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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le lundi 25 mai 1987 - Vol. 29 N° 61

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Filion): Je souhaite la bienvenue aux membres de cette commission. L'horaire pour cette journée de lundi est le suivant: à dix heures, M. Roger Lemelin, écrivain, qui a déjà pris place à la table des invités. Suivront les représentants de la Société Saint-Jean-8aptiste de Montréal et, à midi, M. Daniel Latouche, professeur à l'Institut national de la recherche scientifique. Cet après-midi, nos travaux reprendront à 15 heures avec les représentants de la Fédération des groupes ethniques du Québec et de 16 è 18 heures auront lieu les représentations des membres de cette commission.

Bienvenue à M. Lemelin, à qui je rappelle brièvement le partage des 60 minutes qui lui sont allouées: 20 minutes seront consacrées à son exposé et, par la suite, une quarantaine de minutes seront partagées à parts égales entre les deux formations politiques pour qu'elles discutent avec lui. M. Lemelin m'a remis un texte que je considère comme déposé et qui a été distribué aux membres de cette commission.

M. Lemelin, je vous cède la parole pour votre exposé.

M. Roger Lemelin

M. Lemelin (Roger): M. le Président, M. le ministre, M. le chef de l'Opposition, mesdames, messieurs. Je suis ici comme écrivain, donc à titre individuel et à cause des années turbulentes de 1971 à 1981 où j'ai, à titre d'éditeur du journal La Presse, combattu pour un Québec français fort dans le Canada. J'ai combattu pour le respect des droits des minorités, particulièrement ceux de la minorité anglaise de Montréal. J'ai aussi, par mes éditoriaux et mes conférences à travers le Canada, prêché la tolérance, attaqué l'étroitesse d'esprit, tous les fanatismes, sources de malheurs et de guerre. J'ai souligné la priorité de la liberté individuelle sur les notions de race, de religion et de langue. J'ai clamé bien haut qu'on ne peut forcer par une loi ou par un règlement un citoyen à pratiquer une religion ou à apprendre une langue qui ne l'intéresse pas. Je suis un écrivain français du Canada, mon coeur est tout entier au Québec, ma culture est française et, sans elle, je n'aurais pas beaucoup d'intérêt à continuer de vivre.

Voilà mes couleurs.

J'avais préparé un tout autre discours, mais après avoir suivi les travaux de cette commission toute la semaine dernière, je l'ai jeté au panier et j'en ai rédigé un autre que voici. D'abord, tout de suite je veux dire ma reconnaissance à M. Bourassa qui a institué cette commission parlementaire. Cela a été une décision couraqeuse, car cet exercice eût pu déqénérer en foire aux amertumes. Au contraire, ce fut une expérience remarquable, empreinte de pondération et de bonne foi. Ces discours, ces prises de position (bien sûr, quelques-unes sentaient l'opportunisme de certains hommes publics qui ont profité de cette tribune pour mousser leurs intérêts et leurs idées) dans l'ensemble nous ont instruits et fait réfléchir sur notre Québec français et à la place qui nous échoit dans la Fédération canadienne.

Permettez-moi de vous exposer brièvement les réactions que j'ai ressenties progressivement au cours des audiences de la semaine dernière et qui m'ont amené à la conclusion que je vous livrerai tout à l'heure. Souventefois au cours de cette semaine j'ai évoqué la mémoire d'un ami très cher que nous avons perdu trop tôt, il y a dix ans cette année, Jean-Charles Bonenfant, dont la dernière boutade intelligente avait été lorsqu'on lui avait proposé le Sénat. Il avait refusé, me disait-il, parce que quand le temps était humide il ne pouvait pas parler anglais. Il disait aussi: Quand je parle en anqlais avec les gens du reste du pays, je me sens comme un joueur d'échecs qui joue contre un joueur qui a toujours les blancs. Il a le train.

Jean-Charles Bonenfant, professeur de droit constitutionnel, humaniste, eût su faire planer dans cette enceinte un souffle savant mais chaleureux. Il eût été heureux et fier de constater avec quelle élégance, avec quelle fermeté polie, patiente, celui de ses élèves dont il me prédisait le très brillant avenir, Gil Rémillard, a défendu son dossier complexe presque seul contre tous. Chapeau! M. Rémillard. Il eût été aussi fier, lui l'ami de Daniel Johnson, de voir son fils, Pierre Marc, conduire son argumentation de chef de l'Opposition avec autant d'intelligence, de finesse dans l'élocution tout en étalant de redoutables talents de bretteur. À les écouter, on se mettait à rêver qu'à l'Assemblée nationale on en arriverait un jour à s'exprimer avec cette distinction-là.

Puisqu'on a tellement parlé ici de constitution, je repense à Jean-Charles Bonenfant, à qui il m'arrivait de demander conseil. Un jour, je lui ai demandé de me fournir un exemplaire de la constitution canadienne. Alors là, il s'est mis à rire puis à me rappeler que, depuis le texte de 1867, la constitution avait subi tellement d'amendements et de sous-amendements qu'il serait fastidieux de les énumérer tous. Il disait de la constitution canadienne qu'il ne fallait pas en faire une question de vie ou de mort, que c'était une sorte de vêtement juridique, élastique, qui épouse les formes de toutes les nécessités qui surviennent dans un Canada en constante évolution. Mais cette quasi-indifférence pour la constitution, il la réservait aux non-initiés de mon acabit. Que M. Duplessis, dont il fut le secrétaire, engage avec lui la conversation sur le sujet, ils devenaient tous les deux intarissables et passionnés; que, au cours d'une soirée ou autour d'une table, arrive un autre expert en matières constitutionnelles, ou deux autres, je pense à Me Louis-Philippe Pigeon, à Me Roger Thibodeau, au professeur Jacques-Yvan Morin, une discussion passionnée s'engageait, farcie d'alinéas, d'articles, de mais, de cependant, de numéros où nous, tous les profanes qui les écoutions, nous sentions de pauvres petits Canadiens errants, non instruits et bannis des conversations sérieuses.

J'ai éprouvé la même sensation cette semaine quand l'honorable Gil Rémillard, Pierre Marc Johnson, M. Beaudoin, M. Lefebvre et quelques autres experts se sont mis à jouer au ping-pong avec les articles de la constitution en manifestant une délectation évidente. À ce moment, la stature intellectuelle que je suis porté à m'accorder diminuait d'un bon pied. Sommes-nous si démunis que cela, nous les étranqers à ce club sélect, fermé, dont les membres laissent tomber sur nous un regard tout mouillé de pitié?

Heureusement, dans ces moments pénibles, j'ai recours au sens commun pour me remonter le moral. J'ai été frappé par les deux familles de vocabulaires utilisé par les participants. Pour les uns, dont M. Rémillard, l'expression société distincte est un chef-d'oeuvre de clarté qui inonde de joie le coeur des constitutionnalistes avertis, tandis que pour les autres cette expression voile un piège fatal pour la langue française. Ce fut un dialogue de sourds entre juristes et rhéteurs. Pour les premiers, les juges de la Cour suprême sont les véritables maîtres du Canada; pour les autres, c'est l'élu politique.

Mais l'impression la plus violente qui m'est restée de ces débats, c'est que les discours ont tourné autour du problème du français à l'ouest de la rue Saint-Laurent à Montréal, comme si le Québec se bornait à ce secteur. Pour l'avoir vécu si longtemps, et je commençais à l'oublier, j'ai retrouvé intact, tenace, le syndrome du soupçon, de la peur de l'anglais qui érode la pensée d'un grand nombre d'artistes et d'intellectuels de Montréal. Ah! je l'ai noté souvent, vous savez, ce virus de la peur de l'anqlais, si puissant qu'il obnubile ses victimes qui, à un certain moment, refusent toute discussion rationnelle pour se réfugier dans une colère obtuse. Quand un si grand nombre de qens intelligents réagissent de cette façon, c'est qu'il y a à cela de profondes raisons historiques que je n'ai pas le temps de traiter ici. Mais laissez-moi vous dire que les accords du lac Meech n'ont rien à voir avec la survivance du français à Montréal, pas plus qu'ils vont bloquer le sommet francophone qui se tiendra a Québec cette année. Le vrai drame qui nous menace est la baisse de la natalité au Québec à un niveau inacceptable et qui annonce la mort lente de notre société traditionnelle si la situation ne se corrige pas. Il y en a un autre, aussi grave, la détérioration du français enseigné, écrit et parlé au Québec. C'est le même problème pour l'anglais dans le reste du Canada et dans le monde. Je vous assure qu'à la Bourse de Paris la culture québécoise a la cote bien basse quand on la compare à celle des actions de Cascades.

Les sondages récents indiquent que la population canadienne est majoritairement favorable aux accords du lac Meech. Il serait fastidieux que je vous énumère, que j'attaque toutes les clauses. Pour l'immigration, c'est très bien. Pour la nomination des juqes à la Cour suprême, c'est encore très bien. Pour la rentrée par la qrande porte dans la famille constitutionnelle canadienne après le massacre de 1981, c'est très bien. Pour le pouvoir de dépenser, faisons confiance aux gouvernements, ils s'en sortiront fort bien. Quant à la réforme du Sénat, quel beau voeu pieux, et ça n'est pas demain la veille. En somme, j'applaudis très fort aux accords du lac Meech, c'est formidable! Mais je garde mes deux petits doigts pliés, car l'article sur le caractère distinct du Québec me chicote sérieusement maintenant. Il semble que la politique l'emporte sur le jurisme au Québec. On peut dire maintenant, aujourd'hui, le 25 mai, que de 80 % à 85 % de notre population est insatisfaite de cet article tel que formulé.

Il est facile au Québec, en utilisant une habile démagogie, d'entraîner derrière soi une population si vulnérable à l'émotion quand il s'agit de culture et de langue. Devant la réaction populaire à cet article, M. Bourassa ne peut retourner à Ottawa sans un texte remanié dudit article.

Pourquoi cette réaction populaire a-t-elle pris une telle proportion? Pourquoi les organismes et les orateurs ont-ils tourné autour de l'expression "société distincte" en

la reniflant avec suspicion, surtout les nationalistes? C'est qu'ils ont déjà été drôlement roulés, floués par une expression du même genre: souveraineté-association. Sous cette bannière, les péquistes et la population en général ont vécu dans l'ambiguïté pendant des années. Et, ambiguïté souveraine, la question à deux volets du référendum, une vulgaire entourloupette où l'intelligence moyenne des gens s'est révoltée contre le peu d'estime dans laquelle on l'a tenue. Et le référendum a été perdu. Dans l'expression "société distincte", les nationalistes et la population en général flairent, à tort sans doute, le même genre de tactique. On sent que le gouvernement, pour réussir les accords du lac Meech, n'a peut-être pas osé prononcer les mots "langue française" de peur de réveiller les morts. Mais, en même temps, il sombrait dans une nouvelle ambiguïté, de nos jours inacceptable au Québec. En dépit des savantes explications des experts favorables à la sécheresse de l'expression, on n'est plus au temps où un ministre libéral fédéral pouvait, sans se faire huer, parler du Québec comme d'une région linguistique.

Moi aussi, je suis très insatisfait de l'ambiguïté de cette définition. Je suis d'accord à mille pour cent avec ceux qui en demandent la modification, non par peur, non par espoir qu'un jour on ait le séparatisme, mais par fierté. Je suis fier d'être un Québécois canadien de culture française et je veux qu'on le clame bien haut dans la constitution. Je suis choqué qu'on semble avoir peur de la promulguer de l'Atlantique au Pacifique, On n'a pas besoin d'avoir peur quand on est 6 000 000 de Québécois de culture et de langue françaises, société dynamique et vivante! Puisque M. Bourassa semble ouvert maintenant à une nouvelle formulation de la clause b) de l'article 1, je suggère celle-ci, qui me semble claire comme le jour: "La reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, de culture et de langue françaises." Je répète: "La reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, de culture et de langue françaises."

Si vous remarquez bien, je place le mot "langue" après le mot "culture". Pour plusieurs, une langue, c'est un outil de communication ou une connaissance élitiste de gens qui ne sont pas nécessairement français, mais qui en pratiquent la langue assez couramment; on leur applique le vocable francophone, mot utilisé depuis peu d'années. Mais, pour nous, la langue française, c'est l'expression sonore, articulée de notre moi, de notre âme profonde. Si je place au premier chef le mot "culture", c'est qu'il représente l'ensemble de notre univers culturel que nous voulons indélogeable et intouchable. C'est l'homme politique français Edouard Herriot qui disait: "La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié".

Si MM. Bourassa et Rémillard acceptent de défendre ce point de vue ou l'équivalent, ils auront tout le Québec derrière eux, et certainement M. Mulroney, le plus français de nos Irlandais. Avec une définition aussi claire, nous aurons moins besoin de faire appel à la Cour suprême. Nous pourrons nous mettre au travail dans un Canada où les plus irréductibles de nos nationalistes pourront peut-être commencer à se sentir à l'aise. Nous avons tous un travail énorme sur la planche. Toute l'énergie que nous avons consacrée à nos problèmes politiques, nous pourrons la jeter dans nos autres batailles économiques et culturelles. Cet article de la constitution n'est pas, bien sûr, une panacée, mais quand les immigrants choisiront d'immigrer au Québec, ils sauront au moins avant de partir qu'ils auront à s'intéqrer dans une société française. Nos jeunes hommes d'affaires ont prouvé depuis quelques années que leur extraordinaire dynamisme pouvait transformer le Québec en milieu de vie enviable parce que d'abord prospère. Et aux artistes, aux écrivains, je dis: C'est dans les temps de prospérité économique et de paix sociale que se créent les plus belles oeuvres.

L'énergie, la foi que l'artiste consacre à des mouvements politiques que d'autres manipulent avec un certain cynisme, sont une perte sèche pour son art et altèrent sa fraîcheur créatrice.

Avant de vous quitter, j'ai une demande expresse à formuler auprès du mouvement Alliance Québec de Montréal, qui défend les intérêts des anglophones de cette ville. Quand j'ai dit que le débat semblait concerner exclusivement les problèmes du français à l'ouest de la rue Saint-Laurent, je pensais aussi à vous qui n'avez à peu près pas de problèmes. Les problèmes des anglais de Montréal ne concernent pas le reste du Québec, sauf quand vos droits de minorité sont menacés. Ils ne le sont pas. Je me suis déjà battu pour vous quand c'était très dangereux et presque seul, j'en ai même eu des menaces de mort à l'époque. Mais aujourd'hui, je vous demande de nous appuyer à l'échelle canadienne. Vous avez le privilège de vivre dans une qrande ville canadienne dont le charme, la culture française font vos délices. Protégez-la, cette culture, cette ville, aidez-la à devenir encore plus française, encouragez même tous vos membres à enfin apprendre le français. Connaître et parler le français, c'est un don du ciel.

Mesdames et messieurs, je suis heureux du cadeau que vous m'avez fait en me laissant vous livrer ce message avant de disparaître lentement d'une scène publique occupée par des hommes plus jeunes. Comme Québécois et comme Canadien, j'espère que mon pays permettra à mes enfants et à mes

petits-enfants de s'épanouir dans la langue et la culture françaises, tout comme leur grand-père, qui a couru toute sa vie après la rigueur, la clarté et l'excellence. En parlant de clarté, permettez-mot, si je repense à l'expression "société distincte", de citer ce mot de Montesquieu que m'a enseigné Jean-Charles Bonenfant et c'est à peu près ceci: Une bonne loi est rédigée de façon si claire et si nette qu'elle peut être appliquée par te plus humble ou le plus célèbre des magistrats.

Bonne chance, bon courage, MM. Bourassa et Rémillard. Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Lemelin. Je laisse donc la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes en lui signalant, ainsi qu'aux autres membres, qu'il reste une enveloppe de 20 minutes pour chacun des groupes. M. le ministre. (10 h 30)

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Lemelin, je voudrais vous remercier très sincèrement d'avoir accepté de venir témoigner devant nous ce matin, devant cette commission qui étudie les ententes du lac Meech. Vous êtes un Québécois éminent, un écrivain dont on peut être très fiers, comme Québécois, comme Canadiens. Vous nous avez livré un message, ce matin, franc, direct, très sincère.

Vous vous référez à quelqu'un qui m'a été très cher, comme vous le savez, Jean-Charles Bonenfant, avec qui j'ai travaillé pendant plus de sept ans; j'aurais bien aimé qu'il puisse encore être avec nous pour nous donner ses sages conseils. Vous vous référez à la mémoire de Jean-Charles Bonenfant. Vous vous référez au constitutionnaliste et à l'humaniste et vous avez donc raison. Et M. Bonenfant nous disait souvent: Notre seule vraie protection à nous, les Québécois, c'est notre excellence. Donnons-nous des outils d'excellence. Sa perspicacité juridique qui, il faut le dire aussi, est associée à un sentiment humain extrêmement intéressant, faisait que M. Bonenfant occupait tant par son savoir que par son aspect humain, une place que, je pense, peu d'autres constitutionnalistes pourront occuper dans cette société. Je voudrais me joindre à vous pour lui rendre cet hommage posthume ce matin en cette dernière journée de la commission parlementaire.

M. Lemelin, vous nous dites que l'entente du lac Meech, c'est très bien. Vous applaudissez à cette entente du lac Meech. Vous nous dites: L'immigration, c'est très bien. Vous soulignez dans votre texte qu'un des problèmes, vous dites même que le problème auquel nous avons à faire face -c'est de grande actualité avec les nouvelles statistiques qui viennent de sortir - c'est le problème du taux de natalité, qui est de 1,4 %, alors qu'on sait qu'il faut au moins 2,1 % ou 2,2 % à un État comme le nôtre pour simplement maintenir sa population. Nous sommes à 1,4 %.

C'est un problème et il faut mettre en place une politique familiale, bien sûr, mais aussi, il faut penser à l'immigration. L'entente du lac Meech, comme vous le soulignez très bien dans votre mémoire, donne au Québec des pouvoirs tout à fait opportuns concernant la possibilité de sélectionner ses immigrants et la possibilité aussi d'intégrer ces immigrants à la société québécoise et de leur donner le goût de demeurer avec nous.

Vous nous parlez de la formule d'amendement. Vous dites: Très bien, oui, je crois qu'on a récupéré les droits historiques du Québec. Vous nous parlez de la Cour suprême où on pourra faire en sorte que les trois juges qui viennent du Québec, sur les neuf juqes de la Cour suprême, soient choisis par le gouvernement fédéral, mais à partir d'une liste de juges fournie par le Québec.

En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, vous nous dites: Cela ira; les gouvernements pourront composer les uns avec les autres, et vous avez bien raison parce que, d'une part, il faut comprendre que le pouvoir de dépenser se situe dans un contexte politique qu'il ne faut pas nier, et vous le soulevez à juste titre dans votre mémoire.

Finalement, vous vous attachez à un élément que vous avez particulièrement à coeur. Vous l'avez eu comme éditeur de La Presse, dans vos éditoriaux, dans vos conférences, comme écrivain. En haut de la pente douce est un roman qui peut faire réfléchir bien des politiciens à bien des égards. Vous soulevez le problème de la langue. Je peux vous dire que c'est une préoccupation que nous avons de ce côté-ci. Pour nous, la préoccupation que nous avons, c'est de ne pas limiter, de ne pas prendre le risque de limiter l'interprétation que les tribunaux pourraient donner de cette société distincte. Pour nous, cette société distincte, elle est fondamentalement, essentiellement fondée sur une lanque, sur une culture française que nous aimons, que nous chérissons, que nous avons en nous et que nous voulons protéqer par cette société distincte. Mais il ne faut pas faire l'erreur de limiter sa portée pour que, à l'avenir, dans les années à venir - on ne sait pas, peut-être que ces textes ne seront pas retouchés avant des années et des années -elle puisse faire en sorte que les tribunaux puissent l'adapter à l'évolution de la conjoncture sociale, politique, économique du Québec. Mais soyez assuré que je prends très bonne note de votre remarque.

Est-ce que vous n'avez pas cette peur, M. Lemelin, qu'on limite la portée de cette société distincte?

M. Lemelin: Je l'ai dit assez fort: moi, je n'ai pas peur d'être Canadien français, Je n'ai pas peur des anglais. Je pense qu'on a notre place dans ce pays et que, dès le moment où une majorité de la population interprète les mots "société distincte" comme ambigus et inquiétants, le politique doit écouter cette population. Qu'on mette - je l'ai dit tout à l'heure - "société distincte" dans la clause, bien sûr... Colorer cette société de sa langue et de la culture ne diminue en rien les limites comprises dans le mot "distincte" et qui, à mon avis, ne sont pas innombrables. Nous vivons dans une société nord-américaine, nos institutions économiques, politiques sont en général de démocratie nord-américaine. Il est évident qu'il y a la place du Code civil français qui règne encore dans nos tribunaux, mais cela est une distinction. Autrement, nous sommes des Américains qui formons un groupe de 6 000 000 de personnes dont la vraie culture est le français. Autrement, nous nous distinguons peu des autres. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur de dire qui nous sommes et de demander au reste du pays qu'on reconnaisse le privilège à des gens, à un groupe culturel qui a participé, qui a même plus que participé à la fondation de ce Canada en repoussant, dans une période de sacrifices, les invasions américaines au nom d'un pays conquis par des Anglo-Saxons. Moi, je pense qu'on doit au moins nous rendre cet hommage et cette justice d'accepter que dans la constitution on dise qu'il y a une société distincte au Québec dont la culture est française, dont la langue est française. Je ne pense pas que cela enlève quoi que ce soit à qui que ce soit parce que la culture française et la langue française sont des éléments qui font que le Canada, dans tous les pays du monde, a son visage particulier à lui. Sans culture française, sans langue française, ce pays serait une terne copie carbone du monde américain ou un écho lointain d'une monarchie britannique. Cette personnalité que nous avons et qui fait qu'une constitution extrêmement complexe est en train de s'élaborer, où les deux cultures fondatrices sont mentionnées, mon Dieu! je ne vois rien là de dangereux, au contraire.

Je pense que si nous devons aux Anglo-Saxons de nous avoir enseigné certaines lois économiques, certaines façons de ne pas toujours penser seulement à la littérature, par contre, ils nous doivent aussi le charme un peu féminin d'une culture qui embellit leur vie. Voilà!

Le Président (M. Filion): Je vous remercie.

Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Lemelin, de votre présence. L'écrivain que vous êtes et qui a connu les succès qu'on connaît, sans compter l'homme d'affaires, l'éditeur, ne pouvait qu'apporter une contribution d'intérêt à cette Assemblée. Mais précisément parce que vous êtes écrivain, je vais vous parler d'un mot que vous avez utilisé au tout début de votre texte. Â la fin de la première paqe et au début de la seconde, vous dites: "Au contraire, ce fut une expérience remarquable, empreinte de pondération et de bonne foi. Ces discours, ces prises de position (quelques-unes sentaient l'opportunisme de certains hommes publics qui ont profité de cette tribune pour mousser leurs intérêts et leurs idées) - on va laisser à ceux qui se sentent visés de se sentir visés - dans l'ensemble nous ont instruits et fait réfléchir sur notre Québec français et à la place qui nous échoit dans la Fédération canadienne." Je regardais dans le Petit Robert pour m'assurer que je reconnaissais bien la définition du mot "échoir". À ne pas confondre avec le mot "échouer", n'est-ce pas?

M. Lemelin: ..."échoir".

M. Johnson (Anjou): C'est bien "échoir" et non pas "échouer". Concernant le mot "échoir", on dit: "Être dévolu par l'effet du sort ou du hasard." Il me semble que la place du Québec mérite plus que juste l'effet du sort ou du hasard, que la place du Québec devrait résulter d'un choix plutôt que d'une échéance créée par des conditions extérieures.

Si je me permets d'insister là-dessus, vous aurez compris que c'est une occasion pour moi de partir de votre texte - mais je sais qu'un écrivain choisit ses mots - pour vous dire qu'en dépit des vertus que vous trouvez à cette entente, en dépit des critiques que vous pouvez faire du passé et en dépit des propos que vous tenez quant à l'avenir, effectivement c'est quelque chose qui nous échoit et qui ne semble pas traduire une vision, une force, une envergure auxquelles on s'attendrait. Vous savez, je suis convaincu que les Québécois aiment les choses d'envergure. J'en suis convaincu. Mais c'est tellement mince, ce qu'il y a là, et pourtant on sait que cela comporte des dangers réels, le danger le plus important étant de soumettre la volonté du Québec essentiellement à l'interprétation des tribunaux. L'élève de Jean-Charles Bonenfant qui est en face de nous disait dans un cours en novembre 1984 à l'Université Laval, j'ai mis la main sur certaines de ses notes de cours de l'époque: L'interprétation de toute constitution doit être une tâche éminemment politique. M. Rémillard ajoutait en novembre 1984, dans ce cours en droit constitutionnel à Laval: C'est encore plus vrai dans une fédération qui a été basée initialement sur

un compromis qui répondait à une philosophie politique et non è une dialectique juridique.

Peut-être que le professeur de droit constitutionnel a changé d'idée en faisant de la politique, comme il est le propre des êtres humains normaux de changer d'idée; il n'y a que les animaux qui ne changent pas d'idée, c'est bien connu. Mais je trouve qu'il y a une sagesse là-dedans que je retrouve peut-être moins dans certains autres écrits ou certains discours du ministre.

Quand vous évoquez un amendement, M. Lemelin, à la question de la société distincte où il faut mettre le mot "culture" et le mot "françaises", de toute évidence votre préoccupation, c'est celle de dire: Le choix d'être politique au Canada quant à ce caractère, à cette âme que vous évoquiez dans votre document, comme dans de nombreux éditoriaux è l'époque où vous étiez à La Presse, doit être là. Cependant, il faut être conscient aussi que vous devez vous livrer aux mêmes acrobaties, être un peu matamore, comme tous les gens qui sont venus devant nous. Nous faisons face à des amendements inconnus, à un texte inexistant en ce moment. C'est un contrat. Mais vous dites: II est clair qu'il faut dire que le Québec est de culture et de langue françaises. C'est un peu comme si cela allait de soi.

Je prétends qu'il faut faire plus que juste le dire et demander aux juges de nous expliquer par la suite quelle est sa conséquence. Je prétends qu'il faut se donner des moyens pour que le Québec soit de culture et de langue françaises. Et je ne suis pas de ceux qui ont peur de l'anglais; vous le savez. Mais je suis conscient aussi que le Québec ne saurait relever le défi de l'excellence dans sa culture pour que le Québec se développe, s'enrichisse, croisse en français, ne se contente pas de survivre, le Québec ne saurait réussir sans des moyens. (10 h 45)

Permettez-moi de vous dire qu'une des raisons pour lesquelles cette entente manque d'envergure, c'est précisément une des raisons que vous avez évoquées. C'est un sujet qui me préoccupe depuis de nombreuses années, sur lequel j'ai eu l'occasion d'écrire quelques textes que je vois maintenant cités par les gens du Parti libéral, ce qui ne manque pas d'intérêt: le problème de la dénatalité au Québec. Comment voulez-vous que l'on réponde à cette dimension fondamentale de notre développement comme peuple, non pas de notre survie, bien que ce soit cela qui est en cause, comme le dit Henripin, mais même de notre développement, si nous n'avons pas les instruments pour y arriver?

Quand je regarde le pouvoir de dépenser de l'État fédéral et que je me rends compte que le régime des allocations familiales au Canada est essentiellement celui du fédéral... Le Québec en a un et c'est un des instruments, vaque, bien incomplet, mais néanmoins important. Mais parce que le fédéral a un pouvoir illimité de taxer et, en pratique, de dépenser, c'est lui qui a entre les mains un des instruments importants pour répondre à la question de la dénatalité. C'est la même chose pour les garderies. On sait que l'ensemble des politiciens canadiens se sont engagés, à la dernière élection fédérale, à l'instauration d'un régime de garderies pancanadien, alors que le Québec en offre un déjà depuis un certain temps et que le ministre aura beau dire que les limitations qu'il devait imposer au pouvoir de dépenser font que le Québec pourra continuer à avoir son régime de garderies.

Est-ce que la qarde en milieu familial qu'on pourrait favoriser, par exemple, en milieu rural chez nous sera retenue comme un critère ou est-ce que le fédéral n'aura pas plutôt tendance à dire: Les objectifs nationaux, c'est un régime de garderies publiques, étatiques, comme c'est le cas dans la santé? Tout cela, pour moi, met en évidence les moyens. Je trouve que dans cette entente on se contente de la dialectique juridique et non pas du compromis politique. C'est cela, M. Lemelin, que je vous laisse commenter.

M. Lemelin: D'abord, vous avez fait des études supérieures en Angleterre. Vous parlez un anglais remarquable...

M. Johnson (Anjou): C'est Daniel qui a fait cela, ce n'est pas moi.

M. Lemelin: Mais vous vous êtes vus souvent et vous avez appris beaucoup de Daniel alors, je suppose. Je vous ferais remarquer que par l'importance qui vous est échue comme chef de l'Opposition - quand j'emploie le mot "échu" en ce sens, je pensais que cela vous grandissait, que c'était un héritage que vous receviez peut-être de façon lointaine de M. Duplessis et de quelqu'un qu'il a bien connu, et même de René Lévesque - enfin, puisque vous êtes le dépositaire de cet héritage qui vous échoit, je reconnais bien dans votre façon de penser et dans votre dialectique le sentiment profond qui vous a fait adhérer à l'indépendantisme il y a plusieurs années.

J'avais cru que vous aviez choisi d'évoluer doucement vers un fédéralisme où la place du Québec aurait une place encore plus grande qu'auparavant, et je me rends compte que, devant la nuance que j'apporte à l'alinéa b), sur la société distincte, cela vous semble bien maigre. Comme je vous l'ai dit, je ne demande pas cela parce que j'ai peur, c'est parce que je suis choqué. Je crois que les mots "société distincte" sont très forts, mais, puisque cela peut faire plaisir à

tant de monde, disons "de culture et de langue françaises".

Vous dites que ce que je demande pour les accords du lac Meech, c'est bien maigre. Rappelez-vous qu'en 1981 on n'était même plus dans la constitution, d'après ce que je me rappelle, et on recommence. C'est long, l'histoire, c'est long, une culture, c'est long, le développement d'un pays, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Quand je propose l'unité canadienne, la fraternité entre les anglais et les français, quand je dis: Mettons-nous tous ensemble à défendre et à faire fleurir une culture, si voua trouvez cela mince, je ne sais pas ce que vous trouvez épais.

Je veux bien vous souligner cela, pendant qu'on y est. Je sais que, comme homme politique, vous avez à gagner des points au cours d'une discussion. Moi, je ne veux pas gagner de points, je ne veux pas être élu, je ne veux entrer dans aucun parti, je vous parle comme un enfant du Québec qui aime son pays, qui le dit franchement et qui n'a peur de rien, parce qu'il n'a rien à perdre. Il a tout à gagner s'il défend ce qu'il est. Je vous demande, M. Johnson, de penser à cette espérance que l'on met dans les accords du lac Meech, parce qu'après cela il y en aura sans doute d'autres. Comme le disait Jean-Charles Bonenfant: La constitution, c'est un vêtement élastique qui s'adapte à tous nos besoins.

Je ne voudrais pas partir d'ici avec l'impression que cela vous ennuie que les accords du lac Meech fonctionnent, parce que c'est un pas en avant, c'est un autre cadenas qui est posé sur les espérances de ceux qui veulent que le Québec devienne indépendant.

M. Johnson (Anjou): M. Lemelin, ce n'est pas ce que vous proposez que je trouve mince, c'est l'endroit où on le met. L'endroit où on le met, c'est dans ce qu'on appelle une clause d'interprétation. Une clause d'interprétation, ce que cela veut dire, en pratique, c'est que le pouvoir politique et démocratique, que ce soit celui du Québec ou celui du Canada anglais, qui refuse de mettre les choses là où elles devraient l'être.

Si on disait, par exemple, que l'Assemblée nationale du Québec a tous les pouvoirs qui sont dévolus au fait que nous formons une société distincte au chapitre de notre culture et de notre lanque, c'est une autre paire de manches; mais ce n'est pas ce qu'on dit. On dit que le Québec est une société distincte, de culture et de langue françaises, si je prends votre amendement, celui de M. Dion ou d'autres, et on va laisser à la Cour suprême, pendant quinze ans, le soin de nous dire quelle en est la portée. C'est de cette espèce d'absence de courage dont je ne me satisfais pas.

Je ne peux pas me satisfaire d'une absence de courage chez les hommes politiques au Canada anglais ou au Québec devant le fond des choses. Une fois le Canada anglais prêt à reconnaître qu'à partir du lac Meech, dès qu'il y a eu unanimité des premiers ministres des provinces et de celui du gouvernement fédéral, le Québec forme une société distincte, je considère que c'est un acquis pour la société québécoise. D'aller le confiner dans un texte qui va nous dire que les juges de la Cour suprême, pendant quinze ans, nous diront quel en est le sens, je trouve que ce n'est pas très fort. J'aimerais mieux voir clairement dans les textes constitutionnels la portée réelle de cette reconnaissance de la société distincte de culture et de langue françaises avec les responsabilités qui sont dévolues en conséquence à l'Assemblée nationale. Ce sont cette absence de courage comme cette absence de texte qui, personnellement, m'irritent passablement depuis quelque temps. M. le ministre.

M. Rémillard: Voulez-vous demander à M. Lemelin s'il veut commenter vos propos, M. le chef de l'Opposition?

M. Lemelin: Très brièvement, comme le disait souventefois M. Rémillard au cours de ces assemblées, il avait peur qu'en donnant trop d'explications à "société distincte" on en limite les pouvoirs, on en limite l'étendue.

Ce que M. Johnson demande, moi qui croyais qu'il serait très heureux de l'ajout que je réclamais, c'est qu'on en arrive à poser tellement de conditions au reste du pays à travers la nouvelle constitution qu'il puisse sauvegarder le programme du PQ qui est fondamentalement basé sur une souveraineté ou une indépendance du Québec. Je suis un fédéraliste qui croit que l'avenir du Québec est au sein de la confédération. Je respecte son option, mais on ne peut pas parler le même langage si on se lance dans cette direction.

M. Rémillard: Oui, M. Lemelin, vous avez parfaitement raison, dans votre dernière remarque, de dire qu'évidemment l'entente du lac Meech ne peut pas satisfaire les indépendantistes. L'entente du lac Meech n'est pas faite pour faire l'indépendance du Québec, elle est là pour faire du Québec une société fière d'elle-même, de sa distinction, de sa langue, de sa culture et de tout ce qui fait qu'elle est distincte, et fière d'être un partenaire majeur de cette fédération. Dans ce pays, nous croyons au Canada. C'est dans ce contexte qu'il faut bien comprendre que le Québec est une province dont la langue officielle est le français.

Vous le dites très bien dans votre mémoire, M. Lemelin. Je l'ai relevé avec beaucoup de plaisir parce que vous avez très

bien compris qu'il faut insister sur ce point. L'entente du lac Meech ne met pas en cause la compétence du Québec de légiférer sur sa langue, mais, bien au contraire, elle lui donne une assise juridique encore plus forte parce que le Québec a la compétence de légiférer sur sa langue, de par la constitution canadienne. Parce que nous acceptons de vivre dans une fédération, nous acceptons les deux seules limites que peut comprendre cette exclusivité du Québec de légiférer sur sa langue: C'est l'article 133 de la constitution de 1867, que les Pères de la confédération ont mis dans notre constitution qui a créé ce pays et qui fait en sorte qu'un anglophone peut parler anglais dans ce lieu-ci, à l'Assemblée nationale, qu'un francophone peut parler français au Parlement du Canada, qu'un anglophone peut s'adresser au tribunal ici au Québec dans sa langue. Est-ce qu'on peut être contre cela, dans la mesure où on accepte ce pays? Et l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est l'article qui permet ce qu'on appelle la clause Canada. Lorsque des parents ont eu leur instruction au primaire dans une province anglaise du Canada, ils peuvent inscrire leur enfant à l'école anglaise au Québec. Même René Lévesque était en faveur de la clause Canada. Est-ce que l'on peut être contre cela? Et ce sont les deux seules limites que nous avons parce que le Québec a compétence sur sa langue. Le Québec est une province dont la langue officielle est le français.

L'entente du lac Meech... Vous nous parlez de société distincte, M. Lemelin, mais il faut bien comprendre qu'il faut relier "société distincte" à ce dernier paragraphe qui nous dit - et ce, pour la première fois dans notre histoire constitutionnelle, dans notre histoire dans la Fédération canadienne - pour la première fois que le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale du Québec aura le rôle - c'est textuellement ce qui est prévu dans l'entente du lac Meech - de protéger et de promouvoir la spécificité québécoise. Donc, si vous reliez cela à cette caractéristique fondamentale qui est la langue et la culture - j'ai pris bonne note de votre intervention à ce sujet, vous reliez ces deux éléments - vous ne croyez pas qu'on a là une assise de plus, juridiquement et aussi politiquement, pour confirmer la langue française comme langue officielle du Québec?

