous avons aussi remarqué une surreprésentation
Une voix: Je m'excuse il y avait une question.
Le Président (M. Filion): Je n'avais pas compris la
phrase, pourriez vous la répéter? Vous avez dit...
M. Niemi: Cela veut dire: C'est comme...
Le Président (M. Filion): Vous parliez d'un commissaire Je
m'excuse, j'ai manqué le début de la phrase, peut-être
à cause de l'acoustique.
M Niemi: C'est un commissaire qui est carrément et officiellement
opposé aux programmes d accès à l'égalité et
à titre de commissaire des droits de la personne responsable de la
charte qui contient des dispositions sur les PAE c'est anormal.
Aussi, il y a une autre question de surreprésentation des
personnes issues des milieux académiques et parfois juridiques qui ont
ten dance à aborder les questions des droits et libertés de
façon trop intellectuelle et théorique.
Finalement, nous avons aussi remarqué l'absence de commissaires
qui, dans l'ensemble, reflètent la diversité culturelle et
raciale de la société québécoise de 1987. Il n'y
avait pas, par exemple dans le passé, de gens issus de certaines
communautés comme les Italiens, les
Portuguais les Grecs et les Asiatiques Pour les Grecs cela a
changé récemment heureusement Aussi il y a bien des gens soi
disant d'origine ethnique mais qui n ont pas d enracinement dans les milieux
multiculturels.
Nous portons un jugement assez critique sur le système actuel
parce qu'on ne peut pas donner des messages mixtes à la population avec
ce genre de personnes à la commission. Par exemple, avec le
système actuel, nous avons des commissaires dont la position sur les PAE
les programmes d'accès à I'égalité, est totalement
inconnue, ce qui nous amène à demander si le défaut de
promouvoir les programmes d'accès a l'égalité à la
commission n'est pas dû à une absence de convictions de la part de
ces commissaires.
Nous avons aussi une autre question. Comment ces personnes peuvent elles
avoir la conscience tranquille quand elles savent que des victimes de
discrimination, des personnes défavorisées des personnes
soi-disant - surtout les femmes - pauvres et issues de tous les milieux
ethniques ou culturels passent par un processus de traitement de plaintes qui
prend jusqu'à deux et trois ans sans pour autant avoir une
décision favorable? Cest pour cela que nous avons fait une
recommandation d'avoir un système un peu plus progressiste plus
transparent, de nommer des personnes et que ce système permette aux
individus ou aux groupes qui seraient intéressés a la question d
intervenir avant que leur confirmation ne soit faite par I Assemblée
nationale.
II y a aussi la question des ressources. Nous avons fait la comparaison
des ressources financières et des ressources humaines entre la CDPQ et
l'Office de la langue française parce que ce sont deux organismes qui
mettent en oeuvre les deux chartes les plus fondamentales au Québec. Et
là quand on compare ces ressources il faut s interroger un peu sur
I'intention ou I engage ment du gouvernement envers les droits de la personne
autres que les droits linguistiques (17 h 45)
Finalement, il y a la question des pro grammes d'accès à
l'égalité On constate que la division des programmes
d'accès à l'égalité semble coincée avec
I'élaboration des théories des principes des grands schemes et ne
peut pas mettre en oeuvre ces programmes là. Je laisserais l'autre
partie, l'autre faiblesse de la CDPQ à mon collègue.
M. Dortelus. Pour donner I exemple dun employeur qui pratique
I'accès à légalité dans I'emploi la Commission des
droits de la personne du Québec devrait elle-même assurer que ses
117 employés reflètent de façon raisonnable notre
société multiculturelle et multiraciale. Le CRARR remarque qu il
y a une sous représentation sérieuse des membres des diverses
communautés au sein du personnel. Par exemple, la Commission des droits
de la personne n a que trois Noirs - en venant, on m'a dit qu il en reste
deux - un Asiatique et aucun Indo-Pakistanais à son emploi. Il
est impossible de savoir combien d'autochtones travaillent à la
Commission des droits de la personne. Cette sous-représentation et
l'absence d'une politique concertée en matière de relations
raciales créent souvent des perceptions négatives au sein de
plusieurs groupes envers la Commission des droits de la personne du
Québec. Le CRARR a d'ailleurs souvent entendu des commentaires
négatifs, en ce sens que la direction des PAE, programmes d'accès
à l'égalité, en fonction depuis décembre 1985, n'a
aucun membre d'une minorité visible parmi ses 18 membres.
Existe-t-il de la discrimination systémique dans le
système de recrutement et d'embauche de la Commission des droits de la
personne du Québec? Pour cela, le CRARR recommande que la Commission des
droits de la personne révise, ou que le législateur la force a le
faire si elle refuse de le faire, ses propres critères de recrutement,
de sélection et d'embauche, et qu'elle prenne des mesures pour
réaliser une représentation proportionnelle et raisonnable des
minorités ethnoculturelles et visibles au sein même de sa
structure.
M. Niemi: Finalement, pour conclure, même si notre mandat
porte sur les relations raciales, la promotion des droits des minorités
ethniques et visibles et des autochtones les mesures qu'on préconise,
ici, je pense, touchent l'ensemble de la population québécoise.
Ce qu'on voudrait vous dire aussi, c'est que la défense et la promotion
des droits de la personne ne peuvent pas être faites toutes seules par un
organisme qui s'appelle la Commission des droits de la personne, surtout quand
l'organisme n'a pas assez de ressources financières pour le faire. Non
seulement c'est tout l'ensemble de la population qui devrait être plus
sensibilisé pour respecter les principes de la charte comme telle, mais
les législateurs devraient aussi prendre des mesures concrètes de
leadership pour s'engager concrètement, sans engager toute la
population, dans la maintien d'une paix sociale, une paix interraciale, qu'on a
vue récemment menacée à Montréal et qu'on a
déjà vue menacée dans divers secteurs de la
société québécoise. On n'a pas encore oublié
l'affaire Restigouche, au sud de la province. C'est aussi dans le
développement d'un climat socio-économique et politique où
l'accès à l'égalité deviendra une norme de la
société québécoise et où les programmes
d'accès à l'égalité seront aussi normaux que les
programmes sociaux que nous connaissons maintenant.
M. Dortelus: C'était tout pour la présentation,
nous sommes maintenant prêts pour vos questions.
Le Président (M. Filion): Pour les échanges. M. le
député de Beauharnois.
M. Marcil: À la lecture de votre mémoire, on
s'aperçoit qu'en ce qui concerne l'information, l'éducation et le
rôle qu'a à Jouer la Commission des droits de la personne vous
constatez un manque de visibilité de la commission des droits, et les
services vous paraissent difficilement accessibles. Vous appuyez aussi le
principe d'augmenter la présence régionale, tout en
évitant d'affecter l'efficacité de la commission. Vous dites que
cette commission a très peu de pouvoirs et vous proposez un genre de
tribunal administratif. Vous mettez également en évidence, comme
plusieurs groupes qui vous ont précédés, le conflit de
rôles entre l'enquêteur et le médiateur. Naturellement, vous
remettez aussi en question tout le processus de nomination des commissaires,
surtout en ce qui concerne le choix des gens et également en ce qui
concerne la représentation: on ne voit pas tellement de gens des
différentes communautés culturelles du Québec. On retrouve
davantage, comme vous le dites... On l'avait déjà soulevé
lors d'une commission parlementaire, où on se demandait s'il y avait
autre chose que des juristes ou des gens de l'enseignement, mais surtout du
monde de la justice, qui pourrait jouer un rôle quand même
primordial.
Donc, si je résume, vos propositions et suggestions vont quand
même assez loin et sont très précises. Si je comprends bien
votre analyse objective de la situation, vous dites que la Commission des
droits de la personne est une nécessité et qu'il faut continuer
à ta rendre davantage efficace et lui donner les moyens de le faire,
tout en maintenant aussi un certain degré d'impartialité. Le
degré d'impartialité n'est pas dû à la bonne foi des
commissaires ou au manque de bonne foi des commissaires, il est plus souvent
dû aux mécanismes qu'ils ont. au personnel rattaché ou au
rôle qui leur est dévolu.
Donc, pour présenter un peu deux façons d'aborder le
problème, deux solutions: d'une part, la Commission des droits de la
personne pourrait accentuer davantage son travail sur la diffusion,
l'information des droits et libertés de la charte dans tout le
Québec, dans les organismes. Parallèlement à cela, on
pourrait mettre sur pied un tribunal administratif qui pourrait, justement,
recevoir des plaintes, précédé naturellement d'un
comité spécial qui aurait pour mandat de recevoir les plaintes,
de les évaluer et, après enquête, de les
référer au tribunal administratif, qui se rapprocherait pas mal
de ce qui existe comme organisme pour ce qui est de la Commission canadienne
des droits de la personne. Mais je pense que vous allez encore plus loin
qu'eux.
Tout en n'étant ni contre ni pour, parce que les propositions
sont quand même valables, ne trouvez-vous pas que c'est changer, non en
termes de philosophie ni pour ce qui est des grands principes de la Charte des
droits et libertés ou du rôle qui est dévolu à la
commission, mais changer complètement l'action de la
Commission des droits de la personne ou sa façon d intervenir
auprès de la population et sa façon de traiter toutes ces
plaintes?
M. Niemi: II y a deux choses ici Je pense que dans la charte
elle-même - je pense que ce n'est pas e forum approprié ici -
certaines dispositions méritent un autre examen pour voir s'il y a lien
à une amélioration. II y a des articles qui sont faibles ou des
articles qui sont un peu flous. D'autre part, au niveau opérationnel et
décisionnel de la haute direction de la CDPQ, iI y a bien sûr des
choses à faire, à changer, parce jue c'est cela le
problème.
Pour illustrer un peu le problème de ce qu'on appelle en anglais
"being out of touch", le 5 décembre prochain, la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec,
pour la première fois de sa vie, va tenir un colloque sur les
médias face au pluralisme culturel comment tes médias
d'Iniormation devraient couvrir les affaires portant sur les ethnies et tout
cela. On parle essentielement, dans la perspective des droits de la personne,
d'une part, de liberté de presse et de liberté de parole et,
d'autre part, du droit à la non-discrimination de certains groupes. Je
pense que c'est une occasion unique pour que la commission réalise son
mandat et son rôle d'éducation. La commission a produit des
documents. Récemment, elle a produit une prise de position sur un
article dans L'Actualité. Je l'ai même mentionné
à certains directeurs de service au sein de la CDPQ, finalement, quand
jai vu le programme, iI n'y avait aucune trace de la CDPQ. Je trouve qu'on a
peut-être manqué le bateau, mais c'est un moment très
unique pour le faire.
II y a aussi la conférence sur l'éducation
interculturelle. On parle des questions de racisme dans le système
scolaire, dans l'école québécoise, et là il faut
que nous, du CRARR, on aille à quelqu'un de la CDPQ pour dire. Est-ce
que vous pouvez partage un panel parlant de la question des droits de la
personne dans le milieu scolaire avec nous? Je pense que, pour des organismes
comme nous, ce n'est pas notre rôle d'aller à la commission pour
demander que la commission augmente sa visibilité et ses interventions.
C'est à elle de faire cela, surtout à cause du fait qu'elle a
beaucoup plus de ressources que nous.
M. Dortelus: Quant à la question de la bonne foi des
commissaires, avec toute la bonne volonté qu'ils peuvent avoir
aujourd'hui, il y a certaines choses qu'ils ne peuvent pas faire parce que la
charte limite les pouvoirs de la commission, entre autres, le fameux pouvoir de
recommandation qui est prévu à l'article 82. Même si des
Commissaires prennent en pitié une petite dame. Cela fait deux ans que
vous attendez, on veut ordonner quelque chose, ils ne peuvent pas parce que
I'article 82 de la charte leur donne seulement le pouvoir de faire des
recommandations.
Par contre, il y a certains aspects ou même avec les limites
actuelles. Avec un peu de "fair play", je pense que les commissaires
aujourd'hui, pourraient facilement, dans le cheminement d'une plainte, voir
à ce que ce ne soit pas la même personne qui fasse la
médiation et l'enquête. La charte prévoit que la commission
a le pouvoir de faire tout cela, mais nulle part dans la charte on ne dit.
C'est une seule et même personne qui peut le faire. Mais peut être
est-ce pour des raisons économiques que la même personne fait
l'enquête et est médiateur et conciliateur. Pour nous, avocats,
parfois c est aberrant ce qu'on voit à la commission. On ne voit pas
cela dans d'autres organismes qui décident de sujets parfois moins
importants que ceux de la charte.
M. Niemi: Je peux peut être ajouter à cela qu'il
faut être conscient du fait que si nous laissons à la commission
le pouvoir de recommandation et qu'il faut que la commission aille en cour pour
demander une décision ou quelque chose d'exécutoire notre
système judiciaire demeure encore très insensible à la
réalité multiculturelle du Québec. II y a des juges qui
peut-être, dans leur vie personnelle, n'ont jamais eu l'occasion de faire
face à quelqu'un d'une autre origine ethnique. On a remarqué
aussi des attitudes assez conservatrices de juges qui imposent comme
décision, parfois, dans les cas de brutalité policière,
des pénalités de 500 $. Après deux, trois ans d'action
juridique 500 $ c'est comme lancer de l'eau froide à la face de
quelqu'un qui s est fait battre. À long terme ce sont ces gens qui font
perdre confiance en notre système judiciaire, en la capacité du
système judiciaire d'agir concrètement efficacement et rapidement
pour que |ustice soit rendue. C'est cela l'enjeu C'est pour cette raison qu'il
ne faut pas maintenir ces pouvoirs de recommandation parce que la CDPQ doit
aller en cour. La cour, parfois c est la barrière.
Notre jurisprudence sur les droits de la personne, au Québec est,
je dirais, assez sous développée. On emprunte des notions
américaines on emprunte des notions britanniques mais |e pense que, si
nous voulons une société vraiment distincte, il faut que, nous
aussi nous commecions à développer notre propre jurisprudence
québécoise en matière des droits et libertés de la
personne. Et je pense que les tribunaux sont tres retardés sur cette
question.
Le Président (M. Filion): M. Mas, je pense que vous
vouliez ajouter quelque chose.
M Mas (Jonas): Oui Mes collègues ont beaucoup parlé
des avenues juridiques que la Commission des droits de la personne peut
améliorer .Mais j'aimerais ajouter quelque chose sur les
activités éducatives et informatives de la Commission des droits
de la personne. Je suis responsable d un projet, au CRARR, qui a pour
but de sensibiliser les communautés asiatiques de Montréal
sur les questions des droits de la personne. Comme vous le voyez, les
communautés asiatiques, qui regroupent plus de 80 000
Québécois d'origine asiatique, sont perçues comme bien
intégrées et autosuffisantes. En tout cas, elles n'ont aucun
problème dans la société d'accueil. Cela se reflète
probablement dans le fait qu'il y a eu très peu de plaintes
portées à la Commission des droits de la personne depuis dix ans
que la commission a été créée. À ma
connaissance, il y a à peu près deux ou trois cas qui ont
été portés à son attention par les
Québécois d'origine asiatique. {18 heures)
Selon une étude qu'on a effectuée l'année
dernière - on a Interviewé quelques leaders dans la
communauté asiatique - on est informé qu'au moins 43 % des
membres de la communauté asiatique perçoivent les
problèmes de discrimination comme courants ou très courants dans
leur communauté. Seulement 20 % sont au courant de l'existence de la
Commission des droits de la personne ou de ses fonctions. Comme je l'ai dit, je
suis responsable d'un projet de sensibilisation et j'ai rencontré
quelques communautés asiatiques pendant les deux derniers mois. C'est
très souvent pour la première fois que les gens de la
communauté asiatique sont en contact avec la Charte des droits et
libertés ou même les fonctions de la Commission des droits de la
personne. C'est nous, un organisme communautaire, qui prenons les
responsabilités de la Commission des droits de la personne. À mon
avis, c'est vraiment regrettable.
II y a une autre dimension dans te projet que j'aimerais souligner,
c'est la réaction des communautés asiatiques, et les
recommandations des membres de la communauté asiatique concernant le
problème des droits de la personne. La plupart des membres de la
communauté asiatique ne sont pas vraiment au courant des conceptions des
droits de la personne et connaissent très peu la fonction de la
Commission des droits de fa personne. Très souvent, ils n'ont même
pas de contact avec la Commission des droits de la personne. Ce qui manque
c'est l'Information et la sensibilisation auprès des gens.
