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Version finale

33e législature, 1re session
(16 décembre 1985 au 8 mars 1988)

Le jeudi 21 mai 1987 - Vol. 29 N° 59

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Bienvenue aux membres de cette commission pour la reprise des travaux de la commission des institutions. Nous connaissons notre mandat que nous avons amorcé il y a déjà plus d'une semaine. La commission des institutions doit entendre les représentations de groupes, organismes et membres relativement à l'entente intervenue au lac Meech concernant la constitution du Canada.

Notre ordre du jour pour aujourd'hui est celui-ci. Les représentants du Parti indépendantiste ont déjà pris place à la table des invités. Je leur souhaite la bienvenue. À 11 heures environ, nous entendrons les représentants de la Chambre de commerce de la province de Québec. Cet après-midi, deux groupes: Le premier à 16 heures, Quebec Constitutional Task Force of Aboriginal People et, à 17 heures, M. François Chevrette, doyen de la Faculté de droit à l'Université de Montréal. À 19 h 30, M. Claude Morin, professeur à l'École nationale d'administration publique; à 20 h 30, l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et préretraités et, à 21 h 30, le Rassemblement démocratique pour l'indépendance.

Je rappelle à tous les membres de la commission ainsi qu'à nos invités les règles du jeu qui gouvernent cette consultation particulière. Une période de plus ou moins 20 minutes est prévue pour votre exposé; 40 autres minutes sont divisées en parts égales entre les deux groupes parlementaires pour échanges de vues et discussions avec nos invités.

Est-ce qu'il y a des questions sur nos travaux ou si tout est conforme?

M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le chef de l'Opposition a fait référence à des remplacements possibles de son côté.

M. Johnson (Anjou): Oui, des remplacements, M. le député de Gouin?

M. Rochefort: M. le Président, Mme Blackburn (Chicoutimi) se joindra à nous pour remplacer M. Godin (Mercier). Quant aux autres membres, ce sont les membres réguliers de la commission.

M. Lefebvre: Cela va, M. le Président.

Le Président (M. Filion): C'est bien. Donc, Mme Blackburn (Chicoutimi) remplace M. Godin (Mercier).

Encore une fois bienvenue, M. Gilles Rhéaume.

Oui, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Si vous me le permettez, avant que vous ne permettiez à nos invités de s'exprimer, comme tous les jours en début de séance, nous avons, je crois, la possibilité de poser quelques questions au ministre. J'en aurais quelques-unes pour lui. On sait qu'hier s'est tenue une importante réunion des sous-ministres à Ottawa. Je crois que le ministre y avait déléqué son sous-ministre ainsi que le sous-ministre adjoint à la Justice responsable du dossier constitutionnel. Je crois aussi qu'un des conseillers du premier ministre, Me Jean-Claude Rivest, faisait partie du groupe.

J'aurais quelques questions là-dessus. Est-ce que le ministre pourrait nous faire un peu rapport de ce qui s'est passé à Ottawa dans cette séance de négociation?

M. Rémillard: Oui, M. le Président. Je dois dire, comme vient de le souligner le chef de l'Opposition, qu'hier avait lieu à Ottawa une première rencontre des fonctionnaires et des sous-ministres pour mettre en termes juridiques l'entente du lac Meech qui est déjà très détaillée. Nous avons une entente qui ne contient pas seulement des grands principes généraux, mais c'est une entente très détaillée, qui utilise des termes qui ont été discutés et rediscutés au lac Meech, qui ont été l'objet de grandes discussions. Les discussions que nous avons actuellement vont nous permettre de mettre dans des termes juridiques l'entente du lac Meech qui est déjà précise. Il n'y a pas de difficultés majeures, si ce n'est que tout le monde doit s'entendre sur les mots, les expressions utilisées, la version française et anglaise. Dans ce cadre, il y a donc eu cette première rencontre hier et il y aura une autre rencontre jeudi prochain.

Donc, jeudi prochain, les sous-ministres se rencontreront de nouveau. Entre-temps, des rencontres se feront aussi avec le gouvernement fédéral. Il y aura des discussions, du travail qui se fera de part et d'autre pour tenter d'en arriver au libellé juridique

le plus conforme possible à cette entente, qui est déjà très détaillée. La preuve, c'est que nous avons des discussions très intéressantes maintenant en commission parlementaire à partir de cette entente qui n'est pas simplement en fonction de principes généraux mais qui reflètent l'esprit autant que la lettre. C'est ce qu'on doit mettre en termes juridiques.

J'espère qu'on ne prendra pas trop de temps et qu'on ne prendra pas le temps de nos invités qui sont ici. J'ai hâte d'entendre nos invités. C'est une question de politesse, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Oui, simplement sur le dernier volet de l'intervention du ministre, pour dire et au ministre et à nos invités que d'aucune façon cette discussion n'empiète sur le temps du groupe qui est devant nous. Us auront droit au temps que l'entente sur l'organisation des travaux a prévu pour ce groupe comme pour tous les groupes. Je pense que l'échange de propos que le chef de l'Opposition et le ministre ont actuellement ne prive d'aucune façon nos invités du droit de parole et de discussion qu'ils auront avec les membres de la commission par la suite.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Une ou deux autres questions rapides au ministre.

M. Rémillard: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: ...je voudrais ajouter quelque chose sur la remarque du député de Gouin. Il faut bien comprendre que, si les questions ne prennent pas le temps de nos invités de ce matin, elles nous donnent du retard et à un moment donné il y a des invités qui viennent témoigner à 23 h 45, comme hier. On a eu une très belle discussion hier jusqu'à 23 h 45. D'autre part, il y a une période de questions aussi. Quant à moi, il me fait plaisir de répondre aux questions. Ce que je demande, c'est que ça se fasse le plus rapidement possible pour qu'on passe vraiment à nos invités. Voilà.

M. Rochefort: M. le Président, cela va se faire rapidement. Je soulignerais au ministre que nous déplorons, nous aussi, qu'on doive travailler très tard avec des groupes. C'est pour cette raison qu'on avait plutôt proposé au ministre de tenir cela en plein jour la semaine prochaine plutôt que tard en fin de soirée. On vit les conséquences des décisions du ministre.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, j'aurais une question au ministre. Sur les cinq points, combien y en a-t-il qui, à la réunion des sous-ministres d'hier, ont pu être formulés juridiquement de façon satisfaisante pour toutes les parties? Combien y en a-t-il qui ont fait l'objet d'une formulation?

M. Rémillard: Hier, il s'aqissait d'une première rencontre exploratoire. Donc, chacun est arrivé avec ses textes juridiques, avec d'autres discussions et on a exploré, on a discuté de certaines possibilités. C'est comme cela qu'il y aura une autre rencontre jeudi prochain.

M. Johnson (Anjou): Le jeudi 28. M. Rémillard: Le jeudi 28.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre pourrait nous dire si ses mandataires avaient des textes juridiques? Quand Mme Wilhelmy, Me Samson, Me Rivest, probablement, se sont rendus à Ottawa et sûrement quelques autres - je ne peux pas croire qu'ils sont allés là seuls, ils ont dû amener aussi d'autres personnes qui travaillent sur des choses précises - je présume qu'ils sont partis avec des textes?

M. Rémillard: Nous avions les instruments que nous considérions nécessaires pour que ces discussions soient fructueuses. Finalement, je voudrais dire au chef de l'Opposition: S'il me pose des questions ici en commission parlementaire, on prend le temps, mais ce sont des questions qui pourraient être posées à la période de questions cet après-midi. Pourquoi ne veut-il pas me poser ces questions cet après-midi? Cela me fera un grand plaisir.

M. Johnson (Anjou): Je vais donner une réponse bien simple au ministre, c'est parce que le premier ministre n'y répond jamais.

M. Lefebvre: Le chef de l'Opposition veut pratiquer; il veut se faire la main.

M. Johnson (Anjou): J'espère quand même que le ministre, lui, pourrait y répondre parfois. On voudrait savoir s'il y a des textes. Le ministre nous répond qu'ils sont partis avec des ustensiles et une batterie de cuisine. Je demande au ministre si les trois mandataires que nous connaissons, le sous-ministre, le sous-ministre adjoint et le représentant du bureau du premier ministre - je présume qu'il y en a d'autres aussi - avaient des textes juridiques au moment où ils sont partis pour Ottawa. Si oui, nous apprécierions qu'ils soient déposés

pour savoir de quoi on va discuter ici.

M. Lefebvre: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Question de règlement, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: Je comprends que, contrairement aux règles habituelles, par pure courtoisie, le ministre a permis au chef de l'Opposition de poser une ou deux questions, mais il ne faudrait pas que cela devienne une période de réchauffement pour la période de questions de cet après-midi, à 14 heures. J'inviterais le chef de l'Opposition à prendre note des questions qu'il vient de nous poser, à les fignoler de façon un peu plus précise et à les poser à la période de questions cet après-midi. La période de questions existe effectivement pour permettre au chef de l'Opposition de vérifier le déroulement des travaux de la commission des institutions et pour d'autres questions qui pourraient être considérées pertinentes par le président de l'Assemblée nationale.

Il y a un invité qui nous attend, il y a même trois invités qui nous attendent et j'aimerais bien qu'on commence les travaux formels de la commission des institutions.

M. Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Sur la question de règlement, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Oui, M. le Président. Dans un premier temps, je dirai au leader adjoint du gouvernement, comme je le dirai aussi au ministre, que je suis convaincu que nos invités sont sûrement prêts à attendre dix minutes, si jamais il pouvait y avoir des textes juridiques avant leur intervention. J'en ai la conviction profonde.

M. Johnson (Anjou): Ils font signe que oui, d'ailleurs.

M. Rochefort: D'autre part, M. le Président, je dirai au leader adjoint du gouvernement que si quelqu'un doit fignoler des choses actuellement, c'est plutôt lui, son ministre, son premier ministre et leurs conseillers qui devraient être en train de fignoler de façon définitive les textes juridiques, pour qu'on sache une fois pour toutes de quoi on parle dans ce dossier.

Une voix: Commençons, commençons.

M. Rochefort: M. le Président, de deux choses l'une: ou le ministre est d'accord pour poursuivre les discussions ou non. S'il n'est pas d'accord pour poursuivre les discussions, nous comprendrons qu'il refuse de donner suite aux engagements qu'avait pris le premier ministre de fournir les textes juridiques dès qu'ils seraient disponibles. Ce que j'ai compris de la réponse du ministre tantôt, c'est que ses fonctionnaires sont partis avec une quincaillerie, et je suppose que, dans cette quincaillerie, il doit bien y avoir des traductions. Qu'il nous dise s'il y en a ou non; s'il y en a, qu'il remplisse donc l'engagement de son chef et qu'il les dépose donc, à moins qu'il n'ait des choses à cacher.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Sur la question de règlement, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, je vous demanderais d'ouvrir la séance de la commission des institutions.

M. Rochefort: Donc, le ministre ne veut pas répondre.

M. Lefebvre: On est ici pour interroger nos invités.

M. Rémillard: Posez-moi des questions en Chambre.

M. Lefebvre: À l'Assemblée nationale, cet après-midi, le chef de l'Opposition pourra poser toutes les questions qu'il voudra bien. D'ailleurs, il l'a fait, hier, avec plus ou moins de succès. Il recommencera aujourd'hui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Sur la question de règlement, il est évident, M. le leader adjoint du gouvernement et M. le député de Gouin, qu'il y a les éléments suivants. Premièrement, le chef de l'Opposition est en train, effectivement, de discuter avec le ministre délégué aux Affaires interqouver-nementales canadiennes. Ces questions et réponses, évidemment, se font avec le consentement des deux groupes parlementaires. Deuxièmement, la question des textes juridiques n'est pas, je pense, et tous le reconnaîtront, un simple détail dans nos travaux. À peu près tous les intervenants, ou en tout cas, une bonne partie des intervenants ont noté l'absence de textes juridiques et la difficulté que présentait cette absence pour donner leur opinion, si on veut, sur l'accord du lac Meech. Or, en ce sens-là, à partir du moment où...

M. Lefebvre: Vous êtes sur la question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, sur la question de règlement. À partir du moment où il y a consentement entre les parlementaires et à partir du moment où on

n'est pas en train de parler d'une bricole, je vais laisser les échanges de propos se poursuivre. C'est bien sûr que, s'il y a absence de consentement, on va se...

M. Lefebvre: II n'y a plus de consentement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Bon! alors...

M. Rémillard: Je consens à répondre à la période de questions en Chambre.

M. Lefebvre: C'est cela.

M. Rémillard: C'est ce à quoi je consens.

M. Johnson (Anjou): Une dernière question. Est-ce qu'il accepterait une dernière question?

M. Rémillard: Non, écoutez, M. le Président, je vais vous dire que mon consentement...

Le Président (M. Filion): M. le ministre. M. le ministre.

M. Johnson (Anjou): Qu'est-ce que vous cachez? Vous avez peur? Qu'est-ce que vous cachez de secret?

M. Rémillard: M. le Président, je consens à répondre à toutes les questions de l'Opposition, comme je le fais toujours, à la période de questions, cet après-midi. Posez-moi des questions.

M. Johnson (Anjou): Non, vous ne répondez jamais aux questions. C'est cela, le problème. On est dans un contexte où vous pourriez le faire.

M. Lefebvre: M. le Président, s'il vous plaît!

Le Président (M. Filion): Bon! alors je comprends... M. te chef de l'Opposition...

M. Lefebvre: M. le Président, je trouve que le chef de l'Opposition et le député de Gouin sont particulièrement impolis. On a trois invités qui nous attendent depuis 10 h 5 et il est 10 h 25. Le chef de l'Opposition aura tout le loisir de faire son cinéma cet après-midi, à la période de questions. Je voudrais qu'on commence les travaux, M. le Président.

Une voix: Vidéoclip no 2.

Le Président (M. Filion): Alors...

M. Johnson (Anjou): Oui, mais le problème, c'est qu'on n'a pas un ministre, on a un mime.

Le Président (M. Filion): S'il vous plaît! Donc, force est de reconnaître, M. le chef de l'Opposition, qu'il n'y a pas consentement du qroupe ministériel à poursuivre cet échange de propos sur les textes juridiques. Donc, à ce moment-ci...

M. Rochefort: On comprend surtout qu'il y a une volonté réelle du côté du gouvernement de cacher les textes juridiques.

Une voix: Voila!

Le Président (M. Filion): Bon! Donc...

M. Rémillard: M. le Président, il faudrait qu'on prenne note qu'il y a une volonté réelle de la part du gouvernement de répondre à toutes les questions lorsqu'on nous les pose à la période de questions, aux endroit et moment où cela est prévu dans notre régime parlementaire démocratique...

M. Rochefort: Cachottier! Cachottierl

M. Rémillard: ...où on doit répondre aux questions si on nous en pose,

M. Johnson (Anjou): Est-ce que les textes vont être disponibles pour le Conseil des ministres avant le lac Meech?

Une voix: M. le Président.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Je pense qu'il y a une volonté réelle de la commission de vous entendre maintenant...

Une voix: Du côté ministériel, oui.

Le Président (M. Filion): ...étant donné qu'il y a absence de consentement. Je demanderais donc, dans un premier temps, au chef du Parti indépendantiste, notre invité, M. Gilles Rhéaume, de bien vouloir présenter les personnes qui l'accompagnent à la fois pour le Journal des débats et pour les membres de la commission qui ne les connaîtraient pas. Ensuite, il pourra nous faire son exposé. J'ai remarqué qu'il nous a transmis un mémoire que Je déclare déposé pour les fins du procès-verbal de cette commission et qui a été distribué aux membres de cette commission. M. Rhéaume.

Parti indépendantiste

M. Rhéaume (Gilles): M. le Président, mesdames et messieurs de la commission, je suis accompagné ce matin de M. Denis Monière, secrétaire général du Parti indépendantiste et également politicologue et directeur du département de sciences

politiques de l'Université de Montréal, et de M. Pierre de Bellefeuille, président du Parti indépendantiste; ce dernier a été parlementaire à L'Assemblée nationale de 1976 è 1985; il a été et est toujours journaliste.

Au nom du Parti indépendantiste, nous tenons ce matin à venir ajouter notre non ou plutôt nos non - n-o-n et n-o-n - à l'adhésion du Québec à la constitution canadienne. Pour nous, indépendantistes, il est inacceptable que le Québec puisse adhérer è une constitution qui lui est étrangère. C'est le cas bien évidemment du "Canada Bill", puisque le Québec n'est pas le seul à intervenir dans la rédaction de ce texte constitutionnel.

En conséquence, les indépendantistes se sont opposés aux deux projets d'accord constitutionnel qui ont été présentés par les gouvernements qui se sont succédé depuis le référendum de 1980. On ne peut s'empêcher aujourd'hui de rappeler qu'il y a sept ans, un certain 21 mai, nous nous sommes réveillés croyant être victimes d'un cauchemar ou d'un mauvais rêve. Cependant, la réalité était bien celle que nous ressentions, à savoir que le Québec avait, avec une majorité de 60 %, voté non au référendum. Dans le désarroi qui a suivi cette prise de conscience, je dois dire qu'on a mis un certain temps avant de mieux interpréter les résultats référendaires et nous voulons simplement rappeler, ce matin, au gouvernement et aux membres de la commission qu'en 1980, 50 % de la population francophone du Québec ont répondu "oui" à cette question et que ces 50 % doivent retenir toujours l'attention et le respect de la part du gouvernement.

Pour nous, la raison de notre désaccord avec l'entente du lac Meech est bien simple. Il revient au peuple du Québec de définir lui-même l'esprit et la lettre du document sur lequel s'appuiera toute l'articulation de sa vie nationale.

Un très bref rappel historique, si vous nous le permettez. Ce n'est pas la première fois que le Québec subit un régime constitutionnel. Depuis 1760, on a peine à les compter. On peut parler du régime militaire, de la proclamation royale, de l'Acte de Québec de 1774 qui est venu tenter d'empêcher Ies Canadiens de s'unir aux Américains pour se débarrasser de la couronne britannique; il y a eu ensuite l'Acte constitutionnel de 1791 qui est venu donner deux semblants d'État avec, pour la première fois, un Parlement pour ces Canadiens devenus avec le temps Canadiens français. En 1841, l'Acte d'Union, qui n'était pas la recommandation principale du rapport Durham, puisque - plusieurs l'ignorent, mais il faut s'en rappeler - lord Durham préconisait d'abord la confédération comme étant le meilleur instrument d'assimiler les

Canadiens français, mais qu'à cause de conflits, de politiques partisanes dans le Parlement londonien, on s'est rabattu sur l'Acte d'Union qui, en 1841, est venu justement, encore une fois, tenter d'étouffer les aspirations profondes du peuple canadien-français. L'Acte d'Union ne fonctionnant pas, étant continuellement paralysé à cause des divisions internes de ce Parlement à l'intérieur duquel rien ne fonctionnait vraiment, on en est arrivé à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, cette soi-disant confédération qui est le texte qui, pendant plus d'un siècle, a servi de point de repère pour l'ensemble des provinces, y compris le Québec. (10 h 30)

Donc, ce n'est pas la première fois qu'on impose au Québec un système politique, un régime constitutionnel sans que son peuple - nous disons bien son peuple -soit associé directement autant à la rédaction qu'à la préparation. Il n'a jamais eu à l'approuver d'aucune façon. Nous voyons que cela se répète encore.

Il faudrait ajouter à cette chaîne de constitutions tyranniques - dans le dictionnaire, tyrannique veut tout simplement dire imposer; bien, pas tout simplement, parce que c'est quand même très grave -nous devons ajouter à cette chaîne le "Canada Bill" de 1982 qui, lui, est venu profiter d'un certain désarroi, d'un éparpillement, d'un essoufflement de la population du Québec et des militants, des forces vives du Québec.

On se souvient que le gouvernement Trudeau avec la complicité des provinces anglaises a délibérément séparé le Québec du Canada. La séparation, puisqu'il faut l'appeler ainsi, est le fruit de cette fameuse nuit des longs couteaux, alors que les provinces anglaises, comme nous l'avons dit, ont écarté, ont séparé le Québec, un des peuples fondateurs - il n'y a pas deux peuples fondateurs; il ne faut jamais oublier les Amérindiens ni les Inuit, ce que j'ai toujours trouvé assez discriminatoire à leur égard, d'ailleurs - a été carrément, grossièrement écarté de l'entente, soit du "Canada Bill" de 1982.

Donc, l'histoire constitutionnelle du peuple auquel nous appartenons, c'est l'histoire d'un peuple dépossédé de ses droits les plus élémentaires, puisque jamais il n'a été directement consulté ou associé, comme je l'ai dit, à la rédaction des textes constitutionnels.

Allons-nous, au seuil de l'an 2000, répéter la même chose encore une fois, à cette époque des communications, à cette époque où il est beaucoup plus aisé pour les instances gouvernementales et pour les corps constitués de faire connaître les différents points de vue et d'aller sonder la population? Allez demander à la population si elle se

considère comme une société distincte ou comme un peuple! Je serais intéressé de voir la réponse à cette question. C'est une question pertinente, il me semble. C'est une question qu'il faut se poser et qui amènerait une réponse extrêmement éclairante, vous savez.

C'est la première fois depuis 1867 - on pourrait remonter; on ne peut quand même pas aller retourner près de la mer au temps des bateaux - que les représentants de la province de Québec et du Québec, de l'État du Québec, c'est la première fois que nos dirigeants politiques, lorsqu'ils parlent de ce que nous sommes, ne parlent pas de nous en tant que peuple.

De Chauveau à Robert Bourassa, première version, tous les premiers ministres, sans exception, ont toujours parlé du peuple canadien-français, du peuple du Québec. C'est la première fois qu'on nous arrive avec une notion aussi insignifiante, à notre avis. Je dois vous dire, M. le Président, que face à une telle notion défendue par un professeur éminent dont les compétences universitaires sont connues non seulement à l'intérieur de nos frontières, mais hors Québec, nous nous étonnons et nous te déplorons vivement.

Nous sommes un peuple et rien de moins. Quelles que soient les acrobaties que l'on pourra bien échaffauder, afin de nous convaincre de la pertinence de réduire notre identité à celle d'une société distincte, vous ne nous convaincrez pas et vous ne convaincrez pas les indépendantistes ni même les fédéralistes de bonne foi ou les fédéralistes du bout des lèvres, les fédéralistes étant un peu conservateurs de nature. Tout le monde se considère ici comme étant partie d'un peuple et, comme peuple, nous avons un droit inaliénable. Ce matin, nous voulons, nous, en tant qu'indépendantistes... Les indépendantistes du Québec sont des citoyens à part entière, des citoyens qui ont le droit d'utiliser tous les moyens démocratiques mis à leur disposition afin de faire connaître leur point de vue. Nous savons que ce son de cloche est différent.

Nous sommes étonnés, d'ailleurs depuis trois semaines, un mois, qu'il est question des affaires constitutionnelles, que le mot "indépendance" n'ait pas été prononcé dans l'Assemblée nationale, alors que les deux formations politiques devant lesquelles nous nous présentons ce matin ont affirmé, lors de3 élections de décembre 1985, que la question nationale n'intéressait plus personne, que les questions constitutionnelles n'avaient aucun intérêt pour la population. Et là, nous nous retrouvons, un peu comme après une nuit de pluie, avec des champignons plein la vue qui sont: société distincte, droit de veto, juges à la Cour suprême, et il faudrait, parce qu'il le faut, que la question constitutionnelle devienne la plus importante, parce qu'elle l'est. Quoi de plus important pour un peuple, pour un État, que de discuter de pouvoirs politiques? Nous disons que c'est le temps plus que jamais de parler de l'indépendance du Québec puisque nous en avons besoin. Nous en avons besoin sur le plan culturel, sur le plan linguistique, sur le plan social, sur le plan économique, sur le plan politique. C'est dans tous les secteurs de notre vie nationale que se font sentir, tous les jours davantage d'ailleurs, les décisions inacceptables du gouvernement fédéral, les incompréhensions autour de mêmes textes.

Lorsque tout cela arrive, nous pensons qu'il est primordial de dire aux gens qu'il existe une alternative sérieuse, la seule voie qui pourra faire en sorte que nos situations individuelles et collectives pourront s'améliorer et cette voie, c'est celle de l'obtention de tous les pouvoirs, pas celle de miettes de pouvoirs. Je lance un appel à la conscience des parlementaires, au devoir que vous avez. Vous êtes les élus du peuple québécois et non pas de la société distincte. Vous êtes les élus du peuple québécois parce que dans la définition même de la députation on retrouve la base de la démocratie. La députation représente le peuple. La députation ne représente pas la société distincte. La députation représente le peuple et c'est au nom de ce peuple, c'est en vous appuyant sur ce choix démocratique, sur ce choix de la population, du peuple à vous élire en tant que députés... On ne peut pas se servir du mot "peuple" quand cela fait notre affaire et de "société distincte" lorsque cela ne le fait plus. Je pense qu'il faut une certaine rigueur et on ne pourra nous reprocher cette riqueur à laquelle nous tenons tant.

Nous nous inquiétons de plusieurs aspects contenus dans le texte du lac Meech. Il y en a quand même un sur lequel nous nous permettons d'insister ce matin: Le droit de veto sur les institutions fédérales. On sait qu'il est question de modifications des provinces. Est-ce que les prétentions légitimes québécoises quant à la récupération du Labrador auront toujours les mêmes assises avec l'entente du lac Meech? Pour nous, c'est important, le Labrador. C'est un cinquième du territoire, des resssources naturelles inestimables. Pour nous, le Québec, vous savez, ce sont toutes les réqions, y compris le Labrador dont nous soulignons cette année le soixantième anniversaire du rapt qu'on nous a imposé en 1927.

Donc, nous sommes un peuple. En tant que peuple, nous avons le droit inaliénable à l'autodétermination. Nous avons le droit et le devoir de faire notre indépendance politique dès que les circonstances le permettront et c'est pour cela qu'un parti comme le nôtre, se distinguant du qouvernement et de l'Opposition, tient à faire entendre ce matin

un son de cloche qui rejoint un courant important de la population du Québec. Les politiciens qui négligent ce courant, en paient le prix, toujours. Vous savez, les indépendantistes sont partout. Ils sont impliqués, engagés dans plusieurs organismes, dans plusieurs groupes. Je pense qu'avec les autres personnes qui s'opposent à l'adhésion du Québec au "Canada Bill", les indépendantistes tiennent, quant à eux, à le répéter à temps et à contretemps.

Il n'y a que quelques années encore, le mouvement indépendantiste était beaucoup plus puissant que maintenant. Nous en sommes conscients. C'eût été impensable, il y a quelques années à peine, de voir le drapeau du Canada à la place d'honneur à l'intérieur des murs de l'Assemblée nationale. Nous ne voyons pas beaucoup de drapeaux du Québec dans les bureaux de poste accompagnant un drapeau canadien. Pour plusieurs, ce n'est peut-être qu'un détail, mais pour nous c'est extrêmement symbolique. C'est l'arrivée du Canada qui a été soulignée d'une façon grossière ces derniers mois, à l'intérieur de ce Parlement, alors même que le Canada ne reconnaissait et ne reconnaît pas encore les droits les plus fondamentaux du peuple auquel nous appartenons. Hé bien! Nous voyons ce drapeau flotter ici et nous ne pouvions résister à la tentation de souligner ce qui nous apparaît comme un excès de zèle. Cela ne s'est jamais vu. Le drapeau canadien existe depuis 23 ans à peu près. Cela ne s'est jamais vu. Nous tenons à le déplorer.

Nous n'acceptons pas également que ce soit des tribunaux étrangers... Ne nous en faisons pas, ne nous leurrons pas là-dessus. Ce n'est pas parce que deux ou trois charmants, distingués, compétents avocats du Québec accéderont à la Cour suprême que nos droits seront reconnus ou défendus. La Cour suprême a toujours été contre nous. Le système est fait pour cela. Toute la bonne foi du monde ne réussira pas à faire en sorte que ce système devienne bon. Le fédéralisme, c'est vicieux, insidieux dans son essence même. Nous sommes une minorité à l'intérieur du Canada; nous sommes une majorité sur le territoire du Québec et en tant que majorité nationale... Je sais que cela peut en faire sourire plusieurs. On peut bien rire aujourd'hui mais on verra demain. Mais vous verrez... Il y a à peine quelques mois, on entendait dire partout que la question linguistique n'intéressait personne. Ah! Les gens du Québec ne veulent rien savoir des difficultés que peut rencontrer la loi 101 dans son application. On en a parlé un peu. Il en a été question. Le public a été sensibilisé, informé. Oup! Par la suite, les sondages révèlent que la population du Québec, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, après une observation superficielle, était beaucoup plus attachée que l'on ne pouvait l'imaginer à la défense et à la promotion de la langue française. (10 h 45)

Je vous prédis que c'est ce qui arrivera dans le dossier constitutionnel. C'est pour cela que ce matin nous venons ajouter nos noms à ceux des grandes centrales syndicales, à ceux des groupes populaires, à ceux de plusieurs formations politiques. Si j'ai bien compris, toutes les formations politiques, sauf le gouvernement, s'opposent à la signature de l'entente du lac Meech. Nous ne pouvons que souhaiter que la consultation qui, jusqu'à maintenant, il faut bien le reconnaître, a été tamisée... Un certain mur... Ce n'est pas le cas du Parti indépendantiste. Nous avons été invités dès le début parce que, M. le ministre s'en souviendra, lors de notre manifestation au lac Meech, nous avions demandé au premier ministre et à vous-même s'il y aurait une commission parlementaire. On nous a répondu que oui et que si la commission parlementaire se tenait, le Parti indépendantiste serait entendu. À ce moment-là, le premier ministre avait donné son engagement. Cependant, nous constatons que le gouvernement commence un peu à être plus sensible à certaines critiques. La preuve, une quinzaine de nouveaux groupes sont venus s'ajouter à ta liste déjà impressionnante, au moins par la qualité des intervenants, des personnes qui les représentent et des idées véhiculées. Mais déjà, une quinzaine de qroupes sont venus s'ajouter. Nous demandons au gouvernement de continuer en ce sens. Nous demandons à M. Bourassa de faire preuve de sens politique, de mettre de côté la partisanerie. Comme en 1971, à la suite d'une pression populaire qui, au début, ressemblait étrangement à celle à laquelle nous assistons et que nous voyons maintenant. Nous demandons donc à M. Bourassa de réfléchir, de revoir sa stratégie en matière constitutionnelle, d'élargir te débat le plus vaste possible, pour que tout le monde au Québec puisse se préoccuper de cette question.

Il ne faut pas négliger le sentiment national de notre peuple. Ceux qui l'ont fait l'ont longuement regretté. Notre peuple est conscient de ce qu'il est. Il est souvent embrouillé par les magouilles politiciennes. Plusieurs fois il en vient à ne plus rien comprendre, tellement les courbettes, les acrobaties sont nombreuses. Cependant, le peuple du Québec - et c'est la pierre angulaire de l'engagement politique du Parti indépendantiste - est capable de saisir les enjeux devant lesquels nous sommes présentement. Le principal enjeu, c'est l'absence de pouvoirs véritables pour le seul peuple francophone d'Amérique à être majoritaire sur son territoire.

C'est de cela qu'il est question maintenant. Il est question des droits du

Québec. Il est question des droits d'un peuple et d'un peuple qui fera son indépendance dès que les circonstances le permettront. Après tout, malgré tout ce qu'on peut entendre, on ne peut que constater que le Canada a bien signé la charte de i'ONU qui reconnaît le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Pour nous, le dossier constitutionnel, c'est une occasion privilégiée d'inviter la population du Québec à réfléchir sur cette question et d'inviter le gouvernement et l'Opposition... Pour nous, en tant que parlementaires, vous avez une responsabilité et vous avez la responsabilité, non pas d'aller chercher des miettes de pouvoirs, mais tous les pouvoirs.

Tant et aussi longtemps que le peuple du Québec n'aura pas tous les pouvoirs, nous nous retrouverons dans des situations qui ressemblent à des culs-de-sac, à des éternels recommencements où nous envoyons nos représentants quêter devant le gouvernement fédéral et les provinces anglaises, revenir avec des petits paquets sous le bras, petits paquets que l'on tente de vendre à la population et qui, lorsqu'elle en a l'occasion, vient manifester son opposition. Le peuple du Québec a besoin de tous les pouvoirs. Le Parti indépendantiste et les autres indépendantistes, nous savons que nous vivons actuellement une période difficile en tant qu'indépendantistes. Nous en avons connu d'autres plus difficiles que celle de maintenant.

Avec de la détermination et de la ténacité, nous réussirons, nous en sommes convaincus, à sensibiliser la population et à faire en sorte que celles et ceux qui, par leur complicité, leur mutisme ou leur inaction font reculer le Québec, eh bien, que ces personnes, que ces formations politiques soient dénoncées. Nous croyons fermement -et c'est la raison d'être du Parti indépendantiste - que le peuple du Québec, s'il est bien informé - c'est pour cela que nous demandons au gouvernement d'élargir sa consultation et de permettre à tous les groupes et à toutes les personnes de faire connaître à la population par les moyens de communication les plus modernes son projet de constitution avec les oppositions qui ont été rendues publiques - se fera une idée juste.

Il n'y a personne à l'Assemblée nationale qui peut prétendre représenter les aspirations du peuple québécois en matière constitutionnelle. Tant le Parti libéral que l'Opposition, lors des élections de 1985, ont insisté sur le chapitre constitutionnel de leur programme politique. Nous relisions, hier encore, les journaux de l'époque et il n'y a pas grand-chose, excepté à quelques réunions, particulièrement du côté anglophone, où on a parlé du dossier constitutionnel. Même chose du côté de l'Opposition à qui nous devons dire, parce que c'est notre profonde conviction: Vous avez ouvert une porte en 1985, en rendant public un projet d'accord constitutionnel avec le gouvernement fédéral. Cette porte a été également empruntée par le qouvernement qui vous a succédé. Nous demandons que l'ensemble de la stratégie constitutionnelle de tout le Parlement, de toute l'Assemblée nationale soit reconsidérée.

En terminant, nous souhaitons avoir avec vous, mesdames et messieurs, la discussion la plus fructueuse possible parce que vous voulons que notre point de vue soit compris et entendu. Nous prendrons d'autres tribunes, dans les semaines qui viennent, pour faire en sorte que la réalité qui découlerait d'une adhésion du Québec à la constitution canadienne soit comprise du mieux possible par la population.

Donc, le Parti indépendantiste se joint à tous les autres. En particulier, nous répétons: Le "Canada Bill", non merci et, pour nous, l'indépendance, ça pressel

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Rhéaume. Je reconnais maintenant M. le ministre des Relations internationales et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Rémillard.

M. Rémillard: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Juste un instant, M. le ministre, je veux seulement vous indiquer qu'il reste 18 minutes à chacune des formations.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Rhéaume, M. de Bellefeuille, M. Monière, je veux vous remercier de venir témoigner devant nous, ce matin. Vous êtes des indépendantistes de profonde conviction et vous manifestez clairement cette idée d'indépendance qu'est la vôtre, M. de Bellefeuille, vous avez même été membre de l'Assemblée nationale du Québec et, M. Monière, vous êtes politicologue et vous avez publié de nombreux écrits, en particulier un livre sur le développement des idéoloqies au Québec. C'est un livre très intéressant que je recommandais à mes étudiants comme lecture - pas une lecture de chevet, évidemment - extrêmement instructive sur le développement des idéoloqies au Québec. C'est très intéressant! On peut ne pas partager vos opinions, mais je dois saluer en vous les gens qui ont de profondes convictions et qui ont le couraqe de les exprimer clairement. Donc, c'est avec un très qrand plaisir que nous vous accueillons ce matin.

Vous nous avez parlé de cette entente du lac Meech, et je dois vous avouer que, si vous nous aviez dit, ce matin, que vous étiez d'accord avec l'entente du lac Meech, on se serait posé de sérieuses questions. On se serait dit: II y a quelque chose qui ne va pas

dans notre entente! Vous nous dites qu'il ne faut pas signer l'entente du lac Meech pour différentes raisons. Mais je pense bien que la raison, c'est que vous voulez l'indépendance du Québec et l'entente du lac Meech n'est pas faite pour mener à l'indépendance du Québec; au contraire, elle est faite pour redonner au Québec des droits historiques en ce qui regarde, entre autres, le droit de veto, l'immigration, la Cour suprême, le pouvoir de dépenser et le rôle que l'Assemblée nationale et le gouvernement auront maintenant de protéger et promouvoir la spécificité du Québec.

Vous nous avez parlé de ces concepts de peuple et de société. Vous nous dites qu'il y a un peuple canadien-français et un peuple québécois. Oui, il y a un peuple canadien-français, je suis parfaitement d'accord avec vous, M. Rhéaume. Il y a ces Canadiens qui sont liés entre eux par une histoire, par une langue, une culture, qui est la culture française, la langue française, et qui vivent un peu partout au Canada, donc qui n'ont pas un territoire spécifique dans une province comme telle, mais qui sont un peu partout au Canada. C'est un des peuples fondateurs, comme vous le dites.

Mais les Québécois, c'est différent parce que, à partir des années soixante - M. Manière l'explique très bien dans son livre sur le développement des idéologies - il y a eu une prise de conscience de cette société qu'est le Québec, prise de conscience de son identité politique, sociale et économique par différents éléments tant d'ordre interne qu'international. C'était les années soixante, c'était la décolonisation, c'était un mouvement qui est encore difficile à expliquer, mais c'est quand même une réalité sociale, politique, économique qui a fait que les Québécois ont fait cette révolution tranquille et ont manifesté ce sentiment de collectivité que nous appelons société, M. Rhéaume. C'est plus qu'un peuple, c'est une organisation, c'est la possibilité d'une organisation tant au point de vue économique que social et culturel et, si le Québec est spécifique, c'est bien sûr fondamentalement sa langue et sa culture qui sont distinctes de celles des autres provinces du Canada. C'est aussi en vertu de ses institutions, de sa façon d'être, de sa façon de vivre, de son Code civil, par exemple, qui est distinct. C'est dans ce cadre que nous utilisons le mot "société" qui a été utilisé par la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme, par la commission Pepin-Robarts, par la commission Macdonald, par une résolution qui a été adoptée à l'Assemblée nationale le 13 novembre 1981 par le précédent gouvernement où on se référait au Québec comme société distincte; il a été utilisé aussi par les différents ministres du précédent gouvernement, l'actuel chef de l'Opposition qui parlait de société distincte ou le ministre des Relations internationales, M. Jacques-Yvan Morin, qui parlait de société distincte. En fait, ce concept de société, pour nous, traduit parfaitement le fait que le Québec est distinct par une façon d'être et de vivre, tant en fonction de cette appartenance à une culture, à une langue qui lui est propre, qui est le français, que par des institutions, par une façon d'être. C'est dans ce contexte, M. Rhéaume, que nous utilisons l'expression "société distincte".

Maintenant, je sais que vous êtes indépendantiste, vous l'avez dit, c'est difficile pour vous de dire: Je suis pour l'entente ou non. Mais, est-ce que vous avez pu prendre connaissance des pouvoirs en matière d'immigration, du droit de veto récupéré, du fait que trois juges de la Cour suprême seront choisis à partir d'une liste que le Québec fournira, du pouvoir de dépenser? Est-ce que vous avez pu regarder la façon dont était libellée l'entente sur le caractère distinct du Québec et le rôle du gouvernement pour protéger et promouvoir la langue française? Est-ce que vous avez pu regarder cela et pouvez-vous nous faire part de vos commentaires là-dessus?

M. Rhéaume: Avant de passer la parole à mes collègues, M. le Président. Vous ne nous convaincrez pas de la valeur intrinsèque du pseudo droit de veto que vous êtes allés chercher. Vous êtes à peu près les seuls à croire que c'est un droit de veto. Le seul droit de veto qui est là-dedans, c'est le Canada qui en a un sur notre avenir, ce n'est pas nous. Sur le droit de veto, nous n'avons qu'à lire ce qui a été écrit ces dernières semaines pour reconnaître que-Dans vos textes, vous disiez un droit de veto. Oui, vous avez un droit de veto, comme tous les autres en ont un. Donc, ce n'est pas un droit de veto. Quand tout le monde en a un, ce n'est plus un droit de veto, c'est le droit de paralyser. Si cela peut vous contenter, nous, cela ne nous satisfait pas.

En ce qui concerne la Cour suprême, ce ne sont pas trois juges à la Cour suprême qui vont nous impressionner non plus. Il y a eu des premiers ministres francophones et on a vu ce que cela a pu nous donner. Trois sur neuf, vous savez, cela demeure le tiers. Si vous croyez qu'on est traité équitablement, également dans la Confédération canadienne; si pour vous, cela veut dire trois sur neuf, nous n'avons pas les mêmes règles de calcul.

En ce qui concerne le pouvoir de dépenser, on revient à avant la confédération. Reconnaître au gouvernement fédéral le droit de déterminer les objectifs nationaux dans des compétences exclusivement provinciales, c'est un recul impensable, même au-delà des Pères de la Confédération. Regardez tous les jugements

du Conseil privé, vous connaissez cela beaucoup mieux que moi, c'est une négation totale de l'histoire constitutionnelle canadienne, c'est un recul difficile à évaluer en termes de décennies. (11 heures)

En ce qui concerne la société distincte, écoutez, ce que vous vous apprêtez à signer, nous souhaitons vous empêcher de le faire par tous les moyens. Quand je dis "nous", c'est sans prétention, c'est avec tous ceux et celles qui s'y opposent. Vous vous apprêtez à reconnaître le bilinguisme du Québec à l'intérieur de la Confédération canadienne et cela ne passera pas. Vous savez que cela ne passera pas, le jour où les gens sauront ce dont il est question. II y a seulement Alliance Québec qui parle d'aventure. Ils ne sont quand même pas pour dire que c'est extraordinaire, ce texte-là, la population s'en méfierait beaucoup trop. Donc, on dit: C'est une aventure, mais on s'y lance.

Eh bien! cette aventure ne nous intéresse pas. Nous laissons ce Titanic à ceux et celles qui veulent bien s'y embarquer. Malgré tout ce que vous avez pu dire sur la société distincte, une société démocratique, je dirais, dites-le nous: Les Anglais ne veulent pas nous reconnaître comme peuple. Vous êtes bien obligés de défendre la société distincte. Nous vous croirions facilement. C'est cela au fond. Ça ne se peut pas que le gouvernement actuel, en particulier le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, soit le premier de toute l'histoire du Québec à dires Non, non, la société distincte, c'est mieux qu'un peuple. Si la commission Laurendeau-Dunton et la commission Pepin-Robarts parlaient de société distincte, c'est justement parce que les Anglais, par tous les moyens, ne veulent rien savoir du fait que le Québec constitue un peuple.

Je voulais laisser la parole à mes collègues. J'ai déjà beaucoup parlé.

M. Monière (Denis): Je pourrais enchaîner sur cette dernière remarque de Gilles Rhéaume. J'ai plutôt l'impression que, dans le débat actuel et dans la démarche du gouvernement, le droit de veto réel appartient au Canada anglais. En fait, c'est le Canada anglais qui a mis son droit de veto sur notre propre identité collective. Dans la mesure où - le chef actuel de l'Opposition a déjà utilisé cette formule - il ne faut rien demander qui puisse nous être refusé. Je crois que la stratégie du gouvernement du Québec a été d'employer des concepts qui définissent notre identité collective de telle façon qu'Ottawa et les autres provinces ne puissent pas dire non aux propositions du gouvernement du Québec. Je comprends que cette logique est rigoureuse et je ne reprocherai pas à mon ami et collègue Rémillard de l'utiliser, puisqu'elle s'inscrit dans une perspective fédéraliste.

J'aimerais quand même souligner une conséquence oui, à mon avis, est très importante à long terme. Lorsqu'on définit un peuple par le concept de société, je pense qu'on hypothèque à long terme la reconnaissance de ce peuple sur la scène internationale. Je pense qu'on ne peut pas essayer de convaincre les autres que nous avons une existence collective si nous nous définissons comme une société. En droit international, on n'utilise pas le concept de société, mais le concept de peuple. La Charte des Nations Unies n'utilise pas le concept de société, mais le concept de peuple. Nous, comme indépendantistes - et je crois qu'il y a beaucoup de fédéralistes que j'appellerais mous qui se rallieraient à cette proposition - ce que nous voulons pour l'avenir du Québec, ce n'est pas d'être enfermés dans une province. Nous ne voulons pas nous définir comme des provinciaux. Nous ne voulons pas être enfermés dans le Canada. Notre ambition collective, c'est de rayonner sur la planète toute entière. C'est d'être reconnus par les autres peuples du monde et c'est pour cette raison que nous tenons tant à ce que nous, Québécois, soyons identifiés comme un peuple et non comme une société.

M. de Bellefeuille (Pierre): M. le Président, sur ces questions, en particulier celle du droit de veto historique que possédait le Québec, on entend souvent dire dans les débats qui ont cours depuis un certain jugement de la Cour suprême que le Québec n'a jamais eu de droit de veto. Or, cela est faux. Le Québec avait un droit de veto historique qui est celui que M. Robert Bourassa a exercé à Victoria en 1971. Si on lit les jugements des tribunaux - il faut peut-être lire aussi un peu entre les lignes - ce que les tribunaux nous ont dit, c'est que ce droit de veto historique était un droit politique, et donc coutumier, qu'il ne fallait pas le chercher dans les textes et qu'il ne fallait pas demander aux tribunaux d'en asseoir le fondement. On a exigé des tribunaux qu'ils se prononcent sur la question. Ils se sont donc prononcés en leur sens à eux et au désavantage du Québec.

Le droit de veto politique existait. Ce sont les événements de 1981 et de 1982 qui l'ont, en quelque sorte, mis en panne et il faudrait aujourd'hui le revendiquer dans sa totalité. Depuis certaines négociations qui se sont déroulées en 1980 et 1981, on a accrédité malheureusement l'idée qu'un droit de retrait avec ou sans compensation financière est, en quelque sorte, équivalent à un droit de veto. A mon avis, cela est tout à fait faux. Un droit de retrait même avec compensation financière, n'est nullement équivalent à un droit de veto, ce sont même deux entités qui, à un certain égard, sont

opposées. Je m'explique. Je vais m'expliquer, je le crains, assez mal, parce que la personne que j'ai entendu expliquer cette question avec le plus de clarté, c'est M. le député d'Argenteuil, ministre de l'Éducation, qui, malheureusement, n'est pas avec nous aujourd'hui.

M. Rémillard: Me permettez-vous une question?

M. de Bellefeuille: Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: Simplement à ce chapitre, quand vous dites que le droit de veto existait, comment situez-vous l'entente du 16 avril 1981, qui a été signée par le précédent gouvernement?

M. de Bellefeuille: L'entente...

M. Rémillard: Quelle analyse en faites-vous?

M. de Bellefeuille: ...interprovinciale? M. Rémillard: Oui,

M. de Bellefeuille: Malheureusement, elle avait ce défaut d'accepter un droit de retrait avec compensation financière partielle comme équivalent au veto. À mon avis, c'était une erreur grave. C'est l'erreur dont nous demandons au gouvernement de M. Robert Bourassa de nous dépêtrer aujourd'hui.

C'est le député d'Argenteuil, M. Claude Ryan, que je me souviens avoir entendu expliquer très clairement, à l'Assemblée nationale, qu'un droit de retrait, comme l'expression le dit, signifie qu'on se désengage, tandis qu'un droit de veto suppose l'engagement le plus complet. M. Ryan expliquait très bien qu'à son point de vue, évidemment un point de vue fédéraliste, le Québec devait être, selon son expression, un partenaire majeur de la confédération et un partenaire actif. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le droit de veto historique.