M. Lemelin: Vous me posez la question?

M. Rémillard: Je vous pose la question. (11 heures)

M. Lemelin: Encore une fois, je vous dis que la science des constitutionnalistes a des raisons que la raison n'a pas, voyez-vous? Quand vous me parlez de toutes ces entourloupettes savantes, juridiques où, sans le dire, ma culture et ma langue françaises sont protégées, j'ai comme l'impression qu'on n'ose pas dire qui nous sommes et cela me choque. Que ce soit donc une fois pour toutes dans la constitution pour qu'on passe à autre chose. C'est vraiment humiliant. Quand même, quand vous êtes 6 000 000 de personnes, que vous êtes ici depuis 300 ans, que vous avez participé à créer ce pays, que vous l'avez défendu, bien, on a droit à cette petite phrase, je crois, dans le texte constitutionnel.

M. Rémillard: J'en prends bonne note.

Le Président (M. Filion): M- le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Les propos du ministre m'obligent à réagir parce qu'il répète inlassablement depuis le début des travaux de cette commission que l'Assemblée nationale conserve son pouvoir de légiférer en matière linguistique, pouvoir plein et entier et que la seule limite à ce pouvoir, c'est l'article 133 qui permet, dit-il, à un député de parler en anglais à l'Assemblée nationale. D'abord, c'est plus que cela. Il faudrait le dire aussi. L'article 133, ce n'est pas uniquement cela. L'article 133, ce sont les lois dans les deux lanques, les lois de l'Assemblée nationale dans les deux langues, la législation déléguée dans les deux lanques, devant les tribunaux également. Même ce qui nous arrive présentement est un cas assez flagrant où le jugement d'un tribunal est en anglais seulement. L'article 133 permet cela; le justiciable ne peut même pas obtenir un jugement en français. Cela est en vertu de l'article 133. C'est plus que de permettre à un député de parler en anglais à l'Assemblée nationale, l'article 133, d'abord.

Deuxièmement, l'article 23, c'est une réserve importante. C'est très important parce que cela limite le pouvoir qui était exclusif jusqu'en 1982 en matière d'éducation. C'est dans la langue d'enseignement, donc, dans la matière d'éducation. Vous dites que même M. Lévesque acceptait la clause Canada. Moi aussi, j'accepte la clause Canada. Le chef du Parti québécois accepte aussi la clause Canada, mais la clause Canada dans la charte du français et non pas dans la constitution canadienne. C'est très différent. Cela veut dire que cela relève de l'Assemblée nationale, à ce moment, de l'inscrire dans la loi 101. C'est très différent du fait de se la faire imposer par un acte constitutionnel auquel on n'a pas participé en matière de négociation et de conclusion.

Mais il y a bien d'autres choses aussi. Il y a l'article 2 de la charte canadienne qui porte sur la liberté d'expression. Si je me

souviens bien, le jugement de la Cour d'appel sur la langue d'affichage s'appuie sur l'article 2 de la charte canadienne, la liberté d'expression. Ce n'est pas une réserve en matière linguistique, cela, ce n'est pas une limite en matière linguistique? L'article 6, la liberté d'établissement. Qu'est-ce qui vous dit que ce ne sera pas invoqué devant les tribunaux pour limiter encore une fois et continuer le démantèlement de la loi 101? L'article 15 sur l'égalité et l'article 27 sur le multiculturalisme, pourquoi ce ne serait pas invoqué également pour continuer le démantèlement de la loi 101? L'article 93 qui empêche d'établir ici des commissions scolaires sur une base linguistique, cela a été reconnu inconstitutionnel. Depuis 1982, c'est plein de limites majeures en matière linguistique. L'entente du lac Meech, je regrette de le dire au ministre et en même temps je le dis à notre invité également, M. Lemelin, ne corrige en rien cette situation qui résulte de la Loi constitutionnelle de 1982 sur le plan linguistique. Qu'il arrête de nous répéter inlassablement, comme un perroquet, son discours qui ne correspond pas aux faits ni aux droits en matière linguistique.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Lemelin: Je pense que cela devient de l'épicerie technique entre hommes politiques. Je profite de l'occasion pour vous remercier encore une fois et pour vous dire à quel point j'ai été impressionné par la présence et par les arguments qu'on m'a servis ici. Je suis de plus en plus convaincu des idées que j'ai avancées dans mon texte.

M. Rémillard: M. Lemelin, moi aussi, je voudrais vous remercier de vous être déplacé. Vous avez pris du temps. Vous êtes venu ici témoigner. Je vous remercie de votre témoignage franc, très sincère. J'ai pris très bonne note de votre remarque reliée à cette langue française qui vous est chère, comme elle nous est chère aussi.

J'entendais tout à l'heure l'Opposition nous dire: Nous sommes d'accord avec la clause Canada. Bon, voilà un premier point. Il reste cet article 133, dont on nous dit: Mais cela veut dire aussi la traduction des lois de l'Assemblée nationale en français et en anglais. Nous sommes parfaitement d'accord. Ce qui serait intéressant, M. Lemelin - je sais que vous serez d'accord avec moi - c'est que l'article 133 puisse aussi s'imposer à l'Ontario. Si l'Ontario décidait de se lier à l'article 133, cela voudrait dire qu'il y aurait un bilinguisme institutionnel pour ces quelque 700 000 francophones ontariens qui ont déjà, grâce à un gouvernement libéral en place en Ontario, beaucoup de mesures qui leur permettent de vivre en français dans bien des éléments de leur vie, tant sur le plan judiciaire que sur le plan social. Mais avec l'article 133, ce serait là une possibilité extrêmement intéressante pour ces Franco-Ontariens. Donc, nous l'acceptons.

Alors, pourquoi vient-on nous dire ensuite qu'on n'a pas la compétence sur la langue? Mais on a une pleine compétence sur la langue. Qu'est-ce qu'on nous dit? On nous dit: Mais il y a la Charte canadienne des droits et libertés, la liberté d'information. Mais on oublie continuellement de nous dire... C'est à ce niveau-là qu'il faut quand même mettre de côté toute partisanerie, démagoqie ou quoi que ce soit; il faut regarder les choses telles qu'elles existent. Quand on parle de la Charte canadienne des droits et libertés en fonction de la lanque, il faut se rendre compte que le gouvernement a toujours cette possibilité d'utiliser ce qu'on appelle cette clause "nonobstant". Nous avons refusé de l'utiliser systématiquement pour tous les projets de loi. Or, nous avons dit: Nous utiliserons cette clause "nonobstant" qui permet de légiférer à l'encontre de certains droits individuels, à certains égards, pour certaines fins, lorsque l'intérêt de la collectivité doit l'emporter sur les intérêts individuels. Il se peut que dans une société, on se retrouve dans une telle situation en ce qui reqarde la langue.

En ce qui regarde, par exemple, la langue d'affichage, ce qui est devant la Cour suprême actuellement - je ne veux pas parler du fond de cette cause qui est devant la Cour suprême - si une décision de la Cour suprême nous disait, par exemple, que l'affichage unilingue français va à l'encontre de la Charte des droits et libertés, la liberté d'expression, et si le gouvernement - je fais l'hypothèse, comprenez-moi bien - décidait qu'il veut maintenir l'unilinguisrne dans l'affichage, il n'aurait qu'à prendre la clause "nonobstant", faire une loi après le jugement de la Cour suprême et dire que cette loi, cette disposition de telle loi, va s'appliquer nonobstant la Charte canadienne des droits et libertés. Qu'on vienne nous dire que c'est le Code civil qui est en danger, mais c'est la même chose. La clause "nonobstant" est là pour que le politique, qui est le gouvernement, prenne ses responsabilités. Le gouvernement les prendra, ses responsabilités.

Cependant, ce que nous allons avoir, M. Lemelin, par cette entente dont vous avez souligné le mérite - avec les réserves que vous avez apportées, et j'en ai pris bonne note - on aura pour la première fois ce rôle du gouvernement du Québec, de l'Assemblée nationale du Québec, de protéger, et non seulement de protéger, M. Lemelin, mais de promouvoir la langue, la culture française, tout ce qui fait que nous sommes distincts par nos institutions, notre façon d'être, notre façon de vivre.

C'est dans ce cadre-là que nous considérons que cette entente, avec des bonifications qu'on pourra lui apporter, est vraiment une entente historique. Je tiens donc encore à vous remercier très sincèrement de votre témoignage.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. Oui?

M. Lemelin: ...qui n'a aucun rapport avec le débat d'aujourd'hui. Les artistes sont des gens qui communiquent notre culture au public. Ils ont des problèmes. Pourquoi le gouvernement en poste tarde-t-il tant è leur accorder leur statut professionnel? C'est juste cela que je voulais ajouter.

Le Président (M. Filion): M. Lemelin, au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais vous remercier de vos propos ici ce matin.

Sans plus tarder, je voudrais inviter les représentantes de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, que je vois à l'arrière de la salle, à bien vouloir s'avancer et à prendre place immédiatement à la table des invités, afin que nous puissions poursuivre nos travaux sans devoir suspendre cette séance.

Au bénéfice des membres de la commission, je rappellerai que, cet après-midi à 15 heures, après la Fédération des groupes ethniques du Québec, la période de 16 heures à 18 heures sera consacrée aux représentations des membres de cette commission avant la fermeture de nos travaux, le tout selon l'ordre que nous avons reçu de l'Assemblée nationale. Je veux rappeler que le temps de cet après-midi sera partagé de la façon suivante: à 16 heures, 30 minutes à l'Opposition; à 16 h 30, 30 minutes au groupe ministériel; à 17 heures, 30 minutes à l'Opposition et, à 17 h 30, 30 minutes au groupe ministériel. Il s'agit de périodes de 60 minutes chacune partagées en deux segments de 30 minutes pour chacune des formations politiques.

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

Je voudrais donc souhaiter la bienvenue à la représentante de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Mme Nicole Boudreau, présidente générale de cet organisme. Bienvenue, Mme Boudreau. Du même souffle, je voudrais accepter le dépôt du mémoire que Mme Boudreau a eu la gentillesse de me remettre tantôt et qui est, je crois, en train de vous être distribué.

Mme Boudreau, je pense que vous connaissez les règles de cette commission: environ 20 minutes pour votre exposé et 40 minutes pour échanger des propos avec les membres de cette commission. À vous la parole, Mme Boudreau.

Mme Boudreau (Nicole): Je vous remercie, M. le Président. Mesdames, messieurs les députés. Vous en conviendrez, pour un organisme invité à déposer un mémoire à la fin des travaux d'une commission parlementaire, il est malaisé d'invoquer des arquments nouveaux qui pourraient soutenir sa position, surtout quand celle-ci semble partagée par bon nombre des intervenants qui l'ont précédé. Voila l'avantage, je pense, d'une commission parlementaire télévisée.

Comme c'est effectivement le cas, pourquoi donc la Société Saint-Jean-Raptiste de Montréal a-t-elle tenu malgré tout à faire entendre sa voix dans ce dossier qu'elle estime vital, vous ne vous en étonnerez pas, pour l'avenir du Québec? Pour des raisons historiques d'abord. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est une société populaire. On dit d'elle que c'est la plus ancienne société nationale en Amérique du Nord. C'est donc dire que, depuis sa fondation en .1834, avant 1867 donc, avant même la mise en oeuvre du système fédératif, elle a été le témoin privilégié, sinon très étroitement lié et associé à l'élaboration du système politique canadien. Elle a même fait entendre une voix discordante sur cette élaboration à plusieurs reprises. Ses archives le démontrent clairement. Elle a été de toutes les luttes, de tous les combats menés pour la défense des droits des Canadiens français et, plus spécifiquement au Québec, de ceux des Québécoises et Québécois. De là notre étonnement et notre déception de constater que, dans un premier temps, cette commission n'avait pas juqé bon de nous entendre. Cette inéléqance ayant été réparée, je tiens à vous en remercier non seulement au nom des membres que je représente, mais également et surtout au nom de ceux et celles qui, à la Société Saint-Jean-Baptiste, nous ont précédés et de qui je ne crains pas de dire qu'ils ont largement contribué à bâtir le Québec d'aujourd'hui, notamment, vous en conviendrez également, le Québec français.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est une société non partisane, même si deux de ses anciens présidents ont été premiers ministres du Québec, les premiers ministres Chauveau et Ouimet, et que son premier président a éqalement été maire de Montréal, en l'occurrence M. Jacques Viger.

Étant non partisane, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal déplore donc vivement le fait, et cette situation est certainement à l'origine de l'imbroglio et du gâchis actuels, que le sentiment nationaliste ou autonomiste, d'appartenance, quoi! qui est un sentiment normal, légitime et évident chez tous les peuples de la terre, ait, au Québec, tellement dévié de son propre sens qu'il se

soit vu attribuer un sens péjoratif, restrictif, chauvin et isolationniste. (11 h 15)

Vous savez, dans certaines écoles primaires, pour développer l'esprit et le sentiment d'appartenance des jeunes élèves, on a imaginé une méthode d'apprentissage que nous estimons particulièrement judicieuse et intéressante. Cette méthode consiste à faire prendre conscience à l'enfant qu'il appartient d'abord à un noyau familial, ensuite à un milieu de vie, ensuite à un quartier, ensuite à une ville, ensuite à une région et, finalement, à un pays. Un Abitibien est d'abord Abitibien avant d'être Québécois. C'est mon cas et j'en suis fière. C'est ainsi que l'on développe l'esprit d'appartenance d'un enfant. C'est ainsi qu'il apprend à s'imprégner de son identité propre et à apprivoiser la société à laquelle il appartient et à laquelle il apportera sa contribution en tant que citoyen.

En ce qui a trait maintenant à la société distincte: le concept d'appartenance est plus inspirant pour nous que celui de société distincte car, sur celui de société distincte, que pourrions-nous dire de plus intelligent, d'inédit et de pertinent que ce qui a déjà été dit ici? Tout au plus pourrions-nous reprendre les arguments invoqués par d'autres que nous, tout aussi profanes en droit constitutionnel, ou encore par d'éminents constitutionnalistes, dont M. Léon Oion, qui vous suppliait, vous vous en souviendrez, et à juste titre d'ailleurs, de bien vouloir définir votre concept, ce que, en toute justice, nous devons le reconnaître, vous vous êtes appliqués à tenter d'éclaircir, mais sans succès, à notre avis.

Que pourrions-nous dire ce matin, en ce dernier jour de commission parlementaire, qui n'ait été dit, sinon qu'indépendamment des circonstances diverses qui pourraient en limiter la portée auprès des juges, la formule même de société distincte est assise sur l'ambiguïté du refus traditionnel du Canada anglais de nous reconnaître pour ce que nous sommes, c'est-à-dire un peuple? On sait fort bien que cette expression "société distincte" vient de la commission Laurendeau-Dunton qui l'a employée spécialement dans le but de ne pas heurter les susceptibilités anglo-canadiennes qui se hérissaient dès qu'étaient employés à notre endroit les mots "peuple" et "nation".

Cette diplomatie de langnge pouvait à la rigueur, à notre avis, être mise de l'avant dans un rapport de commission. Par ailleurs, elle serait tout à fait catastrophique, inacceptable et déplacée dans un texte constitutionnel. II est également clair pour nous que, si cette désignation diminutive de notre identité collective constitue le plus qui soit acceptable pour le Canada anglais, son interprétation par la Cour suprême ne pourra aller que dans le sens d'en atténuer la signification et la portée. Et, que voulez-vous! à ce chapitre, pour quiconque a des prédispositions à la mémoire, il faut bien admettre que les vicissitudes passées sont symptomatiques ou même garantes du portrait que pourrait avoir l'avenir.

Ces considérations étant établies, notre mémoire n'élaborera pas sur les autres points de l'entente de principe du lac Meech. J'espère qu'aucun membre de cette commission ne nous accusera de ne pas les avoir étudiés pour autant, même si le temps nous ayant été imparti pour le faire justifierait à lui seul cette lacune. Toutefois, notre raison est tout autre. Tant d'autres sont venus en débattre avec des arguments d'une étoffe, d'une pertinence et d'une justesse telles, que, s'ils ne vous ont pas ébranlés, s'ils ne vous ont pas convaincus de renoncer à ce projet insensé, nous devrons conclure que cette commission parlementaire n'était, somme toute, qu'un simulacre de démocratie, que nous n'y avons que parlé pour parler ou, encore, ce qui est pire, parlé pour ne rien dire, pour finalement aboutir à un dialogue de sourds pour lequel les distingués membres de cette commission, pas plus que les gens qui ont accepté d'y défiler, n'avaient de temps en ce mois de mai qui s'annonçait tranquille et beau avant ce fatidique 30 avril et où nous pensions tous, à l'instar de nos concitoyens et concitoyennes, paisiblement planter nos choux, carottes et radis ou encore jouir du soleil printanier. Hélas, ce que certains qualifient de pas de géant ou de recul inqualifiable, selon le cas, et que nous qualifions, nous, de coup de théâtre - on n'en est pas à un qualificatif près dans ce dossier - ne nous en laisse guère le loisir. Nous permettrez-vous, M. le ministre, de vous souligner deux ou trois petites choses en dehors du fond de la question qui semblent clocher dans ce dossier?

II ne faut pas oublier, et je pense que le présent gouvernement aurait tort de le faire, que l'entente de principe survenue au lac Meech se situe dans un contexte post-référendaire. Sept ans à peine, sept ans dans la vie d'un peuple, c'est tout neuf, cela vient d'arriver, c'était hier. Donc, un contexte postréférendaire où ce n'est pas uniquement l'élément indépendantiste québécois qui est affaibli, mais bien l'ensemble, le Québec tout entier. Vous vous rappellerez sans doute le jeu de mots savant utilisé lors du référendum de 1980 où un non voulait dire un oui. Ce "n...oui" attendait toujours qu'on lui livre la marchandise pour laquelle, il me semble, il avait payé le gros prix. Vous prétendez, ainsi que vos collègues des provinces du Canada, le faire maintenant avec les avantages inespérés que recèle l'entente du lac Meech. Notre pusillanimité postréférendaire serait-elle telle qu'elle illustrerait notre manque de clairvoyance, de

cohérence, de jugement et de lucidité vis-à-vis de ces prétentions? Quand également vous vous prétendez investis d'un mandat clair de la population du Québec, nous tenons à vous rappeler qu'il y a à peine sept ans, plus de 40 % des Québécois se sentaient prêts à redéfinir leur réalité politique et ce, d'une tout autre façon que celle que vous nous proposez aujourd'hui, tandis que la moitié de la population francophone donnait son aval au projet référendaire et au oui référendaire. Sept ans dans la vie d'un peuple, je vous le rappelle et je vous le répète, c'était hier. Si, pour vous, le verdict était clair, pour nous, il recèle encore mille ambiguïtés que l'histoire se chargera d'expliquer, mais qui ne devraient pas être négligées pour autant.

Une lacune qui nous apparaît également évidente dans le processus actuel et qui a été abondamment dénoncée par la plupart de ceux et celles qui nous ont précédés, c'est l'odeur antidémocratique qui se dégage de toute l'opération. M. Rémillard, vous êtes ministre. Ce que vous faites ici ce matin, c'est-à-dire recevoir les doléances ou les encouragements de groupes ou d'individus opposés ou favorables à l'accord de principe du lac Meech, fait partie de votre travail. C'est normal pour vous. C'est le cas de le dire, au chapitre constitutionnel, vous vous sentez aussi à l'aise qu'un petit poisson dans l'eau. Mais avez-vous pensé aux centaines de milliers de citoyens et citoyennes qui, avides d'information, syntonisent Radio-Québec et écoutent vos délibérations?

Si je me permets de vous poser cette question c'est que, voyez-vous, moi je n'y avais pas pensé jusqu'à ce que j'aie une conversation de palier avec mes voisins qui, sachant que j'aurais la chance d'exprimer le point de vue de mon organisme devant cette commission, m'ont demandé de vous dire à quel point eux ne comprenaient pas grand-chose à ce dossier constitutionnel et à quel point cette question, qui a pourtant des incidences réelles dans leur vie quotidienne, leur semblait confuse, ardue, inaccessible, inintéressante à la limite: du charabia, quoil

Voyez-vous, M. Rémillard, mes voisins sont ce que l'on peut appeler des gens intelligents et sensibles. Ils sont à l'image du peuple québécois dont la lassitude en ce qui concerne la question constitutionnelle n'a d'égal que l'inquiétude qui les gagne peu à peu. Voyez-vous, M. Rémillard, mes voisins sont inquiets et, depuis le début de cette commission, ce qu'ils ont entendu ne les a guère rassurés. Ils sont, de plus, estomaqués de la vitesse folle du TGV qui leur passe sous le nez, tellement vite en fait qu'ils ne savent même pas s'ils ont le goût d'y monter. Je vous le répète, ce sont des gens de bon sens; ce sont des gens de gros bon sens même.

M. le ministre, pour nous, de la Société

Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui sommes une société populaire qui se préoccupe d'éducation nationale, nous vous demandons avant toute chose, avant même une consultation populaire, de vulgariser ee dossier savant et de renseigner les qens, de leur dire ce que c'est une constitution et spécialement celle que vous vous apprêtez à signer. À cet égard, nous sommes tout à fait de l'avis de Mme Solanqe Chaput-Rolland qui, dans un article paru dans le journal Le Devoir il y a quelques mois, soulignait la complexité et l'inaccessibilité du texte de la constitution canadienne. Un citoyen a certes le devoir de comprendre sa constitution; un gouvernement a, par ailleurs, celui de la lui expliquer.

En terminant, nous reviendrons brièvement sur ce concept d'appartenance. C'est celui qui nous tient à coeur. Il est manifeste que plusieurs gammes de Québécois se sentent mal à l'aise face à l'accord que vous souhaitez entériner début juin. Les indépendantistes d'abord - et cela ne semble pas vous étonner - qu'ils soient purs et durs ou pondérés et doux, et même les fédéralistes autonomistes y voient aussi certains dangers. Mais, voyez-vous, ce sont tous les Québécois, et vous les premiers, qui devraient se sentir mal à l'aise face à cet accord. Il n'est pas juste et équitable pour le Québec. Il est aliénant et inacceptable. Les individus qui composent le Québec d'aujourd'hui et qui ont toujours le sentiment d'appartenir à une collectivité, à un peuple qui possède son coin de terre, sa lanque, sa culture et son identité, se sentent mal à l'aise et menacés par ce leurre historique. Les autres sont tout simplement inquiets.

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pense que le gouvernement que les Québécois et les Québécoises ont élu, ces hommes et ces femmes, dont vous êtes, de qui dépend leur destin et leur avenir serait mieux avisé de travailler à développer ce sentiment d'appartenance - un sentiment normal, je le répète - plutôt qu'à tenter de l'étouffer par tous les moyens, et nous pensons que l'accord du lac Meech en est un, notamment, évidemment, au chapitre de la lanque, sans parler du pouvoir de dépenser. Il ne suffira pas, les pressions aidant, d'insérer les mots "langue française" dans un éventuel accord constitutionnel pour garantir le plein épanouissement de la société distincte qui parle cette langue. Il faudra la doter de tous les pouvoirs. Des pouvoirs essentiels, réels et normaux. Nous ne ferons sur cette question que répéter ce qui a déjà été dit.

C'est pourquoi, M. le ministre et MM. les membres de cette commission, nous concluons en demandant au gouvernement de ne pas conclure une entente précipitée et bâclée qui pourrait être préjudiciable aux intérêts du Québec ainsi qu'aux intérêts de tous les Québécois, quel que soit le milieu

duquel ils proviennent. Nous le prions d'informer la population, de le consulter, de tenir compte de ses avis, de ses réserves et de ses inquiétudes. Cet exercice, même s'il eût été souhaitable qu'il soit Préalable à la rencontre du lac Meech, n'en demeurera pas moins essentiel pour la société québécoise. Que l'on n'ait surtout pas, en Fin de compte, le triste sentiment que le Québec est une vaste patinoire sur laquelle se joue un match de la Ligue nationale d'improvisation, un match décisif où l'une des deux équipes, la nôtre, en l'occurrence, est éliminée une fois pour toutes. Ce qu'il ne faudrait pas, c'est que, pour les temps à venir, ce qui distinguera à jamais le Québec, ce soit sa disparition. Je vous remercie de m'avoir écoutée.

Le Président (M. (Filion): Mme

Boudreau, présidente générale de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, je voudrais vous remercier. Il reste, pour chaque groupe parlementaire, un peu plus de 20 minutes. Je laisse donc la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes. (11 h 30)

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme Boudreau, je voudrais vous remercier de venir témoigner devant nous au nom de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Votre société a des racines profondes dans l'histoire du Québec. Vous mentionnez à juste titre dans votre mémoire que deux anciens présidents ont été premiers ministres du Québec, le premier ministre Chauveau et le premier ministre Ouimet.

Vous soulignez aussi un élément qui me touche beaucoup, celui de l'iinformation du public. Je suis particulièrement conscient, Mme Boudreau, que nos débats sont quelquefois difficiles à comprendre pour les gens qui nous écoutent. J'essaie de les rendre les plus compréhensibles possible, mais vous comprendrez qu'il y a beaucoup d'aspects techniques qui ne sont pas faciles. Vous avez raison de nous dire: Faites un effort, essayez de clarifier cela pour qu'on puisse comprendre. Je peux vous dire que je prends bonne note de votre message et que je vais faire un effort pour essayer de vous faire comprendre, de rendre ces questions techniques compréhensibles pour l'ensemble de la population et à la portée de tous. Lorsque j'étais professeur, je donnais des conférences, j'avais l'occasion de m'adresser aux Québécois et aux Québécoises partout et j'essayais de faire ce travail. Ce n'est pas facile, mais je prends bonne note de votre remarque et je vais tenter de rendre nos explications les plus accessibles possible à tous ces Québécois et Québécoises qui nous écoutent, et je vous remercie de votre remarque.

Vous avez insisté surtout sur ce caractère distinct du Québec, nous disant que, pour vous, il fallait parler de peuple. C'est une question de savoir. "Société" et "peuple", je l'ai déjà expliqué et je me permets d'y revenir très brièvement. Le mot "peuple" est déjà utilisé dans la constitution canadienne en ce qui regarde les autochtones; le mot "nation" est utilisé dans des lois québécoises ou canadiennes en ce qui regarde les autochtones ou à d'autres niveaux. Le mot "société" a été utilisé -vous le mentionnez dans votre mémoire - par la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1968, et par la commission Pepin-Robarts en 1979. C'est un terme qui, pour nous, signifie que nous sommes vraiment des hommes et des femmes qui veulent vivre ensemble, partaqer un bien commun, partager une culture, une langue qui sont notre fondement, mais aussi que nous avons nos institutions, notre façon de vivre, notre façon d'être qui nous sont spécifiques comme entité sociale, politique et économique. C'est dans ce contexte que nous utilisons le mot "société" qui, pour nous, traduit très bien la réalité québécoise.

Je vois que vous n'avez pas parlé de ce nouveau rôle du Québec, que le Québec aura maintenant de par cette entente du lac Meech, ce rôle de protéger et de promouvoir la spécificité québécoise. Par l'entente du lac Meech, vou3 savez, ce pourquoi nous nous battons depuis des années et des années, ce que les Pères de la confédération n'ont pas réussi à faire mettre dans la constitution en 1867, ce pourquoi "votre" société s'est battue pendant des années, faire reconnaître le Québec comme distinct et donner au qouvernement, à l'Assemblée nationale du Québec, ce rôle non seulement de protéger, mais de promouvoir la langue française, la culture française et tout ce qui fait que ce Québec est distinct dans la fédération, tout en étant fiers d'appartenir à ce Canada. Est-ce que vous ne voyez pas là quand même un élément intéressant pour l'avenir du Québec?

Mme Boudreau: J'espère que, quand vous me parlez d'un nouveau rôle pour le Québec de protéger et de promouvoir la culture, la lanque et l'entité québécoise française en Amérique, ce n'est pas effectivement un nouveau rôle. J'espère qu'il a toujours été antérieur à ce que pourrait devenir cette entente historique que vous tentez de nous persuader de siqner. Ce n'est pas, pour mot, un nouveau rôle. Il est du devoir d'un gouvernement de protéger les intérêts d'une collectivité et j'espère que c'était le devoir du gouvernement du Québec et des membres de l'Assemblée nationale avant même que ne surviennent ces discussions constitutionnnelles.

M. Rémillard: Je voudrais simplement dire que, pour la première fois, ce sera dans

la constitution. C'est pour cela que je disais que c'était nouveau.

Mme Boudreau: Pour moi, c'est beaucoup plus qu'un râle - je viens de le dire et je vais le répéter - c'est un devoir. C'est un devoir de protéger sa collectivité. Quand je vous faisais cette image populaire dans ce mémoire... C'est peut-être le rôle de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, lors de cette commission, de parler non pas de l'article 133 et du paragraphe 2 de l'alinéa 4b, des termes qui sont incompris d'une grande majorité de Québécois - il faut bien l'admettre - mais c'est peut-être son rôle de parler avec des mots qui ne sont que des mots, mais qui ont un sens. Les mots dont nous parlons, c'est du devoir pour le gouvernement québécois - le gouvernement canadien, jusqu'à maintenant - de protéger cette entité francophone en Amérique, richesse naturelle insoupçonnée de plusieurs puisque, jusqu'à maintenant, ceux et celles qui en étaient les tenants ont eu toutes les difficultés à le faire. Alors, notre organisme le voit davantage dans le sens d'un devoir. Mais, pour qu'un gouvernement puisse faire son devoir, encore faut-il qu'il en ait les pouvoirs. Il ne nous semble pas que, dans l'entente du lac Meech, vous ayez des pouvoirs suffisants pour faire votre devoir.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre, M. le chef de l'Opposition officielle? M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. D'abord, vous avez raison de dire que, sur un sujet de cette nature, il faut informer largement la population parce que, je dirais qu'au premier abord les citoyens ne jugent pas nécessairement que cela les concerne et qu'il faut, par conséquent, un certain temps pour leur permettre de bien saisir les enjeux en présence. Le temps, c'est important. Il faut avoir la volonté d'informer et de vulgariser, comme vous le dites, mais le temps compte beaucoup dans ce domaine parce qu'il faut compter avec le temps pour que l'ensemble de la population prenne conscience des enjeux réels.

Je vous avoue que le sourire m'est venu lorsque j'ai entendu le ministre dire: C'est très bien, je prends note de votre suggestion de bien informer la population. Sauf que c'est tout à fait sans effet, parce qu'il peut bien prendre note que c'est une bonne idée; mais, comme il souhaite bâcler le tout en moins d'un mois, je vous avoue que c'est un voeu pieux de la part du ministre. Je vous signale à ce sujet - je pense qu'on l'a mentionné à quelques reprises prenons l'exemple du nouveau régime forestier. Cela a pris deux ans avant de se doter d'un nouveau régime forestier; deux ans, deux fois douze mois. On a présenté un . livre blanc. Cela a donné lieu à une large consultation. Il y a eu ensuite un avant-projet de loi qui a donné lieu également à une large consultation, sans limite. Et puis il y a eu un projet de loi qui a suivi toutes les étapes législatives qu'on connaît. Deux ans! Vous me direz que c'est important, les arbres, la forêt québécoise. Oui, c'est vrai, mais les citoyens et les citoyennes du Québec, c'est important aussi. Le peuple québécois est aussi important.

Comment voulez-vous juger sérieuse l'affirmation du ministre alors qu'on juge que cela prend deux ans avant de se doter d'un nouveau régime forestier et qu'on veut bâcler la question constitutionnelle dans un délai d'un mois, d'une façon rapide, précipitée? Là-dessus, je vous dis: Oui, c'est vrai, vous avez raison, mais je suppose que, dans votre esprit, information, vulgarisation, cela implique - c'est ma première question -qu'il faut y mettre le temps.

Mme Boudreau: M. le député, la note que j'ai prise concernant la bonne note que M. le ministre prenait de notre remarque, justement, c'était dans le sens que cette consultation devait se faire avant toute signature. Quand nous parlons d'une consultation populaire, nous ne parlons pas nécessairement d'un référendum. Nous avons considéré que cette consultation aurait dû se tenir avant même que notre premier ministre et M. Rémillard se rendent au lac Meech. Or, comme ce n'est pas le cas manifestement, nous estimons qu'elle devrait à tout le moins avoir lieu avant que ne se siqne quoi que ce soit. Une consultation populaire, soit! mais une consultation populaire qui soit précédée - et je ne peux que répéter ce que j'ai dit - de séances d'information et de vulgarisation d'un dossier éminemment complexe, mais qui n'en a pas pour autant moins d'importance dans le quotidien des citoyens et des citoyennes du Québec.

Alors, pour nous, une consultation préalable... Ce que nous vous demandons au nom des citoyens et des citoyennes du Québec, c'est: Donnez-nous du temps. Beaucoup de Québécois et de Québécoises ont interprété le référendum comme un non de3 Québécois à un Québec indépendant et comme un oui à un fédéralisme renouvelé. Dans ce cas, on a jugé que les Québécois et les Québécoises étaient atteints de gros bon sens. J'imagine que, si, dans une consultation populaire, ils se prononçaient en défaveur de cette signature, on estimerait encore qu'ils sont irrémédiablement atteints du gros bon sens.

M. Brassard: Quand vous parlez de consultation populaire, vous la situez avant -il faut bien se comprendre - la conférence constitutionnelle portant sur l'entente du lac Meech et les textes juridiques qu'on ne

connaît pas encore. Je ne sais pas s'ils vont être prêts d'ailleurs pour la conférence, c'est à se le demander. Les amendements inconnus à ces textes inconnus, c'est avant la conférence constitutionnelle. Une fois la conférence constitutionnelle passée, vous savez, à ce moment, que, finalement, tout est réglé et que le reste n'est qu'une formalité puisqu'on ne pourra pas toucher, amender ou modifier le résultat de cette conférence constitutionnelle. Donc, cela aurait pour effet de repousser dans le temps la conférence constitutionnelle.

Mme Boudreau: Alors, je le répète, pour le cas où je n'aurais pas été suffisamment claire, une consultation populaire qui précède toute nouvelle discussion constitutionnelle avec les autres provinces, donc, avant même le 2 juin, c'est-à-dire un 2 juin à être reporté. Non seulement une consultation populaire - on ne peut pa3 consulter les citoyens et les citoyennes sur un dossier ambigu, évanescent, auquel ils ne comprennent pas grand-chose - mais une consultation populaire précédée de séances d'information et surtout de vulgarisation de ce dossier. On est à l'ère du marketing. Il me semble que même un dossier aussi ardu que le dossier constitutionnel... Si l'on peut dire aux citoyens: Votre essence que vous mettez dans votre voiture... Pourrez-vous, oui ou non, l'an prochain, vous achetez une maison? Sera-t-ii possible pour vous et vos enfants de parler français dans dix ans? Il me semble que cela se vulgarise un dossier comme cela. Ce que nous demandons au gouvernement, c'est de vulgariser ce dossier pour que les citoyens et citoyennes sachent ce sur quoi en consultation populaire ils se prononceront.

Est-ce que j'ai été suffisamment claire?

M. Brassard: Merci, madame.

Le Président (M. Filion): Oui, merci, madame. Je vais reconnaîtra maintenant M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Mme Boudreau, tout en étant d'accord avec vous sur l'aspect vulgarisation, je vous ferai remarquer que, malheureusement, si on doit se reconnaître des torts, nous, comme députés, je pense que c'est des deux côtés de cette table qu'on doit se reconnaître ces torts. Que voulez-vous, la constitution, c'est d'abord une notion juridique. Il a bien fallu en débattre entre juristes. Moi, ce qui m'a frappé depuis le début des travaux de cette commission, c'est la distance qui sépare non pas les deux partis - cette distance était évidente avant même que ne commencent les travaux de cette commission - mais la distance qui sépare politicologues et sociologues d'un côté, jusqu'à un certain point, et juristes de l'autre côté, sur la question: Doit-on définir ou pas la société distincte? Première remarque. (11 h 45)

Deuxième remarque, sur l'absence, dites-vous, de mandat. J'ai relevé cela à la page 6 où vous dites qu'on se prétend également investis d'un mandat clair de la population du Québec. Je pense qu'on a raison de prétendre qu'on est investis d'un mandat clair de la population, parce que, voyez-vous, dans le programme politique du Parti libéral du Québec, à l'occasion de l'élection de 1985, il était clairement stipulé cinq conditions pour que le Québec puisse réintégrer le cadre constitutionnel canadien. Non seulement ces conditions ont été approuvées à l'intérieur d'un programme politique, donc, par une population en 1985, mais ces conditions ont été réitérées par le ministre au mont Gabriel, en mai 1986, on s'en souvient. Elles ont fait, à mon avis, l'objet de plusieurs débats à l'Assemblée nationale; souvent, sur des questions incidentes, et notamment sur la question linguistique. Or, parler d'absence de mandat, je pense que vous me permettrez, à tout le moins, de ne pas être d'accord avec vous.

Ma question est plutôt simple. La réponse m'apparaît peut-être plus compliquée. Vous écrivez à la page 8, troisième paragraphe: "Mais, voyez-vous, ce sont tous les Québécois, et vous les premiers, qui devraient se sentir mal à l'aise face à cet accord. Il n'est pas juste et équitable pour le Québec." J'aimerais que vous me donniez plus de détails, parce que le reste du paragraphe ne m'éclaire pas spécialement sur ce en quoi cet accord n'est pas juste et équitable pour le Québec.