Il y a deux recommandations qui sont, je pense, très pertinentes
quand on parle de la Commission des droits de la personne. Premièrement,
il n'y a aucun employé à la Commission des droits de la personne
qui est d'origine asiatique. Apparemment, il y en a une ou deux personnes mais
elles ne participent pas à des activités d'information
auprès des communautés asiatiques. La première
recommandation que les communautés asiatiques ont apportée, c'est
d'améliorer ou même de commencer les activités
d'information et de sensibilisation auprès des communautés
asiatiques. La deuxième recommandation c'est qu'il faut établir
des programmes d'accès à l'égalité auprès
des membres de la communauté asiatique pour qu'on ait des
employés d'origine asiatique qui travaillent au sein de la Commission
des droits de la personne. Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Mas. M. le
député de Beauharnois.
M. Marcil: Toujours dans la même ligne de pensée -
on parle toujours du tribunal administratif - on est sûr- que cette
charte est fondamentale. C'est le fondement même de l'évolution
d'une société, d'un peuple. On a élaboré les grands
principes. Maintenant, on essaie de les appliquer. On n'a pas
nécessairement les bons moyens, les bons outils. Après plusieurs
années d'expérience, on s'aperçoit qu'il y a des lacunes
majeures, quant à la réponse qu'on a à donner face aux
plaignants, à l'évaluation de la plainte, à
l'exécution d'une décision. La décision de la commission
n'est pas exécutoire. C'est paradoxal. On veut faire en sorte que les
droits et libertés des gens soient protégées, d'une part,
et, d'autre part, lorsqu'on évalue, qu'on juge la plainte, même si
on recommande quelque chose, la décision n'est pas exécutoire.
Est-ce qu'on protège, est-ce qu'on respecte réellement la
liberté des gens? Vour parlez d'un tribunal administratif. Il semble que
ce soit une formule qui va être analysée sérieusement. J'ai
l'impression qu'on remet en cause, un peu, tout notre système
d'administration de la justice, au Québec Je vais loin, peut-être,
quand je dis cela, mais on s'aperçoit que, dans les cours, on est
surchargés. C'est ce qui fait que, souvent, on essaie de filtrer
davantage tous les problèmes, à la base, en essayant d'utiliser
peut-être davantage la médiation pour éviter d'aller
à la cour puisque les cours sont de plus en plus surchargées.
On propose, ici, un tribunal administratif comme on l'a fait pour le
Tribunal de la Jeunesse lorsque, à un moment donné, on a voulu
circonscrire le problème de jeunesse. Bientôt, on va probablement
parler d'un tribunal administratif, en ce qui concerne l'application de la loi
101. On va peut-être parler d'un tribunal, également, en ce qui
concerne les personnes âgées. On en arrive, dirait-on, pas
nécessairement à spécialiser, mais à proposer une
autre façon d'administrer, si vous voulez, l'appareil judiciaire au
Québec, dans le but de répondre de façon efficace et
rapide à des plaintes et d'avoir un pouvoir exécutoire. Ce n'est
pas méchant en sol. C'est discutable et cela va, sûrement,
être discuté à notre commission, immédiatement
après la période des audiences. Si je revenais maintenant au
rôle de la Commission des droits de la personne, quel serait le
rôle spécifique que vous lui donneriez si on appliquait votre
proposition de créer un tribunal admnistratif
précédé d'un comité pour recevoir les plaintes, les
analyser, les évaluer? Ce serait quoi, le rôle spécifique
que vous proposeriez pour la Commission des droits de la personne?
M. Dorielus: Le rôle qu'on proposerait, c'est son vrai
rôle. C'est-à-dire d'être le chien de garde pour appliquer
la Charte des droits et libertés Elle a ce rôle là, mais
elle est placée également. Prenons, pour exemple, au stade de
l'enquête, une expérience concrète. II n'y a pas si
longtemps j'ai demandé à un enquêteur d'envoyer des
subpoena. II m'a dit Je ne veux pas déplacer beaucoup de monde. II n'a
pas vu que son rôle, c'était de voir au respect des droits de la
charte et non pas de commencer à prendre le bord de l'autre partie.
Le vrai rôle de la commission et de toutes les commissions des
droits de la personne, c'est de voir à la défense de la charte
des droits. Dans les autres provinces, ce sont des 'Human Rights Statutes".
Avec la création d'un tribunal indépendant, la commission ne sera
plus placée dans des situations de conflits d'intérêts
parce que son vrai visage et son vrai chapeau, elle l'aura défende les
droits garantis par la charte. Le tribunal étant indépendant, sf
le tribunal rend des décisions, la commission n'aura pas à se
sentir mal, elle aura fait son travail qui était d'aller chercher la
preuve il y a une violation des droits, quelque part, on amène le
dossier devant le tribunal et le tribunal tranche.
Donc, à cet sujet là. Je ne crois pas que le rôle de
la commission changerait. La commission serait, plutôt, placée
dans une situation ou elle pourrait jour son vrai rôle, qui est de voir
à la défense et à a promotion des droits garantis par la
charte.
M. Niemi: Je pense aussi que la CDPQ a non seulement, le
rôle de veiller à ce que les droits d'une personne ne soient pas
violés, entre indivdus mais aussi entre le gouvernement et les citoyens
et le; citoyennes. Je regrette qu'on ait eu une sorte de réaction. Je me
souviens encore, lorsque Mme Francine Fournier était là et que
I'ancien gouvernement s'apprêtait à adopter la loi 111, que la
commission a carrément dit publiquement. Non, cela viole la charte, pour
certaines raisons. Les législateurs ont, cependant, adepte une loi, une
clause dérogatoire. Mais, au moins, la commission s'était
prononcée. Récemment, il y a eu beaucoup d'autres instances
où certaines politiques gouvernementales pouvaient violer certains
droits et libertés de la personne. On a parlé du fameux cas des
boubou-macoutes, par exemple.Est-ce que la commission va se prononcer
là-dessus bientôt? Où en est on avec la plainte d une
personne sur une question de droit à la vie privée? Ou en est on?
Donc, la commission a un rôle non seulement entre les citoyens, mais
aussi entre le gouvernement et les citoyens. C'est cela le rôle de chien
de garde.
Le Président (M. Filion): Pour votre information, en ce
qui concerne ceux que vous appelez boubou-macoutes et qui sont, en fait, des
inspecteurs du ministère de la Santé et des
Services sociaux, la commission s'est penchée là-dessus et
elle a émis un avis. Cela date déjà, de six ou neuf
mois.
D'abord, je voudrais vous remercier pour votre mémoire. Je dois
dire qu'il fait te tour du jardin comme la plupart des mémoires qui nous
ont été envoyés. Le mémoire est extrêmement
bien fait et, au chapitre des recommandations on sent le souci de
cohérence juridique pour que le mécanisme suggéré
fonctionne autant en hiver qu'en été, comme on dit parfois
à la blague.
En ce qui concerne la création du tribunal je dois vous dire ceci
c'est une des questions majeures sur laquelle on va devoir se pencher. Certains
intervenants nous ont déjà fait part d'autres nous en font part
dans les mémoires que nous étudierons dans les jours qui
viennent, qu'ils ne sont pas très chauds à l'idée de la
création d un tribunal administratif spécialise. Pour ces
personnes et ces organismes là le recours aux tribunaux de droit commun,
qui est tou|ours ouvert, constitue une sorte de garantie de protection tout
à fait suffisante. Sans le savoir, un peu en réponse à cet
argument là vous avez dit tantôt - et c'est aussi dans votre
mémoire, je crois - qu'à votre avis les tribunaux de droit commun
ne sont pas tellement sensibilisés à la question des droits et
libertés et que, dans certains cas, il y avait, avec tout le respect que
j'ai pour les juges et les magistrats comme une éducation à faire
de la magistrature qui est appelée à décider. Les juges
bien sûr restent des êtres humains qui ne peuvent pas tout
connaître. Les droits et libertés datent de 1977 ici, au
Québec. Ils ne peuvent pas être sensibles à tous les
secteurs en même temps ce n'est pas possible. Ils ne sont pas parfaits.
En ce sens là je rejoins une partie de votre argumentation mais, par
contre il faut aussi comprendre que les tribunaux vont comme vont les causes
qu'on leur présente. Plus il y aura de dossiers importants sur des
violations à la Charte des droits et libertés, plus il y aura de
magistrats qui seront sensibilisés. Ils en discutent entre eux, etc.
À part cet argument-là, du "manque de sensibilité,
entre guillements, sous toute réserve de la magistrature, est ce qu il y
a d autres arguments dans votre esprit, qui font en sorte que le recours au
droit commun ne doit pas être privilégié et que vous vous
en remettez quand même à la solution qui consisterait à
créer un tribunal administratif doté, bien sûr, dun pouvoir
coercitif?
M Dortelus: II y a beaucoup d'autres arguments
Le Président (M. Filion): II y a également la
question du conflit des rôles que l'on re trouve, aujourd'hui, au sein de
la Commission des droits de la personne un rôle de promotion un
rôle d'enquête un rôle de médiation et un rôle
d'adjudication en ce qui concerne la receva-
bilité et en ce qui concerne la déclaration de violation
ou non À part ces deux éléments-là - le
deuxième élément peut, peut-être, se
résoudre, je ne sais pas, à l'intérieur d'une
restructuration de la commission - mais est-ce qu'à part ces deux
arguments-là il y d'autres arguments dans votre esprit qui militent en
faveur de la création d'un tribunal? (18 h 15)
M. Dortelus: Oui, II y en a plusieurs. Les premiers auxquels je
peux penser, ce sont l'efficacité, la rapidité et la souplesse.
On sait, même devant la Cour provinciale, que les délais sont
assez longs. Devant la Cour supérieure, c'est la même chose et
aller encore encombrer les rôles ne serait pas la bonne chose. La
deuxième, c'est une question de conjoncture. Si vous regardez pour tes
neuf autres provinces et pour la commission fédérale, iI y a des
"Board of inquiry" II n'y a aucune autre province où les droits et
libertés sont laissés exclusivement sous la juridiction des
tribunaux de droit commun. Je lisais récemment qu'il y a eu en Ontario
une décision ou un juge, saisi de dossiers de violation de droits et
libertés, a dit. C'est l'affaire des commissions des droits de la
personne.
Et le même réflexe, on le voit maintenant 75 % des plaintes
déposées à la commission, les dix dernières
années, viennent du secteur du travail Or, dans le secteur du travail,
dans le secteur syndiqué, il y a l'arbitrage. II y a certaines
conventions qui contiennent des clauses antidiscriminatoires similaires
à celles qu'on retrouve dans les chartes. En pratique, lorsqu'un grief
est soumis, souvent, que ce soit pour l'agent syndical ou même pour
l'arbitre, l'aspect discrimination c'est l'affaire des commissions. Compte tenu
que nous sommes dans un domaine assez spécialisé, je ne crois pas
que ce serait une bonne chose de regarder du côté des tribunaux de
droit commun, peut-être du côté des tribunaux d'arbitrage.
En matière de droit du travail, on pourrait penser à modifier
certaines dispositions du Code du travail et bien sûr, dans la liste
annotée des griefs voir à nommer des arbitres qui ont une
certaine expertise en matière de droits et libertés. Sur ces
dossiers - je I ai dit tantôt, 75 % des cas viennent du secteur du droit
du travail - I'arbitre des griefs pourrait facilement se pencher. L'arbitre des
griefs, même si c'est une personne, c'est un tribunal et il a le pouvoir
de rendre des décisions exécutoires. Donc, pour répondre
directement, et, il y a d'autres arguments, je ne crois pas que les tribunaux
de droit commun soient les meilleurs tribunaux.
Je ne ferai pas de commentaires sur les juges parce que mon...
M. Niemi: Dans ce cas, je vais faire les commentaires sur les
juges et sur la magistrature. Vous savez, pour les membres des groupes
défavorisés et surtout pour les femmes, la plupart des juges sont
des hommes d'une autre génération. Pour les minorités
visibles la plupart des juges sont tous des Blancs. Surtout les autochtones ont
déjà beaucoup I'expérience judiciaire ou
I'expérience des préjugés raciaux dans le système
judiciaire. Je peux vous dire que, lorsqu'on paraît devant un Juge, on
sait que peut-être la justice va tenir compte de sa peau. Je pense que,
si vous allez tenir des audiences publiques sur les réactions des
groupes envers les juges, ici, au Québec, vous trouverez que certaines
personnes ont des attitudes un peu bizarres sur les questions de race, de
racisme ou même de sexisme. Bien sûr on a déjà
parlé du système de nomination des commissaires. On a
déjà, dans le passé, dans un autre forum,
suggéré que le système de nomination des juges au Canada
et au Québec soit éventuellement évalué. On a vu,
par exemple, comment les juges sont nommés aux États-Unis. Il
faut avoir certains mécanismes de contrôle pour savoir quels sont
ces hommes et ces femmes qu'on met sur le banc quelles sont leurs attitudes et
tout cela parce qu 'on ne le sait pas.
Les questions de droits de la personne ne sont pas seulement du ressort
des juges ou des avocats. De plus en plus ces questions de droits de la
personne ont une dimension économique et sociale. Donc, je ne pense pas
qu il faut les laisser à une minorité de gens disons, à
une sorte délite juridique et les laisser se nommer entre eux - ou,
question de patronage. Tu veux être juge, bon, je te nomme juge et bang -
comme ça, sans que les représentants élus que vous
êtes aient une chance de savoir qui on a nommé.
Le Président (M. Fillon): Oui, je suis quand même
obligé de vous arrêter là dessus. Vous savez qu'on a au
Québec un mode de nomination tout à fait différent de
celui qui existe au Canada. Deuxièmement, aux États-Unis, on va
d'un extrême à l'autre, il y a des comités
sénatoriaux qui doivent réviser les suggestions faites par le
pouvoir exécutif et, en même temps on procède à
I'élection et à la réélection de juges sur des
bulletins de vote, de sorte que les juges cherchent à être
populaires.
Le Québec a été un des premiers a innover à
l'époque cela doit faire sept à huit ans avec un mode de
sélection des juges par jurys qui font des recommandations. Le
gouvernement garde le dernier mot, mais cest à partir des personnes
recommandées par le jury. En fait je ne veux pas en faire un
débat mais je voudrais peut-être, vous rappeler que
là-dessus au Québec, on a fait un bout de chemin que plusieurs
autres provinces ou plusieurs autres coins du monde nous envient
M. Niemi: Ce jury e.st composé de citoyens qui font des
recommandations sur la nomination des juges?
Le Président (M. Filion): Oui, oui C'est
cela.
M. Niemi: Est ce que ce comité de citoyens
reflète.
Le Président (M. Filion): Ce ne sont pas uniquement des
citoyens, mais il y a un représentant des citoyens à ce
comité-là.
M. Niemi; Ce sont tous des Blancs?
Le Président (M. Filion): Eh bien, là,
écoutez, non, ce ne sont sûrement pas tous des Blancs ni des... II
y a des personnes qui sont nommées et qui peuvent sûrement
provenir des minorités, j'en suis convaincu. Mais quand même,
disons, je ne voudrais pas commencer un débat avec vous, ce n'est pas du
tout mon rôle. Je ne veux pas me faire le défenseur non plus des
nominations gouvernementales. Je suis membre du parti de l'Opposition je sais
que cela ne paraît pas, mais. Je voudrais revenir sur notre sujet
directement. Vous avez mentionné quelque chose d'extrêmement
important et qui est un peu à la base de votre jugement. Vous avez dit.
II y a un nombre de désistements très élevé, il y a
des règlements à la baisse et tout cela fait en sorte. Vous
êtes assez lapidaire dans votre jugement, peu importe le texte même
quand vous dites. II y a une perte de confiance chez les gens que mus
connaissons à l'égard de la Commission des droits de la personne.
J'ai été frappé, également, par quelques
éléments statistiques que M. Mas nous a
révélés tantôt et je me demande si j'ai bien compris
le premier chiffre, je pense que c'était quelque chose comme 83 % des
personnes interrogées dans votre enquête qui se disaient, en
partie ou totalement ou à I'occasion, victimes de discrimination, mais
que seulement 20 % connaissaient I'existence de la Commission des droits de la
personne, est ce que je me trompe?
M. Mas: Oui. Ce ne sont pas 83 % ce sont 43 %.
Le Président (M. Filion): Ah, 43 %, bon.
M. Mas: qui perçoivent les problèmes de
discrimination comme très courants dans leur communauté,mais
c'est vrai qu'il y a seulement 20 % qui sont au courant de l'existence de la
commission.