Si le Québec n'a plus de droit de veto historique, il n'est plus un partenaire majeur de la confédération. Le droit de veto, contrairement à ce que certains ont dit, ce n'est pas le droit de bloquer, d'empêcher les choses de fonctionner, c'est, au contraire, le droit d'assumer la totalité du fonctionnement d'une chose. Alors, premièrement, Québec privé de ce droit de veto historique pour un fédéraliste, c'est un Québec qui a perdu son rang. Il me paraît inacceptable que M. Bourassa qui, en 1971, a compris qu'il ne pouvait pas signer un accord qui portait atteinte aux droits et prérogatives du Québec, aujourd'hui accepte des conditions qui sont tout à fait insuffisantes pour le Québec. Par exemple, qu'est-ce que le coup de force fédéral de I981-1982 a fait par rapport au droit de veto? II l'a enlevé au Québec et à l'Ontario et il l'a donné à tout groupe de quatre provinces; ce qui veut dire que les quatre provinces de l'Atlantique réunies, avec 220 000 habitants, ont un droit de veto total que le Québec et l'Ontario n'ont plus.

Je ne vois pas comment M. Robert Bourassa ou M. Rémillard pourraient signer une absurdité pareille.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. de Bellefeuille. Je vais reconnaître, maintenant, le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. MM. Rhéaume, de Bellefeuille et Monière, je veux d'abord vous remercier de votre contribution aux travaux de cette commission et vous dire, d'entrée de jeu, que la meilleure solution - je le pense et j'en suis persuadé et convaincu depuis plus de 25 ans - pour le Québec, ce serait qu'il devienne un État souverain, maîtrisant pleinement et totalement ses outils, ses instruments de développement, ses pouvoirs et ses compétences. C'est ma conviction profonde depuis ma jeunesse. C'est aussi l'objectif fondamental que poursuit toujours le parti auquel j'appartiens.

Une voix: Ah! Ah!

M. Brassard: Si vous n'avez pas compris cela, il faudrait que vous relisiez certains textes.

Messieurs, vous avez raison sur les notions de "société distincte", de "peuple" et de "nation".

Il n'y a pas tellement longtemps, d'ailleurs, le ministre était pleinement d'accord avec vous là-dessus. Je vous cite de nouveau un texte de M. Rémillard qui date de 1982, où il dit très clairement ceci: "Du peuple canadien-français a émergé la nation québécoise, c'est-à-dire un groupe de personnes liées par des intérêts d'ordre tant moral que matériel, qui vivent sur un même territoire, sont politiquement organisées et qui, prenant conscience de leur spécificité et de leur orginalité, désirent vivre ensemble."

Cela m'apparaît un concept drôlement plus clair, plus connu, d'ailleurs, et plus reconnu internationalement, par le droit international que le concept flou, vaque, insignifiant - vous avez raison là-dessus; je l'ai dit aussi, hier, que c'était un concept insignifiant - de "société distincte" qu'on vient de trouver, je ne sais où, dans un chalet sur le bord d'un lac, chalet qui appartient au gouvernement fédéral.

Là-dessus, vous avez parfaitement raison. C'est au concept de "peuple" et au concept de "nation" qu'est rattaché le droit à l'autodétermination, d'ailleurs. Ce n'est pas

au concept de société distincte.

J'ai lancé un défi, hier, au ministre. Si "société distincte", "peuple" et "nation" sont des termes équivalents, essayez donc de remplacer le concept de "société distincte" dans les textes juridiques - qu'on ne connaît pas encore - par le terme "peuple" ou "nation". On verra ce qui va se produire au Canada anglais et on verra ce qui va se produire au gouvernement fédéral. Faites cet essai-là et vous allez voir.

Mais j'espère qu'il va relever ce défi parce qu'il va se rendre compte que son concept de société distincte est loin d'être un terme équivalent à celui de peuple et de nation. Vous avez raison aussi de parler de précipitation relativement à cette question d'ordre constitutionnel, une question majeure qui concerne l'avenir du peuple québécois. Vous avez raison de parler de précipitation douteuse, louche.

Savez-vous qu'on a pris plus d'un an pour doter le Québec d'un régime forestier? C'est important, un régime forestier. On a pris plus d'un an pour ça. Il y a eu un avant-projet de loi, des consultations très larges, ouvertes, ensuite, un projet de loi, des discussions et toutes les étapes à l'Assemblée nationale. Cela a pris plus d'un an pour se doter d'un régime forestier. Cela a pris des mois et des mois - ce n'est pas encore fait; ce n'est pas encore terminé -pour doter le Québec d'une loi sur les pesticides.

C'est important, la question de l'environnement, la protection de l'environnement. Il y a eu un avant-projet de loi, une large consultation et le projet de loi n'est pas encore adopté. Il est à l'étude et cela va prendre encore plusieurs semaines.

Mais, quand ça concerne l'avenir du Québec, un mois, c'est quasiment trop pour le gouvernement, c'est même trop. C'est tellement trop qu'il surcharge les travaux de cette commission au lieu d'étaler les travaux de la commission de façon normale. Il surcharge les travaux de la commission pour que ça se passe dans le moins de temps possible. Précipitation douteuse et louche; là-dessus, vous avez parfaitement raison.

Vous savez que le ministre se prétend mandaté. Le gouvernement se prétend mandaté pour conclure cet accord sur la base des cinq conditions minimales qu'on connaît. Vous savez qu'il se prétend mandaté. Vous avez dit tantôt que - là-dessus, je vous donne raison - la question nationale n'a pas été discutée et n'a pas été au coeur du débat électoral en décembre 1985. Vous avez raison là-dessus; c'est vrai.

Je vous demande, comme première question, ce que vous pensez de cette affirmation maintes fois répétée du ministre qu'ils ont été mandatés en décembre 1985 lorsqu'ils ont été élus comme gouvernement pour exercer le pouvoir. Qu'est-ce que vous pensez de cette affirmation selon laquelle ils ont été mandatés pour régler, sur la base des cinq conditions minimales, la question constitutionnelle?

M. de Bellefeuille: M. le Président, en réponse à cette question, il me paraît clair que le mandat que le gouvernement du Québec a reçu en décembre 1985 est un mandat d'administrer le Québec comme province canadienne et non pas un mandat de modifier de façon importante le régime constitutionnel sous lequel vit le Québec.

Mais je me demande pourquoi la question nous est posée par le député de Lac-Saint-Jean, étant donné qu'il appartient à une formation politique qui a elle-même proposé que le Québec signe le "Canada Bill". (11 h 15)

Personne, je pense, n'a oublié ce document, ce projet d'accord constitutionnel en vertu duquel le qouvernement du Parti québécois, en 1985, il y a exactement deux ans, proposait que le Québec signe le "Canada Bill". Alors, j'ai du mal à comprendre la question puisque il n'y avait pas plus de mandat de ce côté-là à ce moment-là qu'il n'y en a à l'heure actuelle.

M. Brassard: Je vous signale qu'on n'a pas amorcé de néqociations constitutionnelles sur la base de cet accord et qu'on n'a pas conclu d'entente.

M. de Bellefeuille: Vous n'avez pas eu le temps.

M. Rhéaume: Cependant, puisqu'il faut bien dire ce qui est, des membres du gouvernement de cette époque ont même dit qu'une commission parlementaire n'était pas nécessaire et que le gouvernement avait le mandat, quand même, de régler cette question-là.

Cependant, quant à nous, les gouvernements, quels qu'ils soient - et nous les avons dénoncés tous les deux, en tant qu'indépendantistes - qui ont proposé l'adhésion du Québec à la constitution canadienne, n'avaient ni l'un ni l'autre le mandat explicite de procéder à une telle démarche.

M. Brassard: Une dernière question là-dessus, sur le droit à l'autodétermination. Est-ce que vous jugez essentiel que le droit à l'autodétermination du peuple québécois, de la nation québécoise, soit reconnu et inscrit dans la constitution canadienne, M. Rhéaume?

M. Rhéaume: Quant à nous, il est important que l'on reconnaisse que nous, ici au Québec, nous constituons un peuple. Ce qui nous inquiète, si dans la constitution

canadienne est inclus ce que vous venez d'avancer, c'est le fait que ce sont les tribunaux qui interprètent la constitution canadienne. Si le droit à l'autodétermination du peuple québécois était inscrit comme tel dans la constitution, cela voudrait dire que la Cour suprême pourrait décider ce que cela veut dire. Est-ce qu'une majorité de députés pourraient proclamer l'indépendance du Québec, l'exercice du droit à l'autodétermination, les modalités, la portée? Non. À ce niveau-là, ce que nous demandons, ce que nous souhaitons, c'est que l'on reconnaisse que nous sommes un peuple. Quant au reste, le droit international et la volonté politique feront le reste.

M. Brassard: Autrement dit, M. Rhéaume, si je comprends bien ce que vous dites, c'est qu'à partir du moment où on reconnaît l'existence du peuple québécois, par le fait même, par cette reconnaissance, le droit à l'autodétermination est reconnu implicitement.

M. Rhéaume: C'est-à-dire que pour nous, si le Canada anglais reconnaît l'existence du peuple québécois, il reconnaît par le fait même le droit de libre disposition comme pour tous les peuples, y compris le nôtre. Il y a déjà d'autres peuples dans le monde qui reconnaissent le peuple québécois comme un peuple qui possède tous les droits appropriés. Donc, nous demandons qu'on nous reconnaisse comme peuple. Ce n'est pas parce que quelques personnes, au nom du Québec, nous auront réduits à une simple société distincte que nous cesserons d'être un peuple. Nous sommes un peuple et nous continuerons de l'être tant et aussi longtemps que nous serons ce que nous sommes. Cependant, nous disons quand même qu'il y a des balises juridiques sur lesquelles s'appuie toute cette argumentation. Pour nous, c'est la reconnaissance en tant que peuple. Quant au reste, ce sont des droits inhérents à l'existence même d'un peuple que nous avons et que nous ne pouvons perdre.

M. Brassard: Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean.

Je vais reconnaître, en dernière partie, le député de Frontenac.

M. Johnson (Anjou): M. le Président... Le Président (M. Marcil): Oui.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le temps est terminé de l'autre côté?

Le Président (M. Marcil): II reste une minute encore.

M. Johnson (Anjou): Je pensais qu'ils l'avaient prise tout à l'heure, M. le Président.

M. Lefebvre: M. le Président, j'aimerais...

Le Président (M. Marcil): Le rapport que j'ai indique une minute à l'heure allouée.

M. Johnson (Anjou): II reste combien de temps?

M. Rochefort: II reste 30 secondes.

Le Président (M. Marcil): 30 secondes? Cela va.

M. Lefebvre: J'aimerais relever les propos de M. de Bellefeuille disant qu'en 1981 existait un droit de veto que le Québec a perdu, à l'époque, à cause de stratégies douteuses du gouvernement dont il faisait partie. Les observateurs objectifs qui évaluent l'entente du lac Meech reconnaissent qu'en 1987 on récupère ce droit de veto. J'aimerais aussi, M. de Bellefeuille, vérifier l'état d'esprit que vous aviez, le 1er décembre 1981 alors que vous étiez vous, tout comme le député de Lac-Saint-Jean, qui a qualifié tout à l'heure la société distincte de notion insignifiante, j'aimerais vérifier où vous en étiez lorsque, le 1er décembre 1981 effectivement, le qou-vernement dont vous faisiez partie, tout comme le député de Lac-Saint-Jean, a adopté la résolution qui disait dans le cadre du débat concernant l'adhérence du Québec au rapatriement de la constitution: "On devra reconnaître, que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement éqaux et que le Québec forme, à l'intérieur de l'ensemble fédéral canadien, une société distincte par la langue, la culture, les institutions." Alors, on se souvient que le 1er décembre 1981 on a adopté cette résolution au moment où on discutait du rapatriement de la constitution.

Le Président (M. Marcil): Réponse très courte.

M. Lefebvre: J'aimerais, M. de Bellefeuille, vous entendre là-dessus, tout comme j'aimerais évidemment entendre les commentaires du député de Lac-Saint-Jean. C'était le Parti québécois qui formait le gouvernement à l'époque et la société distincte a été reconnue à ce moment.

Le Président (M, Marcil): Si vous le voulez, M. le député de Frontenac. Le temps est terminé, mais vous avez le temps de donner une réponse très courte.

M. Lefebvre: L'adhésion évidemment.

L'adhésion du Québec et non pas l'adhérence.

M. de Bellefeuille: Je serai très bref, M, le Président. Je voudrais d'abord vous faire observer ainsi qu'à tous vos collègues, membres de la commission, que je n'ai jamais été membre d'aucun gouvernement. J'ai été membre d'une députation. Il y a une énorme différence.

Deuxièmement, pour ce qui est du droit de veto, je crois que tous les textes indiquent que le droit de veto dans le projet d'accord que nous étudions actuellement est un droit de veto partiel extrêmement circonscrit qui ne ressemble pas au droit de veto total que le Québec avait.

Quant au texte que M. le député a cité, c'est un texte qui contient les deux expressions, celle de peuple et celle de société distincte. Il est donc fort du fait de la présence du mot "peuple".

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. de Beilefeuille. En conclusion, la partie de l'Opposition, cela va?

M. Johnson (Anjou): Cela va, merci. Le Président (M. Marcil): Cela va?

M. Johnson (Anjou): Merci. Merci, messieurs.

Le Président (M. Marcil): Donc, M. Rhéaume, M. Monière de même que M. de Bellefeuille, au nom des gens de cette commission...

M. Lefebvre: Avec le consentement de l'Opposition, est-ce qu'on pourrait permettre au ministre de prendre une minute pour remercier nos invités?

M. Rémillard: Je veux simplement remercier M. de Bellefeuille, M. Rhéaume et M. Monière. Je veux vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. J'ai pris bonne note de vos commentaires en fonction de vos convictions profondes. Je vous remercie d'être venus.

Le Président (M. Marcil): De même que tous les membres de cette commission, nous vous remercions de votre présence. Je vais suspendre pour deux minutes afin de permettre aux gens de la Chambre de commerce du Québec de s'avancer.

(Suspension de la séance à 11 h 23)

(Reprise à 11 h 27)

Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous plaît'

Les représentants de la Chambre de commerce de la province de Québec, M. Jean-Paul Létourneau, vice-président exécutif, Me Louis Lagacé, président du conseil qui n'est pas ici. Ça va? M. Mark Toivanen qui n'est pas ici, de même que Jean-Claude Riendeau, directeur général. Est-ce qu'on pourrait connaître le nom des deux autres personnes?

Chambre de commerce de la province de Québec

M. Létourneau (Jean-Paul): Oui. Merci, M. le Président. Mon nom est Jean-Paul Létourneau. Je suis le vice-président exécutif de la Chambre de commerce du Québec.

Le Président (M. Marcil): Juste avant, M. Létourneau, - excusez, M. Létourneau -vous pourriez seulement nous les présenter...

M. Létourneau: C'est ça.

Le Président (M. Marcil): ...et je vais vous indiquer les règles du jeu.

M. Létourneau: Très bien, M. le Président. Alors, je suis accompaqné, à ma droite, du vice-président de la Chambre de commerce du Québec, M. Pierre Racine et d'un ex-président de la Chambre de commerce du Québec, M. Pierre Tremblay; à ma gauche, M, Jean-Claude Riendeau directeur général de la Chambre de commerce du Québec, s'il vous plaît, "de la province de", laissez tomber.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. À titre d'information, vous avez 20 minutes qui vous sont allouées pour votre exposé et qui seront suivies de 40 minutes divisées en deux parties. Après entente entre les deux représentants des deux formations, j'entends faire respecter le temps de chacune des formations. Je demanderais, lorsque l'on vous indiquera le temps qu'il vous reste, d'être très précis et d'être très structuré afin que nous n'éternisions pas les débats. Je demanderais également au présentateur d'être aussi concis que possible à la période des questions. Ça va?

M. Létourneau: M. le Président... Le Président (M. Marcil): Oui.

M. Létourneau: ...permettez-moi d'ajouter le nom d'un membre de notre délégation qui vient tout juste de se joindre à nous, M. Jean Lambert, vice-président de la Chambre de commerce du Québec.

Le Président (M. Marcil): Nous vous souhaitons la bienvenue et sans plus tarder, nous vous laissons la parole.

M. Létourneau: Je présume que chacun a reçu une copie de notre mémoire. Nous désirons tout d'abord remercier cette commission de nous avoir, par son invitation, fourni l'occasion...

Le Président (M. Marcil): J'accepte le dépôt de votre document.

M. Létourneau: Merci, M. le Président. ...de nous avoir fourni, donc, l'occasion de venir témoigner devant elle aujourd'hui, ce que nous avons accepté de faire malgré des délais très courts et le caractère, a priori, plutôt technique du sujet débattu, soit l'entente intervenue le 30 avril 1987, au lac Meech, concernant la constitution du Canada. Notre chambre est une fédération de plus de 210 chambres locales, "boards of trade" et associations similaires, oeuvrant dans tous les coins du Québec et regroupant près de 60 000 gens d'affaires de toutes catégories. Nous bénéficions de plus de l'appui d'un vaste réseau de 5600 entreprises et associations verticales au titre de sociétés membres. Notre objectif est de travailler au mieux-être économique, civique et social de notre milieu.

Notre intérêt dans le dossier. L'intérêt de la Chambre de commerce du Québec dans ce dossier tient tout d'abord au fait que nous avons été historiquement de tous ces grands débats sur l'avenir constitutionnel du Canada depuis la commission Tremblay, dans les débuts des années cinquante, en passant par la commission Pepin-Robarts et plusieurs autres débats publics sur le sujet au cours des ans. Notre préoccupation principale, il va de soi, a généralement été tout d'abord économique, car c'est dans ce domaine que notre mandat et notre expérience sont les plus engagés.

Au fil des ans, nous avons aussi développé, à l'égard de l'action législative, certaines philosophies et certaines approches qui nous apparaissent plus efficaces et plus susceptibles de favoriser le dynamisme du développement de notre économie. Plus spécifiquement, au sujet de l'entente du lac Meech, nous avons constaté que te monde des affaires du Québec avait intérêt à en examiner les clauses suivantes: a) le pouvoir de dépenser du fédéral; b) le partage des compétences en matière d'immigration; c) l'amélioration du climat constitutionnel et son impact sur le milieu des affaires; d) les structures qui favorisent une meilleure collaboration interprovinciale et la libéralisation de nos échanges à ce niveau.

L'objectif global de l'entente. De tout temps, notre chambre a plaidé et tenté de favoriser l'harmonie et l'harmonisation dans les relations fédérales-provinciales. Nous avons constaté que plus il y avait de tension dans ces relations au sein du pays, plus nos membres ressentaient un climat d'incertitude négatif sur le développement des affaires et, par voie de conséquence, sur le développement économique et social, la création d'emplois, etc. Que le Québec s'entende pour adhérer à la constitution canadienne était donc, pour nous, à sa face même, une bonne nouvelle.

L'entente convenue au lac Meech le 30 avril dernier, de par sa seule existence, a donc fait pousser un grand soupir de soulagement à plusieurs d'entre nous. Était-ce possible? Enfin, tous nos premiers ministres canadiens sont unanimes pour interpréter et faire évoluer la constitution canadienne. Enfin, le Québec et le reste du Canada ont réussi à se brancher sur la même longueur d'onde constitutionnelle. C'est un moment et une chance historiques. Enfin, nous aurons une chance de faire avancer plus rapidement des dossiers de développement, de meilleure intégration de nos marchés nationaux trop balkanisés, etc.

Le caractère plutôt flou de l'entente. Nous avons adopté ce titre parce qu'on l'a entendu mentionner souvent ici, cela nous a frappés et on s'est penché sur la question. Dans un second temps, nous avons constaté que nous étions seulement devant une entente de principe, laquelle devait subséquemment être ratifiée par une entente juridique. À nouveau, l'inquiétude est revenue. "Pourvu que ça tienne!" ont observé plusieurs. Puis, nous avons beaucoup lu et écouté les opinions des experts constitutionnels. C'est ici que notre longue expérience des effets des divers textes de lois et les stratégies d'approche que nous en avons dégagées avec le temps sont venues nous aider à faire notre choix parmi des avis souvent contradictoires des experts constitutionnels.

Depuis longtemps, dans toutes sortes de champs d'intervention législative, nous nous sommes rendu compte que les lois et règlements longs et détaillés qui tentent de couvrir toutes les éventualités, normatifs jusque dans les détails, sont généralement inefficaces. Ils sont inefficaces pour plusieurs raisons.

Premièrement, ils ne réusssissent à peu près jamais à couvrir toutes les éventualités, et le génie inventif de ceux qui veulent contourner ces lois fait qu'ils ont souvent trouvé un moyen de le faire, avant même que l'encre ne soit sèche sur le projet de loi finalement adopté.

Deuxièmement, pendant ce temps, les citoyens soucieux de respecter la loi se voient imposer un fardeau additionnel créé pour faire cesser des pratiques condamnables auxquelles ils n'ont, la plupart du temps, pas participé.

Troisièmement, des lois trop explicites et détaillées gèlent le progrès. Elles

empêchent l'avènement de nouvelles technologies, de nouvelles façons de faire moins coûteuses, plus efficaces, plus rapides, parce que des normes trop précises rendent ces innovations illégales.

Nous avons préconisé souvent et obtenu quelques fois, depuis quelques années, que la réglementation soit faite par objectifs plutôt que par normes. Deux exemples notoirement efficaces, à notre avis, ont été mis à l'essai et ont donné de bons résultats: l'application des programmes de francisation de la loi 101 et des programmes de dépollution industrielle. Dans ces domaines, la loi et les règlements fixent des objectifs à partir de situations constatées qui demandent correction et permettent d'établir un programme correctif en collaboration avec les intéressés et selon les moyens qu'ils choisissent, pour autant que les objectifs désirés par la loi sont atteints dans des délais raisonnables. C'est là une façon moderne, souple, efficace d'appliquer une loi et cette méthode n'empêche pas de coincer le récalcitrant qui ne veut rien entendre. De plus, si dans l'application on rencontre des difficultés imprévues, la loi et les règlements n'empêchent pas de rouvrir l'entente et de corriger le tir tout en conservant l'objectif.

C'est justement cette approche que nous retenons comme souhaitable dans le cas de l'entente de principe du lac Meech. Nous voyons des experts qui voudraient que l'entente prévoie tout, soit une espèce de protection hermétique à certains droits, qu'ils ont, d'ailleurs, des difficultés apparentes à bien définir, pour être certains de couvrir toutes les éventualités.

Pour les raisons que nous avons exposées ci-dessus, nous retenons plutôt l'approche des experts qui, tout en étant prudents, font preuve de moins de méfiance et font plus confiance aux capacités qu'auront les parties de s'entendre dans l'avenir et de trouver des modus vivendi opérationnels, vivables et raisonnables, parce qu'ils ne seront pas encarcanés dans une constitution trop rigide qui ne répondrait plus à leurs objectifs communs.

Donc, sur ce point, nous optons pour la recherche d'une consécration juridique simple de l'entente, une consécration juridique qui, tout en étant prudente et enrichie en ce sens par les débats de la présente commission, ne recherche pas par méfiance de nouvelles exigences et des demandes qui risqueraient de compromettre toute cette longue démarche qui nous amène enfin à des compromis raisonnables et, de toute façon, loin d'être immuables.

La spécificité québécoise. La Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, volume III, consacre son chapitre 24 au sujet; je cite: "Le système constitutionnel canadien et les problèmes communautaires non résolus". Après de savantes considérations sur cette question, les auteurs concluent qu'une formulation à peu près idéale d'une nouvelle entente constitutionnelle en la matière pourrait se lire comme suit, et je cite: "Reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise, foyer principal mais non exclusif des francophones au Canada, et acceptant comme une donnée essentielle de la Fédération canadienne son caractère dualiste...".

À l'époque, nous avions vu là une proposition qui allait de pair avec notre propre vision de la présence du Québec dans la Confédération canadienne. Or, voilà que dans l'entente du lac Meech, nous trouvons sous le chapitre "Caractère distinct du Québec", aux articles (l)a) et (l)b), un texte à peu près en tous points semblable. Cette formulation donne-t-elle suffisamment de protection aux spécificités linguistique, culturelle, institutionnelle et autres du Québec? Encore une fois, nous entendons les experts se contredire et nous n'avons pas la prétention d'en savoir plus qu'eux sur le sujet.

D'une part, nous entendons le professeur Beaudoin exprimer l'opinion que le Québec est allé chercher le maximum auquel il pouvait espérer d'une telle entente. D'autre part, nous entendons des craintes se manifester particulièrement du côté de la reconnaissance de notre spécificité linguistique. N'ayant pas de certitude absolue sur cette question, nous estimons que les représentants du gouvernement du Québec responsables de cette entente ont aussi leurs experts, entendent comme nous les inquiétudes qui se manifestent, décantent les échanges d'opinion entendus au cours de cette commission, savent ce qu'ils sont prêts à risquer sur ces interprétations et essaieront au maximum de rendre le texte juridique le plus satisfaisant possible pour la majorité des Québécois. Nous ne pouvons leur en demander plus et nous leur faisons confiance.

De toute façon, notre plus profonde conviction est que les spécificités du Québec reposent bien plus sur une société québécoise dynamique, entreprenante, décomplexée et prospère que sur des protections constitutionnelles aussi hermétiques soient-elles.

Les intérêts plus spécifiques du monde des affaires. Le pouvoir de dépenser du fédéral nous intéresse beaucoup parce que ce gouvernement en a tellement abusé, ces dernières années, que nous en sommes rendus à une dette publique quasiment insupportable, plus de 300 000 000 000 $. Nous interprétons l'entente comme un moyen de ralentir et de diminuer les décisions de dépenses fédérales en matière de proqrammes nationaux intervenant dans des compétences provinciales. Pour nous, cette clause est donc

positive et nous l'appuyons.

Le nouveau partage de pouvoirs en matière d'immigration est aussi, à notre avis, une clause positive pour le Québec puisqu'il nous garantit l'initiative de la politique d'immigration faite sur mesure en fonction de nos besoins, de nos désirs et de nos capacités d'accueil.

L'entente comme telle est un signe inespéré de relâchement des tensions constitutionnelles au pays et est interprétée positivement par notre milieu. L'institutionnalisation d'une conférence constitutionnelle annuelle sera, selon nous, une soupape et une occasion d'éducation et de rapprochement de toutes les parties. En somme, voici un instrument pour décanter régulièrement tous les problèmes constitutionnels et les désamorcer ou leur trouver des solutions, autre bonne affaire pour les affaires.

L'institutionnalisation des conférences économiques provinciales est un autre résultat de l'entente auquel nous applaudissons. Un peu comme dans le domaine des relations du travail, tant que les parties négocient, il y a des chances que leurs différends se règlent. Il y a même des chances pour que des collaborations nouvelles et créatrices de plus de prospérité pour tous en sortent.

En somme, ce que nous désirons, c'est une entente qui, une fois formulée en termes juridiques, tout en respectant notre spécificité, soit ouverte, souple, capable de s'adapter à notre évolution.

Pour nous, M. le Président, le mot clé dans toute cette affaire, c'est la confiance. La prudence est nécessaire pour régler une telle entente, mais la confiance doit régner entre les parties pour en venir à une entente valable et durable. Il nous semble que notre gouvernement doit conserver dans ses négociations une attitude de confiance. Il a d'ailleurs toute une série de bonnes raisons d'avoir une telle attitude de confiance. Il est évident que le Québec n'est qu'au début d'une période de développement solide et très prometteuse, et de ceci nous sommes profondément convaincus. (11 h 45)

Des facteurs vitaux sont présents et déjà à l'oeuvre dans notre milieu: une nouvelle génération d'entrepreneurs plus nombreux, jeunes, plus agressifs et plus compétents; de nouvelles valeurs de société ouvertes sur le risque, le progrès, la technologie et l'internationalisation; de nouvelles méthodes de gestion axées sur la qualité, la productivité, la concurrence, la qualité de vie au travail et la participation; des instruments de financement dynamiques sont en place et font leur preuve, tels les REA et les SPEQ, pendant que simultanément des institutions financières de chez nous, plus fortes et plus agressives contribuent davantage au financement de nos développements; le bouillonnement d'entre-preneurship québécois rend notre territoire plus attrayant pour les investissements étrangers.

En conclusion, nous avons confiance que l'entente constitutionnelle apporte une nouvelle contribution au dynamisme québécois déjà existant et potentiel, et entraîne une plus grande ouverture des esprits et des marchés. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Létourneau. Maintenant, je vais reconnaître M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): 21 minutes pour chacun des qroupes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. MM. Létourneau, Tremblay, Racine, Lambert et Riendeau, je veux vous remercier d'être venus témoigner devant nous, ce matin, afin de nous faire part de vos opinions sur l'entente du lac Meech.

Vous avez souligné plusieurs points impartants dans votre mémoire, mais je voudrais brièvement revenir sur un point que vous faites valoir fort bien et qui se retrouve à la page 7. J'aurais aimé que le chef de l'Opposition soit ici pour entendre cet intervenant. C'est l'une des premières fois que le chef de l'Opposition n'est pas ici - peut-être la première fois - pour entendre un groupe. Alors, le chef de l'Opposition n'était pas ici pour vous entendre. Je le regrette parce qu'en particulier ce passage était intéressant. Lorsque vous dites à la page 7 de votre mémoire: "De toute façon, notre plus profonde conviction est que les spécificités du Québec reposent bien plus sur une société québécoise dynamique, entreprenante, décomplexée et prospère que sur des protections constitutionnelles aussi hermétiques soient-elles." Je crois, M. Létourneau, que vous soulignez là un point très important. Le nationalisme, au Québec, a changé. C'est terminé, la théorie de la serre chaude, de demeurer recroquevillés sur nous-mêmes, incapables de faire face à la réalité tant aux plans national canadien qu'international; non, tout cela est changé. Le défi que nous avons comme société qui veut garder son originalité et sa spécificité, c'est ce défi de l'excellence. Vous le souliqnez très bien. Cette excellence, elle va s'exprimer par des outils que nous devons, comme gouvernement, donner aux Québécois et aux Québécoises et l'entente du lac Meech donne justement ces outils en ce qui regarde bien des éléments de notre développement social, économique et politique.

Donc, c'est un aspect particulièrement intéressant et je veux vous remercier de le souligner. C'est la première fois qu'un groupe le souligne, cette nouvelle perception du nationalisme comme telle. J'aimerais vous entendre sur cet aspect en particulier, pour voir la perception que vous avez en fonction donc de ce que vous dites dans votre mémoire à la page 7.

M. Létoumeau: M. le Président, ce qui nous donne cette conviction, c'est tout d'abord l'évolution de ce qui se passe à l'intérieur même de notre organisme. Nous avons vécu - d'ailleurs notre organisation existe depuis maintenant près de 80 ans, elle fut fondée en 1909 - ces dix dernières années, disons, une progression dans le "membership" de l'ensemble du mouvement des chambres de commerce au Québec de l'ordre de 3 % à 4 % par année. En 1985, soudainement, il nous est arrivé quelque chose d'assez imprévu, une augmentation du "membership" de 15 %, même de 16 %; nous passons de 43 000 à 50 000 membres dans l'ensemble des chambres de commerce locales au Québec.

On a absorbé le coup et on en était fort heureux. Cette année, lorsqu'on a fait le décompte, à nouveau, on s'est aperçu qu'on était rendu à 58 700, c'est-à-dire une augmentation de 17 %. Inutile de vous dire qu'on a essayé de détecter les raisons de ce nouveau dynamisme qui se manifestait d'une manière spectaculaire. Nous nous sommes rendu compte que la meilleure réponse que nous avons pu trouver était celle-ci: Ce qui se passait chez nous était a l'image de l'ébullition de l'entrepreneurship au Québec. Plus de jeunes viennent sur le marché, entrent en affaires, lancent leurs affaires; ils sont mieux préparés a le faire. Bien, ils viennent finalement se rencontrer au sein d'une organisation comme la nôtre.

Parmi les observations faites par des gens de l'extérieur, il nous a été donné, par exemple, de voir des rapports confidentiels préparés par des firmes new-yorkaises, de grandes firmes de renommée mondiale qui ont fait, pour des clients québécois, des études sur la situation du marché au Canada et qui ont conclu - évidemment, je ne peux malheureusement pas citer d'auteurs; ce sont des documents confidentiels que j'ai eu l'avantage de consulter - en disant à des clients à travers l'Amérique du Nord: Ce qui se passe au Québec, c'est formidable! II y a un éveil d'entrepreneurship et des attitudes nouvelles, des valeurs de société nouvelles qui font que tout investisseur qui cherche en Amérique du Nord des possibilités d'investissement, s'il ne regarde pas au Québec, va manquer de bonnes chances.

C'était dit par des gens de l'extérieur de chez nous. Si nous, on avait dit ça, peut-être qu'on aurait dit: La chambre de commerce, c'est normal. Plus récemment, des économistes de l'Université Queen's, Tom Courchesne, et un quotidien d'Ottawa, The Citizen, ont présenté des articles sur le Québec qui témoignent de ce renouveau et de ce dynamisme de notre économie, d'une façon qui fait qu'en comparant même avec l'Ontario... On dit en Ontario: Regardez ce qui se passe, parce que ça marche au Québec, vous savez, et il y a un potentiel qui se développe.

Cela nous impressionne beaucoup et on a même l'impression que, à force de vivre près des arbres, on a perdu la perspective de la forêt et qu'on ne s'aperçoit plus que, effectivement, les choses s'améliorent et qu'il y a surtout encore un très grand potentiel d'amélioration à venir dans nos ressources humaines beaucoup mieux qualifiées, beaucoup plus prêtes à prendre la relève, beaucoup mieux conditionnées sur le plan intellectuel, beaucoup plus ouvertes, beaucoup plus prêtes à courir des risques et beaucoup plus compétentes, surtout, dans le domaine du management et ouvertes sous l'aspect de la gestion participative.

Alors, ceci nous rend confiants dans notre avenir, nous rend optimistes et fait que, vraiment, si on a déjà eu des complexes vis-à-vis de nos collègues du reste du Canada ou des États-Unis, nous n'en avons plus, à toutes fins utiles, parce que nous n'avons plus raison d'en avoir.

Je reviens à ce qui se passe chez nous. Notre Chambre de commerce du Québec est de loin la plus importante au Canada parmi toutes les chambres provinciales. Qu'on l'examine sous tous les angles. Elle a l'appui le plus fort que l'on puisse trouver du milieu des affaires parmi toutes les chambres de commerce provinciales au Canada et, même si nous nous comparons aux chambres de commerce d'État aux États-Unis, nous arrivons en tête du peloton parmi les premiers.

Alors, ceci nous influence, évidemment, et nous indique qu'au Québec, quand on s'en donne la peine, quand on s'instruit, se renseiqne et se développe, et quand on apprend à se décomplexer, on est capables de faire des choses et nous avons une grande confiance dans le potentiel de développement économique du Québec, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Je reconnaîtrai le député de Lac-Saint-Jean ou M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Une première remarque générale, M. le Président. Je reproche au ministre de ne rien dire. Aujourd'hui, j'aurais plutôt tendance à lui reprocher d'avoir ouvert la bouche au début de son intervention. J'ai présenté par anticipation mes regrets aux membres de la chambre de commerce de ne pouvoir être là

au moment où ils feraient leur exposé.

J'ai cependant pu saisir, à travers une autre activité, compte tenu de la bousculade que nous impose le gouvernement dans notre horaire, des extraits à la télévision dans mon bureau, en même temps qu'une réunion essentielle que je tenais.

Je tiens à vous souhaiter la bienvenue en vous faisant remarquer que, malheureusement, le premier ministre n'est pas parmi nous, comme il ne l'a été en aucun temps, sauf pour les deux premières heures et demie de cette commission. Je trouve regrettable qu'il ne puisse pas vous entendre. J'espère, au moins, qu'il va vous regarder à la télévision.

J'ai eu le plaisir de vous rencontrer hier, ainsi que l'ensemble des membres du conseil d'administration de la chambre de commerce lorsque vous avez eu l'amabilité de venir communiquer avec notre caucus. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec la présidente et d'autres membres pendant quelques minutes. Je voudrais peut-être aller au fond de quelque chose qui me paraît assez important et que vous invoquez au début de votre mémoire. Vous dites: Vous savez, pour nos membres c'est important, parce que les tensions en matière constitutionnelle dérangeaient un peu le climat économique, le développement, etc.

Moi, je pose la question suivante: Pensez-vous que le fait que le Québec n'ait pas signé depuis cinq ans, en soi, a causé des problèmes de développement économique? Je vous ferai remarquer que la constitution canadienne s'applique au Québec. Elle s'applique de façon tout à fait intégrale au Québec depuis 1982. La charte canadienne est plaidée tous les jours devant les tribunaux par des individus, des avocats. Le nonobstant même n'a pas été utilisé par ce gouvernement, ou à peu près. Donc, elle s'applique vraiment intégralement. Il n'y a pas de perspective de réforme en profondeur du fédéralisme autre que l'éventuelle réforme du Sénat, sur laquelle, de toute façon, le Québec avait un droit de veto en vertu de 1867 et non en vertu de 1982.

Vous avez l'air d'affirmer que le fait que le Québec n'ait pas signé en 1982 causait des problèmes. Le Québec n'a toujours pas signé, et pourtant la croissance économique est assez remarquable depuis trois ans. Ce dynamisme, cet "entre-preneurship" que vous évoquez, qui est un acquis important pour le Québec, qui est fondamental pour son développement. Je vais vous le dire honnêtement. Je pense que ça ne dérange rien dans le milieu des affaires. C'est en tout cas la perception que j'ai en parlant avec des gens du milieu des affaires. Je n'ai pas vu beaucoup de gens dans le milieu des affaires qui disaient: Hé! Il faut qu'on signe. C'est tellement pressé, il faut qu'on signe. Moi, je vois plutôt des gens dans le milieu des affaires qui s'adonnent à leurs activités avec énergie, qui tentent de pénétrer dans des marchés internationaux, qui tentent de pénétrer dans des marchés canadiens. Un concurrent important d'un des membres de votre groupe ici, dans le secteur des communications, me disait récemment, et c'est un homme dont les convictions politiques l'ont amené à militer au niveau fédéral, au Parti libéral, pendant un certain temps: Moi, tu sais, j'arrive d'Asie où je viens de signer un contrat avec tel pays. C'était un contrat de plusieurs millions de dollars, extrêmement important. Il me disait: Sais-tu, cela a été moins compliqué de siqner en Asie et de réussir à m'implanter à cet endroit précis en Asie que de m'installer en Ontario.

Ce que je retenais de ce que me disait cette personne du milieu des affaires, c'est que, pour lui, ça ne change rien qu'on ait signé ou non. Ce sur quoi je vous questionne, M. Létourneau, vous et vos collègues, c'est ceci: Quand vous affirmez qu'il faut que ça tienne, l'entente du lac Meech, vous pensez vraiment que ça préoccupe votre membership?

M. Létourneau: M. le Président, effectivement, nous n'avons pas dit dans notre mémoire que le fait que le Québec n'ait pas adhéré à la constitution depuis 1982 avait créé des perturbations dans le milieu des affaires. Nous n'avons pas dit ça. Cependant, chaque fois que le sujet revient dans l'actualité, comme c'est le cas présentement, chaque fois que les tensions se manifestent à nouveau, reprennent la manchette et qu'on est à se demander ce qui va ressortir de ces affrontements, ça énerve. C'est là que ça énerve, à ce moment-là. C'est pourquoi nous disions dans notre mémoire qu'au moment de l'entente du lac Meech, à la première nouvelle, du seul fait de dire qu'ils se sont entendus, tout le monde était heureux et très satisfait parce que c'était comme une détente: Bon, enfinl ça va être réglé, ce problème. Ce n'est pas tout à fait cela, mais enfin... Nous avons indiqué plus tôt qu'il y avait eu, de par le fait de l'entente en soi, tout de suite un sentiment de détente et on a dit: Boni ils vont pouvoir enfin commencer à discuter d'autre chose et faire avancer peut-être d'autres dossiers qui, pour nous, sont plus importants. Alors... (12 heures)

M. Johnson (Anjou): Donc, vous me dites que l'unanimité du lac Meech vous impressionne ou qu'elle a eu un effet positif chez les gens dans vos milieux. Je peux le comprendre.

M. Létourneau: Oui, d'accord. Mais l'unité qui est arrivée au lac Meech a enclenché un processus qui vise à l'adoption de cette entente dans des termes juridiques.

Présentement, nous sommes dans le milieu de ce débat et on voit des oppositions, des positions d'experts même tous azimuts. Je dois vous avouer qu'on est un peu perdus là-dedans. On ne sait pas trop qui croire, sauf que, à un moment donné, on s'est fait une idée à partir de notre expérience de la façon que les lois fonctionnent de façon générale, et on vous l'a expliqué ici dans le mémoire. On dit qu'on préfère de beaucoup des objectifs simples, souples, auxquels on peut s'adapter dans l'avenir plutôt que des choses qui vont nous encarcaner et nous rendre la vie bien difficile parce qu'on n'aura jamais été capable de prévoir toutes les situations qui peuvent survenir dans l'avenir.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Je retiens un certain nombre d'éléments de ce que vous me dites, M. Létourneau. D'une part, c'est le fait de l'entente qui, en soi, a soulevé un certain intérêt chez vos membres...

M. Létourneau: Un enthousiasme.

M. Johnson (Anjou): ...pour ne pas dire, dans certains cas, de la satisfaction.

Permettez-moi de vous citer le Globe and Mail du 25 avril. "Never in recent memory has Quebec asked so little to enter Confederation." Jamais le Québec n'a demandé si peu pour adhérer à la confédération. Il ne faut donc pas s'étonner qu'il y ait eu entente. En d'autres termes, je vous dis: Oui, il y a eu entente de principe au lac Meech. Cependant, on est dans un processus de négociation continue. Il me semble que le ministre n'a même pas de textes juridiques encore. C'est à se demander s'il en avait avant de partir pour le lac Meech. Mais il y a une donnée fondamentale: C'est qu'à Toronto on perçoit que les demandes du Québec étaient tellement basses que c'était le temps pour le Canada anglais de se garrocher là-dessus et de dire: Réglons avec cela. Et "recent memory", pour moi, réfère à 25 ans. Il ne réfère pas juste à l'époque du Parti québécois, ces ogres, n'est-ce pas, du Canada qui ont mis sur pied notamment un régime d'épargne-actions, qui ont permis une modification importante de la Loi sur les valeurs mobilières, qui ont refait la Loi sur les compagnies, qui ont mis sur pied les programmes de la Société de développement industriel du Québec, qui ont permis le rééquipement des pâtes et papiers, qui ont réussi des politiques de développement régional assez remarquables, etc.

Mais, oublions ces ogres séparatistes que nous étions aux yeux des Ontariens. Il n'en demeure pas moins que, oui, il y a eu une entente au lac Meech. De toute évidence, elle ne semble pas concluante dans la mesure où les gens n'ont même pas l'air de s'entendre sur ce qu'elle veut dire. Le ministre ne dit pas la même chose que M. Murray et M. Bourassa ne dit pas la même chose que M. Mulroney et que Eugene Forsey qui est un constitutionnaliste d'obédience ou, enfin, de conviction, parce qu'il arrive un stade dans le droit constitutionnel où finalement on est à la limite de la technique et de l'idéologie. C'est comme la physique dans les sciences. Â un moment donné, on est à la limite de la philosophie. Eugene Forsey qui est un constitutionnaliste vraiment convaincu, fédéraliste comme l'était Bora Laskin, l'ancien juge en chef de la Cour suprême, mais qui ne semble pas s'entendre avec une demi-douzaine d'experts qu'on a entendus ici et qui ont une vision différente même si ce ne sont pas des ogres séparatistes, n'est-ce pas?

De toute évidence, c'est vrai que le processus n'est pas terminé. Je pense qu'on est en négociation constante. Évidemment, ce qui m'inquiète c'est que le Québec a déjà lâché pas mal de morceaux avant de se rendre au lac Meech. Il en a lâché au lac Meech. Ce qui m'inquiète c'est qu'il en lâche d'autres après l'entente du lac Meech. Évidemment, ultimement, le Québec pourrait juste se fermer les yeux et signer pour rien et là, oui, il y aurait entente, mais est-ce dans l'intérêt des Québécois? Et quels sont les désavantaqes à ne pas signer? Je vous dis honnêtement que je ne vois pas de désavantage à ce que le Québec ne signe pas sur le plan économique. Je ne vois aucun désavantage à ne pas signer.

M. Létourneau: M. le Président, d'autres "inputs" nous sont parvenus d'autres parties du Canada que la référence que M. le chef de l'Opposition fait au Globe and Mail, notamment, le fait qu'on est très inquiet dans le reste du Canada, semble-t-il, - en tout cas, c'est ce qu'on entend dire dans notre milieu - de ce que les concessions faites sur le pouvoir de dépenser du fédéral, cela peut être bien dangereux. Cela retient beaucoup de gens à l'Ouest du Québec. Quant à nous, cela a été pour nous un encouragement d'entendre cela, parce que nous sommes, et nous l'avons dit dans notre mémoire, assez inquiets de ces pouvoirs de dépenser du fédéral et nous croyons que les clauses qui sont dans l'entente sont de nature à les limiter ou à les retarder. Avec le type de déficit qu'ils nous ont accumulé et la résistance qui se fait entendre de l'autre côté, on se dit: Probablement qu'il y a quelque chose de bon là-dedans pour nous.

M. Johnson (Anjou): Merci. M. le ministre, je vous en prie.

Le Président (M. Marcil): Vous vouliez intervenir, M. Racine?

M. Racine (Pierre): Si on me le permet,

j'apprécierais beaucoup le fait que vous me permettiez de dire un mot rapide justement parce que M. Johnson a mentionné des mots comme séparatisme, entre autres. Point n'est besoin de rappeler que la province et la région ici, les gens d'affaires entre autres, et la population ont fait un choix très évident montrant qu'ils voulaient adhérer au fédéralisme. On n'a pas besoin de rappeler les dates. Sur cet aspect, justement, les gens de la région représentant la chambre de commerce et l'industrie du Québec métropolitain, entre autres, trouvent que nous sommes arrivés à une ère où la rhétorique... Évidemment, on ne dit pas qu'il ne faut pas choisir un libellé consciencieux et très exhaustif sur l'aspect de la loi qui se présente, mais je pense que les gens auront à juger, les administrateurs que vous êtes, de l'institution gouvernementale, justement pour réaliser un désir qui a été manifesté d'une façon très brève.

Sur un aspect que M. Johnson soulevait, à savoir si c'est si utile que cela de signer ou de ne pas signer? Je me permettrais d'ajouter, au mot de confiance qui est le thème principal de la présentation de la Chambre de commerce du Québec, un mot qui a un sens positif, c'est-à-dire qu'on doit arrêter de regarder ce qui s'est passé en arrière et regarder peut-être, si on n'avait pas été en retrait, quelle sorte d'expansion et de progrès se serait jointe au fédéralisme qu'on aurait pu ajouter déjà à une stabilité économique et à une certaine confiance qui sont revenues justement parce que cet aspect du séparatisme maintenant est derrière nous, je l'espère, pour longtemps. C'est la question que je pose. Cela demande encore à être amélioré justement et renforcé par le fait qu'adhérant au principe, une fois que le libellé sera très précisé sur cette loi, ce sera un instrument et un outil pour progresser encore plus à l'intérieur d'un fédéralisme qui a été demandé et qui devrait être amélioré et continuer de progresser.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. Racine. Cela va. Je vais reconnaître M. le député de Bourget.

M. Létoumeau: M. le Président, une petite remarque, si vous le permettez.

Le Président (M. Marcil): Très courte, monsieur. C'est parce que c'est le temps...

M. Létourneau: Très courte. Nous avons eu un conseil d'administration hier et je tiens à vous signaler que nous avions des représentants de tous les coins du Québec, que chacun des points de ce mémoire a été soumis et qu'il a été adopté à l'unanimité par le conseil d'administration.

Le Président (M. Marcil): Merci, monsieur. Maintenant, M. le député de Bourget.