Mme Boudreau: Merci. Premièrement, M. le député, une réflexion à votre réflexion relativement à l'absence ou à la présence d'un mandat clair de la population du Québec. Vous vous rappellerez également que, dans le programme électoral du Parti libéral, il était fortement question de la remise en question de l'article 58 relatif à l'affichage unilingue français. Or, dès le moment où votre qouvernement a été élu, votre premier ministre, sans doute légitimé de le faire, prétendait qu'il avait un mandat clair de la population de toucher au chapitre de l'affichage et l'amender, à la limite.

Or, voilà qu'après une période d'une année de sensibilisation, je ne crois pas qu'il puisse encore prétendre que ce mandat soit aussi clair relativement à l'affichaqe ou à tout ce qui pourrait survenir à la loi 101. Je reviens donc à ce que vous pourrez qualifier de mon dada. Il suffit d'informer la population et il suffit de lui dire clairement quelles sont les incidences de changements, qu'ils aient trait à l'affichage, qu'ils aient trait à l'enseignement de l'anglais en

première année, qu'ils aient trait à quelque dossier, dont le dossier constitutionnel, mes chers amis, voilà les véritables incidences d'un changement à la loi sur l'affichaqe. Êtes-vous toujours d'accord avec ces changements? Moi, je prétends, et, je pense, à juste titre, que les opinions seront, à tout le moins, diversifiées et que le gouvernement ne pourra plus se prétendre investi d'un mandat aussi clair, et j'imagine que vous en conviendrez avec moi, ce mandat sera-t-il un peu plus confus et un peu plus ténu.

Relativement à une entente que nous qualifions d'injuste et de non équitable, je pense que le chapitre linguistique en est une preuve évidente. Pas un mot sur la langue dans les journaux de fin de semaine, puisque, évidemment, c'est là que nous prenons l'essentiel de nos informations. Dans les journaux de samedi, M. Bourassa pensait accoler à la notion ou au concept de société distincte des mots qui concerneraient la question linguistique. Ce matin, je crois voir que non, parce que c'est encore tout aussi restrictif, notamment sur la question linguistique.

Concernant le pouvoir de dépenser, eh bien, je ne rappellerai pas ici les arguments invoqués par M. Jacques Proulx, président de l'Union des producteurs agricoles. Je ne rappellerai pas les arguments invoqués par d'éminents économistes, dont M. Jacques Parizeau, pour ne pas le nommer. Je pense qu'à cet égard cette entente est injuste et n'est pas équitable pour le Québec.

Il y a des images qui frappent tes gens et ce sont toujours les journalistes qui écrivent le plus simplement, je pense, qui sont les meilleurs journalistes. Une journaliste, Mme Lysiane Gagnon, écrivait dans un article, au lendemain de l'accord de principe survenu au lac Meech: Le Québec se retrouvera maintenant, à certains égards, sur le même pied que l'Île-du-Prince-Édouard dont la population équivaut à celle de Trois-Rivières.

Croyez-moi, monsieur, c'est un argument massue chez la population québécoise. Que voulez-vous? Comme le vieux précepte: Charité bien ordonnée commence par soi-même, est toujours valable dans notre société nord-américaine du XXe siècle, croyez bien, monsieur, que ce sont des arguments qui ont été invoqués, qui se sont répercutés, qui ont été discutés et qui font que beaucoup de Québécois se sentent lésés par le présent accord que vous leur soumettez.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le député de Bourget?

Avec la permission des membres de cette commission, Mme Boudreau, je voudrais d'abord vous féliciter pour la qualité de votre mémoire. Je dois vous dire que je suis très sensible à l'importance que vous attachez au fait de faire de ce débat constitutionnel le plus vaste débat possible au sein de la population québécoise. Cette dimension de vulgarisation m'apparaît, quant à moi, d'autant plus importante que ce débat constitutionnel concerne, on le sait, l'avenir collectif du Québec.

Je voudrais revenir à la fin de votre mémoire où vous soulignez à juste titre que le débat en ce qui concerne la clause sur la reconnaissance du caractère distinct ne se limite pas à définir ou non la société distincte. Je pense qu'il s'agit là d'un minidébat, mais qui fait partie d'un débat beaucoup plus vaste et beaucoup plus fondamental, que vous relevez à juste titre et qui est le suivant: si nous sommes une société distincte, nous devons avoir les pouvoirs nécessaires pour mettre en valeur cette distinction, pour affirmer ce caractère spécifique. À la page 9 de votre mémoire toujours, vous ajoutez: "II faudra la doter de pouvoirs - il s'agit de la société québécoise. De pouvoirs essentiels, réels et normaux. Nous ne ferons sur cette question que répéter ce qui a déjà été dit". On sait déjà que les conditions posées, que le résultat du lac Meech est inférieur aux revendications historiques et traditionnelles du Québec en matière constitutionnelle. J'apprécierais, quant à moi, si vous le désirez, que vous puissiez expliciter ces pouvoirs que vous dites essentiels, réels et normaux qui permettront au Québec de se développer, de mettre en valeur et d'affirmer ce caractère distinct.

Mme Boudreau: En août 1977, l'Assemblée nationale se dotait d'un pouvoir qui lui semblait réel, normal, évident, d'un pouvoir qui lui semblait essentiel, non seulement pour assurer le développement de la collectivité française, francophone d'Amérique, mais également pour assurer sa survie, pour défendre ses intérêts en tant que collectivité parlant français, sûrement, mais aussi une société de parlants français d'Amérique qui vit sa francité, et cela s'exprime de toutes les façons. Or, il a été nettement démontré, malheureusement, dans le cas de la loi 101, que des chapitres entiers de cette loi, qui étaient essentiels au devenir linguistique du Québec, ont été invalidés par la Cour suprême, des chapitres qui concernaient la législation, la justice, l'enseignement. Y a-t-il des chapitres plus importants pour le plein épanouissement d'une collectivité?

II nous apparaît essentiel pour cette Assemblée nationale, pour nos représentants et représentantes, les députés - c'est ce qu'ils sont d'abord et avant tout, les représentants et représentantes du peuple, souvent, dans des quartiers essentiellement francophones - alors, il nous apparaît important et essentiel d'avoir les pleins

pouvoirs relativement à la survie linguistique du Québec et que cette Assemblée nationale puisse déterminer quelles sont les bases inhérentes à cette survie.

Je suis un peu mal à l'aise que ma première comparution en commission parlementaire en tant que présidente d'un organisme aussi prestigieux et dont je suis aussi fière, que la Société Saint-Jean-Baptiste comparaisse sur le dossier constitutionnel parce que j'avoue que, comme bien des Québécois, ce n'est pas le dossier que je connais le mieux. J'aurais préféré que ma première comparution porte sur le dossier linguistique parce que ce dossier-là, la Société Saint-Jean-Baptiste le connaît bien, elle y a bâti une expertise et, comme je le disais au début du mémoire, elle a certainement fait en sorte que ce Québec-ci soit toujours un Québec français.

Or, sur la situation ou sur la dimension linguistique du Québec, une loi devra également tenir compte, et l'accord du lac Meech en fait mention, de l'immigration. Elle devra également tenir compte de la politique familiale. Il ne faudra pas que les parlants français d'Amérique soient uniquement une élite petite bourgeoise qui s'encense entre elle et qui continue de parler un bon français, et le français. Il faudra que ce soit le peuple qui puisse le parler au travail, partout.

Relativement à l'immigration, si vous me permettez un petit aparté, il n'y a aucune question qui m'ait été posée sur cela, mais, comme je la relie très directement à la question linguistique, je vous dirai ceci: La Société Saint-Jean-Baptiste est une société populaire. On fait chez nous de l'éducation nationale, et à tous égards, pas uniquement relativement à la langue, mais relativement à tous les points qui touchent la société québécoise. Nous avons donc, dans cette optique, identifié un problème pour la survie et le développement du français, et, ce problème, c'est l'immigration qui, il faut bien le dire, n'a pas joué jusqu'à maintenant en notre faveur. Nous avons donc décidé de mettre sur pied - et je suis désolée que la ministre responsable, Mme Robic, ne soit pas là ce matin - un programme relativement à l'accueil des nouveaux réfugiés. Je puis vous dire ceci: Même si ces 175 personnes que nous accueillons chez nous, qui sont des Latino-Américains ou qui sont des Kurdes, que l'on dit une communauté très difficilement intégrable, même si ces gens-là que nous accueillons chez nous ont la meilleure volonté du monde, même si on leur dit et qu'on leur répète que la langue officielle ici, c'est toujours le français, quand ces gens-là passent les murs de la maison Ludger-Duvernay pour travailler, pour vivre, ils doivent parler anglais, ils doivent, à la limite, vivre en anglais.

Les pouvoirs linguistiques, ça s'assortit de pouvoirs en immigration et ça s'assortit également d'une politique saine que nous appelons la politique de la population parce que nous croyons qu'elle doit s'intégrer à la politique familiale et à la politique de l'immigration. À notre avis, plein pouvoir du côté du linguistique, ce ne sera jamais trop ici en Amérique du Nord où nous représentons, il faudra bien s'en rendre compte un jour, 2 % de la population. Je cite à cet effet l'écrivain Yves Beauchemin - j'aime bien les images populaires: "Un carré de sucre à côté d'un qallon de café."

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Boudreau.

J'aimerais maintenant reconnaître M. le député de Montmorency.

M. Séguin: Mme Boudreau, on sait que par les années passées la présidence de la Société Saint-Jean-Baptiste a fait connaître, par certaines déclarations, certaines opinions que je ne voudrais pas classer de "politiques", mais certaines opinions. Par exemple, pour favoriser l'indépendance du Québec. Il suffit de consulter certaines coupures de presse où la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, sous la présidence -vous n'étiez pas là, mais je pense qu'on parlait au nom de l'organisme - disait que tôt ou tard le Québec sera un pays dans le sens qu'il ne sera plus membre de la Fédération canadienne. Je vois une coupure de presse du Devoir qui disait: "Selon le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, ministres et députés péquistes qui ne sont pas indépendantistes doivent abandonner le parti." Et le reste, et le reste. Je ne veux pas discuter, à savoir si la Société Saint-Jean-Baptiste émettait effectivement une opinion ou favorisait l'indépendance du Québec, mais je pense que, même dans votre texte, vous prenez position dans ce sens-là. Si j'ai tort de le dire, corrigez-moi si ce n'est pas exact de le présenter sous ce volet-là. Mais si c'est ça et si, par ailleurs, comme vous le dites - vous l'avez dit tantôt - il vous semblait que les Québécois avaient du gros bon sens et que, s'ils continuaient dans ce gros bon sens-là, ils seraient peut-être atteints définitivement de gros bon sens, un peu comme si c'était une espèce de maladie du gros bon sens que de vouloir rester dans la Fédération canadienne, je me demande si, d'après vous, il existe actuellement une formule qui, pour la Société Saint-Jean-Baptiste, vous semblerait acceptable. Si on oublie le lac Meech, vous semble-t-tl apparaître actuellement une formule pour que les Québécois restent dans la Fédération canadienne, compte tenu de vos déclarations antérieures comme Société Saint-Jean-Baptiste?

(12 heures)

Mme Boudreau: M. le député, je pense

que nous avons étudié les coupures de presse qui faisaient état de l'entente de principe du lac Meech avec toute l'objectivité possible. Dans un deuxième temps, je vous dirai de mettre de nouvelles conditions sur la table, et nous ferons toujours preuve d'objectivité et nous les étudierons au mérite.

Autre chose. Je le répète, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est une société non partisane, mais, ainsi que la fédération à laquelle elle appartient, c'est-à-dire le Mouvement national des Québécois, elle s'est prononcée en 1969 pour l'indépendance du Québec.

Alors, contrairement à une opinion qui a été émise dans un journal il y a deux ou trois semaines, les indépendantistes, que je sache - l'expression est forte et je l'emploie sciemment - ne sont pas tous des aqités du bocal, comme cet article le disait. Ils peuvent encore penser, ils peuvent encore contribuer à l'essor de la collectivité québécoise et c'est en ce sens que nous avons déposé notre mémoire ici aujourd'hui.

M. Séguin: Si vous me permettez d'ajouter, si c'est exact que la Société Saint-Jean-Baptiste prend une position claire -remarquez que cette clarté vous honore dans votre position parce que c'est franc et direct - mais ne trouvez-vous pas difficile en même temps pour la Société Saint-Jean-Baptiste d'évaluer un accord qui se voudrait plus favorable, évidemment, à intégrer la Fédération canadienne qu'à vouloir en sortir? Je vous demandais tantôt quel genre de formule vous semblerait acceptable pour que les Québécois, finalement, adhèrent pleinement à la Fédération canadienne. Voyez-vous une façon? Si on oublie l'accord du lac Meech qui ne vous semble pas satisfaisant, qu'est-ce qui vous semblerait satisfaisant pour que, nous, les Québécois, demain matin, on signe un accord avec le fédéral? Voyez-vous une possibilité ou si vous n'en voyez pas?

Mme Boudreau: Tout d'abord, M. le député, à la première question que vous m'avez posée, si on ne trouvait pas un peu difficile d'évaluepr un rapport qui traite de l'entrée du Québec dans la Fédération canadienne, je vous poserai celle-ci: Trouveriez-vous difficile, vous, d'étudier, avec toute l'objectivité dont vous êtes, j'en suis assurée, capable de faire preuve, ce qui pourrait être un programme d'indépendance au Québec? Ce à quoi je suis persuadée que vous me répandrez en toute objectivité que cela vous serait possible même si vous n'adhérez pas à cette idée.

M. Séguin: Je pourrais vous répondre, madame, que c'est peut-être moins difficile que d'étudier...

Mme Boudreau: Pour répondre dans un premier temps. Et vous comprendrez que si les indépendantistes québécois continuent de l'être, c'est qu'ils espèrent que plusieurs autres Québécois, un jour, adhéreront à cette idée. Ainsi en est-il des fédéralistes, il me semble. Je pense que nous tentons de part et d'autre de nous convaincre des bienfaits d'un système par rapport à l'autre. Dans un premier temps.

Qu'est-ce qui pourrait être acceptable pour nous? La Société Saint-Jean-Baptiste est indépendantiste, ce qui s'avère un handicap pour une discussion sereine sur une éventuelle adhésion à la Fédération canadienne. Par ailleurs, la Société Saint-Jean-Baptiste a des exigences très précises, notamment au chapitre de la langue, notamment au chapitre de l'immigration. Je dois vous avouer très franchement que, si ces exigences s'étaient répercutées dans l'entente de principe du lac Meech, peut-être aurait-il été plus difficile pour nous de défendre nos positions. Par ailleurs, comme elles ne s'y répercutent pas, 'il est encore plus facile pour nous de continuer et de persévérer. Je pense qu'un jour l'histoire admettra que les indépendantistes québécois, qu'ils aient ou non atteint leur idéal d'indépendance, ont quand même eu un apport très important à la société québécoise en ce sens qu'ils ont toujours forcé leurs dirigeants à en demander plus et à ne demander en fait que ce qui leur revient de droit.

M. Lefebvre: Mme Boudreau...

Le Président (M. Filion): Oui, M. Le député de Frontenac, en vertu de la règle de l'alternance...

M. Lefebvre: Ah! excusez. Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Filion): On me fait signe de l'autre côté. Je voudrais vous aviser, d'une part, qu'il reste un peu moins d'une minute.

M. Lefebvre: Mme Boudreau...

Le Président (M. Filion): Deuxièmement, étant donné que l'Opposition semble sauter son tour, je vous donne donc la parole, M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Mme Boudreau, à la page 8 de votre texte, vous faites référence à un article de Mme Chaput-Rolland qui vous avait impressionnée, semble-t-il. Vous aviez bien compris l'opinion de Mme Chaput-Rolland. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'entendre le témoignage de Mme Chaput-Rolland à cette commission-ci, qui, sans équivoque, nous disait: Le gouvernement du

Québec, c'est un bon coup, allez-y, signez l'entente, il ne faudrait pas cette fois-ci laisser passer le train, vous avez l'occasion de réparer l'erreur qui a été commise en 1981?

Avez-vous eu l'occasion d'entendre Mme Chaput-Rolland et, si oui, ne considérez-vous pas qu'il ne s'aqit pas là du témoignage d'une juriste, mais d'une femme qui a bien compris le peuple québécois, qui parle avec son coeur et qui nous demande, comme responsables des destinées du Québec, de signer l'accord du lac Meech?

Mme Boudreau: D'abord, M. le député, le témoignage à cette commission parlementaire de Mme Chaput-Rolland ne contredisait en rien l'article qu'elle signait dans Le Devoir, il y a quelques mois, et qui ne faisait référence qu'à la complexité et qu'à l'inaccessibilité du texte de la constitution canadienne. Je reconnais en Mme Chaput-Rolland une femme de gros bon sens. Je reconnais en d'autres femmes également qui ont comparu devant cette commission parlementaire et en moi-même, le cas échéant, des femmes de gros bon sens. Il s'avère qu'à ce chapitre Mme Chaput-Rolland et moi ne sommes pas du même avis.

M. Lefebvre: Merci, madame.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Boudreau. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): D'abord, merci, Mme Boudreau, pour votre mémoire. Merci de votre présence. Je connais bien votre société qui, comme vous le rappeliez vous-même dans votre mémoire, a été créée au début du XIXe siècle et qui, si je me souviens bien, d'ailleurs, avait été formée au moment des grands combats pour le gouvernement responsable. C'est une société, d'ailleurs, dont la naissance a été marquée par la participation des Canadiens français, comme on les appelait à l'époque, mais aussi d'un certain nombre d'Écossais et d'Irlandais dans ses premiers déjeuners dans les terrasses de ce qu'est devenu par la suite le Vieux-Montréal. Il y avait un certain nombre de citoyens engagés, élus municipaux, gens du prétoire, avocats, quelques commerçants, littérateurs, politiciens de l'Assemblée. Il y a donc une longue tradition dans votre société. Deuxièmement, je connais votre engagement personnel pour avoir eu le plaisir d'échanger avec vous à plusieurs reprises depuis que vous avez accepté la présidence de ce mouvement.

Mes remarques, madame, ne s'adresseront pas tellement à vous et à votre mémoire comme peut-être au ministre et à ceux qui vous ont interrogée, vous me le permettrez. Je trouve plutôt déplorable cette habitude que vous semblez avoir prise ce matin de disqualifier comme étant sans crédibilité dans vos propos et ceux aussi que semblait mettre en doute M. Roger Lemelin lui-même en parlant des indépendantistes. Je vous dirai que ce n'est pas parce que nous n'étions pas dans le même camp au moment du référendum que cela fait de nous des gens incapables d'interpréter ce qu'ils considèrent comme leur vision de ce qui serait mieux pour le Québec.

Si vous prenez quelque plaisir à remettre aux Québécois la réponse qu'ils ont donnée au référendum - ce que fit d'ailleurs votre chef d'alors avec un certain cynisme le soir du référendum - nous croyons pour notre part que, si les Québécois ont donné la réponse qu'ils ont donnée en 1980, au mois de mai, ça fera maintenant sept ans cette année - cette date est déjà passée depuis cinq jours - nous sommes aussi conscients du fait que les promesses que les Québécois avaient reçues à l'époque, c'était une refonte en profondeur du fédéralisme. Le fédéralisme renouvelé pour les Québécois, pendant 25 ans d'histoire, a toujours été associé à une notion très simple: plus de pouvoirs.

D'un premier ministre à l'autre, pendant 25 ans et même plus, je dirais 40 ans - on peut remonter à la fin de la dernière querre mondiale - à l'époque de Duplessis, et ensuite sous Jean Lesage, sous son successeur, sous M. Bertrand, même sous M. Bourassa en 1971, plus de pouvoirs. Je cherche en vain, d'une part, dans les accords du lac Meech et, d'autre part, dans le "Canada Bill" que cela nous amènera à siqner s'ils sont approuvés, où sont les pouvoirs additionnels du peuple québécois. Je n'en vois pas. Je trouve que le Québec est extrêmement loin dans ce texte de ce que signifiait le combat des 25 années, même de ceux qui étaient en faveur du fédéralisme renouvelé, par opposition à la souveraineté, ou à l'indépendance, ou à souveraineté-association, et je ne le vois pas. J'en vois un pâle reflet dans l'immigration qui traduit, il faut bien le dire, l'entente administrative existante. Je ne le vois sûrement pas dans le cadre de la Cour suprême. Je ne le vois évidemment pas dans le pouvoir de dépenser. Je pense qu'on serait aveugle de considérer que la simple appellation de société distincte, dans une vague clause d'interprétation, recèle quelque vague statut particulier ou base d'un fédéralisme asymétrique. Nous sommes bien loin des exigences que les souverainistes considéraient comme des exigences minimales de progrès pour le Québec au début des années soixante-dix. Nous sommes même très loin de cela.

Nous sommes loin des exigences de Lesage et de ceux qui l'ont suivi. Nous sommes loin de 25 ans de lutte. Je ne peux pas croire que le Québec va réqler à un pareil niveau. Je ne peux pas croire qu'on va

mettre, avec l'arrogance d'une génération, qui est celle qui a fait ou bénéficié de la révolution tranquille, je ne peux pas croire que l'arrogance d'une génération l'amènerait à considérer qu'elle est propriétaire du Québec, et que, parce qu'elle a été déçue des résultats du référendum, humiliée ou qu'elle a senti le Québec affaibli par le rapatriement de la constitution, elle va venir verser le couvercle, visser comme il faut pour les générations à venir les progrès du Québec, dans le sens de plus de pouvoirs pour le Québec.

Je trouve, à vrai dire, que c'est tellement minuscule, tellement parcellaire et même plein d'embûches et de risques de recul que c'est finalement assez médiocre, quand on regarde l'envergure de ce qui a déjà été la revendication même des fédéralistes asymétriques ou des statuts "particuliéristes". Cela n'a pas d'envergure. Je pense que Ies Québécois aiment les choses qui ont de l'envergure, j'en suis convaincu. Je trouve que vous manquez une bonne occasion de permettre aux Québécois de voir un souffle et de l'envergure dans son progrès. C'est pour cela qu'on ne doit pas adhérer, sur la base du "Canada Bill", par la voie des communiqués de presse et des clauses d'interprétation du lac Meech, à la constitution- canadienne qui, de toute façon, s'applique déjà sur notre territoire. L'intérêt pour le Québec, c'est de gagner et d'aller chercher de gros morceaux. On n'a pas gagné de gros morceaux, vous n'êtes pas allés chercher de gros morceaux. Alors, pourquoi signer? Pourquoi cette bousculade? Pourquoi cette accélération, pourquoi ce train qui passe avec l'équipage québécois à bord et qui risque de dérailler parce que vous allez trop vite, sans consultation en profondeur, sans échanges réels, autrement que ceux qui, je veux bien en convenir, ont donné quelques résultats, mais tellement minimes compte tenu de l'envergure, de l'ampleur de ce dossier? C'est pour cela que nous considérons qu'en discutant encore des clauses d'interprétation on est très loin de la substance. Merci, M. le Président. Merci, Mme Boudreau.

Le Président (M. Filion): Mme Boudreau, au nom des membres de cette commission, je voudrais donc vous remercier à la fois de vous être déplacée, pour la qualité de votre mémoire, comme je l'ai déjà souligné, ainsi que pour la période d'échanges à laquelle vous avez bien voulu vous livrer.

Nous allons suspendre quelques minutes, le temps de laisser la chance à notre prochain invité, M. Daniel Latouche, professeur à l'Institut national de la recherche scientifique, de bien vouloir prendre place à la table des invités. Donc, nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 12 h 16)

(Reprise à 12 h 22)

Le Président (M. Filion): Donc, cette commission reprend ses travaux. Nous avons devant nous, M. Daniel Latouche, professeur à l'Institut national de la recherche scientifique, à qui je souhaite la plus cordiale bienvenue parmi nous. M. Latouche m'a remis un texte que je considère comme étant déposé et qui vous sera distribué dans les minutes qui viennent. Les rèqles du jeu sont bien connues: environ 20 minutes pour l'exposé - et les membres ont fait preuve d'une grande souplesse à cet égard - et le temps restant dans l'heure est consacré à un échange avec les membres de cette commission. Donc, M. le professeur Latouche, à vous la parole.

M. Daniel Latouche

M. Latouche (Daniel): Merci, M. le Président. Je vais évidemment tester cette souplesse des membres de la commission car mon texte est un peu long et il n'a pas la qualité de présentation, fautes de frappe y comprises, que d'autres textes ont pu avoir.

Je voudrais tout d'abord préciser l'esprit qui anime les remarques que je vais faire aujourd'hui. Premièrement, ces remarques sont avant tout celles d'un spécialiste de la science politique et, si j'ai bien compris l'échelle d'importance que vous semblez accorder aux différentes disciplines universitaires, je me situerais quelque part entre journaliste et artiste, bien en dessous, évidemment, des experts constitutionnels et de plus, je ne suis même pas sociologuel C'est tout dire.

Donc, je ne m'aventurerai guère sur le terrain du droit et de l'interprétation juridique. La glace m'y semble trop mince. Je ne me risquerai pas non plus à définir la société distincte. Allez donc savoir ce qui nous distingue quand nous ne savons toujours pas qui nous sommes! Je m'étonne cependant, comme bien d'autres, que tant d'experts aient déjà pu avoir tant d'interprétations différentes d'un texte pourtant si court. Et dire que tous ces spécialistes du droit, ceux qui sont assis à cette table et ceux qui ont déjà défilé dans ce fauteuil étaient tous au préalable d'accord sur les grands principes entourant le caractère distinct du Québec, le rôle particulier que doit jouer l'Assemblée nationale et la nécessaire limitation du pouvoir fédéral de dépenser. Qu'est-ce que cela va être lorsque la partie adverse sera composée de plaideurs aguerris, sans sympathie particulière pour le Québec et qui au surplus n'apprécieront ni la lettre, ni l'esprit de cet accord. Mais vous voyez que je m'aventure déjà sur le terrain des

opinions. Mettez donc ces premiers commentaires sur le compte de l'émerveillement d'un politologue devant les divisions qui semblent régner dans la discipline voisine.

Deuxièmement, contrairement à bien d'autres témoins, je ne prétends pas me situer au-dessus, en dehors ou à côté de toute considération partisane. Je ne suis pas au-dessus de tout soupçon et ceux d'entre vous qui voudraient bien me disqualifier, dès le départ, pourront trouver là une raison suffisante et ce, d'autant plus facilement que je ne suis pas représentatif.

Ce que j'apprécie dans le discours politique, ce ne sont pas les certitudes qu'il procure ni les justifications à la mesquinerie intellectuelle qu'il suggère, mais le défi qu'il préserve de tenter de concilier perspective, honnêteté et sens critique.

Troisièmement, ma perspective est aussi celle d'un pari sur l'intelligence. C'est un part dangereux où les chances de perdre sont énormes, mais auquel je choisis de m'astreindre bien volontiers. Mieux vaut être déçu de s'être attendu è mieux que satisfait d'avoir effectivement récolté le pire.

Nombreux sont ceux qui m'ont suggéré de ne pas m'embarquer dans cette galère, que tout était déjà décidé, que le gouvernement ne pouvait reculer et que l'Opposition n'avait d'autre choix que de s'opposer, que tout cela n'était qu'un cirque sans intérêt, sauf pour ceux qui aiment jouer les phoques bien dressés.

Je ne partage pas ce point de vue. J'ai trop côtoyé de politiciens, de trop près même, à l'occasion, pour ne pas avoir vu les ravages que la politique médiatique, le pouvoir et la partisanerie institutionnalisée pouvaient faire sur des gens au départ intelligents, ouverts et capables d'analyse critique.

Je fais donc le pari que le cynisme et le spectacle ne gagnent pas à tout coup et que les sondages constituent un merveilleux instrument pour permettre à nos gouvernants de réfléchir sur le travail qu'ils ont à faire, plutôt que de s'endormir dans une autosatisfaction béate.

J'accepte donc d'emblée les conséquences de me situer quelque peu en dehors des audiences qui, jusqu'ici, m'ont semblé monopolisées, tantôt par un débat sur de bien grands principes et tantôt par une exégèse bien détaillée de l'orthographe du texte. Il reste à savoir si on peut être à la fois hors d'ordre et pertinent.

Finalement, j'ai bien conscience que tout a été dit - ou du moins le croit-on, ce qui est encore pire - sur cet accord. Ma présentation en sera donc une empreinte de modestie. Je n'ai pas de bombes à faire exploser, ni de nouvelles interprétations à proposer. Il est bien tard pour réorienter un débat.

Je vais donc m'en tenir à deux idées.

Je sais que vous en êtes à vos derniers témoins et que vous fourbissez déjà vos arguments pour vos plaidoyers de la fin. Mais il en est des derniers témoins comme des derniers cours avant l'examen: on peut parfois se permettre de les écouter, car on a déjà préparé ses réponses à des questions déjà rédiqées.

Comment évaluer l'accord du lac Meech? Comme bien d'autres - ce qui prouve que les politologues sont aussi du monde ordinaire - j'ai été, premièrement, surpris, agréablement surpris par le succès remporté par des négociateurs québécois. Enfin! Deuxièmement, frappé, lorsque le chef du gouvernement a parlé du plus grand accord constitutionnel jamais négocié par le Québec, mal à l'aise lorsque le chef de l'Opposition a parlé d'un monstre vivant sur les bords du lac Memphrémagog. Je suis toujours inquiet lorsqu'on m'annonce avoir vu un monstre! Quelque peu soupçonneux lorsque le gouvernement a révélé qu'il avait obtenu davantage que ce qu'il avait demandé, passablement confus lorsque j'ai tenté de donner un sens à la réaction du Canada anglais. Comment un accord constitutionnel peut-il être bon pour le Québec s'il est appuyé à la fois par le Globe and Mail et par le gouvernement créditiste de la Colombie britannique? Comment peut-il être mauvais si Roy Romanow qui détient toujours, à mon avis, le championnat de la fourberie constitutionnelle à l'égard du Québec a des réserves à son égard, et franchement inquiet lorsque les spécialistes ont commencé à disséquer le monstre et à y découvrir les germes de toutes sortes de maladies transmissibles constitutionnellement.

Il n'y a pas de doute, ce texte laisse perplexe et c'est d'abord sur cette perplexité que je veux m'attarder. Je suggère immédiatement que cette perplexité ne tient pas surtout au fait que nous ne disposons pas encore de la traduction juridique de ces accords. On leur accorde beaucoup d'importance à ces textes - presque des textes sacrés - comme si leur publication allait nous permettre de nous y retrouver. C'est croire au miracle et se leurrer que de penser que la traduction juridique d'un accord essentiellement politique va permettre au gouvernement de mieux défendre sa proposition et à l'Opposition de mieux l'attaquer. Il y a des miracles que même les constitutionnalistes ne peuvent accomplir.

Si, effectivement, les textes juridiques nous permettent de mieux y voir clair, c'est qu'ils auront, en quelque sorte, outrepassé leur mandat. Ce texte, celui du lac Meech, parle de lui-même et c'est sur la base de ce qu'on y trouve et qu'on n'y trouve pas qu'il doit être jugé. Je ne puis, en toute logique, féliciter nos négociateurs d'avoir réussi à convaincre leurs homologues de la nécessité de reconnaître le Québec comme société

distincte et, en même temps, présumer qu'ils ignoraient le- sens des mots qu'ils utilisaient.

À ce titre, j'ai été intéressé favorablement par l'explication du premier ministre qui révélait, il n'y a pas si longtemps, que c'est par choix que le Québec n'a pas voulu inscrire une définition de la société distincte dans l'accord du lac Meech. Si son analyse était la bonne la semaine dernière, elle doit l'être encore aujourd'hui. Si, comme il nous le confie lui-même, il a refusé de limiter le sens de l'accord en ajoutant des mots, j'espère qu'il ne s'engagera pas maintenant dans cette voie pour le simple plaisir de réconforter les inquiets parmi nous. Mieux vaut que les Québécois soient quelque peu inquiets, mais bénéficient d'une clause qui va éventuellement les avantager que l'inverse. Cette perplexité dans laquelle nous sommes installés devrait cependant nous permettre de jeter un premier éclairage sur la nature et les conséquences de cet accord. À ce titre, je maintiens que nous sommes déjà pleinement entrés dans la période "post lac Meech". Avant même que les juges n'aient eu la chance d'y mettre leur nez, la société politique canadienne a déjà commencé à donner vie à ce qui, il y a quelques jours à peine, n'était encore qu'une feuille de papier. (12 h 30)

Contrairement à ce qu'on laisse souvent entendre, les juges qui seront éventuellement appelés à donner un sens à cet accord le feront à partir des débats, de l'interprétation, des opinions, des intentions et des procès d'intention qui circulent actuellement. C'est faux de croire que leurs jugements éventuels seront des créations instantanées motivées uniquement par la lecture qu'ils feront à ce moment-là des clauses de l'accord.

Dans cette optique, tout le débat sur le gouvernement des juges m'apparaît bien incomplet. Les tribunaux ont toujours leur mot à dire; c'est d'ailleurs pour cela que nous avons des tribunaux. Vouloir se débarrasser des juges sous prétexte qu'ils ne sont pas élus ressemble étrangement à ce souhait inconscient que les choses iraient tellement mieux si on pouvait se débarrasser des politiciens.

La question me semble ailleurs. Elle réside dans le fait que les juges ont déjà commencé, dans leur tête tout au moins, à interpréter cette nouvelle constitution. Tout ce qui a été dit avant, pendant et depuis la rencontre du lac Meech a donc déjà été retenu contre nous. Je vous signale par ailleurs que, depuis la décision de la Cour suprême dans l'affaire Blaikie, les discours de nos législateurs sont admis maintenant pour interpréter notre constitution. Dans la mesure où il est admissible de faire appel à l'histoire et d'interpréter largement la constitution, de tels discours prennent donc une interprétation considérable.

Comme vous pouvez le constater, ma perspective n'est pas celle de l'expert constitutionnel. Je suis déjà considérablement sorti du texte même de l'accord et il me préoccupe peu de jouer un paragraphe de l'accord contre un autre et de lire derrière les mots. Je ne compte céder à cette tentation que vers la fin de ma présentation.

Il faut déjà interpréter l'accord du lac Meech dans le contexte de la société politique qui l'a produit. Que remarque-t-on à ce chapitre? Premièrement, que personne au Canada anglais n'a suggéré que cet accord était un bon accord, parce qu'il reconnaissait l'existence d'une société québécoise distincte. On a vanté ses mérites malgré le fait qu'il comportait une telle clause. Deuxièmement, personne à Ottawa ou au Canada anglais n'a suggéré que l'utilisation que le gouvernement du Québec pourrait faire de l'accord pour développer le caractère distinct du Québec serait bénéfique à l'ensemble du Canada. Le débat a davantage porté sur les possibilités réelles ou imaginaires que l'accord soit ainsi utilisé. Troisièmement, le débat qui ne cesse de croître au Canada anglais sur l'accord du lac Meech ne met pas aux prises ceux qui croient que le prix à payer pour rapatrier le Québec a été un prix juste et raisonnable contre ceux qui estiment qu'on a payé trop cher, mais bien ceux qui estiment qu'on n'a rien payé du tout contre ceux qui estiment le prix trop élevé. La nuance est importante et fort révélatrice. Quatrièmement, personne n'a suggéré que cet accord marquait un nouveau départ dans l'évolution du cadre fédératif canadien, mais tous ont souliqné qu'il fermait un chapitre et permettait de rapatrier le Québec à l'esprit et à la lettre de l'Acte constitutionnel de 1982.

Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant que le sénateur Murray ne dise pas la même chose que son chef ou que le ministre québécois doive, avec raison, le rappeler à l'ordre. Ce qui m'inquiète, par contre, c'est ce silence à travers lequel on décèle déjà les germes d'une unanimité quant aux principes à travers lesquels on doit interpréter ce rapatriement du Québec. Ces principes qui n'ont rien de constitutionnel, j'en conviens, je les vois au nombre de trois: Premièrement, la spécificité du Québec est un mal nécessaire que l'on doit s'efforcer de réduire au minimum. Deuxièmement, cette spécificité ne doit en aucun cas déboucher sur un statut particulier. Troisièmement, la spécificité du Québec s'inscrit dans le cadre du régionalisme et de la décentralisation administrative qui caractérisent maintenant le Canada.

Tel qu'il a déjà commencé à être interprété - et j'insiste sur le caractère unanime de cette interprétation - l'accord du lac Meech, s'il est sîqné immédiatement et

dans sa forme actuelle ne permettra pas au gouvernement du Québec de respecter ce qui doit être son objectif principal dans toute cette opération, soit de permettre au Québec de jouer un rôle de premier plan dans la Fédération canadienne. Il n'y a qu'une seule façon pour le Québec d'arriver à jouer pleinement ce rôle, c'est en développant au maximum toutes ses capacités et toute l'originalité que sa géographie, son histoire et sa population lui confèrent.