Le Président (M. Filion): 20 % de 43 % ou 20 % de 100 % du
même 100 %?
M. Mas: Même 100 % de la somme totale
Le Président (M. Filion): C'est le même 100 %
toujours, d'accord. Donc, la moitié des gens qui pouvaient ressentir
cette discrimination connaissaient I'existence de la Commission des droits de
la personne
M. Mas: C 'est exact
Le Président (M. Filion): C'est exact comme
déduction. J'ai été frappé par cet
élément statistique que je raccroche évidemment aux deux
autres constatations le nombre de désistements et également, le
nombre de règlements a la baisse. J'aimerais vous entendre expliquer
votre perception de ce nombre élevés de désistements une
perception qu on a pu constater dans d'autres mémoires également,
ou de ce que vous appelez les règlements à la baisse.
M. Dortelus: Pour ce qui est des désistements, souvent ce
qui arrive, cest que les gens se découragent au cours du processus qui
dure comme on l'a mentionné tantôt environ deux ans et qui
souvent, peut aller au-delà de deux ans. J'ai devant moi les
statistiques de 1985 1983 en montant en 1985, plus de 31 % des dossiers
étaient fermés à la suite d'un désistement en 1985,
31,7 % des dossiers étaient fermés a la suite d un
règlement. Bien sûr quand on parle de règlement cela se
peut que ce soit un bon règlement mais quand on sait la façon
dont cela fonctionne. Souvent les gens acceptent une lettre d'excuse, comme
règlement ils acceptent 100 $ comme règlement. On connaît
la pratique à la commission le rôle de I'enquêteur n'est pas
de prendre pour le plaignant ou de voir vraiment a ce que ses droits soient
défendus mais de constater qu'il y a eu un règlement. Je pourrais
faire référence à des déclarations qui pourraient
peut être vous être utiles. Je vais citer I'ancien directeur des
enquêtes à la commission pendant dix ans qui dit. On ne peut pas
tenir des enquêteurs et des enquêtrices responsables du type de
règlement intervenu. Si on regarde la charte il y a un article qui dit
que quand il y a un règlement on constate qu'il y a un règlement.
Cet article de la charte est interprété à la lettre. Tout
ce que I' enquêteur fait-il constate. Moi, comme avocat si je
négocie un règlement pour mon client si le règlement n'est
pas satisfaisant, je vais lui recommander de ne pas I'accepter. À la
commission, ce n'est pas comme ça que cela se passe. Dans certains cas
j'ai été procureur et I'enquêteur est content quand il y a
un règlement, il ferme le dossier. Souvent dans les cas ou j'ai
personnellement agi c'était un règlement à la baisse. On
ne peut pas parler de règlement. C'est une forme de désistement.
Même s'il n'y a pas de règlement la personne veut en finir de
toute façon avec la commission, cela ne donnera rien. On ne peut parler
de règlement à proprement parler. C'est une forme de
désistement c'est une question d'abandon de ses droits.
Le Président (M. Filion): À ce sujet là. M
le député de Beauharnois.
M. Marcil: J'ai vu dans mon comté, M. le Président,
un cas comme celui -là ou le plaignant
demandait une lettre d'excuses et une bouteille de champagne. Ce ne sont
pas des farces. Je vais vous le montrer.
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il t'a bu avec
vous?
M. Marcil: Il ne l'a sûrement pas bu avec mol. Une
bouteille de champagne, il faut le faire.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Dortelus: Il y a un excellent article dans Droits et
libertés, le bulletin de la Commission des droits de la personne, de
septembre 1986. L'ancien directeur - durant dix ans, de 1976 à 1986 -
des enquêtes de la commission fait état de la façon dont
cela se passe. Je vais vous lire un petit passage: "Le rôle de
l'enquêteur-médiateur est souvent mal compris du public. On lui
confie un mandat de médiation et non de négociation". Il ne
négocie pas. Donc, si la personne accepte 100 $ et une lettre d'excuses,
c'est son problème. Ce n'est pas le rôle de l'enquêteur. Ce
n'est pas à lui de voir si ce règlement est acceptable.
Je vous ferai remarquer qu'au fédéral, dans la loi
canadienne sur les droits de la personne, quand II y a un règlement, il
doit être soumis à l'approbation de la commission. Dans le
contexte québécois, non. C'est la même chose en Ontario; le
règlement doit être soumis à l'approbation de la
commission. Dans un tel contexte, on peut parler de règlement parce
qu'il y a un "check", quelque part. S'il y avait vraiment une violation
flagrante, l'enquêteur serait très mal placé de conseiller
à la victime d'accepter une bouteille de champagne. Il n'y a pas, ici,
ce mécanisme d'approbation. Tout ce que l'enquêteur fait, c'est
constater le règlement. C'est dans ce sens-là que l'explique que
nous nous en tenons au... C'est la position de plusieurs organismes et de
plusieurs personnes qui travaillent, également, avec les victimes et les
plaignants. Ce ne sont pas des règlements; ce sont des abandons purs et
simples.
Si vous voulez les statistiques pour 1983, dossiers fermés: 43,2
% étaient des désistements; règlements: 16.9 %; donc,
au-delà de 60 % des dossiers sont fermés et c'est grave. Si
l'intention était de décourager les gens, je pense qu'on a
réussi. Mais, si l'intention est de voir à la protection des
droits, je pense que cela presse et qu'il faut améliorer, pas tout
chambarder, comme le député de Beauharnois l'a mentionné
tantôt, et changer la perception à la direction. Non. Avec ce
qu'on a, il faut essayer de perfectionner. La commission demeurera la
même. Admettons que, demain matin, le législateur décide
d'amender la charte et de créer un tribunal administratif. Souvent les
gens perçoivent un tribunal comme une grosse bâtisse quelque part.
Ce n'est pas cela. Disons qu'il y aura un processus de nomination comme celui
des arbitres de griefs. Ces gens-là pourraient même siéger
à la CAS et ils pourraient utiliser les locaux de la CAS. Je ne pense
pas que les coûts seraient aussi énormes. C'est une question de
volonté et de volonté politique.
Je regardais, pendant ma recherche pour la présentation de ce
mémoire, ce qui s'est fait dans les autres provinces. Au Manitoba, on
était pris à peu près dans le même dilemme.
C'était semblable à ce qu'on voit aujourd'hui à la
commission québécoise. Cela n'a pas pris de temps aux avocats
pour "challenger" le système devant les tribunaux et, en 1970, en
Saskatchewan et au Manitoba, les gouvernements ont opté pour des
tribunaux administratifs indépendants, des "Boards of inquiry". En
Ontario, le "Board of Inquiry" est composé de personnes nommées
par le gouvernement. Quand une plainte doit être soumise au tribunal, on
la réfère à ces personnes-là qui entendent la
preuve et prennent une décision. Donc, ce n'est pas comme créer
un tribunal comme le Tribunal de la jeunesse, qui est assez gros. Je pense que
ce serait un petit tribunal du genre de celui d'un arbitre de griefs.
M. Marcil: Qui pourrait devenir gros aussi.
M. Dortelus: Oui, cela peut devenir gros On va commencer par
petit d'abord...
M. Marcil: II y a une question de besoins également. En
ouvrant, on permet de plus en plus aux gens de solliciter l'Intervention et
c'est tout à fait normal.
M. Dortelus: Je me sens très mal à l'aise
maintenant de conseiller à mes clients d'aller devant la commission. La
plupart des groupes et organismes qui travaillent avec ces gens vont les
référer à la commission en toute dernière place.
C'est grave. On ne fait pas cela pour démolir la commission. II y a un
problème.
Je vous réfère à un article qui est en annexe du
mémoire où déjà, en 1983. beaucoup de groupes...
L'article s'intitule: "À quoi sert la plus belle charte au monde si elle
n'est pas appliquée?" Il fait état de groupes de femmes, de gais,
de lesbiennes et d'organismes voués à la défense des
droits et libertés de la personne qui avaient les mêmes remarques
qu'on fait aujourd'hui. Ces remarques existaient et rien n'a changé.
Là, le public a le choix de ne plus aller à la commission et
nous, les avocats, n'avons qu'un choix, soit d'aller à la Cour
supérieure le plus souvent possible et de se rendre en Cour
suprême pour forcer les choses. Je ne pense pas que ce soit la voie
idéale. Je pense qu'on peut arriver, surtout quand on a la plus belle
charte... Il faut le dire, c'est vrai, la Charte des droits et libertés
de la personne, pour ce qui est des droits qui sont garantis, est beaucoup plus
libérale, beaucoup plus large que même la toi canadienne sur la
commission des droits de la personne.
Par contre, au fédéral et même Ici au Québec,
supposons qu'une personne travaille pour Air Canada ou le CN et ait un
problème de discrimination couvert par la loi canadienne sur les droits
de la personne. Cette personne a droit à un traitement de
première classe. La Commission des droits de la personne prévoit.
Un tribunal peut entendre sa cause et rendre une décision qui est
exécutoire. Tout le processus qu'on a à Québec,
médiation, conciliation, existe aussi.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier pour
la clarté de votre mémoire. Vous savez, il y a beaucoup de sujets
dont on n'a pas traité.- ici et qui faisaient partie de vos
préoccupations, soit la présence régionale, les programmes
d'accès à l'égalité et également, ce dont
vous avez traité brièvement, la nomination des commissaires de la
Commission des droits de la personne, ainsi que du personnel. Vous avez
posé des questions concernant le caractère de
représentativité du personnel. II y a d'autres sujets. Je
voudrais simplement vous assurer que l'ensemble de vos préoccupations ne
sont pas tombées dans l'oreille de personnes sourdes.
Bien sûr, lorsque notre travail d'audition sera terminé,
les membres de cette commission devront décider des recommandations qui
feront l'objet à leur tour d'une étude par les autorités
gouvernementales. Or, comme vous le voyez, c'est un processus éminemment
démocratique auquel vous vous êtes associés par des
critiques extrêmement constructives. Je tiens à le souligner
particulièrement.
Dans ce sens, on vous remercie de l'énergie et du temps que vous
y avez mis J'en profite également, au nom de mes collègues
sûrement, pour vous féliciter du travail que fait votre organisme,
non seulement à cause de la période que nous traversons ici au
Québec, mais dans l'ensemble. Je pense notamment à vos
conférences qui visent à sensibiliser l'ensemble des membres de
notre société à l'existence de tensions raciales
possibles, surtout à la possibilité de les diminuer et, si
possible, des les annihiler, ce qui va faire de notre société une
société moins explosive que d'autres, particulièrement
quand on regarde ce qui peut se passer, notamment dans certains pays
européens. Le Québec est jeune et nous devons dès le
début nous attaquer à extirper toute racine de racisme qui
pourrait avoir tendance à pousser. En ce sens, merci de votre
collaboration.
Les travaux de notre commission sont suspendus jusqu'à 20 heures.
Merci.
(Suspension de ia séance à 18 h 35)
(Reprise à 20 h 7)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette séance de la commission des institutions est maintenant
ouverte. Nous allons reprendre nos travaux ou nous les avions laissés.
Nous allons poursuivre les consultations particulières en ce qui
concerne l'examen des orientations, des activités et de la gestion de la
Commission des droits de la personne. Au menu, ce soir, deux groupes l'Office
des droits des détenus et l'Association pour les droits de la
communauté gaie du Québec.
Je reconnais le coordonnateur de l'Office des droits des détenus,
M Jean-Claude Bernheim, qui est avec nous
Office des droits des détenus
M. Bernheim (Jean-Claude): Bonjour.
Le Président (M. Filion): J'apprécierais qu'il nous
présente la personne qui l'accompagne.
M. Bernheim: Me Jeanne Cadieux.
Le Président (M. Filion): Mme Cadieux, bonsoir. Je vous
souhaite la bienvenue, ainsi qu'à M. Bernheim.
Je vous rappelle rapidement nos règles du jeu une période
d'environ quinze minutes vous est allouée pour présenter le
sommaire de votre mémoire, qui nous a déjà
été remis sous la cote 7M. Une période d'échange de
questions et réponses ou de commentaires avec les membres de cette
commission suivra. Donc la parole est à vous.
M. Bernheim: Merci, M. le Président. Je ne vous
transmettrai pas un résumé de notre commentaire, mais
plutôt un aspect complémentaire à la 28e question,
principalement. Dans le cadre de notre intervention devant cette commission
parlementaire, il n'est pas de notre intention de revenir sur ce que d'autres
groupes auraient pu exprimer au sujet des questions techniques ou
administratives concernant le fonctionnement de la Commission des droits de la
personne du Québec. Nous voulons profiter de l'occasion pour aborder des
questions de fond qui, si elles étaient prises en considération,
modifieraient considérablement tant la structure que le mandat de la
commission.
En effet, pour l'Office des droits des détenus, il est temps de
revoir en profondeur l'esprit et la lettre de la loi qui gouverne la Charte des
droits et libertés de la personne du Québec. Nous ne reviendrons
pas sur la demande relative au fait que la Charte des droits et libertés
de la personne soit une loi fondamentale primant toutes les autres lois qui
relèvent de la compétence du gouvernement du Québec. II
est à noter que le refus d'accepter une telle revendication n'est pas
une décision d'un parti politique, mais plutôt le résultat
d un consensus douteux de la part de ceux qui nous gouvernent.
Malgré tout venons-en aux suggestions qui
nous préoccupent prioritairement. Pour l'Office des droits des
détenus, il est évident que les pouvoirs actuels de la commission
sont dérisoires sinon contraires à l'esprit du préambule
de la charte et, notamment, du considérant suivant, citation. "Qu'il y a
lieu d'affirmer solennellement dans une charte les libertés et droits
fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la
volonté collective et mieux protégés contre toute
violation" fin de la citation.
En effet, la commission ne peut intervenir dans les cas de violation de
droits et libertés que lorsque ceux-ci sont exercés de
manière discriminatoire. Par conséquent, les abus de droit
exercés de manière non discriminatoire sont hors de sa
juridiction. L'effet d'une telle réalité est catastrophique
puisque certains peuvent interpréter cette décision politique
comme une caution de la part de l'État. Par conséquent, nous
allons formuler des recommandations pour que la commission ait plus de pouvoir
et un champ d intérêts le plus large possible.
Tout d'abord, nous allons examiner brièvement les pouvoirs d'un
certain nombre d'organismes internationaux avant de préciser ce que nous
souhaiterions voir accepter par les actuels détenteurs du pouvoir
politique du Québec.
La Convention européenne des droits de l'homme. La Convention
européenne des droits de l'homme a été mise sur pied afin
d'assurer le respect des engagements pris pour les hautes parties
contractantes, c'est-à-dire les pays signataires. À cette fin,
l'article 25 stipule que la commission peut être saisie d'une
requête adressée au Secrétariat général du
Conseil de I'Europe par toute personne physique, toute organisation non
gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime
d'une violation par I'une des hautes parties contractantes des droits reconnus
dans la convention. Ce recours individuel est subordonné aux conditions
de recevabilité dont la principale est classique en matière de
recours internationaux c'est I'épuisement des voies de recours interne.
II faut également que I'État partie ait expressément
accepté ce droit de recours individuel pour que la commission puisse en
être saisie. Une fois saisie de la requête et que celle-ci est
déclarée recevable, la commission a pour mandat d'établir
les faits et s'il y a lieu, elle se met à la disposition des
intéressés en vue de parvenir à un règlement
amiable de I'affaire qui s'inspire du respect des droits de l'homme, tel que le
reconnaît la convention à I'article 28. Au cas où aucune
solution à l'amiable n'a pu être trouvée, la commission
rédige un rapport dans lequel elle constate les faits et formule un avis
sur le point de savoir si les faits constatés révèlent, de
la part de I'État Intéressé, une violation des obligations
qui lui incombent aux termes de la convention. Le rapport est ensuite transmis
au Comité des ministres ainsi qu'aux États
intéressés. C'est là, malheureusement, que
s'arrêtent les possibilités des victimes de violation de droits le
relais politique entrant en jeu. S'iI y a eu violation de droits la Cour
européenne des droits de I'homme peut être saisie. L'article 44 de
la convention stipule que seules les hautes parties contractantes et la
commission ont qualité pour se présenter devant la cour. Par
contre la cour rend des arrêts motivés définitifs,
obligatoires et contraignants
La Commission interaméricaine des droits de l'homme. La
Commission interaméricaine des droits de I'homme a été
créée par le Conseil de l'Organisation des États
américains dont le Canada ne fait pas partie, soit dit en passant.