M. Trudel: Je vous remercie, M. le Président, messieurs. J'aimerais revenir sur la question de confiance, le climat de stabilité économique et politique. J'ai eu la chance - je vais dire la chance - après un début de carrière dans la fonction publique d'aller diriger, pendant quelque six ans, en autant que je me souvienne, oui, une PME importante du domaine de l'édition située, d'ailleurs, dans le comté du chef de l'Opposition, ville d'Anjou, et sans réveiller d'aucune façon les souvenirs qui sont quand même derrière, c'est une période qu'il fallait traverser. Pour répondre un peu au chef de l'Opposition sur l'importance du climat de stabilité dans une entreprise, je rappellerai, brièvement, l'époque 1981-1982, 1980. Il y avait le référendum. Le référendum a divisé les familles, il a divisé les gens.

Chez nous, dans la compagnie que je dirigeais à l'époque, on était une cinquantaine d'employés, et les deux côtés avaient formé un comité. Je vous avoue que, pendant plusieurs mois, il a été difficile de diriger cette compagnie. La direction voulant rester au-dessus de la mêlée, ce fut plutôt difficile. Ce fut une période difficile pour la compagnie. Le climat d'incertitude économique et la récession du début des années quatre-vingt, tout cela a fait que, pour le milieu des affaires, ce fut une période difficile.

Le chef de l'Opposition a demandé tantôt: Est-ce que le fait de siqner ou de ne pas signer est important? Je pense que c'est important de signer l'accord du lac Meech pour des raisons tout à fait évidentes. Le ministre a répété depuis le début des travaux de cette commission - et je le fais de la même façon - que c'est un accord historique. Je pense que, sur le fond même, il est important de signer. Il est également important de signer pour le climat de stabilité, de certitude sur le plan politique. 5i on poursuit des discussions pendant des mois et des mois, j'ai la nette impression qu'on pourrait se retrouver dans une situation semblable à celle de 1980.

M. le vice-président, vous avez abordé la question du pouvoir de dépenser. Vous donnez une raison d'appui au pouvoir de dépenser que je ne refuserai pas. Bien au contraire, je la trouve originale. J'aimerais quand même vous entendre davantaqe parce que le seul arqument que vous donnez en faveur du pouvoir de dépenser, la limitation du pouvoir de dépenser du fédéral, c'est qu'on est en présence d'un déficit de plus de 300 000 000 000 $. C'est un fait. Est-ce que la Chambre de commerce de la province de Québec a d'autres arguments è apporter à son appui à la limitation du pouvoir de dépenser?

M. Létourneau: D'abord, le pouvoir de dépenser, de là façon dont il est prévu dans l'entente, nous l'interprétons comme une nouvelle possibilité pour le Québec de manifester sa spécificité, c'est-à-dire de dire: Si le programme fédéral ne fait pas notre affaire, on a le droit de s'en retirer et d'en organiser un è notre goût. C'est déjà un avantage, je pense.

Évidemment, la première raison - nous l'avons dit dans notre texte - qui nous amène à appuyer les modalités qui vont entourer le pouvoir du fédéral de dépenser, c'est que, depuis longtemps, le fédéral abuse du pouvoir de dépenser dans des domaines qui ne sont pas toujours les siens ou qui, parfois, ne sont pas du tout de juridiction concurrente. Nous sommes très convaincus que, si on peut rendre plus unanime, non pas la décision unique du gouvernement fédéral, mais l'opportunité d'une dépense importante dans le cas d'un programme canadien, cela ne peut que servir les objectifs et les intérêts que nous avons tant du côté de la limitation des dépenses que du côté de la façon de faire des dépenses qui nous convient le mieux.

Si vous me le permettez, j'ajouterai pour compléter la réponse à la question: Qu'arriverait-il si le Québec ne signait pas? Il y a une autre dimension qui nous inquiète un peu. Si le Québec ne signait pas et qu'il y avait une entente de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, je ne sais pas très bien comment les Américains verraient qu'on signe une entente avec les États-Unis s'il y a une province du Canada qui a tellement de distance avec la constitution et la Confédération canadienne qu'elle n'en est même pas membre. J'ai l'Impression que cela pourrait être un handicap assez sérieux pour la signature d'une telle entente que nous désirons, nous, d'autre part. (12 h 15)

M. Johnson (Anjou): Là-dessus, rapidement, je veux simplement vous dire que je comprends que vous vous posiez cette question légitime, mais je peux vous dire que la réponse est fort simple: Le gouvernement du Québec actuel de M. Bourassa prétend avoir le droit de veto sur le libre-échange. Alors, la question n'est pas de savoir si on fait partie du Canada, etc., mais c'est: Est-ce qu'on va vivre, oui ou non? et dire: Oui, on va modifier nos lois en ce qui découle du libre-échange. C'est cela, la vraie question. Alors, qu'on soit dans le Canada, qu'on soit dans un "no man's land" juridique ou que ce soit le Québec tel qu'il est actuellement qui n'a jamais accepté que la constitution canadienne s'applique sur son territoire et que la seule différence soit qu'il ait signé ou non, cela ne change rien quant à la question du libre-échange. La vraie question est de savoir si, oui ou non, on va modifier nos lois en fonction du contenu du traité du libre- échange. C'est ce que les Américains veulent savoir. C'est aussi simple que cela.

Je peux simplement vous rassurer quant à cela. Même si, sur le plan politique, des gens voudraient en faire un enjeu, il n'est pas impossible qu'au niveau fédéral les gens disent que c'est un enjeu, mais sur le plan technique ce n'est pas un enjeu du tout. La question est de savoir si le Code des professions sera modifié en fonction de ce qui sera obtenu dans le cadre du libre-échange pour l'industrie des services comptables. C'est comme cela que cela va se poser concrètement dans à peu près 40 secteurs d'activité. D'ailleurs, ce qui m'inquiète le plus sur le libre-échange, c'est le fait que le gouvernement n'ait pas une position très claire jusqu'à maintenant sur la défense de certains intérêts très précis du Québec dans le cadre du libre-échange.

M. Létourneau: Nous convenons que c'est fondamentalement une question d'attitude, que le fait qu'on ne soit pas dans la constitution canadienne dénote une attitude et que si on y était, cela dénoterait une autre attitude. Ce sont des choses qu'on ne peut pas prévoir pour l'avenir, mais cela entre certainement en ligne de compte dans l'esprit des négociateurs.

Le Président (M. Marcil): Merci. Je vais reconnaître maintenant le député de Mille-Îles.

M. Bélisle: Merci, M. le Président. D'abord, félicitations pour votre mémoire qui transpire l'optimisme. C'est très rafraîchissant d'entendre un peu le reflet de ce que l'on voit au Québec depuis quelque temps.

Quand, tantôt, mon collèque de Bourget parlait de confiance, si je peux me permettre de paraphraser, c'est un peu une estimation de ce qu'on pense de ce qui se déroulera demain, une sorte de vision personnelle ou de groupe de l'avenir, une sorte de miroir ou de reflet de ce que nous sommes aujourd'hui et de ce que nous voulons être demain. Moi, j'oppose cela à un autre côté, à ce qui n'est pas la confiance. J'oppose cela à ce que vous décrivez dans votre texte comme étant l'incertitude, la méfiance. Je ne peux pas faire autrement que de me référer à ce que Me Langlois a dit cette semaine au chef de l'Opposition: Cessez donc d'avoir peur d'avoir peur.

Quand je relis le texte de la confiance comme telle, vous êtes le premier groupe qui accorde une importance primordiale à ta constitutionnalisation de la conférence annuelle des premiers ministres en matière d'économie. Vous avez compris qu'il y a deux sortes de pouvoirs ou de limites au pouvoir de dépenser. Il y a un pouvoir officiel qui est inscrit dans la constitution et il y a un

pouvoir factuel. Le chef de l'Opposition fait signe que non. Il pourrait me traiter de tous les noms, comme il l'a fait l'autre soir, c'est son problème. Pour le moment, M. le Président, j'ai le droit de parole.

Mais il y a un autre pouvoir qui est le pouvoir effectif. Dans votre texte, vous dites: "Nous interprétons l'entente comme un moyen de ralentir et diminuer les décisions des dépenses fédérales en matière de programmes nationaux." Vous ajoutez même à la page 8: "L'institutionnalisation d'une conférence constitutionnelle annuelle sera, selon nous, une soupape et une occasion d'éducation et de rapprochement de toutes les parties." Vous concluez, à la fin de votre document, en disant que vous applaudissez à l'insertion de cette méthode de concertation, de collaboration, de consultations et d'échanges.

Je comprends que votre approche est très pratique, parce que vous venez du secteur des affaires et qu'en affaires, on se parle, on échange constamment. On n'est pas toujours en position de conflit, en position d'affrontement. C'est ce que je vois à l'intérieur de votre document. Mais vous qui comprenez cette limitation effective, dans les faits, du pouvoir de dépenser, quand les premiers ministres des provinces et le premier ministre fédéral vont se rencontrer une fois par année, ils vont se parler; est-ce que, pour vous, on est en train de passer d'une sorte de fédéralisme d'affrontement à un fédéralisme qu'on peut qualifier de coopération, d'exécution, de concertation ou de collaboration?

M. Létourneau: M. le Président, je dois tout d'abord signaler que notre compréhension de la clause du droit de dépenser ne s'applique pas qu'au moment où il y a des conférences. Je ne sais pas si M. le ministre peut m'aider là-dessus, mais notre compréhension, c'est que la clause sur le pouvoir de dépenser s'applique en tout temps, en n'importe quel temps où le fédéral veut prendre une initiative dans ce domaine. Donc, on pourra en parler à l'occasion des conférences, mais elle est omniprésente, elle serait présente en tout temps.

M. Bélisle: C'est ma compréhension.

M. Létourneau: Parmi les qualificatifs du fédéralisme que vous avez énumérés, si je me réfère à nos échanges de propos préalables à la présentation de ce document, je dirais que c'est un fédéralisme de collaboration. On a donné de nouveaux pouvoirs de veto aux provinces et, là, il va falloir qu'on s'entende. Puis, si on veut que cela fonctionne, il va falloir qu'il y ait plus de collaboration et on ne pourra ignorer personne, du plus petit au plus grand. Je crois que, malgré tout cela, le poids économique du Québec et de l'Ontario fera que si un programme est présenté et que l'une ou l'autre ou les deux provinces disent "niet", on n'en entendra plus parier. Cela pourrait être la même chose si la réponse venait de la plus petite province, mais peut-être qu'il y aurait plus de pourparlers, plus de débats. On exercera des pressions. Si cela n'arrive pas, cela n'arrivera pas. Mais si cela arrive, bieni cela arrivera. En fin de compte, je pense qu'on est vis-à-vis d'une question de fédéralisme que je qualifierais plutôt de collaboration.

M. Bélisle: Merci.

Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant reconnaître le député de Lac-Saint-Jean, il vous reste cinq minutes.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Vous avez signalé et réclamé, au début de votre mémoire, en indiquant d'ailleurs que c'est ce que vous exigiez pour toute loi ordinaire, plus de simplicité. Je pense qu'il est important qu'un texte législatif ordinaire soit le plus simple possible; même chose pour un texte constitutionnel. Là-dessus, je suis d'accord avec vous.

Mais, vous conviendrez également que la clarté est aussi importante que la simplicité. C'est important qu'un texte législatif ou constitutionnel soit simple, mais c'est aussi important qu'il soit clair. Il ne faut pas que la recherche de la simplicité, à mon avis, se fasse au détriment de la clarté. Sur le concept de la société distincte, il y a une majorité d'organismes, plusieurs personnes et experts qui sont venus nous dire: C'est un concept vaque, flou, obscur, imprécis. Il est peut-être simple, j'en conviens, mais il n'est pas clair. Donc là, vous atteignez peut-être votre objectif de la simplicité, mais celui de la clarté, vous êtes loin de l'atteindre, à mon avis. C'est ce que plusieurs sont venus nous dire. Ils sont venus réclamer sur ce concept de la clarté, de la limpidité et de la précision.

D'autre part, quand vous dites, dans votre mémoire - de toute façon, le ministre le citait tantôt: "Notre plus profonde conviction est que les spécificités du Québec reposent bien plus sur une société québécoise dynamique, entreprenante, décomplexée et prospère que sur des protections constitutionnelles aussi hermétiques soient-elles." Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites, mais je vous signale simplement ceci: Comme collectivité minoritaire en Amérique du Nord, on a sans doute besoin d'un minimum de protection constitutionnelle. Vous savez fort bien que, par exemple, pour ce qui est de la loi 101, c'est par le biais et en se référant à des dispositions constitutionnelles que des pans entiers de cette loi sont tombés depuis

quelques années. C'est en invoquant des dispositions constitutionnelles que des chapitres entiers de la loi 101 ont été déclarés inconstitutionnels, caducs. Alors, il me semble qu'à tout le moins, un minimum de protection constitutionnelle est essentiel, surtout pour une collectivité ou une communauté nationale comme la nôtre dans le contexte où elle vit, Cela ne l'empêche pas d'être entreprenante, dynamique, décomplexée et prospère; cela ne la dispense pas d'avoir toutes ces qualités, j'en conviens, mais un minimum de protection constitutionnelle me semble essentiel et nécessaire.

C'est, d'ailleurs, ce que réclamait M. Dion. Il réclamait à la fois de la simplicité, mais aussi de la clarté et c'est le sens de sa proposition, que vous connaissez sans doute, qu'il rappelle, de nouveau, dans un article du Devoir aujourd'hui, Je vous le lis et je vous pose une question à ce sujet-là. "L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont la responsabilité - il change "rôle" par "responsabilité" - de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au point 1". Là, il ajoute l'amendement qu'il propose et qui m'apparaît être là pour atteindre l'objectif de clarté. "Cette responsabilité inclut nécessairement la protection et la promotion du français, composante principale et essentielle de cette société sur l'ensemble du territoire du Québec, de même que toute autre composante de cette société considérée sous le même angle, droits civils, écoles, économie, etc." La protection et la promotion des institutions anglophones au Québec seront soumises à cette priorité principale et essentielle de la langue française." Conclusion.

C'est la question que j'aurais voulu poser. J'espère qu'on leur permettra quelques secondes pour y répondre.

Le Président (M. Marcil): Oui, allez. Il vous reste 60 secondes.

M. Brassard: La question, c'est: Ne croyez-vous pas qu'il serait essentiel, tout en recherchant l'objectif de la simplicité, de l'accompagner également de la clarté et que l'atteinte de ce double objectif pourrait se faire, entre autres - c'est une proposition qui est sur la table - par l'acceptation de l'amendement, tel que le propose, par exemple, M. Léon Dion? Est-ce que cela ne serait pas plus sûr comme ça sur le plan constitutionnel pour ce qui est de la protection et de la promotion du caractère français du Québec?

Le Président (M. Marcil): Vous avez 30 secondes, M. Létourneau.

M. Létourneau: M. le Président, je rappellerai le paragraphe 4.7 à la page 6 de notre mémoire où nous disons ceci après avoir demandé la consécration juridique simple de l'entente: "Une consécration juridique qui, tout en étant prudente et enrichie en ce sens par les débats de la présente commission." Ici, je voudrais signaler que nous reconnaissons le rôle important que peut jouer l'Opposition dans l'enrichissement de la version juridique qui pourra venir de l'entente, qui existe, pour le moment, dans des termes généraux et non juridiques. Nous vous disons que vous avez un rôle à jouer et nous espérons que le gouvernement, après avoir entendu les experts et après vous avoir entendus, fera en sorte que la conclusion amène une entente juridique satisfaisante.

Pour savoir ce que doit contenir la spécificité, je vous réfère au paragraphe 5.5, à la page 7, où nous parlons de la protection des spécificités. Est-ce qu'il n'y a que la spécificité? Si on en mentionne une, est-ce qu'on ne laisse pas tomber les autres qui pourraient éventuellement être tout aussi importantes telles les spécificités culturelles, institutionnelles et autres, peut-être auxquelles on ne peut songer présentement, mais qui deviendront peut-être très importantes plus tard? On s'aperçoit même que, lorsque le professeur Dion et d'autres veulent arriver à des objectifs plus clairs, comme vous le dites, eux-mêmes s'arrêtent parfois court dans la formulation d'un texte définitif. Ils font, comme nous, des suggestions. Ils vont peut-être plus avant parce que ce sont des experts, mais ils n'ont pas proposé, que je sache, de textes exacts qui devraient être adoptés dans l'entente juridique.

En fait, la prudence est de rigueur. Il ne faut pas être trop simpliste, il ne faut pas non plus que la recherche de la clarté en vienne à nous conduire à la paralysie.

Le Président (M. Marcil): Merci, M, Létourneau.

Je vais maintenant reconnaître, en dernier lieu, le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Il vous reste deux minutes pour conclure. (12 h 30)

M. Rémillard: M. Létourneau, tout à l'heure à la question du chef de l'Opposition qui nous disait: De quoi vous plaignez-vous, parce que, de toute façon, on n'est pas dans la constitution, et que ça ne change rien? Juridiquement tout s'applique, tout fonctionne quand même. Vous avez répondu: Oui, mais c'est une question de climat de confiance. Vous avez fait une relation très intéressante avec la question de ces négociations concernant le libre-échange avec les États-Unis. Vous avez parfaitement raison.

Il est évident que cette entente du lac Meech va consolider la position du Québec et

du Canada dans son ensemble quant aux négociations que nous menons avec les États-Unis pour un libre marché. Cela va consolider la position du Québec dans le sens que, par cette entente, nous avons démontré qu'il est possible de discuter et s'entendre avec nos autres partenaires de la fédération, que ce soit les autres provinces ou le gouvernement fédéral, parce qu'il faut souligner que c'est _à l'unanimité que toutes les provinces canadinnes et le gouvernement fédéral ont accepté les points que nous retrouvons dans l'entente du lac Meech.

Donc, d'une part, il y a une question d'esprit de collaboration que vous avez très bien fait valoir. L'entente du lac Meech est une démonstration éloquente d'un nouvel esprit qu'on peut trouver dans notre fédéralisme. C'est pour permettre au Québec de redevenir un partenaire majeur dans cette fédération, mais c'est aussi pour permettre à notre fédéralisme de se fonder sur des principes d'un fédéralisme coopératif.

Je me permets de revenir sur ce que mon collègue, le député de Mille-Îles, a dit tout à l'heure au sujet de cette conférence fédérale-provinciale des premiers ministres concernant l'économie, qui fera maintenant partie de notre constitution. Ceci signifie que, chaque année, les premiers ministres se rencontreront obligatoirement et discuteront de l'économie de la Fédération canadienne. On peut immédiatement imaginer de quelle façon ce nouveau forum va pouvoir s'articuler, s'organiser et faire en sorte que nous allons pouvoir développer une mentalité nouvelle, une mentalité basée sur la confiance et la coopération. Vous avez raison de dire, M. Létourneau, que l'entente du lac Meech nous ouvre des possibilités, enfin, que nous, comme Québécois et Québécoises, avons le droit d'espérer dans la Fédération canadienne.

Je vous remercie, messieurs, d'avoir accepté de témoigner devant nous aujourd'hui.

M. Johnson (Anjou): Merci, messieurs.

Le Président (M. Marcil): M.

Létourneau, nous vous remercions de votre présence.

Je suspends les travaux jusqu'à 16 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 33)

(Reprise à 16 h 13)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux. Je rappellerais notre mandat qui est évidemment d'entendre les représentations les groupes, organismes ou individus relativement à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 concernant la constitution canadienne. Cet après-midi, notre programme est le suivant... Je remarque que les représentants du premier groupe, le Quebec Constitutional Task Force of Aboriqinal People, ont déjà pris place è la table des invités. Subséquemment, nous entendrons M. François Chevrette de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Je crois que les représentants du groupe connaissent déjà les règles de fonctionnement de cette commission, à l'intérieur de la consultation particulière que nous menons suivant l'ordre de l'Assemblée nationale: 20 minutes sont réservées pour l'exposé de leur mémoire - plus ou moins 20 minutes, il y a une certaine souplesse - et 40 minutes, partagées à parts égales entre les deux formations politiques, pour échange de vues et discussions avec les deux formations politiques et nos invités.

Dépôt du mémoire de la Société Makivik

Donc, avant de laisser la parole à Mme Myrtle Bush, je voudrais procéder au dépôt du mémoire de la Société Makivik concernant l'accord du lac Meech sur la constitution ainsi qu'au dépôt du mémoire présenté par l'Alliance autochtone du Québec ainsi que des documents du NCC, Native Council of Canada. Or, ces documents nous ont été remis par les représentants de l'organisme qui est devant nous.

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, si je comprends bien, particulièrement dans le cas de la Société Makivik, il s'agit du mémoire ou du groupe qui a demandé à être entendu et qui s'est vu refuser par le gouvernement d'être entendu à la commission. Est-ce que c'est le cas?

Le Président (M. Filion): La Société Makivik a, effectivement, demandé, je n'ai pas mes documents avec moi, M. le député de Gouin, mais elle a demandé à être entendue à cette commission. Je me rappelle bien avoir vu son nom inscrit sur la liste des organismes qui ont demandé d'être entendus à cette commission.

M. Rochefort: Vous êtes bien certain qu'on parlait de...

M. Bourassa: On a essayé d'en entendre le plus possible.

Une voix: Cela va.

Le Président (M. Filion): M. le premier ministre.

M. Bourassa: Je crois qu'il y a eu une entente, entre les leaders du moins, pour essayer d'en entendre au maximum, huit jours par rapport à sept jours dans...

M. Rochefort: M. le Président, permettez-moi de souligner la présence de notre bon ami le premier ministre qui nous fait un plaisir assez exceptionnel par sa présence inattendue, pas très fréquente ici, mais je dirai, M. le Président, que, contrairement à ce que semble vouloir comprendre ou laisser entendre le premier ministre, il n'y a pas eu d'entente entre les leaders et entre les formations politiques quant à la liste, puisque notre formation politique demandait que tout le monde qui souhaitait être entendu puisse l'être et que vous avez plutôt choisi de limiter cela de façon autoritaire et unilatérale.

Le Président (M. Filion): M. le premier ministre.

M. Bourassa: Tout en remerciant le député de son expression d'amitié, il sait fort bien que, d'une façon réaliste, il est difficile d'accepter tous ceux qui veulent être entendus, parce que souvent il y a des associations locales de groupes provinciaux ou québécois qui veulent s'exprimer. Je ne me souviens pas d'une commission parlementaire où il ne doit pas nécessairement y avoir un choix d'organismes aussi large que possible.

M. Rochefort: M. le Président, un dernier commentaire pour dire d'abord que, pour nous, Makivik n'est pas un groupe local. Ensuite, M. le Président, je rappellerai justement - cela fera peut-être plaisir au leader adjoint du gouvernement et même aux ministres qui nous en ont parlé à quelques reprises - que, contrairement à ce qu'ils ont laissé entendre ici, la commission parlementaire qui s'était tenue, à la suite du rapatriement de 1981, avait permis à tous ceux ou celles qui avaient souhaité se faire entendre de l'être comme ils en avaient fait la demande, contrairement à ce que le ministre et le leader adjoint du gouvernement ont affirmé ici devant nous. Or, peut-être qu'on aurait pu suivre le même exemple. Et c'est ce qui a d'ailleurs fait que l'Opposition de l'époque, l'actuel gouvernement, a souscrit pleinement à l'organisation des travaux de la commission parlementaire puisqu'elle n'était limitée d'aucune façon.

M. Bourassa: Sauf que, pour terminer là-dessus ou continuer, si vous voulez, nous allons avoir huit jours, soit plus qu'en 1981. Disons que c'est la première fois qu'il y a autant de journées télédiffusées, autant de journées accordées à ceux qui veulent présenter leurs vues. C'est un record, il faudrait quand même l'admettre.

M. Rochefort: M. le Président, le record...

M. Rémillard: Si vous le permettez, M. le premier ministre...

Le Président (M. Filion): M. te député de Gouin, ensuite M. le ministre.

M. Rochefort: ...c'est qu'une trentaine de groupes et plus de 60 individus ont pu être entendus à l'occasion de cette commission parlementaire. Je pense que les records d'abord tristes en la matière quand on regarde l'accord du lac Meech - j'espère que vous ne citerez jamais cela comme un record, M. le Président - c'est de permettre à tous ceux et toutes celles qui ont des choses à dire de pouvoir les dire et non pas de pouvoir compter le nombre de jours de commission.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, je peux témoigner personnellement qu'on n'a pas entendu tous les gens qu'on voulait entendre. J'étais professeur à l'université et constitutionnaliste, j'ai demandé à être entendu, et on m'a dit qu'il n'y avait pas de temps pour m'entendre.

M. Bourassa: Une autre déformation des faits, c'est contagieux.

M. Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, je donnerais un conseil au premier ministre. Avant de lancer une accusation, il devrait peut-être vérifier, parce que, contrairement à ce qu'il laisse sous-entendre, moi, j'ai vérifié et, effectivement, quand le chef parlementaire de l'Opposition de l'époque, M. Gérard D. Levesque, député de Bonaventure, a donné son accord à la motion visant à faire en sorte qu'une commission parlementaire soit tenue concernant le rapatriement unilatéral de la constitution, il a dit: Je donne mon accord parce que, effectivement, tous ceux et celles qui voudront être entendus pourront l'être. Si, par exemple, le professeur Rémillard s'est réveillé après les délais fixés, c'est son problème. Le député de Bonaventure, chef de l'Opposition de l'époque, a dit - je le cite mot pour mot, M. le Président, et j'invite le premier ministre à aller vérifier - Je donne

mon appui à cette motion - que faisait le leader du gouvernement de l'époque, le député de Saint-Jacques - puisque tous les groupes et tous les individus qui veulent être entendus pourront l'être.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. le député de Gouin. M. le député de Bourget.

M. Trudel: M. le Président, étant donné qu'on a des invités, je pense qu'on devrait commencer.

Le Président (M. Filion): Oui, c'est cela, j'allais vous rappeler que nous avons des invités. Donc, procédons. Mme Myrtle Bush, bienvenue, et je vous inviterais à présenter les gens qui vous accompagnent, après quoi je vous inviterais évidemment à faire l'exposé de votre mémoire. Allez-y madame, le micro est ouvert.

Quebec Constitutional Task Force of Aboriginal People

Mme Bush (Myrtle): Is this on?

Le Président (M. Filion): Oui, le micro est ouvert, madame.

Mme Bush: First of all, I want to thank you for allowing us to come here and make a presentation. I would like to thank Mr. Bourassa for his presence here and I hope that when you have your constitutional conference in Ottawa you will invite us there as well. I just want to make one comment before I start. I do not understand French but from what I am hearing there is some controversy over there about the representation here. Is that correct?

Le Président (M. Filion): Not at all. The controversy was concerning the number of hours devoted to the commission and also regarding the presence or absence of the Prime Minister at the present consultation. So in no way was the present discussion related to the composition of your delegation.

Oui, M. le premier ministre.

M. Bourassa: I would like to add, Mr. Chairman, that I am pleased to be here to listen to that group because unfortunately, for reasons which are well known, I was unable to be in Ottawa when the conference was held at the end of March. So I am pleased to be here this afternoon.

Mme Bush: I would like to point out that we are 20 minutes into our hour and we do have several speakers. I would just like to state that I am the coordinator for the Constitutional Task Force in Quebec and I invited these representatives because this concerns all the Aboriginal people, not only in Quebec but in Canada. Each of the representatives here, I will introduce them: there is Mark Gordon and Senator Charlie Watt who have concerns on behalf of the Inuit. We have Chief Gary Potts representing the Assembly of First Nations, all the status Indians across Canada. We have Smokey Bruyère representing the Metis and nonstatus Indians of the Native Council of Canada, and Mr. Fern Chalifoux from the same organization. We will make brief presentations and we will stay within our time limit.

I first want to give just a very brief political and humanistic overview to this whole conference. I want to say very clearly that we are in support of Quebec's constitutional goals, that we are here in no way to impede your objectives. But we have stated - I wish to remind Mr. Rémillard and Mr. Bourassa - and the Aboriginal Task Force have asked consistently that we have mutual support. We share the same constitutional objectives, that is the protection of the rights of our Aboriginal people. You wish to protect the rights of the people in Quebec and we can relate to that, we sympathize with it, we wish to support that. We have asked both governments, the previous PQ Government and the present Liberal Government, we have asked them repeatedly in the past to work with us in mutual support. We said that we would support their goals and in no way should their objectives impede on ours and we had asked them to support our objectives. Our objectives would in no way detract from the Quebec objectives.

We had also invited both governments over the years to attend the constitutional conferences held for Aboriqinal people so that we could have their support. They did come. We did not get the kind of support we wished, from either government I might add, but we did allow them to use our constitutional forum to express their constitutional concerns. So I am a little bit disappointed, I might even say bitterly frustated at times, to read the Meech Accord and while we are in full support of whatever is in here for the people of Quebec, our primary concern is that the Aboriginal people are nowhere mentioned in here and we have very grave concerns that some of the things here will have a detrimental effect on our constitutional rights.

For example, if there is to be a conflict at any time between the rights of the Aboriginal people through Section 91(24) or Section 35, the very fact that the Constitution of Canada shall be interpreted in a manner consistent with two societies and Quebec being a distinct society, if there

is a conflict, Section 35 is not worded with the same strength. And we are fearful that in a court of law our rights would take a lesser role. So we are very much concerned that the wording in there should not restrict or diminish our rights. Had we an amendment like this, we would have been very happy to support this amendment in all of its words. I will not say too much about this, except that the fact that Quebec alone is considered a distinct society concerns us in that, if there are two societies in Canada, you are again forgetting the Aboriginal people. We were here before either of your societies and there should be full recognition of that. It is an historical distortion of the real history of Canada.

We are again being treated like a shadowy subculture in this country. A new constitution is being written, a new history is being written and we are being written out of it. We have one small section in the constitution, we spent five years struggling to enhance that section so that there would be no doubt in anyone's mind and in the future that Aboriginal people had certain rights which could not be restricted in any way. We were not successful in our conference. We wish you success in yours, but we wish to ensure that our rights will be protected. The constitution should give us equal protection to preserve the rights of our people. We have Aboriginal and treaty rights which preceded your constitutional rights. You were here a mere three hundred years and you have an acceptance by the other provinces of wording in the constitution which we were denied. For example - and I know that the legal text will probably be changed but we understand from Mr. Rémillard that the substance will be same, the words may be slightly different -we were told that the phrase "within Canada" could not be used in an Aboriginal amendment. We would have to settle for weaker wording within the context of the Canadian Federation. However, the provinces were very quick to allow "within Canada". There are other wordings that we had used we were told could not be put into a constitution and we see now that the provinces appear to be willing to make a stronger amendment for the Province of Quebec.

Quebec has achieved, and I am very happy for them, an interpretation clause, a commitment clause, an explicit recognition. Why could not the same thing be recognized for the Aboriginal people? That is one of our problems. Others here will expand on some of the more technical and legal aspects. Insofar as immigration is concerned, even that will have some impact on us. We have people in the far North who may wish to have people from the States or somewhere else come up as technical advisers. Will this impact on us? In terms of the Supreme Court of Canada, we Aboriginal people have been very unsuccessful at the Supreme Court, because the laws were written to supersede our rights. Quebec will now have entrenched the right to have three Supreme Court judges and we are very happy for you, because you do have a different culture, you do have special rights and the Supreme Court will reflect that because you will have three judges who understand that. But where - the Native people will be going before the courts more and more will there be someone on there who will recognize our cultural rights, who will recognize that the law has to reflect our Aboriginal and special status? (16 h 30)

On spending powers, will you be able to achieve, will the provinces now be able to achieve greater powers over Indian territories and other Aboriginal territories? It is something that we could not and would not concede at the First Ministers Conference. We could not concede our rights at that constitutional table. Our forefathers did not do it and we could not do it. Now, through another amendment, will the provinces be able to have greater control over Aboriginal people? This has been our greatest objection. We do not want increased provincial powers and we are concerned that this will happen through this amendment. The amending formula will have effect on those Aboriqinal people who are seeking to achieve provincehood, but if the amending formula is changed, how will ten provinces agree when provinces already take so little concern over Aboriginal rights?

In the second round, we are sorely disappointed to see that after five years of struggling at the constitutional table to qet a clear and explicite recognition of our rights, we are totally forgotten. Mr, Mulroney, as the federal trustee, has not even seen fit to add Aboriginal matters which have never been resolved. Are we to come under other agreed upon matters? Are Aboriginal people so meaningless in this country? Have the people been so unaware of what we were saying that the governments could not even include us so that Aboriginal concerns would be addressed? None of the provinces nor the Federal Government even took into consideration that our issue has never been resolved. So we have a lot of problems with this.

We do not wish to impede you, as I said before. However, if your amendment goes through, and we hope it will because we have a great sympathy for the people in Quebec... We understand what they want and we wish them well in achieving their rights. However, Aboriginal people should also be recognized as distinct. There should be a non-derogation clause in there so that we

would be assured that nothing in this amendment will have a negative impact upon Sections (35) and (25).

We should also, if the province are allowed to opt out of national programs, like to have the right, as Aboriginal people, to opt into whichever program best suited the needs of our people, whether it be a national program or a provincial program. We should have that right as well. And we should also be participants in any First Ministers Conference because all of the constitution will affect us and have impact on us. For example, fisheries, that is an Aboriginal right. We have not been included or invited to any of those meetings. So, we have a lot of problems here and we know that the Canadian public, particularly the Quebec public, are sympathetic to our goals and we just wish that the federal and provincial governments would be as sympathetic and understanding. We understand what you want and we support it, but we wish to be treated as equals, equal partners in Canada. There are not just two societies, there are three and we are tired of being treated like a shadowy subculture. We are equal human beings and we appeal to you, representatives of your people, to look upon us as equals. We too can take care of the needs of our people, but we have been hampered by your legislation in the past and we do not wish to be hampered in the future.

Thank you.

Le Président (M. Filion): Mme Bush, je voudrais vous remercier de votre exposé. I want to thank you. Je donne maintenant la parole aux groupes parlementaires pour la période d'échange de vues et de discussion. Each group will have 24 minutes to discuss with our guests. Chaque groupe a environ 25 minutes pour diseuter avec nos invités.

Alors, je laisse donc la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président...

Le Président (M. Filion): Juste avant, M. le ministre, je m'excuse de vous interrompre. Mme Bush, do I understand that you want to ask somebody of your delegation to complete your expose? Is that right?

Mme Bush: Yes, they each ask for five minutes, so we would use the 20 minutes. We have three speakers who will speak for approximately five minutes each.

Le Président (M. Filion): You have three more speakers for approximately five more minutes each?

Mme Bush: Yes.

Le Président (M. Filion): Okay. Consentement. Go ahead. I understand that the first one is Mr. Mark Gordon.

M. Gordon (Mark): Yes.

Le Président (M. Filion): Is that right?

M. Gordon: Yes, my name is Mark Gordon. I am here representing the Inuit of Northern Quebec. Firstly, I would like to say that we thank you for having this forum, for being able to hear us. We know we made a separate request to make a presentation at these hearings. One of the reasons we did this is that our relationships with the province are different from those of other Aboriginal groups in the province. We have much more daily contact with our provincial government as a Native group in the province, and through the James Bay and Northern Quebec Agreement we had opted to be under provincial jurisdiction for the most part. Because of this and because of the special nuances created by this, we want to have the time to be able to express it. However, we know the time constraints facing the committee and we agreed to go in as a part of the other Aboriginal qroups here. So we are happy that we were able to be given this.

Firstly, the Inuit would like to say that we support very strongly the notion of Quebec finally signing an agreement to aqree with the rest of the country, with the rest of Canada. Any bad relations between the federal and provincial governments have always hurt the Inuit in Northern Quebec quite a bit. Every time there is no will to cooperate between these two governments, we are the casualty of that political stand. We often have programs with spending cuts and things like that that end up affecting us because the relations between the provincial and federal governments are not good. The past ten years, I think, are a good example of what bad relations have done in terms of having the cooperation of the two governments to try to fill our needs. Many things in the James Bay Agreement require the cooperation of the two governments, and this had been impossible for some time. So we hope this will set a new era in federal-provincial relations, because that will definitely make life easier for us, living in the Northern one third of your province.

On the accord itself, we do have some major concerns. The first one is on "distinct society" and the notion that this country was built by two founding nations. We also believe that this is historically wrong, that this country was built not just by two societies but that the Native societies were very much a part of this. We congratulate the French-speaking society of Quebec on gettinq recognition as a distinct society. We

know that the Parliament here passed a resolution a couple of years ago when the previous government was there, and the resolution indicated that the province of Quebec was willing to recognize the distinctiveness of the Native people. What we are hoping is that we would also be granted the same recognition that we are as distinct a society as are the French people in Quebec.

There are also some other implications about this being a general interpretative provision for the constitution. We are not quite sure what all the implications are, because the wording at this time... It is only an agreement in principle and we do not have the actual text, so we could not make finer interpretations of what impact those words would have upon us.

But there are some things that came to mind and some things that we are worried about. On the distinct society, we want to know whether this would change the relationship between the federal and the provincial governments and we would like to know what kind of impact it would have on the powers in Section 91 (24) that the Federal Government has, the special trustee relationship between the federal government and the Native people. We do not wish to see this diminish in any way, the federal responsibility towards the Native people in Quebec. Their responsibility must be maintained. By Quebec's, receiving this distinction of being a distinct society, we are not sure exactly what that does to Quebec's powers and what kind of an override it would have on Section 91(24) which is on federal responsibility towards Native people.

The other areas of primary concern to us are spending authority, the spending power. We know that in the past, Canada has been trying for years to dump the responsibility of Native people, especially in the Northern part of Quebec, on the provinces. We are worried that this will facilitate the Federal Government's pullinq out much quicker and dumping the responsibility on the provinces. We feel that the Federal Government has responsibilities it must live up to in our territories.

Amongst other things that we are concerned about is the "opting out" provision that deals with the right to opt out of general programs within the country. In the James Bay and Northern Quebec Agreement, we are given very specific provisions - it is also, incidentally, a constitutionally protected document as a treaty - which tell us that we are entitled to ongoing funding programs directly from the Federal Government. There are specific provisions that were created in the James Bay Agreement and this was confirmed by a Federal Government act called Bill C-9.

We are very uncertain as to what effects this new accord will have on that. If there is a general program to be applied for Native people across the country and if the province opts out of that program, what guarantees or what assurance do we have of receiving those funds or benefits from that program? So, we are very uncertain and very nervous about the impact it would have on this particular aspect of the James Bay and Northern Quebec Agreement where we are supposed by treaty, guaranteed that ongoinq general programs are applied to all Native people across the country. We do not want to be severed from those general programs.

In other areas that concern us, one of the main points that we would like to present to this committee is that we would want the Province of Quebec... We know that the province is only one out of ten and that there is also the Federal Government that will have to agree to any further changes to the accord. However, I think any changes to this accord that has been made can only really be effectively done if Quebec is in agreement with it. Therefore, what we are suggesting is that Quebec, on behalf of its Native people, ask that Aboriginal rights be included on the agenda that is described in the accord. Quebec has been providing leadership in the rest of this country on the Aboriginal rights issue through the First Ministers Conferences even though it was not officially there; its spokes people have been very supportive and we had many discussions within the province about the Aboriginal issue on the constitutional level. I think that it would help a great deal if the Province of Quebec were to ask, on behalf of the Native people of Quebec, that that agenda item be included. We are going to do what we can to lobby the other provincial governments to make them willing to accept this but, we would like very much for the province to push this as one of the things that they would like to see added on. We have other concerns about the changes in the spendinq power. We are afraid that it will create a checkerboard effect on programs and rights throughout the country and for us, the Inuit, who occupy the Northern part of two provinces and the Northwest Territories, roughly one third of the land mass of the whole of Canada, general programs are essential because we want to maintain, as do the French people in Quebec and elsewhere, the community, the network amongst ourselves. So general proqrams of general application to Inuit, we would like to keep because that keeps our community together. (16 h 45)

Also, regarding the question of immigration, there is going to he more and more interaction between the Inuit in Canada and those in Greenland. And we are wondering what those implications are. It is

very hard for us to be able to say: This is the negative impact of your accord or of the agreement that you have signed so far, without having the precise wording, but as far as we could possibly go, we have presented a document to the commission that details a bit more as to the extent we could make those detailed recommendations in that report. And that report has been circulated to the Committee Members.

We also talk about a non-derogation clause such as the one that Myrtle Bush has just finished referring to. It is on page 8 and it describes that the notion "distinct society" should not in any way derogate from those rights that we have obtained in the Constitution to date and also any rights that the Native people may have. Recognizing Québec and the French people of Quebec as a distinct society should not be interpreted in such a way as to derogate from our rights as Native people. And that, we would like to have included in a fine-tuning that you would have of your accord to make sure that this negative impact is not put on us.

There are other amendments we have proposed throughout our text but because of the limited time, I will stop my presentation at this time and reserve it for the question and answer period. Thank you.

Le Préaident (M. Filion): Je vous remercie M. Gordon. Est-ce quMl y a d'autres personnes qui veulent intervenir dans votre groupe?

Mme Bush: M. Smokey Bruyère.

Le Président (M. Filion): M. Smokey Bruyère.

M. Bruyère (Louis Smakey)s Thank you. First of all, 1 would like to thank the Committee for making time available for the Aboriginal peoples of Quebec and the national Aboriginal organizations to provide you with comments and suggestions regarding the proposal to amend the Canadian Constitution that First Ministers agreed to, in principle, at Meech Lake on April the 30th. ! am here today representing both the Native Council of Canada and the Native Alliance of Quebec. With me is the president of the Native Alliance of Quebec, Mr. Fernand Chalifoux, and you may wish to ask him questions when comes the time for asking questions and specifics in terms of Québec.

The Native Council of Canada is one of the national Aboriginal organizations represented for the past five years at First Ministers Conferences on the Constitution. In fact, the Meech Lake meeting last month and the conference next month are the first ones since 1982 at which Aboriginal people will have no representation.

Seeing that we have only an hour, I will try to get down to some of the basics. First of all, we were delighted that the goal of ensuring the full inclusion of Quebec in the circle of Confederation has been apparently achieved. This is an important and critical goal for Canada and for Quebec. All efforts to this end are to be supported.

Aboriginal peoples have a special reason for supporting Quebec's full involvement in Confederation. Without Quebec as a full participant, the inclusion of the Aboriginal peoples of Canada in the circle of Confederation cannot be completed. We know. We have tried for five years.

In Quebec's absence, Aboriginal people and their rights have been little more than the guinea pig, the experimental trial run for the new Constitution brought into effect on April 17, 1982. As they say in medical circles, the operation was a success - after all it kept the doors of federal-provincial relations on the constitution open and provided a lot of experience with the new constitutional framework, the Charter and the amendment formula. But did the patient - the Aboriginal peoples - survive the operation?

We cannot say that the Meech Lake accord provides a positive answer to that question. Over the past year, ever since Quebec's five-point proposal was first circulated, Aboriginal peoples have watched as the interest and will the governments to focus on Aboriginal rights waned. Last summer, the Premiers agreed in Edmonton that constitutional reform should not proceed until the Quebec question was first dealt with. Ever since then, there has been little hope that movement would take place on the Aboriginal agenda, on Aboriginal self-government.

As the First Ministers meetinq on March 26 and 27 came closer, the message got clearer and clearer. Quebec would not participate, the Premier would not even attend. Quebec also stated that if any amendment was agreed to on self-government, a Quebec veto over it would become a sixth condition for the province's acceptance of the 1982 constitution.

Provinces like Alberta, B.C. and Newfoundland decided to use the March First Ministers Conference for one purpose only: to up the ante before Meech Lake. They had their own fish, and Senate proposals, to fry. That was their only interest. As a face-savinq apology for not focusing on Aboriqinal concerns, Premier after Premier stated that Quebec's nonparticipation precluded any effective decision on self-government. Even the Prime minister blamed Quebec's noninvolvement for the failure of the Conference,

After so much reference to Quebec

during the Aboriginal Conference, we were surprised and gravely disappointed that no mention was made of Aboriginal people at the Quebec Conference. We were surprised with the Federal Government and we were surprised with the Government of Quebec. From the Government of Canada we had expected some effort, however minimal, to speak on behalf of the national interest and its special trust obligations to Aboriginal people. We had also expected that Quebec, having achieved its goals, would have at least spoken up, after five years of silence, on behalf of the Aboriginal people of Québec.

We were surprised that so many First Ministers - all of them, in fact - had so little to say about a matter that they had met on for two days only four weeks before Meech Lake. Silence sometimes speaks volumes. Silence can sometimes be eloquent. But in this case, silence was nothing more than shameful.

Perhaps we should not have been surprised. After all, we have discovered that we are the only sure defenders of our interests and our rights. The new constitution recognized this when it set out a procedure requiring our direct participation in constitutional reform. The Aboriginal agenda was, quite properly, set as the first step, the first round of constitutional reform. We knew in 1980 and 1981 that some provinces did not like this. What we did not know then was that provinces, aided by the Federal Government in some respects, would actively seek to subvert the purposes of the 1982 constitution by effectively precluding any chance for amendments bringing Aboriginal peoples fully into Confederation. They would let the clock run out and move on to their own priorities.

Canada is premised on a relationship between three, not two founding nations. It is to be expected that the two most politically influencial peoples would be accommodated first. The 1982 amendments attempted to operate on the assumption that this had been achieved. This assumption was ill-founded and the Aboriginal peoples have, above all others, had to bear the cost of this defect. Had Quebec paid the price in the interim? No, I do not think so. It has been the Aboriginal people. Now, we are faced with an agreement that may end any real hope for bringing Aboriginal peoples into the circle of Confederation. First Ministers have simply gotten around the problem by avoiding it. They have proposed an agenda for change that not only excludes us, but that will actively undermine our existing relations and our existing rights.

Aboriqinal peoples had a feelinq this might happen and we made our concerns known prior to Meech Lake. We wrote the Prime minister on April 24th and we said that we were afraid that the Meech Lake meeting would have a direct bearing on the place of Aboriginal peoples in Confederation and on Aboriginal treaty rights. We said that without making provisions for our involvement, the interests and rights of Aboriginal peoples could be trampled on. Our relations with governments and the opportunities for future self-government could be implicated. And we were also concerned that the prospects to build upon the last five years of effort to reach a consensus on amendments respecting self-government could be negatively affected, even abandoned.

The Prime Minister assured us the day before the Meech Lake meetinq that this was not the case. So, when the accord became public, we were surprised. We cannot be sure of the details, of course; in true Canadian fashion the details will not be made public until after the final accord is signed. However, we can read draftinq instructions and we, more than most, have a lot of experience in figuring out the impact of changing the existing constitutional system.

It appears that the six-point statement of principles agreed to at Meech Lake outlines the blueprint of change that will almost certainly displace some of the key gains made to date by Aboriqinal peoples and close off some of the critically important opportunities that we have sought for the future. You all have a copy of the NCC's critique in front of you so I will not go through it now.

Our views on the accord can be summarized in four words: it adandons Aboriginal peoples. It does this by being silent about the Aboriginal people of Quebec when referring to the proposed new powers of Quebec regarding its distinct society. It does this by silence when shuffling major opportunities for change into the straitjacket of unanimity. We can tell you that even getting seven provinces to agree on anything is very very difficult. Opting for unanimity is the same as abandoning hope for change. Above all, we feel abandoned in the agreement to structure the future of constitutional reform. No mention, not a sentence, about Aboriginal peoples and the constitutional amendments they require.

We feel abandoned and we feel betrayed. Now, what can be done? Can this committee make recommendations to the National Assembly for adding to, or subtracting from the Meech Lake deal? If so, there are recommendations set out in the critique before you.

What other options are there? Province after province, including Quebec, made grand statements of intention on March 27th. And what did Quebec say? The Minister of Intergovernmental Relations for Quebec

stated that Quebec was dedicated to self-government and was ready to negotiate agreements with Aboriginal peoples living in Québec. Québec has also told us to be patient and trusting. We are to have faith.

I am not so sure that Quebec has grasped the reality of the situation. It is precisely because provinces have proved themselves time and time again unfaithful and not to be trusted that Aboriginal peoples must have constitutional protection and sanction for their autonomy.