Si on se place d'un point de vue essentiellement québécois, ce développement est évidemment une question vitale. Avec 2 % de la population nord-américaine, le Québec n'a pas d'autre choix qu'une stratégie de développement maximal. On pourra discuter longuement pour savoir quel rôle l'État doit jouer dans cette quête de l'optimum, s'il fallait oui ou non privatiser Québecair et si on doit commencer l'enseignement de l'anglais en première année. Je crois que nous nous entendons tous pour dire que l'excellence est notre seule porte de sortie.

On discutera probablement encore longtemps des avantages et des désavantages que nous offre le cadre fédératif, mais pour une fois, telle n'est pas la question. En 1982, il était peut-être approprié de s'interroger sur les avantages d'une formule politique qui semblait avoir pris plaisir à bafouer le Québec. D'ailleurs, dans vos temps libres, je vous suggère de réfléchir - vous verrez que cela n'est pas forçant et que cela vous fera sourire - à ce qu'aurait été le résultat d'un certain référenum si l'Acte constitutionnel de 1982 avait été adopté trois ans plus tôt.

Dans 2 ans, dans 5 ans ou dans 25 ans, nous pourrons juqer des bénéfices que nous aura apportés notre participation pleine et entière dans l'honneur et la dignité, la tête haute, au fédéralisme canadien. S'il ne faut pas préjuger du résultat, il ne faut pas non plus piper les dés contre nous. La politique du pire en attire peut-être certains mais nous risquons, comme société, de ne plus être là pour en recueillir les fruits, en admettant que ceux-ci existent.

S'il est vrai que l'accord du lac Meech doit être exclusivement interprété dans le cadre du fédéralisme canadien - c'est un point de vue que je partage entièrement car il n'implique aucun jugement quant au mérite comparatif de ce cadre et à son évolution éventuelle - si tel est le cas, je soumets respectueusement que cet accord dans son économie générale est encore trop incomplet pour que le Canada puisse tirer tout le parti dont il a besoin - et à l'heure du libre-échange continental et de l'internationalisation de l'économie, il en a plus besoin que jamais - de l'excellence et de l'originalité québécoise.

Reconnaître dans un texte constitutionnel définitif que le Québec cons- titue une société distincte ne vaut guère mieux que de reconnaître que le printemps succède toujours à l'hiver. Chose certaine, cela ne nous dit pas si l'été sera beau. Et préciser avec tous les détails inimaginables ce qui rend cette société distincte, hiérarchiser ces différences, les articuler autour de la lanque ne nous avancerait guère non plus. Après tout, ne sait-on pas à la minute près à quel moment commence l'été. Mais qui se hasarderait à planifier ses vacances sur cet horaire?

Remarquez que l'introduction dans la constitution canadienne d'une clause qui parlerait de peuple ou de nation québécoise n'y changerait rien non plus. Ce n'est pas parce qu'on réussirait à s'entendre sur leur sexe qu'on arriverait à préciser le nombre d'anqes pouvant tenir sur la pointe d'une aiguille.

Qu'y a-t-il dans ce texte qui permette à l'originalité québécoise de donner sa pleine mesure? Certes, on dira que rien dans le texte n'empêche cette dernière de s'affirmer. Plusieurs spécialistes sont venus le dire à cette table et ils ont probablement raison, mais l'objectif de tout exercice est-il de se donner une constitution qui ne nous nuit pas trop? A-t-on jamais entendu parler d'une entreprise qui choisirait de lancer un produit démodé sous prétexte que cela permettra d'utiliser à fond toutes les ressources de son service de marketing? Un entrepreneur choisit-il de s'établir sur un marché étranqer où les barrières non tarifaires sont impénétrables sous prétexte que cela va donner du travail à son service du contentieux?

Peut-être touchons-nous ici à une différence importante entre les experts constitutionnels et les politoloques. Chose certaine, l'accord du lac Meech n'offre pas les mêmes perspectives d'emploi aux deux groupes.

Je me permets ici ma première excursion du côté du libellé même de l'accord du 30 avril. J'espère que je ne le regretterai pas trop et je suis inquiet de voir le ministre des Affaires intergouvemementales canadiennes commencer à sourire. J'ai été frappé par la façon dont on a choisi d'aborder la question du caractère distinct du Québec. Le ministre des Affaires intergouvemementales canadiennes a souligné qu'on avait choisi d'en faire une clause d'interprétation de la constitution du Canada. Je suppose que d'un point de vue strictement constitutionnel c'est là un avantage marqué dont serait fier tout expert constitutionnel qui se respecte. Je conviens aussi qu'il vaut mieux être situé là que dans l'actuel préambule où se trouve déjà l'objectif de favoriser les intérêts de l'empire britannique. D'ailleurs, nous savons tous, et si nous ne le savions pas nous avons eu l'occasion de l'apprendre depuis deux semaines, qu'un

préambule est sans effet pour interpréter une disposition claire d'une loi. Sur cette question, je diverge donc de l'opinion du chef de l'Opposition qui, s'appuyant sans aucun doute sur les écrits du professeur Rémtllard - à l'époque où le premier lisait encore des traités constitutionnels et le deuxième avait le loisir d'en écrire - a suggéré qu'il était important que la spécificité québécoise soit inscrite dans le préambule de la constitution canadienne.

Je n'ai donc pas de problème avec la localisation de cette clause. C'est sur le choix des mots que je me pose des questions. Pourquoi avoir écrit: "L'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec la reconnaissance d'un Canada francophone..." etc., etc? N'ayez crainte, je ne veux pas rentrer dans la question de ce que constitue le Canada francophone, encore que le constitutionaliste qui dort en tout politologue a bien hâte de voir ce que nos juges vont faire de cette nouvelle entité juridique.

Pourquoi avoir choisi les mots "concorder" et "reconnaissance"? Pourquoi ne pas avoir parlé de "concourir", de "participer" ou de "favoriser", des expressions plus fortes, plutôt que de la simple "reconnaissance" d'une société distincte? Et qu'est-ce qui est fondamental? Notre existence comme société distincte ou la reconnaissance de cette existence? Soit dit en passant, qu'est donc devenu le concept des deux peuples fondateurs et de leur égalité? Pourquoi ne pas avoir qualifié les relations qui existent entre ce Canada francophone et ce Canada anglophone? On dira que c'est là une tentative fort malhabile d'un politologue de jouer à l'expert constitutionnel, mais les mots, quelque part, doivent bien avoir leur importance si le principe de l'interprétation littérale et grammaticale d'une constitution a lui aussi encore un sens.

Qu'est-ce donc qu'il manque à cet accord du lac Meech?

Dans la mesure où ce n'est qu'une base de discussion, un premier pas, il n'y manque rien du tout. Il est même plutôt bien, cet accord, Dans cet esprit, c'est sûrement la meilleure plate-forme de discussion dont nous ayons jamais disposé. Mais s'il faut le voir comme point d'aboutissement de 25 ans de tractations, alors là c'est autre chose. Il y manque beaucoup. Commençons par l'évidence, même si cela donne l'impression d'enfoncer une porte qui s'est considérablement ouverte depuis quelques jours.

Ainsi, il importe d'ajouter un peu de chair à cette définition de société distincte. Mais attention! L'essentiel n'est pas d'y plaquer une référence aussi ronflante et non restrictive soit-elle à la langue française. Il ne faut quand même pas présumer que les juges qui auront à interpréter les implications de cet accord sont tous égale- ment des imbéciles. S'il fallait que le gouvernement du Québec se sente obligé d'y inscrire la langue française pour mieux baliser l'interprétation future de l'accord du lac Meech, je peux dès maintenant affirmer que nous sommes dans de beaux draps et même, que nous avons reculé depuis Victoria.

Ce qu'il faut, c'est inscrire au sein de cet accord une clause permettant au Québec non pas tant de protéger cette langue, mais de pouvoir l'utiliser comme pierre angulaire d'un développement économique, social et culturel qui consacre notre originalité et notre excellence en Amérique du Nord. II va de soi que si le Québec ne récupère pas aussi de larges pouvoirs dans le domaine des législations linquistiques tout l'exercice aura été vain. Si les Québécois n'ont pas la possibilité de s'autodéterminer eux-mêmes dans ce secteur névralqique, si on ne permet pas à leurs institutions politiques de participer librement au jeu démocratique, vaut-il alors la peine de continuer?

Que dire du domaine des communications, complètement ignoré dans cet accord? Le Québec continuera-t-il d'être absent de ce secteur et devrait-on continuer à se contenter d'arrangements administratifs? Et la culture? Et les affaires sociales? Et le pouvoir de désaveu? Le divorce? Le mariage? Sans oublier la péréquation dont il importe au plus haut point de baliser l'exercice constitutionnnel déjà reconnu.

En 1971 le Québec a dit non à Victoria parce qu'on a refusé de satisfaire ses aspirations au chapitre des politiques sociales. Paradoxalement, ce non n'a pas nui au Québec. Il a peut-être même contribué à le pousser à se donner un réseau et une approche originale dans le domaine. Allons-nous cette fois accepter un accord avec un contenu moindre que celui que nous avons refusé en ]971? Le test est pourtant bien facile. Il suffirait de demander que l'on précise que les limites du pouvoir de dépenser s'appliquent évidemment à des secteurs de juridiction éminemment provinciale que sont les affaires sociales, la recherche universitaire et l'enseignement postsecondaire.

Comment se fait-il qu'on n'a pas cru bon de préciser le contenu de "ces autres questions dont on aura convenu" et sur lesquelles les prochaines conférences constitutionnelles se pencheront? On me répondra qu'il ne fallait pas heurter les autres provinces qui ont, elles aussi, des ordres du jour de réformes constitutionnelles. Mais si l'accord du lac Meech ne survit que parce qu'on a cru bon de ne pas offusquer nos collègues quant au futur agenda constitutionnel, c'est que cet accord est bien fragile et ne débouchera pas sur grand-chose.

Ma conclusion est simple: Le niveau de l'eau est bien bas dans ce lac Meech où l'on voudrait nous voir plonger. L'accord est très

précis sur des points où nos qatns sont minimes. C'est le cas de l'immigration, du droit de veto et de la Cour suprême. Par contre, il demeure vague sur ces points où les gains pourraient s'avérer intéressants et silencieux sur toutes ces questions qui pourraient donner tout leur sens à cette reconnaissance de notre caractère spécifique et du rééquilibrage nécessaire entre les pouvoirs de dépenser des deux ordres de gouvernement.

J'en viens maintenant à ma deuxième constatation. Je crois avoir assez dit et redit toute l'admiration que je ressentais devant l'habileté des négociateurs québécois à obtenir aussi rapidement un accord aussi large aux conditions préalables définies par le gouvernement du Québec pour que le Québec rapatrie l'Acte constitutionnel de 1982. Il est probable que certains voudront me faire dire davantage et d'autres un peu moins que ce que j'ai déjà dit à ce sujet. C'est de bonne guerre et si c'est le prix à payer pour avoir la chance de s'exprimer, eh bien! tant pis.

S'il faut que je le redise, j'insisterai donc sur le fait que le gouvernement actuel a su tirer les leçons qui s'imposaient à la suite des échecs de 1971, 1978 et 1981. C'est de bonne augure pour nos institutions politiques que de savoir qu'elles sont capables de mémoire. Ce qui m'a peut-être le plus impressionné, c'est certainement la capacité du gouvernement de bien maîtriser son chronométrage constitutionnel. Pour une fois, le timing était bon. On se souvient que, lors de la négociation de 1982, l'ancien gouvernement n'avait pas fait preuve d'une habilité consommée à ce chapitre.

Rappelons les faits! Le 16 avril 1981, soit trois jours après sa réélection, il signe l'accord que l'on connaît avec sept autres provinces canadiennes. Cet empressement allait se révéler catastrophique beaucoup plus, soit dit en passant, que le prétendu échange de plats de lentilles dont il fut amplement fait mention à l'époque. (12 h 45)

Deuxièmement, lors de la conférence constitutionnelle de novembre 1981, l'humiliation du Québec ne tenait pas tant au contenu même de ce compromis inacceptable, mais au fait que le Québec se soit ainsi laissé piéger à être le dernier à être mis au courant et le premier à dire non. Lorsqu'on veut absolument déchirer sa chemise en public, il est bon de le faire avant que les autres ne vous l'aient enlevée du dos.

Troisièmement, après avoir réussi à être allé trop vite, ensuite, à être en retard, voilà que dans sa demande de précision adressée à la Cour suprême au lendemain de la conférence, le gouvernement réussit à être trop lent attendant plus d'un mois avant de loger sa requête. II est toujours mauvais de déchirer sa chemise à retardement.

Au-delà de ces erreurs de chronométrage, le gouvernement acceptait pour la première fois de tronquer des mécanismes pour assurer sa spécificité, notamment par ta possibilité de l'"opting out" contre l'acceptation de ne pas procéder dès ce moment à une réforme constitutionnelle en profondeur. S'il faut lui accorder une bonne note pour ce qui est de la bonne foi au chapitre du réalisme politique, on ne peut pas en dire autant. À mon avis, on s'apprête à commettre de nouveau les mêmes erreurs et je commence à craindre pour l'admiration que j'exprimais plus haut. D'une part, on s'apprête à troquer le seul avantage comparatif que nous possédions, celui - et il est paradoxal j'en conviens facilement -d'avoir été exclu de l'accord de 1982 contre la reconnaissance que nous existons comme société distincte comme si notre refus de signer l'acte de 1982 ne confirmait pas à lui seul notre distinction.

Cela me rappelle ces discussions sur le droit à l'autodétermination que certains voudraient voir inclure dans la constitution canadienne comme si un tel droit pouvait se définir en dehors de son exercice. Ce dont le Québec a besoin, ce n'est pas de la reconnaissance d'une concordance de sa spécificité, mais des pouvoirs, des responsabilités et de la liberté qui nous permettront de faire développer notre caractère distinct au profit du Québec et du Canada. "Where is the beef?", ou plutôt "where is the water", serait-on tenté de dire. Le niveau de l'eau ne cesse de baisser et plus il baisse plus on voit les roches. D'autre part, le gouvernement semble avoir pris la décision de jeter par-dessus bord le chronomètre qui l'avait si bien servi.

Si effectivement le principe de constttutionnaliser le caractère distinct du Québec a été reconnu par tous y compris les partis politiques qui sièqent au Parlement fédéral, pourquoi s'arrêter là? S'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud, alors, battons-le. Ne le retirons pas du feu. Craint-on que, si les autres provinces ne siqnent pas immédiatement, elles aient changé d'idée à l'automne? Si tel est le cas, on doit s'interroger sur la solidité de cet accord que l'on s'apprête à signer dans l'honneur et la dignité.

Doit-on conclure que cette reconnaissance de notre spécificité n'est valable que si elle fait partie d'un "package deal". Si tel est le cas, pourrait-on savoir ce que nous avons laissé tomber au cours de la négociation? De deux choses l'une: Ou bien les autres premiers ministres ont reconnu sans difficulté, sans arrière-pensée calculatrice notre existence, et alors cette reconnaissance tiendra toujours dans trois mois; ou bien ils ne l'ont reconnue qu'en retour de certaines concessions de notre

part. Ce serait bien normal, d'ailleurs. La concession est l'essence même de la négociation. Mais il faudrait savoir quelles furent ces concessions. A-t-on promis d'être complaisants lors des négociations sur le libre-échange? Sûrement pas. A-t-on accepté de ne plus utiliser la clause "nonobstant"? A-t-on accepté de ne plus parler des pouvoirs sur l'économie ou de ne plus insister sur les communications? A-t-on accepté de ne pas tenter de rendre plus constitutionnelle notre présence internationale, ou peut-être a-t-on accepté de fermer le dossier et de le laisser mourir de sa belle mort? J'imagine mal qu'un gouvernement du Québec ait pu faire l'une ou l'autre de ces concessions. Si tel est le cas, alors, c'est que les autres premiers ministres sont vraiment convaincus. Pour employer une image chère à mon coeur de Montréalais, pourquoi fermer le robinet alors que le lac vient à peine de commencer à se remplir? Si on pense que seules quelques précisions pourraient être nécessaires et que le tout pourrait être réglé en quelques heures, les déceptions risquent d'être nombreuses.

Attardons-nous un instant à la clause sur l'immigration. On n'en a guère parlé jusqu'ici, probablement parce qu'elle est moins propice à un débat de principe et qu'elle semble plus précise que les autres. Voyons voir. Premièrement, qui définira les besoins et circonstances particulières d'une province en matière d'immigration? Ottawa, la province, toutes les provinces, un groupe de provinces? Qu'est-ce qu'une circonstance particulière? Deuxièmement, selon quelle procédure se fera la constitutionnalisation de cette entente? Le droit de veto s'appliquera-t-il? Quelle réalité recouvre les normes et les objectifs nationaux qu'elle accorde et lègue entièrement à Ottawa? N'est-ce pas là reconnaître au gouvernement fédéral un pouvoir exclusif dont il ne jouit pas actuellement, puisque l'immigration est une responsabilité conjointe?

Quatrièmement, on sait que, dans les domaines de l'agriculture et de l'immigration, une loi provinciale n'est acceptable que si elle est compatible avec les lois fédérales. Est-ce à dire que les nouvelles lois québécoises qui seront appliquées à la suite de la constitutionnalisation de l'entente Cullen-Couture devront aussi être compatibles avec les ententes qu'Ottawa ne manquera pas de conclure avec les autres provinces? Qu'en est-il de ces situations pas du tout hypothétiques où une autre province voudra faire administrer par Ottawa sa politique provinciale d'immigration? À part le pouvoir de définir les catégories générales d'immigrants, d'établir les niveaux globaux et d'identifier les catégories inadmissibles, quels sont les autres pouvoirs qu'Ottawa continuera d'exercer dans ce domaine? Qu'arrivera-t-il si Ottawa n'arrive pas à conclure une entente en premier lieu avec le Québec? De quelle sorte d'obligations constitutionnelles est-il question ici? Quels sont les principes de l'entente Cullen-Couture dont il est fait mention dans l'accord? Comment pourra-t-on constitutionnaliser des principes qui proviennent d'un autre texte? Que veut dire "incorporer des principes"? De quelle garantie est-il question lorsqu'on mentionne qu'Ottawa garantit à Québec un certain pourcentaqe d'immigrants? Qui fera la comptabilisation et selon quels critères? Cette garantie sera-t-elle transmissible d'année en année? Fera-ton la moyenne sur trois ans, sur cinq ans, sur dix ans?

Quelles sont les raisons démographiques dont il est fait mention dans l'accord? Qui les décidera? Le Québec doit-il avoir des raisons pour demander un dépassement de 5 %? Pourquoi 5 %, pourquoi pas 2 %? Sur combien d'années? De quelle population s'agit-il? Va-t-on comptabiliser les immigrants illégaux, et comment? Que dire de la définition de résidents ou de citoyens? Que veut dire "Ottawa se retirera de tout service"? Quelles sont les limites de ce retrait? Pourquoi accorder au Québec une compensation définie comme juste dans ce cas et raisonnable dans le cas du pouvoir de dépenser? Quelles sont ces ententes semblables avec les autres provinces dont il est fait mention? Semblables comment? Semblables pour qui? Comment calculer les 5 % de dépassement si chaque province les revendique? Qui sont ces ressortissants dont on veut nous confier la responsabilité? Qui va définir le statut de réfugié? On sait qu'il s'agit là d'une question déjà passablement controversée. Elle le sera encore plus une fois mise dans la constitution.

Quelles sont ces activités de réception et d'intégration dont il est fait mention? L'acculturation et l'initiation au multiculturalisme canadien pourraient-elles devenir d'autres façons de maintenir une présence fédérale? Heureusement, toutes ces questions n'ont pas la même importance; certaines sont cruciales et, si des réponses ne sont pas apportées dès maintenant, le Québec risque de se retrouver avec moins et non pas plus de marge de manoeuvre.

Prenons le cas de ces normes et objectifs nationaux qu'Ottawa a décidé de se réserver. L'un de ces objectifs pourrait très bien être d'encourager la libre circulation des travailleurs. Comment le Québec pourrait-il, dès lors, sélectionner à l'étranger ou au pays un immigrant pour un poste pour lequel on trouve à Vancouver ou à Calqary des travailleurs disponibles? Cette question n'est pas hypothétique, elle s'est déjà posée. Si le point de vue québécois avait alors prévalu, c'est qu'il n'existait pas de tels normes et objectifs nationaux. De la même manière, pourra-t-on continuer à exercer une discrimination au profit de la langue

française si Ottawa fait de l'égalité linguistique une de ses normes nationales?

À ce qu'il paraît, des équipes de fonctionnaires fédéraux et québécois s'affairent actuellement à donner un contenu encore plus précis à ce qui semble aux profanes, au premier abord tout au moins, l'être déjà passablement. Bien plus, on se dépêche d'aboutir avant la conférence de juin. Ma question est alors la suivante: Pourquoi a-t-on senti le besoin d'aller voir de plus près cette partie de l'accord avant que ies tribunaux ne s'en emparent? Si c'est bon pour l'immigration, cela devrait l'être aussi pour le pouvoir de dépenser. Je comprends l'impatience du premier ministre -celui d'Ottawa, pas le nôtre, je suppose - de conclure cette entente à temps pour le prochain voyage au Canada de la souveraine britannique, mais l'avenir culturel, démographique et économique du Québec et celui du Canada méritent bien qu'on y réfléchisse le temps d'un été. Merci et désolé d'avoir été si long.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Latouche, pour votre mémoire. Le temps de dépassement a finalement été réduit, il reste un peu moins de quinze minutes à chacun des deux groupes. Je laisse donc la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Latouche, d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. J'ai eu le plaisir de vous entendre et, dans votre style qui vous caractérise si bien, vos messages passent bien, dans un style qui manie bien un humour articulé et à peine acidulé.

Vous soulignez dans votre texte que, de fait, il n'y a peut-être pas beaucoup d'éléments qui font en sorte que le Québec a un statut particulier, mais il y en a. Une société distincte, il n'y a pas deux, trois, quatre ou cinq provinces qui ont été reconnues comme sociétés distinctes, il y en a une, au départ. C'est le premier article qui a été reconnu au lac Meech. Au départ, on reconnaît la distinction du Québec. Mais, dans votre exposé, vous avez raison de souligner ce que vous appelez la catastrophe du 16 avril 1981, où le Québec, le gouvernement péquiste de l'époque, a accepté le principe de l'égalité des provinces. C'est cela, l'entente. La seule entente qui a été conclue avec les autres provinces en matière constitutionnelle par le précédent gouvernement l'a été le 16 avril 1981, trois jours après les élections, où l'on a fait en sorte que le Québec devienne une province comme les autres. Le Québec comme l'Île-du-Prince-Édouard, comme Terre-Neuve ou comme la Colombie britannique. Dans nos négociations, on a donc composé avec ce principe, principe accepté par les autres provinces et principe qui nous a été rappelé par les autres provinces à chaque fois qu'on a discuté avec elles. Dans ce contexte, M. Latouche, comme vous le disiez tout à l'heure, mieux vaut déchirer sa chemise avant qu'on se la fasse enlever.

Mais, moi, tout simplement, je voulais essayer de comprendre vos interventions. Vous avez écrit et je citet "Jamais un gouvernement du Québec n'a su utiliser si habilement toutes les poignées que lui offrait le reste du pays!" Je vous cite dans Le Devoir du 12 mai 1987: "On dira que M. Bourassa aurait dû dire non dès le lac Meech ou qu'il aurait dû accroître immédiatement ses demandes. Cela aurait été compromettre tout le processus et menacer les gains réalisés par le Québec. M. Bourassa eut raison de dire oui. Sa stratéqie initiale était la bonne. Elle a donné des résultats intéressants".

Ce que je crois comprendre de vos interventions, c'est que vous nous dites: La Cour suprême, t'immiqration qui est beaucoup plus, en passant, que l'entente Cullen-Couture, qui nous donne la possibilité de choisir, de sélectionner nos immigrants qui sont déjà sur place, soit 30 % de notre immigration, nous donne la possibilité, aussi, de mettre en place nos propres mesures d'intégration: cours de langue, cours de formation, de donner le goût du Québec à ces gens. Ce sont des pouvoirs que nous n'avions pas, plus un minimum de base que nous recevons en fonction de notre poids démographique dans la fédération et plus 5 %. Dans ce contexte, c'est un gain certainement très important. Je crois que c'est ce que vous nous dites et puis, la formule d'amendement où nous récupérons un droit de veto, un droit de veto sur les institutions qui avait été oublié justement dans cette entente du 16 avril 1981 et que nous récupérons, mais que les autres provinces aussi récupèrent. C'est comme cela. Dans ce contexte, M. Latouche, j'ai l'impression que vous nous dites: Cela va très bien. Vous avez fait une bonne entente. Cela va bien, mais cela va tellement bien que vous devez continuer! Est-ce à peu près cela que vous nous dites?

M. Latouche: Ce que je dis, c'est qu'il faut savoir quand dire oui et quand dire non. Je l'ai dit dans cet article - vous pensez bien que je me suis relu pour bien savoir si j'étais encore d'accord avec moi-même avant de venir ici; je connais quand même assez bien, pour y avoir participé, le jeu des manoeuvres parlementaires - et ce que je dis toujours, c'est que le gouvernement du Québec a bien fait d'aller tâter le terrain, vérifier la température de l'eau, comme on le disait à l'époque.

Vous avez fait une tournée pancanadienne, je crois, pour voir s'il y avait

possibilité que ces conditions préalables soient remplies. Vous avez dû conclure à l'époque que oui, il y avait de l'avenir de ce côté. Donc, on a procédé à une deuxième étape. Vous avez voulu officialiser un peu plus le procédé.

Si vous vous souvenez des manoeuvres du mois de janvier, coup sur coup, le gouvernement du Québec a dit non à une participation, celle de son premier ministre à la conférence des autochtones, ce qui était, à mon avis, de bon ton pour une logique constitutionnelle. Par la suite, le gouvernement fédéral a cru prendre le gouvernement du Québec peut-être à contre-pied, en annonçant immédiatement la date de la conférence constitutionnelle.

Le Québec, de nouveau, je crois, a très bien joué en acceptant et en appelant un peu le "bluff" du gouvernement fédéral là-dessus. Donc, il y a eu un échange de oui et de non qui s'est très bien porté et qui a donné des résultats intéressants, à savoir que nous avons amené le Canada anglais à la table des négociations sur la base de notre ordre du jour, sur la base de faire reconnaître des principes qui, dans la suite de la discussion, pourraient s'avérer fort importants. (13 heures)

Vous savez comme moi que les batailles sur la forme de la table et les batailles sur l'ordre du jour sont des batailles très symboliques, comme les querelles de drapeaux, mais les batailles en disent long sur le déroulement des opérations. Donc, c'est une admiration devant la capacité de bien mener son jeu que j'ai exprimée et que je continue d'exprimer. Ce que je dis, c'est: Ne jetons pas tout cela par-dessus bord sous le prétexte que peut-être, un peu de façon inattendue, le gouvernement du Québec a été tellement efficace à présenter une position un peu comme la mythologie le voulait dans les années soixante, tellement bien articulée que les autres ont dit: D'accord, on va discuter sur ce point. Donc, je dis: Ne jetons pas tout par-dessus bord, continuons la discussion, surtout qu'on le fait dans un domaine où le Québec a des avantages très importants à aller chercher. Vous l'avez dit vous-même, l'immigration ce n'est peut-être pas aussi secondaire qu'on le laisse entendre et peut-être que même moi, je l'ai laissé entendre. D'ailleurs, c'est probablement pour cela que le gouvernement a décidé d'aller au fond des choses dans ce dossier-là pour tester un peu plus la bonne volonté du gouvernement fédéral, du moins celle de sa bureaucratie ou de son secteur de l'immigration, avant de procéder. Si cette négociation "préconférence" donne des résultats intéressants, faisons aussi une négociation pendant tout l'été. C'est un moment fort propice. Je conviens que cela exigera de notre ministre qu'il sacrifie encore ses vacances entre Calgary et Saint

John's, à Terre-Neuve, mais je suis persuadé qu'il est fort bien capable de se débrouiller et que l'on se retrouve à l'automne avec un accord beaucoup plus substantiel et qui pourra rallier beaucoup plus de Québécois. C'est évident qu'on ne pourra jamais rallier -le ministre l'a dit - 100 % des Québécois. D'ailleurs, je me demande de quoi serait fait un accord qui rallierait 100 % des Québécois, sauf sur la température, mais on pourrait quand même en rallier un plus qrand nombre.

Pour nous avoir vus faire cet exercice de démocratie et d'éducation populaire depuis quinze jours, je pense que tout le monde a été fort impressionné de la qualité et de l'intérêt des débats. Alors que l'on croyait que tout avait été dit et que cette question n'intéressait personne, imaqinez-vous donc qu'elle a même intéressé des députés de l'Assemblée nationale. Donc, je dis: Continuons dans cette ligne.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, cela va? Je reconnais maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. Latouche, merci de votre communication qui, comme d'habitude, manie les registres d'ironie, votre érudition de ce que j'appellerais non pas le fédéralisme juridico-constitutionnel, mais le fédéralisme fonctionnel ou en fonction. C'est un sport auquel se livre le ministre un peu plus facilement que moi. J'ai un peu de difficulté à résumer vos propos, parce que vous en avez couvert assez large, vous avez essayé de cerner une réalité qui n'est pas seulement juridique, puis technique, mais aussi un processus. Par ailleurs, vous êtes entré avec dix-sept questions qui me sont, toutes sans exception, apparues absolument pertinentes quant au texte sur l'immigration. Je dois vous dire qu'au fur et à mesure que je lisais votre texte je reqrettais un peu qu'on n'en ait pas posé autant. On en a posé cinq ou six là-dessus. Vous en ajoutez une bonne douzaine qui, je pense, ont autant de pertinence que les premières. C'est pour cela que j'hésite à prétendre résumer votre pensée. Est-ce que je comprends bien que vous dites: Au lac Meech, vous êtes parvenus par un jeu de oui et de non adéquat pendant un certain nombre de mois, y compris la cavalcade western du ministre pendant de nombreuses semaines, et vous êtes parvenus à obtenir la reconnaissance de quelques principes. Mais vous me dites: Je regarde deux choses: l'immigration où il reste dix-sept questions de nature technique qui ont une importance réelle et, deuxièmement, la société distincte. C'est comme dans l'univers de l'évidence, vous débloquez sur: Si on est différent, c'est peut-être plus sur les pouvoirs. Je crois comprendre que ce que vous dites, c'est que, dans la mesure où il

est évident que le Québec est différent, il ne s'agit pas d'en obtenir la reconnaissance, mais d'en obtenir plutôt les conséquences de la reconnaissance de cette distinction du Québec et que, parmi ces conséquences, il y a un certain nombre de pouvoirs.

Si je me permets de vous poser la question, M. Latouche, c'est parce que, dans votre texte, contrairement à ce que M. Lemelin a dit ou d'autres, y compris ceux de l'autre côté de la table, vous n'avez pas l'air de tenir pour acquis que cela ne sert que le Québec si le Québec a plus de pouvoirs dans certains secteurs. Vous associez toujours la relation Québec-Canada et la relation de pouvoirs particuliers au Québec au bien-être du Québec et au bien-être du Canada. Jusqu'à maintenant la notion de pouvoirs québécois a été un peu travestie par un fardage intellectuel auquel certaines personnes autour de cette table sont habituées, comme: Oui, mais cela, ce sont les méchants séparatistes. Les méchants séparatistes veulent que le Québec ait tous les pouvoirs. Donc, ils en veulent plus, ils ne seront jamais contents. Ce que vous dites, vous, c'est: À partir de l'entente du lac Meech, c'est une espèce d'ordre du jour ou de feuille de route et là, il faut traduire maintenant cette distinction du Québec par un certain nombre de pouvoirs pour que le Québec et le Canada progressent. J'ai trouvé cela frappant, vous le dites à trois ou quatre endroits dans votre texte. J'aimerais peut-être vous entendre quelques minutes là-dessus.

M. Latouche: Oui, très brièvement. Je ne crois pas que le Québec et le Canada soient des vases incommunicants et que nous soyons dans une sorte de dilemme du prisonnier où tout ce qui est bon pour le Québec doit être mauvais pour le reste du Canada et tout ce qui est mauvais, etc.

On cite de plus en plus des chiffres nord-américains: 2 % de l'ensemble nord-américain. Je pense que ce qu'il faut, c'est un bon accord pour le Québec et que si cet accord est bon pour le Québec, il le sera pour le Canada. Je ne pense pas qu'on doive ignorer cette solidarité d'un lien qui doit exister entre le Québec et le Canada. Je ne voudrais pas entrer dans les détails sur ce qui, je pense, devrait être les virgules du trait d'union entre le Canada et le Québec, mais j'ai l'impression que, sur la base de cet accord, si on ferme les livres immédiatement, la discussion ne progressera plus beaucoup; elle va progresser autour du débat sur le Sénat, par exemple. Cela ne me dérange pas personnellement que l'Île-du-Prince-Édouard ait le même droit de veto que le Québec, je ne vois pas pourquoi il faudrait diminuer l'Île-du-Prince-Édouard pour se mettre de l'avant. Non! La question n'est pas là. La question est de savoir si, oui ou non, on va pouvoir continuer, pour un avantage pour les deux parties, cette démarche-là. Je pense que le Canada a commencé à s'en rendre compte et je suis certain que l'argument du ministre lorsqu'il se promenait de capitale en capitale a été: Écoutez, si on n'est pas là, je vous souhaite bonne chance dans vos négociations sur le libre-échange et ce qui va suivre le libre-échange.

Donc, ma thèse est finalement assez simple. C'est qu'il faut que l'accord permette au Québec, dans l'intérêt du Canada, de jouer à fond tout son caractère spécifique et distinct et non pas simplement de se contenter de l'affirmer de telle façon qu'il ferme des portes par la suite. Préciser - c'est pour cela que je parlais du sexe des anqes - de quelle nature sera la porte qui sera fermée ne nous avance guère à ce niveau-là. C'est pour cela que, personnellement, j'aime mieux, si c'est effectivement l'analyse de cette équipe de négociateurs, pour lesquels j'ai exprimé une certaine admiration, que de préciser la langue française dans le cadre de la société distincte et que cela ne nous avantaqe pas mais réconforte les inquiets parmi nous, je dis au premier ministre: II faut garder votre idée initiale. Donc, c'est là ma démarche. Je vois que, dans la suite des événements, lorsque notre souveraine sera retournée à son prince, il sera très difficile de continuer et de procéder. Ce n'est pas une invention de politologue. Je pense que tous les premiers ministres l'ont déjà dit et que M. Bourassa a déjà littéralement fait une campaqne électorale sur ce thème en 1976, sur les dangers de signer tout de suite un certain rapatriement. Je me permets de dire là-dessus que ce qu'on a reproché avec justesse à l'équipe gouvernementale en 1981, ce n'est peut-être pas tellement d'avoir oublié le veto - on a parlé de plats de lentilles et je rappelle au ministre que c'est lui qui l'a écrit et, d'ailleurs, c'est lui qui l'a souligné le premier à l'époque - mais c'est que, pour la première fois, un gouvernement du Québec acceptait de ne pas regarder le contenu explicite d'un accord constitutionnel sur la fameuse question du partaqe des pouvoirs et sur toutes les autres questions et a mis cela de côté pour faire une négociation droit de veto contre "optinq out". C'est cela, la principale erreur en 1981 et c'est cela qu'on a tenté de réparer par la suite. Il ne faudrait pas en réparer seulement la moitié.

M. Johnson (Anjou): Finalement, vous dites que le gouvernement, en n'ayant pas une revendication ou en n'obtenant pas une négociation solide sur un certain nombre de pouvoirs, risque de faire ce que vous qualifiez d'erreur à l'époque.

M. Latouche: Tout à fait. Franchement,

je ne comprends pas pourquoi le gouvernement veut absolument se mettre dans cette situation. J'ai dit tout à l'heure que je croyais qu'il avait eu raison, même au lac Meech, de ne pas arriver - c'est toujours de mauvais goût - à la toute dernière minute avec une commande: En passant, voici 22 autres demandes traditionnelles du Québec. Le premier ministre a signé un accord de principe. Maintenant, il faut mettre de la chair sur cet accord de principe avant de signer. Cela m'apparaît la base élémentaire de toute négociation. Et je ne vois pas pourquoi on s'évertuerait à nier les succès qu'on a déjà accomplis,

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Latouche.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Je salue en M. Latouche - je me permets de le dire en quelques minutes - un très vieux copain avec qui j'ai fait mon collège classique. Nous avons des souvenirs ensemble, notamment de politique étudiante et de journalisme étudiant. À l'époque, M. Latouche était l'homme politique et j'étais l'organisateur. Il y a de cela quelques années. Je salue également l'homme qui a eu un peu le même genre d'expérience que moi. II a participé à la vie d'un bureau de premier ministre à une époque différente de la mienne, bien sûr, et pour un premier ministre différent du mien, bien sûr. Je salue également l'auteur courageux et humoristique du Devoir, celui qui nous écrit des articles régulièrement. J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ses articles publiés dans Le Devoir et même ceux qu'il n'a pas publiés dans Le Devoir, parce que certains ont été refusés, mais il me les a déjà envoyés.