Jusqu'en 1965, la commission n'avait finalement que des compétences
académiques. Par la suite son mandat a été élargi
considérablement ce qui démontre qu'il est possible de
réviser les pouvoirs d'un organisme voué au respect des droits et
libertés. Globalement, on peut dire que les pouvoirs sont les
mêmes que ceux de la Commission européenne des droits de I'homme
Toutefois, il n'existe pas de recours politique comme il en existe un dans le
cadre du Conseil de l'Europe. Quant à la Cour interaméricaine des
droits de I'homme elle peut être saisie a la fois par la commission ou
par un État membre. Ses décisions sont aussi motivées,
définitives, sans appel, obligatoires et contraignantes
La Commission africaine des droits de I'homme et des peuples. La Charte
africaine des droits de I'homme et des peuples, dont la commission est issue,
est à certains égards empreinte d'un plus grand
libéralisme que les autres instruments internationaux puisque aucune
restriction quant aux droits et libertés n'est prévue en
période de guerre, de danger ou de crise. Par contre, là s
arrête notre intérêt. En effet, les victimes de violation de
droits et libertés n'ont pas le recours d'en saisir
systématiquement la commission. Dès lors une telle
procédure peut être engagée seulement si la majorité
des membres de la commission en décide ainsi. De plus la commission ne
peut aller au-delà d'une recommandation à la Conférence
des chefs d'État et de gouvernement. Finalement il faut constater qu'il
n'y a pas de cour africaine des droits et qu'aucune instance ne peut rendre de
décision contraignante. (20 h 15)
La Commission des droits de I'homme de l'ONU. La Commission des droits
de I'homme des Nations unies n'a pas de pouvoir contraignant. Par contre, elle
enquête sur des allégations concernant des violations des droits
et libertés et examine des communications relatives à ces
violations. L' intérêt de citer cette instance réside dans
le fait que malgré son absence de pouvoir contraignant elle a un pouvoir
moral important. En effet, la désignation, ces dernières
années de rapporteurs spéciaux et d experts pour faire
enquête a permis de mettre la communauté internationale face
à certaines violations des droits et libertés . Cette
procédure sans être
entièrement satisfaisante, n'est pas à rejeter, au
contraire.
Le Comité des droits de I'homme de l'ONU. Ce comité
institué en application de I'article 28 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, auquel le Canada a adhéré en
1976, a pour mandat de mettre en oeuvre les dispositions du pacte. Pour ce
faire, le comité examine les rapports qui sont présentés
par les États partie au pacte sur la façon dont ils appliquent
les dispositions. II peut examiner les communications formulées par un
État à l'encontre d'un autre, à condition que l'un et
l'autre aient fait une déclaration reconnaissant la compétence du
comité à cet effet. Finalement, en vertu des dispositions du
Protocole facultatif, auquel le Canada a également adhéré,
le comité est habilité à recevoir des recommandations
émanant de particuliers et à les examiner ici encore, il est
nécessaire que les recours internes soient épuisés pour
qu'une telle communication soit jugée recevable. Même si le
comité n'a pas de pouvoir contraignant, la publicisation de la
procédure a un effet certain sur le comportement des États.
L'Organisation internationale du travail. À la différence
des autres organisations intergouvernementales, l'OIT a une structure
tripartite. Chaque pays membre est représenté à la
Conférence internationale du travail, l'instance suprême de I'OIT,
ainsi qu'aux autres instances de l'organisation par deux
délégués du gouvernement, un délégué
des employeurs et un délégué des travailleurs. Là
réside l'élément original que nous voulons souligner.
D'autres exemples pourraient être présentés, mais
cela ne nous parait pas nécessaire pour la démonstration que nous
voulons formuler. En effet, nos propos veulent mettre en évidence
I'ampleur des mandats octroyés à des organismes internationaux
para-étatiques, comparativement à celui plus que restreint de la
Commission des droits de la personne du Québec. En somme, bien
conscients que ces organismes ne mettent pas un terme aux violations des droits
et libertés, il suffit de prendre connaissance des informations que nous
transmettent les médias pour constater la tragique réalité
que vivent des centaines de milliers de personnes. Par contre, demeurer
silencieux, muets ou indifférents est inacceptable. Aussi, nous ne
demeurons ni silencieux, ni muets, ni indifférents.
Pour I'Office des droits des détenus, il est inconcevable qu'un
organisme tel que la Commission des droits de la personne n'ait pas un mandat
de veiller à ce que le gouvernement du Québec et ses agents de
contrôle social respectent les droits et libertés de tous les
citoyens sans exception. En effet, comment s attendre que les autres
composantes de la société respectent les droits et
libertés de chacun si ceux qui nous gouvernent et leurs agents peuvent
les violer impunément? Le gouvernement les ministres et les
députés qui le représentent ont l'obligation morale de
respecter en toute occasion les droits et libertés de tous et chacun, de
dénoncer fermement toute violation, y compris celles commises par
certains de leurs fonctionnaires ou représentants incluant les agents de
la paix, de réaffirmer, quand les circonstances les y obligent leur
intime conviction que les droits et libertés sont sacrés et
inviolables.
En 1982, quand des détenus étaient torturés au
pénitencier Archambault et que tous et chacun en étaient
informés, à aucun moment les autorités politiques du
Québec ne sont intervenues pour réaffirmer que le gouvernement du
Québec ne tolérerait pas de telles violations sur son territoire,
comme le lui commande le partage des pouvoirs constitutionnels, lequel lui
accorde la responsabilité de l'administration de la justice,
c'est-à-dire de voir au respect du Code criminel sans discrimination.
Pourtant, à l'époque, nous avions affaire à un
gouvernement qui disait vouloir revendiquer plus de pouvoirs politiques.
Récemment, un jeune homme de 17 ans était abattu par un policier
de la CUM dans des circonstances pour le moins étranges. À celle
occasion, aucun de nos élus, tant municipaux que provinciaux, n'a
réaffirmé la primauté des droits et libertés en
tout temps. Dans de telles circonstances, nous ne demandons pas que les
pouvoirs législatifs et exécutifs se substituent au pouvoir
judiciaire ou portent un jugement mais bien qu ils réaffirment que le
respect des droits et libertés s Impose à tous et chacun.
L'inertie des gouvernements est interprétée par les violeurs de
droits et libertés comme une caution sinon un encouragement à
poursuivre leurs exactions.
En conséquence, nous demandons que la Commission des droits de la
personne du Québec soit mandatée pour recevoir les requêtes
individuelles ou les requêtes émanant de groupes pour
enquêter et agir dans tous les cas ou il y a violation par l'État
de droits et libertés reconnus par les articles 1 à 48 de la
Charte des droits et libertés de la personne et ce, quel que soit le
représentant de I'État incluant les agents de la paix que les
mêmes pouvoirs lui soient reconnus quel que soit I'auteur de la
violation, et que ces pouvoirs, enfin soient du type de ceux de la Commission
européenne des droits de I'homme ainsi que ceux de la Cour
européenne des droits de lhomme.
Alors, voilà le message que nous voulions vous livrer.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie M Bernheim M le
député de Notre Dame de-Grâce.
M Thuringer: M Bernheim et Me Cadieux merci d'avoir
préparé votre mémoire si attentivement. II y a quelques
questions qui me frappent. Vous avez parle du domaine de I'éducation et
|e me demande si vous pouvez décrire largement le type
d'éducation que vous envisagez et, deuxièmement, est ce que cette
éducation doit
viser en particulier les détenus?
M. Bernheim: En ce qui concerne l'éducation, je pense
qu'il y a un élément fondamental qu'il faut mettre de l'avant,
c'est que l'éducation est prioriaire. Mais je pense aussi que cette
éducation doit être d'abord le reflet du comportement de ceux qui
ont de l'autorité, c'est-à-dire que l'éducation doit se
faire d'abord par l'exempte, et Je pense que cet exemple doit d'abord venir de
ceux qui ont les rênes du pouvoir entre tes mains. Après cela, il
devrait y avoir des façons matérielles de transmettre
l'Information et de faire savoir aux jeunes, d'abord, qu'une charte existe, que
chacun a des droits, que chacun a des libertés, mais que, en
conséquence de cela, il y a nécessité de respecter les
autres. Je pense que cette éducation devrait être donnée
dans les écoles sur une base systématique.
M. Thuringer: Mais dans les familles, par exemple, est-ce qu'il y
a des moyens, là aussi, pour que...
M. Bernheim: Bien, je pense que, pour les familles, ou, si l'on
veut, le public adulte, il faut procéder au moyen d'exemptes. II s'agit
de prendre des situations types, des situations clés, vécues par
les gens, qui démontrent que, dans telle circonstance, il y a eu
violation de droits, qu'il y a eu des conséquences négatives et
que la façon d'agir est de respecter les droits. Alors, il y a de
multiples exemples qui se produisent dans notre société où
il y a violation de droits. On pourrait partir de ces faits, par exemple, dans
le domaine du travail, si les droits des travailleurs ne sont pas
respectés, ou même, au contraire, si des gens respectent ces
droits, eh bien, qu'on en fasse la promotion, qu'on se serve d'exemples tout
à fait concrets pour que cela puisse être assimilé
réellement. Mais il y a un préalable à cela, c'est que
ceux qui donnent cet enseignement affichent le respect des droits et soient
responsables de leurs actes.
En ce qui concerne les détenus en particulier, je pense que, dans
un cadre institutionnel quelconque, il serait possible de leur donner les
moyens de prendre contact avec la réalité des droits, de leur
faire prendre conscience, au même titre que les autres citoyens, que
chacun a des droits et qu'il faut respecter les droits des autres. Mais je
pense que làa encore, si l'on veut que cette éducation porte
fruit, il faut que ceux qui en ont la charge respectent leurs propres droits
et, comme je l'ai dit au départ, la meilleure façon d'inculquer
te respect des droits et libertés, c'est de le pratiquer par I
exemple.
M. Thuringer: Dans votre mémoire, vous avez parlé
aussi pas mal des délais. Quelles sont, selon vous, les causes de ces
délais et comment les régler dans le processus de plaintes, et
tout cela?
M. Bernheim: Les délais que la commission doit subir, je
pense qu'ils sont inhérents au fonctionnement et inhérents aussi
au mandat de la commission, compte tenu du peu de moyens qu'elle a. Je pense
qu'une des causes qui font que les délais sont si longs, c'est que le
nombre de violations est astronomique. Par conséquent, la commission est
saisie d'une très grande quantité de plaintes et ne peut
évidemment pas toutes les traiter avec la rapidité à
laquelle on voudrait la voir agir, mais je pense que cela ne pourra jamais
vraiment être résolu. Par contre, s'il y a des prises de position
de la part du gouvernement, des responsables de l'État par rapport
à certaines violations qui se produisent, cela aura pour résultat
d'inciter les autres composantes sociales à mieux respecter les droits
et libertés. Je pense que, si des prises de position de principe
étaient réaffirmées plus fréquemment et st
l'attitude de l'État était beaucoup plus concrète, ce
serait très incitatif.
M. Thuringer: Vous avez insisté pas mal sur le fait que le
mandat de la commission devait être plus large que de traiter seulement
la discrimination. Vous n'avez pas peur que, si on donne un mandat trop large,
cela retarde encore les choses et peut-être laisser les
responsabilités à d'autres tribunaux?
M. Bernheim: Je ne pense pas que cela résolve la question
des délais, c est sûr. Par contre, cela donnerait à la
commission une autorité morale et, si cette autorité morale
était respectée, je pense que cela aurait des résuttats
très positifs. Mais, si la commission, lorsqu'elle rend un avis, n'est
simplement que pénalisée parce quelle a fait son travail, comme
cela a déjà été le cas, par exemple, quand le
mandat de Mme Fournier n'a pas été renouvelé, je pense que
cela donne l'effet contraire. Quand la commission fait son travail, même
si le gouvernement n'est pas satisfait de la position ou de l'analyse de la
commission, je pense que son premier devoir, malgré tout, est de s'y
conformer, parce que cette commission, ou bien on lui donne le mandat de donner
des avis, de se prononcer sur des situations potentielles ou réelles de
violation de droits. Si le premier initiateur de la commission,
c'est-à-dire le gouvernement et I'État, pénalise la
commission, je pense que cela détruit une grande partie du travail
qu'elle peut avoir fait antérieurement et que cela enlève de la
crédibilité tant à la commission qu'au gouvernement.
Le Président (M. Filion): Cela va? Merci, M le
député de Notre Dame-de-Grâce M le deuté de
Beauharnois.
M. Marcil: Oui, dans la même ligne de pensée parce
que. tantôt, vous parliez justement de délais. Vous n'êtes
pas le seul organisme, je pense que tous les organismes qui vous ont
précédé ont parlé des délais qui
étaient très longs en ce qui concerne les plaintes et
l'exécution ou les décisions rendues par la commission. Par
contre, il y a des organismes qui ont proposé une solution pour
améliorer le fonctionnement ou augmenter l'efficacité, disons, de
la Commission des droits de la personne. Ils nous ont proposé la mise
sur pied d'un tribunal administratif qui aurait un peu la forme des tribunaux
qu'on voit, avec lesquels on vit tous les jours, je ne dirais pas
malheureusement, mais malheureusement pour ceux qui doivent y passer. Comment
verriez-vous cette possibilité, cette option ou cette solution
proposée par d'autres organismes où il y aurait peut-être
des nominations de juges, pas nécessairement de commissaires, mais d'un
contentieux, et ainsi de suite?
M. Bernheim: Cela va un peu dans le sens que l'on propose,
puisqu'on fait une proposition...
M. Marcil: Vous ne semblez pas vouloir le dire ouvertement. (20 h
30)
M. Bernheim: Ce n'est pas qu'on ne veut pas le dire ouvertement.
Ce qu'on veut, c'est faire prendre conscience, et c'est dans ce sens qu'on veut
aller, que ce n'est pas un tribunal comme il en existe maintenant, mais un
tribunal ayant un pouvoir moral et prenant des décisions contraignantes,
et que ces décisions ne s'appliquent pas seulement aux personnes
impliquées, mais à l'État, quand l'État est
concerné. C'est pour cela qu'on fait une proposition, afin que la
commission ou l'organisme qui le remplacerait sous un autre nom ait des
pouvoirs similaires à ceux de la Cour européenne des droits de
l'homme. Cette cour prend des décisions qui sont contraignantes pour les
États. Ce que le gouvernement du Québec doit maintenant accepter,
c'est de mettre sur pied une structure - appelons-la tribunal ou cour - dont
les décisions seraient contraignantes pour le gouvernement et qu'il
s'engagerait à respecter. Ce serait un des moyens qui pourraient
régler un certain nombre de problèmes et, surtout, qui auraient
une connotation importante pour l'éducation. Si l'État est mis en
cause - l'État, n'étant pas Dieu, peut commettre des erreurs - et
que, pour une raison ou pour une autre, il reconnaît avoir commis une
erreur, il prendrait énormément de crédibilité
auprès des citoyens et se situerait sur le plan humain. Tout le monde
sait que les erreurs sont humaines, mais refuser d'admettre en avoir commis est
une attitude inacceptable.
M. Marcil: Dans le cas des plaintes qui sont traitées par
cette commission, le problème soulevé par les intervenants qui
vous ont précédé, c'est que les gens, ou la personne, ou
l'organisme peuvent reconnaître une erreur, mais cela n'oblige pas
à la correction de l'erreur. Le fait que la Commission des droits de la
personne reconnaisse que tel organisme ou tel employeur a commis une erreur
n'est pas une décision exécutoire.
M. Bernheim: On propose qu'elle le soit, qu'elle soit
contraignante, c'est-à-dire que la décision soit appliquée
et que ta partie intéressée ayant commis cette violation soit
contrainte d'appliquer la décision de la commission.
M. Marcil: Pas seulement de la reconnaître, mais de
l'appliquer.
M. Bernheim: De l'appliquer, oui. Dans notre vision des choses,
les violations de droits ne sont pas seulement commises par des individus ou
des organismes, mais aussi par l'État. Peu importe l'origine de la
violation, la décision prise serait contraignante à tous les
niveaux. C'est un nouvel aspect. Je ne pense pas que le gouvernement du
Québec soit dans une situation de ce type où il soit tenu de
respecter une décision prise par l'un de ses tribunaux. Si le
gouvernement l'acceptait, ce serait une nouvelle ouverture, ce serait aussi une
nouvelle affirmation de l'Importance des droits et libertés.