Look at Quebec itself. Was it goodwill that motivated the parliamentary troops at Restigouche? Was it good faith that sponsored the bulldozer diplomacy in James Bay? Was it in order to encourage our trust that the moratorium in Quebec on Aboriginal harvesting arrests was recently ended, leading to "la cause Maniwaki"?

Every Quebecker believes that for one reason or another, the distinct society in this province must be protected from the rest of Canada by certain fundamental, constitutional protections. Why is it so hard for Quebec to understand that we stand in exactly the same situation, except that we are more desperate and our rights and interests more insecure.

Why was there silence at Meech Lake? It is certainly not our intention to place any complication in the way of Québec securing agreement on June 2nd on a detailed arrangement for Quebec's adhesion to the constitution. We fully support this effort. Our objective is simply to ensure that what is achieved on June 2nd does not, inadvertently or otherwise, render the critical equally needs and rights of Aboriginal peoples a fatal blow. Just one closing remark. I remember, in 1983, at the First Ministers Conference when former Premier René Lévesque told us the second morning: Watch out for the midniqht drafters. His words proved correct for us. The midnight drafters changed the constitutional process on us at that point in time and hopefully, they are not going do the same for you in terms of gettinq what you want to achieve out of this process. Then, I guess, there is one question I would like to ask the Premier while he is here, maybe he can answer us later: In terms of the agenda that is coming forward June 2nd, we ensure that Aboriginal rights are going to be put on the agenda of the next First Ministers Conference? With that, thank you.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Bruyère. Est-ce que je dois comprendre que les... Est-ce que le premier ministre, s'il y a consentement, voudrait prendre la parole maintenant et répondre à la question qui lui est adressée?

M. Bourassa: Oui, certainement. I do not think the Leader of the Opposition will have any objection if I answer right now.

M. Johnson (Anjou): Quite the contrary. J'offre au premier ministre de répondre immédiatement, s'il le désire.

M. Bourassa: Oui, certainement. Je voudrais d'abord reprendre certains propos qui avaient trait à mon absence, à la fin du mois de mars. Je crois que nous avions donné des explications à ce moment-là. Comme il s'agissait d'une conférence constitutionnelle et que le Québec ne faisait pas partie de l'entente constitutionnelle, nous avons jugé que, logiquement, il était justifié de notre part d'être absent, au plus haut niveau à tout le moins, de cette conférence, mais il y avait quand même une représentation par M. Savoie et M. Rémillard. Nous voulions aussi quand même mettre en relief le fait que, si le Québec ne posait aucun geste, d'aucune façon, à l'égard du dossier constitutionnel, il y avait risque de banalisation, de la situation où nous nous trouvions. Dans la mesure où il y a ce risque de banalisation cela affecte le rapport de forces dans nos négociations. (17 heures)

Je voudrais répondre à la question plus directement. L'entente du 30 avril des premiers ministres faisait état d'une deuxième ronde de négociations ayant trait à des sujets comme la réforme du Sénat, les pêcheries et d'autres sujets, dont certainement les problèmes et les droits qui vous concernent. Le Québec, quels que soient les gouvernements, a toujours manifesté beaucoup d'ouverture d'esprit vis-à-vis de vos représentations. Si j'ai raison, nous sommes le seul gouvernement ou l'un des seuls gouvernements en Amérique du Nord à avoir réalisé une entente en novembre 1975, une autre en janvier 1986. Donc, nous avons démontré concrètement notre volonté politique d'arriver à une entente avec vous. Sûrement que lorsque la question sera réglée, après ta rencontre des premiers ministres et l'adoption de l'accord constitutionnel par les différentes Assemblées législatives, par l'Assemblée nationale et par la Chambre des communes, il n'y a pas de doute que les droits et les questions qui vous intéressent seront également discutés, de même que les autres questions dont on a traité pour la deuxième ronde constitutionnelle au lac Meech. Je pense à la réforme du Sénat et à la question des pêcheries.

Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce qu'un autre représentant voudrait prendre la parole? Oui, M. le chef Gary Potts.

M. Potts (Gary): Thank you, Mr. Chairman. We would also like to brinq congratulations from the Assembly of First

Nations with regard to Quebec being recognized by the heads of the rest of the settler governments in Canada as being a distinct society within Canada.

As you know, and it has been said before, we represent ancient nations, nations that were in Canada in place for thousands of years prior to European contact, and illustration of that was given in capitulations at Montréal and in the Royal Proclamation of 1763, both of which referred to us as allies either of the British Crown or of the French Crown at that time. The wampum belt that was discussed and illustrated at the opening of the First Ministers Conference this past March illustrated the distinct nature of the fundamental characteristic of Canada, as we have seen it and as historical records show it, that there are three distinct orders in Canada: that is, the Federal Government, provincial governments and our governments.

We have not had a very good history in the short history of dealing with constitutional matters when the Premiers are involved. In 1981, as you know, Aboriginal rights were recognized, protected and affirmed, and when the Premiers became involved, they were dropped. As you know, we lobbied across the country to have that clause put back in. It went back in as Section 35 with the addition of the word "existing". It is because of that that we have serious concerns about our interests not being protected at the table, when only the Premiers are there with the Federal Government. The ability of the Federal Government to protect our interests at these meetings with the Premiers has been shown not to meet our needs.

Our forefathers accorded each other the dignity that human beings come to expect when they have distinct histories and distinct land rights, and it is with that ancient spirit of cross-cultural dialogue that I will illustrate the concerns that the Assembly of First Nations has with the Meech Lake Accord.

The first paragraph states that Quebec is a distinct society and that English-speaking and French-speaking Canadians constitute a fundamental characteristic of Canada. We would like to see added in that particular sentence: "constitute a fundamental European-settler characteristic of Canada" and, in clause (b), the recognition that Québec "constitutes within Canada a distinct European-settler society." At the end of clause (2), where it says "to preserve the fundamental characteristic of Canada referred to in paragraph (l)a)", we would like added to that Sections 25 and 35 of the Canada Act, 1981, to ensure that you are also going to be protecting and preserving our rights.

In clause (3), the same thing: to "promote the distinct identity of Quebec referred to in paragraphe (l)b) - Sections 25 and 35 - is affirmed." And a non-derogation clause should be added also that would state something like this: "This section shall not abrogate or derogate from the distinct identities and rights of First Nations societies in French-speaking Quebec or English-speaking Canada."

With regard to immigration, if there is going to be an immigration master agreement entered into with the Federal Government, we feel that there must be a clause in there, in the master agreement, the first clause, to ensure that there is going to be input from the First Nations in Quebec to ensure respect for the needs and unique circumstances of the First Nations in Quebec.

On clause 3, subsection (c) - we do not have the number here, but that is what it appears to be - where it says: "to withdraw services (except citizenship services) for the reception and integration ("including linguistic and cultural) of all foreign nationals wishing to settle in Quebec", we would add that we want to ensure that the reception, integration and assimilation of immigrants into Quebec include the histories of the First Nations in Quebec and the constitutional rights of the First Nations in Quebec as well.

With regard to the Supreme Court of Canada, this is going to be a critical forum in the future, the foreseeable future being at least 400 or 500 years, to straighten out the differences that we are not able to come to terms with at this time. Those justices need to feel comfortable with them because we are distinctly recognized now in the constitution in Sections 25 and 35. With respect to the three justices appointed by the civil bar in Qupbec, the First Nations in Quebec should have input into who those justices should be. For the balance of the provinces of Canada, we want input into the list being put forward by the provinces from each part of Canada or, in the alternative, we want input at the federal level and want our aqreement to be necessary before the appointment is carried throuqh.

With regard to spendinq power, we definitely require a clause in this that when a province opts out, it does not opt out of the protection and the rights that we have as distinct First Nations communities and people in each province and that the funding programs from the national government will not be interfered with or derogated from by the provincial governments.

With regard to the amending formula, we feel that we need some kind of clause to ensure that we have a say in any amendments that are goinq to take place in the future, but in particular with regard to Section 42. We would like subsections (e) and

(f) removed from that particular section because we do not feel it is necessary for all provinces of Canada to agree that there should be a province formed in the Yukon and a province formed in the Northwest Territories, Dene country, the Nunavut province. We feel that that should only be a prerogative and that we should be dealing with the mechanics of that with the Federal Government only. We think that is a carryover of distinct colonial mentality as to how the frontiers of Canada should be dealt with. We feel that this has to be removed from that particular section.

We feel we must be involved in all elements of the second round of the constitutional process. The method of selection of senators is very critical to us because our two sections in the constitution would recognize our distinctiveness in Sections 25 and 35. The powers of the Senate are very critical to us. The fishery roles and responsibilities are a very critical element to us, because many of our people across Canada state: We never gave you the right to have access to our fisheries. That was not a deal made in treaties. In the places where there are no treaties, our Aboriginal rights are still intect. These Aboriginal rights include the ownership of the resources, and the resources include fisheries.

Other agreed-upon matters: we feel that there have to be further constitutional talks on the interlinkages between ourselves and coexistence in Sections 91 and 92 of the British North America Act.

That primarily covers the concerns of the Assembly of First Nations and we are willing to answer any questions for clarification that any of the delegates may have around this table. Thank you.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef Potts. Il nous reste à peine douze minutes dans l'enveloppe globale, donc six minutes pour chaque groupe parlementaire. Je suggère, s'il y a consentement autour de cette table, pour permettre un minimum de discussion avec nos invités, qu'un minimum de dix minutes soient consacrées à chaque formation parlementaire pour une enveloppe maximale de vingt minutes. Est-ce que cette formule vous agrée?

M. Bourassa: M. Chevrette va pouvoir prolonger un peu?

Une voix: Oui, oui.

M. Johnson (Anjou): M. Chevrette va avoir droit à son heure. Il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Filion): Non, M. le premier ministre, dans le cas de chacun des invités, l'enveloppe de 60 minutes est minimale, peu importent l'époque et le temps où on est rendu dans la journée. On a déjà siégé jusqu'à 23 h 30 et minuit. L'enveloppe est préservée pour chacun...

M. Johnson (Anjou): Me Chevrette, si je comprends bien.

M. Bourassa: Je sais qu'il a enseigné au chef de l'Opposition et je vais voir s'il en est...

M. Johnson (Anjou): L'année d'ailleurs où il sortait de l'université.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Une enveloppe de vingt minutes. Je donne immédiatement la parole au porte-parole du groupe ministériel. M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Mme Bush, messieurs les représentants des peuples autochtones, je vous remercie aussi de vous être présentés devant nous et de nous avoir fait part de vos commentaires sur l'entente du lac Meech. II y a plusieurs points qui ont été soulevés et un, en particulier, qui semble beaucoup vous préoccuper: le fait que pour la première fois depuis que la Fédération canadienne est créée on donne au Québec, au Parlement québécois, à l'Assemblée nationale du Québec, au gouvernement le rôle de protéger et de promouvoir le caractère spécifique du Québec. Vous avez mentionné quelques craintes indiquant que cela pourrait avoir des conséquences sur vos droits comme autochtones. Je crois qu'il est clair que le fait que le Québec soit reconnu comme une société distincte, le fait que l'Assemblée nationale et le gouvernement reçoivent ce rôle de protéger et de promouvoir cette société distincte, cela ne touche absolument en rien l'article 35 et vos droits comme groupes autochtones, bien au contraire. Lorsqu'on parle de la spécificité du Québec, nous comprenons les peuples autochtones qui, d'une certaine façon, en fonction de leur culture, de leurs coutumes, de leur façon d'être, peuvent être compris à certains égards dans ce caractère distinct. C'est dans ce contexte que je veux assurer nos amis qui nous expriment des craintes qu'il n'y aura pas de problème à concilier société distincte et droits des autochtones; au contraire, peut-être que vous avez là un élément de plus. (17 h 15)

D'autre part, en ce qui regarde le "spending power" du gouvernement fédéral, M. Gordon a exprimé des réserves disant que cela pouvait limiter la possibilité pour le gouvernement fédéral de dépenser des sommes d'argent pour le bien-être des peuples autochtones. Là encore, je veux être clair sur ce point. Il est évident que la

compétence du gouvernement fédéral, du Parlement canadien, concernant les autochtones à l'article 91(24), est intouchée. Elle demeure complète et elle permettra au gouvernement fédéral d'agir à sa guise.

Donc, ce sont les commentaires que je voulais faire pour rassurer nos amis autochtones quant à ce caractère distinct de la société québécoise et quant à ce "spending power" qui sera maintenant limité,,

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre? Pas de réaction... Is there any reaction on your part? Oui, M, Gordon.

M. Gordon: Thank you Mr. Chairman and Mr. Rémillard. Firstly, on the point of distinct society, we have no objections whatsoever that Quebec be given this distinction at all. All we are saying is that we feel we are just as distinct as you are and that this recognition should be put into the constitution. We realize fully that the other governments in this country also have to agree with that position, but our position is that we are just as distinct, if not more, than Quebec, because your culture and the English culture are both of European origine; they are neighbours. In fact, you conquered each other at one time or another in your history, if my high school history is correct and, in fact, this blended quite a bit your cultures and your languages, whereas my language and culture are entirely separate and distinct from yours, entirely different, completely and entirely different from your culture and society. So, that distinctness, that recognition of that distinction should also be extended to us. We are a distinct society within this country as much as you are, maybe more, and that is what we are saying. So, that is all we are saying. We are not objecting to your being given that recognition, we think you should have that recognition but we should also have it. That is all we are saying to you.

Senator Watt may want to add to that.

M. Watt (Charlie): I would just like to extend...

Le Président (M. Filion): Oui? Senator Watt, you want to complete M. Gordon's reaction, is that it?

M. Watt: Mr. Chairman, if you will allow me, I would just like to make a few comments. Am I too far away from the microphone? It is so flexible, I do not know how to turn it.

Just to expand a little bit on what Mark is talking about, I fully agree with what Mark is saying and I think we are in full agreement with what Quebec is striving at. I do not think we quarrel with you and I think we are in full agreement. But the thing is "distinct society", the way it is worded in the Accord, it is so vague and it is undefined as to what exactly the term is and how it could have an implication on the Aboriginal people.

Maybe down the process we will find out that it will not have any effect on Section 35. It will not have any effect on the James Bay and Northern Quebec Agreement. It will also probably assure us down the road. It probably will only complement us, but at this point in time, Mr. Chairman, it is so vague, so broad that we need further clarification in terms of how it is going to be affecting us. We are not saying it is bad for you, we are not saying it is bad for us, but it is so broad and so vague that there is further work to be people on it.

There was one other thing I would have liked to ask the Prime Minister of Quebec when he was here, but unfortunately, he left. An two occasions now... Twice now, he has left. I would like to ask the Prime Minister which... This could be passed on to him. I think that this is a perfect opportunity, a perfect and unique one for Quebec to take the side of the Aboriginal people, which you have always been doing since the constitutional process. We would as Aboriginal groups, rely pretty heavily on the Government of Quebec - Quebec as a whole - to give us support to make sure that we are placed on the agenda, because right now we have no process. At the last First Ministers Conference, it was just cut off with no indication on what was going to be the next avenue to take. This has been very unclear and I think it is an opportunity now for the Government of Quebec - and Quebec as a whole - to rally up, if it is necessary, the other provinces, other Premiers, to bring us back on the agenda. I think that is all we are asking at this point in time because we cannot make an intelligent comment on those specific agreements that you have worked out because they are too broad for us. We can only take a guess, the same as you. If one of my colleagues says: Do not worry, you are protected, there is no assurance of that. That is all we are saying.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Senator, let me tell you first that it is rare that we have the opportunity to have a senator to discuss with in this House and so it is a pleasure to have you with us. You are welcome as a senator and you are welcome also as a representative of your people. May I insist on one point. I understand your point, I understand Mr. Gordon's point too, but may I

insist on the fact that as you know, Québec is sympathetic to the Aboriginal cause. And do you think that... I think we can say that your interests could be better served by a stronger Québec, a Québec as a partner, a real, full partner of this federation. So, I think it could be better for your cause to have Québec, a stronger Québec, Québec as a full member of this federation.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le sénateur Watt.

M. Watt: Mr. Chairman, will you allow me just to respond quickly? I would like to say that when I first heard about your success on this political accord, I think I was the first person to make a statement from the High North congratulating Québec. I have also stated very clearly that what Québec achieves in terms of additional powers and distinction, recognition of its culture and uniqueness, it will only complement us. We agree with you. But the fact is that we have to make sure that we protect our own rights and it is agreed on verbally. Yes, we are going to protect your rights. I mean the country is a lot more sophisticated now than it used to be. And this by word-of-mouth agreement is no longer acceptable in any society, that is the point. We are not saying that we do not believe what you say. But there ha3 to be an understanding clearly in terms of putting it into a text to give us some assurance. Even if we had something in writing as far as the high level of order in the constitution, as my colleague mentioned, it was taken out and then we had to fight like hell to put it back in. And I think we are in the same predicament again today.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. le sénateur Watt. Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci Mme Bush, chef Potts, chef Bruyère, M. Chalifoux, sénateur Watt, M. Gordon. Merci de votre exposé. Avant de vous poser quelques questions, je voudrais simplement faire un retour rapide sur le passé et vous dire combien c'est un plaisir pour nous de vous recevoir ici, que les peuples et que tes nations autochtones soient invités à s'exprimer. S'il est arrivé que dans l'histoire du Québec et de ce territoire il y ait eu des tensions, des injustices, dont certaines sont des taches, pour ceux d'origine européenne, je croîs qu'il y a aussi la valeur de l'échange de gens qui se reconnaissent comme formant des peuples et des nations et c'est ce que je vois aujourd'hui quand je vous regarde et quand je vous entends.

Il y a 20 ans, j'étais, à peu près à cette date de l'année, dans le Grand Nord québécois où c'était mon premier contact avec les gens des nations inuit. Je me souviens des conditions sociales et de santé dans lesquelles les gens y vivaient. Je me souviens aussi qu'à l'époque, il y a vingt ans, un gouvernement qui était dirigé par quelqu'un que je connaissais bien avait dit: II y aura un hôpital à Povungnituk. J'ai eu le plaisir comme ministre des Affaires sociales, 17 ans après, d'en autoriser la construction et je pense qu'il a été inauguré il y a quelques semaines. Je dois vous dire que je n'ai pas été invité, cependant.

J'ai eu aussi l'occasion comme ministre des Affaires sociales de préparer l'entente entre les Mohawks de Kahnawake et le gouvernement du Québec dont le résultat aura été de permettre que le conseil de bande des Mohawks, à toutes fins utiles, soit celui qui dirige cet hôpital. Il y a même une loi qui maintenant reconnaît que l'hôpital de Kahnawake, c'est l'hôpital des Mohawks, ce n'est pas un hôpital du réseau des affaires sociales.

Dans le passé aussi, j'ai eu le privilège, comme ministre de la Justice et comme ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de participer et d'analyser une résolution que présenta M. René Lévesque à l'Assemblée nationale le 20 mars 1985, contre laquelle le Parti libéral vota malheureusement. Je me permets de faire la lecture de cette motion du 19 mars 1985: "Que cette Assemblée reconnaisse l'existence au Québec des nations abénaquise, algonquine, attikamek, crie, huronne, micmaque, mohawk, montagnaise, naskapie et inuit;

Reconnaisse leurs droits ancestraux existants et les droits inscrits dans les conventions de la Baie James et du Nord québécois et du Nord-Est québécois;

Considère que ces conventions, de même que toute autre convention ou entente future de même nature, ont valeur de traités;

Souscrive à la démarche que le gouvernement a engagée avec les autochtones afin de mieux reconnaître et préciser leurs droits, cette démarche s'appuyant à la fois sur la légitimité historique et sur l'importance pour la société québécoise d'établir avec les autochtones des rapports harmonieux fondés sur le respect des droits et la confiance mutuelle;

Presse le gouvernement de poursuivre les négociations avec les nations autochtones en se fondant, sans s'y limiter, sur les 15 principes qu'il a approuvés le 9 février 1983 en réponse aux propositions qui lui ont été transmises le 30 novembre 1982 et à conclure avec les nations qui le désirent ou l'une ou l'autre des bandes qui les constituent des ententes leur assurant l'exercice: "a) du droit à l'autonomie au sein du

Québec; "b) du droit à leur culture, leur langue, leure traditions; "c) .du droit de posséder et de contrôler des terres; "d) du droit de chasser, pêcher, piéger, récolter et participer à la gestion des ressources fauniques; "e) du droit de participer au développement économique du Québec et d'en bénéficier, "de façon à leur permettre de se développer en tant que nations distinctes ayant leur identité propre et exerçant leurs droits au sein du Québec. "Déclare que les droits des autochtones s'appliquent également aux hommes et aux femmes; "Affirme sa volonté de protéger dans ses lois fondamentales les droits inscrits dans les ententes conclues avec les nations autochtones du Québec; et "convienne que soit établi un forum parlementaire permanent permettant aux autochtones de faire connaître leurs droits, leurs aspirations et leurs besoins." (17 h 30)

This resolution which was presented by the Government in 1985, on the 19th of March, was, I think, quite substantive, and I dare say rather more substantive than "Quebec forms a distinct society", because Quebec and the Government to which I belonged accepted to recognize that you form people and nations. And we are very far from that in whatever kind of constitutional accord was sort of struck at Meech Lake.

Secondly, I must say that Mr. Ciaccia, at that time the Member for Mont-Royal and now a Member of the Government, voted against that resolution because he felt that there was no such thing as collective rights, that there are only individual rights. I think one of the reasons why I sometimes feel akin with Aboriginal peoples is that you have this profound instinct, this profound "conviction" that there is such a thing as collective rights. And I think that is what you are asking for in the Constitution of Canada. I am not sure that is what Quebec is getting in the Meech Lake Accord.

I would have a precise question on two issues or, basically, one issue, Section 25. If you do not mind, I will do it in French and, maybe, do it in English after that.

L'article 25 de la constitution du Canada, de la charte canadienne de 1982, prévoit que les garanties en matière de droits et libertés, au Canada, en vertu de la charte canadienne, ne peuvent en aucune façon abroger ou déroger aux droits autochtones qui auraient précédé l'adoption de la charte, y compris les droits découlant de la Proclamation royale de 1763, ni à tous les droits et libertés que les peuples autochtones du Canada auraient eus par voie de "land claims", de revendications territoriales.

L'article 35, pour sa part, confirme l'existence de ces droits des autochtones et des droits des traités.

So, my question will be in English. Have Sections 25 and 35 served you recently in front of the courts in order to give you more rights in practice? Sections 25 and 35 are rather explicit in terms of the fact that the Canadian Charter must not affect Aboriginal rights, and, secondly, 35 recognizes the existence of Aboriginal rights. If there were any court cases, did they permit you to extend your rights?

Le Président (M. Filion): Mme Bush.

Mme Bush: I would like to answer that in one instance that I am aware of, a recent Supreme Court decision, Section 35 was brought into the discussion. One of the problems here is - I am very happy that you ask this question because it can point out some of the problems even where we say that there is an explicit right or an implicit right there - that the Supreme Court stated that, yes, we did have an Aboriginal right to fishing; however it was subject to regulation. And here is why we say: Even with the most careful explicit wording in the constitution, we have the responsibility to fight very hard to ensure that those other regulations do not diminish our rights. So, yes, we will be counting very much on the Supreme Court to make decisions but they have to look at ali of our history and all of our culture in order to understand exactly what Section 35 is supposed to mean.

As long as I am speaking, I want to say something about the resolution. We are very, very... I do not know what the word is. We are appreciative of the efforts of the various provincial governments in the recent past to finally come to some recognition of the Aboriginal peoples' rights and I have to say your government, the PQ Government did move things along from where they were frozen for the past hundred years. We appreciate that.

However, it has not gone far enough insofar as the resolution is not really, in our estimation, substantive. You recognize that there are nine nations existent in Québec. Fine! We have said that. We gave fifteen points which we thought should have clear recognition and your government watered down those fifteen points, would not accept some of them. The Liberals, at the time, said that the resolution did not go far enough. We expected great things from them.

A resolution again has no legal effect. A resolution is simply that, a resolution. There is no legal effect, so it gives us nothing except nice words. We cannot go to court with a resolution. Your government

changes and another one comes into play. The Québec Legislature in both governments, I must say, has told us very plainly that it would recognize certain rights but that at all times the Québec Legislature would be paramount.

That is unacceptable to us. We appreciate the gains that you have made and we think the gains that we have made with you are because of our efforts to continuously hammer away and tell you and the public that we have rights which have never been surrendered. And so, if it has taken the last five or ten years to bring the provincial governments to some understanding, and Québec may be leading the others a little, is still not enough and you as Québécois seeking to attain... You should understand that more than anyone else. It has to be full and clear, explicit recognition because if we have to go to court in the future with anyone, we have never surrendered our rights and we want that clear.

Le Président (M. Filion): Le temps est terminé de part et d'autre.

M. Johnson (Anjou): Oui, est-ce que le ministre me permettrait juste un moment de conclusion parce qu'il a réussi à échanger? Rapidement, sans vouloir trop résumer ce que dit Mme Bush - je suis conscient que je n'évoquerai pas la deuxième partie de son intervention, mais sur la première qui faisait suite à ma question - ce que Mme Bush nous a dit, c'est qu'en dépit du fait que l'article 35 de la charte canadienne et l'article 25 sont explicites et sont plus que des simples clauses d'interprétation, la Cour suprême jusqu'à maintenant, dans une cause, notamment en matière de chasse et de droits de chasse, a dit que s'il y avait des droits reconnus de façon explicite ils étaient quand même sujets à la réglementation fédérale. En ce sens, je comprends que je l'applique maintenant analogiquement, je m'imagine une simple clause d'interprétation qui dit que le Québec forme une société distincte. Si les droits des autochtones explicités à 35 de la charte canadienne obtiennent de tels résultats en Cour suprême, je m'imagine ce qu'une simple clause d'interprétation va donner au Québec devant la Cour suprême.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, en conclusion.

M. Rémillard: En conclusion, M. le Président, je voudrais souligner que mon collègue, le ministre délégué aux Mines et aux Affaires autochtones, a présenté en première lecture un projet de loi, le projet de loi 50, dont je lis simplement un considérant: "Considérant que les Abénaquis, les Algonquins, les Attikameks, les Cris, les

Hurons, les Micmacs, les Mohawks, les Montagnais, les Naskapis et les Inuit constituent des nations distinctes..." Voilà un autre pas qui est fait...

M. Johnson (Anjou): D'ailleurs, c'est à l'époque où j'y étais qu'on a rédigé le projet de loi que vous avez présenté.

M. Rémillard: Le projet de loi est présenté par mon collègue, le ministre délégué aux Mines et aux Affaires autochtones, et vous n'êtes plus au gouvernement.

Donc, en terminant, M. le Président, je voudrais remercier Mme Bush et les représentants des nations autochtones d'avoir bien voulu venir témoigner devant nous cet après-midi. Merci.

Le Président (M. Filion): Au nom de tous les membres de cette commission, Mme Bush, M. le sénateur Watt ainsi que les autres membres de votre délégation, je voudrais vous remercier de vous être déplacés et de nous avoir présenté ces mémoires que nous pourrons lire. Je veux également vous remercier pour la période de discussion que nous avons eue cet après-midi. Thank you very much in the name of all the members of this commission.

Nos travaux sont suspendus deux ou trois minutes pour permettre à nos invités actuels de laisser la place à notre prochain invité. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 41)

(Reprise à 17 h 43)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je demanderais aux membres de cette commission de bien vouloir regagner leur siège. Je demanderais également à M. Chevrette de bien vouloir prendre place à la table des invités.

Bonjour, bonsoir, on est entre les deux. M. François Chevrette, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, au nom des membres de cette commission, je voudrais - je pense que vous étiez présent -que vous nous excusiez de ce retard pour l'audition de votre témoiqnage. Vous aurez compris que la forte délégation précédente, forte en nombre, a fait en sorte que nous avons dû allonger quelque peu la période de temps qui leur était allouée. Alors, sans plus tarder M. Chevrette, je voudrais vous rappeler brièvement nos règles: 20 minutes sont consacrées à votre exposé, une quarantaine d'autres minutes sont consacrées à dialoguer et à discuter avec les membres de cette commission. Sans plus tarder, je vous invite à présenter votre exposé.

M. François Chevrette

M. Chevrette (François): Je vous remercie M. le Président. J'avais projeté de présenter deux remarques à propos de chacun des cinq points de l'accord et c'est ce que je ferai très brièvement.

Juste avant de commencer et en guise d'introduction, je voudrais vous indiquer en quelque sorte - je n'ose pas dire mes préjugés - mes "présupposés" dans cette affaire. J'en aurais essentiellement deux. J'entends par "présupposés" des choses qui se démontrent mal, qui relèvent plutôt d'opinions très personnelles. Un premier "présupposé" pour ma part est le suivant: J'estime que, dans le contexte politique actuel du Québec, il y a une nécessité de faire un certain débloquage au point de vue constitutionnel. Je le dis pour plusieurs raisons. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que le fait que nous soyons absents de la scène constitutionnelle a fait en sorte que nous étions absents ces derniers mois de la rencontre avec les autochtones. Je pense que c'est infiniment mauvais pour l'image internationale du Québec. Le fait de ne pas faire de débloquage donne l'impression d'une espèce de situation de constant échec. Le Canada en vient à être perçu comme une troisième ou quatrième république où rien ne peut jamais aboutir, où on n'accouche jamais de rien. Dans cette perspective et vu que, de toute façon, nous sommes dans le système constitutionnel 1982, j'estime pour ma part qu'il y a, non pas urgence, mais nécessité de faire un débloquage. C'est ce que j'appelle mon premier "présupposé".

Mon deuxième "présupposé" est le suivant: Je vais tenter de faire très brièvement sur la question une appréciation de caractère juridique. Parce que je suis juriste, elle sera faite dans la perspective suivante: Mon souci est de me demander si cet accord est acceptable pour le Québec et s'il est aussi acceptable pour un régime fédéral qui puisse fonctionner. C'est cela, ma perspective. J'essaierai de faire un certain effort de prévisibilité. C'est très difficile de prévoir les faits de ces différentes dispositions. Mais j'essaierai de le faire. Donc, je me présente en quelque sorte et sans prétention comme un témoin expert, sans prétention parce que, comme vous le savez, devant les tribunaux, les témoins experts sont les plus mauvais de tous. J'espère que je ne le serai pas trop en cette fin d'après-midi. Je signale que je pourrais l'être d'autant plus, que dans cette ronde de négociations j'ai déjà été consulté par le ministre Rémillard, mais cette consultation a eu lieu l'été dernier et c'était dans des termes très généraux. Je mentionne que je n'ai été, depuis ce moment-là, d'aucune façon associé à ce dossier.

Ce sont donc les deux points introductifs que je voulais souligner. Je passe en premier lieu au premier point de l'accord des premiers ministres, à savoir le caractère distinct du Québec. J'y vois, comme vous tous, deux points majeurs, à savoir que dans le projet il y a d'une part ce qui concerne les reconnaissances. On reconnaît un certain nombre de choses. Il y a en second lieu les engagements pris à la fois par le Québec et par les autres parties du Canada.

En ce qui concerne les reconnaissances, je serai très bref. Vous connaissez le texte bien mieux que moi. II y a deux dispositions, l'une ayant trait à la dualité et l'autre à la spécificité, qui sont en relation dialectique, pour dire le moins, l'une avec l'autre. Mais comme je sais qu'un des soucis de cette commission est de savoir s'il y aurait lieu de préciser ce qu'est une société distincte au sens du paragraphe (l)b) du projet. C'est là-dessus, essentiellement, que j'aimerais m'exprimer en quelques mots,

II est évident, au point de vue juridique, que ces dispositions de reconnaissances à l'article 1 sont de caractère déclaratoire et interprétatif. J'estime qu'il ne peut pas en être autrement. Ce n'est pas, parce que dans la constitution il serait indiqué que le Québec a un caractère distinct, que nous aurons tous instantanément, le lendemain matin, les yeux bridés. De sorte qu'un texte de loi de ce genre ne peut avoir qu'un caractère déclaratoire et interprétatif. Déclaratoire et interprétatif des autres dispositions de la constitution.

Alors là, je vais être très concret et je vais me demander ceci: quel résultat pratique et au point de vue jurisprudentiel en particulier cette double reconnaissance de la dualité et du caractère distinct du Québec peut-elle donner sur le plan des faits? Je suis très clair sur un point. La reconnaissance du caractère distinct du Québec ne change pas le partage des compétences. Ce n'est pas, parce que le Québec devient distinct, qu'il a la compétence en matière de droit criminel, pour prendre un exemple très simple. Mais par ailleurs, au-delà de ces exemples qui sont d'une simplicité peut-être excessive, je siqnale que, bien que ce soit très difficile de le prévoir, il est possible qu'une disposition interprétative de ce genre donne des résultats dans des domaines insoupçonnés.

Je vous en donne deux exemples et je signale, avant de les donner, que le processus en vertu duquel on arrive à un résultat de ce qenre est le suivant. La norme interprétative que l'on a devant nous sert à interpréter un autre article de la constitution avec la conséquence que cette nouvelle interprétation de l'article peut entraîner soit une validation d'un texte de loi, soit une invalidation d'un texte de loi. Je donne deux exemples de ceci. Et mon propos est de

montrer que cela peut avoir des résultats concrets, même si ce n'est que déclaratoire et interprétatif dans sa portée.

Imaginez que le Québec - c'est un exemple purement hypothétique - décide de se doter d'un régime présidentiel. Il y aurait très probablement certaines difficultés constitutionnelles qui se poseraient, reliées en particulier aux pouvoirs du lieutenant-gouverneur. Mais il n'est pas impossible que les tribunaux en appréciant et en interprétant les pouvoirs du lieutenant-gouverneur puissent les interpréter dans un certain sens qui soit conforme à la notion de société distincte du Québec.

Autre exemple, cette fois un exemple qui a un effet d'invalidation d'un texte de loi. Imaginez que le fédéral - je prends des exemples qui sont en dehors du domaine linguistique, pour faire diversion - veuille occuper le champ du commerce des valeurs mobilières. Ceci n'est pas qu'hypothétique. Depuis longtemps Ottawa aimerait mettre les pieds dans cette juridiction. Imaginez au surplus qu'Ottawa veuille le faire en disant: C'est un commerce extrêmement rapide, la Bourse, etc., tout se fait entre Montréal, Toronto et Vancouver; donc, c'est d'intérêt national que nous pénétrions dans ce champ. Il n'est pas inimaginable qu'un tribunal puisse dire, étant donné que le Québec, dans le domaine des valeurs mobilières et des institutions financières, a une législation et des traditions qui sont quand même assez particulières: Nous concluons que ce n'est pas une question d'intérêt ou d'importance nationale, vu la spécificité de la législation et de la réglementation québécoise en cette matière.

J'arrête là les exemples et je fais vite pour terminer en disant qu'il n'est pas possible de prévoir les domaines où les deux clauses interprétatives pourront avoir des effets. Cela peut être en matière linguistique, dans le domaine commercial, dans le domaine économique, dans une très grande variété de domaines, si bien que - je n'en fais pas une affaire personnellement -je serais porté à penser qu'il n'y a pas lieu de définir la notion de société distincte, pour les raisons techniques que je viens de mentionner. Je sais qu'il y a des gens qui font grand état de cette question. Je n'aurais pas d'objection de principe à ce qu'on le fasse, mais j'estime que c'est peut-être mieux de ne pas le faire pour donner libre cours à des applications aussi variées que celles que je viens d'évoquer.

C'était mon premier point. Le deuxième point concerne les engagements d'Ottawa et des autres provinces, et les engagements du Québec. La question que je me pose est la suivante: Est-ce que ces engagements sont créateurs d'obligations? En d'autres termes, si l'Ontario, Ottawa ou l'Alberta ne respectent pas le paragraphe (2), est-ce qu'un tribunal pourrait les contraindre à le respecter? Je ne le crois pas, personnellement. J'estime que, de la même façon que par rapport à l'article 36 de la loi de 1982, s'il arrivait qu'Ottawa refuse de faire des paiements de péréquation, il serait fort douteux qu'un tribunal puisse l'obliger à le faire. Donc, la portée de ces deux paragraphes, au point de vue de la création d'obligations, me semble limitée.

Par ailleurs, on peut se demander si les deux paragraphes, même s'ils ne créent pas d'obligation juridique, donnent des pouvoirs. Et je pense que la réponse à ce moment-là est oui. Si l'article 36 de la loi de 1982 dit que le Parlement et le gouvernement du Canada s'engagent à faire des paiements de péréquation, il est très clair qu'ils ont les pouvoirs de le faire, même s'ils n'en ont pas l'obliqation; et de la même façon, les articles 2 et 3 du premier point du projet seraient créateurs de pouvoirs, à l'intérieur des limites du partage des compétences, cependant.

Je conclus donc mon premier point de la façon suivante: Je dirai ceci à propos du projet sur le caractère distinct du Québec: C'est un projet qui a deux qualités, à mon sens. II reflète une vérité. C'est vrai, ce qu'il y a là-dedans, tout au moins pour l'alinéa (1), sous-paragraphe a) et b); il y a là une vérité. Il y a tellement de faussetés et de choses incomplètes dans notre constitution qu'on aura là une chose vraie, d'une part. D'autre part, je dis ceci: Même si dans la pire des hypothèses ces dispositions ne donnaient pas d'effet favorable au Québec, je ne vois pas quel effet nuisible elles pourraient avoir pour le Québec. Je raisonne dans la pire des hypothèses, celle où il y aura un effet purement négatif. Mais je ne vois pas d'effet nocif en ce qui concerne le Québec. C'est une chose sur laquelle on pourra revenir.

Je fais vite. En ce qui concerne maintenant le deuxième point de l'accord, la formule de modification, J'aurai aussi deux remarques. Là-dessus, je n'ai pas grand-chose à dire parce que je pense que sur le premier point, à savoir le maintien de la formule du retrait, mais d'un retrait cette fois compensé, tout le monde ici doit être sensiblement d'accord. La formule a été inventée par... Enfin, le gouvernement précédent y a souscrit, celui-ci vient d'y souscrire, de sorte que je ne vais pas ramener le débat autour du droit de veto. Quelque préférence que l'on puisse avoir, je pense qu'on est face à une formule qui ne doit pas faire beaucoup de discussion, à tout le moins à l'intérieur de la députation et du gouvernement. Je l'appelle la formule du maintien de la formule du retrait compensé.

Il y a - et c'est incontestable, et c'est toujours ma première remarque - un acquis très considérable dans ce que l'on a obtenu

par rapport à la compensation. Ceci est indiscutable; il s'agit de la modification de l'article 40 de la Loi constitutionnelle de 1982 et il est indiscutable que le fait d'étendre la compensation à tous les domaines est un acquis fort important. (18 heures)

Deuxième remarque en ce qui concerne la formule de modification: J'y vois que, dans le domaine des institutions fédérales, l'on retient la formule de l'unanimité, c'est-à-dire que l'article 42 deviendrait sujet à une formule d'amendement requérant l'unanimité. Je pense que c'est une formule pour un fédéralisme d'une très grande rigidité. Par ailleurs, je ne vois pas en quoi, du point de vue du Québec, elle puisse lui être nuisible. Donc, ma conclusion sur la question de la formule de modification est la suivante. C'est qu'il s'agit d'une formule vue du point de vue d'un régime fédéral très rigide, mais qui, du point de vue du Québec, ne lui est certainement pas nuisible. C'était mon deuxième point.

Sur la Cour suprême du Canada, on ne peut pas dire grand-chose avec ce que nous avons entre les mains. Je formule quand même deux brèves remarques. D'une part, il y a la volonté de constitutionnaliser la cour. Pour ma part, je trouve cela absolument normal, et ce qui était anormal, c'était la situation traditionnelle depuis la création de cette dernière, à savoir que la cour n'avait qu'une simple existence statutaire. Cela ne me semble pas normal pour une cour qui oeuvre surtout dans le domaine constitutionnel. Donc,, sur ce premier point, je suis d'accord. Sur le deuxième point, les modes de nomination, je n'ai absolument rien contre la simplicité de la procédure. J'ai bien souvenir que, dans la formule de Victoria, les choses étaient tellement compliquées que je doute bien qu'un juge ait pu être nommé en vertu de celle-ci. On a l'avantage de la simplicité, mais je ne ta comprends pas. Est-ce que toutes les provinces vont donner une liste lorsqu'il s'agira de nommer un juge du "Barreau civil", comme on dit dans le projet. Enfin, je n'ai rien contre le principe de la formule, mais je la trouve bien imprécise, et il m'est difficile de commenter davantage, encore que je n'aie aucune objection de principe au système des listes, même des listes bloquées, mais il s'agirait de savoir qui va les présenter. C'étaient les deux remarques que je voulais formuler sur la Cour suprême.

En ce qui concerne le quatrième point, M. le Président, l'immigration, j'aurais aussi deux remarques que je formule sous réserve de bien lire le texte. Si je lis bien, et Dieu sait que je l'ai lu en anglais et en français plusieurs fois, j'en retiens deux choses, mais il est possible que je me trompe et j'aurais tout avantage à être corrigé par vous. Le premier point et ma première remar- que - il y en aura deux - c'est que ce projet aurait pour effet, quant au Québec, de constitutionnaliser l'accord Cullen-Couture. C'est un processus inédit du point de vue constitutionnel, mais, que je sache, cet accord a donné des résultats fort satisfaisants. On l'assortit d'un coussin de 5 % pour des raisons démographiques. Et si c'est cela le but de l'exercice, une constitutionnalisation de l'accord Cullen-Couture, alors je dis bravo. Parce que si c'est cela vous avez un changement dans le partage des compétences en matière d'immigration.

Par ailleurs, et c'est mon deuxième point, si je lis bien le projet, j'y vois une possibilité d'entente entre Ottawa et d'autres provinces. Ottawa, s'engageant à entreprendre une négociation, ne s'engaqe pas à la réussir. Dans ce contexte-là - et encore une fois sous réserve d'une mauvaise compréhension - les engagements avec Québec seraient immédiats, et, avec les autres provinces, ils seraient à négocier. Si c'est cela, je dis bravo, parce qu'on a un statut particulier en matière d'immigration. Il y aurait une qarantie que l'entente est constitutionnalisée pour le Québec et il y aurait une garantie de faire une négociation avec les autres provinces, mais sans garantie de réussite. Si je lis bien le texte, je trouve qu'il est satisfaisant et qu'il aboutit à une formule de statut particulier pour le Québec en matière d'immigration.

M. le Président, je pense qu'il me reste quelques minutes pour passer au dernier point qui me semble majeur, à savoir le pouvoir de dépenser. Là aussi, je formulerai deux remarques. Je sais que c'est un sujet très complexe dont on pourrait discuter très longtemps. Je retiens du projet essentiellement deux aspects. Dans le débat actuel tel que je l'ai suivi, on dit que c'est dangeureux de faire cela parce qu'on reconnaît le pouvoir de dépenser. Donc, il y a l'aspect reconnaissance du pouvoir de dépenser et il y a l'aspect des modalités.

Sur le premier point, et sur cela j'ai le malheur d'être en désaccord avec la plupart de mes amis, je pense qu'il y a une part de malentendu. Selon mon interprétation du droit constitutionnel et aussi selon mon interprétation du bon sens, les gouvernements au Canada ont le droit de dépenser dans des secteurs qui ne relèvent pas de leur juridiction. Je donne comme exemple le fait que Québec va dépenser pour commercialiser certains produits d'exportation, alors qu'il n'a aucune compétence en matière de commerce d'exportation. Québec dépense, je pense, beaucoup pour les délégations à l'étranger. S'il y a pouvoir de dépenser quelque part, c'est bien là. Il n'a pas compétence législative équivalente.

Pour ma part, j'estime qu'un gouvernement - et c'est aussi vrai de Québec que

d'Ottawa - est capable de dépenser dans des secteurs qui ne relèvent pas de sa compétence. Autrement, ce serait une insulte, à mon avis, au bon sens et ce ne serait pas, je pense, exact sur le plan juridique. Cela étant, et si j'ai raison de penser ainsi, la prétendue reconnaissance si dangeureuse du pouvoir de dépenser par cette disposition ne m'effraie pas, dans la mesure où je pense que ce pouvoir existe - et on pourra en discuter tout à l'heure - si bien que la seule façon, il me semble, d'éclaircir les choses, ce serait de mettre dans la disposition une précision indiquant que le partage des compétences ne s'en trouve pas pour autant changé. Avec cette garantie que je ne retrouve pas dans le texte, avec une garantie de maintien du partage des compétences, on aurait l'assurance qu'Ottawa, tout en pouvant dépenser, ne peut réglementer les secteurs sur le plan législatif, si bien qu'on serait à peu près dans la position actuelle du droit, c'est-à-dire que ce serait le statu quo, avec la conséquence - et c'est mon deuxième point et mon dernier point - que ce qu'on gagnerait, ce serait le droit de retrait, ce qui est un gain non négligeable.

Je trouve que - évidemment six ou sept lignes pour une question si complexe, c'est un peu court - la disposition mériterait d'être repensée pour au moins deux raisons. Elle n'est applicable qu'aux programmes à frais partagés, je vous demande pourquoi. L"'opting out" n'est pas inconditionnel. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de traiter l'"opting out" de façon inconditionnelle, étant entendu que maintenant, dans la formule d'amendement, on trouve des "opting out" ou des clauses de retrait inconditionnel. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu d'explorer la possibilité que le retrait, en vertu de la disposition sur le pouvoir de dépenser, soit aussi inconditionnel. Ceci ne me semble pas irréaliste. En d'autres termes - et je veux être bien compris sur ce point - les problèmes que me cause ce projet ne sont pas au niveau de la reconnaissance du pouvoir de dépenser. Ils sont plutôt au niveau de sa limitation, une limitation qui devrait être, je pense, encore plus rigoureuse que celle qu'on retrouve ici et, dans l'état actuel des choses, ce texte ne me semble pas satisfaisant.

Je conclus, M. le Président, parce que je constate qu'il me reste deux minutes, par deux points. D'une part, il m'apparaît indiscutable que ce projet va en deçà des revendications traditionnelles du Québec, c'est clair. On n'y trouve rien sur le pouvoir générant, sur le pouvoir déclaratoire, sur les désaveux, sur la réserve, etc. Il m'apparaît incontestable que cela va en deçà des revendications traditionnelles du Québec en matière constitutionnelle. C'est ma première conclusion.

Ma deuxième conclusion, c'est que je ne vois rien là-dedans qui puisse nuire au Québec dans la pire des hypothèses. Et je dis bien dans la pire des hypothèses parce qu'il y a énormément de dispositions qui pourraient être fort fructueuses pour le Québec. Mais, dans l'état actuel des choses et par rapport à la situation constitutionnelle actuelle, pour ma part je ne vois rien qui soit nuisible, et je me place toujours dans la pire des hypothèses. Étant donné, comme je le disais dès le début, que, sur le plan de mes présupposés ou de mes préjugés, je suis plutôt favorable à un déblocaqe constitutionnel, vous comprendrez que je sois, en général, d'accord avec le projet. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le doyen. Je vais maintenant laisser la parole à M. le ministre en informant chacun des groupes parlementaires qu'il y a une enveloppe de 17 minutes et demie. Vous voyez, c'est précis. Donc, il reste 35 minutes pour nos échanges d'opinions avec notre invité. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. le doyen Chevrette, soyez le bienvenu et merci d'avoir accepté de venir témoigner devant nous.

M. le doyen, vous êtes un auteur de droit constitutionnel, vous avez publié un traité important par son volume, par son contenu, traité consulté dans toutes les facultés de droit du Québec et du Canada. Vous avez beaucoup écrit sur le droit constitutionnel. Vous êtes ici un peu chez vous, en ce sens qu'un de vos professeurs est conseiller de l'Opposition, qu'un de vos professeurs est conseiller du gouvernement, qu'un professeur en congé sans solde est ministre de la Justice et qu'un ancien étudiant est chef de l'Opposition et a été ministre de la Justice. Alors, bien sûr, vous êtes en bonne compagnie pour faire une discussion et vous l'avez présentée d'une façon particulièrement intéressante, en ce sens que nous avons très bien compris votre point de vue. C'était clair, c'était net, c'était précis.