Ceci dit, je me permettrai de diverger d'opinion avec M. Latouche sur deux points, le premier consistant en la question que je voulais lui poser, mais le chef de l'Opposition la lui a posée, à savoir: À partir du moment où on signe l'accord du lac Meech, qu'est-ce qu'il advient des autres revendications constitutionnelles du Québec? Je pense qu'il y a encore beaucoup de place pour ces revendications et qu'il y aura toujours moyen de les faire en temps utile.

J'ai cru déceler, dans son texte à la fois humoristique et très touffu - je ne voudrais pas le mettre en contradiction, c'est peut-être moi qui ai mal compris - en ce qui a trait à la société distincte, une contradiction ou des nuances entre son article du 13 mai dans Le Devoir et son texte de ce matin, si bien que je vais lui poser la question suivante: La société distincte, faut-il la définir ou non? Je vois, dans votre article du 13 mai, M. Latouche, que vous semblez dire: II serait bon de la définir. Ce matin, il semble que ce soit moins sûr, puisque vous parlez de...

M. Latouche: Effectivement, je puis dire que le premier ministre et le gouvernement m'ont fortement ébranlé par leur argumentation, non pas dans son contenu juridique, à savoir qu'il ne fallait pas préciser, etc., mais j'aimais bien cette approche et cette vision de dire: Écoutez, cela va être au dynamisme et à l'originalité québécoise de jouer; il ne faut pas toujours se laisser définir avant que la partie commence et par d'autres. Donc, si, peut-être, vous appelez cela une contradiction, moi, je suis assez fier d'avoir changé d'avis sur ce côté. Peut-être que je m'en vais dans le mauvais sens où tout le monde semble s'en aller. Effectivement, le gouvernement semble s'en aller dans l'autre sens maintenant, en mettant une référence à la langue française. Mon point est toujours le même. Cela m'apparaît maintenant, devant les interprétations qu'on a commencé à donner et au Québec et dans le reste du pays... (13 h 15)

Je vous signale à cet effet que le premier ministre du Canada n'a pas encore prononcé un seul discours de fond sur l'accord du lac Meech. Il y a eu des discours: J'ai promis de ramener le Québec, etc.; mais un discours de fond, une discussion comme on en a ici, je ne pense pas qu'il y en ait eu dans le reste du pays, sauf probablement des expulsions et des menaces d'expulsion dans les caucus réciproques des divers partis fédéraux. Donc, cette question de la société distincte m'apparaît maintenant beaucoup moins importante dans la mesure où le qouvernement semble vouloir aller à toute vapeur dans la direction de ne pas donner suite immédiatement à d'autres négociations.

Il faut être réaliste. Si, effectivement, le gouvernement a fait son lit et a décidé de jeter par-dessus bord son chronomètre et de perdre mon admiration - je suis sûr que cela ne l'empêchera pas de dormir - à ce moment-là, je dis: Précisons le plus possible cette société distincte. C'est comme cela que j'avais interprété les premières remarques du premier ministre et du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales. Si ces conditions préalables n'étaient que l'accord sur un ordre du jour, alors, le premier ministre avait raison de faire deux choses au lac Meech: de ne pas arriver avec tout un arsenal où tes gens avaient l'impression, dans le reste du pays, de constitutionnaliser la grammaire française et le subjonctif du plus-que-parfait, ou d'autres demandes multiples, il avait donc eu raison de faire cela. Mais si, dans les faits, ce

qu'on apprend maintenant, c'est que tout est coulé dans le béton depuis le lac Meech et qu'on ne fait que discuter de virgules juridiques, mon argument est de dire: Revenons avec le plus de virgules dans ce texte-là. Si on veut fermer la porte absolument, tentons de sauver les meubles.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. M. le député de Bourget, cela va? M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. Latouche, simplement une remarque, une question. Chez plusieurs, il a été beaucoup question, au cours de ces deux dernières semaines, de rapport de forces, et en particulier chez les centrales syndicales. Mais le chef de l'Opposition utilise aussi fréquemment l'expression "rapport de forces". Est-ce que je vous comprends bien si je fais le raisonnement suivant? Si le rapport de forces entre le Québec et le Canada anglais est favorable au Québec, vous dites à ce moment-là: Profitons-en, poursuivons la négociation, allons juqu'au bout et en une seule étape. Vous ne croyez pas à d'autres étapes et à une négociation constitutionnelle en plusieurs phases. Par contre, si le rapport est défavorable au Québec, allons plus loin aussi, pour justement mettre cela en lumière et se buter à un refus. Si le rapport de forces est défavorable au Québec et qu'on poursuit la négociation, je suppose qu'à un moment donné cela va se buter à un refus de ta part du Canada anglais, du gouvernement fédéral d'aller plus loin. Donc, cela va avoir pour effet de mettre en lumière l'aspect défavorable du rapport de forces. Donc, c'est dans les deux cas, que le rapport de forces soit favorable ou qu'il soit défavorable. Actuellement, justement, on n'est pas allé assez loin, ce qui fait qu'on ne le sait pas. On ne sait pas vraiment s'il est favorable ou défavorable parce qu'on n'a pas poussé assez loin la négociation. Dans les deux cas, il faut pousser la négociation jusqu'au bout pour se rendre compte si ce rapport de forces est favorable ou défavorable. S'il est favorable, la négociation devra aller jusqu'au bout; s'il est défavorable, il devra y avoir une rupture. À ce moment-là, si je vous comprends bien, vous dites: Attendons un moment qui soit plus propice ou plus favorable.

M. Latouche: Vous savez, même si la science politique est une science inexacte, on a quand même fait quelques proqrès depuis Aristote. On sait, par exemple, qu'un rapport de forces n'est pas quelque chose qui est consigné une fois pour toutes. Ce n'est pas une convention collective. Je considère qu'actuellement, pour toutes sortes de raisons et de circonstances, certaines étant indépendantes et d'autres dépendantes de la volonté et de l'habilité du gouvernement, nous avons un rapport de forces favorable. Nous n'aurions jamais obtenu cet accord de principe préliminaire du lac Meech si tout le monde était contre nous. Un rapport de forces favorable qu'on ne poursuit pas et qu'on n'utilise pas devient très rapidement un rapport de forces défavorable. Donc, il ne faudrait pas se mettre dans la situation d'avoir à déplorer dans six mois de pas avoir su mieux utiliser la bonne volonté, l'ouverture d'esprit et l'habileté manifestées par le gouvernement jusqu'ici.

Le Président (M. Filion): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. Latouche, à la page 9 de votre texte, vous nous dites et je vais essayer de résumer votre pensée: la reconnaissance de la société distincte inclut - et selon vous cela va de soi - la reconnaissance de la langue française comme étant acquise au Québec. Vous ne considérez pas nécessaire d'ajouter à la reconnaissance de la société distincte des références à la langue française. Par contre, vous ajoutez -et c'est ce qu'on retrouve au bas du texte à la page 9 - que vous considérez qu'il serait quand même utile d'inscrire au sein de l'accord une clause permettant au Québec, non pas tant de protéqer sa langue, mais de pouvoir l'utiliser comme pierre angulaire dans différents secteurs d'activité. La notion de société distincte étant reconnue et incluant nécessairement la langue française comme incluse dans cette reconnaissance, est-ce que cela ne va pas de soi qu'on pourra nécessairement dans différents secteurs d'activité tenir compte de la spécificité comme telle?

M. Latouche: Je pense que non, parce qu'alors très facilement, les juges et les hommes et femmes qui font de la politique et en feront dans dix ans, diront tout simplement: Pourquoi, lorsqu'on a discuté de société distincte, n'a-t-on pas balisé les pouvoirs et tout ce que j'ai mentionné, au moment où on avait l'occasion de le faire? On pêche par omission dans cet accord. C'est pour cela qu'on ajoute la langue, ce que j'ai répondu à votre collègue. Cela me plaît bien, si on ferme les livres actuellement. Ce sera toujours cela de gagné. Mais encore une fois, là n'est pas l'essentiel. La seule façon, il me semble, de donner un certain sens au caractère français de cette société et d'autres caractéristiques, c'est d'inclure immédiatement toutes ces autres questions où l'on va pouvoir dans le texte constitutionnel comme on le fait sur l'immigration voir un peu ce que donne cette société distincte. On le fait pour l'immigration. On pourrait le faire pour l'agriculture. C'est exactement le même type

de pouvoir, c'est un pouvoir partagé entre les deux ordres de gouvernement. II n'y a pas de contradiction évidente - peut-être en avez-vous décelé une - entre ce que je dis aux deux parties de la même page. Dans un cas, je suggère d'aller de l'avant avec société distincte, tel qu'il est, si c'est cela que le premier ministre nous a dit. Mais si, effectivement, il dit que le dossier est terminé, alors je voudrais avoir le plus de virgules possible. Mais j'ose espérer - il est évident que je suis aussi réaliste - qu'on va encore continuer de débattre la question cet été et l'actuel premier ministre sait très bien que de dire non au reste du Canada anglais n'est pas toujours nécessairement un signe annonciateur de catastrophes électorales ou autres. Si je me souviens bien, cela ne lui avait pas trop nui en 1973. Donc dire non et même dire non comme on a fait en 1981-1982, avec l'accord unanime de tous les partis politiques à l'Assemblée nationale, cela ne nous a pas nui non plus. Cela a même permis à l'actuel gouvernement de "scorer" des points à la rencontre du lac Meech. Donc, continuons.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie.

M. Lefebvre: M. le Président, avec le consentement de l'Opposition, si vous le permettez, une très courte question.

M. Johnson (Anjou): Très courte.

M. Lefebvre: M. Latouche, je voudrais qu'on se comprenne bien. La langue étant une caractéristique de la société distincte, parce que la société distincte, cela fait référence évidemment à plusieurs critères -je pense qu'on se comprend là-dessus - la langue étant une caractéristique qui nous permet de considérer notre société québécoise comme distincte, est-ce que par le fait même, même si elle ne fait pas l'objet d'une clause spécifique, elle ne deviendrait pas, comme vous le suggérez, une pierre angulaire du développement économique, social et culturel dans différents secteurs d'activité auxquels vous faites référence à la page 10 de votre texte?

M. Latouche: Pour que cela se produise, pour que l'allusion à la langue ne soit pas simplement une sorte de reconnaissance symbolique comme il en existe des dizaines dans certaines constitutions du monde - celle de l'URSS, celle de la Chine et celle de l'Inde - pour que la langue ne soit pas simplement quelque chose de symbolique, pour qu'elle joue le rôle de pierre d'assise, alors, il faut aussi donner au texte les pouvoirs de faire quelque chose avec cette langue. Quand bien même je vous reconnaîtrais l'existence d'une société dis- tincte, si je ne vous donne aucun pouvoir pour la mettre en application dans tel ou tel autre secteur, quand bien même j'inclurais toute votre qrammaire dans la constitution, cela ne changerait rien au fait que vous allez vous promener tout seul avec votre société distincte. Donc, ce sont les autres questions qui sont importantes et c'est ce qu'on a déjà commencé à définir. Je répète encore: On veut le faire pour l'immigration. On est rendu très loin. Je suis certain que dans mes quinze ou seize questions, on a déjà répondu à sept ou huit. Il n'y a rien de très malin dans plusieurs d'entre elles, mais faisons aussi l'exercice. On va vivre très longtemps avec cette constitution.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. Latouche, je vous laisserai le mot de la fin, qui est d'ailleurs le propre de la plupart des enseignants comme vous et des chroniqueurs, mais je vais prendre une minute simplement pour revenir un peu sur ce qu'évoquaient le ministre et le député de Frontenac.

À la page 10 de votre mémoire, comme la réponse que vous venez de donner au député de Frontenac, vous dites: Le premier ministre m'a convaincu depuis quelques jours, même s'il a l'air de changer d'idée depuis son congrès général du parti, que la société distincte, c'était plus que la langue française et, par conséquent, je ne crois pas que vous en concluiez qu'il faut se contenter de dire: On va garder "société distincte" dans la clause d'interprétation. Si vous dites: Dans la mesure où c'est cela et dans la mesure aussi où on ne le mentionne pas, puis on considère que le dossier n'est pas fermé, il s'agit pour le Québec d'aller chercher des pouvoirs et d'aller explorer le contenu de la société distincte en matière d'immigration, en matière économique, en matière sociale et en matière culturelle.

Évidemment, certains diront: Oui, mais c'était l'art du possible; c'est la meilleure chose que le Québec pouvait obtenir, compte tenu des circonstances. Mais c'est là qu'on arrive à "échoir" dans la fédération plutôt que de choisir, alors que le Québec a l'occasion de choisir, puisque la constitution s'applique chez lui en ce moment. II a l'occasion de choisir de signer ou pas. Il s'agit juste de savoir si le gouvernement ira, comme il le devrait à nos yeux, au bout de ce processus pour voir quel est le contenu de la société distincte aux yeux du Canada et d'aller chercher le maximum dans les circonstances, alors qu'il semble probablement se contenter du minimum pour régler le passé et non pas d'ouvrir vers l'avenir. La seule ouverture vers l'avenir qui resterait, à en écouter le ministre et ses collègues, c'est

que les juges de la Cour suprême nous diront peut-être un jour que la société distincte voulait dire pas mal plus que ce que l'on pensait à l'Assemblée nationale. Mais c'est une espèce d'élément aléatoire et un impondérable qui me préoccupe un peu.

Alors, M. Latouche, vous avez 30 secondes ou un peu plus. On est tolérants.

M. Latouche: J'ai été frappé lors du débat par le fait que le ministre des Affaires intergouvernementales et le premier ministre, à ma connaissance, n'ont jamais dit! C'est le meilleur "deal" possible que nous pouvions aller chercher. J'aurais assez bien compris cette logique; c'est une logique politique, une logique de négociations. Ils n'ont jamais dit cela, ils ne l'ont jamais qualifié comme étant le summum de ce que l'on pouvait aller chercher. Dans le fond, ce que je suggère, c'est de laisser à l'équipe gouvernementale et à l'Assemblée nationale la chance de continuer cet été. Cela ne veut pa3 dire de déchirer sa chemise à la prochaine conférence constitutionnelle; cela ne veut pas dire d'indiquer un échec; cela ne veut rien dire de tout cela. La conférence du mais de juin, soit la semaine prochaine, pourra simplement être ajournée au mois de septembre ou au mois d'octobre et je suis certain que la souveraine ne s'en offusquera pas plus qu'il ne le faut si on lui gâche un peu son voyage.

Le Président (M. Filion): M. Latouche, au nom des membres de cette commission, je voudrais vous remercier de vous être présenté, d'avoir su accélérer la lecture de votre texte sans en réduire - soyez-en assuré - la densité ni l'acuité des propos qui y étaient contenus. Je vous remercie encore une fois et nos travaux sont suspendus jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 31)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bienvenue aux membres de cette commission qui reprend ses travaux afin d'entendre les représentations des groupes, organismes et individus relativement à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 et concernant la constitution canadienne.

Fédération des groupes ethniques du Québec

Nos premiers invités, cet après-midi, ont déjà pris place à la table des invités. Il s'agit des représentants de la Fédération des groupes ethniques du Québec. Je demanderais à son président, le docteur Kevork Bagdjian de bien vouloir nous présenter la personne qui l'accompagne et de bien vouloir, par la suite, nous faire part de son exposé, lequel devra durer environ 20 minutes pour permettre une période de discussions avec les membres de cette commission. Dr Bagdjian, bienvenue.

M. Bagdjian (Kevork): M. le Président, je m'appelle Kevork Bagdjian, je suis le président de la Fédération des groupes ethniques du Québec qui compte dans ses rangs une trentaine de groupes ethniques de différentes couleurs, de différentes origines, de différentes croyances et de différences cultures. J'ai à mes côtés le Dr Georqes Saine, vice-président de notre organisme. Le Dr Jean Taranu, qui devait faire partie de notre délégation, en a été empêché par un devoir urgent.

En mon nom personnel et au nom des membres du conseil d'administration de la Fédération des groupes ethniques du Québec, je remercie la commission parlementaire des institutions de nous avoir donné l'occasion d'exprimer notre point de vue sur l'entente du lac Meech. "Réunis aujourd'hui en conférence au lac Meech, le premier ministre du Canada et les premiers ministres des dix autres provinces canadiennes sont convenus de donner instruction à des légistes de traduire en un texte constitutionnel l'entente de principe qui se trouve dans le document ci-joint", lisions-nous dans un communiqué en provenance du lac Meech le 30 avril 1987. Nous aurions préféré que les juristes aient traduit en un texte constitutionnel l'entente de principe dont il est question dans le communiqué et que nous puissions discuter de ce texte supposément précis pour proooser des modifications et des amendements au lieu de fonder nos interventions, comme nous le faisons depuis quelques jours, sur des communiqués diffusés par les médias. Nous aurions donc préféré, dis-je, que la commission parlementaire fut convoquée après la rédaction d'un projet de texte constitutionnel. Mais l'approche différente du gouvernement qui en a décidé autrement ne nous empêchera pas d'émettre nos points de vue et de formuler nos souhaits devant cette commission parlementaire, ne serait-ce que sur la base de ce que les communiqués nous ont permis de connaître de l'entente du lac Meech.

Caractère distinct du Québec. Dans l'entente du lac Meech, il est question de reconnaître l'existence d'un Canada francophone concentré, mais non limité au Québec, et celle d'un Canada anglophone concentré dans le reste du pays, mais présent au Québec. L'entente souligne que ces deux éléments constituent une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne. À notre humble avis, il est

nécessaire et important de reconnaître aussi dans cet énoncé l'existence d'un troisième élément qui constitue la caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne. Il s'agit, comme vous l'avez deviné, des peuples autochtones qui, historiquement et juridiquement, sont les fondateurs du Canada.

L'entente stipule aussi que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. Dans notre optique, la mention d'une société distincte ne reflète pas suffisamment et adéquatement le visage du Québec et ne reconnaît pas formellement la spécificité du Québec. Une société distincte signifie qu'elle est une entité sociale propre, mais le terme "société distincte" ne traduit pas les points qui distinguent le Québec des autres provinces. En quoi le Québec se présente-t-il comme une société distincte? Il faudra l'expliciter. Autrement, le mot "distinct" ne sera qu'une épithète vidée de son sens. Nous croyons qu'il faudra faire ressortir dans le futur texte constitutionnel, dont l'élaboration sera confiée aux juristes, la réalité francophone du Québec, le fait français au Québec, la réalité française au Québec, sa langue, sa culture, ses traditions, et assurer et garantir la survie de cette spécificité. Sans cette garantie formelle, indispensable à nos yeux, l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ne pourront pas protéger efficacement et promouvoir réellement le caractère distinct de la société québécoise, comme il est mentionné dans l'entente.

Immigration. Dans le domaine de l'immigration, il est question d'incorporer les principes de l'entente Cullen-Couture de 1978. Il ne fait aucun doute qu'après l'entente Lang-Cloutier, en 1971, qui reconnaissait au gouvernement du Québec le droit de nommer des conseillers à l'étranger pour faire la promotion du Québec, celle d'Andras-Bienvenue, en 1975, qui a permis aux conseillera du Québec de rencontrer les candidats à destination du Québec, l'entente Cullen-Couture constituait un grand pas en avant qui élargissait considérablement le champ d'intervention du Québec dans la sélection des immigrants destinés au Québec, l'établissement de normes de qarantie financière, le partage avec le fédéral des décisions relatives à la venue des visiteurs pour des raisons de santé, ou des étudiants, des travailleurs saisonniers, mais, au fond, tous ces avantages se limitaient au traitement des dossiers à l'étranger seulement.

Nous apprécions cette entente à sa juste valeur, mais nous formulons une réserve pour ce qui est du droit de sélection parce que ce droit de sélection que le Québec est autorisé à exercer n'en garantit pas l'efficacité. Par exemple, quand un candidat présente une demande d'immigration pour résider au Québec et que sa requête est refusée par Québec, il peut toujours présenter une nouvelle demande pour résider dans une autre province et, une fois au Canada, il vient, après quelque temps, s'installer au Québec en vertu du droit de libre circulation des immigrants et des citoyens. Il y a là une lacune que les nouveaux textes constitutionnels devraient corriger pour empêcher ce qenre de détour qui rend nul et inefficace le droit de sélection du Québec. (15 h 15)

Heureusement, l'entente du lac Meech nous assure de nouvelles garanties constitutionnelles dans le domaine de l'immigration: a) Elle reconnaît au ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration le droit d'étudier les dossiers des requérants non seulement à l'étranger comme par le passé, mais aussi sur place, sur le territoire canadien. C'est une grosse concession au fédéral et un gain considérable pour le Québec dans le domaine de l'immigration; b) Elle accorde au Québec un nombre d'immiqrants en proportion de sa part de la population canadienne, même avec un droit de dépasser ce chiffre de 5 %; c) Elle accorde aussi au Québec le contrôle de l'accueil et de l'adaptation avec une juste compensation du fédéral.

Ainsi, tous les immigrants et les réfugiés qui viendront résider au Québec devront s'intégrer à la société québécoise et à sa majorité francophone. Cela constitue un apport appréciable à la survie et à l'essor de la francophonie québécoise. Nous saluons avec enthousiasme tous ces avantages que l'entente du lac Meech reconnaît au Québec dans le domaine de l'immigration.

Pouvoir de dépenser. Pour ce qui est du pouvoir de dépenser, nous croyons que la juste compensation que l'entente du lac Meech accorde à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive mérite d'être reconsidérée. Nous appréhendons que l'immixtion du gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale exclusive ne crée des précédents dangereux de nature à affecter les relations fédérales-provinciales et que ces éventuels incidents de parcours ne se règlent aux dépens du plus faible, comme cela arrive fréquemment.

Pour éviter ce risque éventuel, nous souhaiterions que tout nouveau programme à frais partagés que le gouvernement fédéral voudra introduire dans les provinces soit soumis à l'approbation préalable du gouvernement provisoire concerné.

Cour suprême du Canada. Nous souhaiterions que la nouvelle constitution reconnaisse au Québec le droit de participer à la nomination des juqes de la Cour suprême en provenance du Québec et qu'au moins trois des neuf juges de la Cour

suprême proviennent du Québec.

Deuxième ronde. Nous souhaiterions aussi qu'à ta deuxième ronde prévue dans les douze mois suivant la proclamation de la présente modification constitutionnelle, la réforme du Sénat canadien intervienne et devienne réalité. Dans cette optique, le Sénat doit être élu et les sièges doivent être répartis en proportion du pourcentage que représente chaque province dans la population totale du Canada. Les fonctions et le rôle de cette institution doivent être arrêtés d'un commun accord entre le gouvernement fédéral et les dix provinces.

Conclusion. Certaines critiques positives que nous avons formulées relativement à l'entente du lac Meech ne nous empêchent pas de proclamer notre accord enthousiaste à l'ensemble de cette entente historique que nous considérons comme constructive. Il faut que le Québec profite de tous les nouveaux acquis que lui assure cette nouvelle entente. Il est rare de rencontrer dans l'histoire du Canada un tel consensus entre le gouvernement du Canada et les gouvernements des dix autres provinces. Nous en félicitons sincèrement le premier ministre du Canada, le premier ministre du Québec et notre ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes pour ce succès éclatant.

Les lacunes que d'autres intervenants et nous-mêmes avons signalées peuvent être corrigées. Les textes peuvent être amendés. Nous formulons le voeu que le gouvernement du Québec réussisse cet autre tour de force et de diplomatie au plus grand avantage du Québec. Il est impérieux de ne pas manquer cette rare occasion qui nous est offerte. Nous sommes convaincus que l'entente du lac Meech est, dans son ensemble, avantageuse pour le Québec et que les Québécois en tireront des bénéfices considérables et substantiels dans un proche avenir.

Un grand Canadien, Sir Wilfrid Laurier, a comparé le Canada à un sanctuaire gothique fait de granit, de marbre et de chêne. Et il a conclu en ces termes: "Je voudrais que le Canada devienne une nation semblable à cette image, car je tiens à ce que, dans ce pays, le marbre demeure marbre, le granit demeure granit et le chêne demeure chêne. Avec tous ces éléments, je bâtirai une grande nation parmi toutes les nations du monde." C'est dans ce cadre que nous aimerions et que nous souhaiterions bâtir un Québec fort, un Québec stable, un Québec prospère et hospitalier.

Il y a quelques jours, plus exactement le 12 mai 1987, Mme Louise Robic, ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration du Québec, soulignait devant vous, M. le Président, dans cette enceinte, que "la société québécoise sera bâtie, entre autres, avec le concours des hommes et des femmes qui viendront des quatre coins de l'univers chercher au Québec une terre de paix, de travail et de liberté, conscients de l'importance qu'a eue au cours des dernières années l'apport des communautés culturelles à la vie nationale québécoise et conscients que l'avenir du Québec est indissociable des apports de l'immigration internationale". Nous avons précédé ces bâtisseurs comme d'autres nous avaient devancés sur cette terre hospitalière. Beaucoup d'autres viendront encore grossir nos rangs pour bâtir tous ensemble, Québécois de vieille souche et Québécois de fraîche date, dans la paix et dans la sérénité, notre patrie d'adoption. Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Dr Baqdjian. J'invite maintenant le ministre déléqué aux Affaires intergouvemementales canadiennes à amorcer le dialogue avec vous. Et, pour chaque groupe parlementaire, il y a plus de 20 minutes.

M. Rémillard: Oui, merci, M. le Président. Je voudrais vous remercier, Dr Bagdjian, d'avoir accepté de venir témoiqner devant nous cet après-midi. C'est avec un très grand plaisir qu'on vous entend. Vous êtes les derniers intervenants de cette commission parlementaire après 17 citoyens et citoyennes et 20 organismes. Nous avons le plaisir de vous entendre, vous qui parlez au nom de communautés culturelles, ethniques. Votre témoignage est intéressant parce qu'il se situe très bien dans le contexte de cette reconnaissance de la société distincte que nous voulons voir reconnaître dans la constitution canadienne, société distincte qu'est le Québec par sa langue et sa culture, fondamentalement, essentiellement - c'est ce qui fait que nous sommes essentiellement différents - mais aussi par ses institutions et ses communautés culturelles, ses communautés ethniques qui en sont une richesse. Vous représentez pour notre société une richesse, un apport. Il y a - vous l'avez très bien souligné - dans l'entente du lac Meech un élément qui se réfère directement à nos communautés culturelles; c'est ce qui regarde l'immigration. En plus d'avoir maintenant la garantie de la constitution en ce qui regarde les principes que nous avions déjà dans une entente administrative, l'entente Cullen-Couture, qui nous permettait de sélectionner nos immigrants qui demandaient è venir au Québec et qui étaient déjà à l'extérieur du Canada, maintenant, nous allons avoir la possibilité de sélectionner nos immigrants qui sont déjà sur place - c'est 30 % de nos immigrants - et, surtout, nous allons avoir la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour intégrer ces hommes et ces femmes qui viennent de partout au monde et qui veulent venir avec nous participer au défi de notre société: leur donner des cours de langue, de

formation, leur donner le goût de vivre avec nous, leur apprendre nos institutions, notre façon de vivre, les intégrer à notre société, parce que 50 % de nos immigrants quittent pour une autre province. Il faut qu'ils demeurent avec nous, il faut leur donner le goût de demeurer avec nous, surtout quand on regarde le taux de natalité qui est si bas, 1,4 %. Bien sûr, il faut une politique familiale, une politique gouvernementale globale, mais il faut aussi une politique d'immigration, dont ma collègue, la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, a la responsabilité.

Vous soulevez, à bon droit, que l'entente du lac Meech est une entente qui, en concrétisant dans la constitution le fait que le Québec est une société distincte, évidemment, par sa lanque et sa culture et par tous ses éléments qui font qu'elle est distincte, est aussi un bienfait pour les communautés culturelles. Par le fait même, le noyau sera solide et, autour de ce noyau, pourront graviter et composer un ensemble d'éléments qui font que nous sommes ensemble heureux de vivre dans cette société libre, démocratique, heureux de partager un bien commun, heureux de recevoir ces gens qui viennent de partout au monde relever avec nous ce défi de la modernité de notre société. C'est dans ce contexte que j'accueille avec beaucoup de plaisir le témoignage que vous nous livrez aujourd'hui: un témoignage d'ouverture et de sincérité. Je vous remercie de ce témoignage.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, merci. J'inviterais maintenant le chef de l'Opposition à prendre la parole.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre désire y aller tout de suite? Si le ministre le désire... D'accord.

M. Bagdjian, merci de votre présentation. Bienvenue parmi nous, et au Dr Saine aussi. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt et extrêmement attentivement les longues nuances, réserves et critiques que vous faisiez sur l'accord. Je retiens cependant que cet accord, à vos yeux, est extrêmement important dans la mesure où il a permis de créer cette unanimité des premiers ministres autour du texte émanant du lac Meech.

J'ai cru comprendre dans vos propos, Dr Bagdjian, que ce qui était le plus important à vos yeux, c'était le fait de l'unanimité et, deuxièmement, la notion ou l'idée d'une reconnaissance de la distinction du Québec. Cependant, il y a une chose qui m'a frappé dans vos propos, ce sont les réserves que vous avez émises sur l'ensemble des cinq points de l'accord du lac Meech. Elles sont extrêmement substantielles et considérables, notamment quand vous dites: -je crois, avec une certaine sévérité

Écoutez! Québec, société distincte, mais comment? Ne vaudrait-il pas mieux le préciser? Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux aussi en pratique que s'ensuivent des choses concrètes? C'est précisément ce que nous reprochons à cette entente. Non pas qu'en soi le fait que le Québec soit reconnu comme distinct pose un problème. Je considère que c'est un acquis politique pour le Québec, sans pour autant souscrire au texte qui est devant nous. (15 h 30)

Après le référendum, après le rapatriement, dans un certain contexte, la conjoncture politique, pour toutes sortes de motifs, certains nobles, certains un peu plus terre-à-terre, pour des politiciens en voie d'élection ou de réélection ou avec des espoirs de finir leurs jours ailleurs, a fait que, au lac Meech, les dix premiers ministres anglophones du Canada, les neufs premiers ministres des provinces anglophones et le premier ministre du Canada, ont reconnu un fait que, vous, vous vivez depuis de nombreuses années, je le sais. Vous savez très bien que le Québec est différent du reste du Canada, vous le sentez. Mais, une fois qu'on a dit cela dans un texte juridique qui s'appelle une constitution, cela donne quoi le lendemain, concrètement? J'ai cru comprendre dans vos propos que vous émettiez de telles réserves sur la facture de ta reconnaissance de la société distincte, et j'avais l'impression que vous auriez plutôt conclu que vous souhaitiez qu'on finisse par voir des textes pour savoir ce que cela voulait dire en pratique. J'ai été quelque peu étonné de votre conclusion quant à l'intensité que vous avez mise, à la réjouissance que vous démontriez face à la signature en l'absence de texte.

Deuxièmement, je vous le permettrais de réagir à la question suivante: L'article 27, qui est intégré à la charte canadienne et qui dit que la constitution doit être interprétée d'une façon compatible avec la notion de multiculturalisme, est-ce que, à vos yeux, cet article doit prévaloir sur le caractère français de la société distincte qu'est le Québec? Comment voyez-vous cette jonction entre ce que pourraient être les impératifs d'une vision du multiculturalisme au Canada enchâssés dans la charte des droits et la notion de société distincte bilingue - il faut bien le reconnaître par le paragraphe a) - du fait qu'il y a ici une majorité de francophones? À vous la parole, docteur.

M. Bagdjian: M. le Président, d'abord, sur la question de l'unanimité, cela saute aux yeux qu'il y a eu unanimité; je parle de l'unanimité des premiers ministres des dix provinces du Canada et du premier ministre du Canada lui-même. Évidemment, c'est très rare de rencontrer cette unanimité, et nous la soulignons. Je crois que c'est peut-être la

dernière chance pour le Québec de profiter de cette unanimité; il faut le dire très sincèrement.

Deuxièmement, quant à ce qui vous a étonné dans ma conclusion, je ne trouve pas qu'il y a de quoi s'étonner. On peut faire des réserves sur certains articles, sur certaines dispositions de certains articles, mais cela ne veut pas dire qu'on doit rejeter l'ensemble de l'entente, quand il s'agit d'une entente historique. Nous, communautés culturelles du Québec, nous posons la question: Au Québec, depuis "la nuit des longs couteaux", comme vous l'avez appelée, la nuit où vous avez disons, été dupés, vous avez été trompés, écoeurés et où vous êtes rentrés bredouille au Québec, depuis ce temps, est-ce que le Québec fait partie du Canada, d'un Canada fédératif? Est-ce que nous faisons partie de la Fédération canadienne, oui ou non? Si nous en faisons partie, il faudra que nous puissions adhérer à la constitution. Sans adhérer à la constitution, nous ne pouvons pas faire partie d'un Canada qui parle au nom d'un Québec qui ne fait pas partie du Canada. Vous voyez, il faudrait mettre un terme à cette anomalie, à cette existence anormale et même illégale du point de vue juridique.

Or, nous voyons que le plus qrand acquis de cet accord du lac Meech est bien ce point qui serait réglé définitivement si l'accord était accepté.

Quant aux réserves que vous faites sur le multiculturalisme, nous les partageons, ces réserves M. le chef de l'Opposition. M. le Président, déjà, en 1972, 1973 et 1975, nous avons présenté des mémoires au gouvernement canadien en disant textuellement -c'est moi qui ai rédigé ces mémoires, je peux vous les citer par coeur... Il y a une phrase où nous disons: Pour nous, le multiculturalisme doit se traduire dans la vie quotidienne que nous vivons, dans notre vie quotidienne, et non pas rester une doctrine philosophique. Secundo, nous disons qu'il ne faut pas que le multiculturalisme serve à véhiculer la langue et la culture du plus fort. Je crois que cette position est très claire. Nous ne voulons pas que le multiculturalisme qu'on applique au Canada serve à véhiculer la culture et la langue du plus fort qui n'est pas, évidemment, la communauté francophone. Voilà les réserves que nous formulons sur le multiculturalisme, mais nous sommes pour le multiculturalisme parce qu'il ouvre qrandes les portes et les fenêtres du Québec sur un monde culturel universel et c'est de ces fenêtres et de ces portes que le Québec prendra et donnera, échangera sa culture avec d'autres cultures et enrichira la sienne. Nous sommes contre une culture de tour d'ivoire, une culture qui s'enferme dans son coin, dans son ghetto et qui se coupe de toutes les autres cultures au monde. Cette culture est condamnée à mourir dans un délai plus bref que nous ne le croyons.

Pour terminer, si vous avez l'obligeance de consulter le Journal des débats du 23 juin 1977, no 133, vous y lirez le mémoire que la Fédération des groupes ethniques du Québec a présenté à l'occasion de la présentation de la loi 101. Vous verrez que nous avons pris position, une position très nette et sans équivoque pour la francophonie et pour la francisation. Donc, il ne s'agit pas pour nous de venir ici maintenant parler et faire de la démagogie sur la francophonie et de la francophonisation. Nous connaissons tout cela. Maintenant, il faut faire un pas en avant. Nous voyons que l'entente du lac Meech nous donne ce premier pas en avant et je crois qu'il est temps de continuer à marcher.

M. Johnson (Anjou): Merci, Dr Bagdjian. Vous avez parlé avec votre connaissance, votre érudition de ces questions et aussi avec beaucoup de conviction.

M. Bagdjian: Merci beaucoup.

M. Johnson (Anjou): Je l'apprécie d'autant plus... Je dois vous dire, Dr Bagdjian, puisque je sais que vous faites partie de cette importante communauté qu'est la communauté arménienne, tout en étant conscient que vous représentez la Fédération des groupes ethniques, que vous savez ce que signifie l'ambiguïté d'un peuple sans territoire, ou à la recherche d'un territoire. Je souhaiterais que le Québec ne devienne pas un territoire sans peuple. Vous comprenez nos préoccupations, je présume.

Mme la ministre.

Le Président (M. Filion): Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Robic: Merci, M. le Président M. Bagdjian, M. Saine, cela fait huit jours que nous sommes en commission parlementaire et cela fait huit jours que j'écoute. Vous comprendrez que je ne suis pas une experte; je suis plutôt Mme Tout-le-Monde. Si vous me le permettez, j'aurais quelques remarques à faire avant de vous poser une question. On me dit que c'est ma dernière chance. Alors, si vous me le permettez, j'aimerais dire certaines choses.

Si je n'ai pas beaucoup parlé durant ces huits jours, c'est que je croyais qu'il était important que j'écoute et que je comprenne les interventions et ce qui se passait, parce que je pense qu'il est important de comprendre les enjeux auxquels nous faisons face. J'ai écouté les experts et les groupes. Ce qui m'a le plus frappée des groupes indépendantistes qui sont passés devant nous, c'est qu'ils semblent remplis de complexes, ils voient tout en noir, ils sont pessimistes.