M. Marcil: Étant donné que vous faites partie d'un
organisme qui a une fonction assez précise, je vais poser une question
sans préjuger, très objective. Pensez-vous que les détenus
doivent avoir les mêmes droits que l'ensemble des gens qui composent la
société?
M. Bernheim: Absolument. M. Marcil: Pour quelle raison?
M. Bernheim: Pour quelle raison? Je vais vous donner un exemple.
Jusqu'à présent - et cela peut encore durer - les détenus
sont le public ou la cible idéale pour inciter à des violations
de droits de la part de l'État. Par exemple, la violation du courrier.
Tout le monde s'est toujours entendu pour dire que le courrier des
détenus devait être censuré. Au début c'était
pour des raisons administratives, parce qu'on ne voulait pas que soit
dévoilé ce qui se passait dans les institutions
carcérales, mais aussi sous prétexte qu'il pouvait y avoir des
plans d'évasion, des crimes qui pouvaient être planifiés
dans ces écrits. Le résultat a été que
l'État fédéral, par l'intermédiaire de la GRC, a
violé, pendant 40 ans les droits des citoyens canadiens. Après
cela, l'État a tout simplement promulgué une loi qui
légalisait cette violation qui s'est faite pendant 40 ans. Pour
l'écoute électronique, c'est la même chose. Tout le monde
s'entend pour dire que, si les détenus téléphonent, tout
le monde doit écouter parce qu'ils pourraient planifier des
évasions ou d'autres crimes. Cela a permis à l'État de
mettre au point des techniques d'écoute électronique, avec le
résultat qu'on peut maintenant écouter n'importe quel citoyen. On
donne ainsi de plus en plus de pouvoirs à l'État,
sous prétexte qu'une catégorie de citoyens ne doit pas
bénéficier des mêmes droits que tes autres. Je pense qu'un
principe qu'une société doit absolument avoir, c'est que tous tes
citoyens, sans exception, aient les mêmes droits. Il est évident
que, dans certaines circonstances, il y a des gens qui ne peuvent pas exercer
tous leurs droits, mais il appartient à l'État de faire la preuve
de la nécessité de restreindre ces droits.
Un autre exemple: le droit de vote. On a réclamé le droit
de vote à partir de 1972. Cela a pris des années avant que ce
droit soit enfin reconnu. Mais, en 1972, qu'est-ce que l'État
répondait? D'abord, l'État ne respectait pas sa propre loi
électorale, puisqu'il reconnaissait le droit de vote aux gens qui
n'avaient pas été condamnés pour un délit
punissable de deux ans et plus et que les prévenus avaient le droit de
vote, puisqu'ils sont présumés innocents. L'État refusait
de respecter sa propre toi. Finalement, l'État a accepté que les
détenus aient le droit de vote. Les détenus, au Québec,
votent. On peut constater qu'il n'y a pas eu de révolutions, qu'il n'y a
pas eu d'émeutes, qu'il n'y a eu absolument aucun problème de
quelque ordre que ce soit. Et, maintenant, on permet à ces gens
d'exercer te droit de tout citoyen, celui de participer au processus
démocratique.
Je pense que c'est un exemple clair démontrant qu'on niait
à des gens un droit fondamental qui peut maintenant être
exercé, qui est exercé, et cela ne fait que profiter à la
société. Maintenant, ces gens ont une raison de
s'intéresser à la politique, ils peuvent participer au processus
politique et démocratique. Je pense qu'on leur donne aussi l'occasion de
prendre contact avec la vie en général, avec tes problèmes
de notre société. Cela amène ces gens à
réfléchir, comme tous les gens qui vont voter
réfléchissent au candidat pour lequel ils vont voter. Je pense
que ce principe devrait être appliqué pour tous les droits. Si,
parfois, il y a des circonstances qui font qu'un droit ne peut pas être
exercé c'est à l'État à démontrer la
nécessité de suspendre l'exercice de ce droit. Tous les gens ont
des droits, mais ils peuvent, à un moment donné, être
limités dans l'exercice d'un droit parce qu'ils ont fait un certain
choix ou parce qu'ils se trouvent dans certaines circonstances.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le
député de Beauharnois? M. le député de
Saint-Jacques.
M. Boulerice: Je pense que vous avez bien répondu, M. le
Président. Quand mon collègue, le député de
Beauharnois, vous a demandé si les détenus avaient droit à
certains droits - permettez-moi ce pléonasme - j'allais répondre,
mais vous l'avez fait de façon éloquente. Effectivement, les
détenus, au Québec, ont droit de vote. Je suis heureux
d'appartenir au parti politique qui, lorsqu'il formait le gouvernement, a
rétabli ce droit pour les détenus.
Dans votre présentation, vous parlez d'éducation, d'une
certaine éducation que doit faire la commission. Je voudrais
présenter un point de vue un peu plus large, sans vouloir faire le
procès de l'école, puisque c'est une tentation qu'on a
quotidiennement. Mais l'école est le reflet ta société.
Prenez l'exemple de nos voisins américains. El n'y a pas une
école, pas une petite classe, pas un élève qui n'a pas lu
le texte de la constitution américaine, qui est une charte fondamentale
et qui va même très loin en parlant du "droit au bonheur" dans un
de ses articles. Je trouve cela merveilleux comme écriture. Est-ce que
vous évaluez qu'au Québec, sur ce plan, malheureusement, il y a
de très profondes lacunes?
M. Bernheim: Oui, effectivement. Sauf au secondaire V, il n'y a
pas possibilité pour les étudiants d'apprendre la notion des
droits et libertés et, par le fait même, de les défendre et
de les revendiquer. Je pense que cela devrait commencer beaucoup plus
tôt. Dès le primaire, la notion de droits et libertés
devrait être expliquée, démontrée, analysée,
et jusqu'à la fin des études, y avoir un approfondissement
progressif de cette question. Je pense que c'est fondamental parce qu'il y a
beaucoup de gens qui ne sont pas vraiment conscients de leurs droits Ils ne
sont pas conscients de la possibilité qu'ils ont d'obtenir le respect de
ces droits. Et cela, je pense qu'il faut que ce soit montré,
enseigné, inculqué. Cela permettrait aux gens d'être plus
respectueux envers les autres parce que, lorsqu'on est conscient de ses propres
droits, on prend conscience de l'existence de ceux qui nous entourent et de la
limite dans l'exercice de chacun de ces droits. Je pense que cela ne pourrait
être que favorable à la société en
général.
M. Boulerice: Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Cela va. Est-ce qu'il y a
d'autres Interventions? M. le député de Marquette.
M. Dauphin: SI vous me le permettez, M. le Président, je
me souviens, dans les années 1981 ou 1982 sous le gouvernement
antérieur, alors qu'on commençait à peine à parler
de programmes d'accès à l'égalité, que vous
étiez venus en commission parlementaire et aviez revendiqué pour
les détenus le droit à l'évasion et que ce soit inclus
dans la Charte des droits et libertés de la personne. Est-ce que vous
maintenez toujours la même position?
M. Bernheim: Effectivement, ce qu'on avait proposé
à cette époque, on le maintient. II faut rappeler que cette
revendication n'est pas inventée de toute pièce, c'est un droit
déjà reconnu par le droit français depuis des
siècles.
Le Code pénal français ne pénalise pas
l'évasion. Ce que le Code pénal français pénalise,
c'est le bris de prison ou la violence contre un individu. Mais si un
détenu a pu être plus astucieux que ses gardiens et qu'il a
réussi à s'évader, it n'est pas pénalisé
pour cela. Je pense que pénaliser quelqu'un qui est plus intelligent ou
plus astucieux que son gardien est profondément inhumain et tout
à fait contradictoire avec le discours de la réhabilitation parce
que, tant qu'un détenu veut s'évader de la prison, on peut penser
que cette personne veut vivre en société. Le jour où une
personne ne veut plus s'évader, je pense que l'État fait la
preuve que son système est tout à fait boiteux parce qu'il a
réussi à contrôler une personne et à lui faire
croire que l'endroit où il peut vivre, c'est dans une prison. Alors, je
pense que l'évasion est tout simplement la preuve qu'une personne est
encore suffisamment autonome et désireuse de vivre en
société pour prendre un certain nombre de moyens afin de quitter
ce milieu qu'elle ne peut pas supporter et qui est tout à fait
incompatible avec la nature humaine. Je pense que cela demeure.
M. Dauphin: Cela ne s'apparente pas, évidemment, au droit
à la mutinerie.
M. Bernheim: Non, pas du tout. Je pense que c'est très
différent, quoique la constitution française, la
Déclaration de l'homme et du citoyen, reconnaît le droit à
la révolte si le peuple est soumis à des extrémismes de la
part de l'État. On pourrait prendre une position comparable relativement
à la prison quand des gens sont entre les mains de personnes qui abusent
de leurs pouvoirs d'une façon absolument inacceptable. Je pense que
personne ne s'Indignera du fait que certains prisonniers politiques, par
exemple, se révoltent dans un pays où il y a une dictature. Je
pense que, s'il y avait une révolte des prisonniers politiques au Chili
et qu'un certain nombre d'entre eux pouvaient s'évader, plusieurs
personnes en seraient très contentes. Au Chili, c'est de la dictature,
mais dans nos prisons, on a un système totalitaire. On n'a pas une
société totalitaire, mais on a une institution totalitaire parce
que les détenteurs du pouvoir dans ces institutions n'ont de compte
à rendre à personne. Il suffit de se rappeler qu'en 1982, quand
des détenus ont été torturés à Archambault,
personne n'a jamais subi de sanctions pour cela. Aucun gouvernement, aucun
politicien, aucun détenteur du pouvoir politique ne s'est insurgé
contre cette situation. (20 h 45)
Pour moi, c'est absolument catastrophique ce genre de choses parce que
c'est une caution de l'État et, tant que l'État acceptera que des
droits fondamentaux des citoyens soient brimés par ses agents de la
paix, je pense que les conséquences seront dramatiques, très
dramatiques. L'État n'a pas su, par exemple, réagir aux
événements de Rock Forest pour différentes raisons, mais
tout citoyen raisonnable ne peut accepter que des gens soient tués de
cette façon-là sans qu'il y ait de réaction de
l'État. On peut penser que l'affaire Griffin est une conséquence
indirecte de cette absence de réaction de la part de l'État. Les
policiers ont des pouvoirs qui sont extravagants. Ils en usent et en abusent
constamment, au vu et au su de tout le monde, mais personne ne réagit.
On va prétendre que la Commission de police n'a pas de pouvoir pour
agir. Mais pourquoi la Commission de police n'a-t-elle pas de pouvoir? C'est
parce que vous qui avez le pouvoir politique ne lui donnez pas cette
possibilité d'agir. Vous êtes finalement les responsables de cette
situation. Je pense que c'est une chaîne. Il faut briser cette
chaîne à un moment donné pour éviter des abus.
Le Président (M. Filion): Des intervenants? Bon, alors je
vous dirai, juste un mot sur le droit à l'évasion, M. Bernheim.
Je comprends que dans certains cas il y ait des droits qui soient
soulevés. Dans certains cas, on peut se trouver devant une situation
où, moralement, on enfreint une loi dans un contexte abusif. Vous y avez
fait allusion à la fin de votre réponse à mon
collègue par exemple, lorsqu'il y a des tortionnaires, etc. C'est une
situation qu'on peut comprendre, mais autrement - et j'exprime ici une opinion
tout à fait personnelle - si un individu se retrouve en prison, c'est
que l'autorité judiciaire a décidé de le priver de sa
liberté, et lui conférer le droit à l'évasion, qui
est le droit - vous me corrigerez si je me trompe - de recouvrer cette
liberté qu'une des composantes de notre système
démocratique a décidé de lui suspendre temporairement,
ça m'apparaît un petit peu contradictoire. Je ne sais pas si vous
voulez réagir là-dessus avant que je passe à des questions
sur le fond de votre mémoire et sur le fond de notre mandat.
M. Bernheim: Effectivement, je pense que c'est contradictoire
dans le sens que la loi stipule un certain nombre de choses. Je pense qu'il
faut prendre pour acquis, d'abord, qu'une loi n'est pas nécessairement
bonne parce qu'elle existe; ça, c'est un point. Une personne est
maintenue en détention après une ordonnance judiciaire, c'est
vrai, mais il n'y a rien qui empêcherait l'existence d'une loi qui fasse
que l'évasion sans bris, sans violence ne soit pas
pénalisée, comme c'est le cas en France. C'est encore une
position de principe. Je pense que, en ce qui a trait aux droits et
libertés, il faut d'abord adopter des principes de base et, ensuite,
élaborer une structure, mais jusqu'à présent les principes
n'ont pas été fréquemment présentés. On
adopte un certain nombre de mesures légales et on constate les
conséquences que cela entraîne. SI, parfois, ça ne va pas
très bien, on s'ajuste. On n'est pas parti de principes de base
et c'est par ça, je pense, qu'il faut commencer, que vous preniez
des positions de principe et qu'ensuite vous construisiez une structure qui
permette l'application de ces principes, et non pas l'inverse, soit de
construire et de constater les conséquences. Je pense que c'est
fondamental.
Le Président (M. Filion): Écoutez - je parle
uniquement en mon nom personnel - je dois vous dire qu'en tant que
parlementaires nous sommes confrontés quotidiennement aux droits de
l'individu qui s'arrêtent cependant là où commencent les
droits d'un autre individu ou les droits de l'ensemble de la
collectivité. Alors, ce sujet-là n'est pas théorique. En
tout cas, en tant que parlementaires, lorsque vient le temps d'étudier
des projets de loi - je pense bien que c'est la même chose pour mes
collègues également - nous sommes confrontés sur une base
quotidienne à ce type de débat qui n'est pas du tout
théorique. Par exemple, prenons le droit, j'allais dire à la
liberté des individus, qui a été restreint par une
décision judiciaire, qui est une des composantes de notre système
démocratique. Dans ce cas-là, le droit à l'évasion
se heurte aux droits de l'ensemble de ta collectivité qui est
représentée par la décision judiciaire et il peut
être contesté à l'intérieur du système
judiciaire. Écoutez, je ne voudrais pas compléter la
période sur ce débat, ce ne sont que quelques réflexions
parce que je relève quand même certains éléments
très intéressants de votre mémoire sur lesquels
j'apprécierais avoir un peu plus d'éclaircissements.
D'abord, en ce qui concerne la possibilité pour la commission de
se pencher sur d'autres cas que les cas de discrimination, c'est-à-dire
les cas qut pourraient concerner d'autres droits et libertés. À
partir de votre expérience concrète ou à partir de vos
réflexions, j'aimerais que vous explicitiez sur le mandat, que vous
jugez trop restrictif, de la commission, qui est défini,
évidemment, dans la charte et qui se limite aux cas de discrimination en
vertu des articles 60 et quelque de la charte.
M. Bernheim: Oui. Le fait d'avoir un mandat qui permette
d'intervenir seulement dans les cas de discrimination, c'est déjà
là une prise de position qui fait qu'on ne met pas de l'avant tes droits
et libertés mais certaines violations dans certaines circonstances.
Alors, si quelqu'un, par exemple, ne discrimine personne mais brime les
droits de tout le monde, la commission ne peut pas intervenir. Par contre, si
une catégorie de citoyens est discriminée, là, elle peut
intervenir, et c'est ce qui est aberrant, parce qu'une commission, il me
semble, doit pouvoir intervenir dans tous tes cas de violation, que ce soit
pour des motifs racistes, discriminatoires ou autres. Le motif pour lequel une
personne viole des droits ne doit pas être l'élément
décisif de l'intérêt ou de l'absence de
l'Intérêt. Je pense que c'est une position de principe de base qui
devrait être adoptée. Quelle que soit la violation commise par
quiconque, elle devrait être du mandat de la commission. Cela serait une
réaffirmation de la part de l'État et un moyen d'éducation
clair, très clair, qui aiderait les gens à comprendre ce que
veulent dire droits et libertés et qui les inciterait à respecter
ces droits et libertés.
Le Président (M. Filion): Mais ces droits et
libertés sont évoqués et invoqués devant toutes les
instances, devant les tribunaux, etc. Lorsqu'il y a des violations, par
exemple, cela peut faire l'objet de poursuites civiles,
d'éléments de poursuites civiles, criminelles ou administratives,
la charte étant, comme vous le dites vous-mêmes à la page 3
de votre mémoire, une loi qui a préséance sur les autres
lois; elle fait partie, si l'on veut, du lot quotidien de l'ensemble des
tribunaux de droit commun et non seulement de la juridiction de la Commission
des droits de la personne. Je ne sais pas si vous me saisissez?