Vous nous avez dit que le premier point concernant la société distincte se voit en deux parties et que, manifestement, lorsque l'on parle du rôle, pour le gouvernement et pour l'Assemblée nationale du Québec, de promouvoir la spécificité du Québec, il s'agit là non pas d'une disposition qui, demain matin, va faire en sorte que l'assurance-chômaqe qui est de compétence fédérale va devenir provinciale, mais que, quand même -je prends vos termes - c'est une disposition qui sera créative de droit par l'interprétation qu'on pourra y donner. Vous avez donné des exemples particulièrement éloquents: les valeurs mobilières. Si le gouvernement

fédéral voulait accaparer les valeurs mobilières et qu'on ait à plaider en fonction de l'article 92.13 pour les valeurs mobilières... Et, par le fait même, vous avez soulevé un point très important, c'est ce fameux article 92.13 qu'on a dans la loi de 1867, la première loi constitutionnelle du pays, cette loi qui a formé, qui a fondé ce pays.

Quand on se réfère au débat des Pères de la Confédération, on s'aperçoit qu'ils se sont demandé ce que veut dire l'expression "propriété et droits civils". Est-ce qu'on devrait les énumérer? Est-ce qu'on devrait laisser cela plus large? Et lord Sanbrey, rédacteur anglais de grande renommée, avait dit: Laissons cette expression la plus large possible. Il avait bien raison, vous le savez comme moi; nous le savons tous maintenant. Parce que, grâce à cette expression de l'article 92.13, "propriété et droits civils", les provinces, dont le Québec, ont pu avoir la compétence de légiférer en matière d'assurances, de relations du travail et de valeurs mobilières et j'en passe. Si on l'avait restreint, on aurait peut-être été dans une situation tout autre. Ma première question est donc celle-ci. Vous avez dît qu'il ne fallait pas définir cette société distincte. Est-ce que vous pourriez préciser en fonction des règles d'interprétation constitutionnelle? (18 h 15)

M. Chevrette (François): J'ai bien dit tout à l'heure que je n'en faisais pas une histoire, comme d'autres, que c'était un point qui me semblait relativement mineur et que, s'il fallait absolument le faire, on pourrait bien le faire, mais qu'à la vérité il me semblait préférable de ne pas le faire pour que la disposition interprétative puisse s'appliquer éventuellement dans des secteurs que l'on ne soupçonne pas aujourd'hui.

On pourrait expliciter à partir des maximes latines, mais si l'on définissait "société dinstincte", il faudrait mettre les mots "notamment", "la langue", je ne sais pas quoi, "les institutions", etc. Ce n'est pas une entreprise impossible. Encore une fois, je n'en fais pas un grand débat, mais vu que cela peut jouer dans des domaines très variés, j'ai parlé du domaine institutionnel, du domaine économique, alors qu'il avait été surtout question, jusqu'à ce jour, des questions linguistiques. Mon propos est de montrer que cela peut s'appliquer dans des domaines insoupçonnés et qu'il y a un certain risque de dire que cela va s'appliquer dans tel ou tel domaine, même en mettant le mot "notamment".

M. Rémillard: Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Ça va, M. le ministre? Alors, la parole est maintenant à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. Chevrette, c'est un plaisir de vous retrouver après ces années, bien que nous nous soyons croisés. Juste pour faire suite à une conversation qu'on avait il y a vingt ans, je n'ai pas encore plafonné. Je pense que le Québec n'a pas plafonné et je comprends que votre postulat, c'est qu'à un moment donné - je pense que vous vous en souvenez, c'est la suite de cette conversation à la cafétéria -le Québec, dites-vous, a avantaqe à siqner dans la mesure où... Vous dites: Écoutez, je pense qu'à un moment donné cela prend un déblocage. Voici en gros, est-ce que cela a de l'allure? Je vous dis, en gros. Vous dites: Cela ne peut pas nuire, cela ne peut pas être nocif, comme je suis favorable au déblocage, signez. Je ne caricature pas votre raisonnement?

M. Chevrette (François): Non.

M. Johnson (Anjou): Bon, parfait! Alors, tout est dans la question non pas juridique, mais politique. À ce moment-là, est-ce que le Québec a avantage politiquement à faire le déblocage? Et là, vous admettrez avec moi qu'on n'est plus dans l'ordre d'appréciation juridique, on est dans l'ordre d'appréciation politique, non pas au sens partisan, mais au sens de l'analyse de la conjoncture pour le Québec du rapport de forces, du calcul d'opportunité. Ma théorie étant que dans la mesure où la maudite constitution s'applique au Québec, qu'elle est plaidée réqulièrement par des avocats devant tous les tribunaux possibles et imaginables, l'intérêt de la signer est d'aller chercher un gros morceau. Alors, globalement, vous dites que vous ne pouvez pas dire si c'est un gros morceau, mais disons que dans la pire des hypothèses, ce n'est pas nocif. D'où le fait qu'à mon avis, dans la mesure où le raisonnement est celui-là sur le plan politique et non pas sur le plan juridique, je ne vois pas quel est l'intérêt pour le Québec de signer pour les trous dans le morceau de fromage gruyère. Mais, encore une fois, je suis bien conscient qu'on n'est pas dans le domaine du droit.

Dans le domaine, maintenant, de ce que j'appellerais le droit constitutionnel fonctionnaliste, c'est-à-dire les préoccupations systématiques dans l'application du droit constitutionnel auxquelles vous vous êtes attardé avec le professeur Marx dans ce remarquable document qui s'appelle Le droitconstitutionnel, François Chevrette et Herbert Marx, qui est une des briques en droit constitutionnel canadien, et qui est au droit constitutionnel canadien ce que Lagarde a été au Code criminel. Je suis sûr que vous prenez cela comme un compliment. Sûrement, sûrement! Société distincte: Vous dites que, sans faire un plat, une affaire et un drame avec la question de doit-on définir ou

pas et sans se lancer des épithètes latines à la tête, vous dites: il se pourrait qu'un texte inexistant - car vous, comme tous les autres, avez accepté cette acrobatie extraordinaire de travailler sans texte juridique, ce pourquoi, encore une fois j'ai beaucoup d'admiration, professeur, et on le réclame en vain de votre ancien collèque ici et votre ancien étudiant et collègue à temps partiel, le premier ministre - un texte inexistant pourrait s'appliquer à des domaines insoupçonnés.

J'avoue qu'on est un peu loin de l'analyse du fonctionnalisme dans le fédéralisme. Voici un texte inexistant, mais qui pourrait peut-être s'appliquer à des domaines insoupçonnés. J'essaie de savoir de quoi on parle quand on est rendu là. Et l'exemple que vous avez donné, c'est celui des valeurs mobilières. Je me permets de vous faire remarquer que vous n'avez pas affirmé catégoriquement que cela s'appliquerait à ces domaines insoupçonnés, mais que cela pourrait s'appliquer. Je ne trahis pas ce que vous avez dit, n'est-ce pas? Alors, je vous soumets la réflexion suivante: Ce serait donc que l'intention du constituant dans les mots "société distincte", pour les fins de la jurisprudence, dans les 15 ou 20 années à venir - par les savants juges de la Cour suprême - cela aurait été d'asseoir les bases de ce que Pepin-Robarts avait appelé le fédéralisme asymétrique. Je m'explique: Ces domaines insoupçonnés du droit québécois ou du droit fédéral pouvant affecter le Québec, qui seraient touchés par l'interprétation de la société distincte, donneraient, si en séquence cela devait être appliqué, deux partages des pouvoirs au Canada. D'une part, le Québec parce qu'il est une société distincte dans des domaines qui vont au delà de la culture et de la langue, pourrait avoir des domaines de réglementation ou d'intervention législative dont il pourrait être maître et le fédéral serait contraint à l'égard de certains domaines en ce qui concerne le Québec parce que nous sommes une société distincte. D'autre part, cela ne serait pas vrai pour la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswîck, l'Île-du-Prince-Édouard et autres endroits canadiens.

Pensez-vous vraiment, entre vous et moi - parce que le je pense qu'on n'est plus dans le domaine du droit mais on est comme aux limites de la physique et de la philosophie - que les savants juges de la Cour suprême considèreraient qu'un geste politique aussi fondamental que de dire qu'il va y avoir deux sortes de régimes de partage des pouvoirs au Canada, pensez-vous vraiment qu'ils auraient tendance à interpréter ces deux mots, "société distincte", comme une intention du constituant? Ou est-ce que vous ne croyez pas qu'ils auraient la prudence de se demander s'il y avait une véritable volonté politique de créer le fédéralisme asymétrique.

M. Chevrette (François): C'est une question qui va au coeur du débat et à laquelle je pense avoir répondu, mais j'ai parlé extrêmement rapidement. J'ai bien dit, selon moi en tout cas, qu'une norme interprétative comme celle-là ne pouvait pas changer le partaqe des compétences. Mais entre le partage des compétences, les deux listes de compétences, d'une part et d'autres réalités constitutionnelles, il y a une marge. En tel sens que les compétences peuvent fort bien demeurer les mêmes et je ne pense pas que cela puisse avoir pour effet direct de les changer, mais il y a du droit constitutionnel en dehors du partage des compétences d'une part, et il y a des compétences qui s'apprécient en fonction de réalités socio-économiques.

Quand j'ai donné l'exemple des valeurs mobilières et du pouvoir général du Parlement fédéral, c'était un exemple qui avait pour but d'invalider une loi fédérale. Donc, toutes les provinces se trouvaient sur le même pied et il y avait une inaptitude du fédéral à léqiférer dans ce domaine à cause du Québec, mais cela ne changeait pas le partage des compétences d'une province à l'autre. De la même façon, quand j'ai donné un exemple qui relevait du parlementarisme, cela n'avait pas de rapport avec le partage des compétences, mais le droit constitutionnel ce n'est pas que le partaqe des compétences d'une part et le partage des compétences, ce n'est pas que le texte, mais c'est aussi dans certains cas une appréciation des réalités. Est-on devant un domaine du transport international, etc. Et à ce moment-là, il n'y aurait pas et on s'entend parfaitement tà-dessus, véritablement un changement du partaqe des compétences. Il y aurait véritablement un traitement qui serait uniforme et qui pourrait découler de la présence du Québec dans le régime fédéral. Cela répond à votre deuxième point. (18 h 30)

Le premier point n'était pas une question, mais je me sens tenté d'y faire référence. Vous avez dit que sur un texte inexistant une série d'hypothèses s'échafaudant... Par rapport à ce dont on discute, par rapport au pouvoir de dépenser, je serais parfaitement d'accord, le texte est à certains égards un mauvais devoir. Par rapport au texte dont on discute, la reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte, il n'est pas du tout inimaginable de penser que ces mots se retrouvent dans le texte d'une constitution moderne. Ce n'est pas exagéré de penser que cela pourrait être le texte, de sorte que je ne me sentais pas mal à l'aise de raisonner à partir de cela. Quant aux hypothèses que j'ai faites, j'estime que c'est inévitable. Si

on essaie d'apprécier la portée d'une loi interprétative - je pense qu'il y a eu d'autres experts qui l'ont mentionné - il faut tenter des efforts de prévision qui sont extrêmement difficiles à faire. Vous avez raison, là on est véritablement dans le domaine de l'incertitude.

Le Président (M. Filion): M. le ministre. Il vous reste, de votre côté exactement douze minutes.

M. Rémillard: Vous nous dites, M. le doyen, qu'il y a un risque à définir ou à faire une énumération, même en ajoutant "notamment" et qu'il vaut mieux ne pas courir ce risque. C'est bien votre pensée?

M. Chevrette (François): Oui, exactement.

M. Rémillard: Voilà pour un premier volet. Regardons maintenant la question du pouvoir de dépenser. Vous nous dites dans un premier temps: II y a le pouvoir de dépenser dans le droit constitutionnel canadien. Il ne s'agit pas de jouer à l'autruche et de dire: Cela n'existe pas parce que cela n'a jamais été contesté. Non, c'est justement parce que cela n'a jamais été contesté que cela existe. Comme vous l'avez si bien mentionné, M. le doyen, et les provinces et le gouvernement fédéral utilisent ce pouvoir de dépenser. Cependant, et je crois que vous l'avez bien relevé aussi, il y a une distinction entre dépenser des sommes d'argent et réglementer, légiférer dans un domaine de compétence provinciale. Vous nous dites: Écoutez, de toute façon, il n'y a pas de danger de créer quelque chose de nouveau, parce qu'il y a déjà ce pouvoir de dépenser. Premier point que vous nous dites. Deuxième point, vous dites: Cela aurait l'avantage, par contre, de constitutionnaliser, c'est-à-dire donner la garantie de la constitution au principe du droit de retrait d'une province qui, lui, n'existe pas en droit constitutionnel. C'est bien votre pensée?

M. Chevrette (François): Oui, jusqu'à présent.

M. Rémillard: Ensuite, vous faites quelques remarques concernant le droit de retrait et le fait qu'il est conditionné, bien sûr, par le respect de l'objectif national en ce qui regarde un programme ou une initiative. Le texte, vous trouvez qu'il mériterait d'être resserré. Mais vous nous avez dit: On devrait ajouter une clause qui garantirait qu'on ne va pas à l'encontre du partage des compétences législatives. Est-ce que j'ai bien compris quand je vous ai entendu dire cela?

M. Chevrette (François): Oui, c'est exact.

M. Rémillard: Est-ce que vous pourriez préciser, s'il vous plaît?

M. Chevrette (François): Il s'agirait d'inscrire, et la rédaction peut être difficile, mais elle ne semble pas impossible, une précision indiquant que cette stipulation qui reconnaît le pouvoir fédéral de dépenser, j'en conviens, ne doit pas être interprétée comme un changement du partage des pouvoirs. À ce moment-là, cela a pour résultat en réalité que le pouvoir de dépenser n'est pas un pouvoir de réglementer. Vous allez me dire qu'il y a une distinction très fine entre dépenser et réglementer. C'est absolument vrai, mais c'est l'état actuel du droit et si on veut contrer ce risque qu'il y ait une reconnaissance d'un pouvoir fédéral de réglementer dans les secteurs provinciaux, on devrait mettre une mention indiquant que le simple pouvoir de dépenser ne constitue pas un changement dans le partage des compétences et n'est pas un pouvoir de réglementer. Je suis bien d'accord pour dire que cela ne change pas qrand-chose par rapport au droit actuel - c'est un peu la concrétisation du droit actuel - mais au moins cela nous permet d'ajouter au droit actuel la formule de retrait, la qarantie de retrait qui, celle-là, n'existe pas.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. Chevrette, on a parlé beaucoup de la clause de la société distincte qui, comme vous le disiez, est située dans un texte qui lui-même comprend deux dispositions interprétatives. Je parle ici évidemment à la fois de la notion de dualité canadienne et de la notion de la société distincte. On se rappelle que ce texte que vous connaissez et que vous avez qualifié comme n'étant pas un chef-d'oeuvre dans son ensemble, étant donné que ce ne sont pas les seuls chefs-d'oeuvre que la Cour suprême fait et qu'elle fait les textes juridiques qu'on lui donne, il paraît... Quelle portée donnez-vous à la dualité canadienne par rapport à la société distincte? En d'autres termes, ce que je vous demande, c'est: Est-ce que le paragraphe a) a autant d'importance que le paragraphe b)? Est-ce imaginable, pour reprendre votre expression, qu'il pourrait avoir autant, voire plus d'importance, par exemple, dans les questions de nature culturelle ou linguistique, et qu'il risquerait d'affecter la minorité anqlophone du Québec?

M. Chevrette (François): Ecoutez, il est indiscutable et incontestable que le paragraphe a) a un impact direct sur le statut de la minorité anglophone au Québec.

II est tout aussi incontestable à mon avis que n'importe quel lecteur du paragraphe b), s'il est un peu intelligent, va y voir la réalité linguistique québécoise. C'est une construction qui n'est pas facile à faire, une conciliation qui n'est pas facile à faire. Je serais bien porté à penser, la conclusion est assez simple, que tout interprétatif que ce soit, parce que ce n'est qu'interprétatif, cette affaire, le sens de cela, c'est de donner la possibilité d'une prédominance du français et d'écarter l'unilinguisme français. Si on parle des domaines linguistiques qu'on connaît, c'est un peu ce que j'en déduirais. Je reviens à ma conclusion de tout à l'heure. Par rapport à la situation constitutionnelle actuelle à la situation des textes et de la jurisprudence, je dis ceci: II y a dans les paragraphes a) et b) un progrès par rapport à la situation qu'on connaît. Le paragraphe b) actuellement, on ne le trouve nulle part et là il y aurait une forme de garantie donnée à la prédominance du français. Pour parler très concrètement cette fois et à partir de la jonction des deux textes, ce que j'y vois en clair, est une interdiction de l'untlinguisme français tout en permettant la prédominance du français.

M. Johnson (Anjou): Donc, c'est l'interdiction de l'unilinguisme?

M. Chevrette (François): J'y vois...

M. Johnson (Anjou): On est toujours dans le domaine des hypothèses et on fait toutes ces réserves. Vous dites que c'est plutôt une interdiction de l'unilinguisme.

M. Chevrette (François): Non, mais écoutez, on parlait en référence au Québec.

M. Johnson (Anjou): Oui, oui, c'est cela.

M. Chevrette (François): La question était posée en référence au Québec et, en référence au Québec, il me semble que l'effet serait cela.

M. Johnson (Anjou): D'accord.

M. Chevrette (François): L'effet sur le français dans les autres provinces, cela ne peut pas être nuisible. C'est une autre question.

M. Johnson (Anjou): Dans le cas des questions linguistiques au Québec, pour vous, le paragraphe a) effectivement consacre à la fois l'existence d'une minorité anglophone au Québec, et ce qui peut découler en termes de droit. C'est cela qui serait plaidé par les procureurs.

M. Chevrette (François): Oui.

M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, je me permets de vous faire remarquer que l'article 133 de la constitution canadienne dit: "Dans les Chambres du Parlement du Canada et les Chambres de la Législature de Québec - à l'époque où il y avait un Conseil législatif - l'usage de la langue française ou de la lanque anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces Chambres, l'usaqe de ces deux langues sera obligatoire. "En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis - donc cela inclut le Québec -sous l'autorité du présent acte, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues."

Or, en pratique, on sait qu'en ce moment cet article jusqu'à maintenant a pu être invoqué pour permettre, par exemple, que la Cour d'appel rende des jugements en langue anglaise sur le territoire du Québec et ne soit pas contrainte de rendre des jugements au complet en langue française, sauf dans le cas du dispositif. Je crois comprendre que dans le cas qui est, en ce moment, devant les tribunaux, le dispositif du jugement, c'est-à-dire la conclusion était en français et en anglais, si je ne me trompe pas, mais l'ensemble du juqement, lui, était en anglais.

Alors, je me dis que si l'article 133, avec cette rédaction, finalement, relativement vague ne peut pas amener la Législature du Québec à forcer la Cour d'appel du Québec à rendre des jugements en langue française, je m'imagine le type de restrictions que pourrait apporter le paragraphe a) de la société distincte qui confirme très clairement, lui, les droits de la langue anglaise. En d'autres termes, dans d'autres domaines, celui de l'affichage par exemple, on pourrait être aux prises avec des situations de bilinguisme et, ma foi, peut-être ce qui n'est pas inconcevable, je présume, des situations d'unilinguisme anglais.

M. Chevrette (François): C'est curieux, je fais l'analyse inverse, c'est-à-dire que nous sommes en présence d'un texte, convenons-en, l'article 133, qui est assez précis mais il y a des franges d'incertitude. Un texte de cette nature, actuellement, il n'y a à peu près rien pour l'interpréter. Il n'y a pas de points de référence. S'il y avait un point de référence du genre de celui des alinéas a) et b) de l'article (1), il me semble que l'esprit de ces deux dispositions combinées ce pourrait être, en cas d'incertitude, de permettre à l'Assemblée nationale du Québec d'obliger la Cour d'appel à rendre des juqements aussi en français. Dans le doute et vu que ce qui est garanti

tà-dedans, ce n'est certainement pas l'uniliguisme anglais, l'esprit de cela n'est pas l'unilinguisme anglais ni l'unilinguisme français, mais une certaine préférence au français comme langue d'usage.

Enfin, c'est un texte obscur. La clause favorise le français, elle ne favorise pas l'anglais.

M. Johnson (Anjou): Où l'importance des mots comme "caractéristique fondamentale". Dans le cas de la dualité linguistique du Québec, c'est quelque chose de beaucoup plus vague en ce qui a trait à la société distincte qui s'appelle le rôle du gouvernement.

Dans la mesure où on parle d'une caractéristique fondamentale du Québec, je présume qu'on fait appel à des données historiques. Ces données historiques feront elles-mêmes appel à des droits découlant d'une présence historique et ces droits pourraient être qu'on ne peut pas contraindre des personnes, des groupes, des organismes à utiliser le français en dépit du fait que soudainement arrive une notion qui, elle, n'a aucun fondement historique qui s'appelle la société distincte, que je n'ai vue, moi, en tout cas, dans aucun texte de droit constitutionnel étranger ou de droit international public. La caractéristique fondamentale aurait, donc, des fondements sur le plan de l'interprétation judiciaire dans l'analyse de l'évolution historique des droits qui découlent du paragraphe a). Et est-ce que le paragraphe a) n'est pas mieux assis que le paragraphe b) qui, lui, arrive avec un concept qui reste sans doute à interpréter dans des zones qui relèvent de l'imaginaire juridique, jusqu'à maintenant, plutôt que de la réalité?

M. Chevrette (François): Deux points là-dessus... Je suis bien convaincu que pour n'importe quel interprète, société distincte pour le Québec, cela a une connotation linguistique. Par ailleurs, il est vrai d'observer que la rédaction du paragraphe a) est plus classique sur le plan des concepts juridiques, mais son effet n'est absolument pas plus limpide. Comme je le mentionnais, dans le doute il ne consacre certainement pas une forme d'unilinguisme anglais. Il y a quand même la reconnaissance d'un Canada francophone concentré au Québec et d'un Canada anglophone qui est aussi au Québec, non pas à titre accessoire, mais à titre d'une réalité qui pourrait exiger une forme de bilinguisme avec prédominance du français. C'est ce que j'y vois. Quant à savoir si la rédaction de (l)a) est plus classique, peut-être mieux assise, que (l)b), je serais d'accord sur le plan juridique.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le doyen. M. le ministre.

M. Rémillard: Pour continuer sur cet article 1 de l'entente du lac Meech, M. le doyen, reprenons toujours cette description de la dualité de la société distincte et voyons aussi les alinéas (2) et (3). Ne voyez-vous pas là une grande distinction dans les termes utilisés, à savoir qu'à l'alinéa (2) on dit: "Le Parlement et les Législatures des provinces." Donc, on ne parle pas des gouvernements. Ce ne sont que le Parlement _ et les Législatures des provinces, "dans l'exercice de leurs compétences respectives". Il y a la clause limitative qui est là et vous avez fait référence à l'article 36 parce que c'est très semblable comme rédaction "prennent l'engagement", l'article 36 de la loi de 1982 qui établit la péréquation -"prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée à (l)a)." - (l)a), c'est la dualité canadienne qui en fait se réfère à ce Canada francophone concentré mais non limité au Québec. Donc, l'aspect linquistique est là pour le Québec, c'est évident. L'alinéa (3), pour sa part, parle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec. Donc, ce n'est pas simplement le pouvoir législatif, c'est en plus le gouvernement. En plus, on dit qu'ils ont le "rôle", donc ce n'est pas simplement un engagement, c'est une responsabilité, c'est "le rôle de protéger" -comme c'était le cas pour la dualité - donc c'est la protection, c'est la conservation, mais c'est plus, c'est "et de promouvoir" un mot "promouvoir" que vous ne retrouvez dans l'alinéa (2) - "le caractère distinct." Donc changement, si on compare les alinéas (2) et (3) en fonction de la dualité et de la spécificité québécoise. D'une part, pour la dualité, vous avez un engagement, de l'autre côté, vous avez un rôle. D'une part, vous avez une protection, d'autre part, vous avez la protection et la promotion. D'une part, vous avez l'Assemblée législative, mais d'autre part le Parlement. De l'autre part, vous avez le Parlement, l'Assemblée nationale, mais en plus le gouvernement. Comment interprétez-vous cette différente entre ces alinéas (2) et (3)?

M. Chevrette (François): Je ferai deux brèves remarques là-dessus. Je suis sensible au fait que le libellé diffère et que le paragraphe (3) est évidemment plus engageant, si je puis dire, et va plus loin que le paragraphe (2), quoiqu'il y ait des mystères de rédaction là-dedans. Je ne sais pas pourquoi vous parlez de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec -en tout cas, peu importe - alors que l'on parle des Législatures, par ailleurs. Je ne suis pas au courant des subtilités qu'il y là-dessous. Mais sur la différence qu'il y a entre le libellé de (2) et (3), je suis absolument d'accord avec vous, il y en a un qui ,va plus loin que l'autre et qui est moins

restrictif, et c'est très frappant. Par ailleurs, et c'est mon deuxième point, je ne crois pas que ce puisse entraîner des conséquences extrêmement importantes dans la mesure où je ne crois pas que le paragraphe (3), par exemple, donne des pouvoirs à l'Assemblée nationale que l'Assemblée nationale n'aurait pas à ce jour, des pouvoirs nouveaux. Je ne pense pas que le paragraphe (2) donne des pouvoirs nouveaux. (18 h 45)

Par ailleurs, je suis très sensible aux dispositions qu'on appelle - d'un vocabulaire un peu recherché - les dispositions "programmatoires" ou "programmatives", c'est-à-dire des choses que l'on veut faire. Cela existe dans toutes les constitutions modernes. Je pense que c'est important. Même si cela ne comporte pas de sanctions judiciaires, c'est important. Il y en a quelques-unes dans la loi de 1982. C'est une chose que je trouve essentielle parce que cela a un effet politique.

M. Rémillard: Me permettez-vous? Je voudrais simplement bien comprendre votre pensée. Vous me dites que cela ne donne pas de nouveaux pouvoirs de facto, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, tout le monde est d'accord là-dessus. Cela ne change pas le partage des responsabilités législatives, mais cela pourrait donner de nouveaux pouvoirs dans un cas d'interprétation. Lorsqu'il y a ambiguïté, qu'on ne sait pas si on a un nouveau pouvoir qui n'est pas nécessairement prévu aux articles 92 et 93 qu'on ne sait pas où l'attribuer, cela pourrait servir. Est-ce ce que vous avez expliqué tout à l'heure?

M. Chevrette (François): Oui. J'ai fait mes remarques d'interprétation à propos du paragraphe (1) qui s'adresse aux tribunaux. Les paragraphes (2) et (3) s'adressent plutôt au pouvoir politique, mais je suis prêt à y voir une forme de règle d'interprétation qui pourrait donner des résultats, sur un mode analogue, au mode prévu par l'article 1. Je suis d'accord.

M. Rémillard: Je sais que le temps nous presse. Si on reliait ce concept de société distincte à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, comment voyez-vous le test de la légitimité?

M. Chevrette (François): C'est un domaine où une règle interprétative constitutionnalisée peut donner des effets. Et c'est très clair. C'est un exemple que j'ai oublié de donner tout à l'heure. Une disposition de ce caractère interprétatif intégrée à la constitution peut évidemment inciter le pouvoir judiciaire à appliquer l'article 1 avec plus de flexibilité. C'est inutile de rebâtir l'histoire à rebours, mais si des dispositions interprétatives avaient été présentes, il n'est pas exclu, écarté ou impossible de penser que des décisions récentes de tribunaux intermédiaires québécois aient pu être différentes. Là-dessus, je pense que l'on s'entend très bien.

M. Rémillard: Oui, je sais à quoi vous faites référence. C'est une cause qui est devant les tribunaux. Je pense que vous avez parfaitement raison. Il est sage, il vaut mieux ne pas en parler, mais on saisit bien votre pensée sur ce point de vue.

En ce qui regarde l'immiqration, vous nous dites que si c'est simplement constitutionnaliser Cullen-Couture, cela peut être intéressant, mais je voudrais vous dire que c'est beaucoup plus que Cullen-Couture. Vous avez dans l'entente du lac Meech, concernant l'immigration, la capacité pour le Québec de sélectionner ses immigrants qui demandent de devenir immigrants, mais qui le demandent de l'extérieur du pays. Cela, c'était Cullen-Couture. En plus le Québec récupère la juridiction de sélectionner ses immigrants qui sont déjà sur place, par des visas de séjour, par des programmes d'aide ou d'échange, et c'est près de 30 % de nos immigrants. En plus, il y a ces quotas minimaux auxquels vous avez fait référence et en plus nous récupérons - et cela n'est pas dans Cullen-Couture et pour nous c'est très important - la compétence d'établir les moyens d'intégration pour ces immigrants. Vous savez que près de 50 % de nos immigrants nous quittent pour aller dans une autre province canadienne. On ne peut pas les empêcher, mais ce qu'on peut faire, par exemple, c'est leur donner le goût de demeurer avec nous au Québec. Nous n'avions pas cette compétence en matière d'intégration, pour leur donner des cours de langue, de formation concernant nos institutions, notre façon de vivre. Alors, ce sont des domaines que nous récupérons avec cette entente et cela va donc beaucoup plus loin que Cullen-Couture.

M. le doyen, notre temps est écoulé. Je voudrais vous remercier. Vous nous avez livré un témoignage très intéressant et clair. On est habitué de vous entendre parler de ces choses qui peuvent être complexes à certains égards, mais vous nous les avez présentées d'une façon très claire, très concrète. Et vous terminez en disant: Oui, je suis pour cette entente, il faut un déblocaqe, et ce que je vois là est quelque chose de bon pour le Québec. Il y aura évidemment d'autres négociations constitutionnelles, mais voilà un bon départ. Est-ce que j'interprète bien votre pensée?

M. Chevrette (François): Absolument.

M. Rémillard: Merci, M. le doyen.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que j'aurais

le consentement du ministre pendant à peu près deux ou trois minutes pour couvrir un aspect qui est celui du pouvoir de dépenser?

M. Rémillard: Si cela peut vous être utile, avec plaisir, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Oui, merci, c'est gentil, bien aimable.

Me Chevrette, sur le pouvoir de dépenser, vous avez dit: C'est un devoir mal fait, on comprend. On n'a pas les textes juridiques, encore une fois. Compte tenu des principes - puisque le premier ministre et le ministre ont appelé cela des principes jusqu'à maintenant - qu'on tente de retrouver dans cet effort de limiter, voire peut-être de délimiter le pouvoir de dépenser, croyez-vous qu'il y a là ce qu'il faut pour empêcher l'État fédéral, par exemple, de décider, en dépit du refus du Québec d'un nouveau programme et en dépit du fait que te Québec se plierait à certaines des conditions - des objectifs nationaux, d'intervenir directement auprès des établissements, des institutions, des individus ou des groupes?

M. Chevrette (François); Dans l'état actuel du texte, il m'apparaît clair que cela ne l'empêcherait pas.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Dans l'état actuel du texte, donc, vous me dites ceci: En ce qui concerne les principes qui sont couchés là pour le pouvoir de dépenser, non seulement le Québec devrait faire la démonstration - reste à voir qui jugera de cette démonstration, les tribunaux, une entente, une chicane ou un référendum, je ne sais pas - non seulement le Québec devrait se plier aux objectifs nationaux pour obtenir une compensation, mais, en aucune façon, il n'est évoqué dans cette partie de l'entente du lac Meech que cela restreindrait la capacité du gouvernement fédéral de traiter directement avec les hôpitaux, les commissions scolaires, les individus, les groupes, le secteur culturel, etc.

M. Chevrette (François): Écoutez, le texte ne m'apparaît pas couvrir ce type de situation. On y parle des programmes à frais partagés avec une garantie de droit de retrait qui n'est pas inconditionnelle, mais le texte ne couvre pas les situations de subsides ou de subventions conditionnelles, par exemple, à des organismes publics ou à des municipalités. J'ai dit tout à l'heure que cela me semblait problématique. Je me demandais pourquoi le texte ne couvrait que les "share cost programs" ou les programmes à frais partagés. Dans mon interprétation, le texte n'interdit pas ce à quoi vous faites référence.

M. Rémillard: Est-ce que je peux, à mon tour, poser une question...

M. Johnson (Anjou): Oui, sûrement, avec plaisir.

M. Rémillard: ...simplement pour continuer cette discussion? C'est un point important que soulève le chef de l'Opposition. M. le doyen, est-ce que le Québec a compétence sur ces institutions que vient de mentionner le chef de l'Opposition?

M. Chevrette (François): Oui, bien sûr. Évidemment, il y a une solution à tout cela et elle a déjà été utilisée, je pense. Par exemple, le Québec peut empêcher les municipalités ou les hôpitaux de recevoir de l'argent. Je serais porté à penser que, constitutionnellement, c'est possible de faire cela mais c'est difficile sur le plan politique. Si bien que, dans la mesure où il y aurait possibilité d'étendre un peu la portée de la limitation, si je puis dire, j'envisagerais de le faire...

M. Rémillard: Ce que vous nous dites...

M. Chevrette (François): ...étant entendu qu'il y a une autre solution. Je pense qu'il y a une loi qui interdit aux municipalités d'accepter l'argent du fédéral. Je pense que c'est une loi valide. Je n'ai pas fait de thèse de doctorat sur la question, mais je pense que oui. Par ailleurs, cela pose les difficultés que vous savez.

M. Rémillard: Vous faites directement référence à une loi qui existe, la loi 38 qui a été adoptée par le précédent gouvernement. Je sais que ce n'est pas toujours...

M. Johnson (Anjou): Non, par l'Assemblée nationale. Pas par le gouvernement, par l'Assemblée. Les lois sont adoptées par l'Assemblée.

M. Rémillard: Vous avez raison, mais dirigée par le précédent gouvernement, parce que les lois sont déposées par un gouvernement. Ce n'est pas facile, mais il demeure quand même que sur le plan, tant constitutionnel que politique, ce sont des domaines de juridiction provinciale et que, par conséquent, le gouvernement a toujours cette soupape de sûreté. Vous êtes d'accord là-dessus?

M. Chevrette (François): Oui. Au point de vue de la compétence législative, je pense que le Québec peut le faire.

M. Rémillard: Très bien. J'ai terminé, je vous remercie.

M. Johnson (Anjou); Toujours pour continuer dans ce sens - je trouve qu'il faut bien cerner cela; cela vaut ta peine - si je comprends, M. Chevrette, je remarque ce que vous avez dit au début et à l'occasion de cet échange de propos avec le ministre et celui qui vous parle, c'est que, concernant le pouvoir de dépenser, le problème de la reconnaissance, pour vous, n'est pas un problème. Contrairement à d'autres, vous dites: Le reconaissant, écoutez, il est là; Québec aussi a un pouvoir de dépenser dans des domaines qui ne sont pas de sa juridiction et, en fin de compte, c'est sa capacité de taxer qui est le test politique et réel. Cependant, dans la mesure où on veut limiter le pouvoir de dépenser, vous constatez d'une part que le droit que crée le principe adopté au lac Meech est un droit à la compensation qui premièrement est sujet à des conditions qui doivent être respectées par le Québec. Donc, il n'y aurait pas de transfert inconditionnel, contrairement à certaines demandes du passé, notamment les demandes du gouvernement en 1985. Deuxièmement, cela n'interdirait - d'après ce qu'il y a devant nous - aucunement à l'État fédéral d'intervenir directement dans des domaines de juridiction provinciale, auprès des établissements, des groupes, des personnes, des individus, des commissions scolaires, des hôpitaux, des groupements culturels, etc. Troisièmement, ma foi, tout cela aurait avantage à être considérablement resserré pour que cela ait des conséquences. Est-ce que j'ai bien résumé votre pensée?

M. Chevrette (François): Oui, c'est exactement cela. Il m'apparaît très clair que cela n'interdit pas les octrois conditionnels à des organismes publics lorsque ces octrois ne sont pas à frais partagés. C'est le deuxième point. Il m'apparaît aussi très clair que c'est une disposition qui devrait être plus serrée en réalité pour qu'elle ait un... Quant au premier point, à savoir la question de la notion d'objectif, là, écoutez, il se peut bien que les objectifs puissent être considérés comme quelque chose de différent des conditions mises dans la loi fédérale, par exemple sur les services de santé. Là, je me perds et je me demande si, face à ces nuances qui peuvent être réelles, il n'y aurait pas lieu d'élaborer, de raffiner le texte. On peut admettre qu'il y a une distinction entre les objectifs et les conditions, mais cela ne va pas de soi pour quelqu'un qui n'a pas participé à la négociation et qui n'est qu'un simple lecteur.

M. Johnson (Anjou): C'est cela. Je comprends pourquoi vous vous perdez là-dedans, Me Chevrette. Ce n'est pas à cause de votre absence de connaissances. Bien au contraire, vous l'avez démontré dans le passé, mais je pense que le gouvernement lui-même est un peu perdu dans la question du pouvoir de dépenser. On ne peut pas vous blâmer de vous y perdre.

M. Chevrette (François): Si vous le permettez...

M. Johnson (Anjou): Merci beaucoup, je vous en prie. Je vais terminer là-dessus.

M. Chevrette (François): Dans toutes les revendications traditionnelles du Québec, il a toujours été question du pouvoir du dépenser et il a toujours été question de le limiter et moi, je verrais avec regret qu'on laisse tomber.

M. Rémillard: Je retiens très bien votre dernière remarque. De fait, comme vous l'avez souligné, on gagne constitutionnellement le droit de se retirer, ce qui n'existe pas actuellement dans le droit constitutionnel, alors que le pouvoir de dépenser existe, mais on n'a pas le droit de se retirer. Maintenant, on le gagne. Vous nous dites, relativement aux institutions: II n'apparaît pas clairement dans le texte que le fédéral n'a pas la possibilité quand même de dépenser des sommes d'argent pour les institutions, les universités, les municipalités. Mais vous reconnaissez que le Québec a la compétence. Donc, il y a toujours cette soupape de sûreté que, si les institutions ne se conforment pas aux directives politiques du gouvernement, il y a une possibilité de législation qui est là. En ce qui regarde aussi "l'opting out"...

M. Johnson (Anjou): II n'a pas été adopté cependant.

M. Rémillard: Vous me permettez juste une minute. Quand vous parlez de "l'optinq out" ou du droit de retrait, vous dites qu'on peut être quand même en accord avec les objectifs nationaux et qu'il y a une différence entre les objectifs nationaux et les critères, les normes et alors vous ajoutez: Oui, il y a une différence, mais il faudra peut-être être plus clair dans le texte. Je prends bonne note de votre recommandation, comme je prends bonne note aussi du fait que vous recommandez qu'il y ait une clause de non-dérogation, que cela ne déroge pas au partaqe des compétences législatives. Je vous remercie, M. le doyen, votre témoignage a été très intéressant.

M. Chevrette (François): Merci beaucoup.

Le Président (M. Filion): Alors, M. le doyen, le président de cette commission aurait aimé aussi tirer quelques conclusions avec vous, mais le temps qui nous était

alloué est carrément épuisé. Je voudrais vous remercier de vous être déplacé et de vous être livré à cette discussion avec les membres de cette commission parlementaire. Aux membres je voudrais rappeler que nos travaux reprendront à 19 h 45, étant donné que nous avons déjà des invités qui ont été convoqués à cette heure ou à peu près à cette heure. Donc, encore une fois merci beaucoup.

Nos travaux sont suspendus jusqu'à 19 h 45, merci.

(Suspension de la séance à 19 heures)

(Reprise à 19 h 59)

Le Président (M. Filion): La commission reprend maintenant ses travaux, reprend le mandat qu'elle a déjà entamé, a savoir entendre les représentations des groupes, organismes, individus, relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution canadienne.

Avant de débuter nos travaux, je voudrais saluer avec la permission des membres de cette commission la présence parmi nous de M. Pierre Joxe, député de Saône-et-Loire et président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale française. Bienvenue M. Joxe.

Également, je voudrais souligner qu'une modification est intervenue, de concert avec les deux groupes, relativement à notre horaire de demain. Selon les informations que nous avons reçues, Me Louis-Philippe De Grandpré est hospitalisé et donc, avec la permission des membres, notre ordre du jour pour demain commencerait à 10 heures et non pas à 9 heures et se lirait comme suit: Â 10 heures, les représentants du Mouvement Québec français, à 11 heures, M. Yves Fortier, juriste, à 14 heures, M. Guy Tremblay, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval, à 15 heures, les représentants de l'Union des écrivains du Québec et à ]6 heures, les représentants de l'Union des artistes.

Je voudrais donc souhaiter la bienvenue parmi nous à notre prochain invité, M. Claude Morin, professeur à l'École nationale d'administration publique, et j'inviterai M. Morin à bien vouloir prendre place à la table des invités en lui rappelant que les règles qui gouvernent nos auditions lors de cette consultation particulière sont les suivantes: 20 minutes sont prévues pour un exposé de sa part, 20 minutes de discussions avec le groupe ministériel et 20 minutes avec le groupe de l'Opposition.

Donc, bienvenue M. Morin et à vous la parole pour votre exposé.

M. Claude Morin

M. Morin (Claude): Merci M. le Président. Je voudrais remercier la commission de me donner l'occasion, ce soir, d'exprimer mon avis sur la question qui fait l'objet des travaux de la commission, c'est-à-dire l'accord de principe qui est intervenu au lac Meech, il y a maintenant quelques semaines. Je voudrais préciser au point de départ que je suis ici à titre personnel. Je voudrais aussi dire que je suis membre du Parti québécois, que j'ai contribué à la campaqne de financement. Cela étant dit, ce que j'exprime ici je l'exprime à titre personnel, je ne tiens à engager personne et je ne me sens pas engagé par quiconque. Je voudrais aussi préciser que je ne suis pas un expert juriste, je suis économiste de formation. Cependant, j'ai, comme plusieurs le savent, eu une certaine expérience dans le domaine des relations intergouvernementales et, fatalement, dans celui de la constitution, d'abord comme sous-ministre pendant huit ans et demi, de 1963 à la fin de 1971, et aussi comme ministre pendant un peu plus de cinq ans, soit de 1976 au début de 1982. Je voudrais aujourd'hui présenter certaines observations, certains commentaires inspirés de cette expérience d'ordre politique, dans le sens non partisan du terme, et aussi de ce que j'ai pu apprendre en observant la réalité à partir du poste d'observation qui est celui de professeur, justement dans le domaine qui était celui de mes occupations politiques à l'époque.

Donc, je vais faire deux catégories de remarques. Les premières vont porter sur le processus en cours et les deuxièmes, sur le fond. Sur le processus, je voudrais dire une chose au point de départ. Comparativement à celle qui prévalait auparavant, l'atmosphère des relations entre Québec et Ottawa est considérablement meilleur aujourd'hui et cela tient en bonne partie, je pense, à l'attitude manifestée par le gouvernement actuel à Ottawa, celui de M. Mulroney, en particulier. J'aurai des observations à faire tout à l'heure sur la proposition qui est faite aux provinces, mais je dois dire au point de départ que M. Mulroney me semble là-dedans de bonne foi, peut-être pour des raisons politiques. Mais c'est incomparablement mieux comme absence de tension que ce qu'on a pu connaître à l'époque de M. Trudeau. Ceux qui n'ont pas négocié à l'époque de M. Trudeau, je dois dire qu'ils n'ont pas idée de ce que cela était à ce moment-là. Aujourd'hui, c'est probablement un charme de le faire. Cela ne crée chez moi aucune espèce de nostalgie d'y revenir, mais j'essaie quand même de comparer les situations, parce qu'elles ne sont pas les mêmes.

Je voudrais aussi déplorer, comme beaucoup d'autres l'ont fait, sans trop m'appesantir sur le sujet, l'absence des vrais textes. Je pense que c'est une lacune

absolument dommageable même à la bonne marche des travaux de la commission parce que personne ici ne sait exactement à quoi aboutiront les pourparlers en cours. Les textes juridiques, quoique n'étant pas moi-même de formation juridique, je le sais par expérience, sont de loin beaucoup plus importants que n'importe quel contenu d'un communiqué de presse. À cet égard, c'est un peu invraisemblable - moi-même, j'avais même pensé ne pas venir à la commission, ni même me proposer, et je le fais finalement pour d'autres raisons - mais je trouve invraisemblable qu'on n'ait à discuter que de principes et non pas des vrais textes, des véritables textes. Je ne sais pas s'il y aura une autre commission après que les textes auront été soumis, mais j'ai peur qu'on ait certaines surprises et qu'on voie des distances entre les principes et leurs applications dans les documents réels une fois qu'ils auront été négociés.

J'ai aussi remarqué, au cours des derniers jours, des dernières semaines, un changement dans la perception. Je ne dirais pas que le grand public en général est conscient de tout ce qui se passe sur le plan constitutionnel. C'est très simple à comprendre, ce n'est pas un sujet facile. Deuxièmement, ce qui se passe se déroule de façon extrêmement rapide, à tel point d'ailleurs que cela en est suspect. Dans ces conditions, le public n'est pas en mesure de tout suivre. Sauf qu'il y a quand même une évidence, si je compare à ce que c'était au point de départ: Dans le public maintenant, il y a des questions qu'on ne se posait pas avant. Il y a des doutes maintenant qui surgissent. Je pense qu'il faudrait clarifier ces doutes avant d'aller plus loin.

Je suis aussi frappé de la hâte quasiment intempestive, suspecte, elle aussi, donc, qu'on met à la fabrication de ces textes et à la conclusion de la négociation. On nous dit qu'il faut profiter des circonstances et que c'est le temps de le faire parce que l'occasion ne se représentera plus jamais. J'ai entendu à peu près quatorze fois ce genre d'expression pendant le temps où j'étais engagé dans la pratique en ce domaine. Cela ne m'impressionne absolument pas.

Je me souviens, cependant, d'une situation - si vous me permettez de rappeler mes souvenirs - qui s'est passée en 1971, juste à la fin de la conférence de Victoria, où il y avait, à ce moment-là, la Charte de Victoria à faire accepter par les provinces et c'est le premier ministre Trudeau qui a proposé è l'époque dans la salle de réunions que les provinces - on était au mois de juin - donnent leur réponse définitive avant la fin de l'été. Il y a eu un silence et, tout à coup, M. Bourassa a levé la main pour dire: Pourquoi fait-on cela avant la fin de l'été pourquoi ne pas le faire d'ici à la fin de juin, d'ici une douzaine de jours peut-être? J'ai été renversé de cette intervention. Je lui ai demandé, après, pourquoi. Alors, il m'a dit ceci: - je pense que c'est assez important - C'est parce que si on est pour dire non ou si on est pour dire oui, si on laisse trop de temps, il va y avoir des oppositions qui vont surgir au Québec et là cela va être très compliqué; le mieux, c'est de faire vite avant que les gens aient le temps de faire le tour de tout ce sujet-là. Vous le demanderez à M. Bourassa. À ce propos, je voudrais corriger une chose qu'il a dite ici même, la semaine dernière, mardi matin, où par hasard - c'est l'utilité des magnétoscopes - n'étant pas à la maison j'ai enregistré le début de la commission et je l'ai entendu dire à peu près ceci - je n'ai pas retrouvé le texte et j'ai effacé la bobine parce que j'ai enregistré d'autres personnes -je cite: "J'entendais Claude Morin dire, il y a quelque temps que, avoir su, on aurait dû signer l'accord de Victoria en 1971" Fin de l'intervention et fin de la citation. Je veux dire que je n'ai jamais dit cela de ma vie et je ne sais pas où M. Bourassa a pris cela et je le mets même au défi d'essayer de trouver la citation exacte. Je n'ai jamais dit cela. Je veux corriger parce que je pense que cela fait partie de ces phrases, quand on ne les relève pas, qui restent dans le paysaqe et qui deviennent des légendes.