La Société Saint-Jean-Baptiste, ce matin, m'a semblé remplie d'animosité et d'hostilité envers tous les gens qui ne pensent pas comme elle. Des pessimistes. Ce ne sont pas les pessimistes qui font avancer le monde, qui font que des choses fantastiques se produisent. L'autre matin, tout de suite après Gilles Rhéaume, c'était la Chambre de commerce du Québec qui s'exprimait, et, là, c'était comme une bouffée d'air frais. Elle nous disait comme c'était bon, comme elle avait multiplié le nombre de leurs membres. C'était la chambre de commerce la plus importante de tout le Canada. Il se passait des choses merveilleuses au Québec. Les jeunes se lançaient en affaires, les jeunes lançaient leur propre entreprise. Les gens avaient confiance. Cela faisait du bien d'entendre parler de cette façon.

Les experts sont venus et ils se sont contredits. Bien sûr, on a - on le sait tous ici - posé également des questions, mais ce qu'il faut retenir, ce sont les gains importants que le Québec a faits. Je pense que vous l'avez dit, Dr Bagdjian. Et je suis surprise. Que les indépendantistes ne soient pas contents de ces gains-là, je peux comprendre. Il ne faut pas, pour que leurs choses avancent, que la fédération fonctionne. Eux autres, il faut toujours qu'ils puissent nous dire que cela ne peut pas fonctionner cette affaire-là, et on est en train de leur prouver que, oui, il y a des gens de bonne volonté qui sont décidés à voir à ce que cette fédération-là fonctionne avec tous ses membres.

Je suis un peu surprise que le chef de l'Opposition soit, lut, contre ces gains. Après tout, j'aurais pensé que cela va dans le sens de son affirmation nationale, à moins que son affirmation nationale, ce soient encore juste des mots qu'il utilise pour vouloir dire indépendance. Est-ce que ce sont des mots piégés, telle la question du référendum? On peut se poser cette question.

Les experts se sont interrogés sur la société distincte et les pouvoirs du Québec de la protéger et de la promouvoir. Ils ont cependant à peine parlé des pouvoirs en immigration. Oui, certains en ont parlé pour nous dire que, oui, c'étaient des pouvoirs minimes que nous allions chercher. M. Claude Morin a même dit: Ah! bien, vous savez, dans la balance, ce n'est pas tellement important. Ce matin, on m'a dit que M. Latouche a dit la même chose. C'est drôle, c'étaient des gens qui trouvaient que l'entente Couture-Cullen, c'était merveilleux. Pourtant, c'est une entente administrative et, maintenant qu'on la constitutionnalise, qu'on va chercher d'autres pouvoirs, bah! dans la balance, ce n'est pas tellement positif. Eh bien, je pense que cette clause est très importante puisqu'elle nous assure, qu'elle assure la survie de la société québécoise. Je ne voudrais pas vous rappeler - je pense qu'on l'a fait en fin de semaine - les problèmes démographiques auxquels le Québec a à faire face. Donc, ces pouvoirs accrus au chapitre de la sélection sont fort importants parce que les gens qui sont sélectionnés par nous, par le Québec, savent, avant même d'arriver ici, avant même de venir au Québec, que l'on parle français au Québec, que l'on vit en français au Québec. Ils acceptent cela avant même d'arriver ici. C'est très important.

Vous avez parlé tout à l'heure de gens d'autres provinces qui viennent s'installer ici. Cela fait longtemps que cela n'est pas arrivé, vous savez. En 1982, nous avons perdu 28 000 personnes qui sont parties du Québec pour aller s'installer ailleurs au Canada. Cette année, bonne nouvelle: bien que nous ayons encore des pertes interprovinciales, c'est rendu à 3000 seulement et nous allons avoir un solde migratoire positif de 9000 personnes. Déjà, là, on voit que les gens font confiance au Québec, veulent rester au Québec et veulent y vivre en français également.

Les pouvoirs que l'on a en matière d'immigration, ce sont également des pouvoirs importants et aucune autre province ne pourra les avoir parce que, quand nous recevons 31 % de l'immigration canadienne, je pense que c'est une protection additionnelle pour le Québec, et le reste du Canada aura à se diviser les autres 69 %. (15 h 45)

Les pouvoirs en matière d'accueil, d'adaptation et de francisation, je dirais que ce sont probablement les pouvoirs les plus importants. Le chef de l'Opposition, dans l'une de ses grandes envolées qu'il nous a servies quelques fois par jour, m'a reproché de ne rien comprendre. On parlait à ce moment-là du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Je voudrais vous dire, M. le chef de l'Opposition, qu'une chance qu'il y a des fois où le gouvernement fédéral peut dépenser, parce que ce n'est pas vous qui auriez francisé les immigrants. Les seuls programmes de francisation des immiqrants sont des programmes fédéraux. Les programmes de francisation des immigrants...

Une voix: ...

Mme Robic: Certainement!

Nous gérons ces programmes, mais ce sont des programmes fédéraux. C'est tellement vrai que, quand le gouvernement fédéral a décidé de ne pas franciser les revendicateurs du statut de réfugié, vous n'avez pas créé de proqrammes pour les revendicateurs. C'est nous qui avons donné aux revendicateurs cette chance d'apprendre le français. Ils voulaient apprendre le français, ils faisaient la file pour s'enregistrer. Vous vous êtes privés de ça pendant des années.

Vous avez également laissé pour compte les femmes. Le gouvernement fédéral n'avait pas de programme de francisation pour la femme à domicile. Vous l'avez ignoré. Comme de raison, ce n'est pas la première fois que vous ignorez l'importance et l'influence de la femme dans le milieu familial. Ça fait longtemps que j'ai compris ça. Nous avons créé un programme et, encore là, nous allons nous assurer que le plus grand nombre d'immigrants, de ressortissants étrangers puissent apprendre le français.

À Mme Lorraine Pagé, de l'Alliance des professeurs de Montréal, qui déplore le fait que la CECM n'attire pas assez d'étudiants allophones, je vais lui dire que ce n'est pas parce que vous êtes une commission scolaire catholique, madame, tout est dans l'accueil des parents et des enfants. Là, je ne veux pas, surtout pas, blâmer la CECM et son président qui font des efforts considérables pour faire du rattrapage à ce niveau-là. Mais c'est un fait, notre accueil vis-à-vis de ces nouveaux arrivants pour qu'ils s'intègrent le plus rapidement possible à la société québécoise est très important. Je pense qu'il est essentiel, comme vous l'avez si bien dit, que le Québec signe les accords du lac Meech et que des pouvoirs accrus en matière d'immigration, l'entente Bouchard-Robic, comme l'appellait le député de Mercier tout récemment, soient constitutionnalisés afin que nous puissions protéger, promouvoir et assurer une longue vie à cette société distincte.

M. Saine, M. Bagdjian, vous avez parlé tout à l'heure de l'importance que la langue commune soit le français au Québec et, pour ce faire, n'êtes-vous pas d'accord avec les pouvoirs accrus que nous obtenons pour l'accueil qui nous permettront de mettre en place des programmes de francisation pour rejoindre un plus grand nombre, non seulement de nouveaux arrivants, mais de gens qui peuvent être ici depuis un certain temps et qui n'ont pas eu la possibilité d'avoir droit à des cours de français?

Le Président (M. Filion): Je vous en prie, M. Saine.

M. Saine (Georges): Je ne sais pas, M. le Président, si je ne serai pas hors sujet, peut-être un peu en dehors de la question, mais je pense que j'y arriverai assez bien. Il y a 62 ans, né d'un peuple sans patrie parce qu'usurpée par des gens contre lesquels on n'a pas pu se défendre, je me suis échappé et j'ai abouti dans les Cantons de l'Est. Dès mes premières années, j'entendais tout le monde dire: Les maudits ci et les maudits ça! On ne nous donne pas de chance: On n'est pas correct et on n'est pas comme les autres.

Mieux que cela, mes professeurs au séminaire nous disaient qu'on était des porteurs d'eau ici. À un moment donné, je commençais à me poser des questions, surtout après une partie de tennis avec feu le père du chef de l'Opposition qui commençait à se plaindre - je ne dirai pas le mot dont il m'a qualifié - de ceux qui n'étaient pas canadiens-français au pays. Là, je me suis dit: Mon Dieu! j'ai raison, pourquoi ai-je abouti au Québec? J'aurais souhaité aboutir en Ontario ou dans une autre province tellement que, sans connaître ce qui se passait, je voyais qu'il y avait des plaintes. Donc, on n'était pas comme les autres. Le temps a passé, l'évolution s'est effectuée. Le lac Meech est arrivé. Et l'unanimité complète que le Dr Baqdjian a qualifiée de pratiquement unique et historique, cela veut dire, M. le chef de l'Opposition ou madame, qu'on est un peu comme les autres actuellement. Avez-vous une idée comme je me sens fier de dire que j'étais dans les patates quand j'ai pensé qu'on n'était pas comme les autres? C'est ce que le lac Meech nous apporte aujourd'hui dans le populo. Je ne parle pas d'affaires scientifiques comme les parlementaires. Cela est un fait. Là-dessus, je souhaite que mes petits neveux ne regrettent pas d'être venus au Québec plutôt qu'en Ontario parce que le Québec est devenu réellement ce que le Québec devait être, grâce à ceux qui l'ont fait actuellement. Je crois que cela me donne un peu de fierté. C'est tout ce que je veux vous dire.

M. Johnson (Anjou): Dr Saine, je ne suis pas sûr que je tiens absolument à ce que vous répétiez ce que vous avez dit parce que mon père n'est pas là pour y répondre. Peut-être qu'un jour en jouant au tennis avec vous il trouvait que l'arbitre appelait des as qui n'auraient pas dû être appelés et il vous a peut-être traité de "maudit rouge". Je sais que parfois il disait cela quand il faisait du sport.

M. Saine: Ce n'est pas une critique. Je bénis la mémoire de votre père. C'était un ami.

M. Johnson (Anjou): Bon, voilà. Alors, on se comprend bien, je pense, parce que je dois vous dire que cela ne sortait pas tout à fait comme cela tout à l'heure.

Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas d'autres interventions. Je... Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: Je vais terminer. Je veux simplement remercier nos visiteurs aujourd'hui qui sont venus nous livrer ce message. Je comprends des commentaires qu'ils nous ont donnés que maintenant ils voient dans l'entente du lac Meech un espoir

encore renouvelé de voir dans la société québécoise une société fière de ce qu'elle est, fière de son assise francophone, fière aussi d'être ouverte sur le monde. Cela signifie aussi que la théorie de la serre chaude, la théorie de la xénophobie, c'est terminé chez nous.

Nous sommes heureux d'avoir ces gens qui viennent de partout au monde, qui viennent relever le défi de notre société avec nous. Nous sommes heureux de les avoir. C'est une richesse pour nous. Maintenant, avec ces pouvoirs que nous allons avoir en matière d'immigration, avec aussi cette sécurité culturelle que nous allons pouvoir avoir aussi, nous allons pouvoir mieux vivre tous ensemble et partager donc un mieux-être en fonction de cette société libre et démocratique que nous vouions avoir au Québec, fière d'elle-même, fiers de ce que nous sommes et fiers de vivre dans ce pays, dans ce Canada.

M. le Président, ce sont nos derniers interlocuteurs. Vous me permettrez, en terminant, de remercier tout d'abord mes collègues ici du groupe ministériel pour l'appui qu'ils nous ont donné. On a travaillé en équipe, on a travaillé ensemble, on a fait plusieurs rencontres. À chaque session de nos travaux, on s'est rencontré, on a discuté des différentes interventions. Je voudrais les remercier très sincèrement pour le travail qu'ils ont fait.

Je voudrais remercier l'Opposition et rendre hommage à l'Opposition pour avoir gardé ce niveau de discussion qui nous a permis d'avoir une très bonne commission parlementaire. Je peux vous dire que c'était pour moi la première commission parlementaire et que je suis particulièrement heureux d'être un parlementaire québécois dans cette enceinte. Cela s'est dérouté, malgré un sujet qui pouvait soulever beaucoup de discussions d'une façon remarquable. Et je voudrais rendre hommage à l'Opposition, comme je voudrais vous rendre hommage, M. le Président, pour l'excellent travail que vous avez fait. Je crois que, selon les règles, je l'ai appris, je vous avoue que j'ai été surpris au début que vous puissiez intervenir dans les débats. C'est rare qu'un président d'assemblée peut intervenir. Je dois dire que vous l'avez fait et que, quand vous l'avez fait, vous l'avez fait avec un certain doigté. Et je dois donc, pour ma part, vous signifier ma grande satisfaction, vous dire que j'ai beaucoup apprécié d'être membre de cette commission et que ces travaux m'ont été d'une grande utilité dans mon travail de ministre. Je vous remercie. M. Saine, M. Bagdjian, merci d'être venus.

Le Président (M. Filion): Au nom des membres de cette commission, Dr Bagdjian, Dr Saine, je voudrais également vous remercier d'avoir ainsi collaboré à nos travaux de consultation sur cet important dossier. Merci, encore une fois.

Nous allons suspendre la séance quelques minutes avant de permettre la reprise de nos travaux qui, comme on le sait, consisteront en une période de deux heures, divisée à parts égales entre les représentants du groupe ministériel et les représentants de l'Opposition. Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 57)

(Reprise à 16 h 11)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous avons terminé cette partie du mandat qui nous était confié par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire celui d'entendre les représentations de certains groupes, organismes ou individus relativement à l'entente intervenue au lac Meech concernant la constitution du Canada à l'intérieur, bien sûr, du délai qui nous était fixé pour le faire.

Maintenant, nous en sommes à l'étape des commentaires de nature finale de la part des représentants des deux groupes, c'est-à-dire l'Opposition et le groupe ministériel. Le partage du temps qui a été fixé à l'intérieur de la motion qui nous gouverne est le suivant: les 30 premières minutes sont consacrées à l'Opposition, les 30 minutes subséquentes, au groupe ministériel et c'est la même chose pour les deux autres périodes de 30 minutes qui suivent.

Donc, sans plus tarder, je laisse la parole à M. le chef de l'Opposition ou à M. le député de Lac-Saint-Jean qui va commencer.

Remarques finales M. Jacques Brassard

M. Brassard: Merci, M. le Président. Il ne faut jamais perdre de vue l'objectif poursuivi dans toute négociation constitutionnelle au Québec. Il s'agit, on se le rappellera, de corriger l'état de choses généré par l'Acte constitutionnel de 1982, négocié, comme on le sait, et conclu sans nous, sans le Québec. En quelque sorte, il s'agit de réparer les torts et les dégâts causés par l'Acte constitutionnel de 1982.

Or, quel est le tort principal, le déqât majeur qénéré par ce nouveau contexte constitutionnel? II faut se le rappeler, là-dessus il y a un large consensus. Le tort ou le dégât est, d'abord et avant tout, linguistique. La loi 101, la charte du français, adoptée en 1977, était une pièce législative majeure qui avait pour but d'instaurer l'unilinguisme français au Québec, de faire du français ta langue de l'État, de

l'administration, de la justice, de faire du français la langue de travail, la langue de l'enseignement et la langue d'affichage au Québec. Eh bien, cette loi 101, cette charte du français, on le sait, depuis quelques années, a été littéralement démantelée. Elle a été durement touchée, de telle sorte que nous avons connu, sur le front linguistique, des recuis dangereux. Le français se trouve actuellement mal protégé au Québec et sa promotion est en quelque sorte paralysée.

Tout cela, M, le Président, à cause de toute une série d'entraves constitutionnelles dont la plupart proviennent de l'Acte constitutionnel de 1982. Je les énumère rapidement: article 133 qui fait finalement, officiellement, du Québec un État bilingue sur le plan de ses lois et de ses législations; l'article 23 qui limite le pouvoir, pourtant exclusif, du Québec en matière d'enseignement, en matière d'éducation; l'article 2, surtout la liberté d'expression qui a été invoquée, on le sait, pour rendre inconstitutionnel l'affichage unilingue français; l'article 6 sur la liberté de circulation et d'établissement qui pourra sans doute être invoqué un jour contre la loi 101 ou la charte du français; l'article 27 sur la promotion du multiculturalisme qui pourrait également être invoqué contre la charte du français; l'article 93 qui empêche le Québec de mettre en place, d'établir des commissions scolaires sur une base linguistique.

Il y a donc toute une série d'entraves, d'obstacles constitutionnels, de dispositions actuellement dans la constitution qui limitent dangereusement et gravement le pouvoir de l'Assemblée nationale de légiférer en matière linguistique. Plusieurs groupes, je dirais la majorité des groupes qui ont défilé devant cette commission depuis deux semaines, sont venus dire au gouvernement, à l'Assemblée nationale et aux députés membres de cette commission: II faut que l'Assemblée nationale retrouve sa pleine et entière compétence en matière linguistique. Il est essentiel, c'est ce qu'on est venu nous dire, c'est ce qu'on est venu nous répéter, que l'Assemblée nationale soit le seul lieu de décision au Québec en matière linguistique. C'est ce qu'on est venu nous dire. Il y a un large consensus au sein de la population à ce sujet. On pourra faire les sondages qu'on voudra, M. le Président, on va toujours arriver à la conclusion qu'une très large majorité de Québécois et de Québécoises estiment que l'Assemblée nationale devrait détenir les pleins pouvoirs, les pleines compétences en matière linguistique. C'est clair. Cela ne fait pas l'ombre d'un doute. On a parlé à plusieurs reprises de référendum. On pourrait faire, je dirais, un référendum sur cela. Il est à peu près certain qu'on obtiendrait des résultats extraordinairement élevés pour demander que l'Assemblée nationale détienne entièrement et pleinement les compétences en matière linguistique.

Or, l'entente du lac Meech ne répond pas, ne satisfait pas à cette aspiration fondamentale et majeure du peuple québécois. On nous arrive tout simplement et exclusivement avec une règle d'interprétation sur la société distincte qui ne touche en rien et en aucune façon des dispositions qui, actuellement, limitent sérieusement les pouvoirs de l'Assemblée nationale en matière linguistique. Cette seule raison serait suffisante pour dire au gouvernement: Cette entente du lac Meech n'est pas satisfaisante, elle ne convient pas, elle n'est pas honorable, elle ne satisfait pas une des aspirations fondamentales du peuple québécois qui est de faire en sorte que l'Assemblée nationale ait le plein contrôle en matière linguistique. Je pense que le gouvernement, à ce sujet, doit retourner faire ses devoirs.

Le Président (M. Filion); Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je voudrais d'abord vous remercier, ainsi que les collègues. Je sais que le premier ministre sera parmi nous tout à l'heure. Il est probablement dans la pièce à côté ou à son bureau en train de regarder cela à la télévision. J'aurai un certain nombre de demandes à lui faire au terme de nos travaux.

Cette commission a permis d'entendre, bien que partiellement seulement, un certain nombre d'experts, d'individus, de représentants de groupes. Je suis de ceux qui sont convaincus que l'opinion publique a été ébranlée depuis deux semaines. Je sais que chez des Québécois, dans la mesure où ils ont pu suivre une partie de nos travaux, l'incertitude s'est installée quant à ce qui faisait l'objet de tant d'enthousiasme à la sortie du lac Meech. Je sais qu'il y a dans l'opinion publique québécoise, chez ces citoyens de mon comté et de partout au Québec, un attachement profond à notre responsabilité collective à l'égard, notamment, de la législation linguistique. Je sais aussi que le gouvernement s'apprête à obtenir des amendements dont la valeur ne sera que cosmétique si elle n'implique pas des pouvoirs pour l'Assemblée nationale en matière linguistique. Je sais qu'il y a aussi un attachement, chez les nationalistes du Québec depuis 25 ans, à ce que dans nos discussions sur les questions constitutionnelles avec le reste du Québec on fasse prévaloir cette volonté d'augmenter l'espace de liberté du Québec, l'espace de responsabilité collective de notre Assemblée nationale et

de son gouvernement en termes de développement culturel, social et économique. Je sais qu'il y a cet attachement chez les Québécois à l'égard de cette responsabilité en matière linguistique comme à l'égard de la conquête d'espaces, de libertés et de responsabilités collectives pour notre développement.

Or, je crains qu'on ne sombre dans le ridicule, et je le dis au premier ministre. Nous en sommes réduits, depuis 48 heures, à faire l'interprétation publique d'un amendement inconnu à une clause d'interprétation inexistante sur le plan juridique. Nous sommes à la limite de ce qui pourrait être ridicule pour le Québec en entier, parce que nous ne possédons pas l'instrument qui nous liera pour longtemps, selon le premier ministre lui-même, en fin de semaine. Si je ne m'abuse, il a dit que ce texte lierait le Québec pour des décennies, pour ne pas dire pour toujours.

Il a également dit, en fin de semaine, qu'une fois saisie de la résolution qui émanera de la conférence du 2 juin à Ottawa, l'Assemblée nationale ne pourra pas amender le texte. Quel texte? Nous ne l'avons toujours pas, après trois semaines. Pourtant, le premier ministre du Québec nous dit que ce texte va nous lier pour des générations. Il nous dit qu'une fois qu'il aura signé le document à Ottawa, le 2 juin, l'Assemblée nationale du peuple québécois ne pourra pas modifier ce texte.

J'en appelle au premier ministre, à M. Bourassa, pour qu'il obtienne les textes et qu'il les présente aux élus du peuple québécois avant d'aller signer, car il nous a dit en fin de semaine qu'une fois signés à la conférence du 2 juin, c'est fini, il n'y a plus d'amendement possible. C'est passe ou casse? Dans son esprit, c'est passe, puisqu'il a 99 députés et nous, 23.

J'en appelle au premier ministre pour qu'il comprenne que, sur des enjeux aussi fondamentaux, le peuple québécois doit savoir à quoi s'en tenir et ne pas être réduit à contempler ce spectacle, encore une fois à la limite de l'acceptable en démocratie, où on voit des gens faire l'interprétation d'amendements à une clause d'interprétation elle-même inexistante sur le plan juridique. Afin d'éviter un tort qui pourrait être irréparable pour le Québec, j'offre à M. Bourassa la collaboration de l'Opposition pour que, d'une part, il fasse reporter la conférence du 2 juin en le demandant à M. Mulroney et à ses autres collègues; deuxièmement, pour qu'il obtienne les textes qui lieront le Québec pour des générations, dit-il, qui ne pourront pas être amendés une fois signés, troisièmement, pour qu'il présente ces textes aux élus du peuple québécois ici.

Nous sommes prêts, dès maintenant, à offrir la collaboration de l'Opposition pour que, dès la semaine prochaine, nous puissions suspendre un certain nombre des règles qui font qu'en ce moment ce sont les crédits budgétaires qui sont étudiés et qui ont préséance sur tout le reste. Je considère que cela s'impose parce que M. Bourassa devrait reconnaître qu'une évidence s'est imposée au cours de cette commission, l'évidence de l'absence de textes, de l'absence de réponses aux questions adressées au ministre ou au premier ministre, absence de garanties linguistiques quant aux pouvoirs de l'Assemblée nationale sur les politiques linguistiques, de l'absence de pouvoirs nouveaux pour le Québec, de l'absence de mandat de ce gouvernement pour prétendre disposer, en trois semaines et demie, de l'avenir des futures générations a dit le premier ministre, de l'absence de vision d'un Québec qui regarde vers l'avenir et non pas vers le passé. Incessamment, son ministre et quelques-uns de ses collègues députés nous ont servi que c'était le problème du 16 avril 1981, du coup de force de 1982. Rien qui ne démontre une vision, une perspective, une volonté de construire vers l'avenir, mais tout qui confine au passé, passé parfois désolant.

Sur la place publique, des experts et des parlementaires, des représentants de groupes et des individus en sont réduits, à cause de l'absence du chef du gouvernement, à cause de l'absence aussi d'une vision claire, aux conjectures et aux hypothèses. Le premier ministre nous dira tout à l'heure, quand il se joindra à nous, qu'il y avait les cinq points du Parti libéral, mais sur lesquels vous n'avez pas été élus... D'abord, vous n'avez pas livré cette marchandise, vous ne t'avez livrée que partiellement.

Si on prend chacun des points du programme du Parti libéral et qu'on prend l'entente du lac Meech, déjà, il y a des différences. Mais vous n'avez pas obtenu de la population québécoise un mandat qui la lierait dans l'avenir, pour des générations, avez-vous dit. Les Québécois vous ont élus pour toutes sortes de bonnes raisons ou pour des raisons discutables, selon le point de vue où l'on se place. Vox populi, vox Dei. Je n'ai jamais remis en cause la sagesse populaire dans une décision démocratique. Mais loin de moi la pensée que ce sont les cinq points sortis des différents extraits, souvent contradictoires, des documents du Parti libéral en matière constitutionnelle qui ont été la source de votre mandat afin de prétendre régler l'avenir du Québec, comme vous le faites, en quelques semaines.

Des experts sont venus ici. Je le dis pour le premier ministre qui, je le sais, à cause de ses occupations, ne pouvait pas être ici tout le temps; il y sera aujourd'hui.

Des voix: II y est.

M. Johnson (Anjou): Je lui ferai la

synthèse, non pas en prétendant mettre quoi que ce soit dans la bouche des experts qui sont venus ni résumer ce qu'ils prétendaient, mais je donnerai des extraits, Me Pierre-André Côté: "Un principe d'interprétation, ce n'est pas une règle stricte et contraignante. On ne peut pour ainsi dire jamais savoir d'avance de façon précise quelle influence un principe d'interprétation aura dans un cas concret donné, ni même de façon générale." Me Côté, toujours: "Les tribunaux auront en pratique à choisir entre la société distincte et la liberté d'expression de l'article 2, entre la société distincte et le patrimoine multiculturel du Canada de l'article 27, entre la société distincte et le caractère bilingue du Canada et du Québec. Rien ne permet de savoir où ira leur préférence."

Question à Me Nicole Duplé: "Si la Cour suprême - on discute toujours à partir d'hypothèses - est saisie de l'interdiction qui est faite en vertu de la loi 101 d'afficher dans une autre langue que le français, sauf des exceptions spécifiques, à vos yeux, est-ce que Ies plaideurs et la Cour suprême devront en tenir compte? Est-ce que, pour vous, "le Québec forme au sein du Canada une société distincte" l'emporte sur la reconnaissance de la dualité canadienne?" Réponse de Me Duplé: "Un article de loi qui interdit l'affichage commercial dans une autre langue que l'anglais, est-ce cela? - C'est cela. - Me Duplé: "...que le français - excusez, ce n'est pas la première fois que je fais cette... -mais cet article lui-même dit Me Duplé, serait contraire, en admettant qu'il soit adopté aujourd'hui, à l'engagement qu'a pris le Québec comme toutes les autres provinces de sauvegarder la caractéristique fondamentale du Canada." C'est clair. (16 h 30)

Me François Chevrette: "Écoutez, il est indiscutable et incontestable que le paragraphe a) sur la dualité canadienne a un impact direct sur le statut de la minorité anglophone du Québec. C'est une interdiction de l'unilinguisme français tout en permettant une prédominance du français".

Me Guy Tremblay: "Ce qui frappe dans l'entente du lac Meech, c'est qu'à peu près tout ce que le Québec a demandé a aussi été accordé aux autres provinces. Il est constant en droit que les clauses doivent s'interpréter dans leur contexte les unes par rapport aux autres. Or, il me semble que le sens qui sera donné au paragraphe b), portant sur la société distincte, sera intimement lié au paragraphe a) qui dit que le Canada francophone est concentré au Québec et que le Canada anglophone y est présent. Les clauses protègent autant la minorité actuelle que la majorité actuelle."

Me Gérald Beaudoin: "À ce moment-là, si vous me demandez: Est-ce que la liberté de légiférer en matière linguistique est absolue? bien sûr qu'elle n'est pas absolue.

Bien sûr. Le pouvoir est entier, mais sujet, évidemment, aux articles de la constitution qui ou bien départagent les deux pouvoirs ou encore garantissent certains droits."

Me Blache, de l'Université de Sherbrooke: "Si quelqu'un me demandait: Est-il clair avec un texte comme cela que la province de Québec va pouvoir légiférer comme bon lui semble en matière linguistique? je dirais: Non, puisqu'il y a la dualité canadienne qui est prévue aussi et qui équilibre de telle sorte qu'on se retrouve avec le grand accord fondamental en matière linquistique, à savoir qu'il y a deux langues et, même dans le Québec, des restrictions seront vraisemblablement apportées au pouvoir de légiférer de la province en matière, donc, de langue."

Me André Lajoie: "J'avais dit que je n'aborderais pas ces questions, la notion de société distincte, mais je les aborde pour ce lien." On parlait du pouvoir de dépenser. "C'est là le lien entre le pouvoir de dépenser et la possibilité de maintenir une société distincte. La possibilité d'établir nos priorités législatives et nos priorités de dépenses publiques dans les secteurs provinciaux de notre choix, c'est la seule garantie qu'on a d'avoir une société qui ne sera pas exactement pareille à celle de l'Ontario ou de la Colombie britannique."

M. Fernand Dumont: "Puisqu'il s'agit de droits, nous devons, je crois, nous assurer d'une sorte de critère. Ma foi, à mon avis, il ne reste que la langue, mais, encore une fois, j'y vois une sorte de critère clair. On ne peut pas se tromper en inscrivant cela, comme critère parce que, s'il fallait que l'évolution nous amène à des changements tels que dans vingt ans d'ici ce critère ne conviendrait plus, une chose est certaine, c'est qu'on n'aurait plus besoin de parler de société distincte."

Léon Dion: "Une seule expression, coquille vide."

Ces hommes, ces femmes, ces experts, ces Québécois sont venus nous parler de la faiblesse de l'accord du lac Meech. Ces hommes, ces femmes, ces Québécois sont conscients aussi des absences, je dirais, du peu d'envergure de ces contenus. Je dis et je réitère au premier ministre l'invitation suivante: M. Bourassa, puisque, vous l'avez dit vous-même en fin de semaine, cela va lier le Québec pour des qénérations et que l'Assemblée nationale du Québec ne pourra pas amender la résolution que vous vous engagerez, à Ottawa, à la conférence du 2 juin, à faire adopter si cela est vrai, si cela est le cas, alors vous devez présenter l'ensemble des textes aux parlementaires québécois, vous devez suspendre la réunion d'Ottawa, vous devez permettre un large débat sur le fond des choses. Une fois que nous saurons à quoi nous nous engagerons, alors, et alors seulement une fois que cela

sera fait, pourrons-nous considérer que ce n'est pas dans le secret, que ce n'est pas dans l'improvisation, que ce n'est pas dans le huis clos, que ce n'est pas en cachette que vous vous apprêtez à engager te Québec pour longtemps.

Les Québécois peuvent faire plus que ça. Le Québec mérite plus que ça; 25 ans de lutte à la recherche de pouvoirs plus grands pour notre Assemblée ne sauraient se solder par une vague clause d'interprétation même si elle devait contenir les mots "langue française". Une clause d'interprétation, ça ne donne pas de pouvoirs à l'Assemblée nationale. Une clause d'interprétation, ça donne les probabilités vagues ou lointaines d'obtenir peut-être, un jour, des juges de la Cour suprême des espaces un peu plus grands pour le Québec. Alors, pourquoi signer puisque de toute façon, en ce moment, la constitution canadienne s'applique sur le territoire québécois tous les jours? Celles et ceux qui disent qu'il faut que le Québec signe pour que la constitution s'applique chez nous se trompent. Elle s'applique tous les jours. L'intérêt, donc, pour le Québec de signer, c'est d'aller chercher un gros morceau qui ne bloque pas l'avenir. On ne saurait prétendre que la protection contre tes événements rares en matière d'amendements constitutionnels, que l'immigration qui traduit essentiellement une entente administrative existant déjà depuis dix ans et que le fait qu'à l'égard de la Cour suprême on consigne quelque chose qui est dans les lois depuis 100 ans, sauf, c'est vrai, la liste des personnes qui, dans des événements rares, seront appelées à occuper un poste à la Cour suprême, on ne saurait prétendre que ce résultat mince mérite que le Québec s'y déleste de son poids politique.

Le morceau serait "société distincte", qualifiée, alors que le premier ministre nous disait encore il y a quelques jours qu'il ne fallait pas le qualifier, ou le mot "français" quelque part ailleurs dans le texte, à côté de "multiculturalisme", un article 27 (a), par exemple; une limite au pouvoir de dépenser qui constitue en pratique une formalisation de l'intervention constante de l'État fédéral déjà dans l'ensemble des secteurs, alors qu'on n'a réclamé aucun pouvoir dans ces secteurs déjà envahis par l'État fédéral. Ce ne sont pas des gains, ce ne sont même pas de petits pas. Cela reste, essentiellement, pour des juristes fascinés par la Cour suprême, ce qu'il faut pour écrire peut-être une "footnote" dans un traité de droit constitutionnel.

Et je demande au premier ministre, puisqu'il prétend avoir un rapport de forces, puisqu'il ne saurait se présenter comme un homme qui ne se contentera que du possible temporaire, mais qu'il croit en la force du Québec, d'utiliser cette force non pas dans des clauses d'interprétation, mais dans des pouvoirs réels pour l'Assemblée du Québec. Car s'il ne va pas chercher des pouvoirs réels pour l'Assemblée nationale du Québec, il se contentera d'avoir agi pour le passé et dans la conjoncture et non pas d'avoir préparé l'avenir du Québec.

Je souhaite que le premier ministre fasse preuve de cette responsabilité et de ce courage qui lui permettraient d'engager sur une autre piste, sur une autre voie, ce qui est en train de se passer, car ce qui est en train de se passer avec l'ensemble canadien, c'est que vous êtes passé d'une entente historique à un malentendu du siècle, si vous n'allez pas au fond de la question des pouvoirs.

Puisque vous dites que vous avez le rapport de forces, allez au fond de la question des pouvoirs. Pour reprendre une expression d'outre-Outaouais, "that is where the beef is". Et le premier ministre le sait. C'est cela, la question fondamentale du Québec, le pouvoir québécois. Et il n'y en a pas dans ce que vous nous offrez. Prenez le temps aujourd'hui d'étudier cette proposition, à moins que vous ne l'ayez déjà fait. Faites suspendre la conférence du 2 juin, apportez les textes, faites-les discuter ouvertement devant tes parlementaires du Québec. Peut-être serez-vous plus forts d'un mandat réel, ou, au moins peut-être, le Canada anglais connaîtra-t-il les véritables enjeux qui ont été masqués jusqu'à maintenant. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition. Je vais maintenant reconnaître M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Je veux féliciter le chef de l'Opposition pour la sérénité de ses propos. J'espère bien que, d'ici la fin, nous pourrons, sur le même ton, discuter ouvertement, franchement et dans l'intérêt du Québec.

Il me permettra, avant d'aborder le fond de la question, de signaler certains propos qu'il a tenus hier et les jours récents et qui doivent être relevés, ne serait-ce que pour empêcher qu'ils ne puissent être répétés, car ces propos ne reflètent pas la véritable personnalité du chef de l'Opposition. Je fais allusion à ses attaques à l'endroit du premier ministre du Canada depuis quelques jours, attaques totalement injustifiées. Dire que le premier ministre serait prêt à vendre le Yukon pour quelques dollars ou quelques votes, je ne crois pas que ce soit une façon de considérer le rôle d'un premier ministre du Canada qui veut respecter un engagement qu'il a pris solennellement au cours de l'automne 1984. Donc, je crois qu'on ne peut pas blâmer un premier ministre de vouloir respecter un

engagement. Le chef de l'Opposition se souvient des propos très durs qu'il a eus vis-à-vis de l'un des prédécesseurs de M. Mulroney, M. Trudeau, en le blâmant sévèrement pour son attitude vis-à-vis du Québec. Voilà que, là, nous avons un premier ministre qui veut aider le Québec, qui prend un risque politique pour le Québec, et, encore là, le Parti québécois trouve le moyen de le critiquer sévèrement et injustement. J'ai cru hier qu'il était important de rétablir les faits.

Malheureusement, ce n'est pas la seule déclaration discutable du chef de l'Opposition. Je prenais connaissance d'une autre déclaration ce matin, où il s'en prenait à ceux qui ont contribué à la Révolution tranquille. Pour lui, ce sont des gens qui font preuve d'arrogance et de suffisance. Je ne comprends pas du tout le chef de l'Opposition de tirer comme cela dans toutes les directions. Il sait fort bien que, parmi ceux qui ont contribué à bâtir la Révolution tranquille, se trouvent plusieurs de ses anciens collègues. Je ne vois pas pourquoi il voit un intérêt politique quelconque à fustiger, comme il l'a fait, tous ces Québécois qui ont contribué à bâtir le Québec moderne. Sur ses autres propos, amendements de fond de tiroir, etc., je constate, si j'ai bien suivi le chef de l'Opposition, qu'il a un nouveau ton aujourd'hui. C'est pourquoi je l'en félicite. (16 h 45)

Globalement, M. le Président, on peut dire que la commission parlementaire a été une expérience très utile. Nous avons pu entendre des représentants de plusieurs dizaines de groupes et d'experts qui sont venus exposer leur point de vue sur une décision ou un document fondamental pour l'avenir du Québec. Je sais que le chef de l'Opposition m'a reproché d'être plutôt absent. Cela ne veut pas dire que je ne suivais pas les délibérations. Il est suffisamment conscient des responsabilités d'un chef de l'Exécutif dans notre système politique pour le deviner. Il a été, quand même, premier ministre durant quelques semaines. Il n'a pas eu à siéger ou il n'a pas pu siéger, pour être plus précis. Il doit, quand même, savoir que les responsabilités du chef de l'Exécutif dans une société comme le Québec sont assez exigeantes.