M. Bernheim: Oui, oui, très bien.
Le Président (M. Filion): Est-ce que votre position aurait
pour but de soustraire cette juridiction de l'ensemble des tribunaux qui
appliquent la charte et de n'en faire que l'apanage de la Commission des droits
de la personne? Je crois que cela n'aurait pas beaucoup de... Ce serait
difficile d'application, là.
M. Bernheim: Non, je ne pense pas qu'il faille soustraire la
charte des autres tribunaux; le mandat de la commission n'est pas de porter un
jugement judiciaire. Mais, là, vous portez un jugement sur des faits, ce
qui est très différent, et les conséquences ne sont pas
celles d'un casier judiciaire ou quelque chose du genre. Alors, il faut voir
que les poursuites au civil sont d'abord des poursuites qui coûtent cher
et ce n'est pas tout le monde qui a les moyens d'entamer de telles poursuites.
Ensuite, pour ce qui est des poursuites au criminel, là encore, je peux
vous donner un exemple qui m'apparaît scandaleux, qui montre que c'est
loin d'être la panacée à tous les maux. Vous avez
sûrement entendu parler des évasions qui se sont produites
à Parthenais où, dans deux cas, il y a des gens qui sont morts en
descendant le long d'un câble. Dans le premier cas. le
policier-enquêteur a reçu l'ordre d'un supérieur non
identifiable pour l'instant de ne pas aller voir les autres prévenus qui
étaient là lors de l'incident. Alors, après cela, ce
policier a fait un rapport amputé d'une grande partie des
témoignages qui auraient pu être rendus, ce qui fait que ce
dossier-là, à un moment donné, a été
classé et fermé. Il a fallu que nous fassions une enquête
pour démontrer qu'il y avait des témoins et que ceux-ci
étaient prêts à témoigner pour que finalement il y
ait une enquête sur les événements en question. On a un cas
très précis où il y a eu une interven-
tion policière, peut-être politique, indiquant qu'un
policier n'avait pas fait son travail et cela, c'est la réalité,
c'est le policier lui-même qui la avoué. Cela prouve que ce n'est
pas encore suffisant .Je pense qu'une commission n'est pas là pour
rendre des jugements contre des gens, mais pour établir un certain
nombre de faits et constater s'il y a eu des violations ou pas, et, s'il y a eu
violation, elle doit veiller a ce qu'il y ait réparation et
dénonciation de cette violation. C'est ce mandat-là que la
commission doit avoir, un mandat de réparation, un mandat moral pour
démontrer qu'il y a une volonté de respect des droits et
libertés. C'est sûr qu'il y aura toujours des gens qui vont tenter
d'abuser de leur pouvoir, qui vont violer des droits et libertés, mais
il faut qu'il y ait un mécanisme moral puissant, avec une grande
crédibilité qui puisse intervenir. Les tribunaux judiciaires
peuvent être saisis de toutes sortes de causes et les gens peuvent
invoquer la charte quand c'est nécessaire, mais cela m apparaît
deux champs différents, tout à fait différents.
Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière
question. À la page 3 de votre mémoire, vous rappeliez que
l'office a demandé que la Charte des droits et libertés de la
personne soit une loi fondamentale qui ait une préséance sur
toutes les autres lois, et vous profitez de votre mémoire pour
réitérer votre demande. Est ce que |e dois comprendre, de cette
demande-là que vous vous prononcez contre I'utilisation des clauses
dérogatoires?
M. Bernheim: Certainement.
Le Président (M. Filion): C'est cela.
M. Bernheim: C est cela.
Le Président (M. Filion): Parce que vous savez que
maintenant la charte a effectivement préséance sur toute loi,
sauf, évidemment, dans la mesure ou il est prévu
expressément le contraire et, dans ce cas-ci, je comprends votre demande
contre l'utilisation des clauses nonobstant ou clauses dérogatoires.
M. Bernheim: Exactement.
Le Président (M. Filion): Donc, il me reste à vous
remercier, M Bernheim et Me Cadieux, de vous être livrés à
cet exercice empreint de démocratie. D'ailleurs, c'est tellement vrai
que vous savez que notre commission fait un rapport à l'Assemblée
nationale et que celle-ci, ultime-ment peut décider de modifier la
charte des droits pour certaines des attributions de la Commission des droits
de la personne, mais, généralement cette modification là
se fait par proiet de loi déposé par le gouvernement. Donc, il y
a des instances entre nous et I'adoption d'un pro|et de loi qui modifiera la
charte. Générale- ment je tiens à le souligner, la charte
a toujours été modifiée avec le consentement unanime de
tous les membres de l'Assemblée nationale. Souhaitons qu'il en sera
ainsi. Vous aurez remarqué que le travail qui se fait ici est
"apartisan", c'est-à-dire qu'il se fait dans un esprit de collaboration
à peu près totale entre les membres des deux formations
politiques. Merci de vous être déplacés, merci de votre
mémoire.
M. Bernheim: Merci . Au revoir.
Le Président (M. Filion): On peut ajourner deux minutes
pour permettre à nos invités de bien vouloir prendre place
l'Association pour les droits de la communauté gale du Québec.
Donc, deux minutes.
(Suspension de la séance à 21 heures)
(Reprise à 21 h 6)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Je voudrais souhaiter la bienvenue aux représentants de
l'Association pour les droits de la communauté gaie du Quebec qui
existe, sauf erreur, depuis 1976 et demander aux repre sentants de bien vouloir
s identifier non seulement pour les membres de la commission mais
également pour le Journal des débats qui, comme vous le
savez transcrit nos propos.
M. Sigouin (Jacques): Jacques Sigouin président de
I'association.
M. Gérard (Louis): Louis Gérard
trésorier.
Le Président (M. Filion): D'accord Je pense que vous
connaissez nos règles du jeu une quinzaine de minutes pour la
présentation de votre mémoire et, par la suite, nous discuterons
avec vous. À vous la parole.
Association pour les droits de la communauté
gaie du Quebec
M. Sigouin: Par la présente j'aimerais remercier la
commission de nous avoir invités a présenter un mémoire et
à faire la lecture de ce mémoire. On fait des recommandations
dans notre mémoire et on aimerait surtout que ces recommandations soient
étudiées en espérant un résultat. L'association a
mandaté Louis Gérard pour faire la présentation du
mémoire.
M. Gérard: Je tiens à m'excuser auprès des
membres de la commission de ne pas avoir été capable de leur
remettre notre mémoire avant. On est très peu nombreux et on a
été pris dans le temps pour rédiger ce mémoire.
En réfléchissant sur le rôle de la commission face
à la communauté gaie ou homosexuelle, on en est venu à la
conclusion qu'il n'existe aucun lien entre la commission et cette
communauté. Il n'existe aucun contact entre celle-ci et les divers
organismes communautaires et politiques gais. Il nous semble aussi que la
communauté gaie est peu au courant du fait que l'orientation sexuelle
est considérée comme un motif de non-discrimination dans la
charte. Et on doute aussi qu'elle soit consciente de l'existence de la charte
même.
Pour revenir à la question des relations entre la Commission des
droits de la personne et nos organismes, on pourrait citer notre organisme qui
est, en fait, l'organisme politique de la communauté. Nous ne recevons,
de la commission, que le bulletin. On ne reçoit pas les rapports
annuels; on ne reçoit aucun document. On n'est au courant de rien de ce
qui se passe à la Commission des droits de la personne.
J'ai examiné le nombre de plaintes formulées en fonction
de l'orientation sexuelle depuis l'ajout de ceci à la charte. C'est
entre 1 % et 4 % du total des plaintes; c'est très peu. La
majorité de ces plaintes est dans la catégorie des plaintes
reliées à l'emploi. J'ai aussi regardé le contenu du
bulletin et des autres documents publiés par la commission. Dans le
bulletin, on retrouve trois articles sur les questions d'orientation sexuelle
et une douzaine de mentions de dossiers à l'étude. C'est
très peu, compte tenu du nombre de bulletins qui ont été
publiés depuis la création de ta commission. Dans les autres
documents qu'on a pu vérifier, on ne parle à peu près
jamais de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination, ce qui nous
donne l'impression que la Commission des droits de la personne agit comme si la
question de l'orientation sexuelle n'existait pas dans la charte; pour nous,
c'est inacceptable.
Il existe de nombreux problèmes et on aimerait bien que la
commission commence à se pencher sur les questions d'orientation
sexuelle. Donc, nous aimerions faire les recommandations suivantes.
Premièrement, nous aimerions que, éventuellement, un
représentant de la communauté soit nommé au sein de la
commission afin d'assurer que les intérêts de notre
communauté soient respectés, au même titre que les autres
minorités.
Deuxièmement, nous aimerions que la commission se penche,
étudie, fasse des recherches sur l'ensemble des lois et des
réglementations qui, souvent, sont discriminatoires face à
l'orientation sexuelle. Je pense aux questions d'assistance sociale, aux
pensions, aux rentes, aux régimes de retraite, aux assurances, à
la réglementation du travail et ainsi de suite.
Souvent, on retrouve dans des définitions, par exemple, le mot
"couple", comme étant un homme et une femme, et cela entraîne
souvent comme résultat qu'on ne peut bénéficier des
avantages qui, normalement, seraient offerts aux autres personnes. Nous croyons
aussi que la commission devrait sensibiliser le législateur face
à une réalité vécue par une importante partie de la
population. On a l'impression souvent que les lois sont orientées en
fonction de l'image traditionnelle de la famille, la famille nucléaire,
homme, femme, enfants La réalité est autre et, dans
l'élaboration de la législation, il faudrait en tenir compte.
Nous croyons que la commission aurait un rôle à jouer, celui de
sensibiliser le législateur à cela.
Je note, particulièrement, toute la question de l'accès
aux services de santé et aux services sociaux. Nous n'avons aucun
service social, aucun service gouvernemental de santé qui vise
spécifiquement la communauté. C'est très difficile de
sensibiliser les responsables - je pense ici au ministère de la
Santé, aux CLSC - aux différents besoins de notre
communauté. À titre d'exemple, nous avions, il y a quelques
années - maintenant, nous n'avons plus les ressources financières
pour le faire - nos propres travailleurs sociaux, sur une base
bénévole, qui s'occupaient de notre communauté. On n'a
jamais réussi à avoir des services des CLSC, par exemple, ou des
autres services gouvernementaux, de cette façon-là. Donc, nous
croyons que la commission devrait s'impliquer à encourager le
développement de ces services-là.
Nous croyons aussi que la commission devrait jouer un rôle
d'éducation, en particulier, pour les policiers. À
Montréal, est venue de la base, autant de certains responsables de
postes de police locaux, des autorités municipales et des groupes
communautaires gais, l'idée de lancer un programme pour améliorer
les relations entre la communauté gaie et les policiers. Nous aimerions
voir une implication de la commission là-dedans et nous aimerions que
cela débouche sur une espèce de programme pilote qui serait
ensuite applicable à l'ensemble des corps policiers au Québec.
Nous avons de nombreux problèmes avec les policiers. Nous avons des cas
flagrants de discrimination. Nous avons aussi des problèmes de
perception de la part des membres de notre communauté face à la
police qui sont injustifiés, qui, souvent, hésitent à
utiliser les services puisqu'ils ont peur de n'être pas servis
adéquatement. Il y a tout un travail d'éducation à faire
et nous aimerions que la commission se penche aussi sur ce genre de choses.
Quatrièmement, nous aimerions que la commission s'engage aussi
à mieux informer la population gaie et la population en
général de l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de
non-discrimination. Donc, on parle ici d'une tâche d'information sur une
question spécifique, l'orientation sexuelle.
Et, en dernier lieu, nous recommandons tout simplement que la Commission
des droits de la personne soit plus présente au sein de nos organismes
pour que s'établissent de meilleurs liens entre la communauté
gaie et la commission. (21 h 15)
Nous croyons aussi qu'il serait bon d'élaborer une espèce
de table de concertation entre la commission et l'ensemble des organismes
minoritaires, des groupes minoritaires et ce, dans le but de promouvoir la
Charte des droits et libertés de la personne. En somme, c'est ce sur
quoi nous avons pu réfléchir quant au rôle de la commission
face à notre communauté.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M.
Gérard, M. Sigouin.
M. le député de Sainte-Marie.
M. Laporte: M. le Président, premièrement,
j'aimerais vous remercier. Même si, comme vous l'avez indiqué au
début, les membres n'ont pas reçu le mémoire, à
tout le moins, je pense que ce qui est important, c'est que vous puissiez venir
nous faire part de vos réactions, de vos commentaires et aussi de vos
recommandations face au mandat que s'est donné la commission soit la
surveillance de la Commission des droits de la personne. De l'ensemble - j'ai
pu faire une étude brièvement, en tout cas, des principales
recommandations - il ressort un peu une perception - et, sur cela, j'aimerais
peut-être que vous me corrigiez - que vous avez de la Commission des
droits de fa personne.
La première question qui me vient à l'esprit. Est-ce que
vous avez déjà eu des contacts ou, à tout le moins, est-ce
que vous avez déjà acheminé des dossiers à la
Commission des droits de la personne? À partir de la, quel a
été le cheminement, pas seulement vos impressions, que cela a pu
suivre? Pouvez vous me donner un peu un aperçu à ce sujet ?
M. Sigouin: Oui, monsieur on a déjà acheminé
des dossiers à la Commission des droits de la personne, des cas de
discrimination au travail et ces choses-là .Ce sont des gens qui
venaient nous voir pour nous demander de I'aide afin d'apporter leur dossier
à la commission. On leur donnait les informations adéquates, ou
aller et à qui s'adresser. Ils portaient plainte à la commission.
Entre le moment où ils portaient plainte et le moment ou I'enquête
était terminée, le délai d'attente était
très long. Les gens qui déposaient la plainte, à un moment
donné, se tannaient. Tout simplement, lorsqu'arrivait le temps de
comparaître, les gens étaient trop occupés, ils avaient un
autre emploi il y avait autre chose. Le délai était trop long
pour l'attente. Les gens ont besoin d'un revenu et ils n'attendaient pas.
Alors, dans la majorité des plaintes qui ont été
déposées, les gens ont laissé tomber en cours de route
à cause des délais très longs.
M. Laporte: Cela m'indique effectivement que vous avez
déjà fait affaire avec la commission et que vous avez eu une
réception à la commission concernant les plaintes. Ce que vous m
indiquez actuellement. II y a un groupe qui, ce matin, nous a fait part un peu
des mêmes arguments que vous ne serait-ce que quant aux délais.
D'ailleurs, dans une de vos premières recommandations, vous indiquiez
qu'il serait intéressant d'inclure un membre ou d'avoir une
représentation d'un de vos membres à I'intérieur de la
commission, comme, d'ailleurs plusieurs autres groupes nous I'ont
mentionné, pour avoir la retransmission ou, à tout le moins,
l'image ou la sensibilité de s'occuper des cas un peu plus
particuliers.
Vous faisiez part que vous aviez fait affaire avec la commission, mais
aussi que la commission vous donnait peu ou approximativement pas
d'informations sur ce qui se produisait. Est-ce que vous aviez formulé
diverses demandes à la commission qui allaient un peu dans ce sens ne
serait-ce que le rapport annuel ou, en tout cas d'autres types d'informations
en termes d'échanges que vous avez pu avoir avec la commission? Je veux
essayer de percevoir le genre de relations vous avez pu avoir, les
échanges et les accueils que vous avez pu recevoir à la
commission.
M. Gérard: On n'a pas eu beaucoup de demandes de faites
à la commission. On a trouve cela un peu difficile d'accès. Pour
citer tout simplement l'exemple de la redaction de ce mémoire-ci pour ma
recherche j'ai été obligé de me rabattre sur les
bibliothèques universitaires puisque le centre de documentation de la
commission est ouvert de 9 heures à 16 heures et quand on travaille, on
ne peut pas y avoir accès. Donc, c est un problème comme cela qu
on a eu. Quant aux demandes on na jamais fait de demandes comme telles à
la commission.
M. Sigouin: Oui. M. le Président, il y a
déjà eu des demandes de faites auprès de la commission,
tout ce qu'ils nous envoient, c'est le bulletin mensuel ou trimensuel et le
rapport annuel. Lorsque je suis allé chercher de I'information pour
faire le document de travail qu'on vient de déposer, tout ce qu'on m'a
donné comme documentation a été le rapport annuel de 1987.