Je voudrais justement à ce sujet-là, puisque je parle toujours du processus, revenir sur une idée qui, je crois a été mentionnée ici hier, à cette table, par M. Laberge et par d'autres peut-être avant: celle du rapport de forces. On nous a dit ou on nous dit: Actuellement, le Québec est dans une situation de force, c'est le temps d'obtenir des choses, c'est le temps de réaliser les progrès qu'on est en train de faire. C'était vrai que le Québec était dans un rapport de forces très favorable jusqu'à la veille du lac Meech, mais depuis ce temps-là - cela n'a été soulevé par personne, je crois, ce que je vais dire là - je pense que le rapport de forces est complètement changé et voici pourquoi. A partir du moment où M. Bourassa, en sortant de la réunion, a clamé dans tout le Canada qu'il s'agissait là d'une victoire quasiment sans précédent, historique et qu'il a, en somme, démontré qu'il venait de réaliser que tout le monde ensemble avait accompli un pas gigantesque, à partir de ce moment-là, pour une raison que je vais dire dans une seconde; il est obligé, politiquement, je crains, de signer quelque chose. Et voici pourquoi qu'il est obligé de signer quelque chose.

En 1971, en quittant Victoria, les gens là-bas avaient l'impression, parce que M. Bourassa avait passé neuf heures à huis clos, comme il en a passé là-bas, au lac Meech, à travailler un texte constitutionnel qui s'appelait la Charte de Victoria, les gens ont

conclu qu'il devait être assez d'accord, puisqu'il avait passé autant de temps à corriger le texte. Rendu ici, une dizaine de jours après, le 22 décembre au soir, je pense, M. Jean-Claude Rivest, son conseiller constitutionnel actuel me téléphone pour me dire: Tu vas être content, Robert va refuser la Charte de Victoria. Sauf que l'effet de ce refus, alors que les gens dans le reste du Canada s'imaginaient que cela passait, a été très dommageable - et je sais que cela a fait de la peine à M. Bourassa et qu'il a eu du mal à s'en remettre - quant à l'impression que les gens avaient de lui en particulier et du Québec en général. Et c'est une des raisons pour lesquelles, je pense, il ne peut quasiment pas se permettre de ne pas signer cette fois-ci, en partie à cause de ce qui est arrivé en 1971 et en partie aussi parce que, six ou sept ans avant 1971, en 1965 cette fois-là, M. Lesage lui-même a abandonné la formule Fulton-Favreau pour laquelle il s'était engagé. Cela faisait deux fois que le Québec faisait, "faux bond" pour de bonnes raisons, excellentes d'ailleurs - je tiens à le dire - mais qui font que l'opinion, dans le reste du Canada, était très négative et qu'on s'en est ressenti pendant longtemps.

À cause de cela, je crains qu'on ne soit devant une situation où M. Bourassa a une sorte de fil à la patte à partir du moment où il a brûlé l'argument qui lui restait, c'est-à-dire de voir venir. Maintenant il ne peut plus voir venir. Il a dit que c'était bien. À moins qu'une autre province ne le dépanne ou que le fédéral n'arrive avec quelque chose qui n'a pas de bon sens dans le texte, je pense que si c'est approximativement - je vais arriver au fond tout à l'heure, dans une seconde - ce qu'on a maintenant, malgré les lacunes effrayantes qu'il y a dedans comme on va le voir dans une seconde, il va être obligé de signer quelque chose. En tout cas, j'attire l'attention de cette commission sur ce problème. Je crains que M. Bourassa ne soit coincé. Il y en a un autre qui est coincé, c'est M. Mulroney, pour d'autres raisons que je n'ai pas besoin de développer ici. Alors, qu'est-ce que cela va donner? Je ne le sais pas.

Maintenant, je vais parler du fond, du fond, pour poser une question fondamentale, justement parce que c'est le fond qu'on oublie. Quel est le but ultime de l'opération en cours maintenant? Il faut quand même se rappeler cela de temps en temps. À quoi sert ce qu'on est en train de faire? II y a une réponse à cela. D'abord, il y a une réponse qui n'en est pas une. II ne s'agit pas de signer un simple accord, celui du lac Meech, mais, au fond, d'amener le Québec à donner son consentement officiel, formel et définitif au "Canada Bill" de 1982, moyennant certaines corrections. C'est cela l'objectif. C'est faire accepter le "Canada

Bill" par le Québec. Et on a quasiment réussi dans certains milieux à rendre le Québec coupable de ne pas avoir signé en 1982, alors que, n'ayant pas signé en 1982, nous avons donné - et j'étais au gouvernement à l'époque, c'est-à-dire que je venais juste de quitter - à ce moment-là la possibilité d'aller plus loin et peut-être d'avancer.

On va voir jusqu'à quel point on a avancé maintenant. Parce que cette réponse, amener le Québec à signer le "Canada Bill", soulève deux questions. Le "Canada Bill", qu'est-ce que c'est? Et ensuite, quelles sont les corrections qui sont en cause maintenant? Qu'est-ce que le "Canada Bill"? Je vais vous dire ce que je pense que c'est. Qu'est-ce qu'on nous demande d'accepter?

On nous demande d'accepter premièrement, le résulat d'une manoeuvre libérale fédérale fondée sur un triple mépris. D'abord, le mépris du sens qu'on a bien voulu donner aux promesses référendaires. C'est un fait historique. Deuxièmement, le mépris des membres de la fédération eux-mêmes, à cause de l'aspect unilatéral dans lequel tout cela s'est engagé en 1980-1981. Troisièmement, le mépris, au fond, des aspirations québécoises traditionnelles, parce que rien dans ce "Canada Bill" de 1982, rien ne correspondait à une seule des demandes du Québec depuis 25 ou 30 ans. Alors, c'est cela qu'on nous demande d'accepter: le résultat d'une manoeuvre libérale fédérale.

Deuxièmement, que nous demande-t-on d'accepter? Une situation constitutionnelle qui prive désormais le Québec d'une partie importante de ses pouvoirs en matière de législation linguistique. Parce que cela n'est pas corrigé. On nous demande d'accepter un des résultats les plus visibles de l'opération de 1981-1982: la disparition de certains pouvoirs qu'on avait de décider de la politique de la langue française ici au Québec.

Troisièmement, qu'est-ce que c'est, le "Canada Bill"? C'est une constitution où le pouvoir des juges, non élus, évidemment, un groupe où le Québec, quoi qu'on en dise, sera toujours minoritaire, malgré toutes les procédures de nomination qu'on pourra prendre. Ce groupe de juges prendra désormais et de plus en plus le pas quant aux décisions essentielles qui devraient normalement, dans une démocratie, relever des élus. Cela n'est pas souvent soulevé; ce l'a peut-être été ici, mais c'est une chose dont on se rend moins compte. Il y a une portion du pouvoir de décision dans notre société démocratique qui appartient maintenant à des gens qui n'ont pas de comptes à rendre. C'est peut-être une garantie de leur indépendance, oui, c'est peut-être aussi le résultat d'un abandon, à des qens qui n'ont pas les mêmes sensibilités, de portions essentielles du pouvoir politique. (20 h 15)

Le "Canada Bill", c'est aussi, quatrièmement, une autre chose. C'est un partage de pouvoirs entre Québec et Ottawa, entre les provinces et Ottawa, que le Québec a toujours contesté depuis Maurice Duplessis et même avant. Sous tous les gouvernements - et j'en ai connu quatre - on n'était peut-être pas dans le même bateau tout le temps, mais on était au moins dans la même rivière, c'est-à-dire qu'on contestait le partage des pouvoirs. On nous demande de l'accepter maintenant parce que cela fait partie du "Canada Bill". On va me dire: Bien oui, au deuxième, au quatrième ou au neuvième round, on va arriver à cela. On verra tantôt.

On nous demande donc d'accepter quelque chose d'énorme. On demande au gouvernement du Québec de poser un acte qu'aucun gouvernement du Québec - je comprends - n'a jamais été en situation de poser mais, c'est la première fois qu'on lui demande de donner son accord à un texte fondamental, à une loi, à des règles du jeu à propos desquelles il doit y avoir des tonnes de papier qui ont été écrites et des tas de discours qui ont été faits justement pour les contester.

Cela veut donc dire que cela coûte quelque chose au Québec d'accepter ce que je viens de vous dire. Donc, on va se demander maintenant quel est le prix qu'on peut exiger pour le coût à payer, c'est-à-dire quelles sont les corrections.

Il y a deux questions à propos des corrections. Est-ce que le Québec a exiqé un prix suffisant? Et la deuxième question, compte tenu de la première: Est-ce qu'il a assez obtenu?

Est-ce qu'il a exigé un prix suffisant? Ma réponse est non, parce qu'il y a de graves lacunes. Si c'est vrai que le rapport de forces entre le Québec et le Canada était si bon que cela jusqu'au lac Meech, et sans précédent, comment se fait-il qu'il n'y a rien dans le document, qui nous est proposé sur la récupération des pouvoirs en matière linguistique, ce dont j'ai parlé tout à l'heure? Comment se fait-il qu'il n'y a aucune garantie à venir quant à l'orientation que prendra le partage des pouvoirs ou les discussions relatives au partage des pouvoirs? La priorité, pour les prochaines fois, c'est le Sénat. Imaginez-vous si c'est quelque chose qui a excité la population du Québec depuis des générationsl

II y a aussi l'acceptation globale par le gouvernement du Québec actuel de ce pouvoir des juges dont j'ai parlé tantôt. Je n'ai rien contre les juges en particulier, mais je n'accepte pas, pour des raisons aussi valables que d'autres, j'imagine, que dans notre société on confie une telle portion des décisions politiques à des gens non élus.

Au fond, le Québec n'a jamais si peu demandé. Je ne citerai pas une nouvelle fois le Globe and Mail. Je n'ai pas retrouvé ce soir pour l'apporter, parce que j'ai dû le laisser au gouvernement quand j'ai quitté, le document que j'ai déposé moi-même en commission parlementaire, ici, en 1980 ou 1981 - je ne me souviens pas très bien et je ne sais plus à quelle commission parlementaire - et qui s'appelait "Les demandes traditionnelles du Québec." Il y avait un texte de plusieurs pages. Actuellement, les demandes se résument en une page.

Maintenant, quels sont les résultats? J'ai dit: Est-ce qu'on a demandé un prix suffisant? Je pense que non. Est-ce qu'on a assez obtenu? C'est évident que non, étant donné qu'on n'a pas beaucoup demandé. Mais même parmi ce qui a été demandé, est-ce qu'on a obtenu quelque chose de valable? Je réponds ceci. J'ai écrit un article dans le Devoir samedi dernier. J'en ai trouvé d'abord le titre et, après en avoir trouvé le titre, j'ai dit: Il faut que j'écrive un article à partir de ce titre. Le titre était: "Du bon, du relatif et de l'inquiétant", ce qui me rappelait le titre d'un film de Sergio Leone.

Alors, le bon, qu'est-ce que c'est? Le bon, je vous le dis très carrément, c'est la formule d'amendement. La formule d'amendement, c'est exactement, avec une nuance, celle que nous voulions, que nous avions commencé à construire, en 1981, notamment avec le droit de retrait avec compensation. Ce qu'on a aujourd'hui, on ne l'aurait jamais eu. Ce fut un des qains essentiels du Québec en 1981, malgré l'obstruction des fédéraux - je pourrais en parler, mais je n'ai pas assez de temps pour entrer là-dedans - d'obtenir le droit de retrait avec compensation. Cela n'est possible dans aucune fédération au monde. Il y a quelqu'un qui doit se retourner dans sa tombe aujourd'hui et c'est M. Trudeau quand il voit que cela a été accepté. Moi, je suis ravi. La formule d'amendement, je la prends tout de suite, avec une nuance. La nuance, c'est que toutes les provinces sont mises sur le même pied et je vais y revenir tout à l'heure.

Le relatif. Le relatif, c'est la Cour suprême et l'immigration. Sur la Cour suprême, il y a un tas de choses qui ont été dites ici, je ne reviens pas là-dessus. Je suis d'accord avec le fait que ce n'est rien qui nous conduise nécessairement à pavoiser. Mais, sur l'immigration, je suis d'accord aussi, mais attention! Personne ne va me faire croire que c'est une énorme victoire. J'ai ici un texte de 1968 - évidemment, ce n'est pas d'aujourd'hui - où, déjà, on parlait de l'immigration et où on disait d'abord nettement que, quoi qu'il arrive, c'est le fédéral qui a primauté en immigration. C'est encore le cas aujourd'hui. Mais là, il y a deux phrases qui sont encore vraies aujourd'hui. Elles sont en anglais, je les traduirai après. "There is little use in

conferring jurisdiction upon a province, if it is impossible for that province effectively to exercise the new authority." Il n'y a pas grand raison de conférer une juridiction à une province, s'il est impossible pour cette province d'exercer d'une façon efficace sa nouvelle autorité. Bon, alors je continue: "If Canadians are to be allowed to move freely about the country selecting jobs where they will as at present, immigration into a province cannot be controlled, though it may be stimulated by the province." Si les Canadiens ont la permission, comme c'est le cas maintenant, d'aller partout dans le pays pour chercher des emplois - et c'est encore plus vrai avec la charte des droits et encore plus vrai avec la clause Canada - si les Canadiens peuvent aller n'importe où, l'immigration dans une province, même si elle peut être stimulée, ne peut pas être contrôlée par cette province. Alors c'est un gain très relatif, mais cela va. Je ne disputerai pas quiconque de l'accepter. Par contre, il y a un élément auquel je reviendrai. Toutes les provinces ont la permission de faire la même chose, ce qui présente au moins une difficulté possible, c'est-à-dire qu'elles vont peut-être annuler par leurs effets le résultat de la politique d'immigration du Québec.

Qu'est-ce qui est inquiétant? Je vais terminer par cela. Deux éléments: la notion de société distincte telle qu'elle me paraît être incluse maintenant et évidemment le pouvoir de dépenser. M. le Président, je crains dans des textes, par expérience, ce qu'on appelle les coquilles vides. Il y en a eu une que j'ai connue dès la période où j'ai commencé ma fonction de sous-ministre. Elle concerne la négociation que nous avons eue avec le fédéral. C'était moi-même qui étais chargé de la négociation du Régime de rentes du Québec. Il est écrit dans la constitution à l'article 94A - je ne ferai pas de longues citations - qu'Ottawa peut faire des lois relatives aux pensions de vieillesse, mais aucune loi ainsi édictée ne doit porter atteinte à l'application de quelque loi présente ou future d'une Législature provinciale en ces matières. Cela donne l'impression en lisant cela, et c'est l'impression que nous avions et que des juristes avaient à Québec - je ne suis pas juriste - qu'avec un texte constitutionnel comme celui-là, il était évident que le Québec avait la primauté en matière de pensions. Donc, on était sûr de notre coup.

Le 26 juillet 1963 - c'est encore plus vieux que tantôt, mais je vais arriver à des choses plus contemporaines, c'est quand même important de tout situer dans le contexte historique - la ministre de I'époque qui s'appelait Judy LaMarsh à Ottawa vient dire à une réunion dont j'ai le compte rendu ici: "In our view, section 94A - ce que je viens de lire - was never designed to restrict federal legislation unless it affected a provincial law so as to interfer in the legal sense with its operations." Ce qui veut dire: D'après nous, le fédéral, la mention ou l'article que je viens de lire n'a jamais voulu dire que le fédéral avait son pouvoir restreint en matière de pensions, à moins, à toutes fins utiles, qu'il empêche les provinces de légiférer en cette matière. Cela veut dire que le fédéral peut tout faire, pourvu qu'il ne nous interdise pas d'avoir même un régime de pensions de 1 $ par mois. Ce qui veut dire au fond que le fédéral n'avait pas effectivement perdu sa suprématie. Quand j'ai entendu cela, j'ai été voir un bonhomme qui est un grand juriste fédéral, dont je me souviens seulement du nom de famille il s'appelle Thorsen. Il m'a dit: Effectivement, cela n'a jamais été prouvé devant les tribunaux, mais nous sommes sûrs que vous n'avez pas la primauté que vous pensez avoir parce que ce n'est pas ce que le texte veut dire. Je me sers de ce petit exemple simplement pour dire: Qu'est-ce que veut dire cette société distincte dont on nous parle? À cet éqard, sans faire un long topo, je ma rallie d'emblée à quelque chose comme ce que Léon Dion écrivait ce matin dans le journal Le Devoir, et je ne le lirai pas. Je voudrais qu'on ajoute des choses pour préciser et non pas pour limiter. De deux choses l'une: Ou bien les signataires de l'accord du lac Meech croient que la société distincte est un fait réel, et alors logiquement ils doivent en accepter les conséquences, des conséquences concrètes, ou bien encore, ils n'y croient pas et ils ont accepté l'entente parce qu'ils savent que cela ne signifie rien.

À cet égard, je fais une suggestion pour ce point et l'autre qui vient à propos du pouvoir de dépenser. Il existe à Ottawa, au moment où je vous parle, des études juridiques, politiques, administratives faites par des fonctionnaires fédéraux ultracompétents. Ces études ne doivent pas nécessairement être rendues publiques - mais le gouvernement, étant donné les bonnes relations qu'il y a entre les deux, doit savoir ce que pensent ces hauts fonctionnaires fédéraux de ce que signifient les textes dont on est en train de parler ici. C'est la base de toutes les contestations qui viendront devant les tribunaux plus tard. II serait important que vous demandiez de les voir, pas de les rendre publiques, cela sera peut-être rendu public autrement, mais il faudrait que vous les voyez pour que vous voyez venir justement. Ces textes sont une source absolument essentielle de connaissances. De toute façon, je trouve invraisemblable qu'on ne sache pas exactement ce que veut dire l'expression "société distincte" et qu'on laisse le soin à des juges de déterminer ce que les politiciens n'ont pas été capables ou hésitent eux-mêmes à définir. 21 mai 1987

Commission permanente

De plus, en signant l'accord tel qu'il est maintenant, sur la société distincte et sur le reste, il y a une contradiction. Si j'étais juge et si je regardais plus tard, en supposant que l'accord soit signé comme il est là, ce qu'on voulait dire à cette époque, quand on n'a pas voulu définir ce qu'était la société distincte, savez-vous ce que j'ai remarqué? J'ai remarqué que cette notion de société distincte n'est même appliquée dans l'accord du lac Meech. Pourquoi? parce que ce qu'on offre au Québec pour l'immigration, toutes les autres provinces peuvent l'avoir. Ce qu'on offre au Québec quant au Sénat, toutes les autres provinces peuvent l'avoir. Ce qu'on offre au Québec quant à la Cour suprême, même chose, toutes les autres provinces peuvent l'avoir. Pour le pouvoir de dépenser également. Si c'était vrai qu'il y avait une société distincte, comment se fait-il qu'on la contredise dans l'accord tout de suite? De sorte que, plus tard, si les juges ne savent pas au juste ce que signifie cette expression, ils vont voir le contexte, ils vont voir les contradictions qu'on est en train d'insérer. Dans l'article sur la société distincte, il se peut qu'on veuille considérer le Québec comme une société, mais dans tous les autres, on le considère comme une province. Là, il y a une contradiction.

Sur le pouvoir de dépenser. De quoi s'agit-il? Qu'est-ce que le pouvoir de dépenser? Vous devez le savoir, tellement de monde vous en ont parlé. Je vais citer Pierre Elliot Trudeau: "C'est le pouvoir que le Parlement a de verser certaines sommes aux individus, aux organisations ou aux gouvernements à des fins au sujet desquels le Parlement canadien n'a pas nécessairement le pouvoir de légiférer. Cela veut dire en termes clairs que le pouvoir de dépenser est actuellement interprété - c'est encore Trudeau qui parle - comme le droit pour le gouvernement fédéral de décider aux frais du contribuable si les gouvernements provinciaux exercent comme il convient tous et chacun des droits que leur confère la constitution." Il y a un autre juriste qui a dit qu'il était extraordinaire que personne n'ait contesté, devant la Cour suprême, la constitutionnalité du prétendu pouvoir de dépenser.

M. Beaudoin, qui est l'auteur du livre, dont j'ai deux pages ici et qui est venu ici le premier dit: "Je partage son étonnement, mais je trouve plus extraordinaire encore que les politicologues ne parviennent pas à discerner l'effet corrosif que le pouvoir de dépenser aura sur la démocratie canadienne si la thèse actuelle continue de prévaloir, en particulier..." C'est Beaudoin, page 266, 267. Or, la situation actuelle, je dois vous le dire, elle est confirmée dans le texte, tel qu'on l'a maintenant, du pouvoir de dépenser. Qu'est-ce qu'on voulait au point de départ? Si je me souviens bien, on voulait restreindre le pouvoir de dépenser. Souci tout à fait louable. Qu'est-ce qu'on fait en réalité? Qu'est-ce que siqnifie ce qui est là?

Le pouvoir de dépenser, si je puis m'exprimer ainsi, je l'ai vécu. Quand on a, en 1965, sous M. Lesage après deux ans de néqociations, réussi à retirer, à obtenir pour le Québec une compensation fiscale et financière des points d'impôts, par rapport à 28 programmes conjoints, s'il avait fallu qu'on ait dans les jambes ce que vous avez ici, on n'aurait jamais pu en sortir. Si le fédéral a cédé, il y a plusieurs raisons, mais une des raisons, c'est qu'il n'était pas sûr de son pouvoir de dépenser. Mais là, vous allez l'assurer, parce qu'il va y avoir - à moins qu'on ne chanqe de texte - une reconnaissance par le Québec lui-même que le fédéral peut introduire des programmes dans des domaines de compétence provinciale exclusive. Jamais un gouvemement du Québec n'a accepté cela. C'est effrayant. Cela veut dire que c'est pire qu'avant. C'est ce qu'on a obtenu. On dit: II y a une compensation. La compensation, attention, doit être dans des domaines compatibles avec les objectifs nationaux. J'ai des nouvelles là-dessus. Cela siqnifie au fond que c'est quatre 25 cents pour un dollar et qu'à toutes fins utiles il n'y a rien de changé. Vous venez de faire pire, si c'est cela qui est accepté.

En conclusion - je vais arrêter là, j'ai certainement dépassé mon temps - je ne rejette pas tout ce qui est dans l'accord du lac Meech. La formule d'amendement est la continuation de ce qu'on a commencé. Cela me va. Je pense que c'est bien. Je suis content qu'on ait commencé ce travail. Autrement, on ne serait pas rendu là aujourd'hui. L'immigration, bon, cela va. Ce n'est pas la qrande victoire du siècle, ce n'est pas vilain. Ce n'est peut-être pas beaucoup, mais c'est mieux que pas grand-chose. Finalement, la Cour suprême, je n'ai pas d'orqasme juridique là-dessus. Il y en a qui, apparemment, trouvent cela terriblement important qu'on constitutionnalise la Cour suprême comme si elle pouvait disparaître demain. Voyons donc! La société distincte, j'adorerais un paraqraphe et je le dirais publiquement. Je reconnaîtrais qu'il y aurait des choses comme celles que, par exemple, Léon Dion a dites ce matin. (20 h 30)

Quant au pouvoir de dépenser, c'est une des choses les plus essentielles, les plus importantes que vous avez dans ce texte. Moi-même, je me suis fait prendre au jeu au point de départ. Le premier soir où j'ai entendu dire qu'il y avait un accord et que le pouvoir de dépenser était contrôlé, j'ai dit: Cela ne se peut pas - je pense au témoignage de M. Langlois - que cela marche comme cela. Bien non! je comprends maintenant, après avoir lu le texte. Cela ne se peut pas parce qu'il n'y a rien là. C'est-à-dire non, il y a quelque chose là, il y a

quelque chose de pire que ce qu'on connaît maintenant.

Là-dessus, j'ai terminé ma présentation, M. le Président. Je suis disposé à répondre à des questions. Cela me fera plaisir de compléter ma pensée parce que j'aurais pu continuer pendant longtemps, mais qu'est-ce que vous voulez?

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le professeur Morin. Il reste une quinzaine de minutes à chaque groupe parlementaire. Je donne la parole à un représentant du groupe ministériel.

M. Rémillard: Si l'Opposition veut débuter.

Une voix: Pas pour le moment. M. le Président.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. Morin, je voudrais vous remercier de venir témoigner devant nous. Vous avez une longue expérience des relations fédérales-provinciales. Vous avez été ministre. Ce fut très intéressant de vous entendre. Vous êtes plus nuancé que votre ancien collègue, votre homonyme, le professeur Jacques-Yvan Morin qui, lui aussi, est venu témoigner devant nous. Il ne trouvait pas grand-chose de bon dans l'entente.

On reconnaît d'ailleurs votre personnalité, vous voyez de bonnes choses. Vous voyez une formule d'amendement et j'y reviendrai tout à l'heure, évidemment un peu plus longuement. Vous voyez la Cour suprême et l'immigration; sur l'immigration, je me permets simplement de vous souligner que c'est beaucoup plus que l'entente Cullen-Couture qui fera partie maintenant - je pense que vous le réalisez assez bien - de la constitution par une entente siqnée avec le fédéral. C'est, en plus, la possibilité de sélectionner nos immigrants qui sont sur place et vous, vous savez l'importance de ce nouveau pouvoir qu'acquiert le Québec, en plus aussi d'avoir toutes ces compétences législatives que nous acquérons pour intégrer nos immigrants dans la société québécoise. Là aussi, je sais que vous appréciez à sa juste valeur ce nouveau pouvoir qu'on acquiert, en plus, bien sûr, du minimum de quotas d'immigrants qui nous est garanti par notre poids démographique dans la fédération, avec 5 % de plus.

Vous dites qu'il n'y a rien de spécifique pour le Québec. Premièrement, seul dans cette entente, on a conclu des éléments que le Québec doit signer avant le 2 décembre. On va s'assurer de cette entente sur l'immigration. On sera la seule province à faire cela. La deuxième des choses, M. Morin: Si vous additionnez le poids démographique de toutes les provinces plus 5 %, cela va vous donner 150 %. Vous savez, strictement au point de vue logique, i! est bien évident que ce ne sont pas toutes les provinces qui ont la même situation. Il ne faut quand même pas penser que l'ÎIe-du-Prince-Édouard va demander la même chose que le Québec et que le gouvernement fédéral va lui accorder la même chose. Je pense qu'au départ on s'entend assez bien.

Mais revenons au point de départ. Vous nous reprochez notre hâte, M. Morin. Vous vous référez à des conversations privées que vous avez eues avec le premier ministre. Pour ma part, je ne me référerai pas à des conversations, je me référerai simplement à des écrits, à des actes. Qu'est-ce qui vous pressait tant, M. Morin, pour signer, vous, le 16 avril? Vous étiez élus le 13 avril 1981. Vous l'attendiez celle-là, n'est-ce pas?

M. Morin: Oui.

M. Rémillard: Je ne sais pas s'il y a eu une réunion du Conseil des ministres entretemps. Remarquez, des fois, lorsque je vois la réaction du chef de l'Opposition et du professeur Jacques-Yvan Morin, je me demande s'il y a eu un Conseil des ministres entre-temps. Mais, enfinl Le 16 avril, vous rencontrez vos homologues dans un hôtel de Montréal. Là, vous signez un document. Quel était le but de ce document, M. Morin? Tout à l'heure, vous nous avez dit: II faut se poser la question: Quel est le but de cette entente du lac Meech? Vous nous avez dit: C'est pour adhérer à la constitution de 1982, au rapatriement. Vous, M. Morin, ce 16 avril 1982, quel était le but du document que vous avez signé? C'était pour permettre le rapatriement, la résolution Trudeau de l'époque. Trois jours après les élections, vous signiez ce document, document pour rapatrier la constitution du Canada en proposant les mesures requises au Parlement du Canada et aux Législatures des provinces. Ces mesures requises, entre autres, vous le savez comme moi, vous le savez bien, proposent un point très important, soit l'égalité des provinces. Je me permets de lire ce que vous avez signé le 16 avril 1981, trois jours après les élections. "La formule de modification doit reconnaître l'égalité constitutionnelle des provinces comme partenaires égaux au sein de la confédération." Donc, ce que vous avez signé, M. Morin, c'est l'égalité de toutes les provinces dans la Fédération canadienne, alors qu'à plusieurs reprises, tantôt dans votre exposé, vous nous disiez: On banalise la situation du Québec; c'est la même situation pour toutes les provinces. C'est faux au départ. Je dois vous dire que, dans l'entente du lac Meech, il y a seulement le Québec qui a trois juges d'assurés à la Cour

surprême dans la constitution. Il y a seulement le Québec qui va faire cela.

En ce qui regarde l'immigration, je viens de vous en parler. Toutes les provinces ne sont pas reconnues comme distinctes. Vous reconnaissez ici que toutes les provinces sont sur le même pied. Même chose. Vous nous avez dit tout à l'heure que vous n'étiez pas contre la formule d'amendement. Vous dites: Je ne suis pas contre parce que c'est finalement la continuation de ce que nous avons commencé, nous, en 1981. Mais, M. Morin, vous pouvez nous le dire bien franchement maintenant. Vous avez oublié qu'on ne se retire pas d'une institution. Nulle part dans votre entente signée le 16 avril 1981, nulle part, il est mentionné d'abord le mot "Québec". Lisez toute cette entente. Nulle part, on ne mentionne le mot "Québec". C'est la première des choses. Nulle part, on voit la possibilité de l'application d'une formule quelconque pour les institutions. Maintenant, vous nous dites: Écoutez, c'est la continuation. Oui, c'est la continuation, M. Morin. Vous avez bien raison, mais il a fallu composer avec les pots cassés. Je vais vous le dire très sincèrement, très franchement, M. Marin, il a fallu vivre avec ce principe de l'égalité des provinces que vous avez reconnu ce 16 avril 1981 et en arriver à la solution - parce qu'on ne se retire pas d'une institution - et en arriver à ce droit de veto pour toutes les provinces. Là encore, vous allez me dire: II reste un droit de veto pour toutes les provinces. Mais oui. C'est l'application du principe de l'égalité et ce n'est pas nous qui l'avons fait.

Donc, dans un premier temps, je retiens de votre intervention que vous n'êtes pas contre l'entente du lac Meech, que vous êtes en faveur d'une formule d'amendement, bien sûr, dans la continuité comme vous le dites, de la Cour suprême, de l'immigration avec les explications que je viens de vous donner. Quant à la société distincte, peut-être pourrons-nous en parler tout à l'heure.

M. Morin: M. le Président, est-ce que j'aurai le droit de poser une question au ministre tout à l'heure pour préciser quelque chose? Avant cela, je voudrais quand même au moins préciser ceci. M. le ministre me dit qu'il a compris que je n'étais pas contre l'entente du lac Meech. J'en suis étonné. J'ai dit qu'il y avait un élément que je trouvais bien parce que c'était la continuation de ce que nous avions commencé. Si un sur cinq suffit pour être d'accord, je pense qu'on ne parle pas le même langage.

Deuxièmement...

M. Rémillard: La Cour suprême?

M. Morin: Sur la Cour suprême, j'ai dit qu'il n'y avait rien là-dedans qui faisait que j'avais des orgasmes juridiques pour reprendre l'expression, car, pour ma part, ce genre de choses n'est pas particulièrement significatif parce qu'on sera toujours en minorité dans la Cour suprême et qu'en ]980, 1979, 1978, même les fédéraux avaient des documents où ils étaient disposés à offrir davantage. Vous demanderez aux qens d'Ottawa et à M. Dussault, qui était avec nous à l'époque, jusqu'à quel point on a presque réussi à un moment donné, n'eût été du faux bond d'un certain nombre de provinces, à obtenir beaucoup plus que ce que vous avez maintenant.

M. Rémillard: Vous avez presque réussi, mais l'immigration sur laquelle vous venez de vous prononcer, la Cour suprême, la formule d'amendement, l'immigration, est-ce que...

M. Morin: Pour l'immiqration, je prendrais ce qui est là, mais avec quand même une importante nuance. D'abord, c'est la continuation de ce qui a été signé par le gouvernement du Québec de l'époque, c'est quand même une chose à dire, et deuxièmement j'ai dit que c'était mieux que pas grand-chose. Mais seulement on ne me fera pas croire que c'est la victoire du siècle. Je vous ai cité un texte du cabinet fédéral de 1968. Cette question était déjà examinée par nous et elle a constamment été dans le paysage. Cela fait partie des demandes traditionnelles.

J'aurais une question à poser à M. le ministre. Je l'ai entendu dire aujourd'hui qu'il fallait vivre avec les pots cassés. J'ai entendu dire "vivre avec" et hier j'ai encore entendu dans mon magnétoscope que vous avez été obligé, étant donné que cela avait été accepté, de vivre avec la notion que les provinces étaient égales. Je vous pose une question puis il y en aura une autre après. Est-ce qu'au cours des négociations que vous avez eues les derniers mois, quelqu'un quelque part vous a dit ou affirmé que le Québec avait formellement accepté le principe de l'égalité des provinces le 13 avril 1981? Oui ou non? Est-ce que quelqu'un dans une province, au fédéral ou n'importe où vous a dit cela?

M. Rémillard: Permièrement, M. le Président, je m'excuse, mais c'est notre témoin et cela serait peut-être impoli, par rapport à l'Opposition et à bien d'autres que je me mette à répondre aux questions. Ce n'est pas moi qui suis interrogé et la question est tellement évidente que vous savez la réponse. Alors, si vous le voulez, vous allez répondre aux questions, M. Morin. Vous êtes ici pour cela.

M. Morin: Parfaitement.

M. Rémillard: Vous le faites d'ailleurs

très bien. Parfait!

M. Morin: Je vais répondre à la question...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, je veux immédiatement indiquer au ministre que nous sommes prêts à donner tous les consentements requis pour qu'il puisse répondre à une question très pertinente de la part de notre témoin. Cela fera partie de la nature des discussions que l'on a depuis le tout début de la commission avec l'ensemble des témoins présentés par nous, à moins que le ministre ne refuse pour des raisons que lui seul pourrait connaître.

M. Rémillard: Tout simplement, je pense que ce serait intéressant de pouvoir poser des questions. Je sais que vous avez des questions à poser et moi aussi, j'ai d'autres questions à poser à M. Morin. M. Morin est ici pour nous instruire et on a une bonne discussion, c'est intéressant et il faudrait continuer dans ce sens.

Le Président (M. Filion): M. Morin, la parole est à vous.

M. Morin: M. le Président, d'accord. Alors, le ministre me dit que je dois répondre aux questions. Je vais donc répondre à ta question que je lui ai posée. Il y a deux réponses: Ou bien personne ne lui en a parlé ou bien quelqu'un lui en a parlé. On ne peut pas sortir de ee dilemme-là. Si personne ne lui en a parlé, d'où tient-il cette notion que le Québec a formellement, définitivement et pour l'éternité accepté le principe de l'égalité des provinces? On va y revenir tantôt. Alors si personne ne lui a dit cela, comment cela se fait-il qu'il l'ait trouvé? Et si personne ne le lui a dit, cela veut donc dire qu'il n'en a même pas parlé à quiconque là-bas, parce qu'à ce moment-là quelqu'un en aurait parlé. Donc, si vous me dites non à la réponse, c'est que vous n'en avez même pas discuté avec eux. Ne venez pas dire que vous avez été obligé d'accepter les pots cassés, premièrement.

Si c'est oui la réponse à la question que je vous ai posée, et à laquelle vous avez le droit de ne pas répondre - je comprends les règles des commissions, je les ai un peu oubliées, mais que voulez-vous que je vous dise? - si c'est oui la réponse, c'est-à-dire si quelqu'un vous a dit qu'effectivement le Québec a accepté, avec tout le respect que je vous dois, dans ce cas-là je dois vous dire que vous vous êtes fait avoir. Alors, choisissez la branche de l'alternative parce qu'il y a un élément de la réalité: ou bien on vous en a parlé ou on ne vous en a pas parlé dans vos négociations. Quand je néqociais avec tous ces gens-là, on se disait un tas d'affaires. Je ne peux pas croire que vous n'avez jamais parlé de cela. Ou bien vous en avez parlé.

Quoi qu'il en soit, je ne sais pas si vous voulez continuer à répondre. J'avais préparé la suite. Je m'attendais à votre réponse. Je peux vous dire que j'ai deux dossiers: le bleu pour mon intervention de tantôt et le rouge qui concerne davantaqe le sujet qui nous convient maintenant.

M. Rémillard: J'ai une autre question à poser, si l'Opposition me le permet.

Des voix: Avez-vous une réponse?

M. Rémillard: Je veux seulement poser une question: M. Morin, est-ce que le principe de la formule d'amendement, dans l'entente du 16 avril 1981, c'était une formule d'amendement fondée sur l'égalité des provinces? Est-ce bien cela?

M. Morin: Justement, je voudrais répondre à toutes ces questions en soulevant brièvement quatre...

M. Rémillard: J'aimerais que vous puissiez me répondre sur ce point-là parce que le temps passe. (20 h 45)

M. Morin: Je m'en viens, j'ai tout cela ici. Oui, oui, je m'en viens, mon cher monsieur. À propos de cette notion d'égalité - je pourrais même parler du droit de veto, si cela vous intéresse - la première chose à faire - élémentaire, je pense - c'est de regarder le texte de l'accord lui-même. Or, que dit le texte de l'accord du 16 avril que j'ai apporté ici dans sa version anglaise? Je n'ai tout simplement pas retrouvé la version française, je m'en excuse, mais, en partant, je n'ai pas apporté tous les papiers avec moi, évidemment. Il y a deux éléments, je les ai souliqnés ici en jaune. D'abord, ce texte contient une formule d'amendement et aussi un plan de rapatriement, éqalement un plan de délégation de pouvoirs. Il faut d'abord savoir ce qu'il y a là-dedans. Cela a été signé le 16 avril. Tantôt, on me demandait s'il y avait eu des réunions du Conseil des ministres. Les libéraux nous ont toujours accusés de trop parler de constitution. J'imagine qu'on en a parlé à un moment donné, sauf qu'il n'y a pas eu de réunion du Conseil des ministres entre le 13 et le 16 avril, mais cela n'est pas arrivé comme un cheveu sur la soupe. De toute façon, j'ai bien le droit de dire, moi aussi, que cela relève du secret du cabinet. J'imagine que le ministre, qui est un grand spécialiste du droit, va comprendre que je ne raconte pas ce qui s'est dit au cabinet à un moment donné.

Quoi qu'il en soit, la formule d'amendement dont on parle maintenant contient la phrase suivante: "Any formula must recognize the constitutional equality of provinces as equal partners in Confederation." C'est ce qu'on vient de me citer. Sauf que cette phrase s'applique à la formule d'amendement et non pas à la définition de la société québécoise ou de quoi que ce soit. Tantôt, je vais vous dire pourquoi cela arrive.

Deuxièmement, vous n'avez jamais cité le reste. "Any amending formula must protect diversity of Canada." Cela concerne la formule d'amendement. Tout ce qu'on a signé concernait la seule formule d'amendement. Sauf que - un autre élément -précédant la signature des huit premiers ministres qui ont accepté cela, il y a une phrase ici qui dit: "The Canadian repatriation plan - ceci, donc le 16 avril 1981 - is conditional upon the Government of Canada withdrawing the proposed joint address on the Constitution, now before Parliament, and subscribing to this accord." Cela veut dire que cette entente était valable "conditional upon", c'est-à-dire à la condition que le gouvernement fédéral retire son projet de l'époque, ce qu'il n'a jamais fait.

En conséquence, ce que nous avons signé, par le fait même, devenait désuet tant que le fédéral ne reculait pas. Il y a des légendes auxquelles il faut, à un moment donné, couper le cou.

Deuxièmement, si cela ne suffit pas, je vais vous citer ici une lettre que je ne peux malheureusement pas rendre publique - des extraits, oui, mais pas le texte au complet parce que cela porte sur un tas d'autres choses - une lettre écrite à l'époque, par le premier ministre de l'Alberta, M. Lougheed, à M. Lévesque. La date, c'est le 8 mars 1982. Il dit justement - parce qu'on s'était échangé des lettres, c'est-à-dire que c'est moi qui avais écrit à son ministre et, comme j'avais quitté, il avait répondu au premier ministre - je vais le traduire en français: Les huit premiers ministres se sont rencontrés à Ottawa le soir du 15 avril 1981 et jusqu'aux petites heures du matin. On s'est rencontré dans la suite du premier ministre Lyon. "At the very outset" dès tout le début, il a été réaffirmé par M. Blakeney et je crois par d'autres qu'il ne devrait pas y avoir de malentendu, que la signature de cet accord "did not irrevocably tie any of the signing Governments to any constitutional position, amending formula or otherwise", c'est-à-dire que cela n'engageait personne à une position irrévocable en ce qui concerne la formule d'amendement ou quoi que ce soit, si M. Trudeau abandonnait son pian. Tout était relié au plan unilatéral de M. Trudeau, à cette époque.

Dans une autre partie de la lettre, que j'ai oublié de photocopier, M. Loughed raconte une réunion que j'ai eue le 27 octobre 1981 - si cela vous intéresse, c'était au Harbour Castle à Toronto - "Mr. Morin made it clear - à tous les ministres - that if even one province broke with the accord, then Quebec was no longer bound by it and would move independently." Ce que j'ai dit, à ce moment-là - c'est M. Louqhed qui le dit dans sa lettre - c'est que j'ai "made it clear" dit clairement que si une seule province sortait de l'accord, à partir de ce moment-là, le Québec n'était plus lié et reprenait ses billes, pour prendre l'expression que tout le monde va comprendre. Vous nous dites qu'on a abandonné le veto ou des choses comme cela. Non! Quand vous nous dites cela, c'est au mieux une erreur, au pire un manque d'information et, si vous voulez ajouter d'autres qualificatifs, vous le pouvez. On n'était quand même pas nés de la dernière pluie, du moins pas à cette époque. Pensez-vous que moi, après avoir passé toutes ces années dans ce domaine, je serais allé dire à un moment donné, un de ces soirs: Le droit de veto, vous savez, on n'a plus besoin de cela? Non.

Seulement, maintenant, je vais continuer à répondre à votre question, si vous me le permettez; peut-être que je suis en dehors de mon temps, mais il y a des choses qu'il faut dire, j'aurais peut-être dû écrire un livre là-dessus au lieu d'écrire sur l'autre sujet, quoique l'autre sujet ait l'air bien intéressant.

Sur l'égalité, ce que nous avons siqné, c'est un accord limité dans un but limité qui tombait en désuétude dès que M. Trudeau laissait tomber son projet. Or, cela ne devait pas être si terrible, ce que nous avons signé, M. le Président. Je viens de trouver quelque chose ici. Lorsque la constitution a été rapatriée avec toutes ces horreurs dont on nous accuse aujourd'hui d'y avoir mises, députés libéraux du Québec sont allés fêter à Ottawa. À part cela, il y en a cinq ou six qui ont envoyé un télégramme pour dire qu'ils ne pouvaient pas y aller et qu'ils regrettaient. Les noms? Je vais en nommer. Je vais seulement nommer ceux qui sont ministres maintenant. Ils étaient allés fêter à Ottawa malgré ce que M. Ryan leur avait demandé: Lise Bacon, Michel Gratton, Clifford Lincoln, Pierre Paradis, Gilles Rocheleau. John Ciaccia a dit lui, qu'il regrettait ne pouvoir y aller; Michel Paqé non plus et Yvon Picotte. C'est quasiment la moitié du Conseil des ministres qui est allée fêter cela en 1980. Je vois mon successeur du comté de Louis-Hébert. Il y est allé lui aussi. Je ne l'ai pas nommé puisqu'il n'est pas ministre. Puis là, il y a quelqu'un qui a dit: - il faut bien que je mentionne qui quand même, il s'appelle Raymond Mailloux -Je n'irai certainement pas fêter à Ottawa la réduction des pouvoirs du Québec. Cela ne devait pas être si terrible. Ou bien si c'était

terrible, comment se fait-il que ces gens y sont allés? Écoutez, il faut un peu de logique dans cela.

M. Rémillard: M. Morin, me permettez-vous de vous poser une autre question pour essayer d'éclairer un peu le sujet?

M. Morin: Oui, j'ai certainement des réponses, oui.

Le Président (M. Filion): Juste avant, M. le ministre, est-ce qu'il y a consentement? L'enveloppe ministérielle est déjà épuisée.

M. Johnson (Anjou): Consentement pour une autre question, è la condition que vous nous laissiez un peu de temps quand même!

Le Président (M. Filion): L'enveloppe du temps de l'Opposition est...

M. Johnson (Anjou): ...est intacte.

Le Président (M. Fîiion): ...intégralement préservée à ce jour. Je ne crois pas que vous l'ayez utilisée.

M. Johnson (Anjou): Alors consentement pour quelques minutes. Oui.

Le Président (M. Filion): Donc, consentement à M. le ministre. La parole est à vous.

M. Rémillard: Surtout vous allez... Une voix: Avec plaisir.

Une voix: Au rythme où cela va vous pourriez prendre la soirée quant à nous.

M. Lefebvre: M. le Président, j'ai compris les gestes des membres de l'Opposition qu'on a tout le temps qu'il nous faut. C'est plus que deux ou trois minutes selon ce que j'ai pu...

Le Président (M. Filion): Consentement. M. Lefebvre: Allons-y.

Le Président (M. Filion): La parole est à vous M. le ministre.

M. Rémillard: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Nous avons d'autres invités par la suite.

M. Rémillard: J'ai le consentement, surtout que je veux citer le livre de René Lévesque, Attendez que je me rappelle. Est-ce que vous êtes d'accord, M. Morin - vous étiez avec votre premier ministre à ce moment - lorsque M. Lévesque écrit à la page 437 de son livre: "En revanche, il était prévu qu'une province dont tel ou tel amendement ne ferait pas l'affaire serait libre d'exercer un "opting out", c'est-à-dire un droit de retrait. Au risque de passer pour hérétique, j'avoue que cette perspective rn'apparaissait dans l'ensemble plutôt sympathique". Il continue, je vais être assez court, à la page 439: "Mais le Québec serait privé du droit de veto. Dirais-je que, à tort ou à raison, cette vieille obsession ne m'a jamais emballé? Le veto peut constituer une entrave au développement au moins autant qu'un instrument de défense."

Quelle était donc votre intention, puisque je viens de citer votre premier ministre, en siqnant cette entente du 16 avril 1981? Je comprends les circonstances, M. Morin. Vous vouliez faire échec à la résolution Trudeau. Il y avait un front commun de huit provinces à maintenir. Vous vous êtes liés derrière une formule de droit de retrait qui était fondée sur l'éqalité des provinces, mais vous avez oublié d'inclure une formule quant aux institutions fédérales. Vous n'avez pas répondu à cela. D'autre part, pourquoi il n'y a pas le mot "Québec"? Quelques fois, on retrouve "société distincte". Vous nous avez parlé de société distincte tout à l'heure. Je vais y revenir un peu plus tard. Vous avez écrit aussi dans lesCahiers de Droit quelque chose d'intéressant à ce sujet. Je vais y revenir tout à l'heure. Mais pourquoi il n'y a même pas le mot "Québec" dans cette entente du 16 avril 1981? Toutes les provinces étaient égales.

Je veux simplement vous dire ceci: Vous nous reprochez la précipitation, la hâte, et le principe d'égalité, à savoir que toutes les provinces sont pareilles, ce qui est faux, remarquez, mais il reste tout de même qu'il y avait des précédents dans tout cela. Vous pouvez donner toutes les bonnes raisons. Tout à l'heure vous nous avez dit: On est bien passé près de l'avoir. Oui, mais vous ne l'avez pas eu. Ou bien vous avez dit que vous avez fait telle chose, oui, mais cela ne s'est pas concrétisé. Je comprends que cela n'a pas été facile tout cela, mais maintenant on est devant une entente au lac Meech. Je vois que vous êtes nuancé quand même. Vous dites: Bien, il y a trois points sur cinq, ils sont quand même pas si mal. Mais tout de même il y a le fait qu'il faut composer avec une situation. Vous savez, avec l'expérience que vous avez en politique, qu'on n'arrive pas comme cela en disant: On fait tabula rasa, c'est terminé et on recommence. Il y a des précédents qui sont créés, il faut construire, et c'est ce qu'on a fait. Que vous nous donniez au départ un score de trois sur cinq - et on n'a pas fini de discuter ensemble - je trouve que cela va bien.