Même si la situation économique, la situation financière ou les relations de travail vont relativement bien ces mois-ci au Québec, il y a des exigences administratives très importantes. J'ai suivi les travaux dans toute la mesure du possible et j'ai trouvé que dans l'ensemble c'était particulièrement intéressant et utile. Utile pour le travail de négociation que nous faisons actuellement. Pour ce qui a trait aux textes juridiques, je devrai répondre au chef de l'Opposition ce que je lui ai dit il y a quelques jours. Nous nous étions engagés, dans toute la mesure du possible, si ça pouvait se faire, à soumettre les textes juridiques. J'ai discuté avec mes collaborateurs. Je profite de l'occasion pour rendre hommage non seulement au ministre et aux membres de la commission parlementaire qui ont fait un travail tout à fait exceptionnel, mais à tous nos collaborateurs de la haute fonction publique.

C'est très stimulant, M. le Président, pour un chef de gouvernement de voir des Québécois, quelles que soient leurs idées politiques, se serrer les coudes comme ils le font actuellement, travailler jour et nuit pour servir au mieux les intérêts du Québec. Les délibérations de la commission parlementaire ont permis, et à nous et à nos collaborateurs, de travailler plus efficacement aux négociations que nous devons faire actuellement.

On nous a souligné, et on a compris facilement, que l'efficacité des négociations pouvait être compromise si nous soumettions des textes juridiques qui ne sont pas définitifs, qui ne peuvent être définitifs pour l'instant. Quant aux textes communs qui peuvent circuler entre les différents gouvernements, nous ne pouvons pas, évidemment, les rendre publics sans la permission de nos partenaires. Il y a des rencontres qui se tiennent régulièrement ces jours-ci. Surtout, la troisième raison, c'est que je constate au fil des discussions que la bataille ou les négociations ou les discussions que nous continuons dans ce dossier ont pour but précisément de transformer en textes juridiques la substance des principes que nous avons convenus.

Il n'y aura pas de surprise pour les membres de l'Opposition, M. le Président. Il n'y aura pas de surprise dans les textes juridiques. Il pourra y avoir des clarifications, il pourra y avoir possiblement des clauses de sauvegarde, étant donné qu'on ne parle pas d'un principe, qu'on parle d'un texte constitutionnel, mais il n'y aura pas de surprise quant à la substance de l'entente que nous avons conclue.

Ce qui ressort de toutes ces discussions depuis trois semaines, c'est qu'il y a deux séries d'opposants. D'abord les partisans de l'isolement du Québec, chez ceux qui priment la crainte, la peur, le repli plutôt que la confiance dans l'avenir et la conquête par le Québec ou les Québécois dIl y a également, comme autre série d'opposants, ceux qui favorisent ou ont toujours favorisé la centralisation canadienne alors que, dans une période, comme on le dit ou comme on l'a répété très souvent, de forces économiques plutôt centripètes étant donné l'intégration économique, nous devons, au niveau social ou culturel, normalement et logiquement tenir compte de la justification d'avoir un mouvement de forces centrifuges. C'est pourquoi

nous n'acceptons pas les arguments, à cet égard, des partisans de la centralisation.

Les Québécois, y compris le chef de l'Opposition, probablement, auraient souhaité que nous puissions obtenir davantage. C'est normal. C'est logique. C'est une option qui se comprend. Dans toute négociation, on essaie d'obtenir davantage. J'entendais, durant la commission parlementaire, un chef syndical pour qui j'ai beaucoup d'estime, M. Louis Laberge, qui disait: Pourquoi ne pas continuer de négocier? Pourquoi ne pas essayer d'obtenir plus? Il faut tenir compte du rapport de forces; il faut tenir compte de la situation. La FTQ a tenu compte, durant la dernière négociation, de la loi 37 qui avait été établie par l'ancien gouvernement et qui interdisait la négociation pour la deuxième et la troisième année. Lorsqu'un syndicat obtient - même si on ne peut pas comparer, d'aucune façon, ce qui se passe dans le domaine constitutionnel et dans le domaine syndical, je me réfère à cet exemple puisqu'il a été soulevé par M. Laberge qui invoquait la pratique syndicale -toutes les demandes qu'il présente à son partenaire, je pense bien qu'il y a de bonnes chances qu'il accepte de signer.

Alors, j'admets qu'il aurait pu être souhaitable d'obtenir plus à la première ronde, mais nous avons obtenu ce que nous avons demandé. Nous avons été élus, je le répète, sur cinq demandes et c'est faux de dire que jamais le Québec n'a demandé si peu. Je comprends qu'un journaliste ait pu l'écrire, c'est l'un des meilleurs journalistes que je connaisse, M. Graham Fraser. Je comprends que, dans l'analyse d'un texte de journal l'on puisse faire ce genre de commentaire, comme il disait, ce matin, que, par exemple, j'aurais fait des confidences, jeudi soir dernier, au chef de l'Opposition; je ne m'en souviens pas.

M. Johnson (Anjou): Non.

M. Bourassa: Non. Pas jeudi soir dernier.

M. Johnson (Anjou): Pas jeudi soir dernier.

M. Bourassa: Donc, le même journaliste s'est trompé sur ce point. Ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est qu'on ne peut pas invoquer un propos, un commentaire d'un journaliste pour répéter constamment, comme le fait le chef de l'Opposition, que jamais nous n'avons demandé si peu. Je demande au chef de l'Opposition d'examiner les faits, ce que le Québec a demandé en 1964 et ce qu'il a demandé en 1971. J'étais là, je représentais le Québec, je ne me souviens pas qu'on ait demandé, dans le domaine de l'immigration, des pouvoirs aussi importants qu'on en demande ici. Je reviendrai sur la question de l'immigration. Oui, mais pour les pensions, pour la sécurité sociale, on a demandé également le pouvoir de dépenser, cette fois-ci.

En 1985, je comprends que le chef de l'Opposition - on me permettra d'expliciter un peu plus étant donné qu'il était en cause - a fait 23 demandes, mais il n'a jamais dit, alors qu'il était premier ministre ou ministre de la Justice, quelles demandes allaient pour la première ronde et lesquelles allaient pour la deuxième. Je me souviens très bien que le premier ministre, son prédécesseur, M. Lévesque, avait dit: II y a une condition préalable, la reconnaissance du peuple québécois dans le préambule ou dans un article de la constitution, ce n'était pas spécifié. Je me souviens de cela. M. le Président, je permettrai au chef de l'Opposition de me poser des questions tantôt; d'ailleurs, je préfère qu'on puisse dialoguer. Mais, je m'en souviens très bien, je pourrai citer au chef de l'Opposition la déclaration que le chef a faite. C'est, d'ailleurs, écrit dans le texte comme tel: La reconnaissance de l'existence du peuple québécois constitue un préalable essentiel, une condition.

Une voix: Oui, oui.

M. Bourassa: M. le Président, je dis au chef de l'Opposition que je ne mentionne pas que c'était uniquement dans le préambule; j'ai toujours dit que cela pouvait être dans le préambule ou dans la constitution; ce n'était pas mentionné si c'était dans l'un ou dans l'autre. Ce que je dis au chef de l'Opposition, c'est que le premier ministre du temps - je tiens à rétablir les faits durant quelques minutes - avait dit: Une condition essentielle, c'est cette reconnaissance du peuple québécois. On n'avait aucune indication, en 1985, sur les autres conditions qui auraient pu faire partie de la première ronde. J'aimerais bien, s'il reste quelques minutes de disponibles pour parler de l'histoire récente, entendre les propos du chef de l'Opposition là-dessus: aucune indication sur les conditions de la première ronde. Alors, il est temps de détruire ce mythe, constamment répété par le chef de l'Opposition, que jamais le Québec n'a demandé si peu. On n'a qu'à examiner les faits.

Les cinq points de la proposition du gouvernement du Québec. Ce matin, le Parti québécois, riche d'une forte caisse électorale, émet des messages à la radio. Messages du PQ sur les accords. On me permettra de le lire pour pouvoir le réfuter sans frais. Voici un message du Parti québécois: "Le premier ministre Robert Bourassa est pressé de siqner l'accord constitutionnel du lac Meech. Pourtant, cet accord ne donne au Québec aucune garantie quant à la protection de la langue française." On y reviendra. "Pourtant,

cet accord ne donne au Québec aucun pouvoir nouveau." Celle-là, c'est la meilleure. "Alors, pourquoi signer cet accord etc?"

M. le Président, on va profiter de cette occasion pour répondre sereinement et logiquement aux affirmations gratuites du chef de l'Opposition. L'immigration. J'ai insisté en fin de semaine sur la question de l'immigration. Je n'ai pas besoin d'expliciter longtemps. Quand on voit les taux de natalité qui ont été rendus publics: le Québec, 1,4 % - seule l'Allemagne fédérale qui a le record historique dans les taux de natalité les plus bas au monde, est plus basse que le Québec - le reste du Canada, 1,7 %, est-ce qu'on ne doit pas conclure sur le plan historique, sur le plan de notre responsabilité comme société, comme gouvernement et comme Parlement - l'Opposition fait partie du Parlement - à l'urgence, même pas à la nécessité, à l'urgence dramatique de récupérer le maximum de pouvoirs dans le domaine de l'immigration pour essayer d'enrayer cette chute de notre natalité qui met en cause l'existence de notre société? Une préoccupation existentielle du Québec. Je crois que, il y a deux ans, quand les militants du Parti libéral ont inscrit dans nos cinq demandes celle sur l'immigration, ils ont fait preuve à ce moment de beaucoup de vision en insistant, parmi 20, 30, 40 conditions, sur celle de l'immigration. Or, nous allons chercher des pouvoirs importants. Je pourrais citer Claude Morin qui admet lui-même, qui l'a admis ici, et M. René Lévesque. Le chef de l'Opposition l'a peut-être fait - je ne me souviens pas - lui-même, c'est possible. Il a ses moments de lucidité que j'apprécie toujours. On doit constater jusqu'à quel point c'est important dans le contexte actuel. C'est vrai qu'on a l'entente Cullen-Couture. Le chef de l'Opposition va dire: On l'a déjà en pratique, mais on va chercher des pouvoirs additionnels. Il y a une récupération de fonds. Ne vous imaginez pas que c'est facile, que c'est l'euphorie dans la bureaucratie fédérale. La récupération de fonds qu'on a, de services qu'on va donner dans le domaine de l'immigration: l'intégration, la formation, la sélection. Je voudrais insister particulièrement étant donné la situation dramatique qu'on a dans le domaine de la natalité sur cette question de l'immigration. Dire qu'on ne va chercher aucun pouvoir additionnel je dis tout simplement que la propagande du Parti québécois est un mensonge pur. Cela ne peut pas être plus clair.

Pouvoir de dépenser, M. le Président. Cela fait presque un siècle que le gouvernement fédéral utilise son pouvoir de dépenser. Un siècle que, à plusieurs reprises selon le rapport de forces existant entre les provinces et le gouvernement fédéral, on utilise ce pouvoir de dépenser. Il fallait trouver une façon de le limiter. Il fallait trouver une façon d'empêcher que ne se poursuive cette situation où on impose des normes et des critères de programmes nationaux qui ne sont pas toujours conformes aux priorités du Québec. Cela fait au moins des décennies, et particulièrement depuis 25 ans, que nous avons ces batailles pour la récupération du pouvoir de dépenser. (17 heures)

Nous avons obtenu un droit de retrait constitutionnalisé. Pour obtenir un droit de retrait constitutionnalisé, il fallait mentionner dans la constitution le pouvoir de dépenser. Nous ne pouvions pas obtenir ce droit de retrait sans mentionner l'existence du pouvoir de dépenser. Je voudrais dire à ce sujet, comme je le disais hier, que jamais aucun gouvernement n'a contesté ce pouvoir de dépenser devant les tribunaux. Le gouvernement qui nous a précédés a fait des batailles très serrées. Je me souviens des batailles du chef de l'Opposition dans le cas de C-3 sur la question des programmes de santé, mais jamais on n'est allé devant les tribunaux.

Donc, on devra admettre que ce n'est pas facile d'écrire un texte juridique sur le pouvoir de dépenser quand on n'a jamais eu de cause reliée à ce pouvoir portée devant les différents gouvernements. Il reste que ce pouvoir de dépenser, là aussi, on peut le relier à la question de la natalité. On sait qu'on parle beaucoup, depuis quelques mois, de programmes nationaux dans le cas de garderies, notamment, ou dans le cas d'autres programmes sociaux. Nous voulons obtenir cette flexibilité; c'est cela que nous avons obtenu et c'est ce que les textes juridiques devront exprimer. Nous ne voulons pas de normes et de critères; c'est cela que j'ai dit au lac Meech, c'est ce qui a été accepté et c'est ce qui devra se retrouver dans les textes juridiques pour qu'ils soient acceptés par l'ensemble des gouvernements qui ont accepté le principe.

Nous ne voulons pas nous retrouver, par des astuces juridiques qui ne sont pas toujours prévisibles, devant une situation où on pourrait utiliser certains termes généraux qui ont été acceptés au niveau des principes, mais qui, au niveau strictement juridique, peuvent être polyvalents. Nous ne voulons pas nous retrouver avec des astuces juridiques qui nous placeraient devant des normes et des critères pour empêcher le gouvernement du Québec d'avoir cette flexibilité dans les politiques familiales, par exemple, qui nous permettraient de relever le défi démographique. Tant dans l'immigration que dans le pouvoir de dépenser, nous pouvons retrouver là des outils indispensables, essentiels, vitaux pour faire face au défi le plus aigu de notre société pour la prochaine génération, le défi démographique. Nous avons quatre ou cinq

ans devant nous pour renverser cette tendance.

Troisième aspect, M. le Président, la société distincte. Je trouve que c'est très important, très conséquent. Le chef de l'Opposition dît: Ce n'est pas assez précis, c'est trop vague. C'est vrai que, à cet égard - je l'admets volontiers - il est un grand connaisseur, son idée d'affirmation nationale est un chef-d'oeuvre de précision. En passant, il n'en parle pas beaucoup, de cette affirmation nationale, depuis quelques semaines. Je dis au chef de l'Opposition que cette affirmation que le Québec est une société distincte avec le rôle de promouvoir et de protéger son caractère distinct, cela constitue un gain historique. Combien d'experts l'ont affirmé?

Je regardais l'émission intéressante de vendredi soir dernier. J'entendais M. Fortier, M. Beaudoin et d'autres mentionner l'importance... Yves Fortier, quand même, c'est un avocat qui a plaidé devant la Cour suprême, c'est un avocat de grande réputation, et combien d'autres. M. Daniel Turp qui, je crois, est l'élève de M. Jacques-Yvan Morin. Je n'ai pas l'intention de citer parce que c'est trop facile de citer hors contexte, mais celle-là, je crois que je ne pourrais pas y résister. Daniel Turp, qui accompagnait M. Jacques-Yvan Morin. Est-ce que je peux citer sa déclaration, M. le Président? Oui: "II faut savoir gré à l'actuel gouvernement du Québec d'avoir su convaincre ses partenaires de la Fédération canadienne de consacrer le caractère distinct du Québec dans la constitution du Canada et d'avoir ainsi réussi à faire reconnaître le droit à l'autodétermination du Québec". Voilà l'alter ego, le sosie intellectuel de M. Jacques-Yvan Morin qui arrive et qui dit à l'Assemblée nationale que la reconnaissance de la société distincte, selon lui - c'est un juriste éminent qui a été invité, je crois, et qui a travaillé pour le Parti québécois, qui a été consultant pour le Parti québécois dans cette commission parlementaire, en tout cas, son maître l'a fait - cela se trouve à faire reconnaître le droit à l'autodétermination du Québec. Je ne sais pas si le chef de l'Opposition va assister à l'assemblée de ce soir au Plateau, à Montréal, mais je lui suggère de citer cette déclaration de M. Turp, pour favoriser la sérénité du climat.

Ce que je dis... Je répondrai au chef de l'Opposition, j'ai réservé une période de questions et je souhaite vivement qu'il m'en pose. Pour ce qui a trait à la société distincte, nous avons examiné tous les avis juridiques qui nous ont été donnés de la part des doyens, des bâtonniers et ils concordent, pour la plupart, sur l'importance de cette disposition. C'est vrai qu'on ne récupère pas l'article 133, c'est vrai qu'on ne récupère pas la "clause Canada" sur le plan des pouvoirs législatifs du Québec, c'est vrai. Il y a des dispositions dans l'article 23.2 pour lesquelles le Parti libéral a déjà émis des réserves. Étant donné les possibilités d'échappatoire, on a fermement l'intention, à la deuxième ronde, de discuter de cette question. Mais il reste que nous obtenons un gain énorme. Nous n'obtenons pas tout, mais nous obtenons un gain énorme.

La clause "nonobstant", le chef de l'Opposition n'en parle plus. Il s'inquiète, il proclame son angoisse vis-à-vis de la question de l'affichaqe, mais la clause "nonobstant" demeure dans la constitution. On n'a qu'à se souvenir des propos de M. Mulroney et de M. Marcel Masse, au mois de décembre dernier, qui sont venus au Quéhec et qui ont dit: II ne faut pas qu'il y ait de recul linquistique au Québec. On se souvient des affirmations de M. Mulroney et de M. Masse à cet effet. Donc, dans la disposition de la société distincte, il est évident qu'on n'entame pas les pouvoirs du Québec pour nous protéqer dans des questions comme celle de l'affichage. Il me semble que c'est clair. L'article 33 demeure dans la constitution. C'est cela que je veux exprimer au chef de l'Opposition. Quand il dit que le concept est une coquille vide, il y en a d'autres qui disent: C'est une invitation au séparatisme. Lui, il prend l'autre extrême, un point de vue d'extrémiste, si je puis dire, au bon sens du terme, sur le plan idéologique.

Pour ce qui a trait à un amendement, ce que le chef de l'Opposition décrit généreusement comme des amendements de fond de tiroir, je lui dis, comme je l'ai dit, que, même si nous sommes convaincus que nous n'affaiblissons pas le Québec par la clause sur cette société distincte, on est prêt à examiner... En lisant le texte, on s'aperçoit que le Québec est mentionné: "L'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec la reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone - on parle d'un Canada francophone - concentré, mais non limité au Quéhec..." Donc, on parle dans la clause de la société distincte de la reconnaissance d'un Canada francophone concentré mais non limité au Québec. Donc, on en parle déjà, de la culture française. On est prêt à considérer un autre ajout, mais à une condition: en acceptant des représentations de gens très compétents dans leur secteur, on ne veut pas prendre le risque que, dans 15 ou 20 ans, les institutions économiques du Québec et son système social qui est distinct puissent être affectés parce qu'on aurait affaibli le caractère distinct de nos institutions économiques et sociales en spécifiant le secteur culturel. Je pense bien que le chef de l'Opposition me suit là-dessus. Des écrivains, des artistes, des politicoloques, des sociologues, des politiciens sont venus pour dire: II faut ajouter un élément sur la culture française, même s'il existe déjà dans

le texte, comme je l'ai mentionné. On me permettra, comme chef du gouvernement qui a à assumer dans cette question-là une énorme responsabilité historique, puisqu'on parle de textes constitutionnels, puisqu'on parie de textes juridiques, d'accorder une attention spéciale aux juristes, d'accorder une attention spéciale aux experts juridiques. Parce que nous aurions voulu satisfaire, dans une situation conjoncturelle, des personnalités québécoises de très bonne foi, mais non spécialisées dans ce secteur, il pourrait arriver en faisant cette concession que nous puissions affaiblir le Québec dans ses institutions économiques. Je pense, notamment, à la Caisse de dépôt qui est l'une des forces du Québec, la Caisse de dépôt qui, comme on le sait, M. le Président, a permis au Québec de relever le défi au plan économique. S'il y avait une cause éventuellement sur cette question-là, c'est un élément distinct du Québec, je ne voudrais pas que nos avocats soient affaiblis en disant: On parlait sur le plan culturel.

M. le Président, j'ai parlé plus longtemps que d'habitude. J'avais plusieurs autres choses à dire, mais je crois qu'il me reste encore quelques minutes dans l'autre demi-heure. Je vais, avec le plaisir habituel, laisser la parole à mon honorable ami, le chef de l'Opposition.

Le Président (M. Filion): Je redonne la parole à un membre de l'Opposition, M. le député de Gouin.

M. Jacques Rochefort

M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je soulignerais amicalement au premier ministre, qui semble vouloir ici jouer au maître de cérémonie, que ce serait peut-être plus utile qu'il joue au maître de cérémonie dans ses négociations avec ses collègues des autres provinces et du gouvernement fédéral.

M. le Président, l'objectif que visent et qu'ont toujours poursuivi l'ensemble des forces vives du Québec, dans ces relations fédérales-provinciales, dans ces négociations constitutionnelles que nous avons connues particulièrement au cours des trente dernières années, l'objectif poursuivi par tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur ou leur allégeance politique, cela a toujours été de faire en sorte que le Québec ait plus de pouvoirs qu'il en avait et qu'il en a toujours à l'intérieur du régime fédéral actuel, que le Québec ait plus de pouvoirs pour se développer, plus de pouvoirs pour progresser, plus de pouvoirs pour évoluer, plus de pouvoirs pour avancer; en somme, plus de pouvoirs pour réussir comme peuple distinct. Et, M. le Président, plus de pouvoirs pour réussir comme peuple distinct, cela prenait donc des pouvoirs distincts, des pouvoirs qui sont entre les mains des autres provinces canadiennes. C'est ce qui a été l'essence, c'est ce qui a été le fondement même de toute l'évolution qu'a connue le dossier constitutionnel au cours des trente dernières années au minimum, que ce soient les commissions d'enquête, les qroupes de travail, ces multiples conférences fédérales-provinciales. Même au référendum, le oui voulait tous les pouvoirs et le non voulait plus de pouvoirs. D'ailleurs, M. le Président, c'est l'ex-premier ministre fédéral, M. Trudeau, qui nous a dit qu'un non voudrait dire un oui massif à plus de pouvoirs pour le Québec. Et, aujourd'hui, on se retrouve avec l'entente du lac Meech qui est une sorte d'aboutissement à ces trente années de relations, de négociations, de débats constitutionnels Québec-Ottawa, Québec-Canada. On se retrouve avec absolument rien, rien de plus que ce que nous avions déjà, que ce qui était déjà dans notre lot de pouvoirs. On se retrouve avec rien de plus alors qu'effectivement, si on l'avait voulu, nous aurions pu obtenir plus parce que nous avons, cette fois-ci, un pouvoir de négociation, un rapport de forces pas très fort, pas très important, mais on en a un. C'est peut-être, d'ailleurs, le dernier que nous avons et on se retrouve dans une situation où on ne l'a même pas utilisé. Le premier ministre du Québec, effectivement, n'en a pas eu; il n'a pas demandé de nouveaux pouvoirs. Ce n'est pas surprenant que personne ne souhaite nous en donner, il n'en a pas demandé. (17 h 15)

Devant les demandes répétées des experts, des groupes, des individus qui se sont présentés ici ou qui ont participé aux débats dans notre société et qui demandent plus de pouvoirs, qui manifestent un intérêt pour que le gouvernement du Québec demande plus de pouvoirs, obtienne plus de pouvoirs, le premier ministre a trouvé une réponse passe-partout devant ça. Ah! ça, vous savez, vous avez bien raison, ça prend plus de pouvoirs, on va en discuter à la deuxième ronde. À l'écouter parler, chaque fois qu'il me parle de la deuxième ronde, j'ai l'impression que la deuxième ronde va durer sûrement plusieurs années. Mais, encore là comme c'est trop souvent le cas de la part du premier ministre, la deuxième ronde, pas dans ses discours, pas dans ses paroles qui sont de la nature des promesses électorales qu'il nous fait d'une élection à l'autre... Que nous dit le texte de l'accord du lac Meech sur cette deuxième ronde? Dans la deuxième ronde, on va discuter de réforme du Sénat. On sait bien que c'est pour faire plaisir à l'Ouest canadien. Deuxièmement, on va y parler des pêches. C'est pour faire plaisir aux qens des Maritimes. Troisièmement, toute autre question dont on aura convenu.

J'espère que le premier ministre - je le vois tenter d'amocer une réponse - n'essaiera

pas de nous dire que toute autre question dont on aura convenu, ça renfermera tous ces nouveaux pouvoirs dont il a parlé au cours de la commission. On sait bien que dans toutes les conférences fédérales-provinciales au niveau ministériel ou au niveau des premiers ministres, tout ce dont on aura convenu, c'est uniquement ce qui aura fait l'objet d'un accord unanime de la part de tous les membres pour en discuter. Et on sait qu'après avoir fermé le dossier comme le premier ministre tente de le faire actuellement il n'y aura pas d'accord. On ne conviendra pas au Canada de faire en sorte qu'on discute de ces pouvoirs... En ce sens-là, quand le premier ministre dit aux autochtones qu'on pourra discuter de leurs pouvoirs à l'occasion de cette deuxième ronde, quand le premier ministre et le ministre disent aux agriculteurs qu'on discutera de la répartition des pouvoirs dans le domaine de l'agriculture à la deuxième ronde, quand il dit aux représentants des centrales syndicales reliées au monde de l'éducation qu'on discutera des pouvoirs en éducation, des pouvoirs en communication lors de cette deuxième ronde, c'est tromper la population. Si le Québec veut obtenir plus de pouvoirs - et j'ai la conviction profonde que les Québécois n'accepteront un accord constitutionnel que dans la seule mesure où ils obtiendront plus de pouvoirs - c'est maintenant qu'il faut discuter, qu'il faut négocier, qu'il faut demander et obtenir plus de pouvoirs. Le Québec appuiera le premier ministre s'il s'en va dans cette négociation pour obtenir plus de pouvoirs parce que c'est ce que les Québécois ont toujours voulu et c'est ce qu'ils veulent aujourd'hui plus que jamais dans le passé. Plus parce qu'on est capable de plus et qu'on a besoin de plus pour réussir comme peuple. Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le député de Gouin.

La parole est toujours du côté de l'Opposition. M. le premier ministre.

M. Bourassa: Oui, d'accord. C'est juste parce que je voudrais suggérer au chef de l'Opposition, en tenant compte du temps, que s'il a des questions à me poser, parce qu'il a dit qu'il voulait me poser des questions, je ne voudrais pas que cela se termine sans qu'il me pose ses fameuses questions.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je vois venir le premier ministre qui, je comprends, devait être absent de nos travaux, mais peut-être que s'il avait été ici, ou, en tout cas, si les résumés qu'on lui en donne - ce qui est normal, il a des attachés politiques qui sont là pour ça - avaient été un peu mieux faits, il se serait peut-être rendu compte que j'ai posé un certain nombre de questions auxquelles son ministre a refusé de répondre et je ne voudrais pas qu'il prenne mon temps de parole pour y répondre. Je n'aurais pas d'objection à ce que, dans ses 25 dernières minutes, il... Je lui poserai un certain nombre de questions à la fin de mon exposé et je suis sûr qu'il prendra les 20 dernières minutes pour nous faire ça.

M. Bourassa: Qu'il prenne sur mon temps.

M. Johnson (Anjou): Oui, ça me fera plaisir plus tard.

M. Bourassa: Qu'il prenne des questions sur mon temps mais je veux qu'il me pose...

M. Johnson (Anjou): Oui, sûrement, mais je lui permettrai...

M. Bourassa: II passe son temps à dire: Je veux lui poser des questions. Qu'il les prenne à même mon temps.

Le Président (M. Filion): M. le premier ministre, nous sommes toujours à l'intérieur de l'enveloppe de l'Opposition. Je crois comprendre que vous offrez une partie de votre enveloppe...

M. Bourassa: Oui.

Une voix: On ferait l'échange de questions-réponses sur les 30 minutes qui nous restent.

Le Président (M. Filion): ...de temps qui commencera tantôt, lorsque t'enveloppe du temps de l'Opposition sera épuisée.

M. Bourassa: Bien, je veux dire...

M. Johnson (Anjou): On peut peut-être faire ça tout de suite. Si le premier ministre veut que je lui pose quelques questions tout de suite, sur son temps, c'est très gentil.

M. Bourassa: Oui. Il ne faudrait pas qu'il prenne quinze minutes pour les questions. Il ne faudrait pas qu'il prenne tout le temps pour les questions.

M. Johnson (Anjou): Ha! ha! ha! Seriez-vous en train de reculer, là?

M. Bourassa: Non, non, pas du tout. Je n'ai pas cette habitude qu'on retrouve ailleurs. Ce que je vous dis, c'est que, si le chef de l'Opposition, pour éviter mes réponses, prolonge indûment ses questions, je suis prêt à lui donner...

M. Johnson (Anjou): Non, non, non. Je promets au premier ministre que... S'il le veut, on peut prendre dix minutes.

M. Bourassa: Oui, le tiers de mon temps pour ses questions.

Le Président (M. Filion): Immédiatement?

M. Johnson (Anjou): Immédiatement? M. Bourassa: À son choix.

Le Président (M. Filion): Vous en convenez ensemble, les deux groupes.

M. Johnson (Anjou): J'en conviens tout de suite.

Le Président (M. Filion): D'accord. Donc, sur le temps du parti ministériel.

M. Johnson (Anjou): Le secrétariat, je présume, va mettre en marche son troisième chronomètre.

Bien oui, j'aurais des questions pour le premier ministre. La première question, c'est: Est-ce qu'il considère que le peuple québécois a le droit de s'autodéterminer?

M. Bourassa: M. le Président, une autre fois, le chef de l'Opposition fait un drame avec cette question. Je suis d'accord avec le ministre quand il n'a pas voulu répondre, parce qu'il suivait la procédure. Mais tous ceux qui ont participé au référendum en 1980, y compris le chef de l'Opposition - je crois que je devais avoir un débat avec lui et finalement il avait refusé, mais cela est du passé... Tous ceux qui ont participé au référendum se trouvent à admettre le droit à l'autodétermination.

Moi-même, j'ai participé au référendum contre Pierre Bourqault, contre Jacques Parizeau, contre Bernard Landry et contre beaucoup d'autres. Je ne vois pas pourquoi le chef de l'Opposition fait tout un plat. Lui-même a dit au mois de mai 1985 qu'il ne voulait pas inscrire - je lui donne la réponse qu'il a donnée à ceux qui lui posaient cette question...

M. Johnson (Anjou): Donc, il est d'accord.

M. Bourassa: Non. Laissez-moi répondrel Je comprends que cela commence à vous embêter quand je vous cite. Non, non. Laissez-moi vous répondrel Vous avez dit, vous-même, M. le chef de l'Opposition, quand on vous a posé cette question en mai 1985: Ce n'est pas nécessaire de le mettre dans les 23 demandes. Alors, je réponds exactement ce que vous avez dit. Vous avez dit: Ce n'est pas nécessaire de le mettre dans les 23 demandes. Il existe en fait, on l'a exprimé le 20 mai 1980. Je ne vois pas pourquoi le chef de l'Opposition fait tout un piat, quand tous ceux qui ont participé au référendum en 1980 se sont trouvés à admettre le droit du Québec à s'autodé-terminer, ce qu'a répondu le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Donc, le premier ministre me dit que, lui, comme premier ministre du Québec, comme chef du gouvernement, est d'accord avec l'affirmation que je fais que le droit à l'autodétermination du peuple québécois existe et qu'il n'est pas affecté par la signature d'une éventuelle résolution constitutionnelle avec l'ensemble canadien.

M. Bourassa: Je suis un peu estomaqué des questions du chef de l'Opposition, parce que je viens de lui citer M. Turp.

M. Johnson (Anjou): Je lui demande juste un oui ou un non. Mais est-ce que vous êtes d'accord avec cela? Ce que je demande au chef du gouvernement, c'est tout simplement si lui est d'accord.

M. Bourassa: Oui, mais le chef de l'Opposition peut-il me laisser répondre? Je lui ai cité M. Turp qui disait que la reconnaissance de la société distincte équivalait à cela. Ses propres conseillers le disent eux-mêmes. Ce que je dis, c'est que la question du chef de l'Opposition, il en fait un drame, c'est un faux débat. Étant donné qu'il y a... M. le Président, j'ai évidemment une déclaration du chef de l'Opposition ici à l'Assemblée nationale. M. Johnson a fait savoir que le Québec ne réclamera pas le droit à l'autodétermination. Selon lui, le Québec l'a déjà, ce droit. Il l'a exercé au moins à deux reprises, lors de son adhésion à la Confédération en 1867 et lors du référendum de mai 1980. Le droit du peuple québécois à l'autodétermination constitue un des fondements mêmes de notre société sur le plan constitutionnel depuis 200 ans et cela continuera. Il a dit lui-même que cela existe déjà, qu'on n'a pas besoin de l'inscrire. Est-ce qu'il a renié ses paroles?

M. Johnson (Anjou): Non. M. Bourassa: Ah! D'accord.

M. Johnson (Anjou): Je veux m'assurer que, dans la mesure où le premier ministre a eu la qentillesse de m'offrir ces dix minutes d'échange exceptionnel avec lui dans la vie de notre Parlement depuis deux ans, il réponde, car je pensais qu'il répondrait. Alors, lui dit oui, nous avons le droit à l'autodétermination, en tant que premier ministre.

M. Bourassa: Je réponds par...

M. Johnson (Anjou): Non, non. Je ne

vous demande pas de répondre par un article de journal. Je vous dis vous, comme premier ministre du Québec, comme chef de l'État québécois, au moment où le Québec s'apprête à aller signer, considérez-vous que le peuple québécois a le droit de s'autodéterrniner?

M. Bourassa: M. le Président...

M. Johnson (Anjou); Je le demande au chef du gouvernement.

M. Bourassa: ...je ne voudrais pas que le chef de l'Opposition continue à "farfiner" sur cette question. Je lui réponds exactement ce qu'il a lui-même répondu à cette question en janvier 1985.

M. Johnson (Anjou): Bon. Vous êtes d'accord avec moi, à savoir que le Québec a le droit de s'autodéterminer. Merci.

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition dit: On l'a exercé notre droit en 1867 et en 1980.

M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, est-ce que le premier ministre considère que, dans la deuxième ronde, les droits des autochtones, l'agriculture, l'éducation en fonction de l'article 93, les communications, le resserrement de l'article 23, les questions relatives à l'emploi ainsi que... Bien voilà! C'est déjà une partie de la liste. C'est parce qu'au cours de nos échanges son ministre a eu l'occasion de dialoguer avec chacun des groupes et, à chacun des groupes qui expliquait que le Québec avait besoin de régler un certain nombre de problèmes concrets, lui disait oui, cela va se faire dans la deuxième ronde.

Je voudrais demander au premier ministre de nous dire si, dans la deuxième ronde, les autochtones, l'agriculture, l'éducation, les communications, le resserrement de l'article 23, les questions d'emplois seront abordés.

M. Bourassa: Nous allons établir une priorité. J'ai dit que nous avons choisi cinq demandes qui nous paraissaient justifiées. Immigration, je l'ai mentionné, société distincte, pouvoir de dépenser. Je parlerai peut-être tantôt au cours des 20 minutes qui vont me rester de la récupération du droit de veto. Il fallait le récupérer le droit de veto. On l'avait perdu. Le chef de l'Opposition, dans sa publicité mensongère, effrontément mensongère pour la population du Québec - jamais on ne peut trouver un exemple aussi condamnable pour tromper la population, mentir à la population - alors qu'on récupère le droit de veto, dit qu'on ne va pas chercher de pouvoirs additionnels.

La question du Sénat. En 1981, on ne parlait pas d'avoir un droit de veto pour le

Sénat. Quand on sait que la réforme du Sénat peut chambarder le partage des pouvoirs dans le système fédéral! Ce que je dis au chef de l'Opposition, forcément, si on change les pouvoirs du Sénat, M. le Président, on se trouve à changer les pouvoirs de la Chambre des communes. Vous n'avez pas vu cela. Cela ne m'étonne pas. Ce que je dis, c'est que la récupération du droit de veto, la Cour suprême, la société distincte, le pouvoir de dépenser, l'immigration, c'étaient nos cinq priorités. Pour la deuxième ronde, nous allons examiner les priorités. Je crois que la question de la langue - je parlais de 23.2, il y a quelques minutes - sera une priorité dans la deuxième ronde. On ne perd pas notre rapport de forces parce qu'on réintègre le Canada. Tantôt le député de Gouin, et cela m'étonne dans son affirmation, probablement qu'il n'a peut-être pas saisi toutes les implications de ce qu'il disait, a dit: C'est la dernière fois. On n'en aura plus. Si on n'en aura plus, c'est le temps de saisir l'occasion pour avoir les meilleurs avantages possible.