La personne que j'ai rencontrée m'a tout simplement répondu que
présentement ils sont à refaire le système informatique,
qu'ils ont beaucoup de données qui ne sont pas rentrées dans
I'informatique et qu'ils n'ont carrément pas le temps de chercher dans
toutes les archives parce que ce n'est pas rentré dans I'informatique.
C'est pour cela qu' ils ne pouvaient pas nous donner plus de documentation pour
conclure notre mémoire.
M. Laporte: Dans les commentaires que vous nous avez
livrés, vous nous indiquez que de 1 % à 4 % des plaintes
étaient traitées à la Commission des droits de la
personne. En conséquence ma première réaction c'est de
dire qu'au nombre des plaintes qui sont produites à la commission peut
être que la commission ne peut que dire
Cela concerne une partie des demandes que nous avons, mais c'est une
très forte minorité ou un très faible pourcentage; c'est
peut-être là le motif pour lequel on s'en occupe un peu moins.
Pouvez-vous attribuer cela soit à la méconnaissance des
différents recours, comme vous avez pu le mentionner à certains
moments, ou, si on peut s'exprimer ainsi, est-ce parce que l'objet ou les
demandes ne sont peut-être moins élevées de votre
communauté par rapport à d'autres minorités?
M. Gérard: II y a peut-être une crainte des membres
de notre communauté à formuler des plaintes de ce genre. C'est
peut-être un facteur important. J'ai noté que la plupart des
plaintes qui ont été formulées étaient des
questions d'emploi. Donc, j'ai plutôt l'impression que les gens
hésitent à recourir aux services de la commission tout simplement
par crainte d'avoir à discuter de l'orientation sexuelle.
M. Laporte: Pour les fins de la discussion, j'aimerais obtenir
vos commentaires. Vous soulignez à un certain moment dans votre document
que des services divers doivent être pris en considération, que ce
soit des services de santé, des services spécialisés et
adaptés par rapport aux besoins particuliers dans les CLSC, dans les
ministères ou autrement. Vous soulignez aussi d'une autre façon
que plusieurs lois font en sorte que cela devient discriminatoire pour votre
communauté. Plus particulièrement en ce qui concerne les divers
services qui pourraient être plus spécialisés ou autre
chose, j'essaierais, comme Je le disais, sans préjuger du fond de la
question, de renverser un peu la question et de dire: Ne croyez-vous pas que
cela pourrait devenir discriminatoire un peu peut-être comme on pourrait
l'exprimer à certains moments: où les droits des uns se
terminent, commencent ceux des autres ou d'une collectivité en
général? À partir de cela, je pense que c'est une
gymnastique qu'on se doit de faire et j'aimerais peut-être vous entendre
là-dessus, je l'apprécierais.
M. Gérard: Oui, le problème se pose principalement
à Montréal. Nous avons des secteurs de la ville où nous
avons une forte concentration de gais, mais nous n'avons aucun service
adapté à leurs besoins. Dans des secteurs où nous avons
une forte concentration de tels groupes ethniques, nous notons qu'ils ont des
services gouvernementaux adaptés. Nous disons que nous devrions en
avoir.
En ce qui a trait à la sensibilisation des professionnels, je
crois qu'il y a un travail à faire aussi. Nous avons été
mis au courant de cas de jeunes référés par des
psychologues à toutes sortes de traitements aberrants. Je crois qu'il y
aurait lieu d'éduquer aussi les professionnels face à cela. Il y
a un besoin de répondre à ce type de problème, qui
n'existe pas présentement.
M. Laporte: Est-ce que je peux...
Le Président (M. Filion): Certainement.
M. Laporte: Toujours un peu dans la projection d'échanges,
pour ce qui est des conversations, vous soulignez des problèmes que vous
avez, j'imagine, avec les différents corps policiers...
M. Gérard: Oui.
M. Laporte: ...principalement, j'Imagine, en ce qui concerne la
communauté urbaine. Selon les informations, à tout le moins que
je possède, c'est que n'y aurait-il pas actuellement la mise sur pied
d'un comité qui s'occupe de regarder cette situation?
M. Gérard: Oui. Je le mentionne brièvement, c'est
un comité qui est venu de la base de la communauté même. Ce
que nous voulons recommander, c'est que cela soit examiné par la
commission et que cela serve de projet pilote pour éduquer les autres
corps policiers parce que c'est, quand même, un travail qui se fait des
deux côtés, autant l'éducation des policiers que
l'éducation des membres de notre communauté face aux
policiers.
M. Laporte: Une dernière question pour l'instant. Quand je
fais des réunions dans mon comté avec les différents
groupes, par rapport à une problématique ou à une
situation, je leur donne toujours la possibilité de s'évader.
Donc, si vous étiez la Commission des droits de ta personne ou si vous
faisiez partie de la Commission des droits de la personne, quelle serait pour
vous la première chose que vous feriez à l'intérieur de
cette commission ou, à tout le moins, la première intervention
directe que vous feriez à la commission?
M. Gérard: À la commission? Ce serait examiner
toute la question législative.
M. Laporte: Pardon?
M. Gérard: Toute la question législative qui
discrimine les couples gais.
M. Laporte: Et en ce qui concerne les plaintes?
M. Gérard: En ce qui concerne les plaintes, sensibiliser
la population à l'existence de l'orientation sexuelle comme motif de
non-discrimination.
M. Laporte: Si je saisis bien, vous voyez le rôle de la
commission comme étant un rôle de communication, de
publicité - c'est un bien grand mot - plutôt un rôle de
sensibilisation, de voir à un changement de mentalités.
M. Gérard: Oui, à ce stade-ci, dans la perception
des besoins de la communauté gaie, oui.
M. Laporte: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui M. Sigouin, M. Gérard, je suis
très heureux que vous ayez accepté de participer à cette
commission. Je n'ai pas à vous cacher que j'ai spontanément
suggéré le nom de votre organisme. Je pense que vous n'avez pas
à vous excuser du mémoire comme tel. Je pense qu'au contraire
vous nous ouvrez une porte Je pense que l'Assemblée nationale devra
probablement un jour regarder cela de très près puisque nous
tenons souvent des commissions parlementaires et que, puisqu'il faut se
rattacher au plus grand nombre, à la population, nous invitons les
organismes sans but lucratif, donc sans grandes ressources humaines, sans
grandes ressources financières, qui souvent ne peuvent, justement,
participer aux commissions parlementaires puisqu'ils n'ont pas ces
ressources-là. II faudrait peut-être qu'un jour l'Assemblée
nationale se penche sur cela et se dise: Dans quelle mesure la commission
parlementaire est-elle démocratique? Les moyens des uns étant
souvent disproportionnés par rapport aux autres, certains ne sont-ils
pas privés d'un droit de parole et dans quelle mesure la commission
est-elle bien éclairée sur une réalité?
Vous servez peut-être à ce moment-ci d'exemple et cela, il
faut le noter. J'aurais d'autres commentaires avant de vous poser quelques
questions. Je vois, à la lecture de votre mémoire, que vous
parlez d'assurer leur pleine participation à la société
québécoise. Cela exclut donc l'idée de ghetto ou de cercle
fermé que malheureusement on accole trop souvent à la
communauté gaie. La communauté gaie fait partie de ce qu'on
appelle les minorités invisibles par rapport aux minorités
visibles, sauf que cette discrimination est plus insidieuse et aussi vicieuse
que l'autre puisqu'elle s exerce de façon douce et souvent a les
intonations du "oui, moi cela ne me dérange pas, mais... " Je pense que,
de toute façon, on se comprend en employant ces mots-là. (21 h
30)
Vous notez - et mon collègue en a fait mention tantôt -
aucun contact formel avec la commission, ne recevant que le bulletin. Je vous
avoue que cela me préoccupe énormément. Vous avez
noté environ trois ou quatre articles écrits sur le sujet.
Là aussi, cela m'apparaît un peu particulier.
Vous avez, par contre, fait mention de recommandations. C'est là
que le "oui, mais", quelquefois peut s'exercer. Mon collègue, juriste de
formation - je n'ai, malheureusement, pas cette qualité - s'est fait
délibérément l'avocat du diable tantôt. C'est un
rôle qu'il empruntait, je sais que ce n'est pas sa nature. II disait. Oui
mais par rapport aux autres? À cela je répondrai qu'on fournit
des services de santé au Québec dans la langue portugaise pour
des Québécois de cette origine et que même cette
Assemblée nationale a voté une loi, la loi 142 ou, pour des
raisons humanitaires, on permettait à nos compatriotes - je prends cet
exemple en particulier, cela pourrait être un autre - de langue
portugaise, qui recevaient des services en langue portugaise dans les CLSC
francophones, de pouvoir recevoir ces services en anglais dans des CLSC
anglophones "Oui, mais".
D'autre part, on sait très bien qu'il existe, dans les milieux
très urbanisés, à Québec, la capitale, ou à
Montréal, la métropole, des cliniques qu'on ne nommera pas
puisqu'il ne s'agit pas de faire de publicité. Dans ces cliniques, comme
tout le système de santé au Québec, cela se fait en
fonction de présentation de la carte-soleil, donc c'est I'État,
en définitive, qui dispense les services. II les dispense de
façon indirecte. II n'y a aucune raison qu'un CLSC, qu'un
ministère qu'un DSC, qu'un organisme gouvernemental, quun organisme du
para ou du péripublic ne puisse pas distribuer des services
spécialisés, adaptés à des besoins très
précis d'une population qui les réclame. Je dirai oui, je ne
sombrerai pas dans le "oui, mais" ce n'est pas mon attitude. Vous avez
parlé de plaintes qui étaient reçues La question que
j'aimerais vous poser, soit à M Sigouin ou à vous, M le
trésorier. Est-ce qu'il y a eu des plaintes touchant le logement? Est-ce
que vous avez eu des plaintes spécifiques quant à la police pour
des refus d'intervention?
M. Gérard: Non. II y a eu quelques plaintes. J'ai
noté dans les rapports annuels quelques plaintes pour les questions de
logement. La majorité des plaintes étaient pour des questions
d'emploi. Pour ce qui est de la police, je ne pense pas qu'on ait eu des
plaintes formelles. On reçoit beaucoup de commentaires de personnes qui
se sont fait accoster par la police, demander des noms, des choses comme cela.
Les gens n'étaient pas en arrestation. C'est seulement plus
récemment qu'on a eu des commentaires, mais on n'a jamais eu de plaintes
acheminées à la Commission des droits de la personne face
à l'agissement des corps policiers.
M. Boulerice: Est-ce que votre organisme a déjà
été plaignant auprès de tribunaux ou non, d individus ou
de groupes?
M. Gérard: Oui Nous avons un cas qui a fait jurisprudence.
L'association avait demandé de louer une salle à la commission
des écoles catholiques. Cela avait été refusé.
C'est allé en cour. C'était la première fois qu'on avait
un jugement favorable dans un cas de discrimination face à l'orientation
sexuelle. C'est le seul cas
qu'on a référé aux tribunaux. On a eu aussi un
autre cas qui est toujours en cour, d'arrestation massive dans un bar en 1984.
Le procès est toujours en cours et on a eu quelques
développements de jurisprudence intéressants. Ce sont les deux
seuls cas où nous avons été impliqués.
M. Boulerice: D'accord. Je vais revenir tantôt.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
M. Thuringer: Justement, M. le Président, sur la question
de l'éducation, de la formation, il me semble que vous visez les polices
et les autres personnes qui vous touchent directement, mais en ce qui a trait
aux écoles et organismes familiaux, est-ce qu'il y a des mesures que la
commission ou votre organisme même peut entreprendre pour
accélérer cela?
M. Gérard: Oui, il y a certainement un travail
d'éducation à faire face aux écoles, aux groupes de
parents, ainsi de suite. La raison pour laquelle on ne l'a pas inclus, c'est
que tout simplement pour nous, c'est peut-être un peu moins urgent. Mais
certainement nous croyons que la commission devrait s'impliquer dans une
tâche d'éducation générale face à
l'orientation sexuelle.
M. Thuringer: Avez vous fait des démarches auprès
des organismes familiaux ou dans la politique de la famille? Qu'est-ce que vous
avez fait dans cette démarche?
M. Sigouin: Oui, monsieur. On a déjà fait une
approche auprès des CLSC qui, eux, rencontrent souvent des groupes de
femmes, des mères de famille. On a déjà fait des approches
pour aborder le sujet Maintenant, le dossier est encore en train de se
travailler. C'est un dossier qui est très long parce qu'il y a beaucoup
de discrimination qui se fait indirectement. Les gens ont comme peur qu'on
s'implique et c'est cette peur-là qu'il faut enlever. C'est à
force de travailler et de travailler qu'on va la faire disparaître. II y
a des dossiers qui sont amorcés sur cela. Mais il y a toujours une
crainte et tant que la crainte va exister, ce sera très dur d'entrer
dans ces milieux-là.
M. La porte: Simplement en complément.
Le Président (M. Filion): M le député de
Beauharnois.
M. Marcil: Je voudrais savoir, dans votre organisation, combien
avez-vous de membres?
M. Gérard: 150 environ, présentement.
M. Marcil: 150 Je suis surpris de voir que c'est une
communauté - indépendamment de l'association - quand même
qui est assez importante au Québec, surtout dans la région de
Montréal parce que, comme vous le disiez à un moment
donné, il y a des endroits et des quartiers où on retrouve en
plus grand nombre justement les gais Je demeure quand même surpris de
voir que vous ayez si peu de plaintes et que vous, en tant qu'association, vous
ayez si peu recours à la Commission des droits de la personne. Je suis
réellement surpris.
M. Gérard: Je crois que, pour ce qui est du nombre de nos
membres, c'est un problème que plusieurs associations vivent
présentement. II y a une espèce de désengagement
politique. Aussi, dans notre cas, nous sommes rendus à un point
où nous n'avons plus à demander un droit général
dans la charte. C'est fait. Cela fait dix ans que c'est fait. On est rendus
à des raffinements dans la loi des choses qui sont assez subtiles et
cest difficile de faire passer ie message.
M. Marcil: Je comprends, mais souvent on va être
porté. Dans l'exercice qu'on fait depuis ce matin et qu'on va continuer
jusqu'à jeudi on rencontre plusieurs groupes et organismes qui viennent
nous faire part de leurs préoccupations des problèmes qu'ils
rencontrent. Ils nous proposent des solutions, des amendements possibles
à la charte, des modifications à la Commission des droits de la
personne, toujours dans le but d'améliorer, si vous voulez le service
à la population .Je comprends quand vous partez de raffiner davantage la
loi mais pour réellement apporter des modifications majeures ou si
mineures soient elles, il faut vivre d ex périences. Comme il n'y a pas
tellement d'utilisateurs, il y a probablement. On va poser la question,
à un moment donné aux membres de la commission, jeudi. Plusieurs
individus font peut-être des plaintes à la commission sans
nécessairement passer par I'association. C'est quand même un
milieu que je connais assez bien avec le nombre de gais qu'on a chez nous. Je
suis réellement surpris du peu de plaintes faites. Comment pourrais je
dire? Je ne veux pas employer le terme. Est-ce que c'est un manque
d'information auprès des membres ou si c'est une mauvaise perception de
la réception des membres de la commission? Je ne pense pas parce que,
quand même la charte et les droits sont là. Les droits et
libertés, cela appartient à tout le monde cest pour tous les
membres de notre société.
M Sigouin: Pour répondre à votre question on
rencontre beaucoup de gais et on discute souvent des différents droits
qu'on a. Souvent, les gens me disent: J'ai vécu tel problème |e
suis allé voir un médecin et il ma dit que jétais malade.
Pour la personne, cela crée un froid. Elle a toujours peur de se faire
dire qu elle est
malade. C'est pour cela qu'à un moment donné les gens ont
beaucoup de réticences à faire des plaintes.
C'est comme faire une plainte à la police. II y a beaucoup de
harcèlement de la part des corps policiers .Les gens sont rendus
à un point tel qu'ils vont se faire tabasser et qu'ils n'iront
carrément pas voir la police. II s'en vont chez eux et ils nettoient
leur petit bobo, c 'est tout.