M. Morin: M. le Président, d'abord ce

n'est pas un score de trois sur cinq, je dirais que c'est environ un et trois quarts parce que je n'ai quand même pas été si emballé par la Cour suprême ni par l'immigration. Je ne voudrais quand même pas qu'on commence à faire des calculs comme cela d'autant plus que chacun des points n'a pas le même poids relatif. Il y a ta société distincte et le pouvoir de dépenser qui sont pas mal plus importants que certaines autres affaires.

M. le Président, j'allais continuer sur les sujets que le ministre vient de soulever dans sa question. Il a cité M. Levesque et moi, j'ai parlé de mon livre tout à l'heure. Je pourrais peut-être parler de celui du ministre maintenant pour que ce soit égal pour tout le monde. Alors, M. le ministre dit ceci dans le sien à la page 130 - j'étais très content quand j'ai lu cela, je vous remercie: "Le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Claude Morin, avait établi une habile diplomatie avec les gouvernements provinciaux." Et un peu plus loin on dit: "De plus, fort habilement pendant toute cette période d'intenses négociations constitutionnelles de 1976 à 1980" - je vous remercie de ce commentaire...

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Morin: Et, deuxièmement, un peu plus loin - je ne retrouve pas la citation, mais vous dites: Ce n'est pas si vilain que cela, le droit de retrait. Je vais vous dire ceci pour démystifier un certain nombre de choses. Vous me parlez du droit de veto. Voulez-vous que je vous dise quand le droit de veto a cessé d'être au Canada dans le paysage politique de façon sérieuse? Après la conférence de Victoria en 1971. Et là, on arrive à une situation paradoxale: M. Bourassa a refusé la Charte de Victoria en 1971 pour des raisons tout à fait valables, valides avec lesquelles je suis et j'étais d'accord. Ce faisant, il devait, c'était fatal, rejeter la formule de veto qu'il y avait dedans. Et je ne le blâme pas d'avoir fait cela à ce moment-là, je veux être clair là-dessus. Cependant, la dynamique politique étant ce qu'elle était, dès les mois et l'année suivante, les provinces qui avaient été à un moment donné d'accord avec le droit de veto ont fini à la longue par le laisser tomber, si bien qu'en 1978, quand il y a eu un sprint constitutionnel avec le gouvernement fédéral - il voulait faire cela avant le référendum pour prouver au monde qu'on pouvait faire des choses sans répondre oui au référendum - on s'est rendu compte à ce moment-là qu'il y avait six provinces sur dix, et peut-être sept, je ne suis pas sûr de la septième, qui étaient contre toute idée de veto pour qui que ce soit, ou bien pour tout le monde.

Comme le gouvernement fédéral ne voulait justement pas, à cette époque - et M. Trudeau a eu des mots très durs pour le veto pour toutes les provinces, parce que cela crée à ce moment-là une camisole de force - parce que le fédéral ne voulait pas un veto pour tout le monde et que parmi les autres provinces, sept d'entre elles, refusaient toute idée de veto pour qui que ce soit, la simple prudence, M. le Président, nous a fait comprendre que même si Ottawa continuait - je dois le dire honnêtement - à proposer le veto... et la raison, c'est que cela empêchait toute province de se distinguer des autres. Il ne faut quand même ne pas oublier que le droit de retrait permet au Québec de se distinguer. C'est pour cela qu'on était d'accord avec cela. Cela n'existe dans aucune fédération au monde. Je suis très fier qu'on l'ait ici, je suis content. Cela me fait plaisir de voir que c'est une formule préparée sous un gouvernement souverainiste qui enligne tout le Canada maintenant. C'est bien.

Ceci dit, en 1978, déjà la majorité des provinces étaient contre le droit de veto. Il fallait à ce moment-là penser qu'il pourrait peut-être survenir un jour où on se ferait avoir, nous, avec quoi? Sept provinces, 50 % de la population, merci, bonjour, c'est tout. À partir de ce moment, on a été alerté à d'autres possibilités. Quand est arrivé le coup de force unilatéral fédéral, il fallait aussi démontrer à Londres - parce qu'il y avait toute une opération à Londres qui avait été réussie par le Québec et qui a ébranlé Ottawa - ...et si notre opération n'a pas marché jusqu'à la fin, ce n'est pas parce qu'on a réussi à Londres, c'est parce qu'il s'est passé autre chose ici une certaine nuit où on donnait des morceaux d'accord à des provinces pour qu'elles abandonnent le Québec. Cela a toujours été la stratégie du gouvernement fédéral d'empêcher un front commun. Nous le savions depuis le début parce qu'on se renseignait.

Devant cela, il y avait une façon d'en sortir. J'entends les gens nous dire: Vous n'auriez jamais dû vous allier à d'autres provinces. À qui se serait-on allié? Aux États-Unis? S'allier à M. Trudeau? Voyons donc! Il n'y avait qu'une façon pour nous d'empêcher le coup de force unilatéral fédéral et, de fait - vous nous parliez de précipitation - on a commencé à avoir un accord avec les autres provinces en octobre 1980. Cet accord du mois d'avril est arrivé six, sept ou huit mois après et on a tenu le gouvernement fédéral alors qu'on avait eu un non au référendum, proposé par qui? Les noms? Par des qens qui sont en partie ici autour de la table. A ce moment-là, que voulez-vous? On avait une majorité de provinces qui ne voulaient pas de veto avec le gouvernement fédéral pas plus fiable qu'il fallait, on s'est dit: II faut trouver un moyen de sauvegarder ce qui est essentiel pour le

Québec, c'est-à-dire le pouvoir - justement, vous l'avez dit vous-même - de refuser des arrangements qui ne nous conviendraient pas. (21 heures)

Or, il est arrivé une province - je vais lui rendre hommage - qui s'appelle l'Alberta. L'Alberta nous est arrivé, à un moment donné, avec une formule. Ils ont dit: Nous autres, on veut sept provinces, 50 % de la population, pas d'autre chose, sauf dans un cas. On a dit: Lequel? Ils ont répondu: Le cas des richesses naturelles; là si le fédéral veut prendre nos richesses naturelles et si les autres provinces sont d'accord, nous, on les garde. Alors, j'ai dit: Un instant, c'est une excellente idée; on va l'élargir; dès que le fédéral voudra prendre une responsabilité appartenant à des provinces, la province qui ne voudra pas que ce soit centralisé à Ottawa aura le droit de garder sa responsabilité. Mieux encore. On a dit: Savez-vous, ce serait très juste que le fédéral compense la province qui va ainsi garder sa responsabilité, alors qu'Ottawa, lui, va payer dans les autres provinces.

Alors, quand on a fait cette suggestion, les autres provinces nous ont dit: Cela n'a pas de bon sens; on ne peut pas accepter ça. Les fédéraux nous ont dit: C'est une prime à la séparation, votre compensation. Votre droit de retrait, ça n'existe nulle part. Oh mon Dieu! j'ai pensé que Jean Chrétien ferait une appoplexie à un moment donné.

Bon. Finalement, on a réussi ça. On a réussi a obtenir la compensation. Ça n'a pas été facile. Vous n'avez rien vu encore. Bien! vous ne verrez pas ça. Trudeau ne ressuscitera à Ottawa, j'espère! Je vais ajouter autre chose. Les autres provinces étaient tellement hostiles à l'idée de la compensation qu'on l'a imposée pendant notre élection ici, parce qu'elles savaient qu'on allait gagner l'élection. Le soir du 15 avril, là-bas, qu'est-ce qu'on découvre dans l'accord? - on n'avait pas suivi ça, on était en élection; c'était quand même une autre priorité - qu'elles avaient mis une provision, comme on dit en bon français, exigeant, que lorsqu'on exercerait le droit de retrait, ça prenne les deux tiers des voix de l'Assemblée législative, nationale, ici, et législative dans les autres provinces. On a dit: Jamais!

Tantôt, j'ai lu la lettre de Lougheed. Il disait qu'on avait discuté jusqu'aux petites heures du matin, parce qu'il a fallu les convaincre d'enlever leur deux tiers et elles l'ont enlevée, cette clause des deux tiers. Finalement, on a gagné le droit de retrait avec compensation.

Maintenant, vous me parlez du veto. Personne ne voulait en entendre parler du veto. C'est sûr qu'on ne l'a pas obtenu à ce moment-là, mais, on s'est dit, qu'à partir du moment où ils reconnaissent un droit de retrait avec compensation, on protège les pouvoirs.

Vous vous servez souvent de l'argument que le poids politique du Québec peut permettre un tas de choses qui ne sont pas écrites. Justement, on s'est dit: Si cette affaire-là tourne mal, on pourra toujours refuser la constitution. C'est ce que nous avons fait. Ils ont reconnu le droit de retrait avec compensation. Ce sont les fédéraux qui ont fait enlever la compensation dans la nuit du 4 au 5 novembre quand ils ne nous ont pas invités.

On nous a dit: Vous étiez à Hull. Vous auriez pu... Vous étiez - comment ca s'appelle? - à la Plaza de la Chaudière à Hull. Comment se fait-il que vous n'étiez pas à Ottawa? On n'était pas à Ottawa, parce que ça faisait sept ans que les délégations du Québec séjournaient à cet hôtel qui a été construit pour les déléqations du Québec. On allait à Hull et tout le monde le savait; on était à un mille de distance.

Par exemple, cette nuit-là, ils ont rejoint le premier ministre du Manitoba qui était retourné chez lui pour ses élections. Grand bien lui fasse! Il a perdu après. Ils l'ont rejoint à 1000 rniîles de distance. Nous, on était à un mille; ils n'ont pas téléphoné. Alors, cette nuit-là, on n'était pas là. Les gens d'Ottawa ont fait supprimer la compensation fiscale à une province qui se retire d'un amendement constitutionnel. M. le Président, dans ça, il y a eu un accord avec les autres provinces dans lequel il y avait des éléments. Cet accord était conjoncturel et destiné à une opération politique précise en vue de sauvegarder le Québec par rapport à la menace qu'Ottawa représentait. D'abord, il y a ça. Deuxièmement, cet accord, ils ne l'ont pas respecté; ils en ont enlevé des morceaux.

Ne venez pas nous reprocher maintenant un morceau qui en faisait partie à l'époque, alors que tout l'accord est tombé, d'une part, parce qu'Ottawa n'a pas reculé et, d'autre part, parce que les autres provinces ne l'ont même pas respecté. Alors, à ce moment-là, il ne faut pas venir aujourd'hui prendre un morceau d'accord et nous dire: Vous avez acceptée un principe éternel. Ce n'est pas vrai. Moi, je ne veux plus jamais plus entendre quiconque dire: Vous avez accepté ceci ou refusé cela. Je viens de mettre fin à un certain nombre de légendes. II y a d'autres détails que je pourrais ajouter. Mais je commence à en avoir assez d'entendre dire depuis des années: Vous avez laissé tomber le veto, vous avez fait ceci ou cela.

On a fait ce qu'on pouvait faire à ce moment-là avec un non référendaire, premièrement, et, deuxièmement, on a obtenu quelque chose de fondamental, c'est le droit de retrait avec compensation qui est maintenant ajouté. Maintenant, il y a un veto pour toutes les provinces, pour le Sénat.

Tant mieuxl Cela va empêcher de changer te Sénat. Cela ne m'empêchera pas de dormir. Cela n'est pas grave.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Morin.

M. Morin: On peut bien arrêter là.

M. Rémillard: Est-ce que je peux compléter par une question. H y a quand même une question que je vous ai posée qui n'a pas eu de réponse. Je pense que ça peut aider. Cela permet à M. Morin d'expliquer des choses et c'est intéressant de l'entendre.

M. Morin: Je vous remercie...

M. Rémillard: Non, je trouve cela intéressant. J'aurai toujours un grand plaisir à entendre M. Morin. M. Morin, j'ai toujours une question à vous poser. Dans cette entente du 16 avril 1981 qui était fondée sur l'égalité des provinces - je pense que vous l'admettez que c'était ça - pourquoi n'avez-vous pas prévu de formule quant aux institutions? II y a un autre élément que je voudrais vous citer.

M. Morin: Écoutez...

M. Rémillard: Quand vous citez mon livre, vous vous êtes arrêté juste avant. Je dis que Claude Morin avait établi une habile diplomatie - vous êtes un habile diplomate, j'en conviens - avec les autres gouvernements provinciaux malgré, le handicap que pouvait signifier l'option souverainiste du gouvernement péquiste. Il faut dire qu'il fallait le faire quand même. Vous aviez une option indépendantiste et vous alliez négocier la réforme du fédéralisme. Là-dessus, je vous le dis. Deux lignes plus bas, à la page 129, je dis: "Ce droit de retrait avait un désavantage majeur en ce qu'il ne pouvait s'appliquer dans le cas des institutions fédérales. En effet, on ne se retire pas d'un amendement aux pouvoirs du Sénat ou de la Cour suprême, par exemple. Il est difficile de croire que cette faille, lourde de conséquences pour le Québec, ait échappé aux conseillers du premier ministre Lévesque." Est-ce que cela vous a échappé, monsieur?

M. Morin: Absolument pas. Je vous ai dit tantôt qu'on a fait ce qu'on a pu. Étant donné le non référendaire que les libéraux québécois avaient tâché d'obtenir, que voulez-vous à ce moment-là, c'était évident. C'était notre argument pendant la campagne référendaire. Je me souviens, à un moment donné, m'être fait attaquer pour avoir dit: Si on répond non, que voulez-vous, on va passer au "cash". C'est exactement ce qui est arrivé. On l'a dit. En outre, ils n'ont même pas respecté - vous te savez très bien -leurs promesses à ce moment-là. Vous avez un cas historique de détournement de votes, M. le Président.

Je ne continuerai pas à citer le livre du ministre, mais je peux dire qu'à un moment donné il trouve que la formule du droit de retrait n'est pas du tout vilaine, quand il dit: "Malgré le handicap que pouvait siqnifier l'option souverainiste du gouvernement péquiste". Je vous ferai remarquer que M. Lanqlois a dit ici même que c'était une bonne chose que le Parti québécois ait été élu. Il l'a dit, je pense, hier ou avant-hier. Vous vous entendez là-dessus.

M. le Président, je vais terminer. Il y a une question qui m'a été posée tout à l'heure, je ne me souviens pas exactement laquelle. Historiquement donc, le droit de veto - il faut bien le reconnaître, même si on en parle encore aujourd'hui - à partir du fait que la Charte de Victoria ait été refusée, n'était presque plus récupérable. C'est aussi simple que cela. Vous aviez l'expansion de l'Ouest qui ne voulait pas être bloqué par le Canada central, à moins d'avoir un droit de veto pour tout ce qu'elles en sont, ce qui vient d'arriver pour toutes les institutions. Grâce au ciel, on a qardé la formule de retrait avec compensation. Je pense que c'est un gain majeur et je suis très fier d'y avoir participé à l'époque. Ce qui arrive aujourd'hui quant à la formule d'amendement ne serait pas possible si cela ne s'était pas produit à ce moment-là.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition. Votre enveloppe de temps est au-dessus de quinze minutes.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je ne voudrais pas abuser de nos autres invités non plus. Donc, j'essaierai de prendre le moins de temps possible.

M. Morin, le ministre tenait beaucoup à parler du passé. Je pense que vous lui en avez donné quelques morceaux. Je ne pense pas qu'il s'attendait à du bois vert comme cela. Mais peut-être que cela va le rendre un peu plus sage dans ses commentaires sur le passé maintenant. Je pense qu'il vient de nous instruire et il vous a permis, M. Morin, de rectifier un certain nombre de faits de l'histoire.

Au coeur de cela, il y a le fait que, dans ces élucubrations de 17° niveau intellectuel chez tes juristes, on oublie parfois la notion de rapport de forces. Ce que vous nous avez démontré, M. Morin, c'est qu'au mieux de ce que pouvait faire le Québec dans les circonstances, notamment à cause du non au référendum, notamment à cause des engagements des gens du comité du non, y compris M. Trudeau qui avait dit

qu'un non veut dire un oui à la réforme du fédéralisme, vous avez conduit le navire de la défense du Québec dans des circonstances extrêmement difficiles, sur le plan du rapport de forces. Je pense que vous êtes allés au maximum de ce qui était possible dans les circonstances. Si, au moins, on pouvait dire la même chose du lac Meech, je serais quelque peu satisfait, mais on ne peut pas dire la même chose du lac Meech parce qu'il n'y a rien qui menace le Québec en ce moment. Il n'y a rien, sinon l'empressement du premier ministre fédéral à vouloir signer rapidement.

Je ne sais pas qui me disait de l'autre côté ou d'ailleurs, l'autre - jour, que, si le premier ministre du Canada avait pu vendre le Yukon aux Eskimaux, aux communistes ou aux Soviétiques en fin de semaine dernière, il l'aurait fait s'il avait été convaincu qu'il ramassait 25 votes de plus. Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit qui menace le Québec en ce moment. Donc, les conditions d'exercice du rapport de forces sont très différentes. Puisqu'elles sont différentes, on peut trouver que ce gouvernement a réglé au lac Meech pour si peu et qu'il aurait avantage à attendre. M. Morin, je veux qu'on cesse de parler du passé. J'aimerais qu'on parle un peu d'avenir. Pourriez-vous, pendant quelques minutes, nous parler un peu du pouvoir de dépenser, compte tenu de votre vaste expérience dans ce secteur, mais un peu avec une perspective d'avenir? Par exemple, d'après vous, est-ce que cette demande est importante, et dans quelle mesure et sous quelle forme doit-elle se réaliser?

M. Morin: À cet égard, quand j'ai entendu les conclusions du lac Meech, j'ai tout de suite eu des appels téléphoniques de journalistes, et je suis passé, à un moment donné, à la télévision, je pense, en m'en prenant surtout à la notion de la société distincte à propos de laquelle je trouvais qu'on manquait énormément de précision, ce que j'ai répété aujourd'hui. Mais je n'ai pas beaucoup parlé du pouvoir de dépenser, tenant pour acquis que c'était un progrès. Et je l'ai peut-être dit comme cela, je ne me souviens pas. J'ai dit certainement à une émission de radio qu'il y avait quelque chose à regarder là-dedans.

Aujourd'hui, je crains, c'est curieux, mais peut-être qu'au delà de la société distincte, c'est la chose la plus danqereuse, à moins que je ne sache pas lire. J'ai écouté les avis des spécialistes qui sont venus, des juristes qui sont très compétents en la matière, Mme Lajoie, la semaine dernière, que je n'avais pas entendue depuis des années. Ce que j'ai entendu à propos du pouvoir de dépenser me confirme dans cette appréhension presque absolument concrète! En acceptant un texte du genre de celui qu'on a ici, le Québec lui-même - je l'ai dit tantôt -accepte le pouvoir d'Ottawa d'intervenir dans tous les domaines de compétence provinciale. Tout ce qu'on a, c'est la compensation, à ce moment-là, en utilisant l'argent aux mêmes fins.

Je vais prendre un exemple qui va peut-être vous sembler étranqe, farfelu même, mais on ne sait jamais. Ma devise en politique, je le répète assez souvent, ce n'est pas "je me souviens", c'est "on ne sait jamais". Supposons qu'à la suite d'une commission royale d'enquête quelconque à Ottawa, on décide que l'unité nationale canadienne aurait besoin pour se manifester davantage et être davantage renchaussée ou rendue plus solide, qu'il y ait dans l'ensemble du Canada un manuel d'histoire où l'on enseiqnerait la même histoire à tous les enfants canadiens de quelque province qu'ils soient. À partir de cela, le fédéral décide d'organiser des cours. C'est un domaine de compétence provinciale exclusive, mais il dit aux provinces: Je suis disposé à payer 50 0.00 000 $ ou 200 000 000 $, peu importe, et à rembourser les provinces qui vont donner dans leur territoire un enseignement fondé sur le livre unique dans tout le Canada sur l'histoire canadienne.

À ce moment-là, le gouvernement fédéral interviendrait dans un domaine de compétence provinciale exclusive avec la permission implicite du Québec puisqu'on aurait signé, dans la constitution, le droit pour le fédéral de faire ce que je viens de dire, et le seul choix qu'on aurait, compte tenu de la formule actuelle dans ces conditions, c'est que le Québec pourrait dire: Je ne veux pas de votre programme. Le fédéral dirait: Très bien, vous avez droit sur 100 000 000 $ à 30 000 000 $, mettons, prenez les 30 000 000 $, mais, à ce moment-là, vous devez utiliser cette somme à des fins conformes aux objectifs nationaux, c'est-à-dire faire le même type d'enseignement au Québec. Voilà un exemple. Je peux en imaginer des tas, et je peux imaginer un programme de réfection de trottoirs dans les municipalités dans l'ensemble du Canada. Je peux imaginer n'importe quoi. (21 h 15)

Or, dorénavant tout est possible avec ce texte. Le fédéral a la permission d'intervenir dans tous les domaines de compétence provinciale, on dit "exclusive", on ne dit pas "domaines de compétence provinciale", on dit "domaines de compétence provinciale exclusive", c'est-à-dire tout. Donc, il n'y a plus de limites à ce que Trudeau appelait tantôt ce pouvoir que le gouvernement fédéral a d'intervenir dans les domaines de compétence des provinces. Contre cela, la seule protection qu'on a est en cellophane. Tout ce que vous avez au fond, c'est le droit de vous retirer en faisant la même chose. Le pouvoir de dépenser est

une mine, pour le gouvernement fédéral, qu'on lui reconnaîtrait. Reconnaître cela au gouvernement fédéral, compte tenu des tendances qui peuvent se manifester - je vais utiliser une image - c'est un peu comme confier la garde d'une banque de sang à un vampire ou au comte Dracula, si vous voulez. Il va se servir et il va s'en servir. C'est dangereux le pouvoir de dépenser. Je ne dirais pas que cette question est plus importante que la société distincte, mais j'espère qu'on ne s'embarquera pas là-dedans sans les garanties essentielles. Vous avez demandé au pouvoir fédéral d'être limité; s'il était limité, ce ne serait pas cette forme-là que le texte aurait aujourd'hui. Donc, M. le Président, je voulais signaler que, pour moi, cet élément fait partie de ce que j'ai découvert depuis dans ce texte-là, après lecture plus approfondie.

M. Johnson (Anjou): M. Morin, juste en une phrase, je suis sûr que vous pourrez répondre à ma question, si cela ne dérange pas trop la députée de Vachon. Compte tenu des réserves que vous avez exprimées sur le pouvoir de dépenser, que vous jugez dangereux et que vous jugez dans sa formulation actuelle comme ne correspondant pas à l'objectif du gouvernement de le limiter, au contraire, et deuxièmement, compte tenu des réserves que vous avez exprimées sur un concept sans signification, appelé par quelqu'un d'autre "insignifiant", qui est celui de la société distincte, considérez-vous globalement que le Québec, non pas sur le plan juridique, mais sur le plan politique, a intérêt à signer cet accord dans le contexte actuel, en dépit des progrès relatifs, comme vous les avez qualifiés, dans le secteur de l'immigration et de la Cour suprême?

M. Morin: C'est au fond une question de prix et de coût. Cela nous coûte quelque chose au Québec d'adhérer au résultat d'un triple mépris, comme je l'ai dit tantôt. Est-ce que la compensation qu'on nous donne est suffisante actuellement? Je pense que non. Je ne dis pas que tout ce qui est dans l'accord est mauvais. C'est une chosel Tout n'est pas mauvais. La formule d'amendement est bonne, par exemple. Il y a des choses qui sont regardables par ailleurs. Mais est-ce que cela, c'est assez? La réponse est non en ce qui me concerne.

Ayant vécu l'expérience de 1981, la connaissant de l'intérieur, je savais qu'elle était une entreprise absolument gigantesque pour priver le Québec de ses pouvoirs en matière de langue française. C'est cela, l'objet de la Charte des droits et libertés. Avez-vous remarqué que le seul endroit où il n'y a pas de clause nonobstant dans la Charte des droits et libertés, cela porte sur les questions linguistiques justement. Dans le reste du Canada et à Ottawa, on s'est déclaré heureux à un moment donné quand la Charte des droits et libertés a été adoptée, parce que justement cela limitait les pouvoirs du Québec de léqiférer en matière de français. Ce sont des francophones québécois - que je ne nommerai pas, mais si on insiste je le ferai - représentants du Québec qui étaient heureux de voir qu'à l'Assemblée nationale du Québec, par la charte des droits, toute l'opération constitutionnelle conduite par les libéraux fédéraux se terminait en réduisant les pouvoirs du Québec en matière de langue française? Ne serait-ce que pour cela, on ne récupère pas ces choses-là. C'est ce que Léon Dion suggérait. Je ne comprends pas qu'on ait signé un machin comme cela, sans avoir la garantie qu'on va au moins aller chercher des pouvoirs en matière de langue. On fera ce que l'on voudra avec, après, quand ils seront revenus ici, mais je n'accepte pas et je n'accepterai jamais qu'à la suite de l'opération illégitime qui s'est passée en 1981, on soit pour toujours privés dans le système fédéral de cet instrument majeur dans la société québécoise que l'on dit distincte, mais dont on ne voudrait pas qu'elle se distinque.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Morin.

M. le député de Lac-Saint-jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. M. Morin, il y a plusieurs organismes, particulièrement les centrales syndicales - je pense à la CSN, la CEQ, ta FTQ, qui sont venus ici en commission et Dieu sait qu'ils s'y connaissent en négociations - qui sont venus dire au gouvernement: C'est carrément insuffisant, le contenu de cette entente du lac Meech, et si le gouvernement libéral signe cette entente, il est évident qu'il n'y aura pas du tout de nouvelles rondes de négociations et toutes les autres revendications dont certaines sont qualifiées de traditionnelles au Québec vont être "tablettées", si vous me permettez l'expression, pour longtemps.

Le gouvernement répond: C'est vrai qu'il n'y a que cinq points, mais l'entente prévoit une seconde ronde dont le premier point, vous l'avez mentionné, sera le Sénat. Ce qui intéresse énormément les électeurs de mon comté, je dois vous le signaler. Cela les passionne beaucoup que ce soit le Sénat qui soit le prochain sujet de la deuxième ronde de négociations. Ma question au fond est la suivante: Que pensez-vous d'une seconde ronde de négociations? Quel est, selon vous, le sérieux d'une seconde ronde de négociations lorsque le gouvernement libéral aura siqné un accord constitutionnel sur la base du communiqué du lac Meech?

M. Morin: M. le Président, en entendant ta question, j'ai eu une sorte de "flash" sur 25 ans, quand je suis devenu tout jeune sous-ministre et par la suite. J'ai toujours entendu dire: On ne fait pas cela cette fois-ci, mais cela va venir dans une prochaine ronde de négociations. La première fois que j'ai dû entendre cela, je me demande si ce n'était pas M. Pearson, qui était quand même bien disposé à l'égard du Québec à l'époque et qui l'avait dit à M. Lesage. En 1964, je pense qu'il y avait eu une réunion à Québec. Pendant toutes ces années, on n'a pas encore réglé le problème du partage des pouvoirs. II existe des tonnes de papier, ainsi que des mémoires considérables; je ne vous dis pas qu'ils sont parfaits, que tout est correct et que tout est à jour. Mais il y a une chose qui m'a frappé, c'est que chaque fois qu'on nous disait: On fait un premier pas qui sera suivi par d'autres. En réalité, c'était toujours le dernier qu'on faisait; quand il y en avait un autre après, c'est parce qu'il y avait des pots cassés à régler ou quelques fils qui pendaient et auxquels on n'avait pas pensé à l'époque.

C'est exactement ce qui arrive maintenant. S'il y a actuellement une négociation, ce n'est pas pour l'avenir, c'est pour régler ce qui est injuste depuis 1982 par rapport au Québec. On nous dit qu'il y aura d'autres rondes après! La première qui est prévue, c'est sur le Sénat; les autres, en quelle année? Les conservateurs à Ottawa ne seront plus au pouvoir à ce moment-là; il va peut-être y avoir un autre gouvernement et je ne sais pas si les priorités ne changeront pas. Je n'ai aucune confiance, M. le Président - et là, j'admets être peut-être influencé par l'expérience que j'ai eue - dans ces promesses de renouveau. Il n'y a personne pour qui cela presse dans le reste du Canada, sauf au Québec, de changer fondamentalement le système fédéral canadien. Je ne parle même pas de la souveraineté. Il n'y a personne que cela intéresse. Alors, comment voulez-vous qu'ils se pressent aux portes pour accepter les desiderata du Québec, alors qu'en ce qui nous concerne actuellement, ils n'ont pas été très loin sur plusieurs sujets.

M. Brassard: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le député du Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: ...si je vous comprends bien, M. Morin, vous dites que, dans les circonstances, tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas un contenu satisfaisant au point de vue constitutionnel, il vaut mieux ne pas signer et qu'il est illusoire de penser qu'on puisse accomplir de nouveaux progrès dans une seconde ou une troisième ronde après celle-ci.

M. Morin: Je ferais une distinction. Je dirais que, pour ce qui est de l'avenir, je ne crois à rien. D'accord! Au point de départ, dans les rondes, 2e, 4e ou 9e, je ne crois pas à cela. En d'autres termes, si je signais cet accord d'aujourd'hui, donc le "Canada Bill" de 1982, ce ne serait pas à cause de promesses concernant l'avenir. Je n'y crois pas. Quiconque serait dupe et naïf de le croire. Donc, ce ne serait pas pour cela. J'exclus les promesses pour l'avenir. Je n'y crois pas.

Ce serait donc pour d'autres raisons, c'est-à-dire une correction fondamentale qui serait apportée au "Canada Bill" de 1982. Et, essentiellement, cette correction fondamentale ne peut se manifester, dans les cinq points qui sont là maintenant, qu'à l'égard de deux; le pouvoir de dépenser, dont j'ai dit tantôt qu'il fallait qu'il soit très strictement balisé - je ne répète pas ce que j'ai dit - et la société distincte, qui est un concept à développer davantage. À ce moment-là, je comprendrais peut-être le gouvernement libéral de signer cela, avec la phrase de Léon Dion et toutes ces choses-là. Par contre, si vous me demandez si je trouve que ce serait suffisant, je suis obligé de vous dire que, pour moi, non, ce ne le serait pas. On n'a pas travaillé pendant 25 ou 30 ans - je ne parle pas de mot, je parle des Québécois, de tous ceux qui se sont succédé, de tous les chefs de parti, de tous les premiers ministres que j'ai pu connaître - ils n'ont quand même pas pensé à tout cela au cours des années et déployé très sincèrement tous ces efforts - ils n'étaient pas du même parti - pour en arriver à une vague société distincte dont on ne sait pas comment les juges l'interpréteront parce que les politiciens, aujourd'hui, ne sont même pas capables de la définir correctement et avec un pouvoir de dépenser qui serait à peine balisé. Est-ce que ce serait pour cela qu'on aurait fait ces efforts pendant 25 ans? Ce n'est pas assez, M. le Président. Je ne l'accepterais pas. Peut-être que le gouvernement actuel peut s'en contenter parce qu'il y a toutes sortes de notions du fédéralisme. Il peut accepter un fédéralisme où il y a une relation de domination du fédéral sur les provinces. Bon! d'accord. Pour ma part, ce n'est pas ma conception du fédéralisme et je ne parle pas comme cela parce que je suis d'option souverainiste. Je suis quand même en mesure de faire la part des choses. Pour moi, un système fédéral est un système où les ordres de gouvernement se respectent. Par te pouvoir de dépenser qu'on a maintenant, tel qu'il est là, c'est la tentation permanente du manque de respect et du mépris. Par l'absence de précision et surtout la non-récupération des pouvoirs en matière de langue, c'est un mépris par rapport à cette société qu'on dit distincte. Dans ces conditions, je ne signerais pas.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition, le temps...

M. Johnson (Anjou): Brièvement. Simplement...

Le Président (M. Filion): ...est épuisé.

M. Johnson (Anjou): ...pour vous remercier, M. Morin, en dépit du fait qu'on vous ait livré de l'autre côté à une demi-heure de questions sur le passé. Je veux vous remercier à la fois de la façon avec laquelle vous avez répondu à ces questions qui, encore une fois, je l'espère, amèneront le ministre à être plus équilibré, plus prudent dans ses propos quant au passé. Deuxièmement, je veux vous remercier des éclaircissements donnés pour l'avenir. Merci.

Le Président (M. Filion): Â mon tour, M...

M. Lefebvre: Est-ce que je pourrais avoir le même consentement?

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je pourrais obtenir le même consentement qui permettrait au ministre...

M. Rémillard: De vous remercier.

M. Lefebvre: ...de saluer le professeur Morin tout comme le chef de l'Opposition vient de le faire.

M. Rémillard: M. Morin, je voudrais moi aussi vous remercier de votre témoignage. Vous nous avez expliqué beaucoup de choses du passé. Pour ma part, je n'ai pas nécessairement des réponses à tout. Vous me dites qu'on termine maintenant avec l'entente du lac Meech cette formule d'amendement que vous avez inauqurée de fait. On récupère le droit de veto sur les institutions que vous aviez peut-être oublié. Mais regardons l'avenir. Pour ma part, je crois que cette entente est historique et qu'elle répond très bien... Je termine là-dessus. Dans un article que vous signiez dans les Cahiers de Droit de 1985, vous disiez ceci: "II me paraîtrait normal, ne serait-ce que pour coller vraiment à la réalité, que la constitution reconnaisse l'existence au Québec d'une société distincte. Dans le même ordre d'idées et en conséquence, il faudrait que soit nommément admis le principe de la dualité canadienne." C'est ce que fait l'entente du lac Meech. M. Morin, je vous remercie d'avoir témoigné ce soir en toute amitié.

M. Morin: M. le Président, je voudrais remercier tous les gens qui ont eu la patience de m'écouter. J'ai dit ce que je pense. Justement, à cet égard, je vais continuer dans la même ligne.

Le ministre sollicite un peu mon texte quand il fait rétroactivement ou postérieurement ou prospectivement appuyer, par un document que j'ai écrit en 1984, un communiqué de presse qui surqit en 1987. M. le Président, je ne retire rien de ce que j'ai dit. Il s'agissait d'un article que le ministre actuel m'avait lui-même demandé à l'époque pour la revue dont il s'occupait. Voilà, M. le Président.

Le Président (M. Filion): À mon tour, M. Morin, je vous remercie de vous être déplacé et de nous avoir livré le fruit de votre expérience.

Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 21 h 29)

(Reprise à 21 h 40)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaîtï Je voudrais inviter notre prochaine intervenante, Mme Lise Marcoux du Rassemblement démocratique pour l'indépendance à bien vouloir prendre place à l'avant à la table des invités. Elle a déjà remis au secrétariat un document qui est le texte de son mémoire présenté à cette commisison permanente des institutions et que je considère, aux fins de notre procès-verbal, comme étant déposé. En même temps, je vais demander à notre invitée de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent. Je lui rappelle éqalement que le temps alloué est de 60 minutes, soit 20 minutes pour l'exposé et 40 minutes pour dialoguer avec les membres de cette commission.

Je le dis à la fois pour nos invités et aussi pour ceux et celles qui nous écoutent à la télévision: cette enveloppe de 60 minutes ne peut pas être réduite, mais elle peut, dans certains cas, être dépassée, avec le consentement des parlementaires, comme on l'a vu avec l'invité précédent et également avec d'autres invités. Cette période de 60 minutes, du consentement de tous les parlementaires membres de cette commission peut donc être étendue, mais ne peut pas être réduite. Ce qui me permet, Mme Marcoux de vous demander de bien vouloir accepter nos regrets pour ce délai à la présentation de votre mémoire et à l'échange de propos que nous amorcerons tantôt avec vous. Si vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent.

Rassemblement démocratique pour l'indépendance

Mme Marcoux (Lise): À ma gauche, Mme Sylvie Schirm, secrétaire générale du Rassemblement démocratique pour l'indépendance et, à ma droite, Claude Saint-Germain, membre du bureau national du Rassemblement démocratique pour l'indépendance.

Tout d'abord, j'aimerais remercier la commission, et surtout l'Opposition officielle, d'avoir rendu possible notre présence à cette commission parlementaire. Il est important que le plus grand nombre de Québécoises et de Québécois puissent s'exprimer sur une question aussi fondamentale pour l'avenir du peuple québécois. Nous nous étonnons d'ailleurs de l'empressement avec lequel le gouvernement actuel du Québec veut bâcler l'adhésion officielle du Québec à la constitution canadienne.

Toute la stratégie employée jusqu'à maintenant nous porte à croire que, si cet accord est signé, ce ne sera pas l'expression de la volonté populaire québécoise, mais uniquement la volonté du système fédéral d'en finir avec le cas du Québec au plus tôt.

Il est inadmissible de donner un sens aussi restreint aux principes démocratiques de notre société en écartant toute possibilité d'un large débat public. La grande majorité des citoyennes et citoyens du Québec ne peuvent saisir actuellement les enjeux du geste que le gouvernement s'apprête à poser du fait qu'ils et qu'elles ne sont pas informés du contenu de l'accord.

Lorsqu'un chirurgien propose à un individu une intervention chirurgicale sans qu'il n'y ait toutefois de caractère d'urgence, il lui en explique tout le processus. Il pèse avec la personne concernée le pour et le contre afin que cette dernière soit en mesure de prendre la meilleure décision qui lui permettra d'améliorer sa condition de vie. Dans le cas présent, il est proposé aux Québécoises et aux Québécois l'opération la plus fondamentale qui soit en impliquant leur vie et leur santé collective et ce, pour des générations. D'ailleurs, quand le chirurgien s'adresse à son éventuel patient, il vulgarise le langage des experts, le langage professionnel. Le gouvernement du Québec, lui, n'a pas réussi à relever ce défi.

Un autre fait accablant s'ajoute: Le gouvernement ne présente pas les véritables mots, les véritables phrases. Le texte sur lequel nous nous penchons n'est pas le texte constitutionnel, le texte juridique. Il est donc impossible que le gouvernement nous porte préjudice si nous nous attaquons à l'esprit du texte plutôt qu'à sa lettre puisque c'est lui-même qui amorce ce processus en nous faisant prendre position sur un communiqué de presse. C'est comme si notre chirurgien de tout à l'heure présentait un diagnostic officieux parce qu'il n'aurait pas reçu le rapport officiel des examens. D'où le doute et l'incapacité de lui donner entière confiance.

Comme notre nom l'indique - Rassemblement démocratique pour l'indépendance -nous sommes indépendantistes et désirons construire le pays du Québec plutôt qu'adhérer officiellement à la constitution canadienne. Pour nous, il est essentiel que le Québec recouvre l'entière possession de tous les pouvoirs pour assurer le plein développement culturel, social, politique et économique du peuple québécois. Il est nécessaire que nous devenions une nation québécoise libre pouvant déterminer elle-même ses destinées dans tous les domaines.

C'est en fonction de cet impératif que l'accord du lac Meech nous préoccupe au plus haut point. Il est inadmissible de souscrire à un processus qui ne pourrait que détériorer la situation des Québécoises et des Québécois. Il est tout aussi inadmissible que l'État du Québec se décharge de ses responsabilités en matière de langue, de culture et de communications au profit du gouvernement fédéral et de la Cour suprême.

Les nouvelles clauses introduisant la reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte ne reconnaît pas la spécificité du peuple québécois. Il s'aqit du Québec comme société distincte et non pas du peuple ou de la nation québécoise. D'ailleurs, pourquoi ne pas avoir choisi le concept de peuple ou de nation parce qu'un peuple et une nation ont des droits, des privilèges en tant que tels, ce que ne confère pas l'appellation de société distincte.

Si tel était le cas, il y a belle lurette que M. Rémillard se serait fait un plaisir de nous l'expliquer, depuis le début des travaux de la commission. Le fait d'inscrire "société distincte" dans la constitution est comme si nous inscrivions dans une charte des droits et libertés que les personnes sont des personnes humaines sans plus, en ne disant pas ce que cela implique, en ne spécifiant pas quels droits et quels pouvoirs consacrent le fait d'être une personne humaine.

Pourtant, heureusement les chartes indiquent clairement les pouvoirs et les droits qui nous sont donnés en tant que personnes, que ce soit le droit d'expression, le droit d'association ou le droit à sa religion sans discrimination et bien d'autres. Alors, pourquoi ce qui est bon pour les personnes n'est pas bon pour le peuple?

Nous sommes un peuple français qui a une culture bien à lui et cela, la nouvelle constitution ne le reconnaîtra pas. Renforcée par l'accord du lac Meech, elle nous retire le pouvoir légitime de nous donner une identité. Pour mieux comprendre le sens de ces mots, permettez-moi de me référer à la lutte des femmes sans pour autant en circonscrire la portée au strict débat constitutionnel. En aucun temps, les femmes

n'ont laissé à des tribunaux la responsabilité de définir leurs différences sociales, culturelles et économiques. Elles se sont définies elles-mêmes, car faire appel au pouvoir établi, à ce pouvoir qui ne reconnaissait pas leur apport réel à la société, n'aurait pu faire pencher la balance en leur faveur.

Dans le cas présent, on réfère à la Cour suprême la responsabilité de définir le caractère distinct du Québec. C'est inadmissible, d'autant plus que les tribunaux devront tenir compte de deux grands principes inscrits dans la charte canadienne et dans l'entente du lac Meech: premièrement, l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, et deuxièmement la dualité canadienne, c'est-à-dire, l'existence d'une communauté, anglophone et l'autre francophone, toutes deux présentes dans l'ensemble du Canada.

Dans ce contexte, malgré tout le respect que nous portons à la justice et ses instances, n'est-ce pas là nous demander de risquer notre avenir dans une partie où le donneur a tous les as en main? Ne pouvoir dire nous-mêmes qui nous sommes, ne pouvoir même nous poser cette question, c'est nous enlever le droit d'exister avec notre différence.

Il est essentiel que le Québec recouvre tous les pouvoirs, notamment, en matière de langue et de culture. Il en va de la perpétuité de notre spécificité.

L'État, comme représentant de la volonté collective, doit faire en sorte que les particularités de la collectivité soient préservées. À cet égard, son intervention dans le champ de la langue est indispensable. Faire reposer le maintien et le développement du français sur les seules épaules des individus, des institutions privées et des entreprises serait tout simplement suicidaire. Le Québec représente une quantité trop négligeable sur la scène continentale pour que l'action individuelle puisse faire efficacement contrepoids. La pleine souveraineté du Québec en matière linguistique est non seulement souhaitable, elle est par-dessus tout essentielle.

Malgré certains développements positifs qui ont marqué la dernière décennie, la situation du français demeure préoccupante. Le bilinguisme est toujours une condition d'emploi dans nombre de secteurs en dépit d'une faible utilisation de l'anglais. Il y a, de plus, sous-représentation des francophones dans les postes de direction et dans les secteurs de pointe, prédominance de la terminologie anglaise, retour de l'affichage bilingue, omniprésence des produits culturels anglo-saxons et encore beaucoup d'autres.

Les défis qui se posent dans le perpétuel combat de la préservation de la langue ne sont pas nouveaux et les facteurs de dissolution sont toujours aussi nombreux. L'intervention de l'État est nécessaire à plusieurs niveaux. D'abord, l'État doit voir à ce que les francophones puissent s'épanouir dans un environnement au niveau du travail, des loisirs, de la culture, par exemple, où le français est reconnu et accepté comme langue commune.

De plus, dans une société où subsistent et évoluent plusieurs groupes ethniques, l'État doit fournir les conditions maximales pour que ces différents groupes puissent harmonieusement s'intégrer au sein d'une collectivité majoritairement francophone. Choisir de vivre au Québec, à Montréal ou dans d'autres réqions, c'est accepter de vivre en français. Même si nous reconnaissons l'importance pour les différentes communautés culturelles de sauvegarder leur héritaqe, ces dernières doivent participer au développement culturel, économique et politique du Québec à partir d'un dénominateur commun qui est la langue française. Ce faisant, elles doivent accepter les institutions sociales et politiques à travers lesquelles la culture et le vouloir vivre en français se perpétuent et se développent.

La richesse d'une société repose autant sur sa diversité que sur l'identification d'assises, de racines fermement établies, historiquement et sociologiquement. Le français doit être affirmé et consacré comme notre langue commune. Tous les efforts pour que s'établisse cette réalité seront court-circuités tant et aussi longtemps que le Québec ne disposera pas de tous les outils législatifs et constitutionnels. Le déséquilibre entre les mondes français et anqlo-saxon au Canada et en Amérique du Nord est trop important pour qu'il en soit autrement. La loi implacable du nombre jouera toujours contre le Québec, à moins que celui-ci ne dispose de tous les pouvoirs pour infléchir une tendance plus que séculaire à l'intégration culturelle continentale.

La vie culturelle québécoise est fragile et menacée. Son avenir est incertain. Il saute aux yeux que l'intervention active de l'État québécois est une condition essentielle à sa survie et à son épanouissement dans l'immédiat et plus encore à long terme. La raison en est simple. La culture québécoise à dominance française est menacée de toutes parts par la culture anglo-saxonne. Celle-ci a envahi le monde entier. Elle se retrouve sous diverses formes, même dans les pays d'Afrique et d'Extrême-Orient, dans les sociétés socialistes qui pouvaient lui être les plus fermées.

Le Québec, situé à la frontière du colosse américain, est évidemment plus vulnérable encore que tout autre à son influence. Il constitue un marché immédiat, facile d'accès pour tous les produits culturels

anglo-saxons: programmes de télévision, vidéocassettes, disques, revues, magazines. Ces produits entrent à flot au Québec, s'étalent et s'affichent partout. On a longtemps considéré la langue française comme un solide rempart contre cette invasion de la culture anglo-saxonne. Si ce fut déjà le cas, ce ne l'est plus aujourd'hui. La culture anglo-saxonne, portée par les moyens techniques modernes de diffusion et les médias d'information, est partout envahissante sans égard aux barrières de la langue. Son inflence ne passe plus par la langue, mais par le son, par l'image, par les comportements. On pénètre dans la culture anglo-saxonne et on est pénétré par elle sans qu'il soit nécessaire de connaître l'anglais.

La défense contre l'envahissement de la culture américaine, de la culture anglo-saxonne, ne doit pas être pour les Québécois et les Québécoises un repli sur eux-mêmes. Ce doit être une défense positive. Au cours des dernières décennies, les Québécois et les Québécoises se sont ouverts au monde. Ils ont voyagé, séjourné à l'étranger, appris des langues étrangères, accueilli diverses activités culturelles internationales. Bref, ils ont élargi leur horizon culturel et leur vision du monde. Le Québec est passé de la vie de l'huître à celle de l'éponge. Tout cela est positif. Il en résulte un enrichessement humain que nous n'aurions pas connu en nous recroquevillant sur nous-mêmes. Le défi qui est maintenant le nôtre comme Québécois et Québécoises, c'est de maintenir cette ouverture au monde, y compris aux éléments positifs et enrichissants de la culture anglo-saxonne, sans perdre notre identité, sans sacrifier ce qui fait l'originalité, la spécificité du Québec et de son peuple sur ce continent.

Pour réussir cela, la bonne volonté de chacun et de chacune n'est pas suffisante. L'entreprise doit être collective en même temps qu'individuelle. Il faudra une action positive de la collectivité québécoise, appuyée par l'initiative de chacun et chacune. D'une manière plus précise, une politique culturelle spécifiquement québécoise, répondant aux besoins propres du Québec contemporain, sous la responsabilité de l'État et étayée par une large participation collective, est essentielle à la survie de l'identité culturelle du Québec. Une telle politique doit être à la fois le lieu de réflexion sur cette identité en milieu nord-américain et un des leviers d'action collective et individuelle.

Seul l'État du Québec peut compter sur les leviers et tous les moyens nécessaires pour élaborer et mettre en oeuvre une telle politique. Le temps est donc bien mal choisi pour vouloir priver l'État de ses moyens d'actions.