Je dis au chef de l'Opposition que, dans la deuxième ronde, nous allons examiner nos priorités. Dans le domaine économique, toutes les demandes qui ont été faites par le chef de l'Opposition, alors qu'il était premier ministre, sans qu'il nous spécifie, lui, ce qui faisait partie de la première et la deuxième ronde... C'est facile pour lui de nous demander aujourd'hui: Qu'est-ce qui fait partie de la deuxième ronde? Qu'est-ce qui fait partie de la première ronde? Nous, on le dit pour la première ronde. Vous, vous ne l'avez pas dit. C'est 23, et débrouillez-vous avec cela pour ce qui est avant et ce qui est après. Alors, je dis au chef de l'Opposition que, dans l'état actuel du dossier, nous allons examiner les priorités, mais que la question de la langue sera sûrement prioritaire.

M. Johnson (Anjou): Oui, mais les autochtones.

M. Bourassa: Bien, quant aux autochtones, nous avons été présents, sauf par le chef du gouvernement, à cette conférence constitutionnelle. Nous serons prêts, si le Québec réintègre la constitution, et ce sera le cas avec la confirmation de l'entente de principe, à discuter de nouveau avec nos partenaires canadiens pour réexaminer la question des autochtones.

M. Johnson (Anjou): Alors pourquoi le premier ministre a-t-il déclaré ce qui suit? II n'y a pas de doute que les droits et les questions qui vous intéressent - parlant aux autochtones - seront également discutés de même que les autres questions dont on a traité pour la deuxième ronde constitutionnelle au lac Meech. Je crois comprendre que

le premier ministre a donné son engagement à ce que, pendant la deuxième ronde, on discute des droits des autochtones.

M. Bourassa: II n'y a rien de contradictoire.

M. Johnson (Anjou): Ah! bon. D'accord. C'est parce que cela ne figure pas dans l'accord du lac Meech.

M. Bourassa: Pour les autochtones, non, parce que, M. le Président, il faut dire au chef de l'Opposition que, s'il avait fallu... Il y avait deux priorités, on réglait le problème du Québec. Il y avait une priorité pour l'Ouest du Canada, la réforme du Sénat. Ils insistaient beaucoup sur cette question. Il y avait une priorité pour l'Est du Canada, la question des pêcheries. Dans la deuxième ronde, je vous dis que nous sommes prêts. Nous aurons nos priorités. Il y aura la question des autochtones, si nos partenaires sont prêts à prendre ce dossier. Il y aura la question de la main-d'oeuvre, qui est une question très importante.

Mais je vous dis qu'actuellement le gouvernement du Québec a comme priorité, dans cette deuxième ronde, la question linguistique, la question de 23.2, par exemple.

M. Johnson (Anjou): Bien, alors si je comprends bien, pour être dans la deuxième ronde, il faut, d'une part, passer le premier tamis: Oui, ça va être dans la deuxième ronde. Disons que cela s'applique pour n'importe quoi qui n'est pas dans Meech. On se comprend bien. Deuxièmement, cela fait partie des priorités. Si je comprends bien, 23.2 fait partie des priorités, mais les autochtones ont-ils le privilège de 23.2 aussi ou...?

M. Bourassa: M. le Président, nous...

M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas sûr. (17 h 30)

M. Bourassa: ...avons dans la première ronde - j'essaie d'être clair, je comprends que c'est la fin de la journée - cinq demandes. On n'a pas dit que, dans la deuxième ronde, on n'en avait qu'une. On va régler la première ronde. D'ailleurs, je m'étonne, le chef de l'Opposition, il faut qu'il soit à court de questions. Je l'entendais à ta télévision faire de grandes déclamations grandiloquentes et là il passe son temps à me parler de la deuxième ronde, comme si la première ronde était régléel Je lui dis: On va traverser la première ronde et, après cela, on discutera de la deuxième ronde.

M. Johnson (Anjou): Je ferai remarquer au premier ministre qu'on est rendu à peu près à dix minutes de son temps qu'on a pris; est-ce qu'il veut continuer? Je n'ai pas d'objection, je comprends...

M. Bourassa: Rien, on va donner un peu de répit au chef de l'Opposition.

Des voix: Oh!

M. Johnson (Anjou): Je reviendrai et avec plaisir à part cela.

M. Bourassa: C'est parce qu'il est rendu à la deuxième ronde.

M. Rochefort: M. le Président, quant à nous, il y a consentement pour poursuivre, toujours sur le temps du premier ministre, les échanges entre le chef de l'Opposition et le premier ministre.

M. Bourassa: M. le Président, je crois...

M. Rochefort: Je sais que le premier ministre est un homme ouvert, courageux.

M. Bourassa: M. le Président, je crois que j'ai fait preuve d'un geste qui n'est pas fréquent en donnant au chef de l'Opposition dix minutes de mon temps dans un débat très important afin de lui permettre de me poser ses fameuses questions dont il parle constamment quand je ne suis pas là.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Alors...

M. Bourassa: Alors, je veux garder quelques minutes pour conclure.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Veut-il... On va prendre peut-être cinq minutes du mien, s'il veut bien - on va partir le sixième chronomètre ici en arrière, s'il consent.

M. Bourassa: Certainement, si c'est... Je ne peux pas refuser...

M. Johnson (Anjou): Bon!

M. Bourassa: ...un tel cadeau du chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): À condition qu'il promette de me répondre - cela est peut-être plus difficile dans ces conditions, par exemple. Mes questions s'adressent au premier ministre et elles touchent précisément...

M. Bourassa: La première ronde.

M. Johnson (Anjou): ...ce dans quoi on est en ce moment.

M. Bourassa: La première ronde.

M. Johnson (Anjou): Alors, ce que je vous demande, c'est de faire suspendre le 2

juin.

M. Bourassa: Pardon?

M. Johnson (Anjou): Ce que je vous demande, c'est de faire suspendre le 2 juin. Pourquoi? Parce que vous avez vous-même déclaré qu'une fois que la résolution constitutionnelle va être signée, qui enclenche le processus d'adoption par tous les Parlements du Canada... N'avez-vous pas dit que ce n'était plus amendable par l'Assemblée nationale? Et, dans la mesure où ce n'est plus amendable par l'Assemblée nationale, est-ce que vous ne pensez pas que, plutôt que de vous rendre à Ottawa signer le papier, après cela revenir et dire "c'est cela ou rien", vous ne devriez pas plutôt le soumettre à un débat public, ouvert, éclairé, honnête et prendre le temps qu'il faut? Si l'entente est si solide, cela peut tenir le temps un peu. Est-ce que vous ne pensez pas que vous devriez soumettre les textes plutôt que cette précipitation d'arriver à Ottawa, de signer le contrat de vente et que nous soyons pris pour payer l'hypothèque? J'aimerais cela voir le contrat de vente.

M. Bourassa: Alors, je suis heureux de constater que le chef de l'Opposition revient à la première ronde et je suis heureux de répondre à sa question.

Je n'ai pas dit en fin de semaine... Je ne peux pas dire que la loi ne sera pas amendable; le chef de l'Opposition a été ministre de la Justice, il a dix ans d'expérience, on n'est pas dans une dictature, c'est une démocratie parlementaire. Il y aura donc une résolution ou un projet de loi, possiblement un projet de loi, qui sera adopté; et on suivra la même procédure que pour les autres projets de loi. Je voudrais que le chef de l'Opposition m'écoute sur cette réponse...

M, Johnson (Anjou): J'écoute attentivement.

M. Bourassa: D'accord.

M. Johnson (Anjou): J'écoute attentivement.

M. Bourassa: Si...

M. Johnson (Anjou): Cela m'arrive de pouvoir faire deux...

M. Bourassa: ...les textes juridiques -ce pourquoi nous négocions actuellement -représentent l'entente de principe à laquelle j'ai contribué avec l'accord de mes collègues, des membres du caucus et de la totalité des militants du Parti libéral au conseil général de fin de semaine - dans un climat d'unité que je souhaite au chef de l'Opposition - si ceux-ci confirment l'entente, il est peu vraisemblable que des amendements soient acceptés, parce que cela confirme l'entente. Si ce n'est pas le cas, à ce moment-là, comme je l'ai dit, on suivra la procédure habituelle et on prendra nos responsabilités par rapport à l'Opposition et à nos partenaires.

Mais, ce que nous faisons actuellement, c'est de vouloir représenter dans des textes juridiques - c'est pourquoi on ne les a pas... Comme j'aimerais pouvoir les offrir au chef de l'Opposition et avoir cette discussion sereine et utile et, tout compte fait, plutôt détendue sur cette question. Mais si nous discutons, aujourd'hui encore, durant des dizaines et des dizaines d'heures... De hauts fonctionnaires du Québec font actuellement un travail extraordinaire pour servir les intérêts du Québec. S'ils poursuivent ces négociations, c'est que nous voulons transposer dans des textes juridiques l'entente. À ce moment-là, on va la voter. Je ne sais pas si je réponds à la question du chef de l'Opposition. Les réunions...

M. Johnson (Anjou): C'est-à-dire que vous ne répondez pas à mon attente, c'est évident. Moi, je vous dis: Écoutez, avant d'aller mettre votre griffe sur cela face à dix autres premiers ministres et avant d'être pris avec un texte qui va arriver devant l'Assemblée nationale et, à toutes fins utiles, qui va être adopté par votre majorité, vous ne trouvez pas que vous devriez apporter le texte avant d'aller vous engager face à tous les autres premiers ministres du Canada et dire: C'est cela? Vous ne trouvez pas que vous devriez venir au Québec avant?

M. Bourassa: Oui, mais ce que je dis au chef de l'Opposition - je comprends sa question et il doit la poser - c'est que les textes...

M. Johnson (Anjou): Et vous devez y répondre.

M. Bourassa: Oui. Je viens de lui répondre. On regarde le texte. C'est un texte tout de même qui, sans être juridique... Il ne peut pas l'être, c'est pour cela qu'on veut clarifier des points dans le texte sur la société distincte et le texte sur le pouvoir de dépenser. On a écouté les représentations de la commission parlementaire. J'ai dit l'objectif du pouvoir de dépenser. Maintenant on veut être sûr de ne pas avoir une mauvaise surprise par une interprétation d'un jugement de la Cour suprême dans deux, trois ou quatre ans. Je pense que sur cela il y a total consensus entre l'Opposition et le gouvernement. On veut avoir les textes les plus étanches possible. Mais je lui ai dit que si ces textes - et la bataille qu'on fait c'est probablement la bataille qu'il ferait s'il était

à ma place - représentent la substance et les principes qu'on a décidés, bien, je me dis: Pourquoi dire au chef de l'Opposition qu'on va les amender?

M. Johnson (Anjou): Bon, merci. Je pense, M. le Président, que vous voulez prendre la parole et on peut, je pense, vous laisser...

Le Président (M. Filion): Non...

M. Bourassa: Est-ce qu'il me reste quelques minutes?

Le Président (M. Filion): Non...

M. Johnson (Anjou): Non, ensuite il y aura vous et ensuite il y a moi et ensuite...

M. Bourassa: D'accord.

Le Président (M. Filion): Bref, résumons. Il reste un peu moins d'une vingtaine...

M. Johnson (Anjou): Parce que c'est comme cela que ça fonctionne ici. On est ici depuis deux semaines, vous comprenez!

Le Président (M. Filion): II reste un peu moins de 20 minutes sur votre enveloppe du côté ministériel, M. le premier ministre, et 19 minutes ou quelque chose de semblable, un peu moins de 20 minutes également du côté de l'Opposition.

Le Président

Donc, aux membres de cette commission, en terminant ces longs travaux de consultations particulières, je voudrais relever certaines choses. Je suis d'autant plus heureux que M. le premier ministre soit avec nous parce que j'avais plusieurs questions à lui poser. Premièrement, en ce qui concerne le mandat. Quel mandat considère-t-il avoir obtenu de la population du Québec pour agir de la façon dont il l'a fait et enqager notre avenir? Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes a dit à quelques reprises au début de la commission: Vous savez, on en a parlé pendant les élections, mais heureusement j'ai remarqué que dans la dernière semaine il ne le disait plus. Pendant la campagne électorale dans mon comté, M. le premier ministre, ce dont on parlait c'était plutôt la parité de l'aide sociale, les rentes pour les femmes au foyer et la médecine de guerre dans les hôpitaux. On n'a pas beaucoup entendu parler des cinq conditions. Je ne dis pas que cela n'a jamais été mentionné-Une voix: Et vous avez été élu. Le Président (M. Filion): Force est, M. le premier ministre, je pense, de reconnaître, pour n'importe quel esprit objectif, que la population n'est pas dans le coup en ce qui concerne l'accord du lac Meech. Ceci nous a été dit de plusieurs façons par une bonne majorité d'intervenants.

Deuxièmement, évidemment, en ce qui concerne les textes juridiques, je pense que le chef de l'Opposition a couvert amplement cette contrainte qui a marqué les travaux de la commission en ce sens que nous n'avions pas de texte juridique. Étant donné les bons mots que vous avez eus à l'éqard du caractère extrêmement profitable de cette commission parlementaire, étant donné également les bons mots que le ministre a eus à l'égard de cette commission en ce sens que cela a été de bon conseil, etc., j'aimerais vous suggérer, dans la même lignée que le chef de l'Opposition, si la commission parlementaire vous a véritablement apporté ces bons conseils, ce bon éclairage, de tenir semblable commission parlementaire avec les textes juridiques. Non pas seulement pour nous, mais pour les intervenants qui ont dû préparer des mémoires à la hâte, en toute précipitation et sans même avoir le texte juridique même. Moi, en première année de droit, j'ai appris que chaque mot était important en droit. Mon cours accéléré de droit constitutionnel depuis un mois me fait dire qu'en droit constitutionnel, sans être un expert dans cela, je pense c'est d'autant plus vrai.

M. le premier ministre, nous avons entendu 20 organismes et 17 individus durant cette commission. À cause de contraintes de temps fixées par l'ordre de l'Assemblée nationale, nous avons dû refuser une quarantaine de groupes ou d'organismes qui auraient aimé être entendus et une dizaine de personnes également qui auraient aimé être entendues. Quant au choix des personnes et des groupes, je ne voudrais surtout pas ici porter de jugement de valeur sur les personnes qui sont venues devant nous; les exemples que je donne sont strictement pour faire comprendre que ce choix arbitraire qui a été exercé a été pénible, en tout cas, vu de la présidence. Pourquoi entendre Me Yves Fortier - ce qui fut très intéressant - mais ne pas entendre M. François-Albert Angers? Pourquoi entendre l'Institut politique de Trois-Rivières, mais ne pas entendre la Fédération des associations de professeurs de l'Université du Québec? Ce sont là des vices au niveau du processus, au niveau de la procédure qui sont peut-être explicables politiquement, mais qui sont sûrement injustifiables compte tenu de l'importance du dossier, compte tenu des conséquences non seulement pour notre génération, mais les générations à venir.

Quelques mots sur le fond - et je demande à la secrétaire de m'aviser lorsqu'il me restera une minute - d'abord, je pense

qu'il est clair qu'il ressort de la commission, premièrement, qu'il n'existe aucune garantie quant à la protection linguistique des lois québécoises; deuxièmement, aucun nouveau pouvoir supplémentaire, aucune récupération de nouveaux pouvoirs au sens de demandes traditionnelles et historiques du Québec; troisièmement, dans sa facture actuelle, le pouvoir de dépenser constitue un assujettissement net du Québec aux objectifs d'Ottawa et, quatrièmement, en ce qui concerne la clause de la société distincte, une étiquette sur une bouteille vide, on le sait, mais pourquoi confier tout cela à la Cour suprême en lui demandant de définir ce que nous sommes, en quoi nous sommes distincts?

M. le premier ministre, votre gouvernement voudrait que la population du Québec chante Ô Canada dans l'honneur et l'enthousiasme, pour employer l'expression du premier ministre fédéral, Ô Canada, terre de nos aïeux, moi je veux bien, mais qu'est-ce qu'il y a là-dedans pour nos enfants? Ce n'est sûrement pas parce que nous avons obtenu quelques pouvoirs au niveau de la nomination des juges à la Cour suprême, ce n'est certainement pas parce que nous confirmons, en termes d'immigration, ce qui existe déjà depuis dix ans, ce n'est certainement pas, bien que ce soit un actif - je l'admets - le droit de veto, mais c'est un bien maigre repas. On peut dire Ô Canada, terre de nos aïeux, je veux bien, mais nos enfants, M. le premier ministre, n'y trouvent rien en termes de récupération de pouvoirs pour permettre au Québec de se développer culturellement, économiquement et socialement.

La parole est maintenant à M. le chef de l'Opposition.

M. Bourassa: M. le Président, est-ce que je peux répondre à ces questions?

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je n'ai pas d'objection, je vais terminer mon exposé et le premier ministre pourra prendre le reste du temps, il n'y a aucun problème.

M. Bourassa: Je m'excuse auprès du chef de l'Opposition, je dois me rendre à Gaspé - il le sait - et je voudrais savoir combien de temps il va parler.

M. Johnson (Anjou): Je vais prendre dix minutes.

M. Bourassa: D'accord.

M. Johnson (Anjou): II n'y a pas de problème, je sais que le premier ministre doit se rendre à Gaspé.

M. Pierre Marc Johnson

Quelques brefs commentaires à partir des propos du premier ministre. D'abord, il qualifie les propos de Léon Dion de propos extrémistes.

M. Bourassa: Je m'excuse, question de règlement, M. le Président. Je n'ai pas dit que les propos de Léon Dion... Au contraire, j'ai dit que...

M. Johnson (Anjou): Je n'ai jamais dit que la reconnaissance du peuple québécois devait être dans le préambule de la constitution, ce que le premier ministre a passé son temps à répéter pendant trois semaines ainsi que son ministre ici même.

M. Bourassa: Non, c'est faux. M. Johnson (Anjou): Bon.

M. Bourassa: J'ai dit dans l'un ou dans l'autre.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le premier ministre me permet dix minutes? Je lui promets que je vais l'écouter pendant dix minutes.

M. Bourassa: Mais, M. le Président, je m'excuse...

M. Johnson (Anjou): Ce qui n'est pas porter un jugement sur ce que je pense.

M. Bourassa: Le chef de l'Opposition déforme constamment mes propos - je pourrais donner une dizaine d'exemples - et déforme les faits. Quand il ne déforme pas ies faits, il peut parler en toute liberté et en toute sérénité.

M. Johnson (Anjou): Alors, M. le Président, rapidement, sur quelques autres propos du premier ministre. C'est la seconde fois que j'entends M. Bourassa se réclamer des propos de René Lévesque et je lui dirais que je suis sûr qu'il va avoir un déjeuner intéressant, demain à midi, à Percé ou à Gaspé, parce que, à ma connaissance, M. Lévesque, qui avait exprimé un certain intérêt pour la question des pouvoirs en matière d'immigration, croit que d'aucune façon cet accord ne correspond aux besoins essentiels du Québec et j'ai l'impression qu'il va le lui répéter demain à midi dans une conversation privée. (17 h 45)

Quant à la clause "nonobstant", je trouve paradoxal que ce qouvernement qui m'a fait le reproche, qui a fait le reproche à l'Opposition, qui a fait le reproche à un gouvernement pendant cinq ans d'avoir utilisé la clause "nonobstant" soit en train de dire: Voilà la qrande bouée de sauvetaqe pour le Québec en matière linguistique. J'ai entendu le ministre nous dire à cette Assemblée

pendant des mois: II n'y a pas deux sortes de Canadiens et nous sommes tous égaux, puis en veux-tu, en v'là, pendant des mois. Chaque fois qu'on parlait de "nonobstant", il expliquait qu'on faisait du chantage sur le dos du peuple et là il est en train de nous dire: Ce qui va sauver le Québec en matière de droits linguistiques, c'est la clause "nonobstant". Quelle cohérencel Quelle perspective! Quelle profondeur d'analysel Quelle soliditél Cela devait être cela, l'expression "C'est du solide". Je trouve cela quand même un peu étonnant, alors qu'on a qualifié l'utilisation du "nonobstant" comme étant négocier sur le dos du monde. J'ai entendu le ministre dire cela de façon outragée, pour ne pas dire outrancière.

J'en arrive à la conclusion, normalement, que le premier ministre, en matière d'affichage, par exemple, va faire appeler et faire adopter le projet de loi 199 que j'ai déposé, qui prévoit l'application de la clause "nonobstant" à l'égard de l'ensemble des dispositions de la loi 101 qui peuvent être affectées par un jugement. Je me dis qu'il pourrait peut-être changer d'idée dans quelques mois. Quant au ministre, en tout cas, cela, c'est sûr; quant au premier ministre, ce n'est pas impossible.

Vous me reprochez d'avoir passé des commentaires sur les gens de la Révolution tranquille. Je vais vous dire le fond des choses là-dessus, comment je le vois, comment je le ressens. Vous faites partie, avec plusieurs autres au Québec, d'une génération qui a fait la Révolution tranquille. Vous y avez vous-même participé dans vos travaux à la commission politique du Parti libéral alors que vous étiez un jeune avocat. Vous n'avez pas été seul. Il y a bien des gens d'à peu près tous les horizons politiques qui ont 50 ans aujourd'hui ou qui approchent de la soixantaine qui ont participé à ces moments extraordinaires de développement dans la vie du Québec. Moi, je considère que ma génération en a plutôt bénéficié. On ne peut pas prétendre l'avoir fait, sauf ceux d'entre nous qui auraient été attachés politiques à l'âge de 20 ans. C'est arrivé dans quelques cas. Là, il y a eu le référendum. Certains diront: C'était la mauvaise question. Chose certaine, la réponse était là. Après cela, il y a eu le rapatriement. Le rapatriement, ce n'est pas neutre, ça, dans l'histoire du peuple québécois. C'est d'abord et avant tout la conséquence du référendum. C'est aussi un plan bien établi par les forces centralisatrices canadiennes avec, à leur tête, Pierre Elliott Trudeau, mais d'autres gens et bien du monde aujourd'hui qui sont dans l'appareil fédéral qui ont travaillé sur les textes constitutionnels, Me Tellier et plusieurs autres, qui étaient là, dans le comité du non et dans le comité de l'unité canadienne, dans les subventions et dans la propagande fédérale pendant la campagne référendaire, et tout cela. Mais le rapatriement, fondamentalement, cela a été une forme de diminution du Québec. D'abord, son humiliation, le non-respect de la parole donnée du premier ministre du Canada à l'égard de l'électorat québécois, le non-respect de leur parole de huit premiers ministres dont sept premiers ministres provinciaux, les procureurs qénéraux, et puis l'affaiblissement du Québec, l'affaiblissement en matière linguistique. Or, je me dis: Vous allez aller signer là; il faut bien se comprendre. Ce ne sont pas les accords du lac Meech que vous allez signer. Ce que vous voulez aller signer la semaine prochaine, à Ottawa, c'est le "Canada Bill" de 1982. On se comprend bien. En siqnant le "Canada Bill" ou l'acte constitutionnel de 1982, comme on voudra, vous acceptez ce qui s'est passé là. Je dis qu'il y a un contexte où cela pourrait être concevable que vous acceptiez cet affront qui a été fait dans la mesure où le Québec va chercher quelque chose, mais vous n'allez pas réparer le quart de la moitié de la fraude, notamment, parce que, dans le secteur linguistique, vous admettez l'intrusion de la constitution canadienne dans le domaine de l'éducation sur notre territoire et, deuxièmement, parce que vous ne faites pas en sorte que nos lois linguistiques soient à l'abri de l'ensemble des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada qui s'appelle la partie de la charte canadienne, dont l'article 2 sur la liberté d'expression, l'article 6 sur la liberté d'établissement, l'article 15 sur le droit à l'égalité, l'article 23 en éducation et l'article 27 en matière de multiculturalisme. Tout cela va continuer d'être dans la constitution et ce sera plaidé régulièrement contre la loi 101, et puis votre société distincte "nonobstante" et peut-être parlant français, selon vos propos et les fonctionnaires de jeudi prochain, il n'y a rien qui nous garantit que cela va protéqer le français et la langue française. Et, surtout, aucun pouvoir additionnel pour le Québec dans les autres secteurs ou dans d'autres secteurs.

On veut bien nous parler de la deuxième ronde, et le premier ministre essaie un peu de tourner en dérision le fait qu'on lui pose des questions sur la deuxième ronde, je vais lui dire: Ce n'est pas moi qui l'ai inventée la deuxième ronde; c'est vous qui l'avez inventée au lac Meech.

M. Bourassa: On va régler la première.

M. Johnson (Anjou): Oui, oui. Dans la deuxième ronde, vous avez marqué "le Sénat". Je vais vous dire qu'on va s'en payer des joies avec cela. Vous avez marqué "le rôle et les responsabilités en matière de pêches". Là, vous avez mis la clause "fourre-

tout". Je la connais bien cette clause-là. J'ai été dix ans ministre. J'en ai fait des conférences fédérales-provinciales. Tu marques toujours cela à la fin de tous les ordres du jour: "et toute autre question que les parties voudront bien". Le premier ministre est en train de prétendre que la deuxième ronde, s'il réussit celle-ci, cela va inclure les autochtones, l'agriculture, l'éducation, les communications. Voyons donc! Ce n'est pas de même que cela marche, et le premier ministre le sait très bien. II le sait très bien. Je veux bien croire qu'il m'accuse de tordre les faits, mais il y a quand même des limites. On n'est pas des enfants d'école, on a vu neiger un petit peu. Je comprends qu'on n'était pas là en 1970, mais on a été là quelques années, quand même!

Ce que je vous dis, à votre génération de la Révolution tranquille qui avez connu ces moments extraordinaires dans notre vie collective, qui avez été témoins ou participants de l'émergence, non pas seulement d'un nationalisme culturel, mais du nationalisme conquérant de son espace avec un projet politique et, aussi, de plus en plus, des préoccupations de nature économique, je vous dis que vous n'avez pas le droit, parce que vous avez vu le résultat du rapatriement comme conséquence du référendum, de nous dire: Le Québec, ça appartient à notre génération, ça, et on va fermer le couvercle là-dessus, et cela va s'appeler les cinq conditions minimales. Vous n'avez pas le droit de faire ça. Le Québec ne vous appartient pas. Le Québec appartient aussi à ceux qui viennent. Il appartient à cette génération que je vois, moi, qui a 20 ans et qui est consciente du phénomène de la dénatalité. Il appartient à cette ouverture des jeunes Montréalais qui vivent ce qu'est le Québec pluriethnique dans le concret, mais qui vivent avec fierté, cependant, et avec engagement. Le progrès du Québec, ça va se faire en français, et il faut qu'on se donne des moyens pour que ça se fasse en français. On ne saurait se contenter des éventuelles interprétations possibles peut-être d'une Cour suprême dont la démonstration historique n'a pas été qu'elle nous favorisait de façon systématique.

L'avenir, c'est l'environnement. L'avenir, c'est, oui, des politiques familiales mais avec des moyens, bon Dieu! Les allocations familiales, c'est le fédéral qui les contrôle. Vous allez me dire que c'est dans la deuxième ronde, ça aussi? Voyons donc! Voyons donc!

L'avenir, c'est contrôler nos politiques de main-d'oeuvre comme société, parce qu'on est sur le bord du libre-échange, parce que ça va modifier profondément la vie des travailleurs et des entreprises, et que ça va nous prendre des moyens, comme société, pour faire face à ces défis. On ne les a pas les moyens. Ce n'est pas dans la "société distincte" et un vague jugement de la Cour d'appel ou de la Cour suprême dans cinq ans, sur un élément des règlements de main-d'oeuvre que ça veut dire qu'on va faire le Québec, ça, qui va faire face à ses défis.

M. Bourassa: C'est dans l'affirmation nationale.

M. Johnson (Anjou): Ce que je dis au premier, ministre c'est que son train va un peu vite. Un peu vite, merci! Mais il y a bien des passagers dans le train. Et, ces passagers, je vais vous dire, pour moi, il y en a beaucoup qui sont jeunes. Il y en a beaucoup pour qui les grands acquis de la Révolution tranquille, ça a été de mettre dans la tête de toute une génération qui s'en vient que tu peux progresser, tu peux être fort, tu peux t'enrichir, tu peux te développer, tu peux être différent en français, alors que le combat de sa génération, et, en partie, de la mienne, ça a été de prouver que, le français, c'était important. Il y a comme un acquis là-dessus dans la société mais il y a des acquis qu'il ne faut pas perdre. Pour ne pas les perdre, il faut avoir des instruments et des moyens parce qu'on reste un peuple fragile à cause de notre nombre. C'est pour cela qu'il ne faudrait pas que son train déraille. Je pense qu'il y a une façon de le remettre dans la bonne direction. C'est ce qu'on lui fait comme proposition. Si cela ne fonctionne pas là-bas, que le premier ministre se dise... Il s'est déjà tenu debout dans une affaire comme cela, en 1971. C'était difficile à Victoria et c'est évident que je n'aurais pas voulu vivre cela à sa place. Mais, bon Dieu! il n'est pas trop tard. Mais, une fois que vous aurez signé le papier à Ottawa, je vous dis que ce sera trop tard. Le lac Meech, cela pouvait toujours aller. Cause, cause, parle, parle, jase, jase. Mais là on en a parlé ici pour vrai et cela ne s'est fait nulle part ailleurs au Canada.

Je termine. Cela ne s'est fait nulle part ailleurs au Canada mais je dis au premier ministre que s'il va à Ottawa le 2 juin, par exemple, une fois qu'il aura signé le texte juridique, ce n'est plus vrai qu'il va être capable de se retirer. Je lui demande d'y penser comme il faut. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition. M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: Merci, M. le Président. Avant de répandre aux propos du chef de l'Opposition, je voudrais quand même répondre à quelques-uns des vôtres. D'abord, j'aimerais vous féliciter pour votre travail

comme président. Ce n'était pas facile de diriger cela. C'est l'une des demandes de l'Opposition à laquelle j'avais acquiescé. On avait pensé que cela pourrait être la commission de l'Assemblée nationale mais finalement on a accepté que ce soit la commission des institutions. On savait que vous dirigeriez les travaux avec impartialité et objectivité. Je peux me permettre, sans humour, de vous remercier pour votre travail. Je pense que vous avez posé des questions. Vous en aviez le droit. C'est conforme au règlement.

Pour ce qui a trait au chef de l'Opposition, j'ai de la difficulté à le suivre sur la Révolution tranquille, cette espèce de distinction qu'il fait entre ceux qui ont contribué à bâtir la Révolution tranquille et ceux qui sont un peu plus jeunes, comme quoi ceux qui ont contribué à la Révolution tranquille font preuve d'arrogance et de suffisance, ils ne veulent pas partager le pouvoir. Le ministre responsable dans ce dossier qui a fait - je le répète parce que je ne le répéterai jamais assez - un travail extraordinaire et où le Parti libéral a eu la chance dans un dossier historique d'avoir comme ministre responsable et principal conseiller, un des meilleurs experts canadiens en droit constitutionnel, il a l'âge du chef de l'Opposition. Je ne comprends pas cette espèce d'analyse qu'il fait entre tous ceux-là qui ont plus de 50 ans. Je pourrais lui donner toute une liste. J'éviterai de le faire parce que la plupart ont été des collègues de son Conseil des ministres durant plusieurs années et il affuble tous ces gens d'accusations comme arrogants et suffisants, possesseurs de la vérité, détenteurs de la vérité. Je crois qu'il devrait trouver une autre occasion - la je lui dis sans vouloir le vexer - pour expliciter davantage sa pensée sur cette question-là.

Pour ce qui a trait à l'argument qu'il n'y a pas de pouvoirs additionnels - je voudrais juste compléter ce que je disais tantôt car je n'ai pas pu terminer mes propos étant donné le temps - j'ai parlé de la récupération du droit de veto, c'est quand même important, de la Cour suprême qui nous assure, quelle que soit notre population, et on voit que son poids démographique est menacé, au moins 33 % des juges... M. le Président, je crois que quand le chef de l'Opposition évoque les jeunes, s'il y a un gouvernement et un homme politique qui sont dédiés à améliorer leur sort, ce sont bien celui qui dirige le gouvernement et le gouvernement actuel. Toutes nos politiques, que ce soit dans le domaine économique, social, constitutionnel, nous les protégeons quand le Québec sera reconnu comme société distincte, quand on aura la flexibilité dans le pouvoir de dépenser. Cela va nous permettre de pouvoir satisfaire les besoins particuliers du Québec, y compris les jeunes. Mais il faut tenir compte, M. le Président, et les jeunes le comprennent facilement, que le Canada est un marché commun et, parce que celui-ci est un marché commun avec pleine mobilité de la main-d'oeuvre, pleine mobilité des marchandises, pleine mobilité des capitaux, c'est évident qu'il doit y avoir une certaine correspondance dans des objectifs communs. On peut reprendre le débat référendaire que, s'il y a une intégration économique vers laquelle nous nous dirigeons de plus en plus avec le libre-échanqe, appuyée par des amis et ex-collègues du chef de l'Opposition comme M. Landry et M. Parizeau, si nous nous orientons vers une intégration économique de plus en plus poussée, ceci a une correspondance dans les politiques sociales, dans les objectifs politiques. Alors, ce que nous cherchons - c'est cela qui est le défi du Québec - c'est de pouvoir trouver cette formule qui nous permet de nous affirmer comme société distincte et, en même temps, de tenir compte de la réalité économique canadienne et nord-américaine.

Je suis bien conscient de la responsabilité qui nous incombe vis-à-vîs de l'acceptation de l'entente de principe. Je l'ai dit. Lorsque nous y sommes allés, nous avons dit: Si cela marche, tant mieux, si cela ne marche pas, on peut attendre. Le Québec est habitué de se battre depuis deux siècles. Le Québec a réussi depuis 25 ans à faire preuve d'un renouveau économique extraordinaire avec des outils de l'État créés par la Révolution tranquille - pour donner des exemples, Hydro-Québec, Caisse de dépôts -avec son secteur privé et on l'a fait en bonne partie par nos propres moyens. On n'a pas eu de ligne Borden pour protéqer notre pétrochimie. On n'a pas eu de canalisation du Saint-Laurent, Ce n'est pas le Québec qui a été bénéficiaire de la canalisation du Saint-Laurent. On n'a pas eu de pacte de l'automobile pour l'industrie automobile. On s'est battu principalement par nos propres moyens et on a pu, sur le plan économique, réussir des choses exceptionnelles, convertir notre économie de ressources en une économie tournée vers la haute technologie, devenir actuellement l'une des sociétés les plus dynamiques sur le plan économique. Donc, le Québec est habitué de se battre, souvent seul.

Mais j'ai la responsabilité, comme chef du gouvernement, de porter un jugement sur une conjoncture particulière qui peut se décrire comme étant très favorable, exceptionnelle. Est-ce qu'on aura éventuellement pour l'avenir prévisible un pouvoir politique à Ottawa qui est aussi décidé à régler le problème du Québec? Est-ce qu'on aura des premiers ministres provinciaux - je pense à celui de l'Ontario, M. Peterson -aussi favorables, aussi ouverts vis-à-vis du Québec? Est-ce que nous aurons éventuellement, avec le défi démographique qu'il nous

faut relever, une conjoncture aussi favorable? C'est un immense risque de dire non au lac Meech avec ce qu'on obtient dans le domaine de l'immigration, avec la récupération du droit de veto, avec cette reconnaissance de la société distincte.

J'aimerais bien, puisque je me rends à Gaspé dans quelques minutes pour rencontrer le président de la République française, le président de notre mère patrie, l'accueillir demain en ayant solennellement dans la constitution canadienne ces pouvoirs pour le Québec de protéger et de promouvoir la culture française. J'espère que lorsqu'il reviendra au mois de septembre, ce sera mission accomplie à cet égard. C'est un pouvoir énorme d'avoir dans cette constitution canadienne, en très bonne place, exprimés et inscrits d'une façon formelle, les pouvoirs pour la société québécoise et son gouvernement et son Assemblée nationale de protéger et de promouvoir notre culture.

C'est cela la décision historique que nous avons à prendre, M. le Président. Je veux assurer le chef de l'Opposition et ses collègues ainsi que l'ensemble de la population que le seul et unique critère qui me guidera dans cette décision ne sera pas de nature électoraliste ou partisane, surtout pas à mon troisième mandat. Le seul critère qui va me guider, c'est l'intérêt collectif du Québec. Je demanderais au chef de l'Opposition de nous faire confiance.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le premier ministre. Il reste du côté ministériel une enveloppe d'un peu plus de 10 minutes. Je dois comprendre que c'est terminé de part et d'autre, n'est-ce pas?

M. Johnson (Anjou); Merci, M. le Président. La fin de ces dix-huit ...combien d'heures, combien de séances, M. le Président, pas suffisantes, on le sait... En dépit de cela, nous avions des journées difficiles et on vous remercie de votre travail.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition. À mon tour de remercier les membres de la commission et également je voudrais remercier en votre nom la secrétaire de notre commission, Me Lucie Giguère, ainsi que tout le personnel du Secrétariat des commissions qui a su, dans ce dossier qui filait parfois à très grande vitesse, nous aider à garder l'ordre, à faire en sorte que nos avis de convocation puissent se donner, se recevoir, etc. Ils ont pu faire en sorte qu'il y ait un minimum de bon fonctionnement à nos travaux.

Nos travaux sont ajournés sine die. Merci.

(Fin de la séance à 18 h 7)

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