M. Marcil: Je ne pars pas nécessairement du raisonnement
que vous faites, mais, du moins, de ce que vous me donnez comme message. S'il y
avait des modifications à l'organisme comme tel. Je reviens toujours
à cette proposition, qui apparaît dans plusieurs mémoires,
de créer un tribunal administratif qui aurait des pouvoirs
exécutoires, au fond. Est-ce que cela pourrait sécuriser
davantage les plaignants? Au moment ou l'on se parle, si vous travaillez dans
une commission scolaire et que, demain matin on décide de vous mettre
à la porte, si vous n'êtes pas syndiqué, c'est plus facile.
Si vous êtes un cadre et qu'on décide, pour toutes sortes de
raisons, de vous congédier, si vous avez recours à la Commission
des droits de la personne et que cette dernière, après
enquête, réprimande la commission scolaire pour ce geste,
même si elle lui recommande de vous réintégrer à
votre poste, celle-ci peut toujours faire de la recommandation de la commission
et dire. Bonjour merci, vous vous en allez chez vous. Donc, le fait d avoir,
à un moment donné, un tribunal administratif qui, par un
jugement, pourrait exiger que l'employeur reprenne la personne
congédiée qui a subi un tort ou, du moins, pourrait imposer une
amende ou une compensation financière sur plusieurs années, le
fait que vous ayez la possibilité d'avoir un jugement clair, net,
précis et exécutoire qui pourrait permettre non seulement
à la communauté gaie mais à l'ensemble des organismes qui
composent notre société d'utiliser davantage la commission, de
faire de plus en plus de plaintes, pas nécessairement dans le but de
combler les heures de travail des membres de la commission, mais de l'utiliser
à bonnes fins, pensez-vous que cela pourrait être une
solution?
M Gérard: Je crois que, pour ce qui est de la formule d'un
tribunal administratif, oui. Dans notre cas, ce qui m'inquiète, c'est
toute la question de la preuve qui peut être parfois plus difficile
à établir que dans d'autres cas puisqu'on est une minorité
invisible.
M. Marcil: C'est toujours difficile M. Gérard:
Toujours, oui.
M. Marcil: sur le plan de la discrimination de faire la
preuve.
M. Gérard: Oui.
M. Marcil: Que ce soit pour l'association des gais ou pour tout
autre association, cest toujours difficile de le faire.
M. Gérard: Oui, mais je me demande si, dans notre cas ce
ne serait pas un peu plus difficile. C'est une question que je me pose, mais je
ne peux pas vous donner de réponse. (21 h 45)
Le Président (M. Filion): Cela va. M. le
député de Beauharnois? Avec la permission de mes collègues
j'ai à mon tour quelques ques tions. Finalement, en ce qui concerne la
Commission des droits de la personne elle même je crois comprendre de vos
propos et de votre mémoire que vous avez noté un manque
d'ntérêt de la commission à diffuser l'orientation sexuelle
comme motif de non-discrimination. Je ne crois pas me tromper en disant que
cela constitue quand même l'un de vos principaux griefs a I'égard
de la commission. Et sauf erreur, l'orientation sexuelle a été
incluse dans la charte non pas lors de son adoption en 1977, mais dans
l'année subséquente, c'est-à-dire en 1978.
Rapidement je passe à vos recommandations. Comme beaucoup d
organismes, vous suggérez qu'un membre de votre communauté fasse
partie des commissaires de la Commission des droits de la personne. Le
gouvernement, quel qu il soit - je n en fais pas partie - a toujours ce
problème de choisir des individus pour siéger à des postes
de direction. Est-ce que le gouvernement va devoir prendre un individu de la
communauté asiatique, un autre de la communauté gaie un
handicapé, etc? Ce qui est d'ailleurs un sujet de préoccupations.
Je pense que le gouvernement doit chercher à obtenir le maximum de
compétence et de représentativité à
I'intérieur de nominations qu'il faut voir globalement. Autrement, on
n'en sortirait pas. Je vais vous dire franchement, il n'y aurait pas
suffisamment de 50 postes au sein de la Commission des droits de la
personne.
Mais je comprends quand même votre point de vue, qui pourrait
répondre en partie aux préoccupations de mes collègues les
députés de Beauharnois et de Saint Jacques que je partage
à savoir qu'il y a cette espèce de réserve qui existe
à I'intérieur de votre communauté pour faire valoir vos
droits. Réserve parfois, qui peut être. Non, je n'irai pas au
poste de police parce que cest justement la que j'ai eu mon problème.
Et, dans certains cas. Non je n'irai pas à la Commission des droits de
la personne. Parce qu' il y a une réserve qui à mon avis
découle beaucoup plus d'un problème de société que
d'un problème de droits de la personne qui découle de
I'état de maturation d'une société en
général. Si on était en Californie les gens ont fait des
drôles de pas de géants là bas et je suis convaincu dans
certains pays européens également. Tout cela dépend un
peu, de I'évolution d'une société.
Par contre |e dois vous dire que je suis
extrêmement sensible à la deuxième recommandation
que vous faites, à savoir d'entreprendre une série de recherches
et d'études des lois et de la réglementation
québécoises en vue d'éliminer toute
référence discriminatoire. Je dois vous souligner,
également, l'intérêt du député de
Saint-Jacques pour cette question-là, qui s'est déjà
manifesté lors d'une commission parlementaire à laquelle j'ai eu
l'honneur de participer. Ce que vous soulevez, à mon avis... Et je sais
que la Commission des droits de la personne nous entend et nous lira par la
suite. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu que la Commission des droits de
la personne, carrément, fasse un avis sur cette question-là. On
pense à la discrimination qui peut, peut-être, exister et c'est
à la Commission des droits de la personne de nous éclairer. Ce
n'est pas un problème facile, mais il peut exister dans certaines lois
fiscales, dites-vous, dans certaines lois de réglementation du travail,
des formes d'assistance sociale. On voit également,
immédiatement, toutes les conséquences que cela peut avoir sur
ces systèmes-là que la société s'est
donnés.
Là-dessus, le problème est majeur et vous recommandez
à la Commission des droits de la personne - en somme, c'est le sens de
votre suggestion - d'entreprendre une recherche et des études
là-dessus. Peut-être que cela a déjà
été fait. Je ne sais pas. Je ne me souviens pas exactement du
mécanisme par lequel la commission décide de donner un avis,
mais, chose certaine, voilà une matière drôlement
concrète pour les gens de votre communauté comme pour l'ensemble
de notre société.
Bon, troisième recommandation: s'impliquer dans
l'éducation des policiers quant à la non-discrimination face
à l'orientation sexuelle. Il y a un travail là-dessus qui a
été - vous le soulignez - entrepris en 1984, avez-vous dit. Je me
souviens, en tout cas, du brouhaha que cela avait créé. C'est
quand même curieux que cette recommandation arrive le jour où le
ministre de la Justice a décidé d'instituer une enquête en
ce qui concerne les relations entre les policiers et les différentes
communautés culturelles. Peut-être que ce sera une étape
ultérieure, mais je pense que le projet pilote dont vous parlez à
la page 4 ou 5 de votre mémoire est quand même un pas en avant
dans ce secteur-là.
Enfin, vous revenez, comme quatrième volet, sur te grief
principal, peut-être, qui est l'information de la population gaie et de
la population en général de l'existence de l'orientation sexuelle
comme motif de non-discrimination au Québec, ce qui m'amène
à une question. Est-ce que vous croyez que l'existence de l'orientation
sexuelle comme motif de non-discrimination est bien connue des membres de votre
communauté au Québec? Je crois que vous n'avez pas fait
d'enquête là-dessus, mais est-ce qu'on peut avoir votre
perception?
M. Gérard: Je crois qu'ils le savent peut- être par
le fait même que c'est au Québec que cela s'est fait fa
première fois et que cela a été assez publicise, mais je
ne crois pas qu'ils soient vraiment au courant qu'il y a des recours pour des
cas de discrimination. C'est peut-être là qu'il faudrait
travailler le plus.
Le Président {M. Filion): Est-ce que, par exemple, les
membres de votre communauté connaissent l'existence de la Commission des
droits de la personne?
M. Sigouin: Oui, M. le Président. Les membres de notre
communauté connaissent l'existence de la commission. Par contre, cela
fait quatre ans que je suis militant à l'association et j'ai
rencontré divers cas. Les gens connaissent la non-discrimination de
l'orientation sexuelle, par contre, les gens se posent la question:
Jusqu'où peut s'étendre cette non-discrimination? Qu'est-ce que
cette discrimination touche exactement dans ma vie? Est-ce mon logement, ceci,
cela? Ont-ils juridiction sur ceci, sur cela? Ce sont des questions que les
gens se posent souvent et même, tous les jours: ils vont s'acheter
n'importe quoi, ils vont louer un logement, ils vont souper au restaurant avec
un ami, ils vont faire un achat en conjoint, un achat de maison, n'importe quoi
C'est dans ce sens-là qu'ils se posent beaucoup de questions. Comme je
l'expliquais tantôt, les gens ont une certaine peur d'aller à la
commission. Mais les gens connaissent son existence.
Le Président (M. Filion): Votre cinquième
recommandation est une suggestion en ce sens que la Commission des droits de la
personne soit plus présente au sein des organismes communautaires gais
du Québec. On me remet à l'instant un dépliant qui a
été préparé par la Commission des droits de la
personne: Des droits en toute égalité, quelle que soit votre
orientation sexuelle. Je ne sais pas si vous l'aviez déjà vu.
Vous ne l'avez jamais vu?
M. Gérard: Jamais.
Le Président (M. Filion): Je vais vous remettre mon
exemplaire.
Des voix: Ha! ha! ha!
Le Président (M. Filion): Je suis convaincu qu'il en
existe d'autres exemplaires à la Commission des droits de la personne
pour l'information de vos membres en général. Peut-être
qu'à l'occasion d'un envoi postal il y aurait possibilité, avec
la commission, de faire en sorte que... Évidemment, quand je posais la
question au sujet des membres de votre communauté, je ne voulais pas
nécessairement dire les membres de votre association, parce que je
partage un petit peu la surprise du député de Beauharnois.
J'aurais cru que les gais en général ont tendance
à se regrouper. Vous avez vous-mêmes défini votre
organisme comme le seul organisme politique au Québec. Je souhaite
ardemment que l'ensemble des gais puisse peut-être prendre conscience de
la nécessité d'un regroupement, ne serait-ce que pour assurer une
meilleure diffusion des problèmes vécus par des gens de votre
communauté. Là, on s'aperçoit que le problème
n'existe pas seulement à un endroit, qu'il existe également
à de multiples exemplaires et cela crée une solidarité qui
peut faire en sorte que les choses vont changer.
Donc, je vous remets ce dépliant de la Commission des droits de
la personne, qui en a fait plusieurs. Parfois, comme vous le dites, il faut
quand même le savoir. Je vous remets la copie et je suis convaincu qu'en
vous adressant à ta Commission des droits de la personne il y a
possibilité d'obtenir d'autres exemplaires.
M. le député de Beauharnois.
M. Marcil: Tout ce que je voulais ajouter, M. le
Président, c'est qu'il y a de la ségrégation dans toute
société, beaucoup plus dans certaines par rapport à
d'autres. On se le disait tantôt, au Canada, au Québec, on est
quand même une société où, je pense, l'individu,
l'être humain peut évoluer dans le plus grand respect de soi et
des autres. Je pense qu'on a à peu près tous les
mécanismes nécessaires, il reste à les améliorer
et, surtout, à les appliquer. C'est bien plus cela. Je pense qu'on a
à peu près tout ce qu'il faut. Il y a quand même de la
ségrégation au Québec aussi. Ce n'est pas parce qu'on est
très évolué sur ce point que... Au contraire, la
ségrégation devient de plus en plus raffinée et il faut
trouver les moyens, aussi, d'éduquer et d'informer les gens, de les
éduquer dès leur jeune âge par le biais des
mécanismes que nous avons, dans le but d'enrayer cela de notre
pensée. Par contre, il ne faut pas non plus que cela devienne une
psychose qui nous harcèle tous les jours parce que souvent...
Je connais aussi des gens qui, à un moment donné, posent
des problèmes. Ce n'est pas à cause de leur état comme
tel. Ils peuvent poser des problèmes et, souvent, ils se renferment
derrière cette fameuse peur qu'on va les réprimander et ainsi de
suite.
On a soulevé un point cet après-midi. C'est sûr
qu'on a présentement un cas au Québec: la mort d'un Noir. Il est
certain que, dans le contexte actuel, cela pose un problème grave, cela
pose un problème moral aussi, sauf qu'un policier va tuer un Bianc, et
cela arrive à tous les jours, et, pour nous, c'est un fait divers. Mais
quand un policier tue un Noir, cela devient un problème de
ségrégation. C'est peut-être vrai aussi. Je ne veux pas
juger. C'est pour cela qu'il faut être présent continuellement
dans des commissions comme celle que nous tenons présentement. C'est la
raison pour laquelle les organismes doivent aussi s'annoncer; déposer
des mémoires et intervenir. Tout en voulant amélio- rer notre
commission comme telle pour donner le meilleur service possible à la
population, cela amène aussi la population à s'informer et
à s'éduquer davantage, à commencer par nous, les
parlementaires.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Beauharnois.
M. le député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui. De toute façon, on est tous
minoritaires un jour ou l'autre, sur un sujet ou l'autre ou dans une condition
ou l'autre. Quand je vous dis cela, j'ai en tête cette chanson de
Ferré où il crie: Nous sommes tous des Juifs allemands. Il y a
toujours une tentation totalitaire quelque part.
Je ne partage pas tout à fait le point de vue de mon
collègue de Beauharnois, sans toutefois lui prêter d'intention. Je
le sais ouvert Effectivement, il y a un incident extrêmement malheureux
qui s'est produit au Québec récemment. Par contre, je ne sais pas
combien de fois par soir, dans différents quartiers, dans
différentes villes du monde et, notamment, probablement dans les
nôtres, puisque ce sont celles qui nous concernent en premier lieu, il y
a un gai qui se fait tabasser, il y a un gai qui se fait assassiner lui aussi,
mais psychologiquement. C'est quelquefois une mort beaucoup plus atroce que la
mort physique puisqu'elle est très longue à vivre, si je puis
employer cette expression.
Donc, je pense que rien de ce que vous êtes venus nous dire ce
soir n'est perdu. Effectivement, vous l'avez souligné tantôt, il y
a déjà, dans la charte, le grand principe d'orientation qui a
été adopté en 1978. Je pense que mon
prédécesseur, le député de Saint-Jacques, M
Charron, y avait travaillé très activement puisque c'était
un engagement de ma formation politique t'autre pas à faire, par contre,
et vous en avez tracé les lignes très exactes ici, je pense qu'il
faut le faire.
Je vais conclure là-dessus, M. le Président, parce que je
sais que le temps passe. Récemment, dans une conférence à
Paris, je traçais un portrait entre les politiques
québécoises et les politiques françaises, les
comportements québécois et les comportements français. Je
leur disais: Ce n'est sans doute pas le paradis terrestre chez nous, sauf
qu'effectivement on a quand même certains acquis et on a peut-être
certains endroits de centre-ville où on peut vivre ensemble dans la
tolérance, la différence, sauf que cela ne doit pas être un
sentiment de confort. Il ne faut pas sombrer dans le confort et
l'indifférence, qui est un terme qu'on a déjà
employé et qui existe encore, pour une population - et je le
répète - qui veut sa pleine participation et qui le dit bien
à la fin de son texte, également, comme des citoyens à
part entière, qui veut obtenir des choses qui, à mon point de
vue, sont justifiées et justifiables. À ce moment-là, je
voudrais vous assurer, M. le
président et M. le trésorier, de ma collaboration la plus
soutenue. Je vous remercie de votre participation
Le Président (M. Filion): Donc, au nom de tous les membres
de la commission, je voudrais vous remercier. En ce qui concerne votre
mémoire, vous savez, soyez bien à l'aise. Il y a des groupes
drôlement plus structurés que le vôtre qui ne nous ont pas
encore remis leur mémoire. Alors, sentez-vous bien à l'aise.
Merci à vous.
Avant d'ajourner nos travaux, je voudrais vous rappeler que, demain,
nous avons un ordre du jour qui commence à 9 h 30 avec le Comité
provincial des malades; ensuite, te Conseil du patronat à 10 h 30;
à 11 h 30, le Service d'aide aux Néo-Québécois
immigrants; à 16 heures, le Congrès des avocats et juristes noirs
du Québec et, à 17 heures, l'Association des infirmières
noires du Québec.
C'est un rendez-vous pour demain, 9 h 30. Nos travaux sont donc
ajournés. À demain,
(Fin de la séance à 22 h 2)