L'entente du lac Meech ne donne pas è l'État du Québec tous les instruments nécessaires; en fait, elle ne lui donne aucun pouvoir d'exclusivité en matière de langue et de culture. Pourtant, il en va de notre avenir collectif.

Cette capitulation du gouvernement du Québec à l'égard de cette nécessité de récupérer des pouvoirs renforce notre certitude que seule l'indépendance politique du Québec assurera notre survie et notre épanouissement dans l'immédiat et plus encore à long terme.

D'ailleurs, nous croyons que seule une constitution québécoise enchâssant, entre autres, une charte des droits et libertés, des droits civils, des droits sociaux et économiques, une charte du français, notre langue commune, peut garantir notre existence politique comme peuple.

La constitution devrait être formulée de façon claire, accessible et cohérente, mieux que celle dont on discute, je l'espère. L'interprétation de la constitution devrait être raisonnablement prévisible.

Le peuple entier, comme corps de la nation, doit être reconnu comme souverain par l'Etat. Il doit disposer du pouvoir ultime d'adopter ou de modifier la constitution.

Pour terminer, j'aimerais reprendre l'image que M. Rémillard a employée hier, lors des travaux de la commission. Il nous disait que le gouvernement construisait le solage d'une maison qui nous plairait.

Sans lui faire la leçon, je travaille professionnellement dans ce secteur, j'aimerais lui signaler que toute bonne construction, une construction solide et réaliste, impose au préalable que nous déterminions le type de maison que nous voulons. Ensuite, vient la division des pièces, les travaux d'ingénierie pour la structure et le solaqe.

Actuellement, le gouvernement construit tant bien que mal un solaqe sans savoir s'il résistera à notre évolution, à notre avenir collectif. La seule idée que nous pouvons nous faire de la maison qui lui plaira est qu'elle n'aura qu'une porte d'entrée et aucune porte de sortie. Une fois fermée, cette porte se rouvrira-t-elle?

Par ce fait, nous croyons que vous encadenassez l'avenir du peuple tout entier. Vous déterminez, sans prendre en considération les aspirations légitimes du peuple québécois, notre destinée collective et celle de nos enfants.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Marcoux, de votre exposé. La parole est donc maintenant aux parlementaires pour dialoguer avec vous. Il reste un peu plus de 20 minutes à chacun des groupes parlementaires.

M. Rémillard: Merci, madame, merci, monsieur. Merci de vous être déplacés et de venir témoigner devant vous sur cette

entente du lac Meech. Vous dites au début de votre mémoire que vous remerciez la commission et surtout l'Opposition officielle d'avoir rendu possible votre présence à cette commission parlementaire. Je peux vous dire que, nous aussi, cela nous fait plaisir de vous entendre. Vous êtes indépendantistes. Vous le marquez dans votre mémoire, mais vous avez la force de vos convictions. (22 heures)

Je pense que c'est bien que des mouvements indépendantistes puissent venir devant cette commission exprimer leurs idées, que nous ne partageons pas de ce côté-ci, remarquez. Je ne sais pas si, de l'autre côté, le chef de l'Opposition les partage. Mais, enfin, nous, de ce côté-ci, nous ne les partageons pas. Mais nous sommes contents de vous entendre. Il nous fait plaisir de vous avoir avec nous ce soir.

Mme Marcoux, à la page 3 de votre mémoire, vous nous reprochez de ne pas utiliser le mot "peuple" ou le mot "nation". On utilise le mot "société". Vous me dites que, si on avait les mêmes droits avec le concept de "société" qu'avec le terme "peuple" ou "nation", je l'aurais expliqué.

Je peux vous dire dès ce soir, que, oui, je crois qu'avec l'expression "société distincte", on peut avoir les mêmes droits qu'avec celui de "peuple" ou de "nation". Là-dessus, je partage parfaitement les vues du chef de l'Opposition qui disait lorsqu'il était ministre des Affaires intergouvernementales et je cite... C'était rapporté dans Le Devoir du 25 janvier 1985. M. le chef de l'Opposition disait: "À l'Assemblée nationale, en décembre, M. Johnson a fait savoir que le Québec ne réclamera pas le droit à l'autodétermination. Selon lui, le Québec l'a déjà, ce droit, et il l'a exercé au moins à deux reprises lors de son adhésion à la Confédération en 1867 et lors du référendum en mai 1980. Le droit du peuple québécois à l'autodétermination constitue un des fondements mêmes de notre société sur le plan constitutionnel depuis 200 ans et cela continuera". "Au surplus", estime le ministre, "il serait extrêmement dangereux pour le Québec de se voir imposer un refus à une demande d'inclusion juridique du droit à l'autodétermination dans la constitution canadienne".

Ce que je veux dire, c'est que tant que nous vivons dans une société démocratique, tant que les groupes comme le vôtre, qui prônent l'indépendance, peuvent venir ici à l'Assemblée nationale - je tiens à ce droit démocratique, vous pouvez en être assurés pour ma part, et par nous tous, de ce côté-ci - le Québec vit dans une société démocratique qui s'appelle le Canada et le Québec est une société distincte à l'intérieur de ce Canada.

D'ailleurs, j'ai remarqué, Mme Marcoux, que, dans votre document de travail de mars 1987, intitulé "Des idées d'avenir", vous écrivez ceci - c'est à la page 5 - "Le nationalisme québécois prend toute son importance dès lors que l'on comprend son rôle essentiel dans notre développement en tant que société distincte." Voyez-vous? C'est mon collègue de Montmorency, tout à l'heure, qui me l'a souliqné. Il a suivi attentivement tous vos travaux. Alors, vous voyez, je pense que vous aussi, vous comprenez que, finalement, c'est une expression qui peut traduire très bien ce que nous entendons par le fait que le Québec, c'est des hommes, c'est des femmes qui partagent un bien commun, qui veulent vivre ensemble, qui ont comme fondement de ce rassemblement, bien sûr, une culture, une langue commune, qui est la langue française, mais aussi des institutions, des façons d'être, des façons de vivre.

Vous avez utilisé ces mots "société distincte", comme l'Opposition l'a fait, comme il y a eu une résolution à l'Assemblée nationale pour utiliser les mots "société distincte". Je peux vous dire que, quand vous regardez très attentivement, Mme Marcoux - je vous le dit très sincèrement -le terme "société distincte", dans le contexte du droit constitutionnel canadien - le mot "peuple", le mot "nation" existe déjà en droit constitutionnel canadien, on l'utilise déjà -ce terme est particulièrement significatif de ce contexte de société distincte.

D'ailleurs, vous l'utilisez aussi à la page 26. Je cite. "La culture sous toutes ses manifestations demeure le ciment social indispensable à la survie de notre communauté, en tant que société distincte." La phrase est jolie. Cela sonne même bien, ciment social indispensable, société distincte, simplement pour vous dire que je pense que vous avez raison d'utiliser les mots "société distinte".

Mme Marcoux: La parole est à moi. Premièrement, j'aimerais dire au ministre Rémillard, qu'avant d'être indépendantiste, je suis une citoyenne du Québec et, qu'à ce titre-là, quelles que soient nos orientations politiques, j'espère que toutes les citoyennes et les citoyens du Québec pourront se prononcer sur le projet que vous présentez et qui a beaucoup d'influence sur notre avenir collectif.

D'autre part, il est vrai que, dans notre document, nous avons utilisé les termes "société distincte". Mais, si vous remarquez, c'est un document de travail sur lequel, nous l'espérons, la réflexion se prolongera au cours des prochains mois. Dans le contexte où le RDI parle de société distincte, je pense que ça prend une tout autre connotation au sens politique du terme que lorsqu'on dit dans un texte constitutionnel, un texte où on concrétisera notre appartenance à l'ensemble canadien, que la

société distincte sera définie, non pas par nous, Québécois et Québécoises auxquels est attribué ce caractère, mais par la Cour suprême.

D'autre part, dans notre document, on parle des pouvoirs qu'on veut au Québec, mais quand vous parlez de société distincte dans le texte de l'accord, jamais vous ne parlez des pouvoirs que cela nous donnera d'être reconnus comme société distincte dans l'ensemble canadien. D'autre part, si vous suivez le mémoire, comme vous l'avez fait tout à l'heure, je vous explique bien, dans un sens, en faisant le parallèle avec la reconnaissance de la personne humaine dans les chartes des droits et libertés, que tant qu'on n'y met pas une description des droits et privilèges accordés à la personne humaine, la personne humaine ne signifie rien. C'est pour cela que, dans les chartes, on parle de droit d'expression, de droit d'association, de toutes sortes de droits et toutes sortes de privilèges: cela donne de la valeur à ce qu'est une personne humaine. Tandis que dans votre concept de société distincte, de la façon dont vous l'avez employé dans ce texte qui deviendra peut-être un jour le libellé constitutionnel - on ne le sait pas -les pouvoirs qui doivent être reconnus à une société distincte ne sont jamais inscrits. C'est peut-être là le plus grand reproche.

D'ailleurs, je voudrais indiquer au ministre que je suis très fière d'être indépendantiste et que je continuerai dans ce cheminement. D'autre part, j'ai voulu démontrer, dans la seconde partie de mon mémoire, que vous nous donnez d'autant plus d'arguments dans notre démarche indépendantiste. Si vous aviez récupéré les pouvoirs, l'exclusivité en matière de langue et de culture, je vous dis qu'il aurait été difficile pour certains indépendantistes d'étayer encore leur argumentation. Au moins, vous nous auriez fait crier moins fort. À l'heure actuelle, vous ne faites que nous dire: Écoutez, vous avez une existence, mais on ne sait pas laquelle; vous avez une spécificité, on ne sait pas laquelle; ce n'est pas vous qui allez la définir, maintenant, c'est la Cour suprême. Je trouve incroyable qu'un peuple ne puisse pas se définir lui-même et qu'on fasse appel à des instances juridiques pour se faire définir. D'autant plus que je crois que le juridique dans toute société vient appuyer le politique et le social et ne doit pas venir prendre l'avant pour dire aux gens qui ils sont, et au peuple surtout.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Marcoux. Je vais maintenant reconnaître un représentant de l'Opposition, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, d'abord une remarque sur les propos du ministre. Il a fait la même chose ce matin quand le Parti indépendantiste s'est présenté devant nous; il afait la même chose également avec le Rassemblement démocratique pour l'indépendance. Il félicite les témoins d'avoir la franchise de faire l'aveu de leur conviction indépendantiste, comme si c'était une tare et qu'il fallait un énorme courage pour l'avouer.

Je signale au ministre qu'être convaincu que le Québec serait mieux et que le peuple québécois se développerait beaucoup mieux sur tous les plans s'il était souverain...

Une voix: ...

M. Brassard: ...je vous l'ai dit ce matin. Mon cher monsieur, attendez, je vais vous le dire carrément, cela fait 25 ans que je le suis, même plus. Exprimer cette conviction, cela ne demande pas du courage, je ne vois pas où il faut du courage pour exprimer une chose comme cela. Je dis tout de suite au ministre: Cessez d'éprouver de l'admiration pour les indépendantistes qui affirment leurs convictions. Cela n'a rien de courageux. C'est simplement qu'ils y croient. C'est normal et ils le disent.

M. Doyon: Cela dépend s'ils sont en élections ou non.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La parole est à M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Je dirai au député de Louis-Hébert que j'ai fait trois élections, et je vous avoue que les 55 000 citoyens de mon comté de Lac-Saint-Jean savent depuis longtemps que je suis indépendantiste. Cela fait très longtemps qu'ils savent que je suis indépendantiste et ils m'élisent quand même, je vous le signale. Là-dessus...

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Louis-Hébert, la parole est au député de Lac-Saint-Jean. Il reste du temps dans l'enveloppe ministérielle. Si vous voulez l'employer, vous pourrez le faire, M. le député de Louis-Hébert, mais j'apprécierais qu'on' respecte le droit de parole du député de Lac-Saint-Jean.

À vous la parole, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, j'invite le député de Louis-Hébert à se rendre dans mon comté et à dire à mes concitoyens, à mes électeurs que leur député est indépendantiste et vous allez voir qu'il ne leur apprendra pas une grande nouvelle, parce que tout le monde le sait.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Brassard: Cela fait plus d'un quart de siècle que j'ai cette conviction profonde et le parti auquel j'appartiens a pour objectif fondamental de réaliser la souveraineté du Québec, au cas où vous ne le sauriez pas, depuis sa fondation; cela fait toujours partie de son programme politique.

Le Président (M. Filion): Est-ce que je pourrais demander peut-être aux... Je comprends l'heure tardive, mais...

M. Brassard: M. le Président, cela ne me dérange pas, cela m'inspire.

Une voix: C'est bien, c'est bien.

Une voix: Elle est bonne, elle est bonne, elle est bonne!

M. Brassard: Cela ne me dérange pas du tout, cela m'inspire.

Le Président (M. Filion): Oui, mais pour le bon ordre de nos travaux.

M. Brassard: Tantôt, le député de Frontenac indiquait au chef de l'Opposition...

M. Lefebvre: J'ai des réserves sur vos propos,

M. Brassard: Non, non, ses convictions indépendantistes sont tout aussi profondes que les miennes...

Une voix: II faudrait qu'il le dise.

M. Brassard: ...et cela fait presque aussi longtemps que moi qu'il est au Parti québécois. Ce n'est pas pour rien qu'il a choisi le Parti québécois; c'est parce qu'il croyait à la souveraineté du Québec. Sinon, il aurait fait comme son frère et il serait au Parti libéral.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Brassard: M. le Président c'était une remarque en passant. Je veux simplement dire au ministre qu'être indépendantiste, cela ne demande pas de courage, cela demande simplement d'y croire, de le dire, de l'affirmer. Ce n'est pas une tare ni une maladie.

Une voix: C'est un péché mortel.

M. Brassard: Cela étant dit, dans votre mémoire, vous allez à l'essentiel, qui est la question linguistique. Compte tenu de l'urgence de la situation, je pense que cette question intéresse l'ensemble de la population. Dans l'entente du lac Meech, vous avez clairement indiqué, vous avez clairement vu qu'il n'y a rien qui protège ou qui aura pour effet d'assurer davantaqe la protection et la promotion de la langue française au Québec. Ce n'est pas par une reconnaissance de la société distincte qu'on va atteindre cet objectif. Vous avez pleinement raison, je pense, de réclamer des compétences exclusives en matière linquis-tique pour le Québec, pour l'Assemblée nationale.

Vous indiquez également qu'il serait temps et qu'il serait souhaitable que le Québec se dote d'une constitution écrite. Il y a seulement trois ou quatre phrases là-dessus dans votre mémoire et j'aimerais que vous précisiez davantage cette idée d'une constitution écrite du Québec dans laquelle on retrouverait, entre autres, des éléments de la charte du français. Vous ne mentionnez pas le droit à l'autodétermination. Est-ce que, selon vous, dans une constitution québécoise, on devrait retrouver ou inscrire le droit du peuple québécois à l'autodétermination?

Mme Marcoux: Évidemment, j'aimerais, avant de répondre entièrement à votre question - je pense que je commence à prendre l'habitude de vos délibérations -indiquer qu'effectivement nous sommes indépendantistes, mais étant conscients et conscientes que l'indépendance du Québec ne se fera pas le 22 mai 1987, c'est-à-dire demain matin, entre-temps, non seulement les indépendantistes, mais toutes les personnes concernées par l'identité québécoise devraient empêcher les détériorations de notre spécificité tant linguistique que culturelle. Ce dont j'ai peur, avant tout, dans l'entente du lac Meech, c'est que dans 20 ou 25 ans, il n'y ait plus de spécificité québécoise tant linguistique que culturelle. C'est ce que j'ai voulu exprimer dans mon mémoire et c'est là où j'ai parlé de l'envahissement de la culture anglo-saxonne et américaine. Il est vrai que j'ai parlé de la langue, mais j'ai parlé de ta culture pour démontrer qu'aujourd'hui et dans l'avenir il est d'autant plus urgent de travailler sur ces matières-là, d'avoir l'exclusivité, parce que, si c'était important de les avoir dans le passé, je pense qu'avec tout le développement des échanges, d'ailleurs, on aura plus de difficulté a conserver notre spécificité et elle sera d'autant plus menacée. (22 h 15)

Vous me parlez de la constitution et, dans mon mémoire, je faisais aussi référence au droit à l'autodétermination. Dans ma conclusion, je parlais d'une maison où il n'y avait qu'une porte; je ne voyais pas de porte de sortie. Je me demandais comment elle pourrait se rouvrir. C'est la référence que je faisais au droit à l'autodétermination. Pour moi, il est évident que, si les Québécois et les Québécoises se donnent une constitution,

s'ils mettent sur papier comment eux-mêmes se définissent - c'est ce que je trouve de plus fondamental - s'ils disent eux-mêmes qui ils sont, quels sont leurs droits, quels sont leurs pouvoirs, quelles sont leurs institutions, quelle sorte de régime politique ils veulent, je pense que, dans ces circonstances, on doit obligatoirement y inscrire le droit à l'autodétermination qui est un droit qui devrait être accordé à tout peuple, d'ailleurs, le pouvoir de se prendre en charge lui-même. Je pense que le Québec, nécessairement, y arrivera un jour et, entre-temps, je crois qu'il ne faut pas - je me répète, mais c'est ce qui, pour moi, est important - enlever d'instruments à l'État du Québec. Au contraire, il faut lui en donner de plus forts, de plus vivants, afin que toute la spécificité québécoise telle qu'elle est aujourd'hui, non seulement demeure, mais évolue.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Marcoux.

Cela va, M. le député de Lac-Saint-Jean?

Je vais maintenant reconnaître M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. Excusez-moi, cela fait presque douze heures qu'on...

Une voix: ...faire rire. M. Trudel: Pardon? Une voix: ...

M. Trudel: Non, c'est Mme ta ministre des Communautés culturelles qui a fait un bon gag.

Mme Marcoux, avant de vous poser une question, je serais presque tenté - je résiste rarement aux tentations, malheureusement -de dire au député de Lac-Saint-Jean qui parlait tantôt... Vous dites qu'être indépendantiste, cela prend du courage. Je lui rappellerai qu'à une certaine époque, être fédéraliste, cela prenait aussi beaucoup de courage. Alors, on admire maintenant ceux qui sont indépendantistes.

Une voix: Oh! oui.

Une voix: Encore aujourd'hui.

M. Trudel: Et, moi, je dis, comme le ministre...

Une voix: Être fédéraliste, ce n'est pas être taré non plus.

Des voix: Ha! Ha!

M. Trudel: Si vous voulez arrêter de me souffler à gauche et à droite, je vais quand même poser la question.

Mme Marcoux: C'est plutôt une conception de l'avenir qu'une notion de courage.

Une voix: Voilà.

M. Trudel: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je n'ai pas la même conception que vous. Je pense que vous me comprenez, mais j'admets facilement avec vous que c'est une conception de l'avenir.

Cela dit, dans votre conception de l'avenir, justement, vous parlez un peu d'immigration et beaucoup de culture. Je vais tenter de relier les deux parce que, dans l'accord du lac Meech, il y a quand même des choses nouvelles, des choses importantes, des acquis importants que le ministre dit historiques. Je suis toujours d'accord avec lui sur ces termes. Vous nous dites, et je vous cite: "De plus, dans une société où subsistent et évoluent plusieurs groupes ethniques, l'État doit fournir les conditions maximales..." Je pense que, dans l'accord du lac Meech, les progrès qu'on a faits au chapitre de l'immigration sont importants et sont même remarquables.

J'aimerais vous entendre là-dessus, mais je veux aussi vous entendre sur la notion de culture qui est un sujet qui me préoccupe particulièrement. Je vous réfère à la page 8. Je pourrais citer toute la page, mais je vais me contenter de vous référer au passage qui commence par: "Le défi qui est maintenant le nôtre comme Québécois et Québécoises, c'est de maintenir cette ouverture au monde, y compris les éléments positifs..." De même, à la page 9, vous donnez, semble-t-il, une définition de la façon dont vous voyez les choses: "D'une manière plus précise, une politique culturelle spécifiquement québécoise, répondant aux besoins propres du Québec contemporain, sous la responsabilité de l'État et étayée par une large participation collective, est essentielle à la survie de l'identité culturelle du Québec." Jusque-là, je serais presque tenté de dire que je suis d'accord avec vous, sauf que - vous me permettrez de vous le dire peut-être un peu brutalement avec un manque total de nuances en raison de l'heure - cela me paraît une belle phrase que j'aimerais vous voir préciser davantage. J'ai l'impression, quel que soit le gouvernement et, malgré ce que sera tenté de dire mon ami de Saint-Jacques, quels que soient les gouvernements au Québec, que dans le domaine culturel, depuis le gouvernement Lesage en passant par le gouvernement de M. Bourassa, première étape, le gouvernement du Parti québécois, première et dernière étapes, et maintenant le gouvernement libéral, j'ai l'impression qu'en matière de culture il y a eu un rôle important joué par l'État à

l'intérieur même de la Fédération canadienne. Je vois mal en quoi l'accord du lac Meech pourrait venir contrecarrer cette définition fort large que vous donnez du rôle de l'État en matière culturelle.

Mme Marcoux: D'une part, vous faisiez référence à l'endroit où l'on parle des groupes ethniques. Justement, je pense que vous ne pouvez pas dissocier cela de votre deuxième question. On dit qu'on croit à l'intégration dans le respect de l'héritage des groupes ethniques. On croit nécessaire l'intégration de ces gens-là à la vie francophone, c'est-à-dire au peuple francophone du Québec, autant...

M. Trudel: Je vais vous poser une très courte question. Précisément, si vous croyez à ça et moi aussi j'y crois...

Mme Marcoux: Alors il faut se donner les moyens.

M. Trudel: ...vous ne pensez pas que dans l'article qui traite de l'immigration dans l'accord du lac Meech - si vous l'avez lu et je pense que vous avez dû le lire - il y a matière à espoir, puisqu'on parle d'avenir quant à vous?

Mme Marcoux: Écoutezl Ce qu'on veut vous signifier, c'est très clair, c'est que s'il n'y a pas une politique culturelle au Québec, si on n'a pas tous les pouvoirs pour établir une politique culturelle, si on ne valorise pas la culture francophone, si on ne valorise pas les institutions francophones, les nouveaux arrivants seront encore tentés de s'en aller avec la minorité anqlophone. C'est ce qu'on dit. Pour nous, ce serait l'échec du Québec -parce qu'on sait que le nombre de nouveaux arrivants sera de plus en plus grand au cours des années - de laisser croire encore que la minorité anglophone a plus de privilèges, plus de droits, plus de pouvoirs au Québec que la majorité francophone, ce qui est arrivé fréquemment dans le passé.

M. Trudel: Tout en respectant votre opinion, vous me permettrez de ne pas être d'accord avec cette opinion-là. Je reviens encore une fois aux pages 8 et 9 de votre mémoire parce que - pardonnez-moi d'y revenir encore une fois - j'ai la très nette impression que ce que vous dites, je pourrais facilement l'assumer, tout fédéraliste que je suis. Je pense que le député de Saint-Jacques, tout affirmationniste soit-il, pourrait également l'assumer tant la définition que vous donnez du rôle de l'État, d'un côté, et de la culture, de l'autre, me paraît générale. J'aimerais que vous précisiez davantage.

Mme Marcoux: M. le député, je crois que c'est un apport important à votre compréhension et à la mienne que de me faire savoir que ce ne sont pas seulement les indépendantistes qui sont préoccupés de culture au Québec, mais aussi tous les fédéralistes qui, un tant sait peu, reconnaissent une spécificité québécoise et les nationalistes que vous distinguez à différents degrés, mais en tout cas j'espère que tout Québécois, toute personne qui réside au Québec, toute personne qui appartient à une culture, est préoccupée par cette culture.

Donc, je suis très heureuse qu'un gouvernement tel que le vôtre soit en accord avec les principes de la politique culturelle énoncée là, mais le problème, c'est de se donner les moyens et les instruments pour réaliser une telle politique culturelle. Ce n'est pas en ayant un certain nombre de pouvoirs ici et en en laissant d'autres à la Cour suprême et au gouvernement fédéral qu'on va arriver à établir une véritable politique culturelle. Je crois que c'est d'autant plus important - et il ne faut pas nier ce qui s'en vient dans le paysaqe politique aussi - que les échanges sont de plus en plus ouverts, autant au niveau culturel qu'à d'autres niveaux, avec les États-Unis et le Québec.

Donc, je dis que de jour en jour la culture québécoise sera de plus en plus menacée et, à cet égard, il faut une politique qu'on ne peut pas court-circuiter par l'invalidation des lois en allant plaider à la Cour suprême. Dans ce sens-là, il nous faut tous les pouvoirs et l'exclusivité des pouvoirs culturels ici au Québec et non pas partager ces pouvoirs-là. J'espère...

M. Trudel: Si j'ai bien compris ce que vous me dites...

Mme Marcoux: Et ça, le fédéralisme peut l'obtenir dans une négociation constitutionnelle. Ce n'est pas que le lot des indépendantistes de récupérer les pouvoirs en matière de lanque et en matière de culture. D'ailleurs, beaucoup de demandes traditionnelles du Québec à l'égard de la constitution réclamaient ces pouvoirs-là. Il ne faut pas non plus mettre les choses sur des plans différents.

M. Trudel: Non. À moins que mon interprétation de la constitution actuelle ne soit tout à fait erronée, j'ai l'impression, pour ma part en tout cas, qu'il n'y a rien dans l'actuelle constitution et surtout pas dans l'accord du lac Meech qui empêche d'atteindre cet objectif que tout le monde au Québec, vous avez raison, se fixe dans le domaine de la culture.

Il se fait tard. Je veux laisser mes collèques vous poser des questions. Disons que votre réponse très générale, peut-être en réponse à ma question qui l'était également,

ne me satisfait pas. Je ne vois pas en quoi, actuellement, on n'a pas ce que vous souhaitez obtenir.

Mme Marcoux: Dans ce cas, je vais vous demander pourquoi ne pas l'inscrire dans la constitution ou faire un partage des pouvoirs où le Québec aura l'exclusivité des pouvoirs? La question se pose dans les deux sens, M. le député. Vous me dites: Expliquez-moi ce qui va entraver dans la constitution le fait... Bon! moi, je trouve que le partage des pouvoirs entrave cela, et tant qu'on n'aura pas l'exclusivité du pouvoir en matière culturelle et en matière linguistique, cela va entraver cela. Mais si vous me dites qu'il n'y a rien, alors pourquoi ne pas réclamer l'exclusivité des pouvoirs en matière linguistique et culturelle? Si c'est si facile, si c'est presque un acquis, si dans la réalité c'est cela, pourquoi ne pas le faire sur papier?

M, Trudel: Parce que, justement, la réalité constitutionnelle canadienne, à mon avis, n'empêche pas l'épanouissement de la culture québécoise francophone. Maintenant, si on pouvait...

Mme Marcoux: M. le député, vous nous amenez dans un grand et long débat.

M. Trudel: Oui, d'accord. On ne l'entreprendra pas à 22 h 25 ce soir. Je vous remercie, madame.

Mme Marcoux: Là-dessus, on est d'accord sûrement.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Bourget. Je vais reconnaître maintenant, s'il y a lieu... Non? Un membre de l'Opposition.

M. Boulerice: Si vous me permettez juste très brièvement.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le député de Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui, une seule seconde, M. le Président, juste pour dire à M. le député de Bourget qui parie toujours de la culture avec un fond d'amertume qu'on connaît bien, et je le regrette pour lui, que, si l'accord du lac Meech nous avait apporté plu3 de pouvoir, au lieu d'avoir un CRTC, il y aurait peut-être un CRTQ, n'est-ce pas, Mme la Présidente? ce qui nous aurait permis d'éviter peut-être CIBL que l'autre côté vient tardivement appuyer d'ailleurs.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le député de Saint-Jacques. Je vais maintenant reconnaître M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Mme Marcoux, vous avez probablement entendu, tout à l'heure, te témoignage de M. Claude Morin. Je pense qu'il n'est pas particulièrement identifié comme un fédéraliste. Est-ce que vous êtes d'accord avec M. Morin pour dire qu'on a quand même fait des gains sur la récupération du droit de veto qu'on a perdu en 1982 et, également, sur l'autre point qui concerne l'immigration? Est-ce qu'à tout le moins sur ces deux points, Mme Marcoux, vous êtes d'accord avec M. Morin pour dire qu'on a fait des gains? Je comprends que ce n'est pas facile pour quelqu'un qui, en toute bonne foi, souhaite l'indépendance du Québec. Et c'est une option que vous défendez avec vigueur. Vous y croyez, mais toute indépendantiste que vous êtes, n'êtes-vous pas capable, en toute objectivité, de reconnaître qu'on récupère ce qui a été perdu par, justement, un parti qui nous précédait et qui était lui-même indépendantiste?

Mme Marcoux: Écoutez, vous m'amenez sur un terrain que j'ai voulu éviter quand j'ai présenté le mémoire, dans le sens où j'ai voulu parler de l'esprit du document, non pas avec un langage d'expert, et je ne voulais pas entrer dans des points particuliers parce que je me disais que d'autres spécialistes plus en faveur ou contre l'avaient fait et que je crois que j'ai sorti les points fondamentaux pour moi dans ce qui était là-dedans.

Même si vous aviez un droit de veto tel que celui que vous avez obtenu qui, pour moi, n'est pas un réel droit de veto, si nous n'avons pas certaines compétences, si nous n'avons pas une définition du peuple québécois - par définition j'entends quels pouvoirs il aura - vous aurez beau avoir un droit de veto, mais tout cela est nul.

Il faut prendre ce qui est fondamental, ce qui définit la société québécoise. Quant aux autres sujets de l'accord, pour moi, aucun n'est satisfaisant mais, comme je le dis, et sur cela on a écrit d'autres documents que vous pourriez lire. Je sais que vous avez certainement un autre document, je l'ai vu tout à l'heure, M. Rémillard en avait, nous avons certains autres documents sur la question. Néanmoins, ce que je croi3 fondamental, et c'est là qu'il faudrait expliquer à la population les enjeux de cette entente, les enjeux d'entrer dans la constitution avec une telle entente, c'est leur avenir à l'intérieur de cela.

Maintenant, comment va-t-on se sentir comme Québécois? Qui va-t-on être comme Québécois? Quels pouvoirs va-t-on avoir comme Québécois en adhérant à cette constitution de 1982 renforcée par l'entente du lac Meech? C'est ce qu'il faut expliquer à la population. Je crois qu'entre autres, c'est le devoir du gouvernement qui veut nous embarquer dans ce bateau de l'expliquer à la

population en ses termes. (22 h 30)

Faire une grande discussion sur le droit de veto, les formules d'amendement, c'est un langage d'experts. Je le laisse aux experts. Je ne suis pas une avocate juriste, je suis une citoyenne du Québec, politicologue et administratrice de formation. Dans ce sens, je crois fermement que c'est le fond des choses qu'il faut expliquer. Il ne faut pas jeter de poudre aux yeux avec des termes et des notions qui sont toutes très importantes quand on est juriste, mais il faut savoir dans quoi on va embarquer les Québécois et les Québécoises maintenant, dans quelle sorte de bateau et si un jour on va pouvoir sortir de ce bateau?

M. Lefebvre: Ce que je comprends essentiellement de votre témoignage, Mme Marcoux, et vous êtes assez franche pour l'admettre, c'est que les cinq points faisant l'objet de l'entente du lac Meech, vous ne les avez pas étudiés.

Mme Marcoux: Ce n'est pas ce que...

M. Lefebvre: J'ai vérifié techniquement. Je vous pose la question. Est-ce que c'est ce que je dois comprendre de votre témoignage? Les cinq points qui nous permettraient d'adhérer la tête haute à la constitution de 1982, si je comprends bien, techniquement, légalement, juridiquement, vous ne les avez pas évalués. C'est ce que je comprends là, et je vous trouve franche, vous l'admettez.

Mme Marcoux: Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Lefebvre: Non?

Mme Marcoux: Vous confondez les choses. Je crois que, vu que vous êtes bien au courant...

M. Lefebvre: Si ce n'est pas le cas, vous me corrigerez.

M. Johnson (Anjou): Ils sont toujours comme cela, ne vous en faites pas.

M. Lefebvre: Vous commencez à avoir des disciples, Mme Marcoux.

Mme Marcoux: Là, je vais vous corriger et je vais même vous laisser un exemplaire, M. le député.

M. Lefebvre: Non, non. Mme Marcoux, moi, je vous trouve franche, sympathique. Si ce n'est pas le cas, vous me le dites.

Mme Marcoux: Non, mais c'est ça. Laissez-moi le temps de vous le dire.

M. Lefebvre: Oui, oui.

Mme Marcoux: Je pense que vous êtes au courant de beaucoup de publications du ROI, vous l'avez démontré, vous en avez même en main. Je crois aussi que vous devriez être au courant d'une publication qui s'appelle L'autre journal, qui a paru sur le dossier du lac Meech. C'est là où vous avez mes commentaires sur la plupart des cinq points. J'ai choisi à la commission, je vous l'ai indiqué, de ne pas entrer dans ce jeu parce que je croyais qu'on l'avait fait beaucoup jusqu'à maintenant et d'aller au fond des choses. Maintenant, je ne sais pas combien il nous reste de temps, mais je pourrais, en annexe au mémoire que j'ai présenté, vous lire cet article qui parle du droit de veto, qui parle de la compensation financière, qui parle de la Cour suprême. M. le Président, est-ce que vous me donnez le temps de lire cet article d'une page?

Le Président (M. Filion): Madame, est-ce que...

Mme Marcoux: Non, je l'ai dit...

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il reste du temps du côté ministériel? Non. M. le député de Gouin...

Mme Marcoux: ...laisser l'exemplaire.

M. Rochefort: II reste sûrement 30 secondes à notre témoin pour lui permettre de déposer son document pour les lectures de nuit du député de Frontenac.

Une voix: Disciple du ministre. Le Président (M. Filion): Donc...

M. Lefebvre: Est-ce qu'on pourrait permettre à M. le ministre de remercier...

Le Président (M. Filion): Oui, oui.

M. Lefebvre: ...avec beaucoup de gentillesse, j'en suis convaincu.

Le Président (M. Filion): Juste avant. Est-ce que Mme Marcoux - je pense que la suggestion du député de Gouin n'est peut-être pas mauvaise - vous acceptez de déposer...

Mme Marcoux: Bien sûr.

Le Président (M. Filion): ...ce document? Bon! si on veut bien me le remettre. J'accepte le dépôt de ce document. Peut-être que le député de Frontenac voudrait le consulter immédiatement? À ce moment, on peut lui remettre pour la soirée et on le reprendra demain

matin pour le secrétariat des commissions. Aux fins de notre procès-verbal, il me fait plaisir de recevoir le dépôt du journal L'autre journal spécial lac Meech. C'est à la disposition du député de Frontenac pour la soirée. Cela étant dit...

Mme Marcoux: Page 14.

Le Président (M. Filion): À la page 14. Je vais laisser la parole à M. le ministre et, ensuite, à M. le chef de l'Opposition, pour leur permettre de conclure.

M. Rémillard: Très brièvement, je voudrais vous remercier, mesdames, messieurs, d'être venus témoigner devant nous. Evidemment que cette entente n'est pas pour faire l'indépendance du Québec. Vous me demandez Mme Marcoux: Qu'est-ce que cette entente va apporter aux Québécois et aux Québécoises? Je voudrais simplement souligner un point. Cela va apporter pour la première fois, dans la constitution canadienne, la reconnaissance du fait que le Québec est une société distincte. Pour la première fois, dans le contexte du droit constitutionnel canadien, dans la Fédération canadienne aussi, on reconnaît le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de protéger et promouvoir cette société distincte.

Cela signifie beaucoup de choses. Cela signifie une règle d'interprétation obligatoire, une règle d'interprétation qui va s'appliquer è toute la constitution. Seulement cela pourrait justifier l'ensemble de l'entente du lac Meech. Sur les autres points, la Cour suprême, la formule d'amendement, l'immigration, on est venu nous dire, même M. Morin est venu nous dire: Écoutez, c'est quand même intéressant. Mais sur la société distincte, avec ce nouveau rôle pour l'Assemblée nationale et pour le gouvernement, on a là une pièce maîtresse pour l'avenir des Québécois et des Québécoises. En terminant, je veux vous remercier d'être venus témoigner.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M. le chef de l'Opposition...

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je ne veux pas créer trop de commotion dans les banquettes ministérielles, mais je vous ferai remarquer qu'il me reste quatorze minutes.

Une voix: Allez-y.

M. Johnson (Anjou): Je vais en prendre quelques-unes évidemment pour remercier Mme Marcoux pour la qualité de son mémoire et du ton avec lequel elle a présenté ce qui, à bien des égards, va au fond des choses.

Le ministre, en nous servant pour la nième fois son vidéoclip, a oublié, cette fois-ci, de le commencer en disant qu'il s'agissait d'une entente historique; cela manquait!

Une voix: Il a commencé à innover.

M. Johnson (Anjou): Peut-être a-t-il changé d'idée, compte tenu de l'évolution des textes que nous ne connaissons pas. Lorsque le député de Bourget qui, à l'occasion, parle avec amertume de la culture, parce qu'il regrette l'époque où il était sous-ministre, je le sais parce qu'il adorait cette époque -c'était un excellent sous-ministre des Affaires culturelles, on sait cela... Je pense que c'est ce à quoi faisait allusion essentiellement mon collègue de Saint-Jacques.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaîtl

Je pense que chacun a pu entendre l'intervention du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, bien que les banquettes, à ma droite, soient évidemment un peu plus remplies que les banquettes à ma gauche. J'apprécierais que l'on puisse garder le silence et entendre les représentations de conclusion du chef de l'Opposition. Merci.

M. Johnson (Anjou): Je disais que Mme Marcoux est allée au fond des choses autour de la question des pouvoirs en matière culturelle et linguistique. Je pense que l'échange de propos qu'elle a eu avec le député de Bourget à cet égard démontre le fossé au niveau des perceptions et pas seulement à ce chapitre. On oublie peut-être trop souvent que le droit constitutionnel, ce n'est pas un "ego trip" pour juriste. Le droit constitutionnel, ce sont des textes qui font appel à une notion centrale dans une fédération, qui est le partage des pouvoirs. On peut bien ici ergoter pendant des heures, voire des semaines, sur le sens de la société distincte, mais, fondamentalement, ce qu'on fait et ce que le ministre propose aux Québécois de faire, c'est de s'en remettre à la marge d'incertitude sidérale des tribunaux pour définir ce que cela signifie.

Ce que Mme Marcoux dit sur cette dimension, avec raison, contrairement à ce que croit le député de Bourget, c'est que si vous êtes sérieux, M. le ministre, et si vous êtes sérieux au Parti libéral en tant que gouvernement, quand vous dites que la notion de société distincte contient quelque chose, bon Dieu! revendiquez les pouvoirs qui vont avec. Ne laissez pas neuf juges de la Cour suprême, quand ils auront le temps et l'intérêt pour le faire, quand ils auront les causes et les occasions qui leur seront présentées par les avocats, compte tenu de ce qui se passera, le soin de faire cela, mais

que cela se décide au plan politique. Pour que cela se décide au plan politique, il faudrait que le Québec le revendique. Or, vous ne l'avez pas revendiqué. C'est un peu comme si la société distincte, aux yeux du ministre... Cela me fait penser à une espèce de reconnaissance du bout des lèvres - vous me passerez l'expression un peu macho - ou d'un homme qui dirait à sa femme: Oui, tu es différente, je reconnais que tu es différente; je reconnais que tu es une personne humaine. Maintenant, ton allocation, je vais y voir à la fin de la semaine et je t'interdis même d'aller travailler à part cela; en plus, tu vas t'occuper de faire les chaudrons. Et moi, quand je vais décider qu'on change d'endroit et de "job", c'est moi qui vais décider où les enfants iront à l'école. Mais, c'est vrai que tu es différente, tu es un être humain autonome.

Bien non! il faut aller plus loin que cela. C'est un peu cela, la société distincte aux yeux du ministre. On va affirmer, comprenez-vous, qu'il y a des différences, mais on va être absolument incapable de passer aux actes. On va attendre que la Cour suprême, dans la sagesse éternelle des juges, dans dix ans, peut-être quinze, vienne nous dire: Mais, savez-vous, on a décidé que la notion de dualité canadienne sur le territoire québécois l'emporte sur la société distincte face à tel règlement linguistique, ou que l'article 6 de la charte canadienne sur la liberté d'établissement l'emporte sur des règles linguistiques et culturelles au Québec. Si vraiment vous êtes sérieux, si vous pensez vraiment qu'au Canada anglais les gens peuvent reconnaître sérieusement ce que signifie la spécificité québécoise, bon Dieu! il faut avoir le courage de le dire, de le demander, pas de faire l'opération extraordinaire qui est - et je vais utiliser l'expression anglaise pour bien me faire comprendre là-dessus - "pass the bucket" à la Cour suprême. Je ne me souviens pas quel président américain - je pense que c'était Roosevelt, Franklin D. et non pas Teddy Roosevelt - qui disait "the buck stops here", dans son bureau. C'est-à-dire c'est ici...

Une voix: Truman.

M. Johnson (Anjou): Truman, pardon, Truman qui disait: "The buck stops here", c'est ici que cela se décide. Je vous dis que vous n'avez rien décidé au lac Meech. Fondamentalement vous avez décidé que la Cour suprême, pendant les quinze prochaines années, supputerait les conséquences de l'évidence que le Québec est différent. Alors que le combat nationaliste depuis 25 ans - et je prends le mot nationaliste pour couvrir la plus large réalité possible au Québec, en étant conscient que si je disais le combat indépendantiste ou le combat souverainiste, cela limiterait le nombre de personnes dont on parle - le combat des nationalistes depuis 25 ans au Québec - et j'inclus peut-être même ce qu'a déjà été le député de Bourget, à l'époque où il travaillait très fort dans l'équipe de Jean Lesage, avec François Aquin et d'autres - le combat des 25 dernières années n'est pas de dire: La Cour suprême un jour nous annoncera ce que cela veut dire. Le combat des 25 dernières années est relatif à des pouvoirs. Il est relatif à la force du Québec et à sa capacité, si le gouvernement a la volonté de dire au reste du Canada: Nous, c'est cela, c'est cela. Vous dites que vous êtes incapables de dire: Nous, c'est cela. Vous leur dites: On aimerait que vous acceptiez de mettre une clause d'interprétation qui va faire que la Cour suprême, un jour, va nous dire ce qu'on est. Je trouve cela d'une faiblesse incroyable. Je trouve que c'est une espèce d'abdication de la responsabilité du politique dans le processus démocratique.

Cela ne m'étonne pas venant d'un ministre qui ne voit de vertu que dans ce qui est judiciaire, qui même me reprochait, hier ou avant-hier je ne sais plus, d'évoquer ma conviction profonde, à savoir que cela ne regarde pas les juges de la Cour suprême de savoir si l'affichaqe va être en français ou en anglais au Québec. Je trouve que cela devrait relever du Parlement québécois et non pas des juges de la Cour suprême. Il me le reprochait. Il me disait: Vous parlez d'une cause qui est devant la Cour suprême. Je le dis: en toute déférence envers leurs seigneureries de la Cour suprême, je suis élu par les gens du Québec, je siège dans un Parlement démocratique. Il me semble que le rôle des hommes et des femmes élus en démocratie, c'est de prendre des décisions, pas d'expliquer au reste du peuple que ce sont les tribunaux nommés à vie qui vont les prendre à leur place.

À cet égard, je vous dirai qu'il y a plein de causes qui, en ce moment, sont devant les tribunaux, qui correspondent à quoi? Qui correspondent à une abdication du pouvoir politique et démocratique de prendre des décisions. Je vous dis qu'à l'égard de l'évolution culturelle et linguistique du Québec, à l'égard des pouvoirs qui devraient venir avec, vous faites fausse route, parce que vous abdiquez. Vous remettez le tout entre les mains des juqes qui évidemment le feront mais diront: C'est parce que le constituant l'a voulu ainsi. Ce n'est pas la Cour suprême qui nous dit: Donnez-moi une clause d'interprétation vague à souhait. La Cour suprême souhaiterait probablement que les textes soient clairs. D'abord cela la tiendrait moins occupée. Les juges en ont des causes avec la charte canadienne! Ils en ont jusque là, ils passent 70 % de leur temps là-dessus. Je pense que si j'étais juqe à la Cour suprême - ne vous inquiétez pas, je ne vous demande pas d'y aller, pas plus

qu'au Sénat, d'ailleurs - j'aimerais que ce soit clair. Plutôt que de dire: Moi, comme juge, je vais assumer la définition de la société distincte, je me dirais: je suis investi de quels pouvoirs, de quelle autorité? Je suis investi d'un mandat que m'ont donné les élus parce qu'ils n'ont pas eu le courage de régler le problème... Au fond, le problème du lac Meech, c'est cela. Les vrais enjeux ne sont pas sur la table. Les vrais enjeux à l'égard de ce que cela signifie pour le peuple québécois ne sont pas sur la table. Les vrais enjeux pour le pouvoir du seul gouvernement, du seul État contrôlé par cette majorité francophone que nous sommes sur le seul territoire du Québec en Amérique du Nord ne sont pas sur la table.

Je vais vous dire que s'ils étaient sur la table, ce serait pas mal plus difficile. Je suis d'accord avec vous. Cela ne pourrait pas se passer avec des cachettes et des bouts de texte qui passent. Est-ce que cela va marcher cette semaine? Il faut se dépêcher parce que le monde commence à comprendre. Non, non, cela serait plus compliqué que cela. Il me semble que cela serait plus riche, plus vrai, plus correct, plus respectueux du Québec. Je dirais qu'à bien des éqards cela serait plus respectueux du Canada anglais. Ce serait arrêter de leur conter des histoires.

Je ne peux pas croire que même au gouvernement, un certain nombre de personnes, et je pense notamment au premier ministre qui a connu certains des combats de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, je ne peux pas croire, dis-je, que le Québec va régler pour une entente qui a si peu d'envergure, qui ne se définit qu'à partir d'un univers du possible et d'une conjoncture historico-politique et politicienne, de la disponibilité du premier ministre du Canada parce que, ma foi, il a besoin de s'occuper de cela parce qu'il y a des problèmes ailleurs, de la volonté du premier ministre de l'Ontario de se mettre cela derrière la cravate le plus vite possible pour passer aux vrais affaires qui s'appellent le libre-échange, de la faiblesse politique en ce moment dans les Maritimes pour des raisons de conjoncture et de la surprise qu'a eu l'Ouest canadien de découvrir que le Québec, en dépit de l'accord de 1982, pouvait bloquer la réforme du Sénat et qu'il n'avait plus rien à perdre en permettant l'adhésion du Québec au "Canada Bill".

Je vous dis à cet égard: Vous ne réglez, et encore! que partiellement, que fractionnellement que pour le passé. Il n'y a rien là-dedans qui soit porteur d'avenir pour autre chose que pour des avocats auprès de qui d'ailleurs, peut-être un jour, l'actuel ministre servira comme consultant, comme spécialiste dans ces questions. Quand un jour des avocats de droit commercial viendront le voir dans quelques années, ils appelleront cet ancien constituant pour lui dire: D'après vous, société distincte, est-ce que cela veut dire cela? Est-ce vrai que cela nous donne plus de pouvoirs en matière de valeurs mobilières? Etc. Vous ne trouvez pas que c'est passer à côté du problème? Il me semble qu'on ne devrait pas signer. Il me semble que c'est tellement évident qu'on ne devrait pas signer dans un contexte comme cela.

Mme Marcoux, merci.

Le Président (M. Filion); Au nom des membres de cette commission, Mme Marcoux, Mme Schirm et M. Saint-Germain, merci de vous être déplacés et pour la qualité de votre mémoire également, comme on l'a déjà souligné, ainsi que pour la période de discussions que nous avons eue ensemble.

Nos travaux sont ajournés à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 48)

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